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Le paradoxe de la mort drôle chez Alphonse Allais - Association des ...

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<strong>Le</strong> <strong>paradoxe</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>mort</strong> <strong>drôle</strong><br />

<strong>chez</strong> <strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is<br />

Jennifer <strong>Le</strong>gros


Mémoire <strong>de</strong> Master 1<br />

Mention Littérature, Philologie et Linguistique<br />

Spécialité Langue Française<br />

<strong>Le</strong> <strong>paradoxe</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>mort</strong> <strong>drôle</strong><br />

<strong>chez</strong> <strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is<br />

Sous <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> M. Georges Molinié<br />

1<br />

Parcours Recherche<br />

2007-2008


Table <strong>de</strong>s matières<br />

Introduction 5<br />

1 <strong>Le</strong>s genres comiques 7<br />

1.1 Éloges paradoxaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7<br />

1.1.1 Éloge du meurtrier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8<br />

1.1.2 Éloge du pendu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9<br />

1.1.3 Objectif <strong>de</strong> l’altération <strong>de</strong>s valeurs . . . . . . . . . . . . . . . 11<br />

1.2 Combles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12<br />

1.2.1 Cynisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12<br />

1.2.2 Phi<strong>la</strong>nthropie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13<br />

1.2.3 Adultère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14<br />

1.3 Pastiches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15<br />

1.3.1 Conte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15<br />

1.3.2 Publicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18<br />

1.3.3 Presse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21<br />

2 <strong>Le</strong>s idées délicieusement macabres 27<br />

2.1 Profanations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27<br />

2.1.1 Crémation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27<br />

2.1.2 Recyc<strong>la</strong>ge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29<br />

2.1.3 Étrange conditionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30<br />

2.1.4 Nécrophilie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32<br />

2.1.5 Transformation d’un cimetière . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33<br />

2.2 Mercantilisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35<br />

2.3 Torture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36<br />

3 <strong>Le</strong> comique stylistique 40<br />

3.1 Oralité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40<br />

2


3.1.1 Complicité avec le lecteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41<br />

3.1.2 Parenthèses et digressions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44<br />

3.1.3 Répétitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47<br />

3.2 Figures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49<br />

3.2.1 Euphémisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50<br />

3.2.2 Antanac<strong>la</strong>se et syllepse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50<br />

3.2.3 Paronomase . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52<br />

3.3 Mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong>s registres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53<br />

3.3.1 Néologismes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54<br />

3.3.2 Registre familier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56<br />

Conclusion 61<br />

Bibliographie 62<br />

3


Corpus<br />

<strong>Le</strong> Criminel précautionneux [I, p. 36]<br />

<strong>Le</strong> Pendu bienveil<strong>la</strong>nt [I, p. 39]<br />

Un Testament [I, p. 262]<br />

Posthume [I, p. 325]<br />

Gabelle macabre [I, p. 407]<br />

Un Rajah qui s’embête [I, p. 418]<br />

Funerals [I, p. 432]<br />

The Corpse-car [II, p. 370]<br />

P<strong>la</strong>cer Macabre [II, p. 377]<br />

Facétie Macabre [II, p. 564]<br />

L’Œuvre d’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is étant fécon<strong>de</strong> en récits à <strong>la</strong> fois funestes et <strong>drôle</strong>s, le<br />

choix s’est porté sur une sélection <strong>de</strong> ceux dont le titre «trahit» le contenu. Seul<br />

Un Rajah qui s’embête ne répond pas à ce critère, mais cette histoire est d’une telle<br />

cruauté qu’elle trouve parfaitement sa p<strong>la</strong>ce dans cet échantillon mê<strong>la</strong>nt humour et<br />

trépas.<br />

4


Introduction<br />

On parle d’« humour noir » lorsque le sujet abordé concerne une situation particulièrement<br />

peu propice au rire selon le co<strong>de</strong> ordinaire. Ce type d’humour pose le<br />

problème <strong>de</strong>s limites <strong>de</strong> l’humour puisqu’il joue en permanence avec le mauvais goût.<br />

Il choque, gêne et oscille entre le comique et le tragique. [Gamard et <strong>Le</strong>bailly, IV, 201]<br />

Cette définition <strong>de</strong> l’humour noir, qui compense l’inconvénient <strong>de</strong> sa concision<br />

par l’avantage <strong>de</strong> sa c<strong>la</strong>rté, établit le cadre dans lequel évolue une gran<strong>de</strong> part <strong>de</strong><br />

l’œuvre d’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is.<br />

On croit connaître <strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is, l’auteur comique, on colporte ses traits d’es-<br />

prits, ses combles... <strong>Le</strong> natif <strong>de</strong> Honfleur, qui grandit dans <strong>la</strong> pharmacie paternelle,<br />

est souvent entouré d’une aura <strong>de</strong> jovialité avinée, on se le représente volontiers<br />

à <strong>la</strong> terrasse d’un café, abreuvant ses comparses <strong>de</strong> ses fantaisies légères. C’est <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>scription qu’en fait Paul Vivien 1 dans les colonnes <strong>de</strong> L’Hydropathe :<br />

<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is [...] est un <strong>de</strong>s types les plus connus et les plus aimés du quartier<br />

Latin où sa belle gaîté et son esprit l’ont rendu <strong>de</strong>puis longtemps popu<strong>la</strong>ire.<br />

[Vivien, XXXIX]<br />

Mais on connaît peut-être moins l’auteur funeste, celui qui fait rire <strong>de</strong>s défunts,<br />

car ses ouvrages sont aussi peuplés <strong>de</strong> décès en tous genres. Si le titre <strong>de</strong> sa rubrique<br />

dans <strong>Le</strong> Journal est La Vie <strong>drôle</strong>, ce<strong>la</strong> ne l’empêche pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> rebaptiser La Mort<br />

<strong>drôle</strong> 2 , le temps d’un numéro. François Cara<strong>de</strong>c souligne ce penchant morbi<strong>de</strong> :<br />

Y a-t-il autant <strong>de</strong> <strong>mort</strong>s violentes dans un recueil <strong>de</strong> contes fantastiques ou dans un<br />

roman noir que dans un seul <strong>de</strong>s dix volumes qu’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is a publiés sous le<br />

titre macabre d’ «Œuvres Anthumes» ? Comptez-les par curiosité : vous serez surpris<br />

d’avoir ri <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> cadavres 3 . [Cara<strong>de</strong>c, I, 11]<br />

1 Tour à tour directeur, administrateur et rédacteur en chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> revue illustrée, fondée par<br />

Émile Gou<strong>de</strong>au.<br />

2 À l’occasion <strong>de</strong> sa nouvelle P<strong>la</strong>cer Macabre, le 26 septembre 1897.<br />

3 À titre d’illustration,<br />

À se tordre, le premier volume <strong>de</strong>s Œuvres Anthumes, paru en 1890,<br />

comporte quarante-cinq nouvelles dont dix évoquent une sombre <strong>de</strong>stinée, c’est-à-dire près du<br />

5


En effet, l’auteur explore avec une jubi<strong>la</strong>tion méticuleuse toutes sortes <strong>de</strong> trépas,<br />

<strong>de</strong>s plus p<strong>la</strong>usibles aux plus inattendus. Il s’intéresse également au <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

dépouille, tant à son conditionnement qu’aux démarches administratives qu’elle en-<br />

traîne, proposant souvent les solutions les plus extravagantes. Ce ton décalé, ce<br />

cynisme, lui valent l’hommage d’André Breton, qui lui consacre une entrée dans son<br />

Anthologie <strong>de</strong> l’humour noir [Breton, VIII, 221].<br />

Pourtant, cette reconnaissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> part du chef <strong>de</strong> file <strong>de</strong>s surréalistes ne fait<br />

pas école. <strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is est un auteur en retrait, « un auteur gai », avec tout ce<br />

que cette expression comporte <strong>de</strong> futile et <strong>de</strong> réducteur. Il est peu étudié.<br />

[...] aujourd’hui encore, l’image du chroniqueur voué aux écrits journalistiques prévaut<br />

sur celle <strong>de</strong> l’écrivain, comme celle <strong>de</strong> l’amuseur et <strong>de</strong> l’inventeur font souvent oublier<br />

qu’il était avant tout (Jules Renard, orfèvre en <strong>la</strong> matière, le rappe<strong>la</strong>it déjà,<br />

au moment <strong>de</strong> sa disparition) un homme <strong>de</strong> plume et <strong>de</strong> style. Dès lors, <strong>la</strong> notoriété<br />

d’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is est d’ordre périphérique, il appartient à <strong>la</strong> marginalité <strong>de</strong>s auteurs<br />

« humoristiques », « popu<strong>la</strong>ires », réputés grand public, situation quelque peu<br />

dévalorisante qui l’exclut du répertoire <strong>de</strong>s « c<strong>la</strong>ssiques » [Grojnowski, III, 9]<br />

Cependant, les rares spécialistes et amateurs qui s’attar<strong>de</strong>nt sur son œuvre sont<br />

unanimes : Al<strong>la</strong>is est un auteur complexe, un architecte, un amoureux <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue.<br />

On découvre alors qu’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is n’est pas simplement un auteur à succès <strong>de</strong>stiné<br />

aux « commis-voyageurs », un proférateur <strong>de</strong> bons mots et d’anecdotes [...].<br />

Inventeurs <strong>de</strong> situations, amateur d’impossible que <strong>la</strong> fantaisie permet à tout moment<br />

<strong>de</strong> traduire en réalités imaginaires, Al<strong>la</strong>is est avant tout un être <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage. Sur<br />

<strong>de</strong>s fils qui se croisent <strong>de</strong> toutes parts, il avance en funambule. [Grojnowski, III, 10]<br />

Cette étu<strong>de</strong> propose, à travers une dizaine <strong>de</strong> récits comportant <strong>de</strong>s événements<br />

tragiques, d’analyser <strong>de</strong> quelles manières l’auteur parvient à rendre <strong>la</strong> <strong>mort</strong>, sujet<br />

sensible et le plus souvent grave, amusante. De cette manière, on se propose <strong>de</strong> porter<br />

un nouveau regard sur cet humoriste, un regard visant à rappeler qu’Al<strong>la</strong>is est un<br />

écrivain capable <strong>de</strong> voguer du léger au grinçant.<br />

Tout d’abord, l’attention se portera sur le choix <strong>de</strong>s genres narratifs adoptés par<br />

l’écrivain, puis sur les idées impu<strong>de</strong>ntes qu’il sème au détour <strong>de</strong> ses écrits et enfin<br />

sur les techniques stylistiques utilisées associant au trépas une gaîté subversive.<br />

quart.<br />

6


1 <strong>Le</strong>s genres comiques<br />

Sans tomber dans un excès qui voudrait que certains genres soient uniquement<br />

comiques et d’autres uniquement tragiques, il est néanmoins pertinent <strong>de</strong> remar-<br />

quer que certains d’entre eux sont plus propices au rire que d’autres ; que le rire<br />

les accompagne plus naturellement. Ces cadres favorables au comique sont appelés<br />

« sanctuaires du rire » par Éric Smadja.<br />

Cette communication risible s’inscrit toujours dans un cadre spatiotemporel socioculturel<br />

qui peut être spécialisé, institutionnalisé <strong>de</strong>venant sanctuaire du rire [...]<br />

Cette institutionnalisation permettra <strong>la</strong> libre circu<strong>la</strong>tion du risible et du rire qui<br />

seront autorisés voire prescrits. [Smadja, XXI, 114]<br />

Parmi ces sanctuaires, on trouve « <strong>la</strong> littérature, qu’elle soit orale dans les sociétés<br />

traditionnelles (récits <strong>de</strong> mythes, contes) ou écrite (autre communication risible in-<br />

directe par les ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssinées, journaux satiriques, romans) » [Smadja, XXI, 116].<br />

En répertoriant les différents sanctuaires du rire utilisés par Al<strong>la</strong>is, on s’aperçoit<br />

que <strong>la</strong> <strong>mort</strong> peut <strong>de</strong>venir risible lorsqu’elle est associée à <strong>de</strong>s genres qui sont <strong>de</strong>s<br />

véhicules courants du comique.<br />

1.1 Éloges paradoxaux<br />

Dans sa lutte contre les idées reçues, Al<strong>la</strong>is s’amuse à bousculer le bon ton et à<br />

renverser les valeurs traditionnelles. Comme le remarque André Breton dans son an-<br />

thologie, « il excelle à mettre en difficulté l’individu satisfait, ébloui <strong>de</strong> truismes et sûr<br />

<strong>de</strong> lui qu’il côtoie chaque jour dans <strong>la</strong> rue. » [Breton, VIII, 222]. Ce<strong>la</strong> l’amène à vanter<br />

les mérites <strong>de</strong> personnes envers qui l’opinion publique témoigne sa désapprobation.<br />

Éric Smadja souligne que « le changement <strong>de</strong> catégorie ontologique ou sociale est<br />

fortement générateur <strong>de</strong> risible donc <strong>de</strong> rire » [Smadja, XXI, 122]. <strong>Le</strong>s éloges qui<br />

font passer <strong>de</strong>s êtres honnis au rang <strong>de</strong> modèles sont par conséquent <strong>drôle</strong>s.<br />

7


1.1.1 Éloge du meurtrier<br />

L’œuvre d’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is contient assez <strong>de</strong> contes macabres pour qu’il se soit penché<br />

sur le sort <strong>de</strong>s assassins amateurs. [Cara<strong>de</strong>c, I, 77]<br />

En effet, Al<strong>la</strong>is suit avec intérêt divers procès, comme l’affaire Danval, où un<br />

pharmacien est accusé d’avoir empoisonné sa femme. Il se penche avec une attention<br />

encore accrue sur celle du « mystère <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue Poliveau ». Il se trouve que l’un <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux criminels est un étudiant qu’il a bien connu. Il va même jusqu’à lui trouver <strong>de</strong>s<br />

circonstances atténuantes.<br />

<strong>Le</strong>biez assassin !... Lui qui est <strong>la</strong> douceur même !... [...] Jamais l’idée d’un assassinat<br />

ne serait venue à <strong>Le</strong>biez. C’est certainement Barré qui a été le promoteur ; et <strong>Le</strong>biez,<br />

dont le jugement n’est pas très soli<strong>de</strong>, a fini par se dire : « Cette bonne femme est<br />

âgée, mal portante, elle ne connaît aucune <strong>de</strong>s joies <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ; <strong>la</strong> supprimer sans <strong>la</strong><br />

faire souffrir, c’est presque lui rendre service, car qui sait si l’avenir ne lui réserve<br />

pas <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s douleurs ? Tandis que nous, avec cette somme dont elle ne sait même<br />

pas profiter, nous pouvons faire œuvre utile. » [Al<strong>la</strong>is, I, 78]<br />

Dans <strong>Le</strong> Criminel précautionneux, on assiste à une inversion <strong>de</strong>s valeurs morales,<br />

<strong>de</strong> même que dans cette prise <strong>de</strong> position en faveur <strong>de</strong> <strong>Le</strong>biez. <strong>Le</strong> plus faible est<br />

sacrifié au profit du plus fort : l’honnête mais naïf commerçant est ridiculisé et le<br />

hors-<strong>la</strong>-loi glorifié.<br />

Al<strong>la</strong>is fait du cambrioleur une <strong>de</strong>scription avantageuse grâce à [Al<strong>la</strong>is, I, 36] :<br />

<strong>de</strong>s adjectifs<br />

– « <strong>Le</strong> criminel précautionneux »<br />

– « une main vigoureuse »<br />

– « un robuste malfaiteur »<br />

– « très poli, le malfaiteur » Ici, l’adjectif est renforcé par un adverbe d’intensité.<br />

<strong>de</strong>s adverbes<br />

– « tranquillement »<br />

– « méthodiquement »<br />

un complément circonstanciel <strong>de</strong> manière<br />

– « avec affabilité »<br />

une subordonnée comparative d’égalité<br />

8


– « il amena à lui le triangle <strong>de</strong> métal ainsi déterminé, le tordant aussi facile-<br />

ment qu’il eût fait d’une feuille <strong>de</strong> papier d’étain »<br />

Ce portrait, qui force l’admiration, met en avant <strong>de</strong>s qualités physiques (« un<br />

robuste malfaiteur ») et intellectuelles (« méthodiquement »), assorties d’une bonne<br />

maîtrise <strong>de</strong> soi (« tranquillement »). De plus, <strong>la</strong> pertinence du choix <strong>de</strong> son <strong>la</strong>rcin<br />

ne manque pas d’être soulignée :<br />

il entassa dans un sac ad hoc toutes les pierres précieuses et les parures qui réunissaient<br />

au mérite du petit volume l’avantage du grand prix<br />

A contrario, le bijoutier fait preuve d’une gran<strong>de</strong> naïveté : « sans méfiance,<br />

l’orfèvre lui serra <strong>la</strong> main ». Sa crédulité engendre le dédain du lecteur. Ce <strong>de</strong>rnier<br />

préfère alors, paradoxalement, accor<strong>de</strong>r sa sympathie à <strong>la</strong> figure du meurtrier.<br />

Cependant, il ne faut pas s’y tromper. Daniel Grojnowski le rappelle : « dans<br />

l’espace <strong>de</strong>s contes amusants, on ne périt jamais tout à fait pour <strong>de</strong> vrai 1 . [Groj-<br />

nowski, III, 13]». Al<strong>la</strong>is exécute ses personnages sans remords car ils ne sont que <strong>de</strong>s<br />

marionnettes.<br />

Et il a trouvé une fois pour toutes <strong>la</strong> conclusion <strong>la</strong> plus logique : comment finir<br />

un conte si ce n’est par <strong>la</strong> <strong>mort</strong>, <strong>la</strong> seule fin possible ici-bas ? Al<strong>la</strong>is assassine avec<br />

allégresse. Méritaient-ils d’ailleurs <strong>de</strong> vivre plus longtemps, ces pantins sans caractère<br />

[...] ? Un bon meurtre, et le voilà sou<strong>la</strong>gé [Cara<strong>de</strong>c, IX, 175]<br />

1.1.2 Éloge du pendu<br />

L’association <strong>de</strong>s termes « criminel » et « précautionneux » ainsi que celle <strong>de</strong><br />

« pendu » et « bienveil<strong>la</strong>nt » ont <strong>de</strong> quoi surprendre, sans toutefois atteindre le<br />

statut d’oxymore, car elles ne sont pas porteuses <strong>de</strong> sèmes antinomiques. Ce sont<br />

néanmoins <strong>de</strong>s juxtapositions inattendues et frappantes.<br />

<strong>Le</strong> choix <strong>de</strong> ce thème est caractéristique du penchant al<strong>la</strong>isien pour <strong>la</strong> provocation,<br />

alors même que <strong>la</strong> morale religieuse réprouve très fortement le suici<strong>de</strong>, qui n’est<br />

1 Cette remarque est juste dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s cas, mais signalons tout <strong>de</strong> même qu’Al<strong>la</strong>is écrivit<br />

sur <strong>de</strong> véritables décès. <strong>Le</strong> 18 juillet 1896, il publie une chronique sur le naufrage du Drummond-<br />

Castle : « Aucun humoriste, fût-il le plus noir, n’a jamais osé saisir l’occasion d’une catastrophe<br />

qui a causé sur <strong>la</strong> côte française <strong>la</strong> <strong>mort</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cent quarante-sept personnes pour publier le mois<br />

suivant une fantaisie macabre dans un grand quotidien. » [Cara<strong>de</strong>c, IX, 331]<br />

9


pourtant plus réprimé <strong>de</strong>puis le co<strong>de</strong> Napoléon <strong>de</strong> 1810. Bau<strong>de</strong><strong>la</strong>ire ne manque pas<br />

<strong>de</strong> signaler le dégoût <strong>de</strong>s pendus dans sa nouvelle intitulée La Cor<strong>de</strong>.<br />

J’ai négligé <strong>de</strong> vous dire que j’avais vivement appelé au secours ; mais tous mes<br />

voisins avaient refusé <strong>de</strong> me venir en ai<strong>de</strong>, fidèles en ce<strong>la</strong> aux habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’homme<br />

civilisé, qui ne veut jamais, je ne sais pourquoi, se mêler <strong>de</strong>s affaires d’un pendu.<br />

[Bau<strong>de</strong><strong>la</strong>ire, XXV]<br />

Pourtant, Al<strong>la</strong>is rédige une anecdote à <strong>la</strong> gloire d’un pendu et <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription qu’il<br />

en fait met en valeur <strong>de</strong>s vertus qui rappellent celle <strong>de</strong>s martyrs. [Al<strong>la</strong>is, I, 39]<br />

L’amour du prochain :<br />

– « Et pourtant, chose étrange, jamais <strong>de</strong> cette série obstinément noire n’était<br />

résultée pour lui l’ombre d’une jalousie ou d’une rancune. »<br />

– « Il aimait son prochain »<br />

La compassion :<br />

– « et <strong>de</strong> tout son cœur le p<strong>la</strong>ignait <strong>de</strong> <strong>la</strong> triste existence à <strong>la</strong>quelle il était voué »<br />

– « Puis au moment <strong>de</strong> mourir, il lui vint une immense tristesse pour ceux qui<br />

al<strong>la</strong>ient continuer à vivre... »<br />

– « Une immense pitié et un vif désir <strong>de</strong> les sou<strong>la</strong>ger. »<br />

L’impassibilité <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> <strong>mort</strong> :<br />

– « Tranquillement, sans phrases, sans correspondance posthume, sans attitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> mélodrame »<br />

– « <strong>Le</strong>s différents genres <strong>de</strong> <strong>mort</strong>s défilèrent dans son imagination, lugubres et<br />

indifférentes. »<br />

Ce qui est surprenant, dans cette nouvelle, c’est le fait que le suici<strong>de</strong> soit ici<br />

présenté comme une acte d’altruisme, en opposition totale avec l’opinion commune<br />

qui le qualifie d’égoïste.<br />

Dans les <strong>de</strong>ux éloges paradoxaux qui viennent d’être cités, on remarque que les<br />

victimes sont anonymes. De ce fait, le lecteur ne ressent pas <strong>de</strong> sympathie à leur<br />

égard, il reste en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’histoire, ne s’i<strong>de</strong>ntifie pas, ce qui lui permet <strong>de</strong> rire car<br />

il ne se sent pas concerné.<br />

Ces <strong>de</strong>ux textes sont en accord avec <strong>la</strong> définition du comique <strong>de</strong> Jean Émelina :<br />

<strong>Le</strong> comique naît du spectacle d’un changement <strong>de</strong>s êtres, <strong>de</strong> <strong>la</strong> société, <strong>de</strong>s valeurs,<br />

<strong>de</strong>s idées, du <strong>la</strong>ngage, du mon<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> soi-même, à <strong>la</strong> condition expresse que cette mo-<br />

10


dification, réelle ou fictive, voulue ou subie, prévue ou imprévue, légère ou profon<strong>de</strong>,<br />

simple ou complexe, soudaine ou progressive, soit, dans tous les cas, perçue pour <strong>de</strong><br />

multiples raisons individuelles ou collectives comme anormale, et que cette anomalie<br />

n’affecte point ce spectateur, quelles qu’en soient les conséquences éventuelles.<br />

[ Émelina, XII, 83]<br />

<strong>Le</strong> rire a besoin <strong>de</strong> désengagement affectif et d’impunité pour exister. Lorsque ce<br />

sta<strong>de</strong> est atteint, on peut rire <strong>de</strong> <strong>la</strong> morale <strong>la</strong> plus pervertie, car elle ne possè<strong>de</strong> pas<br />

<strong>de</strong> prise avec notre réalité.<br />

1.1.3 Objectif <strong>de</strong> l’altération <strong>de</strong>s valeurs<br />

L’éloge paradoxal provoque un renversement comique <strong>de</strong>s valeurs. On peut se <strong>de</strong>-<br />

man<strong>de</strong>r si ce discours subversif n’est que pur amusement ou s’il sert un but réellement<br />

critique. Pour Franck Évrard, « le re<strong>la</strong>tivisme éthique montre que <strong>la</strong> morale est une<br />

construction immanente, humaine, qui s’appuie sur <strong>de</strong>s intérêts sociaux et non <strong>de</strong>s<br />

obligations, sacrées ou religieuses » [ Évrard, XIV, 99]. Il est vrai qu’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is<br />

aime souligner l’absurdité <strong>de</strong>s notions tenues pour établies par le bon sens. Mais ce<strong>la</strong><br />

ne fait pas <strong>de</strong> lui un anarchiste, il ne fait que pointer du doigt <strong>de</strong>s vérités trop vite<br />

admises sans pour autant vouloir les détruire.<br />

Ce serait <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce le surinterpréter que <strong>de</strong> lui assigner d’emblée le titre<br />

d’écrivain pamphlétaire. Certaines <strong>de</strong> ses attaques sont virulentes, mais on <strong>de</strong>vine<br />

malgré tout l’affection qu’il porte à ses victimes. Détestait-il vraiment les phar-<br />

maciens et les savants 2 ? N’en était-il pas un lui-même ? C’est un agiteur d’idées,<br />

pas un agitateur politique. Il n’exerce qu’une « activité terroriste <strong>de</strong> l’esprit [Bre-<br />

ton, VIII, 222]» ainsi que le résume André Breton. Jean-Marc Defays remarque que<br />

« les partis pris successifs et contradictoires <strong>de</strong> l’énonciateur semblent inoffensifs car,<br />

alternant sans cesse, ils finissent par se neutraliser dans l’ex-æquo » [Defays, XIV, 95].<br />

La visée <strong>de</strong> cet humoriste est avant tout comique et l’immoralité <strong>de</strong> ses propos n’est<br />

qu’un moyen <strong>de</strong> faire rire. En effet, son éloge du meurtrier n’est pas un éloge du<br />

meurtre et n’égale pas en cynisme <strong>la</strong> p<strong>la</strong>idoirie du Marquis <strong>de</strong> Sa<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> question.<br />

C’est notre orgueil qui s’avise d’ériger le meurtre en crime. Nous estimant les premières<br />

créatures <strong>de</strong> l’univers, nous avons sottement imaginé que toute lésion qu’endurerait<br />

cette sublime créature <strong>de</strong>vrait nécessairement être un crime énorme ; nous avons cru<br />

2 L’un <strong>de</strong> ses thèmes favoris est l’incompétence <strong>de</strong>s premiers et <strong>la</strong> folie <strong>de</strong>s seconds.<br />

11


que <strong>la</strong> nature périrait si notre merveilleuse espèce venait à s’anéantir sur ce globe,<br />

tandis que l’entière <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> cette espèce, en rendant à <strong>la</strong> nature <strong>la</strong> faculté<br />

créatrice qu’elle nous cè<strong>de</strong>, lui redonnerait une énergie que nous lui enlevons en nous<br />

propageant ; mais quelle inconséquence, Eugénie ! Eh quoi ! un souverain ambitieux<br />

pourra détruire à son aise et sans le moindre scrupule les ennemis qui nuisent à ses<br />

projets <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur... <strong>de</strong>s lois cruelles, arbitraires, impérieuses, pourront <strong>de</strong> même<br />

assassiner chaque siècle <strong>de</strong>s millions d’individus... et nous, faibles et malheureux<br />

particuliers, nous ne pourrons pas sacrifier un seul être à nos vengeances ou à nos<br />

caprices ? Est-il rien <strong>de</strong> si barbare, <strong>de</strong> si ridiculement étrange, et ne <strong>de</strong>vons-nous<br />

pas, sous le voile du plus profond mystère, nous venger amplement <strong>de</strong> cette ineptie ?<br />

[Sa<strong>de</strong>, XXXV, 88]<br />

Pour Sa<strong>de</strong>, le meurtre n’est pas un crime, tandis qu’il le reste pour Al<strong>la</strong>is, comme<br />

en témoigne le titre qu’il choisit pour sa nouvelle.<br />

1.2 Combles<br />

Félicien Champsaur, hydropathe, décrivait son comparse en ces termes :<br />

C’est un faiseur <strong>de</strong> combles. Il a <strong>la</strong>ncé au moins le tiers <strong>de</strong> ceux qui sont en circu<strong>la</strong>tion,<br />

et les sème dans une foule <strong>de</strong> petits journaux. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 57].<br />

L’hebdomadaire <strong>Le</strong> Tintamarre recèle <strong>de</strong> ces traits d’esprit, notamment au cours<br />

<strong>de</strong> l’année 1879 [Al<strong>la</strong>is, II, 4]. Cependant, comme le souligne Daniel Grojnowski, Al-<br />

<strong>la</strong>is ne met pas en œuvre son goût <strong>de</strong>s combles uniquement dans <strong>de</strong> courts aphorismes<br />

[Grojnowski, III, 27], il échafau<strong>de</strong> entièrement certaines anecdotes sur ce procédé, si<br />

bien qu’à <strong>la</strong> fin le lecteur meurt d’envie <strong>de</strong> s’exc<strong>la</strong>mer : « Ça, c’est un comble ! ».<br />

Il arrive même que l’auteur le mette directement sur <strong>la</strong> piste. Son compte-rendu<br />

intitulé <strong>Le</strong> Théâtre illustre cette métho<strong>de</strong> en s’achevant <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte : « Se déci<strong>de</strong>r<br />

à paraître sur les p<strong>la</strong>nches dans ces conditions, n’est-ce point le comble du caboti-<br />

nage ? » [Al<strong>la</strong>is, I, 434].<br />

Étudions, parmi les anecdotes sélectionnées, celles dont l’architecture dépend<br />

entièrement d’un comble.<br />

1.2.1 Cynisme<br />

L’intrigue du Criminel précautionneux [Al<strong>la</strong>is, I, 36], parue en 1891 dans le recueil<br />

À se tordre, avait déjà été publiée dans <strong>la</strong> presse sous forme <strong>de</strong> comble en 1877.<br />

12


<strong>Le</strong> comble du cynisme : Assassiner nuitamment un boutiquier, et coller sur <strong>la</strong> <strong>de</strong>vanture<br />

: fermé pour cause <strong>de</strong> décès ! [Al<strong>la</strong>is, II, 3]<br />

Al<strong>la</strong>is réutilise donc une idée ancienne en l’approfondissant. Il met en p<strong>la</strong>ce un<br />

contexte et se sert du comble comme chute.<br />

<strong>Le</strong> malfaiteur al<strong>la</strong>it rentrer dans <strong>la</strong> rue, quand une pensée lui vint. Alors, s’asseyant<br />

à <strong>la</strong> caisse, il traça sur une gran<strong>de</strong> feuille <strong>de</strong> papier quelques mots en gros caractères.<br />

À l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> pains à cacheter, il col<strong>la</strong> cet écriteau sur <strong>la</strong> <strong>de</strong>vanture du magasin, et les<br />

passants matineux purent lire à l’aube :<br />

Fermé pour cause <strong>de</strong> décès. 3<br />

On pourrait imaginer que ce récit soit également le comble <strong>de</strong> l’altruisme, puisque<br />

le bandit rend service aux clients potentiels en les avertissant <strong>de</strong> <strong>la</strong> fermeture du<br />

magasin.<br />

1.2.2 Phi<strong>la</strong>nthropie<br />

Ainsi que le signale Daniel Grojnowski [Grojnowski, III, 28], c’est le comble <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

phi<strong>la</strong>nthropie qui entre en action dans <strong>Le</strong> Pendu bienveil<strong>la</strong>nt [Al<strong>la</strong>is, I, 39]. Décidé<br />

à mettre fin à ses jours le suicidant tient à ce que sa disparition profite aux autres.<br />

Du plus haut <strong>de</strong> ces peupliers, il choisit <strong>la</strong> plus haute branche. [...] il y grimpa,<br />

attacha une longue cor<strong>de</strong>, combien longue ! et s’y pendit.<br />

Ses pieds touchaient presque le sol.<br />

Et le len<strong>de</strong>main, quand, <strong>de</strong>vant le maire du vil<strong>la</strong>ge, on le décrocha, une quantité<br />

incroyable <strong>de</strong> gens purent, selon son désir suprême, se partager l’interminable cor<strong>de</strong>,<br />

et ce fut pour eux tous <strong>la</strong> source infinie <strong>de</strong> bonheurs durables.<br />

L’homme emploie une cor<strong>de</strong> d’une gran<strong>de</strong> longueur afin que les vil<strong>la</strong>geois puissent<br />

conserver chacun un morceau <strong>de</strong> l’objet, considéré à l’époque comme un porte-<br />

3 Ce genre <strong>de</strong> panneau informatif n’est pas sans inspirer les habitués du Chat Noir, cabaret<br />

montmartrois tenu par Rodolphe Salis et activement fréquenté par Al<strong>la</strong>is. <strong>Le</strong> numéro du 22 avril<br />

1888 <strong>de</strong> <strong>la</strong> revue répondant au même nom que l’établissement annonce <strong>la</strong> <strong>mort</strong> <strong>de</strong> son propriétaire.<br />

La semaine suivante, le cabaret affiche « ouvert pour cause <strong>de</strong> décès », mais Rodolphe Salis est là,<br />

bien vivant, pour accueillir les braves âmes accourues au chevet <strong>de</strong> sa dépouille. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 227]<br />

13


onheur 4 .<br />

1.2.3 Adultère<br />

Posthume pourrait être l’illustration du comble <strong>de</strong> l’adultère où un homme,<br />

trompé du vivant <strong>de</strong> sa fiancée, le serait encore après le décès <strong>de</strong> celle-ci.<br />

Tout le comique <strong>de</strong> l’histoire repose sur <strong>la</strong> pirouette finale. Ce qui précè<strong>de</strong> tend<br />

à encourager <strong>la</strong> sympathie du lecteur envers le personnage <strong>de</strong> l’amant bafoué. La<br />

crédulité du cocu, si elle prête un peu à sourire, s’accompagne toutefois d’un senti-<br />

ment <strong>de</strong> compassion.<br />

<strong>Le</strong>s visites [<strong>de</strong> Lucie] à <strong>la</strong> tante <strong>de</strong> C<strong>la</strong>mart <strong>de</strong>vinrent <strong>de</strong> plus en plus fréquentes<br />

et toujours coïncidaient à une incroyable veine pour le Raffineur. [...] Lui ne s’était<br />

jamais aperçu <strong>de</strong> rien. Il avait une foi inébran<strong>la</strong>ble en sa Lucie. [Al<strong>la</strong>is, I, 326]<br />

La <strong>mort</strong> prématurée et brutale <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune femme coupe court à toute jovialité et<br />

n’est pas sans émouvoir le lecteur.<br />

Un soir, vers minuit, nous le vîmes entrer comme un fou, blême, les cheveux hérissés.<br />

Eh bien ! qu’est-ce que tu as ?<br />

Oh ! si vous saviez... Lucie...<br />

Mais parle donc !<br />

Morte... à l’instant... dans mes bras.<br />

Nous nous levâmes et l’accompagnâmes <strong>chez</strong> lui. C’était vrai. La pauvre petite mère<br />

Moreau gisait sur le lit, effrayante <strong>de</strong> <strong>la</strong> fixité <strong>de</strong> ses grands yeux bruns. [Al<strong>la</strong>is, I, 326]<br />

<strong>Le</strong> décès poignant <strong>de</strong> l’héroïne dans les bras <strong>de</strong> son bien-aimé est un topos <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

littérature. On peut citer pour référence <strong>la</strong> <strong>mort</strong> d’Ata<strong>la</strong>, ou celle <strong>de</strong> Manon <strong>Le</strong>scaut.<br />

Al<strong>la</strong>is suscite ici, par un jeu d’intertextualité, <strong>la</strong> pitié du lecteur afin <strong>de</strong> mieux le<br />

surprendre avec sa chute qui, par sa crudité, annihile brusquement toute envolée <strong>de</strong><br />

sentimentalisme. <strong>Le</strong> Raffineur continue d’avoir une chance insolente aux jeux alors<br />

que sa bien-aimée repose au cimetière. L’explication ne tar<strong>de</strong> pas.<br />

<strong>Le</strong> len<strong>de</strong>main, dans <strong>la</strong> matinée, nous apprîmes que <strong>la</strong> jeune fille avait été déterrée et<br />

violée pendant <strong>la</strong> nuit. [Al<strong>la</strong>is, I, 327]<br />

4 Dans La Cor<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bau<strong>de</strong><strong>la</strong>ire, le narrateur reçoit <strong>de</strong> nombreuses lettres « toutes tendant au<br />

même but, c’est-à-dire à obtenir <strong>de</strong> [lui] un morceau <strong>de</strong> <strong>la</strong> funeste et béatifique cor<strong>de</strong>. »[Bau<strong>de</strong>-<br />

<strong>la</strong>ire, XXV]<br />

14


Force est <strong>de</strong> constater qu’en dépit d’un thème extrêmement tragique - <strong>mort</strong> et<br />

nécrophilie - le comble final parvient à retourner <strong>la</strong> situation sous un angle comique.<br />

<strong>Le</strong> comble est ludique et vient à bout <strong>de</strong>s sujets les plus macabres : grâce à lui, <strong>la</strong><br />

<strong>mort</strong> <strong>de</strong>vient <strong>drôle</strong>.<br />

1.3 Pastiches<br />

On est vite tenté d’associer <strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is au terme <strong>de</strong> « parodie » car il est<br />

vrai qu’il <strong>la</strong> pratiqua. Ainsi dans Abus <strong>de</strong> pouvoir, il cite <strong>de</strong>ux vers <strong>de</strong> La Fontaine,<br />

extraits <strong>de</strong> <strong>la</strong> fable <strong>Le</strong> Lion amoureux [La Fontaine, XVI, 16], mais en leur donnant<br />

un sens nouveau.<br />

Amour, Amour, quand tu nous tiens, on peut bien dire : Adieu Pru<strong>de</strong>nce ! [Al<strong>la</strong>is,<br />

I, 104]<br />

« Amour » est ici le patronyme <strong>de</strong> son employeur qui le retient fermement alors<br />

qu’il s’apprêtait à rejoindre sa frêle amante prénommée « Pru<strong>de</strong>nce ». Néanmoins,<br />

toute hypertextualité n’est pas parodique.<br />

le pastiche, qui imite un style [...] n’est en aucun cas assimi<strong>la</strong>ble à <strong>la</strong> parodie, qui<br />

transforme un texte singulier. C’est donc abusivement que le terme <strong>de</strong> parodie est<br />

appliqué [...] à <strong>de</strong>s textes qui ont pour cible une école, une manière ou un genre. On<br />

<strong>de</strong>vrait plutôt parler à leur propos d’imitation caricaturale ou <strong>de</strong> pastiche satirique.<br />

[Sangsue, XX, 66]<br />

Or, il s’agit bien souvent, avec l’humoriste, non pas <strong>de</strong> transformation mais d’imi-<br />

tation, art qu’il manie avec talent.<br />

À l’instar du caméléon, Al<strong>la</strong>is change <strong>de</strong> style à volonté [Cara<strong>de</strong>c, IX, 260]<br />

1.3.1 Conte<br />

La production littéraire d’Al<strong>la</strong>is est alimentaire, il ne rédige quasiment que <strong>de</strong><br />

courts récits, <strong>de</strong>stinés à <strong>la</strong> presse.<br />

<strong>Le</strong> XIX e siècle est véritablement l’âge d’or du récit bref. [...] Ce<strong>la</strong> tient à plusieurs<br />

facteurs historiques dont le plus déterminant est l’essor <strong>de</strong>s journaux quotidiens et<br />

périodiques. [Aubrit, VI, 58]<br />

15


<strong>Le</strong> conte et <strong>la</strong> nouvelle sont donc <strong>de</strong>ux formes très répandues parmi ce que le<br />

Normand surnomme ses « chroniquettes » [Cara<strong>de</strong>c, IX, 170].<br />

Certains <strong>de</strong>s titres qu’il choisit pastichent <strong>de</strong> façon satirique l’une <strong>de</strong>s construc-<br />

tions traditionnelles employées pour les titres <strong>de</strong> contes et <strong>de</strong> fables.<br />

déterminant + substantif + adjectif qualificatif<br />

On a, <strong>chez</strong> Perrault, à <strong>la</strong> fin du XVII e siècle [Perrault, XVIII, 141] :<br />

– La Barbe bleue<br />

– <strong>Le</strong>s Souhaits ridicules<br />

Ou, au XIX e siècle, <strong>chez</strong> Dumas, auteur peu connu pour ses contes 5 [Dumas, XI, 6] :<br />

– <strong>Le</strong>s Mains géantes<br />

– <strong>Le</strong> Sifflet enchanté<br />

C’est pourquoi on rencontre sans étonnement, <strong>chez</strong> Al<strong>la</strong>is, <strong>de</strong>s titres déjà lon-<br />

guement évoqués au cours <strong>de</strong> cette analyse : <strong>Le</strong> Pendu bienveil<strong>la</strong>nt et <strong>Le</strong> Criminel<br />

précautionneux.<br />

Dans Un Rajah qui s’embête, dont le titre est une parodie <strong>de</strong> Victor Hugo 6 , Al<strong>la</strong>is<br />

pastiche le conte oriental.<br />

L’orientalisme est encore à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> au XIX e siècle, après avoir été <strong>la</strong>ncé en 1704<br />

par Antoine Gal<strong>la</strong>nd, qui publie <strong>la</strong> traduction <strong>de</strong>s Mille et une nuits. La fascination<br />

<strong>de</strong>s Occi<strong>de</strong>ntaux s’exerce sur <strong>de</strong>ux aspects principaux : <strong>la</strong> splen<strong>de</strong>ur énigmatique<br />

<strong>de</strong>s femmes, d’une part, et <strong>la</strong> barbarie cruelle <strong>de</strong>s hommes, <strong>de</strong> l’autre. On trouve<br />

l’illustration <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux caractéristiques, entre autres, <strong>chez</strong> Théophile Gautier.<br />

Quant à sa figure, elle avait <strong>la</strong> beauté régulière <strong>de</strong> <strong>la</strong> race turque : dans son teint,<br />

d’un b<strong>la</strong>nc mat semb<strong>la</strong>ble à du marbre dépoli, s’épanouissaient mystérieusement,<br />

comme <strong>de</strong>ux fleurs noires, ces beaux yeux orientaux si c<strong>la</strong>irs et si profonds sous leurs<br />

longues paupières teintes <strong>de</strong> henné. [Gautier, XV, 218]<br />

La troupe furibon<strong>de</strong> envahit <strong>la</strong> terrasse avec l’impétuosité d’un vol <strong>de</strong> démons. <strong>Le</strong>urs<br />

faces cuivrées ou noires à longues moustaches, ou hi<strong>de</strong>usement imberbes, leurs yeux<br />

5 « Pendant qu’il conquiert à grand fracas l’immense public du roman-feuilleton puis du théâtre<br />

historique, il compose, en marge <strong>de</strong> <strong>la</strong> renommée, un jardin secret dont il réserve l’intimité à un<br />

petit nombre <strong>de</strong> fidèles. » [Lacassin, XI, XI]<br />

6 « Victor hugo qui écrivit, avec un talent incontestable et, comme en se jouant, <strong>Le</strong> Roi s’amuse,<br />

n’aurait peut-être pas été fichu d’écrire les dix premiers vers <strong>de</strong> <strong>Le</strong> Rajah s’embête, et Victor Hugo<br />

n’était pas un serin pourtant. » [Al<strong>la</strong>is, I, 418]<br />

16


étince<strong>la</strong>nts, leurs mains crispées agitant <strong>de</strong>s damas et <strong>de</strong>s kandjars, <strong>la</strong> fureur empreinte<br />

sur leurs physionomies basses et féroces, causèrent un mouvement d’effroi à<br />

Mahmoud-Ben-Ahmed [Gautier, XV, 236]<br />

Al<strong>la</strong>is s’adonne aussi à ce genre, non sans lui faire subir quelques altérations. Il se<br />

doit, bien évi<strong>de</strong>mment, d’utiliser <strong>de</strong>s termes exotiques ou stimu<strong>la</strong>nt l’imagination.<br />

– « un rajah » [Al<strong>la</strong>is, I, 418]<br />

– « extrême-orient » [Al<strong>la</strong>is, I, 418]<br />

– « Bouddha » [Al<strong>la</strong>is, I, 418]<br />

– « <strong>la</strong> cour nord du pa<strong>la</strong>is » [Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

– « les éléphants »[Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

– « le jaguar » [Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

– « les bayadères » [Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

– « d’infiniment vieux rites » [Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

– « les arabesques » [Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

– « l’onisque » [Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

– « les <strong>la</strong>rges couteaux » [Al<strong>la</strong>is, I, 420]<br />

Cependant, il ne peut s’empêcher <strong>de</strong> ridiculiser le souci du détail presque ma<strong>la</strong>dif<br />

<strong>de</strong>s Parnassiens, notamment dans leur précision obsessionnelle dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription<br />

<strong>de</strong>s couleurs.<br />

Son petit corps frais est un enchantement. On ne saurait dire s’il est <strong>de</strong> bronze<br />

infiniment c<strong>la</strong>ir ou d’ivoire un peu rosé. <strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux peut-être ? [Al<strong>la</strong>is, I, 420]<br />

On a longtemps rangé Al<strong>la</strong>is parmi les « auteurs gais », or <strong>la</strong> violence <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène<br />

décrite entre en contradiction avec cette c<strong>la</strong>ssification.<br />

<strong>Le</strong> rajah jette à ses serviteurs un mauvais regard noir et rugit à nouveau :<br />

- Encore !<br />

Ils ont compris.<br />

<strong>Le</strong>s <strong>la</strong>rges couteaux sortent <strong>de</strong>s gaines. <strong>Le</strong>s serviteurs enlèvent, non sans <strong>de</strong>xtérité,<br />

<strong>la</strong> peau <strong>de</strong> <strong>la</strong> jolie petite bayadère. L’enfant supporte, avec un courage au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

son âge, cette ridicule opération, et bientôt elle apparaît au rajah telle une écar<strong>la</strong>te<br />

pièce anatomique, pante<strong>la</strong>nte et fumante.<br />

Tout le mon<strong>de</strong> se retire par discrétion.<br />

Et le rajah ne s’embête plus. [Al<strong>la</strong>is, I, 420]<br />

17


La cruauté du rajah est aussi celle d’un auteur qui n’éprouve aucune pitié envers<br />

ses personnages. Son crime est méthodique.<br />

Et le logicien fumiste poursuit imperturbablement l’effeuil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune fille en <strong>la</strong><br />

faisant dépouiller <strong>de</strong> sa peau. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 183]<br />

<strong>Le</strong> risible est contenu dans l’absurdité d’une mécanique sans compromis, jusqu’au-<br />

boutiste.<br />

cet humoriste ne fut pas toujours particulièrement gai. Ses histoires, parfois, n’ont<br />

rien <strong>de</strong> <strong>drôle</strong>, et cette absence-même <strong>de</strong> <strong>drôle</strong>rie provoque un bizarre éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> rire.<br />

[Duteurtre, V, 10]<br />

1.3.2 Publicité<br />

<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is ne s’attaque pas qu’aux genres littéraires à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, il s’en<br />

prend aussi à un aspect émergeant <strong>de</strong> l’économie <strong>de</strong> son siècle, à savoir <strong>la</strong> réc<strong>la</strong>me.<br />

Émile Zo<strong>la</strong> dépeint cette technique commerciale avec précision dans Au Bonheur <strong>de</strong>s<br />

Dames.<br />

La gran<strong>de</strong> puissance était surtout <strong>la</strong> publicité. Mouret en arrivait à dépenser par an<br />

trois cent mille francs <strong>de</strong> catalogues, d’annonces et d’affiches. Pour sa mise en vente<br />

<strong>de</strong>s nouveautés d’été, il avait <strong>la</strong>ncé <strong>de</strong>ux cent mille catalogues, dont cinquante mille<br />

à l’étranger, traduits dans toutes les <strong>la</strong>ngues. Maintenant, il les faisait illustrer <strong>de</strong><br />

gravures, il les accompagnait même d’échantillons, collés sur les feuilles. C’était un<br />

débor<strong>de</strong>ment d’éta<strong>la</strong>ges, le Bonheur <strong>de</strong>s Dames sautait aux yeux du mon<strong>de</strong> entier, envahissait<br />

les murailles, les journaux, jusqu’aux ri<strong>de</strong>aux <strong>de</strong>s théâtres. [Zo<strong>la</strong>, XL, 222]<br />

Il est amusant <strong>de</strong> noter que ces <strong>de</strong>ux écrivains sont tous les <strong>de</strong>ux inspirés par<br />

l’emploi <strong>de</strong>s ballons publicitaires.<br />

On trouve <strong>chez</strong> le romancier :<br />

Un trait <strong>de</strong> génie que cette prime <strong>de</strong>s ballons, distribuée à chaque acheteuse, <strong>de</strong>s<br />

ballons rouges, à <strong>la</strong> fine peau <strong>de</strong> caoutchouc, portant en grosses lettres le nom du<br />

magasin, et qui, tenus au bout d’un fil, voyageant en l’air, promenaient par les rues<br />

une réc<strong>la</strong>me vivante ! [Zo<strong>la</strong>, XL, 222]<br />

Et <strong>chez</strong> l’humoriste :<br />

18


le porte-plume <strong>de</strong> Baroquet était attaché, moyennant un fil <strong>de</strong> soie, à un ballon<br />

rouge, un <strong>de</strong> ces ballons dont certains magasins <strong>de</strong> nouveautés usent en vue d’une<br />

atmosphérique publicité [Al<strong>la</strong>is, II, 341]<br />

La réc<strong>la</strong>me est un sujet neuf dont <strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is ne manque pas <strong>de</strong> traquer les<br />

moindres caractéristiques, avant <strong>de</strong> proposer à ses lecteurs un prospectus publicitaire<br />

caricatural vantant les mérites d’un entrepreneur <strong>de</strong> pompes funèbres. Comme nous<br />

l’avons déjà souligné, pour lui, <strong>la</strong> <strong>mort</strong> est loin d’être taboue. C’est pourquoi le<br />

document présenté dans Facétie Macabre est un concentré <strong>de</strong> subversion.<br />

Il utilise <strong>de</strong>s slogans :<br />

– « Pourquoi s’obstiner à vivre ? Quand on peut se faire enterrer confortablement<br />

pour seulement 45,95 francs » [Al<strong>la</strong>is, II, 565]<br />

– « L’essayer, c’est l’adopter. » [Al<strong>la</strong>is, II, 565]<br />

La <strong>de</strong>uxième occurrence est un poncif. La première reprend <strong>de</strong> façon parodique<br />

les procédés d’accroche habituels que sont <strong>la</strong> question oratoire, <strong>la</strong> mention d’un<br />

prix arrondi à plus <strong>de</strong> 0,90 et d’un adverbe modalisateur.<br />

Il emploie aussi <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> du « repris ou échangé », que Zo<strong>la</strong> explique également<br />

dans son roman.<br />

Puis, il avait pénétré plus avant encore dans le coeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme, il venait d’imaginer<br />

« les rendus », un chef d’oeuvre <strong>de</strong> séduction jésuitique. « Prenez toujours, madame :<br />

vous nous rendrez l’article, s’il cesse <strong>de</strong> vous p<strong>la</strong>ire. » Et <strong>la</strong> femme, qui résistait,<br />

trouvait-là une <strong>de</strong>rnière excuse, <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> revenir sur une folie : elle prenait,<br />

<strong>la</strong> conscience en règle. [Zo<strong>la</strong>, XL, 222]<br />

Mais dans un contexte <strong>mort</strong>uaire, le procédé semble pour le moins absur<strong>de</strong>, <strong>de</strong><br />

même que celui <strong>de</strong> l’« achat-vente ».<br />

Toute marchandise ayant cessé <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire immédiatement reprise ou échangée pourvu<br />

qu’elle n’ait pas servi. Achat et échange <strong>de</strong> vieux cercueils. [Al<strong>la</strong>is, II, 566]<br />

Al<strong>la</strong>is copie également les spécificités <strong>de</strong> l’écriture publicitaire telles que les phrases<br />

averbales, qui fleurissent au coeur <strong>de</strong>s encarts payants dans les journaux. La citation<br />

précé<strong>de</strong>nte en est aussi une illustration. Voici les autres :<br />

– « Spécialités d’enterrements posthumes. » [Al<strong>la</strong>is, II, 565]<br />

– « Conditions spéciales pour enterrements <strong>de</strong> vies <strong>de</strong> garçon et <strong>de</strong> bails expirés. »<br />

[Al<strong>la</strong>is, II, 565]<br />

19


– « Exhumations <strong>de</strong> vieilles affaires enterrées <strong>de</strong>puis longtemps. »[Al<strong>la</strong>is, II, 566]<br />

– « Salons d’essayages au premier. » [Al<strong>la</strong>is, II, 566]<br />

On rencontre, dans <strong>la</strong> littérature <strong>de</strong> cette fin <strong>de</strong> siècle d’autres exemples <strong>de</strong> pas-<br />

tiches publicitaires comme <strong>chez</strong> Balzac, par exemple.<br />

DOUBLE PÂTE DES SULTANES ET EAU CARMINATIVE<br />

DE CÉSAR BIROTTEAU,<br />

DÉCOUVERTE MERVEILLEUSE<br />

APPROUVÉE PAR L’INSTITUT DE FRANCE.<br />

Depuis longtemps une pâte pour les mains et une eau pour le visage, donnant un<br />

résultat supérieur à celui obtenu par l’Eau <strong>de</strong> Cologne dans l’œuvre <strong>de</strong> <strong>la</strong> toilette,<br />

étaient généralement désirées par les <strong>de</strong>ux sexes en Europe. Après avoir consacré<br />

<strong>de</strong> longues veilles à l’étu<strong>de</strong> du <strong>de</strong>rme et <strong>de</strong> l’épi<strong>de</strong>rme <strong>chez</strong> les <strong>de</strong>ux sexes, qui, l’un<br />

comme l’autre, attachent avec raison le plus grand prix à <strong>la</strong> douceur, à <strong>la</strong> souplesse,<br />

au bril<strong>la</strong>nt, au velouté <strong>de</strong> <strong>la</strong> peau, le sieur Birotteau, parfumeur avantageusement<br />

connu dans <strong>la</strong> capitale et à l’étranger, a découvert une Pâte et une Eau à juste<br />

titre nommées, dès leur apparition, merveilleuses par les élégants et par les élégantes<br />

<strong>de</strong> Paris. En effet, cette Pâte et cette Eau possè<strong>de</strong>nt d’étonnantes propriétés pour<br />

agir sur <strong>la</strong> peau, sans <strong>la</strong> ri<strong>de</strong>r prématurément, effet immanquable <strong>de</strong>s drogues employées<br />

inconsidérément jusqu’à ce jour et inventées par d’ignorantes cupidités. Cette<br />

découverte repose sur <strong>la</strong> division <strong>de</strong>s tempéraments qui se rangent en <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s<br />

c<strong>la</strong>sses indiquées par <strong>la</strong> couleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pâte et <strong>de</strong> l’Eau, lesquelles sont roses pour<br />

le <strong>de</strong>rme et l’épi<strong>de</strong>rme <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> constitution lymphatique, et b<strong>la</strong>nches pour<br />

ceux <strong>de</strong>s personnes qui jouissent d’un tempérament sanguin. Cette Pâte est nommée<br />

Pâte <strong>de</strong>s Sultanes, parce que cette découverte avait déjà été faite pour le sérail par<br />

un mé<strong>de</strong>cin arabe. Elle a été approuvée par l’Institut sur le rapport <strong>de</strong> notre illustre<br />

chimiste VAUQUELIN, ainsi que l’Eau établie sur les principes qui ont dicté <strong>la</strong> composition<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Pâte. Cette précieuse Pâte, qui exhale les plus doux parfums, fait donc<br />

disparaître les taches <strong>de</strong> rousseur les plus rebelles, b<strong>la</strong>nchit les épi<strong>de</strong>rmes les plus<br />

récalcitrants, et dissipe les sueurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> main dont se p<strong>la</strong>ignent les femmes non moins<br />

que les hommes.<br />

L’Eau carminative enlève ces légers boutons qui, dans certains moments, surviennent<br />

inopinément aux femmes, et contrarient leurs projets pour le bal, elle rafraîchit et ravive<br />

les couleurs en ouvrant ou fermant les pores selon les exigences du tempérament ;<br />

elle est si connue déjà pour arrêter les outrages du temps que beaucoup <strong>de</strong> dames<br />

l’ont, par reconnaissance, nommée L’AMIE DE LA BEAUTÉ. [Balzac, VII, 318]<br />

On peut noter divers points communs entre le dépliant <strong>de</strong> Balzac et celui d’Al<strong>la</strong>is<br />

[Al<strong>la</strong>is, II, 565]. Dans les <strong>de</strong>ux cas, le directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> société est élogieusement p<strong>la</strong>cé<br />

sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène, <strong>la</strong> supériorité <strong>de</strong> son entreprise sur <strong>la</strong> concurrence est<br />

affirmée, l’accent est mis sur l’innovation et le sérieux <strong>de</strong>s recherches ainsi que <strong>de</strong>s<br />

produits. <strong>Le</strong> tableau 1.1 récapitule ces similitu<strong>de</strong>s.<br />

20


Cependant, le pastiche <strong>de</strong> Balzac est le témoin d’une époque tandis que celui<br />

d’Al<strong>la</strong>is en fait <strong>la</strong> satire, puisque les articles infiniment macabres y sont vantés sur<br />

un ton gai et anodin.<br />

1.3.3 Presse<br />

Fantaisies scientifiques<br />

<strong>Le</strong> jeune <strong>Alphonse</strong> est un savant en herbe. Il a <strong>de</strong>ux objets <strong>de</strong> fascination : <strong>la</strong><br />

synthèse <strong>de</strong>s couleurs et surtout <strong>la</strong> pyrotechnie, à <strong>la</strong>quelle il s’adonne au point d’en<br />

<strong>de</strong>venir expert.<br />

le plus c<strong>la</strong>ir <strong>de</strong> son temps est consacré à <strong>la</strong> pyrotechnie et à <strong>la</strong> composition artisanale<br />

<strong>de</strong> mé<strong>la</strong>nges fulminants. L’allée 35 ne cesse d’être traversée <strong>de</strong> pétara<strong>de</strong>s,<br />

d’incan<strong>de</strong>scences et <strong>de</strong> crépitements perpétuels. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 52]<br />

Fils <strong>de</strong> pharmacien, il grandit au milieu <strong>de</strong>s formules, <strong>de</strong>s ordonnances et <strong>de</strong><br />

f<strong>la</strong>cons en tous genres. S’il excelle dans les matières littéraires au cours <strong>de</strong> sa sco<strong>la</strong>rité,<br />

les sciences <strong>de</strong>meurent son péché mignon. La bipo<strong>la</strong>rité <strong>de</strong> son existence est à l’origine<br />

d’un genre neuf, qu’il partage avec Charles Cros, à savoir <strong>la</strong> fantaisie scientifique.<br />

Son meilleur ami est Charles Cros, génial poète et inventeur (<strong>de</strong> <strong>la</strong> photographie en<br />

couleurs, <strong>de</strong> l’enregistrement). Chez ces chercheurs qui se moquent d’eux-mêmes, le<br />

comique scientifique est un sujet inépuisable. [Duteurtre, V, 16]<br />

Soit il imagine <strong>de</strong>s innovations techniques certes déconcertantes mais toujours<br />

scientifiquement réalistes (avec lui, point <strong>de</strong> science-fiction), soit il distille du voca-<br />

bu<strong>la</strong>ire spécialisé dans ses textes afin <strong>de</strong> leur faire prendre une tournure plus savante.<br />

On peut ainsi croiser les termes suivants :<br />

– « phosphore » [Al<strong>la</strong>is, I, 263]<br />

– « décimètres cubes » [Al<strong>la</strong>is, I, 408]<br />

– « <strong>de</strong>nsité » [Al<strong>la</strong>is, I, 409]<br />

– « volume » [Al<strong>la</strong>is, I, 409]<br />

– « phosphate » [Al<strong>la</strong>is, II, 278]<br />

– « vapeur » [Al<strong>la</strong>is, II, 370]<br />

– « distil<strong>la</strong>tion » [Al<strong>la</strong>is, II, 370]<br />

– « aci<strong>de</strong> azotique » [Al<strong>la</strong>is, II,433]<br />

21


– « aci<strong>de</strong> sulfurique » [Al<strong>la</strong>is, II, 433]<br />

– « fulmi-coton » [Al<strong>la</strong>is, II, 433]<br />

Il n’hésite pas, en outre, pour rendre son propos encore plus sérieux, à insérer<br />

d’obscures formules mathématiques dans son texte [Al<strong>la</strong>is, I, 408].<br />

d diamètre <strong>de</strong>s fonds.<br />

D diamètre du centre du tonneau.<br />

H distance <strong>de</strong>s fonds.<br />

0,56 cœfficient empirique.<br />

V = 1<br />

4 Π [d + (D − d) × 0, 56]2 × H<br />

Toute sa vie, Al<strong>la</strong>is est tiraillé entre ses <strong>de</strong>ux centres d’intérêts. Il n’embrasse <strong>la</strong><br />

carrière <strong>de</strong> journaliste qu’à l’âge <strong>de</strong> trente ans et ne renonce jamais à ses expérimentations.<br />

Charles Cros est pour lui une sorte <strong>de</strong> double, qui le rassure en lui montrant que<br />

l’on peut concilier avec talent science et lettres.<br />

On comprend qu’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is soit impressionné, et influencé, par un esprit si<br />

en avance sur son temps. D’autant plus que pour Cros <strong>la</strong> recherche n’exclut pas <strong>la</strong><br />

fantaisie, et que <strong>la</strong> science est aussi poésie. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 152]<br />

Journalisme<br />

L’un <strong>de</strong>s personnages incontournables <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse critique, à <strong>la</strong> fin du XIX e siècle,<br />

est Francisque Sarcey dont l’influence est considérable.<br />

Et une autre image passait <strong>de</strong>vant mes yeux, celle du maître critique [...] qui, avec<br />

sa belle humeur entraînante, jugeait tout haut les concurrents que le jury al<strong>la</strong>ient<br />

couronner - ou désespérer : Francisque Sarcey ! [C<strong>la</strong>retie, XXVII, 400]<br />

Un tel pouvoir n’est pas sans lui valoir <strong>de</strong>s détracteurs au rang <strong>de</strong>squels les frères<br />

Goncourt 7 ou Villiers <strong>de</strong> L’Isle-Adam. Sarcey est si bienveil<strong>la</strong>nt à l’égard <strong>de</strong>s Hydro-<br />

pathes qu’il est « le premier à les saluer dans <strong>Le</strong> XIX e siècle (1er décembre 1878) »<br />

[Cara<strong>de</strong>c, IX, 101], cependant Al<strong>la</strong>is ne peut supporter l’expression permanente <strong>de</strong><br />

7 « les tableaux défilent, et pas un oh ! pas un mouvement <strong>de</strong> répulsion, pas un timi<strong>de</strong> chuchote-<br />

ment, pas un sifflet. Des trois rappels à chaque acte, il n’y a <strong>de</strong> désapprobateur dans <strong>la</strong> salle, que<br />

<strong>la</strong> grosse tête <strong>de</strong> Sarcey jouant l’ennui. [Goncourt, XXX, 222] »<br />

22


son bon sens bourgeois que d’autres, tel l’académicien Jules <strong>Le</strong>maître 8 , louent sans<br />

fin.<br />

Sa qualité maîtresse, on le sait, on l’a dit mille fois, c’est le bon sens, qui, à ce <strong>de</strong>gré,<br />

ne va pas sans un brin <strong>de</strong> défiance à l’endroit <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité et <strong>de</strong> l’imagination.<br />

Là où le bon sens suffit, M. Sarcey triomphe ; là où le bon sens ne suffit peut-être<br />

pas, dans certaines questions délicates qu’il est porté à simplifier un peu trop, M.<br />

Sarcey fait encore bonne contenance et mérite quand même d’être écouté. Du bon<br />

sens, il en a tant montré, si souvent, si régulièrement et si longtemps, qu’il s’en est<br />

fait comme une spécialité, que beaucoup lui en reconnaissent le monopole, qu’il a<br />

fini par inspirer une confiance sans bornes à quantité <strong>de</strong> bonnes gens et un mépris<br />

sans limites aux détraqués <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune littérature. [<strong>Le</strong>maître, XXXI, 214]<br />

Al<strong>la</strong>is, qui appartient aux détracteurs, déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> se <strong>la</strong>ncer dans <strong>de</strong>s impostures<br />

d’articles signés Sarcey. <strong>Le</strong> lectorat se <strong>la</strong>isse piéger et le véritable Sarcey reçoit<br />

nombre <strong>de</strong> lettres <strong>de</strong> son public, déçu, pour <strong>de</strong>s propos qu’il n’a pas réellement tenus<br />

[Cara<strong>de</strong>c, IX, 269]. <strong>Le</strong> grand critique est notamment moqué pour ses truismes.<br />

Mais ce n’est amusant que si l’on y prend p<strong>la</strong>isir. J’ai l’air d’émettre une <strong>la</strong>palissa<strong>de</strong>.<br />

Réfléchissez-y un peu, s’il vous p<strong>la</strong>ît. Vous verrez que je ne suis pas si bête, ou plutôt<br />

pour employer, par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> moi, un mot plus poli, vous verrez que je ne suis pas aussi<br />

naïf que je le parais. [Sarcey, XXXVII, 291]<br />

Al<strong>la</strong>is est donc amené à en produire lui-même, par mimétisme, art pour lequel<br />

il est prodigieusement doué [Cara<strong>de</strong>c, IX, 260]. On relève un <strong>de</strong> ces truismes dans<br />

Gabelle Macabre.<br />

<strong>Le</strong> mois <strong>de</strong>rnier s’embarquait, sur le transat<strong>la</strong>ntique <strong>la</strong> Champagne, <strong>de</strong>ux Français :<br />

un Français âgé et un jeune Français. Quand je vous aurai dit que le vieux était<br />

l’oncle du jeune, je me croirai dispensé d’ajouter que ce <strong>de</strong>rnier était le neveu du<br />

vieux. [Al<strong>la</strong>is, I, 407]<br />

La référence à Francisque Sarcey se <strong>de</strong>vine d’autant plus au choix <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion<br />

familiale qui unit les <strong>de</strong>ux hommes. En effet, Rodolphe Salis surnomme le célèbre<br />

critique « Notre Oncle ». Al<strong>la</strong>is, qui usurpe l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> Sarcey à diverses reprises 9 ,<br />

<strong>de</strong>vient donc également « Notre Oncle » pour ses amis [Cara<strong>de</strong>c, IX, 260]. Al<strong>la</strong>is<br />

8 Al<strong>la</strong>is lui consacre une nouvelle, Anecdote inédite sur M. Jules <strong>Le</strong>maître, où il le présente<br />

comme un dresseur <strong>de</strong> taons chargés <strong>de</strong> piquer les élèves indisciplinés. [Al<strong>la</strong>is, I, 667]<br />

9 « Deux personnes seulement à Paris, ont le droit <strong>de</strong> signer Sarcey : moi d’abord, et ensuite M.<br />

Francisque Sarcey lui-même » déc<strong>la</strong>re-t-il. [Al<strong>la</strong>is, I, XXVII]<br />

23


pastiche le style journalistique tout au long <strong>de</strong> son œuvre.<br />

<strong>Le</strong> style d’Al<strong>la</strong>is, légèrement précieux, faussement littéraire, nourri d’anglicismes, est<br />

une parodie très subtile du « bon ton », nourri <strong>de</strong> tous les lieux communs du temps.<br />

Il sait appuyer discrètement le trait pour le pervertir et pratique ainsi <strong>la</strong> satire même<br />

du journalisme, et <strong>de</strong> cette vérité « 1900 » que le vrai journaliste est censé raconter<br />

sérieusement. [Duteurtre, V, 11]<br />

Voici le relevé <strong>de</strong> ses interventions journalistiques :<br />

Gabelle macabre<br />

Il va se p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>r, <strong>la</strong> semaine prochaine, au tribunal du Havre, un curieux procès entre<br />

un particulier et l’administration <strong>de</strong>s douanes françaises, procès dont le résultat<br />

fixera un point <strong>de</strong> droit <strong>de</strong>s plus intéressants. Laissez-moi, dites, vous conter <strong>la</strong><br />

chose par le menu : elle en vaut <strong>la</strong> peine. [Al<strong>la</strong>is, I, 407]<br />

L’affaire se présente mardi au tribunal. Je tiendrai nos lecteurs au courant. [Al<strong>la</strong>is,<br />

I, 408]<br />

Un Testament<br />

Tout <strong>de</strong>rnièrement, un grand propriétaire mourait dans une petite ville du centre, que<br />

je ne puis, à mon grand regret, désigner (l’espace m’étant mesuré, rigoureusement).<br />

[Al<strong>la</strong>is, I, 262]<br />

The Corpse-Car<br />

Dans une récente fantaisie parue ici-même, notre éminent confrère, M. Tristan Bernard,<br />

par<strong>la</strong>it d’une ramasseuse électrique pour crottin <strong>de</strong> chevaux <strong>de</strong> bois. [Al<strong>la</strong>is,<br />

II, 370]<br />

P<strong>la</strong>cer Macabre<br />

Bien que familiarisé <strong>de</strong>puis longtemps avec les audaces et les surprises <strong>de</strong> l’industrie<br />

américaine, ce n’est pas sans une certaine stupeur que je pris connaissance du prospectus<br />

trouvé ce matin dans mon courrier <strong>de</strong>s États-Unis.<br />

Je ne crois pas qu’en France nos lois toléreraient une telle entreprise, mais je suis<br />

certain que l’indignation publique et le sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus élémentaire décence<br />

auraient vite fait justice d’un pareil sacrilège. [Al<strong>la</strong>is, II, 377]<br />

Ah ! ces diables d’Américains ! [Al<strong>la</strong>is, II, 379]<br />

24


Facétie Macabre<br />

Si je racontais, par le menu, tout ce qui advint au cours <strong>de</strong> cette joyeuse soirée, ce<br />

n’est pas sur six pages que <strong>de</strong>vrait paraître le Journal, mais sur douze, au bas mot.<br />

[Al<strong>la</strong>is, II, 564]<br />

On y retrouve <strong>de</strong>s lieux communs <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse. La promesse <strong>de</strong> tenir les lec-<br />

teurs informés est <strong>de</strong>s plus courantes. On prétexte le manque d’espace tout en sa-<br />

chant très bien que l’énoncé <strong>de</strong> cette excuse permet en réalité <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cer quelques<br />

caractères supplémentaires et d’augmenter sensiblement sa rétribution. On s’of-<br />

fusque <strong>de</strong>s mœurs étranges <strong>de</strong> nos cousins d’Outre-Manche ou, comme ici, d’Outre-<br />

At<strong>la</strong>ntique.<br />

Du Gil B<strong>la</strong>s au Journal, en passant par La Vie <strong>drôle</strong>, le personnage central du<br />

« roman » d’Al<strong>la</strong>is sera ce journaliste qui s’adresse gravement à ses lecteurs, mêle les<br />

vraies informations aux fausses, emprunte le nom d’autres journalistes, revendique<br />

<strong>la</strong> loi <strong>de</strong> l’information pour narrer <strong>de</strong>s histoires déconcertantes. [Duteurtre, V, 11]<br />

25


Tab. 1.1 – Points communs<br />

Éloge « parfumeur avantageusement<br />

Balzac Al<strong>la</strong>is<br />

connu dans <strong>la</strong> capitale et à<br />

l’étranger »<br />

Supériorité « drogues employées inconsidérément<br />

jusqu’à ce jour et inventées par<br />

d’ignorantes cupidités. »<br />

Innovation – « Après avoir consacré <strong>de</strong> longues<br />

Sérieux<br />

veilles à l’étu<strong>de</strong> du <strong>de</strong>rme »<br />

– « le sieur Birotteau [...] a<br />

découvert une Pâte et une Eau »<br />

– « Cette découverte repose sur <strong>la</strong><br />

division <strong>de</strong>s tempéraments »<br />

– « Découverte merveilleuse »<br />

– « Elle a été approuvée par l’Ins-<br />

titut sur le rapport <strong>de</strong> notre<br />

illustre chimiste VAUQUELIN »<br />

– « Approuvée par l’Institut <strong>de</strong><br />

France »<br />

26<br />

– « Notre intelligent directeur »<br />

– « Notre joyeux directeur »<br />

– « C’est également à notre maison<br />

que revient <strong>la</strong> gloire d’avoir inau-<br />

guré l’Omnibus-Bar »<br />

– « grâce à un jeu <strong>de</strong> g<strong>la</strong>ces qui <strong>de</strong>-<br />

meure l’apanage <strong>de</strong> notre mai-<br />

son »<br />

– « Notre intelligent directeur, tou-<br />

jours à l’affût <strong>de</strong>s inventions mo-<br />

<strong>de</strong>rnes »<br />

– « C’est aussi l’inventeur breveté<br />

du célèbre omnibus funéraire »<br />

– « l’instigateur du fameux «cor-<br />

bil<strong>la</strong>rd réc<strong>la</strong>me» qui fait le succès<br />

<strong>de</strong> notre Exposition universelle »<br />

– « C’est aussi l’inventeur breveté<br />

du célèbre omnibus funéraire »<br />

– « l’instigateur du fameux «cor-<br />

bil<strong>la</strong>rd réc<strong>la</strong>me» qui fait le succès<br />

<strong>de</strong> notre Exposition univer-<br />

selle »


2 <strong>Le</strong>s idées délicieusement<br />

macabres<br />

« Tous ces gens vertueux sont <strong>de</strong> vieux saligauds » [Al<strong>la</strong>is, I, 749] assène le<br />

narrateur d’Al<strong>la</strong>is, qui se fait un <strong>de</strong>voir d’agacer leurs valeurs. En associant à <strong>la</strong><br />

<strong>mort</strong> <strong>de</strong>s idées farfelues, il met en exergue sa dimension comique, car, « aux choses<br />

les plus tragiques, vient toujours se mêler un détail comique ». [Al<strong>la</strong>is, II, 341]<br />

Al<strong>la</strong>is est un inventeur, son imagination fourmille donc d’idées. La plupart est inof-<br />

fensive et a pour but d’améliorer le quotidien. Certaines sont réalisables comme celle<br />

du Sucre-café soluble pour <strong>la</strong>quelle il dépose un brevet en 1881 [Cara<strong>de</strong>c, IX, 515]<br />

et d’autres complètement fantaisistes telle celle du phare olfactif.<br />

Chaque phare a son o<strong>de</strong>ur, soigneusement indiquée sur les cartes marines. J’ai <strong>de</strong>s<br />

phares à <strong>la</strong> rose, <strong>de</strong>s phares au citron, <strong>de</strong>s phares au musc. Au sommet <strong>de</strong>s phares,<br />

un puissant vaporisateur projette ces o<strong>de</strong>urs à <strong>la</strong> mer. Rien <strong>de</strong> plus simple, alors,<br />

pour se diriger. En temps <strong>de</strong> brume, le capitaine ouvre les narines et constate, par<br />

exemple, qu’une o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> girofle lui arrive par N.-N-O. et une o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> réséda par<br />

S.-E. En consultant sa carte, il détermine ainsi sa situation exacte. [Al<strong>la</strong>is, I, 145]<br />

Une chose est certaine, c’est un auteur qui ne cesse <strong>de</strong> créer.<br />

2.1 Profanations<br />

Cet esprit fécond donne naissance à <strong>de</strong>s inventions morbi<strong>de</strong>s, mais néanmoins<br />

aussi <strong>drôle</strong>s que choquantes. Pour Al<strong>la</strong>is, l’intégrité <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépouille n’est pas invio-<br />

<strong>la</strong>ble. Il se permet par conséquent toutes sortes <strong>de</strong> libertés à son égard.<br />

2.1.1 Crémation<br />

Dans The Corpse Car, l’humoriste propose un système <strong>de</strong> locomotion étonnant,<br />

assorti du néologisme dont il l’a baptisé.<br />

27


J’ai sous les yeux un projet fort bien conçu, ma foi, d’un véhicule qui remp<strong>la</strong>cera<br />

du même coup et les voitures funéraires et les fours crématoires. <strong>Le</strong> nécromobilisme,<br />

quoi ! [...] Comme vous avez pu le <strong>de</strong>viner déjà, c’est le corps du cher disparu qui sert<br />

<strong>de</strong> combustible. [...] D’après les calculs <strong>de</strong> l’inventeur, le corps d’un homme adulte<br />

<strong>de</strong> moyen poids peut conduire une douzaine d’invités à un cimetière distant <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

maison <strong>mort</strong>uaire d’environ huit kilomètres. [Al<strong>la</strong>is, II, 371]<br />

Outre l’aspect dérangeant d’utiliser un cadavre comme énergie motrice, le lecteur<br />

se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce qu’il reste à enterrer, une fois le défunt entièrement consommé, ayant<br />

subi à <strong>la</strong> fois crémation et distil<strong>la</strong>tion.<br />

<strong>Le</strong> moteur, assez compliqué du reste, est à <strong>la</strong> fois à vapeur et à gaz. La vapeur<br />

est produite par l’eau du regretté défunt (le corps humain contient - qui pourrait le<br />

croire ? - soixante-quinze pour cent d’eau 1 .) <strong>Le</strong> gaz, ou plutôt, les gaz sont également<br />

les produits <strong>de</strong> <strong>la</strong> distil<strong>la</strong>tion du pauvre cher homme (ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> pauvre chère<br />

femme, selon le cas). [Al<strong>la</strong>is, II, 371]<br />

L’emploi répétitif et ironique <strong>de</strong>s adjectifs « cher » et « pauvre » renforce le<br />

déca<strong>la</strong>ge entre le respect du <strong>mort</strong> et l’utilisation que l’on fait <strong>de</strong> son corps. Comme le<br />

note André Breton, l’auteur « ne <strong>la</strong>isse passer aucune occasion <strong>de</strong> frapper <strong>de</strong> dérision<br />

le <strong>la</strong>mentable idéal [...] religieux exaspéré <strong>chez</strong> ses concitoyens [Breton, VIII, 221] ».<br />

Il est utile <strong>de</strong> préciser que <strong>la</strong> crémation avait été interdite par l’ Église catholique en<br />

1886 (posant le problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> résurrection), qu’elle n’est tolérée par cette <strong>de</strong>rnière<br />

que <strong>de</strong>puis 1963, et qu’elle n’est autorisée légalement que <strong>de</strong>puis 1887, soit dix ans à<br />

peine avant <strong>la</strong> parution <strong>de</strong> cette nouvelle [XLIII]. La loi du 15 novembre oppose d’un<br />

côté les traditionalistes et <strong>de</strong> l’autre les partisans <strong>de</strong> l’anticléricalisme, qui finissent<br />

par obtenir <strong>la</strong> séparation <strong>de</strong> l’ Église et <strong>de</strong> l’État en 1905. Cette proposition innovante,<br />

qui dut en faire rire plus d’un, dut aussi faire grincer <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts.<br />

L’humour noir navigue donc dans <strong>de</strong>s eaux proches <strong>de</strong> celles du mauvais goût, du<br />

scandale et l’indécence ; il est en tout cas remarquable qu’il s’agisse d’une forme<br />

<strong>de</strong> rire qui non seulement provoque parfois une réception malveil<strong>la</strong>nte, mais semble<br />

même s’y comp<strong>la</strong>ire. [Moran et Gendrel, XXIX]<br />

Renverser les valeurs, bafouer <strong>la</strong> morale, François Cara<strong>de</strong>c met en gar<strong>de</strong> : « Soyez<br />

pru<strong>de</strong>nt : <strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is n’écrit pas pour vous, mais contre vous. » [Cara<strong>de</strong>c, IX, 185]<br />

1 L’état actuel <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche situe ce pourcentage à soixante-cinq pour cent. [XLI]<br />

28


2.1.2 Recyc<strong>la</strong>ge<br />

Il va sans dire que, si <strong>la</strong> crémation est un sujet polémique, les exigences post<br />

<strong>mort</strong>em prêtées par Al<strong>la</strong>is, dans Un Testament, à un notable vou<strong>la</strong>nt être à <strong>la</strong> fois<br />

ingurgité par ses porcs et transformé en combustible pour <strong>la</strong>mpe, le sont encore<br />

davantage.<br />

Quarante-huit heures après mon décès, qu’on mette mon corps dans une gran<strong>de</strong><br />

chaudière avec <strong>de</strong> l’eau et qu’on me fasse bouillir jusqu’à cuisson complète. [...] La<br />

vian<strong>de</strong> et le bouillon seront distribués à mes cochons. [...] Quand à mon squelette, on<br />

lui fera subir le traitement employé dans l’industrie pour retirer le phosphore <strong>de</strong>s os.<br />

Ce phosphore divisé en petits morceaux, sera distribué dans <strong>de</strong> petites <strong>la</strong>mpes analogues<br />

à celles qui, sempiternellement, brûlent <strong>de</strong>vant les tabernacles. [Al<strong>la</strong>is, I, 263]<br />

<strong>Le</strong>s volontés énoncées sont hautement sacrilèges, tout d’abord, parce que le porc<br />

est un animal méprisé et malfaisant dans l’idéologie chrétienne. On peut citer, en<br />

guise d’illustration, l’évangile selon Saint-Matthieu : « vos perles, ne les jetez pas<br />

aux cochons » [Saint-Matthieu, XXXVI] ou encore l’épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> tentation <strong>de</strong> Saint-<br />

Antoine re<strong>la</strong>té par Gustave F<strong>la</strong>ubert.<br />

<strong>Le</strong> Cochon hurle tout à coup.<br />

Je veux <strong>de</strong>s femelles enragées <strong>de</strong> rut ! Du fumier gras ! De <strong>la</strong> fange jusqu’aux oreilles !<br />

Je m’ennuie, je m’échapperai, je galoperai sur les feuilles sèches, avec les sangliers et<br />

les ours ! [F<strong>la</strong>ubert, XXVIII]<br />

<strong>Le</strong> choix <strong>de</strong> cet animal n’est sans doute pas si innocent car il constitue un emblème<br />

provocant. La référence aux « tabernacles » est également significative puisqu’il<br />

s’agit du meuble qui abrite les hosties. La juxtaposition <strong>de</strong> ces symboles, celui du<br />

Christ ressuscité et celui du corps profané, établit une sorte d’oxymore allégorique<br />

surprenant.<br />

Chez Al<strong>la</strong>is, <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> recyc<strong>la</strong>ge tient presque <strong>de</strong> l’obsession. Dans un registre<br />

tout aussi sombre, il va même jusqu’à suggérer <strong>la</strong> récolte et <strong>la</strong> remise à neuf <strong>de</strong>s<br />

vieux confettis.<br />

Devant l’impossibilité <strong>de</strong> rendre à ces fragiles objets leurs vives couleur d’antan, on<br />

a résolu <strong>de</strong> les teindre tous en noir et <strong>de</strong> les débiter, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> prochaine mi-carême,<br />

dans les familles en <strong>de</strong>uil, à <strong>de</strong>s prix défiant toute concurrence. [Al<strong>la</strong>is, II, 388]<br />

29


<strong>Le</strong> contemporain d’Al<strong>la</strong>is, Huysmans, partage cet intérêt pour le fait <strong>de</strong> donner<br />

une secon<strong>de</strong> vie aux objets, ou plus précisément, aux cadavres.<br />

Quelle belle chose, se dit-il, que <strong>la</strong> science ! voilà que le professeur Selmi, <strong>de</strong> Bologne,<br />

découvre dans <strong>la</strong> putréfaction <strong>de</strong>s cadavres un alcoï<strong>de</strong>, <strong>la</strong> ptomaïne, qui se présente<br />

à l’état d’huile incolore et répand une lente mais tenace o<strong>de</strong>ur d’aubépine, <strong>de</strong> musc,<br />

<strong>de</strong> seringat, <strong>de</strong> fleur d’oranger ou <strong>de</strong> rose. [...] on pourrait convertir les cimetières<br />

en usines qui apprêteraient sur comman<strong>de</strong> pour les familles riches, <strong>de</strong>s extraits<br />

concentrés d’aïeuls, <strong>de</strong>s essences d’enfants, <strong>de</strong>s bouquets <strong>de</strong> pères. [...] Ah ! Je sais<br />

bien <strong>de</strong>s femmes du peuple qui seraient heureuses d’acheter pour quelques sous <strong>de</strong>s<br />

tasses entières <strong>de</strong> pomma<strong>de</strong>s ou <strong>de</strong>s pavés <strong>de</strong> savon, à l’essence <strong>de</strong> prolétaire ! [...] Ensuite,<br />

le progrès aidant, les ptomaïnes qui sont encore <strong>de</strong> redoutables toxiques seront<br />

sans doute dans l’avenir absorbées sans aucun péril ; alors pourquoi ne parfumeraiton<br />

pas avec leurs essences certains mets ? [Breton, VIII, 197]<br />

Si Huysmans va jusqu’à évoquer le cannibalisme, il prend moins <strong>de</strong> risque qu’Al<strong>la</strong>is<br />

puisque son personnage évolue entre rêve et réalité.<br />

Et il se <strong>de</strong>manda, dans l’état <strong>de</strong> cervelle où il se trouvait, s’il n’avait pas rêvé, en<br />

somno<strong>la</strong>nt, le nez sur <strong>la</strong> revue dont le feuilleton scientifique re<strong>la</strong>tait <strong>la</strong> découverte<br />

<strong>de</strong>s ptomaïnes. [Breton, VIII, 201]<br />

2.1.3 Étrange conditionnement<br />

Dans Gabelle Macabre, un jeune homme est contraint d’enfermer le corps <strong>de</strong> son<br />

oncle, décédé en mer, dans un tonneau.<br />

Comme le capitaine par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> jeter à l’eau <strong>la</strong> dépouille <strong>mort</strong>elle du bonhomme,<br />

Derameau protesta vivement, non pas tant par pitié népotale que dans <strong>la</strong> crainte<br />

<strong>de</strong> se voir accuser d’avoir empoisonné le digne vieil<strong>la</strong>rd. Un arrangement survint :<br />

on conserverait jusqu’au Havre, dans un baril <strong>de</strong> tafia, le corps <strong>de</strong> M. Incarné 2 .<br />

[Al<strong>la</strong>is, I, 407]<br />

Ce procédé, bien qu’étrange, n’a pourtant rien <strong>de</strong> choquant dans le contexte<br />

maritime, lorsque l’on renonce à jeter le cadavre à <strong>la</strong> mer. En l’absence <strong>de</strong> cercueils<br />

2 Il circu<strong>la</strong>it, du temps d’Al<strong>la</strong>is, <strong>de</strong>s histoires concernant <strong>de</strong>s corps préservés dans <strong>de</strong>s fûts d’al-<br />

cool, comme le rapporte Jean-Bruno Renard, dans son article Entre faits divers et mythes : <strong>Le</strong>s<br />

légen<strong>de</strong>s urbaines : « par exemple, vers 1860, ce sont <strong>de</strong>s cheminots indélicats qui mettent en<br />

perce un récipient transporté en train et contenant un orang-outang conservé dans <strong>de</strong> l’alcool »<br />

[Renard, XXXII]<br />

30


appropriés, il arrivait effectivement que l’on entreposât les défunts dans <strong>de</strong> grands<br />

barils. Dans <strong>la</strong> version <strong>de</strong> Tristan et Iseut rapportée par Béroul, au XII e siècle, les<br />

<strong>de</strong>ux amants subissent ce traitement funéraire.<br />

ils mirent les <strong>de</strong>ux corps dans un tonneau qui fut p<strong>la</strong>cé sur une nef, avec <strong>de</strong>ux<br />

cierges ar<strong>de</strong>nts au pied et <strong>de</strong>ux autres au chef ; et ils p<strong>la</strong>cèrent, entre <strong>de</strong>s croix et <strong>de</strong>s<br />

phy<strong>la</strong>ctères bien riches, l’épée et l’écrin près <strong>de</strong> Tristan, recommandant les corps à<br />

Dieu. [Béroul, XXVI]<br />

Ceci étant posé, on peut tout <strong>de</strong> même souligner un détail incongru à propos <strong>de</strong><br />

l’utilisation du tonneau <strong>mort</strong>uaire.<br />

Oui, mais voilà, on ne découvrit pas à bord un tonneau assez vaste pour contenir le<br />

défunt, à moins <strong>de</strong> lui faire prendre une attitu<strong>de</strong> ridicule et peu compatible avec <strong>la</strong><br />

majesté <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>mort</strong>. <strong>Le</strong> maître charpentier <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bourgogne, un garçon <strong>de</strong> ressources,<br />

alors proposa d’improviser un excellent tonneau dans les proportions voulues. [Al<strong>la</strong>is,<br />

I, 408]<br />

Tout d’abord, il est amusant <strong>de</strong> noter qu’Al<strong>la</strong>is se soucie, étonnamment pour une<br />

fois, <strong>de</strong> « <strong>la</strong> majesté <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>mort</strong> ». Mais en outre, <strong>la</strong> proposition du charpentier est<br />

parfaitement absur<strong>de</strong>. S’il est en mesure <strong>de</strong> fabriquer <strong>de</strong> toutes pièces un baril assez<br />

grand, pourquoi ne pas alors fabriquer un véritable cercueil ? Ce détail est comique,<br />

mais ce n’est pas dans l’emploi du tonneau que se rési<strong>de</strong> tout le pétil<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

nouvelle, c’est surtout dans <strong>la</strong> taxation <strong>de</strong> celui-ci à <strong>la</strong> douane en raison <strong>de</strong> l’alcool<br />

<strong>de</strong> canne qu’il contient.<br />

- Que ce soit votre oncle ou votre tante, ajouta-t-il, vous <strong>de</strong>vez payer pour le liqui<strong>de</strong>.<br />

- Soit !... Combien ?<br />

Alors un sous-brigadier s’approcha et se mit à jauger le tonneau d’après <strong>la</strong> formule<br />

employée dans les douanes du Havre [Al<strong>la</strong>is, I, 408]<br />

Al<strong>la</strong>is, qui n’aime pas l’administration, dresse une esquisse peu avantageuse <strong>de</strong>s<br />

employés <strong>de</strong> douane. <strong>Le</strong> sous-brigadier est un être sans coeur, faisant du zèle et bien<br />

peu <strong>de</strong> cas du <strong>de</strong>uil en cours. Mais le plus <strong>drôle</strong> est encore à venir. En effet, un<br />

inconnu bienveil<strong>la</strong>nt vient éc<strong>la</strong>irer le protagoniste sur l’abus dont il a été victime.<br />

<strong>la</strong> douane du Havre vous a floué. Elle vous a fait payer pour le contenu intégral<br />

du tonneau, sans en déduire le volume du corps <strong>de</strong> monsieur votre oncle. [...] Nous<br />

31


avons, par conséquent, un volume <strong>de</strong> 90 décimètres cubes que nous forcerons bien <strong>la</strong><br />

douane du Havre à défalquer. [Al<strong>la</strong>is, I, 409]<br />

Ainsi, même les âmes chargées <strong>de</strong> bonnes intentions ne considèrent pas le défunt<br />

comme une personne, mais uniquement comme « un volume ». Ce manque <strong>de</strong> res-<br />

pect, cette réification ne manque pas d’amuser. Tout se résume finalement à une<br />

question d’argent. Et le différend entre le neveu et l’administration se transforme en<br />

réel litige.<br />

La douane du Havre a refusé <strong>de</strong> restituer un seul centime <strong>de</strong>s droits perçus. L’affaire<br />

se présente mardi au tribunal. [Al<strong>la</strong>is, I, 409]<br />

C’est ici l’absurdité <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie qui prête à sourire. La réflexion est métaphysique.<br />

<strong>Le</strong>s héritiers ne ren<strong>de</strong>nt pas forcément à leur disparu un hommage digne <strong>de</strong> ce nom<br />

et s’en détournent au profit <strong>de</strong> considérations financières qui apparaissent comme<br />

leurs véritables préoccupations.<br />

2.1.4 Nécrophilie<br />

L’un <strong>de</strong>s points culminants <strong>de</strong> l’humour noir, au sein du corpus sélectionné, est<br />

sans aucun doute atteint dans Posthume. L’auteur y abor<strong>de</strong> le thème délicat <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

nécrophilie. Il en fait même l’apogée comique <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouvelle. A <strong>la</strong> profanation du<br />

corps s’ajoute le viol, bien que ce <strong>de</strong>rnier ne soit pas reconnu pénalement (puisque <strong>la</strong><br />

victime n’exprime pas son non-consentement). Il existe plusieurs cas <strong>de</strong> nécrophiles<br />

célèbres au XIX e siècle. On peut citer le plus illustre, le « Vampire <strong>de</strong> Montpar-<br />

nasse ».<br />

François Bertrand, également surnommé « le Sergent nécrophile » est un militaire,<br />

d’apparence sans histoires, qui déterra, vio<strong>la</strong>, muti<strong>la</strong> voire démembra un très grand<br />

nombre <strong>de</strong> cadavres d’hommes, <strong>de</strong> femmes et d’enfants à travers <strong>la</strong> France, au gré<br />

<strong>de</strong> ses différentes garnisons, à partir <strong>de</strong> 1846. Son lieu <strong>de</strong> sévices le plus fréquent fut<br />

cependant le cimetière du Montparnasse. Certains soirs, il lui arrivait <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong><br />

terre une dizaine <strong>de</strong> corps, <strong>de</strong> s’adonner à ses déviances puis <strong>de</strong> les éparpiller. Sa<br />

réputation <strong>de</strong> vampire provient <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> cannibalisme qu’il perpétra également<br />

au cours <strong>de</strong> ses démences nocturnes.<br />

En 1849, <strong>la</strong> police met au point un système afin <strong>de</strong> piéger le criminel. Un fil est<br />

32


tendu au <strong>de</strong>ssus du mur <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue Froi<strong>de</strong>veaux (lieu présumé <strong>de</strong> son introduction<br />

dans l’enceinte) qui, au moindre mouvement, actionne un tir <strong>de</strong> mitraille. <strong>Le</strong> sergent<br />

est blessé mais parvient à s’échapper. Il rejoint son régiment mais se résout après<br />

quelques jours à faire soigner sa jambe. Il avoue alors être le nécrophile recherché.<br />

La cour martiale le condamne à un an <strong>de</strong> prison. Il se suici<strong>de</strong> en 1850, peu <strong>de</strong> temps<br />

après sa libération.<br />

Son parcours marqua fortement les esprits. En 1933, il inspire encore, lorsque<br />

l’américain Guy Endore lui consacre un roman intitulé <strong>Le</strong> Loup-garou <strong>de</strong> Paris (The<br />

Werewolf of Paris). Il n’est donc pas étonnant qu’en 1893 Al<strong>la</strong>is exploite, à <strong>de</strong>s<br />

fins humoristiques, cette pratique perverse et morbi<strong>de</strong>, qui épouvante tant l’opinion<br />

publique <strong>de</strong> son époque. Il situe d’ailleurs l’action <strong>de</strong> sa nouvelle « dans un petit<br />

café <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue <strong>de</strong> Rennes » [Al<strong>la</strong>is, I, 325], c’est-à-dire à <strong>de</strong>ux pas du cimetière du<br />

Montaparnasse. Pour comprendre l’audace d’un tel sujet, il faut bien le rep<strong>la</strong>cer dans<br />

son environnement car les nouvelles d’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is paraissent dans <strong>la</strong> presse, dans<br />

ces mêmes journaux re<strong>la</strong>tant <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> nécrophilie, eux, bien réels.<br />

Cependant, tous les personnages d’Al<strong>la</strong>is, même les plus décalés, ne partagent<br />

pas le goûts <strong>de</strong>s amours cadavériques. Lorsqu’un tremblement <strong>de</strong> terre dévaste une<br />

maison close, dans Amours d’escale, l’un <strong>de</strong>s clients a <strong>la</strong> réaction suivante :<br />

On commençait à avoir <strong>de</strong>s inquiétu<strong>de</strong>s sérieuses sur les infortunés, quand on vit<br />

apparaître, à travers une crevasse <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison, le capitaine couvert <strong>de</strong> plâtras, mais<br />

impassible et le monocle à l’œil.<br />

- Dites, médème ! cria Steelcock 3 à <strong>la</strong> dame <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, envoyez-moi une autre<br />

fille. La mienne, elle est môrt ! [Al<strong>la</strong>is, I, 122]<br />

2.1.5 Transformation d’un cimetière<br />

Ici, il ne s’agit plus <strong>de</strong> nécrophilie, mais on <strong>de</strong>meure dans l’univers <strong>de</strong>s sépulcres.<br />

Imaginez-vous qu’une société vient <strong>de</strong> se fon<strong>de</strong>r à Cincinnati pour l’achat <strong>de</strong> tous<br />

les vieux cimetières répandus sur <strong>la</strong> surface <strong>de</strong> l’Amérique du Nord ! <strong>Le</strong> prospectus<br />

en question énumère les mille profits à tirer <strong>de</strong> l’exploitation <strong>de</strong> ces nécropoles.<br />

[Al<strong>la</strong>is, II, 377]<br />

3 L’auteur donne souvent à ses protagonistes <strong>de</strong>s patronymes amusants et censés résumer leur<br />

personnalité. François Cara<strong>de</strong>c les a répertoriés. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 518]<br />

33


Il arrive parfois que l’on dép<strong>la</strong>ce vers <strong>la</strong> périphérie <strong>de</strong>s cimetières situés dans<br />

les centres-villes pour libérer <strong>de</strong>s zones constructibles, mais le cimetière ainsi fermé<br />

<strong>de</strong>meure inaliénable pendant plusieurs années.<br />

Un vieux cimetière ne se vend pas très cher, mais sa mise en valeur, comme terrain<br />

à bâtir, est longue et difficile. D’abord on n’y peut construire qu’après un dé<strong>la</strong>i <strong>de</strong><br />

dix ans à partir du jour <strong>de</strong> sa désaffectation. [Al<strong>la</strong>is, II, 378]<br />

Al<strong>la</strong>is opère un renversement par rapport aux pratiques réelles. En vérité, on<br />

déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> clore un cimetière dans le but <strong>de</strong> récupérer <strong>la</strong> parcelle. Or, <strong>chez</strong> Al<strong>la</strong>is, on<br />

est confronté à une situation peu probable, c’est-à-dire celle d’un « vieux » cimetière<br />

<strong>la</strong>issé sans vocation. Néanmoins, le comique ne limite pas à ce petit chamboulement.<br />

L’auteur émet l’idée folle <strong>de</strong> réutiliser les lieux tels quels.<br />

L’affaire se recomman<strong>de</strong> surtout par les profits à tirer <strong>de</strong> l’exploitation, si j’ose<br />

m’exprimer ainsi, <strong>de</strong>s sous-produits, c’est-à-dire <strong>de</strong>s monuments funéraires et <strong>de</strong>s<br />

cadavres. Pour les monuments funéraires, il y a là une source <strong>de</strong> très gros bénéfices.<br />

[...] <strong>Le</strong>s tombeaux, même les plus luxueux, <strong>de</strong>viennent, au bout d’un an, <strong>la</strong> propriété<br />

<strong>de</strong> l’acquéreur du terrain. Or, rien n’est plus facile que <strong>de</strong> transformer un vieux<br />

tombeau abandonné et moisi en un gracieux monument frais, coquet et <strong>de</strong>s plus<br />

alléchants. Il n’y a qu’à rogner un peu, supprimer les inscriptions, polir et donner ce<br />

petit coup <strong>de</strong> fion auquel excellent les marbriers transat<strong>la</strong>ntiques [Al<strong>la</strong>is, II, 378]<br />

L’auteur suggère <strong>de</strong> rendre habitables par <strong>de</strong>s vivants <strong>de</strong>s bâtiments <strong>de</strong>stinés aux<br />

<strong>mort</strong>s. Il y a déjà là <strong>de</strong> quoi choquer <strong>la</strong> bienséance, mais il ne s’arrête pas en si bon<br />

chemin. Il va beaucoup plus loin.<br />

Quant aux corps, eux aussi offrent d’énormes ressources industrielles. Brûlés en<br />

vase clos, ils fournissent <strong>de</strong>s phosphates très <strong>de</strong>mandés par MM. les producteurs<br />

<strong>de</strong> céréales. Rien que par les opérations ci-<strong>de</strong>ssus décrites, voilà déjà une industrie<br />

<strong>de</strong>s plus rémunératrices. [Al<strong>la</strong>is, II, 378]<br />

Une fois <strong>de</strong> plus, il faut bien constater que le caractère sacré <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépouille ne<br />

transparaît pas <strong>chez</strong> l’humoriste. Il est vrai que le phosphate est utile à l’agriculture<br />

céréalière, mais il est évi<strong>de</strong>nt, que les ossements humains ne sont jamais employés et<br />

que l’on recourt, entres autres ressources, à <strong>de</strong>s ossements animaux. On remarque<br />

à nouveau l’obsession du recyc<strong>la</strong>ge <strong>chez</strong> Al<strong>la</strong>is. Mais après avoir proposé les engrais<br />

humains, il est encore capable <strong>de</strong> pire.<br />

34


Mais là où elle <strong>de</strong>vient une affaire d’or (et c’est bien le cas <strong>de</strong> le dire, c’est quand<br />

elle comprend l’extraction <strong>de</strong> l’or inséré dans les <strong>de</strong>nts aurifiées <strong>de</strong>s pauvres défunts.<br />

Des statistiques sérieusement établies ont démontré qu’en Amérique les mâchoires<br />

<strong>de</strong> mille personnes représentent, au bas mot, trente onces d’or, c’est-à-dire, grosso<br />

modo, six cents dol<strong>la</strong>rs (3000 francs environ), soit 3 francs par personne. Comme <strong>la</strong><br />

compagnie prévoit une exploitation <strong>de</strong> près <strong>de</strong> dix millions <strong>de</strong> corps, il vous est facile<br />

<strong>de</strong> calculer les immenses bénéfices qu’elle est appelée à réaliser, rien que <strong>de</strong> ce chef.<br />

[Al<strong>la</strong>is, II, 379]<br />

Il ne s’agit plus simplement <strong>de</strong> détruire le cadavre dans son intégralité, mais<br />

auparavant <strong>de</strong> le mutiler. Avec Al<strong>la</strong>is, <strong>la</strong> question « Peut-on rire <strong>de</strong> tout ? » est<br />

particulièrement <strong>de</strong> rigueur. Pour rendre ses suggestions macabres moins tragiques,<br />

il prend tout <strong>de</strong> même le soin <strong>de</strong> situer <strong>la</strong> nouvelle aux États-Unis et <strong>de</strong> se fendre<br />

à <strong>la</strong> fin d’un : « Ah ! ces diables d’Américains ! » afin <strong>de</strong> marquer un semb<strong>la</strong>nt <strong>de</strong><br />

désapprobation.<br />

2.2 Mercantilisme<br />

La thématique financière <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus présente à mesure que le mon<strong>de</strong><br />

s’industrialise. L’importance accordée au profit est déjà très avérée à <strong>la</strong> fin du XIX e<br />

siècle. La vision <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>mort</strong> que propose <strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is tient davantage du marché<br />

que du <strong>de</strong>uil. Il dévoile les secrets immoraux <strong>de</strong> <strong>la</strong> productivité et <strong>de</strong>s bas prix <strong>de</strong><br />

l’entreprise <strong>de</strong> pompes funèbres qu’il imagine.<br />

N’occupant que <strong>de</strong>s employés absolument condamnés par les mé<strong>de</strong>cins, et par conséquent<br />

délivrés <strong>de</strong> tout souci d’amasser un pécule pour leurs vieux jours, l’administration<br />

dispose ainsi d’un personnel à prix réduit qui lui permet <strong>de</strong> diminuer ses frais et <strong>de</strong><br />

restreindre ses prix jusqu’à <strong>de</strong>s limites fabuleuses <strong>de</strong> bon marché. [Al<strong>la</strong>is, II, 565]<br />

Toujours dans une optique marchan<strong>de</strong>, il propose <strong>la</strong> location <strong>de</strong> cortège funéraire.<br />

Il s’agit à n’en point douter d’une adaptation mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong>s pleureuses antiques, à <strong>la</strong><br />

différence que le catalogue apparaît très varié.<br />

Aperçu <strong>de</strong>s prix <strong>de</strong>s comparses pour convois funèbres :<br />

Parent décoré (homme ou dame), 10 francs ; parent <strong>de</strong> province (homme ou dame),<br />

6 francs ; petite veuve affligée, 8 francs ; petit orphelin (garçon ou fille), 5 francs ; le<br />

même accompagné <strong>de</strong> ses parents, 10 francs ; chien suiveur aboyant <strong>la</strong>mentablement,<br />

3 francs ; ami décoré prononçant un discours, 20 francs ; le même, non décoré, 25<br />

francs ; le discours seul récité par un phonographe, 10 francs ; spécialité <strong>de</strong> prêtres<br />

35


<strong>la</strong>ïques, 10 francs ; omnibus-bar (donnant droit à 100 consommations, toutes <strong>de</strong><br />

première c<strong>la</strong>sse), 30 francs. [Al<strong>la</strong>is, II, 566]<br />

Cet extrait regorge <strong>de</strong> pensées politiquement incorrectes. <strong>Le</strong> fait d’attribuer plus<br />

<strong>de</strong> valeur à tel ou tel type <strong>de</strong> personne en<strong>de</strong>uillée ne peut manquer <strong>de</strong> déranger le<br />

lecteur. On note, au passage, que le discours d’un ami décoré est moins onéreux<br />

que celui d’un ami qui ne l’est pas, tarif permettant <strong>de</strong> déduire que les décorations<br />

privent leurs propriétaires <strong>de</strong> leurs dons d’orateur. Quant aux « prêtes <strong>la</strong>ïques »,<br />

voilà un concept tout aussi antithétique qu’intriguant.<br />

Dans <strong>la</strong> même veine, c’est-à-dire celle <strong>de</strong> gonfler artificiellement le nombre <strong>de</strong>s<br />

personnes constituant le convoi, Al<strong>la</strong>is conçoit un engin fort pratique.<br />

C’est aussi l’inventeur du célèbre omnibus funéraire dit « multiplicateur », qui,<br />

grâce à un jeu <strong>de</strong> g<strong>la</strong>ces qui <strong>de</strong>meure l’apanage <strong>de</strong> notre maison, donne l’illusion<br />

d’un nombreux groupe <strong>de</strong> personnes à son intérieur par <strong>la</strong> simple réflexion à l’infini<br />

d’un unique personnage p<strong>la</strong>cé convenablement. [Al<strong>la</strong>is, II, 565]<br />

Toujours dans les prémices cyniques <strong>de</strong> <strong>la</strong> consommation <strong>de</strong> masse, Al<strong>la</strong>is in-<br />

nove en suggérant l’essayage <strong>de</strong> cercueils <strong>de</strong> même que les systèmes du « repris ou<br />

échangé » et <strong>de</strong> « l’achat-vente ».<br />

Salons d’essayage au premier. Toute marchandise ayant cessé <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ire immédiatement<br />

reprise ou échangée pourvu qu’elle n’ait pas servi. Achat et vente <strong>de</strong> vieux cercueils.<br />

[Al<strong>la</strong>is, II,566]<br />

Ramener au magasin un cercueil n’ayant pas servi semble envisageable. Cepen-<br />

dant, l’essayage <strong>de</strong> bières paraît assez irréaliste 4 . Quant à <strong>la</strong> vente <strong>de</strong> cercueils d’oc-<br />

casion, on plonge dans le comique absur<strong>de</strong>.<br />

2.3 Torture<br />

reur.<br />

La scène qui se déroule dans Un Rajah qui s’embête a <strong>de</strong> quoi faire frémir d’hor-<br />

4 On trouve dans Ed Wood, du réalisateur américain Tim Burton, une scène où l’un <strong>de</strong>s person-<br />

nages se sentant proche du trépas déci<strong>de</strong> d’essayer <strong>de</strong>s cercueils afin d’adopter le plus confortable.<br />

Ce film est, à l’image <strong>de</strong>s écrits d’Al<strong>la</strong>is, également plein d’humour noir. Mais on est en droit <strong>de</strong><br />

penser que, dans <strong>la</strong> réalité, ce comportement reste très marginal.<br />

36


<strong>Le</strong>s <strong>la</strong>rges couteaux sortent <strong>de</strong>s gaines. <strong>Le</strong>s serviteurs enlèvent, non sans <strong>de</strong>xtérité,<br />

<strong>la</strong> peau <strong>de</strong> <strong>la</strong> jolie petite bayadère. L’enfant supporte, avec un courage au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

son âge, cette ridicule opération, et bientôt, elle apparaît au rajah, telle une écar<strong>la</strong>te<br />

pièce anatomique pante<strong>la</strong>nte et fumante. Tout le mon<strong>de</strong> se retire par discrétion et<br />

le rajah ne s’embête plus. [Al<strong>la</strong>is, I, 420]<br />

Cependant, le terme est lâché, cette situation est « ridicule ». <strong>Le</strong>s cas <strong>de</strong> tortures<br />

ne manquent pas dans l’histoire, mais ils sont en général liés à <strong>la</strong> recherche d’aveux<br />

ou à <strong>de</strong>s pratiques guerrières, plus rarement à un p<strong>la</strong>isir sadique. <strong>Le</strong> terme « sa-<br />

disme », inspiré <strong>de</strong> certaines pratiques décrites par le Marquis <strong>de</strong> Sa<strong>de</strong>, s’applique<br />

parfaitement ici. La souffrance y est étroitement liée au désir sexuel. <strong>Le</strong> rajah or-<br />

donne que <strong>la</strong> jeune fille soit écorchée vive parce qu’il veut atteindre le sta<strong>de</strong> ultime<br />

et grotesque <strong>de</strong> <strong>la</strong> nudité, celle qu’il juge entravée par <strong>la</strong> peau... C’est le voyeurisme<br />

poussé à l’extrême. Ce qui choque et amuse tout à <strong>la</strong> fois, c’est <strong>la</strong> disproportion gi-<br />

gantesque entre le problème (l’ennui du souverain) et <strong>la</strong> solution (<strong>la</strong> <strong>mort</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune<br />

fille). La ba<strong>la</strong>nce est complètement déséquilibrée, avec d’un côté <strong>la</strong> distraction et <strong>de</strong><br />

l’autre l’enjeu d’une vie. Ce qui trouble profondément, c’est aussi le fait que l’on<br />

se reconnaisse un peu - très peu, sans doute - dans <strong>la</strong> folie passagère du rajah. Qui<br />

n’a jamais torturé une mouche ? Là où le commun <strong>de</strong>s <strong>mort</strong>els n’a qu’une mouche<br />

à torturer, ce qu’il fait impunément et le plus souvent sans remords, un souverain,<br />

qui a droit <strong>de</strong> vie et <strong>mort</strong> sur ses sujets, peut se permettre <strong>de</strong> pratiquer <strong>la</strong> torture à<br />

l’échelle humaine, sans autre motif que son bon p<strong>la</strong>isir. L’irrévérence et le cynisme<br />

sont comiques ici car ils mettent le bon sens et <strong>la</strong> morale en difficulté.<br />

<strong>Le</strong>s libertés que prend Al<strong>la</strong>is avec <strong>la</strong> morale ne sont pas sans conséquences. Jules<br />

Renard rapporte une triste anecdote, qui intervient après <strong>la</strong> <strong>mort</strong> <strong>de</strong> l’auteur et <strong>de</strong><br />

sa femme.<br />

La petite Paulette Al<strong>la</strong>is a été confiée à une bonne, dévote, qui lui a dit que son père<br />

est sûrement en enfer, et <strong>la</strong> petite se réveille, <strong>la</strong> nuit, en criant : « Papa brûle ! Papa<br />

brûle !» [Cara<strong>de</strong>c, IX, 96]<br />

C’est <strong>la</strong> preuve que ses facéties agacent fortement une partie <strong>de</strong> ses contemporains.<br />

L’américain Mark Twain tente une différenciation <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> comiques en fonction<br />

<strong>de</strong> leur nationalité.<br />

37


Il y a plusieurs sortes d’histoires, mais une seule est difficile : l’humoristique. [...]<br />

L’histoire humoristique est américaine, l’histoire comique est ang<strong>la</strong>ise, l’histoire spirituelle<br />

est française. L’histoire humoristique dépend <strong>de</strong> <strong>la</strong> forme dans <strong>la</strong>quelle elle<br />

est racontée ; l’histoire comique et l’histoire spirituelle, du fond. L’histoire humoristique<br />

peut être filée pendant un long moment, vagabon<strong>de</strong>r comme bon lui semble et<br />

n’arriver nulle part en particulier ; mais les histoires comiques et spirituelles doivent<br />

être brèves et finir par une pointe 5 . [Twain, XXIII, 191]<br />

Il est vrai que <strong>chez</strong> <strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is, comme nous venons <strong>de</strong> le voir, <strong>la</strong> <strong>drôle</strong>rie tient<br />

notamment au fond, au cynisme <strong>de</strong>s idées ; cependant, l’écrivain d’outre-at<strong>la</strong>ntique<br />

se trompe en partie à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> production française, car <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> raconter<br />

compte tout autant que le contenu, dans l’œuvre <strong>de</strong> l’humoriste normand. On a vo-<br />

lontiers comparé Twain et Al<strong>la</strong>is, présentant le second comme l’héritier du premier.<br />

L’écrivain et dramaturge Pierre Veber <strong>la</strong>nce un calembour assez peu f<strong>la</strong>tteur : « Al-<br />

phonse Al<strong>la</strong>is, un démarque-Twain » [Veber, IX, 175]. Il est vrai qu’ils ont l’humour<br />

noir en commun, mais ils ne se ressemblent guère, en réalité. Jules Renard, déjà,<br />

distinguait bien ces <strong>de</strong>ux styles.<br />

J’ai lu Mark Twain, hier, pour <strong>la</strong> première fois. Ce<strong>la</strong> me paraît fort inférieur à<br />

ce qu’écrit Al<strong>la</strong>is ; et puis, c’est trop long. Je ne supporte que l’indication d’une<br />

p<strong>la</strong>isanterie. Ne nous rasez pas ! [Renard, IX, 175]<br />

À ses débuts, Al<strong>la</strong>is ne connaît pas même l’existence <strong>de</strong> l’auteur américain. L’in-<br />

fluence supposée <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier n’est qu’une hypothèse vague et désobligeante. <strong>Le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux hommes ne partagent pas les mêmes modèles. <strong>Le</strong>s auteurs qui gravitent autour<br />

<strong>de</strong> Rodolphe Salis sont <strong>de</strong>s amateurs d’Edgar Poe, <strong>Le</strong> Chat Noir qu’ils fréquentent<br />

ayant été nommé en référence à une nouvelle <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. Twain, quant à lui, ne<br />

peut le souffrir.<br />

Pour moi, sa prose est illisible - comme celle <strong>de</strong> Jane Austin [sic]. Non, il y a<br />

une différence. Je pourrais lire sa prose contre sa<strong>la</strong>ire, mais pas celle <strong>de</strong> Jane. 6 .<br />

5 Traduction <strong>de</strong> Julie Pujos. Texte orignal : « There are several kinds of stories, but only one<br />

diffcult kind — the humorous. [...] The humorous story is American, the comic story is English, the<br />

witty story is French. The humorous story <strong>de</strong>pends for its effect upon the manner of the telling ;<br />

the comic story and the witty story upon the matter.<br />

The humorous story may be spun out to great length, and may wan<strong>de</strong>r around as much as it<br />

pleases, and arrive nowhere in particu<strong>la</strong>r ; but the comic and witty stories must be brief and end<br />

with a point. »<br />

6 Texte original : « To me his prose is unreadable - like Jane Austin’s [sic]. No there is a difference.<br />

38


[Twain, XXXVIII]<br />

Al<strong>la</strong>is n’est pas un Mark Twain au rabais et l’histoire humoristique française, telle<br />

qu’il <strong>la</strong> pratique, est loin <strong>de</strong> reposer uniquement sur <strong>la</strong> forme. Son art <strong>de</strong> conteur<br />

donne également matière à l’étu<strong>de</strong>.<br />

I could read his prose on sa<strong>la</strong>ry, but not Jane’s. »<br />

39


3 <strong>Le</strong> comique stylistique<br />

Tout comme il serait réducteur <strong>de</strong> penser qu’un type d’énoncé soit exclusivement<br />

comique, <strong>de</strong> même il n’existe pas <strong>de</strong> procédés stylistique qui soit étiquetté unique-<br />

ment du sceau <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>drôle</strong>rie.<br />

L’analyse <strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> rhétorique et <strong>de</strong>s techniques stylistiques permettrait encore<br />

moins d’avancer que ce sont <strong>de</strong>s figures et ces techniques qui déterminent,<br />

à propos d’un style, sa couleur, ses effets et son impact. L’ellipse, l’hyperbole, <strong>la</strong><br />

métaphore, l’antithèse, en dépit d’une même structure, voire d’un même contenu,<br />

peuvent, comme indifféremment, faire naître le rire, l’attendrissement, <strong>la</strong> terreur,<br />

l’éblouissement ou l’indifférence. [ Émelina, XII, 24]<br />

Toutefois, lorsque ces phénomènes sont relevés dans le cadre d’un exemple donné,<br />

il est possible d’isoler ceux qui participent à <strong>la</strong> dynamique comique du texte en<br />

question.<br />

Ainsi Al<strong>la</strong>is associe à <strong>de</strong>s événements graves un ton comique qui s’exprime par<br />

une parlure particulière.<br />

3.1 Oralité<br />

L’une <strong>de</strong>s caractéristiques <strong>de</strong>s récits d’Al<strong>la</strong>is sont qu’ils sont à <strong>la</strong> fois dits et écrits.<br />

À l’armée, déjà, il s’entraînait sur ses compagnons.<br />

<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is, lui, exerce sur ses camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> chambrée son talent <strong>de</strong> conteur et<br />

improvise <strong>de</strong>s histoires où le comique se mêle au fantastique. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 61]<br />

Al<strong>la</strong>is appartient à <strong>la</strong> tradition <strong>de</strong>s cabarets et a pour coutume <strong>de</strong> soumettre<br />

ses productions à un auditoire. Il les interprète lui-même ou les donne à dire à ses<br />

40


camara<strong>de</strong>s, comme Coquelin Ca<strong>de</strong>t 1 , à qui il dédit plusieurs textes 2 . Cette habitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> représentation explique les marques d’oralités au sein du récit. <strong>Le</strong> narrateur y<br />

tient un rôle très important.<br />

3.1.1 Complicité avec le lecteur<br />

<strong>Le</strong> conteur Al<strong>la</strong>is emploie tous les procédés <strong>de</strong> <strong>la</strong> rhétorique qu’il connaît dans les<br />

coins : apostrophes, interpel<strong>la</strong>tions, exc<strong>la</strong>mations, allusions, apartés, parenthèses,<br />

inci<strong>de</strong>ntes, notes en bas <strong>de</strong> page, post-scriptum, petite correspondance..., qui créent<br />

<strong>la</strong> connivence. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 172]<br />

Nous nous attar<strong>de</strong>rons sur certains axes principaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> manifestation du nar-<br />

rateur, à savoir les personnes employées et les questions oratoires.<br />

Emploi <strong>de</strong> <strong>la</strong> 1ère personne<br />

Parmi les textes du corpus, certains sont entièrement rédigés à <strong>la</strong> 1ère personne :<br />

Posthume, The Corpse-car, P<strong>la</strong>cer macabre et Facétie macabre. Al<strong>la</strong>is fait mine d’y<br />

raconter <strong>de</strong>s anecdotes réelles, dont il est acteur. Il se p<strong>la</strong>ce dans le rôle d’un conteur à<br />

haute voix et l’interaction avec le lecteur s’installe donc très logiquement. Cependant,<br />

dans les autres nouvelles, il adopte le point <strong>de</strong> vue d’un narrateur non impliqué<br />

dans l’histoire. C’est bien entendu dans ce type <strong>de</strong> narration qu’il est intéressant<br />

d’analyser comment s’é<strong>la</strong>bore <strong>la</strong> complicité avec le lecteur grâce à une 1ère personne<br />

qui affleure parfois.<br />

Un Testament [Al<strong>la</strong>is, I, 262]<br />

– « Tout <strong>de</strong>rnièrement, un grand propriétaire foncier mourait dans une petite<br />

ville du centre, que je ne puis, à mon grand regret, désigner »<br />

– « Sa générosité, ajoutons-le vite, éga<strong>la</strong>it son ar<strong>de</strong>ur »<br />

– « En quoi je vous le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, ce<strong>la</strong> aurait-il gêné l’Autorité qu’un grand pro-<br />

priétaire foncier du centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> France fût bouilli au lieu d’être crémé ? »<br />

Gabelle macabre [Al<strong>la</strong>is, I, 407]<br />

– « Laissez-moi, dites, vous conter <strong>la</strong> chose par le menu »<br />

1 Acteur français, sociétaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Comédie-Française, qui porta <strong>de</strong> nombreux monologues sur<br />

scène tels que ceux <strong>de</strong> Charles Cros, <strong>de</strong> Georges Fey<strong>de</strong>au ou d’Al<strong>la</strong>is.<br />

2 Par exemple, L’Homme pauvre, qui lui est dédicacé, est sous-titré « Histoire navrante sanglotée<br />

par Coquelin Ca<strong>de</strong>t ».<br />

41


– « Quand je vous aurai dit que le vieux était l’oncle du jeune, je me croirai<br />

dispensé d’ajouter que ce <strong>de</strong>rnier était le neveu du vieux. »<br />

– « Nos <strong>de</strong>ux compatriotes se <strong>de</strong>stinaient à New-York »<br />

– « Disons le mot : il se surmena dans <strong>de</strong> fangeuses orgies »<br />

– « Au bout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jours <strong>de</strong> traversée - abrégeons -, Incarné mourut. »<br />

– « formule également en vigueur, si je ne me trompe, à l’octroi <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville <strong>de</strong><br />

Paris. »<br />

– « Je tiendrai nos lecteurs au courant. »<br />

Un rajah qui s’embête [Al<strong>la</strong>is, I, 418]<br />

– « Revenons à nos moutons et <strong>la</strong>issez-moi vous le répéter »<br />

– « un détail qui ne peut toucher que bien faiblement nos piteuses visions d’Oc-<br />

ci<strong>de</strong>nt »<br />

– « À je ne sais quel geste mou du rajah, l’intendant a compris »<br />

Funerals [Al<strong>la</strong>is, I, 432]<br />

– Je glisserai rapi<strong>de</strong>ment sur ce peu réjouissant sujet<br />

– Ce que c’est que <strong>de</strong> nous, pourtant !<br />

L’utilisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> 1ère personne du pluriel, plus encore que celle du singulier,<br />

contribue à faire naître l’intimité entre le lecteur et le conteur, puisqu’elle les inclut<br />

en une même entité.<br />

Emploi <strong>de</strong> <strong>la</strong> 2ème personne<br />

<strong>Le</strong> « je » d’Al<strong>la</strong>is implique évi<strong>de</strong>mment un « vous ». L’interpel<strong>la</strong>tion du lecteur<br />

conduit à un sta<strong>de</strong> supérieur <strong>de</strong> connivence, car il est happé dans le texte lui-même.<br />

Un Testament [Al<strong>la</strong>is, I, 262]<br />

– « En quoi, je vous le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, ce<strong>la</strong> aurait-il gêné l’Autorité qu’un grand<br />

propriétaire foncier du centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> France fût bouilli au lieu d’être crémé ? »<br />

Gabelle macabre [Al<strong>la</strong>is, I, 407]<br />

– « Laissez-moi, dites, vous conter <strong>la</strong> chose par le menu »<br />

– « Quand je vous aurai dit que le vieux était l’oncle du jeune, je me croirai<br />

dispensé d’ajouter que ce <strong>de</strong>rnier était le neveu du vieux. »<br />

Un rajah qui s’embête [Al<strong>la</strong>is, I, 418]<br />

– Vous qui riez bêtement, avez-vous déjà vu un rajah qui s’embête ?<br />

– Alors ne riez pas bêtement.<br />

42


– <strong>la</strong>issez-moi vous le répéter, au cas où cette longue discussion vous l’aurait<br />

fait oublier.<br />

Funerals [Al<strong>la</strong>is, I, 432]<br />

– « Je glisserai rapi<strong>de</strong>ment sur ce peur réjouissant sujet, mais pas assez vite pour<br />

ne point vous parler <strong>de</strong> l’inaération. »<br />

Dans le prospectus contenu au sein <strong>de</strong> Facétie macabre, les adresses au lecteur<br />

sont nombreuses puisqu’il s’agit d’un document publicitaire et les apostrophes y sont<br />

une convention. Citons, par exemple : « Faites-vous donc enterrer richement avec<br />

les <strong>la</strong>issés pour compte <strong>de</strong>s grands défunts illustres, à <strong>la</strong> Sinistre. »<br />

Question oratoire<br />

La question <strong>de</strong> rhétorique est une autre manière d’intéresser le lecteur à l’histoire.<br />

Et même si aucune réponse n’est attendue, il a le sentiment d’être pris en compte<br />

par le narrateur.<br />

Un Testament [Al<strong>la</strong>is, I, 262]<br />

– « Et puis, <strong>de</strong> quoi vient-elle se mêler l’Autorité ? »<br />

– « En quoi je vous le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, ce<strong>la</strong> aurait-il gêné l’Autorité qu’un grand pro-<br />

priétaire foncier du centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> France fût bouilli au lieu d’être crémé ? »<br />

Un rajah qui s’embête [Al<strong>la</strong>is, I, 418]<br />

– « Vous qui riez bêtement, avez-vous déjà vu un rajah qui s’embête ? »<br />

– « Non ? »<br />

– « C’est une affaire bien entendue, n’est-ce pas ? »<br />

Funerals [Al<strong>la</strong>is, I, 432]<br />

– Qui l’eût cru ?<br />

The Corpse-car [Al<strong>la</strong>is, II, 370]<br />

– « <strong>Le</strong>s causes, vous les <strong>de</strong>vinez, n’est-ce pas ? »<br />

– « Tenez, sans aller plus loin, auriez-vous jamais cru que l’organisation <strong>de</strong>s<br />

Pompes funèbres pût arriver à un total chambar<strong>de</strong>ment ? »<br />

Facétie macabre [Al<strong>la</strong>is, II, 564]<br />

– « Est-ce à dire que nous nous soyons ennuyés ? »<br />

– « Est-ce que rédiger <strong>de</strong> telles fantaisies, ce<strong>la</strong> ne vaut pas mieux que d’aller au<br />

café ? »<br />

43


<strong>Le</strong>s fausses questions apportent à <strong>la</strong> narration un aspect amusant, une illusion<br />

interactive, un caractère ludique qui côtoie parfois <strong>la</strong> <strong>de</strong>vinette. La plus <strong>drôle</strong> mais<br />

<strong>la</strong> plus cynique et aussi <strong>la</strong> plus funeste se situe dans Facétie macabre.<br />

Pourquoi s’obstiner à vivre ? Quand on peut se faire enterrer confortablement pour<br />

seulement 45,95 francs [Al<strong>la</strong>is, II, 564]<br />

On note que, naturellement, bien <strong>de</strong>s exemples combinent plusieurs procédés à <strong>la</strong><br />

fois. <strong>Le</strong>s différentes caractéristiques relevées instaurent une proximité entre Al<strong>la</strong>is et<br />

son lecteur qui s’avère indispensable à son humour.<br />

En le traitant d’égal à égal, il peut se permettre <strong>de</strong> choquer son lecteur : traité en<br />

complice, celui-ci ne saurait s’en formaliser. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 173]<br />

La complicité favorise à <strong>la</strong> fois le rire et autorise les fantaisies les plus subversives.<br />

3.1.2 Parenthèses et digressions<br />

Al<strong>la</strong>is est un a<strong>de</strong>pte <strong>de</strong> <strong>la</strong> parenthèse, qui, même lorsqu’elle est explicative, sert<br />

surtout à ralentir <strong>la</strong> lecture et l’arrivée <strong>de</strong> <strong>la</strong> chute. Il répète sans cesse qu’il épargne<br />

les détails pour aller à l’essentiel.<br />

Si je racontais, par le menu, tout ce qui nous advint au cours <strong>de</strong> cette joyeuse soirée,<br />

ce n’est pas sur six pages que <strong>de</strong>vrait paraître le Journal, mais sur douze, au bas<br />

mot. [Al<strong>la</strong>is, II, 564]<br />

Mais en réalité, il fait <strong>de</strong> nombreux détours. Ces excursions sont présentées entre<br />

parenthèses dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s cas, mais il arrive que le caractère parenthétique <strong>de</strong><br />

celles-ci soit implicite.<br />

Digressions<br />

Ces développements hors-sujet se rapprochent, dans le cadre <strong>de</strong> nouvelles souvent<br />

<strong>de</strong>stinées à être lues en public, <strong>de</strong>s parabases <strong>de</strong> l’antiquité. <strong>Le</strong> narrateur se dédouble.<br />

Il délivre l’intrigue d’une part et joue le rôle du coryphée <strong>de</strong> l’autre, en faisant <strong>de</strong>s<br />

commentaires sans lien avec l’action.<br />

ils se rabattirent illico sur New York où, paraît-il, on n’eut pas le temps <strong>de</strong> s’embêter<br />

une minute pendant le world’s fair. (Une bonne b<strong>la</strong>gue que les New-Yorkais<br />

44


firent aux Chicagotiens 3 .) [Al<strong>la</strong>is, I, 407]<br />

Victor Hugo qui écrivit, avec un talent incontestable et, comme en se jouant, <strong>Le</strong> roi<br />

s’amuse, n’aurait peut-être pas été fichu d’écrire les dix premiers vers <strong>de</strong> <strong>Le</strong> rajah<br />

s’embête, et Victor Hugo n’était pas un serin pourtant.<br />

Revenons à nos moutons, et <strong>la</strong>issez-moi vous le répéter, au cas où cette longue<br />

digression vous l’aurait fait oublier : le rajah s’embête ! C’est une affaire bien entendue<br />

n’est-ce pas ? Il serait, d’ailleurs, fastidieux <strong>de</strong> revenir sur ce détail qui ne<br />

peut toucher que bien faiblement nos piteuses visions d’Occi<strong>de</strong>nt : le rajah s’embête !<br />

[Al<strong>la</strong>is, I, 418]<br />

La vapeur est produite par l’eau du regretté défunt (le corps humain contient -<br />

qui le croirait ? - soixante-quinze pour cent d’eau.) [Al<strong>la</strong>is, II, 371]<br />

Mon vieux ex-camara<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> rive gauche (comme c’est loin tout ça !) le docteur<br />

Périclès Kamalociboulo, actuellement mé<strong>de</strong>cin du diadoque à Athènes, vient - telle<br />

une bombe - <strong>de</strong> pénétrer <strong>chez</strong> moi. [Al<strong>la</strong>is, II, 564]<br />

Tout <strong>de</strong>rnièrement, un grand propriétaire foncier mourait dans une petite ville du<br />

centre, que je ne puis, à mon grand regret, désigner (l’espace m’étant<br />

mesuré, rigoureusement). [Al<strong>la</strong>is, I, 262]<br />

3 Al<strong>la</strong>is fait référence à <strong>la</strong> compétition qui opposa les villes <strong>de</strong> New-York et Chicago, se battant<br />

toutes <strong>de</strong>ux pour l’obtention <strong>de</strong> l’exposition universelle <strong>de</strong> 1892-1893, en l’honneur <strong>de</strong> Christophe<br />

Colomb. Chicago remporte le privilège d’organiser l’événement, mais, comme le sous-entend Al<strong>la</strong>is,<br />

cette victoire connaît <strong>de</strong>s revers <strong>de</strong> fortune.<br />

En effet, <strong>la</strong> désignation du vainqueur avait eu lieu en 1890, mais, au tout début <strong>de</strong> l’année 1893,<br />

éc<strong>la</strong>te une gigantesque crise financière, « La Panique <strong>de</strong> 1893 », plus grave dépression économique<br />

que le pays ait connu jusque là. Contrairement au système français, où l’ État procure majoritaire-<br />

ment les fonds pour l’exposition, aux États-Unis, le financement est assuré en gran<strong>de</strong> partie par <strong>la</strong><br />

ville <strong>la</strong>uréate.<br />

C’est pourquoi, après un krach boursier sans précé<strong>de</strong>nt, les New-Yorkais furent sou<strong>la</strong>gés <strong>de</strong> ne pas<br />

avoir à investir dans <strong>de</strong>s préparatifs coûteux et d’une telle ampleur. A posteriori, il semble effecti-<br />

vement que <strong>la</strong> ville accueil<strong>la</strong>nt l’événement cette année-là ait hérité d’un ca<strong>de</strong>au empoisonné.<br />

Une telle digression perd <strong>de</strong> son sel auprès du lecteur contemporain qui ignore le contexte<br />

économique <strong>de</strong> l’époque. Cependant, cette p<strong>la</strong>isanterie parue en 1900 et qui suggère que New-<br />

York orchestra <strong>la</strong> débâcle financière en vue <strong>de</strong> mettre Chicago en difficulté, <strong>de</strong>vait faire mouche en<br />

son temps.<br />

45


Explications<br />

Certains <strong>de</strong> ces éc<strong>la</strong>ircissements sont à visée comique, occasions <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isanteries.<br />

<strong>Le</strong>s autres ont pour but <strong>de</strong> préciser <strong>de</strong>s points restés flous.<br />

D’une main vigoureuse, il amena à lui le triangle <strong>de</strong> métal ainsi déterminé, le tordant<br />

aussi facilement qu’il eût fait d’une feuille <strong>de</strong> papier d’étain. (C’était un robuste<br />

malfaiteur.) [Al<strong>la</strong>is, I, 36]<br />

(Pour rester dans <strong>de</strong>s traditions d’esprit bien français, appelons l’oncle Incarné <strong>de</strong><br />

même que nous baptiserons le neveu Derameau.) [Al<strong>la</strong>is, I, 407]<br />

Il s’embête comme, peut-être, il ne s’est jamais embêté <strong>de</strong> sa vie. (Et Bouddha<br />

sait si ce pauvre rajah s’est embêté <strong>de</strong>s fois !) [Al<strong>la</strong>is, I, 418]<br />

<strong>Le</strong>s éléphants ronchonnent salement, ce qui est <strong>la</strong> façon, aux éléphants, d’exprimer<br />

leur mécontentement. Car, à l’encontre <strong>de</strong> l’éléphant d’Afrique qui comprend<br />

seulement <strong>la</strong> chasse aux papillons, l’éléphant d’Asie ne se passionne qu’au<br />

hunting du jaguar. [Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

Et puis voilà qu’au rhythme (je tiens aux <strong>de</strong>ux h) <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique, elle commence<br />

à se dévêtir. [Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

Cet excellent homme prend son corps (pas le sien, bien entendu, mais celui<br />

qu’on lui confie). Il le met dans un four-étuve <strong>de</strong> son invention et le débarrasse <strong>de</strong><br />

toute l’eau que recèle son organisme (quatre-vingts pour cent ! Qui l’eût cru ?)<br />

[Al<strong>la</strong>is, I, 433]<br />

Merry<strong>la</strong>d le fait mariner dans un mé<strong>la</strong>nge composé <strong>de</strong> : <strong>de</strong>ux parties d’aci<strong>de</strong> azotique,<br />

une partie d’aci<strong>de</strong> sulfurique (mé<strong>la</strong>nge semb<strong>la</strong>ble à celui employé pour <strong>la</strong><br />

fabrication que fulmi-coton). [Al<strong>la</strong>is, I, 433]<br />

<strong>Le</strong> gaz, ou plutôt les gaz sont également les produits <strong>de</strong> distil<strong>la</strong>tion du pauvre cher<br />

homme (ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> pauvre chère femme, selon le cas). [Al<strong>la</strong>is, II, 371]<br />

Mais là où elle <strong>de</strong>vient une affaire d’or (et c’est bien le cas <strong>de</strong> le dire), c’est<br />

quand elle comprend l’extraction <strong>de</strong> l’or inséré dans les <strong>de</strong>nts aurifiées <strong>de</strong>s pauvres<br />

défunts. [Al<strong>la</strong>is, II, 378]<br />

46


Des statistiques sérieusement établies ont démontré qu’en Amérique les mâchoires <strong>de</strong><br />

mille personnes représentent, au bas mot, trente once d’or, c’est-à-dire, grosso<br />

modo, six cents dol<strong>la</strong>rs (3000 francs), soit environ 3 francs par personne. [Al<strong>la</strong>is,<br />

II, 378]<br />

(Ce saugrenu vocable <strong>de</strong> « Kamalociboulo » n’est pas, à vrai dire, l’exact nom <strong>de</strong> mon<br />

ami, mais, dans le temps, <strong>la</strong> pluralité <strong>de</strong>s étudiants se réjouissait à l’ainsi baptiser.)<br />

[Al<strong>la</strong>is, II, 564]<br />

Ces jeunes messieurs ont bien voulu nous communiquer à Périclès Kamalociboulo et<br />

à moi, certains <strong>de</strong> ces prospectus. [...] Voyez plutôt :<br />

(J’écourte au moins <strong>de</strong> moitié.) [Al<strong>la</strong>is, II, 565]<br />

Notre joyeux directeur, licencieux en droit, est l’instigateur du fameux « corbil<strong>la</strong>rd<br />

réc<strong>la</strong>me » qui fait le succès <strong>de</strong> notre Exposition universelle (Pavillon <strong>de</strong>s vins et<br />

bières). [Al<strong>la</strong>is, II, 565]<br />

Aperçu <strong>de</strong>s prix <strong>de</strong>s comparses pour convois funèbres :<br />

Parent décoré (homme ou dame), 10 francs ; parent <strong>de</strong> province (homme ou<br />

dame), 6 francs ; [...] petit orphelin (garçon ou fille), 5 francs ; [...] omnibus-bar<br />

(donnant droit à 100 consommations, toutes <strong>de</strong> première c<strong>la</strong>sse), 30 francs.<br />

[Al<strong>la</strong>is, II, 566]<br />

Tous ces exemples participent au phénomène <strong>de</strong> l’oralité et entrent dans le système<br />

<strong>de</strong> « drô<strong>la</strong>tisation » <strong>de</strong>s textes macabres. <strong>Le</strong>s parenthèses, qu’elles contiennent <strong>de</strong>s<br />

saillies ou <strong>de</strong> simples explicitations, sont le lieu d’expression <strong>de</strong> l’auteur/narrateur<br />

et moyens <strong>de</strong> ralentissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> progression dramatique. Un suspens est ainsi<br />

aménagé et met <strong>la</strong> chute comique d’avantage en valeur.<br />

3.1.3 Répétitions<br />

Al<strong>la</strong>is aime à ménager le suspens et, à cette fin, il n’use pas que <strong>de</strong> digressions. Il<br />

recourt également à <strong>de</strong>s itérations. Elles sont loin d’avoir pour but unique d’augmen-<br />

ter sa rétribution en allongeant <strong>la</strong> nouvelle. Elles servent réellement l’esprit comique<br />

<strong>de</strong>s récits.<br />

Dans <strong>Le</strong> criminel précautionneux [Al<strong>la</strong>is, I, 36], il est une expression qui intervient<br />

à trois reprises, au début, au milieu et à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l’histoire.<br />

47


– « Avec un instrument (<strong>de</strong> fabrication américaine) assez semb<strong>la</strong>ble à celui<br />

dont on se sert pour ouvrir les boîtes <strong>de</strong> conserve, le malfaiteur fait, dans <strong>la</strong><br />

tôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>vanture, <strong>de</strong>ux incisions »<br />

– « Maintenant <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ce avec une ventouse en caoutchouc (<strong>de</strong> fabrication américaine),<br />

il <strong>la</strong> coupa à l’ai<strong>de</strong> d’un diamant du Cap. »<br />

– « le malfaiteur lui enfonça dans le sein un fer homici<strong>de</strong> (<strong>de</strong> fabrication<br />

américaine). »<br />

Cette répétition est cocasse car elle ne joue absolument aucun rôle dans <strong>la</strong> trame.<br />

Il s’agit d’un complément <strong>de</strong> caractérisation qu’Al<strong>la</strong>is exploite afin <strong>de</strong> singer <strong>la</strong> fasci-<br />

nation <strong>de</strong> cette fin <strong>de</strong> siècle pour les États-Unis. La simple mention <strong>de</strong> <strong>la</strong> provenance<br />

<strong>de</strong>s outils est censée être un gage <strong>de</strong> qualité incontestable. Cependant l’information<br />

ainsi ressassée est ridiculisée.<br />

On rencontre d’autres phénomènes <strong>de</strong> répétition dans Un rajah qui s’embête [Al-<br />

<strong>la</strong>is, I, 419], à commencer, justement, par celle du verbe « s’embêter » qui intervient<br />

une dixaine <strong>de</strong> fois.<br />

– « <strong>Le</strong> rajah s’embête ! »<br />

– « Il s’embête comme peut-être il ne s’est jamais embêté <strong>de</strong> sa vie. »<br />

– « Et Bouddha sait si ce pauvre rajah s’est embêté <strong>de</strong>s fois ! »<br />

– « Vous qui riez bêtement, avez-vous jamais vu un rajah qui s’embête ? »<br />

– « Victor Hugo [...] n’aurait peut-être pas été fichu d’écrire les dix premiers vers<br />

<strong>de</strong> <strong>Le</strong> rajah s’embête »<br />

– « <strong>la</strong>issez-moi vous le répéter, au cas où cette longue digression vous l’aurait fait<br />

oublier : le rajah s’embête ! »<br />

– « Il serait, d’ailleurs, fastidieux <strong>de</strong> revenir sur ce détail qui ne peut toucher que<br />

bien faiblement nos piteuses visions d’Occi<strong>de</strong>nt : le rajah s’embête ! »<br />

– « <strong>Le</strong>s bayadères n’empêchent pas le rajah <strong>de</strong> s’embêter. »<br />

– « Et le rajah ne s’embête plus. »<br />

Ce leitmotiv est tellement réitéré qu’il donne l’impression que <strong>la</strong> narration<br />

tourne en rond. C’est une autre répétition qui met l’histoire en marche et lui<br />

permet d’atteindre <strong>la</strong> négation finale et délivrante : « Et le rajah ne s’embête<br />

plus. ». Il s’agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> répétition <strong>de</strong> l’adverbe « encore ».<br />

– « A chaque morceau <strong>de</strong> vêtement qui tombe, le rajah impatient, rauque, dit :<br />

48


- Encore ! »<br />

– « Et encore un morceau du vêtement <strong>de</strong> <strong>la</strong> petite bayadère tombe, et plus impatient,<br />

plus rauque, le rajah dit :<br />

- Encore ! »<br />

– « <strong>Le</strong> rajah s’est levé tout droit et a rugi, comme fou :<br />

- Encore ! »<br />

– « <strong>Le</strong> rajah jette à ses serviteurs un mauvais regard noir et rugit à nouveau :<br />

- Encore ! »<br />

<strong>Le</strong> rajah s’emporte et débite ses ordres sans pitié. Sa cruauté est renforcée par<br />

d’autres répétions. <strong>Le</strong>s adjectifs « impatient » et « rauque » sont repris et accom-<br />

pagnés <strong>de</strong> l’adverbe <strong>de</strong> supériorité « plus ». <strong>Le</strong> verbe « rugir » est lui aussi employé<br />

<strong>de</strong>ux fois et assorti <strong>de</strong> <strong>la</strong> locution adverbiale « à nouveau ». Sa barbarie se manifeste<br />

également dans un pléonasme, qui sans être une répétition lexicale est une répétition<br />

thématique : « un mauvais regard noir ».<br />

Un autre pléonasme se situe dans Facétie macabre : « Spécialité d’enterrements<br />

posthumes ». On aurait tendance à penser que l’on n’enterre que les <strong>mort</strong>s mais le<br />

fait que l’évi<strong>de</strong>nce-même ne soit qu’une « spécialité » <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison suggère que <strong>de</strong>s<br />

enterrements du vivant <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne sont envisageables.<br />

Répétitions ou pléonasmes, Al<strong>la</strong>is aime seriner son lecteur. Certaines occurrences<br />

sont purement comiques, d’autres effrayantes, mais elles comportent toutes une part<br />

<strong>de</strong> ludisme qui égaye le propos morbi<strong>de</strong>.<br />

3.2 Figures<br />

<strong>Le</strong> recours aux figures rhétoriques entre, bien évi<strong>de</strong>mment, dans l’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> veine comique d’un texte et Al<strong>la</strong>is, qui fut à <strong>la</strong> fois très bon élève 4 et farceur 5<br />

prend soin d’en jouer<br />

Il va sans dire que l’édification <strong>de</strong> ce mental château <strong>de</strong> cartes exige avant tout une<br />

connaissance approfondie <strong>de</strong> toutes les ressources qu’offre le <strong>la</strong>ngage, <strong>de</strong> ses secrets<br />

4 Il reçoit le premier prix <strong>de</strong> français en c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong> huitième, et se c<strong>la</strong>sse toujours dans le quatuor<br />

<strong>de</strong> tête jusqu’à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong> première. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 33]<br />

5 Pour punir un professeur, ayant pour habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> confisquer les friandises <strong>de</strong>s élèves et <strong>de</strong> les<br />

manger, il s’arrange pour se faire confisquer un paquet <strong>de</strong> biscuits purgatifs. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 38]<br />

49


comme <strong>de</strong> ses pièges : « C’était un grand écrivain », pourra dire, à <strong>la</strong> <strong>mort</strong> d’<strong>Alphonse</strong><br />

Al<strong>la</strong>is, le sévère Jules Renard. [Breton, VIII, 223]<br />

3.2.1 Euphémisme<br />

L’un <strong>de</strong>s principaux ressorts comiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouvelle <strong>Le</strong> Criminel précautionneux<br />

rési<strong>de</strong> dans sa pointe, dont le terme c<strong>la</strong>usu<strong>la</strong>ire est l’euphémisme du substantif<br />

« décès ». Il ne s’agit évi<strong>de</strong>mment pas d’une <strong>mort</strong> anodine, mais d’un meurtre.<br />

Daniel Grojnowski s’attar<strong>de</strong> sur cet exemple :<br />

Tantôt le double sens d’une expression apparaît in fine : sur l’écriteau que le cambrioleur<br />

applique à <strong>la</strong> <strong>de</strong>vanture du magasin (« Fermé pour cause <strong>de</strong> décès »), le mot<br />

« décès » euphémise l’assassinat qu’il vient <strong>de</strong> commettre. Du coup, le titre du conte<br />

(« <strong>Le</strong> Criminel précautionneux ») s’enrichit d’une valeur inattendue car le cambrioleur<br />

assassin a concerté son forfait et sa conséquence avec une égale attention.<br />

[Grojnowski, III, 27]<br />

Effectivement, l’adjectif précautionneux 6 prend une coloration supplémentaire.<br />

Tout au long du récit, le lecteur l’assimile à l’aspect prévoyant et organisé <strong>de</strong> l’entrée<br />

par effraction. Mais, en réalité, le terme s’applique également à <strong>la</strong> volonté para-<br />

doxale du meurtrier <strong>de</strong> limiter les conséquences négatives <strong>de</strong> son forfait auprès <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> clientèle. Cette prévenance, qui semble contraire avec l’exercice <strong>de</strong> son métier, est<br />

naturellement ce qui prête à rire.<br />

3.2.2 Antanac<strong>la</strong>se et syllepse<br />

Al<strong>la</strong>is joue avec les sens et utilise, pour <strong>de</strong>s signifiants i<strong>de</strong>ntiques, <strong>de</strong>s signifiés<br />

différents. Il a ainsi recourt à l’antanac<strong>la</strong>se et <strong>la</strong> syllepse dans <strong>de</strong>ux nouvelles.<br />

Facétie macabre<br />

Syllepse<br />

Conditions spéciales pour enterrement <strong>de</strong> vies <strong>de</strong> garçons et <strong>de</strong> bails expirés.<br />

Exhumation <strong>de</strong> vieilles affaires enterrées <strong>de</strong>puis longtemps. [Al<strong>la</strong>is, II, 565]<br />

6 « <strong>Le</strong> mot désigne ce que l’on fait par prévoyance, pour éviter un mal ou en atténuer l’effet, et,<br />

plus généralement, une manière d’agir pru<strong>de</strong>nte. » [Rey, XIX, T.2, 2898]<br />

50


<strong>Le</strong>s termes « enterrement » et « enterrées » sont pris d’une part au sens propre,<br />

car ils entrent dans l’isotopie <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>mort</strong> qui parcourt <strong>la</strong> nouvelle, et d’autre part au<br />

sens figuré, car ils appartiennent à <strong>de</strong>s expressions figées où il n’est pas question <strong>de</strong><br />

décès mais d’abandon (« enterrement <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> garçon », « enterrer une affaire »).<br />

L’adjectif « expiré » (à <strong>la</strong> fois « mourir » et « arriver à terme » [Rey, XIX, T.1, 1369])<br />

et le substantif « exhumation » ( aussi bien « déterrer » que « sortir <strong>de</strong> l’oubli »<br />

[Rey, XIX, T.1, 1363]) suivent le même schéma.<br />

Antanac<strong>la</strong>se<br />

Pavillon <strong>de</strong>s vins et bières [Al<strong>la</strong>is, II, 565]<br />

Ici, il ne s’agit pas d’un jeu sur le propre et le figuré, mais sur <strong>de</strong>ux réels homo-<br />

phones, l’un venant du francique « bera » signifiant « civière » et l’autre <strong>de</strong> « bier »,<br />

substantif d’origine germanique et désignant <strong>la</strong> boisson alcoolisée [Rey, XIX, T.1, 393].<br />

Un Testament<br />

Syllepse<br />

J’ai tant éc<strong>la</strong>iré 7 , ma vie durant, que ce me serait cruelle privation <strong>de</strong> ne pas le faire<br />

encore un peu, après ma <strong>mort</strong>. [Al<strong>la</strong>is, I, 263]<br />

<strong>Le</strong> participe passé « éc<strong>la</strong>iré » est pris à <strong>la</strong> fois dans son acception propre (« répandre<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière ») et dans son sens figuré qui fait référence au champ sémantique du<br />

mouvement <strong>de</strong>s Lumières au XVIII e siècle [Rey, XIX, T.1, 1168].<br />

Antanac<strong>la</strong>se<br />

Sa générosité, ajoutons-le vite, éga<strong>la</strong>it son ar<strong>de</strong>ur, et cet homme qui possédait tant<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>pins sur ses terres, ne s’en connaissait pas un sur <strong>la</strong> conscience. [Al<strong>la</strong>is, I, 262]<br />

<strong>Le</strong> substantif « <strong>la</strong>pins » est employé au sens propre qui désigne le mammifère<br />

tandis que sa reprise anaphorique par le pronom adverbial « en » l’est au sens figuré<br />

(« ren<strong>de</strong>z-vous manqué ») [Rey, XIX, T.2, 1976]. Plus loin, l’auteur fait usage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

polysémie d’un autre substantif animal.<br />

mots.<br />

7 En italique, dans le texte. Cette emphase typographique contribue à mettre en avant le jeu <strong>de</strong><br />

51


La vian<strong>de</strong> et le bouillon seront distribués à mes cochons. (Ayant toute ma vie, vécu<br />

en cochon, il me sied <strong>de</strong> finir en cochon.) [Al<strong>la</strong>is, I, 263]<br />

La première et <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière occurrence du terme « cochon » sont au sens propre<br />

tandis que <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième est au sens figuré (« personne ayant un comportement sexuel<br />

condamnable ») [Rey, XIX, T.1, 788]. Une autre antanac<strong>la</strong>se s’opère dans cette<br />

phrase. En effet, <strong>la</strong> préposition « en » est d’abord employée dans le sens « en<br />

tant que » puis elle équivaut à <strong>la</strong> préposition « dans ». Cette répétition du terme<br />

dans <strong>de</strong>ux sens différents permet à l’auteur d’établir un parallélisme <strong>de</strong> construction<br />

(V+en+cochon).<br />

Grâce aux antanac<strong>la</strong>ses et aux syllepses, ces formules, où alternent <strong>de</strong> façon lu-<br />

dique les sens propres et figurés <strong>de</strong> même que <strong>de</strong>s homophones, sont frappantes<br />

et productrices <strong>de</strong> risible, puisque, comme le rappelle Irène Tamba-Mecz, « <strong>de</strong><br />

telles figures provoquent le plus souvent <strong>de</strong>s représentations comiques » [Tamba-<br />

Mecz, XXII, 185].<br />

3.2.3 Paronomase<br />

L’humoriste normand pratique également l’art du calembour. <strong>Le</strong>s jeux sur les<br />

sonorités, qui sont rassemblés dans le tableau 3.1, contribuent à donner une tournure<br />

amusante à ses récits. Ils sont <strong>la</strong> plupart du temps in absentia, car l’écrivain compte<br />

sur son lecteur pour les débusquer.<br />

De manière paradoxale, les récits <strong>de</strong> fantaisie d’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is, tout « popu<strong>la</strong>ires »<br />

qu’ils soient dans leur construction et leur formu<strong>la</strong>tion, s’adressent à un lecteur qui<br />

parvient à les déchiffrer [Grojnowski, III, 28]<br />

L’emphase typographique induite par les guillemets entourant l’expression « le<br />

<strong>mort</strong> aux <strong>de</strong>nts » est une sorte <strong>de</strong> panneau signalétique servant à souligner ce trait<br />

d’esprit, qui constitue <strong>la</strong> pointe <strong>de</strong> The Corpse-car. Dans Gabelle macabre, le pa-<br />

tronyme « Derameau » établit une intertextualité avec l’œuvre <strong>de</strong> Denis Di<strong>de</strong>rot <strong>Le</strong><br />

Neveu <strong>de</strong> Rameau ou La Satire secon<strong>de</strong>. La compréhension du jeu <strong>de</strong> mots suppose<br />

donc <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> cet ouvrage. <strong>Le</strong> neveu du compositeur y tient le rôle d’un<br />

cynique aux moeurs peu vertueuses, qui ne sont pas sans rappeler <strong>la</strong> débauche dans<br />

<strong>la</strong>quelle le jeune Derameau, <strong>chez</strong> Al<strong>la</strong>is, entraîne son oncle Incarné.<br />

52


Tab. 3.1 – Paronomases in absentia<br />

Occurrences Termes phonétiquement proches<br />

sac ad hoc [I, 36] sac à dos<br />

licencieux en droit [II, 565] licencié en droit<br />

« le <strong>mort</strong> aux <strong>de</strong>nts » [II, 371] le mors aux <strong>de</strong>nts<br />

Kamalociboulo [II, 564] qui a mal au ciboulot<br />

oncle Incarné [I, 407] ongle incarné<br />

neveu Derameau [I, 407] <strong>Le</strong> Neveu <strong>de</strong> Rameau<br />

Si certains <strong>de</strong>s calembours <strong>de</strong> l’auteur s’adressent à un public averti, il lui arrive<br />

d’en expliciter certains.<br />

Tous nos enterrements sont posthumes, c’est-à-dire qu’ils ont lieu après que les<br />

thunes ont été versées à l’administration. [Al<strong>la</strong>is, II, 566]<br />

Cette paronomase, située dans The Corpse-car, est in praesentia. Al<strong>la</strong>is invente<br />

une définition nouvelle <strong>de</strong> l’adjectif « posthume ». <strong>Le</strong> calembour repose sur <strong>la</strong> proxi-<br />

mité entre le substantif « thune » et le groupe phonétique « thume ».<br />

Une autre paronomase in praesentia se rencontre dans <strong>la</strong> nouvelle intitulée Post-<br />

hume.<br />

Elle s’appe<strong>la</strong>it Lucie. On ajouta <strong>de</strong> Lammermoor 8 , qu’un loustic <strong>de</strong> <strong>la</strong> ban<strong>de</strong> transforma<br />

en <strong>la</strong> mère Moreau. [Al<strong>la</strong>is, I, 325]<br />

3.3 Mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong>s registres<br />

Al<strong>la</strong>is aime faire cohabiter plusieurs niveaux <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngues dans un même texte.<br />

Cette bigarrure provoque un effet comique.<br />

<strong>Le</strong> style d’Al<strong>la</strong>is mêle délicieusement c<strong>la</strong>ssicisme et bizarreries <strong>de</strong> l’écriture. [Duteurtre,<br />

V, 19]<br />

8 Lucia di Lammermoor est un opéra italien composé par Gaetano Donizetti en 1835, et adapté<br />

par lui-même à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française en 1839.<br />

53


<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is partage une série <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nces avec Arthur Rimbaud. Ils<br />

naissent tous <strong>de</strong>ux le 20 octobre 1854 et reçoivent donc les mêmes enseignements<br />

sco<strong>la</strong>ires.<br />

ils écrivent « rhythme 9 » avec <strong>de</strong>ux h, parce que telle est l’orthographe <strong>de</strong>s dictionnaires<br />

Larousse, Bescherelle et Littré. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 24]<br />

Il utilise une série <strong>de</strong> termes, récapitulés dans le tableau 3.2, qui donnent à son<br />

texte une coloration savante.<br />

Tab. 3.2 – Particu<strong>la</strong>rités lexicales<br />

Latin et Grec Ang<strong>la</strong>is<br />

Emprunt XXX népotal [I, 407]<br />

anthume<br />

Néologisme inaération [I, 432]<br />

nécromobilisme [II, 371]<br />

nécropyrie [I, 433]<br />

hunting [I, 419]<br />

Xénisme ad hoc [I 36] corpse-car [II, 371]<br />

3.3.1 Néologismes<br />

– « anthume »<br />

grosso modo [II, 378] funerals [I, 432]<br />

pocker [I, 325]<br />

world’s fair [I, 407]<br />

Lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> parution <strong>de</strong> son recueil À se tordre, Al<strong>la</strong>is porte une mention parti-<br />

culière sur <strong>la</strong> couverture.<br />

En tout cas, dès ce premier volume, apparaît en sur-titre, sous le nom <strong>de</strong><br />

l’auteur, <strong>la</strong> mention : Œuvres anthumes. Cet adjectif manquait à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

française ; il fait sourire ; il est macabre. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 404]<br />

9 Emprunté au <strong>la</strong>tin « rhythmus », lui-même repris du grec « rhuthmos » [Rey, XIX, T.3, 3338].<br />

54


Ce néologisme est calqué sur son antonyme « posthume » qui résulte d’une<br />

étymologie erronée.<br />

Posthume adj. est emprunté (1488) au <strong>la</strong>tin posthumus graphie erronée pour<br />

postumus « <strong>de</strong>rnier », spécialement en par<strong>la</strong>nt d’un enfant né après <strong>la</strong> <strong>mort</strong> <strong>de</strong><br />

son père. C’est un dérivé <strong>de</strong> post [...]. L’altération <strong>de</strong> postumus en posthumus<br />

provient d’un rapprochement par fausse étymologie avec humus « terre » [...]<br />

et humare « enterrer » [Rey, XIX, T.2, 2869]<br />

<strong>Le</strong> véritable antonyme <strong>de</strong> posthume <strong>de</strong>vrait être formé sur l’adjectif <strong>la</strong>tin primus<br />

(premier), mais Al<strong>la</strong>is conserve, en connaissance <strong>de</strong> cause ou non 10 , l’étymologie<br />

fautive qui fait directement référence à <strong>la</strong> mise en terre.<br />

post (après) + humus, i, f. (terre)<br />

ante (avant) + humus, i, f. (terre)<br />

– « inaération »<br />

Ce substantif est construit sur le modèle d’ « incinération » (détruire par le<br />

feu) et désigne l’action <strong>de</strong> détruire par l’air.<br />

in (vers, dans) + cinis, cineris, m. (cendre) + ation (suffixe d’action)<br />

in (vers, dans) + aer, aeris, m. (air) + ation (suffixe d’action)<br />

– « nécromobilisme »<br />

Ce terme hybri<strong>de</strong> naît <strong>de</strong> l’addition peu conventionnelle d’un étymon grec, d’un<br />

étymon <strong>la</strong>tin et d’un suffixe indiquant <strong>la</strong> fonction.<br />

nekros (<strong>mort</strong>) + mobilis, e (dép<strong>la</strong>çable) + isme<br />

Il désigne un type <strong>de</strong> dép<strong>la</strong>cement, effectué à bord d’un véhicule mû par<br />

l’énergie émanant du recyc<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> cadavres.<br />

– « nécropyrie »<br />

Contrairement à « nécromobilisme » avec lequel il partage un étymon commun,<br />

ce néologisme respecte <strong>la</strong> logique <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux étymons <strong>de</strong> même origine, grecque<br />

en l’occurrence.<br />

nekros (<strong>mort</strong>) + puros (feu)<br />

Ce terme est à rattacher au domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> pyrotechnie. Il s’agit <strong>de</strong> l’utilisation<br />

<strong>de</strong> résidus <strong>de</strong> personnes décédées dans <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> feux d’artifices et, plus<br />

<strong>la</strong>rgement, d’explosifs et <strong>de</strong> combustibles tels que les bougies.<br />

10 On est en droit <strong>de</strong> penser qu’il n’ignorait pas cette bizarrerie étymologique, puisqu’il excelle<br />

dans les <strong>la</strong>ngues <strong>mort</strong>es au cours <strong>de</strong> sa sco<strong>la</strong>rité. [Cara<strong>de</strong>c, IX, 34]<br />

55


Xénismes<br />

Qu’ils soient <strong>la</strong>tins ou ang<strong>la</strong>is, ces mots étrangers, détaillés dans le tableau 3.3,<br />

sont toujours cités en italique par l’auteur. Cette précaution typographique<br />

constitue un phénomène d’autonymie. Ils ont également en commun, à l’exclu-<br />

sion <strong>de</strong> « pocker », leur emploi dit « <strong>de</strong> luxe », car chacun d’entre eux trouve<br />

aisément un doublon français. Ils n’ont donc pour but que d’introduire une<br />

connotation à <strong>la</strong> fois érudite, à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> (pour les anglicismes) et comique.<br />

Tab. 3.3 – Propositions d’équivalents français<br />

Xénisme Doublon<br />

ad hoc approprié<br />

grosso modo environ<br />

hunting chasse<br />

corpse-car nécromobile<br />

funeral enterrement<br />

world’s fair exposition universelle<br />

3.3.2 Registre familier<br />

Au registre soutenu, auquel les xénismes participent, s’adjoint un niveau <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong>ngue plus vulgaire qui possè<strong>de</strong> également un ressort comique. Cette parlure<br />

instaure une re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> camara<strong>de</strong>rie entre le narrateur et le lecteur, c’est le<br />

registre <strong>de</strong>s bons copains. Il ne faut pas oublier que le rire est communicatif et<br />

que le sentiment d’être mis en confiance, dans une confi<strong>de</strong>nce, permet tout au-<br />

tant le comique que le sentiment d’éloignement. Ce discours relâché, récapitulé<br />

dans le tableau 3.4, possè<strong>de</strong> également « une fonction intellectuelle engendrant<br />

un p<strong>la</strong>isir dans <strong>la</strong> transgression <strong>de</strong>s règles [Smadja, XXI, 122] » du <strong>la</strong>ngage<br />

habituel.<br />

<strong>Le</strong>s instants les plus comiques, dans le domaine <strong>de</strong>s niveaux <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngue, sont<br />

<strong>la</strong> cohabitation incongrue <strong>de</strong>s registres soutenus et familiers, dans une même<br />

phrase.<br />

Très flemmar<strong>de</strong>, l’escorte se sent ravie d’aise. [Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

56


Tab. 3.4 – Termes et expressions popu<strong>la</strong>ires<br />

Pages Occurrences<br />

I, 38 veine - guigne<br />

I, 262 trousseur <strong>de</strong> jupes - aimeur<br />

I, 325 « leva »- loustic - causeries<br />

I, 326 Quelle veine <strong>de</strong> cocu ! - ratisser toute votre galette - ça vous va-t-il ?<br />

I, 407 ils s’embêtèrent ferme - raseurs - illico - les bâtons <strong>de</strong> chaises - vanné<br />

jusqu’à <strong>la</strong> cor<strong>de</strong><br />

I, 408 gabelou - le p<strong>la</strong>ncher <strong>de</strong>s vaches - [elle] vous a floué<br />

I, 418 [il] s’embête - <strong>de</strong>s fois<br />

I, 419 [il] n’aurait peut-être pas été fichu - serin - revenons à nos moutons -<br />

flemmar<strong>de</strong> - [ils] ronchonnent salement - En allez-vous, les bayadères.<br />

En allez-vous ! - Demeurez ici, petites bayadères, en allez-vous point !<br />

I, 433 crac<br />

II, 371 canassons - chambar<strong>de</strong>ment<br />

II, 378 Il n’y a qu’à rogner un peu - donner ce petit coup <strong>de</strong> fion<br />

II, 564 vadrouille<br />

II, 566 thunes<br />

L’adjectif « flemmar<strong>de</strong> » appartient au <strong>la</strong>ngage familier, tandis que l’expression<br />

« ravie d’aise » est au contraire recherchée.<br />

Demeurez ici, petite bayadère, en allez-vous point ! [Al<strong>la</strong>is, I, 419]<br />

<strong>Le</strong> verbe « <strong>de</strong>meurez » relève du <strong>la</strong>ngage soigné. Néanmoins, Al<strong>la</strong>is le fait<br />

côtoyer le syntagme « en allez-vous point », dans lequel se trouve une faute<br />

<strong>de</strong> grammaire. En effet, le pronom adverbial « en » se p<strong>la</strong>ce toujours après les<br />

autres pronoms, il <strong>de</strong>vrait donc être consécutif au pronom « vous ». On peut<br />

encore raffiner l’étrangeté <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier syntagme, car l’auxiliaire <strong>de</strong> négation<br />

« point » fait partie, lui, du registre soutenu. La jouissance <strong>de</strong>s transgressions<br />

et grammaticales et lexicales est génératrice <strong>de</strong> risible.<br />

L’ensemble <strong>de</strong>s procédés stylistiques venant d’être soulignés, et mis à contribu-<br />

57


tion dans les récits d’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is, participent à une vaste mécanique du rire.<br />

Cette mécanique terriblement efficace, qui repose tant sur <strong>de</strong>s figures, <strong>de</strong>s jeux<br />

<strong>de</strong> registres et <strong>de</strong>s phénomènes d’oralité, est mise, dans le corpus sélectionné,<br />

au service d’évocations macabres. Et <strong>la</strong> <strong>mort</strong>, loin <strong>de</strong> teinter ces procédés d’une<br />

coloration triste se pare grâce à eux d’un halo humoristique.<br />

58


Conclusion<br />

<strong>Le</strong> comique macabre d’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is repose sur un tout, sur un édifice com-<br />

plexe et étudié. On ne passe pas successivement du rire aux <strong>la</strong>rmes, le rire vient<br />

se mêler à un vague, bien que tenace, sentiment d’épouvante. Même lorsque le<br />

comique ne porte pas directement sur <strong>la</strong> <strong>mort</strong>, il rejaillit malgré tout sur elle. Ce<br />

savant mé<strong>la</strong>nge (Al<strong>la</strong>is est passé si près <strong>de</strong> reprendre <strong>la</strong> pharmacie paternelle...)<br />

repose sur un très habile équilibre entre proximité avec le lecteur et volonté <strong>de</strong><br />

le bousculer dans sa petite morale bourgeoise.<br />

Cependant, ces courtes chroniques, il faut le rappeler, ont pour but d’amuser<br />

les lecteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse quotidienne et non <strong>de</strong> proposer une réelle réforme<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> morale. On remarque néanmoins que le comique est rarement gratuit<br />

<strong>chez</strong> cet auteur, qu’il ne se manifeste presque jamais seul. Il est très souvent<br />

accompagné d’une critique en rapport avec <strong>la</strong> société : l’administration qu’il<br />

exècre mais aussi le règne du profit ou l’émergence d’une publicité envahissante,<br />

le capitalisme naissant. Pourtant, il n’a vraiment <strong>de</strong> militant que le vocabu<strong>la</strong>ire.<br />

Et il aime trop le progrès pour vouloir le stopper. Il se p<strong>la</strong>ce en témoin acerbe<br />

<strong>de</strong>s révolutions <strong>de</strong> son temps.<br />

<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is n’est pas seulement un humoriste, un écrivain et un inventeur,<br />

c’est aussi un visionnaire. On le sait à l’origine <strong>de</strong> l’expression « patriotisme<br />

économique » [Al<strong>la</strong>is, I, 520], qui fut réemployée, par exemple, en 1992 par Jean-<br />

Louis <strong>Le</strong>vet et, plus récemment, par Dominique <strong>de</strong> Villepin en 2005 [XLII].<br />

De <strong>la</strong> même façon, il s’adonne, un siècle avant l’heure, à un type d’écriture,<br />

aujourd’hui très à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> <strong>chez</strong> les adolescents, à savoir le « <strong>la</strong>ngage SMS ».<br />

Dans Ancor <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong> l’ortograf [Al<strong>la</strong>is, II, 588], on peut ainsi lire « NRJ »<br />

(énergie), « O DS FMR » (ô, déesse éphémère) ou encore « LN A U D BB »<br />

(Hélène a eu <strong>de</strong>s bébés). C’est évi<strong>de</strong>mment bien contre son gré qu’il est un <strong>de</strong>s<br />

précurseurs <strong>de</strong> cette forme <strong>de</strong> communication, lui qui, nous l’avons dit, écrit<br />

« rhythme » avec <strong>de</strong>ux -h, <strong>de</strong> façon très conservatrice.<br />

59


En effet, il arrive que <strong>la</strong> réalité rattrape parfois l’humour et ce<strong>la</strong> dans <strong>de</strong>s do-<br />

maines beaucoup moins légers que celui <strong>de</strong> l’orthographe. Lorsqu’il s’ingénie<br />

à vouloir recycler les <strong>mort</strong>s, Al<strong>la</strong>is décrit à son insu <strong>de</strong>s pratiques et <strong>de</strong>s<br />

expérimentations qui sont hé<strong>la</strong>s <strong>de</strong>venues réelles au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> Shoah. Il suffit<br />

<strong>de</strong> rappeler ses propositions <strong>de</strong> baser une industrie sur <strong>la</strong> récolte <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts en<br />

or ou <strong>de</strong> produire <strong>de</strong> l’engrais à partir <strong>de</strong> cadavres humains 11 [Al<strong>la</strong>is, II, 378].<br />

La constatation <strong>de</strong> ce triste talent d’anticipation amène une conclusion sur <strong>la</strong><br />

spécificité <strong>de</strong> son humour : le comique macabre d’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is ne pouvait<br />

exister, tel quel, qu’avant <strong>la</strong> Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale.<br />

<strong>Le</strong> traumatisme profond décou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong>s camps <strong>de</strong> concentration<br />

et <strong>la</strong> réflexion qu’il a occasionnée dans tous les secteurs <strong>de</strong>s sciences humaines<br />

font qu’aujourd’hui encore il est délicat <strong>de</strong> trouver matière à p<strong>la</strong>isanter, avec<br />

autant <strong>de</strong> can<strong>de</strong>ur que pouvait le faire Al<strong>la</strong>is, sur un traitement industriel infligé<br />

aux dépouilles funèbres. Raymond Queneau ne cache pas <strong>la</strong> virulence <strong>de</strong> son<br />

mépris pour cette forme <strong>de</strong> comique, qu’il juge irresponsable.<br />

<strong>Le</strong> nazisme est l’humour noir pris au sérieux et non moins « <strong>de</strong>structif » sur le<br />

p<strong>la</strong>n « réel » que l’humour noir sur le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s « idées » [Queneau, XIV, 80]<br />

L’humour noir a néanmoins survécu à Auschwitz, n’en dép<strong>la</strong>ise à Queneau,<br />

tout comme le fit <strong>la</strong> poésie, malgré <strong>la</strong> célèbre phrase <strong>de</strong> Theodor Adorno 12 .<br />

Certes, l’humour noir a survécu, mais il s’est modifié. Pierre Desprogres, dont<br />

les b<strong>la</strong>gues juives sont parmi les plus osées, ne pousse pas <strong>la</strong> dérision morbi<strong>de</strong><br />

aussi loin qu’Al<strong>la</strong>is, dans son sketch On me dit que <strong>de</strong>s juifs se sont glissés dans<br />

<strong>la</strong> salle.<br />

Il est vrai que les Allemands, <strong>de</strong> leur côté, cachaient mal une certaine antipathie<br />

11 « <strong>Le</strong> 23 septembre 1940, Himmler ordonna que les <strong>de</strong>nts en or <strong>de</strong>vaient être arrachées aux<br />

détenus décédés. » [Zamecnik, XXIV, 184]. Primo <strong>Le</strong>vi évoque ces pratiques : « qu’on pense enfin à<br />

l’exploitation infâme <strong>de</strong>s cadavres, traités comme une quelconque matière première propre à fournir<br />

l’or <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts, les cheveux pour en faire du tissu, les cendres pour servir d’engrais, aux hommes<br />

et aux femmes ravalés au rang <strong>de</strong> cobayes sur lesquels on expérimentait <strong>de</strong>s médicaments avant <strong>de</strong><br />

les supprimer. » [<strong>Le</strong>vi, XVII, 307]<br />

12 « Après Auschwitz, écrire <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie est barbare. » Il se rétracte plus tard : « Il pourrait<br />

bien avoir été faux d’affirmer qu’après Auschwitz, il n’est plus possible d’écrire <strong>de</strong>s poèmes. »<br />

[Adorno, XXXIII]<br />

60


à l’égard <strong>de</strong>s juifs. Ce n’était pas une raison pour exacerber cette antipathie<br />

en arborant une étoile à sa veste pour bien montrer qu’on n’est pas n’importe<br />

qui, qu’on est le peuple élu, et pourquoi j’irais pointer au vélodrome d’hiver,<br />

et qu’est-ce que c’est que ce wagon sans banquette, et j’irai aux douches si<br />

je veux... Quelle suffisance ! Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je<br />

n’ai personnellement aucune animosité particulière contre ces gens-là. [Desproges,<br />

X, 81]<br />

Il est impossible au lecteur actuel <strong>de</strong> lire les textes d’Al<strong>la</strong>is sans effectuer malgré<br />

lui <strong>de</strong>s rapprochements historiques liés au génoci<strong>de</strong> juif. Même une note anodine<br />

parue en 1888 et accompagnant le conte Christmas, peut engendrer un tragique<br />

parallèle : « Extrait <strong>de</strong> Pour lire en train <strong>de</strong> bestiaux, un volume en préparation<br />

<strong>chez</strong> <strong>Le</strong>merre » [Cara<strong>de</strong>c, IX, 252].<br />

L’humour d’<strong>Alphonse</strong> Al<strong>la</strong>is et <strong>de</strong> quelques-uns <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s, extrêmement<br />

mo<strong>de</strong>rne par bien <strong>de</strong>s aspects, est néanmoins daté sur ce sujet bien précis. C’est<br />

un humour que l’horreur nazie rend historiquement ponctuel et, par conséquent,<br />

peut-être unique.<br />

61


Bibliographie<br />

<strong>Le</strong>s citations sont référencées <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière suivante, entre crochets : le nom <strong>de</strong> l’auteur, le<br />

repère bibliographique (en chiffres romains), le tome et enfin <strong>la</strong> page (en chiffres arabes).<br />

[Auteur, Repère, Tome, Page]<br />

Corpus extrait <strong>de</strong> :<br />

[I] A. ALLAIS, Œuvres anthumes, édition établie par F. Cara<strong>de</strong>c, Robert Laffont, Bouquins,<br />

Paris, 1989.<br />

[II] A. ALLAIS, Œuvres posthumes, édition établie par F. Cara<strong>de</strong>c, Robert Laffont, Bou-<br />

quins, Paris, 1990.<br />

Ouvrages cités :<br />

Publication traditionnelle<br />

[III] A. ALLAIS, À se tordre, édition établie par D. Grojnowski, GF F<strong>la</strong>mmarion, Paris, 2002.<br />

[IV] A. ALLAIS, À se tordre, édition établie par M. Gamard et N. <strong>Le</strong>bailly, Magnard, C<strong>la</strong>s-<br />

siques et contemporains, Paris, 2007.<br />

[V] A. ALLAIS, La Vie <strong>drôle</strong>, Préface <strong>de</strong> B. Duteurtre, La Petite vermillon, Paris, 1994.<br />

[VI] J.-P. AUBRIT, <strong>Le</strong> conte et <strong>la</strong> nouvelle, Armand Colin, Cursus, Paris, 2002.<br />

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Support vidéo<br />

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