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LES CHOUANS EN NORMANDIE Chouannerie et ... - Accueil

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<strong>LES</strong> <strong>CHOUANS</strong> <strong>EN</strong> <strong>NORMANDIE</strong><br />

Conférence de Monsieur André GOUDEAU<br />

Président du Cercle d’Etudes Vernonnais<br />

le 13 mai 2000<br />

A partir de 1794, derrière le Comte de Frotté, la chouannerie se développa en<br />

Basse-Normandie puis s’étendit dans l’Eure. Elle se confondait parfois avec le brigandage<br />

des « chauffeurs », la bande des frères Le Pell<strong>et</strong>ier prenant le relais de celle de Robillard.<br />

Sous le Directoire, l’agitation royaliste fut particulièrement active dans le département où<br />

certains cantons connurent un véritable climat d’insécurité. Le plus souvent, les autorités se<br />

trouvaient désarmées devant c<strong>et</strong>te « malveillance ». Le 3 frimaire an VIII (24 novembre<br />

1799), les chouans dirigés par Hingant de Saint-Maur décidèrent d’occuper Pacy sur Eure…<br />

Monsieur Goudeau nous présente c<strong>et</strong>te page d’histoire dont les événements se<br />

sont déroulés à quelques kilomètres de Louviers…<br />

<strong>Chouannerie</strong> <strong>et</strong> brigandage dans l’Eure<br />

sous le Directoire <strong>et</strong> le Consulat<br />

Il y a un peu plus de deux cents ans, le 3 frimaire An VIII (24 novembre 1799), les<br />

chouans occupaient Pacy-sur-Eure. Il fallait de l'audace pour s'attaquer à c<strong>et</strong>te p<strong>et</strong>ite ville<br />

voisine d'Evreux <strong>et</strong> relativement proche de Paris, quinze jours seulement après le coup d'Etat<br />

du 18 brumaire (10 novembre 1799) par lequel Bonaparte, à son r<strong>et</strong>our d’Egypte, mit fin au<br />

Directoire. C<strong>et</strong>te occupation de Pacy constitua sans doute l’action la plus spectaculaire menée<br />

par la chouannerie dans le département, laquelle n’avait cessé de prendre de l’ampleur au<br />

cours de la période directoriale. C<strong>et</strong>te agitation royaliste disparut peu à peu sous le Consulat<br />

même si un brigandage se donnant parfois une coloration politique y subsista durant quelques<br />

temps.


L'agitation royaliste<br />

Pendant quatre années, au niveau national, le Directoire dut faire face à la double<br />

opposition des néo-jacobins <strong>et</strong> des royalistes. Il en fut de même dans le département où<br />

l’Administration centrale dut affronter des adversaires de gauche <strong>et</strong> de droite.<br />

Un courant républicain avancé subsistait dans l'Eure, héritier du réseau des sociétés<br />

populaires de l’An II étudiées par Danièle Pingué 1 . Ce mouvement néo-jacobin s'exprimait<br />

notamment au sein des cercles constitutionnels, autorisés au lendemain de fructidor, ainsi que<br />

dans le journal de l’imprimeur Touqu<strong>et</strong>, le « Bull<strong>et</strong>in de l'Eure » 2 publié à Evreux. Ce<br />

périodique, véritable « organe des Jacobins du département », parut de novembre 1796 à avril<br />

1798. Il s'en prenait aux royalistes <strong>et</strong> à leurs complices mais critiquait également<br />

l'Administration centrale du département dont le « républicanisme » lui semblait suspect.<br />

En butte aux critiques du « Bull<strong>et</strong>in de l'Eure », c<strong>et</strong>te Administration devait également<br />

affronter l’opposition royaliste, autrement plus dangereuse. En eff<strong>et</strong>, si les « clichyens »<br />

agissaient dans le cadre des institutions en se présentant aux élections, d’autres royalistes<br />

menaient une action violente en faveur du rétablissement du trône. Durant le Directoire, une<br />

agitation s’était donc peu à peu développée dans le département. Relevant parfois du simple<br />

brigandage mais le plus souvent inspirée par les royalistes <strong>et</strong> créant un climat d'insécurité dans<br />

la population, c<strong>et</strong>te « malveillance » selon le mot des autorités se manifestait sous des formes<br />

variées plus ou moins graves.<br />

Premier niveau : la simple diffusion de libelles <strong>et</strong> d'imprimés royalistes comme à Evreux<br />

en avril 1797. Parfois l'on arrachait nuitamment les affiches annonçant les actes de<br />

l'Administration centrale puis, à leur place, étaient placardés des « écrits contre-<br />

révolutionnaires ». Scier des arbres de la Liberté était déjà plus sérieux <strong>et</strong> prenait un caractère<br />

symbolique. L'Administration centrale ne s'y trompait pas : elle incitait les municipalités<br />

cantonales à les faire replanter rapidement. Plus graves, les attaques de diligences <strong>et</strong> surtout le<br />

pillage de fermes par des « chauffeurs », exactions parfois suivies d'incendies <strong>et</strong> de meurtres.<br />

1 Danièle Pingué, Jacobins <strong>et</strong> jacobinisme en Normandie orientale. Les Sociétés politiques dans l’Eure <strong>et</strong> la<br />

Seine-Inférieure (1790-1795), thèse, Rouen, 1996.<br />

2 « Bull<strong>et</strong>in de l’Eure » N°1 au N° 144, Microfilm 1 Mi 31, Archives départementales de l’Eure.


Les propriétaires de Biens nationaux, les membres des administrations de canton, les<br />

gendarmes étaient particulièrement visés mais les chouans osaient même s'attaquer aux<br />

administrateurs du département. Le 24 juin 1797, en eff<strong>et</strong>, alors qu'ils sortaient d'un dîner<br />

chez le Duc de Bouillon, plusieurs membres de l'Administration centrale, essuyèrent des<br />

coups de feu <strong>et</strong> Goubert, président de l'instance départementale fut tué sur le coup. L'enquête<br />

piétina mais, sous le Consulat, c<strong>et</strong> assassinat fut attribué à la bande des frères Le Pell<strong>et</strong>ier.<br />

A partir des départements de Basse-Normandie où la chouannerie était particulièrement<br />

active, la contagion s’était fait sentir dans l’ouest de l’Eure. Organisée autour de Louis de<br />

Frotté <strong>et</strong> de son adjoint Williamson, c<strong>et</strong>te chouannerie normande avait confié à un officier<br />

d’origine br<strong>et</strong>onne, Hingant de Saint-Maur, la direction de la division d’Evreux de l’Armée<br />

royale de Normandie 3 . Ces chouans étaient souvent recrutés parmi les déserteurs souhaitant<br />

échapper à la conscription <strong>et</strong> se cachant dans les forêts du département. A partir de ces<br />

réfractaires, Hingant avait réussi à constituer des groupes assez actifs.<br />

A côté de c<strong>et</strong>te agitation à caractère n<strong>et</strong>tement politique, sévissait un banditisme de droit<br />

commun. Ainsi Robillard <strong>et</strong> sa bande, auteurs de nombreux vols accompagnés de<br />

« chauffages », sévissaient surtout dans les régions boisées du Pays d'Ouche. C<strong>et</strong>te bande<br />

nombreuse - 75 brigands répertoriés dont 57 originaires de l'Eure - n’était pas composée de<br />

vagabonds mais de personnes certes modestes <strong>et</strong> relativement bien intégrées à la société.<br />

Fortement structurés <strong>et</strong> liés entre eux par des solidarités familiales, ces bandits se faisaient<br />

passer pour des chouans afin de légitimer leurs crimes de droit commun. Mais comme l'a<br />

montré Fabrice Renault 4 , sous couvert d'action politique, il s’agissait bien d'un brigandage<br />

social, d'un banditisme de misère.<br />

Les autorités politiques qui entr<strong>et</strong>enaient parfois la confusion entre ces actions de<br />

brigandage <strong>et</strong> les coups de main royalistes restaient souvent sans réaction face à c<strong>et</strong>te<br />

agitation. Démunis, les administrateurs cantonaux réclamaient sans cesse des renforts.<br />

L'Administration centrale du département qui ne pouvait leur donner satisfaction les appelait à<br />

la résistance tout en multipliant les adresses contre les chouans. Ainsi le 6 mars 1798, le<br />

commissaire près l'Administration centrale s’adressait-il en ces termes au commissaire de<br />

l'administration cantonale de Canappeville :<br />

« C'est avec la plus vive indignation, citoyen, que j'ai lu votre l<strong>et</strong>tre du 13 de ce mois.<br />

Quoi, votre canton ne sera donc jamais tranquille. Des arbres de la liberté abattus, des<br />

fonctionnaires publics insultés, maltraités <strong>et</strong> les citoyens paisibles assassinés... A quoi<br />

3 Léon de la Sicotière, Louis de Frotté <strong>et</strong> les insurrections normandes (2 tomes), réédition 1989.<br />

4 Fabrice Renault, Robillard, le banditisme dans l’Eure sous le Directoire, Mémoire de maîtrise, Rouen 1987.


attribuez-vous tant de désordre ? A l'insouciance, à la faiblesse des agents municipaux. Et<br />

vous, citoyens, chargé de requérir, de surveiller, d'assurer l'exécution des lois, des arrêtés des<br />

autorités supérieures, qu'avez-vous fait ? Rien. Croyez-vous sérieusement être à l'abry de tous<br />

reproches, parce que vous m'avez demandé de vous envoyer des troupes ? Comme si le<br />

gouvernement pouvait en m<strong>et</strong>tre dans toutes les communes. Mais à défaut de troupes soldées,<br />

la Garde Nationale n'est-elle pas instituée pour en faire le service ? Votre Garde Nationale<br />

n'est-elle pas en réquisition par arrêté de l'administration centrale (...) Je ne doute pas que<br />

vous ne soyez sincèrement attaché à la Révolution <strong>et</strong> à la République, mais il faut de<br />

l'énergie. Croyez que vous serez soutenu. Je vous adresse l'arrêté que l'administration<br />

centrale vient de prendre sur mon réquisitoire. Demain partira la compagnie de volontaires.<br />

Allons, de la vigueur.. »" 5<br />

5 Archives départementales de l’Eure, 7 L 8.


La dégradation de la situation<br />

De temps à autre, des « chauffeurs » étaient bien arrêtés mais l'agitation avait tendance à se<br />

développer. La situation se dégrada au cours de l'année 1799, obligeant plusieurs membres de<br />

l'Administration centrale à entreprendre une tournée générale contre les « brigands » dans le<br />

département.<br />

Louis de Frottée<br />

Représentant le pouvoir central <strong>et</strong> préfigurant le préf<strong>et</strong> du Consulat, le commissaire du<br />

Directoire près de l'Administration centrale jouait un rôle essentiel dans la vie du<br />

département. Ce poste avait été occupé par Crochon, avocat de Pont-Audemer, jusqu'en avril<br />

1798 puis par Savary, ancien conventionnel girondin, de juill<strong>et</strong> 1798 à juin 1799. Afin de faire<br />

face à la recrudescence de l’agitation royaliste, on fit appel à François Rever puis à l’ancien<br />

évêque constitutionnel Thomas Lind<strong>et</strong>, nommé le 15 septembre. Dans son rapport au<br />

Directoire en date du 8 octobre 1799, le commissaire Thomas Lind<strong>et</strong> écrivait :


« Dans tous les cantons de ce département, douze à quinze exceptés (L'Eure comptait alors<br />

sur 56 cantons), le royalisme <strong>et</strong> le fanatisme ont fait des progrès rapides <strong>et</strong> si alarmants que<br />

la République n'existe plus que dans le cœur d'un très p<strong>et</strong>it nombre de citoyens dont les mains<br />

sont restées pures <strong>et</strong> dont les principes sont invariables. Ces hommes brûlant toujours du<br />

même feu, toujours animés d'un amour aussi vif pour la Liberté, l'indépendance<br />

triompheraient bientôt de la multitude des contre-révolutionnaires qui ont juré leur perte, (...)<br />

si on les m<strong>et</strong>tait à portée de réduire à l'impuissance de nuire les bandes éparses qui circulent<br />

dans ce département dont la réunion si elle s'opérait sur un point quelconque causerait des<br />

désastres, des malheurs plus grands que ceux dont nous avons à gémir depuis trois mois (...)<br />

Sans exagérer, on peut porter le nombre des déserteurs de ce département à deux mille. Les<br />

mesures employées jusqu'ici contre eux sont insuffisantes. Ils se réfugient dans les bois <strong>et</strong> les<br />

forêts dont ce département est couvert. C'est à eux qu'il faut attribuer la plus grande partie<br />

des délits commis depuis trois mois. Ce sont eux qui menacent chaque jour la tranquillité<br />

publique » 6 .<br />

L’occupation de Pacy-sur-Eure<br />

Dans la seconde quinzaine d’octobre 1799, les chefs chouans décidèrent de mener de façon<br />

concertée des attaques contre les principales villes de l’Ouest : Nantes, Redon, Le Mans,<br />

Couterne... Dans l’Eure, Hingant de Saint-Maur ne voulut être en reste <strong>et</strong>, incapable de<br />

s’attaquer à Evreux, il décida d’occuper Pacy-sur-Eure. C<strong>et</strong>te bourgade de 1510 habitants,<br />

évoquée par l'abbé Prévost dans « Manon Lescaut », était un lieu de passage <strong>et</strong> une ville-<br />

étape. Bien informés, les chouans savaient qu'un courrier de la Marine allait y passer dans la<br />

journée du 24 novembre <strong>et</strong> ils entendaient récupérer les dépêches...<br />

Après avoir séjourné au château de Martainville, sur la commune du Cormier, puis au<br />

château du Buisson de May, les chouans occupèrent Pacy au p<strong>et</strong>it matin du 24 novembre<br />

1799. Les hommes d’Hingant de Saint-Maur contrôlèrent très vite le bourg encore endormi<br />

puis investirent les bâtiments publics : la mairie où ils prirent le drapeau de la Garde<br />

6 Archives nationales, F1 c III- Eure 8


nationale, le tribunal où ils se firent rem<strong>et</strong>tre des fonds, la gendarmerie, enfin, où ils volèrent<br />

des uniformes 7 .<br />

Bientôt deux cavaliers arrivèrent par la route de Bonnières. Les chouans les arrêtèrent <strong>et</strong><br />

les interrogèrent : il s’agissait bien de courriers de la Marine portant des dépêches à Brest où<br />

la flotte franco-espagnole était bloquée. Leur correspondance fut confisquée tandis qu'Hingant<br />

de Saint-Maur leur rem<strong>et</strong>tait avec un brin d'humour <strong>et</strong> de provocation un reçu du roi Louis<br />

XVIII 8 .<br />

Malgré le dispositif de contrôle de la ville, quelques habitants de Pacy réussirent à<br />

s'échapper dans l'après-midi <strong>et</strong> à donner l'alerte. La nouvelle de l’attaque royaliste fut donc<br />

rapidement connue à Evreux <strong>et</strong>, aussitôt, l'Administration départementale rassembla des<br />

troupes pour qu’elles se rendent à Pacy.<br />

Se jugeant sans doute incapables de résister à une attaque d'envergure, les chouans<br />

préférèrent rapidement évacuer Pacy. Entraînant avec eux deux otages : le gendarme Billard<br />

<strong>et</strong> le marchand Vallée, les royalistes remontèrent la vallée d'Eure par Fains, Merey <strong>et</strong><br />

Breuilpont. Pendant ce temps, à Pacy, l'ancien maire Depresle, commandant de la Garde<br />

nationale <strong>et</strong> son épouse battaient le rappel. Une p<strong>et</strong>ite troupe composée de gendarmes <strong>et</strong> de<br />

gardes nationaux se lança à la poursuite des "brigands". Franchissant l'Eure à Breuilpont, la<br />

cohorte rattrapa l'arrière-garde des chouans <strong>et</strong> un combat s'engagea. Au cours de c<strong>et</strong><br />

affrontement, furent tués le gendarme Sadoux <strong>et</strong> Depresle, commandant de la Garde<br />

nationale 9 .<br />

Après c<strong>et</strong> accrochage, les chouans s'enfuirent vers Garennes <strong>et</strong> Nantilly où ils furent<br />

rejoints par les gardes nationaux du canton d'Ivry. Le combat fit des victimes dans les deux<br />

camps. Poursuivant alors leur r<strong>et</strong>raite vers le sud, les royalistes traversèrent An<strong>et</strong> avant de<br />

pénétrer dans la forêt de Dreux. Ils y abandonnèrent leurs deux otages Billard <strong>et</strong> Vallée que<br />

l'on r<strong>et</strong>rouva quelques jours plus tard, attachés à un arbre, mourant de faim. Les chouans se<br />

réfugièrent au château de Pinson, sur la commune d’Illiers-l’évêque, dans le canton de<br />

Nonancourt. Mais un détachement de deux cents « Bleus » attaqua le château <strong>et</strong> les chouans<br />

durent battre en r<strong>et</strong>raite, se réfugiant dans les bois. Hingant de Saint-Maur, blessé réussit à<br />

s’échapper, déguisé en femme.<br />

Les autorités de l'Eure restaient très inquiètes, d’autant que des proclamations royalistes<br />

avaient été diffusées à Evreux . Pour elles, c<strong>et</strong>te occupation ne constituait qu'une étape <strong>et</strong>,<br />

7 Archives départementales de l’Eure, 12 L 1.<br />

8 En 1799, le Comte d'Artois, frère de Louis XVI est toujours en exil. Il ne montera sur le trône qu'à la fin de<br />

l'Empire, en 1815.<br />

9 Edouard Isambard Histoire de la Révolution à Pacy-sur-Eure, Réimpression de l'édition de 1884.


dans une l<strong>et</strong>tre à Sieyès, Haron, membre de l'Administration départementale, soutenait que les<br />

chouans avaient « le proj<strong>et</strong>, conçu il y a longtemps, de s'emparer du chef-lieu du département,<br />

d'égorger les membres composant l'administration centrale actuelle <strong>et</strong> tout ce qui s'y trouve<br />

de républicains » 10 .<br />

Le 27 novembre 1799, c<strong>et</strong>te Administration centrale organisa à Evreux une grande<br />

cérémonie civique au cours de laquelle furent brûlées les proclamations d’Hingant de Saint-<br />

Maur <strong>et</strong> de Williamson. C<strong>et</strong>te manifestation se voulait également un hommage à Depresle<br />

ainsi qu’aux membres de la Garde nationale <strong>et</strong> aux gendarmes tués par les chouans. Le procès<br />

verbal de c<strong>et</strong>te cérémonie qui s’était déroulée aux cris de : « Vive la République! Périssent<br />

les brigands! » fut affiché dans tout le département 11 .<br />

L’élimination de la chouannerie<br />

L’occupation de Pacy-sur-Eure provoqua une réelle inquiétude dans la population de<br />

l’Eure. Après c<strong>et</strong>te attaque, les habitants du département avaient tendance à accueillir toutes<br />

sortes de fausses rumeurs concernant des actions menées par les chouans. A Paris même,<br />

l’initiative d’Hingant de Saint-Maur eut un certain écho. Ainsi le « Journal des<br />

Républicains » du 26 novembre 1799, publié dans la capitale, signalait-il que « Pacy-sur-<br />

Eure, ville assez considérable (...) à 18 lieues de Paris est tombée c<strong>et</strong>te nuit au pouvoir des<br />

brigands »".<br />

Souhaitant entreprendre une œuvre de pacification intérieure, le Premier consul décida<br />

d’engager des négociations avec les chefs de la chouannerie de l’Ouest. Mais, parallèlement,<br />

il entendait faire preuve d’une grande ferm<strong>et</strong>é à l’égard de ceux qui voudraient lui résister.<br />

D'ailleurs la proclamation des consuls du 28 décembre 1799 se terminait par ces phrases :<br />

« Le gouvernement pardonnera. Il fera grâce au repentir. L’indulgence sera entière <strong>et</strong><br />

absolue; mais il frappera quiconque, après c<strong>et</strong>te déclaration, oserait encore résister à la<br />

souverain<strong>et</strong>é nationale »". Les discussions avec les chefs chouans aboutirent à une trêve,<br />

d’ailleurs difficilement respectée sur le terrain.<br />

C’est dans ce climat que Frotté prit contact avec les généraux Guidal <strong>et</strong> Chambarlhac en<br />

vue d’une négociation. Ces généraux, chargés du maintien de l’ordre dans le département de<br />

l’Orne, fournirent des sauf-conduits au chef de la chouannerie normande ainsi qu’à ses<br />

compagnons. Les laissez-passer expiraient le 16 février 1800 à minuit. La négociation<br />

10 Archives nationales, F 1 b II Eure.<br />

11 Archives départementales de l’Eure, 13 L 3.


s’ engagea à Alençon avec le général Guiral mais les discussions traînèrent <strong>et</strong> il fut arrêté<br />

ainsi que ses compagnons. Ils furent conduits à Verneuil <strong>et</strong>, le 18 février, un conseil militaire<br />

de cinq membres les y jugea. Il décida la peine de mort, sanction sans doute suggérée par des<br />

courriers venus de Paris. En fin d’après-midi, Frotté <strong>et</strong> ses six adjoints<br />

Bas-relief commémoratif de l’exécution du comte de Frottée<br />

Eglise de la Madeleine à Verneuil (cliché A. Auboin)<br />

furent fusillés dans un champ situé au nord de la ville. Dans ce « Clos Frotté », aujourd’hui<br />

intégré à la Zone industrielle de Verneuil, une stèle rappelle l’évènement. De même un bas-<br />

relief de marbre blanc représentant Frotté, la main sur le cœur au milieu de ses compagnons,<br />

qui fut réalisé par David d’Angers en 1827, se trouve à l’intérieur de l’église de la Madeleine.<br />

L’exécution de Frotté sonna le glas de la chouannerie normande. Il y eut bien encore<br />

quelques coups de main dans le département mais la cause apparaissait comme perdue.<br />

Beaucoup de chouans firent alors leur soumission. Ce fut le cas d’Hingant de Saint-Maur, de<br />

ses officiers <strong>et</strong> de ses hommes en mai 1800. Fouché, ministre de la Police générale annonçait<br />

c<strong>et</strong>te soumission ainsi que « les conditions de l’amnistie qui est accordée » dans une l<strong>et</strong>tre<br />

adressée au préf<strong>et</strong> de l’Eure Masson de Saint-Amand, arrivé à Evreux quelques mois plus


tôt 12 . La chouannerie « politique » disparaissait donc mais les désordres se poursuivirent, la<br />

bande des frères Le Pell<strong>et</strong>ier prenant le relais 13 .<br />

L'aîné des Le Pell<strong>et</strong>ier, qui se présentait comme un ancien lieutenant de Frotté, avait<br />

constitué une p<strong>et</strong>ite bande autonome qui sévissait dans le département depuis le Directoire 14 .<br />

Elle pratiquait des attaques de diligences, comm<strong>et</strong>tant également de fréquents vols <strong>et</strong> des<br />

assassinats, notamment celui de Goubert, président de l’Administration centrale comme il a<br />

été signalé ci-dessus. Le préf<strong>et</strong> de l’Eure décida de lutter avec détermination contre le<br />

brigandage, usant à la fois de la répression <strong>et</strong> faisant également espionner les « brigands ».<br />

Peu à peu, la bande fut démantelée. Le Pell<strong>et</strong>ier le jeune fut arrêté à la Ferme du Breuil à<br />

Villiers-en-Désoeuvre (canton de Pacy) le 3 octobre 1801. Son frère aîné fut capturé le 9<br />

décembre 1801 au Hameau de Pil<strong>et</strong>te, près de Bernay, dans la maison d'un complice, Paradis,<br />

quelques jours après l'échec de l'attaque de la diligence de Caen à Paris. Son arrestation fut<br />

pour le moins mouvementée : « Voyant que les brigands n'étaient pas décidés à se rendre, on<br />

résolut de brûler la maison. (...) Le feu avait déjà consumé une grande partie de la maison,<br />

lorsqu'un homme, armé d'un pistol<strong>et</strong> de chaque main <strong>et</strong> un poignard entre les dents, sauta par<br />

une croisée, franchit une haie, <strong>et</strong> chercha à gagner le bois qui s'étend jusqu'auprès de la<br />

maison en criant : A moi, mes amis suivez-moi ! On tira sur lui vingt ou trente coups de fusil,<br />

qui ne l'arrêtèrent point. Le citoyen Baumier, cordonnier, nouvellement arrivé dans c<strong>et</strong>te<br />

ville, courut sur lui, <strong>et</strong> allait le frapper d'un coup de sabre lorsque le brigand se r<strong>et</strong>ourna <strong>et</strong><br />

lui lâcha un coup de pistol<strong>et</strong> qui l'étendit à ses pieds; son second coup de pistol<strong>et</strong> blessa un<br />

citoyen au front . Le brigand, n'ayant plus que son poignard, allait en frapper un citoyen de la<br />

garde nationale, qu'il tenait aux cheveux, lorsque le citoyen Mérimée, chasseur à cheval, lui<br />

coupa le poign<strong>et</strong> d'un coup de sabre. On allait assommer le brigand à coups de sabre <strong>et</strong> de<br />

crosse de fusil, lorsque le chef de gendarmerie insista pour qu'il fut arrêté encore vivant. (...)<br />

Lepell<strong>et</strong>ier est à la prison; il y est soigné par les chirurgiens; on a achevé de lui couper le<br />

poign<strong>et</strong> qui ne tenait presque plus rien, <strong>et</strong> malgré ses nombreuses blessures, ce brigand est<br />

maintenant plein de vie » 15 .<br />

En décembre 1801, le chef <strong>et</strong> dix-sept de ses compagnons furent inculpés puis interrogés<br />

par Dupont, président de la Cour spéciale, lequel y gagna une certaine notoriété. Quatre<br />

12 Archives départementales de l’Eure, 1 M 172.<br />

13 Nathalie Saïd, Brigandage <strong>et</strong> banditisme dans l'Eure sous le Consulat <strong>et</strong> l'Empire, Mémoire de maîtrise, Rouen<br />

1996.<br />

14 Georges Séh<strong>et</strong>, La chouannerie dans l'Eure, la bande des frères Le Pell<strong>et</strong>ier, brochure à partir d'articles de "La<br />

Dépêche d'Evreux", novembre 1951.<br />

15 Archives départementales de l’Eure, 1 M 176.


condamnations à mort furent prononcées dont celle de Le Pell<strong>et</strong>ier l'aîné qui fut exécuté à<br />

Evreux, Place du Grand carrefour, le 5 août 1802. Le chef de la bande avait souhaité être<br />

exécuté revêtu d’une tunique rouge ! Son crâne fut remis à un pharmacien d’Evreux qui, pour<br />

le conserver, le plongea dans un bain de « sublimé corrosif ». C<strong>et</strong>te tête momifiée fut ensuite<br />

remise au Musée d’Evreux où elle fut exposée jusqu’en 1939 <strong>et</strong> où elle figure toujours parmi<br />

les collections.<br />

L'exécution de Le Pell<strong>et</strong>ier <strong>et</strong> de ses complices marqua la fin du brigandage dans le<br />

département. Néanmoins quelques désordres persistèrent ici ou là, actions relevant le plus<br />

souvent du pur banditisme menées avec l'appui de « fuyards » c'est-à-dire de déserteurs<br />

bénéficiant parfois de complicités politiques. En février 1806, la Cour spéciale d'Evreux<br />

condamna à mort neuf brigands, pour la plupart anciens de la bande Le Pell<strong>et</strong>ier.<br />

Même si elle n’eut pas autant d’importance que dans les départements de Basse-<br />

Normandie, la chouannerie se développa dans l’Eure <strong>et</strong> prit de l’ampleur, surtout à la fin du<br />

Directoire. En septembre 1799, Fouché, ministre de la Police générale, se plaignait, sans<br />

doute avec une certaine exagération, de voir l’Eure devenir « le tombeau des Républicains ».<br />

Bien qu’étant limitée dans le temps - une journée - l’occupation de Pacy-sur-Eure eut un<br />

certain r<strong>et</strong>entissement <strong>et</strong> elle constitua l’apogée de l’action chouanne dans le département de<br />

l’Eure.<br />

André Goudeau

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