24.06.2013 Views

La jeunesse au Canada français La jeunesse au Canada français

La jeunesse au Canada français La jeunesse au Canada français

La jeunesse au Canada français La jeunesse au Canada français

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Sous la la direction direction de<br />

de<br />

MICHEL BOCK<br />

BOCK<br />

<strong>La</strong> <strong>jeunesse</strong> <strong>au</strong><br />

<strong>Canada</strong> <strong>français</strong><br />

Formation, mouvements<br />

et identité


<strong>La</strong> <strong>jeunesse</strong><br />

<strong>au</strong> <strong>Canada</strong> <strong>français</strong><br />

Formation, mouvements et identité


<strong>La</strong> <strong>jeunesse</strong><br />

<strong>au</strong> <strong>Canada</strong> <strong>français</strong><br />

Formation, mouvements et identité<br />

Université d’Ottawa


Les Presses de l’Université d’Ottawa remercient le Conseil des Arts du <strong>Canada</strong> et<br />

l’Université d’Ottawa de l’aide qu’ils apportent à leur programme de publication.<br />

Nous reconnaissons également l’aide financière du gouvernement du <strong>Canada</strong> par<br />

l’entremise du Programme d’aide <strong>au</strong> développement de l’industrie de l’édition (padie)<br />

pour nos activités d’édition.<br />

Les Presses de<br />

l’Université d’Ottawa<br />

AMÉRIQUE FRANÇAISE<br />

<strong>La</strong> collection « Amérique <strong>français</strong>e » regroupe des ouvrages portant sur le fait <strong>français</strong><br />

en Amérique, en particulier à l’extérieur du Québec, soit en Ontario, en Acadie, dans<br />

l’Ouest canadien et <strong>au</strong>x États-Unis. <strong>La</strong> collection, conformément à la philosophie de la<br />

maison d’édition, accueille des manuscrits de langue <strong>français</strong>e ou anglaise.<br />

© Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2007<br />

524, avenue King-Edward, Ottawa, (Ontario), k1n 6n5, <strong>Canada</strong><br />

press@uottawa.ca www.uopress.uottawa.ca<br />

Tous droits de traduction et d’adaptation, en totalité ou en partie, réservés pour tous<br />

les pays. <strong>La</strong> reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par quelque procédé<br />

que ce soit, tant électronique que mécanique, en particulier par photocopie et par<br />

microfilm, est interdite sans l’<strong>au</strong>torisation écrite de l’éditeur.<br />

Image de la couverture: Manifestation devant le Parlement fédéral en<br />

faveur d’un collège de langue <strong>français</strong>e en Ontario, Ottawa, novembre 1992<br />

(Université d’Ottawa, CRCCF, Ph 54-3-521).


Présentation<br />

Michel Bock, Université d’Ottawa<br />

Dans un roman percutant intitulé Globalia, Jean-Christophe Rufin<br />

crée un monde dans lequel les protagonistes, obsédés par leur propre<br />

rajeunissement, mènent une lutte de tous les instants contre le<br />

vieillissement et la marche du temps, alors qu’ils méprisent les véritables<br />

porteurs de la <strong>jeunesse</strong>, c’est-à-dire les jeunes eux-mêmes (Rufin, 2004). Dans<br />

la « démocratie universelle et parfaite » que représente Globalia, nul besoin —<br />

ou presque — de veiller à la reproduction de l’espèce, puisque les cures de<br />

jouvence <strong>au</strong>xquelles il est normal et souhaitable de se livrer se porteront<br />

garantes, tôt ou tard, de l’immortalité de la population globalienne. <strong>La</strong><br />

propagande officielle impute le désir d’enfanter <strong>au</strong> mieux à une anomalie<br />

incompréhensible, pour ne pas dire à un déséquilibre psychologique, <strong>au</strong> pire à<br />

une volonté de sédition, et annonce ainsi la fin, déjà presque advenue, de<br />

l’Histoire.<br />

Il n’est pas difficile de déceler dans cette fable utopique une inquiétude<br />

certaine <strong>au</strong> sujet de la tendance à la dénatalité que connaissent, à l’heure<br />

actuelle, plusieurs sociétés occidentales. Il est <strong>au</strong>ssi possible d’en dégager une<br />

attitude largement répandue à l’égard de la <strong>jeunesse</strong>, attitude qui la conçoit<br />

essentiellement comme l’incarnation du renouvellement, de la perfectibilité et<br />

du progrès, comme l’antithèse de l’immobilisme et de la stérilité. « Alors que la<br />

publicité exalte [de nos jours] les valeurs juvéniles (be<strong>au</strong>té, énergie, liberté,<br />

etc.), en réalité les jeunes inspirent plutôt la peur et le trouble <strong>au</strong>x défenseurs de<br />

l’ordre et <strong>au</strong>x tenants des conventions », écrivent Giovanni Levi et Jean-Cl<strong>au</strong>de<br />

Schmitt en insistant sur le caractère construit de la <strong>jeunesse</strong>, dont les contours<br />

peuvent varier selon l’époque, la classe, le sexe, etc. (Levi et Schmitt, 1996). <strong>La</strong><br />

1


MICHEL BOCK<br />

délimitation des catégories d’âge, les caractéristiques qu’on leur attribue et les<br />

rapports mutuels qu’elles entretiennent peuvent se transformer en <strong>au</strong>tant<br />

d’enjeux de luttes. Dans un texte fréquemment cité, « <strong>La</strong> “<strong>jeunesse</strong>” n’est qu’un<br />

mot », Pierre Bourdieu, abondant dans le même sens et mettant l’accent sur la<br />

notion de conflit intergénérationnel, insiste sur ce que l’opposition entre<br />

« <strong>jeunesse</strong> » et « vieillesse » a de structurant dans la définition de ces concepts :<br />

2<br />

<strong>La</strong> <strong>jeunesse</strong> et la vieillesse ne sont pas des données, mais sont construites<br />

socialement, dans la lutte entre les jeunes et les vieux. Les rapports entre<br />

l’âge social et l’âge biologique sont très complexes. […] L’âge est une<br />

donnée biologique socialement manipulée et manipulable ; et […] le fait<br />

de parler des jeunes comme d’une unité sociale, d’un groupe constitué,<br />

doté d’intérêts communs, et de rapporter ces intérêts à un âge défini<br />

biologiquement constitue déjà une manipulation évidente (Bourdieu,<br />

1992).<br />

Que la <strong>jeunesse</strong> <strong>au</strong> <strong>Canada</strong> <strong>français</strong> soit présentée <strong>au</strong> singulier dans le titre<br />

du présent recueil de textes ne doit donc pas induire le lecteur en erreur. Ici,<br />

comme ailleurs, la <strong>jeunesse</strong> a épousé une variété de formes et de contours selon,<br />

entre <strong>au</strong>tres choses, le contexte historique, la réalité socioéconomique et la<br />

capacité des différentes catégories d’âge à user de la « violence symbolique »,<br />

pour revenir à Bourdieu, afin d’imposer leur conception des caractéristiques<br />

essentielles des « jeunes » et des « vieux », ainsi que de leurs relations mutuelles.<br />

Au <strong>Canada</strong> <strong>français</strong> — les études le montrent de plus en plus —, la <strong>jeunesse</strong><br />

possède une riche histoire. Depuis un siècle, elle s’est donné des institutions et<br />

des organismes qui ont représenté pour elle <strong>au</strong>tant de lieux de socialisation, de<br />

formation et, parfois, de contestation. Bien qu’il s’agisse d’une catégorie sociale<br />

<strong>au</strong>x contours flous et mouvants, la <strong>jeunesse</strong> a participé de plain-pied <strong>au</strong>x<br />

changements soci<strong>au</strong>x des dernières décennies, tant <strong>au</strong> Québec que parmi les<br />

minorités de langue <strong>français</strong>e des <strong>au</strong>tres provinces.<br />

L’entrée en scène des regroupements d’Action catholique et du mouvement<br />

scout durant la première moitié du xx e siècle a marqué le début d’une certaine<br />

forme de politisation de la <strong>jeunesse</strong>. L’Église catholique, confrontée à<br />

l’effritement des structures paroissiales traditionnelles engendré par<br />

l’industrialisation rapide du pays, mit sur pied de nombreuses associations<br />

(Jeunesse étudiante catholique, Jeunesse ouvrière catholique, Jeunesse agricole<br />

catholique, etc.) afin de mieux encadrer les jeunes en milieu urbain. Le<br />

démantèlement de l’Action catholique durant la Révolution tranquille<br />

n’entraîna pas, cependant, la fin des mouvements de <strong>jeunesse</strong>, bien <strong>au</strong>


Présentation<br />

contraire. Forts de leur nombre et de l’<strong>au</strong>gmentation de leur nive<strong>au</strong><br />

d’instruction, les jeunes du baby-boom alimentèrent les bouleversements<br />

socioculturels des années 1960 et 1970 et s’imposèrent comme un groupe social<br />

avec lequel il fallait compter. Depuis, les jeunes, qui possèdent de nombreux<br />

organismes pour promouvoir leurs intérêts, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du<br />

système scolaire, collégial et universitaire, s’interrogent sur la façon dont ils<br />

<strong>au</strong>ront à aménager les acquis et les questionnements que leur ont légués les<br />

jeunes d’<strong>au</strong>trefois.<br />

Le présent ouvrage regroupe, pour l’essentiel, des textes présentés les 11 et<br />

12 mars 2005 dans le cadre du colloque annuel du Centre de recherche en<br />

civilisation canadienne-<strong>français</strong>e de l’Université d’Ottawa (crccf), « <strong>La</strong><br />

<strong>jeunesse</strong> <strong>au</strong> <strong>Canada</strong> <strong>français</strong> : formation, mouvements et identité ». Le choix de<br />

ce thème résulta d’une volonté de rendre compte, ne fût-ce que partiellement,<br />

de la richesse et de la diversité des études portant sur la <strong>jeunesse</strong>, mais <strong>au</strong>ssi de<br />

décloisonner la recherche à la fois sur les plans disciplinaire et géographique.<br />

Le colloque permit donc de rassembler des chercheurs œuvrant dans des<br />

domaines <strong>au</strong>ssi variés que l’histoire, la sociologie, la littérature, l’éducation, la<br />

pédagogie et la linguistique, et provenant de l’Acadie, du Québec, de l’Ontario,<br />

voire de la France. Les participants ont soulevé de nombreuses interrogations<br />

touchant, notamment, à l’émergence et à la définition de la <strong>jeunesse</strong> comme<br />

catégorie sociale, à la construction identitaire des jeunes, à leurs pratiques<br />

culturelles, à leur poids politique et à leurs engagements. Le caractère parfois<br />

éclectique des études offertes dans le présent recueil témoigne néanmoins —<br />

et de manière éloquente — du dynamisme qui caractérise la recherche sur<br />

la <strong>jeunesse</strong>.<br />

L’allocution d’ouverture, dont nous reproduisons le texte intégral dans ces<br />

pages, fut prononcée par Michel G<strong>au</strong>lin, littéraire et professeur émérite à<br />

l’Université Carleton. Celui-ci y effectue le bilan de son passage <strong>au</strong> secrétariat<br />

général de l’Association de la <strong>jeunesse</strong> franco-ontarienne <strong>au</strong> tournant des<br />

années 1960, alors que le <strong>Canada</strong> <strong>français</strong>, tel qu’on le connaissait, se préparait<br />

à vivre des bouleversements intellectuels, politiques et culturels qui le<br />

transformeraient à tout jamais. Son propos, à la fois touchant et critique,<br />

illustre l’importance et les conséquences durables que peut avoir, en matière de<br />

formation et d’engagement, l’implication dans un mouvement de <strong>jeunesse</strong>.<br />

Les textes subséquents sont regroupés à l’intérieur de trois grandes parties.<br />

Puisque les catégories d’âge, encore une fois, sont largement construites et<br />

définies à l’intérieur d’un contexte social déterminé, nous avons consacré une<br />

première partie justement <strong>au</strong>x modes de construction de la <strong>jeunesse</strong>. Dans le<br />

premier texte, Christian Papinot lance le bal en analysant un cas étranger,<br />

3


MICHEL BOCK<br />

<strong>français</strong> en l’occurrence, et propose une réflexion fort intéressante sur l’une des<br />

conséquences de la difficulté bien contemporaine qu’éprouvent certains jeunes<br />

à s’insérer dans le marché du travail, soit le « prolongement de la <strong>jeunesse</strong> ».<br />

Nathalie Bélanger, Diane Farmer et Kehra Taleb enchaînent avec deux textes<br />

complémentaires sur les modes de socialisation des élèves dans le contexte<br />

particulier des classes à nive<strong>au</strong>x multiples des écoles franco-ontariennes.<br />

Contrairement à certains courants sociologiques, elles estiment que l’élève<br />

occupe une place « politique » dans la salle de classe et qu’il agit en tant<br />

qu’acteur à part entière sur sa trajectoire scolaire. Normand Frenette, dans la<br />

dernière étude de cette section, s’interroge sur l’évolution, <strong>au</strong> xx e siècle, de la<br />

conception de l’élève que propose l’État dans l’élaboration du système scolaire.<br />

L’<strong>au</strong>teur, qui retient l’exemple de l’Ontario, affirme que l’État n’établit <strong>au</strong>cune<br />

distinction entre anglophones, francophones et allophones, et que la tendance,<br />

de plus en plus lourde après 1960, n’est plus d’inculquer à l’élève strictement<br />

des connaissances de base, mais bien de favoriser son <strong>au</strong>tonomie et d’en<br />

faire, même très jeune, un véritable sujet ou, pour le dire comme l’<strong>au</strong>teur, un<br />

« entrepreneur du soi ».<br />

Bien que l’ensemble des études s’intéresse, de près ou de loin, à la<br />

problématique identitaire, nous avons regroupé, dans la deuxième partie du<br />

recueil, celles qui abordent le plus directement cette question. Annie Pilote<br />

analyse les identités nombreuses et complexes des élèves d’une école acadienne,<br />

identités qui s’expriment <strong>au</strong> pluriel, puisque issues de la tension entre diverses<br />

« logiques d’action ». Rodrigue <strong>La</strong>ndry et Kenneth Deve<strong>au</strong> poursuivent leurs<br />

trav<strong>au</strong>x sociolinguistiques sur le phénomène du bilinguisme et de l’hybridité<br />

identitaires et plaident pour une approche qui tienne compte à la fois du poids<br />

des structures et de l’<strong>au</strong>todétermination des personnes dans la construction<br />

identitaire individuelle. Dans un <strong>au</strong>tre registre, Myriam <strong>La</strong>abidi étudie le rôle<br />

du hip-hop dans la construction identitaire d’une certaine <strong>jeunesse</strong> québécoise,<br />

alors qu’Éric Bédard, qui n’avait pu, malheureusement, être des nôtres <strong>au</strong><br />

moment même du colloque, nous offre ici une première analyse du sens de la<br />

grève étudiante québécoise du printemps 2005, grève dans laquelle il devine<br />

l’émergence d’une « nouvelle génération politique ».<br />

<strong>La</strong> troisième et dernière partie de l’ouvrage est consacrée à des questions<br />

d’ordre historique. Nicole Neatby revient sur les activités des leaders étudiants<br />

de l’Université de Montréal durant les années 1950 et démontre qu’il n’a pas<br />

fallu attendre la Révolution tranquille et les années 1970 pour qu’apparaisse, <strong>au</strong><br />

Québec, une génération d’étudiants engagés dans la Cité. Dans un même ordre<br />

d’idées, Lucie Piché relève l’intervention grandissante de l’État dans le champ<br />

du social après 1940, en particulier par rapport <strong>au</strong> financement des activités des<br />

4


Présentation<br />

mouvements de <strong>jeunesse</strong> québécois. Le phénomène permit à ces derniers de<br />

faire l’apprentissage d’une « citoyenneté active » et de contribuer eux-mêmes à<br />

l’élaboration des politiques de régulation sociale de l’État. L’<strong>au</strong>teur de ces lignes<br />

étudie l’Association de la <strong>jeunesse</strong> franco-ontarienne (1949-1972), dont la<br />

croissance et le déclin témoignent, tout en y participant, des bouleversements<br />

politiques, intellectuels et culturels qui viendraient à bout du projet national<br />

canadien-<strong>français</strong>. Stéphane <strong>La</strong>ng, de son côté, propose une analyse inédite des<br />

différents acteurs et courants idéologiques qui ont présidé à la fondation,<br />

durant les années 1930, et <strong>au</strong> développement des sections juvéniles de la Société<br />

Saint-Jean-Baptiste dans les écoles de l’Ontario <strong>français</strong>. Enfin, Louise<br />

Bienvenue étudie la représentation de la <strong>jeunesse</strong>, de l’éducation et du<br />

nationalisme dans Le be<strong>au</strong> risque de François Hertel. Le roman, publié en 1939,<br />

attribue à la <strong>jeunesse</strong> — masculine — les qualités nécessaires <strong>au</strong> relèvement du<br />

<strong>Canada</strong> <strong>français</strong>, enlisé dans une crise d’adolescence qui a trop duré.<br />

Nous savons gré à Linda Cardinal d’avoir effectué, dans la conclusion du<br />

présent ouvrage, une synthèse fort éclairante d’un ensemble de textes <strong>au</strong>ssi<br />

variés sur le plan disciplinaire et méthodologique. Nos remerciements vont<br />

<strong>au</strong>ssi <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres membres du comité organisateur du colloque, soit Jean-Pierre<br />

Wallot, Christine Dallaire et François-Pierre Gingras, ainsi qu’<strong>au</strong> personnel du<br />

crccf, dont, en particulier, Nicole Bonsaint. Il convient également de souligner<br />

la généreuse contribution financière de la Faculté des arts de l’Université<br />

d’Ottawa, du Secrétariat <strong>au</strong>x affaires intergouvernementales canadiennes du<br />

Québec, de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques de<br />

l’Université de Moncton et du Cabinet du recteur de l’Université d’Ottawa.<br />

Bibliographie<br />

BOURDIEU, Pierre (1992), « <strong>La</strong> “<strong>jeunesse</strong>” n’est qu’un mot », Questions de sociologie, Paris,<br />

Éditions de Minuit, p. 143-154.<br />

Levi, Giovanni, et Jean-Cl<strong>au</strong>de Schmitt (1996), « Introduction », dans Giovanni Levi<br />

et Jean-Cl<strong>au</strong>de Schmitt (dir.), Histoire des jeunes en Occident, Paris, Seuil, t. II, p. 7-<br />

19.<br />

Rufin, Jean-Christophe (2004), Globalia, Paris, Gallimard.<br />

5


Conférence<br />

d’ouverture


Sur le chemin du ressouvenir. Quelques<br />

réflexions en marge d’une implication,<br />

à la charnière des années 1960,<br />

dans un mouvement de <strong>jeunesse</strong><br />

Michel G<strong>au</strong>lin, Université Carleton<br />

9<br />

À Victor Paré<br />

<strong>La</strong> mémoire est fuyante et sélective, elle produit ce qu’elle choisit.<br />

[…] Tout comme le rêve, [elle] tente de donner <strong>au</strong>x événements<br />

une signification.<br />

— Aharon Appelfeld, romancier israélien (2004 : 7)<br />

Je commencerai par remercier le comité organisateur de ce colloque et, en<br />

particulier, son président, Michel Bock, de l’honneur qu’ils m’ont fait en<br />

m’invitant à prononcer l’allocution in<strong>au</strong>gurale en cette occasion. Jamais,<br />

dans la candeur et l’idéalisme de mes dix-huit ans (âge qui était le mien en<br />

1959–1960), il ne me serait même advenu de rêver qu’un jour, quelque<br />

quarante-cinq ans plus tard, quiconque pourrait encore s’intéresser à ce que<br />

j’accomplissais alors dans l’enthousiasme, l’allégresse — et l’instant présent<br />

— pour déverser une partie du trop-plein d’énergie que l’on possède à cet<br />

âge. Comme quoi l’on a bien peu idée, à dix-huit ans, des prolongements<br />

ultérieurs de nos vies !<br />

Je m’explique tout de suite sur le titre peut-être un peu énigmatique que j’ai<br />

donné à mon intervention. Le mouvement de <strong>jeunesse</strong> dont il sera question<br />

ici est l’Association de la <strong>jeunesse</strong> franco-ontarienne, l’ajfo, dont j’ai été le<br />

secrétaire général du mois d’octobre 1959 à la fin du mois d’août 1961, après en<br />

avoir été secrétaire général adjoint pendant quelques mois et, <strong>au</strong>paravant, à<br />

partir de la fin de l’été 1958, un peu l’« homme à tout faire » <strong>au</strong>x côtés de mon<br />

prédécesseur immédiat, Pierre Gravelle.<br />

On m’a demandé, pour la présente occasion, à la fois un témoignage


MICHEL GAULIN<br />

personnel sur mon expérience <strong>au</strong> sein du mouvement et, comme il sied dans le<br />

cadre d’une rencontre de ce genre, une réflexion critique sur cette expérience<br />

en rapport avec le thème du colloque lui-même. J’évoquerai donc en partie, sur<br />

un mode quelque peu <strong>au</strong>tobiographique, des souvenirs. Mais également, à<br />

l’aide de coupes sélectives que j’ai pu accomplir, ces dernières semaines, dans les<br />

archives de l’Association, qui se trouvent heureusement dans un excellent état<br />

de conservation ici même, <strong>au</strong> Centre de recherche en civilisation canadienne<strong>français</strong>e<br />

(crccf), je m’efforcerai de donner une vue d’ensemble des<br />

préoccupations et de l’action du mouvement <strong>au</strong> cours des années où j’ai été<br />

impliqué de près dans son fonctionnement.<br />

Trois voix différentes se feront donc entendre <strong>au</strong> long de cet exposé : la<br />

mienne <strong>au</strong> premier chef, dont j’assume l’entière responsabilité quant <strong>au</strong> sens<br />

que je donne <strong>au</strong>x événements ; celle de l’ajfo elle-même, à travers les<br />

documents ; enfin, comme la basse continue en musique, une <strong>au</strong>tre voix, plus<br />

discrète et occulte, mais néanmoins incontournable en la circonstance, celle des<br />

Commandeurs de l’Ordre de Jacques-Cartier (cojc), plus communément<br />

désignés sous le vocable d’Ordre de Jacques-Cartier (ojc) — celui que<br />

j’utiliserai principalement ici —, ou encore, sur un ton plaisant, celui de « la<br />

Patente », comme les intimes aimaient à désigner l’Ordre. Au gré de ma propre<br />

réflexion et de mes lectures <strong>au</strong> fil des ans, j’en suis en effet venu à mieux<br />

comprendre le rôle fondamental que, grâce à sa technique préférée d’action,<br />

celle du « noy<strong>au</strong>tage », l’Ordre a joué, <strong>au</strong> milieu du siècle dernier, dans tous les<br />

organismes à vocation nationaliste de ce que l’on appelait alors le <strong>Canada</strong><br />

<strong>français</strong> et, a fortiori, en Ontario, où il était né en 1926, ici même, à Ottawa.<br />

L’ajfo, quant à elle, a vu le jour à l’<strong>au</strong>tomne de 1949, sous l’aile tutélaire<br />

d’une bonne fée, l’Association canadienne-<strong>français</strong>e d’éducation de l’Ontario<br />

(acfeo). Le journal Le Droit, dans son édition du lundi 5 décembre 1949 1 , faisait<br />

longuement état de la réunion de fondation tenue la veille dans ce qui était<br />

alors le plus grand hôtel d’Ottawa, le Châte<strong>au</strong> <strong>La</strong>urier — rien de moins ! — et<br />

qui réunissait, à l’invitation, soi-disant, de l’acfeo, une quarantaine de délégués<br />

venus de tous les coins de l’Ontario. L’<strong>au</strong>teur de l’article, le journaliste Lionel<br />

Marle<strong>au</strong> — lui-même par ailleurs signataire de la charte du mouvement et qui<br />

devait, à une étape ultérieure, en occuper le poste de secrétaire général (on n’est<br />

jamais si bien servi que par soi-même !), affirmait d’entrée de jeu que « ce<br />

mouvement de jeunes [était] appelé à jouer un rôle prépondérant dans la<br />

formation de l’élite franco-ontarienne ». Toujours selon l’article, le président de<br />

l’acfeo, Ernest-C. Désorme<strong>au</strong>x, avait pour sa part confié <strong>au</strong>x jeunes que la<br />

création de l’ajfo répondait à un rêve longuement caressé par l’association<br />

mère et que leur mouvement avait été fondé « pour faire le lien entre les<br />

10


Conférence d’ouverture<br />

sections juvéniles 2 et les associations patriotiques telles que l’Association<br />

d’Éducation [sic] et les Sociétés St-Jean-Baptiste, qui sont fréquentées par des<br />

personnes plus âgées », et que l’on comptait en conséquence sur eux « pour<br />

intensifier la vie <strong>français</strong>e en Ontario et opérer la relève ».<br />

Il ne fait <strong>au</strong>cun doute dans mon esprit que l’acfeo ne faisait en cette affaire<br />

office que de prête-nom pour l’Ordre de Jacques-Cartier, dont il f<strong>au</strong>t cependant<br />

admettre que les dirigeants étaient à toutes fins utiles, mutatis mutandis, les<br />

mêmes. Les noms de quelques-uns des aînés présents à cette réunion se lisent en<br />

tout cas <strong>au</strong>jourd’hui, a posteriori, comme un véritable répertoire de membres<br />

présumés de l’Ordre et de ses dirigeants : Esdras Terrien, Jean-Jacques Tremblay,<br />

Gaston Vincent (lui-même président, plus tard, de l’acfeo), Waldo Guertin, le<br />

Dr Jean-Marie <strong>La</strong>framboise et <strong>au</strong>tres. Esdras Terrien, pour ne parler que de lui,<br />

avait occupé pendant neuf ans, de 1937 à 1946, les fonctions de Grand Chancelier<br />

de l’Ordre. Quant à Jean-Jacques Tremblay, il venait tout juste de terminer,<br />

l’année précédente, un premier mandat d’un an (1947–1948) à ce poste et devait<br />

plus tard en exercer un <strong>au</strong>tre, d’une durée de trois ans, de 1951 à 1954 3 .<br />

Les congressistes réunis en ce dimanche de décembre 1949 en avaient<br />

profité, à l’invitation de leurs aînés, pour élire un « Bure<strong>au</strong> central », terme<br />

quelque peu étrange, mais par lequel il serait convenu, tout <strong>au</strong> long de la vie de<br />

l’ajfo, de désigner le conseil d’administration de l’organisme. Constitué de<br />

quinze membres représentant l’ensemble des régions de l’Ontario, ce premier<br />

« bure<strong>au</strong> » était présidé par un tout jeune homme de 23 ans, Jean-Louis Allard,<br />

qui amorçait simultanément une longue carrière universitaire à la Faculté de<br />

philosophie de l’Université d’Ottawa et qui allait s’illustrer puissamment par la<br />

suite, tant sur le plan local que sur le plan national, en tant qu’animateur et<br />

dirigeant de moult mouvements à caractère social et religieux.<br />

Les jeunes, en tout cas, allaient être bien entourés. En outre de présider les assises<br />

du 4 décembre, Jean-Jacques Tremblay avait rédigé les statuts de l’association<br />

naissante et s’était chargé de les faire adopter. Bien que le compte rendu du Droit<br />

ne fasse <strong>au</strong>cune mention de ce fait, il était prévu que les dirigeants du mouvement<br />

seraient encadrés, dans l’exercice de leurs fonctions, par deux aînés, un conseiller<br />

laïque (poste qu’allait occuper, comme par hasard, Tremblay lui-même pendant<br />

la première année d’existence du mouvement !) et un <strong>au</strong>mônier général (ou<br />

conseiller moral), <strong>au</strong> sujet duquel on nous répéterait souvent, <strong>au</strong> cours des<br />

années, que les avis en matière de foi et de morale avaient force de loi.<br />

On le constate, l’ajfo n’était pas née ex nihilo. Son avènement avait été<br />

longuement et minutieusement préparé. En tant que mouvement de <strong>jeunesse</strong>,<br />

l’ajfo s’inscrivait dans la continuité de l’acjc — l’Association catholique de la<br />

<strong>jeunesse</strong> canadienne (ou canadienne-<strong>français</strong>e) —, fondée, comme l’on sait, en<br />

11


MICHEL GAULIN<br />

1904 et qui avait, sans doute de façon tout de même assez restreinte, essaimé en<br />

Ontario. Les mémoires et la correspondance de l’abbé Groulx nous informent<br />

qu’à partir du moment, en 1913, où il commença à venir à Ottawa travailler <strong>au</strong>x<br />

Archives nationales pour son œuvre d’historien, il eut à quelques reprises<br />

l’occasion de prendre la parole devant des cercles de jeunes de la région,<br />

vraisemblablement des cercles de l’acjc 4 . Cette histoire, quoi qu’il en soit, reste<br />

à faire. Mais, à la fin des années 1940, l’acjc n’était plus que l’ombre de ce qu’elle<br />

avait été <strong>au</strong>x belles années et elle allait d’ailleurs bientôt modifier son nom pour<br />

devenir tout simplement l’ajc, l’Association de la <strong>jeunesse</strong> canadienne. <strong>La</strong><br />

conjoncture avait entre-temps évolué en Ontario et elle appelait<br />

incontestablement une <strong>au</strong>tre stratégie, ainsi que d’<strong>au</strong>tres moyens d’action axés<br />

plus directement sur la situation des Franco-Ontariens. Les archives de l’ajfo<br />

gardent toutefois la trace d’un chev<strong>au</strong>chement entre les deux organismes, ajfo<br />

et ajc. Ainsi, à Eastview, petite municipalité longtemps encastrée dans le<br />

territoire de la ville d’Ottawa, le cercle Montfort, fondé en 1948 comme un<br />

cercle de l’ajc, s’affiliait à l’ajfo dès 1950, mais n’en maintenait pas moins son<br />

affiliation à l’ajc jusqu’en 1952 5 .<br />

L’enthousiasme des débuts, toutefois, devait faire long feu. Dès le printemps<br />

de 1950, le président fondateur, Jean-Louis Allard, déjà trop requis par ses<br />

charges d’enseignement, quittait la présidence, et si la vie du mouvement se<br />

poursuivit tant bien que mal par après, il semble qu’un lent endormissement se<br />

soit peu à peu installé, situation qui finit par appeler une reprise en main<br />

vigoureuse. C’est ici qu’intervient, dans l’histoire de l’ajfo, le nom de Victor<br />

Paré, venu du cercle Montfort <strong>au</strong>quel je faisais allusion à l’instant.<br />

Victor Paré a occupé la présidence générale de l’ajfo pendant cinq ans, du<br />

mois de mars 1955 à la fin du mois de mars 1960, et les années de sa présidence<br />

constituent assurément les plus belles et les plus fécondes du mouvement.<br />

Homme d’une très grande discrétion, effacé, d’un abord facile, mais doué par<br />

ailleurs d’une grande force de caractère alliée à un sens de l’humour qui savait<br />

désamorcer par un sourire les situations les plus délicates, il faisait<br />

incontestablement parmi nous figure de chef. Il devait bien avoir, à l’époque, la<br />

jeune quarantaine, ce qui lui conférait un ascendant certain sur nous qui, pour<br />

la plupart, n’avions pas vingt ans ou qui, les ayant, cherchions encore nos assises<br />

dans la vie. Sous un gant de velours, il avait la main ferme. Il savait fouetter<br />

l’ardeur des troupes lors des congrès génér<strong>au</strong>x et, <strong>au</strong>x réunions du Bure<strong>au</strong><br />

central, nous morigénait souvent, nous disant que les choses allaient mal à<br />

l’ajfo, ou n’allaient pas telles qu’elles <strong>au</strong>raient dû aller et qu’il fallait en<br />

conséquence apporter plus de vigueur à la tâche. Ou je me trompe fort, ou l’ojc<br />

dut avoir, d’une façon ou d’une <strong>au</strong>tre, un rôle à jouer dans son accession à la<br />

12


Conférence d’ouverture<br />

présidence. On avait trouvé l’homme qu’il fallait dans la conjoncture. Faisant<br />

équipe avec Florian Carrière — devenu entre-temps conseiller laïque du<br />

mouvement — avec l’abbé René Denis, l’<strong>au</strong>mônier général, avec, enfin, toutes<br />

les bonnes volontés qui l’entouraient, tant <strong>au</strong> Bure<strong>au</strong> central qu’<strong>au</strong> sein des<br />

cercles, il allait retourner la situation.<br />

Et quel retournement, quelle vigueur nouvelle ! L’instrument de recherche<br />

préparé par le crccf pour guider les chercheurs à travers les archives de l’ajfo<br />

fait état, pour les années 1950 à 1967, d’un total de 59 cercles répartis à travers la<br />

province 6 . Près de la moitié de ce nombre, soit 24 cercles environ, étaient en<br />

existence <strong>au</strong>x plus belles années de la présidence de Victor Paré 7 . Selon les<br />

milieux, ces cercles étaient en majorité composés soit d’étudiants, soit de jeunes<br />

travailleurs déjà engagés dans la vie active, ou des deux à la fois. Mouvement<br />

exclusivement masculin à l’origine, tout <strong>au</strong> moins de fait, l’ajfo avait<br />

progressivement, <strong>au</strong> fil des années, fait place <strong>au</strong>x jeunes filles, d’abord dans des<br />

cercles réservés à leur intention, puis plus tard, dans le milieu paroissial entre<br />

<strong>au</strong>tres, dans des cercles dits « mixtes ». Comme on peut facilement l’imaginer,<br />

la vie de be<strong>au</strong>coup de cercles connaissait bien des fluctuations — moments de<br />

ferveur suivis de périodes de ralentissement, sinon même d’inactivité<br />

temporaire —, phénomène commun <strong>au</strong> sein de tout mouvement de <strong>jeunesse</strong><br />

où, par la nature même des choses, la vie file à vive allure et le renouvellement<br />

des effectifs est quasi constant.<br />

D’<strong>au</strong>tres éléments contribuaient par ailleurs à ces fluctuations. À la fin des<br />

années 1950 et <strong>au</strong> début des années 1960, le rése<strong>au</strong> paroissial, en Ontario<br />

<strong>français</strong>, était encore à peu près intact. Il allait donc de soi que be<strong>au</strong>coup des<br />

cercles de l’ajfo aient une base principalement paroissiale. Il suffisait, dans telle<br />

paroisse, d’un curé — ou d’un vicaire — <strong>au</strong>x convictions quelque peu<br />

nationalistes pour qu’un cercle y naisse et s’y épanouisse, alors que dans<br />

d’<strong>au</strong>tres paroisses, l’<strong>au</strong>torité en place jugeait que l’ajfo risquait de faire<br />

ombrage à telle <strong>au</strong>tre œuvre jugée plus valable ou plus essentielle. Même<br />

problème dans les maisons d’enseignement, où nous n’arrivions en général à<br />

pénétrer qu’avec be<strong>au</strong>coup de difficulté. Nous y étions en effet en concurrence<br />

directe avec les mouvements d’Action catholique — la Jeunesse étudiante<br />

catholique (jec), principalement — et les <strong>au</strong>torités hésitaient à enfreindre la<br />

volonté de l’épiscopat qui, à la fin des années 1930, avait décrété une séparation<br />

étanche entre les mouvements d’Action catholique proprement dite et les<br />

mouvements à caractère nationaliste. Sans compter qu’il était sans doute<br />

be<strong>au</strong>coup plus facile pour les <strong>au</strong>torités de ces établissements de conserver la<br />

h<strong>au</strong>te main sur un groupe de la jec que sur un cercle de l’ajfo télécommandé<br />

depuis Ottawa par des laïcs dont on ne connaissait trop les convictions<br />

13


MICHEL GAULIN<br />

religieuses et <strong>au</strong>tres. Enfin, existait, surtout dans les villes, l’influence du milieu<br />

ambiant qui incitait les jeunes à s’angliciser, non seulement linguistiquement,<br />

mais, ce qui était plus grave, culturellement. Nos coreligionnaires irlandais<br />

avaient mis sur pied, dans plusieurs centres, un organisme principalement de<br />

loisirs, la Catholic Youth Organization (cyo), dont l’activité majeure paraissait<br />

consister en soirées de danse le vendredi soir. C’était là assez pour soulever le<br />

spectre de fréquentations « malsaines », et celui, surtout, de mariages mixtes<br />

dont l’abbé Groulx avait déjà démontré, quelque vingt-cinq ans <strong>au</strong>paravant,<br />

dans son roman L’appel de la race, toute la perfidie.<br />

À l’ajfo, en tout cas, l’humeur n’était pas tant <strong>au</strong>x loisirs (qui devaient<br />

pourtant trouver leur juste place dans un ensemble bien équilibré) qu’à la<br />

formation. Rien de plus instructif à ce propos que d’examiner le programme<br />

d’études qui était proposé <strong>au</strong>x membres à l’occasion des congrès génér<strong>au</strong>x<br />

tenus en principe tous les deux ans (bien qu’il y eut des exceptions) ou des<br />

rencontres de formation organisées périodiquement en divers coins de la<br />

province. Je n’ai malheureusement pas le loisir de m’attarder à chacune de<br />

ces rencontres et donc me contenterai de signaler quelques-uns des thèmes<br />

mobilisateurs proposés à l’occasion de certains congrès génér<strong>au</strong>x : en 1956,<br />

« Fils de héros » (be<strong>au</strong> thème à saveur groulxienne s’il en fut !) ; en 1958,<br />

« Acquérir pour servir » ; en 1960, « Deviens un chef » ; en 1961, « Unissonsnous<br />

». Derrière ces thèmes, toutefois, c’était, peu ou prou, toujours les mêmes<br />

sujets d’étude qui se profilaient : la langue, la religion, la famille, les loisirs, la<br />

fierté. Arrêtons-nous tout de même un instant pour examiner les questions<br />

proposées à la réflexion des participants <strong>au</strong> congrès général de 1956, le premier<br />

qu’ait présidé Victor Paré et qu’il décrivait, dans son allocution de bienvenue du<br />

6 octobre 1956, comme « une date décisive dans l’histoire de l’ajfo 8 » :<br />

14<br />

• « <strong>La</strong>ngue : Comment les jeunes Franco-Ontariens peuvent-ils assurer la<br />

conservation de la langue <strong>français</strong>e dans leur vie personnelle et sociale ?<br />

• « Religion : Nos jeunes Franco-Ontariens sont-ils convaincus de la Vérité<br />

[avec un grand V !] ? Les mariages mixtes sont-ils un enrichissement ou<br />

une catastrophe pour nous ? Quels sont les remèdes les plus urgents ?<br />

• « Famille : <strong>La</strong> famille franco-ontarienne remplit-elle actuellement<br />

tout son rôle ? Sinon, comment y parviendra-t-elle ?<br />

• « Loisirs : Est-ce que l’organisation des loisirs de la <strong>jeunesse</strong> francoontarienne<br />

est suffisante et conforme à notre caractère national ?<br />

Comment organiser ces loisirs et les marquer de notre préférence ?<br />

• « Fierté : Comment développer en nous une fierté nationale bien<br />

comprise ? Où et comment ? 9 »


Conférence d’ouverture<br />

Au rythme des années, signe des temps, on observe un léger infléchissement<br />

du côté de l’économique et du politique (le politique comme notion abstraite,<br />

car les documents montrent combien l’on se méfiait de la politique dans sa<br />

dimension « politicienne »). Mais ce qui frappe, surtout, c’est le nombre de fois<br />

où les mêmes noms de conférenciers et d’animateurs reviennent de rencontre<br />

en rencontre, de congrès en congrès : Florian Carrière, à titre de conseiller<br />

laïque, et l’abbé Denis à tire d’<strong>au</strong>mônier général, bien sûr, mais <strong>au</strong>ssi Markland<br />

Smith, longtemps président général de l’Association des parents et instituteurs<br />

de l’Ontario ; dans le domaine des loisirs, ceux de Roger Dion, professeur à<br />

l’Université d’Ottawa puis fonctionnaire <strong>au</strong> ministère fédéral de la Santé et du<br />

Bien-être social, puis de Louis-Philippe Poirier, fonctionnaire provincial<br />

ontarien œuvrant dans le domaine des loisirs commun<strong>au</strong>taires. À plusieurs<br />

reprises, également, on retrouve le nom du père Richard Mign<strong>au</strong>lt, o.p., dont je<br />

n’ai pas oublié, à ce jour, l’exposé limpide qu’il nous avait fait, lors d’une session<br />

d’étude à Toronto, durant l’été de 1959, sur la différence entre « nation peuple »<br />

et « nation État », exposé qui forme encore la base de mes convictions intimes<br />

face à l’interminable contentieux Québec-<strong>Canada</strong>. Après plus de quarante ans,<br />

j’entends encore Victor Paré nous dire, alors que nous étions tous assis <strong>au</strong>tour<br />

d’une table à nous interroger un peu vainement sur les conférenciers à inviter<br />

pour tel congrès, telle rencontre : « J’ai un bon ami, à Montréal (ou à<br />

Sherbrooke ou en tel <strong>au</strong>tre endroit) qui nous ferait quelque chose de bien. Je<br />

vais me mettre en rapport avec lui... » Quelques années plus tard, je devais<br />

retrouver be<strong>au</strong>coup de ces noms dans quelque document relatif à l’ojc. Sur les<br />

<strong>au</strong>tres, on ne peut, encore <strong>au</strong>jourd’hui, que spéculer.<br />

Avec l’<strong>au</strong>dace de la <strong>jeunesse</strong>, l’ajfo voyait grand en ce qui concernait ses<br />

diverses manifestations publiques. Déjà, <strong>au</strong> congrès de 1952, la conférence du<br />

banquet de clôture était donnée par Markland Smith en présence du juge en<br />

chef de la Cour suprême du <strong>Canada</strong>. Au cours des années, plusieurs évêques<br />

devaient défiler devant la tribune de l’ajfo. Au congrès de 1960, c’était le tour<br />

du directeur du Devoir, Gérard Filion et, trois ans plus tard, en 1963, celui de<br />

Jean-Luc Pépin, alors député de Drummond-Arthabaska <strong>au</strong>x Communes. <strong>La</strong><br />

même année, les congressistes étaient reçus à Ride<strong>au</strong> Hall par Son Excellence le<br />

Gouverneur général Vanier. En 1961, par ailleurs, ils avaient profité d’un récital<br />

donné par le grand Félix Leclerc, que le président général d’alors, Jean Léveillé,<br />

était allé débusquer, un samedi après-midi, dans son repaire de V<strong>au</strong>dreuil. Seul<br />

le maire d’Ottawa, la légendaire Charlotte Whitton, devait résister <strong>au</strong>x instances<br />

de l’ajfo, refusant, cette même année, 1961, de laisser hisser <strong>au</strong> mât de l’hôtel de<br />

ville le drape<strong>au</strong> de l’Association pour la durée du congrès, en expliquant, sans<br />

doute par mesure de consolation, que cet honneur avait été pareillement refusé<br />

15


MICHEL GAULIN<br />

à l’équipe de football de la capitale, l’année précédente, quand elle avait<br />

remporté la célèbre coupe Grey 10 !<br />

L’ajfo était également capable, à l’occasion, de gestes courageux et<br />

passablement inédits pour l’époque. Ainsi, en janvier 1960, dans un effort pour<br />

intéresser <strong>au</strong> mouvement les élèves du secondaire et les étudiants du nive<strong>au</strong><br />

universitaire, elle présentait <strong>au</strong> public d’Ottawa, en l’<strong>au</strong>ditorium de la Faculté<br />

de médecine de l’Université d’Ottawa, une conférence de Naïm Kattan, arrivé<br />

<strong>au</strong> <strong>Canada</strong> depuis 1954 à peine et qui n’avait à peu près encore, pour tout titre<br />

de gloire, que celui de secrétaire du Cercle juif de langue <strong>français</strong>e de Montréal.<br />

Soirée fort réussie, où un public de jeunes s’était pressé, relativement<br />

nombreux 11 .<br />

À travers toutes ces manifestations, tous ces congrès, ces journées d’étude et<br />

de récollection, cela sans parler de l’activité des cercles et, à compter de 1959, de<br />

celle des bure<strong>au</strong>x région<strong>au</strong>x établis dans les trois grandes régions de la province<br />

(Nord, c’est-à-dire North Bay ; Sud, c’est-à-dire Windsor ; et Ottawa), on ne<br />

chômait pas à l’ajfo ! Le rapport de synthèse du secrétaire général (moi-même<br />

en l’occurrence) sur la vie du mouvement <strong>au</strong> cours de l’exercice 1958-1960<br />

précisait qu’entre le 13 octobre 1959 et le 8 octobre 1960, le Bure<strong>au</strong> central<br />

s’était réuni à 33 reprises, soit 25 fois en assemblée ordinaire, 5 en assemblée<br />

extraordinaire et 3 fois en assemblée conjointe, donc, en moyenne, 3 réunions<br />

par mois, avec un mois de congé pour faire le compte !<br />

En 1958, l’acfeo avait fait l’acquisition, dans un be<strong>au</strong> quartier du centreville,<br />

<strong>au</strong> 105 de la rue Wurtemburg, d’une grande maison semblable à celles où<br />

logeaient à l’époque de nombreuses ambassades, dans le but d’y réunir sous un<br />

seul toit les princip<strong>au</strong>x organismes franco-ontariens et de favoriser ainsi une<br />

meilleure cohésion dans leur action commune. On nous accorda, dans cette<br />

maison franco-ontarienne, notre petit espace bien à nous, sous les combles, et<br />

nous pûmes désormais nous frotter quotidiennement non seulement <strong>au</strong><br />

personnel de l’acfeo, mais également <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres organismes représentant<br />

divers secteurs d’activité ou d’intervention <strong>au</strong> sein de la collectivité francoontarienne<br />

: Association de parents et instituteurs (api), Association des<br />

commissaires d’écoles bilingues de l’Ontario (acebo), Association des<br />

enseignants franco-ontariens (aefo), Sociétés Saint-Jean-Baptiste de l’Ontario,<br />

Fédération des femmes canadiennes-<strong>français</strong>es (ffcf), Union des cultivateurs<br />

franco-ontariens (ucfo). Nous eûmes ainsi davantage l’impression de pouvoir<br />

participer à la plénitude de la vie franco-ontarienne.<br />

En même temps, nous travaillions à un <strong>au</strong>tre projet qui faisait l’objet d’un<br />

souhait de l’ojc (encore lui !), soit celui d’un regroupement de tous les<br />

mouvements de <strong>jeunesse</strong> du <strong>Canada</strong> <strong>français</strong>. Ce regroupement vit<br />

16


Conférence d’ouverture<br />

effectivement le jour à Ottawa le 30 novembre 1958, sous le nom de Conseil<br />

national de la <strong>jeunesse</strong> canadienne-<strong>français</strong>e. À tout seigneur tout honneur,<br />

c’est à l’ajc, en tant qu’aînée des mouvements de <strong>jeunesse</strong> alors en existence,<br />

que revinrent la présidence et le secrétariat du nouve<strong>au</strong> conseil, mais dès le<br />

mois de mai suivant, la présidence et le secrétariat devaient passer entre les<br />

mains, respectivement, de Victor Paré et de Pierre Gravelle à Ottawa. Tout<br />

semblait dès lors aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais les<br />

affrontements qui surgiraient dans la première moitié des années 1960 allaient<br />

bientôt imposer une sourdine à plusieurs de ces be<strong>au</strong>x projets.<br />

À l’ajfo <strong>au</strong>ssi, d’ailleurs, les choses avaient commencé à changer. Le 22 mars<br />

1960, Victor Paré annonçait inopinément, pour la fin du mois, sa démission de<br />

la présidence générale. Le Bure<strong>au</strong> central, agissant <strong>au</strong> nom du mouvement entre<br />

les congrès, désigna immédiatement pour le remplacer le premier viceprésident,<br />

Guy Dorval. Mais voici qu’une dizaine de mois plus tard, celui-ci<br />

remettait à son tour sa démission, ostensiblement sur les ordres de son<br />

médecin, mais en réalité parce qu’il était entré (ou s’apprêtait à entrer) <strong>au</strong><br />

service de la chancellerie de l’ojc comme secrétaire général adjoint ! L’on<br />

jugeait, en h<strong>au</strong>t lieu, que le profil relativement obscur qui convenait à cette<br />

fonction <strong>au</strong> sein d’une société après tout « secrète » était incompatible avec la<br />

présidence de l’ajfo qui supposait, elle, une plus grande visibilité publique. <strong>La</strong><br />

succession rapide, sur une période de quelque trois ans, de quatre présidents<br />

génér<strong>au</strong>x n’allait guère favoriser la stabilité du mouvement qui donna, dès lors,<br />

l’impression d’aller un peu à v<strong>au</strong>-l’e<strong>au</strong>.<br />

De mon côté, à la fin de l’été 1961, je partais m’installer à Montréal pour y<br />

poursuivre des études de maîtrise. À l’été 1963, je réintégrais Ottawa après une<br />

première année d’enseignement dans un petit collège américain et, à la<br />

demande du président alors en exercice, Louis Vincent, j’acceptai de reprendre<br />

le poste de secrétaire général. Je me rendis vite compte, cependant, que l’ajfo<br />

de 1963 n’était plus celle que j’avais quittée en 1961. Elle donnait l’impression de<br />

ne plus avoir à la barre la main <strong>au</strong>ssi sûre qu’<strong>au</strong>paravant, d’être sournoisement<br />

en train de se transformer de mouvement d’élite qu’elle avait aspiré à être en<br />

mouvement de masse axé principalement sur les loisirs. Elle semblait porter<br />

davantage attention, désormais, à la formation personnelle de ses membres qu’à<br />

leur formation nationale. Alors qu’en 1960, on parlait d’élaborer à l’intention<br />

des membres un cours de chefs 12 , on parlait désormais de cours de<br />

personnalité 13 !<br />

Pour moi, de toute façon, le cœur n’y était plus. J’étais, dans les deux années<br />

écoulées entre-temps, passé à <strong>au</strong>tre chose, soit la mise en place des assises d’une<br />

longue carrière universitaire qui, dans sa phase active, allait durer trente-quatre<br />

17


MICHEL GAULIN<br />

ans et qui, depuis près de dix ans maintenant, se poursuit sous une multitude<br />

d’<strong>au</strong>tres formes. Je pris donc congé définitivement de l’ajfo dès la fin du<br />

congrès de cette année-là, 1963. Après une année passée <strong>au</strong> Département de<br />

<strong>français</strong> de l’Université d’Ottawa comme chargé de cours, je repartais <strong>au</strong>x<br />

études, à l’<strong>au</strong>tomne de 1964, cette fois en direction de Harvard pour y préparer<br />

mon doctorat. Quand, trois ans plus tard, en 1967, le temps vint de réintégrer le<br />

pays, plutôt que de rentrer à l’Université d’Ottawa, d’où j’étais parti en congé<br />

sans solde, j’acceptai un poste que l’on me proposait à l’Université Carleton.<br />

Cette décision de ma part n’eut guère l’heur de plaire dans le milieu francoontarien,<br />

et l’on me le fit bien sentir : j’abandonnais la proie pour l’ombre,<br />

j’allais pactiser avec l’ennemi plutôt que de me mettre <strong>au</strong> service de la<br />

collectivité qui était la mienne. Devait s’ensuivre pour moi, qui restais pourtant<br />

profondément franco-ontarien de cœur, une longue période de séparation de<br />

ma commun<strong>au</strong>té d’origine, qui dura trente ans, jusqu’<strong>au</strong> moment où, en 1998,<br />

grâce, principalement, à René Dionne, je fus invité à me joindre à la Société<br />

Charlevoix. Je rentrais, pour ainsi dire, à la maison.<br />

Le thème retenu pour ce colloque parle, dans son intitulé, de « formation »<br />

et d’« identité ». J’écarquille <strong>au</strong>jourd’hui les yeux, quelque quarante-cinq ans<br />

plus tard, quand je pense qu’à dix-huit et dix-neuf ans, tout en poursuivant mes<br />

études, j’assurais à peu près seul, avec l’aide de quelques bénévoles qui se<br />

vouaient principalement à des tâches de dactylographie, le secrétariat d’un<br />

mouvement provincial qui comptait des cercles actifs à la grandeur de la<br />

province, trois bure<strong>au</strong>x région<strong>au</strong>x et un Bure<strong>au</strong> central qui se réunissait en<br />

moyenne trois fois par mois ! Mais il ne fait <strong>au</strong>cun doute pour moi que mon<br />

expérience <strong>au</strong> sein de l’ajfo a constitué, dans ma vie, un apprentissage<br />

fondamental qui m’a conforté dans mon identité et qui a puissamment<br />

contribué, de concert avec d’<strong>au</strong>tres influences, d’ordre intellectuel celles-là, à<br />

me former l’esprit. Et je ne crois pas être le seul à avoir profité de l’occasion<br />

exceptionnelle qu’offrait l’ajfo à ceux qui le désiraient, de se préparer, à divers<br />

titres, à des rôles de leadership dans la société. Je pense, par exemple, à la<br />

brillante carrière, dans le monde universitaire canadien, de Jean-Louis Major,<br />

prédécesseur immédiat de Pierre Gravelle <strong>au</strong> secrétariat général ; à Pierre<br />

Gravelle lui-même, devenu sous-ministre à Ottawa avant de passer <strong>au</strong> monde<br />

des affaires et de la h<strong>au</strong>te finance ; à Marcel Be<strong>au</strong>dry, longtemps membre du<br />

Bure<strong>au</strong> central et depuis plusieurs années déjà, président de la Commission de<br />

la capitale nationale. Et combien d’<strong>au</strong>tres parcours semblables encore ne<br />

pourrais-je évoquer ?<br />

Je terminerai par ailleurs en formulant un souhait. On me soupçonnera<br />

peut-être d’être atteint de paranoïa quant à l’influence occulte de l’Ordre de<br />

18

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!