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Jeanne d'Arc devant Paris - Sainte Jeanne d'Arc

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HENRI COUGET<br />

Chanoine honoraire<br />

Curé de Saint-Roch<br />

<strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong><br />

<strong>devant</strong> <strong>Paris</strong><br />

17, RUE SOUFFLOT, PARIS (V e )


<strong>Paris</strong>, le 1 er juillet 1925.<br />

Cher Monsieur le Curé,<br />

Vous avez, comme tous les bons Français, le<br />

culte de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>. Mais, <strong>Paris</strong>ien, tout ce<br />

qui rappelle à <strong>Paris</strong> le souvenir de la <strong>Sainte</strong> vous<br />

est à cœur. Vous y cherchez ses traces, vous<br />

évoquez sa mémoire aux lieux même où elle a<br />

prié, combattu, souffert.<br />

Je vous en félicite et puisque tout cela<br />

contribue à la gloire de la sainte Pucelle, je vous<br />

en remercie.<br />

Le petit livre que vous publiez aujourd'hui<br />

rassemble vos études sur « <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> <strong>devant</strong><br />

<strong>Paris</strong> » ; il éclaire une question historique<br />

particulièrement intéressante.<br />

Mais il sera mieux qu'une contribution à<br />

l'histoire de la Pucelle ; il aidera à la construction<br />

de la basilique qui doit s'élever en l'honneur de<br />

<strong>Jeanne</strong> à Saint-Denys-de-la-Chapelle, qui garde<br />

le parfum de sa prière et la mémoire de sa<br />

vaillance.<br />

Veuillez agréer, cher Monsieur le Curé,<br />

l'assurance de mes sentiments affectueux et<br />

dévoués en N. S.<br />

† LOUIS, Card. DUBOIS,<br />

Arch. de <strong>Paris</strong>.


AU LECTEUR<br />

Les chapitres de cette brochure ne forment pas un<br />

ensemble homogène ; c'est une suite de fragments, qui<br />

n'ont entre eux d'autre lien logique que de se rapporter,<br />

plus ou moins directement, à l'entreprise de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong><br />

sur <strong>Paris</strong> et à ses suites.<br />

L'échec de la Pucelle <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong> et les causes qui<br />

l'ont provoqué sont le sujet principalement étudié ;<br />

on y verra groupées diverses circonstances, interventions,<br />

considérations, plus ou moins éparses en d'autres ouvrages,<br />

mais dont l'assemblage éclaire, nous semble-t-il, l'obscurité<br />

de cet épisode militaire.<br />

Au cours de ses lectures, l'auteur a été conduit à noter<br />

certains faits assez significatifs, à relever tel ou tel détail<br />

de l'opération militaire, telle ou telle manifestation de l'état<br />

d'esptit de la population parisienne, dont le développement<br />

lui a fourni matière à plusieurs pages ; il en est résulté<br />

parfois quelques répétitions que, pour la clarté et la<br />

précision de l'exposition, on n'a pas cru devoir supprimer.<br />

Puissent les dévots de notre héroïne nationale et les<br />

amis de <strong>Paris</strong> trouver dans cette brochure le même<br />

intérêt qu'a pris l'auteur à en rassembler les éléments !<br />

H. C.


ATTAQUE DE LA PORTE SAINT-HONORÉ<br />

LE 8 SEPTEMBRE 1429,<br />

d'après une reconstitution de J. Hoffbauër


L'ECHEC DE JEANNE D'ARC<br />

DEVANT PARIS<br />

Les Sources.<br />

Rappeler les circonstances de l'attaque de <strong>Paris</strong><br />

par <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> ; rechercher les causes de son échec ;<br />

tel est l'objet de cette étude.<br />

Sur ces deux points les chroniques de l'époque<br />

fournissent de précieux renseignements, qui ne sont<br />

pas toujourd concordants. Les divergences, à propos<br />

de tel ou tel détail, s'expliquent parfois par le parti<br />

auquel appartient le chroniqueur ; son récit se ressent<br />

du milieu où il vit et écrit ; il en partage, plus ou<br />

moins vivement, les sentiments, les préjugés et les<br />

passions. Il importe d'en tenir compte, si l'on veut<br />

essayer de ramener à une juste valeur — ce qui est<br />

loin d'être facile — des relations qui ne pouvaient<br />

être absolument impartiales.<br />

Les documents provenant du parti français sont,<br />

en général, assez explicites sur les événements survenus<br />

depuis l'arrivée de la Pucelle à Chinon jusqu'à<br />

la levée du siège de <strong>Paris</strong> ; ils se montrent plus sobres<br />

sur les suivants (1).<br />

(1) Parmi ceux qui mentionnent le siège de <strong>Paris</strong>, il convient<br />

de citer : la Chronique dite de la Pucelle (écrite entre 1439 et<br />

1450) ; le Journal du siège d'Orléans (entre 1456 et 1466); la


4 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Au contraire ceux qui viennent du parti anglobourguignon<br />

sont ordinairement assez brefs sur la<br />

première partie de la vie guerrière de <strong>Jeanne</strong> et plus<br />

étendus sur la seconde ; les uns sont peu ou point<br />

défavorables à la Pucelle (1); d'autres se montrent<br />

ouvertement hostiles ou manifestement haineux (2).<br />

Enfin certains écrits proviennent de l'étranger et<br />

sont utiles à consulter, au moins pour connaître<br />

Chronique de Jean Chartier, historiographe officiel de Charles VII<br />

(avant 1443) ; la Chronique de Perceval de Cagny, écuyer du duc<br />

d'Alençon (entre 1436 et 1438); le Greffier de la Rochelle, la<br />

Chronique de Tournay (chroniques officielles de ces deux villes) ;<br />

l'Histoire de Charles VII par Thomas Basin, évêque de Lisieux<br />

(écrite sous Louis XI) ; la Chronique de Gilles le Bouvier, dit le<br />

Héraut Berry, premier héraut du roi de France et roi d'armes du<br />

Berry. (Elle s'étend de 1402 à 1455) ; le fragment d'une Chronique<br />

de Normandie d'un auteur inconnu (manuscrit du XV e siècle ;<br />

British Museum, n. 1542) ; le poème sur la Pucelle de Christine<br />

de Pisan (terminé écrit l'auteur, le 31 juillet 1429) ; les Vigiles de<br />

Charles VII, chronique rimée de Martial d'Auvergne, procureur<br />

au Châtelet et greffier au Parlement (écrit avant 1484).<br />

(1) La Chronique d'Enguerrand de Monstrelet, prévôt de Cambrai<br />

(elle s'étend de 1400 à 1444) ; la Chronique dite des Cordeliers du<br />

couvent de <strong>Paris</strong> jusqu'en 1433) ; la Chronique de Gilles de Roye,<br />

moine bernardin (elle s'étend de 1415 à 1431); la Chronique<br />

normande de Pierre Cochon, notaire apostolique de Rouen (elle<br />

s'arrête en 1430) ; les Notes insérées entre les actes judiciaires<br />

par Clément de Fauquembergue, greffier du Parlement de <strong>Paris</strong><br />

(jusqu'en 1435).<br />

(2) La Chronique de Jean Le Fèvre de Saint-Rémy, officier du<br />

duc de Bourgogne (écrite en 1464) ; le Journal d'un Bourgeois de<br />

<strong>Paris</strong>, attribué à Jean Chuffart, chanoine de Notre-Dame de<br />

<strong>Paris</strong>, chancelier du Chapitre, chancelier de l'Université de <strong>Paris</strong>,<br />

chancelier et exécuteur testamentaire de la reine Isabeau de<br />

Bavière, curé de Saint-Laurent et de <strong>Sainte</strong>-Opportune (il s'étend<br />

de 1408 à 1449); les Registres du Chapitre de Notre-Dame-de-<br />

<strong>Paris</strong>.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 5<br />

l'impression produite hors de France par l'héroïque<br />

Française (1).<br />

(1) La Chronique Morosini (lettres italiennes écrites au fur et à<br />

mesure que s'accomplissent les événements jusqu'en 1433);<br />

les Récits des événements mémorables du pape Pie II (1459-1464);<br />

la Chronique de Metz, du Doyen de Saint-Thibaud (elle s'arrête<br />

en 1445); la Chronique d'Ecosse, du moine Walter Bower (elle<br />

s'arrête en 1436).


L'opération militaire.<br />

Après le sacre à Reims, « La Pucelle avait l'intention<br />

de remettre le roi en sa seigneurie et le royaume en son<br />

obéissance — écrit dans sa Chronique Perceval de<br />

Cagny, écuyer et maître de l'hôtel du duc d'Alençon ;<br />

— pour cela, après la délivrance du comté de<br />

Champagne, elle le fit mettre en voyage afin de<br />

venir vers <strong>Paris</strong> » (1).<br />

Successivement Charles VII soumet Soissons,<br />

Château-Thierry; puis soudain se replie sur Provins,<br />

où il séjourne du 2 au 5 août ; ce n'était plus la marche<br />

sur sa capitale.<br />

Que s'était-il passé? « Quelques-uns de la compagnie<br />

du roi, — est-il écrit dans la Chronique de<br />

la Pucelle — avaient grande envie qu'il retournât<br />

vert la rivière de Loire, et le lui conseillaient fort,<br />

conseil auquel il adhéra très volontiers lui-même.<br />

Étant de leur sentiment, il conclut qu'il s'en retournerait.<br />

« le Journal du Siège d'Orléans n'est<br />

(1) La plupart des textes, que nom empruntons aux vieux<br />

documents, sont cités d'après La vraie <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, du<br />

R. P. AYROLES : cet auteur avertit qu'il les a rajeunis, pour faciliter<br />

leur lecture en modifiant leur orthographe, en substituant<br />

aux vieux mots peu compréhensibles les termes aujourd'hui<br />

usités, sans cependant, affirme-t-il, altérer le sens : « C'est avec<br />

un vrai scrupule qu'il a été procédé aux changements indiqués.<br />

Ne faire dire à l'écrivain que ce qu'il dit, tout ce qu'il dit, a été<br />

l'objet d'une préoccupation constante ». (Tome III, au lecteur,<br />

P. XI).


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 7<br />

pas moins affirmatif : le roi « avait aucunes gens<br />

en sa compagnie qui tant désiraient retourner de là<br />

la rivière de la Loire que pour leur complaire il avait<br />

conclu le faire ». Quel motif grave avait fait changer<br />

la décision? Nous le verrons, quand nous constaterons<br />

les tractations qui s'opposaient aux desseins de<br />

<strong>Jeanne</strong>.<br />

« Le roi méditait de passer la Seine à Bray, — écrit<br />

le moine Gilles de Roy — lorsqu'un certain nombre<br />

d'Anglais y rentrèrent ; il revint alors sur ses pas ».<br />

Le chroniqueur bourguignon s'exprime comme la<br />

Chronique de la Pucelle qui, après avoir rapporté ce<br />

même fait, continue : « Et par là le passage fut rompu<br />

et empêché ; ce dont les ducs d'Alençon, de Bourbon<br />

et de Bar, les comtes de Vendôme et de Laval, tous<br />

les capitaines furent bien joyeux et contents ; car la<br />

résolution de se retirer allait contre leur gré et volonté ».<br />

Ainsi il y avait désaccord entre les militaires et les<br />

conseillers du roi. L'annonce de la retraite vers la<br />

Loire jeta les Rémois dans l'inquiétude. Le 3 août,<br />

le conseil de la ville de Reims décide « de rescrire<br />

à Monseigneur de Reims (1) qu'on a entendu que le<br />

roi veut délaisser son chemin sur <strong>Paris</strong> » ; le 4 août,<br />

« de rescrire à Laon et à Châlons qu'on a entendu que<br />

le roi veut prendre son chemin vers Orléans et<br />

Bourges ». Le 5 août, <strong>Jeanne</strong> adresse à ses amis de<br />

Reims une lettre, sur laquelle il nous faudra revenir,<br />

et dans laquelle elle manifeste son intention de se<br />

mettre en route vers <strong>Paris</strong> : « écrit ce vendredi,<br />

cinquième jour d'août, près d'un logis aux champs<br />

au chemin de <strong>Paris</strong> ».<br />

(1) Regnault de Chartres, archevêque de Reims, chancelier<br />

de France, l'un des plus écoutés parmi les conseillers du roi.


8 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Cependant, tandis que l'armée royale gagnait<br />

Coulommiers, les Anglais prenaient leurs dispositions<br />

pour dégager les abords de la capitale. Par lettre datée<br />

du 7 août, le duc de Bedford, régent de France pour<br />

le roi d'Angleterre, offrait la bataille à Charles VII.<br />

Passant par Château-Thierry, La Ferté-Milon, Crépyen-Valois,<br />

Lagny-le-Sec, le roi atteignait Dammartin.<br />

Bedford vint au <strong>devant</strong> de lui jusqu'à Mithry.<br />

Quelques engagements, sans combat, eurent lieu à<br />

Thieux, le 13 août. Le lendemain les deux armées se<br />

retrouvaient en présence à Montépilloy, près de<br />

Senlis ; là encore, la rencontre se borna, dans la<br />

journée du 15, à quelques escarmouches ; le 16, les<br />

Anglais rebroussaient chemin vers <strong>Paris</strong> et Charles VII,<br />

vers Crépy. Le 18, le roi faisait son entrée à Compiègne;<br />

il y séjourna « douze jours environ » au dire de Monstrelet.<br />

Tandis que le comte de Vendôme allait soumettre<br />

Senlis, que faisait à Compiègne la cour royale?<br />

La suite nous l'apprendra ; toujours est-il que <strong>Jeanne</strong>»<br />

« très marrie » de ce qui se tramait, déclara au duc<br />

d'Alençon : « Mon beau duc, faites apprêter vos gens<br />

et ceux des autres capitaines » ; et elle ajouta, continue<br />

Perceval de Cagny : « Par mon martin, je veux aller<br />

voir <strong>Paris</strong> de plus près que je ne l'ai vu ».<br />

Partie de Compiègne avec le duc d'Alençon, le<br />

mardi 23 août, la Pucelle recueillait sur son passage<br />

une partie de ceux qui avaient occupé Senlis et,<br />

trois jours après, (le 26 août, d'après Cagny ; le 25,<br />

d'après le Bourgeois de <strong>Paris</strong>) elle logeait son armée à<br />

Saint-Denis. « Le lendemain, ils couraient jusqu'aux<br />

portes de <strong>Paris</strong>. »<br />

*<br />

* *<br />

L'alarme fut grande dans la capitale. Déjà, au témoignage<br />

de Jean Chufïart, la marche triomphante du roi


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 9<br />

à travers la Champagne et vers Reims avait fortement<br />

jeté la panique. « Quand ceux des villages d'alentour<br />

<strong>Paris</strong>, — écrit-il dans son Journal, — surent que les<br />

Armagnacs conquéraient ainsi le pays, ils emportèrent<br />

leurs biens et leurs meubles, scièrent leurs blés avant<br />

qu'ils fussent mûrs et les apportèrent dans la ville<br />

de <strong>Paris</strong>. Quelque temps après, les Armagnacs<br />

entrèrent à Compiègne et gagnèrent les châtellenies<br />

d'alentour privées de toute défense. Les habitants<br />

de <strong>Paris</strong> avaient grand'peur... Sans cesser ni jour ni<br />

nuit (cela se passe à la fin de juin) ceux de <strong>Paris</strong><br />

renforcèrent le guet et firent fortifier les murs. Ils y<br />

mirent grand nombre de canons et d'autre artillerie ;<br />

ils changèrent le prévôt des marchands et les échevins —<br />

(pourquoi? Le chroniqueur ne le dit pas ; peut-être<br />

parce qu'ils étaient peu sûrs)—... Le 25 e jour d'août, —<br />

continue le Journal, — ils (les Armagnacs) prirent la<br />

cité de Saint-Denis, et le lendemain, ils couraient<br />

jusqu'aux portes de <strong>Paris</strong>. Pas un homme n'osait<br />

sortir pour cueillir un fruit à sa vigne, ou du verjus,<br />

ni aller aux marais rien ramasser. Par suite tout<br />

renchérit... La vigile de saint Laurent la porte Saint-<br />

Martin fut fermée. Il fut crié que nul ne fut<br />

si osé que d'aller à Saint-Laurent par dévotion ni<br />

pour nulle marchandise, sous peine de la corde. Aussi<br />

personne n'y vint-il... La première semaine de<br />

septembre de l'an 1429, les quarteniers, chacun en son<br />

quartier, commencèrent à fortifier <strong>Paris</strong>, aux portes<br />

par des boulevards ; aux maisons qui étaient sur les<br />

murs en y faisant disposer des canons et, sur les murs,<br />

des tonneaux pleins de pierre ; en faisant redresser<br />

des barrières au dehors et au dedans. »<br />

Le greffier du Parlement, Clément de Fauquembergue,<br />

fournit d'autres renseignements non moins


10 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

inintéressants. Le vendredi 26 août, Louis de Luxembourg,<br />

évêque de Thérouanne et chancelier de<br />

France (pour les Anglais), convoque, en la Chambre<br />

du Parlement, les présidents et conseillers des trois<br />

chambres du Parlement, les maîtres des requêtes<br />

de l'hôtel, l'évêque de <strong>Paris</strong>, le prévôt de <strong>Paris</strong>, les<br />

maîtres et clercs des comptes, les avocats et procureurs,<br />

et nombreuses autres personnalités, abbés, prieurs,<br />

chanoines, curés, etc. ; et leur fait renouveler le<br />

serment de fidélité et d'obéissance au roi d'Angleterre<br />

et de France, déjà prêté au régent, duc de Bedford,<br />

et au duc de Bourgogne, le 15 juillet précédent. Il<br />

donne pouvoir à deux délégués pour recevoir le même<br />

serment des gens d'église, séculiers et réguliers, dans<br />

les chapitres, couvents et églises de la ville. Le Parlement<br />

suspend ses séances et n'expédie plus que les<br />

affaires urgentes. De par le roi d'Angleterre et de<br />

France, on fait prendre et lever tous les dépôts ; on<br />

impose des emprunts aux églises et personnes ecclésiastiques,<br />

aux bourgeois et habitants de <strong>Paris</strong>, pour<br />

payer et entretenir les gens d'armes chargés de garder<br />

la ville et sa population.<br />

Les Registres du Chapitre de Notre-Dame-de-<strong>Paris</strong><br />

témoignent, eux aussi, de l'émoi causé par l'approche<br />

de la Pucelle et de son armée ; cela se conçoit d'autant<br />

mieux que la plupart des chanoines étaient des<br />

Français « reniés », c'est-à-dire anglo-bourguignons.<br />

Le conseil royal a demandé au Chapitre une contribution<br />

pour faire face aux dépenses de la guerre ;<br />

les trois délégués désignés, parmi lesquels le chancelier<br />

Jean Chuffart, pourront offrir 80 m. (?) et, si<br />

le Conseil n'est pas satisfait, ils pourront aller jusqu'à<br />

cent. Le 31 août, il est décrété que, vu les périls du<br />

temps, une messe sera célébrée tous les jours <strong>devant</strong>


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 11<br />

la Vierge, en dehors du chœur. Le 5 septembre,<br />

trois chanoines, dont Jean Chuffart, sont autorisés à<br />

modifier, comme ils jugeront le plus convenable,<br />

les mesures, déjà prises pour la garde du cloître et de<br />

l'église ; ils verront s'il est expédient de disposer des<br />

provisions de vivres dans les tours, pour l'entretien<br />

des chanoines qui désireront s'y retirer. Les fabriciens<br />

prendront les mesures nécessaires pour mettre les<br />

reliques et le trésor à l'abri de la malice des ennemis.<br />

On vend le buste de la statue de saint Denis, mais l'on<br />

garde le pied, qui est d'argent, la tête et le diadème..<br />

Chuffart est autorisé à mettre deux moulins en location.<br />

Le mercredi 7 septembre une procession solennelle<br />

est faite à <strong>Sainte</strong>-Geneviève, sur la montagne,<br />

pour obtenir la cessation des maux présents et de<br />

l'attaque de l'ennemi ; les chanoines de la <strong>Sainte</strong>-<br />

Chapelle y assistent et portent la relique de la vraie<br />

croix.<br />

Des bruits troublants circulaient dans la ville ;<br />

les Armagnacs, disait-on, avaient fait le serment, et<br />

s'en vantaient, de mettre à mort les personnes de l'un<br />

et l'autre sexe qui leur tomberaient sous la main.<br />

(Registres du Chapitre ; de même, Pierre Cochon).<br />

On avait dit et on disait publiquement que Charles VII<br />

avait abandonné à ses gens <strong>Paris</strong> et ses habitants,<br />

grands et petits, de tous états, hommes et femmes ;<br />

et que son intention était de faire passer la charrue<br />

sur <strong>Paris</strong> ; « ce qui n'est guère croyable, quod non<br />

erat facile credendum », — ajoute Fauquembergue,<br />

qui rapporte ces on-dit.<br />

A la fin d'août, dans la crainte que les troupes<br />

françaises ne vinssent attaquer la Normandie, le<br />

duc de Bedford partit avec son armée défendre cette


12 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

province. « Il laissa <strong>Paris</strong>, — écrit Cagny — au<br />

gouvernement des bourgeois, du sire de l'Isle-Adam,<br />

et des Bourguignons de sa compagnie, et n'y laissa<br />

guère d'Anglais. Il s'en alla a Rouen très marri et en<br />

grande crainte que la Pucelle ne remît le roi en sa<br />

seigneurie ». Trois éléments devaient ainsi concourir<br />

à la garde et à la défense de la ville : les bourgeois, les<br />

Bourguignons et les Anglais. Les autres chroniques<br />

complètent ainsi ces renseignements : « Messire Louis<br />

de Luxembourg, évêque de Thérouanne, soi-disant<br />

chancelier de France pour les Anglais ; un chevalier<br />

anglais nommé messire Jean Radlay (ou Rathelet) et<br />

un chevalier français nommé messire Simon Morhier,<br />

qui se disait alors prévôt de <strong>Paris</strong>, avaient à leur disposition<br />

environ deux mille Anglais » (Chronique de la<br />

Pucelle et Chronique de Jean Chartier). Jean Chuffart<br />

— mais nous aurons lieu de remarquer que, soit<br />

parti-pris, soit faute d'information, ses évaluations<br />

sont parfois fantaisistes — prétend que, lors de<br />

l'assaut par <strong>Jeanne</strong>, « il n'y avait presque nul homme<br />

d'armes, si ce n'est quarante ou cinquante Anglais,<br />

qui y firent bien leur devoir ». Le parti bourguignon<br />

était également représenté par des hommes d'armes ;<br />

le duc de Bourgogne avait envoyé « plusieurs notables<br />

chevaliers — écrit Monstrelet — tels que le seigneur<br />

de Créquy, le seigneur de l'Isle-Adam (maréchal de<br />

France), messire Simon de Lalaing, messire Waleran<br />

de Beauval, et d'autres notables hommes qui avaient<br />

amené quatre cents combattants ». De son côté, la<br />

Chronique des Cordeliers nous dit : « La ville de <strong>Paris</strong><br />

était gardée et défendue par le seigneur de Saveuse,<br />

messire Hue de Lannoy, les bâtards de Saint-Pol<br />

et de Thyans, et d'autres », tous bourguignons.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 13<br />

* *<br />

Quand Charles VII sut que <strong>Jeanne</strong> et le<br />

duc d'Alençon s'étaient établis à Saint-Denis, « il<br />

vint à son grand regret — remarque Cagny —<br />

en la ville de Senlis ; il semblait qu'il fût conseillé<br />

dans le sens contraire au vouloir de la Pucelle, du<br />

duc d'Alençon et de ceux de leur compagnie » ; ce qui<br />

semble une apparence au brave écuyer était bien une<br />

réalité. Le roi dut arriver à Senlis vers le 30 août,<br />

puis qu'au dire de Monstrelet, il séjourna douze jours<br />

environ à Compiègne.où il était entré le 18. Cependant,<br />

comme l'en informait un message envoyé par <strong>Jeanne</strong><br />

et le duc d'Alençon, on l'attendait à Saint-Denis<br />

pour commencer l'attaque de <strong>Paris</strong>. Ne le voyant pas<br />

venir, le duc d'Alençon alla le trouver le 1 er septembre ;<br />

il lui fut dit que le roi se mettrait en route le 2. Le<br />

duc revînt auprès de ses troupes ; l'attente se prolongeant,<br />

il retourna le 5 vers le roi et fit tant qu'il le<br />

décida à se diriger vers sa capitale. Le 7 septembre,<br />

Charles VII arrivait enfin à Saint-Denis, au milieu<br />

de la journée, à l'heure du repas. Que de tergiversations<br />

! Et comme est significatif le propos rapporté<br />

par Cagny ; de ce moment « il n'y eut personne,<br />

de quelque état qu'elle fût, qui ne dit : elle (la Pucelle)<br />

mettra le roi dans <strong>Paris</strong>, si à lui ne tient » (s'il ne<br />

l'empêche pas).<br />

<strong>Jeanne</strong> ni le duc n'avaient cependant attendu<br />

Charles VII pour prendre leurs dispositions en vue<br />

de l'assaut, et même faire quelques opérations. Les<br />

troupes avaient été réparties « en plusieurs places aux<br />

environs de <strong>Paris</strong> » (Fauquembergue) ; à Saint-<br />

Denis, dont « les plus grands bourgeois et plus<br />

notables habitants s'en étaient enfuis à <strong>Paris</strong> »


14 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

(Monstrelet) ; « à Aubervilliers, à Montmartre et<br />

autres villages près de <strong>Paris</strong> » (Monstrelet, Pierre<br />

Cochon) ; à Monceau (Martial d'Auvergne). Le<br />

duc d'Alençon avait fait jeter un pont sur la Seine,<br />

près de Saint-Denis, ce qui permettait de s'étendre<br />

à l'ouest ; on s'était emparé, entre Poissy et Saint-<br />

Germain-en-Laye, de deux châteaux ou forteresses<br />

que l'on occupait, ceux de Béthemont et de Montjoie-<br />

Saint-Denis. <strong>Paris</strong> fut mis « en telle sujétion qu'il n'y<br />

venait vivres de nul côté, et les vivres étaient si chers<br />

en la ville que c'était grand merveille « (Pierre Cochon) ;<br />

non qu'ils manquassent ; la ville « en était pourvue<br />

pour longtemps », assure Fauquembergue, et pouvait<br />

soutenir le siège.<br />

Les escarmouches avaient commencé dès le 26<br />

ou 27 août ; nous avons déjà lu dans Chuffart que<br />

« le lendemain (du jour où ils parvenaient à Saint-<br />

Denis) ils couraient jusqu'aux portes de <strong>Paris</strong> ».<br />

Cagny est plus explicite : « Depuis que la Pucelle<br />

fut arrivée à Saint-Denis, deux ou trois fois par jour,<br />

nos gens étaient à l'escarmouche aux portes de <strong>Paris</strong>,<br />

tantôt en un lieu, tantôt en un autre, parfois au moulin<br />

à vent devers (entre) la porte Saint-Denis et La<br />

Chapelle. Il ne se passait pas de jour que la Pucelle<br />

ne vint faire les escarmouches ; elle se plaisait beaucoup<br />

à considérer la situation de la ville, et par quel<br />

endroit il lui semblerait convenable de donner un<br />

assaut. Le duc d'Alençon était le plus souvent avec<br />

elle ». La Chronique de Tournay dit de même : « Elle<br />

(la Pucelle) fit avec ses gens plusieurs courses <strong>devant</strong>,<br />

les remparts et autour de la place ». Ce que confirme<br />

le moine Gilles de Roye : « Il y eut alors divers engagements<br />

entre les Anglais qui étaient à <strong>Paris</strong> et les<br />

Français campés à Saint-Denis » ; de sorte que,


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 15<br />

d'après le Journal du Siège d'Orléans, « il y eut de part<br />

et d'autres plusieurs beaux faits d'armes ».<br />

En même temps qu'on engageait ces préludes<br />

de l'attaque, on s'efforçait de semer la division parmi<br />

les assiégés et de ranimer les sentiments des partisans<br />

de Charles VII, qui, ne manquaient pas dans la ville.<br />

« Les Français, écrit l'évêque de Lisieux, Thomas<br />

Basin, avaient quelque espérance que les citadins,<br />

bien supérieurs en nombre et en force aux Anglais<br />

et aux Bourguignons, seconderaient leur tentative<br />

et leur dessein ». En effet, si nous en croyons le<br />

Journal du Siège d'Orléans, « il y avait alors dans <strong>Paris</strong><br />

plusieurs personnages qui reconnaissaient que le<br />

roi Charles, septième du nom, était leur souverain<br />

seigneur et le vrai héritier du royaume de France,<br />

que c'était à grand tort et par vengeance qu'on les<br />

avait séparés de sa seigneurie et enlevés à son obéissance,<br />

pour les mettre en la main du roi Henri d'Angleterre<br />

» ; il ajoute qu'ils étaient prêts à se mettre en<br />

son obédience et à lui faire « plénière ouverture de<br />

sa principale ville de <strong>Paris</strong>, comme ils le firent six ans<br />

après (1) ». Des promesses d'amnistie, telles qu'en<br />

faisait <strong>Jeanne</strong> aux cités qu'elle allait soumettre,<br />

furent sans doute envoyées ; c'est vraisemblablement<br />

à elles que fait allusion Chuffart : « En ce temps les<br />

Armagnacs firent écrire des lettres scellées du sceau<br />

(1) Chronique des Cordeliers, Chuffart et Fauquembergue<br />

confirment l'existence, à <strong>Paris</strong>, d'un parti dévoué au roi. Ils rappellent<br />

la conjuration ourdie six mois après, en mars 1430, pour<br />

introduire Charles VII dans sa capitale, par des notables du<br />

Parlement, du Châtelet, de la Cour des comptes, des marchands,<br />

des gens de métier, des religieux. La conspiration fut découverte ;<br />

on arrêta 150 conjurés et plusieurs furent exécutés. (Voir plus.<br />

loin » le chapitre : Un carme conspirateur).


16 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

du comte d'Alençon. Les lettres portaient : « A vous,<br />

prévôt de <strong>Paris</strong>, prévôt des marchands et échevins ».<br />

— (On remarquera que, de l'aveu de Chuffart, elles<br />

sont adressées, non aux combattants, Anglais ou<br />

Bourguignons, mais à la population parisienne.) —<br />

Ils étaient nommés par leurs noms. On leur mandait<br />

des salutations par beau langage, longuement, dans<br />

la pensée de diviser le peuple et de l'exciter contre<br />

eux ; mais on aperçut bien leur malice et on leur<br />

demanda de ne plus jeter de papier pour cela, et l'on<br />

n'en tint nul compte ». On n'y répondit, d'après<br />

Thomas Basin, que par le mépris et la dérision. Ces<br />

missives ne furent pas toutefois sans produire quelque<br />

impression, puisqu'entre les arrêts judiciaires qu'il<br />

transcrit, le greffier Fauquembergue note que<br />

« les gens d'armes de messire Charles de Valois...<br />

espéraient grever et endommager la ville et les habitants<br />

de <strong>Paris</strong> par commotion (soulèvement) du<br />

peuple plus que par puissance ou force d'armes ».<br />

Il nous dira plus loin que le jour de l'assaut, s'il n'y<br />

eut pas « commotion », il y eut du moins grande<br />

épouvante.<br />

Le mercredi 7 septembre, le roi étant à Saint-Denis,<br />

les capitaines vinrent établir leur quartier général et<br />

« se loger en un village qui est comme à mi-chemin<br />

entre <strong>Paris</strong> et Saint-Denis et qu'on nomme La Chapelle<br />

». (Chronique de la Pucelle ; de même, le Journal<br />

du siège d'Orléans et la Chronique de Jean Chartier (1).<br />

(1) Sur le séjour de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> à La Chapelle voir Revue des<br />

Deux Mondes, 15 avril 1923 ; article de CH. GAILLY DE TAURINES.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 17<br />

Auprès de <strong>Jeanne</strong> se trouvaient le duc d'Alençon, que<br />

Charles VII avait nommé, après la délivrance d'Orléans,<br />

lieutenant-général du roi avec ordre d'obéir à la<br />

Pucellc ; René, duc de Bar ; Charles de Bourbon,<br />

comte de Clermont (1) ; Louis de Bourbon, comte de<br />

Vendôme ; le comte Guy de Laval ; le maréchal<br />

Jean (le la Brosse, seigneur de <strong>Sainte</strong>-Sévère et de<br />

Boussac ; le maréchal Gilles de Rais (2) ; Etienne de<br />

Vignolles, dit La Hire ; Poton, seigneur de Xamtrailles ;<br />

Charles, sire d'Albret, frère utérin de La Trémoille ;<br />

Raoul de Gaucourt, bailli d'Orléans et grand maître<br />

de la maison du roi ; et « plusieurs autres vaillants<br />

chevaliers, capitaines et écuyers ». (Mêmes Chroniques<br />

que ci-dessus.) L'armée dont ils disposaient<br />

aurait compté « trente à quarante mille hommes, tant<br />

Français, Hennuyers (3), Liégeois comme Barrois » ;<br />

ce chiffre, fourni par un anglo-bourguignon, le notaire<br />

apostolique de Rouen, Pierre Cochon, paraît excessif.<br />

Jean Chuffart, qui avait cependant motif, pour mieux<br />

faire ressortir l'importance de leur échec, à grossir<br />

le nombre des assiégeants, dira que le jour de l'assaut,<br />

ils étaient « douze mille ou plus » ; « dix mille » écrira<br />

le moine écossais, Walter Bower (4).<br />

(1) Perceval de Cagny dit que le duc de Bar, le comte de Clermont<br />

et autres de la compagnie du roi ne vinrent à La Chapelle<br />

que le lendemain 8 septembre.<br />

(2) Doyen des Barons de Bretagne, Gilles de Rais, fut fait<br />

maréchal par Charles VII le jour de son sacre à Reims ; il avait<br />

alors vingt-cinq ans ; ses instincts de luxure, de cruauté, d'ivrognerie<br />

en firent un criminel ; il fut condamné au dernier supplice<br />

et exécuté le 26 octobre 1440, près de Nantes. La légende populaire<br />

s'empara de lui et l'identifia, à tort, paraît-il, avec le personnage<br />

de Barbe-Bleue.<br />

(3) Habitants du Hainaut : Hainuiers, Hannuyers u Hennuyers.<br />

(4) Les Ecossais étaient nombreux dans l'armée de Charles VII ;


18 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Ce même mercredi 7 septembre eut lieu une<br />

attaque assez vive. Il semble qu'il faille l'identifier<br />

avec celle entreprise près d'un moulin à vent, qui, si<br />

l'on s'en rapporte à Martial d'Auvergne, se produisit<br />

en ce jour. Déjà nous avons lu, dans l'écrit de l'écuyer<br />

du duc d'Alençon, qu'il y avait eu précédemment<br />

quelques escarmouches près de ce moulin à vent,<br />

situé « entre la porte Saint-Denis et La Chapelle » ;<br />

« touchant aux faubourgs de la ville (urbis suburbia<br />

tangens) » précise la Chronique latine de Jean Chartier.<br />

Les anciens plans dits d'Arnoulet, de Braun, de<br />

Truschet et Hoyau ou de Bâle, montrent aux faubourgs<br />

de la ville, non loin des remparts, trois moulins sur<br />

une butte, entre les portes Saint-Denis et Montmartre.<br />

Le moulin, le plus voisin de la porte Saint-Denis,<br />

paraît occuper l'emplacement de la hauteur actuelle<br />

entre le boulevard Bonne-Nouvelle et la rue de Cléry,<br />

dans les environs de l'église de Notre-Dame-de-<br />

Bonne-Nouvelle ; peut être est-ce là le moulin près<br />

duquel se fit l'attaque du 7 septembre ; c'est aux<br />

érudits à nous le dire (1).<br />

c'est par quelques-uns d'entre eux, sans doute, que Walter Bower<br />

aura été renseigné.<br />

(1) Voir plus loin le chapitre : Sur les traces de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>.<br />

Dans le cas où cette hypothèse se trouverait confirmée,<br />

nous y trouverions une indication très précieuse sur la tactique<br />

militaire de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>. L'attaque du rempart se présenterait<br />

alors exactement dans les mêmes conditions à la porte Saint-Denis<br />

qu'à la porte Saint-Honoré. Les portes de la ville étant imprenables<br />

directement, <strong>Jeanne</strong> choisirait celles qui ont une butte<br />

dans leur voisinage ; derrière la butte elle embusque un corps de<br />

réserve ; sur la butte elle place son artillerie, pour contrebattre<br />

l'artillerie ennemie et balayer le rempart, afin de faciliter l'assaut,<br />

d'escalader le mur d'enceinte aussi près que possible de la porte<br />

et, une fois dans la ville, de s'emparer de la porte et l'ouvrir à ses<br />

troupes ; cette tactique expliquerait pourquoi, ayant trouvé la


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 19<br />

Donc, écrit le Bourgeois de <strong>Paris</strong>, « la vigile de la<br />

Nativité Notre-Dame, en septembre, les Armagnacs<br />

vinrent assaillir les murs de <strong>Paris</strong>, qu'ils croyaient<br />

emporter d'assaut, mais ils y gagnèrent peu, si ce<br />

n'est de la douleur, de la honte et du malheur ; car<br />

plusieurs d'entre eux en emportèrent blessures pour<br />

toute leur vie, qui auparavant étaient entièrement<br />

sains ». Et Chuffart continue son récit, en invectivant<br />

La Pucelle : « créature en forme de femme, ce que<br />

c'était, Dieu le sait ». De leur côté, les Registres du<br />

Chapitre de Notre-Dame laissent soupçonner l'inquiétude<br />

suscitée par cette violente agression : « Le mercredi<br />

7 septembre », disent-ils, les « ennemis ont fait<br />

une attaque contre la ville » ; on a ordonné « une procession<br />

solennelle à <strong>Sainte</strong>-Geneviève sur la montagne<br />

; les chanoines du Palais y ont assisté, portant<br />

la vraie croix ; la procession s'est faite pour obtenir<br />

la cessation des maux présents et de l'attaque des<br />

ennemis ». Qu'ajoutent-ils ? Que leurs adversaires<br />

ont été repoussés? Non point; ils notent qu'ils se<br />

ont retirés d'eux-mêmes : « le soir ils ont cessé leur<br />

attaque et se sont retirés ». Il n'y a pas là l'apparence<br />

d'une défaite, mais plutôt celle d'une insuffisance de<br />

préparation dans une attaque improvisée ; d'ailleurs<br />

Chuffart est contraint d'avouer « qu'ils y gagnèrent<br />

peu » ; s'ils y gagnèrent peu, c'est donc qu'ils ne<br />

perdirent pas. La Chronique des Cordeliers, œuvre<br />

d'un anglo-bourguignon, prétend, il est vrai, que<br />

« le duc d'Alençon et la Pucelle furent repoussés et<br />

porte Saint-Denis bien gardée, <strong>Jeanne</strong> aurait alors cherché un<br />

autre endroit semblable et l'aurait rencontré près la porte Saint-<br />

Honoré, alors qu'elle venait «considérer la ville et par quel endroit<br />

il lui semblerait convenable de donner l'assaut » (Cagny).


20 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

battus, jusqu'à avoir de six à sept cents morts » ;<br />

elle est seule à le dire. Chuffart, — on vient de le lire —<br />

qui relate à sa façon l'insuccès partiel de cette affaire,<br />

ne parle que de blessés « pour toute leur vie » ; il<br />

n'eût pas manqué, sinon d'amplifier le nombre des<br />

morts, comme il le fera pour l'assaut du jour suivant,<br />

du moins de relever un chiffre de tués aussi important ;<br />

il n'en mentionne même pas un. Il y eut échec, en<br />

ce sens que la ville ne fut pas prise ; c'est manifeste ;<br />

mais, dans cette escarmouche, se proposait-on de<br />

s'emparer de la ville? Il ne le semble pas, non plus —<br />

comme on va le voir, — que ne se le proposeront les<br />

capitaines, quand <strong>Jeanne</strong> attaquera les approches de<br />

la porte Saint-Honoré. Des renseignements fournis<br />

par les chroniqueurs anglo-bourguignons, il convient<br />

de rapprocher ceux donnés par Martial d'Auvergne,<br />

qui dit de cette affaire qu'il y « eust escarmouche<br />

belle » ; à l'entendre, les Anglais, pour éviter la<br />

défaite, durent se replier dans <strong>Paris</strong> et s'y fortifier (1).<br />

C'aurait donc été partie nulle ; la nuit serait venue<br />

interrompre le combat ; et il ne faudrait peut-être<br />

voir dans cette entreprise qu'un de ces « beaux faits<br />

d'armes », signalés par le Journal du Siège d'Orléans,<br />

comme ayant été fait « de part et d'autre » <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong>.<br />

L'affaire fut reprise, le lendemain, avec plus<br />

d'ampleur ; mais, —nous aurons occasion d'y insister<br />

— pas plus que celui du 7 septembre, l'assaut du 8<br />

ne fut suffisamment ni préparé, ni soutenu ; il fut<br />

(1) Le texte de Martial d'Auvergne sur le repli des Anglais<br />

est si général qu'il ne semble pas s'appliquer spécialement à<br />

l'escarmouche du moulin à vent. Toutefois, comme il suit immédiatement<br />

ce fait d'armes et précède immédiatement l'assaut de<br />

la porte Saint-Honoré, du lendemain, il subsiste un doute sur<br />

l'interprétation de ce texte.


LA PORTE SAINT-HONORÉ<br />

D'APRÈS UN PETIT MÉDAILLON TIRÉ DE SAINT-VICTOR<br />

(Bibliothèque Nationale — Cabinet des Estampes).<br />

C'est la représentation la plus nette que nous possédions. On remarquera<br />

qu'elle est très étroitement apparentée à celle du plan dit de « Tapisserie ».<br />

Comme dans ce dernier, chaque tourelle d'angle est percée de deux meurtrières.<br />

Le premier étage, servant de logement, est éclairé par quatre fenêtres ; au milieu<br />

se détache une tourelle plaie et en saillie, garnie d'un oculus.<br />

Ce qui distingue cette représentation de celle du plan de « Tapisserie »,<br />

c'eut que, d'une part, la baie d'entrée, haute et large, est précédée de quelques<br />

marches ; d'autre part, le pont-levis, dont un distingue les bras et les chaînes,<br />

est abaissé et s'ajuste au pont dormant, qui relie la porte et l'avant-porte.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 21<br />

improvisé par <strong>Jeanne</strong>, lasse des atermoiements<br />

qu'on lui imposait, et entrepris plus ou moins contre<br />

le gré des capitaines, par qui elle était « peu secondée »<br />

(Chronique de Tournay).<br />

* *<br />

<strong>Paris</strong> était ville fortifiée. L'enceinte Caroline, commencée<br />

par Etienne Marcel et achevée par Charles V,<br />

suivait, sur la rive droite, à peu près le tracé suivant :<br />

elle commençait au fleuve vers l'endroit où est<br />

aujourd'hui le pont du Carrousel, traversait les lieux<br />

occupés actuellement par la place du même nom, les<br />

rues de Rivoli et de Saint-Honoré ; s'infléchissait vers<br />

le nord-est pour couper en biais ce qui de nos jours<br />

est désigné sous les noms de place du Théâtre-Français,<br />

rue de Richelieu, jardin du Palais-Royal, rues de<br />

Valois et des Bons-Enfants, Banque de France et place<br />

des Victoires ; par la rue actuelle d'Aboukir, elle<br />

rejoignait la porte Saint-Denis ; suivait ensuite les<br />

rues modernes <strong>Sainte</strong>-Apolline et de Meslay, les boulevards<br />

du Temple, des Filles-du-Calvaire et Beaumarchais<br />

; franchissait la place de la Bastille et, s'orieninnt<br />

dans la direction du canal Saint-Martin, rejoignait<br />

la Seine.<br />

Sur une butte de terre se dressait le mur d'enceinte<br />

d'une hauteur d'environ huit mètres. Du côté de la<br />

ville il était garni d'une terrasse, d'environ 25 mètres<br />

à la base, moins large au sommet, s'abaissant en<br />

pente douce jusqu'au niveau du sol gazonné ; cette<br />

pente permettait de monter les pièces d'artillerie jusqu'au<br />

sommet de la terrasse. De distance en distance<br />

(environ de 110 à 120 mètres) s'élevaient des tours<br />

et bastides, bâtiments généralement rectangulaires et


22 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

dont le côté le plus long était parallèle au fossé ; certains<br />

d'entre eux, moins importants, prenaient l'aspect<br />

de ces maisons où, comme nous l'avons lu dans<br />

Chuffart (1), on pouvait disposer des canons ; ils<br />

étaient surmontés d'une plate-forme terrassée et crénelée<br />

; un chemin de ronde, crénelé lui aussi, les<br />

reliait entre eux. Les parapets s'appuyaient sur des<br />

consoles dentelées, dont les intervalles formaient des<br />

vides, dits machicoulis. Les échauguettes, les guérites<br />

de pierre, les tourelles en encorbellement, les moucharabis,<br />

ou balcons surplombants, permettant de<br />

faire tomber les projectiles sur les assaillants, hérissaient<br />

la muraille de leurs saillies.<br />

Les anciens plans, notamment ceux dits de Tapisserie,<br />

de Braun, de Ducerceau, donnent une image de<br />

cette enceinte et permettent de s'en faire une idée ;<br />

elle était protégée, à l'extérieur, par un large fossé,<br />

plus ou moins rempli d'eau et large de 32 mètres ; le<br />

versant du fossé, faisant face au mur, se terminait par<br />

un talus, en dos d'âne formant boulevard ; au delà<br />

se trouvait un second fossé à sec, ou arrière-fossé,<br />

ayant par endroits près de trois mètres de profondeur,<br />

et dominé, sur la campagne, par un chemin de contrescarpe.<br />

Sur la rive droite six portes s'ouvraient dans la muraille<br />

: celles de Saint-Antoine, du Temple, de Saint-<br />

Martin, de Saint-Denis, de Montmartre et de Saint-<br />

Honoré ; véritables bastilles en quelque sorte inexpugnables<br />

.<br />

La porte Saint-Honoré, à l'ouest de la ville, non<br />

loin du carrefour formé par le « grand chemin d'Argenteuil<br />

» et la « chaussée du Roule » — à l'endroit<br />

(1) Ci-dessus, p. 9.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 23<br />

actuellement occupé, sur la place du Théâtre-Français,<br />

en partie par l'immeuble portant le n° 163 de la<br />

rue Saint-Honoré, en partie par le trottoir et la chaussée<br />

bordant cet immeuble (1) — était une massive<br />

bâtisse rectangulaire de 18 m. 50 sur 8 m. 34, flanquée<br />

aux quatre angles de tourelles en encorbellement,<br />

rondes, à toit conique et munies de meurtrières.<br />

Surmontée d'un toit aigu, au milieu duquel se détachait<br />

une tourelle plate, en saillie et garnie d'un oculus<br />

(ou œil de bœuf), la porte était percée, en son milieu,<br />

d'une large baie en arc surbaissé, donnant accès sur la<br />

campagne. Au-dessus de cette ouverture, le premier<br />

étage servait de logement et était éclairé par quatre<br />

fenêtres carrées à croisillons en pierre. Pour livrer<br />

passage, un pont-levis s'abattait, au-dessus du fossé<br />

rempli d'eau, et venait s'ajuster à un pont dormant en<br />

. pierre ; ce pont était lui-même protégé par une avantporte<br />

et une herse à bascule dont, à dessein, l'axe<br />

ne correspondait pas à celui de la grande baie du<br />

bâtiment.<br />

Tel était l'aspect des lieux où <strong>Jeanne</strong> se disposait à<br />

porter son attaque.<br />

* *<br />

Quand, le 8 septembre au matin, l'armée s'ébranla<br />

vers <strong>Paris</strong>, quel but se proposait-on? Il importe de<br />

s'en rendre compte pour comprendre comment l'attaque<br />

tourna en échec. <strong>Jeanne</strong> a donné elle-même la<br />

réponse. Interrogée à Rouen, au cours de son procès,<br />

le 13 mars 1431, elle répondit : « les gentilshommes voulaient<br />

faire une escarmouche ou une vaillance d'armes ;<br />

(1) Berty et Vacquer en ont reconnu les substructions en 1866.


24 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

j'avais bien l'intention d'aller outre et de passer les<br />

fossés. »<br />

C'est clair ; les capitaines ne jugent pas opportun<br />

de donner l'assaut et d'emporter la place ; pourquoi ?<br />

Nous essaierons de le dire. Ils en restent aux préliminaires,<br />

comme les jours précédents, comme la veille ;<br />

ils vont faire une « escarmouche », quelque attaque<br />

locale, un engagement quelconque ; une « vaillance<br />

d'armes », une démonstration militaire, pour harceler<br />

l'assiégé, ne pas lui laisser de répit, le lasser, l'affaiblir<br />

et préparer ainsi l'assaut final ; si tant est que<br />

celui-ci doive avoir lieu, ce dont ils ne sont sans doute<br />

pas très persuadés, tellement le roi paraît y peu tenir.<br />

<strong>Jeanne</strong>, excédée de tous ces retards, a hâte d'y<br />

mettre un terme ; elle a « bien l'intention », si l'occasion<br />

est propice, « d'aller outre », c'est-à-dire de transformer<br />

l'escarmouche en attaque violente et décisive ;<br />

« de passer les fossés », c'est-à-dire de franchir les remparts<br />

et de pénétrer de vive force dans la ville.<br />

Les essais des jours précédents vers la porte Saint-<br />

Denis avaient démontré que, de ce côté, l'assiégé se<br />

gardait bien ; c'était bien là d'ailleurs que devait se<br />

porter l'attaque d'une armée, débouchant par « la<br />

chaussée pavée de Monseigneur Saint Denys » ;<br />

aussi était-ce sur ce point qu'était surtout établie la<br />

forte artillerie, dont les « grands canons largement<br />

atteignaient de la porte Saint-Denis jusqu'au delà<br />

de Saint-Lazare » (Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong>),<br />

<strong>Jeanne</strong> qui, à plusieurs reprises, s'était plu « à considérer<br />

la situation de la ville, et par quel endroit il lui<br />

semblerait plus convenable de donner un assaut »<br />

(Cagny), entraîna les troupes vers la porte Saint-<br />

Honoré, dans le voisinage de laquelle se trouvait une<br />

butte qui servirait ses projets.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 25<br />

Le jeudi, 8 septembre, en la fête de la Nativité<br />

de Notre-Dame, sur les « huit heures du matin », dit<br />

Cagny, l'armée quitta La Chapelle « en belle<br />

ordonnance ». Elle descendît la « route pavée de Monseigneur<br />

Saint Denys », jusqu'à Saint-Lazare ; là elle<br />

fit une conversion vers l'ouest, par le « chemin tendant<br />

à Saint-Lazare », longea le flanc de la colline<br />

Montmartre jusqu'au « grand chemin d'Argenteuil »<br />

qu'elle emprunta, pour franchir sur un pont le « ruisseau<br />

de Ménilmontant » et aboutir près d'une butte,<br />

au « Marché aux pourceaux ». Sur son passage l'avaient<br />

rejointe les contingents descendus d'Aubervilliers,<br />

Montmartre, Monceau et autres lieux où ils étaient<br />

cantonnés. A toutes fins, les assiégeants traînaient<br />

avec eux leur artillerie : canons, coulevrines, etc., et<br />

un important matériel de siège : « un très grand nombre<br />

de fascines, avec lesquelles ils voulaient combler<br />

les fossés, — notent les Registres du Chapitre de<br />

Notre-Dame — six cent cinquante échelles, et bien<br />

quatre milliers de claies. Ils avaient bien trois cents<br />

chars pour porter ce bagage ; ils s'y étaient attelés et<br />

les traînaient chargés de matières inflammables, de<br />

bourrées, d'échelles et de claies ». Chuffart dit également,<br />

quoique moins explicitement, qu'ils « menaient<br />

très grand nombre de chariots, de charrettes, de<br />

chevaux tous chargés de grandes bourrées à trois liens,<br />

pour combler les fossés de <strong>Paris</strong> »,<br />

Vers la fin de la matinée, l'armée était rendue dans<br />

le voisinage du « Marché aux pourceaux ». Une butte<br />

qui prit plus tard le nom de Butte des moulins,<br />

puiscelui de Butte de Saint-Roch) dominait, ce foirail ;<br />

elle s'élevait sur un territoire que, dans l'état actuel<br />

de <strong>Paris</strong>, on peut se représenter ainsi : limitée au nord<br />

par la rue des Petits-Champs, elle s'étendait à l'est


26 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

au-delà de la rue <strong>Sainte</strong>-Anne jusqu'à la rue Villedo ;<br />

à l'ouest jusqu'au côté impair de l'avenue de l'Opéra,<br />

dans l'espace compris entre la rue Saint-Roch et la<br />

rue des Pyramides. A l'est de la butte, se tenait le<br />

« Marché aux pourceaux », sur le prolongement de la<br />

rue Thérèse, entre la rue Villedo et la rue Molière.<br />

Ayant établi leur place d'armes sur ce champ de<br />

foire, les assiégeants se trouvaient faire face au mur<br />

d'enceinte, non loin de la porte Saint-Honoré, dont la<br />

lourde bâtisse se montrait sur leur droite.<br />

On partagea l'armée en deux fractions, un corps<br />

d'attaque et un corps de réserve : « les uns pour livrer<br />

la bataille, les autres pour garder de surprise ceux qui<br />

donneraient l'assaut » (Cagny). Et, en effet, « les<br />

Français s'attendaient à ce que les Anglais vinssent par<br />

la porte Saint-Denis fondre sur eux ; c'est pourquoi<br />

les ducs d'Alençon et de Bourbon, entourés de leurs<br />

gens, s'étaient mis en embuscade derrière la butte, qui<br />

se trouvait auprès et contre le Marché aux pourceaux ;<br />

ils s'y tenaient constamment avec de grandes forces<br />

et prêts à combattre ; mais ils perdirent leur peine,<br />

car ceux de <strong>Paris</strong> n'osèrent saillir hors de la ville. »<br />

(D'après les Chroniques de la Pucelle, de Jean Chartier<br />

et le Journal du siège d'Orléans.)<br />

Sur la butte on fit « ajuster plusieurs canons et<br />

coulevrines pour tirer dans la ville. » (Chronique de la<br />

Pucelle). On en dirigea « les décharges en plusieurs<br />

lieux et souvent dans <strong>Paris</strong> ». (Journal du siège d'Orléans.)<br />

Dans la cité assiégée « on avait assigné à chacun, par<br />

capitainerie, la garde des lieux propices et convenables »<br />

(Monstrelet). « Les gens de guerre de la garnison<br />

et aussi le peuple y étaient en armes ; ils faisaient<br />

porter plusieurs étendards de diverses couleurs qu'ils


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 27<br />

faisaient tournoyer, aller et venir autour des remparts,<br />

entre autres une bannière blanche, traversée par une<br />

croix rouge (1), portée assez haut pour qu'elle fut<br />

très visible des Français tenant la campagne.» (D'après<br />

les mêmes Chroniques que ci-dessus.)<br />

De suite, l'escarmouche s'engagea. Des combattants,<br />

du côté des assiégés, gardaient, hors la ville, les<br />

approches de la porte Saint-Honoré, c'est-à-dire,<br />

les barrières et le boulevard en avant du grand fossé.<br />

Quelques seigneurs français, parmi lesquels un chevalier<br />

dauphinois, le sire de Saint-Vallier « qui, avec<br />

ses gens, fit grandement son devoir », se portèrent<br />

contre eux, franchirent l'arrière-fossé, parvinrent<br />

jusqu'au boulevard et mirent le feu aux barrières.<br />

Les Anglais furent contraints de se replier et de<br />

rentrer par la porte dans la ville. Le dos d'âne pris<br />

d'assaut, les Français restèrent maîtres de la barrière et<br />

du boulevard ; il n'y avait plus qu'un fossé qui les<br />

séparât du mur d'enceinte. (D'après les mêmes Chroniques<br />

que ci-dessus.)<br />

Alors « <strong>Jeanne</strong> la Pucelle dit qu'elle voulait donner<br />

l'assaut à <strong>Paris</strong> » (Chronique de Jean Chartier ; de même,<br />

Chronique de la Pucelle et Journal du siège d'Orléans).<br />

Ainsi trois chroniqueurs sont d'accord pour dire que<br />

<strong>Jeanne</strong> prit l'initiative de l'assaut ; elle manifestait par là<br />

qu'elle n'entendait pas s'en tenir à une simple « escarmouche<br />

», se contenter d'une « vaillance d'armes » ;<br />

mais qu'elle « avait bien l'intention d'aller outre et de<br />

passer les fossés ». — « Elle s'avança avec grande force<br />

et nombreux hommes d'armes, parmi lesquels le sire<br />

(1) La croix rouge était l'insigne des Anglais ; la croix de<br />

Saint-André, celui de la maison de Bourgogne ; la croix blanche<br />

et droite, celui des Armagnacs.


28 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

de Rais, maréchal de France, le sire de Gaucourt et,<br />

par l'ordonnance de la Pucelle, ceux que bon lui<br />

sembla », c'est-à-dire ceux qu'elle se choisit et à qui<br />

elle donna l'ordre de la suivre. (Chroniques de la<br />

Pucelle, de Jean Chartier, de Perceval de Cagny.)<br />

De l'aveu des chroniqueurs, quel que soit leur<br />

parti, mais surtout de l'aveu des anglo-bourguignons,<br />

l'assaut fut âpre, long, très dur, très cruel, très violent »<br />

« si merveilleux que ceux de dedans (<strong>Paris</strong>) furent tous<br />

tout ébahis ». (Pierre Cochon) (1). Il dura toute l'aprèsmidi<br />

et se prolongea dans la soirée, avec les péripéties<br />

qu'on va rapporter. Vers quelle heure commença-t-il<br />

et quand finit-il? C'est assez difficile à préciser,<br />

les documents n'étant pas absolument concordants ;<br />

cela tient, nous semble-t-il, à ce que certains écrivains<br />

envisagent l'ensemble de l'opération ; d'autres, seulement<br />

la pleine action de l'assaut ; à peu près tous sont<br />

d'accord, cependant, pour dire que la nuit interrompit<br />

l'attaque. Monstrelet est seul de son avis, en faisant<br />

commencer l'assaut « à dix heures environ ». Jean<br />

Chuffart, qui était sur place, est mieux informé ;<br />

mais sa partialité est évidente et ses renseignements<br />

suspects, quand ils ne sont pas confirmés par d'autres ;<br />

il écrit : « ils vinrent sur l'heure de la grand'messe,<br />

entre onze et douze heures ; » on remarquera qu'il ne<br />

parle ni de l'assaut, ni de l'escarmouche qui le précéda,<br />

mais de l'arrivée de l'armée sur le terrain ; il semble<br />

(1) « Le lendemain, les escarmouches recommencèrent plus<br />

âpres que <strong>devant</strong> » (Chronique de la Pucelle) ; — « L'assaut fut dur<br />

et long » (Cagny) ; — « très dur, âpre et cruel » (Monstrelet) ; —<br />

« si âpre et si merveilleux que ceux de dedans furent tous tout<br />

ébahis » (Pierre Cochon) ; — « très cruel », répète à deux reprises<br />

Jean Chuffart ; — « attaque très violente » (Registres du Chapitre<br />

de Notre-Dame).


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 29<br />

donc s'accorder avec Perceval de Cagny, l'écuyer du<br />

duc d'Alençon, qui note : « l'assaut dura depuis l'heure<br />

de midi jusqu'à environ l'heure du jour faillant ». Le<br />

secrétaire du chapitre de Notre-Dame ne fait commencer<br />

l'attaque que « vers une heure après midi » ;<br />

Fauquembergue dit « environ deux heures après<br />

midi » ; mais nous croyons, d après les détails que nous<br />

allons lui emprunter, qu'il a été surtout impressionné<br />

par le commencement de « commotion » qui se produisit<br />

dans <strong>Paris</strong>. On ne serait sans doute pas très loin<br />

de la vérité en plaçant entre midi et une heure le début<br />

de l'intervention personnelle de <strong>Jeanne</strong>.<br />

Son étendard en main, suivie des seigneurs et<br />

hommes d'armes mentionnés plus haut, « tous en belle<br />

ordonnance », la Pucelle se dirigea vers le mur d'enceinte.<br />

En quittant « la place aux pourceaux et les<br />

environs » (Fauquembergue), tous « se mirent à<br />

pied et descendirent au premier fossé, où ils se<br />

postèrent » (dans l'arrière-fossé, où il n'y avait point<br />

d'eau), « en face du Marché aux pourceaux » (Chronique<br />

de la Pucelle, Journal du siège d'Orléans, Chroniques<br />

de Jean Chartier, de Perceval de Cagny) ;<br />

c'est-à-dire tournant le dos à ce marché, et laissant<br />

à une soixantaine de mètres sur leur droite, la porte<br />

Saint-Honoré. « <strong>Jeanne</strong> les y laissa (dans l'arrièrefossé)<br />

et monta sur le dos d'âne (le talus formant<br />

boulevard), d'où elle descendit au second fossé<br />

(celui dont l'eau baignait le pied de la muraille) ;<br />

elle plongea sa lance en divers lieux, tâtant et sondant la<br />

profondeur de l'eau et de la vase; elle y passa un grand<br />

espace de temps » (Journal du siège d'Orléans) ; car<br />

l'eau « était bien profonde », s'accordent à dire plusieurs<br />

des chroniqueurs, français ou bourguignons.<br />

Vainement elle chercha un endroit guéable.


30 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Autour d'elle, la bataille faisait rage. « C'était merveille<br />

— observe Cagny — d'ouïr le bruit et le<br />

fracas des canons et des coulevrines que ceux du<br />

dedans jetaient à ceux du dehors, et le sifflement de<br />

toute espèce d'armes de trait, en si grande quantité<br />

qu'elles étaient comme innombrables. Et quoique la<br />

Pucelle et grand nombre de chevaliers, d'écuyers et<br />

d'autres gens de guerre fussent descendus dans les<br />

fossés, que d'autres se tinssent sur le bord et aux<br />

environs, très peu furent atteints et portés à terre<br />

de coups de pierres de canon. » Le Greffier de La<br />

Rochelle dit de même : « C'était très merveilleuse<br />

chose que le nombre de canons et de coulevrines que<br />

ceux de <strong>Paris</strong> tiraient contre nos gens » ; mais il exagère<br />

en affirmant que « jamais homme n'en fut ni<br />

blessé ni tué, du moins qu'on ait pu le savoir, si ce<br />

n'est Jean de Villeneuve, bourgeois de La Rochelle, qui<br />

fut tué d'un coup de canon » (pour celui-là, son concitoyen,<br />

il ne pouvait le nier). Le trait qu'il ajoute ne<br />

manque pas de piquant : « il advint que nos gens<br />

furent frappés desdits canons, mais sans en recevoir<br />

aucun mal ; ils ramassaient les pierres qui les avaient<br />

atteints, et les montraient à ceux qui étaient sur les<br />

murailles. » Le fragment d'une Chronique de Normandie<br />

(d'un auteur inconnu) relate également : « ceux de<br />

la place firent grande résistance, en tirant fort de<br />

canons et de grosses arbalètes qui firent peu de mal ».<br />

L'attaque des assiégeants n'était pas moins vigoureuse<br />

que la défense des assiégés. « Il n'y avait homme<br />

— écrit Pierre Cochon — qui osât s'aventurer dessus<br />

le mur à cause des traits de ceux qui assaillaient.<br />

Les dits assaillants avaient une manière d'instruments<br />

nommés couleuvres, qui jetaient des pierres et des<br />

plombées, mais ne faisaient point de noise, sinon un


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 31<br />

peu siffler ; elles jetaient aussi droit qu'une arbalète ».<br />

Cependant que l'artillerie balayait ainsi le rempart,<br />

les hommes d'armes de <strong>Jeanne</strong> se hâtaient de jeter<br />

leurs fagots, bourrées et fascines dans le fossé rempli<br />

d'eau, afin de le combler (Fauquembergue) (1).<br />

La Pucelle — c'est un anglo-bourguignon qui<br />

l'écrit dans la Chronique des Cordeliers — faisait<br />

« merveille par ses paroles, par ses pressantes invitalions,<br />

donnant cœur et hardiesse à ses gens d'aller à<br />

l'assaut. » Debout, « avec son étendard, sur le dos<br />

d'âne des fossés, la Pucelle disait à ceux de <strong>Paris</strong>,<br />

— raconte Chuffart — : Rendez-vous à nous promptement<br />

de par Jésus, car si vous ne vous rendez pas avant<br />

la nuit, nous entrerons par force, que vous le veuillez ou<br />

non. » A ce moment l'assaut était au plus fort de sa<br />

violence, « si fort que ceux de dedans avaient comme<br />

abandonné la défense du mur ; et les assaillants étaient<br />

si près du rempart qu'il ne fallait que lever les échelles<br />

dont ils étaient bien pourvus, pour qu'ils eussent été<br />

dedans » (Pierre Cochon). Il était alors environ quatre<br />

heures. Les assiégés mollissaient ; ils perdaient confiance<br />

et étaient sur le point de désespérer du salut de<br />

leur ville : c'est Jean Chuffart lui-même qui, à travers<br />

ses réticences, le laisse entendre d'une manière<br />

assez significative, quand il dit que les assiégés ne<br />

reprirent « cœur en eux-mêmes — (c'est donc qu'ils<br />

étaient découragés) — qu'un peu après quatre heures ».<br />

Et une phrase de Fauquembergue insinue, par ses<br />

(1) « Et hâtivement plusieurs d'entre eux qui étaient sur la<br />

place aux pourceaux et aux environs, non loin de la susdite porte,<br />

portant de longues bourrées et des fagots descendirent et se<br />

boutèrent ès-premiers fossés, où il n'y avait point d'eau ; et ils<br />

jetèrent lesdites bourrées et les fagots dans l'autre fossé voisin<br />

des murs, esquels il y avait grande eau » (Fauquembergue).


32 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

sous-entendus, que les combattants volontaires avaient<br />

disparu et que seuls étaient restés ceux dont c'était le<br />

devoir et le métier de garder leur poste.<br />

La panique se répandit parmi les <strong>Paris</strong>iens : « ils<br />

s'enfuyaient dans les églises pensant que la ville<br />

était prise — raconte le Greffier de La Rochelle ; —<br />

c'est ce que plusieurs religieux, et d'autres qui se<br />

trouvaient alors, à <strong>Paris</strong>, rapportèrent au roi. » Les<br />

partisans de Charles VII, voyant la tournure que<br />

prenaient les événements, crurent venu le moment<br />

d'agir. « A cette heure, relate Fauquembergue, —<br />

(est-ce celle qu'il vient de noter quelques lignes plus<br />

haut, environ deux heures après midi?) — il y eut dans<br />

<strong>Paris</strong> gens affectés ou corrompus, qui poussèrent<br />

un cri en toutes les parties de la ville, de çà et de là<br />

les ponts, criant que tout était perdu, que les ennemis<br />

étaient entrés dans <strong>Paris</strong>, et que chacun se retirât et<br />

fit diligence de se sauver. » Cette fausse nouvelle,<br />

mise sans doute en circulation dans le but d'affaiblir<br />

la résistance et de précipiter la reddition, jeta l'épouvante.<br />

Du coup, les fidèles qui assistaient au sermon —<br />

(la Nativité de la Vierge était fête chômée) — vidèrent<br />

les églises et les prédicateurs durent s'empresser<br />

eux-même de descendre de chaire ; c'est du moins ce<br />

que dit Fauquembergue : « A cette voix, à une<br />

même heure de l'approche des ennemis, tous les<br />

gens étant lors ès sermons sortirent des églises de<br />

<strong>Paris</strong>, furent très épouvantés, se retirèrent en leurs<br />

maisons et fermèrent leurs portes. » Les faux bruits,<br />

qu'on leur avait rapportés sur les intentions des assiégeants<br />

qui devaient tout massacrer, les remplissaient<br />

de terreur. Les « Armagnacs » de <strong>Paris</strong> n'allaient-ils<br />

pas relever la tête et la ville être mise à sac et au pillage?<br />

Le brave Fauquembergue ne paraît pas


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 33<br />

avoir été, lui même, très rassuré à ce moment ; c'est<br />

avec une satisfaction visible qu'il constate que ses<br />

craintes ont été vaines : « mais pour cela, il n'y eut<br />

pas d'autre commotion de fait parmi les habitants. »<br />

Après l'insuccès de <strong>Jeanne</strong>, il éprouvera même le<br />

besoin, comme tous les peureux une fois le péril<br />

passé, de manifester quelque bravade pour se rassurer<br />

encore : « Ils s'attendaient à grever <strong>Paris</strong> plus par ladite<br />

commotion que par assaut ou force d'armes ; car<br />

si pour chaque homme qu'ils avaient alors, ils en<br />

eussent eu quatre ou même plus, aussi bien armés qu'ils<br />

étaient (les assiégés), ils (les assiégeants) n'auraient<br />

jamais pris <strong>Paris</strong> ni par assaut ni siège, tant qu'il y<br />

aurait eu des vivres dans la ville, et elle en était pourvue<br />

pour longtemps. Les habitants étaient fort unis avec<br />

les hommes d'armes pour résister à l'assaut ».<br />

* *<br />

« L'assaut fut très cruel de part et d'autre, — avoue<br />

Chuffart ; — il dura bien jusques à quatre heures<br />

après dîner, sans que l'on sût qui avait l'avantage. »<br />

Bien que l'artillerie continuât à faire son œuvre,<br />

l'attaque s'était à ce moment ralentie, les fagots, dont<br />

on avait besoin pour combler le fossé, faisaient défaut ;<br />

en vain <strong>Jeanne</strong> réclamait qu'on en fît porter ; imposnible<br />

cependant, tant qu'on ne pouvait pénétrer à<br />

plain pied dans le fossé, de dresser les échelles et de<br />

« passer avec les gens de guerre jusqu'aux remparts ».<br />

Il eut fallu un plus grand nombre d'hommes pour<br />

apporter les bourrées, les jeter, et pour assurer les<br />

claies ; la Pucelle « n'avait pas assez de gens pour ce<br />

faire » (Journal du siège d'Orléans) ; et, malgré ses<br />

réclamations, on ne lui en fournissait pas. Ce n'est


34 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

pas que les fascines manquassent ; les nombreuses<br />

charrettes, laissées au Marché aux pourceaux, en<br />

étaient pleines et on n'en avait encore jeté que « quelques-unes,<br />

mais peu » (Registres du Chapitre de Notre-<br />

Dame). Les quatre mille claies, dont on était pourvu,<br />

n'étaient pas amenées à pied d'œuvre. Il eût été<br />

cependant facile de les fournir, de combler par<br />

endroits, sinon partout, le fossé, de dresser plusieurs<br />

des 650 échelles dont on s'était muni. Rien ne<br />

fut fait. Non sans raison, <strong>Jeanne</strong> « était courroucée<br />

de ce qu'elle était peu secondée » (Chronique de Tournay).<br />

Peut-être faisait-on circuler le bruit que les fossés<br />

étaient trop profonds, qu'il n'y avait rien à faire<br />

qu'à se retirer ; peut-être, dès ce moment, quelquesuns<br />

conseillaient-ils déjà à <strong>Jeanne</strong> de renoncer à son<br />

entreprise, comme ils le lui conseilleront avec plus d'insistance<br />

dans la soirée ; mais elle ne les écoutait pas.<br />

Ce temps d'arrêt permit aux assiégés de se ressaisir.<br />

« Un peu après quatre heures, — rapporte<br />

Chuffart, — ceux de <strong>Paris</strong> prirent cœur en eux-mêmes »,<br />

c'est-à-dire reprirent confiance et courage. Les combattants<br />

reçurent du renfort ; les citadins, apprenant<br />

que les assaillants étaient arrêtés par le fossé, qu'ils ne<br />

parvenaient pas à franchir, sentirent l'espoir renaître<br />

et se mêlèrent aux guerriers : « Ceux qui étaient<br />

députés à la garde et à la défense des portes et des<br />

murs demeurèrent à leur poste (1), — note Fauquembergue<br />

; — et à leur aide survinrent plusieurs<br />

des habitants qui firent très bonne et forte résistance<br />

aux gens dudit messire Charles de Valois. » <strong>Jeanne</strong><br />

(1) D'où il semble que l'on puisse conclure que les combattants<br />

volontaires s'étaient enfuis, au moment où l'action était en pleine<br />

violence.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 35<br />

les interpellait, leur criant de se rendre avant la<br />

nuit ; ils lui répondaient par de grossières injures<br />

(Chuffart) et redoublaient leurs décharges d'artillerie<br />

et, leurs traits d'arbalètes ; les assiégés faisaient<br />

« contre les assaillants de telles décharges de canons<br />

et d'autres machines de trait que force leur fut de<br />

reculer », prétend Chuffart.<br />

En réalité l'assaut était manqué. Monstrelet<br />

dit qu'il « dura sans discontinuer de quatre à cinq<br />

heures ou même plus », depuis dix heures environ,<br />

moment où il le fait commencer ; sans doute ne mentionne-t-il<br />

ainsi que la période ascendante de l'action ;<br />

l'attaque continua encore jusqu'à la nuit, mais vraisemblablement<br />

en décroissant de vigueur.<br />

Toutefois la Pucelle « ne voulait pas se retirer, et<br />

elle se donnait toute sorte de soins pour faire apporter<br />

et jeter fagots et bois dans le second fossé, dans l'espérance<br />

de passer jusqu'au mur. » (Chronique de la<br />

Pucelle). — « La nuit était proche — relate le Journal du<br />

siège d'Orléans ; — cependant elle se tenait toujours<br />

sur le fossé — (c'est-à-dire, comme le remarque<br />

Monstrelet, « derrière le revers du dos d'âne »,<br />

dans l'arrière-fossé; ne montant sur le boulevard que<br />

par intervalles) — ne voulant pas retourner ni se<br />

retirer en aucune manière, quelque prière et requête<br />

qui lui en fût faite par plusieurs qui, à diverses fois,<br />

vinrent la requérir de quitter ce lieu et lui remontrer<br />

qu'elle devait renoncer à l'entreprise. »<br />

« Après le soleil couchant — dit Cagny — la<br />

Pucelle fut frappée à la cuisse d'un trait d'arbalète à<br />

hausse pied » ; probablement entre 6 heures 1/2 et<br />

7 heures du soir (1). <strong>Jeanne</strong> était alors sur le « dos<br />

(1) Le 8 septembre, le soleil se couche, d'après les calendriers.


36 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

d'âne », interpellant les assiégés : « Vraiment, dit quelqu'un,<br />

paillarde, ribaude ! Et il lui envoie — raconte<br />

Chuffart — droit un trait de son arbalète qui lui perce<br />

la jambe d'outre en outre, et elle dut s'enfuir (ce n'est<br />

pas exact). Un autre perça d'outre en outre le pied<br />

de celui qui portait son étendard. Quand celui-ci se<br />

sentit blessé, il leva sa visière pour voir à ôter le vireton<br />

(trait d'arbalète), et un autre le vise, le saigne<br />

entre les deux yeux, et le blesse à mort ; ce dont la<br />

Pucelle et le duc d'Alençon jurèrent depuis qu'ils<br />

auraient aimé mieux perdre quarante des meilleurs<br />

hommes d'armes de leur compagnie. »<br />

Bien que blessée, <strong>Jeanne</strong> « ne voulut cependant pas<br />

sortir de l'arrière-fossé » (Chronique de Jean Chartier).<br />

« Elle s'efforçait plus fort de dire que chacun s'approchât<br />

des murs et que la place serait prise »<br />

(Cagny) ; mais « quelques conseillers du roi firent<br />

retirer leurs gens d'armes » (Chronique de Tournay).<br />

Jean Chartier prétend, dans sa Chronique latine, que<br />

la blessure de la Pucelle était très grave (quamquam<br />

atrocissime in crura cum sagitta vulneraretur) ;<br />

Monstrelet dit aussi que « la Pucelle fut très fort<br />

navrée (blessée) » ; c'est une erreur, puisque dès le<br />

lendemain <strong>Jeanne</strong> voulait retourner à l'attaque.<br />

Le Greffier de La Rochelle affirme qu'elle « fut promptement<br />

guérie ». <strong>Jeanne</strong> dira elle-même, à son procès,<br />

(séance du 23 février) qu'elle fut « guérie en cinq<br />

jours », alors que, blessée à Orléans à l'attaque des<br />

Tourelles, elle n'avait été guérie qu'en « quinze<br />

modernes, à 6h 19 du soir. L'écuyer du duc d'Alençon parle,<br />

non suivant les calculs astronomiques, mais selon ce qui frappe<br />

les sens ; c'est au moment où il lui a paru que le soleil disparaissait<br />

à l'horizon que <strong>Jeanne</strong> a été blessée.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 37<br />

jours», sans cesser pour cela « d'aller à cheval et de<br />

besogner » (procès, séance du 27 février).<br />

Les capitaines profitèrent de cette occasion pour<br />

ordonner la retraite : « parce qu'il était nuit, qu'elle<br />

(<strong>Jeanne</strong>) était blessée et que les gens étaient lassés<br />

du long assaut qu'ils avaient fait, le sire de Gaucourt<br />

et d'autres vinrent prendre la Pucelle et, contre son<br />

vouloir, l'emmenèrent hors des fossés » (Cagny).<br />

<strong>Jeanne</strong> opposait en vain de la résistance ; on l'emporta<br />

malgré elle « sous la tente du duc d'Alençon, qui<br />

l'envoya quérir » (Chronique de la Pucelle et Journal<br />

du siège d'Orléans). « Elle avait très grand regret<br />

d'ainsi se départir et disait : par mon martin, la place<br />

eût été prise. Ils la mirent à cheval et la ramenèrent à<br />

son logis, audit lieu de La Chapelle, où rentrèrent<br />

tous les autres de la compagnie du roi, le duc de Bar, le<br />

comte de Clermont, qui ce jour étaient venus de<br />

Saint-Denis » (Cagny).<br />

« Ainsy faillit l'assaut »,<br />

remarque assez mélancoliquement l'écuyer du duc<br />

d'Alençon.<br />

* *<br />

Le retraite commença et se poursuivit jusques assez<br />

avant dans la nuit. Fauquembergue note que c'est<br />

vers « dix ou onze heures de nuit qu'ils se départirent<br />

à leur dommage. » Le secrétaire du Chapitre de<br />

Notre-Dame dit que l'attaque s'est « prolongée<br />

jusques au milieu de la nuit », ce qu'il faut entendre,<br />

pensons-nous, de l'ensemble de l'opération, retraite<br />

comprise. Le Bourgeois de <strong>Paris</strong> affirme que la retraite<br />

fut dure et que les assiégés poursuivaient leurs adversaires<br />

de leurs canonnades : « Celui qui pouvait le


38 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

mieux s'en aller était le plus heureux. Ceux de <strong>Paris</strong><br />

avaient de grands canons qui largement atteignaient<br />

de la porte Saint-Denis jusqu'au delà de Saint-<br />

Lazare ; ils leur tiraient au dos, ce dont ils furent<br />

très épouvantés. Ils furent ainsi mis en fuite ; mais<br />

personne ne sortit de <strong>Paris</strong> pour les suivre par peur de<br />

leurs embûches » ; cette dernière phrase dit assez que<br />

la retraite ne fut pas la déroute ; les troupes étaient<br />

encore en mesure d'infliger une défaite aux assiégés,<br />

s'ils s'étaient avisés de les poursuivre en rase campagne,<br />

durant qu'elles se repliaient sur La Chapelle ;<br />

aussi « personne ne sortit de <strong>Paris</strong> pour les suivre par<br />

peur de leurs embûches. » Si l'on en croit encore<br />

Chuffart — mais il faut se défier de ses racontars —<br />

les hommes d'armes, en se retirant, « maudissaient<br />

beaucoup leur Pucelle qui leur avait promis que sans<br />

faute ils gagneraient de force à cet assaut la ville de<br />

<strong>Paris</strong> ; qu'elle y coucherait cette nuit ; qu'eux tous<br />

aussi ; que tous seraient enrichis des biens de la cité ;<br />

que l'on mettrait à l'épée ou que l'on brûlerait dans<br />

les maisons tous ceux qui y mettraient quelque<br />

opposition. » Les dernières de ces prétendues promesses<br />

sont invraisemblables et en opposition complète<br />

avec les instructions données par <strong>Jeanne</strong> à ses<br />

troupes (1).<br />

(1) L'allemand Eberhard de Windecken, trésorier de l'empereur<br />

Sigismond, remarque que <strong>Jeanne</strong> avait posé comme condition<br />

de ses campagnes, « qu on ne prendrait rien à personne et<br />

qu'on ne ferait aucune violence aux pauvres gens ». L'italien<br />

Pancrace Justiniani écrit de même le 9 juillet 1429 : « Créée<br />

capitaine et investie du gouvernement de toute l'armée du<br />

Dauphin, elle se hâta de promulguer que personne ne fût si hardi<br />

que de prendre quoi que ce soit des sujets du prince sans l'avoir<br />

payé et cela sous peine de la vie. Elle voulut que... dans tous les<br />

pays où il (le Dauphin) pénétrerait, ce fut pour y apporter bonne


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 39<br />

L'armée laissait sur le champ de bataille presque<br />

tout son matériel de siège, peut-être dans la précipitation<br />

du départ, peut-être aussi parce que quelquesuns<br />

des capitaines se proposaient de reprendre l'opération<br />

dès le jour suivant, comme le rapporte<br />

Cagny. « Ils laissèrent un très grand nombre de<br />

fascines — note le secrétaire du Chapitre de Notre-<br />

Dame, — abandonnèrent sur le lieu du combat six<br />

cent cinquante échelles et bien quatre milliers de<br />

claies. Ils avaient bien trois cents chars pour porter<br />

ce bagage... Ils ramenèrent à Saint-Denis plusieurs de<br />

ces charrois sur lesquels ils avaient étendu leurs<br />

blessés ; d'autres charrois furent le lendemain conduits<br />

dans <strong>Paris</strong>. Ils brûlèrent le reste ; car on trouva le<br />

lendemain plus de cent roues ; ce qui a fait présumer<br />

que, la nuit avant leur retraite, ils avaient brûlé ce<br />

qu'elles devaient supporter. »<br />

Quelles étaient, en hommes, les pertes de part et<br />

d'autres? Il est bien difficile de s'en faire quelque<br />

idée, tant est grande la divergence des chroniqueurs,<br />

dont chacun donne l'avantage à son parti.<br />

D'après ceux du parti français : « Il y eut plusieurs<br />

blessés, et comme pas un mort » (Chronique de la Puvelle).<br />

l Très peu furent atteints et portés à terre de<br />

coups de pierres de canon ; mais par la grâce de Dieu<br />

et l'heur de la Pucelle, nul homme n'en mourut, ni ne<br />

fut blessé au point de ne pouvoir revenir à son aise et<br />

sans aide à son logis » (Cagny). Nous avons déjà<br />

lu plus haut, dans le Greffier de La Rochelle, qu'il n'y<br />

eut « ni blessé, ni tué, du moins qu'on ait pu le savoir »,<br />

si ce n'est un bourgeois de La Rochelle. L'auteur<br />

paix, sans en tirer la moindre vengeance, soit sur les personnes,<br />

soit sur les biens » (Chronique Morosoni).


40 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

inconnu du fragment d'une Chronique de Normandie<br />

remarque que « ceux de la place firent grande résistance,<br />

en tirant fort de canons et grosses arbalètes,<br />

qui firent peu de mal. » Thomas Basin, évêque de<br />

Lisieux, est seul à affirmer le contraire : « Beaucoup,<br />

parmi les assaillants, sont tués ou blessés ».<br />

A l'étranger, nous avons l'appréciation du moine<br />

écossais Walter Bower : « Beaucoup d'hommes d'armes<br />

de l'armée du roi y périrent frappés par les projectiles<br />

lancés par les frondes, les arbalètes, les pierriers,<br />

atteints par les flèches » (1).<br />

D'après les chroniqueurs du parti anglo-bourguignon<br />

: « Plusieurs Français furent renversés et<br />

abattus, un très grand nombre furent tués et blessés...<br />

d'autre part il y eut plusieurs blessés parmi les<br />

défenseurs de la ville... les capitaines français firent<br />

soudainement sonner la retraite et retournèrent à<br />

leurs logis, en emportant les morts et les blessés »<br />

(Monstrelet). — « Parmi eux (les assaillants) il y eut<br />

plusieurs morts et navrés (blessés) de traits et de<br />

canons » (Fauquembergue). — Les assiégeants « ont<br />

blessé quelques Anglais et quelques Français ; ils<br />

n'en ont tué qu'un très petit nombre ; ils ont perdu,<br />

beaucoup des leurs ; on ne sait pas combien,<br />

parce que, dit-on, ils ont brûlé les cadavres » (Registres<br />

du Chapitre de Notre-Dame). — Enfin, Chuffart<br />

écrit dans son Journal : « En s'en allant, ils<br />

mirent le feu à la grange des Mathurins, près des<br />

Porcherons (2). Ils jetèrent dans les flammes, ainsi<br />

(1) Ce témoignage est particulièrement intéressant; voir<br />

ci-dessus, la note 4 de la page 17.<br />

(2) La grange des Mathurins se trouvait au point formé actuellement<br />

par l'angle des rues des Mathurins, Vîgnonet Tron-


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 41<br />

que jadis le faisaient les païens à Rome, ceux de leurs<br />

gens morts à l'assaut, qu'ils avaient troussés en<br />

grand nombre sur leurs chevaux... Le lendemain, ils<br />

vinrent nous sauf-conduit quérir leurs morts. Le héraut<br />

qui vint avec eux fut, par le capitaine de <strong>Paris</strong>, sommé<br />

de dire sous la foi du serment combien il y avait de<br />

blessés parmi leurs gens. Il jura qu'il y en avait bien<br />

quinze cents, dont bien cinq cents étaient morts ou<br />

blessés à mort ».<br />

De ces affirmations contradictoires, il résulte seulement<br />

qu'il y eut, de part et d'autre, des blessés et des<br />

tués, vraisemblablement en plus grand nombre du<br />

côté des assaillants. Les chiffres donnés par Chuffart<br />

ne sauraient être acceptés tels quels ; n'oublions pas<br />

que son parti-pris est évident ; Bourguignon passionné,<br />

il hait profondément les Armagnacs, le parti de<br />

Charles VII et, de tous les chroniqueurs, il est peutêtre,<br />

quand il s'agit de <strong>Jeanne</strong>, le plus fielleux ; par<br />

suite, bien souvent ses renseignements sont suspects.<br />

Nous n'avons aucun moyen de contrôler l'exactitude<br />

du nombre de tués et de blessés qu'il relate ; certains<br />

le croient très exagéré ; s'il eût été aussi élevé, les<br />

chroniqueurs du parti français n'auraient pu écrire<br />

que « nul homme n'en mourut, ni ne fut blessé »<br />

grièvement ; le mensonge eût été par trop patent.<br />

Monstrelet, bourguignon lui aussi, mais plus modéré<br />

dans son récit, assure qu'en se retirant, « les capitaines<br />

emportèrent leurs morts et leurs blessés ». Qu'ils<br />

aient emmené avec eux un millier de blessés, légèrement<br />

ou gravement atteints, à vrai dire il n'y a pas<br />

d'impossibilité absolue ; mais, au milieu de la nuit,<br />

chet. Le domaine des Porcherons était à l'endroit occupé<br />

aujourd'hui par l'avenue du Coq.


42 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

relever, charger et emporter près de cinq cents<br />

cadavres était une autre affaire, surtout si la retraite<br />

fut aussi dure que l'affirme Chuffart ; les assiégeants<br />

ne disposaient même plus de leurs trois cents charrettes,<br />

puisqu'ils en auraient brûlé une cinquantaine,<br />

nous dit-on, et qu'ils en avaient laissé sur le terrain<br />

plusieurs autres que vinrent enlever les <strong>Paris</strong>iens.<br />

Remplir, en pleine nuit, les chariots d'un aussi grand<br />

nombre de morts et de blessés et être prêt à recommencer<br />

l'attaque dès la première heure du jour, ne paraît<br />

pas vraisemblable. Chuffart prétend, il est vrai,<br />

qu'on a brûlé les cadavres dans la grange des Mathurins,<br />

en quoi le contredit son copartisan Monstrelet,<br />

lequel relate qu'on les a emportés et ne paraît nullement<br />

soupçonner qu'on les ait incinérés ; d'ailleurs<br />

Chuffart est seul à fournir ce renseignement ; sans<br />

doute les Registres du Chapitre de Notre-Dame rapportent,<br />

comme un on-dit, le même fait ; mais nous<br />

savons que Chuffart était chancelier du Chapitre et l'un<br />

des trois délégués de celui-ci, chargés de prendre toutes<br />

mesures utiles pendant la durée du siège ; le secrétaire<br />

du Chapitre ne tiendrait-il pas de lui cet on-dit,<br />

si tant est que sa rédaction n'ait pas été directement<br />

influencée par le chancelier? On peut le supposer.<br />

Toutefois il n'est guère croyable qu'un ecclésiastique<br />

aussi important, chancelier, non seulement du Chapitre,<br />

mais encore de l'Université et de la reine-mère, doyen<br />

de Saint-Germain-l'Auxerrois et de Saint-Marcel,<br />

curé de Saint-Laurent et de <strong>Sainte</strong>-Opportune, ait,<br />

quelle que soit sa passion politique, inventé de luimême<br />

une pareille fable. Le fait est-il vrai, ou controuvé?<br />

Ne serait-ce pas une de ces mille « fausses nouvelles<br />

», nées d'on ne sait qui, sorties d'on ne sait où,<br />

qui circulent si facilement dans une population su-


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 43<br />

rexcitée par les troubles qu'apporte la guerre? S'il était<br />

exact qu'en se retirant les hommes d'armes de la Pucelle<br />

eussent brûlé une cinquantaine de leurs chariots,<br />

avec ce qu'ils portaient, ne faudrait-il pas chercher là<br />

l'origine d'un bruit se grossissant de bouche en<br />

bouche, à mesure qu'il est colporté, jusqu'à transformer<br />

une flambée de quelques charrettes en un<br />

brasier de cadavres ? C'est bien possible ; ne trouvant<br />

pas de morts sur le champ de bataille, puisque l'armée<br />

les avait emportés avec elle, on en aura conclu un<br />

peu vite qu'elle les avait brûlés avec les chariots ;<br />

et si on ne trouva point de cadavres sur le terrain du<br />

combat, c'est que l'action n'avait point été aussi<br />

meurtrière que voudrait nous le faire croire Chuffart.<br />

* *<br />

Le lendemain, dès l'aube, <strong>Jeanne</strong> voulut reprendre<br />

l'opération. Lisons Perceval de Cagny ; il paraît le<br />

mieux renseigné sur les événements de cette journée :<br />

« Le vendredi, 9 e jour du même mois, la Pucelle,<br />

quoiqu'elle eût été blessée le jour précédent à l'assaut,<br />

se leva bien matin et fit venir son beau duc d'Alençon,<br />

par lequel elle donnait ses ordres ; et elle le pria de<br />

faire sonner les trompilles et de monter à cheval<br />

pour retourner <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong>, et affirma par son martin<br />

que jamais elle n'en partirait sans avoir la ville. Le<br />

duc d'Alençon et d'autres capitaines avaient bien le<br />

vouloir de seconder son entreprise et de retourner ;<br />

mais quelques-uns ne le voulaient pas. Tandis qu'ils<br />

étaient en ces pourparlers, le baron de Montmorency,<br />

qui avoit toujours tenu le parti contraire au roi, vint<br />

de l'intérieur de la ville, accompagné de cinquante ou<br />

soixante gentilshommes, se mettre en compagnie de


44 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

la Pucelle ; ce qui donna plus de cœur et accrut le<br />

courage de ceux qui avaient la bonne volonté de<br />

retourner <strong>devant</strong> la ville. Tandis que se faisait le<br />

rapprochement, arrivèrent de la part du roi, qui était<br />

à Saint-Denis, le duc de Bar et le comte de Clermont.<br />

Ils prièrent la Pucelle que, sans aller plus loin, elle<br />

retournât auprès du roi, qui était à Saint-Denis.<br />

De la part du roi, ils prièrent aussi d'Alençon et<br />

commandèrent à tous les autres capitaines de venir<br />

et d'amener la Pucelle vers lui. La Pucelle et la plupart<br />

de ceux de la compagnie en furent très marris ; néanmoins<br />

ils obéirent à la volonté du roi, dans l'espérance<br />

qu'ils trouveraient entrée pour prendre <strong>Paris</strong><br />

par l'autre côté, en passant la Seine sur un pont que<br />

le duc d'Alençon avait fait jeter sur la rivière vis-à-vis<br />

de Saint-Denis et ils vinrent ainsi vers le roi ».<br />

La manière dont le Journal du siège d'Orléans<br />

raconte l'accueil fait à <strong>Jeanne</strong>, quand elle se présenta<br />

à la cour royale, ne manque pas de quelque ironie :<br />

« La Pucelle y fut fort louée de son bon vouloir et<br />

du hardi courage qu'elle avait montré de vouloir<br />

assaillir une cité aussi forte et bien garnie de gens et<br />

d'artillerie que l'était <strong>Paris</strong> ». Ainsi, malgré ses succès<br />

précédents, si merveilleux à tant d'égards, on n'avait<br />

plus foi en elle ; on ne croyait pas qu'elle put faire<br />

rentrer le roi dans sa capitale ; du moins affectait-on<br />

de ne pas le croire ; la vérité c'est qu'on ne le voulait<br />

pas. Perceval de Cagny en fournit une preuve, indépendamment<br />

de celles qui seront rapportées par la<br />

suite : « Le lendemain, samedi, une partie de ceux qui<br />

avaient été <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong> pensèrent aller bien matin<br />

passer la Seine sur ledit pont, mais ils ne le purent,<br />

parce que le roi, ayant su l'intention de la Pucelle,<br />

du duc d'Alençon et des autres de bon vouloir,


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 45<br />

avait fait passer toute la nuit à le mettre en pièces.<br />

Et ils furent ainsi empêchés de passer. Ce jour, le roi<br />

tint conseil auquel plusieurs opinions furent émises ;<br />

il demeura à Saint-Denis jusqu'au mardi 13° jour de<br />

septembre, tendant toujours à revenir sur la Loire,<br />

au grand déplaisir de la Pucelle ». Et le brave écuyer<br />

conclut tristement :<br />

« Ainsy fut rompu le vouloir de la Pucelle ».


Les Causes de l'échec.<br />

Thomas Basin qualifie l'attaque de <strong>Paris</strong> une<br />

« affaire un peu témérairement engagée ». Il ne voit<br />

que l'échec ; il n'en a pas démêlé les causes, qui sont<br />

moins d'ordre militaire que d'ordre politique, s'il<br />

les eût bien connues, peut-être se fut-il prononcé<br />

autrement et plus sévèrement.<br />

Depuis Reims, « la Pucelle n'avait qu'un but, —<br />

lit-on dans la Chronique de Tournay — assaillir, elle<br />

et les siens, la ville de <strong>Paris</strong> ». Il importait, en effet,<br />

que le roi, une fois sacré, prit possession de sa capitale<br />

et allât se faire couronner à Saint-Denis. C'était<br />

tellement dans la logique des événements que, la<br />

veille du sacre, le 16 juillet, le duc de Bedfort, régent<br />

de France pour le roi d'Angleterre, écrivait : « Incontinent<br />

après son sacre, il (le Dauphin) a intention de<br />

venir <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong> et il a espérance d'y avoir entrée » ;<br />

qu'il indique les mesures prises pour « garnir et<br />

défendre les cités, villes et passages de la France<br />

(de l'Ile-de-France), et par spécial la ville de <strong>Paris</strong> » ;<br />

qu'il assure qu'on peut compter sur le concours de<br />

Philippe, duc de Bourgogne, sans lequel « <strong>Paris</strong> et<br />

tout le remanent s'en allait » (1) ; que, le jour même<br />

(1) Le 10 juillet, alors que le Dauphin marchait sur Reims, le<br />

duc de Bourgogne était venu séjourner cinq jours à <strong>Paris</strong> et,<br />

dans une grande assemblée, avait fait « lever les mains au peuple<br />

que tous seraient bons et loyaux au régent et au duc de Bourgogne ;<br />

les seigneurs promirent par leur foi de garder la ville de <strong>Paris</strong> »


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 47<br />

du sacre, trois seigneurs angevins, écrivant de Reims<br />

à la reine Marie d'Anjou et à sa mère Yolande le récit<br />

de la cérémonie à laquelle ils venaient d'assister,<br />

ajoutaient : « Le roi doit en partir demain tenant son<br />

chemin droit à <strong>Paris</strong>... La Pucelle ne fait nul doute<br />

qu'elle ne mette <strong>Paris</strong> à l'obéissance » ; que Christine<br />

de Pisan écrivait, dans son poème, le 31 juillet de la<br />

même année : Charles « entrera (à <strong>Paris</strong>) qui qu'en<br />

groingne » ; la Pucelle le « lui a promis ; il n'est<br />

puissance qui puisse l'empêcher ; soumis tu seras,<br />

<strong>Paris</strong>, et ton outrecuidance ».<br />

* *<br />

Comment se fait-il que <strong>Jeanne</strong> ait échoué?<br />

Se serait-elle trompée sur l'étendue de sa mission?<br />

Son attaque sur <strong>Paris</strong> ne serait-elle que le résultat<br />

de l'enivrement, dans lequel ses triomphes rapides<br />

et prodigieux avaient jeté ses hommes d'armes?<br />

La Pucelle a toujours dit que <strong>Paris</strong> serait pris ;<br />

c'était dans sa mission, comme de libérer Orléans,<br />

faire sacrer le roi, bouter tous les Anglais hors<br />

de France, délivrer de captivité le duc d'Orléans ;<br />

elle n'a jamais varié dans ses dires ; bien plus, elle<br />

était assurée de s'emparer elle-même de cette ville.<br />

Avant la délivrance d'Orléans, elle écrit de Blois<br />

aux Anglais : « Vous ne tiendrez pas France du roi<br />

du ciel, le Fils de sainte Marie, mais la tiendra le<br />

roi Charles, vrai héritier, à qui Dieu l'a donnée,<br />

(Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong>.) On avait ainsi paré aux défections,<br />

que la marche triomphante du Dauphin faisait prévoir ; sans le<br />

duc de Bourgogne « <strong>Paris</strong> et tout le remanent s'en allait à ce<br />

coup ».


48 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

lequel entrera à <strong>Paris</strong> en belle compagnie ». Avant le<br />

sacre, le 8 juin, les seigneurs Guy et André de Laval<br />

mandent à leurs mère et grand'mère : « après que nous<br />

fûmes descendus à Selles, j'allai la voir (la Pucelle)<br />

à son logis ; elle fit venir le vin et me dit qu'elle m'en<br />

ferait bientôt boire à <strong>Paris</strong> ». Le 14 juillet, <strong>Jeanne</strong><br />

exhorte par lettre les habitants de Troyes à faire<br />

« vraie obéissance et reconnaissance au gentil roy de<br />

France, qui sera bien brief (bientôt) à Reims et à<br />

<strong>Paris</strong>, qui que vienne contre ». La Chronique de Le<br />

Fèvre de Saint-Rémy se fait l'écho de ces projets :<br />

« Le roi, après avoir séjourné à Compiègne, prit avec<br />

son armée le chemin pour venir droit à <strong>Paris</strong>, la<br />

Pucelle lui ayant promis de l'y introduire et que de<br />

cela il ne devait concevoir aucun doute ». Le 5 août,<br />

dans une lettre à ses amis de Reims, à laquelle nous<br />

avons déjà fait allusion et qui nous fournira dans un<br />

instant de précieux renseignements, <strong>Jeanne</strong> dit positivement<br />

qu'elle ne sait si elle pourra attendre quinze<br />

jours pour entrer à <strong>Paris</strong>. Le 22 août, à la veille de son<br />

départ pour cette ville, elle fait écrire de Compiègne<br />

au comte d'Armagnac que, de <strong>Paris</strong>, elle lui donnera<br />

la réponse à la question qu'il lui pose. Les promesses<br />

de <strong>Jeanne</strong> s'étaient répandues jusqu'à l'étranger.<br />

Le doyen de Saint-Thibaud les mentionne dans la<br />

Chronique de Metz : « Elle conseillait bien d'aller<br />

<strong>devant</strong> <strong>Paris</strong> et disait pour vrai qu'ils la prendraient ».<br />

Pancrace Justiniani écrivait, de Bruges, à son père<br />

résidant à Venise, le 10 mai 1429 (deux jours après<br />

la délivrance d'Orléans) : « Elle lui dit (au roi) que<br />

Dieu l'envoyait vers lui ; qu'elle pouvait lui affirmer<br />

avec certitude qu'avant la saint-Jean de juin prochain<br />

il entrerait à <strong>Paris</strong> ; qu'il livrerait bataille aux Anglais,<br />

serait indubitablement vainqueur et entrerait à <strong>Paris</strong>


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 49<br />

et qu'il serait couronné » (Chronique Morosini) (1).<br />

Après sa blessure <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong>, <strong>Jeanne</strong> n'a pas un<br />

instant de doute ; elle est assurée, si on la laisse faire,<br />

de prendre la ville, ainsi qu'on l'a lu à plusieurs<br />

reprises dans les textes cités ci-dessus. On pourrait<br />

multiplier ces citations. « Le recouvrement de <strong>Paris</strong><br />

et la totale expulsion des Anglais, fait justement<br />

observer le P. Ayroles, étaient annoncés avec la même<br />

certitude que la délivrance d'Orléans et le sacre de<br />

Reims. Le lecteur n'a qu'à revoir les documents cités<br />

pour former sa conviction » (Op. cit., IV, p. 123).<br />

Les réponses de <strong>Jeanne</strong>, au cours de son procès<br />

à Rouen, pourraient cependant éveiller un doute.<br />

Le 13 mars, on lui demande : « Quand vous allâtes<br />

<strong>devant</strong> <strong>Paris</strong>, est-ce par révélation de vos voix que<br />

vous vous y rendîtes? — Non, mais à la requête des<br />

gentilshommes qui voulaient faire une escarmouche<br />

ou une vaillance d'armes, et j'avais bien l'intention<br />

d'aller outre et de passer les fossés ». — Le 15 mars :<br />

« Au fait de la guerre, n'avez-vous rien fait sans le<br />

congé de vos voix? — Vous en êtes tous répondus ;<br />

lisez bien votre livre (le procès-verbal) et vous le<br />

trouverez. Toutefois à la requête des hommes d'armes<br />

fut faite une vaillance d'armes <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong>, et j'allai<br />

aussi <strong>devant</strong> la Charité à la requête du roi ; ce ne fut<br />

ni contre ni par le commandement de mes voix».—<br />

le 26 février : « La voix me disait de rester à Saint-<br />

Denis en France ; je voulais y rester, mais contre ma<br />

volonté les seigneurs m'ont emmenée. Si cependant<br />

(1) Il importe de remarquer que Justiniani dit tenir ces renseignements<br />

de « lettres de marchands qui font le négoce en Bourgogne<br />

» : d'où des erreurs manifestes, telle celle où l'entrée du roi<br />

dans <strong>Paris</strong> est présentée comme l'objectif principal, Reims n'étant<br />

pas même nommé, bien qu'il soit question du couronnement.


50 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

je n'avais pas été blessée, je ne me fusse pas éloignée ».<br />

Le 28 mars, le promoteur du procès, Jean d'Estivet »<br />

l'accuse, dans son réquisitoire, d'avoir, en se retirant<br />

de Saint-Denis, désobéi à ses voix qui lui ordonnaient<br />

d'y rester ; elle répond : « Je m'en tiens à ce<br />

qu'autrefois, j'en ai répondu ; à mon parlement de<br />

Saint-Denis, j'en eus congé de m'en aller » (1).<br />

Ainsi, uniquement en ce qui concerne, non point<br />

la prise de <strong>Paris</strong>, mais l'opération militaire du 8 septembre,<br />

<strong>Jeanne</strong> n'a reçu aucune révélation spéciale ;<br />

elle l'entreprit « ni contre ni par le commandement<br />

de ses voix » ; Dieu lui laissait, cette fois comme bien<br />

d'autres, la liberté de ses actes et n'intervenait pas<br />

pour décider l'exécution de tel ou tel détail intéressant<br />

sa mission. Une fois cependant, le siège de <strong>Paris</strong><br />

commencé, ses voix lui ordonnent de ne pas abandonner<br />

cette entreprise, mais de rester à Saint-Denis ».<br />

Le roi entraîne son armée vers la Loire ; <strong>Jeanne</strong> veut<br />

demeurer ; on s'y oppose ; on l'emmène contre son<br />

gré ; placée entre l'obéissance due à ses voix et le<br />

départ de ses hommes d'armes, que peut faire la<br />

Pucelle? Elle interroge ses voix ; celles-ci lèvent alors<br />

leur défense et l'autorisent à suivre le roi. Voilà,<br />

semble-t-il, à quoi se réduisent les réponses de <strong>Jeanne</strong>.<br />

Il n'en ressort nullement que la prise de <strong>Paris</strong> n'était<br />

(1) Le promoteur l'accusa encore (art. 57) d'avoir usé de supercherie<br />

en affirmant à ses hommes d'armes que, par révélation,<br />

elle savait qu'elle les introduirait dans <strong>Paris</strong> ; à quoi elle répondit :<br />

« Si je suis avisée d'en dire plus avant, j'en répondrai volontiers<br />

plus avant ». Elle aurait eu, en effet, beaucoup à dire, comme on<br />

le verra, sur les causes de son échec. Pour l'histoire, il est regrettable<br />

qu'elle n'ait pas révélé ce qu'elle savait ; mais elle ne<br />

pouvait ni ne voulait découvrir le roi, si ses voix ne lui en faisaient<br />

point une obligation.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 51<br />

pas dans sa mission, sinon les voix ne lui auraient<br />

pas ordonné de rester à Saint-Denis pour continuer<br />

l'opération commencée. Ce qui, par contre, ressort<br />

très nettement, croyons-nous, c'est que l'opposition<br />

du parti royal n'a pas permis que la mission de <strong>Jeanne</strong><br />

eût, du moins sa vie durant, son plein accomplissement.<br />

« Elle fit des choses incroyables à ceux qui ne<br />

les avaient pas vues, et l'on peut dire — affirme<br />

Cagny — qu'elle en aurait fait encore, si le roi et ses<br />

conseillers se fussent bien conduits et bien maintenus<br />

envers elle ».<br />

Gerson avait prévu et craint ce qui arrivait ; dès le<br />

14 mai 1429, dans son traité en faveur De la Pucelle,<br />

il émettait ce sage conseil : « Que le parti qui a pour<br />

lui la justice se garde d'arrêter par incrédulité, ingratitude<br />

ou autres prévarications, l'effet d'un secours<br />

divin qui débute si manifestement et si merveilleusement<br />

». De même, Jacques Gelu, archevêque<br />

d'Embrun, terminait son traité sur la Pucelle, composé<br />

en mai 1429, en exhortant le roi à suivre humblement<br />

les avis de <strong>Jeanne</strong>, pour que le Seigneur n'eût pas<br />

motif de retirer sa main, mais bien de continuer sa<br />

grâce. Dans son Histoire de Charles VII, écrite cinquante<br />

ans après les événements, à Utrecht, durant<br />

le long exil auquel le condamna Louis XI, l'évêque<br />

de Lisieux, Thomas Basin, attribuait à la même cause<br />

le supplice de <strong>Jeanne</strong>, victime de l'ingratitude des<br />

grands : « Une grâce gratuite, accordée à ceux qui ne<br />

la méritaient pas, a été retirée à des indignes et à des<br />

ingrats ; souvent, en effet, l'ingratitude a fait retirer<br />

ce qui avait été donné par un pur effet de la divine<br />

miséricorde ».<br />

Pour que <strong>Jeanne</strong> put accomplir, en personne,<br />

toute sa mission, la collaboration humaine du prin-


52 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

cipal intéressé devait seconder l'intervention miraculeuse<br />

de la Providence ; après le sacre, non seulement<br />

cette collaboration a été défaillante, mais l'œuvre<br />

divine fut contrariée ; c'est là la véritable cause de<br />

l'échec de <strong>Jeanne</strong> <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong>, comme de ceux qui<br />

ont suivi.<br />

* *<br />

A ne voir que les faits, « la profondeur de l'eau »<br />

remplissant le fossé du rempart fut l'occasion matérielle<br />

de l'insuccès. Au plus fort de l'assaut les assiégés<br />

« avaient comme abandonné la défense du mur, —<br />

avons-nous lu dans l'écrit de Pierre Cochon ; — il ne<br />

fallait que lever les échelles dont ils (les assiégeants)<br />

étaient bien pourvus, pour qu'ils eussent été dedans ».<br />

On ne put les dresser.<br />

<strong>Jeanne</strong> n'avait pas prévu cet obstacle ; quand, dans<br />

les escarmouches précédentes, elle s'approchait du<br />

mur d'enceinte, vers la porte Saint-Denis, il ne semblait<br />

pas qu'il y eût beaucoup d'eau dans le fossé ;<br />

peut-être même n'y en avait-il pas à cet endroit ;<br />

mais par suite de la déclivité du terrain, plus le rempart<br />

se rapprochait de la Seine, vers l'ouest, plus l'eau<br />

était profonde ; et la porte Saint-Honoré n'était pas<br />

éloignée du fleuve ; peut-être aussi, du moins on l'a<br />

supposé, une circonstance fortuite, une crue imprévue<br />

fit-elle monter le niveau ; toujours est-il que <strong>Jeanne</strong><br />

rencontra une difficulté à laquelle il ne semble pas<br />

qu'elle se soit attendue, mais que d'autres escomptaient.<br />

« <strong>Jeanne</strong> n'était pas bien informée de la profondeur<br />

de l'eau qu'il y avait dans les fossés —<br />

rapporte la Chronique de la Pucelle ; — il y en avait<br />

quelques-uns qui le savaient bien ; mais on pouvait


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 53<br />

voir que par envie ils eussent bien voulu qu'il lui<br />

arrivât male aventure ».<br />

Avec le grand nombre de fagots, de bois, de bourrées,<br />

de fascines apportés, la difficulté était loin d'être<br />

insurmontable ; il suffisait d'un labeur un peu vigoureux<br />

et actif pour combler le fossé, au moins par<br />

endroits. <strong>Jeanne</strong> ne put faire jeter que « quelques<br />

fascines, mais peu » (Registres du Chapitre de Notre-<br />

Dame) ; « elle n'avait pas assez de gens pour ce faire »<br />

(Journal du siège d'Orléans). Depuis qu'elle avait,<br />

pendant « un grand espace de temps », plongé « sa<br />

lance en divers lieux, tâtant et sondant la profondeur<br />

de l'eau et de la vase » (ibid), elle ne cessa, « jusqu'à<br />

environ l'heure du jour faillant » (Cagny), de<br />

réclamer du renfort ; de « prendre toutes sortes de<br />

soins pour faire apporter fagots et bois » (Chronique<br />

de la Pucelle) ; de se donner « grand mouvement pour<br />

faire jeter des fascines » (Jean Chartier) ; on restait<br />

sourd à ses commandements. Le lieutenant-général,<br />

qui a la conduite de l'armée avec ordre d'obéir à la<br />

Pucelle, le duc d'Alençon, n'est pas auprès d'elle ;<br />

il commande le corps de réserve, en embuscade<br />

derrière la butte. Dans l'arrière-fossé, près de <strong>Jeanne</strong>,<br />

sont postés le maréchal de Rais, le sire de Gaucourt<br />

et d'autres chevaliers ou écuyers ; ils ne répondent<br />

pas ou ne répondent que mollement à ses réclamations ;<br />

« elle était courroucée de ce qu'elle était peu secondée »,<br />

remarque la Chronique de Tournay. Quand elle fut<br />

blessée, « quelques conseillers du roi firent retirer leurs<br />

gens d'armes, — lit-on dans cette même Chronique, —<br />

ce qui contraignit la Pucelle à se retirer elle aussi ».<br />

Si <strong>Jeanne</strong> n'a pas été avertie, par ceux qui en<br />

étaient informés, de la profondeur de l'eau ; si les<br />

fascines n'ont pas été apportés en nombre suffisant ;


54 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

si les bras ont manqué pour combler le fossé ; si les<br />

échelles n'ont pu être dressées ; si les assaillants n'ont<br />

pu monter sur le mur d'enceinte, au moment où<br />

il était abandonné par ses défenseurs ; si l'assaut<br />

fut arrêté à l'instant où il allait réussir, ce fut par<br />

la mauvaise volonté manifeste de quelques-uns des<br />

plus importants capitaines. Qu'ils n'eussent point<br />

entravé l'action de <strong>Jeanne</strong> et la ville eût été prise ;<br />

car il s'en fallut de peu qu'elle ne le fût. Si la Pucelle<br />

« n'y fit aucun profit, — remarque dans la Chronique<br />

de Metz le doyen de Saint-Thibaud, —c'est qu'elle ne<br />

fut pas bien suivie. » — « Quelques uns ont dit depuis,<br />

— lit-on dans le Journal du siège d'Orléans, — que si<br />

les choses eussent été bien conduites, il y avait grande<br />

apparence qu'elle en fust venue à son vouloir. » Le<br />

bourguignon Gilles de Roye dit de même : « Si tous les<br />

hommes d'armes avaient eu son courage, <strong>Paris</strong> aurait<br />

été en grand danger d'être pris. » Un autre bourguignon<br />

est encore plus affirmatif : « Je crois qu'ils<br />

eussent gagné la ville de <strong>Paris</strong>, si on les eut laissé<br />

faire. » La Chronique de la Pucelle paraît assurée que,<br />

si le siège n'eut pas été interrompu, <strong>Paris</strong> était prêt à<br />

se rendre dès le lever du jour : « Si on y fut resté<br />

jusqu'au matin, il y en eut eu (dans la ville) qui se<br />

fussent avisés », c'est-à-dire qui eussent livré la<br />

capitale aux assiégeants.<br />

* *<br />

Pourquoi, par leur force d'inertie, les capitaines<br />

ont-ils fait échouer l'attaque? La jalousie et l'envie<br />

ont joué leur rôle, mais ne suffisent pas à tout expliquer.<br />

Que les exploits de la Pucelle aient suscité autour


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 55<br />

d'elle un certain nombre de mécontents, on n'en peut<br />

douter. Plus d'une fois elle se trouva en désaccord<br />

avec les commandants de l'armée et « se tint mal<br />

contente des chefs et capitaines de guerre », (Chronique<br />

de la Pucelle) qui contrariaient son action ou ses<br />

projets. Ceux-ci virent d'abord d'un mauvais œil<br />

que <strong>Jeanne</strong> revêtit l'habit des guerriers. « <strong>Jeanne</strong> allait<br />

cependant toujours armée de son harnais (armure),<br />

quoique ce fût contre la volonté et l'opinion des<br />

mêmes gens de guerre (les capitaines), observe Jean<br />

Chartier. Elle montait sur un coursier tout armée<br />

aussi prestement que chevalier qui fût en la cour<br />

du roi, ce dont les gens de guerre était ébahis et courroucés.<br />

» Puis ce furent ses succès multiples, rapides<br />

et prodigieux qui leur portèrent ombrage : « après la<br />

reddition de Troyes, — rapporte la Chronique des<br />

Cordeliers, — le Dauphin conquit beaucoup de villes<br />

et de forteresses par le moyen de la Pucelle, qui dès<br />

lors attira tout le renom des faits des capitaines,<br />

et des gens de sa compagnie ; ce dont quelques-uns<br />

de ces derniers ne furent nullement contents. »<br />

L'Abbréviateur du procès fait, vers 1550, la même<br />

remarque : « Ce dont quelques seigneurs et capitaines<br />

ainsi que je le trouve par écrit, conçurent grande<br />

haine et envie contre elle. » Vers la même époque,<br />

Alain Bouchard écrit dans ses Grandes annales de<br />

Bretagne : « Si ce n'eût été que toutes ses entreprises<br />

étaient à louer et venaient à l'honneur du roi et du<br />

royaume, on eut grandement murmuré contre elle et<br />

elle eût été renversée par envie. » Au moment de<br />

l'Attaque contre <strong>Paris</strong>, ces mauvais sentiments semblent<br />

portés, chez quelques-uns, à leur exaspération<br />

: « On pouvait voir que par envie, — venons-nous<br />

de lire dans la Chronique de la Pucelle — il y en avait


56 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

quelques-uns qui eussent bien voulu qu'il lui arrivât<br />

male aventure. » Peut-être, par la suite, les choses ne<br />

firent-elles que s'envenimer, car la Chronique de<br />

Tournay porte, sous forme de racontar, une accusation<br />

extrêmement grave : « Plusieurs ont dit et affirmé<br />

que, à cause de la jalousie des capitaines, que secondait<br />

la faveur dont quelques-uns du conseil du roi<br />

jouissaient auprès de Philippe de Bourgogne et de<br />

messire Jean de Luxembourg, on trouva couleur de la<br />

faire mourir par le feu, à Rouen. »<br />

Ces mécontents jaloux ou envieux n'avaient pas<br />

été sans s'apercevoir du peu d'empressement que<br />

Charles VII mettait à conquérir <strong>Paris</strong> ; pourquoi en<br />

auraient-ils mis davantage? N'avaient-ils pas là<br />

l'occasion favorable de faire à <strong>Jeanne</strong> une opposition<br />

efficace? Quand se posa la question de savoir si l'on<br />

donnerait ou non l'assaut à <strong>Paris</strong>, ils prirent le parti<br />

contraire à celui de la Pucelle. « Les capitaines ne<br />

s'accordèrent pas pour l'attaque de la ville », affirme<br />

la Chronique de Tournay ; « ils étaient en désaccord<br />

sur l'entreprise », écrit également un bourguignon,<br />

le bernardin Gilles de Roye. Les uns voulaient ne<br />

faire qu' une escarmouche, une vaillance d'armes » ;<br />

d'autres donner l'assaut. Il est assez remarquable<br />

que, fortuitement ou non, certains de ceux qui<br />

étaient de l'avis de <strong>Jeanne</strong>, comme le duc d'Alençon,<br />

furent maintenus à l'armée de réserve, et que quelquesuns<br />

des opposants, comme peut-être le maréchal<br />

de Rais et presque sûrement le sire de Gaucourt,<br />

furent affectés au corps d'attaque. Aussi, quand<br />

<strong>Jeanne</strong> prit l'initiative de l'assaut, lui laissèrent-ils<br />

ignorer ce qu'ils savaient bien, que la profondeur de<br />

l'eau empêchait d'accéder au rempart ; mirent-ils une<br />

négligence évidente à faire combler le fossé et à four-


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 57<br />

nir les gens nécessaires à cette besogne ; insistèrentils<br />

à plusieurs reprises pour faire cesser l'attaque ;<br />

emportèrent-ils, malgré elle, la Pucelle quand elle<br />

fut blessée et firent-ils retirer les troupes ; bref,<br />

secondèrent-ils si peu <strong>Jeanne</strong>, qu'on semble en droit<br />

de les rendre responsables de l'échec, au moment où<br />

l'entreprise allait réussir. Et quand, le jour suivant,<br />

la Pucelle, le duc d'Alençon et d'autres parlèrent de<br />

reprendre l'opération « quelques-uns (les mêmes<br />

sans doute ) ne le voulaient pas » (Cagny).<br />

Que certains des principaux capitaines aient, ainsi<br />

contribué à faire échouer une action d'un intérêt si<br />

capital pour l'avenir de la royauté et du royaume,<br />

sans avoir la conviction qu'ils ne seraient ni désavoués,<br />

ni blâmés par le roi, on a peine à le croire. Ils devaient<br />

bien avoir leurs raisons pour ne vouloir qu'une<br />

« escarmouche ou une vaillance d'armes » et se refuser<br />

à entreprendre l'assaut. Ils croyaient — ou savaient —<br />

qu'à la cour on ne verrait pas avec plaisir une pareille<br />

entreprise. Il était trop évident, même pour les moins<br />

clairvoyants, que Charles VII y était, sinon absolument<br />

opposé, du moins très peu favorable. Ils n'ignoraient<br />

pas que le roi, apprenant l'arrivée de la Pucelle<br />

et du duc d'Alençon à Saint-Denis, avait « à son grand<br />

regret » quitté Compiègne ; que, parvenu à Senlis,<br />

il avait interrompu son voyage, paraissant ne pas<br />

vouloir aller plus avant ; qu'il était resté près de<br />

sept jours dans cette ville (du 30 août au 7 septembre),<br />

sans répondre à l'appel de <strong>Jeanne</strong>, ni à la démarche<br />

du duc d'Alençon ; que ce dernier, revenant une<br />

seconde fois le chercher, l'avait, pour ainsi dire,<br />

comme entraîné malgré lui jusqu'à Saint-Denis ;<br />

que, fait plus significatif, au lieu de prendre la tête<br />

de ses troupes pour s'emparer de <strong>Paris</strong>, il restait loin


58 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

d'elles, à Saint-Denis. Aussi disait-on ouvertement<br />

qu'il ne tenait pas à prendre sa capitale : « Et il n'y<br />

avait personne, de quelque état qu'elle fût, qui ne<br />

dit : elle (la Pucelle) mettra le roi dans <strong>Paris</strong>, si à<br />

lui ne tient » (Cagny). Après l'échec, on sera encore<br />

plus catégorique : « Et l'on disait que par lâcheté<br />

de courage, il n'avait jamais voulu prendre <strong>Paris</strong><br />

d'assaut » (Chronique de la Pucelle). Une telle indifférence,<br />

mauvaise volonté ou opposition de la part du<br />

roi, servait de point d'appui à la résistance que<br />

faisaient à <strong>Jeanne</strong> quelques-uns des chefs de guerre<br />

et leur permettait, en même temps, de satisfaire leur<br />

rancune à son égard.<br />

* *<br />

Quand l'auteur de la Chronique de la Pucelle attribue,<br />

d'après des on-dit, l'attitude de Charles VII à sa<br />

lâcheté, à son défaut de courage, il commet une<br />

erreur, dont il est excusable ; il ignorait le véritable<br />

motif d'une telle conduite ; d'autres documents nous<br />

font connaître ce motif et éclairent, d'une manière<br />

lumineuse, les causes politiques de l'échec de<br />

<strong>Jeanne</strong> <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong>.<br />

Le 28 août, alors que la Pucelle était déjà en escarmouches<br />

<strong>devant</strong> la capitale, Charles VII signait à<br />

Compiègne, une trêve avec le duc de Bourgogne ;<br />

elle devait durer depuis ce 28 août jusqu'à Noël,<br />

et s'étendait à « tout le pays qui est en deçà de la<br />

rivière de la Seine, depuis Nogent-sur-Seine jusqu'à<br />

Harfleur, sauf et réservées les villes, places et forteresses<br />

donnant passage sur cette même rivière de<br />

Seine, réservé aussi que, si bon lui semble, notre dit<br />

cousin de Bourgogne pourra durant ladite trêve


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 59<br />

s'employer lui et ses gens à la défense de la ville de<br />

<strong>Paris</strong>, et résister à ceux qui voudraient faire la guerre<br />

ou porter dommage à cette ville. » (Chronique des<br />

Cordeliers.)<br />

Ainsi jusqu'à Noël, Charles VII s'interdisait le<br />

droit d'attaquer <strong>Paris</strong>, mais reconnaissait au duc de<br />

Bourgogne, pendant le même temps, celui de défendre<br />

cette ville et de résister aux assaillants. Il est clair que,<br />

sous peine d'être accusé de félonie et de déloyauté,<br />

le roi ne pouvait renier sa signature et laisser ses<br />

soldats s'emparer de la capitale ; en refusant l'assaut,<br />

les capitaines restaient fidèles à leur prince ; en<br />

l'engageant, <strong>Jeanne</strong> restait fidèle à sa mission, mais<br />

compromettait le roi ; cette fois le conflit était manifeste<br />

entre la volonté royale et la mission de la Pucelle.<br />

Cette négociation n'était que l'aboutissant d'autres,<br />

dont <strong>Jeanne</strong> avait été bien informée ; elle considérait<br />

que Charles VII se laissait jouer ; elle n'avait pas<br />

tort ; les événements devaient le prouver. Pour<br />

comprendre toute la portée de la trêve du 28 août<br />

et sa répercussion sur l'attaque de <strong>Paris</strong>, il est indispensable<br />

de connaître ces tractations.<br />

L'alliance de Philippe, duc de Bourgogne, avec les<br />

Anglais, contre Charles VII, était néfaste au royaume ;<br />

dans le parti français, plusieurs cherchaient à la<br />

rompre et à ramener Philippe dans l'obédience de<br />

son cousin et souverain. <strong>Jeanne</strong> elle-même l'a tenté ;<br />

elle voulait d'abord la paix ; si on la refusait, elle se<br />

verrait réduite à l'imposer par les armes : « Je requérais<br />

premièrement qu'on fît la paix, et au cas où l'on ne<br />

voudrait pas faire la paix, j'étais toute prête à combattre.<br />

Quant à la paix, pour ce qui est du duc de Bourgogne,<br />

j'ai requis le duc de Bourgogne et (en m'adressant)<br />

à ses ambassadeurs, qu'il y eut paix. Quant aux Anglais,


60 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

la paix qu'il y faut, c'est qu'ils s'en aillent en leur pays,<br />

en Angleterre », répondait-elle, pendant son procès,<br />

aux fausses inculpations du réquisitoire (art. 25 et 18).<br />

A la fin de juin, au moment où l'armée se mettait<br />

en marche vers Reims, elle avait elle-même invité<br />

le duc de Bourgogne au sacre du Dauphin ; celui-ci<br />

n'avait ni répondu, ni renvoyé le héraut, porteur de<br />

la lettre ; mais mandé par le duc de Bedford, il s'était<br />

rendu à <strong>Paris</strong>, le 10 juillet, comme nous l'avons déjà<br />

vu, pour faire prêter aux habitants serment de fidélité<br />

; de là il s'était retiré à Laon. Toutefois, jouant<br />

déjà ce double jeu dont Charles VII sera dupe, et<br />

donnant tantôt aux Anglais, tantôt aux Français,<br />

des apparences de garantie, il avait envoyé au sacre<br />

du roi une ambassade, avec mission sans doute de<br />

pressentir la cour sur les conditions auxquelles la paix<br />

pourrait se conclure ; ne fallait-il pas prévoir le cas,<br />

où le roi de France étendrait ses conquêtes et redeviendrait<br />

le maître de la situation? Le jour même de<br />

la cérémonie, les trois seigneurs angevins écrivaient,<br />

dans une lettre que nous avons déjà citée : « On dît<br />

en cette ville (Reims) que le duc de Bourgogne y a<br />

été (à <strong>Paris</strong>) et s'en est retourné à Laon où il est à<br />

présent. Il a envoyé devers le roi une ambassade qui<br />

arriva hier (le samedi 16 juillet) en cette ville. A cette<br />

heure, nous espérons que bon traité s'y trouvera<br />

(fait) avant qu'ils partent ». Les pourparlers laissaient<br />

donc quelque espoir ; les ambassadeurs s'en retournèrent,<br />

emportant avec eux cette lettre de <strong>Jeanne</strong> :<br />

« † Jhésus Maria — Haut et redouté prince, duc<br />

de Bourgogne, Jehanne la Pucelle vous requiert de<br />

par le roi du ciel, mon droiturier et souverain Seigneur,<br />

que le roi de France et vous fassiez bonne paix ferme,<br />

qui dure longuement. Pardonnez l'un à l'autre de


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 61<br />

bon cœur, entièrement, ainsi que doivent faire loyaux<br />

chrétiens et, s'il vous plaît de guerroyer, allez sur les<br />

Sarrasins.<br />

« Prince de Bourgogne, je vous prie, supplie et<br />

requiers tant humblement que requérir vous puis,<br />

que vous ne guerroyez plus au saint royaume de<br />

France, et faites retirer incontinent et brièvement<br />

vos gens qui sont en aucunes places et forteresses<br />

dudit saint royaume. De la part du gentil roi de<br />

France, il est prêt de faire la paix avec vous, sauf<br />

son honneur ; cela ne tient qu'à vous.<br />

« Et je vous fais savoir de par le roi du ciel, mon<br />

droiturier et souverain Seigneur, pour votre bien et<br />

pour votre honneur et sur vos vies, que vous ne<br />

gagnerez point bataille à l'encontre des loyaux<br />

Français, et que tous ceux qui font la guerre audit<br />

saint royaume de France, font la guerre au roi Jhésus,<br />

roi du ciel et de tout le monde, mon droiturier et<br />

souverain Seigneur. Et je vous prie et requiers, à<br />

jointes mains, que nous ne fassiez nulle bataille, ni<br />

ne guerroyez contre nous, vous, vos gens ou sujets,<br />

et croyez sûrement que, quelque nombre de gens que<br />

vous ameniez contre vous, ils n'y gagneront rien, et<br />

ce sera gran pitié de la gran bataille et du sang qui<br />

y sera répandu de ceux qui y viendront contre nous.<br />

« Et il y a trois semaines que je vous avais écrit et<br />

envoyé bonnes lettres par un héraut, que vous fussiez<br />

au sacre du roi qui, aujourd'hui dimanche, 17 e jour<br />

de ce présent mois de juillet, se fait en la cité de<br />

Reims ; dont je n'ai point eu de réponse, ni ouï<br />

oncques depuis nouvelles dudit héraut.<br />

« A Dieu vous recommande, et qu'il soit garde de vous,<br />

s'il lui plaît, et prie Dieu qu'il y mette bonne paix.<br />

« Ecrit audit lieu de Reims, ledit 17 e jour de juillet. »


62 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Cependant, conduit par la Pucelle, le roi se met en<br />

marche sur <strong>Paris</strong> ; s'il s'empare de sa capitale, la<br />

situation du duc de Bourgogne en sera compromise ;<br />

vis-à-vis des Anglais, avec qui il a partie liée, celui-ci<br />

se trouvera en mauvaise posture ; vis-à-vis du roi, il<br />

sera, pour traiter, moins fort après qu'avant la conquête<br />

de cette ville. Philippe se résout alors à commencer<br />

les négociations ; les députés des deux partis entrent<br />

en conférence ; pendant ce temps, le roi se détourne<br />

du chemin de <strong>Paris</strong> et va résider à Provins (du 2 au<br />

5 août), prêt à se retirer sur la Loire, comme on l'a<br />

lu plus haut, si la paix se fait avec son cousin. « Il y<br />

eut — écrit l'auteur de la Chronique des Cordeliers,<br />

bourguignon déclaré — un conseil entre l'archevêque<br />

de Reims, le seigneur de La Trémoille, Poton et La<br />

Hire d'une part, et messire Jean de Luxembourg, les<br />

seigneurs de Croy et Lourdin de Saligny de l'autre ;<br />

mais, en conclusion, on n'en vint ni à une trêve ni à<br />

une paix. La journée fut tenue près de La Fère ».<br />

La paix ne fut pas conclue, c'est exact ; mais une<br />

trêve de quinze jours fut acceptée de part et d'autre,<br />

auquel terme le duc de Bourgogne promettait de<br />

remettre <strong>Paris</strong> au roi sans combat ; ainsi, sans l'intervention<br />

des armes, et par les seuls moyens de la<br />

diplomatie, Charles VII rentrerait en possession de<br />

la capitale de son royaume ; ce fut l'habileté de<br />

Philippe d'entretenir le roi et ses ineptes conseillers<br />

dans cette funeste illusion. <strong>Jeanne</strong> ne la partagea<br />

point, et c'est ce qui explique son désaccord avec la<br />

cour et plusieurs des capitaines.<br />

Cette trêve jeta les Rémois dans l'inquiétude,<br />

ainsi qu'il a été déjà dit. <strong>Jeanne</strong> leur répondit par une<br />

lettre datée du « 5 août, près d'un logis aux champs,<br />

au chemin de <strong>Paris</strong> :


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 63<br />

« Et est vrai que le roi a fait trêves au duc de Bourgogne<br />

quinze jours durant, par ainsi qu'il lui doit<br />

rendre la ville de <strong>Paris</strong> paisiblement au chef de quinze<br />

jours. Cependant ne vous donnez nulle merveille,<br />

si je n'y entre si brièvement (c'est-à-dire : point avant<br />

ce délai) combien que (quoique) des trêves qui ainsi,<br />

sont faites je ne suis point contente, et ne sais si je<br />

les tiendrai ; mais si je les tiens, ce sera seulement,<br />

pour garder l'honneur du roi ; encore qu'ils n'abuseront<br />

pas de nouveau le sang royal, car je tiendrai<br />

et maintiendrai ensemble l'armée du roi pour être<br />

prête au chef desdits quinze jours, s'ils ne font la<br />

paix ».<br />

Cette lettre est des plus instructives pour la suite<br />

des événements : le duc de Bourgogne promet de<br />

rendre <strong>Paris</strong> au roi, sans combat, à l'expiration des<br />

quinze jours de trêve. <strong>Jeanne</strong> est mécontente de cet<br />

arrangement ; ce qu'elle veut, c'est la paix, la réconciliation<br />

entre les deux cousins, et non une suspension.<br />

d'armes ; elle n'a point confiance que <strong>Paris</strong> soit<br />

rendu au roi dans ces conditions ; il lui paraît<br />

plutôt qu'on abuse de la crédulité du prince, qu'on<br />

abuse « le sang royal » ; s'il ne dépendait que d'elle,<br />

elle ne tiendrait pas compte d'une telle négociation,<br />

et de suite marcherait droit sur <strong>Paris</strong> ; mais l'honneur<br />

du roi exige qu'elle en respecte les clauses. Que les<br />

Rémois ne s'étonnent donc point de ne pas la voir<br />

entrer à <strong>Paris</strong> durant ces quinze jours ; mais qu'ils se<br />

rassurent ; elle ne permettra pas que le roi soit de<br />

nouveau victime d'une manœuvre du même genre ;<br />

qu'on abuse « de nouveau le sang royal » ; elle tiendra<br />

l'armée en mains et si, passés ces quinze jours, la<br />

paix n'est pas faite avec le duc de Bourgogne, elle ira<br />

mettre le siège <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong>.


64 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Sa résolution était bien prise ; elle allait le faire<br />

comme elle venait de l'écrire.<br />

La trêve signée, mais non la paix, Charles VII<br />

remonte par Coulommiers, vers Compiègne, pour<br />

mieux continuer les négociations. Alarmé sans doute<br />

de ces tractations entre son allié et le roi, le duc<br />

de Bedford vient au <strong>devant</strong> de ce dernier pour lui<br />

fermer le chemin de <strong>Paris</strong> et lui offrir la bataille.<br />

Ni à Thieux, ni à Montépilloy, le combat ne put<br />

s'engager. Les Anglais s'étaient retranchés et attendaient<br />

que les Français les attaquassent ; mais l'armée<br />

royale fut maintenue sur l'expectative ; on ne voulait<br />

pas prendre l'initiative d'une lutte, dont l'issue était<br />

incertaine ; battu, le roi n'aurait plus été en situation<br />

de négocier utilement avec Philippe de Bourgogne<br />

qui, en cette occurrence, se fut retourné entièrement<br />

du côté des Anglais. D'ailleurs, les négociateurs<br />

étaient déjà en route et le 18 août, Charles VII allait<br />

à Compiègne attendre le résultat de ces nouvelles<br />

conférences.<br />

« Environ mi-août — dit la Chronique des Cordeliers<br />

— l'archevêque de Reims, chancelier dudit roi,<br />

et plusieurs autres ambassadeurs furent envoyés à<br />

Arras vers le duc de Bourgogne. Finalement des<br />

trêves furent conclues entre ces deux princes par<br />

l'entremise des ambassadeurs que le duc de Savoie<br />

avait envoyés vers eux afin d'y négocier le bien de<br />

la paix ». La paix fut bien près d'être conclue ; le duc<br />

de Bedford la fit échouer ; Monstrelet, protégé de<br />

l'un des négociateurs bourguignons, Jean de Luxembourg,<br />

va nous dire comment :<br />

« Les principaux de ces ambassadeurs (de<br />

Charles VII) étaient l'archevêque de Reims, Christophe<br />

de Harcourt, les seigneurs de Dampierre, de


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 65<br />

Gaucour et de Fontaines, chevaliers, avec d'autres<br />

gens d'état qui trouvèrent à Arras le duc et son<br />

conseil ». Ce fut Regnault de Chartres, chancelier<br />

de France et archevêque de Reims, qui « en présence<br />

de la chevalerie, du conseil et de plusieurs autres<br />

admis à cette audience » du duc, exposa l'objet de<br />

l'ambassade. « Il remontra, entre autres choses, la<br />

parfaite affection, le vrai désir du roi de faire la paix<br />

avec lui, et d'en venir à un traité ; ajoutant que, pour<br />

y parvenir, ce même roi était content de faire des<br />

avances et de condescendre, en faisant des offres de<br />

réparation plus qu'il n'appartenait à sa majesté<br />

royale. Il excusa le roi sur sa jeunesse de l'homicide<br />

perpétré autrefois en la personne de feu duc Jean<br />

de Bourgogne ». Ces considérations et d'autres furent<br />

favorablement écoutées par Philippe et les siens ;<br />

il promit de donner bientôt sa réponse. « Le duc de<br />

Bourgogne fut, durant plusieurs jours, en délibération<br />

avec son conseil privé ; et les affaires entre les parties<br />

furent très rapprochées ». Le traité était sur le point<br />

de se conclure, quand arrivèrent des messagers du<br />

régent anglais de France : « Maître Jean de Thoisey,<br />

évêque de Tournay, et messire Hue de Lannoy, qui<br />

venaient présentement de vers le duc de Bedford<br />

et étaient chargés par lui de faire des observations<br />

au duc de Bourgogne, de l'exhorter à tenir le serment<br />

fait au roi Henri, n'étaient pas bien contents que le<br />

traité se fit ; c'est sur leur parole que la conclusion<br />

fut retardée ». Il n'y eut pas alors d'accord arrêté ;<br />

mais il fut « convenu que le duc enverrait de son côté<br />

une ambassade vers le roi Charles pour avoir son avis<br />

et continuer les conférences ». Cette légation fut<br />

confiée « à messire Jean de Luxembourg, évêque<br />

d'Arras, à messire David de Brimeu et à d'autres


66 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

notables et discrètes personnes ». Les conférences<br />

allaient se poursuivre à Compiègne.<br />

La trêve de quinze jours était expirée et le duc<br />

de Bourgogne n'avait point rendu Pans au roi, comme<br />

il l'avait promis. Voyant les ambassadeurs de<br />

Charles VII revenir d'Arras, les mains vides, avec la<br />

perspective de nouveaux pourparlers, qui, à son sens,<br />

ne pouvaient aboutir, <strong>Jeanne</strong> résolut de demander<br />

aux armes ce que la diplomatie se montrait impuissante<br />

à procurer. Pour elle, il s'agissait, non de nouvelles<br />

trêves, mais de paix définitive, établie sur la<br />

réconciliation entre tes deux cousins ; les causes, qui<br />

avaient fait échouer cette dernière à Arras, se représenteraient<br />

les mêmes à Compiègne ; la duplicité<br />

du duc de Bourgogne devenait trop manifeste.<br />

<strong>Jeanne</strong> n'entendait pas que de nouveau, comme<br />

quinze jours auparavant, il « abusa du sang royal » ;<br />

ce dont elle venait d'être témoin l'avait pleinement<br />

convaincue qu'avec Philippe, on ne « trouverait<br />

point la paix, si ce n'est par le bout de la lance »<br />

(Procès, séance du 3 mars). Le 23 août, elle entraînait<br />

le duc d'Alençon et trois jours après elle commençait<br />

ses escarmouches contre la ville de <strong>Paris</strong>, prélude,<br />

dans ses desseins, d'une attaque décisive.<br />

Les ambassadeurs du duc de Bourgogne, arrivés<br />

à Compiègne, entrèrent en conférences avec les<br />

représentants du roi : René, duc de Bar, les comtes<br />

de Clermont et de Vendôme, le sire d'Albret, le<br />

chancelier-archevêque de Reims, l'évêque de Séez,<br />

le sire de La Trémoille, Christophe d'Harcourt,<br />

Dunois bâtard d'Orléans, les sires de Trèves, de<br />

Gaucourt, etc. Ainsi que <strong>Jeanne</strong> l'avait prévu, on<br />

ne put parvenir à signer un traité de paix ; on se<br />

contenta d'une nouvelle trêve de quatre mois, du


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 67<br />

28 août à la Noël. Cette trêve était désastreuse pour la<br />

cause royale et le parti français ; et par ses fallacieuses<br />

promesses Philippe réussissait une seconde fois — et<br />

ce ne devait pas être la dernière — à jouer le roi ;<br />

de nouveau il entravait sa marche sur <strong>Paris</strong> ; il se<br />

réservait le droit, ainsi qu'on l'a lu ci-dessus, de<br />

« s'employer à la défense de la ville de <strong>Paris</strong> », et de<br />

« résister à ceux qui voudraient faire la guerre ou<br />

porter dommage à cette ville », tandis que Charles VII,<br />

non seulement se laissait interdire toute action contre<br />

sa capitale, mais s'engageait à la rendre, dans le cas<br />

où elle serait prise indûment, en violation de la trêve.<br />

« Durant le temps de cette présente trêve — portait,<br />

en effet, cette convention — aucune des parties ne<br />

pourront dans les termes et limites ci-dessus désignées<br />

prendre, acquérir, conquérir l'une sur l'autre aucune<br />

des villes, places ou forteresses qui y sont comprises ;<br />

ils n'admettront l'obéissance d'aucune, au cas où ces<br />

villes, places ou forteresses voudraient se rendre à<br />

l'obéissance de l'une des parties » (Chronique des<br />

Cordeliers).<br />

Or, au moment où se signait ce contrat, <strong>Jeanne</strong> avait<br />

déjà, depuis deux ou trois jours, engagé ses opérations<br />

sur <strong>Paris</strong>. A son insu, elle allait à un échec certain ;<br />

elle était désavouée d'avance ; se fut-elle emparée de la<br />

ville, il aurait fallu, conformément aux clauses de la<br />

trêve, la rendre au duc de Bourgogne.<br />

Parmi les négociateurs de cette regrettable convention<br />

se trouvaient quelques-uns des capitaines qui<br />

devaient accompagner la Pucelle à l'attaque du<br />

8 septembre : le duc de Bar, les comtes de Clermont<br />

et de Vendôme, les sires d'Albret et de Gaucourt,<br />

ainsi que d'autres qui avaient négocié, près de La


68 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Fère, la précédente trève de quinze jours : Poton de<br />

Xaintrailles, Etienne Vignolles dit La Hire. Ainsi<br />

s'explique que, sachant l'inutilité de l'assaut, ils s'y<br />

soient d'abord opposés et aient contribué, une fois<br />

entrepris, à le faire échouer.<br />

Le duc de Bedford, inquiet sans doute d'une trêve<br />

qui, quelles qu'en fussent les conditions, suspendait<br />

momentanément les effets de l'alliance du parti<br />

bourguignon avec le parti anglais, et prévoyant que<br />

l'armée française, empêchée désormais d'opérer audessus<br />

de la Seine, allait vraisemblablement porter<br />

ses efforts vers la Basse-Normandie, quitta <strong>Paris</strong>, dès<br />

la fin d'août, et emmena son armée défendre cette<br />

province.<br />

Aussitôt, fort des clauses signées, le duc de Bourgogne<br />

envoyait quatre cents combattants et plusieurs<br />

gentilshommes, dont le maréchal de l'Isle-Adam,<br />

garder <strong>Paris</strong>, ainsi qu'il a déjà été dit. Quand il apprit<br />

que les troupes royales conduites par la Pucelle<br />

mettaient le siège <strong>devant</strong> cette ville, il s'empressa de<br />

rappeler à Charles VII ses engagements ; il était<br />

prêt à tenir les siens ; encore fallait-il que le roi ne<br />

violât pas ceux qu'il avait pris et qu'en conséquence<br />

il fit cesser cette opération. Charles VII dut s'exécuter<br />

: « Et aussi on disait que M. de Bourgogne avait<br />

envoyé un héraut devers ledit Charles en disant qu'il<br />

tiendrait l'appointement (la convention) qu'il avait<br />

fait avec le même Charles, et qu'il cessât lui et ses<br />

gens, — rapporte le notaire Pierre Cochon. — S'il<br />

y avait appointement entre eux, ni quel il était, je n'en<br />

saurais parler, mais toutefois il y eut trêves jusqu'à<br />

la Noël qui suivit. Charles fit ainsi sonner la retraite<br />

durant ledit assaut et ainsi ils se retirèrent ».


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 69<br />

* *<br />

Ces négociations et cette convention font comprendre<br />

la mauvaise grâce avec laquelle Charles VII avait<br />

répondu aux appels de la Pucelle et du duc d'Alençon ;<br />

sa répugnance à quitter Compiègne, à se rendre à<br />

Senlis, puis à Saint-Denis ; son inaction pendant<br />

l'attaque de <strong>Paris</strong> ; son empressement, après l'échec,<br />

à rappeler <strong>Jeanne</strong> auprès de lui ; les compliments<br />

pleins d'ironie avec lesquels celle-ci fut accueillie ;<br />

la hâte du roi à faire rompre le pont jeté sur la Seine,<br />

pour empêcher la reprise de l'opération.<br />

On s'explique moins qu'il n'ait pas usé de son autorité<br />

de souverain pour interdire, dès le 28 août, à<br />

<strong>Jeanne</strong> et au duc d'Alençon toute action contre sa<br />

capitale. La vérité, c'est qu'il ne gouvernait guère<br />

alors, mais était sous la domination de quelques<br />

conseillers, probablement assez satisfaits de voir la<br />

Pucelle engagée dans une affaire qui, quelle qu'en fût<br />

l'issue, ne pouvait que porter atteinte à son prestige.<br />

Parmi les mauvais conseillers qui contribuèrent le<br />

plus à d'aussi fâcheux événements, il faut mentionner<br />

deux des plus mal disposés à l'égard de <strong>Jeanne</strong> : le<br />

sire de la Trémoille et le chancelier de France, archevêque<br />

de Reims, Regnault de Chartres. Leur stupide<br />

diplomatie avait simplement abouti à ceci : <strong>Paris</strong><br />

était perdu pour le roi ; toute action armée contre<br />

cette ville était désormais interdite ; en échange on<br />

n'avait même pas ce pourquoi on négociait : un traité<br />

de paix ; l'habile Philippe avait réussi à l'éluder (1).<br />

(1) Par la suite, le duc de Bourgogne continua à jouer double<br />

jeu et à duper Charles VII. Le roi « pensait avoir accord avec le<br />

duc de Bourgogne, rapporte Gilles le Bouvier. Le duc de Bour-


70 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Au dire de divers chroniqueurs, le sire Georges de<br />

la Trémoille a une responsabilité évidente dans<br />

l'échec de <strong>Jeanne</strong>. C'était un bandit : brigand et<br />

meurtrier. D'abord bourguignon et favori de Jean<br />

sans Peur, il était passé au parti français, sans<br />

rompre avec ses anciens amis. Il avait épousé <strong>Jeanne</strong><br />

de Bourgogne, veuve du duc de Berry, de dix ans plus<br />

âgée que lui, s'était emparé de ses biens et l'avait<br />

reléguée loin de lui, où il la laissa végéter et mourir<br />

dans la gêne. On le soupçonne d'avoir participé à<br />

l'assassinat du premier chambellan du Dauphin,<br />

le sire de Giac, dont il épousa la veuve, environ cinq<br />

gogne lui avait mandé par le sire de Chagny, qui lui en avait<br />

porté les nouvelles, qu'il lui ferait avoir <strong>Paris</strong> et qu'il viendrait<br />

à <strong>Paris</strong> pour parler à ceux qui tenaient son parti ». Le Journal<br />

du siège d'Orléans, qui relate le même fait, ajoute : « A cette occasion<br />

le roi lui avait envoyé un sauf-conduit, pour qu'il pût passer<br />

sans contredit par les places et passages lui obéissant ; ainsi le<br />

fit-il ; mais arrivé à <strong>Paris</strong>, il ne tint rien de ce qu'il avait promis ;<br />

au contraire, il fit, à l'encontre du roi, avec le duc de Bedford, une<br />

alliance plus étroite qu'auparavant ; et, ce nonobstant, en vertu<br />

du sauf-conduit, il repassa sûrement et ouvertement par tous les<br />

pays, villes et passages de l'obéissance du roi, et il s'en retourna<br />

en ses pays de Picardie et de Flandre ». Cependant Charles VII<br />

attendait vainement à Gien, du 21 au 25 septembre, que Philippe<br />

lui donnât avis que <strong>Paris</strong> lui était rendu. Quelques jours après,<br />

le 13 octobre, le régent de Bedford nommait Philippe gouverneur<br />

de <strong>Paris</strong> et de l'Ile-de-France ; c'était une odieuse fourberie ;<br />

comme duc de Bourgogne, Philippe devait observer la trêve ;<br />

mais comme gouverneur « anglais » de l'Ile-deFrance, il n'avait<br />

nul compte à en tenir, puisque les Anglais s'étaient refusés à la<br />

contresigner ; malgré cela, Charles VII consentait à la prolongation<br />

de la trêve jusqu'à Pâques et s'engageait, durant ce temps,<br />

à « se tenir au delà de la rivière de la Seine ; ce qu'il fit ». (Chronique<br />

des Cordeliers.) Il était vraiment bien servi par son chancelier,<br />

Regnault de Chartres, le négociateur principal de toutes ces<br />

conventions !


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 71<br />

mois après. Le connétable de Richemont le présenta<br />

au Dauphin comme favori ; il ne pouvait plus mal<br />

choisir. La Trémoille, une fois bien en cour, se<br />

retourna contre Richemont et le brouilla avec<br />

Charles VII. Le roi était sans argent ; La Trémoille<br />

se constitua son argentier, mais avec usure ; il faisait<br />

des avances avec intérêt du quart ou du tiers par<br />

semestre. Grâce à son frère, le sire de Jonvelle, premier<br />

chambellan du duc de Bourgogne, ses biens, à Sully<br />

comme à <strong>Paris</strong>, étaient épargnés tant par les Anglais que<br />

par les Bourguignons. Le sire d'Albret, que nous<br />

avons vu prendre part aux négociations de la trêve<br />

et au siège de <strong>Paris</strong>, était son frère utérin.<br />

<strong>Jeanne</strong> rencontra en La Trémoille un adversaire<br />

constant et un adversaire puissant. En réalité, c'est lui<br />

qui régnait près de Charles VII. « A cette époque le sire<br />

de La Trémoille — écrit Jean Chartier — était auprès<br />

du roi de France, et l'on disait qu'il entrait trop avant<br />

dans le gouvernement du roi ». — « Il avait — dit<br />

également Cagny — seul et pour le tout, le gouvernement<br />

du corps du roi, de toutes ses finances, et<br />

des forteresses de son domaine estant en son obéissance<br />

». Gilles de Roye, la Chronique de la Pucelle<br />

s'expriment de même. C'est en vain que la Pucelle<br />

demanda au Dauphin de recevoir en grâce le connétable<br />

de Richemont qui, spontanément, avait levé<br />

1.500 combattants et pris part à la victoire de Patay ;<br />

La Trémoille ne le permit pas ; les grands en étaient<br />

contrariés : « Toutefois, ils n'en osaient parler, parce<br />

qu'ils voyaient que le roi faisait du tout en tout ce<br />

qu'il plaisait à ce seigneur de La Trémoille ; ce fut<br />

pour lui plaire qu'il ne voulut pas souffrir que le<br />

connétable vint devers lui » (Journal du siège d'Orléans).<br />

Il lit encore repousser d'autres concours qui s'of-


72 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

fraient : « Par le moyen de <strong>Jeanne</strong> la Pucelle, tant de<br />

gens venaient de toutes parts pour servir le roi, et à<br />

leurs dépens, que de La Trémoille et d'autres seigneurs<br />

du conseil étaient bien courroucés d'une telle<br />

multitude. Si le susdit de La Trémoille et d'autres du<br />

conseil avaient voulu recevoir tous ceux qui venaient<br />

au service du roi, on aurait pu aisément recouvrer<br />

tout ce que les Anglais occupaient au royaume de<br />

France ; mais on n'osait pas alors parler contre ledit<br />

de La Trémoille, quoique chacun vit clairement que<br />

de lui venait la faute » (Jean Chartier). A Auxerre,<br />

il fait encore échouer les projets de <strong>Jeanne</strong>. Le Dauphin<br />

marchait sur Reims. Auxerre lui ferme ses<br />

portes. La Pucelle veut que le roi y fasse son entrée ;<br />

aussi est-elle prête à donner l'assaut. Intervient<br />

La Trémoille ; il se fait secrètement octroyer par la<br />

ville douze mille écus, moyennant quoi il dispense les<br />

Auxerrois de faire leur soumission à Charles VII,<br />

« ce dont la Pucelle et les capitaines firent de grandes<br />

plaintes » (Gilles de Roye). C'est encore lui qui prit<br />

l'initiative de faire lever le siège de <strong>Paris</strong>, de rappeler<br />

de La Chapelle à Saint-Denis la Pucelle et ses troupes.<br />

<strong>Paris</strong> allait être pris, « mais il y fut avisé par un<br />

nommé messire de La Trémoille » (Pierre Cochon) ;<br />

« mais un sire appelé de La Trémouille, qui gouvernait<br />

le roi, dérangea icelle chose » (Doyen de S. Thibaud) ;<br />

« mais le sire de La Trémoille fit retourner les gens<br />

d'armes à Saint-Denis » (Gilles le Bouvier).<br />

Par la suite il continuera son opposition à La Pucelle,<br />

l'empêchera de rejoindre le duc d'Alençon et de<br />

reformer une armée. Il s'adjugera la capitainerie de<br />

Compiègne et prendra comme lieutenant Guillaume<br />

de Flavy, celui qui fera fermer les portes de la ville<br />

et sera cause — volontaire, suivant quelques chro-


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 73<br />

niqueurs (1) — de la prise de la Pucelle. Aussi<br />

certains en feront-ils rejaillir jusqu'à lui la responsabilité<br />

: « Un sire appelé de La Trémouille — écrit le<br />

Doyen de Saint-Thibaud — jaloux des faits qu'elle<br />

faisait, fut coupable de sa prise ». La Chronique de<br />

Tournay et la Chronique Morosini iront plus loin<br />

encore et laisseront entendre que si les Anglais brûlèrent<br />

<strong>Jeanne</strong>, c'est parce qu'ils avaient été secondés<br />

par « la faveur dont quelques-uns du conseil du roi<br />

jouissaient auprès de Philippe de Bourgogne et de<br />

messire Jean de Luxembourg » ; ce qui semble bien<br />

viser La Trémoille et peut-être aussi Regnault de<br />

Chartres.<br />

Chancelier de France, archevêque de Reims,<br />

Regnault de Chartres fut l'homme de la diplomatie,<br />

un personnage plus politique qu'ecclésiastique, il<br />

serait injuste de le placer au même rang que l'odieux<br />

La Trémoille ; mais, vis-à-vis de <strong>Jeanne</strong>, sa conduite<br />

est loin d'échapper à tout blâme. Il l'a examinée et<br />

interrogée à Chinon, a présidé la commission de<br />

Poitiers, fait sienne par conséquent la déclaration des<br />

docteurs favorable à la Pucelle. Au début, il se montre<br />

donc plutôt bien disposé ; mais peu à peu ses sentiments<br />

se modifient. Devant Troyes, lors de la marche<br />

sur Reims, il est d'avis, vu le dénûment de l'armée en<br />

vivres et en argent et la puissance de l'ennemi, de<br />

rétrograder vers Gien. <strong>Jeanne</strong> s'y oppose et assure<br />

que la ville se rendra dans deux ou trois jours ; le<br />

« chancelier lui répond : « <strong>Jeanne</strong>, qui serait certain<br />

de l'avoir (Troyes) dans six jours, on attendrait bien ;<br />

mais je ne sais si c'est vrai ce que vous dites » (Chro-<br />

(1) Mathieu Thomassin, Chronique de Normandie, l'Abbréviateur<br />

du procès, Alain Bouchard, Jean Bouchet.


74 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

nique de la Pucelle). Il n'avait plus foi en elle. Après<br />

le sacre, il oppose sa diplomatie aux projets de <strong>Jeanne</strong> ;<br />

c'est lui qui mène toutes les négociations avec le duc<br />

de Bourgogne ; en ses propres capacités et moyens<br />

diplomatiques, il a plus confiance que dans la mission<br />

de la Pucelle, qu'il contrarie ouvertement ; mais sa<br />

diplomatie est trop courte et Philippe de Bourgogne<br />

trop avisé ; il se laisse duper et ne paraît pas s'en apercevoir,<br />

tellement il met de ténacité à recourir aux<br />

mêmes procédés stériles ; au lieu de paix, il n'obtient<br />

près de La Fère qu'une trêve de quinze jours et une<br />

vague promesse que <strong>Paris</strong> sera rendu ; d'Arras, il ne<br />

rapporte que l'assurance de la prolongation des<br />

conférences ; à Compiègne il aboutit à perdre <strong>Paris</strong>.<br />

Le résultat de ses agitations fut que l'armée du roi<br />

dût se retirer sur la Loire ; que là les troupes se<br />

disloquèrent d'elles-mêmes, mécontentes que le<br />

siège de <strong>Paris</strong> fut levé et que les trêves les condamnassent<br />

à l'inaction ; et qu'il fallut les licencier.<br />

« Ainsy fut aussi rompue l'armée du roy » note<br />

Cagny. « L'histoire n'a rien à dissimuler, écrit le<br />

P. Ayroles. Elle a le regret de dire que l'âme de cette<br />

louche diplomatie fut l'archevêque-chancelier Regnaut<br />

de Chartres » (IV, p. 437). C'est lui qui, à la<br />

mission divine de <strong>Jeanne</strong>, a opposé les négociations<br />

fallacieuses, les conférences interminables, les trêves<br />

illusoires ; ce sont ses manœuvres qui ont interrompu<br />

les succès de la Pucelle et brisé son armée ; qui l'ont<br />

fait échouer <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong> et ont prolongé la guerre<br />

près de 25 ans ; c'est lui qui, <strong>devant</strong> l'histoire, porte,<br />

avec le roi, l'effrayante responsabilité d'avoir entravé<br />

l'intervention céleste.<br />

Doit-on relever contre lui, comme contre La<br />

Trémoille, certaines vagues insinuations de quelques


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 75<br />

chroniqueurs ? Rien n'y autorise d'une manière formelle.<br />

Tout ce que l'on sait, c'est qu'il continua à se<br />

montrer défavorable à la Pucelle ; qu'avec La Trémoille<br />

il s'opposa à ce qu'elle rejoignit le duc d'Alençon,<br />

quand celui-ci, après le licenciement de l'armée à<br />

Gien, assembla des troupes pour entrer en Normandie ;<br />

que Guillaume de Flavy, lieutenant de La Trémoille<br />

à Compiègne — quand <strong>Jeanne</strong> y fut faite prisonnière<br />

— était son parent (1) et son protégé, en même temps<br />

qu'un des monstres féodaux les plus réussis de cette<br />

époque ; que l'on possède de l'archevêque le résumé<br />

d'une de ses lettres à ses diocésains qui, si ses allégations<br />

étaient exactes, serait pour <strong>Jeanne</strong> la plus<br />

accablante des accusations : par orgueil, elle serait<br />

devenue infidèle à sa mission, l'aurait fait échouer<br />

et Dieu, alors, l'aurait abandonnée :<br />

« Il (l'archevêque) donne pareillement avis — relate<br />

Jean Rogier, échevin de Reims — de la prise de<br />

<strong>Jeanne</strong> la Pucelle <strong>devant</strong> Compiègne, et comme elle<br />

ne voulait croire conseil, mais faisait tout à son<br />

plaisir ». Et, ayant conscience peut-être de l'énormité<br />

qu'il va avancer et pour ne pas paraître la prendre<br />

à son compte — mais le trait perfide n'en est pas<br />

moins lancé — l'archevêque rapporte les prétendues<br />

révélations d'un jeune pasteur du Gévaudan : « il<br />

répondait que Dieu avait souffert être prise <strong>Jeanne</strong><br />

la Pucelle, pour ce qu'elle s'était constituée en orgueil,<br />

et pour les riches habits qu'elle avait pris, et qu'elle<br />

n'avait pas fait ce que Dieu lui avait commandé,<br />

mais avait fait sa volonté » (2).<br />

(1) Son demi-frère, par sa mère Blanche de Nesle.<br />

(2) Il est assez significatif que le chancelier-archevêque se<br />

fasse ainsi l'écho de la cour royale d'Angleterre ; il reproduit le


76 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Quel motif pouvait bien avoir le chancelier de<br />

rejeter sur <strong>Jeanne</strong> l'échec apparent de sa mission?<br />

Il en était le principal responsable ; mais pourquoi<br />

se justifier <strong>devant</strong> ses diocésains, qui ne pouvaient<br />

soupçonner combien sa diplomatie avait été lamentable<br />

? Tenter d'expliquer le dernier supplice de la<br />

Pucelle en invoquant un châtiment providentiel,<br />

n'était-ce pas essayer de détourner l'attention de<br />

circonstances, que le chancelier ne désirait pas que<br />

les Rémois, amis de <strong>Jeanne</strong>, connussent trop en<br />

détail? Quel intérêt avait-il à ce qu'ils les ignorassent?<br />

* *<br />

Tel fut l'échec et telles ses causes, militaires, psychologiques<br />

et politiques, d'après les documents qui<br />

nous ont été conservés.<br />

Tandis qu'à La Chapelle, on élève une église à<br />

<strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> pour perpétuer le souvenir de son<br />

séjour en ce lieu, du 7 au 9 septembre ; dans le quartier<br />

Saint-Honoré rien ne rappelle son passage et son<br />

assaut, si ce n'est la belle statue équestre de Frémiet,<br />

place des Pyramides ; mais on se tromperait en localisant<br />

sur cette place l'attaque de <strong>Jeanne</strong> et le lieu de<br />

sa blessure. On sait, à quelques mètres près, l'endroit<br />

où elle fut frappée.<br />

En mars 1866, on mit à jour, en pratiquant des<br />

travaux d'égout, une partie des substructions de la<br />

porte Saint-Honoré ; on put alors s'assurer qu'elle<br />

même grief exposé dans la Lettre du 8 juin, envoyée par le roi<br />

d'Angleterre, aux rois de la chrétienté, pour justifier la condamnation<br />

de <strong>Jeanne</strong>. Une telle attitude paraît étrange et fait naître<br />

bien des soupçons. Voir infra p. 176.


BOULET DE PIERRE ET GROSSE BOMBARDE EN BRONZE<br />

AUX ARMES DE PlERRE D'AUBUSSON,<br />

GRAND-MAÎTRE DES HOSPITALIERS DE JÉRUSALEM, 1480.<br />

Poids : 3.325 kg. -— Diamètre de l'âme : 0 m. 58.<br />

Longueur de la bouche à feu : 1 m. 95.<br />

Le projectile en granit a 0 m. 568 de diamètre et pèse 261 kg.<br />

(Musée des Invalides.)


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 77<br />

mentirait 18 m ,50 sur 8 m ,34 ; la première de ces<br />

dimensions ne put cependant être exactement précisée,<br />

la moitié méridionale de l'édifice étant détruite,<br />

et le parement du mur septentrional engagé dans des<br />

caves ayant été précédemment entamé. La muraille,<br />

du côté de la ville avait une épaisseur de 1 m , 18 et<br />

celle, du côté du fossé, de 3 m. 60. On découvrit<br />

également à cet emplacement deux boulets de pierre,<br />

recueillis dans les remblais et paraissant provenir de<br />

l'attaque de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> ; l'un avait 0,175 de diamètre<br />

et l'autre seulement 0,083 ; tous deux avaient été<br />

fortement endommagés par leur choc contre les fortifications<br />

(BONNARDOT, Dissertation archéologique sur<br />

les anciennes enceintes de <strong>Paris</strong> ; appendice).(1)<br />

Quand, en 1912 et 1913, on fit, en vue de la construction<br />

de la ligne 7 du métropolitain, de nouvelles<br />

fouilles sous l'avenue de l'Opéra et la place du Théâtre-<br />

Français, on retrouva des vestiges du mur d'enceinte<br />

de Charles V, aux abords de l'ancienne porte Saint-<br />

Honoré. Connaissant la largeur du fossé, dont l'eau<br />

baignait le rempart — 16 toises, c'est-à-dire environ<br />

32 mètres — on put fixer l'endroit où courait le dos<br />

d'âne. Il ne restait plus qu'à prendre la direction de<br />

l'ancien « Marché aux pourceaux », place d'armes de la<br />

Pucelle, pour connaître approximativement le point<br />

du dos d'âne où <strong>Jeanne</strong> avait été blessée ; c'était à<br />

environ 60 mètres de la porte Saint-Honoré.<br />

M. Charles Magne, inspecteur des fouilles archéologiques,<br />

a précisé ce lieu en ces termes, dans le<br />

rapport qu'il présenta, en 1914, au nom de la 2 e souscommission<br />

:<br />

(1) Malgré nos recherches, nous n'avons pu découvrir où sont<br />

actuellement conservés ces deux boulets de pierre.


78 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

« D'après nos calculs, le lieu où fut blessée <strong>Jeanne</strong><br />

se trouverait ainsi déterminé par l'emplacement<br />

qu'occupe le numéro 2 de l'avenue de l'Opéra et<br />

par le trottoir qui s'étend <strong>devant</strong> cet immeuble »<br />

(Commission municipale du Vieux-<strong>Paris</strong>. Procès<br />

verbaux ; année 1914, p. 18).<br />

Il serait à souhaiter qu'en cet endroit, quelque<br />

indication rappelât au passant que là fut blessée la<br />

plus grande héroïne de notre histoire (1).<br />

(1) Le regretté Maurice BARRÈS avait favorablement accueilli<br />

ce projet. Le 4 octobre 1923, de Charmes il écrivait :<br />

« C'est une belle idée que vous avez de poser cette indication,<br />

cette pierre de mémoire, cette inscription pour servir de mémorial<br />

au passant, et je vous remercie de vouloir bien m'associer à cette<br />

initiative. Si vous avez une liste de souscription, je serai heureux<br />

de m'y inscrire et, l'heure venue, de signaler au public cette<br />

précision que vous lui donnez sur la sainte. »


SUR LES TRACES DE JEANNE<br />

D'ARC 1<br />

Pendant près de quinze jours, <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> a fait<br />

des escarmouches <strong>devant</strong> les murs de <strong>Paris</strong>. On peut<br />

relever avec certitude quelques-uns des endroits où<br />

sa présence est signalée, et présumer quelques autres<br />

où il est vraisemblable qu'elle a passé.<br />

C'est le 25 ou le 26 août 1429 (2) que, partis de<br />

Compiègne, <strong>Jeanne</strong> et le duc d'Alençon arrivèrent<br />

à Saint-Denis. « Le lendemain, ils couraient jusqu'aux<br />

portes de <strong>Paris</strong> (3). » Après l'échec du 8 septembre, ils<br />

retournèrent à Saint-Denis, le 9 du même mois.<br />

Entre ces deux dates, il y eut quotidiennement <strong>devant</strong><br />

<strong>Paris</strong> des engagements et « plusieurs beaux faits<br />

d'armes (4). » Perceval de Cagny, l'écuyer du duc<br />

d'Alençon, dit notamment : « Depuis que la Pucelle<br />

fut arrivée à Saint-Denis, deux ou trois fois par jour,<br />

nos gens étaient à l'escarmouche aux portes de <strong>Paris</strong>,<br />

tantôt en un lieu, tantôt en un autre, parfois au moulin<br />

à vent devers (entre) la porte Saint-Denis et La Cha-<br />

(1) Article publié dans la Semaine religieuse de <strong>Paris</strong>, n° du<br />

8 septembre 1923, pp. 306-311.<br />

(2) La première date est donnée par le Journal d'un Bourgeois de<br />

<strong>Paris</strong> ; la seconde par l'écuyer du duc d'Alençon, Perceval de<br />

Cagny.<br />

(3) Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong>.<br />

(4) Journal du siège d'Orléans.


80 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

pelle. Il ne se passait pas de jour que la Pucelle ne<br />

vînt faire les escarmouches ; elle se plaisait beaucoup<br />

à considérer la situation de la ville et par quel endroit<br />

il lui semblerait convenable de donner un assaut. Le<br />

duc d'Alençon était le plus souvent avec elle. »<br />

* *<br />

Rien n'indique que <strong>Jeanne</strong> ait fait quelque incursion<br />

sur la rive gauche de la Seine ; ce n'est qu'après<br />

l'insuccès à la porte Saint-Honoré, que l'on songea<br />

à se porter de ce côté. Le 10 septembre au matin,<br />

la Pucelle, le duc d'Alençon et quelques autres capitaines<br />

se proposaient de réaliser ce projet, en passant<br />

la Seine sur le pont qu'ils avaient fait jeter, quelques<br />

jours auparavant, vis-à-vis de Saint-Denis, quand ils<br />

s'aperçurcnt que, durant la nuit, par ordre de<br />

Charles VII, le pont avait été détruit ; « et ils furent<br />

ainsi empêchés de passer (1) ».<br />

Pour « considérer la situation de la ville et par quel<br />

endroit il lui semblerait convenable de donner un<br />

assaut », <strong>Jeanne</strong> aura cherché ses postes d'observation<br />

vers les hauteurs de la rive droite.<br />

Sur la route qu'elle suivait fréquemment, « la<br />

chaussée pavée de Monseigneur saint Denys », se<br />

trouvait un plateau descendant, par une pente légère,<br />

du bourg de La Chapelle jusqu'au boulevard actuel<br />

de La Chapelle. De ce plateau, elle pouvait examiner<br />

les portes Saint-Denis, Saint-Martin et leurs environs.<br />

Montmartre, sur l'un des chemins qu'elle parcou-<br />

(1) Perceval de Cagny.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 81<br />

rait en venant de Saint-Denis et où elle fit cantonner<br />

une partie de ses troupes, était le meilleur des observatoires.<br />

Du haut de la colline, on distinguait le mur<br />

d'enceinte, ses portes, ses bastilles, ses tours, ses<br />

fossés, ses défenses extérieures et même quelque peu<br />

l'intérieur de la ville. On aime à penser que <strong>Jeanne</strong>,<br />

dont la dévotion est si formellement attestée par les<br />

témoins du procès de réhabilitation, a pu s'arrêter,<br />

avant ou après son examen stratégique des remparts,<br />

dans la vieille abbaye des Bénédictines et prier en<br />

cette antique église Saint-Pierre de Montmartre,<br />

consacrée par le pape Eugène III, Pierre le Vénérable,<br />

remplissant les fonctions de diacre et saint Bernard<br />

celles de sous-diacre.<br />

Si elle a passé par Aubervilliers, où quelques<br />

contingents de son armée étaient logés, elle aura suivi<br />

« le chemin d'Aubervilliers », aujourd'hui rue d'Aubervilliers,<br />

conduisant de ce village vers <strong>Paris</strong>, par le<br />

flanc de la colline de la Villette.<br />

Peut-être a-t-elle été aussi jusqu'au plateau de<br />

Monceau, où, rapporte Martial d'Auvergne, était<br />

campée une fraction des troupes qui vinrent à l'assaut<br />

« du 8 septembre ; de là elle apercevait sans doute la<br />

massive bâtisse de la porte Saint-Honoré.<br />

* *<br />

Les actions quotidiennes, préparatoires à l'attaque<br />

décisive, avaient lieu, dit le chroniqueur, « aux portes<br />

de <strong>Paris</strong>, tantôt en un lieu, tantôt en un autre ».<br />

Sur la rive droite, les portes de l'enceinte Caroline,<br />

véritables bastions fortifiés, étaient au nombre de<br />

six : la porte Saint-Antoine (place de la Bastille) ;


82 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

celle du Temple (à l'intersection actuelle de la rue<br />

et du boulevard du Temple) ; celles de Saint-Martin<br />

et de Saint-Denis (toutes deux à peu près à l'endroit<br />

actuel) ; celle de Montmartre (un peu au sud du<br />

point où la rue Montmartre traverse la rue d'Aboukir),<br />

et celle de Saint-Honoré (presqu'au lieu où la<br />

rue Saint-Honoré rencontre, à l'ouest, la place du<br />

Théâtre-Français).<br />

<strong>Jeanne</strong> a-t-elle fait quelque tentative du côté des<br />

portes du Temple et de Saint-Antoine ? Rien ne le<br />

dit, si ce n'est la vague allusion de Perceval de Cagny ;<br />

« aux portes de <strong>Paris</strong>, tantôt en un lieu, tantôt en un<br />

autre. » On ne peut le savoir ; il est cependant permis<br />

de supposer qu'elle a dû faire quelque excursion dans<br />

leurs parages, afin d'y examiner l'état du rempart<br />

et de supputer les chances de succès d'une attaque<br />

dirigée de ces côtés,<br />

« La vigile de saint Laurent, la porte Saint-Martin<br />

fut fermée », écrit le Bourgeois de <strong>Paris</strong>, qui mentionne<br />

les mesures prises pour la défense de la ville. <strong>Jeanne</strong>,<br />

l'ayant constaté, dut renoncer à la prendre ; il était<br />

plus indiqué de s'emparer d'une porte ouverte, dont<br />

on n'aurait qu'à abaisser le pont-levis pour donner<br />

accès à ceux des assiégeants n'ayant pas pris part à<br />

l'escalade du rempart.<br />

Du haut de Montmartre, <strong>Jeanne</strong> put remarquer que<br />

la porte de Montmartre, située dans le bas-fond<br />

de la vallée, non loin du ruisseau de Ménilmontant,<br />

paraissait moins accessible que celles de Saint-Denis<br />

et de Saint-Honoré ; <strong>devant</strong> cette porte s'étendaient<br />

les marais, peu favorables aux mouvements de troupes<br />

et au charroi de tout un matériel d'assaut ; dans son<br />

voisinage immédiat, il n'y avait nulle butte où placer<br />

l'artillerie qui devait battre le rempart ; un unique


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 83<br />

chemin, descendant de la colline des Martyrs, y<br />

accédait, franchissant, il est vrai, le ruisseau sur un<br />

pont de pierre ; mais le même avantage se retrouvait<br />

<strong>devant</strong> la porte Saint-Honoré (1).<br />

* *<br />

<strong>Jeanne</strong> a-t-elle attaqué la porte Saint-Denis? C'est<br />

assez probable ; une armée, descendant à <strong>Paris</strong> par<br />

la route pavée de Monseigneur-saint-Denys, rencontrait<br />

cette porte <strong>devant</strong> elle ; là surtout devait se<br />

prévoir l'attaque ; aussi était-elle bien gardée, si<br />

bien gardée que l'assiégé y avait concentré sa plus<br />

grosse artillerie ; « Ceux de <strong>Paris</strong>, relate le Bourgeois<br />

de <strong>Paris</strong>, avaient de grands canons qui, largement,<br />

atteignaient de la porte Saint-Denis jusqu'au delà<br />

de Saint-Lazare. »<br />

Le 7 septembre, le roi, vers le milieu de la journée,<br />

à l'heure du repas, étant enfin arrivé à Saint-Denis,<br />

<strong>Jeanne</strong> et les capitaines vinrent établir leur quartier<br />

général à La Chapelle. Dans un article intéressant et<br />

bien documenté (2), M. Ch. Gailly de Taurines a<br />

rappelé comment <strong>Jeanne</strong> avait occupé, du 7 au 9 septembre,<br />

le « logis de sainte Geneviève », au chevet de<br />

l'église actuelle de Saint-Denys de la Chapelle.<br />

Ce mercredi 7 septembre, l'armée royale entreprit<br />

contre <strong>Paris</strong> une action assez vive : « La vigile de la<br />

Nativité de Notre-Dame, en septembre, écrit le<br />

(1) En 1411, raconte le Bourgeois de <strong>Paris</strong>, toutes les portes<br />

avaient été fermées, murées « à plâtre », sauf, sur la rive droite,<br />

celles de Saint-Denis, Saint-Antoine et Saint-Honoré. La porte<br />

Montmartre ne fut rouverte qu'en septembre 1425.<br />

(2) Revue des Deux-Mondes, 15 avril 1923.


84 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Bourgeois de <strong>Paris</strong>, les Armagnacs vinrent assaillir<br />

les murs de <strong>Paris</strong> qu'ils croyaient emporter d'assaut. »<br />

Les Registres du Chapitre de Notre-Dame notent aussi<br />

que ce fut une « attaque contre la ville », dans le<br />

but de la prendre ; qu'elle se prolongea jusqu'au soir ;<br />

que l'alerte fut si grande dans la cité, qu'on fit « une<br />

procession solennelle à sainte Geneviève sur la montagne,<br />

pour obtenir la cessation de l'attaque ». Toutefois,<br />

ces rédacteurs ne nous fournissent aucune<br />

indication sur le point du rempart où fut dirigée<br />

cette opération ; mais Martial d'Auvergne rapporte<br />

que, la veille de l'affaire de la porte Samt-Honoré,<br />

c'est-à-dire le 7 septembre, <strong>Jeanne</strong> conduisit son<br />

armée de La Chapelle « au moulin à vent où y<br />

eust escarmouche belle » ; Perceval de Cagny dit<br />

aussi qu'il y eut « escarmouche aux portes de <strong>Paris</strong>...<br />

parfois au moulin à vent, entre la porte Saint-Denis<br />

et La Chapelle (1) ».<br />

Une vive tentative d'assaut pour prendre la ville,<br />

près d'un moulin à vent situé entre La Chapelle et<br />

la porte Saint-Denis, et durant jusqu'au soir : voilà<br />

les renseignements fournis par les documents de<br />

(1) La Chronique des Cordeliers relate « une de ces attaques,<br />

près de Saint-Laurent » ; il semble bien qu'il s'agit de celle du<br />

7 septembre ; elle aurait donc eu lieu du côté de la porte Saint-<br />

Martin ; mais le récit de cette Chronique, au sujet de cet épisode,<br />

est rempli d'erreurs. Elle dit que « le duc d'Alençon et la Pucelle<br />

furent repoussés et battus » ; ce qui est inexact, puisque ce fut la<br />

nuit qui interrompit l'opération ; elle parle de « six à sept cents<br />

morts » ; nul autre chroniqueur ne dit rien de semblable ; le Bourgeois<br />

de <strong>Paris</strong>, si partial cependant, ne signale que des blessés ;<br />

elle ajoute que l'armée battue se retira « à Senlis », avant de revenir<br />

à l'attaque de la porte Saint-Honoré, ce qui est encore plus manifestement<br />

faux. On ne peut donc tenir aucun compte de son<br />

indication.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 85<br />

l'époque ; pour le reste, nous en sommes réduits<br />

aux conjectures. Il faudrait pouvoir retrouver l'emplacement<br />

de ce moulin, du côté de la porte Saint-<br />

Denis, et assez proche du mur d'enceinte que <strong>Jeanne</strong><br />

se proposait d'escalader avec ses hommes d'armes ;<br />

diverses inductions ouvrent le champ aux hypothèses.<br />

Ce moulin doit évidemment être cherché sur quelque<br />

élévation de terrain, où ses ailes mouvantes<br />

pussent tourner au vent. M. Gailly de Taurines,<br />

dans l'article cité, le place « sur la crête militaire du<br />

plateau qui, depuis le point culminant de La Chapelle<br />

descend, par de légères ondulations, vers <strong>Paris</strong>, à peu<br />

près à l'endroit où, aujourd'hui, le haut de la rue du<br />

Faubourg-Saint-Denis atteint le boulevard extérieur »,<br />

par conséquent sur le boulevard de La Chapelle,<br />

derrière la gare du Nord (1). Il faudrait alors renoncer<br />

à voir, dans l'engagement qui aurait eu lieu à cette<br />

place, une attaque contre les murs de <strong>Paris</strong> ; ce ne<br />

serait qu'une « escarmouche » assez loin de l'enceinte ;<br />

ce qui semble en contradiction avec les textes rapportes<br />

ci-dessus ; mais, comme cet écrivain ne donne<br />

part sa référence, on ne voit pas la raison qui lui fait<br />

placer le moulin en ce lieu (2).<br />

Ne faut-il pas le chercher plus près du rempart?<br />

Jean Chartier, historiographe officiel de Charles VII,<br />

« religieux et chantre de l'église Monseigneur-Saint-<br />

Deny » — qui, peut-être a vu la Pucelle à Saint-<br />

Denis pendant la quinzaine de jours qu'elle y a logé, —<br />

(1) Page 902.<br />

(2) Peut-être se réfère-t-il à ce passage du Bourgeois de <strong>Paris</strong> :<br />

« le 16° jour d'octobre (1411) étaient les Armagnacs près le<br />

moulin à vent au-dessus de Saint-Ladre (Saint-Lazare) ».


86 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

écrit dans sa Chronique latine (1) que ce moulin était<br />

dans le voisinage de l'enceinte (urbis suburbia tangens),<br />

ce qui ne serait pas le cas s'il était — ou s'il<br />

s'agissait de celui qui se trouvait peut-être — à l'endroit<br />

indiqué par M. de Taurines.<br />

D'autre part, nous savons par divers chroniqueurs<br />

de l'époque, que le duc de Bedford n'avait laissé<br />

pour garder et défendre <strong>Paris</strong> qu' « environ deux mille »<br />

soldats anglais avec quelques gentilshommes (2) ;<br />

(« quarante ou cinquante anglais » seulement, prétend<br />

le Bourgeois de <strong>Paris</strong> ; mais cette fois, comme<br />

tant d'autres, son évaluation est fantaisiste) ; que le<br />

duc de Bourgogne renforça la garnison en envoyant,<br />

sous la conduite de capitaines, « quatre cents combattants<br />

» (3). Avec les habitants de la ville qui contribuèrent<br />

à la défense de leur cité, cela faisait une assez<br />

faible armée en face des dix ou douze mille guerriers<br />

de <strong>Jeanne</strong>. Nous savons encore que « par peur des<br />

embûches de l'ennemi » (4), les assiégés ne se hasardaient<br />

guère hors du boulevard et des barrières<br />

extérieures protégeant les approches des portes.<br />

Dès lors on ne s'expliquerait pas qu'en si petit nombre<br />

ils aient été chercher le combat au-<strong>devant</strong> des assiégeants,<br />

assez loin de la porte Saint-Denis, et sur une<br />

hauteur.<br />

D'anciens plans de <strong>Paris</strong> du seizième siècle (5)<br />

montrent, proche du rempart, à l'ouest de la porte<br />

(1) Avant sa chronique en français, Jean Chartier avait composé<br />

une chronique en latin.<br />

(2) Chronique de la Pucelle ; Chronique (française) de Jean<br />

Chartier.<br />

(3) Chronique de Monstrelet.<br />

(4) Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong>.<br />

(5) Notamment ceux dits d'Arnoullet, de Braun, de Bâle.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 87<br />

Saint-Denis, une butte assez longue, surmontée de<br />

trois moulins à vent, bien espacés l'un de l'autre.<br />

Rien ne prouve, il est vrai, que ces moulins existaient<br />

déjà au temps de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> ; sur la butte, près<br />

de la porte Saint-Honoré, où <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> établit<br />

le 8 septembre son artillerie, les mêmes plans indiquent<br />

aussi deux moulins qui sans doute n'y étaient pas<br />

alors ; les chroniques, qui relatent l'attaque de cette<br />

porte, n'en font aucune mention. Rien non plus<br />

cependant ne permet d'établir une corrélation d'origine<br />

entre ces divers moulins ; les trois premiers,<br />

ou l'un seulement de ces trois, peuvent être beaucoup<br />

plus anciens. La vérité est que nous n'en savons<br />

rien et que nous sommes dans le plus pur domaine<br />

des hypothèses. Sur ces plans, le moulin à vent le<br />

plus rapproché de la porte Saint-Denis paraît occuper<br />

l'emplacement représenté aujourd'hui par l'élévation<br />

de terrain, qui se trouve entre la rue de Cléry et le<br />

boulevard de Bonne-Nouvelle, non loin de l'église<br />

de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle.<br />

Ne serait-ce pas là l'endroit vaguement indiqué<br />

par nos chroniqueurs? Ce qui autorise à le supposer,<br />

c'est la similitude frappante qui se remarquerait<br />

ainsi, entre la manière dont fut conduite l'attaque de<br />

la porte Saint-Honoré et celle qu'on aurait employée,<br />

en ce cas, à la porte Saint-Denis,<br />

Observons tout d'abord qu'étant donnés les moyens<br />

dont on disposait alors, tant pour les assaillir que pour<br />

les défendre, les portes étaient directement imprenables<br />

; il fallait s'en emparer par l'intérieur de la<br />

ville. Tandis qu'une partie des assaillants agissait<br />

sur la porte elle-même, une autre prenait d'assaut le<br />

rempart, à un point assez rapproché de la porte, pénétrait<br />

par le rempart dans la ville, immobilisait les


88 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

portiers et la garnison, occupait la porte, abaissait le<br />

pont-levis et livrait passage au reste des assiégeants.<br />

C'est ainsi que <strong>Jeanne</strong> devait tenter son entreprise,<br />

le lendemain, à la porte Saint-Honoré ; si c'est ainsi<br />

qu'elle l'a tentée le 7 septembre, à la porte Saint-<br />

Denis, le moulin se trouvait sur la butte qui vient<br />

d'être indiquée.<br />

Dans les deux cas, <strong>Jeanne</strong> choisit un monticule,<br />

au voisinage de la porte ; derrière, elle embusque un<br />

corps de réserve ; au faîte, elle établit son artillerie<br />

pour balayer le rempart et préparer l'assaut ; rappelons-nous,<br />

en effet, la déposition d'un de ses plus<br />

fidèles compagnons d'armes, le duc d'Alençon :<br />

« On admirait surtout le parti qu'elle savait tirer de<br />

l'artillerie ; car c'est en cela qu'elle excellait (1) »;<br />

quand l'artillerie aura suffisamment fait son œuvre<br />

et que le moment propice sera arrivé, elle escaladera<br />

le mur d'enceinte, pénétrera dans la ville, s'emparera<br />

de la porte et l'ouvrira à ses troupes.<br />

Toutefois, rien n'établit d'une manière certaine<br />

ni que le moulin fut à l'endroit que nous proposons,<br />

ni même que l'attaque de la ville, le 7 septembre,<br />

ait eu lieu à la porte Saint-Denis ; ceci n'est qu'une<br />

conjecture.<br />

La nuit étant venu interrompre cette opération,<br />

<strong>Jeanne</strong> retourna à La Chapelle, au « logis de <strong>Sainte</strong>-<br />

Geneviève ».<br />

Le lendemain jeudi, 8 septembre, elle porta son<br />

effort sur la porte Saint-Honoré.<br />

(l) Et de hoc mirabantur omnes... et maxime in praeparatione<br />

de l'artillerie ; quia multum bene in hoc se habebat. »


GROSSE BOMBARDE DU xv e SIÈCLE<br />

TROUVÉE DANS LA LOIRE, PRES D'ORLEANS.<br />

Diamètre de l'âme : 0 m. 58. — Longueur totale : 2. mètres.<br />

(Musée des Invalides.)<br />

BOMBARDE (I) ET VEUGLAIRE (2) DES XIV e ET XV e SIÈCLES.<br />

(Musée des Invalides.)


NOTE<br />

SUR L'ARTILLERIE<br />

DE 1425 A 1450<br />

Nous avons rappelé ci-dessus le témoignage du<br />

duc d'Alençon, affirmant que <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> excellait<br />

à utiliser l'artillerie.<br />

L'artillerie lourde de cette époque se composait<br />

de bombardes et de veuglaires.<br />

Les pièces d'artillerie légère étaient les crapeaudeaux,<br />

les coulevrines, les ribaudequins et les orgues.<br />

Les bombardes étaient de gros canons en fer, formés de plusieurs<br />

pièces vissées, lançant des boulets de pierre. Elles pesaient<br />

de 7.000 à 30.000 livres et lançaient des boulets pesant de<br />

150 à 900 livres.<br />

Les veuglaires étaient des canons plus légers que les bombardes,<br />

pesant de 300 à 6.000 livres ; ils se chargeaient par l'arrière,<br />

au moyen de chambres mobiles (deux ou trois) préparées à<br />

l'avance et qui étaient coincées à l'arrière du canon. Le veuglaire<br />

était une pièce à tir relativement rapide.<br />

Les crapeaudeaux étaient de petits veuglaires dont le poids<br />

n'excédait pas 200 livres.<br />

Les coulevres ou coulevrines étaient de petits canons en fer, de<br />

12 à 50 livres ; elles se chargeaient par la bouche. Les<br />

plus petites étaient portées à la main, comme des fusils.<br />

Les ribaudequins étaient un ensemble de trois, quatre ou cinq<br />

canons de petit calibre (crapeaudeaux ou coulevrines),<br />

enchâssés dans du bois et placés avec leur fût sur une<br />

voiture attelée à l'arrière et qui portait, en outre, les boulets,<br />

les tampons de bois et la poudre ; chacun des canons<br />

du ribaudequin tirait séparément.


90 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Les orgues étaient une série de petits canons fondus ensemble,<br />

dont les lumières étaient en communication à la base<br />

par une rainure, dans laquelle la traînée de poudre faisait<br />

partir tous les coups à la fois. C'était une sorte de mitrailleuse,<br />

portée par un affût à roues et protégée par un mauvelet<br />

formant masque.


BOMBARDES DES XIV e ET XV e SIÈCLES<br />

(Musée des Invalides).


BOMBARDES (1), COULEVRINES (2) ET CRAPEAUDEAUX (3),<br />

AVEC LEUR CHAMBRE MOBILE (4) DES XIV e ET XV e SIÈCLES<br />

(Musée des Invalides)<br />

COULEVRINES PORTATIVES (1) ET COULEVRINIER (2) DU XV e SIÈCLE<br />

(Musée des Invalides).


LA MARCHE DE JEANNE D'ARC<br />

DE « LA CHAPELLE »<br />

A LA PORTE SAINT-HONORÉ 1<br />

Le chemin suivi par <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, de La Chapelle<br />

à la porte Saint-Honoré, lors de son attaque sur<br />

<strong>Paris</strong>, a été depuis enclos dans l'intérieur de la ville.<br />

Peut-on le reconstituer, approximativement du<br />

moins? On l'a tenté, et non sans quelque succès,<br />

semble-t-il (2).<br />

Pour aboutir à des conclusions acceptables, il nous<br />

paraît utile de se faire d'abord une idée aussi exacte<br />

que possible de la topographie de la banlieue nordouest<br />

et nord de <strong>Paris</strong>, au début du quinzième siècle ;<br />

— de relever ensuite, dans les documents concernant<br />

l'attaque de la capitale par l'héroïne, les points géographiques<br />

mentionnés ; — enfin de déduire, du<br />

rapprochement de ces deux ordres de faits, l'itinéraire<br />

probable de sa marche sur la ville.<br />

(1) Article publié dans la Semaine religieuse de Parts, n° du<br />

21 avril 1923, pp. 591-598.<br />

(2) Voir notamment, E. Eude : « L'itinéraire parisien de <strong>Jeanne</strong><br />

<strong>d'Arc</strong>, en la journée du 8 septembre 1429 » ; Revue des Etudes<br />

historiques, janvier-mars 1916, pp. 65-90.


92 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

<strong>Paris</strong> était enfermé dans une enceinte fortifiée.<br />

L'enceinte Caroline, commencée par Etienne Marcel<br />

et achevée par Charles V, suivait, dans la région qui<br />

nous intéresse, de la porte Saint-Honoré à la porte<br />

Saint-Denis, à peu près le tracé suivant :<br />

Elle commençait au fleuve vers l'endroit où est<br />

aujourd'hui le pont du Carrousel, traversait !a place<br />

du même nom, la rue de Richelieu, le jardin du Palais-<br />

Royal, les rues de Valois et des Bons-Enfants, la<br />

Banque de France, la place des Victoires et, par la<br />

rue d'Aboukir, rejoignait la porte Saint-Denis (1).<br />

Les anciens plans, dits de Tapisserie, de Braun,<br />

de Ducerceau, donnent une image de ce qu'était cette<br />

enceinte : un mur fortifié de tours et de bastides,<br />

dressé sur une butte de terre et protégé par un large<br />

fossé rempli d'eau : sur l'autre versant du fossé<br />

s'élevait une seconde butte « à dos d'âne », bordée,<br />

elle aussi, par un fossé à sec, avec un chemin de contrescarpe<br />

sur la campagne.<br />

Au delà s'étendaient des espaces vagues, formant<br />

une légère vallée, à travers laquelle s'écoulait le<br />

« ruisseau de Ménilmontant ». Descendant des hauteurs<br />

de Ménilmontant et de Belleville, et constituant<br />

ainsi pour la ville une seconde ligne de défense, ce<br />

ruisseau suivait un parcours marqué actuellement<br />

par les rues des Petites-Ecuries, Richer, de Provence,<br />

de Penthièvre, du Colisée, Marbœuf et se terminait<br />

(1) Elle suivait ensuite les rues <strong>Sainte</strong>-Apolline et de Meslay,<br />

les boulevards du Temple, des Filles-du-Calvaire, et Beaumarchais<br />

; traversait la place de la Bastille et, s'orientant dans la<br />

direction du canal Saint-Martin, rejoignait la Seine.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 93<br />

à la Seine, au quai Debilly, presqu'à la hauteur de la<br />

rue Debrousses (1).<br />

Sur la rive gauche, entre le ruisseau et l'enceinte,<br />

ce n'étaient que marais, transformés progressivement<br />

en cultures maraîchères. Par delà le ruisseau, sur la<br />

rive droite, se dressait au nord la colline de Montmartre,<br />

dont une partie des flancs était couverte de<br />

vignobles ; et, au nord-ouest, s'ouvrait la plaine de<br />

Monceau.<br />

Quelles étaient, dans cette région, les voies d'accès<br />

sur <strong>Paris</strong>?<br />

Deux grands chemins traversaient la ville ; l'un<br />

du sud au nord, par les rues Saint-Jacques et Saint-<br />

Denis, aboutissant à la porte Saint-Denis ; l'autre de<br />

l'est à l'ouest, par la rue Saint-Honoré, jusqu'à la<br />

porte du même nom. Entre ces deux portes, il y en<br />

avait une troisième, celle de Montmartre.<br />

Ces trois points de sortie indiquent les principales<br />

voies hors les murs. De la ville Saint-Denis, la « grande<br />

chaussée Saint-Denis », passant par La Chapelle,<br />

accédait à la porte Saint-Denis et se prolongeait,<br />

dans la ville, par la rue Saint-Denis. A la porte de<br />

Montmartre venait finir le chemin descendant de la<br />

colline des Martyrs. A la porte Saint-Honoré conduisaient<br />

deux chemins : d'une part, la « chaussée du<br />

Roule », venant presqu'en droite ligne du hameau<br />

de ce nom, représentée aujourd'hui par la rue du<br />

Faubourg Saint-Honoré et la rue Saint-Honoré jusqu'à<br />

la place du Théâtre-Français ; d'autre part, le « grand<br />

chemin d'Argenteuil », descendant de ce village<br />

par Asnières, la plaine Monceau, les rues du Rocher,<br />

de l'Arcade et d'Argenteuil, et traversant le ruisseau<br />

(1) Il existe encore à l'état d'égout.


94 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

sur le pont de la Ville-l'Évêque. Chacune de ces voies,<br />

en effet, rencontrait le ruisseau de Ménilmontant,<br />

qu'elle franchissait soit sur un pont en maçonnerie,<br />

soit grâce à une « chaussée », ou levée de terre.<br />

Ces voies « hors les murs » devaient être reliefs entre<br />

elles ; sans doute des sentiers, des chemins de traverse<br />

assuraient les communications ; mais ils étaient<br />

à peu près impraticables aux gros charrois. Et comme<br />

il arrivait que <strong>Paris</strong> fermât assez fréquemment ses<br />

portes, une route emp'errée était indispensable. Entre<br />

le ruisseau et l'enceinte, à travers les marais, nulle<br />

voie n'était possible ; la route ne pouvait se trouver<br />

que sur la rive droite ; et elle s'y trouvait effectivement,<br />

comme l'a établi M. E. Eude, dans l'étude<br />

déjà citée :<br />

« 1° Dès le treizième siècle, écrit-il (et, sans doute,<br />

antérieurement) il existait un chemin de Saint-Lazare,<br />

allant du Roule à Saint-Laurent, et dont la section<br />

orientale formait jonction entre le grand chemin<br />

d'Argenteuil et la chaussée Saint-Denis, pavée ;<br />

« 2° Cette section, au moins dès le commencement<br />

du quinzième siècle, était ferrée, c'est-à-dire revêtue<br />

d'un empierrement résistant, et praticable aux chevaux,<br />

aux troupes, en dépit de son étroitesse, qui<br />

n'était peut-être qu'intermittente ;<br />

« 3° Jusqu'au dix-septième siècle, dans le « marais<br />

« de <strong>Paris</strong> », parallèlement au ruisseau de Ménil montant<br />

ou grand égout de ceinture, il n'existait aucun autre<br />

vrai chemin entre ledit égout et l'enceinte caroline,<br />

dans la partie de l'enceinte qui courait de la porte<br />

Saint-Denis à la porte Saint-Honoré (1) ».<br />

Trois textes, antérieurs à l'attaque de <strong>Paris</strong> par la<br />

(l) Loc. cit, p. 72-73.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 95<br />

Pucelle en 1429, — deux datant de 1411, empruntés<br />

au Bourgeois de <strong>Paris</strong> et à Juvénal des Ursins ; l'autre<br />

de 1427, également extrait du Bourgeois de <strong>Paris</strong>, —<br />

ont permis à M. E, Eude « diverses inductions utiles<br />

touchant la section du chemin de Saint-Lazare<br />

comprise entre le pont de la Ville-l'Evêque et la<br />

chaussée Saint-Denis ». Nous ne le suivrons pas dans<br />

cette démonstration conduite avec beaucoup de<br />

sagacité, nous contentant de retenir ses conclusions.<br />

Ainsi, dès 1411, il existait un chemin empierré,<br />

situé sur la rive droite du ruisseau et reliant la chaussée<br />

Saint-Denis au grand chemin d'Argenteuil.<br />

Trouverons-nous dans les textes de l'époque<br />

quelques indications qui permettent d'inférer que<br />

c'est bien là le chemin pris par <strong>Jeanne</strong> et ses hommes<br />

d'armes?<br />

* *<br />

En ce court exposé, on ne peut songer à reproduire<br />

intégralement ces textes ; il suffira d'en extraire les<br />

précisions et de les grouper topographiquement.<br />

Martial d'Auvergne, procureur au Parlement de<br />

<strong>Paris</strong>, auteur d'une chronique rimée, Les Vigilles<br />

de la mort de Charles VII, dit que l'armée royale<br />

vint camper à La Chapelle ; ce que confirme un autre<br />

chroniqueur rapportant, dans la Chronique de la Pucelle,<br />

qu'après son échec « toute la susdite compagnie<br />

se retira au lieu de La Chapelle Sainct-Denys, où<br />

ils avaient logé la nuict d'avant ».<br />

L'armée n'était cependant pas concentrée tout<br />

entière en cet endroit ; nous savons par Monstrelet,<br />

prévot de Cambrai, que des contingents étaient distribués<br />

en divers lieux : « Et les gens se logèrent à


96 JEANNE D ARC DEVANT PARIS<br />

Aubervilliers, à Montmartre, et ès villages assez près<br />

de <strong>Paris</strong> », Martial d'Auvergne mentionne qu'une<br />

partie des troupes était campée à Mousseaux (qui a<br />

pris depuis le nom de Monceau), d'où elle gagna<br />

le Marché aux pourceaux :<br />

Le lendemain grant compagnie<br />

De l'ost (1) des Français à Mousseaux<br />

S'enviendrent faire une assaillie<br />

Jusques au Marché aux pourceaux.<br />

Clément de Fauquembergue, greffier au Parlement,<br />

relate que des « gens d'armes de messire Charles de<br />

Vallois assemblez en grant nombre emprès les murs<br />

de <strong>Paris</strong> lez la porte Sainct-Honoré... plusieurs d'iceux<br />

étant sur la place aux pourceaux et environ prez de<br />

la dicte porte » y commencèrent l'attaque qui se<br />

continua jusqu'à une heure avancée de la nuit.<br />

Jean Chartier, historiographe officiel de Charles VII,<br />

dit de même : « Vinrent lesdits seigneurs aux champs,<br />

vers la porte Sainct-Honoré sur une manière de butte<br />

ou de montagne qu'on nommait le Marché aux pourceaux<br />

».<br />

Le Journal du siège d'Orléans précise : « Les ducs<br />

d'Alençon et de Bourbon s'embusquèrent derrière<br />

la montagne qui est auprès et contre le Marché aux<br />

pourceaux ».<br />

Le Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong> ajoute qu'après<br />

leur échec les assaillants durent fuir assez rapidement<br />

« car ceulx de <strong>Paris</strong> avoient de grans cannons qui<br />

gectoient de la porte Sainct-Denis jusques par delà<br />

Sainct-Ladre (2) largement, qui leur gectoient au<br />

(1) Armée.<br />

(2) Saint-Lazare.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 97<br />

dos, dont moult furent épouvantez... En eulx en<br />

allant ils boutèrent le feu en la granche des Mathurins,<br />

emprès les Pocherons et mirent de leurs gens qui<br />

mors estoient à l'assault, qu'ilz avoient troussez sur<br />

leurs chevaulx, dedans cellui feu à grant foison ».<br />

Et il affirme plus loin que, dans leur fuite précipitée,<br />

les soldats de Charles VII ne purent sauver le convoi<br />

qui avait apporté le matériel au siège : « car la plus<br />

grant partie de leur charroy, en quoi ilz avoient<br />

admené leurs bourrées, ceulx de <strong>Paris</strong> leur osterent ».<br />

Alors, suivant divers chroniqueurs, l'armée « se retira<br />

au lieu de La Chapelle-Sainct-Denis, où ils avaient<br />

logé la nuict d'avant » (1).<br />

La Chapelle Saint-Denis, Aubervilliers, Montmartre<br />

Mousseaux et autres villages, Saint-Lazare, les Porcherons,<br />

la grange des Mathurins, la butte et le<br />

Marché aux pourceaux, la porte Saint-Honoré marquent<br />

différents points de l'itinéraire.<br />

Partie de la ville de Saint-Denis, une fraction de<br />

l'armée vint avec <strong>Jeanne</strong> camper à La Chapelle.<br />

D'autres effectifs se logèrent à Aubervilliers, Montmartre,<br />

Monceau et villages voisins. L'objectif était<br />

la porte Saint-Honoré. Il ne s'agissait, dans la pensée<br />

des capitaines, — <strong>Jeanne</strong> l'a déclaré au cours de son<br />

procès, — que de faire, ce jeudi 8 septembre, en la<br />

fête de la Nativité de la Vierge « une escarmouche<br />

ou une vaillance d'armes » ; mais elle, elle avait décidé<br />

« d'aller oultre » et d'entraîner après elle les hommes<br />

d'armes au delà des fossés qui protégeaient l'enceinte.<br />

Les divers contingents, campés aux villages mentionnés,<br />

rejoindraient le gros de la troupe en cours de<br />

(1) Chronique de la Pucelle, Journal du Siège d'Orléans, Chronique<br />

de Jean Chartier, Chronique de Perceval de Cagny.


98 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

route, pour se rendre ensemble à la Butte, près du<br />

Marché aux pourceaux, dans le voisinage de la porte<br />

Saint-Honoré.<br />

Or il n'y avait qu'une route, celle indiquée par<br />

M. E. Eude, qui se prétât sur ce parcours à une pareille<br />

concentration.<br />

Il reste à déduire de ces diverses indications l'itinéraire<br />

probable suivi par <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> dans cette<br />

journée du 8 septembre.<br />

* *<br />

L'armée se composait au dire du Bourgeois de<br />

<strong>Paris</strong>, d'au moins 12.000 hommes : « Et s'assemblèrent<br />

bien XII mil ou plus, et vindrent (environ)<br />

heure de grant messe, entre XI et XII, leur Pucelle<br />

avec culx et très grant foison chariots, charettes et<br />

chevaulx, tous chargez de grans bouréesàtroishars(l)<br />

pour emplir les fossez de <strong>Paris</strong> ; et commencèrent<br />

à assaillir entre la porte Sainct-Honoré et la porte<br />

Sainct-Denis ». Les divers chroniqueurs notent<br />

l'importance du matériel de siège dont disposait cette<br />

armée ; abondante artillerie : bombardes, veuglaires,<br />

coulevrines, etc. ; elle tramait, rapportent les Registres<br />

du Chapitre de Notre-Dame de <strong>Paris</strong>, dans 300 charrettes<br />

tirées par bricoles (2) une grande quantité de<br />

bourrées pour combler les fossés, des claies pour<br />

rendre le passage sur bourrées praticable et<br />

650 échelles. A une telle armée et un si important<br />

matériel, des sentiers à travers les marais étaient<br />

(1) Liens.<br />

(2) Tercentum quadrigas quas ipsimel ad colla trahentes adduxerunt.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 99<br />

incontestablement insuffisants ; il fallait nécessairement<br />

une route empierrée.<br />

De Saint-Denis, l'armée était venue s'établir à<br />

La Chapelle, bourg situé sur le « grand chemin de<br />

<strong>Paris</strong> à Saint-Denis », à peu près à mi-distance entre<br />

l'enceinte de la capitale et la vieille abbaye royale ;<br />

ce bourg tirait son nom d'une chapelle consacrée<br />

à saint Denis (1) et où la tradition rapporte que <strong>Jeanne</strong><br />

vint prier avant de partir à l'assaut. La veille de la<br />

Nativité (7 septembre) une attaque contre <strong>Paris</strong> fut<br />

entreprise sans succès, raconte le Bourgeois de <strong>Paris</strong> :<br />

mais il ne précise pas sur quel point de l'enceinte.<br />

L'affaire fut remise au lendemain et on revint cantonner<br />

à La Chapelle.<br />

D'après Perceval de Cagny, écuyer du duc d'Alençon,<br />

« le mieux instruit, le plus complet, le plus sincère<br />

» des chroniqueurs de l'héroïne, dit Quicherat, —<br />

le 8 septembre, <strong>Jeanne</strong> se mit en selle vers huit heures<br />

du matin. Le Bourgeois de <strong>Paris</strong> note que l'assaut à<br />

la porte Saint-Honoré fut donné entre onze heures et<br />

midi ; il n'aurait commencé qu'à deux heures de<br />

l'après-midi, suivant Clément de Fauquembergue (2) ;<br />

c'est donc au minimum trois heures que mit l'armée<br />

(1) Aujourd'hui église paroissiale de Saint-Denis de la Chapelle.<br />

« Six colonnes subsistent, écrit M. E. Eude, dans l'étude<br />

déjà citée, de l'église où <strong>Jeanne</strong> fit sa prière avant d'entreprendre<br />

la chevauchée du 8 septembre. Ce sont les trois premières colonnes<br />

de chaque côté de la nef, celles qu'on trouve en entrant par<br />

la grande porte, rue de la Chapelle. Elles sont en pierre dure,<br />

recouvertes d'un regrettable badigeon. Les chapiteaux accusent<br />

le quatorzième siècle. Ils ont donc vu passer <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> ; disons<br />

mieux c'est sur eux que s'est posé le regard de la céleste Pucelle ».<br />

(p. 66, texte et note).<br />

(2) « Environ deux heures après midi commencèrent à faire<br />

semblant de vouloir assaillir la ville »


100 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

pour se rendre de La Chapelle à la porte Saint-Honoré ;<br />

tout en faisant la part du ralentissement de la marche,<br />

occasionnée tant par les convois que par le ralliement<br />

des compagnies logées aux villages voisins, il faut bien<br />

reconnaître que l'armée a dû prendre un chemin<br />

assez détourné pour mettre un si long temps à parcourir<br />

un espace aussi restreint. Et cette remarque nous<br />

conduit à la même conclusion : la troupe a dû suivre<br />

une route longeant la rive droite du ruisseau de<br />

Ménilmontant.<br />

En quittant La Chapelle, <strong>Jeanne</strong> descendit directement<br />

par la « chaussée pavée de Monseigneur<br />

Saint Denis » (aujourd'hui, rue de la Chapelle et rue<br />

du Faubourg-Saint-Denis), jusqu'à la fourche du « chemin<br />

d'Aubervilliers » (aujourd'hui, carrefour des<br />

rues du Faubourg-Saint-Denis, de l'Aqueduc et de<br />

Lafayette), où la rejoignirent les effectifs campés<br />

à Aubervilliers.<br />

Continuant sa marche, l'armée longea la clôture de<br />

la célèbre léproserie Saint-Lazare, qu'elle contourna<br />

presqu'à angle droit, en empruntant le « chemin<br />

tendant à Saint-Lazare » (à l'angle actuel de la rue<br />

du Faubourg Saint-Denis et de la rue de Paradis).<br />

Le « chemin de Saint-Lazare », — nous l'avons<br />

déjà observé, — était vraisemblablement empierré<br />

et par suite pouvait supporter des charrois importants<br />

; allant de Saint-Laurent à la chapelle du<br />

Roule, il longeait, sur le côté droit de la vallée, le<br />

ruisseau de Ménilmontant, à flanc du coteau de<br />

Montmartre, et faisait communiquer la « chaussée<br />

Saint-Denis » avec le « grand chemin d'Argenteuil ».<br />

Il suivait le tracé actuel de la rue de Paradis et de la<br />

rue Bleue, jusqu'au carrefour du « chemin de Clignancourt<br />

» (au croisement des rues Cadet, Lafayette


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 101<br />

et Chateaudun). A ce carrefour, le chemin de Saint-<br />

Lazare remontait légèrement vers le nord et reprenait<br />

presque aussitôt la direction de l'ouest (par la rue<br />

actuelle de Lamartine) jusqu'au carrefour du « grand<br />

chemin de Montmartre ou des Martyrs » (à l'abside<br />

de l'église de Notre-Dame-de-Lorette).<br />

Là, l'armée de <strong>Jeanne</strong> dut retrouver les troupes<br />

descendues de Montmartre, où elles étaient cantonnées;<br />

et, grossie de ces nouveaux éléments, se remettre<br />

en route par le chemin de Saint-Lazare (aujourd'hui<br />

rue Saint-Lazare) qui, passant au carrefour du « chemin<br />

de Clichy » (place de la Trinité), longeait ensuite,<br />

sur sa gauche, le domaine des Porcherons (avenue<br />

du Coq) et coupait le carrefour du « grand chemin<br />

d'Argenteuil » (carrefour actuel des rues du Rocher,<br />

de Rome, de Saint-Lazare et de l'Arcade).<br />

A cet endroit les contingents réunis à Mousseaux<br />

(Monceau) rallièrent sans doute l'armée royale.<br />

<strong>Jeanne</strong> quitta alors le « chemin tendant à Saint-Lazare »<br />

et se dirigea vers le sud, par le « grand chemin d'Argenteuil<br />

». Comme son nom l'indique, ce chemin reliait<br />

<strong>Paris</strong> avec la ville et le monastère d'Argenteuil ; il<br />

traversait Monceau et suivait la voie représentée<br />

aujourd'hui par les rues du Rocher, de l'Arcade et<br />

d'Argenteuil ; entre ces deux dernières rues, il ne reste<br />

nul vestige de son tracé ; on en est réduit à conjecturer<br />

son parcours, d'après les plans les plus anciens,<br />

suivant une ligne se rapprochant plus ou moins des<br />

rues de Sèze, des Capucines, impasse et rue Gomboust.<br />

Le chemin d'Argenteuil franchissait le ruisseau de<br />

Ménilmontant sur un solide pont en maçonnerie,<br />

comme précisément il en fallait un pour le passage<br />

de troupes et de leur matériel de combat. <strong>Jeanne</strong><br />

s'engagea sur le pont de la Ville-l'Évêque (à la croisée


102 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

du boulevard Haussmann et de la rue de l'Arcade) et<br />

pénétra dans la région des cultures maraîchères.<br />

Légèrement à sa gauche, elle laissait la « Ferme des<br />

Mathurins » (à l'angle des rues des Mathurins, Vignon<br />

et Tronchet) ; un peu plus bas, sur sa droite, le domaine<br />

de la « Ville-l'Evêque», et arrivait bientôt en<br />

vue d'une butte (la Butte des moulins) au delà de<br />

laquelle se trouvait le « Marché aux pourceaux ».<br />

La « Butte des moulins » (ainsi nommée, plus tard,<br />

quand elle fut dominée par deux moulins) s'élevait<br />

sur un territoire que l'on peut se représenter ainsi :<br />

limitée au nord par la rue des Petits-Champs, elle<br />

s'étendait, à l'est, au delà de la rue <strong>Sainte</strong>-Anne<br />

jusqu'à la rue Villedo ; à l'ouest, jusqu'au côté<br />

impair de l'avenue de l'Opéra, à peu près au milieu<br />

de l'espace compris entre la rue Saint-Roch et la rue<br />

des Pyramides. Au delà de la rue <strong>Sainte</strong>-Anne, sur<br />

le prolongement de la rue Thérèse, entre la rue Villedo<br />

et la rue Molière, se tenait le « Marché aux pourceaux ».<br />

La porte Saint-Honoré, où venaient aboutir le<br />

« grand chemin d'Argenteuil » et la « chaussée du<br />

Roule », s'élevait à l'endroit occupé actuellement,<br />

sur la place du Théâtre-Français, par l'immeuble<br />

portant le numéro 163 de la rue Saint-Honoré,<br />

le trottoir et la chaussée qui bordent cet immeuble.<br />

Elle était en quelque sorte imprenable. <strong>Jeanne</strong> ne<br />

songea pas à l'attaquer directement ; elle porta son<br />

effort, un peu plus au nord-est, contre le mur d'enceinte<br />

.<br />

L'armée était divisée en deux corps ; tandis que<br />

l'un, commandé par le maréchal de Rais, Gaucourt<br />

et la Pucelle, devait entreprendre l'assaut ; l'autre,<br />

sous la direction des ducs d'Alençon et de Bourbon,<br />

vint s'embusquer derrière la Butte (des moulins)


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 103<br />

pour surveiller une sortie possible, par la porte Saint-<br />

Denis, de l'adversaire et l'empêcher de prendre à<br />

dos les assaillants (1).<br />

Commencée vers midi, l'attaque se prolongea<br />

jusqu'à la tombée du jour. Successivement la barrière<br />

fut forcée, le premier fossé (à sec) franchi, le boulevard<br />

« à dos d'asne » enlevé ; mais le second fossé,<br />

peut-être par suite d'une crue imprévue du fleuve,<br />

— car il y « avoit grande eaue », — opposait un obstacle<br />

sérieux. En voulant alors le faire combler de fascines,<br />

pour pouvoir « lever les échelles » contre la muraille,<br />

<strong>Jeanne</strong> fut blessée (à l'endroit occupé par le numéro 2<br />

de l'avenue de l'Opéra et le trottoir qui le longe) (2).<br />

« La retraite fut sonnée et l'entreprise faillie ». Jusqu'au<br />

delà de Saint-Lazare les canons de la ville<br />

poursuivirent de leurs boulets l'armée qui se retirait.<br />

* *<br />

Si les hypothèses précédentes sont exactes l'itinéraire<br />

suivi par <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> serait donc, dans l'état<br />

actuel de <strong>Paris</strong>, le suivant :<br />

Départ de l'église Saint-Denys-de-la-Chapelle ;<br />

rues de la Chapelle, du Faubourg-Saint-Denis, de<br />

Paradis, Bleue, Lafayette, Cadet, Lamartine, abside<br />

de Notre-Dame-de-Lorette, rue Saint-Lazare, place<br />

de la Trinité, rues Saint-Lazare, de Rome, de l'Ar-<br />

(1) Chronique de la Pucelle, Chronique de Jean Chartier, Journal<br />

du siège d'Orléans.<br />

(2) Charles Magne, Commission municipale du Vieux <strong>Paris</strong>, procès-verbaux,<br />

1914, pp. 12-20 ; l'enceinte de Charles V. Fouilles<br />

exécutées en 1912 et 1913.


104 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

cade, place de la Madeleine (rues de Sèze, des Capucines,<br />

impasse et rue Gomboust?) rue des Petits-<br />

Champs, rue <strong>Sainte</strong>-Anne, rue Thérèse, rue Molière,<br />

avenue de l'Opéra et place du Théâtre-Français.<br />

Retour à la Chapelle par le même chemin.<br />

Cet itinéraire traverse les 18 e , 10 e , 9 e , 8 e et 1 er<br />

arrondissements et les paroisses de Saint-Dénys-dela-Chapelle,<br />

Saint-Bernard, Saint-Vincent-de-Paul,<br />

Notre-Dame de Lorette, <strong>Sainte</strong>-Trinité, Saint-Louis<br />

d'Antin, <strong>Sainte</strong>-Madeleine et Saint-Roch.


MARCHE DE JEANNE D'ARC<br />

DE LA CHAPELLE A LA PORTE SAINT-HONORÉ<br />

TRACÉE SUR LE PLAN DE BÂLE.<br />

Chaussée de Saint-Denis ; —- Chemin de Saint-Lazare ; — Chemin d'Argenteuil<br />

; — Butte des moulins ; — Marché aux pourceaux ; — Porte Saint-Honoré


MARCHE DE JEANNE D'ARC<br />

DE LA CHAPELLE A LA PORTE SAINT-HONORÉ<br />

TRACÉE SUR UN PLAN MODERNE (1923).<br />

Le plan de Bâle étant tracs à vol d'oiseau ne comporte pas l'échelle rigoureuse<br />

du plan de 1923.


LA POPULATION PARISIENNE<br />

ET<br />

L'ATTAQUE DE PARIS PAR JEANNE D'ARC 1<br />

On aimerait connaître les sentiments des <strong>Paris</strong>iens,<br />

lors de l'attaque de leur ville par <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>. Les<br />

documents qui nous restent sont, à cet égard, peu<br />

explicites ; on trouve cependant des indications<br />

intéressantes, tant dans les notes du greffier du Parlement<br />

de <strong>Paris</strong>, Clément de Fauquembergue, et le<br />

Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong>, que dans les Registres<br />

du Chapitre de Notre-Dame de <strong>Paris</strong>.<br />

On peut dire que, d'une manière générale, <strong>Paris</strong><br />

était bourguignon. Les événements étaient si troubles,<br />

depuis si longtemps que sévissait une sorte de guerre<br />

civile, qu'il était bien difficile à la plupart des <strong>Paris</strong>iens<br />

de savoir où était la vérité et le devoir. La sérénité<br />

de l'histoire, à six siècles de distance, nous<br />

permet de mieux juger ce qu'alors les esprits ne<br />

pouvaient discerner ; ce qui est clair pour nous<br />

restait très obscur à cette époque. Que certains<br />

« politiciens » aient su ce qu'ils voulaient et ce qu'ils<br />

faisaient, en jetant une partie de la France dans les<br />

(1) Article publié dans la Semaine religieuse de <strong>Paris</strong>, numéro<br />

du 6 octobre 1923, pp. 435-442.


106 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

bras du roi d'Angleterre et en s'appuyant sur le parti<br />

bourguignon, ne paraît pas contestable ; mais les<br />

autres, la foule des autres, étaient dans la bonne foi,<br />

en regardant Charles VII comme un usurpateur, et<br />

les Armagnacs comme une troupe de séditieux.<br />

Les historiens sont sévères, à juste titre, contre les<br />

meneurs qui ont ainsi égaré, par passion ou par intérêt,<br />

l'ensemble des braves gens ; mais leurs sévérités<br />

ne sauraient atteindre tous ceux, et ce fut le grand<br />

nombre, qui ont été, à leur insu, entraînés dans l'erreur<br />

; dans les corps constitués, Parlement, Université,<br />

clergé séculier et régulier, corps de marchands et<br />

de métiers, etc., comme dans la population, on suivait<br />

le mouvement, parce qu'on n'était pas suffisamment<br />

renseigné et qu'on ne pouvait l'être.<br />

Quand apparut <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, il semble que la<br />

rapidité et le merveilleux de ses exploits auraient dû<br />

ouvrir les yeux ; cela eût été possible, si la vérité<br />

eût été, aux yeux des <strong>Paris</strong>iens, aussi éclatante que<br />

pour nous. Or elle ne l'était pas ; il s'en faut. Rien<br />

n'est plus significatif à cet égard que le sermon<br />

prêché, au prieuré de Saint-Martin-des-Champs, le<br />

4 juillet 1431, pour la promulgation officielle de la<br />

condamnation de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> (1). Le prédicateur<br />

était le grand Inquisiteur du royaume, le dominicain<br />

Graverent ; à moins de le regarder comme un imposteur,<br />

qui délibérément veut tromper son auditoire,<br />

on ne peut pas ne pas être frappé de la profondeur<br />

de son ignorance ; et ceci donne la mesure de ce que<br />

devait être celle de la foule. Quand un personnage<br />

de cette importance, et dont rien ne nous permet de<br />

(1) Voir plus loin le chapitre : Promulgation à Saint-Martin<br />

des-Champs de la condamnation de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 107<br />

suspecter la sincérité, se représente la Pucelle comme<br />

une fille en révolte contre ses parents, qui préfère<br />

la société des hommes d'armes à celle de sa famille,<br />

« respirant le feu et le sang », ne se plaisant que dans<br />

les massacres, ne recherchant que « l'homicide de la<br />

chrétienté », profanant la sainte Eucharistie en communiant<br />

trois fois de suite le même jour, demandant<br />

au démon ses inspirations, etc. ; on s'imagine quelle<br />

répulsion devait éprouver la population pour une si<br />

terrible et sanguinaire guerrière.<br />

Il importe de bien se pénétrer de cet état d esprit,<br />

en parcourant les documents qui nous sont restés ;<br />

il faut les lire avec une âme de <strong>Paris</strong>ien du quinzième,<br />

et non du vingtième siècle, si l'on veut ne pas être<br />

injuste à l'égard de personnes honorables et qui<br />

n'avaient pas les moyens de connaître la vérité. La<br />

terreur régnait dans la ville ; sciemment ou non,<br />

l'autorité avait laissé se répandre des nouvelles affolantes.<br />

Pendant le siège, on disait que « le comte<br />

d'Armagnac et ses gens étaient sur un des côtés<br />

(de l'enceinte), afin que si quelqu'un de ladite ville<br />

s'en fut voulu sortir ou fuir on l'eut pris ou mis à<br />

mort » (notaire Pierre Cochon). — « On disait publiquement<br />

à <strong>Paris</strong> que ledit messire de Valois (Charles<br />

VII) avait abandonné à ses gens <strong>Paris</strong> et ses habitants,<br />

grands et petits, de tous états, hommes et femmes,<br />

et que son intention était de faire passer la charrue<br />

sur <strong>Paris</strong> » (Fauquembergue). — On disait que<br />

les hommes d'armes de la Pucelle s'étaient promis,<br />

s'ils s'emparaient de <strong>Paris</strong> « de mettre à mort les<br />

personnes de l'un et l'autre sexe qui leur tomberaient<br />

sous la main, ainsi qu'ils en avaient fait le<br />

serment et qu'ils s'en vantaient » (Registres du<br />

Chapitre de Notre-Dame).


108 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Ces remarques nous ont semblé nécessaires, pour<br />

qu'on ne juge pas avec trop de rigueur une passion,<br />

dont la violence parfois nous déconcerte.<br />

* *<br />

Toutefois, malgré la pression du pouvoir, malgré<br />

les nuages d'erreurs amoncelés, tous les <strong>Paris</strong>iens<br />

s'étaient pas bourguignons.<br />

« Il y avait alors dans <strong>Paris</strong>, lit-on dans le Journal<br />

du siège d'Orléans, plusieurs notables personnages<br />

qui reconnaissaient que le roi Charles, septième du<br />

nom, était leur souverain seigneur et le vrai héritier<br />

du royaume de France, que c'était à grand tort et par<br />

vengeance qu'on les avait séparés de sa seigneurie et<br />

enlevés à son obéissance pour les mettre en la main<br />

du roi Henri d'Angleterre. » Nous savons, par la<br />

découverte d'une conjuration qui eut lieu à la fin de<br />

mars 1430, que des « grands de <strong>Paris</strong>, du Parlement,<br />

du Châtelet, des marchands et gens de métier »<br />

(Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong>) et « quarante dizainiers<br />

» (Chronique des Cordeliers) tenaient le parti<br />

de Charles VII (1).<br />

Ce furent quelques-uns d'entre eux, sans doute,<br />

qui, au moment de l'assaut du 8 septembre, secondèrent<br />

les assaillants en semant la panique dans la<br />

ville. « Et à cette heure, il y eut dans <strong>Paris</strong> gens<br />

affectés (effrayés) ou corrompus, qui poussèrent un<br />

cri en toutes les parties de la ville, de çà et de là les<br />

ponts, criant que tout était perdu, que les ennemis<br />

étaient entrés dans <strong>Paris</strong>, et que chacun se retirât<br />

et fît diligence de se sauver. Et à cette voix, à une<br />

(I) Voir plus loin, le chapitre : Un carme conspirateur.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 109<br />

même heure de l'approche des ennemis, tous les<br />

gens étant lors ès sermons sortirent des églises (1),<br />

furent très épouvantés, se retirèrent la plupart en leurs<br />

maisons et fermèrent leurs portes. » (Fauquembergue.)<br />

Dans le clergé, séculier et régulier, il y avait aussi<br />

quelques partisans du droit. Le chancelier du chapitre<br />

de Notre-Dame et de l'Université, Gerson,<br />

était tout acquis à la cause de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> ; mais les<br />

troubles politiques l'avaient obligé à fuir ; pendant<br />

son exil, il avait écrit, en mai 1429, un traité en faveur<br />

de la Pucelle. Frère Richard, franciscain, qui, en avril<br />

de la même année, soulevait par ses prédications<br />

l'enthousiasme des <strong>Paris</strong>iens, déserta le parti bourguignon<br />

pour s'attacher aux pas de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> ; en<br />

une circonstance au moins, il fut son confesseur (2).<br />

Un Carme de <strong>Paris</strong> fut l'âme du complot de 1430.<br />

Ce ne sont là que des cas isolés ; le plus grand nombre<br />

des ecclésiastiques de <strong>Paris</strong> paraît bien avoir suivi<br />

l'opinion générale ; et on retrouve l'écho de leur émoi,<br />

lors de l'attaque de leur ville par <strong>Jeanne</strong>, dans les<br />

Registres du Chapitre de Notre-Dame.<br />

* *<br />

Comme dans les autres corps constitués, les chanoines<br />

de Notre-Dame avaient, en majorité, adhéré<br />

au traité de Troyes et reconnaissaient le roi d'Angleterre<br />

pour légitime souverain de France et d'Angleterre.<br />

Il y avait cependant des dissidents. Quand, le<br />

(1) C'était fête chômée, celle de la Nativité de la Vierge Marie;<br />

(2) Voir plus loin le chapitre : Cordeliers du XV e siècle.


110 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

25 ou 26 août, <strong>Jeanne</strong> arriva à Saint-Denis et que,<br />

les jours suivants, les membres du Chapitre durent<br />

renouveler le serment de fidélité à Henri VI, plusieurs<br />

des vénérables chanoines disparurent ; se mirent-ils<br />

à l'abri, ou passèrent-ils dans le camp de Charles VII?<br />

Les chanoines Jean Pinchenot, chargé de distribuer<br />

les jetons de présence ; Jean Guenet, qui avait la<br />

garde du chef de saint Denis ; le chantre qui, en l'absence<br />

du chancelier Gerson, détenait le grand et le<br />

petit sceau, s'étaient éloignés sans autorisation du<br />

Chapitre, sine licentia Capituli.<br />

Ils furent remplacés, le 30 août, dans leurs fonctions<br />

; les chanoines Jean Regnaudot et Jean Pétillon<br />

reçurent les charges des deux premiers! Gerson<br />

étant mort, le chanoine Jean Chuffart, qui remplissait<br />

par intérim la fonction de chancelier, fut investi,<br />

le 29 août, de cette dignité et on lui remit les sceaux.<br />

Nous connaissons encore les noms des chanoines<br />

Pasquier, J. de Lanco, Clément, P. d'Orgemont.<br />

Nous sommes assez renseignés sur deux d'entre eux,<br />

Chuffart et Pasquier, avec lesquels il ne sera pas sans<br />

intérêt de faire plus ample connaissance.<br />

Jean Chuffart était né à Tournay ; il faisait partie<br />

de l'Université de <strong>Paris</strong> et appartenait à la Faculté des<br />

Décrets, de Droit canonique, dirions-nous aujourd'hui;<br />

son lieu d'origine le rattachait à la nation de Picardie,<br />

laquelle se montrait, ainsi que la Faculté des Décrets,<br />

des plus dévouées au parti bourguignon. Maître ès<br />

arts, licencié ès lois, Chuffart avait été, à son tour,<br />

en 1421, recteur de l'Université (1) ; sa haute situation<br />

(1) Le recteur, choisi parmi les maîtres ès-arts, n'était élu que<br />

pour trois mois, par les procureurs des quatre nations.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 111<br />

dans cette puissante corporation lui avait procuré<br />

rnaints bénéfices ; il cumulait les titres de curé de<br />

Saint-Laurent, chanoine et curé de <strong>Sainte</strong>-Opportune,<br />

chanoine et doyen de Saint-Marcel, chanoine et<br />

doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois, chanoine de<br />

Notre-Dame-de-<strong>Paris</strong>. La dignité de chancelier du<br />

Chapitre lui valut en même temps celle de chancelier<br />

de l'Université, dignité éminente qui faisait reposer<br />

sur celui qui en était titulaire « le poids des bonnes<br />

études de l'Université tout entière. » Dans cette<br />

charge il se montra si inférieur à sa tâche que, plus<br />

tard, Gérard Machet, confesseur de Charles VII,<br />

le pressera vivement de la résigner ; le chancelier<br />

promit, mais sans se hâter de tenir sa promesse.<br />

Aussi a-t-on pensé qu'il dût d'obtenir un tel honneur<br />

plus à la politique qu'au mérite ; il fut, en effet, dans<br />

les bonnes grâces de la reine Isabeau de Bavière ;<br />

elle fit de lui un de ses conseillers, son propre chancelier<br />

et l'institua un de ses exécuteurs testamentaires..<br />

Quand Charles VII entrera à <strong>Paris</strong>, en 1437, Chuffart<br />

saura encore en tirer bénéfice et réussira à se faire<br />

nommer conseiller clerc au Parlement.<br />

M. Tuetey, éditeur du Journal d'un Bourgeois de<br />

<strong>Paris</strong> (1), est parvenu, par suite de sagaces recherches<br />

et d'ingénieuses inductions, à considérer Jean Chuffart<br />

comme l'auteur de cette chronique anonyme, qui<br />

s'étend de 1408 à 1449; son opinion, contestée par<br />

quelques auteurs, est cependant généralement admise.<br />

Or le rédacteur de ce Journal manifeste une profonde<br />

aversion pour ceux qu'il appelle les Arminags, c'està-dire<br />

les Armagnacs, le parti du Dauphin ; toutes<br />

(1) Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong>. Edition A. Tuetey, Société<br />

de l'histoire de <strong>Paris</strong>, in-8° ; 1881.


112 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

les fois qu'il doit parler de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, il adopte<br />

toujours les bruits et les racontars les plus défavorables<br />

; il montre un parti-pris évident et note tout<br />

ce qui est de nature à rabaisser la Pucelle ; sa haine<br />

est si vivace qu'il va jusqu'à laisser échapper à propos<br />

d'elle ce propos injurieux : « Créature en forme de<br />

femme, ce que c'était, Dieu le sait. » Une seule citation<br />

établira comment il dénature le caractère de<br />

<strong>Jeanne</strong>, dont il fait un monstre odieux : « En plusieurs<br />

lieux elle fit tuer hommes et femmes, soit dans le<br />

combat, soit par esprit de vengeance, car qui n'obéissait<br />

pas aux lettres qu'elle envoyait, elle les faisait<br />

mourir sans pitié, aussitôt qu'elle en avait le pouvoir ».<br />

Son confrère, le chanoine Pasquier, semble bien<br />

être le même que Pasquier de Vaux. Pasquier de<br />

Vaux appartenait également à l'Université de <strong>Paris</strong> ;<br />

docteur en décret, chanoine de <strong>Paris</strong> et de Rouen,<br />

membre, ainsi que Cauchon évêque de Beauvais,<br />

du conseil royal d'Angleterre pour les affaires de<br />

France, il était si attaché au parti anglais, que plus<br />

tard, devenu évêque de Meaux, il préférera quitter<br />

son évêché plutôt que faire sa soumission à Charles VII.<br />

Il sera, à Rouen, un des assesseurs, et non l'un des<br />

moins sévères, au procès de <strong>Jeanne</strong> ; assitera à de<br />

nombreuses séances ; paraîtra même à l'un des<br />

interrogatoires faits en la prison. Quand, le 19 mai,<br />

Cauchon communiquera les qualifications portées<br />

par l'Université de <strong>Paris</strong> sur les douze articles résumant<br />

l'instruction du procès, et exigera l'avis de<br />

chacun des quarante-huit assesseurs présents, Pasquier<br />

de Vaux dira faire sien le jugement de l'Université<br />

; c'était adhérer à la condamnation de <strong>Jeanne</strong>.<br />

Après la prétendue rechute de l'accusée, il déclarera, le<br />

29 mai, qu'il faut la livrer au bras séculier ; mais, à


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 113<br />

l'encontre de la presque unanimité des autres consulteurs,<br />

il sera l'un des deux estimant qu'il ne convient<br />

pas de supplier la justice civile d'user de clémence à<br />

l'égard de la relapse. Etait-ce de sa part excès de<br />

sévérité, ou simplement sincérité, n'ignorant pas que<br />

de cette hypocrite formule, toute de style, il ne serait<br />

tenu aucun compte ?<br />

A ces mêmes séances, des 19 et 29 mai, est signalée<br />

la présence d'un autre chanoine de <strong>Paris</strong>, ainsi désigné<br />

: « maître Pinchon, licencié en droit canon,<br />

archidiacre de Josiac (1) chanoine des églises de<br />

<strong>Paris</strong> et de Rouen. » Lui aussi adoptera, le 19 mai,<br />

les conclusions de l'Université de <strong>Paris</strong> ; et, le 29 mai,<br />

votera la condamnation de <strong>Jeanne</strong> : « ladite femme est<br />

relapse ; pour la manière de procéder ultérieurement,<br />

il s'en rapporte à messieurs les théologiens » ; c'était<br />

avisé de la part d'un canoniste ! (2)<br />

On conçoit l'émotion causée dans la population<br />

parisienne par les randonnées quotidiennes de <strong>Jeanne</strong><br />

<strong>devant</strong> <strong>Paris</strong>, du 26 août au 8 septembre. Les Registres<br />

du Chapitre de Notre-Dame en gardent les traces.<br />

Nous avons déjà rappelé comment, d'après Clément<br />

de Fauquembergue, greffier du Parlement, messire<br />

Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne et<br />

chancelier de France pour le parti anglais convoqua<br />

(1) Ne faut-il pas lire Josas, titre d'un ancien archidiaconé du<br />

diocèse de <strong>Paris</strong>?<br />

(2) Voir plus loin, au chapitre Universitaire prévaricateur et<br />

schismatique, le rôle d'un autre ecclésiastique devenu par la suite<br />

doyen du Chapitre de <strong>Paris</strong>.<br />

* *


114 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

pour neuf heures, le vendredi 26 août, en la chambre<br />

du Parlement, les notabilités parisiennes, afin de leur<br />

faire renouveler le serment de fidélité au roi de France<br />

et d'Angleterre, déjà prêté le 15 juillet précédent.<br />

Etaient convoqués les présidents et conseillers des<br />

trois chambres du Parlement, les maîtres des requêtes<br />

de l'hôtel, l'évêque et le prévôt de <strong>Paris</strong>, les maîtres<br />

et clercs des comptes, les avocats et procureurs, des<br />

représentants de l'Université, des chanoines, abbés,<br />

prieurs, curés et autres personnalités. Le Chapitre,<br />

disent les Registres, désigna trois délégués, dont deux<br />

au moins devront se rendre à la réunion ; parmi les<br />

personnages présents, Fauquembergue signale maître<br />

Jean Chuffart et maître Pasquier de Vaux ; étaient-ils<br />

là comme délégués du Chapitre, de l'Université, ou<br />

des deux à la fois?<br />

Le même jour, messire Louis de Luxembourg et<br />

les conseillers royaux donnèrent mission à maître<br />

Philippe de Rully, trésorier de la <strong>Sainte</strong>-Chapelle et<br />

maître des requêtes de l'hôtel, et à maître Marc de<br />

Foras, archidiacre de Thérische (?) et maître des<br />

comptes du roi, d'aller recevoir le même serment, le<br />

lendemain et jours suivants, des gens d'église, séculiers<br />

et réguliers, dans les chapitres, couvents et<br />

églises de la ville. Le 27, ou un des jours qui suivirent,<br />

ils vinrent donc au Chapitre de Notre-Dame et les<br />

chanoines prêtèrent le serment ; c'est peut-être pour<br />

se soustraire à cette obligation que, comme nous<br />

l'avons vu, quelques chanoines s'éloignèrent sans<br />

l'autorisation du Chapitre.<br />

Les circonstances étaient graves ; le siège était<br />

mis <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong> ; on fermait la porte Saint-Martin ;<br />

on se hâtait de renforcer les fortifications et de les<br />

munir d'artillerie. Il ne faisait doute pour personne


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 115<br />

que l'attaque serait menée durement; ébranlés par<br />

les victoires rapides de <strong>Jeanne</strong>, qui n'avait encore<br />

connu aucun échec, les pessimistes prévoyaient que<br />

la ville pourrait bien être emportée d'assaut,<br />

Le Chapitre se réunit pour arrêter les mesures<br />

opportunes.<br />

Le conseil royal d'Angleterre imposait des emprunts<br />

aux églises et personnes ecclésiastiques, aux bourgeois<br />

et habitants de <strong>Paris</strong>, destinés à payer et entretenir<br />

les gens d'armes, laissés à la défense de la ville par le<br />

duc de Belford ou envoyés par le duc de Bourgogne.<br />

Le Chapitre dût voter sa contribution ; il chargea ses<br />

trois délégués, Jean Chuffart, Pasquier de Vaux et<br />

un autre, déjà désignés pour la prestation du serment<br />

le 26 août, d'offrir au conseil royal quatre-vingts m. (?);<br />

dans le cas où le conseil trouverait cette somme insuffisante,<br />

les délégués étaient autorisés à l'élever jusqu'à<br />

cent m.<br />

Le 31 août, le Chapitre décide d'implorer plus particulièrement<br />

la protection de Notre Dame ; à cause<br />

des périls du temps, une messe sera célébrée chaque<br />

jour <strong>devant</strong> la Vierge, en dehors du chœur, extra<br />

chorum.<br />

Le 5 septembre, on revient sur les dispositions<br />

déjà prises pour la garde du cloître et de l'église ;<br />

les chanoines de Lanco, Chuffart et Clément reçoivent<br />

mission d'accroître, de restreindre ou de modifier<br />

ces mesures, comme ils jugeront le plus convenable ;<br />

deux d'entre eux au moins devront les assurer.<br />

Ces mêmes chanoines auront aussi à se préoccuper<br />

de la subsistance de leurs collègues du Chapitre. Il<br />

faut prévoir que le siège peut se prolonger, la ville être<br />

prise et livrée au massacre. Il convient donc qu'ils examinent<br />

s'il est expédient de déposer des provisions


116 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

de vivres dans les tours de l'église, pour l'entretien des<br />

chanoines qui voudraient se retirer dans ces tours et<br />

y chercher un abri.<br />

Il est décidé que les maîtres fabriciens, — des<br />

chanoines sans doute, — prendront toutes mesures<br />

conservatoires pour soustraire à la malice des assiégeants<br />

les saintes reliques et le trésor de l'église ;<br />

on laisse à leur conscience d'agir pour le mieux.<br />

Si le siège se prolonge, les ressources peuvent venir<br />

à manquer ; il importe de s'en procurer. Maître<br />

Pasquier déclare que ses collègues, maître J. de Lanco,<br />

maître P. d'Orgemont et lui-même ont retiré du<br />

trésor de l'église la statue de Saint-Denis, dont la<br />

description se trouve dans l'inventaire du trésor ; ils<br />

n'en ont vendu que le buste, d'après son poids, qui<br />

est de 5 marcas, 6 encias et 5 stertingas, au prix de<br />

56 saluts d'or la marca ; le pied, qui est en argent,<br />

la tête et le diadème de cette statue n'ont pas été<br />

aliénés.<br />

Jean Chuffart est chargé de louer, au mieux des<br />

intérêts de l'église, deux moulins qu'elle possède in<br />

coquina sancti Augustini ; quelque érudit du Chapitre<br />

actuel saura sans doute dire où se trouvait cette<br />

« cuisine » de saint Augustin (1).<br />

* *<br />

Cependant <strong>Jeanne</strong> resserre son étreinte. Le mercredi<br />

7 septembre, elle tente une action directe contre<br />

la ville. En ce jour, dit le Journal d'un Bourgeois de<br />

(1) Peut-être dans les dépendances de l'Hôtel-Dieu, tenu par<br />

les Augustines ; telle est l'hypothèse que nous a suggérée M. le<br />

chanoine PISANI, dont l'érudition est bien connue.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 117<br />

<strong>Paris</strong>, « les Armagnacs vinrent assaillir les murs de<br />

la ville qu'ils croyaient emporter d'assaut. » Il y eut<br />

grand émoi au Chapitre, ainsi que dans <strong>Paris</strong> ; on<br />

redoutait que l'armée de Charles VII ne se portât,<br />

au cas où elle réussirait, à toutes sortes d'excès contre<br />

les habitants ; on avait répandu de faux bruits dans<br />

la ville et on prêtait aux assiégeants les pires intentions.<br />

« Mercredi 7 septembre. Aujourd'hui on a fait,<br />

notent les Registres, une procession solennelle à<br />

<strong>Sainte</strong>-Geneviève sur la montagne pour obtenir la cessation<br />

des maux présents et de l'attaque des ennemis ;<br />

les chanoines du Palais (1) y prirent part avec la vraie<br />

croix. Les ennemis, en effet, ont attaqué <strong>Paris</strong> dans<br />

l'espoir de le prendre et de mettre à mort toutes les<br />

personnes de l'un et l'autre sexe qu'ils y rencontreraient,<br />

ainsi qu'ils en avaient fait le serment et qu'ils<br />

s'en vantaient. Le soir ils ont cessé leur attaque et<br />

se sont retirés. »<br />

Sur l'issue de cette affaire, le Journal d'un Bourgeois<br />

de <strong>Paris</strong> est plus explicite : « Ils y gagnèrent peu,<br />

remarque-t-il, si ce n'est de la douleur, de la honte et<br />

du malheur; car plusieurs d'entre eux en emportèrent<br />

blessures pour toute leur vie, qui auparavant étaient<br />

entièrement sains ; mais fou ne croit que lorsqu'il en<br />

tient. Je le dis pour eux, qui étaient si mal inspirés,<br />

étaient pleins d'une si folle créance que, sur la parole<br />

d'une créature en forme de femme, — ce que c'était,<br />

Dieu le sait, — le jour de la Nativité de Notre-Dame<br />

ils formèrent la résolution, tous d'un pareil accord,<br />

d'assaillir <strong>Paris</strong> à pareil jour. »<br />

Si Chuffart est l'auteur de ce Journal, on s'explique<br />

la concordance qui existe entre quelques parties de<br />

(1) Les chanoines de la <strong>Sainte</strong>-Chapelle.


118 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

sa relation et certaines de celle des Registres. On a<br />

déjà remarqué que toutes deux présentent l'attaque<br />

du 7 septembre, comme une tentative pour prendre<br />

<strong>Paris</strong>. Les similitudes, entre les deux récits de l'opération<br />

du 8, sont encore plus frappantes.<br />

Le Journal reproche aux assiégeants la plénitude de<br />

leur « folle créance » en <strong>Jeanne</strong> ; les Registres disent :<br />

« le lendemain (8 septembre) ils recommencèrent leur<br />

attaque avec leur Pucelle, en qui ils mettaient comme<br />

en leur dieu leur confiance, cum eorum Puella, in qua<br />

tanquam in deum suum confidebant. » Le Bourgeois se<br />

scandalise que l'on ait entrepris cette opération le<br />

jour même de la fête de la Nativité de Notre-Dame ;<br />

les Registres attribuent à la protection de la Vierge,<br />

en ce jour de sa fête, l'échec des assaillants : « La résistance<br />

des <strong>Paris</strong>iens, leur confiance en Dieu, et en la<br />

généreuse Vierge dont la fête se célébrait solennellement<br />

à <strong>Paris</strong>, les firent échouer... leur Pucelle<br />

fut blessée à la cuisse, et ce fut, je crois, la cause de<br />

leur retraite... ils furent contraints de se retirer honteusement.<br />

» Le Journal prétend qu'au cours de leur<br />

retraite, les assaillants firent brûler leurs morts dans<br />

la grange des Mathurins ; il est seul à le dire avec<br />

les Registres qui, plus circonspects, n'enregistrent ce<br />

fait que comme un on-dit : « Ils perdirent beaucoup des<br />

leurs ; on en ignore le nombre, parce que, dit-on,<br />

ils ont brûlé leurs cadavres. » Le Journal note que<br />

« ceux de <strong>Paris</strong> enlevèrent aux Armagnacs la plus<br />

grande partie de leurs charrois avec lesquels ils<br />

avaient amené leurs bourrées » ; les Registres disent :<br />

« ils ramenèrent à Saint-Denis plusieurs de ces charrois<br />

sur lesquels ils avaient étendu leurs blessés ;<br />

d'autres charrois furent le lendemain conduits dans<br />

<strong>Paris</strong>. » Comme ces divers faits ne nous sont fournis


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 119<br />

que par ces deux documents, il semble bien que ces<br />

concordances ne sont pas fortuites ; ces récits sont de la<br />

même inspiration et permettent de supposer que, dans<br />

sa rédaction, le secrétaire du Chapitre a subi l'influence<br />

de Chuffart.<br />

Les Registres donnent sur l'attaque de la porte<br />

Saint-Honoré quelques autres renseignements intéressants,<br />

qui ont déjà été relevés.<br />

* *<br />

Ces renseignements fournis par les Chroniques nous<br />

permettent, malgré leur petit nombre et leur brièveté,<br />

de nous faire quelque idée de l'émotion de la population<br />

parisienne, au moment où <strong>Jeanne</strong> semblait<br />

devoir s'emparer de la ville.


PLAN MODERNE<br />

DU QUARTIER DU PALAIS-ROYAL<br />

AVEC<br />

LE TRACÉ DES FORTIFICATIONS AU TEMPS<br />

DE JEANNE D'ARC


LIEU OU FUT BLESSÉE<br />

JEANNE D'ARC<br />

LE 8 SEPTEMBRE 1429 1<br />

Peut-on préciserons l'état actuel de <strong>Paris</strong>, l'endroit<br />

où <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> fut blessée le 8 septembre 1429?<br />

Nous avons quelques points de repère qui limitent<br />

le champ des investigations ; mais il faut circonscrire<br />

celui-ci encore plus étroitement, si l'on veut parvenir<br />

à déterminer, à quelques mètres près, le lieu recherché.<br />

* *<br />

Ces points de repère sont d'une part la porte Saint-<br />

Honoré et le mur d'enceinte, et d'autre part le Marché<br />

aux pourceaux et la Butte des moulins ; c'est dans<br />

l'espace qui sépare les deux premiers des deux derniers<br />

que <strong>Jeanne</strong> conduisit son opération militaire.<br />

On a déjà rappelé où se trouvaient la Butte et le<br />

Marché. La Butte occupait approximativement 1 emplacement<br />

compris entre l'avenue de l'Opéra (à la<br />

hauteur des rues Saint-Roch et des Pyramides), la<br />

rue des Petits-Champs, la rue <strong>Sainte</strong>-Anne et la rue<br />

(1) Article publié dans la Semaine religieuse de <strong>Paris</strong>, numéro du<br />

20 octobre 1923, pp. 501-505.


122 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Thérèse. Le Marché aux pourceaux était à l'est de<br />

cette Butte, à peu près entre les rues des Petits-<br />

Champs, Thérèse et de Richelieu.<br />

Nous savons également où s'élevait la seconde<br />

porte Saint-Honoré (1). En 1866, MM. Berty et<br />

Vacquer en ont reconnu les substructions, mises à<br />

à jour alors qu'on exécutait des travaux d'égout.<br />

L'immeuble portant le numéro 163 de la rue Saint-<br />

Honoré, le trottoir et la chaussée bordant cet immeuble<br />

sur la place du Théâtre-Français, représentent l'emplacement<br />

de cette porte. Elle mesurait 8 m. 34 de<br />

largeur et environ 18 m. 50 de longueur ; cette dernière<br />

dimension n'a pu être exactement calculée, la moitié<br />

méridionale de l'édifice étant détruite, et le parement<br />

septentrional, engagé dans les caves, étant entamé (2).<br />

Nous connaissons également le parcours, dans cette<br />

région, de l'enceinte Caroline. Son tracé peut se<br />

représenter par une ligne traversant en diagonale,<br />

depuis la porte, la place du Théâtre-Français ; laissant<br />

sur sa gauche la première fontaine et sur sa<br />

droite la seconde ; longeant le coin de cette place et<br />

de la rue de Richelieu ; pénétrant par l'angle sudouest<br />

dans le jardin du Palais-Royal et en sortant vers<br />

la rue Baillif.<br />

Nous possédons, en effet, à ce sujet, un document<br />

de première importance : un plan de cette partie<br />

des remparts, depuis la rue Saint-Honoré jusqu'à la<br />

place des Victoires, levé en 1695 (Archives nationales ;<br />

(1) La première, celle de l'enceinte de Philippe-Auguste, se<br />

trouvait au lieu occupé actuellement par le temple de l'Oratoire ;<br />

la troisième fut bâtie, au dix-septième siècle, à l'intersection<br />

actuelle de la rue Saint-Honoré et de la rue Royale.<br />

(2) Bonnardot, Dissertations archéologiques sur les anciennes<br />

enceintes de <strong>Paris</strong>. Appendice.


PLAN, LEVÉ EN 1695, D'UNE PARTIE DES ANCIENS REMPARTS ET FOSSÉS<br />

DE L'ENCEINTE CAROLINE<br />

(Archives Nationales, Seine, N III. 45).


Par arrêt en date du 19 juillet 1695, le Conseil d'Etat du roi fit lever ce plan<br />

à l'échelle par l'architecte Delespine.<br />

Ce plan est extrêmement instructif. Il donne le tracé du mur d'enceinte,<br />

depuis l'emplacement de la porte Saint-Honoré (intersection des rues Nicaise<br />

et Saint-Honoré) jusqu'à la place des Victoires. Le mur passait à l'angle ouest<br />

actuel du jardin du Palais-Royal et se dirigeait à l'est vers la rue Bailly. On y<br />

voit que la terrasse du rempart avait, à sa base, environ 25 mètres : et que le<br />

grand fossé était large d'environ 40 mètres. Aucun autre document ne fournit<br />

ces indications avec une telle précision.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 123<br />

Seine, N. III, 45). Une contestation de propriété,<br />

probablement, entre le chapitre Saint-Honoré et<br />

des propriétaires voisins, au sujet d'un fief de treize<br />

arpents limité par le rempart, détermina le Conseil<br />

d'Etat à prendre un arrêt, en date du 19 juillet 1695,<br />

ordonnant de faire dresser par un architecte les limites<br />

du fief et de ses dépendances. L'architecte a fait son<br />

plan à l'échelle ; le mur d'enceinte est nettement<br />

marqué et suit le parcours indiqué ci-dessus ; à<br />

l'intérieur de la ville, la base du rempart mesure<br />

environ 25 mètres ; le grand fossé est large de près<br />

de 40 mètres (1).<br />

Or les fouilles faites, en 1912 et 1913, sous l'avenue<br />

de l'Opéra, ont confirmé l'exactitude de ce plan ;<br />

on retrouva, en effet, des vestiges du mur de l'enceinte<br />

de Charles V, suivant exactement le même parcours.<br />

* *<br />

Les chroniqueurs nous disent que, lors de l'assaut,<br />

<strong>Jeanne</strong> cherchait à escalader le mur d'enceinte, aux<br />

approches de la porte Saint-Honoré ; sur quel point<br />

du rempart porta-t-elle son effort?<br />

Si l'on considère une carte, on verra que, partie du<br />

Marché aux pourceaux, elle devait arriver, en ligne<br />

droite, à peu près en face du lieu où se voit actuellement<br />

la fontaine placée à proximité de la Comédie-<br />

Française. Il paraît bien que ce fut dans ces parages<br />

qu'elle ait été blessée.<br />

De place en place le mur d'enceinte était garni de<br />

(1) Nous savons par le plan de Mérian que, dès avant 1615,<br />

l'arrière-fossé était comblé et remplacé par un boulevard bordé<br />

d'arbres.


124 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

tours, du haut desquelles les assiégés ripostaient<br />

facilement aux coups des assaillants. Vraisemblablement,<br />

c'est entre la porte Saint-Honoré et la tour<br />

voisine que <strong>Jeanne</strong> dut attaquer le rempart. Si l'on<br />

pouvait établir exactement l'emplacement de cette<br />

tour, on restreindrait ainsi le champ des recherches ;<br />

mais ici commence la difficulté.<br />

Les plus anciens plans de <strong>Paris</strong>, qui nous conservent<br />

le tracé et l'image de l'enceinte Caroline, ne concordent<br />

ni sur le nombre, ni sur la place de ces tours. Entre la<br />

porte Montmartre et la porte Saint-Honoré, le plan<br />

d'Arnoullet en montre cinq ; le plan de Braun,<br />

quatre ; et celui de Truschet et Hoyau (ou de Bâle)<br />

trois. Les deux premiers situent la tour, qui suit la<br />

porte Saint-Honoré, au même endroit, c'est-à-dire<br />

à peu près au point marqué par l'angle sud-ouest<br />

du jardin du Palais Royal ; l'autre la représente plus<br />

loin, à peu près à l'endroit où les deux premiers<br />

placent une seconde tour, c'est-à-dire au point où<br />

la rue Baillif rencontre la rue de Valois ; ce qui donne<br />

un écart d'environ 140 mètres. Mais l'examen du<br />

plan de Truschet et Hoyau conduit à cette déduction<br />

que, précieux à consulter pour un grand nombre<br />

d'emplacements dans le <strong>Paris</strong> du seizième siècle, il<br />

l'est moins pour certains détails, en particulier pour<br />

les tours de l'enceinte ; cela est vrai notamment pour<br />

celles de la courtine longeant la Seine, entre la Tour<br />

en Bois et la Tour du Coin ; aussi Berty adopte-t-il<br />

la restitution du plan de Braun, figurant sept tourelles,<br />

de forme carrée et donnant sur le fleuve (1). Il semble<br />

donc qu'on puisse s'en tenir à l'indication fournie par<br />

(1) Berty, Le Louvre et les Tuileries, I, p. 169.


FRAGMENT DU MUR DE L'ENCEINTE CAROLINE, RENCONTRÉ<br />

DANS LES FOUILLES DE 1912 ET 1913.<br />

La découverte d'une partie du mur de l'enceinte précise l'endroit, déjà<br />

fixé par le plan de 1695, où commençait le grand fossé.<br />

Déjà les fouilles de 1866 avaient mis à jour une partie des substructions<br />

de la porte Saint-Honoré, à la hauteur du n° 163 actuel de la rue Saint-Honoré<br />

et sur toute la largeur de cette rue, comme on le voit sur ce plan.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 125<br />

les plans de Braun et d'Arnoullet, qui placent la<br />

tour à l'entrée du jardin du Palais-Royal.<br />

M. Emile Eude, architecte du monument de <strong>Jeanne</strong><br />

<strong>d'Arc</strong> à Vaucouleurs, voit, lui aussi cette tour à<br />

« l'emplacement de l'angle sud-ouest » du jardin (1) ;<br />

mais il prétend — sans dire toutefois sur quoi il<br />

fonde son opinion — que <strong>Jeanne</strong> aurait dirigé son<br />

assaut contre cette tour ; cette assertion paraît discutable<br />

.<br />

Que se proposait la Pucelle? Elle voulait s'emparer<br />

de la porte Saint-Honoré pour l'ouvrir à ses troupes et,<br />

par là, les faire pénétrer dans la ville. Elle ne pouvait<br />

la prendre d'assaut, sinon elle l'eût directement<br />

attaquée. Les chroniqueurs s'accordent pour dire<br />

qu'elle voulait escalader la muraille avec quelquesuns<br />

de ses hommes d'armes, afin de se rendre ainsi<br />

maîtresse de cette porte. Il est vraisemblable, dans ces<br />

conditions, qu'elle a dû porter son effort, non sur un<br />

point assez éloigné (environ 140 mètres séparaient<br />

la tour de la porte), fortifié et bien défendu, comme<br />

devait l'être la tour ; mais sur un endroit de l'enceinte<br />

plus vulnérable et à proximité de la porte. Fauquembergue,<br />

d'ailleurs, le dit clairement, quand il rapporte<br />

que les soldats de <strong>Jeanne</strong> jetèrent des bourrées dans<br />

le fossé pour le franchir « non loin de la susdite porte ».<br />

Ceci nous ramène, par conséquent, dans le voisinage<br />

de la fontaine rapprochée de la rue de Richelieu, à<br />

une soixantaine de mètres de la porte Saint-Honoré.<br />

(1) « L'attaque de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> sur <strong>Paris</strong> », Cosmos, n° 504,<br />

22 septembre 1894, pp. 241-244.


126 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

* *<br />

Quand, « après le soleil couchant », <strong>Jeanne</strong> fut<br />

atteinte par un « vireton », ou trait d'arbalète, elle se<br />

trouvait sur le dos d'âne, c'est-à-dire sur le talus qui<br />

séparait les deux fossés. On peut facilement retrouver<br />

l'endroit où courait ce dos d'âne, parallèlement au<br />

mur d'enceinte ; il suffit de connaître la largeur du<br />

grand fossé, dont l'eau baignait le pied de la muraille.<br />

Dans l'étude déjà citée, M. E. Eude dit, en note,<br />

que d'après le capitaine d'artillerie Marin, ce fossé,<br />

rempli par une crue de la Seine, aurait présenté<br />

2 m . 50 environ de profondeur sur 20 mètres de<br />

largeur. L'opinion de M. Lucien Hoche paraît mieux<br />

établie ; il note, dans son intéressant <strong>Paris</strong> occidental :<br />

la rue Saint-Honoré (I), que la largeur des fossés de<br />

l'enceinte de Charles V était de 16 toises ou 32 mètres,<br />

et se réfère à une communication de M. Guillaumin,<br />

dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de France (2),<br />

relative à des fouilles, qui ont mis au jour des vestiges<br />

de la contrescarpe.<br />

Ainsi en comptant environ 32 mètres au-delà de<br />

l'enceinte, vis-à-vis de la fontaine voisine de la rue<br />

de Richelieu, on voit qu'une ligne droite, tirée du<br />

Marché aux pourceaux, rencontrerait le dos d'âne<br />

à peu près au point où est placé actuellement l'immeuble<br />

portant le n° 2 de l'avenue de l'Opéra.<br />

* *<br />

Or c'est là, précisément, la conclusion à laquelle<br />

a abouti la Commission municipale du Vieux-<strong>Paris</strong>.<br />

(1) Tome I er , p. 50, note 5. — <strong>Paris</strong>, Leclerc, 1912.<br />

(2) Année 1889, pp. 173-174.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 127<br />

Dans son rapport, présenté au nom de la 2 e Sous-<br />

Commission, M. Charles Magne, inspecteur des<br />

fouilles archéologiques de la Ville de <strong>Paris</strong>, dit, en<br />

effet (1) ;<br />

« Nous avons reporté sur notre plan d'ensemble,<br />

à la hauteur du numéro 2 de l'avenue de l'Opéra,<br />

une ligne pointillée. Celle-ci, tracée par M. Hoffbauër,<br />

indique approximativement l'état des fossés de la<br />

fortification de Charles V et figure entre eux le dos<br />

d'âne où se trouvait <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, lorsqu'elle reçut<br />

sa blessure au cours de l'assaut de 1429.<br />

« L'on sait, en effet, d'après les récits que nous<br />

ont laissés les anciens chroniqueurs, que <strong>Jeanne</strong>,<br />

marchant à la tête de ses troupes, après avoir traversé<br />

la place aux Pourceaux, avait franchi sans difficulté<br />

l'arrière-fossé. Arrêtée par le grand fossé qui était<br />

plein d'eau, elle s'efforçait d'en reconnaître la profondeur,<br />

lorsqu'elle fut atteinte à la cuisse par un<br />

trait. Elle devait alors se trouver, si l'on en croit les<br />

récits du temps, sur le dos d'âne qui séparait les<br />

deux fossés, à quelque distance en avant du mur<br />

que nous avons rencontré (2) et à 60 mètres environ<br />

de la porte Saint-Honoré. <strong>Jeanne</strong>, blessée, pour éviter<br />

de rester sous le feu des assiégés, dut aller s'appuyer<br />

contre le talus du dos d'âne qui regardait la campagne :<br />

la hauteur (3 mètres environ) de cette butte de terre,<br />

devait être, en effet, une protection suffisante contre<br />

les coups de la place.<br />

« D'après nos calculs, le lieu où fut blessée <strong>Jeanne</strong><br />

<strong>d'Arc</strong> se trouverait ainsi déterminé par l'emplacement<br />

(1) Procès-verbaux, année 1914, pp. 12-20.<br />

(2) Dans les fouilles de 1912 et de 1913.


128 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

qu'occupe le numéro 2 de l'avenue de l'Opéra et<br />

par le trottoir qui s'étend <strong>devant</strong> cet immeuble. »<br />

* *<br />

Dans une réunion qui s'est tenue le 9 novembre 1923<br />

à la Mairie du I er Arrondissement, et à la suite d'une<br />

conférence faite par l'auteur de ces lignes, sous les<br />

auspices du Centre de <strong>Paris</strong> (Société historique et<br />

archéologique des I er et II e arrondissements), le vœu<br />

suivant a été adopté et transmis à la Commission<br />

municipale du Vieux-<strong>Paris</strong> :<br />

« Les membres de la Société « le Centre de <strong>Paris</strong> »,<br />

réunis en séance publique du Comité le 9 novembre<br />

1923 ;<br />

« Considérant que la porte Saint-Honoré de l'enceinte<br />

de Charles V a été le principal théâtre de l'attaque<br />

de <strong>Paris</strong> par <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> le 8 septembre 1429 ;<br />

« Considérant que l'endroit où <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>,<br />

au cours de l'attaque, a été blessée, est déterminé avec<br />

précision ;<br />

« Estimant que ce glorieux épisode de la vie de<br />

<strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, intéressant l'histoire de <strong>Paris</strong>, doit<br />

être constamment rappelé au souvenir des <strong>Paris</strong>iens,<br />

des Français et des étrangers qui passent auprès de<br />

ces lieux ;<br />

« Emettent le vœu qu'une plaque commémorative<br />

avec plan de l'ancien état des lieux soit placée à<br />

l'angle sud de la maison portant le n° 2 de l'avenue de<br />

l'Opéra.<br />

« Et souhaitent que l'inauguration de cette plaque<br />

puisse avoir lieu lors de la prochaine fête nationale<br />

de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>. »


CORDELIERS DU XV e SIECLE<br />

Vers le 12 avril 1429 arriva à <strong>Paris</strong> un Cordelier<br />

revenant de Terre <strong>Sainte</strong> (1). Il fit courir toute la<br />

ville ; on allait l'entendre « aux Innocents et ailleurs<br />

» (2) ; « il commençait son sermon à cinq heures<br />

du matin et le terminait entre dix et onze heures ».<br />

Qu'en penseraient nos modernes auditoires, qui<br />

ne peuvent supporter une prédication d'une heure?<br />

Le Cordelier, il est vrai, exerçait un attrait particulier<br />

; pour l'entendre il venait jusqu'à cinq à six<br />

mille personnes ; ce qui laisse supposer qu'il parlait sur<br />

lu place publique. Il racontait des choses extraordinaires<br />

; en Terre <strong>Sainte</strong> il avait vu, assurait-il,<br />

une foule de Juifs s'en aller par troupes à Babylone y<br />

vénérer leur Messie qui venait de naître ; ce Messie,<br />

affirmait-il, n'était autre que l'Antéchrist ; aussi<br />

annonçait-il pour l'année suivante, 1430, les plus<br />

graves événements et prophétisait-il que le jour du<br />

Jugement était proche. Ses exhortations enflammées<br />

transformaient la population ; les <strong>Paris</strong>iens renon-<br />

(1) D'après la Chronique de la Pucelle ; le Greffier de La Rochelle<br />

; Jean Rogier, échevin de Reims ; le Journal d'un Bourgeois<br />

de <strong>Paris</strong> ; le Marteau des sorcières de Jean Nider ; les Procès-<br />

Verbaux du procès de <strong>Jeanne</strong> à Rouen, etc.<br />

(2) L'église et le cimetière des Innocents se trouvaient à 1 endroit<br />

occupé aujourd'hui par le square des Innocents, près des<br />

Halles.


130 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

çaient aux « jeux de tables, de boules, de dés, bref (à)<br />

tous ceux qu'il défendait » ; il leur faisait prendre<br />

« une médaille d'étain sur laquelle était empreint le<br />

nom de Jésus » ; les femmes brûlaient leurs atours.<br />

Le Bourgeois de <strong>Paris</strong>, qui nous fournit ces détails et<br />

auquel cet extraordinaire Cordelier paraît avoir été<br />

particulièrement antipathique, ajoute ironiquement,<br />

avec une intention malveillante, qu'il était, aux yeux<br />

de certaines dévotes » le « beau » Père.<br />

Soudain il disparut ; ses prédications n'avaient<br />

duré que dix jours » du samedi 16 au mardi 26 avril.<br />

Il devait prêcher, le dimanche 1 er mai, « au lieu, ou<br />

tout près, où Mgr saint Denis fut décollé avec maints<br />

autres martyrs », c'est-à-dire sur la colline Montmartre<br />

; l'annonce en fut publiée dans la ville, le<br />

dimanche 24 avril ; on se le répéta au cours de la<br />

semaine. « Il y alla plus de six mille personnes de<br />

<strong>Paris</strong> (1) ; la plupart partirent le samedi au soir par<br />

nombreuses bandes, pour avoir meilleure place le<br />

dimanche au matin ; elles couchèrent aux champs,<br />

dans de vieilles masures, le mieux qu'elles purent. »<br />

Le dimanche matin, on attendit vainement le Cordelier;<br />

il ne vint point ; brusquement il avait quitté <strong>Paris</strong><br />

entre le 26 et le 30 avril. Le Bourgeois de <strong>Paris</strong> ajoute :<br />

« son fait fut empêché. Comment? De cela je m'en<br />

tais ; mais il ne prêcha point ; ce dont les bonnes gens<br />

de <strong>Paris</strong> furent fort émus. Il ne prêcha plus de cette<br />

saison à <strong>Paris</strong>, d'où il dut partir. »<br />

Le canoniste Chuffart, auteur présumé du Journal<br />

d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong>, ancien recteur de l'Université<br />

de <strong>Paris</strong> dont il devait devenir prochainement<br />

chancelier, savait à quoi s'en tenir sur la fuite préci-<br />

(1) La colline Montmartre était hors les murs.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 131<br />

pitée du Cordelier, frère Richard, mais ne jugeait pas<br />

opportun de le noter. Plus d'un demi-siècle après,<br />

l'évêque de Lisieux, Thomas Basin, exilé par Louis XI,<br />

employait à Utrecht ses loisirs à écrire une Histoire de<br />

Charles VII et de Louis XI ; « Il y a près de soixante<br />

ans, y dit-il, que faisant nos études à <strong>Paris</strong>, nous<br />

vîmes frère Richard, de l'Ordre de Saint-François,<br />

qui annonçait que l'Antéchrist était né et que le jour<br />

du jugement était proche. Il trouva tant de créance<br />

auprès du peuple qu'il comptait jusqu'à soixante<br />

mille auditeurs (1) ; mais comme il semait cette<br />

erreur (2) et quelques autres, il comprit que la Faculté<br />

de théologie allait procéder contre lui, et il se déroba<br />

secrètement. »<br />

Frère Richard retourna en Champagne, où il<br />

avait séjourné avant de venir s'exposer aux sévérités<br />

de l'Université de <strong>Paris</strong>. Au mois de décembre<br />

précédent, en effet, on le vit dans cette région, où<br />

il « allait prêchant par le pays » ; durant l'Avent il<br />

parlait à Troyes et y « disait tous les jours », dans son<br />

langage apocalyptique : « semez des fèves largement,<br />

celui qui doit venir viendra bientôt » ; faisant allusion<br />

à la fin du monde qu'il annonçait prochaine. Les<br />

gens de Troyes prirent son conseil au mot, sans trop<br />

s'attacher au sens symbolique ; ils semèrent « des<br />

fèves si largement que ce fut merveille » ; et quand, en<br />

(1) Sans nul doute, dans la totalité de ses prédications, à raison<br />

d'environ 6.000 par jour, pendant dix jours ; il n'y aurait pas<br />

d'orateur qui put se faire entendre à 60.000 personnes réunies ;<br />

un orateur ne peut être entendu que de 5.000 personnes au<br />

maximum, et ceci dans les meilleures conditions acoustiques<br />

réalisables pratiquement.<br />

(2) L'apparition de l'Antéchrist et l'approche du Jugement<br />

dernier.


132 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

juillet suivant, l'armée du Dauphin, dénuée de vivres,<br />

se présenta <strong>devant</strong> Troyes, elle trouva assez de fèves<br />

pour se nourrir « par quelque temps ; et toutefois ledit<br />

prêcheur ne songeait point à la venue du roi » (1),<br />

mais à celle du Fils de l'homme venant sur les nuées<br />

juger chacun selon ses œuvres.<br />

Troyes paraît avoir été, durant un certain temps,<br />

le principal centre d'action du frère Richard, avant<br />

et après son séjour à <strong>Paris</strong>. On le voit en bonnes<br />

relations avec les habitants de Châlons, qui 1' « estimaient<br />

un très bon prud'homme ». Vivant en plein<br />

parti bourguignon, peu au courant sans doute des<br />

sanglantes querelles entre Armagnacs et Bourguignons<br />

dont son voyage en Terre <strong>Sainte</strong> l'avait tenu<br />

éloigné, il est naturel qu'il ait épousé, plus ou moins<br />

passionnément, les opinions de ceux qu'il fréquentait ;<br />

à <strong>Paris</strong> comme en Champagne, il n'en a guère connu<br />

d'autres. Ses allées et venues le mirent en relations<br />

avec trois ou quatre bourgeois de Reims qui complotaient,<br />

rapporte l'échevin Jean Rogier, l'entrée du<br />

Dauphin dans leur ville ; frère Richard en avertit ses<br />

amis de Troyes, qui en firent rapport au duc de<br />

Bourgogne.<br />

Le 5 juillet, le Dauphin, <strong>Jeanne</strong> et l'armée royale,<br />

arrivaient <strong>devant</strong> Troyes, vers neuf heures du matin ;<br />

la ville ayant fermé ses portes, on commença le siège.<br />

C'est alors que les habitants, voulant savoir si <strong>Jeanne</strong><br />

venait de la part de Dieu ou du démon, envoyèrent<br />

frère Richard aux informations. La rencontre ne<br />

manque pas de pittoresque ; le Cordelier s'avance,<br />

faisant des signes de croix, aspergeant la Pucelle d'eau<br />

bénite, bref esquissant un exorcisme ; <strong>Jeanne</strong>, qu'une<br />

(1) Chronique de la Pucelle.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 133<br />

telle scène parait amuser, lui crie d'approcher sans<br />

crainte de la voir s'envoler ; elle le rapporte elle-même,<br />

au cours de son procès (séance du 3 mars), avec<br />

cette spontanéité pleine de charme qui lui est propre :<br />

« Ceux de la ville de Troyes, à ce que je pense, l'envoyèrent<br />

devers moi, disant qu'ils craignaient que<br />

mon fait ne fut pas chose de par Dieu ; et quand il<br />

vint devers moi, en approchant il faisait le signe de la<br />

croix et jetait de l'eau bénite, et je lui dis : Approchez<br />

hardiment, je ne m'envolerai pas. » Le Cordelier,<br />

satisfait de cette entrevue, revint à Troyes, avec une<br />

lettre de <strong>Jeanne</strong> pour les habitants, au dire de Jean<br />

Rogier, une autre probablement que celle qu'elle<br />

leur avait adressée, le 4 juillet, de Saint-Phal.<br />

Trois ou quatre jours après, le samedi 9 peut-être,<br />

tandis que l'évêque de Troyes parlementait avec<br />

le bailli et les notabilités pour les engager à ouvrir au<br />

Dauphin les portes de leur cité, frère Richard avait<br />

un long entretien avec la Pucelle. « Un saint prud'homme,<br />

Cordelier, rapporte le Greffier de La Rochelle,<br />

en qui tous ceux de la ville et du pays avaient grande<br />

foi et confiance, sortit de la ville pour aller voir la<br />

Pucelle. Sitôt qu'il la vit, et d'assez loin, il s'agenouilla<br />

<strong>devant</strong> elle ; et quand la Pucelle le vit, elle s'agenouilla<br />

pareillement <strong>devant</strong> lui ; ils se firent l'un à l'autre<br />

grand accueil et grande révérence, et parlèrent longtemps<br />

ensemble. » Cet entretien persuada le Cordelier<br />

de la divinité de la mission de <strong>Jeanne</strong>, de la puissance<br />

qui était en son pouvoir, de la légitimité du Dauphin,<br />

du devoir des habitants de reconnaître celui-ci comme<br />

leur véritable souverain ; car, de retour dans la ville,<br />

frère Richard « prêcha très grandement au peuple,<br />

en le pressant de faire son devoir envers le roi, lui<br />

remontrant comment Dieu dirigeait son fait et lui


134 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

avait baillé, pour l'accompagner et le conduire à son<br />

sacre, une sainte Pucelle qui, comme il le croyait<br />

fermement, savait autant et avait aussi grande puissance<br />

de savoir les secrets de Dieu que saint qui fut<br />

en paradis, après saint Jean l'évangéliste ; que, si<br />

elle voulait, elle avait assez de puissance pour faire<br />

entrer tous les gens d'armes du roi en la ville par<br />

dessus les murs, en quelque manière qu'elle voudrait ;<br />

et plusieurs autres choses. Incontinent tous crièrent<br />

à vive voix : Vive le roi Charles de France » (1).<br />

Interrogée à son procès sur ce sermon du Cordelier<br />

(séance du 3 mars), <strong>Jeanne</strong> répondit n'en rien savoir :<br />

« quant au sermon, je n'en sais rien. » L'intervention<br />

de l'évêque de Troyes, du doyen, et du Cordelier,<br />

décida les habitants à ouvrir au roi les portes de leur<br />

ville. Charles VII fit son entrée à Troyes, le 10 juillet.<br />

<strong>Jeanne</strong> répondit à son procès (même séance ) : « A<br />

mon avis, frère Richard entra avec nous à Troyes ;<br />

mais je ne suis pas souvenante si je le vis à l'entrée. »<br />

Les Bourguignons, en Champagne, n'apprirent pas<br />

sans stupéfaction la soudaine volte-face du Cordelier :<br />

« Les habitants de Châlons » rapporte Jean Rogier,<br />

mandèrent « aux habitants de Reims qu'ils avaient été<br />

fort ébahis du dit frère Richard, d'autant plus qu'ils<br />

estimaient que ce fut un très bon prud'homme ;<br />

mais qu'il était devenu sorcier. »<br />

A <strong>Paris</strong>, ce fut de la colère : « Pour vrai le Cordelier<br />

qui prêcha aux Innocents et assemblait tant de peuple<br />

à son sermon, comme il a été dit, raconte le Bourgeois<br />

de <strong>Paris</strong>, pour vrai il chevauchait avec les Armagnacs.<br />

Aussitôt que ceux de <strong>Paris</strong> furent certains qu'il<br />

chevauchait ainsi et que par ses discours il faisait<br />

(1) Greffier de La Rochelle.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 135<br />

ainsi tourner les cités qui avaient fait serment au<br />

régent de France ou à ses délégués, ils le maudissaient<br />

de Dieu et de ses saints, et qui pis est, par dépit de<br />

lui, ils recommencèrent les jeux de tables, de boules,<br />

dès, bref tous ceux qu'il avait défendus ; ils laissèrent<br />

même une médaille d'étain sur laquelle était empreint le<br />

nom de Jésus qu'il leur avait fait prendre, et prirent<br />

tous la croix de Saint-André» (1)<br />

Les Anglais n'étaient pas moins courroucés. Le<br />

duc de Bedford, régent de France pour l'Angleterre,<br />

dans une lettre adressée, le 7 août, à Charles VII pour<br />

lui offrir la bataille, lui reprochera de se faire « aider<br />

principalement par des gens superstitieux et condamnés,<br />

telle qu'une femme désordonnée, travestie,<br />

portant vêtement d'homme et de gouvernement<br />

dissolu, et aussi d'un Frère mendiant, apostat et<br />

séditieux. »<br />

Frère Richard s'était, en effet, attaché à la Pucelle.<br />

Il est à Reims, au sacre du roi, mais n'y a pas tenu<br />

l'étendard de <strong>Jeanne</strong>, comme on l'insinua faussement<br />

au procès (séance du 3 mars). Il est à Montépilloy,<br />

près de Senlis, lors de la rencontre des armées anglaise<br />

et française (15 et 16 août) ; c'est pendant les deux<br />

jours que l'armée campa en cet endroit, que <strong>Jeanne</strong><br />

s'est confessée à lui, d'après la déposition, au procès<br />

de réhabilitation, du sire Albert d'Ourches, chevalier,<br />

seigneur d'Ourches : « Je l'ai vue se confesser au<br />

frère Richard, <strong>devant</strong> la ville de Senlis et recevoir<br />

durant deux jours le corps du Christ. » Au moment de<br />

l'attaque de <strong>Paris</strong>, il est probable qu'il a dû se tenir<br />

prudemment à l'écart, attendant le résultat de l'entre-<br />

(1) La croix de Saint-André était l'insigne de la maison de Bourgogne.


136 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

prise, n'étant pas pressé de renouer connaissance<br />

avec une ville, dont il avait dû s'éloigner si précipitamment,<br />

ni avec les citadins que sa défection avait<br />

irrités ; ni de s'exposer aux poursuites de l'Université,<br />

dont les passions bourguignonnes ne feraient qu'exciter<br />

contre lui le zèle à défendre la foi.<br />

Désormais considéré par les Bourguignons comme<br />

sorcier, superstitieux, apostat, séditieux, frère Richard<br />

n'allait guère se trouver mieux de son passage au<br />

camp des Armagnacs ; il devait s'attirer d'autres<br />

histoires.<br />

Entendons d'abord le Bourgeois de <strong>Paris</strong> ; nous essaierons<br />

ensuite de démêler ce qu'il convient de retenir<br />

de ses allégations. Le 4 juillet 1431, conformément à<br />

un ordre de la cour anglaise, eut lieu, à <strong>Paris</strong>, à Saint-<br />

Martin-des-Champs, la promulgation officielle de la<br />

condamnation de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> ; le prédicateur était<br />

le grand inquisiteur lui-même, le dominicain Graverent<br />

; voici ce que lui fait dire le Bourgeois :<br />

« Dans son sermon, le prédicateur disait encore<br />

quelles étaient quatre, ces femmes, et que trois<br />

avaient été prises, à savoir cette Pucelle (<strong>Jeanne</strong>),<br />

Pierronne et sa compagne. La quatrième, nommée<br />

Catherine de La Rochelle, est avec les Armagnacs ;<br />

elle dit que lorsqu'on consacre le précieux corps de<br />

Notre-Seigneur, elle voit merveilles du haut mystère<br />

de Notre-Seigneur Dieu. Toutes les quatre pauvres<br />

femmes ont été gouvernées par le Cordelier, frère,<br />

Richard, celui qui attira après lui si grande multitude<br />

quand il prêcha aux Innocents et ailleurs. Il était leur<br />

beau Père. Le jour de Noël, à Jargeau, il donna trois<br />

fois le corps de Notre-Seigneur à cette dame <strong>Jeanne</strong><br />

la Pucelle ; ce dont il est fort à reprendre. Ce même jour<br />

il l'aurait donné deux fois à Pierronne, d'après le


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 137<br />

témoin des aveux de ces femmes et d'après quelquesuns<br />

qui furent présents aux heures où il leur donna<br />

ainsi le précieux sacrement. »<br />

Tout ce récit est un tissu de fables invraisemblables ;<br />

le Cordelier n'a jamais été le directeur de <strong>Jeanne</strong> ;<br />

il 1'a confessée une fois et peut-être quelques autres ;<br />

mais le confesseur régulier de la Pucelle était le moine<br />

augustin Jean Pâquerel. Que faut-il retenir de ses<br />

rapports avec Pierronne et Catherine de La Rochelle?<br />

Pour la première, c'est obscur ; pour la seconde, c'est<br />

nettement à son désavantage.<br />

Nous ne sommes renseignés sur Pierronne et sa<br />

compagne que par Chuffart et le dominicain allemand<br />

Jean Nider ; ce dernier dit tenir de Nicolas Lamy,<br />

licencié en théologie, député de l'Université de <strong>Paris</strong><br />

à l'assemblée de Bâle, ce qui suit : « Parurent dans les<br />

environs de <strong>Paris</strong> deux femmes disant hautement<br />

être envoyées par Dieu pour venir en aide à <strong>Jeanne</strong> la<br />

Pucelle. Ainsi que me l'a exposé de vive voix ledit<br />

maître Nicolas (Lamy), elles furent, comme magiciennes<br />

et sorcières, appréhendées par l'inquisiteur<br />

de la foi. Examinées par plusieurs docteurs en théologie,<br />

il fut établi que leurs extravagances étaient<br />

l'effet des tromperies du malin esprit ». Cette appréciation<br />

est suspecte, parce qu'elle émane de Nicolas<br />

Lamy, qui fut, à l'assemblée schismatique de Bâle,<br />

le collègue actif d'Erard, de Beaupré, de Courcelles,<br />

les mauvais juges de Rouen ; parce qu'elle suit immédiatement<br />

celle qu'il vient de formuler sur <strong>Jeanne</strong>,<br />

« une magicienne » justement livrée au bûcher. Rien<br />

ne prouve que le jugement, porté sur Pierronne et sa<br />

compagne par Lamy et rapporté par Nider, soit<br />

mieux fondé que celui qu'il émet sur <strong>Jeanne</strong>.<br />

Le témoignage de Chuffart est encore plus sujet


138 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

à caution, en raison de l'animosité manifeste qu'il<br />

accuse envers la Pucelle. Pierronne et sa compagne,<br />

se présentant comme envoyées de Dieu pour aider<br />

<strong>Jeanne</strong> dans sa mission, ne devaient pas être par lui<br />

mieux traitées qu'elle : « La plus âgée, Pierronne, qui<br />

était de Bretagne bretonnant, écrit-il, disait et soutenait<br />

que dame <strong>Jeanne</strong> qui s'armait avec les Armagnacs<br />

était bonne, que ce qu'elle faisait était bien fait et<br />

selon Dieu. Elle reconnut avoir reçu deux fois en un<br />

jour le précieux corps de Notre-Seigneur. Elle affirmait<br />

et jurait que Dieu lui apparaissait souvent en<br />

son humanité, et lui parlait comme un ami à son ami,<br />

que la dernière fois qu'elle l'avait vu, il était revêtu<br />

d'une longue robe blanche et avait par-dessous une<br />

huque vermeille, ce qui est comme un blasphème ».<br />

De tout ce racontar, une seule chose est digne d'attention<br />

; Pierronne soutenait la cause de <strong>Jeanne</strong> ; c'était<br />

là son principal crime aux yeux de certains Universitaires,<br />

entièrement dévoués au parti bourguignon.<br />

Pierronne et sa compagne « avaient été prises à<br />

Corbeil et amenées à <strong>Paris</strong> », dans les premiers mois<br />

de 1430. Condamnées par le tribunal ecclésiastique<br />

« comme magiciennes et sorcières », elles « furent<br />

prêchées au parvis Notre-Dame, le troisième jour<br />

de septembre, un dimanche ». La plus jeune « se<br />

reconnaissant séduite par l'ange de Satan, se repentit,<br />

sur les représentations des maîtres, de ses erreurs<br />

passées et les abjura comme c'était son devoir » ;<br />

elle « fut délivrée pour cette heure ». Pierronne<br />

« persistant dans son opiniâtreté », « ne voulut jamais<br />

rétracter l'affirmation de ce propos qu'elle voyait<br />

souvent Dieu sous cette forme ; sur quoi ce même<br />

jour elle fut condamnée à être brûlée, et elle le fut,<br />

et elle mourut en son dire ce même dimanche ».


LA PORTE SAINT-HONORÉ ET SES ENVIRONS VERS 1530.<br />

Plan d'Arnoulet.<br />

La porte est représentée sommairement. On voit très nettement que la baie<br />

de l'avant-porte n'est pas dans l'axe de celle de la porte même.<br />

L'enceinte est garnie de tourelles et de bastides, reliées entre elles par un<br />

chemin de ronde crénelé.<br />

On distingue facilement le grand fossé, le dos d'âne, l'arrière-fossé et la<br />

contrescarpe.<br />

L'extrémité de la Butte des moulins s'aperçoit au bas de la carte, sous la<br />

légende.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 139<br />

Voilà tout ce que, sur ces deux femmes, nous ont<br />

conservé ces témoignages douteux. Etaient-elles en<br />

relations avec <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, et quelles étaient ces<br />

relations? Pierronne a-t-elle été réellement dirigée<br />

par le frère Richard? Se trouvait-elle vraiment à<br />

Jargeau le 25 décembre 1429? Comment le savoir?<br />

Il paraît bien invraisemblable cependant que le<br />

Cordelier lui ait donné, au jour de Noël, deux fois,<br />

et à <strong>Jeanne</strong> trois fois, la communion ; s'il l'eut fait,<br />

il serait « fort à reprendre », comme dit Chuffart ;<br />

et alors, les juges de Rouen, qui ont tant chicané la<br />

Pucelle sur des faits de bien moindre importance,<br />

n'eussent pas manqué d'exploiter contre elle une<br />

telle violation des règles ecclésiastiques ; ils n'en ont<br />

rien dit. Et si, quand il s'agit de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, l'accusation<br />

du grand Inquisiteur est calomnieuse, elle<br />

ne paraît pas l'être moins à l'égard de Pierronne. Que<br />

celle-ci et sa compagne aient été des illuminées,<br />

on peut le supposer ; ce n'était pas une raison pour<br />

que, en une cérémonie solennelle, à Saint-Martindes-Champs,<br />

un prédicateur d'une telle importance<br />

se laissât aller contre frère Richard à de si graves<br />

imputations ; mais, pour justifier <strong>devant</strong> son auditoire,<br />

conformément à la volonté de la cour d Angleterre,<br />

la condamnation de la Pucelle, il était habile<br />

de confondre en une même réprobation Pierronne<br />

et sa compagne, « magiciennes et sorcières », Catherine<br />

la visionnaire, et l'innocente <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, en les<br />

montrant toutes quatre dominées et dirigées par<br />

une sorte d'imposteur, un Cordelier dont la doctrine<br />

était suspecte et dont l'attitude politique avait transformé<br />

en aversion profonde l'admiration des <strong>Paris</strong>iens.<br />

Le cas de Catherine de La Rochelle est moins bon<br />

pour le Cordelier ; il s'est laissé duper par une détra-


140 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

quée et a pris parti pour elle contre <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>.<br />

Nous savons par la Pucelle elle-même (procès, séance<br />

du 3 mars) qu'elle se rencontra avec cette femme à<br />

Montfaucon-en-Berry (dans la seconde quinzaine<br />

d'octobre ou au début de novembre 1429) et à Jargeau<br />

(à la Noël de la même année). C'était une aventurière,<br />

favorisée sans doute et peut-être même suscitée par<br />

quelques conseillers de Charles VII, qui attendaient<br />

de leur diplomatie, et non des armes, la paix avec le<br />

duc de Bourgogne ; elle était gagnée à leur cause et<br />

sut faire entrer le Cordelier dans ses vues. Le parti<br />

des diplomates de la paix boiteuse se renforçait ainsi<br />

d'une soi-disant envoyée de Dieu, patronnée par le<br />

Frère Mineur, et opposait à <strong>Jeanne</strong> une rivale dont<br />

les révélations ne s'accordaient pas avec les siennes.<br />

La manœuvre était adroite, à condition qu'elle<br />

réussit ; mais écoutons <strong>Jeanne</strong> (procès, séance du<br />

3 mars) :<br />

« Elle (Catherine) m'a dit que venait vers elle une<br />

dame blanche vêtue de drap d'or, qui lui disait d'aller<br />

par les bonnes villes, et de se faire bailler par le roi<br />

des hérauts et trompettes pour faire crier que<br />

quiconque aurait or, argent ou trésor caché, les<br />

apportât de suite (1) ; que ceux qui ne le feraient et<br />

en auraient de caché, elle les connaîtrait bien et saurait<br />

trouver lesdits trésors, et que ce serait pour payer<br />

mes gens d'armes. Je demandai à Catherine si cette<br />

dame venait toutes les nuits et que pour cela (pour le<br />

savoir) je coucherais avec elle. J'y couchai et veillai<br />

jusqu'à minuit et ne vis rien, puis m'endormis. Quand<br />

vint le matin, je lui demandai si elle était venue ;<br />

(1) L'usurier La Trémoille n'aurait-il pas suggéré ce moyen<br />

d'augmenter les ressources de la cassette royale?


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 141<br />

elle me répondît qu'elle était venue, qu'alors moi,<br />

<strong>Jeanne</strong>, je dormais et qu'elle n'avait pu m'éveiller.<br />

Alors je lui demandai si elle ne viendrait pas le lendemain,<br />

et Catherine me répondit que oui. Je dormis<br />

de jour, afin que je pusse veiller la nuit. Je couchai<br />

la nuit suivante avec Catherine et veillai toute la nuit ;<br />

mais je ne vis rien, encore que souvent je lui demandâsse<br />

: Viendra-t-elle point? Et Catherine me répondait<br />

: oui, bientôt ».<br />

Catherine avait appris l'expédition que <strong>Jeanne</strong> se<br />

proposait de faire contre La Charité. « Catherine ne<br />

me conseillait point d'y aller, qu'il faisait trop froid<br />

et qu'elle n'irait point. Je dis à Catherine, qui voulait<br />

aller devers le duc de Bourgogne pour faire la paix,<br />

qu'il me semblait qu'on n'y trouverait point de paix,<br />

si ce n'était par le bout de la lance ».<br />

L'opinion de <strong>Jeanne</strong> était faite. Catherine, qui<br />

soutenait le parti des conseillers du roi, artisans des<br />

trêves fallacieuses, et contrariait ainsi sa propre mission,<br />

n'était qu'une visionnaire, dont les révélations<br />

étaient imaginaires ou mensongères ; cependant elle<br />

voulut en avoir l'assurance. « Pour en avoir la certitude,<br />

je parlai à sainte Marguerite ou sainte Catherine, qui<br />

me dirent que le fait de cette Catherine n'était que<br />

folie et était tout néant. Je dis à Catherine qu'elle<br />

retournât à son mari, faire son ménage et nourrir ses<br />

enfants. J'écrivis à mon roi que je lui dirais ce qu'il<br />

en devait faire. Quand je vins vers lui, je lui dis que,<br />

pour cette Catherine, c'était folie et tout néant,<br />

toutefois, frère Richard voulait qu'on la mît en<br />

œuvre ; et ont été très mal (contents) de moi ledit<br />

frère Richard et ladite Catherine ».<br />

L'aventurière était démasquée, non aux yeux du<br />

Cordelier cependant, qui désormais se sépara de


142 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

<strong>Jeanne</strong>, vers la fin de décembre 1429 ou le commencement<br />

de janvier, irrité de ce que la Pucelle ne<br />

voulait pas accepter le concours de cette folle. Catherine<br />

se vengea en calomniant <strong>Jeanne</strong>, si tant est qu'on<br />

puisse s'en rapporter au Promoteur du procès, Jean<br />

d'Estivet, qui a tant de fois déformé les moindres<br />

faits pour en tirer matière à accusation. Dans son<br />

Réquisitoire, article 56, il prétend que Catherine,<br />

déposant <strong>devant</strong> l'official de <strong>Paris</strong>, après l'emprisonnement<br />

de <strong>Jeanne</strong>, affirmait que « <strong>Jeanne</strong> sortirait<br />

de prison par le secours du diable, si elle n'était pas<br />

bien gardée » ; à quoi <strong>Jeanne</strong> répondit : « Je le nie<br />

et j'affirme par mon serment que je ne voudrais pas<br />

que le diable m'eut tirée dehors de la prison ». D'ailleurs<br />

cette Rochelloise avait aussi calomnié, on ne sait<br />

pourquoi, les habitants de Tours et d'Angers, les<br />

accusant de travailler à trahir le roi.<br />

En 1430, nous trouvons frère Richard à Orléans,<br />

où il est venu prêcher, ainsi qu'il résulte des livres de<br />

comptes de cette ville ; une première fois, on lui<br />

paye les dépenses qu'il a faites pendant ses 33 jours<br />

de prédication, ses débours « tant en boisson, beurre<br />

comme autres choses », la « reliure d'un livre et un<br />

Jésus de cuivre » ; une autre fois ses frais d'hôtel<br />

« depuis la veille de Pasques Fleuries (8 avril) jusques<br />

au mercredi de Quasimodo » (26 avril) ; une troisième<br />

fois, ses dépenses du 16 mai, jour où il vint à Orléans<br />

à la suite de la reine (<strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> était alors en<br />

campagne vers Compiègne où elle devait être prise<br />

7 jours après); une quatrième fois ses dépenses<br />

d'hôtel, en juillet, pour lui « son frère et ses compagnons<br />

». Pourquoi frère Richard préférait-il l'hôtel»<br />

au couvent des Cordeliers d'Orléans?<br />

Enfin ce singulier Cordelier, qui vraiment manquait


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 143<br />

par trop de jugement, finit, l'année suivante, par se<br />

faire interner et interdire toute prédication. Il est<br />

probable que ce furent encore ses erreurs théologiques,<br />

ses fausses prophéties, qui lui valurent cette<br />

mésaventure ; l'Inquisiteur de la foi est, en etfet,<br />

intervenu contre lui. Il était alors à Poitiers. « Les<br />

Vicaires de l'évêque de Poitiers et l'Inquisiteur de la<br />

lui » interdirent « à frère Richard, de l'Ordre des<br />

frères mineurs, de s'entremettre de quelque fait de<br />

prédication » et donnèrent « leurs lettres pour qu'il<br />

soit arrêté en l'hôtel du couvent dudit Ordre à Poitiers. »<br />

Le vendredi 23 mars 1431, le même jour probablement<br />

où ils avaient pris ces mesures, ils communiquaient<br />

leur sentence « à la cour séant à Poitiers » (le Parlement)<br />

et requéraient « son aide et confort ». Le Cordelier<br />

fut mandé <strong>devant</strong> la Cour ; il s'abstint de paraître.<br />

La Cour confirma les « défenses et arrêts » de l'autorité<br />

ecclésiastique et ordonna qu'il en fut « donné<br />

lecture audit frère Richard » ; en outre, « de par la<br />

Cour », c'est-à-dire cette fois de par l'autorité civile,<br />

« il lui sera également défendu de faire fait de prédication<br />

et de partir dudit couvent, où il sera tenu en<br />

arrêt jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné » (1).<br />

Frère Richard réussit-il à s'enfuir de Poitiers,<br />

comme autrefois de <strong>Paris</strong>, pour échapper aux conséquences<br />

de cette sentence? Ce n'est pas probable.<br />

Ainsi, après avoir réussi à se soustraire aux sévérités<br />

des Bourguignons de <strong>Paris</strong>, l'agité Cordelier, malgré<br />

le crédit qu'il avait eu et avait peut-être encore à la<br />

cour du roi, était venu se faire prendre par les Armagnacs<br />

de Poitiers.<br />

(1) Cette pièce, découverte à la Bibliothèque impériale de<br />

Vienne, a été publiée par Siméon Luce, dans la Revue Bleue,<br />

13 février 1892.


144 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

* *<br />

Pendant le court séjour qu'il fit à <strong>Paris</strong>, en avril 1429,<br />

frère Richard résida vraisemblablement au couvent<br />

des Cordeliers de cette ville ; il n'avait point encore<br />

assez de liberté, ni de célébrité pour se permettrede<br />

vivre à l'hôtel, comme il le fit l'année suivante à<br />

Orléans. De ce couvent il subsiste aujourd'hui<br />

quelques parties, encloses dans l'Ecole pratique de<br />

médecine, entre la rue de l'Ecole-de-Médecine, la<br />

rue Racine et la rue Monsieur-le-Prince.<br />

Là, frère Richard rencontra des bourguignons<br />

avérés ; plusieurs Frères mineurs étaient maîtres de<br />

théologie de l'Université de <strong>Paris</strong>, entre autres<br />

Jacques de Touraine, que nous allons trouver dans le<br />

procès de <strong>Jeanne</strong> à Rouen. Peut-être dut-il à l'indiscrétion<br />

de l'un de ses confrères universitaires d'être,<br />

averti des poursuites que la Faculté de théologie<br />

s'apprêtait à exercer contre lui, et ainsi de pouvoir<br />

disparaître à temps.<br />

C'est aussi de ce couvent que provient la Chronique<br />

dite des Cordeliers, qui s'étend jusqu'à l'an 1433.<br />

L'auteur était-il lui-même cordelier? Il se montre<br />

ouvertement bourguignon ; mais il est remarquable<br />

qu'à l'égard de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> il ne partage pour ainsi<br />

dire point la violente animosité de ses copartisans ;<br />

quand il parle de la Pucelle, il s'abstient de tout mot<br />

ou de toute appréciation qui lui soit trop nettement<br />

défavorable ; il ne croit ni à sa mission, ni à ses révélations,<br />

mais reste relativement modéré dans ses<br />

appréciations ; il semble même par endroits laisser<br />

percer, sinon quelque sympathie secrète, du moins<br />

une vague admiration ; à propos de l'attaque de <strong>Paris</strong>,


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 145<br />

il écrira mieux qu'aucun autre, même du parti<br />

français : « Et là fit la Pucelle merveilles, tant de<br />

paroles et admonestations, comme de donner cœur<br />

et hardiesse à ses gens de monter à l'assaut ; et ellemême<br />

alla si près qu'elle fut blessée ». C'est par lui<br />

que nous connaissons un détail, qui réfute une des<br />

allégations mensongères du procès ; on y accusa<br />

<strong>Jeanne</strong> d'avoir tenté de se tuer par désespoir, en se<br />

jetant du haut de la tour de Beaurevoir (Réquisitoire,<br />

article 41). Il rétablit les faits ; <strong>Jeanne</strong> ne se précipita<br />

pas, mais se laissa glisser du haut d'une fenêtre, le<br />

lien se brisa, ce qui entraîna sa chute et sa blessure »;<br />

« mais ce par quoi elle se glissait rompit (1) et elle<br />

chut du haut à terre ; elle se rompit presque les reins<br />

et le dos et fut longtemps malade de ses blessures ».<br />

Si ce chroniqueur était lui-même Frère mineur, ne<br />

tenait-il pas ce détail d'un de ses confrères.<br />

Gérard Feuillet, un des assesseurs au procès, qui<br />

paraît n'avoir approuvé ni tout ce qui s'est dit, ni<br />

tout ce qui s'est fait à Rouen?<br />

* *<br />

Gérard Feuillet et Jacques de Touraine, tout deux<br />

Franciscains et maîtres en théologie, étaient au nombre<br />

des six docteurs réputés, envoyés à Rouen par l'Université<br />

de <strong>Paris</strong>, à la demande de l'evêque Cauchon,<br />

pour conduire et diriger le procès de <strong>Jeanne</strong>.<br />

Jacques de Touraine, dit Texier, paraît avoir été<br />

un des théologiens notables de son temps ; il est<br />

cité parmi les maîtres en théologie de son Ordre qui<br />

(1) « Mais ce à quoy elle s'avaloit rompy ».


146 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

prirent part au concile de Florence. Conseiller<br />

assidu de Cauchon, il interrogea <strong>Jeanne</strong> à plusieurs<br />

reprises et, au témoignage du greffier Manchon,<br />

se montra l'un des trois assesseurs les plus hostiles<br />

à l'accusée ; les deux autres furent Beaupère et Midi.<br />

Il revit la rédaction des douze articles, résumé de<br />

l'instruction et base des accusations ; il les refit même<br />

sur cinq feuilles de papier, écrites de sa main, indiquant<br />

de nombreuses corrections et additions, dont cependant<br />

on ne tint pas compte. Il fut chargé avec Beaupère,<br />

Midi et son frère en religion Feuillet, de venir soumettre<br />

à <strong>Paris</strong>, le 29 avril, ces articles à l'Université<br />

et lui demander à leur sujet une consultation ; il se<br />

fit délivrer copie, signée par notaire public, des qualifications<br />

portées sur ces articles par les deux Facultés<br />

de théologie et des décrets,<br />

Gérard Feuillet, reçu maître en théologie, le<br />

30 mars 1430, fut l'un des assesseurs les plus assidus<br />

aux interrogatoires subis par <strong>Jeanne</strong> ; il assista même<br />

à ceux de la prison.<br />

Ni l'un ni l'autre ne reparurent au procès, après<br />

la délibération de l'Université de <strong>Paris</strong> ; sans doute<br />

restèrent-ils à <strong>Paris</strong> et ne revinrent-ils pas à Rouen ;<br />

pourquoi? On se le demande et, faute de renseignements,<br />

on en est réduit aux conjectures.<br />

Jacques de Touraine, constatant qu'on n'avait fait<br />

aux douze articles aucune des corrections qu'il avait<br />

demandées, jugea-t-il qu'il n'avait plus rien à faire<br />

dans une cause où l'on tenait si peu compte de son<br />

avis? On serait tenté de le supposer ; mais alors on ne<br />

s'expliquerait pas pourquoi il s'est présenté <strong>devant</strong><br />

l'Université ; y a exposé, avec ses collègues, le sens<br />

de ces articles ; s'est fait délivrer une copie, certifiée<br />

conforme, de la consultation ; et a mérité les félici-


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 147<br />

tations chaleureuses de l'Université. S'il avait renoncé<br />

à suivre cette affaire, il l'eut fait dès son arrivée à<br />

<strong>Paris</strong>, et non après avoir été complimenté par ses<br />

collègues universitaires ; sa petite blessure d'amour<br />

propre, s'il y en eut une, était largement compensée<br />

par les marques de satisfaction dont il reçut alors<br />

le témoignage.<br />

Il est assez significatif que son confrère Gérard<br />

Feuillet est exclu des louanges adressées par<br />

l'Université à ses trois collègues. Les lettres que cette<br />

corporation adressa, à la fin de ses délibérations, le<br />

14 mai, au roi d'Angleterre et à l'évêque de Beauvais,<br />

font l'éloge de Touraine, Beaupère et Midi ; lui,<br />

n'est même pas nommé. A la séance plénière des<br />

deux Facultés, le 14 mai, il n'est pas fait mention de<br />

lui ; Beaupère, Midi et Touraine demandent chacun<br />

copie authentique des qualifications ; de lui il n'est<br />

pas question. Ou Feuillet a combattu <strong>devant</strong> l'Université<br />

l'opinion de ses collègues, la teneur des<br />

articles et la marche du procès ; ou il a adopté une<br />

altitude passive, réservant son sentiment ; ou, arrivé<br />

à <strong>Paris</strong>, il s'est abstenu de paraître à l'Université.<br />

Il semblerait qu'il y ait eu désaccord entre les<br />

deux cordeliers à propos du procès où ils remplissaient<br />

les fonctions d'assesseurs. Que se serait-il passé?<br />

Nous ne pouvons le savoir. Il paraît assez vraisemblable<br />

— et ceci expliquerait son attitude et le<br />

silence fait autour de lui — que les sentiments de<br />

Feuillet, d'abord hostiles à <strong>Jeanne</strong>, se fussent modifiés<br />

; d'autres assesseurs, Pierre Maurice, Jean<br />

Fontaine, avaient senti tomber leurs préjugés haineux,<br />

une fois en présence de l'accusée. Prévoyant la sentence<br />

de l'Université et en comprenant toute la<br />

portée, se refusa-t-il à collaborer davantage à un.


148 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

procès, dont l'iniquité ne pouvait lui échapper et dont<br />

il entrevoyait la terrible issue? Son refus de revenir<br />

à Rouen obligea-t-il son confrère Touraine à conformer<br />

sa conduite à la sienne? Mis au courant par<br />

Feuillet de ce qui se tramait à Rouen, l'Ordre conseillat-il<br />

à ses deux religieux de s'abstenir? Toutes ces<br />

hypothèses sont possibles.<br />

Une seule chose est certaine, les deux Cordeliers<br />

ne parurent plus au procès après leur voyage à <strong>Paris</strong>.<br />

Tous deux reçurent du gouvernement anglais 20 sols<br />

tournois, en dédommagement de leurs frais ; le fait<br />

que Feuillet ait reçu la même indemnité que ses trois<br />

collègues, Touraine, Beaupère et Midi, laisserait supposer<br />

qu'il a rempli sa mission jusqu'au bout et qu'il<br />

n'a pas eu sa part des félicitations parce qu'il aurait<br />

délibérément adopté une attitude effacée, offrant<br />

toutes les apparences d'une désapprobation.


LA PORTE SAINT-HONORÉ ET SES ENVIRONS VERS 1530.<br />

Plan de Georges Braun.<br />

Sur ce plan la porte est déjà mieux représentée, avec ses tourelles en encorbellement,<br />

rondes et à toit conique; sa toiture aiguë, au milieu de laquelle se<br />

détache une tourelle en saillie ; sa haute et large baie et son avant-porte.<br />

Le mur d'enceinte est garni de bâtiments rectangulaires, avant l'aspect de<br />

maisons, et reliés par un chemin de ronde crénelé.<br />

On distingue le grand fossé, le dos d'âne, l'arrière-fossé et la contrescarpe ;<br />

l'extrémité de la Butte des moulins et remplacement du Marché aux pourceaux,<br />

avec les deux potences destinées aux exécutions et le fourneau de pierre<br />

servant à faire « bouillir » les faux monnayeurs.


UN CARME CONSPIRATEUR 1<br />

Bien que la trêve du 28 août 1429, entre Charles VII<br />

et Philippe de Bourgogne, eut fait échouer son<br />

entreprise sur <strong>Paris</strong>, <strong>Jeanne</strong> n'avait pas renoncé à<br />

entrer dans cette ville et à la rendre au roi. En attendant<br />

que les circonstances fussent favorables, it semble<br />

qu'elle ait entretenu des intelligences avec quelquesuns<br />

des habitants ; elle s'intéressa particulièrement<br />

au sort de l'un d'eux, compromis dans une conjuration.<br />

Cependant le roi, ayant pris l'engagement de ne<br />

faire aucune opération sur la rive droite de la Seine,<br />

s'était retiré vers la Loire ; l'armée était licenciée.<br />

<strong>Jeanne</strong> souffrait d'autant plus de l'inaction à laquelle<br />

elle se trouvait condamnée, qu'elle savait ne pas durer<br />

longtemps. Le duc de Bourgogne continuait à duper<br />

son royal cousin et à l'entretenir dans l'illusion qu'il<br />

lui rendrait <strong>Paris</strong>.<br />

La trêve qui se terminait à Noël avait été prorogée<br />

d'un commun accord jusqu'à la fin de mars suivant.<br />

Quand elle fut sur son terme, <strong>Paris</strong> n'était pas rentré<br />

sous l'autorité du roi ; c'est alors qu'il se fit une<br />

(1) D'après la Lettre de grâce accordée à l'un des conjurés;<br />

le Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong> ; la Chronique des Cordeliers ;<br />

les Notes du greffier du Parlement, Cl. de Fauquembergue ; la<br />

Chronique Morosini.


150 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

conjuration pour remettre le souverain légitime en<br />

possession de sa capitale.<br />

Les habitants de <strong>Paris</strong> n'étaient pas tous bourguignons.<br />

Nous avons déjà lu qu' « il y avait alors dans<br />

<strong>Paris</strong> plusieurs notables personnages, qui reconnaissaient<br />

que le roi Charles, septième du nom, était<br />

leur souverain seigneur et le vrai héritier du royaume<br />

de France, que c'était à grand tort et par vengeance<br />

qu'on les avait séparés de sa seigneurie et enlevés à son<br />

obéissance, pour les mettre en la main du roi Henri<br />

d'Angleterre ». Au moment de l'assaut du 8 septembre,<br />

on avait espéré qu'ils seconderaient l'action militaire.<br />

Quelques-uns paraissent avoir tenté une « commotion »<br />

suivant l'expression de Fauquembergue ; ils ne<br />

réussirent qu'à augmenter l'épouvante, dans laquelle<br />

la violence de l'attaque avait jeté la population. Dès<br />

le lendemain, au matin « le baron de Montmorency,<br />

qui avait toujours tenu le parti contraire au roi, écrit<br />

Perceval de Cagny, vint de l'intérieur de la ville,<br />

accompagné de 50 ou 60 gentilshommes, se mettre<br />

en la compagnie de la Pucelle ». Cette défection était<br />

pleine de promesses et permettait d'en présager<br />

d'autres. Les partisans du roi attendaient une occasion<br />

propice ; la prochaine échéance de la trêve raviva<br />

leur ardeur.<br />

* *<br />

Dans le courant de mars 1430 (1429, ancien style)<br />

« quelques-uns des grands de <strong>Paris</strong>, du Parlement,<br />

du Châtelet, des marchands et gens de métier, — rapporte<br />

le Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong>, — firent ensemble<br />

la conjuration de mettre les Armagnacs dans <strong>Paris</strong>,<br />

quelque dommage qui pût leur en arriver ». La


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 151<br />

Chronique des Cordeliers note également : « Quarante<br />

dizainiers de cette ville avaient formé le complot et<br />

pris l'engagement, à ce qu'on disait, de livrer la ville<br />

au roi Charles ». La Chronique Morosini prétend que<br />

« quatre mille hommes au moins étaient impliqués »<br />

dans cette conspiration ; ce chiffre paraît très exagéré ;<br />

d'ailleurs cette Chronique est assez mal informée sur<br />

cette conjuration conduite, dit-elle, par un Frère<br />

mineur ; —les autres disent par un Carme ; —mais<br />

son témoignage est intéressant, parce qu'il nous montre<br />

l'intérêt avec lequel on suivait alors à l'étranger les<br />

affaires de France ; qu'il nous apprend que ce complot<br />

aurait été connu à Bruges avant le 22 mars et que la<br />

nouvelle en était parvenue à Venise le 16 avril, en la<br />

fêle de Pâques.<br />

Un Carme, nommé, d'après le Bourgeois de <strong>Paris</strong>,<br />

« Frère Pierre d'Allée » fut l'un des plus actifs conspirateurs<br />

; dès le début, on le trouve engagé dans des<br />

pourparlers secrets avec les conjurés ; il se déguise en<br />

laboureur pour les aborder et les entretenir ; il leur<br />

sert de messager auprès de Charles VII et fait, à deux<br />

et peut-être trois reprises, le voyage de <strong>Paris</strong> à la cour.<br />

Fut-il, à l'une de ces missions, en rapport avec<br />

<strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>? C'est très possible. <strong>Jeanne</strong> paraît,<br />

en effet, avoir été au courant de ce qui se complotait ;<br />

le 16 mars, elle écrivait à ses amis de Reims : « Je vous<br />

manderais encore quelques nouvelles dont vous<br />

seriez bien joyeux; mais je craindrais que les lettres<br />

ne fussent prises en chemin et que l'on ne vit lesdites<br />

nouvelles ». Le 28 mars, elle leur écrivait de nouveau :<br />

Vous ouïrez bientôt de mes bonnes nouvelles plus<br />

à plein ». On pense, non sans raison, qu'elle faisait<br />

ainsi allusion, au moins dans la première de ces<br />

lettres, à la conjuration et à la prochaine entrée du


152 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

roi dans <strong>Paris</strong>. Elle s'intéressait particulièrement à<br />

l'un des principaux conjurés ; dans son procès (séance<br />

du 14 mars) elle dira qu'elle voulait échanger Franquet<br />

d'Arras, fait prisonnier en avril, contre Jacquet Guillaume,<br />

seigneur de l'Ours, un des conspirateurs de<br />

<strong>Paris</strong> emprisonnés ; mais qu'ayant appris que celui-ci<br />

avait été exécuté, elle avait abandonné à la justice<br />

Franquet, « meurtrier, larron et traître ».<br />

L'affaire échoua ; par suite de circonstances restées<br />

inconnues, peut-être une imprudence du Carme,<br />

la conspiration fut découverte et le religieux dénonça<br />

ses complices. Ce fut « un autre Carme », d'après la<br />

Lettre de grâce — selon le Bourgeois de <strong>Paris</strong>, frère<br />

d'Allée lui-même — qui « fut pris et il en accusa<br />

beaucoup, à la suite de la torture à laquelle on le<br />

soumit... on en prit plus de cent cinquante ». L'arrestation<br />

eut lieu le 3 avril et les jours suivants ; aussi<br />

y a-t-il lieu de s'étonner que des lettres partant de<br />

Bruges pour Venise eussent pu annoncer, dès le<br />

22 mars, « qu'on a découvert à <strong>Paris</strong> une conjuration ».<br />

Il n'y a, semble-t-il, qu'une explication plausible ;<br />

le rédacteur de la Chronique Morosini dit qu'il résume<br />

les informations provenant de plusieurs lettres, les<br />

unes reçues par des Vénitiens et des Florentins, les<br />

autres envoyées à Venise par Pancrace Justiniani,<br />

et toutes parvenues dans cette ville en la fête de<br />

Pâques, le 16 avril ; incontestablement ces différentes<br />

lettres n'avaient pas été écrites toutes le même jour,<br />

22 mars ; certaines pouvaient même être très postérieures<br />

et, entre autres, celle qui faisait connaître la<br />

découverte du complot.<br />

Parmi les conspirateurs arrêtés se trouvait Jean de<br />

Calais. Le rôle qui lui était assigné le désigne comme<br />

un personnage assez important ; il avait des gens à


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 153<br />

son service, possédait des « vignobles à La Chapelle<br />

Saint-Denis », était réputé « homme de bonne vie,<br />

renommée et honnête conversation, sans avoir été<br />

atteint ou convaincu d'aucun autre vilain cas ou<br />

reproche » que celui d'avoir pris part à ce complot ;<br />

peut-être, si l'on en juge d'après les conjurés qu'il<br />

fréquente, était-il un des « marchands et gens de<br />

métier » compromis dans cette entreprise. Tout<br />

d'abord il avait fait quelque difficulté à entrer dans<br />

la conjuration ; les instances dont il fut l'objet à<br />

maintes reprises, sans doute parce qu'on tenait<br />

beaucoup à son concours, finirent par le décider.<br />

Il assiste aux conciliabules secrets ; donne un avis<br />

écouté sur la manière dont il faut introduire le roi<br />

dans <strong>Paris</strong> ; sur la lettre qu'il faut lui faire porter par<br />

le Carme ; signe le premier de tous cette lettre ; accepte<br />

de sortir de <strong>Paris</strong> pour aller « aux champs », au<br />

<strong>devant</strong> des gens du roi, le jour de l'exécution du<br />

projet ; de prendre « pour enseigne un panon blanc »<br />

ou de porter « la croix droite » des Armagnacs et de<br />

crier « la paix », en signe de ralliement, afin d'avertir<br />

les conjurés, chargés de surveiller la porte de la ville,<br />

de l'arrivée des gens du roi.<br />

Après s'être aussi pleinement compromis, Jean de<br />

Calais, emprisonné au Châtelet, ne pouvait se faire<br />

illusion sur le sort qui l'attendait ; la perspective<br />

du dernier supplice le jette dans de telles angoisses<br />

qu'il en tombe gravement malade, « en grande pauvreté<br />

et misère de son corps, en péril de bientôt<br />

finir misérablement ses jours, s'il n'est pas pourvu<br />

d'un remède gracieux et convenable ». Ce remède,<br />

le conspirateur l'a sollicité. Il adresse au roi d'Angleterre<br />

et de France une supplique en vue d'obtenir<br />

sa grâce ; il essaie, sinon de se justifier, du moins de


154 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

fléchir la clémence du souverain, en expliquant<br />

comment il a été attiré et entraîné dans le complot,<br />

comment celui-ci a été ourdi ; bref il charge plusieurs<br />

autres conjurés dont il dénonce les agissements.<br />

Le « remède gracieux et convenable » lui est octroyé ;<br />

le 5 avril, trois jours avant l'exécution de ses principaux<br />

complices, Jean de Calais obtint sa grâce ;<br />

à la suite de quelle influence, nous essaierons de le<br />

découvrir. La lettre royale de rémission nous a été<br />

conservée ; elle emprunte à la supplique la plupart<br />

des détails de la conspiration, et c'est par elle que<br />

nous sommes principalement renseignés sur cette<br />

affaire.<br />

* *<br />

Avec le Carme, frère Pierre d'Allée, Jacques Perdriel<br />

paraît avoir été l'âme de la conjuration. C'était<br />

vraisemblablement, lui aussi, un des « marchands<br />

et gens de métier » ; il reçoit Calais « à son comptoir » ;<br />

il est en conciliabules avec l'orfèvre Guillaume de Loir.<br />

Fervent Armagnac, il avait déjà été emprisonné<br />

« pour avoir parlé de paix et dit quelques paroles »<br />

contre les gens du conseil royal d'Angleterre.<br />

Perdriel et ses amis arrêtent les mesures préliminaires<br />

; il n'y a rien à faire, si les <strong>Paris</strong>iens n'ont pas<br />

l'assurance que Charles VII n'exercera contre eux<br />

aucunes représailles. Il faut donc lui députer un<br />

messager qui, en même temps qu'il l'entretiendra des<br />

moyens à prendre pour le faire pénétrer dans <strong>Paris</strong>,<br />

lui demandera « une abolition générale », c'est-à-dire<br />

une amnistie pour tout le passé. Frère Pierre d'Allée<br />

se charge de remplir cette mission.<br />

Le Carme se rendit près du roi bien avant le<br />

carême, commençant cette année le 5 mars, par suite


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 155<br />

dans le courant de février. Ni le roi, ni son conseil<br />

ne voulurent s'en rapporter aux seuls dires de ce<br />

religieux; ils ne pouvaient s'engager en une telle<br />

entreprise sans garanties suffisantes ; rien ne leur<br />

prouvait qu'ils n'avaient pas affaire à quelque illuminé?<br />

Le Carme nomma plusieurs <strong>Paris</strong>iens notables,<br />

sur lesquels il assurait qu'on pouvait compter ; il<br />

lui fut répondu qu'il procurât « des lettres de chacun<br />

d'eux », — c'était sans doute, dans la pensée des<br />

conseillers, un moyen de les engager plus irrémédiablement<br />

dans le complot — et un projet bien établi<br />

sur « la manière de faire ladite entrée » dans <strong>Paris</strong>.<br />

Avec cette réponse Pierre d'Allée rapporta-t-il<br />

« l'abolition générale », ou simplement une promesse,<br />

l'abolition ne lui ayant été remise qu'à un autre<br />

voyage? Le texte manque de clarté; il semble bien<br />

cependant qu'il revenait, non seulement avec une<br />

promesse, mais avec l'acte lui-même, lequel, en ce<br />

cas, lui aurait été accordé sans délai pour soutenir<br />

plus efficacement la conjuration et encourager plus<br />

vivement les conspirateurs.<br />

Tandis que le Carme remplissait ainsi sa mission,<br />

Perdriel s'occupait de recruter des adhérents à ce<br />

qu'il appelait « son alliance » ; il recherchait des<br />

répondants autorisés, des noms qui fissent impression<br />

et déterminassent d'autres adhésions ; ses amis et<br />

lui songèrent alors à Jean de Calais et à quelques<br />

autres. Perdriel se chargea de pressentir lui-même<br />

Calais ; mais, en conspirateur avisé, il se garda bien<br />

de découvrir ses batteries du premier coup ; il ne<br />

procéda que par avancées successives.<br />

Avant le carême, c'est-à-dire avant le 5 mars, il<br />

« aborda » donc Jean de Calais et « entre autres choses »,<br />

lui parla d'un projet d'introduire « dans cette bonne


156 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

ville de <strong>Paris</strong> » Charles VII et ses gens. « Par plusieurs<br />

fois et à diverses instances » il l'entretint de ce desseinet<br />

finit par lui demander « s'il voudrait être de son<br />

alliance dans laquelle se trouvaient plusieurs autres »<br />

Peut-être avait-on déjà parlé à Calais de projets<br />

semblables, qui lui paraissaient plus ou moins aventureux<br />

; il ne répondit pas aux ouvertures que lui<br />

faisait Perdriel. Celui-ci ne se tint pas pour battu ;<br />

il revint à la charge et lui démontra que lui, qui avait<br />

été « mis en prison seulement pour avoir parlé de paix<br />

et dit quelques paroles » contre le conseil royal<br />

anglais, ne s'exposerait pas de nouveau à de plus<br />

graves châtiments, si l'affaire ne lui paraissait pas<br />

sérieuse ; il ajouta que le roi avait 1'intention de<br />

« faire une abolition générale ».<br />

Alors quels sont vos projets ? De quelle manière<br />

comptez-vous « faire et bailler l'entrée susdite » au<br />

roi et à ses gens? demanda Calais, qui se laissait<br />

ébranler et en venait à l'examen des moyens d'exécution.<br />

— Il y a beaucoup de gens faisant partie de<br />

l'alliance, lui répondit Perdriel ; ils feront « publier par<br />

les carrefours de la ville l'amnistie à son de trompe,<br />

spécialement un jour de dimanche, à la porte Baudet,<br />

à l'heure où il y aurait grande foison de laboureurs<br />

» (1) ; je ne fais « nul doute que le peuple ne se<br />

tournât avec eux ; cela fait, ils iraient gagner la<br />

porte Saint-Antoine (2) et par icelle ils mettraient<br />

dans la ville » leurs amis de Bourges. — Ce projet<br />

parut enfantin à Calais ; il lui répondit « que c'étaient<br />

(1) Porte de l'ancienne enceinte de Philippe-Auguste, dans le<br />

quartier Saint-Antoine. Le texte cité semble indiquer que, le<br />

dimanche, il y avait là quelque marché de paysans.<br />

(2) Place de la Bastille.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 157<br />

là propos de commères et que cela ne se pouvait faire<br />

ainsi ; car lorsqu'ils compteraient se trouver vingt<br />

ensemble, ils ne seraient pas six ». — C'est votre<br />

avis, mais non celui de plusieurs autres, riposta<br />

Perdriel. — A quoi Calais répliqua par un refus de se<br />

mêler d'une affaire qui lui paraissait vouée d'avance<br />

à l'insuccès. Perdriel cependant ne rompit pas les<br />

chiens et dit qu'on attendrait encore avant de rien<br />

entreprendre ; « et sur ce, ils se séparèrent l'un de<br />

l'autre ».<br />

A quelque temps de là frère Pierre d'Allée, étant<br />

de retour, rendit compte du résultat de sa mission<br />

et exposa comment le roi exigeait des lettres et la<br />

communication de la manière dont on pensait l'introduire<br />

dans <strong>Paris</strong>.<br />

Perdriel retourna trouver Calais dans sa maison<br />

— c'était environ quinze jours après sa dernière entrevue<br />

— et lui raconta qu'un messager, dont il se garda<br />

bien de dévoiler la personnalité, revenait d'auprès<br />

Charles VII et que l'affaire prenait corps. Le fait<br />

que le roi ne se désintéressât pas d'un tel dessein,<br />

impressionna Calais. Perdriel en profita pour solliciter<br />

à nouveau son adhésion. Calais répondit qu'il<br />

ne la donnerait que « s'il y avait des gens notables qui<br />

s'entremissent ». Le conspirateur l'assura « que<br />

plusieurs personnes de pratique et d'autres états de<br />

bonne et grande autorité » étaient dans l'alliance et<br />

il lui en nomma quelques-unes ; d'ailleurs, ajoutat-il,<br />

pour que vous ayez plus de confiance en cette<br />

entreprise et plus de sécurité sur son exécution, vous<br />

devriez voir vous-même ce messager. Calais y consentit<br />

; il fut convenu que, pour détourner tout soupçon,<br />

la rencontre se ferait à Saint-Merry, d'où Calais<br />

ramènerait chez lui ce messager, afin de l'y entretenir


158 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

plus en sécurité. A Saint-Merry il se trouve en présence<br />

d'un homme « très bien et proprement habillé en état<br />

de laboureur ». Il le conduit dans sa demeure et là,<br />

dans le secret de l'intimité, le laboureur lui révèle<br />

qu'il est un « religieux carme », revenant d'auprès<br />

Charles VII, où Perdriel et ses alliés l'ont envoyé en<br />

mission ; il lui redit ce que veut le roi, notamment<br />

des lettres signées des conjurés. Avant de faire<br />

pareille lettre, Calais demande à réfléchir ; il s'en<br />

rapportera à Perdriel et agira d'accord avec lui. Cette<br />

fois il était bien engagé dans la conjuration. Sur le<br />

point de le quitter, le Carme lui dit encore qu'il<br />

enverrait à Perdriel un laboureur pour lui indiquer<br />

« le jour, l'heure et la manière » dont le roi et ses gens<br />

voudraient faire leur entrée à <strong>Paris</strong>.<br />

Un dimanche de carême —le premier ou le second,<br />

c'est-à-dire le 5 ou le 12 mars, on ne sait lequel —<br />

l'orfèvre Guillaume de Loir vint trouver Calais en sa<br />

maison et lui dire de la part de Perdriel que « le laboureur<br />

» était venu. Circonspect, Calais, qui n'avait<br />

soufflé mot de la conjuration à Guillaume de Loir,<br />

lui répondit qu'il ne savait ce qu'il voulait dire. Le<br />

lendemain, ses serviteurs l'informèrent que Perdriel<br />

l'avait demandé ; pensant bien que c'était pour affaire<br />

grave, Calais alla chez Perdriel et y rencontra Guillaume<br />

de Loir. Le conspirateur mit alors ses deux<br />

visiteurs au courant de la situation. « Le Carme avait<br />

apporté une abolition par laquelle tout était pardonné ».<br />

Il s'agissait maintenant de s'entendre sur le détail<br />

de l'exécution. On se trouvait en présence de trois<br />

projets, entre lesquels se partageaient les conjurés :<br />

Suivant les uns, tels que Pierre Morant, procureur<br />

au Châtelet, Jacquet Guillaume demeurant à l'Ours,<br />

à la porte Baudet, lui Perdriel et d'autres, on lirait


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 159<br />

l'abolition « un dimanche, à son de trompe, à la<br />

porte Baudet, en présence de soixante ou quatrevingts<br />

hommes de leur alliance. Après cette publication,<br />

eux et le peuple qui se joindrait à eux iraient<br />

gagner la porte Saint-Antoine, pour mettre et bouter<br />

par cette porte dans la ville » les gens du roi « qui<br />

seraient en embuscade près de là ». Les partisans de<br />

ce projet assuraient « qu'ils avaient avec eux quantité<br />

de gens d'icelle porte Baudet et des environs ».<br />

« Quelques-uns opinaient que certain nombre de<br />

gens fussent en embuscade à maisons prochaines de<br />

la porte de Bordelles (1) pour la gagner soudainement<br />

et par ce moyen faire ladite entrée par icelle. »<br />

Enfin : « il semblait aux autres que le plus expédient<br />

serait que quatre-vingts ou cent Ecossais (2),<br />

habillés comme les Anglais, portant la croix rouge (3),<br />

vinssent par petits troupeaux ou compagnies par le<br />

droit chemin de Saint-Denis en cette ville, et qu'amenant<br />

de la marée ou du bétail ils entrassent adroitement<br />

en la porte, et puis se rendissent maîtres des<br />

portiers ; alors une autre partie (des gens du roi),<br />

qui seraient embusqués près de là, viendraient<br />

avec puissance pour entrer dans cette dite ville et en<br />

avoir la maîtrise ».<br />

Consultés par Perdriel, Jean de Calais et Guillaume<br />

(1) Dans l'ancien quartier Saint-Marcel, derrière la montagne-<br />

<strong>Sainte</strong>-Geneviève, à l'endroit où actuellement la rue Descartes<br />

ici continue par la rue Mouffetard.<br />

(2) L'Écosse fournit de très nombreux mercenaires à Charles<br />

VII. Avec les Français, principalement des Gascons, l'armée<br />

royale se composait d'Espagnols, Aragonnais et Castillans, de<br />

Lombards et surtout d'Écossais. Ces troupes n'étaient pas régu-librement<br />

payées, le roi étant toujours à court d'argent ; d'où les,<br />

excès qu'elles commettaient sur leur passage.<br />

(3) Insigne des Anglais.


160 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

de Loir donnèrent leur préférence à ce dernier projet ;<br />

mais rien ne fut alors décidé. Il fut ensuite question des<br />

lettres exigées des conjurés par le roi et son conseil.<br />

Perdriel et Loir avaient préparé « deux cédules ;<br />

l'une était grande, écrite en parchemin ; l'autre<br />

petite, en papier. » Ni l'une ni l'autre ne plurent à<br />

Calais ; il en rédigea une troisième, petite elle aussi,<br />

qu'il leur laissa, afin que les autres conjurés pussent<br />

choisir celle des trois que leur paraîtrait la meilleure.<br />

Le lendemain, de très bon matin, Guillaume de<br />

Loir, accompagné du Carme, frère Pierre d'Allée et<br />

de deux autres « laboureurs ou en habits de laboureurs<br />

», que Calais ne connaissait pas (1), lui apportèrent<br />

la cédule qui avait eu la préférence des conspirateurs<br />

; on ne dit pas laquelle ; elle accréditait frère<br />

Pierre d'Allée auprès de Charles VII et de son conseil,<br />

et le chargeait de leur soumettre les trois projets,<br />

afin qu' « ils élussent des trois voies ci-<strong>devant</strong> exposées<br />

celle qui leur semblerait plus convenable, et<br />

qu'ils mandassent la manière, l'heure et le jour où<br />

ils voudraient qu'elle fût exécutée ». Calais « la signa<br />

le premier, puis la bailla à Guillaume, qui promit de<br />

la faire signer à d'autres de leur alliance, desquels<br />

il nomma quelques-uns, et cela fait les dessusdits<br />

se départirent d'avec lui ». Ce fut la dernière entrevue<br />

de Calais avec le Carme ; il ne devait plus le revoir.<br />

La lettre, une fois signée par de notables conjurés,<br />

entre autres Pierre Morant, procureur au Châtelet,<br />

frère Pierre d'Allée se remit en route pour la porter<br />

au roi.<br />

(1) On se demande si ce n'étaient pas des Carmes, confrères de<br />

Pierre d'Allée, qui paraît avoir une préférence pour ce déguisement,<br />

et qui dépêche, quand il le faut, « un laboureur » auprès<br />

des conjurés.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 161<br />

Trois ou quatre jours après ce conciliabule, Pierre<br />

Morant « rencontra en Grève » (1) Jean de Calais,<br />

s'entretint avec lui du complot et lui révéla qu'une<br />

autre réunion devait se tenir entre quelques conjurés,<br />

parmi lesquels maître Jean de La Chapelle et Regnault<br />

Chavin, le dimanche suivant, en un « déjeuner à la<br />

Pomme de Pin, en la Cité, pour avoir avis sur ce<br />

qu'il y aurait à faire sur cette entreprise ». On devait<br />

assigner à chacun le rôle qu'il aurait à remplir. Calais<br />

s'excusa de ne pouvoir s'y rendre ; mais le lendemain<br />

ou le surlendemain, il fut mis au courant des dispositions<br />

arrêtées. « Il avait été conclu qu'ils prendraient<br />

la voie avisée de faire l'entrée par la porte Saint-<br />

Denis, en la manière autrefois pourparlée entre eux. »<br />

Les conjurés se partageraient ainsi la besogne :<br />

Calais, s'il acceptait, « irait aux champs hors de ladite<br />

porte, porterait pour enseigne un panon blanc, et<br />

irait dire (aux gens de Charles VII) ce qu'ils devraient<br />

faire pour entrer. » Guillaume de Loir « se tiendrait<br />

à la porte pour le leur dire semblablement quand ils<br />

arriveraient » ; veillerait à ce que les Ecossais, habillés<br />

en Anglais et amenant avec eux de la marée ou du<br />

bétail, pussent pénétrer par la porte et se rendre<br />

maîtres des portiers. « Morant et les gens qu'il avair<br />

avec lui seraient es tavernes de la rue Saint-Denis,<br />

rapprochées de cette porte, pour saillir promptement<br />

dehors, et aider Qes gens du roi) aussitôt qu'ils seraient<br />

entrés », tandis que les soldats de Charles VII, embus-<br />

qués près de là, se précipiteraient à la suite des Ecossais.<br />

Calais approuva cette distribution des rôles et se<br />

chargea de remplir celui qu'on lui confiait ; « il dit<br />

que dès le matin où la besogne devrait être faite et<br />

(1) La place de Grève.


162 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

exécutée, il irait dehors, ferait semblant d'aller voir<br />

ses vignes à La Chapelle Saint-Denis », et porterait<br />

« la croix droite pareillement » aux Armagnacs (1) ;<br />

en arrivant près de la porte avec les Écossais, il crierait<br />

« la paix », en signe de ralliement, afin d'avertir<br />

les autres conjurés de se porter au secours des soldats<br />

du roi.<br />

A la suite de cet accord, Calais s'employa à recruter<br />

des adhérents, et y réussit ; il eut « conversations avec<br />

d'autres (nommés au procès [verbal] de sa confession)<br />

pour savoir si avec lui et les dessusdits ils voudraient<br />

consentir à faire l'entrée et la besogne dessusdite ;<br />

et par son moyen quelques-uns d'entre eux y ont<br />

consenti ».<br />

Les choses ainsi réglées, il n'y avait plus qu'à<br />

attendre le retour de frère Pierre d'Allée, pour<br />

connaître et le jour fixé et la manière décidée par le<br />

roi et son conseil ; les conjurés « s'attendaient tous<br />

que le dimanche suivant elle (l'entrée) fut faite et que<br />

ledit Carme devint ou envoyât dire la manière et ce<br />

que (Charles VII et ses gens) voudraient faire ».<br />

Le Carme ne revint pas et n'envoya rien dire. Il<br />

s'était fait prendre — lui, ou l'un de ses confrères<br />

déguisé en laboureur. Arrêté, il fut mis à la torture,<br />

avoua le complot et dénonça ses principaux complices<br />

qui furent jetés en prison.<br />

* *<br />

« Il y en eut un grand nombre de pris, note la<br />

Chronique des Cordeliers ; mais peu furent exécutés,<br />

parce que l'affaire s'arrangea et prit assez bonne fin. »<br />

(1) La croix droite et blanche était l'insigne des Armagnacs.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 163<br />

Nous trouvons des renseignements plus précis dans<br />

le Journal d'un Bourgeois de <strong>Paris</strong> : « Dans la semaine<br />

de la Passion, entre Pâques fleuries et le dimanche<br />

qui précède (c'est-à-dire le 3 avril et les jours suivants),<br />

on en prit plus de cent cinquante, et la vigile<br />

de Pâques fleuries (le samedi avant les Rameaux,<br />

8 avril) l'on coupa la tête à six aux halles ; on en noya ;<br />

quelques-uns moururent par la violence de la torture ;<br />

quelques autres s'en tirèrent par finances ; il y en eut<br />

qui s'enfuirent et ne revinrent pas. »<br />

Nous savons par Fauquembergue, greffier du<br />

Parlement, qu'un procureur au Châtelet et un clerc<br />

de la Cour des comptes furent parmi les six, auxquels<br />

on coupa la tête ; le procureur était sans doute Pierre<br />

Morant. La réponse de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, au cours de<br />

son procès (séance du 14 mars), semble suffisamment<br />

indiquer que son ami, Jacquet Guillaume, demeurant<br />

à l'Ours, fut également exécuté.<br />

Le Carme fut-il un de ceux qui « moururent par la<br />

violence de la torture? ». Ou le fait d'avoir dénoncé<br />

ses complices lui sauva-t-il la vie?<br />

Jean de Calais « s'en tira », comme dit le Bourgeois ;<br />

fut-ce « par finances? » C'est assez vraisemblable.<br />

Evidemment la Lettre de grâce ne le dit pas ; mais<br />

elle a des expressions étranges, qui le laissent supposer<br />

; le roi d'Angleterre pardonne au coupable<br />

« pour certaines causes justes et raisonnables, touchant<br />

le bien de nous et de notre seigneurie, qui ont mû<br />

et meuvent les gens de notre conseil » ; quoi de plus<br />

propre à émouvoir qu'une forte somme d'argent?<br />

Le roi lui remet toute peine, même l'amende et<br />

ordonne de lui restituer tous ses biens ; Calais n'a<br />

pas, en effet, à payer deux fois, s'il rachète sa grâce<br />

en bonnes espèces sonnantes. Le roi impose, en tout


164 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

ce qui concerne ce conjuré, un « silence perpétuel à<br />

notre procureur présent et à venir, et à tous les autres<br />

auxquels il appartiendra »; il est clair qu'un tel marché<br />

devait rester secret, faute de quoi la justice royale<br />

eût été déconsidérée. Si Jean de Calais a obtenu sa<br />

grâce « par finances », il a dû y mettre bon prix.<br />

Jacques Perdriel, conspirateur malin, fut de ceux<br />

« qui s'enfuirent » et réussirent à se soustraire aux<br />

rigueurs du tribunal.<br />

Le jour même de l'exécution, 8 avril, « le bâtard<br />

de Clarence, note la Chronique des Cordeliers, entra<br />

à <strong>Paris</strong> avec de grosses forces d'Anglais ; il avait été<br />

mandé par le seigneur de l'Isle-Adam et par d'autres »,<br />

à la suite de la découverte du complot, pour protéger<br />

la ville contre les entreprises de Charles VII, au cas<br />

où l'échec de la conjuration n'eût pas arrêté l'armée<br />

royale ; la trêve, en effet, avait pris fin depuis<br />

huit jours.<br />

Cette fois encore, <strong>Jeanne</strong> dut renoncer à voir <strong>Paris</strong><br />

rentrer en l'obédience de son roi.


LA PORTE SAINT-HONORÉ ET SES ENVIRONS EN 1560.<br />

Plan dit de « Tapisserie ».<br />

La porte y paraît une bâtisse encore plus massive que dans les plans précédents.<br />

Le premier étage est éclairé par quatre fenêtres ; au milieu se détache une<br />

tourelle plate et en saillie. Chaque tourelle d'angle est percée de deux meurtrières.


UNIVERSITAIRE<br />

PRÉVARICATEUR ET SCHISMATIQUE<br />

L'Université de <strong>Paris</strong> était trop inféodée au parti<br />

bourguignon pour ne pas s'alarmer, après le sacre à<br />

Reims, de la marche de Charles VII sur <strong>Paris</strong>,<br />

Quand, à la fin d'août, <strong>Jeanne</strong> vint mettre le siège<br />

<strong>devant</strong> cette ville, les universitaires qui avaient si<br />

activement collaboré au traité de Troyes, — ce dont<br />

certains, Cauchon entre autres, avaient tiré maints<br />

bénéfices, — ne devaient pas être très rassurés sur<br />

l'avenir qui leur serait réservé, au cas où cette entreprise<br />

aurait été couronnée de succès. Leurs craintes<br />

furent vaines ; <strong>Jeanne</strong> échoua. De cette alerte ils<br />

gardèrent sans doute quelque rancœur, si l'on en<br />

juge par la passion baineuse et violente dont, à Rouen,<br />

ils poursuivirent l'héroïne ; son procès fut, on le<br />

sait, conduit et dirigé par quelques-uns des maîtres<br />

les plus réputés de cette Université.<br />

L'un des agents les plus actifs de la condamnation<br />

de <strong>Jeanne</strong> devait devenir plus tard le doyen du Chapitre<br />

de Notre-Dame de <strong>Paris</strong>.<br />

* *<br />

Originaire d'Amiens, Thomas de Courcelles, était<br />

âgé d'environ trente ans, au moment du procès de<br />

Rouen, en 1431. Deux fois déjà, malgré sa jeunesse,


166 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

il avait exercé les fonctions de recteur de 1'Université<br />

de <strong>Paris</strong>. A la séance du 29 mai il est qualifié « chanoine<br />

de Laon et de Thérouanne ». Dans les « Informations<br />

posthumes » il est ainsi désigné : « Maître Thomas<br />

Courcelles, maître ès-arts et bachelier formé en théologie,<br />

âgé de trente ans ou environ ».<br />

On s'accorde à reconnaître en lui un homme remarquable<br />

; « d'une science éminente et d'une grande<br />

éloquence », lit-on sur sa pierre tombale. Æneas<br />

Sylvius Piccolomini a dépeint son extérieur modeste,<br />

aimable, vénérable ; ses yeux regardaient presque<br />

toujours à terre (1). Crevier le signale comme un<br />

« théologien aussi recommandable par sa piété que<br />

par son profond savoir » (2). M. Gabriel Hanotaux a<br />

écrit de lui : « Thomas de Courcelles est, peut-être,<br />

par l'intelligence, l'autorité et le caractère, l'homme<br />

le plus important de l'Université parisienne, dans<br />

la génération qui suit J. Gerson » (3), Son frère<br />

Jean, de deux ans plus âgé que lui, docteur ès-décrets<br />

et licencié en droit canonique, devait plus tard obtenir<br />

le titre d'archidiacre de Josas (4) et entrer dans les<br />

conseils du roi.<br />

La mémoire de Thomas de Courcelles reste entachée<br />

de deux fâcheuses interventions, où il fit preuve<br />

de passion plus que de jugement : il s'est tellement<br />

(1) Acta conciliorum. Hardouin, t. IX, col. 1423.<br />

(2) Histoire de l'Université de <strong>Paris</strong>, t. IV, p. 105.<br />

(3) <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, p. 289. — M. PETIT-DUTAILLIS le juge plus<br />

sévèrement : « Son plus fameux docteur (de l'Université), au temps<br />

de Charles VII est Thomas de Courcelles, pédant infatué de ses<br />

diplômes, hypocrite et méchant. Cet homme, qui dirigea le<br />

concile de Bâle, avait été l'un des juges de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>. » (Histoire<br />

de France, de Lavisse, IV, 2, p. 200-201).<br />

(4) Ancien archidiaconé du diocèse de <strong>Paris</strong>.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 167<br />

compromis dans le procès de la Pucelle que Quicherat<br />

voit en lui le bras droit du juge, l'évêque Cauchon ;<br />

il s'est posé en antagoniste déclaré des prérogatives<br />

du Souverain Pontife et est considéré comme le principal<br />

inspirateur des décrets schismatiques du concile<br />

de Bâle.<br />

* *<br />

Quand <strong>Jeanne</strong> fut remise aux mains des Anglais,<br />

l'Université de <strong>Paris</strong> se hâta de stimuler le zèle de<br />

l'évêque de Beauvais et du roi d'Angleterre ; à l'un<br />

et à l'autre elle adressa des lettres, demandant que la<br />

Pucelle fut mise rapidement en jugement et que le<br />

procès eût lieu à <strong>Paris</strong>, où le grand nombre de maîtres,<br />

docteurs et notables qui étaient en cette ville promettait<br />

une instruction plus approfondie et une sentence<br />

d'une plus grande autorité. Ces deux lettres,<br />

datées du 21 novembre 1430, ont été composées<br />

et expédiées sous le rectorat de Courcelles.<br />

Rouen choisi comme lieu du procès, Cauchon,<br />

ancien recteur de l'Université de <strong>Paris</strong> et « conservateur<br />

de ses privilèges », sollicite la collaboration de<br />

quelques-uns de ses maîtres les plus réputés ; l'Université<br />

lui délègue six de ses plus éminents docteurs,<br />

dont quatre anciens recteurs, Jean Beaupère, Nicolas<br />

Midi, Pierre Maurice et Thomas Courcelles, et deux<br />

Frères Mineurs, Jacques de Touraine et Gérard<br />

Feuillet. Le 18 février 1431, ils étaient à Rouen;<br />

ce sont ces six universitaires qui allaient conduire<br />

les interrogatoires et diriger tout le procès.<br />

Courcelles se montre parmi les assesseurs les plus<br />

assidus de l'évêque de Beauvais ; les vices de forme<br />

de la procédure n'ont donc pu lui échapper. Quand


168 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

maître Jean Lohier, « solennel clerc normand »,<br />

consulté par Cauchon, relève les irrégularités qui<br />

frappent d'invalidité le procès en cours, l'évêque<br />

indigné s'en vient trouver ses compères, les six<br />

universitaires : « Voilà Lohier, s'écrie-t-il, qui veut<br />

bailler belles interlocutoires en notre procès. Il<br />

veut tout calomnier et dit qu'il ne vaut rien. Qu'en le<br />

voudrait croire, il faudrait tout recommencer et<br />

tout ce que nous avons fait ne vaudrait rien... Par<br />

saint Jean, nous n'en ferons rien, ains continuerons<br />

notre procès, comme il est commencé » (1). Ni Courcelles,<br />

ni ses collègues ne paraissent s'être souciés<br />

de ces irrégularités.<br />

Courcelles assiste à plusieurs des interrogatoires<br />

qui eurent lieu dans la prison. A-t-il collaboré à la<br />

composition du Réquisitoire ? C'est assez probable ;<br />

en tous cas c'est lui, et non le promoteur, Jean<br />

d'Estivet, qui en donne lecture, en français, à la Pucelle<br />

et vraisemblablement accompagne sa lecture des<br />

commentaires utiles. Il parait avoir également coopéré<br />

à la rédaction des douze articles, résumé de l'instruction<br />

et base des accusations. Il est un des quinze<br />

professeurs de théologie qui, le 12 avril, signent le<br />

jugement doctrinal, dont l'autorité devait si grandement<br />

influencer les avis de ceux qui furent ensuite<br />

consultés. Douze conseillers sont appelés, le 12 mai,<br />

à formuler leur opinion sur l'opportunité de soumettre<br />

<strong>Jeanne</strong> à la torture ; neuf se montrent défavorables<br />

à cette mesure ; Courcelles est un des trois qui estiment<br />

utile d'appliquer à la Pucelle la question, pour<br />

lui arracher la vérité et lui faire rétracter ses prétendus<br />

(1) Déposition du .greffier Manchon, au procès de réhabilitation.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 169<br />

mensonges. Le 19 mai Cauchon soumet à l'appréciation<br />

de chacun des assesseurs les qualifications portées<br />

sur les douze articles par l'Université de <strong>Paris</strong> ;<br />

Courcelles confirme la délibération doctrinale qu'il<br />

a signée le 12 avril ; il ajoute qu'il faut de nouveau<br />

avertir <strong>Jeanne</strong>, lui déclarer la peine qui l'attend si,<br />

après monition, elle refuse d'obéir à l'Eglise, auquel cas<br />

elle doit être censée hérétique. Le 28 mai il est un<br />

des sept assesseurs chargés du procès dit de rechute.<br />

Le 29, à la séance de condamnation, il se range à<br />

l'avis de l'abbé de Fécamp, d'après lequel <strong>Jeanne</strong> est<br />

relapse ; il serait bon cependant de lui relire la formule<br />

d'abjuration, de lui en exposer le sens et de<br />

lui proposer la parole de Dieu ; les juges auront<br />

ensuite à la déclarer hérétique et à l'abandonner à la<br />

justice séculière, en priant celle-ci de se montrer<br />

indulgente. Courcelles ajoute que l'on doit avertir<br />

charitablement ladite femme de pourvoir au salut<br />

de son âme et qu'on lui dise qu'elle n'a plus rien à<br />

espérer pour le salut de son corps.<br />

Courcelles est encore l'un des sept qui, le matin<br />

du supplice (mercredi 30 mai), prirent part aux<br />

« Informations posthumes », selon lesquelles <strong>Jeanne</strong><br />

aurait déclaré que ses voix l'avaient trompée ; on<br />

sait que ces « Informations » sont sans valeur juridique<br />

et ne font que déceler les craintes du juge prévaricateur.<br />

Avec le greffier Guillaume Manchon, Courcelles<br />

fut chargé de traduire en latin la minute française du<br />

procès ; il en a fait disparaître plusieurs passages,<br />

notamment quelques-uns de ceux qui le concernaient<br />

personnellement, ce qui est l'œuvre d'un faussaire,<br />

préoccupé, sans doute, de n'être pas incriminé par<br />

la suite ; et ceci établit sa prévarication.


170 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

Bien que d'ordinaire, à cette époque, l'Eglise couvrît<br />

les frais des actions qu'elle intentait en matière<br />

de foi, ce fut le gouverment anglais, au dire de plusieurs,<br />

qui solda toutes les dépenses du procès de<br />

la Pucelle. Par ordre du roi, il était attribué 20 sols<br />

tournois aux six maîtres envoyés par l'Université,<br />

pour chacun des jours où ils avaient vaqué au procès.<br />

Courcelles et Midi furent les mieux rétribués, 113 livres<br />

pour 113 jours, du 18 février au 10 juin, c'està-dire<br />

en valeur actuelle environ 2.260 francs de notre<br />

monnaie, à raison de 20 francs par jour.<br />

<strong>Jeanne</strong> ayant été brûlée le 30 mai, pourquoi Courcelles<br />

et Midi furent-ils payés jusqu'au 10 juin?<br />

Onze jours durant après le supplice, que pouvaientils<br />

faire encore, sinon confectionner les « Informations<br />

posthumes », remanier les notes d'audience du<br />

greffier Manchon, fausser certaines parties du procès,<br />

et préparer la rédaction des lettres, dont le roi d'Angleterre<br />

allait inonder la chrétienté, afin de tromper<br />

princes, prélats et populations sur le véritable motif<br />

de la condamnation de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>?<br />

Quicherat résume ainsi la part de Courcelles dans<br />

le procès : « Il assista à presque toutes les séances,<br />

donna son avis dans toutes les délibérations, travailla<br />

au réquisitoire, le lut, déposa contre <strong>Jeanne</strong> huit<br />

jours après sa mort, fut rétribué au taux de vingt sous<br />

tournois par jour, d'une somme de cent treize livres,<br />

qui représente ainsi cent treize jours de travail... ;<br />

enfin il rédigea (en latin) l'instrument du procès.<br />

Il le rédigea et n'eut pas le courage dans cette rédaction<br />

de laisser son nom partout où il se trouve consigné<br />

sur la minute ; de sorte que, dès l'issue du procès,<br />

il regrettait d'y avoir tant travaillé, et l'on peut se<br />

demander si le sentiment qu'il en garda pour le


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 171<br />

reste de sa vie fut la honte d'avoir été dupe, ou le<br />

remords d'avoir capitulé par timidité, sur des points<br />

qui ne lui avaient jamais paru honnêtes » (1).<br />

* *<br />

Retracer le rôle joué au concile schismatique de<br />

Bâle par Courcelles et ses collègues de l'Université<br />

de <strong>Paris</strong>, n'entre pas dans le cadre de cette note.<br />

Il faut cependant en dire un mot. Un membre de<br />

cette assemblée, Æneas Sylvius Piccolomini a écrit :<br />

« Personne plus que Courcelles n'a dicté un plus<br />

grand nombre des articles du saint concile » (2).<br />

Sponde le désigne comme le principal artisan des<br />

décrets de Bâle : « Thomas de Courcelles decretorum<br />

Basileensium praecipuus fabricator » (3). Quicherat<br />

reconnaît « en lui le père des libertés gallicanes »,<br />

qu'il a « dictées l'une après l'autre à l'assemblée<br />

(de Bâle) » (4). Du Boulay l'appelle le défenseur très<br />

intrépide de ces libertés, l'ennemi irréconciliable des<br />

annates et autres exactions de la curie romaine,<br />

« in defendis Galliae libertatibus acerrimus, annatarum<br />

et aliarum ejusmodi exactionum curiae romanae infensissimus<br />

hostis » (5). Il fut l'un des trois prêtres délégués<br />

par l'assemblée pour désigner les trente-trois<br />

électeurs du futur Pontife. Il a soutenu, et peut-être<br />

fuit élire l'antipape Félix V; en retour celui-ci lui<br />

offrit le chapeau de cardinal, qu'il eut le bon sens<br />

de refuser.<br />

(1) Aperçus nouveaux sur <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, p. 106-107.<br />

(2) RAYNALDI, Annales ecclesiastici, an. 1463, n° 114-127.<br />

(3) SPONDE, Annales ecclesiastici, 1439, n° VII.<br />

(4) Aperçus nouveaux, p. 105.<br />

(5) Historia Univ. <strong>Paris</strong>iensis, t. V, p. 917.


172 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

* *<br />

Cité comme témoin, dans l'enquête préparatoire au<br />

procès de réhabilitation de <strong>Jeanne</strong>, en 1456, il est<br />

ainsi qualifié :<br />

« Vénérable et scientifique personne, maître<br />

Thomas de Courcelles, professeur de sacrée théologie,<br />

pénitentier et chanoine de <strong>Paris</strong>, âgé de cinquante-six<br />

ans ou environ. »<br />

Ses réponses furent alors déconcertantes ; il est<br />

extraordinaire combien les souvenirs précis, sur des<br />

événements qui ne datent que de vingt-cinq ans et<br />

auxquels il a pris une part si considérable, semblent<br />

faire défaut à un homme d'une telle valeur. Bien<br />

qu'il ait prêté serment de dire toute la vérité, il ne<br />

sait que balbutier : « J'ai ouï dire... j'ai perdu le souvenir...<br />

je ne sais... je ne me rappelle rien sur ces<br />

articles..., etc. »; sur ses lèvres ces expressions reviennent<br />

à maintes reprises. Quicherat, qui ne semble<br />

pourtant pas lui être défavorable, se sent obligé de<br />

qualifier sévèrement une telle déposition : « L'embarras<br />

qui règne dans toutes ses réponses, dit-il,<br />

est digne de pitié. Ce ne sont que réticences, hésitations,<br />

omissions : des circonstances qui devraient<br />

faire le tourment de sa mémoire, il ne se les rappelle<br />

pas ; d'autres qu'il avait consignées dans sa rédaction,<br />

il les nie. Toute son étude est de donner à entendre<br />

qu'il a pris peu de part au procès, mais cela n'est<br />

pas admissible » (1).<br />

« Si l'objet du procès (de réhabilitation) n'avait pas<br />

été étroitement circonscrit, écrit le P. Ayroles, et si<br />

(l) Aperçus nouveaux, p. 106.


JEANNE D'ARC DEVANT PARIS 173<br />

Charles VII n'avait pas publié une amnistie, Courcelïes<br />

aurait dû être mis en accusation » (1).<br />

Sans doute sa conscience n'était-elle pas absolument<br />

en paix. A mesure qu'il avançait en âge et que les<br />

événements l'éclairaient, se prenait-il à regretter les<br />

erreurs de ses trente ans ?<br />

Avait-il répudié ses opinions d'autrefois, comme<br />

son ami de Bâle, Æneas Sylvius Piccolomini, attaché<br />

alors, lui aussi, à des doctrines schismatiques, qu'une<br />

fois monté sur la chaire de saint Pierre, sous le nom<br />

de Pie II, il devait combattre et réfuter? (2)<br />

Ennemi de Charles VII, qu'avec ses complices<br />

il poursuivait à Rouen, par dessus <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>,<br />

avait-il renoncé à ses anciennes préférences politiques ?<br />

N'avait-il pas harangué le roi à son entrée à <strong>Paris</strong> et,<br />

toujours éloquent, ne devait-il pas prononcer l'oraison<br />

funèbre de Charles VII, en 1461? S'il se rallia au<br />

parti français, du moins ce ne fut pas pour en tirer<br />

bénéfices, comme son collègue de l'Université et<br />

du Chapitre, le chancelier Chuffart.<br />

Thomas de Courcelles mourut doyen du Chapitre<br />

de Notre-Dame de <strong>Paris</strong>, en 1469, âgé d'environ<br />

soixante-neuf ans.<br />

Sur la même pierre tombale sont représentés les<br />

deux frères, Thomas et Jean de Courcelles, tous deux<br />

assis dans une chaire d'où ils enseignent. On y lit :<br />

« Ci-gît Maître Thomas de Courcelles, homme<br />

d'une science éminente et d'une grande éloquence,<br />

(1) La vraie <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, t. V, p. 95.<br />

(2) Dans son Récit des événements mémorables, Pie II a consacré<br />

plusieurs pages sympathiques à <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> ; s'il a commis<br />

quelques erreurs, il n'en a pas moins affirmé la divinité de sa<br />

mission : « Elle a accompli, dit-il, de grandes choses par inspiration<br />

divine, divino afflata spiritu, sicut res gestae demonstrant ».


174 JEANNE D'ARC DEVANT PARIS<br />

professeur d'Ecriture sainte, doyen et chanoine de<br />

cette église, décédé l'an du Seigneur 1469, à l'âge<br />

de 76 ans » (1).<br />

(l) Bibliothèque nationale, Cabinet des Estampes : Pe. 11. a<br />

(fol, 31). — On remarquera que cette épitaphe vieillit Thomas<br />

de Courcelles de sept ans. Il aurait donc eu 37 ans et non 30, lors<br />

du procès de Rouen.


LA PORTE SAINT-HONORÉ ET SES ENVIRONS VERS 1615.<br />

Plan de Mathieu Mérian.<br />

L'aspect des lieux est modifié. L'avant-porte, le pont dormant et le pontlevis<br />

ont disparu : le fossé est comblé.<br />

L'arrière-fossé a été transformé en boulevard bordé d'arbres.<br />

A l'intérieur de la ville, la terrasse du mur d'enceinte, large et en pente<br />

douce, est très visible.


TABLE DES GRAVURES, PLANS ET CARTES<br />

Attaque de la Porte Saint-Honoré le 8 septembre 1429;<br />

reconstitution par J. Hoffauër 2<br />

La porte Saint-Honoré, d'après un petit médaillon de<br />

Saint-Victor , 21<br />

Boulet de pierre et grosse bombarde du XV° siècle 77<br />

Grosse bombarde du XV e siècle 89<br />

Bombarde et veuglaire 89<br />

Bombardes des XIV e et XV e siècles 91<br />

Bombardes, coulevrines, crapeaudeaux, etc 91<br />

Ribeaudequin et orgues 91<br />

Marche de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> de La Chapelle à la porte Saint-<br />

Honoré :<br />

1. — Tracée sur le plan de Bâle 105<br />

2. — Tracée sur un plan moderne 105<br />

Plan moderne du quartier du Palais-Royal avec le tracé<br />

des fortifications au temps de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> 121<br />

Plan du rempart levé en 1695 123<br />

Fouilles de 1912 et 1913 125<br />

La porte Saint-Honoré et ses environs vers 1530, d'après<br />

le plan d'Arnoulet 139<br />

La porte Saint-Honoré d'après le plan de Braun 149<br />

La porte Saint-Honoré d'après le plan de Truschet et Hoyau 159<br />

La porte Saint-Honoré d'après le plan dit de Tapisserie.. 165<br />

La porte Saint-Honoré d'après le plan de Mérian 175<br />

Le Quartier Saint-Honoré, d'après le plan de Gomboust.. 181


TABLE DES MATIÈRES<br />

Lettres de S. E. le Cardinal DUBOIS VII<br />

Au LECTEUR , 1<br />

L'échec de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> <strong>devant</strong> <strong>Paris</strong> 3<br />

Les sources 3<br />

L'opération militaire 6<br />

Les causes de l'échec 46<br />

Sur les traces de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> 79<br />

Note sur l'artillerie de 1425 à 1450 89<br />

La marche de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong>, de la Chapelle à la<br />

porte Saint-Honoré 91<br />

La population parisienne et l'attaque de <strong>Paris</strong>.. 105<br />

Lieu où fut blessée <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> 121<br />

Cordeliers du XV e siècle 129<br />

Un carme conspirateur 149<br />

Universitaire prévaricateur et schismatique 165<br />

Promulgation à Saint-Martin-des-Champs de la<br />

condamnation de <strong>Jeanne</strong> <strong>d'Arc</strong> 175<br />

Table des gravures, plans et cartes 181<br />

SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'IMPRIMERIE D'ANGERS. — 4, rue GARNIER, ANGERS.

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