Homosexualité et reconnaissance : le corps du mépris
Homosexualité et reconnaissance : le corps du mépris
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protection de l’espace relationnel <strong>et</strong> émotionnel, haine ou dégoût de soi auquel<br />
on impute la cause d’une promesse non tenue, vœu d’échappée à la tension,<br />
<strong>et</strong>c. Une modalité d’échappée à c<strong>et</strong>te tension peut être la dépression ou encore<br />
la mobilisation <strong>du</strong> secr<strong>et</strong>, de la fugue ou de l’échec comme ressources éventuel<strong>le</strong>ment<br />
paradoxa<strong>le</strong>s face à l’hostilité appréhendée. Quelques extraits des<br />
entr<strong>et</strong>iens réalisés auprès de personnes séropositives <strong>et</strong> homosexuel<strong>le</strong>s 5 sont<br />
exemplaires de ce processus d’anticipation.<br />
« J’étais en vacances en famil<strong>le</strong> en Espagne dans un hôtel. Je devais avoir treize ans,<br />
peut-être quatorze. C’est bien possib<strong>le</strong> que ce soit quatorze <strong>et</strong> au restaurant de l’hôtel,<br />
il y avait un garçon qui venait servir à tab<strong>le</strong>. C’était quelqu’un que je trouvais beau <strong>et</strong><br />
que je regardais sans arrêt. À un moment donné, dans <strong>le</strong> courant des vacances, je<br />
me suis dit “au fond, pourquoi est-ce que je <strong>le</strong> regarde tout <strong>le</strong> temps, celui-là ?”. Je<br />
me suis posé la question <strong>et</strong> je me suis dit : “qu’est-ce qui se passe ?”. Et puis, je me<br />
suis dit : “mon Dieu, je dois être homosexuel”. Je connaissais la signification <strong>du</strong> terme<br />
“homosexuel”.<br />
J’en avais enten<strong>du</strong> par<strong>le</strong>r, dans ma famil<strong>le</strong> notamment, par mon père qui en avait une<br />
image très négative [...] Je n’avais encore rien eu comme expérience sexuel<strong>le</strong>, vraiment<br />
zéro, <strong>et</strong> voilà. Jem’en suis ren<strong>du</strong> compte subitement <strong>et</strong> ça aété un choc pour<br />
moi, qui a <strong>du</strong>ré très longtemps. Je me suis dit : “je suis foutu”. Jen’en ai parlé à<br />
personne. Pendant quinze ans, je n’en ai parlé rigoureusement à personne. Personne,<br />
zéro. Ni amis, ni... j’ai tout gardé pour moi. J’étais extrêmement conscient... (Christian).<br />
L’ado<strong>le</strong>scence, ça s’est résumé à cela. Rien jusqu’à mes vingt ans, c’est-à-dire<br />
jusqu’au jour où j’ai eu une voiture. Là, j’ai commencé àsortir avec des copains.<br />
Quand j’ai eu mon permis, j’ai commencé àsortir, d’abord en boîte hétéro parce que<br />
je m’étais affirmé soi-disant hétéro... pour faire un peu comme tout <strong>le</strong> monde. J’étais<br />
très mal dans ma peau à c<strong>et</strong>te époque-là parce que je ne savais pas. Je ne savais<br />
pas quoi penser de ce que je devais faire. J’avais eu une grosse déception amoureuse,<br />
qui a débouché sur trois mois de dépression nerveuse, donc ce n’était pas rien<br />
(Patrick).<br />
Tout ce que j’avais enten<strong>du</strong>, c’était que l’homosexualité, <strong>le</strong>s pédés, c’était pire que<br />
<strong>le</strong>s vio<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s assassins. C’est tout en bas de la société, c’est <strong>le</strong> fond <strong>du</strong> panier »<br />
(Joseph).<br />
Parlant de l’homosexualité, l’un d’eux déclare :<br />
« Ma mère m’a dit que c’était soit <strong>du</strong> vice, soit un manque de volonté <strong>et</strong> que pour moi,<br />
c’était un manque de volonté »(Marc).<br />
Un autre dit à propos de ses parents :<br />
<strong>Homosexualité</strong> <strong>et</strong> <strong>reconnaissance</strong> : <strong>le</strong> <strong>corps</strong> <strong>du</strong> <strong>mépris</strong><br />
« Je crois qu’il <strong>le</strong>ur a fallu <strong>le</strong> temps pour <strong>le</strong> croire <strong>et</strong> ça aété l’hystérie la plus tota<strong>le</strong>.<br />
Je r<strong>et</strong>ournais encore régulièrement chez eux à ce moment-là, tous <strong>le</strong>s mois à peu<br />
près, <strong>et</strong> il y avait encore des gens qui téléphonaient pour moi chez mes parents.<br />
Quand c’était une fil<strong>le</strong> qui téléphonait, c’était la joie la plus tota<strong>le</strong>, sans même se<br />
demander qui pouvait être c<strong>et</strong>te fil<strong>le</strong> qui avait téléphoné... C’était la joie pour mes<br />
parents <strong>du</strong> moment qu’il y avait une fil<strong>le</strong> » (Jacques).<br />
5 Un de nos ouvrages [6] offre un parcours détaillé de l’ensemb<strong>le</strong> des entr<strong>et</strong>iens <strong>et</strong> décrit la méthodologie<br />
utilisée dans <strong>le</strong> cadre de c<strong>et</strong>te recherche. Une partie entière de l’ouvrage est spécia<strong>le</strong>ment<br />
consacrée à l’analyse des trajectoires de personnes homosexuel<strong>le</strong>s.<br />
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