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Revue d’Etudes Tibétaines<br />
La discrétion des klu quand ils agissent et le fait qu’ils se vengent souvent<br />
après coup de ce qu’ils considèrent comme une offense expliquent pourquoi<br />
le diagnostic d’une maladie imputée aux klu et son traitement sont parfois<br />
tardifs. Tsewang Tundup d’Hémis-shukpa-chan raconte :<br />
"Parfois, on ne sait pas tout de suite qu’il s’agit d’un coup des<br />
klu, alors on consulte les docteurs... Ce fut notre cas l’année dernière.<br />
Ma femme souffrait du bras. Elle ne pouvait plus le lever.<br />
Elle ne pouvait plus travailler. L’amchi est venu et lui a administré<br />
des remèdes, sans amélioration... Alors je l’ai emmenée à Leh.<br />
À l’hôpital, elle a passé des radiographies (X-Ray), consulté des<br />
docteurs (dag tar), sans plus de succès. L’été au village, elle a<br />
même vu des docteurs étrangers, un docteur français. Toujours<br />
aucune amélioration. En examens, en radiographies, en médicaments,<br />
en déplacement, j’ai dépensé beaucoup d’argent... pour<br />
rien. À l’automne, au moment de la moisson, cela n’allait toujours<br />
pas mieux. Alors je me suis rendu au monastère [dGelugs<br />
pa] de Ridzong et j’ai demandé une audience à Sras Rinpoche. Il<br />
m’a donné un charme de protection (srung ba) pour ma femme et<br />
il m'a conseillé de lire des prières et d’inviter des moines afin<br />
qu’ils célèbrent un rituel en l’honneur des klu. Des moines de<br />
Ridzong sont venus. Ils ont célébré un grand klu gtor. Et vraiment<br />
je ne mens pas, tout de suite ma femme s’est sentie mieux et, en<br />
quelques jours, elle était complètement rétablie."<br />
"Oeil pour œil, dent pour dent", les klu appliquent la loi du talion. Ils<br />
frappent de cécité celui qui, en lavant imprudemment son couteau dans la<br />
rivière, leur crève l'œil ; de rhumatismes et de paralysie celui qui, d'un coup<br />
de pelle ou de pioche malencontreux, blesse le bas de leur corps ; de boutons,<br />
d'abcès et d'œdèmes ceux qui, sans prendre garde, urinent près de<br />
leurs demeures ou la souillent en y lavant du linge. Ils punissent par la lèpre<br />
ceux qui éventrent impunément leur domaine. Ils condamnent à la pauvreté<br />
la maisonnée qui les néglige ou se montre pingre à leur égard, en tarissant le<br />
lait de son cheptel et en desséchant l'orge de ses champs. Les pis des animaux<br />
se couvrent de furoncles. Au cœur des épis, les grains noircissent et se<br />
désintègrent en une fine poussière pareille à de la cendre. Dans la richesse<br />
comme dans la pauvreté, dans la maladie comme dans la guérison, les klu<br />
entretiennent des rapports de correspondance et de sympathie avec les<br />
hommes. L'intégrité de leur corps renvoie à l'intégrité du corps humain ;<br />
c'est pourquoi les rites de guérison consistent d'abord à guérir les klu pour<br />
transférer ensuite la guérison sur le malade 25 .<br />
Ulcères, abcès, "petite vérole", œdèmes, maladies de peau, mal aux yeux,<br />
rhumatismes et paralysie — notamment des membres inférieurs — partout<br />
en Himalaya les mêmes maux spécifiques punissent les hommes de leur<br />
négligence à l'égard des klu. A Tok-kyu au Dolpo, l'eczéma tourmente —<br />
pense-t-on — les enfants qui commettent l'imprudence de jouer à proximité<br />
25 Mumford (1989) consacre un chapitre de son livre à ce thème : Reciprocal exchange with<br />
underworld serpents deities (klu). Cf. également Lalou (1933) pour la traduction d'un<br />
texte bouddhique d'origine indienne.