Dans le Christ j'ai rencontré le judaïsme - Il parlait hébreu et araméen
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Dieu est adoration, amour, amitié. <strong>Il</strong> est relation : il est dans <strong>le</strong>s désirs profonds d’unité qui<br />
se rencontrent. Dieu est ainsi dans l’amitié entre juifs <strong>et</strong> chrétiens : une amitié à approfondir,<br />
à consolider, à élargir. <strong>Il</strong> n’est pas dans la confusion des deux ou dans l’absorption de l’un<br />
par l’autre. <strong>Il</strong> n’est pas dans la création d’une nouvel<strong>le</strong> communauté ou religion, il est dans la<br />
réconciliation entre deux frères qui possèdent chacun une part du trésor. <strong>Il</strong> n’est pas dans l’unité<br />
au sens de disparition des identités mais dans l’union au sens de bonheur fragi<strong>le</strong>, partage de<br />
dou<strong>le</strong>urs communes, attention à sa Présence. Nos deux religions sont différentes, de même que<br />
dans un arbre <strong>le</strong>s racines <strong>et</strong> <strong>le</strong>s branches sont distinctes. Les racines peuvent se passer des<br />
branches <strong>et</strong> non l’inverse. En revanche, nos spiritualités ont la même origine <strong>et</strong> la même fin :<br />
« nous avons la même sève », <strong>le</strong> même Dieu qui n’a qu’un seul Nom.<br />
<strong>Dans</strong> ces pages un catholique raconte l’histoire de sa rencontre avec la religion qui a donné<br />
naissance au christianisme.<br />
« Qui rencontre Jésus <strong>Christ</strong> rencontre <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> » (Jean Paul II, repris par Benoît XVI).<br />
Pierre ORSET<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> j’ai <strong>rencontré</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>Christ</strong><br />
j’ai <strong>rencontré</strong><br />
<strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong><br />
Pierre Ors<strong>et</strong>
A mon grand-onc<strong>le</strong> Hilaire (1904-2000), prêtre<br />
catholique de<br />
Notre Dame de la Sa<strong>le</strong>tte.<br />
<strong>Dans</strong> ta bibliothèque il y avait trois rayons :<br />
christianisme, <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> islam.<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> rayon du <strong>judaïsme</strong> tu m'avais montré ton<br />
livre de prière <strong>et</strong> ta kippa.
« Qui rencontre Jésus <strong>Christ</strong> rencontre <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> »<br />
Jean Paul II,<br />
repris par Benoît XVI 1<br />
1 Jean Paul II à Mayence en 1980, citant <strong>le</strong>s évêques al<strong>le</strong>mands ;<br />
Benoît XVI à Cologne en 2005.<br />
<strong>Dans</strong> la revue « Sens » année 2006 n° 7/8, page 456.
Préface<br />
Voilà un livre que j’ai lu avec <strong>le</strong> plus grand<br />
intérêt. <strong>Il</strong> ne se présente pas comme une étude<br />
systématique d’une découverte nouvel<strong>le</strong> du <strong>Christ</strong> dans la<br />
rencontre avec <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, même si la citation en<br />
exergue de c<strong>et</strong>te paro<strong>le</strong> de Jean Paul II « Qui rencontre<br />
Jésus <strong>Christ</strong> rencontre <strong>le</strong> Judaïsme » pourrait donner à <strong>le</strong><br />
penser.<br />
Ce n’est pas davantage une christologie nouvel<strong>le</strong>,<br />
ni un récit sur <strong>le</strong>s rapports entre juifs <strong>et</strong> chrétiens, ni une<br />
présentation systématique du <strong>judaïsme</strong> aux chrétiens.<br />
C’est l’itinéraire personnel de l’auteur qui nous est<br />
raconté. Ce qui l’a incité à ce cheminement c’est semb<strong>le</strong>t-il,<br />
en premier lieu, une <strong>le</strong>cture de l’Ancien Testament<br />
perçue comme la paro<strong>le</strong> de Dieu pour <strong>le</strong> Peup<strong>le</strong> Juif <strong>et</strong><br />
ceci dans la recherche d’une plus grande cohérence de sa<br />
foi de chrétien. Dès lors l’auteur a voulu apprendre<br />
l’<strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> a effectué un séjour de plusieurs mois dans un<br />
kibboutz qui n’était pas spécia<strong>le</strong>ment religieux mais où<br />
cependant, non seu<strong>le</strong>ment il a appris la langue hébraïque<br />
mais il a découvert l’importance de la tradition<br />
« religieuse » au sein des famil<strong>le</strong>s juives même non<br />
observantes, notamment dans la célébration en famil<strong>le</strong> de<br />
l’entrée en shabbat <strong>le</strong> vendredi soir.
De r<strong>et</strong>our en France, après un séjour de plusieurs<br />
années au Mexique où il a été marqué par la profondeur<br />
de la foi mexicaine, il s’est efforcée d’entrer en<br />
communication avec la communauté juive, il s’est<br />
particulièrement lié à un ami juif. <strong>Il</strong> a de ce fait participé<br />
à des prières juives col<strong>le</strong>ctives, à la célébration du<br />
shabbat, aux fêtes religieuses <strong>le</strong>s plus importantes. Loin<br />
de rem<strong>et</strong>tre en cause son appartenance à la foi catholique<br />
<strong>et</strong> sa foi en Jésus, Dieu fait homme <strong>et</strong> non pas l’homme<br />
fait Dieu comme il <strong>le</strong> rappel<strong>le</strong> souvent, il a dans sa<br />
fréquentation du Judaïsme de plus en plus perçu la portée<br />
d’une tel<strong>le</strong> redécouverte par l’Eglise. <strong>Il</strong> précise que la<br />
relation du chrétien au peup<strong>le</strong> juif, filial à son origine, est<br />
aujourd’hui fraternel<strong>le</strong>, rappelant à ce suj<strong>et</strong> <strong>le</strong>s propos de<br />
Jean Paul II lors de sa visite à la synagogue de Rome en<br />
1986.<br />
Sa profonde connaissance du <strong>judaïsme</strong> lui perm<strong>et</strong><br />
alors d’éclairer <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur sur l’enrichissement que nous<br />
pouvons en recevoir pour notre foi. Un exemp<strong>le</strong><br />
saisissant se trouve dans <strong>le</strong> parallélisme établi entre <strong>le</strong>s<br />
dix commandements selon l’ancien catéchisme <strong>et</strong> <strong>le</strong>s dix<br />
paro<strong>le</strong>s tel<strong>le</strong>s qu’el<strong>le</strong>s sont établies dans la tradition juive.<br />
<strong>Il</strong> réfléchit aussi d’une manière approfondie sur <strong>le</strong> Nom<br />
(divin) dans la tradition Juive <strong>et</strong> sur l’usage que nous en<br />
faisons dans <strong>le</strong>s différentes traductions Bibliques, dans la<br />
liturgie el<strong>le</strong>-même surtout depuis qu’une décision<br />
Romaine nous a rappelé qu’on ne devait pas prononcer <strong>le</strong><br />
tétragramme. <strong>Il</strong> nous invite alors à réfléchir sur l’usage
du mot Seigneur appliqué à Jésus <strong>et</strong> à propos du nom de<br />
Jésus lui même, j’ai re<strong>le</strong>vé ave intérêt <strong>le</strong> rapprochement<br />
de ce nom <strong>et</strong> de la mission qu’il désigne en <strong>le</strong> comparant<br />
à celui de Josué.<br />
Un des grandes richesses de ce livre se trouve<br />
dans l’étude des grandes fêtes liturgiques juives <strong>et</strong> dans la<br />
nécessité de mieux <strong>le</strong>s connaître pour comprendre notre<br />
propre liturgie. Nous savons <strong>le</strong> lien entre Pessah <strong>et</strong><br />
Pâques, entre Shavouot <strong>et</strong> Pentecôte mais nous en<br />
mesurons mal la portée <strong>et</strong> d’autre part nous passons sous<br />
si<strong>le</strong>nce <strong>le</strong>s nombreux rapprochements qu’il convient de<br />
faire pour prendre un exemp<strong>le</strong> entre Sukkôt, la fête des<br />
tentes, la transfiguration <strong>et</strong> l’acclamation de Jésus à<br />
Jérusa<strong>le</strong>m <strong>le</strong> jour des Rameaux.<br />
<strong>Dans</strong> ce cheminement <strong>et</strong> ses découvertes, l’auteur,<br />
loin d’en tirer une <strong>le</strong>çon sur un quelconque<br />
affaiblissement de sa foi chrétienne, en tire plutôt, une<br />
source d’enrichissement. <strong>Il</strong> s’interroge certes sur la portée<br />
du dialogue entre Juifs <strong>et</strong> chrétiens mais loin d’en définir<br />
la portée théologique, il la regarde surtout comme<br />
l’œuvre de l’Esprit Saint <strong>et</strong> un appel à un nouvel élan<br />
dans notre foi <strong>et</strong> dès lors il n’est pas surprenant de lire à<br />
plusieurs reprises sous sa plume des références au livre<br />
du Cardinal Lustiger sur « la Promesse » <strong>et</strong> à ceux du<br />
Cardinal Ratzinger , notamment « L’unique alliance de<br />
Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> pluralisme des religions ».<br />
<strong>Il</strong> faut remarquer aussi qu’au cœur de sa réf<strong>le</strong>xion<br />
sur <strong>le</strong> dialogue il porte un jugement très équilibré sur <strong>le</strong>s
orientations diverses <strong>et</strong> <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> parfois revendiqué par <strong>le</strong>s<br />
Juifs messianiques. Toutefois je trouve un peu sévère son<br />
jugement sur <strong>le</strong>s théologiens dont il dit : « <strong>le</strong>s<br />
théologiens chrétiens cherchent Dieu partout sauf là où il<br />
se trouve, c'est-à-dire dans <strong>le</strong> Judaïsme ». On peut<br />
comprendre c<strong>et</strong> appel mais la mission confiée à l’Eglise<br />
à la Pentecôte n’était-el<strong>le</strong> pas d’annoncer l’évangi<strong>le</strong> dans<br />
toutes <strong>le</strong>s langues <strong>et</strong> toutes <strong>le</strong>s cultures. Rechercher <strong>le</strong>s<br />
traces de Dieu dans <strong>le</strong>s autres traditions religieuses n’estce<br />
pas l’objectif de Nostra A<strong>et</strong>ate dans <strong>le</strong>s trois premiers<br />
paragraphes même si, comme <strong>le</strong> dira Jean Paul II lors de<br />
la célébration du 25 ème anniversaire, c<strong>et</strong>te recherche<br />
s’enracine dans la redécouverte de la vocation du Peup<strong>le</strong><br />
Juif.<br />
Ces remarques faites je veux redire à quel point la<br />
<strong>le</strong>cture de ce livre tout à fait accessib<strong>le</strong> pour un <strong>le</strong>cteur<br />
non initié sera pour lui source d’enrichissement non<br />
seu<strong>le</strong>ment pour sa connaissance du <strong>judaïsme</strong> en lui-même<br />
mais pour l’enrichissement de sa propre foi. Un Grand<br />
merci à l’auteur de nous entraîner sur son chemin.<br />
Jean Dujardin<br />
Prêtre de l’Oratoire, membre du comité directeur de<br />
l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, Secrétaire du<br />
Comité épiscopal français pour <strong>le</strong>s relations avec <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> de 1987 à 1999, auteur notamment de "L'Eglise<br />
catholique <strong>et</strong> <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif" (Calmann-Lévy, 2003)
Première partie :<br />
Amour<br />
« J’ai trouvé celui que mon cœur aime.<br />
Je l’ai saisi <strong>et</strong> ne <strong>le</strong> lâcherai point »<br />
Cantique des cantiques 3,4<br />
1. Du désespoir à l’espoir, de Ni<strong>et</strong>zsche à<br />
Pnina<br />
L’existence de Dieu qui nous a créés <strong>et</strong> qui nous<br />
aime a toujours été pour moi une évidence. Ayant grandi<br />
dans la religion catholique, il m’était aussi évident que<br />
c<strong>et</strong>te religion était <strong>le</strong> seul moyen de connaître Dieu. Je lui<br />
parlais en l’appelant « Seigneur », ce qui signifiait pour<br />
moi à la fois Dieu <strong>et</strong> Jésus. Dieu était beau <strong>et</strong> sa religion -<br />
ma religion- était bel<strong>le</strong>. Bref, durant mon enfance tout<br />
était simp<strong>le</strong>.<br />
Vers quinze ans je me suis ach<strong>et</strong>é une Bib<strong>le</strong>, La<br />
Bib<strong>le</strong> de Jérusa<strong>le</strong>m (version la plus répandue chez <strong>le</strong>s<br />
11
catholiques). Je l’ai lue en entier. J’ai beaucoup aimé<br />
l’Ancien Testament. J’ai aimé lire l’histoire du peup<strong>le</strong><br />
<strong>hébreu</strong>. J’ai aimé <strong>le</strong>s Proverbes, <strong>le</strong>s Psaumes, <strong>le</strong> Cantique<br />
des cantiques. J’ai aimé <strong>le</strong>s prophètes, <strong>le</strong>s histoires de<br />
Judith, Tobie, Esther… Je trouvais que c<strong>et</strong>te première<br />
partie de la Bib<strong>le</strong> éclairait Jésus. Cela m’aidait à<br />
comprendre sa personne, sa manière de penser, sa<br />
mentalité. Je découvrais sa culture, je me familiarisais<br />
avec l’esprit de son peup<strong>le</strong>, son esprit. <strong>Dans</strong> <strong>le</strong>s Evangi<strong>le</strong>s<br />
<strong>et</strong> <strong>le</strong>s Actes des Apôtres, je ressentais la même cha<strong>le</strong>ur,<br />
comme une suite <strong>et</strong> un épanouissement de ce qui avait<br />
précédé. Cependant, ensuite, deux choses m’ont gêné.<br />
D’abord, dans <strong>le</strong>s L<strong>et</strong>tres (Epîtres) du Nouveau<br />
Testament, je n’ai pas r<strong>et</strong>rouvé l’esprit de l’Ancien<br />
Testament, comme si l’esprit de Jésus s’était dissipé.<br />
<strong>Dans</strong> ces L<strong>et</strong>tres je ne voyais que des réf<strong>le</strong>xions<br />
intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>s, des conseils moralisants. <strong>Il</strong> n’y avait plus<br />
vraiment d’histoires de vies, c’était devenu froid. J’en ai<br />
à ce moment-là voulu à Paul parce qu’il avait, me<br />
semblait-il, déformé <strong>le</strong> message de Jésus, perdu son<br />
esprit.<br />
Et puis, la deuxième chose qui m’a perturbé, c’est<br />
<strong>le</strong> changement entre <strong>le</strong> Dieu de l’Ancien Testament <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
Dieu du Nouveau Testament. <strong>Dans</strong> la première partie de<br />
la Bib<strong>le</strong>, Dieu s’appelait « Yahvé » ; <strong>et</strong> après, dans la<br />
seconde, ce nom avait disparu. Je ne saisissais pas la<br />
12
transition. Le Dieu de l’Ancien Testament avait-il été<br />
remplacé par Jésus ? Non puisque Jésus <strong>parlait</strong> de Dieu<br />
son Père. Alors pourquoi, dans <strong>le</strong> Nouveau Testament,<br />
Dieu ne s’appelait-il plus comme dans l’Ancien ?<br />
Pourquoi avait-il changé de nom ? Le Dieu ancien avaitil<br />
été remplacé par un nouveau ? Ou <strong>le</strong> Dieu universel<br />
avait-il pris la place du Dieu du peup<strong>le</strong> juif ? C<strong>et</strong>te<br />
disparition du Dieu de l’Ancien Testament m’angoissait.<br />
Personne autour de moi ne pouvait me rassurer,<br />
m’expliquer. Je trouvais que ma religion n’était plus<br />
cohérente. J’y avais découvert une sorte de fail<strong>le</strong>. C’était<br />
comme si tout <strong>le</strong> reste était devenu branlant. Ce Nom de<br />
Dieu disparu, c’était comme s’il manquait à l’édifice la<br />
clé de voûte.<br />
Dieu cependant restait pour moi <strong>le</strong> même. La<br />
confiance que j’avais en Lui demeurait intacte. Mais<br />
l’Eglise catholique ne m’apparaissait plus sécurisante.<br />
J’avais l’impression qu’el<strong>le</strong> me trompait. Malgré cela,<br />
el<strong>le</strong> ne s’est jamais écroulée en moi. Je la considérais<br />
comme un outil défaillant mais un outil indispensab<strong>le</strong>.<br />
Sans l’Eglise, comment aurais-je pu lire la Bib<strong>le</strong> ? Sans<br />
l’Eglise, comment être relié à Dieu ? La religion est un<br />
intermédiaire entre Dieu <strong>et</strong> nous. Sans el<strong>le</strong> nous<br />
cherchons Dieu de façon intuitive <strong>et</strong> nous nous égarons<br />
faci<strong>le</strong>ment. Je sentais bien que j’avais besoin de ce cadre<br />
avec des guides <strong>et</strong> des compagnons de route. Mais je<br />
13
pensais désormais que Dieu n’était pas seu<strong>le</strong>ment dans<br />
l’Eglise.<br />
Après <strong>le</strong> baccalauréat j’ai commencé des études de<br />
philosophie. Parmi tous <strong>le</strong>s auteurs, c’est Ni<strong>et</strong>zsche qui<br />
m’a <strong>le</strong> plus « accroché ». J’avais l’impression qu’il s’était<br />
posé <strong>le</strong>s mêmes questions que moi. <strong>Il</strong> me semblait qu’il<br />
avait vu dans <strong>le</strong> christianisme un bel idéal <strong>et</strong> qu’il avait<br />
été déçu. Je me sentais proche de ses questions mais pas<br />
de ses réponses. Je voyais que son désespoir conduisait à<br />
la mort.<br />
Je m’étais alors inscrit à des cours d’arabe <strong>et</strong><br />
d’<strong>hébreu</strong>. Ces deux langues m’attiraient. En <strong>hébreu</strong>,<br />
l’enseignante nous apprenait à aimer <strong>le</strong>s mots, <strong>le</strong>ur<br />
sonorité, <strong>le</strong>ur polysémie, <strong>le</strong>urs racines. Parfois el<strong>le</strong> nous<br />
<strong>parlait</strong> de sa culture, de son pays. Je découvrais ainsi un<br />
monde à la fois nouveau <strong>et</strong> étrangement familier : c<strong>et</strong>te<br />
atmosphère correspondait à cel<strong>le</strong> que j’avais ressentie en<br />
lisant l’Ancien Testament. Cela m’a donné envie d’en<br />
savoir plus.<br />
J’ai décidé de continuer l’<strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> j’ai pu ainsi<br />
rencontrer plusieurs enseignants, tous israéliens <strong>et</strong> peu<br />
religieux, voire athées. Je me souviens en particulier<br />
d’une enseignante de Jérusa<strong>le</strong>m qui s’appelait Pnina.<br />
Pourtant, même si ces juifs israéliens ne parlaient pas de<br />
Dieu, je ressentais à travers eux quelque chose de Dieu.<br />
14
C’est diffici<strong>le</strong> à expliquer parce que c’était comme un<br />
sentiment, une sensation. C’est un peu comme si, dans<br />
l’âme d’un peup<strong>le</strong>, j’avais r<strong>et</strong>rouvé la trace de Celui que<br />
je cherchais.<br />
15
2. Des pionniers, Pau<strong>le</strong>tte <strong>et</strong> Hilaire<br />
Environ deux ans après ma découverte décisive de<br />
l’<strong>hébreu</strong> alors que j’étais en première année de<br />
philosophie, j’ai fait une rencontre -el<strong>le</strong> aussi décisive-<br />
avec quelqu’un qui avait la même préoccupation que moi<br />
<strong>et</strong> avait déjà beaucoup avancé sur <strong>le</strong> sentier encore si peu<br />
exploré des relations entre juifs <strong>et</strong> chrétiens. J’avais un<br />
peu plus de vingt ans <strong>et</strong> mon grand-onc<strong>le</strong> Hilaire presque<br />
quatre-vingt-dix quand nous avons commencé à nous<br />
rapprocher. Prêtre <strong>et</strong> missionnaire, il avait vécu dans<br />
différents endroits de France <strong>et</strong> du monde avant de se<br />
reposer à Grenob<strong>le</strong> tandis que je commençais dans la<br />
même vil<strong>le</strong> des études d’espagnol. Auparavant il venait<br />
une fois par an rendre visite à notre famil<strong>le</strong> mais je ne<br />
l’avais jamais entendu par<strong>le</strong>r de son intérêt pour <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong>. Quand nous nous sommes rendu compte que<br />
nous avions la même attirance spirituel<strong>le</strong>, nous avons pu<br />
échanger souvent sur ce suj<strong>et</strong>. <strong>Il</strong> m’a encouragé à<br />
poursuivre mes tâtonnements <strong>et</strong> m’a éclairé pour éviter<br />
au mieux <strong>le</strong>s embûches. Un livre qu’il m’a offert m’a<br />
profondément marqué : « L’amour fort comme la mort »<br />
d’André Chouraqui. C<strong>et</strong>te autobiographie d’un homme<br />
juif ouvert au christianisme <strong>et</strong> à l’islam m’a<br />
16
enthousiasmé. Je ne me sentais plus seul. Je savais que<br />
d’autres avaient la même soif que moi.<br />
Mon grand-onc<strong>le</strong> prêtre de la Sa<strong>le</strong>tte m’avait<br />
raconté que lorsqu’il vivait à Paris (dans <strong>le</strong>s années<br />
soixante, soixante-dix) il se réunissait avec des juifs, <strong>et</strong><br />
aussi avec des musulmans. <strong>Il</strong> ne m’avait pas donné<br />
beaucoup de détails sur <strong>le</strong> fonctionnement de ce (ou<br />
ces ?) groupe(s) interreligieux. Après sa mort en 2000,<br />
j’ai plusieurs fois essayé d’en savoir plus. Mais comme la<br />
maison parisienne des Pères de la Sa<strong>le</strong>tte n’existe plus,<br />
mes recherches sont restées vaines. J’aimerais tel<strong>le</strong>ment<br />
savoir ce que faisait exactement mon grand-onc<strong>le</strong> à c<strong>et</strong>te<br />
époque. Etait-ce dans <strong>le</strong>s années soixante-dix ou avant ?<br />
Que faisaient-ils ensemb<strong>le</strong> ces juifs <strong>et</strong> ces chrétiens ?<br />
Comment parvenaient-ils à échanger ? Par l’étude de<br />
textes ? Par la prière ? Ou simp<strong>le</strong>ment lors d’échanges<br />
amicaux autour d’un repas ? Pourquoi mon grand-onc<strong>le</strong><br />
prêtre possédait-il une kippa <strong>et</strong> un livre de prière juif ?<br />
Allait-il dans une synagogue ou priait-il simp<strong>le</strong>ment<br />
parfois avec des juifs ? Je n’ai aucune réponse à toutes<br />
ces questions. Lorsque je parlais avec lui je n’ai pas<br />
pensé à lui demander tous ces détails qu’il me serait<br />
précieux de connaître aujourd’hui.<br />
J’admire particulièrement la persévérance d’une<br />
pionnière qui s’appel<strong>le</strong> Pau<strong>le</strong>tte. C<strong>et</strong>te sœur<br />
17
contemplative ne pouvant plus –je crois pour des raisons<br />
de santé- vivre en communauté, vivait en solitaire dans<br />
mon village. Je me souviens qu’à l’éco<strong>le</strong> el<strong>le</strong> venait faire<br />
<strong>le</strong> catéchisme <strong>et</strong> surtout nous apprendre à prier. Je ne<br />
savais pas encore <strong>et</strong> ne pouvais me rendre compte qu’el<strong>le</strong><br />
était passionnée de <strong>judaïsme</strong>. C’est beaucoup plus tard,<br />
quand el<strong>le</strong> est partie vivre auprès de son couvent du<br />
centre de la France, que nous avons échangé à propos de<br />
notre passion commune. Je l’admire parce qu’el<strong>le</strong> a fait<br />
ce cheminement pratiquement seu<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> s’est mise à<br />
apprendre l’<strong>hébreu</strong> à un âge avancé <strong>et</strong> a même appris des<br />
chants hébraïques pour enrichir ses prières. N’est-ce pas<br />
étonnant de voir autant de « baroudeurs » suivre de<br />
manière isolée chacun son chemin qui <strong>le</strong>s conduit<br />
cependant tous à la même montagne alors qu’aucun<br />
guide officiel n’indique <strong>le</strong> sentier ?<br />
L’Eglise Catholique est en train de prendre<br />
conscience du <strong>judaïsme</strong> qui la constitue en<br />
profondeur. Heureusement, Jean Paul II <strong>et</strong> Benoît XVI<br />
ont bu à c<strong>et</strong>te source. <strong>Il</strong>s savent que <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> éclaire <strong>le</strong><br />
christianisme. Les papes précèdent <strong>le</strong>s théologiens. La<br />
pratique précède la théorie. Mais l’Eglise est comme un<br />
végétal : el<strong>le</strong> a un rythme qu’on ne peut pas perturber.<br />
Comme une plante qui pousse, el<strong>le</strong> creuse de plus en plus<br />
profondément dans la terre. C’est grâce à la sève qui<br />
monte de ses racines que l’Eglise va peu à peu ruisse<strong>le</strong>r<br />
non plus de ruisseaux mais de « f<strong>le</strong>uves d’eau vive ».<br />
18
« Dieu d’Abraham, Dieu des prophètes, Dieu de<br />
Jésus <strong>Christ</strong>, en toi, tout est contenu ;<br />
vers toi, tout se dirige ; tu es <strong>le</strong> terme de tout.<br />
Exauce notre prière à l’intention du peup<strong>le</strong> juif<br />
qu’en raison de ses pères, tu continues de chérir.<br />
Suscite en lui <strong>le</strong> désir toujours plus vif de pénétrer<br />
profondément ta vérité <strong>et</strong> ton amour.<br />
Assiste-<strong>le</strong> pour que, dans ses efforts pour la paix<br />
<strong>et</strong> la justice, il soit soutenu dans sa grande mission<br />
de révélation au monde de ta bénédiction.<br />
Qu’il rencontre respect <strong>et</strong> amour chez ceux<br />
qui ne comprennent pas encore ses souffrances,<br />
comme chez ceux qui compatissent aux b<strong>le</strong>ssures<br />
profondes<br />
qui lui ont été infligées, avec <strong>le</strong> sentiment<br />
du respect mutuel des uns envers <strong>le</strong>s autres.<br />
Souviens-toi des générations nouvel<strong>le</strong>s, des jeunes<br />
<strong>et</strong> des enfants : qu’ils persistent dans la fidélité<br />
envers toi, dans ce qui constitue l’exceptionnel<br />
mystère de <strong>le</strong>ur vocation.<br />
Inspire-<strong>le</strong>s pour que l’humanité comprenne par<br />
<strong>le</strong>urs<br />
témoignages que tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s ont une seu<strong>le</strong><br />
origine <strong>et</strong> une seu<strong>le</strong> fin : Dieu,<br />
dont <strong>le</strong> dessein de salut s’étend à tous <strong>le</strong>s hommes.<br />
Amen. »<br />
19
Prière de Jean Paul II à l’intention du peup<strong>le</strong> juif 1<br />
1 Emplacement du gh<strong>et</strong>to de Varsovie, 11 juin 1999<br />
20
3. Neve Harif<br />
« Moi je t’ai connu au désert »<br />
Osée 13,5<br />
« Neve » en <strong>hébreu</strong> signifie « oasis » <strong>et</strong> « harif » se<br />
traduit par « piquant ». C’était en 1996, j’avais vingt-cinq<br />
ans, terminé <strong>le</strong> service militaire <strong>et</strong> pas envie de<br />
commencer tout de suite une carrière professionnel<strong>le</strong>. Je<br />
voulais connaître à la fois une manière de vivre<br />
communautaire <strong>et</strong> aussi <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> pays de Jésus. J’ai<br />
pu en plus y découvrir sa religion. « L’Oasis piquant » se<br />
situe dans <strong>le</strong> désert du Néguev, c’est un tout p<strong>et</strong>it<br />
kibboutz qui comptait alors environ une centaine de<br />
membres. Nous étions seu<strong>le</strong>ment deux volontaires, deux<br />
Français. Mon travail consistait à m<strong>et</strong>tre des œufs de<br />
pou<strong>le</strong> en boîte <strong>et</strong> à participer au service de la cantine.<br />
C’est grâce au contact avec <strong>le</strong>s enfants que j’ai pu passer<br />
d’une connaissance théorique de l’<strong>hébreu</strong> à une pratique<br />
ora<strong>le</strong>.<br />
C’était la première fois que je m<strong>et</strong>tais <strong>le</strong>s pieds sur<br />
la Terre Sainte. Quand l’avion a atterri tous <strong>le</strong>s passagers<br />
ont applaudi de joie. J’étais ému <strong>et</strong> sentais que c<strong>et</strong>te terre<br />
21
n’était pas comme <strong>le</strong>s autres. Le soir même, alors que<br />
j’attendais <strong>le</strong> bus qui allait me conduire de nuit jusqu’à<br />
mon kibboutz, on nous a averti par haut-par<strong>le</strong>ur qu’il y<br />
avait peut-être une bombe dans la gare. J’ai évidemment<br />
voulu sortir mais fina<strong>le</strong>ment j’ai fait comme <strong>le</strong>s autres<br />
voyageurs : j’ai marché <strong>le</strong>ntement jusqu’à un endroit<br />
éloigné du sac suspect. Pour <strong>le</strong>s Israéliens ces a<strong>le</strong>rtes sont<br />
bana<strong>le</strong>s mais pour moi non ! Puis, après plusieurs heures<br />
de route, au milieu de la nuit <strong>le</strong> chauffeur du bus m’a<br />
réveillé <strong>et</strong> m’a dit « c’est là ». <strong>Il</strong> n’y avait rien d’autre<br />
qu’une route dans <strong>le</strong> désert. J’ai marché vers <strong>le</strong> premier<br />
village qui était un kibboutz avec un grillage autour <strong>et</strong> un<br />
gardien à l’entrée. Quand il a pointé vers moi son M16,<br />
j’ai compris encore une fois que je n’étais plus dans ma<br />
douce France. <strong>Il</strong> m’a permis d’attendre avec lui l’aube<br />
pour ensuite rejoindre Neve Harif.<br />
Vu de France, je m’imaginais la vie communautaire<br />
en kibboutz comme un paradis social… J’ai rapidement<br />
constaté que des vieil<strong>le</strong>s disputes subsistaient depuis des<br />
années sans espoir de réconciliation. <strong>Dans</strong> ce minuscu<strong>le</strong><br />
village des gens ne parlaient plus à <strong>le</strong>urs voisins. Et tous<br />
ne partageaient pas <strong>le</strong> principe du kibboutz qui est de<br />
n’avoir aucune propriété privée, aucun revenu à soi.<br />
Surtout parmi <strong>le</strong>s jeunes, certains se sentaient otages de<br />
l’idéal de <strong>le</strong>urs parents. Le secrétaire du kibboutz était<br />
tout simp<strong>le</strong>ment un chef, un politique. Tout n’était pas<br />
noir, heureusement, <strong>et</strong> moi, comme je n’étais là que de<br />
22
passage, j’ai pu m’y sentir très à l’aise. J’ai même<br />
envisagé de rester en Israël. Au cœur du désert on ne<br />
ressent aucune anxiété sauf quand certains soirs <strong>le</strong>s<br />
hommes mangeaient tous avec <strong>le</strong>ur M16 ; cela signifiait<br />
qu’un danger (terrorisme, incident à la frontière…) avait<br />
été annoncé. Et puis, du fait que nous nous trouvions à<br />
proximité d’un aéroport militaire, il y avait tous <strong>le</strong>s jours<br />
des vols d’avions <strong>et</strong> d’hélicoptères qui nous cassaient <strong>le</strong>s<br />
oreil<strong>le</strong>s.<br />
Je me suis posé une question concrète importante.<br />
Si l’on me passait une arme pour défendre <strong>le</strong> village en<br />
cas d’attaque serais-je capab<strong>le</strong> de tuer ? Si j’habitais dans<br />
un village pa<strong>le</strong>stinien je me poserais la même question.<br />
Ce n’est pas une question qu’on a l’habitude de se poser<br />
en France. Ne pas être obligé d’y répondre est un<br />
privilège. Et répondre à la place de ceux qui sont<br />
contraints d’y répondre est malhonnête. Y a-t-il une<br />
réponse chrétienne <strong>et</strong> une réponse juive ? Et pourquoi pas<br />
une réponse bouddhiste, une réponse musulmane <strong>et</strong> une<br />
réponse tout simp<strong>le</strong>ment humaine ? Quand on regarde <strong>le</strong><br />
<strong>Christ</strong> on <strong>le</strong> voit se laisser tuer. Mais laisserait-il tuer un<br />
enfant à ses côtés sans <strong>le</strong> défendre ? Pourquoi Pierre qui<br />
<strong>le</strong> suivait depuis longtemps portait-il une épée ? Je<br />
préfère ne pas m’aventurer dans ces réf<strong>le</strong>xions. Je<br />
craindrais de m’embrouil<strong>le</strong>r inuti<strong>le</strong>ment.<br />
23
A Neve Harif, <strong>le</strong> shabbat était <strong>le</strong> jour de pause<br />
hebdomadaire (un seul jour <strong>et</strong> non pas un week end), une<br />
vraie pause, même pour <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s : il n’y avait plus<br />
aucun avion dans <strong>le</strong> ciel <strong>et</strong> <strong>le</strong>s voitures ne roulaient plus.<br />
Pourtant nous n’étions pas dans un kibboutz religieux, il<br />
n’y avait pas de synagogue. J’ai même entendu des juifs<br />
athées par<strong>le</strong>r avec animosité <strong>et</strong> mépris des juifs religieux.<br />
Pourtant, quand <strong>le</strong> shabbat arrivait, il y avait une<br />
atmosphère particulière, une pratique laïque du jour<br />
sacré. On allumait des bougies <strong>le</strong> vendredi soir <strong>et</strong> tout <strong>le</strong><br />
samedi on ne se déplaçait pas ; on s’invitait <strong>le</strong>s uns chez<br />
<strong>le</strong>s autres. Même <strong>le</strong>s fumeurs oubliaient <strong>le</strong>urs cigar<strong>et</strong>tes<br />
pendant vingt-quatre heures !<br />
Je ressentais au-dedans de moi une sorte de lumière<br />
paisib<strong>le</strong> indescriptib<strong>le</strong>. Le désert me fascinait. Quand<br />
j’avais du temps libre j’aimais marcher autour du village<br />
dans <strong>le</strong>s chemins pierreux qui apparemment ne menaient<br />
nul<strong>le</strong> part. Chaque jour je découvrais de nouveaux mots<br />
<strong>et</strong> ceux-ci m’entraînaient vers d’autres mots. Chaque soir<br />
je travaillais mon livre d’apprentissage de la langue <strong>et</strong><br />
ensuite je demandais aux enfants <strong>et</strong> aux adultes de<br />
m’éclairer sur <strong>le</strong> sens des phrases <strong>et</strong> des mots. J’en<br />
arrivais à penser plus en <strong>hébreu</strong> qu’en français.<br />
Je me souviens de la fête de la lumière, Hanoukka<br />
que l’on avait célébrée en allant de nuit dans <strong>le</strong> désert<br />
poser des bougies sur <strong>le</strong> sab<strong>le</strong>. La communion entre <strong>le</strong>s<br />
24
humains, <strong>le</strong> ciel <strong>et</strong> la terre était visib<strong>le</strong>. Et pourtant <strong>le</strong><br />
spirituel n’était pas religieux. Le <strong>judaïsme</strong> était vécu<br />
d’une façon laïque ou folklorique, un peu comme<br />
aujourd’hui parfois <strong>le</strong> christianisme en France.<br />
25
4. Datiim<br />
« Etre religieux, c'est se soucier d'autrui, <strong>et</strong>,<br />
inversement, celui qui se soucie d'autrui est d'emblée,<br />
qu'il <strong>le</strong> sache ou non, dans la vastitude du religieux. »<br />
Gil<strong>le</strong>s Bernheim 2<br />
« Et maintenant, ô Israël ! Ce que l'Éternel, ton<br />
Dieu, te demande uniquement, c'est de révérer l'Éternel,<br />
ton Dieu, de suivre en tout ses voies, de l'aimer, de <strong>le</strong><br />
servir de tout ton cœur <strong>et</strong> de toute ton âme, en observant<br />
<strong>le</strong>s préceptes <strong>et</strong> <strong>le</strong>s lois du Seigneur, que je t'impose<br />
aujourd'hui, pour devenir heureux. » (ou : « pour<br />
devenir bon » ou, littéra<strong>le</strong>ment : « pour ton bien ») בוֹטְל<br />
ךְָל<br />
Deutéronome 10, 12-13<br />
« Datiim » en <strong>hébreu</strong> signifie « religieux » au<br />
pluriel. En eff<strong>et</strong> on constate qu’il existe des juifs<br />
religieux <strong>et</strong> d’autres qui ne <strong>le</strong> sont pas. Etre croyant ou<br />
pas importe peu, ce qui compte c’est d’être « dati »<br />
(religieux au singulier), c’est-à-dire pratiquant <strong>le</strong>s<br />
mitzvot, ou au moins respectant <strong>le</strong> shabbat.<br />
2 Le souci des autres, Calmann-Lévy, 2002, page 267.<br />
26
Ce vendredi 20 décembre 1996, j’étais allé, depuis<br />
mon kibboutz du Néguev, rendre visite à des amis datiim,<br />
des Israéliens d’origine française <strong>rencontré</strong>s en France.<br />
C’était la première fois que j’allais à Jérusa<strong>le</strong>m. Je<br />
découvrais une vil<strong>le</strong> montagneuse avec d’un côté la vue<br />
sur <strong>le</strong>s collines <strong>et</strong> de l’autre <strong>le</strong> vue sur <strong>le</strong> désert (vers<br />
Jéricho). J’avais d’abord marché dans <strong>le</strong>s rues au hasard,<br />
inconscient du danger de certains quartiers. J’étais allé,<br />
comme j’aime bien <strong>le</strong> faire quand j’arrive dans une vil<strong>le</strong>,<br />
vers <strong>le</strong> point <strong>le</strong> plus haut, au Mont Scopus <strong>et</strong> près du<br />
jardin des Oliviers. Le désert, la montagne, la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s<br />
plaines vers la Méditerranée ; des citadins <strong>et</strong> des<br />
bédouins. Quel<strong>le</strong> diversité ! Quel<strong>le</strong> intensité ! Des gens<br />
qui se côtoient <strong>et</strong> appartiennent à des mondes si<br />
différents ! Les hommes en noir (<strong>le</strong>s « ultra »<br />
orthodoxes), <strong>le</strong>s garçons <strong>et</strong> <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s en kaki avec <strong>le</strong>ur<br />
M16 en bandoulière, <strong>le</strong>s moines chrétiens orthodoxes, <strong>le</strong>s<br />
arabes en djellaba, <strong>le</strong>s touristes… Quel<strong>le</strong> pagail<strong>le</strong> !<br />
Avec mes amis datiim j’étais allé dans la vieil<strong>le</strong><br />
vil<strong>le</strong> à l’intérieur des remparts <strong>et</strong> nous étions allés prier<br />
au Mur Occidental (appelé par <strong>le</strong>s Croisés, en dérision,<br />
Mur des Lamentations). J’avais conscience d’être au<br />
centre <strong>le</strong> plus essentiel du <strong>judaïsme</strong>, là où toutes <strong>le</strong>s<br />
prières se dirigent. Devant <strong>le</strong> « kotel » (Mur) je me<br />
souviens de la prière qui m’est venue à l’esprit, un « Je<br />
vous salue Marie » en <strong>hébreu</strong>. C’est une prière qui dit<br />
27
tel<strong>le</strong>ment de choses en si peu de mots. On y r<strong>et</strong>rouve la<br />
Trinité <strong>et</strong> <strong>le</strong> mot qui l’unifie :<br />
« Shalom Miryam (…) p<strong>le</strong>ine de grâce » (hesed) =<br />
allusion à l’Esprit Saint, « Iéshoua ton enfant est béni » =<br />
<strong>le</strong> Fils, « mère de Dieu (Elohim) = référence au Père ; <strong>et</strong><br />
<strong>le</strong> Nom de Dieu qui unifie <strong>le</strong>s Trois : « <strong>le</strong> Seigneur<br />
(Adonaï) est avec toi ».<br />
Après je suis allé seul de l’autre côté du Mur pour<br />
visiter <strong>le</strong> musée de la mosquée <strong>et</strong> me rendre au point<br />
terrestre où convergent <strong>le</strong>s trois religions monothéistes, <strong>le</strong><br />
Rocher d’Abraham (sous « <strong>le</strong> Dôme du Rocher »). C’est<br />
là qu’Abraham a failli sacrifier son fils. Sous <strong>le</strong> Dôme du<br />
Rocher j’ai ressenti beaucoup de paix ; j’ai aimé la<br />
présence de famil<strong>le</strong>s musulmanes avec <strong>le</strong>s femmes <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
enfants alors que d’habitude on ne voit dans une mosquée<br />
que <strong>le</strong>s hommes.<br />
Je suis entré dans l’église du Saint Sépulcre <strong>et</strong>,<br />
comme je ne m’y étais pas préparé, j’ai eu l’impression<br />
de « fouillis » : je ne comprenais pas l’architecture de<br />
l’église tel<strong>le</strong>ment chargée d’Histoire, avec certainement<br />
plusieurs reconstructions <strong>et</strong> rénovations. La fou<strong>le</strong> de<br />
touristes m’a donné l’impression d’être dans un musée.<br />
J’avoue avoir eu du mal à ressentir la présence de Jésus à<br />
c<strong>et</strong> endroit. Quand plus tard je suis allé à Nazar<strong>et</strong>h, j’y ai<br />
ressenti beaucoup plus Son esprit. Bien sûr ce sont là des<br />
sentiments très personnels liés aussi au contexte du jour.<br />
28
La sirène du shabbat ayant r<strong>et</strong>enti, dans <strong>le</strong> quartier<br />
juif où je me trouvais, toute activité s’est arrêtée. Pendant<br />
que la mère de famil<strong>le</strong> chez qui j’avais été invité restait à<br />
la maison pour préparer <strong>le</strong> repas du shabbat, nous<br />
sommes partis à la synagogue avec <strong>le</strong> père <strong>et</strong> son fils. <strong>Il</strong><br />
m’a expliqué que nous devions commencer la prière à la<br />
synagogue au plus tard une demi-heure après <strong>le</strong> coucher<br />
du so<strong>le</strong>il. Mais lorsque nous sommes arrivés (à un quart<br />
d’heure à pied), la synagogue était fermée. Celui qui était<br />
chargée de l’ouvrir n’était pas venu. Quelqu’un est donc<br />
reparti chercher la clé. Cependant <strong>le</strong> temps avançait <strong>et</strong> il<br />
était l’heure de commencer à prier. Alors l’office a<br />
commencé dans la rue !<br />
Quand enfin la clé est arrivée a surgi un nouveau<br />
problème : la synagogue était éteinte (<strong>et</strong> il est interdit<br />
d’allumer du feu –donc d’utiliser l’é<strong>le</strong>ctricité- durant <strong>le</strong><br />
shabbat). Alors a commencé devant la synagogue un<br />
débat juif très amusant pour moi : un enfant de moins de<br />
treize ans pouvait-il appuyer sur <strong>le</strong> bouton ? Ou bien,<br />
fallait-il al<strong>le</strong>r chercher un goy dans la rue pour <strong>le</strong> faire ?<br />
(cela, je l’ai vu faire en France) Fina<strong>le</strong>ment, la conclusion<br />
a été que l’on n’éclairerait pas la synagogue. Alors nous<br />
avons prié dans <strong>le</strong> patio sous la lune. Pour mon premier<br />
shabbat à Jérusa<strong>le</strong>m, quel souvenir !<br />
La prière à la maison a commencé avec l’allumage<br />
des bougies par la mère de famil<strong>le</strong>. Je me rappel<strong>le</strong> de la<br />
bénédiction du vin <strong>et</strong> du pain par <strong>le</strong> père <strong>et</strong> <strong>le</strong>s enfants<br />
29
autour de lui si attentifs <strong>et</strong> fervents. Je me souviens de<br />
<strong>le</strong>urs questions sur la parasha (<strong>le</strong>cture du jour) pendant <strong>le</strong><br />
repas. J’étais vraiment dans <strong>le</strong> Temp<strong>le</strong>. La maison juive<br />
était réel<strong>le</strong>ment LE Temp<strong>le</strong> comme el<strong>le</strong> est censée être<br />
devenue depuis sa destruction. Je <strong>le</strong> constatais <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
ressentais vraiment.<br />
Le shabbat matin à la synagogue, tout s’est bien<br />
passé puisque la lumière du jour rendait l’é<strong>le</strong>ctricité<br />
inuti<strong>le</strong>. Mon ami m’expliquait l’office au fur <strong>et</strong> à mesure<br />
de son dérou<strong>le</strong>ment. J’y voyais d’étonnantes similitudes<br />
avec la messe <strong>et</strong> me sentais comme « chez moi ». Avec la<br />
jolie kippa b<strong>le</strong>ue qu’il m’avait prêtée j’étais comme un<br />
juif parmi <strong>le</strong>s juifs…<br />
30
5. « Ata Goy ! »<br />
« Ce que tu interprètes comme du racisme n’était<br />
pas du racisme, mais un enfermement sur soi pour<br />
préserver ses racines. La condition sine qua non de la<br />
survie d’Israël. (…) La langue <strong>et</strong> la culture de la Bib<strong>le</strong><br />
ont été sauvées par ce que tu appel<strong>le</strong>s du racisme. »<br />
André Chouraqui, Elie Chouraqui, Le Sage <strong>et</strong><br />
l’Artiste.<br />
Jérusa<strong>le</strong>m, 21 décembre 1996, samedi-shabbat,<br />
j’avais toujours sur la tête ma jolie kippa b<strong>le</strong>ue. C’était<br />
un vrai shabbat, un jour entièrement consacré au<br />
Seigneur Adonaï-Elohim, un jour de prière <strong>et</strong> de repos,<br />
un jour pour la famil<strong>le</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s amis. En plus, dans ce<br />
quartier de Jérusa<strong>le</strong>m, il n’y a aucune voiture pendant ces<br />
vingt-quatre heures ; c’était comme <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce d’un<br />
village endormi. Le samedi midi, avec la famil<strong>le</strong> qui<br />
m’avait invité, nous sommes allés déjeuner chez une<br />
famil<strong>le</strong> amie. Après <strong>le</strong> repas, je me suis un peu éloigné de<br />
la tab<strong>le</strong> des adultes pour rejoindre <strong>le</strong>s enfants. Je me<br />
souviens encore de c<strong>et</strong>te p<strong>et</strong>ite fil<strong>le</strong> qui m’a « pulvérisé »<br />
sur place.<br />
31
El<strong>le</strong> avait environ cinq ans. On <strong>parlait</strong> en <strong>hébreu</strong>.<br />
On jouait à je ne sais plus quoi. J’avais toujours ma kippa<br />
b<strong>le</strong>ue sur la tête. A un moment, pour dessiner ou faire du<br />
découpage, je lui ai demandé un stylo ou une paire de<br />
ciseaux. Aujourd’hui, je ne me souviens plus si c’était de<br />
quoi écrire ou de quoi découper mais en tout cas j’ai<br />
demandé à faire ce qui est interdit de faire durant <strong>le</strong><br />
shabbat. Alors el<strong>le</strong> m’a regardé sidérée <strong>et</strong>, d’un air à la<br />
fois méprisant <strong>et</strong> dégoûté el<strong>le</strong> m’a dit : « Ata goy ! » (tu<br />
es goy). Son regard <strong>et</strong> <strong>le</strong> ton de sa voix restent encore<br />
imprimés dans ma mémoire. El<strong>le</strong> avait soudain<br />
bruta<strong>le</strong>ment compris que je n’étais « qu’un goy ».<br />
Je crois que je me suis éloigné pour p<strong>le</strong>urer. Et<br />
ensuite, quand sur <strong>le</strong> chemin du r<strong>et</strong>our à la maison je l’ai<br />
expliqué à mes amis, j’avais encore des larmes dans <strong>le</strong>s<br />
yeux. J’avais <strong>le</strong> sentiment que c<strong>et</strong>te enfant m’avait dit ce<br />
que <strong>le</strong>s adultes n’osaient pas me dire. Ses deux mots<br />
m’avaient b<strong>le</strong>ssé plus profondément que si cela était sorti<br />
de la bouche d’un adulte. J’ai ouvert alors <strong>le</strong>s yeux sur<br />
quelque chose que je savais déjà mais dont je n’avais<br />
encore jamais autant souffert.<br />
Plus tard <strong>et</strong> encore aujourd’hui je la remercie. El<strong>le</strong><br />
m’a permis de me fabriquer un blindage qui a résisté<br />
depuis à toutes <strong>le</strong>s attaques « anti-goy » que j’ai ensuite<br />
connues. Qu’il s’agisse d’un regard, d’un geste, d’une<br />
allusion ou d’une paro<strong>le</strong> explicite, je n’ai plus jamais été<br />
atteint par ce genre d’attitude juive. <strong>Il</strong> m’est arrivé de<br />
32
sourire en entendant par<strong>le</strong>r de différence entre l’âme<br />
juive <strong>et</strong> l’âme non juive. Ou bien quand, au cours du soir,<br />
<strong>le</strong> rabbin nous racontait que ce n’était pas <strong>le</strong>s <strong>hébreu</strong>x qui<br />
avaient fabriqué <strong>le</strong> veau d’or mais <strong>le</strong>s goyim qui <strong>le</strong>s<br />
avaient accompagnés depuis l’Egypte, j’ai bien aimé <strong>le</strong><br />
nom qu’il <strong>le</strong>ur donnait : « la tourbe » 3 . Je me suis amusé<br />
à lui demander de préciser <strong>le</strong> sens du mot tourbe. Oui je<br />
lui ai souri en face avec ironie ; <strong>et</strong> en même temps au<br />
fond de moi avec tristesse.<br />
La tristesse que je ressens dans ces moments-là ne<br />
provient pas de ma dou<strong>le</strong>ur ; <strong>le</strong> blindage de mon cœur est<br />
trop épais. C<strong>et</strong>te tristesse est plutôt une forme de<br />
compassion. Et puis c<strong>et</strong>te tristesse est aussi une angoisse,<br />
cel<strong>le</strong> de savoir que d’autres oreil<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s miennes<br />
puissent entendre ces mots. J’ai peur pour <strong>le</strong>s juifs. J’ai<br />
peur pour ceux qui n’ont rien à voir avec ce genre<br />
d’arrogance. J’ai peur pour tous ceux qui risquent de<br />
payer trop cher c<strong>et</strong> orgueil.<br />
Je pense à Joseph abandonné au fond d’un puits<br />
puis vendu comme esclave par ses frères parce qu’il était<br />
<strong>le</strong> préféré de son père. Ou parce que c<strong>et</strong> amour de son<br />
3 Exode 12, 37-38 : « Les enfants d'Israël partirent de Ramsès,<br />
dans la direction de Soukkoth ; environ six cent mil<strong>le</strong> voyageurs,<br />
hommes faits, sans compter <strong>le</strong>s enfants. De plus, une tourbe<br />
nombreuse <strong>le</strong>s avait suivis, ainsi que du menu <strong>et</strong> du gros bétail en<br />
troupeaux très considérab<strong>le</strong>s. »<br />
דאְמ דֵבָכּ הֶנְקִמ רָקָבוּ ןאצְו םָתִּא הָלָע ב ַר ב ֶרֵע־םַגְו<br />
Rachi : Une tourbe nombreuse : un mélange de convertis venus<br />
des nations. Source : www.sefarim.fr<br />
33
père l’avait peut-être rendu arrogant devant ses frères ?<br />
Ou bien, ses frères ont-ils vu une forme d’orgueil <strong>et</strong><br />
d’arrogance chez Joseph alors qu’il était simp<strong>le</strong>ment fier<br />
<strong>et</strong> p<strong>le</strong>in d’assurance ? Ou était-ce uniquement de la<br />
jalousie ?<br />
Et l’antisémitisme de la part de chrétiens aussi est<br />
douloureux, celui de catholiques encore plus parce qu’ils<br />
ignorent l’enseignement de l’Eglise (ou s’y s’opposent).<br />
<strong>Dans</strong> c<strong>et</strong> antisémitisme catholique, <strong>le</strong> plus douloureux est<br />
celui de prêtres qui disent aimer <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> lui crachent<br />
dessus. Parmi ces prêtres certains savent ce qu’ils font, ils<br />
connaissent très bien <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>. Ceux-là se situent du<br />
côté des romains pour crucifier non pas un inconnu mais<br />
<strong>le</strong>ur maître. Haïr <strong>le</strong> Juif parce qu’il est juif, c’est haïr <strong>le</strong><br />
<strong>Christ</strong>.<br />
Pourquoi c<strong>et</strong>te haine ? La haine est irrationnel<strong>le</strong>,<br />
el<strong>le</strong> ne peut pas s’expliquer complètement. Mais on peut<br />
donner quelques esquisses d’explication. Haïr <strong>le</strong>s juifs<br />
serait une sorte de peur de ceux qui sont différents, une<br />
peur de ceux qui dérangent, une crainte romaine qui<br />
pousse Pilate à prendre la décision d’éliminer <strong>le</strong> gêneur.<br />
<strong>Il</strong> y a un antisémitisme chrétien qui ressemb<strong>le</strong> à un désir<br />
de meurtre du grand frère (l’aîné, l’héritier) ou du père.<br />
La haine des juifs serait-el<strong>le</strong> une forme de peur du Père ?<br />
34
<strong>Il</strong> y aussi chez <strong>le</strong>s chrétiens un antisémitisme qui<br />
n’en est pas : c’est la peur des apôtres qui <strong>le</strong> vendredi<br />
abandonnent <strong>le</strong>ur maître. Les apôtres ne se sont pas mis à<br />
haïr <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, ils n’ont pas eu la force de veil<strong>le</strong>r avec lui à<br />
G<strong>et</strong>hsémani <strong>et</strong> de <strong>le</strong> suivre au calvaire. Pourtant Iéshoua<br />
aurait tel<strong>le</strong>ment aimé <strong>le</strong>s (a)voir auprès de lui comme<br />
Jean <strong>et</strong> Miryam.<br />
Et puis il y a Jean-Baptiste qui <strong>le</strong> reconnaît. <strong>Il</strong> reste<br />
au désert avec ceux qui partagent la même intuition, la<br />
même compréhension. Et un jour il sort du désert <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
montre en disant : « voici l’Agneau » (Jean 1,29).<br />
Pourquoi a-t-on tué Iéshoua ?<br />
Parce qu’il s’est déclaré Fils de Dieu, Messie, Elu,<br />
choisi, préféré, bien-aimé de Dieu.<br />
Pourquoi veut-on tuer Israël (<strong>le</strong>s juifs) ?<br />
Pour la même raison.<br />
Pourquoi Caïn a tué Abel ?<br />
Pourquoi <strong>le</strong> Seigneur הוהי a-t-il préféré l’offrande<br />
d’Abel ?<br />
Le Seigneur choisit.<br />
<strong>Il</strong> s’est choisi un peup<strong>le</strong> à qui <strong>Il</strong> a demandé de<br />
rester à l’écart, séparé des autres peup<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Il</strong> a aussi demandé à ce peup<strong>le</strong> d’enseigner aux<br />
autres peup<strong>le</strong>s.<br />
Iéshoua a enseigné.<br />
Et Israël ?<br />
35
6. Le peup<strong>le</strong> qui porte ton Nom<br />
« Aie pitié, Seigneur, du ton peup<strong>le</strong> qui porte ton<br />
Nom »<br />
Ecclésiastique (ou Siracide) 36,17<br />
J’aime bien ce vers<strong>et</strong> de l’Ecclésiastique où l’on<br />
trouve l’expression « porter Le Nom ». Dieu habite dans<br />
son peup<strong>le</strong> qui en est <strong>le</strong> Temp<strong>le</strong>. Ou bien on peut<br />
comprendre que <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif s’appel<strong>le</strong> comme son Dieu<br />
ou qu’il lui est si uni qu’il est comme Sa présence sur la<br />
terre. Mais ce qu’on peut surtout entendre dans c<strong>et</strong>te<br />
expression, c’est <strong>le</strong> sens littéral : Israël porte Dieu, il a la<br />
lourde responsabilité de protéger la connaissance du Nom<br />
de Dieu. Le peup<strong>le</strong> juif a reçu de Dieu la mission de<br />
garder la connaissance de son Esprit. En eff<strong>et</strong> <strong>le</strong> nom de<br />
Dieu reste inconnu puisqu’on ne peut <strong>le</strong> nommer. Alors<br />
que signifie « garder <strong>et</strong> connaître son Nom » si ce n’est<br />
garder son esprit (avec une minuscu<strong>le</strong>) <strong>et</strong> son Esprit (avec<br />
une majuscu<strong>le</strong>) ?<br />
Peut-on dire que <strong>le</strong>s chrétiens connaissent <strong>le</strong> Nom<br />
de Dieu aussi bien que <strong>le</strong>s juifs ? Peut-on dire que<br />
l’Eglise peut se passer d’Israël ? On pourrait être tenté de<br />
36
<strong>le</strong> croire puisque nous connaissons <strong>le</strong> nom de Jésus. Mais<br />
Jésus sans l’Esprit d’Israël, sans <strong>le</strong> Nom porté par <strong>le</strong><br />
peup<strong>le</strong> juif, qui est-il ? Sans Israël, Jésus n’est plus qu’un<br />
homme ordinaire, éventuel<strong>le</strong>ment juif. Alors où <strong>le</strong> Nom<br />
divin est-il caché ?<br />
On peut par exemp<strong>le</strong> deviner Sa présence dans <strong>le</strong>s<br />
Dix Paro<strong>le</strong>s données au Sinaï. On voit que <strong>le</strong>s chrétiens<br />
ne perçoivent en général pas bien ce que signifie la<br />
première Paro<strong>le</strong> qui est en quelque sorte <strong>le</strong> premier<br />
commandement. On voit que ce qui compte dans la<br />
reconnaissance de Dieu comme notre Dieu, ce n’est pas<br />
de lui donner un « p<strong>et</strong>it » nom mais de l’identifier pour<br />
ce qu’<strong>Il</strong> fait <strong>et</strong> pour ce qu’<strong>Il</strong> est : il nous a montré <strong>et</strong> il<br />
nous montre qu’il aime son peup<strong>le</strong> Israël <strong>et</strong> qu’il nous<br />
aime tous car nous sommes ses enfants, parce qu’<strong>Il</strong> est<br />
Père.<br />
Sur <strong>le</strong> Sinaï, Adonaï nous a donné dix Paro<strong>le</strong>s que<br />
l’on peut synthétiser en un doub<strong>le</strong> précepte (amour de<br />
Dieu <strong>et</strong> du prochain, Matthieu 22,40) <strong>et</strong> que nous<br />
chrétiens avons traduites en dix commandements. Pour <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> il s’agit de deux Tab<strong>le</strong>s de la Loi. La première<br />
se réfère à notre relation avec Dieu <strong>et</strong> la seconde aux<br />
relations entres <strong>le</strong>s hommes. Autrement dit, la première<br />
Tab<strong>le</strong> se résume en « aime Dieu » <strong>et</strong> la seconde en « aime<br />
ton prochain ». Les deux Tab<strong>le</strong>s se correspondent (la<br />
première Paro<strong>le</strong> avec la sixième, la deuxième avec la<br />
septième, <strong>et</strong>c.). Par exemp<strong>le</strong> : « La Sixième Paro<strong>le</strong> est<br />
une conséquence directe de la Première affirmant<br />
37
l’existence de ce Moi-même, Adonaï ton Elohim(s),<br />
Créateur <strong>et</strong> Père de ses créatures. Assassiner l’une<br />
d’el<strong>le</strong>s, c’est attenter à Celui qui l’a créée, tout crime<br />
étant par essence une atteinte à l’Etre créateur. » 4 .<br />
La cinquième Paro<strong>le</strong> qui prescrit d’honorer ses<br />
parents est en quelque sorte à la charnière des deux<br />
Tab<strong>le</strong>s car el<strong>le</strong> concerne à la fois Dieu <strong>et</strong> autrui. Honorer<br />
nos parents signifie <strong>le</strong>s aimer à <strong>le</strong>ur juste mesure. Nous<br />
devons aussi aimer notre âme à la manière de parents qui<br />
prennent soin de <strong>le</strong>ur enfant (Psaume 131 : « Mon âme<br />
est en moi comme un enfant »). Et l’amour de Dieu<br />
ressemb<strong>le</strong> à celui de nos parents car <strong>Il</strong> nous donne<br />
naissance <strong>et</strong> nous éduque comme <strong>Il</strong> a donné naissance à<br />
Israël en <strong>le</strong> faisant sortir d’Egypte <strong>et</strong> en l’éduquant au<br />
désert. Et puis <strong>Il</strong> nous aime d’un amour paternel,<br />
maternel <strong>et</strong> matriciel (du plus profond de ses<br />
« entrail<strong>le</strong>s »). Ainsi l’exprime <strong>le</strong> prophète Osée (11,8) :<br />
« Mon cœur en moi est bou<strong>le</strong>versé, toutes mes<br />
entrail<strong>le</strong>s frémissent. »<br />
(Bib<strong>le</strong> de Jérusa<strong>le</strong>m)<br />
« Mon cœur se soulève dans mon sein, mes regr<strong>et</strong>s<br />
se réveil<strong>le</strong>nt ensemb<strong>le</strong>. »<br />
(Bib<strong>le</strong> du Rabbinat)<br />
« Mon cœur s’agite au-dedans de moi, toutes mes<br />
compassions sont émues. »<br />
(Bib<strong>le</strong> Segond)<br />
4<br />
André Chouraqui, Mon testament Le feu de l’Alliance, Bayard,<br />
2001, page 130.<br />
38
« Mon cœur se r<strong>et</strong>ourne contre moi, <strong>et</strong> <strong>le</strong> regr<strong>et</strong> me<br />
consume. »<br />
(Traduction Chouraqui)<br />
« Mon cœur est bou<strong>le</strong>versé en moi, en même temps<br />
ma pitié s’est émue »<br />
(Traduction Œcuménique de la Bib<strong>le</strong> ou TOB)<br />
La première Paro<strong>le</strong>, omise dans l’ancien<br />
Catéchisme catholique <strong>et</strong> ignorée par la plupart des<br />
chrétiens, est : "Je suis Adonaï ton Dieu qui t'ai fait sortir<br />
d'Egypte, de la maison d’esclavage". La deuxième est :<br />
"Tu n'auras pas d'autres dieux que Moi ; tu ne te feras pas<br />
d'ido<strong>le</strong>s".<br />
La première Paro<strong>le</strong> implique de Te reconnaître<br />
comme notre Dieu vivant, Celui qui nous libère, qui nous<br />
rend vivants. C<strong>et</strong>te première Paro<strong>le</strong> est une déclaration<br />
d’identité : la Loi ne vient pas de nul<strong>le</strong> part, el<strong>le</strong> n’a pas<br />
été créée par <strong>le</strong>s hommes, el<strong>le</strong> vient d’un dieu connu,<br />
l’Eternel, Celui qui a libéré Israël, Celui qui s’est formé<br />
un peup<strong>le</strong> pour recevoir ses Paro<strong>le</strong>s. « Ces lois<br />
fondamenta<strong>le</strong>s ne sont pas proclamées au nom des Droits<br />
de l’homme, de l’ordre public, de la justice socia<strong>le</strong> ou de<br />
la mora<strong>le</strong>, mais par הוהי, Lui-même, au nom de l’Etre de<br />
tout être, source unique <strong>et</strong> lumineuse du Réel. » 5 .<br />
5<br />
André Chouraqui, Mon testament Le feu de l’Alliance, Bayard,<br />
2001, page 130.<br />
39
Les deux versions de la Loi donnée à Israël au<br />
Sinaï :<br />
Judaïsme<br />
(Deutéronome 5, 6-21)<br />
Première paro<strong>le</strong><br />
(première Tab<strong>le</strong> de la Loi) :<br />
Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai<br />
fait sortir du pays d'Égypte, de la<br />
maison de servitude.<br />
Deuxième paro<strong>le</strong> :<br />
Tu n’auras pas d’autres dieux<br />
devant Moi.<br />
Troisième paro<strong>le</strong> :<br />
Tu ne prononceras pas <strong>le</strong> nom du<br />
Seigneur ton Dieu à faux.<br />
Quatrième paro<strong>le</strong> :<br />
Observe <strong>le</strong> jour du shabbat pour <strong>le</strong><br />
sanctifier.<br />
40<br />
<strong>Christ</strong>ianisme<br />
(Formu<strong>le</strong> catéchétique ancienne<br />
de l'Église Catholique)<br />
Premier commandement :<br />
Un seul Dieu tu adoreras <strong>et</strong><br />
aimeras parfaitement.<br />
Deuxième commandement :<br />
Son saint nom tu respecteras,<br />
fuyant blasphème <strong>et</strong> faux<br />
serment.<br />
Troisième commandement :<br />
Le jour du Seigneur garderas, en<br />
servant Dieu dévotement.
Cinquième paro<strong>le</strong> :<br />
Honore ton père <strong>et</strong> ta mère.<br />
Sixième paro<strong>le</strong><br />
(deuxième Tab<strong>le</strong> de la Loi):<br />
Tu ne tueras pas.<br />
Septième paro<strong>le</strong> :<br />
Tu ne comm<strong>et</strong>tras pas d’adultère.<br />
Huitième paro<strong>le</strong> :<br />
Tu ne vo<strong>le</strong>ras pas.<br />
Neuvième paro<strong>le</strong> :<br />
Tu ne porteras pas de faux<br />
témoignage contre ton prochain.<br />
Dixième paro<strong>le</strong> :<br />
Tu ne convoiteras pas la femme de<br />
ton prochain, Tu ne désireras rien de<br />
ce qui est à ton prochain.<br />
41<br />
Quatrième commandement:<br />
Tes père <strong>et</strong> mère honoreras, tes<br />
supérieurs pareil<strong>le</strong>ment.<br />
Cinquième commandement:<br />
Meurtre <strong>et</strong> scanda<strong>le</strong> éviteras,<br />
haine <strong>et</strong> colère pareil<strong>le</strong>ment.<br />
Sixième commandement :<br />
La pur<strong>et</strong>é observeras en tes actes<br />
soigneusement.<br />
Septième commandement :<br />
Le bien d’autrui tu ne prendras,<br />
ni r<strong>et</strong>iendras injustement.<br />
Huitième commandement :<br />
La médisance banniras <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
mensonge éga<strong>le</strong>ment.<br />
Neuvième commandement :<br />
En pensées, désirs veil<strong>le</strong>ras à<br />
rester pur entièrement.<br />
Dixième commandement :<br />
Bien d’autrui ne convoiteras<br />
pour l’avoir malhonnêtement.
<strong>Il</strong> est quand-même fou (<strong>et</strong> effrayant…) de se rendre<br />
compte que l’Eglise a pendant des sièc<strong>le</strong>s ignoré la<br />
Première Paro<strong>le</strong> donnée par Dieu à Moïse au Sinaï.<br />
Quel<strong>le</strong> a été <strong>et</strong> quel<strong>le</strong> est la conséquence de c<strong>et</strong><br />
« oubli » ? Au cœur du christianisme, au cœur de la<br />
nouvel<strong>le</strong> religion née de la mort <strong>et</strong> de la résurrection du<br />
<strong>Christ</strong> il y a la révélation de Dieu à son peup<strong>le</strong> Israël. Sur<br />
la montagne dans <strong>le</strong> désert, <strong>Il</strong> s’est fait connaître. Pour se<br />
faire connaître, <strong>Il</strong> a agi. <strong>Il</strong> a montré concrètement<br />
comment <strong>Il</strong> aime Israël. Et par son amour pour Israël, <strong>Il</strong> a<br />
montré comment <strong>Il</strong> aime l’humanité. <strong>Il</strong> l’a montré en<br />
libérant Israël de l’esclavage en Egypte. <strong>Il</strong> a montré qui <strong>Il</strong><br />
est par sa manière d’être Père, par sa façon d’éduquer son<br />
peup<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> désert. <strong>Il</strong> a montré qu’il pouvait<br />
pardonner. <strong>Il</strong> a montré qu’il pouvait écouter. <strong>Il</strong> a montré<br />
qu’<strong>Il</strong> pouvait par<strong>le</strong>r, donner des Paro<strong>le</strong>s, des instructions<br />
à ses enfants. Ses Paro<strong>le</strong>s, grâce au <strong>Christ</strong> s’adressent<br />
désormais à l’humanité toute entière. Nous aussi, nous<br />
avons été libérés par Adonaï, <strong>le</strong> Dieu d’Israël.<br />
La Première Paro<strong>le</strong> nous demande de Le<br />
reconnaître comme un Dieu qui libère, un Dieu qui<br />
sauve. Cela est Sa principa<strong>le</strong> caractéristique : il est<br />
l’unique dieu qui sauve de l’esclavage <strong>et</strong> de la mort. <strong>Il</strong> est<br />
Le Dieu de la liberté <strong>et</strong> de la vie. <strong>Il</strong> conduit son peup<strong>le</strong><br />
hors de la maison de servitude <strong>et</strong> lui fait passer la mort en<br />
<strong>le</strong> conduisant à pieds secs de l’autre côté de la Mer<br />
Rouge. <strong>Il</strong> est <strong>le</strong> Dieu qui secourt, qui sauve, qui libère.<br />
42
Jésus, quand il fait comprendre qu’il est <strong>le</strong> sauveur, se<br />
réfère à c<strong>et</strong>te Première Paro<strong>le</strong>. D’ail<strong>le</strong>urs son nom,<br />
Iéshoua, signifie « sauveur ». Comment lui dire « Mon<br />
Seigneur <strong>et</strong> mon Dieu » (Jean 20,28) sans référence à<br />
c<strong>et</strong>te Première Paro<strong>le</strong> ?<br />
La conséquence de c<strong>et</strong>te omission qui a duré<br />
plusieurs sièc<strong>le</strong>s est que nous sommes devenus sourds à<br />
c<strong>et</strong>te paro<strong>le</strong> essentiel<strong>le</strong>. Heureusement, dans <strong>le</strong><br />
Catéchisme de l’Eglise Catholique de 1992, on r<strong>et</strong>rouve<br />
enfin <strong>le</strong> Décalogue traduit à partir de l'<strong>hébreu</strong> 6 . Cela<br />
perm<strong>et</strong> de m<strong>et</strong>tre en évidence <strong>le</strong> fait primordial que <strong>le</strong>s<br />
commandements de Dieu sont profondément enracinés<br />
dans la révélation <strong>et</strong> l'expérience d'un Dieu libérateur qui<br />
agit <strong>et</strong> qui prend l'initiative pour nous prouver qu'il nous<br />
aime gratuitement. Le Visage de Celui que nous<br />
connaissons sous <strong>le</strong> nom de Jésus nous reste inaccessib<strong>le</strong>.<br />
<strong>Il</strong> ne nous suffit pas de lire c<strong>et</strong>te Première Paro<strong>le</strong> pour<br />
l’entendre. Nous avons besoin du peup<strong>le</strong> qui l’a entendue<br />
<strong>le</strong> premier pour pouvoir la recevoir. Nous avons besoin<br />
de sentir l’esprit, l’âme, <strong>le</strong> cœur de ce peup<strong>le</strong> pour mieux<br />
connaître <strong>et</strong> aimer son Dieu qui est <strong>le</strong> nôtre.<br />
Malheureusement nous ne voyons souvent (ou : nous<br />
avons longtemps vu) en ce peup<strong>le</strong> qu’un inconnu ou un<br />
opposant. Nous pensons que <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> a été rej<strong>et</strong>é par <strong>le</strong>s<br />
siens <strong>et</strong> qu’il s’est opposé à eux. Aussi nous croyons être<br />
dans la logique du <strong>Christ</strong> en rej<strong>et</strong>ant <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
juifs. Nous pensons que <strong>le</strong> christianisme a dépassé c<strong>et</strong>te<br />
43
eligion archaïque périmée. Toutes nos déformations du<br />
<strong>judaïsme</strong>, ces idées construites <strong>et</strong> solidifiées au fil des<br />
sièc<strong>le</strong>s, nous rendent arrogants par rapport à Israël. Nous<br />
avons réduit <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> à une pratique absurde de sixcent-treize<br />
commandements. Nous avons oublié que ces<br />
six-cent-treize mitzvot décou<strong>le</strong>nt des Dix Paro<strong>le</strong>s du<br />
Sinaï <strong>et</strong> que la Première est la révélation de Son Identité.<br />
En énonçant ce qu’il a fait il se présente comme<br />
libérateur, comme sauveur : « Je suis Celui qui t’ai fait<br />
sortir de l’esclavage ». Pour dire qui <strong>Il</strong> est <strong>Il</strong> dit ce qu’<strong>Il</strong><br />
(a) fait.<br />
Le <strong>Christ</strong> nous révè<strong>le</strong> <strong>le</strong> Visage du Père, <strong>le</strong> visage<br />
d’Adonaï, mais on ne peut pas prétendre connaître <strong>le</strong><br />
<strong>Christ</strong> en rej<strong>et</strong>ant <strong>le</strong> Père de Jésus <strong>et</strong> notre Père. La paro<strong>le</strong><br />
du <strong>Christ</strong> « Qui me voit voit <strong>le</strong> Père » (Jean 14,9) est<br />
creuse hors du <strong>judaïsme</strong>, sans la Première Paro<strong>le</strong> du<br />
Sinaï. Que nous apporte c<strong>et</strong>te connaissance du Visage<br />
d’Adonaï ? Que nous apprend la Première Paro<strong>le</strong> ? Une<br />
autre manière de poser c<strong>et</strong>te question pourrait être : que<br />
reste-t-il du <strong>Christ</strong> sans <strong>le</strong> Nom révélé à Israël au Sinaï ?<br />
Un homme qui souffre avec nous. Un crucifié. Et<br />
éventuel<strong>le</strong>ment l’espérance de vivre avec lui après notre<br />
mort. Une consolation pour nos souffrances qui nous<br />
perm<strong>et</strong> de donner à notre vie une dimension d’éternité.<br />
Mais concrètement, est-ce que <strong>le</strong> christianisme nous relie<br />
<strong>le</strong>s uns aux autres autrement que dans une relation de<br />
6 Voir notamment <strong>le</strong>s paragraphes 2056 à 2066<br />
44
charité, d’aide, de pitié ? Avons-nous compris <strong>le</strong><br />
christianisme comme une religion du bonheur, comme<br />
une relation avec notre Père, notre éducateur, notre<br />
guide ? Que signifie pour nous <strong>le</strong> commandement<br />
d’aimer ? Est-ce que la définition de l’amour dans <strong>le</strong><br />
christianisme prend en compte <strong>le</strong>s dimensions de<br />
l’amitié, du coup<strong>le</strong>, de la famil<strong>le</strong>, de la société ?<br />
La question que nous posent <strong>le</strong>s juifs quand nous,<br />
chrétiens, <strong>le</strong>ur vantons notre parfaite connaissance de<br />
l’Amour est : « concrètement, que veut dire pour vous<br />
aimer » ? <strong>Dans</strong> tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> situation du quotidien, que<br />
faut-il faire ? <strong>Dans</strong> nos relations de coup<strong>le</strong>, de famil<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />
en société, comment nous aimer ? Notre manière de gérer<br />
notre argent s’inspire-t-el<strong>le</strong> de la Justice de l’amour ?<br />
Notre économie de société <strong>et</strong> de famil<strong>le</strong> est-el<strong>le</strong><br />
chrétienne ? (Qui lit <strong>le</strong>s encycliques socia<strong>le</strong>s de l’Eglise<br />
en dehors de prêtres <strong>et</strong> des religieux qui, du fait de <strong>le</strong>ur<br />
statut, ne peuvent pas vraiment <strong>le</strong>s m<strong>et</strong>tre en pratique ?)<br />
Et, la Passion du <strong>Christ</strong> nous autorise-t-el<strong>le</strong> à penser que<br />
nous savons tout de la souffrance ? Nous prétendons être<br />
du côté des souffrants, des victimes, des persécutés de la<br />
planète, mais ne sommes-nous pas aussi, de manière<br />
subti<strong>le</strong> ou subreptice, du côté des persécuteurs ? <strong>Il</strong> n’est<br />
pas possib<strong>le</strong> d’al<strong>le</strong>r aujourd’hui plus loin dans ces<br />
interrogations suscitées par <strong>le</strong> contact (ou choc ?) entre<br />
<strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> christianisme car el<strong>le</strong>s sont encore trop<br />
neuves.<br />
45
« Le salut vient des Iéhoudim » (Jean 4,22). עושי<br />
Iéshoua n’a pas dit « <strong>le</strong> salut vient de la <strong>le</strong>cture de la<br />
Bib<strong>le</strong> ». <strong>Il</strong> n’a pas dit « l’Amour vient de (avec) la<br />
réf<strong>le</strong>xion intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif ». Ce n’est pas<br />
cela. La connaissance d’Adonaï הוהי vient non seu<strong>le</strong>ment<br />
de la Bib<strong>le</strong> <strong>et</strong> du peup<strong>le</strong> juif, mais surtout de la<br />
connaissance réel<strong>le</strong> de juifs. Les chrétiens ont besoin de<br />
connaître <strong>le</strong>s (des) juifs, de prier avec eux de temps en<br />
temps, d’écouter <strong>le</strong>urs enseignements. Les juifs ne sont<br />
pas des vestiges archéologiques, ils sont un peup<strong>le</strong><br />
vivant. C’est par l’âme de ce peup<strong>le</strong> qu’Adonaï הוהי a<br />
aimé au désert que nous pouvons connaître <strong>le</strong> visage du<br />
Père de Iéshoua, Notre Père. On ne peut pas bien<br />
comprendre Iéshoua sans connaître un peu <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong><br />
sans connaître des juifs. Adonaï s’est révélé à un peup<strong>le</strong>,<br />
<strong>Il</strong> habite particulièrement l’âme de ce peup<strong>le</strong>, <strong>et</strong> pas de la<br />
même façon cel<strong>le</strong> des autres peup<strong>le</strong>s.<br />
Pourquoi être jaloux ? Nous ne devrions pas être<br />
jaloux car notre identité chrétienne (notre baptême) nous<br />
fait membres du peup<strong>le</strong> de Dieu bien que nous ne soyons<br />
pas juifs. Nous aussi nous portons <strong>le</strong> Nom de Dieu. Nous<br />
avons certes <strong>le</strong> même Père mais ce n'est pas nous <strong>le</strong> frère<br />
aîné <strong>et</strong> nous ne devons pas être jaloux de sa position<br />
première. (voir l’histoire d’Esaü <strong>et</strong> Jacob) Nous ne<br />
devons pas vouloir prendre sa place d’aîné car cela<br />
signifierait vouloir l’éliminer. La vocation universel<strong>le</strong><br />
46
d’Israël se continue dans l’Eglise qui est l’Assemblée<br />
messianique d’Israël. 7<br />
Adonaï est roi, <strong>Il</strong> fait ce qu’<strong>Il</strong> veut. <strong>Il</strong> a choisi de se<br />
créer un peup<strong>le</strong> par Abraham <strong>et</strong> de <strong>le</strong> former au désert<br />
avec Moïse. C’est pour cela qu’<strong>Il</strong> garde encore<br />
aujourd’hui c<strong>et</strong>te préférence. Adonaï a beaucoup donné<br />
aux juifs <strong>et</strong> continue de <strong>le</strong>s favoriser. <strong>Il</strong> <strong>le</strong>ur a beaucoup<br />
demandé <strong>et</strong> continue d'exiger d'eux plus qu’aux autres.<br />
Au lieu de ressemb<strong>le</strong>r à Caïn, <strong>le</strong>s chrétiens devraient<br />
ressemb<strong>le</strong>r au fils prodigue qui revient chez son père <strong>et</strong><br />
son frère. <strong>Il</strong> ne s’agit pas de fusionner deux religions, il<br />
ne s’agit pas de devenir juifs. <strong>Il</strong> s’agit pour nous qui<br />
sommes des branches de (re)trouver notre sève. Sans<br />
relation avec <strong>le</strong>s juifs, <strong>le</strong>s chrétiens sont comme des<br />
branches sans sève.<br />
En connaissant mieux <strong>le</strong>s chrétiens, <strong>le</strong>s juifs<br />
découvriront peut-être l’un des visages d’Adonaï, celui<br />
que nous a révélé Iéshoua : l’humilité du cœur,<br />
l’ouverture, <strong>le</strong> sens de la souffrance <strong>et</strong> du pardon, <strong>le</strong><br />
si<strong>le</strong>nce… Le christianisme tel que <strong>le</strong> souhaite <strong>le</strong> <strong>Christ</strong><br />
Iéshoua ne peut se passer de l’âme juive. Sans la relation<br />
avec <strong>le</strong>s juifs nous adorons Jésus comme on adore une<br />
ido<strong>le</strong>. Nous aimons Jésus comme un homme ordinaire<br />
admirab<strong>le</strong> ou un surhomme, <strong>et</strong> nous haïssons Iéshoua<br />
7<br />
Voir « Le dessein de Dieu à travers ses alliances », Editions de<br />
l’Emmanuel, 2003.<br />
47
juif. Les juifs ont un trésor de lumière à donner au<br />
monde. S’ils ne <strong>le</strong> donnent pas, il nous faut al<strong>le</strong>r <strong>le</strong><br />
chercher ; c’est vital. Nous pouvons demander aux juifs<br />
de partager ce trésor car la Torah demande aux juifs<br />
d’enseigner aux goyim (pas de <strong>le</strong>s convertir). Adonaï<br />
demande aux juifs d’être « lumière pour éclairer <strong>le</strong>s<br />
Nations » (Isaïe 49,6 <strong>et</strong> Luc 2,32). Evidement, découvrir<br />
que <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif est habité par l’Esprit d’Adonaï n’est<br />
pas donné à tous <strong>le</strong>s chrétiens. C’est comme à Pierre, <strong>le</strong><br />
Père du Ciel <strong>le</strong> révè<strong>le</strong> à qui <strong>Il</strong> veut <strong>le</strong> révé<strong>le</strong>r. « « Tu es <strong>le</strong><br />
Messie Ben Elohim, <strong>le</strong> fils de l’Elohim de la vie. » (…)<br />
« C’est mon Père qui te l’a révélé » » (Matthieu 16)<br />
En Israël, j’ai compris des choses sur <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif<br />
que je ne parviens pas à expliquer avec des mots. J’ai<br />
senti l’esprit de Jésus dans l’esprit de son peup<strong>le</strong>. Et son<br />
peup<strong>le</strong>, quand il par<strong>le</strong> <strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> habite en Israël, ce n’est<br />
pas exactement <strong>le</strong> même peup<strong>le</strong> juif qui ignore l’<strong>hébreu</strong><br />
<strong>et</strong> n’a jamais été en Israël. <strong>Il</strong> m’est arrivé de dire à un juif<br />
qui n’a aucune connaissance de l’<strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> n’a jamais<br />
mis <strong>le</strong>s pieds en Israël « tu ne connais pas ta propre<br />
identité ». Et il m’est arrivé de dire la même chose à un<br />
Israélien rej<strong>et</strong>ant <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> ignorant ce que signifie<br />
être loin de sa terre. J’ai l’impression que pour se<br />
connaître il faut à la fois avoir un lieu d’attache <strong>et</strong> en<br />
avoir été séparé pour en mesurer l’importance. L’identité<br />
juive est fondé sur trois éléments qui peuvent varier en<br />
48
intensité mais aucun des trois ne peut être éliminé : la<br />
religion, l’attachement à une Terre, <strong>et</strong> <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> (ou la<br />
généalogie).<br />
Je me souviens de la phrase d’un juif israélien<br />
utilisant une expression chrétienne pour dire ce qu’il<br />
ressentait : « être juif, c’est une croix ». Cela est une bel<strong>le</strong><br />
manière d’exprimer ce que signifie « porter Ton Nom ».<br />
49
7. L’âme mexicaine<br />
« Mon être a soif d’Adonaï, <strong>le</strong> Dieu vivant »<br />
Psaume 42,3<br />
Le Mexique a définitivement imprégné mon âme. <strong>Il</strong><br />
en reste dans mon cœur la nostalgie du bonheur, <strong>le</strong><br />
bonheur sur terre. Ces cinq années passées là-bas (de<br />
1998 à 2003) demeurent dans ma mémoire comme une<br />
invitation permanente à y r<strong>et</strong>ourner. Ce n’est pourtant pas<br />
un pays où la vie est faci<strong>le</strong>. Combien de Mexicains<br />
chaque jour essaient de passer la frontière pour tenter de<br />
prendre part au « rêve américain » ? J’enseignais <strong>le</strong><br />
français, je n’avais pas un salaire extraordinaire mais<br />
j’avais de quoi vivre sans manquer de rien. Ou du moins<br />
sans manquer de ce dont a besoin un Mexicain modeste.<br />
Ach<strong>et</strong>er une voiture par exemp<strong>le</strong> restait hors de portée.<br />
Mais j’étais plutôt riche en temps libre. Et je n’avais pas<br />
à me priver de voyager en bus douze ou vingt-quatre<br />
heures pour explorer ce territoire quatre fois plus grand<br />
que la France.<br />
Pourquoi dans ce pays <strong>le</strong> bonheur sur terre est-il<br />
possib<strong>le</strong> alors que dans d’autres endroits de la planète il<br />
50
este inaccessib<strong>le</strong> ? Quand je par<strong>le</strong> de bonheur<br />
inaccessib<strong>le</strong>, je pense évidemment à mon pays (<strong>et</strong> au<br />
monde occidental) parce qu’ici notre idéal de bonheur ne<br />
correspond pas à notre plus profond désir ; parce que <strong>le</strong><br />
but que nous visons ne tient compte ni de notre âme ni de<br />
notre cœur. <strong>Il</strong> est très diffici<strong>le</strong> d’expliquer cela car il<br />
s’agit de sentiment, de sensation, de spiritualité. Est-il<br />
possib<strong>le</strong> de par<strong>le</strong>r de l’âme mexicaine ? Je voudrais<br />
essayer tout de même. La spiritualité mexicaine n’est pas<br />
sans lien avec la religion catholique (<strong>le</strong> Mexique est l’un<br />
des plus grands pays catholiques du monde) <strong>et</strong> el<strong>le</strong> n’est<br />
pas sans lien avec Israël. Le peup<strong>le</strong> juif marche depuis<br />
toujours vers la terre de la paix : la paix sur la terre <strong>et</strong> la<br />
paix intérieure. Et il m’a semblé voir au Mexique ce<br />
qu’Israël a toujours cherché sans jamais la trouver : une<br />
terre de repos pour l’âme.<br />
Pourtant chaque semaine <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif entre dans<br />
un repos de l’âme qui est un bonheur terrestre qu’aucun<br />
autre peup<strong>le</strong> ne connaît. « Le jour de repos est consacré à<br />
la joie en Dieu, à l’offrande de sacrifices, à l’éducation<br />
du peup<strong>le</strong>, à la prédication des docteurs. <strong>Il</strong> est<br />
obligatoirement chômé (…) » 8 . Le shabbat est un jour<br />
comp<strong>le</strong>t consacré à Dieu. Le vendredi soir <strong>le</strong> shabbat<br />
s'ouvre par un office communautaire à la synagogue, puis<br />
par <strong>le</strong> partage du vin <strong>et</strong> du pain lors du repas familial.<br />
Commencent alors vingt-quatre heures de repos pour<br />
8<br />
André Chouraqui, La vie quotidienne des Hébreux au temps de<br />
la Bib<strong>le</strong>, Hach<strong>et</strong>te, 1971.<br />
51
Dieu. Tout travail créateur est interdit puisque Dieu a<br />
cessé de créer <strong>le</strong> septième jour. On doit se consacrer à la<br />
prière, à l'étude de la Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> privilégier <strong>le</strong>s relations<br />
familia<strong>le</strong>s <strong>et</strong> amica<strong>le</strong>s. Pour favoriser cela, tout<br />
déplacement trop long est interdit ; <strong>le</strong>s repas sont<br />
préparés à l'avance <strong>et</strong> il est interdit d'utiliser l'é<strong>le</strong>ctricité -<br />
donc <strong>le</strong> téléphone, la télévision, <strong>et</strong>c. Ou plus exactement<br />
on peut laisser <strong>le</strong>s lampes allumées, mais on ne peut pas<br />
allumer ni éteindre – travail créateur, <strong>et</strong> pour la même<br />
raison, on ne peut pas écrire, coudre, arroser… Toute<br />
c<strong>et</strong>te règ<strong>le</strong>mentation perm<strong>et</strong> de différencier <strong>le</strong> temps<br />
sacré du shabbat du temps profane de la semaine. Cela<br />
donne un rythme spirituel très profitab<strong>le</strong> à l'âme car, un<br />
jour par semaine, el<strong>le</strong> se tourne tota<strong>le</strong>ment vers Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
prochain.<br />
Habiter vingt-quatre heures dans une terre de repos<br />
pour l’âme, c’est un privilège, non ? Eh bien, beaucoup<br />
de Mexicains y habitent en permanence ! <strong>Il</strong>s vivent tout<br />
simp<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong> présent <strong>et</strong> la confiance envers Celui<br />
qui est Notre Père. Bien sûr, <strong>le</strong> shabbat <strong>et</strong> l’esprit<br />
d’enfance des Mexicains dont par<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s Evangi<strong>le</strong>s, ce<br />
n’est pas la même chose. Ce n’est pas pareil mais ce n’est<br />
pas complètement différent…<br />
Dios en México<br />
52
L’une des raisons qui expliquent la pénétration<br />
rapide du christianisme au Mexique c’est que <strong>le</strong>s Indiens,<br />
en voyant Dieu sur la croix ont tout de suite compris qu’il<br />
fallait l’aider. Dieu a besoin de nous. <strong>Il</strong> souffre <strong>et</strong> nous<br />
demande de l’aider à porter sa croix. Quand un Mexicain<br />
m’a expliqué cela j’ai été –c’est <strong>le</strong> cas de <strong>le</strong> dire-<br />
renversé parce que justement notre logique occidenta<strong>le</strong><br />
est renversée. C<strong>et</strong>te compréhension indigène du <strong>Christ</strong><br />
peut s’expliquer par <strong>le</strong> fait que dans certains peup<strong>le</strong>s<br />
(comme chez <strong>le</strong>s Mayas) <strong>le</strong> roi -qui était aussi prêtre-<br />
s’ouvrait périodiquement <strong>le</strong>s veines pour offrir un peu de<br />
son sang au so<strong>le</strong>il. Le so<strong>le</strong>il a besoin de nous pour<br />
continuer à bril<strong>le</strong>r. En lui offrant ce que nous avons de<br />
plus précieux, notre sang (ou des vies humaines), il peut<br />
continuer son travail de so<strong>le</strong>il <strong>et</strong> nous pouvons ainsi<br />
continuer à vivre. Dieu a besoin de nous comme nous<br />
avons besoin de Lui.<br />
Une autre grande différence entre la France <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
Mexique –<strong>et</strong> entre l’Europe <strong>et</strong> l’Amérique- c’est la<br />
présence visib<strong>le</strong> de la religion. Bien que <strong>le</strong> Mexique soit<br />
un Etat (fédéral) laïc, on ne ressent pas de n<strong>et</strong>te<br />
distinction entre la sphère privée <strong>et</strong> la sphère publique.<br />
Dieu est partout présent, il n’est pas réduit comme chez<br />
nous à une conception personnel<strong>le</strong> individuel<strong>le</strong> privée. Et<br />
puis, <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs héritées du christianisme sont communes<br />
à tous, reconnues <strong>et</strong> acceptées par tous. « Tout <strong>le</strong><br />
53
monde » sait ce qui est bien <strong>et</strong> mal, on sait ce qui se fait<br />
<strong>et</strong> ne se fait pas.<br />
Au Mexique on ressent une grande liberté de paro<strong>le</strong><br />
sans tabou que l’on ne connaît pas en France. On par<strong>le</strong> de<br />
Dieu <strong>et</strong> du mariage sans hésiter. Quand je demandais à<br />
mes étudiants ce qu’ils avaient fait <strong>le</strong> week end (dans une<br />
Université non confessionnel<strong>le</strong>), je me souviens d’avoir<br />
entendu : « ce week end j’ai fait une r<strong>et</strong>raite spirituel<strong>le</strong><br />
avec <strong>le</strong>s paroissiens » ou bien « je me suis fiancée ». Et<br />
moi, français <strong>et</strong> ignorant je <strong>le</strong>ur avais demandé ce que<br />
voulait dire « se fiancer ». Alors on m’avait expliqué.<br />
D’abord <strong>le</strong> garçon repère la fil<strong>le</strong> qui lui plaît (en général<br />
cela se passe sur la place du village) <strong>et</strong> lui fait parvenir<br />
une rose. La fil<strong>le</strong> reçoit souvent plusieurs roses <strong>et</strong> peut<br />
ainsi choisir parmi ses prétendants celui à qui el<strong>le</strong><br />
perm<strong>et</strong>tra de venir devant chez el<strong>le</strong> lui par<strong>le</strong>r depuis la<br />
rue. Ensuite <strong>le</strong>s parents pourront proposer au prétendant<br />
de rentrer <strong>et</strong>, s’ils <strong>le</strong> jugent sérieux, perm<strong>et</strong>tront à <strong>le</strong>ur<br />
fil<strong>le</strong> d’al<strong>le</strong>r se promener avec lui accompagnée par une<br />
grande sœur. Au bout d’un an ou deux de fréquentations<br />
<strong>le</strong> garçon pourra un jour proposer à la fil<strong>le</strong> d’être sa<br />
fiancée. Alors il aura droit à une bise si el<strong>le</strong> accepte la<br />
proposition. C’est l’événement qu’avait vécu mon<br />
étudiante ce week end. Après <strong>le</strong>s fiançail<strong>le</strong>s officiel<strong>le</strong>s, il<br />
y aura, un an ou deux plus tard <strong>le</strong> mariage. Et on se<br />
demande pourquoi il y a moins de divorces au Mexique<br />
qu’en France…<br />
54
Si l’on ne se situe pas dans la norme acceptée de<br />
tous, on n’est pas rej<strong>et</strong>é pour autant. Les Mexicains sont<br />
très ouverts <strong>et</strong> tolérants. Celui qui ne respecte pas la<br />
norme, celui qui se drogue par exemp<strong>le</strong>, sait que ce qu’il<br />
fait ne convient pas <strong>et</strong> n’essayera pas de convaincre <strong>le</strong>s<br />
autres du bienfait de son comportement. C<strong>et</strong>te<br />
atmosphère « mora<strong>le</strong> » pourrait nous faire sourire mais en<br />
réalité cela est très reposant. Le but de la vie est clair :<br />
avoir un métier, se marier, fonder une famil<strong>le</strong>. La vie est<br />
bel<strong>le</strong> dans sa simplicité. En France nous avons semb<strong>le</strong>-til<br />
oublié que <strong>le</strong> bonheur était accessib<strong>le</strong> à condition de ne<br />
pas inventer la lune. Et au Mexique (comme en<br />
Amérique), du fait que tout <strong>le</strong> monde est croyant, vivre<br />
en chrétien n’est pas excentrique. On entend<br />
régulièrement l’expression « gracias a Dios », « merci à<br />
Dieu » <strong>et</strong>, quand on dit « à demain », l’autre répond<br />
souvent : « si Dieu <strong>le</strong> veut ». L’athéisme n’existe pas de<br />
manière socia<strong>le</strong>, c’est un point de vue personnel privé.<br />
La paternidad y Nuestra Señora de Guadalupe<br />
Pour tout ce que je viens d’essayer d’expliquer, la<br />
religion catholique au Mexique n’est pas exactement la<br />
même qu’en Europe. Mais il y encore d’autres nuances.<br />
La perception de Dieu est différente. La paternité de Dieu<br />
est visib<strong>le</strong>. En France (<strong>et</strong> sans doute aussi dans <strong>le</strong> reste de<br />
l’Europe chrétienne) nous m<strong>et</strong>tons l’accent sur Jésus <strong>et</strong><br />
55
fina<strong>le</strong>ment Dieu semb<strong>le</strong> facultatif. On par<strong>le</strong> de Dieu<br />
comme d’un inconnu qui pourrait dans l’inconscient des<br />
gens ressemb<strong>le</strong>r au père Noël. <strong>Il</strong> nous a créés, il est bon<br />
<strong>et</strong> nous pardonne, il est <strong>le</strong> Père de Jésus, c’est à peu près<br />
tout ce que nous savons de Lui. En fait, tout ce que nous<br />
prétendons savoir de Lui, nous l’avons appris de Jésus<br />
qui d’ail<strong>le</strong>urs déclare : « qui me voit voit <strong>le</strong> Père » (Jean<br />
14,9). C<strong>et</strong>te paro<strong>le</strong> nous fournit un bon alibi pour éviter<br />
de nous inquiéter. Puisque nous connaissons <strong>le</strong> Fils, nous<br />
pensons connaître <strong>le</strong> Père.<br />
Connaître <strong>le</strong> Père, c’est vivre en fonction de c<strong>et</strong>te<br />
« connaissance ». Croire en Dieu influence notre manière<br />
de faire <strong>et</strong> notre manière d’être. Notre manière de croire<br />
se lit dans notre manière de vivre. Au Mexique, il semb<strong>le</strong><br />
que la première personne de la Trinité est reconnue. <strong>Il</strong><br />
suffit d’al<strong>le</strong>r à la messe au Mexique <strong>et</strong> de regarder <strong>le</strong><br />
prêtre. <strong>Il</strong> suffit de voir quel<strong>le</strong> est la position du grandpère<br />
dans la famil<strong>le</strong>. <strong>Il</strong> suffit de voir de quel<strong>le</strong> manière <strong>le</strong>s<br />
enfants s’adressent à <strong>le</strong>ur père. Et pour la place de la<br />
mère, c’est encore plus n<strong>et</strong>. Je me souviens d’une fête<br />
chez un étudiant Mexicain qui avait chanté en l’honneur<br />
de ses parents. L’émotion était vraiment palpab<strong>le</strong>.<br />
Le cinquième commandement (ou plutôt<br />
« paro<strong>le</strong> ») qui concerne l’amour des parents se situe<br />
dans la première Tab<strong>le</strong> de la Loi, cel<strong>le</strong> qui concerne Dieu<br />
(alors que la seconde concerne <strong>le</strong> prochain). Cela n’est<br />
pas un hasard <strong>et</strong> il est vraiment dommage que jusqu’au<br />
56
vingtième sièc<strong>le</strong> nous ayons mis <strong>le</strong> commandement<br />
concernant <strong>le</strong>s parents dans la seconde Tab<strong>le</strong> de la Loi.<br />
Notre perception de Dieu dépend en eff<strong>et</strong> beaucoup de la<br />
perception que nous avons de nos parents.<br />
Et comment par<strong>le</strong>r de l’importance de la Reine du<br />
Mexique <strong>et</strong> de l’Impératrice des Amériques, Nuestra<br />
Señora de Guadalupe ? Au Mexique j’ai compris la<br />
différence entre un « católico » <strong>et</strong> un « cristiano » (un<br />
protestant). Marie est présente ou el<strong>le</strong> ne l’est pas. Sa<br />
place pourrait semb<strong>le</strong>r exagérée mais, du fait de la place<br />
du Père dans l’âme mexicaine, la mère de Jésus peut<br />
prendre beaucoup de place, el<strong>le</strong> ne risque pas de lui faire<br />
de l’ombre. Du fait de l’importance du Père, <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> ne<br />
peut être réduit à un p<strong>et</strong>it Jésus écrasé par sa mère. Et<br />
puisque l’on évoque <strong>le</strong> Père <strong>et</strong> <strong>le</strong> Fils pour <strong>le</strong>s Mexicains,<br />
on peut aussi dire que <strong>le</strong> Saint-Esprit n’est pas étouffé. <strong>Il</strong><br />
est partout, <strong>et</strong> tout d’abord dans <strong>le</strong>s relations entre <strong>le</strong>s<br />
gens. Et puis, l’Esprit Saint a toute sa place puisque rien<br />
n’est au-dessus de Dieu. <strong>Dans</strong> une société moderne où<br />
tout est bien organisé <strong>et</strong> bien réglé, où l’Etat s’occupe de<br />
tout, où l’on a même une « assurance vie », comment<br />
peut-on m<strong>et</strong>tre sa confiance en Dieu ? Dieu devient une<br />
option, un élément que l’on s’efforce de faire entrer dans<br />
notre emploi du temps, dans notre agenda déjà bien<br />
rempli.<br />
57
Je me souviens de messes au Mexique qui étaient<br />
dans <strong>le</strong> village l’événement de la semaine, <strong>le</strong> moment<br />
central, non seu<strong>le</strong>ment pour r<strong>et</strong>rouver notre source en<br />
Dieu mais aussi pour nous r<strong>et</strong>rouver <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong>s autres. En<br />
Europe nous sommes bien loin de c<strong>et</strong>te époque. Comme<br />
il est diffici<strong>le</strong> dans un pays riche d’entrer dans <strong>le</strong><br />
Royaume de Dieu !<br />
Los indígenas<br />
Si l’on voulait faire un tab<strong>le</strong>au plus comp<strong>le</strong>t de la<br />
spiritualité mexicaine il faudrait expliquer <strong>le</strong>s influences<br />
qui se côtoient, s’entrechoquent ou s’harmonisent : la<br />
culture hispanique <strong>et</strong> européenne, la culture des Etats-<br />
Unis <strong>et</strong> <strong>le</strong>s cultures indigènes. On pourrait aussi par<strong>le</strong>r<br />
des points communs avec l’Inde dont par<strong>le</strong> Octavio Paz<br />
dans son livre « Vislumbres de la India » 9 . <strong>Il</strong> faudrait<br />
aussi par<strong>le</strong>r des grands artistes comme par exemp<strong>le</strong> Frida<br />
Khalo, <strong>et</strong> des grands personnages de l’Histoire comme <strong>le</strong><br />
Père Hidalgo, « el padre de la patría ». Et il faudrait aussi<br />
par<strong>le</strong>r du désert.<br />
Je voudrais m’attarder sur <strong>le</strong>s indigènes (10% de la<br />
population). Au Mexique il y a partout d’immenses<br />
espaces où la civilisation moderne semb<strong>le</strong> absente :<br />
depuis la forêt tropica<strong>le</strong> du Chiapas au sud-est jusqu’au<br />
58
désert brûlant du Sonora au nord-ouest. Ces lieux isolés<br />
perm<strong>et</strong>tent aux Indiens de préserver <strong>le</strong>urs coutumes <strong>et</strong><br />
<strong>le</strong>ur manière de vivre traditionnel<strong>le</strong>. Leurs villages nous<br />
rappel<strong>le</strong>nt notre p<strong>et</strong>itesse <strong>et</strong> notre besoin des autres. <strong>Dans</strong><br />
tous ces endroits on peut faci<strong>le</strong>ment « disparaître », sortir<br />
du temps, de la culture de l’information <strong>et</strong> de la<br />
communication, de la modernité. <strong>Il</strong> suffit de s’écarter un<br />
peu d’une vil<strong>le</strong> pour se r<strong>et</strong>rouver dans un village où l’on<br />
par<strong>le</strong> à peine l’espagnol, la langue nationa<strong>le</strong>. On se<br />
r<strong>et</strong>rouve alors dans une civilisation où l’é<strong>le</strong>ctricité n’est<br />
pas encore parvenue à tous <strong>le</strong>s hameaux. Les femmes<br />
lavent <strong>le</strong>ur linge dans la rivière. Les routes ne sont pas<br />
goudronnées. La religion catholique se mélange aux rites<br />
ancestraux. <strong>Il</strong> y a un lien fort avec la terre, une proximité<br />
avec cel<strong>le</strong> qui est souvent appelée « notre terre mère ».<br />
C<strong>et</strong>te relation avec el<strong>le</strong> est très concrète. Le matin, <strong>le</strong><br />
froid nous réveil<strong>le</strong> <strong>et</strong> il faut al<strong>le</strong>r chercher du bois pour<br />
faire du feu. L’agriculture est l’activité principa<strong>le</strong>. On<br />
mange ce que l’on voit pousser <strong>et</strong> <strong>le</strong>s animaux que l’on a<br />
touchés. C’est la terre qui nous impose ou plutôt nous<br />
donne son rythme.<br />
Notre âme a je crois besoin de relation avec la terre<br />
par notre corps. Etre plus près de la terre nous rapproche<br />
du Ciel. L’expérience de vie sur la terre <strong>et</strong> non pas audessus<br />
d’el<strong>le</strong> (loin d’el<strong>le</strong>) est une expérience spirituel<strong>le</strong><br />
en soi. <strong>Il</strong> n’y a pourtant rien d’extraordinaire à vivre sur<br />
la terre ! Et pourtant dans <strong>le</strong> monde moderne il est<br />
9 Editorial Seix-Barral, 1995.<br />
59
devenu très diffici<strong>le</strong> de vivre sur la terre, auprès d’el<strong>le</strong>.<br />
Parce que vivre au contact de la terre signifie en général<br />
être pauvre.<br />
60
8. Des baroudeurs au Mexique<br />
« Regardant Jésus qui passait, il dit : « Voici<br />
l’agneau de Dieu » »<br />
Jean 1,36<br />
Des baroudeurs impatients<br />
Après avoir habité six mois dans l’Etat du Sonora<br />
(au sud de l’Arizona), j’ai habité mil<strong>le</strong> kilomètres plus à<br />
l’est, dans la troisième vil<strong>le</strong> du pays, Monterrey (au sud<br />
du Texas). Pendant presqu’une année, dans c<strong>et</strong>te grande<br />
vil<strong>le</strong> du nord du Mexique, je suis allé prier à peu près<br />
chaque vendredi soir avec des Juifs messianiques.<br />
J’habitais dans un quartier plutôt pauvre <strong>et</strong> on m’avait dit<br />
« près d’ici il y a des juifs… ». J’avais faci<strong>le</strong>ment trouvé<br />
<strong>le</strong> grand hangar où ils se réunissaient chaque début de<br />
shabbat. C’était festif, avec des instruments de musique<br />
moderne (batterie <strong>et</strong> guitare é<strong>le</strong>ctrique). J’étais alors<br />
célibataire <strong>et</strong> trouvais une espèce de cha<strong>le</strong>ur dans c<strong>et</strong>te<br />
communauté de chrétiens évangéliques. J’avais en eff<strong>et</strong><br />
bien compris qu’ils n’étaient pas juifs mais je trouvais<br />
que ces Protestants avaient une intuition d’avant-garde en<br />
comparaison avec nous catholiques plus <strong>le</strong>nts dans notre<br />
61
approchement avec <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif. Je ne me sentais pas<br />
devenir Protestant, au contraire : quand j’entendais de<br />
temps en temps des paro<strong>le</strong>s de haine contre <strong>le</strong> pape ou <strong>le</strong>s<br />
catholiques idolâtres (parce qu’il y a dans nos églises des<br />
représentations humaines, parce que nous avons des<br />
statues de saints, parce que nous prions Marie…), je me<br />
sentais renforcé dans mon identité catholique alors que<br />
jusque là je me croyais « globa<strong>le</strong>ment chrétien ».<br />
<strong>Il</strong> y avait bien sûr beaucoup de chants de louange<br />
<strong>et</strong>, vers la fin, ils se tournaient en direction de Jérusa<strong>le</strong>m<br />
<strong>et</strong> priaient pour l’armée de l’Etat d’Israël. Cela me<br />
m<strong>et</strong>tait un peu mal à l’aise car je ne comprenais pas<br />
pourquoi ils ne priaient pas pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif, Israël<br />
dans sa totalité. Et puis, avant de se séparer il y avait une<br />
bénédiction du vin <strong>et</strong> du pain qui me rappelait <strong>le</strong><br />
kidouche que j’avais connu dans des synagogues ou des<br />
maisons juives. Je n’approfondissais pas trop ce que je<br />
vivais, je parlais un peu avec <strong>le</strong>s gens avant de rentrer<br />
chez moi mais <strong>le</strong>s discussions restaient superficiel<strong>le</strong>s.<br />
J’étais simp<strong>le</strong>ment content de trouver quelque part<br />
quelque chose qui me rappelait <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif.<br />
Plus tard, j’ai mieux compris que ces pionniers<br />
chrétiens du dialogue avec <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> étaient en fait trop<br />
pressés. L’impatience conduit souvent au pire alors que<br />
<strong>le</strong> but n’est apparemment pas mauvais (je pense par<br />
exemp<strong>le</strong> à l’idéologie communiste qui est en quelque<br />
sorte l’impatience de réaliser sur terre l’harmonie entre<br />
62
tous <strong>le</strong>s hommes). <strong>Il</strong> y a en réalité dans c<strong>et</strong>te attitude des<br />
Juifs messianiques un refus de dialogue avec <strong>le</strong>s juifs.<br />
L’objectif n’est pas de dialoguer mais de convertir,<br />
d’anéantir l’identité de l’autre. Le moyen pour parvenir à<br />
c<strong>et</strong> objectif est de nier la différence <strong>et</strong> de se faire passer<br />
pour l’autre. Et puis, pour que l’humanité se convertisse<br />
au christianisme, on s’autorise tous <strong>le</strong>s moyens : force<br />
politique <strong>et</strong> économique, ruse, usurpation d’identité, <strong>et</strong>c.<br />
Bref on ne tient plus compte du commandement initial<br />
d’amour du prochain qui est l’amour de celui qui est<br />
différent.<br />
<strong>Il</strong> me semb<strong>le</strong> que <strong>le</strong> fait de croire que l’on a <strong>le</strong><br />
monopo<strong>le</strong> de la vérité <strong>et</strong> que <strong>le</strong>s autres sont dans <strong>le</strong><br />
mensonge est une position qui rejoint l’opposé qui<br />
consiste à croire que toutes <strong>le</strong>s vérités se va<strong>le</strong>nt <strong>et</strong> qu’il<br />
faut réunir toutes <strong>le</strong>s religions dans une sorte de synthèse.<br />
Unir <strong>le</strong>s religions pour que <strong>le</strong>s hommes soient unis, c’est<br />
un beau rêve. Mais vouloir réaliser ce rêve par nousmêmes,<br />
sans tenir compte du temps de Dieu, cela ne peut<br />
qu’aboutir à un cauchemar. Le Cardinal Ratzinger<br />
l’exprime ainsi :<br />
« La religion ne peut être soumise à une finalité<br />
politique d’ordre pratique, qui deviendrait alors son ido<strong>le</strong>.<br />
L’homme ferait de Dieu <strong>le</strong> serviteur de ses desseins <strong>et</strong><br />
déshonorerait par là Dieu lui-même. J.A. Cuttat a écrit à<br />
ce propos, il y a plus de quarante ans, un mot très sage :<br />
« Une chose est de tendre à rendre l’humanité meil<strong>le</strong>ure<br />
63
<strong>et</strong> plus heureuse par l’unification des religions. Une autre<br />
chose est d’implorer d’un cœur brûlant l’unité de tous <strong>le</strong>s<br />
hommes dans l’amour envers <strong>le</strong> même Dieu. La première<br />
est peut-être la tentation luciférienne la plus subti<strong>le</strong> qui<br />
vise à faire échouer la seconde ». » 10<br />
Des baroudeurs israéliens<br />
En Amérique latine ou en Inde on peut rencontrer<br />
beaucoup de baroudeurs israéliens. Comme en Israël<br />
l’armée dure trois ans pour <strong>le</strong>s garçons <strong>et</strong> un an <strong>et</strong> demi<br />
pour <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s jeunes, après <strong>le</strong>ur service militaire, ont<br />
envie de parcourir <strong>le</strong> monde. <strong>Il</strong>s vivent l’aventure du<br />
voyage parfois pendant plusieurs années avant de<br />
r<strong>et</strong>ourner dans <strong>le</strong>ur pays. <strong>Il</strong>s se regroupent entre Israéliens<br />
pour mieux s’entraider afin de gagner l’argent nécessaire<br />
qui <strong>le</strong>ur perm<strong>et</strong>tra de continuer la route. <strong>Dans</strong> <strong>le</strong> nord du<br />
Mexique on en croise peu, sans doute parce que ce n’est<br />
pas une zone très touristique. J’ai cependant <strong>rencontré</strong> un<br />
Israélien dans c<strong>et</strong>te grande vil<strong>le</strong> mexicaine proche du<br />
Texas. Ce n’était pas exactement un baroudeur car il était<br />
directeur de l’éco<strong>le</strong> israélite de la vil<strong>le</strong>. <strong>Il</strong> m’a donné<br />
pendant environ deux ans des cours particuliers d’<strong>hébreu</strong>.<br />
Cela m’a permis d’entr<strong>et</strong>enir <strong>et</strong> approfondir c<strong>et</strong>te langue<br />
que j’avais commencé à apprendre à l’université en<br />
10 Cardinal Joseph Ratzinger, L’unique alliance de Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
pluralisme des religions, Editions Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, 1999, page 86.<br />
64
France <strong>et</strong> pratiqué quelque temps dans un kibboutz<br />
(comme je l'ai déjà dit plus haut).<br />
Ce qui me plaisait dans ces cours particuliers c’est<br />
qu’à travers une personne juive de langue maternel<strong>le</strong><br />
hébraïque, je pouvais voyager dans la Bib<strong>le</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> peup<strong>le</strong><br />
juif, <strong>et</strong> même dans <strong>le</strong> christianisme. Je me souviens<br />
notamment de ses précisions sur <strong>le</strong> Magnificat (en<br />
<strong>hébreu</strong>). <strong>Il</strong> faisait bien sûr <strong>le</strong> parallè<strong>le</strong> avec la prière<br />
d’Anne (deuxième chapitre du premier livre de Samuel)<br />
que la mère de Jésus avait en partie reprise. <strong>Il</strong><br />
m’expliquait que <strong>le</strong>s verbes que l’on avait traduits en<br />
français au passé n’avaient pas la même équiva<strong>le</strong>nce en<br />
<strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> pouvaient être mis au présent. Lui qui n’était<br />
pas du tout religieux acceptait de travail<strong>le</strong>r à partir de la<br />
Bib<strong>le</strong> <strong>et</strong> m’éclairait <strong>le</strong> texte non pas en tant que<br />
spécialiste mais en tant que sabra (natif d’Israël, cactus<br />
étant <strong>le</strong> sens premier du mot).<br />
Cela m’interpel<strong>le</strong> encore aujourd’hui : comment<br />
expliquer qu’une personne juive israélienne<br />
complètement désintéressée de la religion <strong>et</strong> de Dieu<br />
puisse m’apporter autant de lumière sur « ma » religion<br />
<strong>et</strong> sur Dieu ? Est-ce du fait que tout juif ayant grandi en<br />
Israël a inévitab<strong>le</strong>ment baigné dans une « atmosphère<br />
biblique » ? Ou bien y a-t-il un esprit spécifique<br />
israélien ? Ce qui peut étonner chez <strong>le</strong>s juifs israéliens<br />
c’est que généra<strong>le</strong>ment ils se sentent très israéliens <strong>et</strong> très<br />
65
peu juifs, comme si <strong>le</strong> fait de n’être plus en exil (en<br />
diaspora) parmi <strong>le</strong>s nations avait émoussé <strong>le</strong>ur conscience<br />
d’être juifs. Et ce qui est frappant chez <strong>le</strong> Juif, qu’il soit<br />
israélien ou non, croyant ou non, c’est qu’on peut<br />
presque toujours observer chez lui une déconcertante<br />
facilité à s’exprimer sur <strong>le</strong> divin. Chez ces Israéliens<br />
<strong>rencontré</strong>s au Mexique j’ai pu apprécier <strong>le</strong>ur faculté à<br />
par<strong>le</strong>r du spirituel <strong>et</strong> du temporel, du Ciel <strong>et</strong> de la terre<br />
sans que l’on perçoive de séparation entre ces deux<br />
domaines qui dans notre esprit européen chrétien sont en<br />
général bien distincts.<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, être croyant ou non n’est pas une<br />
question essentiel<strong>le</strong> mais plutôt farfelue. La vraie<br />
question est d’être pratiquant ou non. La question de<br />
l’invisib<strong>le</strong> est en fait une question très concrète (visib<strong>le</strong>).<br />
<strong>Il</strong> ne s’agit pas de savoir quel<strong>le</strong> est ta foi mais quel<strong>le</strong> est<br />
ta manière de (la) vivre. Pour <strong>le</strong>s juifs religieux cela<br />
signifie vivre ou non <strong>le</strong>s mitzvot. Cela apparaît de<br />
manière très n<strong>et</strong>te dans l’épître de Saint Jacques où<br />
l’apôtre insiste sur <strong>le</strong>s œuvres : « A quoi cela sert-il mes<br />
frères que quelqu’un dise « J’ai la foi, s’il n’a pas <strong>le</strong>s<br />
œuvres ? » » (Jacques 1,14). D’ail<strong>le</strong>urs la prière aussi fait<br />
partie des œuvres. C’est ce qu’a découvert <strong>le</strong> Père<br />
Thomas Philippe (cofondateur de l’Arche) au contact des<br />
handicapés. <strong>Il</strong> l’explique dans son p<strong>et</strong>it livre, « Dieu s’est<br />
réservé la sagesse du cœur » (édité par La Ferme de<br />
Trosly) : « Pour éveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s cœurs à la foi <strong>et</strong> à<br />
66
l’espérance, il faut d’abord <strong>le</strong>s ouvrir à la prière. » La<br />
prière ne présuppose pas la foi ; bien au contraire, la foi<br />
décou<strong>le</strong> de la prière.<br />
67
9. Lustiger au Mexique<br />
« En relisant la transcription de ces entr<strong>et</strong>iens, j’ai<br />
été surpris de ce que j’avais dit alors – ou plutôt de ce<br />
que c<strong>et</strong> auditoire m’avait permis de dire par sa confiance<br />
<strong>et</strong> sa réceptivité. (…) Je sais <strong>le</strong> risque que je prends en<br />
m<strong>et</strong>tant ces propos à la disposition de <strong>le</strong>cteurs qui<br />
n’auraient pas la même bienveillance que <strong>le</strong>s auditeurs à<br />
qui je me suis adressé en 1979 (…). »<br />
Jean-Marie Lustiger 11<br />
C’est au Mexique que j’ai réel<strong>le</strong>ment pris<br />
conscience du rô<strong>le</strong> déterminant du Cardinal Lustiger dans<br />
<strong>le</strong> r<strong>et</strong>our de l’Eglise à sa source juive. Son livre, « La<br />
promesse » dont j’ai pu dès sa parution lire plusieurs<br />
extraits sur Intern<strong>et</strong>, a été pour moi un soulagement<br />
immense. Ouf ! Quelqu’un exprime enfin tout haut ce qui<br />
est crié depuis longtemps dans <strong>le</strong> désert. Ce que j’ai pu<br />
lire à ce moment-là depuis <strong>le</strong> continent américain m’a<br />
semblé prophétique dans <strong>le</strong> sens où Lustiger dit des<br />
choses hors du temps, des choses qu’on ne peut digérer<br />
en une seu<strong>le</strong> <strong>le</strong>cture. Ce p<strong>et</strong>it livre paru en 2002 alors<br />
11 La promesse, Editions Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> Si<strong>le</strong>nce, 2002, Avertissement.<br />
68
qu’il correspond à des paro<strong>le</strong>s prononcées vingt ans plus<br />
tôt pour des monia<strong>le</strong>s, m<strong>et</strong>tra à mon avis encore vingt ans<br />
pour être apprécié à sa juste va<strong>le</strong>ur dans l’ensemb<strong>le</strong> de<br />
l’Eglise.<br />
Vingt ans de patience, une vie au rythme de<br />
l’Eglise, l’archevêque de Paris a su conduire peu à peu<br />
ceux qui l’ont écouté vers <strong>le</strong>ur propre identité. Al<strong>le</strong>r plus<br />
vite était possib<strong>le</strong> mais cela aurait été anti-pédagogique,<br />
cela aurait été comme s’adresser à un enfant avec un<br />
langage d’adulte alors que la découverte du <strong>judaïsme</strong><br />
pour <strong>le</strong> Chrétien ne peut se faire hors du temps de Dieu.<br />
« C’est mon Père qui te l’a révélé » (Matthieu 16,17).<br />
C’est Dieu qui par<strong>le</strong> en nous <strong>et</strong> nous, même si nous<br />
voulons par<strong>le</strong>r à une personne de ce que nous avons au<br />
fond de nous, nous n’en sommes pas capab<strong>le</strong>s. Parce<br />
qu’expliquer <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> à un chrétien ne consiste pas à<br />
lui faire ingurgiter des livres mais à partager un bonheur,<br />
une lumière, une cha<strong>le</strong>ur. <strong>Il</strong> s’agit de donner à Jésus son<br />
nom propre, son nom authentique, Iéshoua. <strong>Il</strong> s’agit de<br />
rendre au <strong>Christ</strong> défiguré son vrai visage. J’admire la<br />
patience du Cardinal Lustiger qui a travaillé toute sa vie à<br />
gommer méticu<strong>le</strong>usement <strong>le</strong> maquillage du <strong>Christ</strong> pour<br />
que bril<strong>le</strong> sur lui <strong>le</strong> visage d’Adonaï.<br />
On ne peut pas encore savoir quel<strong>le</strong>s formes vont<br />
prendre <strong>le</strong>s r<strong>et</strong>rouvail<strong>le</strong>s entre l’Eglise <strong>et</strong> <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif, ni<br />
69
quels en seront <strong>le</strong>s fruits. Pourquoi essayer d’enfermer<br />
dans nos pensées c<strong>et</strong>te rencontre ? Les juifs vont-ils<br />
entrer dans l’Eglise ? L’Eglise va-t-el<strong>le</strong> r<strong>et</strong>ourner dans sa<br />
matrice, Israël ? Certainement ni l’un ni l’autre. Les deux<br />
religions, ayant <strong>le</strong> même Dieu, vont-el<strong>le</strong> former un seul<br />
Peup<strong>le</strong> de Dieu uni ? Je ne <strong>le</strong> crois pas. On ne peut pas <strong>le</strong><br />
savoir <strong>et</strong> il n’est pas uti<strong>le</strong> de chercher à <strong>le</strong> savoir.<br />
L’amour ne se programme pas. Le plus important est<br />
d’avancer avec prudence <strong>et</strong> audace sur ce chemin<br />
d’amour où l’attirance mutuel<strong>le</strong> est de plus en plus<br />
évidente. Ce qui est probab<strong>le</strong> c’est que ce rapprochement<br />
ne va pas tel<strong>le</strong>ment se faire au niveau des responsab<strong>le</strong>s<br />
religieux mais plutôt grâce à de p<strong>et</strong>its groupes de<br />
personnes.<br />
Et puis, ce que l’on peut constater, c’est que ce<br />
rapprochement est marqué par la souffrance du peup<strong>le</strong><br />
juif. Quand <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif souffre, l’Eglise se déchire :<br />
certains compatissent, d’autres choisissent la vio<strong>le</strong>nce<br />
pour défendre Israël, tandis que d’autres sombrent dans la<br />
haine ou <strong>le</strong> mépris. Quand Jésus est arrêté par <strong>le</strong>s<br />
Romains, il se r<strong>et</strong>rouve seul, son Eglise est dispersée. Au<br />
pied de la croix il ne reste plus que sa mère <strong>et</strong> très peu<br />
d’amis. <strong>Dans</strong> la persécution l’amour est à l’épreuve.<br />
« Nous devons croire -sinon Dieu lui-même paraîtrait<br />
incohérent par rapport à sa promesse- que toute la<br />
70
souffrance d’Israël persécuté par <strong>le</strong>s païens en raison de<br />
son E<strong>le</strong>ction fait partie de la souffrance du Messie. ». 12<br />
A la quatrième station du chemin de croix, Iéshoua<br />
rencontre sa mère.<br />
L’Eglise est à ce moment-là partagée entre Miryam<br />
<strong>et</strong> Pierre.<br />
Pierre a mis sa confiance dans la force, Miryam<br />
dans l’amour.<br />
Miryam au pied de la croix est plus que jamais unie<br />
à son Fils <strong>et</strong> Seigneur, עושי הוהי.<br />
« Près de la croix se tenaient debout sa mère… »<br />
(Jean 19,25)<br />
Devant la croix se tiennent ceux qui suivent<br />
Miryam.<br />
Pierre la r<strong>et</strong>rouvera durant <strong>le</strong> shabbat, <strong>le</strong> Samedi<br />
Saint.<br />
Autour d’el<strong>le</strong>, Pierre <strong>et</strong> Jean seront réunis :<br />
« <strong>Il</strong>s couraient tous <strong>le</strong>s deux ensemb<strong>le</strong> » (Jean 20,4)<br />
Hier, en aidant mon fils à faire ses devoirs, je me<br />
suis aperçu que ses défauts étaient <strong>le</strong>s mêmes que <strong>le</strong>s<br />
miens <strong>et</strong> que mes p<strong>et</strong>its conseils étaient non seu<strong>le</strong>ment à<br />
la fois valab<strong>le</strong>s pour lui <strong>et</strong> pour moi mais aussi pour<br />
12 Jean-Marie Lustiger, La Promesse, 2002, page 72.<br />
71
l’amour en général. L’amour comme la compassion sont<br />
liés au temps, au rythme, <strong>et</strong> en fait à l’éternité dans<br />
laquel<strong>le</strong> nous n’osons pas vivre.<br />
Bien qu’il soit né au Mexique, <strong>le</strong> pays où la vitesse<br />
<strong>et</strong> <strong>le</strong> stress n’existent pas, mon fils a du mal à prendre <strong>le</strong><br />
temps de travail<strong>le</strong>r. <strong>Il</strong> veut, comme la plupart des enfants<br />
(<strong>et</strong> c’est normal), se débarrasser de ses devoirs pour<br />
passer à autre chose. Et comme il écrit trop vite on a<br />
beaucoup de difficulté à <strong>le</strong> lire. Alors en lui dictant un<br />
texte (il est en CM 1) je lui ai fait réécrire plusieurs fois<br />
chaque mot jusqu’à ce que ce soit bien écrit. Et, comme il<br />
ne parvenait pas à améliorer son écriture, je lui ai<br />
demandé d’écrire des morceaux de mots, puis des suites<br />
de <strong>le</strong>ttres. Et fina<strong>le</strong>ment, comme il ne ra<strong>le</strong>ntissait toujours<br />
pas son rythme <strong>et</strong> que <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres étaient trop grosses, trop<br />
p<strong>et</strong>ites, trop ratatinées, trop tordues, trop irrégulières, je<br />
lui ai demandé de faire comme en maternel<strong>le</strong>. Je lui ai<br />
fait dessiner des ronds successifs de même tail<strong>le</strong> avec des<br />
barres vertica<strong>le</strong>s éga<strong>le</strong>s. On revenait à l’origine de la<br />
graphie <strong>et</strong> à un rythme d’écriture très <strong>le</strong>nt. <strong>Il</strong> m’a<br />
interrogé : « A quoi ça sert d’écrire bien <strong>et</strong> sans faute<br />
d’orthographe, l’important c’est qu’on nous comprenne,<br />
non ? ».<br />
Aujourd’hui, c’est cela la communication <strong>et</strong><br />
beaucoup d’autres choses : on ne voit que l’efficacité <strong>et</strong><br />
<strong>le</strong> but. La société de consommation nous contamine dans<br />
toutes <strong>le</strong>s composantes de notre vie. Je suis pressé <strong>et</strong><br />
72
impatient de finir ce que je suis en train de faire alors que<br />
rien ne m’oblige à bâc<strong>le</strong>r ce que je fais. C’est comme s’il<br />
y avait « dans l’air » une peur de la <strong>le</strong>nteur. On ne<br />
parvient pas à se concentrer sur chacun de nos gestes, sur<br />
chacun de nos mots. Je disais à mon fils que ce qu’on<br />
écrit doit non seu<strong>le</strong>ment être lisib<strong>le</strong> <strong>et</strong> compréhensib<strong>le</strong><br />
mais aussi juste <strong>et</strong> beau.<br />
« - A quoi ça sert d’écrire juste <strong>et</strong> que <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres<br />
soient bel<strong>le</strong>s ?<br />
- Celui qui lit ce que tu as écrit aura plus de plaisir<br />
à te lire si c’est bien présenté <strong>et</strong> joli ; <strong>et</strong> il aura sûrement<br />
envie de te m<strong>et</strong>tre une meil<strong>le</strong>ure note, non ? Si nos<br />
habitations <strong>et</strong> nos vêtements <strong>et</strong> tous <strong>le</strong>s obj<strong>et</strong>s que nous<br />
fabriquons étaient seu<strong>le</strong>ment fonctionnels <strong>et</strong> moches, la<br />
vie serait très triste. »<br />
Aujourd’hui dans notre société moderne, nous<br />
avons décidé (choisi) d’être pressés, de tout faire vite <strong>et</strong><br />
nous nous laissons tous entraîner pas ce rythme de<br />
machines. Nous sommes tous impatients, nous voudrions<br />
être dans une autre époque, un autre jour, un autre<br />
moment. Nous n’osons pas être ici, attentifs au présent, à<br />
la présence de l’éternité dans notre temps.<br />
<strong>Il</strong> est cependant possib<strong>le</strong> de laisser l’éternité<br />
s’insérer dans notre temps humain limité. C’est même<br />
peut-être à cela qu’on reconnaît qu’un personne est<br />
habitée par la présence divine. Le moine américain<br />
Thomas Merton disait qu’à la manière de fermer la porte<br />
d’un bouddhiste <strong>rencontré</strong> pour la première fois, il avait<br />
73
su tout de suite que c’était un « un vrai moine ». On peut<br />
ressentir c<strong>et</strong>te attention au geste <strong>et</strong> au mot par exemp<strong>le</strong><br />
chez <strong>le</strong>s paysans, <strong>le</strong>s gens qui vivent au rythme de la<br />
nature, comme si vivre au rythme de la nature <strong>et</strong> vivre au<br />
rythme de la prière avaient <strong>le</strong> même eff<strong>et</strong> !<br />
Comme il est diffici<strong>le</strong> d’apprendre à vivre au<br />
présent, en présence de l’éternité de l’Eternel ! Et<br />
pourtant, c’est possib<strong>le</strong> : il nous faut réapprendre à<br />
dessiner chaque <strong>le</strong>ttre de chaque mot. Sans prendre <strong>le</strong><br />
temps de faire de bel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres, on ne peut pas aimer<br />
écrire, on ne peut pas aimer. L’amour est incompatib<strong>le</strong><br />
avec la vitesse (incompatib<strong>le</strong> avec la technologie ?).<br />
C’est la pauvr<strong>et</strong>é (ou la simplicité de vie) qui perm<strong>et</strong><br />
d’aimer, de voir la souffrance de son voisin, d’éprouver<br />
de la compassion pour autrui. Cela vaut autant pour<br />
l’Eglise que pour Israël qui sont -extérieurement- des<br />
institutions avec des aspects juridiques. Le sentiment<br />
d’appartenir à un groupe solidement établi <strong>et</strong> la certitude<br />
de détenir <strong>le</strong> monopo<strong>le</strong> de la vérité empêchent de voir<br />
dans l’autre ce qui nous manque. La pauvr<strong>et</strong>é dont par<strong>le</strong><br />
Jésus-Iéshoua est cel<strong>le</strong> du cœur, cel<strong>le</strong> qui est presque<br />
synonyme du mot humilité. Marie sa mère est <strong>le</strong> parfait<br />
modè<strong>le</strong> de l’humilité, el<strong>le</strong> est anava, « humb<strong>le</strong> » (au<br />
féminin). Un très joli mot <strong>hébreu</strong>, non ? La <strong>le</strong>nteur, la<br />
pauvr<strong>et</strong>é, l’humilité sont quelques unes des conditions<br />
favorab<strong>le</strong>s à la présence de Celui qui est l’Amour. En<br />
74
éalité <strong>Il</strong> n’a pas à venir, <strong>Il</strong> est là. Le problème, c’est<br />
notre manque d’attention à sa délicate Présence.<br />
75
Deuxième partie :<br />
Amitié<br />
« Aime ton prochain »<br />
Lévitique 19, 18<br />
10. Paris, vendredi 30 octobre 2009<br />
À la recherche d’un endroit où boire un café vers <strong>le</strong><br />
Bou<strong>le</strong>vard Magenta, mon regard est attiré par <strong>le</strong> nom de<br />
ce bar en face de la gare du Nord, « Le baroudeur »<br />
(décidément, après <strong>le</strong>s baroudeurs du Mexique…). Un<br />
fois assis à l’intérieur, mon café bu <strong>et</strong> mon journal lu, je<br />
vois sur la carte du bar l’adjectif qui fait suite au nom :<br />
76
« patient ». <strong>Il</strong> y a des chaussures usées exposées sur <strong>le</strong><br />
mur à côté du comptoir.<br />
Je prends mon temps. Mon train pour Marseil<strong>le</strong><br />
part à treize heures seize. Je me dirige vers l’église la<br />
plus proche. C’est parfait : l’église Saint Vincent de Paul<br />
est ouverte. Je peux y prier tranquil<strong>le</strong>ment. <strong>Il</strong> n’y a<br />
personne <strong>et</strong> c’est pourtant cha<strong>le</strong>ureux. Je m’y sens bien.<br />
Mes pensées se mê<strong>le</strong>nt à ma prière. Comme j’ai déjeuné<br />
hier à midi à côté du délégué de l’épiscopat français pour<br />
<strong>le</strong>s relations avec <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, <strong>le</strong> Père Patrick Desbois, on<br />
a un peu échangé. Pas grand-chose, quelques mots. <strong>Il</strong> m’a<br />
demandé si j’étais marseillais ; j’ai répondu que j’étais<br />
haut savoyard. Je lui ai dit que la meil<strong>le</strong>ure façon de<br />
connaître <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> était de rencontrer des juifs, d’al<strong>le</strong>r<br />
dans une synagogue <strong>et</strong> d’étudier avec eux. <strong>Il</strong> m’a répondu<br />
que, lui aussi, c’était ce qu’il faisait.<br />
Et maintenant dans c<strong>et</strong>te église je pense à ma vie<br />
immobilisée dans c<strong>et</strong>te matinée. Je ne me perçois pas<br />
dans un mouvement, je me vois dans une sorte de pause,<br />
un « entre deux ». J’ai attendu depuis plusieurs semaines<br />
c<strong>et</strong>te journée du 29 octobre, <strong>et</strong> aujourd’hui <strong>le</strong> 30, je me<br />
sens à nouveau comme un baroudeur solitaire. J’avais<br />
espéré rencontrer des personnes, ou au moins une, qui<br />
puisse me montrer du soutien <strong>et</strong> même m’accompagner<br />
dans ma prospection. Je n’ai pas <strong>rencontré</strong> d’opposition.<br />
J’ai même plutôt <strong>rencontré</strong> des encouragements. C’est<br />
77
mieux que rien mais <strong>le</strong> résultat est qu’aujourd’hui comme<br />
avant-hier je me sens seul. Un baroudeur est en général<br />
seul.<br />
Hier matin, en passant devant l’entrée principa<strong>le</strong>,<br />
j’ai vu sur <strong>le</strong> fronton ce que je trouve <strong>le</strong> plus absurde<br />
dans une église catholique. C’est une représentation qui<br />
ne se trouve heureusement pas dans toutes <strong>le</strong>s églises.<br />
Quand el<strong>le</strong> y est je la remarque immédiatement <strong>et</strong> je<br />
voudrais que c<strong>et</strong>te peinture ait un accident, qu’el<strong>le</strong> soit<br />
brûlée pour qu’el<strong>le</strong> ne s’imprime plus dans l’imaginaire<br />
des catholiques. Mais c’est trop tard, c<strong>et</strong>te mauvaise<br />
image de Dieu est profondément imprimée dans<br />
beaucoup d’esprits.<br />
Sur la façade principa<strong>le</strong> de c<strong>et</strong>te église on voit <strong>le</strong><br />
Père avec sa barbe blanche à côté du Fils. On dirait deux<br />
copains ; ils ont la même tail<strong>le</strong>, la même apparence. On<br />
dirait qu’ils se tiennent par <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s comme deux<br />
frères. Et il y a bien sûr une colombe au-dessus d’eux.<br />
El<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> ne me gêne pas. En revanche, la représentation<br />
humaine de Dieu me gêne 13 . Je crois en un seul Dieu qui<br />
est Père, Fils <strong>et</strong> Saint-Esprit, je ne crois pas en deux<br />
dieux. Non, <strong>le</strong> Père ne peut pas être représenté comme<br />
son Fils Jésus. Cela s’appel<strong>le</strong> diviser Dieu ; cela s’appel<strong>le</strong><br />
inventer un second dieu ; cela s’appel<strong>le</strong> de l’idolâtrie. Et<br />
13 La représentation du Père par une image n’est guère conforme à<br />
la Tradition de l’Eglise. Voir <strong>le</strong> Catéchisme de l’Eglise catholique,<br />
§ 1159.<br />
78
c’est grâce au <strong>judaïsme</strong> que l’on devient en principe très<br />
sensib<strong>le</strong> à c<strong>et</strong>te déviance « chrétienne ».<br />
Malheureusement je me sens souvent seul à souffrir<br />
de c<strong>et</strong>te déviance. C’est pour cela que <strong>le</strong> nom de ce bar<br />
m’a plu. Je suis un peu comme un baroudeur, un<br />
voyageur, un aventurier. Mon aventure ne se passe pas<br />
dans différents coins de la planète. Je suis plutôt un<br />
baroudeur de l’intérieur, un baroudeur spirituel <strong>et</strong><br />
religieux. Je suis un catholique qui se promène dans <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> sans quitter <strong>le</strong> christianisme. En fait, dans <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong>, c’est <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> que je cherche. Et si je <strong>le</strong><br />
cherche dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> depuis vingt ans, c’est parce<br />
que je <strong>le</strong> trouve. Plus je <strong>le</strong> trouve, plus j’ai envie de <strong>le</strong><br />
chercher. Et j’aimerais partager c<strong>et</strong>te découverte, c<strong>et</strong>te<br />
recherche. Cependant j’ai beaucoup de mal à la<br />
transm<strong>et</strong>tre, à la partager. Je ne perds pas espoir. Je suis<br />
un baroudeur devenu plus patient.<br />
Je continue à prier dans l’église Saint Vincent de<br />
Paul <strong>et</strong> à laisser venir des pensées qui peuvent plus<br />
paisib<strong>le</strong>ment venir dans la prière <strong>et</strong> encore mieux dans <strong>le</strong><br />
si<strong>le</strong>nce d’une église. Je repense à la veil<strong>le</strong>. C<strong>et</strong>te journée<br />
a été bien remplie. Hier en fin d’après-midi je me suis<br />
r<strong>et</strong>rouvé seul. Je suis allé faire un p<strong>et</strong>it tour au Collège<br />
des Bernardins ; je suis resté un p<strong>et</strong>it moment dans la<br />
chapel<strong>le</strong> <strong>et</strong> j’ai inspecté la librairie. Je n’ai rien ach<strong>et</strong>é.<br />
J’ai pourtant beaucoup aimé <strong>le</strong>s livres en lien avec <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> qui s’y trouvaient. Le Cardinal Lustiger y était<br />
79
évidemment très bien représenté. J’ai regardé si on<br />
pouvait trouver un livre du Cardinal Ratzinger sur <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong>, un livre que je connais bien puisque c’est <strong>le</strong><br />
seul de ma bibliothèque que j’ai ach<strong>et</strong>é en doub<strong>le</strong>, pour <strong>le</strong><br />
prêter plus faci<strong>le</strong>ment. <strong>Il</strong> s’appel<strong>le</strong> « L’unique alliance de<br />
Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> pluralisme des religions » 14 . Je ne l’ai pas vu <strong>et</strong><br />
n’avais pas envie de <strong>le</strong> demander.<br />
Ensuite j’ai continué à marcher dans <strong>le</strong> quartier. Je<br />
me suis r<strong>et</strong>rouvé devant l’église Saint Germain-des-Prés.<br />
El<strong>le</strong> était ouverte. Je pourrais ici utiliser l’expression<br />
« j’ai vu de la lumière <strong>et</strong> je suis entré ». J’ai regardé <strong>le</strong>s<br />
prospectus du fond, comme j’aime bien <strong>le</strong> faire en entrant<br />
dans une église. Et j’ai vu des feuil<strong>le</strong>s imprimées qui ont<br />
attiré mon cœur. C’était une sorte de réponse à une<br />
interrogation qui persistait toujours dans mes pensées :<br />
« Comment prier de manière continuel<strong>le</strong> ? Quel<strong>le</strong> courte<br />
prière répéter sans cesse ? ». Bien sûr c<strong>et</strong>te feuil<strong>le</strong> n’allait<br />
pas me donner une réponse définitive <strong>et</strong> miracu<strong>le</strong>use,<br />
mais quand même : c’était comme un sympathique clin<br />
d’œil du Ciel. C<strong>et</strong>te page <strong>parlait</strong> –en gros- de Saint<br />
François d’Assise en prière. Ses frères qui <strong>le</strong> voyaient si<br />
souvent en train de prier se demandaient ce qu’il pouvait<br />
dire au <strong>Christ</strong> qu’il contemplait. Fina<strong>le</strong>ment l’un deux<br />
ose s’approcher <strong>et</strong> entend Saint François répéter « Toi,<br />
Toi, Toi… ». J’aime bien c<strong>et</strong>te approche de la prière. En<br />
fait, ici, ce qui importe ce ne sont pas <strong>le</strong>s mots mais ce à<br />
14 Editions Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, 1999.<br />
80
quoi ils (ou il) correspondent. Et ici <strong>le</strong> mot « Toi » dit<br />
tout de Dieu, du <strong>Christ</strong> contemplé par Saint François.<br />
Cela m’a donné envie de rester un peu plus dans<br />
c<strong>et</strong>te bel<strong>le</strong> église. Je me suis assis au fond <strong>et</strong> j’ai entendu<br />
dans <strong>le</strong> chœur des étudiants préparer <strong>le</strong>s chants pour la<br />
messe. <strong>Il</strong> y a avait une guitare, une flûte traversière. Cela<br />
m’a donné envie de m’approcher. <strong>Il</strong> était presque dixneuf<br />
heures, la messe allait commencer. Je me suis donc<br />
assis. J’étais juste à l’heure. L’étudiante qui animait avait<br />
une si bel<strong>le</strong> voix que j’ai p<strong>le</strong>uré presque à chaque chant.<br />
Au moment de communier j’ai dû me cacher un peu<br />
tel<strong>le</strong>ment je p<strong>le</strong>urais. Etait-ce seu<strong>le</strong>ment à cause de la<br />
clarté de la voix de c<strong>et</strong>te fil<strong>le</strong> ? Etait-ce la fatigue<br />
accumulée ? Etait-ce <strong>le</strong> sentiment d’être à un moment de<br />
ma vie particulier ? Ou était-ce <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> qui descendait<br />
dans mon corps ? En tout cas <strong>le</strong>s larmes coulaient si fort<br />
que je me demandais depuis quand el<strong>le</strong>s n’avaient pas<br />
coulé comme ça.<br />
Ce matin, comme égaré dans c<strong>et</strong>te église à côté de<br />
la gare du Nord, je repense à tout cela avant d’al<strong>le</strong>r<br />
rechercher mes affaires <strong>et</strong> de me diriger vers la gare de<br />
Lyon.<br />
81
11. Des catholiques en quête de racines<br />
juives<br />
Deux nuits à Paris avec une journée au milieu qui<br />
en vaut plusieurs. <strong>Il</strong> y a des jours comme ça qui sont si<br />
remplis qu’on a besoin de plusieurs jours pour <strong>le</strong>s<br />
digérer. Aujourd’hui, trois jours plus tard, je repense<br />
encore à c<strong>et</strong>te conversation téléphonique avec Daniel<br />
depuis une rue calme du quartier latin. <strong>Il</strong> y a des coups de<br />
fil qui ont plus d’importance que <strong>le</strong>s autres. Celui-là je<br />
l’attendais depuis plusieurs semaines.<br />
Daniel, c’est un ami juif marseillais. <strong>Il</strong> a presque<br />
mon âge, un peu moins. <strong>Il</strong> est croyant <strong>et</strong> orthodoxe mais<br />
il m’a confié que depuis quelques temps il prenait un peu<br />
de distance avec la pratique, qu’il fréquentait moins<br />
régulièrement <strong>le</strong>s rabbins. Comme à trente-cinq ans il<br />
n’est pas marié, il m’a expliqué que ce n’était pas faci<strong>le</strong><br />
de vivre la pratique religieuse de manière solitaire. En<br />
eff<strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> est une religion qui trouve sa p<strong>le</strong>ine<br />
dimension au sein du coup<strong>le</strong> <strong>et</strong> de la famil<strong>le</strong>. Avec<br />
Daniel, bien qu’il soit d’un courant très traditionnel, on<br />
peut discuter de tout. <strong>Il</strong> a l’habitude de par<strong>le</strong>r avec des<br />
non-juifs, avec des chrétiens. <strong>Il</strong> y a environ un mois,<br />
après une bonne conversation à la terrasse d’un bar du<br />
82
centre-vil<strong>le</strong>, on avait décidé de s’inviter mutuel<strong>le</strong>ment à<br />
un office de sa religion. Je lui avais proposé deux<br />
options : une messe dans un appartement d’une cité des<br />
quartiers Nord ou une prière de jeunes en lien avec la<br />
communauté de Taizé. Je lui ai décrit un peu comment se<br />
dérou<strong>le</strong> la messe, l’atmosphère particulière dans c<strong>et</strong><br />
appartement au dixième étage avec des jeunes de la cité<br />
<strong>et</strong> des jeunes des quartiers plus aisés. Et puis je lui ai<br />
parlé de la communauté œcuménique de Taizé. <strong>Il</strong> a choisi<br />
ma deuxième proposition : la prière des étudiants <strong>le</strong> lundi<br />
soir à l’église du Vieux Port. <strong>Il</strong> a beaucoup aimé c<strong>et</strong>te<br />
prière chrétienne. Les chants mélodieux <strong>et</strong> répétitifs dans<br />
différentes langues. Les lumières des bougies. La beauté<br />
des voix. Le nombre de jeunes <strong>et</strong> <strong>le</strong>ur ferveur joyeuse.<br />
Taizé est une excel<strong>le</strong>nte porte d’entrée dans <strong>le</strong><br />
christianisme. Et donc, à son tour, il m’a invité à<br />
participer à un office dans une synagogue que je ne<br />
connaissais pas.<br />
La situation entre nous deux n’est pas exactement<br />
symétrique puisque j’ai l’habitude de prier dans <strong>le</strong>s<br />
synagogues. Et à Marseil<strong>le</strong> j’en ai déjà connu plusieurs.<br />
Quand je suis arrivé à Marseil<strong>le</strong> il y a un an, j’ai<br />
commencé par al<strong>le</strong>r à cel<strong>le</strong> de mon quartier <strong>le</strong> vendredi<br />
soir, une p<strong>et</strong>ite synagogue orthodoxe sépharade à dix<br />
minutes à pied. La première fois je me suis présenté un<br />
peu avant l’office au président de la synagogue. Je lui ai<br />
expliqué mon souhait de me joindre à eux pour la prière<br />
83
ien que je ne sois pas juif. <strong>Il</strong> m’a dit que j’étais <strong>le</strong><br />
bienvenu. Je suis donc revenu plusieurs fois participer à<br />
l’office d’entrée dans <strong>le</strong> shabbat. J’y ai <strong>rencontré</strong> un<br />
homme qui travail<strong>le</strong> comme moi dans l’Education<br />
Nationa<strong>le</strong>. Le fait d’avoir <strong>le</strong> même patron nous a tout de<br />
suite rapprochés. On a vite sympathisé. Jusqu’à ce qu’il<br />
comprenne que je n’étais pas juif. Au bout de quelques<br />
semaines j’ai constaté que <strong>le</strong>s échanges avec <strong>le</strong>s gens<br />
seraient limités. <strong>Il</strong>s étaient, peut-être du fait de la p<strong>et</strong>ite<br />
tail<strong>le</strong> de la communauté, trop « entre eux ».<br />
Alors j’ai décidé d’al<strong>le</strong>r voir un peu ail<strong>le</strong>urs. A<br />
Marseil<strong>le</strong> on a <strong>le</strong> choix ! J’ai décidé d’al<strong>le</strong>r à la Grande<br />
Synagogue de la vil<strong>le</strong>. J’ai invité deux amis chrétiens,<br />
Antoine <strong>et</strong> sœur Jeanne-Françoise. C’était un office où <strong>le</strong><br />
faib<strong>le</strong> nombre de fidè<strong>le</strong>s contrastait avec la grande tail<strong>le</strong><br />
de la synagogue. <strong>Il</strong> était évident que ce n’était pas dans ce<br />
genre d’endroit que je pourrais rencontrer des juifs<br />
accueillants. Alors j’ai essayé la synagogue libéra<strong>le</strong>. J’y<br />
suis allé, introduit par <strong>le</strong> président de l’Amitié Judéo-<br />
Chrétienne de Marseil<strong>le</strong>, avec la trésorière. C’était un<br />
office sans rabbin où l’on chante <strong>et</strong> prie peu en <strong>hébreu</strong> <strong>et</strong><br />
beaucoup en français. Les gens ne participaient pas<br />
beaucoup. J’avais l’impression d’assister passivement à<br />
un beau récital.<br />
J’ai été ensuite chez <strong>le</strong>s Massortis du huitième<br />
arrondissement. C’était ce qui me convenait <strong>le</strong> mieux<br />
mais c’était quand même un peu loin en voiture, de<br />
l’autre côté de la vil<strong>le</strong>. Alors je suis allé dans une<br />
84
synagogue où j’allais à des cours de Torah <strong>le</strong> mercredi<br />
soir. <strong>Il</strong> y avait un mélange de Loubavitchs <strong>et</strong><br />
d’orthodoxes (toujours sépharades bien sûr). C’était<br />
fervent <strong>et</strong> joyeux. <strong>Il</strong>s dansaient même un peu au moment<br />
du Lekha dodi, <strong>le</strong> chant d’entrée dans <strong>le</strong> Shabbat. Mais <strong>le</strong><br />
rabbin était inaccessib<strong>le</strong> <strong>et</strong> on m’avait placé à côté d’un<br />
converti (ancien protestant), sans doute pour que je me<br />
convertisse à mon tour. <strong>Il</strong> y avait une sorte de ma<strong>le</strong>ntendu<br />
qui au bout de quelques shabbats m’a incité à al<strong>le</strong>r voir<br />
ail<strong>le</strong>urs.<br />
Je me suis attaché à une p<strong>et</strong>ite communauté dirigée<br />
par un jeune rabbin loubavitch, dans <strong>le</strong> treizième<br />
arrondissement. C’était très sympathique, avec des juifs<br />
« débutants », de r<strong>et</strong>our à <strong>le</strong>ur religion. Et moi j’étais<br />
vraiment <strong>le</strong> bienvenu, d’autant plus que je connaissais<br />
mieux l’<strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> la Torah que certains. Et puis j’avais<br />
joué « cartes sur tab<strong>le</strong> » dès <strong>le</strong> premier office. J’ai dit tout<br />
de suite que j’étais chrétien. Quand <strong>le</strong> rabbin m’a<br />
demandé si je voulais me convertir, je n’ai pas été<br />
ambigu, j’ai répondu franchement que non. Je craignais<br />
un peu sa réaction, mais el<strong>le</strong> m’a à la fois étonné <strong>et</strong><br />
enchanté : il m’a proposé de venir non pas seul mais avec<br />
ma femme <strong>et</strong> mes enfants. J’y suis donc r<strong>et</strong>ourné souvent.<br />
Mais, en fait, ce qui m’a découragé c’est d’y al<strong>le</strong>r sans<br />
autres chrétiens avec qui partager c<strong>et</strong>te lumière offerte<br />
aux nations par <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif. Et puis, pour un chrétien<br />
qui n’a jamais mis <strong>le</strong>s pieds dans une synagogue, c<strong>et</strong>te<br />
85
sorte de communauté n’est certainement pas la porte<br />
d’entrée idéa<strong>le</strong>.<br />
Donc jeudi soir j’étais en train de répondre au<br />
message laissé sur mon portab<strong>le</strong> par Daniel. <strong>Il</strong> m’a fait<br />
trois propositions <strong>et</strong> j’avais déjà choisi ma réponse. Je<br />
l’ai cependant laissé me décrire chaque lieu, chaque<br />
communauté, chaque rabbin, avant de lui indiquer ma<br />
préférence : la synagogue d’un des rabbins <strong>le</strong>s plus<br />
influents de la vil<strong>le</strong>. Quel<strong>le</strong> chance de pouvoir y être<br />
introduit ! Et au cours de c<strong>et</strong>te même conversation depuis<br />
Paris, Daniel m’a dit qu’il aimait beaucoup <strong>le</strong> livre que je<br />
lui avais prêté. C’est un livre recommandé par Benoît<br />
XVI pour faciliter <strong>le</strong> dialogue entre juifs <strong>et</strong> chrétiens. Je<br />
constate encore une fois que ce pape est vraiment<br />
pertinent ; ce livre est un excel<strong>le</strong>nt point de départ pour<br />
discuter avec des juifs. <strong>Il</strong> s’agit d’un rabbin qui s’imagine<br />
au temps de Jésus parmi ceux qui l’écoutent <strong>et</strong> sont tentés<br />
de <strong>le</strong> suivre. Et lui, tout au long de son livre, explique<br />
pourquoi il ne <strong>le</strong> suit pas. Cela aide <strong>le</strong>s chrétiens à mieux<br />
comprendre pourquoi <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> n’est pas accepté par <strong>le</strong>s<br />
juifs <strong>et</strong> cela perm<strong>et</strong> de bien clarifier <strong>le</strong>s choses à propos<br />
du prosélytisme qui peut parasiter <strong>le</strong> dialogue. Quand on<br />
ne cherche pas à convertir l’autre, l’amitié est possib<strong>le</strong>, la<br />
86
vérité est possib<strong>le</strong>. Ce livre de Jacob Neusner s’appel<strong>le</strong><br />
« Un rabbin par<strong>le</strong> avec Jésus » 15 .<br />
Bientôt on va se r<strong>et</strong>rouver autour de Bernard, <strong>le</strong><br />
délégué du diocèse de Marseil<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s relations avec <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong>. Je raconterai comment s’est passé la réunion<br />
nationa<strong>le</strong> à Paris jeudi dernier. Au milieu de tous <strong>le</strong>s<br />
représentants des évêques j’étais n<strong>et</strong>tement <strong>le</strong> plus jeune,<br />
pour ne pas dire « <strong>le</strong> bébé » ; <strong>et</strong> je n’étais pas délégué<br />
mais représentant de Bernard qui n’avait pas pu se<br />
déplacer. Aussi je venais surtout pour écouter. Cependant<br />
je n’étais pas trop perdu parce que j’ai r<strong>et</strong>rouvé des<br />
visages connus : <strong>le</strong> prêtre délégué du Var où j’ai vécu<br />
quatre ans, <strong>le</strong> délégué de Montpellier, un dominicain que<br />
j’ai eu comme professeur au séminaire de Toulon (où<br />
j’étais en formation pour <strong>le</strong> diaconat permanent), <strong>le</strong><br />
directeur de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France.<br />
L’évêque responsab<strong>le</strong> de « L’unité des chrétiens <strong>et</strong><br />
des relations avec <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> » est venu dire bonjour à<br />
chacun. <strong>Il</strong> y avait aussi un second évêque (sous l’autorité<br />
du premier) responsab<strong>le</strong> uniquement des relations avec <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong>. C’est lui qui, après la présentation de la<br />
journée par <strong>le</strong> Père Desbois, a fait une sorte d’état des<br />
lieux des relations entre l’Eglise <strong>et</strong> la Synagogue en<br />
France. J’ai bien aimé sa manière d’encourager <strong>le</strong>s<br />
initiatives : « Ne pas attendre que tout vienne « d’en<br />
15 Editions du Cerf, 2008.<br />
87
haut » car l’amitié n’a pas besoin d’attendre des<br />
instructions ». <strong>Il</strong> a insisté sur un point de convergence<br />
entre juifs <strong>et</strong> chrétiens : l’attente du Royaume (attente du<br />
Messie pour <strong>le</strong>s uns <strong>et</strong> attente de son r<strong>et</strong>our pour <strong>le</strong>s<br />
autres).<br />
Le Père Desbois a rappelé tous <strong>le</strong>s outils que nous<br />
avons en France pour faciliter <strong>le</strong>s liens entre <strong>le</strong>s deux<br />
communautés : l’Amitié Judéo-Chrétienne, DAVAR (une<br />
association qui chaque été propose à des juifs <strong>et</strong> des<br />
chrétiens de passer une semaine d’étude <strong>et</strong> de prière<br />
ensemb<strong>le</strong>), <strong>le</strong> SIDIC (Service Information<br />
Documentation Juifs <strong>et</strong> Chrétiens 16 ), <strong>le</strong> Collège des<br />
Bernardins… <strong>Dans</strong> d’autres pays européens, il n’y a rien<br />
de tout cela. <strong>Il</strong> a aussi parlé de la situation aux Etats-Unis<br />
où <strong>le</strong> dialogue se pratique surtout avec des juifs non<br />
religieux (ou libéraux) <strong>et</strong> où l’on se dispute entre évêques<br />
<strong>et</strong> rabbins à propos du mot « évangélisation ». Les<br />
évêques américains ont du mal à préciser <strong>le</strong> terme, alors<br />
que <strong>le</strong> Vatican n’est pas aussi obstiné : l’Eglise n’a plus<br />
pour objectif de convertir <strong>le</strong>s juifs 17 . Par ail<strong>le</strong>urs, dans ce<br />
pays, un problème grave se pose à la communauté juive :<br />
l’assimilation galopante. Et, à la différence de l’Europe,<br />
aux Etats-Unis <strong>le</strong>s juifs qui abandonnent <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> ne<br />
16<br />
www.sidic.org/fr<br />
17<br />
Mais l’Eglise ne peut pas renoncer à présenter Jésus comme <strong>le</strong><br />
Messie des juifs.<br />
88
deviennent pas agnostiques mais chrétiens (protestants <strong>et</strong><br />
très rarement catholiques). Aux U.S.A. <strong>le</strong>s juifs ont de<br />
très « bonnes » relations avec <strong>le</strong>s Chrétiens Evangéliques<br />
qui financent l’alia (émigration en Israël) de juifs russes<br />
<strong>et</strong> forment un lobby chrétien sioniste aussi puissant que <strong>le</strong><br />
lobby juif.<br />
Après <strong>le</strong> déjeuner j’ai pu aborder l’évêque<br />
responsab<strong>le</strong> des relations avec <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> pour lui poser<br />
deux questions qui me tenaient à cœur : après la récente<br />
demande du Vatican de remplacer <strong>le</strong> mot « Yahvé » par<br />
<strong>le</strong> mot « Seigneur », comment définir <strong>le</strong> sens du même<br />
mot dans l’Ancien <strong>et</strong> <strong>le</strong> Nouveau Testament ? Et peut-on,<br />
comme a l’habitude de <strong>le</strong> faire <strong>le</strong> Cardinal Barbarin <strong>le</strong><br />
jour de Kippour, prier dans une synagogue ? <strong>Il</strong> m’a<br />
répondu de manière à la fois directe <strong>et</strong> prudente. « <strong>Dans</strong><br />
<strong>le</strong> Nouveau Testament <strong>le</strong> mot Seigneur se réfère au <strong>Christ</strong><br />
<strong>et</strong> aussi au Père. ». Pour prier dans une synagogue : « oui<br />
on peut <strong>le</strong> faire mais cela doit préalab<strong>le</strong>ment passer par<br />
l’amitié ».<br />
En bref, c<strong>et</strong>te journée a été très intéressante <strong>et</strong> riche<br />
en échanges, notamment à propos d’expériences<br />
innovantes dans d’autres diocèses, même où il y a très<br />
peu de juifs. Ainsi, à Nantes ils organisent l’été prochain,<br />
dans un monastère, une semaine de sensibilisation au<br />
<strong>judaïsme</strong> pour <strong>le</strong>s catholiques qui <strong>le</strong> souhaitent <strong>et</strong><br />
89
« connaissant pas ou peu la tradition juive » avec des<br />
intervenants juifs <strong>et</strong> catholiques. On voit que <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong><br />
suscite la curiosité des chrétiens mais on ne sait pas trop<br />
par quel<strong>le</strong> porte y entrer. <strong>Il</strong> y a heureusement des<br />
brico<strong>le</strong>urs <strong>et</strong> des artistes, des aventuriers <strong>et</strong> des pionniers<br />
qui depuis environ un sièc<strong>le</strong> tentent de réparer la<br />
déchirure vieil<strong>le</strong> de presque deux mil<strong>le</strong> ans. On peut<br />
remarquer que ces baroudeurs sont des tisserands<br />
artisanaux pas tel<strong>le</strong>ment industrialisés, pas tel<strong>le</strong>ment<br />
organisés. Ce sont des artisans (<strong>et</strong> des artistes) de paix.<br />
Des « baroudeurs de paix ».<br />
90
12. A la recherche du <strong>Christ</strong> dans <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong><br />
« Adonaï Elohaï »<br />
Jean 20,28<br />
Shabbat Shalom ! Nous sommes vendredi soir. Et<br />
moi j’écris. Même si je ne suis pas juif, j’essaie quand<br />
même parfois de « faire un peu shabbat », de ne pas trop<br />
utiliser la voiture, de prier plus, de me consacrer à ma<br />
famil<strong>le</strong>, de ne pas trop lire de choses profanes, de ne pas<br />
trop écrire, téléphoner, utiliser l’é<strong>le</strong>ctricité… Etre<br />
chrétien c’est quand même plus faci<strong>le</strong> que d’être juif !<br />
Pas besoin de respecter six-cent-treize mitzvot (pluriel de<br />
mitzva), <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s ou commandements de la Torah.<br />
Heureusement que saint Pierre a changé d’avis, sinon<br />
tout chrétien devrait être -comme avant <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> 18 de<br />
Jérusa<strong>le</strong>m en 48- à la fois baptisé <strong>et</strong> circoncis. <strong>Il</strong> fallait<br />
auparavant être -ou devenir- juif pour devenir chrétien.<br />
Ouf ! Donc j’écris pendant <strong>le</strong> shabbat…<br />
18 Actes 15<br />
91
Je reviens de l’office à la synagogue où Daniel m’a<br />
invité. Chaque synagogue, chaque rabbin, chaque<br />
communauté a son propre sty<strong>le</strong>. C’est la même chose<br />
pour une église, un curé, une communauté. <strong>Dans</strong> c<strong>et</strong>te<br />
synagogue, ce qui est particulier c’est l’affiche collée à<br />
l’entrée <strong>et</strong> sur <strong>le</strong>s colonnes à l’intérieur de la sal<strong>le</strong> de<br />
prière : « Nous ne parlons pas durant toute la tfila (la<br />
prière) ». C’est en eff<strong>et</strong> une originalité : je n’avais encore<br />
jamais participé à une prière du shabbat où l’on ne<br />
discute pas. Les premières fois ça m’avait surpris ces<br />
hommes qui se racontent <strong>le</strong>ur journée ou <strong>le</strong>ur semaine<br />
pendant l’office alors que <strong>le</strong> rabbin chante ou lit. M’y<br />
étant habitué, je trouvais ce désordre fina<strong>le</strong>ment<br />
sympathique. Ce qui m’avait aussi surpris <strong>le</strong>s premières<br />
fois c’est que <strong>le</strong> rabbin ne préside pas toute la prière. A<br />
tour de rô<strong>le</strong> chacun peut guider <strong>le</strong>s autres. Cela a l’air<br />
démocratique, surtout quand un enfant prend son tour<br />
parmi <strong>le</strong>s adultes. Après je m’étais rendu compte que ce<br />
n’était pas si désordonné puisque l’on ne prend pas la<br />
paro<strong>le</strong> au hasard <strong>et</strong> qu’il y a des moments plus recueillis<br />
que d’autres. Par conséquent, selon <strong>le</strong> moment de la<br />
prière, on peut être plus ou moins attentif ou relâché.<br />
Mais parfois ça dérape ; certains se croient dans un café<br />
<strong>et</strong> se m<strong>et</strong>tent à avoir une conversation qui dérange <strong>le</strong>s<br />
autres. Alors on <strong>le</strong>ur demande de se taire <strong>et</strong> il arrive que<br />
<strong>le</strong>s demandes de si<strong>le</strong>nce soient assez autoritaires…<br />
92
Mais ce soir à la synagogue on entendait<br />
uniquement des gens prier. Autre particularité, quand j’ai<br />
voulu prendre au fond un livre de prière avec la<br />
traduction en français on m’a dit qu’il n’y en avait pas.<br />
Bon, d’accord : même si on lit mal l’<strong>hébreu</strong> il faut faire<br />
semblant de bien lire ! Et, comme <strong>le</strong> rabbin est<br />
prestigieux, il y avait quelqu’un qui guidait la prière à sa<br />
place pour qu’il ne se fatigue pas trop. Et d’habitude <strong>le</strong><br />
rabbin est tourné vers la Torah comme <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s. Mais<br />
dans c<strong>et</strong>te synagogue <strong>le</strong> rabbin était assis comme un<br />
prêtre dans une église, regardant <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s. A la fin il a<br />
dit un p<strong>et</strong>it mot pour expliquer comment faire <strong>le</strong><br />
kidouche, la bénédiction du vin <strong>et</strong> du pain avant de<br />
commencer <strong>le</strong> repas du shabbat. A chaque début de<br />
phrase il répétait « il faut », <strong>et</strong> je n’ai pas entendu son<br />
cœur mais sa connaissance de la Loi. J’avais l’impression<br />
d’entendre un professeur de droit. C’est la première fois<br />
que j’écoute un rabbin qui ne s’adresse pas au cœur des<br />
gens.<br />
Je suis déçu d’être déçu. J’aurais voulu revenir ce<br />
soir en désapprouvant Jésus qui disait si souvent aux<br />
religieux de son époque : « ne vous laissez pas enfermer<br />
dans la Loi, la Loi est faite pour <strong>le</strong> bonheur de l’homme,<br />
c’est un outil, pas un but en soi ». Souvent j’ai entendu<br />
Jésus par<strong>le</strong>r dans la bouche de juifs exprimant <strong>le</strong>ur<br />
indignation : « certains refusent d’aider une grand-mère<br />
en chaise roulante à monter <strong>le</strong>s marches de la synagogue<br />
sous prétexte qu’il ne faut pas porter durant <strong>le</strong> shabbat ».<br />
93
N’étant pas juif je m’efforce de ne pas critiquer <strong>le</strong>s juifs,<br />
je <strong>le</strong>s regarde <strong>et</strong> <strong>le</strong>s écoute, c’est tout. Nous chrétiens<br />
avons assez de choses à améliorer chez nous. C’est<br />
pareil.<br />
Ce soir, comme à chaque fois que je chante <strong>le</strong>s<br />
psaumes du shabbat qui mènent au fameux Lekha dodi,<br />
je me sens transporté <strong>et</strong> ne peux m’empêcher de penser à<br />
Jésus qui devait certainement chanter <strong>le</strong>s mêmes<br />
psaumes 19 . Le Lekha dodi (Viens mon bien aimé), c’est<br />
un des moments <strong>le</strong>s plus émouvants : c’est pendant qu’on<br />
<strong>le</strong> chante que <strong>le</strong> shabbat entre dans la synagogue. Aussi,<br />
vers la fin de ce très joyeux poème, on se lève <strong>et</strong> on se<br />
tourne vers la porte d’entrée pour l’accueillir. Le refrain<br />
dit : « Va mon bien aimé au devant de ta fiancée, Shabbat<br />
paraît, allons la recevoir ».<br />
Dire que je pense à Jésus qui priait à la synagogue<br />
à chaque shabbat, ce n’est pas exact, c’est plus que ça. Si<br />
c’était uniquement ça, cela signifierait que je prie avec<br />
des juifs <strong>le</strong> shabbat en souvenir d’un homme que<br />
j’apprécie <strong>et</strong> que j’ai envie d’imiter ou de connaître<br />
mieux. Prier comme lui serait une façon de me souvenir<br />
de lui. Oui, c’est vrai, je vais au shabbat en souvenir de<br />
Jésus. Mais Jésus n’est pas seu<strong>le</strong>ment pour moi un<br />
homme qui est juif. Avec Pierre <strong>et</strong> <strong>le</strong>s autres apôtres,<br />
19 Jésus a dû chanter plus ou moins <strong>le</strong>s mêmes psaumes mais pas <strong>le</strong><br />
cantique Lekha Dodi car il a été composé au XVI ème sièc<strong>le</strong> par <strong>le</strong><br />
rabbin Shlomo Alkab<strong>et</strong>z qui vivait à Safed.<br />
94
comme chaque chrétien je lui déclare « Ata ha MashiaH,<br />
Ben (ha) Elohim Hayim », « Tu es <strong>le</strong> Messie, <strong>le</strong> Fils du<br />
Dieu vivant » (Matthieu 16,16).<br />
Le Fils du Dieu vivant n’existe pas depuis deux<br />
mil<strong>le</strong> ans, il existe depuis toujours, il est éternel, comme<br />
l’Eternel, comme Dieu. « <strong>Il</strong> est Dieu, né de Dieu,<br />
lumière, né de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu. »<br />
(Credo : Symbo<strong>le</strong> de Nicée, 325). <strong>Il</strong> est « vrai homme <strong>et</strong><br />
vrai Dieu » (Catéchisme de l’Eglise Catholique § 464) ;<br />
c’est donc non seu<strong>le</strong>ment à l’homme Jésus que je pense à<br />
la synagogue mais surtout à Dieu fait homme en Jésus.<br />
Autrement dit, quand j’entends <strong>le</strong> Nom de Dieu,<br />
j’entends <strong>et</strong> je « vois » <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>.<br />
Voir Dieu, c’est ce que nous devons nous efforcer<br />
de faire en permanence, comme <strong>le</strong> dit <strong>le</strong> psaume 16<br />
(vers<strong>et</strong> 8) :<br />
Je garde Adonaï הוהי <strong>le</strong> Seigneur devant moi<br />
sans relâche »<br />
ou : « Je garde sans cesse <strong>le</strong> Seigneur devant moi »<br />
(TOB)<br />
ou : « Je situe IHVH-Adonaï contre moi toujours »<br />
(Chouraqui)<br />
ou : « J’ai mis Yahvé devant moi sans relâche »<br />
(Bib<strong>le</strong> de Jérusa<strong>le</strong>m)<br />
ou : « J'ai constamment l'Éternel sous mes yeux »<br />
(Segond)<br />
95
ou : « Je fixe constamment mes regards sur <strong>le</strong><br />
Seigneur » (Rabbinat)<br />
(Psaume repris <strong>le</strong> jour de la Pentecôte, Actes 2,25)<br />
Chaque fois que j’entends « Adonaï », je vois <strong>le</strong><br />
<strong>Christ</strong>. D’une façon « humb<strong>le</strong>ment prétentieuse » j’ai<br />
l’impression d’être au milieu des juifs quelqu’un qui<br />
connaît « quelque chose de Dieu » qu’eux ignorent. Pour<br />
moi chrétien, Adonaï est venu parmi nous <strong>et</strong> on lui a<br />
donné sur terre <strong>le</strong> nom de Iéshoua עושי. De la même<br />
façon « humb<strong>le</strong>ment prétentieuse » j’ai l’impression<br />
d’être au milieu des chrétiens quelqu’un qui a découvert<br />
dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> « quelque chose du <strong>Christ</strong> » que<br />
beaucoup ignorent.<br />
C’est beau d’apprendre de chaque rive mais c’est<br />
dur d’être au milieu du pont. Je reste baroudeur mais<br />
depuis une semaine j’ai décidé de ne plus être seul. Je<br />
suis comme un marin ou un explorateur qui, pour se<br />
sentir moins seul, se fait accompagner par un journal. Le<br />
titre du mien pourrait être : « Journal de bord d’un<br />
catholique à la recherche du <strong>Christ</strong> dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> ».<br />
96
13. Lehitpa<strong>le</strong>l beyahad<br />
« Ma maison sera appelée maison de prière pour<br />
tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s »<br />
Isaïe 56,7 <strong>et</strong> Marc 11,17<br />
Le Messager Du 17 au 30 novembre 2007<br />
Feuil<strong>le</strong> d’informations des paroisses St Paul – St<br />
Flavien – St Jean Bosco<br />
« Qui rencontre Jésus <strong>Christ</strong> rencontre <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> »<br />
Jean Paul II à Mayence en 1980, citant <strong>le</strong>s évêques<br />
al<strong>le</strong>mands,<br />
repris par Benoît XVI à Cologne en 2005<br />
Groupe d’étude <strong>et</strong> de prière pour rencontrer <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong><br />
Une fois par mois nous nous réunissons, juifs <strong>et</strong><br />
chrétiens, pour approfondir <strong>et</strong> partager notre<br />
connaissance du <strong>judaïsme</strong>. Nous échangeons à partir de<br />
la Bib<strong>le</strong>, de livres ou de revues traitant du <strong>judaïsme</strong>. Et<br />
puis, essentiel<strong>le</strong>ment grâce aux psaumes, nous prions<br />
97
ensemb<strong>le</strong>. Notre groupe est donc ouvert à la fois aux<br />
catholiques <strong>et</strong> aux juifs, mais aussi à toute personne qui<br />
souhaiterait nous rejoindre.<br />
Pour mieux connaître <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, nous essayons<br />
de participer de temps en temps aux offices à la<br />
synagogue, à une fête importante (Soukkot, Pessah,<br />
Shavouot, Roch Hachana…).<br />
Notre but est de perm<strong>et</strong>tre aux chrétiens (en<br />
particulier aux catholiques) de mieux connaître <strong>le</strong>urs<br />
racines juives d’une façon accessib<strong>le</strong> <strong>et</strong> convivia<strong>le</strong>. Nous<br />
évitons bien sûr tout suj<strong>et</strong> politique <strong>et</strong> notre position<br />
correspond à ce qu’exprime l’Eglise :<br />
- Déclaration Nostra A<strong>et</strong>ate sur l’Eglise <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
religions chrétiennes, Vatican II, 1965.<br />
- Orientations pastora<strong>le</strong>s du Comité épiscopal pour<br />
<strong>le</strong>s relations avec <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> publiées par la Conférence<br />
Episcopa<strong>le</strong> Française, 16 avril 1973.<br />
- Déclaration de la Commission pour <strong>le</strong>s relations<br />
avec <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, Rome, 3 janvier 1975.<br />
- Le peup<strong>le</strong> juif <strong>et</strong> ses Saintes Ecritures dans la<br />
Bib<strong>le</strong> chrétienne, Commission pontifica<strong>le</strong> biblique, 2001.<br />
Durant l’année 2007 nous nous réunissions (p<strong>et</strong>it<br />
groupe de catholiques avec une personne juive) une fois<br />
par mois dans une paroisse de Toulon pour approfondir <strong>et</strong><br />
partager notre connaissance du <strong>judaïsme</strong>. Nous avions<br />
98
pris l’habitude d’échanger à partir de la Bib<strong>le</strong>, de livres<br />
ou de revues. Notre p<strong>et</strong>it groupe n’a pas perduré en tant<br />
que tel par manque de juifs. Mais nous avons continué à<br />
participer de temps en temps aux offices <strong>et</strong> aux fêtes de la<br />
communauté juive de Toulon. C’est peut-être mieux<br />
ainsi : c’est d’abord aux chrétiens de se déplacer, d’al<strong>le</strong>r<br />
à la rencontre de juifs en participant aux prières à la<br />
synagogue.<br />
Le verbe <strong>le</strong>hitpa<strong>le</strong>l en <strong>hébreu</strong> signifie « prier » ;<br />
beyahad signifie « ensemb<strong>le</strong> ». <strong>Il</strong> est en eff<strong>et</strong> bon pour <strong>le</strong>s<br />
juifs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s chrétiens de prier ensemb<strong>le</strong> car nous avons <strong>le</strong><br />
même Père, <strong>le</strong> Dieu d’Israël. Nous désirons mieux<br />
connaître nos racines juives, rencontrer <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>. C’est<br />
pour cela que nous allons à la source, prier avec <strong>le</strong>s juifs.<br />
Nous pensons que <strong>le</strong> fait de prier ensemb<strong>le</strong> nous<br />
rapproche <strong>le</strong>s uns des autres <strong>et</strong> du Dieu que nous avons<br />
en commun. Bien que nos religions soient différentes,<br />
nous prions <strong>le</strong> même Dieu. Les juifs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s chrétiens<br />
peuvent, sans chercher à unir <strong>le</strong>urs religions, unir <strong>le</strong>urs<br />
prières.<br />
Le Cardinal Philippe Barbarin précise que c’est<br />
grâce au <strong>Christ</strong> que nous sommes agrégés à Israël : « s’il<br />
est important de r<strong>et</strong>rouver la richesse de nos racines<br />
juives, il faut veil<strong>le</strong>r à ne pas s’éloigner du <strong>Christ</strong>. Sans<br />
lui, il n’y aurait pas de nouvel<strong>le</strong> alliance <strong>et</strong> d’agrégation<br />
des païens au peup<strong>le</strong> juif. C’est Jésus ressuscité qui<br />
99
continue de faire l’unité entre juifs <strong>et</strong> païens en son corps<br />
qui est l’Eglise (cf. Ephésiens 2) ».<br />
L’Archevêque de Lyon rappel<strong>le</strong> ainsi que la<br />
relation rapprochée d’un chrétien au <strong>judaïsme</strong> n’est pas<br />
sans risques. Une espèce de fascination pour <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong><br />
peut nous éloigner du <strong>Christ</strong>, par exemp<strong>le</strong> en nous<br />
amenant à relativiser sa divinité. Jésus n’est alors plus<br />
qu’un homme juif ordinaire ou un rabbin créant un<br />
nouveau courant parmi d’autres. <strong>Dans</strong> ce cas nous ne<br />
sommes plus chrétiens. Le Cardinal Lustiger explique<br />
que si nous adorons Jésus en niant son origine divine,<br />
nous pouvons devenir idolâtres : « L’un des drames de la<br />
civilisation chrétienne est qu’el<strong>le</strong> devient une civilisation<br />
athée tout en prétendant rester chrétienne, c'est-à-dire<br />
qu’el<strong>le</strong> fait du <strong>Christ</strong> une figure idolâtrique, un fils sans<br />
père –<strong>et</strong> donc sans Esprit–, où <strong>le</strong> seul esprit est<br />
fina<strong>le</strong>ment celui de l’homme. » En eff<strong>et</strong> réduire Dieu à<br />
un corps physique est une forme d’idolâtrie. « Le <strong>Christ</strong><br />
ne remplace pas <strong>le</strong>s ido<strong>le</strong>s des nations. » 20 .<br />
Je me souviens de la première fois que j’étais allé à<br />
la synagogue de Toulon en 2004. Je ne m’étais pas<br />
présenté. Comme je ne lis pas très bien l’<strong>hébreu</strong> mes<br />
voisins m’aidaient de temps à autre à r<strong>et</strong>rouver <strong>le</strong> fil de la<br />
prière. <strong>Il</strong>s pensaient certainement que j’étais un juif de<br />
20 Jean-Miguel Garrigues, Le dessein de Dieu à travers ses<br />
alliances, Editions de l’Emmanuel, 2003, page 168.<br />
100
<strong>et</strong>our au <strong>judaïsme</strong>. Mais quand je suis venu prier un<br />
samedi avec eux <strong>et</strong> que j’ai refusé de porter <strong>le</strong> talit (châ<strong>le</strong><br />
de prière) qu’ils proposaient de me prêter, ils ont compris<br />
que je n’étais pas juif. Pour porter <strong>le</strong> talit il faut en eff<strong>et</strong><br />
avoir fait sa bar mitzva (cérémonie d’entrée dans la<br />
communauté des adultes que l’on fait norma<strong>le</strong>ment à<br />
treize ans). Bar mitzva signifie littéra<strong>le</strong>ment « fils de la<br />
Loi » <strong>et</strong> cela implique par conséquent de respecter <strong>le</strong>s<br />
commandements, <strong>le</strong>s mitzvot. Comme <strong>le</strong> samedi je me<br />
faisais remarquer comme un mouton noir dans un<br />
troupeau de moutons blancs, j’ai fini par me sentir un peu<br />
gêné. Je me suis alors contenté de participer aux offices<br />
d’ouverture <strong>et</strong> de ferm<strong>et</strong>ure du shabbat, <strong>le</strong> vendredi <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
samedi soirs.<br />
Une fois par semaine <strong>le</strong> rabbin donnait un cours de<br />
Torah ; il commentait la parasha, la <strong>le</strong>cture d’un extrait<br />
de la Torah chaque shabbat. Je trouvais son enseignement<br />
vraiment riche <strong>et</strong> agréab<strong>le</strong>. <strong>Il</strong> ne lisait pas ce qu’il avait<br />
préparé, il <strong>parlait</strong> avec son cœur, avec sa spontanéité <strong>et</strong><br />
son savoir de ce qu’il croyait. Son seul « accessoire »<br />
était la Torah en <strong>hébreu</strong> qu’il commentait en laissant <strong>le</strong>s<br />
participants l’interrompre pour l’interroger. Même <strong>le</strong>s<br />
enfants pouvaient poser <strong>le</strong>urs questions sans se sentir à<br />
part. Le mélange harmonieux des générations dans <strong>le</strong><br />
peup<strong>le</strong> juif m’a toujours étonné <strong>et</strong> plu. A partir de treize<br />
ans <strong>le</strong> garçon est vraiment considéré comme un membre<br />
à part entière de la communauté. Et puis, comme <strong>le</strong>s<br />
femmes dans c<strong>et</strong>te communauté orthodoxe n’étaient pas<br />
101
présentes à l’étude, <strong>le</strong>s échanges entre hommes pouvaient<br />
traiter de la relation homme/femme sans aucun embarras.<br />
Je trouve nécessaire <strong>et</strong> sain de par<strong>le</strong>r de sexualité <strong>et</strong> de la<br />
manière de vivre <strong>le</strong> mariage entre croyants.<br />
J’ai encore <strong>le</strong> bul<strong>le</strong>tin « paroissial » de la<br />
synagogue de Toulon qui traite du mariage <strong>et</strong> de la<br />
saint<strong>et</strong>é du corps. En voici un extrait :<br />
« Le mariage selon la Torah est d’abord un lieu où<br />
se manifeste la saint<strong>et</strong>é dans toutes ses dimensions.<br />
L’amour mutuel des conjoints, <strong>le</strong> respect de l’un pour<br />
l’autre dans ce qu’il a de plus intime favorisent<br />
l’éclosion d’un espace sacré dans <strong>le</strong>quel Dieu peut<br />
résider. » (…)<br />
« Tout en rej<strong>et</strong>ant toute pratique de débauche ou<br />
simp<strong>le</strong>ment d’absence de pudeur, la Torah recommande<br />
l’union de l’homme <strong>et</strong> de la femme comme une finalité en<br />
soi, en dehors de toute idée de reproduction. La saint<strong>et</strong>é<br />
née de l’union conjuga<strong>le</strong> est tel<strong>le</strong>ment é<strong>le</strong>vée qu’el<strong>le</strong> sert<br />
d’image pour décrire l’amour <strong>et</strong> l’unité de Dieu <strong>et</strong><br />
d’Israël. De toutes ces idées, il se dégage l’idée exprimée<br />
par nos sages : un homme <strong>et</strong> une femme, s’ils ont du<br />
mérite, la Chékhina (présence divine) réside entre eux ».<br />
Comme j’assistais au cours hebdomadaire du<br />
rabbin sans qu’il ne m’ait jamais demandé qui j’étais, je<br />
me suis rendu compte qu’il croyait que j’étais israélien<br />
car ma connaissance de l’<strong>hébreu</strong> était plus moderne (<strong>et</strong><br />
ora<strong>le</strong>) que biblique. Je participais avec plaisir aux<br />
102
questions sur l’interprétation de la Torah <strong>et</strong> j’aimais bien<br />
demander des précisions sur <strong>le</strong>s termes hébraïques.<br />
L’<strong>hébreu</strong> est une porte d’entrée dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> qui<br />
apporte beaucoup de lumière sur de nombreux aspects de<br />
l’esprit juif. Et, bien sûr, la langue de la Bib<strong>le</strong> perm<strong>et</strong> de<br />
la comprendre mieux que <strong>le</strong>s traductions. Cela fait<br />
maintenant treize ans que j’ai ma Bib<strong>le</strong> juive (Ancien<br />
Testament) en <strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> français (page de droite en<br />
<strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> page de gauche en français). A l’aide d’un<br />
dictionnaire bilingue je peux rechercher <strong>le</strong> sens précis des<br />
mots, je peux évaluer <strong>le</strong>s traductions chrétiennes (Bib<strong>le</strong><br />
de Jérusa<strong>le</strong>m, Traduction Œcuménique de la Bib<strong>le</strong>…) <strong>et</strong><br />
mieux apprécier (<strong>et</strong> critiquer) cel<strong>le</strong> d’André Chouraqui.<br />
J’ai aussi un Nouveau Testament <strong>hébreu</strong>/français car,<br />
bien que la langue dans laquel<strong>le</strong> il a été écrit soit <strong>le</strong> grec,<br />
c’est en <strong>araméen</strong> (langue très proche de l’<strong>hébreu</strong>) que <strong>le</strong>s<br />
auteurs pensaient <strong>et</strong> parlaient ; <strong>et</strong> c’est en <strong>hébreu</strong> qu’ils<br />
lisaient la Torah. Et j’ai commandé une Bib<strong>le</strong><br />
interlinéaire que je devrais recevoir bientôt : chaque mot<br />
de la traduction française est placé au-dessous du mot<br />
<strong>hébreu</strong> auquel il correspond. Pour <strong>le</strong>s débutants en <strong>hébreu</strong><br />
comme moi cela perm<strong>et</strong> de r<strong>et</strong>rouver tout de suite <strong>le</strong><br />
terme que l’on cherche.<br />
Par la suite <strong>le</strong> rabbin a décidé de modifier l’horaire<br />
de son cours pour <strong>le</strong> m<strong>et</strong>tre à une heure où certains<br />
comme moi travail<strong>le</strong>nt… Dommage ! Je n’ai pas pu<br />
poursuivre mes échanges avec <strong>le</strong> rabbin <strong>et</strong> <strong>le</strong>s juifs de la<br />
103
communauté durant <strong>le</strong>s enseignements. C<strong>et</strong>te synagogue<br />
de Toulon m’a cependant offert de très beaux moments.<br />
<strong>Il</strong> me revient un souvenir de cérémonie émouvante un<br />
soir dans la cour derrière la synagogue pour prier sous <strong>le</strong><br />
ciel : c’était la bénédiction de la lune. J’aime bien dans <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> ce lien fort <strong>et</strong> sensib<strong>le</strong> avec la Création. Me<br />
revient aussi à la mémoire une soirée de kippour avec la<br />
sonnerie du shofar (corne qui sert notamment à sonner la<br />
fin du jeûne de Yom kippour) <strong>et</strong> la synagogue débordante<br />
de joie <strong>et</strong> de juifs plus qu’aucun jour de l’année. Je me<br />
souviens avec émotion du président de la communauté<br />
qui m’avait remarqué au milieu de la fou<strong>le</strong> <strong>et</strong> était venu<br />
m’embrasser. <strong>Il</strong> était en eff<strong>et</strong> aussi (<strong>et</strong> est toujours) viceprésident<br />
de l’Amitié Judéo-Chrétienne de Toulon.<br />
104
14. Un juif à la messe ?<br />
« Qu’as-tu à regarder la pail<strong>le</strong> qui est dans l’œil de<br />
ton frère ? »<br />
Luc 6,41<br />
Je suis plutôt embêté parce que Daniel (ce jeune<br />
juif orthodoxe dont j’ai parlé plus haut) m’a demandé de<br />
l’inviter à une messe. Je lui ai téléphoné dimanche pour<br />
lui proposer d’al<strong>le</strong>r un shabbat chez <strong>le</strong>s juifs Massortis <strong>et</strong><br />
il m’a exprimé son souhait de connaître une « vraie »<br />
cérémonie religieuse chrétienne. La soirée de prière<br />
inspirée de Taizé lui a plu mais ce n’est pas un office<br />
chrétien habituel <strong>et</strong> commun à tous <strong>le</strong>s chrétiens. Je lui ai<br />
dit franchement qu’à la synagogue où il m’avait emmené<br />
l’atmosphère n’était pas très cha<strong>le</strong>ureuse <strong>et</strong> que je<br />
trouvais <strong>le</strong> rabbin assez hautain. Comment maintenant lui<br />
proposer une messe « à la hauteur » ? Je pourrais<br />
« tricher » <strong>et</strong> lui proposer de participer à la messe du<br />
lundi soir à la Fraternité Bernad<strong>et</strong>te dans une cité des<br />
quartiers Nord de Marseil<strong>le</strong> ; il n’y que des jeunes <strong>et</strong> en<br />
plus de toutes <strong>le</strong>s classes socia<strong>le</strong>s. Mais Daniel m’a bien<br />
précisé qu’il voulait une messe « norma<strong>le</strong> », un dimanche<br />
matin. Si je l’emmène dans ma paroisse il va me<br />
105
demander si l’on n’est pas dans une maison de r<strong>et</strong>raite…<br />
Si je l’emmène dans l’église la plus fréquentée de la vil<strong>le</strong><br />
où <strong>le</strong> prêtre est un saint, je ne serai pas honnête. Cela ne<br />
serait pas du tout représentatif de la réalité catholique en<br />
France. Plus de la moitié des Français se disent<br />
catholiques mais seu<strong>le</strong>ment cinq pour cent vont<br />
régulièrement à la messe <strong>le</strong> dimanche. Je suis donc<br />
vraiment gêné d’inviter Daniel « chez moi ».<br />
Je pourrais aussi l’inviter chez moi vraiment, c’està-dire<br />
à venir prier avec nous en famil<strong>le</strong>. <strong>Il</strong> verrait<br />
comment on s’adresse au <strong>Christ</strong> : on lui par<strong>le</strong> comme à<br />
Quelqu’un qui est proche, qui est là avec nous. <strong>Il</strong> est<br />
« Imanou El », Dieu avec nous, Emmanuel. On lit <strong>le</strong> soir<br />
un extrait de La Bib<strong>le</strong> pour enfants après avoir allumé<br />
une bougie devant une icône. On récite un Notre Père <strong>et</strong><br />
un Je vous salue Marie. On dit merci pour la journée,<br />
pour la Création. On se demande pardon <strong>et</strong> on Lui<br />
demande pardon. On prie pour notre famil<strong>le</strong> <strong>et</strong> nos amis,<br />
pour ceux qui n’ont pas de quoi manger ou pas de<br />
maison. On demande aussi à Marie-Miryam de veil<strong>le</strong>r sur<br />
nous pendant notre sommeil. On fait un <strong>le</strong>nt signe de<br />
croix qui se termine par amen <strong>et</strong> alléluia. Mais Daniel n’a<br />
pas demandé à participer à une prière familia<strong>le</strong>, il a<br />
demandé à participer à un office dominical.<br />
Je pourrais aussi lui proposer de connaître des<br />
moines. Je connais des moines dans la vil<strong>le</strong> ; je connais<br />
106
aussi des ermites dans la montagne ; je connais une<br />
abbaye d’artistes. Je connais même des monastères où <strong>le</strong>s<br />
sœurs chantent un peu en <strong>hébreu</strong>. Tout cela ne<br />
correspond pas à sa demande. <strong>Il</strong> veut voir comment on<br />
prie ensemb<strong>le</strong>, comment <strong>le</strong> prêtre célèbre l’Eucharistie.<br />
Daniel m’a demandé s’il devait lire dans un missel, il a <strong>et</strong><br />
il aura des questions concrètes. Je pourrai lui expliquer<br />
que la première partie de la messe correspond à la liturgie<br />
de la synagogue, c’est <strong>le</strong> temps de la Paro<strong>le</strong> ; <strong>et</strong> que la<br />
seconde partie correspond au repas du shabbat <strong>et</strong> au repas<br />
de Pessah (Pâques), c’est l’Eucharistie. <strong>Il</strong> pourra ainsi<br />
percevoir l’héritage du <strong>judaïsme</strong> à travers certains gestes<br />
<strong>et</strong> certaines paro<strong>le</strong>s. L’homélie va <strong>le</strong> surprendre parce que<br />
<strong>le</strong> prêtre en général lit un texte qu’il a écrit alors que<br />
l’homélie du rabbin n’est jamais lue. Ces explications<br />
vont l’aider à comprendre, certes mais trouvera-t-il autant<br />
de cha<strong>le</strong>ur que dans une synagogue ?<br />
Daniel a accepté d’al<strong>le</strong>r à un shabbat chez <strong>le</strong>s<br />
Massortis. Je suis curieux de voir sa réaction. C’est un<br />
peu comme si moi j’allais à un office chez des chrétiens<br />
protestants. Ou plutôt c’est comme si un chrétien<br />
orthodoxe allait à une messe catholique. C’est la même<br />
religion mais avec des différences très visib<strong>le</strong>s. Nous<br />
chrétiens avons trois branches principa<strong>le</strong>s (orthodoxe,<br />
catholique <strong>et</strong> protestante) <strong>et</strong> <strong>le</strong>s juifs aussi : <strong>le</strong>s<br />
orthodoxes, largement majoritaires en France, <strong>le</strong>s<br />
libéraux qui célèbrent l’office plutôt en français, <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
107
Massortis (actuel<strong>le</strong>ment trois rabbins en France) qui<br />
célèbrent l’office en <strong>hébreu</strong> <strong>et</strong>, comme <strong>le</strong>s libéraux,<br />
acceptent que <strong>le</strong>s femmes lisent la Torah (« montent » à<br />
la Torah). Aux Etats-Unis <strong>et</strong> en Israël, <strong>le</strong>s Massortis <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
libéraux sont aussi nombreux que <strong>le</strong>s orthodoxes.<br />
On pourrait aussi par<strong>le</strong>r des Loubavitchs<br />
(considérés comme orthodoxes), un courant juif<br />
hassidique qui dit-on s’inspire de méthodes évangéliques<br />
américaines : prosélytisme, utilisation des médias,<br />
financement bien organisé, mysticisme, importance de<br />
l’imminence de la venue du Messie (qui en l’occurrence<br />
est probab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> fondateur du mouvement<br />
loubavitch…). Les Loubavitchs, bien que ne dépendant<br />
pas du Consistoire français (orthodoxe), se mê<strong>le</strong>nt<br />
faci<strong>le</strong>ment aux orthodoxes. <strong>Il</strong>s sont très sympathiques,<br />
très exigeants pour eux-mêmes mais pas pour <strong>le</strong>s<br />
nouveaux venus. <strong>Il</strong>s pensent que plus vite <strong>le</strong>s juifs<br />
reviendront à la pratique des mitzvot, plus vite <strong>le</strong> Messie<br />
viendra. <strong>Il</strong>s ont des « missionnaires » partout dans <strong>le</strong><br />
monde à la recherche des juifs égarés loin de <strong>le</strong>ur<br />
religion. <strong>Il</strong>s ont, sans <strong>le</strong> savoir, des attitudes<br />
« chrétiennes » : ils n’hésitent pas à utiliser <strong>le</strong> mot charité<br />
<strong>et</strong> privilégient la relation avec Dieu par <strong>le</strong> cœur, plus que<br />
par l’intelligence <strong>et</strong> la connaissance. C’est un mouvement<br />
juif qui s’adresse aussi à ceux qui ne sont pas capab<strong>le</strong>s<br />
d’étudier, aux pauvres. Pour <strong>le</strong>s Loubavitchs, la présence<br />
divine doit être perceptib<strong>le</strong> à travers la cha<strong>le</strong>ur de la<br />
communauté. On dirait que pour eux l’ordre des trois<br />
108
piliers de la Synagogue (étude, prière <strong>et</strong> charité) est<br />
inversé. Pour <strong>le</strong>s Loubavitchs, l’amour de Dieu est<br />
indissociab<strong>le</strong> de l’amour du prochain. D’ail<strong>le</strong>urs, pour<br />
eux, <strong>le</strong>s non juifs ont <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong> à jouer pour que <strong>le</strong> Messie<br />
vienne plus rapidement : il faut qu’ils respectent <strong>le</strong>s lois<br />
de Noé destinées aux goyim. Mais évidemment il ne faut<br />
pas qu’ils se convertissent, <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> est réservé aux<br />
juifs.<br />
Fina<strong>le</strong>ment pour Daniel je ne vais pas m’inquiéter,<br />
je crois que je vais lui proposer une messe suivie d’un<br />
repas avec de bons amis. En fin de compte, c’est surtout à<br />
travers la rencontre personnel<strong>le</strong> de croyants que l’on peut<br />
avoir une juste idée de <strong>le</strong>ur religion. Mais j’oublie un<br />
p<strong>et</strong>it détail : comment fait-on un repas casher ?<br />
109
15. Adonaï<br />
Iéshoua est Adonaï<br />
הוהי עושי<br />
Jésus est Le Seigneur<br />
Actes 2,36 ; Romains 10,9 ; Philippiens 2,11 ; <strong>et</strong>c.<br />
« Avant qu’Abraham fût, Je Suis. »<br />
Jean 8,58<br />
« Adonaï Iéshoua, reçois mon esprit. »<br />
Actes 7,59<br />
Yahvé est un mot sur <strong>le</strong>quel j’ai toujours buté car je<br />
ne comprenais pas d’où il venait. En étudiant l’<strong>hébreu</strong><br />
j’ai compris qu’il était basé sur une transcription<br />
phonétique hasardeuse du Tétragramme sacré הוהי. Ces<br />
quatre <strong>le</strong>ttres hébraïques correspondent en français à<br />
IHVH ou YHVH. Aussi <strong>le</strong>s catholiques ont choisi<br />
d’écrire Yahvé <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Protestants Jéovah, Yéhova,<br />
l’Eternel ou <strong>le</strong> Seigneur (<strong>et</strong> maintenant <strong>le</strong>s catholiques<br />
aussi) 21 . Toutes ces traductions n’ont aucun lien avec la<br />
21 « <strong>Il</strong> ne faut plus dire « Yavhé », ni <strong>le</strong> chanter, mais lire <strong>et</strong> chanter<br />
« <strong>le</strong> Seigneur », là où la bib<strong>le</strong> hébraïque emploie <strong>le</strong> « Tétragramme<br />
110
éalité de la langue <strong>et</strong> la signification des <strong>le</strong>ttres<br />
hébraïques. Les juifs eux s’abstiennent de lire ce mot<br />
pour deux raisons. La première parce que ce mot<br />
correspond au Nom de Dieu que l’on ne doit pas<br />
prononcer par respect pour Celui qui est au-dessus de nos<br />
pensées. Et la seconde est que ce mot <strong>hébreu</strong> est tout<br />
simp<strong>le</strong>ment imprononçab<strong>le</strong> parce que <strong>le</strong>s voyel<strong>le</strong>s<br />
manquent.<br />
Quand <strong>le</strong>s juifs « lisent » ce mot lors de la <strong>le</strong>cture<br />
de la Torah ou pendant <strong>le</strong>s prières, ils disent à la place<br />
« Adonaï », mot qui signifie « Mon Seigneur » (ou<br />
« Mon maître ») <strong>et</strong> qui n’a rien à voir avec la<br />
prononciation littéra<strong>le</strong> du Tétragramme. Quand ils par<strong>le</strong>nt<br />
de Dieu ils ont différentes façons de <strong>le</strong> nommer : Ha<br />
Kadoch Barukh Hou (<strong>le</strong> Saint Béni soit-<strong>Il</strong>) ou tout<br />
simp<strong>le</strong>ment Ha Chem (Le Nom). Je pourrais être tenté de<br />
dire : « je prononce comme je veux puisque je ne suis pas<br />
juif ». Par exemp<strong>le</strong>, j’aime bien <strong>le</strong> mot Adonaï. Je ne sais<br />
pas pourquoi, ce mot me plaît. Jusqu’à ce que je lise <strong>le</strong><br />
livre de Gérard Israël, « Jésus est-il Dieu ? » 22 , je n’osais<br />
pas l’employer hors des moments de prière. Mais comme<br />
j’ai vu qu’il l’utilisait en toute situation, je me suis dit<br />
que je pouvais <strong>le</strong> faire aussi.<br />
sacré » », Congrégation romaine pour <strong>le</strong> culte divin <strong>et</strong> la discipline<br />
des sacrements, <strong>le</strong>ttre du 29 juin 2008.<br />
22 2007, Editions Payot <strong>et</strong> Rivages.<br />
111
Et Dieu ? Dieu n’est-il pas Adonaï, Le Seigneur ?<br />
Nous remarquons, en lisant la Bib<strong>le</strong> qu’il y a tantôt<br />
« Dieu » tantôt « Le Seigneur ». Y aurait-il une<br />
différence ou une nuance entre <strong>le</strong>s deux termes ? Les<br />
juifs font bien la distinction entre Dieu (que certains<br />
préfèrent par respect écrire D. ou D.ieu) écrit en <strong>hébreu</strong><br />
« Elohim », <strong>et</strong> Ha Chem (Adonaï, <strong>le</strong> Seigneur). L’<strong>hébreu</strong><br />
nous indique qu’Elohim est un nom pluriel (<strong>le</strong> suffixe<br />
« im » indique <strong>le</strong> pluriel masculin) <strong>et</strong> il n’est pas<br />
exclusivement <strong>le</strong> Dieu d’Israël comme Adonaï. On<br />
pourrait dire qu’Elohim est un nom commun, dieu(x)<br />
avec une minuscu<strong>le</strong> <strong>et</strong> éventuel<strong>le</strong>ment une marque de<br />
pluriel, alors que Ha Chem, Adonaï est un nom propre,<br />
c’est <strong>le</strong> Nom du Dieu d’Israël <strong>et</strong> des chrétiens.<br />
Dieu aurait-il deux noms ? <strong>Il</strong> y des passages de la<br />
Bib<strong>le</strong> où l’on voit clairement que <strong>le</strong> Seigneur ne peut être<br />
confondu avec Dieu, comme par exemp<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> passage<br />
où Abraham monte avec son fils Isaac sur <strong>le</strong> Mont<br />
Moriah. Pourtant, dans la prière quotidienne du peup<strong>le</strong><br />
juif, on répète que Dieu est UN. <strong>Il</strong> n’y a dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong><br />
qu’un seul Dieu, cela est clair. Alors comment expliquer<br />
c<strong>et</strong>te distinction ? Je me souviens avoir demandé à un<br />
rabbin quel<strong>le</strong> était la différence entre <strong>le</strong>s deux noms. J’ai<br />
gardé <strong>le</strong>s échanges par mail avec Yeshaya Dalsace,<br />
rabbin de la synagogue Maayane Or à Nice jusqu’en<br />
2009 (aujourd’hui il partage son temps entre deux<br />
communautés à Paris <strong>et</strong> à Marseil<strong>le</strong>).<br />
112
Quelques traductions de l’<strong>hébreu</strong> pour mieux lire<br />
c<strong>et</strong> échange :<br />
- Alya : montée,<br />
- Din : jugement,<br />
- Hessed : bonté ou grâce,<br />
- Rahamim : compassion, miséricorde ou pitié. Le<br />
mot םחר <strong>hébreu</strong>, rahem, est <strong>le</strong> terme employé pour la<br />
pitié (André Chouraqui traduit par « matrice » car c'est<br />
aussi une acceptation du mot), la miséricorde. Un terme<br />
qui qualifie exactement la compassion serait plutôt <strong>le</strong> mot<br />
הלמח Hemla.<br />
Le lundi 10 avril 2006,<br />
Yeshaya,<br />
Est-ce que tu pourrais m'éclairer sur <strong>le</strong> chapitre 22<br />
de la Genèse, quand Abraham est prêt à sacrifier son fils<br />
pour Dieu <strong>et</strong> que l'ange du Seigneur <strong>le</strong> r<strong>et</strong>ient ? Quel<strong>le</strong><br />
est la différence entre Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> Seigneur (ou l'Eternel ou<br />
IHVH), ou Elohim <strong>et</strong> Adonaï ?<br />
Merci d'avance.<br />
Amitiés <strong>et</strong> bon Pessah,<br />
Pierre<br />
--------------------------------------------------------------<br />
Voilà une question essentiel<strong>le</strong>.<br />
D'abord pas sacrifice demandé mais "alya"<br />
(nuance), Avraham entend elokim, <strong>le</strong> dieu du din <strong>et</strong><br />
entend sacrifice.<br />
113
Puis après un parcours initiatique, hashem lui dit<br />
"pas de sacrifice humain", hashem c'est <strong>le</strong> hessed, <strong>le</strong><br />
rahamim, Avraham a compris, <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> peut<br />
commencer...<br />
Cordial Shalom<br />
Yeshaya Dalsace<br />
--------------------------------------------------------------<br />
Merci beaucoup Yeshaya,<br />
Donc Abraham aurait fait une sorte de méprise <strong>et</strong><br />
son cheminement provient de la pédagogie de Dieu qui se<br />
révè<strong>le</strong> de manière progressive, non ?<br />
Mais <strong>le</strong> vers<strong>et</strong> 18 (« en récompense de ce que tu as<br />
obéi à MA VOIX ») indique qu’il s’agissait bien de SA<br />
voix <strong>et</strong> non pas de cel<strong>le</strong> d’un autre dieu (ou esprit ?).<br />
Et pourquoi Abraham est-il remercié de son erreur<br />
(<strong>et</strong> sa descendance bénie) ?<br />
Parce qu'il a eu une confiance aveug<strong>le</strong><br />
(obéissance) en une illusion d'Elohim malgré l'ordre de<br />
meurtre (+suicide pour Isaac) ?<br />
<strong>Il</strong> me semb<strong>le</strong> que tu n'as pas répondu à ma seconde<br />
question : tout au long de la Bib<strong>le</strong> il y a <strong>le</strong> Seigneur<br />
(Adonaï IHVH) <strong>et</strong> Dieu Elohim ; parfois <strong>le</strong>s deux noms<br />
sont ensemb<strong>le</strong>, parfois ils sont distincts. Comment définir<br />
l'un <strong>et</strong> l'autre ? Serait-ce <strong>le</strong>s aspects maternel, <strong>le</strong> hessed,<br />
<strong>le</strong> rahamim (féminin), <strong>et</strong> paternel, la justice, la force<br />
(masculin) de Dieu ? Ou : la personnalité de Dieu<br />
proche que l'on tutoie, <strong>et</strong> l'autre <strong>le</strong> Dieu créateur dont on<br />
114
par<strong>le</strong> à la troisième personne ? Ou : l'aspect singulier <strong>et</strong><br />
l'aspect pluriel de Dieu ? Pourrais-tu m'aider à<br />
comprendre un peu ?<br />
Encore merci,<br />
Pierre<br />
--------------------------------------------------------------<br />
Cher Pierre,<br />
Je peux répondre que brièvement, Pessah oblige.<br />
Le texte n'est pas un texte faci<strong>le</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> suj<strong>et</strong> non<br />
plus. <strong>Il</strong> n'y a bien évidemment pas de divinités différentes.<br />
<strong>Il</strong> y a une compréhension évolutive de la divinité. <strong>Il</strong> y a<br />
éga<strong>le</strong>ment des commentaires qui reflètent <strong>le</strong>s différentes<br />
éco<strong>le</strong>s de pensée.<br />
La tradition cabalistique voit dans <strong>le</strong>s noms<br />
différents de Dieu des formes différentes de l’expression<br />
divine. Féminin - masculin, justice - miséricorde, <strong>et</strong>c.<br />
<strong>Il</strong> y a éga<strong>le</strong>ment une tendance à voir dans <strong>le</strong> nom<br />
elohim l'idée d'une divinité de la nature, alors que<br />
hashem serait <strong>le</strong> Dieu de l'Histoire. Évidemment c'est <strong>le</strong><br />
même Dieu mais il se révè<strong>le</strong> sous des formes différentes.<br />
Certains commentateurs juifs font grand cas de<br />
l'usage de tel ou tel nom dans la Bib<strong>le</strong>. D'autres moins.<br />
Maimonide écrit longuement sur c<strong>et</strong>te question<br />
dans <strong>le</strong> guide des égarés.<br />
<strong>Il</strong> est certain, qu'Abraham tout autant qu'Isaac sont<br />
prêts au sacrifice suprême <strong>et</strong> que <strong>le</strong>ur intention est bien<br />
vue. Cependant ce récit montre bien <strong>le</strong> refus du sacrifice<br />
115
suprême. C'est un texte contre <strong>le</strong>s sacrifices humains qui<br />
se pratiquaient encore à l'époque.<br />
Le rapport père <strong>et</strong> fils est très important dans ce<br />
texte. Isaac est <strong>le</strong> devenir d'Abraham, il personnalise la<br />
promesse. Le sacrifier revient à détruire son avenir pour<br />
Abraham. C'est donc bien un autosacrifice <strong>et</strong> pas<br />
seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> sacrifice de l'autre. C'est absurde <strong>et</strong><br />
incompatib<strong>le</strong> avec la promesse divine. C'est un cerc<strong>le</strong><br />
vicieux comme celui de la vio<strong>le</strong>nce.<br />
On peut donc voir dans la scène un psychodrame<br />
pédagogique dont l'intention serait de briser <strong>le</strong> cerc<strong>le</strong><br />
vicieux de la piété excessive menant à la vio<strong>le</strong>nce sur<br />
l'autre <strong>et</strong> sur soi-même. Cela, tout en faisant l'éloge de la<br />
piété spirituel<strong>le</strong> <strong>et</strong> éthique. Cel<strong>le</strong> d'Abraham.<br />
Salutations<br />
Yeshaya<br />
Bon, d’accord : Dieu est UN, bien qu’il ait deux<br />
noms. <strong>Il</strong> n’y a pas dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> de dualisme mais il y<br />
a une sorte de dualité, une distinction n<strong>et</strong>te entre Elohim<br />
<strong>et</strong> Adonaï. Elohim est <strong>le</strong> Dieu immanent (il est -dans-<br />
tout ce qui existe) Créateur Tout-puissant alors<br />
qu’Adonaï est <strong>le</strong> Dieu transcendant, compatissant <strong>et</strong><br />
personnel, <strong>le</strong> Dieu d’Israël. Elohim représente la Justice,<br />
c’est <strong>le</strong> Dieu de la Nature, celui de la Création du monde.<br />
Hashem (ou Adonaï) représente la Compassion, la<br />
Miséricorde, c’est <strong>le</strong> Dieu à qui nous adressons nos<br />
116
prières, à qui nous parlons ; Adonaï est Celui qui nous<br />
écoute, nous pardonne. Adonaï est <strong>le</strong> Dieu que nous<br />
rencontrons non dans la Création mais dans la<br />
Révélation. Un midrash dit que si la Torah commence<br />
par la <strong>le</strong>ttre B<strong>et</strong>h (qui vaut 2) c’est parce que <strong>le</strong> monde a<br />
été créé sur <strong>le</strong> principe de la dualité (bien/mal,<br />
lumière/ténèbres, homme/femme, <strong>et</strong>c.), qu’il est basé sur<br />
<strong>le</strong>s deux principes de Justice <strong>et</strong> d’Amour, <strong>et</strong> qu’il n’aurait<br />
pu subsister s’il était fondé sur une seu<strong>le</strong> de ces deux<br />
va<strong>le</strong>urs.<br />
Alors pourquoi, deux fois par jour, chaque juif<br />
répète comme <strong>le</strong> dirent un jour <strong>le</strong>s enfants de Jacob<br />
(Israël) à <strong>le</strong>ur père : « Ecoute Israël, Adonaï est notre<br />
Dieu, Adonaï est Un » ? (ou « Adonaï notre Dieu est<br />
Adonaï Un ») Pourquoi faire quotidiennement c<strong>et</strong>te<br />
prière ? Ne pourrait-on pas la traduire par : « Que <strong>le</strong><br />
Seigneur soit notre Dieu, nous voulons qu’il soit notre<br />
Dieu. Que <strong>le</strong> Seigneur soit Un, nous voulons qu’il soit<br />
Un ». Cela signifierait que Dieu n’est pas assez Un (ou<br />
pas assez uni). Ou bien cela signifierait qu’il est Un en<br />
lui-même mais que pour nous il n’est pas assez Un, pas<br />
assez uni au-dedans de nous. Dieu est divisé en nousmêmes<br />
<strong>et</strong> nous sommes par conséquent divisés entre<br />
nous. Ce n’est pas pour rien que <strong>le</strong> psaume demande<br />
d’unifier en nous <strong>le</strong> Nom de Dieu déchiré : « Unifie mon<br />
cœur יִבָבְל דֵחַי pour qu'il craigne ton nom » (Psaume<br />
86,11)<br />
117
Chaque juif travail<strong>le</strong> constamment à l’unification<br />
du Nom de Dieu. D’ail<strong>le</strong>urs, dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, la prière<br />
est considérée comme un travail (avoda tfila, <strong>le</strong> travail de<br />
la prière). Avoda signifie aussi culte. En sortant de la<br />
servitude (avedout) d’Egypte, <strong>le</strong>s Hébreux ont accédé au<br />
service (avodah) divin. Aussi, travail<strong>le</strong>r à l’unification du<br />
Nom de Dieu, c’est à la fois prier <strong>et</strong> agir, rendre sa vie<br />
conforme à ce que Dieu désire, rendre sa vie conforme à<br />
ce qu’il commande.<br />
Et pour nous chrétiens, comment transcrire tout<br />
cela ? Nous sommes d’accord mais notre perception de<br />
Dieu est cependant différente. La différence est que pour<br />
nous Dieu s’est fait proche. En Jésus il est venu chez<br />
nous <strong>et</strong> il est toujours avec nous. « Je suis avec vous tous<br />
<strong>le</strong>s jours jusqu’à la fin des temps » (Matthieu 28,20) Pour<br />
nous chrétiens Dieu est proche dans <strong>le</strong> sens où s’étant fait<br />
homme il nous ressemb<strong>le</strong>. <strong>Il</strong> a vécu notre condition<br />
humaine <strong>et</strong> cela nous perm<strong>et</strong> de percevoir Dieu non pas<br />
seu<strong>le</strong>ment comme Celui qui est au-delà de nous mais<br />
aussi comme Celui qui a voulu nous rejoindre pour nous<br />
perm<strong>et</strong>tre de Le rejoindre. Ainsi Dieu, pour nous<br />
chrétiens, est à la fois notre Père <strong>et</strong> notre frère. Cependant<br />
n’avons-nous pas nous aussi à faire <strong>le</strong> même travail<br />
d’unification du Nom de Dieu ? Le Fils <strong>et</strong> <strong>le</strong> Père sont<br />
Un (Jean 10,30) mais sont-ils Un dans nos cœurs ?<br />
Je crois aux maladresses bénies de Dieu : on utilise<br />
dans <strong>le</strong> Nouveau comme dans l’Ancien Testament <strong>le</strong><br />
118
même mot qui pour <strong>le</strong>s juifs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s chrétiens n’a pas <strong>le</strong><br />
même sens. Quand <strong>le</strong>s juifs ont traduit pour la première<br />
fois la Bib<strong>le</strong> (en grec, version de la Septante), ils ont<br />
traduit Adonaï par « kyrios » 23 , terme qui a été ensuite<br />
choisi par <strong>le</strong>s chrétiens pour par<strong>le</strong>r à/de Jésus : « Par<br />
respect pour sa saint<strong>et</strong>é, <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> d’Israël ne prononce<br />
pas <strong>le</strong> nom de Dieu. <strong>Dans</strong> la <strong>le</strong>cture de l’Écriture Sainte<br />
<strong>le</strong> nom révélé est remplacé par <strong>le</strong> titre divin " Seigneur "<br />
(Le Seigneur, en grec Kyrios). C’est sous ce titre que sera<br />
acclamée la Divinité de Jésus : " Jésus est Seigneur ". » 24 .<br />
Si l’on utilise <strong>le</strong> même mot, est-ce une erreur de<br />
traduction ? Est-ce un hasard ? Ou bien, est-ce tout<br />
simp<strong>le</strong>ment parce que ce mot, dans <strong>le</strong> Nouveau comme<br />
23 « Chez Paul, <strong>le</strong> concept ambigu de <strong>Christ</strong> – messie - est<br />
remplacé par <strong>le</strong> mot Kyrios – Seigneur – qui remplace dans l'Ancien<br />
testament grec <strong>le</strong> nom de Dieu qui ne pouvait plus être prononcé,<br />
mot qui exprime ainsi très clairement l'identification de Jésus à Dieu,<br />
sa véritab<strong>le</strong> divinité. <strong>Il</strong> faut observer qu'il s'agit ici d'un processus de<br />
transposition semblab<strong>le</strong> à celui par <strong>le</strong>quel la traduction grecque de<br />
l'Ancien Testament, en remplaçant <strong>le</strong> nom de Dieu par <strong>le</strong> mot<br />
Seigneur, avait indiscutab<strong>le</strong>ment introduit dans <strong>le</strong> monde païen la foi<br />
biblique <strong>et</strong> p<strong>le</strong>inement mis en lumière alors seu<strong>le</strong>ment la caractère<br />
monothéiste de c<strong>et</strong>te foi face aux nombreux dieux portant chacun un<br />
nom individuel. Le pas que la version grecque de l'Ancien Testament<br />
avait accompli dans la clarification de l'idée de Dieu est fait<br />
maintenant, c<strong>et</strong>te fois dans <strong>le</strong> domaine de la christologie. On clarifie<br />
ce que la désignation de Jésus comme Messie veut dire : précisément<br />
qu'il est <strong>le</strong> « Seigneur », c'est-à-dire Dieu de Dieu <strong>et</strong> non pas<br />
simp<strong>le</strong>ment un homme béni de Dieu. » Cardinal Ratzinger,<br />
« L'unicité <strong>et</strong> l'universalité salvifique de Jésus <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> de l'Eglise »,<br />
dans « La communion de Foi, Discerner <strong>et</strong> agir » (Communio,<br />
Editions Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> Si<strong>le</strong>nce, 2009, page 112)<br />
24 Catéchisme de l’Eglise Catholique, § 209.<br />
119
dans l’Ancien Testament, désigne LE MÊME ? C’est ce<br />
que je crois.<br />
הבהא ahava (amour) est un mot qui ressemb<strong>le</strong><br />
beaucoup au mot אבא aba (papa). Et <strong>le</strong> mot aba a la<br />
même sonorité (mais pas la même orthographe) que <strong>le</strong><br />
mot prochain : אב ה<br />
L’<strong>hébreu</strong> nous aide ainsi à découvrir beaucoup de<br />
choses sur Dieu <strong>et</strong> notamment à propos de sa proximité :<br />
il est dans <strong>le</strong> mot amour <strong>et</strong> dans <strong>le</strong> mot « prochain ». Dieu<br />
est dans l’amour, dans mon prochain.<br />
Comment traduire en <strong>hébreu</strong> « Dieu est amour » (1<br />
Jean 4,16) ?<br />
“Elohim est Ahava” ou “Adonaï est Ahava” ?<br />
Elohim étant <strong>le</strong> Créateur de tout, étant tout ce qui<br />
existe, cela signifierait que tout est amour. Le bien <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
mal, <strong>le</strong> bon <strong>et</strong> <strong>le</strong> mauvais, tout serait amour. Tout ce que<br />
nous faisons serait amour ; tout ce que nous faisons serait<br />
divin. Nous serions donc dieux.<br />
Adonaï est <strong>le</strong> Dieu révélé. <strong>Il</strong> est <strong>le</strong> cœur de Dieu. <strong>Il</strong><br />
est Le Seigneur. Adonaï est transcendant (séparé du<br />
monde) alors qu’Elohim est immanent (il est <strong>le</strong> monde).<br />
Autrement dit il y a deux manières de nommer Dieu,<br />
selon qu’on évoque sa transcendance ou son immanence.<br />
Adonaï est amour : הבהא<br />
הוהי<br />
120
<strong>Dans</strong> ces deux mots il y a deux <strong>le</strong>ttres identiques <strong>et</strong><br />
aux mêmes positions (ה). Et il y dans Ahava <strong>le</strong> בּ (b<strong>et</strong>h)<br />
qui peut être prononcé comme <strong>le</strong> ו (vav) du tétragramme<br />
הוהי. Plus <strong>le</strong> a<strong>le</strong>f de l’UN, qui est…unique dans <strong>le</strong><br />
mot. Cela fait beaucoup de points communs ! Adonaï est<br />
Un <strong>et</strong> Adonaï est amour. Les mots « un » <strong>et</strong> « amour » en<br />
<strong>hébreu</strong> ont la même va<strong>le</strong>ur numérique, treize 25 . L’amour<br />
<strong>et</strong> Adonaï sont Un, comme Dieu est Un. En disant<br />
qu’Adonaï est Notre Dieu <strong>et</strong> que Dieu est Un, on peut<br />
alors dire que Dieu est amour (Elohim est amour). Mais<br />
sans c<strong>et</strong>te compréhension juive du Nom de Dieu,<br />
comment pouvons-nous dire que Dieu est amour ? Sans<br />
<strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> nous ne pouvons pas entendre c<strong>et</strong>te<br />
affirmation de Jean :<br />
Elohim est amour : הבהא םיִהלֱֹא<br />
25<br />
En <strong>hébreu</strong> en eff<strong>et</strong>, chaque <strong>le</strong>ttre a une correspondance<br />
numérique.<br />
121
16. Convergence sans confusion<br />
« C'est lui, en eff<strong>et</strong>, qui est notre paix : de ce qui<br />
était divisé, il a fait une unité. <strong>Dans</strong> sa chair, il a détruit <strong>le</strong><br />
mur de séparation : la haine. <strong>Il</strong> a aboli la loi <strong>et</strong> ses<br />
commandements avec <strong>le</strong>urs observances. <strong>Il</strong> a voulu ainsi,<br />
à partir du juif <strong>et</strong> du païen, créer en lui un seul homme<br />
nouveau, en établissant la paix, <strong>et</strong> <strong>le</strong>s réconcilier avec<br />
Dieu tous <strong>le</strong>s deux en un seul corps, au moyen de la croix<br />
: là, il a tué la haine. »<br />
Éphésiens 2, 14-16<br />
« Des deux peup<strong>le</strong>s il n'en a fait qu'un » signifie<br />
que Jésus réunit en lui <strong>le</strong>s deux identités juive <strong>et</strong> non<br />
juive (grecque) ou d’Israël <strong>et</strong> des nations. Ainsi, entre<br />
chrétiens d’origine juive (ou Judéo-chrétiens) <strong>et</strong> chrétiens<br />
d’origine non juive (ou Pagano-chrétiens), il n’y a pas de<br />
différence. Les deux forment la même Eglise du <strong>Christ</strong>.<br />
Cependant, aujourd'hui, il y a toujours des juifs <strong>et</strong><br />
des chrétiens, deux peup<strong>le</strong>s séparés qui ne peuvent pas<br />
former un seul peup<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> sens où seraient abolies <strong>le</strong>s<br />
différences <strong>et</strong> <strong>le</strong>s particularités de chacun. Nier <strong>le</strong>s<br />
différences c'est aboutir à « n'importe quoi ». En eff<strong>et</strong>,<br />
122
nous ne sommes pas à la fois juifs <strong>et</strong> chrétiens même si<br />
nous faisons partie du même Peup<strong>le</strong> de Dieu, même si<br />
nous avons <strong>le</strong> même Dieu, « <strong>le</strong> Dieu d'Israël devenu <strong>le</strong><br />
Dieu des nations » 26 . La différence est simp<strong>le</strong> : croire que<br />
Jésus est <strong>le</strong> Fils du Dieu vivant, c'est être chrétien. Ne pas<br />
y croire c'est ne pas être chrétien. Selon la logique de la<br />
Promesse, <strong>le</strong>s Juifs qui accueil<strong>le</strong>nt la plénitude de la<br />
révélation en reconnaissant que Jésus est <strong>le</strong> Messie<br />
deviennent p<strong>le</strong>inement chrétiens. <strong>Il</strong>s nous révè<strong>le</strong>nt à nous,<br />
chrétiens, que Dieu est fidè<strong>le</strong> lorsqu’il donne au peup<strong>le</strong><br />
de la première alliance la grâce de vivre c<strong>et</strong><br />
accomplissement <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te plénitude <strong>et</strong> que nous, en tant<br />
que chrétiens, sommes parfaitement intégrés à c<strong>et</strong>te<br />
racine qui nous porte <strong>et</strong> qui nous donne de partager c<strong>et</strong>te<br />
plénitude de la révélation dans une continuité<br />
parfaitement organique. <strong>Il</strong> est diffici<strong>le</strong> de traiter c<strong>et</strong>te<br />
question en terme de « religion » puisque <strong>le</strong>s catégories<br />
sociologiques sont trop limitées pour accéder au mystère<br />
du peup<strong>le</strong> de la première alliance dans sa relation avec <strong>le</strong>s<br />
chrétiens provenant des Nations. <strong>Il</strong> ne faut pas oublier<br />
d’ail<strong>le</strong>urs que <strong>le</strong>s toutes premières communautés<br />
chrétiennes n’étaient composées que de juifs (cf. Actes<br />
11, 26).<br />
On peut comparer la relation entre chrétiens <strong>et</strong> juifs<br />
à une relation entre enfants <strong>et</strong> parents. La confusion des<br />
26 Cardinal Ratzinger, L’unique alliance de Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> pluralisme<br />
des religions, Editions Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, 1999, pages 11 <strong>et</strong> 87.<br />
123
deux est comparab<strong>le</strong> à un inceste. Et l'inceste est une<br />
forme de crime. Ce n'est pas une relation confuse<br />
(incestueuse) qui rapproche <strong>le</strong>s parents de <strong>le</strong>urs enfants<br />
mais une relation d'amour, d'union des cœurs. L'un<br />
n'absorbe pas l'autre ; l'un n'anéantit pas l'autre ; l'un<br />
n'écrase pas l'autre ; l'un n'appartient pas à l'autre ; l'un ne<br />
se prend pas pour l'autre. Or nous voyons bien<br />
qu'aujourd'hui beaucoup de chrétiens tombent dans ces<br />
tendances faci<strong>le</strong>s <strong>et</strong> perverses qui ont pourtant<br />
l'apparence de l'amour.<br />
Quand l’Eglise a cru qu’el<strong>le</strong> était <strong>le</strong> nouvel Israël à<br />
la place du peup<strong>le</strong> d’Israël (théologie de la substitution),<br />
il y avait alors un orgueil qui ne pouvait que mener au<br />
désir de voir disparaître <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif, désir amplifié par<br />
l’accusation de déicide. Le peup<strong>le</strong> juif, n’ayant plus de<br />
Temp<strong>le</strong>, était perçu comme un peup<strong>le</strong> en voie de<br />
disparition ou d’assimilation. Certains chrétiens<br />
pensaient que, depuis la venue du <strong>Christ</strong>, Israël n’avait<br />
plus aucun sens, aucun rô<strong>le</strong>, aucune mission sur la terre.<br />
Or, comment un arbre peut-il tenir debout <strong>et</strong> grandir sans<br />
ses racines ? Comment un arbre peut-il être vivant s’il ne<br />
reçoit pas de sève par ses racines ? Quand <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif a<br />
failli disparaître durant la seconde guerre mondia<strong>le</strong>,<br />
l’Eglise a pris conscience du danger qui la menaçait el<strong>le</strong>même.<br />
Sans Israël, il n’y plus d’Eglise ; sans <strong>le</strong>s juifs il<br />
n’y a plus de chrétiens.<br />
124
Depuis environ un sièc<strong>le</strong> <strong>et</strong>, surtout depuis la fin de<br />
la seconde guerre mondia<strong>le</strong>, l’Eglise Catholique ne se<br />
prend plus pour Israël <strong>et</strong> (re)commence à boire à sa<br />
source. Une grande partie des églises protestantes suivent<br />
un chemin plus ou moins similaire. Mais certaines églises<br />
protestantes considèrent que <strong>le</strong> r<strong>et</strong>our des juifs sur <strong>le</strong>ur<br />
terre signifie qu’ils vont bientôt tous se convertir au<br />
christianisme <strong>et</strong> qu’ainsi <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> va revenir sur terre.<br />
<strong>Dans</strong> c<strong>et</strong>te logique il faut soutenir l’Etat d’Israël 27 à tout<br />
prix <strong>et</strong> convertir <strong>le</strong>s juifs à tout prix. Ces déviances<br />
chrétiennes peuvent prendre plusieurs formes. Cela peut<br />
concerner des églises protestantes mais aussi certains<br />
courants catholiques.<br />
Confusion du politique <strong>et</strong> du religieux<br />
« (…) être <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> élu, c'est être <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> qui<br />
accepte l'idée que Dieu ne nous appartient pas, que l'on<br />
ne peut pas <strong>le</strong> posséder, qu'il n'est pas l'obj<strong>et</strong> de notre<br />
représentation ni un emblème, mais qu'il appartient à tous<br />
; qu'ainsi chaque peup<strong>le</strong> est intuitivement attiré par une<br />
part de vérité du monothéisme, qu'il faut savoir<br />
27 « Pour ce qui regarde l’existence de l’Etat d’Israël <strong>et</strong> ses options<br />
politiques, cel<strong>le</strong>s-ci doivent être envisagées dans une optique qui<br />
n’est pas en el<strong>le</strong>-même religieuse, mais se réfère aux principes<br />
communs de droit international. » Commission pour <strong>le</strong>s relations<br />
religieuses avec <strong>le</strong> Judaïsme. Notes pour une correcte présentation<br />
des juifs <strong>et</strong> du <strong>judaïsme</strong> dans la prédication <strong>et</strong> la catéchèse de l'Eglise<br />
125
l'accepter, concilier cela <strong>et</strong> favoriser la convergence de<br />
toutes ces parts attentives au divin dans une paro<strong>le</strong> droite,<br />
juste <strong>et</strong>, dirai-je, qui se nourrit des autres, afin de<br />
réactiver c<strong>et</strong>te paro<strong>le</strong> d'ensemb<strong>le</strong> aux sources de notre<br />
tradition. »<br />
Grand Rabbin Gil<strong>le</strong>s Bernheim 28<br />
La tentation constante du religieux (au cours de<br />
l’Histoire <strong>et</strong> encore aujourd’hui) est de vouloir tout de<br />
suite la victoire du bien contre <strong>le</strong> mal au moyen de forces<br />
politiques. Ainsi <strong>le</strong> Royaume de Dieu semb<strong>le</strong> à portée de<br />
main. On m<strong>et</strong> sur <strong>le</strong> drapeau un signe religieux, on<br />
confond patriotisme <strong>et</strong> ferveur religieuse. C’est un piège<br />
dans <strong>le</strong>quel l’Eglise catholique est parfois tombée <strong>et</strong> a<br />
conscience de risquer d’y tomber à nouveau. Le<br />
Catéchisme de l’Eglise Catholique m<strong>et</strong> en garde contre<br />
l’idolâtrie de l’Eglise qui serait alors perçue comme la<br />
réalisation du Royaume du <strong>Christ</strong> sous une forme à la<br />
fois religieuse <strong>et</strong> politique. « Le Royaume ne<br />
s’accomplira donc pas par un triomphe historique de<br />
l’Eglise (…) » (Catéchisme de l’Eglise Catholique) 29 .<br />
Quand on confond <strong>le</strong> politique <strong>et</strong> <strong>le</strong> religieux, on<br />
parvient inéluctab<strong>le</strong>ment au racisme antisémite (quand on<br />
Catholique. VI. Judaïsme <strong>et</strong> christianisme dans l’histoire, paragraphe<br />
1. (Mai 1985).<br />
28<br />
Le souci des autres au fondement de la loi juive, Calmann-Lévy,<br />
2002, page 263.<br />
29<br />
§ 677.<br />
126
idolâtre l’Eglise) ou au racisme anti-arabe (quand on<br />
idolâtre Israël). On considère alors que l’on possède <strong>le</strong><br />
monopo<strong>le</strong> de la vérité <strong>et</strong> que tous <strong>le</strong>s autres vivent dans <strong>le</strong><br />
mensonge <strong>et</strong> sont nos ennemis. La vio<strong>le</strong>nce de ces<br />
pensées engendre la vio<strong>le</strong>nce des paro<strong>le</strong>s qui précède<br />
évidemment la vio<strong>le</strong>nce « tout court ».<br />
Usurpation d'identité<br />
« Ceux qui se disent juifs <strong>et</strong> ne <strong>le</strong> sont pas »<br />
Apocalypse 3,9<br />
Une autre forme de confusion tout aussi<br />
pernicieuse mais plus subti<strong>le</strong> est cel<strong>le</strong> de se prendre pour<br />
un juif. <strong>Dans</strong> ce cas la perversité est masquée par une<br />
illusion d’amour. Comment expliquer cela ?<br />
Certains juifs se convertissent au christianisme <strong>et</strong><br />
souhaitent conserver <strong>le</strong>ur identité juive. C’est très bien :<br />
on pourrait dire qu’en quelque sorte l’Eglise de Jacques<br />
est en train de ressusciter. Nous ne pouvons que nous en<br />
réjouir. Des juifs se disent ainsi « chrétiens » ou<br />
« catholiques » tout en restant juifs, comme <strong>le</strong>s premiers<br />
chrétiens. Certains aiment s’appe<strong>le</strong>r « Juifs<br />
127
messianiques » parce qu’ils considèrent que l’Eglise est<br />
l’Assemblée d’Israël. 30<br />
Le problème est que des chrétiens qui ne sont pas<br />
d’origine juive s’appel<strong>le</strong>nt aussi « Juifs messianiques » 31 .<br />
Ne s’agit-il pas alors d’usurpation d'identité ? On vo<strong>le</strong><br />
l’identité d’un autre, on se complaît dans la confusion qui<br />
a l’apparence de la paix <strong>et</strong> de l’amour. On aime l’autre -<strong>le</strong><br />
juif- à condition qu’il disparaisse en tant qu’autre. Aimer<br />
son prochain ce n’est pas l’anéantir pour qu’il fasse partie<br />
de moi. <strong>Il</strong> y a peut-être dans c<strong>et</strong>te attitude un désir de<br />
faire <strong>le</strong> bien, un désir de « paradis sur terre », mais <strong>le</strong><br />
paradis (ou la conception que l’on en a) ne peut pas<br />
s’imposer par la force ou <strong>le</strong> mensonge. Les moyens de<br />
parvenir au but sont aussi importants que <strong>le</strong> but <strong>et</strong> font<br />
partie du but. Le <strong>Christ</strong> a donné l’exemp<strong>le</strong> du respect de<br />
l’autre, du respect de la liberté des hommes.<br />
30 Voir <strong>le</strong>s explications très claires du Père Jean-Miguel Garrigues,<br />
Le dessein de Dieu à travers ses alliances, Editions de l’Emmanuel,<br />
2003.<br />
31 <strong>Il</strong> existe plusieurs groupes de Juifs Messianiques. Certains ont<br />
une théologie proche de la nôtre (catholique) d’autres très éloignée<br />
(par exemp<strong>le</strong> proche des témoins de Jéhovah), certains sont très<br />
politisés (prônant une sorte de sionisme chrétien extrémiste),<br />
d’autres moins. Définir <strong>le</strong>s Juifs Messaniques est diffici<strong>le</strong>. Je ne<br />
connais pas assez ces nuances <strong>et</strong> ces différents groupes pour donner<br />
plus de précisions. Je peux seu<strong>le</strong>ment raconter ce que j’ai vécu <strong>et</strong><br />
dire que la dénomination « Juif Messianique » est ambiguë.<br />
128
Idolâtrie de Jésus<br />
« Ne me touche pas »<br />
Jean 20,17<br />
Ce qui pour <strong>le</strong>s juifs est blasphématoire dans <strong>le</strong><br />
christianisme, c’est la vocalisation du Nom de Dieu, c’est<br />
<strong>le</strong> fait de nommer Dieu. Pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif, <strong>le</strong> Nom de<br />
Dieu est imprononçab<strong>le</strong> ; Dieu est transcendant,<br />
inaccessib<strong>le</strong> <strong>et</strong> doit rester séparé de ses créature sinon <strong>Il</strong><br />
risque d’être assimilé à el<strong>le</strong>s (ce qui est une des formes<br />
du paganisme). Si l’on prononce <strong>le</strong> Nom de Dieu, cela<br />
signifie que nous nous approprions Dieu, puisque<br />
nommer, c’est connaître. Et justement la première Paro<strong>le</strong><br />
prononcée au Sinaï est en quelque sorte « Je suis Dieu »<br />
<strong>et</strong> donc : « vous ne l’êtes pas ». Autrement dit :<br />
« Laissez-Moi être Dieu ! », « soyez des hommes, des<br />
humains ! » La deuxième Paro<strong>le</strong> décou<strong>le</strong> de la première :<br />
« ne vous fabriquez pas de dieux », « n’en inventez pas<br />
d’autres puisqu’il n’y a que Moi », « ne vous fiez pas aux<br />
représentations – y compris menta<strong>le</strong>s – que vous vous<br />
faites de Moi ». Et la troisième décou<strong>le</strong> des deux<br />
premières : « respectez mon Nom », « ne me nommez<br />
pas puisque celui qui donne un nom est celui qui crée ».<br />
Et nous alors ? Avons-nous donné un nom à Celui<br />
dont <strong>le</strong> Nom est au-dessus de tout nom ? Oui <strong>et</strong> non.<br />
<strong>Dans</strong> un certain sens <strong>et</strong> pour de nombreux<br />
chrétiens, Jésus est un homme devenu dieu. <strong>Dans</strong> ce cas<br />
129
oui, nous avons créé un dieu. <strong>Dans</strong> ce cas, oui nous<br />
sommes idolâtres. Avons-nous donné un nom à Celui<br />
dont <strong>le</strong> Nom est au-dessus de tout nom ? Celui dont <strong>le</strong><br />
Nom est au-dessus de tout nom a voulu se faire homme <strong>et</strong><br />
donc recevoir un nom d’homme. <strong>Il</strong> n’a pas dit son Nom,<br />
<strong>Il</strong> a reçu une identité humaine. Jésus n’est pas devenu<br />
Dieu, c’est Dieu qui s’est fait homme. Dieu ne s’est pas<br />
transformé en homme ; <strong>Il</strong> est resté Dieu tout en venant<br />
parmi nous.<br />
« El<strong>le</strong> enfantera un fils, <strong>et</strong> tu l'appel<strong>le</strong>ras du nom de<br />
Iéshoua : car c'est lui qui sauvera son peup<strong>le</strong> de ses<br />
péchés » (Matthieu 1,21)<br />
Iéshoua (Sauveur) n’est donc pas Le Nom ; Iéshoua<br />
est <strong>le</strong> nom qui dit ce qu’<strong>Il</strong> fait : <strong>Il</strong> sauve. Celui qui sauve,<br />
ce n’est pas <strong>le</strong> Fils sans <strong>le</strong> Père mais la totalité de Luimême,<br />
Père <strong>et</strong> Fils (<strong>et</strong> Esprit Saint). Etre chrétien, c’est<br />
adorer Jésus avec <strong>le</strong> Père ou adorer en (dans) Jésus <strong>le</strong><br />
Père. Ce n’est pas séparer Jésus du Père, ce n’est pas<br />
ignorer <strong>le</strong> Père. Etre idolâtre c’est s’arrêter à Jésus <strong>et</strong><br />
refuser de voir en lui <strong>le</strong> Père, c’est réduire Dieu à Jésus<br />
alors que Jésus nous révè<strong>le</strong> Dieu. En réalité Jésus ne nous<br />
cache pas <strong>le</strong> Père, il nous Le montre, il nous mène à Lui.<br />
Cependant, la prise de conscience en nous d’une<br />
certaine idolâtrie de Jésus ne doit surtout pas nous<br />
conduire à abandonner son nom pour soi-disant mieux<br />
accéder au Père <strong>et</strong> à l’Esprit Saint. Le Père Thomas<br />
130
Philippe explique très bien dans son livre « Fidélité au<br />
Saint-Esprit » 32 c<strong>et</strong>te tentation d’abandonner l’humanité<br />
du Seigneur :<br />
« <strong>Il</strong> est très important de bien savoir qu’il n’y a<br />
aucune opposition entre la fidélité au Saint-Esprit <strong>et</strong><br />
l’attachement à Jésus, au contraire ! (…) Sainte Thérèse<br />
d’Avila el<strong>le</strong>-même a eu un moment la tentation de croire<br />
qu’il fallait abandonner un peu l’humanité de Notre<br />
Seigneur pour être plus sûre d’atteindre sa divinité. Mais,<br />
très vite el<strong>le</strong> a compris qu’il ne fallait jamais abandonner<br />
l’humanité de Jésus ; c’est Jésus tel qu’<strong>Il</strong> est venu se<br />
révé<strong>le</strong>r dans son Incarnation qui nous aidera toujours à<br />
nous approcher plus profondément de Dieu, <strong>et</strong> par là à<br />
être plus fidè<strong>le</strong>s au Saint-Esprit. »<br />
Aussi, être chrétien sans être idolâtre, sans <strong>le</strong><br />
devenir, cela demande beaucoup de travail, beaucoup de<br />
vigilance ; <strong>et</strong> cela implique de s’appuyer sur <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>.<br />
L'image que nous avons de Dieu a une grande influence<br />
sur notre façon de vivre <strong>et</strong> de concevoir <strong>le</strong> monde. Croire<br />
que Jésus est un homme divinisé ou qu'il est « Dieu fait<br />
homme », c'est complètement différent. La première<br />
croyance est une idolâtrie qui mène au désastre, la<br />
seconde est <strong>le</strong> travail de sanctification du Nom de Dieu.<br />
32<br />
Père Thomas Philippe, Fidélité au Saint-Esprit, Editions du Lion<br />
de Juda, 1988, page 109.<br />
131
17. « Elargis l'espace de la tente »<br />
« Elargis l'espace de la tente ; qu'on déploie <strong>le</strong>s<br />
tentures de ta demeure; ne <strong>le</strong>s r<strong>et</strong>iens pas, allonge tes<br />
cordages, <strong>et</strong> affermis tes pieux ! »<br />
Isaïe 54,2<br />
Un domaine<br />
J’ai ach<strong>et</strong>é un domaine pour moins de dix euros.<br />
J’ai l’impression d’avoir ach<strong>et</strong>é un terrain pour construire<br />
une maison. En fait je voulais simp<strong>le</strong>ment, en tant que<br />
nouveau secrétaire de l’Amitié Judéo-Chrétienne de<br />
Marseil<strong>le</strong>, avoir une adresse e-mail qui fasse sérieux. Je<br />
viens d’apprendre qu’ach<strong>et</strong>er une adresse Intern<strong>et</strong> avec<br />
par exemp<strong>le</strong> @.fr cela s’appel<strong>le</strong> acquérir un domaine.<br />
Pourtant nous n’avons pas l’intention de faire un Site<br />
Intern<strong>et</strong>, notre association est trop modeste pour cela : en<br />
un an d’existence (une renaissance après quelques années<br />
d’interruption) nous sommes passés d’une douzaine à une<br />
quinzaine de membres. Bref, pour la deuxième vil<strong>le</strong> juive<br />
de France, cela fait bien p<strong>et</strong>it pour un groupe local de<br />
l’AJC de France. Les associations de l’AJC voisines à<br />
Aix-en-Provence, Toulon <strong>et</strong> Draguignan sont plus solides<br />
132
<strong>et</strong> développées. A Marseil<strong>le</strong> on en est à un nouveau<br />
départ <strong>et</strong> tout est à faire : il n’y a pratiquement aucune<br />
relation, aucune communication entre <strong>le</strong>s communautés<br />
juives <strong>et</strong> <strong>le</strong>s communautés chrétiennes de la vil<strong>le</strong>. <strong>Il</strong> y a<br />
bien des réunions ponctuel<strong>le</strong>s entre <strong>le</strong>s dirigeants de haut<br />
niveau (avec <strong>le</strong> maire, <strong>le</strong> Grand Rabbin, l’Archevêque <strong>et</strong><br />
des représentants musulmans, protestants <strong>et</strong> orthodoxes)<br />
mais cela ne va pas au-delà de rencontres mondaines<br />
(politiques). Les membres des communautés ne se<br />
rencontrent pas <strong>et</strong> s’ignorent.<br />
En ach<strong>et</strong>ant une adresse Intern<strong>et</strong> j’ai l’impression<br />
d’avoir ach<strong>et</strong>é un terrain d’entente, un lieu de dialogue<br />
si<strong>le</strong>ncieux hors de tout enracinement matériel. Un<br />
domaine sur Intern<strong>et</strong>, c’est comme un lieu hors de tout<br />
lieu. Mais ce terrain est-il constructib<strong>le</strong> ? Est-ce une<br />
bonne idée de vouloir construire sur ce lieu virtuel ?<br />
Un pont<br />
L’Amitié Judéo-Chrétienne a comme son nom<br />
l’indique pour but l’amitié entre chrétiens <strong>et</strong> juifs. L’AJC<br />
est donc une sorte de pont entre deux rives. Mais faut-il<br />
construire une maison sur ce pont ? Le pont est-il <strong>le</strong> but ?<br />
A mon avis un pont n’a pas vocation à être un lieu de<br />
rencontre. Un pont perm<strong>et</strong> aux gens de circu<strong>le</strong>r d’une rive<br />
à l’autre <strong>et</strong> de se rencontrer d’un côté ou de l’autre.<br />
133
Certains membres de l’AJC cherchent à construire sur <strong>le</strong><br />
pont une maison. Je ne vois pas notre association<br />
marseillaise comme cela. On se rencontre certes dans une<br />
sal<strong>le</strong> où chacun à son tour par<strong>le</strong> de sa religion. Mais se<br />
rencontre-t-on vraiment dans un lieu qui n’est pas une<br />
vraie maison, dans un endroit qui n’est ni chez l’un ni<br />
chez l’autre, dans un « no man’s land » ? Entre <strong>le</strong>s deux<br />
il y a une sal<strong>le</strong> de conférence neutre où des personnes<br />
ouvertes <strong>et</strong> cultivées de chaque côté exposent <strong>le</strong>s<br />
subtilités de <strong>le</strong>ur culture, de <strong>le</strong>ur histoire, de <strong>le</strong>ur liturgie,<br />
de <strong>le</strong>ur philosophie... Tout cela est bien mais insuffisant.<br />
Si l’on ne va pas à la rencontre de l’autre chez lui, on ne<br />
peut pas vraiment <strong>le</strong> connaître. Le but n’est pas <strong>le</strong> pont, <strong>le</strong><br />
but est la circulation grâce à c<strong>et</strong> outil qui est <strong>le</strong> pont.<br />
Shabbat prochain j’irai à la synagogue juive<br />
massorti de Marseil<strong>le</strong> avec deux amis qui n’y sont jamais<br />
allés : un prêtre catholique <strong>et</strong> un juif orthodoxe. Nous<br />
catholiques irons de l’autre côté du pont. Et mon ami<br />
orthodoxe aussi à sa façon ira dans un lieu juif qu’il<br />
ignore complètement. C’est comme cela que je vois<br />
l’amitié entre juifs <strong>et</strong> chrétiens, l’AJC étant une sorte<br />
d’outil de traduction très uti<strong>le</strong>. En définitive je crois qu’il<br />
ne faut pas que <strong>le</strong> pont soit trop beau <strong>et</strong> solide, il faut<br />
juste qu’il remplisse sa fonction de pont. Cela me fait<br />
ainsi penser à une souka.<br />
134
Une souka dans la vil<strong>le</strong><br />
Un souka c’est une cabane que <strong>le</strong>s juifs pratiquants<br />
construisent lors de la fête de Soukot, la fête des cabanes<br />
ou des tentes (ou des tabernac<strong>le</strong>s) au mois d’octobre. <strong>Il</strong>s y<br />
dorment en principe durant une semaine, tout <strong>le</strong> temps de<br />
la fête. La souka doit être faite de branchages, accolée à<br />
un mur de la maison. Et son toit ne doit pas empêcher de<br />
voir <strong>le</strong> ciel <strong>et</strong> <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s. Cela rappel<strong>le</strong> au peup<strong>le</strong> juif (<strong>et</strong> à<br />
nous chrétiens aussi) <strong>le</strong> temps de la précarité d’Israël<br />
pendant quarante ans dans <strong>le</strong> désert du Sinaï. La souka<br />
est un lieu de joie, Soukot étant une fête qui célèbre à la<br />
fois notre dépendance à l’égard de Dieu <strong>et</strong> notre bonheur<br />
de vivre dans la confiance en Lui.<br />
Pour moi l’Amitié Judéo-Chrétienne est comme<br />
une souka dans la vil<strong>le</strong>, un endroit fragi<strong>le</strong> où <strong>le</strong> risque de<br />
se disputer peut faci<strong>le</strong>ment détruire la cabane. Et puis il y<br />
a des intempéries possib<strong>le</strong>s, des éléments extérieurs qui<br />
peuvent atteindre la cabane, pénétrer à l’intérieur <strong>et</strong><br />
obliger <strong>le</strong>s occupants à reconstruire <strong>le</strong>ur abri plus loin.<br />
Mais quand on est tranquil<strong>le</strong>s sous la souka, quel<br />
bonheur ! <strong>Il</strong> semb<strong>le</strong> que la Shékhina y demeure.<br />
Des soukot<br />
135
L’association se doit d’être humb<strong>le</strong> <strong>et</strong> ne pas avoir<br />
pour ambition de monopoliser tous <strong>le</strong>s échanges entre<br />
juifs <strong>et</strong> chrétiens. A mon avis il est bon que la souka<br />
devienne soukot : que la cabane au singulier devienne<br />
cabanes au pluriel. Je rêve que chaque chrétien souffre<br />
d’un manque de connaissance du <strong>judaïsme</strong>, que chaque<br />
chrétien ressente en son cœur la « dou<strong>le</strong>ur incessante » de<br />
la déchirure entre <strong>le</strong>s deux frères d’une même famil<strong>le</strong>.<br />
« J'ai au cœur une grande tristesse <strong>et</strong> une dou<strong>le</strong>ur<br />
incessante. Oui, je souhaiterais être anathème, être moimême<br />
séparé du <strong>Christ</strong> pour mes frères, ceux de ma race<br />
selon la chair, eux qui sont <strong>le</strong>s Israélites, à qui<br />
appartiennent l'adoption, la gloire, <strong>le</strong>s alliances, la loi, <strong>le</strong><br />
culte, <strong>le</strong>s promesses <strong>et</strong> <strong>le</strong>s pères, eux enfin de qui, selon<br />
la chair, est issu <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> qui est au-dessus de tout, Dieu<br />
béni éternel<strong>le</strong>ment. Amen. » (Romains 9, 3-5)<br />
Soukot<br />
L’Amitié entre juifs <strong>et</strong> chrétiens est liée à Soukot<br />
parce que c<strong>et</strong>te fête est la fête du peup<strong>le</strong> juif réconcilié<br />
avec <strong>le</strong>s nations. C’est la fête juive la plus citée dans <strong>le</strong>s<br />
Evangi<strong>le</strong>s. <strong>Il</strong> y est fait allusion au moins trois fois. Quand<br />
Pierre, <strong>le</strong> jour de la Transfiguration propose de construire<br />
des tentes, cela signifie très certainement que ce jour<br />
correspond au temps de Soukot. Et puis, Jésus est<br />
136
accueilli à Jérusa<strong>le</strong>m avec <strong>le</strong>s rameaux que l’on brandit <strong>le</strong><br />
jour de Soukot. Enfin, <strong>le</strong> dernier jour de Soukot on prie<br />
pour que <strong>le</strong>s pluies d’automne tombent sur la terre. Et ce<br />
même jour, à Jérusa<strong>le</strong>m, Jésus proclame « Celui qui a<br />
soif, qu’il vienne à moi <strong>et</strong> qu’il boive, <strong>et</strong> de son sein<br />
ruissel<strong>le</strong>ront des f<strong>le</strong>uves d’eau vive » (Jean 7,37).<br />
C’est justement <strong>le</strong> jour de Soukot que nous nous<br />
sommes r<strong>et</strong>rouvés il y a deux mois dans une souka de<br />
Marseil<strong>le</strong> avec deux amis chrétiens dont un moine. Le<br />
rabbin a dans sa dracha (commentaire de la Bib<strong>le</strong>) fait<br />
allusion à notre présence. Nous nous sommes vraiment<br />
sentis accueillis chez des juifs comme on <strong>le</strong> serait dans<br />
notre maison paternel<strong>le</strong>.<br />
137
18. Un prêtre à la synagogue<br />
« El<strong>le</strong> ne veut pas qu’on la conso<strong>le</strong> »<br />
Matthieu 2,18 ; Jérémie 31,15<br />
« Miryam, la prophétesse, sœur d'Aaron, prit en<br />
main un tambourin <strong>et</strong> toutes <strong>le</strong>s femmes la suivirent avec<br />
des tambourins <strong>et</strong> des instruments de danse. Et Miryam<br />
<strong>le</strong>ur fit répéter : "Chantez l'Éternel, il est souverainement<br />
grand ; coursier <strong>et</strong> cavalier, il <strong>le</strong>s a lancés dans la<br />
mer…" »<br />
Exode 15,20-21<br />
Nous sommes <strong>le</strong> 18 décembre 2009 à Marseil<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />
c<strong>et</strong>te date m’évoque <strong>le</strong> Mexique : <strong>le</strong> 18 décembre, c’est <strong>le</strong><br />
jour de la fête de Nuestra Señora de la So<strong>le</strong>dad, Notre<br />
Dame de la Solitude, la patronne de Oaxaca. J’étais un 18<br />
décembre à Oaxaca <strong>et</strong> j’ai assisté à c<strong>et</strong>te fête mexicaine<br />
où l’on médite sur la souffrance de la mère de Jésus au<br />
pied de la croix lorsque son fils est mort <strong>et</strong> qu’el<strong>le</strong> se<br />
r<strong>et</strong>rouve seu<strong>le</strong>. C’est un moment du Vendredi Saint où<br />
l’on n’a pas l’habitude de s’attarder. On préfère, après la<br />
mort de Jésus, penser tout de suite à sa Résurrection que<br />
l’on fêtera dimanche matin ou que l’on anticipera lors de<br />
138
la veillée pasca<strong>le</strong>. On est centré sur <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, c’est<br />
normal <strong>et</strong> logique ; on oublie la solitude immense de<br />
Marie. C’est une solitude au pied du crucifié où el<strong>le</strong> est<br />
en quelque sorte crucifiée el<strong>le</strong>-même dans son cœur.<br />
C’est une solitude qui est probab<strong>le</strong>ment atténuée, moins<br />
intense, quand commence <strong>le</strong> shabbat qu’el<strong>le</strong> célèbre sans<br />
doute en compagnie de Marie-Made<strong>le</strong>ine <strong>et</strong> de Jean, <strong>et</strong><br />
peut-être avec <strong>le</strong>s apôtres revenus de <strong>le</strong>urs cach<strong>et</strong>tes.<br />
On peut méditer longuement sur la solitude de<br />
Marie en présence de son fils mort. En el<strong>le</strong>, ont dû<br />
s’ajouter, à la dou<strong>le</strong>ur infinie devant la mort, d’autres<br />
sentiments comme la compassion envers ceux qui l’ont<br />
abandonné <strong>et</strong> peut-être la colère devant l’injustice. Sa<br />
solitude rejoint la nôtre quand nous voyons que Dieu est<br />
mort autour de nous parce qu’il n’est pas aimé. Sa<br />
solitude rejoint la nôtre quand nous voyons qu’un Juif est<br />
haï uniquement parce qu’il est juif. Sa solitude rejoint la<br />
nôtre quand nous voyons des enfants tués par des adultes<br />
devenus des bêtes. Sa solitude rejoint la nôtre quand nous<br />
ne nous sentons plus en communion avec tous ceux qui<br />
cherchent <strong>le</strong> visage du <strong>Christ</strong>. Sa solitude rejoint la nôtre<br />
quand nous n’avons plus rien à faire, plus rien à dire,<br />
quand même nos pensées sont de trop.<br />
Marie porte un nom hébraïque qui ne peut mieux<br />
lui convenir. Miryam (מרים en <strong>hébreu</strong>) est la femme de<br />
l’amertume, de la mer <strong>et</strong> de la fête. Le nom de Miryam<br />
(Miryam est Mariam en arabe) est constitué de deux<br />
139
mots : “Mir” ou “Mar” <strong>et</strong> “yam”. Moïse <strong>et</strong> son peup<strong>le</strong><br />
sont arrivés un jour à une source amère <strong>et</strong> ont appelé ce<br />
lieu Mara. La myrrhe est un parfum amer qui a cependant<br />
une odeur agréab<strong>le</strong>. « Marah signifie "amertume" en<br />
<strong>hébreu</strong>, mar signifie "abondance" en <strong>araméen</strong>. ». Et dans<br />
<strong>le</strong> nom de Miryam on entend « yam » qui signifie « mer »<br />
םָיּ Et puis la première <strong>le</strong>ttre de Miryam, « mem » 33 , est la<br />
même que cel<strong>le</strong> du mot « maïm » םיַמ (eau).<br />
Miryam est cel<strong>le</strong> qui entraîne <strong>le</strong> Peup<strong>le</strong> dans la<br />
danse après <strong>le</strong> passage de la mer rouge. Miryam<br />
aujourd’hui est toujours la reine de la fête, de la danse, de<br />
la musique <strong>et</strong> du chant. Et el<strong>le</strong> est toujours aujourd’hui la<br />
femme amère qui voit souffrir son Fils dans l’humanité.<br />
El<strong>le</strong> est l’eau qui lave, purifie <strong>et</strong> guérit. El<strong>le</strong> est océan<br />
immense <strong>et</strong> puissant, marée, tempête, pluie, <strong>et</strong> larmes.<br />
Marie est la fil<strong>le</strong> bien-aimée du Père disait <strong>le</strong> pape Jean<br />
Paul II : l’élue, la choisie, la préférée, la comblée de<br />
Grâce. El<strong>le</strong> est la mère de Iéshoua, l’épouse de l’Amour.<br />
El<strong>le</strong> est créature centra<strong>le</strong> en Dieu. Sans el<strong>le</strong>, Dieu ne se<br />
serait pas fait homme. El<strong>le</strong> prie avec nous. El<strong>le</strong> peut nous<br />
guider dans notre prière comme el<strong>le</strong> a guidé Iéshoua dans<br />
ses prières d’enfant.<br />
Ce 18 décembre à Marseil<strong>le</strong> n’était donc ni un soir<br />
de solitude ni un soir amer. C’était hier soir l’allumage de<br />
33 Mem מ, treizième <strong>le</strong>ttre de l'alphab<strong>et</strong> : <strong>le</strong> mem symbolise <strong>le</strong><br />
r<strong>et</strong>our vers l'intérieur. Le nom mem vient de maïm, l'eau : םִיַמ<br />
140
la huitième <strong>et</strong> dernière bougie de Hanoukka. A la<br />
synagogue <strong>le</strong> rabbin a voulu, à la fin de son commentaire<br />
de la Torah, faire honneur à la présence d’un prêtre<br />
catholique parmi ses fidè<strong>le</strong>s. Pour lui il a expliqué <strong>le</strong><br />
dérou<strong>le</strong>ment de l’office du vendredi soir, <strong>le</strong>s psaumes des<br />
montées, <strong>le</strong> « Lekha dodi », <strong>le</strong> « Chema Israël », la<br />
« Amidah »… Et pour <strong>le</strong> kidouche, mon ami prêtre était à<br />
ses côtés pour mieux participer à la bénédiction <strong>et</strong> au<br />
partage du vin <strong>et</strong> du pain. Je crois que la fraternité était si<br />
évidente que l’on avait l’impression d’une bana<strong>le</strong> soirée<br />
en famil<strong>le</strong>. Et pourtant, un prêtre dans une synagogue, ce<br />
n’est pas si courant. Le pape Jean Paul II a donné<br />
l’exemp<strong>le</strong> en 1986 à la synagogue de Rome. Benoît XVI<br />
a poursuivi son chemin en allant prier plusieurs fois dans<br />
des synagogues (à cel<strong>le</strong> de Rome en janvier prochain).<br />
Les premiers chrétiens avaient l’habitude de <strong>le</strong> faire <strong>et</strong><br />
Jésus n’a pas connu d’autres lieux de prière.<br />
Le rabbin a mis en parallè<strong>le</strong> hier soir la fête de la<br />
lumière, Hanoukka, <strong>et</strong> l’histoire de Joseph, <strong>le</strong> fils de<br />
Jacob. Joseph n’est pas l’aîné des fils d’Israël mais<br />
cependant <strong>le</strong> premier dans la pensée de son père, celui<br />
qui était son préféré, l’enfant qu’il a désiré avant tous <strong>le</strong>s<br />
autres. Joseph est appelé « ha tsadik », <strong>le</strong> Juste. <strong>Il</strong> est<br />
Juste parce qu’il a été au fond du puits, (<strong>et</strong> au fond de la<br />
prison) <strong>et</strong> est ensuite sorti à la lumière. <strong>Il</strong> s’est mêlé aux<br />
non-juifs, aux Egyptiens <strong>et</strong> il est resté juif. <strong>Il</strong> a été rej<strong>et</strong>é<br />
par ses frères <strong>et</strong> n’a pas succombé à la haine <strong>et</strong> à la<br />
vengeance. <strong>Il</strong> est sorti de l’épreuve (du puits) intact,<br />
141
intègre. On ne peut être un Juste si on est protégé de la<br />
« boue » si on ne se confronte pas à celui (ce) qui est<br />
différent. Le chrétien qui entend ces paro<strong>le</strong>s du rabbin ne<br />
peut pas ne pas penser à Jésus qui est descendu dans<br />
notre « puits » <strong>et</strong> est resté pur, Juste, intègre, Dieu.<br />
Après <strong>le</strong> kidouche, il y avait un apéritif au cours<br />
duquel j’ai pu échanger avec un membre de la<br />
communauté juive. Alors que nous évoquions <strong>le</strong>s progrès<br />
dans <strong>le</strong>s relations entre nos deux religions, il a comparé<br />
nos deux visions de Dieu <strong>et</strong> fait allusion aux trois<br />
personnes divines de la Trinité. Cela m’a rappelé une<br />
conversation avec un musulman qui avait employé, pour<br />
par<strong>le</strong>r de notre conception du divin, l’expression « trois<br />
dieux ». Comme nous avions hier chacun un verre de<br />
whisky à la main j’ai pensé que ce n’était pas <strong>le</strong> moment<br />
idéal pour entrer dans ce genre de débat subtil. C’est<br />
qu’en eff<strong>et</strong> notre conception chrétienne est subti<strong>le</strong> ; notre<br />
religion est comp<strong>le</strong>xe. Nous croyons en trois personnes<br />
divines <strong>et</strong> sommes cependant bien monothéistes !<br />
Parfois, pour des gens qui ne sont pas chrétiens,<br />
nous pouvons donner l’impression que nous avons trois<br />
dieux ou que nous avons fragmenté son unité en trois<br />
morceaux. Nous sommes sans doute quelquefois<br />
maladroits. Ou bien nous avons aussi tendance à préférer<br />
prier une seu<strong>le</strong> (ou deux) des trois personnes de la Trinité<br />
<strong>et</strong> nous en laissons une (ou deux) de côté. <strong>Il</strong> serait ici<br />
fastidieux de décrire toutes <strong>le</strong>s déviances <strong>et</strong> déformations<br />
142
possib<strong>le</strong>s de la Trinité ; je préfère ici seu<strong>le</strong>ment dire que<br />
nous devrions insister sur l’unité de la Trinité. C’est pour<br />
cela que j’apprécie beaucoup <strong>le</strong>s chrétiens orthodoxes.<br />
Par exemp<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> signe de croix ils disent « Au Nom<br />
du Père, par <strong>le</strong> Fils, dans <strong>le</strong> Saint-Esprit ». Nous, nous<br />
disons « Au Nom du Père <strong>et</strong> du Fils <strong>et</strong> du Saint-Esprit ».<br />
Le Nom est bien au singulier mais je suis certain qu’à<br />
l’oral nous pouvons entendre inconsciemment un pluriel.<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> christianisme orthodoxe <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> est vraiment<br />
central mais jamais sans <strong>le</strong> Père <strong>et</strong> l’Esprit Saint. Par<br />
exemp<strong>le</strong> dans l’icône du « <strong>Christ</strong> pantocrator », il est<br />
représenté en tant que Juge divin. <strong>Il</strong> est ainsi clair que <strong>le</strong><br />
<strong>Christ</strong> en gloire est vraiment Dieu.<br />
Nous avons aussi en général quelques difficultés à<br />
nommer Dieu. Qui faut-il prier ? Comment faut-il<br />
L’appe<strong>le</strong>r ? Jésus ? Le <strong>Christ</strong> ? Le Saint-Esprit ? Notre<br />
Père ? Seigneur ? Je me souviens qu’à quatorze ans c<strong>et</strong>te<br />
question m’inquiétait déjà <strong>et</strong> j’avais demandé à un<br />
religieux une réponse définitive. Ce qu’il m’avait<br />
conseillé m’avait encore plus déstabilisé : il m’avait<br />
recommandé de prier Marie… Pour <strong>le</strong>s Juifs, Dieu a un<br />
Nom qui demeure inaccessib<strong>le</strong> à nos paro<strong>le</strong>s <strong>et</strong> à nos<br />
pensées. Aussi ils Le désignent par ses qualités : <strong>le</strong> Saint-<br />
Béni-Soit-<strong>Il</strong>, <strong>le</strong> Créateur, <strong>le</strong> Tout Puissant, <strong>et</strong>c., ou tout<br />
simp<strong>le</strong>ment, « Le Nom » (Ha Chem). Et dans <strong>le</strong>s prières,<br />
en disant « Adonaï », ils savent très bien que ce nom<br />
n’est qu’une allusion à son Nom. Pourtant, aimer<br />
143
quelqu’un qu’on ne peut pas nommer, ce n’est pas faci<strong>le</strong>.<br />
Nous chrétiens avons besoin de nommer Celui que nous<br />
aimons. Le Père Thomas Philippe l’explique très bien :<br />
« Le langage du cœur ne peut se contenter d’idées,<br />
d’idéal, de symbo<strong>le</strong>s. Le cœur a absolument besoin<br />
d’aimer des personnes, de pouvoir connaître directement<br />
des personnes <strong>et</strong> entrer en relation avec el<strong>le</strong>s. Un<br />
véritab<strong>le</strong> amour ne peut se contenter d’un vouloir vague<br />
<strong>et</strong> lointain. <strong>Il</strong> a besoin d’une intimité, de toucher la<br />
personne aimée, mais aussi de la nommer. Dès qu’on<br />
aime une personne, on veut savoir son nom, on aime<br />
prononcer son nom. Le nom est indispensab<strong>le</strong> à l’amour.<br />
<strong>Il</strong> est aussi comme <strong>le</strong> substitut de la personne quand el<strong>le</strong><br />
n’est pas présente. Ce sont <strong>le</strong>s pauvres <strong>et</strong> <strong>le</strong>s p<strong>et</strong>its qui<br />
m’ont fait découvrir <strong>le</strong> mystère du nom de Jésus. Au<br />
début de l’Arche, <strong>et</strong> encore vers <strong>le</strong>s années 68, la plupart<br />
des assistants appelaient Jésus « <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> » ou « <strong>le</strong><br />
Seigneur ». De façon plus ou moins consciente, ils<br />
s’attachaient davantage aux noms qui désignent <strong>le</strong>s<br />
fonctions socia<strong>le</strong>s ou prophétiques de Jésus qu’à son<br />
« p<strong>et</strong>it nom », ce « Jésus » que Marie devait employer<br />
durant toute la vie cachée, qui n’est pas <strong>le</strong> nom de<br />
famil<strong>le</strong>, mais qui désigne la personne dans ce qu’el<strong>le</strong> a de<br />
plus simp<strong>le</strong>, de plus intime. Or, « Jésus » était <strong>le</strong> nom que<br />
naturel<strong>le</strong>ment, spontanément, <strong>le</strong>s personnes handicapées<br />
reprenaient, après l’avoir entendu durant la <strong>le</strong>cture de<br />
l’Evangi<strong>le</strong> ou dans la liturgie. Les p<strong>et</strong>its enfants font la<br />
144
même chose. <strong>Il</strong>s savent directement rejoindre la personne<br />
de Jésus. (…) » 34<br />
Pour <strong>le</strong> Père Thomas Philippe, la meil<strong>le</strong>ure façon<br />
de nommer Dieu est donc de dire « Jésus ». Cela ne<br />
signifie pas que tous <strong>le</strong>s chrétiens devraient faire de<br />
même. Ce sur quoi l’on devrait plutôt insister c’est que ce<br />
sens de l’unité se situe au niveau du cœur. C’est à mon<br />
avis surtout cela qu’il faut r<strong>et</strong>enir des explications du<br />
Père Thomas ; l’unité de Dieu en nous <strong>et</strong> notre propre<br />
unité intérieure dépendent de l’unité de notre cœur :<br />
« Unifie mon cœur pour qu'il craigne ton nom » (Psaume<br />
86,11). Plus que <strong>le</strong> nom que nous donnons à Dieu, je<br />
crois que ce qui est important c’est ce que nous<br />
entendons quand nous prononçons ce Nom. Ce que nous<br />
entendons quand quelqu’un dit notre nom, notre prénom,<br />
ce n’est pas adressé à notre cerveau mais à notre cœur.<br />
C’est <strong>le</strong> ton de la voix qui transm<strong>et</strong> ce que veut dire<br />
l’âme. C’est l’intonation de la voix qui indique <strong>le</strong><br />
sentiment correspondant au nom prononcé. Ce sentiment<br />
que l’on a envers Dieu ne dépend pas d’un mot ; même si<br />
<strong>le</strong> mot que nous choisissons peut avoir une certaine<br />
influence.<br />
Pour un chrétien sensib<strong>le</strong> à l’importance de nos<br />
racines juives, dire Jésus en <strong>hébreu</strong> peut être une bonne<br />
34<br />
Dieu s’est réservé la sagesse du cœur, La Ferme de Trosly, pages<br />
16 <strong>et</strong> suivantes.<br />
145
façon de s’adresser à Dieu à condition de rester humb<strong>le</strong><br />
dans <strong>le</strong> sens où l’on doit rester conscient du fait qu’un<br />
nom ne peut contenir (enfermer) Dieu. Aucun nom ne<br />
peut l’atteindre, c’est seu<strong>le</strong>ment notre cœur qui peut<br />
l’atteindre. Aussi, on peut s’efforcer de transformer <strong>le</strong><br />
nom que nous avons choisi pour par<strong>le</strong>r à Dieu en un<br />
souff<strong>le</strong> de si<strong>le</strong>nce. C’est ainsi que Dieu se fait entendre<br />
au prophète dans 1 Rois 19,12 :<br />
« une voix, un si<strong>le</strong>nce subtil » (traduction de<br />
Chouraqui)<br />
« <strong>le</strong> bruit d’une brise légère » (Bib<strong>le</strong> de Jérusa<strong>le</strong>m)<br />
« un doux <strong>et</strong> subtil murmure » (traduction du<br />
rabbinat)<br />
« <strong>le</strong> bruissement d’un souff<strong>le</strong> ténu » (TOB)<br />
Un chrétien dans une synagogue peut entendre <strong>le</strong><br />
nom de Jésus en <strong>hébreu</strong> assez souvent s’il est attentif…<br />
En eff<strong>et</strong> <strong>le</strong> nom de Jésus signifie aussi « salut »,<br />
« secours » ou « salvation » <strong>et</strong> j’aime bien y prêter<br />
attention chaque fois qu’il est prononcé au cours des<br />
prières juives. Mais c’est bien sûr quand on prononce<br />
« Adonaï », <strong>le</strong> Nom divin que je peux vraiment sentir sa<br />
Présence, la présence de « Celui que mon cœur aime »<br />
(Cantique des cantiques 3,4).<br />
146
19. Au baroudeur patient (suite)<br />
« Moïse mon serviteur est mort ; maintenant donc,<br />
lève-toi (qoum, םוק), passe <strong>le</strong> Jourdain que voici »<br />
Josué 1,2<br />
« Talitha qoumi »<br />
Marc 5,41<br />
Le tick<strong>et</strong> de mon café à deux euros cinquante<br />
indique <strong>le</strong> 26/12/2009 à 7h05, avec en haut « Au<br />
baroudeur patient » <strong>et</strong> non pas « Le baroudeur patient »<br />
comme j’avais cru lire la dernière fois. Ça me fait plaisir<br />
d’y revenir <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain de Noël. On passe nos vacances<br />
en famil<strong>le</strong> à Paris <strong>et</strong> j’ai eu un peu de mal à faire la grasse<br />
matinée. Des pensées matina<strong>le</strong>s m’ont réveillé. J’ai<br />
même envoyé un mail vers six heures à un ami où je lui<br />
disais qu’il faudrait inventer une nouvel<strong>le</strong> Amitié Judéo-<br />
Chrétienne, l’Amitié Judéo-Catholique… ».<br />
En fait c<strong>et</strong>te association n’est pas nécessaire<br />
puisqu’il y a dans presque tous <strong>le</strong>s diocèses de France un<br />
Service pour <strong>le</strong>s Relations avec <strong>le</strong> Judaïsme. Ce Service<br />
147
interne à l’Eglise a plusieurs avantages par rapport à<br />
l’AJC :<br />
- il s’agit de relations entre l’Eglise <strong>et</strong> la<br />
Synagogue, la politique est donc exclue des échanges ;<br />
- on ne peut y tenir des propos anti-Eglise<br />
Catholique, ou du moins avec délicatesse parce que la<br />
critique provient de personnes qui font partie de l’Eglise<br />
<strong>et</strong> donc (en principe) l’aiment ;<br />
- il n’est pas nécessaire de présenter la religion<br />
chrétienne ;<br />
- <strong>le</strong>s rencontres ne consistent pas en des<br />
conférences où viennent seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s chrétiens <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
juifs ouverts ;<br />
- il s’agit de relations entre croyants (pratiquants) <strong>et</strong><br />
non pas de relations entre des personnes qui ont pris de la<br />
distance avec <strong>le</strong>urs communautés respectives ;<br />
- il n’est pas nécessaire de tenir à l’écart <strong>le</strong>s Juifs<br />
Messianiques puisque <strong>le</strong>s Protestants ne sont pas invités<br />
aux rencontres ;<br />
- <strong>le</strong>s athées n’y ont pas <strong>le</strong>ur place : <strong>le</strong>s thèmes <strong>et</strong><br />
objectifs des échanges <strong>et</strong> rencontres sont uniquement<br />
religieux (théologiques, spirituels).<br />
Au « Baroudeur patient » je me sentais donc ce<br />
matin-là plutôt insatisfait dans c<strong>et</strong>te association judéochrétienne<br />
dont certains membres parfois ne mâchent pas<br />
<strong>le</strong>urs mots pour critiquer l’Eglise <strong>et</strong> <strong>le</strong> pape.<br />
148
L’atmosphère un peu afro-latino de ce bar m’a emporté<br />
vers d’autres pensées. A peu près en face de moi il y<br />
avait un grand tab<strong>le</strong>au de femme fumant <strong>le</strong> cigare, une<br />
cubaine sans doute. Et puis, près du comptoir, <strong>le</strong>s<br />
chaussures usées que j’avais déjà remarquées la première<br />
fois. Derrière moi un tab<strong>le</strong>au de scène africaine. Un<br />
baroudeur, c’est un voyageur mais c’est aussi « une<br />
personne qui a beaucoup combattu, qui aime se battre »<br />
dit <strong>le</strong> Larousse.<br />
Pourtant une Amitié judéo-catholique ou un<br />
Service diocésain pour <strong>le</strong>s relations avec <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> peut<br />
aussi avoir des inconvénients :<br />
- peut-on éviter complètement d’évoquer la<br />
politique avec <strong>le</strong>s juifs ?<br />
- peut-on toujours esquiver l’aspect laïc de<br />
l’identité juive ?<br />
- la liberté de paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> d’action dans un Service<br />
Diocésain pour <strong>le</strong>s Relations avec <strong>le</strong> Judaïsme ne dépend<br />
pratiquement que d’une personne, l’évêque ;<br />
- la relation Eglise/Synagogue peut être trop<br />
diplomate au point de devenir superficiel<strong>le</strong> voire inuti<strong>le</strong>.<br />
Cependant la relation Eglise/Synagogue peut aussi<br />
être, comme Benoît XVI essaie de <strong>le</strong> faire, très franche.<br />
Et dans ce cas el<strong>le</strong> est fructueuse. Pour que c<strong>et</strong>te relation<br />
soit sincère <strong>et</strong> amica<strong>le</strong>, une association ou une structure<br />
est-el<strong>le</strong> nécessaire ? El<strong>le</strong> n’est heureusement pas<br />
indispensab<strong>le</strong> mais parfois on est bien content d’avoir un<br />
149
cadre. Par exemp<strong>le</strong> dans l’AJC on peut limiter <strong>le</strong>s dérives<br />
comme <strong>le</strong> prosélytisme ou la tentation d’unir contre <strong>le</strong>s<br />
musulmans <strong>le</strong>s chrétiens <strong>et</strong> <strong>le</strong>s juifs. Et dans un Service<br />
d’Eglise il peut aussi y avoir des dérives qui seront<br />
recadrées par l’évêque <strong>et</strong> aussi en fonction de la position<br />
du Vatican. Bref, aucun instrument de rapprochement<br />
juifs/chrétiens n’est idéal mais on ne peut s’en passer,<br />
sauf si on tient à la discrétion. Dès qu’une activité<br />
devient col<strong>le</strong>ctive, une organisation structurée apparaît. A<br />
chacun de rester, malgré c<strong>et</strong>te structure, un humain libre<br />
qui respire la vie <strong>et</strong> non pas un élément fonctionnel d’une<br />
machine ou d’un organisme. <strong>Il</strong> faut aussi du temps….<br />
Nous avons quasiment deux mil<strong>le</strong> ans d’absence de<br />
dialogue, d’ignorance <strong>et</strong> de préjugés mutuels à rattraper.<br />
C’est <strong>le</strong> genre de question que s’est peut-être posé<br />
Josué au moment de sortir du désert. La vie nomade<br />
rendait superflue une organisation rigide. Après la mort<br />
de Moïse, הוהי Adonaï par<strong>le</strong> à Josué <strong>et</strong> lui dit « il est<br />
temps d’agir, de passer <strong>le</strong> Jourdain ». C<strong>et</strong>te traduction lue<br />
dans je ne sais plus quel<strong>le</strong> Bib<strong>le</strong> m’a étonné ; alors j’ai<br />
été en voir d’autres. J’ai lu « debout ! Passe <strong>le</strong> Jourdain»<br />
<strong>et</strong> « lève-toi » ; puis j’ai consulté l’<strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> compris que<br />
<strong>le</strong> mot םוק (« koum ») était l’impératif (masculin,<br />
deuxième personne du singulier) du verbe « se <strong>le</strong>ver ».<br />
Cela fait bien sûr penser à la phrase de Jésus en <strong>araméen</strong> :<br />
« Talitha quoum », que l’Evangi<strong>le</strong> traduit « P<strong>et</strong>ite fil<strong>le</strong>, je<br />
te <strong>le</strong> dis lève-toi » ou « Fil<strong>le</strong>tte, je te <strong>le</strong> dis, réveil<strong>le</strong>-toi »<br />
150
(Marc 5,41). Mais en <strong>hébreu</strong> « Talita » pourrait aussi être<br />
tout simp<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> prénom de la fil<strong>le</strong> ou <strong>le</strong> surnom de<br />
Talia qui signifie « rosée de Dieu » (« tal » étant la<br />
rosée).<br />
Iéshoua עושי vient de Iéoshoua עשוהי. Josué est<br />
un nom qui devrait attirer l’attention des chrétiens<br />
puisque sa racine hébraïque est cel<strong>le</strong> du nom de Jésus.<br />
<strong>Il</strong>s ne partagent pas que la racine de <strong>le</strong>urs noms :<br />
Iéoshoua –Josué, tout comme Iéshoua-Jésus passent <strong>le</strong><br />
Jourdain : <strong>le</strong>s deux passent à « l’action », sortent du<br />
désert. Les deux prennent <strong>le</strong> risque du mélange avec <strong>le</strong>s<br />
païens, <strong>le</strong>s deux se risquent à l’ouverture. Les deux<br />
coïncident avec la réponse à une attente : cel<strong>le</strong> de l’entrée<br />
dans la terre promise <strong>et</strong> cel<strong>le</strong> du messie. Les deux<br />
proposent une structure nouvel<strong>le</strong> de la col<strong>le</strong>ctivité : <strong>le</strong><br />
peup<strong>le</strong> d’Israël sédentarisé qui abandonne son<br />
organisation nomade <strong>et</strong> <strong>le</strong> groupe des apôtres plus tard<br />
appelé Eglise. Pour tous <strong>le</strong>s deux <strong>le</strong> passage du Jourdain<br />
est décisif. Pour Josué, après <strong>le</strong> Jourdain, la confrontation<br />
avec <strong>le</strong>s autres peup<strong>le</strong>s est rude <strong>et</strong> vio<strong>le</strong>nte 35 ; <strong>et</strong> pour<br />
Jésus son baptême -qui est une manifestation publique de<br />
sa divinité- va provoquer des réactions à la fois<br />
d’adhésion <strong>et</strong> d’opposition (de vio<strong>le</strong>nce).<br />
Faut-il sortir du désert ? Faut-il sortir de la<br />
discrétion ? Faut-il s’organiser ou laisser faire <strong>le</strong>s choses<br />
35 Une première confrontation avec Ama<strong>le</strong>k a déjà eu lieu.<br />
151
« naturel<strong>le</strong>ment » ? La vraie question n’est pas binaire<br />
(fermée) mais plutôt ouverte : comment se laisser faire ?<br />
Comment laisser agir dans nos vies l’Esprit Saint,<br />
l’Esprit de Iéshoua-Adonaï ? Comment ne pas contrarier<br />
<strong>le</strong> Vent ? Comment laisser agir en nous Son désir ?<br />
Comment ressemb<strong>le</strong>r à Miryam-Marie sa mère, notre<br />
mère ? L’amour n’est-il pas entre la peur <strong>et</strong> la vio<strong>le</strong>nce ?<br />
La peur nous maintient passifs, nous paralyse, empêche<br />
l’amour de s’exprimer. La vio<strong>le</strong>nce est un amour qui veut<br />
l’obj<strong>et</strong>/ la personne aimée sans attendre, sans patience.<br />
Peur <strong>et</strong> vio<strong>le</strong>nce proviennent parfois de l’amour mais<br />
fina<strong>le</strong>ment s’y opposent. Comment éviter ces deux<br />
extrêmes ? L’amour est un subtil équilibre.<br />
<strong>Dans</strong> l’Amitié Judéo-Chrétienne rien n’est parfait<br />
mais il y a une tentative d’harmonie entre trois religions<br />
qui sont <strong>le</strong>s miennes : <strong>le</strong> christianisme, <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong><br />
l’amitié. L’amitié est en eff<strong>et</strong> une composante de la<br />
relation entre juifs <strong>et</strong> chrétiens, une va<strong>le</strong>ur en soi. Mes<br />
enfants qui sont à l’âge de la découverte de la diversité<br />
des religions me demandaient récemment quel<strong>le</strong> était « la<br />
vraie ». Pas évident de répondre de façon non binaire !<br />
« Toutes sont vraies » serait une réponse qui ne<br />
correspond pas à ce que je crois. « La nôtre est vraie, <strong>le</strong>s<br />
autres sont fausses » signifierait que nous chrétiens avons<br />
<strong>le</strong> monopo<strong>le</strong> de l’amour <strong>et</strong> de la vérité, <strong>le</strong> monopo<strong>le</strong> de la<br />
connaissance de Dieu ! Cela n’est pas juste non plus.<br />
Alors, pour répondre <strong>le</strong> mieux possib<strong>le</strong>, je <strong>le</strong>ur ai parlé de<br />
152
c<strong>et</strong>te fameuse « troisième religion », c<strong>et</strong>te religion sousjacente<br />
à toutes <strong>le</strong>s religions, l’amour, « la religion du<br />
cœur ». On en a fait une religion en soi <strong>et</strong> on pense que<br />
cela suffit. Cela n’est pas ma religion. Je pense que<br />
l’amour en soi peut suffire à certains mais pour d’autres<br />
l’amour a besoin de s’exprimer par la religion. Et nous<br />
chrétiens croyons qu’à la source de l’amour il y a<br />
quelqu’un qui est Dieu lui-même.<br />
Aussi, même si cela n’est pas faci<strong>le</strong>, je crois que<br />
c’est un beau défi d’essayer de concilier <strong>le</strong>s trois<br />
composants de l’Amitié Judéo-Chrétienne. Et ce qui est<br />
particulier dans ce défi c’est que <strong>le</strong> but n’est pas d’en<br />
faire une structure solide avec un toit très haut, une<br />
façade magnifique <strong>et</strong> des murs impressionnants. Le but<br />
est d’en faire une tente de la rencontre, un abri précaire,<br />
une cabane fragi<strong>le</strong> : une souka.<br />
153
Troisième partie :<br />
Compassion<br />
Un jour en ouvrant <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it livre de Saint Bernard<br />
de Clairvaux "Regarder Marie", je suis tombé sur <strong>le</strong><br />
passage où il explique ce que signifie la prophétie de<br />
Syméon à Miryam "une épée te transpercera l'âme".<br />
Cela m'a aidé à comprendre comment Miryam est<br />
synonyme de compassion : <strong>le</strong> coup de lance, c'est el<strong>le</strong> qui<br />
l'a reçu.<br />
El<strong>le</strong> ressent <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssures de son Fils <strong>et</strong> <strong>le</strong>s nôtres,<br />
<strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssures de Dieu en nous.<br />
Cela m'a permis de répondre à une question que je<br />
me posais depuis longtemps : "Quel<strong>le</strong> est pour moi dans<br />
la Bib<strong>le</strong> LA phrase qui résumerait tout ?".<br />
Et je crois que <strong>j'ai</strong> trouvé : <strong>le</strong> vers<strong>et</strong> 2 du psaume 18<br />
en <strong>hébreu</strong>, traduit en français par "je t'aime Seigneur ma<br />
force".<br />
154
En français c'est une phrase bana<strong>le</strong> mais en <strong>hébreu</strong><br />
c'est unique dans la Bib<strong>le</strong> parce que <strong>le</strong> verbe aimer n'est<br />
pas habituel. <strong>Dans</strong> ce vers<strong>et</strong> on utilise <strong>le</strong> verbe en <strong>hébreu</strong><br />
qui signifie "éprouver de la compassion" ou "ressentir de<br />
la peine".<br />
Cela signifierait que dans c<strong>et</strong>te phrase c'est<br />
l'homme (David) qui ressent de la compassion pour<br />
Dieu !<br />
יִקְזִח הָוהְי ךְָמָח ְרֶא<br />
« Je te matricie, IHVH-Adonaï, mon renfort ! »<br />
Psaume 18,2 (Traduction Chouraqui)<br />
155
20. Le Messie souffrant<br />
« Si Israël ne peut, comme <strong>le</strong>s Chrétiens, voir en<br />
Jésus <strong>le</strong> Fils de Dieu, il ne lui est tout de même pas<br />
impossib<strong>le</strong> de reconnaître en lui <strong>le</strong> Serviteur de Dieu, qui<br />
porte aux nations la Lumière de son Dieu. »<br />
Cardinal Ratzinger 36<br />
« Pour Tryphon, <strong>le</strong> Messie souffrant, c’est <strong>le</strong> peup<strong>le</strong><br />
juif. » C<strong>et</strong>te phrase est ma seu<strong>le</strong> prise de note de la<br />
conférence de l’Amitié Judéo-Chrétienne du 13 janvier<br />
2010. Le délégué diocésain pour <strong>le</strong>s relations avec <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> a fait un exposé sur l’origine du christianisme<br />
depuis <strong>le</strong>s apôtres jusqu’au III ème sièc<strong>le</strong>. Les Pères de<br />
l’Eglise se posaient la question du rapport avec <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> il y avait plusieurs directions possib<strong>le</strong>s.<br />
L’Eglise aurait pu se couper tota<strong>le</strong>ment du <strong>judaïsme</strong><br />
(marcionisme) ou au contraire demeurer dans <strong>le</strong> respect<br />
des mitzvot (de la Loi) comme dans l’Eglise de Jacques à<br />
Jérusa<strong>le</strong>m. El<strong>le</strong> a heureusement choisi une troisième voie,<br />
une sorte de voie médiane.<br />
C’est à c<strong>et</strong>te époque, au II ème sièc<strong>le</strong>, que <strong>le</strong> chrétien<br />
Justin (ou « Justin <strong>le</strong> martyr ») écrit <strong>le</strong> « Dialogue avec<br />
Tryphon <strong>le</strong> juif ». Chacun essaie de voir quel est <strong>le</strong><br />
36 L’unique alliance de Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> pluralisme des religions, Editions<br />
Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, 1999, page 88.<br />
156
meil<strong>le</strong>ur terrain d’entente <strong>et</strong> quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s différences<br />
entre <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> ce qui depuis peu (à Antioche, Actes<br />
11,26) s’appel<strong>le</strong> <strong>le</strong> christianisme. Justin <strong>et</strong> Tryphon<br />
étudient ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong>s chapitres 52 <strong>et</strong> 53 du prophète<br />
Isaïe. <strong>Dans</strong> ces passages on par<strong>le</strong> d’un « serviteur<br />
souffrant » où, évidemment, <strong>le</strong> chrétien perçoit <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>.<br />
Pour <strong>le</strong> juif Tryphon (comme pour tous <strong>le</strong>s juifs)<br />
l’identification du Serviteur souffrant à Dieu est<br />
inconcevab<strong>le</strong>. Le Messie ne peut pas être humilié,<br />
défiguré comme cela est décrit dans ce passage : « des<br />
multitudes avaient été saisies d’épouvante à sa vue, car il<br />
n’avait plus figure humaine » (Isaïe 52, 14).<br />
Et <strong>le</strong> chapitre 53 (vers<strong>et</strong>s 3 <strong>et</strong> suivants) précise :<br />
« Obj<strong>et</strong> de mépris, abandonné des hommes, homme<br />
de dou<strong>le</strong>ur, familier de la souffrance, comme quelqu’un<br />
devant qui on se voi<strong>le</strong> la face, méprisé, nous n’en faisions<br />
aucun cas. Or ce sont nos souffrances qu’il portait <strong>et</strong> nos<br />
dou<strong>le</strong>urs dont il était chargé. Et nous, nous <strong>le</strong><br />
considérions comme puni, frappé par Dieu, humilié. Mais<br />
lui, il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à<br />
cause de nos fautes. (…) »<br />
Au II ème sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s juifs sont dans la dou<strong>le</strong>ur de voir<br />
<strong>le</strong>ur Temp<strong>le</strong> détruit (70), <strong>le</strong>ur peup<strong>le</strong> écrasé par <strong>le</strong>s<br />
romains <strong>et</strong> dispersé (vers 135). Aussi Israël peut voir sa<br />
propre description dans <strong>le</strong> livre d’Isaïe. Et pour <strong>le</strong>s<br />
chrétiens de c<strong>et</strong>te époque qui depuis l’an 48 n’étaient<br />
plus protégés par <strong>le</strong>ur statut de juifs de l’Empire, <strong>le</strong><br />
157
approchement avec la figure du serviteur souffrant est<br />
aussi possib<strong>le</strong>. Ainsi, même si <strong>le</strong> juif Tryphon ne peut<br />
reconnaître <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> dans <strong>le</strong> « serviteur souffrant » <strong>et</strong><br />
même si <strong>le</strong> chrétien Justin ne peut pas accepter la Loi de<br />
Moïse, tous <strong>le</strong>s deux tombent d’accord pour voir Israël<br />
dans <strong>le</strong> Messie souffrant. <strong>Il</strong> n’y a là aucune<br />
incompatibilité avec <strong>le</strong> christianisme. De plus, l’Eglise du<br />
<strong>Christ</strong> étant son Corps, <strong>le</strong>s chrétiens peuvent aussi voir<br />
dans <strong>le</strong>s souffrances du Messie –du <strong>Christ</strong>- cel<strong>le</strong>s des<br />
membres de son Eglise. Et pourquoi ne pas al<strong>le</strong>r encore<br />
plus loin en considérant toute personne qui souffre pour<br />
la Justice comme un serviteur souffrant ?<br />
Cependant des questions surgissent. Peut-on glisser<br />
de « serviteur » à « Messie » sachant que <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur juif<br />
n’associe pas forcément <strong>le</strong> Serviteur souffrant au Messie<br />
qui devait être un descendant de David, libérateur<br />
victorieux <strong>et</strong> non pas victime ? Et si <strong>le</strong> serviteur souffre,<br />
qui <strong>le</strong> fait souffrir ? Qui est persécuté <strong>et</strong> qui persécute ?<br />
Qui est crucifié <strong>et</strong> qui crucifie ? Et de quel<strong>le</strong> manière<br />
pouvons-nous considérer <strong>le</strong>s chrétiens <strong>et</strong> <strong>le</strong>s juifs comme<br />
associés ou participant aux souffrances du Messie ? Les<br />
chrétiens reconnaissent-ils qu’Israël est <strong>le</strong> peup<strong>le</strong>-Messie,<br />
<strong>le</strong> peup<strong>le</strong> élu ? Les juifs ont-ils conscience d’appartenir<br />
au peup<strong>le</strong> élu ? Comment <strong>et</strong> quand Jésus a-t-il su qu’il<br />
était <strong>le</strong> Messie, <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> ? Comment <strong>le</strong>s juifs se<br />
perçoivent-ils en tant que membres du peup<strong>le</strong> élu ? Que<br />
signifie « peup<strong>le</strong> élu » ou « peup<strong>le</strong>-Messie » ? Ce sont là<br />
158
ien sûr des questions plus chrétiennes que juives <strong>et</strong> par<br />
conséquent délicates car pouvant être perçues comme une<br />
agression par <strong>le</strong>s juifs. Tout dépend de la manière de <strong>le</strong>s<br />
poser.<br />
A vrai dire je n’ose pas ici m’aventurer dans des<br />
tentatives de réponses ou d’approfondissement de ces<br />
questions. Je pense avoir été suffisamment loin. En fait,<br />
ce qui m’a étonné en entendant que Tryphon <strong>et</strong> Justin<br />
voyaient dans Israël <strong>le</strong> Messie souffrant, c’est que je<br />
pensais jusqu’alors -naïvement- que c’était une idée<br />
neuve avancée par <strong>le</strong> Cardinal Lustiger. Je croyais que<br />
c<strong>et</strong>te conception venait de lui alors que cela fait dix-huit<br />
sièc<strong>le</strong>s qu’el<strong>le</strong> se promène dans <strong>le</strong>s pensées chrétiennes <strong>et</strong><br />
juives.<br />
159
21. « De qui est-il fils ? »<br />
Matthieu 22,42<br />
Dimanche dernier Daniel est venu à la messe avec<br />
nous. Pour l’aider à suivre je lui ai prêté <strong>le</strong> « Prions en<br />
Eglise junior » de mes enfants. Ce qui l’a d’abord étonné<br />
c’est la première <strong>le</strong>cture tirée de la Bib<strong>le</strong> juive (c’était<br />
Isaïe). A côté de lui je lui expliquais la liturgie à voix<br />
basse au fur <strong>et</strong> à mesure du dérou<strong>le</strong>ment de la<br />
célébration. C’était étrange pour moi d’expliquer la<br />
messe à un adulte qui n’y a jamais été <strong>et</strong> a cependant des<br />
points de repère provenant de sa religion, cel<strong>le</strong> qui a<br />
donné naissance à la nôtre. Le Notre Père est la prière<br />
qu’il a pu dire à voix haute puisqu’el<strong>le</strong> est inspirée du<br />
kaddish. Et il a tout de suite senti que la seconde partie de<br />
la messe, l’Eucharistie, était bien différente de la<br />
première car jusque là il n’y a avait pas de grande<br />
différence avec l’office à la synagogue. Au moment de<br />
« la Paix du <strong>Christ</strong> » il m’a demandé si la messe était<br />
terminée. J’ai deviné qu’il faisait un rapprochement avec<br />
la fin de l’office du shabbat <strong>le</strong> vendredi soir quand nous<br />
nous souhaitons la « Paix du shabbat » (« Shabbat<br />
shalom ! ») en nous serrant la main avant de partir.<br />
Au moment de la communion j’ai essayé de lui<br />
expliquer pourquoi certaines personnes communiaient <strong>et</strong><br />
160
d’autres pas. <strong>Il</strong> est faci<strong>le</strong> de comprendre que mon fils aîné<br />
puisse communier parce qu’il a fait sa « Première<br />
communion » (qui implique une préparation) alors que<br />
mon second va simp<strong>le</strong>ment recevoir une bénédiction du<br />
prêtre. Mais il ne comprenait pas pourquoi certains<br />
adultes ne se déplaçaient pas. J’ai remis à la fin de la<br />
messe de plus amp<strong>le</strong>s explications qui n’ont pourtant pas<br />
diminué son étonnement. <strong>Il</strong> y a aussi un mot que j’ai dû<br />
lui « traduire », c’est <strong>le</strong> verbe « communier ». Je n’avais<br />
pas conscience de sons sens spécifique qui est de recevoir<br />
l’eucharistie. Et comment faire comprendre en deux mots<br />
l’Eucharistie ? <strong>Il</strong> était vraiment intéressant pour moi de<br />
partager ce que je comprends de la messe <strong>et</strong> de me rendre<br />
compte des limites du langage pour exprimer ce qui ne<br />
peut pas se démontrer rationnel<strong>le</strong>ment.<br />
Ainsi par exemp<strong>le</strong> la relation entre Dieu <strong>et</strong> Jésus…<br />
Jésus <strong>et</strong> Dieu ou Jésus est Dieu ? J’avoue avoir esquivé <strong>le</strong><br />
suj<strong>et</strong> avec Daniel car, d’une part ce n’était pas <strong>le</strong> moment<br />
<strong>et</strong> parce que, d’autre part je ne crois pas uti<strong>le</strong> de trop<br />
par<strong>le</strong>r de Dieu de c<strong>et</strong>te manière « chrétienne ». En eff<strong>et</strong>,<br />
dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> il y beaucoup de pudeur à par<strong>le</strong>r de<br />
Dieu, on se contente de Lui par<strong>le</strong>r. <strong>Dans</strong> <strong>le</strong> christianisme,<br />
peut-être en partie en raison de la subtilité de la<br />
conception trinitaire de Dieu, on est contraint de m<strong>et</strong>tre<br />
des mots sur l’indicib<strong>le</strong>. Ces mots, à la fois nous aident à<br />
mieux connaître Dieu, <strong>et</strong> en même temps nous <strong>le</strong> voi<strong>le</strong>nt<br />
<strong>et</strong> épaississent <strong>le</strong> masque qui recouvre Son visage.<br />
161
J’aime bien la question que pose Jésus à propos de<br />
lui-même : « De qui est-il fils ? » (Matthieu 22,42). <strong>Il</strong> ne<br />
pouvait pas dire « Bonjour c’est moi Dieu ! ». <strong>Il</strong> pouvait<br />
cependant poser la question ; <strong>et</strong> d’ail<strong>le</strong>urs il nous la pose :<br />
« pour vous qui suis-je ? » ou « Qui dites-vous que je<br />
suis ? » (Matthieu 16,15). <strong>Il</strong> nous fait comprendre qui il<br />
est tout au long de sa vie, tout au long du Nouveau<br />
Testament. Malgré cela beaucoup de chrétiens en doutent<br />
<strong>et</strong> pensent que Jésus est un homme favorisé par Dieu, un<br />
humain devenu Dieu ou divinisé. Bref, ce n’est pas parce<br />
qu’on est chrétien que l’on adhère au Credo qui affirme<br />
« <strong>Il</strong> est Dieu né de Dieu… ».<br />
Et puis, s’il on accepte que Jésus est à la fois <strong>le</strong> Fils<br />
de Dieu <strong>et</strong> Dieu Lui-même, est-on alors vraiment<br />
chrétien ? Tout dépend de ce que nous entendons par<br />
« Dieu ». Si Dieu est pour nous une énergie cosmique ou<br />
un être suprême ressemblant à Zeus, sommes-nous<br />
chrétiens ? Oui, bien sûr, mais il nous reste du chemin à<br />
faire avant de commencer à découvrir <strong>le</strong> visage<br />
authentique du <strong>Christ</strong>.<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> passage de l’Evangi<strong>le</strong> ou Jésus nous pose<br />
directement la question « de qui est-il fils ? », il nous<br />
interroge sur notre conception du Dieu d’Israël, <strong>le</strong> Dieu<br />
de David, celui que nous prions dans <strong>le</strong>s psaumes. Quand<br />
David par<strong>le</strong> du Messie, s’agit-il de son fils ? Le Messie<br />
est-il <strong>le</strong> fils de David ? Jésus répond par une question<br />
(Matthieu 22,45) : « Si David l’appel<strong>le</strong> הוהי Adonaï,<br />
comment est-il son fils ? ». Les gens qui l’écoutaient n’en<br />
162
ont pas rajouté. C’est <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce qui a conclu la<br />
discussion.<br />
Et nous aujourd’hui ? Quand nous lisons <strong>le</strong> mot הוהי<br />
Adonaï dans la Bib<strong>le</strong>, voyons-nous <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> ? Et quand<br />
nous lisons <strong>le</strong> mot <strong>Christ</strong> ou <strong>le</strong> nom « Jésus », voyonsnous<br />
הוהי Adonaï ? C’est bien ce que Pierre montre <strong>le</strong><br />
jour de la Pentecôte quand il déclare « David dit à son<br />
suj<strong>et</strong>… » (Actes 2,25). Jésus n’est pas <strong>le</strong> fils d’un dieu<br />
inconnu mais <strong>le</strong> Fils du Dieu d’Israël. « Par Jésus <strong>Christ</strong><br />
<strong>le</strong> Dieu d’Israël devenu <strong>le</strong> Dieu des nations » (Cardinal<br />
Ratzinger) 37<br />
Jésus sans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, détaché de son contexte juif<br />
<strong>et</strong> de son identité divine juive est un homme pris pour un<br />
dieu, une ido<strong>le</strong>. Les juifs ont bien raison de ne pas croire<br />
en ce dieu-là. Cela ne correspond heureusement ni au<br />
Credo de l’Eglise ni à l’enseignement du pape : « Les<br />
chrétiens <strong>et</strong> <strong>le</strong>s juifs ont en commun une grande partie de<br />
<strong>le</strong>ur patrimoine spirituel, ils prient <strong>le</strong> même Seigneur,<br />
ils ont <strong>le</strong>s mêmes racines, mais ils sont souvent inconnus<br />
l’un à l’autre. » (Benoît XVI) 38<br />
37 L’unique alliance de Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> pluralisme des religions, Editions<br />
Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, 1999, pages 11 <strong>et</strong> 87.<br />
38 Discours à la synagogue de Rome, 17 janvier 2010.<br />
163
22. Chema ète ha doumiya<br />
היםודה שמע<br />
Ecoute <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce<br />
Doumiya היםוד : <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce de l’eau calme d’un lac.<br />
C'est ce que m'avait expliqué une amie juive lorsque que<br />
je l'avais interrogée sur <strong>le</strong> sens des différentes traductions<br />
du mot « si<strong>le</strong>nce ». <strong>Il</strong> y en a en eff<strong>et</strong> au moins trois en<br />
<strong>hébreu</strong>. Lorsqu'el<strong>le</strong> me l'a décrit je crois avoir vraiment<br />
écouté <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce de l’eau calme d’un lac. Par écrit ce<br />
serait évidemment impossib<strong>le</strong> à transm<strong>et</strong>tre. Et même à<br />
l'oral, pour pouvoir l'expliquer il faut je pense avoir soimême<br />
ressenti la paix, <strong>le</strong> son, l'eff<strong>et</strong> de ce si<strong>le</strong>nce. Au<br />
bord du lac de Tibériade (ou de Gennesar<strong>et</strong>h dans<br />
l'Evangi<strong>le</strong>, ou Mer de Kinner<strong>et</strong>), sur l'une des berges<br />
restées sauvages, on peut peut-être entendre ce si<strong>le</strong>nce<br />
qui s'appel<strong>le</strong> doumiya 39 .<br />
Ce n’est qu’à partir d’un grand si<strong>le</strong>nce <strong>et</strong> en y<br />
r<strong>et</strong>ournant ensuite que l’on peut oser par<strong>le</strong>r un peu des<br />
ressemblances entre <strong>le</strong> Messie <strong>et</strong> son peup<strong>le</strong>. On peut par<br />
exemp<strong>le</strong> observer que <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> Israël sont abaissés <strong>et</strong><br />
é<strong>le</strong>vés.<br />
39 On peut trouver <strong>le</strong> mot « doumiya » dans <strong>le</strong> psaume 62,2 « Ah !<br />
en Elohîms, si<strong>le</strong>nce (…) » <strong>et</strong> <strong>le</strong> psaume 65,2 « Pour toi, <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce est<br />
louange (…) » (Traduction Chouraqui)<br />
164
« Béni sois-Tu, Seigneur notre Dieu, Roi du<br />
monde, qui nous a choisis parmi tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>et</strong> nous<br />
a é<strong>le</strong>vés au-dessus de toutes <strong>le</strong>s nations <strong>et</strong> nous sanctifiés<br />
par tes commandements. »<br />
Kiddouch de la Haggadah de Pessah<br />
« Comme Moïse é<strong>le</strong>va <strong>le</strong> serpent dans <strong>le</strong> désert,<br />
ainsi faut-il que soit é<strong>le</strong>vé <strong>le</strong> Fils de l'homme, afin que<br />
quiconque croit ait par lui la vie éternel<strong>le</strong>. »<br />
Jean 3,14-15<br />
« C'est pourquoi Dieu l'a souverainement é<strong>le</strong>vé <strong>et</strong><br />
lui a conféré <strong>le</strong> Nom qui est au-dessus de tout nom »<br />
Philippiens, chapitre 2,9<br />
« L’Eternel est é<strong>le</strong>vé au-dessus de tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s,<br />
sa gloire dépasse <strong>le</strong>s cieux. » (Segond)<br />
ou « Le Seigneur est é<strong>le</strong>vé au-dessus de toutes <strong>le</strong>s<br />
nations, Sa gloire est au-dessus des cieux. » (TOB)<br />
ou « Exalté au-dessus de toutes <strong>le</strong>s nations, IHVH-<br />
Adonaï; au-dessus des ciels est sa gloire. » (Chouraqui)<br />
Psaume 113,4<br />
« Ce n'est pas parce que vous êtes plus nombreux<br />
que <strong>le</strong>s autres peup<strong>le</strong>s que l'Éternel vous a aimés <strong>et</strong><br />
choisis car, en réalité, vous êtes <strong>le</strong> plus p<strong>et</strong>it des<br />
peup<strong>le</strong>s »<br />
Deutéronome 7,7<br />
165
« Israël deviendra la fab<strong>le</strong> <strong>et</strong> la dérision de tous <strong>le</strong>s<br />
peup<strong>le</strong>s »<br />
1 Rois 9,7<br />
« Moi, je suis un vermisseau, <strong>et</strong> non un homme,<br />
l’opprobre des gens, obj<strong>et</strong> de mépris pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> »<br />
Psaume 22,4<br />
« <strong>Il</strong> renverse <strong>le</strong>s puissants de <strong>le</strong>ur trône, il élève <strong>le</strong>s<br />
humb<strong>le</strong>s. »<br />
Luc 1, 52<br />
L'Eglise est sainte même si <strong>le</strong>s chrétiens ne <strong>le</strong> sont<br />
pas. C'est la même chose pour Israël qui est un peup<strong>le</strong><br />
saint même si <strong>le</strong>s juifs ne <strong>le</strong> sont pas. Etre saint, c'est<br />
choisir de suivre Dieu <strong>et</strong> se m<strong>et</strong>tre à part, en r<strong>et</strong>rait. La<br />
conséquence de ce choix est doub<strong>le</strong> : cela rapproche de<br />
Dieu <strong>et</strong> éloigne des hommes. Et pourtant, <strong>le</strong><br />
commandement du <strong>Christ</strong> contredit c<strong>et</strong>te logique de<br />
saint<strong>et</strong>é : il nous demande d'al<strong>le</strong>r vers <strong>le</strong>s autres, d'être<br />
dans <strong>le</strong> monde. Dieu n'est pas hors du monde, séparé du<br />
monde, il est dans l'amour des autres, dans <strong>le</strong>s autres,<br />
dans ceux qui ont soif de son amour.<br />
Le <strong>Christ</strong> s'est à la fois mis à l'écart des hommes<br />
(dans sa manière de vivre en nomade avec <strong>le</strong>s apôtres,<br />
dans sa façon de prier au désert...) <strong>et</strong> s'est mélangé aux<br />
166
autres hommes sans distinction. Cela ne l'a pas empêché<br />
d'être condamné à mort à la fois par <strong>le</strong>s autorités loca<strong>le</strong>s<br />
religieuses <strong>et</strong> politiques mais aussi par la fou<strong>le</strong> qui est en<br />
réalité chacun de nous. Israël a un destin qui ressemb<strong>le</strong> à<br />
celui du <strong>Christ</strong>. <strong>Il</strong> est inexorab<strong>le</strong>ment attiré par Jérusa<strong>le</strong>m<br />
alors qu'il pourrait vivre plus tranquil<strong>le</strong>ment ail<strong>le</strong>urs.<br />
Mais ail<strong>le</strong>urs, il ne serait plus lui-même, <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> ne<br />
serait plus <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, Israël ne serait plus Israël.<br />
La survie de l'Etat d'Israël ne tient qu'à un fil. Pas<br />
besoin d'être prophète ou diplômé d'études politiques<br />
internationa<strong>le</strong>s pour observer que ce fil est en train de<br />
s'amincir. Et évidemment ce qui se passe en Israël ne<br />
peut pas être sans conséquence pour <strong>le</strong>s juifs du monde<br />
entier.<br />
Un autel, c'est un lieu pour être é<strong>le</strong>vé, montré. Un<br />
autel, c'est une construction destinée à recevoir des<br />
offrandes, des sacrifices. La construction de l’Etat<br />
d’Israël est comparab<strong>le</strong> à la construction d’un autel. Un<br />
Etat, ce n’est évidemment pas une chose sacrée mais il y<br />
a cependant dans c<strong>et</strong>te attirance pour Jérusa<strong>le</strong>m <strong>et</strong> pour<br />
<strong>le</strong>ur Terre -toujours promise <strong>et</strong> jamais donnée- chez <strong>le</strong>s<br />
juifs quelque chose qui va au-delà de l’humain. C<strong>et</strong><br />
attachement dépasse toute explication rationnel<strong>le</strong>.<br />
Comme <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, <strong>le</strong>s juifs vont à Jérusa<strong>le</strong>m pour y<br />
enseigner <strong>et</strong> y souffrir. En construisant à Jérusa<strong>le</strong>m <strong>et</strong><br />
dans la région un lieu où résider, <strong>le</strong>s juifs construisent<br />
eux-mêmes <strong>le</strong>ur propre lieu d'épreuve. Ont-ils <strong>le</strong> choix ?<br />
167
S'ils ne <strong>le</strong> faisaient pas ils seraient assimilés, ils<br />
disparaîtraient parmi <strong>le</strong>s nations, ils deviendraient des<br />
nations <strong>et</strong> cesseraient d'être Israël.<br />
De même que si l'on posait c<strong>et</strong>te question absurde à<br />
un chrétien “es-tu pour ou contre la Croix du <strong>Christ</strong> ?” il<br />
ne pourrait pas répondre, on ne peut pas non-plus<br />
répondre à la question “es-tu pour ou contre l'Etat<br />
d'Israël ?”. Notre attitude chrétienne consiste à imiter <strong>le</strong><br />
si<strong>le</strong>nce de Jésus <strong>et</strong> de sa mère.<br />
« Tu ne réponds rien ? »<br />
Matthieu 26,62<br />
« <strong>Il</strong> ne répondit rien »<br />
Matthieu 27,12<br />
« Tu ne réponds rien ? »<br />
Marc 14,4<br />
« Jésus ne répondit plus rien »<br />
Marc 15, 5<br />
« mais il ne lui répondit rien »<br />
Luc 23,9<br />
« Tu ne me par<strong>le</strong>s pas ? »<br />
Jean 19,10<br />
168
Si<strong>le</strong>nce de Iéshoua.<br />
Si<strong>le</strong>nces.<br />
- Si<strong>le</strong>nce du Crucifié,<br />
- Si<strong>le</strong>nce de celui qui se lave <strong>le</strong>s mains,<br />
- Si<strong>le</strong>nce des apôtres,<br />
- Si<strong>le</strong>nce de sa mère,<br />
- Si<strong>le</strong>nce de l’Eglise,<br />
- Si<strong>le</strong>nce de Pierre,<br />
- Si<strong>le</strong>nce de Judas,<br />
- Si<strong>le</strong>nce de Jean,<br />
- Si<strong>le</strong>nce des enfants israéliens <strong>et</strong> pa<strong>le</strong>stiniens,<br />
- Si<strong>le</strong>nce des enfants,<br />
- Si<strong>le</strong>nce des anonymes dans la fou<strong>le</strong> bruyante,<br />
- Si<strong>le</strong>nce de Simon de Cyrène,<br />
- Si<strong>le</strong>nce de l’Agneau,<br />
- Si<strong>le</strong>nce de Joseph,<br />
- Si<strong>le</strong>nce des pauvres,<br />
- Notre si<strong>le</strong>nce…<br />
Quel est notre si<strong>le</strong>nce ?<br />
Quel est ton si<strong>le</strong>nce ?<br />
Quel est mon si<strong>le</strong>nce ?<br />
<strong>Il</strong> y a différents si<strong>le</strong>nces.<br />
169
23. Pessah<br />
La « Tente de la Rencontre » abrite la Présence<br />
d’Adonaï.<br />
Exode 33,7<br />
La connaissance de la fête juive de Pessah (Pâque)<br />
perm<strong>et</strong> aux Chrétiens d’entrer plus profondément dans <strong>le</strong><br />
mystère de l’Eucharistie, notamment parce que <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> donne des précisions sur son contexte, sur la<br />
manière dont Iéshoua l’a vécue.<br />
« Chaque individu doit se considérer lui-même<br />
comme s’il était sorti d’Egypte. » (Recommandations<br />
liées au repas du Seder pascal)<br />
Le Jeudi Saint, Iéshoua, comme tous <strong>le</strong>s Juifs,<br />
célébrait <strong>le</strong> repas du « Seder pascal » pendant la semaine<br />
de Pâque. Comme tous <strong>le</strong>s Juifs aujourd’hui encore, il se<br />
souvenait de la libération d’Egypte. Avec ses amis, <strong>et</strong><br />
peut-être aussi sa mère, il se remémorait c<strong>et</strong>te nuit où <strong>le</strong>s<br />
Hébreux, préparant <strong>le</strong>ur départ au désert avaient mangé <strong>le</strong><br />
pain non <strong>le</strong>vé (azyme) <strong>et</strong> sacrifié l’agneau. <strong>Il</strong>s avaient mis<br />
du sang sur <strong>le</strong> devant de <strong>le</strong>ur maison pour que l’ange de<br />
la mort ne tue pas <strong>le</strong>urs premiers nés. La même nuit,<br />
170
guidés par Moïse, <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> <strong>hébreu</strong> était parti dans <strong>le</strong><br />
désert, vers la terre promise (Exode, chapitre 13).<br />
C’est au cours de son dernier repas de Pâque<br />
(« Pessar » ou « Pessah » en <strong>hébreu</strong> 40 ) que Iéshoua a<br />
ajouté, ou changé, des mots au rituel traditionnel. <strong>Il</strong> a dit<br />
en parlant du pain <strong>et</strong> du vin : « c’est mon corps <strong>et</strong> mon<br />
sang ». « Le <strong>Christ</strong> est l’Emmanuel, <strong>le</strong> Dieu-avec-nous -<br />
la concrétisation du « Je suis », la réponse au déisme. »<br />
(Joseph Ratzinger) 41<br />
Le <strong>Christ</strong> a donc modifié, complété, <strong>le</strong> sens de la<br />
pâque juive. <strong>Il</strong> a révélé son visage. Et, comme 1250 ans<br />
auparavant, il a demandé à ses amis, à son peup<strong>le</strong>, de ne<br />
jamais oublier qu’il <strong>le</strong>s a libérés : « faites cela en<br />
mémoire de moi ».<br />
Chaque fois que l’on célèbre l’Eucharistie, <strong>le</strong> prêtre<br />
rend <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> présent dans du pain <strong>et</strong> du vin en rappelant<br />
qu’<strong>Il</strong> est Celui qui nous sauve. Par Son sacrifice <strong>Il</strong> nous<br />
délivre du mal <strong>et</strong> de la mort ; <strong>Il</strong> nous ressuscite <strong>et</strong> nous<br />
emmène dans la Vie ; nous attendons aujourd’hui Sa<br />
venue, la venue de Celui qui est Le Vivant חי (« raï » ou<br />
« hay »).<br />
40<br />
Pessah : Fête de la Pâque juive ; <strong>le</strong> sens littéral, « action de<br />
passer ».<br />
41<br />
Liturgie <strong>et</strong> mission, La nouvel<strong>le</strong> Evangélisation, conférence à<br />
Rome <strong>le</strong> 10 décembre 2000.<br />
171
La fête de Pessah nous aide à mieux comprendre la<br />
fête de Pâques. Connaître l’histoire du peup<strong>le</strong> juif peut<br />
nous perm<strong>et</strong>tre de pénétrer plus profondément dans <strong>le</strong><br />
mystère de la résurrection de Iéshoua. Le passage de la<br />
mort à la vie du <strong>Christ</strong> peut être mis en parallè<strong>le</strong> avec <strong>le</strong><br />
passage de l’esclavage à la liberté des Hébreux qui<br />
traversent la Mer Rouge, la mort.<br />
<strong>Dans</strong> la nuit du 14 au 15 de Nissan <strong>le</strong>s Hébreux<br />
quittent l’Egypte, de même que Iéshoua quitte la vie<br />
terrestre. Ensuite ils marchent un jour <strong>et</strong> se reposent <strong>le</strong><br />
shabbat du 17 Nissan : Miryam, en communion avec<br />
Iéshoua, vit <strong>le</strong> Shabbat de la semaine de Pessah, qui<br />
deviendra <strong>le</strong> Samedi Saint du christianisme.<br />
Le soir du 20 Nissan, <strong>le</strong>s Hébreux atteignent <strong>le</strong><br />
rivage <strong>et</strong> attendent comme Moïse <strong>le</strong> <strong>le</strong>ur demande : « Ne<br />
craignez pas ! Tenez ferme <strong>et</strong> vous verrez ce que <strong>le</strong><br />
Seigneur va faire pour vous sauver aujourd'hui, car <strong>le</strong>s<br />
Égyptiens que vous voyez aujourd'hui, vous ne <strong>le</strong>s<br />
reverrez plus jamais ; <strong>le</strong> Seigneur combattra pour vous ;<br />
vous, vous n'aurez qu'à rester tranquil<strong>le</strong>s. » (Exode 14,<br />
13-14). Ainsi, Miryam attend dans la confiance que<br />
Iéshoua traverse la mort, qu’il revienne vivant.<br />
<strong>Dans</strong> la nuit du 20 au 21 Nissan, Israël est délivré,<br />
comme Iéshoua dans la nuit du samedi au dimanche :<br />
« devant moi, tu as ouvert un passage » Psaume 30,9<br />
(<strong>hébreu</strong> 31,TOB).<br />
Au <strong>le</strong>ver du jour, <strong>le</strong>s enfants d’Israël entonnent un<br />
chant d’action de grâce de même que l’on peut imaginer<br />
172
Miryam se réjouir au matin du premier jour de la<br />
résurrection de son fils <strong>et</strong> Seigneur.<br />
173
24. Epiphanie<br />
« La religion juive ne nous est pas « extrinsèque »<br />
mais, d’une certaine manière, el<strong>le</strong> est « intrinsèque » à<br />
notre religion. »<br />
Jean Paul II 42<br />
<strong>Il</strong> y a si longtemps que je cherche <strong>le</strong> visage<br />
« comp<strong>le</strong>t » du <strong>Christ</strong> à la fois dans <strong>le</strong> christianisme <strong>et</strong><br />
dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>. Mais on ne peut pas vivre<br />
simultanément deux religions. Je suis chrétien <strong>et</strong> pas juif.<br />
<strong>Il</strong> est possib<strong>le</strong> de chercher <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> mais<br />
délicat de vivre en tant que chrétien à l’intérieur du<br />
<strong>judaïsme</strong>. Et on ne peut pas inventer une religion qui<br />
serait « entre <strong>le</strong>s deux », cela serait absurde. Le <strong>judaïsme</strong><br />
est, comme <strong>le</strong> dit Jean Paul II, « intrinsèque » à notre<br />
religion. Cependant il reste en général étrange <strong>et</strong> étranger<br />
pour la plupart des chrétiens car il n’est présent dans <strong>le</strong><br />
christianisme que sous une sorte de masque, en tant que<br />
trace ou de façon implicite. En fait je crois que je cherche<br />
<strong>le</strong> <strong>Christ</strong> dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> qui se trouve dans <strong>le</strong><br />
christianisme.<br />
42 Lors de sa visite à la synagogue de Rome <strong>le</strong> 13 avril 1986.<br />
174
J’ai cherché c<strong>et</strong>te eau parce que j’en avais soif sans<br />
savoir si c<strong>et</strong>te eau existait ou pas. Je pensais garder c<strong>et</strong>te<br />
soif toute ma vie sans jamais goûter l’eau qui pourrait<br />
l’assouvir. Je m’étais résigné à vivre c<strong>et</strong>te soif comme on<br />
porte une amertume qui ne peut pas nous quitter. Et il y a<br />
deux ans, j’ai fait la connaissance d’une p<strong>et</strong>ite<br />
communauté monastique dans <strong>le</strong>s Alpil<strong>le</strong>s qui a fait toute<br />
une démarche pour mieux connaître <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, « la<br />
racine qui nous porte ». J’ai ainsi découvert, à une p<strong>et</strong>ite<br />
heure de route de Marseil<strong>le</strong>, l’eau qui répond à ma soif au<br />
« Monastère de l’Epiphanie ».<br />
La découverte du <strong>judaïsme</strong> comme moyen de<br />
mieux connaître <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> (<strong>et</strong> donc Dieu) est pour <strong>le</strong><br />
chrétien une sorte de « choc ». Ce choc peut diffici<strong>le</strong>ment<br />
se produire par une démonstration intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>. La<br />
liturgie, autrement dit la prière, est une manière de<br />
découvrir par <strong>le</strong> cœur <strong>et</strong> l’âme <strong>le</strong> visage juif du <strong>Christ</strong>, <strong>le</strong><br />
visage juif de Dieu. En écrivant, je sais que <strong>le</strong> but que je<br />
poursuis n’est pas atteint : ces mots, ces phrases, ces<br />
pages ne peuvent pas faire aimer <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>. Ce que je<br />
fais ici est « inefficace » car ce n’est pas par la <strong>le</strong>cture<br />
que l’on peut comprendre l’importance du <strong>judaïsme</strong> pour<br />
tout chrétien.<br />
Et pourtant, je pense que ce travail amer n’est pas<br />
vain. Tout dépend de la soif qui se trouve au fond de<br />
chacun. Si quelqu’un a soif du <strong>Christ</strong> « chrétien ET<br />
175
juif », ces lignes pourront peut-être l’aider dans son<br />
chemin de baroudeur dans <strong>le</strong>s déserts. En eff<strong>et</strong> il s’agit<br />
bien aujourd’hui d’être, à la suite de Marie-Miryam, des<br />
baroudeurs, des solitaires qui se cramponnent au <strong>Christ</strong>.<br />
Nous sommes en train de vivre une sorte de Vendredi <strong>et</strong><br />
de Samedi Saints : <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> est crucifié, il s’en va, il<br />
n’est plus visib<strong>le</strong>ment là. Son Eglise est désemparée, <strong>le</strong>s<br />
apôtres se dispersent. Certains dans l’Eglise choisissent<br />
de se recroquevil<strong>le</strong>r sur eux-mêmes en rej<strong>et</strong>ant ceux qui<br />
sont différents. D’autres choisissent de s’ouvrir tel<strong>le</strong>ment<br />
aux non croyants qu’ils finissent par transformer <strong>le</strong><br />
christianisme en simp<strong>le</strong> philosophie.<br />
L’unité de l’Eglise se trouve chez une femme <strong>et</strong><br />
non plus chez Pierre qui oscil<strong>le</strong> entre la vio<strong>le</strong>nce <strong>et</strong> la<br />
fuite. <strong>Il</strong> n’y a plus que Miryam qui, au pied de la Croix,<br />
auprès d’Israël, reste stab<strong>le</strong>, solide, fidè<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> est<br />
comme notre rocher alors qu’el<strong>le</strong> est faib<strong>le</strong> <strong>et</strong> pauvre.<br />
El<strong>le</strong> est vulnérab<strong>le</strong> <strong>et</strong> pourtant el<strong>le</strong> demeure présente<br />
auprès du Crucifié. Durant <strong>le</strong> shabbat, <strong>le</strong> Samedi Saint,<br />
el<strong>le</strong> a très certainement dû être comme une maison pour<br />
<strong>le</strong>s apôtres dispersés. C’est auprès d’el<strong>le</strong> qu’ils ont dû se<br />
regrouper. C’est sûr.<br />
Et qui est-el<strong>le</strong>, où est-el<strong>le</strong> aujourd’hui ? El<strong>le</strong> est<br />
certainement discrète, peu « médiatique ». El<strong>le</strong> est douce<br />
<strong>et</strong> pourtant forte. El<strong>le</strong> aime son/notre <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> el<strong>le</strong> aime<br />
son (/notre ?) peup<strong>le</strong> Israël. El<strong>le</strong> porte seu<strong>le</strong> durant <strong>le</strong><br />
Samedi Saint <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> qui naît du <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> d’Israël : el<strong>le</strong><br />
176
porte ceux qui cherchent <strong>le</strong> visage authentique du <strong>Christ</strong>.<br />
El<strong>le</strong> est avec ceux qui <strong>le</strong> cherchent <strong>et</strong> jamais ne se<br />
l’approprient. El<strong>le</strong> est probab<strong>le</strong>ment très présente chez<br />
tous <strong>le</strong>s pauvres de la terre qui cherchent la source sans<br />
être capab<strong>le</strong>s de la nommer. El<strong>le</strong> est avec nous quand<br />
nous sommes comme son nom « mir »- amers <strong>et</strong><br />
« yam »- mer. El<strong>le</strong> souffre avec son Fils <strong>et</strong> avec tous ceux<br />
qui souffrent. El<strong>le</strong> souffre avec Dieu qui voit ses<br />
créatures se créer <strong>le</strong>urs propres souffrances. El<strong>le</strong> est<br />
compassion (de l’<strong>hébreu</strong> rahamim 43 ). El<strong>le</strong> nous invite à<br />
entrer dans la souffrance des personnes que nous<br />
côtoyons pour pouvoir entrer dans <strong>le</strong> cœur de Dieu<br />
crucifié. Et el<strong>le</strong> est « yam », mer, océan, immensité,<br />
désert. El<strong>le</strong> nous invite à oser <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce de la mer <strong>et</strong> du<br />
désert pour mieux ressentir la soif de Celui qui est l’eau<br />
de Vie.<br />
43 « Rahamim » (…) « que l’on traduit d’ordinaire simp<strong>le</strong>ment par<br />
« miséricorde » signifie littéra<strong>le</strong>ment « entrail<strong>le</strong>s de miséricorde »,<br />
c’est-à-dire la manière dont on s’émeut pour quelqu’un depuis <strong>le</strong><br />
plus profonde de son être. C’est un sentiment d’affection, de<br />
compassion, qui s’exprime immédiatement par une action. (…)<br />
Les « entrail<strong>le</strong>s de miséricorde » désignent la capacité propre à<br />
l’homme d’être touché par la faib<strong>le</strong>sse d’autrui, de compatir à son<br />
malheur <strong>et</strong>, du coup ou sous <strong>le</strong> coup, de réagir pratiquement. Plus<br />
qu’un sentiment, c’est une disposition : la perception entraîne une<br />
réponse concrète. L’émotion ne se complaît pas dans sa<br />
manifestation ; el<strong>le</strong> m<strong>et</strong> en mouvement vers l’autre.<br />
Cardinal Jean-Marie Lustiger, Soyez heureux, Nil éditions, 1997,<br />
page 93 <strong>et</strong> 94.<br />
177
Miryam nous propose de nous désapproprier du<br />
nom de Jésus pour mieux voir en Lui Celui dont <strong>le</strong> Nom<br />
ne peut être prononcé. Autrement dit el<strong>le</strong> nous invite à<br />
voir en Jésus Celui dont <strong>le</strong> Nom est au-dessus de tout<br />
nom, Celui que <strong>le</strong>s juifs appel<strong>le</strong>nt Adonaï, sachant très<br />
bien qu’aucune bouche ne peut prononcer son Nom.<br />
Miryam nous invite à dire Son Nom par nos actes, el<strong>le</strong><br />
nous invite à dire son Nom avec <strong>le</strong> cœur, c’est-à-dire sans<br />
<strong>le</strong> bruit des mots. Le Nom de Dieu, quel que soit <strong>le</strong> nom<br />
que nous lui donnons, ne peut pas être dit à haute voix ; il<br />
ne peut être que chuchoté. C’est la manière d’évangéliser<br />
de Miryam, avec peu de mots, en parlant doucement. El<strong>le</strong><br />
n’explique pas, el<strong>le</strong> invite à prier avec el<strong>le</strong>. Et la prière<br />
explique. Faire perm<strong>et</strong> de comprendre. Prier perm<strong>et</strong> de<br />
croire.<br />
Epiphanie en grec cela veut dire « apparition ».<br />
Dieu apparaît, se rend visib<strong>le</strong>, se manifeste par Jésus-<br />
Iéshoua. Les bergers <strong>et</strong> <strong>le</strong>s mages viennent de loin adorer<br />
Jésus-bébé comme un roi, comme Le Roi. C’est discr<strong>et</strong><br />
comme naissance, un bébé qui naît pendant la nuit dans<br />
une grotte ou une étab<strong>le</strong> ; ce n’est pas « médiatique ». Et<br />
c’est pourtant de c<strong>et</strong>te façon que Dieu se manifeste<br />
aujourd’hui aussi. Sans bruit, à l’écart, dans la nature,<br />
dans <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce, dans la pauvr<strong>et</strong>é, dans la simplicité. C’est<br />
donc là qu’il nous faut <strong>le</strong> chercher.<br />
178
« Où est <strong>le</strong> roi des juifs qui vient de naître ? »<br />
(Matthieu 2,2) demandent <strong>le</strong>s mages. Même <strong>le</strong>s juifs ne<br />
savent pas où il se trouve alors qu’il est au milieu d’eux,<br />
parmi eux. Et nous chrétiens sommes tentés de penser<br />
que <strong>le</strong>s juifs sont aveug<strong>le</strong>s parce qu’ils ne croient pas que<br />
Jésus est <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>. Heureusement qu’ils ne croient pas au<br />
<strong>Christ</strong> tel que <strong>le</strong>s chrétiens l'ont déformé ! Heureusement<br />
qu’ils restent juifs ! Sinon qui pourrait aujourd’hui nous<br />
aider à voir en Jésus <strong>le</strong> Dieu d’Israël ? Quand <strong>le</strong>s<br />
chrétiens verront en Jésus <strong>Christ</strong> <strong>le</strong> Dieu d’Israël, alors<br />
enfin <strong>le</strong>s juifs pourront peut-être reconnaître <strong>le</strong>ur Messie.<br />
Mais nous n’en sommes pas encore là…<br />
179
25. Shavouot<br />
« David dit à son suj<strong>et</strong> : Je garde היהו <strong>le</strong> Seigneur<br />
devant moi sans relâche »<br />
Actes, 2,25<br />
« La Pentecôte est par excel<strong>le</strong>nce la fête des<br />
prémices, alors que la fête des azymes -à Pâque- n’en<br />
n’est guère que la préparation : en réalité ces deux fêtes<br />
encadrent la période des moissons. Le lien entre Pâque<br />
<strong>et</strong> Pentecôte se rencontre dans l’étymologie même de<br />
c<strong>et</strong>te dernière fête : Pentecôte signifie, en eff<strong>et</strong>,<br />
cinquantième (jour sous-entendu), à compter de Pâque,<br />
prise comme premier jour. La remarque est valab<strong>le</strong> aussi<br />
pour <strong>le</strong> nom <strong>hébreu</strong> shavouot, qui veut dire « semaines »,<br />
soit la fête qui se célèbre sept semaines après <strong>le</strong> jour de<br />
pessah (Pâque). (…)<br />
Fête des prémices <strong>et</strong> de la Torah, la Pentecôte est<br />
encore connue sous <strong>le</strong> nom de aser<strong>et</strong>, à savoir<br />
« clôture », suivant la teneur du mot <strong>hébreu</strong>. Pourquoi ce<br />
nom ? <strong>Il</strong> y a deux raisons : 1. au niveau agrico<strong>le</strong>, la fête<br />
de shavouot conclut <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> de l’offrande <strong>et</strong> des<br />
prémices, qui a commencé avec la moisson de l’orge <strong>et</strong> la<br />
fête des matsot ; 2. au niveau historique surtout, el<strong>le</strong><br />
180
conclut <strong>le</strong> sens de la Pâque, dont l’accomplissement se<br />
réalise par <strong>le</strong> don de la Torah. (…)<br />
Le don de la Torah n’est pas, en réalité, un moment<br />
postérieur à la libération d’Egypte, comme si Dieu<br />
d’abord faisait sortir Israël, <strong>et</strong> ensuite lui offrait la<br />
Torah. Pas du tout ! Ce don est la raison profonde qui<br />
L’a poussé à agir : Dieu fait sortir Israël de l’Egypte<br />
pour lui faire don de la Torah ! ["Laisse partir mon<br />
peup<strong>le</strong> pour qu'il me serve." (Exode 8,16)] L’Exode<br />
d’Egypte n’est pas une fin en soi : il est tout orienté vers<br />
<strong>le</strong> Sinaï. Là, Israël passe de la dépendance sous Pharaon<br />
à l’obéissance en présence de Dieu ; du vivre pour soi,<br />
qui est esclavage, au vivre selon Dieu, qui est liberté ;<br />
bref, de la servitude au service.<br />
Fête des prémices <strong>et</strong> de la Torah, la Pentecôte<br />
célèbre par conséquent un événement doub<strong>le</strong> : celui de la<br />
fécondité de la terre <strong>et</strong> de l’obéissance de l’homme. <strong>Il</strong> <strong>le</strong><br />
célèbre comme deux événements, non pas séparés, mais<br />
bien en corrélation d’interdépendance : la terre est<br />
féconde à condition que l’homme y vive <strong>et</strong> œuvre avec<br />
el<strong>le</strong> selon la justice, c’est-à-dire selon l’Alliance. Cœur<br />
juste <strong>et</strong> fruits abondants : ce sont là <strong>le</strong>s deux pô<strong>le</strong>s<br />
nécessaires <strong>et</strong> irremplaçab<strong>le</strong>s ! De <strong>le</strong>ur rencontre seu<strong>le</strong><br />
f<strong>le</strong>urit la joie de la fête ; de <strong>le</strong>ur mariage naît <strong>le</strong> chant de<br />
l’Eden ! » (Carmine di Sante 44 )<br />
181
Le jour de la Pentecôte tout semblait simp<strong>le</strong>. Pierre<br />
explique aux nouveaux convertis que Iéshoua est Celui<br />
que <strong>le</strong>s juifs connaissent déjà sous <strong>le</strong> nom imprononçab<strong>le</strong><br />
de הוהי : « David dit à son suj<strong>et</strong> : Je garde הוהי <strong>le</strong> Seigneur<br />
devant moi sans relâche » (Actes, 2,25)<br />
<strong>Il</strong> suffit donc de reconnaître qu'il est Seigneur 45 <strong>et</strong><br />
qu'il est venu sur terre sous forme humaine, a été crucifié,<br />
est mort, est ressuscité <strong>et</strong> a été glorifié. Pierre n'annonce<br />
pas un nouveau dieu ou la naissance d'une nouvel<strong>le</strong><br />
religion ; il affirme aux juifs que <strong>le</strong>ur Messie est venu <strong>et</strong><br />
qu'il est non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> Messie mais aussi <strong>le</strong> Fils de<br />
Dieu (Actes 2,14-36).<br />
Le christianisme n'existe pas encore : il s'agit d'un<br />
courant interne au <strong>judaïsme</strong> comme il y en a toujours eu.<br />
Les problèmes apparaissent quand <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s de<br />
Iéshoua invitent des non juifs à participer aux prières<br />
juives dans <strong>le</strong> Temp<strong>le</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s synagogues. Si des juifs<br />
croient que <strong>le</strong> Messie est Iéshoua, cela n'est pas trop<br />
gênant, à condition de ne pas trop insister sur sa divinité.<br />
Mais prétendre être juif sans suivre <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s du<br />
<strong>judaïsme</strong>, ce n'est pas acceptab<strong>le</strong>. Et lorsqu'en 48 ou 49 <strong>le</strong><br />
premier Conci<strong>le</strong> (ou Assemblée de Jérusa<strong>le</strong>m) décide que<br />
<strong>le</strong>s non-juifs n'ont plus besoin d'être circoncis, la<br />
situation devient intenab<strong>le</strong> : <strong>le</strong> courant juif des discip<strong>le</strong>s<br />
44 La prière juive, pages 202-205.<br />
45 « Ce que nous proclamons, ce n'est pas nous-mêmes, c'est ceci :<br />
Jésus <strong>Christ</strong> est Seigneur » 2 Corinthiens 4,5<br />
182
de Iéshoua ouvre la porte du <strong>judaïsme</strong> à des gens qui ne<br />
respectent pas <strong>le</strong>s commandements !<br />
Pierre ne voulait pas abandonner <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong><br />
puisque Iéshoua ne l'avait pas fait <strong>et</strong> ne l'avait pas<br />
explicitement souhaité. Cependant, il avait dit : « faites<br />
des discip<strong>le</strong>s parmi tous <strong>le</strong>s goyim » (Matthieu 28,19,<br />
traduction d’André Chouraqui). Et puis, <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> étant<br />
à c<strong>et</strong>te époque une religion autorisée dans l'empire<br />
romain, en sortir signifiait entrer dans l'illégalité <strong>et</strong><br />
risquer d'être persécuté.<br />
Aussi Pierre réunit <strong>le</strong> premier Conci<strong>le</strong> (de<br />
Jérusa<strong>le</strong>m en 48) afin de prendre c<strong>et</strong>te décision. Le<br />
christianisme va ainsi progressivement se détacher du<br />
<strong>judaïsme</strong>. On distinguera alors deux groupes : d’un côté<br />
<strong>le</strong>s juifs convertis ou judéo-chrétiens (l'Eglise de<br />
Jacques), <strong>et</strong> de l’autre <strong>le</strong>s non-juifs convertis (sous<br />
l’influence de Paul) ou pagano-chrétiens. Plus tard, au II e<br />
sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s judéo-chrétiens disparaîtront lorsque vers 135<br />
<strong>le</strong>s Romains expulsent <strong>le</strong>s juifs de Jérusa<strong>le</strong>m. (<strong>le</strong>s judéochrétiens<br />
disparaissent aussi parce que <strong>le</strong>s paganochrétiens<br />
devenus majoritaires ne <strong>le</strong>ur ont pas donné une<br />
place propre <strong>et</strong> parce que <strong>le</strong>s juifs <strong>le</strong>s ont chassés des<br />
synagogues)<br />
Que se serait-il passé si <strong>le</strong> christianisme était resté à<br />
l'intérieur de sa matrice juive ? Se serait-il dissout ?<br />
Aurait-il provoqué un schisme ? Aurait-il convaincu tous<br />
183
<strong>le</strong>s juifs ? Mais dans ce cas <strong>le</strong> christianisme ne se serait<br />
pas ouvert aux non juifs, ou très <strong>le</strong>ntement.<br />
C<strong>et</strong>te rupture est un déchirement qui semb<strong>le</strong> avoir<br />
été à la fois inévitab<strong>le</strong> <strong>et</strong> nécessaire. Le christianisme<br />
avait besoin de prendre conscience de lui-même. <strong>Il</strong> était<br />
comme un jeune adulte qui devait quitter ses parents pour<br />
devenir lui-même. Cependant, en abandonnant sa maison,<br />
n'a-t-il pas oublié sa mère, son père, son frère aîné, sa<br />
famil<strong>le</strong> ?<br />
184
26. Visitation<br />
« Elisab<strong>et</strong>h fut remplie de l’Esprit Saint »<br />
Luc 1,41<br />
On pourrait distinguer trois sortes de relation entre<br />
<strong>le</strong> christianisme <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> :<br />
1. Une relation grâce au Père<br />
« Notre Père, Notre Roi, tu es Notre Père ;<br />
Notre Père, Notre Roi, nous n’avons que toi ;<br />
Notre Père, Notre Roi, aie pitié de nous. »<br />
Prière de l’après-midi (office de Minha)<br />
Grâce à notre Père commun nous pouvons avoir<br />
une relation d’amitié <strong>et</strong> nous sentir frères. Cependant,<br />
l’inconvénient ou la limite de c<strong>et</strong>te forme de relation est<br />
que <strong>le</strong>s chrétiens, en se rapprochant du <strong>judaïsme</strong>, peuvent<br />
relativiser la divinité du <strong>Christ</strong> (<strong>et</strong> ainsi se sentir plus<br />
proches des juifs). <strong>Il</strong>s ne sont alors plus chrétiens <strong>et</strong> ne<br />
deviennent pas juifs non plus. <strong>Il</strong>s deviennent en quelque<br />
sorte apatrides ou sans religion. Le christianisme devient<br />
une philosophie, il est alors réduit à une sorte de sagesse<br />
de vie.<br />
185
2. Une relation grâce au Fils<br />
« Incarnation : "Dieu fait homme, dans la personne<br />
de son Fils"… Affirmations redoutab<strong>le</strong>s, voire distance<br />
abyssa<strong>le</strong> entre Juifs <strong>et</strong> Chrétiens ; mais c’est aussi ce qui<br />
nous oblige, nous Chrétiens, à rencontrer <strong>le</strong> Judaïsme »<br />
Père Jean Massonn<strong>et</strong><br />
Grâce au <strong>Christ</strong> qui est <strong>le</strong> Messie d’Israël, <strong>le</strong> Fils de<br />
Dieu, vrai homme <strong>et</strong> vrai Dieu, <strong>le</strong>s chrétiens vont dans <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> chercher une meil<strong>le</strong>ure connaissance du <strong>Christ</strong>.<br />
Cependant, c<strong>et</strong>te relation au <strong>judaïsme</strong> peut devenir<br />
gênante pour <strong>le</strong>s juifs car <strong>le</strong>s chrétiens peuvent être tentés<br />
de <strong>le</strong>ur « donner des <strong>le</strong>çons » sur Dieu en prétendant<br />
connaître « un aspect chrétien » de Dieu qu’eux<br />
ignoreraient. Aussi Jésus unit <strong>le</strong>s chrétiens <strong>et</strong> <strong>le</strong>s juifs<br />
tandis que <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> <strong>le</strong>s sépare.<br />
3. Une relation grâce au Saint-Esprit<br />
« Lorsqu’Elisab<strong>et</strong>h entendit la salutation de Marie,<br />
l’enfant bondit dans son sein <strong>et</strong> Elisab<strong>et</strong>h fut remplie de<br />
l’Esprit Saint. El<strong>le</strong> poussa un grand cri (…) »<br />
Luc 1,41-42<br />
Elisab<strong>et</strong>h <strong>et</strong> Marie représentent chacune à la fois <strong>le</strong>s<br />
juifs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s chrétiens. Les deux sont enceintes. Les deux<br />
186
portent en el<strong>le</strong>s un trésor vivant. Ce qui <strong>le</strong>s pousse à se<br />
rencontrer <strong>et</strong> à vivre (quelques temps) sous <strong>le</strong> même toit<br />
c’est la joie, la joie d’être ensemb<strong>le</strong>. Et el<strong>le</strong>s sont<br />
cousines. Et puis Marie vient rendre service, aider<br />
Elisab<strong>et</strong>h à terminer sa grossesse <strong>et</strong> peut-être à<br />
accoucher. Mais la vraie raison de la visite de Marie, ce<br />
n’est pas une raison, c’est <strong>le</strong> plaisir de passer du temps<br />
avec Elisab<strong>et</strong>h. Ce bonheur des r<strong>et</strong>rouvail<strong>le</strong>s est si fort<br />
qu’en chacune <strong>le</strong>s bébés manifestent <strong>le</strong>ur joie, ils<br />
participent à cel<strong>le</strong> de <strong>le</strong>urs mères.<br />
« L’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein »<br />
Luc 1,44<br />
« Marie dit alors : Mon âme exalte Adonaï »<br />
Luc 1,46<br />
L'association DAVAR (voir annexe) est à mon avis<br />
un peu dans l’esprit de la Visitation : « L’association<br />
DAVAR propose à chacun des participants un chemin<br />
d'ouverture <strong>et</strong> de reconnaissance, qui passe par <strong>le</strong> travail<br />
sur soi, l'étude <strong>et</strong> <strong>le</strong>s échanges, la prière, <strong>le</strong>s chants, la<br />
joie <strong>et</strong> la vie partagées. » <strong>Il</strong> y a à DAVAR une relation à<br />
la fois grâce au Père parce que chrétiens <strong>et</strong> juifs se<br />
découvrent frères, grâce au Fils parce que <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> est<br />
Celui qui <strong>le</strong>s rassemb<strong>le</strong> tout en <strong>le</strong>s maintenant à distance,<br />
<strong>et</strong> grâce au Saint-Esprit qui se manifeste dans ces<br />
rencontres.<br />
187
Comment réparer l’image de Dieu déchirée ?<br />
Comment l’Esprit Saint peut-<strong>Il</strong> unir sans <strong>le</strong>s confondre<br />
<strong>le</strong>s juifs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s chrétiens ?<br />
Si nous parvenons à nous comprendre <strong>et</strong> à nous<br />
entendre, si nous sommes unis, Dieu sera uni, Dieu sera<br />
Un. Le but n’est pas d’être uniforme, cela serait<br />
superficiel. Le but est d’apprendre à se disputer avec<br />
amour <strong>et</strong> respect. Le but est d'apprendre à se par<strong>le</strong>r. Se<br />
par<strong>le</strong>r dans la paix, c’est cela être unis, c’est cela réparer<br />
<strong>le</strong> Nom de Dieu déchiré. Unifier <strong>le</strong> Nom de Dieu, c’est se<br />
laisser influencer <strong>le</strong>s uns par <strong>le</strong>s autres. Cela ressemb<strong>le</strong> à<br />
une relation d’amour entre un homme <strong>et</strong> une femme. <strong>Il</strong> y<br />
a toujours deux personnes distinctes mais la force de<br />
l’amour <strong>le</strong>s transforme, <strong>le</strong>s influence mutuel<strong>le</strong>ment pour<br />
former un coup<strong>le</strong>, comme une sorte de « troisième<br />
personne ».<br />
L’Esprit Saint est un peu comme c<strong>et</strong>te troisième<br />
personne.<br />
188
27. Yom kippour<br />
« Le synode qui vient de se tenir à Rome a repris à<br />
son compte une décision de la Congrégation romaine<br />
pour <strong>le</strong> culte divin demandant qu’on n’emploie plus la<br />
transcription des quatre consonnes hébraïques - « <strong>le</strong><br />
Tétragramme sacré » - vocalisées en « Yavhé » ou<br />
«Yahweh», dans <strong>le</strong>s traductions, « <strong>le</strong>s célébrations<br />
liturgiques, dans <strong>le</strong>s chants, <strong>et</strong> dans <strong>le</strong>s prières » de<br />
l’Eglise catholique.<br />
La tradition juive, <strong>et</strong> en particulier la Mishna, nous<br />
donne des précisions intéressantes sur l’histoire de la<br />
prononciation de ce nom.<br />
Jusque vers 200 avant notre ère, <strong>le</strong> nom divin était<br />
prononcé tous matins dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> lors de la<br />
bénédiction sacerdota<strong>le</strong> : « Que <strong>le</strong> Seigneur te bénisse <strong>et</strong><br />
te garde ! Que <strong>le</strong> Seigneur fasse rayonner sur toi son<br />
visage <strong>et</strong> t’accorde sa grâce ! Que <strong>le</strong> Seigneur lève sur<br />
toi son visage <strong>et</strong> te donne la paix. » (Nombres 6, 24-26).<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> contexte d’origine de c<strong>et</strong>te formu<strong>le</strong>, <strong>le</strong> vers<strong>et</strong><br />
suivant ajoute : « <strong>Il</strong>s m<strong>et</strong>tront mon nom sur <strong>le</strong>s fils<br />
d’Israël <strong>et</strong> je <strong>le</strong>s bénirai. » La Mishna précise que <strong>le</strong> nom<br />
était prononcé dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> « comme il est écrit »,<br />
alors qu’on utilisait une autre appellation (kinuy) dans <strong>le</strong><br />
reste du pays. À partir d’une certaine époque, on cessa<br />
189
de prononcer <strong>le</strong> nom divin dans la liturgie quotidienne du<br />
temp<strong>le</strong>. Le Talmud laisse entendre qu’on prit c<strong>et</strong>te<br />
décision pour éviter que certains ne fassent du nom un<br />
usage magique.<br />
Selon nos sources, c’est à partir de la mort du<br />
grand prêtre Simon <strong>le</strong> Juste, vers 195 avant notre ère,<br />
que l’on cessa de prononcer <strong>le</strong> nom divin dans la liturgie<br />
quotidienne. <strong>Il</strong> est intéressant de comparer à ce suj<strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
témoignage du Talmud à celui du livre de Ben Sira (<strong>le</strong><br />
Siracide, ou l’Ecclésiastique). Simon <strong>le</strong> juste y est évoqué<br />
au chapitre 50 de ce livre, au terme d’un long passage<br />
(chapitres 44-50) où est rappelé <strong>le</strong> souvenir de tous <strong>le</strong>s<br />
«hommes illustres» depuis Hénoch, en passant par <strong>le</strong>s<br />
patriarches, Moïse, David, Élie <strong>et</strong>c. C<strong>et</strong>te énumération se<br />
termine par un développement sur <strong>le</strong> grand prêtre Simon,<br />
décrit longuement dans la gloire <strong>et</strong> la majesté de<br />
l’exercice de ses fonctions. C<strong>et</strong>te description culmine<br />
dans la prononciation du nom divin, qui apparaît ainsi<br />
comme la conclusion de ces sept chapitres : « Alors il<br />
redescendait <strong>et</strong> é<strong>le</strong>vait <strong>le</strong>s mains sur toute l’assemblée<br />
d’Israël, pour donner de ses lèvres la bénédiction du<br />
Seigneur <strong>et</strong> avoir l’honneur de prononcer son nom. Et<br />
pour la seconde fois tous se prosternaient pour recevoir<br />
la bénédiction de la part du Très-Haut. » (Siracide<br />
50,20-21).<br />
À partir de Simon <strong>le</strong> Juste <strong>et</strong> jusqu’à la ruine du<br />
temp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> nom ne fut plus entendu «comme il est écrit»<br />
que dans la liturgie du Yom Kippour, au temp<strong>le</strong> de<br />
190
Jérusa<strong>le</strong>m, où <strong>le</strong> grand prêtre <strong>le</strong> prononçait dix fois dans<br />
la journée. « Les cohanim <strong>et</strong> <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> présents dans <strong>le</strong><br />
parvis, lorsqu’ils entendaient <strong>le</strong> nom explicite sortant de<br />
la bouche du grand prêtre, tombaient à genoux, se<br />
prosternaient <strong>et</strong> tombaient la face contre terre en disant :<br />
béni soit <strong>le</strong> nom glorieux de son règne pour toujours. »<br />
La formu<strong>le</strong> vaut d’être re<strong>le</strong>vée : la Mishna ne dit pas que<br />
<strong>le</strong> grand prêtre prononçait <strong>le</strong> nom divin, mais que <strong>le</strong> nom<br />
« sortait de sa bouche ». <strong>Il</strong> semb<strong>le</strong> d’ail<strong>le</strong>urs que, vers la<br />
fin de la période du second temp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> grand prêtre ne<br />
prononçait plus <strong>le</strong> nom qu’à voix basse, si l’on en croit<br />
un souvenir d’enfance de Rabbi Tarphon (I-IIe s.) qui<br />
raconte que, même en tendant l’oreil<strong>le</strong>, il n’avait pas pu<br />
entendre <strong>le</strong> nom. La formu<strong>le</strong> de l’Exode « C’est mon nom<br />
pour toujours » (Exode 3,15), moyennant un jeu de mots<br />
sur l’<strong>hébreu</strong>, est interprétée par <strong>le</strong> Talmud de<br />
Jérusa<strong>le</strong>m : « C’est mon nom pour être caché. »<br />
Aujourd’hui, <strong>le</strong> nom divin n’est plus jamais<br />
prononcé. <strong>Dans</strong> l’office synagogal de Yom Kippour, qui<br />
remplace la liturgie du temp<strong>le</strong> par <strong>le</strong> récit de ce qui s’y<br />
déroulait lorsque <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> existait, on se prosterne dans<br />
la synagogue lorsqu’on rappel<strong>le</strong> - sans <strong>le</strong> prononcer -que<br />
<strong>le</strong> grand prêtre prononçait <strong>le</strong> nom divin.<br />
Risquons ici un rapprochement qui n’engage que<br />
son auteur. On sait que <strong>le</strong> Nouveau Testament <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
premiers Chrétiens, en désignant Jésus par <strong>le</strong> terme de «<br />
Seigneur » (kurios), lui ont appliqué délibérément <strong>le</strong><br />
terme utilisé en grec pour traduire <strong>le</strong> nom divin. <strong>Dans</strong> la<br />
191
tradition liturgique du <strong>judaïsme</strong>, ce nom divin n’était<br />
prononcé que dans la liturgie du pardon des péchés, <strong>le</strong><br />
jour de Kippour. Peut-être faut-il voir une allusion à<br />
c<strong>et</strong>te tradition, <strong>et</strong> au pouvoir purificateur du Nom, dans<br />
ce vers<strong>et</strong> de la première épître de saint Jean : « Vos<br />
péchés vous sont pardonnés par son nom. » (1 Jean 2,<br />
12). » (Michel Remaud) 46<br />
Comment t'appel<strong>le</strong>s-tu ? Quel est ton Nom ? Qui estu<br />
?<br />
Lorsque deux enfants jouent ensemb<strong>le</strong>, ils ne se<br />
demandent pas tout de suite <strong>le</strong>urs prénoms. C’est après<br />
un certain temps de jeux, quand l’un s’aperçoit qu’il s’est<br />
attaché à l’autre qu’il lui pose alors la question :<br />
« comment tu t’appel<strong>le</strong>s ? ». Quand on rencontre<br />
quelqu’un <strong>et</strong> que l’on aimerait garder un lien avec c<strong>et</strong>te<br />
personne, la connaître mieux, on lui demande son nom.<br />
Ainsi, quand on rencontre Celui qu’on appel<strong>le</strong> « Dieu »,<br />
on voudrait connaître son Nom. C’est ce que Moïse<br />
demande lors de l’épisode du Buisson ardent.<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> christianisme, Dieu semb<strong>le</strong> s’appe<strong>le</strong>r « <strong>le</strong><br />
Père ». Mais cela n’est pas un nom, c’est une qualité.<br />
Oui, Dieu est père, <strong>Il</strong> est Le Père, mais comment<br />
s’appel<strong>le</strong>-t-<strong>Il</strong> vraiment ? « Je <strong>le</strong>ur ai fait connaître ton<br />
46 31 octobre 2008, www.un-echo-israel.n<strong>et</strong><br />
192
nom » dit Jésus (Jean 17,26) ou « Qui me voit, voit <strong>le</strong><br />
Père » (Jean 14,9) : est-ce que cela signifie que Dieu<br />
s’appel<strong>le</strong> « Jésus » (ou « Iéshoua » en <strong>hébreu</strong>) ? Iéshoua,<br />
est-ce Son Nom ? Ou n'est-ce pas plutôt <strong>le</strong> nom de « Dieu<br />
fait homme » ? C’est-à-dire <strong>le</strong> nom « humain » de Dieu.<br />
Mais alors, quel est son « vrai » Nom ? Est-ce un nom<br />
qui ne peut pas être prononcé, comme l’Esprit Saint qui<br />
n’a pas d’autre nom que « Esprit Saint » ? Le mot<br />
« Trinité » non plus n’est pas son Nom ; c’est seu<strong>le</strong>ment<br />
une sorte de constatation : Dieu est à la fois Un <strong>et</strong> Trois.<br />
Alors, quel est son Nom ?<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, il est intéressant de remarquer<br />
que <strong>le</strong> Nom de Dieu reste inconnu. Et pourtant Dieu se<br />
fait connaître, <strong>Il</strong> s’est révélé à son Peup<strong>le</strong>. Ce qui est<br />
paradoxal c’est qu’<strong>Il</strong> lui a fait connaître son Nom <strong>et</strong> que<br />
pourtant on ne sait pas comment <strong>Il</strong> s’appel<strong>le</strong>, son Nom<br />
reste caché. On ne connaît de Lui que des « surnoms » ou<br />
des qualificatifs qui par<strong>le</strong>nt de ses qualités.<br />
Faut-il renoncer à chercher <strong>le</strong> Nom de Dieu ? Fautil<br />
se contenter de par<strong>le</strong>r de Dieu en disant « Ha Chem »<br />
(« <strong>le</strong> Nom » en <strong>hébreu</strong>) ? Demander à quelqu’un son nom<br />
c’est en réalité poser la question « qui es-tu ? ». Dieu<br />
nous demande de Le chercher, <strong>Il</strong> veut se faire connaître,<br />
<strong>Il</strong> désire tel<strong>le</strong>ment que nous lui demandions son Nom<br />
qu’<strong>Il</strong> pose la question à notre place : « Quel est mon<br />
Nom ? », « Qui suis-je ? » ou, plus précisément, « Pour<br />
193
vous, quel est mon Nom ? », « Et vous, qui dites-vous<br />
que je suis ? » (Matthieu 16,15)<br />
Pour nous chrétiens, la question est toujours<br />
d’actualité : « Pour nous qui est Jésus ? » C’est une<br />
question qui en réalité ne peut pas être posée à la<br />
troisième personne (« Qui est Jésus ? ») mais seu<strong>le</strong>ment<br />
de manière directe : « Qui es-tu ? ». Et la réponse n’est<br />
pas un mot, ce n’est pas un nom humain. La réponse est<br />
au-delà des mots, au delà de l’écriture, au-delà de la<br />
paro<strong>le</strong>, au delà de la pensée. La réponse est indicib<strong>le</strong>.<br />
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de réponse. Cela<br />
veut dire que <strong>le</strong> nom de Celui qui est « vrai homme <strong>et</strong><br />
vrai Dieu » 47 dépasse notre capacité de prononciation.<br />
Nous ne pouvons pas dire avec des mots son Nom.<br />
Quand Jésus me demande « Pour toi, qui suisje<br />
? Quel est mon Nom ? », je ne peux qu’exprimer son<br />
Nom par des mots qui n’atteignent pas son Nom, par un<br />
nom qui n’enferme pas son Nom, ou par un si<strong>le</strong>nce.<br />
Parce que si mon p<strong>et</strong>it mot, <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it nom que je lui donne<br />
est pour moi son vrai Nom, cela signifie que je me<br />
trompe de nom. Cela signifie que je crois atteindre Celui<br />
qui est inaccessib<strong>le</strong>. Cela signifie que je refuse qu’<strong>Il</strong> reste<br />
inaccessib<strong>le</strong> <strong>et</strong> que je préfère adorer ce qui m’est<br />
accessib<strong>le</strong>.<br />
194
Premiers chapitres de la Genèse<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong>s premiers chapitres de la Genèse, <strong>le</strong> nom<br />
de Dieu évolue :<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> premier chapitre de la Genèse, Dieu<br />
s'appel<strong>le</strong> « Dieu » (« Elohim »). <strong>Il</strong> crée. <strong>Il</strong> dit « Que la<br />
lumière soit » <strong>et</strong> il y a la lumière. <strong>Il</strong> est <strong>le</strong> Créateur Toutpuissant<br />
qui fait exister l'univers, la terre <strong>et</strong> <strong>le</strong>s créatures.<br />
<strong>Il</strong> donne la vie. Celui qui crée la vie est appelé « Dieu ».<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> deuxième chapitre de la Genèse apparaît un<br />
nouveau nom de Dieu : « <strong>le</strong> SEIGNEUR Dieu »<br />
(« Adonaï Elohim »). Ces deux mots restent toujours<br />
ensemb<strong>le</strong>, comme si l'on avait simp<strong>le</strong>ment ajouté une<br />
précision au nom divin sans ajouter une nouveauté. Dieu<br />
est <strong>le</strong> même que dans <strong>le</strong> premier chapitre mais on<br />
découvre qu'il est Dieu ET Seigneur.<br />
On remarque que <strong>le</strong> mot « Seigneur » (ou Yahvé<br />
dans la Bib<strong>le</strong> de Jérusa<strong>le</strong>m, ou l'Éternel dans <strong>le</strong>s Bib<strong>le</strong>s<br />
juives) apparaît dans <strong>le</strong> chapitre où est racontée la<br />
création de l'homme <strong>et</strong> de la femme. Est-ce que cela<br />
signifie que l'homme <strong>et</strong> la femme révè<strong>le</strong>nt qui est Dieu ?<br />
<strong>Il</strong> semb<strong>le</strong> que la création soit destinée à l'homme <strong>et</strong><br />
que l'homme en soit responsab<strong>le</strong>. Le Seigneur Dieu<br />
commence à par<strong>le</strong>r à l'homme pour lui expliquer ce qu'il<br />
47 Catéchisme de l’Eglise Catholique § 464<br />
195
peut manger <strong>et</strong> ce qu'il ne peut pas manger. Et quand<br />
l'homme par<strong>le</strong> pour la première fois c'est pour nommer<br />
<strong>le</strong>s animaux (Genèse 2,20) <strong>et</strong> s'émerveil<strong>le</strong>r devant la<br />
femme qu'il découvre à ses côtés.<br />
Le mot « Seigneur » dans <strong>le</strong> Nom divin semb<strong>le</strong> être<br />
lié à la création de l'homme <strong>et</strong> de la femme <strong>et</strong>, par<br />
conséquent, apporte une information nouvel<strong>le</strong> sur<br />
l'identité du Créateur. <strong>Il</strong> ne crée pas seu<strong>le</strong>ment des êtres<br />
vivants mais des êtres libres auxquels il donne des<br />
instructions. Ces êtres sont donc capab<strong>le</strong>s de dire oui ou<br />
de dire non à <strong>le</strong>ur créateur. C'est une grande nouveauté<br />
dans la création. Auparavant seul Dieu pouvait prendre<br />
des décisions ; désormais l'homme aussi peut -comme<br />
Dieu- choisir, vouloir, décider... Et par<strong>le</strong>r.<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> troisième chapitre de la Genèse, apparaît<br />
un nouveau « personnage » qui par<strong>le</strong>, <strong>le</strong> serpent. C'est<br />
alors que <strong>le</strong> Nom divin <strong>le</strong> « Seigneur Dieu » va être<br />
déchiré. La femme n'avait pas entendu <strong>le</strong>s<br />
recommandations du Seigneur Dieu puisqu'el<strong>le</strong> n'avait<br />
pas encore été créée. C'est l'homme qui avait dû lui<br />
transm<strong>et</strong>tre. Or, au début de ce troisième chapitre, <strong>le</strong><br />
serpent dit à la femme « Dieu vous a dit... ». <strong>Il</strong> fissure <strong>le</strong><br />
Nom de Dieu.<br />
Le serpent déforme <strong>le</strong> Nom divin en <strong>le</strong> prononçant<br />
partiel<strong>le</strong>ment. <strong>Il</strong> oublie <strong>le</strong> mot Seigneur apparu au<br />
moment de la création de la liberté, il montre à la femme<br />
uniquement la « coercition » divine (<strong>le</strong> Juge Tout-<br />
196
puissant). Le serpent masque la bonté du Créateur qui<br />
nous a fait libres <strong>et</strong>, pour nous préserver du malheur,<br />
nous a donné des instructions. Le Seigneur Dieu nous a<br />
expliqué ce qui est bon <strong>et</strong> ne l'est pas pour notre « santé »<br />
<strong>et</strong> <strong>le</strong> serpent déforme ses prescriptions en disant que tout<br />
est bon à manger. Autrement dit, avec <strong>le</strong> serpent nous<br />
pouvons nous laisser al<strong>le</strong>r à manger de tout sans<br />
réfléchir. <strong>Il</strong> suffit de suivre nos penchants, nos appétits,<br />
nos envies. Nous voyons un champignon agréab<strong>le</strong> à nos<br />
yeux <strong>et</strong> nous <strong>le</strong> mangeons. Pourtant, <strong>le</strong> Seigneur Dieu<br />
nous avait offert un « mode d'emploi », il nous avait<br />
indiqué quels étaient <strong>le</strong>s bons <strong>et</strong> <strong>le</strong>s mauvais<br />
champignons.<br />
Le serpent, en supprimant <strong>le</strong> mot « Seigneur »,<br />
nous fait revenir à notre état de créature sans liberté, il<br />
nous rabaisse à l'état animal où nous ne réfléchissons plus<br />
à ce qui est bon ou pas à manger. L'animal mange tout ce<br />
qu'il a envie de manger, c'est son corps qui lui indique ce<br />
qu'il peut ou ne peut pas manger, il n'a pas besoin<br />
d'instructions. C'est fatigant de réfléchir <strong>et</strong> de se poser<br />
des questions : « est-ce que je peux ou pas manger<br />
cela ? ». Le serpent nous propose la facilité, la paresse, <strong>le</strong><br />
bonheur immédiat. Je mange ce bon champignon<br />
vénéneux parce qu'il est beau <strong>et</strong> parce qu'il a bon goût.<br />
Tant pis pour la suite...<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> quatrième chapitre de la Genèse, <strong>le</strong> Nom<br />
divin est vraiment déchiré. <strong>Il</strong> y a soit <strong>le</strong> Seigneur, soit<br />
197
Dieu. Le Nom n'est plus unifié, <strong>Il</strong> n'est plus Harmonie,<br />
unité. Alors l'homme doit travail<strong>le</strong>r à la réparation de ce<br />
Nom abîmé : « Caïn apporta au Seigneur une<br />
offrande... ». C'est la première fois dans la Bib<strong>le</strong> que <strong>le</strong><br />
mot « Seigneur » est mentionné sans <strong>le</strong> mot « Dieu ».<br />
Et ce n'est plus <strong>le</strong> Seigneur Dieu qui par<strong>le</strong>, mais <strong>le</strong><br />
Seigneur. C'est comme si <strong>le</strong> Seigneur voulait<br />
« redevenir » Dieu, comme si <strong>le</strong> Seigneur voulait que son<br />
Nom redevienne comp<strong>le</strong>t, comme si <strong>le</strong> Seigneur voulait,<br />
avec l'homme, réparer son propre Nom.<br />
Après <strong>le</strong> quatrième chapitre de la Genèse <strong>et</strong> dans<br />
tout <strong>le</strong> reste de la Bib<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s mots « Dieu » <strong>et</strong> « Seigneur »<br />
apparaissent presque toujours séparément. C'est <strong>le</strong> peup<strong>le</strong><br />
d'Israël qui déclare : « Le Seigneur EST Dieu ». Ainsi<br />
apparaît de temps en temps <strong>le</strong> Nom unifié, <strong>le</strong> Nom<br />
comp<strong>le</strong>t de Dieu.<br />
Mais, la b<strong>le</strong>ssure reste ouverte. La déchirure à<br />
l'intérieur du Nom de Dieu est aujourd'hui la même que<br />
cel<strong>le</strong> du troisième chapitre de la Genèse. C<strong>et</strong>te déchirure<br />
est visib<strong>le</strong> <strong>et</strong> partout douloureuse. El<strong>le</strong> a commencé par <strong>le</strong><br />
Nom de Dieu <strong>et</strong> s'est étendue à toute la création.<br />
Comment la réparer ? Peut-être en commençant par<br />
« réparer <strong>le</strong> Nom de Dieu », en respectant son Nom. Et,<br />
heureusement, au moment où <strong>le</strong> Seigneur Dieu voit son<br />
Nom se déchirer, il explique à l'homme comment <strong>le</strong><br />
réparer : la Bib<strong>le</strong> sert à cela.<br />
198
Le <strong>Christ</strong> défiguré<br />
Jésus ne s’est pas fait dieu mais malheureusement<br />
beaucoup de chrétiens ont en fait un dieu, une ido<strong>le</strong>. Ce<br />
n’est pourtant pas cela être chrétien. Etre chrétien c’est<br />
croire que Dieu est venu parmi nous en Jésus son Fils qui<br />
est comme Lui-même : « <strong>Il</strong> est Dieu né de Dieu »<br />
(Credo). <strong>Il</strong> existe de multip<strong>le</strong>s formes de défigurations du<br />
<strong>Christ</strong>. Sans <strong>le</strong>s approfondir, nous pouvons en citer<br />
quelques unes :<br />
- « Comme Jésus est né il y a deux mil<strong>le</strong> ans, cela<br />
signifie qu'auparavant il n'existait pas, il est donc pour<br />
moi un homme ordinaire. »<br />
- « A mon avis Jésus étant <strong>le</strong> fils de dieu <strong>et</strong> d'une<br />
créature, c'est un demi dieu »<br />
- « Jésus est pour moi <strong>le</strong> Messie d'Israël,<br />
uniquement pour Israël <strong>et</strong> pas pour l'humanité, donc il<br />
faut que je me convertisse au <strong>judaïsme</strong> pour adhérer au<br />
Messie qui va sauver <strong>le</strong>s juifs »<br />
- « Pour moi Jésus est bien <strong>le</strong> Fils de Dieu mais pas<br />
du tout Dieu, Dieu est un autre »<br />
- « Pour moi Jésus est Dieu, <strong>et</strong> <strong>le</strong> Père n'existe pas,<br />
<strong>le</strong> Père est un être fictif ; Jésus faisait semblant de prier,<br />
c'était juste pour nous montrer comment faire »<br />
- « Pour moi Jésus est amour, donc c'est comme<br />
« peace and love », bref tout ce qui ressemb<strong>le</strong> à de<br />
l'amour c'est Jésus »<br />
199
- « Pour moi Jésus c'est juste une référence mora<strong>le</strong>,<br />
comme Socrate par exemp<strong>le</strong> »<br />
- « Pour moi Jésus est un héros révolutionnaire,<br />
comme Che Guevara par exemp<strong>le</strong> »<br />
- « Pour moi Jésus c'est faci<strong>le</strong>, c'est l'Eglise<br />
Catholique, donc plus l'Eglise est puissante, plus <strong>le</strong> règne<br />
de Jésus progresse sur la terre »<br />
- « Selon moi Jésus va revenir quand tous <strong>le</strong>s juifs<br />
seront chrétiens ; donc il faut se dépêcher de <strong>le</strong>s convertir<br />
par n'importe quel moyen. »<br />
- « J'adore Jésus, lui aussi il m'adore <strong>et</strong> je ne te dirai<br />
pas ce qui se passe entre lui <strong>et</strong> moi, c'est privé, « chacun<br />
sa vie ». La religion est inuti<strong>le</strong>, moi je n'ai pas besoin<br />
d'intermédiaires, <strong>j'ai</strong>me Jésus directement »<br />
- « Pour moi Jésus c'est comme une force magique<br />
qui surgit grâce à la méditation, exactement comme dans<br />
<strong>le</strong>s spiritualités orienta<strong>le</strong>s »<br />
- « Pour moi Jésus est un chamane qui a compris<br />
comment utiliser <strong>le</strong>s forces de la terre. »<br />
- « Pour moi Jésus est un état d'esprit mais il n'a<br />
jamais existé ; ou s'il a existé cela n'a aucune<br />
importance. »<br />
- « Pour moi Jésus c'est un saint ; d'ail<strong>le</strong>urs, il n'est<br />
pas mon saint préféré, j'en ai p<strong>le</strong>in d'autres que je prie<br />
exactement comme je <strong>le</strong> prie »<br />
- « Pour moi Jésus est un emblème, une croix sur<br />
un drapeau, un tatouage ou un symbo<strong>le</strong> que l’on porte<br />
200
autour du cou ; il représente <strong>le</strong> monde occidental<br />
civilisé… »<br />
- <strong>et</strong>c.<br />
Ces dérives chrétiennes ne sont pas toutes<br />
mauvaises en el<strong>le</strong>s-mêmes, el<strong>le</strong>s ne sont pas <strong>le</strong> contraire<br />
de la vérité mais des vérités partiel<strong>le</strong>s, des vérités figées<br />
qui ne sont plus dans un cheminement vers la Vérité. La<br />
Vérité est un chemin vers la Vérité. Le mensonge n'est<br />
pas <strong>le</strong> contraire de la vérité mais une -« légère »-<br />
déformation de la vérité.<br />
« D'après <strong>le</strong>s récits synoptiques, Jésus avait d'abord<br />
demandé aux discip<strong>le</strong>s pour qui « <strong>le</strong>s gens » <strong>le</strong> tenaient.<br />
La réponse avait été : <strong>le</strong>s uns te tiennent pour Jean <strong>le</strong><br />
Baptiste, d'autres pour Elie, d'autres encore pour Jérémie<br />
ou pour l'un des prophètes. La connaissance obtenue par<br />
révélation que Pierre exprime au nom des discip<strong>le</strong>s se<br />
détache de ces opinions de gens qui proviennent de <strong>le</strong>ur<br />
propre interprétation du phénomène Jésus. « Les gens »<br />
d'aujourd'hui n'interprètent pas Jésus autrement qu'alors<br />
<strong>et</strong> pour autant que nous en restons à nos propres idées,<br />
nous sommes tous de tel<strong>le</strong>s « gens ». » (Cardinal<br />
Ratzinger) 48<br />
48 « L'unicité <strong>et</strong> l'universalité salvifique de Jésus <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> de<br />
l'Eglise », dans « La communion de Foi, Discerner <strong>et</strong> agir »<br />
(Communio, Editions Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> Si<strong>le</strong>nce, 2009, page 113)<br />
201
La prononciation du Nom par Pierre <strong>le</strong> jour de<br />
Kippour<br />
« « Tu es <strong>le</strong> Messie Ben Elohim, <strong>le</strong> fils de l’Elohim<br />
de la vie. » (…)<br />
Matthieu 16,16 (traduction Chouraqui)<br />
« C’est mon Père qui te l’a révélé » »<br />
Matthieu 16,17<br />
L’Eglise a été fondée <strong>le</strong> jour de Kippour, quand<br />
Pierre déclare à Jésus: « Tu es <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, <strong>le</strong> Fils du Dieu<br />
vivant » (Matthieu 16). C'est <strong>le</strong> chapitre 17 (vers<strong>et</strong> 1) de<br />
Matthieu qui nous indique que <strong>le</strong> jour de la<br />
Transfiguration (<strong>et</strong> de la fête des tentes ou de Soukot) se<br />
dérou<strong>le</strong> six jours après la déclaration de Pierre : c<strong>et</strong><br />
événement a par conséquent bien eu lieu <strong>le</strong> jour de<br />
Kippour. 49 La déclaration de Pierre est la révélation de<br />
l’identité de Jésus. C<strong>et</strong>te paro<strong>le</strong> marque <strong>le</strong> moment de la<br />
fondation de l’Eglise. Autrement dit, croire en Jésus <strong>et</strong><br />
appartenir à l’Eglise, c’est adhérer à c<strong>et</strong>te phrase.<br />
« Loin d’avoir été fondé par <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> comme une<br />
religion nouvel<strong>le</strong>, <strong>le</strong> christianisme – ce terme ne se trouve<br />
pas dans <strong>le</strong> Nouveau Testament- se définit par l’accueil<br />
49 Voir <strong>le</strong>s explications de Jean-Miguel Garrigues, dans Le dessein<br />
de Dieu à travers ses alliances, pages 233 à 237 : L’assemblée<br />
messianique d’Israël fondée sur Pierre.<br />
202
croyant de l’Esprit promis par Dieu à Israël pour <strong>le</strong>s<br />
temps messianiques (cf. Luc 24,49). (…) Mais si Jésus<br />
n’a pas fondé <strong>le</strong> christianisme, il a par contre fondé<br />
l’Eglise sur Pierre au moment où celui-ci l’a confessé<br />
comme <strong>le</strong> Messie <strong>et</strong> <strong>le</strong> Fils du Dieu vivant. » (Jean-<br />
Miguel Garrigues) 50<br />
Juste après la mort de Jésus <strong>le</strong> centurion romain<br />
(qui représente <strong>le</strong>s païens, <strong>le</strong>s non juifs) reprend c<strong>et</strong>te<br />
affirmation (Marc 15,39). Mais il om<strong>et</strong> deux mots :<br />
« <strong>Christ</strong> » <strong>et</strong> « vivant » <strong>et</strong> m<strong>et</strong> <strong>le</strong> verbe au passé :<br />
« Vraiment c<strong>et</strong> homme était fils de Dieu ! ». En eff<strong>et</strong>, ce<br />
n’est que depuis l’intérieur du <strong>judaïsme</strong> que l’on peut<br />
entrer complètement dans l’affirmation de l’apôtre. Le<br />
christianisme hors du <strong>judaïsme</strong> ne peut voir en Jésus<br />
qu’un dieu mort. Depuis la position -<strong>le</strong> lieu- de l’apôtre<br />
Pierre, depuis l’intérieur du <strong>judaïsme</strong>, nous pouvons voir<br />
en Jésus « <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, <strong>le</strong> Fils du Dieu vivant ».<br />
Comme <strong>le</strong> grand prêtre qui, seul dans <strong>le</strong> Saint des<br />
saints du Temp<strong>le</strong>, prononçait une fois par an <strong>le</strong> Nom de<br />
Dieu, Pierre, à la question de Jésus « Pour vous qui suisje<br />
? », ose confesser Le Nom. <strong>Il</strong> fait alors beaucoup plus<br />
que reconnaître Jésus comme <strong>le</strong> Messie (<strong>Christ</strong>) attendu<br />
par son peup<strong>le</strong>, il reconnaît sa divinité. Alors que <strong>le</strong> jour<br />
de Kippour l’endroit où <strong>le</strong> grand prêtre accomplissait ce<br />
rite était <strong>le</strong> Temp<strong>le</strong> de Jérusa<strong>le</strong>m, lieu de la présence<br />
sainte de Dieu, Pierre prononce <strong>le</strong> Nom indicib<strong>le</strong> à<br />
50 Le dessein de Dieu à travers ses alliances.<br />
203
Césarée de Philippe, c’est-à-dire dans la « Galilée des<br />
Nations » (Matthieu 4,12-16) à la limite de la terre<br />
d’Israël <strong>et</strong> des territoires païens. C’est <strong>le</strong> signe que<br />
l’Eglise est ouverte aussi aux non juifs, à toutes <strong>le</strong>s<br />
nations.<br />
Quelques jours plus tard, <strong>le</strong> jour de la<br />
Transfiguration <strong>et</strong> de la fête des Tentes, « Du sein de la<br />
nuée lumineuse <strong>le</strong> Père lui-même ratifie <strong>le</strong> Nom révélé<br />
que Pierre a prononcé : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé<br />
en qui j’ai mis mon dessein bienveillant » (Matthieu<br />
17,5). Et <strong>le</strong> Père conclut par ces mots : « Ecoutez-<strong>le</strong> ! ».<br />
<strong>Il</strong> y a là reprise explicite du Shema Israël, du « écoute,<br />
Israël » (Deutéronome 6,5) qui constitue la confession de<br />
foi juive. » (Jean-Miguel Garrigues) 51<br />
<strong>Dans</strong> la question de Jésus « Pour vous qui suisje<br />
? » il y a en réalité une déclaration. Jésus ne peut pas<br />
dire de lui-même « Je suis Adonaï ». Cela serait sans<br />
eff<strong>et</strong> puisque c'est ce qu'il ne cesse de dire par ses mots <strong>et</strong><br />
ses gestes. Ce qui est diffici<strong>le</strong> pour Jésus n'est pas d'être<br />
ce qu'il est mais d'être pour l'Eglise (ses apôtres). <strong>Il</strong> est<br />
diffici<strong>le</strong> à Dieu d'être reconnu par <strong>le</strong>s siens. Et,<br />
aujourd'hui encore, Jésus n'est pas reconnu ou mal<br />
reconnu par nous qui nous disons chrétiens. Pour<br />
percevoir la portée <strong>et</strong> <strong>le</strong> sens de la question de Jésus il<br />
faudrait en fait être juif. Or nous ne <strong>le</strong> sommes pas. La<br />
majorité d'entre nous chrétiens, nous ne sommes pas<br />
204
d’origine juive. C'est pour cela qu'il nous faut, pour nous<br />
m<strong>et</strong>tre « dans la peau » des apôtres <strong>le</strong> jour de Kippour,<br />
étudier un peu ce que signifie ce jour pour Israël. Et pour<br />
bien sentir la force de ce jour, il nous faudrait -<br />
idéa<strong>le</strong>ment- participer à une fête de Kippour dans une<br />
synagogue en jeûnant nous aussi comme Israël.<br />
<strong>Dans</strong> la question de Jésus « Pour vous qui suis-je ?<br />
» il y a en fait une annonce incroyab<strong>le</strong> qui peut être<br />
traduite ainsi : « Celui dont vous tentez de prononcer <strong>le</strong><br />
Nom <strong>le</strong> jour de Kippour, c'est moi », ou bien : « Je suis<br />
Adonaï הוהי votre Dieu », ou bien, comme à Moïse dans<br />
<strong>le</strong> buisson ardent : « Je suis Celui qui suis » (ou « qui<br />
sera »). C<strong>et</strong>te déclaration sous forme de question est<br />
tel<strong>le</strong>ment extraordinaire qu'el<strong>le</strong> ne peut pas être comprise,<br />
même par <strong>le</strong>s apôtres. D'ail<strong>le</strong>urs quand Pierre montre<br />
qu'il a compris, Jésus lui précise que ce n'est pas luimême<br />
qui a bien répondu à sa question mais Dieu qui a<br />
parlé par sa bouche ; Pierre n'a pas perçu la portée de ses<br />
mots.<br />
Ce qu'a dit Pierre est juste : Jésus est Celui dont <strong>le</strong><br />
Nom est au-dessus de tout nom. Alors Jésus peut lui<br />
dire : « Tu es Pierre... ». Pierre ici peut provenir de<br />
l'<strong>hébreu</strong> « roc » mais aussi du mot « pierre » qui se dit ןבא<br />
(prononcé evene) <strong>et</strong> signifie littéra<strong>le</strong>ment « pierre » 52 . Or<br />
51 Le dessein de Dieu à travers ses alliances, page 237.<br />
52 Au suj<strong>et</strong> de Simon-Pierre, en Matthieu 16, 18, n'est-il pas probab<strong>le</strong><br />
que Jésus, parlant <strong>araméen</strong>, ait dit « tu es Ceipha ... » ? Ce qui<br />
signifie en eff<strong>et</strong> « tu es Pierre... » ; P<strong>et</strong>rus. Le mot ףכ en <strong>hébreu</strong>,<br />
205
ce mot est très riche de sens, <strong>et</strong> encore plus riche de sens<br />
au moment où Jésus l'attribue à celui qui devient la tête<br />
de l'Eglise. ןבא (evene) est un mot composé de deux<br />
mots : בא (av, père) <strong>et</strong> ןב (ben, fils) contractés en un seul<br />
mot. On pourrait donc résumer en disant que l'Église est<br />
bâtie sur l'union entre <strong>le</strong> Père <strong>et</strong> <strong>le</strong> Fils, unité contenue<br />
dans <strong>le</strong> nom de Pierre.<br />
Le même jour de kippour, alors que Pierre vient de<br />
déclarer à Jésus qu’il est « <strong>le</strong> Nom », celui-ci annonce<br />
pour la première fois sa Passion : « A dater de ce jour,<br />
Jésus commença de montrer à ses discip<strong>le</strong>s qu'il lui fallait<br />
s'en al<strong>le</strong>r à Jérusa<strong>le</strong>m, y souffrir beaucoup de la part des<br />
anciens, des grands prêtres <strong>et</strong> des scribes, être tué <strong>et</strong>, <strong>le</strong><br />
troisième jour, ressusciter. » (Matthieu 16,21)<br />
Or, <strong>le</strong> chapitre 16 du Lévitique qui décrit la<br />
cérémonie de Kippour au Temp<strong>le</strong> par<strong>le</strong> notamment du<br />
fameux « bouc émissaire » chargé symboliquement des<br />
fautes d’Israël <strong>et</strong> j<strong>et</strong>é au désert. On ne peut s’empêcher<br />
ici d’établir <strong>le</strong> lien évident avec <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s de Jésus. La<br />
liturgie de Yom Kippour est ce jour-là conduite par <strong>le</strong><br />
<strong>Christ</strong>. Les principaux éléments de Kippour sont<br />
présents : <strong>le</strong> Peup<strong>le</strong> rassemblé autour du Temp<strong>le</strong> (<strong>le</strong>s<br />
apôtres autour du <strong>Christ</strong>), la confession du Nom par <strong>le</strong><br />
Grand prêtre (par Pierre), <strong>et</strong> <strong>le</strong> sacrifice de celui qui porte<br />
<strong>le</strong>s péchés du peup<strong>le</strong>.<br />
même aujourd'hui peu employé, signifie « roc », « rocher », ce qui<br />
est exactement sa signification en <strong>araméen</strong>.<br />
206
28. Or la goyim (lumière pour <strong>le</strong>s<br />
nations)<br />
Luc 2,32, Isaïe 42,6 <strong>et</strong> 49,6<br />
« Les Juifs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Chrétiens devraient s'accueillir<br />
mutuel<strong>le</strong>ment par un acte de profonde réconciliation<br />
intérieure, non pas en se distanciant de <strong>le</strong>ur propre foi ou,<br />
pire, en la reniant, mais au contraire en s'inspirant du plus<br />
profond de la foi el<strong>le</strong>-même. Leur réconciliation mutuel<strong>le</strong><br />
devrait faire d'eux une force pour la paix dans <strong>le</strong><br />
monde. »<br />
Cardinal Ratzinger 53<br />
Même si <strong>le</strong> r<strong>et</strong>our des chrétiens à <strong>le</strong>ur source juive<br />
est devenu aujourd’hui une urgence, notre patience peut<br />
dominer notre angoisse. <strong>Dans</strong> l’amour il y a l’angoisse<br />
due à la distance de l’être aimé <strong>et</strong> en même temps la joie<br />
de <strong>le</strong>/la voir se rapprocher. C’est une question de rythme,<br />
<strong>le</strong> rythme de l’amour. Trop vite c’est risquer la dispute <strong>et</strong><br />
la rupture à cause de l’ignorance réciproque. Trop<br />
<strong>le</strong>ntement c’est voir apparaître <strong>le</strong> découragement <strong>et</strong><br />
l’indifférence. Comment apprendre à se connaître pour<br />
apprendre à s’aimer ? Comment s’accorder au rythme de<br />
53 L’unique alliance de Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> pluralisme des religions, Editions<br />
Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, 1999, page 39.<br />
207
l’Esprit Saint ? La réponse est certainement en grande<br />
partie dans la prière. La prière chacun dans sa<br />
communauté, la prière solitaire <strong>et</strong> la prière ensemb<strong>le</strong>. La<br />
prière nous faite entendre <strong>le</strong> rythme du cœur de Dieu.<br />
La lumière des nations, c’est à la fois <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> (Luc<br />
2,32) <strong>et</strong> Israël (Isaïe 42,6 <strong>et</strong> 49,6), <strong>le</strong>s deux sans aucune<br />
contradiction. La cohérence entre ces deux lumières qui<br />
n’en sont qu’une n’est pas sans difficultés mais el<strong>le</strong> est<br />
possib<strong>le</strong>. D’ail<strong>le</strong>urs, une harmonie féconde est<br />
aujourd’hui vécue par un groupe de chrétiens parisiens<br />
d’origine juive <strong>et</strong> non juive qui se r<strong>et</strong>rouvent<br />
régulièrement en vue de dialoguer <strong>et</strong> de r<strong>et</strong>rouver <strong>le</strong>s<br />
racines juives du christianisme. La messe est célébrée<br />
partiel<strong>le</strong>ment en <strong>hébreu</strong>. Paul-Samuel Auszenkier, dans<br />
son livre « Faire mémoire » 54 raconte l’histoire de ce<br />
groupe devenu en 1981, sous l’impulsion du Cardinal<br />
Lustiger, une association du diocèse de Paris.<br />
Entré en relation depuis peu avec Paul-Samuel par<br />
l’intermédiaire d’un membre de ce groupe de catholiques<br />
sensib<strong>le</strong>s au <strong>judaïsme</strong>, j’ai pu faire une découverte<br />
personnel<strong>le</strong> inespérée. <strong>Dans</strong> son livre Paul-Samuel<br />
Auszenkier raconte qu’à Paris, depuis au moins la<br />
seconde guerre mondia<strong>le</strong>, des catholiques d’origine juive<br />
se r<strong>et</strong>rouvent dans différents groupes pour mieux partager<br />
<strong>le</strong>ur particularité d’identité à la fois juive <strong>et</strong> chrétienne<br />
avec des catholiques intéressés par <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>. J’ai ainsi<br />
208
appris par Paul-Samuel que mon grand-onc<strong>le</strong> Père de<br />
Notre Dame de La Sa<strong>le</strong>tte faisait partie d’un de ces<br />
groupes.<br />
Ayant lu dans « Faire mémoire » qu’il y avait dans<br />
<strong>le</strong> cerc<strong>le</strong> des amis de Paul-Samuel un prêtre de La Sa<strong>le</strong>tte<br />
encore vivant aujourd’hui, je me suis mis à sa recherche<br />
<strong>et</strong> je l’ai r<strong>et</strong>rouvé dans une paroisse près de Grenob<strong>le</strong>. <strong>Il</strong><br />
m’a donné quelques exemplaires de la revue des<br />
Missionnaires de la Sa<strong>le</strong>tte à Paris où mon onc<strong>le</strong> écrivait<br />
quelques artic<strong>le</strong>s. En 1975 il y commentait un document<br />
du Vatican :<br />
« Le 3 janvier dernier, un remarquab<strong>le</strong><br />
« Document Romain » a été publié pour attirer notre<br />
attention sur <strong>le</strong>s relations de l’Eglise avec <strong>le</strong> Judaïsme.<br />
Comme dans nos quartiers juifs <strong>et</strong> chrétiens se côtoient à<br />
longueur de journée, il nous est un devoir de méditer <strong>le</strong><br />
premier paragraphe de ce document intitulé<br />
« Dialogue ». »<br />
<strong>Dans</strong> son commentaire du Document mon onc<strong>le</strong><br />
décrit la vie du Bou<strong>le</strong>vard de Bel<strong>le</strong>vil<strong>le</strong>, avec notamment<br />
<strong>le</strong>s agences de voyage qui organisent des Pè<strong>le</strong>rinages à la<br />
Mecque pour <strong>le</strong>s musulmans. Et il par<strong>le</strong> de la synagogue<br />
au 120 bou<strong>le</strong>vard de Bel<strong>le</strong>vil<strong>le</strong> :<br />
« … Au 120 c’est un rassemb<strong>le</strong>ment de juifs. <strong>Il</strong> y a<br />
un oratoire qui relève de la Consistoria<strong>le</strong> Israélite de<br />
Paris, avec stal<strong>le</strong>s, pupitre, Torah. Tout <strong>le</strong> Bou<strong>le</strong>vard est<br />
ensommeillé quand chaque matin l’Oratoire ouvre ses<br />
54 Editions du Cerf, 2009.<br />
209
portes : il est 6 heures. Vingt-cinq à trente hommes sont<br />
bientôt rassemblés pour prier <strong>et</strong> chanter ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />
Chaharite ou prière de l’aube. Tout se termine vers 7h30<br />
<strong>et</strong> <strong>le</strong>s priants peuvent alors rejoindre <strong>le</strong>ur travail. <strong>Il</strong>s se<br />
réunissent ensuite vers 17 heures (s’ils sont libres) pour<br />
<strong>le</strong>urs deux prières du soir, Minha <strong>et</strong> Arvit.<br />
<strong>Il</strong> m’est arrivé d’y assister. Grâce à une traduction<br />
j’ai pu suivre <strong>le</strong>ur Office <strong>et</strong> psalmodier, avec eux, <strong>le</strong>s<br />
mêmes psaumes de notre Livre de Prières… (…) Je note<br />
<strong>le</strong> choix de <strong>le</strong>urs psaumes qui chantent surtout la<br />
sanctification du Nom de Dieu. Le Juif, en eff<strong>et</strong>, m<strong>et</strong> au<br />
premier plan <strong>le</strong> respect du Nom de Dieu. »<br />
Qu’en pensez-vous chers amis ? Peut-être que si<br />
nous commencions par <strong>le</strong> respect que nous nous devons<br />
comme enfants de Dieu, nous passerions du monologue<br />
au dialogue pour arriver à ces rencontres tant souhaitées<br />
dans <strong>le</strong> Document Romain. »<br />
210
29. Soukot<br />
« Jacob partit pour Soukot תוֹכֻּס, il se bâtit une<br />
maison <strong>et</strong> fit des huttes תֹ כֻּס pour son bétail ; c'est<br />
pourquoi on a donné à l'endroit <strong>le</strong> nom de Soukot תוֹכֻּס. »<br />
Genèse 33,17<br />
« Souccoth rappel<strong>le</strong> la traversée du désert <strong>et</strong> la<br />
protection que l'Éternel accorda aux Hébreux pendant <strong>le</strong>s<br />
quarante ans de <strong>le</strong>ur voyage. C<strong>et</strong>te so<strong>le</strong>nnité joyeuse, qui<br />
marque la fin du cyc<strong>le</strong> agrico<strong>le</strong>, est une fête visib<strong>le</strong>,<br />
surtout en Israël. Pendant une semaine en eff<strong>et</strong>, une<br />
cabane au toit de feuillage devient « la demeure fixe » de<br />
la famil<strong>le</strong> qui y prendra ses repas, certains allant jusqu'à y<br />
dormir. »<br />
Philippe Haddad 55<br />
« Tout ornée de branches <strong>et</strong> de fruits. Et cependant<br />
entrouverte au-dehors. Précaire. Ombre <strong>et</strong> lumière. Les<br />
chants se mê<strong>le</strong>nt aux murmures, aux paro<strong>le</strong>s, au bruit du<br />
repas partagé : la soucca est ce lieu frémissant ou nous<br />
nous r<strong>et</strong>rouvons. Une joie sourd, venue des profondeurs<br />
de nous-mêmes. Une joie venue de très loin. Inuti<strong>le</strong> de <strong>le</strong><br />
55<br />
Pour expliquer <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> à mes amis, In press éditions, 2000,<br />
page 123.<br />
211
dire : nous savons cela, d'un savoir aussi vieux que nousmêmes.<br />
»<br />
Gil<strong>le</strong>s Bernheim 56<br />
La fête des cabanes<br />
Les enfants savent où se trouve <strong>le</strong> vrai bonheur ; <strong>le</strong>s<br />
adultes s'en souviennent beaucoup plus diffici<strong>le</strong>ment. Un<br />
des plus grands bonheurs de l'enfance, c'est de construire<br />
une cabane dans la nature. C<strong>et</strong>te cabane ne doit pas être<br />
trop éloignée de la maison des parents pour ne pas avoir<br />
une sensation d'insécurité ; <strong>et</strong> el<strong>le</strong> ne doit pas se situer<br />
trop près car on souhaite se soustraire un peu à <strong>le</strong>ur<br />
contrô<strong>le</strong>. Et puis, c<strong>et</strong>te cabane ne doit pas être trop<br />
solide ; donc <strong>le</strong>s adultes ne doivent pas trop nous aider<br />
sinon la cabane ne serait plus une cabane mais une<br />
annexe de la maison. Et c<strong>et</strong>te cabane ne doit pas non plus<br />
être trop fragi<strong>le</strong> parce qu'on veut y dormir. Enfin, <strong>le</strong><br />
grand plaisir de la nuit passée hors de la maison c'est de<br />
pouvoir contemp<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s en s'endormant <strong>et</strong> de nous<br />
souvenir que notre vraie sécurité n’est pas cel<strong>le</strong> d’un toit,<br />
mais la protection divine. C<strong>et</strong>te cabane doit par<br />
conséquent avoir des fenêtres ou des ouvertures dans <strong>le</strong><br />
toit qui perm<strong>et</strong>tent de voir <strong>le</strong> ciel. Une autre<br />
caractéristique importante de c<strong>et</strong>te cabane est qu'el<strong>le</strong> est<br />
56<br />
Le souci des autres au fondement de la loi juive, Calmann-Lévy,<br />
2002, page 81.<br />
212
construite à plusieurs <strong>et</strong> que la construction a tissé des<br />
liens entre ceux qui en profitent. <strong>Dans</strong> c<strong>et</strong>te cabane on<br />
doit se sentir à la fois dedans <strong>et</strong> dehors, seuls <strong>et</strong><br />
ensemb<strong>le</strong>, en sécurité mais avec la possibilité de<br />
l'imprévu du fait de la proximité avec la nature. Souccoth<br />
est une fête qui semb<strong>le</strong> avoir été inventée par des enfants.<br />
« Par quoi <strong>le</strong> monde de la nature se caractérise-t-il<br />
aujourd'hui ? Nous dirions que notre monde est celui<br />
dans <strong>le</strong>quel la terre est entrée dans son devenir rationnel,<br />
c'est-à-dire que <strong>le</strong> monde entier est devenu hégélien, au<br />
sens où <strong>le</strong> philosophe de Iéna énonçait que « tout ce qui<br />
est réel est rationnel, <strong>et</strong> tout ce qui est rationnel est réel ».<br />
C'est cela que recouvrirait <strong>le</strong> terme vague de<br />
« mondialisation ». La terre est « maillée » par <strong>le</strong><br />
rationnel technique <strong>et</strong> scientifique, <strong>et</strong> <strong>le</strong> monde est placé<br />
sous la loi de « l'affairement », de la mobilisation de<br />
toutes <strong>le</strong>s ressources, de toutes <strong>le</strong>s énergies en vue de la<br />
production <strong>et</strong> de la transformation. (…)<br />
Qu'est-ce que cela entraîne pour <strong>le</strong>s êtres vivants,<br />
doués de paro<strong>le</strong>, mortels, que sont <strong>le</strong>s hommes ? Une<br />
nostalgie <strong>et</strong> <strong>le</strong> sentiment d'une perte. <strong>Dans</strong> <strong>le</strong> monde de<br />
l'affairement, <strong>le</strong>s hommes font l'expérience du manque. »<br />
(Grand Rabbin Gil<strong>le</strong>s Bernheim) 57<br />
Soukot rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong> souvenir d'une situation où<br />
57 Le souci des autres au fondement de la loi juive.<br />
213
l'homme a une vision globa<strong>le</strong> de sa société. En eff<strong>et</strong>,<br />
aujourd'hui, dans nos sociétés modernes, <strong>le</strong> sens global<br />
nous échappe. Seuls ceux qui ont un poste é<strong>le</strong>vé en<br />
politique ou dans l'économie peuvent avoir une vision<br />
panoramique de l'organisation des ressources. <strong>Il</strong>s ont<br />
dans <strong>le</strong>s mains <strong>le</strong> destin de ceux qui ne sont pas informés.<br />
A Soukot, la société hébraïque du désert est<br />
symboliquement revécue pendant une semaine grâce aux<br />
cabanes. Nous pouvons alors r<strong>et</strong>rouver un peu la<br />
sensation de vision globa<strong>le</strong> de notre organisation socia<strong>le</strong>,<br />
économique, politique à une échel<strong>le</strong> minuscu<strong>le</strong>, du fait de<br />
la proximité avec la terre <strong>et</strong> de notre proximité physique<br />
<strong>le</strong>s uns des autres. Nous pouvons ainsi ressentir notre<br />
interdépendance ; chacun devient uti<strong>le</strong> pour tous. <strong>Dans</strong><br />
une cabane, une tente, un abri précaire, dans la nature, on<br />
a besoin de chacun pour al<strong>le</strong>r chercher du bois pour la<br />
construction ou pour <strong>le</strong> feu ; on a besoin de chacun pour<br />
al<strong>le</strong>r chercher de l'eau pour boire, se laver, faire la<br />
<strong>le</strong>ssive... Bref, Soukot est une sorte de réponse festive à<br />
nos désirs <strong>le</strong>s plus anciens, <strong>le</strong>s plus enfouis, <strong>le</strong>s plus<br />
profonds.<br />
Cela contraste avec nos sociétés de consommation<br />
qui semb<strong>le</strong>nt ne pas avoir besoin de chaque personne. Par<br />
exemp<strong>le</strong>, il n'y a pas assez de travail pour tous ; ou bien<br />
on dit qu'il y a « trop » de personnes âgées. A Soukot on<br />
essaie de r<strong>et</strong>rouver –momentanément- une société à tail<strong>le</strong><br />
humaine où chacun connaît son voisin <strong>et</strong> a une vision<br />
globa<strong>le</strong> de la société dans laquel<strong>le</strong> il vit. Aussi chaque<br />
214
personne peut participer à l'organisation <strong>et</strong> aux décisions,<br />
à la vie de c<strong>et</strong>te société de Soukot (« la société des<br />
cabanes ! ») où el<strong>le</strong> se sent exister.<br />
N'est-t-il pas déprimant d'appartenir à un groupe<br />
humain où personne ne se connaît vraiment, où notre<br />
existence ne semb<strong>le</strong> pas uti<strong>le</strong>, où <strong>le</strong> sens global nous<br />
échappe ? Nous nous sentons comme réduits à des<br />
éléments passifs d'une « grosse machine ». L'organisation<br />
de c<strong>et</strong>te grosse machine entrave la simplicité des relations<br />
humaines <strong>et</strong> <strong>le</strong> contact avec la nature. Aussi on peut dire<br />
que c<strong>et</strong>te grosse machine entrave l'épanouissement de<br />
notre cœur <strong>et</strong> de notre âme en manque d'oxygène.<br />
Ce que l'on souhaite aussi r<strong>et</strong>rouver à Soukot, c'est<br />
la place de la paternité <strong>et</strong> de la maternité, du masculin <strong>et</strong><br />
du féminin, <strong>et</strong> bien sûr de l'enfance.<br />
<strong>Dans</strong> notre monde moderne où il n'y a pas assez de<br />
travail pour tous, on dirait que <strong>le</strong> but de la vie est<br />
d'acquérir une grosse voiture qui bril<strong>le</strong>, une grande<br />
maison avec un grand jardin, un gros chien <strong>et</strong> un grand<br />
mur pour nous protéger <strong>et</strong> surtout un grand écran de<br />
cinéma dans notre salon avec un grand canapé pour y<br />
rester confortab<strong>le</strong>ment assis en avalant de la bière <strong>et</strong> des<br />
chips. Le but est semb<strong>le</strong>-t-il de s'éloigner <strong>le</strong> plus possib<strong>le</strong><br />
des gens, des autres, des relations humaines : de la vie <strong>et</strong><br />
de l'amour.<br />
Nos métiers modernes aussi nous éloignent de plus<br />
en plus de la réalité de la vie. L'autre, la personne est<br />
215
devenue anonyme <strong>et</strong> réduite à sa fonction, à sa<br />
production, à son chiffre d'affaire, à son résultat, à sa<br />
réussite ou à son échec. Pour ach<strong>et</strong>er à manger, nous<br />
n'allons plus « chez » <strong>le</strong> boucher ou l'épicier, nous allons<br />
« au » supermarché où l'on ne rencontre aucune personne<br />
connue mais des être anonymes qui remplissent la<br />
fonction de boucher ou d'épicier. On ne par<strong>le</strong> plus<br />
d'hommes qui construisent une maison mais d'une<br />
entreprise ou « société anonyme » qui remplit c<strong>et</strong>te<br />
fonction <strong>et</strong> on a affaire avec un « commercial » qui nous<br />
vend un « produit » appelé maison. <strong>Dans</strong> <strong>le</strong> monde du<br />
travail, nous perdons nos noms.<br />
Et puis, on ne par<strong>le</strong> plus d'homme ou de femme car<br />
cela fait sexiste ; hommes <strong>et</strong> femmes remplissent de<br />
manière indifférenciée <strong>le</strong>s mêmes fonctions. On peut<br />
aussi être « homme au foyer » pour que la femme ne soit<br />
pas lésée dans la compétition professionnel<strong>le</strong>. Sa<br />
grossesse doit être discrète <strong>et</strong> une fois <strong>le</strong> bébé né el<strong>le</strong> doit<br />
s'efforcer de refermer rapidement c<strong>et</strong>te parenthèse<br />
maternel<strong>le</strong>. On n'a plus besoin d'hommes « forts », on n'a<br />
aujourd'hui plus besoin d'hommes. Les hommes que l'on<br />
considère comme forts font de la politique ou du<br />
business. Les autres, pour avoir l'air fort, font du body<br />
building ou des jeux vidéo vio<strong>le</strong>nts. Pour avoir <strong>le</strong><br />
sentiment d'appartenir à un groupe identifié on se fait des<br />
tatouages « <strong>et</strong>hniques » qui font penser par exemp<strong>le</strong> à<br />
ceux des guerriers indiens d'Amérique : on a la nostalgie<br />
de la vie sauvage <strong>et</strong> viri<strong>le</strong> proche de la terre. Pour tisser<br />
216
des liens on va sur des Sites de rencontre grâce à Intern<strong>et</strong>,<br />
on participe à des jeux en réseau pour se sentir proches<br />
<strong>le</strong>s uns des autres, unis par une même passion, dans un<br />
même combat. En réalité, nous sommes bien loin de la<br />
vie socia<strong>le</strong> qui perm<strong>et</strong>trait à notre cœur <strong>et</strong> à notre âme de<br />
respirer.<br />
L'homme ne se sent plus homme, <strong>le</strong> père ne se sent<br />
plus père. L'enfant a du mal à voir dans son père un père.<br />
Et pour nous croyants nous pouvons ajouter qu'ainsi<br />
l'enfant a du mal à se représenter la paternité de Dieu.<br />
<strong>Dans</strong> une société où la paternité, <strong>le</strong> masculin <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
relations proches sont affaiblis, la maternité, la féminité<br />
<strong>et</strong> l'enfance aussi sont touchées. Les enfants ont des<br />
relations avec <strong>le</strong>s adultes de plus en plus distantes <strong>et</strong><br />
doivent grandir « seuls ».<br />
Soukot représente <strong>le</strong> rêve de renouer avec <strong>le</strong>s<br />
bonheurs immuab<strong>le</strong>s que <strong>le</strong> monde moderne a abîmé au<br />
point de nous ôter <strong>le</strong> désir de <strong>le</strong>s rêver. A Soukot ces<br />
bonheurs immuab<strong>le</strong>s que sont par exemp<strong>le</strong> la famil<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />
l'amitié r<strong>et</strong>rouvent <strong>le</strong>ur juste place. Soukot est en quelque<br />
sorte une occasion de sortir de l’espace restreint habituel<br />
<strong>et</strong> du temps morcelé habituel pour vivre une semaine<br />
dans un lieu proche de la nature <strong>et</strong> proche des autres,<br />
proche de nous-mêmes <strong>et</strong> proche de Dieu.<br />
Soukot, par <strong>le</strong>s caractéristiques de la soucca,<br />
habitat de nomades du désert, ne prétend pas imiter une<br />
organisation politique basée sur l'écologie ou une<br />
217
démocratie anarchique. Cela n'a rien à voir avec ces<br />
modè<strong>le</strong>s ; Soukot est simp<strong>le</strong>ment à l'image de la<br />
recherche d'équilibre inspirée par la vie du peup<strong>le</strong> <strong>hébreu</strong><br />
au désert. Et Soukot a surtout pour but de nous inciter à<br />
regarder ensemb<strong>le</strong> vers <strong>le</strong> Ciel au-dessus de la soucca.<br />
« L’Esprit saint, dit <strong>le</strong> Talmud, ne peut reposer que sur<br />
un cœur joyeux. »<br />
Le quinze de tishri commence la fête de Succot, qui<br />
dure une semaine comme cel<strong>le</strong> de la Pâque, <strong>et</strong> qui est<br />
désignée souvent dans <strong>le</strong>s traductions <strong>et</strong> <strong>le</strong> vocabulaire<br />
chrétiens par l’expression de « fêtes des Tentes », à<br />
partir du grec, ou des Tabernac<strong>le</strong>s, d’après <strong>le</strong> latin, ou<br />
Scénopégie dans <strong>le</strong>s anciennes traductions. De tout <strong>le</strong><br />
ca<strong>le</strong>ndrier juif, c’est la fête la plus riche en symbo<strong>le</strong>s. Le<br />
nom de la fête est dû au précepte biblique d’habiter<br />
pendant une semaine sous des huttes (Lévitique 23, 34-36<br />
<strong>et</strong> parallè<strong>le</strong>s). Ces huttes (succot, succa au singulier) qui<br />
doivent être provisoires <strong>et</strong> non fixes (dès la fin de la fête<br />
de kippour, on doit s’activer pour commencer à <strong>le</strong>s<br />
construire <strong>et</strong> <strong>le</strong>s décorer) veu<strong>le</strong>nt rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s quarante<br />
ans au cours desquels Israël a vécu dans <strong>le</strong> désert sous<br />
des abris précaires. On doit y prendre au moins <strong>le</strong>s repas<br />
festifs, mais certains y passent même la nuit. En même<br />
temps, <strong>le</strong> toit à claire-voie, à travers <strong>le</strong>quel on doit<br />
apercevoir <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s, doit rappe<strong>le</strong>r qu’Israël n’a d’autre<br />
218
véritab<strong>le</strong> protection que la nuée divine, qui est la<br />
véritab<strong>le</strong> succa. À partir du prophète Zacharie, c<strong>et</strong>te fête,<br />
qui est à l’origine une fête agraire marquant la rentrée<br />
des récoltes, acquiert une signification eschatologique <strong>et</strong><br />
annonce <strong>le</strong> rassemb<strong>le</strong>ment des peup<strong>le</strong>s à la fin des temps<br />
(Zacharie 14,16-19).<br />
À la synagogue, la liturgie est marquée par l’usage<br />
du lulav, faisceau de branches de sau<strong>le</strong>, de myrte <strong>et</strong> de<br />
palmier, porté en procession avec l’éthrog, une variété<br />
de gros citron, selon <strong>le</strong> précepte de Lévitique 23,40. À<br />
partir du vers<strong>et</strong> biblique « Vous vous réjouirez devant <strong>le</strong><br />
Seigneur votre Dieu pendant sept jours », on considère<br />
que la joie, en tant que tel<strong>le</strong>, fait l’obj<strong>et</strong> d’un précepte<br />
positif, <strong>et</strong> que l’on enfreint ce précepte en étant triste<br />
pendant c<strong>et</strong>te période. Le Talmud de Jérusa<strong>le</strong>m dit que la<br />
fête de Succot, à l’époque du second Temp<strong>le</strong>, «était une<br />
fête dont on ne pouvait se faire aucune idée si on ne<br />
l’avait pas vue <strong>et</strong> dont rien n’approchait en fait de<br />
réunion joyeuse.» Le dernier jour de la fête, <strong>le</strong> plus<br />
so<strong>le</strong>nnel (cf. Jean 7,37) est désigné par l’expression de «<br />
Hoshana rabba », <strong>le</strong> grand hosanna. Ce jour-là, la<br />
«procession des rameaux » fait sept fois <strong>le</strong> tour de la<br />
synagogue. C<strong>et</strong>te journée de fête se termine par une<br />
prière pour demander la pluie, qui n’est pas tombée, en<br />
terre d’Israël, depuis <strong>le</strong> printemps (mais on ne doit pas la<br />
demander tant qu’on doit prendre <strong>le</strong>s repas sous la<br />
succa !). On peut dire ici un mot rapide sur <strong>le</strong> rapport<br />
entre Succot <strong>et</strong> l’eau. À l’époque du second temp<strong>le</strong>, on<br />
219
descendait so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment à la piscine de Siloé pour y<br />
puiser de l’eau <strong>et</strong> <strong>le</strong> cortège accompagnant <strong>le</strong> prêtre<br />
portant la cruche remontait au son des tromp<strong>et</strong>tes vers <strong>le</strong><br />
Temp<strong>le</strong>, où l’eau était répandue en libation. Les<br />
commentaires de l’époque, auxquels fait écho l’évangi<strong>le</strong><br />
de Jean (7,37-39) voient dans l’eau <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> de<br />
l’Esprit saint, qui est la cause de la joie caractéristique<br />
de Succot : l’Esprit saint, dit <strong>le</strong> Talmud, ne peut reposer<br />
que sur un cœur joyeux. En puisant l’eau à Siloé, on<br />
puisait l’Esprit saint. On interprète ainsi <strong>le</strong> vers<strong>et</strong> d’Isaïe<br />
« <strong>Dans</strong> la joie, vous puiserez <strong>le</strong>s eaux aux sources du<br />
salut (Isaïe 12,3).<br />
Le septième <strong>et</strong> dernier jour de Succot est suivi<br />
d’une fête supplémentaire, « Shemini atsér<strong>et</strong> » (Nombres<br />
29,35), huitième jour, en quelque sorte, d’une fête qui en<br />
compte sept. C<strong>et</strong>te fête coïncide en Israël avec la fête,<br />
d’institution beaucoup plus récente de « Simhat Tora »,<br />
célébrée <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain en diaspora. On lit ce jour-là <strong>le</strong>s<br />
derniers vers<strong>et</strong>s du Deutéronome <strong>et</strong> <strong>le</strong>s premiers de la<br />
Genèse, pour manifester que la <strong>le</strong>cture de la Tora se fait<br />
sans interruption.<br />
Le Nouveau Testament contient plusieurs allusions<br />
à la fête de Succot : la paro<strong>le</strong> de Jésus sur l’eau <strong>et</strong><br />
l’Esprit, déjà signalée ; <strong>le</strong>s récits de la transfiguration,<br />
où Pierre propose de dresser trois tentes (Matthieu 17,1-<br />
9) ; l’entrée de Jésus à Jérusa<strong>le</strong>m (Matthieu 21,8) ; <strong>le</strong><br />
passage de l’Apocalypse où <strong>le</strong>s élus se tiennent avec des<br />
palmes à la main (Apocalypse 7,9), <strong>et</strong> probab<strong>le</strong>ment<br />
220
d’autres passages où des allusions voilées à Succot, <strong>et</strong><br />
aux fêtes d’automne en général, doivent être déchiffrées.<br />
(Michel Remaud) 58<br />
La Transfiguration (Matthieu 17,1-9) :<br />
« Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre,<br />
Jacques, <strong>et</strong> Jean son frère, <strong>et</strong> <strong>le</strong>s emmène, à l'écart, sur<br />
une haute montagne.<br />
Et il fut transfiguré devant eux : son visage<br />
resp<strong>le</strong>ndit comme <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, <strong>et</strong> ses vêtements devinrent<br />
blancs comme la lumière.<br />
Et voici que <strong>le</strong>ur apparurent Moïse <strong>et</strong> Élie, qui<br />
s'entr<strong>et</strong>enaient avec lui.<br />
Pierre alors, prenant la paro<strong>le</strong>, dit à Jésus : «<br />
Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ; si tu <strong>le</strong><br />
veux, je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour<br />
Moïse <strong>et</strong> une pour Élie. »<br />
Comme il <strong>parlait</strong> encore, voici qu'une nuée<br />
lumineuse <strong>le</strong>s prit sous son ombre, <strong>et</strong> voici qu'une voix<br />
disait de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a<br />
toute ma faveur, écoutez-<strong>le</strong>. »<br />
A c<strong>et</strong>te voix, <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s tombèrent sur <strong>le</strong>urs faces,<br />
tout effrayés.<br />
Mais Jésus, s'approchant, <strong>le</strong>s toucha <strong>et</strong> <strong>le</strong>ur dit : «<br />
Re<strong>le</strong>vez-vous, <strong>et</strong> n'ayez pas peur. »<br />
58<br />
Les fêtes juives d’automne, 14 septembre 2007, www.un-echoisrael.n<strong>et</strong>.<br />
221
Et eux, <strong>le</strong>vant <strong>le</strong>s yeux, ne virent plus personne que<br />
lui, Jésus, seul.<br />
Comme ils descendaient de la montagne, Jésus <strong>le</strong>ur<br />
donna c<strong>et</strong> ordre : « Ne par<strong>le</strong>z à personne de c<strong>et</strong>te vision,<br />
avant que <strong>le</strong> Fils de l'homme ne ressuscite d'entre <strong>le</strong>s<br />
morts. » »<br />
Soukot, pour Jésus <strong>et</strong> ses trois plus proches apôtres<br />
(Pierre, Jacques <strong>et</strong> Jean) a été une fête cachée, secrète. <strong>Il</strong><br />
<strong>le</strong>ur demande d'ail<strong>le</strong>urs explicitement de ne par<strong>le</strong>r à<br />
personne de sa Transfiguration avant sa résurrection. Les<br />
moments majeurs de la vie du <strong>Christ</strong> sont si discr<strong>et</strong>s<br />
qu’on peut dire qu’ils ont été cachés, comme sa naissance<br />
<strong>et</strong> sa résurrection. Pourquoi ? Parce que Jésus ne désire<br />
par être adoré pour lui-même en tant qu’homme mais<br />
pour ce qu’il est : Dieu venu parmi nous. Et Dieu ne veut<br />
pas qu’on l’aime parce qu’il est Tout puissant mais parce<br />
qu’il est Amour. Le jour de la Transfiguration Jésus<br />
montre à seu<strong>le</strong>ment trois de ses discip<strong>le</strong>s Qui il est. Et<br />
nous savons que cela ne <strong>le</strong>ur suffira pas pour y croire de<br />
manière solide. Croire, ce n’est jamais ferme <strong>et</strong><br />
définitif mais toujours fragi<strong>le</strong> ; c’est pour cela qu’être<br />
croyant n’est pas un motif d’orgueil mais d’humilité.<br />
Ainsi, même s’ils ont vu la divinité de Jésus, Pierre <strong>et</strong><br />
Jacques seront absents au pied de la croix. Et <strong>le</strong> jour de la<br />
résurrection, en voyant <strong>le</strong> tombeau vide, seul Jean « vit <strong>et</strong><br />
crut » (Jean 20,8). Nous comprenons alors pourquoi il<br />
n’est pas uti<strong>le</strong> de voir Dieu sur la terre. Ce qui est plus<br />
222
important c’est de faire ce qu’il nous demande : « Celui<br />
qui m’aime c’est celui qui garde mes commandements »<br />
(Jean 14,21).<br />
Nous aussi nous sommes tentés de vouloir voir ou<br />
« toucher Dieu » mais cela est inuti<strong>le</strong>. Jésus nous dit qu’il<br />
vaut mieux ne pas <strong>le</strong> voir <strong>et</strong> nous demande de ne pas <strong>le</strong><br />
toucher : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » dit-il<br />
à Thomas (Jean 20,29) ; <strong>et</strong> à Marie-Made<strong>le</strong>ine « Ne me<br />
touche pas » (Jean 20,17).<br />
Ou…<br />
« Ne me nomme pas »<br />
« Ne m’enferme pas dans un mot »<br />
« Ne me donne pas un nom qui vient de toi car<br />
Mon Nom est indicib<strong>le</strong> »<br />
« N’adore pas mon corps, mon humanité, adore ce<br />
que Je Suis »<br />
« Aime en moi ce qui est au-delà de moi car je suis<br />
Chemin, Le chemin »<br />
« Je ne suis pas la fin, je ne suis pas fini, je suis La<br />
Vie »<br />
« Perm<strong>et</strong>s-moi de rester insaisissab<strong>le</strong> »<br />
« Ne me prends pas, Je ne t’appartiens pas, Je ne<br />
suis pas ta propriété, Je suis libre »<br />
« Je suis Adonaï » « Je suis הוהי » « Je suis Le<br />
Seigneur »<br />
223
« Sur la Montagne de la Transfiguration, Dieu par<strong>le</strong><br />
à travers la nuée, comme il l'a fait au Sinaï. Mais<br />
maintenant il dit : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé ;<br />
écoutez-<strong>le</strong>" (Marc 9, 7). <strong>Il</strong> nous commande d'écouter son<br />
Fils, parce que "personne ne connaît <strong>le</strong> Père sinon <strong>le</strong> Fils,<br />
<strong>et</strong> celui à qui <strong>le</strong> Fils veut <strong>le</strong> révé<strong>le</strong>r" (Matthieu 11, 27).<br />
Nous apprenons ainsi que <strong>le</strong> vrai nom de Dieu est PÈRE !<br />
Le nom qui est au-dessus de tout nom : ABBA (cf.<br />
Galates 4, 6) ! Ainsi, en Jésus, nous apprenons que notre<br />
vrai nom est FILS, FILLE ! Nous apprenons que <strong>le</strong> Dieu<br />
de l'Exode <strong>et</strong> de l'Alliance rend son peup<strong>le</strong> libre parce<br />
qu'il est constitué de ses fils <strong>et</strong> de ses fil<strong>le</strong>s, créés non<br />
pour la servitude mais pour "la liberté, la gloire des<br />
enfants de Dieu" (Romains 8, 21). » (Jean Paul II) 59<br />
La fête des rameaux (Matthieu 21,8-9) :<br />
« Alors <strong>le</strong>s gens, en très nombreuse fou<strong>le</strong>,<br />
étendirent <strong>le</strong>urs manteaux sur <strong>le</strong> chemin ; d'autres<br />
coupaient des branches aux arbres <strong>et</strong> en jonchaient <strong>le</strong><br />
chemin. Les fou<strong>le</strong>s qui marchaient devant lui <strong>et</strong> cel<strong>le</strong>s qui<br />
suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ! Béni soit<br />
celui qui vient au nom du Seigneur הוהי ! Hosanna au<br />
plus haut des cieux ! » »<br />
59<br />
Homélie lors de la célébration de la Paro<strong>le</strong> au Mont Sinaï, 26<br />
février 2000.<br />
224
Le lien entre la fête des rameaux <strong>et</strong> Soukot semb<strong>le</strong><br />
évident, ainsi que l’explique <strong>le</strong> Père Michel Remaud :<br />
« Le dernier jour de la fête, <strong>le</strong> plus so<strong>le</strong>nnel est désigné<br />
par l’expression de « Hoshana rabba », <strong>le</strong> grand hosanna.<br />
Ce jour-là, la « procession des rameaux » fait sept fois <strong>le</strong><br />
tour de la synagogue. C<strong>et</strong>te journée de fête se termine par<br />
une prière pour demander la pluie, qui n’est pas tombée,<br />
en terre d’Israël, depuis <strong>le</strong> printemps. » 60 Jésus entre donc<br />
à Jérusa<strong>le</strong>m <strong>le</strong> dernier jour de la fête acclamé par la fou<strong>le</strong><br />
qui crie « Béni soit celui qui vient au nom du הוהי<br />
Seigneur ! ». Les juifs se rendent-ils alors compte de ce<br />
qu’ils disent ? <strong>Il</strong>s affirment que c<strong>et</strong> homme monté sur un<br />
âne est <strong>le</strong> roi d’Israël, <strong>le</strong> Messie qui vient au nom du<br />
« Nom » ! Ce qui a été dit de la Transfiguration est<br />
valab<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s rameaux : il ne suffit pas de croire en<br />
Dieu pour l’aimer. C’est pour cela que c<strong>et</strong>te fête est à la<br />
fois douce <strong>et</strong> amère pour Jésus.<br />
La fête des rameaux, comme cel<strong>le</strong> de Soukot a un<br />
goût amer qui cependant n’est pas incompatib<strong>le</strong> avec la<br />
joie. D’ail<strong>le</strong>urs c’est bien cela l’esprit de Soukot : alors<br />
que nous sommes dans la terre promise nous nous<br />
souvenons de l’amertume du désert. Et c<strong>et</strong>te amertume<br />
n’est pas opposée au bonheur, el<strong>le</strong> en faite partie.<br />
60<br />
Les fêtes juives d’automne, 14 septembre 2007, http://www.unecho-israel.n<strong>et</strong><br />
225
« Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi » (Jean 7,37-<br />
39) :<br />
« Le dernier jour de la fête, qui est aussi <strong>le</strong> plus<br />
so<strong>le</strong>nnel, Jésus, debout, se mit à proclamer :<br />
« Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi <strong>et</strong> que<br />
boive celui qui croit en moi.<br />
Comme l'a dit l'Ecriture : “De son sein cou<strong>le</strong>ront<br />
des f<strong>le</strong>uves d'eau vive.” ». »<br />
C<strong>et</strong>te fête de Soukot est une fête inattendue : Jésus<br />
ne voulait pas y al<strong>le</strong>r mais, poussé par « ses frères » (Jean<br />
7, 3 <strong>et</strong> 10), il se décide à monter à Jérusa<strong>le</strong>m en cach<strong>et</strong>te ;<br />
<strong>et</strong> puis, à la surprise de tous, <strong>le</strong> dernier jour de la fête il se<br />
m<strong>et</strong> debout <strong>et</strong> par<strong>le</strong> à la fou<strong>le</strong>. Les gens, en l'entendant se<br />
divisent : certains <strong>le</strong> suivent, d'autres décident de<br />
chercher une manière de <strong>le</strong> faire mourir.<br />
Jésus troub<strong>le</strong> la fête de Soukot à Jérusa<strong>le</strong>m. <strong>Il</strong> était<br />
déjà connu dans tout <strong>le</strong> pays parce que <strong>le</strong>s fou<strong>le</strong>s <strong>le</strong><br />
suivaient <strong>et</strong>, comme <strong>le</strong>s autorités romaines <strong>et</strong> juives ne<br />
voyaient pas cela d’un bon œil, il savait que venir à<br />
Jérusa<strong>le</strong>m signifiait prendre un grand risque. Et<br />
fina<strong>le</strong>ment, non seu<strong>le</strong>ment il s’y rend mais en plus il en<br />
devient protagoniste. Non seu<strong>le</strong>ment il enseigne en<br />
public mais il déclare : « Celui qui a soif, qu’il vienne à<br />
moi ».<br />
Le mot « moi » pose problème car Jésus ne dit pas<br />
« al<strong>le</strong>z vers LUI » mais « venez à MOI ». Et il ne <strong>le</strong> dit<br />
pas un jour ordinaire dans un lieu ordinaire. <strong>Il</strong> <strong>le</strong> dit <strong>le</strong><br />
226
dernier jour de la grande fête de Soukot dans <strong>le</strong> Temp<strong>le</strong><br />
(Jean 7,14 <strong>et</strong> 28). Pour <strong>le</strong>s juifs c'est <strong>le</strong> jour de l’eau :<br />
l’automne est là, c’est <strong>le</strong> début de la saison des pluies <strong>et</strong><br />
en ce jour on prie pour que la pluie vienne. L’eau<br />
symbolisant l’Esprit Saint, on demande qu’<strong>Il</strong> vienne dans<br />
<strong>le</strong>s cœurs. Or, Jésus se présente lui-même comme la<br />
Source, cel<strong>le</strong> où il faut puiser l’eau de la Vie.<br />
« Ah! Vous tous qui avez soif, venez, voici de<br />
l'eau ! »<br />
Isaïe 55,1<br />
Est-ce que cela signifie que désormais la source de<br />
Vie n’est plus <strong>le</strong> Dieu d’Israël mais un homme appelé<br />
Jésus ? Tout ce livre a pour objectif de démontrer que<br />
non. Non Jésus n’est pas un homme qui se prend pour<br />
Dieu. Non Jésus n’est pas devenu dieu à la place de Dieu.<br />
<strong>Il</strong> est <strong>le</strong> Dieu d’Israël venu parmi <strong>le</strong>s siens, venu parmi<br />
nous. <strong>Il</strong> est Le Chemin : il montre Dieu <strong>et</strong> il est Dieu.<br />
Dire que Jésus est la Source ne signifie pas que Dieu<br />
n’est plus la Source, cela signifie que Jésus est chemin de<br />
Dieu vers nous <strong>et</strong> chemin vers Dieu.<br />
Alors, comment voir en Jésus Celui qui est au-delà<br />
de tout Nom ? Comment ne pas seu<strong>le</strong>ment voir en Jésus<br />
un homme ?<br />
Pour voir en Jésus Celui qui est la Vie nous devons<br />
peut-être d’abord voir en Jésus un homme, un juif<br />
pratiquant sa religion comme tous <strong>le</strong>s juifs. Et alors nous<br />
227
pourrons voir aussi -si nous en avons soif- Celui qui est<br />
l’Eau. En fin de compte, c’est une question de soif. On ne<br />
peut pas voir Dieu en Jésus si on n’a pas soif de Lui.<br />
C’est la soif qui mène à la source.<br />
Jésus est à la fois eau <strong>et</strong> soif : <strong>le</strong> Vendredi Saint<br />
Miryam <strong>et</strong> עושי Iéshoua ont soif, ils sont debout, droits, <strong>et</strong><br />
ils espèrent. הוהי Adonaï est aussi עושי Iéshoua qui<br />
souffre. Et, comme Miryam, nous entrons dans הוהי<br />
Adonaï quand nous sommes debout, quand nous<br />
participons à sa soif, à son amertume, <strong>et</strong> quand nous<br />
reposons sur son cœur, dans la confiance.<br />
« Quitter son habitation habituel<strong>le</strong> pour se placer<br />
sous un toit fragi<strong>le</strong>, traduit ce souci permanent de la<br />
conscience hébraïque de ne pas s'asseoir dans un confort<br />
égoïste, de ne pas faire de la religion un lieu<br />
d'enfermement <strong>et</strong> d'intolérance mais au contraire de la<br />
rendre convivia<strong>le</strong>, vivante, dans la paix des cœurs. Dès<br />
lors, la souccah (la cabane) devient préfiguration de la<br />
rencontre des peup<strong>le</strong>s <strong>et</strong> de la réconciliation annoncée par<br />
<strong>le</strong>s prophètes. Ce n'est pas par hasard qu'à l'époque du<br />
Temp<strong>le</strong>, Israël offrait à c<strong>et</strong>te occasion soixante-dix<br />
taureaux en sacrifice pour <strong>le</strong>s soixante-dix nations de la<br />
terre, nées après l'épisode de la Tour de Babel. »<br />
(Philippe Haddad) 61<br />
61<br />
Pour expliquer <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> à mes amis, In press éditions, 2000,<br />
page 123.<br />
228
30. <strong>Il</strong> prit chez lui son épouse<br />
Matthieu 1,24<br />
Pour mieux comprendre <strong>et</strong> distinguer ma relation<br />
avec des juifs <strong>et</strong> avec des chrétiens d’origine juive (qui<br />
ont une doub<strong>le</strong> identité), j’aime bien <strong>le</strong>s analogies avec<br />
Marie.<br />
Israël (<strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif) est comparab<strong>le</strong> à Marie notre<br />
mère : nous avons avec <strong>le</strong>s juifs une relation de proximité<br />
<strong>et</strong> de distance, comme un enfant avec sa mère. Nous ne<br />
formons pas un seul peup<strong>le</strong> uni même s’il s’agit du même<br />
Peup<strong>le</strong> de Dieu.<br />
Avec <strong>le</strong>s chrétiens d’origine juive, c’est différent :<br />
nous pouvons avoir avec eux une relation d’époux, nous<br />
habitons dans la même maison, nous formons un seul<br />
peup<strong>le</strong> uni. Cependant, nous n’essayons pas de <strong>le</strong>s<br />
assimi<strong>le</strong>r en voulant faire disparaître <strong>le</strong>ur identité juive <strong>et</strong><br />
eux n’essaient pas de faire prévaloir <strong>le</strong>ur identité juive<br />
sur <strong>le</strong>ur identité chrétienne. J’aime comparer c<strong>et</strong>te<br />
relation avec <strong>le</strong> coup<strong>le</strong> de Joseph <strong>et</strong> Marie.<br />
Comme l'Ange lui a demandé en songe, Joseph<br />
prend Miryam chez lui.<br />
« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre<br />
chez toi Marie ton épouse car ce qui a été engendré en<br />
el<strong>le</strong> vient de l'Esprit Saint » Matthieu 1,20<br />
229
La paro<strong>le</strong> de l’Ange s’adresse à l’Eglise : « Ne<br />
crains pas de prendre chez toi Israël ton épouse ».<br />
Autrement dit « N’ai pas peur de vivre de l’esprit<br />
d’Israël », ou « Accueil<strong>le</strong> chez toi l’âme d’Israël ».<br />
« Ce qui a été engendré en el<strong>le</strong> vient de l’Esprit<br />
Saint » Matthieu 1,20<br />
Le peup<strong>le</strong> juif, a été engendré au désert, il a connu<br />
Adonaï au Sinaï.<br />
« Je t’ai connue au désert » Osée 13,5<br />
Aussi Israël porte en lui la lumière destinée à toute<br />
l’humanité. C’est une immense joie pour <strong>le</strong>s chrétiens<br />
d’épouser la spiritualité juive (<strong>et</strong> non pas la religion).<br />
L’âme d’Israël répond au désir profond de l’Eglise.<br />
« <strong>Il</strong> prit chez lui son épouse » Matthieu 1,24<br />
Joseph prend Miryam chez lui <strong>et</strong>, après la naissance<br />
de l’enfant, il <strong>le</strong>s emmène au désert. Joseph <strong>et</strong> Marie ont<br />
besoin de vivre à l’écart pour mieux se connaître <strong>et</strong> pour<br />
que l’enfant grandisse en sécurité. <strong>Il</strong>s vont dans <strong>le</strong> désert,<br />
loin du bruit du monde.<br />
« <strong>Il</strong> se <strong>le</strong>va, prit avec lui l'enfant <strong>et</strong> sa mère, de nuit,<br />
<strong>et</strong> se r<strong>et</strong>ira en Égypte » (Matthieu 2,14)<br />
L’Eglise ne peut pas recevoir la spiritualité d’Israël<br />
dans <strong>le</strong> brouhaha des discours, dans <strong>le</strong> tumulte des<br />
polémiques médiatisées, dans la dou<strong>le</strong>ur des disputes.<br />
C<strong>et</strong>te relation a besoin de douceur <strong>et</strong> de délicatesse : el<strong>le</strong><br />
ne peut être féconde que dans <strong>le</strong> calme de lieux à l’écart<br />
de l’agressivité du monde.<br />
230
« Je la conduirai au désert, <strong>et</strong> là je par<strong>le</strong>rai à son<br />
cœur » Osée 2,16<br />
C’est un temps de maturation, d’éducation protégée<br />
car l’enfant est fragi<strong>le</strong>.<br />
« Restes-y jusqu’à ce que je te dise » Matthieu 2,13<br />
231
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> j’ai<br />
<strong>rencontré</strong> <strong>le</strong> <strong>Christ</strong><br />
Comment expliquer ce besoin de rechercher mes<br />
racines spirituel<strong>le</strong>s juives ? C’est une question que je me<br />
pose à moi-même <strong>et</strong> à laquel<strong>le</strong> je suis incapab<strong>le</strong> de<br />
répondre d’une manière complète. Ce besoin de<br />
rechercher <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> au cœur du <strong>judaïsme</strong> reste pour moi<br />
une énigme. Je peux cependant tenter de dire où m’a<br />
mené ce cheminement aujourd’hui <strong>et</strong> essayer de résumer<br />
ce que m’apporte notre source juive. Le <strong>judaïsme</strong> nous<br />
perm<strong>et</strong> de mieux connaître <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> ; il nous aide à<br />
ressentir l’unité du Père <strong>et</strong> du Fils <strong>et</strong> ainsi à être plus<br />
fidè<strong>le</strong>s à l’Esprit Saint.<br />
Je cherche dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> quelque chose qui me<br />
manque dans <strong>le</strong> christianisme. Comment exprimer ce<br />
manque ? <strong>Il</strong> s’agit peut-être de la définition même du<br />
232
<strong>judaïsme</strong> qui n’est pas une seu<strong>le</strong>ment une religion mais<br />
quatre mil<strong>le</strong> ans d’Histoire d’un peup<strong>le</strong>. <strong>Il</strong> est vrai qu’en<br />
tant que chrétien j’appartiens à un peup<strong>le</strong> que l’on<br />
appel<strong>le</strong> l’Eglise mais c<strong>et</strong>te définition n’a pas <strong>le</strong> même<br />
sens que <strong>le</strong> fait d’appartenir au peup<strong>le</strong> juif. J’appartiens à<br />
un peup<strong>le</strong> spirituel mais pas à une famil<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> sens<br />
premier du terme. <strong>Dans</strong> <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif, Israël, je vois que<br />
ses membres n’ont pas seu<strong>le</strong>ment une religion commune<br />
mais aussi une mémoire commune. En tant que chrétien<br />
je n’appartiens pas au peup<strong>le</strong> juif mais je suis<br />
spirituel<strong>le</strong>ment de la même famil<strong>le</strong>. Cela m’aide<br />
beaucoup à comprendre <strong>et</strong> à vivre mon appartenance à<br />
l’Eglise dont <strong>le</strong> fondement est Israël.<br />
Je crois qu’il y a aussi dans mon itinéraire une<br />
recherche du Père, une recherche de la paternité. Peutêtre<br />
que <strong>le</strong> catholicisme me semb<strong>le</strong> trop féminin, trop<br />
maternel <strong>et</strong> que je cherche dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> quelque<br />
chose qui me manque : <strong>le</strong> rapport à la Loi, la rigueur<br />
intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>, <strong>le</strong> sens du concr<strong>et</strong>, la force, voire la virilité.<br />
J’aime l’ambiance d’une synagogue où <strong>le</strong> rabbin doit en<br />
quelque sorte imposer son autorité alors que cel<strong>le</strong> du<br />
prêtre va de soi. J’aime <strong>le</strong> respect du Nom de Dieu, la<br />
non distinction du profane <strong>et</strong> du sacré, ou plutôt <strong>le</strong> sacré<br />
qui pénètre <strong>le</strong> profane. J’aime <strong>le</strong>s sensations, alors que<br />
dans l’Eglise il s’agit plus de sentiments : dans <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> on ne par<strong>le</strong> pas d’amour mais de faits, on ne<br />
par<strong>le</strong> pas de foi mais de pratique, on ne par<strong>le</strong> pas de Dieu<br />
233
mais on Lui par<strong>le</strong>. Tout cela ne diminue en rien mon<br />
amour du christianisme que je ne peux quitter ; bien au<br />
contraire, <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> l’enrichit <strong>et</strong> <strong>le</strong> renforce. En eff<strong>et</strong>,<br />
tout ce que je trouve de beau dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, je peux<br />
l’intégrer à ma pratique chrétienne. Je n’ai encore jamais<br />
<strong>rencontré</strong> d’incompatibilité.<br />
C<strong>et</strong>te recherche plus ou moins inconsciente du Père<br />
à travers <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> me perm<strong>et</strong> de voir <strong>le</strong> <strong>Christ</strong><br />
autrement : plus proche, plus homme, plus paternel. <strong>Il</strong> ne<br />
peut plus ressemb<strong>le</strong>r à un « p<strong>et</strong>it-Jésus-tout-gentil » ou à<br />
une sorte de père Noël… Et je vois en lui, grâce au<br />
<strong>judaïsme</strong>, <strong>le</strong> Seigneur-Adonaï, qui s’est fait homme,<br />
faib<strong>le</strong> créature, p<strong>et</strong>it enfant fragi<strong>le</strong> <strong>et</strong> vulnérab<strong>le</strong>. Je vois<br />
aussi Marie non pas comme une lointaine fée dans son<br />
nuage mais comme une femme d’Israël aux traits <strong>et</strong> au<br />
caractère méditerranéens. El<strong>le</strong> est douce <strong>et</strong> forte, capab<strong>le</strong><br />
à la fois de colère <strong>et</strong> d’une infinie tendresse.<br />
Et puis il y a sans doute, dans c<strong>et</strong>te attirance pour <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong>, une recherche de la maternité, un besoin de<br />
m’appuyer sur cel<strong>le</strong> sur qui <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> s’est appuyé. Pour<br />
mieux en par<strong>le</strong>r j’aime utiliser <strong>le</strong>s analogies qui se<br />
trouvent dans la Bib<strong>le</strong> <strong>et</strong> me situer ainsi dans différents<br />
personnages <strong>et</strong> voir <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong> christianisme dans<br />
ces personnages.<br />
234
La comparaison avec des frères est classique. C’est<br />
cel<strong>le</strong> qu’utilise Jean Paul II en parlant de nos « frères<br />
aînés ». On r<strong>et</strong>rouve ces frères plusieurs fois dans la<br />
Bib<strong>le</strong> : il y a Jacob <strong>et</strong> Esaü, il y a la parabo<strong>le</strong> du fils<br />
prodigue (ou du père miséricordieux). <strong>Il</strong> y a aussi Ismaël<br />
<strong>et</strong> Isaac <strong>et</strong> tant d’autres frères qui s’aiment <strong>et</strong> se<br />
disputent. L’aîné est l’héritier légitime <strong>et</strong> <strong>le</strong> plus jeune<br />
désire sa place. Et puis il y a, présents dans <strong>le</strong>ur relation,<br />
<strong>le</strong>s rô<strong>le</strong>s du père <strong>et</strong> de la mère. Toutes ces histoires<br />
peuvent nous aider à comprendre nos rapports juifschrétiens.<br />
On peut aussi comparer c<strong>et</strong>te relation à deux<br />
sœurs ou à deux cousines comme Marie <strong>et</strong> Elisab<strong>et</strong>h. A<br />
chacun de voir dans ces relations de famil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s points<br />
communs avec notre relation entre chrétiens <strong>et</strong> juifs.<br />
On peut aussi comparer la relation de la Synagogue<br />
<strong>et</strong> de l’Eglise avec cel<strong>le</strong> d’un coup<strong>le</strong> comme celui formé<br />
par Adam <strong>et</strong> Eve : el<strong>le</strong> est sortie de lui, el<strong>le</strong> est faite de lui<br />
<strong>et</strong> ensuite el<strong>le</strong> se trouve en face de lui, comme <strong>le</strong><br />
christianisme qui provient du <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> ensuite se<br />
trouve face à lui, distinct de lui.<br />
On pourrait dire qu’il y a eu une sorte de divorce en<br />
48 quand au Conci<strong>le</strong> de Jérusa<strong>le</strong>m <strong>le</strong>s apôtres décident<br />
que <strong>le</strong>s nouveaux chrétiens n’auront plus besoin de se<br />
soum<strong>et</strong>tre aux pratiques du <strong>judaïsme</strong>. 62 Et en 2000, quand<br />
62 Mais qu'en est-il des Juifs eux-mêmes? Le chapitre 10 du livre<br />
des Actes nous rapporte une vision de saint Pierre. Celui-ci entend<br />
une voix qui dit :"Ce que Dieu a purifié, toi, ne <strong>le</strong> dis pas souillé"<br />
235
<strong>le</strong> Pape Jean Paul II se présente au Mur des<br />
Lamentations, il y a une nouvel<strong>le</strong> relation qui commence<br />
entre <strong>le</strong>s divorcés. <strong>Il</strong> ne s’agit pas de se remarier mais de<br />
se réconcilier officiel<strong>le</strong>ment, de consolider une relation<br />
d’amitié.<br />
On pourrait aussi dire que <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> est notre<br />
père : il a donné naissance au christianisme. Puis il a<br />
rej<strong>et</strong>é son enfant <strong>et</strong> ensuite l’enfant a rej<strong>et</strong>é son père.<br />
Quand un père <strong>et</strong> un fils n’ont pas vécu ensemb<strong>le</strong>, il est<br />
très diffici<strong>le</strong> de renouer la communication à l’âge adulte.<br />
En général l’enfant reste rancunier envers son père qui ne<br />
l’a pas éduqué ; <strong>et</strong> <strong>le</strong> père redoute la rencontre avec son<br />
fils car il ne <strong>le</strong> reconnaît plus.<br />
Comme <strong>le</strong> propose <strong>le</strong> Cardinal Lustiger, on peut<br />
aussi comparer l’Eglise <strong>et</strong> Israël avec <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>. « La<br />
figure du Messie est en même temps la figure d’Israël ; la<br />
(Actes 10,15). En d'autres termes, la vision fait savoir à Pierre, qui<br />
est juif, qu'il peut manger des aliments considérés comme impurs par<br />
l'Ancien Testament. Mais attention! La voix entendue par Pierre ne<br />
dit pas que Dieu déclare pur ce que l'Ancien Testament déclarait<br />
impur. La voix <strong>parlait</strong> d'une action accomplie par Dieu. C<strong>et</strong>te action<br />
est la Rédemption opérée par <strong>le</strong> Messie. C<strong>et</strong>te action a transformé la<br />
situation, c<strong>et</strong>te action a purifié. C'est tout autre chose que simp<strong>le</strong>ment<br />
"déclarer" (comme <strong>le</strong> passage des Actes cité plus haut est<br />
malheureusement traduit parfois, mais c'est une traduction inexacte).<br />
(Père Jean Stern, m.s.)<br />
236
figure de Jésus est en même temps cel<strong>le</strong> des siens, de son<br />
Eglise <strong>et</strong> cel<strong>le</strong> d’Israël. » 63 .<br />
Et on peut voir Israël dans <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, <strong>et</strong> l’Eglise<br />
dans Marie. Israël persécuté souffre sur la Croix, <strong>et</strong><br />
l’Eglise qui se tient debout auprès de lui est unie à son<br />
cœur. Le <strong>Christ</strong> (Israël) <strong>et</strong> Marie (l’Eglise) sont unis dans<br />
la compassion : « ces deux croix ne feront plus qu’une<br />
» 64 . « Marie n’est pas spectatrice, el<strong>le</strong> est Mère pour<br />
coopérer avec Jésus <strong>et</strong> vivre ce qu’il vit. » 65<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> nous pouvons surtout voir notre<br />
mère, notre matrice juive. Quel<strong>le</strong> est la relation d’un<br />
enfant avec sa mère ? Quel<strong>le</strong> est la relation d’une adulte<br />
avec sa mère ? <strong>Il</strong> y un amour unique <strong>et</strong> aussi une<br />
distance. C’est ici qu’il est question de relation soit saine<br />
soit incestueuse : « Castus, chaste s’oppose à incestus,<br />
incestueux. La chast<strong>et</strong>é est l’opposé de l’inceste où tout<br />
devient troub<strong>le</strong>, confus, fusionnel. La chast<strong>et</strong>é représente<br />
une relation claire <strong>et</strong> non confusionnel<strong>le</strong> : une relation<br />
juste. » 66 . <strong>Il</strong> y a donc à la fois de la familiarité <strong>et</strong> du<br />
respect ; nous sommes vraiment proches <strong>et</strong> vraiment<br />
63<br />
La Promesse, page 57.<br />
64<br />
Jean-Miguel Garrigues, Le dessein de Dieu à travers ses<br />
alliances, Editions de l’Emmanuel, 2003, page 246.<br />
65<br />
Père Marie-Dominique Philippe, Le Mystère de Joseph, Editions<br />
Saint-Paul, 1997, page 188.<br />
66<br />
Frère Pierre Schilling, « Faire Dieu » pour ainsi dire, Monastère<br />
de l’Epiphanie, 2005, page 22.<br />
237
différents. Le <strong>Christ</strong> à la fois nous unit <strong>et</strong> nous sépare.<br />
Aussi il nous faut accepter que c<strong>et</strong>te distance, c<strong>et</strong> abîme,<br />
reste infranchissab<strong>le</strong>. Nous ne devons pas chercher à unir<br />
<strong>le</strong>s deux religions, nous ne devons pas chercher à imiter<br />
(singer) <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>.<br />
A Jérusa<strong>le</strong>m se trouve notre origine spirituel<strong>le</strong> :<br />
« Tout homme y est né » dit <strong>le</strong> psaume 87 à propos de<br />
Sion (vers<strong>et</strong> 5). Certaines Bib<strong>le</strong> traduisent : « De Sion<br />
l’on dira : « c’est ma mère : en el<strong>le</strong> tout homme est<br />
né » ».<br />
Une mère n’est pas seu<strong>le</strong>ment mère au moment où<br />
el<strong>le</strong> accouche. Et el<strong>le</strong> n’est pas seu<strong>le</strong>ment mère pendant<br />
l’éducation de ses enfants. El<strong>le</strong> est mère jusqu’à sa mort<br />
ou à la mort de son enfant. Aussi on peut dire que <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> est pour nous une mère encore aujourd’hui.<br />
On pourrait dire que <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> est notre mère <strong>et</strong><br />
pas notre père dans <strong>le</strong> sens où il est notre spiritualité <strong>et</strong><br />
pas notre religion. Nous avons en eff<strong>et</strong> besoin de l’esprit<br />
juif car il répond à notre plus profond désir chrétien.<br />
On peut ainsi comparer Jean <strong>et</strong> Marie au<br />
christianisme <strong>et</strong> au <strong>judaïsme</strong> dans <strong>le</strong>s deux sens. On peut<br />
d’abord voir Jean en tant que Synagogue qui accueil<strong>le</strong><br />
(recueil<strong>le</strong>) l’Eglise au pied de la Croix. Et aujourd’hui on<br />
peut envisager <strong>le</strong> contraire : Jean représente <strong>le</strong>s chrétiens<br />
qui accueil<strong>le</strong>nt l’esprit d’Israël. La paro<strong>le</strong> du <strong>Christ</strong><br />
« Voici ta mère » (Jean 19,27) s’adresse à nous. « On<br />
238
peut dire qu’à partir de ces paro<strong>le</strong>s de Jésus <strong>le</strong> cœur de<br />
Jean ne fait plus qu’un avec <strong>le</strong> cœur de Marie, sa mère,<br />
comme <strong>le</strong> cœur de Marie ne fait plus qu’un avec <strong>le</strong> cœur<br />
de Jésus crucifié. » 67<br />
Qui est c<strong>et</strong>te femme, Israël, ou plutôt son esprit ?<br />
Où est-el<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> christianisme ? Nous avons, dit Jean<br />
Paul II, une relation « intrinsèque » avec <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>,<br />
c’est-à-dire qu’il est (déjà) à l’intérieur de notre religion,<br />
comme à l’intérieur de nous-mêmes. <strong>Il</strong> l’était visib<strong>le</strong>ment<br />
au temps de l’Eglise de Jacques à Jérusa<strong>le</strong>m <strong>et</strong> a disparu<br />
au cours du II ème sièc<strong>le</strong>. <strong>Il</strong> s’agissait des juifs convertis au<br />
christianisme qui continuait à pratiquer <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>. <strong>Il</strong>s<br />
étaient une sorte de courant interne au <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> ne<br />
s’appelaient pas « chrétiens » mais « notzéris »<br />
(nazaréens), comme on traduit encore aujourd’hui en<br />
<strong>hébreu</strong> <strong>le</strong> mot chrétien.<br />
Et il y a aujourd’hui <strong>le</strong>s chrétiens d’origine juive<br />
qui sont en quelque sorte l’esprit d’Israël perceptib<strong>le</strong><br />
dans l’Eglise. Ces chrétiens ont une sensibilité spirituel<strong>le</strong><br />
juive. <strong>Il</strong>s représentent aujourd’hui l’Eglise originel<strong>le</strong>.<br />
C’est pour cela que la comparaison avec Marie est<br />
adéquate. On peut donc voir en Marie <strong>et</strong> Joseph <strong>le</strong> coup<strong>le</strong><br />
Eglise-Israël. Ici il s’agit des chrétiens d’origine juive<br />
avec <strong>le</strong>s chrétiens d’origine non juive. Nous avons une<br />
67<br />
Père Marie-Dominique Philippe, Le Mystère de Joseph, Editions<br />
Saint-Paul, 1997, page 186.<br />
239
elation d’amour chaste, non confusionnel<strong>le</strong> : chacun<br />
reste lui-même avec son origine particulière <strong>et</strong> l’un<br />
n’absorbe pas l’autre dans sa propre identité.<br />
Et puis il y a, depuis <strong>le</strong> début du XX ème sièc<strong>le</strong>, de<br />
plus en plus de chrétiens qui trouvent dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong><br />
non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>urs racines spirituel<strong>le</strong>s mais aussi une<br />
source. <strong>Il</strong>s éprouvent <strong>le</strong> besoin d’y boire pour se sentir<br />
vivants. C’est un peu comme une branche qui, si el<strong>le</strong> se<br />
coupe du tronc, ne peut plus recevoir de sève. On<br />
pourrait dire que ces chrétiens sensib<strong>le</strong>s au <strong>judaïsme</strong> sont<br />
aussi Marie chez Joseph, Miryam au cœur de l’Eglise,<br />
comme une présence fragi<strong>le</strong> de la mère du <strong>Christ</strong> parmi<br />
nous. El<strong>le</strong> est enceinte <strong>et</strong> a besoin de Joseph pour<br />
l’accueillir <strong>et</strong> la protéger.<br />
Celui qui nous dit aujourd’hui « Voici ta mère » <strong>et</strong><br />
« Ne crains pas de prendre chez toi Marie » crie dans <strong>le</strong><br />
si<strong>le</strong>nce de notre cœur pour que son Nom soit réparé. <strong>Il</strong><br />
désire que la b<strong>le</strong>ssure de la déchirure entre juifs <strong>et</strong><br />
chrétiens guérisse dans notre âme. En eff<strong>et</strong> c<strong>et</strong>te<br />
déchirure se trouve bien au-dedans de nous. Aussi <strong>Il</strong><br />
désire unifier notre cœur dispersé. <strong>Il</strong> désire que son Nom<br />
soit Un, que <strong>le</strong> Père <strong>et</strong> <strong>le</strong> Fils soient Un en nous. <strong>Il</strong> désire<br />
que notre esprit, notre cœur <strong>et</strong> notre corps soient unis en<br />
nous-mêmes. Ainsi nous pouvons ressentir <strong>le</strong> repos,<br />
comme si nous parvenions enfin « à la maison » après un<br />
long exil hors de nous-mêmes :<br />
240
« Le discip<strong>le</strong> l’accueillit chez lui. »<br />
Jean 19,27<br />
« <strong>Il</strong> prit chez lui son épouse. »<br />
Matthieu 1,24<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> j’ai <strong>rencontré</strong> <strong>le</strong> Père, notre Père.<br />
Cela ne veut pas dire que dans <strong>le</strong> christianisme il n’y pas<br />
<strong>le</strong> Père, mais il est plus ou moins effacé, méconnu,<br />
oublié. Nous croyons voir dans <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> <strong>le</strong> Père mais en<br />
réalité nous avons tendance à nous arrêter au <strong>Christ</strong>.<br />
Nous avons beaucoup de difficulté à voir en lui <strong>le</strong> Père. 68<br />
Et comme la première personne de la Trinité nous reste<br />
lointaine, <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> demeure comme incomp<strong>le</strong>t,<br />
déséquilibré, déformé. Grâce au <strong>judaïsme</strong> nous pouvons<br />
avoir une meil<strong>le</strong>ure connaissance du Père, <strong>et</strong> par<br />
conséquent du Fils. Rapprochant ainsi au-dedans de nous<br />
<strong>le</strong> Père <strong>et</strong> <strong>le</strong> Fils, l’Esprit Saint repose plus aisément en<br />
nous. Nous ressentons mieux, grâce au <strong>judaïsme</strong>,<br />
l’harmonie <strong>et</strong> l’unité de la Trinité.<br />
Le <strong>judaïsme</strong> m'a appris (<strong>et</strong> continue de<br />
m'apprendre) <strong>le</strong> respect du Nom de Dieu. On ne peut pas<br />
se l'approprier en lui donnant un nom ou en appliquant<br />
des devoirs religieux. Dieu est plus grand que nos<br />
tentatives de <strong>le</strong> réduire à notre mesure, à la mesure de nos<br />
pensées étroites. J'aime beaucoup la manière juive de ne<br />
241
pas nommer Dieu. Cela ne signifie pas qu'il n'a pas de<br />
nom ou qu'il serait une énergie ou une fiction. Cela veut<br />
surtout dire qu'il n'est accessib<strong>le</strong> que par <strong>le</strong> cœur <strong>et</strong> par <strong>le</strong><br />
si<strong>le</strong>nce. Nos pauvres mots ne peuvent <strong>le</strong> contenir. C’est<br />
ainsi que, grâce au <strong>judaïsme</strong>, j’ai mieux compris qui est<br />
l’Esprit Saint, Celui qui n’est pas accessib<strong>le</strong> autrement<br />
que par <strong>le</strong> cœur. <strong>Il</strong> ne nous appartient pas, c’est Lui qui<br />
vient en nous lorsque la maison de notre cœur (notre<br />
Temp<strong>le</strong> intérieur) est prête à l’accueillir, lorsque nous<br />
sommes disponib<strong>le</strong>s, attentifs à sa venue, comme Marie<br />
<strong>et</strong> <strong>le</strong>s apôtres dans l’attente de la Pentecôte.<br />
L’Esprit Saint est <strong>le</strong> but de la vie spirituel<strong>le</strong>. C’est<br />
ce que dit saint Séraphim de Sarov 69 <strong>et</strong> je trouve cela très<br />
juste : « Le but de la vie chrétienne est l’acquisition du<br />
Saint-Esprit de Dieu ».<br />
Le signe de la présence de l’Esprit Saint en nous,<br />
c’est la joie qui vient de l’intérieur. Et c’est aussi notre<br />
joie qui perm<strong>et</strong> à l’Esprit Saint de reposer en nous. 70<br />
L’Esprit Saint n’est pas forcément spectaculaire <strong>et</strong> mieux<br />
vaut que sa présence en nous soit discrète. Quand el<strong>le</strong> est<br />
discrète el<strong>le</strong> est moins fragi<strong>le</strong>, plus stab<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> ressemb<strong>le</strong><br />
68<br />
Jean 14,10<br />
69<br />
Saint Séraphim de Sarov (1759-1833), un des saints russes <strong>le</strong>s<br />
plus populaires chez <strong>le</strong>s chrétiens orthodoxes.<br />
70<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong>s psaumes nous demandons un cœur joyeux : psaumes<br />
13,6 ; 16,9 ; 28,7 ; 84,3.<br />
242
à une paisib<strong>le</strong> confiance. C’est la certitude de vivre sous<br />
<strong>le</strong> regard attentif <strong>et</strong> bienveillant de notre Père. 71<br />
L’Esprit Saint n’a pas de nom propre. A la place du<br />
terme « Esprit Saint » on pourrait dire feu, vent, eau,<br />
Présence. Ou cha<strong>le</strong>ur, paix, amour, force, repos… On ne<br />
sait pas bien exprimer en mots la présence d’Adonaï en<br />
nous. C<strong>et</strong>te présence est sans mots. Ce n’est pas une<br />
présence qui dépend uniquement de notre relation à Lui.<br />
El<strong>le</strong> dépend aussi de notre relation avec <strong>le</strong>s autres. Et la<br />
présence de l’Esprit Saint transforme notre relation aux<br />
autres.<br />
Lorsqu’on a <strong>rencontré</strong>, trouvé, reçu l’Esprit Saint,<br />
rien n’est gagné. Tout peut commencer. <strong>Il</strong> reste alors<br />
presque quarante ans de travail pour établir, consolider sa<br />
Présence : du Mont Sinaï au Jourdain. Pentecôte c’est<br />
Shavouot, c’est-à-dire Pessah-Pâques achevé. Mais il y a<br />
encore beaucoup de chemin pour atteindre la Terre<br />
Promise intérieure, la stabilisation, la consolidation du<br />
Temp<strong>le</strong> portatif (la « Tente de la rencontre » 72 ) qui a été<br />
construit dans <strong>le</strong> désert du Sinaï.<br />
La difficulté dans ce but de la vie spirituel<strong>le</strong> n’est<br />
donc pas tant de recevoir l’Esprit Saint mais de ne pas <strong>le</strong><br />
perdre. (« Ne me reprends pas ton esprit saint » 73 ) <strong>Il</strong> vient<br />
s’instal<strong>le</strong>r chez nous <strong>et</strong> peut faci<strong>le</strong>ment repartir. A chaque<br />
71<br />
Genèse 17,1 : « Marche en ma présence »<br />
72<br />
Exode 33,7<br />
73<br />
Psaume 51,13<br />
243
fois que nous manquons de délicatesse <strong>et</strong> d’attention à sa<br />
Présence, il s’en va.<br />
Le Père <strong>et</strong> <strong>le</strong> Fils nous conduisent à l’Esprit Saint<br />
qui provient d’eux-mêmes unis : Lui-même devenu Un.<br />
Et quand <strong>le</strong> Père <strong>et</strong> <strong>le</strong> Fils (<strong>et</strong> l’Esprit Saint) sont Un, cela<br />
signifie que nous sommes unifiés. Comme un puzz<strong>le</strong><br />
terminé mais qui peut faci<strong>le</strong>ment être défait à nouveau.<br />
<strong>Dans</strong> l’autre sens, quand nous sommes réconciliés<br />
avec nous-mêmes, unifiés au-dedans de nous, cela veut<br />
dire que <strong>le</strong> Père, <strong>le</strong> Fils <strong>et</strong> l’Esprit Saint sont unifiés en<br />
nous. Cela veut dire que <strong>le</strong> Seigneur est Un 74 : Adonaï<br />
ehad : דחא הוה׳<br />
C’est la prière quotidienne du peup<strong>le</strong> juif : qu’<strong>Il</strong><br />
soit Un <strong>et</strong> non pas fragmenté, dispersé, divisé, b<strong>le</strong>ssé,<br />
abîmé, cassé. Que son/ton Nom soit Un, Adonaï !<br />
Atteindre <strong>et</strong> « garder » l’Esprit Saint ou demeurer<br />
dans l’Amour 75 , cela ne signifie pas atteindre <strong>le</strong> nirvana<br />
<strong>et</strong> sortir de la souffrance. C’est plutôt vivre <strong>le</strong>s<br />
souffrances <strong>et</strong> <strong>le</strong>s plaisirs dans une profonde paix. C<strong>et</strong>te<br />
paix est signe de sa Présence. C<strong>et</strong>te présence n’est pas<br />
équiva<strong>le</strong>nte à une sensation ; sinon on n’aurait plus<br />
besoin de croire. C<strong>et</strong>te présence est une sorte de<br />
confiance qui est presque une subti<strong>le</strong> ou frê<strong>le</strong> sensation.<br />
Mais ce n’est ni toucher ni voir. C’est délicat <strong>et</strong> fragi<strong>le</strong>.<br />
74 « Ecoute Israël, <strong>le</strong> Seigneur est notre Dieu, <strong>le</strong> Seigneur est<br />
Un… » Deutéronome 6,4, Marc 12,29.<br />
75 Jean 15,10<br />
244
Comment faire pour acquérir <strong>et</strong> conserver ce trésor,<br />
Le trésor ? Plusieurs réponses ; à chacun de trouver <strong>le</strong>s<br />
siennes. La prière quotidienne. L’attention aux autres. La<br />
recherche de la paix <strong>et</strong> de la pur<strong>et</strong>é du cœur. Bref, il<br />
s’agit des Béatitudes 76 . Et pour que l’Esprit Saint trouve<br />
la maison (<strong>le</strong> Temp<strong>le</strong>) de notre cœur agréab<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />
confortab<strong>le</strong>, il y a des choses à éviter. Ce qui est à éviter<br />
ce sont <strong>le</strong>s excès. Par exemp<strong>le</strong> l’excès de <strong>le</strong>cture, c’est-àdire<br />
l’excès de bruit intérieur. L’Esprit Saint a aussi des<br />
ennemis ou incompatibilités comme par exemp<strong>le</strong> la<br />
vitesse <strong>et</strong> l’apathie. Et l’Esprit Saint aime <strong>le</strong> concr<strong>et</strong>.<br />
Aussi, <strong>le</strong> plus grand ami de l’Esprit Saint est saint Joseph<br />
(après Marie bien sûr). Saint Joseph est discr<strong>et</strong> <strong>et</strong> aime <strong>le</strong><br />
si<strong>le</strong>nce. Cela ne signifie pas qu’il ne <strong>parlait</strong> pas ; mais il<br />
n’a sans doute rien dit d’extraordinaire. C’est dans sa vie<br />
simp<strong>le</strong> que l’Esprit Saint s’est exprimé. Cela est<br />
rassurant, non ?<br />
L’Esprit Saint nous demande uniquement d’être<br />
fidè<strong>le</strong>s à sa présence… <strong>et</strong> à son absence. En eff<strong>et</strong> l’Esprit<br />
Saint est non seu<strong>le</strong>ment eau vive mais aussi <strong>et</strong> surtout<br />
soif, soif de Vie. Par la fidélité <strong>et</strong> l’attention à notre soif<br />
de sa présence, nous demeurons sous son ombre 77 . La<br />
lumière peut éblouir <strong>et</strong> fatiguer, <strong>le</strong> savoir inuti<strong>le</strong> engendre<br />
la dou<strong>le</strong>ur 78 . L’ombre de l’Esprit Saint repose notre<br />
76<br />
Matthieu chapitre 5<br />
77<br />
Luc 1,35<br />
78<br />
« Qui augmente <strong>le</strong> savoir augmente la dou<strong>le</strong>ur » Qohé<strong>le</strong>th ou<br />
Ecclésiaste 1,18.<br />
245
esprit. Nous pouvons ainsi ressemb<strong>le</strong>r à des enfants <strong>et</strong><br />
rejoindre <strong>le</strong>ur insouciance, <strong>le</strong>ur joie à la fois naïve <strong>et</strong><br />
malicieuse. A l’heure de notre mort l’Esprit Saint nous<br />
comb<strong>le</strong>ra de sa joie. La joie de lui avoir été fidè<strong>le</strong>, doci<strong>le</strong>.<br />
C’est <strong>le</strong> bonheur de se laisser faire.<br />
Mais pour recevoir l’Esprit Saint il faut quand<br />
même monter sur la montagne. Et auparavant nous<br />
devons sortir d’Egypte, sortir de la confusion pour al<strong>le</strong>r<br />
dans <strong>le</strong> désert, Le désirer, L’attendre, Le recevoir par<br />
inadvertance. Parce que l’Esprit Saint vient toujours par<br />
inadvertance. Et puis Le perdre, Le r<strong>et</strong>rouver, Le reperdre<br />
<strong>et</strong> Le désirer, L’attendre. Désespérer <strong>et</strong> espérer à<br />
nouveau. Et un jour comprendre que même en son<br />
absence, <strong>Il</strong> est là. Alors crier de joie au-dedans de soi<br />
parce qu’<strong>Il</strong> ne partira plus.<br />
Ouvrir enfin <strong>le</strong>s yeux sur <strong>le</strong> monde, <strong>le</strong>s autres,<br />
sortir de soi <strong>et</strong> s’oublier sans effort. L’Esprit Saint nous<br />
attend dans notre propre générosité. <strong>Il</strong> ne veut pas que<br />
nous donnions par contrainte mais par justice, par<br />
cohérence, par plaisir. <strong>Il</strong> désire que nous ayons besoin de<br />
donner, besoin d’aimer. <strong>Il</strong> désire que nous prenions<br />
plaisir à lui obéir au point que c<strong>et</strong>te obéissance à son<br />
désir soit une obéissance à notre propre désir.<br />
<strong>Il</strong> est harmonie, unité, désert <strong>et</strong> source, écoute.<br />
Ecoute. Ecoute ! Ecoute :<br />
! עמש<br />
Trois <strong>le</strong>ttres :<br />
246
Shine ש la <strong>le</strong>ttre du feu.<br />
Mem מ la <strong>le</strong>ttre de l’eau.<br />
Ayin ע la <strong>le</strong>ttre de la source.<br />
הוה׳ Adonaï ישוע Iéshoua… De si beaux mots qui<br />
sans l’Esprit Saint ne resteraient que des mots. L’Esprit<br />
Saint remplit <strong>le</strong>s mots de vie, םייח (haïm).<br />
Mais la vie de l’Esprit Saint fait peur. El<strong>le</strong> effraie<br />
parce que c<strong>et</strong>te présence nous fait ressentir l’éphémère de<br />
notre vie. El<strong>le</strong> nous fait toucher notre néant <strong>et</strong> notre mort.<br />
La présence de l’Esprit Saint dans notre vie nous rend<br />
pauvres. Nous prenons conscience de notre dépendance.<br />
Sans Lui nous ne pouvons plus rien faire. Alors nous<br />
avons peur de dépendre de Lui. Nous préférons<br />
l’esclavage de l’Egypte. Nous préférons nos points de<br />
repère parce que dans <strong>le</strong> désert nous craignons de nous<br />
r<strong>et</strong>rouver face à nous-mêmes ; <strong>et</strong> face à Lui. Alors nous<br />
hésitons. <strong>Il</strong> est là, à portée de cœur, <strong>et</strong> nous, nous n’osons<br />
pas l’accueillir. Nous lui préférons la religion socia<strong>le</strong>, la<br />
religiosité, la réputation, la plainte, la tristesse,<br />
l’activisme, <strong>le</strong> bruit, <strong>et</strong>c. Nous préférons tout contrô<strong>le</strong>r,<br />
tout maîtriser, jusqu’à notre manière d’aimer. Nous<br />
préférons donner à distance ; nous préférons faire<br />
semblant d’aimer. Aimer fait peur ; aimer est dangereux.<br />
Aimer avec justice <strong>et</strong> justesse nous effraie. Comment<br />
aimer sans mentir ? Comment passer de la religion<br />
d’Amour à l’Amour ? Comment rencontrer dans <strong>le</strong><br />
247
christianisme l’Esprit Saint ? Comment aimer Adonaï<br />
Iéshoua dans chaque personne que je rencontre tout au<br />
long de chaque jour ? C’est l’Esprit Saint qui rend<br />
possib<strong>le</strong> ce qui nous semb<strong>le</strong> impossib<strong>le</strong>.<br />
En rencontrant <strong>le</strong> Père dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, c’est bien<br />
<strong>le</strong> <strong>Christ</strong> que nous rencontrons. Et en percevant, grâce au<br />
<strong>judaïsme</strong>, plus intensément l’unité du Père <strong>et</strong> du Fils,<br />
l’Esprit Saint nous semb<strong>le</strong> plus présent. C’est comme si<br />
l’unité de la Trinité devenait plus évidente. Et c<strong>et</strong>te unité<br />
nous pouvons la ressentir dans tout notre être, comme si,<br />
grâce au <strong>judaïsme</strong>, nous devenions plus unifiés <strong>et</strong> ainsi<br />
plus solidement chrétiens.<br />
Le <strong>Christ</strong> est toujours <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, mais il est aussi <strong>le</strong><br />
Seigneur הוה׳ Adonaï. Dire cela <strong>et</strong> <strong>le</strong> ressentir me remplit<br />
d’une paix tel<strong>le</strong>ment reposante que j’ai désiré la partager<br />
en écrivant ces pages. C’est c<strong>et</strong>te paix que je souhaite au<br />
<strong>le</strong>cteur patient parvenu jusqu’ici.<br />
« Puisse <strong>le</strong> chrétien, qui décou<strong>le</strong> des sources du<br />
<strong>judaïsme</strong>, reconnaître en el<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s eaux vives auxquel<strong>le</strong>s<br />
Jésus de Nazar<strong>et</strong>h a puisé. » (Schalom Ben Chorin 79 )<br />
« Tu seras comme un jardin saturé,<br />
79 Mon frère Jésus, Seuil, 1983, page 219<br />
248
Rêve<br />
comme une source dont <strong>le</strong>s eaux ne tarissent pas. »<br />
Isaïe 58,11<br />
Je rêve que pour tous <strong>le</strong>s chrétiens l'<strong>hébreu</strong><br />
devienne une langue familière. Je rêve de pouvoir prier<br />
en <strong>hébreu</strong> dans ma paroisse. Je rêve d'une messe où l'on<br />
utiliserait l'<strong>hébreu</strong> pour <strong>le</strong>s mots usuels de la liturgie, de<br />
sorte qu'à l'écoute de ces mots, notre oreil<strong>le</strong> se fasse plus<br />
attentive.<br />
En eff<strong>et</strong>, c'est en <strong>hébreu</strong> que Jésus priait. (il <strong>parlait</strong><br />
en <strong>araméen</strong> avec <strong>le</strong>s habitants du pays <strong>et</strong> sans doute en<br />
grec avec <strong>le</strong>s romains <strong>et</strong> <strong>le</strong>s étrangers) L'<strong>hébreu</strong> est à la<br />
fois la langue sacrée du peup<strong>le</strong> juif <strong>et</strong> la langue d'usage<br />
des Israéliens. La langue est la porte d'accès principa<strong>le</strong> à<br />
la pensée d'un peup<strong>le</strong>. En priant dans la langue religieuse<br />
d'Israël nous pénétrons plus profondément dans l'esprit<br />
de Jésus. Et si nous lisons la Bib<strong>le</strong> dans sa langue<br />
originel<strong>le</strong>, nous pouvons mieux comprendre <strong>le</strong>s<br />
Evangi<strong>le</strong>s. Par la langue hébraïque nous renforçons notre<br />
identité chrétienne <strong>et</strong> accédons à une compréhension<br />
renouvelée du message du <strong>Christ</strong> qui n'est pas en<br />
contradiction avec <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>.<br />
249
Pendant la messe nous avons parfois tendance à<br />
suivre mécaniquement <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s du prêtre <strong>et</strong> à répondre<br />
sans penser à ce que nous disons. Quelques mots ou<br />
phrases en <strong>hébreu</strong> pourraient nous « réveil<strong>le</strong>r » <strong>et</strong> nous<br />
aider à entrer plus profondément dans la connaissance du<br />
<strong>Christ</strong> <strong>et</strong> de son peup<strong>le</strong>. On pourrait, dans une certaine<br />
mesure <strong>et</strong> un bon esprit, traduire en <strong>hébreu</strong> certains<br />
termes <strong>et</strong> s'assurant que <strong>le</strong>s participants comprennent. Et<br />
la liturgie perm<strong>et</strong> des parenthèses explicatives si el<strong>le</strong>s<br />
sont courtes <strong>et</strong> bien placées. La prière est une forme<br />
d'enseignement/apprentissage <strong>et</strong> l'<strong>hébreu</strong> peut nous aider<br />
à rencontrer <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> d'une manière renouvelée.<br />
<strong>Il</strong> y a dans <strong>le</strong>s Evangi<strong>le</strong>s des mots <strong>et</strong> phrases en<br />
<strong>araméen</strong> ou en <strong>hébreu</strong>, comme par exemp<strong>le</strong> « Abba »,<br />
« rabouni », « talita koum », <strong>et</strong>c. Et à chaque fois<br />
l'évangéliste a traduit (en grec). On pourrait ainsi traduire<br />
des mots <strong>et</strong> phrases de la messe comme « Jésus »<br />
(Iéshoua), « <strong>Christ</strong> » (Mashiah), « Seigneur » (Adonaï),<br />
« la paix soit avec vous » (Shalom ha<strong>le</strong>hem ou shalom<br />
a<strong>le</strong>ikhem), <strong>et</strong>c. Et puis, si <strong>le</strong> niveau d'<strong>hébreu</strong> de<br />
l'assemblée <strong>le</strong> perm<strong>et</strong>, on pourrait lire la première <strong>le</strong>cture<br />
<strong>et</strong>/ou <strong>le</strong> psaume dans <strong>le</strong>s deux langues. Même si on ne<br />
comprend pas tout, on peut entendre des mots connus <strong>et</strong><br />
se familiariser avec <strong>le</strong>s sonorités. Mais pour que la messe<br />
soit ainsi célébrée partiel<strong>le</strong>ment en <strong>hébreu</strong> il faudrait bien<br />
sûr une assemblée préparée : qui fasse l'effort d'étudier un<br />
peu l'<strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> de lire la Bib<strong>le</strong> dans sa langue originel<strong>le</strong>.<br />
250
Cependant il faut faire attention à ne pas glisser<br />
vers une espèce de rite « chrétien/juif » qui serait alors un<br />
mimétisme déplacé qui conduirait à une confusion<br />
néfaste. On ne peut pas singer une religion, même s'il<br />
s'agit de cel<strong>le</strong> qui a donné naissance à la nôtre. Et puis,<br />
une célébration en <strong>hébreu</strong> n'a aucun sens si l'on en n'a au<br />
moins quelques notions : il est absurde de participer à<br />
une messe dans une langue qu'on ne comprend pas (sauf<br />
si on n'a pas <strong>le</strong> choix).<br />
Bien sûr, cela peut semb<strong>le</strong>r exigeant d’apprendre<br />
l’<strong>hébreu</strong>. Mais <strong>le</strong> but n'est pas forcément d'atteindre un<br />
niveau é<strong>le</strong>vé. <strong>Il</strong> ne faut pas beaucoup de temps pour<br />
apprendre à déchiffrer <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres. On peut en général<br />
trouver des cours dans <strong>le</strong>s communautés juives ou parfois<br />
à l'université. L'avantage de cours auprès d'une<br />
synagogue est que cela perm<strong>et</strong> d'avoir aussi une approche<br />
religieuse de la langue <strong>et</strong> d'utiliser la Bib<strong>le</strong> comme base<br />
de travail. Et ainsi on peut rencontrer des personnes<br />
juives utilisant dans <strong>le</strong>ur quotidien l'<strong>hébreu</strong> pour prier. (<strong>et</strong><br />
on peut participer de temps en temps à un office à la<br />
synagogue) N'est-ce pas extraordinaire de pouvoir lire la<br />
Torah comme Jésus <strong>le</strong> faisait ? Quel<strong>le</strong> joie <strong>et</strong> quel<strong>le</strong><br />
lumière de pouvoir réciter <strong>le</strong> Notre Père en <strong>hébreu</strong> ! Et il<br />
ne s'agit pas seu<strong>le</strong>ment de lire mais aussi de découvrir par<br />
la langue un sens nouveau au texte. L'<strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> la<br />
manière juive de lire <strong>le</strong>s Ecritures nous perm<strong>et</strong>tent non<br />
seu<strong>le</strong>ment de mieux saisir <strong>le</strong> sens juif de la Bib<strong>le</strong> mais<br />
aussi son sens pour nous chrétiens. Grâce à l'étude de la<br />
251
Bib<strong>le</strong> à la manière juive nous approfondissons notre<br />
connaissance de Dieu, <strong>le</strong> « Dieu d’Israël devenu <strong>le</strong> Dieu<br />
des nations » 80 . Et par conséquent nous approfondissons<br />
notre connaissance du <strong>Christ</strong> qui est pour nous « Dieu né<br />
de Dieu » (Credo). Nous saisissons alors de mieux en<br />
mieux l'harmonie, la cohérence <strong>et</strong> l'unité du Nom de Dieu<br />
<strong>et</strong> de la Bib<strong>le</strong>.<br />
Par l'étude de la Bib<strong>le</strong> à partir du <strong>judaïsme</strong> notre<br />
esprit est comblé car nous découvrons peu à peu une<br />
synthèse reposante entre l'amour <strong>et</strong> la justice qui sont<br />
indissociab<strong>le</strong>s. Notre cœur b<strong>le</strong>ssé depuis si longtemps par<br />
la déchirure avec notre matrice juive trouve ainsi la paix.<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> nous r<strong>et</strong>rouvons la cha<strong>le</strong>ur maternel<strong>le</strong><br />
de la religion qui a donné naissance à la nôtre, nous<br />
(re)découvrons <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> qui a donné naissance à « Dieu<br />
fait homme ». Nous voyons alors Marie -Miryam non<br />
seu<strong>le</strong>ment comme la mère juive du <strong>Christ</strong> mais aussi<br />
comme notre mère juive. Nous ressentons alors un vrai<br />
besoin de notre source juive, cel<strong>le</strong> à laquel<strong>le</strong> Jésus buvait<br />
<strong>et</strong> dont nous avons tel<strong>le</strong>ment soif.<br />
Eygalières, <strong>le</strong> 5 septembre 2010<br />
80 Cardinal Ratzinger, L’unique alliance de Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> pluralisme<br />
des religions, Editions Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, 1999, pages 11 <strong>et</strong> 87.<br />
252
Annexe 1 : En tant que<br />
chrétien, pourquoi, comment<br />
<strong>et</strong> pour quoi s’intéresser au<br />
<strong>judaïsme</strong> ?<br />
(L’importance du <strong>judaïsme</strong> pour nous chrétiens en<br />
peu de mots)<br />
I Pourquoi s’intéresser au <strong>judaïsme</strong> ?<br />
Le christianisme<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous perm<strong>et</strong> de mieux lire <strong>le</strong>s<br />
Evangi<strong>le</strong>s : ainsi nous comprenons mieux <strong>le</strong>s gestes <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
paro<strong>le</strong>s de Jésus ; nous pouvons voir ce qu’il a repris du<br />
<strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> ce qu’il a ajouté ou modifié.<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous aide à comprendre <strong>le</strong>s fêtes<br />
chrétiennes : Pessah nous aide à comprendre Pâques,<br />
Shavouot Pentecôte, Kippour <strong>le</strong> Vendredi Saint, Soukot<br />
<strong>le</strong>s fêtes des Rameaux <strong>et</strong> de la Transfiguration…<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous aide à al<strong>le</strong>r plus loin dans la<br />
compréhension des sacrements, en particulier celui de la<br />
253
messe. La circoncision nous aide à comprendre <strong>le</strong><br />
baptême ; Roch Ha Chana <strong>et</strong> Kippour nous aident à<br />
comprendre <strong>le</strong> sacrement de Réconciliation ; la liturgie<br />
du shabbat <strong>et</strong> cel<strong>le</strong> de Pessah nous aident à comprendre<br />
l'Eucharistie... La messe reprend en un seul moment (la<br />
célébration de la Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> du repas) deux rassemb<strong>le</strong>ments<br />
liturgiques juifs : d'une part la liturgie de la Paro<strong>le</strong> dans<br />
<strong>le</strong>s offices à la synagogue, <strong>et</strong> d'autre part la liturgie<br />
familia<strong>le</strong> du repas sabbatique ou du repas pascal. 81<br />
- Nous sommes de la descendance d’Abraham,<br />
« notre père à tous » (Romains 4,16). « <strong>Il</strong> se souvient de<br />
son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur<br />
d’Abraham <strong>et</strong> de sa descendance à jamais » (Le<br />
Magnificat 82 ).<br />
La prière<br />
- Grâce au <strong>judaïsme</strong> nous pouvons mieux<br />
comprendre de quel<strong>le</strong> façon Jésus a vécu la prière à la<br />
maison, premier lieu liturgique, premier lieu de<br />
transmission de la religion.<br />
81<br />
Voir <strong>le</strong> livre du Cardinal Lustiger, La Messe, Bayard Editions,<br />
1988, page 33.<br />
82<br />
Luc 1, 46-55<br />
254
- Le <strong>judaïsme</strong> peut nous aider à mieux vivre la<br />
prière en communauté. En eff<strong>et</strong> on peut al<strong>le</strong>r à la messe<br />
sans rencontrer personne alors qu’on peut diffici<strong>le</strong>ment<br />
participer à un office à la synagogue de manière<br />
anonyme. Le temps passé à la synagogue lors du shabbat<br />
pour nous aider à reconsidérer notre façon de vivre <strong>le</strong><br />
dimanche, <strong>le</strong> plus souvent réduit à une heure furtive de<br />
célébration communautaire.<br />
Le coup<strong>le</strong> <strong>et</strong> la famil<strong>le</strong><br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous montre quel est <strong>le</strong> regard de<br />
Jésus sur la famil<strong>le</strong>. Le <strong>judaïsme</strong> prend en compte <strong>le</strong>s<br />
enfants, <strong>le</strong> père, la mère ; <strong>et</strong> <strong>le</strong>s membres de la famil<strong>le</strong><br />
défunts.<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous montre quel est <strong>le</strong> regard de<br />
Jésus sur <strong>le</strong> coup<strong>le</strong>, lieu de présence de Dieu (la<br />
Shékhina).<br />
La connaissance religieuse<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous perm<strong>et</strong> de savoir un peu<br />
comment Jésus a été éduqué car il est visib<strong>le</strong>ment<br />
imprégné de la pédagogie juive de la transmission (<strong>le</strong>s<br />
255
fêtes par exemp<strong>le</strong> ont un but pédagogique en direction à<br />
la fois des enfants <strong>et</strong> des adultes).<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous enseigne beaucoup sur la Bib<strong>le</strong>.<br />
En eff<strong>et</strong>, <strong>le</strong> premier pilier de la synagogue est l’étude (<strong>le</strong><br />
second la prière <strong>et</strong> <strong>le</strong> troisième la charité) ; aussi, chaque<br />
juif ayant eu une éducation religieuse est capab<strong>le</strong> de<br />
commenter la Torah.<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous aide à mieux connaître de<br />
quel<strong>le</strong> manière Jésus a étudié <strong>et</strong> enseigné. En eff<strong>et</strong> dans <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> on ne peut pas <strong>et</strong> on ne doit pas étudier seul. <strong>Il</strong><br />
faut être au minimum deux pour pouvoir échanger. Et<br />
puis, lors d’un enseignement du rabbin il est possib<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />
recommandé de l’interrompre pour poser des questions,<br />
ou même contester ce qu’il enseigne.<br />
Cohérence de vie de chaque instant<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous montre comment Jésus vivait la<br />
sanctification de la vie dans sa globalité <strong>et</strong> non pas<br />
seu<strong>le</strong>ment lors de moments religieux ou dans des lieux<br />
religieux. En eff<strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> englobe tous <strong>le</strong>s détails du<br />
quotidien de la vie, notamment par <strong>le</strong>s mitzvot (que l'on<br />
peut traduire par « commandements »).<br />
256
- Le <strong>judaïsme</strong> peut nous apprendre à introduire<br />
dans notre maison (« l’église domestique ») <strong>le</strong> sens du<br />
sacré. En eff<strong>et</strong>, depuis la destruction du Temp<strong>le</strong>, c’est la<br />
maison familia<strong>le</strong> qui est devenue <strong>le</strong> « Temp<strong>le</strong> » ; c’est<br />
autour de la tab<strong>le</strong> (du shabbat, de Pessah) que se<br />
dérou<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s cérémonies qui avaient lieu au Temp<strong>le</strong>.<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> la tab<strong>le</strong> a remplacé l’autel <strong>et</strong> <strong>le</strong> père de<br />
famil<strong>le</strong> fait fonction de Grand Prêtre.<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous apporte des éclairages uti<strong>le</strong>s <strong>et</strong><br />
concr<strong>et</strong>s sur notre comportement par rapport à l’argent, à<br />
la sexualité, aux relations socia<strong>le</strong>s.<br />
L’organisation de la communauté religieuse<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous donne de précieuses indications<br />
sur l’atmosphère religieuse dans laquel<strong>le</strong> Jésus a vécu<br />
(même si <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> d’aujourd’hui est un peu différent<br />
de celui de l’époque du <strong>Christ</strong> du fait notamment de<br />
l’absence de Temp<strong>le</strong> <strong>et</strong> de prêtres). Nous pouvons ainsi<br />
mieux comprendre l’organisation religieuse d’une<br />
communauté juive <strong>et</strong> la place des laïcs au temps du<br />
<strong>Christ</strong>. En eff<strong>et</strong>, <strong>le</strong> rabbin n’est pas prêtre, il est une<br />
autorité religieuse du fait de son savoir <strong>et</strong> de son<br />
ordination <strong>et</strong> cel<strong>le</strong>-ci n’est pas un sacrement. Aussi, en<br />
cas d’absence de rabbin, un laïc peut <strong>le</strong> remplacer aussi<br />
bien pour enseigner que pour diriger l’office, célébrer<br />
257
une bar mitzva (entrée dans la majorité religieuse à treize<br />
ans) ou un mariage. De plus l’office peut être mené à tour<br />
de rô<strong>le</strong> par n’importe quel homme dès sa bar mitzva.<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous fait mieux connaître la place de<br />
Marie, la mère de Jésus dans la liturgie domestique. La<br />
place de la femme en tant que reine de la maison lors du<br />
shabbat lui donne un rô<strong>le</strong> essentiel que personne ne peut<br />
tenir à sa place. C'est par exemp<strong>le</strong> el<strong>le</strong> qui allume <strong>le</strong>s<br />
bougies qui indiquent l'entrée dans <strong>le</strong> temps du shabbat à<br />
la maison. C’est à el<strong>le</strong> que son mari adresse à voix haute<br />
la <strong>le</strong>cture de l’éloge de « la femme vaillante » (Proverbes<br />
31,10-31).<br />
Le peup<strong>le</strong> de Dieu<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> de l’époque du <strong>Christ</strong> a donné<br />
naissance au christianisme ; il est sa matrice. Comment<br />
peut-on ne pas s’intéresser à sa propre mère ? « relation<br />
indissolub<strong>le</strong> qui relie <strong>le</strong> christianisme à la religion juive<br />
comme à sa matrice éternel<strong>le</strong>ment vivante <strong>et</strong> valab<strong>le</strong> »<br />
(Benoît XVI) 83<br />
- Les juifs sont « nos frères aînés » (Jean Paul II) 84<br />
Comment peut-on ne pas s’intéresser à son grand frère ?<br />
83 Rome, catéchèse du mercredi 28 juin 2006.<br />
84 Le 13 avril 1986 lors de sa visite à la synagogue de Rome.<br />
258
En nous intéressant au <strong>judaïsme</strong>, nous n'allons pas<br />
devenir juifs (sauf si nions ou relativisons la divinité du<br />
<strong>Christ</strong>) mais cela va au contraire nous aider à être plus<br />
conscients de notre identité chrétienne.<br />
L’arbre r<strong>et</strong>rouve sa terre. Le fils r<strong>et</strong>ourne auprès de<br />
son frère aîné, chez son père. Le père invite <strong>le</strong> grand frère<br />
à se réjouir avec son p<strong>et</strong>it frère : « Mon enfant, lui dit <strong>le</strong><br />
père, tu es toujours avec moi, <strong>et</strong> tout ce que <strong>j'ai</strong> est à toi ;<br />
mais il fallait bien s'égayer <strong>et</strong> se réjouir, parce que ton<br />
frère que voici était mort <strong>et</strong> qu'il est revenu à la vie, parce<br />
qu'il était perdu <strong>et</strong> qu'il est r<strong>et</strong>rouvé. » (Luc 15.31-32)<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> est la religion du peup<strong>le</strong> de Dieu <strong>et</strong><br />
en tant que chrétiens nous nous sommes incorporés au<br />
peup<strong>le</strong> juif, Israël 85 . « L’on ne peut recevoir l’Esprit de<br />
Jésus qu’à la condition stricte de partager l’espérance<br />
d’Israël <strong>et</strong> d’y accéder (…) Le baptême (…) est une<br />
incorporation au <strong>Christ</strong>. Mais il est aussi, en même temps<br />
<strong>et</strong> indissolub<strong>le</strong>ment, une incorporation à Israël » 86 . <strong>Il</strong> n’y<br />
a dans c<strong>et</strong>te relation aucune supériorité ou infériorité,<br />
aucun prosélytisme, mais plutôt complémentarité <strong>et</strong><br />
85<br />
Le peup<strong>le</strong> de Jésus, c’est Israël. Ce mot a dans ce texte bien sûr<br />
<strong>le</strong> sens de peup<strong>le</strong> <strong>hébreu</strong> ou peup<strong>le</strong> juif. Le terme Israël n’a donc pas<br />
ici <strong>le</strong> sens restreint <strong>et</strong> particulier d’Etat d’Israël. Israël en tant que<br />
peup<strong>le</strong> élu a un sens sacré alors que l’Etat d’Israël est un Etat comme<br />
tous <strong>le</strong>s Etats.<br />
86<br />
Cardinal Jean-Marie Lustiger, La Promesse, Editions Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />
Si<strong>le</strong>nce, 1999, page 99.<br />
259
convergence. « « Vous n’étiez pas du peup<strong>le</strong> ; maintenant<br />
vous en êtes, vous êtes <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> que Dieu s’est acquis. »<br />
(Voir Isaïe 54,1-3 ; 55,5) <strong>Il</strong> n’y a là aucune substitution,<br />
mais une agrégation au peup<strong>le</strong> (…). » (Cardinal Jean-<br />
Marie Lustiger) 87 .<br />
L’amour<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous enseigne de manière précise<br />
comment aimer, <strong>et</strong> nous, chrétiens, tel<strong>le</strong>ment persuadés<br />
de tout savoir sur <strong>le</strong> suj<strong>et</strong> de l’amour, n’accordons plus<br />
aux juifs que l’idée de justice sans <strong>le</strong>ur imaginer la<br />
moindre notion de miséricorde <strong>et</strong> de compassion. En<br />
eff<strong>et</strong>, pour <strong>le</strong>s juifs, il ne suffit pas de devoir aimer mais<br />
il importe surtout de savoir de quel<strong>le</strong> manière pratiquer<br />
concrètement ce commandement. Pour <strong>le</strong>s juifs, la<br />
réponse est dans <strong>le</strong>s mitzvot qui indiquent précisément<br />
comment se comporter : l’amour de Dieu <strong>et</strong> l’amour du<br />
prochain demandent de la « justesse » dans l’intention <strong>et</strong><br />
dans l’action.<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous perm<strong>et</strong> de mieux définir la<br />
justice qui ne peut être séparée de l’amour. En <strong>hébreu</strong> <strong>le</strong><br />
mot « justice » se traduit –entre autres- par « tsedek »,<br />
qui a donné tsedaka : la charité comme acte de justice. En<br />
eff<strong>et</strong>, dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, donner <strong>et</strong> aimer constituent des<br />
87 La Promesse, page 132.<br />
260
actes de justice. Pour <strong>le</strong>s juifs, celui qui est apprécié pour<br />
sa bonté est appelé « Juste ».<br />
Le <strong>Christ</strong><br />
- Le <strong>judaïsme</strong> -même si <strong>le</strong>s juifs en général n’en<br />
sont pas conscients- illumine <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, <strong>le</strong> Messie.<br />
L’Eglise est fondée sur la déclaration de Pierre à Jésus :<br />
« Tu es <strong>le</strong> Messie, <strong>le</strong> Fils du Dieu vivant ». Or Jésus n’est<br />
pas un messie venu de nul<strong>le</strong> part, il est <strong>le</strong> Messie d’Israël.<br />
Nous intéresser au <strong>judaïsme</strong> nous perm<strong>et</strong> de mieux<br />
connaître la personne du <strong>Christ</strong> à travers son peup<strong>le</strong>,<br />
Israël, <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> de Dieu. (à l’époque de Jésus la notion<br />
de messie signifie un descendant de la dynastie de David,<br />
oint comme roi, <strong>et</strong> qui devra restaurer la souverain<strong>et</strong>é<br />
d’Israël, donc libérer son peup<strong>le</strong> de l’occupant romain)<br />
- Le <strong>Christ</strong>-Messie ne s’adresse pas directement à<br />
toute l’humanité mais d’abord à son peup<strong>le</strong> Israël <strong>et</strong> par<br />
son peup<strong>le</strong> à l’humanité. L’Eglise est d’abord constituée<br />
de juifs (<strong>le</strong>s apôtres) qui s’adressent à l’humanité. On<br />
pourrait dire que l’humanité entre dans ce groupe de juifs<br />
qui ont reconnu <strong>le</strong> Messie <strong>et</strong> qu’ainsi, d’une certaine<br />
manière, l’humanité entre dans <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> de Dieu, Israël.<br />
261
- Le <strong>judaïsme</strong> a beaucoup à nous apprendre sur<br />
l’humanité du <strong>Christ</strong>, sur son identité juive : sa religion,<br />
sa culture, son Histoire, sa terre…<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> a beaucoup à nous apprendre sur la<br />
divinité du <strong>Christ</strong>. En eff<strong>et</strong> Jésus est « vrai homme <strong>et</strong> vrai<br />
Dieu » 88 <strong>et</strong> « <strong>Il</strong> est Dieu né de Dieu » (Credo). Aussi nous<br />
ne pouvons pas par<strong>le</strong>r de sa divinité sans nous intéresser<br />
au sens du mot « divinité » dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>.<br />
La Trinité <strong>et</strong> <strong>le</strong> Nom de Dieu<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous éclaire sur <strong>le</strong> sens du mot Dieu<br />
<strong>et</strong> par conséquent sur la Trinité (sachant que la notion de<br />
Trinité tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> est professée par la foi chrétienne est<br />
étrangère au <strong>judaïsme</strong>). Nous ne pouvons prétendre<br />
connaître Dieu sans avoir quelques connaissances des<br />
traductions de ce mot dans la Bib<strong>le</strong> hébraïque. Le<br />
<strong>judaïsme</strong> nous éclaire sur la Trinité en nous éclairant<br />
notamment sur la distinction entre « Elohim » (<strong>le</strong> Dieu<br />
Créateur) <strong>et</strong> « Ha Chem » (<strong>le</strong> Tétragramme ou « Le<br />
Nom » révélé au Sinaï <strong>et</strong> imprononçab<strong>le</strong> en-dehors du<br />
Temp<strong>le</strong>). Et <strong>le</strong> Saint-Esprit peut sans doute être<br />
rapproché du mot « Shekhina » (la présence divine).<br />
88 Catéchisme de l’Eglise Catholique § 464<br />
262
- Le <strong>judaïsme</strong> nous rappel<strong>le</strong> l’inaccessibilité de<br />
Dieu. <strong>Il</strong> serait trop simpliste de se contenter de traduire<br />
un mot par un autre, un mot chrétien par un mot juif. La<br />
Vérité est plus subti<strong>le</strong> <strong>et</strong> ne se laisse pas enfermer dans<br />
des mots ou des pensées. Le <strong>judaïsme</strong> est une religion<br />
vécue où l’on n’étudie pas la théologie car on ne par<strong>le</strong><br />
pas de Dieu mais on s’adresse à Lui par la prière <strong>et</strong><br />
l’application de sa Volonté, c’est-à-dire de ses<br />
commandements.<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> nous apprend à sanctifier <strong>le</strong> Nom de<br />
Dieu. Les Protestants disent « <strong>le</strong> Seigneur »,<br />
« l’Eternel », « Jéhovah » ou « Iéovah ». Les catholiques<br />
disaient « Yahvé » <strong>et</strong> maintenant -comme la plupart des<br />
Protestants- disent « <strong>le</strong> Seigneur ». Ces traductions du<br />
Tétragramme הוהי sont aussi éloignées <strong>le</strong>s unes que <strong>le</strong>s<br />
autres du mot <strong>hébreu</strong> יהוה. Les juifs, respectueux du<br />
mystère divin, n’essaient pas de traduire <strong>le</strong> Nom sacré.<br />
Pour par<strong>le</strong>r de Dieu ils disent « Ha Chem » (Le Nom), <strong>et</strong><br />
pour s'adresser à Lui dans <strong>le</strong>s prières ils disent<br />
« Adonaï », Seigneur.<br />
Jésus <strong>et</strong> Dieu<br />
- Le <strong>judaïsme</strong> est la religion de Jésus ; il est juif.<br />
263
- Jésus n’est pas <strong>le</strong> fils d’un dieu inconnu mais <strong>le</strong><br />
Fils du Dieu d’Israël. Comment connaître « <strong>le</strong> Dieu<br />
d’Israël devenu <strong>le</strong> Dieu des nations » (Cardinal<br />
Ratzinger) 89 sans connaître « <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> qui porte son<br />
Nom » (Ecclésiastique ou Siracide 36, 17) ?<br />
II Comment s’intéresser au <strong>judaïsme</strong> ?<br />
Pour s’intéresser <strong>et</strong> connaître <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> on peut<br />
évidemment lire des livres sur ce suj<strong>et</strong>. On peut aussi se<br />
déplacer pour écouter des conférences. Mais cela n’est<br />
pas suffisant car de c<strong>et</strong>te manière intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>, on ne<br />
pénètre pas au cœur du <strong>judaïsme</strong>. On peut aussi faire un<br />
voyage en Israël, voire même un séjour prolongé mais<br />
cela ne garantit pas une approche réel<strong>le</strong> du <strong>judaïsme</strong>.<br />
Pour connaître <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> il n’y a pas d’autre<br />
solution que de frapper à la porte d’une synagogue. La<br />
synagogue est à la fois une maison de prière <strong>et</strong> une<br />
maison d’étude. La maison de prière est la maison de<br />
Dieu <strong>et</strong> cel<strong>le</strong>-ci est ouverte à tous. Aussi, même si l’on<br />
n’est pas juif, <strong>le</strong> rabbin <strong>et</strong> <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s ne s’opposeront pas<br />
à la présence de chrétiens parmi eux pourvu que l’on ait<br />
une attitude respectueuse, ce qui est évident. En<br />
89 L’unique alliance de Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> pluralisme des religions, Editions<br />
Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, 1999, pages 11 <strong>et</strong> 87.<br />
264
evanche, certains rabbins pourront refuser l’accès aux<br />
cours sur <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> si l’on n’a pas l’intention de se<br />
convertir.<br />
En bref, pour connaître <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, il faut al<strong>le</strong>r<br />
prier avec des juifs. <strong>Il</strong> ne s’agit pas de se rendre tous <strong>le</strong>s<br />
jours ou tous <strong>le</strong>s shabbats à la synagogue mais de temps<br />
en temps ou par exemp<strong>le</strong> aux grandes fêtes. Ainsi on peut<br />
connaître des juifs <strong>et</strong> peut-être même être invité dans <strong>le</strong><br />
lieu <strong>le</strong> plus sacré du <strong>judaïsme</strong> qui n’est pas la synagogue<br />
mais la maison. C’est en eff<strong>et</strong> autour du repas de shabbat<br />
que se dérou<strong>le</strong> la liturgie héritée du Temp<strong>le</strong>.<br />
Fina<strong>le</strong>ment, entre nos deux religions il y a un mur<br />
avec une brèche, la prière commune. Les chrétiens<br />
peuvent dire <strong>le</strong>s prières juives comme <strong>le</strong>s apôtres <strong>le</strong><br />
faisaient (Actes 3,1 par exemp<strong>le</strong>) ; la prière juive est<br />
compatib<strong>le</strong> avec la prière chrétienne. Bien sûr, quand des<br />
chrétiens prient avec des juifs, <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> n’est pas « mis<br />
entre parenthèse » : « Quand nous prions <strong>le</strong> Père, nous<br />
sommes en communion avec lui <strong>et</strong> avec son Fils, Jésus<br />
<strong>Christ</strong> » (Catéchisme de l’Eglise Catholique) 90 . Les juifs<br />
<strong>le</strong> savent bien <strong>et</strong> l’acceptent tant que cela concerne<br />
seu<strong>le</strong>ment la vie intérieure de celui qui participe à <strong>le</strong>ur<br />
prière.<br />
90 § 2781.<br />
265
Pour <strong>le</strong>s juifs, toutes <strong>le</strong>s prières chrétiennes ne sont<br />
pas compatib<strong>le</strong>s avec la prière juive puisque pour eux <strong>le</strong><br />
<strong>Christ</strong> n’est pas <strong>le</strong> Fils de Dieu. Nous pouvons aussi,<br />
dans certaines conditions, prier ensemb<strong>le</strong> Notre Père <strong>et</strong><br />
Seigneur, notamment grâce aux psaumes. Et nous<br />
pourrions prier ensemb<strong>le</strong> avec <strong>le</strong> Notre Père ou <strong>le</strong>s<br />
prières qui l’ont inspiré, <strong>le</strong> Qadish <strong>et</strong> la Amidah. Jésus a<br />
enseigné une prière nouvel<strong>le</strong> à partir de prières<br />
existantes. L'expression « Notre Père » est à la fois juive<br />
<strong>et</strong> chrétienne. Cependant <strong>le</strong>s juifs sont réticents à l'utiliser<br />
ou l'utilisent rarement car el<strong>le</strong> fait peut-être « trop penser<br />
» aux chrétiens. Et pourtant <strong>le</strong> chant Avinou Malkenou<br />
(Notre Père Notre Roi 91 ) est très populaire. Aussi<br />
l’expression « Notre Père » selon qu’el<strong>le</strong> est dite par des<br />
juifs ou par des chrétiens n’a pas exactement la même «<br />
va<strong>le</strong>ur ». Pour <strong>le</strong>s juifs il s’agit du Dieu Unique, pour <strong>le</strong>s<br />
chrétiens il s’agit du Dieu à la fois Unique <strong>et</strong> Trinitaire.<br />
Cependant, malgré <strong>le</strong>urs différences, juifs <strong>et</strong> chrétiens,<br />
sans unir <strong>le</strong>urs religions, peuvent unir <strong>le</strong>urs prières.<br />
91 « Notre Père, notre roi, tu es notre Père. Notre Père, notre roi,<br />
nous n’avons que toi. Notre Père, notre roi, aie compassion de<br />
nous. » (extrait de la prière « Avinou Malkénou » priée entre Roch<br />
Hashana <strong>et</strong> Yom Kippour)<br />
266
III Pour quoi s’intéresser au <strong>judaïsme</strong> ?<br />
En tant que chrétien, dans quel but s’intéresser au<br />
<strong>judaïsme</strong> ?<br />
- Pour unifier <strong>le</strong>s deux religions ? Non.<br />
« Disons-<strong>le</strong> tout de suite ouvertement : qui mise sur<br />
l’unification des religions comme résultat du dialogue<br />
interreligieux ne peut qu’être déçu. Ceci n’est guère<br />
possib<strong>le</strong> en ce temps de notre histoire, <strong>et</strong> peut-être ne<br />
serait-ce même pas souhaitab<strong>le</strong>. »<br />
(Cardinal Joseph Ratzinger) 92<br />
- Pour <strong>le</strong> bonheur de l’amitié <strong>et</strong> de prier ensemb<strong>le</strong>.<br />
« Oui, il est bon, il est doux, pour des frères de<br />
vivre ensemb<strong>le</strong> <strong>et</strong> d’être unis ! »<br />
(Psaume 131)<br />
« Ma maison sera appelée maison de prière pour<br />
tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s »<br />
(Isaïe 56,7 <strong>et</strong> Marc 11,17)<br />
- Pour une épiphanie (du grec Epiphaneia qui<br />
signifie «manifestation» ou «apparition», du verbe faïnò<br />
(φάινω), «se manifester, apparaître, être évident»). <strong>Dans</strong><br />
la prière commune, l'étude en commun <strong>et</strong> la fraternité<br />
92<br />
L’unique alliance de Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> pluralisme des religions, Editions<br />
Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, pages 92.<br />
267
entre juifs <strong>et</strong> chrétiens, <strong>le</strong> Seigneur est présent d'une<br />
manière particulière.<br />
- Pour que l’Eglise, en changeant son regard sur <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> change son regard sur el<strong>le</strong>-même <strong>et</strong> sur <strong>le</strong><br />
monde. Pour que l’Eglise, en redécouvrant, par <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong>, <strong>le</strong> Dieu d’Israël notre Dieu, se redécouvre el<strong>le</strong>même.<br />
Pour que l’Eglise r<strong>et</strong>rouve sa source <strong>et</strong> ne cesse<br />
plus d’y boire, « comme un arbre planté près d’un<br />
ruisseau qui donne du fruit en son temps » (Psaume 1).<br />
268
Annexe 2 : DAVAR<br />
L'association D.A.V.A.R., fondée en 1985, est un<br />
lieu de dialogue <strong>et</strong> d'étude de la Paro<strong>le</strong> de D.ieu entre<br />
croyants, juifs <strong>et</strong> chrétiens.<br />
Le proj<strong>et</strong> de l'association s'exprime dans son nom<br />
même : DAVAR, qui, en <strong>hébreu</strong>, signifie "paro<strong>le</strong>",<br />
"verbe" : Paro<strong>le</strong> recueillie dans la Torah, <strong>le</strong> premier <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
second Testament, <strong>et</strong> paro<strong>le</strong>s de nos échanges. Ce nom<br />
peut éga<strong>le</strong>ment se décliner comme un sig<strong>le</strong> : Dialogue <strong>et</strong><br />
Alliance de Vie de l'Arbre <strong>et</strong> de la Racine, qui résume<br />
l'esprit de nos travaux.<br />
A l'occasion des sessions qu'el<strong>le</strong> organise,<br />
l'association propose à chacun des participants un chemin<br />
d'ouverture <strong>et</strong> de reconnaissance, qui passe par <strong>le</strong> travail<br />
sur soi, l'étude <strong>et</strong> <strong>le</strong>s échanges, la prière, <strong>le</strong>s chants, la<br />
joie <strong>et</strong> la vie partagées.<br />
La session d'été est <strong>le</strong> temps fort de la vie de<br />
l'association, temps de ressourcement qui nourrit la<br />
réf<strong>le</strong>xion <strong>et</strong> l'action de chacun des participants. Ceux-ci,<br />
d'origine très diverse, juifs orthodoxes <strong>et</strong> libéraux,<br />
chrétiens catholiques, protestants <strong>et</strong> orthodoxes, de<br />
nationalité belge, française, suisse... sont invités à<br />
approfondir <strong>le</strong>s deux traditions, par l'écoute réciproque <strong>et</strong><br />
<strong>le</strong> dialogue, pour une meil<strong>le</strong>ure compréhension de l'autre.<br />
269
Pour prendre tout son sens, c<strong>et</strong>te démarche doit se<br />
faire sans fusion, ni confusion : chacun, juif ou chrétien,<br />
entrant dans ce dialogue, est enraciné dans sa<br />
communauté. <strong>Il</strong> se doit de s'interroger, <strong>et</strong> de se laisser<br />
interroger par l'autre. Nous faisons l'expérience<br />
qu'agissant ainsi, <strong>le</strong> Juif approfondit son <strong>judaïsme</strong>, <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
Chrétien sa foi en Jésus, Messie, de la descendance de<br />
Judah.<br />
Vaincre <strong>le</strong>s "a priori" que nous véhiculons sur<br />
l'autre, chacun dans nos communautés, <strong>et</strong> tenter de mieux<br />
vivre l'é<strong>le</strong>ction à laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> Seigneur nous appel<strong>le</strong>, juifs<br />
<strong>et</strong> chrétiens, dans nos traditions respectives… cela<br />
suppose une démarche de foi nourrie par <strong>le</strong> devoir d'étude<br />
<strong>et</strong> de prière, un enthousiasme vrai, <strong>et</strong> l'humilité<br />
inséparab<strong>le</strong> du respect des différences.<br />
Pour tous <strong>le</strong>s participants, la session est une<br />
expérience de vie partagée autour de trois moments<br />
forts : <strong>le</strong>s repas, <strong>le</strong>s enseignements, <strong>le</strong> Shabbat suivi du<br />
Dimanche.<br />
La Tab<strong>le</strong> est la tab<strong>le</strong> juive (<strong>le</strong>s repas sont casher), à<br />
laquel<strong>le</strong> tous <strong>le</strong>s participants sont invités : moment de<br />
grâce rendue au Créateur pour Ses dons, poursuite de<br />
réf<strong>le</strong>xion sur <strong>le</strong>s thèmes des conférences, échanges sur <strong>le</strong>s<br />
démarches personnel<strong>le</strong>s de chacun...<br />
Les Enseignements, sur un thème choisi chaque<br />
année par <strong>le</strong>s conférenciers ne visent pas d'abord à<br />
transm<strong>et</strong>tre une connaissance. <strong>Il</strong>s sont surtout <strong>le</strong>s<br />
témoignages d'une recherche <strong>et</strong> d'une expérience<br />
270
intérieures que <strong>le</strong>s conférenciers acceptent de livrer. Les<br />
conférenciers qui enseignent à D.A.V.A.R. <strong>le</strong> font dans<br />
une perspective de Dialogue entre juifs <strong>et</strong> chrétiens.<br />
Site intern<strong>et</strong> : http://davar.fr<br />
271
Annexe 3 : Les trois<br />
premières Paro<strong>le</strong>s<br />
I « Je suis l'Éternel, ton Dieu,<br />
qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte,<br />
de la maison de servitude. »<br />
II « Tu n’auras pas d’autres<br />
dieux devant Moi. »<br />
III « Tu ne prononceras pas <strong>le</strong><br />
nom du Seigneur ton Dieu à faux. »<br />
272<br />
(Deutéronome 5, 6-10)<br />
I <strong>Dans</strong> <strong>le</strong> Nouveau Testament,<br />
comment traduire en <strong>hébreu</strong> <strong>le</strong> mot<br />
« Seigneur » ?<br />
Une question linguistique qui sous-tend une question<br />
théologique posée par Jésus lui-même : « Pour vous qui<br />
suis-je ? »
« Moi, je suis <strong>le</strong> Seigneur ton Dieu,<br />
qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de<br />
servitude. »<br />
273<br />
Deutéronome 5,6<br />
Comment traduire en <strong>hébreu</strong> <strong>le</strong> mot « Seigneur »<br />
du Nouveau Testament ? C<strong>et</strong>te interrogation pourrait<br />
semb<strong>le</strong>r n’être qu’une querel<strong>le</strong> d’experts, ou même ne<br />
concerner que <strong>le</strong>s chrétiens hébréophones (des Israéliens<br />
pour la plupart). <strong>Il</strong> est même légitime de douter de<br />
l’intérêt d’une tel<strong>le</strong> étude : si à un mot d’une langue<br />
correspond un mot dans une autre, la question est sans<br />
fondement.<br />
Cependant, lorsque <strong>le</strong> mot « Seigneur » renvoie au<br />
<strong>Christ</strong>, l’enjeu de sa traduction se situe bien au-delà de la<br />
problématique linguistique car, selon <strong>le</strong> terme <strong>hébreu</strong><br />
choisi, on entendra soit « Seigneur » soit « monsieur ».<br />
Ainsi, c<strong>et</strong>te interrogation pose clairement la question de<br />
la divinité de celui qui est ainsi qualifié.<br />
<strong>Dans</strong> ce bref artic<strong>le</strong> nous essayerons tout d’abord<br />
de bien comprendre la question <strong>et</strong> d’en détail<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s<br />
réponses possib<strong>le</strong>s. Ayant résumé ce que signifie pour <strong>le</strong>s<br />
juifs <strong>le</strong> Nom divin, nous pourrons alors aborder l’enjeu<br />
de c<strong>et</strong>te interrogation qui touche au mystère de la<br />
personne du <strong>Christ</strong> puisqu’il s’agit au fond de répondre à<br />
la question de Jésus à ses apôtres (Matthieu 16, 15) :<br />
« Pour vous, qui suis-je ? ».<br />
C<strong>et</strong>te question, pourtant posée par Jésus lui-même,<br />
n'a pas reçu jusqu'ici de réponse univoque de la part de<br />
l’Eglise Catholique ou plus généra<strong>le</strong>ment de la part des
chrétiens. Ce questionnement vise à susciter une<br />
réf<strong>le</strong>xion afin que c<strong>et</strong> aspect n'apparaisse plus comme<br />
une indigence doctrina<strong>le</strong>. Ainsi <strong>le</strong>s chrétiens pourraient<br />
répondre plus faci<strong>le</strong>ment à la question que <strong>le</strong>ur posent<br />
souvent <strong>le</strong>s juifs : « Pour vous, qui est Jésus ? ».<br />
Comment comprendre la question<br />
Précisons tout d’abord que la question ne porte pas<br />
sur l’Ancien Testament pour <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> mot « Seigneur »<br />
est employé comme substitut à la prononciation du Nom<br />
divin imprononçab<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s « quatre <strong>le</strong>ttres » ou<br />
Tétragramme qui s’écrit YHVH (הוהי - youd hé vav hé) :<br />
lors des prières, ce dernier mot est lu « Adonaï » -<br />
« Seigneur ». C<strong>et</strong>te notion est cependant de toute<br />
première importance, <strong>et</strong> nous nous garderons de la perdre<br />
de vue au cours de c<strong>et</strong> artic<strong>le</strong>.<br />
Rappelons encore que l’Église Catholique<br />
recommande el<strong>le</strong> aussi depuis peu de substituer <strong>le</strong> Nom<br />
en quatre <strong>le</strong>ttres lors de sa prononciation : « […] il ne<br />
faut plus dire « Yavhé », ni <strong>le</strong> chanter, demande la<br />
Congrégation romaine pour la liturgie, mais lire <strong>et</strong><br />
chanter « <strong>le</strong> Seigneur », là où la Bib<strong>le</strong> hébraïque emploie<br />
<strong>le</strong> « Tétragramme sacré » » (Site Intern<strong>et</strong> Zenit,<br />
24/10/2008).<br />
Notre interrogation revient à déterminer, si cela est<br />
possib<strong>le</strong>, la signification du mot « Seigneur » dans <strong>le</strong><br />
Nouveau Testament. Traduction du grec « kyrios »,<br />
« Seigneur » signifie, tout comme lui, selon <strong>le</strong> contexte,<br />
« maître » (tel un maître d’esclaves) ou « <strong>le</strong> souverain »<br />
(l’empereur). <strong>Dans</strong> <strong>le</strong> Nouveau Testament, <strong>le</strong> mot kyrios<br />
274
est source d’équivoque car ce même mot peut concerner<br />
Dieu ou Jésus. La traduction de kyrios vers l’<strong>hébreu</strong>, qui<br />
peut utiliser soit <strong>le</strong> mot « Adon » (maître), soit <strong>le</strong> mot<br />
« Adonaï » (<strong>le</strong> Nom divin), n’a alors rien de simp<strong>le</strong>. Bien<br />
sûr, dans <strong>le</strong> cas où ce mot désigne Dieu, la traduction ne<br />
pose pas de difficulté. En revanche, <strong>le</strong> traducteur -lorsque<br />
<strong>le</strong> texte se réfère à Jésus- hésitera à traduire kyrios par<br />
« Adon » ou « Adonaï ».<br />
André Chouraqui a su dépasser ces légitimes<br />
scrupu<strong>le</strong>s, <strong>et</strong> c’est l’<strong>hébreu</strong> « Adon » qu’il utilise pour<br />
rendre <strong>le</strong> grec kyrios (<strong>et</strong> <strong>le</strong> français « Seigneur »). <strong>Il</strong> est<br />
néanmoins remarquab<strong>le</strong> que lors de l’épisode où Thomas<br />
reconnaît Jésus <strong>et</strong> lui dit : « Monseigneur <strong>et</strong> mon Dieu »,<br />
il traduit « kyrios » par « Adonaï » : « Adonaï Elohaï ! »<br />
(Jean 20,28). Notons qu’« adoni » signifierait<br />
« monsieur » (ou « mon maître »).<br />
Ainsi nous constatons l’ambiguïté <strong>et</strong> la polysémie<br />
du mot français « Seigneur » qui peut se rapporter soit à<br />
Dieu soit à Jésus (ou même au Saint Esprit). Le<br />
tétragramme, rendu par « Seigneur » kyrios, renvoie donc<br />
au Père, au Fils ou à l’Esprit, tandis que « Dieu » théos<br />
renvoie davantage (mais pas seu<strong>le</strong>ment) au Père.<br />
Différentes possibilités de réponses<br />
Plusieurs traductions en <strong>hébreu</strong> du Nouveau<br />
Testament sont actuel<strong>le</strong>ment disponib<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s résultent<br />
pour la plupart de travaux d’auteurs protestants. Ceux-ci<br />
font en général une distinction n<strong>et</strong>te entre « Seigneur » <strong>et</strong><br />
« Dieu » <strong>et</strong> traduisent dès lors <strong>le</strong> mot Seigneur, lorsqu’il<br />
se réfère à Jésus, par l’<strong>hébreu</strong> « adon ». Les chrétiens<br />
275
israéliens ont pour habitude de dire « Ha Adon », qui<br />
signifie « Le Maître » ou « Le Seigneur », afin de<br />
préciser qu’il ne s’agit pas d’un maître ou d’un seigneur<br />
ordinaires. Cependant, certains chrétiens de langue<br />
hébraïque chantent « Adonaï » en s'adressant au Père <strong>et</strong><br />
au Fils (Seigneur Dieu, Seigneur Jésus).<br />
Concernant la traduction du mot « Seigneur » en<br />
<strong>hébreu</strong>, il est intéressant d’observer que <strong>le</strong>s Protestants<br />
ont des prises de position divergentes mais précises,<br />
certains groupes protestants allant même jusqu’à affirmer<br />
que « Yéshoua (ou Iéshoua) est Adonaï » 93 … alors que<br />
<strong>le</strong>s Catholiques ne se prononcent pas.<br />
Un choix tranché ne paraît cependant pas légitime<br />
car dans <strong>le</strong> Nouveau Testament, selon <strong>le</strong> contexte, <strong>le</strong> mot<br />
Seigneur peut avoir différentes significations, nous<br />
l’avons vu. Pourtant une chose est sûr, c’est que <strong>le</strong> simp<strong>le</strong><br />
fait d’utiliser au moins une fois <strong>le</strong> mot Adonaï témoigne<br />
sans l’ombre d’un doute d’une conviction claire : « Jésus<br />
est Le Seigneur » 94 , <strong>le</strong> Dieu d’Israël incarné, Adonaï. En<br />
bref, traduire <strong>le</strong> mot Seigneur en <strong>hébreu</strong> implique<br />
inévitab<strong>le</strong>ment un choix théologique qui n’est pas de<br />
moindre importance. Le <strong>Christ</strong> est Adonaï ou il ne l’est<br />
pas.<br />
Le Nom divin<br />
Nous ne nous attarderons pas sur la position<br />
linguistique <strong>et</strong> théologique qui consiste à éviter <strong>le</strong><br />
93 http://www.hebrew4christians.com/Names_of_Gd/Yeshua_is_Adonai/yeshua_is_adonai.html<br />
94 Romains 10,9<br />
276
tétragramme prononcé Adonaï pour se référer au <strong>Christ</strong>.<br />
En eff<strong>et</strong>, bien au-delà de la simp<strong>le</strong> question linguistique,<br />
<strong>le</strong> refus d’associer <strong>le</strong>s Noms de <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> du Tétragramme<br />
(prononcé Adonaï) est lourd de conséquences<br />
théologiques : une tel<strong>le</strong> prise de position impliquerait soit<br />
que <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> est seu<strong>le</strong>ment homme… <strong>et</strong> non pas Dieu,<br />
soit qu’<strong>Il</strong> est divin, mais sans aucun lien avec <strong>le</strong> Dieu<br />
d’Israël. Ce divorce Ancien /Nouveau Testament ferait<br />
du christianisme une hérésie idolâtre (<strong>le</strong> marcionisme)<br />
puisque Jésus serait, « au mieux », <strong>le</strong> fils d’un dieu<br />
inconnu, une sorte de demi-dieu.<br />
En revanche nous voudrions tenter de saisir un peu<br />
mieux ce que signifie l’usage du mot Adonaï pour<br />
traduire <strong>le</strong> mot Seigneur se référant au <strong>Christ</strong>. Avant<br />
d’al<strong>le</strong>r plus loin il faudra bien garder à l’esprit que <strong>le</strong><br />
poids de ce mot n’est accessib<strong>le</strong> qu’au Juif, <strong>et</strong> plus<br />
spécia<strong>le</strong>ment au Juif ayant reçu une éducation religieuse.<br />
Et il n’est pas faux de dire qu’un chrétien ne pourra<br />
approcher <strong>le</strong> vrai sens de ce mot que s’il étudie l’<strong>hébreu</strong><br />
<strong>et</strong> s’il fréquente <strong>le</strong>s synagogues <strong>et</strong> <strong>le</strong>s cours de <strong>judaïsme</strong><br />
avec des juifs. Sans cela, il risque de prononcer <strong>le</strong> Nom<br />
divin sans n<strong>et</strong>te conscience de ce qu’il représente.<br />
Rappelons tout d’abord la distinction entre <strong>le</strong> mot<br />
« Elohim » <strong>et</strong> <strong>le</strong> mot « Adonaï ». Nous remarquons, en<br />
lisant la Bib<strong>le</strong> qu’il y a tantôt « Dieu » tantôt « Le<br />
Seigneur ». Y aurait-il une nuance ou même une<br />
différence entre ces deux termes ? Les juifs font bien la<br />
distinction entre Dieu « Elohim », <strong>et</strong> <strong>le</strong> Seigneur,<br />
« Adonaï ». La grammaire nous indique qu’Elohim est un<br />
nom pluriel (<strong>le</strong> suffixe « im » est la marque du masculin<br />
pluriel) <strong>et</strong> il n’est pas exclusivement <strong>le</strong> Dieu d’Israël au<br />
contraire d’Adonaï. On pourrait dire qu’Elohim est un<br />
277
nom commun, dieu avec une minuscu<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />
éventuel<strong>le</strong>ment une marque de pluriel, alors qu’Adonaï<br />
est un nom propre, c’est <strong>le</strong> Nom du Dieu d’Israël (<strong>et</strong> des<br />
chrétiens).<br />
Dieu aurait-il plusieurs noms ? <strong>Il</strong> y a des passages<br />
de la Bib<strong>le</strong> où l’on voit clairement que <strong>le</strong> Seigneur ne<br />
peut être confondu avec Dieu, un exemp<strong>le</strong> frappant en est<br />
<strong>le</strong> passage célèbre dans <strong>le</strong>quel Abraham monte avec son<br />
fils Isaac sur <strong>le</strong> Mont Moriah, <strong>et</strong> où c’est Dieu (Elohim)<br />
qui demande <strong>le</strong> sacrifice à Abraham (Genèse 22,1) tandis<br />
que c’est l’ange du Seigneur (Adonaï) qui intervient<br />
(Genèse 22,11).<br />
Or il n’y a dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> qu’un seul Dieu, cela<br />
est clair : Adonaï <strong>et</strong> Elohim, bien que distincts ne sont<br />
pas séparés. <strong>Dans</strong> sa prière quotidienne, <strong>le</strong> « Shema Israël<br />
», <strong>le</strong> Juif répète que Dieu est UN : « Adonaï ehad », הוה׳<br />
דחא « Le Seigneur est Un » 95 . C’est la prière quotidienne<br />
de tout <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif : qu’<strong>Il</strong> soit Un <strong>et</strong> non pas divisé,<br />
fragmenté, cassé, abîmé, b<strong>le</strong>ssé. Que son/ton Nom soit<br />
Un !<br />
Le même Seigneur<br />
Ayant eu pourtant une éducation religieuse<br />
catholique, ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai pris<br />
conscience du fait que <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> est <strong>le</strong> Fils éternel du<br />
Père. Jusque là je croyais que <strong>le</strong> Fils de Dieu étant né il y<br />
a deux mil<strong>le</strong> ans, il n’existait pas auparavant. C’est grâce<br />
à quelques cours de théologie que j’ai compris qu’il est<br />
95 « Ecoute Israël, <strong>le</strong> Seigneur notre Dieu est <strong>le</strong> Seigneur est Un… »<br />
Deutéronome 6,4, Marc 12,29.<br />
278
comme Dieu, éternel. Cela signifie donc qu’il n’est pas<br />
fils dans <strong>le</strong> sens où un enfant n’existe qu’à partir de sa<br />
conception. Autrement dit, <strong>le</strong> Fils de Dieu existait avant<br />
la naissance de sa mère. C’est pour cela que <strong>le</strong> mot<br />
« fils » peut prêter à confusion car <strong>le</strong>s chrétiens (comme<br />
moi…) peuvent penser que <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> n’existait pas avant<br />
l’an zéro. Et s’il n’existait pas avant l’an zéro, cela veut<br />
dire qu’il n’est pas « vrai homme <strong>et</strong> vrai Dieu »<br />
(Catéchisme de l’Eglise Catholique) mais seu<strong>le</strong>ment<br />
homme. Je ne rem<strong>et</strong>s pas en cause <strong>le</strong> terme de «Fils »<br />
pour désigner <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> mais je veux souligner <strong>le</strong> fait que<br />
ce terme est ambiva<strong>le</strong>nt.<br />
Aussi, quand nous disons que Jésus est <strong>le</strong> Seigneur,<br />
<strong>le</strong> même Seigneur que dans l’Ancien Testament, cela<br />
change toute notre perception du <strong>Christ</strong>. <strong>Il</strong> est Adonaï<br />
UN en Elohim. Alors notre théologie chrétienne devient,<br />
grâce à l’<strong>hébreu</strong>, plus claire : « Le Père <strong>et</strong> <strong>le</strong> Fils sont<br />
Un ». Bien que distincts ils ne sont pas séparés.<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> passage de l’Evangi<strong>le</strong> où Jésus nous pose<br />
directement la question « de qui est-il fils ? », il nous<br />
interroge sur notre conception du Dieu d’Israël, <strong>le</strong> Dieu<br />
de David, celui que nous prions dans <strong>le</strong>s psaumes. Quand<br />
David par<strong>le</strong> du Messie, s’agit-il de son fils ? Le Messie<br />
est-il <strong>le</strong> fils de David ? Jésus répond par une question<br />
(Matthieu 22,45) : « Si David l’appel<strong>le</strong> הוהי Adonaï,<br />
comment est-il son fils ? ». Les gens qui l’écoutaient n’en<br />
ont pas rajouté : c’est <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce qui a conclu la<br />
discussion.<br />
Et nous chrétiens aujourd’hui ? Quand nous lisons<br />
<strong>le</strong> mot הוהי Adonaï dans l’Ancien Testament, voyonsnous<br />
<strong>le</strong> <strong>Christ</strong> ? Et quand nous lisons <strong>le</strong> mot <strong>Christ</strong> ou <strong>le</strong><br />
nom « Jésus » dans <strong>le</strong> Nouveau, voyons-nous הוהי<br />
279
Adonaï ? Jésus n’est pas <strong>le</strong> fils d’un dieu inconnu mais <strong>le</strong><br />
Fils du Dieu d’Israël : « Par Jésus <strong>Christ</strong> <strong>le</strong> Dieu d’Israël<br />
devenu <strong>le</strong> Dieu des nations ». 96 Jésus sans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>,<br />
détaché de son contexte juif <strong>et</strong> de son identité divine<br />
juive est un homme pris pour un dieu, une ido<strong>le</strong>. Cela ne<br />
correspond heureusement ni au Credo de l’Eglise ni à<br />
l’enseignement du pape : « Les chrétiens <strong>et</strong> <strong>le</strong>s juifs ont<br />
en commun une grande partie de <strong>le</strong>ur patrimoine<br />
spirituel, ils prient <strong>le</strong> même Seigneur, ils ont <strong>le</strong>s mêmes<br />
racines, mais ils sont souvent inconnus l’un à l’autre. » 97 .<br />
« Pour vous, qui suis-je ? »<br />
Quand Jésus pose c<strong>et</strong>te question à ses discip<strong>le</strong>s, il<br />
pose la question de sa divinité. Remarquons quelque<br />
chose qui pourra peut-être gêner certains chrétiens : Jésus<br />
pose c<strong>et</strong>te question à des juifs. Et seuls des juifs<br />
connaissant <strong>le</strong>ur religion <strong>et</strong> <strong>le</strong> sens du mot Adonaï<br />
peuvent vraiment répondre à sa question. Nous chrétiens<br />
d’origine non juive pouvons seu<strong>le</strong>ment tenter<br />
d’approfondir notre connaissance d’Adonaï pour mieux<br />
connaître <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>. Nous avons à faire une sorte de<br />
« travail de rattrapage » par rapport aux chrétiens<br />
d’origine juive qui eux ont une conscience claire du sens<br />
du mot Adonaï.<br />
Pour terminer, attardons-nous un peu sur ce<br />
moment clé des Evangi<strong>le</strong>s : <strong>le</strong> jour de Kippour quand<br />
96 L’unique alliance de Dieu <strong>et</strong> <strong>le</strong> pluralisme des religions, Cardinal<br />
Ratzinger, Editions Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, 1999, pages 11 <strong>et</strong> 87.<br />
97 Benoît XVI, Discours à la synagogue de Rome, 17 janvier 2010.<br />
280
Pierre dit <strong>le</strong> Nom divin au <strong>Christ</strong> 98 . En eff<strong>et</strong>, il ne pouvait<br />
pas lui dire explicitement « tu es Dieu », cela aurait été<br />
anachronique car ce n’est qu’après sa résurrection que <strong>le</strong>s<br />
discip<strong>le</strong>s ont pu clairement affirmer sa divinité. C’est<br />
pour cela que ce jour où Jésus pose la question décisive<br />
de son identité, il <strong>le</strong> fait d’une manière en quelque sorte<br />
« codée » qui saute aux oreil<strong>le</strong>s d’un juif <strong>et</strong> que l’<strong>hébreu</strong><br />
<strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> nous perm<strong>et</strong>tent de « décoder ». Depuis la<br />
position -<strong>le</strong> lieu- de l’apôtre Pierre, justement parce qu’il<br />
est placé à l’intérieur du <strong>judaïsme</strong>, nous pouvons comme<br />
lui voir en Jésus « <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, <strong>le</strong> Fils du Dieu vivant ».<br />
Comme <strong>le</strong> grand prêtre qui, seul dans <strong>le</strong> Saint des<br />
saints du Temp<strong>le</strong>, prononçait une fois par an <strong>le</strong> Nom de<br />
Dieu, Pierre ose confesser Le Nom. <strong>Il</strong> fait alors beaucoup<br />
plus que reconnaître Jésus comme <strong>le</strong> Messie (<strong>Christ</strong>)<br />
attendu par son peup<strong>le</strong>, il reconnaît sa divinité. Alors que<br />
<strong>le</strong> jour de Kippour <strong>le</strong> lieu où <strong>le</strong> grand prêtre accomplissait<br />
ce rite de Kippour était <strong>le</strong> Temp<strong>le</strong> de Jérusa<strong>le</strong>m, lieu de la<br />
présence sainte de Dieu, Pierre prononce <strong>le</strong> Nom<br />
indicib<strong>le</strong> à Césarée de Philippe, c’est-à-dire dans la «<br />
Galilée des Nations » (Matthieu 4,12-16) à la limite de la<br />
terre d’Israël <strong>et</strong> des territoires païens. C’est <strong>le</strong> signe que<br />
l’Eglise est ouverte aussi aux non juifs, à toutes <strong>le</strong>s<br />
nations. 99<br />
Quelques jours plus tard, <strong>le</strong> jour de la<br />
Transfiguration <strong>et</strong> de la fête des Tentes, « Du sein de la<br />
98 Le chapitre 17 (vers<strong>et</strong> 1) de Matthieu nous indique que <strong>le</strong> jour de<br />
la Transfiguration (<strong>et</strong> de la fête des tentes ou de Soukot) se dérou<strong>le</strong><br />
six jours après la déclaration de Pierre : c<strong>et</strong> événement a par<br />
conséquent bien eu lieu <strong>le</strong> jour de Kippour.<br />
99 Voir sur ce suj<strong>et</strong> <strong>le</strong>s explications très claires (partiel<strong>le</strong>ment reprises<br />
ici) du Père Jean-Miguel Garrigues, Le dessein de Dieu à travers ses<br />
alliances, Editions de l’Emmanuel, 2003, pages 233 à 237.<br />
281
nuée lumineuse <strong>le</strong> Père lui-même ratifie <strong>le</strong> Nom révélé<br />
que Pierre a prononcé : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé<br />
en qui j’ai mis mon dessein bienveillant » (Matthieu<br />
17,5). Et <strong>le</strong> Père conclut par ces mots : « Ecoutez-<strong>le</strong> ! ».<br />
<strong>Il</strong> y a là une reprise explicite du Shema Israël, du<br />
« écoute, Israël » (Deutéronome 6,5) qui constitue la<br />
confession de foi juive. » 100<br />
<strong>Dans</strong> la question de Jésus « Pour vous qui suis-je ?<br />
» il y a en réalité une déclaration. Jésus ne peut pas dire<br />
de lui-même « Je suis Adonaï ». <strong>Il</strong> est diffici<strong>le</strong> à Dieu<br />
d'être reconnu par <strong>le</strong>s siens, <strong>et</strong> aujourd'hui encore, Jésus<br />
n'est pas reconnu ou mal reconnu par nous qui nous<br />
disons chrétiens. Pour percevoir la portée <strong>et</strong> <strong>le</strong> sens de la<br />
question de Jésus il faudrait en fait être juif. Or nous ne <strong>le</strong><br />
sommes pas ; la majorité d'entre nous chrétiens, nous ne<br />
sommes pas d’origine juive. C'est pour cela qu'il nous<br />
faut, pour nous m<strong>et</strong>tre « dans la peau » des apôtres <strong>le</strong> jour<br />
de Kippour, étudier un peu ce que signifie ce jour pour <strong>le</strong><br />
peup<strong>le</strong> juif. Et pour bien sentir la force de ce jour, il nous<br />
faudrait -idéa<strong>le</strong>ment- participer à une fête de Kippour<br />
dans une synagogue en jeûnant nous aussi comme (<strong>et</strong><br />
avec) <strong>le</strong>s juifs.<br />
<strong>Dans</strong> la question de Jésus « Pour vous qui suis-je ?<br />
» il y a en fait une annonce incroyab<strong>le</strong> qui peut être<br />
traduite ainsi : « Celui dont vous tentez de prononcer <strong>le</strong><br />
Nom <strong>le</strong> jour de Kippour, c'est moi », ou bien : « Je suis<br />
Adonaï הוהי votre Dieu », ou bien, comme à Moïse dans<br />
<strong>le</strong> buisson ardent : « Je suis Celui qui suis » (ou « qui<br />
100<br />
Le dessein de Dieu à travers ses Alliances, Jean-Miguel<br />
Garrigues, page 237.<br />
282
sera ») 101 . C<strong>et</strong>te déclaration sous forme de question est<br />
tel<strong>le</strong>ment extraordinaire qu'el<strong>le</strong> ne peut pas être comprise,<br />
même par <strong>le</strong>s apôtres. D'ail<strong>le</strong>urs quand Pierre montre<br />
qu'il a compris, Jésus lui précise que ce n'est pas luimême<br />
qui a bien répondu à sa question mais que c’est<br />
Dieu qui a parlé par sa bouche ; Pierre n'a pas perçu la<br />
portée de ses mots.<br />
Ce qu'a dit Pierre est juste : Jésus est Celui dont <strong>le</strong><br />
Nom est au-dessus de tout nom 102 . Alors Jésus peut lui<br />
dire : « Tu es Pierre... ». Pierre ici peut provenir de<br />
l'<strong>hébreu</strong> « roc » mais aussi du mot « pierre » qui se dit ןבא<br />
(prononcé « évène ») <strong>et</strong> signifie littéra<strong>le</strong>ment<br />
« pierre » 103 . Or ce mot est très riche de sens, <strong>et</strong> encore<br />
plus riche de sens au moment où Jésus l'attribue à celui<br />
qui devient la tête de l'Eglise. ןבא (évène) est un mot<br />
composé de deux mots : בא (av, père) <strong>et</strong> ןב (ben, fils)<br />
contractés en un seul mot. On pourrait donc résumer en<br />
disant que l'Église est bâtie sur l'union entre <strong>le</strong> Père <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
Fils, unité contenue dans <strong>le</strong> nom de Pierre.<br />
101 Philippiens 2, 6-11 : « Lui qui est égal au Père, il a tout quitté, il<br />
s’est anéanti (la kénose), passant même par la mort <strong>et</strong> la<br />
résurrection, c’est pourquoi Dieu l’a é<strong>le</strong>vé <strong>et</strong> lui a donné un Nom qui<br />
est au dessus de tout nom. » Ce Nom, c’est <strong>le</strong> Tétragramme, <strong>le</strong> Nom<br />
ineffab<strong>le</strong>, transcendant, inexplicab<strong>le</strong>, quelque chose qui nous<br />
échappe tota<strong>le</strong>ment. C’est pourquoi <strong>le</strong>s Ecritures utilisent de<br />
nombreuses images pour bégayer quelque chose de ce grand<br />
mystère. (Homélie de l’Ascension de Notre Seigneur Jésus-<strong>Christ</strong>, 2<br />
juin 2011, Père Pierre Schilling, Monastère de l’Epiphanie,<br />
Eygalières)<br />
102 Philippiens 2,9<br />
103 Au suj<strong>et</strong> de Simon-Pierre, en Matthieu 16,18, il est probab<strong>le</strong> que<br />
Jésus, parlant <strong>araméen</strong>, ait dit « tu es Képhas… » Ce qui signifie en<br />
eff<strong>et</strong> « tu es Pierre... », P<strong>et</strong>rus.<br />
283
Je voudrais r<strong>et</strong>ourner à la question initia<strong>le</strong> qui sousentend<br />
en réalité une interrogation proposée à chaque<br />
chrétien : « Pour toi, pour moi, qui est <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> ? ».<br />
Vouloir dire de manière claire <strong>et</strong> précise qui <strong>Il</strong> est serait<br />
courir <strong>le</strong> risque d’enfermer <strong>le</strong> mystère du <strong>Christ</strong> dans<br />
notre rationalité. Les juifs nous enseignent que dès que<br />
l’on tente d’enfermer <strong>le</strong> divin dans nos mots, il ne s’agit<br />
plus du divin que nous nommons mais d’une ido<strong>le</strong>, un<br />
dieu que nous nous sommes fabriqué (avec des mots).<br />
C’est pourquoi, si en tant que chrétiens nous cherchons<br />
vraiment à voir <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> depuis la position de ses apôtres,<br />
c’est-à-dire depuis <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, il nous faut changer notre<br />
regard <strong>et</strong> accepter de ne pas nommer Celui que nous<br />
aimons afin de mieux Le connaître.<br />
En fin de compte <strong>le</strong> français laisse à chacun la<br />
liberté d'avoir sa propre perception de Celui que nous<br />
appelons de façon équivoque « Seigneur » tandis que<br />
l'<strong>hébreu</strong> oblige à trancher. Aussi nous pourrions dire que,<br />
concernant ce mot, l'avantage de la langue française est<br />
son imprécision.<br />
II Pour nous <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> est-il <strong>le</strong> fils de<br />
Zeus ou d’Elohim ?<br />
« Tu n'auras pas d'autres dieux face à moi.<br />
Tu ne te feras pas d'ido<strong>le</strong>,<br />
rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut,<br />
284
sur terre ici-bas ou dans <strong>le</strong>s eaux sous la terre. »<br />
285<br />
Deutéronome 5,6-7<br />
Quand nous disons que <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> est <strong>le</strong> Fils de<br />
Dieu, qu’entendons-nous dans c<strong>et</strong>te affirmation ? Que<br />
signifie pour nous <strong>le</strong> mot « dieu » ? Que signifie pour<br />
nous <strong>le</strong> mot « fils » ? Nous percevons bien qu'il y a un<br />
lien entre <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> son Père, Elohim, <strong>le</strong> Dieu<br />
d’Israël mais pour la plupart d’entre nous chrétiens, ce<br />
lien est loin d’être évident. Aussi, bien que cela paraisse<br />
étonnant, la plupart des chrétiens voient dans <strong>le</strong> <strong>Christ</strong><br />
une sorte de fils de Zeus. Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s conséquences<br />
de c<strong>et</strong>te déviation, de c<strong>et</strong>te défiguration du <strong>Christ</strong> ? Est-il<br />
possib<strong>le</strong> de n’avoir aucune connaissance du <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong><br />
cependant de deviner (voir) dans <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, <strong>le</strong> Fils<br />
d’Elohim ? Heureusement oui. Mais alors pourquoi<br />
avons-nous besoin du <strong>judaïsme</strong> pour mieux connaître <strong>le</strong><br />
<strong>Christ</strong> ?<br />
Jésus fils de Zeus<br />
Quand nous entendons que Jésus est <strong>le</strong> fils de<br />
Dieu, à travers <strong>le</strong> mot « fils » nous comprenons que Dieu<br />
est <strong>le</strong> Père de Jésus. Par <strong>le</strong> terme « fils » nous<br />
comprenons qu’il est né après son père <strong>et</strong>, à partir de là<br />
commence <strong>le</strong> ma<strong>le</strong>ntendu. Et puis, comme nous<br />
associons inévitab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> mot « père » au mot<br />
« mère », nous sommes conduits à croire que Jésus est
une sorte de demi-dieu puisque son père est divin <strong>et</strong> sa<br />
mère une « mortel<strong>le</strong> », une créature humaine.<br />
Par ail<strong>le</strong>urs, dans <strong>le</strong> mot « Dieu », nous pouvons<br />
deviner, par son étymologie, que son origine latine<br />
« Deus » a une provenance grecque, « Zeus ». <strong>Dans</strong> <strong>le</strong><br />
substantif « Dieu » la mythologie se mê<strong>le</strong> à la religion, la<br />
faux au vrai, <strong>le</strong> créé au révélé. Dieu nous a-t-il crée ou<br />
l’avons-nous inventé ? A travers <strong>le</strong> nom paradoxa<strong>le</strong>ment<br />
anonyme « Dieu », nous ne pouvons qu’imaginer une<br />
sorte de père qui ressemb<strong>le</strong>rait à son fils : c’est <strong>le</strong><br />
vieillard barbu que nous voyons souvent peint dans nos<br />
églises (catholiques). Si pour nous chrétiens Dieu<br />
ressemb<strong>le</strong> à Zeus, <strong>le</strong> roi des dieux grecs, cela signifie que<br />
dans notre inconscient Jésus n’est qu’une sorte<br />
d’Héraclès grec (ou Hercu<strong>le</strong> romain), un héros, un demidieu,<br />
ou un humain devenu dieu. Pour certains, Dieu<br />
serait un architecte qui, ayant créé l’univers, s’en est<br />
r<strong>et</strong>iré ; pour d’autres, <strong>le</strong> terme « Dieu » représenterait une<br />
espèce d’énergie cosmique… En fin de compte <strong>le</strong> mot<br />
« Dieu » veut à la fois tout dire <strong>et</strong> rien dire. <strong>Dans</strong> ce mot<br />
« fourre-tout » nous pouvons percevoir autant de vérités<br />
que de mensonges.<br />
Si l’on demandait à des chrétiens ce qu’ils<br />
entendent dans l’expression « Fils de Dieu », peu seraient<br />
capab<strong>le</strong>s de coïncider avec ce qu’en dit l’Eglise<br />
Catholique. Notre religion -ou plutôt notre théologie- est<br />
subti<strong>le</strong> <strong>et</strong> comp<strong>le</strong>xe. Et fina<strong>le</strong>ment il vaut mieux ne pas<br />
tenter d’expliquer tout cela ; il est plus sage de se réfugier<br />
derrière <strong>le</strong> mot « mystère » qui nous évite bien des<br />
erreurs. Les chrétiens ont bien raison de ne pas<br />
286
approfondir ou creuser ce grand mystère de la Trinité car<br />
même <strong>le</strong>s théologiens s’y perdent. <strong>Il</strong>s s’acharnent à<br />
disséquer ce qui <strong>le</strong>ur échappent <strong>et</strong> plus ils expliquent<br />
moins nous comprenons.<br />
La raison de c<strong>et</strong>te impasse est simp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s<br />
théologiens chrétiens cherchent Dieu partout, sauf là où il<br />
se trouve, c’est-à-dire dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>. C’est là que Dieu<br />
s’est révélé <strong>et</strong> continue de se révé<strong>le</strong>r aujourd’hui. Et c’est<br />
seu<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> que l’expression « Fils de<br />
Dieu » (re)prend du sens. Pour notre esprit occidental, la<br />
Trinité reste une espèce de triang<strong>le</strong> équilatéral où trois<br />
personnes divines ressemb<strong>le</strong>nt à des triplés ayant chacun<br />
un visage humain. Bref, en adorant notre Dieu trinitaire,<br />
nous nous sommes bien éloignés de Celui qui est Un.<br />
Pourtant la Trinité est complètement compatib<strong>le</strong> avec<br />
l’Unité de Dieu. Mais ce sont nos images <strong>et</strong> explications<br />
de la Trinité qui nous ont coupés du mystère essentiel de<br />
son Unité.<br />
Les chrétiens qui sont restés <strong>le</strong>s plus proches de<br />
l’Unité de la Trinité sont <strong>le</strong>s chrétiens orthodoxes. Grâce<br />
à eux, quand nous adorons <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, il ne s’agit pas<br />
d’« une personne de la Trinité » que nous adorons mais<br />
bien de Dieu lui-même « tout entier ». Au contraire, dans<br />
<strong>le</strong> christianisme catholique il semb<strong>le</strong> que Dieu ait été<br />
divisé, parcellisé, découpé en trois morceaux distincts. Le<br />
Père est loin du Fils, <strong>le</strong> Fils est loin du Père (<strong>et</strong> l’Esprit<br />
Saint sous forme de colombe est comme une option « en<br />
plus »). <strong>Il</strong> y a Dieu d’un côté <strong>et</strong> Jésus de l’autre, <strong>le</strong>s deux<br />
ne sont pas Un mais éternel<strong>le</strong>ment « deux ». Jésus prie<br />
son Père, son Dieu, comme nous qui prions ce Dieu<br />
287
anonyme, inconnu, mythique. Mais Jésus n’est cependant<br />
pas un homme ordinaire… Alors, n’étant ni dieu ni<br />
homme il nous apparaît comme « entre deux ». Cela ne<br />
correspond pas à ce qu’enseigne <strong>le</strong> Catéchisme de<br />
l’Eglise Catholique mais c’est pourtant bien cela que<br />
croient la plupart de ceux qui se disent chrétiens… <strong>et</strong> qui<br />
<strong>le</strong> sont. En eff<strong>et</strong>, si l’on en<strong>le</strong>vait des statistiques tous <strong>le</strong>s<br />
Catholiques (dont <strong>le</strong>s prêtres) qui ne croient pas<br />
exactement à la Théologie dogmatique de l’Eglise, <strong>le</strong>s<br />
chiffres seraient bien faib<strong>le</strong>s.<br />
Heureusement il y a notre âme intuitive, notre soif<br />
de Dieu qui nous conduit par <strong>le</strong> cœur à la vraie source<br />
divine. Heureusement, par l’amour nous pouvons<br />
connaître Celui qui reste inaccessib<strong>le</strong> à notre intelligence.<br />
Mais quand-même : notre intelligence aussi aimerait<br />
mieux connaître, mieux nommer Celui qu’aime notre<br />
cœur. En eff<strong>et</strong> nous n’aimons pas Dieu d’un côté <strong>et</strong> Jésus<br />
de l’autre, nous aimons <strong>le</strong> Seigneur qui est Père, Fils <strong>et</strong><br />
Saint Esprit ; nous n’aimons qu’un seul Seigneur.<br />
Alors faut-il s’inquiéter de nos déviances<br />
chrétiennes ? Est-ce que nos défigurations du visage du<br />
<strong>Christ</strong> ont quelques conséquences néfastes sur notre âme<br />
<strong>et</strong> notre vie ?<br />
Conséquences de c<strong>et</strong>te défiguration du <strong>Christ</strong><br />
Elohim, <strong>le</strong> Père est rej<strong>et</strong>é, oublié, nié. Nous<br />
parlons d’un dieu anonyme au lieu de nous référer au<br />
Père de Jésus, Elohim, <strong>le</strong> Dieu d’Israël. Ainsi, <strong>le</strong> <strong>Christ</strong><br />
288
est comme orphelin. Nous ne voulons pas connaître notre<br />
Père puisque si nous voulions <strong>le</strong> connaître nous serions<br />
contraints de demander aux juifs de nous aider. Et nous<br />
pensons que cela nous humilierait… Alors nous nous<br />
réfugions derrière la fameuse phrase de Jésus « Qui me<br />
voit voit <strong>le</strong> Père ». De c<strong>et</strong>te manière nous pensons<br />
orgueil<strong>le</strong>usement pouvoir nous passer du <strong>judaïsme</strong> <strong>et</strong> de<br />
ceux qui pourraient nous aider à connaître <strong>le</strong> Père. C’est<br />
pour cela que lorsque nous faisons notre signe de croix,<br />
nous pourrions om<strong>et</strong>tre <strong>le</strong> nom de « Père ».<br />
Quel<strong>le</strong> est la conséquence principa<strong>le</strong> de c<strong>et</strong>te<br />
omission ? Elohim dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, représente <strong>le</strong> Dieu<br />
créateur, la Justice, la rigueur, la paternité. Quand nous<br />
éliminons Elohim de notre cœur il ne reste plus que<br />
l’amour, mais l’amour impossib<strong>le</strong> car sans Justice. En<br />
eff<strong>et</strong>, sans Elohim, Dieu n’est plus Dieu. S ans son Père,<br />
Jésus n’est plus <strong>le</strong> <strong>Christ</strong>, il n’est plus qu’un homme,<br />
certes exemplaire <strong>et</strong> admirab<strong>le</strong>, mais qui ne peut pas nous<br />
sauver : il n’est qu’un homme comme nous qui ne nous<br />
conduit nul<strong>le</strong> part. Sans Elohim, Jésus est désespérant.<br />
De plus, puisque nous nions <strong>le</strong> Nom d’Elohim,<br />
inévitab<strong>le</strong>ment nous rej<strong>et</strong>ons <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> juif (qui<br />
représente notre lien au Père). Le peup<strong>le</strong> juif, Israël, nous<br />
est uti<strong>le</strong> uniquement pour démontrer que <strong>le</strong> christianisme<br />
est « mieux », comparé à sa matrice juive primitive,<br />
périmée, obsolète. <strong>Dans</strong> <strong>le</strong>s Evangi<strong>le</strong>s nous croyons lire à<br />
chaque page que Jésus a voulu la disparition du <strong>judaïsme</strong><br />
pour qu’apparaisse une nouvel<strong>le</strong> religion avec une<br />
nouvel<strong>le</strong> Alliance qui rendrait la précédente caduque.<br />
Ainsi nous nous coupons de notre source spirituel<strong>le</strong>, nous<br />
nous interdisons de demander la clé qui nous perm<strong>et</strong>trait<br />
de découvrir la profonde lumière des Evangi<strong>le</strong>s. Nous<br />
289
choisissons délibérément l’obscurité. Pourquoi ? Par<br />
orgueil ?<br />
Une autre conséquence de c<strong>et</strong>te défiguration<br />
chrétienne du <strong>Christ</strong> est que nous refusons de dire que <strong>le</strong><br />
<strong>Christ</strong> est <strong>le</strong> Seigneur, Adonaï. De c<strong>et</strong>te façon nous<br />
sommes amenés à comprendre que Jésus serait <strong>le</strong> Fils du<br />
Seigneur… Autrement dit Jésus serait <strong>le</strong> fils du Fils de<br />
Dieu ! C<strong>et</strong>te absurdité est pourtant parfois affirmée par<br />
des théologiens chrétiens. <strong>Il</strong>s ont peur de contemp<strong>le</strong>r<br />
l’unité de Dieu, peur que <strong>le</strong> fait d’affirmer la divinité du<br />
<strong>Christ</strong> rem<strong>et</strong>te en cause <strong>le</strong> dogme de la Trinité. C<strong>et</strong>te<br />
crainte conduit à une défiguration du <strong>Christ</strong> qui rend<br />
impossib<strong>le</strong> de ressentir l’Unité de Dieu. Nous devenons<br />
alors en quelque sorte polythéistes, idolâtres.<br />
Que reste-t-il alors du <strong>Christ</strong> ? <strong>Il</strong> devient une<br />
référence spirituel<strong>le</strong> parmi d’autres, un Bouddha ou un<br />
Socrate de plus. Ou bien il devient un emblème, une<br />
image sur un étendard. Une croix contre un croissant ou<br />
contre une étoi<strong>le</strong> de David ; une croix celte ou une croix<br />
gammée. Le <strong>Christ</strong> est alors vraiment méconnaissab<strong>le</strong>,<br />
enlaidi, défiguré, crucifié par <strong>le</strong>s chrétiens eux-mêmes.<br />
Le Cardinal Lustiger <strong>parlait</strong> de c<strong>et</strong>te horrib<strong>le</strong> idolâtrie<br />
moderne, l’idolâtrie de Jésus : « Nous ne devons pas nous<br />
réjouir de la mode de Jésus, parce qu’il n’y a pas pire<br />
ido<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong> qui singe <strong>le</strong> vrai Dieu. » (La Promesse,<br />
Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> Si<strong>le</strong>nce, 2002, pages 135, 136)<br />
L’Eglise ainsi coupée de sa source juive reste<br />
hétérogène, fragmentée. Toute personne se référant plus<br />
ou moins à Jésus peut se dire chrétienne même si el<strong>le</strong><br />
rej<strong>et</strong>te toute référence au <strong>judaïsme</strong>. Le Nom divin est<br />
290
complètement déchiré, <strong>le</strong> christianisme devenu idolâtre,<br />
notre âme reste aussi déchirée car nous ne pouvons pas<br />
prier <strong>le</strong> Dieu Un mais un homme divinisé, Jésus, <strong>et</strong> un<br />
dieu anonyme appelé Dieu. Peu de chrétiens sont<br />
conscients de c<strong>et</strong>te triste réalité car peu fréquentent <strong>le</strong><br />
<strong>judaïsme</strong> qui perm<strong>et</strong> d’en prendre conscience. En eff<strong>et</strong>,<br />
pour <strong>le</strong>s chrétiens, la découverte du <strong>judaïsme</strong> est<br />
douloureuse car el<strong>le</strong> nous ouvre <strong>le</strong>s yeux sur nos<br />
déviances. Le <strong>judaïsme</strong> nous soigne. Et en soignant notre<br />
âme il nous fait mal. Faut-il renoncer à c<strong>et</strong>te dou<strong>le</strong>ur ? La<br />
vérité est-el<strong>le</strong> forcément douloureuse ? Le nom de Marie<br />
peut nous aider à avancer sur ce chemin car il signifie<br />
« amertume ». Et l’amertume n’est heureusement pas<br />
incompatib<strong>le</strong> avec la joie.<br />
Adonaï Elohaï (Jean 20,28)<br />
La prière du peup<strong>le</strong> juif est la même que la nôtre :<br />
que son Nom soit Un, qu’Adonaï soit notre Dieu<br />
(Elohéinou), que <strong>le</strong> Père <strong>et</strong> <strong>le</strong> Fils soient Un.<br />
Le <strong>Christ</strong> est Adonaï ainsi que l’affirme Thomas.<br />
Aussi, il suffirait de traduire correctement un seul mot de<br />
la Bib<strong>le</strong> pour que sa cohérence apparaisse évidente, pour<br />
que l’Unité de son Nom soit lisib<strong>le</strong> : dans Jean 20,28 il<br />
faudrait écrire « Mon Seigneur » en <strong>hébreu</strong>, Adonaï :<br />
הָוהְי (Youd Hé Vav Hé).<br />
291
III Quel est Ton Nom ?<br />
« Tu ne prononceras pas à tort <strong>le</strong> nom du Seigneur ton<br />
Dieu,<br />
car <strong>le</strong> Seigneur n'acquitte pas celui qui prononce son<br />
nom à tort. »<br />
292<br />
Deutéronome 5,10<br />
« Bien sûr, la communication, la paro<strong>le</strong>, sont nécessaires,<br />
mais s’il n’y a pas une communion d’amour, réalisée <strong>le</strong><br />
plus souvent dans <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce, ou dans une certaine vie<br />
commune d’entraide, la paro<strong>le</strong> ne perm<strong>et</strong> qu’une<br />
communication verba<strong>le</strong>, qui développe notre agressivité<br />
<strong>et</strong>, fina<strong>le</strong>ment nous fait perdre confiance. Au contraire,<br />
quand il y a communion, on a très fort <strong>le</strong> sens que la<br />
paro<strong>le</strong> est imparfaite, que la communion se fait dans <strong>le</strong><br />
si<strong>le</strong>nce. La communion réalisée par l’Esprit Saint dépasse<br />
la paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> lui donne en même temps sa signification. »<br />
(Père Thomas Philippe, Fidélité au Saint Esprit, Editions<br />
du Lion de Juda, 1988, page 14)<br />
Ton Nom pour nous n’est pas un mot.<br />
Ton Nom est un cri.<br />
Ton Nom est larmes.<br />
Ton Nom est soupir, gémissement, désir.<br />
Ton Nom est si<strong>le</strong>nce mais pas vide.<br />
Ton Nom est sentiment <strong>et</strong> sensation.<br />
Ton Nom est soif.
Et <strong>Il</strong> est eau(x).<br />
Ton Nom se passe de nom.<br />
הָקַּד הָמָמְדּ לוֹק<br />
« Un souff<strong>le</strong> de si<strong>le</strong>nce » ou « une voix de si<strong>le</strong>nce léger »<br />
(1 Roi 19,12)<br />
« <strong>j'ai</strong> fait taire mon âme »<br />
יִשְׁפַנ יִתְּמַמוֹדְו<br />
ou<br />
« <strong>j'ai</strong> rendu mon esprit si<strong>le</strong>ncieux »<br />
Psaume 131,2<br />
« Si<strong>le</strong>nce mon âme ! »<br />
יִשְׁפַנ ה ָיִּמוּדּ<br />
Ou : « Devant Dieu, mon âme est en si<strong>le</strong>nce »<br />
Psaume 62,2<br />
<strong>et</strong> 62,5 :<br />
יִשְׁפַנ יִמּוֹדּ<br />
« A toi Elohim ma louange si<strong>le</strong>ncieuse »<br />
(ou Ton si<strong>le</strong>nce Elohim est une louange)<br />
293<br />
Juin 2011
P<strong>et</strong>ite bibliographie<br />
Paul-Samuel Auszenkier, Faire mémoire, Editions du<br />
Cerf, 2009<br />
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(Titre original : Bruder Jesus, Paul List Verlag KG,<br />
Munich 1967)<br />
Grand Rabbin Gil<strong>le</strong>s Bernheim, Le souci des autres au<br />
fondement de la loi juive, Calmann-Lévy, 2002<br />
Gil<strong>le</strong>s Bernheim <strong>et</strong> Philippe Barbarin (avec la<br />
collaboration de Jean-François Mondot), Le rabbin <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
cardinal, Stock, 2007<br />
Alain de Cha<strong>le</strong>ndar, La Bib<strong>le</strong> c'est la vie ! Edition<br />
Rencontres <strong>et</strong> Dialogues, 2006<br />
André Chouraqui, La vie quotidienne des Hébreux au<br />
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Volume 2, Paro<strong>le</strong> <strong>et</strong> si<strong>le</strong>nce, 2009<br />
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Quelques Sites Intern<strong>et</strong><br />
Dialogue judéo chrétien :<br />
Amitié Judéo-Chrétienne de France<br />
http://www.ajcf.fr<br />
Association Yahad-In Unum<br />
www.yahadinunum.org<br />
Site du Conseil International des Chrétiens <strong>et</strong> des Juifs<br />
http://www.iccj.org/en<br />
Cardinal Bea Centre for Judaic Studies (Pontificia<br />
Università Gregoriana)<br />
http://www.unigre.it/judaicstudies<br />
Institut Chrétien d’Études Juives <strong>et</strong> de Littérature<br />
Hébraïque<br />
http://www.institut-<strong>et</strong>udes-juives.n<strong>et</strong><br />
Nevé Shalom - Wahat as-Salam - Oasis de Paix<br />
300
http://www.nswas.n<strong>et</strong><br />
Site francophone de chrétiens en Israël<br />
http://un-echo-israel.n<strong>et</strong><br />
Service Information - Documentation Juifs <strong>et</strong> Chrétiens<br />
http://www.sidic.org/fr <strong>et</strong> http://www.sidic-paris.org<br />
Eco<strong>le</strong> Biblique <strong>et</strong> Archéologique Française de<br />
Jérusa<strong>le</strong>m<br />
http://ebaf.edu/index.php<br />
Vicariat hébréophone en Israël<br />
http://www.catholic.co.il<br />
Sites juifs :<br />
Orthodoxes<br />
Synagogue de La Victoire<br />
http://www.lavictoire.org<br />
La voix de la communauté juive en France<br />
http://www.col.fr<br />
301
Un Site pour étudier <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong>, <strong>le</strong> Talmud <strong>et</strong> la<br />
Torah.<br />
http://www.modia.org<br />
Conseil Représentatif des Institutions juives de France<br />
http://www.crif.org<br />
Loubavitchs<br />
http://www.loubavitch.fr<br />
Massortis<br />
Site du <strong>judaïsme</strong> Massorti Francophone<br />
http://www.massorti.com<br />
Libéraux<br />
Mouvement Juif Libéral de France<br />
http://www.mjlf.col.fr<br />
Sites pour apprendre l'<strong>hébreu</strong> :<br />
(Voir <strong>le</strong> Site de l’Amitié judéo-chrétienne de Lyon :<br />
http://www.ajcf-lyon.org)<br />
Cours d'<strong>hébreu</strong><br />
http://www.morim.com<br />
302
Apprendre à tracer <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres<br />
http://www.<strong>le</strong>vsoftware.com/a<strong>le</strong>fb<strong>et</strong>.htm<br />
Hébreu biblique<br />
Grammaire d’<strong>hébreu</strong> biblique<br />
http://www.areopage.n<strong>et</strong>/gramheb.html<br />
Lire l’<strong>hébreu</strong><br />
http://www.bibliques.com/hb/<strong>le</strong>ct00.htm<br />
Écouter la Bib<strong>le</strong> en <strong>hébreu</strong><br />
http://www.mechon-mamre.org/p/pt/pt0.htm<br />
Bib<strong>le</strong> du rabbinat, en <strong>hébreu</strong> <strong>et</strong> avec la traduction<br />
du rabbinat<br />
http://www.sefarim.fr<br />
303
Remerciements<br />
Pour <strong>le</strong>ur re<strong>le</strong>cture, <strong>le</strong>urs corrections, <strong>le</strong>urs conseils<br />
p<strong>le</strong>in de sagesse, merci à Gaultier, Binyamin, Liliane,<br />
Antoine, Corine, Françoise, Robert, Michel, Pau<strong>le</strong>,<br />
Bernard, Sœur Myriam, Anne-Marie Dreyfus, Sœur<br />
Geneviève Comeau, au Père Jean Stern, au Père Mario<br />
Saint-Pierre <strong>et</strong> au Frère Olivier (Monastère d’Abu-Gosh).<br />
Merci au Cardinal Philippe Barbarin, au Père<br />
Michel Remaud, au Père François Lestang, au Père Rafic<br />
Nahra <strong>et</strong> au Père David Neuhaus qui ont bien voulu lire<br />
<strong>et</strong> commenter <strong>le</strong> passage intitulé « En tant que chrétien,<br />
pourquoi, comment <strong>et</strong> pour quoi s’intéresser au<br />
<strong>judaïsme</strong> ? ».<br />
Avec la bénédiction du Grand Rabbin Bernheim<br />
qui a bien voulu parcourir ce récit <strong>et</strong> valider <strong>le</strong>s passages<br />
où il est cité.<br />
304
Tab<strong>le</strong> des matières<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> j’ai <strong>rencontré</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong><br />
Préface .............................................................................. 5<br />
Première partie : Amour ................................................. 11<br />
1. Du désespoir à l’espoir, de Ni<strong>et</strong>zsche à Pnina ... 11<br />
2. Des pionniers, Pau<strong>le</strong>tte <strong>et</strong> Hilaire ....................... 16<br />
3. Neve Harif .......................................................... 21<br />
4. Datiim ................................................................. 26<br />
5. « Ata Goy ! » ...................................................... 31<br />
6. Le peup<strong>le</strong> qui porte ton Nom .............................. 36<br />
7. L’âme mexicaine ................................................ 50<br />
8. Des baroudeurs au Mexique ............................... 61<br />
9. Lustiger au Mexique ........................................... 68<br />
Deuxième partie : Amitié ............................................... 76<br />
10. Paris, vendredi 30 octobre 2009 ....................... 76<br />
11. Des catholiques en quête de racines juives ...... 82<br />
12. A la recherche du <strong>Christ</strong> dans <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> ....... 91<br />
13. Lehitpa<strong>le</strong>l beyahad ........................................... 97<br />
14. Un juif à la messe ? ........................................ 105<br />
15. Adonaï ............................................................ 110<br />
16. Convergence sans confusion .......................... 122<br />
17. « Elargis l'espace de la tente » ........................ 132<br />
18. Un prêtre à la synagogue ................................ 138<br />
19. Au baroudeur patient (suite) ........................... 147<br />
Troisième partie : Compassion ..................................... 154<br />
20. Le Messie souffrant ........................................ 156<br />
21. « De qui est-il fils ? » ..................................... 160<br />
22. Chema ète ha doumiya ................................... 164<br />
23. Pessah ............................................................. 170<br />
305
24. Epiphanie ........................................................ 174<br />
25. Shavouot ......................................................... 180<br />
26. Visitation ........................................................ 185<br />
27. Yom kippour .................................................. 189<br />
28. Or la goyim (lumière pour <strong>le</strong>s nations) .......... 207<br />
29. Soukot ............................................................. 211<br />
30. <strong>Il</strong> prit chez lui son épouse ............................... 229<br />
<strong>Dans</strong> <strong>le</strong> <strong>judaïsme</strong> j’ai <strong>rencontré</strong> <strong>le</strong> <strong>Christ</strong> ..................... 232<br />
Annexe 1 : En tant que chrétien, pourquoi, comment <strong>et</strong><br />
pour quoi s’intéresser au <strong>judaïsme</strong> ? ............................ 253<br />
Annexe 2 : DAVAR ..................................................... 269<br />
Annexe 3 : Les trois premières Paro<strong>le</strong>s ........................ 272<br />
P<strong>et</strong>ite bibliographie ...................................................... 294<br />
Quelques Sites Intern<strong>et</strong> ................................................. 300<br />
Remerciements ............................................................. 304<br />
Tab<strong>le</strong> des matières ........................................................ 305<br />
306
Site intern<strong>et</strong> du livre : www.avinou.org<br />
contact@avinou.org<br />
ISBN 978-2-7466-5089-3<br />
dépôt légal : septembre 2012<br />
307
Achevé d’imprimer par<br />
15 rue Francis de Pressensé - 93210 SAINT DENIS LA PLAINE<br />
N° Imprimeur 93611<br />
Imprimé en France