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L'ation de prévention des risques professionnels (psycho ... - La cgt

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<strong>L'ation</strong> <strong>de</strong> <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>professionnels</strong> (<strong>psycho</strong>-<br />

sociaux) pour la santé physique et mentale au travail<br />

Une approche du fonctionnement humain au travail<br />

M’appuyant sur la <strong>psycho</strong>dynamique 1 du travail (PDT), discipline qui analyse les processus<br />

psychiques mobilisés par un sujet 2 dans sa rencontre avec les contraintes du travail, je place le<br />

travail comme opérateur central, à côté <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> l’histoire <strong>psycho</strong>-affective, dans l’avènement<br />

<strong>de</strong> la personnalité. Le travail recouvre tout à la fois l’emploi, l’activité <strong>de</strong> travail en elle-même,<br />

c’est-à-dire la production <strong>de</strong> biens et <strong>de</strong> services, mais aussi et surtout <strong>de</strong>ux aspects<br />

fondamentaux du travail : l’engagement <strong>de</strong> la subjectivité, <strong>de</strong> l’affectivité, <strong>de</strong> la personnalité<br />

entière <strong>de</strong> chacun dans le travail.<br />

Le travail est impliqué dans la souffrance – ce que l’on désigne par le travailler - dont les <strong>de</strong>stins<br />

ne sont pas prédictibles. Le travail répond ou non aux attentes <strong>de</strong> la personne, et c’est dans ce<br />

second cas le risque d’entrée dans la souffrance pathogène. Mais, confronté à la souffrance<br />

inhérente à la situation <strong>de</strong> travail, le sujet construit <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> défense psychique<br />

individuelles et collectives, ces <strong>de</strong>rnières permettant <strong>de</strong> faire face ensemble aux rapports <strong>de</strong><br />

domination et au réel 3 du travail en évitant la décompensation psychique ou somatique<br />

individuelle. Mais ces défenses sont réversibles. Leur vertu est la protection <strong>de</strong> soi, leur défaut, le<br />

risque d'anesthésie <strong>de</strong> la pensée.<br />

Les troubles <strong>psycho</strong>pathologiques et le risque professionnel<br />

organisationnel <strong>psycho</strong>-social<br />

Aujourd'hui, sous la pression libérale, bon nombre <strong>de</strong> salariés vivent difficilement leur travail, et<br />

bien souvent dans la solitu<strong>de</strong>. L’hypothèse rapportant les souffrances au travail à une relation<br />

<strong>psycho</strong>logique interindividuelle mettant en cause principalement la structure <strong>de</strong> la personnalité<br />

s’avère fragile. Il importe <strong>de</strong> mettre en relation les pathologies en lien avec le travail, ce que nous<br />

dénommons la <strong>psycho</strong>pathologie du travail<br />

1 C.DEJOURS Professeur <strong>de</strong> <strong>psycho</strong>pathologie du travail CNAM, Paris; “Travail : usure mentale”. Nouvelle édition<br />

augmentée. (<strong>de</strong> la <strong>psycho</strong>pathologie à la <strong>psycho</strong>dynamique du travail) Paris. Editions Bayard. Novembre 2000<br />

2 le sujet est le terme utilisé en <strong>psycho</strong>logie pour définir l’individu, la personne<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> VALETTE, Psychologue du travail à la CGT et IPRP (intervenant en <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong><br />

<strong>professionnels</strong>) : evaluation et <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>psycho</strong>-sociaux, secrétaires CHSCT santé-social 9-11-04<br />

1


Les pathologies du travail.<br />

De nouvelles pathologies du travail liées à la surcharge <strong>de</strong> travail sont apparues:<br />

- Au premier rang : les TMS ou troubles musculo-squelettiques, appelés encore LER, lésions<br />

par efforts répétitifs, dus à l’augmentation <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>nces et <strong>de</strong>s exigences <strong>de</strong> productivité. Il s’agit<br />

<strong>de</strong> lésions affectant les articulations <strong>de</strong>s membres supérieurs et se traduisant par <strong>de</strong>s<br />

inflammations. Ouvrir un robinet ou une porte <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s gestes douloureux. Le recours à<br />

l’acte chirurgical en est l’aboutissement. On les retrouve curieusement dans les activités <strong>de</strong><br />

services avec l’introduction <strong>de</strong> l’informatisation et <strong>de</strong> l’autonomisation, par exemple les clavistes<br />

pour la saisie <strong>de</strong> données. C’est un secteur d’activité que l’on pensait épargné par les maladies du<br />

corps en regard du secteur industriel. Pourtant, le travail à la chaîne ne régresse pas ; non<br />

seulement il a augmenté mais les ca<strong>de</strong>nces sont nettement supérieures à celles que l’on obtenait<br />

dans les années 50-60, ce que l’on peut constater dans le secteur agro-alimentaire par exemple. Il<br />

s’agit là d’un véritable problème <strong>de</strong> santé publique.<br />

- Le karôshi qui consiste en une mort subite par acci<strong>de</strong>nt vasculaire, cérébral le plus souvent,<br />

frappant habituellement les hommes mais dont on commence à décrire <strong>de</strong>s cas chez les femmes.<br />

Il a été décrit au Japon, les sujets qui en ont été victimes totalisaient plus <strong>de</strong> 70 heures <strong>de</strong> travail<br />

par semaine, sans compter les heures passées au contrôle <strong>de</strong> la qualité. Afin d’éviter les heures <strong>de</strong><br />

transport pour retourner chez soi, les employés se ren<strong>de</strong>nt dans <strong>de</strong>s ‘’hôtels’’ où ils ont un tiroir<br />

dans lequel ils dorment, empilés les uns sur les autres.<br />

Si en France, la loi limite le temps <strong>de</strong> travail, bon nombre <strong>de</strong> professions n’ont plus aucun<br />

contrôle sur la durée du temps <strong>de</strong> travail : conducteurs <strong>de</strong> travaux, technico-commerciaux,<br />

professions libérales…<br />

- Le ‘’burn out’’ est un état d’épuisement professionnel, se caractérisant par l’épuisement <strong>de</strong>s<br />

capacités émotionnelles chez les sujets dont le travail est centré sur les relations humaines :<br />

infirmières, travailleurs sociaux, enseignants, agents <strong>de</strong>s services publics… Les objectifs à<br />

atteindre entrent en contradiction avec la qualité relationnelle inhérente au travail même. Les<br />

sujets se mettent alors à l’abri <strong>de</strong> l’impact émotionnel du travail par une rigidité <strong>de</strong> pensée,<br />

une conception péjorative <strong>de</strong>s personnes que l’on est censé ai<strong>de</strong>r, accompagner, soigner…<br />

3<br />

le “ réel” n’est pas l’activité réelle <strong>de</strong> travail. Le “ réel ” renvoie à l’inattendu, l’impensé. Il se montre souvent par<br />

l’échec.<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> VALETTE, Psychologue du travail à la CGT et IPRP (intervenant en <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong><br />

<strong>professionnels</strong>) : evaluation et <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>psycho</strong>-sociaux, secrétaires CHSCT santé-social 9-11-04<br />

2


S’en suit un syndrôme dépressif : asthénie, découragement, perte <strong>de</strong> l’estime <strong>de</strong> soi jusqu’à la<br />

désorganisation <strong>de</strong>s relations familiales, voire la décompensation psychique et mentale.<br />

- <strong>La</strong> corvéabilité touche essentiellement les femmes. En fonction <strong>de</strong>s besoins du supermarché, on<br />

téléphone aux employées pour venir travailler. Dans les <strong>de</strong>ux heures qui suivent, elles doivent<br />

être là, prendre la vacation et se retrouvent <strong>de</strong>hors trois heures après. Puis trois heures après, elles<br />

sont rappelées. Les temps libres passent ainsi dans les transports et à côté du téléphone en cas <strong>de</strong><br />

rappel. Ceci crée <strong>de</strong>s problèmes insolubles pour la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s enfants et l’accomplissement <strong>de</strong>s<br />

tâches ménagères, qui sont également un travail.<br />

- Les pathologies post-traumatiques, consécutives aux agressions dont les travailleurs sont<br />

victimes <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s usagers et <strong>de</strong>s clients dans leur travail. Cette pathologie professionnelle est<br />

reconnue pour les agents du service bancaire, victimes d’agression à main armée. Mais elle<br />

concerne aussi les conducteurs d’autobus et <strong>de</strong> trains, les transporteurs <strong>de</strong> fonds bancaires, les<br />

enseignants, les pompistes, les gardiens d’immeubles, les agents <strong>de</strong> l’ANPE, <strong>de</strong> la SS, <strong>de</strong> la<br />

CAF…<br />

- Les tentatives <strong>de</strong> suici<strong>de</strong> et suici<strong>de</strong>s sur les lieux <strong>de</strong> travail, inconnus il y a encore quelques<br />

années… <strong>La</strong> ruine <strong>de</strong> la convivialité et <strong>de</strong> la solidarité génère une insensibilité et une indifférence<br />

à l’égard <strong>de</strong> la souffrance et <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> détresse émis par autrui. Ils montrent en fait<br />

l’isolement et la solitu<strong>de</strong> qui caractérisent <strong>de</strong> plus en plus les milieux <strong>de</strong> travail.<br />

On trouve également <strong>de</strong>s conduites violentes, dirigées contre collègues ou hiérarchiques :<br />

violences physiques ou menaces avec <strong>de</strong>s armes ; ou dirigées contre l’outil <strong>de</strong> travail ou les<br />

installations : vandalismes, vols, sabotages…<br />

- Les pathologies cognitives, notamment chez les techniciens, l’encadrement <strong>de</strong> proximité, les<br />

secrétaires… Il s’agit <strong>de</strong> troubles <strong>de</strong> la mémoire, troubles confusionnels, raisonnements<br />

manifestement ‘’absur<strong>de</strong>s’’ ou infantiles mais que l’on ne retrouve pas dans le hors-travail.<br />

En raison <strong>de</strong> la surcharge <strong>de</strong> travail, certains finissent par ne plus faire confiance à leur mémoire<br />

et notent tout sur <strong>de</strong>s ‘’post-it’’ qui envahissent alors le poste <strong>de</strong> travail. Un homme s’est collé<br />

<strong>de</strong>s ‘’post-it’’ sur tout le corps avant <strong>de</strong> se suici<strong>de</strong>r…<br />

- Les conduites toxicomaniaques, ‘’pour tenir’’ au travail et totalement banalisées dans certains<br />

milieux <strong>de</strong> travail : alcool, anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères, barbituriques,<br />

amphétamines… Elles sont en proportion très élevée chez les cadres.<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> VALETTE, Psychologue du travail à la CGT et IPRP (intervenant en <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong><br />

<strong>professionnels</strong>) : evaluation et <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>psycho</strong>-sociaux, secrétaires CHSCT santé-social 9-11-04<br />

3


- Les pathologies <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> qui viennent con<strong>de</strong>nser et mettre au jour ce qui caractérise<br />

fondamentalement les situations actuelles <strong>de</strong> travail. En effet, les formes d’organisation du travail<br />

contribuent <strong>de</strong> plus en plus à la solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> chacun, ruinent la convivialité, le vivre ensemble, le<br />

collectif <strong>de</strong> travail. Les personnes travaillent <strong>de</strong> plus en plus seules. Les espaces <strong>de</strong> discussion<br />

disparaissent massivement <strong>de</strong>s milieux <strong>de</strong> travail.<br />

Ces pathologies se caractérisent par <strong>de</strong>s dépressions, maladies somatiques, réactions<br />

caractérielles et paranoïaques. Une nouvelle pathologie prend actuellement <strong>de</strong> l’ampleur : le<br />

harcèlement moral. Il est une pathologie <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> car la personne harcelée se trouve isolée.<br />

<strong>La</strong> LMS loi <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation sociale dit que : “ aucun salarié ne doit subir les agissements<br />

répétés <strong>de</strong> HM qui ont pour objet ou pour effet une dégradation <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail<br />

susceptible <strong>de</strong> porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique et mentale<br />

ou <strong>de</strong> compromettre son avenir professionnel 4 ”.<br />

Il convient <strong>de</strong> distinguer :<br />

- le ‘’harcèlement à la française’’. Le harcèlement, dans les milieux <strong>de</strong> travail, n’est pas<br />

une nouveauté. Connu d’ailleurs <strong>de</strong>puis l’Antiquité, il a était décrit en 1957 chez les<br />

contremaîtres du renseignement téléphonique. Ce qui est nouveau est l’interprétation massive <strong>de</strong><br />

cette conduite qui serait issue d’une personnalité perverse et n’aurait pour but que la jouissance,<br />

et ce, dans la relation interpersonnelle. Il s’agit donc d’une analyse <strong>psycho</strong>pathologique.<br />

- Cette interprétation ne concerne que la France puisque dans d’autres pays, le<br />

harcèlement, appelé mobbing, s’interprète comme une dérive <strong>de</strong>s modalités <strong>de</strong> management, sans<br />

aucune référence à la personnalité, sans aucun rôle spécifique attribué au travail. Le mobbing<br />

relève d’une analyse <strong>psycho</strong>sociologique.<br />

- Un autre questionnement quant au harcèlement qui s’inscrit dans une analyse<br />

<strong>psycho</strong>dynamique et clinique <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> travail. <strong>La</strong> personne harcelée non seulement se<br />

trouve isolée mais elle ne trouve personne pour la soutenir ou la défendre. Ceci pose alors la<br />

question <strong>de</strong> la tolérance <strong>de</strong> chacun à la souffrance et à l’injustice infligées à autrui, mais aussi<br />

à soi-même. Cette passivité et indifférence à la souffrance d’autrui représentent une stratégie<br />

défensive contre les effets <strong>de</strong> la peur liée à la flexibilité et à la précarisation et signent la<br />

transformation <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> domination dans les milieux <strong>de</strong> travail.<br />

4 Article L 122-49 du co<strong>de</strong> du travail, inscrit aussi dans les statuts <strong>de</strong> la fonction publique.<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> VALETTE, Psychologue du travail à la CGT et IPRP (intervenant en <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong><br />

<strong>professionnels</strong>) : evaluation et <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>psycho</strong>-sociaux, secrétaires CHSCT santé-social 9-11-04<br />

4


- ‘’Personnaliser’’ le harcèlement conduit non seulement à banaliser l’injustice et la violence<br />

mais permet <strong>de</strong> tenir à l’écart les conditions politiques et sociales <strong>de</strong> son origine.<br />

Derrière la plainte <strong>de</strong> harcèlement, on retrouve ainsi très souvent :<br />

- <strong>de</strong>s réorganisations d’entreprises avec plans sociaux ou licenciements à éviter,<br />

- <strong>de</strong>s délocalisations géographiques et/ou stratégiques d’entreprises,<br />

- <strong>de</strong>s conflits hiérarchiques liés aux métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> management,<br />

- <strong>de</strong>s réorganisations <strong>de</strong> tâches, <strong>de</strong> postes <strong>de</strong> travail,<br />

- <strong>de</strong>s restructurations d’équipes <strong>de</strong> travail,<br />

- <strong>de</strong>s discriminations <strong>de</strong> toutes sortes, <strong>de</strong> nature syndicale, sexiste, voire raciale,<br />

- <strong>de</strong>s désaccords entre collègues sur <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeur ou <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> travail,<br />

notamment dans la fonction publique et les activités <strong>de</strong> service.<br />

Mais au-<strong>de</strong>là, une autre question vient à se poser : comment se fait-il que tant <strong>de</strong> personnes<br />

acceptent <strong>de</strong> mettre leur travail, <strong>de</strong> donner leur concours à <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> faire, d’apporter leur<br />

contribution à un système, que par ailleurs, elles critiquent et réprouvent profondément. Pourquoi<br />

se résignent-elles, pourquoi se soumettent-elles ?<br />

‘’On ne peut pas faire autrement’’ disent-elles.<br />

Pourtant elles souffrent d’être amenées à faire <strong>de</strong>s choses qu’elles réprouvent. Ce conflit et la<br />

souffrance qui en résulte, à laquelle on donne le nom <strong>de</strong> ‘’souffrance éthique’’ est<br />

particulièrement délétère car elle concerne le sens moral <strong>de</strong> chacun et menace dangereusement le<br />

sentiment d’i<strong>de</strong>ntité dans la mesure où il y a discontinuité entre les valeurs auxquelles on est<br />

attaché et ce que l’on est amené à faire. C’est faire ainsi l’expérience douloureuse <strong>de</strong> la lâcheté.<br />

Cette souffrance conduit alors à <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> défense spécifiques. Elles ont un point commun,<br />

celui <strong>de</strong> réduire les capacités <strong>de</strong> faire fonctionner sa pensée, celui d’engourdir la pensée. Mais<br />

elles permettent également <strong>de</strong> pouvoir continuer à travailler sans souffrir constamment. Prendre<br />

alors le risque <strong>de</strong> penser, quant au conflit engendré par l’organisation du travail, <strong>de</strong>vient alors à<br />

son tour source <strong>de</strong> souffrance mais c’est bel et bien la seule manière <strong>de</strong> pouvoir transformer le<br />

travail. Elles sont au cœur <strong>de</strong> la coopération et <strong>de</strong> la collaboration au système.<br />

Ainsi, le harcèlement va justement porter sur un sujet qui refuse <strong>de</strong> consentir par la soumission, à<br />

l’emprise <strong>de</strong> la domination.<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> VALETTE, Psychologue du travail à la CGT et IPRP (intervenant en <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong><br />

<strong>professionnels</strong>) : evaluation et <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>psycho</strong>-sociaux, secrétaires CHSCT santé-social 9-11-04<br />

5


- A l’heure actuelle, la notion <strong>de</strong> stress <strong>de</strong>vient la norme pour qualifier et prévenir la souffrance<br />

psychique pathogène. Venant <strong>de</strong>s pays anglo-saxons, ce concept est problématique. Nous lui<br />

préférons la notion <strong>de</strong> santé (inscrite dans le co<strong>de</strong> du travail) qui renvoie beaucoup mieux, que<br />

celle <strong>de</strong> stress, à la spécificité humaine. <strong>La</strong> santé, en tant que telle, n’existe pas. C’est un idéal à<br />

atteindre, une conquête, pas un don <strong>de</strong> la nature, car en permanence le sujet lutte pour rechercher<br />

un équilibre (toujours instable) entre la maladie et l’idéal <strong>de</strong> santé.<br />

<strong>La</strong> théorie du stress revendique <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d’analyses objectives qui procè<strong>de</strong>nt en particulier<br />

par <strong>de</strong>s questionnaires fermés, où l’être humain apparaît comme un machine abstraite, dont le<br />

comportement est codifiable et quantifiable, soumis à la normalité statistique. Son usage dans le<br />

champ du travail cherche avant tout à sélectionner et/ou adapter le personnel à son<br />

environnement physique et organisationnel, en i<strong>de</strong>ntifiant les résistances, les réactions inadaptées,<br />

afin <strong>de</strong> les maîtriser, <strong>de</strong> les corriger. Finalement, le modèle du stress professionnel laisse peu <strong>de</strong><br />

place à la parole <strong>de</strong> ces personnes pour exprimer les conflits psychiques inhérents au travail. En<br />

particulier, il n’ouvre en rien un point <strong>de</strong> vue critique sur l’ensemble <strong>de</strong> l’organisation du travail à<br />

laquelle le personnel est confronté.<br />

<strong>La</strong> domination <strong>de</strong> l'organisation du travail contemporaine<br />

De nouvelles formes <strong>de</strong> domination et d’asservissement au travail sont apparues, principalement<br />

sous l’effet <strong>de</strong> la « guerre saine » 5 , sorte <strong>de</strong> compétition mondiale tous azimuts entraînant<br />

« précarisation » 6 , concurrence, <strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s collectifs <strong>de</strong> travail, et isolement <strong>de</strong>s individus<br />

etc.<br />

L’organisation du travail qui se divise en contenu <strong>de</strong> tâche, objectifs, système hiérarchique et<br />

relations <strong>de</strong> pouvoir, responsabilité, etc., est un enjeu <strong>de</strong> la domination. Le travailler du XXIième<br />

siècle, à l’opposé <strong>de</strong> la rigidité <strong>de</strong>s tâches, <strong>de</strong>s postes et <strong>de</strong>s qualifications qui caractérisaient le<br />

modèle taylorien/fordien, est confronté à la flexibilité et à la mondialisation <strong>de</strong> l’économie.<br />

En situation <strong>de</strong> travail, il y a toujours un décalage entre l’organisation prescrite faite par les<br />

gestionnaires, (la <strong>de</strong>scription gestionnaire) et l’organisation réelle, <strong>de</strong> ceux qui réalisent (la<br />

<strong>de</strong>scription subjective).<br />

5 Pour illustrer, non pas la guerre avec la pratique <strong>de</strong>s armes, mais la guerre saine menée avec les systèmes <strong>de</strong> gestion<br />

néo-libérales et <strong>de</strong>s pratiques basées sur la compétitivité : C. DEJOURS : “Souffrance en France”, la banalisation <strong>de</strong><br />

l’injustice sociale, Seuil 1998.<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> VALETTE, Psychologue du travail à la CGT et IPRP (intervenant en <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong><br />

<strong>professionnels</strong>) : evaluation et <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>psycho</strong>-sociaux, secrétaires CHSCT santé-social 9-11-04<br />

6


Les organisations du travail contemporaines, prennent néanmoins en compte l’autonomie du<br />

travailleur (le domaine subjectif), une plus gran<strong>de</strong> mobilité dans l’emploi, mais évaluent son<br />

travail principalement à l'aune <strong>de</strong> la concurrence, <strong>de</strong> la performance mais aussi <strong>de</strong> l’autocontrôle<br />

(évaluation individuelle et qualité totale). Voyons cela plus en détail, à partir <strong>de</strong> trois axes :<br />

L’autonomie dans le travail tend à générer <strong>de</strong> nouvelles dépendances<br />

Dans la démarche dite <strong>de</strong> Ressources Humaines, l’autonomie contribue à mettre les salariés sous<br />

pression, dans la mesure où elle est associée au thème <strong>de</strong> la responsabilité personnelle accrue, ce<br />

qui produit les germes d’une insécurité professionnelle et existentielle croissante.<br />

<strong>La</strong> perversion du sens moral 7 au travail : une distorsion entre l'appel à<br />

l'intelligence, l'affectivité du sujet et les buts <strong>de</strong> travail<br />

Dans la décennie 90, ce sont les métho<strong>de</strong>s d’évaluation collectives par les démarches qualité,<br />

qualité totale, accréditation (dans le secteur hospitalier par exemple), et surtout individuelles<br />

(entretiens d’évaluation) qui entrent massivement dans le champ du travail. Ces métho<strong>de</strong>s<br />

fonctionnant dans un contexte permanent <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s coûts budgétaires, font certes appel à<br />

la subjectivité <strong>de</strong>s travailleurs, à leur passion, à leur créativité, à la solidarité collective, mais elles<br />

le font en orientant cette subjectivité dans les créneaux propres à l’idéal <strong>de</strong> l’entreprise que sont<br />

la productivité et l’efficacité, en en pervertissant le sens.<br />

<strong>La</strong> neutralisation <strong>de</strong>s solidarités collectives<br />

Le risque <strong>de</strong> pathologie <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> sous-tend que les liens <strong>de</strong> solidarité dans le travail ont été<br />

brisé, particulièrement par les mo<strong>de</strong>s d’évaluation du travail qui introduisent <strong>de</strong>s concurrence<br />

déloyales entre les salariés. Ainsi, une tendance lour<strong>de</strong> <strong>de</strong> tolérance sociale à l’injustice engourdit<br />

le mon<strong>de</strong> du travail. Un phénomène <strong>de</strong> peur se développe et provoque <strong>de</strong>s conduites défensives :<br />

obéissance, voire soumission.<br />

6 Op citée : <strong>La</strong> précarité ne touche pas que les travailleurs précaires. Elle a <strong>de</strong>s conséquences majeures sur le vécu et<br />

les conduites <strong>de</strong> ceux qui travaillent (…) Aussi convient – il <strong>de</strong> préférer le terme précarisation à celui <strong>de</strong> précarité.<br />

7 Ce qu'en PDT nous définissons comme sens moral correspond à une autonomie morale subjective qui est une sorte<br />

<strong>de</strong> conduite éthique. C’est continuer à penser “ par soi-même ”, malgré la souffrance vécue, particulièrement celle,<br />

inter-subjective, venant <strong>de</strong>s pressions <strong>de</strong> l’organisation du travail, mais aussi celle plus intra-subjective, provenant <strong>de</strong><br />

ses propres doutes et incertitu<strong>de</strong>s.<br />

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<strong>professionnels</strong>) : evaluation et <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>psycho</strong>-sociaux, secrétaires CHSCT santé-social 9-11-04<br />

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L'action <strong>de</strong> <strong>prévention</strong> <strong>de</strong> la santé mentale au travail : une démarche<br />

compréhensive<br />

Une obligation <strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> sécurité au travail, s’impose aux entreprises publiques et privées par<br />

la production d’un document unique d’évaluation <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> (DUE). En 2002, la loi <strong>de</strong><br />

mo<strong>de</strong>rnisation sociale (LMS) a introduit la reconnaissance d’une catégorie juridique le HM,<br />

l’associant à la thématique <strong>de</strong> la santé, en en précisant le contenu : santé physique et mentale.<br />

Bon nombre <strong>de</strong> salariés en souffrance, recherchent <strong>de</strong>s mots pour qualifier les maux qu’ils vivent<br />

au travail.<br />

L’objet spécifique qu’est la santé mentale, nécessite d’agir avec une méthodologie idoine se<br />

rapportant spécifiquement à l’être humain qui n’est pas une machine, mais un être affectif et <strong>de</strong><br />

pensée. Il nous faut utiliser l’écoute et l’interprétation pour la compréhension du travail, qui est<br />

en soi une action (l’accès à une meilleure intelligibilité), car elle peut faire (re) naître une<br />

mobilisation subjective, et donc une volonté d’action.<br />

Le processus et la méthodologie<br />

<strong>La</strong> forte <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que nous font aujourd’hui <strong>de</strong>s salariés en souffrance s’entend comme un<br />

message à traduire (<strong>de</strong>s mots pour qualifier <strong>de</strong>s maux) fait d’énigmes organisationnelles, <strong>de</strong><br />

sentiment <strong>de</strong> non reconnaissance, d’injustice dans le travail, <strong>de</strong> déficit <strong>de</strong>s solidarités, etc. Nous<br />

tentons alors <strong>de</strong> déplacer cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> : d’un aval (l’accueil individuel), à un amont (la<br />

compréhension du vécu subjectif en travail).<br />

L’accueil <strong>de</strong>s personnes<br />

<strong>La</strong> personne en souffrance s’adresse à un intervenant (Mé<strong>de</strong>cin du travail, IPRP 8 , Inspecteur du<br />

travail, syndicaliste, etc), quand elle sent qu’elle ne peut (ou ne veut plus) subir sa situation<br />

d’isolement. Elle est en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’un tiers. L’ai<strong>de</strong>r à retisser <strong>de</strong>s liens avec autrui, c’est déjà<br />

commencer à historiciser 9 - au regard <strong>de</strong> sa situation <strong>de</strong> travail - le processus dans lequel elle est<br />

prise, et ainsi l’ai<strong>de</strong>r à se (re) mobiliser psychiquement.<br />

8 Intervenant en <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>professionnels</strong>, coopérant avec le mé<strong>de</strong>cin du travail<br />

9 resituer les évènements dans une temporalité<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> VALETTE, Psychologue du travail à la CGT et IPRP (intervenant en <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong><br />

<strong>professionnels</strong>) : evaluation et <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>psycho</strong>-sociaux, secrétaires CHSCT santé-social 9-11-04<br />

8


Rouvrir <strong>de</strong>s discussions collectives sur le travail<br />

Un processus <strong>de</strong> souffrance se noue dans l’organisation même du travail. Sa compréhension<br />

relève donc d’une (dé) construction <strong>de</strong> ce processus passant par une sorte <strong>de</strong> mise à nu <strong>de</strong> la<br />

relation organisation du travail - fonctionnement subjectif, et nécessite dans tous les cas <strong>de</strong><br />

proposer <strong>de</strong>s interventions qui s’articulent principalement sur le récit <strong>de</strong>s situations en espace<br />

collectif <strong>de</strong> discussion. Mais <strong>de</strong> telles interventions sont <strong>psycho</strong>logiquement coûteuses et<br />

nécessitent le concours <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins du travail, <strong>psycho</strong>logues, sociologues, ergonomes formés à<br />

l’approche compréhensive.<br />

Articuler les discussions collectives avec la négociation <strong>de</strong> l’organisation réelle<br />

du travail<br />

Pour se rapprocher d’un objectif <strong>de</strong> santé physique et mentale (définition <strong>de</strong> l’OMS 10 ) au travail,<br />

il faut rechercher <strong>de</strong>s cadres d’élaboration et <strong>de</strong> négociation collective sur l’organisation réelle<br />

du travail. L’action consistant à s’impliquer individuellement dans son travail et à coopérer<br />

activement entre collègues ne relève pas seulement d’une bonne exécution <strong>de</strong> la prescription <strong>de</strong><br />

travail, faite <strong>de</strong> formules à appliquer.<br />

Mais alors comment connaître pour évaluer justement et reconnaître ce que peut-être un bon<br />

travail ?<br />

On peut le faire en passant par une évaluation équitable 11 . Des praticiens/chercheurs formés aux<br />

sciences du travail, pourraient être intégrés dans les équipes <strong>de</strong> délibération/évaluation sur le<br />

travail dans les entreprises et les services. Cette configuration permettrait <strong>de</strong> dépasser la seule<br />

norme objective et stratégique du gestionnaire, assez dominante dans la négociation, en<br />

réintroduisant les normes sociale et subjective, construites, pour le coup, à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> critères <strong>de</strong><br />

jugement <strong>de</strong> validation pertinents, reconnaissant le travail réel, individuel et collectif, facteur <strong>de</strong><br />

qualité.<br />

10 Organisation mondiale <strong>de</strong> la santé<br />

11 C DEJOURS : L’évaluation du travail à l’épreuve du réel, éditions INRA, octobre 2003, p. 49- 54.<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> VALETTE, Psychologue du travail à la CGT et IPRP (intervenant en <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong><br />

<strong>professionnels</strong>) : evaluation et <strong>prévention</strong> <strong>de</strong>s <strong>risques</strong> <strong>psycho</strong>-sociaux, secrétaires CHSCT santé-social 9-11-04<br />

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