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LA mOskOwA - Silex & Baïonnette

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L’ÉPOPÉe imPÉriALe<br />

<strong>LA</strong> <strong>mOskOwA</strong><br />

Texte<br />

Bernard CHeVALLIer et Benoît SOMMIer<br />

Illustrations<br />

Philippe MUNCH, Christophe SIMON<br />

et Philippe WerNer<br />

Le rubicon Éditeur<br />

NAPOLÉON 1 er


2<br />

Remerciements<br />

Nous exprimons notre gratitude à Monsieur Jean-Pierre Osénat,<br />

commissaire priseur, et à son associé Monsieur Jean-Christophe Chataignier,<br />

qui nous ont permis de reproduire de nombreuses photographies<br />

figurant dans les catalogues de la maison Osénat, société de ventes aux<br />

enchères à Fontainebleau.<br />

Nous remercions les collectionneurs, directeurs et conservateurs<br />

de musées, qui nous ont accordé les mêmes permissions :<br />

Monsieur Amaury Lefébure, directeur du Musée national des châteaux<br />

de Malmaison et Bois Préau,<br />

Monsieur le Professeur Georgy Vilinbakhov, directeur du Musée<br />

de l’ermitage à Saint-Pétersbourg,<br />

Monsieur Philippe Amourette, conservation des Musées<br />

de la ville d’Auxerre,<br />

Monsieur Thierry de Maigret, commissaire priseur,<br />

Madame Patricia Paris, directrice adjointe des services<br />

à la Mairie de rouffach,<br />

Monsieur Arnaud de Gouvion Saint Cyr,<br />

et Monsieur Philippe Martinetti, conservateur des cimetières d’Ajaccio.<br />

Nous n’oublions pas que nous sommes redevables envers toutes<br />

celles et ceux qui ont soit contribué à nous alimenter dans notre âpre<br />

quête documentaire, soit prodigué de judicieux conseils.<br />

Nous pensons tout particulièrement à Monsieur Habib Alouidji,<br />

Madame Geneviève de Broche des Combes, Monsieur Alexandre Bobrikoff,<br />

conservateur du Musée des Cosaques, Monsieur Gérard Gorokhoff,<br />

expert et trésorier du Musée des Cosaques, Monsieur Jean-Claude Lachnitt,<br />

secrétaire général du jury des prix et des bourses de la Fondation Napoléon,<br />

Monsieur Loup Odoevsky Maslov, historien et héraldiste,<br />

Monsieur Alain Pougetoux, conservateur en chef du Musée national des<br />

châteaux de Malmaison et Bois Préau, Madame Marthe Paoli,<br />

Monsieur Sylvain Simon, et Monsieur Igor Soloviev, conseiller culturel<br />

à l’Ambassade de russie en France.<br />

Note de l’éditeur<br />

La langue russe s’écrivant, comme on le sait, en alphabet cyrillique, toute translittération dans l’alphabet latin est arbitraire pour les phonèmes qui se transcrivent de<br />

plusieurs façons. Aussi les noms russes ont-ils une orthographe différente d’une langue étrangère à l’autre, et souvent même à l’intérieur d’une même langue. C’est ainsi que<br />

le nom de la bataille de la Moskowa se rencontre sous plusieurs formes différentes en français.<br />

Moscova serait la graphie la plus française et la plus cohérente.<br />

Moscowa se rencontre souvent au XIX ème siècle, et c’est elle qu’on trouve sous le dôme des Invalides. elle est tombée en désuétude au XX ème siècle.<br />

Moskova est maintenant la graphie officielle, sanctionnée comme telle par les dictionnaires de référence.<br />

Moskowa reste la graphie la plus répandue. Nous nous sommes conformés à cet usage dominant.<br />

Dans l’histoire de l’europe, rares sont les événements qui ont suscité autant de passion que la<br />

campagne de russie de Napoléon. Tout y est au superlatif : les distances, le nombre d’hommes<br />

engagés, le nombre de pertes aussi. Le combat de deux géants – Napoléon et Alexandre – qui<br />

se respectent et se haïssent en même temps, est le point culminant de la gloire et de la folie de l’empire<br />

napoléonien. Plus de 600 000 hommes ont franchi le Niémen le 24 juin 1812, à peine 60 000 d’entre eux<br />

ont retraversé la Bérézina fin novembre de la même année. Neuf hommes sur dix sont laissés pour morts,<br />

faits prisonniers ou ont déserté dans les plaines enneigées de la russie. Quand Napoléon contemple<br />

l’autre rive du Niémen au petit matin du 24 juin 1812, peut-il deviner ce que cette aventure lui réserve ?<br />

La bataille de la Moskowa, appelée par les russes bataille de Borodino (du nom de village qui se trouve<br />

près du champ de bataille), est le tournant de la campagne. Près de 300 000 hommes durant 10 heures<br />

échangent 110 000 coups de canon et tirent 260 000 cartouches. Les russes perdent plus du tiers des<br />

effectifs engagés, les Français plus d’un cinquième. Au bout de ces combats meurtriers, personne ne<br />

remporte une victoire décisive mais les pertes sont tellement lourdes que ni Napoléon, ni Koutouzov qui<br />

commande l’armée russe, ne veulent reprendre les hostilités le lendemain pour ne pas y risquer le reste<br />

de leurs armées.<br />

Deux siècles se sont écoulés depuis. en 2012 nos deux pays ont commémoré le bicentenaire de cette<br />

campagne. Paradoxalement, cette épopée les a plus rapprochés qu’elle ne les a séparés. Aujourd’hui nous<br />

nous souvenons de cette page glorieuse de notre passé commun sans aucune rancune. L’amitié entre nos<br />

deux grands peuples s’est révélée plus forte que les vicissitudes de l’Histoire.<br />

Alexandre OrLOV<br />

Ambassadeur de la<br />

Fédération de russie<br />

en France<br />

Préface<br />

3


La marche à la guerre<br />

4<br />

La marche à la guerre<br />

« Celui qui m ’aurait évité cette guerre m ’aurait rendu<br />

un grand service. »<br />

Napoléon<br />

Napoléon est au sommet de sa gloire. L’europe entière,<br />

après avoir vu luire avec stupeur le soleil d’Austerlitz, ne<br />

cesse de contempler la course ascendante de cet astre flamboyant,<br />

cette bonne étoile en qui Napoléon a tant confiance<br />

et à qui il confie son destin et celui de ses peuples. en 1812,<br />

l’empire français, qui s’étend bien au-delà des frontières<br />

de la France, fort de ses satellites, innombrables maillages<br />

d’états vassaux, occupés ou soumis, est au faîte de sa puissance.<br />

Jamais, depuis le mythique empire de Charlemagne,<br />

l’europe n’avait connu une telle domination.<br />

C’est dans ce contexte de sur-puissance que va se dérouler<br />

l’un des actes les plus tragiques de l’histoire de l’éphémère<br />

empire. « Le commencement de la fin », tel que l’aurait<br />

dit Talleyrand. Napoléon, aveuglé par sa suprématie, va<br />

se lancer dans une entreprise formidable, toute à sa démesure,<br />

qui conduira ses armées au désastre et préludera à sa<br />

propre chute.<br />

Quelles raisons ont poussé l’empereur à envahir la<br />

russie ? Quel est l’objet de cette campagne extraordinaire<br />

qui débute au matin du 24 juin 1812, lors de la traversée du<br />

Niémen par la plus grande armée du monde, cette armée<br />

des Vingt Nations, rassemblée patiemment par Napoléon<br />

depuis près d’un an ? Personne, contemporains ou historiens,<br />

familiers de l’empereur ou ennemis, ne parvient à<br />

l’expliquer complètement. Pourtant six cent mille hommes<br />

franchissent le fleuve en quatre jours, s’apprêtant à déferler<br />

sur la russie.<br />

C’est en partie une surprise. Il n’y a pas eu de déclaration<br />

de guerre officielle, seulement une proclamation de<br />

l’empereur à ses troupes, à Dresde. Le Tsar Alexandre n’y<br />

répond pas, et envoie un émissaire de paix dès qu’on l’informe<br />

de la traversée du Niémen. Il n’y a aucune animosité<br />

profonde entre les deux empereurs, leurs différends n’étant<br />

pas bien éloignés de ceux qu’ils connaissaient quatre ans<br />

auparavant, lorsqu’ils avaient réitéré à erfurt leur serment<br />

d’alliance, fidèle à l’esprit de Tilsit. Leurs propos restent officiellement<br />

ouverts à la paix et tous les deux protestent de<br />

leur amitié. Aucun des deux ne revendique la déclaration<br />

de la guerre, chacun en attribuant l’initiative à l’autre, tous<br />

deux présentant cette guerre comme défensive.<br />

Napoléon Ier (1769-1821) empereur des Français<br />

Huile sur toile (1812)<br />

par Jacques-Louis David (1748-1825)<br />

Washington - National Gallery of Art<br />

Alexandre Ier (1777-1825) tsar de toutes les Russies<br />

Huile sur toile (1824) par George Dawe (1781-1829)<br />

Musée de l’Ermitage<br />

Pourtant de part et d’autre, on sait ce conflit depuis<br />

longtemps inévitable. La domination de la France sur le<br />

continent a pour conséquence naturelle de porter sa présence<br />

militaire jusqu’à la frontière russe. Cette nation qui,<br />

à Tilsit, n’avait aucune frontière naturelle avec la russie,<br />

aucun conflit de territoire, en aura bientôt inévitablement<br />

en continuant sa marche triomphale vers l’est.<br />

Depuis 1807 et la cuisante défaite de la russie à<br />

Friedland, une alliance est scellée entre les deux empereurs,<br />

permettant de maintenir un équilibre des forces sur<br />

le continent, favorable aux deux nations et tourné contre


La marche à la guerre<br />

6<br />

l’Angleterre. Avec Tilsit, ce fameux traité signé<br />

sur ce même Niémen, à bord d’un radeau au<br />

lendemain de la débâcle, la russie adhère<br />

au Blocus continental, obtient la paix avec<br />

la France et a les mains libres pour étendre<br />

son empire au sud et dans les Balkans, face à<br />

la Sublime Porte. Sa conquête de la Finlande<br />

s’en trouve également consolidée. La position<br />

renforcée de la France vis à vis des deux<br />

puissances militaires frontalières que sont<br />

la Prusse et l’Autriche permet en sus de<br />

contenir leur velléités impérialistes qui<br />

pourraient s’étendre à son détriment, la<br />

Prusse en Pologne, l’Autriche dans les<br />

Balkans et le long du Danube. L’équilibre<br />

général des forces après Tilsit favorise la<br />

russie et la France.<br />

Cependant cet équilibre est sans cesse bousculé par<br />

Napoléon, qui consolide sa position hégémonique sur le<br />

continent et dont la présence militaire de plus en plus marquée<br />

à l’est devient progressivement une menace pour la<br />

russie. en outre, la France a travaillé à la renaissance d’un<br />

état polonais plus ou moins inféodé à elle, le Grand-Duché de<br />

Varsovie, rattaché à la couronne de Saxe, la Saxe étant alliée<br />

à l’empire français. Ce nouvel état lève une armée nationale,<br />

dont les cadres sont largement pro-français et anti-russes.<br />

L’occupation de Dantzig et la présence d’un corps permanent<br />

sous la houlette du maréchal Davout en font en pratique un<br />

protectorat français, frontalier de la russie. La France ellemême<br />

déborde à l’est, de nouvelles annexions en Allemagne<br />

augmentant le nombre de ses départements, jusqu’au duché<br />

d’Oldenbourg, dont le duc est le beau-frère d’Alexandre.<br />

Napoléon du reste, sait que l’unité de l’europe sous le drapeau<br />

français se heurtera immanquablement à une réaction<br />

russe. Il s’y prépare.<br />

Mais Alexandre ne semble pas décidé à franchir le pas.<br />

S’il se prépare également activement à la guerre, il y va à<br />

reculons. Surtout, il ne souhaite pas se lancer dans l’entreprise<br />

seul. Mais la relative soumission de l’Autriche et de la<br />

Prusse à l’empereur, l’attitude de défiance des Polonais, ne<br />

lui permettent pas de construire une coalition. Son attitude<br />

est ambigüe : son discours est diplomatiquement de plus en<br />

plus ferme à l’égard de la France, mais il n’est suivi d’aucun<br />

effet sur le plan militaire ou politique. Il ouvre ses ports aux<br />

navires « neutres », qui cachent souvent des contrebandiers<br />

Frédéric-Guillaume III (1770-1840) roi de Prusse<br />

estampe (vers 1813) extraite de la série des Grands Aigles<br />

Musée national de Malmaison<br />

anglais, ce qui en soi est un manquement au traité de<br />

Tilsit. Par ailleurs, il édicte un oukase sur les produits de<br />

luxe qui touche principalement les importations françaises,<br />

provoquant la colère de Napoléon. Ces<br />

mesures symboliques ne rallient pas pour<br />

autant au Tsar son aristocratie, qui en veut<br />

plus. Celle-ci se fait d’ailleurs de plus en<br />

plus menaçante et ourdit complots et<br />

cabales contre le Tsar. L’éviction du secrétaire<br />

Spéranski, figure emblématique<br />

du gouvernement d’Alexandre, en est le<br />

point culminant et sonne comme un avertissement.<br />

À ménager bien mal la chèvre et le chou, Alexandre joue<br />

un jeu dangereux qui peut lui coûter sa couronne et sa vie.<br />

Mais s’il a bien en tête l’assassinat de son père par sa noblesse,<br />

acte qui a inauguré son propre règne, il se remémore<br />

aussi les terribles défaites d’Austerlitz et de Friedland qui<br />

ont humilié l’armée qu’il commandait. Hanté par ces deux<br />

démons, il tergiverse. et le temps passe : en 1810, les divisions<br />

que le Tsar massait sur le Niémen, la construction de<br />

nouvelles places fortes pouvaient lui donner un avantage sur<br />

Parterre de rois (18-29 juin)<br />

« Il avait souhaité que l’empereur d’Autriche,<br />

plusieurs rois, et une foule de princes, vinssent<br />

à Dresde sur son passage ; son désir fut satisfait. »<br />

Louis-Philippe de Ségur<br />

L’Empereur et l’Impératrice arrivent à Dresde le 18 mai.<br />

Frédéric-Auguste I er , roi de Saxe depuis 1806 par la seule<br />

volonté impériale, a mis son magnifique palais du Zwinger<br />

à leur disposition. C’est dans ce cadre destiné aux détentes<br />

et festivités de la Cour que Napoléon reçoit bon nombre<br />

de souverains vassaux ou alliés. François I er , empereur<br />

d’Autriche, Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse et son fils<br />

le prince héritier, viennent faire allégeance au maître<br />

de l’Europe. Sans doute l’Empereur espère-t-il encore<br />

impressionner le Tsar par cette démonstration de sa toute<br />

puissance et ainsi éviter le conflit militaire. En vain,<br />

la réponse d’Alexandre à l’ultime tentative de médiation<br />

va le conduire à déclencher rapidement les hostilités.


La marche à la guerre<br />

8<br />

l’armée française. Deux ans plus tard, Napoléon<br />

a mis sur pied une armée gigantesque qui<br />

résisterait à toute offensive russe.<br />

Alexandre ne peut plus prendre<br />

l’initiative. Soit il se soumet<br />

face à la démonstration de<br />

force de l’empereur et ravive<br />

l’alliance, soit il doit<br />

se préparer à une guerre<br />

sur son propre sol.<br />

Napoléon le pousse<br />

à faire ce choix : il réunit<br />

à Dresde le gros<br />

de son armée et les<br />

principaux princes<br />

d’europe. Il y fait une<br />

démonstration formidable<br />

de sa puissance.<br />

Tous, princes, rois, jusqu’à<br />

l’empereur d’Autriche, se<br />

pressent autour de lui avec<br />

déférence et soumission. Le message<br />

est très clair : la russie est seule<br />

et Napoléon a le pouvoir de faire déferler<br />

l’europe sur son empire. De Dresde, il envoie son aide de<br />

camp, le comte de Narbonne-Lara, à Vilna où se trouvent<br />

le Tsar et son armée. C’est la dernière tentative de conciliation.<br />

Narbonne-Lara revient avec un ultimatum proféré<br />

par le Tsar : celui-ci désire la paix mais n’accorde aucune<br />

concession sur l’application du blocus et surtout il réitère<br />

la demande d’évacuation de la Prusse et de la Pologne par<br />

les troupes françaises. Le Tsar a pris une décision à son<br />

image qui provoque la guerre sans la déclarer. Napoléon<br />

lui répond à la manière d’Alexandre : lui non plus ne souhaite<br />

pas la guerre mais ses troupes prennent bien le chemin<br />

du Niémen.<br />

Quelles sont les intentions de l’empereur à ce momentlà<br />

? Quels sont les buts de cette nouvelle campagne ? Nul ne<br />

le sait. Occuper la proche Lithuanie et créer un état polonais<br />

souverain qui empièterait sur l’empire des romanov ?<br />

Conduire une guerre éclair et contraindre Alexandre à signer<br />

la paix à Moscou ou à Saint-Pétersbourg ? Conquérir<br />

l’immensité russe ? Poursuivre et atteindre les Indes pour<br />

porter le coup de grâce à l’Angleterre ? Tout cela semble<br />

possible à la veille de l’invasion.<br />

Alexandre Berthier (1753-1815)<br />

prince de Neuchâtel et Valangin,<br />

prince de Wagram, maréchal,<br />

en habit de cour de la Maison<br />

de l’Empereur<br />

Huile sur toile (vers 1810)<br />

par Andrea Appiani<br />

(1754-1817)<br />

Château de Fontainebleau<br />

Archives photographiques Osénat<br />

Cette armée que<br />

l’empereur se prépare<br />

à jeter de l’autre côté<br />

du Niémen, cette armée<br />

des Vingt Nations,<br />

est probablement la<br />

plus formidable de tout<br />

l’empire. À l’instar du<br />

règne, 1812 marque pour<br />

la Grande Armée un zénith.<br />

Jamais la puissance militaire<br />

française n’a été si étendue,<br />

jamais autant d’hommes n’ont été<br />

réunis sous les drapeaux. L’empereur<br />

est alors capable de faire face sur deux fronts,<br />

ceux d’espagne et de russie. Il estime être en mesure de<br />

prendre l’initiative. Les chiffres lui donnent raison. La<br />

formidable machine administrative qui couvre l’europe,<br />

de la Vistule jusqu’au Tage, a permis de lever des troupes<br />

considérables. La maîtrise de l’ensemble des voies de communication<br />

continentales et des principales places fortes<br />

permet à cette masse d’hommes d’être très mobile et de se<br />

transporter d’un bout à l’autre d’une zone immense. On estime<br />

à six cent mille hommes la force qui s’apprête à déferler<br />

sur la russie. Trois cent mille occupent l’espagne : à la veille<br />

de l’invasion, Napoléon dispose d’une armée de près d’un<br />

million d’hommes. Quelle nation en europe pourrait y<br />

résister ?<br />

Commander à une telle multitude, dans un champ<br />

d’opération aussi vaste que la russie européenne, est un<br />

défi auquel l’empereur n’a encore jamais été confronté. Il<br />

a conscience des écueils auxquels il peut se heurter. Dire<br />

que Napoléon jette ses hommes à l’aventure, que la Grande<br />

Armée, fidèle aux précédentes campagnes, ne compte que<br />

sur le pays pour se nourrir, fait partie des images d’Épinal.<br />

L’empereur sait que le ravitaillement sera incertain et qu’il<br />

convient de l’organiser au mieux depuis l’arrière. Il sait que<br />

l’hiver serait fatal à son projet. Il a lu le récit de l’invasion<br />

de la russie par Charles XII de Suède et sait ce qui menace<br />

ses hommes. Il ne souhaite pas répéter les mêmes erreurs<br />

et prend à cet effet des mesures innovantes qui modifient<br />

l’organisation de la Grande Armée.<br />

Pour le ravitaillement, il transforme l’europe orientale<br />

en une gigantesque machine de production agricole et<br />

d’approvisionnement au service de l’armée. Il commande<br />

des céréales en Allemagne, en Prusse et surtout en Pologne,<br />

terre riche et fertile que la démonstration de force face aux<br />

russes a préservée d’un éventuel raid destructeur en 1810 et<br />

1811, assurant ainsi la mise en œuvre de son projet. Les voies<br />

fluviales sont modifiées afin d’accélérer le réapprovisionnement<br />

de l’armée lorsque celle-ci sera en Lithuanie. Pour<br />

le transport terrestre, un nouveau type de tombereau a été<br />

créé, capable de transporter plus de nourriture. Les rations<br />

transportées par la troupe elle-même sont bien plus importantes<br />

qu’à l’ordinaire. Vingt jours de ration, à la demande<br />

de l’empereur. La nourriture du fantassin est cependant<br />

privilégiée par rapport à celle des chevaux. Pour le fourrage,<br />

on compte bien sur le pays conquis. Ceci ne sera pas sans<br />

conséquences.<br />

Des dispositions sont également prises pour faire face à<br />

l’immensité du terrain d’opération. Afin de sauvegarder la<br />

liaison entre des corps qui peuvent se trouver à des distances<br />

importantes, l’effectif des officiers d’ordonnance est considérablement<br />

accru. Ceci va de pair avec une augmentation<br />

de la taille des états-majors de chaque<br />

corps. La Maison de l’empereur, organisation<br />

très légère jusqu’en 1810, ne déroge<br />

pas non plus à cette règle. Pas moins de<br />

onze aides de camp et quinze officiers d’ordonnance<br />

sont rattachés directement à la personne de l’empereur.<br />

Napoléon compte aussi sur les facultés d’initiative<br />

de ses hommes, pouvant venir compenser le manque de<br />

liaison. Il augmente le niveau de commandement de nombreux<br />

régiments, considérant ceux-ci comme des brigades,<br />

dirigés de ce fait par des généraux et non par des colonels.<br />

L’empereur Napoléon Ier à cheval<br />

Sculpture (1860)<br />

par Gabriel Vital Dubray (1813-1892)<br />

Archives photographiques Osénat<br />

Cette disposition touche principalement le corps de Davout<br />

composé de soldats français, véritable pierre angulaire de<br />

l’armée.<br />

Afin d’éviter l’hiver, qu’il sait être le danger principal<br />

de la campagne, l’empereur décide de concentrer les opérations<br />

sur les mois de juin à octobre, période au cours de<br />

laquelle le temps lui sera favorable.<br />

À la veille de l’invasion, Napoléon a l’avantage numérique,<br />

il dispose de réserves en hommes et en nourriture à<br />

la mesure du défi dans lequel il se lance. On peut dire également<br />

que cette campagne est celle que l’empereur a préparée<br />

le plus longuement et le plus minutieusement. Qui peut<br />

prédire, à cet instant, la tragédie qui frappera ces hommes ?


smolensk, Polotsk, Valoutina<br />

32<br />

smolensk, Polotsk, Valoutina<br />

« Messieurs, rappelez-vous ce mot d ’un empereur romain :<br />

- Le corps d ’un ennemi mort sent toujours bon -. »<br />

Napoléon<br />

D’aucuns, comme Ségur qui l’a<br />

relaté dans ses mémoires, pensent<br />

qu’arrivé à Vitbesk, après ces marches<br />

épuisantes à travers la Lithuanie,<br />

de plus en plus loin de ses bases,<br />

l’empereur aurait décidé de mettre<br />

un terme à cette première phase de la<br />

campagne. « Je m’arrête ici, je veux<br />

m’y reconnaître, y rallier, y reposer<br />

mon armée. La campagne de 1812 est<br />

finie. Celle de 1813 fera le reste ! ».<br />

Il ne s’agit en réalité que d’un court<br />

repos, qui durera une semaine. repos<br />

absolument nécessaire, la route depuis Vilna ayant mis<br />

les troupes dans un état de fatigue tel qu’il est impensable<br />

de les jeter à nouveau sur les chemins à la poursuite d’un<br />

Barclay toujours aussi insaisissable. Surtout, Napoléon<br />

n’a pas le choix, il lui faut continuer. Car le temps joue<br />

contre lui, il le sait. S’il est maître d’une large portion de<br />

territoire, au sein d’un heptagone dont les angles seraient<br />

Vilna, à l’ouest, Minsk et Mohilev au sud, Vitbesk à l’est et<br />

Polotsk au nord, la situation sur ses ailes peut être jugée<br />

menaçante. À sa gauche, c’est Wittgenstein qui a l’initiative<br />

et qui bouscule Oudinot. Il lui faut dégarnir son centre des<br />

Bavarois de Gouvion Saint-Cyr pour contenir les assauts du<br />

général russe. Sur sa droite et en arrière, la situation n’est<br />

guère meilleure. Tormassov, à la tête de l’armée de Galicie,<br />

surprend les Saxons du général reynier à Kobrine, dans la<br />

zone du Pripet, et fait prisonnier l’ensemble de la brigade<br />

Klengel. Napoléon est contraint d’envoyer Schwarzenberg à<br />

la rencontre de Tormassov, alors qu’il destinait les troupes<br />

autrichiennes au garnissage de son dispositif central. S’il<br />

attend encore, il sait que la pression sur ses ailes se fera<br />

de plus en plus forte. Les renforts de Finlande et de Saint-<br />

Pétersbourg, l’arrière-ban des provinces éloignées, les<br />

troupes de l’amiral Chikov, tous ces corps que l’immensité<br />

du territoire n’avait pu réunir convergent en ce moment<br />

sur l’envahisseur français. S’il attend trop, non seulement<br />

Napoléon ne sera plus en mesure de battre Barclay et<br />

Bagration réunis, mais encore, il n’est pas certain qu’il<br />

Charles étienne Gudin (1768-1812) comte, général<br />

Huile sur toile - Anonyme<br />

École française Premier empire<br />

Archives photographiques Thierry de Maigret<br />

Bataille de Smolensk (16 et 17 août)<br />

Huile sur toile (vers 1820)<br />

par Albrecht Adam (1786-1862)<br />

Musée de l’Ermitage<br />

puisse se maintenir. Se replier est impensable. Il n’y a que<br />

la marche en avant qui puisse lui garantir la victoire. De<br />

fait, s’il ignore exactement la taille des troupes de Barclay<br />

et de Bagration, et malgré le délitement de ses propres<br />

troupes, il peut néanmoins supposer qu’il conservera sur<br />

eux un avantage numérique certain. Il lui faut livrer au plus<br />

vite cette fameuse bataille !<br />

Les russes sont tout près d’exaucer les vœux de<br />

l’empereur. Leur jonction faite à Smolensk est vécue<br />

comme un jour de liesse. Les armées réunies reprennent<br />

espoir. L’enthousiasme de la base se transmet à la tête,<br />

conduisant Bagration à oublier pour un temps ses amères<br />

récriminations à l’encontre de Barclay. Unis, ils feront<br />

enfin front. Mieux que ça, ils passeront à l’offensive. C’est<br />

la décision que prennent les états-majors réunis des deux<br />

armées. Barclay, s’il conserve une certaine circonspection<br />

quant à la capacité des russes à vaincre la Grande Armée,<br />

n’a d’autre choix que de se rallier. Il conduira les opérations.<br />

Les mouvements sont lancés le 7 août. Il reste une question<br />

de taille : vers où conduire cette brillante contre-offensive ?<br />

Car les rapports des éclaireurs et des espions sont<br />

contradictoires. Il est difficile de l’imaginer, tant ces armées<br />

semblent formidables par leurs masses et leurs exigences<br />

logistiques, mais il est évident que Barclay ignore où sont<br />

les Français et que réciproquement, Napoléon ignore<br />

exactement où sont les russes. Mais Barclay se trompe<br />

de beaucoup. Alors qu’il dirige son offensive sur Vitbesk


smolensk, Polotsk, Valoutina<br />

34<br />

et rassasna, lieu probable de jonction<br />

de la Grande Armée avec les corps qui<br />

poursuivaient Bagration, une information<br />

complètement erronée lui parvient,<br />

le prévenant du débordement par sa<br />

droite du gros des troupes de Napoléon.<br />

Le dispositif initial, qui le conduisait<br />

effectivement à la rencontre des<br />

Français, est totalement bouleversé<br />

et tourné désormais vers Poreczié,<br />

tout au nord de Smolensk. Barclay<br />

est d’ailleurs conforté dans son<br />

idée lorsqu’il apprend que Platov<br />

a rencontré et battu les cavaliers<br />

de Sébastiani à Inkowo, au Nord-Ouest de<br />

Smolensk. Ce qu’il prend pour les contre-flancs de la<br />

Grande Armée et, en quelque sorte son aile droite, est en<br />

réalité son aile gauche !<br />

Ce faisant, Napoléon est lui-même induit en erreur.<br />

La rencontre avec Platov et la vigueur de l’engagement<br />

lui laissent supposer que les russes marchent sur lui en<br />

direction de Vitbesk et qu’ils sont déterminés à la bataille.<br />

Il prépare donc son propre dispositif sur l’axe Vitebsk -<br />

rassana. Mais il fait la même erreur que Barclay. Ce qu’il<br />

prend pour une avant-garde et le centre du dispositif<br />

ennemi est en réalité son aile gauche ! Bref, Barclay et<br />

Napoléon se manquent, alors que leur intention est de se<br />

rencontrer au plus vite. Cette erreur de jugement sur les<br />

positions et les intentions russes est des plus fâcheuses<br />

pour Napoléon. L’avancée de Barclay sur Poreczié se fait<br />

dans le désordre le plus affligeant. Ordre et contre-ordre,<br />

marche et contremarche, les commandants de Corps s’y<br />

perdent, la troupe se met à grogner. Le bel enthousiasme des<br />

retrouvailles qui avait galvanisé les hommes est retombé.<br />

Le mot de trahison est sur toutes les lèvres. Napoléon<br />

débouchant sur les russes à ce moment-là n’aurait eu aucun<br />

mal à les culbuter. Au lieu de cela, l’avancée française se<br />

fait précautionneusement. Les premiers engagements ont<br />

peut-être échaudé les Français et la prudence est de mise.<br />

Napoléon pense que la clé du dispositif est Smolensk et<br />

il jette ses troupes sur cette ville où il suppose ne trouver<br />

qu’une partie de l’aile gauche afin de la prendre aux russes.<br />

Ainsi, il se rendrait maître de la route de Moscou, un peu en<br />

arrière des troupes russes. Il imposerait alors une bataille<br />

en front renversé à Barclay, avec un appui fort des deux<br />

Horace Sébastiani (1772-1851) comte, général<br />

estampe (vers 1813)<br />

extraite de la série des Grands Aigles<br />

Musée national de Malmaison<br />

côtés du Dniepr. en réalité il y trouvera toute l’armée<br />

russe. Celle-ci, en effet, n’a pas beaucoup avancé<br />

vers Poretzié depuis que Barclay l’a mise<br />

en marche. Il lui sera facile de s’y replier<br />

par le nord apprenant que Napoléon<br />

l’attaque par le sud.<br />

Le 13 août, l’essentiel des troupes<br />

françaises est massé à rassasna et prend<br />

la route de part et d’autre du Dniepr.<br />

Au-devant chevauchent trois des quatre Corps<br />

de la cavalerie de réserve, ceux de Nansouty, Grouchy et<br />

Montbrun. Derrière marchent les Corps de Ney, Davout,<br />

qui a récupéré ses divisions « prêtées » à Murat durant les<br />

premières semaines de la campagne, les Italiens du vice-roi<br />

eugène ainsi que la Garde, flanqués sur leur droite par les<br />

Corps de Poniatowski et de Junot. Naturellement, Murat<br />

conduit l’avant-garde, parade grandiose de cavalerie,<br />

aux uniformes chamarrés, aux cuirasses rutilantes, aux<br />

oriflammes et aux drapeaux colorés. Hussards, lanciers,<br />

dragons, cuirassiers étincellent sous le soleil d’août et<br />

suivent leur chef charismatique comme à la parade.<br />

Carabiniers sur chevaux nains (juillet)<br />

« Du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas. »<br />

Napoléon<br />

On estime à 150 000 le nombre de chevaux qui ont franchi<br />

le Niémen. En raison de violents orages, 10 000 chevaux<br />

disparaissent dès la première semaine. Chemins<br />

impraticables, fourrage détrempé, changements brusques<br />

de température sont autant de causes de cette hécatombe.<br />

De plus, le pays traversé est loin de suffire aux besoins<br />

quotidiens de fourrage, que le ravitaillement depuis<br />

la Pologne ne parvient jamais à combler. En outre,<br />

les premiers heurts sont essentiellement des combats<br />

de cavalerie. Le capital équin de la Grande Armée se délite<br />

donc rapidement. Certains cavaliers sont contraints<br />

de monter des chevaux du cru. Si elles sont plus robustes,<br />

ces bêtes sont aussi beaucoup plus petites, ce qui<br />

occasionne des scènes cocasses.


smolensk, Polotsk, Valoutina<br />

36<br />

Comment blâmer Murat, probablement grisé d’un si beau<br />

spectacle, d’avoir comme seule idée de charger sabre au<br />

clair au son des clairons, lorsqu’il croise en couverture,<br />

vers Krasnoïé, la 27 ème division d’infanterie russe du<br />

général Neverowski ? Idée magnifique et grandiose, à<br />

la mesure du héros légendaire d’eylau. Idée ô combien<br />

plus chevaleresque que de faire donner les innombrables<br />

canons de l’artillerie légère qui l’accompagnent aussi.<br />

Hélas, contre des russes résolus, protégés par des sous-bois<br />

et rangés dès les premiers échanges avec les Français en<br />

un inexpugnable carré, les brillantes charges de cavalerie<br />

s’épuisent. Trente charges ne parviennent pas enfoncer<br />

l’ennemi. Le carré russe parvient à contenir les assauts sans<br />

rompre, tout en se repliant de 20 kilomètres de Krasnoïé<br />

à Korytna. Le soir venu, Newerowski a sauvé sa division de<br />

l’anéantissement. Ses pertes sont cependant lourdes. Sa<br />

cavalerie, un régiment de dragons appuyé par des Cosaques,<br />

est détruite, deux mille hommes sont tombés ; elle a perdu<br />

toute son artillerie et sept canons ont été pris. Mais le reste<br />

de ses hommes parvient à regagner Smolensk et participera<br />

à d’autres batailles. Newerowski alignera encore quatre<br />

régiments à la Moskowa.<br />

Apprenant de Newerowski le mouvement de Napoléon<br />

sur Smolensk, Bagration prend l’initiative de renforcer les<br />

défenses de la ville et y envoie immédiatement la division<br />

raiewski, qui n’était déployée qu’à douze kilomètres. Le<br />

15 août, il occupe la ville, alors que les cavaliers de Murat<br />

arrivent sous ses murs. L’infanterie qui suit est trop loin<br />

Laurent Gouvion Saint-Cyr (1764-1830)<br />

comte, maréchal<br />

Gravure (vers 1820) par Aubry<br />

Collection Arnaud Gouvion de Saint-Cyr<br />

pour tenter de chasser les russes. Le 16, raiewski est<br />

renforcé par trois autres divisions, alors que le Corps de Ney<br />

arrive seulement. La manœuvre imaginée par Napoléon est<br />

éventée. La ville ne sera pas prise rapidement, les armées<br />

russes ne seront pas tournées, la bataille décisive ne se<br />

fera pas en front renversé. Les tergiversations de Barclay<br />

l’ont paradoxalement sauvé. Le 17 août, les deux armées<br />

russes ont également convergé vers Smolensk. Les troupes<br />

russes et françaises se font enfin face, mais de chaque<br />

côté du Dniepr. Devant cette situation inattendue, l’étatmajor<br />

russe, poussé par le parti du général Araktcheïev,<br />

le plus virulent partisan de l’attaque à outrance, souhaite<br />

que les deux armées traversent le Dniepr à Smolensk et se<br />

portent au-devant des Français. Mais Barclay ne souhaite<br />

pas s’engager dans une telle opération. Les troupes russes<br />

ne bougent donc pas. La ville est puissamment défendue, le<br />

La campagne de Russie<br />

Huile sur toile<br />

attribuée à Louis-François Lejeune (1775-1848)<br />

Archives photographiques Osénat<br />

gros de l’armée à l’abri, derrière, sur l’autre côté du fleuve,<br />

surplombant la ville.<br />

Napoléon, comprenant que Barclay ne tentera pas<br />

d’offensive, ordonne l’assaut le 17 août à 14h. Il jette sur<br />

la ville, à l’est, Ney avec les divisions Ledru, Marchand et<br />

razout, au sud Davout avec les divisions Gudin, Morand,<br />

Friant, Compans et Dessaix, à l’ouest Poniatowski avec ses<br />

deux divisions d’infanterie, Zayonchek et Kniazvitch. La<br />

réserve de cavalerie flanque Poniatowski sur sa droite. Face<br />

à ce formidable assaut, Barclay a fait disposer et fortifier<br />

dans les faubourgs de la ville le 6 ème Corps de la première<br />

armée, celui de Dokthourov, avec les divisions Kaptzevitch<br />

et Likhatchev. Les restes de la division Newerowski font<br />

également partie des défenseurs. La bataille de Smolensk<br />

est en réalité une succession d’assauts infructueux mais<br />

opiniâtres de la part des Français. Au prix de lourdes<br />

pertes, estimées à 10 000 hommes, ils se rendent maîtres<br />

des faubourgs au soir du premier jour mais se heurtent aux<br />

remparts de la ville et ne peuvent les franchir. Smolensk,<br />

charmante bourgade moyenâgeuse, aux clochers blanchis<br />

et couronnés de vert, dispose en effet de remparts du<br />

XVI ème siècle et même d’un fort, le Bastion royal, datant<br />

du XVII ème siècle. Ces fortifications ne résisteraient pas<br />

longtemps à un siège en règle, avec travaux de génie et un<br />

Hussard du 2e Régiment à la charge<br />

Aquarelle et gouache (1907)<br />

par Alphonse Lalauze (1872-1936)<br />

Archives photographiques Osénat<br />

pilonnage d’artillerie lourde. Mais contre des fantassins<br />

sans échelles, des cavaliers et des canons de campagne, ses<br />

murs sont bien assez solides. Cependant, les projectiles<br />

incendiaires lancés par les obusiers mettent le feu aux<br />

maisons de bois, à l’intérieur des remparts. La cité<br />

s’embrase, le feu se propage et gagne progressivement tous<br />

les quartiers de la vieille ville. La fournaise continue toute<br />

la nuit. A tout hasard, quelques voltigeurs français tentent<br />

de rentrer dans la ville, pensant pouvoir faire un coup de<br />

force, ou surprendre l’ennemi aux prises avec les flammes.<br />

en réalité Smolensk est vide. Barclay a ordonné d’évacuer !<br />

Face à cette décision d’abandonner une position<br />

stratégique jugée inexpugnable, l’état-major russe est<br />

atterré car Barclay, s’il livre une ville en flammes et<br />

quasiment détruite, n’est plus en mesure de contenir<br />

l’avancée de Napoléon. La conséquence est que les combats<br />

vont maintenant se porter au cœur même de la russie,<br />

dans une région bien plus fertile et riche que ne l’était la<br />

Lithuanie. Surtout, ce repli menace Moscou, la capitale<br />

Dragon à pied de prof il<br />

Huile sur toile par Lielio<br />

École française du XIXe siècle<br />

Archives photographiques Osénat


smolensk, Polotsk, Valoutina<br />

38<br />

historique, culturelle et religieuse de l’empire des romanov.<br />

Le tollé est général. Mais le sentiment d’obéissance<br />

l’emporte. Lorsque Barclay, une fois encore, ordonne la<br />

retraite, il est obéi.<br />

Les Français se rendent donc maîtres de la vieille-ville le<br />

18 août et s’emparent en fin de journée du dernier faubourg<br />

de la ville encore aux mains des russes sur la rive opposée du<br />

Dniepr. De là, le 19 août, commence la poursuite de l’armée<br />

russe. Celle-ci prend la route de Moscou. Trop ramassée, elle<br />

encombre rapidement les deux routes qui y mènent et reste<br />

dangereusement vulnérable car déployée en colonne de<br />

marche à proximité des Français. Ney, le premier, rejoint les<br />

traînards près du village de Valoutina, à quelques kilomètres<br />

de Smolensk. Il engage les divisions Ledru, razout et la<br />

division allemande du prince de Wurtemberg. Il a face à<br />

lui le général Tchoutchov qui commande l’arrière-garde<br />

russe. Sous son commandement sont réunis le 4 ème Corps<br />

d’Osterman-Tolstoï, le 3 ème Corps, comprenant notamment<br />

la division de grenadiers de Stroganov et la cavalerie légère<br />

de Korff prélevée au 2 ème Corps de Baggovout. Il s’agit,<br />

pour la plupart, des troupes qui ont vaillamment couvert<br />

la manœuvre de Vitbesk et retenu les Français pendant<br />

trois jours à Ostrowno. Leur mission n’est cette fois encore<br />

pas très différente. Ils doivent tenir le plus possible pour<br />

permettre aux deux armées russes de se replier en bon ordre<br />

vers Moscou. Le dispositif est important, car, outre les forces<br />

avancées de Ney, Barclay sait qu’il risque de se faire déborder<br />

sur son flanc par Junot que Napoléon a envoyé dès le 17 août<br />

sur la gauche russe afin de couper une éventuelle retraite. La<br />

bataille fait rage et, à l’instar d’Ostrowno, Barclay envoie par<br />

bribes des troupes fraîches tenir celles engagées. Le général<br />

Gudin trouve la mort, Dessailly et Gérard sont blessés.<br />

Les cavaliers de Murat rejoignent bientôt Ney et Junot se<br />

rapproche. Les forces combinées des deux corps ne peuvent<br />

manquer d’écraser Tchoutchov et, par-là, menacer la retraite<br />

des armées russes, les contraignant peut-être à accepter une<br />

bataille rangée. Mais Junot ne bouge pas. Ney fait demander<br />

son soutien, il refuse. Murat insiste, lui faisant miroiter un<br />

bâton de maréchal, même refus, arguant que l’empereur ne<br />

lui a pas donné d’ordre en ce sens. Ce n’est qu’en fin d’aprèsmidi<br />

qu’il engage timidement artillerie et cavalerie légère,<br />

sans aucun effet décisif sur la bataille. Le Corps de Ney,<br />

en première ligne, se voit contraint de tenter une charge<br />

désespérée contre l’ennemi qui lui permet de prendre le<br />

plateau sur lequel les russes avaient pris pied et les mettre<br />

en fuite. Tchoutchov est fait prisonnier. Beau fait d’arme,<br />

mais victoire trop tardive. Le soir tombe, les Français,<br />

épuisés, sont contraints de s’arrêter pour bivouaquer à<br />

même le champ de bataille. Demain, les russes, une fois<br />

encore, auront filé.<br />

La colère de l’empereur contre son vieux compagnon<br />

d’armes le pousse à vouloir dessaisir Junot du<br />

commandement du 8 ème Corps. Dès cette époque on le<br />

considère comme presque fou, soit en raison d’un penchant<br />

excessif pour la boisson, soit à cause des effets d’une<br />

blessure à la tête reçue pendant la première campagne<br />

d’Italie, soit encore en raison d’une prétendue insolation<br />

dans les forêts lithuaniennes. Cependant, peut-être par<br />

égard pour le grand militaire qu’il fut, ou en hommage à son<br />

indéfectible loyauté, ou encore au nom de liens amicaux qui<br />

remontent bien avant l’épopée, l’empereur renoncera à son<br />

projet de destitution. Junot conservera son commandement<br />

jusqu’à la fin de la campagne. Que n’a-t-il Vandamme sous<br />

la main ? L’impétuosité et l’initiative de ce dernier auraient<br />

été bienvenues. Seulement Vandamme a été renvoyé<br />

du 8 ème Corps en début de campagne parce qu’il avait eu<br />

l’outrecuidance de critiquer le jeune roi Jérôme, le propre<br />

frère de l’empereur… La conquête, l’étiquette, le choix est<br />

cornélien pour un César devenu monarque.<br />

Charge de Murat (14 août)<br />

« Si du côté de la cavalerie jamais on ne vit autant<br />

d’intrépidité, on est forcé d’avouer qu’on ne vit jamais<br />

davantage de courage de la part de l’ennemi. »<br />

Joachim Murat<br />

Pensant réussir à tourner l’armée russe, la couper<br />

de ses lignes arrières et ainsi la contraindre à accepter<br />

une bataille décisive, Napoléon lance ses troupes regroupées<br />

à Rassana sur Smolensk, qu’il croit inoccupée.<br />

À l’avant-garde, chevauche presque toute la cavalerie,<br />

rassemblée sous les ordres du Roi de Naples. Vers<br />

3 heures de l’après-midi, celle-ci se heurte à la 27 ème<br />

division d’infanterie de Neverowski, soutenue par<br />

un régiment de dragons et de Cosaques. Les Russes se<br />

réunissent progressivement en un immense carré. Murat<br />

les fait charger plus de trente fois. Malgré la fougue<br />

et le brillant courage des cavaliers français, le gigantesque<br />

carré n’est pas enfoncé. Tout en combattant, les Russes<br />

franchissent les vingt kilomètres qui les séparent de Korytnia,<br />

où des chasseurs embusqués parviennent à stopper<br />

les Français épuisés. Plus de mille Russes ont péri mais<br />

Newerowski sauve sa division, qui combattra à la Moskowa.


La moskowa<br />

46<br />

La moskowa<br />

« J’ai besoin d ’une grande bataille. »<br />

Les russes ont enfin décidé d’accepter la bataille. et<br />

ils s’y sont préparés. Surtout ils ont l’avantage du choix du<br />

site de la bataille. Il s’est porté sur le village de Borodino,<br />

au sommet d’une éminence sur la rive nord de la Kolozca,<br />

rivière qui se jette quelques kilomètres plus loin dans<br />

la Moscowa. Borodino se trouve sur la nouvelle route de<br />

Moscou, prétendument empruntée par les poursuivants<br />

français. Koutouzov met en place un dispositif autour de<br />

cette route. Son centre, composé de la première armée toujours<br />

commandée par Barclay, se déploie derrière Borodino.<br />

La droite, au nord, vaste zone à faible relief, est confiée à<br />

l’ataman Platov et à ses innombrables Cosaques. La gauche,<br />

au sud et au sud-ouest, soit trois collines, est occupée par<br />

la seconde armée commandée par Bagration. L’essentiel du<br />

travail de fortification est réalisé sur la gauche, où plusieurs<br />

redoutes sont construites. La plus avancée est celle de<br />

Schwardino, du nom du village qui se trouve sur la colline.<br />

Derrière et à l’extrême sud du dispositif, les trois Flèches,<br />

disposées sur une colline plus imposante, juste devant<br />

le village de Séménowskoié. La troisième se trouve face à<br />

Borodino, sur la rive sud de la Kolozca.<br />

Ces redoutes ont pour vocation de protéger les batteries<br />

d’artillerie commandant la grande route de Moscou.<br />

Leur emplacement sur des hauteurs et leur fortification<br />

en garantissent la sécurité. elles sont larges et spacieuses,<br />

permettant également la présence de régiments d’infanterie<br />

en cas d’assaut. La Grande redoute, la plus proche du<br />

centre, est celle qui est dotée des meilleures fortifications.<br />

elle a été édifiée par les pionniers de Bogdanov. L’ouvrage<br />

consiste en une large accolade tournée en direction de la<br />

Kolozca, surplombant un fossé large de 10 mètres, creusé à<br />

Napoléon<br />

même le talus. La pente du talus est très abrupte. en aval du<br />

fossé sont creusés des trous de loup, sur environ 120 mètres<br />

de distance. Ils rendent quasiment impossible l’assaut<br />

de front par de la cavalerie lancée en charge. Vingt et un<br />

canons peuvent y servir de front. Les trois Flèches, quant<br />

à elles, sont de simples épaulements de terre. La Flèche du<br />

sud est orientée plein ouest, les deux autres sont orientées<br />

nord-ouest, couvrant en partie la Grande redoute. Chaque<br />

Flèche permet le service d’au moins huit pièces de 12. La<br />

redoute de Chewardino, quant à elle, est la plus sommaire.<br />

Les russes sont venus à bout des préparatifs de cette<br />

grande bataille grâce au temps laissé par leurs poursuivants.<br />

Portrait du Roi de Rome (6 septembre)<br />

« Mon fils est le plus bel enfant de France. »<br />

Napoléon<br />

Le 5 septembre, les Français se sont rendus maîtres<br />

de la redoute défendue par la division Raïewski. Napoléon<br />

est content : il sait que les Russes ne se déroberont pas<br />

cette fois et que la grande bataille qu’il ambitionne<br />

de mener et de gagner depuis le début de la campagne<br />

va avoir lieu. La journée du 6, durant laquelle la Grande<br />

Armée se rassemble, est passée dans la bonne humeur.<br />

En fin de journée, de retour de reconnaissance, l’Empereur<br />

trouve le préfet Bausset porteur du courrier des Tuileries<br />

et d’un portrait du Roi de Rome par Gérard. Napoléon fait<br />

admirer à l’envi le portrait du bel enfant dont il est si fier.<br />

En hommage, les grenadiers de la Garde organiseront<br />

un défilé et lui présenteront les armes.


La moskowa<br />

48<br />

Jean-Ambroise Baston de Lariboisière<br />

(1759-1812) comte, général<br />

estampe (vers 1813)<br />

extraite de la série des Grands Aigles<br />

Musée national de Malmaison<br />

Ceux-ci, en effet, et malgré les formidables efforts<br />

de Murat, ont avancé moins rapidement.<br />

Ceci est imputable à la logistique, les<br />

Français devant transporter leurs<br />

vivres, à l’incertitude des mouvements<br />

russes, les fausses pistes ayant été<br />

abondamment suivies par les avantgardes<br />

françaises, et à l’action de sape<br />

des Cosaques laissés en arrière-garde. Ce<br />

n’est qu’à Ghjat que l’empereur sait avec certitude<br />

où se trouvent les russes. Des Cosaques capturés révèlent<br />

le lieu de Borodino. et surtout ils apprennent à l’empereur<br />

que Barclay n’est plus le généralissime et qu’il a été remplacé<br />

par Koutouzov. Napoléon exulte. Il sait que cette nomination<br />

implique une bataille décisive et que les russes<br />

se battront autrement qu’à Smolensk pour sauver Moscou.<br />

Il se porte alors lui-même à l’avant-garde et avance sur<br />

Borodino.<br />

La Grande Armée débouche sur le dispositif russe le 5<br />

septembre au matin. D’abord l’avant-garde de Murat, épaulée<br />

depuis Wiasma par la division Compans, sur sa droite<br />

le Corps des Polonais de Poniatowski, et sur sa gauche, le<br />

4 ème Corps du prince eugène. L’arrière-garde russe, commandée<br />

par Konownitzyne, est rapidement repoussée et se<br />

replie vers Borodino. Contrairement aux attentes russes,<br />

la Grande Armée arrive non pas par la grande route de<br />

Moscou mais plus au sud. L’empereur reconnaît<br />

le terrain lui-même et ordonne de balayer la<br />

redoute de Schwardino protégeant l’armée de<br />

Bagration. C’est Compans qui conduira l’assaut,<br />

aidé sur sa droite par Poniatowski et sur sa gauche<br />

par Murat. L’assaut débute en fin de journée, vers 17<br />

heures. La redoute est défendue par la Division<br />

Neverowski, commandée par le prince<br />

Gortchakov, le propre neveu du célèbre<br />

Louis Pierre de Montbrun (1770-1812)<br />

comte, général<br />

estampe (vers 1813)<br />

extraite de la série des Grands Aigles<br />

Musée national de Malmaison<br />

général Souvarov. rappelons-le, c’est cette fameuse<br />

division qui a résisté à de nombreux assauts de cavalerie<br />

à Krasnoïé, peu avant Smolensk. De ce fait elle est<br />

réduite à deux bataillons et a perdu son artillerie. S’y<br />

trouvent les régiments de Vilna, Simbirsk, Odessa et<br />

Tarnapol, ainsi que deux régiments de chasseurs,<br />

disposés en tirailleurs devant la redoute.<br />

On estime qu’environ 11 000 hommes<br />

sont alignés. Compans lance l’assaut<br />

avec sa cinquième division d’infanterie.<br />

Pour faire jeu égal avec les<br />

tirailleurs russes, il constitue deux bataillons<br />

de voltigeurs réunis, composés<br />

des compagnies de voltigeurs de l’ensemble<br />

de ses régiments d’infanterie, qu’il lance également<br />

en tirailleurs, préparant l’offensive de ses troupes de choc.<br />

Ses régiments arrivent en bon ordre face aux rangs russes<br />

déployés de part et d’autre de la redoute. Les russes soutiennent<br />

le feu français, presque à bout portant, sans<br />

rompre. Une première attaque est lancée contre la redoute<br />

par une colonne du 61 ème et un bataillon de voltigeurs. Mais<br />

ils se heurtent à une infranchissable muraille humaine qui<br />

les repousse, causant de fortes pertes. Compans fait alors<br />

avancer, derrière le deuxième bataillon du 57 ème mis en<br />

rideau, quatre pièces d’artillerie. Le rideau s’ouvrant, elles<br />

crachent sur l’ennemi un feu meurtrier de mitraille qui<br />

décime les défenseurs. La brèche est ouverte. Le 57 ème , appuyé<br />

par les soldats de la première vague d’assaut, occupe la<br />

redoute. Il s’ensuit un formidable désordre : les défenseurs<br />

sont massacrés, huit pièces de 12 sont prises à l’ennemi et<br />

la redoute tombe, mais la contre-attaque russe est violente.<br />

elle a lieu surtout sur les ailes. Le 111 ème , qui<br />

flanquait la gauche avec le soutien de la division<br />

Morand du 1 er Corps subit l’assaut des dragons<br />

de Karkov et de Tchernigov, venus en soutien. Le<br />

Corps de Poniatowski, qui flanquait la droite, est<br />

quant à lui aux prises avec les Hussards d’Achtyrca,<br />

les dragons de Kiev et les Cosaques<br />

de Karpov. Ces combats, où la cavalerie<br />

russe prend souvent le dessus,<br />

se poursuivent une bonne partie de<br />

la nuit. Il n’en demeure pas moins<br />

que la redoute est prise. Les<br />

russes, qui l’ont défendue avec ténacité,<br />

ont perdu beaucoup d’hommes,<br />

trop peut-être au regard de l’intérêt relativement pauvre de<br />

la position qu’ils ont fini par abandonner. 4 000 à 7 000<br />

russes sont mis hors de combat, contre seulement 1 500 à 3<br />

000 Français. L’empereur est content de ce premier heurt.<br />

Demain, sa grande bataille doit avoir lieu.<br />

en réalité, elle n’aura lieu que le surlendemain, cette<br />

journée du 6 septembre étant mise à profit, côté français,<br />

pour permettre au reste de l’armée de rejoindre l’empereur.<br />

Les Français organisent leurs lignes face à l’aile<br />

gauche de Bagration. Côté russe on ne bouge pas, on attend.<br />

Koutouzov, qui doit pourtant comprendre que son dispositif<br />

est décalé par rapport à celui des Français, ne donne aucun<br />

ordre pour le modifier. Il reste vissé sur son pliant, dans un<br />

renflement du terrain qui ne lui permet pas de jauger de<br />

visu le champ d’opération. Le seul ordre majeur qu’il donnera<br />

afin de conforter son statut de défenseur de la russie<br />

millénaire et mystique, sera de faire adorer par ses troupes<br />

une icône de la Vierge de Smolensk. La procession solennelle<br />

traverse le camp où des milliers de soldats, tout à leur<br />

dévotion, s’agenouillent avec humilité, prêts à mourir pour<br />

Pierre Bagration (1765-1812) prince, général<br />

Huile sur toile (vers 1825)<br />

par George Dawe (1781-1829)<br />

Musée de l’Ermitage<br />

Plan de la bataille de La Moskowa<br />

Dieu, le Tsar et la Sainte russie. Autre camp, autre icône : le<br />

préfet de Bausset, arrivant de Paris, apporte un joli portrait<br />

du roi de rome que l’empereur fait admirer à l’envi à son<br />

entourage. D’autres nouvelles, hélas, accompagnent le bel<br />

enfant, celles de la guerre en espagne et de la désastreuse


La moskowa<br />

50<br />

défaite de Marmont aux Arapiles.<br />

Napoléon n’a plus le choix. Il lui faut<br />

finir vite cette campagne de russie,<br />

afin de ne pas se laisser déborder<br />

sur cet autre et lointain front, qui<br />

menace bien plus directement le<br />

cœur de son empire.<br />

Le 7 septembre l’empereur est<br />

malade. Depuis la veille, il souffre<br />

d’une forte grippe couronnée d’une<br />

insupportable migraine. Malgré le<br />

mal, apprenant que les russes, cette<br />

fois, n’ont pas disparu, il reçoit ses<br />

commandants pour leur donner ses<br />

derniers ordres et rejoint à cheval la<br />

redoute de Schwardino. Harangue<br />

et ordre du jour sont accueillis par<br />

un tonnerre de « Vive l’empereur ».<br />

Il est trois heures du matin, chacun<br />

rejoint son poste, confiant dans le<br />

plan pensé par le « petit Tondu ». Ce plan consiste dans ses<br />

grandes lignes à fixer les forces de Koutouzov sur la vieille<br />

route de Moscou, mission confiée à l’aile gauche commandée<br />

par le prince eugène, pendant que l’aile droite, l’aile<br />

marchante, commandée par Poniatowski, menacera le<br />

flanc gauche de l’ennemi, manœuvre qui devrait permettre<br />

d’enfoncer le dispositif fortifié des Flèches et de la Grande<br />

redoute.<br />

À 5 heures du matin, tout le monde est en place. Le jour<br />

se lève, mais le soleil peine à percer un brouillard épais.<br />

russes et Français se font face, s’observent, attendent,<br />

quand trois coups de canons résonnent : l’artillerie de la<br />

Garde donne le signal, la bataille commence. Dès cet instant,<br />

les cent-vingt pièces de la grande batterie située sur<br />

la droite française entrent en action et prennent pour cible<br />

les Flèches et la Grande redoute. Cette action d’artillerie a<br />

pour but de préparer l’offensive combinée des Corps d’infanterie<br />

et de cavalerie. Sur la gauche, le prince eugène se<br />

lance vigoureusement à l’attaque de Borodino. Les Italiens<br />

de la division Delzons prennent le village, malgré une<br />

résistance acharnée des chasseurs de la Garde russe. Le<br />

général Plauzonne qui conduit l’assaut du 106 ème de Ligne<br />

tombe mortellement blessé. À ce moment, Koutouzov ne<br />

peut savoir si les Français vont concentrer leurs efforts sur<br />

Borodino et tenter de progresser sur les bords de la Kolozca<br />

Alexander Tuchkov (1777-1812)<br />

Général<br />

Huile sur toile (vers 1825)<br />

par George Dawe (1781-1829)<br />

Musée de l’Ermitage<br />

ou s’ils vont forcer le passage par la<br />

Grande redoute et les Flèches.<br />

Davout fait avancer la grande<br />

batterie hors de ses retranchements,<br />

celle-ci ayant été placée trop<br />

loin. L’adresse des artilleurs français,<br />

en particulier ceux de Pernety,<br />

permet aux hommes du 1 er Corps de<br />

venir rapidement à bout de la première<br />

flèche. Le 57 ème de ligne y pénètre<br />

au prix de pertes importantes.<br />

L’assaut se poursuit sur les autres<br />

Flèches et se heurte à la résistance<br />

farouche des hommes de Bagration.<br />

Le général Compans y est blessé.<br />

Il est remplacé par rapp, blessé<br />

lui-même à quatre reprises, puis<br />

par Dessaix... qui sera également<br />

blessé ! Davout est renversé par un<br />

boulet et, trop commotionné, ne<br />

peut reprendre son poste. L’empereur envoie Murat pour<br />

prendre le commandement.<br />

La bataille fait rage depuis une heure. Les russes luttent<br />

pied à pied et ne cèdent que peu de terrain face à la furie<br />

française. C’est alors que les trois divisions de Ney entrent<br />

en action. Il les dispose en colonnes d’attaque et monte en<br />

Vierge de Smolensk (6 septembre)<br />

« Sauve, Mère de Dieu, tes serviteurs, car tous en<br />

Dieu avons recours à Toi, muraille inébranlable. »<br />

Chant liturgique orthodoxe<br />

La veille de la bataille, Koutouzov reste relativement<br />

inactif. L’un des rares ordres qu’il donne est de faire défiler<br />

en procession l’icône de la Vierge de Smolensk, apportée<br />

depuis Moscou. Le cortège, escorté d’un détachement<br />

d’infanterie, flanqué de prêtres, de diacres et de servants,<br />

parcourt toutes les lignes russes. Cette longue marche,<br />

entrecoupée de chants liturgiques et ponctuée de plus<br />

d’une vingtaine d’offices, exalte le patriotisme russe.<br />

Tous, miliciens, soldats, officiers, généraux se découvrent<br />

et se signent devant l’icône miraculeuse, unis dans<br />

une ferveur et une émotion communes. Koutouzov,<br />

malgré sa corpulence, s’agenouille devant l’icône avant<br />

de se redresser humblement pour la baiser.


La moskowa<br />

52<br />

soutien du 57 ème qui peine à conserver la Flèche conquise.<br />

Cette manœuvre dévoile le plan de Napoléon. Koutouzov<br />

comprend que l’objectif principal est de faire sauter les<br />

ouvrages défensifs de sa gauche et de son centre. Il redéploie<br />

donc son armée, dégarnissant la vallée de la Kolozca<br />

du Corps de Boggowout, ramenant le Corps de Touchkov<br />

depuis son extrême gauche en renforçant l’ensemble d’une<br />

partie de la Garde et de la réserve de cavalerie.<br />

« L’audacieux et l’invulnérable Ney » qui gagnera ce<br />

jour le titre de prince de la Moskowa, est parvenu à s’emparer<br />

de la Flèche Nord. Mais il la conserve peu de temps.<br />

La contre-attaque russe est aussi violente que l’attaque<br />

française et Ney, culbuté, est contraint d’abandonner sa<br />

conquête. Les Français seraient même poussés à abandonner<br />

le plateau et revenir à leur point de départ sans l’intervention<br />

énergique de Murat. La cavalerie légère de Bruyère<br />

fait merveille, bouscule les russes et reprend les ouvrages<br />

cédés. Mieux, le 1 er Corps de cavalerie de Nansouty, appelé<br />

en soutien, permet de les conserver et d’attaquer deux régiments<br />

de la Garde russe qui forment le carré. La percée<br />

est faite. Conjointement, les hommes du 1 er Corps et ceux<br />

du 3 ème Corps sous la conduite du « brave des braves » font<br />

tomber la troisième Flèche.<br />

Nikolaï Mikhaïlovitch Borozdin (1777-1830)<br />

prince, général<br />

Huile sur toile (vers 1825)<br />

par George Dawe (1781-1829)<br />

Musée de l’Ermitage<br />

Bataille de La Moskowa (7 septembre)<br />

Huile sur toile (1843) par Peter von Hess (1792-1871)<br />

Musée de l’Ermitage<br />

Dans l’esprit de l’empereur, la prise des Flèches, dont<br />

il n’aurait pu douter et l’arrivée de son aile marchante<br />

conduite par Poniatowski devaient être concomitantes.<br />

Créant un inattendu surnombre, l’arrivée des Polonais<br />

devait permettre de faire reculer les russes, de se rendre<br />

rapidement maître de la Grande redoute et de coincer<br />

puis écraser l’ennemi dans le ravin de la Kolozka. Or, les<br />

Polonais ne sont pas au rendez-vous. Outre un bois dense<br />

qu’il a fallu traverser, Poniatowski s’est heurté près d’Outsita<br />

au Corps de Touckhov. La division Stroganov notamment,<br />

occupant un monticule et disposant d’une batterie<br />

de dix-huit canons, résistera longtemps avant de devoir se<br />

replier pour renforcer le centre. Des renforts prélevés sur<br />

la droite russe ralentissent encore la progression polonaise.<br />

L’âpreté des combats n’épargne pas cette partie du<br />

front.<br />

Ne disposant pas du surnombre escompté, les Français<br />

souffrent. Bagration, qui se sait bientôt abondamment<br />

renforcé, conduit des assauts de cavalerie féroces, tandis<br />

que les canons de la Grande redoute, qui surplombe<br />

les Flèches, causent de lourdes pertes dans les rangs de<br />

leurs assaillants. Pourtant, dans un acte de bravoure sidérant,<br />

la division Morand monte à l’assaut de la Grande<br />

redoute… et s’en empare. Les 1 800 hommes du 30 ème de<br />

ligne emmenés par le général Bonnamy délogent la division<br />

Paskievitch. Le moment est décisif. Ney et Murat le<br />

sentent et réclament à grands cris des renforts leur permettant<br />

de pousser leur avantage et de faire la trouée<br />

dans le dispositif de Koutouzov. La victoire est à une portée<br />

de baïonnette. Mais l’empereur ne les entend pas. en<br />

arrière, de sa redoute de Schwardino, gêné par le soleil de<br />

midi devenu aveuglant et par la fumée des combats, il ne<br />

peut s’en rendre compte. Il dépêche seulement la division<br />

Friant et les Wurtembergeois de Marchand alors que c’est<br />

sa réserve, sa Garde, que ses Maréchaux demandaient.<br />

L’instant de grâce n’a pas été saisi, les russes se reprennent<br />

et tout est bientôt à refaire. C’est l’heure d’ermolov.<br />

Le Chef d’État-major de Barclay parvient à rallier<br />

les divisions Likatchev et raiewski mises en déroute, et<br />

reprend l’offensive. Les Français de Bonnamy sont malmenés,<br />

leur général tombe percé de vingt coups de baïonnette…<br />

dont il réchappera miraculeusement. Le 30 ème<br />

recule et ses pertes sont immenses. Les deux tiers de ses<br />

hommes sont hors de combat. Gérard vient les soutenir<br />

et stoppe l’offensive russe. Friant et Marchand, envoyés<br />

par l’empereur, ne peuvent qu’aider leurs compagnons à<br />

se maintenir définitivement dans les Flèches. La Grande<br />

redoute a été reprise.<br />

Il est près de 13 heures. Les Français résistent avec<br />

opiniâtreté mais leur avancée est stoppée. Cependant,<br />

les offensives russes perdent peu à peu de leur vigueur.<br />

Mikhaïl Koutouzov (1745-1813) prince, feld-maréchal<br />

Huile sur toile (1829) par George Dawe (1781-1829)<br />

Musée de l’Ermitage<br />

La contre-attaque à outrance que conduisait Bagration<br />

semble s’être enrayée. et pour cause, ce dernier gît à<br />

terre, mortellement blessé, ainsi que son chef d’état-major<br />

et le général Borosdin. Par ailleurs, Poniatowski, qui est parvenu<br />

à prendre les hauteurs d’Outsita, débouche sur le plateau<br />

et menace la gauche russe. Une nouvelle fois Murat et<br />

Ney sentent que le moment de la victoire a sonné et ils réclament<br />

à l’empereur sa Garde pour en finir. C’est Belliard, le<br />

chef d’état-major de Murat, qui présente la requête et cette


La moskowa<br />

54<br />

Emmanuel de Grouchy (1768-1847) comte,<br />

général<br />

estampe (vers 1813)<br />

extraite de la série des Grands Aigles<br />

Musée national de Malmaison<br />

fois avec succès. Napoléon consent à faire donner<br />

la Jeune Garde commandée par Mortier.<br />

Celle-ci entame sa marche… et s’arrête.<br />

Contre-ordre de l’empereur luimême,<br />

il craint un débordement de<br />

sa gauche : la cavalerie d’Ouvarov et<br />

les Cosaques de Platov franchissent<br />

la Kolozca et sèment la panique<br />

dans les bagages de la Grande Armée.<br />

Le temps que l’ordre soit ramené par Delzons et d’Ornano,<br />

l’occasion est passée, au grand dam des Maréchaux. Pis,<br />

Koutouzov, constatant également la faiblesse de son centre,<br />

le renforce par le Corps d’Osterman. Il n’hésite pas non<br />

plus à faire avancer la Garde russe. « Puisqu’il ne fait plus<br />

la guerre par lui-même (…), qu’il retourne aux Tuileries et<br />

nous laisse être généraux pour lui » lâche Ney, en colère, à<br />

l’adresse de son empereur resté en arrière.<br />

Mais Napoléon, qui a peut-être manqué une seconde<br />

fois l’occasion, ne la manquera pas une troisième.<br />

Constatant le renforcement du centre russe, sachant que<br />

ses hommes, fortement éprouvés, ne pourront plus le percer,<br />

il décide une manœuvre brillante combinant artillerie<br />

et cavalerie. Bonaparte était artilleur. De Toulon à Wagram,<br />

cette arme lui a porté chance. Ce sera le cas une nouvelle<br />

fois. Il fait constituer une gigantesque batterie de trois<br />

cents pièces, incorporant les quatre-vingt pièces de l’artillerie<br />

de sa Garde. Il compte écraser l’ennemi sous un feu<br />

d’enfer et lancer sa cavalerie de part et d’autre de la Grande<br />

redoute. Isolée dans une déferlante de cavaliers, elle ne<br />

manquera pas d’être submergée par l’assaut des hommes<br />

de Ney sur sa gauche et son centre et du prince eugène<br />

sur sa droite. et le plan fonctionne à merveille. Après une<br />

heure de bombardements intensifs les vingt-et-une pièces<br />

de la Grande redoute sont hors d’usage et les rangs de leurs<br />

défenseurs, qui ne bronchent ni ne bougent, clairsemés. À<br />

15 heures, l’ordre est donné de lancer l’assaut. Montbrun<br />

venant d’être tué, c’est le général Caulaincourt qui conduit<br />

la charge. Suivi du 5 ème et 8 ème régiment de cuirassiers et<br />

des 1 er et 2 ème carabiniers, il disperse les restes de la très<br />

éprouvée division raiewski, défait les cavaliers de Kreuz<br />

et de Korv et dépasse la Grande redoute. Constatant<br />

sa position, il donne l’ordre de se retourner et de<br />

charger l’infanterie de Likatchev qui en protège la<br />

gorge. Le prince eugène, apercevant des cavaliers<br />

français derrière la redoute, donne alors l’ordre<br />

de l’assaut à ses hommes, imités par ceux de Ney. Le<br />

9 ème léger italien est le premier à franchir les<br />

parapets. Pris en tenaille, les défenseurs<br />

ne peuvent rien faire. Les hommes de<br />

Likatchev sont proprement anéantis.<br />

La charge héroïque de Caulaincourt a<br />

permis de remporter l’ouvrage au prix<br />

de sa vie. Le général meurt à la tête de<br />

ses cuirassiers au moment où il pénètre<br />

dans la redoute.<br />

L’orage de cavalerie française continue de gronder et<br />

déferle sur l’infanterie de Kaptsievich et les éléments du<br />

4 ème Corps russe venant de Gorki. Dokthourov, qui a remplacé<br />

Bagration à la tête de la 2 ème armée, constate l’impuissance<br />

de ses hommes. Les carrés sont enfoncés, on se<br />

couche, on se débande ou on périt. Pour endiguer ce flot<br />

ravageur, Dokthourov fait donner la cavalerie de la Garde<br />

Prise de la Grande Redoute (7 septembre)<br />

« Ces Russes se font tuer comme des machines ;<br />

on n’en prend pas. Cela n’avance pas nos affaires.<br />

Ce sont des citadelles qu’il faut démolir au canon. »<br />

Napoléon<br />

Clé du dispositif russe, la Grande Redoute résiste<br />

à de nombreux assauts français. En milieu de journée,<br />

après un intense bombardement, elle est bientôt<br />

submergée par un mouvement combiné de cavalerie<br />

et d’infanterie. Auguste de Caulaincourt, frère du Grand<br />

Écuyer, qui remplace Montbrun tué par un boulet, charge<br />

à la tête de ses cuirassiers et dégage la gorge<br />

de la Redoute âprement défendue par la division<br />

Likhatchev. Apercevant des cavaliers français derrière<br />

la Redoute, le Prince Eugène donne l’ordre à l’infanterie<br />

de la prendre d’assaut. Les divisions Broussier et Morand,<br />

commandées par Lanabère et Gérard escaladent les murs<br />

de terre alors que les cuirassiers bousculent les occupants.<br />

Caulaincourt et Lanabère meurent lors de la prise<br />

de la Grande Redoute qui deviendra un des symboles<br />

de la bataille de la Moskowa.


La moskowa<br />

56<br />

et celle des Corps de Korf et de Pahlen. Mais<br />

c’est insuffisant. Les vagues françaises se<br />

succèdent sans cesse. Les cuirassiers du 2 ème<br />

Corps sont remplacés par les carabiniers dans<br />

leur cuirasse dorée caractéristique, suivis<br />

des cavaliers légers de Pajol. Ce sont ensuite<br />

les régiments de Grouchy qui montent au<br />

front, balayent les carrés russes et sabrent les<br />

Chevaliers-Gardes. Grouchy sera blessé par<br />

un biscaïen. Cette charge héroïque rejoint<br />

bientôt la cavalerie de Latour-Maubourg qui<br />

a dégagé, avec ses Gardes du Corps saxons<br />

et les cuirassiers de Zastrow, les alentours<br />

de Séménovskoïé. Friant profite des succès<br />

de cette formidable poussée pour se lancer à<br />

l’assaut de Séménovskoïé et enlever le village<br />

à ses défenseurs.<br />

Il est 16 heures, les Français sont sur le<br />

plateau, l’ensemble des ouvrages a été pris à<br />

l’ennemi et les deux villages clés de Borodino<br />

et de Séménovskoïé sont tenus. Les russes,<br />

hébétés, ne bougent plus, n’avancent plus,<br />

forment les carrés et attendent. Ils n’ont<br />

plus les forces pour attaquer, leur cavalerie<br />

est décimée, ils n’ont plus de réserve. Le coup de boutoir<br />

permettant de remporter la victoire totale peut être donné.<br />

La Garde se prépare. Son général, Mouton, fait avancer la<br />

Vieille Garde vers le champ de bataille comme si de rien<br />

n’était. elle est prête et attend son heure. Mais pour la<br />

troisième fois, l’empereur refuse de la faire donner. « À<br />

huit cent lieues de la France, on ne risque pas sa dernière<br />

réserve ». Les Corps de Ney et Murat trop épuisés pour reprendre<br />

la lutte, c’est l’artillerie qui devra donner le coup<br />

de grâce. Les quatre-cents pièces de l’artillerie française<br />

se positionnent le long du front stabilisé et tirent sur les<br />

russes. Ceux-ci reçoivent, stoïques, cette grêle meurtrière.<br />

Koutouzov a fait manœuvrer ses troupes de façon à ne pas<br />

être coupé de sa ligne de retraite. Il fait donner également<br />

son artillerie. et la bataille finit ainsi, par deux heures ininterrompues<br />

de canonnades. La nuit tombe et met un terme<br />

au « massacre de Borodino », à ce moment la plus meurtrière<br />

des batailles livrées par l’empereur.<br />

Victoire ou défaite ? Pour Koutouzov - qui en douterait<br />

? - c’est une victoire. Il dépêche sans vergogne un<br />

bulletin ou il annonce que la Grande Armée a été taillée<br />

Eugène de Beauharnais (1781-1824)<br />

prince, vice-roi d’Italie<br />

Huile sur toile (vers 1830)<br />

par Johann Heinrich richter (1803-1845)<br />

Musée de l’Ermitage<br />

en pièce, la Garde Impériale détruite, revendique la prise<br />

de cent pièces d’artillerie et de 16 000 prisonniers parmi<br />

lesquels le prince eugène, Davout, Ney… Le Tsar, reconnaissant,<br />

fait donner un Te Deum dans toutes les églises<br />

de Moscou et Saint-Pétersbourg, nomme Koutouzov Feld<br />

Maréchal Général et lui verse 100 000 roubles de récompense.<br />

Napoléon dépêche également un bulletin officiel,<br />

peut-être un peu moins fantaisiste, où il parle de la « victoire<br />

de la Moskowa », de la destruction de la plus grande<br />

partie de l’armée russe et souligne que cet exploit a été<br />

accompli sans que la Garde ait eu à donner. Tout cela n’est<br />

pas faux, mais il ne mentionne pas le principal : cette armée,<br />

effectivement fortement diminuée, s’est retirée en<br />

bon ordre pendant la nuit. elle n’est pas détruite et constitue<br />

toujours une menace, mais cette victoire n’est assurément<br />

pas un deuxième Austerlitz. La bataille se résume en<br />

un choc violent. C’est surtout la bravoure et l’héroïsme de<br />

l’infanterie, l’audace et le panache de la cavalerie, la haute<br />

valeur technique de l’artillerie qui l’ont emporté. Il n’y a<br />

pas eu la fulgurance et le génie manœuvrier de l’empereur.<br />

Son état de santé, qui l’a cloué loin des combats, l’explique<br />

peut-être. La ferveur de l’adversaire est une autre cause.<br />

Aucun régiment russe ne s’est débandé. Les hommes préféraient<br />

mourir que se rendre : 50 000 morts, seulement<br />

800 prisonniers… Lorsqu’on tue un russe, il faut encore<br />

le pousser pour qu’il tombe. C’est qu’ils défendent leur<br />

patrie. Ils livrent ce qu’en russie on appellera plus tard la<br />

« Guerre Patriotique ».<br />

Suite à la Moskowa, le moral des Français est au plus bas.<br />

Les Maréchaux grognent. La visite du champ de bataille le<br />

lendemain a dévoilé l’ampleur du carnage. La marche sur<br />

Moscou est pénible, l’ennemi, poursuivi par Murat, se<br />

montre à nouveau insaisissable. et puis les coupoles de la<br />

ville apparaissent, sans que Koutouzov ait tenté quoi que ce<br />

soit. et la joie et la liesse submergent tout le monde. elle est<br />

là, cette ville promise, cette ville dorée aux milles coupoles,<br />

ce carrefour étincelant de l’Orient et de l’Occident, offerte,<br />

pleine de promesses. L’empereur arrive à cheval, acclamé<br />

par tous, dans un élan indescriptible. « La voilà donc cette<br />

ville fameuse ». et d’ajouter : « Il était temps ».<br />

Aux environs de Moscou le 14 septembre 1812<br />

Huile sur toile (vers 1820) par Albrecht Adam (1786-1862)<br />

Musée de l’Ermitage<br />

Napoléon devant Moscou<br />

Illustration (1921)<br />

par Jacques Onfroy de bréville dit Job (1858-1931)<br />

Collection Philippe Martinetti


62<br />

5e Corps 25 000 hommes<br />

Grand-Duc Constantin<br />

Infanterie de la Garde Impériale : Général Lawrov<br />

Grenadiers de la Garde Impériale : Général Depreradowitch<br />

Cavalerie de la Garde Impériale : Général Galitzin<br />

6e Corps 15 000 hommes<br />

Lieutenant Général Doktorov<br />

7e division d’infanterie : Lieutenant Général Kaptzewich<br />

24e division d’infanterie : Major Général Likatchev<br />

Brigade de cavalerie<br />

1 er Corps de cavalerie 3 200 hommes<br />

Lieutenant Général Ouvarov<br />

2 divisions de cuirassiers<br />

2 e Corps de cavalerie 3 200 hommes<br />

Général Major Korv<br />

2 divisions de dragons<br />

3 e Corps de cavalerie 6 400 hommes<br />

Général Major Pahlen<br />

2 divisions de cavalerie légère<br />

Troupes irrégulières 10 000 hommes<br />

Cosaques et Bashkirs<br />

<strong>LA</strong> 2e ARMÉE DE L’OUEST<br />

Général d’infanterie Prince Bagration<br />

7e Corps 21 400 hommes<br />

Lieutenant Général rajewski<br />

12e division d’infanterie : Major Général Paskiewicz<br />

26e division d’infanterie : Major Général Kolubakin<br />

1 division de cavalerie : Major Général Wassiltchikov<br />

8e Corps 18 200 hommes<br />

Lieutenant Général Borozdin<br />

2e division de grenadiers : Major Général Paskiewicz<br />

27e division d’infanterie : Lieutenant Général Neveriskoï<br />

1 division de cuirassiers : Major Général Knorring<br />

4 e Corps de cavalerie 3 200 hommes<br />

Major Général Sievers<br />

2 divisions de dragons<br />

Corps irrégulier 23 000 hommes<br />

Général de cavalerie Comte Platov<br />

ARMÉE DE GALICIE 40 000 hommes<br />

Général de cavalerie Tormasov<br />

1er Corps :<br />

Général Kamenski<br />

18e division d’infanterie, grenadiers réunis et<br />

éléments de cavalerie : Général Scherbatov<br />

2e Corps :<br />

Général Markov<br />

9e division d’infanterie : Major Général Nasimov<br />

15e division d’infanterie : Major Général Sorokin<br />

Corps de cavalerie :<br />

Général Lambert<br />

5e division de dragons<br />

8e division de dragons<br />

ARMÉE DU DANUBE 55 000 hommes<br />

Amiral Tchitchakov<br />

1er Corps : Général Langeron<br />

2e Corps : Général essen III<br />

3e Corps : Général Voinov<br />

4e Corps : Général Boulatov<br />

Corps de réserve : Général Sabanaeiev<br />

ARMÉE DE FIN<strong>LA</strong>NDE 25 000 hommes<br />

Général Steingell<br />

L’ÉPOPÉE IMPÉRIALE<br />

NAPOLÉON 1 ER<br />

UNe JeUNeSSe COrSe<br />

<strong>LA</strong> MOSKOWA<br />

À PARAîTRE<br />

<strong>LA</strong> BéRézINA<br />

LeIPzIg<br />

MONTeReAu<br />

NAPOLÉON IV<br />

UN HÉrITIer<br />

À PARAîTRE<br />

uN PRéTeNDANT

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