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fumer<br />
du crapaud<br />
LE VENIN DU BUFO ALVARIUS, GROS CRAPAUD CALIFORNIEN, EST<br />
RICHE EN 5-MEO-DMT. ON LE FUME SÉCHÉ, EN GROS JOINTS.<br />
DANGEREUX. La décharge de venin du serpent naja,<br />
délectation de certains fakirs, ou la morsure de<br />
fourmis rouges que s’infligent des chamanes<br />
équatoriens, tout comme la bile d’ours avalée par<br />
certains yogis tibétains à toutes fins utiles, sont<br />
bien peu de choses comparées à la bave du<br />
crapaud. Signalé dans l’immense pharmacopée<br />
précolombienne, oublié depuis, le jus de l’animal<br />
connaît un retour de faveur. Les hippies<br />
californiens qui courent les déserts environnants à<br />
la recherche de sacrements, vénèrent le lait de<br />
crapaud et le fument séché. Le rush initial vous<br />
anéantit l’ego en un claquement de doigt. En<br />
apnée dans le rien, l’esprit s’évade du corps.<br />
Sur son dos et ses pattes, le Bufo alvarius a des<br />
glandes qui produisent un venin laiteux riche en<br />
neurotoxines. Quand il est effrayé, le crapaud<br />
produit encore plus de ce lait qui contient<br />
d’énormes quantités de 5-MeO-DMT. Le DMT,<br />
connu dans les années 60 comme le high du<br />
business man à cause de la rapidité de son action,<br />
est très riche en sérotonine, le principale<br />
neurotransmetteur des synapses, et en mélatonine,<br />
une hormone produite par la glande pinéale.<br />
Ces jours-ci, autour de Los Angeles, les déserts de<br />
Mojave et de Sonora foisonnent de silhouettes<br />
dépenaillées à la recherche de la cérémonie du<br />
crapeau. A la saison des amours, le désert n’est<br />
plus qu’une masse coassante et visqueuse. Traire le<br />
crapaud est une besogne simple et indolore, il suffit<br />
de presser les glandes sur une assiette et de faire<br />
sécher le venin jusqu’à ce qu’il forme une pâte.<br />
sans nom l 72 l intoxication<br />
PATRICK DEVAL<br />
le catclo<br />
p e<br />
ON SE DÉFONCE COURAMMENT AVEC DES PRODUITS DOMESTIQUES,<br />
COLLE, ÉTHYLÈNE, DÉTERGENT. APPRENTIS SORCIERS, GARE !<br />
Les pilules amaigrissantes des Weight Watchers<br />
américains font des ravages dans la jeunesse. Le<br />
Cat, la dernière défonce des jeunes atteste, s’il en<br />
est encore besoin, que l’homme s’enivre avec ce<br />
FRANÇOISE VERNY, CÉLÈBRE DRAGON DE L’ÉDITION, ACCOUCHEUSE<br />
qu’il trouve. Dans l’Amérique profonde, DE TALENTS ET ÉCRIVAIN ELLE-MÊME, TIRE LE MÉGOT JUSQU’À L’ÂME.<br />
aujourd’hui, c’est l’armoire à pharmacie et le «Ma journée de fumeuse, elle commence à mon<br />
placard aux produits ménagers qui recèlent les réveil, à l’aube. Je me fais chauffer un Nescafé,<br />
philtres et les poisons des modernes rêveurs. Cat, j’entre dans mon bureau. Je bois quelques gorgées<br />
un petit nom pour la methcathinone, procure un de café, j’allume ma première cigarette, il est<br />
r u s h bien plus intense que la cocaïne, mais généralement cinq heures du matin, c’est la plus<br />
l’accroche est instantanée. Cette drogue est aisée exquise peut-être, la première.<br />
à concocter. Quelques tubes et bouteilles de – Et après?<br />
médicaments contre l’obésité contenant de – Et après? J’en fume d’autres, plein.<br />
l’éphédrine, des sels de bains, du détergent, j’en – Tu en fumes combien par jour?<br />
oublie, une goutte de liquide de batterie, et le Cat – Deux paquets et demi… trois paquets.<br />
est prêt. Avant d’entendre des voix, de sombrer – Toujours des gitanes sans filtre?<br />
dans la paranoïa et de trembler des mains comme – Des gitanes sans filtre. Et quand je suis à<br />
un parkinsonien, l’usager du Cat se sent plus l’étranger, il y a des pays où l’on ne trouve<br />
intelligent, plus fort, plus rapide et se prend pas toujours de gitanes, alors j’en emporte<br />
généralement pour Dieu.<br />
des cargaisons. J’adore le tabac. J’adore les<br />
La methcathinone n’est pas une blague. Les cigarettes, je ne sais pas pourquoi. Regarde, par<br />
jeunes de Detroit ou de Chicago à la recherche de exemple, Bernard-Henri Lévy : il fumait<br />
stimulants toujours plus puissants se sont rués sur énormément, et un jour il a découvert qu’au<br />
le Cat. Des histoires courent. Le journal S p i n q u i fond, il ne fumait que pour s’occuper les mains.<br />
révèle l’étendue des dégâts parle de possédés Alors il s’est arrêté et s’est mis à avoir des<br />
errants, d’amnésiques paranoïdes, de jeunes cure-dents. Mais moi, je suis sûre que je fume<br />
lycéennes qui se vendent pour acheter leur dose. pour occuper mes mains, mais en même temps<br />
Le gouvernement tente de contrôler le commerce ça crée une grande excitation chez moi, une<br />
de l’éphédrine incluse dans de nombreux excitation intellectuelle. Ça m’occupe aussi les<br />
médicaments pour maigrir comme Weight Loss et doigts. Mais surtout, ça m’excite. Il y a des<br />
autres Slim Fast. En elle-même, l’éphédrine est endroits où on ne peut pas fumer – les églises,<br />
déjà dangereuse et peut entraîner troubles mais ça ne me gêne pas. Il y a des plateaux de<br />
cardiaques et tension artérielle. Une loi, passée au télévision où on ne peut pas fumer. Je trouve<br />
Congrès en 1993, limite le contenu des bouteilles que j’y suis moins bonne, moins excitée que<br />
à dix pilules. Mais la contrebande est très active. dans les émissions de radio.<br />
Dix tonnes d’éphédrine ont été saisies depuis – T’as besoin de ça?<br />
quatre ans en provenance du Mexique, – Oui, moi j’ai besoin de ça, c’est vraiment<br />
concurrençant la cocaïne sur son terrain des excitant pour moi.<br />
drogues récréatives des jeunes éduqués et des – Ça fait longtemps que tu fumes?<br />
cadres. Ce Cat américain est un jaguar.<br />
– Oh oui, j’ai toujours fumé, je crois.»<br />
DOCTEUR BAMBOU<br />
PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK LATRONCHE<br />
la salive de<br />
l’éléphant<br />
SOUS LE PSEUDONYME DE LUCIFER ILJE SE CACHE UN GRAND<br />
ÉCRIVAIN, SPÉCIALISTE DE LA CONSCIENCE DÉMONIQUE… QUANT<br />
À LA SALIVE D’ÉLÉPHANT? «Vous allez connaître ce soir,<br />
dit le docteur Kama Devaputra, l’aspect sexuel<br />
de Dieu. La Grande Suavité, comme l’appelle<br />
Tchang ou, comme nous l’appelons, nous, la<br />
Salive de l’Eléphant, est une pommade inconnue<br />
de la pharmacopée occidentale, qui produit sur la<br />
sensibilité des effets spécifiques. Avant de vous<br />
enduire, il est nécessaire que je vous décrive ces<br />
effets, et surtout, ajoute-t-il, en se penchant vers<br />
moi, que je vous mette en garde contre les<br />
dangers possibles de l’expérience.» (…)<br />
«La Salive de l’Eléphant, poursuit le docteur,<br />
n’est pas seulement un aphrodisiaque. On l’utilise<br />
aussi pour torturer. C’est la raison pour laquelle<br />
nous tenons la formule secrète. Un homme qu’on<br />
enduit de cette pommade et qu’on empêche de<br />
faire l’amour risque de mourir. Comme le Dieu<br />
dont je porte le nom, Kama, il attire la colère de<br />
Shiva et meurt littéralement carbonisé par la<br />
fulguration du Seigneur des Larmes. Mais d’autre<br />
part – et voici le point capital –, si vous faites<br />
l’amour trop vite, c’est-à-dire avant que la<br />
pommade ait complètement imprégné votre<br />
organisme, vous risquez également d’attirer la<br />
foudre de Shiva. Comprenez bien ceci : vous<br />
allez épouver à l’égard de Tchang, et Tchang<br />
va éprouver à votre égard un désir incontrôlable.<br />
– Qu’arriverait-il si nous n’attendions pas?<br />
– Vous auriez un orgasme, comment dire, un<br />
o r g a s m e . . Ses yeux ont l’air de saillir dans leurs<br />
orbites, et ses dents chevalines et blanches luisent<br />
entre ses lèvres souriantes… Un orgasme<br />
cosmique. C’est-à-dire une crise cardiaque.»<br />
Je connais suffisamment les Orientaux pour savoir<br />
que je dois prendre les indications du docteur<br />
Devaputra au pied de la lettre. L’épreuve sera<br />
probablement pire que je ne l’imagine. Aussi, je suis<br />
plus que mal à l’aise. Je tourne mes regards vers<br />
Tchang. Elle est tout à fait immobile et grave. (...)<br />
«Je te jure, dit Tchang, que nous connaîtrons<br />
ensemble la félicité de l’Infini.<br />
– Alors je suis prêt.»<br />
Tchang frappe dans ses mains une seule fois,<br />
sèchement. L’épreuve commence. (...)<br />
Ahmed a apporté une boîte ronde, en porcelaine<br />
bleue. Sur les flancs et le couvercle sont gravées<br />
des lettres sanskrites blanches. Il ouvre la boîte.<br />
Je vois une substance coralline, translucide,<br />
visqueuse. Une sorte de gelée. Je sens aussi les<br />
regards d’Ahmed s’enrouler comme des vrilles<br />
autour de ma verge.<br />
Ahmed commence à l’oindre. Soigneusement, il<br />
enduit de pommade les épaules, les bras. Tchang<br />
se tourne. Ahmed étale la pommade sur le dos.<br />
Tchang se tourne, les bras écartés du corps.<br />
Ahmed frotte les seins.<br />
«Mets-en sur les bouts aussi, mon charmant.»<br />
Etonné, je constate que le pagne d’Ahmed fait<br />
bosse. Tchang le constate aussi.<br />
«Tu bandes, mon joli...<br />
– Vous êtes belle, Madame», dit Ahmed.<br />
Chose curieuse, son érection diminue l’hostilité<br />
que je ressens à son égard. Il est gentil, tout de<br />
même. Tchang luisante, les jambes écartées, afin<br />
qu’Ahmed puisse oindre les faces internes des<br />
cuisses et la vulve. Elle a l’air couverte de foutre.<br />
Ahmed derrière elle achève son travail.<br />
«Madame a un cul semblable à la pleine lune.»<br />
Mon regard erre sur des avalanches florales.<br />
Ahmed vient à moi.<br />
Ses doigts sont des papillons. Ses paumes sont des<br />
couleuvres. Elles glissent sur ma poitrine, sur mes<br />
omoplates. les lèvres de Tchang sont elles aussi des<br />
papillons. Elles voltigent dans un espace ambré.<br />
Ses prunelles sont pareilles à des planètes<br />
inexplorables. Une lame onduleuse me traverse.<br />
Ahmed vient de déposer sur ma verge un baiser<br />
furtif. Et maintenant il se met à la masser. Tchang<br />
me sourit. Des ocelles de velours indigo<br />
s’échappent de ses paupières, grandissent, soudain<br />
se transforment en disques miroitants. Je bande.<br />
C’est comme si un fantôme essayait de pénétrer<br />
dans mon corps. Ce fantôme a la même forme et<br />
la même taille que moi. Sa substance est chaleur.<br />
Double subtil qui se moule sur mon torse et ma<br />
croupe. Vapeur humaine qui glisse sa verge<br />
à l’intérieur de la mienne. Le fantôme applique<br />
son dos sur mon dos, sa poitrine sur ma poitrine.<br />
Il ne possède ni mains, ni tête, ni pieds :<br />
ces parties du corps en effet n’ont pas été ointes.<br />
Des langues molles et vénéneuses me lèchent les<br />
viscères. L’une d’elles émerge de mon anus, allume<br />
les points de feu sur mes fesses, sur mes testicules.<br />
D’autres circulent à l’intérieur de mes jambes. Des<br />
bouches indistinctes me gobent le foie et les reins.<br />
Mes poumons nagent dans un milieu tentaculaire.<br />
Et soudain l’étrangeté me frappe. J’aime ma<br />
propre verge. Comme si elle appartenait à un<br />
autre. Je veux me sucer, me baiser. M’empaler<br />
sur moi-même. Je suis fou.<br />
«Tu souffres? demande Tchang.<br />
– Mais... non. Pas du tout.»<br />
Tiré par sa voix de ma contemplation, je<br />
retrouve la chambre, les calmes globes de<br />
lumière, les ombres frisées, les triomphantes<br />
fleurs. Je retrouve Tchang. J’ai l’impression de la<br />
voir pour la première fois. De découvrir une<br />
évidence. Tchang c’est un con.<br />
Sa beauté, son charme, son intelligence, sa<br />
tranquillité royale, ses cheveux, sa douceur, sa<br />
rondeur, ses yeux pareils à des hirondelles, ses<br />
seins pareils à des cloches, sa bonne odeur, les<br />
inflexions de sa voix, sa gracieuse humilité, bref<br />
tous les éléments dont l’intrication compose sa<br />
personnalité, je vois qu’ils servent à dissimuler<br />
le fait central, la vérité, le fait que Tchang est un<br />
con. Ces éléments masquent ce fait comme les<br />
miroitements de l’eau masquent une rivière.<br />
Tchang, ce que je nomme Tchang, sa<br />
personnalité, est une illusion; pis, un mensonge,<br />
un artifice, une imposture. Tchang n’existe pas.<br />
Mirage qui se dissipe. Seul le con existe. (...)<br />
J’ai l’impression que je bande depuis le<br />
commencement du monde, comme le soleil brille.<br />
Inexorablement et sans la moindre fatigue.<br />
Et Tchang arrive, toujours gloussante, gigotante.<br />
Son doigt sépare les boucles de sa toison, s’agite<br />
sur son clitoris. L’humeur vitreuse coule entre ses<br />
jambes. Je sens qu’elle se prépare à me jouer un<br />
tour de sa façon. Un tour particulièrement sale.<br />
De son cul jaillit une longue et très sonore<br />
flatulence. Fanfare rocailleuse, tremblement de<br />
terre auquel se mélangent des stridulations, coup<br />
de tonnerre souterrain. Les narines dilatées, je<br />
respire. Je hume l’arôme exquis et monstrueux<br />
du pet. Tchang chancelle. Elle vient de jouir. (...)<br />
«Tu veux m’enculer, mon chéri? dit Tchang.<br />
– Oui, tout de suite.» Je puis à peine parler tant<br />
mon excitation est grande.<br />
Mon excitation et ma stupéfaction. Je suis moi.<br />
Elle est moi. Je suis elle. Je vais assouvir<br />
l’inassouvissable désir. Ce désir de me posséder,<br />
de m’enculer, qui rampe vers moi sur les mains et<br />
les genoux de Tchang, qui se bombe dans ce<br />
regard qui est le reflet du mien ou dont le mien<br />
est le reflet.<br />
Tchang place des coussins sous son ventre, sous<br />
ce que le langage m’oblige à appeler son ventre.<br />
J’enfonce un doigt dans la vulve, l’en retire<br />
couvert de liqueur. J’oins la petite roue violette,<br />
si longuement contemplée et sucée hier. Ma bite<br />
entre lentement. Je pénètre dans mon propre cul,<br />
avec prudence et majesté.<br />
«Dieu ne se comprend pas», dit-elle.<br />
LUCIFER ILJE<br />
Editions Losfeld. Remerciements à Just Duits<br />
sans nom l 73 l intoxication