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F l o r i m o n - L o u i s d e K e r l o a r<br />
N o i r & B l a n c<br />
C a r n e t s<br />
T o m e I<br />
2 0 0 2 – 2 0 1 1
A r g u m e n t
Argument<br />
Cette saga est avant tout une œuvre pour les êtres marqués d’une certaine<br />
sensibilité intellectuelle. Elle est notre tribune <strong>de</strong> réflexion, <strong>de</strong> dépassement et<br />
<strong>de</strong> conscience. Elle affiche son refus <strong>de</strong> la modicité <strong>de</strong>s communs.<br />
Nous maintenons l’essence <strong>de</strong> la culture du sein. Sectaires, inaccessibles et<br />
par <strong>de</strong>ssus tout éthyliques, celles et ceux qui se reconnaissent ici vous toisent et<br />
se rient <strong>de</strong> vous ; nous témoignons !<br />
L’avenir est à venir ; l’histoire nous passionne pour ce qu’elle est : un joli<br />
compte <strong>de</strong> faits ; quant au présent, nous le vivons. Ne parlons donc que <strong>de</strong> ce<br />
qui est et a été, édifions ce qui sera et ignorons ce qui pourrait être. Ayons tout,<br />
ne <strong>de</strong>mandons rien et vainquons.<br />
Nous aspirons à nous entourer <strong>de</strong> personnes au <strong>de</strong>stin perturbé et à la<br />
conviction évasée. Nous sommes paumé et nos illusions sont tombées ; nous<br />
vivons ce que nous <strong>de</strong>vons vivre et traçons notre route dans un sillon sans<br />
para<strong>de</strong>.<br />
Si l’on nous avait donné le choix <strong>de</strong> notre naissance, nous l’aurions choisie<br />
ailleurs, dans <strong>de</strong>s temps plus appropriés à notre condition d’être qui pense,<br />
rêve et apprend <strong>de</strong> ses expériences. Notre époque ne nous apporte que la<br />
nostalgie <strong>de</strong> ce que nous ne sommes pas et ne pourrons sans doute jamais<br />
<strong>de</strong>venir – nous vînmes au mon<strong>de</strong> quatre siècles trop tard.<br />
Sur une vague à l’âme, une note <strong>de</strong> contrition, la mélancolie seule se chante.<br />
Brandir son poing vers les Cieux et les défier avec son bonheur sur une ligne<br />
n’est pas crédible ; nous trouvons même cela fat. Nous préférons sniffer la<br />
ligne et enculer le mon<strong>de</strong> tels Lautréamont, Rimbaud, Blake ou Bau<strong>de</strong>laire que<br />
bouffonner pour l’amuser.<br />
Cette saga est notre tribune. Elle est faite <strong>de</strong> noir ; elle est faite <strong>de</strong> blanc ;<br />
elle est tranchée <strong>de</strong> vif : éternelle nébuleuse dans un esprit écartelé entre <strong>de</strong>ux<br />
mon<strong>de</strong>s.<br />
Nos fondations, enfin, ne reposent pas sur les expériences branlantes <strong>de</strong>s<br />
autres mais sur les nôtres.<br />
7
É p i s o d e I<br />
.<br />
L e n o i r e t l e b l a n c
Le noir et le blanc<br />
P r o l o g u e<br />
Ils sont la couleur <strong>de</strong> notre portable, celle <strong>de</strong> nos chemises Hugo Boss,<br />
celle <strong>de</strong> notre Merce<strong>de</strong>s SL500 (quand nous en aurons une !), celle <strong>de</strong> nos<br />
clichés, celle d’un combat entre un Démon et un Ange ; ils sont la couleur<br />
d’une vie : la nôtre !<br />
Il est <strong>de</strong>s gens qui achètent un voilier et s’engagent dans un tour du mon<strong>de</strong><br />
sans retour pour la pimenter ; d’autres se résignent au mariage et fon<strong>de</strong>nt une<br />
famille ; d’autres encore empruntent délibérément le chemin <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong><br />
Faux…<br />
Quand notre vie à nous <strong>de</strong>vient trop poussiéreuse, nous passons le balai ;<br />
nous nous acharnons sur elle, lui infligeant les pires exactions, commettant <strong>de</strong>s<br />
actes <strong>de</strong> pure folie. Nous ne faisons que <strong>de</strong>s conneries et nous aimons ça !<br />
Toute reconstruction débute nécessairement par le Chaos ; nous louons ce<br />
terme et cette expression !<br />
Nous pourrions écrire un conte fantastique imaginé dans un mon<strong>de</strong> peuplé<br />
<strong>de</strong> créatures merveilleuses. Alors les enfants rêveraient-ils, se créant <strong>de</strong>s repères<br />
inaccessibles, intemporels et magiques…<br />
Non ! Ce qui suit sera un récit sans apport futile <strong>de</strong> dramaturgie, sec et vrai,<br />
le récit <strong>de</strong> notre jeune mais déjà longue existence parmi l’humanité, un recueil<br />
<strong>de</strong> correspondances brutes, l’anamnèse d’un être qui tomba <strong>de</strong> son nuage et se<br />
fit mal, l’introduction à notre évolution enfin.<br />
11
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
L a F a m i l l e , o r i g i n e<br />
En quelques instants, tous furent ensevelis !<br />
Nous naquîmes en eaux troubles dans une clinique provençale le 24 août<br />
1981 à 11h25, jour marqué par quelques-unes <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s tragédies<br />
connues <strong>de</strong> notre civilisation. Dans notre souvenir, il y en eu quatre : la<br />
<strong>de</strong>struction <strong>de</strong> Pompéi, le massacre <strong>de</strong> la Saint-Barthélemy, l’atomisation <strong>de</strong><br />
l’atoll <strong>de</strong> Fangataufa et notre venue au mon<strong>de</strong> qui relève davantage <strong>de</strong> la tragicomédie<br />
; nous dûmes être <strong>de</strong>ux, nous fûmes le seul à survivre !<br />
Que pourrions-nous bien évoquer sur notre famille qui reflète l’état d’esprit<br />
dans lequel nous nous trouvons à l’instant où nous écrivons ces lignes ?<br />
I<br />
Notre mère : bretonne, aimante, combative et tant d’autres choses. Née à<br />
Casablanca le 14 mars 1948, au temps où le Maroc représentait encore un<br />
intérêt pour la France, notre mère a toujours rendu à la Vie un hommage tout<br />
particulier : tu me donnes une baffe, je t’en rends <strong>de</strong>ux !<br />
De son enfance à elle, nous ne savons presque rien. Nous n’avons dans la<br />
tête que les quelques histoires que nous pûmes entendre ici et là. Lorsque notre<br />
famille revint en France, elle n’avait presque plus rien. C’est toujours le cas<br />
mais cela ne nous empêche pas <strong>de</strong> vivre dans <strong>de</strong>s châteaux, <strong>de</strong> voyager aux<br />
quatre coins du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s chemises sur mesure…<br />
Nous avons un frère et une sœur, sept et cinq ans plus âgés que nous, qui<br />
ne connurent leur père que jusques à notre naissance (ou presque) puisque<br />
leurs parents eurent la bonne idée <strong>de</strong> se séparer quelques mois plus tard. Notre<br />
mère sut nous élever, elle le fit bien.<br />
Cette femme dont tout le mon<strong>de</strong> pensait un moment qu’elle n’y arriverait<br />
pas prouva le contraire car si nous sommes là aujourd’hui, c’est grâce à elle et à<br />
personne d’autre !<br />
Elle nous inculqua l’esprit <strong>de</strong> notre famille, le meilleur <strong>de</strong>s valeurs<br />
humaines : l’amitié, la générosité et le partage, la curiosité, le respect <strong>de</strong> toute<br />
chose.<br />
12
Le noir et le blanc<br />
Notre mère eut le bon goût <strong>de</strong> nous bien éduquer. Elle nous rendit<br />
heureux pendant nos premières années. Elle joua parfaitement son rôle et nous<br />
prépara à affronter notre périlleux avenir. Ce n’est qu’après notre émancipation<br />
que tout commença <strong>de</strong> partir en couille pour nous…<br />
Lorsque nous avons un problème, c’est désormais notre mère que nous<br />
appelons ; non pour chercher <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> ou une quelconque consolation mais<br />
seulement pour parler.<br />
La communication est à l’humanité ce que la concupiscence est au curé :<br />
manquante (quoi qu’il nous faudra vérifier pour le curé) ! Nos nombreuses<br />
expériences nous l’enseignèrent à nos dépens dans notre prime jeunesse. Nous<br />
étions un garçon enfermé dans un mon<strong>de</strong> fait <strong>de</strong> rêves et d’illusions, nous<br />
parlions aux étoiles. Nous n’avons pas réellement changé aujourd’hui ; nous<br />
parlons encore aux étoiles et il nous reste <strong>de</strong>s illusions mais notre mère fait<br />
désormais partie <strong>de</strong> notre constellation protectrice.<br />
Une mère n’est pas seulement un être qui te met au mon<strong>de</strong>, Fidèle,<br />
t’apporte son éducation et te lâche dans la société <strong>de</strong>s Hommes tel un toutou<br />
bien apprivoisé… Non ! Une mère est également la barrière <strong>de</strong> toutes tes<br />
folies.<br />
Au collège, avons-nous déjà giflé cette folle <strong>de</strong> professeur <strong>de</strong><br />
Mathématiques sans imaginer que, quelques heures plus tard, ce serait la main<br />
<strong>de</strong> notre mère que nous prendrions dans la figure ? Avons-nous déjà<br />
langoureusement embrassé notre partenaire sans nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il plairait à<br />
notre mère ?<br />
Une mère est aussi et malgré tout un obstacle à notre évolution. Si ce n’est<br />
la personne en elle-même, c’est le sentiment profond qui nous attache à elle, ce<br />
cordon que jamais la Vie ne pourra couper. La Mort peut-être…<br />
Avons-nous déjà pensé au suici<strong>de</strong> sans nous soucier <strong>de</strong> la peine qu’elle<br />
pourrait éprouver ?<br />
Pour notre part, la chose sera inutile car en lisant ce livre, notre mère va<br />
nous tuer.<br />
I I<br />
13
Suite logique : notre père.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
13 ans fut l’âge où nous nous posâmes beaucoup <strong>de</strong> questions sur notre<br />
nature. Ce fut l’âge <strong>de</strong> la découverte, <strong>de</strong> l’exploration <strong>de</strong> notre conscience,<br />
notre sexualité, <strong>de</strong> la révolte. Ce fut l’âge enfin où nous nous surprîmes à<br />
vouloir être ce que nous n’étions pas.<br />
À 13 ans, nous avions un père, lointain certes, mais il avait un nom.<br />
Notre mère rencontra André, son second époux, alors qu’elle travaillait<br />
dans un hôtel du Tholonet, en Provence. Nous vivions chez lui, notre mère,<br />
notre sœur, notre frère, nos <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>mi-sœurs, notre <strong>de</strong>mi-frère et nous-même.<br />
Nous formions une famille parmi tant d’autres. Elle portait elle aussi un nom :<br />
recomposée. Une gran<strong>de</strong> famille perturbée par les vagues <strong>de</strong> l’Amour.<br />
Cette année-là, nous apprîmes ce que l’illusion signifiait. Notre frère eut<br />
toujours <strong>de</strong> bonnes idées et cette année-là, si l’histoire qui arriva à notre oreille<br />
précieuse est la bonne, il menaça notre mère <strong>de</strong> nous avouer la terrible<br />
nouvelle : notre père n’était pas notre père !<br />
Un tel secret <strong>de</strong>vrait être gardé précieusement, ne jamais sortir <strong>de</strong> son écrin<br />
scellé, seule preuve que quelque chose fut, un nous ne savons quoi que la<br />
curiosité seule ne peut découvrir. La secon<strong>de</strong> solution, la plus juste selon nous,<br />
est <strong>de</strong> ne pas lâchement, jalousement ou honteusement cacher la vérité à un<br />
enfant. Lui peut tout accepter, absolument tout, si par souci d’honnêteté les<br />
choses lui sont expliquées le plus naturellement du mon<strong>de</strong>. Notre mère ne prit<br />
pas cette décision, pour <strong>de</strong>s raisons qui la concernent et que, par amour pour<br />
elle, nous respectons sans même les connaître. Hélas, l’écrin qu’elle choisit<br />
était-il fragile et une âme indiscrète s’empara-t-elle <strong>de</strong> son secret, s’en servitelle<br />
dans un moment tragique. Tout le mon<strong>de</strong> en pâtit, notre mère sans doute<br />
plus que nous-même, nous déjà.<br />
Ainsi, c’est elle qui, en larmes et en présence d’André, nous annonça ce<br />
perturbant petit détail <strong>de</strong> notre existence : nous <strong>de</strong>vînmes alors adultérin, fruit<br />
d’un amour passionnel extraconjugal.<br />
Nous ne nous souvenons pas avoir réagi <strong>de</strong> quelque manière que ce fût.<br />
Étions-nous sous le choc ? Étions-nous déjà indifférent, blasé ? Avions-nous<br />
réalisé ? Nous ne pouvons répondre à cette interrogation.<br />
Ce qui est sûr, c’est qu’à partir <strong>de</strong> cet instant, nous n’avions plus ni père, ni<br />
14
Le noir et le blanc<br />
repère. Nous n’eûmes même pas la présence d’esprit, le courage, <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
à notre mère son nom. Nous étions tellement troublé par la peine qu’elle <strong>de</strong>vait<br />
ressentir que nous ne cherchâmes pas à l’accabler davantage.<br />
À 13 ans, nous imaginâmes donc tout bonnement ce qu’il pouvait être : un<br />
ange venu <strong>de</strong>s Cieux pour fécon<strong>de</strong>r notre mère ; un astronaute parcourant<br />
l’Univers à la recherche d’une autre terre fertile pour la sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’intérêt<br />
humain ; un milliardaire russe ; un agent secret ; un routard <strong>de</strong> passage qui en<br />
savait plus sur le mon<strong>de</strong> que le mon<strong>de</strong> lui-même, etc.<br />
Il nous fallut huit ans d’intense réflexion et le conseil avisé d’un<br />
missionnaire français habitant un coin paumé <strong>de</strong> la Thaïlan<strong>de</strong> pour enfin<br />
engager la conversation par courriel. Nous étions le 1er mai 2003.<br />
« D’ici peu, Agathe, une pédiatre, viendra passer six mois à la fondation. Je<br />
n’aurai donc plus la responsabilité <strong>de</strong>s traitements et il va me falloir trouver<br />
autre chose à faire. Pi Tiou m’a parlé <strong>de</strong> moines qui aimeraient que j’enseigne<br />
l’anglais aux enfants <strong>de</strong> leur wat (temple bouddhiste), car il y a également une<br />
école.<br />
« Honnêtement, j’en ai un peu marre d’enseigner l’anglais. Par ailleurs, ce<br />
ne serait pas payé et même si je me fous pas mal <strong>de</strong> l’argent, il faut quand<br />
même y penser.<br />
« Je ne vais pas retourner à Song Yae, sauf pour remercier encore une fois<br />
le père Somlong qui m’a accueilli.<br />
« En attendant <strong>de</strong> trouver quelque chose, je vais vendre mon appareil<br />
photo à pi Tiou qui en aurait besoin – mais je la soupçonne <strong>de</strong> vouloir<br />
simplement m’ai<strong>de</strong>r. Cela me permettra <strong>de</strong> tenir encore quelque temps. J’ai déjà<br />
près <strong>de</strong> cinq cents photos qui <strong>de</strong>vraient suffire à mon carnet.<br />
« Je vendrai également le graveur CD que j’ai acheté lorsque je partirai et<br />
que je n’en aurai plus besoin. Tout le mon<strong>de</strong> s’en sert mais bon… c’est moi qui<br />
l’ai acheté quand même !<br />
« Tu dois te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi je suis parti comme cela, sans rien prévoir.<br />
J’aurais pu travailler un peu en France avant et économiser, etc. Être<br />
raisonnable !<br />
« Mais je ne le suis pas moi, je vis au jour le jour. Ça pose <strong>de</strong>s problèmes,<br />
15
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
certes – beaucoup parfois – mais je vis <strong>de</strong>s expériences que personne <strong>de</strong><br />
raisonnable ne vit.<br />
« Aurais-je pu être infirmier volontaire ou professeur d’anglais en France si<br />
j’avais été raisonnable ? Non, ça ne risque pas ! Ou alors aurait-il fallu faire <strong>de</strong><br />
longues étu<strong>de</strong>s, ce qui, tu le sais bien, est incompatible avec ma nature car<br />
justement trop longues, surtout pour changer <strong>de</strong> métier tous les trois mois !<br />
« Le père Auguste ne cesse <strong>de</strong> m’inciter à choisir une voie et <strong>de</strong> m’y<br />
engager et la sœur à être patient.<br />
« Je pense que tu dois penser un peu la même chose mais ce n’est pas<br />
possible. Je ne sais pas pourquoi, je n’y arrive pas.<br />
« Je suis trop idéaliste sans doute !<br />
« Je suis en quête et tant que je n’aurai pas trouvé quelque chose qui va<br />
dans mon sens, je n’accé<strong>de</strong>rai pas au bonheur ; la stabilité n’est pas pour moi !<br />
« Ne t’en fais pas. Ce n’est pas parce que je suis triste que je suis<br />
malheureux. Je me pose seulement <strong>de</strong>s questions sur mon avenir, ma Quête,<br />
sur moi…<br />
« Gros bisous à tout le mon<strong>de</strong> ! »<br />
« Je viens <strong>de</strong> lire ta très longue lettre. André est parti sortir les chiens et<br />
donc je suis seule pour te répondre.<br />
« Donc comme cela tu vas chercher autre chose ! Je souhaite <strong>de</strong> tout mon<br />
cœur que tu trouves très vite ta voie, car c’est vrai ce que disent le père<br />
Auguste et la sœur, il faudrait que tu te stabilises et que tu <strong>de</strong>viennes patient.<br />
« Bien sûr que je me fais du souci, même si je me dis que tu t’en sortiras<br />
toujours.<br />
« Je t’en supplie, ne pars pas sur un coup <strong>de</strong> tête.<br />
« Là où tu es, les gens sont proches <strong>de</strong> toi et ne te laisseront pas tomber.<br />
Moi aussi je suis là, mais tellement loin. Comme j’aimerais que tu sois<br />
pleinement heureux !<br />
« Mille gros bisous <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>ux. Prends grand soin <strong>de</strong> toi, je t’aime. »<br />
16
Le noir et le blanc<br />
« Ne t’en fais pas, je ne partirai pas sur un coup <strong>de</strong> tête.<br />
« Vous avez tous raison mais… <strong>de</strong> votre point <strong>de</strong> vue ! Pour vous, la vie<br />
n’est pas telle que moi je la conçois.<br />
« Passons. Je m’en sortirai effectivement quoiqu’il advienne. Et puis j’ai<br />
toujours ma Bonne Étoile. J’aime la Vie, je crois qu’elle le voit et qu’elle est<br />
contente <strong>de</strong> moi, donc elle m’ai<strong>de</strong>ra !<br />
« Lorsque je t’écrivais que je me posais <strong>de</strong>s questions sur mon avenir, ma<br />
Quête, sur moi, il y en a une que je ne t’ai jamais posée.<br />
« Qui est mon père ?<br />
« À 13 ans, tu sais, on s’imagine <strong>de</strong>s tas <strong>de</strong> choses et je ne voulais pas<br />
t’ennuyer avec cela car tu étais si triste lorsque tu m’as annoncé que ce n’était<br />
pas Michel. Ça ne me pose aucun problème ; ne te mets pas à regretter quoi<br />
que ce soit – ne pleure pas, au contraire sois heureuse !<br />
« Moi je ne regrette rien.<br />
« C’est un événement qui m’a aidé à être ce que je suis et j’en suis fier mais<br />
c’est une question qui me reste présente à l’esprit et dont je veux me<br />
débarrasser.<br />
« C’est plus facile pour moi d’en parler par écrit et j’aimerais que tu me<br />
parles <strong>de</strong> lui, que tu ne me dises que la vérité, même si elle est crue et qu’elle ne<br />
me plaira pas.<br />
« Je ne te jugerai pas ; je t’aime trop pour cela. Et puis je prends les choses<br />
telles qu’elles sont, donc…<br />
« J’ai dû attendre huit ans avant <strong>de</strong> te poser cette question et je te la pose<br />
maintenant !<br />
« Le père Auguste n’y est pas pour rien d’ailleurs – je ne me suis pas<br />
confessé mais nous en avons parlé. C’est plus facile avec quelqu’un qui porte la<br />
Croix !<br />
« Il ne faut pas en faire toute une affaire, ce n’est rien, j’ai juste envie <strong>de</strong><br />
savoir maintenant, afin <strong>de</strong> m’enlever quelques illusions qui ne me servent à<br />
rien.<br />
« Tout est positif dans ce que je viens d’écrire, alors encore une fois, ne<br />
pleure pas et ne t’angoisse pas. Nous sommes d’accord ?<br />
17
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Je crois que cela nous enlèvera un poids à tous les <strong>de</strong>ux et après promis<br />
nous n’en reparlerons plus si tu veux.<br />
« Gros bisous. »<br />
« Voilà <strong>de</strong>s années que j’attendais que tu me poses cette question et je me<br />
<strong>de</strong>mandais si elle arriverait un jour. Je ne voulais pas t’en parler avant que Toi<br />
tu me poses la question et aujourd’hui tu me libères d’un poids qui me pesait<br />
chaque jour un peu plus.<br />
« Ton père est quelqu’un <strong>de</strong> très bien, il s’appelle José Coppa. Il habitait à<br />
l’époque à Éguilles. Je suis tombée amoureuse <strong>de</strong> lui au moment où ma vie<br />
commençait à <strong>de</strong>venir un enfer avec Michel. Lui aussi était marié. Il travaillait à<br />
l’époque au Crédit Agricole. Il avait obtenu une place <strong>de</strong> responsable et il la<br />
méritait. Ce qu’il est <strong>de</strong>venu maintenant, je n’en sais rien ! Toujours est-il que<br />
notre relation s’est arrêtée car quelqu’un est allé tout raconter à son épouse.<br />
« Il sait qu’il a un fils mais il ne s’est jamais manifesté. Dans le fond il tenait<br />
à sa petite vie <strong>de</strong> famille, et je ne lui en ai jamais voulu.<br />
« Tu as <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>mi-sœurs.<br />
« Michel savait que je voyais cet homme, je lui ai tout dit et les raisons pour<br />
lesquelles j’ai fait cela. À partir <strong>de</strong> ce moment-là, il a changé en mieux mais cela<br />
n’a guère duré car tout s’est à nouveau dégradé quand nous sommes revenus<br />
<strong>de</strong> Bretagne, où nous avons passé les vacances en 1982.<br />
« Tu avais 15 mois quand Michel est parti et il savait que tu n’étais pas son<br />
fils.<br />
« Je ne regrette nullement <strong>de</strong> t’avoir eu ; tu es pour moi un bonheur que je<br />
voulais et je savais les conséquences que cela aurait pour moi.<br />
« Oui, je pleure ! Mais ne t’inquiète pas, je te remercie du fond <strong>de</strong> mon<br />
cœur d’avoir percé l’abcès, et je t’aime tellement que je te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> mille<br />
pardons pour le mal que j’aurais pu te faire à cause <strong>de</strong> tout cela. Je t’en supplie<br />
ne m’en veux pas. Ce secret, je l’ai porté trop longtemps !<br />
« André sait tout <strong>de</strong>puis que l’on se connaît et comme il dit, c’est ma vie<br />
passée. Toi tu fais partie <strong>de</strong> cette vie et j’espère <strong>de</strong> tout mon cœur que cela n’a<br />
pas affecté ta jeunesse.<br />
18
Le noir et le blanc<br />
« Ton père doit avoir maintenant entre 56 et 58 ans. Il doit être à la retraite.<br />
« Où il est maintenant, je ne le sais pas. Je n’ai jamais cherché à le revoir. Si<br />
tu veux faire <strong>de</strong>s recherches, je t’ai dit tout ce que je savais.<br />
« Il a le même groupe sanguin que le tien.<br />
« Voilà mon cœur, tu peux me poser d’autres questions maintenant et je te<br />
répondrai dans la mesure <strong>de</strong> mes moyens.<br />
« Je t’ai dit la vérité.<br />
« Mille et mille gros bisous et merci encore. Je t’aime très fort. »<br />
« Merci <strong>de</strong> m’avoir répondu franchement. Je ne t’en veux pas, n’aie crainte.<br />
Tu n’as pas à me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pardon ! Un enfant doit toujours remercier sa mère<br />
qui l’a mis au mon<strong>de</strong>, quelles que soient les conditions <strong>de</strong> sa venue.<br />
« C’est plutôt à moi <strong>de</strong> m’excuser ; je t’ai encore fait pleurer, pour la<br />
secon<strong>de</strong> fois en quatre mois alors que je voulais justement à tout prix l’éviter.<br />
« Je suis content d’avoir soulagé ta peine !<br />
« Le fait <strong>de</strong> ne pas avoir <strong>de</strong> père – j’ai toujours eu Gérard au passage – a<br />
certes perturbé mon enfance, mais pas en mal rassure-toi. J’ai désormais<br />
l’esprit ouvert plus que n’importe qui, j’ai <strong>de</strong> l’imagination, je ne suis pas très<br />
stable mais cela ne peut augurer que bien <strong>de</strong> l’Avenir et <strong>de</strong>s aventures que l’on<br />
ne trouve pas dans la stabilité, telles que je les vis aujourd’hui. Ne regrette rien :<br />
je suis heureux aussi d’avoir pu te poser cette question.<br />
« Tu <strong>de</strong>vrais envoyer un bouquet <strong>de</strong> fleurs au père Auguste pour cela, il sera<br />
content car côté théologique, je ne suis pas un très bon élève !<br />
« Je ne souhaite pas entreprendre <strong>de</strong> recherches pour le moment. Je n’ai pas<br />
le droit je pense d’aller perturber sa vie <strong>de</strong> famille. Peut-être un jour viendra-t-il<br />
à moi. Je n’attends plus ce jour maintenant que je connais son nom ; c’est tout<br />
ce que je voulais savoir. S’il me recherche et vient ce sera bien, sinon… De<br />
toute manière, je ne connais pas mon Avenir mais je le sais plein d’à venir ! »<br />
« Non tu ne m’as pas fait pleurer, ce sont seulement <strong>de</strong>s larmes <strong>de</strong><br />
soulagement et un petit chamboulement qui s’est fait en moi.<br />
« André est content que l’on ait pu en parler toi et moi.<br />
19
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Maintenant et grâce à toi je me sens plus sereine et avec un poids en<br />
moins sur la conscience.<br />
« Je te le redis, je ne regrette rien car avec ton père j’ai vécu <strong>de</strong>s grands<br />
moments <strong>de</strong> bonheur et cela pendant presque <strong>de</strong>ux ans ; ce n’était pas une<br />
aventure sans len<strong>de</strong>main et il y avait <strong>de</strong> profonds sentiments entre nous.<br />
J’aurais pu ne pas gar<strong>de</strong>r ce bébé qui était toi mais tu as été conçu par Amour<br />
et je te voulais vraiment.<br />
« Tes <strong>de</strong>mi-sœurs doivent avoir 28 et 30 ans.<br />
« Ton avenir est grandiose et plein <strong>de</strong> richesses, tu me manques beaucoup<br />
mais si tu savais comme j’approuve ce que tu fais.<br />
« La seule chose que je souhaite <strong>de</strong> tout mon cœur est que tu trouves enfin<br />
ton idéal. Tu es plein <strong>de</strong> volonté et <strong>de</strong> ténacité et cela t’ai<strong>de</strong>ra.<br />
« Pour le père Auguste, c’est vrai que je peux le remercier et j’aimerais tant<br />
lui faire un petit ca<strong>de</strong>au et lui écrire personnellement. Dis-moi ce qui pourrait<br />
lui faire plaisir d’ici, à part <strong>de</strong>s fleurs que je ne saurais d’ailleurs pas comment<br />
envoyer.<br />
« Merci mon Amour et mille gros bisous. Je t’aime et tu le sais. »<br />
« Je ne connais pas l’adresse du père Auguste mais je tâcherai <strong>de</strong> la trouver<br />
sans qu’il le sache pour qu’il ait une surprise – pas trop grosse, il a le cœur<br />
fragile !<br />
« Sinon, je ne sais pas ce que tu pourrais lui envoyer, c’est ton ca<strong>de</strong>au après<br />
tout ! Il aime beaucoup le Ricard, mais je doute que ça passe à la Poste, si ce<br />
n’est la française, la thaïe. Autrement, je ne vois pas ; un truc <strong>de</strong> chez nous<br />
quoi !<br />
« Tu m’écris que cela te fait un poids en moins sur la conscience. Si tu veux<br />
te confier, tu sais que je suis là, même si je ne porte pas <strong>de</strong> croix. Je ne suis pas<br />
juge non plus, mais je comprends les choses. C’est comme tu veux. »<br />
Et voilà : José Coppa, notre père, un banquier qui ne nous reconnut point<br />
et que nous n’aurons sans doute jamais le courage <strong>de</strong> rechercher.<br />
Kourou ? Nous avons un problème ; la mission est annulée ! Le mon<strong>de</strong> est<br />
20
Le noir et le blanc<br />
perdu ! Nous n’avons pas trouvé <strong>de</strong> terre fertile mais nous pourrons épargner<br />
nos <strong>de</strong>niers dans une banque sûre pour la génération renaissante…<br />
Nous eûmes tort <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à notre mère qui était notre père – tort <strong>de</strong><br />
l’avoir fait si tard. Tant d’années perdues, tant <strong>de</strong> chagrin enfoui dans son cœur<br />
parce que nous ne sûmes accuser le coup avant. Nous fûmes lâche,<br />
incroyablement lâche, <strong>de</strong> croire pendant toutes ces années que cette<br />
divulgation n’aurait aucune inci<strong>de</strong>nce, ni sur elle ni sur nous. Nous aurions dû<br />
agir plus tôt, faire <strong>de</strong>s recherches. Nous aurions dû faire quelque chose car cela<br />
valait toujours mieux que d’enfouir notre tête dans une poche <strong>de</strong> sable et<br />
d’attendre que le Temps nous encule. Ou alors aurions-nous dû vivre avec ce<br />
secret dès le début. Ou alors jamais n’aurions-nous dû l’apprendre. Mais voilà,<br />
c’est fait, nous sommes baisé !<br />
Les homos ont-ils tous fatalement un problème avec leur père ? Question<br />
sans réponse, semble-t-il…<br />
I I I<br />
Robert, notre grand-père : vieille France, vieilles idées.<br />
Avant <strong>de</strong> dénoncer notre contrat au 1er Régiment Médical <strong>de</strong> Metz, nous<br />
écrivîmes à notre grand-père, vivant à Saint-Malo, pour lui faire part <strong>de</strong> notre<br />
décision et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r son avis – et faut-il te l’avouer, Fidèle, un peu d’ai<strong>de</strong><br />
aussi.<br />
Va donc comprendre pourquoi nous cherchâmes à joindre un homme qui<br />
abandonna sa famille, un homme vieux et presque seul que l’on omet<br />
facilement, un homme que nous ne connûmes qu’à l’âge avancé <strong>de</strong> 16 ou 17<br />
ans, un homme que nous ne vîmes qu’une seule fois et qui tenta d’acheter<br />
notre reconnaissance avec une télévision <strong>de</strong>rnier cris et une Playstation ! Nous<br />
ferons passer cela sur le compte du désespoir… Ce personnage nous fait<br />
penser à ces vieilles bouteilles que l’on jetait jadis en mer. Elles voyageaient<br />
beaucoup mais ne voyaient finalement jamais que <strong>de</strong> l’eau.<br />
Assis sur notre couchette, la musique dans les oreilles pour nous isoler du<br />
mon<strong>de</strong>, nous rédigeâmes un petit message (quinze pages) qui s’achevait ainsi :<br />
21
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« […] Je vous ai montré dans cette lettre plusieurs facettes <strong>de</strong> ma<br />
personnalité. Cela vous permettra, grand-père, <strong>de</strong> me cerner un peu plus. Dans<br />
le pire <strong>de</strong>s cas, lorsque la dénonciation <strong>de</strong> mon contrat prendra effet, j’ai décidé<br />
<strong>de</strong> prendre un aller simple pour une <strong>de</strong>stination lointaine. Je songe pour le<br />
moment à Cayenne et Bangkok, <strong>de</strong>ux cités attractives et ouvertes sur leur<br />
continent respectif, l’Amérique du Sud et l’Asie. Ce sera dur, j’en suis<br />
conscient, mais je préfère partir à l’aventure sans rien que rester ici, en France,<br />
<strong>de</strong>rrière un bureau, en pensant partir un jour voir le mon<strong>de</strong>… Bouddha ou<br />
Confucius, je ne sais plus, disait que “seul le chemin est important, pas la<br />
<strong>de</strong>stination”. Dois-je lui faire confiance ?<br />
« Maman ne sait pas encore que je quitte l’armée ; je ne pense pas le lui<br />
dire, en tout cas pas avant d’avoir trouvé autre chose, quoi que ce soit.<br />
J’aimerais vraiment venir vous voir quelques jours. Je suis sûr que vous<br />
possé<strong>de</strong>z <strong>de</strong> nombreux clichés illustrant <strong>de</strong> fabuleuses histoires qui pourront, si<br />
vous le voulez bien, enrichir mon album.<br />
« Nécessairement, mon séjour chez vous se ferait juste avant d’embarquer<br />
pour ma prochaine gran<strong>de</strong> aventure. Qu’en pensez-vous ? Dois-je préférer<br />
l’Asie ou l’Amérique du Sud ?<br />
« Sincèrement,<br />
« Votre petit-fils. »<br />
Quelle naïveté ! Nous ne reçûmes aucune réponse <strong>de</strong> sa part. Ce bouffon<br />
décrépi ne daigna pas faire un geste pour le jeune homme imaginatif et<br />
entreprenant que nous étions alors. Nous lui téléphonâmes donc – <strong>de</strong>puis la<br />
fenêtre <strong>de</strong>s sanitaires du quartier – et n’eûmes pour réponse que <strong>de</strong>s absurdités<br />
du genre : « Tu ne peux pas partir à l’aventure, le temps <strong>de</strong> la colonisation, c’est<br />
fini ! », « Il n’y a plus rien à découvrir dans le mon<strong>de</strong>, tu perdras ton temps ! »<br />
ou encore : « Tu as une bonne place, gar<strong>de</strong>-la ! » et un : « Je ne peux rien pour<br />
toi ! » qui nous en dit long !<br />
Soit ! D’un autre côté, avions-nous l’intention <strong>de</strong> vraiment suivre ses<br />
conseils ? Nous avions besoin <strong>de</strong> confier ce départ à quelqu’un ; voilà tout.<br />
Le 3 février 2003, une fois installé en Thaïlan<strong>de</strong>, nous lui écrivîmes une<br />
nouvelle fois.<br />
22
« Cher grand-père,<br />
Le noir et le blanc<br />
« À la suite <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>rnière conversation téléphonique, il m’a semblé tout<br />
naturel <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir vous dire ce qu’il en serait <strong>de</strong> ma vie à venir. Ai-je eu raison<br />
<strong>de</strong> ne pas suivre vos directives – cela sonnait comme tel – ou non, je ne le sais<br />
pas.<br />
« Dans tous les cas, je suis heureux et c’est le principal !<br />
« J’ai essayé <strong>de</strong> me rapprocher <strong>de</strong> vous mais je me suis rendu compte que<br />
ce serait impossible si vous n’acceptiez pas les choix que je faisais, aussi idiots à<br />
vos yeux soient-ils !<br />
« Cette lettre sonne donc hélas comme un message d’adieu, dans lequel<br />
vous pourrez une <strong>de</strong>rnières fois apprécier – ou pas – mes petites tribulations.<br />
« Nous sommes aujourd’hui le lundi 3 février 2546, il est 6h37.<br />
« J’ai quitté le Quartier Collin le dimanche 12 janvier 2003 après avoir eu<br />
<strong>de</strong>ux jours entiers pour préparer mon départ – car je suis effectivement bien<br />
loin <strong>de</strong> vous à présent.<br />
« J’ai passé la nuit à l’aéroport <strong>de</strong> Roissy et la journée du lundi dans l’avion.<br />
J’ai fait une escale <strong>de</strong> trois heures à Bahreïn pour arriver à Bangkok, Thaïlan<strong>de</strong>,<br />
le mardi 14 à 9 heures.<br />
« Je n’avais que peu d’argent, pas <strong>de</strong> billet <strong>de</strong> retour, ni même un contact ou<br />
point <strong>de</strong> chute. Je ne parlais pas thaï non plus. J’ai donc eu la journée pour<br />
trouver quelque chose à faire.<br />
« Comme vous le voyez, j’ai pris <strong>de</strong>s risques inconsidérés mais j’ai au moins<br />
appris une chose <strong>de</strong>puis mon départ : j’ai appris à vivre !<br />
« Je me suis rendu dans un premier temps à mon ambassa<strong>de</strong> pour<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il était possible <strong>de</strong> travailler en tant que volontaire dans une ONG.<br />
On m’a donc fourni la liste d’une trentaine d’adresses sur Bangkok et j’ai dû en<br />
choisir une au hasard.<br />
« J’ai alors loué une mototaxi pour visiter les volontaires <strong>de</strong> MSF. Ils n’ont<br />
rien pu faire pour moi car les recrutements ne se faisaient qu’en métropole<br />
avec eux. Ils m’ont toutefois envoyé au COERR, une organisation catholique<br />
qui s’occupait <strong>de</strong> réfugiés. Ces <strong>de</strong>rniers m’ont à leur tour conduit aux MEP<br />
23
(Missions Étrangères <strong>de</strong> Paris).<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Là, j’ai fait la rencontre du père Auguste Tenaud qui m’a proposé <strong>de</strong> venir<br />
avec lui dans un orphelinat <strong>de</strong> l’Issan (région nord-est) qui s’occupe d’enfants<br />
sidéens.<br />
« J’ai <strong>de</strong> suite accepté sa généreuse proposition. Le len<strong>de</strong>main soir, nous<br />
étions à Yasothon, une petite ville rurale proche <strong>de</strong> la Suthasinee Noiin<br />
Foundation dans laquelle je suis désormais volontaire.<br />
« En vingt jours, j’ai réussi le pari fou que je m’étais lancé !<br />
« Pour preuve, la sœur Noella Nonlak, qui représente la religion à la<br />
fondation, a suffisamment cru en moi pour me proposer d’enseigner l’anglais<br />
dans une école <strong>de</strong> ban (village), la Song Yae Thippaya School, à 40 kilomètres<br />
<strong>de</strong> Yasothon.<br />
« Je commence ce matin, à 8h30.<br />
« Les lundi, mardi, mercredi et jeudi, je suis professeur d’anglais et les<br />
vendredi, samedi et dimanche, infirmier volontaire à la fondation, simplement<br />
car j’ai trouvé en Thaïlan<strong>de</strong> ce qui me semble-t-il n’existe pas en France : <strong>de</strong>s<br />
gens qui croient en moi !<br />
« C’est un récit sommaire, j’en suis conscient. J’espère que vous<br />
l’apprécierez sans le juger.<br />
« Votre petit-fils. »<br />
Et toc ! Vingt jours plus tard…<br />
« Bravo, quand tu as quelque chose dans la tête, tu ne l’as pas ailleurs. Tu es<br />
tenace et intrépi<strong>de</strong>. Cela augure bien <strong>de</strong> l’Avenir. Assume désormais.<br />
« Ta lettre n’est pas un adieu – au contraire et j’apprécie tes tribulations<br />
d’un Aixois en Thaïlan<strong>de</strong>. Sois heureux, vis ar<strong>de</strong>mment et attention à ta santé<br />
dans tous les domaines.<br />
« Tu pourras dire au père Auguste et à la sœur Noella que ton grand-père a<br />
fait ses étu<strong>de</strong>s chez le Révérant Père Ludistes <strong>de</strong> Redon.<br />
« Je t’adresse un mandat-carte <strong>de</strong> 100 euros. C’est peu mais je n’ai aucune<br />
notion <strong>de</strong> tes besoins – dis-moi franchement quels ils sont. Je t’embrasse.<br />
24
Grand-père. »<br />
Le noir et le blanc<br />
Peux-tu croire cela, Fidèle ? Il suffisait finalement <strong>de</strong> lui tenir tête pour<br />
attirer son attention… Encore un qui joua trop avec son martinet étant père !<br />
Nous te passons les récits que nous lui offrîmes gracieusement le temps <strong>de</strong><br />
notre séjour là-bas… De toute manière, nous n’eûmes plus aucune nouvelle <strong>de</strong><br />
lui. Il fallut encore que nous montrions les <strong>de</strong>nts pour attirer son attention.<br />
Décidément, le dressage fut difficile !<br />
« Cher grand-père,<br />
« Comment allez-vous en cette presque fin d’Hiver ?<br />
« Je désespère d’avoir un jour <strong>de</strong> vos nouvelles par la voie directe. Tonton<br />
me dit que vous ne pouvez écrire à cause <strong>de</strong> votre vue ou je ne sais quoi<br />
d’autre. Honnêtement, je n’y crois guère !<br />
« Enfin… le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> la famille est sans doute <strong>de</strong> ne jamais plus être uni !<br />
« Heureusement que je ne suis pas du genre à me vexer pour un rameau<br />
d’olivier non envoyé… Pardon, je veux dire pour une “Bonne et heureuse<br />
année 2004” non retournée ! 1<br />
« Voici donc <strong>de</strong> mes nouvelles, plaisantes ou non, elles sont vraies. Je ne<br />
cours pas après votre héritage (s’il en existe encore un dans cette famille) mais<br />
seulement après vos souvenirs, votre passé, les histoires que tout bon grandpère<br />
<strong>de</strong>vrait raconter à son petit-fils pour l’ai<strong>de</strong>r à mieux appréhen<strong>de</strong>r la vie.<br />
« Je travaille toujours à Monoprix, cela fait donc sept mois. Quatre heures<br />
par jour, l’après-midi, 24 heures par semaine. J’ai un salaire tout juste passable<br />
et je dois me débrouiller comme je peux pour vivre à plaisir. J’y parviens,<br />
jonglant avec l’illégalité !<br />
1. Notre mère envoya une année, sur sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s rameaux d’olivier à notre dévot grand-père.<br />
L’année suivante, pas particulièrement versée dans la bondieuserie, elle oublia d’en envoyer à<br />
nouveau. Il lui téléphona et, pour corriger cette négligence, la pria d’aller faire bénir une branche le<br />
dimanche puis <strong>de</strong> la lui poster. Notre mère, sans surprise, préféra ce jour-là aller à la pêche plutôt<br />
qu’à l’église. Robert ne lui pardonna pas cet affront et coupa les ponts avec elle.<br />
25
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Le 1er mars prochain, j’emménage dans mon premier “chez moi” : un<br />
studio superbe <strong>de</strong> 27 mètres carré en plein centre ville. Je l’ai trouvé en<br />
frappant à une porte. J’avais déjà repéré la rue et l’immeuble il y a quelques<br />
mois. J’en avais pris <strong>de</strong>s clichés car l’architecture et la décoration me plaisaient.<br />
Prendre <strong>de</strong>s clichés est ce que j’aime faire ; peut-être vous en souvenez-vous !<br />
« Début janvier, alors que je revenais <strong>de</strong> chez un ami qui habite Salon-<strong>de</strong>-<br />
Provence, vers 9 heures, je décidai <strong>de</strong> retourner dans cette rue <strong>de</strong> l’école pour<br />
voir si, après tout, un logement n’était pas disponible. Je regardai sur les boites<br />
à lettres s’il y avait un concierge ; ce n’était pas le cas. Je décidai alors <strong>de</strong><br />
frapper à la première porte venue.<br />
« Christel, la locataire, m’ouvrit gentiment et je lui <strong>de</strong>mandai s’il y avait un<br />
concierge dans l’immeuble. Elle me répondit que tout appartenait à un seul<br />
propriétaire et me <strong>de</strong>manda pourquoi. Je lui avouai que j’étais tombé amoureux<br />
<strong>de</strong> l’endroit et que j’aimerais y habiter, ce sur quoi elle ajouta que je tombais<br />
bien car elle comptait cé<strong>de</strong>r son bail d’ici peu, le temps pour elle et son copain<br />
<strong>de</strong> se loger ailleurs.<br />
« Le hasard… Étrange concept, n’est-ce pas ? Je vais me plaire ici. Certes,<br />
j’ai la bougeotte et bien que Maman aimerait tant me voir stable, je songe déjà<br />
à vivre <strong>de</strong> nouvelles aventures dans une lointaine et exotique contrée du Sud !<br />
« Ce studio resterait mon pied-à-terre pour enfin ne plus dépendre <strong>de</strong><br />
personne côté logement.<br />
« En octobre prochain, si mon humeur du moment s’y prête, j’aimerais<br />
aussi reprendre mes étu<strong>de</strong>s à la fac, en Histoire <strong>de</strong> l’Art cette fois-ci. Ce n’est<br />
encore qu’une idée naturellement !<br />
« Connaissez-vous Icare ? Je suis comme lui, j’ai besoin <strong>de</strong> m’approcher du<br />
Soleil, quitte à me brûler les ailes, pour me sentir vivant, pour exister.<br />
« C’est dans la nouveauté, la folie et le risque que je me sens bien. Je<br />
m’ennuie dans la vie <strong>de</strong>puis que je suis enfant.<br />
« Maman me disait toujours à cette époque qu’elle m’enverrait en colonie si<br />
je continuais à la harceler avec mon ennui ; elle ne comprenait pas… Elle n’a<br />
toujours pas compris l’importance <strong>de</strong> cet ennui d’ailleurs !<br />
« Je ne suis pas heureux, je suis une âme perdue, et la seule chose que j’ai<br />
trouvé à faire est oublier ce simple fait par <strong>de</strong>s actes tels qu’arrêter mes étu<strong>de</strong>s<br />
26
Le noir et le blanc<br />
pour aller vivre en Flori<strong>de</strong>, partir en Asie avec un aller simple et 100 euros dans<br />
les poches.<br />
« Aujourd’hui, j’ai trouvé autre chose (sans importance).<br />
« Qui sait ce que je ferai <strong>de</strong>main ?<br />
« Je vous laisse, grand-père, j’ai suffisamment écrit pour cette fois. Prenez<br />
soin <strong>de</strong> vous !<br />
« Votre petit-fils. »<br />
D’accord… Certains ajouteront que ce récit fait très lèche-cul ! C’est faux,<br />
nous essayions réellement pendant tout ce temps <strong>de</strong> nous rapprocher <strong>de</strong> notre<br />
grand-père. Nous voulions apprendre <strong>de</strong> ses expériences <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> son passé<br />
colonial au Maghreb, etc. Nous voulions connaître les joies d’une famille<br />
presque unie, l’intérêt que <strong>de</strong>vrait porter tout ancien à la génération qui le suit.<br />
Nous nous trompions lour<strong>de</strong>ment et ne réussîmes qu’à attirer sa véhémence<br />
mal construite et mal dirigée, rancœur d’une vieille peau qui s’accrochait à son<br />
orgueil.<br />
« Salut le Thaïlandais !<br />
« Sur ta lettre du 23 juin 2003, tu as écris : “J’ai aidé à Kuala Lumpur la<br />
Soka Gakkai à installer une exposition et ils m’ont proposé un emploi alors<br />
que tout était déjà prévu pour mon retour…” et tu as abandonné ! Tu manques<br />
vraiment <strong>de</strong> jugeote ! Tu conservais l’argent <strong>de</strong> ta mère et tu les remboursais<br />
plus tard ; je t’aurais même aidé !<br />
« Quand on part, on ne revient pas.<br />
« Voilà pourquoi je ne t’écris plus.<br />
« Quant à l’allusion à la branche d’olivier, tu n’es pas habilité à en parler ne<br />
sachant pas ce qui s’est passé ! Je te dispense à l’avenir <strong>de</strong> toute allusion<br />
inconsidérée.<br />
« Tu as raison <strong>de</strong> ne pas courir après l’héritage car tu serais essoufflé au<br />
terme <strong>de</strong> ta course pour rien.<br />
« Dans le reste <strong>de</strong> ta lettre, tu écris que tu t’installes mais que tu veux foutre<br />
le camp à nouveau.<br />
27
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Je crois que tu es fêlé comme ta mère et que tu <strong>de</strong>vrais aller voir un<br />
psychiatre. Je n’ai rien d’autre à te dire. »<br />
« Quand on part, on ne revient pas ! » Voilà un adage qu’il appliqua à la<br />
lettre d’ailleurs, laissant notre grand-mère dans la mer<strong>de</strong> pour revenir vers ses<br />
enfants <strong>de</strong>s années plus tard, pleurant <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> et les valises pleines <strong>de</strong> fric.<br />
Nous nous rendions à notre boulot lorsque nous décryptâmes ce tas<br />
d’imbécillités. Nous ne pouvions attendre pour lui répondre, prîmes donc le<br />
premier papier que nous trouvâmes – un format carte <strong>de</strong> visite – et y<br />
inscrivîmes notre réponse.<br />
« Je ne suis pas fêlé, grand-père, et je n’ai guère besoin d’un psy.<br />
« Pour ma part, je ne me planque pas <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s convictions usées dans<br />
un appartement certes grand mais bien vi<strong>de</strong>.<br />
« J’apprends à évoluer dans un mon<strong>de</strong> qui est le mien et au lieu <strong>de</strong> marcher<br />
<strong>de</strong>s heures, l’io<strong>de</strong> au nez, sur <strong>de</strong>s remparts tombants, en pensant à un passé<br />
social raté, je sors avec mes amis, profitant <strong>de</strong> toutes les opportunités que<br />
m’offre la vie.<br />
« Je ne suis pas fêlé, grand-père, tu es seulement différent <strong>de</strong> moi et je suis<br />
fier <strong>de</strong> cela !<br />
« Pas si différent toutefois si tu as ouvert cette lettre et l’as lue jusques au<br />
bout. »<br />
Nous fûmes toujours très doué en diplomatie… Cela ne nous vaudra pas<br />
l’inscription <strong>de</strong> notre nom sur son assurance-vie mais ce fut un réel plaisir <strong>de</strong> le<br />
remettre à sa place.<br />
N’hésite jamais à sortir ce que tu as sur le cœur, Fidèle, encore moins avec<br />
ta famille. Oui, tu peux te tromper, et alors ? Une ligne peut s’effacer mais on<br />
ne peut jamais en rajouter une sur un texte déjà imprimé.<br />
28
Le noir et le blanc<br />
L a p r é s e n c e d e l a F a u x<br />
« Voilà dix-neuf siècles, pensa-t-il, que cela dure, cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sans<br />
réponse d’un Père qui règne in terra et qui délivre. Il faut que le genre humain<br />
soit terriblement constant pour ne s’être pas encore lassé et pour ne s’être pas<br />
assis dans la caverne <strong>de</strong> l’absolu désespoir ! » 1<br />
« Mourir, c’est éternel… »<br />
Ce soir-là, nous nous trouvions à la maison, <strong>de</strong>vant notre ordinateur. Nous<br />
avions 18 ans et passions alors nos soirées sur l’Internet – cela n’a guère<br />
changé d’ailleurs. Un garçon, plus jeune <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans environ, nous aborda<br />
ainsi :<br />
JULIEN . Mourir, c’est éternel…<br />
NOUS . Pourquoi me dire cela ?<br />
JULIEN . Car on est sur un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> mer<strong>de</strong>, pour faire simple, où la seule issue<br />
c’est la mort.<br />
NOUS . Alors jette-toi du haut d’un pont ! Tu es humain et personnellement<br />
cela ne me dérange pas !<br />
JULIEN . J’étais dans l’illusion jusqu’à il y a <strong>de</strong>ux jours, la réalité et la vie je m’en<br />
moquais mais là je pense que je vais suivre ton conseil, merci !<br />
NOUS . De rien, si je peux rendre service…<br />
JULIEN . Oui tu m’as donné le courage <strong>de</strong> mourir, tu as précipité ma mort !<br />
NOUS . Sans vouloir t’offenser, tu ne sais même pas <strong>de</strong> quoi tu parles !<br />
JULIEN . Ah oui ? Moi, je ne sais pas ? Ton pire ennemi c’est ton ego !<br />
NOUS . Mon ego… Non, hélas ! Mon pire ennemi est sans doute ce que je suis<br />
mais c’est en même temps mon meilleur atout. Profite <strong>de</strong> ta vie, c’est un<br />
1 . Léon Bloy, Le Désespéré, 1886.<br />
29
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
conseil judicieux ! Jette-toi du haut d’un pont si tu veux – c’est ton affaire –<br />
mais tout ce que je peux te dire, c’est profite car la vie humaine est courte !<br />
JULIEN . Vivre pour souffrir ?<br />
NOUS . Tu es humain, accepte-le !<br />
JULIEN . Je ne peux pas, désolé.<br />
NOUS . Je ne peux rien pour toi alors !<br />
JULIEN . Je le sais bien, mais tu n’as pas non plus la possibilité <strong>de</strong> connaître ce<br />
qu’être humain peut apporter.<br />
NOUS . Dix-huit années d’humanité ne sont-elles pas suffisantes pour le savoir ?<br />
JULIEN . D’inhumanité tu veux dire…<br />
NOUS . Tu sais, vivre en humain ou parmi eux, c’est pareil.<br />
JULIEN . Nous ne sommes pas à la réelle origine du mot humain.<br />
NOUS . Mais <strong>de</strong> quoi parles-tu ? Tu délires un brin, non ?<br />
JULIEN . De toute façon je suis insignifiant pour toi, je ne délire pas, tu crois<br />
tout savoir !<br />
NOUS . Tu as raison, c’est vrai. Je ne m’attache guère aux humains, je vis avec<br />
eux seulement.<br />
JULIEN . As-tu déjà aimé ?<br />
NOUS . Naturellement !<br />
JULIEN . Tu en as donc déjà souffert !<br />
NOUS . Non, pas <strong>de</strong> l’Amour !<br />
JULIEN . Par la suite alors… De la perte <strong>de</strong> ce lien passion / illusion.<br />
NOUS . On t’a largué… C’est pour cela que tu penses à la mort ? Crois-moi,<br />
c’est absur<strong>de</strong> !<br />
JULIEN . Oh non ! Il n’y a pas que ça. J’ai connu une fille qui vivait un enfer sur<br />
Terre, je me suis pris <strong>de</strong> passion pour elle, d’espoir, <strong>de</strong> rêves. C’était réciproque<br />
et elle va se donner la mort bientôt. Humains <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> !<br />
NOUS . Tous les humains sont faits <strong>de</strong> la même manière… Si tous se suicidaient<br />
(c’est presque le cas dans un sens, ce qui n’est pas pour me déplaire), la planète<br />
serait vi<strong>de</strong> !<br />
30
Le noir et le blanc<br />
Elle va se donner la mort et toi, tu me parles sur l’Internet ?<br />
JULIEN . Voilà ! Tu ne comprends rien ! Ne juge pas les gens comme ça !<br />
NOUS . Si tu veux que je comprenne, sois plus explicite dans ce cas !<br />
JULIEN . Non !<br />
NOUS . Alors pourquoi m’avoir contacté ?<br />
JULIEN . Je croyais que tu aurais pu me venir en ai<strong>de</strong>… Juge-moi plutôt, c’est<br />
plus facile !<br />
NOUS . Je juge les humains en général, pas toi en particulier…<br />
S’il te plaît, si tu as quelque chose à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ou dire, je t’écoute !<br />
JULIEN . Tu ne peux rien faire pour moi, ni empêcher sa mort, ni rien !<br />
NOUS . Dans ce cas c’est réglé et je crois personnellement que c’est ce que tu<br />
veux !<br />
JULIEN . Comment ça ? Elle va mourir donc ?<br />
NOUS . C’est toi qui ne veux rien me dire… Je ne suis ni <strong>de</strong>vin ni ton Dieu, quel<br />
qu’il soit. Je comprends beaucoup <strong>de</strong> choses en revanche, à condition <strong>de</strong> me les<br />
dire !<br />
JULIEN . Je ne veux pas qu’elle se suici<strong>de</strong>, je n’ai quelle dans ma vie.<br />
NOUS . Alors parle…<br />
JULIEN . Sans cette fille je ne suis plus rien, c’est ma raison <strong>de</strong> rester ici,<br />
d’atténuer mes souffrances avant la mort, d’éclaircir tous ces moments <strong>de</strong><br />
douleur.<br />
NOUS . Si tu continues à t’apitoyer sur ton sort, c’est moi qui vais te pousser du<br />
haut d’un pont, tu sais !<br />
JULIEN . Je ne veux pas <strong>de</strong> famille, ni d’une gran<strong>de</strong> maison, ni d’un boulot, je<br />
m’en fous <strong>de</strong> leur <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> consommation à la con… Je l’aime pour l’éternité,<br />
et je veux profiter d’une infime petite part <strong>de</strong> cette éternité – la vie – avec elle !<br />
NOUS . Là, je te coupe… L’Éternité n’est pas pour les humains ! Si tu veux<br />
profiter <strong>de</strong> la vie avec elle, dis-moi ce qu’il se passe et je pourrai peut-être<br />
t’ai<strong>de</strong>r !<br />
JULIEN . Son passé dont elle a tant souffert et que j’avais réussi à lui faire<br />
oublier, grâce à nos rêves et espoirs, s’est retourné contre elle ! Tout le mon<strong>de</strong><br />
31
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
la manipule pour ne pas qu’elle vienne avec moi, car elle m’aime tant qu’elle<br />
aurait tout plaqué pour moi. Et elle croit que la solution c’est <strong>de</strong> mourir ; ce<br />
n’est pas la première fois, c’est une suicidaire avertie.<br />
NOUS . As-tu essayé les services sociaux ?<br />
JULIEN . Pour faire quoi ?<br />
NOUS . Dépêcher un psy pour l’ai<strong>de</strong>r ! Penser à la Mort n’est pas franchement<br />
sain pour un mortel !<br />
JULIEN . Ce n’est pas une fille banale avec une envie <strong>de</strong> se suici<strong>de</strong>r <strong>de</strong>puis un<br />
jour, c’est <strong>de</strong>puis toujours presque.<br />
NOUS . C’est la facilité qui ne sert à rien !<br />
JULIEN . Je croyais voir plus clair, en fait je me perds encore plus.<br />
NOUS . Laisse-moi te dire que vous ne vous retrouverez pas dans la Mort…<br />
JULIEN . Pourquoi ?<br />
NOUS . Son corps va être détruit ! Mais son essence – ou âme comme tu veux –<br />
va être formatée puis recyclée. C’est l’Essence <strong>de</strong> Vie, commune pour tous les<br />
mortels : plantes, animaux, etc.<br />
JULIEN . Pourquoi vivre alors ? Pourquoi cette vie ?<br />
NOUS . Tu es humain, il te faut l’accepter ; voilà tout !<br />
JULIEN . Condamné à vivre, condamné à souffrir, à mourir puis rien.<br />
Condamné à être RIEN !!<br />
NOUS . Vivre humainement, c’est profiter <strong>de</strong> l’Amour, du sexe, <strong>de</strong>s plaisirs <strong>de</strong> la<br />
vue, <strong>de</strong> l’ouïe, du toucher, <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>urs, etc. Les humains ne sont rien, c’est vrai,<br />
mais ceci est mon point <strong>de</strong> vue uniquement !<br />
JULIEN . C’est le mien aussi !<br />
NOUS . Du point <strong>de</strong> vue humain, nous sommes vivants et quelque chose ! Il<br />
faut profiter <strong>de</strong> ce qui nous entoure, laisser les mauvaises choses et ne prendre<br />
que les bonnes…<br />
JULIEN . Et comment <strong>de</strong>venir… éternel ?<br />
NOUS . Tu es humain, peu <strong>de</strong> chances ! Il faut être choisi, il ne suffit pas <strong>de</strong> le<br />
vouloir !<br />
JULIEN . Encore <strong>de</strong> l’arbitraire.<br />
32
NOUS . Non ! C’est une évolution !<br />
JULIEN . Ils jugent vis-à-vis <strong>de</strong> quoi ?<br />
Le noir et le blanc<br />
NOUS . Je ne sais pas ! Je ne suis pas éternel mais seulement <strong>de</strong>stiné à l’être !<br />
JULIEN . Et comment le sais-tu ?<br />
NOUS . C’est comme ça, je ne peux pas te l’expliquer !<br />
Pour ta copine, il faut lui dire que dans la Mort, elle ne trouvera pas ce qu’elle<br />
espère <strong>de</strong> la Vie !<br />
JULIEN . Oui… Je suis condamné à n’être plus rien avant la mort puisque ma<br />
vie c’est elle !<br />
NOUS . Tu veux l’ai<strong>de</strong>r en voulant mourir ? S’il te plaît, ne m’ai<strong>de</strong> jamais ! Tu ne<br />
l’ai<strong>de</strong>s pas, tu veux la suivre dans la Mort plutôt que <strong>de</strong> l’entraîner dans la Vie !<br />
JULIEN . Non ! C’est le contraire.<br />
NOUS . Et bien si, c’est ce que tu fais pourtant, tu me l’as écrit au début <strong>de</strong> cette<br />
conversation.<br />
JULIEN . Oui mais tu m’as appris beaucoup <strong>de</strong> choses. Je veux m’enfuir avec<br />
elle, mais c’est trop tard ! Elle est envoûtée par la mort.<br />
NOUS . La Mort, à mon avis, n’a que faire <strong>de</strong> ta copine, elle ne l’attend pas ; disle<br />
lui !<br />
JULIEN . Elle s’est barrée <strong>de</strong> chez elle sans portable ni rien… Sa famille et ses<br />
amis ne veulent pas me parler.<br />
NOUS . Dans ce cas, la Mort sera là quand ta copine le déci<strong>de</strong>ra…<br />
JULIEN . Elle avait changé en bien avec moi, ils n’ont pas apprécié !<br />
NOUS . Je ne peux pas la trouver pour toi, ta copine. Quant à sa famille, tu es<br />
lycéen… Pour eux, ce n’est qu’une crise existentielle, ce qui est vrai sans<br />
doute ! Hélas, beaucoup en meurent chaque année !<br />
JULIEN . J’irai la rejoindre… dans le Néant !<br />
NOUS . Ce n’est pas le Néant… Ton essence va simplement retourner aux<br />
Origines pour être à nouveau utilisée.<br />
JULIEN . Et comment expliques-tu le nombre d’humains qui augmente ?<br />
NOUS . Comment expliques-tu le nombre d’arbres, d’animaux, d’insectes qui<br />
diminue ?<br />
33
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Par ailleurs, le Grand Équilibre ne se fait pas à l’échelle <strong>de</strong> cette planète, fort<br />
heureusement !<br />
JULIEN . Oui, heureusement !<br />
Tu ne peux vraiment rien faire pour moi ?<br />
NOUS . La Connaissance ne sauve pas <strong>de</strong> vie en général ! Physiquement, je suis<br />
impuissant si je ne peux pas parler à ta copine.<br />
JULIEN . Seule l’action donc pourra la sauver…<br />
NOUS . Oui !<br />
JULIEN . Donc je vais souffrir !<br />
NOUS . Tu veux la vérité ?<br />
JULIEN . Oui !<br />
NOUS . Si elle se tue, tu l’oublieras ou tu la suivras, ce qui ne changera<br />
absolument rien ! Si elle se tue et que tu vis, tu pourras toujours profiter <strong>de</strong> la<br />
vie pour elle et toi !<br />
JULIEN . Je ne pourrai plus !<br />
NOUS . Mais si ! Tu as quoi ? 15, 16 ans… Évi<strong>de</strong>mment que tu l’oublieras si elle<br />
se tue !<br />
JULIEN . Elle non… Je pourrai pas… Vraiment pas !<br />
NOUS . Alors c’est à toi <strong>de</strong> faire en sorte qu’elle ne se tue pas…<br />
JULIEN . J’ai tout fait pour !<br />
NOUS . Visiblement non !<br />
JULIEN . Elle est envoûtée par la mort, ses copines. Je l’ai sauvée je ne sais<br />
combien <strong>de</strong> fois déjà.<br />
NOUS . Ses copines l’incitent-elles à se jeter du haut d’un pont ?<br />
JULIEN . Ses copines l’incitent à dire que je ne l’ai pas aimée – elle souffre – en<br />
sorte qu’elle reste avec elles… Mais elle va partir tout simplement vers la<br />
mort ! Je suis en pleurs.<br />
NOUS . Je ne peux pas grand’chose ! Tout d’abord, je vois <strong>de</strong>s cas comme le tien<br />
tous les jours et je n’ai pas franchement <strong>de</strong> sentiments pour cela. Par ailleurs, je<br />
ne vous connais pas personnellement et même si je le voulais, je ne pourrais<br />
pas vraiment vous ai<strong>de</strong>r, ni elle ni toi !<br />
34
Le noir et le blanc<br />
N’as-tu vraiment aucun moyen <strong>de</strong> la contacter ?<br />
JULIEN . Non !<br />
NOUS . Personne donc ne sait où elle est !<br />
JULIEN . Je vais m’en vouloir… Mais bon… Je ne suis qu’un humain !<br />
NOUS . Oui, les sentiments chez les humains sont source <strong>de</strong> souffrances. Mais<br />
heureusement, ils sont aussi source <strong>de</strong> beaucoup plus <strong>de</strong> bonheur !<br />
JULIEN . Tu te qualifies comment ? Quelle est ta philosophie ? Ça porte un<br />
nom ?<br />
NOUS . Non… Désolé, je n’ai pas d’école ! Si je pense différemment, c’est parce<br />
que je suis différent et cela est dû à mon évolution !<br />
JULIEN . Et moi, je n’ai aucune chance <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir éternel ?<br />
NOUS . Je ne peux pas te le dire car je n’en sais rien.<br />
JULIEN . Qui vivra verra !<br />
NOUS . Alors vivons !<br />
JULIEN . Alors vivons… Il y a sûrement beaucoup <strong>de</strong> gens qui te prennent<br />
pour un fou ?<br />
NOUS . Mes ami(e)s me prennent tel que je suis ; les autres, je m’en fous. Peu <strong>de</strong><br />
personnes s’intéressent à moi <strong>de</strong> toute façon. Je suppose un manque certain <strong>de</strong><br />
compréhension ! Peu <strong>de</strong> personnes aiment savoir comment ils vont finir…<br />
JULIEN . Tu me fascines ! Dis-moi juste un mot sur l’Amour dans ma vie ou<br />
mon futur très proche !<br />
NOUS . Je te l’ai dit, je ne suis pas <strong>de</strong>vin !<br />
JULIEN . C’est vrai… Désolé, c’est mon côté humain !<br />
NOUS . Dans une certaine mesure, les humains choisissent leur Avenir, en<br />
revanche tous les mortels n’ont qu’une seule et même Destinée : la Mort,<br />
forcément ! C’est tout ce que je te peux dire hélas.<br />
JULIEN . Merci beaucoup, tu m’as appris tellement <strong>de</strong> choses ce soir !<br />
NOUS . Si je t’ai appris que sauter du haut d’un pont pour trouver la Mort ne<br />
sert à rien, c’est déjà ça…<br />
JULIEN . Oui, merci d’avoir été là !<br />
35
NOUS . Trouve ta copine… Sauve-la !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
JULIEN . Il vaut mieux que je la per<strong>de</strong> dans la mort ou dans la vie ?<br />
NOUS . Pour elle comme pour toi, il vaut mieux qu’elle vive… Quant à toi, ne<br />
saute pas, tu sais désormais pourquoi !<br />
JULIEN . Oui.<br />
Qu’aurions-nous pu lui répondre, nous qui ne sommes que prescient, pas<br />
<strong>de</strong>vin ?<br />
Julien ne fut pas le seul ado déstabilisé par la Vie que nous rencontrâmes<br />
sur l’Internet, ou ailleurs. Nous ne cessons <strong>de</strong> répéter que tu ne peux admettre<br />
ton humanité, Fidèle, que si tu la comprends. C’est pourtant simple : tu vas<br />
mourir ! Ne cherche pas à savoir quand, ni comment. Vis le temps qui t’est<br />
imparti, vis-le au mieux !<br />
Dans la mort, personne ne t’attend ; tu rejoins un tout.<br />
36
Le noir et le blanc<br />
L a r e c h e r c h e d e l a F o i<br />
I<br />
Sur l’Internet, nous trouvons <strong>de</strong>s gens qui croient en ce qu’ils écrivent, en<br />
ce qu’ils font, et beaucoup <strong>de</strong> mythomanes, <strong>de</strong>s gens perdus qui essayent <strong>de</strong><br />
croire en quelque chose pour justifier ce qu’ils sont.<br />
Nous visitâmes un jour par hasard un forum <strong>de</strong> magie. Nous prîmes<br />
rapi<strong>de</strong>ment un certain plaisir à observer cette toqua<strong>de</strong> que tous semblaient<br />
éprouver pour ces faits surnaturels. De Buffy à la réalité, il y a tout un mon<strong>de</strong> !<br />
Au milieu s’étend un abyssal gouffre d’incompréhension dans lequel beaucoup<br />
<strong>de</strong> jeunes ados se per<strong>de</strong>nt.<br />
Nous postâmes donc un message qui nous attira <strong>de</strong> vives critiques. Nous<br />
touchions à leurs croyances, leurs espoirs et leurs illusions. Nous nous<br />
rendîmes compte au cours <strong>de</strong> notre rédaction que nous ébranlions également<br />
nos propres fils <strong>de</strong> vie.<br />
C’est l’histoire d’un garçon, <strong>Louis</strong>, qui passait son temps à rêver dans un<br />
mon<strong>de</strong> qu’il avait créé et dont il était le seul à possé<strong>de</strong>r la clef.<br />
Ce mon<strong>de</strong> était parfait, il lui apportait tout ce dont il avait besoin, il était<br />
son repère dans lequel il trouvait refuge lorsqu’il avait un problème. Il y pensait<br />
à chaque instant, il se <strong>de</strong>mandait quelle serait sa prochaine aventure et se<br />
plaisait à se l’imaginer.<br />
Chaque soir, il regardait les étoiles dans les Cieux obscurs et réclamait –<br />
certains diraient priait – pour qu’on lui donne enfin les moyens <strong>de</strong> concrétiser<br />
son projet, <strong>de</strong> matérialiser son mon<strong>de</strong>. Car pour lui, ce à quoi il pensait ne<br />
représentait pas <strong>de</strong>s rêves mais <strong>de</strong>s anecdotes dont il serait un jour le<br />
révélateur.<br />
<strong>Louis</strong> se disait animiste, il ne croyait pas en Dieu mais en la Nature ; il lui<br />
appartenait <strong>de</strong> la vénérer, sinon <strong>de</strong> la protéger. Au cours <strong>de</strong> ses longues<br />
promena<strong>de</strong>s dans la forêt, il pouvait vérifier que ce en quoi il croyait existait<br />
réellement, et cela le rassurait, cela lui suffisait !<br />
Un beau jour, alors qu’il se promenait dans les rues <strong>de</strong> la vieille ville, il fit la<br />
37
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
rencontre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux personnages fort intéressants, <strong>de</strong>s mormons ambulants qui<br />
invitaient les passants à s’intéresser à leur Église.<br />
Très curieux, trop peut-être, <strong>Louis</strong> entreprit une conversation avec l’un<br />
d’eux, exposant ses maigres observations sur les religions en général, fier <strong>de</strong> se<br />
dire qu’il ne croyait en aucune d’elles, qu’il possédait ses propres convictions,<br />
aboutissement <strong>de</strong> ses expériences passées.<br />
Il avait entendu toutes sortes <strong>de</strong> choses vis-à-vis <strong>de</strong> ces personnes mais il<br />
accepta, dans le but d’étayer ses propres convictions, le ren<strong>de</strong>z-vous que lui<br />
donna l’el<strong>de</strong>r mormon. La semaine suivante, il se retrouvait à discuter <strong>de</strong> la foi<br />
mormone après avoir lu, seulement pour possé<strong>de</strong>r une source directe <strong>de</strong><br />
renseignements, le premier livre du Livre <strong>de</strong> Mormon – qu’il assimila d’ailleurs<br />
à <strong>de</strong> la pure science fiction ! Il fit part aux <strong>de</strong>ux missionnaires <strong>de</strong> ses<br />
remarques, <strong>de</strong>s incohérences qu’il avait pu noter dans ce prétendu livre sacré. À<br />
la fin <strong>de</strong> la séance, il accepta un second ren<strong>de</strong>z-vous, toujours par curiosité.<br />
Cette fois-ci, c’est le missionnaire qu’il avait rencontré dans la rue qui<br />
organisa la séance. Ils parlèrent à nouveau <strong>de</strong> la foi.<br />
LOUIS . La foi est universelle, la foi en Dieu ne l’est pas !, se surprit-il à dire<br />
alors que l’un <strong>de</strong>s missionnaires venait <strong>de</strong> comparer la foi en la science avec la<br />
Foi en Dieu. Je ne suis pas d’accord ! reprit-il plus calmement. Un scientifique<br />
se base sur <strong>de</strong>s faits réels, sur <strong>de</strong>s observations, avant d’énoncer une théorie ;<br />
bien entendu, il imagine tout avant, il croit en ce qu’il imagine, mais tout en se<br />
posant <strong>de</strong>s questions quant au bien-fondé <strong>de</strong> cette foi.<br />
Un troisième ren<strong>de</strong>z-vous fut pris et <strong>Louis</strong> était bien décidé à prouver à ces<br />
missionnaires une fois pour toutes que leur point <strong>de</strong> vue n’était pas<br />
objectivement universel.<br />
Il se mit donc à réfléchir, seul, face aux étoiles, jusques au moment où une<br />
terrible pensée lui vint à l’esprit.<br />
Et si Dieu n’était que la représentation spirituelle <strong>de</strong> l’arme qu’utilisent les<br />
humains pour se protéger <strong>de</strong> leurs peurs, leurs doutes, leurs souffrances et<br />
pour réprouver la futilité <strong>de</strong> leur vie… ? Et si l’humanité avait créé les religions<br />
pour apaiser ses maux, pour éloigner sa peur <strong>de</strong> la mort, pour donner un sens à<br />
38
son existence, un chemin à suivre ?<br />
Le noir et le blanc<br />
Il venait d’ébranler sérieusement son mon<strong>de</strong> si stable, si parfait, car si sa<br />
théorie était valable, ce dont il ne doutait plus, elle ne s’appliquait pas<br />
exclusivement à la religion mais également à l’imagination, la rêverie, les contes,<br />
la magie ; tout ce en quoi il croyait ne serait que pure fantaisie !<br />
Finalement, le problème <strong>de</strong> <strong>Louis</strong> est le doute, ou la raison. Toujours est-il<br />
que l’on ne peut mélanger doute ou raison et croyance ou rêve.<br />
Maintenant, Fidèle, imagine l’état dans lequel se trouve <strong>Louis</strong> ! Essaye<br />
d’entrevoir son avenir ! Seules trois solutions s’offrent à lui :<br />
1 . Continuer ainsi, ne plus avoir foi en rien, vivre avec ce poids, cette<br />
détestable vérité, accepter le malheur ;<br />
2 . Recevoir <strong>de</strong>s étoiles ce qu’il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis tant d’années ;<br />
3 . Oublier – mieux vaut quelqu’un qui ne sait pas et qui est heureux que<br />
quelqu’un qui possè<strong>de</strong> un savoir qui le rend malheureux – puisque <strong>de</strong> toute<br />
manière, il arrivera ce qu’il doit arriver en temps voulu.<br />
L’humanité doit-elle absolument se créer ses propres armes pour lutter<br />
contre le désespoir ou alors existent-elles réellement ?<br />
La magie fait-elle partie <strong>de</strong> l’imagination collective afin <strong>de</strong> repousser la déjà<br />
bien courte <strong>de</strong>stinée humaine ou existe-t-elle réellement ?<br />
<strong>Louis</strong> ne peut plus se contenter d’une réponse manuscrite, <strong>de</strong> simples mots<br />
sur une feuille blanche, d’un : « Il faut y croire pour le voir ! » trop facile, trop<br />
arrangeant, qui confirme ses craintes… Il n’accepte plus la primeur d’une<br />
Vérité pâle que l’on ne peut toucher.<br />
<strong>Louis</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> désormais la preuve ; il veut voir pour y croire car il a<br />
compris que l’on pourra toujours dire : « Si tu n’as rien vu, c’est que tu n’as pas<br />
assez cru ! »<br />
I I<br />
Le père Auguste Tenaud est un être fascinant ! Nous ne savons pas ce qu’il<br />
39
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
<strong>de</strong>vient mais il tient une place toute particulière dans notre cœur, autant que<br />
dans notre esprit. Avec lui, nous eûmes l’un <strong>de</strong>s plus bouleversants entretiens<br />
<strong>de</strong> notre jeunesse. Il fut, à l’instar <strong>de</strong> si peu <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>, un formidable gui<strong>de</strong><br />
spirituel.<br />
Comment expliquer que cet être qui voue une croyance sans borne en la<br />
personne humaine et en Dieu, <strong>de</strong>ux entités que nous abhorrons, put avoir sur<br />
nous tant d’influence ?!<br />
« Mon enfant,<br />
« Par Foi, j’entends la reconnaissance d’un amour et d’une vérité dans<br />
laquelle ma vie peut trouver son origine et sa fin… autrement dit son sens.<br />
« Croire en Dieu, c’est reconnaître et confesser que quelqu’un, quoiqu’il<br />
m’arrive, m’adresse toujours la parole, m’offre son amour, m’invite à entrer en<br />
communion avec lui. Pour les Chrétiens, cette Parole est le Christ.<br />
« Tout homme qui s’interroge sur l’énigme <strong>de</strong> sa propre vie, sur le mystère<br />
<strong>de</strong> son être au mon<strong>de</strong>, doit s’engager dans un acte d’acceptation ou <strong>de</strong> refus…<br />
Je suis déjà là quand se pose la question <strong>de</strong> la foi avec la possibilité <strong>de</strong><br />
découvrir un sens aux choses <strong>de</strong> l’Univers, non d’apporter une explication en<br />
scrutant le comment <strong>de</strong>s choses (cf. scientifiques) mais <strong>de</strong> chercher à travers<br />
elles une Parole d’origine et <strong>de</strong> finalité, <strong>de</strong> recevoir cette Parole comme un don<br />
et d’en partager le message avec ceux qui m’entourent, qui vivent autour <strong>de</strong><br />
moi…<br />
« Il s’agit donc <strong>de</strong> la grâce, <strong>de</strong> sentir qu’on n’est pas jeté au mon<strong>de</strong> par<br />
l’effet d’un acci<strong>de</strong>nt, d’un hasard, comme quelque chose d’inutile et <strong>de</strong> fortuit<br />
mais que l’on existe parce qu’un amour mystérieux, infini, nous précè<strong>de</strong> et<br />
nous porte.<br />
« Dieu est la Vie et la foi en Dieu n’est pas différente <strong>de</strong> la foi en la Vie.<br />
Rien n’est plus opposé à la foi en Dieu que le refus <strong>de</strong> la Vie car il y a une<br />
totale synergie entre le don <strong>de</strong> la foi et la foi en la vie, entre l’engagement d’un<br />
croyant dans le mon<strong>de</strong> et sa foi en Dieu… cf. le cantique <strong>de</strong> Saint François<br />
d’Assise qui remercie Dieu <strong>de</strong> la lumière <strong>de</strong>s astres et du don <strong>de</strong> tous les<br />
éléments.<br />
« Ma 1ère théologie a été la contemplation <strong>de</strong> la nature. La révélation est<br />
40
Le noir et le blanc<br />
constituée par <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s Paroles : celle d’une part <strong>de</strong> la création par la<br />
gran<strong>de</strong>ur, la complexité et la beauté du Cosmos et celle d’autre part <strong>de</strong> la<br />
Ré<strong>de</strong>mption, par la bouche <strong>de</strong>s prophètes <strong>de</strong> Jésus, <strong>de</strong>s apôtres. Ces <strong>de</strong>ux<br />
Paroles sont au service <strong>de</strong> la Révélation du Verbe Unique <strong>de</strong> Dieu : Le Christ.<br />
Pour comprendre la révélation contenue dans La Bible, nous <strong>de</strong>vons avoir été<br />
touchés par le mystère <strong>de</strong> l’être et entendre la Parole divine inscrite par Dieu<br />
dans la Création. Saint Irénée : “Le mépris <strong>de</strong> la chair et <strong>de</strong> la matière relève <strong>de</strong><br />
la négation même <strong>de</strong> Dieu.”<br />
« “On ne peut connaître Dieu selon sa gran<strong>de</strong>ur mais selon son amour.”…<br />
Aux philosophes et aux savants, l’ordre <strong>de</strong> la connaissance, aux croyants,<br />
l’ordre <strong>de</strong> l’Amour. Ces <strong>de</strong>ux ordres ne s’excluent pas l’un l’autre, bien au<br />
contraire.<br />
« L’Église est comme une matrice qui porte les Hommes pour les<br />
engendrer à la Vie et leur permettre d’accé<strong>de</strong>r à l’expérience <strong>de</strong> Dieu.<br />
« À celui qui souffre, elle fait entrevoir le visage <strong>de</strong> Jésus, partageant nos<br />
souffrances comme victime innocente et ressuscité… Elle ne prétend pas<br />
apporter une explication au mystère du mal et <strong>de</strong> l’injustice… Jésus n’a jamais<br />
tenu <strong>de</strong> raisonnements sur le mal et la souffrance… Il s’est plongé dans son<br />
mystère et nous invite à y plonger à notre tour… C’est le sens du verbe<br />
Baptizein… pour ressusciter avec lui.<br />
« La mission <strong>de</strong> l’Église est <strong>de</strong> révéler aux Hommes la proximité d’un Dieu<br />
qui, en Jésus, est venu lui-même dans ce mon<strong>de</strong>, y a grandi, y a travaillé, y est<br />
mort, est ressuscité comme “1er né d’une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> frères” pour nous faire<br />
entrer avec lui dans une vie qui ne meurt plus.<br />
« En nous adressant sa Parole, Dieu cherche à nous rencontrer pour nous<br />
rendre capables d’assumer notre vie et notre mort, <strong>de</strong> cette même manière<br />
confiante et filiale qui conduit Jésus à remporter la victoire sur tout mal,<br />
jusqu’à la Résurrection…<br />
« Ainsi l’Église promet <strong>de</strong> découvrir un sens à notre propre existence <strong>de</strong><br />
vie, si désespérée ou navrante soit-elle et <strong>de</strong> nous greffer sur la source<br />
lumineuse, le Christ, qui nous propose <strong>de</strong> vrais chemins pour vivre.<br />
« L’Église, celle qui engendre à la vie : baptême d’un enfant pour le confier<br />
à Dieu dans le même temps où il entre dans la vie.<br />
41
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« L’Église, pour les Hommes qui la rencontrent sur leur chemin, est celle<br />
qui donne goût et sens à l’existence, et pour ceux qui s’approchent d’elle, une<br />
mère attentive, consolante, réconfortante, profondément humaine, révélant en<br />
chacun ce qu’il y a en lui d’unique et d’aimable et lui apprenant à aimer.<br />
« L’Église, une communauté <strong>de</strong> témoins qui choisissent la douceur plus que<br />
la violence, le partage plutôt que le profit, l’amour plutôt que la haine, le<br />
pardon plutôt que la vengeance ; qui choisissent l’Espérance plutôt que le<br />
désespoir, qui aspirent à être <strong>de</strong>s artisans <strong>de</strong> la paix plutôt que <strong>de</strong>s va-t-en<br />
guerre et qui déci<strong>de</strong>nt d’être les artisans <strong>de</strong> la Pâque du mon<strong>de</strong>, c’est à dire <strong>de</strong>s<br />
passeurs (pâque en hébreux veut dire passage) toujours soucieux <strong>de</strong> faire passer<br />
la création et toute l’Humanité <strong>de</strong> la Mort à la Vie…<br />
« L’Église est là pour ouvrir la voie, faire du neuf <strong>de</strong> l’ancien, donner du<br />
souffle… L’absence <strong>de</strong> sens provoque le stress – chacun court sans trop savoir<br />
où il va et ainsi entretient la dépression psychique et morale.<br />
« Où s’enracine la quête du sens <strong>de</strong> l’Homme ?<br />
« Tout homme est appelé à créer du sens dans tout ce qu’il fait. Le drame<br />
commence quand il ne parvient plus à croire en rien ni en lui-même. S’ouvre<br />
alors le gouffre du désespoir…<br />
« Question aux Chrétiens : quelle est la foi qui nourrit ton espérance ? Quel<br />
sens apporte-t-elle à ta vie ?<br />
« “Dieu vit que cela était bon.”<br />
« Parce que je suis “un être pour la mort” et que je vis dans un mon<strong>de</strong> où<br />
les Hommes se massacrent tous les jours… le constat est la précarité <strong>de</strong> ma vie<br />
et cela est vrai pour toutes les espèces vivantes…<br />
« Devant les moyens <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction et les dangers <strong>de</strong> mort dont l’Homme a<br />
parsemé la planète, la question sur la survie <strong>de</strong> son espèce est normale. Toutes<br />
les espèces vivantes sont concernées et nous les humains sommes concernés.<br />
« Cette question <strong>de</strong> la Vie-Mort est sous-jacente à celle sur le<br />
Commencement et la Fin <strong>de</strong>s temps… et est déjà présente dans la tradition<br />
judéo-chrétienne.<br />
« “Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.”<br />
« Le mon<strong>de</strong> n’est pas qu’un jeu d’énergies complexes, mais<br />
fondamentalement une donation. L’Écriture propose une relation avec le<br />
42
Le noir et le blanc<br />
créateur qui nous l’a offerte… : émerveillement et gratitu<strong>de</strong>.<br />
« “Dieu vit que cela était bon.”<br />
« En grec, bon et beau sont synonymes. La bonté du créateur se montre dans<br />
la beauté et la générosité <strong>de</strong> la création… S’il y a donation à l’origine <strong>de</strong> tout,<br />
cette donation est l’œuvre <strong>de</strong> quelqu’un, même si ce quelqu’un <strong>de</strong>meure<br />
invisible et retire sa main dans le geste du don comme il se cache <strong>de</strong>rrière son<br />
nom. Par son œuvre, il nous attire à lui mais ne met pas la main sur nous…<br />
C’est la discrétion <strong>de</strong> Dieu… Dieu s’est retiré pour que le mon<strong>de</strong> soit, pour<br />
que je puisse exister… Autrement dit, Dieu ne veut pas <strong>de</strong>s esclaves mais <strong>de</strong>s<br />
amis. Il ne m’appelle pas à la vie pour m’envahir mais pour me laisser être. Il se<br />
cache pour m’engendrer à la liberté…<br />
« La Bible nous remet entre les mains <strong>de</strong> la Parole toute puissante et<br />
humblement effacée qui prononcera un jour le <strong>de</strong>rnier mot sur nos vies.<br />
« Dieu est Alpha et Oméga <strong>de</strong> nos libertés et <strong>de</strong> tout l’univers.<br />
« De sa Parole naît la Confiance : elle est notre seule espérance <strong>de</strong> vie.<br />
Nous n’avons aucune autre preuve <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> Dieu sinon celle que<br />
suggère notre capacité <strong>de</strong> croire et d’espérer que la vie ne va pas vers la Mort,<br />
que la création ne va pas vers son anéantissement, vers le néant. La Foi<br />
propose un Absolu à nos brèves, fragiles existences et nous soutient dans notre<br />
marche vers Lui… Ce qui est exactement donner un sens à notre vie… »<br />
Avant ce message sur la Foi, le père Auguste et nous-même avions abordé à<br />
<strong>de</strong> nombreuses occasions le sujet. Son témoignage est indéniable – nous en<br />
sommes conscient – mais il est la conséquence d’une réflexion commune<br />
bimillénaire qui laisse peu <strong>de</strong> marge à la contestation.<br />
Nous avons tous au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> nous cette main écrasante que nous <strong>de</strong>vons<br />
assimiler soit à Dieu, soit à la croyance que les Hommes Lui vouent. Que<br />
penser… ?<br />
« Père Auguste,<br />
« Qu’est-ce que la Foi ? Une idée ? Une création ? Un besoin inhérent à<br />
l’humanité ?<br />
43
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Quelle que soit la religion que les humains adoptent, c’est pour selon moi<br />
trois raisons fondamentales :<br />
« 1 . Combler un vi<strong>de</strong>. Les humains ne sont en effet pas complets, il leur<br />
manque toujours quelque chose et ils ne sont jamais contents <strong>de</strong> ce qui est<br />
naturellement à leur disposition ;<br />
« 2 . Combattre par une représentation spirituelle leurs peurs, leurs doutes,<br />
leurs souffrances et la futilité cosmique <strong>de</strong> leur existence ;<br />
« 3 . Trouver un sens à cette existence dans une idée conçue puisqu’il ne<br />
leur vient pas naturellement…<br />
« Vous écrivez dans votre lettre que la Foi offre la possibilité <strong>de</strong> découvrir<br />
un sens aux choses <strong>de</strong> l’Univers. Il faut un sens à toute chose mais pourquoi<br />
alors le chercher dans une idée conçue alors que la Nature est là pour nous<br />
apporter les réponses aux questions que nous nous posons.<br />
« Il suffit seulement <strong>de</strong> savoir les lui poser…<br />
« Je crois en la Vie, père, et je sais que Dieu, Diable, Anges, Démons…<br />
toutes ces entités existent car les humains croient en elles. Pourtant, si l’on y<br />
pense un peu, elles sont mortelles car il suffit qu’elles soient oubliées pour<br />
disparaître.<br />
« Au fil du Temps, les humains ont beaucoup cru et oublié encore plus.<br />
Que sera <strong>de</strong>venu le Christ dans trois ou quatre mille ans ? Sera-t-il toujours<br />
présent dans l’esprit <strong>de</strong>s Hommes ou aura-t-il subit le sort <strong>de</strong>s premiers avant<br />
lui ? Dame Nature, elle, sera toujours là…<br />
« L’Homme peut être grand parfois mais le plus souvent se sent-il petit,<br />
perdu au milieu <strong>de</strong> l’immensité universelle.<br />
« L’Homme tend à croire qu’il détient la connaissance, la clef <strong>de</strong> son avenir,<br />
<strong>de</strong>s valeurs sûres sur lesquelles reposer sa société mais il n’en est rien ! Si<br />
l’Homme se crée ses propres religions, c’est car il sait au fond <strong>de</strong> lui que tout<br />
ce qu’il a découvert <strong>de</strong>puis tant <strong>de</strong> millions d’années n’est rien comparé à<br />
l’immensité universelle ! Comme je l’écris plus haut, l’humanité a peur, elle ne<br />
sait pas où elle va ni pourquoi elle y va… Elle marche… Elle trace elle-même<br />
son chemin dans l’espoir insensé <strong>de</strong> découvrir un jour la clef <strong>de</strong> la Vérité mais<br />
elle a peur car elle sait au fond d’elle-même qu’elle ne sait rien !<br />
« La planète Terre est avec l’Histoire la seule chose que l’humanité laissera<br />
44
Le noir et le blanc<br />
<strong>de</strong>rrière elle et je suis révolté lorsque je vois ce que l’Homme fait <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />
entités : il détruit l’une pour mieux salir l’autre…<br />
« Vous disiez que l’on ne peut communiquer avec la Nature. Pourtant, je<br />
parviens même à communier avec elle et je sais qu’elle veille sur moi car<br />
chaque jour elle me le montre au travers <strong>de</strong>s êtres qu’elle m’envoie.<br />
« Dit ainsi, cela peut s’appliquer au Christ également…<br />
« Vous croyez en l’humanité car les Hommes peuvent communiquer… Je<br />
pense en effet qu’ils le peuvent mais qu’ils ne savent pas le faire car il leur<br />
manque une chose importante : l’écoute ! S’ils savaient écouter et regar<strong>de</strong>r les<br />
choses naturelles, celles qui étaient là avant eux et seront là après eux, ils<br />
agiraient autrement, plus sagement et alors moi aussi je croirais en eux ! Mais<br />
c’est utopique <strong>de</strong> croire qu’un jour l’humanité s’adaptera à son environnement<br />
plutôt que l’inverse.<br />
« Il y a une chose à laquelle j’aimerais que vous pensiez chaque jour :<br />
pourquoi la Nature peut-elle se passer <strong>de</strong> l’Homme mais l’Homme pas <strong>de</strong> la<br />
Nature ?<br />
« Je retiens une chose en particulier <strong>de</strong> votre lettre : croire en l’existence <strong>de</strong><br />
Dieu, c’est donner un sens à sa vie. Je n’y crois pas – je sais qu’il existe, comme<br />
c’est le cas <strong>de</strong> toutes les croyances – mais ma vie à un but que je m’efforce<br />
d’atteindre : la recherche du Temps ! Il ne serait que trop long d’entrer dans le<br />
détail mais sachez seulement que nous nous rejoignons vous et moi pour<br />
affirmer que tout Homme que nous sommes, nous avons un besoin naturel <strong>de</strong><br />
croire en une finalité autre que la Mort… J’en profite enfin pour vous<br />
remercier <strong>de</strong> m’avoir permis d’évoluer. Bien à vous ! »<br />
Nous avions en effet à cet instant parcouru beaucoup <strong>de</strong> chemin <strong>de</strong>puis le<br />
récit <strong>de</strong> <strong>Louis</strong>. Le père Auguste nous avait donné matière à réfléchir.<br />
La Foi… Notre esprit était tellement confus…<br />
Continuons notre exploration avec notre cher théologien !<br />
« Le mon<strong>de</strong> est fait <strong>de</strong> mystères qui ne peuvent laisser indifférents.<br />
Pourquoi l’Homme a-t-il cette dimension affective et humaine si belle ?<br />
Pourquoi le mon<strong>de</strong> est-il ruisselant d’intelligence ? (Einstein) S’est-il créé tout<br />
45
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
seul ? L’Esprit est-il le produit <strong>de</strong> la matière ou au contraire la matière peut-elle<br />
être appréhendée et comprise par l’esprit ?<br />
« Si l’on accepte <strong>de</strong> se poser ces questions, il faut aller jusqu’au bout et lire<br />
La Bible, c’est à dire les Évangiles, les psaumes, les proverbes, etc. On y<br />
découvre une réponse qui va au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’intelligence humaine mais que l’on<br />
goûte, qui est comme une étoile polaire. Dieu est inexplicable. On dit qu’il est<br />
immense – cela veut simplement dire qu’on ne peut le concevoir avec son<br />
esprit humain… L’acte majeur <strong>de</strong> l’intelligence est <strong>de</strong> reconnaître ses limites et<br />
d’accepter le mystère. En même temps dans l’infini il y a cette immense<br />
cohérence.<br />
« “Sans Moi, vous ne pouvez rien faire <strong>de</strong> bon parce que je suis le chemin,<br />
la Vérité et la Vie.” Dieu est un mystère… mais il est bien vivant au fond <strong>de</strong><br />
chacun d’entre nous et nous appelle. Il agit dans le respect <strong>de</strong> notre liberté.<br />
Nous ne pouvons pas nous guérir nous-mêmes comme un mé<strong>de</strong>cin ne peut<br />
pas s’opérer lui-même <strong>de</strong> l’appendicite ! Le mystère <strong>de</strong> chaque être humain, le<br />
mystère <strong>de</strong> Dieu… L’un appelle l’autre. Personne ne parviendra à mettre un<br />
individu en équation.<br />
« Je pense que la Foi est autre que ce que tu as écrit…<br />
« Avec Jeanne d’Arc, je dis : “Si j’ai la foi, Dieu la gar<strong>de</strong> ; si je ne l’ai pas,<br />
Dieu me la donne.”<br />
« Qu’est-ce que la Foi ?<br />
« Un philosophe a dit : “Quand vous êtes <strong>de</strong>vant un ami, vous êtes <strong>de</strong>vant<br />
un mystère mais vous savez par expérience que cet ami vous apporte quelque<br />
chose. Vous croyez dans votre ami, vous avez foi en votre ami. L’objet <strong>de</strong> la foi<br />
est l’ami et la Foi est un acte qui vous relie d’une façon mystérieuse à votre<br />
ami.”<br />
« Ma foi est issue d’une expérience personnelle que je crois profon<strong>de</strong>…<br />
Pour moi, le chemin <strong>de</strong> la foi est chemin <strong>de</strong> la vie. Le chemin <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> tous<br />
les jours est le chemin <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> toujours et la vie <strong>de</strong> toujours ce n’est pas<br />
quelque chose mais quelqu’un : le Christ Ressuscité.<br />
« La Foi est un commun rapprochement <strong>de</strong> Dieu et <strong>de</strong> l’Homme… Mais<br />
comme il faut du temps… On ne se rapproche <strong>de</strong> Dieu qu’en prenant du recul<br />
par rapport à soi-même… Dieu est toujours inattendu. Jésus est venu sur terre,<br />
46
Le noir et le blanc<br />
non pour réduire cette distance entre l’Homme et Dieu, mais pour la faire<br />
apparaître infinie afin que nous sachions que l’Homme (toi, moi) est appelé à<br />
grandir.<br />
« Le Christianisme est une Vie, pas une idéologie.<br />
« Le message que je voudrais te transmettre est celui-ci : “La Vérité est plus<br />
gran<strong>de</strong> que toi… La réalité est cachée dans les faits comme le métal dans le<br />
minerai… La Vérité : on a jamais fini <strong>de</strong> faire la vérité.”<br />
« “Aime !”, dirais-je en plus. Aimer quelqu’un, c’est l’accepter tel qu’il est,<br />
c’est partir à la recherche <strong>de</strong> sa vérité qu’il faut admettre telle qu’elle est, même<br />
inexplicable. Tu vas me dire : “Vous n’allez pas me faire croire ça !” Je te<br />
réponds : “Je ne suis pas chargé <strong>de</strong> te le faire croire, mais je suis chargé <strong>de</strong> te le<br />
dire.”<br />
« C’est simplement le respect <strong>de</strong> ta liberté, c’est respecter ton mystère. »<br />
Sacrée Foi ! Imagine donc, Fidèle, le trouble qui sévit dans notre esprit<br />
quotidiennement !<br />
À la lecture <strong>de</strong> ce message, nous rédigeâmes une synthèse <strong>de</strong> nos pensées<br />
dispersées dans les vents <strong>de</strong> notre esprit embrouillé !<br />
« Père Auguste,<br />
« Pourquoi l’Homme doit-il pour exister se conformer à une seule Parole,<br />
par le biais d’un livre ? La Bible, au même titre que les autres livres <strong>de</strong> Vérité –<br />
ils sont nombreux avec chacun la sienne, même au sein <strong>de</strong> la Chrétienté – ne<br />
représente pour moi que la synthèse <strong>de</strong> ce que les Hommes se souviennent<br />
avoir cru et croient encore aujourd’hui.<br />
« L’humanité ne veut pas reconnaître qu’elle fait partie d’un tout naturel<br />
dont elle n’est finalement qu’une petite poussière. Son orgueil la pousse alors à<br />
créer <strong>de</strong>s merveilles technologiques qu’elle utilise à la hâte pour apporter<br />
<strong>de</strong>struction et malheur. Son point fort en revanche est sa capacité à croire et à<br />
aimer. Mais hélas cela ne pèse-t-il que trop peu dans la balance <strong>de</strong> la Sagesse.<br />
Les humains possè<strong>de</strong>nt donc une merveilleuse ingéniosité, la capacité d’aimer,<br />
<strong>de</strong> rêver, <strong>de</strong> croire, mais ils sont aussi orgueilleux, corruptibles et souvent<br />
cruels. Du fait <strong>de</strong> sa conscience <strong>de</strong>s choses, ces <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong> l’humanité ne<br />
47
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
sont pas dissociables. Elle est faite ainsi et même en pensant qu’elle puisse un<br />
jour se défaire <strong>de</strong> son côté bestial (les animaux au passage ne sont jamais<br />
cruels), alors ce jour-là je pense que sa fin sera proche.<br />
« L’Homme est un être naturel, doté d’une Spiritualité mais cela ne<br />
l’empêche en rien <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s conneries, au contraire.<br />
« On ne peut reprocher objectivement à un chien <strong>de</strong> creuser un trou dans<br />
les plantes <strong>de</strong> Mémé pour y enterrer son os, mais on est en droit d’exiger <strong>de</strong><br />
l’humanité qu’elle respecte les choses qui l’entourent, du fait qu’elle en est<br />
consciente !<br />
« Hélas, elle répare ce qu’elle abîme – quand elle y pense – sans jamais avoir<br />
la sagesse <strong>de</strong> tout simplement ne pas abîmer. Alors oui ! Je clame qu’en<br />
l’Homme, je ne crois pas. Si par Foi vous enten<strong>de</strong>z Confiance en l’autre, alors<br />
je n’ai pas foi en l’Homme même si j’ai confiance en certaines personnes.<br />
« Vous avez cependant raison, père, d’affirmer qu’il existe un espoir ; il<br />
nous permet <strong>de</strong> survivre.<br />
« La <strong>de</strong>rnière fois que nous avons parlé <strong>de</strong>vant un repas, il m’a semblé que<br />
je vous décevais car je ne voulais pas faire l’effort <strong>de</strong> comprendre vos propos<br />
et d’accepter vos propositions. Si c’est le cas, j’en suis désolé car je ne le<br />
souhaite aucunement.<br />
« Par ailleurs les ai-je bien compris car je comprends beaucoup <strong>de</strong> choses,<br />
sans pour autant nécessairement les accepter toutes.<br />
« Je vous avais déjà fait part <strong>de</strong> ma Quête dans ma lettre précé<strong>de</strong>nte, sans<br />
entrer dans le détail. Peut-être est-il judicieux <strong>de</strong> le faire maintenant.<br />
« Je suis dans un corps mortel et cela ne cale pas avec mon projet. Je ne<br />
veux pas vivre dans l’esprit car mon essence est éternelle. Mais mon moi actuel<br />
n’est que <strong>de</strong> passage dans ce mon<strong>de</strong>, j’en suis conscient, et je cherche<br />
seulement à le prolonger car je ne veux pas perdre tout ce que j’ai appris, et<br />
recommencer à nouveau. La Vie et comme l’Histoire un éternel<br />
recommencement dit-on ! C’est vrai en tout point <strong>de</strong> vue et la Vie pour les<br />
Mortels encore plus. J’ai un désir d’Éternité, je veux être libre d’exister dans les<br />
sphères du Temps, <strong>de</strong> l’Espace et <strong>de</strong>s Ombres. Ma Quête est donc celle du<br />
Temps !<br />
« Peut-être me citerez-vous Saint Augustin qui écrivait dans La Trinité qu’il<br />
48
Le noir et le blanc<br />
faut “pouvoir ce qu’on veut, vouloir ce qu’il faut” et que “Dieu nous<br />
couronnera en son temps par la communication <strong>de</strong> son pouvoir. Si nous<br />
donnons ce moment <strong>de</strong> la vie présente à composer nos mœurs, il donnera<br />
l’éternité tout entière à contenter nos désirs.”<br />
« Alors vous répondrai-je simplement que je sais ce que je veux, et que ce<br />
que je veux est ce qu’il me faut. Certes ma Quête n’est-elle pas conventionnelle<br />
et je pourrais effectivement trouver la réponse dans la Spiritualité mais c’est<br />
une réponse concrètement physique que je recherche.<br />
« Ne vous trompez pas sur mes mots, je n’ai pas peur <strong>de</strong> la Mort car qui<br />
comprend les choses ne les craint pas. Je l’assumerai le moment venu si elle<br />
vient à moi pour me dire : “Tu as échoué dans ta Quête, ne t’en fais pas, tu<br />
auras l’occasion <strong>de</strong> recommencer, mais pas ici et pas maintenant.”<br />
« Alors lui répondrai-je : “Hélas ! Allons-y !” et ma Quête sera, non<br />
continuée, mais recommencée, dans mon cycle prochain.<br />
« Cela, je ne le veux pas car j’ai le sentiment <strong>de</strong> l’avoir déjà trop entreprise<br />
auparavant.<br />
« Je possè<strong>de</strong> une conception <strong>de</strong> la Vie bien personnelle. Elle convient à mes<br />
aspirations et va dans le sens <strong>de</strong> ma Quête même si elle n’y apporte pas <strong>de</strong><br />
réponses concrètes. La Foi chrétienne, père, va me semble-t-il complètement à<br />
l’encontre <strong>de</strong> mes aspirations. Dieu enseigne à ses serviteurs, non à désirer <strong>de</strong><br />
pouvoir beaucoup, mais à s’exercer à vouloir le bien ; à régler leurs désirs avant<br />
<strong>de</strong> songer à les satisfaire ; à commencer leur félicité par une volonté bien<br />
ordonnée, avant <strong>de</strong> la consommer par une puissance absolue.<br />
« Je n’ai rien d’un garçon égoïste mais il est évi<strong>de</strong>nt que ma Quête ne va pas<br />
dans ce sens. Et pourquoi la changer si, encore une fois, c’est ce que je veux, et<br />
ce qu’il me faut ? Finalement, je suis peut-être passionné.<br />
« Père, je suis un garçon triste, non pas parce que je manque d’une<br />
croyance qui me gui<strong>de</strong> dans mes choix, mais seulement parce que ma Quête<br />
n’aboutit pas et toutes les recherches effectuées dans ce sens ont été vaines<br />
jusques à présent.<br />
« N’allez pas croire que je me complais dans mon malheur car comme nous<br />
en avons déjà parlé, je suis également un être qui aspire au bonheur.<br />
« On ne peut selon moi être heureux que si l’on a atteint son but où si l’on<br />
49
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
est sur le chemin qui mène à lui. De toute évi<strong>de</strong>nce, je n’ai pas atteint le mien<br />
et je n’ai pas trouvé non plus un chemin qui y mène.<br />
« Vous écrivez que “l’acte majeur <strong>de</strong> l’intelligence est <strong>de</strong> reconnaître ses<br />
limites et d’accepter le mystère…”<br />
« Je n’ai que peu <strong>de</strong> connaissances en la religion chrétienne mais La Bible<br />
n’a-t-elle pas été écrite pour précisément expliquer le mystère <strong>de</strong> nos Origines<br />
sur cette Planète ?<br />
« Pourquoi les Grecs différenciaient-ils la Connaissance <strong>de</strong> Dieu (gnose) et la<br />
Connaissance universelle (knosse) ?<br />
« Je suis le premier à accepter le mystère et ne cherche en aucune manière à<br />
expliquer la venue <strong>de</strong> l’Homme sur la Terre. Est-elle divine, dans le sens “être<br />
supérieur à nous” ? Est-elle naturelle, à savoir que nous serions le produit<br />
d’une suite <strong>de</strong> réactions organiques, ou toute autre ?<br />
« Honnêtement, je n’ai pas la science infuse et ne peux répondre à cette<br />
question. Je n’essaye même pas car pour moi, il est <strong>de</strong>s mystères que nous ne<br />
<strong>de</strong>vons pas expliquer, <strong>de</strong> peur pour chacun <strong>de</strong> ne pas trouver ce que nous nous<br />
attendons à voir.<br />
« C’est une Connaissance que l’humanité ne possé<strong>de</strong>ra jamais !<br />
« Sincèrement. »<br />
Perdu ! C’est le sentiment que nous éprouvions en rédigeant ces lignes.<br />
« Vous qui pleurez, venez à ce Dieu, car il pleure.<br />
« Vous qui souffrez, venez à lui, car il guérit.<br />
« Vous qui tremblez, venez à lui, car il sourit.<br />
« Vous qui passez, venez à lui, car il <strong>de</strong>meure. » 1<br />
Autant <strong>de</strong> confusion dans si peu <strong>de</strong> mots, tant <strong>de</strong> questions, d’allusions,<br />
1 . Victor Hugo, Les Contemplations, Écrit au bas d’un crucifix, mars 1842.<br />
50
d’illusions…<br />
Le noir et le blanc<br />
Nous ne revîmes pas le père Auguste <strong>de</strong>puis cette lettre. Nous la lui<br />
donnâmes à la gare <strong>de</strong>s trains <strong>de</strong> Ubon Ratchatani, lui faisant promettre <strong>de</strong> la<br />
lire après notre départ seulement.<br />
Était-ce un signe <strong>de</strong> refus ? Avions-nous peur <strong>de</strong> le voir débarquer avec une<br />
autre réponse qui nous aurait encore plus embrouillé ? Craignions-nous<br />
carrément <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir encore nous convaincre <strong>de</strong> quelque chose <strong>de</strong> sûr, d’une<br />
autre… Vérité ?<br />
Il y a une chose à laquelle nous pensons <strong>de</strong> temps en temps : si Dieu est ce<br />
que nous croyons, alors pourquoi lui vouer notre existence ? Vivons pour nous,<br />
ne vivons pas pour lui ! S’il existe et qu’il exige <strong>de</strong> nous une absolue dévotion,<br />
il ne mérite pas le titre que nous lui donnons. S’il existe et qu’il nous laisse libre<br />
<strong>de</strong> vivre notre vie telle que nous l’entendons, pourquoi donc nous embarrasser<br />
<strong>de</strong> pratiques, <strong>de</strong> mœurs, <strong>de</strong> rites qui nous enferment ? Si enfin il n’existe pas…<br />
51
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
L e r e f u g e d e l ’ I l l u s i o n<br />
Nous étions toujours en Thaïlan<strong>de</strong>. Chaque soir, nous pouvions nous<br />
connecter à l’Internet <strong>de</strong>puis le bureau <strong>de</strong> la sœur Nonlak. Nous y passions<br />
même souvent <strong>de</strong>s nuits entières, nourrissant notre insomnie <strong>de</strong> diverses<br />
activités.<br />
Nous entretenions d’intéressantes conversations avec <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> toutes les<br />
parties du mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> toutes les origines : européenne, américaine, asiatique,<br />
atlante…<br />
Nous nous posions à l’époque <strong>de</strong> curieuses questions sur le continent<br />
englouti et nous rencontrâmes un gui<strong>de</strong> qui nous porta à <strong>de</strong>s visions<br />
mystérieuses sur son peuple, sur nous-même. Elle se faisait nommer Maïnéa et<br />
nous aborda sur un forum français qui traitait <strong>de</strong>s civilisations disparues ! La<br />
conversation s’étala <strong>de</strong> mars à décembre 2003.<br />
« Je me suis arrêtée en me promenant dans le forum sur vos questions à<br />
propos <strong>de</strong> l’Atlanti<strong>de</strong>.<br />
« Je n’aime pas ce nom d’ailleurs (ça commence mal, sourire !), je lui préfère<br />
le nom <strong>de</strong> Terres Aki.<br />
« Vous posez <strong>de</strong>s questions mais pour y répondre il faut avoir la mémoire<br />
<strong>de</strong> ce temps-là, non ? Comment selon vous peut-on donner <strong>de</strong>s réponses à ces<br />
Terres disparues <strong>de</strong>puis si longtemps et dont il ne reste que <strong>de</strong>s mythes ou les<br />
écrits <strong>de</strong> Platon ? Bon on a aussi Edgar Cayce mais je ne l’ai pas lu (non,<br />
vraiment, promis ! rire)<br />
« Je n’avais pas envie <strong>de</strong> répondre sur le forum parce que tout ce verbiage<br />
m’énerve je dois dire ; le crêpage <strong>de</strong> chignon permanent, ça lasse ! Mais j’y<br />
passe en recherche <strong>de</strong> quelqu’un qui se pose <strong>de</strong>s questions et qui a peut-être <strong>de</strong><br />
bonnes raisons <strong>de</strong> se les poser… ou <strong>de</strong>s raisons qui rejoignent les miennes et<br />
celles <strong>de</strong> quelques-uns comme moi. Je peux vous donner mes réponses en<br />
essayant <strong>de</strong> me souvenir <strong>de</strong> vos questions.<br />
« La technologie était très avancée, plus avancée que la nôtre mais<br />
différente en même temps, pas <strong>de</strong> transports supersoniques par exemple, et si<br />
elle était là pour le bien-être <strong>de</strong> tous, elle n’était pas à la disposition <strong>de</strong> tous.<br />
52
Le noir et le blanc<br />
« Les Terres ont bien disparu dans un cataclysme, les îles qui en restaient<br />
après d’autres cataclysmes ont été ensevelies dans la mer après avoir explosé <strong>de</strong><br />
tout côté. Ce sont ceux qui dirigeaient qui ont poussé le fer assez au feu pour<br />
que tout éclate ! Je n’en suis pas encore au sta<strong>de</strong> où je pourrais affirmer ce que<br />
j’avance mais je dirais que cela a été volontaire parce qu’il n’y avait plus rien<br />
d’autre à envisager. Alors autant disparaître et faire tout disparaître. Il y a eu<br />
<strong>de</strong>s exilés, <strong>de</strong>s habitants qui ont fait souche ailleurs. Le peuple entier <strong>de</strong> ces<br />
Terres n’a pas disparu sous les flots. Mais, oui, trop <strong>de</strong> gens ont été sacrifiés.<br />
D’un autre côté, comment auraient été accueillis ceux qui auraient parlé <strong>de</strong><br />
technologies inconnues ailleurs ? Quand les Terres Aki ont disparu, il y avait<br />
encore <strong>de</strong>s endroits <strong>de</strong> ce globe où l’on vivait en Préhistoire… donc !!<br />
« J’ai dû oublier certaines <strong>de</strong> vos questions, mes réponses peuvent vous<br />
faire vous vriller la tempe sur la tête, mais si vous avez envie <strong>de</strong> continuer ces<br />
échanges, dites-moi ce qui vous anime dans cette étrange quête. Elle n’est pas<br />
si anodine que ça, non ?<br />
« À bientôt peut-être,<br />
« Amicalement. »<br />
Nous en eûmes le souffle coupé à l’époque et une envie singulière,<br />
soudaine et presque inavouable agita notre esprit. La brèche était trop visible !<br />
Nous avions besoin <strong>de</strong> rêve et Maïnéa répondait parfaitement à cette<br />
aspiration. De plus, notre nature nous pousse à entrer dans ce genre <strong>de</strong> jeux,<br />
histoire <strong>de</strong> savoir où est le vrai du faux. Nous allons donc paraître au fil <strong>de</strong><br />
cette correspondance très crédule ; nous ne l’étions en fait qu’à moitié car<br />
avant <strong>de</strong> nous engouffrer dans cette aventure, nous fîmes quelques recherches.<br />
Les Abénaquis sont un peuple autochtone d’Amérique du nord qui<br />
occupait avant l’arrivée <strong>de</strong>s Européens la Nouvelle-Angleterre. Ils furent<br />
décimés par les maladies apportées et lâchement transmises par les Anglais<br />
dans un but pervers d’appropriation <strong>de</strong> leurs terres ancestrales. Ils étaient très<br />
liés avec les Français en revanche et se réfugièrent dans les années 1700 au<br />
Québec pour défendre leurs intérêts ; ils y vivent encore aujourd’hui. Ils font<br />
partie avec d’autres tribus <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> famille <strong>de</strong>s Waban Aki qui signifie<br />
Peuple <strong>de</strong> l’Aurore, les premiers habitants du mon<strong>de</strong>…<br />
53
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Aki signifie également Automne en japonais.<br />
« À moi aussi, tous ces bavardages incessants : “C’est moi qui ai raison !”,<br />
“Non, c’est moi !” m’ennuient mais je n’ai trouvé que les forums pour<br />
communiquer avec les autres gens car, <strong>de</strong> là où je suis, cela m’est impossible<br />
autrement. Même en France du reste, je ne savais pas comment m’y prendre. Je<br />
vous remercie donc <strong>de</strong> m’envoyer ce message personnel !<br />
« Vous écrivez qu’il faut avoir la mémoire <strong>de</strong>s temps anciens pour parler<br />
<strong>de</strong>s Terres Aki ; dois-je comprendre que vous <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>z <strong>de</strong> la civilisation<br />
atlante ou possé<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong>s sources manuscrites que le mon<strong>de</strong> ne connaît<br />
pas ?<br />
« Je ne sais pas si nos raisons <strong>de</strong> rechercher les Terres Aki se rejoignent. Je<br />
ne pense pas avoir aucune connexion avec son peuple ; si oui, elle m’est<br />
inconnue.<br />
« Un cataclysme, une civilisation dispersée – qui a donc peut-être perdu son<br />
Savoir ; tout cela me rend triste ! Je suis un Observateur, vous comprenez, un<br />
observateur en quête d’une chose peu commune. Je m’intéresse donc à tout ce<br />
qui pourrait m’ai<strong>de</strong>r dans cette recherche. Je n’ai aucune mauvaise intention. La<br />
civilisation <strong>de</strong>s Terres Aki pourrait m’apporter <strong>de</strong>s réponses aux questions que<br />
peu <strong>de</strong> gens veulent entendre, <strong>de</strong>s réponses sur mon passé, sur ma Destinée,<br />
sur moi. Tout cela n’est pas simple…<br />
« En ce moment, ma vie n’a pas <strong>de</strong> sens ; je n’ai qu’un point à peine visible<br />
sur lequel poser mon regard mais je ne sais hélas pas comment l’atteindre.<br />
Outre ces préoccupations morales, j’ai encore à peine <strong>de</strong> quoi tenir un mois en<br />
Thaïlan<strong>de</strong>, après quoi je <strong>de</strong>vrai à nouveau tout quitter, sauf ma Quête.<br />
« Ceci est mon histoire ! Peut-être l’avez-vous déjà entendue, peut-être ne la<br />
prendrez-vous pas au sérieux comme beaucoup <strong>de</strong> gens, peut-être enfin<br />
m’apportez-vous les réponses que je recherche. Mes espoirs sont grands mais<br />
j’ai peur d’être trop idéaliste ! »<br />
Nous ajoutâmes à ce message le lien vers l’un <strong>de</strong> nos sites-web d’alors dans<br />
lequel nous nous décrivions, y notions nos aspirations, nos doutes, etc. Nous y<br />
annotâmes également nos pensées sur le mon<strong>de</strong>, la société, l’histoire <strong>de</strong> notre<br />
54
Le noir et le blanc<br />
civilisation, nos coups <strong>de</strong> cœur : Alexandre, César, <strong>Louis</strong> XIV, Napoléon et<br />
tant d’autres, <strong>de</strong>s choses que nous racontions déjà ailleurs.<br />
Sa réponse fut assez confuse ; nous la retransmettons cependant telle<br />
qu’elle nous l’envoya.<br />
« Mille pardons pour le côté un peu obscur <strong>de</strong> mes paroles hier. Hélas, j’ai<br />
appris à me cacher un peu.<br />
« Je suis allée voir votre site. Je vais passer l’adresse à <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> mes amies. Je<br />
pense qu’elles vous écriront.<br />
« Allons-y pour les explications !<br />
« Vous êtes animiste donc vous croyez aux réincarnations, non ? Je n’ai pas<br />
trouvé <strong>de</strong> documents cachés sur les Terres, hélas ! Je n’ai que l’éveil <strong>de</strong> ce que<br />
j’appelle ma mémoire ancienne pour dire. C’est bien peu pour les mala<strong>de</strong>s du<br />
“C’est moi qui sais !” ou “J’ai tout trouvé !”, n’est ce pas ? Les cartésiens<br />
veulent <strong>de</strong>s preuves et je n’en ai pas, j’ai <strong>de</strong>s recoupements avec d’autres<br />
comme moi, ce qui n’est déjà pas mal.<br />
« C’est en cherchant comme vous <strong>de</strong>s réponses à mes questions sur les<br />
Terres qu’alors je ne connaissais que sous le nom d’Atlanti<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s questions<br />
sans véritable raison si ce n’est comprendre, apprendre et une curiosité qui me<br />
poussait dans cette direction que j’ai trouvé, et sur minitel à l’époque, d’autres<br />
personnes comme moi.<br />
« En échangeant, je sentais <strong>de</strong>s images qui se montraient à mes yeux, je suis<br />
médium (j’ai oublié mais ça ai<strong>de</strong>, cette faculté là, je pense, à être plus sensitive).<br />
« Nous avons joué à tester si l’autre <strong>de</strong>rrière son propre clavier ne copiait<br />
pas ce qui le premier disait mais non, nous pouvions reconstituer <strong>de</strong>s scènes,<br />
les premières, celle <strong>de</strong> la fin d’un mon<strong>de</strong> pour ses habitants, puis d’autres plus<br />
anciennes.<br />
« Ce que je sais <strong>de</strong>s Terres, je l’ai retrouvé ainsi, par moi-même et quand<br />
c’est possible en écho avec la petite ban<strong>de</strong> qui est comme moi. À la fin <strong>de</strong>s<br />
Terres, il ne restait que trois ou quatre îles dont une principale, bien cachée à la<br />
vue <strong>de</strong> la planète, bien protégée parce qu’ayant trop <strong>de</strong> savoir. Ce savoir ne<br />
vient pas <strong>de</strong> la Terre, il a été apporté, nous en sommes encore à la théorie. Moi,<br />
je penche (ouf ! plus seule) vers un apport ET ; la caste supérieure <strong>de</strong> ce peuple<br />
55
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
était le reste d’un mélange ET / terriens et tout avait été fait pour gar<strong>de</strong>r cette<br />
pureté <strong>de</strong> race.<br />
« Je vous l’ai dit, je n’ai pas lu Cayce, ni qui que ce soit, et je le ferai encore<br />
moins pour ne pas être influencée dans mes souvenirs, ne pas me torturer pour<br />
savoir si je ressors ce que j’ai lu ou ce que j’ai vu.<br />
« J’ai entendu parler <strong>de</strong> la “loi <strong>de</strong> UN” ; c’est le principe du fonctionnement<br />
<strong>de</strong> la société aki dans son entier, je la rapproche du peu que je sais <strong>de</strong> la société<br />
asiatique, l’individu en lui-même n’est qu’une partie du tout, et tout ce qu’il fait<br />
est fait au service <strong>de</strong> l’ensemble. Notre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie, notre éducation, notre<br />
morale étaient tournés vers cela : être tout en un, développer toutes ses<br />
facultés, psychiques incluses bien entendu. Ça allait jusqu’à être capable <strong>de</strong> ne<br />
pas avoir besoin <strong>de</strong> respirer sous l’eau ; un jeune Aki apprend à être l’eau, l’air,<br />
le feu, la pierre aussi ! Ça semble fou mais j’ai revécu ces expériences.<br />
« Pour comprendre la société Aki, il faut parvenir à changer <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
pensée, sortir du mo<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntal ; même pour moi ce n’est pas toujours<br />
évi<strong>de</strong>nt et pour d’aucuns nous sommes <strong>de</strong>s monstres impitoyables, mais j’ai<br />
appris à nous lire différemment.<br />
« Notre technologie était réelle. Le cristal, qui pour moi répond à la<br />
consonance “i”. est l’énergie <strong>de</strong> nos mon<strong>de</strong>s. Nous cherchions désespérément<br />
à nous relier à un mon<strong>de</strong> extérieur à la Terre. Reviennent sans cesse dans mon<br />
souvenir les mon<strong>de</strong>s, “se relier aux mon<strong>de</strong>s”, comme <strong>de</strong>s exilés qui ont perdu<br />
le bateau du retour.<br />
« Je ne sais pas qu’elle est votre capacité à recevoir <strong>de</strong> longs mails donc je<br />
ne vais pas aller plus loin pour l’instant.<br />
« J’ai une amie qui retrouve les souvenirs en VA (Voyage Astral) et une<br />
autre qui travaille sur une porte <strong>de</strong>s étoiles ; les <strong>de</strong>ux me rejoignent dans cette<br />
idée : besoin <strong>de</strong> se reconnecter à un mon<strong>de</strong> d’ailleurs. Si vous avez <strong>de</strong>s<br />
questions, allez-y, bombar<strong>de</strong>z, je ne sais pas vivre sans question donc je peux<br />
comprendre et répondre du mieux possible. J’ai pu refaire doucement le<br />
chemin <strong>de</strong> vie d’une Jeune Aki à travers <strong>de</strong>s souvenirs qui semblaient très<br />
personnels ; j’ai re<strong>de</strong>ssiné la société dans laquelle j’évoluais…<br />
« Un clin d’œil gentil sur Napoléon : il semble à un souvenir <strong>de</strong> vie<br />
antérieure que j’ai été lingère (?), en tout cas dans l’intendance qui suivait les<br />
56
Le noir et le blanc<br />
troupes sur les champs <strong>de</strong> bataille d’Italie. Je reproche à Napoléon d’avoir<br />
oublié ses très belles idées pour ne plus penser qu’à sa propre gran<strong>de</strong>ur,<br />
comme <strong>Louis</strong> XIV, comme tant d’autres, mais hélas c’est humain, n’est-ce pas ?<br />
Il doit être difficile <strong>de</strong> résister à tant <strong>de</strong> possibilités ; si peu l’ont su ! Alors je ne<br />
leur jette pas la pierre, chacun à son échelle a ses erreurs à corriger.<br />
« Pour les traces physiques <strong>de</strong>s Terres, dans l’équipe, et c’est amusant ça<br />
semble être dévolu aux Hommes, il y a les chercheurs <strong>de</strong> terrain. Si vous<br />
cherchez d’autres voyages, les menhirs sont pour moi <strong>de</strong>s portes spatiotemporelles<br />
que l’on sent encore. Combien y en a-t-il ? Où sont-elles ?<br />
Comment relier les sites qui semblent être <strong>de</strong>s souvenirs <strong>de</strong>s Aki ? Je pense<br />
qu’en les reliant sur une carte, on arrive, en éliminant les mauvais, à re<strong>de</strong>ssiner<br />
quelque chose. Les signes doivent être sous notre nez (comme les<br />
constellations, signes sous le nez du jeune homme <strong>de</strong> Stargate).<br />
« Pour ma propre personne, en résumé, dans cette vie, j’arrive à 45 ans et<br />
cet âge me plaît ; c’est une charnière, je la sens ! J’ai <strong>de</strong>ux filles <strong>de</strong> 8 et 3 ans<br />
bientôt toutes <strong>de</strong>ux et je m’en occupe à la maison. Un problème <strong>de</strong> santé<br />
m’empêche <strong>de</strong> toute façon d’envisager une activité extérieure. Je passe<br />
beaucoup <strong>de</strong> temps à taper sur mon clavier pour échanger, vous vous en<br />
doutez. On peut me tutoyer, je ne me suis pas permis <strong>de</strong> le faire <strong>de</strong> moi-même.<br />
« Si vous avez une photo sur laquelle vos yeux sont bien visibles, et si vous<br />
voulez bien, passez-la-moi. Je lis dans les yeux certaines traces <strong>de</strong> vies<br />
antérieures et j’y repère les anciens Aki (sourire). Une amie dit que je fais <strong>de</strong>s<br />
lectures <strong>de</strong> vie. Je n’en dirais pas tant (rire) !<br />
« À bientôt avec plaisir si vous avez envie <strong>de</strong> continuer.<br />
« Amitiés!<br />
« N’shaopaa (c’est le son d’un salut aki qui souhaite que la journée soit<br />
heureuse. On peut traduire ça comme ça.) »<br />
Nous aurions pu après cela nous douter <strong>de</strong> la grosse supercherie avec<br />
Stargate. La planète Terre, arboretum humain ? Va savoir, Fidèle ! Après tout,<br />
qui peut situer la limite entre Imaginaire et Réalité ? Nous, nous ne le pouvions<br />
pas encore, peut-être même ne le voulions-nous pas.<br />
Nous perçûmes Maïnéa comme une femme effectivement mala<strong>de</strong> et<br />
57
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
cloîtrée qui ne trouvait, comme nous, d’intérêt à exister que dans l’Imaginaire,<br />
plus précisément dans une vie rêvée. Seulement étions-nous déjà trop impliqué<br />
dans cette aventure pour ne pas continuer notre correspondance qui résonnait<br />
en nous comme un : « Et si, après tout… »<br />
« J’aime beaucoup la lecture, surtout lorsque le sujet m’interpelle autant. Je<br />
suis avi<strong>de</strong> d’informations, d’histoires, <strong>de</strong> découvertes… Mon but est tout <strong>de</strong><br />
même <strong>de</strong> m’y rendre et tout ce que vous pourrez m’écrire me sera très utile.<br />
N’hésitez donc pas !<br />
« De mon côté, je suis un élève attentif et je fais ce que l’on me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />
Je vous joins donc, une photo <strong>de</strong> mes yeux. Très honnêtement, je doute être un<br />
Aki, ou l’avoir été dans un cycle précè<strong>de</strong>nt.<br />
« En effet, étant animiste, je crois à la réincarnation <strong>de</strong>s essences mortelles<br />
qui forment la Rivière <strong>de</strong> la Vie. J’ai quelque peu l’esprit cartésien dans le sens<br />
où je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> toujours : “Comment savez-vous cela ?” Après, que l’on me<br />
fournisse <strong>de</strong>s raisonnements physiques, <strong>de</strong>s expériences ésotériques, ou <strong>de</strong>s<br />
retours dans le passé pour preuves, cela ne me pose aucun problème, tel que je<br />
le signale sur mon site d’ailleurs.<br />
« Ce que vous avez écrit à propos <strong>de</strong>s trois ou quatre îles <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s<br />
Terres m’intéresse particulièrement. Ont-elles survécu au cataclysme<br />
provoqué ? Qu’enten<strong>de</strong>z-vous par : “à travers <strong>de</strong>s souvenirs qui semblaient très<br />
personnels, j’ai re<strong>de</strong>ssiné la société dans laquelle j’évoluais…” ? Parlez-vous <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ssins sur papiers ou <strong>de</strong> visualisations mentales ?<br />
« En ce moment, je suis en pleine conversation théologique écrite avec un<br />
père-missionnaire catholique <strong>de</strong>s Missions Étrangères <strong>de</strong> Paris et,<br />
naturellement, il me soutient que la Vie est fondamentalement un don <strong>de</strong> Dieu.<br />
Si par Dieu il entend puissance supérieure, alors en effet je le crois également.<br />
« Je vénère la Nature sans pour autant me créer <strong>de</strong>s dieux mais je pense en<br />
effet qu’il serait fort probable que l’Homme ait été aidé dans son évolution<br />
alors qu’il était encore bien jeune (ramapithèque, peut-être australopithèque).<br />
J’ai étudié l’Histoire, lu quelques textes mais n’ai jamais trouvé dans ceux-ci<br />
comment l’Homme était passé du sta<strong>de</strong> primaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendant du singe à<br />
celui d’être spirituel avec <strong>de</strong>s croyances et <strong>de</strong>s religions, à celui <strong>de</strong> bâtisseur. Où<br />
58
Le noir et le blanc<br />
a-t-il été chercher cette technologie ? Certainement pas au fond <strong>de</strong> son esprit,<br />
car bien qu’intelligent, il n’était il y quelques millions d’années qu’un être<br />
instinctif et moyennement futé. Je crois profondément qu’il a été… enseigné.<br />
Par quoi ou qui, je ne saurais le dire !<br />
« Cette théorie, je la forge dans mon esprit <strong>de</strong>puis longtemps. Je l’ai<br />
retrouvée à mon grand étonnement par la suite en partie dans La Saga <strong>de</strong>s<br />
Exilés <strong>de</strong> Julian May qui, pour cette raison, est <strong>de</strong>venue pour moi une<br />
référence. Je me pose <strong>de</strong>s questions. Quelles ont été ses recherches pour écrire<br />
un tel roman ? Visiblement, je n’étais pas le seul à penser <strong>de</strong> la sorte.<br />
« Dans vos propos, vous citez <strong>de</strong>s exilés, leur vaisseau, leur mon<strong>de</strong> lointain.<br />
Je ne sais que penser…<br />
« Ne le prenez surtout pas mal mais j’ai également appris à me méfier sur<br />
l’Internet. Mes recherches sont sincères et ma Quête tout ce qui a <strong>de</strong><br />
l’importance pour moi ; je prends ce que l’on m’écrit très au sérieux et je<br />
n’aimerais pas me retrouver au milieu d’un champ <strong>de</strong> désillusions du fait <strong>de</strong> ma<br />
crédulité. S’il vous plaît, dites-m’en plus sur tout ceci.<br />
« Vous parlez également <strong>de</strong>s menhirs. Je suis à moitié Breton, bien que<br />
n’ayant jamais passé plus <strong>de</strong> quelques semaines en Armorique dans ma tendre<br />
enfance. Les menhirs sont une curiosité pour le mon<strong>de</strong> scientifique autant que<br />
pour les chercheurs <strong>de</strong> l’incroyable. Il en va <strong>de</strong> même pour les <strong>de</strong>ssins aztèques<br />
(ou mayas je ne sais plus) en Amérique du Sud, les statues <strong>de</strong> l’île <strong>de</strong> Pâques et<br />
d’autres mystères dans ce mon<strong>de</strong>. Je voudrais partir à leur découverte, c’est<br />
mon désir le plus cher en ce moment car cela irait dans le sens <strong>de</strong> ma Quête et<br />
c’est tout ce dont j’ai besoin. Mais comment ? Je ne suis ni riche ni<br />
suffisamment savant pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s subventions, ni même d’ailleurs pour<br />
entreprendre <strong>de</strong>s recherches poussées et établir <strong>de</strong>s théories crédibles. Ce en<br />
quoi j’excelle, je ne l’ai pas encore trouvé… Voyez-vous, si l’on me <strong>de</strong>mandait<br />
d’aller sur le terrain avec un GPS, établir une carte <strong>de</strong>s menhirs originels et si<br />
l’on m’en donnait les moyens, je serais le premier à partir, le travail à fournir<br />
fusse-t-il long, pénible ou encore dangereux.<br />
« J’ai l’âme d’un chercheur, le cœur d’un explorateur mais hélas l’esprit d’un<br />
rêveur, non celui d’un savant qui peut concrétiser ses théories. C’est pour cela<br />
que je recherche un commanditaire, pour profiter <strong>de</strong> son Savoir et <strong>de</strong> son<br />
expérience, afin <strong>de</strong> tailler la mienne dans un roc soli<strong>de</strong> et durable. »<br />
59
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Ou comment <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un emploi <strong>de</strong> la plus innocente <strong>de</strong>s façons !<br />
Nous considérons la sincérité comme l’acte suprême qui mène vers<br />
l’évolution. Nous pouvons vivre dans l’illusion mais nous ne pouvons la<br />
cacher. Passer pour un abruti naïf n’est alors qu’une épreuve <strong>de</strong> plus sur cette<br />
voie et cela ne nous dérange pas.<br />
« Dans le désordre. J’ai recadré votre regard au plus près mais pas à la<br />
première vision, j’avoue. Quand j’ai ouvert le fichier, j’ai instinctivement vite<br />
refermé et il m’a fallu une sorte <strong>de</strong> courage pour rouvrir. Je l’ai envoyé (j’espère<br />
que vous ne m’en voudrez pas) d’office avant <strong>de</strong> rouvrir à Jane et Irène, les<br />
<strong>de</strong>ux amies avec qui je partage le plus sur les Terres ; nous y étions proches<br />
déjà. Je voulais une confirmation <strong>de</strong> mon ressenti avant. Une forme <strong>de</strong><br />
vérification.<br />
« J’ai eu la réponse d’Irène : “Wouuhh, quel regard !”<br />
« J’attends celle <strong>de</strong> Jane. Je vous passerai ce qu’elle en dit, promis. Et puis<br />
j’ai rouvert le fichier quand j’ai été tranquille ; les jours fériés en France sont<br />
propices à visites et il y avait un peu trop <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> ici. J’ai zoomé, recadré,<br />
resserré, fait cache autour avec mes mains, votre regard semblait dire : “Voyons<br />
si on me reconnaît !”. J’ai tapé ce qui suit à Irène et Jane comme je le fais<br />
quand je lis un regard (tous ne me parlent pas) comme en automatique, ce que<br />
voyaient mes yeux. Je vous vois une incarnation aki et ça ne m’étonne guère ;<br />
rien n’est sur notre chemin par hasard, non ? Moi j’y crois <strong>de</strong> plus en plus<br />
<strong>de</strong>puis un an que tout s’est emballé autour <strong>de</strong> moi et <strong>de</strong>s Terres disparues.<br />
Voici donc brut ce qui est sorti :<br />
« “Un grand prêtre et aussi <strong>de</strong> la magie noire, la force noire, <strong>de</strong>s sacrifices<br />
humains, un astrologue. J’ai revu la place <strong>de</strong>s grands bâtiments d’étu<strong>de</strong>s après<br />
le tronc général <strong>de</strong>s Shaani. Un jeune homme là encore, une tenue longue<br />
genre longue tunique évasée en bas. Il porte quelque chose sous le bras format<br />
un grand cahier. Il avance à grands pas… Je le croise (moi-Maï) et on se<br />
connaît, il fait partie <strong>de</strong> la caste <strong>de</strong>s futurs initiés. Il sent déjà le souffre comme<br />
on dit. Il est futur grand prêtre ou du moins dans ce collège-là, futur maître au<br />
60
Le noir et le blanc<br />
pouvoir. Je le verrai au conseil, j’en suis sûre. Un froid, un cynique presque<br />
dirait-on, pas <strong>de</strong> matière technique dans son domaine, le spirituel, le psychique,<br />
collège espion comme Altayan’ mais à l’intérieur.”<br />
« Voici les quelques explications nécessaires car ce texte était <strong>de</strong>stiné à<br />
celles qui comprenaient au départ.<br />
« Dans mes souvenirs <strong>de</strong> cette vie antérieure sur les Terres, j’ai retrouvé un<br />
cycle d’étu<strong>de</strong>s propres aux filles <strong>de</strong> la caste supérieure, une sorte <strong>de</strong> pensionnat<br />
avec un tronc commun d’étu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> formations. On appelait ces filles <strong>de</strong>s<br />
Shaani, les Shaani aki, les filles <strong>de</strong> la Terre Aki. Après ce tronc commun, celles<br />
qui étaient considérées comme aptes avaient un choix d’étu<strong>de</strong>s et les étu<strong>de</strong>s se<br />
poursuivaient entre autres dans <strong>de</strong>s bâtiments réunis sur une place ; dans mon<br />
souvenir, je n’ai encore retrouvé que cette place-là cernée <strong>de</strong> bâtiments très<br />
hauts. C’est dans un bâtiment <strong>de</strong> cette place que j’ai revu l’image <strong>de</strong> ce jeune<br />
homme. Je m’appelais Maï (ça sonne comme ça), et quand je parle <strong>de</strong> moi<br />
souvent je fais la distinction moi-Mo et moi-Maï selon la vie dont je parle.<br />
« La caste <strong>de</strong>s futurs initiés, je sens ce que c’est mais j’ai du mal à décrire. Il<br />
faut vous souvenir que ma mémoire ancienne, comme je l’appelle, est comme<br />
celle d’un amnésique qui retrouve la mémoire… Ce n’est pas toujours net mais<br />
je sais (intuitivement toujours pour moi c’est évi<strong>de</strong>nt) qu’il y a un collège<br />
d’initiés. Sur les Terres, les forces psychiques étaient étudiées et utilisées mais à<br />
différents niveaux comme on retrouve maintenant différents niveaux<br />
d’initiations dans les sciences occultes d’ailleurs. Je sais <strong>de</strong> ce jeune homme,<br />
sûrement par un aspect <strong>de</strong> sa tenue (les tenues étaient un signe d’appartenance<br />
à un collège), qu’il est entré dans ce collège et qu’il y étudie ; je le vois plus tard<br />
participant au Conseil.<br />
« Le Conseil <strong>de</strong> l’île est un peu le conseil <strong>de</strong>s ministres en gros. Chaque<br />
spécialité professionnelle nécessaire au fonctionnement <strong>de</strong>s Terres y est<br />
représentée par une personne et on y transmet les infos, fait les rapports et<br />
prend les décisions importantes. Faire partie du conseil implique que l’on a<br />
atteint un certain statut et que l’on a une naissance qui le permet. Cette caste<br />
peut être assimilée à la noblesse. Je crois que je vous l’ai dit mais il faut vous<br />
souvenir que ma mémoire actuelle a <strong>de</strong>s problèmes liés à un problème <strong>de</strong> santé<br />
(comme si pour que l’autre se souvienne, il avait fallu que la présente<br />
61
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
fonctionne mal soudain ! Amen !) Je me répèterai donc sûrement souvent !!<br />
« Je suis désolée pour le froid et le cynique mais c’est l’image que j’ai en<br />
face <strong>de</strong> moi-Maï et mon ressenti d’alors aussi ; celui que je vois est quelqu’un<br />
que l’on craint.<br />
« Le collège <strong>de</strong>s espions dont fait partie Altayan’. Altayan’ est le prénom<br />
d’alors d’un <strong>de</strong> ceux avec qui je cherche. Il a une mémoire ancienne aussi<br />
bonne que la mienne si ce n’est plus. Il en parle peu parce qu’il est encore au<br />
sta<strong>de</strong> où il doute beaucoup <strong>de</strong> ce qui lui remonte à l’esprit. Moi, j’ai passé ce<br />
cap <strong>de</strong> toute façon, je me suis fait une raison (sourire). Il était espion pour les<br />
Terres, il le dit lui-même. Celui que je vois à travers vous a aussi cette mission<br />
<strong>de</strong> surveiller, épier – mais sur les Terres au sein <strong>de</strong> la caste haute. Comme pour<br />
Altayan’, je vois le collège <strong>de</strong>s initiés, <strong>de</strong>s prêtres. Pour éviter les révoltes, il faut<br />
savoir les étouffer dans l’œuf, non ? Donc espionnons !<br />
« Pour revenir à vos doutes, ils sont normaux, mais j’ai le choix face à<br />
quelqu’un comme vous qui se questionne : ou je tourne autour du pot façon<br />
les énervants <strong>de</strong>s forums dont on ne sait jamais s’ils ont quelque chose à dire<br />
ou pas, ou j’y vais franchement et on peut se dire que j’invente…<br />
« On m’a passé par mail il y a très peu <strong>de</strong> temps <strong>de</strong>s extraits d’un livre<br />
d’une dame Pallacio. Je ne sais si vous connaissez. J’ai commencé à lire, je suis<br />
passée à la diagonale et me suis arrêtée ; ça m’énervait. Je dirais qu’elle invente<br />
ce qui est écrit ! J’ai vu Stargate il y a une semaine, donc le souvenir est frais<br />
(sourire), pour une amie (Irène) qui essaie <strong>de</strong> créer une porte <strong>de</strong>s étoiles et qui<br />
a commencé bien avant <strong>de</strong> voir le film d’ailleurs. Je voulais comprendre mieux<br />
sa démarche.<br />
« Je ne connais pas le livre sur les exilés. Quand je parle d’exilés, je parle <strong>de</strong><br />
ceux qui ont survécu à la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> leur patrie et qui sont partis sur les<br />
routes <strong>de</strong> l’exil tout simplement.<br />
« Je n’ai pas lu Cayce et comme Pallacio le peu que j’en ai lu ne m’a pas<br />
plus. Je ne reconnais pas sa Poséida comme ville ; au mieux il me semble que<br />
Ponéïta sonne plus juste. Je pense que même s’il a vu quelque chose, il a été<br />
influencé par plein <strong>de</strong> choses. Il décrit paraît-il les Terres comme un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
débauche ! Ce n’est pas ce que j’en vois. À chaque fois qu’on a réussi à me<br />
convaincre <strong>de</strong> lire un livre, j’ai dépensé <strong>de</strong>s sous pour rien ! Ils donnent au bout<br />
<strong>de</strong> peu <strong>de</strong> pages <strong>de</strong>s affirmations qui veulent se démontrer mais qui tournent<br />
62
Le noir et le blanc<br />
en rond, <strong>de</strong>s hypothèses sans rien pour les faire tenir <strong>de</strong>bout. Ça m’énerve<br />
parce que ça fait passer les Terres pour un mythe pour farfelu, et pour moi<br />
c’est tout sauf un mythe pour farfelu !<br />
« Voir s’éveiller la mémoire d’une autre vie, c’est ressentir aussi ce qui a fait<br />
sa personne dans cette autre vie. Je sens le manque d’une patrie disparue, et<br />
pourtant je suis née ici et ça commence à dater (sourire).<br />
« Je disais “à travers <strong>de</strong>s souvenirs très personnels”, voici pourquoi : il a été<br />
tenté un groupe <strong>de</strong> travail sur les Terres mis en place par quelqu’un <strong>de</strong> très<br />
gentil mais <strong>de</strong> foutument cartésien !! Un forum privé en quelque sorte. Pour<br />
ai<strong>de</strong>r tout le mon<strong>de</strong> et sur leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, j’ai essayé <strong>de</strong> résumer ce que je savais<br />
<strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> moi-Maï, et j’ai eu droit à une <strong>de</strong>scente en flamme me disant que je<br />
faisais un roman à l’eau <strong>de</strong> rose, alors que j’avais essayé simplement <strong>de</strong> situer<br />
cette jeune femme dans sa vie qui permettait grâce aux repères <strong>de</strong> mieux<br />
comprendre la société aki.<br />
« Ça refroidit !<br />
« Donc maintenant, je précise que c’est à travers le souvenir d’abord <strong>de</strong> ma<br />
propre vie que j’ai pu voir se <strong>de</strong>ssiner la vie, la société et tout ce que je sais <strong>de</strong>s<br />
Terres. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement ?<br />
« Si ! Il y a Jane qui elle se promène dans l’astral aisément, elle y remontre<br />
<strong>de</strong>s choses qu’elle voit en spectatrice. Moi je ne fais pas, je suis médium ; les<br />
médiums sont pru<strong>de</strong>nts sur l’autre mon<strong>de</strong> et les rencontres que l’on y fait. Du<br />
moins moi j’ai appris à être méfiante donc le voyage astral, très peu pour moi !<br />
Mais bon, à nous <strong>de</strong>ux, Jane et moi, ça fait un bon boulot.<br />
« Je vais vous passer <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins <strong>de</strong> Jane. Vous me direz s’ils vous parlent<br />
ou du moins s’ils tirent sur une cor<strong>de</strong> quelque part en vous…<br />
« Je crains <strong>de</strong> n’avoir pas beaucoup répondu à vos questions mais il ne faut<br />
pas hésiter à me les redonner. Je suis consciente que ce qui est pour moi<br />
évi<strong>de</strong>nt ne peut l’être pour autrui mais le problème est que tout est si évi<strong>de</strong>nt<br />
pour moi… Je n’ai pas <strong>de</strong> doute sur les Terres, ou plutôt plus <strong>de</strong> doute, ma<br />
question est pourquoi ? Pourquoi cette vie-là qui est remontée ainsi ? Pourquoi<br />
et dans quel but ? Je vous ai dit que je ne crois pas à un simple hasard, que cela<br />
n’est pas pour rien mais pourquoi ? J’ai entendu une théorie mais elle n’est pas<br />
encore mienne, moi aussi je suis ouverte mais méfiante. Il me semble et<br />
63
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
d’autres aussi que nous sommes guidés, manipulés dans une direction,<br />
entraînés sans savoir où.<br />
« Il m’arrive d’avoir une furieuse envie <strong>de</strong> freiner <strong>de</strong>s quatre fers et <strong>de</strong><br />
mettre cette vie ancienne au placard mais elle revient par la fenêtre quand je la<br />
chasse par la porte alors quand j’en ai marre, je ferme la porte et je me repose<br />
un peu… et après ça repart et étonnamment (tant que ça ?), les autres<br />
concernés le font aussi au même moment et sans concertation et tous<br />
reviennent dans un court laps <strong>de</strong> temps dès que ça repart.<br />
« Pas avec ça que vous allez résoudre l’énigme, hein ?? Un autre problème<br />
est comment abor<strong>de</strong>r les Terres pour quelqu’un qui comme vous est prêt à<br />
entendre mais qui attend quoi ?<br />
« J’allais oublier : les trois îles étaient proches, je pense qu’elles ont toutes<br />
trois disparues, peut-être les Iles Canaries sont-elles les restes émergées <strong>de</strong><br />
l’une d’entre elles ; ça pourrait être plausible géographiquement pour moi, je ne<br />
sens pas l’hypothèse hyperboréenne du tout ! Mais il faudra qu’un jour je<br />
parvienne à y aller aux Canaries. Pour l’île <strong>de</strong> Pâques, les géants ne me parlent<br />
pas, ils ont pu être créés en souvenir lointain <strong>de</strong> quelque chose mais pas par<br />
<strong>de</strong>s survivants pour moi.<br />
« Jane qui est optimiste dit que quand il le faudra, nous trouverons les<br />
crédits pour continuer nos recherches. En attendant, quelques-uns ont plus <strong>de</strong><br />
moyens financiers et peuvent se déplacer sur le terrain ; le sud marocain est<br />
visé d’ailleurs…<br />
« Mais moi je fais partie <strong>de</strong> ceux qui restent sur place et cherchent entre<br />
autres sur le net les autres, les manquants. Voilà pourquoi j’avais répondu à<br />
votre mail. Parfois <strong>de</strong>rrière quelqu’un qui cherche, il se cache quelqu’un qui en<br />
a fait partie, alors on y va et on se dit que <strong>de</strong> toute façon ceux qui doivent<br />
réapparaître réapparaîtront, pas <strong>de</strong> hasard toujours (sourire). J’espère parvenir à<br />
remettre un nom sur ces yeux. Je pense qu’il est dans ma mémoire, je les sens<br />
en général et là ça titille mais ça prend son temps. Si je retrouve, je vous le<br />
passerai aussi !<br />
« À bientôt !!<br />
« N’shaopaa !! »<br />
64
Le noir et le blanc<br />
Quelle histoire ! Comment ne pas vouloir y croire ! Après Stargate, la voilà<br />
qui nous parlait <strong>de</strong>s Shaani, ces filles dont le nom ressemblait étrangement à<br />
celui <strong>de</strong> Sean Young dans Dune, Chani ! Maïnéa n’était-elle qu’une vulgaire<br />
cinéphile sans scrupule ou était-elle victime <strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nces ? Nous décidâmes<br />
<strong>de</strong> nous plonger à esprit perdu dans ce conte <strong>de</strong> fées qui nous tombait <strong>de</strong>ssus.<br />
Et si c’était vrai ? Cette femme après tout sut nous décrire en ne voyant que<br />
notre regard ; tout collait parfaitement ! Essayions-nous <strong>de</strong> nous convaincre ou<br />
paraissions-nous réellement ainsi, cynique et froid ?<br />
Lorsque nous lûmes son sentiment vis-à-vis <strong>de</strong> notre regard, nous nous<br />
retrouvâmes <strong>de</strong>vant Le Horla <strong>de</strong> Maupassant. 1 Notre cœur fit un bon<br />
inexplicable – trop explicable au contraire. Nous étions cet être décrit,<br />
abominable ! Nous étions perdu.<br />
« Aujourd’hui, je suis allé à Chong Mek, un ban (village) sur la frontière<br />
avec le Laos afin <strong>de</strong> renouveler mon visa pour un mois. Durant le trajet, trois<br />
ou quatre heures <strong>de</strong> bus avec changements et arrêts fréquents, j’ai beaucoup<br />
pensé à ce que vous m’avez écrit. J’ai été troublé et cela m’arrive fort peu<br />
souvent. Tout d’abord, ce n’est pas dans l’ordre non plus mais tant pis, ce que<br />
j’ai eu le plus <strong>de</strong> mal à accepter est que vous ayez percé un trait <strong>de</strong> ma<br />
personnalité que je ne montre pas, que j’essaye <strong>de</strong> refouler, qui ne me sert que<br />
dans <strong>de</strong>s situations bien précises. C’est la secon<strong>de</strong> fois, la première ayant été<br />
lorsque je me suis engagé dans l’armée et que l’on m’a fait passer <strong>de</strong>s tests<br />
psychotechniques. Je suis froid même si je fais <strong>de</strong>s efforts car je combats cet<br />
état. Je peux être cynique également, surtout lorsque je parle <strong>de</strong>s humains. Ces<br />
<strong>de</strong>ux traits, je ne sais pas si c’est un don ou une malédiction. Je ne sais pas si je<br />
suis mauvais ou bon. Je ne sais pas si ça me plaît d’être mauvais ou bon. Je ne<br />
sais pas enfin pourquoi je me pose ces questions… C’est tellement con<br />
d’ailleurs, n’est-ce pas ? On est soit bon, soit mauvais ! On ne peut pas être les<br />
<strong>de</strong>ux, on ne peut pas se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r lequel on préfère être, si ? C’est comme si<br />
<strong>de</strong>ux personnages se battaient en moi… Ai-je évolué au point <strong>de</strong> me rendre<br />
1 . « Il est venu, le… le… comment se nomme-t-il… le… il me semble qu’il me crie son nom, et je<br />
ne l’entends pas… le… oui… il le crie… J’écoute… je ne peux pas… répète… le… Horla… J’ai<br />
entendu… le Horla… c’est lui… le Horla… il est venu ! … » Guy <strong>de</strong> Maupassant, Le Horla, 1887.<br />
65
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
compte que dans un cycle antérieur j’étais mauvais ?<br />
« D’ailleurs, ce personnage dont vous me parlez était-il mauvais… ? Étais-je<br />
mauvais ? Voyez-vous, je ne sais pas si lorsque l’on m’accole “magie noire”, je<br />
dois m’inquiéter ou me réjouir ! Je me dis : “Quel grand pouvoir je<br />
possé<strong>de</strong>rais !” et en même temps : “Que <strong>de</strong> mal je pourrais faire !” et puis<br />
finalement : “Oui, mais je suis assez fort pour user <strong>de</strong> ce pouvoir, faire le bien<br />
et poursuivre ma Quête.”<br />
« Et maintenant je commence <strong>de</strong> comprendre pourquoi je n’arrive jamais à<br />
prendre <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s décisions, pourquoi je ne peux m’engager dans telle ou telle<br />
voie. Si je vais là, que manquerai-je là-bas ? Et comme plus haut j’en reviens<br />
toujours au même point : “Je vais là, j’irai là-bas ensuite !” Ce n’est pas un<br />
choix ça ! C’est profiter <strong>de</strong> tout ce qui s’offre à moi pour une seule chose :<br />
cette Quête qui m’attire ! Mais quelle sera la finalité, qui peut le dire ? Suis-je<br />
voué à créer du beau et du bon, ou au contraire du beau et du mauvais ? Non,<br />
tout cela ne m’est décidément pas simple. De toute manière, il me faut<br />
continuer, quelle que soit cette finalité !<br />
« Comme vous le voyez, je me pose beaucoup <strong>de</strong> questions auxquelles je ne<br />
peux apporter <strong>de</strong> réponse précise. Vous parlez également <strong>de</strong> mémoire. J’en ai<br />
peu. Mes souvenirs remontent tout au plus lorsque j’avais 9 ans, et encore ils<br />
sont flous.<br />
« Parfois suis-je même obligé <strong>de</strong> quasiment méditer pour savoir à quand<br />
remonte un fait précis pour m’apercevoir que c’était il y a <strong>de</strong>ux jours ! Pour<br />
moi, un jour ou dix ans avant, c’est le Passé. Je ne suis pas non plus capable <strong>de</strong><br />
me souvenir <strong>de</strong> ce que je lis dans le détail et je suis obligé <strong>de</strong> reprendre<br />
inlassablement les mêmes textes pour m’en servir. Comment ai-je pu être le<br />
personnage que vous décrivez ? Est-il possible <strong>de</strong> se retrouver ? Comment et<br />
quels sont les risques ?<br />
« Je suis désolé, cela fait beaucoup <strong>de</strong> questions dans un même message.<br />
Permettez-m’en encore une, s’il vous plaît !<br />
« Je pense, comme je vous en ai déjà parlé peut-être que les essences, à la<br />
mort du corps qui les abrite, repartent vers les Origines, sont formatées et<br />
redistribuées. Si je pense juste, alors ma question n’a pas <strong>de</strong> sens. Que sont mes<br />
parents dans tout cela ?<br />
66
Le noir et le blanc<br />
« Je connais déjà certains <strong>de</strong>ssins <strong>de</strong> Jane, nous avons en effet communiqué<br />
il y a peu <strong>de</strong> temps. Ils ne me disent rien et je ne comprends pas les<br />
annotations. Qu’est-ce que le groupe <strong>de</strong> Carthage, une colonie ? Encore une<br />
question je suis impardonnable.<br />
« La <strong>de</strong>r <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rs cette fois-ci ! Ce serait plutôt une requête si vous me la<br />
permettez. Actuellement, je suis en Thaïlan<strong>de</strong> et j’essaye <strong>de</strong> poursuivre ma<br />
Quête mais je ne peux pas tenir un boulot stable, bien qu’en ayant essayé pas<br />
mal à seulement 21 ans. J’aimerais vraiment pouvoir concilier les <strong>de</strong>ux. C’est<br />
pourquoi j’aimerais savoir s’il serait possible d’être l’un <strong>de</strong> ceux qui travaillent<br />
sur le terrain. Le serait-il ? Peut-être l’avez-vous vu également, je suis plutôt un<br />
solitaire – en contradiction avec la “loi <strong>de</strong> UN” étrangement, qu’en pensezvous<br />
? – et je pense qu’il doit y avoir quelque chose à me confier. Je l’espère<br />
plus que je le pense en fait… »<br />
C’était un doux rêve qui ne s’éteignait pas ! Nous étions sur notre nuage,<br />
nous planions, nous extasiant <strong>de</strong>s plaisirs intenses d’une absur<strong>de</strong> euphorie. On<br />
nous aurait donné <strong>de</strong> la meringue que nous aurions imaginé nous délecter<br />
d’ambroisie ! Nous passions à cette époque et encore aujourd’hui tellement <strong>de</strong><br />
temps dans les livres que notre vision oscillait entre lignes écrites, pages <strong>de</strong> vie<br />
et images du mon<strong>de</strong> réel, à ne plus pouvoir différencier l’une <strong>de</strong> l’autre.<br />
« Tout d’abord mes excuses pour avoir mis un peu <strong>de</strong> temps à vous<br />
répondre…<br />
« Selon moi, se poser <strong>de</strong>s questions ne me paraît jamais con ! Vous pouvez<br />
y aller sur vous-même, je m’en pose tout le temps sur moi, et le mon<strong>de</strong> en<br />
général (sourire) ! Je ne saurais vivre sans question, j’aurais l’impression <strong>de</strong><br />
vivre avec <strong>de</strong>s certitu<strong>de</strong>s – donc <strong>de</strong> ne plus vivre.<br />
« Votre personnalité est ce que j’ai vu <strong>de</strong> vos incarnations passées, celle <strong>de</strong><br />
la pério<strong>de</strong> aki à ce moment-là qui me l’a montré. Il est vrai que l’on gar<strong>de</strong> pas<br />
mal certains traits <strong>de</strong> sa personnalité. Je vous avais dit que les yeux me<br />
parlaient, ce sont les miroirs <strong>de</strong> l’âme, et l’âme, ça va plus loin que celle <strong>de</strong> cette<br />
vie <strong>de</strong> toute façon ! C’est pour moi la somme <strong>de</strong> toutes !<br />
« Vous dites les humains ! Vous ne vous sentez pas tout à fait humain ? Je<br />
67
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
ne vous penserais pas présomptueux, on m’a assez souvent traitée d’ET et je<br />
me sens assez ET moi-même… donc !<br />
« Vous croyez vraiment qu’on est soit bon, soit mauvais ? Moi je ne crois<br />
pas, j’essaie d’être du bon côté mais je n’y parviens pas à tous les coups<br />
(sourire) ! Mais c’est un point <strong>de</strong> vue perso !<br />
« Que <strong>de</strong>ux personnalités se battent en vous ne m’étonne pas ; je crois aux<br />
réincarnations, donc je pense que ce que l’on a été reste en nous et qu’on<br />
l’améliore ou le corrige si on l’a choisi. Je dirais <strong>de</strong> vos doutes que vous avez<br />
choisi <strong>de</strong> changer. Mais on nous laisse si peu la mémoire <strong>de</strong> nos vies anciennes,<br />
surtout au départ…<br />
« L’amnésie, on la retrouve beaucoup chez ceux qui ne sont pas vraiment<br />
satisfait d’une incarnation passée. Comment avancer en se jugeant en<br />
permanence ? Je traverse un peu ça en retrouvant mon moi aki ; je n’aime pas<br />
certaines facettes <strong>de</strong> ma personne d’alors mais il faut bien que je les accepte<br />
puisque c’est moi ! Pas facile du tout !<br />
« J’ai une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pour vous : accepteriez-vous <strong>de</strong> me transmettre votre<br />
lieu, heure et date <strong>de</strong> naissance ? Irène souhaiterait faire votre ciel <strong>de</strong> naissance.<br />
Elle a fait le mien et a retrouvé sans les connaître <strong>de</strong>s vies antérieures… Elle<br />
m’épate pour ça, j’avoue !<br />
« Je pensais aussi à votre désir d’aller chercher sur le terrain. Avez-vous<br />
songé à continuer dans l’humanitaire, ce que vous faites en ce moment ? Un<br />
bon moyen d’aller là où il peut rester <strong>de</strong>s traces tout en subsistant et en<br />
s’enrichissant ! Et vous avez l’avantage d’avoir une expérience.<br />
« Du groupe dans lequel j’évolue, ceux qui partent sur le terrain le font sur<br />
leur temps <strong>de</strong> congés pour l’instant. Ce ne sont pas <strong>de</strong>s opérations bien<br />
montées bien que ce soit notre rêve. Je vous l’ai dit, le sud du Maroc renferme<br />
sûrement <strong>de</strong>s traces, le Yémen aussi et quand on pense aux Dogons, on se dit<br />
qu’au Mali il y a eu quelque chose. Il y a aussi l’Irak mais là en ce moment !<br />
Pff ! L’Égypte me semble, et pas qu’à moi, trop phare ! Je n’irais pas y mettre<br />
mes archives, et archives il y a eu ! Je sais que moi-même j’en ai préparé avant la<br />
fin donc on avait prévu <strong>de</strong> les mettre à l’abri. Rien qu’en France, du côté <strong>de</strong><br />
Glozel dans le centre, il y a eu <strong>de</strong>s passages. Il reste <strong>de</strong>s traces en Espagne<br />
aussi ; les routes <strong>de</strong> l’exo<strong>de</strong> vont loin !<br />
68
Le noir et le blanc<br />
« Avez-vous déjà approché le paranormal ? Avez-vous <strong>de</strong>s dons pour ça ?<br />
« Irène (Encore elle ? Eh oui, encore elle ! rire) vous sent une voie par là.<br />
« Comme moi, elle a la sensation en vous lisant qu’il y a une force plutôt<br />
imposante tapie en vous, comme si vous en aviez conscience d’ailleurs mais<br />
peut-être pas la clef pour l’utiliser et c’est cela qui vous ferait vous sentir si<br />
différent <strong>de</strong>s autres, ce que vous êtes <strong>de</strong> toute façon (c’est une différente qui<br />
écrit).<br />
« Au temps aki, peut-être vous l’ai-je dit, on maîtrisait ces forces que l’on<br />
appelle magie : le côté blanc et le côté noir. C’était indispensable pour nous et<br />
normal d’ailleurs. Je ne suis pas sûre que la magie noire soit si puissante. Être<br />
blanc n’est pas <strong>de</strong> tout repos, je le sais par expérience, mais on se défend bien<br />
aussi ! Même si je ne pratique pas la magie, et ne tiens surtout pas à le faire<br />
(c’est trop explosif), il y a toujours les <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong> cette force-là. J’ai en tant<br />
que médium appris que la vie terrestre ne tient vraiment qu’à un tout petit fil,<br />
si petit, quand on touche à l’autre mon<strong>de</strong> et je m’en gardais déjà ! C’est à ce<br />
moment-là que j’ai découvert qu’être blanc signifiait aussi être fort et peut-être<br />
même plus fort que l’autre côté puisque je suis toujours là pour m’en souvenir<br />
(sourire).<br />
« Mais votre Graal, c’est quoi ? Retrouver la science aki ? Devenir ce pour<br />
quoi vous avez repris corps dans cette vie ?<br />
« Je suis curieuse, je vous l’ai dit, heureusement, curieuse comme une<br />
enfant. J’aime comprendre ; rester ignorante est une forme <strong>de</strong> souffrance chez<br />
moi, je ne supporte pas ce vi<strong>de</strong>-là (sourire) !<br />
« J’ai oublié <strong>de</strong> vous dire ce que je pensais en lisant le récit <strong>de</strong> votre<br />
correspondance avec le théologien. Je ne crois pas non plus à un dieu unique,<br />
je dirais plutôt que je crois à un collège <strong>de</strong> sages que l’on appelle dieu pour<br />
aller plus vite, mais on <strong>de</strong>vrait mettre le pluriel (sourire).<br />
« En attendant <strong>de</strong> vous lire, je vous souhaite une calme et belle journée.<br />
« N’shaopaa ! »<br />
« Que dire sur mes relations avec l’humanité ? Je vis avec elle, à défaut <strong>de</strong><br />
pouvoir faire autre chose. Elle a <strong>de</strong> bons côtés : elle sait rêver, croire, espérer et<br />
possè<strong>de</strong> une gran<strong>de</strong> ingéniosité. Elle est hélas également souvent cruelle,<br />
69
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
cupi<strong>de</strong> et tellement orgueilleuse. Je ne me sens pas humain, bien qu’ayant<br />
emprunté ce corps qui m’abrite. Je ne sais pas si c’est un sentiment justifié ou<br />
seulement un désir fou. Cela fait quelques années déjà que je le sens pourtant,<br />
plus que je l’imagine.<br />
« Je ne me sens pas ET pour autant, je me sens simplement autre.<br />
« Croyez-moi, cela a perturbé mes relations avec ce mon<strong>de</strong>. Les questions<br />
que je me pose et dont je vous ai fait part ne sont pas un environnement<br />
adapté à la vie parmi les humains. De plus, comme vous l’avez remarqué, je<br />
suis parfois cynique et si souvent la détresse humaine ne me touche pas.<br />
« Vous allez trouver cela étrange <strong>de</strong> me retrouver volontaire dans une<br />
fondation qui s’occupe d’enfants sidéens, à ai<strong>de</strong>r autant que faire se peut mais<br />
c’est seulement un acte paradoxal <strong>de</strong> raison. Ceci n’est pas ma Quête et vous<br />
comprendrez donc que je ne peux continuer dans cette voix. À chaque fois que<br />
j’ai ressenti le besoin <strong>de</strong> changer, je le sais par expérience, je n’ai été heureux<br />
qu’une fois ceci fait. Plus concrètement, l’Humanitaire – un bien grand mot –<br />
n’est pas ce que l’on s’en figure en Europe, loin dans nos sociétés établies sur<br />
<strong>de</strong>s pensées anciennes. Je ne PEUX pas évoluer dans cet environnement. C’est<br />
pour cela qu’il me faut trouver absolument un boulot qui va directement dans<br />
le sens <strong>de</strong> ma Quête.<br />
« D’ailleurs, ma Quête, quelle est-elle ? Vous parlez <strong>de</strong> Graal et en effet, j’ai<br />
un désir d’Éternité. Je veux être libre d’exister dans les sphères du Temps, <strong>de</strong><br />
l’Espace et <strong>de</strong>s Ombres, formule mille fois répétées. Ma Quête est donc celle<br />
du Temps ! Pour cela en effet, chercher la science aki est un chemin, d’autant<br />
plus après ce que vous m’avez appris, puisque j’en serais un peu l’héritier. S’il<br />
m’est possible <strong>de</strong> retrouver mon savoir ancien, alors tenterai-je tout pour<br />
<strong>de</strong>venir ce pourquoi, comme vous l’écrivez, j’ai pris corps dans ce cycle – et<br />
dans les précé<strong>de</strong>nts aussi.<br />
« Je sens au fond <strong>de</strong> mon être un pouvoir qui ne m’est pas accessible.<br />
Encore une fois, je ne sais pas si c’est justifié ou simplement un désir. Disons<br />
que s’il est effectivement présent en moi, je n’ai jamais pu l’utiliser. Je ne<br />
pratique pas la magie, ni la sorcellerie. Je m’y intéresse, j’ai parcouru <strong>de</strong>s<br />
forums (sans succès), y exposant ma Quête tout comme je l’ai fait ailleurs. Je<br />
n’ai eu aucun résultat malheureusement mais c’était il y a bien longtemps.<br />
Aujourd’hui, le pouvoir qui serait en moi, je ne sais toujours pas comment le<br />
70
Le noir et le blanc<br />
réveiller. Je compte sur vous peut-être pour m’y ai<strong>de</strong>r, en plus <strong>de</strong> ce que vous<br />
avez déjà tellement fait. Je ne pense pas être amnésique, sauf peut-être pour ce<br />
qui précè<strong>de</strong>. J’ai peu <strong>de</strong> mémoire dans ce cycle seulement. Sans doute avezvous<br />
raison <strong>de</strong> préciser que ceci est lié à cela… Je ne crois pas pourtant que ce<br />
serait volontaire <strong>de</strong> ma part <strong>de</strong> vouloir oublier un cycle passé. Comme je vous<br />
l’ai écrit dans ma lettre précé<strong>de</strong>nte, ce personnage qui est / était moi, je le suis<br />
et l’accepte.<br />
« Si je réclame <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années – le plus clair <strong>de</strong> ma vie – à<br />
partir pour une expédition, c’est que j’ai le sentiment que j’en tirerai <strong>de</strong>s<br />
enseignements plus bénéfiques que <strong>de</strong> simples lectures dans ma chambre. Je<br />
veux partir ! Maintenant que vous me dites que <strong>de</strong>s travaux sont entrepris sur<br />
le terrain, je me permets <strong>de</strong> vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à nouveau si, vraiment, il ne m’est<br />
pas possible d’y prendre pleinement part. Excusez-moi d’être si direct mais<br />
vous m’en avez dit beaucoup, je ne peux rester maintenant sur ce simple<br />
constat. Il me faut continuer dans la voie aki ! Comme je l’écris sur mon siteweb,<br />
les risques ne m’impressionnent pas car je sais ma Quête protégée par une<br />
entité supérieure, passée, présente ou à venir. J’ai peur d’en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r trop, j’ai<br />
peur <strong>de</strong> m’imposer. Nous sommes parents en quelque sorte et notre but est<br />
finalement i<strong>de</strong>ntique, même si le mien est plus personnel. Nous souhaitons<br />
retrouver notre Cité, n’est-ce pas ? J’ai une proposition à vous faire mais je<br />
n’apporte hélas pas les moyens <strong>de</strong> la réaliser. Votre petit groupe ne peut-il pas<br />
<strong>de</strong>venir une Organisation occulte – dans le sens fermée – dont le seul objectif<br />
serait celui susnommé ? Je suis conscient qu’il faille pour cela un financement<br />
<strong>de</strong>rrière mais ne pourrions-nous pas le rechercher ensemble ? J’écris sur mon<br />
site-web que ma Quête passe par celle <strong>de</strong> quelqu’un(e) d’autre et je commence<br />
maintenant <strong>de</strong> l’imaginer. »<br />
Fumette, fumette, quand tu nous tiens ! Cette foutue Quête aura<br />
monopolisé notre esprit pendant si longtemps que même aujourd’hui nous<br />
nous <strong>de</strong>mandons s’il n’y a pas une part <strong>de</strong> vérité là-<strong>de</strong>dans.<br />
Cela, Fidèle, doit te sembler venir d’un esprit complètement perturbé et<br />
enchanté, n’est-ce pas ? Tu aurais raison <strong>de</strong> le penser mais ce n’est pas tout à<br />
fait le cas. Profondément, nous ressentons encore ce que nous écrivîmes alors<br />
à Maïnéa. Il n’y avait nul doute à avoir sur nos intentions : elles étaient<br />
71
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
personnelles et si sa cause pouvait nous servir, nous étions prêt à l’embrasser.<br />
Elle nous avait imaginé cynique, nous <strong>de</strong>vînmes manipulateur pour découvrir<br />
le fin mot !<br />
« Comme toujours, j’ai un temps <strong>de</strong> retard mais vous répondre me<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> aussi le temps <strong>de</strong> l’assimilation et <strong>de</strong> la digestion.<br />
« J’ai une question ! Je vous l’ai dit, je suis pétrie <strong>de</strong> questions et j’ai besoin<br />
<strong>de</strong> comprendre. Vous écrivez : “Je ne PEUX pas continuer…” ! Il n’y a aucun<br />
jugement dans ma question mais pourquoi ne pouvez-vous pas ?<br />
« Nous sommes tous en chemin dans nos incarnations, certains en sont<br />
plus conscients que d’autres.<br />
« Le problème <strong>de</strong> la vôtre selon une mienne amie est que vous avez dû<br />
prendre un sacré savon avant <strong>de</strong> vous réincarner. C’est pour cela que je vous ai<br />
<strong>de</strong>mandé vos coordonnées <strong>de</strong> naissance. Les astrologues savent pour certains<br />
aussi lire le passé et la voie qui serait la meilleure pour parvenir à réaliser ce<br />
pour quoi on est là en ce moment.<br />
« Pour le savoir aki, trouver <strong>de</strong>s archives quelles qu’elles soient ne le<br />
donnera pas. Ce serait bien trop simple. Sinon, nous l’aurions laissé disponible<br />
pour l’humanité dès le départ. Il est <strong>de</strong>s choses qui nécessitent <strong>de</strong> voir<br />
autrement que comme on le fait dans nos sociétés actuelles surtout. Pour<br />
pouvoir maîtriser son savoir, un Aki réveillé doit déjà changer <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
pensée, être pleinement conscient <strong>de</strong> son appartenance à tout ce qui l’entoure.<br />
On se rapproche <strong>de</strong> l’esprit chinois, <strong>de</strong> l’esprit du Feng Shui entre autres. Vous<br />
cherchez une voie mais avant il faut vous trouver vous-même, non ? Comment<br />
savoir ce que l’on cherche si on ne sait pas qui l’on est ?! Avez-vous côtoyé les<br />
bouddhistes ? Je n’adhère pas totalement à leur esprit mais il ai<strong>de</strong> à changer <strong>de</strong><br />
plan, c’est sûr.<br />
« Quand je pensais à l’humanitaire, je pensais à ceux qui creusent les puits<br />
par exemple, ceux qui ont une action sur la terre pour qu’elle <strong>de</strong>vienne<br />
nourricière, pas seulement ceux qui portent le pain et l’eau à qui meure <strong>de</strong><br />
faim, pas l’ai<strong>de</strong> d’urgence, non, le remo<strong>de</strong>lage. Il y a tout ce travail moins noble<br />
aux yeux <strong>de</strong>s médias mais oh combien plus utile. Vous <strong>de</strong>vez le savoir mieux<br />
que moi, non ?<br />
72
Le noir et le blanc<br />
« J’ai jardiné il y a <strong>de</strong>ux jours. Les mains dans la terre, je vis ! Je suis aki<br />
encore pas mal, j’ai besoin d’être part <strong>de</strong>s éléments qui m’entourent, dont la<br />
terre.<br />
« Les Akis n’ont jamais eu la quête <strong>de</strong> l’éternité, ni le culte <strong>de</strong> la vie, ni celui<br />
<strong>de</strong> la mort. Notre quête était et est encore <strong>de</strong> nous relier aux mon<strong>de</strong>s,<br />
reprendre notre place dans la ron<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Univers, sortir <strong>de</strong> notre isolement<br />
terrien. Et pas en construisant <strong>de</strong>s fusées (sourire) ! J’en viens à me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
si les Akis ne sont pas au départ <strong>de</strong>s relégués, <strong>de</strong>s bannis, <strong>de</strong>s enfants fautifs<br />
qui essayaient <strong>de</strong> se faire pardonner en s’amendant. Mais eux aussi se sont<br />
trompés sur le sens <strong>de</strong> ce qu’ils <strong>de</strong>vaient trouver et comment y parvenir, ils ont<br />
oublié que tout Être, même non-aki, était part du tout ; ils se sont isolés dans<br />
leur illusion d’être si différents qu’il ne fallait pas diluer leur sang précieux.<br />
« Quand j’écris ça, j’ai la vieille révolte qui m’agitait alors, la révolte contre<br />
notre foutue caste supérieure !<br />
« Pour parvenir à l’éternité, il faut parvenir à se débarrasser du cycle <strong>de</strong>s<br />
réincarnations entre autres, et pour cela, c’est votre route <strong>de</strong> Lumière qu’il faut<br />
trouver.<br />
« Ça semble <strong>de</strong> beaux mots, mais c’est la meilleure image. Trouver le moyen<br />
<strong>de</strong> faire le point sur vous-même, où vous en êtes et où vous voulez aller, pas en<br />
fuyant sur toute la planète mais en vous posant au meilleur endroit pour le<br />
faire selon vous, et il doit bien y en avoir un !<br />
« Alors seulement je pense (ce n’est que mon ressenti, je ne suis pas un<br />
grand sage), vous pourrez vous débarrasser <strong>de</strong> cette défroque qui colle à vos<br />
vies et muer. Ombre ou lumière, on a toujours le choix mais je n’ai pas vu<br />
d’épanoui dans l’ombre. Même si le chemin <strong>de</strong> la lumière n’est pas le moins<br />
pavé d’obstacles, il est le plus agréable !<br />
« Plus j’avance <strong>de</strong>puis quelque temps, plus je re<strong>de</strong>viens aki dans l’esprit et je<br />
me modifie, je retrouve cette part du savoir aki qui <strong>de</strong>venait une partie <strong>de</strong><br />
nous-même. Il y a une forme <strong>de</strong> pouvoir peut-être, mais je ne le vois pas ainsi,<br />
sauf si on prend le mot pouvoir au sens altruiste : je peux ai<strong>de</strong>r parce qu’il me<br />
<strong>de</strong>vient aisé <strong>de</strong> voir et saisir tant <strong>de</strong> choses cachées.<br />
« Je vous souhaite une journée ou une nuit lumineuse.<br />
« À bientôt peut-être et ce sera avec plaisir !<br />
73
« N’shaopaa ! »<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Et mer<strong>de</strong> ! Nous en avons marre <strong>de</strong> voguer entre le <strong>Blanc</strong> et le <strong>Noir</strong> ! Elle<br />
avait raison et nous le savions. Tout est fait d’un choix, il suffit <strong>de</strong> le faire.<br />
Nous ne pouvions humainement être toute une vie déchiré entre la lumière et<br />
l’ombre. Et pourtant…<br />
Cette conversation avec Maïnéa nous faisait du bien ; elle nous aidait à voir<br />
plus clairement au fond <strong>de</strong> nous-même mais hélas ne nous rendions-nous pas<br />
encore compte que nous approchions la touche <strong>de</strong> l’illusion. Nous nous<br />
engouffrions <strong>de</strong>dans, laissant <strong>de</strong> côté les inepties relevées pour une confiance<br />
aveugle et dangereuse.<br />
Maïnéa – elle le savait – détenait sur nous une influence grandissante et,<br />
plus qu’un gui<strong>de</strong>, elle <strong>de</strong>vint une petite voie perturbatrice à l’intérieur <strong>de</strong> notre<br />
esprit.<br />
« Avant tout, je dois vous écrire que votre message m’a rendu très triste.<br />
J’attendais toutes les réponses sauf celle-ci. Pour ma part, j’ai décidé d’écrire<br />
avec la plus claire franchise ; à chaque fois que j’ai pris cette résolution, elle<br />
s’est retournée contre moi mais tant pis.<br />
« Comme je vous l’ai dit dans un précè<strong>de</strong>nt message, je suis un observateur.<br />
À cela selon vous, il faut ajouter un rôle d’acteur puisqu’ayant fait partie – et<br />
pas <strong>de</strong>s moindres, semble-t-il ! – <strong>de</strong> la civilisation aki. À ce titre, peut-être ai-je<br />
le droit <strong>de</strong> revendiquer mes opinions, à défaut <strong>de</strong> les faire accepter.<br />
« Veuillez m’en excuser par avance, s’il vous plaît.<br />
« On ne peut se trouver en se cherchant d’une manière exclusive bien que<br />
déterminée. Est-ce en cherchant à atteindre un but que l’on se trouve ? Vous<br />
citez la pensée chinoise mais n’était-ce pas Lao-Tseu ou Confucius qui écrivait<br />
que “le but n’est pas important, seul le chemin l’est” ? Mon chemin, c’est ma<br />
Quête et celle-ci passe par celle <strong>de</strong> quelqu’un(e) d’autre.<br />
« Bien sûr ai-je un désir <strong>de</strong> connaître mes Origines, plus que n’importe qui<br />
d’ailleurs, mais ce savoir viendra à moi en son temps, lorsque je serai prêt à le<br />
recevoir. En attendant, il me faut bien avancer, non ?<br />
« Cependant, si ma Quête est celle du Temps, si j’ai ce désir d’Éternité<br />
74
Le noir et le blanc<br />
qu’aucun Aki n’a jamais ressenti, alors peut-être finalement ne suis-je pas (ou ai<br />
été) un Aki et cela soulève beaucoup <strong>de</strong> questions sur notre conversation…<br />
« Depuis le début <strong>de</strong> celle-ci, je vous pose <strong>de</strong>s questions concrètes et ne<br />
reçois qu’une réponse applicable à toutes, ou pas <strong>de</strong> réponse du tout. Afin <strong>de</strong><br />
pouvoir continuer la Quête qui m’anime, il me faut trouver avant une relative<br />
stabilité. Lorsque je vous écris <strong>de</strong> créer une Organisation, un Cercle privé et<br />
voué à résoudre les mystères <strong>de</strong> nos origines communes, vous passez le sujet<br />
pour me diriger vers la spiritualité bouddhiste et la recherche <strong>de</strong> soi… Je suis<br />
conscient que j’ai déjà pris beaucoup <strong>de</strong> votre temps et je comprendrai si vous<br />
souhaitez mettre un terme à ces échanges écrits mais c’est d’une ai<strong>de</strong> concrète<br />
dont j’ai besoin pour le moment. Les conseils sont toujours bons à prendre<br />
mais ils ne me permettent pas hélas d’avancer. Il est aisé d’écrire que ce que<br />
l’on cherche est souvent <strong>de</strong>vant sa porte et qu’il n’est pas nécessaire <strong>de</strong><br />
parcourir le mon<strong>de</strong> pour le trouver mais dans les faits, c’est beaucoup moins<br />
évi<strong>de</strong>nt.<br />
« Les événements ne m’ont pas permis <strong>de</strong> rester tranquillement chez mes<br />
parents à méditer sur ma personne, même si je l’avais voulu !<br />
« Ensuite, si je ne peux pas évoluer dans cet environnement, c’est<br />
simplement parce qu’il ne le permet pas. Allez donc discuter <strong>de</strong> l’Atlanti<strong>de</strong> avec<br />
un père-missionnaire catholique, ou encore <strong>de</strong> mes existences dans <strong>de</strong>s cycles<br />
précé<strong>de</strong>nts ! J’ai essayé et notre correspondance se base sur ce <strong>de</strong>rnier point en<br />
ce moment mais chacun essaye <strong>de</strong> convertir l’autre à son système <strong>de</strong> pensées.<br />
Au mieux, je peux apprendre, apprendre à connaître ce personnage que je<br />
respecte mais impossible d’évoluer !! Voyez-vous maintenant l’importance pour<br />
moi <strong>de</strong> vouloir créer une communauté dont le seul objectif serait <strong>de</strong> percer les<br />
mystères <strong>de</strong> nos Origines ? C’est une question à laquelle vous n’avez pas<br />
répondu. En m’écrivant, vous m’avez fait entrevoir une possibilité attendue<br />
<strong>de</strong>puis fort longtemps et je ne souhaite pas laisser passer cette première<br />
véritable opportunité.<br />
« Vous écrivez qu’il ne peut plus exister aujourd’hui d’archives sur le savoir<br />
aki car si c’était le cas nous les aurions laissées à l’humanité pour qu’elle en<br />
profite. Je pense autrement pour les <strong>de</strong>ux raisons que voici :<br />
« 1 . Le savoir aki n’est certainement pas l’héritage <strong>de</strong> l’humanité mais celui<br />
du peuple aki ;<br />
75
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« 2 . Même empreint <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> sagesse du mon<strong>de</strong>, un créateur ne<br />
peut détruire sa création car il sait qu’elle lui sera toujours utile au temps du<br />
Renouveau.<br />
« Je me serais battu pour ces <strong>de</strong>ux raisons ! N’est pas ce que peut-être votre<br />
amie a entrevu ? C’est ce que je pense.<br />
« Prenez-le en considération, s’il vous plaît. Je crois en un espoir <strong>de</strong><br />
retrouver notre héritage. En tous les cas, cela fait partie <strong>de</strong> ma Quête. “Sortir<br />
<strong>de</strong> notre isolement terrien” résume parfaitement ce que je viens d’écrire. Je<br />
crains cependant que nous l’entendions différemment.<br />
« En espérant ne pas vous avoir déçue. »<br />
Autant jouer le tout pour le tout, n’est-ce pas ? Nous nous souvenons nous<br />
être dit à cette époque que dans le pire <strong>de</strong>s cas, nous passerions pour un con<br />
parce qu’elle se serait jouée <strong>de</strong> nous. Au mieux, naïvement, nous aurions résolu<br />
notre problème <strong>de</strong> Quête et nous n’en aurions plus parlé – sauf pour les repas<br />
<strong>de</strong> famille évi<strong>de</strong>mment, autrement nous y ennuyons-nous à mourir.<br />
Et puis mer<strong>de</strong> ! Qui écrivit à la fin que le but n’était pas important, que seul<br />
le chemin l’était ? Il faut vraiment que nous nous renseignions une fois pour<br />
toutes !<br />
« Je vous ai lu comme quelqu’un écrivant franchement même si vous dites<br />
être cynique souvent. Quand le cynique manipule-t-il ? Je suis comme vous, je<br />
me méfie <strong>de</strong>s autres maintenant, hélas, et je dois vous avouer que vos<br />
incarnations passées sont inquiétantes encore.<br />
« Vous êtes conscient <strong>de</strong> la force qu’il y a en vous mais elle peut pencher<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés, <strong>Noir</strong> ou <strong>Blanc</strong>, et même s’il faut connaître les <strong>de</strong>ux, je n’aime<br />
pas le <strong>Noir</strong> pour l’avoir affronté tout simplement et vu à l’œuvre aussi. D’un<br />
autre côté, je crois que tout le mon<strong>de</strong> se réincarne pour aller <strong>de</strong> l’avant.<br />
« Vous êtes un réel problème au sens noble du terme. C’est l’accumulation<br />
<strong>de</strong> vos expériences <strong>de</strong> vie qui le pose.<br />
« Comme vous, j’ai eu plusieurs fois à regretter ma franchise qui passe par<br />
la main tendue souvent. Je me dis aussi que vous laisser sans essayer <strong>de</strong> vous<br />
ai<strong>de</strong>r dans votre Quête (si tant est que je le puisse), c’est condamner toute<br />
76
Le noir et le blanc<br />
personne dont les incarnations passées ont été plus noires que blanches ! Ça ne<br />
me ressemble pas !<br />
« Je semble changer <strong>de</strong> sujet mais je voudrais vous faire part <strong>de</strong> ce que je<br />
ressens, en fait <strong>de</strong> ce que je <strong>de</strong>viens ou re<strong>de</strong>viens. L’être aki est partie du UN, je<br />
vous l’ai dit je crois. C’est sa force ! Lorsqu’on est élève, du moins dans le tronc<br />
que j’ai suivi alors, on apprend à être les éléments qui nous entourent, on<br />
apprend à être Air, Eau, Pierre et Feu. Ne pas respirer dans l’eau est un truc<br />
simple si vous savez être l’eau (l’eau ne respire pas), mêler vos molécules à<br />
celles <strong>de</strong> l’eau pour qu’elles ne fassent qu’un. I<strong>de</strong>m pour le feu : on peut entrer<br />
dans le feu si on <strong>de</strong>vient le feu. Pour l’élève aki, le plus difficile est d’en sortir<br />
sans se brûler, rétablir la balance dans l’autre sens. En ce moment, je<br />
redécouvre cela <strong>de</strong> la manière la plus aisée : l’Air. Ici, aujourd’hui, l’air est lourd<br />
et je sens cette lour<strong>de</strong>ur en moi car l’air me traverse comme si je n’étais pas un<br />
corps obstacle. Ça peut faire vriller son doigt sur la tempe à beaucoup mais<br />
c’est ainsi. C’est le signe que ma pensée mo<strong>de</strong>lée par 45 ans presque <strong>de</strong> schéma<br />
mo<strong>de</strong>rne change <strong>de</strong> plan ou d’axe et retrouve le schéma <strong>de</strong> pensée aki.<br />
« Bien sûr, en soi cela n’apporte rien mais ça ne va pas seul évi<strong>de</strong>mment. Je<br />
me rends compte que je peux percevoir la pensée <strong>de</strong> ceux que je croise, lire<br />
leur inconscient (ou conscient je ne sais) ; ma qualité <strong>de</strong> médium s’affine <strong>de</strong><br />
plus en plus et <strong>de</strong>vient partie <strong>de</strong> mon moi bien plus qu’auparavant. C’est aussi<br />
cette <strong>de</strong>rnière qui fait un peu frein à nos échanges. Il y a ce danger en vous, pas<br />
envie <strong>de</strong> tendre un relais à ce qui peut surgir à votre insu <strong>de</strong> vous. Vous faites,<br />
hélas pour vous, partie <strong>de</strong> ces gens que le <strong>Noir</strong> et le <strong>Blanc</strong> se disputent ! Je tire<br />
<strong>de</strong> mon côté le <strong>Blanc</strong>, pas envie <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s billes à l’autre bien sûr.<br />
« Pour la communion avec les éléments, celle avec l’air est la plus aisée,<br />
dans mon souvenir. Pour l’eau et le feu (le plus dur), il faudra que j’atten<strong>de</strong><br />
d’avoir progressé sur mon chemin. C’est pour cela aussi que je vous parlais <strong>de</strong>s<br />
bouddhistes. Ils me semblent (peut être à tort) avoir le climat le plus propice à<br />
retrouver cet état <strong>de</strong> pensée aki. Je vous l’ai dit : comment retrouver nos<br />
racines, nos éventuels restes, si nous ne pouvons pas avoir le schéma <strong>de</strong> pensée<br />
approprié ?<br />
« Je parlais du Feng Shui qui est harmonie, et <strong>de</strong> la manière d’être asiatique,<br />
partie du UN. Je ne suis pas d’accord avec la phrase citée : le but est important<br />
et le chemin tout autant pour ne pas rater le but. Le but est là comme une<br />
77
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
porte pour être dépassé mais cette porte-là est <strong>de</strong> première importance pour<br />
celui qui ne l’a pas atteinte !<br />
« Les Akis n’ont pas le désir d’éternité physique, le corps n’est qu’un<br />
véhicule encombrant dont il faut s’occuper. L’origine aki n’est pas terrienne <strong>de</strong><br />
toute façon !<br />
« Certains d’entre nous ont pensé que nous avions trop mêlé notre sang au<br />
sang terrien et que nous en étions pollués en quelque sorte. Nous avons pris<br />
plaisir aux plaisirs terriens mais je n’ai pas <strong>de</strong> souvenir <strong>de</strong>s Terres avec <strong>de</strong><br />
pantagruéliques repas, par exemple. La nourriture était frugale, végétarienne et<br />
une nécessité, elle incluait les végétaux et les minéraux car ils étaient<br />
nécessaires. On mangeait aussi bien <strong>de</strong>s racines ou <strong>de</strong>s écorces, <strong>de</strong>s pierres<br />
pillées. On n’avalait pas n’importe comment, on absorbait et même cela était<br />
une communion avec le tout.<br />
« Créer une organisation ou un cercle privé, je n’avais pas bien lu car je ne<br />
l’avais pas entendu ainsi, j’avoue franchement. Je vous lisais parler <strong>de</strong><br />
recherches sur le terrain mais comme je vous l’ai dit, les gens qui partent ont<br />
juste les moyens <strong>de</strong> s’offrir le voyage et d’aller chercher d’abord sur <strong>de</strong>s cartes,<br />
<strong>de</strong>s textes, <strong>de</strong>s souvenirs qu’on leur apporte aussi.<br />
« Pour vous mieux expliquer, j’ai un ami <strong>de</strong>ntiste qui lui peut (tant mieux<br />
pour lui !) prendre quinze jours et aller si bon lui semble dans le sud marocain<br />
faire une recherche quelconque ; ça n’a rien d’un truc organisé hélas !<br />
« Nous travaillons (trop lentement à mon goût) sur un site Internet pour<br />
capter ceux qui ne seraient pas <strong>de</strong> simples curieux. De là on peut imaginer une<br />
association pour avoir plus <strong>de</strong> moyens ; votre idée est un apport à notre prise<br />
<strong>de</strong> tête pour trouver le moyen, mine <strong>de</strong> rien. Vous ai-je redonné votre prénom<br />
aki au fait ? Sriss ! Le nom vient et fuit, il ressemble à Mechenek. Ce nom est<br />
associé à une lignée <strong>de</strong> magiciens sur les Terres dans mon souvenir.<br />
« J’avais monté les pages personnelles du groupe mais fausse manipulation<br />
et adieu ! De toute façon, elles attendaient la validation <strong>de</strong>s autres quatre à<br />
l’époque (quelques mois), cinq ou six maintenant pour être publiées. Nous y<br />
avions mis les portraits qui ne vous parlent pas, et rien <strong>de</strong> précis sinon notre<br />
recherche d’anciens <strong>de</strong>s Terres avec un appel aux autres.<br />
« Pour les archives aki, il en existe, oui, mais même pour nous, anciens, il<br />
78
Le noir et le blanc<br />
semble qu’il y ait un vrai parcours initiatique pour y parvenir. Et je n’y suis<br />
pas ! Et ce qui pourrait être écrit <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une pierre <strong>de</strong> rosette pour le lire. J’ai<br />
dû vous passer <strong>de</strong>s mots écrits en aki, je ne sais plus (toujours ma foutue<br />
mémoire à trous !!) ; j’ai retrouvé <strong>de</strong>s signes mais je suis loin <strong>de</strong>s mots et pour<br />
la langue, j’ai <strong>de</strong>s mots que je connais mais si peu ! Un mot d’espoir toutefois :<br />
Aki llamlà qui signifie : La Terre aki a un futur. Je souhaite aussi voir ce futur<br />
parce qu’il semble qu’il serait un beau signe pour l’humanité.<br />
« Il existe aussi une loge maçonnique qui se réunit dans l’astral. Pour y<br />
rentrer, ils offrent une convocation / invitation un certain jour mais en voyage<br />
astral avec je pense les modalités pour y parvenir. Si vous voulez, je<br />
re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai les coordonnées Internet <strong>de</strong> cette loge. Ils semblent avoir bossé,<br />
même si je trouve leurs métho<strong>de</strong>s élitistes – et ça m’énerve le côté élitiste en<br />
général. Bon, les images <strong>de</strong> leur site sont très égyptiennes, ça m’énerve aussi,<br />
mais c’est un détail !<br />
« Pour continuer, si vous en avez envie bien sûr, je vous re<strong>de</strong>man<strong>de</strong> vos<br />
coordonnées <strong>de</strong> naissance que vous avez oublié <strong>de</strong> me donner. Je n’en saurai<br />
rien <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> vous au présent, et je n’ai rien à en savoir que vous ne voudriez<br />
pas dire <strong>de</strong> toute façon, mais plus sur vous au passé.<br />
« Je me dis qu’il y a une clef à découvrir pour trouver les preuves ou les<br />
traces <strong>de</strong>s Terres, mais je cherche la clef à tâtons dans le noir moi aussi,<br />
comme quelque chose qui est <strong>de</strong>vant vos yeux et que vous ne voyez pas !! Il y a<br />
encore du chemin à faire pour modifier mon schéma <strong>de</strong> pensée / être, je le<br />
crains.<br />
« J’ai oublié aussi <strong>de</strong> vous dire que je ne pense pas que ce que l’on cherche<br />
soit <strong>de</strong>vant sa porte, loin <strong>de</strong> là. Je laisse ça aux pères cathos (rire) ; je ne les<br />
aime pas, avec leurs idées bien faites qu’ils veulent enfoncer dans les têtes,<br />
quels que soient les moyens pris ! J’avoue que je ris en imaginant la tête d’un<br />
missionnaire à qui vous parlez <strong>de</strong> réincarnation ; tout le travail <strong>de</strong><br />
l’évangélisation à refaire !!<br />
« Vous parlez <strong>de</strong> retrouver une stabilité relative. Qu’enten<strong>de</strong>z-vous par là,<br />
s’il vous plaît ? Cette question est pour bien comprendre tout simplement.<br />
« Je vais peut-être encore vous décevoir par mon courrier et j’en suis<br />
sincèrement désolée. Si ce n’est pas le cas, j’en serai sincèrement contente. En<br />
attendant <strong>de</strong> vous relire peut-être, je souhaite que le Soleil éclaire vos pas.<br />
79
« N’shaopaa ! »<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Déçu n’est pas tellement le mot que nous emploierions. Nous aimerions<br />
écrire : étonné ! Étonné avec quelle facilité nous reprîmes après la lecture <strong>de</strong><br />
son message confiance en elle. Ce désir <strong>de</strong> croire nous insupporte car il nous<br />
rend vulnérable en même temps qu’il nous procure la force <strong>de</strong> continuer notre<br />
chemin.<br />
« Je n’essaye pas <strong>de</strong> vous manipuler, croyez-moi sincère ! Je ne fais même<br />
aucun effort, c’est naturellement que je vous confie <strong>de</strong>puis le début mes<br />
craintes et mes espérances et je ne vous cache pas ce que je pense, sachant<br />
pertinemment que vous ne l’apprécierez pas. Je suis né le 24 août 1981, 11h25<br />
à Aix-en-Provence.<br />
« Vous avouez vous-même que vous avancez trop lentement dans vos<br />
recherches. Si mon idée <strong>de</strong> créer une organisation dont le but serait<br />
exclusivement la recherche <strong>de</strong> mystères nous concernant, nous, peuple ancien,<br />
alors pourquoi ne pas la concrétiser ? Les moyens manquent ? Si ce n’est que<br />
cela, nous pouvons trouver une âme humaine qui ne sera que trop contente <strong>de</strong><br />
financer un tel projet, et pourquoi pas un <strong>de</strong>s nôtres ! Seulement, il y a en effet<br />
cette différence entre nous. Outre le fait que je suis entre <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s (et bien<br />
plus) : <strong>Noir</strong> et <strong>Blanc</strong>, Mal et Bien, Homme et Aki, Corps et Esprit…, vous<br />
croyez, tout comme Jane, que l’humanité est héritière du savoir <strong>de</strong>s Atlantes. Si<br />
mal j’ai pu commettre il y a longtemps, contre la communauté, c’était peut-être<br />
pour défendre l’idée contraire, au point peut-être encore <strong>de</strong>… Je pense que<br />
vous comprenez ! Cela me perturbe et, sans rire, les larmes me viennent. Vous<br />
ne pouvez imaginer les tourments que cette pensée m’apporte.<br />
« Qu’ai-je fait <strong>de</strong> si terrible ? Aurais-je suivi les ordres du Conseil ou au<br />
contraire… ? Qui peut le savoir ? Vous peut-être !<br />
« Par ailleurs, je faisais partie <strong>de</strong> la caste, semble-t-il, que vous méprisez.<br />
Pour moi enfin, il est évi<strong>de</strong>nt que nous ne <strong>de</strong>vions pas nous mêler aux<br />
humains, aussi bien pour eux que pour nous. Je vous ai écrit que je me serais<br />
battu pour cela. Peut-être est-ce ce qui m’a perdu, et d’autres également… Je<br />
ne fais pas confiance à l’humanité, je l’aime mais la trouve indigne <strong>de</strong> porter le<br />
80
Le noir et le blanc<br />
mon<strong>de</strong>. Est-ce si mal ? Probablement puisque vous ne souhaitez ni<br />
m’encourager, ni m’ai<strong>de</strong>rez plus que la pru<strong>de</strong>nce l’imposera.<br />
« Vous pensez que les Terres aki ont un futur, signe d’espoir pour<br />
l’humanité. Je pense <strong>de</strong> mon côté que lorsque la civilisation aki aura retrouvé<br />
ses fils, elle renaîtra dans l’isolement, plus sage <strong>de</strong> ne pas recommencer les<br />
erreurs du passé en se trop mélangeant avec les Hommes. Ainsi que vous<br />
l’écrivez pour résumer, je suis un réel problème, mais un problème qui fait<br />
partie <strong>de</strong> notre Destinée. Je fais un pas vers vous, le Bien ; quelles seront les<br />
conséquences si je trouve portes closes ? J’irai voir les Francs-maçons ?! C’est<br />
déjà fait et après quelques échanges et la promesse <strong>de</strong> recevoir bientôt une<br />
documentation, ils n’ont pas daigné en ajouter davantage. Alors, vers qui<br />
<strong>de</strong>vrai-je me tourner ? Les Illuminati ou toute autre secte dont le but est <strong>de</strong><br />
malaxer le mon<strong>de</strong> jusques à ce qu’il prenne forme convenable à leur orgueil ?<br />
« Mon choix est déjà fait, ne me refusez pas la voie que j’ai choisie, s’il vous<br />
plaît. Je dois en effet me retrouver et cela viendra en son temps mais il me faut<br />
être guidé pour ne pas me perdre ou emprunter une mauvaise voie… ou plutôt<br />
une voie mauvaise. Par ailleurs, pensez au fait que je pourrais être la clef <strong>de</strong><br />
votre recherche ! Si dans ma mémoire se trouvaient les informations<br />
nécessaires pour retrouver nos archives ? Après tout, n’ai-je pas été quelqu’un<br />
d’important ?<br />
« J’ai écrit que je recherchais une solution concrète, certes, mais également<br />
que je recherchais à exister dans les sphères du Temps, <strong>de</strong> l’Espace et <strong>de</strong>s<br />
Ombres. Si je dois me débarrasser <strong>de</strong> ce corps humain charnel, donc mortel, je<br />
n’aurais aucun regret. Mais ce que je souhaite, c’est continuer à rester moi,<br />
gar<strong>de</strong>r ce qui fait ma personnalité ainsi que tout le travail accompli au fil <strong>de</strong><br />
mes cycles antérieurs. C’est cela ma Quête <strong>de</strong> Temps. C’est cela que j’appelle<br />
Éternité.<br />
« Je ne sais pas exactement ce que j’entends par stabilité relative. C’est une<br />
formule toute faite qui a perdu tout sens sans doute. Je souhaite simplement<br />
exprimer mon désir d’avoir un rôle dans une organisation qui me permettrait<br />
<strong>de</strong> poursuivre ma Quête. Je ne veux plus me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quoi faire et où aller la<br />
semaine prochaine. C’est mon cas présentement ; dans un mois je suis à la rue,<br />
sauf si je trouve un boulot quelconque pas loin <strong>de</strong> la fondation dans laquelle je<br />
travaille et vis. Vous en conviendrez, ce n’est pas un climat <strong>de</strong>s plus appropriés<br />
81
pour la Quête qui m’anime. »<br />
« Merci pour la confiance !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Ce que vous avez écrit m’a ennuyé parce que je me faisais mal<br />
comprendre peut-être mais non ça ne m’a pas dérangé, ni contrarié. Je pense<br />
que, heureusement, il existe <strong>de</strong>s opinions différentes <strong>de</strong>s miennes.<br />
« Je ne sais pas si ce que je sais <strong>de</strong>s Terres par mes souvenirs vous intéresse.<br />
Si oui, vous me le direz et je vous raconterai ce que je sais <strong>de</strong>s Aki. Avec votre<br />
œil neuf, en quelque sorte, vous en lirez peut-être plus que ceux qui<br />
m’entourent et qui ont, eux, trop lu souvent, hélas ! Je ne sais pas si le rapport<br />
aux éléments dont je vous parlais vous semble d’un grand intérêt. Je me dis que<br />
tout le mon<strong>de</strong> ne parvient sans doute pas à les sentir autant. Je m’en imprègne<br />
et je pense que c’est ce qui me donne cette sensation d’intemporel qui rejoint<br />
peut-être votre Quête.<br />
« Mon amie astrologue, elle, parle <strong>de</strong>s vies futures qu’elle a aperçues en ce<br />
qui la concerne. J’avoue que <strong>de</strong> ce côté-là, je suis Aki et que la carcasse me<br />
pèse, elle est une gêne pour faire partie <strong>de</strong> l’Univers et au-<strong>de</strong>là. Oui, en ce sens<br />
là (j’ai continué à penser à votre courrier), nous nous rejoignons sur la Quête<br />
<strong>de</strong> l’immortalité ! Peut-être ne lui donne-t-on pas le même nom.<br />
« Bonne matinée à vous ? Je crois qu’il est tôt là où vous êtes alors que la<br />
nuit tombe sur l’est <strong>de</strong> la France.<br />
« N’shaopaa ! »<br />
« Naturellement, je souhaiterais que nous continuions ces échanges !<br />
J’aimerais (ré)apprendre à connaître mon passé car il peut m’ai<strong>de</strong>r dans mon<br />
avenir. Je crains hélas qu’une correspondance via l’Internet n’ait pas le pouvoir<br />
<strong>de</strong> réveiller quoi que ce soit en moi. Je comprendrai les mots et pourrai vous<br />
faire part <strong>de</strong> mes théories, peut-être dictées par un souvenir lointain, mais voir<br />
<strong>de</strong>s choses nouvelles, sentir les émotions, ne seront pas choses possibles<br />
<strong>de</strong>rrière cet écran, et si loin <strong>de</strong> surcroît. Je ne peux même pas vous rendre visite<br />
dans l’Astral, n’ayant jamais eu ce pouvoir à ma connaissance.<br />
« J’insiste encore sur le fait <strong>de</strong> l’impérieuse nécessité <strong>de</strong> se réunir en cercle<br />
fermé afin <strong>de</strong> progresser véritablement dans nos recherches.<br />
82
Le noir et le blanc<br />
« Au fil <strong>de</strong> l’Histoire humaine, les sociétés <strong>de</strong> ce genre ont toujours atteint<br />
leur but. Le nôtre n’est-il pas commun ? Même si en effet nos opinions<br />
divergent sur certains points, nous sommes voués par nos Origines à évoluer<br />
ensemble.<br />
« Vous souhaitez créer un site Internet pour découvrir les anciens<br />
manquants, mais même si vous m’avez trouvé <strong>de</strong> cette manière, c’est<br />
uniquement parce que j’entreprends <strong>de</strong>s recherches. Et encore, elles ont été<br />
longues. J’ai perdu un temps considérable à chercher ma voie – en fait, j’ai<br />
appris en chemin ! Maintenant que j’ai trouvé une piste, un mur imprévu<br />
s’érige <strong>de</strong>vant moi. N’importe qui <strong>de</strong> moins fort d’esprit se serait à ma place<br />
jeté du haut d’un pont <strong>de</strong>puis longtemps <strong>de</strong>vant pareils obstacles. J’ai peur que<br />
pour beaucoup d’entre nous ce soit effectivement le cas.<br />
« Il nous faut un refuge auquel s’i<strong>de</strong>ntifier.<br />
« La découverte <strong>de</strong> notre héritage ne doit pas se faire par n’importe qui.<br />
C’est une course aujourd’hui que nous entreprenons. Après, ce que nous en<br />
ferons <strong>de</strong>vra être discuté puisque nos opinions divergent, mais en premier lieu<br />
nous <strong>de</strong>vons le récupérer avant les Hommes… qui le cherchent également et<br />
sont mieux organisés.<br />
« Si mon rôle dans tout ceci est <strong>de</strong> vous convaincre du bien-fondé <strong>de</strong> ma<br />
proposition, alors ce sera une gran<strong>de</strong> tâche. Nous <strong>de</strong>vons nous réunir, trouver<br />
les crédits, organiser nos propres expéditions, rechercher notre passé.<br />
« J’ai suffisamment observé les Hommes pour affirmer qu’ils sont bien<br />
capables à l’heure actuelle <strong>de</strong> gâcher une telle découverte. C’est un secret que<br />
nous <strong>de</strong>vrons protéger dans un lieu consacré. Nos archives, malgré les<br />
précautions que nous avons prises pour les dissimuler il y a longtemps, ne<br />
seront en sécurité qu’avec ses héritiers légitimes. Elles renferment <strong>de</strong> grands<br />
pouvoirs qui détruiront celui qui les utilisera à mauvais escient. Peut-être serace<br />
l’humanité !<br />
« Mais là, j’essaye <strong>de</strong> faire pencher la balance <strong>de</strong> mon côté par <strong>de</strong>s raisons<br />
non valables. La seule valable selon moi, vous la connaissez, le savoir aki ne<br />
doit plus être partagé au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> ses fils. »<br />
Une « impérieuse nécessité », pas moins ! Étions-nous à ce point paumé à<br />
83
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
cette époque que nous voulions nous accrocher à quelque chose ou y croyionsnous<br />
réellement ?<br />
Toujours est-il que nous ne reçûmes pas <strong>de</strong> réponse <strong>de</strong> suite, eûmes le<br />
temps <strong>de</strong> partir en Malaisie <strong>de</strong>ux semaines et <strong>de</strong> revenir au château, chez nos<br />
parents dans les Basses Alpes, en passant par la Suisse. Nous recontactâmes<br />
Maïnéa mi-juillet.<br />
« Si je vous écris, <strong>de</strong> France cette fois-ci, c’est que j’ai une chose importante<br />
à vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r. Vous êtes la seule personne qui puisse me venir en ai<strong>de</strong>.<br />
« Il existe une île au sud du Japon où, selon certaines récentes<br />
connaissances, se trouverait un portail donnant accès à un autre mon<strong>de</strong>, dans<br />
une autre époque.<br />
« Je ne peux pas vous en dire plus, n’en sachant pas davantage moi-même.<br />
Il est probable cependant que je rejoigne la compagnie qui formera<br />
l’expédition tentant <strong>de</strong> le démontrer.<br />
« Pour cela, et c’est le but <strong>de</strong> ce message, j’ai besoin <strong>de</strong> savoir mon nom,<br />
mon nom aki naturellement.<br />
« Je pense que ce portail à <strong>de</strong>s chances d’être la voie que je recherche, je ne<br />
sais pas, mais dans tous les cas, savoir mon nom aki pourrait m’être utile.<br />
« Je vous remercie <strong>de</strong> considérer ce message, c’est réellement important<br />
pour moi. Je sais que nous avons <strong>de</strong>s divergences à propos <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>voirs,<br />
mais cela ne gène en rien le respect que je vous porte, vous le savez je pense. »<br />
Pour l’île du sud japonais, c’était vrai ! Nous avions réellement rencontré<br />
<strong>de</strong>ux contacts qui disaient préparer une telle expédition. En revanche, nous<br />
n’avions pas l’intention <strong>de</strong> les suivre dans leur histoire. Cela nous donna<br />
seulement une bonne raison <strong>de</strong> continuer notre conversation. Nous sentions<br />
notre espoir s’évaporer en désillusion et, dans un souci <strong>de</strong> respecter notre<br />
tradition masochiste, naturellement, il nous fallait continuer…<br />
« Sriss ! C’est le nom ancien : Sriss Anésché !<br />
« Ma mémoire actuelle est un gruyère médicalement reconnu hélas mais ma<br />
84
Le noir et le blanc<br />
mémoire ancienne est toujours là ; le nom est remonté tout seul !<br />
« Ici, le groupe s’agrandit et on avance doucement mais sûrement. La route<br />
<strong>de</strong>s Terres rejoint celles <strong>de</strong>s Templiers et <strong>de</strong> l’inquisition.<br />
« Un ami a fait intelligemment remarquer que dans le groupe, nous<br />
sommes d’origines assez différentes mais tous en France ou juste à côté et que<br />
cela ne doit pas être sans raison.<br />
« J’ai fait pendant ma semaine <strong>de</strong> vacances un tour en Creuse. J’ai visité la<br />
Comman<strong>de</strong>rie <strong>de</strong> Lavaufranche et je sais que je connaissais ce lieu. J’y ai<br />
retrouvé d’autres anciens. J’en ai vu d’ailleurs pendant les vacances, nous étions<br />
quatre d’un coup ; bonjour l’énergie dégagée, un coup à décoller !<br />
« Je ne sais pas si nos idées du <strong>de</strong>voir divergent, Sriss, peut-être notre<br />
approche.<br />
« Je suis heureuse si l’un <strong>de</strong>s anciens part à la recherche <strong>de</strong>s portes. Il y en a<br />
en France aussi, peut-être plus difficiles à franchir mais il en existe, je les ai<br />
senties. À voir : Bugarach dans les Pyrénées. Le mont semble très fortement<br />
marqué si tu en as la possibilité. Je pense que quelles que soient les approches<br />
et les buts conscients, nous sommes tous programmés sur une route et que <strong>de</strong><br />
toute façon, ce qui doit être trouvé le sera, en ajoutant les morceaux <strong>de</strong>s<br />
puzzles.<br />
« Je suis contente que tu n’aies pas perdu mon adresse, je pensais que la<br />
tienne était out…<br />
« Je prends le “tu” pour échanger car il est difficile pour moi d’utiliser le<br />
“vous” avec les anciens <strong>de</strong> toute façon. C’est une invention presque trop<br />
franco-française !<br />
« Peut-être à une prochaine et sinon bonne route !! »<br />
Nous n’écrivîmes plus à Maïnéa jusques en août. Nous trouvâmes entre<br />
temps un emploi au Monoprix d’Aix-en-Provence où nous nous attachâmes à<br />
un garçon, Stéphane. Nous redécouvrîmes les joies perdues <strong>de</strong>puis 2002 du<br />
loisir, <strong>de</strong> la débauche, <strong>de</strong> sexe et <strong>de</strong>s sentiments. Même si nos expériences avec<br />
les mecs remontaient déjà à plusieurs années, ce fut pour nous la première fois<br />
que nous approchions pleinement le milieu gay. Nous recherchions alors <strong>de</strong> la<br />
sincérité dans le regard <strong>de</strong> nos fréquentations mais nous apprîmes à nos<br />
85
dépens qu’il n’y en avait que peu.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Je me suis <strong>de</strong>mandé à qui je pourrais bien écrire ce message et après avoir<br />
fait le tour <strong>de</strong> toutes les connaissances que j’ai faites, vous me semblez être la<br />
seule qui ait réussi à me cerner. Il faut dire que j’ai toujours été très sincère<br />
avec vous.<br />
« Vous allez sans doute trouver ce message ridicule et désespéré mais peu<br />
importe en fait, c’est la seule idée que j’ai eue aujourd’hui.<br />
« Avant naturellement, laissez-moi vous expliquer la situation :<br />
« Hier soir, alors que je me rendais au cybercafé, comme tous les soirs, j’ai<br />
fait la rencontre d’un mec en voiture qui m’y a déposé – je suis autant attiré par<br />
les mecs que par les filles. Il m’a proposé, ma correspondance achevée, <strong>de</strong> le<br />
rejoindre. Nous <strong>de</strong>vions, lui, un <strong>de</strong> ses copains et moi aller en boîte. Une heure<br />
après donc, je suis retourné à l’endroit dit mais il n’y était pas. Nous nous<br />
sommes manqués sans doute et j’ai fini ma soirée chez ma sœur, avec qui je vis<br />
<strong>de</strong>puis mon retour d’Asie du Sud-Est. Il était 2 heures environ.<br />
« Ce matin, ma sœur, ses enfants et moi <strong>de</strong>vions aller à la plage. Le ciel était<br />
couvert, il y avait du vent, il faisait froid… un 31 août !<br />
« Cet après-midi, je <strong>de</strong>vais aller chez Stéphane, un ami que je me suis fait au<br />
travail et avec qui j’entretiens <strong>de</strong> bonnes relations, amicales et autres, pour me<br />
baigner et probablement y passer la nuit. Je me suis rendu chez lui ; une copine<br />
prévue était là, lui non, étant allé se promener avec quelqu’un d’autre à<br />
Marseille. Je viens d’apprendre également par cette copine qu’il repart la<br />
semaine prochaine en Martinique où il a passé son enfance et où vit une partie<br />
<strong>de</strong> sa famille. Je m’en suis donc allé, il me rappellera je suppose.<br />
« Là, je viens d’arriver au cybercafé.<br />
« Vous souvenez-vous <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux garçons dont je vous avais parlé dans le<br />
message précé<strong>de</strong>nt ? Il y avait aussi cette île au sud du Japon, probable passage<br />
vers un autre mon<strong>de</strong>… Bref, ce n’étaient évi<strong>de</strong>mment que <strong>de</strong>ux rigolos perdus<br />
qui s’inventaient un mon<strong>de</strong> qui n’existait que dans leur imagination.<br />
« Tout cela n’est que détail, je le reconnais, mais j’ai pris conscience d’une<br />
chose importante : tout ce que je prévois, tout ce que j’espère, tout ce dont je<br />
rêve ne se produit pas. Et c’est ainsi <strong>de</strong>puis autant que je m’en souvienne.<br />
86
Le noir et le blanc<br />
Authentiquement, ma vie est une malédiction ! Ça paraît con et simple à dire<br />
mais ça m’a pris du temps pour le réaliser et c’est incontournable. Ce sera ainsi<br />
toujours. Même le bonheur ne peut la contrer car je tombe toujours <strong>de</strong> plus<br />
haut.<br />
« Je me suis mis une carapace, dans tout ce que j’ai vu, entendu, fait ou dit :<br />
ça n’a pas marché !<br />
« Je me suis ouvert à tout, à toutes et à tous : ça n’a pas marché !<br />
« Sur le chemin qui mène au cybercafé, il y a un pont et le train passe<br />
<strong>de</strong>ssous ; j’ai pensé sauter mais à quoi bon, ma malédiction reviendrait pour<br />
celui que je serai après. C’est fatal et je viens <strong>de</strong> prendre conscience <strong>de</strong> cela !<br />
« Vous voyez donc peut-être l’état dans lequel je me trouve. Je ne cherche<br />
pas <strong>de</strong> solution, ni même une explication à cette malédiction, qu’elle vienne <strong>de</strong>s<br />
Terres, si j’ai bien été ce que vous pensez ou d’ailleurs.<br />
« En fait, je ne sais pas ce que je recherche, une réponse peut-être, mais<br />
comment savoir à quelle question ?!<br />
« Voilà ce que je voulais vous écrire aujourd’hui, histoire <strong>de</strong> vous ennuyer<br />
encore un peu avec ce qui s’apparente à une crise existentielle mais qui est plus<br />
profon<strong>de</strong>, plus perverse. »<br />
« Pas une malédiction même si ça y ressemble !<br />
« Ne cherche pas pour la plage froi<strong>de</strong> un 31 août ; il y a eu une tempête<br />
phénoménale autour <strong>de</strong> la maison d’une amie suisse mais chez elle rien ; la<br />
tempête chez une amie belge aussi, toutes <strong>de</strong>ux anciennes bien entendu.<br />
« Il y a en ce moment un terrible courant noir qui passe ; la boue remonte<br />
<strong>de</strong> notre passage d’entités incarnées sur les Terres et avec les rancunes et<br />
vengeances qui datent <strong>de</strong> loin. Ces événements <strong>de</strong>s Terres sont la suite <strong>de</strong><br />
bagarres d’entités d’avant, la vieille histoire <strong>de</strong>s anges et <strong>de</strong>s démons.<br />
« Ici, je passe au travers parce que je dois avoir avec moi la force remontée<br />
pour le faire ! Ça paraît vraiment bête à dire mais tu ne peux que laisser aller le<br />
courant !<br />
« Je ne crois pas qu’au Japon il y ait une porte. Elles sont partout pourtant.<br />
Trois menhirs en forment une en Vendée mais rien ne dit que tu la passerais ;<br />
87
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
je l’ai sentie l’an passé (il faudrait que je retrouve le lieu) mais je n’ai pas tenté le<br />
passage pour <strong>de</strong>s raisons personnelles…<br />
« Tu as raison : si tu arrêtes tout recommencera ! Cette foutue incarnation<br />
dans laquelle nous avons tous galéré, et continuons d’ailleurs, est celle <strong>de</strong> la<br />
chance pourtant.<br />
« On sait que c’est maintenant que l’on peut avancer enfin !!<br />
« Ce matin, j’ai remonté le fil <strong>de</strong>s souvenirs et retrouvé l’essence ET <strong>de</strong>s<br />
Akis ; leur essence ET est sûre et certaine.<br />
« On touche à tant <strong>de</strong> choses, tant <strong>de</strong> croyances humaines et tu sembles<br />
faire partie <strong>de</strong> ceux qui ont gardé la plus grosse part ET, les moins adaptés à la<br />
vie humaine !<br />
« Il y en a un autre comme toi qui souffre aussi parce qu’il a toujours<br />
observé les autres comme <strong>de</strong> loin ; même la mort ne l’a pas touché ! Difficile<br />
<strong>de</strong> se faire comprendre quand on est comme ça et difficile <strong>de</strong> ne pas être seul !<br />
Peut-être aussi que les autres te fuient parce qu’ils sentent quelque chose <strong>de</strong> pas<br />
comme eux en toi. Ça, je le vis <strong>de</strong>puis si longtemps moi-même que je me suis<br />
habituée et je les fuis moi-même ; ils m’emmer<strong>de</strong>nt… Il n’y a pas d’autre mot.<br />
« Je ne peux prévoir ma vie, je ne peux espérer, rien non plus n’est jamais<br />
arrivé, et ce ne sont pas <strong>de</strong>s mots, tu sais que je cultive la franchise même si je<br />
parle peu <strong>de</strong> certaines choses, je sens simplement que ta porte s’ouvre enfin !!<br />
Tout s’est toujours échappé, rien à faire. Je vis sans prévision réelle et pourtant<br />
je vis, comme si je vivais à moitié dans un autre mon<strong>de</strong> !<br />
« Nous sommes tous nés <strong>de</strong> la matrice, nous sommes tous sa force.<br />
Imprègne-toi <strong>de</strong> ça, essaye <strong>de</strong> ressentir la force qui émane <strong>de</strong> toi et cette force<br />
là va irradier <strong>de</strong> toi ; au lieu <strong>de</strong> faire fuir tu vas étrangement attirer tout en<br />
faisant peur !<br />
« Mais il faut ne pas avoir peur d’être toi-même ! Il y a bien plus en toimême<br />
(et tu le sens) que tu ne veux le voir dans ton miroir !<br />
« Pour ta dualité d’attirance entre hommes et femmes : normal pour une<br />
essence aki. Le reste, ce sont <strong>de</strong>s trucs inventés par les humains pour gérer les<br />
foules !<br />
« Si je suis toujours allée sur la pointe <strong>de</strong>s pieds avec toi sur nos origines,<br />
c’est à cause <strong>de</strong> cette force qu’il y a en toi. La force est un danger si elle va vers<br />
88
Le noir et le blanc<br />
le <strong>Noir</strong>, un danger parce qu’il faut se battre contre et on y perd <strong>de</strong>s gens !<br />
« Une chose qui n’est pas un délire : il semble bien que si on pouvait rayer<br />
<strong>de</strong> la surface <strong>de</strong> la terre ma personne, ma force et mes connaissances enfouies,<br />
on le ferait bien vite, et pour ça on se sert <strong>de</strong> la boue et <strong>de</strong>s vieilles vengeances<br />
<strong>de</strong>s Terres !<br />
« Il semble en être <strong>de</strong> même pour toi d’où cette idée d’aller te coller sous<br />
un train pour repartir ensuite sur une nouvelle vie et tout le même chemin à<br />
refaire jusque-là pour continuer.<br />
« Tu cherches comme celui qui souffre du même mal que toi, <strong>de</strong> la force<br />
que vous avez eue ! Il dit : “Pourquoi faire ceci dans cette vie ? Je sais que je l’ai<br />
fait dans une autre…”<br />
« Il veut <strong>de</strong>s réponses pour retrouver sa force, mais la réponse est en lui<br />
comme en toi ! Croire en elle, déjà, puisqu’elle est là et avancer sans chercher à<br />
savoir trop où on va et pourquoi ?<br />
« On en est là dans le groupe, on rame, on rame, mais on sait juste qu’on<br />
ne rame pas pour rien ! Belle réponse, hein ? »<br />
« L’ami dont vous me parlez a effectivement quelques points communs<br />
avec moi. Je ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu’à voir <strong>de</strong>s choses, apprendre, connaître et partager,<br />
bouger, voir du mon<strong>de</strong>, me changer les idées quoi ! Mais il n’y a rien à faire ; au<br />
fond <strong>de</strong> moi, j’ai envie <strong>de</strong> mourir et d’oublier. Et ce quelque chose qui me<br />
retient ne m’ai<strong>de</strong> pas, au contraire. C’est étrange pour quelqu’un comme moi<br />
mais ce qui me retient, ce sont mes sentiments personnels pour ma famille, je<br />
ne veux pas lui faire <strong>de</strong> peine ! Si elle n’était pas là, j’aurais abandonné cet<br />
après-midi, causant ainsi la retraite anticipée d’un conducteur <strong>de</strong> train<br />
traumatisé ! Le pire est qu’avant cela m’aurait fait rire… Aujourd’hui, cela ne<br />
m’inspire plus.<br />
« Il est évi<strong>de</strong>nt que je ne vais pas continuer à vivre comme je le fais, ou pas<br />
du tout même.<br />
« Vous savez que je ne suis pas sensible mais quand <strong>de</strong>s larmes, cette<br />
réaction par trop humaine, me viennent aux yeux, c’est que quelque chose<br />
cloche ! Et c’est peu dire… Je ne cherche pas <strong>de</strong> plage froi<strong>de</strong> mais il est fort<br />
possible que je la trouve.<br />
89
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« J’en ai marre ! C’est un résumé rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> ma vie mais j’en suis là moi !<br />
Elle m’ennuie ! Si je ne suis nulle part à ma place, où puis-je aller ? »<br />
« Je n’ai rien retouché à ce que je viens <strong>de</strong> recevoir ! C’est celle à qui j’avais<br />
passé tes coordonnées la première fois.<br />
« Ta route est ru<strong>de</strong> mais elle est tienne et édulcorer ce qui est sorti <strong>de</strong> ta<br />
carte aurait été malhonnête.<br />
« Je pense que tu en tireras ce qu’il te faut pour avancer vers ta voie ! Ça ne<br />
va peut-être pas être le meilleur pour ton moral du moment bien qu’il n’y ait<br />
pas <strong>de</strong> condamnation dans ton ciel, heureusement. On doit tous passer par là<br />
<strong>de</strong> toute façon pour avancer à un moment ou à un autre.<br />
« Si j’ajoute à ton passif que l’on t’a croisé en tant que bourreau vers la<br />
pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Inquisition et <strong>de</strong>s Templiers… ouïe !<br />
« Un an dur je crois a-t-elle noté, c’est long un an mais bon pas tant que ça,<br />
non ? Je ne minimise rien <strong>de</strong> toute façon.<br />
« Je n’ai pas sa vision aussi noire <strong>de</strong> ta personne peut-être parce que je te<br />
connais un peu et te retrouve dans mes mémoires. On ne change pas<br />
décidément. Il y avait <strong>de</strong>rrière la capacité <strong>de</strong> calcul et la froi<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Sriss le sens<br />
<strong>de</strong> la justice qui en étonnait plus d’un !!<br />
« N’shaopaa Ami Ancien ! Que le Soleil et la Lune gui<strong>de</strong>nt tes pas ! Voici le<br />
message :<br />
« “Tu sais que tout au début <strong>de</strong> notre correspondance, j’ai dressé sa carte<br />
natale et relevé <strong>de</strong>s points à se méfier…<br />
« D’abord, son ascendant Balance accentue l’indécision, le laisser-aller au<br />
gré <strong>de</strong>s événements, d’où un comportement opportuniste dont il faut se méfier<br />
car contrairement à ce qu’il dit, il sait très vite à qui il a affaire !<br />
« Pluton est en carré à Mars (violence, agressions), Mercure carré Neptune<br />
(mensonge et dissimulation, trahison en amitié, projets remis en questions) et<br />
ce qui n’arrange pas les choses, Vénus, Saturne et Jupiter sont mal acceptés par<br />
Uranus (fausseté en amour, dissimulation, désir <strong>de</strong> porter un masque pour se<br />
donner <strong>de</strong> l’importance, froi<strong>de</strong>ur, cruauté relationnelle : je prends, je laisse<br />
90
quand cela me va).<br />
Le noir et le blanc<br />
« La sexualité n’est pas bien définie mais ce n’est pas l’important ; c’est<br />
plutôt l’usage qu’il en fait !<br />
« Pluton est sur l’ascendant, c’est à dire la puissance intérieure qui l’anime !<br />
« Je crois avoir dit il y a quelques mois que seul le service rendu à autrui<br />
dans un esprit totalement dénué <strong>de</strong> tout intérêt personnel sera la seule porte <strong>de</strong><br />
sortie !<br />
« Ce travail peut être une activité dans l’enseignement (arts martiaux, entre<br />
autres, transmission <strong>de</strong> savoir en tout cas) et la gestion <strong>de</strong>s énergies sexuelles<br />
dans un but <strong>de</strong> transformation intérieure et d’ouverture aux autres dans <strong>de</strong>s<br />
relations inconditionnelles.<br />
« La malédiction, elle, vient <strong>de</strong> sa maison 12 (<strong>de</strong>rnière vie antérieure)<br />
contenant Jupiter, Vénus et Saturne.<br />
« C’est contournable cependant !<br />
« Il s’agit d’une malédiction en amour, lancée par une épouse bafouée et<br />
emprisonnée par lui pour <strong>de</strong>s raisons d’intérêts. Un remariage avec une jeune<br />
femme qu’il semble avoir arrachée à son voile <strong>de</strong> nonne ou à sa direction<br />
spirituelle…<br />
« Cette malédiction remonte à trois vies et prend sa source dans un très<br />
ancien pays, probablement la Chine antique. Il y a une immense muraille en<br />
construction, et il y a un sacrifice pour que cette muraille soit bénie par les<br />
dieux.<br />
« Maintenant, il y a la porte <strong>de</strong> sortie qui est, aussi étonnant que cela soit,<br />
une clairvoyance et un sens <strong>de</strong> la justice qui fait qu’il peut parfaitement dresser<br />
la barre et agir avec les lois universelles, mais il est préconditionné par son<br />
mental et sa vision qu’il a <strong>de</strong> l’avenir, le sien ! Je dirais qu’il y a confusion en lui<br />
entre son passé et l’autoconditionnement qui en découle !<br />
« Sûr <strong>de</strong> perdre, il se met en condition <strong>de</strong> perdant !<br />
« Actuellement, son anniversaire s’ouvre sur <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ttes à payer :<br />
l’épanouissement <strong>de</strong> soi, les amitiés et l’amour. Il subira donc tout ce qu’il a fait<br />
aux autres par le passé (abus <strong>de</strong> confiance, <strong>de</strong> pouvoir, trahison affective…)<br />
« Son karma principal est l’utilisation du sexe et du pouvoir pour acquérir<br />
91
<strong>de</strong>s connaissances.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Saturne participe dans la maison 6 existentielle (gran<strong>de</strong>s difficultés et<br />
patience exigée. Isolation, désillusion au niveau <strong>de</strong>s liens familiaux, exil…<br />
pénurie matérielle).<br />
« Il paye donc cette année, à l’issue <strong>de</strong> laquelle il <strong>de</strong>vrait commencer à<br />
émerger du chaos qu’il s’est créé.<br />
« La pulsion suicidaire n’y est pas ; par contre son mental va changer.<br />
« Pour l’instant, il est dans la confusion et l’instabilité ainsi qu’une certaine<br />
agitation !<br />
« Je pense que tu es la seule à pouvoir le gui<strong>de</strong>r en l’exhortant à lâcher prise<br />
et accepter la résolution positive <strong>de</strong>s actes du passé !<br />
« La malédiction s’éteindra s’il accepte simplement les lois du karma qu’il a<br />
engendré.<br />
« Les amitiés agiront dans ce sens en étant le miroir <strong>de</strong> ce qu’il a été jadis…<br />
Qu’il ne s’étonne pas d’être manipulé, abusé, trahi, voire agressé<br />
sexuellement…<br />
« Le sens du pouvoir, il l’a toujours ainsi qu’une forte clairvoyance !<br />
Quelque part, il a les outils <strong>de</strong> sa ré<strong>de</strong>mption !<br />
« Il pourrait travailler éventuellement dans la police, dans la section<br />
recherche <strong>de</strong> disparus ou toute autre fonction lui permettant d’exprimer ses<br />
capacités <strong>de</strong> justice et d’intuition. Ou bien qu’il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à la provi<strong>de</strong>nce<br />
qu’elle lui accor<strong>de</strong> l’occasion <strong>de</strong> se racheter… Il aura la réponse !<br />
« S’il agit ainsi, il sera surpris <strong>de</strong> la tournure <strong>de</strong>s événements.<br />
« Sa RS composite est d’ailleurs étonnante à ce propos : il trouvera sa<br />
Quête, en fait celle d’une reconnaissance <strong>de</strong> son être véritable et <strong>de</strong> sa relation<br />
avec le mon<strong>de</strong> qui l’entoure. À partir <strong>de</strong> là, il s’engagera dans la voie <strong>de</strong> la<br />
ré<strong>de</strong>mption mais qu’il sache que ce ne sera pas facile. Saturne lui fera<br />
rencontrer un instructeur <strong>de</strong>s plus pénibles et <strong>de</strong>s plus durs, à la mesure <strong>de</strong> ce<br />
qu’il fut jadis !<br />
« Il souffrira intensément, perdra jusqu’à son i<strong>de</strong>ntité afin que <strong>de</strong> nouvelles<br />
valeurs l’éveillent au partage et au travail collectif… dur dur… mais s’il sait<br />
briser le masque qu’il porte, le miroir <strong>de</strong> ses illusions tombera et il se verra tel<br />
92
Le noir et le blanc<br />
qu’il est, un être humain avec ses espoirs, ses rêves et sa puissance capable <strong>de</strong><br />
les transformer en réalité et cela sans briser autrui.<br />
« Alors il aura réussi sa transformation et il sera projeté en avant dans une<br />
existence active, conquérante et saura servir les intérêts d’autrui avec joie, car il<br />
aura trouvé la paix <strong>de</strong> l’âme et <strong>de</strong> l’esprit.<br />
« Sa pierre est le Ja<strong>de</strong> Impérial <strong>de</strong> Chine (Néphrite). Elle le conduira en<br />
douceur vers la libération…” »<br />
Encourageante consolation ! Notre thème astral est un véritable typhon<br />
anarchique. Nous ne pourrons trouver la ré<strong>de</strong>mption qu’en rachetant les fautes<br />
que nous commîmes dans nos vies antérieures dont nous ne savons rien ; cela<br />
aussi est encourageant ! Par où commencer cependant ? Il nous faut une carte<br />
pour la Chine…<br />
Nous ne savons pas si Maïnéa nous voyait en tant que fine psychologue ou<br />
si vraiment son amie pouvait lire les signes <strong>de</strong>s astres. Quoi qu’il en soit, ce<br />
thème nous perturbe aujourd’hui encore car nous ne nous y reconnaissons que<br />
trop et ne pas l’accepter dès le début n’était qu’orgueil <strong>de</strong> notre part.<br />
« Je ne me reconnais pas dans tout ce que j’ai lu, et très honnêtement,<br />
servir mon prochain n’est pas ma préoccupation majeure en ce moment même<br />
si je le fais quand l’occasion se présente. Tout ce qui pourra être dit ou écrit sur<br />
moi ne change pas ce que je pense. Je ne suis pas à ma place ici, ici dans le<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s humains… ou le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s vivants. Je suis une âme déchue,<br />
perdue et impuissante face à sa Destinée. Que l’on me punisse pour ce que j’ai<br />
fait avant, il y a longtemps, est aussi injuste que si je <strong>de</strong>vais recevoir quelque<br />
gratification du fait <strong>de</strong> ma bonté passée. Je suis ce que je suis, aujourd’hui, je<br />
n’ai pas à payer les fautes qui ont aidé à me construire.<br />
« J’assume tout, je vous l’ai déjà écrit.<br />
« Vous savez également que je n’aspire en rien à <strong>de</strong>venir un humain<br />
respectable conscient <strong>de</strong> sa misérable condition. Ma Quête est celle du Temps ;<br />
c’est l’Éternité que je cherche à conquérir. Que ce soit bien ou non, c’est celle<br />
que je me suis donnée, peut-être <strong>de</strong>puis bien longtemps. Ma vie est basée sur<br />
cette recherche.<br />
93
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Et puis hier, j’ai pris conscience que je n’arriverai à rien, que tout jouait<br />
contre moi avec le plaisir d’une vengeance injustifiée. Si encore je me<br />
souvenais, mais non ! Il ne me reste rien, pas même <strong>de</strong>s soupçons <strong>de</strong> mes<br />
existences passées. Je n’ai aucune arme pour me défendre, ni même le moyen<br />
<strong>de</strong> m’en procurer. Et je ne crois pas à expier mes péchés.<br />
« Je ressens <strong>de</strong> plus en plus l’envie <strong>de</strong> me donner la mort, et ce qui me<br />
retient est encore fragile ! »<br />
« Tu sais qu’en bloquant tu recommences sans arrêt ! Rien n’est juste mais<br />
c’est écrit et on accepte entre <strong>de</strong>ux incarnations. Le problème est qu’on ne<br />
nous en laisse que peu souvent ou très tard le souvenir…<br />
« J’ai retrouvé un très vieux passé et je dois l’accepter même si ce que je<br />
retrouve ne me plaît pas toujours et même parfois ne me plaît pas du tout !<br />
« Si tu arrêtes ta vie tu la recommenceras sans fin, toujours la même et sans<br />
choix. Il ne faut pas lire qu’il faut vivre le chemin <strong>de</strong> la ré<strong>de</strong>mption. Mon amie<br />
a un ton un peu trop catho mais pour te donner une idée, je suis plus souple<br />
dans l’interprétation <strong>de</strong>s choses et je sais qu’elle ne se trompe pas sur les vies<br />
antérieures.<br />
« Si tu es sur ce mon<strong>de</strong>, tu y as ta place et bien plus importante que tu ne la<br />
vois maintenant. Mets-toi à l’ombre une année et laisse passer cette très<br />
mauvaise pério<strong>de</strong>, et après repars sur ta route, ou pars au hasard. Quand il fait<br />
trop mauvais, on reste à l’abri ou on se laisse porter par la tempête ! De toute<br />
façon tu as dû remarquer aussi que plus on cherche où on est et où on va et<br />
moins on trouve la sortie, mais il y a un truc sûr : en restant fermé sur toimême<br />
sans t’ouvrir aux autres, tu piétines ! Il y a en toi plus d’âge que ton âge<br />
réel, donc plus <strong>de</strong> savoir. Le truc, c’est <strong>de</strong> trouver comment l’utiliser et le gérer<br />
au mieux <strong>de</strong> tes intérêts.<br />
« Je ne te sens pas comme une âme déchue, pas du tout, je sens les<br />
essences, ça fait partie <strong>de</strong>s dons qu’ils m’ont laissés.<br />
« Je ne crois pas qu’on paye le passé, je crois qu’on est le fruit <strong>de</strong>s<br />
expériences accumulées et on agit sans s’en rendre compte avec ces<br />
expériences-là comme références. Le plus difficile est <strong>de</strong> se placer sur un autre<br />
plan et <strong>de</strong> se voir sous un autre œil. On n’est sûrement pas si loin <strong>de</strong> la réussite<br />
94
Le noir et le blanc<br />
<strong>de</strong> la quête du temps et <strong>de</strong> l’éternité que ça… Ou plutôt on n’est pas si loin que<br />
ça d’y retourner. C’est là où on nous emmène, le peu <strong>de</strong> souvenirs que l’on a<br />
ou le simple ressenti d’avoir été part <strong>de</strong> quelque chose qui a laissé tant <strong>de</strong> rêves<br />
dans la tête <strong>de</strong>s Hommes. Mais nous sommes guidés, emmenés sur une route ;<br />
nous suivons et ils déci<strong>de</strong>nt.<br />
« Ça va te faire très certainement bouillir intérieurement mais la maîtrise<br />
totale <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>stinée ne nous appartient pas en cette vie, on est orientés au<br />
fur et à mesure et selon <strong>de</strong>s critères qui ne sont pas les nôtres on avance, par<br />
petits pas ou grands bonds. Je sais <strong>de</strong> quoi je parle à force <strong>de</strong> le vivre ; il a bien<br />
fallu que je le décortique. Ceux qui cherchent la potion magique peuvent en<br />
boire <strong>de</strong>s litres, l’élixir d’éternité n’est pas tel qu’on le voit.<br />
« Et je suis sûre que ça tu le sens en toi déjà !<br />
« Tu as une arme, c’est ta volonté ! Elle n’a pas dû changer et elle peut<br />
abattre <strong>de</strong>s montagnes si tu le veux, ça aussi j’en suis sûre. L’essence ancienne<br />
est trop forte pour qu’il en soit autrement. La mort est une fuite et une<br />
faiblesse, et je sens tout sauf <strong>de</strong> la faiblesse au fond <strong>de</strong> toi. Mais ça c’est ce que<br />
je sens <strong>de</strong> toi, je suis sur un autre plan. »<br />
« C’est passé !<br />
« Samedi, dimanche, lundi et mardi ont réellement été <strong>de</strong>s jours noirs pour<br />
moi. Mais la vague est passée !<br />
« Aujourd’hui, je suis plus serein. Je n’ai rien réglé mais j’ai compris ceci :<br />
« J’ai perdu toutes mes barrières : à l’émotion, à l’amitié, au rêve, à la santé.<br />
Je m’étais protégé contre tout ça <strong>de</strong>puis si longtemps et je suis tombé <strong>de</strong><br />
tellement haut que le choc a failli me coûter plus que les quelques larmes<br />
tombées au cimetière.<br />
« Je m’en sors donc plutôt bien.<br />
« Ne vous méprenez pas, je n’ai pas retrouvé mon envie <strong>de</strong> vivre, j’ai<br />
seulement accepté certaines choses, <strong>de</strong>s paramètres nouveaux avec lesquels je<br />
<strong>de</strong>vrai vivre le temps qu’il me reste à vivre.<br />
« Comme vous le lisez, c’est plus une résignation qu’une acceptation mais<br />
ça vaut ce que ça vaut.<br />
95
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« Je vais essayer <strong>de</strong> vivre <strong>de</strong>s expériences nouvelles, n’importe quoi, histoire<br />
<strong>de</strong> m’occuper l’esprit. C’est dangereux car quand je serai à nouveau seul, je<br />
tomberai une fois encore et qui sait ce qu’il se passera et comment je pourrai<br />
réagir à ce moment-là.<br />
« Voilà où j’en suis ! Disons que j’ai trouvé ma planche mais que je dérive<br />
encore.<br />
« Vous disiez que je n’étais pas une âme déchue mais je crois le contraire.<br />
Comment expliqueriez-vous sinon qu’il me soit impossible <strong>de</strong> retrouver mon<br />
chemin ? »<br />
« Une âme déchue trouve toujours son chemin ! Elle est dans le noir absolu<br />
ou alors elle ne parvient pas à se réincarner.<br />
« L’étrange (pas si étrange en fait vu nos origines communes) est cette<br />
lassitu<strong>de</strong> qui semble poindre, ce côté laisser-aller et ça touche plusieurs anciens.<br />
« Tu ne sais pas si quand tu seras <strong>de</strong> nouveau seul tu n’auras pas trouvé en<br />
toi la force pour que ça te soit moins dur.<br />
« Peut-être que n’importe quoi pour t’occuper l’esprit n’est pas la meilleure<br />
voie pour toi ; trouve ta force et ce que tu cherches.<br />
« Les barrières trop fortes trop tôt, c’est le pire ! J’ai perdu les vieilles et je<br />
m’en suis reforgées d’autres, pas plus perméables mais plus sélectives.<br />
« Tu ne dois pas avoir peur d’aller voir au fond <strong>de</strong> toi. Il y a beaucoup plus<br />
<strong>de</strong> force que tu ne sembles le penser pour le moment et <strong>de</strong> ma part ce ne sont<br />
pas <strong>de</strong> jolies paroles, tu le sais je pense.<br />
« Ce que tu vis ressemble au nécessaire stand-by ou no man’s land pour<br />
repartir, comme l’abri pour te protéger tant que la tempête fait rage. Notre<br />
esprit sait mieux que notre carcasse nous protéger <strong>de</strong> toute façon. Dans le<br />
groupe, on est <strong>de</strong> plus en plus tournés sur l’origine ET <strong>de</strong>s Akis ; il y a plus <strong>de</strong><br />
clefs qu’on ne le pense par là… Mais bon, il y a tant <strong>de</strong> réticences quand tu<br />
parles <strong>de</strong> ça, pff ! Les oreilles se ferment ! Il faut aller du côté <strong>de</strong> Bugarach en<br />
Ariège, semble-t-il, pour que ça s’ouvre plus… Là c’est presque un ballet d’ET<br />
qu’il y a !<br />
« Je reprends ton mail : je ne sais pas si c’est retrouver ou trouver ton<br />
chemin ? Retrouver à travers les vies et trouver en celle-ci !<br />
96
Le noir et le blanc<br />
« Tu sais, on dit qu’un Aki ne renonce jamais ! Tu en as l’essence… alors tu<br />
n’as pas fini <strong>de</strong> tomber et <strong>de</strong> te relever, non ?<br />
« Le moins simple est <strong>de</strong> faire le clair entre l’illusion et le réel autour <strong>de</strong><br />
toi… On a souvent envie <strong>de</strong> suivre l’illusion !<br />
« N’shaopaa !<br />
« Que le Soleil et la Lune gui<strong>de</strong>nt tes pas. »<br />
« Suivre l’illusion ! » Nous étions peut-être effectivement en train <strong>de</strong> le faire<br />
avec Maïnéa <strong>de</strong>puis près <strong>de</strong> dix mois ! Au risque <strong>de</strong> tout perdre, nous <strong>de</strong>vions<br />
nous en assurer.<br />
De nombreux événements apparurent en quelques semaines dans notre vie<br />
et la chamboulèrent. De nouvelles rencontres, plus concrètes, nous permirent<br />
<strong>de</strong> nous débarrasser <strong>de</strong> certaines pensées malsaines. Enfin, nous reprîmes<br />
notre activité <strong>de</strong> prostitué, laissée <strong>de</strong> côté fin 2002, ce qui activa le processus<br />
d’une nouvelle dépendance. Nous y trouvions notre compte et avions un<br />
nouveau cap.<br />
Maïnéa avait rempli son rôle et son histoire ne nous <strong>de</strong>vint plus nécessaire ;<br />
elle ne trouvait plus aucune justification dans notre existence.<br />
« Je ne veux pas vous donner l’impression <strong>de</strong> vous écrire simplement<br />
lorsque j’ai quelque chose à vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, un problème à vous raconter, une<br />
pensée qui me contrarie, etc., mais en fait, en vous ai-je trouvé une confi<strong>de</strong>nte,<br />
une ai<strong>de</strong> précieuse qui m’a aidé à me connaître, à m’accepter, un gui<strong>de</strong> en<br />
quelque sorte.<br />
« Récemment, j’ai pris conscience que je ne savais même pas ce qu’était la<br />
sincérité, moi qui m’en revendique tout le temps !<br />
« Je ne sais pas si je suis sincère ou si je joue la sincérité avec les gens que<br />
j’aime… Je ne sais même pas si je les aime.<br />
« En ce moment, j’ai un copain, trouvé par hasard alors que je ne m’y<br />
attendais guère. Le problème et que je ne sais pas ce que j’éprouve pour lui, <strong>de</strong><br />
la pitié sans doute.<br />
« Suis-je capable <strong>de</strong> jouer ainsi sans m’en rendre compte ? Ai-je jamais été<br />
97
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
sincère dans ma vie ? Suis-je <strong>de</strong>stiné à un tout autre but finalement ? Enfin…<br />
Ce sont <strong>de</strong>s questions sans réponses je crois !<br />
« J’aimerais donc savoir, savoir pour évoluer, savoir pour corriger peut-être<br />
même.<br />
« Je vous offre donc ma mémoire ancienne. Êtes-vous capables, vous et<br />
votre groupe, <strong>de</strong> me faire revivre mon passé, concrètement ?<br />
« Peut-être ai-je la clef en moi, celle que vous atten<strong>de</strong>z ou simplement celle<br />
qui me délivrera moi… Je veux savoir, Maïnéa, je n’ai que trop attendu, même<br />
si cette attente m’a été utile.<br />
« Est-il possible que nous nous rencontrions un jour, très prochainement. Il<br />
faut que je sache, par moi-même, ce que je suis, ce que je fais. Il faut que je le<br />
voie, pas que je le lise ou l’enten<strong>de</strong> simplement. »<br />
« J’ai retrouvé ta photo et j’ai replongé en arrière.<br />
« Je ne pourrai pas te voir ni accepter tes vies anciennes en mémoire. Elles<br />
ont croisé trois fois ma route et ça m’a été fatal à chaque fois et pas vraiment<br />
une fin dont on a envie <strong>de</strong> se souvenir. Je ne pourrais pas te parler et te<br />
regar<strong>de</strong>r en face, ça me serait insupportable. Mêmes raisons pour ta mémoire<br />
ancienne.<br />
« Je te souhaite bonne route surtout,<br />
« Amicalement. »<br />
« J’entre toujours dans le jeu <strong>de</strong>s gens, parce que je guette les opportunités,<br />
parce que je trouve cela intéressant, parce ce que je cherche <strong>de</strong>s réponses à<br />
l’humanité. Vous m’avez aidé, chose inattendue !<br />
« Je pensais bien en vous <strong>de</strong>mandant une rencontre que vous refuseriez<br />
pour une connerie du genre <strong>de</strong> celle que vous m’avez sortie, sans offense.<br />
« Refuser <strong>de</strong> me rencontrer par peur après la correspondance édifiante que<br />
nous avons eue, vos propos ?! Je vous en prie, trouvez mieux que cela !<br />
« Par mon <strong>de</strong>rnier message, je voulais tester votre sincérité. C’est chose<br />
faite et je dois avouer que j’aurais souhaité meilleur dénouement.<br />
« Bon souvenir <strong>de</strong> moi. »<br />
98
Le noir et le blanc<br />
Malgré tout, nous apprîmes tellement en dix mois grâce à elle !<br />
Nous n’eûmes plus <strong>de</strong> ses nouvelles <strong>de</strong>puis – nécessairement le contraire<br />
nous aurait-il étonné – mais sans Maïnéa, nous aurions sans doute sombré à un<br />
moment <strong>de</strong> notre vie dans un désespoir <strong>de</strong>s plus profonds.<br />
C’est également <strong>de</strong> sa faute pourtant si, à ce moment-là, nous ne<br />
sombrâmes pas dans ce gouffre… Nous aurions peut-être eu la chance <strong>de</strong><br />
nous débarrasser une fois pour toutes <strong>de</strong> nos illusions.<br />
Connais-tu <strong>Blanc</strong>he-Neige, Fidèle ? Tu nous donnais une belle pomme<br />
empoisonnée avec un air gentil à cette époque et nous croquions <strong>de</strong>dans<br />
comme cette conne !<br />
Les illusions forment ce que nous possédons <strong>de</strong> plus secret et <strong>de</strong> plus<br />
dangereux. Nous ne pouvons pas les partager, vivre avec ou vivre sans. Les<br />
gérer semble être <strong>de</strong>venu pour nous avec toutes ces expériences un jeu qui<br />
requiert patience, bienveillance et ironie. C’est sur ce chemin <strong>de</strong> crédulité que<br />
nous forgeâmes notre caractère et en cela <strong>de</strong>vons-nous beaucoup à cette<br />
femme.<br />
Peut-être un jour trouverons-nous le courage ou plutôt l’intérêt <strong>de</strong> la<br />
recontacter et <strong>de</strong> continuer notre chemin sur la voie qu’elle nous proposait.<br />
99
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
L ’ A m o u r , o b j e t<br />
C’est une envie que nous ne pouvons refouler. Elle nous tient, elle est<br />
présente à chaque instant. Il n’y a aucun moyen <strong>de</strong> nous en débarrasser, si ce<br />
n’est peut-être en la concrétisant. Nous nous y adonnons donc, nous<br />
l’écoutons, nous la suivons.<br />
Elle nous berce alors dans un mon<strong>de</strong> fait <strong>de</strong> pensées inavouables et <strong>de</strong><br />
plaisirs terriblement intenses.<br />
Après, nous nous sentons mieux mais elle revient vite – en fait elle ne nous<br />
quitte jamais. Nous aimons cette sensation ; nous aimons la partager avec <strong>de</strong>s<br />
gens comme nous ; nous aimons être le centre <strong>de</strong> toutes les attentions ; nous<br />
aimons être celui que l’on comble !<br />
Hélas y a-t-il toujours cette barrière <strong>de</strong> raison qui nous l’interdit.<br />
Pourquoi <strong>de</strong>vrions-nous l’écouter après tout ? Nous la passerons si<br />
quelqu’un est là, <strong>de</strong> l’autre côté.<br />
I<br />
Le sexe… Que dire sur lui ? Nous en prîmes conscience tellement tôt ! À<br />
15 ans, nous connûmes ce plaisir intense qui nous ronge avec une fille. À 16,<br />
celui qui nous excite avec un garçon.<br />
Au lycée, le sexe était pour nous associé aux sentiments, à la sincérité, à la<br />
fidélité, à un désir partagé. À la fac, il se transforma en une idée, un moyen, un<br />
attrait. À notre retour <strong>de</strong> Flori<strong>de</strong> en novembre 2001, le sexe <strong>de</strong>vint un job.<br />
Vivre pour baiser, baiser pour vivre ! Nous menâmes pendant toute une<br />
année, dans le dos <strong>de</strong> nos parents chez lesquels nous vivions, une vie <strong>de</strong><br />
déca<strong>de</strong>nte débauche.<br />
Nous trouvions nos clients sur AOL, quelquefois sur un trottoir hors du<br />
centre-ville. Quelquefois même, nous couchions pour le fun sans argent,<br />
bareback. Nous découvrîmes à cette époque ce « risque <strong>de</strong> vivre » lu ailleurs,<br />
quelques mois plus tôt. Notre vie se retourna et nous en étions fier ! Nous<br />
eûmes cette année-là une dizaine d’expériences du genre ; c’est peu mais nous<br />
t’affirmons, Fidèle, qu’elles marquèrent notre vie… en bien ! Nous<br />
100
Le noir et le blanc<br />
éprouvâmes naturellement et immédiatement du plaisir à entrer dans ce rôle<br />
qui ne nous correspondait pas un an auparavant. Nous étions sorti du gentil<br />
garçon innocent trop couvé par son entourage. De petit ange que tous<br />
vénéraient respectaient, nous passâmes dans petit démon. Quelle extase !<br />
Des histoires, nous en avons à la pelle ! Elles n’ont aucun intérêt pour celui<br />
qui les lit car il faut les vivre pour leur en donner ; il est donc inutile <strong>de</strong> les<br />
détailler. À la rigueur, si nous ouvrons un Cercle à Aix-en-Provence (est-ce<br />
toujours prohibé ?), y installerons-nous un office avec le cahier <strong>de</strong> nos Petits<br />
délires sexuels entre amis mais rien <strong>de</strong> plus ici.<br />
Nous analysâmes beaucoup <strong>de</strong> choses dans notre vie et apprîmes ce que le<br />
terme déca<strong>de</strong>nce signifiait. Lorsque nous l’unîmes à celui <strong>de</strong> masochisme, nous<br />
obtînmes la parfaite alliance : une vie perturbée mais tellement excitante que<br />
nous en oubliâmes l’inaltérable finalité nommée Chaos !<br />
Le masochisme, ce n’est pas entrer dans une cage, se faire fouetter, être<br />
attaché à une chaîne et hurler pendant <strong>de</strong>s heures tel un chien que l’on<br />
maltraite ! Laissons cela aux amuseurs <strong>de</strong> foire et aux bourgeois blasés.<br />
Le masochisme, Fidèle, c’est continuer à travailler dans une société qui<br />
t’esclavagise, rester marié à une personne que tu as fini par répugner avec le<br />
temps, ignorer tes envies parce qu’elles ne sont pas acceptées. Le masochisme,<br />
c’est écouter ta raison lorsque ta passion te transporte trop loin, lorsque tes<br />
idéaux prennent le <strong>de</strong>ssus. Le masochisme enfin, c’est omettre les<br />
conséquences <strong>de</strong> tes choix pour préférer le petit caprice <strong>de</strong> l’instant…<br />
I I<br />
Lorsque nous travaillions encore à Monoprix, nous fîmes la connaissance<br />
fortuite <strong>de</strong> Marie-Françoise, une très sympathique parisienne <strong>de</strong> 49 ans qui<br />
venait s’établir à Aix. Nous nous entendîmes rapi<strong>de</strong>ment et elle nous <strong>de</strong>manda<br />
si nous pouvions lui installer son ordinateur et sa chaîne hi-fi un jour prochain.<br />
Le 1er juin <strong>de</strong>rnier, nous nous rendîmes donc chez elle vers 10 heures et ne la<br />
quittâmes que sept heures plus tard.<br />
Loquace <strong>de</strong>puis quelque temps, nous parlons aisément <strong>de</strong> notre vie à qui<br />
veut l’entendre. Nous parlâmes donc <strong>de</strong> tout, <strong>de</strong> nous, <strong>de</strong> notre vie, <strong>de</strong> nos<br />
101
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
activités, du fait que nous venions <strong>de</strong> nous faire stupi<strong>de</strong>ment et volontairement<br />
viré <strong>de</strong> Monoprix parce que nous ne nous y plaisions plus. Nous parlâmes<br />
aussi <strong>de</strong> nos relations : Arthur et Morgan.<br />
Nous rencontrâmes Arthur le 19 avril 2004 au Tison, une boîte <strong>de</strong> nuit gay<br />
en Avignon qui faisait aussi cabaret. Nous avions un copain en commun ce<br />
soir-là avec qui il venait. Un regard sur le dance floor suffit ; nous sortîmes<br />
ensemble le jour d’après.<br />
Nous rencontrâmes Morgan sur l’Internet il y a six mois environ. Il n’y<br />
avait vraiment rien entre nous à ce moment-là. Pour le soir du 1er mai, nous<br />
l’invitâmes à nous rencontrer. Des amis, Arthur et nous-même allions cette<br />
fois-ci au Spartacus, une autre boîte <strong>de</strong> nuit gay, entre Aix et Marseille. Nous<br />
passâmes la nuit ensemble chez nous car il habitait loin. Nous nous revîmes<br />
trois fois ensuite et le 17, nous allâmes chez lui, à Pertuis, en stop vers minuit,<br />
parce que nous <strong>de</strong>vions parler <strong>de</strong> nos sentiments. Nous sortîmes ensemble<br />
cette nuit-là. Nous ne fîmes rien <strong>de</strong> sérieux car nous pensions à Arthur.<br />
Nous annonçâmes la nouvelle à ce <strong>de</strong>rnier au Roton<strong>de</strong>, un bar-lounge<br />
d’Aix où nous avions tous <strong>de</strong>ux nos habitu<strong>de</strong>s, quatre jours plus tard ; nous<br />
trinquâmes au champagne – dérision et légèreté !<br />
Arthur, c’est Absolutely Fabulous et Morgan, Un Automne à New York et<br />
Le Journal <strong>de</strong> Bridget Jones réunis !<br />
Nous sommes la thèse et l’antithèse <strong>de</strong> notre personne. Nous évoluons<br />
allègrement dans <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s opposés et nous nous y perdons souvent. La<br />
synthèse arrangeante est cette saga – elle ne résout rien mais elle met tout à<br />
plat !<br />
Nous évoquâmes tout cela avec Marie-Françoise, entre bien d’autres<br />
choses :<br />
1 . Nous étudiâmes l’Histoire à l’Université <strong>de</strong> Lettres et Sciences Humaines<br />
d’Aix-en-Provence et stoppâmes tout avant les partiels, sur un coup <strong>de</strong> tête,<br />
pour partir en Flori<strong>de</strong> et en revenir trois mois plus tard seulement ;<br />
2 . Nous prostituer : un caprice amusant ;<br />
3 . Nous engager dans l’armée et dénoncer notre contrat cinq semaines après :<br />
un caprice encore ;<br />
102
Le noir et le blanc<br />
4 . Partir en Asie du Sud-Est sans rien prévoir, sans parler la langue, 100 euros<br />
dans la poche, sans point <strong>de</strong> chute ou contact : une folie capricieuse, encore et<br />
toujours ;<br />
5 . Choisir, <strong>de</strong>vant le vigile attaché à la surveillance du personnel, le premier<br />
article qui venait avec un antivol ÉNORME <strong>de</strong>ssus et sortir pour ainsi faire<br />
sonner l’alarme, dans le magasin où nous bossions, pour nous faire virer : une<br />
folie tout court !<br />
Après trois pastis (plus jaunes que blancs) et une bouteille <strong>de</strong> Château<br />
Bacchus, les choses <strong>de</strong>vinrent paradoxalement plus claires.<br />
Nous pensons que nous, jeune trop enchanté <strong>de</strong> notre temps, avons une<br />
tendance à l’auto<strong>de</strong>struction. Peut-être sommes-nous conscient <strong>de</strong> notre<br />
renaissance future, plus stable, plus vraie ; honnêtement ne le croyons-nous<br />
guère !<br />
Face à ce sentiment <strong>de</strong> frustration existentielle qui nous anime, nous<br />
choisissons notre voie : celle qui comme les autres nous conduit dans un mur<br />
mais qui a cette particularité <strong>de</strong> nous le faire oublier. Nous choisissons <strong>de</strong><br />
suivre nos envies et sentiments.<br />
Marie-Françoise se dit désolée pour nous qui ne sûmes quoi lui répondre<br />
sur le moment. Pourtant, ce que nous faisons est-il le fait <strong>de</strong> notre propre<br />
choix et nous ne voulons aucunement être plaint. Nous ne valons pas plus que<br />
ce que nous faisons, y compris nos turpitu<strong>de</strong>s ! C’est grâce à elles que nous<br />
évoluons dans la vie et elles ne nous abîment en rien, bien au contraire, elles<br />
nous construisent.<br />
Malgré nous, par les quelques expériences dont nous fîmes le récit<br />
sommaire plus haut et que nous développerons dans <strong>de</strong> futurs carnets, nos<br />
illusions s’envolèrent. Nous en souffrons tous les jours.<br />
Tel Icare, nous avons désormais besoin pour exister <strong>de</strong> nous approcher du<br />
Soleil, même si nous savons que nous allons nous brûler les ailes. Nous avons<br />
en nous la force <strong>de</strong> nous détruire ; nous en avons conscience !<br />
Notre vie est une suite <strong>de</strong> déceptions qu’il faut accepter et apprendre à<br />
gérer. À chacun sa métho<strong>de</strong>, la nôtre désormais est-elle claire…<br />
103
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
I I I<br />
Il existe dans les Cieux la lueur <strong>de</strong> notre condition. Le Soleil <strong>de</strong>s Hommes<br />
nous apporte Lumière, Chaleur, Réconfort et une Vérité : nous nous<br />
abreuvons tous <strong>de</strong> la même étincelante clarté ! La Paix à celles et ceux qui le<br />
comprennent, le malheur <strong>de</strong> la guerre aux autres.<br />
Nous ne sommes pas seulement un être fait d’os et <strong>de</strong> chairs, nous sommes<br />
également doté d’une conscience poétique et <strong>de</strong> sentiments. Hélas nous arrivat-il<br />
<strong>de</strong> très mal interpréter ces <strong>de</strong>rniers.<br />
Le 18 décembre 2003, nous rédigeâmes une lettre à <strong>de</strong>ux garçons que nous<br />
aurions pu aimer. Il était 4 heures.<br />
« Depuis presque six mois que je suis <strong>de</strong> retour en France, j’ai offert ma<br />
sincérité à trois personnes, sans penser à plus que construire une amitié proche<br />
et vivre le moment présent.<br />
« Visiblement, ce n’est pas un concept que tout le mon<strong>de</strong> saisit.<br />
« Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> peut-être trop mais l’esprit <strong>de</strong>s Hommes me semble peu clair<br />
là-<strong>de</strong>ssus. Ils veulent absolument édifier une barrière entre amitié et amour ;<br />
pour eux, la première est sincère, le second est sérieux !<br />
« Certes je ne connais pas l’Amour. J’ai beau avoir voyagé sur trois<br />
continents, vécu parmi <strong>de</strong>s civilisations très différentes, avoir joui quand même<br />
<strong>de</strong> quelques expériences intéressantes, avoir eu <strong>de</strong> nombreuses relations<br />
sexuelles, je ne sais pas ce qu’Il est, quelle que soit la forme qu’Il puisse<br />
prendre.<br />
« Les gens Le cherchent et Le trouvent rarement, ou au prix <strong>de</strong> concessions<br />
absur<strong>de</strong>s. Seulement, lorsqu’on leur propose une relation sincère et proche,<br />
sans leur promettre <strong>de</strong> Le trouver, ils la refusent. C’est triste à dire mais <strong>de</strong><br />
mon côté, j’ai assez proposé ma sincérité et trop souvent été déçu <strong>de</strong>s excuses<br />
que l’on m’a servies pour justifier ce refus incohérent.<br />
« Quoi <strong>de</strong> plus honnête que <strong>de</strong> proposer sa sincérité à quelqu’un ? Quoi <strong>de</strong><br />
plus hypocrite et lâche que <strong>de</strong> la refuser au nom <strong>de</strong> l’amour ou <strong>de</strong> la<br />
différence ?!<br />
« Non, franchement, je ne comprends pas !<br />
104
Le noir et le blanc<br />
« Hier soir, il <strong>de</strong>vait être 23 heures quand je suis rentré chez moi par le parc<br />
<strong>de</strong> la Torse et je peux bien avouer avoir versé quelques larmes sur cette<br />
incompréhension.<br />
« J’ai également pensé au Bonheur. Quel est-il ? Peut-on en jouir dans <strong>de</strong>s<br />
choses simples ou ces <strong>de</strong>rnières nous font-elles seulement oublier que nous ne<br />
l’avons pas atteint ? Peut-être est-il physiquement inaccessible ! Peut-être<br />
n’existe-t-il que pour les esprits simples ! Peut-être que je pense trop…<br />
« Hier soir, j’ai conclu ceci : je ne suis pas un être à trouver bonheur dans<br />
<strong>de</strong>s choses simples. J’aime donc effectivement les relations atypiques, les<br />
expériences diverses, les personnes complexes. Paradoxalement, j’aime la<br />
solitu<strong>de</strong> partagée.<br />
« Que penserait Bernardin <strong>de</strong> Saint-Pierre <strong>de</strong> ma petite réflexion<br />
nocturne ?! Sans doute lui aurait-il une réponse à cette question : suis-je encore<br />
longtemps <strong>de</strong>stiné à avoir mal ?<br />
« Pour moi, il ne peut y avoir entre nous ni amitié, ni amour ; l’amitié est<br />
beaucoup trop faible et l’amour beaucoup trop fort pour être prémédité. Je<br />
souhaite une relation simple et sincère entre <strong>de</strong>ux êtres qui ont choisi <strong>de</strong><br />
partager le moment présent ensemble. À cela peut-être donnerons-nous un<br />
jour le nom <strong>de</strong> Bonheur ! »<br />
Comme la Vie, la Mort, les saisons, les joies et les peines, les Amoures sont<br />
éphémères. Nous pensons qu’il faut vivre une relation dans l’instant, ne pas<br />
chercher à l’embrouiller <strong>de</strong> pactes, <strong>de</strong> compromis, <strong>de</strong> définitions aussi<br />
complexes qu’inutiles.<br />
Nous n’avons que 22 ans et une telle conception doit paraître quel que peu<br />
naïve. D’ailleurs, nous espérons bien encore évoluer. Nous sommes pourtant<br />
sûr d’une chose : dans dix, vingt ou trente ans, nous aimerions avoir la chance<br />
<strong>de</strong> dire avec nostalgie que nous vécûmes ces instants dans l’Amour et non que<br />
nous les cédâmes par Amour car pour nous tout passe, tout est éphémère,<br />
même les constructions les plus soli<strong>de</strong>s et les plus nobles.<br />
Entre la complexité d’une pensée et la simplicité d’un acte, nous<br />
choisissons la confiance, seul compromis entre souffrance et agonie.<br />
Croyons-nous suffisamment en son amour pour le laisser libre <strong>de</strong> faire ses<br />
105
choix ? Notre amour est-il sincère ?<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Si la réponse à ces <strong>de</strong>ux questions est « Oui !», alors serons-nous heureux<br />
car aucun <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>ux ne <strong>de</strong>vra cé<strong>de</strong>r une partie <strong>de</strong> lui-même… par Amour !<br />
Aujourd’hui, 14 juin 2004, c’est là que nous en sommes.<br />
106
Le noir et le blanc<br />
É p i l o g u e<br />
Nous sommes le dimanche 4 juillet 2004. Ceci conclu le premier chapitre<br />
<strong>de</strong> notre saga, réflexion sur notre courte existence, sur ce que seul, à cause <strong>de</strong><br />
ou grâce à nos expériences, nous retînmes <strong>de</strong> la vie.<br />
Cette semaine, nous apprîmes la signification du mot Amour ainsi que la<br />
souffrance qui en découle indéniablement…<br />
« Aix-en-Provence, mercredi 30 juin 2004.<br />
« Arthur,<br />
« 183 pages ! Cent quatre-vingt trois pages qui n’ont été que le pâle reflet<br />
<strong>de</strong> ce que je ressentais les quelques jours lors <strong>de</strong>squels je les ai écrites ! Cent<br />
quatre-vingt trois pages pour aboutir à ce perturbant constat : je me suis<br />
planté !<br />
« Il ne m’a pas fallu longtemps pour m’en rendre compte, comme si<br />
l’écriture du premier chapitre <strong>de</strong> <strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong> avait été absolument<br />
indispensable pour comprendre cette évolution.<br />
« Aujourd’hui est un jour anodin : mon frère fête ses trente balais <strong>de</strong> l’autre<br />
côté <strong>de</strong> l’Atlantique, le mon<strong>de</strong> ne tourne pas plus mal que d’habitu<strong>de</strong>, les gens<br />
dans la rue marchent toujours, les oiseaux gazouillent, blablabla…<br />
« “Ne rien cé<strong>de</strong>r par Amour” ; ceci est la conclusion du premier livre !<br />
Depuis douze jours, c’est exactement ce que je fais… mais à l’envers !<br />
« Lorsque ce soir-là, au New Cancan, tu as remarqué Sébastien, je me suis<br />
dis égoïstement que tu ne jetterais pas ton dévolu sur ce jeune homme<br />
perturbé par les problèmes qui l’occupaient avec son ex. On en a parlé… Il<br />
t’intéressait, je l’ai su <strong>de</strong> suite, sans savoir pourquoi.<br />
« Seulement voilà, il était attiré par moi, que <strong>de</strong>vais-je faire ? Je ne<br />
souhaitais aucunement m’attacher à quelqu’un d’autre ; je souffre suffisamment<br />
<strong>de</strong> notre relation et, à la fois, ne peux vivre sans.<br />
« Le soir <strong>de</strong> la fête <strong>de</strong> la musique, j’ai donc tout mis en œuvre pour casser<br />
quelque chose chez lui, le rapprocher <strong>de</strong> moi pour mieux l’en éloigner plus<br />
tard. Je m’y suis attardé quelques jours, il fallait que je sache aussi les<br />
107
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
sentiments qui t’attachaient à lui. Le Temps révèle beaucoup <strong>de</strong> choses, tu sais !<br />
Par ailleurs, je sentais que ce que je lui disais sonnait comme une révélation. Je<br />
n’ai pas agi dans mon intérêt, pas seulement, il fallait qu’il enten<strong>de</strong> ces choses,<br />
son regard n’était que trop parlant.<br />
« Le soir d’après, au Med Boy pour l’anniversaire <strong>de</strong> Benoît, j’ai pris<br />
pleinement conscience <strong>de</strong> ce que représentait Sébastien pour toi. Des<br />
collégiennes, me disais-tu ? Arthur, quand tu es blessé, énervé, tu n’as pas<br />
besoin <strong>de</strong> me le dire clairement, je le sais bien avant. Pour autant, et cela<br />
pouvais-tu t’en douter à cet instant ?, je n’agissais que dans ton intérêt.<br />
« Mon affection, je te la donne sans retenue ! Je ne viens pas chez toi<br />
lorsque tu me le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s dans quelque autre but que celui <strong>de</strong> te réconforter<br />
parce que tu vas mal. Peut-être est-ce cela Aimer !<br />
« Vendredi soir… Intéressante soirée, n’est-elle pas ? Voilà Sébastien libéré<br />
<strong>de</strong> toute attache à mon égard. Ton rôle <strong>de</strong> comtesse amoureuse et<br />
entreprenante a équilibré parfaitement mon rôle <strong>de</strong> garçon distant qui ne<br />
cherche pas <strong>de</strong> relation, qui s’en éloigne quand elle approche. Il l’a compris ce<br />
soir-là, je l’espère, j’ai tout fait pour.<br />
« Vendredi soir donc, plus rien ne dépendait <strong>de</strong> moi. C’était gagné, pour<br />
toi ! Ainsi avais-je réussi une <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s erreurs dont je me souviendrai<br />
longtemps, et c’est dire…<br />
« Hier soir, Arthur, tu n’as vraiment rien manqué <strong>de</strong> la soirée au Set Club.<br />
Tu aurais pu admirer cependant dans quel état j’étais. Une coupe à la main,<br />
seul, au bord <strong>de</strong> la piscine, dans un coin reculé <strong>de</strong> la foule, la tête levé vers les<br />
étoiles, j’ai beaucoup songé ; songé à la relation que j’entretiens avec toi, songé<br />
à ce que je venais <strong>de</strong> faire.<br />
« J’ai cédé beaucoup <strong>de</strong> choses en si peu <strong>de</strong> temps par Amour. C’en est<br />
absur<strong>de</strong> ! Il y a quelques jours, je pensais encore que même l’Amour était<br />
éphémère, et aujourd’hui voilà que je me surprends à en douter sérieusement.<br />
« Il y a une image <strong>de</strong> cette soirée que j’aimerais effacer à tout jamais.<br />
J’aurais voulu éviter <strong>de</strong> voir votre regard à tous les <strong>de</strong>ux lorsque je vous ai dit :<br />
“Bonne soirée, amusez-vous bien !” <strong>de</strong>vant le Happy Days.<br />
« Il est <strong>de</strong>s choses complètement futiles qui nous marquent cependant, cela<br />
m’a beaucoup marqué ! J’avais l’impression <strong>de</strong> voir dans les yeux <strong>de</strong> Sébastien<br />
108
Le noir et le blanc<br />
le regard d’un être qui va trahir un ami ; dans le tien… tu n’étais pas assez clair<br />
hier soir pour exprimer quoi que ce soit <strong>de</strong> sérieux et pourtant je souhaite ne<br />
plus jamais revoir ce regard. Vous pensiez que vous m’abandonniez, je m’en<br />
moquais, mais je savais que vous le pensiez. Je n’aime décidément pas que l’on<br />
s’attache à moi.<br />
« Il est <strong>de</strong>s jours où je me sens seul, alors mon cœur rappelle à mon esprit<br />
qu’il te connaît ; il est <strong>de</strong>s jours où mon bonheur ne pourrait être sublimé que<br />
par le fait <strong>de</strong> le partager avec toi.<br />
« Il est <strong>de</strong>s jours où je suis surpris <strong>de</strong> mon étonnante capacité à retenir ces<br />
quelques larmes qui me persécutent quand je pense à toi, loin <strong>de</strong> moi… Il est<br />
<strong>de</strong>s jours où tu m’énerves…<br />
« Ce sont ces jours-là qui m’ont enseigné ce que ces cinq petites lettres<br />
assemblées signifient.<br />
« Arthur, je t’aime et tu vas me manquer. Je t’aime en tant que confi<strong>de</strong>nt, en<br />
tant qu’ami proche, en tant qu’amant ; je t’aime en temps <strong>de</strong> paix comme en<br />
temps <strong>de</strong> peine.<br />
« Arthur, je n’aurais pas souhaité une autre relation entre nous. Elle me<br />
blesse comme elle me soigne, elle m’élève comme elle m’abîme, elle me<br />
convient pleinement.<br />
« Vis dans le meilleur, vis dans le pire. Comtesse, vis pour toi ; étoile <strong>de</strong><br />
Lux, illumine les autres ; Arthur, je pense à toi, ne change pas. »<br />
L’Amour… Vingt-<strong>de</strong>ux années d’évolution pour nous rendre compte <strong>de</strong> ce<br />
qu’il était ! Était-ce à ce point nécessaire d’en souffrir pour lui donner un<br />
visage ? Hélas, nous croyons même lui avoir donné un nom : Arthur.<br />
Vendredi, nous versâmes tant <strong>de</strong> larmes sur ce constat, nous en avions tant<br />
accumulé, nous pensions ne plus être capable <strong>de</strong> nous arrêter.<br />
Lorsque nous pensons à Arthur, notre cœur s’emballe et nos yeux pétillent.<br />
Nous nous retenons, autant que faire se peut. Nous évitons <strong>de</strong> nous souvenir<br />
que c’est dans ses bras que nous nous sentons le mieux ; nous évitons <strong>de</strong> nous<br />
souvenir <strong>de</strong>s moments intenses que nous avons partagés ; nous évitons <strong>de</strong><br />
nous souvenir <strong>de</strong>s soirées que nous passions ensemble à chercher qui serait le<br />
plus déca<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>ux ; nous évitons <strong>de</strong> nous souvenir <strong>de</strong> tous ces petits<br />
109
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
détails qui font que nous l’aimons ; nous évitons <strong>de</strong> nous souvenir…<br />
La sincérité est un beau mot mais elle est souvent inutile ; l’amour en<br />
<strong>de</strong>vient pathétique ! Pourtant faut-il tout donner pour lui, se mettre à genoux,<br />
supplier. Le premier Grand Amour est important dans ta vie, Fidèle. Ne le<br />
gâche pas par fierté, égoïsme ou peur du ridicule. S’il n’est pas réciproque, alors<br />
au moins auras-tu appris ce qu’il est !<br />
Nous apprîmes tant ces trois <strong>de</strong>rnières années ; nous aurions tant aimé<br />
rester ignorant, ad vitam aeternam.<br />
110
É p i s o d e I I<br />
.<br />
J o u r n a l d ’ u n s o l d a t a b u s é
Journal d’un soldat abusé<br />
P r o l o g u e<br />
Il y a un an, en octobre 2001, nous entrâmes à la Faculté <strong>de</strong> Lettres et<br />
Sciences Humaines d’Aix-en-Provence avec un inutile baccalauréat<br />
économique et social en poche et un enthousiasme <strong>de</strong> marmotte. Nous y<br />
choisîmes Histoire (civilisations antiques en Europe) et un UV découverte <strong>de</strong><br />
Géographie. Et dire qu’il y en a qui tiennent huit ans ! Nous voulions étudier<br />
les civilisations celtiques <strong>de</strong> Hallstatt et <strong>de</strong> la Tène, pas les mer<strong>de</strong>s dont on<br />
nous bourra le mou avant. Hélas cette première année ne nous laissa-t-elle<br />
guère le choix.<br />
Les cours généraux ne nous plaisant donc pas, nous n’assistâmes pas aux<br />
partiels et les résultats furent probants : nous plantâmes lamentablement notre<br />
année.<br />
Pour nous punir, notre frère nous invita à Orlando (Flori<strong>de</strong>, USA) où il<br />
vivait <strong>de</strong>puis plusieurs années ; nous avons le sens <strong>de</strong> la punition dans la<br />
famille…<br />
Nous partîmes en août et bossâmes avec lui dans son agence <strong>de</strong> voyages le<br />
temps <strong>de</strong> notre visa touristique. Pendant trois mois, nous visitâmes les parcs<br />
d’attraction, traversâmes la côte est en voiture, nous promenâmes dans<br />
Washington D.C., nous baignâmes dans le Golfe du Mexique, parcourûmes les<br />
réserves naturelles en hovercraft, assistâmes à la terrible avant-première <strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>ux tours, etc. Cette leçon laissa une marque indélébile dans notre esprit ;<br />
c’est promis, nous ne raterons jamais plus une année <strong>de</strong> fac…<br />
Nous revînmes seul en France et retournâmes chez nos parents à Aix-en-<br />
Provence où nous glandâmes – il faut bien l’avouer – pendant près d’un an :<br />
sorties, boîtes, rencontres, etc.<br />
Bref, tu l’auras compris, Fidèle, ce ne fut pas le boulot qui nous tua cette<br />
année-là encore, au grand dam <strong>de</strong> nos parents qui ne savaient plus quoi faire <strong>de</strong><br />
nous…<br />
Nous sommes un éternel blasé ! Nous nous emmerdons dans la vie et pour<br />
la supporter, puisque nous ne sommes pas suicidaire et que nous l’avons donc<br />
dans le cul, nous sommes obligé <strong>de</strong> l’agrémenter <strong>de</strong> quelques folies impulsives.<br />
Ce sont elles qui nous poussent à partir quand notre vie <strong>de</strong>vient trop<br />
113
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
poussiéreuse. Nous avons toujours navigué entre exil et errance, nous<br />
l’admettons volontiers. Pour beaucoup, nous ne sommes qu’un garçon<br />
irresponsable ; pour d’autres, nous fuyons en avant ; pour d’autres enfin, nous<br />
buvons trop. Nous sommes un peu tout cela sans doute – on ne boit jamais<br />
trop ceci dit ! – mais avant tout, nous ne sommes pas un garçon heureux et <strong>de</strong><br />
toutes nos expériences, simples ou complexes, solitaires ou accompagnées,<br />
nous ne tirerons jamais qu’un certain contentement éphémère qui ne nous<br />
satisfait pas.<br />
NOUS-MÊME . Ah, la bonne excuse <strong>de</strong> l’instabilité ! Cachez-vous <strong>de</strong>rrière,<br />
<strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous êtes un lâche !<br />
Peut-être bien, nous avons nos démons…<br />
Depuis plusieurs années, nous cherchons donc à rendre notre vie plus<br />
intéressante, plus excitante. Lorsque nous étions en 1ère scientifique, nous<br />
décidâmes d’orienter notre Quête dans l’humanitaire auprès d’ONG telles que<br />
la Croix Rouge, le Secours Catholique, MSF, Enfants du Mon<strong>de</strong>, etc. mais sans<br />
succès hélas. Si nous avions été spécialisé dans un domaine utile pour elles,<br />
nous aurions sans le moindre doute trouvé une place en tant que bénévole – ce<br />
que nous voulions faire – afin <strong>de</strong> venir en ai<strong>de</strong> aux populations menacées par la<br />
famine, la maladie, la guerre ou les catastrophes naturelles. Seulement ne<br />
possédions-nous qu’un diplôme général complètement sans valeur au sein <strong>de</strong><br />
telles organisations (et même ailleurs…). Et puis, si les ONG avaient recours à<br />
<strong>de</strong>s gens avec pour seul moteur leur bonne volonté, cela se saurait !<br />
NOUS-MÊME . Comme vous êtes naïf, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> !<br />
Oui, nous l’étions.<br />
L’humanitaire <strong>de</strong>venait donc pour nous exclu à moins <strong>de</strong> recourir à une<br />
formation académique longue et coûteuse sans garantie <strong>de</strong> succès.<br />
Nous nous souvînmes un jour cependant <strong>de</strong> la Journée d’Appel <strong>de</strong><br />
Préparation à la Défense (JAPD), <strong>de</strong>s séances d’information que nous avions<br />
pu y recevoir, <strong>de</strong> la possibilité d’acquérir une formation spécialisée dans<br />
114
Journal d’un soldat abusé<br />
l’Armée. Nous allâmes donc nous renseigner à la permanence du Centre<br />
d’Information et <strong>de</strong> Recrutement <strong>de</strong> l’Armée <strong>de</strong> Terre (CIRAT) <strong>de</strong> Marseille<br />
où nous trouvâmes l’adjudant-chef R., un homme sympathique mais, nous<br />
l’apprendrons plus tard, un bouffon sous-officier dont l’unique objectif était<br />
du faire du chiffre ; nous fûmes abusé ! Nous entrâmes dans le local, il nous<br />
reçut, nous parlâmes <strong>de</strong> notre projet humanitaire et lui <strong>de</strong>mandâmes si nous<br />
pouvions trouver cela dans l’armée.<br />
ADJUDANT-CHEF R. . Mais certainement, Monsieur <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong> ! Sachez qu’un<br />
militaire n’est pas seulement un soldat fait pour la guerre, il nous arrive aussi <strong>de</strong><br />
secourir <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes dans le besoin, <strong>de</strong> les protéger lors d’un<br />
conflit, <strong>de</strong> leur apporter nourriture, vêtements ou médicaments.<br />
À ce moment-là, par manque cruel d’information, nous n’avions pas<br />
encore <strong>de</strong> projet bien précis en tête mais signâmes quand même pour passer<br />
les trois jours d’épreuves <strong>de</strong> sélection et d’information dans le but <strong>de</strong> nous<br />
engager par la suite comme Engagé Volontaire <strong>de</strong> l’Armée <strong>de</strong> Terre (EVAT).<br />
Nous attendîmes trois mois notre convocation et, <strong>de</strong>ux semaines plus tard,<br />
nous étions dans un TGV pour Lyon.<br />
115
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 8 o c t o b r e 2 0 0 2<br />
Lyon (Dauphiné, France).<br />
Le traditionnel retard SNCF <strong>de</strong> dix minutes nous fit débarquer à Lyon vers<br />
17 heures. Le trajet se déroula bien. Nous suivîmes le plan d’accès jusques au<br />
Centre <strong>de</strong> Sélection et d’Orientation (CSO) sans encombre. Il nous fallut<br />
quinze minutes sans nous presser.<br />
Le CSO nous ouvrit ses portes vers 18 heures ; une dizaine <strong>de</strong> candidats<br />
attendait déjà. Notre convocation fut vérifiée au poste <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>, pour peu<br />
qu’elle fût fausse et qu’un mala<strong>de</strong> mental eût une envie subite <strong>de</strong> suivre une<br />
formation militaire en plein hiver à Lyon ! Nous suivîmes ensuite un brigadierchef<br />
qui nous <strong>de</strong>manda d’attendre le reste <strong>de</strong>s candidats dans le foyer.<br />
Au début, l’ambiance était timi<strong>de</strong> : on buvait un café ici, on fumait une<br />
cigarette là. Nous retrouvâmes tout le mon<strong>de</strong> autour <strong>de</strong> la table dans l’attente<br />
<strong>de</strong> nous ne savions quoi, peut-être <strong>de</strong> ce qui nous attendait. Le temps passa et<br />
les présentations commencèrent : « Moi, je viens d’ici ! », « Moi <strong>de</strong> là ! », « J’ai<br />
18 ans ! », « J’ai 21 ans ! », « Je souhaite faire ceci, cela… », « Je n’aurais jamais<br />
dû écouter mes parents et venir ici ! », etc. L’atmosphère <strong>de</strong>vint rapi<strong>de</strong>ment<br />
proche <strong>de</strong> celle d’un hall <strong>de</strong> lycée ou <strong>de</strong> fac. Le repas du soir n’était pas pris en<br />
charge par le CSO qui ne faisait que nous accueillir pour ne pas arriver au<br />
matin et commencer les épreuves sans être déjà installé.<br />
Aux environs <strong>de</strong> 21h30, le brigadier-chef qui s’occupera <strong>de</strong> nous pendant<br />
notre séjour au CSO sonna le rassemblement afin <strong>de</strong> nous présenter le<br />
programme <strong>de</strong>s festivités qui débutera <strong>de</strong>main à 6h45.<br />
Nous fûmes installé dans la chambre 108 avec cinq autres candidats. Le<br />
temps <strong>de</strong> nous débarrasser <strong>de</strong> nos affaires et nous re<strong>de</strong>scendîmes au foyer<br />
avant <strong>de</strong> remonter nous coucher, n’ayant trouvé personne d’intéressant. La<br />
journée <strong>de</strong> <strong>de</strong>main sera longue.<br />
116
Journal d’un soldat abusé<br />
2 9 o c t o b r e 2 0 0 2<br />
Lyon (Dauphiné, France).<br />
Le petit-déjeuner est obligatoire pour tout le mon<strong>de</strong>. Nous dûmes nous<br />
lever à 6h15 pour être à l’heure et en rang avec les autres ; l’angoisse ! Environ<br />
quatre-vingts candidats sont ici : il y a <strong>de</strong>s Engagés Volontaires Sous-Officier<br />
(EVSO), <strong>de</strong>s EVAT et probablement aussi <strong>de</strong>s Volontaires Dans l’Armée <strong>de</strong><br />
Terre (VDAT). Une fois en rang, <strong>de</strong>ux par <strong>de</strong>ux comme à l’école, direction la<br />
cantine, en silence. Les <strong>de</strong>rniers arrivés au CSO, dont nous faisions partie,<br />
n’avaient pas encore été regroupés en section, les autres portant déjà <strong>de</strong>s<br />
insignes numérotés. De retour <strong>de</strong> la cantine, nous nous alignâmes donc avec les<br />
sans-numéros et attendîmes les consignes : « Dans quinze minutes, tout le<br />
mon<strong>de</strong> en bas [<strong>de</strong>s chambres] ! »<br />
On nous emmena dans une salle où nous dûmes remplir quelques<br />
documents personnels ; on nous attribua également la section 1 et le numéro 8.<br />
Ensuite, on nous dit que nous avions du temps avant le déjeuner pour<br />
commencer la visite médicale. En rang (plus ou moins droit), nous nous<br />
dirigeâmes tous vers le bâtiment médical du centre. Première source d’angoisse<br />
pour les plus anxieux, la visite médicale est éliminatoire. Il est préférable d’être<br />
apte à tout pour mettre toutes les chances <strong>de</strong> son côté. Nous étions<br />
relativement nombreux et l’attente entre chaque mé<strong>de</strong>cin fut parfois longue.<br />
Tout fut vérifié : le cœur, la vue, les <strong>de</strong>nts, l’ouïe, l’urine, tout.<br />
Nous commençâmes par le test urinaire. Vint le tour du cardiologue.<br />
Quelques-uns eurent le temps <strong>de</strong> passer mais pour nos camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> chambrée<br />
et nous-même, il fallut attendre après le déjeuner. Il ne trouva rien d’anormal<br />
chez nous, pas même le souffle au cœur que nous traînons <strong>de</strong>puis notre<br />
enfance. À l’audiométrie, nous obtînmes la note maximale. Dents : OK. Vue :<br />
oops, problème. Nous n’assimilions pas un certain exercice. Nous n’allons pas<br />
le décrire, ce serait inutile, mais nous nous dîmes à ce moment-là : « <strong>Florimon</strong>-<br />
<strong>Louis</strong>, cet après-midi, vous rentrez chez vos parents ! » Nous voyons<br />
parfaitement (x=10) mais pour le “y”, rien à faire. L’ophtalmo s’énerva, il en<br />
avait marre ! Il nous <strong>de</strong>manda d’attendre l’avis <strong>de</strong> son collègue. Finalement, il<br />
s’avère que certaines personnes n’assimilent pas cet exercice. Sans doute savaitil<br />
pourquoi mais il ne nous en fit pas part. Le généraliste approuva nos tests<br />
117
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
médicaux et nous nota apte à tout ; nous pouvions continuer les épreuves.<br />
Deux candidats n’eurent pas cette chance : l’un avait du sang dans l’urine et<br />
l’autre était trop petit. Ils furent recalés.<br />
Avec cela, la journée passa. Nous eûmes encore une petite séance<br />
d’information et là, c’est quartier libre jusques à <strong>de</strong>main.<br />
118
Journal d’un soldat abusé<br />
3 0 o c t o b r e 2 0 0 2<br />
Lyon (Dauphiné, France).<br />
Toutes les journées se ressemblent plus ou moins dans un régiment. Au<br />
CSO, c’est pareil : réveil à 6h15, petit-déjeuner, etc.<br />
La salle <strong>de</strong> cours se trouve à <strong>de</strong>ux minutes <strong>de</strong> marche <strong>de</strong> l’hébergement.<br />
Nous y entrâmes ce matin et prîmes une chaise. Le capitaine nous donna le<br />
premier cours sur les armes / les spécialités. Pour celles et ceux qui n’avaient<br />
pas encore <strong>de</strong> projet, il était temps <strong>de</strong> s’y mettre.<br />
Après ce cours, les épreuves proprement dites débutèrent. La lecture au<br />
son n’était ni plus ni moins qu’un exercice <strong>de</strong> morse. Il s’agissait <strong>de</strong><br />
reconnaître, comme son nom l’indiquait (test I.N.T.), les lettres “i”, “n” et “t”<br />
en morse. On nous passa une cassette vieille <strong>de</strong> 1986 – pourquoi la renouveler,<br />
le morse a-t-il changé <strong>de</strong>puis ? – et nous dûmes noircir les bonnes cases. Ce fut<br />
tout simple jusques à ce que la lecture s’accélérât car après, beaucoup furent<br />
dépassés.<br />
Le test I.N.T. achevé, nous passâmes l’entretien. En attendant notre tour,<br />
une salle d’info libre fut mise à notre disposition et le caporal-chef B., qui<br />
s’occupait <strong>de</strong> notre section, répondit à nos questions. C’est là que nous<br />
élaborâmes notre projet. Nous fîmes un peu le tour <strong>de</strong>s plaquettes <strong>de</strong>s<br />
régiments, <strong>de</strong>s spécialités et trouvâmes celle que nous étions venu chercher <strong>de</strong><br />
si loin : la plaquette <strong>de</strong> la Santé. Nous la parcourions à peine lorsque vint notre<br />
tour ; dommage !<br />
Nous patientâmes un petit moment <strong>de</strong>vant la pièce <strong>de</strong> l’entretien et un<br />
autre caporal-chef, une femme, se présenta pour nous le faire passer. À cet<br />
instant se jouaient à 75% nos chances d’entrer dans l’armée et nous merdâmes,<br />
évi<strong>de</strong>mment, histoire <strong>de</strong> prouver une fois <strong>de</strong> plus, tel un chat, que nous<br />
retombions quand même à chaque fois sur nos pattes agiles. Nous exposâmes<br />
mal notre projet, sans doute parce que nous ne le connaissions pas encore<br />
assez bien, par manque d’information aussi. D’entrée, elle nous dit clairement :<br />
« Ici, on ne fait pas d’humanitaire, Monsieur ! Ici, on fait la guerre, on tue <strong>de</strong>s<br />
gens ! » Elle resta très courtoise mais ferme. Naturellement, nous acquiesçâmes<br />
et continuâmes à exposer le peu <strong>de</strong> choses que nous savions sur la spécialité<br />
choisie : ai<strong>de</strong> soignant. Là, elle nous répondit que n’ayant pas <strong>de</strong> diplôme<br />
119
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
spécialisé, nous <strong>de</strong>vions commencer <strong>de</strong> toute manière comme brancardiersecouriste,<br />
ce qui nous allait parfaitement aussi. Nous lui expliquâmes que nous<br />
souhaitions à l’armée acquérir une expérience professionnelle afin <strong>de</strong> pouvoir<br />
plus tard nous en servir pour entrer dans une ONG et faire <strong>de</strong> l’humanitaire.<br />
GRAVE ERREUR ! Elle pensa <strong>de</strong> suite que nous voulions utiliser l’armée<br />
comme tremplin mais nous ne le comprîmes pas <strong>de</strong> suite.<br />
L’entretien se termina, nous retournâmes à la salle d’info libre et<br />
discutâmes avec le caporal-chef B.. C’est lui qui nous fit remarquer notre<br />
erreur. Comment la réparer ? Nous lui dîmes que telle n’était pas notre<br />
intention. Nous sommes certes plus versé dans l’humanitaire que dans le<br />
militaire, mais l’idée <strong>de</strong> nous servir <strong>de</strong> l’institution comme tremplin ne nous<br />
avait jamais traversé l’esprit – quoi que… Il le comprit heureusement et donna<br />
la réponse à tous nos problèmes. Il nous informa sur l’existence d’un service<br />
qui venait d’ouvrir à Lyon, l’Action Civilo-Militaire (ACM), qui s’occupait<br />
exclusivement d’humanitaire. Grâce à lui et à cette nouvelle donnée, nous<br />
pûmes affiner notre projet. Notre but n’était plus alors <strong>de</strong> rechercher une<br />
ONG après quelques années passées dans l’armée mais l’ACM. Il ne restait<br />
qu’à rattraper le coup auprès du caporal-chef qui nous avait fait passer<br />
l’entretien. Heureusement, elle sortit pendant notre pause et nous pûmes lui<br />
parler furtivement. Elle semblait satisfaite <strong>de</strong> notre rapi<strong>de</strong> plaidoyer. Nous<br />
sentîmes qu’un autre problème la tracassait mais elle ne nous en parla pas alors.<br />
Après le déjeuner, l’après-midi que tout le mon<strong>de</strong> redoutait arriva : les<br />
épreuves sportives (mieux valait manger peu !) L’adjudant-chef R. du CIRAT<br />
<strong>de</strong> Marseille n’avait prévenu personne sur les détails <strong>de</strong> cette journée – trois<br />
d’entre nous eurent affaire à lui. Laisse-nous donc t’informer, Fidèle, <strong>de</strong>s fois<br />
que tu t’engages :<br />
1 . Connais-tu le test du luc léger ? Il est simple à expliquer, pas à réaliser. Vingt<br />
mètres <strong>de</strong> pistes délimitées par <strong>de</strong>ux ban<strong>de</strong>s blanches. Premier bip, tu pars en<br />
courant, le but étant d’arriver à l’autre ban<strong>de</strong> avant le second car au second, tu<br />
repars, etc. Le test dure dix minutes, chaque palier compte une minute et est<br />
plus rapi<strong>de</strong> que le précé<strong>de</strong>nt. Nous arrivâmes à 7 paliers 30, ce qui n’était pas<br />
génial en soit…<br />
2 . La secon<strong>de</strong> épreuve fut la course d’obstacles. Un petit parcours à réaliser<br />
120
Journal d’un soldat abusé<br />
<strong>de</strong>ux fois en 2 minutes 30 secon<strong>de</strong>s. Le saut d’obstacle <strong>de</strong> quatre-vingt-dix<br />
centimètres et le <strong>de</strong>ssus-<strong>de</strong>ssous sont <strong>de</strong>s agrès non notés car éliminatoires ; il<br />
faut donc les passer absolument pour continuer. Les treize tractions dorsales<br />
doivent être comptées à voix haute. Le porter <strong>de</strong> sac sur quinze mètres ne se<br />
fait qu’à la fin du second tour et selon une technique bien déterminée<br />
auparavant.<br />
3 . La <strong>de</strong>rnière épreuve physique est la force brute : dix soulèvements menton<br />
au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la barre. Nous n’en fîmes que six, à nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi<br />
nous allions à la salle <strong>de</strong> sport tous les soirs lorsque nous étions au lycée…<br />
Après tout cela, nous étions crevé, comme tout le mon<strong>de</strong> d’ailleurs. La<br />
journée n’était pourtant pas achevée. Il fallut en effet vite se doucher avant<br />
d’aller dîner au mess <strong>de</strong>s officiers, comme chaque soir.<br />
121
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 1 o c t o b r e 2 0 0 2<br />
Lyon (Dauphiné, France).<br />
Ce <strong>de</strong>rnier jour fut moins dur physiquement que le précè<strong>de</strong>nt mais plus<br />
stressant. La matinée débuta avec les tests psychotechniques et s’acheva en<br />
début d’après-midi par la conclusion <strong>de</strong> nos orienteurs qui nous donnèrent leur<br />
avis sur notre candidature. Ils n’étaient là que pour cela, le CIRAT prenant la<br />
décision <strong>de</strong> suivre ou non leur avis.<br />
Les tests psychotechniques se déroulèrent dans une salle informatique.<br />
Plusieurs épreuves, plus ou moins évi<strong>de</strong>ntes, nous y attendaient. Après <strong>de</strong>ux<br />
heures trente <strong>de</strong> réflexion, <strong>de</strong> calculs et <strong>de</strong> logique, nous pûmes sortir. Le<br />
<strong>de</strong>rnier déjeuner au CSO approchait.<br />
L’après-midi, le caporal-chef B. nous conduisit à la salle d’info libre afin<br />
d’affiner notre projet dans le but <strong>de</strong> convaincre pendant l’entretien final que<br />
nous savions ce que nous voulions et que l’Armée <strong>de</strong> Terre avait tout intérêt à<br />
nous prendre. En parfait fainéant que nous étions, nous n’avions jamais passé<br />
d’entretien <strong>de</strong> notre vie. Dans la salle d’info libre, chacun attendait son tour et<br />
beaucoup appréhendaient le résultat <strong>de</strong> leurs épreuves. Pour notre part, c’était<br />
comme pour le baccalauréat : stress nul.<br />
Après environ une heure trente vint notre tour. Nous ne fîmes pas<br />
attention au nom du caporal-chef qui s’occupa <strong>de</strong> notre dossier. Lors du<br />
premier entretien, nous en tirâmes une assez mauvaise impression mais elle se<br />
révéla finalement très efficace. Nous avions réussi tous les tests et étions donc<br />
classé E1 ; apte à tout et pas trop con. En lecture du son, nous obtînmes<br />
18/20 – va donc savoir par quel miracle !! Aux épreuves physiques, nous<br />
aurons certes quelques efforts à fournir mais nous nous en sortîmes plutôt<br />
bien. Nous fûmes très surpris lorsqu’elle nous expliqua notre personnalité. Elle<br />
tomba pile <strong>de</strong>ssus grâce aux tests psychotechniques. Nous sommes posé,<br />
calme, serein, non émotif ; nous réagissons très bien au stress et nous disons<br />
toujours ce que nous pensons avec diplomatie (sauf quand il s’agit <strong>de</strong> remettre<br />
quelqu’un à sa place, naturellement). Nous avons également tendance à nous<br />
retirer du mon<strong>de</strong> ; nous sommes rêveur. Elle nous questionna un peu sur notre<br />
ambition, nos motivations, etc. Selon elle, notre projet était très bon mais elle<br />
nous fit part <strong>de</strong> ses craintes à notre égard. En effet, elle pensait que nous<br />
122
Journal d’un soldat abusé<br />
pouvions être déçu par la vie dans un régiment car nous nous intéressions<br />
davantage à l’humanitaire qu’à la vie militaire. Nous nous défendîmes du mieux<br />
que nous pûmes et elle nous proposa d’entrer dans l’armée en tant que VDAT<br />
plutôt qu’EVAT afin d’avoir une première année d’expérience et <strong>de</strong> voir si la<br />
vie dans un régiment était faite pour nous.<br />
La première chose qu’il faut afficher lors d’un entretien, nous semble-t-il,<br />
est sa franchise ; nous lui dîmes par conséquent que l’aspect humanitaire nous<br />
intéressait plus que la guerre, que nous souhaitions sauver <strong>de</strong>s vies plutôt que<br />
d’en détruire. Elle conclut que nous possédions effectivement le profil <strong>de</strong> notre<br />
spécialité et que si la vie au sein d’un régiment nous convenait, nous ferions un<br />
bon militaire car notre projet tenait la route et que nous savions <strong>de</strong> quoi nous<br />
parlions (« Ah ouais ?! »). Le caporal-chef B. avait auparavant insisté pour nous<br />
faire faire un VDAT médical qui privilégiait plus la spécialité que l’aspect<br />
militaire. Nous poussâmes la porte du bureau soulagé.<br />
Encore environ <strong>de</strong>ux heures d’attente et nous pûmes sortir du CSO pour<br />
aller fêter cela dans un pub toute la nuit au son <strong>de</strong> pintes entre-choquantes et<br />
<strong>de</strong> poésies nimbées. Hélas, non ! Le caporal-chef B. informa la section qu’elle<br />
avait été l’une <strong>de</strong>s meilleures qu’il avait jamais eues (nous le soupçonnons <strong>de</strong> le<br />
dire à toutes !), nous sortîmes et prîmes notre TGV.<br />
« Tac tac… ? LA PÊCHE !! »<br />
Nous retenons <strong>de</strong> ces trois jours une formidable impression. Nous les<br />
passâmes, ce qui n’est pas rien tout <strong>de</strong> même !<br />
Dans <strong>de</strong>ux semaines, nous recevrons une convocation du CIRAT, et donc<br />
une réponse définitive. Nous <strong>de</strong>vrons alors exposer à nouveau notre projet et<br />
surtout <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r une incorporation. Il nous fut dit au CSO que nous<br />
pouvions choisir n’importe quel régiment en Hexagone puisque nous<br />
souhaitions entrer dans le médical. L’Armorique nous attire et nous aimerions<br />
beaucoup entrer au 3ème Régiment d’Infanterie et <strong>de</strong> Marine (R.I.Ma.) <strong>de</strong><br />
Vannes, dans le Morbihan, car c’est un régiment très actif et ouvert sur le<br />
mon<strong>de</strong> (Afrique, DOM-TOM, Europe <strong>de</strong> l’Est…). Il ne nous reste plus qu’à<br />
attendre et nous verrons bien ce que l’adjudant-chef R. du CIRAT nous<br />
proposera.<br />
123
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
De toute manière, avant <strong>de</strong> choisir notre régiment d’incorpo, nous serons<br />
obligé <strong>de</strong> suivre une formation. Nous allons sans doute nous retrouver au 1er<br />
Régiment Médical (R.Med.) <strong>de</strong> Metz… en plein hiver !<br />
124
Journal d’un soldat abusé<br />
3 d é c e m b r e 2 0 0 2<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Comme nous nous y attendions, nous fûmes bel et bien affecté au 1er<br />
R.Med. <strong>de</strong> Metz ! Ce matin à 8h30, nous avions ren<strong>de</strong>z-vous au CIRAT <strong>de</strong><br />
Marseille afin <strong>de</strong> signer notre contrat et recevoir notre ordre <strong>de</strong> mission. Dans<br />
la salle, nous étions le seul à partir pour la Lorraine. Après <strong>de</strong>ux heures<br />
d’attente et <strong>de</strong> paperasse, nous nous rendîmes à la gare et à 12h08 nous étions<br />
dans le TGV. Le trajet fut agréable mais long puisqu’il nous fallut changer <strong>de</strong><br />
rame à Dijon. Nous en profitâmes pour lire le livre que nous nous étions<br />
acheté à la Librairie <strong>de</strong> Provence : Lord of The Ringards, une excellente<br />
parodie du Seigneur <strong>de</strong>s Anneaux. Nous arrivâmes en gare <strong>de</strong> Metz à 18h33 ; il<br />
pleuvait.<br />
Nous décidâmes d’appeler le Quartier Serret afin <strong>de</strong> savoir comment nous<br />
y rendre par nos propres moyens. La permanence nous indiqua la ligne 5 du<br />
bus collectif dont la <strong>de</strong>stination finale était Maison-Neuve. Après quinze ou<br />
vingt minutes, nous passâmes le portail <strong>de</strong> Serret et l’officier <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> nous<br />
signala, comme si nous avions eu le choix, que ce n’était pas une heure pour<br />
venir se présenter. Son boulot <strong>de</strong>vait l’ennuyer ; voilà tout ! Il nous laissa quand<br />
même entrer et nous amena au poste <strong>de</strong> permanence. Un sous-officier<br />
sympathique nous accueillit et annonça qu’en fin <strong>de</strong> compte il fallait nous<br />
rendre au Quartier Colin. Il appela donc pour que l’on vînt nous chercher ;<br />
nous attendîmes là environ vingt minutes qu’un 1ère classe vienne en Peugeot<br />
P4. Nous apprîmes pendant le trajet qu’il était réunionnais, que sa femme vivait<br />
également à Metz, qu’il n’aimait pas ce coin – sans blague ! – et qu’il souhaitait<br />
au plus vite partir en Opération Extérieure (OPEX), voire carrément sur son<br />
île au régiment interarmes. Pourquoi faire venir <strong>de</strong>s îliens en Lorraine ? Va<br />
comprendre, Fidèle !<br />
Une fois à Colin, nous nous rendîmes compte que nous n’étions pas le seul<br />
à être arrivé à cette heure-là ; nous discutâmes avec les autres <strong>de</strong>vant un sachet<br />
repas offert par le régiment. Le hasard fait bien les choses dit-on : Mélanie<br />
(1ère classe), l’une <strong>de</strong>s filles présentes, venait du 3ème R.I.Ma. <strong>de</strong> Vannes et<br />
une autre, Estelle, avait fait le trajet Lyon / Metz dans le même wagon que le<br />
nôtre, quelques sièges plus en avant. Après un moment d’attente, le reste <strong>de</strong> la<br />
125
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
section nous rejoignit dans une salle <strong>de</strong> cours où le caporal-chef S. nous<br />
expliqua comment allaient se dérouler les festivités.<br />
On nous montra ensuite les chambres <strong>de</strong> la compagnie dans lesquelles<br />
nous passerons notre Formation Générale Initiale (FGI). Sept autres soldats<br />
sont dans la chambre 9 avec nous : Rodrigue (chef <strong>de</strong> chambre), le porc<br />
Antoine, Marcel, Cyril, Sylvain, Laurent et David. Notre chambre est faite <strong>de</strong><br />
stéréotypes, nous compris naturellement :<br />
1 . Rodrigue, qui vient <strong>de</strong> Martinique, est le pseudo-chef qui dit : « Soyez<br />
sérieux les gars ! » quand il est le premier à foutre le bor<strong>de</strong>l le soir après 22<br />
heures pour une histoire sans importance sur laquelle nous reviendrons peutêtre.<br />
Il se croit tout permis car il a déjà été militaire et possè<strong>de</strong> la distinction <strong>de</strong><br />
1ère classe.<br />
2 . Vient ensuite le porc Antoine, la racaille <strong>de</strong> base un peu beaucoup<br />
mythomane. Ce mec nous écœure et nous n’en parlerons pas davantage.<br />
3 . Marcel est le grand débile qui pense tout savoir et qui ramène toujours tout<br />
à sa personne.<br />
4 . Laurent est le mec drôle qui est en manque au bout d’une heure… Il a<br />
certes du mal à accepter la discipline mais c’est le seul dans la chambre que<br />
nous voyons vraiment militaire. Il est sérieux lorsqu’il le faut, possè<strong>de</strong> un<br />
formidable esprit <strong>de</strong> camara<strong>de</strong>rie et le plus important, comme dirait le sergent<br />
A., il a en lui le chromosome kaki. Nous l’aimons bien !<br />
5 . Sylvain est le bon copain avec lequel nous nous entendons le mieux. Nous<br />
pensons qu’il doute <strong>de</strong> son bord…<br />
6 . Cyril est le gamin sympa qui veut absolument adopter le niveau du groupe<br />
pour se faire une place.<br />
7 . David, enfin, est le mec amoureux <strong>de</strong> sa voiture qui passe tout son temps<br />
libre accroché à son mobile avec sa copine.<br />
Bref, tu l’auras compris, il est inutile d’être <strong>de</strong>vant la télévision pour voir le<br />
Loft car ici, on le vit ! Pourtant, si l’un d’entre eux a besoin <strong>de</strong> nous un jour,<br />
nous répondrons présent car ils font partie <strong>de</strong> notre aventure – en fait non,<br />
précisons : présent pour certains seulement.<br />
126
Journal d’un soldat abusé<br />
Nous ? Et bien, <strong>de</strong> la chambre, nous sommes le seul qui relate<br />
suffisamment sa vie pour que tu t’en fasses une idée !<br />
127
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
5 d é c e m b r e 2 0 0 2<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Depuis hier, nous parcourons le circuit d’incorporation à Serret. Pour nous<br />
y rendre, <strong>de</strong>ux GBC dans un piteux état (camions Berliet) sont à notre<br />
disposition. Il faut environ vingt minutes <strong>de</strong>puis Colin. Le circuit d’incorpo<br />
consiste par définition à faire entrer un militaire dans son unité d’affectation.<br />
Habillement, infirmerie, trésorerie, Bureau <strong>de</strong>s Ressources Humaines (BRH),<br />
coiffeur… Trois jours pour en faire le tour !<br />
Nous reçûmes ce matin pour environ 8000 francs <strong>de</strong> paquetage. C’est à<br />
l’infirmerie que l’on nous fit les <strong>de</strong>ux vaccins dont nous avions besoin : antiméningococcique<br />
et anti-typhoïdique. La trésorerie était l’endroit<br />
incontournable si nous souhaitions recevoir la sol<strong>de</strong> chaque fin <strong>de</strong> mois. Au<br />
BRH, nous remplîmes encore <strong>de</strong>s papiers : carte <strong>de</strong> transport, ID militaire,<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> passeport pour partir en OPEX et conventions <strong>de</strong> Genève qui<br />
garantissent à chaque personnel médical en temps <strong>de</strong> crise à l’extérieur une<br />
certaine protection. Quant au coiffeur, certains pleurèrent <strong>de</strong> voir ainsi leurs<br />
cheveux partir sous la ton<strong>de</strong>use. Heureusement <strong>de</strong> notre côté avions-nous<br />
prévu le coup quelques semaines plus tôt afin <strong>de</strong> nous habituer.<br />
Étant le suppléant <strong>de</strong> la chambre 9, nous prîmes hier en charge la clef qu’il<br />
fallait remettre à la Semaine (le sous-officier qui est <strong>de</strong> permanence dans la<br />
compagnie) après avoir soigneusement fermé la porte. Ce matin, alors que tout<br />
le mon<strong>de</strong> attendait dans le GBC, nous ne la retrouvions plus. Cela constitue<br />
une faute et nous en assumâmes <strong>de</strong> suite la responsabilité.<br />
CAPORAL-CHEF S. . Et la tête, elle est toujours là ?<br />
NOUS . Elle est là, chef !<br />
CAPORAL-CHEF S. . Laisse ça pour le moment, tu la chercheras plus tard. On n’a<br />
pas <strong>de</strong> temps à perdre, on doit partir !<br />
C’est au BRH, à Serret, en cherchant notre ID, que nous la retrouvâmes ;<br />
nous l’avions glissée dans notre besace.<br />
128
Journal d’un soldat abusé<br />
6 d é c e m b r e 2 0 0 2<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Comme nous l’écrivîmes plus haut, la vie dans la compagnie ressemble un<br />
peu à celle du Loft. Notons avant <strong>de</strong> continuer que nous croyons bien être<br />
tombé dans une gar<strong>de</strong>rie pour adolescents pré-pubères en manque <strong>de</strong> sexe. Ils<br />
font tous un complexe <strong>de</strong> McCain – ceux qui en parlent le plus qui en mangent<br />
le moins… Par ailleurs, beaucoup viennent <strong>de</strong> la cité, chantent du rap, boivent<br />
et fument – ô joie ! Tous, cependant, en l’espace <strong>de</strong> quelques jours, changèrent<br />
leur personnalité <strong>de</strong> départ – c’est assez déplorable.<br />
Nous comprenons très bien que l’on veuille s’intégrer au groupe, c’est<br />
même indispensable, mais pas que l’on change sa manière d’être. Nous avons<br />
le sentiment que le niveau <strong>de</strong> chacun a considérablement baissé – et il est bas,<br />
tu peux nous croire, Fidèle !<br />
Nous avons en tête plusieurs anecdotes.<br />
Prenons pour exemple la douche. Afin d’éviter tout problème, l’adjudantchef<br />
S. ordonna à notre arrivée que les filles couchassent au premier étage et<br />
les garçons au rez-<strong>de</strong>-chaussée. Chaque soir, tout le mon<strong>de</strong> prend une douche,<br />
rapi<strong>de</strong> ou pas. Le matin, après la petite séance <strong>de</strong> course à pied, c’est déjà<br />
moins évi<strong>de</strong>nt. Le temps manque et les douches aussi, même si grâce aux<br />
groupes <strong>de</strong> force tout le mon<strong>de</strong> n’arrive pas en même temps à la compagnie.<br />
Dans la semaine, trois mecs eurent la fausse bonne idée <strong>de</strong> monter au premier<br />
étage. Gaëlle (la satanique) en surprit un et le rapporta au caporal J.. Tous<br />
eurent naturellement droit à <strong>de</strong> vives remarques <strong>de</strong> sa part et comme à l’armée<br />
on applique le système <strong>de</strong> la cohésion, tout le mon<strong>de</strong> en prit plein la gueule<br />
pour trois crétins qui avaient du mal à accepter les règles <strong>de</strong> vie en<br />
communauté.<br />
Les rumeurs vont également bon train. Entre celle qui serait passée dans le<br />
lit <strong>de</strong> la Semaine, celui qui ne se laverait pas, celui qui serait amoureux d’une<br />
fille, tout le mon<strong>de</strong> y passe. De vraies collégiennes !<br />
Si l’on met <strong>de</strong> côté ces petits détails, la vie dans la compagnie est réglée<br />
comme une horloge suisse. Nous nous levons à 5h15 car il nous faut du temps<br />
pour faire notre toilette et le lit en batterie jusques au rassemblement du petit-<br />
129
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
déjeuner. À 6h20, nous <strong>de</strong>vons mettre en place les Travaux d’Intérêt Général<br />
(TIG) – faire le ménage en somme ! La Semaine déci<strong>de</strong> la veille <strong>de</strong> qui fait<br />
quoi. À 6h50, elle passe pour voir si tout est propre. À 7h15, il y a revue <strong>de</strong>s<br />
chambres. Ceux qui ne sont pas <strong>de</strong> TIG s’occupent <strong>de</strong> nettoyer leur chambre.<br />
Chaque armoire militaire doit être i<strong>de</strong>ntique. Tout doit être carré. Après cela,<br />
nous <strong>de</strong>vons nous présenter au rapport <strong>de</strong>vant l’adjudant-chef avant <strong>de</strong> nous<br />
changer pour aller courir ; la tenue doit là aussi être réglementaire. Pour les<br />
garçons : short court et haut <strong>de</strong> survêtement. Pour les filles : la même chose<br />
avec un cycliste. L’adjudant nous autorise quand même à prendre <strong>de</strong>s gants.<br />
Nous courrons dans le groupe <strong>de</strong> force du sergent A.. Notre problème au<br />
cœur et notre manque d’entraînement se font largement sentir quand nous<br />
forçons trop sur l’endurance.<br />
Le reste <strong>de</strong> la journée se partage entre cours théoriques, Ordre Serré (OS),<br />
chant et autres activités ludiques.<br />
Il y a <strong>de</strong>s avantages à vivre en communauté. Nous fûmes Scout <strong>de</strong> France<br />
et nous savons ce que c’est – même si cela remonte à une époque <strong>de</strong> notre vie<br />
dont nous ne gardons pas les meilleurs souvenirs… Cependant aimons-nous<br />
cela et nous intégrons-nous facilement sans trop toutefois nous dévoiler.<br />
Il y a aussi <strong>de</strong>s inconvénients. Rien <strong>de</strong> grave bien entendu mais ils sont<br />
chiants quand même !<br />
Dans la chambre, le porc Antoine nous rappelle sans cesse que l’humanité<br />
n’est pas aussi civilisée qu’elle le prétend. Dormir relève également <strong>de</strong> l’exploit<br />
entre ceux qui ronflent et celui qui tousse à s’en arracher les bronches parce<br />
qu’il a attrapé la grippe (encore le porc Antoine) avec son crachoir au pied du<br />
lit. Il y a aussi David qui une fois avec son : « Et les gars, ça coule ! » pendant<br />
qu’il dormait nous fit allumer la lumière pour vérifier s’il avait <strong>de</strong>s fuites… Il y<br />
a aussi les toilettes collectives qui naturellement ne restent jamais propres plus<br />
<strong>de</strong> trois heures. Ajoutons à cela les prises <strong>de</strong> têtes quotidiennes pour <strong>de</strong> petits<br />
trucs sans importance et nous aurons fait le tour.<br />
Honnêtement, le confinement ne réussit à personne et heureusement que<br />
nous sommes blasé car nous aurions nous aussi <strong>de</strong>puis longtemps pété un<br />
câble.<br />
Nous sommes coupé du mon<strong>de</strong> durant la semaine. Les mobiles ne sont pas<br />
autorisés – personne ne se gêne ! – et nous n’avons hélas pas accès à notre si<br />
130
Journal d’un soldat abusé<br />
précieux courriel. Heureusement qu’il y a le courrier. Pour la Poste, nous<br />
passons par le caporal C. qui, soit dit en passant, est bien charmante ! Nous<br />
nous égarons, mille excuses ; nous sommes en manque également…<br />
131
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
7 d é c e m b r e 2 0 0 2<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
La première sortie sur le terrain est prévue en janvier et pour le moment,<br />
nous ne reçûmes que <strong>de</strong>s cours théoriques. Autant ne pas te le cacher, Fidèle,<br />
ils sont souvent soporifiques ! D’ailleurs, certains s’endorment – à leurs risques<br />
et périls du reste. C’est pour cette raison que nous te ferons grâce <strong>de</strong>s détails.<br />
Nous commençâmes par l’organisation du régiment, son histoire, sa<br />
mission et les moyens mis à sa disposition pour la mener à bien.<br />
Vinrent ensuite les fon<strong>de</strong>ments & règles <strong>de</strong> discipline, les <strong>de</strong>voirs &<br />
responsabilités du militaire, celles du subordonné naturellement moins<br />
nombreux, les règles <strong>de</strong> politesse, les récompenses & punitions, etc.<br />
Bref, du bourrage <strong>de</strong> crâne pour faire <strong>de</strong> nous un bon petit soldat, membre<br />
d’une fourmilière gigantesque qui doit être prête à se défendre contre le<br />
méchant tamandua.<br />
« Être discipliné, c’est appliquer le règlement ! » C’est aussi et surtout<br />
fermer sa gueule même si quelque chose pose problème. On appelle cela<br />
“Devoir <strong>de</strong> réserve” et on chapeaute le tout d’une œillère imbécile. Et puis,<br />
c’est quoi cette neutralité qu’on nous impose ? Nous nous y plions car nous<br />
sentons que c’est important mais c’est, pour nous, le plus dur.<br />
Nous <strong>de</strong>mandâmes un après-midi pendant un cours sur les règles du Salut<br />
si nous le <strong>de</strong>vions également autant aux drapeaux et hymnes amis qu’ennemis<br />
mais on ne sut pas nous répondre. Est-ce si incohérent comme question que<br />
personne ne sache ce que le mot fair-play signifie ? Que diable ! nous ne<br />
sommes pas un barbare !!<br />
Nous apprîmes également à nous présenter. En plus <strong>de</strong>s pas et positions à<br />
respecter, il fallut accompagner le tout <strong>de</strong> la phrase magique :<br />
« Soldat …<br />
« Compagnie <strong>de</strong> Base et d’Instruction<br />
« Deuxième Section<br />
« À vos ordres (mon) … (blablabla, léchage <strong>de</strong> fesses) »<br />
132
Journal d’un soldat abusé<br />
Il y eut enfin la gran<strong>de</strong> règle du secret mais nous en réservons la critique<br />
pour l’épilogue…<br />
133
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
9 d é c e m b r e 2 0 0 2<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Tout le mon<strong>de</strong> passa le premier week-end au Quartier. Samedi, nous fîmes<br />
connaissance avec le sergent A. qui passa dans notre chambre pour discuter un<br />
peu, histoire <strong>de</strong> connaître ses soldats.<br />
Hier, nous nous levâmes à 8 heures pour aller petit-déjeuner <strong>de</strong>hors.<br />
Étaient présents avec nous Sylvain, Mélanie, Aviva, Nathalie, Delphine et la<br />
satanique Gaëlle. Nous nous rendîmes au bar le plus proche <strong>de</strong> Colin. Là, nous<br />
vîmes entrer <strong>de</strong>ux individus étranges : un travesti et une fille plutôt louche avec<br />
un œil au beurre noir. Nos camara<strong>de</strong>s les regardèrent d’un air amusé et nous<br />
trouvâmes cela assez dérangeant, sans doute parce que nous en avions<br />
l’habitu<strong>de</strong> – on voit <strong>de</strong> tout dans les rave-parties. À ce propos, nous nous<br />
levâmes pour leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il n’y en avait pas à Metz. Hélas, non ! Même le<br />
barman ne sut pas quoi nous répondre.<br />
Nous rentrâmes ensuite au Quartier et chacun vaqua à ses occupations.<br />
Comme nous étions compté mangeant à l’Ordinaire, il fallut nous changer en<br />
treillis pour y aller vers 11 heures.<br />
L’après-midi, nous visitâmes le centre-ville. Le bus était trop tard alors<br />
marchâmes-nous : il suffit d’aller tout droit jusques à la Place <strong>de</strong> la République.<br />
Nous fouillâmes les Galeries Lafayette à la recherche <strong>de</strong> quelque vêtement<br />
intéressant plus d’autres rues, etc. Nous quittâmes quelques minutes les autres<br />
au Centre Saint-Jacques pour les perdre en sortant. Oops ! Nous continuâmes<br />
seul un moment et finîmes par rentrer au Quartier en espérant qu’ils ne nous<br />
chercheraient pas trop longtemps et déci<strong>de</strong>raient d’en faire autant. Ils<br />
arrivèrent une heure après nous.<br />
Hier soir, le caporal J. nous fit à tous un petit speech sur le haschisch et<br />
nous donna quartier libre jusques à ce matin. Pourquoi faut-il absolument faire<br />
<strong>de</strong> l’herbe sacrée une bette noire ? C’est vrai quoi ! Il y a pire en ce mon<strong>de</strong> : les<br />
ecstasys par exemple, l’héroïne, la connerie, la corruption, la médiocrité,<br />
l’orgueil… Foutez-nous la paix avec la weed, mer<strong>de</strong> !<br />
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Metz (Lorraine, France).<br />
Notre premier vrai week-end <strong>de</strong> permission ! Nous ne pûmes rentrer sur<br />
Aix car le trajet en train était bien trop long pour si peu <strong>de</strong> temps. Cela n’eut<br />
pas d’importance car nous n’étions pas le seul à rester en fin <strong>de</strong> compte.<br />
Dans la chambre, le porc Antoine était là, hélas, pour cause <strong>de</strong> fausse<br />
grippe – pauvre petit, il tousse ! Nous décidâmes avec Sylvain <strong>de</strong> passer ces<br />
<strong>de</strong>ux jours ensemble. Hier matin, nous nous mîmes en quête d’une laverie à<br />
l’extérieur du Quartier. Après être passés <strong>de</strong>vant au moins trois fois, nous la<br />
trouvâmes ; cela nous prit la matinée ! Pendant que lui allait manger à<br />
l’ordinaire, nous restâmes dans la chambre pour réfléchir à notre avenir –<br />
genre… À son retour, nous n’avions rien résolu et partîmes pour le centreville.<br />
Au passage, nous aimerions signaler que Metz a beaucoup d’effort à faire<br />
en ce qui concerne les loisirs dans le centre. Même pas un seul cybercafé et<br />
nous dûmes nous contenter d’un ven<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> micro-informatique qui possédait<br />
<strong>de</strong>ux ou trois connexions à l’Internet.<br />
Sur le chemin, nous rencontrâmes <strong>de</strong>s manifestants qui distribuaient <strong>de</strong>s<br />
tracts contre la guerre en Irak. Nous nous dîmes que, <strong>de</strong>ux semaines plus tôt,<br />
nous en aurions fort probablement pris un…<br />
Le soir, nous allâmes au cinéma Le Palace. Théoriquement, nous <strong>de</strong>vions<br />
voir Ah, si j’étais riche car Sylvain n’avait pas vu le premier épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> Harry<br />
Potter mais, une fois dans la salle, le film commença et nous nous rendîmes<br />
compte que la ven<strong>de</strong>use s’était trompée <strong>de</strong> ticket. Il subit donc Harry Potter et<br />
la Chambre <strong>de</strong>s Secrets. Nous n’allons pas nous plaindre car nous nous<br />
régalâmes ; bel opus !<br />
Ce soir, c’est seul que nous y retournâmes ; nous avions besoin <strong>de</strong> nous<br />
changer un peu les idées alors allâmes-nous voir Meurs un Autre Jour, un<br />
James Bond plutôt réussi. Le week-end est terminé, une nouvelle semaine<br />
i<strong>de</strong>ntique à la première va commencer.<br />
135
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 0 d é c e m b r e 2 0 0 2<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Mercredi <strong>de</strong>rnier, le sergent A. souhaitait nous parler dans la salle <strong>de</strong> cours.<br />
Elle nous <strong>de</strong>manda si nous voulions être volontaire pour une mission spéciale<br />
aujourd’hui, ne voulant pas nous en dire plus. Instinctivement, nous<br />
acceptâmes. N’étions-nous pas ici pour vivre <strong>de</strong>s expériences ? Par ailleurs, peu<br />
importait ce qui nous attendait alors : tout était préférable à la course à pattes<br />
<strong>de</strong> dix kilomètres et aux TIG du vendredi… Nous nous retrouvâmes donc le<br />
seul con la main levée et, quelques instants plus tard, quatre autres soldats<br />
furent désignés volontaires : Cyril, David et <strong>de</strong>ux dont nous nous foutons pas<br />
mal. Nous apprîmes enfin que nous <strong>de</strong>vions jouer la victime à Serret pour<br />
quinze personnels qui avaient à passer leur C.F.A.P.S.E. (brancardage, A.F.P.S.<br />
et assistance respiratoire).<br />
À 7h20 ce matin donc, nous partîmes pour Serret en P4 <strong>de</strong> 1984 avec le<br />
caporal J.. Nous nous portâmes <strong>de</strong> nouveau volontaire pour jouer une victime<br />
à brancar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>hors, malgré le froid, le crachin et le verglas, toujours par<br />
intérêt, sachant par avance que <strong>de</strong>dans les victimes seraient barbouillées <strong>de</strong><br />
faux sang et <strong>de</strong> fausses plaies. Nous savons ce que c’est et nous n’aimons pas<br />
l’o<strong>de</strong>ur.<br />
Nous <strong>de</strong>scendîmes avec le premier groupe à passer. Cyril nous<br />
accompagnait. Nous jouâmes la première victime : un mec qui en voulant<br />
réparer seul une gouttière était tombé <strong>de</strong> son échelle ; il avait mal au dos et ne<br />
sentait plus ses membres inférieurs. Les secouristes arrivèrent, nous prirent en<br />
charge, posant <strong>de</strong>s questions sur ce qu’il s’était passé, sur ce que nous<br />
ressentions, etc. Finalement, ils conclurent à une paralysie et décidèrent <strong>de</strong><br />
nous mettre sous assistance respiratoire. Ils disposèrent ensuite une minerve<br />
autour <strong>de</strong> notre coup et nous portèrent sur un brancard, allongé sur le dos<br />
(naturellement). Un petit parcours était prédéfini par les jurés et le but pour les<br />
secouristes était <strong>de</strong> le passer sans nous faire tomber ni trop bouger ; ils y<br />
parvinrent sans accroche. À la conclusion <strong>de</strong>s examinateurs (un sergent et un<br />
adjudant-chef), nous apprîmes que lorsque l’un <strong>de</strong>s secouristes nous avait<br />
pincé, <strong>de</strong>mandé si nous ressentions quelque chose et que ce n’était pas le cas,<br />
nous aurions dû paniquer ! Nous venions <strong>de</strong> rater une chance <strong>de</strong> prouver nos<br />
136
Journal d’un soldat abusé<br />
talents profondément cachés <strong>de</strong> comédien…<br />
La secon<strong>de</strong> mise en scène fut pour Cyril : un piéton renversé par une<br />
voiture qui avait mal à sa jambe droite.<br />
Enfin, pour la <strong>de</strong>rnière, nous dûmes jouer le crétin <strong>de</strong> service qui en<br />
voulant jeter les poubelles s’était pris le couvercle <strong>de</strong> la benne à ordures<br />
collective sur le bras et l’avait cassé ; il se sentait mal et était prêt à tomber dans<br />
les pommes. Bref, on ne choisit pas son rôle ! Les secouristes arrivèrent et<br />
comme nous simulâmes à merveille le malaise, il en fallut <strong>de</strong>ux pour que nous<br />
ne tombassions pas. Ils installèrent une couverture sur le sol, nous assirent<br />
<strong>de</strong>ssus et nous <strong>de</strong>mandèrent ce qui n’allait pas. Ils décidèrent <strong>de</strong> nous mettre<br />
sur le brancard et <strong>de</strong> nous poser un atèle gonflable au bras. Ensuite, ils nous<br />
<strong>de</strong>mandèrent dans quelle position nous nous sentions le mieux et, puisque<br />
nous avions passé notre A.F.P.S. en novembre, nous sûmes que dans un cas<br />
comme celui-ci la position semi-assise était idéale et surtout que sur un<br />
brancard non adapté, bah… cela emmerdait les secouristes ! Nous vîmes du<br />
coin <strong>de</strong> l’œil l’adjudant-chef esquisser un sourire. Nous en apprîmes quelques<br />
instants après la raison : les secouristes n’avaient pas encore vu ce cas <strong>de</strong> figure<br />
mais ils firent preuve d’imagination en disposant leur sac à l’avant du brancard<br />
afin <strong>de</strong> nous relever un peu. Comme pour la première fois, ils attachèrent les<br />
sangles, nous couvrirent avec une couverture et transportèrent vers<br />
l’ambulance sur un parcours différent. Nous n’assistâmes pas à la conclusion<br />
<strong>de</strong>s examinateurs mais au retour <strong>de</strong>s secouristes dans le bâtiment, ils nous<br />
remercièrent car avoir fait preuve d’imagination sur la position semi-assise avait<br />
joué en leur faveur et donné bonne impression au sergent et à l’adjudant-chef.<br />
Cool !<br />
Au retour, chacun raconta sa petite aventure au caporal J. et lui la sienne…<br />
Mais là, c’est secret défense !<br />
137
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 1 d é c e m b r e 2 0 0 2<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Nous signâmes notre contrat <strong>de</strong> VDAT pour voir si la vie militaire était<br />
faite pour nous. Au bout <strong>de</strong> trois semaines d’acclimatation, nous pouvons déjà<br />
répondre à cette question : nous ne sommes pas fait pour les ordres.<br />
Notre grand-père nous dit d’une manière bien à lui par téléphone, hier, <strong>de</strong><br />
bien réfléchir avant <strong>de</strong> prendre une décision aussi importante, ce que nous<br />
fîmes. Ce n’est pas la formation qui nous dérange – au contraire savons-nous<br />
ce que nous pouvons y gagner – mais nous avons l’esprit trop volage<br />
(inconstant) pour cette vie-là. Par ailleurs, nous rentrâmes dans l’armée afin <strong>de</strong><br />
voyager, ne jamais rester au même endroit, partir à l’aventure et au 1er R.Med.<br />
afin <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l’humanitaire tel que l’on semblait nous l’avoir recommandé.<br />
Lorsque nous arrivâmes au régiment, lorsque nous vîmes tous ces personnels,<br />
nous nous rendîmes vite compte que leur vie était trop paisible à nos yeux<br />
(Playstation 2, ping-pong ou guitare). Nous nous rendîmes compte que nous<br />
ne voyagerions pas autant que nous l’espérions en signant notre contrat. Nous<br />
nous rendîmes compte enfin que nous avions approuvé que notre esprit soit<br />
pendant un an enfermé ! Nous prîmes par conséquent la décision cette<br />
semaine <strong>de</strong> dénoncer notre contrat dans les règles.<br />
Nous en parlâmes au sergent A. ainsi qu’à l’adjudant S. et au major W..<br />
Nous leur expliquâmes nos raisons et ils semblèrent comprendre que nous<br />
nous étions trompé dans notre choix. À l’heure actuelle, ce sont les vacances et<br />
nous pensons qu’à la rentrée nous pourrons nous entretenir avec le capitaine P.<br />
pour, à nouveau, lui expliquer les raisons <strong>de</strong> cette dénonciation et en finir avec<br />
ce chapitre <strong>de</strong> notre vie. Cette démarche peut prendre du temps toutefois.<br />
Nous passâmes trois semaines assez intéressantes. Nous fîmes certes une<br />
erreur en choisissant cette voie (une <strong>de</strong> plus) mais nous apprîmes quelques<br />
chose : ce n’était pas la bonne.<br />
Qu’allons-nous bien pouvoir dire à notre mère ? Nous ne le savons pas, le<br />
plus important étant ce que nous allons bien pouvoir faire maintenant ! Notre<br />
Avenir dépend <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> choses. Une partie <strong>de</strong> notre vie est manquante<br />
et jamais nous n’arriverons à trouver une stabilité. Dans le pire <strong>de</strong>s cas, nous<br />
déci<strong>de</strong>rons pendant ces vacances <strong>de</strong> partir à l’aventure quoiqu’il advienne,<br />
138
Journal d’un soldat abusé<br />
comme nous le voulûmes toujours. Réjouis-toi, Fidèle, les histoires ne vont pas<br />
manquer dans le futur !<br />
139
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
4 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Marseille (Provence, France).<br />
Il est 23h08 et nous sommes à la place que nous réservâmes cette fois-ci –<br />
pas comme pour le retour Metz / Marseille où nous dûmes passer la nuit sur<br />
notre sac car la SNCF avait jugé bon <strong>de</strong> vendre plus <strong>de</strong> tickets que <strong>de</strong> places<br />
disponibles, nous obligeant par la même occasion à nous séparer d’une <strong>de</strong> nos<br />
serviettes <strong>de</strong> bain pour couvrir une petite fille qui était dans la même situation<br />
que nous et qui dormait par terre. Bref… Cette fois-ci, nous sommes bien assis<br />
et pouvons passer la nuit tranquillement.<br />
140
Journal d’un soldat abusé<br />
5 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Nous arrivâmes dans un Metz habillé <strong>de</strong> blanc à 8 heures pétantes. Pas <strong>de</strong><br />
bus en vue, nous nous rendîmes au Quartier Colin à pattes avec notre énorme<br />
sac sur le dos. En effet, nous partîmes d’Aix avec un maximum d’affaires<br />
civiles en prévision d’un départ que nous souhaitons le plus proche possible.<br />
141
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
6 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Que <strong>de</strong>s cours aujourd’hui, c’est d’un monotone !<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Nous perçûmes également dans l’après-midi la bouffe à l’ordinaire pour le<br />
mardi midi, soir et le mercredi matin, <strong>de</strong>ux jours que nous passerons sur le<br />
terrain. Le reste <strong>de</strong> la journée, tout le mon<strong>de</strong> prépara son sac ; ce qui consistait<br />
à faire entrer dans un sac F1 (sans la cheminée) l’inrentrable. Nous dûmes<br />
également passer au foyer nous acheter une bâche camouflée qui nous sera<br />
toujours utile même après l’armée.<br />
142
Journal d’un soldat abusé<br />
7 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Ce matin, nous achevâmes <strong>de</strong> remplir les <strong>de</strong>ux GBC et les <strong>de</strong>ux P4. David,<br />
Cyril (qui dénoncent leur contrat également) et nous-même aidâmes les autres<br />
mais ne montâmes pas avec eux ; nous attendîmes notre sort sur le côté. En<br />
fait, personne ne savait exactement si nous allions ou non sur le terrain.<br />
Finalement, nous <strong>de</strong>mandâmes à l’adjudant qui nous assura que nous<br />
<strong>de</strong>vions poursuivre l’instruction comme tout le mon<strong>de</strong>. Toujours est-il que<br />
nous eûmes droit à un traitement à part.<br />
C’est en P4, avec le caporal J. et le 1ère classe H. que nous nous rendîmes<br />
avec les autres à Serret. Là, nous perçûmes notre F.A.Mas pour le rendre <strong>de</strong>ux<br />
minutes plus tard. Nous <strong>de</strong>vions en effet voir le commandant. C’est le caporal<br />
J., toujours, qui nous prit en charge. David et Cyril passèrent les premiers.<br />
Après environ trente minutes vint notre tour.<br />
Comme l’adjudant et le major, le commandant nous <strong>de</strong>manda quelles<br />
étaient les raisons <strong>de</strong> notre dénonciation, ce que nous pensions <strong>de</strong> l’armée, ce<br />
que nous comptions faire désormais, etc. Dans la majeure partie <strong>de</strong>s cas, les<br />
soldats qui dénoncent leur contrat ne peuvent plus revenir dans l’armée ; ce<br />
n’est pas le nôtre ! Il semblerait selon lui que nous disposions du profil<br />
nécessaire pour faire l’ENSOA à Saint-Maixent. Il y a tout <strong>de</strong> même peu <strong>de</strong><br />
chances que nous y revenions et si toutefois nous décidions du contraire, ce<br />
serait dans la Marine nationale et nous nous serions renseigné avec précision<br />
sur ce que nous y ferions. De toute manière, en témoignant ici, nous nous<br />
grillons auprès <strong>de</strong> l’armée !<br />
À la fin <strong>de</strong> l’entretien, nous retournâmes <strong>de</strong>hors et y retrouvâmes Aviva qui<br />
avait eu un petit problème <strong>de</strong> respiration. Nous attendîmes quelques quarante<br />
minutes le retour du reste <strong>de</strong> la section qui effectuait sa marche <strong>de</strong> dix<br />
kilomètres dans le très froid messin.<br />
À leur arrivée donc, l’adjudant les rassembla pour le compte rendu :<br />
« C’était carrément nul à chier ! » fut sa conclusion. Beaucoup tombèrent à<br />
cause du verglas, certains eurent <strong>de</strong>s ampoules et durent s’arrêter, d’autres<br />
eurent faim, se plaignirent, etc. Très honnêtement, le sac n’étant pas si lourd<br />
143
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
que cela, nous aurions pu le faire car à la Sainte-Victoire, c’est une journée<br />
entière que nous partons parfois en randonnée. Dans ce froid cependant rien<br />
n’est-il sûr…<br />
À nouveau, nous montâmes dans la P4 et les autres dans les <strong>de</strong>ux GBC<br />
pour nous rendre cette fois-ci au champ <strong>de</strong> tir. Nous ne savions toujours pas si<br />
nous allions sur le terrain. L’exercice dura tout l’après-midi. Par série <strong>de</strong> quatre,<br />
nous passâmes <strong>de</strong>vant une assemblée <strong>de</strong> cadres qui nous donna les ordres à<br />
suivre en nous observant, nous engueulant si nous faisions une connerie et<br />
notant nos résultats. Il ne faut pas croire que l’on tire comme cela, aussi<br />
facilement que dans les films, lorsqu’on est en exercice ; il y a <strong>de</strong>s instructions à<br />
respecter.<br />
Lorsque l’on entend : « En disposition <strong>de</strong> combat », il faut enfiler le casque<br />
anti-bruits, se placer couché, porter le fusil sur bipied à l’épaule, mettre le<br />
chargeur, charger et surtout ne rien faire <strong>de</strong> plus.<br />
Ensuite, l’adjudant explique quel tir à effectuer (nombre <strong>de</strong> cartouches,<br />
distance du tir, coup par coup ou rafale) et à ce moment seulement, lorsqu’il<br />
dit <strong>de</strong> commencer, on peut tirer, à son rythme, tout en gardant à l’esprit qu’on<br />
n’est pas le seul à passer.<br />
Dans un premier temps, nous eûmes à tirer cinq cartouches au coup par<br />
coup à <strong>de</strong>ux cents mètres. Comme nous n’avions pas perçu <strong>de</strong> nouveau<br />
F.A.Mas à Serret, nous <strong>de</strong>mandâmes avant d’entrer le sien à Laurent, un fusil<br />
pour droitiers ; c’est ce qu’il nous affirma ! Nous eûmes tort <strong>de</strong> ne pas vérifier<br />
la tête amovible par la chambre. Nous tirâmes un premier coup et le fusil<br />
s’enraya. Le caporal-chef G. vint auprès <strong>de</strong> nous et regarda ce qu’il se passait.<br />
Il ne vit rien, enleva la balle <strong>de</strong> la chambre et rechargea. Nous tirâmes une<br />
secon<strong>de</strong> fois et la même chose se produisit. Là, il s’aperçut que c’était un fusil<br />
pour gauchers et nous eûmes droit à un coup dans la jambe droite. Nous lui<br />
expliquâmes alors ce qui avait dû se passer. Toujours est-il que nous niquâmes<br />
<strong>de</strong>ux balles, un appui joue et probablement un peu aussi le F.A.Mas. Aucune<br />
importance, nous dit-il, mais nous dûmes tirer nos trois <strong>de</strong>rnières cartouches à<br />
gauche, ce qui était sensiblement la même chose. Nous ne nous aperçûmes pas<br />
que nos résultats figuraient sur un écran à côté <strong>de</strong> nous et nous ne connaissons<br />
pas le résultat du carton au premier tir. En sortant, nous dûmes démonter le<br />
fusil <strong>de</strong> Laurent et le remonter en droitier. Quant à lui, le caporal-chef G. lui<br />
144
Journal d’un soldat abusé<br />
infligea pour punition <strong>de</strong> porter son arme à bout <strong>de</strong> bras jusques à complet<br />
épuisement. C’était injuste, nous aurions dû vérifier, ne le fîmes pas. Nous<br />
aurions dû porter nous aussi notre arme à bout <strong>de</strong> bras jusques à complet<br />
épuisement mais non, on ne discutait pas les ordres !<br />
Une chance pour nous, le soldat P., qui eut un petit problème, dut être<br />
évacuée sur Serret puis à l’hôpital militaire Legouest ; le 1ère classe H. nous<br />
confia donc son F.A.Mas.<br />
Le temps que tout le mon<strong>de</strong> passât, nous dûmes marcher pour ne pas<br />
mourir <strong>de</strong> froid.<br />
Dans un second temps, nous eûmes à effectuer un tir <strong>de</strong> dix cartouches au<br />
coup par coup à <strong>de</strong>ux cents mètres. Sans nous vanter, nous croyons avoir<br />
massacré la cible. Nous regardâmes cette fois-ci l’écran avant <strong>de</strong> sortir et nous<br />
pûmes observer que seulement <strong>de</strong>ux balles se trouvaient légèrement à gauche<br />
<strong>de</strong> sa tête.<br />
Enfin, pour le troisième exercice, nous eûmes à effectuer un tir <strong>de</strong> quinze<br />
cartouches en rafale <strong>de</strong> trois à <strong>de</strong>ux cents mètres. Encore une fois, nous<br />
oubliâmes <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r l’écran. Le recul était au début plus impressionnant<br />
qu’avec le coup par coup mais nous comprîmes vite qu’en appuyant fortement<br />
le fusil sur notre épaule, nous évitions en gran<strong>de</strong> partie ce problème sans nous<br />
fatiguer. Un autre se posa toutefois : la fumée dégagée était aveuglante.<br />
Les tirs effectués, les canons huilés et les mille <strong>de</strong>ux cents douilles<br />
ramassées (!), le caporal-chef S. nous annonça que nous <strong>de</strong>vions rentrer avec le<br />
sergent (une autre du secrétariat) car, jeudi et vendredi, notre circuit <strong>de</strong> départ<br />
débutera.<br />
Cyril nous accompagna et David, quant à lui, resta et alla se geler sur le<br />
terrain ; sans doute aurait-il dû réfléchir un peu plus avant <strong>de</strong> signer pour cinq<br />
ans !<br />
Nous prîmes donc notre paquetage et montâmes dans une autre P4 en<br />
direction <strong>de</strong> Colin où nous avons quartier libre jusques à <strong>de</strong>main. À la<br />
compagnie, nous retrouvâmes la satanique Gaëlle qui s’était foulée le pouce en<br />
faisant son sac ; quelle armée !<br />
Pour la première fois <strong>de</strong>puis que nous sommes ici, nous allons pouvoir<br />
dormir tranquillement, sans entendre les autres ronfler ou parler pendant leur<br />
145
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
sommeil, sans attendre que Marcel ait achevé <strong>de</strong> parler pour ne rien dire<br />
(« Putain, j’ai pas sommeil moi les gars ! ») et sans le porc Antoine en face <strong>de</strong><br />
nous ; que du bonheur !<br />
146
Journal d’un soldat abusé<br />
8 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Ce matin, nous nous réveillâmes à 5h15, comme d’habitu<strong>de</strong> mais en bien<br />
plus cool. Dans la nuit, <strong>de</strong>ux filles rejoignirent le régiment pour y suivre la<br />
même instruction que nous, en février ! Le soldat P. revint également <strong>de</strong><br />
Legouest et dut retourner à Serret puis probablement sur le terrain.<br />
Le caporal <strong>de</strong> semaine D. nous <strong>de</strong>manda d’aller à l’Ordinaire petit-déjeuner<br />
sans lui et <strong>de</strong> revenir. Les TIG furent très vite fait. À la liste <strong>de</strong> celles et ceux<br />
qui partent, il faut ajouter Téhani, une fille qui nous vient <strong>de</strong> Tahiti. Elle ne<br />
supporte plus le froid et franchement ne pouvons-nous que la comprendre.<br />
Elle revint donc elle aussi à la compagnie avant les autres et le mé<strong>de</strong>cin lui dit<br />
par la suite qu’elle avait bien fait car elle aurait eu <strong>de</strong> sérieux problèmes si elle<br />
était restée. Ce n’est tout <strong>de</strong> même pas normal que les territoriaux aient à venir<br />
aussi loin <strong>de</strong> chez eux, dans le froid et la neige, pour effectuer une formation<br />
sur le terrain ! Quelle armée (bis) !<br />
Vers 9 heures environ, le caporal-chef responsable du matos vint nous faire<br />
la revue <strong>de</strong> paquetage. Un à un, tout ce que nous avions perçu en arrivant fut<br />
répertorié pour voir si nous n’avions rien perdu. Il nous indiqua que nous<br />
pouvions gar<strong>de</strong>r le survêtement <strong>de</strong> sport et le short, les t-shirts, les sousvêtements<br />
(évi<strong>de</strong>mment). Tout ceci va encore alourdir notre sac.<br />
Le reste <strong>de</strong> la journée se passa dans la tranquillité. Nous eûmes le temps<br />
d’écrire une lettre pour la chambre 9 et nous pensons la donner au sergent A.<br />
si nous la voyons pour qu’elle la remette aux copains après notre départ. Nous<br />
eûmes également le loisir <strong>de</strong> discuter avec les filles revenues du terrain ainsi<br />
que les <strong>de</strong>ux nouvelles : Indiana et une autre au prénom déjà oublié. La<br />
satanique Gaëlle nous prêta son lecteur <strong>de</strong> CD portable pendant qu’elle était à<br />
l’infirmerie <strong>de</strong> Serret, ce qui nous permit d’écouter une <strong>de</strong>rnière fois avant<br />
longtemps nos musiques. La musique fait partie <strong>de</strong>s choses dont nous ne<br />
pouvons nous passer trop longtemps.<br />
Nous venons d’apprendre qu’une fille a disparu sur le terrain : soit elle s’est<br />
perdue, soit elle a déserté. Dans les <strong>de</strong>ux cas elle risque sa vie ! Nous n’en<br />
savons pas plus pour le moment…<br />
147
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 0 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Pour nous, ce sont les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers jours ; le circuit <strong>de</strong> départ débute<br />
véritablement. Il consiste à faire le même parcours qu’à notre arrivée mais à<br />
l’envers. Nous rendîmes notre paquetage militaire ce matin. Cela ne traîna pas,<br />
le sergent qui nous accompagnait voulant faire au plus vite, <strong>de</strong> même que le<br />
caporal-chef responsable du matos. Nous passâmes donc en coup <strong>de</strong> vent<br />
dans une dizaine <strong>de</strong> services, dont le Bureau Recrutement Reconversion et<br />
Condition du Personnel (BRRCP) qui ne cessa <strong>de</strong> nous bourrer le mou, nous<br />
affirmant presque que notre choix était une grave erreur…<br />
Ce midi, nous étions civil. En arrivant au Quartier Colin, nous<br />
rencontrâmes le reste <strong>de</strong> la section, <strong>de</strong> retour du terrain, rassemblé dans le<br />
couloir <strong>de</strong> la compagnie, <strong>de</strong>vant l’adjudant qui leur faisait son compte-rendu.<br />
Nous rentrâmes en silence dans la chambre et Cyril ne perdit pas une secon<strong>de</strong><br />
pour faire son sac <strong>de</strong> départ afin <strong>de</strong> pouvoir rentrer chez lui au plus vite.<br />
De notre côté, nous <strong>de</strong>mandâmes à l’adjudant si nous pouvions rester ce<br />
week-end, le temps <strong>de</strong> nous organiser ; il n’y vit heureusement aucun<br />
inconvénient. Nous ne mangeâmes pas à l’Ordinaire ce midi pour partir en<br />
ville dès que nous le pûmes avec le ticket que Cyril nous avait gentiment<br />
donné.<br />
La première chose que nous fîmes en arrivant dans le centre fut <strong>de</strong><br />
consulter notre compte en banque afin <strong>de</strong> savoir si nous disposions <strong>de</strong><br />
suffisamment d’argent pour partir. Nous avions décidé <strong>de</strong> consacrer au plus<br />
400 euros pour un aller simple en avion, peu importait la <strong>de</strong>stination et nous<br />
mîmes donc à la recherche d’une agence <strong>de</strong> voyage.<br />
Au bout <strong>de</strong> la troisième, nous en avions marre et c’est à contrecœur,<br />
sachant que nous ne pouvions plus reculer, que nous entrâmes chez Frantour.<br />
La voyagiste nous proposa Bangkok avec une escale <strong>de</strong> trois heures à Bahreïn,<br />
lundi à 11h50, arrivée prévue le len<strong>de</strong>main à 9 heures ; parfait ! Cela nous<br />
laissera le temps <strong>de</strong> nous organiser ce week-end, d’écrire nos correspondances,<br />
<strong>de</strong> ne pas nous retrouver quelques jours à la rue en sortant du Quartier et<br />
surtout d’avoir le temps, mardi, <strong>de</strong> trouver quelque chose à faire sur Bangkok.<br />
Le billet simple ne valait en plus que 360 euros sur Gulf Air.<br />
148
Journal d’un soldat abusé<br />
Notre second arrêt fut le Virgin Megastore pour nous y acheter<br />
l’indispensable – parait-il ! – Gui<strong>de</strong> du Routard <strong>de</strong> Thaïlan<strong>de</strong>.<br />
Enfin, nous nous rendîmes à la gare y acheter un billet pour Paris. Avant<br />
cela, nous eûmes l’intuition <strong>de</strong> nous arrêter à la BNP pour vérifier une nouvelle<br />
fois notre compte en banque. Heureusement que nous le fîmes car ils nous<br />
avaient prit <strong>de</strong>s prévisionnels et ainsi mis à découvert. Nous allâmes <strong>de</strong> suite<br />
nous renseigner au guichet car nous avions peur <strong>de</strong> ne pouvoir aller même<br />
jusques à Paris, ne pouvant avoir <strong>de</strong> crédit sur cette carte. La banquière nous<br />
dit que tout rentrerait dans l’ordre d’ici lundi.<br />
NOUS . Lundi ?! C’est aujourd’hui que j’ai besoin <strong>de</strong> mon billet, mer<strong>de</strong> !<br />
Elle ne sut que répondre à notre étonnement et nous rentrâmes au<br />
Quartier en espérant que le len<strong>de</strong>main fût un jour meilleur côté finances. Ce<br />
soir, nous potassâmes notre livre et commençâmes d’apprendre tout un tas <strong>de</strong><br />
choses pratiques sur la Thaïlan<strong>de</strong>.<br />
149
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 1 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Metz (Lorraine, France).<br />
Dernier week-end pour nous à la compagnie – nous sommes encore<br />
militaire jusques à minuit. Tout le mon<strong>de</strong> en profita pour se lever à 11 heures<br />
ce matin. Restèrent dans la chambre avec nous Sylvain, Laurent et le porc<br />
Antoine. Étant levé avant eux, nous en profitâmes pour parcourir à nouveau<br />
notre Gui<strong>de</strong> du Routard puis nous allâmes à l’Ordinaire petit-déjeuner avec<br />
l’accord du caporal-chef S. qui était <strong>de</strong> semaine.<br />
L’après midi, nous allâmes avec Mélanie, Nathalie et Sylvain en ville faire<br />
les magasins. Vers 17 heures, Mélanie nous déposa à la gare car nous <strong>de</strong>vions<br />
acheter notre billet pour Paris, gare <strong>de</strong> l’Est. Nous avions auparavant<br />
finalement pu retirer <strong>de</strong> l’argent à la banque et c’est avec cela que nous le<br />
payâmes. Nous <strong>de</strong>mandâmes à la ven<strong>de</strong>use <strong>de</strong> la caisse si elle pouvait nous<br />
trouver un hôtel pas cher où passer la nuit du dimanche au lundi à Paris. Celui<br />
<strong>de</strong> l’aéroport pouvait convenir, nous dit-elle, mais la nuit coûtait 79 euros…<br />
tout <strong>de</strong> même ! Finalement, nous lui <strong>de</strong>mandâmes seulement un aller simple et<br />
lui dîmes que nous nous débrouillerions très bien sans hôtel. Elle fut<br />
cependant assez gentille pour nous indiquer l’Hôtel <strong>de</strong> Strasbourg, près <strong>de</strong> la<br />
gare <strong>de</strong> l’Est – un hôtel miteux soi-disant mais amplement suffisant pour y<br />
passer une nuit.<br />
Nous rentrâmes ensuite au Quartier pour mettre au point les <strong>de</strong>rniers<br />
préparatifs. Notre sac est tout simplement énorme. Peut-être serait-il utile que<br />
nous laissions quelques affaires en route, comme les affaires chau<strong>de</strong>s, quoi<br />
que… Il semble préférable <strong>de</strong> tout prendre, ne sachant pas ce qu’il va nous<br />
arriver – nous allons peut-être nous tromper d’avion et nous retrouver en<br />
Moldavie ! Blague à part, nous prendrons tout et notre dos souffrira, tant pis !<br />
Ce soir, c’est le Royal Marocain dans la chambre 9 où tout le mon<strong>de</strong> se<br />
réunit ! Les cigarettes polluent l’atmosphère, les bouteilles d’alcool font le tour.<br />
Étant donné qu’une bonne fiesta ne se conçoit pas sans weed (surtout ici), il y<br />
en a donc aussi. Qui se l’est procurée ? Cohésion, tout le mon<strong>de</strong> ! Bref, c’est la<br />
fête mais nous n’y participons que modérément car, <strong>de</strong>main, une longue<br />
journée nous attend.<br />
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Metz (Lorraine, France), 19h10.<br />
Nous ne sommes plus militaire et tout est fin prêt ! Notre thaï est appris ;<br />
nous savons compter – ce qui est bien utile pour discuter les prix avec les<br />
chauffeurs et ven<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> toutes sortes ! – et dire quelques mots courants<br />
avant d’en apprendre d’autres dans l’avion. Cette langue nous déconcerte un<br />
peu et nous avons peur <strong>de</strong> ne pas parvenir à la pratiquer, surtout si nous ne<br />
restons pas longtemps en Thaïlan<strong>de</strong> et d’autant plus que son alphabet est<br />
différent du nôtre. Cet après-midi, nous nous reposâmes quelques heures sur<br />
notre lit, histoire <strong>de</strong> nous vi<strong>de</strong>r un peu l’esprit sur le pari fou que nous nous<br />
apprêtions à relever – et qui était déjà engagé du reste.<br />
À 18 heures, nous nous dépêchâmes d’aller manger à l’Ordinaire, le<br />
caporal-chef S. nous ayant donné l’autorisation pour le week-end. Nous en<br />
profitâmes pour faire le plein d’oranges et <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnières petites gâteries avant<br />
assez longtemps. À 18h40, Mélanie nous conduisit à la gare ; Sylvain et<br />
Nathalie étaient également présents.<br />
Ils nous laissèrent là, face à une nouvelle aventure dont nous ne savons rien<br />
encore. C’est dans cette gare qu’elle débute ; c’est dans cette gare que nous<br />
clôturons un nouveau chapitre <strong>de</strong> notre saga ; c’est dans cette gare enfin que<br />
nous laissons notre masque <strong>de</strong> militaire. Il est possible qu’un jour nous ayons à<br />
le reprendre mais, pour le moment, celui <strong>de</strong> voyageur <strong>de</strong> grand chemin est plus<br />
approprié à notre situation.<br />
Nous voici donc seul à la gare <strong>de</strong> Metz pour une <strong>de</strong>stination lointaine et<br />
exotique. Nous ne croyons pas pouvoir affirmer que nous nous sentons apaisé<br />
à cet instant mais une chose est certaine, nous sommes content ! Nous<br />
sommes en train <strong>de</strong> faire ce que nous avons toujours voulu faire : partir,<br />
comme ça, sans aucun objectif, sans aucun point <strong>de</strong> chute, sans rien d’autre<br />
que notre envie <strong>de</strong> voir le mon<strong>de</strong> et un incroyable brin <strong>de</strong> folie. Nous n’avions<br />
jamais encore eu le courage d’endosser la cape du voyageur <strong>de</strong> grand chemin et<br />
une fierté non dissimulée peut d’ores et déjà se lire sur notre visage. Nous<br />
savons à cet instant que nous faisons quelque chose d’extraordinaire, quelque<br />
chose que peu <strong>de</strong> gens connaissent. Nous prostituer en 2002 étaient certes osé<br />
mais pas aussi fou, nous semble-t-il. Bref, tout cela pour dire qu’en gare <strong>de</strong><br />
151
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Metz, déjà, nous sommes quelqu’un d’autre !<br />
Nous eûmes notre premier nouveau contact ici, avec un militaire, un<br />
sergent qui sortait <strong>de</strong> Saint-Maixent. Nous ne savions pas ce que signifiaient les<br />
lettres « T.O.E. » sur son sac alors le lui <strong>de</strong>mandâmes-nous. Il nous répondit<br />
tout normalement : « Théâtre d’Opération Extérieure ». Nous lui parlâmes un<br />
peu <strong>de</strong> notre cas et il nous dit que si nous souhaitions revenir dans l’armée et<br />
partir souvent en OPEX, il nous fallait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à intégrer le 16 en<br />
Allemagne. Il ajouta qu’il fallait nous renseigner auprès du chef C. et <strong>de</strong> nous<br />
annoncer <strong>de</strong> sa part. N’était-ce pas sympathique ?<br />
152
Journal d’un soldat abusé<br />
1 3 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Roissy CDG (Île-<strong>de</strong>-France, France), 00h25.<br />
Nous sommes <strong>de</strong>vant notre hall d’embarquement et nous avons onze<br />
heures d’attente <strong>de</strong>vant nous ! Nous ne te conseillons pas, Fidèle, d’essayer les<br />
sièges <strong>de</strong> Roissy CDG comme couchette ; c’est la misère alors en profitonsnous<br />
pour rédiger ce journal.<br />
Nous prîmes notre train en gare <strong>de</strong> Metz à 19h29 hier soir pour arriver en<br />
gare <strong>de</strong> l’Est vers 22h25. De là, nous achetâmes un ticket <strong>de</strong> RER pour Roissy<br />
CDG 7 euros et quelques. Nous arrivâmes au Terminal à minuit.<br />
Laurent nous appela il y a cinq minutes ; nous pensons que la lettre laissée<br />
au caporal-chef S. pour qu’il la leur remette après notre départ fit son effet !<br />
Pour la comprendre, il faut savoir que dans la chambre, les bons mots sur les<br />
homos et les préjugés fusaient <strong>de</strong> temps à autre. Un certain machisme régnait<br />
chez <strong>de</strong>ux ou trois <strong>de</strong> nos compagnons <strong>de</strong> chambre. Ne nous mêlant que<br />
modérément à ce genre <strong>de</strong> conversations en général, nous restâmes sans<br />
soupçon. Par ailleurs, nous étions probablement bien plus apte au service que<br />
beaucoup – seul Laurent, répétons-le, faisait selon nous honneur à son<br />
uniforme. Nous leur apprenions dans cette lettre que nous avions fait partie<br />
d’un Cercle en 2002 en tant que prostitué, que nous étions bi et qu’il était<br />
temps pour eux <strong>de</strong> laisser tomber ces préjugés ridicules. Nous les remerciions<br />
pour avoir passé un séjour d’enfer avec eux – au bon sens du terme – et leur<br />
écrivions qu’ils nous manqueraient sans doute. Nous leur souhaitions bonne<br />
chance, etc.<br />
Laurent semblait un peu gêné et nous dit que cela resterait dans la<br />
chambre, etc. Sacré Laurent ! Théoriquement donc, une rumeur va naître à<br />
notre sujet – bonne ou mauvaise, nous ne le savons pas par contre – et<br />
finalement la lettre va tourner dévoilant ainsi le secret <strong>de</strong> la chambre 9. C’est<br />
ainsi que nous laissons une trace <strong>de</strong> notre passage… Nous pensons pouvoir<br />
dire avoir laissé au 1er R.Med. la nôtre, éphémère, sans prétention aucune, en<br />
plus d’être parti à l’aventure pour Bangkok. Le caporal-chef S. hallucina quand<br />
nous lui en fîmes part d’ailleurs !<br />
Telle est la fin <strong>de</strong> ce récit. Un autre va prendre sa place dans les jours à<br />
venir. Le théâtre <strong>de</strong> nos aventures ouvre ses portent. Seul ticket à présenter :<br />
153
celui <strong>de</strong> la folie !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
154
Journal d’un soldat abusé<br />
É p i l o g u e<br />
Nous promîmes plus haut <strong>de</strong> te parler, Fidèle, <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> règle du secret ;<br />
nous tenons toujours parole !<br />
Nous recopions ces lignes bien tard. Aujourd’hui, nous sommes revenu<br />
d’Asie, installé à Aix-en-Provence et <strong>de</strong> nouveau prostitué ; notre vie nous<br />
convient. Saches seulement que si nous n’écrivons rien ici <strong>de</strong> confi<strong>de</strong>ntiel, c’est<br />
suffisamment dérangeant pour mériter la censure. L’Armée, en la personne <strong>de</strong><br />
l’adjudant-chef bouffon R. susnommé, nous appela il y a quelques jours pour<br />
se plaindre <strong>de</strong> notre journal en ligne. Soit il se sentit vexé par nos propos, soit<br />
l’affaire était sérieuse !<br />
NOUS . Allo ?!<br />
ADJUDANT-CHEF R. . Monsieur <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong> ?<br />
NOUS . Lui-même !<br />
ADJUDANT-CHEF R. . Bonjour ! Ici l’adjudant-chef R. du CIRAT <strong>de</strong> Marseille. Je<br />
vous appelle à propos d’un inci<strong>de</strong>nt, mineur, dont on m’a fait part concernant<br />
votre site, qui est très bien fait du reste, mes félicitations !<br />
NOUS . Heu… merci, mon adjudant-chef ! Quel est le problème exactement ?<br />
L’Armée aurait-elle été touchée par quelques-uns <strong>de</strong> mes propos ?<br />
ADJUDANT-CHEF R. . Pas l’Armée, Monsieur <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong>. Il s’agit en fait du<br />
CIRAT <strong>de</strong> Marseille qui s’est étonné qu’on lui rapporte certaines <strong>de</strong> vos<br />
critiques. Il semblerait qu’une simple recherche sur Internet leur fasse une<br />
mauvaise publicité et l’on m’a chargé <strong>de</strong> vous prévenir.<br />
NOUS . Vous n’oseriez pas la censure ou la plainte tout <strong>de</strong> même ?! Si ?!<br />
ADJUDANT-CHEF R. . Vous savez, Monsieur <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong>, toute mauvaise image en<br />
ce moment n’est pas la bienvenue pour l’Armée <strong>de</strong> Terre ; évitez juste <strong>de</strong> cibler<br />
un organisme ou quelqu’un en particulier !<br />
NOUS . Je comprends, naturellement, même si je n’ai rien écrit pour m’attirer les<br />
foudres du CIRAT qui, soit dit en passant, recrute vraiment n’importe qui à<br />
envoyer n’importe où pour grossir ses chiffres. Je n’ai écrit que ce que je<br />
pensais, voilà tout !<br />
155
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
ADJUDANT-CHEF R. . Vous employez <strong>de</strong>s termes bien durs toutefois, il faut le<br />
dire. Atten<strong>de</strong>z, je reprends mes notes… Le terme « bouffon », par exemple,<br />
revient souvent lorsque vous me nommez.<br />
NOUS . C’est vrai et je le répète, ce n’est que ce que je pense !<br />
ADJUDANT-CHEF R. . Ce genre <strong>de</strong> sites pourrait mener à une plainte pour<br />
diffamation et nous n’aimerions, ni vous ni moi je pense, en arriver là ; je suis<br />
sûr que vous comprenez notre position, Monsieur <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong> !<br />
Son ego seul était-il touché ou le CIRAT <strong>de</strong> Marseille sentait-il vraiment sa<br />
réputation menacée ?<br />
Par précaution, nous dûmes remplacer les noms <strong>de</strong> nos supérieurs par <strong>de</strong>s<br />
points bienvenus. Nous <strong>de</strong>vînmes également paranoïaque – une tare <strong>de</strong> plus,<br />
nous diras-tu !<br />
156
É p i s o d e I I I<br />
.<br />
F a r a n g
Farang<br />
P r o l o g u e<br />
La folie… C’est sur ce terme que nous achevâmes notre journal précé<strong>de</strong>nt.<br />
Qu’elle soit douce et éphémère ou profondément dangereuse, nous la<br />
louons <strong>de</strong>puis toujours. Le 13 janvier 2003, nous entrâmes en partant ainsi à<br />
l’aventure dans la liste <strong>de</strong>s plus grands mala<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>, ceux pour qui la<br />
vie n’était plus ni un don ni une malédiction mais un jeu dont les règles<br />
n’avaient jamais été écrites.<br />
Nous avions été étudiant en Histoire en Provence, assistant administratif<br />
dans une agence <strong>de</strong> voyage en Flori<strong>de</strong>, glan<strong>de</strong>ur professionnel, prostitué,<br />
militaire dans un régiment médical en Lorraine. Que pouvions-nous bien<br />
craindre alors ?! Nous étions déjà blasé, nous ne croyions plus en l’Homme.<br />
Les seuls doutes qui sévissaient encore nous concernaient et nous trouvâmes,<br />
par ce voyage, la force <strong>de</strong> vouloir nous chercher, nous comprendre.<br />
Il ne nous apporta pas hélas toutes les réponses que nous avions espérées<br />
mais il fut est à ce jour, alors que nous sommes <strong>de</strong> retour en Europe, l’une <strong>de</strong>s<br />
plus formidables expériences que nous ayons jamais vécues !<br />
159
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 3 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Bahreïn, 22h10.<br />
Nous passâmes donc une nuit <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> sur les bancs <strong>de</strong> Paris CDG. À<br />
l’embarquement, vers 11 heures, nous eûmes notre premier problème – et pas<br />
<strong>de</strong>s moindres ! En effet, la charmante hôtesse <strong>de</strong> la Gulf Air nous dit qu’il<br />
fallait obligatoirement un visa et un billet retour pour entrer sur le territoire<br />
thaï. Après discussion et <strong>de</strong>ux coups <strong>de</strong> téléphone, elle enregistra finalement<br />
notre sac et nous donna nos billets en nous souhaitant bonne chance. Nous ne<br />
savions pas alors si nous allions pouvoir quitter l’aéroport <strong>de</strong> Bangkok,<br />
d’autant que nous n’avions pas suffisamment d’argent pour revenir en France<br />
une fois là-bas.<br />
NOUS-MÊME . <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous vouliez <strong>de</strong> l’aventure, <strong>de</strong>s incertitu<strong>de</strong>s ;<br />
vous voilà servi !<br />
Le vol fut plutôt tranquille. Dans l’avion, nous nous réveillâmes vers 18h45<br />
pour apercevoir par la fenêtre une magnifique flèche jaune au sol – nous<br />
survolions, semblait-il, Ha’il en Irak. Trois minutes plus tard, un archipel <strong>de</strong><br />
lumières illuminait la terre ; était-ce Neutral Zone ? Nous mîmes ensuite The<br />
Tuxedo sur le petit écran. Dans l’avion toujours, nous fîmes la connaissance <strong>de</strong><br />
Catherine, une parisienne d’environ 40 ans qui partait à Madras, en In<strong>de</strong>. Nous<br />
étions assis à côté d’elle et ce ne fut véritablement qu’à la fin du vol et durant<br />
notre attente à Bahreïn que nous apprîmes à la mieux connaître.<br />
À Bahreïn, notre impression fut la suivante : premièrement, nous ne vîmes<br />
que l’aéroport et ne pouvons donc pas en beaucoup dire ; ensuite, nous eûmes<br />
le sentiment <strong>de</strong> voir un mariage entre le mon<strong>de</strong> arabe et l’Occi<strong>de</strong>nt. Comment<br />
décrire cela dans un mon<strong>de</strong> où la différence est poussée à l’extrême pour<br />
inciter à la haine et promouvoir une autre guerre du pétrole ?! Nous sommes<br />
convaincu que tous les peuples <strong>de</strong> la Terre peuvent vivre ensemble ; il suffit<br />
d’accepter la culture <strong>de</strong> chacun d’entre eux. Nous rêvons cependant car il<br />
semblerait que la connerie soit inscrite dans le co<strong>de</strong> génétique <strong>de</strong> l’Homme.<br />
Quoi qu’il en soit, Bahreïn semblait être un modèle arabe adapté à la vie<br />
160
Farang<br />
occi<strong>de</strong>ntale – ou l’inverse peut-être… Nous trouvâmes ce mélange assez<br />
intéressant. Les gens semblaient heureux et c’était là le plus important ! Nous<br />
ne pûmes acheter <strong>de</strong> clichés en carte postale ; il n’y avait que <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins et<br />
portraits qui ne nous plaisaient pas. C’est dommage et nous ne gardâmes en<br />
souvenir qu’un billet <strong>de</strong> la monnaie locale, le Dinar.<br />
Nous laissâmes Catherine à 21h50 pour notre embarquement. Elle nous<br />
accompagna jusques à la porte pour s’assurer que nous n’avions pas <strong>de</strong><br />
problème avec notre manque <strong>de</strong> visa pour la Thaïlan<strong>de</strong> et nous souhaita bonne<br />
chance. Là, notre avion est prêt à décoller.<br />
161
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 4 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Bangkok (Thaïlan<strong>de</strong>), 20h54.<br />
Nous arrivâmes dans la capitale à 9 heures et n’eûmes finalement aucun<br />
problème avec l’immigration thaïe qui nous fournit un visa touristique jusques<br />
au 12 février. Nous n’attendîmes nos bagages qu’une quinzaine <strong>de</strong> minutes, ce<br />
qui fut assez court contrairement à notre <strong>de</strong>rnière expérience parisienne. Nous<br />
recueillîmes quelques informations au point info et changeâmes la totalité <strong>de</strong><br />
notre argent en baht, la monnaie locale, avant <strong>de</strong> nous rendre à la station <strong>de</strong><br />
bus, juste <strong>de</strong>vant la sortie <strong>de</strong> l’aéroport. Au passage, nous fûmes abordé par<br />
<strong>de</strong>ux ou trois chauffeurs <strong>de</strong> taxi prêts à tout pour obtenir un client – l’un<br />
d’entre eux eut tout <strong>de</strong> même la gentillesse <strong>de</strong> nous indiquer où se trouvait la<br />
station <strong>de</strong> bus. Là, nous signalâmes au ven<strong>de</strong>ur que nous voulions un billet<br />
pour Sala Daeng, un arrêt proche <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>. Nous fîmes également notre<br />
secon<strong>de</strong> rencontre <strong>de</strong> ce périple : une charmante Anglaise blon<strong>de</strong> avec laquelle<br />
nous discutâmes un peu. Hélas pour nous prenait-elle la ligne A2 et nous la<br />
A1 ; mer<strong>de</strong> ! Nous partîmes en espérant à ce moment-là avoir la chance <strong>de</strong> la<br />
rencontrer <strong>de</strong> nouveau dans cette gran<strong>de</strong> ville, voire dans ce grand pays car elle<br />
avait elle aussi l’air <strong>de</strong> barou<strong>de</strong>r.<br />
Pour 7 bahts, nous pûmes nous rendre en environ quinze minutes à Sala<br />
Daeng, contrairement à ce qui était écrit dans le Gui<strong>de</strong> du Routard – mais qui<br />
en tient vraiment compte ? Nous ratâmes évi<strong>de</strong>mment notre arrêt et<br />
<strong>de</strong>scendîmes au suivant pour finir notre chemin à pattes. Heureusement y<br />
avait-il le Lumphini Park pour nous rappeler l’endroit sinon sans doute<br />
aurions-nous continué jusques au terminus…<br />
Le consulat avait changé <strong>de</strong> place et ne se trouvait plus là que le service <strong>de</strong>s<br />
visas. Nous leur expliquâmes notre cas et ils nous donnèrent l’adresse du<br />
service consulaire qui pouvait nous renseigner davantage : « 35 soï Rong Phasi<br />
- soï 36, Charoen Krung Road, Bangrak Bangkok 10500 ». Ils nous filèrent<br />
également un plan <strong>de</strong> la ville et l’adresse en thaï pour que nous puissions<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à un taxi <strong>de</strong> nous y conduire – ce que nous n’avions pas l’intention<br />
<strong>de</strong> faire <strong>de</strong> toute manière. L’Alliance Française se trouvant la porte à côté, nous<br />
y passâmes pour acheter Le Gavroche, un mensuel français sur la vie en<br />
Thaïlan<strong>de</strong> avec les bons plans. Nous nous dîmes qu’il nous serait sans le<br />
162
Farang<br />
moindre doute indispensable pour la suite <strong>de</strong> notre aventure. Les Thaïlandaises<br />
que nous rencontrâmes <strong>de</strong>vant l’Alliance eurent la gentillesse <strong>de</strong> nous ai<strong>de</strong>r à<br />
enfiler notre sac sur le dos – il faut dire que nous en avions besoin, il faisait<br />
bien 27 <strong>de</strong>grés et notre sac pesait vingt kilos. Nous avions un pull sur le dos<br />
aussi, en bon touriste paumé <strong>de</strong> base que nous semblions être.<br />
Nous dûmes ensuite nous rendre à l’ambassa<strong>de</strong>, service consulaire. Nous<br />
commençâmes à pattes en longeant toute la thanon Sathorn mais en sueur et<br />
sans vraiment <strong>de</strong> repère visuel précis, nous préférâmes prendre une mototaxi.<br />
Le Gui<strong>de</strong> du Routard, toujours lui, indiquait qu’ils étaient affreusement<br />
dangereux et conduisaient comme <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s. Et bien, cela était vrai, Fidèle<br />
(à essayer donc au moins une fois) ! 15 bahts <strong>de</strong> trajet pour à nouveau ne pas<br />
trouver d’ai<strong>de</strong> directe. La réceptionniste nous imprima tout <strong>de</strong> même une liste<br />
d’ONG présentes dans la région <strong>de</strong> Bangkok et susceptibles <strong>de</strong> nous intégrer.<br />
En sortant <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>, nous n’avions pas perdu le moral mais<br />
commencions un peu d’appréhen<strong>de</strong>r pour notre proche futur.<br />
Nous nous assîmes sur notre sac dans la petite rue à côté pour parcourir ce<br />
feuillet. Au hasard, le doigt tombant sur MSF, nous étudiâmes le chemin le plus<br />
simple pour nous y rendre. Ce n’était pas tout proche <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong><br />
française ; l’organisation se situait dans le quartier <strong>de</strong> Sukhumvit.<br />
Heureusement, les moyens <strong>de</strong> transport ne manquaient-ils pas à Bangkok et un<br />
tuk-tuk, une espèce <strong>de</strong> moto à trois roues et une banquette à l’arrière pour les<br />
passagers, s’arrêta <strong>de</strong>vant nous. Son chauffeur nous assura connaître le chemin<br />
et nous acceptâmes donc qu’il nous y conduisît.<br />
Les membres <strong>de</strong> MSF nous accueillirent avec la plus gran<strong>de</strong> gentillesse<br />
alors qu’ils étaient en pleine réunion sur leur terrasse. Nous eûmes tout<br />
d’abord peur <strong>de</strong> les déranger et nous en excusâmes mais ils furent très<br />
conciliants et nous servirent même <strong>de</strong> l’eau fraîche ; quelle chance ! Hélas pour<br />
nous cependant, ils nous expliquèrent que les recrutements ne se faisaient<br />
qu’en métropole car cela était plus facile d’un point <strong>de</strong> vue administratif. La<br />
bonne volonté enfin, nous avouèrent-ils, ne suffisait plus pour faire <strong>de</strong><br />
l’humanitaire. Ils écoutèrent toutefois notre histoire avec attention une bonne<br />
<strong>de</strong>mi-heure et nous conseillèrent d’orienter nos recherches vers les<br />
organisations catholiques, moins structurées. Nous reçûmes une nouvelle liste<br />
d’adresses et les remerciâmes avant <strong>de</strong> poursuivre notre chemin dans l’espoir<br />
163
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
<strong>de</strong> trouver quelque chose avant la nuit, autrement aurions-nous dû opter pour<br />
un hôtel pas cher sur Khao San Road, <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la ville.<br />
Nous résolûmes <strong>de</strong> tenter notre chance avant et <strong>de</strong> nous rendre au<br />
COEER, un organisme catholique encore choisi au hasard qui s’occupait <strong>de</strong><br />
réfugiés. Dans la rue <strong>de</strong> MSF, à gauche en sortant du bâtiment et à environ<br />
cinq cents mètres, se trouvait l’arrêt <strong>de</strong> bus. Nous fîmes une petite halte pour<br />
nous acheter un Pepsi près d’une agence Nouvelles Frontières, y posâmes<br />
notre sac et nous assîmes <strong>de</strong>ssus pour le boire lorsqu’une jeune femme sortit<br />
<strong>de</strong> la boutique d’à-côté pour s’acheter une glace. Nous voulions savoir si elle<br />
savait où se trouvait la soï Katsuwan, la rue du COEER. Nous souhaitions<br />
seulement cette information sans particulièrement vouloir engager la<br />
conversation mais elle ne l’entendit pas ainsi, répondit qu’elle ne savait pas et<br />
voulut entendre notre récit. Elle parlait un peu anglais et connaissait quelques<br />
mots en français car son ex l’était. Nous la lui racontâmes à elle aussi, ce qui<br />
sembla beaucoup l’intéresser au point <strong>de</strong> nous proposer <strong>de</strong> dormir chez elle<br />
quelque temps, moyennant une somme tout à fait mo<strong>de</strong>ste (1500 bahts) en<br />
attendant <strong>de</strong> trouver autre chose. Nous acceptâmes mais il nous fallait<br />
absolument d’abord essayer le COEER ; une intuition ! Elle en parla à sa<br />
patronne dans la boutique et nous accompagna puisqu’elle le voulait tant. Elle<br />
nous appela également un taxi et en l’attendant, nous essayâmes <strong>de</strong> faire plus<br />
ample connaissance avec elle. Elle s’appelait Nah et nous donna son numéro<br />
<strong>de</strong> téléphone en échange <strong>de</strong> notre courriel.<br />
Vingt minutes et 75 bahts plus tard, nous arrivâmes au COEER dont les<br />
locaux étaient installés dans une sorte <strong>de</strong> cité pas très chic. Le père Pibun nous<br />
reçut et nous signala qu’il ne pouvait rien directement pour nous. En revanche,<br />
il souhaitait nous recomman<strong>de</strong>r aux Missions Étrangères <strong>de</strong> Paris (MEP) et un<br />
grand homme au nom oublié nous y conduisit avec sa voiture. Il nous fallut<br />
quinze minutes <strong>de</strong> plus pour nous y rendre. Pendant ce temps, nous<br />
expliquâmes plus précisément notre cas au chauffeur qui nous proposa<br />
généreusement <strong>de</strong> venir le voir si nous ne trouvions pas bonheur aux MEP.<br />
Arrivé à la mission, le père Yves Le Bézu nous accueillit, écouta notre<br />
histoire et nous posa plusieurs questions sur nos motivations, nos intentions,<br />
etc. Le grand monsieur décida <strong>de</strong> reconduire pendant ce temps Nah chez elle<br />
et elle nous laissa à nouveau son numéro en nous faisant promettre <strong>de</strong> la<br />
164
Farang<br />
rappeler plus tard. Le père Le Bézu nous <strong>de</strong>manda d’attendre son collègue<br />
dans une petite pièce prévue à cet effet. Alors que le Soleil était déjà bas, signe<br />
<strong>de</strong> notre proche défaite, le père Auguste Tenaud entra.<br />
Nous discutâmes un peu et il nous proposa <strong>de</strong> l’accompagner dans l’Issan<br />
(la province nord-est) afin d’apporter notre ai<strong>de</strong> dans un centre qui s’occupait<br />
entre autres d’enfants sidéens. Il nous dit qu’il nous prenait à l’essai, histoire <strong>de</strong><br />
voir si nous convenions et si le travail nous convenait à nous – une autre<br />
pério<strong>de</strong> probatoire en quelque sorte. Nous acceptâmes <strong>de</strong> suite cette<br />
proposition tout droit tombée <strong>de</strong>s Cieux. Le père Auguste nous dit que nous<br />
pouvions passer la nuit à la mission car nous <strong>de</strong>vions partir le len<strong>de</strong>main à 5<br />
heures. Nous <strong>de</strong>vions cependant nous débrouiller pour manger le soir et il<br />
nous indiqua un marché dans la rue au <strong>de</strong>hors.<br />
Avant d’y aller, nous prîmes une douche bien méritée et vers 17 heures,<br />
nous sortîmes dans la rue faire un tour même si nous n’avions pas vraiment<br />
faim. Là, un conducteur <strong>de</strong> tuk-tuk d’à peine 14 ans environ souhaita<br />
absolument nous conduire à un market. Devant notre refus persistant (nous<br />
voulions simplement marcher quelques dizaines <strong>de</strong> minutes), il sortit une<br />
brochure avec <strong>de</strong> jeunes filles et garçons nus et nous <strong>de</strong>manda si nous voulions<br />
nous y rendre. Pour ne le pas vexer, nous lui expliquâmes, avec un sourire<br />
complice, que nous n’étions pas en Thaïlan<strong>de</strong> pour cela. Dans la rue, nous<br />
pûmes observer à quel point les Thaïs étaient passés maîtres dans l’art <strong>de</strong> la<br />
contrefaçon : Quiksilver, Oxbow, Eastpack… Autant <strong>de</strong> fausses marques qui<br />
avaient l’apparence <strong>de</strong> vraies mais <strong>de</strong> moins bonne facture. Nous rentrâmes<br />
ensuite à la mission pour nous y coucher et rattraper l’horaire ; il était 19h30.<br />
165
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 5 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Bangkok (Thaïlan<strong>de</strong>), 3h15.<br />
Nous ne dormîmes pas vraiment cette nuit. Nous pensons que cela est dû à<br />
l’étouffante chaleur <strong>de</strong> Bangkok plus qu’au décalage horaire qui n’a aucun<br />
véritable effet sur notre organisme. En ce moment, nous écrivons notre carnet<br />
et préparons notre sac pour partir avec le père Auguste et l’un <strong>de</strong> ses collègues<br />
à Yasothon, dans l’Issan. Une sœur catholique thaïe doit également être du<br />
voyage : Noella Nonlak.<br />
Ubon Ratchatani (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 11h48.<br />
Le chemin fut long, très long. Pour la première fois <strong>de</strong> notre vie, nous<br />
vîmes le rouge Soleil <strong>de</strong> l’Orient, celui qui ne semblait plus fasciner les pères<br />
avec lesquels nous nous arrêtâmes à 8h30 au bord <strong>de</strong> la route pour déjeuner à<br />
nouveau un plat très épicé – nous continuâmes à manger du piment pendant<br />
au moins vingt minutes après avoir fini !<br />
Nous reprîmes la route pour arriver il y a quelques minutes à Ubon<br />
Ratchatani, dite Ubon. La sœur s’arrêta en route dans son couvent. Nous<br />
rejoignîmes ensuite une autre mission <strong>de</strong>s MEP où le père Léon passait sa<br />
retraite (si nous comprîmes bien), <strong>de</strong>ux autres pères assumant le bon<br />
fonctionnement <strong>de</strong>s offices ; c’est là que nous déjeunerons dans un instant.<br />
Avant <strong>de</strong> repartir pour Yasothon, nous ai<strong>de</strong>rons le père Auguste à déposer <strong>de</strong>s<br />
livres et documents chez l’évêque.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 18h12.<br />
À notre arrivée à la fondation, nous pûmes faire la connaissance <strong>de</strong> toute<br />
notre nouvelle famille : les vingt-<strong>de</strong>ux enfants, les volontaires, la directrice pi<br />
Tiou et Claire Borelli, une volontaire Bambou envoyée par Enfants du Mékong<br />
(EDM) qui finance le fonctionnement interne du centre. Une chambre nous<br />
fut attribuée et la sœur, récupérée auparavant, nous offrit gentiment comme<br />
ca<strong>de</strong>au <strong>de</strong> bienvenue du thé, une tasse et du sucre.<br />
Nous eûmes à peine le temps <strong>de</strong> nous installer dans notre chambre, <strong>de</strong><br />
déballer nos effets, que Claire nous proposa d’aller faire un tour dans le centre-<br />
166
Farang<br />
ville pour manger un khao pat (plat traditionnel thaï à base <strong>de</strong> riz sauté) et faire<br />
un peu connaissance. Nous en profitâmes pour consulter notre courriel dans le<br />
cybercafé à-côté <strong>de</strong> la gare routière.<br />
De retour à Homehak (le nom commun donné à la fondation), <strong>de</strong>ux<br />
enfants vinrent spontanément nous voir dans notre chambre, un garçon et une<br />
fille. Ils commencèrent <strong>de</strong> nous parler et voyant que nous ne comprenions<br />
rien, rirent joyeusement. Nous nous assîmes sur notre lit et leur montrâmes <strong>de</strong>s<br />
photographies et cartes postales <strong>de</strong> la France, ce qu’ils semblèrent apprécier.<br />
Soupany, la petite fille, sortit ensuite <strong>de</strong> la chambre et ne revint que trois<br />
minutes plus tard avec <strong>de</strong>ux morceaux <strong>de</strong> papier. Devant nous, elle les fit<br />
disparaître et nous fit ensuite comprendre qu’il fallait que nous essayions d’en<br />
faire autant. Naturellement ne le pûmes-nous pas, ce qui l’amusa beaucoup. Ils<br />
partirent tous <strong>de</strong>ux et, d’un signe <strong>de</strong> la main, nous dirent : « Bye bye ! » Tel fut<br />
donc notre premier contact avec les enfants ; nous ne sommes pas prêt <strong>de</strong><br />
l’oublier, c’est une certitu<strong>de</strong> ! Avant <strong>de</strong> nous enfermer dans notre chambre<br />
pour nous préparer au sommeil, Claire nous donna l’adresse postale <strong>de</strong> la<br />
fondation.<br />
Nous pensons déjà à ce que nous allons pouvoir faire plus tard ; c’est plus<br />
fort que nous. Constituer un Cercle à Bangkok nous tente assez, il nous faut y<br />
réfléchir, mais laissons cela ! Après tout, nous ne sommes en Thaïlan<strong>de</strong> que<br />
<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux jours…<br />
167
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 6 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 13h30.<br />
Nous n’eûmes pas le temps ce matin d’écrire notre carnet et c’est pourquoi<br />
il est si tard – nous nous levâmes pourtant à 6h30. Nous commençâmes par<br />
ai<strong>de</strong>r nom Pai et nom Paak à petit-déjeuner – nom signifie enfant et est<br />
communément placé <strong>de</strong>vant le prénom <strong>de</strong> chacun d’eux.<br />
Aujourd’hui est un jour férié. Nous pûmes donc ensuite jouer avec tous les<br />
enfants au parc que les compagnons <strong>de</strong> France vinrent construire l’an <strong>de</strong>rnier.<br />
Il était certes déjà bien abîmé mais au moins cela signifiait-t-il que les enfants<br />
aimaient y jouer.<br />
En fin <strong>de</strong> matinée, pi Yung (un volontaire du centre, pi signifie frère ou sœur)<br />
et nous-même rangeâmes une sorte <strong>de</strong> hangar plein <strong>de</strong> planches, tôles et autres<br />
morceaux <strong>de</strong> bois. Après ce laborieux travail, nous réparâmes la pancarte <strong>de</strong> la<br />
fondation qui en avait bien besoin avec une vieille châine <strong>de</strong> mobilette rouillée.<br />
Vers 13 heures, nous allâmes déjeuner à la cuisine – les enfants avaient déjà<br />
presque tous fini. En ce moment, nous avons l’impression que tout le mon<strong>de</strong><br />
dort ; <strong>de</strong>vons-nous en faire autant ? Nous pensons plutôt entamer le livre que<br />
nous empruntâmes hier aux pères d’Ubon : Quand la Chine s’éveillera…<br />
d’Alain Peyrefitte, un vieux bouquin qui n’a plus raison d’être puisque la Chine<br />
s’est bel et bien réveillée, va nous en mettre plein le cul dans pas longtemps et<br />
c’est tant mieux !<br />
Il nous faut également écrire à notre mère ; maintenant pouvons-nous lui<br />
avouer que nous sommes en Thaïlan<strong>de</strong> puisque tout va bien. Comment<br />
aurions-nous pu annoncer que nous partions dans un pays que nous ne<br />
connaissions pas sans argent avec un aller simple, ne parlant pas thaï et sans<br />
point <strong>de</strong> chute sans lui causer d’énormes soucis ? À cœur fragile, précautions<br />
extrêmes, elle qui s’inquiétait déjà quand nous allions nous promener à la<br />
Sainte-Victoire…<br />
20h17.<br />
L’après-midi fut plutôt tranquille. La sœur Nonlak., Claire et nous-même<br />
allâmes vers 15 heures rendre visite à Nang, une jeune fille <strong>de</strong> 21 ans qui a le<br />
168
Farang<br />
sida et d’autres problèmes d’ordre psychologique. Par respect pour sa<br />
personne, il est inutile que nous en disions plus si ce n’est que le père Auguste<br />
pense qu’elle ne va pas vivre bien longtemps… L’hôpital <strong>de</strong> Yaso était<br />
impressionnant comparé à ceux dont nous avions l’habitu<strong>de</strong> avant <strong>de</strong> venir en<br />
Thaïlan<strong>de</strong>. Les mala<strong>de</strong>s étaient installés dans les couloirs lorsque la place<br />
manquait – ce qui était souvent le cas – et les familles n’hésitaient pas à<br />
coucher sous le lit <strong>de</strong> leur proche pour rester à ses côtés.<br />
Nous fîmes un tour par la galerie marchan<strong>de</strong> avant <strong>de</strong> rentrer et la sœur<br />
nous offrit <strong>de</strong> la lessive et un étendoir pour notre linge, ainsi que <strong>de</strong> l’ananas<br />
coupé en succulentes tranches ; trop bon !<br />
De retour au centre, nous jouâmes avec les enfants à un jeu qui ne<br />
requérait pas <strong>de</strong> réelle communication mais une mémoire entraînée, ce qui<br />
n’est hélas pas notre cas : le jeu <strong>de</strong>s paires. Nom Kao proposa ensuite un foot.<br />
Nous n’aimions pas vraiment ce sport mais il prit une toute autre signification<br />
qu’en Europe avec <strong>de</strong>s enfants thaïs qui jouaient seulement pour s’amuser,<br />
qu’ils per<strong>de</strong>nt ou qu’ils gagnent.<br />
Nous nous amusions tant que nous oubliâmes complètement que nous<br />
<strong>de</strong>vions dîner avec le père Auguste dans un couvent à l’occasion du nouvel an<br />
qu’ensemble ils n’avaient pu fêter avant faute <strong>de</strong> temps libre. Nous avions<br />
ren<strong>de</strong>z-vous à 18 heures et ne nous en souvînmes sur le terrain qu’un quart<br />
d’heure avant ; Claire n’avait pas eu le cœur d’interrompre ce premier jeu entre<br />
les enfants et nous-même.<br />
Nous nous préparâmes donc en vitesse et la rejoignîmes dans le pick-up –<br />
le véhicule principal après la moto en Thaïlan<strong>de</strong>. Nous arrivâmes au couvent<br />
quelques minutes en retard et nous en excusâmes auprès du père Auguste.<br />
Notre premier véritable repas à la thaïe ne fut qu’enchantement. Nous<br />
mangeâmes sur <strong>de</strong>s tapis <strong>de</strong> paille ou d’osier un sukiaki, plat japonais qui<br />
consiste à faire cuire les légumes dans l’eau bouillie et la vian<strong>de</strong> ou le poisson<br />
sur une plaque <strong>de</strong> fer en forme <strong>de</strong> cône au-<strong>de</strong>ssus, le tout étant chauffé sur une<br />
jarre en terre cuite pleine <strong>de</strong> braises incan<strong>de</strong>scentes. Les mets furent encore<br />
une fois assez épicés mais nous nous régalâmes, à tel point que la sœur Nonlak<br />
nous proposait sans cesse d’en reprendre un peu plus. Nous trouvons cette<br />
femme déjà remarquable au passage ! Le repas s’acheva par <strong>de</strong>s fruits et un<br />
excellent gâteau.<br />
169
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous étions bien tombé en ce moment car le père Auguste, les sœurs et<br />
leurs ami(e)s ne se réunissaient pour un tel repas que <strong>de</strong>ux fois par an. Bien<br />
qu’il ne possédât pas les fastes d’un dîner chic à l’européenne, il en fut mille<br />
fois plus appréciable !<br />
Avant <strong>de</strong> rentrer, nous passâmes avec Claire par le cybercafé où nous<br />
répondîmes à un gars voulant <strong>de</strong>s renseignements sur notre ancien Cercle :<br />
« Désolé, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong> s’est retiré du marché en ce moment ! »<br />
170
Farang<br />
1 7 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 19h34.<br />
Nous nous levâmes à 5h30 afin d’accompagner Claire à Yaso dans un<br />
marché typiquement thaï qui débute très tôt et s’achève vers 9h30. L’ambiance<br />
ne manquait vraiment pas : les gens étaient charmants et toujours aussi<br />
souriants, malgré l’heure et le froid relatif.<br />
Dans l’Issan, région paysanne <strong>de</strong> la Thaïlan<strong>de</strong>, les gens se lèvent<br />
horriblement tôt pour aller au marché la tête dans le cul, habillés comme <strong>de</strong>s<br />
ploucs. Au moins ne nous sentons-nous pas dépaysé car tel est souvent nos<br />
état matinal.<br />
Les passages entre les étales grouillaient <strong>de</strong> gens, <strong>de</strong> charrettes à vélo ou <strong>de</strong><br />
motos ; tout ce petit mon<strong>de</strong> évoluait sans se gêner. De temps à autres<br />
rencontrions-nous <strong>de</strong>s bonzes qui venaient recueillir <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s. Les Thaïs<br />
pensent ainsi gagner <strong>de</strong>s mérites pour leur prochaine réincarnation (Karma).<br />
Se promener dans un tel marché est une expérience où tous les sens<br />
explosent tellement il y a <strong>de</strong> choses à découvrir. Claire nous conseilla <strong>de</strong> goûter<br />
à une spécialité thaïe : du khao gnao (riz gluant) frit avec <strong>de</strong> la noix <strong>de</strong> coco et<br />
du jaune d’œuf ; un délice ! Fon, une jeune fille <strong>de</strong> 17 ans qui vit au centre,<br />
nous offrit enfin quatre beignets que nous dégustâmes jusques au <strong>de</strong>rnier ; trop<br />
bons également !<br />
À notre retour, les enfants n’étaient pas encore réveillés et nous pûmes en<br />
profiter pour mettre à jour ce présent carnet.<br />
Ils se levèrent à 7h15. Pendant qu’ils mangeaient, nous aidâmes Claire à<br />
préparer le traitement <strong>de</strong> nom Nout, une petite fille qui prend la trithérapie.<br />
Pour un début, elle nous proposa <strong>de</strong> partager la responsabilité <strong>de</strong>s soins, ce que<br />
nous acceptâmes <strong>de</strong> bon cœur naturellement. Il nous faudra certes avant<br />
prendre connaissance <strong>de</strong>s soins à administrer et <strong>de</strong>s médicaments mais nous<br />
pensons pouvoir nous en sortir.<br />
Nous accompagnâmes par la suite les enfants à l’école dans le pick-up. Il<br />
fallut faire <strong>de</strong>ux voyages ; un pour anuban (la maternelle) et un autre pour po (le<br />
primaire). Quelques enfants restent cependant au centre car ils sont trop<br />
mala<strong>de</strong>s ou pas assez grands. C’est le cas entre autres <strong>de</strong> nom Pao et nom Jay qui<br />
171
n’y sont jamais allés.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Jusques à environ midi, nous suivîmes Claire et le père Auguste dans leurs<br />
déplacements (banque, couvent, photocopies, etc.)<br />
Le reste <strong>de</strong> l’après-midi, alors que Claire et la sœur allaient visiter Nang à<br />
l’hôpital, nous restâmes au centre jouer avec les enfants, dans la limite <strong>de</strong> nos<br />
compétences et <strong>de</strong> notre trop pauvre vocabulaire. Nous leur fîmes également<br />
réviser leurs chiffres <strong>de</strong> 1 à 10, en thaï et en anglais. Ce n’était pas au point sauf<br />
pour nom Pao que nous sentons très malin. Il s’écorcha le genoux droit cet<br />
après midi et nous dûmes le soigner avec <strong>de</strong> la bétadine, seul moyen dont nous<br />
disposions pour faire sécher au mieux la plaie.<br />
En ce moment, tout le mon<strong>de</strong> regar<strong>de</strong> un film <strong>de</strong> Walt Disney sur le lecteur<br />
<strong>de</strong> DVD. Cela nous laisse le temps d’écrire. Nous n’allons pas tar<strong>de</strong>r à aller<br />
nous coucher car la journée fut longue.<br />
172
Farang<br />
1 8 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 13h25.<br />
Les enfants n’ont pas école en Thaïlan<strong>de</strong> les samedi et dimanche. Claire<br />
voulut donc préparer un gâteau et ainsi les occuper un moment. Avant cela,<br />
nous passâmes la matinée avec elle. Nous <strong>de</strong>vions accueillir à la gare routière<br />
une autre Bambou <strong>de</strong> passage mais elle n’était pas là, alors allâmes-nous<br />
prendre un café.<br />
Nanaphan, le grand magasin <strong>de</strong> Yaso, fut également l’objet d’un arrêt car il<br />
nous fallait <strong>de</strong>s ingrédients pour le gâteau. Nous finîmes par un petit tour au<br />
cybercafé où Claire put mettre à jour sa correspondance et apprendre que<br />
Ségolène, la Bambou en question, n’arriverait que <strong>de</strong>main.<br />
Vers 11 heures, nous visitâmes Nang à l’hôpital général et lui apportâmes<br />
ses mets préférés (khao pat, gâteaux à la banane) ainsi qu’un manga. Elle<br />
semblait heureuse <strong>de</strong> nous voir et se portait bien, malgré la ponction lombaire<br />
qu’elle avait subie la veille.<br />
De retour à la fondation, nous aidâmes Claire à donner les soins à nom<br />
Ninda et nom Pao. Les enfants nous réquisitionnèrent ensuite pour faire un<br />
foot.<br />
18h34.<br />
Après dîner, nous fîmes ces trois gâteaux. La cuisine était sans <strong>de</strong>ssus<br />
<strong>de</strong>ssous mais nous nous amusâmes comme un petit fou et <strong>de</strong> plus, ils étaient<br />
très bons ; n’est-ce pas le principal ?! Nous passâmes l’après-midi à jouer avec<br />
les enfants (foot, cache-cache, lance-pierres, etc.)<br />
Vers 17 heures, cinq femmes vinrent apporter <strong>de</strong>s présents aux enfants<br />
(couches, couvertures et autres) et à l’encadrement <strong>de</strong>s noix <strong>de</strong> coco préparées<br />
à la thaïe : pleines <strong>de</strong> gélatine <strong>de</strong> riz, coupées en fine lamelles, un truc à te faire<br />
t’installer en Thaïlan<strong>de</strong>, Fidèle !! Des clichés furent pris et pendant qu’elles<br />
parlaient avec Claire, pi Tiou et les autres, nous jouâmes une fois <strong>de</strong> plus au<br />
foot avec les enfants. Nous nous apprêtons d’ailleurs à prendre une douche<br />
bien méritée.<br />
173
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
21h12.<br />
Les enfants regardèrent MIIB toute la soirée alors Claire nous proposa<br />
d’aller boire un verre, histoire <strong>de</strong> décompresser. Elle nous emmena dans un<br />
endroit qu’elle trouvait branché et nous l’invitâmes. Nous parlâmes néocolonialisme,<br />
Étasuniens, terrorisme ou encore religions. Alors que nous<br />
finissions, <strong>de</strong>ux mormons entrèrent prendre chacun une glace. Comme Claire<br />
ne voulait pas les voir, nous partîmes.<br />
Dans la voiture, nous pûmes lui raconter notre courte expérience<br />
mormone à Aix-en-Provence ; elle en fut surprise. Toujours est-il que ce sont<br />
les choses que l’on n’approche jamais dont on a le plus <strong>de</strong> préjugés et nous<br />
pensons être parvenu à les faire tomber. Nous lui expliquâmes simplement<br />
qu’elle ne risquait absolument rien <strong>de</strong> leur part. Ils sont certes parfois collants<br />
mais ce sont <strong>de</strong>s jeunes qui ont les mêmes aspirations et envies que les autres<br />
chrétiens : rien <strong>de</strong> pire et hélas rien <strong>de</strong> mieux non plus.<br />
Demain, nous irons au marché à 5h30.<br />
174
Farang<br />
1 9 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Oops ! Finalement, pas <strong>de</strong> marché. Nous dormîmes comme un loir et<br />
Claire ne put sans doute nous réveiller. Nous nous levâmes donc à 7h45.<br />
Aujourd’hui était jour <strong>de</strong> messe et nous avions promis au père Auguste que<br />
nous serions présent. Nous y allâmes avec Claire, pi Pong, nom Kao, nom Jay,<br />
nom Pao et nom Naw. Les enfants étaient à l’arrière du pick-up et nous les<br />
surveillions afin d’éviter que l’un d’entre eux ne passât par-<strong>de</strong>ssus, occupation<br />
idéale pour nous réveiller !<br />
Nous assistâmes donc à une messe en thaï pour la première fois <strong>de</strong> notre<br />
vie. Notons qu’en Thaïlan<strong>de</strong>, seulement 1% <strong>de</strong> la population, nous dit-on, est<br />
catholique. Nous ne savons pas si cela est vrai mais il n’y avait qu’une vingtaine<br />
<strong>de</strong> fidèles dans l’église. La messe dura trois quarts d’heure est se déroula au fil<br />
<strong>de</strong> lectures, homélie et chants en thaï. À 10h40, nous étions <strong>de</strong> retour à<br />
Homehak. Ce fut vraiment intéressant malgré un manque évi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />
compréhension.<br />
Nous passâmes en fin <strong>de</strong> matinée au cybercafé puis, pour midi, dînâmes<br />
avec Claire à l’hôpital où nous récupérâmes Nang et un traitement conséquent<br />
à lui donner.<br />
À notre retour, Ségolène, que nous attendions la veille, était à la fondation.<br />
Elle nous raconta s’être endormie dans le bus <strong>de</strong> Bangkok – chic, nous n’étions<br />
plus le seul ! – et avoir par conséquent raté son arrêt à Yaso. Elle dut revenir <strong>de</strong><br />
plus loin par ses propres moyens.<br />
Claire organisa <strong>de</strong>s jeux (épervier, tomate, marelle, etc.) et nous passâmes<br />
l’après-midi avec les enfants. Vers 17 heures, nous nous mîmes à travailler la<br />
grammaire essentielle thaïe afin <strong>de</strong> pouvoir à l’avenir communiquer avec eux.<br />
Nous écrivîmes également à la chambre 9 et à Cyril, comme promis. La soirée<br />
fut tranquille : nous prîmes un thé avec les filles, lûmes ensuite quelques pages<br />
et sombrons là tranquillement.<br />
175
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 0 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Cette nuit, un chien nous réveilla à 4 heures. Quelqu’un l’avait, sans doute<br />
par mégar<strong>de</strong>, enfermé dans le bâtiment. Nous allâmes le délivrer <strong>de</strong> sa prison<br />
et il nous en fut très reconnaissant – d’autant que nous ne savions pas<br />
exactement <strong>de</strong>puis combien <strong>de</strong> temps il était là.<br />
Nous nous levâmes trois heures plus tard et n’allâmes pas prendre notre<br />
petit-déjeuner car nous <strong>de</strong>vions passer la journée à parcourir les villages<br />
alentours à la recherche <strong>de</strong>s filleuls EDM avec le père Auguste, pi Yung, Claire<br />
et Ségolène. Nous partîmes à 9h30 et revînmes vers 17h30, après un peu plus<br />
<strong>de</strong> 230 kilomètres sur <strong>de</strong>s pistes <strong>de</strong> terre rouge en mauvais état : un véritable<br />
safari avec le père au cœur fragile.<br />
Nous mangeâmes vers 13 heures à ban Kutchum (ban signifie village) un<br />
khao pat et une omelette, tous <strong>de</strong>ux très épicés, naturellement. Le père Auguste<br />
en profita pour nous conseiller si nous rentrions en France d’essayer le Sriracha<br />
pour les féculents et le reste. À notre humble avis, si nous rentrons, nous<br />
serons sans doute dégoûté <strong>de</strong> tout piment à jamais…<br />
Nous prîmes le pick-up pour rentrer au centre et servîmes <strong>de</strong> coussin à<br />
Ségolène qui était, semblait-il, crevée à force <strong>de</strong> voyager dans toute la<br />
Thaïlan<strong>de</strong> (et parfois plus loin). Son job consiste à visiter les programmes<br />
financés par EDM et à en ramener <strong>de</strong>s reportages ; c’est passionnant mais<br />
prenant, nécessairement !<br />
Une fois au centre, nous eûmes à peine le temps d’entrer dans notre<br />
chambre que les enfants nous <strong>de</strong>mandèrent <strong>de</strong> faire un foot avec eux. Nous<br />
dûmes également en fin d’après-midi conduire trois d’entre eux à la clinique<br />
car ils ne se sentaient pas bien et il nous fallut donner son traitement à nom<br />
Nout pendant que Claire se préparait. Tout se passa plutôt bien ; nous en<br />
fûmes assez fier !<br />
Ensuite, nom Pao et nom Nout montèrent dans le pick-up <strong>de</strong>rrière avec nous<br />
en direction <strong>de</strong> la clinique. Nom Pao vint spontanément dans nos bras. Il ne se<br />
sentait pas bien, le pauvre, en plus <strong>de</strong> sa maladie. Il s’endormit pendant le<br />
trajet.<br />
176
Farang<br />
Nous sommes surpris par le courage <strong>de</strong> cet enfant : il est vraiment mala<strong>de</strong><br />
– il a <strong>de</strong>s plaies sur tout le corps – mais ne dit rien lorsque nous le soignons.<br />
Avant d’aller voir le mé<strong>de</strong>cin, il attendit sagement sur un banc dans le bâtiment<br />
<strong>de</strong>s filles que nous terminions avec nom Nout sans dire un mot. Il ne se plaint<br />
jamais, sauf quand ça ne va pas du tout auquel cas il nous signale simplement<br />
qu’il a mal. Vivre ici nous apprend ce que sont le courage et l’innocence !<br />
Nous déposâmes Ségolène au cybercafé avant <strong>de</strong> continuer. Nous <strong>de</strong>vions<br />
y aller avec elle mais ne voulions pas réveiller nom Pao qui dormait dans nos<br />
bras. Nous la rejoignîmes donc à pattes <strong>de</strong> chez le mé<strong>de</strong>cin. Catherine (<strong>de</strong><br />
Bahreïn) nous écrivait un message qui nous fit vraiment plaisir.<br />
Sur le chemin du retour, nous nous arrêtâmes avec Ségolène et Claire au 7-<br />
11 pour acheter <strong>de</strong>s petites gâteries bien sucrées. Au centre vers 21 heures, il<br />
nous fallut donner ses sirops à nom Kluaï, une petite fille capricieuse que nous<br />
supportons seulement parce qu’il le faut ; nous ne pouvons pas apprécier tout<br />
le mon<strong>de</strong> non plus, hein !<br />
Il est 21h20, la journée s’achèvera sur un bon gros yaourt à la fraise. Après<br />
avoir nettoyé les conneries <strong>de</strong> nom Kluaï, nous prendrons une bonne douche et<br />
irons au lit.<br />
177
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 1 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 13h25.<br />
Nous nous levâmes à 6h30. Claire et Ségolène nous avaient rapporté un<br />
petit-déjeuner du marché que nous ne pûmes manger <strong>de</strong> suite car nous <strong>de</strong>vions<br />
préparer le traitement <strong>de</strong> Nang.<br />
Le père Auguste passa à la fondation car il allait à Ubon et par la même<br />
occasion accompagnait Ségolène qui y <strong>de</strong>vait prendre un bus pour le<br />
Cambodge afin <strong>de</strong> poursuivre son reportage. À son arrivée, nous prîmes<br />
conscience en voyant sa voiture – une épave qui avait du mérite – que pi Tiou<br />
était <strong>de</strong> retour. Pendant que Claire emmenait les petits à l’école et allait faire<br />
quelques courses en ville, nous fîmes un peu <strong>de</strong> bricolage en réparant la natte<br />
où mangeaient les enfants. À son retour, nous allâmes à l’hôpital avec les<br />
enfants restants afin qu’ils pussent profiter du vaccin contre la polio que le<br />
Yasothon General Hospital offrait gratuitement une fois par mois.<br />
En fin <strong>de</strong> compte, seulement quatre d’entre eux en profitèrent car nous<br />
nous bâtîmes quasiment avec les infirmières et pi Tiou pour leur faire accepter<br />
que l’administration du vaccin par voix orale pouvait être dangereuse chez les<br />
sidéens, déjà gran<strong>de</strong>ment atteints au point <strong>de</strong> vue immunitaire. Quant à la prise<br />
du traitement, elle se fit dans le hall… Cet hôpital ne nous dit vraiment rien <strong>de</strong><br />
bon ! Tout le mon<strong>de</strong> eut également droit à un gâteau et du jus <strong>de</strong> fruits.<br />
Au centre, nous essayâmes <strong>de</strong> rétablir la connexion à l’Internet sans succès.<br />
Nous avons déjà déjeuné et Claire, crevée, vient <strong>de</strong> partir se reposer dans sa<br />
chambre.<br />
15h40.<br />
Nous venons d’aller chercher les enfants à l’école. Claire partit à l’instant en<br />
ville acheter d’autres ca<strong>de</strong>aux pour les filleuls dans les villages car les stocks<br />
étaient épuisés. Nous nous apprêtons <strong>de</strong> notre côté à faire un foot avec les<br />
enfants – nous qui n’aimons pas ce sport, nous sommes servi ici !<br />
178<br />
19 heures.
Farang<br />
Les enfants jouent et le maintenant traditionnel convoi <strong>de</strong> fourmis qui<br />
passe d’une fenêtre <strong>de</strong> notre chambre à l’autre rentre chez lui.<br />
19h50.<br />
Nous venons <strong>de</strong> donner à nom Pao le traitement que le mé<strong>de</strong>cin lui<br />
ordonna hier soir, ainsi qu’à Nang.<br />
Deux personnes sont actuellement au centre car ils ont besoin <strong>de</strong><br />
médicaments contre la diarrhée. Ils ne peuvent pas aller à l’hôpital car l’un<br />
d’eux a le SIDA et ne veut pas que cela se sache. Il aurait en effet <strong>de</strong> fortes<br />
chances (ou malchances) d’être exclu <strong>de</strong> la société mais aussi <strong>de</strong> sa propre<br />
famille. C’est ainsi en Thaïlan<strong>de</strong> et le gouvernement actuel ne fait rien pour<br />
modifier le comportement <strong>de</strong> son peuple vis-à-vis <strong>de</strong> cette maladie. D’où<br />
l’intérêt que les farang viennent dans ces pays pour, au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> toute idée <strong>de</strong><br />
néo-colonialisme, montrer par <strong>de</strong>s gestes simples – ne serait-ce que le toucher<br />
– qu’il n’y a aucun risque <strong>de</strong> vivre avec et <strong>de</strong> s’occuper <strong>de</strong> sidéens. Nous<br />
pensons que cela ferait évoluer cette société si riche dans le bon sens ! En<br />
Thaïlan<strong>de</strong>, on estime à 17% le nombre <strong>de</strong> séropositifs mais on peut compter<br />
20% car le gouvernement (encore lui) atténue <strong>de</strong> beaucoup la gravité <strong>de</strong> la<br />
situation.<br />
Nous soignâmes également les petits bobos <strong>de</strong> nom Ninda, nom Pao et nom<br />
Jay pendant que Claire amenait nom Pluak et nom Nout chez le mé<strong>de</strong>cin, n’y<br />
ayant pas été la veille. Nom Kao vint aussi nous voir pour une échar<strong>de</strong> dans<br />
l’in<strong>de</strong>x droit. Quelle galère, et pour la lui enlever et pour nous faire<br />
comprendre ! Finalement, pi Duan (une volontaire) et son aiguille à coudre<br />
vinrent à notre ai<strong>de</strong>, à nous et notre pince à épiler… Nous emmenâmes ensuite<br />
nom Kao dans notre chambre pour qu’il se lave les mains au savon. Sache,<br />
Fidèle, que ce geste banal pour nous n’est pas encore dans les consciences en<br />
Thaïlan<strong>de</strong>, en tous les cas pas à la fondation. C’est une tâche colossale<br />
d’instaurer un minimum d’hygiène ici.<br />
Après cela, nous mangeâmes avec les autres volontaires. Claire n’est<br />
toujours pas rentrée mais elle nous dit en partant qu’elle s’achèterait quelque<br />
chose en ville pour le dîner.<br />
179
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
21h25.<br />
Tout se passa bien chez le mé<strong>de</strong>cin et nom Pluak a <strong>de</strong>ux nouveaux<br />
médicaments à prendre, en plus d’une pomma<strong>de</strong> pour son oreille gauche.<br />
Enfin… Tout se passe bien sauf pour Claire qui est HS ! Elle doit en plus se<br />
lever à 5 heures <strong>de</strong>main pour aller chercher un ami <strong>de</strong> pi Tiou. Le départ <strong>de</strong> la<br />
comptable hier n’allégea en rien son emploi du temps non plus. Par ailleurs, les<br />
enfants furent particulièrement turbulents ce soir… Bref, elle est un peu sur les<br />
nerfs et cela est bien normal. Telle est la vie d’une volontaire Bambou EDM en<br />
Thaïlan<strong>de</strong> !<br />
Nous aimerions écrire ici quelques mots sur les enfants <strong>de</strong> Homehak car en<br />
plus d’être vraiment débrouillards, fait dû à leur situation, ils sont également<br />
d’un courage et d’une patience exemplaires.<br />
Nom Nout, par exemple, la petite fille qui fait partie du programme <strong>de</strong><br />
trithérapie financé par MSF, nous donna ce soir une leçon extraordinaire. Nous<br />
lui administrions son traitement – neuf seringues <strong>de</strong> sirops tout <strong>de</strong> même ! – et<br />
au bout <strong>de</strong> la septième, elle commença <strong>de</strong> sévèrement tousser. Elle se leva <strong>de</strong><br />
nos genoux et alla aux toilettes pour cracher ce qu’elle avait <strong>de</strong> mauvais dans<br />
les poumons. Nous allâmes voir et patiemment, elle attendit que la crise cessât,<br />
nettoya ensuite la cuvette et reprit sa respiration. Nous lui <strong>de</strong>mandâmes si ça<br />
allait, elle nous fit signe que oui et retourna, hardie, s’asseoir avec nous pour<br />
achever <strong>de</strong> prendre son traitement. Très sincèrement, viens voir ce qui se passe<br />
ici, Fidèle, viens observer ces enfants et passer du temps avec eux. Seulement<br />
alors comprendras-tu que ne pas avoir CanalSat ou la <strong>de</strong>rnière invention à la<br />
mo<strong>de</strong> n’est pas une chose importante et n’a aucune justification si nous<br />
comparons ta détresse d’Occi<strong>de</strong>ntal marketiné jusques à la moelle à celle,<br />
réelle, <strong>de</strong> millions d’enfants dans le mon<strong>de</strong>. Un point important à noter : eux<br />
ne se plaignent jamais… !<br />
180
Farang<br />
2 2 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 7 heures.<br />
Nous avons la tête dans le cul ce matin mais <strong>de</strong>vons aller préparer le<br />
traitement <strong>de</strong>s enfants.<br />
8h50.<br />
C’est un peu la galère <strong>de</strong> le donner à tout le mon<strong>de</strong>. Il faudrait en fait un<br />
infirmier qui s’occupe spécifiquement <strong>de</strong> cela en respectant <strong>de</strong>s horaires bien<br />
précis. Si en plus il pouvait être mignon, ce serait idéal !<br />
Claire est <strong>de</strong> plus en plus fatiguée, elle dort dans sa chambre et nous dûmes<br />
donc nous débrouiller tout seul. Elle ira se reposer sur Bangkok vendredi et ne<br />
rentrera que dimanche soir.<br />
Nous aimerions bien rétablir la connexion à l’Internet d’ici là. Nous voyons<br />
à quel point nous en sommes dépendant mais quelle importance ? Tout notre<br />
réseau s’y trouve et nous ne voyons aucune raison <strong>de</strong> nous en passer.<br />
Aujourd’hui, il semblerait qu’il y ait une réunion à la fondation.<br />
10 heures.<br />
Les gens ne cessent d’arriver mais c’est une journée tranquille. Notre linge<br />
est en train <strong>de</strong> tremper et nous irons le frotter après le déjeuner. En attendant,<br />
allons faire un tour sur le chemin pour voir si nous pouvons trouver <strong>de</strong>s<br />
bambous.<br />
17h42.<br />
Nous en trouvâmes un seul ; triste exploit en Thaïlan<strong>de</strong>… Nous voulions<br />
en faire <strong>de</strong>s petites boites pour y mettre les médicaments du jour mais pi Tiou<br />
nous fit remarquer à juste titre que le bois développait <strong>de</strong>s champignons. Notre<br />
petit projet tombant donc à l’eau, Claire nous réquisitionna pour classer les<br />
feuilles <strong>de</strong>s filleuls. Nous commencions lorsque pi Dara vint nous chercher<br />
pour déjeuner. Nous débutâmes dans la cuisine, comme d’habitu<strong>de</strong>, et<br />
achevâmes dans le grand hall avec les invités <strong>de</strong> pi Tiou. Après déjeuner, nous<br />
181
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
fîmes notre lessive. Nous frottâmes, frottâmes et frottâmes encore. Les <strong>de</strong>ux<br />
volontaires qui étaient présentes en riaient. Il faut dire que la scène <strong>de</strong>vait être<br />
comique : un farang qui faisait sa lessive dans une <strong>de</strong>mi-roue <strong>de</strong> semi-remorque,<br />
assis par terre et à moitié trempé, voilà qui était peu courant en Issan ! Nous<br />
passâmes le reste <strong>de</strong> l’après-midi sur l’ordinateur et nous nous reposons là<br />
<strong>de</strong>vant un thé.<br />
21h30.<br />
Il était 19 heures lorsque nous nous préparâmes pour visiter le père<br />
Auguste avec Claire. Nous <strong>de</strong>vions lui rapporter sa moto mais un pneu était à<br />
plat. Il fallut donc la monter dans le pick-up – pas facile ! – pour la porter au<br />
workshop installé <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la route après le chemin. Alors que Claire<br />
conduisait, nous nous tenions assis sur la moto à l’arrière pour la maintenir<br />
droite. Mine <strong>de</strong> rien, c’était hyper dangereux et nous faillîmes bien mourir une<br />
ou <strong>de</strong>ux fois.<br />
Le pneu réparé, Claire nous expliqua rapi<strong>de</strong>ment son fonctionnement,<br />
nous fîmes un tour pour la prendre en main et la suivîmes jusque chez le père.<br />
Ce fut donc notre première expérience sur une moto (<strong>de</strong>vant) en Thaïlan<strong>de</strong>,<br />
sans casque, sans permis et sur la voie rapi<strong>de</strong>. Quelque chose nous dit que ce<br />
ne sera pas la <strong>de</strong>rnière…<br />
Le père n’était pas chez lui alors la garâmes-nous sous le porche et Claire<br />
déposa-t-elle la clef dans sa chaussure droite. Ensuite, nous allâmes chercher<br />
les photos puis dîner au restaurant et passâmes enfin au cybercafé consulter<br />
notre courriel, la connexion n’étant toujours pas rétablie à la fondation. Sur le<br />
chemin du retour, nous parlâmes à Claire du fait que nous ne disions jamais à<br />
notre mère ce que nous allions faire mais uniquement ce que nous avions fait.<br />
Elle ne comprit visiblement pas cette philosophie qu’elle attribua<br />
spécifiquement aux mecs ; pourquoi pas, c’est peut-être bien le cas en effet !<br />
23h50.<br />
Après avoir achevé notre travail du jour sur les filleuls, nous en profitâmes<br />
pour copier quelques clichés et les placer dans un répertoire portant notre<br />
nom. Il nous faudra trouver un moyen <strong>de</strong> récupérer nos fichiers avant <strong>de</strong><br />
182
partir.<br />
Il est tard : allons nous coucher !<br />
Farang<br />
183
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 3 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 7 heures.<br />
Claire vient <strong>de</strong> nous annoncer à l’instant que nous allions à Surin, la ville<br />
<strong>de</strong>s éléphants, dans une <strong>de</strong>mi-heure.<br />
La journée fut véritablement excellente !<br />
18h30.<br />
Nous partîmes avec le père Auguste, pi Tiou et Claire dans le but d’ai<strong>de</strong>r<br />
financièrement une femme <strong>de</strong> 30 ans qui <strong>de</strong>vait recevoir un rein <strong>de</strong> son époux.<br />
Le Natural Art Center <strong>de</strong> Surin l’aidait dans cette optique en vendant toutes<br />
sortes d’objets, <strong>de</strong> vêtements naturels et autres livres <strong>de</strong>ssinés par les enfants<br />
que ce centre accueillait. Nous achetâmes au passage un petit livre <strong>de</strong> feuilles<br />
blanches et nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rons aux enfants <strong>de</strong> Homehak <strong>de</strong> le remplir avec<br />
leurs <strong>de</strong>ssins.<br />
Nous attendîmes <strong>de</strong>vant un thé l’époux <strong>de</strong> la femme en question puis<br />
allâmes lui rendre visite à l’hôpital général <strong>de</strong> Surin. Nous n’avions<br />
personnellement rien à faire dans sa chambre – nous ne pensions qu’à <strong>de</strong> la<br />
curiosité malsaine – et attendîmes donc <strong>de</strong>hors le retour <strong>de</strong>s autres. Nous<br />
retournâmes ensuite au Natural Art Center pour y déposer l’époux.<br />
Les civilités accomplies, nous reprîmes la route en direction <strong>de</strong> l’habitation<br />
d’un ami du père Auguste, un français marié à une cambodgienne vivant tout<br />
près <strong>de</strong> Surin nommé Denis. Il était un ancien légionnaire victime d’une grave<br />
blessure <strong>de</strong> guerre à la jambe droite. Les gens du coin le considéraient comme<br />
un original a<strong>de</strong>pte du jeûne qui cultivait du riz biologique et utilisait un buffle<br />
plutôt qu’un tracteur. Pour nous, il fut la rencontre enrichissante d’un original<br />
qui croyait en ce qu’il faisait et qui aimait vivre ainsi. Il nous invita d’ailleurs<br />
quelques jours prochains si nous le souhaitions. Il proposa également <strong>de</strong> nous<br />
ai<strong>de</strong>r au centre si nous en avions besoin.<br />
Le père étant pressé, comme toujours, nous ne restâmes qu’une petite<br />
<strong>de</strong>mi-heure.<br />
Notre prochain arrêt fut la sous-préfecture <strong>de</strong> Sikolaphum. De chez Denis,<br />
nous dûmes rebrousser chemin pour y arriver, mais pas exactement le même<br />
184
Farang<br />
puisque à la sortie <strong>de</strong> celui que nous avions emprunté pour rejoindre la<br />
grand’route, les ouvriers qui la refaisaient avaient eu la bonne idée <strong>de</strong> déposer<br />
un talus <strong>de</strong> terre et <strong>de</strong> pierres, nous empêchant ainsi <strong>de</strong> continuer. Le père<br />
essaya dans un premier temps <strong>de</strong> rouler à côté. Tout se passait bien jusques à<br />
ce que la petite voie en terre se rétrécît, l’obligeant à monter sur le talus. La<br />
lour<strong>de</strong> voiture commença alors <strong>de</strong> sérieusement pencher <strong>de</strong> notre côté. C’était<br />
excitant, nous risquions à tous moments <strong>de</strong> nous renverser dans la gran<strong>de</strong><br />
flaque <strong>de</strong> boue, <strong>de</strong> plus en plus proche ; nous étions le seul à partager cet<br />
enthousiasme désinvolte, cela dit ! Le père recula donc et décida <strong>de</strong> passer par<br />
<strong>de</strong>ssus.<br />
Nous supposâmes que le talus était trop rai<strong>de</strong>, que la voiture risquait <strong>de</strong><br />
rester bloquée <strong>de</strong>ssus et hélas avions-nous raison ; le pick-up stoppa net ! Nous<br />
essayâmes <strong>de</strong> le pousser mais abandonnâmes rapi<strong>de</strong>ment ce projet en ne<br />
constatant aucun résultat probant. Heureusement que les Thaïs sont d’une<br />
naturelle générosité et qu’ils sont souvent très disponibles pour les autres car la<br />
famille qui tenait la boutique, à quelques pas <strong>de</strong>rrière, nous vint en ai<strong>de</strong>. Nous<br />
déblayâmes autant que faire se put <strong>de</strong>ssous la voiture avec une <strong>de</strong> leurs pelles<br />
tandis que l’un d’entre eux fixait une barre <strong>de</strong> fer sur l’avant du pick-up afin <strong>de</strong><br />
le tirer à l’ai<strong>de</strong> d’un camion. La première tentative fut la bonne et le père put<br />
récupérer son véhicule entier. Nos généreux sauveurs remerciés, pi Tiou nous<br />
invita dans un restaurant sympathique.<br />
Nous nous arrêtâmes ensuite à Warin (cité jumelle d’Ubon) dans un<br />
magasin pour y faire faire le <strong>de</strong>vis du forage et du traitement <strong>de</strong>s eaux du<br />
centre. À Ubon, nous passâmes au centre commercial avant <strong>de</strong> rejoindre les<br />
MEP pour nous rafraîchir et prendre le courrier du père.<br />
Nous arrivâmes il a quelques minutes, tout était tranquille.<br />
22h40.<br />
Nous prîmes une douche après avoir joué au foot avec nom Naw, adorable,<br />
et soigné les petits bobos <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong> avec Claire. Nous nous endormons<br />
<strong>de</strong>vant notre carnet, la journée fut longue et riche en événements.<br />
185
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 4 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 7h15.<br />
Nous rêvâmes cette nuit que nous avions un <strong>de</strong>mi-frère ; il venait nous dire<br />
que notre vrai père était mort. Peut-être <strong>de</strong>vons-nous nous attendre à vivre cela<br />
dans les temps à venir… Peut-être est-ce simplement le résultat <strong>de</strong> la<br />
conversation que nous eûmes hier avec le père Auguste et Claire dans la<br />
voiture sur le chemin du retour à propos <strong>de</strong> notre père. Peut-être est-ce enfin<br />
cette pensée fine et insidieuse <strong>de</strong> dualité perdue qui revient à la charge ; nous<br />
ne savons que penser…<br />
11h25.<br />
Aujourd’hui, pour la première fois <strong>de</strong>puis que nous sommes ici, le temps<br />
est couvert. Nous passâmes la matinée sur l’ordinateur à nous occuper <strong>de</strong><br />
choses administratives. Nous commençons <strong>de</strong> prendre nos marques à<br />
Homehak ; il nous semble que nous pourrions trouver notre place à<br />
l’infirmerie et évi<strong>de</strong>mment sur l’ordinateur.<br />
Claire nous quitta vers 10 heures en moto avec pi Dara pour aller chercher<br />
la voiture <strong>de</strong> pi Tiou.<br />
17h40.<br />
Nous nous apprêtons à partir à la clinique pour nom Pao, nom Jay et nom<br />
Pluak. Cet après-midi, nous fîmes une promena<strong>de</strong> dans le bois près <strong>de</strong> la<br />
fondation avec pi Esso (un autre volontaire thaï) et les enfants qui n’étaient pas<br />
à l’école.<br />
Nous parlâmes également avec Claire <strong>de</strong> l’infirmerie ; le problème est qu’il<br />
n’y en a tout simplement pas ici ! Nous <strong>de</strong>vons administrer les soins dans un<br />
couloir et ranger les médicaments dans une petite commo<strong>de</strong> ouverte à tous.<br />
Par ailleurs, le minimum d’hygiène indispensable n’existe pas non plus.<br />
Développer une infirmerie digne <strong>de</strong> ce nom à Homehak est un projet qui nous<br />
tient beaucoup à cœur. Nous <strong>de</strong>ssinons donc <strong>de</strong>ux plans, tout comme Claire,<br />
pour comparer ensuite et avoir matière à discussion <strong>de</strong>vant le père Auguste et<br />
pi Tiou. Le premier doit représenter ce que nous pouvons faire avec nos<br />
186
Farang<br />
moyens, le second ce que nous voudrions faire si nous en avions les moyens.<br />
21h33.<br />
Nous ne mangeâmes pas ce soir. Le sumtham (plat hyper épicé) ne nous<br />
tentait guère ; nous n’avions pas vraiment faim en fait, toujours cette pensée<br />
fine et insidieuse… Nous n’allâmes pas non plus chez le mé<strong>de</strong>cin en fin <strong>de</strong><br />
compte car pi Dara voulait accompagner Claire. Après avoir donné son<br />
traitement à chacun <strong>de</strong>s enfants concernés, nous accompagnâmes cette<br />
<strong>de</strong>rnière en ville pour consulter notre courriel. Au retour, elle nous annonça<br />
qu’il fallait compter pas moins <strong>de</strong> 5000 bahts pour renouveler un visa dans ce<br />
pays en allant au Laos (voyage compris) et environ 3000 bahts en Malaisie ! De<br />
quoi nous démoraliser un peu quand même, n’ayant pas tout cet argent.<br />
Allons nous coucher ! La nuit porte conseil, paraît-il, à défaut <strong>de</strong> billets <strong>de</strong><br />
500 euros ; quelle conne !<br />
187
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 5 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 5h10.<br />
Le réveil est dur mais nous <strong>de</strong>vons aller au marché avec Claire. Nous<br />
partons pour le week-end et il nous faut un sac plus petit pour y emporter<br />
seulement ce dont nous aurons besoin. Nous espérons en trouver un pas cher,<br />
ainsi qu’un chapeau <strong>de</strong> paille, histoire <strong>de</strong> compléter le cliché.<br />
8h26.<br />
C’est la folie !! Les enfants sont tous impatients <strong>de</strong> partir ; ils ne sortent pas<br />
beaucoup du centre. Au moins cela les aura-t-il motivés pour prendre leurs<br />
médicaments sans rechigner… Trente sont comptés et nous partons avec <strong>de</strong>ux<br />
pick-up ; un vrai bor<strong>de</strong>l ! À cela, il faut ajouter les bagages, naturellement.<br />
Nous te laissons imaginer, Fidèle, l’état <strong>de</strong> notre arrangement : tout<br />
simplement génial !!<br />
Notre <strong>de</strong>rnier repas remonte à hier midi. Nous ne réussîmes pas à manger<br />
hier soir non plus. De plus, nous appréhendons pour la suite <strong>de</strong>s événements<br />
financiers. Nous n’aimons pas dépendre <strong>de</strong> quoi que ce soit, surtout pas <strong>de</strong><br />
l’argent. Au centre, nos dépenses sont réduites au minimum, fort<br />
heureusement, et pi Tiou nous offre sans cesse <strong>de</strong>s petites gâteries sucrées –<br />
elle est tellement gentille ! Elle nous proposa même <strong>de</strong> recevoir un salaire du<br />
centre si nous nous engagions pour au moins six mois, mais bon… Les<br />
engagements et nous… Enfin… Tu vois, n’est-ce pas ?<br />
15 heures.<br />
Nous partîmes à 9 heures. Nous nous assîmes <strong>de</strong>vant avec nom Paak sur les<br />
genoux. Quinze minutes après, nous nous arrêtâmes acheter <strong>de</strong>s brochettes <strong>de</strong><br />
poulet pour pi Yin, pi Dara et les enfants qui étaient dans notre pick-up, à<br />
l’arrière. Quelques minutes <strong>de</strong> routes plus tard, elles décidèrent <strong>de</strong> s’arrêter <strong>de</strong><br />
nouveau prendre <strong>de</strong>s noix <strong>de</strong> coco préparées à la thaïe. Nous avions déjà le<br />
ventre plein.<br />
Juste après Ubon (<strong>de</strong>ux heures <strong>de</strong> route), le grand marché nous exposa ses<br />
délices. Il nous fallait <strong>de</strong>s fruits et <strong>de</strong>s légumes. Nous aidâmes pi Yin à porter<br />
188
Farang<br />
ses sacs <strong>de</strong> provisions et nous rendîmes compte que tout le mon<strong>de</strong> nous<br />
regardait d’un air amusé. Les farang, comme ce matin au marché, ne courent<br />
pas les chemins <strong>de</strong> l’Issan très souvent.<br />
C’est dans le ban <strong>de</strong> pi Yin que nous passerons le week-end. Sa famille est<br />
charmante et reçut tout le mon<strong>de</strong> avec une extrême bonté.<br />
Nous dînâmes donc là-bas, sur <strong>de</strong>s nattes disposées au sol. Il était prévu<br />
ensuite que nous visitions le village <strong>de</strong> pi Hit (entre autres) situé quelques ban<br />
plus loin. Sur la route, comme nous étions installé dans la caisse (et le vent)<br />
<strong>de</strong>rrière avec quelques enfants, nous pûmes entendre <strong>de</strong>s « Farang !!<br />
Farang !! » : aucune raillerie là-<strong>de</strong>dans, Fidèle, <strong>de</strong> la surprise joyeuse<br />
uniquement !<br />
Nous arrivâmes au ban vers 14h30.<br />
Encore une fois, les habitants nous accueillirent avec la plus sincère<br />
générosité. Nous mangeâmes encore un peu puis visitâmes le village et la<br />
maison <strong>de</strong> pi Noum (une autre volontaire).<br />
Les enfants sont découverts et s’arrosent en ce moment, ce qui ne leur<br />
arrive pas souvent à ce que nous crûmes comprendre. À part cela, le ciel se<br />
grise mais il fait très chaud.<br />
17 heures.<br />
Nous sommes encore en train <strong>de</strong> manger, chez pi Duan cette fois-ci.<br />
Gâteaux, Fanta, Sprite et Coca-Cola sont au menu. Nom Kao vint même se<br />
plaindre que son ventre allait éclater. Claire lui conseilla <strong>de</strong> ne plus rien manger<br />
et <strong>de</strong> boire <strong>de</strong> l’eau ; il est fort probable que beaucoup sautent le repas <strong>de</strong> ce<br />
soir.<br />
Ces gens ne vivent pas dans l’opulence et pourtant avons-nous ici tout ce<br />
qui est nécessaire à un bon goûter – rappelons que nous sommes loin d’être<br />
seul ! Encore un exemple <strong>de</strong> l’accueil désormais légendaire <strong>de</strong>s thaïs <strong>de</strong> l’Issan.<br />
Occi<strong>de</strong>ntal, prends donc exemple ! Ils n’ont que peu <strong>de</strong> choses mais nous<br />
offrent volontiers ce qu’ils ont avec le sourire.<br />
189<br />
21 heures.
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous sommes <strong>de</strong> retour chez pi Yin <strong>de</strong>puis trois heures.<br />
Avant <strong>de</strong> rentrer, la mère <strong>de</strong> pi Noum nous invita à manger chez elle : nous<br />
n’en pouvions plus !<br />
Les enfants prirent leur douche et se couchèrent vers 20 heures ; les filles à<br />
l’étage et les garçons au rez-<strong>de</strong>-chaussée. Pour prendre la douche, il y avait une<br />
jarre pleine d’eau fraîche et un bol, c’était simple et pas plus mal finalement. À<br />
la fondation, nous avons une douche dans notre salle d’eau et les enfants,<br />
quant à eux, ont le même système.<br />
Les volontaires mangèrent encore un peu à la cuisine. En sortant <strong>de</strong> la<br />
douche, nous voyant dépité par tant d’appétit, ils en rirent ! Là, nous sommes<br />
allongé sur un transat “spécial farang <strong>de</strong> passage” mais nous allons nous<br />
coucher par terre, sur les couvertures avec les autres, il n’y a pas <strong>de</strong> raison et,<br />
laisse-nous te le confier, nous serons cent fois mieux qu’ici !<br />
190
Farang<br />
2 6 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Le même village que la veille (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 9h35.<br />
Nous passâmes en effet une excellente nuit malgré la ru<strong>de</strong>sse du sol. Les<br />
enfants se réveillèrent vers 6 heures et se levèrent à 7 heures. Ils allèrent<br />
manger seuls alors que nous comations encore dans notre couverture. Une<br />
heure après, nous finîmes par nous lever pour préparer avec Claire les<br />
traitements <strong>de</strong> Nang, nom Pao, nom Nout, nom Pluak, nom Ann, nom Ninda, nom<br />
Jay et nom Djane.<br />
Ceci fait, nous grignotâmes du pain au raisin puis pi Tiou nous apporta une<br />
sorte <strong>de</strong> maïs sans beaucoup <strong>de</strong> goût et <strong>de</strong>s racines bizarres. Pendant ce temps,<br />
les enfants chargeaient les pick-up et s’installaient ; nous étions prêt à partir<br />
également. C’était sans compter la mère <strong>de</strong> pi Yin qui nous avait préparé un<br />
<strong>de</strong>rnier repas… Nous l’aurions vexée si nous avions refusé. Nous nous<br />
installâmes donc pour petit-déjeuner, une troisième fois, en une heure et<br />
<strong>de</strong>mie.<br />
En ce moment, nous nous apprêtons à partir, enfin, pour <strong>de</strong> mystérieuses<br />
casca<strong>de</strong>s dont nous ne savons encore rien.<br />
17h17.<br />
Nous embarquâmes dans un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux pick-up vers 9h45 et préférâmes<br />
cette fois-ci la caisse <strong>de</strong>rrière ; la veille, nous avions suffoqué à l’intérieur. Le<br />
trajet dura environ trente-cinq minutes au cours <strong>de</strong>squelles nous pûmes<br />
apprécier <strong>de</strong>s sourires à notre attention dans chaque village où nous passions.<br />
Pi Esso et pi Nouï qui étaient avec nous <strong>de</strong>rrière profitèrent <strong>de</strong> ce temps libre,<br />
et surtout seuls, pour manger <strong>de</strong>s fruits. Ils sont déconcertants quand même,<br />
nous ne savons pas comment ils font et où ils mettent tout cela surtout. Si<br />
nous étions thaï, nous pèserions sans doute une tonne, pas moins… Non ! En<br />
fait, si nous étions thaï, notre estomac nous réclamerait comme le leur sans<br />
cesse à manger et nous resterions malgré tout fin, élancé et imberbe… Arf, ne<br />
nous égarons pas !<br />
Les <strong>de</strong>ux véhicules s’engagèrent enfin sur un chemin au bout duquel nous<br />
pûmes lire : « Phu Jong Nayoï National Park ». L’entrée semblait payante, nous<br />
191
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
ne vîmes pas bien ce que faisait pi Tiou <strong>de</strong>vant. Quoi qu’il en soit, elle était<br />
gardée. Environ dix minutes <strong>de</strong> chemin plus tard, nous arrivâmes aux casca<strong>de</strong>s.<br />
Enfin… Seulement en saison <strong>de</strong>s pluies car là, seul un ruisseau coulait le long<br />
<strong>de</strong>s pierres.<br />
Les enfants n’ont pas souvent l’occasion <strong>de</strong> voir autant d’eau, et nous le<br />
notâmes dès que les pick-up coupèrent leur moteur ; dans les trois minutes qui<br />
suivirent, la majeure partie d’entre eux était déjà dans l’eau !<br />
L’après-midi se passa au son <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> joie et <strong>de</strong> l’écoulement paisible du<br />
petit ruisseau. Nous fîmes <strong>de</strong>s batailles d’eau, <strong>de</strong>s excursions dans la forêt,<br />
nous mangeâmes bien évi<strong>de</strong>mment et fûmes pris en photo aussi. À cette<br />
occasion, un ami <strong>de</strong> pi Tiou, photographe, était venu nous rejoindre.<br />
Nous n’allons pas tar<strong>de</strong>r à prendre le chemin du retour car il va être long.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 22h08.<br />
Il le fut en effet : cinq heures <strong>de</strong> route pour joindre Homehak, sans arrêt,<br />
excepté une fois pour faire <strong>de</strong> l’essence.<br />
Pi Tiou voulut également faire une escale au Si Sca Asoke Bouddhist<br />
Temple car elle voulait que nous rencontrions le moine qui tenait cette école<br />
fondée dans le respect <strong>de</strong> la nature. Il n’était hélas pas présent mais elle nous<br />
promit <strong>de</strong> nous conduire tantôt dans un temple similaire sur Ubon.<br />
À part cela, personne n’eut vraiment envie <strong>de</strong> s’arrêter en chemin, la seule<br />
pensée étant le lit que tout le mon<strong>de</strong> put gagner après un <strong>de</strong>rnier dîner et<br />
l’administration <strong>de</strong>s soins aux enfants. Nous sommes épuisé et avons du mal à<br />
écrire ces lignes ; allons nous coucher !<br />
192
Farang<br />
2 7 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Cette journée n’eut rien <strong>de</strong> particulièrement intéressant.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Ce matin, le père Auguste nous annonça qu’une jeune française allait<br />
participer à la mission, un peu comme nous mais dans un but plus médical<br />
afin, comprit-il, d’écrire son mémoire ; elle arrivera <strong>de</strong>main.<br />
Claire et pi Tiou allèrent quant à elles, cet après-midi, visiter les filleuls dans<br />
les villages.<br />
La sœur, enfin, nous proposa <strong>de</strong> travailler dans une école <strong>de</strong>ux ou trois<br />
jours par semaine avec <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> 7 à 15 ans ; nous y réfléchissons. Ce<br />
serait une excellente occasion d’acquérir une nouvelle expérience et, jeudi au<br />
plus tard, nous lui donnerons notre réponse.<br />
193
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 8 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 6h45.<br />
Nous dormîmes tellement bien cette nuit que nous nous levâmes <strong>de</strong> bonne<br />
heure. Claire et la sœur se ren<strong>de</strong>nt à Surin aujourd’hui chez MSF qui, dans le<br />
cadre <strong>de</strong> leur programme toujours, leur fournira <strong>de</strong>s médicaments.<br />
9h16.<br />
Alexandra Savidan, la nouvelle volontaire, arriva vers 7 heures. Avec son<br />
ai<strong>de</strong> précieuse, nous réussîmes à remettre l’Internet ; ô joie ! Comme Claire a<br />
amené avec elle nom Jay, nom Pao, nom Pluak et nom Nout, nous allons avoir le<br />
temps <strong>de</strong> lui faire visiter la fondation et la mettre dans l’ambiance.<br />
Pi Tiou part à l’instant dans les villages. Nous avons donc la journée pour<br />
nous.<br />
20h43.<br />
Nous parlâmes un peu avec Alexandra pendant la journée. Elle est ici pour<br />
six mois et nous pensons qu’elle pourrait nous remplacer à l’infirmerie si nous<br />
acceptons la proposition <strong>de</strong> la sœur. Nous parlions d’une nouvelle expérience<br />
enrichissante hier mais nous n’avons pas envie d’abandonner la fondation – au<br />
contraire y voulons-nous nous investir un peu, ce qui n’est guère dans notre<br />
habitu<strong>de</strong>… La raison <strong>de</strong> ce changement se nomme Soupany, une petite fille<br />
pour qui nous éprouvons beaucoup d’affection. Nous avons le sentiment <strong>de</strong><br />
déjà la connaître, c’est très étrange – la prescience qui nous caractérise nous<br />
surprendra toujours ! Et puis il y a cette On<strong>de</strong> encore ; nous avons<br />
l’impression d’être manipulé par notre Destin.<br />
Nous passâmes l’après-midi sur l’ordinateur. Nous pûmes enfin consulter<br />
notre courriel, répondre à nos correspondants, écouter la radio, etc.<br />
Nang, qui nous montre <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong>s yeux amoureux, nous emmena<br />
également voir le chantier du futur bâtiment offert par le gouvernement : une<br />
monumentale construction <strong>de</strong> soixante mètres <strong>de</strong> long. Elle serait l’idée d’un<br />
donateur mégalomane qui voudrait créer une clinique pour soins palliatifs dont<br />
la fondation aurait la charge, alors que les <strong>de</strong>ux bâtiments actuels ont déjà du<br />
194
mal à tourner…<br />
Farang<br />
Claire revint en fin d’après-midi avec <strong>de</strong>ux excellentes nouvelles : nom Jay,<br />
nom Pao et nom Pluak vont eux aussi avoir droit à la trithérapie et nom Nout voit<br />
son traitement s’alléger un peu.<br />
195
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 9 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 23h12.<br />
Notre journée fut chargée. Nous nous levâmes à 6h30 pour réveiller les<br />
enfants et les ai<strong>de</strong>r à se préparer pour l’école. C’est pi Dara qui s’en occupe<br />
généralement mais elle est en plein dans les comptes en ce moment et Claire<br />
jugea bon <strong>de</strong> la soulager un peu <strong>de</strong> son travail. Nous lavâmes les petits,<br />
bougeâmes un peu les grands. Après cela, il fallut nous dépêcher pour préparer<br />
les traitements du matin.<br />
Aujourd’hui, c’était le grand nettoyage ! Nous aidâmes donc comme nous<br />
le pouvions, surtout pour déplacer les meubles.<br />
En début d’après-midi, Claire nous conduisit avec la sœur à Song Yae, un<br />
ban catholique situé à une quarantaine <strong>de</strong> kilomètres <strong>de</strong> Yasothon. Nous y<br />
rencontrâmes le père Somlong qui dirige l’école dont nous parlâmes plus haut.<br />
Après environ une heure <strong>de</strong> visite et un entretien en anglais, il nous confirma<br />
que nous étions le bienvenu si nous le souhaitions ; quant à la sœur, elle nous<br />
donne <strong>de</strong>ux jours pour notre réponse. Absente ce week-end, elle voudrait si<br />
nous acceptons que nous commencions dès lundi.<br />
Nous eûmes donc le chemin du retour, dans la caisse du pick-up, le vent<br />
aérant nos réflexions, pour y songer. Le problème est simple : nous avons<br />
besoin d’argent, il nous faut travailler mais si nous travaillons, nous <strong>de</strong>vons<br />
nous engager et nous engager revient à nous enfermer et nous enfermer nous<br />
est exclu… Pas si simple en fin <strong>de</strong> compte ! Il y a autre chose : si nous<br />
acceptons <strong>de</strong> travailler dans cette école, nous ne serons plus aussi souvent<br />
présent au centre.<br />
Ce soir, nous allâmes dîner un sukiaki avec le père Auguste, Claire et<br />
Alexandra. Il nous sembla judicieux <strong>de</strong> parler au premier <strong>de</strong> nos<br />
préoccupations pendant ce repas. Nous pensons qu’il serait mieux d’attendre la<br />
rentrée en mai pour accepter la proposition <strong>de</strong> la sœur, qui veut nous ai<strong>de</strong>r à<br />
payer notre visa pour les trois mois à venir en échange <strong>de</strong> notre ai<strong>de</strong> à la<br />
fondation, mais il sembla au père que nous <strong>de</strong>vions accepter sa proposition<br />
pour lundi.<br />
Une fois rentré, Claire nous parla en plus <strong>de</strong> l’assurance, à savoir que nous<br />
196
Farang<br />
n’en avions évi<strong>de</strong>mment pas. Elle ne voulait pas que pi Tiou et la fondation<br />
aient <strong>de</strong>s ennuis s’il nous arrivait un problème.<br />
Toutes ces préoccupations sont tellement futiles pour nous ; nous ne nous<br />
y attachons guère. La seule chose qui nous inquiète est ce foutu engagement,<br />
cette chaîne que tout le mon<strong>de</strong> semble vouloir nous porter au cou.<br />
Comme tu le vois, Fidèle, la vie d’un voyageur <strong>de</strong> grand chemin n’est pas<br />
aussi simple que tu peux te le figurer ! C’est typiquement occi<strong>de</strong>ntal, la<br />
paperasse, et il nous faut la retrouver ici ; mer<strong>de</strong> quoi ! Penses-tu qu’il soit si<br />
irresponsable <strong>de</strong> partir comme cela, à l’arrache, sans rien prévoir, sans<br />
assurance, sans point <strong>de</strong> chute, sans relation et sans argent… ? Nous, nous<br />
considérons que c’est simplement vivre.<br />
197
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 0 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Ce jour fut plein <strong>de</strong> bonnes surprises !<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 21h45.<br />
Avec beaucoup <strong>de</strong> mal, nous nous levâmes ce matin vers 6h30. La sœur<br />
nous avait, la veille au soir, laissé une bouilloire pour chauffer <strong>de</strong> l’eau car les<br />
enfants avaient froid le matin en prenant leur douche ; nous la crûmes<br />
volontiers puisqu’ils n’avaient en haut que <strong>de</strong>s jarres et <strong>de</strong>s bols.<br />
Donner la douche aux enfants nous réveilla et nous fit oublier les petits<br />
désagréments matériels <strong>de</strong> la veille. En même temps, nous préparâmes les<br />
traitements en courant d’un bâtiment à l’autre et finissant toujours par<br />
manquer <strong>de</strong> nous tuer en surfant sur les flaques d’eau que les enfants laissaient,<br />
non sans le faire exprès, dans leur chambre au sortir <strong>de</strong> la douche. Cela les<br />
amusait beaucoup d’ailleurs, et nous aussi.<br />
Claire émergea vers 8h30 mais elle semblait vraiment fatiguée ; elle partit à<br />
Bangkok ce midi et pourra ainsi récupérer. Nous ne vîmes pas beaucoup<br />
Alexandra aujourd’hui et nous craignons qu’elle ne se soit pas encore faite à l’<br />
“ambiance Homehak” – cela ne saurait tar<strong>de</strong>r.<br />
C’est tout un cirque pour donner le traitement aux enfants le matin avant<br />
qu’ils ne partent pour l’école ! Il faut les attraper (déjà !) et ensuite faire vite<br />
pour ne pas retar<strong>de</strong>r les autres qui atten<strong>de</strong>nt dans le pick-up. Comme les<br />
volontaires thaïs ne sont pas très au faîte <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> la constance dans<br />
cette opération, rien n’est facile – et il ne faut pas compter sur les enfants pour<br />
être <strong>de</strong> bons patients, chose que nous comprenons aisément avec tous ces<br />
cachets.<br />
Pour nom Nout qui ne va pas à l’école, nous attendîmes donc 8 heures.<br />
Vers 9h30 - 10 heures, alors que nous travaillions un peu sur l’ordinateur, pi<br />
Tiou <strong>de</strong>manda à nous parler. Nous nous installâmes sur la table <strong>de</strong> réunion et<br />
elle nous raconta son histoire, avec le père Auguste pour interprète. Ainsi nous<br />
aida-t-elle à nous déci<strong>de</strong>r pour l’école. Nous y travaillerons les lundi, mardi,<br />
mercredi et jeudi pour revenir à la fondation le week-end. Cela nous paraît<br />
l’emploi du temps le mieux adapté à notre situation et à celle <strong>de</strong>s enfants du<br />
centre qui vont dans la semaine à l’école <strong>de</strong> toute manière. De plus, il y a<br />
198
Farang<br />
Alexandra qui est déjà un peu versée dans les traitements.<br />
Pi Tiou et le père Auguste semblaient satisfaits. Nous donnâmes notre<br />
réponse à la sœur qui nous dit que nous commencions dès lundi pour une<br />
pério<strong>de</strong> d’un mois, le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> l’année scolaire. Ainsi pourrons-nous voir si<br />
l’activité nous convient et réciproquement si nous convenons à cette activité.<br />
Notre choix sembla l’emballer ; il faut dire qu’elle ne l’attendait plus…<br />
Tout ce que le père Auguste, pi Tiou et la sœur font pour nous… Nous leur<br />
<strong>de</strong>vons tant ! Nous aimerions tant qu’ils puissent lire la gratitu<strong>de</strong> dans notre<br />
cœur !<br />
Après cela, nous allâmes chercher avec Claire et Alexandra la moto du père<br />
qui nous sera gran<strong>de</strong>ment utile pour nous déplacer en l’absence <strong>de</strong> Claire.<br />
Nous les suivîmes avec pendant leur trajet car elles avaient quelques courses à<br />
faire. Nous nous arrêtâmes à la Poste et à l’ATM où nous eûmes une excellente<br />
surprise avec notre carte électron BNP Paribas ; nous pûmes retirer 10000<br />
bahts, une belle somme ici ! L’Armée avait dû nous payer un mois entier,<br />
même si nous n’avions effectué que quelques jours en janvier. Ou alors nous<br />
creusions, creusions et creusions encore notre compte en banque… À Diable,<br />
toutes ces questions !<br />
De retour au centre, nous dînâmes et Claire partit vers 13h30 avec pi Yin<br />
qui la laissa à la gare routière <strong>de</strong> Yaso. Cet après-midi, nous allâmes faire<br />
quelques courses dans le centre-ville avec la moto. C’est tellement plus agréable<br />
un pays quand on peut s’y déplacer ! Nous nous y achetâmes <strong>de</strong>s vêtements,<br />
<strong>de</strong>s tongs et <strong>de</strong>s Converses. Nous ne trouvâmes hélas pas à ce moment-là <strong>de</strong><br />
sac pratique pour partir quatre jours. Nous nous renseignâmes auprès <strong>de</strong> la<br />
sœur pour savoir où nous pouvions en trouver un et elle nous répondit que pi<br />
Tiou, pi Yin et pi Dara allaient au marché au soir ; c’est là que nous trouvâmes<br />
le sac idéal.<br />
Cela va nous faire tout drôle <strong>de</strong> quitter le centre, même pour quatre jours.<br />
Et puis nous nous attachons <strong>de</strong> plus en plus à Soupany, malgré le conseil avisé<br />
<strong>de</strong> Catherine (<strong>de</strong> Bahreïn) avec qui nous communiquons toujours sur<br />
l’Internet. Elle nous écrivit en effet d’éviter que les enfants ne s’attachassent<br />
trop à nous puisque nous ne comptions vraisemblablement pas rester<br />
éternellement près d’eux. Mais c’est Soupany, personne ne peut comprendre,<br />
elle déjà !<br />
199
Encore une journée bien remplie !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 1 j a n v i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 23h15.<br />
Nous commençâmes par faire ce que nous avons à faire chaque matin.<br />
Tout <strong>de</strong> suite après, nous nous rendîmes à Yaso car nous avions encore <strong>de</strong>s<br />
courses en tête et nous voulions nous promener ; nous déposâmes la moto<br />
quelque part et marchâmes un peu.<br />
Sur notre chemin, nous rencontrâmes une bonne cinquantaine d’écoliers<br />
qui nous souhaitèrent tous un joyeux : « Hello ! »<br />
Nous nous arrêtâmes ensuite <strong>de</strong>vant un magasin d’informatique car une<br />
offre alléchante s’offrait à nos yeux d’or : un appareil photo numérique Sony<br />
Cybershot pour seulement 11990 bahts ! Nous entrâmes et <strong>de</strong> suite une<br />
ven<strong>de</strong>use nous prit en charge ; elle parlait un peu anglais. Nous discutâmes <strong>de</strong><br />
l’appareil avec elle et lui dîmes que nous le prenions mais qu’il nous fallait<br />
d’abord passer à une ATM retirer <strong>de</strong> l’argent. Trop heureuse <strong>de</strong> conclure sa<br />
vente, elle proposa <strong>de</strong> nous y conduire avec sa propre moto.<br />
Sur le trajet, nous apprîmes que sa sœur suivait <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s en Flori<strong>de</strong> et<br />
qu’elle pensait la rejoindre prochainement. Notons que les filles thaïes nous<br />
parlent très facilement…<br />
Une fois <strong>de</strong> retour, nous achetâmes l’appareil après avoir fait baisser son<br />
prix <strong>de</strong> 390 bahts. Nous lui laissâmes également nos coordonnées puis<br />
rentrâmes à la fondation vers 11h30 pour préparer les traitements.<br />
En début d’après-midi, nous fîmes notre lessive : toujours aussi folklo !<br />
Ensuite, pi Yin nous <strong>de</strong>manda si nous pouvions conduire Fon (la fille <strong>de</strong> 17 ans<br />
qui nous avait offert <strong>de</strong>s beignets au marché) à son travail dans le centre. Nous<br />
revînmes puis repartîmes avec cette fois-ci Alexandra comme passagère. Nous<br />
passâmes l’après-midi à faire du shopping pour rentrer vers 17h30.<br />
La soirée fut tranquille et les enfants regardèrent le DVD <strong>de</strong> Bla<strong>de</strong> II avant<br />
d’aller se coucher. Nous comptions retourner en ville ce soir y manger une<br />
glace avec Alexandra mais, sur le chemin en terre au sortir <strong>de</strong> la fondation,<br />
nous nous rendîmes compte que le pneu arrière était crevé ; nous fûmes obligé<br />
<strong>de</strong> rentrer.<br />
200
Farang<br />
Nous venons <strong>de</strong> prendre une bonne douche, froi<strong>de</strong> évi<strong>de</strong>mment, et allons<br />
là nous coucher.<br />
201
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 e r f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 20h43.<br />
Nous pûmes faire la grasse matinée aujourd’hui et ne nous levâmes qu’à 8<br />
heures pour, le reste <strong>de</strong> la journée… nous reposer ! Nous laissâmes à<br />
Alexandra la responsabilité <strong>de</strong>s traitements au moins une fois avant notre<br />
départ. Elle ne parle pas très bien anglais et c’est un problème pour le suivi<br />
médical sur l’ordinateur ; elle n’y met pas trop <strong>de</strong> cœur non plus mais cela va<br />
venir, nous lui faisons confiance. Nous sommes à Homehak ici, tout est<br />
possible !!<br />
À 20h15, elle nous dit qu’elle n’avait pas réussi à donner sa trithérapie à<br />
nom Nout et que nous pouvions essayer si nous le voulions.<br />
NOUS . Si je veux ?? Bon sang, Alex, c’est d’une trithérapie dont nous parlons,<br />
pas d’une dose <strong>de</strong> para pour un mal au crâne !!<br />
Il nous fallut cinq minutes pour que nom Nout consente à prendre son<br />
traitement. Alexandra va s’y faire… Elle va s’y faire !<br />
Passons.<br />
À 15 heures, tous les enfants eurent droit à un goûter. Pi Yin, pi Kaï et pi<br />
Duan nous invitèrent à partager un plat <strong>de</strong> khao pun (<strong>de</strong>s capellini version Lao).<br />
Nous leur montrâmes qu’en Europe nous avions l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong> la<br />
sauce en pot <strong>de</strong>ssus ; faute <strong>de</strong> ketchup, nous mîmes du chili ! Le ventre plein<br />
(déjà trois repas !), nous allâmes télécharger <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins sur le Net pour les<br />
donner à nom Yin et nom Yo ; nous nous étions souvenu qu’elles aimaient<br />
beaucoup <strong>de</strong>ssiner et qu’en plus, elles le faisaient très bien, <strong>de</strong>s mangas surtout.<br />
Ensuite, nous retournâmes dans notre chambre et nous endormîmes,<br />
tellement profondément que nous ne nous rendîmes même pas compte que<br />
tout le mon<strong>de</strong> avait déserté le centre pour aller à la rivière.<br />
Alexandra est sur l’ordinateur en ce moment, nous irons voir notre courriel<br />
une <strong>de</strong>rnière fois après. Nous partirons <strong>de</strong>main à 16 heures. Il est prévu que pi<br />
Yin nous conduise au ban. Nous ne savons une fois <strong>de</strong> plus pas ce qui nous<br />
attend et c’est précisément cela qui nous excite autant !<br />
202
Nous sortons <strong>de</strong> la douche.<br />
Farang<br />
2 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 15h23.<br />
Ce matin, nous laissâmes à nouveau Alexandra se débrouiller seule avec les<br />
traitements et ne nous levâmes comme hier qu’à 8 heures pour, finalement…<br />
les donner aux enfants nous-même ! Nous n’allâmes pas à la messe pour cette<br />
raison ; shame!<br />
Nous passâmes le reste <strong>de</strong> la matinée à prendre <strong>de</strong>s clichés avec les enfants<br />
dans le bois et les déchargeâmes sur l’ordinateur <strong>de</strong> la sœur ; cette solution est<br />
provisoire et il nous faudrait nous renseigner sur le prix d’un graveur dans ce<br />
pays. Quant à notre memory stick, elle est assez légère et nous ne pouvons en<br />
sauver beaucoup pour le moment. Si nous partons quatre jours toutes les<br />
semaines, nous <strong>de</strong>vrons également en trouver une plus lour<strong>de</strong>.<br />
Vers midi, le père Auguste vint chercher pi Tiou pour visiter quelques<br />
villages. À son retour, il ramena une jeune femme d’environ 30 ans très atteinte<br />
du SIDA. Son grand-père ne voulait pas s’occuper d’elle et sa grand-mère n’en<br />
avait plus les moyens ; elle était également là d’ailleurs. Elles vont rester au<br />
centre un long moment donc.<br />
Après cet épiso<strong>de</strong>, nous allâmes avec les enfants et Alexandra nous<br />
promener dans le bois alentour, ce qui nous donna l’occasion <strong>de</strong> prendre<br />
encore quelques clichés.<br />
Là, nous attendons notre départ et sommes un peu fatigué.<br />
Beaucoup <strong>de</strong> choses se passèrent en si peu <strong>de</strong> temps !<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 18h19.<br />
Tout d’abord, nous fîmes le trajet avec pi Yin que nous apprîmes à mieux<br />
connaître. Arrivés à ban Song Yae, nous rencontrâmes le père Otto qui nous<br />
montra notre chambre : une pièce dans la maison <strong>de</strong>s pères donnant sur la<br />
terrasse, côté mare, un aménagement sommaire composé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux lits, d’un<br />
porte-vêtements et d’une gran<strong>de</strong> armoire. Elle est située entre celle du père<br />
Otto et celle du père Somlong. Nous sommes d’ailleurs seul avec eux dans<br />
cette gran<strong>de</strong> et belle maison en bois.<br />
203
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous déposâmes nos effets et le père nous emmena ensuite rencontrer les<br />
autres membres catholiques <strong>de</strong> la congrégation. Après un verre <strong>de</strong> lait, une<br />
banane et quelques frais morceaux <strong>de</strong> pastèque, nous rentrâmes dans notre<br />
chambre avec le père Otto qui nous fournit couvertures, serviettes <strong>de</strong> bain et<br />
nous fit visiter la maison.<br />
Ensuite, nous décidâmes d’aller faire seul un tour dans le ban, histoire <strong>de</strong><br />
prendre quelques clichés et, peut-être, faire <strong>de</strong> nouvelles rencontres. Ce fut le<br />
cas à la troisième maison où nous rencontrâmes le professeur Yoanna,<br />
enseignante d’anglais à l’école. Elle nous proposa <strong>de</strong> jouer le gui<strong>de</strong> et nous<br />
présenta à quasiment tout le mon<strong>de</strong>. Nous fîmes donc la connaissance <strong>de</strong>s<br />
enseignants, fleuristes et autres commerçants avec lesquels nous aurons à vivre<br />
dans les semaines à venir.<br />
Une <strong>de</strong>mi-heure <strong>de</strong> marche plus tard, nous nous sentions déjà chez nous,<br />
même si nous savions que nous allions avoir <strong>de</strong>s problèmes à communiquer<br />
dans un premier temps. Le professeur Yoanna doit sans doute être une très<br />
bonne enseignante, elle sait mettre les gens en confiance. Elle nous laissa sur le<br />
chemin <strong>de</strong>vant la maison <strong>de</strong>s pères et nous rentrâmes. Du coup, nous ne<br />
pûmes prendre qu’un seul cliché : un superbe couché <strong>de</strong> Soleil sur la mare près<br />
<strong>de</strong> la maison.<br />
19h24.<br />
Pour le dîner, nous étions seul avec le père Otto et parlâmes en anglais<br />
durant le repas <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> rien ; nous lui racontâmes évi<strong>de</strong>mment notre<br />
histoire. À force, nous allons, c’est à craindre, <strong>de</strong>venir ego-narcissique…<br />
Nous sommes là sur notre lit (un <strong>de</strong> plus !) et nous apprêtons à aller nous<br />
coucher.<br />
Nos sentiments sont assez confus en ce qui concerne cette nouvelle<br />
expérience. Le centre nous manque car nous nous y sentons bien. Nous<br />
appréhendons aussi un peu car nous savons que nous allons avoir du mal à<br />
communiquer avec les enfants ici. Et puis, en fait, il n’y a pas <strong>de</strong> raison <strong>de</strong><br />
s’inquiéter puisque nous nous débrouillons très bien à la fondation.<br />
204
Farang<br />
3 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 5h54.<br />
La rencontre avec nos élèves approche au fur et à mesure que notre<br />
appréhension grandit.<br />
Tout le mon<strong>de</strong> est déjà levé ici puisqu’à 5h30, la sœur Jiou – la plus jeune<br />
<strong>de</strong>s sœurs qui doit avoir notre âge – sonna l’angélus. La cloche étant située<br />
entre la maison <strong>de</strong>s pères et celle <strong>de</strong>s sœurs, nous n’y échappâmes pas. De plus,<br />
les coqs s’en donnèrent à cœur-joie dès 3 heures. Il fait assez froid si tôt ; la<br />
semaine prochaine, nous penserons à prendre une veste.<br />
Les commodités ne sont pas vraiment… commo<strong>de</strong>s, ici ; Homehak est un<br />
palace à côté mais c’est folklo et nous aimons assez. En fait, c’est la douche qui<br />
nous gêne un peu. Elle est située <strong>de</strong>hors, sur la terrasse et est ouverte aux<br />
moustiques ; c’est la mer<strong>de</strong> le soir quand il fait nuit !<br />
Il est l’heure d’aller petit-déjeuner.<br />
6h04.<br />
En fin <strong>de</strong> compte, nous vîmes le père Somlong à son bureau qui nous dit<br />
pouvoir dormir encore un peu car le petit-déjeuner n’était servi qu’à 7 heures.<br />
Nous ne nous fîmes pas prier !<br />
12h37.<br />
Nous passâmes une matinée <strong>de</strong>s plus enrichissantes ! Tout d’abord, après la<br />
messe à laquelle nous n’assistâmes pas, nous allâmes manger chez les sœurs<br />
avec le père Otto. Il y avait au menu du khao gnao, <strong>de</strong>s légumes et <strong>de</strong>s fruits.<br />
La sœur principale Somjai nous emmena ensuite rencontrer nos futurs<br />
élèves. Sur le chemin, nous fîmes la connaissance d’un Belge marié à une Thaïe<br />
qui venait déposer son enfant ici ; il vivait à quatre kilomètres seulement du<br />
ban. Nous parlâmes <strong>de</strong> notre visa et il nous conseilla <strong>de</strong> préférer Nong Khaï à<br />
Chong Mek.<br />
Mer<strong>de</strong> ! La cloche sonne et nous <strong>de</strong>vons retrouver notre classe.<br />
205
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
15h58.<br />
L’école est finie pour la journée <strong>de</strong>puis vingt-huit minutes. Notre aprèsmidi<br />
fut aussi intéressant que notre matinée.<br />
Nous en étions à notre rencontre avec ce Belge. Après cela, nous suivîmes<br />
la sœur jusque dans la cour <strong>de</strong> l’établissement qui servait également <strong>de</strong> terrain<br />
<strong>de</strong> foot.<br />
Tous les élèves étaient en rang, silencieux. Tout à coup, alors que nous<br />
approchions du père Somlong, tout le mon<strong>de</strong> se mit à chanter l’hymne<br />
nationale <strong>de</strong>vant la montée <strong>de</strong>s couleurs ; sept cent trente élèves aussi<br />
harmonieux, c’était quelque chose à voir, tout <strong>de</strong> même !<br />
À ce moment-là, le père nous annonça que nous <strong>de</strong>vions nous présenter<br />
<strong>de</strong>vant tout le mon<strong>de</strong> au micro, nous qui avons horreur <strong>de</strong>s discours et <strong>de</strong>s<br />
apparitions en public ; quelle angoisse ! Nous nous soumîmes à ce <strong>de</strong>voir en<br />
anglais, le père traduisant nos paroles à tous. À la fin, les enfants nous<br />
applaudirent, plus par réflexe sans doute, mais au moins nos appréhensions<br />
s’envolèrent-elles à ce moment-là.<br />
Les enfants se rendirent ensuite en rang sous un grand préau où,<br />
quotidiennement, <strong>de</strong>s passages <strong>de</strong> La Bible sont lus. 60% <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong> l’école<br />
environ sont catholiques, les autres étant bouddhistes. Pour ces <strong>de</strong>rniers, les<br />
lectures se font dans les classes.<br />
Cette fois-ci cependant, il y avait une sorte <strong>de</strong> cérémonie <strong>de</strong> remise <strong>de</strong> prix.<br />
Après cela seulement, les cours débutèrent pour nous avec les prathom 6.1,<br />
en anglais naturellement. Nous passâmes une heure à nous présenter, à<br />
répondre aux questions et achevâmes le cours sur l’influence <strong>de</strong> la civilisation<br />
grecque en Europe… Ne nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> surtout pas comment, Fidèle, ni<br />
pourquoi avec <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> cet âge… !<br />
Nous passâmes le reste <strong>de</strong> la matinée avec trois élèves <strong>de</strong> prathom 5.2 et 6.1,<br />
dans la coursive <strong>de</strong> l’école : Tassaneeya, Anawat et Piyanut. Nous leur dictâmes<br />
quelques mots et les initiâmes à la lecture <strong>de</strong> l’anglais comme nous l’avions<br />
nous-même apprise en France. Cette expérience fut aussi instructive pour eux<br />
que pour nous.<br />
L’heure du repas sonna vers 11h05. Nous allâmes manger chez les sœurs,<br />
comme toujours désormais ; nous y sommes le bienvenu.<br />
206
Farang<br />
Vers 13 heures, les cours reprirent. C’est tous les jours le même rythme,<br />
comme à l’armée ! Nous changeâmes pour le coup d’élèves. Nous en eûmes<br />
<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s prathom 3 et 4, Leo et Bass, avec qui nous travaillâmes les mêmes<br />
exercices qu’avec les trois du matin, les mots étant à leur niveau cependant.<br />
À 14h40 enfin, nous reprîmes Tassaneeya, Anawat et Piyanut pour leur<br />
faire travailler la lecture et la prononciation. Tassaneeya s’en sortit très bien<br />
sauf peut-être sur les mots comme immediately, sur lequel nous rîmes tous<br />
beaucoup. Elle nous fait beaucoup penser à Soupany. Quant à Piyanut, il est un<br />
enfant profondément attachant ! Nous accrochâmes moins avec Anawat.<br />
Chaque soir, à la fin <strong>de</strong>s cours, tous les élèves catholiques se rassemblent<br />
dans la coursive pour chanter une prière. Nous attendîmes la fin pour leur dire<br />
à tous un : « Bye bye, see you tomorrow ! » qui, au bout <strong>de</strong> quatre cents élèves,<br />
crispa quel que peu notre sourire…<br />
Les cinq enfants dont nous eûmes à nous occuper aujourd’hui passeront<br />
un examen, vendredi, à Ubon Ratchatani. Nous avons vraiment envie <strong>de</strong> les<br />
ai<strong>de</strong>r à le réussir et pensons que leur faire apprendre leur vocabulaire<br />
maintenant ne sert plus à rien ; ils le savent déjà. Nous nous attar<strong>de</strong>rons donc<br />
sur la prononciation <strong>de</strong>s mots, la lecture et la compréhension d’un texte.<br />
18h04.<br />
Nous allâmes le reste <strong>de</strong> l’après-midi faire quelques clichés du ban. Nous<br />
nous avançâmes assez dans la campagne alentour d’ailleurs et y rencontrâmes<br />
un paysan qui parlait un petit peu anglais. Nous voulûmes le prendre en photo<br />
mais n’osâmes pas le lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r. Peut-être <strong>de</strong>vrions-nous y retourner un <strong>de</strong><br />
ces jours…<br />
Il nous est difficile <strong>de</strong> penser en thaï car l’usage typiquement européen<br />
nous empêche encore quelquefois d’agir comme nous le voudrions, alors que<br />
la chose est pourtant simple et sans gravité pour les gens d’ici. Ou est-ce<br />
simplement <strong>de</strong> la timidité ?!<br />
À notre retour à l’école, le père Otto nous emmena gentiment à l’office<br />
pour voir si nous pouvions décharger la mémoire <strong>de</strong> notre appareil sur l’un <strong>de</strong>s<br />
ordinateurs <strong>de</strong> la sœur principale Somjai. Hélas, le driver nécessaire n’y était<br />
pas et nous <strong>de</strong>vrons attendre notre retour à Yaso ; nous allons donc <strong>de</strong>voir<br />
207
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
faire un choix entre les clichés que nous gardons et ceux que nous aimerions<br />
gar<strong>de</strong>r. Quarante-huit en tout et pour tout jusques à jeudi ; cela est trop peu<br />
pour nous ! Avant <strong>de</strong> partir au Laos pour notre visa, il nous faudra absolument<br />
acheter une memory stick <strong>de</strong> 256 MO.<br />
19h36.<br />
Nous venons <strong>de</strong> dîner avec les <strong>de</strong>ux pères et les trois sœurs qui constituent<br />
la congrégation du ban. Ce sont dans <strong>de</strong>s moments comme celui-ci que nous<br />
nous rendons compte que ce que nous vivons est extraordinaire. Les simples<br />
touristes qui visitent la Thaïlan<strong>de</strong> ne la regar<strong>de</strong>nt même pas, se contentant <strong>de</strong>s<br />
images et <strong>de</strong> l’idée qu’ils s’en font ! N’est-il pas plus formidable <strong>de</strong> partager la<br />
vie <strong>de</strong>s gens plutôt que <strong>de</strong> se la figurer ?<br />
Lors <strong>de</strong> ce dîner, d’une gran<strong>de</strong> simplicité à la thaïe (une dizaine <strong>de</strong> plats<br />
seulement), nous parlâmes et rîmes beaucoup. Nous imaginons que pour eux<br />
également, c’était une agréable curiosité <strong>de</strong> partager son quotidien avec un<br />
farangset.<br />
Petite parenthèse sur l’histoire <strong>de</strong> ce terme. Si les étrangers européens<br />
s’appellent farang en Thaïlan<strong>de</strong>, ce serait la faute <strong>de</strong> la France. À l’époque <strong>de</strong><br />
<strong>Louis</strong> XIV, français se prononçait farangset en thaï. Notre roi se serait joué du roi<br />
siamois et un conflit diplomatique serait né. Pour se venger <strong>de</strong>s Européens, le<br />
roi siamois aurait proclamé que désormais tous les blancs européens<br />
s’appelleraient farang, <strong>de</strong> farangset. Le terme serait resté. Voilà pour l’anecdote<br />
plantée sur faits historiques et acceptée <strong>de</strong> tous. En réalité, farang vient <strong>de</strong><br />
feringi, terme utilisé par les Ayuttayais (avant qu’ils ne soient exterminés par les<br />
Birmans) pour désigner les Européens, notamment les Portugais avec qui ils<br />
commerçaient beaucoup (réprimant cependant toute insistante évangélisation),<br />
et cela bien avant que les Français ne s’en mêlent. Fin <strong>de</strong> la parenthèse.<br />
Ils nous posèrent beaucoup <strong>de</strong> questions auxquelles nous répondîmes <strong>de</strong><br />
bonne grâce. Nous nous sentîmes gêné à la fin du repas <strong>de</strong> remercier le<br />
Seigneur (n’étant pas catholique pour un sou) mais heureusement ne se<br />
formalisèrent-ils pas pour ce petit détail.<br />
208
Farang<br />
4 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 18h54.<br />
Le Soleil va pour se coucher et nous aussi ; la journée fut longue et forte en<br />
émotions. Comme hier, elle débuta à 5h30 au son <strong>de</strong> l’angélus. Suivant les<br />
conseils du père, nous ne nous levâmes cette fois-ci qu’à 7 heures.<br />
Après un petit-déjeuner plus que complet, nous rejoignîmes l’école où nous<br />
apprîmes que Miss Sirannee était mala<strong>de</strong> et que nous <strong>de</strong>vions la remplacer. Des<br />
félicitations s’imposent, nous semble-t-il : d’assistant en anglais, nous étions<br />
passé instituteur en moins d’une journée ! La sœur principale Somjai nous<br />
remit donc notre emploi du temps <strong>de</strong> la journée ; avec cela la responsabilité <strong>de</strong><br />
trois classes et cinq heures <strong>de</strong> cours.<br />
NOUS-MÊME . Courage, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous n’en mourrez pas !<br />
La première heure, nous nous occupâmes <strong>de</strong> Piyanut et Tassaneeya. Ces<br />
<strong>de</strong>ux enfants sont décidément adorables ! Pour leur expliquer ce que<br />
signifiaient certains mots dont ils ne comprenaient pas la prononciation, nous<br />
dûmes parfois imaginer <strong>de</strong>s ponts en petites pierres et morceaux <strong>de</strong> bois, <strong>de</strong>s<br />
ruisseaux avec le tuyau d’arrosage, etc. Finalement, nous rîmes plus que nous<br />
travaillâmes ; cela en apparence seulement puisque c’est en anglais que nous<br />
communiquions.<br />
À la suite <strong>de</strong> ce cours très particulier, nous prîmes une gran<strong>de</strong> inspiration<br />
pour retrouver notre première véritable classe : les prathom 5.1. Quel ne fut pas<br />
notre soulagement lorsque la sœur principale Somjai nous annonça qu’elle<br />
nous accompagnait toute la journée pour nous gui<strong>de</strong>r mais sans doute aussi<br />
pour que nous ne paniquions pas trop – même s’il y a peu <strong>de</strong> chance que cela<br />
nous arrive un jour, à nous, l’éternel blasé ! Pour ce cours, elle nous <strong>de</strong>manda<br />
<strong>de</strong> travailler le futur et le passé avec le verbe to be. Les enfants s’en sortirent<br />
plutôt bien et l’heure passa vite.<br />
Pour notre second cours en classe, nous enseignâmes aux matayom 1, la<br />
classe <strong>de</strong>s grands, le passé simple. Malgré toute la bonne volonté que nous<br />
plaçâmes dans cette épreuve, nous échouâmes à leur faire voir comment et<br />
209
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
quand utiliser ce temps. À la fin du cours, nous leur promîmes que nous<br />
continuerions l’après-midi. Nous <strong>de</strong>mandâmes également à une élève qui<br />
semblait comprendre d’expliquer aux autres.<br />
Le break nous permit <strong>de</strong> reprendre un peu nos esprits car parler fort si<br />
longtemps nous donna mal à la tête. Nous comprenons désormais nos<br />
professeurs <strong>de</strong> collège…<br />
Dix minutes après, ce fut avec les prathom 6.2 que nous recommençâmes le<br />
cours <strong>de</strong>s 6.1. Heureusement que la sonnerie retentit car nous nous sentions<br />
vraiment mal à la fin du cours. Nous rejoignîmes les sœurs pour dîner mais ne<br />
mangeâmes pas beaucoup et leur <strong>de</strong>mandâmes si nous pouvions sortir <strong>de</strong><br />
table ; elles nous répondirent gentiment : « Yes, yes ! » Nous partîmes nous<br />
allonger sur notre lit jusques à 12h50.<br />
En nous levant, ça n’allait pas et nous savions que nous allions avoir du mal<br />
l’après-midi. Nous retrouvâmes cependant les prathom 5.1 dans leur classe pour<br />
leur donner un cours sur la prononciation.<br />
Notre état ne s’améliorait toujours pas mais il nous fallait tenir pour le<br />
<strong>de</strong>rnier cours <strong>de</strong> la journée : le passé simple avec les matayom 1. Au bout d’une<br />
<strong>de</strong>mi-heure, nous nous excusâmes et quittâmes la classe car nous avions envie<br />
<strong>de</strong> vomir. Nous croisâmes dans le couloir la sœur Somjai et lui expliquâmes<br />
notre problème. Elle alla surveiller notre classe pendant que nous rentrions<br />
dans notre chambre pour prendre une bonne dose <strong>de</strong> para.<br />
Nous revînmes rapi<strong>de</strong>ment au grand soulagement <strong>de</strong> la sœur qui ne<br />
connaissait pas très bien l’anglais et pûmes achever notre cours.<br />
Théoriquement, nous étions ensuite libre pour la journée mais certaines<br />
élèves voulaient continuer – il faut dire que les fous rires ne manquèrent pas.<br />
Pendant donc que les trois quarts <strong>de</strong> la classe jouaient au volley, dix filles<br />
restèrent et nous travaillâmes à nouveau le passé simple qu’elles finirent par<br />
assimiler. Nous passâmes le reste du temps à parler <strong>de</strong> nous puisqu’elles nous<br />
posèrent un tas <strong>de</strong> questions, souvent par l’intermédiaire <strong>de</strong> la même élève, la<br />
moins timi<strong>de</strong> <strong>de</strong> toutes. Elles voulurent même connaître notre adresse en<br />
France !<br />
Après les cours, nous rentrâmes dans notre chambre enlever la craie <strong>de</strong><br />
notre tenue et partîmes pour une autre promena<strong>de</strong> encore un peu plus loin que<br />
210
Farang<br />
la veille. Nous ne réussîmes hélas toujours pas à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r aux gens si nous<br />
pouvions les prendre en photo. Il faut absolument que le père Somlong nous<br />
enseigne à le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r en thaï, ce sera plus facile.<br />
Lorsque nous le vîmes tout à l’heure, nous lui <strong>de</strong>mandâmes s’il était<br />
possible <strong>de</strong> nous fournir un certificat <strong>de</strong> travail en thaï qui pouvait faciliter<br />
l’obtention d’un visa <strong>de</strong> trois mois et ainsi nous éviter <strong>de</strong> retourner au Laos<br />
toutes les quatre semaines. Il alla <strong>de</strong> suite nous le rédiger dans sa chambre.<br />
Nous n’avons rencontré que <strong>de</strong>s gens formidables pour le moment !!<br />
Nous n’allâmes pas manger ce soir car nous avions peur que notre mal <strong>de</strong><br />
cet après-midi ne revînt. Par principe <strong>de</strong> précaution, allons nous coucher.<br />
211
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
5 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 6h50.<br />
Le père Otto nous donna une autre couverture hier soir, ce qui ne fut pas<br />
du luxe ; nous dormîmes comme un loir.<br />
Nous allons bien mieux ce matin mais nous espérons que Miss Sirannee<br />
sera <strong>de</strong> retour, que nous puissions enseigner en petits groupes, ce qui est bien<br />
plus efficace selon nous. Chaque chose en son temps, nous <strong>de</strong>vons aller<br />
manger.<br />
11h17.<br />
Miss Sirannee n’est encore pas là aujourd’hui et nous dûmes donc prendre<br />
en charge les prathom 6.2 et 5.1. Avec les 6.2, nous travaillâmes à nouveau le<br />
passé simple et avec les 5.1 les négations.<br />
Ce matin, alors que tout le mon<strong>de</strong> se rassemblait pour le levé <strong>de</strong>s couleurs,<br />
Peul (une jeune institutrice) nous proposa <strong>de</strong> venir chez elle après les cours.<br />
Nous ne refusons plus aucune invitation <strong>de</strong>puis longtemps, d’autant moins que<br />
Peul est vraiment aussi charmante que sympathique !<br />
18h01.<br />
Nous n’eûmes rien à regretter <strong>de</strong> cette promena<strong>de</strong> et notre après-midi se<br />
déroula le mieux du mon<strong>de</strong>. Tout d’abord, notre cours avec les prathom 6.1 ne<br />
nous épargna pas <strong>de</strong> nombreux fous rires, <strong>de</strong> même que notre leçon<br />
particulière avec Tassaneeya, Anawat et Piyanut dans le bureau <strong>de</strong> la sœur. Les<br />
prathom nous <strong>de</strong>mandèrent même à la fin du cours <strong>de</strong> leur signer à tous un<br />
autographe. Ceux qui n’avaient pas <strong>de</strong> papier nous avancèrent un bout <strong>de</strong> leur<br />
chemise ; c’était assurément surréaliste !<br />
Après cela, Peul nous réquisitionna pour aller faire une promena<strong>de</strong>. Nous<br />
prîmes sa moto jusque chez elle, elle nous offrit un verre d’eau fraîche et nous<br />
proposa d’aller visiter un temple bouddhiste proche du ban. Nous y allâmes en<br />
moto toujours, mais cette fois-ci nous conduisîmes.<br />
Comme la première fois avec pi Tiou le 23 janvier, nous notâmes que les<br />
212
Farang<br />
moines bouddhistes communiaient avec la Nature au sein <strong>de</strong> leurs temples, tel<br />
que nous nous le figurions avant <strong>de</strong> venir en Thaïlan<strong>de</strong>.<br />
Peul nous conduisit ensuite au champ <strong>de</strong> son grand-père, situé dans le ban.<br />
Nous pûmes y approcher son buffle <strong>de</strong> très près – pas méchant, juste<br />
impressionnant. Ils sont en Issan comme les chiens chez nous, tout le mon<strong>de</strong><br />
en possè<strong>de</strong> un.<br />
En chemin, nous parlâmes d’elle, <strong>de</strong> ses parents partis travailler à Bangkok<br />
lorsqu’elle était petite ; nous parlâmes rizières et autres plantations<br />
traditionnelles : bambous, palmiers, manguiers, etc. En bref, nous abordâmes<br />
tous les sujets qui faisaient la vie d’un paysan en Issan.<br />
Avant <strong>de</strong> continuer notre promena<strong>de</strong>, elle nous offrit un Pepsi vanille dans<br />
une petite boutique du ban sans prétention. C’est là que nous rencontrâmes son<br />
frère, un garçon simplet et adorable. Mer<strong>de</strong>… 18h30 ! Il est déjà l’heure <strong>de</strong><br />
rejoindre les sœurs pour le dîner.<br />
Où en étions-nous ?<br />
19h30.<br />
Après la buvette, Peul nous conduisit au barrage qui <strong>de</strong>sservait le village en<br />
eau douce. Nous marchâmes et parlâmes beaucoup. Nous lui <strong>de</strong>mandâmes<br />
notamment s’il y avait une rivière dans le coin et nous nous y rendîmes. En fait,<br />
c’était une réserve d’eau en forme <strong>de</strong> rivière. Signalons qu’en mai, juin et juillet,<br />
il pleut tellement que la région est inondée.<br />
Nous fîmes le tour <strong>de</strong> la rivière lors duquel nous répondîmes à toutes ses<br />
questions et elle aux nôtres. Elle suivait <strong>de</strong>s cours à l’université <strong>de</strong> Yasothon<br />
tous les week-end et souhaitait mieux parler anglais. Cet après-midi, nous<br />
n’arrêtâmes pas, ce qui était assez extraordinaire pour quelqu’un <strong>de</strong> peu<br />
loquace comme nous l’étions encore avant d’embarquer dans cette aventure…<br />
Un peu avant 18 heures, elle nous reconduisit à l’école et nous souhaita une<br />
agréable nuit.<br />
Nous sommes en ce moment sur notre lit en train d’écrire ; le père Otto<br />
regar<strong>de</strong> la télévision dans sa chambre ; le père Somlong travaille à son bureau ;<br />
le vent souffle, la nuit va être froi<strong>de</strong>.<br />
213
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
7 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 1h14.<br />
Hier jeudi, nous n’eûmes pas dix minutes à consacrer à notre carnet ; nous<br />
ferons donc court.<br />
Nous nous levâmes à 6h30 pour aller manger avec les sœurs, comme<br />
d’habitu<strong>de</strong>, puis préparâmes notre sac <strong>de</strong> week-end dans notre chambre.<br />
Lorsque la cloche <strong>de</strong> l’école retentit, nous allâmes voir la sœur principale<br />
Somjai pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce que nous avions à faire pour le jour. Miss<br />
Sirannee était <strong>de</strong> retour ; nous pûmes donc reprendre Tassaneeya et Piyanut en<br />
cours particulier, au Soleil <strong>de</strong>hors, ce qui fut tout <strong>de</strong> même plus agréable. Après<br />
cela, nous suivîmes toute la matinée le professeur Loomarin en prathom 5.2 et<br />
en matayom 1.<br />
À midi, avant d’aller déjeuner, nous allâmes tenir la caisse du snack <strong>de</strong><br />
l’école où la sœur Supreyakhon vendait glaces, fruits et sodas. À table, ils nous<br />
dirent qu’ils avaient fait plus que d’habitu<strong>de</strong> car les enfants voulaient<br />
absolument venir nous voir et parler anglais. D’autres en revanche avaient peur<br />
et faisaient <strong>de</strong>mi-tour en nous voyant à la caisse.<br />
En début d’après-midi, nous dûmes régler un petit problème <strong>de</strong> réseau<br />
informatique dans l’office <strong>de</strong> l’école. Ensuite, nous suivîmes le professeur<br />
Loomarin chez les prathom 3 avec lesquels nous travaillâmes la lecture et<br />
l’écriture <strong>de</strong> mots simples. Le professeur Loomarin nous <strong>de</strong>manda ensuite si<br />
nous pouvions travailler en particulier avec un élève qui <strong>de</strong>vait lui aussi passer<br />
un examen à Ubon ; ce que nous fîmes dans la salle informatique.<br />
Peul nous y rejoignit pour nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la part du père Somlong<br />
notre nom complet légal, pour le certificat <strong>de</strong> travail.<br />
Enfin, en <strong>de</strong>rnière pério<strong>de</strong>, Miss Sirannee vint nous chercher pour que<br />
nous enseignions une chanson à Tassaneeya, Piyanut et Anawat ! Nous voilà<br />
improvisé professeur <strong>de</strong> chant, dans la coursive <strong>de</strong> l’école. Ils chantèrent donc<br />
d’abord une première fois pour nous donner l’air. Heureusement le<br />
connaissions-nous déjà : Itsy Bitsy Teeny Weeny Yellow Polka Dot Bikini <strong>de</strong><br />
Brian Hyland. Nous vîmes la prononciation <strong>de</strong> certains mots mais, dans<br />
l’ensemble, nous comprîmes très bien ces trois chers enfants.<br />
214
Farang<br />
Lorsque ce fut bon pour eux comme pour nous, Miss Sirannee nous<br />
proposa <strong>de</strong> rejoindre l’estra<strong>de</strong> du grand préau pour travailler cette fois-ci la<br />
mise en scène ; malheur !<br />
Nous aurons fait ici, en quatre jours, <strong>de</strong>s choses auxquelles nous ne nous<br />
attendions vraiment pas… Naturellement, nous eûmes droit à un public<br />
toujours grandissant et travaillâmes jusques à la fin <strong>de</strong>s cours, entouré<br />
d’ombrelles tournoyantes et <strong>de</strong> gais chérubins.<br />
Avant <strong>de</strong> rentrer dans notre chambre nous préparer, nous leur souhaitâmes<br />
à tous trois bonne chance pour leur examen ; nous notâmes que les<br />
encouragements n’étaient pas dans leur culture, Tassaneeya et Piyanut étant<br />
surpris.<br />
Rapi<strong>de</strong>ment, nous allâmes chercher nos effets et comme le père Otto<br />
<strong>de</strong>vait conduire la sœur Supreyakhon à Yasothon, nous pûmes profiter du<br />
voyage.<br />
Lorsque nous arrivâmes à la fondation, tous les enfants nous sautèrent<br />
<strong>de</strong>ssus, ce qui nous réchauffa vraiment le cœur. Par ailleurs, un paquet et une<br />
lettre <strong>de</strong> France nous attendaient.<br />
La moto n’était toujours pas réparée et nous <strong>de</strong>mandâmes à pi Yin si elle<br />
pouvait nous conduire au workshop. Nous en avions vraiment besoin avant <strong>de</strong><br />
partir pour le Laos. Nous en eûmes pour 50 bahts (plein et réparation), ce qui<br />
représentait environ 1 euro 10 ; dérisoire !<br />
À notre retour, nous allâmes manger à la cuisine avec Alexandra et pi Yin.<br />
Nous lui <strong>de</strong>mandâmes s’il y avait <strong>de</strong>s magasins ouverts après 20 heures, elle<br />
nous les indiqua, nous y allâmes avec Alexandra pour acheter du shampoing à<br />
Nanaphan et <strong>de</strong>s T-shirts sur le marché d’en-face car nous ne pensions pas<br />
avoir le temps <strong>de</strong> faire une lessive pendant le week-end.<br />
Nous nous allongeâmes finalement sur notre lit il y a quinze minutes, après<br />
avoir travaillé sur l’ordinateur.<br />
21h05.<br />
Nous nous levâmes à 8 heures, laissant Alexandra s’occuper <strong>de</strong>s<br />
traitements pendant que nous mettions à jour notre courriel.<br />
Nous passâmes la journée avec elle sur la moto. En vain, nous cherchâmes<br />
215
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
une memory stick pour notre appareil numérique. Nous décidâmes <strong>de</strong> marcher<br />
un peu dans la ville, laissant la moto <strong>de</strong>vant une bijouterie. Au retour, un flic<br />
était en train <strong>de</strong> nous verbaliser parce que le père Auguste avait fait un<br />
changement <strong>de</strong> plaque et que nous ne l’avions pas encore reçue. Heureusement<br />
que nous arrivâmes à temps pour lui parler ; il n’insista pas quand il vit que<br />
nous parlions anglais et que lui non ; pauvre chéri ! Il déchira donc la feuille et<br />
partit. C’est parfois utile d’être un farang ici…<br />
L’après midi, nous fîmes encore du shopping. Alexandra s’acheta <strong>de</strong>s kon<br />
khao (boites pour khao gnao). Il ne se passa rien <strong>de</strong> bien intéressant en fait.<br />
En fin <strong>de</strong> journée, nous prîmes <strong>de</strong> nouveau la moto pour aller faire un tour.<br />
Nous comptions simplement nous acheter quelques fruits et finîmes<br />
finalement à soixante-trois kilomètres sur la route d’Ubon ! Nous<br />
empruntâmes <strong>de</strong>s chemins pour découvrir <strong>de</strong>s coins sympathiques par nousmême,<br />
trouvant temples bouddhistes et ban reculés.<br />
Comme le Soleil tombait, nous dûmes faire le chemin <strong>de</strong> retour la nuit. À<br />
notre arrivée à la fondation, les enfants regardaient Le Seigneur <strong>de</strong>s Anneaux<br />
et Alexandra préparait le traitement <strong>de</strong> nom Nout.<br />
Pendant notre absence, le père Auguste était passé voir Alexandra pour lui<br />
dire que nous partions le len<strong>de</strong>main pour Phibun Mangsahan afin <strong>de</strong><br />
renouveler notre permis <strong>de</strong> séjour. Cet après-midi, nous passâmes <strong>de</strong>ux fois<br />
chez lui sans succès et c’est finalement lui qui vint nous trouver alors que nous<br />
n’étions pas là ; Fatalité… ?<br />
Demain, nous nous levons tôt ; allons nous coucher.<br />
216
Farang<br />
8 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 21h32.<br />
Pi Tiou vint nous chercher dans notre chambre à 7h10. Pi Peo et pi Nout<br />
l’accompagnaient. Nous montâmes <strong>de</strong>vant et c’est pi Tiou qui conduisit. Elle<br />
s’arrêta trente minutes plus tard pour acheter <strong>de</strong>s brochettes sur le bord <strong>de</strong> la<br />
route… évi<strong>de</strong>mment !<br />
Hier, nous fîmes soixante-trois kilomètres sur cette foutue route pour<br />
trouver <strong>de</strong>s noix <strong>de</strong> coco préparées à la thaïe, et bien aurions-nous dû<br />
continuer encore un peu car la petite “boutique” se trouvait à vingt-<strong>de</strong>ux<br />
kilomètres exactement d’Ubon, soit quatorze kilomètres plus loin ; quel con !<br />
Sur la route, la sœur Nonlak appela pi Tiou pour lui dire que nous ne<br />
<strong>de</strong>vions pas utiliser la lettre du père Somlong car il y avait un problème en ce<br />
moment à la frontière. Elle lui dit aussi qu’elle priait pour nous.<br />
Nous arrivâmes à Ubon vers 9 heures pour déposer quinze minutes plus<br />
tard pi Peo à l’école polytechnique car elle prenait <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> conduite. Un<br />
instant plus tard, pi Tiou s’arrêta pour nous faire découvrir un restaurant<br />
végétarien et bio sur Thepyothi Road ; nous nous régalâmes !<br />
Nous reprîmes ensuite la route en direction <strong>de</strong> Phibun Mangsahan, où<br />
nous pensions pouvoir accomplir les formalités pour notre visa. En fin <strong>de</strong><br />
compte, il fallut tirer jusques à Chong Mek, un ban-frontière très visité pour,<br />
nous te le donnons en mille, Fidèle, son bureau <strong>de</strong> l’immigration !<br />
Nous notâmes qu’au fur et à mesure que nous nous rapprochions du Laos,<br />
les paysages changeaient, notamment le relief qui <strong>de</strong>venait plus entreprenant –<br />
nous montions.<br />
Après une route qui semblait interminable, nous arrivâmes à Chong Mek<br />
vers midi. Ce ban grouillait <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> et notre première impression nous laissa<br />
l’image d’une cité médiévale, avec sa grand’rue et tout plein d’échoppes sur les<br />
côtés ; ou encore celle que nous pouvions voir dans un film d’aventures, genre<br />
Indiana Jones ou Alan Quaterman, lorsque ceux-ci se retrouvaient dans pareils<br />
endroits ; nous nous imaginons trop <strong>de</strong> choses en fait…<br />
Nous ne savons pas pourquoi mais nous eûmes le sentiment en nous<br />
rapprochant du Laos <strong>de</strong> nous rapprocher également <strong>de</strong> la France ; oui, c’est<br />
217
très con !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Une fois <strong>de</strong>scendu <strong>de</strong> la voiture, pi Tiou nous acheta un bob car le Soleil<br />
tapait vraiment fort.<br />
Le parcours administratif qu’un voyageur <strong>de</strong> grands chemins doit<br />
accomplir lorsque son visa arrive à son terme commença pour nous. Nous<br />
craignîmes tout d’abord que les bureaux ne fussent fermés mais en fait, ils<br />
ouvraient les samedi et dimanche toute la journée – pas <strong>de</strong> repos pour les<br />
touristes, ils sont trop précieux, d’un côté comme <strong>de</strong> l’autre.<br />
Il nous fallut donc passer au bureau thaï <strong>de</strong>parture pour faire tamponner<br />
notre passeport et remplir notre coupon <strong>de</strong> sortie du territoire. Pour franchir la<br />
frontière, nous payâmes 10 bahts.<br />
Au bureau arrivals du Laos, nous achetâmes notre visa 1550 bahts afin <strong>de</strong><br />
pouvoir y entrer. Le Gui<strong>de</strong> du Routard disait donc encore une connerie. On<br />
pouvait en avoir un à Chong Mek en beaucoup moins d’une heure.<br />
Avant <strong>de</strong> continuer, puisque nous en avions le temps, nous allâmes flâner<br />
dans le petit marché en bas <strong>de</strong>s marches, sur la gauche. Si l’on omet les gadgets<br />
<strong>de</strong> l’armée CCCP et les poupées plastiques ma<strong>de</strong> in China, ce marché recelait <strong>de</strong><br />
vraies merveilles. Passes-y absolument si tu viens à Chong Mek !<br />
Alors que pi Tiou et pi Nout regardaient, nous achetâmes une superbe<br />
statue lao en bois (600 bahts au lieu <strong>de</strong> 700). Elle représentait un individu à<br />
genoux en train <strong>de</strong> prier. Nous comptons l’offrir à notre oncle Loïc si nous en<br />
avons l’occasion ; elle fait quand même plus d’un mètre ! Pour l’heure, elle<br />
trône dans notre chambre et porte notre bob.<br />
Nous déambulâmes environ trente minutes dans le marché, après quoi<br />
nous poursuivîmes notre parcours avec le bureau lao <strong>de</strong>parture pour faire<br />
tamponner notre passeport et remplir notre billet <strong>de</strong> sortie du territoire lao, ce<br />
qui nous coûta 50 bahts <strong>de</strong> plus.<br />
Avant <strong>de</strong> passer pour la secon<strong>de</strong> fois dans la journée la frontière, pi Tiou<br />
s’arrêta au Duty Free pour acheter du vin <strong>de</strong> Californie (la bouteille lui plaisait).<br />
Pendant ce temps, <strong>de</strong>hors, nous parlâmes avec <strong>de</strong>s flics interloqués <strong>de</strong> notre<br />
nouvelle acquisition.<br />
De retour en Thaïlan<strong>de</strong>, nous passâmes au bureau arrivals pour (encore)<br />
faire tamponner notre passeport.<br />
218
Farang<br />
Finalement, ils ne nous donnèrent qu’un mois, comme tous les farang qui<br />
étaient là pour les mêmes raisons que nous. Le seul point positif est que nous<br />
n’eûmes rien à payer.<br />
En sortant du bureau, pi Tiou était en train <strong>de</strong> parler avec un farang. Nous<br />
nous assîmes et partageâmes la conversation. C’était un touriste étasunien,<br />
voyageant seul, qui cherchait à savoir si l’on pouvait passer la nuit à Chong<br />
Mek. Nous ne le savions pas mais lui proposâmes <strong>de</strong> le conduire à Ubon ; il<br />
préféra rester là une journée <strong>de</strong> plus pour visiter.<br />
Avant <strong>de</strong> le quitter, nous lui laissâmes notre carte au cas où il avait une<br />
question.<br />
Nous pouvons donc rester jusques au 9 mars, date à laquelle pi Tiou nous<br />
dit que nous renouvellerions l’expérience avec elle.<br />
Nous reprîmes enfin la route pour nous arrêter sur les bords du lac<br />
Yasithon, à douze kilomètres vers Phibun. La nourriture était spéciale mais le<br />
coin superbe !<br />
Terminons rapi<strong>de</strong>ment car nous sommes fatigué.<br />
De Phibun à Ubon, pi Tiou s’arrêta se reposer dans un temple bouddhiste<br />
pendant que pi Nout nous le fit visiter.<br />
À Ubon, nous fîmes <strong>de</strong>s courses au Big C, y trouvâmes une memory stick <strong>de</strong><br />
128 MB pour 3490 bahts et <strong>de</strong>s lunettes pour la moto ; t’es-tu déjà pris un<br />
moustique énorme dans l’œil à 110 kms/h ? Nous oui, et cela fait très mal.<br />
Nous étions à Homehak vers 20 heures.<br />
Nous passâmes vraiment une excellente journée. Nous ne pouvons pas<br />
décrire nos sentiments à travers <strong>de</strong> simples mots et c’est pourquoi nous<br />
t’invitons, Fidèle, à tester une fois au moins dans ta vie telle expérience !<br />
219
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
9 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 20h53.<br />
Aujourd’hui fut un jour <strong>de</strong> congé pour nous. Levé à 8h40, nous petitdéjeunâmes<br />
français dans la gran<strong>de</strong> salle du bâtiment, avec <strong>de</strong>s tartines et un<br />
pot <strong>de</strong> strawberry jam. Nous allâmes ensuite dans le bureau <strong>de</strong> la sœur pour<br />
consulter notre courriel et fîmes également notre lessive, sous les yeux mimoqueurs,<br />
mi-admiratifs <strong>de</strong> pi Hit et pi Pon.<br />
Après le déjeuner <strong>de</strong>s enfants, nous allâmes faire quelques courses en ville.<br />
À notre retour, pi Tiou montait dans sa voiture et nous lui <strong>de</strong>mandâmes si elle<br />
savait où nous pouvions trouver <strong>de</strong>s cartes postales à Yaso. Elle nous répondit<br />
qu’elle se rendait justement dans le seul magasin qui pouvait éventuellement en<br />
vendre et nous montâmes avec elle.<br />
Nous fîmes une halte à la gare routière car elle <strong>de</strong>vait acheter un billet <strong>de</strong><br />
bus pour se rendre à Bangkok le len<strong>de</strong>main et assister à une réunion sur les<br />
droits <strong>de</strong> l’enfant avec le gouvernement. Au supermarché, une sorte d’Office<br />
Depot à la thaï, nous ne trouvâmes hélas rien. Elle nous promit d’en ramener<br />
plusieurs <strong>de</strong> Bangkok. De notre côté, nous essayerons d’en trouver <strong>de</strong>main si<br />
nous allons à Surin avec le père Auguste et la sœur.<br />
Cet après-midi, nous allâmes nous promener en ville et dans les alentours<br />
avec la moto. Nous découvrîmes un temple bouddhiste à environ sept<br />
kilomètres <strong>de</strong> Yaso, en prîmes quelques clichés après avoir <strong>de</strong>mandé en thaï<br />
l’autorisation au moine à l’entrée. C’était magnifique, le jardin surtout !<br />
Ce soir, nous retournâmes en ville, une quatrième fois, car nous avions<br />
envie d’une glace. Nous allâmes à la galerie où nous retrouvâmes nos <strong>de</strong>ux<br />
mormons avec lesquels nous parlâmes <strong>de</strong>vant un verre <strong>de</strong> choses courantes ;<br />
nous nous racontâmes nos vies.<br />
Nous ne savons pas si nous irons à Surin <strong>de</strong>main finalement. Si oui, nous<br />
connaissons le père Auguste : mieux vaut que nous nous couchions dès<br />
maintenant car il sera là très tôt…<br />
220
Encore une journée bien remplie !<br />
Farang<br />
1 0 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 21h36.<br />
Il était prévu que nous allions à Surin mais ne le pûmes car nous étions à<br />
ban Song Yae. Nous nous levâmes à 6h30 pour rien, en profitâmes donc pour<br />
consulter notre courriel et rattraper le retard <strong>de</strong> notre correspondance.<br />
La sœur Nonlak arriva vers 9h30 et nous parlâmes avec elle <strong>de</strong> notre visa.<br />
Nous lui rendîmes l’excé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’argent qu’elle nous avait donné pour<br />
l’obtenir. Elle nous <strong>de</strong>manda également d’envoyer un courriel pour elle car elle<br />
n’était pas très versée là-<strong>de</strong>dans. Il s’agissait d’un message <strong>de</strong> remerciement à<br />
un Hollandais qui avait fait don <strong>de</strong> 16000 bahts à la fondation. Manque <strong>de</strong> bol,<br />
l’adresse était incorrecte et nous dûmes la taper pour l’envoyer par courrier<br />
postal. Alexandra avait du courrier et vint donc avec nous. Au retour, la sœur<br />
nous remit <strong>de</strong>ux colis <strong>de</strong> France qui nous étaient <strong>de</strong>stinés et nous apprîmes<br />
qu’il fallait payer 7 bahts par colis pour les retirer. Nous lui remboursâmes<br />
donc son avance et elle la nôtre pour sa lettre ; les sœurs sont <strong>de</strong> sacrées<br />
trésorières !<br />
Nous dînâmes à la fondation et passâmes l’après-midi sur la moto, nous<br />
promenant d’une rizière à une autre. Dans ce pays, la moto est une véritable<br />
libération. Nous sentons que nous allons voir beaucoup <strong>de</strong> cette région grâce à<br />
elle. Pi Yin nous avait parlé d’un temple hindou près <strong>de</strong> la rivière, proche <strong>de</strong> la<br />
fondation. Nous nous y rendîmes en premier. Le coin était superbe ; nous<br />
pouvions y manger à fleur d’eau grâce à <strong>de</strong>s maisons en bois sur pilotis ou, au<br />
choix, sur la terre ferme <strong>de</strong>ssous les bambous. Personnellement, nous<br />
choisîmes les bambous, autant pour la fraîcheur que pour ne pas trop nous<br />
faire remarquer. Nous prîmes une bouteille <strong>de</strong> Pepsi et une glace. Les gens<br />
semblaient surpris <strong>de</strong> voir un farang ici, à tel point que nous nous <strong>de</strong>mandons<br />
encore comment nous échappâmes au cliché témoin.<br />
Nous aurions voulu nous baigner mais sur le ponton, en nous penchant<br />
vers la rivière, nous notâmes qu’elle grouillait <strong>de</strong> gros poissons à barbillons,<br />
genre silures ou carpes, qui nous dissuadèrent facilement…<br />
Nous restâmes là environ une heure et lorsque nous montâmes sur la<br />
221
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
moto, tout le mon<strong>de</strong> nous souhaita gentiment « Goodbye!»<br />
Avant <strong>de</strong> continuer, nous allâmes faire le plein à la station Ptt d’en face<br />
pour repartir nous perdre sur une route en construction pendant quelques<br />
dizaines <strong>de</strong> kilomètres. Nous suivîmes la rivière en fait.<br />
De retour à la fondation vers 16 heures, la sœur Nonlak nous annonça qu’il<br />
fallait que nous soyons prêt dans l’heure. Nous nous dépêchâmes donc <strong>de</strong><br />
prendre une douche (tiè<strong>de</strong> par miracle !) et d’envoyer un <strong>de</strong>rnier mail que nous<br />
dûmes faire court, faute <strong>de</strong> temps.<br />
La sœur principale Somjai était là et nous partîmes rejoindre les professeurs<br />
<strong>de</strong> la région à leur bal <strong>de</strong> fin d’année, dans une école <strong>de</strong> Yasothon. Lorsque<br />
nous arrivâmes, tout le mon<strong>de</strong> était déjà assis, prêt à manger et la remise <strong>de</strong>s<br />
ca<strong>de</strong>aux avait déjà débuté. Nous nous installâmes à une table près <strong>de</strong> l’estra<strong>de</strong>.<br />
Notre table était très… blanche. Les sœurs toutes <strong>de</strong> blanc vêtues et nous,<br />
le seul farang <strong>de</strong> la salle avec une jeune étasunienne <strong>de</strong> Hawaï assise à la table<br />
d’à-côté.<br />
La cuisine était chinoise et le repas se déroula au fil <strong>de</strong> chansons, danses,<br />
remises <strong>de</strong> prix et changements <strong>de</strong> table. En effet, les professeurs <strong>de</strong> ban Song<br />
Yae en occupaient trois (plus la nôtre) et nous dûmes partager notre temps<br />
avec un peu tout le mon<strong>de</strong>.<br />
À la première, ils nous firent boire du whisky ; à la secon<strong>de</strong>, ils nous firent<br />
boire du whisky ; à la troisième, ils nous firent boire… du whisky ! Quand<br />
nous revînmes à notre table, nous étions légèrement pinté et les sœurs rirent<br />
beaucoup.<br />
Nous prîmes quelques clichés <strong>de</strong>s différents shows offerts par les<br />
professeurs <strong>de</strong> chaque école. Nous parlâmes aussi avec l’étasunienne au<br />
prénom déjà oublié <strong>de</strong> nos différentes expériences ici. Elle enseignait l’anglais<br />
en Chine mais n’aimait pas trop cela ; elle préférait la Thaïlan<strong>de</strong>. Elle nous<br />
confia qu’ici les gens étaient plus fun et nous n’eûmes aucun mal à la croire.<br />
Vers la fin du repas, le professeur Best nous donna une peluche à remettre<br />
au lucky number. Lorsqu’il nous appela, nous montâmes sur l’estra<strong>de</strong> <strong>de</strong>vant tout<br />
le mon<strong>de</strong> et offrîmes la peluche à la personne qui avait le plus <strong>de</strong> clefs sur elle<br />
dans la salle, une fille très charmante au passage ! La soirée fut un véritable<br />
succès. Encore une fois, nous ne te raconterons pas tous les détails, Fidèle, car<br />
222
Farang<br />
si nous le faisions, par souci <strong>de</strong> minutie, nous n’aurions plus assez <strong>de</strong> temps<br />
pour les vivre.<br />
Sur le chemin du retour, nous laissâmes les professeurs au restaurant – ils<br />
avaient encore faim ! – et rentrâmes nous coucher au village avec le père<br />
Somlong et les sœurs.<br />
223
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 1 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 11h16.<br />
Nous sommes en pause jusques à 13 heures, en profitons donc pour<br />
rédiger ce carnet. En arrivant dans son bureau ce matin, la sœur principale<br />
Somjai nous annonça fièrement que Tassaneeya, Anawat et Piyanut étaient<br />
arrivés second à l’examen, vendredi, et que la Song Yae Thippaya School l’était<br />
également, sur sept concourants. La première place fut ravie par Ubon, la<br />
secon<strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> ville <strong>de</strong> Thaïlan<strong>de</strong>.<br />
Nous ne savons pas si nous y contribuâmes beaucoup, sans doute pas tant<br />
que cela, mais nous sommes content pour nos chers Tassaneeya et Ptiyanut Ils<br />
sont tous les <strong>de</strong>ux très intelligents et nous pouvons lire la vivacité d’esprit dans<br />
leur regard.<br />
Ce matin, nous travaillâmes la prononciation, la compréhension d’un texte<br />
sur Martin Luther King Jr. et le passé simple avec les prathom 6.1, le vocabulaire<br />
et la formule I would like… avec les prathom 5.2. Pendant le break <strong>de</strong> 10 heures,<br />
nous allâmes boire un frais Pepsi chez les sœurs.<br />
16h12.<br />
Nous enseignâmes toute la journée, sommes exténué. Il ne se passa rien<br />
d’extraordinaire sauf que nous commençons déjà <strong>de</strong> trouver le métier<br />
d’enseignant bien monotone ; il faut que nous tenions jusques aux gran<strong>de</strong>s<br />
vacances. Nous aurons ensuite six semaines pour trouver autre chose.<br />
Allons dormir en espérant nous réveiller pour le dîner <strong>de</strong> 19 heures.<br />
20h20.<br />
Cette journée n’eut vraiment rien d’excitant. Un léger coup <strong>de</strong> cafard nous<br />
habite. Nous pensons à notre père, notre frère, comme toujours <strong>de</strong>puis<br />
d’interminables mois maintenant. Allons, <strong>de</strong>main sera un jour neuf !<br />
224
Farang<br />
1 2 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 8h44.<br />
Mer<strong>de</strong>, ça ne va pas mieux en fait ! Cette nuit, nous rêvâmes <strong>de</strong> tout ce qui<br />
nous abîme habituellement ; nous rêvâmes <strong>de</strong> notre frère. N’en parlons pas<br />
davantage dans ce billet ; peut-être dans un prochain.<br />
De toute manière, si nous ne pensons pas à lui sans cesse, il y a toujours le<br />
fait que nous savons désormais ce qu’est le fait d’enseigner l’anglais et que cela<br />
nous lasse. Nous avons besoin <strong>de</strong> quelque chose <strong>de</strong> nouveau pour nous<br />
changer les idées – penser à quoi est inutile, il nous suffit simplement<br />
d’attendre car cela viendra comme chaque fois.<br />
15h39.<br />
La journée à l’école s’achève. Rien <strong>de</strong> passionnant à noter dans ce carnet.<br />
Partons faire un tour et prendre quelques clichés ; il nous faut <strong>de</strong> l’air.<br />
18h07.<br />
Nous sortons <strong>de</strong> la douche ; nous en avions grand besoin, il fait tellement<br />
chaud ici ! La sœur Jiou sonne 18 heures à la cloche alors que les chiens hurlent<br />
à la mort.<br />
Nous allâmes nous promener au nord-est du ban pour y découvrir, sur les<br />
abords <strong>de</strong>s chemins que nous empruntâmes, <strong>de</strong>s terres sèches malgré la rivière<br />
qui longeait ce côté-là. Les clichés que nous prîmes ne sont pas superbes ; nous<br />
manquons cruellement d’inspiration en ce moment.<br />
Malgré <strong>de</strong> nombreuses rigola<strong>de</strong>s pendant nos cours, cette journée n’eut<br />
encore rien d’extraordinaire. Allons manger ; nous irons nous coucher ensuite<br />
car <strong>de</strong>main sera un jour neuf (si si) !<br />
225
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 3 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 14h20.<br />
Profitons <strong>de</strong> cette heure creuse pour rédiger notre carnet. Il nous reste un<br />
cours et nous rentrerons à Yaso avec la sœur Jiou, que nous apprécions<br />
beaucoup au passage.<br />
Ce matin, nous donnâmes notre première punition, aux matayom 1 qui<br />
parlaient pendant que nous leur enseignions le so british “n’est-ce pas ?”. Nous<br />
leur <strong>de</strong>mandâmes <strong>de</strong> recopier trois fois le tableau <strong>de</strong>s verbes irréguliers pour<br />
<strong>de</strong>main. Maintenant que nous enseignons à notre tour, les choses <strong>de</strong>viennent<br />
plus compréhensibles en ce qui concerne nos professeurs au collège… Nous<br />
aimerions bien voir leur tête d’ailleurs en apprenant que c’est désormais nous<br />
<strong>de</strong>vant les élèves !<br />
La chaleur est presque insoutenable et…<br />
La cloche sonne, allons en cours.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 22h12.<br />
Nous sommes à chaque fois content <strong>de</strong> retrouver Homehak et ses enfants.<br />
Les jours sont aussi plus reposants ici. Nous pûmes prendre notre temps pour<br />
déposer notre linge à la laverie, manger un donut et boire un Pepsi au 7-11,<br />
passer à Nanaphan ou encore consulter notre courriel et classer nos <strong>de</strong>rniers<br />
clichés.<br />
Pi Tiou, pi Yin et sa famille sont à Bangkok. Pi Kaï et un autre garçon dont<br />
nous ne savons pas encore le prénom sont restés à la fondation. Nous<br />
apprécions beaucoup pi Kaï également mais, bon, ce n’est pas sans rapport<br />
avec son charme…<br />
Notre mère nous apprit que la carte postale que nous avions envoyée à la<br />
chambre 9 n’était pas arrivée ; c’est fort dommage. Nous ne savons pas<br />
comment elle se retrouva entre ses mains mais nous lui <strong>de</strong>mandâmes <strong>de</strong> la<br />
renvoyer au secrétariat <strong>de</strong> la CBI du 1er régiment médical qui la transmettra à<br />
l’adjudant S. ou au sergent A. qui à son tour, espérons-le, après l’avoir lue,<br />
supposons-le, la transmettra. À notre avis, c’est foutu ; mer<strong>de</strong> !<br />
Ce soir, notre esprit n’est pas moins encombré mais nous nous sentons<br />
226
Farang<br />
quand même plus libéré. Allons donc nous coucher dans cet état avant qu’il ne<br />
change.<br />
227
Jour <strong>de</strong> la Saint-Valentin !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 4 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 22h05.<br />
Nous nous levâmes à 7h45, prîmes une douche et allâmes laver la bouteille<br />
<strong>de</strong> Pepsi que nous bûmes hier soir ; nous la gardons pour l’infirmerie. Au<br />
retour <strong>de</strong> la cuisine, pi Dara nous offrit une rose rouge. Nous ne comprîmes<br />
pas pourquoi sur le coup…<br />
Nous allâmes ensuite consulter notre courriel. En sortant du bureau <strong>de</strong> la<br />
sœur, pi Dang nous attendait avec une rose à la main qu’elle nous <strong>de</strong>stinait.<br />
NOUS-MÊME . Mais oui, idiot, c’est la Saint-Valentin aujourd’hui !!<br />
Nous eûmes donc <strong>de</strong>ux roses pour ce jour particulier !<br />
Nous nous rendîmes ensuite chez le père Auguste qui, pour une fois <strong>de</strong>puis<br />
<strong>de</strong>ux semaines, était là ! Nous fûmes accueilli avec un large sourire et un :<br />
« Bonjour, jeune homme ! » Il était en plein dans les comptes mais il s’arrêta et<br />
nous discutâmes avec lui environ vingt-cinq minutes. Lorsque pi Tiou lui avait<br />
dit que tout s’était bien passé à la frontière, il en avait été ravi et soulagé lui<br />
aussi. Nous parlâmes politique et le père nous annonça <strong>de</strong>ux bonnes<br />
nouvelles : la première que <strong>de</strong>s chercheurs français avaient, semblait-il, trouvé<br />
un remè<strong>de</strong> pour rétablir l’immunité chez les sidéens et la secon<strong>de</strong> qu’à<br />
l’initiative <strong>de</strong> Jacques Chirac, la France, l’Allemagne, la Belgique, la Russie et la<br />
Chine s’étaient fermement opposés à la position étasunienne sur l’Irak. Nous<br />
partîmes <strong>de</strong> chez le père joyeux !<br />
En rentrant à la fondation, un camion venait <strong>de</strong> livrer tout un tas <strong>de</strong> choses<br />
pour les enfants et les volontaires (jouets, vêtements, chaussures, etc.). En<br />
ouvrant les cartons et les sacs, nous pensâmes surtout aux invendus d’un vi<strong>de</strong><br />
grenier occi<strong>de</strong>ntal ; nous aurions préféré voir <strong>de</strong>s médicaments, <strong>de</strong>s fournitures<br />
scolaires et autres choses utiles mais n’en fîmes part qu’à Alexandra et la sœur<br />
car tout le mon<strong>de</strong> semblait heureux.<br />
Après dîner, nous allâmes à la Poste avec Alexandra, puis à l’hôpital acheter<br />
<strong>de</strong>s ananas, et enfin au snack <strong>de</strong> la rivière pour les manger et boire un Pepsi.<br />
228
Farang<br />
Trente minutes plus tard environ, nous repartîmes et comme Alexandra voulait<br />
voir l’autre côté <strong>de</strong> la rivière, nous nous mîmes en recherche d’un pont.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Ah ! père Auguste, si vous saviez ce que nous<br />
faisons subir à votre moto, avec respect, certes…<br />
Nous atterrîmes sur un chemin <strong>de</strong> campagne qui très vite se transforma en<br />
sentier chaotique et enfin en champ bourré <strong>de</strong> crevasses. Nous ne tombâmes<br />
ni dans la rivière, ni dans les rizières, mares et autres plans d’eau, ou encore<br />
fossés épineux mais il s’en fallut <strong>de</strong> peu à chaque fois.<br />
Le temps filait, la chaleur se faisait plus pesante et alors que nous pensions<br />
enfin avoir trouvé un pont, nous dûmes stopper net pour nous épargner un<br />
magnifique plongeon. Le chemin prenait fin, à quelques mètres seulement du<br />
pont ; mer<strong>de</strong> ! Nous dûmes donc <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong> la moto et tailler un passage à<br />
travers les buissons ar<strong>de</strong>nts. Nous nous servîmes d’un bambou trouvé sur le<br />
côté. Très honnêtement, nous crûmes crever un pneu à ce moment-là, voire les<br />
<strong>de</strong>ux, mais en fin <strong>de</strong> compte passâmes-nous sans trop d’encombrement. Ce<br />
n’était pas fini pourtant !<br />
Nous avions le choix entre continuer sous les branches <strong>de</strong> plus en plus<br />
basses ou monter sur un chemin, un peu plus haut. Malgré la difficulté, nous<br />
optâmes pour la secon<strong>de</strong> option, ne voulant pas risquer <strong>de</strong> nous retrouver si<br />
loin <strong>de</strong> la ville avec un pneu crevé. Ce fut laborieux mais nous y parvînmes.<br />
Il y avait <strong>de</strong>ux chemins après le pont. Il nous semblait logique <strong>de</strong> suivre la<br />
rivière, ce que nous fîmes. Tout se passait très bien jusques à ce que nous<br />
arrivassions <strong>de</strong>vant une maison, un cul <strong>de</strong> sac ; décidément !<br />
Une femme en sortit et nous <strong>de</strong>manda où nous allions comme ça. Nous lui<br />
répondîmes, confiant : « Yaso », et elle nous indiqua qu’il fallait continuer tout<br />
droit.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Heu… C’est bien gentil, grand-mère, mais il n’y a<br />
pas <strong>de</strong> route par là, tout droit !<br />
229
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous n’avions pas le choix, suivîmes ses directives sans trop <strong>de</strong> succès<br />
puisque, quelques mètres plus loin, nous dûmes stopper <strong>de</strong>vant un plan d’eau<br />
dont l’unique passage était bien trop hasar<strong>de</strong>ux pour nous. Nous voyant en<br />
difficulté, la gentille paysanne cria pour, pensâmes-nous à juste titre, appeler<br />
son époux qui, effectivement <strong>de</strong>ux minutes après, arriva nonchalamment dans<br />
sa barque par le plan d’eau qui nous posait tant <strong>de</strong> problèmes. Nous le<br />
dérangions en pleine pêche mais cela ne l’empêcha pas <strong>de</strong> venir à nous pour<br />
prendre connaissance <strong>de</strong> notre embarras, d’enlever les filets <strong>de</strong> pêche <strong>de</strong> sa<br />
barque pour prendre une planche en <strong>de</strong>ssous et <strong>de</strong> la mettre à l’eau pour que la<br />
moto ne s’enfonçât pas dans la vase.<br />
Ensuite, il nous aida à la faire passer en la poussant par l’arrière pendant<br />
que nous la poussions par le guidon pour la diriger. Nous nous enfonçâmes<br />
finalement dans la vase mais, après un effort commun, la moto franchit<br />
l’obstacle. Tout naturellement, le paysan prit la bouteille <strong>de</strong> Pepsi que nous<br />
avions à peine entamée au snack pour se désaltérer. Nous lui fîmes<br />
comprendre qu’il pouvait la gar<strong>de</strong>r sans aucun problème et les remerciâmes<br />
tous les <strong>de</strong>ux le plus sincèrement du mon<strong>de</strong>.<br />
Nous continuâmes avec Alexandra sur un sentier un peu plus praticable<br />
que le précé<strong>de</strong>nt. C’est au parc floral que nous débouchâmes, juste après le<br />
pont qui menait <strong>de</strong> la fondation à Yasothon.<br />
Comme la moto était pleine <strong>de</strong> boue et <strong>de</strong> sable, nous la nettoyâmes au jet<br />
dans l’allée <strong>de</strong> Homehak puis prîmes nous-même une douche.<br />
La nuit tombait ; nous mangeâmes rapi<strong>de</strong>ment et allâmes récupérer notre<br />
linge à la laverie. Nous optâmes pour la formule au mois : 300 bahts pour<br />
autant <strong>de</strong> vêtements que nous souhaitions. Autrement était-ce 100 bahts le sac.<br />
Nous rentrâmes à la fondation vers 19h15.<br />
Notre sac pour <strong>de</strong>main est prêt, notre correspondance est à jour, nos<br />
tâches accomplies. Allons prendre un repos bien mérité aujourd’hui.<br />
230
Farang<br />
1 5 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 13h16.<br />
Nous quittâmes la fondation avec la moto du père (et sa permission) vers 9<br />
heures pour y arriver quarante kilomètres plus loin et trois quarts d’heure plus<br />
tard. Un plein fut largement suffisant. La sœur principale Somjai et le père<br />
Somlong furent tous <strong>de</strong>ux surpris <strong>de</strong> nous voir arriver sur une moto…<br />
Un camp d’anglais est organisé ce week-end à l’école ; voilà donc la raison<br />
<strong>de</strong> notre présence ici. Il débuta à 9 heures. Nous eûmes à peine le temps <strong>de</strong><br />
déposer nos effets dans notre chambre que la sœur principale Somjai, pleine <strong>de</strong><br />
son enthousiasme habituel, s’empressa <strong>de</strong> nous faire découvrir les ateliers un à<br />
un.<br />
En tout, il y en a cinq et ils sont animés par <strong>de</strong>s étudiants d’Ubon. Au<br />
second, Miss Sirannee nous rejoignit et c’est avec elle que nous continuâmes<br />
notre visite. Au cinquième atelier (phonétique), nous restâmes quelque temps<br />
mais ne jugeâmes pas utile d’intervenir ; nous n’en avions pas envie <strong>de</strong> toute<br />
manière.<br />
À midi, nous allâmes manger chez les sœurs.<br />
17h01.<br />
Nous suivîmes <strong>de</strong>ux ateliers en début d’après-midi et, voyant que nous<br />
n’étions toujours pas vraiment utile, nous allâmes faire un tour <strong>de</strong> moto,<br />
histoire <strong>de</strong> prendre quelques clichés plus loin que les fois précé<strong>de</strong>ntes grâce à<br />
elle.<br />
Nous passâmes au retour par ban Kutchum pour chercher un 7-11 mais<br />
nous <strong>de</strong>vrons hélas attendre Yaso pour trouver un donut ; d’ailleurs,<br />
retournons-y.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 21h37.<br />
Nous sommes actuellement dans notre lit, à Homehak. Ce n’est pas correct<br />
mais nous prétextâmes au père Somlong que nous avions oublié d’envoyer un<br />
courriel important et qu’il fallait le faire à tout prix avant dimanche. Nous<br />
231
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
n’avons aucune excuse : nous voulions bouger car le camp nous ennuyait et<br />
que ce n’était pas la gran<strong>de</strong> forme.<br />
Nous quittâmes donc ban Song Yae à 17h15 et arrivâmes à Yaso avant la<br />
nuit, vers 17h50.<br />
L’entrée <strong>de</strong> la fondation était encombrée. Un couple franco-thaï et ses <strong>de</strong>ux<br />
enfants vivant à Bangkok venaient visiter leur filleul. Lorsque nous arrivâmes,<br />
ils partaient avec le père Auguste et Alexandra manger au restaurant. Nous<br />
<strong>de</strong>mandâmes si nous pouvions en être et ils n’y virent pas d’inconvénient ; le<br />
temps <strong>de</strong> prendre une douche et nous étions prêt. Nous mangeâmes un<br />
sukiaki, comme la <strong>de</strong>rnière fois avec Claire pour fêter l’arrivée d’Alexandra. Le<br />
filleul, sa mère et sa sœur étaient évi<strong>de</strong>mment présents eux aussi.<br />
Ils parlèrent d’un tas <strong>de</strong> choses et nous apprîmes notamment que le Canada<br />
et le Mexique se joignaient à la position française sur l’Irak et que Dominique<br />
<strong>de</strong> Villepin avait reçu une vive acclamation pour son discours à la tribune <strong>de</strong><br />
l’ONU. Cela apprendra aux Étasuniens <strong>de</strong> traiter la France et l’Allemagne <strong>de</strong><br />
restes d’une vieille Europe !<br />
Le repas fut bon et la soirée excellente. Le couple nous ramena à la<br />
fondation tandis que le père Auguste rentrait chez lui.<br />
Demain, nous nous lèverons tôt car nous promîmes à la sœur principale<br />
Somjai que nous serions présent pour l’ouverture <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> journée <strong>de</strong><br />
l’English Camp.<br />
Notre moral va mieux ; revenir passer la soirée ici fut une bonne idée.<br />
232
Farang<br />
1 6 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 6h10.<br />
Nos effets sont prêts, nous partons pour ban Song Yae. Profitons <strong>de</strong> cette<br />
heure matinale pour acheter quelques beignets au marché.<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 7h26.<br />
Le père Somlong donne la messe à l’église près <strong>de</strong> l’école, le perroquet<br />
parle aux enfants et les écoliers se préparent pour la secon<strong>de</strong> journée du camp ;<br />
le temps est couvert. Allons nous reposer jusques à 9 heures.<br />
Ubon Ratchatani (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 20h01.<br />
Il s’avéra que le camp s’achevait ce matin ; à 10h30, tout le mon<strong>de</strong> rentrait<br />
chez soi. Avec les élèves restants et les étudiants <strong>de</strong> la Rajabhat Institute, nous<br />
fîmes une partie <strong>de</strong> volley sous le préau. Ensuite, ces <strong>de</strong>rniers nous<br />
proposèrent <strong>de</strong> venir avec eux à Ubon. Ils <strong>de</strong>mandèrent à la bienveillante sœur<br />
principale Somjai qui leur donna son accord et à nous 300 bahts pour notre<br />
séjour là-bas.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Ô joie !<br />
Nous sommes donc en ce moment dans la maison <strong>de</strong> John, l’un <strong>de</strong>s<br />
étudiants qui nous accueille pour la nuit. Nous écrivons notre carnet au milieu<br />
<strong>de</strong> sa famille qui regar<strong>de</strong> la télévision. Nous prîmes une douche et pouvons,<br />
Fidèle, te raconter notre journée.<br />
Nous n’allâmes pas à Ubon directement, loin <strong>de</strong> là ! Ils voulaient tous<br />
visiter un temple réputé pour sa splen<strong>de</strong>ur : le Phanum Vit Temple. Après<br />
environ trois quarts d’heure <strong>de</strong> route, nous y parvînmes. Ils avaient loué un<br />
sang theo, ce qui fut bien pratique.<br />
Une fois sur place, il fallut payer le trajet en pick-up car le temple se<br />
trouvait en haut d’une colline (tout en haut !) et que notre bus aurait péri avant<br />
<strong>de</strong> l’atteindre. Nous avions une autre solution : les mille marches par 40<br />
233
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
<strong>de</strong>grés… Tu comprends notre dilemme à tous…<br />
Ce temple était effectivement magnifique. Il semblait assez récent, certaines<br />
ailes étant encore en construction.<br />
Nous montâmes les cinq étages. Laisse-nous à ce propos te recomman<strong>de</strong>r<br />
<strong>de</strong> ne pas y aller un dimanche, si d’aventure ça te pète <strong>de</strong> venir dans un coin<br />
aussi paumé, naturellement ! Il <strong>de</strong>vait y avoir une commémoration particulière,<br />
nous ne savons. Toujours est-il que nous mîmes une <strong>de</strong>mi-heure pour joindre<br />
le sommet, par les petits escaliers en colimaçon, au milieu d’une foule<br />
impatiente <strong>de</strong> bonzes et <strong>de</strong> fidèles, par une chaleur insoutenable.<br />
Cela valait le coup cependant car nous nous amusâmes beaucoup et la vue<br />
était imprenable au sommet du temple.<br />
Vers 14h45, à la fin <strong>de</strong> la visite et après <strong>de</strong> nombreux clichés, nous dînâmes<br />
au petit marché près du temple. Fact, un autre élève, <strong>de</strong>manda à <strong>de</strong>ux femmes<br />
qui mangeaient du riz gluant au coco dans <strong>de</strong>s bambous où nous pouvions en<br />
trouver ; elles ne nous indiquèrent rien mais nous en offrirent <strong>de</strong>ux. Ensuite, il<br />
nous commanda un khao pat végétarien ; la sœur principale Somjai lui avait dit<br />
avant <strong>de</strong> partir que nous ne mangions pas <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> et prié <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong><br />
nous.<br />
Nous nous rendons compte maintenant que nous numérisons ces lignes,<br />
avec le recul, que nous tombâmes vraiment sur <strong>de</strong>s gens exceptionnels.<br />
Aujourd’hui, nous pûmes enfin nous baigner et nager puisqu’ils s’étaient<br />
mis d’accord pour aller évacuer le stress et la fatigue accumulés pendant<br />
l’English Camp.<br />
C’est SUR le bus que les garçons et nous-même fîmes le trajet. C’était assez<br />
sanuk pour être franc. Sur la route, naturellement, tout le mon<strong>de</strong> nous<br />
regardait.<br />
Au lac artificiel, les garçons et quelques filles seulement se baignèrent,<br />
habillés – nous nous sentions bien isolé, vêtu d’un simple pantacourt. Pour<br />
tous, cela fut un grand moment <strong>de</strong> détente et d’amusement.<br />
L’après-midi passait et il fallut penser à rentrer sur Ubon car le chemin était<br />
long. Après un passage obligé à la station essence où nous achetâmes un Pepsi<br />
et un Fanta, nous reprîmes la route. Nous fîmes la moitié du chemin sur le bus<br />
où nous apprîmes à connaître davantage les garçons et l’autre moitié avec les<br />
234
Farang<br />
filles à l’arrière du bus où nous jouâmes à un jeu simple avec un flacon <strong>de</strong> talc.<br />
Il consistait à se le passer au son d’une musique jouée par Fact à la guitare et en<br />
frappant <strong>de</strong>s mains. Au coup <strong>de</strong> sifflet, celui qui avait le flacon dans les mains<br />
était aspergé <strong>de</strong> talc par les autres ; un jeu très thaï, très con, et finalement très<br />
marrant.<br />
À Ubon, nous nous arrêtâmes à la Rajabhat Institute. Tout le mon<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>scendit du bus et nous patientâmes un moment. C’est là que Fact nous<br />
annonça qu’il nous invitait tous pour dîner. Nous allâmes donc à pattes nous<br />
préparer pour la party avec John.<br />
Sa famille nous accueillit avec bonheur ; nous nous sentîmes <strong>de</strong> suite à<br />
l’aise. Nous sommes actuellement prêt et attendons un autre étudiant pour<br />
aller à la party.<br />
235
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Ubon Ratchatani (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 8h08.<br />
Quelle nuit ! Nous n’eûmes pas une minute pour écrire ce carnet tellement<br />
elle fut chargée. Fact vint nous chercher à 22 heures en nous apportant du lait<br />
et du pain <strong>de</strong> mie. Il prit vraiment soin <strong>de</strong> nous, c’est le moins que nous<br />
puissions écrire !<br />
Nous rejoignîmes les autres à l’université et, en attendant les <strong>de</strong>rniers, nous<br />
allâmes au 7-11 d’en face acheter <strong>de</strong>s donuts et un Pepsi. Ah, si les 7-11<br />
n’étaient pas là, mais que ferions-nous ?!! Nous surprîmes d’ailleurs Fact et les<br />
filles en mangeant autant qu’eux.<br />
Tout fut organisé pour les transports et vers 22h30, à trois sur une moto,<br />
nous partîmes pour Koodua Beach, à quatre ou cinq kilomètres d’Ubon. Ce<br />
n’était pas réellement une plage mais tout comme : il y avait du sable, la rivière<br />
et <strong>de</strong> charmants petits bungalows flottants reliés par <strong>de</strong>s pontons en planches<br />
et bambous plus ou moins stables. Nous étions sur le plus avancé dans la<br />
rivière et le plus grand aussi ; nous étions nombreux.<br />
Au son <strong>de</strong> la musique philippine jouée par un étudiant à la guitare, nous<br />
mangeâmes et discutâmes, beaucoup (<strong>de</strong> l’Europe, <strong>de</strong> la France et <strong>de</strong> nous<br />
principalement). Ils voulaient tout savoir !<br />
Vers 1h30, alors que tout le mon<strong>de</strong> semblait vraiment fatigué, nous<br />
rentrâmes nous coucher. John nous laissa son lit et nous dormîmes comme un<br />
loir.<br />
Nous ne savons pas le programme <strong>de</strong> la journée, c’est une surprise ! Nous<br />
savons seulement qu’à 14 heures, nous <strong>de</strong>vrons prendre le bus <strong>de</strong> retour pour<br />
Yaso.<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 21h24.<br />
C’est vers 10h15 que nous rejoignîmes la Rajabhat Institute pour y petitdéjeuner<br />
et assister au Congratulation Day, notamment <strong>de</strong> l’English Major<br />
(promotion <strong>de</strong>s étudiants).<br />
Fact nous présenta à <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses professeurs d’anglais, <strong>de</strong>ux Étasuniens <strong>de</strong><br />
la cinquantaine, très présentables, assez sympathiques et très… occi<strong>de</strong>ntaux. À<br />
236
Farang<br />
peine pouvaient-ils dire « Merci ! » en thaï sans un fort accent ! Nous parlâmes<br />
un peu et ils nous confièrent que cela ne servait à rien <strong>de</strong> parler thaï quand on<br />
enseignait l’anglais, que c’était la meilleure façon <strong>de</strong> forcer ses élèves à parler<br />
l’anglais pour communiquer avec eux. Mouais… N’étant pas du tout convaincu<br />
et ne voulant pas perturber Fact avec une verve trop aci<strong>de</strong>, nous lui fîmes<br />
simplement comprendre que nous n’approuvions pas vraiment leur métho<strong>de</strong> et<br />
feignîmes la noble indifférence avec ces <strong>de</strong>ux débiles qui nous étaient<br />
présentés. Nous bûmes ensuite un jus <strong>de</strong> fruits à la cafétéria <strong>de</strong> l’université.<br />
Ah ! Nous oublions qu’avant cela <strong>de</strong>ux filles nous <strong>de</strong>mandèrent si elles<br />
pouvaient prendre une photo avec nous, chacune leur tour. Nous acceptâmes<br />
et la première nous offrit une rose : « Welcome to Thailand ! » ; attention tout<br />
à fait charmante !<br />
Après le repas, Eak, John, Fact et nous-même allâmes chercher un<br />
cybercafé pour surfer un peu sur la toile. Le premier était plein et le second<br />
avait une connexion pourrie. En une heure, nous eûmes à peine le temps <strong>de</strong><br />
lire un article du mon<strong>de</strong> sur l’Irak : Condolezza Rice soutenait que « les efforts<br />
diplomatiques <strong>de</strong> l’Europe et <strong>de</strong> l’ONU pour éviter une guerre inutile et<br />
résoudre une fois pour toute la question irakienne ne dureraient plus<br />
longtemps ! » S’ils pouvaient se prendre une météorite sur la tête, ceux-là…<br />
De retour à la Rajabhat Institute, alors que Fact garait sa moto, nous<br />
croisâmes un autre professeur d’anglais, un vieux monsieur avec lequel nous<br />
fîmes connaissance quelques minutes. Au bout d’un moment, nous lui<br />
<strong>de</strong>mandâmes s’il parlait thaï ; il nous répondit que non, que c’était mieux pour<br />
les étudiants, que cela les forçait à parler anglais et qu’enfin, ils ne pouvaient<br />
pas bien parler et thaï, et anglais.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Vous vous êtes passés une note <strong>de</strong> service ou<br />
quoi ?<br />
Là, nous comprîmes tout <strong>de</strong> suite ce que Claire nous avait dit à propos<br />
d’une enseignante anglaise ou étasunienne, nous ne savons plus : le même type<br />
<strong>de</strong> personnes.<br />
Nous lui expliquâmes notre position, que nous pensions que nous nous<br />
237
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
<strong>de</strong>vions d’enseigner l’anglais sans oublier qu’ils étaient thaïs avant tout et que la<br />
langue internationale, puisque c’est ce qu’elle était, ne <strong>de</strong>vait servir qu’à la<br />
communication entre les peuples, rien <strong>de</strong> plus. Nous entendîmes un « hum,<br />
hum » et il prétexta avoir <strong>de</strong> nombreuses photos à faire, ce qui était vrai. Nous<br />
en conclûmes que ce genre d’enseignants n’était là que pour former <strong>de</strong> bons<br />
petits citoyens du mon<strong>de</strong> que les Étasuniens aimaient mo<strong>de</strong>ler à leur image.<br />
Nous nous promîmes à ce moment-là d’en parler avec les enfants le len<strong>de</strong>main.<br />
Mais est-ce vraiment notre rôle ?<br />
Tiens, il pleut !! Notre première averse en Thaïlan<strong>de</strong>, nous nous<br />
<strong>de</strong>mandions pourquoi les grenouilles chantaient.<br />
Pour en revenir à notre petite histoire, nous parlâmes <strong>de</strong> tout cela avec<br />
Fact, présent lors <strong>de</strong> la conversation, et il nous assura qu’il ne souhaitait en<br />
aucun cas apprendre les coutumes en même temps que la langue et qu’il était<br />
fier d’être thaï, ce qui nous rassura vivement.<br />
Nous avions faim alors allâmes-nous manger un khao pat à la cafétéria.<br />
À 14h10, ils nous conduisirent à la gare routière où nous achetâmes notre<br />
billet dans un bus AC (Air Conditioner) pour Yaso 53 bahts. Puisqu’il ne partait<br />
qu’à 14h50, nous en profitâmes pour échanger nos téléphones et courriels.<br />
Avec ce que nous vécûmes ensemble, nous étions amis désormais. Ils nous<br />
assurèrent qu’à notre prochain passage à Ubon, ils nous accueilleraient tous<br />
avec joie et John nous dit que sa maison était la nôtre. Quant à nous, nous<br />
n’avions pas grand’chose mais leur assurâmes que nous répondrions présent le<br />
jour où ils auraient besoin <strong>de</strong> nous, pour quoi que ce fût.<br />
Notre bus rentra en gare à l’heure et Fact nous accompagna à l’intérieur. Il<br />
était bondé et nous dûmes nous asseoir sur le sol, <strong>de</strong>vant, en face d’une fille<br />
charmante que, comme un con, nous ne sûmes abor<strong>de</strong>r…<br />
Quel voyage aussi pour se rendre à ban Song Yae !! Une fois à Yaso, nous<br />
prîmes un sang theo pour ban Kutchum (20 bahts). De là, nous voulions prendre<br />
une mototaxi mais quand nous <strong>de</strong>mandâmes son prix au conducteur, il nous<br />
annonça 50 bahts ; quel connard !<br />
238
NOUS . Maï pen raï ! 1<br />
Farang<br />
Ce n’était pas grave, en effet. Nous allâmes nous acheter du lait et<br />
commençâmes <strong>de</strong> marcher vers le ban (quatre kilomètres). Au quart du chemin,<br />
nous vîmes un jeune garçon arrêté sur le bord <strong>de</strong> la route, assis sur sa moto.<br />
Quand nous passâmes <strong>de</strong>vant lui, nous entendîmes un : « Nicholat, want to<br />
go ? » Quelle ne fut pas notre surprise !! Il s’agissait d’un <strong>de</strong> nos plus discrets<br />
élèves et nous ne l’avions pas reconnu.<br />
Certes cela semblait très étrange, un farang <strong>de</strong>rrière un garçon d’une<br />
douzaine d’années à peine sur une moto à 60 kms/h, mais il nous fit tellement<br />
plaisir en nous posant cette question que cela ne nous importa que peu.<br />
Arrivé à l’école, nous lui <strong>de</strong>mandâmes son prénom et lui donnâmes 10<br />
bahts pour son essence. Nous n’en revenons pas encore : quand nous y<br />
repensons, un sourire incontrôlable pare notre visage !<br />
Mis à part quelques ados qui jouaient au volley-ball avec les pieds (un<br />
nouveau sport ici), l’école semblait vi<strong>de</strong>. La maison <strong>de</strong>s pères était fermée ;<br />
nous allâmes donc chez les sœurs.<br />
La sœur Supreyakhon faisait la cuisine et avec sa manière tellement<br />
particulière (puisqu’elle ne parlait anglais qu’avec modération), elle nous fit<br />
comprendre que les pères étaient à Ubon et que la sœur principale Somjai était<br />
allée nous chercher à Yaso. Cela nous ennuya <strong>de</strong> savoir que ne nous y voyant<br />
pas, elle pouvait s’inquiéter, <strong>de</strong> même pour les volontaires <strong>de</strong> Homehak.<br />
Finalement, la sœur Jiou qui était restée elle aussi nous rassura en nous disant<br />
qu’elle leur avait téléphoné.<br />
La sœur Supreyakhon nous ouvrit la maison <strong>de</strong>s pères, qui est à nous tout<br />
seul pour la semaine. Nous prîmes une douche et les rejoignîmes pour le dîner.<br />
Nous communiquâmes beaucoup, ce qui fut une bonne chose.<br />
Demain, nous nous levons tôt et le bruit <strong>de</strong> la pluie sur la tôle du toit ne va<br />
sans doute pas nous bercer.<br />
1 . Trad. « Ça ne fait rien ! » Cette expression est couramment utilisée par les Thaïs pour qui rien<br />
n’a vraiment d’importance.<br />
239
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 8 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 17h20.<br />
Cette journée n’est pas du tout excitante à raconter. Nous enseignâmes les<br />
prathom 5.1, 5.2, 6.1, 4.2 et les matayom 1 jusques à 15h30 puis allâmes nous<br />
perdre un peu dans la campagne avec la moto pour finalement ne ramener<br />
aucun cliché. Bref, nous supposons que les jours ne peuvent pas tous être<br />
sanuk…<br />
19h09.<br />
Les piqûres <strong>de</strong> moustiques nous fatiguent ce soir, au sens propre du terme.<br />
Nous avons l’impression d’avoir gravi le K2 ; enfin… nous supposons que<br />
ceux que le font doivent ressentir cela ! Nous couvons quelque chose.<br />
Nous mangeâmes donc en vitesse et la sœur principale Somjai nous pria <strong>de</strong><br />
vite aller nous reposer, ce que <strong>de</strong> ce pas nous allons faire.<br />
240
Farang<br />
1 9 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Nous passâmes finalement une excellente nuit, très longue.<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 8h45.<br />
Ce matin, nous mangeâmes chez les sœurs, sans la sœur principale Somjai<br />
qui <strong>de</strong>vait être à jeun pour une visite à l’hôpital.<br />
Nous sommes actuellement sur notre lit, n’assistâmes aujourd’hui ni au<br />
lever <strong>de</strong>s couleurs, ni à la prière du matin, et n’avons foutrement aucune idée<br />
du sujet que nous allons bien pouvoir traiter avec nos élèves… Tout va bien<br />
donc !<br />
14h13.<br />
Ayant une heure <strong>de</strong> libre, nous allâmes faire le plein <strong>de</strong> la moto pour<br />
<strong>de</strong>main.<br />
Avec les prathom 6.2, 5.1 et 4.1, nous parlâmes <strong>de</strong>s peuples du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s<br />
pays sur Terre. Nous organisâmes cela en jeu ; il leur suffisait <strong>de</strong> nous citer le<br />
nom d’un pays, son continent, le nom <strong>de</strong> ses habitants, la langue qu’ils<br />
parlaient et nous échangions nos commentaires (autant que faire se pouvait).<br />
Cet après-midi, en première heure, nous travaillâmes une chanson avec les<br />
prathom 6.1 : la version <strong>de</strong> Que Sera Sera par Pink Martini. Comme nous<br />
n’avions pas encore le poste à disposition, nous dûmes chanter pour donner le<br />
ton et nous apercevoir qu’à force <strong>de</strong> crier en cours, nous n’avions plus <strong>de</strong> voix !<br />
Demain, nous aurons la salle d’Histoire et son lecteur VCD.<br />
Peul nous dit que nous allions après la fin <strong>de</strong>s cours chez un professeur qui<br />
possédait une connexion à l’Internet ; ainsi pourrons-nous nous connecter.<br />
La cloche sonne, c’est l’heure du break. Allons boire un Pepsi chez les<br />
sœurs.<br />
21h27.<br />
Chanter avec les matayom 1 n’est pas <strong>de</strong> la tarte !! Par ailleurs, nous n’avions<br />
vraiment plus <strong>de</strong> voix. Le temps où nous chantions Britney fort et juste est<br />
révolu, c’est à craindre ; adieu notre carrière <strong>de</strong> Folle du Désert… À la fin du<br />
241
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
cours, nous dûmes cette fois-ci signer un CD d’elle d’ailleurs !<br />
Nous allâmes prendre un yoghourt dans la chambre, le temps que les élèves<br />
terminassent leur prière et que la coursive s’éclaircît un peu et attendîmes Peul<br />
dans le bureau <strong>de</strong> la sœur principale Somjai. Elle avait du travail et nous ne<br />
voulions pas paraître pressant alors parlâmes-nous avec la sœur Jiou qui nous<br />
dit partir au soir dans son village pour visiter sa famille car son père avait eu un<br />
acci<strong>de</strong>nt domestique. Nous espérons sincèrement que ce n’est pas grave !<br />
Dix minutes plus tard, nous partîmes avec Peul, sur sa moto, en direction<br />
<strong>de</strong> ban Kutchum. La maison du professeur chez qui nous allions se trouvait un<br />
peu après la ville sur la route <strong>de</strong> Yasothon. Nous fûmes accueilli à bras ouverts.<br />
Nous commençons d’avoir l’habitu<strong>de</strong>, c’est agréable et ces gens nous sont<br />
sympathiques. La connexion à l’Internet <strong>de</strong> nos hôtes était très lente et nous ne<br />
pûmes finalement pas envoyer ce que nous voulions. Alors que nous nous<br />
battions avec le bouton send, nous entendîmes <strong>de</strong>rrière nous un grand<br />
« Nicholat ! » Nous nous retournâmes et vîmes la sœur principale Somjai qui<br />
était venue nous avertir que nous <strong>de</strong>vions dîner seul car les trois sœurs allaient<br />
avec la sœur Jiou dans son village natal. Nous lui répondîmes qu’il n’y avait<br />
aucun problème, que nous nous achèterions à manger à ban Kutchum,<br />
regrettant seulement <strong>de</strong> ne pouvoir inviter quelques amis à venir faire la fête à<br />
la congrégation…<br />
Une fois les sœurs parties, Peul nous proposa au nom <strong>de</strong> nos hôtes <strong>de</strong><br />
rester manger avec eux. Nous acceptâmes, naturellement, et allâmes faire<br />
quelques courses pour l’occasion. Avant cela, nous fîmes la connaissance <strong>de</strong><br />
son second frère.<br />
Au supermarché, elle nous laissa sa moto pour que nous rentrions à ban<br />
Song Yae car nous voulions prendre une douche avant la nuit, le froid et les<br />
moustiques. Quant à elle, elle resta acheter <strong>de</strong>s légumes, nous affirmant qu’elle<br />
pouvait rentrer avec le bus.<br />
Nous tombons vraiment sur <strong>de</strong>s gens adorables : notre esprit critique,<br />
cynique et désabusé va mettre <strong>de</strong>s années à s’en remettre !<br />
Nous prîmes donc une douche en vitesse et, au retour, fîmes le plein <strong>de</strong> sa<br />
moto ; telle était la moindre <strong>de</strong>s choses.<br />
La soirée se déroula paisiblement, nous parlâmes <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> nous-même,<br />
242
Farang<br />
pour changer. À la fin du repas, nous essayâmes <strong>de</strong> voir si l’Internet<br />
fonctionnait mieux et pûmes finalement envoyer notre message.<br />
Peul nous raccompagna avec sa moto au village, nous jouâmes quelques<br />
minutes avec le chiot <strong>de</strong> la sœur Jiou, Toto, et rentrâmes nous mettre au lit.<br />
Aujourd’hui, la sœur principale Somjai enleva <strong>de</strong> notre emploi du temps les<br />
prathom 4 car, ainsi que nous lui en avions déjà parlé, ils ne comprenaient pas<br />
un traître mot <strong>de</strong> ce que nous racontions en anglais.<br />
Demain, nous aurons donc notre premier cours à 10 heures mais il est<br />
toutefois préférable que nous nous couchions tôt car la cloche, elle, est une<br />
chieuse <strong>de</strong> première heure !<br />
243
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 0 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 8h28.<br />
Nous dormîmes si bien que nous peinons à nous complètement réveiller.<br />
Nous fîmes également un rêve dont nous ne nous souvenons hélas pas mais<br />
nous savons qu’il était bon. Ne nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas pourquoi, Fidèle ; sans<br />
commentaire. Par ailleurs, nous n’avons que trois heures <strong>de</strong> cours aujourd’hui<br />
et pourrons partir pour Yaso vers 15 heures, avec l’espoir <strong>de</strong> trouver la lettre<br />
que nous attendons tellement. Nous chanterons ce matin avec les prathom 6.1 et<br />
les matayom 1 ; tout va bien.<br />
La sœur Jiou nous dit à table que son père se portait mieux. Le père<br />
Somlong revint quant à lui <strong>de</strong> Chong Mek dans la nuit mais repartira dans<br />
l’après-midi.<br />
Nous sommes libre jusques à 10 heures et pensons dormir, à la mo<strong>de</strong> thaïe.<br />
13h13.<br />
Après un sommeil d’une heure, après avoir enseigné la formule to be going to<br />
aux prathom 5.2, nous pûmes chanter avec les matayom 1 dans la salle d’histoire.<br />
Le professeur Loomarin était également présente mais le résultat n’était pas<br />
franchement satisfaisant. Enfin… Le plus important est que nous amusâmes<br />
vraiment et que nous parlâmes anglais – nous sommes là pour cela, après tout !<br />
Pour autant, nous désespérons <strong>de</strong> pouvoir leur faire chanter Que Sera Sera<br />
juste, même si la chanson leur plaît beaucoup.<br />
Nous avons une heure <strong>de</strong> libre et, après, nous recommencerons<br />
l’expérience avec les prathom 6.1.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 23h58.<br />
Nous venons <strong>de</strong> faire quatre-vingts kilomètres avec la moto, seulement<br />
parce que nous n’avions pas sommeil. C’est peut-être idiot mais au moins<br />
maintenant sommes-nous fatigué !<br />
Nous allâmes jusques au 7-11 <strong>de</strong> Selaphun, achetâmes un donut et un<br />
Pepsi, mangeâmes sur la moto et rentrâmes.<br />
244
Farang<br />
Petite parenthèse, nous venons <strong>de</strong> foutre un bor<strong>de</strong>l monstre dans la<br />
colonne <strong>de</strong> fourmis qui passe sur le mur <strong>de</strong> notre chambre d’une fenêtre à<br />
l’autre, en coupant leur voie avec un stick anti-moustiques. Nous nous<br />
<strong>de</strong>mandons comment elles vont s’en sortir ; affaire à suivre…<br />
Autrement, notre après-midi fut assez intéressant. Nous fîmes donc<br />
chanter les prathom 6.1, plus assidus que les matayom 1 ; nous sommes impatient<br />
<strong>de</strong> les revoir !<br />
À la fin <strong>de</strong> la leçon, nous allâmes voir les sœurs Somjai et Jiou pour leur<br />
souhaiter un bon week-end, prîmes nos effets et partîmes vite pour éviter la<br />
pluie.<br />
Naturellement, ce fut peine perdue. Nous dûmes rouler pendant un peu<br />
plus <strong>de</strong> trente kilomètres sous un déluge opaque et frais. Nous fîmes une<br />
courte halte sous un arrêt <strong>de</strong> bus afin <strong>de</strong> protéger ce carnet et d’autres effets<br />
importants. Nous ne voyions pas la route à vingt mètres <strong>de</strong> toute manière ;<br />
c’était assez sanuk. Nous arrivâmes à Yaso trem-pé ; terrible !! Heureusement,<br />
la pluie ayant cessé, nous eûmes le temps <strong>de</strong> sécher jusques à Homehak. Il<br />
<strong>de</strong>vait être environ 16 heures lorsque nous <strong>de</strong>scendîmes <strong>de</strong> la moto.<br />
Les enfants étaient rentrés <strong>de</strong> l’école ; une autre Bambou, Aèle, travaillait<br />
dans la gran<strong>de</strong> salle le budget <strong>de</strong> l’année ; Claire était <strong>de</strong> retour et avait fait <strong>de</strong>s<br />
achats pour l’infirmerie (casiers, verres, etc.) ; un nouvel enfant et sa mère<br />
étaient arrivés ; Nang avait fugué ; nom Nout était à l’hôpital pour cause <strong>de</strong><br />
rechute… Beaucoup <strong>de</strong> choses avaient changé à Homehak en notre absence.<br />
Nous nous mîmes au courant après avoir pris le temps <strong>de</strong> déposer notre linge à<br />
la laverie <strong>de</strong> Yaso.<br />
Claire nous apprit que le père Auguste, Agathe (une jeune pédiatre<br />
d’EDM), Benoît (un autre Bambou) et quelques enfants étaient allés à ban Song<br />
Yae visiter sa belle église. Nous dûmes les croiser sur la route mais avec le<br />
déluge, rien d’étonnant à ce que nous les ayons manqués. Ils revinrent vers 17<br />
heures et, quelques minutes plus tard, suivirent <strong>de</strong>ux routards, Sophie et<br />
Jérôme, qui faisaient le tour du mon<strong>de</strong> en scooter <strong>de</strong>puis dix-huit mois. Ils<br />
avaient déjà été en Amérique du Sud et passaient maintenant par l’Asie du Sud-<br />
Est. Avant <strong>de</strong> venir à la fondation, ils <strong>de</strong>mandèrent l’autorisation d’y faire une<br />
halte <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux journées.<br />
Pour le plus grand bonheur <strong>de</strong>s enfants, nous voilà maintenant huit farang<br />
245
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
(si nous comptons le père Auguste) à Homehak ; c’est quand même très<br />
momentané.<br />
Nous commençons d’être fatigué et n’ayant rien à ajouter <strong>de</strong> particulier à ce<br />
carnet, allons nous coucher.<br />
246
Farang<br />
2 1 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 23h48.<br />
Avant toute chose, nous avons quelque choses <strong>de</strong> primordial à noter : nos<br />
fourmis réussirent pendant la nuit à ouvrir une brèche dans notre barrage<br />
chimique. Si cela n’est pas <strong>de</strong> l’intelligence, même primaire, nous ne<br />
comprenons plus rien…<br />
Nous ne voyons pas grand’chose d’intéressant à noter <strong>de</strong> toute manière et<br />
serons donc concis.<br />
Ce matin, le père Auguste, pi Tiou, Claire et Alexandra allèrent à Ubon<br />
pour le <strong>de</strong>vis d’un forage. Quant à nous, nous restâmes à Homehak avec les<br />
Scooters, parlâmes <strong>de</strong> leur voyage, bricolâmes – enfin, nous regardâmes<br />
surtout Jérôme faire… – et allâmes en ville faire du shopping après dîner.<br />
À notre retour, tout le mon<strong>de</strong> était revenu <strong>de</strong> Ubon avec une bonne<br />
nouvelle : la fondation aura <strong>de</strong> l’eau potable à l’avenir.<br />
Dans l’après-midi, le père Auguste ramena avec lui les <strong>de</strong>ux parrains <strong>de</strong> pi<br />
Esso, <strong>de</strong> passage en Thaïlan<strong>de</strong> pour les vacances.<br />
Nous travaillâmes beaucoup sur l’ordinateur aujourd’hui. Vers 16h30, alors<br />
que nous partions pour le centre-ville, Sophie et Jérôme commençaient leur<br />
présentation <strong>de</strong> la France avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Claire pour la traduction, d’une carte et<br />
<strong>de</strong> quelques photos pour l’illustration.<br />
La sœur nous <strong>de</strong>manda si nous pouvions la raccompagner. Ce fut donc la<br />
première fois que nous conduisions une sœur, qui s’assit sur la moto comme<br />
l’aurait fait une lady anglaise sur un cheval ; nous étions mort <strong>de</strong> rire ! Tout se<br />
passa très bien et les gens dans la rue étaient très surpris, nécessairement.<br />
Nous retournâmes ensuite à la fondation. Tous les farang présents allaient<br />
manger <strong>de</strong>hors, sauf nous qui prétextâmes un travail urgent sur l’ordinateur, ce<br />
qui était vrai mais pas suffisamment pour refuser telle invitation ; nous<br />
voulions seulement être un peu tranquille.<br />
Nous nous rendîmes dans le centre, mangeâmes <strong>de</strong>s frittes à la galerie –<br />
nous tombâmes d’ailleurs sur un marchand qui parlait anglais – puis allâmes<br />
chercher nos vêtements à la laverie et, après un petit passage obligatoire au 7-<br />
11 pour l’approvisionnement en donuts et Pepsi, rentrâmes à Homehak.<br />
247
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Les farang revinrent à 23 heures environ et Alexandra nous annonça <strong>de</strong><br />
suite qu’ils étaient tombés en ra<strong>de</strong> sur la route et avaient dû faire appel au père<br />
Auguste pour les dépanner ! Un jour, Fidèle, nous te parlerons <strong>de</strong> notre<br />
malédiction et <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong> ses branches que nous n’expliquons pas nommée<br />
Prescience Passive.<br />
248
Farang<br />
2 3 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 8h05.<br />
Nous comptions dormir un peu plus mais les enfants crièrent sous notre<br />
fenêtre pour que nous leur ouvrions les portes du bâtiment ; pi Esso avait<br />
besoin d’aller dans la réserve.<br />
Hier, nous repoussâmes sans cesse l’écriture <strong>de</strong> ce carnet et finalement<br />
nous endormîmes-nous sans même y déposer une ligne. Voici donc le récit <strong>de</strong><br />
samedi.<br />
Nous nous réveillâmes à 7h10 et levâmes à 8 heures. En début <strong>de</strong> matinée,<br />
nous regardâmes les Scooters petit-déjeuner à la française (pain grillé,<br />
confiture, café…), ce qui nous donna envie <strong>de</strong> donuts. Nous allâmes en acheter<br />
au 7-11. Alexandra avait besoin <strong>de</strong> poster une lettre alors passâmes-nous par la<br />
Poste, puis par le marché où nous nous achetâmes <strong>de</strong>ux petits sacs (un pour<br />
nos notes, l’autre pour nos bahts), puis à la laverie, puis… nous crevâmes la<br />
roue arrière sur le chemin <strong>de</strong> la clinique où se trouvait nom Nout ! Nous la<br />
poussâmes donc jusques au premier workshop que nous vîmes, c’est-à-dire<br />
<strong>de</strong>vant la gare routière, mais ils ne semblèrent pas du tout se presser pour nous<br />
dépanner. Après un quart d’heure d’attente, nous prîmes la moto et la garâmes<br />
<strong>de</strong>vant le cybercafé. Avec Alexandra, nous marchâmes en direction <strong>de</strong> la<br />
clinique pensant y trouver encore Claire qui n’était pas loin. La sœur Nonlak<br />
était avec elle et en fin <strong>de</strong> compte elle nous trouva un workshop compétent et<br />
surtout rapi<strong>de</strong> à environ <strong>de</strong>ux cents mètres sur la gauche <strong>de</strong> la gare routière.<br />
Pendant qu’Alexandra allait voir nom Nout à pattes, nous attendîmes la<br />
moto. Il fallut changer la roue car elle était bien abîmée. Nous en eûmes pour<br />
220 bahts, moins les 110 qu’Alexandra nous avait avancés. Pour les Thaïs, c’est<br />
un peu cher mais si l’on divise par quarante-cinq, pour les Européens… Et<br />
puis fallait-il le faire !<br />
Nous rejoignîmes Alexandra à la clinique qui nous dit que nom Nout n’était<br />
plus dans sa chambre, ce qui nous inquiéta jusques à notre arrivée à la<br />
fondation où Claire nous rassura : on l’avait simplement changée <strong>de</strong> chambre.<br />
249<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 18h54.
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Décidément, notre retard s’accumule ; nous sommes déjà au village.<br />
Continuons notre récit d’hier… Hum ! Et bien non, il faut aller manger.<br />
Bon, cette fois c’est la bonne !<br />
19h39.<br />
L’après midi, nous restâmes à la fondation avec les enfants. Nous fîmes un<br />
football puis un volley et nous allâmes chercher dans les bois alentours <strong>de</strong>s<br />
fruits qu’ils appellent papayes (mais n’en sont pas…), <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong> graines<br />
noires en branches très âpres et dont notre palais garda un assez mauvais<br />
souvenir. Nous les observâmes donc et voilà leur technique : monter sur<br />
l’arbre, casser les branches et ramasser celles qui ont <strong>de</strong>s fruits ! C’était<br />
affligeant, il fallut nous excuser auprès <strong>de</strong> chaque arbre. Après un moment,<br />
nous leur expliquâmes que l’on pouvait cueillir <strong>de</strong>s fruits sans détruire ceux qui<br />
les produisaient. Ils ne comprirent pas grand’chose mais comment pouvionsnous,<br />
seul, changer une éducation <strong>de</strong> plusieurs années ?!<br />
Le père Auguste, Claire, Alexandra, les parrains <strong>de</strong> pi Esso et lui-même<br />
allèrent vers 16h30 à Kutchum, son ban natal. Quant à nous, nous restâmes à la<br />
fondation. Puisque tout le mon<strong>de</strong> était installé <strong>de</strong>vant un DVD, nous allâmes<br />
au 7-11 acheter <strong>de</strong> quoi nous faire un petit-déjeuner. Nous t’assurons, Fidèle,<br />
que cela nous avait manqué. Pour la première fois <strong>de</strong>puis notre départ, nous<br />
pûmes tremper une tartine dans du lait !<br />
Le soir, nous dûmes conduire Claire à la clinique car elle voulait dormir làbas.<br />
Nous revînmes doucement avec pi Yin car sa moto n’avait pas <strong>de</strong> phare et<br />
que nous éclairions pour <strong>de</strong>ux, avant <strong>de</strong> nous coucher vers 23 heures.<br />
Aujourd’hui, une femme travaillant au ministère <strong>de</strong> la santé et son mari<br />
instituteur déposèrent à la fondation comme un sac poubelle le frère <strong>de</strong> celle-ci<br />
qui avait le SIDA et dont elle ne voulait pas s’occuper. Elle dit clairement à pi<br />
Tiou : « Soit vous le prenez, il dormira par terre c’est pas mon problème, soit je<br />
le laisse au prochain arrêt <strong>de</strong> bus pour qu’il ait au moins un abris où se<br />
coucher. » Que veux-tu faire <strong>de</strong>vant tel cas, Fidèle ? Pi Tiou, qui a un grand<br />
cœur, le recueillit donc ; le père Auguste, quant à lui, quitta la conversation et<br />
nous avoua plus tard que s’il était resté, il serait rentré dans cette espèce <strong>de</strong><br />
déchet ministériel. Malgré cela, lorsque nous l’accompagnâmes acheter le<br />
250
Farang<br />
Bangkok Post, il ajouta dans la voiture qu’il croyait encore en l’Homme et qu’il<br />
ne comprenait pas notre vision <strong>de</strong>s choses à propos <strong>de</strong> Mère Nature, venant<br />
presque à la critiquer. Il ne la croyait pas palpable, ce sur quoi nous faillîmes lui<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r en quoi son dieu l’était davantage… Tel est le sujet <strong>de</strong> conversation<br />
qui nous divise (et pas <strong>de</strong>s moindres !) mais gentiment heureusement.<br />
Le reste <strong>de</strong> la journée n’eut pas gran<strong>de</strong> importance ; allons donc nous<br />
coucher car <strong>de</strong>main sera une longue journée.<br />
251
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 4 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 9h43.<br />
Pas si longue que cela en fin <strong>de</strong> compte ! Nous ne savions plus où nous<br />
avions mis notre planning et nous <strong>de</strong>mandâmes donc à un professeur d’anglais<br />
dont le nom nous échappe <strong>de</strong> nous le refaire. Nous avons désormais beaucoup<br />
moins d’heures ; on se croirait à la fac. Voici notre emploi du temps :<br />
Lundi 11h05 - 12h00 ; 13h40 - 15h30 ;<br />
Mardi 9h10 - 10h00 ; 12h50 - 14h30 ;<br />
Mercredi 12h50 - 13h40 ;<br />
Jeudi 10h15 - 11h05 ; 12h50 - 13h40.<br />
Ce n’est vraiment pas beaucoup et nous ne nous en plaindrons pas… Dans<br />
un mois, les gran<strong>de</strong>s vacances, soit six semaines <strong>de</strong> repos à consacrer à la<br />
fondation et nous reprendrons, sauf si…<br />
Nous écrivîmes une lettre à notre grand-père, ce matin. Pour 49 bahts, le<br />
postier nous dit qu’elle arriverait dans sept jours – avec les mentions Air Mail,<br />
Priority et Express accolées <strong>de</strong>ssus, tout <strong>de</strong> même ! Dans <strong>de</strong>ux semaines, nous<br />
pourrons donc nous attendre à une réponse. C’est si long…<br />
L’Occi<strong>de</strong>nt, les livres, la télévision et les informations nous manquent.<br />
Nous aimerions pouvoir sentir l’Europe, les o<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> la Sainte-Victoire, et<br />
repartir à nouveau. Nous ne croyons pas cependant que l’on puisse appeler<br />
cela <strong>de</strong> la nostalgie ; il nous faut juste <strong>de</strong>s pauses dans nos aventures. Nous ne<br />
sommes pas du tout un garçon sé<strong>de</strong>ntaire.<br />
Il est bientôt l’heure <strong>de</strong> dîner ; dépêchons-nous.<br />
18h05.<br />
Cet après-midi, nous n’eûmes que les prathom 5.1, puis les 5.2 à enseigner.<br />
Avec les premiers, nous fabriquâmes <strong>de</strong>s équipes et jouâmes à une sorte <strong>de</strong><br />
Questions pour un champion en anglais, histoire <strong>de</strong> rendre le cours un peu<br />
plus sanuk. Cela fonctionna plutôt bien et ils semblèrent apprécier. Nous<br />
n’aimons pas vraiment les compétitions mais nous croyons que le système<br />
instauré à Poudlard fonctionne plutôt bien… Pourquoi ne pas en faire autant<br />
252
Farang<br />
ici !? Après tout, ce ne sont que <strong>de</strong>s enfants et les enfants aiment se comparer ;<br />
laissons-les donc faire !<br />
Avec les prathom 5.2, le professeur Loomarin nous <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> travailler un<br />
sujet bien précis et nous ne pûmes donc pas renouveler l’expérience.<br />
Après le cours, nous fîmes un tour <strong>de</strong> moto pendant environ <strong>de</strong>ux heures.<br />
Nous parlâmes – communiquâmes serait plus juste – avec un paysan à propos<br />
<strong>de</strong> ses champs mais il ne voulut hélas pas figurer sur l’un <strong>de</strong> nos clichés, qui<br />
étaient flous d’ailleurs.<br />
Sur un chemin <strong>de</strong> forêt trop étroit, un homme en moto qui arrivait en face<br />
dut brusquement tourner pour éviter <strong>de</strong> nous percuter. Comme c’était du<br />
sable, il se retrouva dans le décor boisé ; bien fait pour lui, il n’avait qu’à rouler<br />
du bon côté et surtout moins vite. Nous nous assurâmes qu’il pouvait repartir<br />
d’un coup d’œil et continuâmes sans nous arrêter. Encore un qui ira mettre<br />
tout le malheur du mon<strong>de</strong> sur les Occi<strong>de</strong>ntaux !<br />
De retour à la maison <strong>de</strong>s pères, nous prîmes une douche et nous mîmes à<br />
la rédaction <strong>de</strong> ce présent carnet.<br />
Beaucoup <strong>de</strong> questionnements fusent dans notre tête en ce moment,<br />
toujours les mêmes d’ailleurs. Les réponses mettent tellement <strong>de</strong> temps à<br />
venir… Bon, allons dîner ; le père nous appelle et le tonnerre gron<strong>de</strong>.<br />
19h17.<br />
Les sœurs et le père Otto en visite chez le père <strong>de</strong> la sœur Jiou, nous<br />
soupâmes donc seul avec le père Somlong. Nous parlâmes <strong>de</strong> nos goûts<br />
culinaires. La conversation se faisant, nous lui expliquâmes notre point <strong>de</strong> vue<br />
sur l’anglais utile comme langue <strong>de</strong> communication seulement et il nous<br />
approuva. Nous parlâmes <strong>de</strong> la Chine aussi, très présente dans la vie thaïe<br />
comme dans toute la vie sud-asiatique. Bref, nous mîmes quand même trois<br />
quarts d’heure !<br />
La fatigue s’accroche à nos paupières ; au lit !<br />
253
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 5 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 7h50.<br />
En fin <strong>de</strong> compte, hier soir, nous ne nous endormîmes que vers 23 heures.<br />
À chaque fois que le sommeil approchait, une nouvelle idée nous venait et<br />
nous <strong>de</strong>vions l’écrire avant <strong>de</strong> la perdre. Nous aurons beaucoup <strong>de</strong> temps libre<br />
dans les semaines qui viennent pour lire lorsque nous recevrons Le Seigneur<br />
<strong>de</strong>s Anneaux que MJD 1 nous envoya <strong>de</strong> France mais aussi et surtout pour<br />
imaginer et réfléchir à notre évolution. C’est assez excitant, avouons-le !<br />
Dans un peu plus d’une heure, avec les prathom 6.1, nous pourrons chanter.<br />
20h29.<br />
Peu <strong>de</strong> choses à écrire ce soir. Nos élèves chantèrent plutôt bien ce matin et<br />
après le cours, puisque nous étions libre <strong>de</strong>ux heures, nous allâmes à ban<br />
Kutchum nous acheter gâteaux et jus <strong>de</strong> fruits que nous dégustâmes au bord<br />
d’un lac avec vue sur temple.<br />
Cet après-midi, les matayom 1 apprécièrent notre petit jeu par équipe, nous<br />
les sentîmes stimulés. Nous passâmes ensuite tout notre temps libre à flâner <strong>de</strong><br />
rêverie en rêverie.<br />
Allons nous coucher car, à notre avis, nous ne nous endormirons pas avant<br />
<strong>de</strong>ux ou trois heures.<br />
1 . MJD est la mère <strong>de</strong> notre marraine. Notre mère travaillant beaucoup pour nous bien élever<br />
durant notre enfance, elle participa avec son époux, Gérard, à notre éducation. De fait la<br />
considérons-nous <strong>de</strong>puis toujours comme notre secon<strong>de</strong> maman.<br />
254
Farang<br />
2 6 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 8h52.<br />
C’est au son <strong>de</strong> la musique <strong>de</strong> l’orchestre <strong>de</strong> l’école qui nous rappelle la<br />
Shinra Corp. que nous rédigeons ce carnet.<br />
Vendredi prochain, il y aura une para<strong>de</strong> à ban Kutchum. Nous aimerions<br />
beaucoup y assister mais nous <strong>de</strong>vrons nous rendre à la fondation, jeudi ; quel<br />
dommage !<br />
Les sœurs nous gâtent beaucoup. Ce matin pour le petit-déjeuner, nous<br />
avions du pain <strong>de</strong> mie coupé en tranches, du pain au raisin, ces beignets que<br />
nous aimons tant, <strong>de</strong>s œufs, <strong>de</strong> la confiture, du Fanta et <strong>de</strong> la pastèque. Quant<br />
au père Somlong, il alla nous acheter tout un tas <strong>de</strong> gourmandises pour nos<br />
heures <strong>de</strong> break. Tel est le parfait régime que nous nous accordons pour<br />
<strong>de</strong>venir sumo…<br />
La sœur principale Somjai nous <strong>de</strong>manda si nous voulions rester ici après<br />
les examens <strong>de</strong> fin d’année. Honnêtement, nous ne savons même pas si nous<br />
serons encore en Thaïlan<strong>de</strong> mais nous lui dîmes qu’il fallait que nous soyons<br />
présent pour les enfants <strong>de</strong> la fondation pendant les vacances.<br />
Nous avons notre matinée <strong>de</strong> libre. Profitons-en pour nous reposer et<br />
rêver.<br />
18h06.<br />
Nous nous endormîmes <strong>de</strong>vant notre cahier d’écriture ce matin et nous<br />
réveillâmes juste à temps pour aller tenir la caisse du snack <strong>de</strong> l’école. Après<br />
dîner, nous donnâmes un cours aux prathom 6.1, toujours basé sur le jeu.<br />
Ensuite, nous ne perdîmes pas une minute pour aller chercher nos effets et<br />
<strong>de</strong> quoi goûter, puis nous prévînmes le père Otto et partîmes nous promener<br />
en moto ; et quelle promena<strong>de</strong> !! Nous marchâmes pendant un peu plus <strong>de</strong><br />
quatre heures dans la colline – et quelque soit le dieu ici, il sait que trouver une<br />
colline relève presque du miracle dans l’Issan !<br />
La route était en fait une large piste <strong>de</strong> terre rouge et les paysages étaient<br />
grandioses. Les farang <strong>de</strong>vaient se faire extrêmement rares dans les ban où nous<br />
passâmes car tous et toutes faisaient <strong>de</strong> grands sourires à notre passage. Tu ne<br />
255
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
peux imaginer, Fidèle, comme il est agréable <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s gens si ouverts !<br />
Notre seule inquiétu<strong>de</strong> était <strong>de</strong> tomber en panne d’essence mais, ne faisant<br />
jamais <strong>de</strong>mi-tour, nous continuâmes en comptant sur l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre Bonne<br />
Étoile que nous ne pourrons jamais assez remercier pour tout ce qu’elle fit déjà<br />
pour nous. Même au terme <strong>de</strong> notre évolution, elle restera une alliée <strong>de</strong> poids<br />
et une amie chère à notre cœur (instant cucu).<br />
Nous trouvâmes donc bien une station, dans un endroit où l’on s’étonne<br />
en général d’en voir une ; plus rien ne nous étonne <strong>de</strong>puis longtemps cela dit.<br />
Pour 42 bahts, nous pûmes faire le plein et apprendre qu’il n’était que 16<br />
heures et que nous trouverions où dormir plus loin. C’était gentil <strong>de</strong> la part <strong>de</strong><br />
la pompiste <strong>de</strong> nous l’indiquer même si nous n’en avions pas besoin. Nous<br />
continuâmes donc notre route vers nous ne savions où, tout droit.<br />
Enfin arrivâmes-nous à Nong Phok, un ban assez grand avec temple, école<br />
et route goudronnée. Il se faisait tard et ne voulant pas trop inquiéter les sœurs,<br />
nous décidâmes <strong>de</strong> rentrer. Notre sens <strong>de</strong> l’orientation nous indiqua <strong>de</strong><br />
prendre à droite. Quelques minutes plus tard, nous tombâmes sur la route du<br />
Phanum Vit Temple, ce qui confirmait que nous étions sur la bonne voie.<br />
Nous essayâmes <strong>de</strong> nous dépêcher, essayant au maximum d’éviter les trous sur<br />
la route. Elle était vraiment longue, nous ne nous en étions pas rendu compte<br />
par la piste. Nous nous arrêtâmes au bord pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à une femme qui<br />
poussait sa charrette si ban Kutchum était encore loin ; elle nous indiqua tout<br />
droit et, en effet, dix minutes plus tard, nous étions à la maison <strong>de</strong>s pères.<br />
Nous passâmes un excellent après-midi et aimerions renouveler<br />
l’expérience plus tard, toute une journée, voire plus.<br />
Nous arrivâmes dans notre chambre à 17h30 à peine, juste à temps pour<br />
prendre une douche et aller manger. D’ailleurs, c’est l’heure !<br />
19h41.<br />
Ce que nous vécûmes ce soir, peu <strong>de</strong> gens le peuvent vivre. As-tu déjà<br />
entendu trois sœurs avoir un fou rire sur un sujet aussi idiot (comme pour tous<br />
les fous rires) que les pets ? Et bien est-ce chose intéressante, laisse-nous te<br />
l’assurer ! Cela changerait radicalement l’idée que n’importe quel Occi<strong>de</strong>ntal se<br />
fait d’un repas chez <strong>de</strong>s sœurs catholiques. Elles avaient acheté toutes sortes <strong>de</strong><br />
256
Farang<br />
soupes et le sujet vint <strong>de</strong> lui-même. Nous t’épargnerons les détails mais nous<br />
nous marrâmes bien nous aussi !<br />
Demain, nous n’aurons que <strong>de</strong>ux heures <strong>de</strong> cours mais aimerions nous<br />
coucher tôt ; cela fait longtemps que nous n’avons pas rêvé.<br />
257
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 7 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 22h03.<br />
Nous ne réussîmes pas à dormir cette nuit alors en profitâmes-nous pour<br />
écrire <strong>de</strong>s lettres à un peu tout le mon<strong>de</strong>.<br />
Ce matin, pendant le petit-déjeuner, la sœur principale Somjai nous<br />
<strong>de</strong>manda si cela nous intéressait d’assister à la para<strong>de</strong> <strong>de</strong> fin d’année. Nous lui<br />
dîmes que nous rentrerions à la fondation après l’école et reviendrions tôt<br />
<strong>de</strong>main dans la matinée. Elle semblait plutôt satisfaite.<br />
Vers 9 heures, nous lui <strong>de</strong>mandâmes si finalement nous ne pouvions pas<br />
rentrer à Yaso pour faire les choses que nous ne pouvions faire le len<strong>de</strong>main et<br />
elle accepta <strong>de</strong> bon cœur, même si cela nous faisait manquer <strong>de</strong>ux heures <strong>de</strong><br />
cours.<br />
Nous y arrivâmes vers 10h30, dans une fondation étrangement silencieuse<br />
où il n’y avait plus d’eau. Nous allâmes avec pi Yin et Alexandra à la mairie<br />
pour en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r et une citerne nous fut promise. Nous préparâmes donc<br />
tout ce que nous pûmes pour la contenir (jarres, cuves, etc.). Le remplissage se<br />
transforma rapi<strong>de</strong>ment en jeu pour le staff et les enfants présents.<br />
Nom Nout est à Surin. Il est tard, la journée fut longue ; allons nous<br />
coucher.<br />
258
Farang<br />
2 8 f é v r i e r 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Beaucoup d’événements exceptionnels se produisirent aujourd’hui.<br />
Tout d’abord, la para<strong>de</strong> à ban Kutchum fut un vrai succès. Nous n’irons pas<br />
jusques à dire que nous nous y amusâmes beaucoup mais c’était sympa à voir.<br />
Nous nous levâmes tôt et ralliâmes l’école en moto, comme d’habitu<strong>de</strong>.<br />
Ban Kutchum avait à notre arrivée <strong>de</strong>s décorations pour l’occasion. Nous<br />
allâmes déposer nos effets à l’école et joignîmes les enfants dans la cour qui se<br />
préparaient à monter dans leur bus pour aller para<strong>de</strong>r, ban Song Yae ayant son<br />
propre orchestre – très improvisé, avouons-le, mais l’ensemble rendait assez<br />
bien toutefois.<br />
Nous suivîmes le convoi en moto jusques à ban Kutchum, jouant avec les<br />
enfants dans le bus en dépassant celui-ci sur la route et en nous laissant<br />
<strong>de</strong>vancer <strong>de</strong> temps en temps pour laisser leur spontanéité s’exprimer sur la<br />
vitre arrière…<br />
Une fois à ban Kutchum, nous nous installâmes sur le bord <strong>de</strong> la route et<br />
chaque élève prit sa place sur celle-ci, attendant plus ou moins sagement les<br />
autres orchestres <strong>de</strong> chaque école programmée.<br />
À leur arrivée, nous laissâmes la moto près d’une boutique et marchâmes<br />
sur le côté, n’osant pas trop nous placer <strong>de</strong>vant pour prendre <strong>de</strong>s photos. Le<br />
père Somlong, quant à lui, ne semblait pas indisposé et s’en donnait à cœurjoie.<br />
Finalement, nous continuâmes avec lui, achetâmes à manger et à boire<br />
pour les enfants pendant que la para<strong>de</strong> rejoignait le terrain <strong>de</strong> sport où eut lieu<br />
la cérémonie finale en présence <strong>de</strong> hauts représentants du gouvernement et<br />
d’autres.<br />
Nous quittâmes le père pour reprendre la moto et les retrouvâmes là-bas.<br />
Le spectacle était vraiment sympa. Il nous fit penser aux para<strong>de</strong>s du 4 juillet,<br />
telles que nous les imaginions, dans les petites villes américaines ; les Thaïs<br />
sont également très versés dans le show.<br />
Après cela, nous raccompagnâmes tout le mon<strong>de</strong> à l’école, fîmes le plein <strong>de</strong><br />
la moto au village car nous avions envie d’aller nous promener avant <strong>de</strong> rentrer<br />
à la fondation. Finalement, nous tirâmes jusques à Amnat Charoen, assez loin<br />
259
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
somme toute. Nous ne nous y attendions vraiment pas, surtout par les petits<br />
chemins dans les champs que nous empruntâmes. Pour marquer le coup là-bas,<br />
nous achetâmes le journal et passâmes au 7-11 prendre trois kilos.<br />
Nous arrivâmes à la fondation en fin <strong>de</strong> journée, et là ce fut le drame.<br />
Claire nous annonça que nous avions une note <strong>de</strong> téléphone faramineuse à<br />
cause <strong>de</strong> l’Internet. Avec Alexandra, nous avions choisi un mauvais numéro en<br />
le paramétrant. Au lieu <strong>de</strong> celui du nord-est, nous avions choisi celui du nord –<br />
quelques kilomètres à côté dirons-nous… Alors qu’elle était complètement<br />
paniquée parce que cela entamait sérieusement son budget, nous prîmes la<br />
nouvelle <strong>de</strong> la plus banale <strong>de</strong>s manières, comme à notre habitu<strong>de</strong>. Une mer<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> plus quoi…<br />
Nous envoyâmes un courriel à notre mère qui pourra peut-être nous ai<strong>de</strong>r<br />
mais nous en doutons fort, ayant quand même quelques milliers <strong>de</strong> bahts à<br />
payer !!<br />
260
Farang<br />
1 e r m a r s 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Aujourd’hui, nous reçûmes sa réponse et, sans surprise, elle ne put nous<br />
fournir une réponse positive. « Seigneur, viens-nous en ai<strong>de</strong> ! », dirait le père<br />
Auguste qui nous apporta sa profession <strong>de</strong> foi ; nous lui répondrons sous peu<br />
d’ailleurs. Nous parlâmes avec la sœur Nonlak aussi, qui apprécia autant que<br />
nous cette discussion.<br />
Autrement, il ne se passa rien d’extraordinaire. Nous fîmes quelques<br />
courses en ville pour la fondation et commençâmes la construction d’un parc<br />
pour les chiens, selon les souhaits <strong>de</strong> la sœur qui trouvait que ce n’était pas<br />
propre <strong>de</strong> les laisser en liberté avec les enfants.<br />
Notre grand-père nous envoya enfin un mandat-carte <strong>de</strong> 100 euros ;<br />
méfiant, nous irons toutefois le retirer par besoin ! Nous dîmes à la sœur que<br />
nous avions décidé <strong>de</strong> quitter la Thaïlan<strong>de</strong> une fois la facture Internet<br />
remboursée et après avoir réuni suffisamment d’argent. Nous ajoutâmes que<br />
cela prendrait sans doute quelques mois ; c’est que nous venons du Su<strong>de</strong>uh,<br />
hein, douceuhment !<br />
261
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 m a r s 2 0 0 3<br />
Encore une fois, nous ne détaillerons pas.<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 18h04.<br />
Nous allâmes à la messe ce matin. Avec Claire, nous parlâmes ensuite au<br />
père Auguste un moment puis passâmes le reste <strong>de</strong> la matinée et le début <strong>de</strong><br />
l’après-midi sur le parc <strong>de</strong>s chiens. C’est fou ce qu’une chose si simple peut être<br />
si chiante… Claire, <strong>de</strong> son côté, fit faire aux enfants <strong>de</strong>s gâteaux sablés ; nous<br />
n’eûmes pas le temps <strong>de</strong> les goûter puisque nous partîmes avant pour ban Song<br />
Yae.<br />
Nous laissâmes selon les souhaits <strong>de</strong> la sœur le clef <strong>de</strong> notre chambre à<br />
Claire au cas où quelqu’un d’extérieur à Homehak en avait besoin. Nous<br />
n’aimons pas beaucoup l’idée que l’on fouille dans nos effets mais bon, c’est<br />
l’Asie et les gens semblent honnêtes ici… Nous sommes actuellement chez le<br />
père Somlong, sur notre lit et dans une heure nous mangerons. S’il ne se passe<br />
rien d’extraordinaire d’ici <strong>de</strong>main, nous n’ajouterons rien <strong>de</strong> plus après ce<br />
point.<br />
262
Farang<br />
3 m a r s 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 21h02.<br />
Ce matin, nous avions trois heures libres et dormîmes après le petitdéjeuner.<br />
Ensuite, nous donnâmes un cours au prathom 6.1 sur les mon<strong>de</strong>s<br />
enchantés. Nous leur enseignâmes une vingtaine <strong>de</strong> mots adaptés et leur<br />
<strong>de</strong>mandâmes d’en faire une courte histoire pour mercredi (<strong>de</strong>ux ou trois<br />
phrases minimum).<br />
En pério<strong>de</strong> 4, après un excellent repas comme toujours chez les sœurs<br />
(nous prenons du poids, c’est affligeant !!), nous <strong>de</strong>mandâmes à la sœur<br />
principale Somjai <strong>de</strong> nous enseigner les consonnes thaïes car nous voulions<br />
essayer <strong>de</strong> lire et d’écrire cette langue, au moins pour nous situer quand nous<br />
nous perdions en moto… Après une heure, nous comprîmes que nos chances<br />
d’y parvenir étaient bien minces.<br />
Avec les prathom 5.1 et 5.2, nous travaillâmes la même chose qu’avec les 6.1<br />
le matin. Eux auront cependant une semaine complète pour écrire leur<br />
histoire ; nous ne doutons pas que le résultat sera entre pathétique et<br />
déplorable mais bon, nous nous en foutons en fait, l’important étant <strong>de</strong> passer<br />
<strong>de</strong> bons moments ensemble, sans se prendre la tête, et <strong>de</strong> privilégier le contact<br />
et la communication, quels qu’en soient les chemins.<br />
Après les cours et une conversation courte mais sympathique avec le<br />
professeur Loomarin, nous allâmes faire un tour <strong>de</strong> moto. Nous voulions<br />
trouver Sim Cave et prîmes la direction <strong>de</strong> ban Nongkae sans même nous y<br />
arrêter. En gros, nous nous perdîmes <strong>de</strong> nouveau mais au moins vîmes-nous<br />
une belle colline.<br />
Malgré l’inclinaison plus que folle du chemin après les champs, nous nous y<br />
aventurâmes avec la moto qui survécut. En haut <strong>de</strong> ce chemin, nous<br />
rencontrâmes plusieurs bonzes assis sur un salat ; ils étaient en train <strong>de</strong> parler,<br />
<strong>de</strong> fumer et <strong>de</strong> boire <strong>de</strong>s bières. Ils furent surpris <strong>de</strong> nous voir débarquer ainsi,<br />
tel le touriste complètement paumé que nous semblions être.<br />
L’un d’entre eux vint cependant à notre rencontre et nous <strong>de</strong>manda où<br />
nous espérions aller comme cela et d’où nous venions. Nous lui répondîmes<br />
comme nous le pouvions que nous enseignions l’anglais à ban Song Yae et que<br />
263
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
nous souhaitions trouver Sim Cave. Il nous indiqua gentiment qu’il fallait<br />
retourner à ban Nongkae et… chercher par là car nous ne comprîmes pas la<br />
suite.<br />
En partant, alors que nous les remerciions, il nous <strong>de</strong>manda d’attendre un<br />
moment avant <strong>de</strong> revenir nous donner une bière pour la route.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Bonne idée, gars !<br />
Nous laissâmes glisser la moto jusques en bas et continuâmes notre chemin<br />
pour arriver finalement sur la gran<strong>de</strong> route qui menait à ban Nong Phok (sans<br />
passer par Sim Cave toujours).<br />
Un peu déçu quand même, nous rentrâmes à l’école, prîmes une douche et<br />
allâmes manger avec les sœurs Jiou et Supreyakhon seulement car la sœur<br />
principale Somjai était partie à Yaso consulter un mé<strong>de</strong>cin pour son œil et le<br />
père Somlong à Ubon pour nous ne savions quoi. Quant au père Otto, nous ne<br />
le vîmes pas <strong>de</strong>puis notre arrivée.<br />
Après le repas, les <strong>de</strong>ux sœurs vinrent installer une moustiquaire sur notre<br />
lit. Nous dûmes hélas l’enlever il y a quelques minutes car nous avions trop<br />
chaud <strong>de</strong>ssous. Par ailleurs, nous nous rendîmes compte qu’elle était percée…<br />
Allons nous coucher ; il est tard pour l’Issan et nous sommes réellement<br />
fatigué.<br />
264
La journée fut chargée.<br />
Farang<br />
4 m a r s 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 19h02.<br />
Ce matin, après le petit-déjeuner, nous continuâmes notre nuit pendant une<br />
heure avant <strong>de</strong> tester les prathom 6.1 sur la compréhension d’un texte. Nous<br />
nous aperçûmes qu’ils ne savent en fait pas parler anglais… Nous leur posâmes<br />
<strong>de</strong>s questions simples relatives au texte et même avec le livre sous les yeux, ils<br />
ne surent que très peu répondre. Alors leur <strong>de</strong>mandâmes-nous <strong>de</strong>puis combien<br />
<strong>de</strong> temps ils apprenaient l’anglais : dix ans ! Lorsque nous leur dîmes qu’en<br />
France nous n’en faisions que sept (collège et lycée), parfois seulement cinq, ils<br />
furent très surpris. Nous espérons que cela les motivera un peu à l’avenir mais,<br />
en même temps, nous venons d’une culture tellement différente, comment<br />
comparer ? Nous aurions sans doute autant <strong>de</strong> mal à apprendre le chinois, le<br />
thaï déjà… Bref, nous verrons <strong>de</strong>main avec l’histoire sur les mon<strong>de</strong>s enchantés<br />
que nous leur <strong>de</strong>mandâmes d’écrire (s’ils le font, évi<strong>de</strong>mment, ce qui nous<br />
étonnerait beaucoup). Dommage que l’année se termine vendredi.<br />
Après ce cours, étant libre, nous allâmes avec la moto essayer <strong>de</strong> retrouver<br />
la rivière sur laquelle nous étions passé à <strong>de</strong>ux reprises vendredi <strong>de</strong>rnier pour<br />
nous rendre à Amnat Charoen. Nous nous perdîmes, encore, évi<strong>de</strong>mment !<br />
Comme lot <strong>de</strong> consolation, nous obtînmes la photo d’une belle vache – avec sa<br />
cloche et tout et tout, quand même !<br />
Nous revînmes pour le déjeuner, juste à temps pour y manger un succulent<br />
khao pat que la sœur principale Somjai était en train <strong>de</strong> spécialement nous<br />
préparé, sachant qu’il était notre plat préféré.<br />
En pério<strong>de</strong> 5, avec les matayom 1, nous fîmes à nouveau un cours sur les<br />
mon<strong>de</strong>s enchantés ; il fallait bien leur ouvrir <strong>de</strong> nouveaux horizons à ces petits<br />
diables… Eux n’auront pas d’histoire à écrire en revanche, puisque nous ne les<br />
voyons qu’une fois par semaine, que la prochaine il y aura les évaluations et la<br />
suivante les gran<strong>de</strong>s vacances. Nous pensons que ce cours aurait pu être très<br />
intéressant, voire sanuk s’ils y avaient mis un peu du leur, mais hélas seules les<br />
filles <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux premiers rangs l’écoutèrent-elles. En même temps, rien n’est<br />
simple ; le fait que nous soyons un garçon farang n’arrange pas les choses, nous<br />
n’avons dans l’absolu que l’autorité que l’on confère à un ami.<br />
265
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Pour nous changer les idées, nous repartîmes explorer avec la moto du père<br />
Auguste, mais cette fois, nous la trouvâmes cette foutue rivière ! Pour<br />
approcher un coin où se baigner dans cette région, il faut beaucoup chercher…<br />
Après donc <strong>de</strong> nombreuses tentatives ici et là, nous trouvâmes non seulement<br />
comment nous rendre près d’elle, mais également l’endroit où les jeunes du<br />
coin venaient pour se baigner. Heu… non… mauvaise idée ; nous allions<br />
t’écrire, Fidèle, comment t’y rendre, mais chacun sa mer<strong>de</strong> !<br />
À notre arrivée, ils étaient une dizaine dans une eau vert émerau<strong>de</strong>, au<br />
sommet d’un barrage. Nous ne voulions pas nous incruster mais osâmes<br />
finalement une approche en plongeant comme si c’était habituel chez nous <strong>de</strong><br />
venir là. Tout se passa bien, nous fîmes un peu connaissance et pûmes surtout<br />
nous détendre un maximum ; cela faisait tellement longtemps que nous<br />
voulions nous baigner ! Nous repartîmes à 16 heures pétantes, sous une pluie<br />
<strong>de</strong> « Bye bye! » venant <strong>de</strong> la rivière.<br />
Pour le retour, nous manquâmes la bonne route (évi<strong>de</strong>mment !), ce qui<br />
nous fit faire un large détour pour rien. Une fois à l’école, nous prîmes une<br />
douche et <strong>de</strong>mandâmes à la sœur principale Somjai si nous pouvions utiliser<br />
son téléphone pour appeler Eak à Ubon, car son mail ne fonctionnait pas<br />
dimanche.<br />
Enfin, les sœurs et nous-même dînâmes à 16h45. La sœur principale<br />
Somjai aimerait que nous revenions enseigner à la rentrée prochaine. Nous lui<br />
promîmes que ce serait le cas si nous étions encore en Thaïlan<strong>de</strong>. Elle ajouta<br />
que nous aurons une surprise <strong>de</strong>main.<br />
Dormons alors, elle viendra plus vite.<br />
266
Farang<br />
5 m a r s 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 11h20.<br />
Comme la semaine <strong>de</strong>rnière, nous eûmes la matinée libre. Nous décidâmes<br />
donc d’aller affiner notre itinéraire vers la rivière à 8h30 et ne nous égarâmes<br />
pas une seule fois ; ô joie ! Il fallut environ quarante minutes sans nous presser<br />
pour atteindre notre endroit. Nous ne nous baignâmes pas cette fois-ci car<br />
nous n’avions plus qu’un pantacourt et que nous <strong>de</strong>vions enseigner l’aprèsmidi.<br />
Pour le retour, après avoir fait le plein à une station service <strong>de</strong> ban<br />
Namkam, nous prîmes une autre route, plus panoramique que la première. Il<br />
nous fallut, tranquillement, environ une heure pour revenir à ban Song Yae. La<br />
route en terre rouge nous semblait longue alors <strong>de</strong>mandâmes-nous <strong>de</strong>ux ou<br />
trois fois où se trouvait ban Kutchum à <strong>de</strong>s passants bienveillants. En fait, il<br />
suffisait d’aller tout droit, <strong>de</strong> suivre les buffles et d’être patient.<br />
Une fois à l’école, nous allâmes trouver le professeur Best pour qu’il nous<br />
donne le nom <strong>de</strong> la rivière. Le père Otto avait suggéré Leum Séï Baï et le<br />
professeur Ruktanee le confirma avec notre plan sommaire.<br />
Nous passâmes franchement une bonne matinée !!<br />
18h05.<br />
Ce midi, avant le repas, nous tînmes comme d’habitu<strong>de</strong> la caisse du snack<br />
<strong>de</strong> l’école. Vers 12h40, nous allâmes manger avec la sœur principale Somjai en<br />
nous dépêchant car nous avions un cours avec les prathom 6.1, le seul <strong>de</strong> notre<br />
journée d’ailleurs.<br />
Comme nous le pensions, personne n’avait écrit la petite histoire que nous<br />
leur avions commandée lundi, exceptées <strong>de</strong>ux élèves (Tassaneeya et une autre<br />
fille à-côté d’elle dont le surnom nous échappe). C’était pourtant simple<br />
comme exercice : « My name is Tassaneeya, I am a girl. I don’t like dragons and<br />
my element is water. » Ce n’est pas tout à fait une histoire sur les mon<strong>de</strong>s<br />
enchantés, mais elle nous montra au moins qu’elle comprenait les mots et<br />
qu’elle pouvait communiquer en anglais.<br />
Nous leur lûmes ensuite l’histoire que nous avions écrite spécialement pour<br />
267
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
eux – nous bossons un peu quand même, cela nous arrive… – et pour laquelle<br />
nous nous étions réveillé vers 1 ou 2 heures ; nous ne choisissons pas nos<br />
moments d’inspiration par contre !<br />
« Once upon a time, there was a little boy named Corwin. His mother was<br />
a famous witch, as well as his grandmother. They lived in a big forest on an<br />
Island called Gaia, in the Northwest of France. People cannot see this island<br />
on a map because Gaia is an enchanted Land.<br />
« At the age of six, Corwin received for his birthday his first magic wand<br />
because his mother wanted him to become a famous sorcerer. But after five<br />
years, Corwin still did not know how to use his magic wand. So, one day, he<br />
asked Marie, the Fairy of the Lake, to help him. The little creature gave him a<br />
prophecy:<br />
« – You will be a famous sorcerer, little boy, but you must find the dragon<br />
of the White Mountains, in the North.<br />
« She also taught him, for being a good boy, the Element of Water.<br />
« It was a very long trip, about thirty-three days by walk. On the way,<br />
Corwin met Dum, a nice dwarf who taught him the Element of Soil. At the<br />
top of the White Mountains, un<strong>de</strong>r the snow, he finally saw the dragon who<br />
offered him one wish:<br />
« – I want to become a famous sorcerer, said Corwin.<br />
« But the dragon answered him:<br />
« – I can’t help you, little boy; Princess Nolwenn can. You should go and<br />
see her now but before, to thank you for visiting me, I will teach you the<br />
Element of Fire.<br />
« Then, Corwin had to go to the Royal Castle who lived Princess Nolwenn.<br />
On the way, he helped a very old woman to carry her bundle of sticks to her<br />
hut. To thank him, because she was a witch, she prepared a potion on her<br />
cauldron and he drank it. After a moment she said:<br />
« – Now, little boy, you can master the Element of Wind.<br />
« Twenty days later the White Mountains, Corwin arrived to Nolwenn’s<br />
Castle. He told her:<br />
268
Farang<br />
« – Princess, the dragon of the White Mountains told me that you could<br />
make me a famous sorcerer.<br />
« The Princess answered him:<br />
« – No, I can’t Corwin. I can’t because you are still a famous sorcerer!<br />
Don’t you un<strong>de</strong>rstand that, during your long trip, you have learnt more than I<br />
can teach? You are not a little boy anymore; you are a sorcerer who can master<br />
Water, Fire, Wind and Soil. You don’t need my help.<br />
« Since this Time, Corwin has been the personal sorcerer of Nolwenn. He<br />
has done many things in the Kingdom that ma<strong>de</strong> him famous all around Gaia.<br />
« This is the end of Corwin’s story. Maybe you think it’s fantasy, just a fairy<br />
tale, but I can say this story is true and that in the future, you will un<strong>de</strong>rstand<br />
it… »<br />
Ils ne la comprirent pas dans un premier temps et il nous fallut la leur<br />
<strong>de</strong>ssiner au tableau noir <strong>de</strong> notre horrible coup <strong>de</strong> craie. Malgré tout,<br />
Tassaneeya et quelques autres finirent par l’assimiler ; c’est donc qu’elle n’était<br />
pas trop compliquée.<br />
19h40.<br />
Nous dûmes aller manger dans l’urgence ; ce soir, il y avait une sorte <strong>de</strong><br />
messe spéciale à l’église. Le père Somlong nous parla d’un jour <strong>de</strong> sacrifice,<br />
d’onction et <strong>de</strong>… Va savoir, Fidèle… Le folklore <strong>de</strong>s religions monothéistes ne<br />
rend indifférent.<br />
Où en étions-nous ?<br />
À la fin du cours, nous leur souhaitâmes bonne chance à tous pour leurs<br />
examens <strong>de</strong> fin d’année qui aura lieu la semaine prochaine et partîmes dans le<br />
bureau <strong>de</strong> la sœur principale Somjai pour y rédiger notre histoire sur<br />
l’ordinateur.<br />
À 15h15, le père Somlong vînt nous chercher dans notre chambre car la<br />
sœur principale Somjai <strong>de</strong>mandait à nous voir. Ils nous amenèrent dans le<br />
grand hall pour nous faire découvrir notre surprise. Tous nos élèves étaient<br />
présents (les prathom 5.1, 5.2, 6.1, 6.2 et les matayom 1) dans un uniforme<br />
269
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
i<strong>de</strong>ntique, impeccable, tout spécialement pour nous, qui nous rendîmes <strong>de</strong>vant<br />
eux, au bout <strong>de</strong> l’allée, le père à nos côtés, la sœur <strong>de</strong>rrière, tel un cérémonial –<br />
cela en avait tout l’air. Nous nous retournâmes, les élèves se levèrent et nous<br />
souhaitèrent d’une voix travaillée un : « Good Afternoon, Nicholat! », ce sur<br />
quoi nous enchaînâmes un traditionnel : « Good Afternoon children! Sit down<br />
please! » (« Thank you, teacher! »)<br />
Tassaneeya et une secon<strong>de</strong> fille s’approchèrent ensuite, l’une tenant un<br />
présent et l’autre un message. C’est Tassaneeya qui nous lut ceci :<br />
« Dear Nicolas,<br />
« A month that you come here. You give many thing for us. Thank you for<br />
everything that you ma<strong>de</strong> for Songyaethippaya School. We have very proud<br />
and very happy that you come here. Because we have teacher who is the<br />
foreigner teach us.<br />
« Today you will go from here we may not see you again but we hope you<br />
think of us and we will think of you too. Thank you. Thank you for<br />
everything.<br />
« God best you. Stu<strong>de</strong>nt’s Songyaethippaya School »<br />
Nous ne saurons te confier que nous ne ressentîmes jamais plus <strong>de</strong> fierté,<br />
<strong>de</strong> reconnaissance et <strong>de</strong> joie dans notre vie passée qu’à la lecture <strong>de</strong> ce texte<br />
simple bourré <strong>de</strong> fautes. Nous, éternel blasé, en avions la larme à l’œil !<br />
L’autre fille nous remit un présent, une jolie maison en verre avec une<br />
tisseuse thaïe à l’ouvrage sur son tisonnier <strong>de</strong>dans, ainsi que le message lu par<br />
Tassaneeya. Nous les remerciâmes toutes <strong>de</strong>ux du fond du cœur et elles<br />
retournèrent s’asseoir avec les autres. Le père Somlong, quant à lui, nous remit<br />
une enveloppe <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’école avec notre paye <strong>de</strong>dans, nous dit-il.<br />
Arriva enfin l’incontournable discours. Nous n’étions pas encore rodé – ce<br />
n’était que notre <strong>de</strong>uxième, d’ailleurs – alors fîmes-nous court. Nous insistâmes<br />
surtout sur le fait que nous avions sans doute reçu bien plus <strong>de</strong> leur part<br />
qu’eux <strong>de</strong> la nôtre ; cela ne fait aucun doute !<br />
La cérémonie terminée, les élèves se levèrent et nous remercièrent :<br />
« Thank you, Nicholat ! See you again, next time! »<br />
270
Farang<br />
Ce n’était pas un adieu car nous enseignerons encore <strong>de</strong>main et<br />
reviendrons la semaine prochaine.<br />
Nous suivîmes la sœur et le père vers la sortie, dans une rangée <strong>de</strong><br />
« Goodbye! » à l’américaine et une fois <strong>de</strong>hors, nous nous retournâmes une<br />
<strong>de</strong>rnière fois et nous vîmes, nous, en Gérard Klein dans L’Instit ! Ce fut tout<br />
<strong>de</strong> même une étrange impression…<br />
Nous passâmes le reste <strong>de</strong> l’après-midi à la rivière avec nos compagnons <strong>de</strong><br />
baigna<strong>de</strong> dont <strong>de</strong>ux nous laissèrent leur téléphone à la fin. Nous nous<br />
amusâmes beaucoup, malgré un léger problème <strong>de</strong> communication sans gran<strong>de</strong><br />
conséquence. Il y avait là-bas un pont d’une hauteur d’environ un étage ou<br />
<strong>de</strong>ux. D’un côté la rivière, <strong>de</strong> l’autre le vi<strong>de</strong>. Leur jeu était d’y sauter, du bon<br />
côté <strong>de</strong> préférence (!), en faisant <strong>de</strong>s figures et <strong>de</strong> se noter. Ils nous<br />
proposèrent d’en faire autant et après moult hésitations, nous défendîmes les<br />
couleurs <strong>de</strong> la France avec un saut <strong>de</strong> l’ange. Nous gagnâmes le jeu mais<br />
perdîmes quelques milliers <strong>de</strong> neurones en nous écrasant sur l’eau. De toute<br />
manière, nous ne pensons plus en avoir autant donc cela n’a guère<br />
d’importance.<br />
Après un moment, le Soleil se faisait bas et nous dûmes rentrer, promettant<br />
<strong>de</strong> revenir dès lundi ou mardi.<br />
Ce soir, le père Somlong nous proposa d’emmener la sœur Jiou la<br />
prochaine fois, elle qui aime tant nager. Cela nous plairait beaucoup ! Elle est<br />
une jeune femme tellement appréciable que nous ne manquerons pas <strong>de</strong> le lui<br />
proposer dès lundi ou mardi.<br />
La messe n’est toujours pas terminée. Nous sommes fatigué (le Soleil, l’eau,<br />
les Vents) ; allons donc nous coucher.<br />
271
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
6 m a r s 2 0 0 3<br />
Les chiens <strong>de</strong> la fondation hurlent à la mort !<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 23h53.<br />
Bref, <strong>de</strong> quoi fut fait aujourd’hui ? Pas grand’chose, c’est à craindre !<br />
Nous contâmes notre histoire aux prathom 5.2 le matin et seulement trois<br />
ou quatre la comprirent. Nous corrigeâmes également leurs exercices car le<br />
professeur Loomarin avait du travail important en retard.<br />
Nous rentrâmes à Yaso vers 11h45, passant par la Poste pour retirer le<br />
mandat-carte que notre grand-père nous avait envoyé.<br />
Claire nous apprit que nous arrivions en pleine épidémie <strong>de</strong> varicelle –<br />
heureusement l’eûmes-nous <strong>de</strong>ux fois ! – ainsi que la veille, Homehak avait<br />
failli brûler… Rien <strong>de</strong> bien extraordinaire, en somme.<br />
Après déjeuner, nous mîmes notre correspondance à jour sur l’Internet et<br />
rangeâmes nos photos.<br />
À 15h30, nous allâmes chercher les enfants à l’école, les ramenâmes à la<br />
fondation, repartîmes consulter le mé<strong>de</strong>cin à la clinique pour nom Nat et nom<br />
Mot que nous pensions infectés mais il s’avéra que l’un avait “seulement” une<br />
infection pulmonaire (manque d’hygiène sans le moindre doute !) et l’autre une<br />
plaie à la tête pas bien méchante.<br />
Une fois à la fondation, nous dûmes retourner en ville pour cette fois faire<br />
<strong>de</strong>s courses et visiter les pensionnaires <strong>de</strong> Homehak, isolés dans une maison en<br />
ville car extrêmement contagieux ; sage décision et rapi<strong>de</strong> surtout, chose<br />
étonnante pour les Thaïs…<br />
Nous rentrâmes en vitesse à 18h30, après un passage obligé à la pâtisserie,<br />
car Claire <strong>de</strong>vait préparer son sac pour partir à Bangkok.<br />
Ce soir, c’est donc nous qui nous chargeâmes <strong>de</strong> donner la trithérapie à<br />
nom Pao, nom Pluak, nom Jay et nom Nout ainsi que ses médicaments à nom Naw<br />
pour son infection pulmonaire. Nous terminâmes la journée il y a une heure<br />
environ. Nous travaillâmes également sur les flyers <strong>de</strong> la fondation en anglais.<br />
Allons nous coucher car nous nous lèverons dans cinq heures à peine pour<br />
aller à Chong Mek, seul cette fois-ci et en bus.<br />
272
Farang<br />
7 m a r s 2 0 0 3<br />
Nous ne cesserons jamais <strong>de</strong> la dire : quelle aventure !!<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 22h40.<br />
Nous nous levâmes à 5h30 pour partir <strong>de</strong> la fondation un quart d’heure<br />
plus tard, ayant naturellement préparé nos effets la vieille. Comme Claire nous<br />
l’avait dit, nous nous rendîmes à la gare routière <strong>de</strong> Yaso à pattes <strong>de</strong> chez le<br />
père qui habitait tout près et où nous déposâmes la moto. Il était dans l’église<br />
en plein office et nous ne voulions pas le déranger alors partîmes-nous comme<br />
un voleur.<br />
Hélas, à la gare routière, un conducteur <strong>de</strong> tuk-tuk nous dit qu’il fallait<br />
prendre le bus pour Ubon sur la main road mais nous ne comprîmes pas où<br />
exactement et retournâmes donc chez le père, pensant prendre la moto, la<br />
déposer à la fondation et nous rendre à pattes toujours sur le bord <strong>de</strong> la route.<br />
En fin <strong>de</strong> compte, l’office achevé, il se proposa <strong>de</strong> nous conduire au bon<br />
endroit. Nous nous renseignâmes auprès d’un autre conducteur <strong>de</strong> tuk-tuk et<br />
comme nous le pensions, il fallait attendre <strong>de</strong>vant l’hôpital. Le père nous laissa<br />
donc là. À 7h03, notre bus arriva, orange sans AC mais suffisant pour un tel<br />
trajet en cette heure matinale.<br />
Une heure cinquante et 38 bahts plus tard, nous étions en gare d’Ubon. Il<br />
fallut nous rendre dans le centre et heureusement qu’une jeune femme parlant<br />
anglais vint nous dire où trouver un sang theo à 5 bahts car nous étions sur le<br />
point <strong>de</strong> prendre une mototaxi à 50 bahts pour le même trajet. Nous<br />
<strong>de</strong>scendîmes juste après le grand bâtiment du centre culturel.<br />
Dans le bus <strong>de</strong> Yaso à Ubon, nous ne trouvâmes pas nos photos d’i<strong>de</strong>ntité,<br />
qui étaient pourtant bien là quelques heures plus tard à Chong Mek… Va<br />
comprendre, Fidèle ! Nous dûmes donc en faire quatre chez le Kodak le plus<br />
proche, 100 bahts pour rien donc.<br />
À vingt mètres sur la gauche du Kodak se trouve l’arrêt pour se rendre à<br />
Phibun Mangsahan. Nous attendîmes là environ une heure et à 10 heures<br />
pétantes (à notre montre), le car jaune et rouge sans AC passa. Nous payâmes<br />
cette fois-ci 20 bahts.<br />
Il s’arrêta au marché géant <strong>de</strong> Ubon où nous en profitâmes pour manger<br />
273
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
un brin et, à 11h35, nous étions à Phibun. Avant <strong>de</strong> continuer, nous fîmes un<br />
tour mais il n’y avait rien d’intéressant à part à manger, évi<strong>de</strong>mment !<br />
Pour aller à Chong Mek, nous prîmes un sang theo cinq minutes plus tard. Il<br />
y avait beaucoup <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> alors montâmes-nous sur le toit. Nous étions tout<br />
seul au début mais <strong>de</strong>ux autres jeunes nous rejoignirent ensuite, sans doute par<br />
curiosité ou intérêt, nous ne savons.<br />
Une heure vingt-cinq et 25 bahts plus tard, nous étions sous les toiles du<br />
grand marché <strong>de</strong> Chong Mek. Tout se passa très bien, comme la fois d’avant.<br />
Nous n’eûmes même pas à payer la sortie du territoire thaï et lao. Quant au<br />
visa lao, il nous coûta 1500 bahts.<br />
Nous rencontrâmes un Suisse d’origine lao marié à une Thaïe, très sympa,<br />
qui voyageait un peu comme nous sauf que lui ne travaillait pas et <strong>de</strong>vait donc<br />
avoir du fric ; veinard !<br />
Nous passâmes au marché côté lao pour nous acheter un hamac en cor<strong>de</strong>s<br />
tressées mais n’y traînâmes pas car nous savions le retour relativement long.<br />
Terminons rapi<strong>de</strong>ment car nous sommes fatigué – le Soleil sans doute.<br />
Nous quittâmes la frontière à 14h41 pour arriver à Phibun à 16h04,<br />
toujours pour 25 bahts. Nous montâmes sur le bus, comme à l’aller, puis<br />
sautâmes ensuite dans le car pour Ubon, sauter étant le terme le plus<br />
approprié, passant <strong>de</strong> l’un à l’autre sans ménagement. Nous arrivâmes à Ubon<br />
à 17h09, pour 25 bahts.<br />
Nous marchâmes un peu dans Ubon, pour visiter, sur la gran’route<br />
principalement, sans nous aventurer davantage, prîmes un sang theo à 5 bahts<br />
pour la gare routière et à 18h15, un bus AC à 50 bahts pour Yaso où nous<br />
arrivâmes, épuisé, vers 19h50.<br />
Nous allâmes manger et nous acheter du Pepsi et du Fanta au 7-11. Dans la<br />
rue du père Auguste, nous vîmes les mormons au cybercafé et nous arrêtâmes<br />
pour parler un peu. Avec les événements en Afghanistan, nous voulions avoir<br />
leur point <strong>de</strong> vue ; rien <strong>de</strong> très glorieux…<br />
Nous récupérâmes enfin la moto au couvent qu’une femme nous ouvrit<br />
gentiment et rentrâmes à Homehak ; il était 20h53.<br />
Journée mémorable, assurément !<br />
274
Farang<br />
8 m a r s 2 0 0 3<br />
Rien <strong>de</strong> bien intéressant aujourd’hui.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 22h05.<br />
À midi, puisque nous <strong>de</strong>vions aller accueillir une heure plus tard à la gare<br />
routière Tara, une jeune Californienne qui venait passer un mois à la fondation,<br />
nous en profitâmes pour visiter le père Auguste qui nous proposa gentiment<br />
<strong>de</strong> l’accompagner déjeuner en ville. Nous allâmes à la galerie (nous en vîmes <strong>de</strong><br />
semblables à Ubon) et la femme qui nous prépara le repas ne nous fit pas<br />
payer car le père… et bien c’était le père !<br />
Après le repas, nous allâmes voir à la gare routière mais n’y croisâmes<br />
aucune étasunienne. Nous fîmes plusieurs allers et retours entre la fondation et<br />
le centre-ville dans l’après-midi, sans succès, et finîmes par laisser un mot sur<br />
notre fenêtre pour qu’elle nous réveillât si elle arrivait pendant la nuit.<br />
Nous sommes fatigué (les coups <strong>de</strong> soleil cette fois-ci), allons nous<br />
coucher !<br />
275
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
9 m a r s 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 23h12.<br />
Adoptons une nouvelle métho<strong>de</strong> pour la rédaction <strong>de</strong> ce carnet : désormais<br />
essayerons-nous d’écrire le matin le récit <strong>de</strong> la veille car nous sommes trop<br />
crevé pour le faire chaque soir.<br />
Aujourd’hui encore, rien <strong>de</strong> passionnant. Tara arriva vers midi avec une<br />
accompagnatrice thaïe qui travaillait pour l’UNICEF sans même s’excuser <strong>de</strong><br />
son “léger” retard d’une journée seulement ! Nous sommes désolé d’écrire cela<br />
mais cette fille correspond au premier abord exactement à l’image que nous<br />
nous faisons <strong>de</strong>s étasuniens à l’heure actuelle. Elle à 21 ans, pèse déjà bien<br />
quelques centaines <strong>de</strong> burgers et fait comme si tout le mon<strong>de</strong> à la fondation<br />
parlait parfaitement anglais.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Re<strong>de</strong>scends sur Terre, chérie, tu es au fin fond <strong>de</strong> la<br />
Thaïlan<strong>de</strong> là, pas dans l’Ohio…<br />
Sous prétexte que pi Noum, pi Nout et pi Duan le pratiquent un tout petit<br />
peu, elle ne cherche même pas à comprendre et ne parle qu’anglais… enfin…<br />
californien. Elle est sympa, évi<strong>de</strong>mment, mais si elle pouvait arrêter <strong>de</strong> croire<br />
que ce pays est déjà une province <strong>de</strong> la Pax Americana et jeter son air supérieur<br />
à la poubelle, ce serait une bonne chose.<br />
Passons !<br />
L’Avenir nous dira si nous avons tort ou raison <strong>de</strong> penser ce que nous<br />
pensons… Toujours est-il que nous aurions préféré tomber sur la gentille<br />
Anglaise <strong>de</strong> l’aéroport…<br />
Nous fîmes visiter à Tara la fondation, lui montrâmes tout ce qu’il y avait à<br />
voir pour qu’elle se sentît le plus à l’aise possible avec les volontaires, comme<br />
avec les enfants. Nous voulions lui faire voir Yaso également et pourquoi pas<br />
aller boire un Pepsi au snack <strong>de</strong> la rivière mais elle avait peur <strong>de</strong> la moto, ce que<br />
nous pouvons comprendre dans ce pays.<br />
Nous allâmes donc tout seul en ville après déjeuner. Comme la moto faisait<br />
un drôle <strong>de</strong> bruit <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ou trois jours, nous cherchâmes un workshop<br />
276
Farang<br />
pour voir le problème. Nous en trouvâmes un à côté <strong>de</strong> l’hôpital. Ouvert le<br />
dimanche, il était tenu par une ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> jeunes sympathiques. L’un d’eux fit un<br />
tour avec pour voir ce qui n’allait pas et ils nous la réparèrent en <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ux. En<br />
attendant, nous parlâmes avec un homme d’une cinquantaine d’années qui<br />
connaissait bien ces jeunes, en anglais et un peu en français. Nous en eûmes<br />
pour 5 bahts ; ruineux, n’est-ce pas ?<br />
Nous rentrâmes ensuite à la fondation préparer notre sac pour l’école et<br />
nous reposâmes jusques à 18 heures pour dîner avec tout le mon<strong>de</strong> et<br />
expliquer à Tara le fonctionnement <strong>de</strong> l’infirmerie ainsi que la préparation <strong>de</strong>s<br />
traitements pour qu’elle commençât dès le len<strong>de</strong>main.<br />
Ce soir, les enfants eurent droit à un barbecue pour faire griller du maïs et<br />
<strong>de</strong>s bananes ; trop bon ! Vers 20 heures, après les soins, pi Yung vint nous<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> changer une roue du pick-up alors que nous ne nous y<br />
connaissons pas du tout en mécanique – en même temps, ce n’était qu’une<br />
roue. Elle était coincée dans son carcan <strong>de</strong> métal et ne voulait pas en sortir.<br />
Nous appliquâmes donc une métho<strong>de</strong> universellement reconnue, le marteau, et<br />
la changeâmes sans souci.<br />
Demain matin, nous passerons à la laverie pour chercher notre linge avant<br />
<strong>de</strong> partir car nous oubliâmes <strong>de</strong> le faire aujourd’hui. Nous sommes épuisé<br />
(encore). Allons nous coucher.<br />
277
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 0 m a r s 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 8h09.<br />
Nous ne savons pas comment nous sommes arrivé à ban Song Yae en vie !<br />
Avec le vent et le froid qui nous congelait les mains, nous crûmes nous envoler<br />
plusieurs fois. Nous mîmes un peu plus d’une heure pour faire le trajet mais y<br />
arrivâmes sain et sauf, ne nous plaignons pas… L’école commence à peine.<br />
Allons petit-déjeuner !<br />
19h59.<br />
Ce matin, nous allâmes ai<strong>de</strong>r à plier les flyers <strong>de</strong> l’école dans le bureau. Cet<br />
après-midi, nous voulions aller nager à la rivière mais le temps nous en<br />
dissuada. Par ailleurs, le professeur Best nous <strong>de</strong>manda si nous pouvions<br />
attendre 17 heures pour prendre <strong>de</strong>s photos avec son fils <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mois, nom<br />
Alpha.<br />
La sœur principale Somjai nous <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> faire quelques courses à ban<br />
Kutchum, ce qui nous occupa une bonne heure. Quant à Peul, elle nous<br />
<strong>de</strong>manda <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à lire notre histoire. Nous la lûmes donc avec elle, toujours<br />
dans le bureau <strong>de</strong> la sœur, avec l’ai<strong>de</strong> du professeur Best qui la comprit,<br />
semblait-il, car il nous avoua au soir qu’il souhaitait lui aussi partir à l’aventure<br />
et voir le mon<strong>de</strong> – chose très rare chez les Thaïs – en commençant par partir<br />
vivre dans une île au sud avec son fils, sa femme et sa mère, sans même savoir<br />
ce qu’il pouvait y faire. Nous approuvons totalement ce genre <strong>de</strong> décisions !<br />
Voyage, Fidèle, voyage ! Mélange tes sens !!<br />
Vers 16h30, nous allâmes donc faire quelques photos chez son oncle qui<br />
habitait également le ban. Ensuite, il nous emmena chez lui pour nous montrer<br />
<strong>de</strong>s photos du roi. Nous lui avions en effet <strong>de</strong>mandé où nous pouvions en<br />
acheter quelques jours plus tôt, dont une en particulier que nous trouvions<br />
absolument superbe.<br />
Nous parlâmes avec lui un bon moment <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> n’importe quoi,<br />
notamment <strong>de</strong> son envie <strong>de</strong> ne plus rester ici à subir la vie mais d’en profiter<br />
(grosso modo).<br />
Lorsque nous lui dîmes que nous <strong>de</strong>vions rentrer pour dîner avec les sœurs,<br />
278
Farang<br />
il nous fit signe d’attendre, alla chercher un cadre avec une photo du roi en<br />
noir et blanc et nous l’offrit. À notre tour, ce soir, nous lui préparâmes un<br />
parchemin spécial avec notre histoire à l’attention <strong>de</strong> son fils qui la lira,<br />
espérons-le, dans quelques années. Nous la lui donnerons <strong>de</strong>main et savons<br />
d’ores et déjà qu’il appréciera ce geste.<br />
Voici donc comment se déroula notre journée, Fidèle ! Quel simple touriste<br />
peut laisser <strong>de</strong> tels témoignages ?<br />
279
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 1 m a r s 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 6h57.<br />
Nous fûmes mala<strong>de</strong> cette nuit. À chaque fois qu’il y a un peu <strong>de</strong> vent, nous<br />
sommes certain d’aller mal. Les changements <strong>de</strong> temps sont tellement<br />
surprenants ici que les Thaïs eux-mêmes ne s’y font pas. Le professeur<br />
Loomarin nous confia également qu’elle avait mal à la tête. Ce matin<br />
heureusement allons-nous beaucoup mieux. Il était prévu que nous allions<br />
nager aujourd’hui mais c’est beaucoup moins sûr pour le coup…<br />
20h50.<br />
Nous partîmes à 11 heures <strong>de</strong> l’école sur la route <strong>de</strong> ban Nong Phok.<br />
Trente-cinq minutes plus tard environ, nous prîmes un chemin à travers les<br />
champs <strong>de</strong> blé pour nous retrouver chez <strong>de</strong>s moines bouddhistes, installés<br />
dans un petit ban en construction à flanc <strong>de</strong> colline.<br />
Nous garâmes la moto du père à l’entrée du ban et <strong>de</strong>mandâmes<br />
respectueusement à une femme qui se trouvait là si nous pouvions emprunter<br />
le petit chemin qui montait dans les bois. Elle nous autorisa et nous grimpâmes<br />
environ <strong>de</strong>ux heures jusques au sommet où nous découvrîmes une sorte <strong>de</strong> site<br />
archéologique sur lequel les moines faisaient sans doute <strong>de</strong>s fouilles aux vues<br />
<strong>de</strong>s objets entreposés un peu partout ; ce <strong>de</strong>vait être un ancien temple enfoui.<br />
Nous peinâmes quel que peu pour arriver là mais le site en valait la peine !<br />
Nous restâmes un certain temps en haut et pûmes admirer une vue<br />
impressionnante. Trouver une telle colline dans l’Issan, région plate et arable,<br />
n’est, encore une fois, pas évi<strong>de</strong>nt. Une inscription peinte en bleu sur le mur<br />
attira également notre attention. Nous la prîmes en photo et à notre retour, le<br />
père Somlong nous la traduisit : « Regar<strong>de</strong> autour <strong>de</strong> toi ces paysages<br />
magnifiques : tu as peiné pour les voir mais il ne seront jamais aussi beaux que<br />
ce que tu as dans le cœur. » Nous trouvâmes cela vraiment approprié mais ils<br />
auraient pu tout <strong>de</strong> même l’afficher en bas…<br />
Nous retournâmes ensuite à la moto, mort, rampant presque, mais avec <strong>de</strong><br />
belles photos. Au retour, nous nous arrêtâmes à ban Leo Khum Mun pour y<br />
manger un délicieux khao pat ; il était 14h30. Nous rentrâmes à ban Song Yae<br />
280
Farang<br />
par la grand’route et y arrivâmes à 15h50. Après une bonne douche fraîche,<br />
nous allâmes dormir sur notre hamac en cor<strong>de</strong> jusques au dîner.<br />
Nous n’avons plus mal à la tête mais, par précaution, prenons du para et<br />
allons au lit !<br />
281
Il est bientôt l’heure d’aller manger.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 2 m a r s 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 18h05.<br />
Ce matin, vers 9 heures, nous allâmes faire quelques courses pour la sœur<br />
principale Somjai à ban Kutchum et à 10h30, nous partîmes nous baigner avec<br />
la moto. Vingt-six kilomètres plus loin, nous franchissions la rivière Leum Séï<br />
Baï et cinq minutes plus tard, nous étions dans l’eau. Nous n’y restâmes<br />
cependant pas longtemps car d’une part nous étions seul et que d’autre part,<br />
nous voulions nous promener un peu avant le déjeuner.<br />
Nous reprîmes donc la route à 11h22 et roulâmes loin pour finalement<br />
nous retrouver dans un wat que nous connaissions déjà, sur la grand’route qui<br />
mène <strong>de</strong> ban Song Yae à ban Nong Phok, celle que nous avions prise la veille<br />
en revenant.<br />
Nous allâmes à l’école à 13h20 et passâmes le reste <strong>de</strong> l’après-midi à mettre<br />
sur une disquette que la sœur principale Somjai nous donna gentiment nos<br />
idées <strong>de</strong> la journée.<br />
lit.<br />
Ce soir encore, nous ne traînerons pas. Ainsi, après le dîner, irons-nous au<br />
282
Farang<br />
1 3 m a r s 2 0 0 3<br />
Song Yae (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 11h52.<br />
Nous ouvrons notre carnet ce matin pour y seulement écrire que nous ne<br />
fîmes absolument rien <strong>de</strong>puis notre réveil… Nous nous reposâmes seulement<br />
dans notre hamac que nous installâmes sur la terrasse <strong>de</strong>vant notre chambre. Il<br />
y avait un peu <strong>de</strong> vent, un air frais, agréable en cette saison, qui venait libérer<br />
nos pensées chargées en ce moment.<br />
Après le déjeuner, nous rentrerons à Yaso. Nous ne savons pas si nous<br />
pourrons revenir ici passer quatre jours avant notre départ. Il est donc plus que<br />
temps d’écrire que jamais <strong>de</strong> notre vie nous n’oublierons les pères Somlong,<br />
Otto et les sœurs Supreyakhon, Somjai et Jiou et tout ce qu’ils firent pour<br />
nous. Ils nous apportèrent leur sincérité, leur simplicité, leur joie <strong>de</strong> vivre, leur<br />
abnégation, leur sympathie et nous l’espérons leur amitié. Ce ne sont pas<br />
choses que l’on oublie facilement, Fidèle. Ils firent preuve à notre égard d’une<br />
gran<strong>de</strong> bonté ; les âmes nobles existent donc en ce mon<strong>de</strong>…<br />
Déjà minuit, que le temps passe vite !<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 23h56.<br />
Nous partîmes <strong>de</strong> ban Song Yae vers 13 heures, après déjeuner. Nous dîmes<br />
aurevoir à tout le mon<strong>de</strong>, prîmes quelques clichés <strong>de</strong>vant l’église Saint-Michel<br />
et les quittâmes.<br />
Cinquante minutes <strong>de</strong> route plus tard, nous étions à Yaso. Cette fois-ci,<br />
aucune mauvaise nouvelle ne nous attendait (genre nom Nout à l’hôpital, une<br />
épidémie <strong>de</strong> varicelle, plus d’eau ou encore une facture Internet exorbitante,<br />
etc.), rien, bien au contraire ! Nous avions reçu une lettre et un colis <strong>de</strong> France<br />
– merci MJD pour tous ces livres, nous manquons en effet cruellement <strong>de</strong><br />
lecture ici.<br />
Claire et Alexandra étaient toutes <strong>de</strong>ux rentrées <strong>de</strong> Bangkok ; Tara<br />
s’occupait <strong>de</strong>s enfants à merveille et Naoko Matsutakeya, une japonaise très<br />
charmante, venait passer trois jours à la fondation.<br />
Ce soir, nous l’invitâmes avec Alexandra à venir boire un verre en ville,<br />
histoire <strong>de</strong> faire plus ample connaissance. Nous prîmes la moto ; à trois, c’était<br />
283
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
assez folklo ! Nous fîmes un arrêt à la galerie où nous parlâmes beaucoup<br />
<strong>de</strong>vant un Pepsi avec Naoko (puisque l’anglais d’Alexandra est quand même<br />
limité). Elle avait 21 ans et revenait d’un voyage en Grèce. Avant <strong>de</strong> rentrer<br />
chez elle, à Sapporo sur l’île d’Hokkaido, elle passait par la Thaïlan<strong>de</strong> et sans<br />
doute après par le Cambodge. Nous regrettons vraiment qu’elle ne reste que<br />
trois petits jours à Yaso, c’est bien dommage !<br />
Nous rentrâmes vers 21h30 pour aller dormir ; Alexandra avait fait un long<br />
voyage en bus et était fatiguée. De plus, Yaso la nuit (même le jour en fait), n’a<br />
rien <strong>de</strong> particulièrement excitant…<br />
Sur ce, allons lire un peu !<br />
284
Bon anniversaire, Maman !!<br />
Quelle journée !<br />
Farang<br />
1 4 m a r s 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 23h14.<br />
Avant tout, nous tenons à nous excuser auprès <strong>de</strong> Tara. Nous pensons<br />
toujours ce que nous écrivîmes dimanche <strong>de</strong>rnier sur son côté exaspérant mais<br />
elle se révèle être également une fille organisée, attentionnée et drôlement<br />
sympathique.<br />
Nous aimerions aussi ouvrir une parenthèse à propos <strong>de</strong> pi Tiou.<br />
Elle est une femme extraordinaire comme on en fait peu. Le gouvernement<br />
s’acharne pourtant sur elle car elle dévoile au grand jour les secrets <strong>de</strong><br />
Polichinelle, ceux que l’on cache par peur <strong>de</strong> répressions.<br />
Elle passa à la télévision il y a <strong>de</strong>ux ou trois semaines. Elle en sortit furieuse<br />
car son interlocutrice, une baudruche manipulée et blafar<strong>de</strong> <strong>de</strong>vant l’autorité,<br />
avait déjà son idée sur elle ; quoi que pi Tiou pût dire pour se défendre ne<br />
servit à rien, le but étant <strong>de</strong> la dénigrer auprès <strong>de</strong> la population pas si crédule<br />
que cela.<br />
Cette semaine à Bangkok, pi Peo et pi Yin passèrent également à la<br />
télévision. Alexandra nous raconta ce soir qu’elles n’avaient pas mâché leurs<br />
mots et avaient, publiquement, critiqué les métho<strong>de</strong>s abjectes d’un<br />
gouvernement pourri jusques à la moelle. À leur retour aux MEP, où elles<br />
logeaient, une voiture <strong>de</strong> la police les suivaient et ne se sentant pas en sécurité,<br />
elles rentrèrent à Yaso.<br />
Elles le sont en fait beaucoup moins ici. Les condés à la sol<strong>de</strong> <strong>de</strong> Taksin,<br />
milliardaire mégalomane et corrompu qui sert <strong>de</strong> premier ministre à ce<br />
merveilleux pays, firent déjà une <strong>de</strong>scente à la fondation avant qu’elle ne<br />
s’occupe d’enfants sidéens car elle accueillait à l’époque <strong>de</strong>s drogués et anciens<br />
drogués pour leur apprendre à vivre sans dépendance au moyen <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s<br />
naturelles, <strong>de</strong> plantes, et par la communication ; quelque chose <strong>de</strong> simple et<br />
d’efficace, mais qui ne plaisait pas au gouvernement. Ainsi les condés<br />
pensaient-ils y trouver <strong>de</strong>s infos sur les <strong>de</strong>alers, etc., en vain évi<strong>de</strong>mment. Leur<br />
métho<strong>de</strong> était, et est toujours : pas <strong>de</strong> drogué = pas <strong>de</strong> problème. Le centre se<br />
285
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
reconvertit avant le pire, heureusement. En ce moment, il est assez risqué <strong>de</strong><br />
revendiquer sa place à la fondation.<br />
Nous passâmes une journée formidable avec Naoko. Le matin tout<br />
d’abord, nous fîmes un tour en ville avec Alexandra (poste, marché, etc.). Nous<br />
proposâmes à Naoko <strong>de</strong> la conduire à ban Song Yae, <strong>de</strong> lui faire voir la superbe<br />
église, les temples alentour et la rivière ; elle accepta avec joie.<br />
Pi Tiou, pi Peo, pi Yin, le docteur Paul Baud et sa nièce Hélène arrivèrent ce<br />
matin également. Naoko se présenta à tout le mon<strong>de</strong>, nous attendîmes midi et<br />
partîmes avec elle.<br />
Notre première halte fut ban Song Yae. La sœur principale Somjai, très<br />
surprise <strong>de</strong> nous voir déjà <strong>de</strong> retour, et avec une fille <strong>de</strong>rrière nous sur la moto,<br />
se proposa gentiment <strong>de</strong> nous faire faire le tour <strong>de</strong> son école.<br />
Les élèves commençaient à peine leur <strong>de</strong>rnier après-midi d’examens. Tout<br />
le mon<strong>de</strong> dit à Naoko qu’elle était souéï (jolie) et un élève nous <strong>de</strong>manda même<br />
si elle était notre femme. En tout, on nous le <strong>de</strong>manda trois fois dans la<br />
journée mais hélas n’était-ce pas le cas…<br />
La sœur principale Somjai et le père Somlong lui dirent qu’elle était<br />
désormais la bienvenue dans ce village. Nous ne tardâmes pas car la pluie<br />
menaçait sérieusement <strong>de</strong> tomber. Toutefois, avant <strong>de</strong> partir, Naoko voulut-elle<br />
voir l’intérieur <strong>de</strong> l’église et put admirer à quel point les Thaïs étaient freestyle<br />
comme dit le père Auguste ! Les couleurs très kitsch rappellent en effet un peu<br />
les temples égyptiens dans l’Antiquité.<br />
Après encore un verre d’eau fraîche, nous reprîmes la route en direction <strong>de</strong><br />
la rivière. En chemin, nous nous arrêtâmes à chaque wat que nous vîmes.<br />
Elle trouva la route en terre rouge très reposante. Une fois à la rivière, nous<br />
nous baignâmes seul car elle ne voulait pas nous rejoindre. Nos compagnons<br />
<strong>de</strong> baigna<strong>de</strong> étaient là mais ne se jetèrent à l’eau qu’après nous – sans doute le<br />
temps les décourageait-il quel que peu. Nous nous amusâmes beaucoup et<br />
Naoko put découvrir que les Thaïs ne parlaient pas très bien anglais lorsqu’elle<br />
voulut communiquer. Elle y parvint cependant et ils la prirent pour une farang ;<br />
elle a la peau si blanche, c’était à peine croyable !<br />
Elle prit une photo <strong>de</strong> nous en train d’effectuer un saut <strong>de</strong> l’ange<br />
pathétique <strong>de</strong>puis le haut du barrage. Espérons que cela rendra bien. Peut-être<br />
286
Farang<br />
nous en enverra-t-elle une copie par l’Internet.<br />
Nous ne nageâmes pas longtemps. Elle nous assura que cela ne la<br />
dérangeait pas mais nous ne voulions pas qu’elle s’ennuyât et par-<strong>de</strong>ssus tout<br />
voulions-nous passer le plus <strong>de</strong> temps possible avec elle. Aussi avions-nous<br />
une longue route et étions-nous tous <strong>de</strong>ux fatigués. Pour la rassurer, puisqu’elle<br />
semblait inquiète pour le retour en moto, nous lui dîmes que les Vents seul<br />
nous fatiguaient les yeux et que ce n’était pas vraiment gênant.<br />
Nous fîmes une halte à ban Saï Mun pour boire une boisson fraîche et<br />
grignoter quelques gâteaux (japonais d’ailleurs, <strong>de</strong> marque Gilco). C’est dans ce<br />
petit restaurant près <strong>de</strong> la grand’route qu’elle nous remercia <strong>de</strong> nous occuper<br />
d’elle. Nous échangeâmes beaucoup d’autres choses mais ne relaterons pas<br />
tout ce qui se dit.<br />
Nous arrivâmes à Yaso avant le couché du Soleil. Un petit tour par le<br />
cybercafé qui était ouvert et nous rentrâmes à la fondation, naturellement<br />
épuisé.<br />
Nous attendîmes ensuite Claire, le docteur Paul et Hélène pour aller<br />
manger mais nous avions visiblement mal compris car ils avaient mangé avant<br />
nous à la fondation. C’est donc vers 21 heures que nous partîmes, Alexandra,<br />
Naoko et nous-même, à Yaso pour combler un trou toujours grandissant.<br />
Alexandra voulait une sala<strong>de</strong> dans la galerie alors y allâmes-nous. Nous<br />
commandâmes <strong>de</strong>ux khao pat et Naoko <strong>de</strong>s nouilles. Quant à Alexandra, <strong>de</strong>puis<br />
le temps qu’elle en rêvait <strong>de</strong> sa sala<strong>de</strong>, elle se régala ! Une fois à la fondation,<br />
c’est le ventre plein que nous nous écroulâmes sur notre lit.<br />
287
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 6 m a r s 2 0 0 3<br />
Notre journée fut vraiment chargée !<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 3h10.<br />
Il paraît que les voyages forment la jeunesse ; on oublie trop souvent<br />
d’ajouter qu’ils font naître <strong>de</strong>s sentiments aussi forts dans l’intensité que courts<br />
dans le temps.<br />
Naoko est repartie. Nous l’accompagnâmes à la gare routière <strong>de</strong> Yaso hier<br />
soir, après une séance photo à la fondation ; il était 19h30. Elle nous manquera<br />
beaucoup, assurément, mais sans doute aurons-nous l’occasion <strong>de</strong> la revoir.<br />
Nous n’attendîmes pas son bus avec elle car elle nous dit qu’elle ne pouvait<br />
pas partir autrement ; nous la laissâmes donc là, assise sur sa valise, après <strong>de</strong>s<br />
natamé (aurevoir) gênés et partîmes sur la moto sans nous retourner. Bon,<br />
OK !, cela fit très film, mais notre vie ne peut-elle pas après tout en être un ?!<br />
Les routes <strong>de</strong>s grands voyageurs se croisent pour se séparer, c’est le jeu !<br />
L’important est <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> l’instant qui t’est offert <strong>de</strong> vivre, Fidèle, car<br />
sache que ton avenir en aura d’autres. Nous regrettons seulement un peu <strong>de</strong> ne<br />
pas l’avoir serrée fort dans nos bras avant son départ, <strong>de</strong> ne pas l’avoir<br />
embrassée ; quel idiot !<br />
À part cela, le matin, nous eûmes beaucoup <strong>de</strong> choses à faire pour la<br />
fondation. En premier lieu, il fallut apporter <strong>de</strong> la nourriture aux quatre<br />
enfants retirés en ville à cause <strong>de</strong> leur varicelle ; nous y allâmes donc avec pi<br />
Noum. Quelques bricoles plus tard, vers 11 heures, nous accompagnâmes<br />
Naoko en ville acheter son billet pour Bangkok où elle comptait passer une<br />
journée.<br />
Elle nous savait occupé et se dépêcha donc mais, sur le chemin <strong>de</strong> retour,<br />
nous nous dîmes : « <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, ne soyez pas con ! Peu importe si vous<br />
prenez du retard dans votre travail, elle part ce soir ! » et la conduisîmes au<br />
snack <strong>de</strong> la rivière pour passer un <strong>de</strong>rnier moment avec elle puisque nous<br />
<strong>de</strong>vions l’après-midi aller ai<strong>de</strong>r à conduire <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s habitant près <strong>de</strong> ban<br />
Kutchum au centre.<br />
C’était assez sympa à la rivière. Naoko fut surprise <strong>de</strong> voir que l’on pouvait<br />
y manger un sukiaki, plat japonais qu’elle appréciait beaucoup. Aussi trouva-t-<br />
288
elle l’endroit très zen.<br />
Farang<br />
Vers 12h10, nous rentrâmes à la fondation pour déjeuner, nos estomacs<br />
criant famine après cette mise en appétit. Elle nous remercia encore une fois et<br />
fut gênée car nous semblions fatigué. Nous lui répondîmes que nous ne<br />
l’étions que peu et que cela n’avait aucune importance.<br />
Nous partîmes à 13 heures pour ban Kutchum. Alexandra et Naoko vinrent<br />
également avec nous finalement. La fondation avait loué un sang theo. Pi Tiou<br />
nous avait dit que nous serions <strong>de</strong> retour <strong>de</strong>ux heures après mais nous ne<br />
revîmes Yaso qu’à 17h30 et notre ai<strong>de</strong> ne fut même pas sollicitée… Ah, ces<br />
Thaïs ! Leur organisation se résume à ce simple mot : inexistante !<br />
Ce n’est toutefois pas bien grave car Naoko put apprécier la vie d’un<br />
paysan <strong>de</strong> l’Issan.<br />
Une fois à la fondation, alors qu’elle préparait ses effets, nous allâmes en<br />
ville nous acheter un graveur. Nous entamâmes sérieusement notre budget<br />
(inexistant en fait lui aussi) mais nous n’allions tout <strong>de</strong> même pas laisser ce<br />
carnet et nos nombreux clichés sur l’ordinateur <strong>de</strong> la sœur ! Nous le payâmes<br />
2600 bahts, soit 58 euros. Ce n’était pas ruineux mais cela équivalait tout <strong>de</strong><br />
même à une fois et <strong>de</strong>mi le voyage visa à Chong Mek…<br />
Il n’y avait personne pour conduire Naoko à la gare routière et nous nous<br />
proposâmes donc (nous le voulions tous les <strong>de</strong>ux, nous semble-t-il). Nous<br />
eûmes le temps avant d’installer le graveur dans l’ordinateur et, chose<br />
étonnante, il fonctionna correctement dès sa mise en route !<br />
Nous rejoignons ici le début <strong>de</strong> ce récit.<br />
Dans la vie <strong>de</strong> tous les jours, les amitiés durables mettent un temps<br />
considérable à se construire mais, notre vie n’étant pas commune, dans <strong>de</strong><br />
telles circonstances, les choses sont-elles bien différentes. Il nous est<br />
impossible d’expliquer cela avec <strong>de</strong>s mots mais sans doute t’est-il accessible,<br />
Fidèle, <strong>de</strong> savoir <strong>de</strong> quoi nous parlons… ou pas encore.<br />
Le soir, Claire, Hélène, le docteur Paul et nous-même allâmes boire un<br />
verre en ville. Alexandra était partie se coucher avant. Nous parlâmes une<br />
bonne <strong>de</strong>mi-heure puis rentrâmes à Homehak.<br />
Tout le mon<strong>de</strong> partit se coucher sauf nous qui restâmes une partie <strong>de</strong> la<br />
nuit <strong>de</strong>vant l’ordinateur à apprendre comment fonctionnait un graveur… en<br />
289
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
thaï ! Nous y parvînmes il y a quelques minutes seulement ; allons nous<br />
coucher !<br />
23h12.<br />
Nous venons <strong>de</strong> faire une partie <strong>de</strong> badminton acharnée et délirante avec<br />
Alexandra ; nous sommes assez fatigué et avons encore <strong>de</strong>s choses à faire.<br />
Abrégeons-donc !<br />
Ce matin, nous donnâmes les soins aux enfants car Tara était partie avec pi<br />
Yin dans un camp <strong>de</strong> nous ne savons quoi. Les enfants isolés revinrent à la<br />
fondation et Claire, le père Auguste, Hélène et son oncle partirent cet aprèsmidi<br />
à Ubon.<br />
Nous allâmes également à la fin <strong>de</strong> la messe remettre notre réponse au père<br />
à sa profession <strong>de</strong> foi. La sœur Nonlak, quant à elle, nous annonça que<br />
certaines familles désiraient que nous enseignions l’anglais à leurs enfants, en<br />
cours particuliers, et que le prix sur le marché actuellement était <strong>de</strong> 150 bahts /<br />
heure. Nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rons à pi Tiou ce qu’elle en pense. À la fin <strong>de</strong> la messe,<br />
Hélène voulait essayer la moto alors rentra-t-elle avec nous.<br />
Ce midi, nous déjeunâmes avec Alexandra un khao pat en ville et dans<br />
l’après-midi nous travaillâmes l’anglais avec pi Noum, pi Thai et pi Duan. Nous<br />
mîmes enfin en ordre notre carnet sur un CD, lûmes quelques pages du<br />
Seigneur <strong>de</strong>s Anneaux sur un rocking-chair <strong>de</strong>hors et nous allongeâmes un peu<br />
sur notre lit.<br />
290
Farang<br />
2 0 m a r s 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 2h40.<br />
Rien <strong>de</strong> bien super <strong>de</strong>puis le départ <strong>de</strong> Naoko, rien en tout cas qui justifie<br />
d’en écrire un récit. Nous aimerions plutôt lâcher ici nos sentiments en pâture !<br />
Depuis quelques jours, nous nous sentons triste. Le départ <strong>de</strong> Naoko n’en<br />
est pas la cause, même si cela n’arrange rien. Nous attendons à nouveau un<br />
changement qui ne vient pas ou tar<strong>de</strong> à venir et n’avons aucun signe ; nous ne<br />
ressentons pas l’On<strong>de</strong> !<br />
Sur l’Internet, nous ne trouvons rien qui nous convienne. La planète va<br />
mal, nous l’entendons crier et avons le sentiment <strong>de</strong> stagner. L’On<strong>de</strong> semble<br />
vraiment s’éloigner. De plus, le livre que nous sommes en train <strong>de</strong> lire nous<br />
rend incroyablement nostalgique. Que <strong>de</strong>vons-nous faire dans pareille<br />
situation ? Voyons les choses en face : nous ne pouvons partir comme cela, il<br />
nous faut attendre une occasion.<br />
Hier, mercredi, nous lézardâmes sur notre lit à lire et dormir. Nous<br />
n’aimons pas cette sensation. Nous nous rendons compte à nouveau que nous<br />
ne sommes pas heureux. Ces <strong>de</strong>rnières semaines avions-nous pourtant réussi à<br />
l’oublier…<br />
Que <strong>de</strong> mauvaises nouvelles aujourd’hui !<br />
22h30.<br />
Pour commencer, Tara remplit l’ordinateur <strong>de</strong> la sœur avec ses documents,<br />
ses musiques et <strong>de</strong>s programmes qu’elle téléchargea sur le Net toute la journée,<br />
sans se soucier si quelqu’un avait besoin du téléphone. L’ordinateur est plein <strong>de</strong><br />
mer<strong>de</strong>s qui ne servent à rien maintenant.<br />
Pour continuer, mais ce n’est pas une surprise, la guerre est déclarée et<br />
toujours personne n’a l’idée <strong>de</strong> faire péter le Pentagone, la Maison <strong>Blanc</strong>he,<br />
Langley ou même le ranch <strong>de</strong> Bush au Texas… avec sa famille <strong>de</strong>dans, of<br />
course!<br />
Pour finir, le gouvernement corrompu <strong>de</strong> Taksin impose à chaque région<br />
<strong>de</strong> lui ramener son quota <strong>de</strong> drogués ou <strong>de</strong>alers, morts ou vifs. Naturellement,<br />
les condés jouent au tir au pigeon et se rabattent du fait <strong>de</strong> leur incompétence<br />
291
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
(et / ou <strong>de</strong> leur magouilles) sur les pauvres gens dépendants <strong>de</strong> la drogue et les<br />
petits <strong>de</strong>alers – drogués aussi en général qui font cela pour s’acheter leurs<br />
doses.<br />
À Ubon, aujourd’hui, plusieurs d’entre eux furent abattus sans autre<br />
justification et cela ne fait que commencer – ou continuer sans doute ! Pi Tiou<br />
est donc très inquiète et nous la comprenons. Pour les raisons que nous<br />
énonçâmes plus haut, <strong>de</strong>s gens louches s’intéressent à la fondation et nos allers<br />
et venues sont surveillés. Quant à pi Tiou, pi Yin et pi Peo, elles n’osent plus<br />
sortir seules. Une révolution se prépare sans ce pays…<br />
La sœur Nonlak nous donna pour instruction <strong>de</strong> ne jamais parler d’elles, ni<br />
<strong>de</strong> quoi que ce fut et à personne d’ailleurs. Nous jouons profil bas en ce<br />
moment.<br />
Quant à nous, et bien nous n’allons pas mieux. On pourrait dire que ce<br />
n’est rien comparé à ce qu’il se passe dans le mon<strong>de</strong>, nous en sommes<br />
conscient, évi<strong>de</strong>mment, nous n’avons pas le droit <strong>de</strong> nous plaindre. Pour<br />
autant le sort <strong>de</strong> l’humanité nous indiffère-t-il quel que peu, dans la mesure où<br />
nous avons décidé <strong>de</strong> ne pas participer à cet effort <strong>de</strong> construction d’une<br />
civilisation dont les bases mêmes sont déjà branlantes. Certes vivons-nous avec<br />
elle et sommes-nous indéniablement lié à, sinon la cause lointaine <strong>de</strong>, ces<br />
événements mais qu’y faire ? Nous passons, vivons ici et là… Voilà tout !<br />
292
Farang<br />
2 1 m a r s 2 0 0 3<br />
Nous n’avons pas grand’chose à écrire aujourd’hui.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 23h50.<br />
Nous ne savons pas si cela est bon ou mauvais mais nous allâmes ouvrir un<br />
compte à la Krung Thaï Bank (tout seul comme un grand) ! Nous pensons que<br />
cela pourra nous être utile. Nous le payâmes 500 bahts, dont la moitié sur le<br />
compte.<br />
Notre moral ne s’améliore pas.<br />
293
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 3 m a r s 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 00h35.<br />
Hier, en voyant que nom Ann avait attrapé la varicelle à son tour, il fut<br />
décidé d’isoler seulement les quatre enfants qui prenaient la trithérapie (nom<br />
Pao, nom Nout, nom Pluak et nom Jay) en ville. Un volontaire thaï et un farang<br />
resteront désormais en permanence avec eux. Il y aura <strong>de</strong>s roulements bien<br />
entendu car cela va durer plusieurs semaines.<br />
Personnellement, outre le fait que nous trouvions inutile la présence d’un<br />
farang qui ne parle pas un mot (ou si peu) <strong>de</strong> thaï, cela nous ennuie vraiment et<br />
nous n’en avons pas envie, même s’il le faudra bien après Alexandra qui y est<br />
en ce moment et Tara.<br />
Claire, naturellement, ne peut pas car elle a trop <strong>de</strong> boulot et nous sommes<br />
là surtout pour la décharger elle, c’est bien normal, mais c’est quand même un<br />
peu facile <strong>de</strong> dire aux autres <strong>de</strong> le faire… Bref, peu importe, c’est décidé <strong>de</strong><br />
toute manière, nous prendrons le troisième quart !<br />
Il y eut également une réunion au centre avec <strong>de</strong>s envoyés <strong>de</strong> l’UNICEF et<br />
<strong>de</strong>s anciens drogués pour débattre du problème actuel majeur : les métho<strong>de</strong>s<br />
du gouvernement Taksin !<br />
Nous étions sur l’Internet à l’instant et envoyâmes un message à la Gran<strong>de</strong><br />
Loge <strong>de</strong> France. Puisque nous sommes en Asie, région privilégiée <strong>de</strong> toutes les<br />
sectes et autres organisations plus ou moins occultes, intéressons-nous un peu<br />
aux francs-maçons… Cela nous occupera l’esprit.<br />
Aujourd’hui, après la messe, nous leur enverrons un message similaire par<br />
voie postale, en espérant qu’il ne mettra pas trop longtemps à arriver sur Paris.<br />
294
Farang<br />
2 5 m a r s 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 2h24.<br />
Catherine Duclos, <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong> Loge <strong>de</strong> France, nous répondit aujourd’hui<br />
que l’organisation ne s’intéressait pas aux affaires privées, comme nous nous y<br />
attendions. Ce n’est pas exactement ce que nous avions pu observer à la<br />
Faculté <strong>de</strong> Lettres d’Aix-en-Provence où tous les professeurs étaient <strong>de</strong>s<br />
élitistes pseudo pédants qui ne s’intéressaient qu’aux têtes bien pensantes et<br />
bien centrées, mais cela s’en rapproche.<br />
Nous lui écrivîmes donc une secon<strong>de</strong> lettre. Nous verrons si notre ténacité<br />
est payante, ce soir peut-être.<br />
Hier, il ne se passa presque rien. Nous servîmes <strong>de</strong> chauffeur toute la<br />
matinée : pi Noum qui <strong>de</strong>vait aller apporter à manger aux enfants mis en<br />
quarantaine ; Tara qui revenait <strong>de</strong> Ubon et qui avait besoin d’une navette entre<br />
la gare routière et la fondation ; Alexandra qui <strong>de</strong>vait échanger sa place à la<br />
maison avec Tara ; la sœur Nonlak, enfin presque puisque nous arrivâmes trop<br />
tard et qu’elle avait donc dû trouver quelqu’un d’autre pour la reconduire au<br />
couvent.<br />
Au soir, le docteur Paul, Agathe (qui viendra six mois à partir <strong>de</strong> mai /<br />
juin), Alexandra, Claire, Hélène et nous-même allâmes boire un coup dans une<br />
charmante paillote près <strong>de</strong> la rivière où nous rîmes beaucoup.<br />
Il est tard, allons lire un peu avant <strong>de</strong> dormir.<br />
295
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 6 m a r s 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 00h45.<br />
Catherine Duclos nous répondit <strong>de</strong> nouveau et nous <strong>de</strong>manda notre<br />
adresse afin <strong>de</strong> nous envoyer une documentation sur les conditions<br />
d’admission dans l’Ordre. Ce n’était pas vraiment ce à quoi nous escomptions.<br />
Nous avons plutôt le sentiment d’avoir été mis diplomatiquement en touche !<br />
Par ailleurs, vu qu’elle l’envoie par la Poste, nous craignons <strong>de</strong> ne pas le<br />
recevoir avant notre départ…<br />
Les Scooters revinrent dans la journée car ils avaient récolté assez d’argent<br />
pour acheter une machine à laver le linge à la fondation qui n’en avait pas.<br />
Nous nous occupâmes également aujourd’hui <strong>de</strong> la petite nom Kem, que<br />
Homehak accueille en soin palliatif – expression détestable – dans son<br />
infirmerie. Elle est si hâve, c’est dramatique !<br />
Vers 17h45, nous lui changeâmes son masque à oxygène, après sa prise <strong>de</strong><br />
ventoline. Ce traitement lui permet <strong>de</strong> gagner quelques jours mais, selon nous,<br />
cette pauvre enfant va mourir dans peu <strong>de</strong> temps.<br />
Pi Dara et pi Nout dorment dans le bureau ce soir car elles ont beaucoup<br />
<strong>de</strong> travail <strong>de</strong> comptabilité. Nous ne pouvons donc faire les recherches que<br />
nous voulons et allons en profiter pour nous coucher. Nous avons en effet, à<br />
en juger par le petit bouton sur notre menton, beaucoup <strong>de</strong> sommeil à<br />
rattraper…<br />
296
Farang<br />
3 0 m a r s 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 4h24.<br />
Nous nous rendons compte que nous n’avons pas ouvert ce carnet <strong>de</strong>puis<br />
mercredi…<br />
Hier soir, une party fut organisée en l’honneur d’Agathe, du docteur Paul et<br />
d’Hélène. Les volontaires avaient préparé <strong>de</strong>s boissons, <strong>de</strong>s glaces, une<br />
ban<strong>de</strong>role, <strong>de</strong>s ballons, <strong>de</strong> la musique, etc. Franchement, ce fut assez sympa !<br />
Ne détaillons pas.<br />
Les Scooters avaient décidé d’acheter une machine à laver le linge avec les<br />
fonds récoltés ; finalement, cela fait <strong>de</strong>ux jours que nous bâtissons une<br />
buan<strong>de</strong>rie dans la cour près <strong>de</strong> la cuisine ! Le premier jour, nous étions à fond<br />
dans le projet, le second un peu moins mais quand même. Nous sentons notre<br />
enthousiasme fondre à vue d’œil chaque nouvelle journée…<br />
297
Nos nuits re<strong>de</strong>viennent blanches…<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 1 m a r s 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 4h46.<br />
Nous n’irons pas nous coucher <strong>de</strong> suite car nous aimerions dire aurevoir au<br />
docteur Paul et à Hélène qui partent vers 5 heures ; c’est le père Auguste qui<br />
viendra les chercher.<br />
Hier, nous fîmes quelques courses pour la fondation. Les enfants en<br />
quarantaine changèrent <strong>de</strong> maison pour une plus proche et nous allâmes<br />
également les voir. Au moins cette fois-ci ont-ils un parc, <strong>de</strong>s arbres, un bois<br />
pour s’amuser.<br />
Nous aidâmes (un peu) les garçons pour la buan<strong>de</strong>rie ; nous ne sommes<br />
vraiment plus motivé.<br />
Nous allâmes enfin boire un coup et manger <strong>de</strong>hors le soir, pour rentrer<br />
vers 23 heures ; rien <strong>de</strong> bien extraordinaire en somme.<br />
298
Farang<br />
7 a v r i l 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 22h16.<br />
Voici quelques jours encore que nous n’ajoutâmes un mot à ce carnet ! Que<br />
dire rapi<strong>de</strong>ment ?<br />
La buan<strong>de</strong>rie est achevée, le résultat est vraiment pas mal ; bravo à Jérôme !<br />
Sophie et lui repartirent d’ailleurs ce matin vers <strong>de</strong> nouvelles aventures.<br />
Plusieurs volontaires sont à Bangkok pour prendre <strong>de</strong>s leçons d’animation<br />
et pi Tiou est à Chang Maï. Claire, quant à elle, est à Mekanoï dans le nord<br />
pour régler un problème avec une volontaire qui partit avec la caisse… Elle ne<br />
reviendra que le 11 ou le 12.<br />
Nous écrivîmes encore à notre grand-père qui ne nous répond pas. Ce vieil<br />
homme semble être usé par sa mesquinerie visiblement ! On n’achète pas la<br />
docilité <strong>de</strong>s gens.<br />
Vendredi, nous allâmes à Chong Mek avec Alexandra pour notre visa. La<br />
journée fut longue mais sanuk.<br />
Ce matin, nous allâmes marcher <strong>de</strong>ux heures avec pour seul compagnon<br />
Bigky, le chien <strong>de</strong> la sœur.<br />
Voilà, nous n’avons rien d’autre à ajouter. Les journées se ressemblent<br />
toutes en ce moment. Notre départ ne se précise pas bien que nos préparatifs,<br />
eux, avancent. Nous ressentons une On<strong>de</strong>, celle du désespoir, celle qui nous<br />
pousse à partir, toujours.<br />
299
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 4 a v r i l 2 0 0 3<br />
Rien n’est changé <strong>de</strong>puis lundi <strong>de</strong>rnier.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Nous ne pouvons pas encore partir, par manque d’argent. Ce problème<br />
semble être un inconditionnel <strong>de</strong> notre vie, c’est saoulant ! Par ailleurs, où aller<br />
pour continuer ? Nous n’en savons rien. Suivre notre route est le meilleur<br />
moyen pour continuer, c’est bête mais tellement vrai…<br />
Nous nous tournons désormais vers l’Atlanti<strong>de</strong> ; elle occupe nos nuits en<br />
fait. Nous rencontrâmes quelqu’un sur l’Internet qui s’intéresse à notre Quête<br />
sans être pour autant en mesure <strong>de</strong> nous concrètement ai<strong>de</strong>r. Nous verrons la<br />
suite <strong>de</strong>s événements.<br />
Autrement, notre séjour en Thaïlan<strong>de</strong> se passe toujours aussi<br />
tranquillement. Notre rôle à la fondation ne consiste plus qu’à nous occuper<br />
<strong>de</strong>s soins, ce qui ne prend pas trop <strong>de</strong> notre temps, nous <strong>de</strong>vons bien l’avouer.<br />
Nous ne nous couchons pas avant 5 heures, passant nos nuits sur<br />
l’Internet. À 8 heures, c’est l’heure du premier traitement <strong>de</strong> trithérapie pour<br />
nom Pao, nom Jay, nom Nout et nom Pluak. Ensuite, nous allons petit-déjeuner à<br />
la cuisine du riz traditionnel avec <strong>de</strong>s accompagnements qui varient selon les<br />
jours et les humeurs <strong>de</strong> la cuisinière. Le ventre plein, nous prenons une douche<br />
et lisons jusques à nous endormir. À midi, nous sommes réveillé mais n’allons<br />
pas déjeuner ; nous sommes en saison chau<strong>de</strong> et l’appétit n’est pas au ren<strong>de</strong>zvous<br />
à cette heure-ci. L’après-midi dépend <strong>de</strong> ce qu’il y a à faire pour la<br />
fondation. En général, elle tourne sans nous et nous allons nous promener ici<br />
et là avec la moto du père, ou nous lisons, ou nous écrivons, ou nous rêvons,<br />
ou tout cela en même temps.<br />
À 17 heures, il y a encore un traitement, le quatrième <strong>de</strong> la journée, les <strong>de</strong>ux<br />
autres ayant été administrés à 7 heures par pi Nout (le divir) et à midi par<br />
Alexandra (l’AZT). Le soir enfin, et bien cela dépend et il est bien inutile<br />
d’approfondir.<br />
En ce moment, il y a une fête en Thaïlan<strong>de</strong> : Song Kran, la fête <strong>de</strong> l’Eau et<br />
également le Nouvel An thaï. Grossièrement, elle consiste à se balancer <strong>de</strong><br />
l’eau dans la figure.<br />
300
Farang<br />
De fait, hier, nous allâmes pique-niquer au bord <strong>de</strong> la route, enfants et<br />
volontaires, avec <strong>de</strong>s immenses bassines d’eau et un broc pour chaque enfant.<br />
À chaque passant en moto (ou en pick-up avec <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong>rrière dans la<br />
caisse), les enfants s’en donnaient à cœur-joie ; ce fut très sanuk !<br />
Vers 15h30, nous partîmes à notre tour en moto, en direction <strong>de</strong> Selaphun.<br />
Nous tournâmes avant pour visiter les villages sur la droite et à chacun d’entre<br />
eux, on nous <strong>de</strong>mandait <strong>de</strong> nous arrêter pour nous tremper. Le moins que<br />
nous puissions dire est que la journée fut rafraîchissante !<br />
De retour à Yaso, où il y avait un défilé, nous eûmes également droit à<br />
plusieurs douches, dont une gelée. Nous nous étions arrêté à un feu rouge<br />
(chose assez rares pour être signalée) et une Thaïe arriva par <strong>de</strong>rrière, tira le col<br />
<strong>de</strong> notre t-shirt et déversa l’eau ge-lée d’un bol énorme dans notre cou avec un<br />
grand sourire. Ses ami(e)s suivirent son exemple jusques à ce que le feu passât<br />
au vert. Charmante attention, n’est-ce pas ? Nous nous amusâmes vraiment<br />
beaucoup aujourd’hui ! Demain, nous <strong>de</strong>vrons aller à la Poste et supposons<br />
que nous y aurons droit à nouveau.<br />
Voilà pour les nouvelles, peu nombreuses en ce moment mais nous avons<br />
l’esprit ailleurs.<br />
301
Nous aurons tout eu !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 5 a v r i l 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 23h30.<br />
Ce matin, nous passâmes donc à la Poste comme prévu mais elle était<br />
fermée, puis à la Krung Thaï Bank pour retirer <strong>de</strong> l’argent à la borne ATM. Sur<br />
le chemin du retour, nous eûmes : <strong>de</strong>s moines, <strong>de</strong>s katoï (androgynes), <strong>de</strong>s<br />
drag-queens, <strong>de</strong>s déclarations, <strong>de</strong>s baisers (autant <strong>de</strong> mecs que <strong>de</strong> filles du<br />
reste), <strong>de</strong>s enfants salauds qui nous arrosèrent avec une pompe puissante<br />
(putain que ça fait mal !!), bref tout ! Nous regrettons juste <strong>de</strong> ne pas avoir pris<br />
<strong>de</strong> photos avec les drags.<br />
L’après-midi, nous retournâmes faire un tour avec la moto au sud-ouest <strong>de</strong><br />
la fondation et naturellement, à chaque village, fûmes-nous arrosé !<br />
Après une telle journée, Fidèle, toi aussi apprécierait une longue nuit <strong>de</strong><br />
sommeil.<br />
302
Farang<br />
1 6 a v r i l 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 21h12.<br />
Les trois quarts <strong>de</strong>s volontaires partirent à ban Kutchum ce matin pour<br />
fêter Song Kran. Après avoir déposé pi Nouï (qu’ils avaient oublié) au fond du<br />
chemin qui mène à la fondation pour qu’ils le récupèrent, nous allâmes faire<br />
réparer la moto ; le pneu avait encore éclaté et la chambre à air risquait d’en<br />
faire autant. Nous fûmes donc au workshop <strong>de</strong> la fois d’avant, près <strong>de</strong> l’hôpital.<br />
Nous en eûmes pour 180 bahts, avec en plus le graissage <strong>de</strong> la chaîne.<br />
Nous passâmes ensuite à la banque (douche évi<strong>de</strong>mment en chemin) et<br />
prîmes enfin la route <strong>de</strong> ban Kutchum pour rejoindre les autres.<br />
Nous t’écrivions avoir tout eu pour Song Kran, Fidèle… Et bien non ! En<br />
chemin, nous fûmes gentiment gratifié d’une nouveauté : <strong>de</strong> la farine ! Nous<br />
nous attendions à voir les œufs un moment ou un autre mais heureusement<br />
cela ne doit-il pas faire partie <strong>de</strong> leurs coutumes.<br />
N’ayant pas trouvé les volontaires à ban Kutchum, nous allâmes à ban Song<br />
Yae. Les pères et les sœurs ne s’y trouvaient pas non plus et lorsque nous<br />
<strong>de</strong>mandâmes, on nous répondit qu’ils s’étaient tous rendus la veille à Ubon.<br />
Nous prîmes alors le chemin <strong>de</strong> la rivière. À la sortie du ban, trois <strong>de</strong> nos<br />
élèves se vengèrent <strong>de</strong> nos cours d’anglais avec <strong>de</strong> l’eau et du talc ; sacrés<br />
enfants, toujours le mot pour rire…<br />
Une fois à la rivière (non, nous ne nous y baignâmes pas, faut pas pousser<br />
non plus !), nous nous allongeâmes sur la moto et nous reposâmes pendant un<br />
quart d’heure environ. C’est à ce moment-là que nous nous rendîmes compte<br />
qu’il nous était possible <strong>de</strong> communiquer avec <strong>de</strong>s personnages du passé, <strong>de</strong><br />
fantaisie, voire du présent dans une sorte <strong>de</strong> <strong>de</strong>mi-sommeil. Bon… Nous<br />
l’admettons, dit ainsi, cela doit te paraître étrange, Fidèle, mais nous t’assurons<br />
<strong>de</strong> notre sincérité.<br />
Notre retour fut long car nous empruntâmes les pistes. Nous pûmes<br />
prendre quelques clichés et fûmes tranquille jusques à la grand’route.<br />
303
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 2 a v r i l 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>), 9h40.<br />
Song Kran est terminé <strong>de</strong>puis jeudi <strong>de</strong>rnier et, très franchement, cela fait<br />
du bien <strong>de</strong> pouvoir prendre la moto sans revenir trempé ; cela commençait <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>venir long et saoulant !<br />
Nous n’avons pas grand’chose à écrire aujourd’hui.<br />
L’ordinateur est infecté par un virus. Ayant téléchargé Namo Web Editor<br />
pour notre carnet, Claire mit tout <strong>de</strong> suite cela en cause. Nous lui assurâmes<br />
que Namo était sûr et qu’il n’était pas dans notre intérêt <strong>de</strong> bousiller un<br />
ordinateur qui sauvait nos nuits blanches mais elle ne voulut rien savoir et nous<br />
<strong>de</strong>manda <strong>de</strong> tout virer, ce que nous ne feront évi<strong>de</strong>mment qu’à notre départ !<br />
Elle emporta donc l’ordinateur à l’atelier et le technicien lui dit que cela<br />
venait d’un virus qui traînait à Yaso et les environs dans les disquettes ; c’était<br />
donc elle qui, avec les disquettes qu’elle utilisait souvent au cybercafé, l’avait<br />
rapporté à la fondation. À son retour, nous eûmes une petite conversation.<br />
CLAIRE . Mais je n’ai jamais dit que c’était toi !<br />
Quel culot tout <strong>de</strong> même ! Si le technicien (qui s’y connaît aussi peu en<br />
informatique que n’importe quel Thaï ici…) efface nos clichés, nos livres et<br />
notre carnet <strong>de</strong> l’ordinateur, nous pensons pour le coup perdre notre<br />
réputation <strong>de</strong> garçon zen !!<br />
Nous <strong>de</strong>mandâmes enfin au père Auguste si nous pouvions être utile en<br />
tant que coursier pour les MEP ou la fondation et il nous répondit qu’en effet<br />
ce pouvait être bien <strong>de</strong> rapporter <strong>de</strong>s médicaments <strong>de</strong> France mais que cela ne<br />
se ferait pas vite ; dommage !<br />
304
Farang<br />
2 6 a v r i l 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Aujourd’hui, nous accompagnâmes tout le staff dans un village à vingt<br />
minutes <strong>de</strong> la fondation pour fabriquer <strong>de</strong>s briques en torchis. Les volontaires<br />
veulent en effet construire une maison en terre à la fondation, <strong>de</strong>vant la fenêtre<br />
<strong>de</strong> notre chambre ; nous trouvons l’idée vraiment bonne. La terre glaise ne<br />
pollue pas, ne coûte presque rien et est facilement modulable. Il leur fallait<br />
environ quatre cents briques et cela prit l’après-midi.<br />
La technique est simple, écologique et pratique : <strong>de</strong> la terre argileuse, <strong>de</strong><br />
l’eau, <strong>de</strong> la paille et, hop, hop, hop !, le tour est joué. Nous mélangeâmes le tout<br />
en le piétinant, chargeâmes <strong>de</strong>s seaux et remplîmes <strong>de</strong>s cadres en bois prévus à<br />
cet effet en forme <strong>de</strong> brique. Placées au Soleil sous <strong>de</strong>s tôles, celles-ci mettront<br />
trois semaines à sécher.<br />
En fin <strong>de</strong> journée, vers 19 heures, nous rentrâmes à la fondation épuisé ; ce<br />
travail était sanuk mais quand même éprouvant.<br />
Nous prîmes une bonne douche, allâmes manger, mettre en ordre notre<br />
correspondance et allons là nous coucher.<br />
305
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 7 a v r i l 2 0 0 3<br />
Rien <strong>de</strong> particulier à noter aujourd’hui.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Nous <strong>de</strong>mandâmes à pi Yin où nous pouvions vendre notre appareil photo<br />
numérique car nous avons besoin d’argent. Il ne nous reste en effet que 2000<br />
bahts que nous réservons à notre prochain voyage visa et environ 200 bahts<br />
pour les besoins quotidiens ; autant dire très peu. Elle nous indiqua qu’un<br />
photographe à Yaso pouvait peut-être nous l’acheter.<br />
En fin <strong>de</strong> compte, pi Tiou nous proposa <strong>de</strong> le prendre pour elle. Bien<br />
qu’elle soutienne qu’elle en ait vraiment besoin, nous la soupçonnons <strong>de</strong><br />
vouloir simplement nous venir en ai<strong>de</strong>, une fois <strong>de</strong> plus… Pi Nout <strong>de</strong>vrait<br />
nous donner l’argent <strong>de</strong>main car elle est à Bangkok avec le père et Claire qui ne<br />
reviendra, quant à elle, que dans <strong>de</strong>ux semaines, après un séjour au Cambodge<br />
avec son copain venu tout spécialement <strong>de</strong> France.<br />
306
Farang<br />
2 8 a v r i l 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Pi Nout n’ayant pas retiré d’argent à la banque, nous attendrons donc<br />
<strong>de</strong>main la sœur. Les Thaïs, bien qu’adorables, ne sont pas fiables, nous le<br />
savons désormais. C’est sans aucun jugement que nous l’écrivons mais il faut<br />
simplement toujours prévoir une sortie <strong>de</strong> secours avec eux.<br />
Pi Tiou nous avait proposé samedi d’enseigner l’anglais à <strong>de</strong>s enfants dans<br />
un wat. Cela nous plairait beaucoup comme expérience mais ce n’est pas payé<br />
et comme nous n’allons pas reprendre les cours à ban Song Yae, nous<br />
aimerions autrement avoir un salaire ailleurs si possible, et si nous restons. Tout<br />
bien réfléchi, nous pensons même que c’est la seule condition pour que nous<br />
restions.<br />
Nous donnâmes enfin un cours d’anglais aux volontaires cet après-midi<br />
pendant <strong>de</strong>ux heures, selon les souhaits <strong>de</strong> pi Tiou. Pour quelqu’un qui n’aime<br />
pas l’anglais, nous sommes servi ici…<br />
307
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 9 a v r i l 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Ce matin, après avoir donné les soins aux enfants, nous nous reposâmes.<br />
Cet après-midi, nous allâmes nous promener avec la moto du père<br />
(encore). Nous prîmes nos <strong>de</strong>rnières photos probablement.<br />
Nous n’avons toujours pas d’argent. Quant à la sœur, elle pense que nous<br />
<strong>de</strong>vrions retourner enseigner à ban Song Yae, même si nous lui dîmes que nous<br />
n’aimions pas enseigner l’anglais, que le premier mois était sanuk, mais qu’après<br />
cela <strong>de</strong>venait un simple boulot, banal et chiant.<br />
Que veux-tu, Fidèle ? Nous sommes un grand enfant et avons envie <strong>de</strong><br />
nous amuser dans la vie ; c’est ainsi !<br />
308
Farang<br />
3 0 a v r i l 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Alexandra est <strong>de</strong> retour à la fondation avec 100 bahts <strong>de</strong> cartes postales<br />
pour nous. Elle était allée avec son oncle au sud, à ko Samui (ko signifie île) et à<br />
Bangkok aussi.<br />
Les volontaires thaïs sont toujours sur leur maison ; ils ont entrepris <strong>de</strong><br />
couler le ciment pour les fondations. Nous ne les aidons pas car nous n’avons<br />
pas la tête à cela en ce moment, bien qu’évi<strong>de</strong>mment cela nous changerait les<br />
idées. Mais voulons-nous seulement nous les changer… ?<br />
La sœur nous fit <strong>de</strong> la peine en frappant avec le manche du balais ce pauvre<br />
Bigky car il dormait dans le bâtiment et que cela ne lui plaisait pas, alors qu’elle<br />
laissait les enfants foutre un bor<strong>de</strong>l monstre, <strong>de</strong>ssiner sur les portes, les sols, les<br />
murs et déranger tous les jours la salle <strong>de</strong> réunion. Nous n’apprécions pas les<br />
gens quand ils frappent les animaux avec autant <strong>de</strong> haine ; elle est quand même<br />
entrée dans son bureau pour prendre le balai et poursuivre les <strong>de</strong>ux chiens afin<br />
<strong>de</strong> les frapper ensuite ! Que l’on corrige un animal avec une tape ou un coup<br />
<strong>de</strong> pied au cul lorsqu’il fait une connerie, et sur le moment pour déclencher un<br />
stimulus chez lui passe encore mais pas ainsi ; nous trouvons cela lâche et<br />
facile. Cette pauvre bête ne cherchait après tout sur le carrelage <strong>de</strong> la salle<br />
qu’un peu <strong>de</strong> fraîcheur.<br />
C’est tout ce que nous voulions écrire ce soir.<br />
309
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 e r m a i 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Aujourd’hui, nous envoyâmes trois lettres importantes : la première au père<br />
Auguste, la secon<strong>de</strong> à Maïnéa (la femme avec qui nous communiquons sur<br />
l’Atlanti<strong>de</strong>) et la <strong>de</strong>rnière à notre mère pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r le nom <strong>de</strong> notre père<br />
géniteur, après huit années <strong>de</strong> mutisme sur le sujet.<br />
310
Farang<br />
4 m a i 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
En ce moment, la correspondance que nous entretenons avec Maïnéa,<br />
certaines similitu<strong>de</strong>s, certains ressentis et l’On<strong>de</strong> qui nous presse à nouveau<br />
nous perturbent.<br />
311
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
8 m a i 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Notre appareil photo numérique n’est toujours pas vendu. Pi Tiou est<br />
<strong>de</strong>puis quelque temps très mala<strong>de</strong> et l’achat <strong>de</strong> ses médicaments est bien plus<br />
important.<br />
Aujourd’hui, nous <strong>de</strong>vions l’accompagner à Roï Et pour voir si nous le<br />
pouvions vendre là-bas mais nous pensons qu’elle oublia et partit sans nous.<br />
Nous sommes donc dans la mer<strong>de</strong>, encore ; youhou, c’est la fête ! Nous<br />
<strong>de</strong>vons encore à la sœur 6000 bahts pour l’Internet et il ne nous reste que<br />
quelques bahts (pas plus) et pas suffisamment ne serait-ce que pour aller à ban<br />
Song Yae prévenir le père Somlong que nous ne reprendrons pas les cours à la<br />
rentrée… le 16 prochain !<br />
312
Farang<br />
1 0 m a i 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Journée <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> empreinte d’un grand désespoir (rien que ça) !<br />
Pour commencer, nous n’avons plus <strong>de</strong> connexion à l’Internet, le forfait<br />
d’un mois s’étant arrêté la nuit <strong>de</strong>rnière à 00h15. L’Internet, notre vie, nos<br />
espoirs ; et mer<strong>de</strong> ! Nous en avons marre d’entendre : « Tu es drogué ! »,<br />
« L’Internet, ce n’est pas ça la vie ! », et toutes les conneries <strong>de</strong> ce genre.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Oui, nous le savons !! Nous sommes addict et si tu<br />
savais, Fidèle, à quoi d’autre nous le sommes, tu prendrais peur… ! Et puis<br />
d’abord, que connais-tu <strong>de</strong> la vie pour nous juger ainsi ? Rien ! Nous,<br />
assumons pleinement la nôtre et pensons ne plus avoir à le prouver. Nousvagabond,<br />
nous-voyageur, nous-tout-ce-que-tu-veux te saluons !<br />
Allez, une petite démonstration bien idiote : ce moyen <strong>de</strong> communication<br />
est pour nous la seule solution pour avancer dans les recherches qui conduisent<br />
à notre Quête, ne possédant pas <strong>de</strong> ressources manuscrites importantes sous la<br />
main. Si loin <strong>de</strong> tout contact, sans l’Internet, plus <strong>de</strong> Quête et sans cette Quête,<br />
notre vie n’a plus <strong>de</strong> sens. Nous pourrions aussi bien nous jeter du haut <strong>de</strong> la<br />
croix Sainte-Victoire mais ne le ferions pas car d’une part ne sommes-nous pas<br />
suicidaire et que d’autre part, plus <strong>de</strong> vie, plus <strong>de</strong> Quête ! C’est un cercle<br />
vicieux ; et mer<strong>de</strong>, nous sommes baisé !<br />
À cela faut-il ajouter le fait que nous <strong>de</strong>vons quitter la fondation. Nous ne<br />
pouvons pas nous y éterniser indéfiniment. Les enfants, avant tout, ne doivent<br />
pas s’attacher à nous et nous considérer comme un grand frère ; ce n’est pas<br />
possible ! Dans un cadre plus matériel ensuite, Agathe arrivera dans peu <strong>de</strong><br />
temps et prendra le relais à l’infirmerie. Enfin, nous <strong>de</strong>vons suivre notre<br />
chemin nous aussi, tout simplement. Cependant nos choix sont-ils très<br />
restreints et notre bourse est-elle vi<strong>de</strong>.<br />
Vers 17 heures, nous voulions aller à la banque et retirer 1000 bahts en<br />
espérant ne pas nous mettre trop à découvert afin d’acheter une carte Internet<br />
et tenir encore quelque temps mais comme si notre journée n’était pas assez<br />
313
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
pourrie comme cela, il fallut que nous nous rendions compte une fois sur la<br />
moto que la roue arrière fût crevée ! Ne nous en étant pas servie <strong>de</strong>puis<br />
plusieurs jours, pour une fois n’était-ce pas <strong>de</strong> notre faute. Nous doutons<br />
qu’Alexandra aille la faire réparer.<br />
Bref, aujourd’hui, ce n’est pas la gran<strong>de</strong> forme ! Depuis environ un mois,<br />
nous sommes un poids pour la fondation, il faut le reconnaître, beau constat !<br />
Certes faisons-nous notre boulot et restons-nous volontaire à disposition mais<br />
nous ne sommes plus aussi motivé qu’au début. Nous avons le sentiment<br />
d’avoir trouvé tout ce que nous étions venu chercher en entreprenant ce fou<br />
périple !<br />
Pi Tiou nous avait proposé d’enseigner l’anglais à <strong>de</strong>s enfants dans un wat,<br />
volontairement. Peut-être qu’en <strong>de</strong>rnier recours…<br />
314
Farang<br />
1 2 m a i 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Nous prîmes une gran<strong>de</strong> décision aujourd’hui : nous quittons la Thaïlan<strong>de</strong> !<br />
Le 23 mai prochain, nous nous rendrons en train à Kuala Lumpur<br />
(Malaisie) <strong>de</strong>puis Bangkok. Nous prîmes cette décision car pi Tiou n’étant pas<br />
là jusques à la fin du mois, nous ne pûmes nous informer sur le temple dont<br />
nous faisions mention samedi ; c’est sans doute mieux ainsi.<br />
Nous prévînmes donc les personnes concernées : la sœur, bientôt le père<br />
Auguste, Maïnéa et notre mère puisqu’elle veut <strong>de</strong>puis notre départ <strong>de</strong> l’armée<br />
que nous lui disions tout. Elle qui se rongeait les sangs alors même que nous<br />
allions nous promener à la Sainte-Victoire (et pourtant n’y risquions-nous pas<br />
grand’chose !), nous ne doutons pas une secon<strong>de</strong> qu’elle en fasse autant en<br />
lisant le courriel que nous venons <strong>de</strong> lui envoyer…<br />
Nous fîmes notre temps en Thaïlan<strong>de</strong> ! Nous y trouvâmes certaines<br />
réponses, et certaines questions aussi. Nous détaillerons davantage <strong>de</strong>main.<br />
315
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 3 m a i 2 0 0 3<br />
Voici donc les détails <strong>de</strong> ce nouveau périple.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Dimanche 25, nous irons à Bangkok. Nous passerons la nuit du 26 aux<br />
MEP avec l’accord du père Le Bézu et nous partirons le 27. Nous pensons<br />
laisser <strong>de</strong>ux sacs à Bangkok, le temps <strong>de</strong> trouver un moyen <strong>de</strong> les envoyer en<br />
France.<br />
Il nous faut également rembourser la sœur ; nous <strong>de</strong>vons donc absolument<br />
vendre notre appareil photo numérique. Elle nous dit aujourd’hui que la<br />
fondation pouvait l’acheter 5000 bahts et effacer notre ardoise mais elle <strong>de</strong>vait<br />
d’abord en parler à pi Tiou. Nous irons <strong>de</strong>main lui rendre visite, elle en retraite<br />
à Bug Maï, près d’Ubon.<br />
À Bangkok, nous réserverons une place dans le train pour Kuala Lumpur.<br />
Une fois là-bas… Nous verrons bien, comme d’habitu<strong>de</strong>, car cela nous excite.<br />
316
Farang<br />
1 4 m a i 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Le père Auguste arriva comme prévu à 7 heures et nous partîmes quinze<br />
minutes plus tard vers Ubon. Il y avait Claire, son copain, la sœur, Kyo (la fille<br />
<strong>de</strong> pi Tiou que nous avions prise en route), trois femmes qui s’arrêtèrent au<br />
Makro d’Ubon (un genre <strong>de</strong> Metro thaï) et nous-même.<br />
Nous avions plusieurs choses à faire : Claire voulait récupérer la secon<strong>de</strong><br />
voiture, nous voulions visiter pi Tiou dans sa retraite, nous <strong>de</strong>vions nous<br />
acheter <strong>de</strong> quoi ranger nos effets (sacs <strong>de</strong> sport ou caisse en bois).<br />
Bug Maï est un ban catholique près du fleuve, un endroit réellement<br />
magnifique, surtout son bois encore en très bon état. Nous restâmes quelque<br />
temps, un père nous fit visiter. Pi Tiou n’était vraiment pas bien, elle qui<br />
refusait les opérations et ne voulait se soigner que par les plantes ; pour un<br />
cancer, ce n’est pas top du tout ! Nous ne voulûmes donc pas l’ennuyer avec<br />
nos soucis matériels et la remerciâmes seulement <strong>de</strong> tout ce qu’elle avait fait<br />
pour nous. Elle nous souhaita bonne chance dans nos nouvelles aventures et<br />
nous dit que nous étions toujours le bienvenu dans sa fondation.<br />
Au retour, nous prîmes la voiture avec Claire et son copain pendant que le<br />
père et la sœur allaient <strong>de</strong> leur côté. Claire nous avait proposé d’aller au Big C<br />
pour y trouver nos sacs mais son copain eut soudainement très mal au ventre<br />
(?) et voulut rentrer au plus vite. Nous <strong>de</strong>scendîmes donc tout seul et leur<br />
dîmes <strong>de</strong> rentrer sans nous ; nous avons l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> nous débrouiller.<br />
Au Big C, nous ne trouvâmes que <strong>de</strong>s lunettes hélas – nous en avions cassé<br />
trois paires en quatre mois ! Nous prîmes ensuite le premier sang theo qui se<br />
rendait dans le centre. Nous entrâmes dans le premier magasin <strong>de</strong> sport que<br />
nous vîmes et c’est là que nous trouvâmes un sac immense <strong>de</strong> randonnée<br />
Oakley qui nous sera bien utile.<br />
Nous marchâmes ensuite environ une heure sans rien trouver. Il <strong>de</strong>vait être<br />
près <strong>de</strong> midi car, près du parc, <strong>de</strong>ux personnes nous proposèrent <strong>de</strong> partager<br />
leur repas. Elles étaient assises sur le trottoir. Nous refusâmes gentiment,<br />
prétextant que nous n’avions pas faim alors que nous étions simplement gêné.<br />
Elles rirent joyeusement comme si elles s’y attendaient.<br />
317
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Arrivé à la route principale, nous prîmes un sang theo pour la gare routière et<br />
rentrâmes à Homehak dans un bus AC.<br />
Quant à nos <strong>de</strong>ux autres sacs, nous les trouvâmes finalement à Yaso.<br />
318
Farang<br />
1 6 m a i 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Les Thaïs sont, répétons-nous, <strong>de</strong>s gens adorables et nous le penserons<br />
toujours mais il est décidément impossible <strong>de</strong> compter sur eux !<br />
Hier, nous dépensâmes 2500 bahts en sacs et ustensiles divers pour<br />
préparer notre départ, ayant dans la tête ce que la sœur nous avait dit la veille.<br />
Ce matin, voici ce qu’elle nous sortit :<br />
LA SŒUR NONLAK . I’ve just asked to the staff, they are not agree. I cannot help<br />
you! 1<br />
Il n’aurait servi à rien <strong>de</strong> lui dire qu’elle nous foutait dans une mer<strong>de</strong> noire<br />
alors, à la mo<strong>de</strong> thaïe, nous sourîmes presque hypocritement comme si ce<br />
n’était pas grave.<br />
L’après-midi, nous allâmes à Yaso essayer <strong>de</strong> vendre notre appareil photo<br />
numérique mais ne trouvâmes personne. Pi Peo avait essayé <strong>de</strong> son côté aussi,<br />
mais sans plus <strong>de</strong> succès.<br />
En rentrant, nous n’avions pas le moral.<br />
Aujourd’hui, nous retournâmes donc à Ubon, seul, en pensant avec raison<br />
que nous trouverions un acheteur.<br />
Nous partîmes à 7h30 pour ne retrouver Yaso que vers 18 heures.<br />
Nous fîmes tous les Kodak pour commencer, sans succès. Nous allâmes au<br />
Big Buy, sans succès toujours. Nous continuâmes ensuite avec <strong>de</strong>ux ou trois<br />
magasins Sony et là, au <strong>de</strong>rnier, on nous le prit. Le jeune patron parlait bien<br />
anglais, l’ambiance était sympa en plus. Nous en voulions 6000 bahts mais il ne<br />
nous en donna que 5000 car Sony, d’après lui, était passé à une version<br />
supérieure.<br />
Nous fîmes beaucoup <strong>de</strong> kilomètres à pattes aujourd’hui mais sommes<br />
1 . Trad. : « Je viens juste <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au staff, ils ne sont pas d’accord. Je ne peux pas t’ai<strong>de</strong>r. »<br />
319
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
soulagé. Nous remboursâmes intégralement la sœur qui nous remercia avec<br />
surprise et avons assez d’argent désormais pour aller à Kuala Lumpur, juste<br />
assez… Une fois là-bas, nous verrons bien !<br />
Nous trouvâmes également un restaurant sympa à Ubon, ce midi :<br />
ambiance américaine, conquête <strong>de</strong> l’Ouest, musique occi<strong>de</strong>ntale, cuisine thaïe<br />
agrémentée <strong>de</strong> frittes. Rien <strong>de</strong> mieux pour nous ressourcer un peu. Il se trouve,<br />
pour information, sur Uppalisan Road.<br />
320
Troisième journée à Ubon.<br />
Farang<br />
2 1 m a i 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Nous commençons <strong>de</strong> bien connaître cette gran<strong>de</strong> ville. Cette fois-ci, nous<br />
y allâmes avec le père, la sœur et Claire. Nous <strong>de</strong>vions déposer la sœur qui<br />
partait à Bangkok quelques jours, prendre un mala<strong>de</strong>, aller voir <strong>de</strong>s franciscains<br />
philippins qui fabriquent <strong>de</strong>s lits gigognes pour les enfants et passer aux MEP<br />
récupérer l’argent d’EDM.<br />
Plus personnellement, nous <strong>de</strong>vions réserver notre billet <strong>de</strong> train pour<br />
Bangkok et profiter du voyage pour dire aurevoir aux pères <strong>de</strong>s MEP.<br />
Notre billet ne nous coûta que 155 bahts (3,40 euros) en troisième classe,<br />
ce qui sera largement suffisant pour tel voyage. Au pire sera-ce folklorique !<br />
Nous partirons donc le 25 à 19h15 et arriverons à Bangkok le 26 à 5h40.<br />
Vers 13 heures, nous allâmes déjeuner dans un restaurant vietnamien. Au<br />
retour, nous prîmes un profond sommeil très profitable.<br />
321
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 2 m a i 2 0 0 3<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Aujourd’hui, la sœur nous fit vi<strong>de</strong>r la mare <strong>de</strong>s canards qui avait bien<br />
besoin d’un grand nettoyage. Nous n’avions qu’un tout petit sceau et notre<br />
pauvre dos s’en souvient encore mais la sœur fut surprise du résultat, séchée !<br />
322
Farang<br />
2 5 m a i 2 0 0 3<br />
Notre séjour à la fondation s’achève aujourd’hui.<br />
Yasothon (Issan, Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Nous passâmes les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers jours à préparer notre départ. Nos<br />
ca<strong>de</strong>aux sont emballés et rangés dans un sac, les habits que nous n’emportons<br />
pas avec nous dans un autre. La statue du prieur en bois sombre que nous<br />
avions ramenée <strong>de</strong> Chong Mek pour notre oncle Loïc restera ici en fin <strong>de</strong><br />
compte ; nous la laissons à pi Tiou qui en voulait une semblable.<br />
Nos vêtements sont propres (les autres sont parties à la poubelle), la moto<br />
du père est nickel chrome et retrouva avec beaucoup <strong>de</strong> mousse l’état dans<br />
lequel il nous l’avait confiée, avec toutefois quelques 4500 kilomètres en plus<br />
au compteur… !<br />
Tout le mon<strong>de</strong> est prévenu ; nous ne pensons pas avoir oublié quelque<br />
chose. Nous dîmes aurevoir aux enfants et volontaires <strong>de</strong> la fondation, aux<br />
sœurs et aux pères, à nos compagnons d’Ubon et <strong>de</strong> ban Song Yae, aux rizières<br />
<strong>de</strong> l’Issan, aux temples et aux bonzes… Bref, à tout le mon<strong>de</strong> !<br />
Le père arriva vers 14 heures comme prévu. Nous fîmes quelques clichés<br />
avant notre départ ; Soupany nous manquera énormément ! Au début, elle ne<br />
voulait pas se joindre à nous, nous pensons qu’elle n’avait pas vraiment<br />
compris, bien que nous ayons passé avec Claire beaucoup <strong>de</strong> temps à<br />
expliquer aux enfants que nous partions en Malaisie et que nous ne<br />
reviendrions sans doute pas. Nous lûmes dans son regard une petite déception<br />
qui nous blessa. Nous laissâmes au père, avec notre <strong>de</strong>rnière lettre, un collier<br />
en cor<strong>de</strong> sur un anneau <strong>de</strong> ja<strong>de</strong> dans lequel nous plaçâmes un espoir et un<br />
souhait et lui <strong>de</strong>mandâmes <strong>de</strong> le lui remettre à ses 15 ans. Peut-être espéronsnous<br />
trop…<br />
Nous partîmes ensuite pour Ubon.<br />
Nous fîmes une halte d’un quart d’heure aux MEP et arrivâmes à la gare<br />
vers 16h30. Nous remerciâmes le père sincèrement et lui remîmes notre lettre<br />
avec le collier <strong>de</strong> cor<strong>de</strong> pour Soupany <strong>de</strong>dans. Nous lui <strong>de</strong>mandâmes <strong>de</strong> la lire<br />
lorsque nous serions parti et nous dîmes aurevoir, adieu sans doute…<br />
Nous voilà donc une fois <strong>de</strong> plus face à notre <strong>de</strong>stin, avec nos cinq sacs sur<br />
323
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
le dos, assis sur un quai <strong>de</strong> gare en mangeant <strong>de</strong>s gâteaux artisanaux achetés il y<br />
a cinq minutes <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s regards thaïs hébétés qui se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à juste titre<br />
ce qu’un farang fout si loin <strong>de</strong> chez lui.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Trouver notre chemin… Nous vînmes trouver<br />
notre chemin !<br />
324
Farang<br />
2 6 m a i 2 0 0 3<br />
Nous eûmes une très longue journée !<br />
Bangkok (Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Tout d’abord, le train avait trois heures <strong>de</strong> retard, il était rouillé et nos <strong>de</strong>ux<br />
compagnons <strong>de</strong> voyages étaient <strong>de</strong>ux paysans complètement pintés ; émanaient<br />
<strong>de</strong> leurs paroles incompréhensibles d’étranges et inquiétantes vapeurs<br />
éthyliques.<br />
Une fois à la gare <strong>de</strong> Bangkok, au matin, nous nous rendîmes directement<br />
aux MEP en taxi, à cause <strong>de</strong> nos sacs, sinon aurions-nous risqué une mototaxi.<br />
Nous fûmes accueilli vers 9h40 par le père Le Bézu qui nous indiqua un<br />
endroit où les mettre en sûreté et une chambre où passer la nuit.<br />
Ensuite, nous allâmes nous promener un peu dans Bangkok, seul toujours.<br />
Nous nous rendîmes sur Khao San Road et y fîmes <strong>de</strong> nombreuses<br />
rencontres : un Japonais dans une guest house, The New Joe, plusieurs katoï, <strong>de</strong>s<br />
Thaïs, <strong>de</strong>s anglophones, etc. Nous fîmes également quelques achats, dont <strong>de</strong>s<br />
petits drapeaux en tissus à coudre sur notre sac à dos car sache, Fidèle, qu’il est<br />
<strong>de</strong> coutume pour les backpackers <strong>de</strong> montrer d’où ils viennent et ce qu’ils ont<br />
déjà vu à travers le mon<strong>de</strong>, c’est comme ça. Une longue marche donc ! Nous<br />
achetâmes évi<strong>de</strong>mment aussi notre billet pour Butterworth, 1000 bahts en<br />
couchette upper.<br />
De retour aux MEP, nous prîmes une douche méritée et allâmes dîner au<br />
Silom Village, dans un restaurant assez chic. Nous commandâmes un khao pat,<br />
un Pepsi, une banana split et un jus d’orange frais en guise <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssert ; nous en<br />
eûmes pour 230 bahts… Bangkok !<br />
Nous retournâmes ensuite aux MEP. Il n’était pas si tard mais le portail<br />
était fermé. Nous ne voulions pas l’escala<strong>de</strong>r, ni déranger personne, alors<br />
retournâmes-nous sur Khao San Road. Nous commençâmes à pattes, sans<br />
nous rendre compte ni <strong>de</strong> l’heure ni du temps <strong>de</strong> notre marche. C’était<br />
agréable. Ce n’est pas une chose que nous pouvons faire à Marseille la nuit,<br />
mais ici ne ressentons-nous aucune On<strong>de</strong> vraiment négative. Les petites<br />
racailles frustrées par leur vie <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> ne courent pas les rues à Bangkok,<br />
contrairement à la cité phocéenne qui en est envahie…<br />
325
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous fîmes en chemin la rencontre d’un garçon qui nous suivait. Nous<br />
parlâmes avec lui mais il nous collait trop alors prîmes-nous finalement un taxi<br />
et le laissâmes en plan ; il nous saoulait et n’avait, du reste, rien <strong>de</strong> charmant !<br />
Vers 23 heures, alors que nous cherchions une chambre pour passer la nuit,<br />
un katoï tripa sur notre bob et vint nous brancher. Tina – tel était son nom <strong>de</strong><br />
scène – nous proposa <strong>de</strong> nous héberger chez lui pour 200 bahts. Nous<br />
acceptâmes volontiers. Il nous emmena dans une guest house à l’entrée <strong>de</strong> Khao<br />
San Road et nous fit monter. C’était très petit et il y avait un lit gigogne. Nous<br />
nous sentions à l’étroit et lui dîmes que nous préférions d’abord chercher<br />
ailleurs pour voir si nous trouvions mieux. Là, en <strong>de</strong>rnier recours, il nous<br />
proposa <strong>de</strong> nous le faire gratuit si nous couchions avec lui, en s’approchant <strong>de</strong><br />
nous, les mains sur nos fesses et prêt à nous embrasser. Nous l’embrassâmes<br />
effectivement mais, comme un con, nous dérobâmes et lui dîmes que nous ne<br />
voulions pas en arriver là. Foutue raison, nous nous <strong>de</strong>mandons à quoi elle<br />
sert, celle-là !<br />
Il comprit sans souci et nous proposa <strong>de</strong> nous emmener dans une boîte où<br />
le DJ était français, l’ODM ou quelque chose dans le genre ; lui pouvait peutêtre<br />
nous ai<strong>de</strong>r car il travaillait ici <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans environ.<br />
Dans cette boîte, on y passait <strong>de</strong> l’electro. L’ambiance était donc assez<br />
chau<strong>de</strong> et alcoolisée. Une charmante Anglaise flasha sur nous d’ailleurs, plus<br />
quelques Thaï(e)s sans doute aussi.<br />
Nous passâmes une excellente soirée à danser et à boire ; cela nous fit du<br />
bien après tant <strong>de</strong> mois d’abstinence ! Vers 2 heures, tout le mon<strong>de</strong> rentra chez<br />
soi. Nous parlâmes un peu avec le DJ qui nous dit qu’en une soirée, puisque<br />
notre départ était prévu le len<strong>de</strong>main, nous n’avions aucune chance <strong>de</strong> trouver<br />
du boulot. Nous le remerciâmes donc, le félicitâmes pour son mix et<br />
retournâmes sur Khao San Road chercher une guest house pour la nuit,<br />
repoussant au passage trois filles et un katoï qui nous proposèrent <strong>de</strong> dormir<br />
avec eux. Nous nous <strong>de</strong>mandons vraiment pourquoi avoir refusé… !<br />
Tina, lui, avait quitté la boîte avant nous, n’oubliant pas <strong>de</strong> nous laisser<br />
payer son verre. C’était <strong>de</strong> bonne guerre. Nous le revîmes après, toujours dans<br />
le même bar et parlâmes un peu avec lui.<br />
Nous trouvâmes finalement une chambre au Marco Polo Hotel, tout près<br />
<strong>de</strong> Khao San Road : une chambre sans air conditionnée pour 250 bahts la nuit<br />
326
Farang<br />
(plus 300 bahts <strong>de</strong> caution pour la clef !), tout cela pour retourner dans<br />
quelques heures aux MEP…<br />
Nous n’avons pas d’affaire sur nous. Allons prendre une douche, nous<br />
dormirons nu.<br />
327
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 8 m a i 2 0 0 3<br />
Palau Penang (Malaisie), 16h30.<br />
Nous sommes actuellement dans un bus express pour Kuala Lumpur, sur<br />
l’immense pont qui conduit à Butterworth.<br />
Nous passâmes quelques vingt-quatre heures dans le train entre hier et<br />
aujourd’hui. Nous y rencontrâmes un Japonais qui avait la couchette en<br />
<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> la nôtre et pûmes parler avec lui pour passer le temps. C’est fou le<br />
nombre <strong>de</strong> Japonais que nous rencontrons ici !<br />
À Padang Besar, nous dûmes faire un arrêt pour l’immigration. Le SARS<br />
(pneumonie atypique pour les Européens) sévissait dans la région.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . C’est bon les gars, on nous fit déjà le coup aux<br />
États-Unis avec les attacks en 2001 quand nous y étions !<br />
Nous eûmes donc droit au relevé <strong>de</strong> notre température et au petit papier <strong>de</strong><br />
sécurité sanitaire, etc. Nous passâmes et c’était bien là tout ce qui comptait !<br />
En arrivant à Butterworth, nous prîmes le ferry pour Palau Penang. Nous y<br />
rencontrâmes un jeune Malaisien qui flasha quant à lui sur le drapeau français<br />
que nous avions cousu sur notre nouveau sac à dos. Il s’appelait Sha. Ses amis<br />
et lui nous firent un peu visiter la ville et nous emmenèrent voir le grand<br />
complexe. Nous restâmes environ une heure et <strong>de</strong>mie avec eux, agrémentant<br />
nos visites <strong>de</strong> nos récits aventuriers. Nous nous séparâmes d’eux car nous<br />
<strong>de</strong>vions partir en quête d’un job, après toutefois avoir échangé nos<br />
coordonnées, bien que nous pensions que cette rencontre était plus<br />
appréciable si elle restait éphémère.<br />
Nous dirigeâmes nos recherches vers les agences <strong>de</strong> mannequinât en nous<br />
arrêtant à chaque fois que nous voyions le mot fashion inscrit sur une vitrine.<br />
L’avantage est que tout le mon<strong>de</strong> parle anglais ici. Dans la première butik, on<br />
nous conseilla d’aller voir Starbust au quatrième étage et nous y rendant, on<br />
nous apprit que, sans permis <strong>de</strong> travail, je n’avions aucune chance <strong>de</strong> trouver<br />
du boulot ; foutu pays !<br />
Il nous reste environ 100 ringgits, soit moins <strong>de</strong> 20 euros…<br />
328
Farang<br />
Nous continuâmes à chercher dans cette ville, sans succès hélas. Nous<br />
comptions y passer la nuit et nous rendre à Kuala Lumpur (dite KL) le<br />
len<strong>de</strong>main, nous avions trouvé une chambre mais la gérante <strong>de</strong> l’hôtel où nous<br />
étions <strong>de</strong>scendu nous apprit gentiment qu’il y avait un bus pour nous si nous le<br />
désirions, dans l’heure. Elle l’appela, il passa et nous montâmes <strong>de</strong>dans.<br />
Étrange mais efficace, assurément !<br />
329
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 9 m a i 2 0 0 3<br />
Petaling Jaya (Malaisie).<br />
Nous arrivâmes hier soir au terminal <strong>de</strong>s bus <strong>de</strong> KL vers 23 heures. Après<br />
une longue marche hasar<strong>de</strong>use dans les rues interminables, avec au loin les<br />
<strong>de</strong>ux tours Petronas que nous ne réussîmes pas à atteindre, nous trouvâmes un<br />
motel miteux (et même plus que cela !) mais bien sympa quand même, proche<br />
du quartier chinois. Pour te situer un peu l’ambiance, Fidèle, reporte-toi à<br />
l’hôtel dans lequel les trois héros <strong>de</strong> La Plage se rencontrent ; tu vois le genre !<br />
Nous nous réveillâmes à 8 heures et partîmes une heure plus tard pour<br />
l’église. Nous mîmes la matinée pour y parvenir, avec nos trois sacs sur le dos ;<br />
quelle mer<strong>de</strong> ! En fin <strong>de</strong> compte, il fallait juste prendre la ligne <strong>de</strong> bus 30<br />
jusques à jalan Templer pour 1 ringgit 60…<br />
Nous fûmes accueilli à l’église <strong>de</strong> Petaling Jaya (une ville toute voisine) par<br />
le père Simon, puis par le père <strong>de</strong>s MEP André Volle. Nous parlâmes un peu<br />
et il accepta <strong>de</strong> nous héberger <strong>de</strong>ux ou trois jours, le temps pour nous <strong>de</strong><br />
trouver quoi faire dans ce pays. Il nous proposa également d’ai<strong>de</strong>r en échange à<br />
la Rumah Ozanam (rumah signifie maison), un orphelinat <strong>de</strong>rrière l’église tenu<br />
par Elizabeth Vaz, une indienne, qui s’occupe d’enfants essentiellement indiens<br />
et chinois.<br />
Nous nous y rendîmes et fîmes la connaissance <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>, enfants<br />
et volontaires, dont Emmanuel Fayolle et Pierre, <strong>de</strong>ux Français présents<br />
respectivement pour vingt-quatre et quatre mois. Nous passâmes là le reste <strong>de</strong><br />
la journée.<br />
Vers 17 heures, nous nous rendîmes avec les autres à l’église pour célébrer<br />
l’Assomption : chants, prières, blabla. Et dire que nous ne sommes même pas<br />
catho ! Bien qu’utiles à contrôler la masse, nous trouvons ces processions<br />
ridicules.<br />
Après la messe, alors que les autres rentraient à l’orphelinat, nous<br />
retournâmes à l’église. Derrière elle se trouve la maison <strong>de</strong>s pères. À l’étage est<br />
notre chambre : gran<strong>de</strong>, climatisée, sous clef. Nous prîmes une douche et nous<br />
installâmes.<br />
Au soir, nous rejoignîmes tout le mon<strong>de</strong> à la Rumah Ozanam II, chez les<br />
330
Farang<br />
filles entre l’église et la Rumah Ozanam, pour manger et faire plus ample<br />
connaissance. Au menu, <strong>de</strong>s pizzas indiennes, <strong>de</strong>s nouilles, du jus d’orange ;<br />
c’était la fête ! Tous les enfants étaient survoltés par l’occasion et les airs <strong>de</strong><br />
Pierre au piano.<br />
Nous rentrâmes nous coucher vers 23 heures, après les garçons.<br />
331
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 0 m a i 2 0 0 3<br />
Petaling Jaya (Malaisie), 21h42.<br />
Aujourd’hui fut encore chargé en événements rares et précieux !<br />
Ce matin, chez les garçons, Emmanuel n’était pas là car il veillait à l’hôpital<br />
sur l’un d’eux qui avait ingéré une baie douteuse et eut droit, le pauvre, à un<br />
lavage d’estomac.<br />
Nous aidâmes les volontaires à ranger la bibliothèque et vers 11 heures,<br />
nous allâmes faire un tour dans le vieux quartier commercial pour y chercher<br />
<strong>de</strong>s chaussures car nos Fila nous faisaient subir un calvaire <strong>de</strong>puis que nous<br />
avions quitté Bangkok, quelques jours plus tôt.<br />
Nous n’en trouvâmes hélas pas, revînmes les mains dans les poches et 1000<br />
ringgits <strong>de</strong> plus dans notre sac. Merci BNP-Paribas… Et puis mer<strong>de</strong>, nous<br />
n’avions pas le choix, il ne nous restait que 25 ringgits pour vivre sans sol<strong>de</strong><br />
pendant un temps indéterminé.<br />
L’après-midi, nous allâmes dans le centre-ville <strong>de</strong> KL en teksi : 15 ringgits.<br />
Nous passâmes quelques heures à faire les magasins et à chercher un job.<br />
Avant cela toutefois, nous achetâmes chez Bata <strong>de</strong>s chaussures.<br />
Nous écrivions à Palau Penang que nous orientions nos recherches dans le<br />
mannequinât ; nous fûmes donc chez Guess qui nous dirigea vers la butik<br />
Orsen Liyn. À l’étage se trouvait Catwalk Production mais ils étaient<br />
malheureusement fermés ; nous repasserons.<br />
Nous retournâmes chez les filles d’Orsen Liyn qui nous donnèrent une<br />
autre adresse, celle <strong>de</strong> la Blitz Production, en nous précisant qu’il fallait appeler<br />
lundi.<br />
Avant <strong>de</strong> prendre un teksi pour l’orphelinat (nous allions écrire<br />
fondation…), nous consultâmes notre courriel dans un cybercafé.<br />
Nous sommes sur notre lit, un <strong>de</strong> plus ; honorons-le.<br />
332
Farang<br />
3 1 m a i 2 0 0 3<br />
Nous n’avons presque rien à noter aujourd’hui.<br />
Petaling Jaya (Malaisie), 22h11.<br />
Nous nous réveillâmes et levâmes à 8 heures pour soigner nos plaies qui<br />
ont du mal à cicatriser avec ce climat. À 9 heures, nous allâmes petit-déjeuner à<br />
la rumah.<br />
Avec Pierre ensuite, nous continuâmes à ranger la bibliothèque. C’est<br />
incroyable le nombre <strong>de</strong> chef-d’œuvres <strong>de</strong> la littérature qu’ils peuvent<br />
maltraiter et bazar<strong>de</strong>r. Nous prîmes donc onze livres <strong>de</strong>stinés à la poubelle, <strong>de</strong>s<br />
éditions datant d’une cinquantaine d’années environ : The History of Mr. Polly<br />
par H.G. Wells (1910), Cranford par Elizabeth C. Gaskell (1853), The Pickwick<br />
Papers par Charles Dickens (1837), The Card par Arnold Bennett (1911),<br />
Mansfield Park par Jane Austen (1813), Far from the Madding Crowd par<br />
Thomas Hardy (1935), The Journal of a Tour to the Hebri<strong>de</strong>s with Samuel<br />
Johnson par James Boswell (1785), The Turn of Screw, The Aspern Papers<br />
and other stories par Henry James (1879 - 1910), The Vicar of Wakefield par<br />
Oliver Goldsmith (1766), The Man of Property par John Galsworthy (1906) et<br />
Barchester Towers par Anthony Trollope (1857).<br />
Tout cela commence à dater mais il aurait été dommage <strong>de</strong> foutre à la<br />
poubelle ce passé. Nous les stockâmes dans le sac thaï que les volontaires <strong>de</strong><br />
Homehak nous avaient offert à notre départ.<br />
Nous rentrâmes à l’église vers 14 heures après avoir mangé chinois avec les<br />
garçons. Nous comptions aller à KL aujourd’hui mais nous préférâmes reposer<br />
nos pieds. Par ailleurs, il y avait <strong>de</strong> fortes chances pour que la Blitz Production<br />
et l’Agenda, une librairie française où nous souhaitons nous rendre, fussent<br />
fermés.<br />
Lundi, nous nous lèverons tôt et reprendrons nos recherches.<br />
333
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 j u i n 2 0 0 3<br />
Petaling Jaya (Malaisie), 00h12.<br />
Ce matin, jusques à 14 heures pour reposer nos pauvres pieds, nous<br />
restâmes dans notre chambre. Nous allâmes ensuite à l’orphelinat mais les<br />
enfants n’étaient pas là ; ils avaient une kermesse. Nous continuâmes donc à<br />
ranger la bibliothèque (un bor<strong>de</strong>l là-<strong>de</strong>dans !!)<br />
Nous rejoignîmes ensuite Pierre qui regardait en bas L’Arme Fatale 4. Les<br />
garçons arrivèrent joyeux à 16 heures. Nous les envoyâmes se reposer car ils<br />
étaient invités à un dîner <strong>de</strong> charité à 18 heures et qu’ils <strong>de</strong>vaient être en forme.<br />
Va donc <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à <strong>de</strong> tels enfants <strong>de</strong> dormir une heure sur comman<strong>de</strong>,<br />
Fidèle ; impensable !<br />
À 17 heures, il fallut les réveiller et les habiller tous en blanc. Une fois dans<br />
le bus, nous n’étions plus que trois dans un orphelinat bien silencieux.<br />
Emmanuel nous invita donc à aller en ville boire un coup au pub, puis manger<br />
<strong>de</strong>s crêpes dans un restaurant. Il était un peu moins <strong>de</strong> minuit à notre retour.<br />
Nous nous fîmes déposer <strong>de</strong>vant l’église où nous dûmes escala<strong>de</strong>r le mur car le<br />
portail était fermé.<br />
Au pub, il envisagea la possibilité <strong>de</strong> nous faire travailler à temps partiel<br />
pour l’orphelinat dans la salle informatique. Il s’agirait d’être présent pour les<br />
enfants et <strong>de</strong> les ai<strong>de</strong>r à manipuler ce moyen <strong>de</strong> communication, ou<br />
simplement d’être là pour éviter qu’il ne fasse <strong>de</strong>s conneries…<br />
Il doit cependant en parler au staff, toujours lui ! Le sage écrit que l’Avenir<br />
est à venir ; attendons-le donc.<br />
Nous passâmes la journée à KL.<br />
Kuala Lumpur (Malaisie).<br />
Nous partîmes <strong>de</strong> l’église à 9 heures en remerciant le père Volle pour son<br />
accueil et prîmes un teksi pour la Blitz Production où, une fois là-bas, <strong>de</strong>ux<br />
femmes nous firent remplir une fiche <strong>de</strong> renseignements en nous assurant<br />
qu’elles allaient nous contacter par courriel pour <strong>de</strong>s essais.<br />
Alors que nous allions partir, l’une d’entre elles nous retint pour nous dire<br />
qu’ils recherchaient en ce moment <strong>de</strong>s garçons pour une marque <strong>de</strong> jean et que<br />
334
Farang<br />
nous avions la bonne taille. Elles nous <strong>de</strong>mandèrent d’appeler à 15h30.<br />
Nous prîmes un teksi pour le KL Plazza, y fîmes un tour jusques à 13<br />
heures environ et allâmes déjeuner. N’ayant pas <strong>de</strong> téléphone, nous dûmes<br />
acheter une carte à 10 ringgits et trouver une cabine. La conversation ne dura<br />
pas une minute ; notre interlocutrice nous dit juste <strong>de</strong> passer à 17 heures.<br />
Il était déjà 16 heures alors choppâmes-nous un teksi qui connaissait<br />
l’adresse. Il nous y conduisit et nous attendîmes l’heure dite au Coffee Bean<br />
d’en face <strong>de</strong>vant une forêt noire et un grand jus d’orange fraîchement pressé. À<br />
16h50, nous nous rendîmes à l’agence.<br />
Là, nous rencontrâmes Justin Luke Fitzpatrick, le directeur <strong>de</strong> casting, un<br />
Anglais, qui nous fit essayer <strong>de</strong>ux jeans : un Monsieur Nicolas blanc et un Lee<br />
Cooper bleu foncé à pâtes d’ef. Comme nous étions plus à l’aise dans le<br />
second, il nous dit <strong>de</strong> le gar<strong>de</strong>r sur nous car nous allions rencontrer le<br />
photographe.<br />
Nous avions ren<strong>de</strong>z-vous avec lui au Kuala Lumpur City Center (KLCC)<br />
<strong>de</strong>ssous les Petronas, un autre plazza. Nous l’attendîmes dans un café au nom<br />
oublié. Justin nous paya un ice blen<strong>de</strong>d au chocolat et trois minutes plus tard, le<br />
photographe arriva. Il était chinois. Justin et lui ne se connaissaient pas alors<br />
parlâmes-nous un moment avant d’aller faire les photos. Justin resta au café,<br />
pendu à son téléphone, pendant que nous suivions le photographe <strong>de</strong>hors, sur<br />
les marches qui menaient aux fontaines.<br />
Laisse-nous t’avouer, Fidèle, que nous n’avons rien d’un mannequin né.<br />
Nous manquons cruellement d’expressions et les premières poses furent<br />
vraiment difficiles pour nous qui étions quand même au milieu <strong>de</strong> la foule.<br />
Tout le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vait nous prendre pour quelqu’un <strong>de</strong> connu ; quelle angoisse !<br />
Entre gêne et inexpérience donc, le résultat ne fut pas probant mais nous<br />
sortîmes toutefois <strong>de</strong>ux clichés dont il semblait satisfait. Nous retournâmes au<br />
café voir Justin, parlâmes cinq minutes et le photographe dut partir pour un<br />
autre ren<strong>de</strong>z-vous.<br />
Sur le chemin, nous confiâmes à Justin que nous ne le sentions pas mais il<br />
nous dit <strong>de</strong> ne pas nous en faire, que c’était bon. Nous craignons qu’il ne l’ait<br />
fait que pour nous rassurer, hélas… Une fois à l’agence, nous nous<br />
changeâmes et il nous assura qu’il allait nous contacter tantôt pour nous<br />
donner <strong>de</strong>s nouvelles, l’audition ayant lieu dimanche. Nous repartîmes avec la<br />
335
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
quasi-certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne pas être fait pour le métier <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>l, ou pour le moins <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>voir acquérir encore <strong>de</strong> l’expérience dans ce domaine.<br />
Nous retournâmes ensuite au KLCC pour nous acheter <strong>de</strong>s paires <strong>de</strong><br />
chaussettes – nous avions la flemme <strong>de</strong> faire notre lessive et les jetâmes toutes ;<br />
shame! – et <strong>de</strong>s pansements à la pharmacie.<br />
Justin nous avait conseillé comme hôtel le YMCA en nous indiquant<br />
comment nous y rendre. Nous suivîmes donc ses conseils et prîmes<br />
simplement le métro. Nous y fûmes pour 1 ringgit 60, <strong>de</strong>puis le KLCC à KL<br />
Sentral, l’hôtel étant <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la rue. Nous prîmes possession d’une<br />
chambre pour la semaine, la 311, et <strong>de</strong>scendons là dîner à la cafétéria.<br />
Les douches sont communes dans cet hôtel et nous manquons<br />
affreusement <strong>de</strong> sexe ! Si nous pouvions y rencontrer un charmant jeune<br />
homme, ce serait parfait… Le Christian sur l’enseigne ? Que Diable l’emporte<br />
donc !<br />
336
Farang<br />
3 j u i n 2 0 0 3<br />
Kuala Lumpur (Malaisie), 23h30.<br />
Aujourd’hui, nous passâmes la journée sur les rails, pratiquement.<br />
Nous quittâmes l’hôtel vers 8 heures pour nous rendre à l’Agenda. Nous<br />
avions tout prévu : un plan, du fric, <strong>de</strong> l’enthousiasme… Tout sauf notre tête !<br />
Nous y arrivâmes à midi et quelques, après <strong>de</strong> nombreux kilomètres inutiles<br />
dans trois ou quatre trains <strong>de</strong> banlieues, pour nous rendre compte que nous<br />
étions <strong>de</strong>scendu au bon arrêt la première fois mais, qu’une fois à pattes, nous<br />
étions parti du mauvais côté alors que l’Agenda était quelques dizaines <strong>de</strong><br />
mètres plus loin.<br />
Cela fut sans succès en plus. Le gars là-bas était sympa mais il ne put ni<br />
nous donner <strong>de</strong> renseignements sur <strong>de</strong>s familles susceptibles d’être intéressées<br />
par un garçon au pair ou une butik qui recrutait <strong>de</strong>s Français. Tant pis !<br />
Puisque que nous étions partis pour perdre notre temps, autant aller<br />
jusques au bout. Nous n’arrivâmes à l’ambassa<strong>de</strong>, où nous voulions nous<br />
rendre absolument pour nous inscrire sur leur fichier, qu’à 14h30 environ.<br />
Nous fûmes reçu par Valérie Thomas qui nous expliqua entre autres choses<br />
que, sans permis <strong>de</strong> travail, nous n’avions pratiquement aucune chance <strong>de</strong><br />
trouver du boulot car les autorités étaient strictes sur la législation. La Malaisie,<br />
nous dit-elle, voulait en effet rejoindre au plus vite le modèle occi<strong>de</strong>ntal ; quels<br />
idiots ! Elle fit une photocopie <strong>de</strong> notre passeport pour nous couvrir au niveau<br />
consulaire mais nous ne trouvâmes aucune piste là-bas non plus.<br />
Dans l’après-midi, nous retournâmes à la Blitz Production mais Justin<br />
n’était pas là alors décidâmes-nous <strong>de</strong> zoner dans nos désormais familiers<br />
plazzas. Nous mîmes quand même plus d’une heure pour retrouver le Sungei<br />
Wang où nous dînâmes. Nous allâmes consulter notre courriel au Bintang<br />
Café, fîmes un tour et rentrâmes.<br />
Nous commençons <strong>de</strong> nous bien repérer dans cette ville. Nous<br />
retrouvâmes assez facilement le KLCC, le traversâmes (avec passage obligé au<br />
Dunkin Donuts), prîmes le rail pour KL Sentral et voilà.<br />
Nous passâmes à la cafétéria <strong>de</strong> l’hôtel boire un succulent ice blen<strong>de</strong>d à la<br />
mangue et montâmes prendre une douche, sans aucun jeune homme<br />
337
charmant.<br />
Allons nous coucher, rêveur.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
338
Farang<br />
4 j u i n 2 0 0 3<br />
Kuala Lumpur (Malaisie).<br />
Nous nous réveillâmes, ce matin, en sueur, avec une idée née <strong>de</strong> la nuit !<br />
Puisque garçon au pair dans une famille française n’était pas possible, nous<br />
<strong>de</strong>vions nous intéresser à la communauté chinoise qui représente une gran<strong>de</strong><br />
partie <strong>de</strong> la population. Nous nous rendîmes donc à l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> Chine (un<br />
véritable bunker) où nous fûmes aiguillé vers le consulat situé dans le Bulding<br />
OSK plazza, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la Bank of China. Fermé, on nous dit <strong>de</strong> repasser à<br />
14 heures.<br />
Journée culturelle aujourd’hui ! Nous allâmes donc à China Town,<br />
<strong>de</strong>mandant ici et là dans les butik s’ils ne cherchaient pas quelqu’un ou s’ils ne<br />
connaissaient pas quelqu’un dans ce cas mais, naturellement, nous ne<br />
trouvâmes rien.<br />
Nous déjeunâmes au Central Market, dans un restaurant très sympa à<br />
l’étage, et retournâmes au consulat qui nous dirigea vers le département<br />
économique, <strong>de</strong> nombreuses stations plus loin. Une fois là-bas, toujours rien !<br />
Nous laissâmes toutefois nos coordonnées au cas où un Chinois cherchait un<br />
garçon au pair, sans gran<strong>de</strong> illusion.<br />
Nous continuâmes vers le Sungei Wang en teksi puis consultâmes notre<br />
courriel. Le temps se gâtait, la pluie arriva d’un coup. Nous ne nous sentions<br />
pas <strong>de</strong> retourner au KLCC à pattes alors attendîmes-nous un teksi, comme les<br />
dizaines <strong>de</strong> gens avant nous dans la file d’attente.<br />
Cette journée fut longue et inutile, dans le sens où nous cherchons un job<br />
avant tout, sinon c’était fun ! Nos plaies mettent beaucoup <strong>de</strong> temps à<br />
cicatriser et nous marchons avec quelques difficultés.<br />
339
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
5 j u i n 2 0 0 3<br />
Kuala Lumpur (Malaisie), 20h13.<br />
Nous nous réveillâmes à 11 heures. Une heure plus tard, nous partîmes<br />
pour le Bukit Kiara Equestrian & Country Resort, un country club. Nous<br />
orientons désormais nos recherches vers là. Nous dûmes prendre le rail<br />
jusques à Bangsar, un bus jusques à Dawamsara Hill et un teksi jusques au<br />
resort.<br />
On nous laissa entrer sans trop <strong>de</strong> problème dans ce club très privé ; peutêtre<br />
était-ce parce que nous signalâmes à l’entrée que nous voulions en <strong>de</strong>venir<br />
membre et que nous avions pour l’occasion un look mondain…<br />
À la réception, nous rencontrâmes la manager qui nous envoya aux<br />
Ressources Humaines où une femme nous fit remplir un formulaire en nous<br />
signalant que ce serait dur car nous n’avions pas <strong>de</strong> permis <strong>de</strong> travail, même<br />
pour un emploi <strong>de</strong> barman, d’autant moins qu’ils n’embauchaient pas ou peu<br />
d’étrangers. Bref, nous remplîmes quand même sa feuille et la lui laissâmes.<br />
Elle nous assura qu’elle aussi allait nous contacter le len<strong>de</strong>main.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Arrêtez d’assurer un peu, bor<strong>de</strong>l ! Faites-le !<br />
Nous retournâmes au KL Sentral en teksi, après avoir marché une bonne<br />
dizaine <strong>de</strong> minutes pour trouver un semblant <strong>de</strong> civilisation sur la gauche du<br />
resort. De là, nous rejoignîmes le KLCC et marchâmes jusques au Bintang Café.<br />
Nous avions reçu un message <strong>de</strong> notre mère, évi<strong>de</strong>mment comme tous les<br />
jours ou presque, et <strong>de</strong> Claire qui nous écrivait toute étonnée qu’elle avait pour<br />
nous un colis venant <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong> Loge <strong>de</strong> France… Au même instant, alors<br />
que nous lisions son courriel (sans exagération aucune !), nous en reçûmes un<br />
<strong>de</strong> Catherine Duclos qui nous <strong>de</strong>mandait si nous avions bien reçu son colis !<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Oui chérie, mais c’est trop tard là, j’ai changé <strong>de</strong><br />
pays…<br />
340
Farang<br />
Déçu <strong>de</strong> ne rien avoir trouvé encore aujourd’hui, nous allâmes nous<br />
goinfrer <strong>de</strong> donuts au KLCC et rentrâmes à l’hôtel. La cafétéria fermant à 19<br />
heures, cela tombait très bien.<br />
341
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
6 j u i n 2 0 0 3<br />
Kuala Lumpur (Malaisie).<br />
À 10 heures, nous retournâmes au KLCC faire un tour <strong>de</strong>s butik du plazza<br />
pour voir si personne ne cherchait à recruter un français paumé !<br />
Apparemment non…<br />
Nous allâmes aussi au cybercafé : rien non plus. Après, nécessairement en<br />
avions-nous marre et allâmes-nous déjeuner et surtout boire au Dôme dans le<br />
Lot 10 plazza ; excellent mais cher . Nous ne savons pas pourquoi, nous<br />
sommes toujours attiré par ce qui est cher, sans même que cela semble l’être…<br />
L’après-midi, nous fîmes le tour <strong>de</strong> trois autres plazzas : le Sungei Wang<br />
(jeune et bruyant) ; le Lot 10 (très français donc luxueux) ; le KL (très luxueux<br />
donc très européen francophone). Un peu <strong>de</strong> chauvinisme ne fait pas <strong>de</strong> mal !<br />
Nous n’y trouvâmes rien non plus cependant. Il y avait bien <strong>de</strong>s annonces sur<br />
les butik mais elle requéraient toutes un permis <strong>de</strong> travail, évi<strong>de</strong>mment, et il<br />
fallait parler malaisien dans l’une, mandarin dans l’autre, les <strong>de</strong>ux dans la<br />
troisième, plus anglais.<br />
Vers 16 heures, nous retournâmes au cybercafé jusques à 19h30 environ.<br />
Nous n’eûmes pas les réponses que nous attendions, comme chaque fois, voire<br />
pas du tout. Ce fut le cas du resort par exemple. Nous fîmes donc <strong>de</strong>s<br />
recherches et envoyâmes <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s à différentes organisations, comme la<br />
Soka Gakkai.<br />
Avant <strong>de</strong> rentrer, nous nous arrêtâmes une fois <strong>de</strong> plus au Dunkin Donuts,<br />
histoire <strong>de</strong> déprimer en prenant du poids. Les employés commencent <strong>de</strong> nous<br />
connaître, nous qui en prenons six à chaque passage. Et puis, mer<strong>de</strong> à la fin,<br />
pourquoi n’y a-t-il jamais personne sous les douches ?!<br />
342
Farang<br />
7 j u i n 2 0 0 3<br />
Kuala Lumpur (Malaisie).<br />
Nous quittâmes le YMCA à 10 heures pour nous rendre au cybercafé mais<br />
finalement, nous marchâmes beaucoup et n’y arrivâmes que vers 13 heures.<br />
Emmanuel nous donna les coordonnées <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s membres du comité<br />
pour que nous les appelions et que nous voyions directement avec eux ; nous<br />
le ferons <strong>de</strong>main en <strong>de</strong>rnier recours.<br />
Vers 17 heures, nous regagnâmes le KLCC puis le cybercafé. Nous avions<br />
contacté différentes organisations, quatre ou cinq écovillages, <strong>de</strong>s lycées<br />
français et d’autres mais n’eûmes aucune réponse, rien, nada, niente ! Nous<br />
répondîmes donc aux messages <strong>de</strong> nos proches et reprîmes le chemin <strong>de</strong>s<br />
Petronas.<br />
Là, nous sommes sur notre lit, désolé <strong>de</strong> ne rien trouver. Il nous reste 70<br />
ringgits et nos plaies ne cicatrisent que trop lentement. Nous entendons au<br />
loin cette petite voix sadique.<br />
NOUS-MÊME . <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, la situation <strong>de</strong>vient dramatique. Il vous reste une<br />
chance ridicule, vous la tenterez <strong>de</strong>main. En attendant, vous allez prendre une<br />
douche… Oui, c’est bien la douche ! Là aurez-vous peut-être plus <strong>de</strong> chance !<br />
343
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
8 j u i n 2 0 0 3<br />
Kuala Lumpur (Malaisie).<br />
L’idée d’hier était d’aller proposer nos services à la Soka Gakkai <strong>de</strong><br />
Malaisie, dont l’un <strong>de</strong>s sièges est à KL justement. Nous parcourûmes toute la<br />
jalan Bukit Bintang <strong>de</strong>puis le Lot 10 pour trouver le building <strong>de</strong> la SGM ; nous<br />
te laissons regar<strong>de</strong>r sur un plan, Fidèle, c’est décourageant !<br />
Cela ne se déroula pas comme nous l’avions espéré mais nous obtînmes<br />
cependant <strong>de</strong> la part du directeur <strong>de</strong>s relations publiques la promesse qu’il allait<br />
parler <strong>de</strong> nous au comité et faire tout son possible pour nous intégrer. Nous<br />
pensons, vraiment, lui avoir fait bonne impression. Hélas y a-t-il le comité,<br />
encore et toujours ce foutu comité… Nous haïssons la république ! Nous lui<br />
laissâmes donc notre carte et lui la sienne. Ce ne fut donc qu’un <strong>de</strong>mi échec.<br />
Là où nous nous plantâmes royalement en revanche, c’est que notre<br />
semaine <strong>de</strong> recherche arrive à son terme et que nous n’avons toujours pas <strong>de</strong><br />
boulot. Ce n’est pas faute d’avoir cherché, peut-être pas au bon endroit,<br />
certes… Nous pensions ce matin encore à la mafia chinoise… Ne nous reste-til<br />
donc que cela ?<br />
NOUS-MÊME . <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous n’avez plus rien à perdre. Et si vous alliez<br />
rendre visite aux francs-maçons pour voir l’accueil qu’ils vous réservent ?<br />
Hélas étions-nous dimanche et la jalan Tun Razak était-elle immense. Ainsi<br />
ne trouvâmes-nous leur rési<strong>de</strong>nce que vers 18 heures et d’une bien étrange<br />
façon.<br />
Alors que nous passions <strong>de</strong>vant l’ambassa<strong>de</strong> américaine gardée par une<br />
milice malaisienne, crachant intérieurement : « Pauvres petits, ils ont besoin <strong>de</strong><br />
la flicaille du coin pour les protéger. Il faut les comprendre, ils sont tellement<br />
gentils et le mal qu’on leur veut en ce moment est tellement injustifié… Nous<br />
te foutrions une bombe là-<strong>de</strong>dans, nous ! » Après avoir ravalé cela donc, nous<br />
baissâmes la tête, la relevâmes et tombâmes sur la gauche nez à pancarte avec<br />
le 213 qui nous narguait <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux heures environ : la Dewan Treemason se<br />
trouvait <strong>de</strong>rrière. Nous entrâmes, sonnâmes mais personne ne nous répondit.<br />
344
Farang<br />
De retour à Ampang Park, nous prîmes le rail pour le KLCC et sur le<br />
chemin qui menait au cybercafé, nous fîmes une rencontre intéressante. À<br />
cause <strong>de</strong>s ces putains <strong>de</strong> plaies qui ne guérissent pas (rien d’étonnant avec les<br />
kilomètres que nous faisons chaque jours !), nous avons tendance à boiter un<br />
peu. Ainsi donc, nous sortions <strong>de</strong> l’autre côté du plazza lorsqu’une femme<br />
nous aborda en s’inquiétant <strong>de</strong> notre jambe et en nous <strong>de</strong>mandant ce qui<br />
n’allait pas. Ne voulant pas nous étaler sur nos plaies, nous lui répondîmes que<br />
nous avions chu un jour d’un cheval et qu’il en était resté cela. Elle se<br />
prénommait Grace et faisait partie d’une organisation bouddhiste appelée<br />
Kaikan.<br />
Puisque notre chemin était le même, nous parlâmes beaucoup avec elle.<br />
Officiellement donc, nous étions tombé <strong>de</strong> cheval une dizaine d’années<br />
auparavant et après <strong>de</strong>ux opérations infructueuses, nous avions abandonné<br />
l’idée <strong>de</strong> guérir un jour. Amusons-nous, amusons-nous…<br />
En entendant ce récit, elle décida <strong>de</strong> nous donner ce qu’elle venait <strong>de</strong><br />
s’acheter, une petite fiole avec un remè<strong>de</strong> chinois à l’intérieur, liqui<strong>de</strong> à l’o<strong>de</strong>ur<br />
forte et fraîche d’eucalyptus. Nous refusâmes dans un premier temps<br />
(scrupules ?) mais elle insista et nous ne pouvions plus revenir sur notre récit.<br />
Nous nous assîmes donc sous un abribus et continuâmes notre conversation.<br />
De notre côté, nous lui contâmes nos <strong>de</strong>rnières aventures, en Thaïlan<strong>de</strong> et<br />
en Malaisie. Du sien, elle nous expliqua l’expérience qu’elle avait vécu avec<br />
Buddha. Elle nous donna même une formule <strong>de</strong> prière à Gohonzon pour<br />
réaliser nos vœux.<br />
Nous échangeâmes nos adresses et reprîmes notre route chacun <strong>de</strong> notre<br />
côté entre Sultan Ismail et Bukit Bintang.<br />
Nous reçûmes un courriel <strong>de</strong> notre mère qui nous écrivit d’aller à<br />
l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un rapatriement. Hélas ne pensons-nous pas que cela<br />
soit aussi simple. Les rapatriements se font pour les cas d’extrême urgence et<br />
nous, ne sommes qu’un cas désespéré.<br />
Elle mit toutefois le doigt sur un point essentiel : nos aventures en Asie<br />
touchent à leur fin…<br />
345
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
9 j u i n 2 0 0 3<br />
Petaling Jaya (Malaisie).<br />
Nous quittâmes définitivement le YMCA à 9h30. Avec tous nos effets,<br />
nous nous rendîmes <strong>de</strong> KL Sentral à Ampang Park pour aller à l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
France. Naturellement, nous oubliâmes que nous étions lundi <strong>de</strong> Pentecôte et<br />
que la France… Bref !<br />
Le gar<strong>de</strong> à l’entrée, un Malais qui arborait fièrement un écusson tricolore<br />
sur son épaule gauche, eut pourtant la gentillesse <strong>de</strong> nous appeler quelqu’un au<br />
téléphone ; il nous sembla reconnaître la voix du gendarme <strong>de</strong> la fois d’avant.<br />
Comme nous le pensions, pour les rapatriements, il fallait une urgence.<br />
NOUS-MÊME . <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, démer<strong>de</strong>z-vous ! Après tout est-ce normal,<br />
sinon y aurait-il trop <strong>de</strong> gens comme vous !<br />
Nous prîmes donc ren<strong>de</strong>z-vous pour le len<strong>de</strong>main dès 9 heures, heure<br />
d’ouverture <strong>de</strong> la butik France.<br />
Bon… Et ces francs-maçons, alors ? Et bien y allâmes-nous, une secon<strong>de</strong><br />
fois. Nous continuâmes sur la jalan Tun Razak et sonnâmes au 213. Cette foisci,<br />
une femme nous répondit à l’interphone et comme elle ne comprenait rien,<br />
un homme vint nous ouvrir la porte. Nous l’entrouvrir serait plus juste…<br />
Nous nous présentâmes succinctement : « Good morning! My name is<br />
<strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong>. I’m a French citizen traveling all around the World<br />
and… » et là il nous coupa sèchement avec un très brutal (insistons bien) :<br />
« No! OK? », avant <strong>de</strong> refermer la porte.<br />
Trop aimable !<br />
Rappelons, il nous semble, que la Franc-maçonnerie est sensée élever<br />
l’esprit <strong>de</strong> l’Homme à son faîte ; nous en étions loin ! Nous voulions<br />
simplement lui proposer <strong>de</strong> prendre un thé ; pff !<br />
Nous reprîmes ensuite un teksi jusques à l’église. Le père Volle avait un<br />
entretien alors attendîmes-nous qu’il pût nous recevoir. Nous lui expliquâmes<br />
notre situation et <strong>de</strong>mandâmes s’il pouvait nous héberger encore quelques<br />
346
Farang<br />
jours, jusques à ce que notre départ se précise. Il accepta évi<strong>de</strong>mment, les<br />
missionnaires étant généreux et bienveillants ! Il nous donna également 100<br />
ringgits pour tenir en attendant le PMO que notre mère comptait nous envoyer<br />
par la Western Union.<br />
Après une semaine <strong>de</strong> recherche, nous voilà revenu à notre point <strong>de</strong> départ,<br />
la chambre 12 <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong>s pères <strong>de</strong> Petaling Jaya ; triste déception ! Ce<br />
n’est pas grave, tout ne peut pas marcher à tous les coups ou nous dûmes faire<br />
une erreur quelque part ou enfin l’On<strong>de</strong> qui nous gui<strong>de</strong> a d’autres brises à nous<br />
proposer.<br />
Nous retournâmes donc à l’orphelinat. Les enfants nous manquaient en<br />
plus, nous aimons leur présence et voir le mon<strong>de</strong> dans leur regard.<br />
Aujourd’hui, c’était la reprise <strong>de</strong> l’école après environ une semaine <strong>de</strong> vacances.<br />
Lorsque nous arrivâmes, ils allaient prendre leur douche avant <strong>de</strong> manger,<br />
Pierre faisait <strong>de</strong>s photos et pendant ce temps-là, nous expliquâmes à<br />
Emmanuel notre situation et lui <strong>de</strong>mandâmes si nous pouvions louer la<br />
connexion à l’Internet <strong>de</strong> l’orphelinat <strong>de</strong> temps en temps, qu’ainsi cela nous<br />
évitait <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir nous rendre en ville. Il nous répondit que ce n’était pas la<br />
peine et qu’il n’y avait aucun problème.<br />
Nous déjeunâmes à la rumah une fois les enfants partis pour l’école et<br />
prîmes ensuite un teksi inutile pour la proche station Putra Taman Jaya, d’où<br />
nous allâmes au KLCC pour nous mettre en quête d’une Western Union.<br />
Après plusieurs essais infructueux dans diverses banques qui ne connaissaient<br />
même pas ce service pour la plupart, nous trouvâmes le réseau à la Bumiputra<br />
Bank, proche du Sungei Wang plazza sur jalan Bukit Bintang.<br />
Nous prîmes toutes les informations dont nous avions besoin et nous<br />
rendîmes au plazza chercher une agence <strong>de</strong> voyage. Nous en fîmes <strong>de</strong>ux mais<br />
elles étaient bien trop cher ; c’est que nous <strong>de</strong>vrons rembourser nos parents<br />
après, pensons-y !<br />
Nous allâmes donc au cybercafé. Nous trouvâmes un vol sur Eva Air <strong>de</strong><br />
Bangkok (où nous avions encore <strong>de</strong>ux sacs) pour Paris à 592 euros en aller<br />
simple.<br />
Nous envoyâmes les infos à notre mère. Il était déjà tard alors rentrâmesnous<br />
au KLCC ; il fallait fêter cela au Dunkin Donuts, assurément ! Nous<br />
347
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
prîmes le rail pour la station Putra Taman Jaya et marchâmes jusques à l’église<br />
environ quinze / vingt minutes pour retrouver notre lit.<br />
348
Farang<br />
1 0 j u i n 2 0 0 3<br />
Petaling Jaya (Malaisie).<br />
Nous nous réveillâmes très tôt aujourd’hui, vers 5 heures. Seulement<br />
mîmes-nous <strong>de</strong>ux heures à nous lever. Nous étions à l’orphelinat dès 8 heures,<br />
allâmes consulter notre courriel puis fûmes à l’ambassa<strong>de</strong> vers 10h30.<br />
Après trente minutes d’attente <strong>de</strong>vant TV5, Nancy Wallyn, la remplaçante<br />
<strong>de</strong> Valérie Thomas qui était en congés, nous reçut ; nous la trouvâmes elle<br />
aussi fort sympathique. Nous lui fîmes juste part <strong>de</strong>s événements récents<br />
qu’elle prit comme une excellente nouvelle. De toute manière, elle n’aurait pu<br />
faire mieux : contact avec les parents, transfert d’argent par la Western Union,<br />
à la rigueur une valise diplomatique pour le billet mais cela aurait pris <strong>de</strong>ux<br />
semaines. L’entretien terminé, nous la remerciâmes et elle nous <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> la<br />
tenir au courant par courriel.<br />
Nous nous rendîmes ensuite à la Blitz Production pour leur dire que nous<br />
partions, qu’ils pouvaient nous effacer <strong>de</strong> leur data et que <strong>de</strong> toute manière<br />
nous ne semblions pas être fait pour être mo<strong>de</strong>l vu l’échec du précé<strong>de</strong>nt<br />
casting ; ce n’était qu’un premier essai, convenons-en.<br />
Nous souhaitions consulter notre courriel au Bintang Café mais nous<br />
trompâmes <strong>de</strong> route, bien que la connaissant très bien. Nous nous étions<br />
proposé d’essayer un nouveau trajet pour finalement nous retrouver <strong>de</strong> l’autre<br />
côté <strong>de</strong> la ville, près <strong>de</strong> l’Agenda. Du coup, nous prîmes le rail pour le KLCC<br />
(encore), d’où nous retrouvâmes le cybercafé.<br />
Il était près <strong>de</strong> 14 heures lorsque nous ouvrîmes notre BAL. Nous<br />
passâmes les <strong>de</strong>ux heures suivantes au Sungei Wang à la recherche <strong>de</strong> beaux<br />
clichés sur la Malaisie, ayant vendu notre appareil photo numérique pour y<br />
venir. Nous fîmes tous les étages pour ne découvrir finalement qu’un <strong>de</strong>ssin <strong>de</strong><br />
Chiang Soa Ling que nous aimons beaucoup.<br />
Lorsque nous sortîmes du plazza, c’était le déluge ! Nous vîmes <strong>de</strong>s vagues<br />
sur la route, c’était hallucinant !! On se serait cru en Flori<strong>de</strong> pendant l’été 2001.<br />
Nous crûmes même un moment apercevoir l’Arche <strong>de</strong> Noé arriver entre <strong>de</strong>ux<br />
building mais ce n’était en fait que le monorail en test.<br />
Nous traversâmes donc la passerelle pour nous rendre au Lot 10 <strong>de</strong> l’autre<br />
349
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
côté <strong>de</strong> la route, nous arrêtâmes au Délifrance prendre une sala<strong>de</strong> et un<br />
chocolat chaud : cela faisait longtemps !<br />
Nous re<strong>de</strong>scendîmes après mais il pleuvait toujours à gran<strong>de</strong> eau. Le vent<br />
soufflait fort, il faisait froid alors, comme tout le mon<strong>de</strong>, nous attendîmes, assis<br />
en tailleur contre la vitrine <strong>de</strong> Guess.<br />
Au bout d’une heure environ, la pluie n’ayant pas cessé, une fille indienne<br />
nous <strong>de</strong>manda si cela ne nous dérangeait pas qu’elle prît place à côté <strong>de</strong> nous.<br />
NOUS . Of course not! Please!<br />
Cela nous donna l’occasion <strong>de</strong> faire connaissance avec elle. Elle s’appelait<br />
Amy : jolie, très gentille, parlant très bien anglais, beaucoup mieux que nous<br />
toujours.<br />
Nous parlâmes <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> rien, même <strong>de</strong> football ! De sol en si,<br />
finalement, la pluie cessa-t-elle. Nous nous séparâmes puis nous retrouvâmes<br />
pour échanger nos coordonnées. Elle ajouta qu’elle souhaitait beaucoup nous<br />
revoir <strong>de</strong>vant un verre avant notre départ et nous lui promîmes <strong>de</strong> la<br />
recontacter avant.<br />
De retour au cybercafé, nous eûmes une surprise énorme : Looi Chee<br />
Chong, le directeur <strong>de</strong>s relations publiques que nous avions rencontré à la Soka<br />
Gakkai, nous apprenait qu’il avait parlé <strong>de</strong> nous avec le directeur du comité et<br />
que travailler pour eux était envisageable, qu’il suffisait juste <strong>de</strong> lui dire nos<br />
vues côté salaire pour voir où nous placer. Hélas, nous lui répondîmes que<br />
notre retour en France avait été décidé et que nous ne pouvions plus reculer.<br />
Nous sommes passablement dégoûté mais bon, c’est la vie, et la vie<br />
aujourd’hui nous donna-t-elle une bonne leçon : toujours croire en notre<br />
Bonne Étoile !<br />
Nous lui proposâmes toutefois nos services au cas où, laissant toutes<br />
portes ouvertes.<br />
Pour achever cette journée aussi bien qu’elle avait commencé, nous allâmes<br />
manger chez Pizza Hut ; cela aussi nous avait manqué.<br />
Le ventre plein, le sourire aux lèvres, <strong>de</strong>s rêves plein la tête (comme<br />
350
Farang<br />
toujours), nous rentrâmes nous coucher à l’église.<br />
Cette journée fut réellement un bonheur !<br />
351
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 3 j u i n 2 0 0 3<br />
Petaling Jaya (Malaisie), 2h30.<br />
À 10 heures, nous allâmes prévenir le père Volle dans son bureau que nous<br />
partions le len<strong>de</strong>main ; il semblait heureux pour nous.<br />
Aujourd’hui, nous eûmes un programme chargé : nous <strong>de</strong>vions aller chez<br />
Emirates réserver notre billet d’avion, à la Soka Gakkai pour l’exposition et<br />
dîner avec Amy en fin d’après midi.<br />
Les bureaux d’Emirates étaient situés sur jalan P. Rawlee, dans la même<br />
tour que le très luxueux hôtel Sangri-la. La ven<strong>de</strong>use nous dit qu’il fallait<br />
réserver le billet sur l’Internet pour avoir le prix affiché. Pour cela, il fallait une<br />
carte bancaire ; les nôtres étaient toutes vi<strong>de</strong>s, voire plus que vi<strong>de</strong>s !<br />
Alors courûmes-nous vite à la première banque pour y ouvrir un compte<br />
mais la Hong Leon Bank n’accordait pas <strong>de</strong> carte à <strong>de</strong> simples touristes, <strong>de</strong><br />
même que la HSBC, <strong>de</strong> même que la Eon Bank, <strong>de</strong> même que la Maybank…<br />
Nous l’avions vraiment mauvaise !<br />
Nous tentâmes le tout pour le tout avec notre carte Bank of America au<br />
cybercafé ; miracle ! Pour <strong>de</strong> multiples raisons, très honnêtement, nous ne<br />
pensions pas que cela pût fonctionner.<br />
Nous retournâmes donc chez Emirates. Les ven<strong>de</strong>uses prirent tout leur<br />
temps pour finalement nous dire que c’était à Bangkok que nous <strong>de</strong>vions<br />
retirer nos billets. En ce qui concernait notre carte, elles avaient juste besoin du<br />
numéro pour la réservation et, manque <strong>de</strong> bol, aucune transaction n’avait été<br />
encore faite…<br />
Nous comptions nous rendre à la Soka Gakkai à 13h30 mais il était déjà<br />
16h20 quand nous sortîmes <strong>de</strong> là. Ne prévois jamais rien en Asie, Fidèle !<br />
Nous fîmes un rapi<strong>de</strong> passage au cybercafé et nous y rendîmes ; il était 17<br />
heures. Nous montâmes au second étage, où se trouvait le bureau <strong>de</strong> Looi. Il<br />
nous reçut et <strong>de</strong>scendit avec nous pour nous faire visiter la salle <strong>de</strong><br />
l’exposition. Les volontaires étaient en pleine discussion pour savoir comment<br />
disposer les toiles.<br />
Nous parlâmes beaucoup avec Looi entre temps, notamment <strong>de</strong> la place<br />
que nous pouvions occuper dans l’organisation. Il nous <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> revenir le<br />
352
Farang<br />
soir, si possible, car le chantier ne débutait que vers 19h30 – 20 heures.<br />
Nous retournâmes alors au Délifrance du Lot 10 où nous attendîmes Amy,<br />
qui arriva dix minutes en retard à cause <strong>de</strong>s bouchons monstres dans KL.<br />
Nous étions tous <strong>de</strong>ux confortablement installés dans nos grands fauteuils<br />
et avant <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r quoi que ce fût, nous parlâmes une vingtaine <strong>de</strong><br />
minutes, puis <strong>de</strong>vant un chocolat chaud, <strong>de</strong>s brownies, <strong>de</strong>s croissants et <strong>de</strong>s<br />
pains au chocolat jusques à environ 21 heures. C’était vraiment sympa ! Nous<br />
nous savions en retard vis-à-vis <strong>de</strong> Looi mais nous voulions profiter <strong>de</strong><br />
l’instant ; nous nous y sentions bien, enfin.<br />
Pourtant fallut-il que nous nous séparassions <strong>de</strong>vant le plazza, puisque<br />
nous avions un autre ren<strong>de</strong>z-vous. Elle nous fit promettre <strong>de</strong> lui écrire en<br />
français.<br />
À la Soka Gakkai, Looi n’était plus là et nous nous fîmes diriger jusques à<br />
la salle d’exposition où une dizaine <strong>de</strong> volontaires travaillaient d’arrache-pied<br />
pour essayer <strong>de</strong> donner corps aux tableaux. Ils avaient commencé vers 20<br />
heures et nous n’avions plus grand’chose à faire, hélas. Dès notre arrivée<br />
pourtant, nous fûmes accueilli avec joie et l’on nous remit une gran<strong>de</strong><br />
enveloppe à notre nom <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> Looi. Nous l’ouvrîmes donc et y<br />
découvrîmes <strong>de</strong>s informations sur la Soka Gakkai et sa branche en France. Il y<br />
avait également <strong>de</strong>s photographies <strong>de</strong>s œuvres exposées là en guise <strong>de</strong> ca<strong>de</strong>au.<br />
Nous trouvâmes l’attention vraiment généreuse.<br />
Nous aidâmes à disposer les toiles restantes, parlâmes beaucoup également,<br />
tout le mon<strong>de</strong> voulant en savoir plus sur nous, sur cette aventure. Ils étaient<br />
aussi surpris par notre âge.<br />
EUX . 21 years old… So young!<br />
À la fin, nous fîmes un tour dans toute l’exposition, parlâmes encore un<br />
peu et retournâmes au cybercafé. La connexion était morte pour ce soir,<br />
problème <strong>de</strong> fournisseur d’accès, semblait-il.<br />
Le rail fermant ses portes à minuit (il était 00h20), nous dûmes prendre un<br />
teksi pour rentrer à l’église.<br />
Nous fîmes notre lessive car dans quelques heures, nous partirons. Nous<br />
353
sommes épuisé !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
354
Farang<br />
1 4 j u i n 2 0 0 3<br />
Bangkok (Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Nous nous trouvons à l’instant sur notre lit, dans la chambre 410 du New<br />
Joe Guest House sur Khao San Road et nous mîmes plus <strong>de</strong> vingt-quatre<br />
heures pour y arriver.<br />
Avant <strong>de</strong> quitter Petaling Jaya, hier matin, nous allâmes dire aurevoir aux<br />
enfants et volontaires <strong>de</strong> la Rumah Ozanam. À 11h30, les pères Simon et Volle<br />
se rendaient à KL et nous profitâmes du voyage. Ils nous déposèrent au<br />
Terminal <strong>de</strong> bus près <strong>de</strong> China Town, le même par lequel nous étions arrivé<br />
dix-sept jours plus tôt.<br />
Nous n’attendîmes pas longtemps car notre bus, en plateform 7, pour<br />
Butterworth était déjà là et allait partir à 12h30. 20 ringgit et quatre heures<br />
cinquante plus tard, nous y arrivâmes pour monter vingt-cinq minutes plus<br />
tard dans un teksi pour Hat Yaï (45 ringgits). Nous étions trois dans la voiture,<br />
plus le chauffeur : un moine qui rentrait sans doute dans son wat, un homme<br />
d’affaire très (trop) bavard qui allait retrouver sa girlfriend à Hat Yaï, et nousmême<br />
qui étions seulement <strong>de</strong> passage.<br />
À la frontière, nous remplîmes les formalités avec l’ai<strong>de</strong> du chauffeur qui<br />
nous guidait et repartîmes. Il était 20 heures (+1 en Malaisie) lorsque nous<br />
arrivâmes à la station <strong>de</strong> bus <strong>de</strong> Hat Yaï. Là, nous échangeâmes dans une petite<br />
boutique tous nos ringgits en bahts, ce qui nous faisait une sacrée somme<br />
quand même ; la ven<strong>de</strong>use dut faire appel à un gars qui vint avec une autre<br />
caisse.<br />
La Thaïlan<strong>de</strong> nous avait vraiment manqué !<br />
Notre billet pour Bangkok nous coûta 690 bahts et nous partîmes à 21<br />
heures. Après un changement à 4 heures à Chumporn où nous attendîmes<br />
l’autre bus pendant une heure trente et une nuit agitée entrecoupée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
arrêts pipi / bouffe, nous pûmes, enfin, respirer l’air (pollué) <strong>de</strong> Bangkok, la<br />
cité <strong>de</strong>s anges où les anges sont tous noirs <strong>de</strong> crasse.<br />
À 13h15, un taxi nous proposa <strong>de</strong> nous conduire sur Khao San Road pour<br />
seulement 120 bahts…<br />
355
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
LE CHAUFFEUR DE TAXI . Special price for you!<br />
Nous lui fîmes un grand sourire niai et lui répondîmes, trop content <strong>de</strong><br />
nous faire comprendre.<br />
NOUS . Maï pen raï, dja khun rot mé kap haa bhat! 1<br />
Il sourit et nous leva son pouce d’un air complice.<br />
Dès notre arrivée sur Khao San Road, nous nous rendîmes à la guest house<br />
prendre une chambre pour <strong>de</strong>ux nuits, soit 600 bahts, et y déposer nos sacs en<br />
vitesse pour sauter sur le premier ordinateur venu avec une connexion à<br />
l’Internet.<br />
Ensuite, nous allâmes chez Emirates sur Sukhumvit 21 mais ils étaient<br />
fermés, ces cons (270 bahts <strong>de</strong> mototaxi pour rien !), alors rentrâmes-nous<br />
pour trouver une agence sur Khao San Road qui pouvait nous éditer un billet<br />
pour le len<strong>de</strong>main. En échange d’un reçu, nous la payâmes d’avance 18000<br />
bahts seulement, puisque déjà réservé sur le net.<br />
Après un tour dans la rue touristique et un bon repas au restaurant <strong>de</strong> la<br />
guest house (170 bahts), nous étions repu <strong>de</strong> notre journée.<br />
Allons nous coucher !<br />
1 . Trad. : « Ce n’est pas grave, je prendrai le bus pour 5 bahts ! »<br />
356
Farang<br />
1 5 j u i n 2 0 0 3<br />
Nous n’avons pas grand’chose à noter aujourd’hui.<br />
Bangkok (Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Nous nous levâmes à 8h30 et fîmes <strong>de</strong>s recherches jusques à 11 heures sur<br />
le Net dans un cybercafé <strong>de</strong> Khao San Road. Ensuite, nous passâmes à<br />
l’agence retirer notre billet et revînmes à la guest house où nous écrivîmes<br />
quelques idées ; nous aimerions en fait écrire un livre…<br />
À 19 heures, nous retrouvâmes le cybercafé pendant <strong>de</strong>ux heures puis<br />
allâmes dîner à la guest house : une sala<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s frittes et un jus d’orange.<br />
Là, nous sommes sur notre lit, nous zonons et allons nous endormir ;<br />
passionnante journée…<br />
357
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 6 j u i n 2 0 0 3<br />
Bangkok (Thaïlan<strong>de</strong>).<br />
Nous squattâmes le cybercafé <strong>de</strong> 9 à 11 heures, revînmes prendre nos<br />
effets à la guest house et traversâmes tout Khao San Road pour trouver une<br />
mototaxi qui veuille bien nous conduire aux MEP pour 100 bahts. Chargé<br />
comme nous l’étions, comme à notre arrivée en janvier <strong>de</strong>rnier d’ailleurs, nous<br />
faillîmes mourir trois fois mais arrivâmes vivant au Naraï Hotel, sur Silom<br />
Road, tout près <strong>de</strong>s MEP.<br />
C’est le père Le Bézu qui nous accueillit. Nous allâmes prendre nos sacs et<br />
dûmes faire un peu <strong>de</strong> tri pour ne pas emporter trop <strong>de</strong> poids ; le père nous<br />
permit d’utiliser une petite salle pour cela. Devant notre indécision, finalement<br />
gardâmes-nous tout, regroupant dans un sac ce que nous pouvions laisser à<br />
l’aéroport si nous n’avions pas les moyens <strong>de</strong> l’emporter.<br />
Vers 13 heures, nous quittâmes les MEP en remerciant sincèrement le père<br />
Le Bézu pour son accueil, qui nous dit que pour 100 bahts nous pouvions<br />
prendre le bus qui allait à l’aéroport <strong>de</strong>vant la mission. Il n’en coûtait en fait<br />
que 50.<br />
À l’intérieur, sur le trajet, nous discutâmes avec un australien <strong>de</strong> 45 ans qui<br />
avait passé quinze jours en Thaïlan<strong>de</strong>, entre Hat Yaï, Phuket, Chang Maï,<br />
Chang Raï, Bangkok. Nous ne tirâmes rien <strong>de</strong> bien intéressant <strong>de</strong> cette<br />
conversation sauf peut-être qu’il fut surpris qu’un Français ait pu et ait voulu<br />
enseigner l’anglais dans un village thaï. Nous lui répondîmes que maintenant<br />
nos élèves savaient-ils que l’anglais n’était pas aussi important qu’on voulait le<br />
leur faire croire.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Ce n’est pas bien, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, pas très éthique<br />
tout cela !<br />
D’une moue intéressée, il nous <strong>de</strong>manda s’ils le savaient ou le pensaient ;<br />
bonne question ! Nous lui répondîmes que nous le pensions et qu’eux le<br />
savaient désormais ; bonne réponse !<br />
Après un moment <strong>de</strong> silence, il nous <strong>de</strong>manda si nous avions eu <strong>de</strong>s affairs<br />
358
Farang<br />
en Thaïlan<strong>de</strong> pendant ces six mois – changement total <strong>de</strong> sujet… Nous<br />
refoulâmes la question <strong>de</strong> la main. Nous n’étions pas là pour cela <strong>de</strong> toute<br />
manière. Et puis, mer<strong>de</strong> à la fin, nous étions frustré <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux semaines ! Ne<br />
pouvait-il pas nous brancher sur quelque sujet plus… moral ?<br />
Trente ou quarante minutes plus tard – ou peut-être moins, nous n’avons<br />
plus aucune notion du temps –, nous arrivâmes à l’aéroport. Notre avion<br />
décollait à 1h25 et nous <strong>de</strong>vions attendre. Pour patienter, nous allâmes manger.<br />
Nous prîmes beaucoup <strong>de</strong> poids ici en si peu <strong>de</strong> temps : les gâteries <strong>de</strong>s sœurs<br />
<strong>de</strong> ban Song Yae, les donuts, les Pepsi, tout cela à répétition ; nous ne savons<br />
vraiment pas comment font les Thaïs ! Nous commandâmes une énorme pizza<br />
hawaïenne, <strong>de</strong>s pâtes à la carbonara et une banana split pour <strong>de</strong>ssert.<br />
Nous envoyâmes nos <strong>de</strong>ux sacs par avion cargo en fin <strong>de</strong> compte. Ayant<br />
vingt et un kilos <strong>de</strong> trop (nos sacs, pas nous, pas encore !), cela nous aurait<br />
coûté 21000 bahts supplémentaires pour les emporter avec nous ! En cargo,<br />
nous payâmes 7500 bahts et ils arriveront jeudi 19 à Genève. Nous <strong>de</strong>vrons<br />
donc dormir <strong>de</strong>ux nuits là-bas, les retirer vers 12h30 et prendre notre train<br />
pour Marseille où l’on viendra nous chercher en voiture. Tout un programme !<br />
Nous attendîmes dans un <strong>de</strong>mi-sommeil jusques à 00h10 pour embarquer<br />
vingt minutes plus tard. Une fois installé (trois fauteuils et un hublot pour nous<br />
seul), nous attendîmes que l’on décollât, regardâmes Comment se faire larguer<br />
en dix leçons et comptons là nous endormir en écoutant <strong>de</strong> la J-Pop.<br />
359
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 j u i n 2 0 0 3<br />
Genève (Suisse).<br />
Nous nous réveillâmes vers 3 heures pour petit-déjeuner complet et<br />
végétarien et arrivâmes comme prévu sur Dubaï à 4h20. Nous fîmes un petit<br />
tour dans cet aéroport hyper clean, changeâmes également nos <strong>de</strong>rniers bahts<br />
en dirham (souvenirs) et nous assîmes <strong>de</strong>vant notre hall d’embarquement, le<br />
numéro 29, ne sachant trop quoi faire d’autre.<br />
Nous montâmes dans l’avion à 7h50 sans problème particulier. Nous<br />
n’avions que <strong>de</strong>ux places pour nous cette fois-ci ; inadmissible ! L’avion était<br />
vraiment vi<strong>de</strong>, à croire que plus personne n’ose survoler l’Irak par les temps<br />
qui courent…<br />
Emirates prend grand soin <strong>de</strong> ses passagers ; ce n’est pas comme Air<br />
France ! Nous ne regrettâmes vraiment pas d’avoir choisi cette compagnie (en<br />
fait, c’était la moins chère) ! Il suffisait <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, à boire par exemple,<br />
n’importe quoi et gentiment, pour être servi. Sans cela, <strong>de</strong> toute manière, les<br />
hôtesses passaient régulièrement s’enquérir si besoin était, sans nous déranger<br />
pour autant. Pour finir, elles étaient vraiment belles.<br />
Nous ne réussîmes pas à dormir alors regardâmes-nous dans un premier<br />
temps About Schmidt avec Jack Nicholson. Nous en eûmes les larmes aux<br />
yeux, sur une scène et à la fin, bouleversant, très juste, très humain !<br />
Pour nous changer les idées, nous mîmes Shangai Kids. Nous regar<strong>de</strong>rons<br />
le premier épiso<strong>de</strong> une fois en France. À ce moment-là, par la fenêtre, nous<br />
faisions un passage au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la Turquie, magnifique ! Cette terre rouge,<br />
claire ou sombre, selon que les nuages la couvraient <strong>de</strong> leur ombre ou pas,<br />
c’était un enchantement <strong>de</strong> forêts épaisses ou basses. Au loin, une mer <strong>de</strong><br />
nuages, blancs, purs, cotonneux et par-<strong>de</strong>ssus tous inaccessibles. Cet océan<br />
blanc nous fascine tant. Nous tenons cela <strong>de</strong> notre mère.<br />
Nous arrivâmes à Zurich à l’heure et passâmes sans encombre à<br />
l’immigration avec notre passeport européen. Notre sac ne mit pas une minute<br />
pour apparaître sur le tapis <strong>de</strong> déchargement et à 14h13, nous montâmes dans<br />
le train pour Genève. Nous pûmes nous y reposer, c’était agréable.<br />
Nous arrivâmes dans le centre <strong>de</strong> Genève à 17h30. Nous avions envisagé<br />
360
Farang<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre au Cénacle mais, une fois là-bas, après une heure et <strong>de</strong>mie <strong>de</strong><br />
marche, nous nous aperçûmes qu’il était complet pour la nuit. Nous<br />
<strong>de</strong>mandâmes donc à l’accueil <strong>de</strong> nous indiquer une auberge <strong>de</strong> jeunesse pas<br />
loin du centre.<br />
Nous nous y rendîmes, toujours à pattes avec nos trois sacs et il <strong>de</strong>vait être<br />
21 heures lorsque nous lûmes sur la porte <strong>de</strong> l’auberge : « Complet ». Nous y<br />
entrâmes quand même pour nous en assurer et heureusement quelqu’un avaitil<br />
décommandé et pûmes-nous obtenir un lit dans la chambre 31 qui en<br />
comptait six.<br />
Nous re<strong>de</strong>scendîmes à la salle Internet écrire à nos proches que tout allait<br />
bien pour nous, remontâmes et prîmes une douche ; nous n’étions pas seul<br />
cette fois-ci…<br />
Allons dormir !<br />
361
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 8 j u i n 2 0 0 3<br />
Genève (Suisse).<br />
Notre lit était très confortable mais nos compagnons <strong>de</strong> chambre atroces ;<br />
ils ronflaient, ces cons ! Nous plaignons leurs copines, à supposer qu’ils<br />
arrivent à en trouver.<br />
À notre réveil, vers 7 heures, nous <strong>de</strong>scendîmes petit-déjeuner à la cantine :<br />
du pain, du beurre, du lait suisse, <strong>de</strong> la confiture à la fraise. Qu’il est bon <strong>de</strong><br />
retrouver l’Europe aussi !<br />
Nous passâmes la matinée à nous promener dans les rues <strong>de</strong> Genève. Les<br />
gens y sont charmants, les voitures laissent passer les piétons, le temps est frais<br />
pour quelqu’un qui a passé six mois en Asie du Sud-Est, l’eau <strong>de</strong>s fontaines est<br />
potable, il n’y a pas ou peu <strong>de</strong> papier par terre, toutes les cultures se<br />
confon<strong>de</strong>nt et s’enten<strong>de</strong>nt… Dit ainsi, avec un fort accent <strong>de</strong> Paul et Virginie,<br />
la vie semble presque belle !<br />
Vers 11h30, nous visitâmes la Boutique SNCF pour retirer notre billet.<br />
Nous fûmes prévenus <strong>de</strong>s éventuelles perturbations sur les gran<strong>de</strong>s lignes et là,<br />
pour le coup, nous sûmes que nous étions proche <strong>de</strong> notre pays !<br />
L’après-midi, nous continuâmes notre promena<strong>de</strong> et à 15 heures, nous<br />
embarquâmes pour une petite croisière autour du Lac <strong>de</strong> Genève avec une<br />
glace à l’italienne dans la main.<br />
Assis sur un banc du pont avant, le vent nous apportant gentiment les<br />
o<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> la montagne et du lac, nous passâmes tout ce temps à rêvasser, les<br />
yeux posés sur les cimes alpines.<br />
Nous allâmes jusques en vue <strong>de</strong> Lausanne, nous sembla-t-il, après un arrêt<br />
à Nyon où il y avait le tour <strong>de</strong> Suisse à vélo, ou un truc dans le genre.<br />
Il est encore tôt. Nous sommes à l’auberge, fatigué, grillé par le Soleil.<br />
362
Quelle journée <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> !<br />
Farang<br />
1 9 j u i n 2 0 0 3<br />
Genève (Suisse), 14h30.<br />
En ce moment, nous sommes sur un banc <strong>de</strong> la voie 7 en gare <strong>de</strong> Genève.<br />
Notre train pour Marseille fut annulé par <strong>de</strong>s connards en France, <strong>de</strong> vieux<br />
aigris jamais contents, cultivés dans un terreau <strong>de</strong> médiocrité qui prennent un<br />
malin plaisir à faire chier leur mon<strong>de</strong>, les usagers, à défaut <strong>de</strong> réellement<br />
pouvoir déranger leur patron <strong>de</strong>vant lesquels ils mouillent quand ils le voient.<br />
Du coup, ce n’est même pas le service public qui est critiquable, ce sont ses<br />
crétins d’agents !<br />
Si seulement on en virait quelques uns qui s’accrochent à leur ancienneté,<br />
tout irait beaucoup mieux ! Si au moins ils avaient une once <strong>de</strong> réflexion<br />
naissante dans leur esprit débile, ils laisseraient voyager les usagers sans les<br />
faire payer plutôt que <strong>de</strong> les bloquer injustement dans les gares ; ban<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
peigne-cul !<br />
Passons.<br />
Avec <strong>de</strong>s si, nous serions au pouvoir et il ne resterait plus beaucoup <strong>de</strong><br />
mon<strong>de</strong> sur Terre…<br />
Nous nous levâmes à 7 heures et <strong>de</strong>scendîmes petit-déjeuner à la cantine.<br />
Nous passâmes l’heure et <strong>de</strong>mie d’après sur l’Internet puis rendîmes notre clef<br />
électronique et quittâmes l’auberge pour la gare.<br />
Nous prîmes le train pour l’aéroport et là un véritable parcours du<br />
combattant se présenta à nous qui dûmes d’abord trouver la Thaï Airways<br />
Cargo Section ; nous mîmes une heure, après <strong>de</strong>ux comman<strong>de</strong>s sur la borne<br />
d’infos. Finalement, nous arrivâmes à la Jet Aviation qui s’occupait du fret <strong>de</strong> la<br />
compagnie thaïe.<br />
La femme <strong>de</strong> l’accueil nous dit gentiment qu’il y avait <strong>de</strong>s taxes d’aéroport<br />
et qu’il fallait dédouaner la marchandise ; pas étonnant, nous arrivons <strong>de</strong><br />
Thaïlan<strong>de</strong> et ils sont paranoïaques.<br />
Hélas n’avions-nous plus ni argent, ni temps pour cela. Nous étions<br />
effondré, sur le point <strong>de</strong> laisser ici les sacs contenant six mois <strong>de</strong> notre vie.<br />
Nous parlâmes pendant quelques minutes car elle semblait vraiment<br />
363
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
embarrassée pour nous. Ainsi donc nous proposa-t-elle <strong>de</strong> nous avancer<br />
l’argent. Elle nous dit que nous pouvions nous arranger entre nous par la suite,<br />
que c’était simplement une histoire <strong>de</strong> confiance. Sincèrement ne nous y<br />
attendions-nous pas ! Nous en avions les larmes aux yeux et le sourire aux<br />
lèvres !!<br />
Un autre problème survint cependant : l’avion avait été déchargé mais<br />
personne ne trouvait nos sacs… Elle nous dit que peut-être ils avaient été mis<br />
avec ceux <strong>de</strong>s voyageurs sur le tapis <strong>de</strong> déchargement. Quoi qu’il en fût, elle<br />
alla voir mais ne les trouva pas non plus. Nous nous effondrâmes à nouveau,<br />
c’était trop beau !<br />
Alors décidâmes-nous <strong>de</strong> finalement les laisser là en leur <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong><br />
nous envoyer un courriel s’ils arrivaient. Nous nous apprêtions à partir, laissant<br />
définitivement la Thaïlan<strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière nous quand l’incroyable qui nous fait<br />
croire au Destin arriva, en la personne d’un conducteur <strong>de</strong> petits wagons<br />
chargés <strong>de</strong>s quelques bagages restés malencontreusement dans la soute, dont<br />
les nôtres. Isabelle, la dame <strong>de</strong> l’accueil, se dépêcha alors <strong>de</strong> nous faire les<br />
papiers <strong>de</strong> dédouanement, espérant que les douaniers allaient être assez sympa<br />
pour nous vite recevoir sans nous fouiller.<br />
Les papiers remplis, elle nous dit <strong>de</strong> monter au premier étage. Là, un<br />
douanier les prit, nous lui expliquâmes notre situation d’urgence et il<br />
s’apprêtait à nous laisser partir quand l’un <strong>de</strong> ses collègues arriva pour lui<br />
intimer l’ordre <strong>de</strong> nous fouiller quand même.<br />
Nous re<strong>de</strong>scendîmes donc avant lui ouvrir nos sacs. Il fallut déballer tous<br />
les paquets, soigneusement protégés par <strong>de</strong>s Bangkok Post et du papier bulle<br />
pour ne les pas abîmer lors du transport ; nous étions dégoûté (pour le<br />
Bangkok Post) ! Il nous restait moins d’une heure et nous n’hésitâmes donc<br />
pas. Le douanier eut la gentillesse <strong>de</strong> faire au plus vite, sans réellement trop<br />
fouiller ; en quinze minutes, c’était torché.<br />
Nous retournâmes ensuite au guichet voir Isabelle. Elle nous <strong>de</strong>manda<br />
combien d’argent nous avions sur nous et avança le reste, soit 20 francs. Nous<br />
lui enverrons un chèque à l’adresse qu’elle nous laissa une fois <strong>de</strong> retour mais,<br />
très honnêtement, nous lui <strong>de</strong>vons beaucoup plus que cela : nos souvenirs !<br />
Nous plaçâmes nos quarante kilos d’effets sur le chariot <strong>de</strong> l’aéroport et<br />
repartîmes. Nous reprîmes un train pour Cornavin dix minutes plus tard,<br />
364
Farang<br />
arrivant à l’heure pour notre TGV. Une fois là-bas, nous passâmes la douane et<br />
rejoignîmes les voies 7 et 8 pour la France ; notre TGV était prévu à 13h36 et il<br />
était 12h50, nous étions dans les temps. Et bien non, il avait été annulé !<br />
Nous allâmes au guichet.<br />
L’AGENT CFF . Vous n’avez qu’à monter dans le premier train pour Lyon et voir<br />
là-bas, c’est à la SNCF d’assumer, pas à nous !<br />
Nous voilà donc assis sur notre sac d’habits, voie 7, à ruminer (déjà) contre<br />
ces franchouillards rétro-possédés et pourri-syndiqués !<br />
365
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 0 j u i n 2 0 0 3<br />
Aix-en-Provence (France).<br />
Hier, en fin <strong>de</strong> compte, ils affichèrent sur les panneaux que le TGV partait<br />
<strong>de</strong> la voie 8. Nous prîmes donc nos effets, repassâmes la douane et la<br />
rejoignîmes.<br />
Nous arrivâmes à Lyon <strong>de</strong>ux heures plus tard et nous rendîmes <strong>de</strong> suite à<br />
l’accueil pour prendre <strong>de</strong>s nouvelles. Un agent SNCF inscrit sur notre ticket<br />
une autorisation pour prendre le prochain TGV vers Marseille et nous<br />
montâmes <strong>de</strong>dans, après avoir acheté <strong>de</strong>s ma<strong>de</strong>leines avec les <strong>de</strong>rniers euros<br />
que nous avions gardés comme souvenir avant notre départ pour Bangkok, le<br />
13 janvier.<br />
Comme à chaque fois que nous revenions en Provence, notre cœur se<br />
réchauffa à la vue <strong>de</strong> la Sainte-Victoire au loin. En gare <strong>de</strong> Marseille, nous<br />
téléphonâmes à notre mère pour lui dire que nous étions arrivé. Elle nous dit<br />
que Virginie, notre sœur, venait nous chercher trente minutes plus tard.<br />
Entre temps, il y eut une alerte à la bombe. Sans se presser, les gens<br />
habitués sortirent pour rentrer <strong>de</strong>ux minutes après ; rien d’extraordinaire,<br />
encore une fausse alerte. C’est vraiment dommage, nous aurions pu<br />
agrémenter ce carnet d’une anecdote sympathique !<br />
Notre neveu et notre nièce vinrent nous sauter dans les bras quand nous<br />
les revîmes ; qu’ils nous avaient manqué !<br />
En ce moment, nous sommes chez notre sœur, sur son canapé, nous<br />
regardons Ko Lanta (celui <strong>de</strong> vendredi <strong>de</strong>rnier).<br />
Les petits avaient école aujourd’hui, nous nous levâmes donc à 7h30, les y<br />
conduisîmes avec notre sœur et passâmes la matinée à regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s conneries à<br />
la télé ; cela aussi nous avait manqué !<br />
À 14 heures, Virginie nous déposa chez MJD, à qui nous fîmes un récit <strong>de</strong><br />
notre voyage au bord <strong>de</strong> la piscine. Elle nous rejoignît avec les petits vers 17<br />
heures et nous repartîmes tous à 18h30.<br />
Ce soir, nous sommes <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> car Virginie est sortie en ville. Nous<br />
sommes donc <strong>de</strong>vant la télé, nous regardons à nouveau Ko Lanta et Greg<br />
machin (énorme connerie).<br />
366
Farang<br />
2 1 j u i n 2 0 0 3<br />
Aix-en-Provence (France).<br />
Aujourd’hui, c’était la kermesse <strong>de</strong>s petits. Pour Morgane, les parents<br />
n’eurent pas le droit d’y assister, Plan Vigipirate oblige ; n’importe quoi,<br />
bonjour la psychose ! Guillaume eut la sienne également, à la maternelle.<br />
À 15 heures, nous montons dans les Basses-Alpes chez nos parents, au<br />
château, pour fêter les 80 ans <strong>de</strong> notre grand-père.<br />
367
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
É p i l o g u e<br />
C’est ici la fin <strong>de</strong> notre voyage : six mois loin <strong>de</strong> notre famille, à l’aventure,<br />
dans une région que nous ne connaissions pas et dont nous rêvions, que nous<br />
apprîmes à apprécier, à aimer.<br />
Cela fut une expérience extraordinaire qui valait le coup, même si nous<br />
échouâmes à nouveau ici, tel une noix <strong>de</strong> coco jetée à la mer qui retrouve<br />
toujours son îlot.<br />
Tous les jours ne furent pas faciles mais, très franchement, nous ne<br />
souffrîmes pas beaucoup non plus, au contraire. Nous nous enrichîmes<br />
considérablement d’une chose que l’on n’apprend pas dans les livres :<br />
l’expérience <strong>de</strong> la vie.<br />
Les rencontres que nous fîmes, enfin, ajoutèrent par leur caractère<br />
exceptionnel une note d’espérance à la vision négative que nous portions sur le<br />
mon<strong>de</strong>. Tout comme elle, nous changeâmes : nous sommes désormais plus<br />
confiant, plus ouvert aux autres, plus désabusé aussi mais cela, nous le sommes<br />
profondément. Les personnes que nous rencontrâmes furent toutes ou<br />
presque bienveillantes à notre égard et nous ne pourrons jamais suffisamment<br />
leur signifier notre reconnaissance.<br />
Aujourd’hui inaugure une nouvelle aventure. Nous allons <strong>de</strong>voir nous<br />
trouver un boulot ici, y vivre quelque temps, nous construire une petite vie<br />
confortable, qui ne durera pas sans doute, mais nécessaire toutefois ; nous<br />
<strong>de</strong>vons rembourser notre mère désormais.<br />
Nous allons essayer <strong>de</strong> retourner vivre sur Aix, <strong>de</strong> nous trouver un<br />
appartement. Ceci est une autre histoire !<br />
368
É p i s o d e I V<br />
.<br />
S n o b e t h y s t é r o - é t h y l i q u e
Snob et hystéro-éthylique<br />
P r o l o g u e<br />
Nous eûmes une vision à notre retour d’Asie du Sud-Est : « <strong>Florimon</strong>-<br />
<strong>Louis</strong>, votre rôle sera dans les prochains mois <strong>de</strong> retourner la société et <strong>de</strong> lui<br />
montrer son cul ! »<br />
Nous aurions pu également intituler ce travail : Recueil d’un vieil aigri<br />
homo, mais nous pensâmes toutefois qu’il était plus ven<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> racoler les<br />
alcoolos et les voyeurs qui s’intéressent à la vie privée <strong>de</strong>s autres, en<br />
l’occurrence la nôtre et celle <strong>de</strong> notre proche entourage.<br />
Les articles ci-<strong>de</strong>ssous suivent nos humeurs et sont le récit <strong>de</strong> nos<br />
aventures déca<strong>de</strong>ntes, si souvent pathétiques.<br />
371
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 5 d é c e m b r e 2 0 0 3<br />
A C T E I<br />
Nous rencontrâmes Sofiane samedi soir sur le chat <strong>de</strong> Wanadoo, un Arabe<br />
<strong>de</strong> 30 ans, professeur <strong>de</strong> musculation, pas franchement malin mais super bien<br />
foutu. Après quelques échanges, il nous proposa un plan cul. Nous lui<br />
répondîmes que c’était absolument hors <strong>de</strong> question puisqu’il ne pouvait nous<br />
recevoir et que, <strong>de</strong>puis Olivier, les plans en voiture ne nous intéressaient plus.<br />
Il nous montra toutefois ses photos, et surtout promit <strong>de</strong> nous trouver <strong>de</strong>s<br />
clients fortunés parmi les siens et <strong>de</strong> nous donner <strong>de</strong>s cours particuliers quand<br />
il <strong>de</strong>scendrait sur Aix.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Tu parles que nous acceptons, mon gars ! Allons<br />
baiser !<br />
Il vint nous chercher près du Pasino et nous perdit dans la campagne, entre<br />
Aix-en-Provence et Marseille, lès un club hippique peu fréquenté le soir ;<br />
minuit sonnait.<br />
Lui était actif, voire super actif et nous doutions qu’il se fût jamais fait<br />
enculer ! Nous parlâmes un moment dans la voiture avec lui puis, son siège<br />
baissé, nous déplaçâmes sur lui à cheval – l’endroit étant somme toute le mieux<br />
indiqué pour telle acrobatie.<br />
Nous l’embrassâmes, caressâmes son sexe bandant à travers son pantalon<br />
pour finalement le doucement ôter. Nous nous trémoussâmes sur lui, rien <strong>de</strong><br />
très original, mais suffisant pour le faire jouir une première fois avant<br />
d’entreprendre quoi que ce fût d’autre, le laissant inon<strong>de</strong>r nos torses<br />
rapprochés <strong>de</strong> son sperme chaud mêlé <strong>de</strong> pisse. La sensation était agréable,<br />
notre appétit s’échauffa.<br />
Plus il en re<strong>de</strong>mandait, plus nous, docile, continuions. Nous l’embrassâmes,<br />
<strong>de</strong>scendîmes sur son torse bien <strong>de</strong>ssiné et humi<strong>de</strong>, l’embrassâmes, glissâmes<br />
sur lui, promenant notre langue sur son sexe énorme, le suçant avec plaisir. Il<br />
exaltait ! Nous remontâmes pour l’embrasser quand il nous dit qu’il voulait<br />
372
Snob et hystéro-éthylique<br />
nous prendre. Sans nous faire prier, à quatre pattes, il nous pénétra sur le siège<br />
avant <strong>de</strong> sa Golf – il était vraiment bien monté ! Nous prîmes énormément <strong>de</strong><br />
plaisir, probablement plus que lui qui jouit une secon<strong>de</strong> fois, dans nos<br />
profon<strong>de</strong>urs, lâchant un souffle viril.<br />
Il se retira et nous parlâmes à nouveau <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> rien. La conversation<br />
n’est jamais très fine dans un tel moment lorsque celui-ci est partagé avec<br />
quelqu’un que nous n’apprécions guère plus que pour son cul et sa bite.<br />
Après cinq minutes environ, nous n’en pouvions plus et reprîmes notre jeu.<br />
Cette fois-ci, c’est nous qui montâmes sur lui, en amazone, pour gui<strong>de</strong>r son<br />
membre qui nous pénétrait avec force, prenant toujours plus <strong>de</strong> plaisir. De son<br />
côté, il prit notre sexe dans sa main et le branla. Notre sperme allait s’écouler,<br />
nous accélérâmes notre mouvement pour le faire jouir en même temps. Nous<br />
déchargeâmes dans sa main, lui dans nos jolies fesses, une troisième fois.<br />
Nous étions épuisé, la con<strong>de</strong>nsation ruisselait sur les vitres. Nous nous<br />
reposâmes un instant sur lui avant <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nous reconduire.<br />
A C T E I I<br />
Hier soir, Sofiane nous recontacta pour nous proposer un plan à trois sur<br />
Marseille, chez quelqu’un qu’il venait <strong>de</strong> rencontrer sur le tchat. Nous nous<br />
étions beaucoup amusé samedi avec lui et acceptâmes sa proposition. Par<br />
ailleurs, c’est toujours fun d’aller chez les gens, pour s’y instruire.<br />
Il vint nous chercher comme la <strong>de</strong>rnière fois au Pasino. Sur le trajet jusques<br />
à Marseille, il nous parla <strong>de</strong> Thomas, 22 ans, le mec chez qui nous <strong>de</strong>vions<br />
nous rendre, le problème étant que Sofiane ne savait pas à quoi il ressemblait<br />
vraiment. Arrivé <strong>de</strong>vant sa porte, lieu du ren<strong>de</strong>z-vous, il passa avec la voiture<br />
sans s’arrêter pour voir à quoi lui et nous-même avions affaire. Thomas s’était<br />
dit mignon ; Diable, qu’il était gros et moche ! Nous prévînmes Sofiane qu’il<br />
était absolument hors <strong>de</strong> question que ce… mec… nous touchât, même pour<br />
un million. Hélas n’étions-nous pas venu pour rien et il voulait profiter <strong>de</strong> la<br />
chambre. Dans le couloir, nous fîmes clairement remarquer à Thomas que<br />
nous étions venu seulement en pensant trouver un mec mignon mais que lui<br />
n’était pas notre type et qu’il ne nous toucherait qu’en rêve !<br />
373
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Son appartement se trouvait dans une rési<strong>de</strong>nce étudiante ; lui était<br />
vacataire d’histoire dans un lycée. Nous entrâmes, il nous proposa fort<br />
heureusement à boire et les choses s’installèrent.<br />
Alors que Thomas suçait Sofiane sur son lit, son gros cul en l’air, nous<br />
regardions un film en VO sur Canal+, juste à côté d’eux, assis sur une chaise et<br />
complètement impassible à ce médiocre épiso<strong>de</strong>, n’attendant qu’une chose :<br />
nous faire bourrer comme <strong>de</strong>ux jours plus tôt !<br />
Thomas repu et parti, nous rejoignîmes Sofiane sur le lit, nous<br />
déshabillâmes sous ses caresses, bandant déjà à l’idée <strong>de</strong> retrouver ce sexe qui<br />
nous avait tant fait jouir, nous couchâmes sur le dos, lui sur nous et après<br />
d’assez longs préliminaires où se mêlèrent baisers et pipes, il releva nos jambes<br />
et mouilla notre ron<strong>de</strong>lle mendiante avec sa langue. Sans attendre, nous le<br />
priâmes <strong>de</strong> nous enculer et son sexe nous pénétra d’un coup d’un seul, avec<br />
vigueur toujours. Dans <strong>de</strong>s cris contenus, nous jouions un vrai film porno<br />
<strong>de</strong>vant un spectateur, Thomas, qui corrigeait ses copies. Sofiane nous<br />
embrassait, nous le sentions venir quand, sa main sur notre sexe qu’il branlait<br />
<strong>de</strong>puis le début, il nous inonda, plongeant jusques aux couilles son sexe dans<br />
nos jolies fesses.<br />
Après cela, nous parlâmes un peu avec Thomas, dans l’unique but <strong>de</strong><br />
reprendre <strong>de</strong> plus belle. Cette fois, nous ne voulions pas que Sofiane nous<br />
enculât. Nous avions envie <strong>de</strong> le chauffer, le tenter, le percer ! Nous étions<br />
allongé sur le dos, lui sur nous, toujours. Nous lui caressions son membre alors<br />
que le nôtre forçait l’entrée <strong>de</strong> son cul imberbe et chaud qu’il tenait fermé.<br />
Nous essayâmes <strong>de</strong> le convaincre <strong>de</strong> se détendre mais nos assauts restèrent<br />
sans effet.<br />
Finalement, nous ne déchargeâmes pas cette soirée-là mais l’aventure n’en<br />
fut que plus intéressante. Nous dûmes rester dans le lit <strong>de</strong> Thomas, un mec<br />
que nous ne connaissions ni <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts ni <strong>de</strong>s lèvres et pour lequel nous<br />
n’éprouvions que mépris injustifié, une heure trente environ. Sofiane nous<br />
reconduisit ensuite sur Aix et nous lâcha à la Roton<strong>de</strong>.<br />
A C T E I I I<br />
Nous avions encore trente minutes <strong>de</strong> marche au moins pour rentrer chez<br />
374
Snob et hystéro-éthylique<br />
notre sœur et il ne faisait pas chaud <strong>de</strong>hors. Nous avions les pattes gelées et un<br />
enthousiasme <strong>de</strong> marmotte. Après une soirée si follement jouissive, tout ce que<br />
nous voulions était prendre une douche et nous pieuter. Enfin… Il nous fallait<br />
bien rentrer ! Nous fîmes cent mètres et <strong>de</strong>vine sur quoi nous tombâmes,<br />
Fidèle ? Un homo <strong>de</strong>s rues ! C’est à dire un mec qui tournait dans sa voiture à<br />
la recherche d’une proie ; il <strong>de</strong>scendait le Cours Mirabeau. Nous le sentîmes<br />
venir et il nous suffit d’un coup d’œil pour savoir que nous ne rentrerions pas à<br />
pattes ce soir-là…<br />
Nous lui lançâmes donc un regard aguicheur (le fameux regard gay) qu’il ne<br />
comprit pas tout <strong>de</strong> suite. Il nous suivit, nous <strong>de</strong>vança parfois pour voir plus<br />
loin quel chemin nous prenions et nous dûmes remonter le Cours et la rue<br />
d’Italie en le regardant à chaque occasion pour qu’enfin il s’arrêtât et nous<br />
<strong>de</strong>mandât s’il pouvait nous déposer quelque part. Ce con aurait pu nous<br />
épargner <strong>de</strong> marcher si longtemps et puis nous n’aimions pas être chassé ;<br />
notre génie cruel <strong>de</strong> manipulateur entra en scène pour réclamer vengeance !<br />
Nous jouâmes le frêle innocent, il nous <strong>de</strong>manda où nous voulions aller,<br />
ajouta qu’il pouvait nous y déposer et nous lui répondîmes que nous rentrions<br />
chez nous mais que nous n’avions pas vraiment envie <strong>de</strong>… <strong>de</strong> ce qui venait<br />
après quoi… quand on montait dans une voiture avec un inconnu… Il nous<br />
promit qu’il n’y aurait rien et après une hésitation mille fois oscarisée, nous<br />
déniâmes monter dans sa Twingo noire.<br />
Notre chauffeur jetable <strong>de</strong>vait approcher les 45 ans. Nous parlâmes<br />
pendant le trajet, nous inventant une vie au fur et mesure <strong>de</strong> ses questions.<br />
Nous ne voulions pas sembler trop novice – notre rôle ne le voulait pas – alors<br />
lui annonçâmes-nous, comme cela, que pour 200 euros nous pouvions rester<br />
un peu plus, sachant que le pauvre possédait à peine <strong>de</strong> quoi se payer l’essence<br />
le soir pour sa chasse. Il ne sut que répondre, nous <strong>de</strong>manda si nous étions<br />
sérieux et, comme prévu, refusa notre offre, désorienté par notre nouvelle<br />
assurance.<br />
Arrivés près <strong>de</strong> chez notre sœur, nous lui fîmes signe <strong>de</strong> nous déposer et,<br />
avant <strong>de</strong> sortir, nous lui <strong>de</strong>mandâmes s’il n’y avait vraiment RIEN que nous<br />
puissions faire pour le remercier <strong>de</strong> ce trajet, ajoutant que tout service se<br />
payait, naturellement ! Il nous répondit, pauvre timi<strong>de</strong>, que non, que c’était<br />
sincère et désintéressé, qu’il n’avait besoin <strong>de</strong> rien, que nous étions sympa et<br />
375
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
que c’était <strong>de</strong> bonne grâce… Bref, <strong>de</strong>s conneries du genre !<br />
Nous fîmes donc mine <strong>de</strong> sortir.<br />
NOUS (d’un air envieux) . Dommage, j’suis sûr que j’aurais pu faire quelque chose<br />
mais bon, comme tu veux pas !<br />
Surpris, une nouvelle fois, il nous dit qu’un baiser… peut-être…<br />
Souriant intérieurement (nous avions vaincu !), nous refermâmes la portière<br />
et enfonçâmes le pieu du chasseur dans le chasseur. Nous nous approchâmes<br />
<strong>de</strong> lui, le levier <strong>de</strong> vitesse pour seul barrière, l’embrassâmes avec une main<br />
<strong>de</strong>rrière la nuque, l’embrassâmes bien, le laissâmes nous caresser le sexe, ne<br />
bandant pas, ne retenant <strong>de</strong> cette scène que le plaisir d’un jeu bien monté !<br />
Nous retirâmes notre langue <strong>de</strong> sa bouche, il nous dit que nous embrassions<br />
bien, il pensait la chasse payante quand nous lui tapâmes la nuque doucement<br />
avec la main et le regardâmes dans les yeux.<br />
NOUS . Ainsi, ce soir, même mon chewing-gum aura-t-il senti quelque chose !<br />
Nous lui tapâmes à nouveau la joue.<br />
As-tu vu The Truman Show avec Jim Carrey, Fidèle ? À la fin, Truman finit<br />
sur un mot, un « Ouais ! » qui veut dire : « Brave homme, je t’ai eu ! » Et bien la<br />
petite claque sur la joue voulait tout à fait dire cela : « Ouais, brave homme, tu<br />
peux retourner dans tes rêves maintenant et penser, seul la main sur ton sexe, à<br />
ce que tu viens <strong>de</strong> rater ! »<br />
Nous sortîmes <strong>de</strong> la voiture, lui souhaitant une bonne soirée, traversâmes la<br />
rue, jetâmes le chewing-gum <strong>de</strong>vant lui au pied d’un platane et le laissâmes,<br />
bandant et seul, dans sa Twingo noire…<br />
« Salope notoire ! » Oui, et alors ? Cependant, la pièce achevée, le ri<strong>de</strong>au<br />
baissé, le personnage re<strong>de</strong>vient-il la personne… Il paraît !<br />
376
Snob et hystéro-éthylique<br />
1 1 j u i l l e t 2 0 0 4<br />
Nous allâmes pour la première fois à Andorre les 8 et 9 juin <strong>de</strong>rniers, voir<br />
E. L., un client. Onze heures <strong>de</strong> voyage dans trois trains “génération Dachau”<br />
puis un bus pour franchir les cols : un véritable périple pour y seulement passer<br />
la nuit ! Heureusement E. L. était-il sympa et mangeâmes-nous dans un<br />
excellent restaurant chinois.<br />
Nous y retournâmes trois jours là. Franchement, il géra plutôt bien la<br />
chose : restaurant le soir à l’Hôtel Plaza, visite <strong>de</strong> l’église <strong>de</strong> Meritxel le<br />
len<strong>de</strong>main, déjeuner à l’Ermitage, shopping à Andorre-la-Vieille, le même resto<br />
chinois que la fois précé<strong>de</strong>nte, la nuit au Mort Qui T’ha Mort (une boite dite<br />
gay), et mieux que tout le <strong>de</strong>rnier après-midi aux Thermes <strong>de</strong> Caldéa. Le<br />
bonheur aquatique, un véritable festival Son et Eau dont il faut absolument<br />
voir un jour la splen<strong>de</strong>ur, sous les cimes pyrénéennes !<br />
Après un bon massage facial <strong>de</strong> quarante-cinq minutes et un repas à<br />
l’Aquarius, nous reprîmes tout pimpant notre train, onze heures <strong>de</strong> voyage<br />
toujours mais étrangement beaucoup plus supportables.<br />
Vive la prostitution !<br />
377
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 6 j u i l l e t 2 0 0 4<br />
Soirée enrichissante, en tous points <strong>de</strong> vue, encore !<br />
Nous passâmes avec P., un client, la nuit <strong>de</strong> samedi aux Trois Maillets, rue<br />
Galan<strong>de</strong>, quartier Saint-Jacques (il nous semble, nous étions pinté). Ce pubbar-restaurant-cabaret<br />
au sous-sol est simplement terrible ! Nous te le<br />
recommandons vivement, Fidèle, d’autant plus que, d’après P., seuls les vrais<br />
Parisiens connaissent, ne figurant dans aucun gui<strong>de</strong>. Par contre, nous y<br />
brûlâmes notre pantalon avec la cire d’une bougie en tentant désespérément<br />
d’allumer notre clope avec ; quel con ! Nous <strong>de</strong>vions vraiment être pinté à 6<br />
heures quand nous en sortîmes. D’ailleurs, nous pensons avoir baptisé une<br />
Merco <strong>de</strong>vant P. ; la classe, bébé !<br />
Dimanche, Tour <strong>de</strong> France. Un bor<strong>de</strong>l monstre sur Rivoli ! Nous voulions<br />
faire du shopping. Impossible, trop <strong>de</strong> touristes agitant frénétiquement leurs<br />
drapeaux ridicules ; une <strong>de</strong>mi-heure pour nous rendre <strong>de</strong> la sortie <strong>de</strong>s Tuileries<br />
à Rivoli ; la mer<strong>de</strong> quoi ! Nous eûmes même droit à « Grand-Mère sait faire<br />
[son putain <strong>de</strong>] bon café ! » remixé par la caravane publicitaire pendant près <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux heures ; formidable ! Nous n’étions pas préparé à cela, ni mécontent <strong>de</strong><br />
retrouver au soir la relative tranquillité <strong>de</strong> la Provence.<br />
Retour chez nous donc, le feu, logique ! Nous ramenâmes un TGV entier<br />
<strong>de</strong> pompiers <strong>de</strong> la BSPP pour l’occasion, tous trop beaux mais en service.<br />
Vive l’été !<br />
378
Snob et hystéro-éthylique<br />
4 s e p t e m b r e 2 0 0 4<br />
Virginie, un amie, et nous-même allâmes hier à la Foire Internationale <strong>de</strong><br />
Marseille pour assister à la journée officielle <strong>de</strong> l’Algérie. C’est accueilli à<br />
l’entrée du Parc Chanot en VIP par une hôtesse que nous entrâmes, libre <strong>de</strong><br />
visiter les expositions avant le cocktail dînatoire <strong>de</strong> 17h30.<br />
Ne nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas, Fidèle, pourquoi nous <strong>de</strong>vions assister à ce banquet,<br />
ni elle ni nous n’étions au courant. Nous avions <strong>de</strong>s invitations écrites par le<br />
directeur du pavillon, pourquoi nous en serions-nous privé, n’est-ce pas ?<br />
À la sortie <strong>de</strong>s expositions <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, un bus <strong>de</strong> l’Établissement du Sang<br />
Français attendait les donneurs. Nous invitâmes Virginie à tenter l’expérience.<br />
Pour notre part, nous avions déjà donné quinze fois <strong>de</strong>puis le lycée. Elle, était<br />
vierge <strong>de</strong> toute pénétration (<strong>de</strong> ce genre). Nous entrâmes dans le bus, la<br />
tension était à son comble. Non ! En fait, cela sentait surtout la collation<br />
offerte. On nous donna à boire et nous dûmes remplir le traditionnel et bien<br />
débile formulaire <strong>de</strong> questions connes. Virginie passa la première dans le<br />
cabinet. Tout se passa bien (elle mentit sur son orientation sexuelle) et elle<br />
s’apprêtait à subir l’épreuve tant redoutée lorsque vint notre tour. Nous<br />
entrâmes en confiance, l’habitu<strong>de</strong> ne trompant pas. Nous nous assîmes et<br />
poussâmes l’expérience jusques à plaisanter avec le mé<strong>de</strong>cin qui nous <strong>de</strong>manda<br />
si nous avions déjà eu <strong>de</strong>s relations homosexuelles. C’était trop tentant !<br />
NOUS . Oui, évi<strong>de</strong>mment, je suis gay !<br />
Elle ferma notre dossier.<br />
LE MÉDECIN . Je suis désolée, Monsieur, je ne peux pas prendre votre sang.<br />
NOUS . Pourquoi ça ? Ça fait déjà quinze fois que je le donne et je ne suis pas<br />
gay d’hier, vous savez !<br />
LE MÉDECIN . C’est tout simplement interdit ! C’est une loi parlementaire et<br />
nous considérons qu’il y a plus <strong>de</strong> risques chez les homosexuels, vu les<br />
pratiques auxquelles ils s’adonnent dans leur milieu.<br />
379
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
NOUS . Là, je suis d’accord avec vous, mais quand même je suis conscient <strong>de</strong>s<br />
choses, je me protège autant que n’importe quel hétéro, sinon plus.<br />
LE MÉDECIN . Je suis désolée, je vais <strong>de</strong>voir clore votre dossier, à vie.<br />
NOUS . À vie ?<br />
LE MÉDECIN . Une seule relation homosexuelle suffit à vous interdire <strong>de</strong> donner<br />
votre sang à l’EFS ; vous avez un co<strong>de</strong>-barres, vous ne pourrez plus venir chez<br />
nous à vie, c’est comme ça.<br />
NOUS . Bien… Personnellement, je n’y gagne rien à donner, je fais ça par<br />
civisme. Permettez-moi <strong>de</strong> dire que je trouve absur<strong>de</strong> d’en arriver là. D’autant<br />
que le sang que vous prélevez est testé avant d’être transfusé. Enfin, vous êtes<br />
mé<strong>de</strong>cin, je ne vais pas discuter non plus, c’est juste absur<strong>de</strong>.<br />
Embarrassée, elle ferma le débat en même temps que notre dossier.<br />
Désormais donc, à vie, notre co<strong>de</strong>-barres nous interdit <strong>de</strong> donner notre sang…<br />
Fuck la charité et vive le progrès technique !<br />
LA MASSE INCULTE . Eh les mecs, r’gar<strong>de</strong>z y’a <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> là-bas ! – Hein,<br />
qui ça ? – Mais si, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong>, le pédé marqué ! – Ah ouais,<br />
c’est vrai, j’avais entendu cette histoire, on <strong>de</strong>vrait les gazer ces gens-là ! –<br />
Ouais, trop pas bien d’êt’ pédé, <strong>de</strong>vraient même pas avoir l’droit d’respirer<br />
notre air !<br />
Passons.<br />
Nous rejoignîmes Virginie qui donnait son sang et était prête à sombrer<br />
alors que l’infirmière soulevait son fauteuil pour lui redonner <strong>de</strong>s couleurs. Une<br />
<strong>de</strong>uxième collation nous fut servie et nous lui racontâmes ce qu’il venait <strong>de</strong> se<br />
passer. Nous lui en avions fait part avant, nous savions bien que les<br />
homosexuels n’avaient pas le droit <strong>de</strong> donner leur sang, mais, par esprit<br />
purement anti-cons, nous avions toujours menti à ce sujet, sauf ce jour-là,<br />
parfaite justification d’une rumeur, belle et bien fondée cette salope ! Par<br />
ailleurs, il faut bien l’avouer, notre vie sexuelle n’est plus aussi saine qu’il y a<br />
quelques mois… Mais quand même, la raison <strong>de</strong> notre ire n’est pas<br />
personnelle.<br />
380
Snob et hystéro-éthylique<br />
Un peu plus tard, le mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> l’EFS nous rappela pour nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
d’une voie mielleuse à souhait si nous pouvions repasser au bus pour faire <strong>de</strong>s<br />
analyses afin <strong>de</strong> clore notre dossier. À la bonne heure, Virginie et nous-même<br />
avions encore un petit creux.<br />
Il s’agissait <strong>de</strong> cinq tubes à essais : hépatites, sérologie, tout l’touti quoi !<br />
Sans oublier celui qui sera congelé pendant dix ans. On sait jamais, <strong>de</strong>s fois<br />
qu’on s’plaigne, notre sang d’homo jouera l’excuse médiatique !<br />
Le mé<strong>de</strong>cin nous remercia finalement d’avoir accepté <strong>de</strong> revenir ; il n’y<br />
avait aucune raison <strong>de</strong> refuser <strong>de</strong> toute manière. Elle nous confia qu’à notre<br />
place, elle aurait <strong>de</strong>puis longtemps perdu patience. Elle avait passé un coup <strong>de</strong><br />
fil et son supérieur lui avait dit que <strong>de</strong> nouvelles lois… conneries, conneries,<br />
conneries… C’est sans importance !<br />
Nous passâmes en priorité et l’infirmière qui nous préleva fut dépitée en<br />
entendant notre récit.<br />
L’INFIRMIÈRE . L’EFS homophobe maintenant, ça alors ! J’aurais jamais cru ça !<br />
NOUS . Et pourtant…<br />
Nous sortîmes du bus et continuâmes notre visite par une glace et un crash<br />
test en Clio avec la sécurité routière. Au passage, il est interdit en voiture <strong>de</strong> :<br />
porter une casquette, croiser les jambes, porter la ceinture sous le bras, laisser<br />
traîner <strong>de</strong>s CDs, <strong>de</strong>s livres, <strong>de</strong>s bouteilles, ou quoi que ce soit hors <strong>de</strong>s<br />
compartiments prévus à cet effet ; il est naturellement interdit <strong>de</strong> fumer, <strong>de</strong><br />
téléphoner, <strong>de</strong> conduire pinté, <strong>de</strong> tourner la tête pour parler à son voisin, <strong>de</strong><br />
l’écouter d’ailleurs. Quant à la musique… Non plus ! N’écoute surtout pas Rire<br />
et Chansons, Fidèle, tu risquerais d’avoir une crampe d’estomac et d’être<br />
responsable d’une catastrophe sur l’A8. Tout cela pour un délire entre <strong>de</strong>ux<br />
jeunes qui simulaient un acci<strong>de</strong>nt en rentrant du Spartacus, pintés, et qui n’en<br />
avaient vraiment rien à foutre <strong>de</strong> savoir si oui ou non ils voulaient allaient<br />
retrouver leur vie d’after.<br />
Passons cela également.<br />
Électrisé, nous passâmes au cocktail. Bon, OK !, nous n’avions pas la<br />
tenue, mais on n’allait pas non plus nous interdire d’entrer alors que nous<br />
381
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
étions invité ; mer<strong>de</strong> quoi ! À l’entrée <strong>de</strong> la tente, notre hôte confia au creux <strong>de</strong><br />
notre oreille précieuse que nous ne portions vraiment pas une tenue<br />
appropriée mais que nous pouvions entrer, quand même. Nous n’avions<br />
pourtant rien à faire là, reconnaissons-le. Pour preuve, <strong>de</strong>vant la maquette d’un<br />
port, pensant reconnaître la Corniche Kennedy, un mec se retourna pour nous<br />
dire qu’il s’agissait du Port Autonome d’Alger. Hum… Autant pour nous !<br />
Qu’il s’agisse d’Algériens ou <strong>de</strong> Français, quand on parle bouffe, ce sont<br />
tous <strong>de</strong> vulgaires estomacs sur pattes ! Virginie ne put même pas réussir à<br />
trouver un canapé ; quant à nous, nous dûmes littéralement nous battre avec<br />
une mama en plumes pour le <strong>de</strong>rnier sandwich au jambon. Tu parles d’un<br />
dîner mondain ! Expulsé vers la sortie, où se trouvait notre place en définitive,<br />
rentrer à nouveau n’aurait été que folie.<br />
Nous nous séparâmes <strong>de</strong> Virginie dans le métropolitain. Dans le TER pour<br />
Aix-en-Provence, nous repensâmes à tous ces interdits et une<br />
incompréhension nous vint à l’esprit.<br />
Nous passâmes en 2003 six mois en Asie du Sud-Est. Nous travaillions<br />
dans un orphelinat et soignions <strong>de</strong>s enfants sidéens, sans gants inutiles pour ne<br />
pas les perturber (choix personnel). Nous vivions avec eux, partagions tout.<br />
Ensuite, nous allâmes en Malaisie. À la frontière, nous dûmes subir <strong>de</strong>s tests <strong>de</strong><br />
température car nous étions en pleine zone <strong>de</strong> pneumonie atypique. Dans<br />
notre vie, nous risquâmes même les attaques à l’anthrax en Flori<strong>de</strong>, après avoir<br />
assisté à l’effondrement <strong>de</strong>s Deux Tours en direct sur Fox News, et nous ne<br />
savons quoi encore…<br />
À notre retour d’Asie du Sud-Est, nous parlâmes <strong>de</strong> tout cela au mé<strong>de</strong>cin<br />
<strong>de</strong> l’EFS au CHU d’Aix-en-Provence, on nous fit <strong>de</strong>s tests et nous pûmes<br />
redonner notre sang en janvier. Et nous ne pouvons plus le donner À VIE<br />
parce que nous sommes homo ? Serait-ce une si grave maladie ? Nous<br />
commençons <strong>de</strong> nous le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r !<br />
Invoquer le prétexte que le SIDA se propage plus vite dans le milieu gay<br />
n’est pas suffisant pour nous interdire <strong>de</strong> donner. Attention ! Samedi soir nous<br />
étions au Spartacus, donc forcément nous visitâmes la backroom et nous fîmes<br />
prendre par tous les plus gros pervers alcooliques, tatoués et infectés <strong>de</strong> la<br />
boîte ; logique <strong>de</strong> l’EFS ? On dirait bien ! À nous on interdit <strong>de</strong> donner notre<br />
sang. À ceux qui l’ont contaminé il y a quelques années, on leur permet encore<br />
382
Snob et hystéro-éthylique<br />
une existence politique. Veuillez nous pardonner dès lors ne n’être qu’un<br />
simple citoyen ! À bon enten<strong>de</strong>ur, allez vous faire foutre !!<br />
383
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 0 s e p t e m b r e 2 0 0 4<br />
Notre <strong>de</strong>rnier mandat : huit jours en Gua<strong>de</strong>loupe du 11 au 19 septembre,<br />
dans une immense propriété entourée <strong>de</strong> canne à sucre, loin <strong>de</strong> tout, à regar<strong>de</strong>r<br />
CanalSat ou à profiter <strong>de</strong> la piscine <strong>de</strong> quatorze mètres à débor<strong>de</strong>ment, une<br />
verre <strong>de</strong> rhum jamais loin ; c’était d’un ennui, Fidèle, comme tu n’as pas idée !<br />
Nous ne revînmes <strong>de</strong> cette aventure que plus enrichi, certes, mais nous ne<br />
comprendrons jamais pourquoi nous avoir fait venir <strong>de</strong> si loin pour à peine<br />
profiter <strong>de</strong> nos services. Oserions-nous être vexé que nous le serions !<br />
D’un autre côté, n’est pas homo qui veut ! Il faut une certaine dose <strong>de</strong><br />
problèmes dans la tête pour cela, rechercher au minimum la déviance.<br />
Producteur <strong>de</strong> rhum, notre client <strong>de</strong>vait sans doute associer son travail à la<br />
dégustation plus que nécessaire. Brave et honnête homme, nous pouvons en<br />
témoigner mais <strong>de</strong> là à avoir un go<strong>de</strong> niché à la place du cerveau, tout <strong>de</strong><br />
même !<br />
En Gua<strong>de</strong>loupe, c’est simple et si peu caricatural, les métropolitains gays<br />
sont tous ou presque <strong>de</strong>s bites en esprit ; quant aux locaux ils sont tous ou<br />
presque idiots.<br />
Sordi<strong>de</strong> critique, convenons-en, mais nous n’aimons pas rester sur notre<br />
faim. Avouons cependant que nous ne regrettons pas cette expérience, loin <strong>de</strong><br />
là, au contraire, mais ça pète <strong>de</strong> pouvoir dire d’un air snob et imbuvable :<br />
« C’était d’un ennui cette année la Gua<strong>de</strong>loupe ! La prochaine fois, chéri, nous<br />
irons à Dubaï ! »<br />
384
Snob et hystéro-éthylique<br />
7 o c t o b r e 2 0 0 4<br />
Faculté <strong>de</strong> Lettres et Sciences Humaines d’Aix-en-Provence (France), amphi C, 18h37.<br />
Un enseignant blatère sur son podium et passe <strong>de</strong> Jean-Jacques Rousseau à<br />
Marguerite Yourcenar pour nous prouver que Mimêsis est selon Platon la<br />
confusion <strong>de</strong> tout. Face à un tel désordre, comment ne pas sombrer dans la<br />
caverne <strong>de</strong> l’absolu désespoir ?<br />
Nous écrivons donc sans gran<strong>de</strong> inspiration, ce cours d’Esthétique inhibant<br />
nos pensées. Un brouhaha émerge <strong>de</strong> notre incompréhension et il semble que<br />
chaque mot glisse sur notre autel sans qu’il puisse accrocher notre attention.<br />
D’un autre côté, nous ne sommes ici que par observation et ne tirerons <strong>de</strong><br />
cette expérience qu’un goût pour l’Art fortement modéré par un orateur dépité<br />
<strong>de</strong>vant tant <strong>de</strong> nullité académique. Il faut bien avouer que la gran<strong>de</strong> majorité<br />
<strong>de</strong>s étudiants présents dans cette amphithéâtre ne sait même pas pourquoi elle<br />
y est…<br />
18h45.<br />
L’introduction s’achève ; courage, nous sortirons <strong>de</strong> ce cours vers 20<br />
heures.<br />
Platon, La République… Rien que le titre nous fait pousser <strong>de</strong>s herpès.<br />
Vive l’aristocratie !<br />
Platon condamne et nous, pauvre âme spiritueuse, décrochons <strong>de</strong> nouveau.<br />
« Ça va jusque là ? », <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le professeur. Nous répondons : « Est-ce par<br />
timidité ou désespoir que tout le mon<strong>de</strong> ne dit mot et n’ose avouer son errance<br />
intellectuelle ? »<br />
Parole, geste, danse, apparence et mouvement <strong>de</strong>s animaux et <strong>de</strong>s<br />
Hommes. C’est cela Mimêsis ! Oui ! Nous l’avons enfin en notre possession, ce<br />
terme ! Mimêsis est donc l’origine du Théâtre, <strong>de</strong> la Tragédie. Elle est<br />
l’imitation <strong>de</strong> la réalité <strong>de</strong>s sentiments. Mimêsis, c’est notre copine !<br />
Passons.<br />
Platon distingue ce qui est aux normes <strong>de</strong> l’exposition d’un récit par le<br />
poète sans volonté <strong>de</strong> l’imiter intégralement, telle Mimêsis. Il prend partie pour<br />
385
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
cette forme d’exposition. Ainsi est-il nécessaire <strong>de</strong> distinguer toujours l’image<br />
<strong>de</strong> son modèle et Platon pose cela déjà dans le livre III <strong>de</strong> La République.<br />
Nous sommes atterré ! Un antique philosophe grec vient <strong>de</strong> nous parler à<br />
travers ce petit bonhomme en bas <strong>de</strong> l’amphi. Nous voyons <strong>de</strong>s mots…<br />
Achevez-nous, nous <strong>de</strong>venons fou, nous ne faisons plus la différence entre<br />
notre image et nous-même. Que nous arrive-t-il ? Nous sommes fou. Nous<br />
voyons <strong>de</strong>s mots partout. Sommes-nous ces mots ? Est-ce nous qui les dictons<br />
ou notre image qui nous les impose ?<br />
19h02.<br />
Première question conne : une fille dans les premiers rangs ne comprend<br />
pas le mot scientifique “anthropomorphisme”… Quand nous t’écrivons,<br />
Fidèle, qu’il y a <strong>de</strong>s étudiants qui sont à la faculté sans savoir pourquoi ils y<br />
sont, il faut nous croire !<br />
Platon critique l’impressionnisme.<br />
Les questions connes fusent, les étudiants fuient, une heure <strong>de</strong> cours à<br />
peine après le début <strong>de</strong>s festivités. Tant <strong>de</strong> courage, <strong>de</strong> volonté et <strong>de</strong> sérieux<br />
sont saisissants ! Notons quand même que si nous étions ici pour apprendre<br />
quelque chose et non pour accompagner Niko, un ami, nous aurions déjà<br />
emprunté furtivement la porte <strong>de</strong> secours en haut à gauche.<br />
Une pause ; est-ce tellement nécessaire ?<br />
19h13.<br />
19h26.<br />
Reprise. Encore quelques mots sur ce que nous venons <strong>de</strong> développer et<br />
après nous aurons droit à une séance diapos. Lumineuse idée !<br />
Voilà, nous le savions, la coupure coupa notre élan. Deux heures <strong>de</strong> cours,<br />
que Diable ! Une pause était-elle absolument indispensable ? Les cancéreuses<br />
démangeaient-elle à ce point leurs poumons ingrats ?<br />
Platon se sert souvent d’une analogie entre la peinture et le miroir – le<br />
reflet séculaire – car elle peut tout représenter d’une part, et qu’elle a une<br />
386
Snob et hystéro-éthylique<br />
fonction presque magique, une fonction <strong>de</strong> prodige. Le miroir était représenté<br />
dans l’Antiquité comme lieu d’apparitions. « Ô mon beau Miroir, dis-moi qui<br />
est la plus belle ? »<br />
Le blanc écran s’affiche. Représentation !<br />
387
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 1 o c t o b r e 2 0 0 4<br />
T’es-tu déjà promené, Fidèle, le long d’un parc, la nuit, dans une gran<strong>de</strong><br />
ville ? As-tu déjà eu le sentiment dans ta vie <strong>de</strong> passer pour un morceau <strong>de</strong><br />
vian<strong>de</strong> que l’on aimerait embrocher ? Enfin, n’as-tu jamais remarqué comme<br />
les hommes s’avilissent parfois au point <strong>de</strong> passer pour les plus ineffables<br />
pervers que la société ait connus ?<br />
Des animaux… Non ! Des bêtes humaines plus précisément, <strong>de</strong>s singes <strong>de</strong><br />
foire auxquels il ne faut jamais, jamais, confier tes cacahuètes !<br />
Fidèle, je te souhaite la bienvenue dans le mon<strong>de</strong> merveilleux <strong>de</strong> l’homo<br />
<strong>de</strong>s rues.<br />
Hier soir, nous ressentîmes l’envie subite d’aller à la chasse aux idées. Nous<br />
songeâmes tout d’abord à parcourir les bars et les pubs du centre-ville aixois<br />
pour y trouver un vieil alcoolique beurré qui nous aurait conté, au son d’une<br />
douce mélodie métallique, sa <strong>de</strong>rnière vision. Toutefois, nous nous souvînmes<br />
que nous avions toujours voulu écrire sur le défilé <strong>de</strong> guimbar<strong>de</strong>s, avenue <strong>de</strong>s<br />
Armées d’Afrique, qui s’y produit tous les soirs. « Tiens ! Voilà du boudin !<br />
Voilà du boudin ! »<br />
Depuis le parc Jourdan jusques au viaduc du TER en bas <strong>de</strong> l’avenue, un<br />
lieu <strong>de</strong> “drague” gay connu <strong>de</strong> toute la région. Sur les trottoirs, les places <strong>de</strong><br />
parking, la route même, c’est l’invasion, l’ultime chance <strong>de</strong> ne pas passer sa nuit<br />
son prochain quart d’heure seul.<br />
Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, rien à faire : l’homo <strong>de</strong>s rues est<br />
toujours présent ici, prêt à bondir. Il ro<strong>de</strong> telle une femelle en chaleur à la<br />
recherche <strong>de</strong> son coup du soir dont il n’attend qu’une chose : la plus intime<br />
soumission ! Te donner plus <strong>de</strong> détails serait purement explétif, nous nous en<br />
passerons donc.<br />
Nous <strong>de</strong>scendîmes cette avenue <strong>de</strong>puis le parc Jourdan, nous attardant sur<br />
une démarche lente et appliquée ; il était 00h13. Il y avait encore du peuple<br />
dans la rue, la cité universitaire toujours ouverte, le club <strong>de</strong> salsa toujours plein.<br />
Les voitures bordaient la route et nous dûmes hélas attendre <strong>de</strong> passer le pont<br />
du Coton Rouge pour laisser le champ libre à nos investigations.<br />
La para<strong>de</strong> commençait, les voitures montaient et <strong>de</strong>scendaient. Ce sont<br />
388
Snob et hystéro-éthylique<br />
toujours les mêmes d’un soir à l’autre, certains s’ajoutant parfois et d’autres<br />
partant voir ailleurs si la cueillette est meilleure – les fleurs y étant peut-être<br />
plus ouvertes, va savoir…<br />
Nous ne nous fîmes pas abor<strong>de</strong>r cette fois-là, il leur fallait d’abord voir et<br />
revoir si nous étions suffisamment convenable à leurs attentes – nous n’avions<br />
heureusement aucun doute là-<strong>de</strong>ssus. Une Renault Kangoo passa, ralentit ;<br />
nous regardâmes son chauffeur, où plutôt la place qu’il <strong>de</strong>vait occuper car avec<br />
les pleins phares dans les yeux et les fenêtres fermées, nous n’avions guère<br />
d’autre choix. L’homo <strong>de</strong>s rues ne refoule pas le courage et l’assurance ! À<br />
grand’peine, nous maintînmes notre regard et passâmes notre route : la cible<br />
était accrochée et nous n’eûmes pas besoin <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux minutes pour nous<br />
en assurer, le temps pour elle <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>mi-tour en haut <strong>de</strong> l’avenue et <strong>de</strong><br />
rééditer son passage. Cette fois, nous étions du bon côté <strong>de</strong> la route ; la voiture<br />
passa, se rangea plus loin.<br />
La technique d’approche changea, les feux s’éteignirent, la vitre à la place<br />
du mort s’entrouvrit, laissant un léger filet d’air envahir la pesante atmosphère<br />
que dégageait cet animal en rut.<br />
Là, l’homo <strong>de</strong>s rues offre trois variantes : la première consiste à allumer<br />
son portable et feindre la rédaction d’un SMS ; la secon<strong>de</strong> à attendre que l’on<br />
tape à sa vitre pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r naïvement sa route, ou peut-être combien il<br />
propose, ou encore tout simplement ce qu’il recherche ; la troisième enfin à<br />
ouvrir une conversation niaise d’un : « Bonsoir jeune et tendre morceau <strong>de</strong><br />
vian<strong>de</strong> ! », « Que fais-tu seul dans la rue à cette heure-ci ? », « Tu vis chez tes<br />
parents ? », « Tu es perdu ? », où, comme nous l’entendîmes une fois : « Tu<br />
connais un endroit où on peut draguer ici ? »<br />
Le pire est qu’ils pensent réellement être en train <strong>de</strong> draguer… Tu parles !<br />
Ils draguent comme on drague un étang, à savoir on ramasse tout ce qui traîne<br />
et on s’en accommo<strong>de</strong> !<br />
Celui-là nous proposa la secon<strong>de</strong> variante. Nous n’approchâmes pas notre<br />
nez <strong>de</strong> son antre, <strong>de</strong> peur d’y sentir une pâle o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> syphilis. Nous jetâmes<br />
seulement un rapi<strong>de</strong> regard aguicheur en passant <strong>de</strong>vant sa voiture pour<br />
joindre le trottoir d’en face, histoire <strong>de</strong> ne pas perdre un si précieux sujet<br />
d’étu<strong>de</strong>.<br />
De l’autre côté, sur le parking <strong>de</strong> la crèche (!), ce sont parfois dix à quinze<br />
389
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
voitures, les jours <strong>de</strong> grand rassemblement, qui se côtoient. Nous ne<br />
poussâmes pas l’expérience <strong>de</strong> nous y rendre pour parler avec ces mecs qui,<br />
c’est une évi<strong>de</strong>nce, sont <strong>de</strong> vraies têtes pensantes. Un jour peut-être irons-nous<br />
engager la conversation sur la pensée pascalienne et son influence sur l’histoire<br />
<strong>de</strong> l’Ancien Régime mais, pour l’heure, nous préférâmes jouer la carte <strong>de</strong> la<br />
médiocrité qui semblait, ne leur en déplaise, plus idoine.<br />
Une ban<strong>de</strong> était regroupée autour d’une Clio grise. Nous la fixâmes en<br />
passant et, passé, les portières se fermèrent et les moteurs s’échauffèrent.<br />
Nous tournâmes sur l’avenue Jules Ferry. Certains nous auraient déjà collé<br />
au cul si un feu rouge ne s’était pas interposé. Finalement, une seule voiture<br />
s’engagea. Elle nous suivit, passa au ralenti, laissant son chauffeur nous<br />
reluquer <strong>de</strong>rrière sa vitre, toujours fermée.<br />
Un peu plus loin encore, nous retrouvâmes la voiture rangée sur notre côté,<br />
son chauffeur au volant, tout moteur coupé et vitre gran<strong>de</strong> ouverte.<br />
Nous passâmes sans le regar<strong>de</strong>r puis revînmes sur nos pas, nous baissâmes,<br />
le saluâmes et lui <strong>de</strong>mandâmes <strong>de</strong> la plus naïve <strong>de</strong>s façons pourquoi il nous<br />
suivait ainsi. Il nous répondit qu’il nous trouvait charmant et qu’il aimerait…<br />
Nous le coupâmes en lui répondant que nous n’étions pas débile et que nous<br />
connaissions très bien ce lieu mais que nous n’y étions pas pour trouver notre<br />
coup du soir, que nous ne faisions que passer. Nous ajoutâmes que nous<br />
trouvions pathétique <strong>de</strong> s’adonner à <strong>de</strong> telles rencontres, dans la rue, tels <strong>de</strong>s<br />
chiens en manque.<br />
Le chien avait mordu et la conversation s’installa. Tant pis pour Pascal ! Il<br />
s’agissait pour lui désormais <strong>de</strong> légitimer cet endroit.<br />
Notre cobaye d’environ 40 ans nous expliqua donc qu’il avait un copain (<strong>de</strong><br />
notre âge) mais que <strong>de</strong> temps en temps il avait envie d’aller voir ailleurs et que<br />
cet endroit était indiqué comme le plus efficace. Il argua pour cela que les mecs<br />
qui venaient ici ne se posaient pas <strong>de</strong> questions, ne se prenaient pas la tête, que<br />
nous <strong>de</strong>vions être flatté <strong>de</strong> nous sentir ainsi désiré, etc., etc., etc.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Bouffon, quand nous marchons dans la rue et que<br />
nous attirons le regard <strong>de</strong> mecs qui cherchent à mettre au chaud leurs bijoux <strong>de</strong><br />
famille, nous ne nous sentons pas flatté, tout juste dégoûté !<br />
390
Snob et hystéro-éthylique<br />
Nous continuâmes en lui faisant prendre conscience que si nous<br />
cherchions un plan cul, nous dirigerions nos recherches vers un mec mignon<br />
<strong>de</strong> notre âge qui roulerait dans autre chose qu’une AX vieille <strong>de</strong> dix ans. Nous<br />
terminâmes en lui souhaitant <strong>de</strong> trouver le fruit <strong>de</strong> sa convoitise dans ce<br />
marché ambulant et <strong>de</strong> ne plus nous suivre car il perdrait son temps et que<br />
nous n’aimerions pas avoir à attester <strong>de</strong> son harcèlement. Vexé probablement,<br />
mais refroidit, il remit le contact et fuit la queue entre les jambes.<br />
Il était près <strong>de</strong> 00h45 et les festivités ne faisaient que commencer en haut<br />
mais nous <strong>de</strong>vions réfléchir alors fîmes-nous le tour <strong>de</strong> l’Arc par la rivière et<br />
remontâmes ensuite par l’IUT. Trente minutes s’écoulèrent ainsi.<br />
Il nous fallait rejoindre le centre-ville et nous n’avions pas encore toutes les<br />
observations dont nous avions besoin pour notre article. Nous envisageâmes<br />
donc un second passage.<br />
Il y avait beaucoup moins <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> qu’au premier et nous ne retrouvâmes<br />
pas le mec à l’AX ; sans blague ! De nouveaux étaient arrivés en revanche, <strong>de</strong><br />
nouveaux sujets d’étu<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s petites souris <strong>de</strong> laboratoires toutes prêtes à être<br />
disséquées…<br />
Malheureusement, personne ne nous aborda. Toutefois, juste après le<br />
viaduc, nous passâmes <strong>de</strong>vant un mec planté sur le trottoir dont le visage nous<br />
était familier. Étrange, nous n’arrivions pas à le remettre. En remontant, nous<br />
réfléchîmes sans trouver.<br />
Nous nous assîmes un moment sur un banc, <strong>de</strong>vant le passage souterrain<br />
qui conduit à la fac <strong>de</strong> Lettres et la chose nous revint. Nous l’avions croisé au<br />
Med Boy, LE bar gay en centre ville.<br />
Nous pensions en venant ici que les mecs que l’on y croisait étaient <strong>de</strong>s<br />
gens <strong>de</strong> passage, <strong>de</strong>s homos refoulés, <strong>de</strong>s mecs mariés, <strong>de</strong>s pervers, <strong>de</strong>s<br />
prostitués, <strong>de</strong>s… <strong>de</strong>s mecs sans imagination, incapables <strong>de</strong> trouver leur<br />
bonheur autre part que sur du bitume. Et bien non, il y avait aussi <strong>de</strong>s mecs<br />
que nous croisions dans la rue, dans les bars, dans notre entourage ; shame!<br />
Bon, d’un autre côté, nous adorons le Med Boy mais la crème <strong>de</strong> la société<br />
n’y est pas représentative. Même si nous nous y amusons bien, souvent, la<br />
clientèle pue le Milieu.<br />
391
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Avant d’achever cet article, précisons que ce qui nous gène, ce ne sont pas<br />
les mecs qui cherchent un plan cul ou ceux qui trompent leur copain ou les<br />
mecs mariés avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> nouvelles expériences, encore moins les prostitués,<br />
évi<strong>de</strong>mment.<br />
Nous trouvons écœurant en revanche que tout ce petit mon<strong>de</strong> vienne dans<br />
la rue, dans un endroit bien précis, para<strong>de</strong>r dans <strong>de</strong>s voitures minables d’un<br />
parking à un autre, prêt à sauter sur le premier passant venu, et près d’une<br />
crèche surtout !<br />
LA GOSSE . Papa, t’es vilain, tu m’as mentie ! Les bébés naissent pas dans les<br />
mamans. Hier à l’école j’ai appris qu’ils naissent dans <strong>de</strong>s petits sacs en<br />
plastique !<br />
SON PÈRE . Comment ? Que dis-tu, ma chérie ?<br />
LA GOSSE . Ben oui, tu m’as dit que le papa met la petite graine dans la maman<br />
avec son zizi et que neuf mois plus tard on a un bébé. Et ben non, t’es un<br />
menteur ! Hier j’ai trouvé <strong>de</strong>s petites graines sous l’arrêt <strong>de</strong> bus, elles étaient<br />
enfermées dans un sac en plastique. Je l’ai ouvert pour libérer les bébés, j’ai<br />
même goûté et tu sais quoi, papa, ben ça a un drôle <strong>de</strong> goût les graines qui font<br />
les bébés !<br />
SON PÈRE . Allo… Oui, Docteur ? J’aimerais prendre ren<strong>de</strong>z-vous, s’il vous<br />
plaît… Une analyse oui… Oh oui, très longue je crois !<br />
Bref ! Tout cela pour nous, c’est amusant, nous en jouons. Mais imagine,<br />
Fidèle, que certains reviennent là tous les soirs, qu’ils se préparent pour cela,<br />
qu’ils le prévoient même et que pour eux tout ceci porte un nom : draguer !<br />
Pour nous, c’est une para<strong>de</strong> <strong>de</strong> coqs désespérés.<br />
392
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 n o v e m b r e 2 0 0 4<br />
Parfois, le thème d’un article nous tombe <strong>de</strong>ssus alors que nous ne<br />
l’attendons plus. Il était 19h40 ; on frappa à notre porte.<br />
C’était notre propriétaire, nous lui <strong>de</strong>vions le loyer d’octobre, nous étions<br />
en retard d’un mois <strong>de</strong>puis août, <strong>de</strong>puis que nous avions quitté Monoprix sur<br />
un caprice (nous en avions marre <strong>de</strong> bosser). Ce n’est pas la mort, un mois <strong>de</strong><br />
retard ! Cela faisait pourtant trois mois que la comédie se jouait à cette même<br />
pério<strong>de</strong>. Mais enfin, il voulait <strong>de</strong>s comptes.<br />
Remontons d’une semaine. Tout commença avec la lettre suivante :<br />
« Aix-en-Provence, le 26 octobre 2004.<br />
« Monsieur Viriot,<br />
« À ce jour, vous ne m’avez toujours pas remis les quittances <strong>de</strong> loyer <strong>de</strong>s<br />
mois <strong>de</strong> : mai, juin, juillet, août et septembre 2004. Je vous signale que celles-ci<br />
doivent être remises au locataire en échange du paiement du loyer, surtout si<br />
celui-ci est payé en espèces. Il reste donc, bien entendu, que mon loyer ne vous<br />
sera réglé désormais que si vous me remettez la quittance en compensation<br />
(Page 2, paragraphe VII du bail).<br />
« J’ajoute que j’envisage vivement <strong>de</strong> recourir pour les mois qui suivent à<br />
un paiement par virement bancaire.<br />
« J’en profite pour vous rappeler, également, que les joints <strong>de</strong>s robinets<br />
n’ont toujours pas été changés, comme il était convenu lors <strong>de</strong> la signature du<br />
bail, le 1er mars 2004. Le bailleur est tenu <strong>de</strong> délivrer un logement en état et<br />
d’en assurer les réparations qui lui incombent (Page 2, paragraphe V du bail).<br />
« Vous semblez être exigeant sur la régularité quant au paiement du loyer,<br />
alors soyez-le aussi en ce qui concerne vos obligations envers vos locataires.<br />
« J’ose espérer que cette situation sera vite rétablie et, comptant sur votre<br />
compréhension, je vous prie <strong>de</strong> croire, Monsieur, en mes sentiments les plus<br />
respectueux.<br />
« <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong> »<br />
393
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous la lui envoyâmes, sur les conseils avisés <strong>de</strong> notre mère, pour nous<br />
protéger. Payer en liqui<strong>de</strong> et ne pas recevoir <strong>de</strong> quittance en échange ne nous<br />
plaisait guère. En fait, ce n’était pas tellement cela. À notre <strong>de</strong>rnière entrevue,<br />
c’est-à-dire début octobre, lorsque nous lui payâmes septembre, il nous parla<br />
sur un ton menaçant, hautain, irrespectueux et surtout – la pire <strong>de</strong>s choses que<br />
nous puissions concevoir chez un être intelligent –, il leva le ton, ce qui tendait<br />
à prouver qu’il ne l’était pas vraiment, intelligent ! Il menaça d’appeler nos<br />
parents. En gros : « Mais heuu ! Arrête ou j’le dis à ta maman ! »<br />
Il nous déclarait la guerre, soit, nous nous engagions !<br />
Ce soir donc, il vint nous prévenir (bien tard) qu’il l’avait reçue.<br />
NOUS . Bonsoir !<br />
MONSIEUR VIRIOT . J’ai bien reçu votre lettre. Il est où mon loyer d’octobre ?<br />
Un veau beuglant n’aurait pas été plus direct. Nous sortîmes <strong>de</strong> notre<br />
appartement, il était hors <strong>de</strong> question qu’il y entrât. Il ne faisait pas froid<br />
<strong>de</strong>hors mais son haleine féti<strong>de</strong> et alcoolisée laissait échapper une vapeur entre<br />
les mots qu’il éructait.<br />
NOUS . Monsieur, je m’excuse mais je reçois <strong>de</strong> l’argent sur mon compte tous<br />
les 5 du mois et je vous donnerai votre loyer au plus vite, comme tous les mois.<br />
Son esprit s’échauffa, notre calme et notre indifférence à ses<br />
bouillonnements gastriques semblaient l’énerver au plus haut point.<br />
NOUS . Je sais que j’ai un mois <strong>de</strong> retard, seulement je ne peux pas faire<br />
autrement. Je vous le réglerai dès que possible et tout rentrera dans l’ordre.<br />
MONSIEUR VIRIOT . Non, c’est hors <strong>de</strong> question. De toute manière, vous allez<br />
recevoir un recommandé vous aussi, vous allez quitter l’appartement. Et pour<br />
le prélèvement, j’en veux pas.<br />
NOUS . Pourquoi ça ? De toute manière, je ne vais pas pouvoir faire autrement.<br />
N’ayant pas <strong>de</strong> quittance…<br />
394
Snob et hystéro-éthylique<br />
MONSIEUR VIRIOT . Je les ai vos quittances, dans la poche, mais je veux pas vous<br />
les donner.<br />
Mort <strong>de</strong> rire ! Il aurait ajouté un : « Nah ! » que nous n’aurions pas été<br />
étonné.<br />
MONSIEUR VIRIOT . Et pour les prélèvements, je ne suis pas d’accord. Si le<br />
prélèvement est refusé, ça va encore repousser d’un mois.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . C’est surtout que tu ne déclares pas tout et que ça<br />
t’emmer<strong>de</strong> ; avoue, facho !<br />
NOUS . C’est malin ! Si je vous ai envoyé une lettre recommandée, c’est que je<br />
vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> mes quittances <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois et que je voulais me couvrir,<br />
c’est tout, y’a pas mort d’homme.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Tu nous fais chier, vieux con ! Nous t’avons vexé<br />
avec notre lettre ? Tu es rancunier ? Va te faire foutre !<br />
MONSIEUR VIRIOT . Vous touchez la CAF, j’ai rempli le papier ! Je vais leur<br />
écrire. Je vais leur dire que vous n’êtes pas à jour et ils stopperont votre ai<strong>de</strong>.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Nous aimerions bien voir ça !<br />
NOUS . Oui, c’est malin, encore une fois. Ainsi aurai-je moins <strong>de</strong> problème à<br />
l’avenir pour vous le régler, votre loyer…<br />
Et tout cela avec le plus grand calme.<br />
Là, il alla aux boites aux lettres, regarda son courrier, sortit une lettre et<br />
nous continuâmes, <strong>de</strong> loin.<br />
NOUS . Monsieur Viriot, il me faut absolument mes quittances. Quant au<br />
prélèvement, je ne vais pas pouvoir faire autrement.<br />
MONSIEUR VIRIOT . Vous n’aurez qu’à retirer l’argent à votre banque, en liqui<strong>de</strong> !<br />
NOUS . Je ne vais pas pouvoir, pour raison personnelle.<br />
Il faut nous avouer un don certain pour énerver les gens… Il s’apprêtait à<br />
395
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
partir, nous laissant comme un con mais nous continuâmes encore.<br />
NOUS . Monsieur Viriot, pour mes quittances, c’est important !<br />
Il revint en mettant sa main sur la poche <strong>de</strong> son blouson miteux.<br />
MONSIEUR VIRIOT . Je les ai là vos quittances, je vous les donnerai pas ! Vous<br />
allez recevoir une lettre pour aller vivre ailleurs. Si vous pouvez déjà !<br />
NOUS . Monsieur Viriot, je n’ai qu’un mois <strong>de</strong> retard et ce n’est pas<br />
condamnable, vous le savez très bien et c’est ça qui vous ennuie !<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Touché !<br />
MONSIEUR VIRIOT . Vous n’avez pas le droit d’avoir même un mois <strong>de</strong> retard.<br />
Vous allez avoir un mois <strong>de</strong> retard toute votre vie comme ça ?<br />
Particulièrement drôle, la caricature d’opérette sur cette réplique.<br />
NOUS . Non, je vous le payerai dès que possible, lorsque je travaillerai.<br />
MONSIEUR VIRIOT . Quand vous travaillerez… Oui, évi<strong>de</strong>mment ! Vous avez <strong>de</strong><br />
l’argent pour m’envoyer un recommandé mais pas pour votre loyer ? Et puis<br />
c’est en écoutant la musique toute la journée là-<strong>de</strong>dans que vous aller trouver<br />
un travail ?<br />
Et en plus il nous espionnait ! Précisons que nous ne sommes que<br />
rarement chez nous (là-<strong>de</strong>dans) et que nous y laissons la musique en<br />
permanence pour Ophélie, notre ficus mélomane. Par ailleurs, que nous<br />
cherchions ou pas un travail n’était pas son problème. Quel con !<br />
NOUS . C’est vraiment malin ! Ne soyez pas sarcastique, vous croyez que ça fait<br />
avancer les choses <strong>de</strong> sortir ça ?<br />
MONSIEUR VIRIOT . Ne me cherchez pas la p’tite bête ! Elle est bien belle votre<br />
lettre mais vous allez voir, moi aussi je sais envoyer <strong>de</strong>s recommandés, et bien<br />
396
Snob et hystéro-éthylique<br />
montés. Je vais vous les donner vos quittances. Tenez ! Si le 5 je n’ai pas<br />
octobre, j’appelle la CAF !<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Coulé !<br />
C’est en voyant ce genre <strong>de</strong> mecs barbares, incultes et haineux que nous<br />
nous rendons compte que l’Homme n’a vraiment aucune chance <strong>de</strong> survivre à<br />
lui-même. On a déclaré <strong>de</strong>s guerres pour moins que cela, tu sais, Fidèle ? C’est<br />
pathétique !<br />
Nous prîmes nos quittances en le remerciant, il partit. Nous lui<br />
souhaitâmes sèchement la soirée bonne. Il est 20h33, nous attendons encore sa<br />
réponse…<br />
397
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
8 n o v e m b r e 2 0 0 4<br />
Nous passâmes encore notre après-midi à la Faculté <strong>de</strong>s Lettres et Sciences<br />
Humaines d’Aix-en-Provence. Nous <strong>de</strong>vions à midi y rejoindre Niko et faire la<br />
connaissance d’un petit troupeau d’homos <strong>de</strong> FAG (une association gay que<br />
nous n’aimons pas) afin d’en tirer quelques anecdotes.<br />
Arrivé <strong>de</strong>vant l’amphi H pour suivre un cours d’Histoire <strong>de</strong> l’Art sur la<br />
Renaissance, il n’y avait personne. Niko finit par arriver seul. Dommage pour<br />
notre article, nous aurions tant voulu l’agrémenter <strong>de</strong> quelques croustillantes<br />
mais ce sera pour une fois prochaine.<br />
Nous ne revînmes toutefois pas l’esprit vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> cet après-midi académique.<br />
Après un cours fort intéressant sur la vertu <strong>de</strong> la noblesse pendant la<br />
Renaissance et sa représentation symbolique au travers <strong>de</strong> tableaux et <strong>de</strong><br />
fresques, nous allâmes manger un sandwich plutôt sec à la cafétéria pour finir<br />
<strong>de</strong>vant l’amphi Guyon vers 14h15. Là, nous rencontrâmes Nicolas (un autre,<br />
tous les Nicolas sont homos…), mignon et sympathique jeune homme qui<br />
arriva <strong>de</strong> Paris <strong>de</strong>ux mois plus tôt pour suivre <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s d’espagnol puis d’art<br />
plastique ici. Et le voilà, lui, inspirateur <strong>de</strong> ce présent article.<br />
Si le petit troupeau dont nous parlons plus haut était constitué <strong>de</strong> plusieurs<br />
homos primaires <strong>de</strong>squels il ne pouvait sortir qu’une insipi<strong>de</strong> réflexion sur le<br />
manque absolu d’originalité inhérent au Milieu (nous n’en parlerons donc<br />
pas !), Nicolas nous parut en revanche quel que peu plus intéressant. Nous<br />
fûmes touché par son “innocence” ; il nous fit remonter le temps <strong>de</strong> dix mois<br />
en nous révélant le prénom <strong>de</strong> son nouveau copain rencontré samedi soir.<br />
Le 18 décembre 2003, nous écrivîmes une lettre sur une incompréhension<br />
qui torturait notre esprit, encore inexpérimenté aux assauts pervers <strong>de</strong> la<br />
communauté homo 1 . Nous sommes attiré par les mecs et nous l’assumons<br />
<strong>de</strong>puis bien longtemps mais nous n’avions jamais avant notre retour d’Asie du<br />
Sud-Est pénétré cette enceinte aux mille dangers. Aujourd’hui nous sont-ils<br />
familiers et après nous en être amusés, finîmes-nous par nous en lasser, voire<br />
même nous en dégoûter.<br />
1 . Tome I, épiso<strong>de</strong> I, L’amour objet, III.<br />
398
Snob et hystéro-éthylique<br />
Nous rencontrâmes le copain <strong>de</strong> Nicolas à cette pério<strong>de</strong> alors que nous<br />
espérions encore trouver <strong>de</strong> la sincérité chez les homos qui, en fin <strong>de</strong> compte,<br />
semblent bien incapables <strong>de</strong> traduire le bonheur autrement que par une<br />
multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> petits jeux sexuels qui ne mènent nulle part. Il est donc inutile que<br />
nous contions à nouveau ce chapitre <strong>de</strong> notre évolution, l’ayant déjà fait dans la<br />
lettre susnommée. En revanche, il convient d’analyser ce à quoi Nicolas, sans<br />
s’en douter, nous fit repenser.<br />
Si nous employons le terme “innocence”, c’est uniquement pour ne pas<br />
pousser notre réflexion à la critique ou au simple jugement. Être gay est un<br />
choix <strong>de</strong> vie. Quand nos choix nous font emprunter trop <strong>de</strong> chemins <strong>de</strong><br />
traverse, être gay <strong>de</strong>vient une boussole qui n’indique plus le nord ; il est alors<br />
facile <strong>de</strong> confondre cure amoureuse et soin palliatif !<br />
Un sentiment ne naît pas quoiqu’on en puisse dire d’un désir. Lorsque nous<br />
regardons ces agaceries chez les homos, tels <strong>de</strong>s coqs paradant <strong>de</strong>vant une<br />
poule désireuse <strong>de</strong> se faire prendre pour la ponte, nous rions jaune ! Un<br />
sentiment n’a pas réellement d’explication : il est une émotion, une<br />
représentation, une sensation ; il est un phénomène résultant d’une alchimie<br />
autre que celle du désir charnel.<br />
À Aix-en-Provence, plus qu’ailleurs nous semble-t-il, tout le mon<strong>de</strong> sait<br />
tout sur tout le mon<strong>de</strong> ; il y a ici plus <strong>de</strong> commérages que dans un petit village<br />
corse ! Pour savoir qui couche avec qui, il suffit simplement <strong>de</strong> s’adresser aux<br />
bonnes personnes. Il est inutile d’ailleurs <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s détours, ces <strong>de</strong>rnières si<br />
bien choisies se font un plaisir <strong>de</strong> nous raconter les <strong>de</strong>rniers potins, les homos<br />
étant, comme tous s’accor<strong>de</strong>nt à le dire, <strong>de</strong> vraies salopes entre eux.<br />
Une fois en cours, en écoutant Nicolas parler, entre constructivisme et<br />
cinétique, <strong>de</strong> son nouveau copain, nous ne pûmes nous empêcher <strong>de</strong> nous dire<br />
intérieurement qu’il allait, nous l’espérions pour lui rapi<strong>de</strong>ment, tomber <strong>de</strong><br />
haut… Certes ce jeune homme fréquentait-il le Milieu <strong>de</strong>puis plusieurs années<br />
et semblait-il ne pas encore s’être fait dévorer par un rapace putréfié, pourtant<br />
était-ce le sentiment que nous ressentions en parlant avec lui.<br />
Nous comprenons qu’un manque affectif te pousse, Fidèle, à te rapprocher<br />
<strong>de</strong>s autres car paradoxalement la solitu<strong>de</strong> partagée est plus supportable, mais<br />
dois-tu pour autant la partager avec n’importe quel mec rencontré un soir en<br />
boite ? Viens passer une année ici et, si tu te laisses aller, tu feras rapi<strong>de</strong>ment le<br />
399
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
tour <strong>de</strong> tous les mecs <strong>de</strong> la région en manque <strong>de</strong> ce que nous nommerons<br />
généreusement affection ! Ici, le Speed Dating prend tout son sens.<br />
Ceci n’est PAS l’Amour !<br />
La confusion est source <strong>de</strong> danger. Sur un esprit expérimenté, qui a déjà<br />
traversé les mille et un pièges <strong>de</strong> l’abrutissement homo et qui n’en est pas sorti<br />
pourri, cette confusion n’a pas vraiment d’importance.<br />
Arrêtons-nous donc un instant sur un esprit nouveau et admettons<br />
ensemble ce garçon, puisqu’il en serait un, attiré par un autre garçon. Le<br />
premier serait jeune, beau, innocent, il chercherait l’Amour, l’affection, une vie<br />
faite <strong>de</strong> plaisirs simples avec quelqu’un comme lui ; il se chargerait d’illusions.<br />
Le second serait jeune et beau, il traînerait sur les trottoirs du Milieu <strong>de</strong>puis un<br />
moment et tous diraient <strong>de</strong> lui qu’il est un garçon avenant et ouvert. Lui<br />
rechercherait un mec à aimer, l’amour étant pour lui un loisir <strong>de</strong> semaine.<br />
Deux choix s’opposent à nous : l’un consiste à laisser notre innocent<br />
apprendre <strong>de</strong> lui-même, au risque <strong>de</strong> perdre ce qui le rend justement<br />
intéressant (son innocence) s’il n’est pas assez fort ; le second est <strong>de</strong> l’en<br />
prévenir, au risque <strong>de</strong> l’enfermer et d’avorter son évolution. Le choix est<br />
critique et nous pensons qu’il lui appartient <strong>de</strong> le faire lui-même. Chacun<br />
mérite <strong>de</strong> vivre sa propre expérience – c’est la base du positivisme ! – et les<br />
risques encourus mènent à l’évolution. Pense seulement, Fidèle, que l’évolution<br />
est un changement graduel qui ne précise pas son sens…<br />
Si cet article peut te faire comprendre qu’il ne faut pas trop s’aventurer en<br />
terrain conquis avec une boussole qui n’indique plus le nord et qu’il faut se<br />
méfier <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> cette illusion comique, nous ne l’aurons alors pas<br />
rédigé pour rien.<br />
400
Snob et hystéro-éthylique<br />
1 2 n o v e m b r e 2 0 0 4<br />
Ce billet ne sert à rien, Fidèle, passe au suivant !<br />
Aujourd’hui, nous émergeâmes à 13 heures. Nous comptions nous lever tôt<br />
mais après mûre réflexion, lorsque notre réveil sonna vers 8h30 alors que nous<br />
étions en plein rêve idyllique, nous pensâmes tout bonnement qu’il était inutile<br />
<strong>de</strong> quitter un lit si chaud pour affronter une journée qui n’annonçait rien<br />
d’exceptionnel.<br />
Nous <strong>de</strong>vions, comme tous les jours ou presque <strong>de</strong>puis quelques semaines<br />
déjà, sortir <strong>de</strong> chez nous en évitant d’être vu par notre connard <strong>de</strong> propriétaire,<br />
furibond, à qui nous <strong>de</strong>vons toujours notre loyer d’octobre et celui en cours,<br />
passer à notre banque pour pleurer <strong>de</strong>vant le distributeur automatique et nous<br />
rendre à la Faculté <strong>de</strong> Lettres, ou plus précisément à sa bibliothèque, pour y<br />
consulter notre courriel et voir si la Free Box que nous attendions comme le<br />
Messie allait arriver bientôt chez nous.<br />
Il était donc inutile <strong>de</strong> nous lever si tôt pour si peu <strong>de</strong> choses mais ainsi<br />
aurions-nous eu moins <strong>de</strong> scrupules à utiliser le temps qu’il nous était imparti !<br />
Une fois levé, nous enfilâmes un pantalon blanc 100% coton acheté trois<br />
ans plus tôt chez Sherpa, sous le Passage Agard, le premier t-shirt que nous<br />
trouvâmes dans le coffre familial qui date <strong>de</strong> 140 ans où nous rangeons tous<br />
nos vêtements, une paire <strong>de</strong> chaussettes énormes et nos Stratos pour aller, la<br />
tête dans le pâté, jeter un œil à notre boîte au lettres dans laquelle nous ne<br />
trouvâmes hélas que notre relevé <strong>de</strong> compte CCP et un vi<strong>de</strong> absolu, frère d’un<br />
horizon sans Free Box avant au moins la semaine suivante. Livrée sous dix<br />
jours… Tu parles !<br />
Nous rangeâmes consciencieusement notre relevé à sa place, dans une<br />
enveloppe marron, elle-même placée sous clef dans un autre coffre en bois<br />
sombre <strong>de</strong> Mauritanie installé dans notre salle <strong>de</strong> bain.<br />
Il <strong>de</strong>vait être 13h30 lorsque nous sortîmes <strong>de</strong> notre douche et, la vapeur<br />
ayant recouvert <strong>de</strong> son auguste voile notre miroir, nous allâmes nous préparer<br />
un thé vert, reste <strong>de</strong> notre séjour en Asie du Sud-Est, dans un véritable mug<br />
new-yorkais. Lorsque nous le sortîmes du micro-on<strong>de</strong>, naturellement nous<br />
brûlâmes-nous car saches que le micro-on<strong>de</strong> ne chauffe pas seulement le<br />
401
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
contenu, il chauffe aussi le contenant, effet <strong>de</strong>s plus simples que notre esprit<br />
complexe a du mal à assimiler <strong>de</strong> bon matin. Nous jetâmes un « Putain <strong>de</strong><br />
bor<strong>de</strong>l <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> ! » familier, reculâmes d’un bond et notre infusion encore<br />
vierge s’écoula sur notre bar, inondant par la même occasion la porte du<br />
réfrigérateur. Nous prîmes le mug, le remplîmes à nouveau d’eau et le remîmes<br />
à chauffer. Entre temps, nous nettoyâmes nos conneries avec le débar<strong>de</strong>ur<br />
Jean-Paul Gaultier que nous avions payé 135 euros à moitié prix chez l’Autre<br />
Taxiphone avant <strong>de</strong> partir en Gua<strong>de</strong>loupe, et qui nous servait désormais <strong>de</strong><br />
torchon <strong>de</strong> cuisine car notre sœur eut un jour la bonne idée <strong>de</strong> le laver avec<br />
notre pantalon rouge Timomo qui, forcément, déteint <strong>de</strong>ssus ! Nous aurions<br />
pu rattraper le coup en le portant dans un pressing – cela ne nous aurait coûté<br />
que 5 ou 6 euros – mais nous <strong>de</strong>vions également penser à nos détracteurs qui<br />
nous taxaient <strong>de</strong> snobinard pédant, suffisant et bourgeois en leur donnant<br />
matière à critique. Notons au passage, histoire <strong>de</strong> nous crucifier sur place, que<br />
nous repérâmes chez Qi Déco, près <strong>de</strong> chez nous, une splendi<strong>de</strong> jarre chinoise<br />
en terre cuite décorée ne coûtant que 400 et quelques euros que nous<br />
placerons volontiers lorsque nous le pourrons dans notre salle <strong>de</strong> bain comme<br />
corbeille à linge sale.<br />
Alors que notre thé vert diffusait son arôme dans notre appartement, nous<br />
nous habillâmes et préparâmes notre sortie du jour. Nous ajoutâmes une<br />
cuiller <strong>de</strong> miel <strong>de</strong> trèfle du Canada <strong>de</strong>dans, le bûmes en vitesse, éteignîmes les<br />
lumières, collâmes notre oreille précieuse à la porte et, n’entendant aucun bruit<br />
louche, signe d’une autre algara<strong>de</strong> avec notre connard <strong>de</strong> propriétaire,<br />
tournâmes la grosse clef dans la serrure, poussâmes la porte, la refermâmes et<br />
nous enfuîmes, pointes aux pattes, rasant les murs en priant tous les saints <strong>de</strong><br />
ne pas être aperçu.<br />
Comme prévu, Orange avait prélevé 257 euros sur notre compte dans la<br />
nuit et nous étions dans la mer<strong>de</strong>. Si au moins ils nous avaient rendu notre<br />
ligne ! Nous aimerions tant que le prélèvement soit finalement refusé !<br />
Nous continuâmes notre chemin par le parc Jourdan pour rejoindre la fac,<br />
arrivâmes par l’amphi E, montâmes à l’étage, empruntâmes le couloir <strong>de</strong><br />
l’Histoire et <strong>de</strong>scendîmes les marches jusques au grand hall. Là, nous croisâmes<br />
sans nous y attendre Nicolas, Florianne, Vincent et d’autres, parlâmes quelques<br />
minutes <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> rien, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers potins surtout. Nous apprîmes qu’il y<br />
402
Snob et hystéro-éthylique<br />
avait une conférence en fin d’après-midi sur la criminologie et le métier <strong>de</strong><br />
profiler ; nous aurions voulu y assister, pour voir et peut-être en rapporter un<br />
article mais l’envie n’y était guère – cette journée <strong>de</strong>vant être, comme nous<br />
l’avions décidé, une journée <strong>de</strong> mer<strong>de</strong>.<br />
Nous laissâmes donc là ces jeunes gens et allâmes à la BU. Il faudra que<br />
l’on nous explique pourquoi quand nous voulons que la journée soit pourrie, il<br />
arrive toujours quelque chose <strong>de</strong> bien qui l’illumine et quand il est prévu<br />
quelque chose <strong>de</strong> génial, cela finit toujours par mer<strong>de</strong>r ! C’est vrai… Nous<br />
avons toujours cette malédiction qui nous poursuit…<br />
Nous trouvâmes un poste libre à notre arrivée, chose assez rare pour être<br />
signalée, nous y installâmes, ouvrîmes notre BAL et là… là nous faut-il<br />
t’expliquer un truc, Fidèle.<br />
Nous rencontrâmes Patrick voilà un peu plus d’un an sur l’Internet. Il<br />
habitait Quiberon. Nous avions longuement parlé, au point que, tous les<br />
vendredi, nous passions nos nuits au cybercafé Netgames, uniquement ou<br />
presque pour le voir – notre correspondance doit s’étendre sur <strong>de</strong>ux cents<br />
pages environ, tout <strong>de</strong> même. En mars <strong>de</strong>rnier pourtant, nous avions perdu<br />
contact ; telle était sa volonté. Nous lui avions écrit que nous étions là pour lui<br />
au moindre souci, etc., mais n’eûmes plus <strong>de</strong> nouvelles. Nous essayâmes <strong>de</strong> le<br />
retrouver à diverses occasions, sans succès ; nous avions réellement perdu<br />
contact. Il y a quelques jours, nous décidâmes <strong>de</strong> jeter une bouteille à la mer et<br />
<strong>de</strong> lui écrire à l’adresse qu’il utilisait alors, que nous pensions éteinte. Depuis<br />
mars, nous avions beaucoup évolué, vécûmes diverses expériences, mais<br />
gardâmes toujours à l’esprit nos échanges. En fait, il était le seul garçon dont<br />
nous nous sentions proche, qui nous attirait et avec lequel nous n’avions pas<br />
absolument envie <strong>de</strong> coucher. Notre sentiment allait plus loin, nous avions<br />
envie <strong>de</strong> le connaître et notre correspondance achevée, nous eûmes<br />
l’impression <strong>de</strong> perdre un être auquel nous tenions beaucoup. Nous lui<br />
écrivîmes donc sans grand espoir.<br />
Aujourd’hui, il nous répondit ! Lorsque nous vîmes son pseudonyme<br />
apparaître à la place <strong>de</strong> l’expéditeur, un météorite aurait pu s’écraser sur la fac,<br />
une centaine <strong>de</strong> mètres plus loin, faisant quelques centaines <strong>de</strong> cadavres, nous,<br />
sadique et curieux, n’aurions même pas ôté nos yeux d’or <strong>de</strong> l’écran.<br />
Nous appréhendions, n’osions ouvrir mais en fait étions trop content et<br />
403
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
quelle que pouvait être sa réponse, cela signifiait qu’il allait bien, ou au moins<br />
qu’il allait… Il ne nous écrivait que <strong>de</strong>s choses gentilles, qu’il vivait désormais<br />
entre Paris et le Morbihan et qu’il ne nous avait pas oublié non plus. Tout ceci<br />
reste bien personnel. Nous lui répondîmes, lui faisant part <strong>de</strong> notre joie en lui<br />
racontant succinctement nos <strong>de</strong>rnières vicissitu<strong>de</strong>s.<br />
Nous allâmes ensuite voir où en était l’envoi <strong>de</strong> notre Free Box ; justement,<br />
toujours en cours d’envoi… Nous aurions piqué une crise en temps normal<br />
mais il pouvait désormais nous arriver n’importe quelle mer<strong>de</strong>, nous nous en<br />
moquions ! Nous flottions, quasiment euphorique et rentrâmes.<br />
Dans notre rue, nous entendîmes un bruit que nous n’aimions pas, la porte<br />
du garage <strong>de</strong> notre immeuble : quelqu’un, mer<strong>de</strong> ! Nous sortîmes notre<br />
téléphone (qui ne fonctionne plus mais qui nous sert quand même parfois <strong>de</strong><br />
bon alibi), nous assîmes sur une marche et attendîmes que la lumière <strong>de</strong> la cour<br />
s’éteignît, feignant une conversation avec Julie, une amie inventée sur le<br />
moment qui avait un problème avec son copain, Ben, ce <strong>de</strong>rnier l’ayant larguée<br />
pour Hugo, leur meilleur ami à tous les <strong>de</strong>ux. Pathétique mais nous nous en<br />
rendons compte, c’est déjà ça… La lumière éteinte, nous nous approchâmes,<br />
prîmes une forte respiration et reconquîmes lâchement notre appartement… Il<br />
<strong>de</strong>vait être près <strong>de</strong> 18 heures.<br />
La soirée fut banale. Nous allumâmes notre ordinateur, lançâmes Media<br />
Player et regardâmes à la chaîne American Pie III, Shrek II et L’Attaque <strong>de</strong>s<br />
Clones. En fait, nous dûmes nous endormir lorsque Stefler se faisait lécher les<br />
couilles par un chien et nous réveillâmes lorsque Marraine la Bonne Fée<br />
s’apprêtait à fioutre en l’air son régime.<br />
Pendant notre séance DVD, nous mangeâmes un plat <strong>de</strong> riz Basmati et du<br />
thé car, oui, nous entreprenons un régime : pain, riz et thé. Nous avons<br />
l’ambition <strong>de</strong> finir sumo, ce qui fera toujours bien sur notre CV entre prostitué<br />
et vagabond. Nous sommes surtout passablement fauché en ce moment, ayant<br />
réduit nos activités <strong>de</strong>… voyons… 100%. Par conséquent : finis les repas chez<br />
Maxime ; finis les petits-déjeuners au Roton<strong>de</strong> ; finies les bouteilles <strong>de</strong><br />
Bollinger <strong>de</strong> bain (en fait, non, faut pas pousser !) ; finies les sorties en boite ;<br />
fini le shopping ; finis les verres d’alcools le soir quand nous écrivons…<br />
sniff… la vie est dure !<br />
Les choses vont bientôt changer. Ce sera peut-être pire, certes, mais il faut<br />
404
Snob et hystéro-éthylique<br />
positiver ! Ne nous reste-t-il pas après tout l’option <strong>de</strong> tout vendre et <strong>de</strong> quitter<br />
ce pays à nouveau ? Ou encore celle du <strong>de</strong>rnier recours : le pot familial <strong>de</strong><br />
Nutella que nous gardons comme la <strong>de</strong>rnière cigarette du condamné ?<br />
Bref, espérons avoir au moins réussi à prouver qu’écrire pour ne rien dire,<br />
c’est possible !<br />
405
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 5 n o v e m b r e 2 0 0 4<br />
Depuis plusieurs jours maintenant, nous évitons Monsieur Viriot, notre<br />
connard <strong>de</strong> propriétaire, à cause d’un loyer en retard. Nous avions déjà<br />
convenu que nous le lui paierions au plus vite, non sans menaces et<br />
haussements <strong>de</strong> voix <strong>de</strong> sa part. Nous racontâmes cet épiso<strong>de</strong> plus haut,<br />
passons donc.<br />
Ce soir, en l’entendant entrer dans la cour, grâce au bruit <strong>de</strong> son énorme<br />
trousseau <strong>de</strong> clefs (nous le soupçonnons d’avoir un double <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> tous ses<br />
locataires), à cause <strong>de</strong> l’épiso<strong>de</strong> du 2 novembre, nous baissâmes la musique,<br />
arrêtâmes <strong>de</strong> faire du bruit et nous apprêtions à éteindre la lumière également<br />
lorsqu’il frappa à notre porte une première fois. Nous pensâmes que, <strong>de</strong> la<br />
cour, on ne voyait pas la lumière, l’éteignîmes donc… Nous nous trompions,<br />
ce fut notre seule erreur <strong>de</strong> la soirée, ô combien coûteuse ! Si nous ne voulions<br />
pas le voir, c’est que d’une part c’était inutile n’ayant pas <strong>de</strong> quoi le régler et<br />
d’autre part que ce con était un personnage dangereux car haineux, violent,<br />
impulsif et alcoolique. Nous n’aimons pas les menaces, encore moins les<br />
injures et surtout tenons-nous à la fraîcheur <strong>de</strong> notre visage ! Nous n’avons pas<br />
envie qu’on vienne nous casser la gueule, comme nous n’avons pas envie non<br />
plus <strong>de</strong> surenchérir, surtout lorsque la discor<strong>de</strong> porte sur 381,28 malheureux<br />
euros. Nous attendîmes donc calmement que la tempête passât, qu’il s’en allât,<br />
ce qu’il fit après avoir tapé à la porte une secon<strong>de</strong> fois, plus fort.<br />
Nous entendîmes claquer la porte <strong>de</strong> l’immeuble, nous signifiant qu’il<br />
montait chez lui, et retournâmes à notre ordinateur prévenir quelques amis en<br />
ligne que nous le sentions mal, qu’il y avait du bruit. Tu sais, Fidèle, cette boule<br />
au ventre que tu peux sentir quand quelque chose va arriver… nous l’avions !<br />
Après un cours instant, un nouveau bruit retentit dans la cour, quelqu’un<br />
qui entrait avec sa voiture. Monsieur Viriot re<strong>de</strong>scendit à ce moment-là parler<br />
avec son fils et sa belle-fille, ou sa fille, qu’importe.<br />
Les bruits cessèrent, la lumière s’éteignit, puis se ralluma. Nous écoutions<br />
toujours ce qu’il se passait, savions qu’il n’allait pas en rester là ce soir. Cette<br />
fois, c’était un clochard, ou un squatteur, qui était entré dans la cour et,<br />
manque <strong>de</strong> bol pour lui, notre proprio était là pour le recevoir. Il lui dit<br />
clairement qu’il ne pouvait pas boire ici, que c’était une propriété privée. Le<br />
406
Snob et hystéro-éthylique<br />
clochard baragouina quelques mots incompréhensibles, sans doute pas très<br />
catholiques, Monsieur Viriot s’énerva et le poussa vers le portail <strong>de</strong> la cour, le<br />
menaçant <strong>de</strong> le virer d’ici en le tutoyant grossièrement et <strong>de</strong> lui casser la gueule.<br />
Échauffé, il revint à notre porte, frappa d’un coup sec, s’approcha pour<br />
nous dire qu’il savait que nous étions là, qu’il avait vu que la lumière était<br />
allumée juste avant et que nous l’avions éteinte en l’entendant. Nous ne<br />
répondîmes toujours pas, n’avions vraiment pas envie <strong>de</strong> le voir, encore moins<br />
après l’avoir entendu parler à ce clochard comme à un chien – qui, nous en<br />
sommes sûr, aurait reçu à peine plus <strong>de</strong> considération.<br />
Il frappa à nouveau et s’énerva. Peut-être parlait-il à quelqu’un dans la cour,<br />
ou seul, nous ne savons pas ; toujours est-il qu’il criait qu’à nous aussi il allait<br />
nous coller son poing dans la gueule. Avec cela, c’est sûr, nous eûmes encore<br />
moins envie <strong>de</strong> lui ouvrir !<br />
Il revint à notre porte, y frappa toujours plus fort (il donnait <strong>de</strong>s coups<br />
<strong>de</strong>dans à présent), nous menaçant d’y mettre un verrou pour que nous ne<br />
puissions plus sortir <strong>de</strong> chez nous. Il alla dans la rue où donnaient nos <strong>de</strong>ux<br />
vitres, nous étions à ce moment-là dans la salle <strong>de</strong> bain, où il ne pouvait nous<br />
voir. Il rentra dans la cour et notre ordinateur s’éteignit ; notre courant venait<br />
d’être coupé, il avait tourné le bouton <strong>de</strong> notre compteur, ce qui est<br />
évi<strong>de</strong>mment interdit. S’il avait pu nous enfumer, il l’aurait fait sans gêne et avec<br />
même un plaisir pervers, ce con !<br />
Nous ne pouvions pas laisser les choses continuer, il nous fallait l’affronter,<br />
au moins ouvrir la porte avant qu’il ne l’enfonçât. Nous sortîmes donc,<br />
trouvâmes la fille dont nous parlons plus haut <strong>de</strong>vant et Monsieur Viriot qui<br />
arrivait <strong>de</strong> la rue. Nous prétextâmes un truc idiot pour ne pas avoir ouvert,<br />
pensant bien qu’il n’en croirait rien.<br />
Là, les choses s’enchaînèrent : il nous gueula que nous le prenions pour un<br />
con (ce qu’il était assurément), que nous lui <strong>de</strong>vions son loyer, qu’il voulait<br />
l’argent maintenant ; il était vraiment furieux, nous le lisions dans ses yeux.<br />
Nous lui répondîmes calmement, la voix un peu tremblante, que le len<strong>de</strong>main<br />
nous avions ren<strong>de</strong>z-vous avec notre banquière et qu’elle <strong>de</strong>vait débloquer nos<br />
facilités <strong>de</strong> caisses. Il s’en foutait, s’énerva encore un peu plus et entra dans<br />
notre appartement sans y être autorisé, nous disant qu’il nous foutait <strong>de</strong>hors.<br />
Nous le retînmes quand il s’apprêtait à fermer la porte, le <strong>de</strong>vançant et lui<br />
407
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
disant qu’il ne pouvait pas, qu’il n’en avait pas le droit. Il nous répondit qu’il<br />
allait nous virer en posant ses affaires (son trousseau, son pain) sur notre bar.<br />
Nous lui dîmes encore que nous voyions notre banquière le len<strong>de</strong>main, etc. Et<br />
là…<br />
Et là, il nous prit par le cou <strong>de</strong> sa main gauche, nous colla contre le bar et<br />
était au bord <strong>de</strong> la crise <strong>de</strong> folie. Il nous tutoya, insulta, traita <strong>de</strong> connard, <strong>de</strong><br />
pédé, <strong>de</strong> petit con, nous somma <strong>de</strong> payer ou il nous virait.<br />
Calmement, mais toujours la voix tremblante, <strong>de</strong> notre main gauche, nous<br />
le maintenions à distance car il serrait vraiment notre coup, tandis que nous<br />
nous contenions pour ne pas lui coller la droite dans son flanc et le virer <strong>de</strong><br />
chez nous. Nous sentions que nous le pouvions aisément d’ailleurs, le<br />
maintenir à distance étant facile. Mais nous nous contînmes, essayant <strong>de</strong> le<br />
raisonner ; nous ne voulions pas qu’il puisse nous le reprocher, au poste <strong>de</strong><br />
police (car nous avions déjà l’idée <strong>de</strong> porter plainte) ou ailleurs.<br />
Il nous ramena, toujours la main autour <strong>de</strong> notre cou (nous portions alors<br />
un col roulé), vers le milieu <strong>de</strong> la pièce en nous disant toujours la même chose,<br />
toujours <strong>de</strong>s menaces, toujours <strong>de</strong>s insultes.<br />
À ce moment-là, son fils arriva et, le voyant, nous lui réclamâmes <strong>de</strong> retenir<br />
son père où ça allait mal finir pour lui. Il vint, se mit entre lui et nous-même et<br />
lui dit d’arrêter, que s’il continuait nous allions porter plainte – et pas parce que<br />
si son père continuait il risquait <strong>de</strong> nous briser le cou… Bref, nous lui parlâmes<br />
à lui, ignorant son alcoolique <strong>de</strong> père, lui expliquant que nous voyions notre<br />
banquière le len<strong>de</strong>main, etc. Il nous répondit que nous l’avions mérité et que<br />
son père avait raison, forcément… Quel connard lui aussi !<br />
Ils étaient quatre chez nous : les <strong>de</strong>ux fils, la fille et leur père. Le fils le<br />
résonna, remarqua notre ordinateur et lui dit, accentuant sur sa valeur, qu’ils<br />
pouvaient toujours revenir et le prendre en gage… Il avait donc bien le double<br />
<strong>de</strong>s clefs <strong>de</strong> ses locataires.<br />
Une fois sur le pas <strong>de</strong> la porte, son fils l’y ayant entraîné presque <strong>de</strong> force, il<br />
nous redit que s’il n’avait pas ce que nous lui <strong>de</strong>vions le len<strong>de</strong>main soir, il<br />
repassait et nous virait.<br />
La haine, Fidèle, envahit le cœur <strong>de</strong> l’Homme inculte et ignorant. Ne te fie<br />
pas à sa position sociale, un Homme peut s’asseoir confortablement sur un<br />
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Snob et hystéro-éthylique<br />
bon paquet <strong>de</strong> fric et un apparat <strong>de</strong> bourgeois mondain, il n’en a pas pour<br />
autant le cœur. Tel est Monsieur Viriot : un rustre, un vieil homme usé par sa<br />
bêtise et la haine qui le ronge. Ses fils en portent les germes apparemment…<br />
Quel gâchis !<br />
Nous appelâmes notre mère, tombâmes sur André, notre beau-père, qui<br />
nous conseilla <strong>de</strong> nous rendre au plus vite au commissariat et d’y déposer une<br />
main-courante.<br />
Notre mère nous rappela ensuite. Elle avait reçu un appel <strong>de</strong> la femme <strong>de</strong><br />
notre connard <strong>de</strong> propriétaire, quasi-mielleuse, qui reconnaissait que son mari<br />
avait peut-être été un peu loin mais qui s’étonnait que, pour nos quittances par<br />
exemple, nous n’en avions pas simplement parlé – « Tu parles, connasse ! Les<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s et recommandés, c’est du foin ? » – et que le len<strong>de</strong>main, elle allait<br />
engager une procédure auprès <strong>de</strong> ses avocats, etc. Notre mère, ne pouvant en<br />
placer une <strong>de</strong>vant tant d’agressivité, lui raccrocha au nez et nous rappela pour<br />
nous raconter, écouter l’épiso<strong>de</strong> dans son entier et conclure que nous <strong>de</strong>vions<br />
carrément porter plainte pour menace, insulte, harcèlement moral, violation <strong>de</strong><br />
domicile et agression physique !<br />
Nous attendîmes quelques instants que nos nerfs se calment et sortîmes <strong>de</strong><br />
chez nous. Au passage, nous croisâmes l’autre frère, celui qui était resté à notre<br />
porte sans rien faire comme un blaireau ; il rentrait chez lui aussi.<br />
Nous nous rendîmes d’abord au commissariat. On nous dit qu’il fallait<br />
absolument un certificat médical pour porter plainte d’une agression, délivré<br />
aux urgences uniquement. Va pour le CHPA dans ce cas ! 1<br />
Nous nous inscrivîmes et après une heure d’attente, entre poignet cassé,<br />
brûlures et autres, un mé<strong>de</strong>cin nous reçut en bloc 5 pour nous poser les<br />
questions d’usage. Elle remplit notre certificat et désinfecta la marque laissée<br />
par Monsieur Viriot sur notre cou, malgré le col roulé.<br />
Nous re<strong>de</strong>scendîmes au commissariat ; 20 heures approchaient. À l’accueil,<br />
on nous <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> repasser le len<strong>de</strong>main car il n’y avait plus personne pour<br />
traiter notre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à cette heure-ci… Et bien, quel pays !<br />
1 . Le CHPA est le Centre Hospitalier du Pays d’Aix.<br />
409
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Hé ho ! Nous venons <strong>de</strong> nous faire agresser, les<br />
gars ! C’est pas rien, bor<strong>de</strong>l !!<br />
Penses-tu que ce récit soit vrai, Fidèle ? Hélas, il l’est et quand on pense<br />
que tout arriva pour 381,28 euros (en retard seulement), on prend peur !<br />
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Snob et hystéro-éthylique<br />
1 6 n o v e m b r e 2 0 0 4<br />
Le coup tant redouté tomba à 19 heures ! Le coup <strong>de</strong> notre connard <strong>de</strong><br />
propriétaire sur notre porte, que nous attendions <strong>de</strong>puis 18 heures tel le glas <strong>de</strong><br />
celui qui annonce la fin d’un âge : celui <strong>de</strong> la Tolérance, <strong>de</strong> la Déférence et <strong>de</strong> la<br />
Dignité.<br />
Tant d’arrogance dans un si vain personnage relève du pathétisme ; nous<br />
admettrons presque <strong>de</strong> la commisération à son égard en jetant dans l’antre <strong>de</strong><br />
sa haine une pure indifférence. Telle est la seule disposition que nous lui<br />
accor<strong>de</strong>rons.<br />
Il n’était alors pas question <strong>de</strong> lui ouvrir, et puis nous étions au téléphone.<br />
Pourtant, une absur<strong>de</strong> lueur s’installa dans notre esprit : et si après tout un tel<br />
être était capable d’être raisonné ? Et si ce conflit pouvait encore être réglé à<br />
l’amiable ? Nous tentâmes le coup et ouvrîmes…<br />
À l’horizon ne se présentaient que <strong>de</strong>ux espaces : l’un était couvert d’une<br />
face plutôt maigre, couverte d’une paire <strong>de</strong> lunettes, signe d’un âge déjà avancé,<br />
d’un corps frêle qui se voulait gonflé et puissant pour lui donner consistance<br />
par un rembourrage <strong>de</strong> Damart acheté sur catalogue. L’autre espace était<br />
couvert <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>. Nous étions seul avec un mec qui pourrit notre existence en<br />
ce moment, mais qui toutefois, admettons-le, inspire très allègrement nos<br />
<strong>de</strong>rniers billets. Finalement, il n’est peut-être pas si inutile que nous le pensons,<br />
ce con !<br />
Calmement, ce soir (et pour commencer), il nous <strong>de</strong>manda si nous avions<br />
son argent ; nous ne l’avions pas et son calme disparut pour laisser la place à<br />
une jarre sur feu prête à éclater. L’ordre du jour était : restons courtois ! Il ne<br />
s’agissait là en rien d’envenimer les choses, et puis ce mec est tout <strong>de</strong> même<br />
dangereux, comme nous l’écrivîmes plus haut.<br />
Nous contînmes les tremblements <strong>de</strong> moins en moins présents qui nous<br />
animaient et lui expliquâmes, à nouveau, notre situation, notre banquière<br />
n’ayant rien pu sortir comme autre son <strong>de</strong> sa bouche qu’un rire cynique et un<br />
significatif : « Nous ne sommes pas l’ai<strong>de</strong> social, la police ou la justice ici,<br />
Monsieur, nous sommes une banque ! » Ouais… Tu parles ! Qui nous foutait<br />
dans la mer<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux mois par manque <strong>de</strong> ou fausse information ?!<br />
Passons. Nous n’allions pas non plus prendre sa tête et la passer dans la<br />
411
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
broyeuse à papier, par considération seulement pour la machine qui aurait<br />
rendu l’âme passant au trait tant d’indifférence. Il semble que la société<br />
finalement ne se soucie que trop modérément <strong>de</strong> ses problèmes vitaux !<br />
Monsieur Viriot s’énerva alors. Cette fois-ci, nous tenions la porte et<br />
l’empêchions <strong>de</strong> voir l’intérieur <strong>de</strong> notre appartement, ne voulant pas susciter<br />
chez lui une secon<strong>de</strong> envie <strong>de</strong> s’inviter à <strong>de</strong>meure. Il nous offrit son extrême<br />
gentillesse, tels furent ses mots, jusques à vendredi, menaçant avec cela qu’il<br />
nous ferait chier toute la journée s’il n’avait pas son dû.<br />
Nous passerons les détails plus que navrants <strong>de</strong> sa repartie et <strong>de</strong> son<br />
argumentation pour signaler seulement qu’au milieu <strong>de</strong> la conversation, après<br />
une insulte <strong>de</strong> plus, le voilà se dirigeant vers la porte d’entrée <strong>de</strong> l’immeuble.<br />
Nous le suivîmes pour continuer la conversation et sa réplique fut mémorable,<br />
se retournant :<br />
MONSIEUR VIRIOT . Quoi ? Tu veux que je t’casse la gueule que tu t’approches si<br />
près d’moi, c’est ça ? Tu veux que j’te frappe ?<br />
Voilà ce que dans un souffle nimbé d’émanations alcooliques son<br />
imagination trouva <strong>de</strong> mieux ; navrant toujours !<br />
Nous alléguâmes bêtement le droit à la courtoisie mais <strong>de</strong>vant tel axiome –<br />
entends par là, Fidèle, que ce mec est un grand mala<strong>de</strong> et que tout le mon<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>vrait s’en rendre compte –, nos efforts restèrent sans succès.<br />
Nous terminâmes en lui disant que le len<strong>de</strong>main il l’aurait, son loyer<br />
d’octobre, et nous l’invitâmes à rédiger dès ce soir sa quittance car il était hors<br />
<strong>de</strong> question, naturellement, <strong>de</strong> lui donner du liqui<strong>de</strong> sans cet échange accepté.<br />
Il nous répondit qu’il nous la donnerait vendredi dans notre boite aux lettres.<br />
Bien, nous vîmes à quel point cet être délicieux semblait vouloir chercher la<br />
mer<strong>de</strong> !<br />
NOUS . Je ne vous fais pas confiance, Monsieur Viriot. Pas <strong>de</strong> quittance, pas <strong>de</strong><br />
loyer. Bonsoir !<br />
412
Snob et hystéro-éthylique<br />
Les <strong>de</strong>ux portes se refermèrent, l’une plus violemment que l’autre ; nous te<br />
laissons <strong>de</strong>viner laquelle.<br />
Toujours dans le but <strong>de</strong> protéger notre fon<strong>de</strong>ment, nous reprîmes notre<br />
mère au téléphone qui avait entendu les éructations <strong>de</strong> notre connard <strong>de</strong><br />
propriétaire, et la laissâmes pour taper le 17.<br />
Sommes-nous le seul à croire encore que l’on s’occupe vraiment <strong>de</strong>s gens<br />
dans ce pays ? Nous leur parlâmes <strong>de</strong> ses nouvelles menaces, ajoutâmes qu’il<br />
vivait au-<strong>de</strong>ssus et ponctuâmes par son : « Je vais t’envoyer quelqu’un qui va te<br />
massacrer <strong>de</strong>main, tu sauras pas qu’c’est moi ! » L’agent d’accueil nous signala<br />
qu’il fallait prendre notre mal en patience et attendre qu’il y ait vraiment un<br />
problème, que l’on nous agresse chez nous, pour appeler la police.<br />
Ignorance, Ignorance…<br />
Finalement, nos garants et nous-même convînmes qu’ils <strong>de</strong>scendraient le<br />
len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> leur château perché dans les Basses Alpes pour lui laisser un<br />
chèque dans sa boite et une lettre cerclée <strong>de</strong> froi<strong>de</strong>ur sans la signer, sans<br />
cordialités inutiles qu’il ne comprendrait pas <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce. Ils lui<br />
enverront par la suite un chèque tous les mois à partir du 10 et nous les<br />
réglerons, eux, par virement bancaire.<br />
Lorsqu’il s’agit d’éviter la médiocrité, tous les compromis sont bons à<br />
prendre. Pour Monsieur Viriot, même un pacte avec le Diable, bien plus<br />
conciliant, aurait été envisageable, pour signaler l’intérêt que nous daignons<br />
porter à sa stupidité, ambassadrice <strong>de</strong> son incompétence à la simple réflexion.<br />
413
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
8 d é c e m b r e 2 0 0 4<br />
Aix-en-Provence (France), 00h11.<br />
Trois autres quidams peuplent la gran<strong>de</strong> salle <strong>de</strong>s Deux Garçons. Nous<br />
occupons la place à gauche <strong>de</strong> l’entrée dans le coin. À notre gauche au fond,<br />
un professeur corrige ses copies en buvant un thé entre <strong>de</strong>ux bâillements. En<br />
face <strong>de</strong> lui, un jeune couple rit en confi<strong>de</strong>nce. D’ailleurs, ils s’en vont ; elle met<br />
son écharpe, lui son blouson.<br />
Le cadre est magnifique, l’espace est vi<strong>de</strong>.<br />
Si ce soir nous vînmes nous saouler au Martini Bianco, dans le café dit gay<br />
le plus vi<strong>de</strong> du Cours Mirabeau, avec pour seul compagnon le Journal d’un<br />
Vieux Fou <strong>de</strong> Junichiro Tanizaki, c’est qu’une pensée <strong>de</strong>s plus horribles nous<br />
éclaira.<br />
00h16.<br />
Nous voilà seul. Avec délice, La Danse Macabre <strong>de</strong> Saint-Saëns efface le<br />
bourdonnement <strong>de</strong> nos verres accumulés.<br />
Passons et revenons à cette pensée.<br />
Nous savons ce soir que nous serons toujours seul. Accompagné ou pas,<br />
nous avons le sentiment qu’il nous manquera toujours celui, l’unique, qui aurait<br />
pu nous combler. Nous parlons <strong>de</strong> l’être qui hante nos nuits, <strong>de</strong> notre frère<br />
jumeau, <strong>de</strong> ces six semaines d’une illusion <strong>de</strong> vie à <strong>de</strong>ux parfaite, mais<br />
éphémère. Il est mort et le vi<strong>de</strong>, c’est nous !<br />
Nous craignons que ce soit trop arrangeant, trop facile, mais nous ne<br />
serons jamais qu’à moitié. L’ébauche invite au schéma, à la construction ; nous<br />
n’avons plus aucun <strong>de</strong>ssein sinon celui <strong>de</strong> continuer à vivre. Errance ou exil,<br />
nous ne savons…<br />
Nous voudrions ne plus exister. Nous aidons tout le mon<strong>de</strong> mais personne<br />
ne nous ai<strong>de</strong>. En fait, nous ne voulons pas être aidé, au moins autant qu’on ne<br />
peut nous ai<strong>de</strong>r. Nous vînmes, vîmes et fûmes déçu.<br />
La moitié qu’il nous manquera toujours est le seul fait qui abîme notre âme,<br />
génère nos pensées et dicte nos actes. Notre existence ne sera jamais<br />
414
qu’errance.<br />
Snob et hystéro-éthylique<br />
Triste pensée dans cet éthylisme nocturne pour une âme déchue sur<br />
laquelle la muse <strong>de</strong> la mélancolie s’acharne d’une joie malsaine !<br />
415
Dehors, il fait froid.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 6 j a n v i e r 2 0 0 5<br />
Casino Barrière d’Enghien-les-Bains (Île-<strong>de</strong>-France, France).<br />
Ici, soit tu as les moyens <strong>de</strong> jouer, Fidèle, soit tu consumes, comme nous, la<br />
haute couture, seul, à l’écart, assis dans un fauteuil confortable et envieux <strong>de</strong> la<br />
richesse éphémère <strong>de</strong> cette pseudo élite cosmopolite. Quoi qu’il en soit, ce que<br />
tu gagnes ce soir te conduit presque inexorablement à venir le perdre <strong>de</strong>main.<br />
Minuit sonna voilà plus <strong>de</strong> trois heures mais dans cette salle <strong>de</strong> perdition,<br />
l’heure n’existe pas, simplement parce qu’elle n’est affichée nulle part. Ici,<br />
l’isolement est <strong>de</strong> mise.<br />
Le bruit décourageant <strong>de</strong>s jetons perdus à la roulette qui tombent dans la<br />
fausse n’entame en rien le moral <strong>de</strong> ces joueurs refroidis par l’habitu<strong>de</strong>. Il nous<br />
semble même que les milliers d’euros qui traînent sur chaque table ne fait plus<br />
rêver la plupart d’entre eux ; l’argent n’a plus <strong>de</strong> valeur, imprimé sur <strong>de</strong>s<br />
ron<strong>de</strong>lles en plastique.<br />
Une coupe à la main, une cigarette dans l’autre, assis sur notre fauteuil,<br />
nous analysons le comportement <strong>de</strong>s gens, un peu perdu dans les pensées<br />
méphistophéliques qui traversent notre esprit ces <strong>de</strong>rniers temps. Nous<br />
gagnâmes 200 euros mais n’allâmes plus loin. Clope sur clope, nous préférons<br />
fumer à en avoir mal au crâne ; quelle importance ? Fumer <strong>de</strong>s YSL, c’est<br />
s’accor<strong>de</strong>r une mort sur mesure !<br />
Le casino, c’est la déviance par excellence. Nous regrettons seulement <strong>de</strong><br />
ne pas y trouver également une maison clause ; ainsi pourrions-nous nous<br />
amuser et gagner un peu plus.<br />
416
Snob et hystéro-éthylique<br />
1 8 j a n v i e r 2 0 0 5<br />
C R I S E D ’ U N S O I R<br />
Parce que ce soir nous n’avons pas envie d’être écrivain ou poète !<br />
Parce que ça fait chier la censure !<br />
Parce que ça fait chier les cons qui lâchent <strong>de</strong>s commentaires débiles !<br />
Parce que ça fait chier les pisseuses qui pleurnichent quand on leur donne<br />
une baffe méritée !<br />
Parce que ça fait chier le capitalisme bon marché qui pourrit notre espace<br />
visuel <strong>de</strong> pubs hi<strong>de</strong>uses et même pas ven<strong>de</strong>uses !<br />
Parce que ça fait chier <strong>de</strong> crier ce que personne n’écoute !<br />
Parce que ça fait chier d’étaler son inspiration sans retour !<br />
Parce que ça fait chier ce pays où il faut être mort pour être reconnu (et<br />
encore…) !<br />
Parce que ça fait chier <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir troquer sa sincérité contre un petit peu<br />
d’attention !<br />
Parce que ça fait chier ce Milieu où l’amour n’a plus <strong>de</strong> signification !<br />
Parce que ça fait chier les prési<strong>de</strong>nts réélus qui n’ont rien à foutre là où ils<br />
sont !<br />
Parce que ça fait chier les vagues qui tombent toujours sur les mauvaises<br />
personnes !<br />
Parce que ça fait chier <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir dire besoin !<br />
Parce que ça fait chier <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir lécher le cul à tout le mon<strong>de</strong> !<br />
Parce que ça fait chier <strong>de</strong> ne pas pouvoir dire : « Ta gueule ! » à son<br />
propriétaire !<br />
Parce que ça fait chier d’allumer la télé et <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s putes qui racolent au<br />
lieu d’enseignants qui instruisent !<br />
Parce que ça fait chier l’intolérance, la susceptibilité, l’arianisme, l’hypocrite<br />
allégeance, les personnes diaprées !<br />
Parce que ça fait chier les agaceries, les vieilles tantes sadiennes, les<br />
417
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
mer<strong>de</strong>uses j’me-la-pète, les mythomanes abusifs, les poubelles <strong>de</strong> parc dans<br />
lesquelles on déverse la mort, les poupées funestes et les toutous blafards !<br />
Parce que ça fait chier <strong>de</strong> payer <strong>de</strong>s impôts pour aller casser la gueule à <strong>de</strong>s<br />
mômes en Irak au lieu <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s écoles !<br />
Parce que ça fait chier les vieux jamais contents qui manifestent pour leurs<br />
salaires !<br />
Parce que ça fait chier <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir se taper dix heures <strong>de</strong> voyage pour payer<br />
moins cher sa cartouche <strong>de</strong> clopes !<br />
Parce que ça fait chier <strong>de</strong> sortir dans la rue pour respirer la mort !<br />
Parce que ça fait chier <strong>de</strong> bouffer <strong>de</strong> la mer<strong>de</strong> !<br />
Parce que ça fait chier <strong>de</strong> ne pas pouvoir fumer <strong>de</strong> la weed quand on en a<br />
envie !<br />
Parce que ça fait chier l’inculture, les raclures <strong>de</strong> chiottes qui imbibent leurs<br />
paroles d’un aréisme intellectuel !<br />
P A R C E Q U E L A C O N S C I E N C E N ’ E S T P A S !<br />
P A R C E Q U E L A C O N S C I E N C E N A Î T !<br />
418
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 8 j a n v i e r 2 0 0 5<br />
Nous revenions <strong>de</strong>s Danaï<strong>de</strong>s où nous avions déjeuné avec un ami. Nous<br />
voulions rester sur Marseille et profiter un peu <strong>de</strong> l’après-midi à faire les<br />
boutiques mais notre budget nous criant <strong>de</strong> l’épargner, nous décidâmes <strong>de</strong><br />
rentrer. Lorsque nous arrivâmes à la gare, le train avait cinquante minutes <strong>de</strong><br />
retard et nous bénîmes les syndicats car nous l’aurions autrement manqué et ne<br />
nous sentions pas d’attendre le prochain en fin d’après-midi. Nous rejoignîmes<br />
notre voie, montâmes en secon<strong>de</strong> et nous assîmes dans le sens <strong>de</strong> la marche,<br />
comme d’habitu<strong>de</strong>, pour ne pas avoir mal au cœur. Avec ce retard, les<br />
voyageurs ne manquaient pas et nous dûmes ranger notre sac sous nos pieds<br />
pour ne pas gêner le passage dans l’allée embouteillée par un groupe se rendant<br />
dans les Hautes Alpes. Nous <strong>de</strong>scendions à Aix-en-Provence et en avions pour<br />
quarante minutes, au plus. Le wagon du TER se remplit et quitta la gare.<br />
Il avait les yeux clairs. Nous ne nous aperçûmes pas <strong>de</strong> sa présence <strong>de</strong> suite.<br />
Nous étions dans un club 4 sur la gauche et lui dans le club 4 d’après, nous<br />
faisant face. Ce n’est que lorsque nous appuyâmes notre tête contre la vitre que<br />
nous le vîmes et fûmes captivé par son regard. Il écoutait la musique sortie <strong>de</strong><br />
son bala<strong>de</strong>ur en fixant nous ne savions quoi ou qui <strong>de</strong>rrière nous.<br />
Nous n’avions jamais vu un regard si azuré. Il portait une casquette<br />
blanche, était blond décoloré coupé court, avait la peau nette. Sans nous en<br />
rendre compte, nous l’observions d’un regard mi louche mi perdu. Nous nous<br />
<strong>de</strong>mandions s’il était gay, nous le pensions ; nous nous <strong>de</strong>mandions s’il était<br />
avec le groupe <strong>de</strong> garçons assis à-côté <strong>de</strong> lui et où il <strong>de</strong>scendait, espérant<br />
secrètement que ce fût à Aix ; nous nous <strong>de</strong>mandions comment l’abor<strong>de</strong>r.<br />
Il est tellement simple sur l’Internet d’abor<strong>de</strong>r un garçon, un « Salut ! »<br />
suffit et le lieu est approprié mais là, dans un wagon, <strong>de</strong>vant tout ce mon<strong>de</strong>,<br />
comment l’abor<strong>de</strong>r ?<br />
Nous ne voyions aucune solution, baissâmes les yeux et nous enfermâmes<br />
dans nos pensées un instant.<br />
Il est <strong>de</strong>venu tellement compliqué d’abor<strong>de</strong>r quelqu’un naturellement dans<br />
la rue, à Aix, comme partout, mais surtout à Aix. Les gens ne se regar<strong>de</strong>nt<br />
même plus dans les yeux, ils ont peur d’être lus. Ils ne se parlent plus, ils<br />
craignent qu’on les juge. Ils ne se présentent plus comme personne mais<br />
419
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
comme membre <strong>de</strong> quelque chose. Les gens sont cons, nous sommes con !<br />
Après tout approcher quelqu’un n’est-il rien à faire ! Il n’allait pas nous<br />
agresser, que risquions-nous ? Nous prendre un vent ? Et là, assis sur notre<br />
fauteuil à penser <strong>de</strong>s choses pas si idiotes que cela, que risquions-nous ? Et<br />
bien rien justement ; nous étions pathétique !<br />
Alors nous lançâmes-nous, prîmes une gran<strong>de</strong> inspiration morale et le<br />
regardâmes, rien <strong>de</strong> plus. Quelles sont les chances pour que <strong>de</strong>ux regards se<br />
croisent, Fidèle, lorsque l’un est déjà fixé sur l’autre ? Nous te laissons y<br />
réfléchir…<br />
Les nôtres se croisèrent, une première fois, puis une secon<strong>de</strong> et, nous<br />
voyant insistant, il soutint le nôtre un moment. Une certaine chaleur naquit<br />
dans notre poitrine, nous lui sourîmes en clignant doucement <strong>de</strong>s yeux et<br />
regardâmes <strong>de</strong>hors par la vitre.<br />
Nous étions partis <strong>de</strong>puis un peu plus d’un quart d’heure, nous l’avions<br />
entendu au téléphone parler <strong>de</strong> Gap, nous <strong>de</strong>vions absolument accélérer ce<br />
petit jeu <strong>de</strong> séduction.<br />
À-côté <strong>de</strong> nous se tenait un vieux gros qui lisait La Cosmétique <strong>de</strong><br />
l’Ennemi d’Amélie Nothomb. C’était parfait, il allait nous servir !<br />
Notre plan ne souffrait d’aucune faille, il nous fallait juste encore croiser<br />
son regard. Il avait ramené sa casquette sur ses yeux et avait sans doute<br />
envisagé <strong>de</strong> dormir. Pourtant nous regarda-t-il à nouveau et, là, il comprit que<br />
ce n’était pas son regard qui nous captivait tant mais bien ce que nous<br />
pouvions y lire <strong>de</strong>rrière. Gêné, il alla pour se réfugier à nouveau <strong>de</strong>rrière sa<br />
casquette quand nous nous levâmes, bousculâmes un peu le vieux gros en nous<br />
excusant et en attirant l’attention sur nous. Nous prîmes notre sac, fîmes chier<br />
un peu tout le mon<strong>de</strong> alors qu’aucune gare n’était annoncée ; personne ne<br />
comprenait, personne sauf un, nous l’espérions.<br />
En partant, nous le fixâmes et lui fîmes un très léger signe <strong>de</strong> la tête pour<br />
l’inviter à nous suivre. Nous avions une chance sur <strong>de</strong>ux, n’est-ce pas ?<br />
Nous traversâmes <strong>de</strong>ux wagons pour arriver dans le compartiment <strong>de</strong><br />
sortie. Il était vi<strong>de</strong>, nous entrâmes dans les toilettes nous rafraîchir. Lorsque<br />
nous en ressortîmes, il était <strong>de</strong>vant la porte. Nous nous regardâmes, ne savions<br />
quoi nous dire. Et puis mer<strong>de</strong>, nous n’avions pas fait tout cela pour rien : nous<br />
420
Snob et hystéro-éthylique<br />
laissâmes tomber notre sac dans la cabine, nous approchâmes <strong>de</strong> lui, passâmes<br />
notre main dans son dos et l’embrassâmes.<br />
L’avantage <strong>de</strong>s nouveaux TER est qu’ils sont spacieux, nos corps purent<br />
s’exprimer <strong>de</strong> toute leur mesure. Debout, l’un contre l’autre, il nous bloquait<br />
contre la porte désormais close et nous nous caressions, perdant conscience <strong>de</strong><br />
la situation, du lieu, <strong>de</strong>s éventuelles personnes pouvant nous surprendre.<br />
Nous étions seuls, n’avions qu’une vie, un désir l’un pour l’autre ; qui<br />
pouvait nous en empêcher d’ailleurs ?<br />
Nous nous retrouvâmes rapi<strong>de</strong>ment torses nus. Il était bien fait, doux, son<br />
corps était chaud. Nous ne savions même pas son prénom, lui ne savait pas le<br />
nôtre, nous nous en foutions, nous ne parlions pas, nous laissions nos corps le<br />
faire pour nous. Nos mains bala<strong>de</strong>uses excitaient nos sens et dans cette étreinte<br />
charnelle presque délétère, nous nous oubliions, sans pousser la passion à la<br />
déraison.<br />
Le contrôleur annonça l’entrée en gare d’Aix-en-Provence. Nous ne<br />
pouvions pas continuer avec lui, il le savait, nous savions tous <strong>de</strong>ux que cette<br />
rencontre était plus belle si elle se posait ainsi, en éphéméri<strong>de</strong> sucrée.<br />
Nous sortîmes <strong>de</strong> la cabine, un peu débraillés, sans la contenance qui nous<br />
caractérisait presque en y entrant, <strong>de</strong>vant une quinzaine <strong>de</strong> personnes dépitées<br />
qui attendaient que la porte s’ouvrît. Nous étions à Aix.<br />
Si vite, c’était passé tellement vite, cela avait été tellement bon !<br />
Nous nous quittâmes, nous promettant tacitement <strong>de</strong> planer le reste <strong>de</strong> la<br />
journée chacun <strong>de</strong> notre côté en pensant à l’autre.<br />
Et là, ce putain <strong>de</strong> vieux gros qui lisait Nothomb à-côté nous bouscula en<br />
s’excusant, nous sortant <strong>de</strong> ce rêve semi éveillé, nous qui avions tant l’espoir <strong>de</strong><br />
pouvoir y rester enfermé encore quelques instants. Et bien non, ce n’était<br />
qu’une illusion. Il dormait sous sa casquette et nous, comme un con, avions<br />
rêvé cette rencontre au lieu <strong>de</strong> tout faire pour la vivre.<br />
Putain que nous sommes con, <strong>de</strong>s fois ! Nous ne nous fîmes pas la<br />
promesse <strong>de</strong> ne plus jamais rater une telle occasion mais celle <strong>de</strong> tout faire la<br />
prochaine fois pour la vivre. Quel con, putain !<br />
Lorsque nous arrivâmes effectivement en gare d’Aix, prîmes notre sac un<br />
peu dégoûté et bousculâmes le vieux gros pour passer, notre rêve ne dormait<br />
421
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
plus et ses yeux azurés nous regardaient. Ils nous firent cette fois l’effet d’un<br />
poignard que l’on nous aurait planté dans le cœur. Ils nous disaient, ces yeux :<br />
« Pourquoi n’as-tu rien fait toi ? Moi, je n’osais pas ! »<br />
422
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 9 j a n v i e r 2 0 0 5<br />
I N C U L T U R E<br />
Nous nous trouvons dans une sphère <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> où la partialité n’a <strong>de</strong><br />
repère que l’inaltérable vérité : sommes-nous humain ou ne le sommes-nous<br />
pas ?<br />
Cette nuit, notre esprit spiritueux renverse nos certitu<strong>de</strong>s et, <strong>de</strong>vant telle<br />
abjectitu<strong>de</strong>, nous nous soumettons à une analyse étrange et funeste pour notre<br />
communauté <strong>de</strong> chair, pas gay, pas hétéro, mais humaine, bien bestiale et<br />
communément avivée par la flamme du désir.<br />
Dans la forme <strong>de</strong> nos songes, nous pensons que l’acte le plus abominable<br />
se trouve dans l’irrationalité <strong>de</strong> ses conséquences sur autrui, nous nous<br />
abandonnons au regard <strong>de</strong> cette médiocre populace incapable <strong>de</strong> réflexion.<br />
As-tu déjà édifié, Fidèle, <strong>de</strong>s barrières entre l’absolutisme d’une notion<br />
simple : le sexe ; l’invective utopie : l’amour ; la sage animalité : la passion ?<br />
Nous ne connaissons que trois prétextes au sexe, la trinité figurative que nos<br />
pères nous enseignèrent dans un saint bouquin : l’Amour, l’Envie et l’Intérêt.<br />
Ces trois prétextes sont acceptables par tout être s’ils sont le fait d’un<br />
choix.<br />
Para<strong>de</strong>r tel un coq pour poursuivre un but charnel ne paraît dès lors pas<br />
être le plus abject <strong>de</strong>s faits sociétaires ; le sexe n’est pas une perversité, le sexe<br />
n’est pas une honte, le sexe n’est pas une révélation du malin dans les mains <strong>de</strong><br />
celui qu’il tente. Le sexe est naturel, et putain que c’est bon !<br />
Mais alors, si nous nous contentions <strong>de</strong> cette analyse fortuite et critiquable,<br />
nous <strong>de</strong>vrions admettre que la plus idéale <strong>de</strong>s sociétés serait une bacchanale<br />
titanesque où le foutre rejoindrait dans notre cas d’uranisme l’antre <strong>de</strong> nos<br />
passions débridées. La libido envolée, nous courrions alors d’une lope à une<br />
autre, désireuse <strong>de</strong> se faire crucifier elle aussi comme le fut le Tout Premier par<br />
un pieu défendant, ignominie d’une barbarie païenne. Décrotter les trottoirs et<br />
les parkings <strong>de</strong>viendrait alors la mission <strong>de</strong> ces êtres qui croient encore en la<br />
possible relation intime <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux êtres qui sont là, là pour s’aimer dans la<br />
simplicité et non la concupiscence. Mais ces rogatons d’Ève et d’Adam,<br />
423
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
seigneurs du péché originel et adorateurs <strong>de</strong> l’irritable bon sens seraient trop<br />
vite consumés par la masse ingrate qui finalement ne leur doit rien puisqu’elle<br />
ne suit pas le même régime.<br />
Nous nous trouvons dans une sphère <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> où les rejetons naissant<br />
d’une humanité trop humaine sont châtrés à la naissance. Nous ouvrons notre<br />
cœur pour comprendre mais n’y recevons ni commisération, ni jet <strong>de</strong> pierre ;<br />
nous ne recevons que le regard niais et vi<strong>de</strong> d’hommes et <strong>de</strong> femmes que la<br />
symbiotique culture n’atteint pas.<br />
Nous avons dans nos songes <strong>de</strong>s idées <strong>de</strong> massacres incompréhensibles,<br />
<strong>de</strong>s lubies protectrices <strong>de</strong>s valeurs que la réflexion, la connaissance, la sagesse<br />
et l’imaginative procuration <strong>de</strong> siècles d’histoire nous apportent. Nous sommes<br />
humain et nos envies sont naturelles. Nous sommes humain car nos envies ne<br />
se débattent pas entre l’ignorance et la pru<strong>de</strong> allégeance mais parce qu’elles se<br />
débattent entre la recherche du plaisir et l’acceptation <strong>de</strong> la médiocrité.<br />
Nous retournons à nos contextes rédactionnels pour apporter notre petite<br />
pierre à un édifice branlant que les masses incultes se complaisent à masturber<br />
<strong>de</strong> leur lubrique connerie.<br />
Nous voyons ici <strong>de</strong>s êtres sans humeur et sans teint qui per<strong>de</strong>nt ce qu’il<br />
leur reste d’humanité en s’adonnant à la chair obsessionnelle d’une rencontre<br />
qui finalement n’est qu’une rencontre. Se mêler avec un corps parce qu’il est<br />
corps ne fait <strong>de</strong> soi qu’une soumise sans saveur.<br />
Nous couchons avec <strong>de</strong>s potes, <strong>de</strong>s amis et <strong>de</strong>s amants ; nous laissons les<br />
parcs, les lopes, les vieilles et les refoulés à l’acharnement <strong>de</strong> l’inculture, et <strong>de</strong><br />
leurs dires nous nous foutons puisque cet acharnement les enferme !<br />
424
Snob et hystéro-éthylique<br />
1 7 f é v r i e r 2 0 0 5<br />
Nous allâmes hier soir avec Morgane, notre filleule <strong>de</strong> 8 ans, au cinéma<br />
Mazarin voir l’animation danoise Le Fil <strong>de</strong> la Vie d’An<strong>de</strong>rs Ronnow-Klarlund,<br />
conte fantasque enchanté <strong>de</strong> marionnettes merveilleuses. À la fin, l’oiseau<br />
s’envole et elle nous dit :<br />
MORGANE . Parrain, j’ai compris pourquoi il s’est envolé l’oiseau à la fin, c’est<br />
parce que tous ses fils sont tombés !<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’impressionnante réflexion <strong>de</strong> ce film, qui nous réapprend la<br />
force <strong>de</strong> l’amour jaillissant <strong>de</strong> ces liens qui nous unissent tous, nous ne<br />
pensâmes pas nous retrouver <strong>de</strong>vant cette vérité perdue <strong>de</strong>puis quelques mois :<br />
l’oiseau s’envole !<br />
Après tout, nous ne savons pas le message que veulent faire passer les<br />
dieux créateurs <strong>de</strong> ces marionnettes mais nous le voyons comme un clin d’œil<br />
discret ou distrait envers ces choses qui nous retiennent, toutes ces<br />
considérations finalement inutiles que nous adoptons comme indispensables à<br />
notre existence.<br />
Le plus difficile n’est pas <strong>de</strong> l’apprendre et le comprendre, mais d’oser le<br />
faire. Loin <strong>de</strong> nous l’idée <strong>de</strong> jouer les révolutionnaires cubains frustrés mais<br />
bon, c’est vrai quand même : nous vivons dans un mon<strong>de</strong> matérialiste qui<br />
enferme notre bonheur dans un écrin recouvert <strong>de</strong> dorure.<br />
Depuis notre retour d’Asie du Sud-Est, nous nous construisons une petite<br />
vie tranquille, presque trop simple ; nous avons un appartement (un<br />
propriétaire très con, certes), <strong>de</strong>s relations, <strong>de</strong>s connaissances, <strong>de</strong>s amis, un<br />
ordinateur, etc. Pourtant ne rêvons-nous que d’une seule chose : nous casser !<br />
Bon, nous nous promîmes <strong>de</strong> ne pas faire <strong>de</strong> ce journal la pseudo psycho<br />
analyse égocentrée et mégalomane <strong>de</strong> Notre vie en <strong>de</strong>nts <strong>de</strong> scie et <strong>de</strong> Nousmême.<br />
Passons donc et ne sortons que <strong>de</strong>s généralités que tout le mon<strong>de</strong><br />
connaît déjà mais ne veut pas voir ; écrasons ce qu’il nous reste <strong>de</strong> fierté pour<br />
retourner notre société sur elle-même et lui montrer son propre cul !<br />
Lançons-nous, sauveur <strong>de</strong> l’humanité, être seul au mon<strong>de</strong> qui déterminera<br />
425
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
par son altruisme la <strong>de</strong>stiné <strong>de</strong> ces masses déliquescentes et animées par les<br />
plus absur<strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> possessions. Mais non, ban<strong>de</strong> d’imbéciles, VOUS<br />
êtes possédés ! Nous le sommes tous !!<br />
Nous, ce qui nous possè<strong>de</strong> là, vu les conneries que nous écrivons, c’est<br />
notre verre <strong>de</strong> gin…<br />
Passons.<br />
Et si nous nous envolions nous aussi ? Et si, par la force <strong>de</strong>s choses, <strong>de</strong><br />
toute manière, nous n’en avions plus le choix ? Le referions-nous ? Pourquoi,<br />
Diable !, attendons-nous d’être le dos au mur, ce putain <strong>de</strong> mur que nous<br />
évitons <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années, pour prendre une telle décision ? Nous croyons que<br />
c’est résolument humain ! Nous croyons que quand arrive le moment où<br />
<strong>de</strong>vant chaque chose, la seule réponse acceptable que nous trouvions à donner<br />
est : « Eurk ! », c’est le moment <strong>de</strong> partir !<br />
Comment faire ? Mais, évi<strong>de</strong>mment, ne suffit-il pas <strong>de</strong> laisser tomber ses<br />
fils et <strong>de</strong> s’envoler ?<br />
426
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 5 f é v r i e r 2 0 0 5<br />
Comme quelques autres ces temps-ci, nous allâmes hier soir fêter<br />
Rammstein à l’Elfike, un pub semi gothique, semi médiéval, semi fantastique,<br />
semi métal… Oula, beaucoup trop <strong>de</strong> semis, notre culture surabon<strong>de</strong> ! Bref, un<br />
pub pour les suicidés existentiels qui n’ont pas la vie imaginaire rêvée qu’ils<br />
aimeraient avoir, dont nous faisons partie.<br />
Alcool, alcool, alcool… Le paquet <strong>de</strong> clopes ne tint lui non plus pas la<br />
soirée. Défoulement sur le dance floor <strong>de</strong>vant une foule <strong>de</strong> spectateurs débridés<br />
(en fait un mec, une fille, même pas alcooliques, <strong>de</strong> nos compagnons <strong>de</strong><br />
soirée), au sous-sol, avec Virginie et une autre copine. Danse, danse, danse,<br />
fous rires, délires, démontage <strong>de</strong> scène, et nous en passons.<br />
Minuit.<br />
Heure du crime, nous ne savons pas mais nous commencions <strong>de</strong> ne plus<br />
entendre Rammstein <strong>de</strong> toute manière… Laissant trois compères <strong>de</strong>rrière,<br />
Virginie et nous-même continuâmes notre tournée <strong>de</strong>s bars jusques au Med<br />
Boy (glauque à souhait mais le patron est sympa, la musique kitsch, la cervoise<br />
pas chère et le billard à volonté). Alcool, alcool, alcool…<br />
Morts <strong>de</strong>s hystéro-éthyliques !<br />
2 heures.<br />
Recherche spiritueuse <strong>de</strong> la grand’voie, séparation. Nous retournâmes chez<br />
nous, laissâmes notre clef ouvrir la porte toute seule, puis rien, nous ne savons<br />
pas, ne savons plus… Arrête, Fidèle, avec tes questions quoi ! Non, non, non,<br />
nous n’avons rien pris !!<br />
Passons.<br />
La porte se referma, les clefs se rangèrent, les habits tombèrent, les New<br />
Rock résistèrent mais compatirent finalement. Nous étions nu, gelé. Le<br />
maquillage ? Demain ! Le courriel ? Et puis quoi encore ! Les <strong>de</strong>nts ? Ah si, les<br />
<strong>de</strong>nts oui, quand même ! L’ibuprofen ! ARHHG plus d’ibuprofen, plus rien,<br />
nada, niet ; l’angoisse !<br />
427
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Bon ! Courage ! La tête haute, telle une lady (bourrée, et hélas pas dans le<br />
bon sens…), nous nous écrasâmes sur notre lit, nous retournâmes, tombâmes<br />
en disgrâce dans les bras <strong>de</strong> Morphée, cet ignoble concubin qui ne daigna<br />
même pas soigner notre pauvre migraine venante.<br />
Et le matin… Et oui, il arrive toujours, ce putain <strong>de</strong> matin… Il faut bien se<br />
lever, le matin !<br />
Zonage, zonage, recherche désespérée d’une molécule : rien ! Mémo perso :<br />
acheter <strong>de</strong>s molécules aujourd’hui… Non ! mauvaise idée. Mémo perso 2 : aller<br />
nous noyer dans 300 litres d’eau bouillante saveur coco. Oui, oui… parfait !<br />
Et mer<strong>de</strong>, pourquoi n’avons-nous plus d’alcool en fait ? Ce serait tellement<br />
parfait <strong>de</strong> ne jamais avoir la gueule <strong>de</strong> bois si nous étions toujours bourré.<br />
Mémo perso 3 : passer chez Nicolas dans la journée !<br />
Si tu n’as pas compris un traître mot <strong>de</strong> ce que nous venons d’écrire, Fidèle,<br />
ne panique pas, essaye Nicolas aussi !<br />
Ô, déca<strong>de</strong>nte jeunesse !<br />
428
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 6 f é v r i e r 2 0 0 5<br />
L E S Y N D R O M E D E L A P R É P A R O L E<br />
O U L A D É R A I S O N D U V I C E V E R B A L<br />
L’article qui suit nous donna beaucoup <strong>de</strong> mal. Cela fait plusieurs semaines<br />
que nous y pensons, ne sachant trop qu’écrire, ou plutôt comment l’exprimer.<br />
Nous allons traiter du futur, conception vaporeuse et inexacte que nous<br />
apprîmes à redouter.<br />
Le “syndrome <strong>de</strong> la préparole”, tel que nous le définissons, annonce l’ère<br />
<strong>de</strong> la Retenue et <strong>de</strong> la Constance dans notre jeune existence. Il est la prise <strong>de</strong><br />
conscience d’une malédiction qui, nous le pensons fortement, nous tourmente<br />
<strong>de</strong>puis toujours. Il est l’illusion <strong>de</strong>structrice, cette nappe éthérée <strong>de</strong> songes, <strong>de</strong><br />
rêves et d’espoirs qui voile ce que <strong>de</strong>vrait être notre perception réelle.<br />
La société est faite <strong>de</strong> contenances : l’apparence, le geste et la parole.<br />
Vincent, une connaissance, fait état du premier dans un article auquel nous<br />
répondons ainsi :<br />
« Le corps, l’esprit, la symbiose grecque épique <strong>de</strong> nos pères. S’il s’avère<br />
que l’un peut aller sans l’autre, lorsque l’un le compense, pourquoi<br />
admettrions-nous si facilement cette idée ? Le corps aujourd’hui l’emporte sur<br />
l’esprit, séduisant le noble spectateur médusé par la pure beauté et lui arrachant<br />
un sentiment <strong>de</strong> respect, <strong>de</strong> compassion, d’amour, <strong>de</strong> fierté… Nous songeons<br />
à ces magazines people du culte <strong>de</strong> la chair lisse et bien mo<strong>de</strong>lée. Oui… Un<br />
modèle justement ! C’est cela en fait : nous avons tous un modèle conditionné<br />
dans notre esprit sujet à la passivité forcée par notre société du beau, du bon,<br />
du facile amalgame <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux. Imposer son discours ne tient pas seulement <strong>de</strong><br />
notre esprit et réflexion mais, ne nous leurrons pas, aussi <strong>de</strong> notre capacité à<br />
subjuguer, à charmer.<br />
« Les masses sont atteintes aujourd’hui par le constructivisme marketiné <strong>de</strong><br />
starlettes rembourrées. Nous entendons par là l’exploitation <strong>de</strong> notre espace<br />
visuel pour que nous n’échappions pas à ce lebensraum <strong>de</strong> possédés incultes<br />
mais tellement bien foutus. Ainsi sommes-nous baisés, nous, pauvre élite qui<br />
429
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
voguons entre spiritisme, spirituel et spiritueux pour compenser notre manque<br />
<strong>de</strong> ventre plat, <strong>de</strong> beau cul, <strong>de</strong> teint lisse et <strong>de</strong>… plein <strong>de</strong> choses.<br />
« Coucher avec une planche à pain, un rogaton blafard et frustré quand il a<br />
<strong>de</strong>vant lui un burger et du Pepsi, un narcisse prépondéré mais tellement con<br />
qu’il ne s’en rend même plus compte, un stéréotype du cultissime young & fresh<br />
body griffé jusques aux basques… Non merci ! Nous préférons quelqu’un qui<br />
nous attire pour ce qu’il est et non pour ce qu’il s’acharne à vouloir montrer.<br />
Cependant – admettons-le ! – l’adipose, la médiocrité et la disgrâce nous<br />
repoussent-elles… Nous sommes humain, nous aussi vivons dans cette<br />
société, et quelque part n’avons pas le choix ! Mémo perso : nous inscrire à<br />
Gym Concept ! »<br />
Le geste, quant à lui, est une éducation. Il ne reste donc qu’à développer la<br />
parole.<br />
Tu sais déjà, Fidèle, qu’une conversation se construit entre petites ridicules,<br />
verbiages pompeux, propos subtils, etc. Ce que tu ignores en revanche, par<br />
pure dénégation <strong>de</strong> ta part, est ce que nous appelons : Préparole. Elle<br />
correspond à tout ce qui pourrait être mais qui ne sera point, par un injuste fait<br />
du sort, parce que nous en parlons… trop tôt !<br />
Nous retournâmes notre cerveau pour en trouver l’origine. Faisant appel à<br />
notre muse, conspuée à maintes reprises pour sa dépendance éthylique, nous<br />
comprîmes une chose essentielle. À chaque démonstration prématurée <strong>de</strong> ce<br />
qui n’est finalement que <strong>de</strong> la vanité, une on<strong>de</strong> s’acharne à nous baffer<br />
convenablement et publiquement pour nous rappeler que nos envies défient<br />
les dieux, que nos choix ne dépen<strong>de</strong>nt que peu <strong>de</strong> nous, et que le Destin se<br />
dérobe sous nos pas quand nous pensons l’entrevoir pour nous mieux imposer<br />
sa splen<strong>de</strong>ur.<br />
Le vice verbal que nous décrivons succinctement ici est donc bel et bien<br />
une malédiction à laquelle personne ne semble pouvoir échapper.<br />
Face à ce perturbant et somme toute dramatique constat, nous prîmes la<br />
résolution d’adopter la retenue et la constance dont nous parlons au début.<br />
Ainsi est-ce complet pragmatisme que d’accor<strong>de</strong>r à cette réflexion<br />
psychologique <strong>de</strong> bar-after un intérêt certain. Nous ne t’invitons pas à prendre<br />
430
Snob et hystéro-éthylique<br />
acte <strong>de</strong> ce qui s’apparente à <strong>de</strong> la pédanterie mais simplement à réfléchir sur ta<br />
propre expérience et à t’avouer, peut-être, qu’il est parfois bien avisé <strong>de</strong> fermer<br />
ta gueule !<br />
431
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
4 m a r s 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 5 heures.<br />
Mer<strong>de</strong>, nous nous levons dans trois heures ! Bon, Arthur, abrège ou nous<br />
allons encore avoir la tête dans le cul aujourd’hui ; nous ne faisons rien <strong>de</strong><br />
notre vie, avons tout notre temps, certes, mais ce n’est pas une raison !<br />
Courage ! Après tout, le week-end sera court : nous <strong>de</strong>vons nous rendre à<br />
Colmar pour la nuit. Douze heures <strong>de</strong> train aller/retour, tout cela en moins <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux jours.<br />
Mais bon, il faut bien payer le loyer. Note, Fidèle, avec quelle abnégation et<br />
sens <strong>de</strong>s responsabilités nous nous démenons pour honorer nos factures !<br />
Le jour où notre connard <strong>de</strong> propriétaire, Monsieur Viriot toujours, pourra<br />
nous virer d’ici, <strong>de</strong>s thons défileront sur les podiums à la place <strong>de</strong>s<br />
mannequins. C’est déjà un peu le cas au passage, méfions-nous…<br />
8 heures.<br />
Heinheinnn… Qui a eu l’idée conne <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong> la dance pour dormir ?<br />
Arf… Ce doit être nous. Quel con !<br />
NOUS . Maman, encore cinq minutes s’il te plaît !<br />
NOUS / NOTRE MÈRE . Non, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ! Remue-toi un peu, tu vas me<br />
bouger tes fesses maintenant, allez ! Tu vas te trouver un boulot.<br />
NOUS . Mais, Maman, j’ai un boulot et je m’bouge les fesses déjà ; c’est ÇA,<br />
mon boulot !<br />
Le téléphone sonne :<br />
NOUS . Arthur… Déjà levé ? Étonnant !<br />
ARTHUR . Pas encore couché, chéri !<br />
NOUS . Rassure-moi !<br />
432
Snob et hystéro-éthylique<br />
Ah ! nous travaillons trop en fait. Courage ! un petit effort encore.<br />
10 heures, Roton<strong>de</strong>.<br />
NOUS . Garçon ! Un chocolat chaud, <strong>de</strong>ux tartines, un croissant, un jus<br />
d’orange et un Gin Fizz, s’il vous plaît !<br />
Bah quoi ? On a tous le droit <strong>de</strong> prendre du plaisir, n’est-ce pas ?<br />
LE SERVEUR . Votre Gin Fizz arrive, Monsieur !<br />
Il fallait commencer par cela voyons, chéri ! Nos clopes… Où, Diable !,<br />
avons-nous mis ces putains <strong>de</strong> clopes ?<br />
10h48.<br />
Bon, maintenant que nous avons bien mangé, nous ferions bien une<br />
sieste… Non ! Il ne faut pas ! Et puis, <strong>de</strong> toute façon, nous ne dormirions<br />
jamais aussi bien dans notre lit que confortablement enfoncé dans la place<br />
numéro 13 <strong>de</strong> la voiture 2, première classe, c’est une évi<strong>de</strong>nce. Allons, un café<br />
et nous repartons ! Essayons <strong>de</strong> choper le serveur mignon là-bas !<br />
11h43.<br />
Mer<strong>de</strong> ! Nous venons <strong>de</strong> nous rendre compte que nous avons oublié le gel ;<br />
quel con ! Quelle idée aussi <strong>de</strong> ne pas en proposer dans les distributeurs Selecta<br />
entre les Bounty et les bouteilles <strong>de</strong> Perrier ! Même au Relay, ils n’en ont pas.<br />
Quel mon<strong>de</strong>, quel mon<strong>de</strong> !<br />
13h12.<br />
Finalement, ce siège numéro 13 ne nous inspire pas confiance, et puis il<br />
n’est pas dans le sens <strong>de</strong> la marche. Nos problèmes existentiels sont tellement<br />
vitaux, comme tu peux le lire. Nous nous <strong>de</strong>mandons bien comment nous<br />
parvenons encore à y survivre…<br />
433
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Belfort (Franche-Comté, France), 18h23.<br />
À nouveau seul dans notre club 4, nous crûmes un instant que nous allions<br />
commettre un meurtre. Mémo perso : la prochaine fois, penser à emporter une<br />
arme anti-vieille, un alibi (dictionnaire slovaque, croix retournée, maquillage<br />
provoc’, collier <strong>de</strong> chien, Guerre et Paix 1 pour, à défaut <strong>de</strong> le lire, le leur coller<br />
en pleine poire, lecteur MP3…)<br />
Notre vie est éprouvante, tu sais !<br />
1 . Léon Tolstoï, Guerre et Paix, 1865-1869.<br />
434
Snob et hystéro-éthylique<br />
5 m a r s 2 0 0 5<br />
Colmar (Alsace, France), 12h08.<br />
Il neige ! Il neige ! Nous nous réfugiâmes au salon <strong>de</strong> thé L’Amandine dans<br />
la vieille ville. C’est que nous n’avons pas l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> tout ce blanc, Fidèle !<br />
Encore une nuit sans dormir mais nous sommes pété <strong>de</strong> thunes désormais.<br />
Ce n’était pas la gran<strong>de</strong> bourre (sexuellement chiant), mais c’est passé vite et il<br />
était sympa.<br />
LA SERVEUSE . Vous désirez ?<br />
NOUS . Un Gin Fizz, une niçoise et une gran<strong>de</strong> carafe d’eau, s’il vous plaît !<br />
12h16.<br />
Putain, c’est pas un Gin Fizz <strong>de</strong> pédé, ça ! Parfait ! Notre train <strong>de</strong> retour est<br />
à 14h30, mangeons donc gaiement.<br />
12h48.<br />
Nous zonons… Rentrons et dormons ! Non, mauvais plan… Allons<br />
d’abord faire un tour dans la vieille ville, trouvons un Monoprix, achetons une<br />
Veuve, rentrons et plongeons-nous dans 300 litres d’eau bouillante saveur<br />
vanille.<br />
Décidément parfait !<br />
435
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 2 m a r s 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 4h45.<br />
Instant propice à la réflexion spiritueuse. Morphée, ce salaud prometteur<br />
<strong>de</strong> gran<strong>de</strong> bourre, nous abandonne à l’instant dans un ronflement pénible qui<br />
ne berce que notre pensée nocturne, et non nos rêves.<br />
Ainsi donc sommes-nous las <strong>de</strong>vant lui, nu et étiré, bientôt pourvu du<br />
charme crépusculaire.<br />
Nous aimons cet instant <strong>de</strong> <strong>de</strong>mi-nuit, <strong>de</strong> <strong>de</strong>mi-vie, qui manœuvre sur nos<br />
pensées folles. Nos yeux lourds forment le <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> nous laisser en plan ;<br />
notre esprit combat cet état. Nous sommes le sujet <strong>de</strong> ce conflit romantique :<br />
« Ô sage passionné du ténébreux, finiras-tu jamais par t’endormir ? »<br />
Dans quatre heures, nous <strong>de</strong>vons nous lever pour quelque ren<strong>de</strong>z-vous<br />
uranique ; à quoi bon finalement, nous préférons zoner.<br />
La nuit <strong>de</strong>rnière, nous ne couchâmes pas non plus, le blond ténébreux nous<br />
ennuyait. C’est toujours pareil avec lui : il nous invite, il nous comble, il nous<br />
laisse ou nous le chassons. Autant avoir un chaton, au moins lui ne ronfle-t-il<br />
pas.<br />
Le midi, nous déjeunâmes avec MJD, vidâmes un Saint-Véran blanc très<br />
rond, très bon, rentrâmes et dormîmes. À notre réveil, notre estomac criait<br />
famine. Nous le remplîmes <strong>de</strong> Nutella et <strong>de</strong> gin et <strong>de</strong>puis, comblé, il ferme sa<br />
gueule et accueille chaque chau<strong>de</strong> <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> cette liqueur divine avec foi. Il<br />
n’a qu’à nous remercier.<br />
Nous disions donc que nous aimions cet état <strong>de</strong> <strong>de</strong>mi-vie, au matin,<br />
lorsqu’il faut aller à la Poste chercher du fric, à la boulangerie acheter du pain,<br />
chez Nicolas s’offrir du bien. Nous pensons qu’aujourd’hui ce sera cette<br />
Bollinger que nous vîmes hier midi à 34 euros et quelques ; elle nous hante,<br />
nous appelle. Elle nous pèle !<br />
Sommes-nous dépendant, sommes-nous atteint ? Nous ne savons.<br />
Est-ce complet délire, non… complet désir, que <strong>de</strong> boire les rêves dans <strong>de</strong>s<br />
bulles ? Nous ne savons.<br />
Nous savons seulement qu’elles ne nous irritent pas, elles, contrairement à<br />
ce blond ténébreux qui trempe notre précieux drap <strong>de</strong> satin <strong>de</strong> sa scintillante<br />
436
Snob et hystéro-éthylique<br />
can<strong>de</strong>ur. Pour faire clair, il ban<strong>de</strong> ! Nous n’avons aucune volonté et le<br />
rejoignons.<br />
23h49.<br />
Ça se dit aixois, ça s’habille Van Dutch ou Kulte ou pour les mieux Adidas<br />
Vintage chez Stéphanie Bruno, ça se coiffe chez Tony & Guy, Sculpt ou VIP<br />
Studio, et ça vient ici comman<strong>de</strong>r un Coca-Cola ou un café en comptant les<br />
<strong>de</strong>rniers centimes qu’il reste dans la bourse offerte par papa et maman. Nous<br />
sommes, nous, habillé electro-trash avec ce que nous trouvâmes dans le fond<br />
<strong>de</strong> nous coffre.<br />
NOUS . S’il vous plaît ? Un autre Gin Fizz, un grand verre d’eau et… voyons…<br />
le foie gras truffé, vous le servez par combien ?<br />
LE SERVEUR . Par <strong>de</strong>ux. C’est une assiette <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux.<br />
NOUS . Parfait, mettez m’en quatre, s’il vous plaît !<br />
Notre paquet <strong>de</strong> clopes est neuf ; il ne fera pas la soirée. Notre bourse est<br />
pleine ; nous la soupçonnons <strong>de</strong> ne pas tenir plus longtemps.<br />
Ce soir, nous <strong>de</strong>vions aller au Med Boy avec Virginie, Niko et Sébastien,<br />
son copain ; annulé ! « OK les gars, pas <strong>de</strong> problème ! » Sur MSN, nous<br />
croisâmes un pote <strong>de</strong> tchatche et conclûmes avec lui que, quitte à être seul et<br />
déjà bourré au gin, autant continuer sur notre lancée : nous sommes chaud,<br />
nous sommes jeune, nous sommes beau, nous avons un peu <strong>de</strong> fric, nous<br />
avons envie <strong>de</strong> faire la fête, nous sortons, avec ou sans personne, nah !<br />
Ici, au Roton<strong>de</strong>, la musique est sympa, le peuple précaire “j’me-la-pète-jeviens-para<strong>de</strong>r”<br />
nous inspire. Le foie gras est tout à fait convenable. Nous ne<br />
savons pas avec quoi ils le fourrent mais s’ils pouvaient en faire autant avec<br />
certains <strong>de</strong> ces Aixois, cela rendrait cette ville réellement agréable ; pour le<br />
moment, il y fait seulement bon vivre.<br />
Nous pensons finir au Med Boy après, et rentrer déca<strong>de</strong>nt en rampant chez<br />
nous, comme toujours. Il n’y a pas <strong>de</strong> raison, pourquoi nous en priverionsnous<br />
? Tiens ! Vendredi 18 mars au Roton<strong>de</strong>, soirée “Ultra Lounge” <strong>de</strong> 19 à 2<br />
437
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
heures ; c’est là qu’il faut être pour rencontrer du mon<strong>de</strong> ! Vitalic sera ensuite<br />
au Studio 88. Avis aux amateurs…<br />
438
Snob et hystéro-éthylique<br />
1 3 m a r s 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 00h15.<br />
La détente est <strong>de</strong> mise, le lieu est intimiste. L’une commence <strong>de</strong> danser sur<br />
une musique orientale naissante près du bar. De noir vêtue avec un liseré rouge<br />
sur le col, elle déchaîne ses ron<strong>de</strong>urs.<br />
En bon before, le Roton<strong>de</strong> tient ses promesses. Alors que le petit chien<br />
gueulard <strong>de</strong> la maison déambule entre les tables, Margarita, vins blancs, gins,<br />
champagnes et autres coulent à flot, préparant la cité cosmopolite à la fête, à<br />
l’oubli.<br />
Décidément mignon, ce serveur ! Il nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si notre Gin Fizz nous<br />
convient.<br />
NOUS . Absolument parfait !<br />
00h32.<br />
Le temps est venu <strong>de</strong> rejoindre le Med Boy et <strong>de</strong> sombrer. Une <strong>de</strong>rnière<br />
clope et nous y allons.<br />
En attendant, que dire rapi<strong>de</strong>ment sur le Med ? Avant tout, Michel, nous<br />
l’adorons, le considérons comme un ami et son bar comme un lieu culte où<br />
l’on s’amuse bien. L’endroit est glauque, vieux, la voûte au sous-sol tombe en<br />
miettes sur un billard qui tient par miracle et les vieilles se branlent dans la salle<br />
<strong>de</strong> visio dans l’espoir qu’un jeune et bel éphèbe vienne les ai<strong>de</strong>r.<br />
Sincèrement, Michel, ne change rien ! Nous préférons mille fois le Med à<br />
n’importe quel autre bar chic et puant <strong>de</strong> cette ville <strong>de</strong> faux bourgeois (tous<br />
sauf le Roton<strong>de</strong>, évi<strong>de</strong>mment !). Tout le mon<strong>de</strong> peut en dire ce qu’il veut, il<br />
n’empêche : au Med, nous n’y avons que <strong>de</strong> bons souvenirs, sauf celui qui<br />
confirme la règle…<br />
19h12.<br />
L’ambiance musicale en ce moment à la maison est aux années 60 : Fifth<br />
Dimension. Nous sortons <strong>de</strong> 300 litres d’eau bouillante saveur lait <strong>de</strong> palme ;<br />
439
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
nous croyons les avoir méritées. Nous n’eûmes hélas pas cette Bollinger que<br />
nous désirions tant hier mais ce n’est que partie remise. Notre équipée<br />
nocturne nous fit dériver bien plus loin que ne l’auraient fait, <strong>de</strong> toute manière,<br />
ces soixante millions <strong>de</strong> bulles.<br />
Nous arrivâmes au Med Boy, seul, légèrement pinté. Michel nous ouvrit en<br />
nous accueillant comme à l’accoutumée les bras ouverts. Nous entrâmes,<br />
regardâmes qui était présent et qui ne vîmes-nous pas ? Stéphane, un copain<br />
rencontré alors que nous bossions encore tous les <strong>de</strong>ux à Monoprix. Une<br />
surprise, assurément. Nous nous croisons si peu malgré un passé commun (et<br />
profond) datant <strong>de</strong> l’été 2003. Nous parlâmes un moment, commandâmes un<br />
Martini Rosso – nous t’assurons, Fidèle, que c’est la Michel qui se planta sur le<br />
Rosso, n’en étant pas fan du tout, mais bon… <strong>de</strong> gaspillage point trop n’en<br />
faut ! – puis un Bianco. Entre temps, Michel sortit le mot “Cancan” ; ce soir, il<br />
allait en boîte. Entre <strong>de</strong>ux vapeurs éthyliques, nous le captâmes et en<br />
profitâmes pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nous emmener avec lui. Stéphane était avec<br />
un copain. Nous leur <strong>de</strong>mandâmes s’ils voulaient <strong>de</strong>scendre faire un billard, la<br />
nuit ne faisait que commencer, mais il était fatigué !<br />
NOUS . Qu’à cela ne tienne, bonne soirée chéri ! Moi je compte bien en<br />
profiter !<br />
Nous <strong>de</strong>scendîmes donc seul. Il n’y avait personne en bas non plus. Nous<br />
plaçâmes les boules sur le tapis et commençâmes <strong>de</strong> jouer. Après quelques<br />
coups pitoyables, admettons-le, un mec vint nous rejoindre et nous proposa<br />
une partie. Nous avions déjà joué ensemble la veille, il nous semble, ou une<br />
autre fois, peut-être ; toutes les nuits sont les mêmes à l’ouest. S’ajoutèrent<br />
ensuite <strong>de</strong>ux autres connus contre lesquels nous disputâmes une partie<br />
acharnée qui s’acheva en égalité parfaite. Nous <strong>de</strong>mandâmes la belle pour un<br />
autre jour : on ne fait pas attendre le dance floor du New Cancan !<br />
Allons, tout le mon<strong>de</strong> en voiture, il était déjà 3 heures et cette nuit-là,<br />
Michel s’inventa grand prince, c’était pour lui !<br />
Nous entrâmes en boite en invités du Med donc. Michel commanda <strong>de</strong>s<br />
verres pour tout le mon<strong>de</strong> et là, enfin, la soirée sombra sérieusement dans le<br />
440
Snob et hystéro-éthylique<br />
n’importe quoi déluré déca<strong>de</strong>nt très alcoolisé que nous vénérions. Entre<br />
poppers, clopes et verres divers, sur la piste enfumée electro-clashée 80, nous<br />
dansâmes à en perdre nos sens.<br />
Nous ne l’avions pas remarqué au Med, ni à vrai dire sur la piste du<br />
Cancan. Il était venu avec les autres et s’appelait Régis. Au fil <strong>de</strong> la soirée,<br />
l’ambiance se détendit suffisamment pour nous envoyer <strong>de</strong>s verres <strong>de</strong> vodka<br />
pomme à la figure au beau milieu <strong>de</strong> la piste, en guise <strong>de</strong> rafraîchissements,<br />
entends-nous bien. Le t-shirt mouillé, nous n’eûmes d’autre choix que <strong>de</strong><br />
continuer torse nu. Il fit <strong>de</strong> même et <strong>de</strong> nos jeux sortit une certaine attirance<br />
réciproque.<br />
Nous sommes être inaccessible et ne cherchons personne dans notre vie.<br />
Nous jouâmes donc la froi<strong>de</strong>ur, mais pas la distance. Nos corps se collèrent et<br />
se séparèrent pour, épargnons-nous les détails, finalement s’emmêler sur une<br />
banquette proche du bar (jamais trop loin, jamais !). De baisers langoureux en<br />
caresses subtiles et délicieuses, le temps vint rapi<strong>de</strong>ment au départ.<br />
Nous souhaitions rentrer avec Michel (nous rentrions tous ou presque sur<br />
Aix) mais en voyant son état, nous changeâmes étrangement d’idée et<br />
montâmes avec les autres, torse nu. Il était 7 heures.<br />
Régis nous invita à dormir chez lui. Nous lui concédâmes même une<br />
coucherie, tant qu’à faire, à condition qu’il ne s’attachât pas. Finalement, nous<br />
passâmes la journée à baiser, bareback, pour ne rentrer chez nous que vers 17<br />
heures, épuisé, tu t’en doutes, par tant d’ar<strong>de</strong>urs à nous socialiser.<br />
Ah ! le temps est venu <strong>de</strong> nous préparer, encore, mais nous serons sage ce<br />
soir…<br />
441
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 m a r s 2 0 0 5<br />
La nuit <strong>de</strong>rnière, nous célébrâmes la déesse Cervoise ! Nous ne sommes<br />
pas catho, nous en foutons comme <strong>de</strong> l’an 450 <strong>de</strong> la Saint-Patrick puisque nous<br />
sommes païen mais cette fête religieuse et nationaliste outre manche nous<br />
apporta ici LA parfaite justification pour nous bourrer la gueule à la bière dans<br />
la rue <strong>de</strong> la verrerie <strong>de</strong>vant feu The Red Clover, rebaptisé récemment après<br />
moult explosions mafieuses le O’Shannon.<br />
Nous ne lésinâmes sur rien, bûmes, bûmes et bûmes encore, le but <strong>de</strong> cette<br />
nuit étant le coma éthylique.<br />
Kanterbrau, Calsberg, Despe, Corona, Heineken, Leffe, la bien nommée<br />
Bière <strong>de</strong> Mars… Le choix au Casino était établi mais, finalement, un pack <strong>de</strong><br />
dix bouteilles <strong>de</strong> Kro allèrent ! Et puis nous nous dîmes que tout le mon<strong>de</strong><br />
avait dû en prévoir <strong>de</strong> son côté.<br />
Passage par la Poste centrale : eurk ! De quoi nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi<br />
avoir voté pour Maryse aux <strong>de</strong>rnières élections…<br />
NOUS . Excusez-moi… Non, non, ne bougez pas voyons, je vous enjambe…<br />
Non… Je n’ai pas <strong>de</strong> fric sur moi… Ah, non plus non, le pack n’est pas<br />
ouvert… Comment ?… Heu… Désolé, je ne parle pas roumain… Sans<br />
Logis ? Je ne lis que Le Mon<strong>de</strong> mais c’est gentil !<br />
Comment leur en vouloir ? Après tout cela n’est-il pas <strong>de</strong> leur faute s’ils<br />
sont ici, c’est celle <strong>de</strong> Maryse qui les laisse entrer !<br />
LA MASSE INCULTE . Quelle salope !<br />
Oui, elle le sait, et alors ? Elle adore !<br />
Continuons notre périple !<br />
Nous arrivâmes à l’appartement (nos clopes, nos bières et nous-même)<br />
vers 20 heures.<br />
442
Snob et hystéro-éthylique<br />
NOUS . Bonjour tout le mon<strong>de</strong> ! J’ai pris <strong>de</strong>s bières !!<br />
L’UNE . Nous aussi, quatre packs géants !<br />
UNE AUTRE . C’est la fête ce soir, les gars !<br />
UNE DERNIÈRE . Qui veut fumer ?<br />
En parfaits jeunes gens biens sous tous rapports, nous rejoignîmes la rue,<br />
déjà pintés, bière dans une main, clope dans l’autre et <strong>de</strong>ux sacs <strong>de</strong> réserves<br />
blon<strong>de</strong>s ou brunes. Destination : rue <strong>de</strong> la Verrerie !<br />
Nous ne savons pas pour toi, Fidèle, mais avant ce soir-là, nous n’avions<br />
jamais mis les pieds dans ce pseudo restaurant chic qu’est le Bistrot Romain.<br />
Seulement, minuit approchait, il nous semble, et notre outre vésicale criait à<br />
l’urgence. Ne faisant pas la fine bouche, nous entrâmes avec Joe !<br />
NOUS . Bonsoir ! Excusez-moi, pourrions-nous emprunter vos toilettes, s’il<br />
vous plaît ?<br />
LE SERVEUR . Heu… Nous allions fermer, mais… Oui, allez-y.<br />
NOUS . Merci, trop aimable !<br />
Ô Cervoise, Cervoise, plaisir à double sens…<br />
NOUS . Joe ? Joe ?<br />
LE SERVEUR . Votre amie est déjà <strong>de</strong>hors.<br />
NOUS . Parfait, encore merci. On reviendra !<br />
Comme prévu, la rue <strong>de</strong> la Verrerie était bondée <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> ; en masse, les<br />
supporters du Trèfle (et à défaut ceux <strong>de</strong> la bière) étaient regroupés entre<br />
l’Elfike et le O’Shannon. Nous nous posâmes <strong>de</strong>vant le pub.<br />
NOUS . Bon, les filles, ces jeunes gens sont morts, allons les réveiller ! Virginie<br />
Chérie ?<br />
443
VIRGINIE . Allez !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Et voilà nos <strong>de</strong>ux joyeux lechorpans bourrés <strong>de</strong> déambuler entre les fêtards<br />
coincés en criant : « C’est la Saint-Patou ! C’est la Saint-Patou ! Joyeuse Saint-<br />
Patou !! » Et eux <strong>de</strong> répondre gaiement par <strong>de</strong>s sifflets en levant leur pinte à la<br />
déca<strong>de</strong>nce.<br />
Ô Cervoise, prête-nous ta muse en cette nuit <strong>de</strong> flots !<br />
Deux heures et trois litres <strong>de</strong> bières plus tard (pour notre seule part), nous<br />
nous traînâmes jusques à l’appartement. Les détails nous échappent<br />
aujourd’hui ; nous nous souvenons <strong>de</strong> barrières, <strong>de</strong> gazon et <strong>de</strong> bancs, signe<br />
que nous dûmes souvent nous arrêter bon gré, mal gré. Une fois au chaud,<br />
nous ne tînmes pas, laissâmes la collégienne US anorexique qui était en nous<br />
s’exprimer librement au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> son trône et nous effondrâmes sur un lit,<br />
posé là.<br />
Au matin, il était 11 heures, nous nous levâmes tout pimpant, prêt à<br />
recommencer une telle nuit, frais et disponible… Pff… Tu parles ! Nous<br />
avions la tête dans le cul et après un suprême cheese chez Quick pour éponger<br />
tout cela, nous dûmes nous gaver <strong>de</strong> molécules diverses pour enfin pouvoir<br />
ouvrir les yeux en grand.<br />
Dans notre bain, la coupette ne pétillait cette fois-ci que <strong>de</strong> petites bulles<br />
acidulées au goût <strong>de</strong> restauration d’autoroute. Au réveil <strong>de</strong> notre longue sieste,<br />
nous ouvrîmes notre agenda et, ô gran<strong>de</strong> joie, dimanche, ce sont les<br />
Rameaux !! Chic, Vive le Saint-Joseph !<br />
444
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 9 m a r s 2 0 0 5<br />
Hier, jour <strong>de</strong> Pâques, nous nous adonnâmes, telle une bonne cloche que<br />
nous sommes, à quelque plaisir agreste. Nous avions ren<strong>de</strong>z-vous MJD et<br />
nous-même pour déjeuner ensemble à <strong>de</strong>meure sur le Tholonet. Le coq n’étant<br />
pas réputé pour son acharnement au travail, nous ne trouvâmes nulle part <strong>de</strong><br />
caviste digne <strong>de</strong> ce nom ouvert un lundi, férié <strong>de</strong> surcroît, pour nous indiquer<br />
une liqueur appropriée ; ainsi donc achetâmes-nous un Monbazillac dans une<br />
enseigne dite grossière.<br />
Sur la terrasse, la chaleur du Soleil harmonisée par un léger filet d’air, la<br />
table fut dressée et entre <strong>de</strong>ux immixtions <strong>de</strong> cette belle robe fruitée et<br />
alcoolisée dans nos gosiers mendiants, nous décapitions <strong>de</strong>s crevettes en nous<br />
contant nos <strong>de</strong>rniers potins.<br />
Se rapporta par exemple le repas à l’Aixquis entre le Comte <strong>de</strong> Provence et<br />
son invitée la Comtesse d’Anjou qui eurent la fantaisie <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r un<br />
vulgaire pot-au-feu provençal que le chef dut agrémenter <strong>de</strong> luxe et <strong>de</strong> goût<br />
pour ne pas être obligé <strong>de</strong> servir la soupe du pauvre à l’aristocratie française<br />
tombante.<br />
Le Monbaz’ mort pour l’honneur <strong>de</strong> sa maison, MJD rapporta du rouge <strong>de</strong><br />
la région pour accompagner le canard confit aux figues, le gigot <strong>de</strong> mouton et<br />
les champignons en sauce ; un véritable repas champêtre en somme…<br />
Pour le <strong>de</strong>ssert, nous dégustâmes une mousse à l’abricot, fondante, signe<br />
d’un été approchant et tant attendu. Enfin, c’est au Bailey’s que nous<br />
célébrâmes le Rami.<br />
15 heures approchaient lorsque nous continuâmes notre route, seul et à<br />
pattes toujours, vers le Château du Tholonet. Enfoncée <strong>de</strong>rrière, entre <strong>de</strong>ux<br />
falaises, se trouve pour les plus téméraires une petite casca<strong>de</strong> ; c’est là que nous<br />
prîmes notre premier bain en extérieur <strong>de</strong> l’année dans une eau pour le moins<br />
rafraîchissante.<br />
Le jean trempé et torse nu, saillant à souhait, nous revînmes sur nos pas<br />
pour escala<strong>de</strong>r un peu une faille plus ou moins définie, voire carrément<br />
inexistante, et rejoindre ainsi le haut <strong>de</strong> la falaise et la piste violette, couleur<br />
goudous.<br />
445
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous ne te conseillons pas, Fidèle, <strong>de</strong> l’emprunter après telle barbotage…<br />
Nous pûmes en effet, fier <strong>de</strong> notre philosophie animiste, vérifier que Dame<br />
Nature existait concrètement en nous croûtant lamentablement à plusieurs<br />
reprises sur <strong>de</strong>s racines, incapable <strong>de</strong> lever notre jambe cotonneuse et<br />
engourdie par la froi<strong>de</strong> humeur du Printemps ! Le souffle sec, nous<br />
retrouvâmes finalement le sommet <strong>de</strong> la colline, humble <strong>de</strong>vant notre connerie.<br />
Nous atterrîmes au <strong>de</strong>ssus du barrage Zola. Sur le chemin du retour, nous<br />
croisâmes une masse <strong>de</strong> citadins heureux <strong>de</strong> pouvoir venir se ressourcer en<br />
pouvant garer leur caisse miteuse et polluante dans un parking “vert” planté au<br />
milieu <strong>de</strong> la colline.<br />
Pour type <strong>de</strong> base, le Marseillais au fort accent <strong>de</strong> prolo pastissisé, nous<br />
promit sa plus gran<strong>de</strong> caricature en s’insurgeant pour impressionner son fils <strong>de</strong><br />
douze ans et sa femme plus tirée que la divine Cher elle-même, <strong>de</strong>vant un<br />
pauvre randonneur à vélo en train <strong>de</strong> réparer sa chambre à air crevée. Dans<br />
pareil cas, lui aurait dans sa besace Décathlon <strong>de</strong>ux ou trois chambreuhs <strong>de</strong><br />
secoureuhs, et puis, <strong>de</strong> touteuh manièère, ses peuhneus Micheuhlin, aux prix<br />
où il les aurait acheuhtéeuh, n’auraient jamais rieen laissé passer euh…<br />
Regrettant nos randos solitaires et nocturnes <strong>de</strong> fin d’Automne, nous nous<br />
enfermâmes alors dans nos pensées et continuâmes notre marche haletante<br />
vers Bibémus.<br />
Nous gagnâmes la ville une ou <strong>de</strong>ux heures plus tard quand, <strong>de</strong>vant le<br />
Sacré-Cœur, nous reçûmes un coup <strong>de</strong> fil.<br />
NOUS (entre <strong>de</strong>ux bâillements) . Aaallo !?<br />
MARIE-FRANÇOISE . Mon p’tit <strong>Florimon</strong>, c’est Marie-Françoise !<br />
NOUS . Marie ! Comment vas-tu, chérie ?<br />
MARIE-FRANÇOISE . Et bien écoute, j’étais à Nancy ce week-end ! C’est le gros<br />
bor<strong>de</strong>l avec les trains là, je n’en peux plus, je craque !<br />
NOUS . Mais où es-tu donc, Marie ?<br />
MARIE-FRANÇOISE . À Mâcon ! J’ai pris le premier train pour Marseille mais, dismoi<br />
mon p’tit <strong>Florimon</strong>, rassure-moi, il s’arrête bien à Aix, n’est-ce pas ?<br />
NOUS . Heuu…<br />
446
Snob et hystéro-éthylique<br />
Sacrée Marie-Françoise ! Toujours à l’ouest, presque pire que nous, dis<br />
donc… Onze heures <strong>de</strong> voyage et un épileptique plus tard, elle arriva<br />
finalement à Aix ; quel mon<strong>de</strong>, quel mon<strong>de</strong> !<br />
Une fois chez nous, nous n’eûmes pas le courage d’un bain. Avec<br />
grand’peine pour nous déplacer, nous zonâmes sur la toile avant <strong>de</strong> sombrer<br />
dans notre lit. Gran<strong>de</strong> expérience que cette sainte journée, assurément !<br />
447
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 1 m a r s 2 0 0 5<br />
Aujourd’hui, <strong>de</strong> nombreuses années vinrent ajouter leur détestable<br />
révolution à nos pensées quotidiennes.<br />
Nous nous levâmes tôt ce matin, 8 heures, motivé pour aller nous<br />
promener au parc <strong>de</strong> la Torse par exemple avec notre bio <strong>de</strong> Mérimée, du pain<br />
pour les canards et peut-être aussi du tricot (et <strong>de</strong> la weed) mais c’était sans<br />
compter un tout petit détail appelé Monoï, oui, mais du monoï DE Tahiti !<br />
En sortant <strong>de</strong> notre lit donc, nous fîmes couler un bain chaud, allâmes<br />
nous verser une coupe <strong>de</strong> Martini Bianco (plus d’olive verte, mauvais<br />
présage…), changeâmes notre track list pour Enya, retournâmes à la sale d’eau<br />
et là : le drame ! En ouvrant notre bouteille <strong>de</strong> monoï, préchauffée dans l’eau<br />
pour le faire fondre, ses effluves absorbées par nos narines, nous nous vîmes,<br />
nous, dans vingt ans. Angoisse. Nous fûmes pétrifié sur place !<br />
Nous nous jetâmes sur notre glace, regardâmes, scrutâmes nos traits pour<br />
nous rassurer et non, heureusement, nous n’avions pas réellement pris vingt<br />
ans en une nuit. Quand bien même, nous en gardons encore une très mauvaise<br />
impression !<br />
À cette époque somme toute proche, nous nous vîmes esseulé, avec un<br />
chat et notre ficus dépéri, sous les toits d’un immeuble chic parisien, avec <strong>de</strong>s<br />
caisses <strong>de</strong> Bollinger pour uniques confi<strong>de</strong>ntes, nous prélassant <strong>de</strong>s heures dans<br />
<strong>de</strong>s eaux lactées ou palmées (au choix !) qui garantissaient la fraîcheur <strong>de</strong> nos<br />
traits tirés et <strong>de</strong> notre corps plastique.<br />
Non ! Nous <strong>de</strong>vions combattre cette pensée horrible ! Nous ne sommes<br />
pas le type même du snobinard qui se complaît dans la pâle lueur matérielle <strong>de</strong><br />
la déca<strong>de</strong>nce. Pensé ainsi, dans un bain chaud au monoï (presque pur !) avec<br />
une coupe à cocktails en cristal remplie <strong>de</strong> Martini Bianco et <strong>de</strong> glaçons, ce<br />
n’est guère crédible, certes…<br />
Passons. Ceci est notre pensée sentinelle.<br />
Nous avons 23 ans, la vie <strong>de</strong>vant nous ; nous nous revendiquons et puis<br />
c’est tout ! Il y a peu <strong>de</strong> temps encore, nous étions un jeune coq arrogant qui<br />
critiquait beaucoup le petit mon<strong>de</strong> dans lequel il évoluait. Le dépit et la<br />
lassitu<strong>de</strong> du chaton qui crie dans un gouffre <strong>de</strong> crétinerie eurent raison <strong>de</strong><br />
448
Snob et hystéro-éthylique<br />
notre témérité. Mais tout ceci n’est pas important en soi.<br />
Dans vingt ans, si nous y parvenons :<br />
1 . Nous aimerions être un homme usé mais fort, enrichi par les nombreuses<br />
expériences que la vie lui aurait apportées.<br />
2 . Nous aimerions être <strong>de</strong> ceux qui peuvent se retourner avec une certaine<br />
satisfaction <strong>de</strong> ce qu’ils ont accompli, <strong>de</strong>s choses simples mais utiles, <strong>de</strong>s<br />
choses humaines et pas futiles.<br />
3 . Nous aimerions nous sentir bien dans nos ri<strong>de</strong>s et dans notre peau tannée<br />
par le Soleil <strong>de</strong> nombreux pays.<br />
4 . Nous aimerions être fatigué mais droit, sage mais pas pédant, inconnu mais<br />
apprécié.<br />
C’est la raison pour laquelle <strong>de</strong>puis quelques semaines notre cœur tend à<br />
nous pousser vers <strong>de</strong> nouvelles péripéties loin d’ici, <strong>de</strong> cette société où tout le<br />
mon<strong>de</strong> n’est personne, où personne n’est quelqu’un.<br />
Plus tard, nous aimerions sourire <strong>de</strong> ces gens qui restèrent <strong>de</strong>rrière nous,<br />
imbus <strong>de</strong> leur personne alors que <strong>de</strong> leur vie ils ne firent jamais rien.<br />
449
Le Pape est mort, vive le Pape !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 a v r i l 2 0 0 5<br />
Le pauvre, enfin, ce n’est pas trop tôt, il ne tenait plus à son bâton notre<br />
Jean-Paul. Et puis, les piqûres, autant les faire à <strong>de</strong>s enfants phtisiques qu’à un<br />
vieil homme sur la brèche qu’il faut faire tenir à coup <strong>de</strong> DHEA dans une<br />
clinique privée suréquipée pour ne pas en<strong>de</strong>uiller les célébrations pascales !<br />
Comment ?<br />
Ah ! il n’est pas encore mort. Tu es sûr, Fidèle ? C’est étonnant !<br />
Nous nous réjouîmes trop vite alors ?! Il faut nous comprendre car, en<br />
fervent partisan <strong>de</strong> cette foi sectaire qu’est la religion catholique, nous ne<br />
pensons qu’à son bien-être, naturellement… Par ailleurs, <strong>de</strong>puis le temps qu’on<br />
lui promet son retour sur Terre à Rézouss, il commence <strong>de</strong> s’ennuyer grave<br />
tout seul là-haut ; parfait, nous diras-tu, plus on est <strong>de</strong> folles, plus on rigole et<br />
ils pourront se mettre au Go à <strong>de</strong>ux contre Confucius qui, avouons-le, s’ennuie<br />
lui aussi <strong>de</strong>vant le pathétisme <strong>de</strong> la religion chrétienne.<br />
Oula… Nous allons nous attirer <strong>de</strong>s foudres nous, une fois <strong>de</strong> plus !<br />
Que veux-tu, nous sommes le Diable en personne : nous sommes pour<br />
l’avortement ; nous prônons le port <strong>de</strong>s préservatifs (enfin, pas trop chez<br />
nous…) ; nous sommes contre toute forme <strong>de</strong> religion iconolâtre et<br />
monothéiste et, pire que tout, nous sommes gay ! Le Diable, pas moins !<br />
Nous ne comprendrons décidément pas comment un gouvernement qui<br />
dépense <strong>de</strong>s millions dans <strong>de</strong>s majorettes blindées, un service postal enterré,<br />
<strong>de</strong>s polichinelles suisses et autres ne peut pas empêcher la mort d’un Saint<br />
Puissant. Ah, quel coup du sort !<br />
« Dieu te rappelle à lui mon brave, tu as bien servi sur Terre, regar<strong>de</strong> : le<br />
mon<strong>de</strong> va si bien <strong>de</strong>puis que tu es là… »<br />
Tu parles ! Nos jolies fesses ont dispensé plus <strong>de</strong> joie autour d’elles que cet<br />
élu prosélyte !<br />
Nous ne pensons pas avoir besoin d’expliquer que s’il n’y avait pas eu <strong>de</strong><br />
religion monothéiste sur Terre, l’Homme aurait évolué vers une civilisation<br />
digne <strong>de</strong> ce nom et pas vers un creusé débile <strong>de</strong> petits prophètes mégalos et <strong>de</strong><br />
moutons bouseux et aveugles. Alors maintenant, forcément, il est baisé : il a les<br />
450
moutons, il lui faut bien leur berger !<br />
Snob et hystéro-éthylique<br />
451
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 a v r i l 2 0 0 5<br />
Nous aurions voulu démonter les rues parisiennes en 68 ; nous aurions<br />
voulu visiter Woodstock en 69 ; nous les avions déjà douces en 88 ; et bien<br />
nous étions ce matin à la cathédrale Saint-Sauveur en ce jour <strong>de</strong> Fête <strong>de</strong><br />
l’Alliance et <strong>de</strong> pénurie pontificale.<br />
Précieusement manuscrit dans le carnet <strong>de</strong> bord du Vatican, Jean-Paul II<br />
sombra hier à 21h37 alors que nous nous apprêtions à pécher <strong>de</strong> gourmandise<br />
au Tir Bouchon à Aix-en-Provence. Nous n’apprîmes donc cette triste mais<br />
pas insurmontable nouvelle que ce matin au téléphone ; il <strong>de</strong>vait être 9 heures.<br />
Il était déjà prévu que nous allions à la messe avec Marie-Françoise, nous<br />
étions donc tout excité, la <strong>de</strong>rnière remontant à la Pastorale du village <strong>de</strong> nos<br />
parents pour la veillée du 25 décembre 2004. Nous nous étions levé tôt, en<br />
étions déjà à <strong>de</strong>ux gin, avions prévu le poppers pour supporter le sermon<br />
lorsque, ô funeste malédiction, le coup tomba ; nul n’était donc éternel !<br />
Nous arrivâmes à l’église après l’appel <strong>de</strong>s fidèles, il ne restait plus <strong>de</strong><br />
bonnes places ; c’est toujours pareil <strong>de</strong> toute manière, c’est injuste ! Tant pis,<br />
nous nous contentâmes <strong>de</strong> l’allée gauche et ne vîmes pas si mal la scène<br />
finalement.<br />
Accompagnés d’une nuée encensée <strong>de</strong> larmes <strong>de</strong> Birmanie, les prêtres<br />
paradèrent avant d’échouer <strong>de</strong>rrière l’autel. Chacun trouvant vite sa place,<br />
<strong>de</strong>puis le temps, la cérémonie put commencer avec quelques mots du père puis<br />
les chants élévateurs du chœur cantabile. Avouons que c’était envoûtant,<br />
presque aussi touchant que les trois petites filles <strong>de</strong>vant nous qui n’y étaient<br />
que par la volonté <strong>de</strong> leur pieu paternel.<br />
LE PÈRE . Hier soir, notre pape a accompli son <strong>de</strong>rnier voyage et nous qui<br />
croyons en lui et en sa foi pour notre Seigneur Jésus Christ l’avons<br />
accompagné dans sa lente agonie avec nos prières.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Vous et TF1 !<br />
Et c’est peu dire ! Nous n’avons pas la télévision chez nous (Dieu merci !),<br />
mais s’ils avaient pu filmer son <strong>de</strong>rnier souffle à Paulo, nous sommes certain<br />
452
Snob et hystéro-éthylique<br />
qu’ils ne se seraient pas gênés, ces vautours. Par ailleurs, Claire Chazal est aussi<br />
fine et crédible pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> la Clef que Gérard Holz<br />
quand il en prend d’un Italien qui vient encore <strong>de</strong> se tuer sur le Paris-Dakar…<br />
Les fiancés furent également loués ce matin :<br />
« Tu es le Dieu d’amour<br />
« Qui appelle l’Homme et la Femme à ne faire qu’un<br />
« Pour qu’ils soient les témoins <strong>de</strong> Ton amour.<br />
« Nous Te prions… Conneries, conneries… Amen ! »<br />
Nous eûmes même droit à un questionnaire au choix très restreint ; il<br />
suffisait <strong>de</strong> répondre : « Oui, nous le voulons ! » à <strong>de</strong>s trucs finalement sans<br />
intérêt.<br />
Sérieux et imbuvable, le père tonna que Dieu était amour et que l’Amour<br />
n’était QUE Dieu. Et mer<strong>de</strong> ! N’y croyant pas, nous étions obligé d’accepter<br />
notre vie <strong>de</strong> souffrance, <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> jusques à complète déliquescence ; ce<br />
n’était pas notre jour.<br />
Arriva finalement la course aux hosties et puisque nous n’en prenions pas<br />
(nous ne fûmes que baptisé, et à notre insu), nous regardâmes donc un peu les<br />
gens.<br />
L’hostie, c’est le corps du Christ qui est là pour purifier les âmes, à défaut<br />
<strong>de</strong> caler un petit creux. Ainsi, Tu peux faire toutes les conneries que tu veux,<br />
Fidèle, viens donc à l’église ensuite, elle lavera tes péchés. D’ailleurs, le père le<br />
signala au début : « Nous sommes tous pécheurs, nous nous prosternons<br />
<strong>de</strong>vant ton amour. » ou un truc du genre.<br />
Et cela, Fidèle, nous donne envie <strong>de</strong> gerber ! Nous sommes contre cette<br />
hypocrite allégeance. Nous vîmes aujourd’hui davantage d’amour dans le<br />
regard <strong>de</strong> notre boulangère que dans celui du chrétien quêteur avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> fin <strong>de</strong><br />
séance qui fit le tour <strong>de</strong>s bancs pour remplir son panier <strong>de</strong> fric.<br />
Non, très franchement, la messe ainsi faite, plus jamais ! À trop se prendre<br />
au sérieux, ils en <strong>de</strong>viennent tous méprisables ; la religion ne passe déjà pas, ces<br />
bondieuseries idiotes encore moins !<br />
453
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
5 a v r i l 2 0 0 5<br />
A P O L O G I E D E L A P R O S T I T U T I O N<br />
En plus vieille fonction du mon<strong>de</strong>, du bitume aux hautes sphères, elle sera<br />
toujours, et à jamais elle sera appréciée. C’est ainsi qu’elle se présente à tous,<br />
quoi que l’on en puisse penser. Nous nous dîmes donc : « <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>,<br />
puisque vous avez quand même un peu d’expérience en cet endroit, vous allez<br />
témoigner ; confessez-vous ! »<br />
HISTOIRE ET CULTURE 1<br />
Adorées ou conspuées, les prostituées suivent le cours <strong>de</strong> l’Histoire avec<br />
courage et ténacité.<br />
À la préhistoire, l’homme rapportait déjà <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong> pour la femme qui lui<br />
offrait en échange ses faveurs.<br />
Dans l’Extrême-Orient moyenâgeux, la femme était louée pour son art<br />
sexuel et jouait parfois un rôle important dans le jeu politique (Mata Hari ferait<br />
pâle figure si nous osions les comparer).<br />
En Europe, la donne ne fut pas aussi chanceuse. Au IVème siècle,<br />
Théodose Ier le Grand, empereur romain, pensa exiler tous les pères, époux<br />
et / ou maîtres qui prostituaient leur filles, femmes ou esclaves mais n’en<br />
rédigea aucune loi.<br />
Au VIème siècle, Justinien Ier, empereur byzantin, débuta la répression en<br />
en promulguant une dans son Corpus Juris Civilis qui punissait sévèrement<br />
tous les proxénètes (souteneurs et maquerelles). Cette loi rendait aux exprostituées<br />
le droit <strong>de</strong> se marier (son épouse Théodora en était une, forcément<br />
ça ai<strong>de</strong>…). Rien dans ce texte cependant ne prévoyait encore <strong>de</strong> sanctions à<br />
l’égard <strong>de</strong>s prostituées mêmes. Au contraire, un programme <strong>de</strong> réadaptation<br />
sociale (la Gauche déjà ?), appelé Metanoia, fut mis en place ; échec total, la<br />
Gauche, déjà !<br />
1 . Notes diverses piochées sur l’Internet.<br />
454
Snob et hystéro-éthylique<br />
Chez les Germains, une vision similaire était partagée et la prostitution<br />
représentait un mal à combattre, les proxénètes étant passibles <strong>de</strong> la peine <strong>de</strong><br />
mort sous Théodoric Ier. Ce ne fut qu’avec le Co<strong>de</strong> Alaric, promulgué par<br />
Alaric II, roi <strong>de</strong>s Wisigoths, que les prostituées étaient fouettées.<br />
Sous Charlemagne (le même qui inventa l’École), la répression <strong>de</strong>vint<br />
quasiment obsessionnelle. Les capitulaires stipulaient que toutes personnes qui<br />
racolaient, aidaient les prostituées ou encore tenaient <strong>de</strong>s bor<strong>de</strong>ls étaient<br />
passibles <strong>de</strong> flagellations. Les prostituées étant perçues comme <strong>de</strong> très graves<br />
criminelles, les coups étaient portés à trois cents tel que le prévoyait le Co<strong>de</strong><br />
Alaric et leur chevelure était coupée. En cas <strong>de</strong> récidive, elles étaient tout<br />
bonnement vendues comme esclaves au marché du coin. Cette métho<strong>de</strong> ne<br />
fonctionna pas non plus puisque les chefs francs avaient <strong>de</strong>s gynécées et que<br />
même les sœurs <strong>de</strong> certains couvents se prostituaient pour arrondir leurs fins<br />
<strong>de</strong> mois !<br />
Arriva un peu plus tard, au XIIIème siècle, le tour <strong>de</strong> Saint <strong>Louis</strong> qui passa<br />
<strong>de</strong> la dure répression à la tolérance presque forcée : les hommes se plaignaient<br />
<strong>de</strong> ne plus pouvoir protéger la chère vertu <strong>de</strong> leurs filles et femmes <strong>de</strong>s assauts<br />
<strong>de</strong> violence que canalisaient autrefois les bor<strong>de</strong>ls. Tenu en échec, <strong>Louis</strong> dut<br />
révoquer son édit et ouvrir un centre <strong>de</strong> réadaptation et <strong>de</strong> reclassement, dans<br />
la même ligne que celui <strong>de</strong> Justinien, appelé cette fois-ci Couvent <strong>de</strong>s Filles-Dieu.<br />
Comme si une claque ne lui suffisait pas, il se heurta, lors <strong>de</strong> la huitième<br />
croisa<strong>de</strong> qu’il dirigea, à l’habitu<strong>de</strong> qu’avaient les prostituées <strong>de</strong> suivre les<br />
troupes en “Terre Sainte”. Le pauvre se retrouva avec un salaire <strong>de</strong> treize mille<br />
prostituées sur les bras afin d’encourager ses soldats en guerre loin <strong>de</strong> leurs<br />
femmes. Son fils <strong>Louis</strong> IX continua cette politique.<br />
À la même époque, Saint Thomas-d’Aquin, quant à lui, mit carrément les<br />
pieds dans le plat en justifiant dans sa Summa theologiae la prostitution<br />
comme étant tolérable et en clamant que l’on pouvait accepter les fruits <strong>de</strong> ce<br />
commerce en toute conscience. Avec le fric que le clergé se faisait sur le dos <strong>de</strong><br />
la Putain, le contraire nous aurait surpris !<br />
En 1360, la reine Jeanne Ière <strong>de</strong>s Deux-Siciles ouvrit un bor<strong>de</strong>l en<br />
Avignon, plus pour renflouer les coffres du royaume que par humanisme, mais<br />
cela créa un précé<strong>de</strong>nt et les filles <strong>de</strong> joie étaient largement contrôlées par <strong>de</strong>s<br />
mé<strong>de</strong>cins et une abbesse. L’ordre du jour (<strong>de</strong> l’époque) était à<br />
455
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
l’institutionnalisation pour, en plus <strong>de</strong> se remplir les poches donc, restreindre<br />
cette activité à certaines zones <strong>de</strong> la ville. D’ailleurs, Voltaire rapportait que<br />
l’évêque <strong>de</strong> Genève administrait tous les bor<strong>de</strong>ls <strong>de</strong> ses terres. Dominique<br />
Dallayrac avança même que la prostitution amena plus <strong>de</strong> richesse au clergé<br />
que tous leurs fidèles réunis. Saint Thomas-d’Aquin (pervers !) raconta enfin<br />
que <strong>de</strong>s moines perpignanais organisaient une collecte <strong>de</strong> fond pour ouvrir un<br />
nouveau bor<strong>de</strong>l dont ils vantaient le mérite : « œuvre sainte, pie et méritoire ».<br />
D’ailleurs, la chose alla encore plus loin puisqu’en 1510, le pape Jules II fit<br />
construire un bor<strong>de</strong>l strictement réservé aux Chrétiens.<br />
Gerbons ensemble, Fidèle !<br />
Pour la suite faisons-nous court car c’est carrément <strong>de</strong> la ségrégation et<br />
nous trouvons cela abjecte. À Venise par exemple, on les habillait d’une<br />
certaine façon pour pouvoir sévir si elles ne respectaient pas les capitulaires ; à<br />
Londres, on leur interdisait <strong>de</strong> porter <strong>de</strong> la fourrure ou <strong>de</strong> la soie ; leurs talons<br />
étaient également limités à une certaines hauteur ou interdits à Venise et à<br />
Sienne. Autant d’abjectitu<strong>de</strong>s que le pape Clément III résumait déjà au XIIème<br />
siècle par : « Les filles <strong>de</strong> joie doivent se vêtir différemment <strong>de</strong>s femmes<br />
honnêtes ».<br />
Le cœur du problème était cité : les courtisanes faisaient <strong>de</strong> l’ombre à la<br />
société et du moment qu’elle ne les voyait pas trop, elle s’en satisfaisait.<br />
Sous l’Ancien Régime, nul besoin d’entrer dans le détail, l’époque était au<br />
libertinage le plus excitant, Versailles et Paris <strong>de</strong>vinrent le bor<strong>de</strong>l <strong>de</strong> l’Europe<br />
(un peu comme Bruxelles pour les homos d’aujourd’hui).<br />
La prostitution fut rapi<strong>de</strong>ment considérée comme une mo<strong>de</strong> et les bor<strong>de</strong>ls<br />
<strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> détentes et <strong>de</strong> plaisirs acceptés. Dès 1878, c’est au Chabanais <strong>de</strong><br />
Madame Kelly que la haute société européenne venait laver ses mœurs.<br />
Quelques décennies plus tard, la très célèbre et très controversée Madame<br />
Clau<strong>de</strong> domina le mon<strong>de</strong> sur les scènes politique, artistique, économique et<br />
culturelle. Rien ne semblait pouvoir faire tomber en disgrâce ce théâtre aux<br />
milles plaisirs ; et pourtant…<br />
Alors qu’en Europe et en Amérique du Nord les tripots et différents<br />
cercles faisaient la joie <strong>de</strong> leurs pensionnaires comme <strong>de</strong> leurs clients, en Asie<br />
et en Amérique du Sud, certains abus se manifestèrent et l’ONU vint y foutre<br />
son nez, condamnant ces pratiques au grand nom <strong>de</strong>s Droits <strong>de</strong> l’Homme et<br />
456
<strong>de</strong> sa condition ; pures conneries !<br />
Snob et hystéro-éthylique<br />
Les choses alors changèrent : les guerres, les bouleversements économiques<br />
et culturels, les mœurs coincées, les puritains, les gauchos bien-pensants…<br />
Tout cela détruisit <strong>de</strong>s siècles <strong>de</strong> préparation et <strong>de</strong> marches vers la libération.<br />
Aujourd’hui, notre société nage dans une définition vaseuse, hypocrite et<br />
seule une ban<strong>de</strong>role chétive plane au <strong>de</strong>ssus du drapeau tricolore : « Nous ne<br />
sommes pas <strong>de</strong>s chiennes, nous ne <strong>de</strong>mandons qu’à être reconnues et <strong>de</strong>s<br />
papiers pour nos amies les putes albanaises ! » En tête <strong>de</strong> file, les din<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
“Mi-ni Putes, Mi-ni Soumises”, bien ridicules à côté du combat <strong>de</strong>s Dames<br />
Clau<strong>de</strong> et Kelly. Déplorable, toujours !<br />
L’ART DANS LE BESOIN<br />
Coucher pour du fric ne relève pas selon nous d’une facilité <strong>de</strong>s plus<br />
communes. Que l’on s’imagine en être capable lorsque la nécessité l’exige est<br />
loin d’être suffisant – à moins <strong>de</strong> faire le trottoir au parc et <strong>de</strong> ramasser les<br />
ébréchés du cerveau et les vieilles tantes sadiennes qui conduisent là leur cul<br />
libidineux pour y trouver chair fraîche.<br />
Nous regrettons amèrement les maisons closes dans lesquelles souvent un<br />
certain art <strong>de</strong> vivre et une hiérarchie <strong>de</strong>s valeurs étaient présents ; la Putain<br />
était alors considérée pour ses services et non seulement pour ses orifices.<br />
Aujourd’hui, et par la faute <strong>de</strong>s pontes idiots qui “dirigent”, la luxure mondaine<br />
laisse-t-elle place à la médiocrité <strong>de</strong> l’asphalte ou <strong>de</strong>s terrains désaffectés et aux<br />
dangers <strong>de</strong> la déviance. Heureusement, <strong>de</strong>s moyens annexes existeront-ils<br />
toujours, dans nos chers pays voisins par exemple.<br />
Proposer <strong>de</strong> tels services requiert aussi une certaine capacité à<br />
l’indifférence. En effet, il est impensable <strong>de</strong> revenir d’un contrat traumatisé et il<br />
faut donc laisser le fun et le fric faire bon ménage ; lorsque l’un manque,<br />
continuer n’est que perversité ou bêtise.<br />
Pendant longtemps, les courtisanes eurent plus d’influence sur les hommes<br />
que leurs épouses. Nous pûmes constater que se prostituer n’est pas mince<br />
affaire ; il faut être pute, masseur, infirmier, amant, confi<strong>de</strong>nt, prêtre ou psy,<br />
tout cela en accumulant les nombreuses informations que son client déballe<br />
457
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
pour se soulager moralement, sans nécessairement y prêter gran<strong>de</strong> attention.<br />
Le “syndrome <strong>de</strong> l’oreiller” prend alors tout son sens.<br />
Il ne faut pour autant pas négliger le besoin réciproque car trouver un<br />
foutoir pour se vi<strong>de</strong>r est accessible au premier venu, surtout aujourd’hui ; l’art<br />
<strong>de</strong> savoir montrer (ou dissimuler) ses charmes rend alors le défi<br />
incroyablement complexe.<br />
L’EXCEPTION GAY<br />
Les homosexués <strong>de</strong> nos fréquentations ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années nous<br />
apportèrent suffisamment matière à réflexion pour nous dégoûter purement et<br />
simplement <strong>de</strong> leur petit mon<strong>de</strong>, malheureusement pas si étroit que cela, si tu<br />
vois ce que nous voulons dire. Dans le Milieu, aucune norme, aucune valeur,<br />
aucun honneur, aucune gloire, aucun esprit, aucun savoir-vivre ne règle la vie<br />
<strong>de</strong> l’homo <strong>de</strong> base qui pense avec sa bite et son cul. Il faut donc dans le Milieu<br />
jouer finement, se fondre insidieusement dans la masse inculte et la manipuler<br />
au mieux.<br />
La prostitution y est courante, qu’elle soit directe ou plus subtile. Entre<br />
l’escort-boy qui s’affiche clairement vénal et le jeune éphèbe qui tombe sous le<br />
charme bedonnant d’un mec <strong>de</strong> 50 piges et étrangement friqué et généreux,<br />
nous ne faisons aucune différence, chacun faisant son chemin comme il<br />
l’entend, même si le second a plus <strong>de</strong> chance <strong>de</strong> réussir car le vieux en question<br />
est aussi fier et bête qu’orgueilleux.<br />
Aujourd’hui, un plan remplace une relation. Ce qui était avant un échange,<br />
vénal certes mais autrement enrichissant, n’est plus qu’une branlette contre un<br />
mur. Payer un garçon pour ses charmes et la qualité <strong>de</strong> ses services n’est dès<br />
lors plus nécessaire puisqu’il suffit <strong>de</strong> remuer son bout pour en trouver un,<br />
finalement suffisant pour telle besogne. Et puis comme nous l’écrivîmes plus<br />
haut, il reste le Dépôt avec <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> bites infectées qui traînent pour les<br />
petits besoins <strong>de</strong> fin <strong>de</strong> journée.<br />
Mais alors comment faire son chemin en tant que prostitué gay ? Est-il<br />
absolument impossible <strong>de</strong> trouver encore <strong>de</strong>s mecs civilisés qui considèrent<br />
autant la personne que ce qu’elle a entre les jambes ?<br />
458
Snob et hystéro-éthylique<br />
CEUX QUI PAYENT : PETIT LEXIQUE SOURNOIS<br />
Riche en expériences diverses dans ce domaine, nous ne pensons pas baver<br />
d’orgueil en les partageant ici ; ce n’est donc qu’à titre informatif et non<br />
exhaustif. Tu les penses caricaturés, Fidèle ? Détrompe-toi, c’est pire !<br />
L'ÉTUDIANT EN DROIT . 22 ans, bi parce que surtout pas gay. Une copine peutêtre,<br />
vit chez ses parents dans une villa. Étudie à Paul Cézanne, <strong>de</strong>stiné à être<br />
un grand magistrat. Discret avant tout ! Sa raison : ça l’amuse <strong>de</strong> temps en<br />
temps mais pas chez lui et nous n’en parlons à personne évi<strong>de</strong>mment !<br />
L'INDÉCIS PAS SÛR DE LUI . Sans âge défini. Un problème : ne sait pas s’il est<br />
gay ! Aimerait essayer mais ne veut pas le dire à sa copine encore alors « Tu<br />
comprends, j’assume complètement mais je suis pas sûr et puis c’est pas si<br />
grave, hein ? Faut bien essayer un jour après tout, comme ça on sait, et puis<br />
c’est pas grave, hein ? »<br />
L'HÉTÉRO . Passif ! Sans commentaire.<br />
LE MEC FRIQUÉ . Sénateur, mé<strong>de</strong>cin, déjà grand magistrat. N’a pas le temps, ni<br />
l’envie, ni la possibilité <strong>de</strong> toute manière <strong>de</strong> traîner dans les boites et les bars<br />
gays pour y trouver un jeune homme. Une secrétaire trop conne pour le faire à<br />
sa place. Assume souvent et cela ne le dérange pas <strong>de</strong> payer pour une soirée, à<br />
condition qu’il en ait pour son argent.<br />
LE FILS À PAPA . Comme l’étudiant en Droit, discret avant tout. Ses parents<br />
pourraient couper les vivres autrement ; l’horreur ! Ne résiste pas pourtant à<br />
l’appel <strong>de</strong> la bite.<br />
LE PERVERS / LE BALTRINGUE . À bannir, sans intérêt. Sont nombreux, hélas !<br />
L’HANDICAPÉ / LE NAIN . Non… Nous n’allons pas oser… Et pourtant…<br />
LE NÉVROSÉ . Typique à Pédéville. À ne consommer qu’en fin <strong>de</strong> vie.<br />
LE MEC SEUL . Confond tout : sentiments et sexe. Croit que payer quelqu’un va<br />
lui apporter ce que ses parents ne lui ont jamais donné : <strong>de</strong> l’affection.<br />
LE MILITAIRE . Plus nombreux que tu ne le crois.<br />
LE PIRE DE TOUS . 45 ans, bi parce que gay ce n’était pas <strong>de</strong> son époque. Deux<br />
459
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
enfants merveilleux, une femme aimante et encore belle, à peine refaite, une<br />
gran<strong>de</strong> maison, un emploi très bien payé, une vie stable. Sa raison : n’a pas<br />
besoin que cela se sache, aime sa femme, c’est son fantasme et c’est pour cela<br />
qu’il a envie d’essayer… plusieurs fois.<br />
LE MEC BIEN . Celui que nous préférons. Pas d’âge défini, honnête et imaginatif.<br />
A juste une envie <strong>de</strong> baiser et en a les moyens.<br />
Et les autres vers lesquels nous nous retournons en leur disant : « Souriez,<br />
vous finirez peut-être un jour dans nos stats ! »<br />
460
Snob et hystéro-éthylique<br />
7 a v r i l 2 0 0 5<br />
Nous ne pouvons le cacher plus longtemps : Ryoga Hibiki, celui qui ne<br />
trouve jamais son chemin dans Ranma 1/2, c’est nous !<br />
Aujourd’hui, à midi, nous partîmes avec l’intention <strong>de</strong> nous promener une<br />
heure ou <strong>de</strong>ux dans les douces collines du Montaiguet, pour nous rafraîchir les<br />
idées ; il nous fallut six heures trente pour retrouver notre chemin ! Selon<br />
Rudyard Kipling, « il y a <strong>de</strong>ux sortes d’hommes dans le mon<strong>de</strong> : ceux qui<br />
restent chez eux, et les autres. » Selon Confucius, « nous ne sommes jamais<br />
perdus puisque nous sommes là mais c’est l’endroit où nous voulons nous<br />
rendre qui peut l’être en revanche. » Certes mais ça fait chier quand même !<br />
En fait, c’est plus fort que nous : quand nous sortons, il faut que nous<br />
continuions notre chemin sans nous arrêter, et comme nous sommes bête et<br />
discipliné (c’est notre côté vierge), nous ne revenons jamais sur nos pas.<br />
Nous rejoignîmes la colline par le CREPS, marchâmes perdu dans nos<br />
pensées jusques aux alentours <strong>de</strong> Luynes puis, nous voyant déjà bien éloigné,<br />
virâmes à gauche pour arriver à Gardanne puis, paniqué <strong>de</strong>vant cet itinéraire<br />
plus que déambulatoire, virâmes encore à gauche pour finir au Château<br />
Simone.<br />
De retour à Aix-en-Provence, nous croisâmes Richard Berry et, mort <strong>de</strong><br />
fatigue, nous effondrâmes sur notre lit. Franchement, aucun doute, nous<br />
sommes un garçon paumé dans la vie…<br />
461
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
8 a v r i l 2 0 0 5<br />
L E T E M P S D E L ’ E G O<br />
Nous observons <strong>de</strong>puis quelque temps d’étranges manifestations<br />
symptomatiques chez les internautes que nous côtoyons (dont nous, étant<br />
peut-être le pire). Il semblerait que tous se veulent si importants dans ce vaste<br />
mon<strong>de</strong> en putréfaction qu’ils se croient obligés <strong>de</strong> dispenser leur petite et<br />
misérable existence au travers d’une cyber page à peine lue. Nous n’y<br />
connaissons pas grand’chose mais nous croyons que c’est soit <strong>de</strong> l’ego, soit <strong>de</strong><br />
l’automutilation perverse. Pour notre part, nous usons <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux, nous nous<br />
aimons et aimons nous faire battre : « Oh oui, oh oui, fouettez-nous ! »<br />
Kant n’avait pas tort. Le sujet transcendantal, le MOI en tant que principe<br />
unificateur <strong>de</strong> MON expérience interne ME pousse à ME montrer au mon<strong>de</strong><br />
et à croire capter dans son regard <strong>de</strong> l’admiration, <strong>de</strong> l’amour, <strong>de</strong> d’idolâtrie, <strong>de</strong><br />
la soumission : « JE M’aime, le mon<strong>de</strong> M’aime, il est à MES pieds !! »<br />
L’explosion <strong>de</strong> ce phénomène extra planétaire prend la forme <strong>de</strong>puis trois<br />
ou quatre ans <strong>de</strong> weblogues, annoncés comme LA véritable révolution<br />
culturelle attendue <strong>de</strong>puis (au moins) Mao. Tantôt gueuloir, défouloir, exutoire,<br />
ton weblogue, Fidèle, est une tribune <strong>de</strong> libre expression accessible à tous, le<br />
théâtre <strong>de</strong> débats sur ta personne, une pensée vivante souvent éphémère et<br />
parfois contradictoire, l’évolution <strong>de</strong> tes humeurs. Quoi que tu puisses y écrire,<br />
tout le mon<strong>de</strong> peut donner son avis mais personne ne peut t’en empêcher. Si<br />
ton avis est critiqué et mis à terre, ce n’est pas grave ; en bon tyran que tu es, tu<br />
ne gar<strong>de</strong>s que les commentaires qui te flattent, toi, le maître <strong>de</strong> l’univers que tu<br />
as construit (métho<strong>de</strong> qui fait ses preuves, en vente en ligne pour seulement 99<br />
euros 99 par mois ou au numéro vert : 08.ba.is.em.oi). Dans ce petit mon<strong>de</strong>, tu<br />
peux jeter toutes tes frustrations. Fort <strong>de</strong> ta pensée, tu peux – tu le dois ! –<br />
exposer tes idées, elles changeront la face du mon<strong>de</strong> et tu en es convaincu ; tu<br />
es le Messie qui purifiera l’âme humaine. Tu trouveras bien quelques imbéciles<br />
disciples, à ton tour, qui verront en toi le porteur <strong>de</strong> toute une philosophie. De<br />
bouche à oreille (ou <strong>de</strong> bite en cul, tout dépend du mon<strong>de</strong> dans lequel tu<br />
évolues), une foule d’a<strong>de</strong>ptes viendra se prosterner à ton autel. Les critiques<br />
aussi forment ta Légen<strong>de</strong>, n’aie crainte ! Au contraire, elles te sont utiles car en<br />
462
Snob et hystéro-éthylique<br />
bon tyran tu sais qu’il faut parfois passer pour un martyr.<br />
Le plus dangereux pour toi est <strong>de</strong> passer pour un être inaccessible ; alors là,<br />
c’est le drame ! Si tu te prends trop au sérieux, les plus intelligents t’ignoreront,<br />
les plus cons médiront sur ton compte, les autres viendront t’insulter. La<br />
para<strong>de</strong> du tyran est <strong>de</strong> s’abaisser <strong>de</strong> temps en temps au niveau <strong>de</strong> son peuple,<br />
lui tendre gracieusement la main. Prévois juste <strong>de</strong>s lingettes. Il ne faut pas le<br />
faire trop souvent cependant car la statue que l’on érigera à ton effigie doit<br />
représenter la divinité que tu es et non un vulgaire abreuvoir à mots.<br />
Qu’écrire <strong>de</strong> plus sinon que nous sommes un génie, naturellement !<br />
Pour finir, voici une table <strong>de</strong> lois sommaire. Pour apprendre à préserver ton<br />
avenir <strong>de</strong> tyran ego-narcissique, tu dois :<br />
1 . Être déterminé car <strong>de</strong> ta volonté ne dépend pas seulement tes actes mais<br />
aussi ceux <strong>de</strong>s autres.<br />
2 . Te retenir car dans tes idées se rencontrent tes plus libidineuses archives<br />
génétiques et les restes <strong>de</strong> ces petites sympathies amusantes et perverses qui<br />
déchaînent tes passions.<br />
3 . Te cultiver car <strong>de</strong> l’ignorance naît la bêtise qui sera le germe <strong>de</strong> ta déca<strong>de</strong>nce.<br />
4 . Paraître humble car l’ego, c’est l’orgueil (le paraître suffit…).<br />
5 . Être régulier car la diffamation est une source intarissable <strong>de</strong>s déchirures<br />
sociétaires et qu’elle noie toujours son créateur.<br />
6 . Jouer d’indifférence avec les cons.<br />
A N D L E T B L O O D R E V E A L T H E S A D N E S S<br />
O F Y O U R C O N S C I E N C E !<br />
463
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 0 a v r i l 2 0 0 5<br />
Dix-neuf ans, cela se fête ! Hier soir, nous célébrâmes donc ceux <strong>de</strong><br />
Sébastien chez Valentin avec Niko et Fabienne, puis au Med Boy. Une soirée<br />
réussie, assurément, mais inachevée ; hélas pour eux ! Nous leur dîmes <strong>de</strong><br />
rester encore un peu, <strong>de</strong> supporter les assauts <strong>de</strong>s vieilles et les regards pervers<br />
niveau ceinture <strong>de</strong>s mecs en bas dans la salle <strong>de</strong> visio mais ils ne voulurent rien<br />
savoir .<br />
NOUS . Tant pis pour vous, les filles, moi je reste !<br />
Nous remontâmes au bar, Michel <strong>de</strong>vait aller au New Cancan s’il ne<br />
fermait pas trop tard car figure-toi, Fidèle, qu’il arrive que le Med Boy soit<br />
bondé ; et oui ! D’ailleurs, nous revîmes Régis. Nous ne fîmes rien, une bise et<br />
un : « À plus sans doute ! » De toute manière, nous sommes au régime sans<br />
sexe en ce moment, cela ne peut pas nous faire <strong>de</strong> mal…<br />
Il <strong>de</strong>vait être 3h30 et nous n’étions plus que quatre ou cinq quand un<br />
sympathique belgo-indonésien d’une quarantaine d’années nous offrit une<br />
bouteille <strong>de</strong> champagne, puis une autre ; charmante attention ! De quoi avonsnous<br />
parlé ? Des copines, Darlin’ !<br />
Vers 4h45 enfin, Michel ferma le bar et nous l’accompagnâmes à Marseille<br />
avec le sympathique belgo-indonésien. En voiture, La Gaîté Parisienne<br />
d’Offenbach à fond, il ne fallut pas longtemps pour y arriver. Comme la<br />
<strong>de</strong>rnière fois, nous fûmes accueillis en VIP par le vi<strong>de</strong>ur (toujours aussi débile<br />
au passage). Ce soir-là encore, Michel nous invitait. Tout le mon<strong>de</strong> papillonnait<br />
autour <strong>de</strong> lui d’ailleurs.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Eh oh les mecs, Michel est une personne, pas<br />
l’arbre d’abondance !<br />
À 5 heures au New Cancan, ça commençait d’être vi<strong>de</strong>, voire mort, mais<br />
c’était bien sympa quand même. Nous repoussâmes trois ou quatre mecs un<br />
peu trop collants sur la piste – le Spart avait ses défauts mais on ne nous collait<br />
464
Snob et hystéro-éthylique<br />
pas autant au cul au moins – et dansâmes, tel un dieu, illuminant la masse<br />
mouvante <strong>de</strong> la piste électro-clachée ! C’est dans la vodka pomme que nous<br />
trouvâmes notre inspiration ; trois bouteilles d’Eristouf rendirent l’âme, tout<br />
<strong>de</strong> même, mais nous n’étions pas seul <strong>de</strong>ssus. Nous vîmes Matthieu également,<br />
un personnage à lui tout seul : électro-gothique trashy-spécial andro-génial,<br />
quelque chose comme ça.<br />
Ne détaillons pas la soirée, il ne se passa rien <strong>de</strong> véritablement<br />
extraordinaire. Attardons-nous un peu en revanche sur sa mort, à 7 heures,<br />
lorsque la Canebière s’éveille et que le New Cancan vomit ses <strong>de</strong>rnières folles<br />
d’une nuit.<br />
Si cela ne tenait qu’à nous, nous serions resté davantage mais le staff ne<br />
l’entendait pas <strong>de</strong> la même oreille, le DJ délaissant ses tables pour une compil’<br />
enregistrée, les barmen tassant les <strong>de</strong>rnières vodka (pour la route sans doute),<br />
le vi<strong>de</strong>ur enfin traitant comme <strong>de</strong> la mer<strong>de</strong> les <strong>de</strong>rniers résistants <strong>de</strong> la nuit.<br />
Tout cela sous le regard circonspect <strong>de</strong> Michel P., patron <strong>de</strong> ce lieu culte.<br />
C’est le moment <strong>de</strong> la journée que nous préférons, le petit matin ou plutôt<br />
l’après-nuit. Les embruns méditerranéens s’écrasent sur les vapeurs toxiques<br />
marseillaises (les voitures, le Savon, l’usine Haribo… Tout Marseille en fait !), la<br />
clarté du Soleil impose son bleu clair sur les collines calcaires <strong>de</strong> notre Bonne<br />
Mère, les Sudistes se réveillent enfin, la tête dans le cul.<br />
Arrivé à Aix-en-Provence, nous avions un dîner <strong>de</strong> prévu avec un quidam<br />
sans intérêt mais nous ne nous sentîmes étrangement pas <strong>de</strong> taille à affronter le<br />
vol-au-vent, le riz cantonnais et la partie d’uranisme proposés ; nous<br />
annulâmes donc. Michel nous déposa et nous rentrâmes nous effondrer dans<br />
les bras d’un Morphée toujours aussi négligeant. Cette fois-ci, il avait oublié le<br />
souffle <strong>de</strong> l’idée magnifique : le cacheton pour le mal <strong>de</strong> crâne. Aïe !<br />
465
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 0 a v r i l 2 0 0 5 ( s u i t e )<br />
Nous comptions uniquement aller nous acheter notre pain quotidien. Il<br />
était 18 heures, nous avions mal au crâne, en étions à notre quatrième litre <strong>de</strong><br />
jus d’orange, notre troisième cacheton, nous n’en pouvions plus, notre estomac<br />
se creusait et nous avions la flemme <strong>de</strong> sortir, habituelle après une nuit en<br />
boite. Il faisait froid et nous n’avions qu’une envie : nous jeter sous la couette<br />
et regar<strong>de</strong>r un truc con sur notre ordinateur.<br />
Prenant sur nous, en grand homme courageux et responsable que nous<br />
sommes (nous t’interdisons <strong>de</strong> penser quoi que ce soit, Fidèle !), nous<br />
enfilâmes ce que nous trouvâmes <strong>de</strong> plus potable et sortîmes, pensant revenir<br />
une minute plus tard.<br />
En chemin, assis sur une marche, nous rencontrâmes Morgan. Nous lui<br />
jetâmes la pièce du pauvre et continuâmes ensemble (ne cherche pas, c’est<br />
entre lui et nous-même). Nous allâmes au Proxi du coin acheter du jus<br />
d’orange, puis à la boulangerie et marchâmes un peu pour nous tenir au<br />
courant <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>rnières aventures. Il faudra qu’un jour nous nous concertions<br />
sérieusement pour savoir lequel <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>ux est le plus à l’ouest – nous<br />
craignons une égalité légitimée par nos envies rêvées !<br />
Finalement, nous lui faisions la bise avec l’intention <strong>de</strong> rentrer quand nous<br />
vîmes, incroyable !, un cliché format négatif, en noir et blanc, collé au mur et<br />
représentant un mec en bas nylon assis sur une chaise ! Nous la montrâmes à<br />
Morgan et en vîmes un autre dans la rue <strong>de</strong>s Bremondi, puis un autre, puis un<br />
autre… Une intrigue naissait, il fallait découvrir ce qui se tramait sous cette<br />
série inquiétante !<br />
Notre première idée fut <strong>de</strong> poser la question sur les restes <strong>de</strong> la photo au<br />
mur : « Qui es-tu ? », avec notre numéro <strong>de</strong> téléphone mais quand nous vîmes<br />
que la piste continuait <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la rue Gaston <strong>de</strong> Saporta, nous<br />
décidâmes <strong>de</strong> la suivre, ce qui tombait bien puisque nous ne savions pas quoi<br />
faire tous les <strong>de</strong>ux.<br />
S’engagea ensuite une véritable traque à l’indice instantané. Le moindre fait<br />
<strong>de</strong>vint suspect : une porte qui se ferma au moment où nous passions <strong>de</strong>vant<br />
elle ; un homme louche rencontré plusieurs fois ; trois Anglaises qui jouaient<br />
avec une balle, retrouvées plus loin et plus tard ; <strong>de</strong>s inscriptions sur les murs<br />
466
Snob et hystéro-éthylique<br />
publics ; un chien noir et blanc, comme la photo, étrange… Bref, autant <strong>de</strong><br />
conneries qui inspiraient notre esprit <strong>de</strong> profiler !<br />
Nous éditâmes en effet, au fil <strong>de</strong> notre quête, le profil mental <strong>de</strong> notre<br />
mystérieux inconnu, nommé <strong>de</strong> concert le Photopathe : il agissait seul, avait<br />
selon nous suivi un itinéraire bien particulier, peut-être même celui <strong>de</strong> sa<br />
victime car les clichés se faisaient <strong>de</strong> plus en plus gores (certains mecs pris en<br />
photo étaient égorgés, portaient <strong>de</strong>s croix, etc.). Il nous sembla même un<br />
moment qu’il nous suivait.<br />
La piste menait alors dans la petite rue Annonerie-Vieille, très étroite et<br />
toujours pleine <strong>de</strong> poubelles. Nous y entrâmes et là, un mala<strong>de</strong> mental sorti<br />
tout droit <strong>de</strong> Resi<strong>de</strong>nt Evil nous suivit. Il traînait la patte, bavait, nous parlait<br />
sans que nous comprenions quoi que ce fût, voulait sans doute du fric. Nous<br />
nous retournâmes, bon diplomate, et l’envoyâmes chier ; c’était impressionnant<br />
quand même ! Nous nous dîmes plus tard que c’était peut-être lui notre<br />
photopathe mais ne le retrouvâmes pas, hélas !<br />
Nous arrivâmes inévitablement <strong>de</strong>vant l’Aix (gay) Sauna Club et nous<br />
pensâmes que peut-être c’était une pub (bien maladroite) pour ramener plus <strong>de</strong><br />
jeunes et faire concurrence aux vieilles à la peau tombante. Nous sonnâmes<br />
donc, le mec nous ouvrit (il fermait), nous lui montrâmes un cliché mais,<br />
hélas !, il ne venait pas <strong>de</strong> chez lui. Arf, pas <strong>de</strong> chance, nous aurions peut-être<br />
gagné une année payée, c’est toujours utile pour soigner une pharyngite…<br />
La piste continuait finalement dans la rue Bédarri<strong>de</strong>s et pendant une heure<br />
environ nous la suivîmes avec avidité pour ces petites scènes <strong>de</strong> vie bizarre<br />
jusques à Qi Décoration où nous la perdîmes.<br />
C’était horrible, nous ne pouvions pas en rester là, il fallait que cela<br />
continue, sinon tout ce que nous avions fait avant n’aurait servi à rien. Nous ne<br />
voulions PAS rester sur notre faim alors continuâmes-nous, dans l’espoir <strong>de</strong><br />
retrouver une trace <strong>de</strong> son passage ailleurs.<br />
Notre photopathe semblait avoir abandonné toute cohérence dans son<br />
parcours déambulatoire, nous ne trouvions plus <strong>de</strong> piste, sauf un ou <strong>de</strong>ux<br />
clichés oubliés ici et là . Nous échouâmes lamentablement, ne sûmes jamais qui<br />
il était et quel était son mystère. Nous ne laissâmes <strong>de</strong> notre quête que<br />
quelques petites traces blanches sur les murs <strong>de</strong> la cité.<br />
467
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Il fallait nous rendre à l’évi<strong>de</strong>nce : il n’y avait pas <strong>de</strong> mystère et nous avions<br />
simplement détruit une œuvre d’art urbain… Désolé !<br />
468
Snob et hystéro-éthylique<br />
1 7 a v r i l 2 0 0 5<br />
Mer<strong>de</strong>, nous sommes complètement pinté ce soir !<br />
Nous trouvâmes une bouteille <strong>de</strong> Château Le Pin 90 rapportée par Aurore<br />
et comme personne n’était présent pour nous occuper esprit et corps, nous<br />
nous mîmes à penser…<br />
Pourquoi ne jamais accepter que les autres peuvent avoir raison lorsqu’ils<br />
nous jugent ? Est-ce <strong>de</strong> l’orgueil, <strong>de</strong> la lâcheté ?<br />
Nous observâmes récemment, en lisant les diverses réflexions que l’on<br />
nous fit, que le jugement était à l’origine <strong>de</strong> beaucoup trop d’histoires et nous<br />
nous <strong>de</strong>mandâmes s’il était possible qu’une fois dans notre vie nous nous<br />
avouions vaincu par tant d’accablements venus <strong>de</strong> toutes parts. Mais, après<br />
tout, suffit-il <strong>de</strong> le noter pour l’être ? Non, évi<strong>de</strong>mment !<br />
Le jugement n’est qu’une partialité reconnue. Nous ne pouvons pas<br />
admettre que nous sommes ce que nous sommes au travers du regard d’autrui<br />
puisque cet autre n’est qu’une personne qui n’est pas nous. Heu… Nous ne<br />
sommes pas sûr d’être très clair là, en même temps la bouteille est-elle déjà<br />
presque vi<strong>de</strong> !<br />
Bon, admettons, on nous critique et nous <strong>de</strong>vons l’accepter ! OK ! Nous<br />
l’assumons, nous ne sommes qu’un sombre crétin dans ce mon<strong>de</strong> peuplé<br />
d’incultes idiots mais, mais ? Mais nous t’emmerdons, Fidèle ! Nous écrivons<br />
ce que nous pensons et à qui <strong>de</strong> droit et si cela ne te plaît pas, c’est pareil !<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Mais là n’est pas la question, cher <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>,<br />
vous vous détournez <strong>de</strong> votre objectif premier. La foule vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
pourquoi vous n’acceptez pas la critique !<br />
Nous n’acceptons pas la critique, nous ? Mais si, bien au contraire ! Nous<br />
aimons que l’on nous critique, nous aimons être fouetté. Toutefois, nous<br />
sommes têtu, breton (à moitié, certes !), homo et il n’est écrit nulle part que<br />
nous <strong>de</strong>vions en tenir compte. Nous sommes un être fier et aimons penser que<br />
si nous avons quelque chose à apprendre, nous l’apprenons en temps et en<br />
heure.<br />
469
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
En fait, nous détestons les conseils lorsqu’ils sont simplement gratifiés.<br />
Mer<strong>de</strong> quoi ! Nous ne sommes pas <strong>de</strong>meuré, nous savons ce que nous valons<br />
et nous n’avons pas besoin que l’on nous dise ce que nous <strong>de</strong>vons faire à<br />
chaque occasion. Nous avons 23 ans, sommes jeune, aimons faire <strong>de</strong>s erreurs !<br />
Abominable, n’est-ce pas ?<br />
Allons, allons ! Tout ceci n’est pas grave en soi, ne digressons pas ! Nous<br />
parlions d’orgueil et <strong>de</strong> lâcheté. Nous sommes un être lâche, oui,<br />
naturellement, nous avons notre côté humain aussi… Nous n’avons pas besoin<br />
que l’on nous le rabâche pour nous en rendre compte. Nous sommes un être<br />
intelligent, enfin. En tant que tel, nous savons prendre sur nous. Ainsi<br />
sommes-nous conscient que lorsque l’on nous donne une leçon, un conseil,<br />
lorsque l’on nous fait une suggestion sur notre manière <strong>de</strong> faire, d’être, nous<br />
nous braquons et ne le comprenons que bien plus tard si c’est effectivement<br />
vrai. Lâcheté et orgueil, tout à fait !<br />
Mais au fait, pourquoi parlons-nous <strong>de</strong> tout cela ? Ah oui, nous nous<br />
souvenons ! Notre bombe <strong>de</strong> vin luxuriant nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s’il lui serait possible<br />
<strong>de</strong> nous apprivoiser pour que nous nous recentrions sur nous-même et que<br />
nous apprenions à reconnaître notre ignorance. Très bien, nous le lui<br />
concédons !<br />
470
Snob et hystéro-éthylique<br />
1 e r m a i 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 1h17.<br />
Nous sommes assis dans le petit salon du Roton<strong>de</strong>, nous revenons du Med<br />
Boy. Soirée pour fêter la <strong>de</strong>rnière sol<strong>de</strong> – argent vite gagné, vite dépensé…<br />
Plus <strong>de</strong> foie gras ; l’horreur !! Bon… Nous ferons sans, et puis le serveur<br />
est toujours aussi mignon et sympathique. Si nous nous arrêtâmes ici alors que<br />
nous étions déjà mort, c’est pour trouver quelque inspiration à la rédaction <strong>de</strong><br />
ce pré-épilogue.<br />
1h23.<br />
Arthur vient <strong>de</strong> nous appeler. Décidément, il a le chic ! Il veut nous<br />
envoyer une musique ; nous verrons s’il tient jusques à notre retour chez<br />
nous… Nous commandons un autre Gin Fizz, avons déjà bien fumé, clopes et<br />
mieux. Nous sommes mort, ne pensons pas être en état <strong>de</strong> lire notre courriel<br />
cette nuit <strong>de</strong> toute manière. Et puis Arthur s’égare dans le passé, petit à petit.<br />
Nous pressentîmes avant sa Sofa Lounge Session le 22 avril qu’elle serait un adieu<br />
pour longtemps. Il fit partie <strong>de</strong> notre histoire, ou plutôt, nous passâmes dans la<br />
sienne.<br />
Passons donc.<br />
Il n’y a pas beaucoup <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> ce soir, pourtant fait-il bon <strong>de</strong>hors et la<br />
terrasse est-elle ouverte. En même temps, c’est Barry White qui met<br />
l’ambiance… Inutile <strong>de</strong> chercher plus loin, on se croirait dans Ally McBeal.<br />
En fin d’après-midi, alors que nous revenions <strong>de</strong> chez nos parents dans les<br />
Basses Alpes, nous nous achetâmes une bouteille <strong>de</strong> Bollinger chez Nicolas et<br />
nous plongeâmes dans un bain au monoï – il fallait au moins cela, nous les<br />
méritions tous <strong>de</strong>ux. Nous ne te conterons pas nos <strong>de</strong>rnières péripéties, Fidèle,<br />
mais nous sommes courbaturé, griffé, blessé et surtout avions-nous besoin <strong>de</strong><br />
nous ressourcer, nous revitaliser.<br />
Nous eûmes beaucoup <strong>de</strong> temps pour penser ces trois <strong>de</strong>rniers jours et<br />
nous nous rendîmes compte que nous n’avions vraiment plus rien à écrire sur<br />
l’environnement dans lequel nous évoluions <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans. En fait, nous<br />
n’en avons plus envie, le connaissons par cœur, vivons <strong>de</strong>dans, nous attendons<br />
471
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
déjà à ce que l’on doit considérer par dépit comme “nouveauté” ; nous l’avons<br />
apprivoisé.<br />
Une bouteille <strong>de</strong> Bollinger, trois Martini Bianco, <strong>de</strong>ux Gin Fizz, un joint,<br />
une dizaine <strong>de</strong> clopes plus tard, nous nous rendons compte que nous avons<br />
épuisé les ressources du Milieu, pas <strong>de</strong> ce que nous aurions à écrire <strong>de</strong>ssus,<br />
non, juste du Milieu.<br />
1h34.<br />
Devant nous, un noble sur un tableau tient une épée, ou une flûte, quelque<br />
chose quoi, illuminé d’une douce lumière rouge. Franchement… Petite aparté :<br />
Mylène remixe la Californie, il est temps <strong>de</strong> partir ! Franchement donc, nous<br />
pouvons t’écrire ceci : nous pourrions tant <strong>de</strong> choses mais nous faisons si peu,<br />
la tête décapitée sans doute, nous ne pensons plus à rien ! Triste…<br />
472
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 0 m a i 2 0 0 5<br />
Nous nous réveillons, 15 heures, mal au crâne, nous bandons. À côté un<br />
Blond, un Brun, jamais le même, toujours le même ; classique. Des bouteilles<br />
mortes, un reste <strong>de</strong> coke sur la table en verre, les euros roulés, <strong>de</strong>s vêtements<br />
partout, rien en place, tout en place. Espace à l’ombre, tente voilée, Gucci. Mal<br />
au cou, aucun sens, toutes les positions ; salope ! Pas chez nous, où sommesnous<br />
? Nous nous levons, ils gémissent, qui sont-ils ? Rien à foutre, tous à<br />
foutre ; extase !<br />
Nous avions décidé d’arrêter la rédaction <strong>de</strong> ce journal car nous pensions<br />
avoir tapé sur tout le mon<strong>de</strong> ; et bien nous nous plantions. Il en reste là-bas <strong>de</strong>s<br />
bien cachés parmi le Milieu pourri, les cathos catins, les républicains baveux, la<br />
société qui s’effrite… Autant <strong>de</strong> sujets d’étu<strong>de</strong>s intarissables qui forment notre<br />
environnement <strong>de</strong>puis bientôt <strong>de</strong>ux ans.<br />
Et puis mer<strong>de</strong>, nous avons aussi nos perversions : nous sommes pute,<br />
alcoolique, drogué par la vie, hanté par l’âge, nous nous foutons <strong>de</strong> tout, <strong>de</strong><br />
tous ; nous prônons la déca<strong>de</strong>nce, l’anarchie, l’irrespect ; nous sommes<br />
aristocratique, libertin, déluré, fainéant, aventureux, jeune et con. Nous<br />
t’emmerdons, Fidèle, et n’avons pas besoin <strong>de</strong> toi comme toi tu as besoin <strong>de</strong><br />
nous !<br />
Nous nous dénudons ici pour en faire part à notre famille, nos amis ; ils<br />
n’en ont rien à foutre ! Dans ce cas, nous écrivons pour laisser une trace à nos<br />
enfants, petits-enfants ; nous sommes homo, aucune chance. Bien, alors pour<br />
partager nos récits le soir avec Ophélie, notre ficus mélomane ; elle se meurt,<br />
cette conne ! Alors écrivons-nous pour nous-même, nous nous analysons, nous<br />
exhibons, nous soumettons, passif, au regard voyeur et lubrique <strong>de</strong>s lecteurs.<br />
Pour finir, nous n’avons rien à dire mais, comme tout le mon<strong>de</strong>, nous le<br />
disons quand même !<br />
473
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 1 m a i 2 0 0 5<br />
Il était 22 heures et quelques minutes, nous enlevions alors les cheveux <strong>de</strong><br />
nôtre brosse quand nous eûmes la soudaine folle envie d’aller nous promener<br />
en forêt, dans le massif <strong>de</strong> la Sainte-Victoire.<br />
Situé à quelques kilomètres du centre-ville aixois et à mille et onze mètres<br />
du plancher navigable, il faut être sacrément con pour s’y rendre à cette heure<br />
tardive. Et bien figure-toi, Fidèle, que nous sommes également sacrément<br />
jeune et que nous avons beaucoup, beaucoup <strong>de</strong> temps à perdre en ce<br />
moment !<br />
Notre <strong>de</strong>rnière expérience du type remontait au 26 novembre 2004. Cette<br />
nuit-là, nous étions aussi parti sur un coup <strong>de</strong> tête. Nous voulions simplement<br />
aller jusques au barrage <strong>de</strong> Bimont et revenir, une petite promena<strong>de</strong> nocturne<br />
<strong>de</strong> cinq heures comme nous nous en octroyons souvent, à peu près à chaque<br />
pleine Lune. Nous continuâmes finalement jusques à la croix et pûmes profiter<br />
au matin d’un sublime paysage cotonneux recouvrant les vallées du pays d’Aix.<br />
Nous gardâmes <strong>de</strong> cette soirée d’après Veuve un délire audio mais comme<br />
nous l’écrivons au début <strong>de</strong> cet article, nous sommes un peu con et ne<br />
trouvons pas comment le transférer <strong>de</strong> notre mini-disc à notre ordinateur.<br />
Au beau milieu <strong>de</strong> notre brosse donc (un travail soigneux, important et d’àpropos<br />
qui plus est, tu t’en doutes…), nous bourrâmes notre sac <strong>de</strong> choses<br />
inutiles mais utiles-quand-même-on-sait-jamais : notre trousse <strong>de</strong> soins, une<br />
gour<strong>de</strong> rouge, une pomme verte, un parapluie alors qu’on attend ici les sables<br />
du Sahara dans pas longtemps (mais on sait jamais, hein, qu’on nous enlève et<br />
que nous nous retrouvions en Moldavie !), un pull en laine, une boussole,<br />
d’autres trucs et un pieu parce que là aussi, on sait jamais !<br />
Habillé tel le forestier mal rasé, nous nous engageâmes dans le chahut<br />
urbain et trottâmes, trottâmes, trottâmes encore en direction <strong>de</strong>s Arts et<br />
Métiers puis du Lycée Cézanne et enfin, comme ce bon vieux mort et enterré<br />
Paul, sur le chemin <strong>de</strong> Bibémus, la colline, la vraie. Là, nous pûmes laisser le<br />
débile profond qui sommeille en nous jouer à la marelle avec les hérissons,<br />
s’essayer à quelques vocalises fort douteuses, parler à voix haute avec son<br />
double intérieur dur d’oreille, bref, passer le temps entre <strong>de</strong>ux souffles.<br />
Sur la route, en haut <strong>de</strong> Bibémus, nous aperçûmes la Sainte-Victoire, toute<br />
474
elle.<br />
Snob et hystéro-éthylique<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous êtes peut-être con et à<br />
l’ouest, vous vivez peut-être dans votre mon<strong>de</strong> mais crachez sur toutes ces<br />
conneries, éclatez-vous donc !<br />
Nous versâmes une larme, pour la cause, et mîmes quand même <strong>de</strong>ux<br />
heures <strong>de</strong>puis le centre-ville pour nous rendre au barrage <strong>de</strong> Bimont et <strong>de</strong>ux <strong>de</strong><br />
plus pour atteindre les <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> la Vierge, la pauvre, un peu avant le prieuré<br />
où nous nous reposâmes <strong>de</strong>ux heures pour encaisser le fait que nous avions<br />
encore manqué <strong>de</strong> nous tuer trois ou quatre fois, sous les buissons, à l’abri du<br />
vent, Aix-en-Provence à notre horizon.<br />
À 4h30, nous montâmes au sommet et nous assîmes sur le bord <strong>de</strong> la<br />
falaise, notre angoisse d’enfant, Saint-Antonin-sur-Bayon à nos pieds, priant <strong>de</strong><br />
tout notre cœur pour qu’une météorite s’écrasât sur la vallée afin <strong>de</strong> profiter du<br />
spectacle. Manque <strong>de</strong> bol, la din<strong>de</strong> en tailleur sur TF1 n’avait rien prévu <strong>de</strong> tel<br />
ce soir-là ; dommage !<br />
Deux campeurs sous une tente rouge dormaient dans la cour du prieuré et<br />
ces bouffons ne se levèrent pas pour profiter <strong>de</strong> l’aurore. C’était bien utile <strong>de</strong><br />
monter si haut pour faire la grasse-mat’ ! Ils ratèrent donc à 6 heures le levé du<br />
Soleil sur une légère brume bleutée et les oiseaux chantant <strong>de</strong> leurs ailes avec<br />
Éole. Que <strong>de</strong> poésie ! Et bien oui, nous sommes une âme sensible et<br />
l’assumons !<br />
Bon, à 6h10, nous en avions marre, n’allions pas camper là non plus et<br />
re<strong>de</strong>scendîmes.<br />
À 9 heures, nous arrivâmes au Tholonet chez MJD qui nous offrit le petit<br />
déjeuner. Nous passâmes en fait la matinée à jardiner et nous dînâmes à la<br />
cafétéria <strong>de</strong> Casino, là où la bouffe sort <strong>de</strong>s chiottes pour nous rappeler qu’il<br />
n’y a jamais qu’un seul sens à la vie…<br />
Finalement, nous rentrâmes chez nous, mort, HS, sans espoir <strong>de</strong> retrouver<br />
l’usage <strong>de</strong> nos jambes avant au moins trois jours et un enthousiasme <strong>de</strong><br />
marmotte pour nous pieuter <strong>de</strong>vant une casca<strong>de</strong> <strong>de</strong> superproductions débiles.<br />
475
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Courage, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous irez loin dans la<br />
vie !<br />
476
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 6 m a i 2 0 0 5<br />
Encore une soirée en l’honneur <strong>de</strong> la déesse Cervoise ; nous avions<br />
commencé <strong>de</strong> la célébrer chez nous. Il y a trois semaines, nous <strong>de</strong>vions aller à<br />
la plage et avions acheté un pack <strong>de</strong> vingt-six Kro pour l’occasion mais bon<br />
voilà, trop <strong>de</strong> vent et <strong>de</strong>puis elles squattaient le réfrigérateur. Nous ne sommes<br />
pas fan en plus, surtout seul chez nous. Du coup, nous avions un stock pour<br />
les intéressés…<br />
Ce <strong>de</strong>vait être un verre entre amis au Happy Days, histoire <strong>de</strong> se raconter<br />
nos vies puisque nous ne nous voyions pas souvent à cause <strong>de</strong>s examens (pas<br />
les nôtres, hein, ne rêvons pas !), <strong>de</strong> la sécheresse financière, du glandage<br />
volontaire et déterminé (cela nous concerne en revanche). Au passage, ce qu’il<br />
est canon le nouveau serveur du Happy ! S’il reste pour la saison, nous allons<br />
finir par réapprécier Aix-en-Provence… Son allure change <strong>de</strong>s fausses tapettes<br />
tout juste post-pubères et mal sapées que nous avons l’habitu<strong>de</strong> d’y voir.<br />
Il était 22h30 quand nous retrouvâmes Niko et Benoît.<br />
Première pinte <strong>de</strong> la soirée, premier contact avec ce charmant serveur<br />
quand il nous rendit la monnaie. Nos mains se frôlèrent dans un geste presque<br />
délétère, une douceur éphémère, une évasion du sens… Désolé, contrecoup <strong>de</strong><br />
la bière : mal au crâne.<br />
Nous leur proposâmes ensuite d’aller au Med Boy, visiter Michel, boire et<br />
faire un billard. Nous ne savons pas quelle heure il était et tu t’en fous, Fidèle,<br />
cela tombe bien. Trois personnes dans le bar… Bon début mais nous prîmes<br />
peur quand même : guet-apens, ruelle <strong>de</strong> cité, parc Jourdan.<br />
LA MASSE INCULTE . Mais pourquoi est-il si méchant ?<br />
Ce n’est pas notre faute, la bière nous rend aci<strong>de</strong> !<br />
Nous <strong>de</strong>scendîmes donc faire un billard au sous-sol ; <strong>de</strong>uxième pinte. Nous<br />
étions trois. Pas facile le billard à trois nous écriras-tu, et bien si ! Virginie,<br />
Niko et nous-même avions inventé une règle : <strong>de</strong>ux joueurs jouent<br />
normalement, le troisième joue entre les <strong>de</strong>ux avec la noire et doit rentrer la<br />
couleur la plus présente sur le tapis (cela change tout le temps donc) et pour<br />
477
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
finir la blanche. Le gagnant prend la noire et ainsi <strong>de</strong> suite. C’est génial, il<br />
suffisait d’y penser ! En écoutant Pop90 sur MCM, LA chaîne musicale (paraîtil),<br />
nous nous fîmes rétamer, encore, et remontâmes ; troisième pinte.<br />
T’arrive-t-il <strong>de</strong> lire ton horoscope ? Nous, oui, parfois :<br />
« Vierge : Quand un ami proche prend votre défense, ou a vos intérêts à<br />
cœur, c’est la preuve que vous pouvez compter sur son amitié. Cultivez-la. Il<br />
faut arrêter d’en faire trop sinon vous allez craquer. La pression ne vient pas <strong>de</strong><br />
l’extérieur, c’est vous-même qui vous la mettez. Votre chiffre porte-bonheur, le<br />
55. Votre couleur du jour, le gris. Le meilleur moment <strong>de</strong> la journée, 13h00. »<br />
Alors… Apparemment en faisons-nous trop… Ménageons-nous donc,<br />
pensons à notre pauvre cœur (et à notre foie surtout) car, comme tout le<br />
mon<strong>de</strong> le sait, nous sommes le garçon le plus pressé qui soit. Pour notre<br />
chiffre, c’est le 5 en effet. Pour notre couleur du jour, n’étant pas encore sorti,<br />
nous n’en savons rien. Pour le meilleur moment <strong>de</strong> la journée, un client <strong>de</strong>vait<br />
nous appeler à 13 heures pour confirmer un ren<strong>de</strong>z-vous à 14 heures ; il est 15<br />
heures, mauvaise pioche.<br />
Il paraît que les ascendants sont plus révélateurs, voyons cela :<br />
« Balance : Quoiqu’il arrive, tournez-vous vers ceux qui vous aiment. Vous<br />
vous sentirez en sécurité et vous pourrez vous confier plus facilement. Vous<br />
avez aujourd’hui besoin <strong>de</strong>s autres, c’est comme ça. Cela vous est peut-être<br />
difficile <strong>de</strong> l’accepter, mais n’hésitez pas car les autres sont heureux <strong>de</strong> vous<br />
ai<strong>de</strong>r. Votre chiffre porte-bonheur, le 100. Votre couleur du jour, le blanc. Le<br />
meilleur moment <strong>de</strong> la journée, 16h. »<br />
Alors… Nous faisons un effort, nous nous confions comme une blon<strong>de</strong><br />
là ! 16 heures, nous n’en savons rien encore, nous te dirons peut-être.<br />
Ah, les horoscopes homo ! Sauf si tu as besoin <strong>de</strong> savoir que ton prochain<br />
plan va être un mytho ou le coup du siècle, ne t’y attar<strong>de</strong>s pas trop, Fidèle.<br />
Nous lûmes le nôtre sur un magazine genre JE. Tu ne connais pas ce<br />
magazine ? Petit <strong>de</strong>scriptif caricatural, caustique et plaisant : les mecs sont tous<br />
478
Snob et hystéro-éthylique<br />
épilés, <strong>de</strong> vrais canons, hétéros, comme dans les pornos tchèques. À chaque<br />
page, au minimum une photo florissante <strong>de</strong> capote (pas usagée quand même,<br />
c’est qu’ils sont civilisés chez JE), comme si les homos ne pensaient qu’au<br />
cul… Ah bon ? Pour le tour <strong>de</strong>s boites gays et pour être pris en photo, il faut<br />
soit connaître le photographe, Franck autant que nous sachions (« Vas-y<br />
comme tu balances, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ! »), soit coucher avec le patron <strong>de</strong> la<br />
boîte, soit s’habiller en pute albanaise avec un mini t-shirt ultra pailleté Kulte<br />
ras les seins pendants, <strong>de</strong>s bottes à la Won<strong>de</strong>r Woman, une perruque<br />
customisée, revitalisée Jean <strong>Louis</strong> David, défrisée, fer-brochée… Bref… Il faut<br />
se la jouer ridicule pour figurer dans JE. Ensuite, c’est un magazine gratuit<br />
donc toutes les <strong>de</strong>ux pages y a-t-il <strong>de</strong>s pubs : « Rencontre les mecs <strong>de</strong> TA<br />
région au… », pour les plus softs, ou alors : « Retrouve les mecs les plus<br />
assoiffés <strong>de</strong> TA région au… », pour les plus subtiles ou carrément : « T’es<br />
chaud, tu ban<strong>de</strong>s ? LUI AUSSI ! », avec la photo d’un <strong>de</strong>s hétéros tchèques<br />
susnommés et un numéro 08-ne-tache-pas-le-fauteuil-en-cuir-du-bureau-<strong>de</strong>ton-père<br />
cachant étrangement son sexe. Le JE Magazine n’est pas chez Michel<br />
mais l’autre est pareil, faut pas croire !<br />
Allons, assez tapé sur Pédéville, c’est trop facile !<br />
Après cette lecture ludique donc, nous allâmes sur l’ordinateur voir nos<br />
courriels. Scott, un vieux Californien, nous offrit une tournée ; quatrième<br />
pinte. Nous sympathisâmes avec lui, étant le seul à parler anglais, ou presque<br />
(presque anglais, pas presque le seul) et il nous donna sa carte ; un client ? Va<br />
savoir, nous verrons bien.<br />
Niko et Benoît rentrèrent chez eux vers 2 heures et Scott un peu après.<br />
Nous, restâmes, comme d’habitu<strong>de</strong>. Une cinquième pinte offerte, un billard et<br />
du blabla plus tard, il était 5 heures, nous rentrâmes chez nous.<br />
Là, nous laissâmes la jeune Américaine anorexique qui sévit en nous<br />
s’exprimer un peu, un cacheton, une douche, les soins d’usage et hop au pieu !<br />
Nous <strong>de</strong>vions juste boire un verre ; vive les informels !<br />
479
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
4 j u i n 2 0 0 5<br />
Petit chaton mué en pute pour la soirée, il roda sur la couverture aixoise,<br />
snobant la cité en consumant la haute couture. Sans lune et <strong>de</strong>mi nu, il miaula<br />
en l’honneur <strong>de</strong> la concupiscence.<br />
Depuis une terrasse privative <strong>de</strong> l’Hôtel <strong>de</strong>s Augustins, l’église du Saint-<br />
Esprit pour tableau, il put sentir à quel point il était bon <strong>de</strong> s’exhiber à la voûte<br />
divine en lui montrant son cul, une fois n’étant pas coutume. Baiser <strong>de</strong>vant<br />
Dieu, une autre forme d’union.<br />
Relâché vers 5 heures au matin, il rejoignit sa <strong>de</strong>meure et, ne trouvant<br />
toujours pas le sommeil puisque la nuit n’atteignit pas cet être nocturne, il se<br />
plongea dans son bain. Il se promena ensuite sur les places <strong>de</strong> marché du<br />
centre-ville pour atterrir au Roton<strong>de</strong> et petit-déjeuner, se faire les <strong>de</strong>nts sur une<br />
viennoiserie arrosée <strong>de</strong> Bloody Mary, mérités.<br />
Il est 10h24, le temps est agréable, il ne fait pas si chaud. Nous irions<br />
volontiers à la plage aujourd’hui. Ce soir, nous assisterons au vernissage<br />
d’Alexandra, rue Sallier ; une bouteille <strong>de</strong> Bollinger est <strong>de</strong> mise ! Demain, nous<br />
changerons d’air ; surprise !<br />
Revenons à notre chaton.<br />
Seul sur les toits, habillé d’un caleçon noir, à quoi pouvait-il bien penser ?<br />
Très franchement, à rien. Il laissa ses réflexions vagabon<strong>de</strong>r ; elles étaient<br />
diffuses, peu nettes. Lorsque la pute dort, le chaton pense à elle et elle rêve <strong>de</strong><br />
lui. La nuit <strong>de</strong>rnière, il conclut que tout dépendait <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux questions : « De<br />
quoi as-tu envie ? », « De quoi as-tu peur ? » Les <strong>de</strong>ux se répon<strong>de</strong>nt et<br />
entament un dialogue complexe et perturbant. Cette nuit, le chaton et la pute<br />
se rencontrèrent et s’entendirent.<br />
480
Snob et hystéro-éthylique<br />
5 j u i n 2 0 0 5<br />
Septèmes (Provence, France), 11h41.<br />
Dans quelques minutes, nous investirons Marseille. Investir… Oui, c’est<br />
précisément ce qu’il faudrait faire : envoyer l’armée et jeter dans la<br />
Méditerranée, qui a besoin d’un nouveau fond marin, toutes les cailleras qui<br />
pourrissent les rues et avenues <strong>de</strong> la citée phocéenne (en ne laissant que celles<br />
qui ven<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la weed ou <strong>de</strong> la coke, évi<strong>de</strong>mment) !<br />
Cette journée <strong>de</strong>vait être cool. Nous <strong>de</strong>vions visiter en Ardèche un client et<br />
nous y faire masser. Tout était prévu pour onze heures <strong>de</strong> trains et <strong>de</strong> bus<br />
aller/retour et cinq heures <strong>de</strong> plaisir partagé. Bah non, raté !<br />
À 7h30, nous sortions <strong>de</strong> la gare Saint-Charles pour nous promener en<br />
attendant notre train et acheter <strong>de</strong>s clopes près <strong>de</strong> la Canebière lorsque <strong>de</strong>ux<br />
mecs blanc/beur, <strong>de</strong>ux petites frappes <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> <strong>de</strong>vant lesquels nous fûmes<br />
impuissant nous raquettèrent : 300 et quelques euros, une carte bleue, notre<br />
ID, notre lecteur MP3 et nos abdos. Et tout cela en plein jour, un dimanche,<br />
personne ou presque.<br />
Mémo perso : la prochaine fois que nous <strong>de</strong>scendons sur Marseille, nous<br />
munir d’un AK-47 ! Même à Bangkok, à 2 heures du matin, seul, nous<br />
risquions moins qu’ici ; ça craint ! Vive le crime organisé ! Ça, au moins, ça<br />
pète !<br />
Officiellement, nous ne nous fîmes pas agresser. Ce n’est pas tellement<br />
glorieux pour notre ego. Si l’on te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, Fidèle, évoque une panne <strong>de</strong><br />
réveil.<br />
Marseille (Provence, France), 12h45.<br />
Nous sommes (enfin) dans notre Corail pour Montélimar. Nous y prîmes<br />
un siège au hasard dans un club 4. Nous avons du retard, forcément, en ces<br />
jours <strong>de</strong> connerie nationale, habituels.<br />
Nous convînmes avec notre client, qui nous prend maintenant pour un<br />
mytho et qui attend <strong>de</strong> voir, que nous passerions la nuit chez lui et ne<br />
rentrerions qu’au matin. Nous nous faisons arnaquer et cela nous gène un peu<br />
mais nous préférons cela que passer pour un mer<strong>de</strong>ux sans parole.<br />
481
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous prîmes le second volet <strong>de</strong> la Trilogie <strong>de</strong> l’Empire <strong>de</strong> Raymond E.<br />
Feist & Janny Wurts ; géniale cette saga, nous ne nous lassons jamais <strong>de</strong> la<br />
relire.<br />
Avec ces événements, la nuit <strong>de</strong> vendredi, le vernissage d’Alexandra hier<br />
soir, nous sommes épuisé. Au passage, cette soirée fut terrible ! Niko, Sébastien<br />
et nous-même rejoignîmes la galerie Artonef pleine <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>. Plusieurs<br />
artistes exposant, un buffet sympathique (un bon blanc en l’occurrence) nous<br />
ravirent. Nous avions acheté une bouteille <strong>de</strong> Bollinger et Alexandra quatre<br />
autres pour l’occasion. Nous vîmes du médiocre mais aussi du très bon,<br />
comme la Galanda d’Alexandra vendue 1000 euros que nous adorons. Nous<br />
fîmes également une rencontre et verrons bien où elle mènera.<br />
Après la fermeture, nous rentrâmes puis retrouvâmes Niko et Sébastien au<br />
Duplex pour le rosé en terrasse. À 22 heures, peut-être, nous nous séparâmes<br />
d’eux <strong>de</strong>vant le Med Boy. Ils étaient fatigués, nous pas, mais ne restâmes pas<br />
longtemps cependant, juste assez pour parler avec Michel ou Stéphane <strong>de</strong>vant<br />
<strong>de</strong>ux Martini Bianco.<br />
C’était vraiment sympa comme soirée, à renouveler ! Nous sombrâmes vers<br />
minuit.<br />
13h15.<br />
Ça y est, nous décollons ! À côté, <strong>de</strong>ux hétéros <strong>de</strong> 20 ans se séparent pour<br />
<strong>de</strong>ux semaines et pleurent ; disons que le fait est mignon… Elle suit le train qui<br />
avance, avec un signe <strong>de</strong> la main, lui tient la sienne collée sur la vitre pour lui<br />
téléphoner <strong>de</strong>ux minutes plus tard ; cela, en revanche, est assez pathétique.<br />
482
Snob et hystéro-éthylique<br />
6 j u i n 2 0 0 5<br />
Montélimar (Dauphiné, France), 11h16.<br />
C’est la débanda<strong>de</strong>, les trains pour Marseille sont annulés les uns après les<br />
autres ; foutus peigne-cul jamais contents !<br />
Nous sommes donc toujours à Montélimar. Nous squattons le parc <strong>de</strong>vant<br />
la gare et écrivons. Une ville <strong>de</strong> plus, nous ne sommes nulle part. Nous<br />
trouvâmes un TGV <strong>de</strong>puis Valence et notre bus est à 13h05. Ça fait chier !<br />
Nous aurions voulu arriver à Aix avant 15 heures ; tant pis !<br />
N’ayant rien à foutre, nous envoyâmes du nougat Chabert & Guillot chez<br />
nos parents dans les Basses Alpes ; ils apprécieront sans doute.<br />
Nous passâmes une bonne soirée, sommes complètement détendu. Le<br />
repas était divin, le champagne plutôt bon, les massages jouissifs. Nous ne<br />
fîmes rien, étions au Paradis ; on s’occupait <strong>de</strong> nous. Nous aimons décidément<br />
être au centre <strong>de</strong> l’attention. Nous sommes à tout le mon<strong>de</strong>, nous sommes à<br />
personne ; atypique.<br />
11h29.<br />
Et bien voilà, c’était sûr ! Adossé à un arbre, nous fumions lorsqu’un un<br />
mec vint nous en taper une, forcément. Là, il commença <strong>de</strong> nous raconter sa<br />
vie <strong>de</strong> pompier <strong>de</strong> la BSPP dont la permission avait été annulée et qui <strong>de</strong>vait se<br />
démer<strong>de</strong>r pour rentrer sur Paris avant 19 heures.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Écoute, gars, t’es bien gentil, nous adorons nous<br />
faire abor<strong>de</strong>r par les mecs dans la rue, mais mignons seulement et c’est pas ton<br />
cas ; dégage !<br />
Nous avons la libido excitée ce week-end, cela ne va plus du tout ! Nous<br />
rêvons d’un jeune homme <strong>de</strong> notre âge, d’une situation <strong>de</strong> plus, apogée <strong>de</strong> trois<br />
jours <strong>de</strong> cul. Peut-être aurons-nous plus <strong>de</strong> chance dans notre club 4.<br />
483<br />
Aix-en-Provence (France), 16 heures.
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous prîmes le bus <strong>de</strong>puis la gare TGV, ne tenions plus ! En fin <strong>de</strong><br />
compte, nous dormîmes et ne vîmes personne exceptés les trois prolos les plus<br />
proches <strong>de</strong> nous. Nous rentrons, plongeons dans 300 litres d’eau bouillante<br />
saveur n’importe quoi.<br />
484
Snob et hystéro-éthylique<br />
1 2 j u i n 2 0 0 5<br />
NOUS . Une bouteille <strong>de</strong> Château La<strong>de</strong>svignes, s’il vous plaît !<br />
LE CAVISTE . C’est pour offrir ?<br />
NOUS . Non ! C’est pour boire, maintenant.<br />
Aix-en-Provence (France), 20h04.<br />
Voilà presque comment débuta notre journée d’hier, chez Nicolas ; midi<br />
sonnait. Nous <strong>de</strong>vions déjeuner avec Marie-Françoise pour la première fois<br />
dans son nouvel appartement et nous dîmes pour l’occasion : « Voyons,<br />
<strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous n’allez tout <strong>de</strong> même pas y aller les mains vi<strong>de</strong>s ; prenez<br />
donc une bouteille <strong>de</strong> Monbaz’, cela fait toujours plaisir ! » Marie-Françoise en<br />
avait aussi prévue une <strong>de</strong> rosé. La journée se plaça donc sous le signe <strong>de</strong> la<br />
langueur éthylique.<br />
Nous écrivons “presque” car nous avions ren<strong>de</strong>z-vous le matin à Partage et<br />
Travail, une association qui s’occupe <strong>de</strong> mettre en relation employés et<br />
employeurs. Nous dûmes donc <strong>de</strong>scendre chez les prolos… Nous… Tu<br />
imagines, Fidèle ; quelle angoisse ! Peu crédible le mec en chemise Hugo Boss<br />
qui vient quéman<strong>de</strong>r un emploi parce qu’il n’en trouve/cherche pas ailleurs.<br />
C’était pour faire plaisir à MJD qui veut absolument nous trouver un job, un<br />
métier, une situation, une carrière… Que ces mots résonnent mal en notre<br />
sein ! Ah ! ces mères, toujours inquiètes pour leur petit. En même temps, nous<br />
obtînmes un contact avec la directrice du Secours Catholique qui, nous en<br />
sommes convaincu, adorera nos vues sur la religion…<br />
Passons.<br />
Après un bon repas, quelques courses et menus travaux, nous laissâmes<br />
Marie-Françoise et nous mîmes en quête d’une boutique à tongs ; pas facile !<br />
Non, ce n’était pas pour nous la jouer tapette aixoise en jean délavé et à l’ourlet<br />
foutu qu’il nous en fallait. Nous avons l’intention, lundi et si le temps s’y prête,<br />
<strong>de</strong> passer la journée aux Thermes. Nous passâmes donc chez Stéphanie Bruno,<br />
Quicksilver, Agnès b., Lacoste, Mexx ; nous nous retînmes pour ne pas entrer<br />
chez Premium. Hélas ne trouvâmes-nous rien ! En désespoir <strong>de</strong> cause, nous<br />
485
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
allâmes chez Hugo Boss et là, ô joie !, LA paire <strong>de</strong> tongs ! Nous <strong>de</strong>mandâmes à<br />
les essayer, 40-41, trop belles, la touche idéale pour mettre en valeur notre<br />
caleçon et le peignoir <strong>de</strong>s Thermes.<br />
NOUS . Parfait, je les prends !<br />
LA VENDEUSE . Ça vous fera 75 euros !<br />
NOUS (manquant <strong>de</strong> nous évanouir) . Vous prenez la carte ?<br />
Franchement, cette journée prévue aux Thermes commence <strong>de</strong> nous<br />
coûter cher… Mais bon, nous n’avons qu’une vie, n’est-ce pas ? Autant alors<br />
en profiter avant <strong>de</strong> ne le plus pouvoir – et cela nous pend au nez ! Mémo<br />
perso : le mois prochain, gar<strong>de</strong>r les APL pour le loyer. Et puis, que sont après<br />
tout 75 euros pour une pute ? Même pas une heure <strong>de</strong> plaisir.<br />
En re<strong>de</strong>scendant le Cours Mirabeau, nous croisâmes Jérôme, rencontré lors<br />
du vernissage d’Alexandra. Nous parlâmes un peu et allâmes finalement<br />
prendre l’apéritif à l’Unic. Nous fîmes plus ample connaissance avec lui,<br />
<strong>de</strong>vant un Bloody Mary ou un verre <strong>de</strong> rosé, et rentrâmes nous préparer pour<br />
la soirée.<br />
Pinté au gin (nous ne pûmes nous en empêcher dans notre bain et <strong>de</strong>vant<br />
notre écran), il <strong>de</strong>vait être 23 heures lorsque nous rejoignîmes Alexandra et<br />
Gunka qui fêtait son anniversaire au Bistrot Aixois. Nous ne connaissions pas<br />
mais, dans notre état, nous trouvâmes et c’était déjà pas mal. L’ambiance était<br />
top, pas les mecs, hélas ! Par contre, les suédoises étaient splendi<strong>de</strong>s !<br />
Avis personnel : ce qui est bien dans ce bar, c’est qu’il est toujours bondé,<br />
que la musique est sympa, la Despe pareille que partout, le podium assez large.<br />
Ce qui l’est moins, en revanche, c’est qu’il n’est pas bondé que <strong>de</strong> beau mon<strong>de</strong>,<br />
que parfois on se rend compte en plein milieu d’un titre qu’on danse sur Alizée<br />
remixée et que sur le bar, une pute exhibe son cul comme dans Coyote Girls<br />
sauf que le sien est flasque.<br />
Monbaz’, rosé, Bloody Mary, gin, gin, Bloody Mary, Despe, Despe… Nous<br />
commencions sérieusement <strong>de</strong> trouver le pavé mouvant quand nous décidâmes<br />
d’aller à l’IPN. Dans notre souvenir, la <strong>de</strong>rnière fois que nous essayâmes<br />
d’entrer là-<strong>de</strong>dans, un an auparavant, avec Arthur, on ne nous avait même pas<br />
486
Snob et hystéro-éthylique<br />
acceptés. Avouons que nous étions ce soir-là <strong>de</strong>ux alcooliques en fin <strong>de</strong> vie…<br />
Pourtant, Alexandra au bras, la nuit <strong>de</strong>rnière, entrâmes-nous sans encombre.<br />
Pour une boite payante et dite étudiante, elle était assez médiocre. Il y faisait<br />
chaud, les mecs étaient <strong>de</strong>s bouseux (sauf un dans notre souvenir), la musique<br />
sonnait bien pourtant ; dommage ! En même temps, répétons-le, nous étions<br />
tellement mort et en bonne compagnie, ils auraient pu passer du Mireille<br />
Mathieu que nous n’aurions fait aucune espèce <strong>de</strong> différence.<br />
Nous n’allions pas en rester là : direction le Scat, une autre boite rue <strong>de</strong> la<br />
Verrerie, un lieu tripant, <strong>de</strong>s couloirs partout, différents styles <strong>de</strong> musique, <strong>de</strong><br />
l’air (oui, oui, cela a son importance), plusieurs bars, <strong>de</strong>s gens sympas, un bon<br />
son et quelques litres <strong>de</strong> con<strong>de</strong>nsation qui – au point où nous en étions –<br />
rendaient à nos mouvements plus <strong>de</strong> sensualité. Bon, OK, ce fut relativement<br />
sexe en fait et tout le mon<strong>de</strong> nous regardait, Gunka et nous-même !<br />
Nous rêvons d’une boite troglodytique à Aix dans ce genre mais où, en<br />
plus, les torses nus <strong>de</strong> mecs ou <strong>de</strong> filles pourraient se coller dans la sueur d’une<br />
nuit <strong>de</strong> folie, le délire d’un verre <strong>de</strong> plus, l’excitation d’une caresse libérée, le<br />
plaisir d’une nature chau<strong>de</strong> et dévoilée. Au Scat, ce n’était pas encore tout à fait<br />
le cas mais nous en étions proches.<br />
Vers 5 heures, nous en sortîmes trempé, excité, bourré, un peu plus. Nous<br />
allâmes chez Gunka manger <strong>de</strong>s pâtes ou fumer, dormîmes avec elle, squattant<br />
encore un lit qui n’était pas le nôtre. Au réveil, vers 17h30, le mascara<br />
marquant d’un trait une autre nuit, nous allâmes petit-déjeuner une Margarita,<br />
un Bloody Mary et <strong>de</strong>s tapas au Grillon.<br />
Maman, si tu lis ces lignes, ne m’en veux pas ! Non, ton fils n’est pas<br />
alcoolique ; <strong>de</strong> suite les grands mots !<br />
487
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 5 j u i n 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 5h42.<br />
Les lumières <strong>de</strong> la ville s’éteignent lentement. Nous ne pensions pas passer<br />
une nuit aussi longue. Nicolas, Valentin, un autre et nous-même <strong>de</strong>vions juste<br />
aller boire un coup au Happy (pour le serveur) mais comme la bouteille <strong>de</strong> rosé<br />
était dégueu, nous déplaçâmes notre foie à la Belle Époque. C’était bien la<br />
<strong>de</strong>rnière fois – nous le promettons jusques à l’oubli… – car c’est vraiment un<br />
bar <strong>de</strong> mer<strong>de</strong>. Les cocktails avaient le goût <strong>de</strong> Dragibus, le Bloody Mary puait<br />
le sel <strong>de</strong> céleri et le Tabasco, nous n’eûmes pas le droit <strong>de</strong> manger une crêpe en<br />
terrasse car achetée au marchand ambulant <strong>de</strong>vant Monoprix, les serveurs<br />
étaient cons et à part quelques mecs plutôt mignons, les clients oscillaient entre<br />
15 et 25 ans et s’emmerdaient. Pour preuve, nous y passâmes nos années lycée<br />
à la vodka.<br />
NOUS-MÊME . <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous n’êtes jamais content <strong>de</strong> toute manière !<br />
Peut-être mais, à 9 euros le cocktail, bizarrement, nous aimerions pouvoir<br />
le boire…<br />
Nous échouâmes donc sans gran<strong>de</strong> surprise au Med Boy.<br />
Là, il <strong>de</strong>vait être minuit et quelques, nous commandâmes <strong>de</strong>s verres et<br />
<strong>de</strong>scendîmes au sous-sol. Mémo perso : apprendre à jouer au baby-foot et<br />
arrêter <strong>de</strong> prendre le billard pour un anxiolytique. Nous remontâmes ensuite,<br />
nos compagnons nocturnes partirent et nous restâmes, attiré nous ne savons<br />
pourquoi par M., une femme <strong>de</strong> la cinquantaine au rimmel coulant et à la<br />
coupe pleine : une Edina Moonsoon en puissance…<br />
Elle tenait à peine <strong>de</strong>bout quand Michel la convainquit <strong>de</strong> rester encore un<br />
peu, trop prévenant pour la laisser rentrer seule dans cet état. Nous nous<br />
proposâmes, bonne âme, <strong>de</strong> la raccompagner plus tard, puisque nous habitions<br />
tous les <strong>de</strong>ux dans le centre, et lui parlâmes un moment <strong>de</strong>vant une coupe <strong>de</strong><br />
champagne. En une heure, nous entendîmes cinq phrases distinctes et<br />
répétées ; un exploit ! Nous ne jugerons pas avec autant <strong>de</strong> sévérité et manque<br />
<strong>de</strong> tact cette femme qu’avec nos turcs habituels mais quand même… Sacré<br />
488
Snob et hystéro-éthylique<br />
moment, plein <strong>de</strong> fantaisie ! Vers 3h30, nous déambulâmes jusques à chez elle :<br />
un grand appartement à <strong>de</strong>ux pas du Cours Mirabeau. Dans la rue, nous<br />
croisâmes <strong>de</strong>ux anglaises.<br />
L’UNE . Ça a pas l’air d’aller…<br />
NOUS . Si, si, ça va ! C’est tous les matins comme ça, vous en faites pas !<br />
L’AUTRE . Ah ! Tu veux pas qu’on t’ai<strong>de</strong> à la porter, sûr ?<br />
NOUS (tout sourire) . Nan, on a l’habitu<strong>de</strong>, hein chérie ? C’est gentil, merci. Bonne<br />
journée, les filles !<br />
ELLES . Bye bye!<br />
Une fois <strong>de</strong>vant son immeuble, il fallut encore qu’elle trouvât les clefs ; pas<br />
simple avec cinq grammes. Ensuite, nous crûmes la perdre une ou <strong>de</strong>ux fois<br />
dans <strong>de</strong>s escaliers qui dataient <strong>de</strong> Napoléon, pas moins, autant dire <strong>de</strong>s<br />
carreaux branlants et une rambar<strong>de</strong> douteuse. Une fois dans son appartement,<br />
le chat prit peur et elle nous le fit visiter.<br />
M. . Tu vois, j’ai tout chez moi : 120 m 2 , <strong>de</strong>s meubles qui valent <strong>de</strong>s millions.<br />
Ce secrétaire date <strong>de</strong> <strong>Louis</strong> XVIII, cette armoire <strong>de</strong> <strong>Louis</strong>-Philippe, c’est mon<br />
assurance-vie. Tu vois, j’ai tout chez moi : ça, c’est une horloge tout en étain ;<br />
là, la chambre du chat ; là, mon secrétaire, mon meuble le plus précieux, c’est<br />
mon assurance-vie ; là, c’est les toilettes, la cuisine ; là, j’ai plein <strong>de</strong> meubles,<br />
c’est tout à vendre ; là, c’est la chambre du chat…<br />
Nous eûmes droit à cela pendant <strong>de</strong>ux heures pratiquement : récit <strong>de</strong> sa vie,<br />
<strong>de</strong> ses enfants, du mec qu’elle supportait. C’est privé cependant et tu n’es pas,<br />
Fidèle, <strong>de</strong> la confi<strong>de</strong>nce. Pour nous, en revanche, les choses sont-elles bien<br />
différentes, plus crues. Pute, masseur, prêtre, psy, infirmier, amant, ange<br />
gardien, n’importe, nous sommes tout donc rien, le confi<strong>de</strong>nt idéal.<br />
Finalement, elle réprima son envie <strong>de</strong> pleurer en nous disant que <strong>de</strong> tout<br />
cela elle s’en battait les couilles, qu’elle se sentait seule. Sa tristesse, sa détresse<br />
même nous touchèrent. Prenons gar<strong>de</strong>, cela peut aussi nous arriver…<br />
489
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 8 j u i n 2 0 0 5<br />
Jeudi <strong>de</strong>rnier débuta sur l’aire <strong>de</strong> Rebuty, dans une station Agip avec pour<br />
seul panorama l’Étang <strong>de</strong> Berre ; grand luxe…<br />
NOUS . Où cachez-vous les bières fraîches, s’il vous plaît ?<br />
LE VENDEUR . Nous n’avons pas <strong>de</strong> bières au frais ; nous n’avons pas d’alcool<br />
du tout en fait !<br />
NOUS (retournant à la voiture) . Les mecs, nous sommes tombés dans un<br />
traquenard : une station sans alcool ! Vite, Tirons-nous !<br />
Nous arrivâmes à la plage <strong>de</strong> Carry vers 16 heures, après être quand même<br />
passés dans un Ecomarché quelconque pour acheter une bouteille <strong>de</strong> Despe et<br />
un pack <strong>de</strong> Heineken. Bon, OK, cela fait bourrin mais à la plage, le champagne<br />
est mal vu en général… Va comprendre, Fidèle !<br />
Valentin nous proposa une plage <strong>de</strong> galets interdite sur la droite. La falaise<br />
s’effritait mais nous évitâmes ainsi les prolos aussi entassés sur le sable que <strong>de</strong>s<br />
clan<strong>de</strong>stins croates dans un cargo italien. Il faudra qu’on nous explique par<br />
contre comment les filles que nous rejoignîmes sur cette plage arrivent à<br />
obtenir un tel bronzage ! Nicolas nous dit que c’était leur boulot…<br />
Comprendra qui pourra cette fois-ci.<br />
La bière, le Soleil, la brasse, le monoï pailleté ; tout cela fut terriblement<br />
fatiguant ! Tu en conviendras aisément, nous menons une vie difficile.<br />
Alors que le Soleil se cachait, nous décidâmes d’aller manger et boire un<br />
coup au Bar <strong>de</strong> Jean, ou un truc dans le genre. Un gin plus tard, nous<br />
rentrâmes, Valentin nous quitta, Nicolas et nous-même passâmes la soirée chez<br />
lui et une partie <strong>de</strong> la nuit au Med Boy. Une journée tranquille en somme.<br />
Aujourd’hui, la même mais en plus chic ! Nous n’avons pas tellement<br />
d’inspiration d’ailleurs. Nous sommes naze.<br />
Pour commencer, nous nous levâmes à 8 heures ; fais-en autant un samedi !<br />
Nous petit-déjeunâmes <strong>de</strong>s Miel Pops, comme quand nous étions jeune et<br />
490
Snob et hystéro-éthylique<br />
encore innocent (petite larme <strong>de</strong> nostalgie), nous préparâmes, remplîmes notre<br />
sac thaï avec notre bio <strong>de</strong> Mata Hari, un brumisateur, notre monoï, un litre<br />
d’eau, ces foutues tongs à 75 euros, notre agenda, notre fric, notre téléphone,<br />
une pomme verte et partîmes en direction <strong>de</strong>s Thermes d’Aix, enfin !<br />
Nous y arrivâmes à 9h30. Ils étaient à 200 mètres <strong>de</strong> chez nous. Vitesse <strong>de</strong><br />
croisière : 1 km/h ! Et ouais, il était très tôt en même temps. Une fois sur place<br />
(nous avions déjà chaud), nous nous installâmes à l’accueil, commandâmes un<br />
billet pour la journée, nous changeâmes et rejoignîmes la piscine à l’étage. Il n’y<br />
avait pas beaucoup <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> encore, mais cela commençait <strong>de</strong> venir. Nous<br />
trouvâmes un transat, installâmes la serviette fournie <strong>de</strong>ssus, nous enduîmes<br />
d’huile et sombrâmes pendant <strong>de</strong>ux heures, laissant nos envies plonger <strong>de</strong><br />
temps à autres dans la piscine pour les refroidir.<br />
À midi, nous allâmes manger à l’Orangerie, le restaurant <strong>de</strong> l’hôtel.<br />
NOUS . Un gin et une sala<strong>de</strong> tomates / mozzarella, s’il vous plaît !<br />
LE SERVEUR . Un Gin Fizz, Monsieur ?<br />
NOUS . Tonic, très tonic, merci !<br />
Tout le mon<strong>de</strong> était en peignoir, les gens <strong>de</strong> l’hôtel comme ceux <strong>de</strong>s<br />
Thermes. De toute manière, c’était souvent les mêmes et cela nous convenait<br />
parfaitement ! Pourquoi ? Parce qu’en ce moment, nous sommes en plein dans<br />
un trip suédois et que là il y avait <strong>de</strong>ux garçons hyper mignons <strong>de</strong>vant nous ;<br />
paysage idéal en cette heure <strong>de</strong> concupiscence gastronomique. Les <strong>de</strong>ux étaient<br />
typés aryens, blonds aux yeux clairs, le teint net mais hélas n’y avait-il pas <strong>de</strong><br />
numéro <strong>de</strong> chambre accroché à leur cou.<br />
LE SERVEUR . Ça a été ? Vous prendrez un <strong>de</strong>ssert, un café ?<br />
NOUS . C’était parfait. Je vais prendre une soupe <strong>de</strong> figues au vin <strong>de</strong> rosé et un<br />
autre gin, s’il vous plaît !<br />
Après cela, nous déposâmes nos effets et allâmes digérer tranquillement<br />
dans le jacuzzi. Ensuite, nous nous enfermâmes dans le hammam, seul,<br />
491
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
pensant toujours à ces <strong>de</strong>ux beaux blonds. Hélas, seul un vieux gros vint nous<br />
rejoindre dans cet espace confiné, chaud et humi<strong>de</strong>… Dégoutté, nous en<br />
sortîmes, prîmes une douche et entrâmes dans le sauna, plus sec, plus chaud et<br />
plus seul.<br />
Trente minutes <strong>de</strong> liquéfaction plus tard, nous retournâmes à la piscine<br />
griller sur un transat. Il y avait un peu plus <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> qu’au matin mais que du<br />
beau, ou <strong>de</strong>s gens normaux, pas chiants, pas en train <strong>de</strong> parler l’argot et<br />
d’agrémenter leur réflexion d’un : « Vas-y, putain d’ta race, tu m’fais<br />
d’l’ombre ! », ou encore d’un : « Regar<strong>de</strong>-moi comment elle est trop bonne<br />
cell’là, t’as vu son cul à c’te pute ? Comment j’aimerais trop m’la faire, t’as<br />
vu ! » Tu vois le genre…<br />
Pour finir cette journée <strong>de</strong> dur labeur, nous retournâmes dans le sauna une<br />
petite <strong>de</strong>mi-heure, prîmes une douche, récupérâmes nos effets et remontâmes<br />
chez nous prendre un bain saveur coco et un verre <strong>de</strong> gin.<br />
Et dire qu’il y en a qui se suffisent <strong>de</strong> peu ; <strong>de</strong>s ignorants, fort<br />
probablement !<br />
492
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 0 j u i n 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 6h40.<br />
Nous avons déjà mal au crâne ! Aurions-nous abusé du Ruinart, du Pastis,<br />
du rosé au Jardin <strong>de</strong>s Orchidées, peut-être même du gin chez nous hier aprèsmidi<br />
ou est-ce ce mal chronique, signe <strong>de</strong>s bouleversements chaotiques qui<br />
s’annoncent ? Ce doit être le mélange. Nous nous bourrons donc d’Ibuprofen,<br />
après nous être fait bourrer toute la nuit.<br />
Notre train est à 7h30. Nous montons comme la semaine <strong>de</strong>rnière en<br />
Ardèche, nous faire masser. Ce n’est pas du luxe, vraiment pas ! Avant-hier, les<br />
Thermes ; cette nuit, les élongations charnelles. La cure ne saurait être parfaite<br />
sans un massage complet et jouissif… Nous abusons, encore, faisons du<br />
surmenage.<br />
Nous passâmes la nuit à l’Hôtel <strong>de</strong>s Augustins. Le petit chaton cette fois-ci<br />
se fit-il repérer pendant ses tergiversations nocturnes par les voisins d’en-face<br />
dont trois filles plutôt pas mal – <strong>de</strong> loin et <strong>de</strong> nuit – qui mataient autant son<br />
caleçon et son torse que sa bouteille <strong>de</strong> champagne. Coquines ! Nous sommes<br />
convaincu qu’au lieu <strong>de</strong> faire la causette aux mecs présents et <strong>de</strong> passer une<br />
soirée soft, elles auraient adoré se faire sauter toute la nuit. Mais non…<br />
Comme <strong>de</strong>s idiotes, elles partirent vers 2 heures, déçues mais le sourire aux<br />
lèvres, se disant entre elles que cette soirée était sympa, qu’elles profitaient <strong>de</strong><br />
leur jeunesse en sortant un dimanche soir chez <strong>de</strong>s potes, boire du whisky et<br />
prendre <strong>de</strong>s photos pour se vanter <strong>de</strong> ce moment sur un weblogue à la con,<br />
moment finalement médiocre.<br />
De l’autre côté, nous jouîmes, plusieurs fois, à en avoir <strong>de</strong>s<br />
bourdonnements dans la tête ; nous pétillions ! Dormir ? Mais tu n’y penses<br />
pas, Fidèle ! Nous aurons tout le loisir <strong>de</strong> le faire plus tard.<br />
Mettons-nous pour l’heure en route et rejoignons la gare.<br />
19h23.<br />
Nous sommes enfin chez nous et nous apprêtons à prendre une bonne<br />
douche fraîche.<br />
Pourquoi, Diable !, faut-il que la SNCF envoie ses trains à l’heure quand<br />
493
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
précisément nous voudrions qu’ils partent comme d’habitu<strong>de</strong> en retard ? Une<br />
malédiction nous colle au cul : les retours d’Ardèche, ce n’est pas pour nous !<br />
Nous manquâmes donc notre train et notre client, <strong>de</strong> qualité et bien urbain,<br />
nous re<strong>de</strong>scendit jusques à Aix en voiture. En fin <strong>de</strong> compte, nous arrivâmes<br />
avant l’heure prévue mais bon, c’est une question <strong>de</strong> principe.<br />
Nous passâmes une journée d’ivresse, jouissive toujours. Le repas était<br />
excellent, le Martini Bianco présent, le champagne à volonté, le massage<br />
élévateur. Du creux <strong>de</strong> notre ventre à la <strong>de</strong>rnière parcelle <strong>de</strong> conscience, nous<br />
pétillions, encore. Ne t’es-tu jamais laissé envahir par cette sensation, Fidèle ? Il<br />
faut être secrétaire d’uranisme pour atteindre ce nirvana.<br />
Nous sommes épuisé, ces trois <strong>de</strong>rniers jours ayant été riches en excitations<br />
composites ; il nous faut <strong>de</strong>s vacances !<br />
494
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 3 j u i n 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 19h12.<br />
Le réveil est difficile. Nous fîmes une grosse bour<strong>de</strong> ce matin ; honte sur<br />
nous !<br />
Nous avions ren<strong>de</strong>z-vous avec la directrice du Secours Catholique à 8<br />
heures mais n’entendîmes pas notre réveil, plongé dans un profond sommeil<br />
d’alcoolo qui fait trop la fête. Elle nous attendit une heure puis nous appela<br />
alors que nous comations. Nous ressentîmes alors une soudaine touffeur<br />
d’angoisse, nous confondîmes en excuses, lui expliquâmes clairement, le plus<br />
honnêtement possible – mais sans détail superflu – la raison <strong>de</strong> cet oubli : alors<br />
que nous nous étions promis <strong>de</strong> farnienter, nous sortîmes la veille.<br />
Pour conjurer le sort, sachant que tout ce que nous entreprendrions<br />
aujourd’hui mer<strong>de</strong>rait, nous restâmes dans notre pieu. Tout cela est bien peu<br />
glorieux, oui ! Nous n’avons aucune excuse sinon celle d’être <strong>de</strong>s fois vraiment<br />
con pour rater un tel ren<strong>de</strong>z-vous. Voici donc les événements qui nous<br />
conduisirent là :<br />
Mercredi, 6h45, réveil : Gunka allait bosser. Nous <strong>de</strong>vrions bannir ce mot<br />
<strong>de</strong> notre vocabulaire et les gens qui l’utilisent mais il naîtrait <strong>de</strong> cette décision<br />
une bien gran<strong>de</strong> solitu<strong>de</strong>.<br />
La veille au soir, c’était donc la fête <strong>de</strong> la musique et comme pour Saint-<br />
Patrick’s Day, nous eûmes une justification pour boire dans la rue sans passer<br />
pour un pochtron et nous faire arrêter tous les vingt mètres par <strong>de</strong>s condés ;<br />
merci Jack !<br />
À 22 heures, nous sortîmes nous acheter <strong>de</strong>s chewing-gums avec notre<br />
verre <strong>de</strong> gin dans une main, une YSL dans l’autre. Les rues étaient pleines, les<br />
gens nous regardaient d’un air accusateur. Ce <strong>de</strong>vait être notre défrisage Saint-<br />
Algue <strong>de</strong> la soirée ou notre pantalon orange, notre t-shirt blanc et nos New<br />
Rock ou nos yeux mascarisés et crayonnés <strong>de</strong> noir. Non ! En y réfléchissant un<br />
peu, ce <strong>de</strong>vait simplement être notre air perdu dans un verre <strong>de</strong> gin.<br />
Nous remontâmes chez nous avant <strong>de</strong> rejoindre la place <strong>de</strong> l’Horloge. En<br />
chemin, nous rencontrâmes Alexandra, sa maman et Gunka. Une fois<br />
495
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
retrouvés dans cette masse humaine, Nicolas, Valentin, Fabienne et nousmême<br />
<strong>de</strong>scendîmes sur le Cours Mirabeau, une bière à la main, et ce fut au<br />
Roton<strong>de</strong> que nous consommâmes vraiment. Trois Bloody Mary plus tard, nous<br />
allâmes acheter Paninis et bières au Palatino pour les manger au pied <strong>de</strong> la<br />
gran<strong>de</strong> fontaine, sur la pelouse. Si l’on omet les mecs sans face qui venaient se<br />
soulager <strong>de</strong>dans, c’était vraiment sympa !<br />
D’autres vinrent s’ajouter à la ban<strong>de</strong> (Gunka, Alexandra, son copain, etc.),<br />
nous restâmes là un moment puis bougeâmes au Scat. Tous n’étaient pas là,<br />
nous en perdîmes en route et une visita même les urgences pour s’être jetée la<br />
tête la première sur le pavé aixois. Quant à Nicolas, Valentin et Fabienne,<br />
torchés, ils quittèrent le club un peu avant Gunka et nous-même. Cette nuit<br />
finit dans notre lit – une fois n’était pas coutume ! – vers 4 heures.<br />
Trois heures trente plus tard, nous la reconduisîmes à la porte et comptions<br />
passer la journée à ne rien foutre mais nous ne retrouvâmes pas le sommeil et<br />
appelâmes MJD pour déjeuner ensemble sur le Tholonet. Nous lûmes une<br />
heure, zonâmes dans un bain frais et allâmes chez Nicolas.<br />
NOUS . Bonjour ! Une bouteille <strong>de</strong> Château La<strong>de</strong>svignes, s’il vous plaît ! Avezvous<br />
du rosé Château Simone également ?<br />
LE CAVISTE . Oui, à la cave, cuvée 2003.<br />
NOUS . Parfait, mettez m’en une aussi !<br />
Avec toute cette activité pour préparer un bon repas et notre langueur<br />
habituelle, nous ratâmes notre bus. Aimes-tu la Provence, Fidèle ? En voici le<br />
pire : 35 <strong>de</strong>grés, peu <strong>de</strong> vent, un temps orageux mais pas d’orage. En général,<br />
quand nous marchons, notre esprit vagabon<strong>de</strong>, nos idées fusent ; là,<br />
franchement, elles ne purent que fondre ! Arrivé chez MJD, nous prîmes une<br />
douche fraîche et passâmes à table ; le rosé fut quasi-divin. MJD nous fit<br />
remarquer une énormité sur l’étiquette <strong>de</strong> la bouteille, une erreur grotesque, un<br />
appât à touristes qui n’avait d’équivalent que l’excellence <strong>de</strong> son domaine. Nous<br />
en arrivâmes à parler <strong>de</strong>s tableaux <strong>de</strong> la pièce, <strong>de</strong> leur prix, etc., et en<br />
conclûmes que l’Art ne se vendait pas, qu’il se vantait !<br />
Vers 16 heures, le temps était encore orageux et nous voulions rentrer<br />
496
Snob et hystéro-éthylique<br />
avant la sauce. Nous voulions également nous reposer et être en forme pour<br />
notre ren<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> ce matin. Nous ratâmes (encore) notre bus et fûmes bon<br />
pour (encore) six kilomètres <strong>de</strong> marche pour arriver sous un Aix plafonné <strong>de</strong><br />
martinets, trempé <strong>de</strong> sueur. Chez nous, après un bon bain, nous nous calâmes<br />
<strong>de</strong>vant notre écran, huilé et prêt à aller nous coucher tôt ; un exploit !<br />
NOUS (à Niko par SMS) . Putain, c dur… Suivre la ligne blanche !<br />
La ligne blanche ? Non, nous n’avions pas <strong>de</strong> coke sur nous hélas, nous<br />
étions juste sur la route <strong>de</strong> Saint-Antonin-sur-Bayon, dans la montagne, à 2h17,<br />
ce matin, avec <strong>de</strong>ux grammes d’alcool(s) dans le sang, au bas mot, en train <strong>de</strong><br />
suivre la peinture <strong>de</strong> l’asphalte pour nous repérer. C’est pour cela, Fidèle, que<br />
nous ne nous réveillâmes pas ; que nous voilà étonné !<br />
Nicolas nous prévint sur MSN, hier soir à 18h27, que nous <strong>de</strong>vions être<br />
prêt à 21 heures pour fêter l’anniversaire surprise <strong>de</strong> Benoît au pied <strong>de</strong> la<br />
Sainte-Victoire. Que, Diable !, pouvions-nous répondre ?!<br />
NOUS . Je dois me lever très tôt <strong>de</strong>main donc bon… En même temps, je suis<br />
jeune et con ; laisse-moi me préparer !<br />
Nous retrouvâmes la ban<strong>de</strong> en haut. Morgan était présent également.<br />
Quant à Benoît, il arriva plus tard, les yeux fermés, surpris <strong>de</strong>vant une table <strong>de</strong><br />
pierre pleine <strong>de</strong> bouteilles, d’amuse-gueules et <strong>de</strong> bougies. La nuit, quant à elle<br />
placée sous la protection <strong>de</strong> la Lune, fut excellente actrice ! Nous n’avions pas<br />
<strong>de</strong> musique et pensions en manquer mais l’instant finalement se déroula-t-il au<br />
fil <strong>de</strong> conversations libérées par la boisson.<br />
Nous ne savons pas ce qui nous prit – sans doute avions-nous besoin <strong>de</strong><br />
marcher (effet pleine Lune) – mais nous <strong>de</strong>mandâmes à Nicolas, quand nous<br />
partîmes tous vers 1h30, <strong>de</strong> nous déposer un peu plus loin et <strong>de</strong> continuer sans<br />
nous.<br />
Paumé à quelques seize kilomètres du centre d’Aix, nous nous retrouvâmes<br />
donc seul et complètement pinté en pleine montagne, personne pour nous<br />
gui<strong>de</strong>r, ni même nous agresser d’ailleurs, la racaille ne s’aventurant pas si loin<br />
497
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
<strong>de</strong> la ville. Nous commençâmes <strong>de</strong> déambuler dans la colline par les petits<br />
sentiers mais nous retrouvâmes dans les champs d’oliviers et les broussailles –<br />
dont nous gardons encore <strong>de</strong>s griffures – alors reprîmes-nous la route pour<br />
suivre cette désormais fameuse ligne blanche. L’expérience fut… comment<br />
dire… intéressante. Parfois, sous le regard pervers d’une musaraigne, nous<br />
nous endormions en marchant, pour nous réveiller quasi-instantanément<br />
(supposons-nous) et nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r où nous étions. Parfois, nous avions<br />
même fait <strong>de</strong>mi-tour. Impossible <strong>de</strong> nous rappeler avec certitu<strong>de</strong> comment<br />
nous rentrâmes jusques à chez nous, entier.<br />
Sur la route, nous fîmes plus <strong>de</strong> rêves que pendant toute une nuit dans un<br />
lit. Nous hallucinions, pensions <strong>de</strong>s choses folles, communiquions avec les<br />
ombres, les épousions ; c’était terrible ! Nous vîmes <strong>de</strong>s lieux qui nous étaient<br />
communs d’un tout autre regard : celui d’un mec bourré, déjà, mais pas<br />
seulement. La nuit enveloppait notre vision <strong>de</strong> mille songes bizarres. Passant<br />
près d’un champ <strong>de</strong> blé, par exemple, nous nous surprîmes à penser comme il<br />
serait bon <strong>de</strong> nous y coucher pour ne nous lever qu’au petit matin. Nous<br />
vainquîmes cette folie uniquement car un brin <strong>de</strong> conscience nous rappela que<br />
nous avions un ren<strong>de</strong>z-vous à 8 heures… Tout cela pour rien, nous diras-tu !<br />
Nous réveillâmes Morphée, nu sur notre lit, à 4h38 et sombrâmes entre ses<br />
cuisses.<br />
498
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 5 j u i n 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 6h54.<br />
Nous rentrons à peine… Oh putain ! En fait, nous sommes mort ! Nous<br />
écrirons plus tard.<br />
499
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 7 j u i n 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 10h34.<br />
Pour nous être levé très tôt et ne pas encore lamentablement rater notre<br />
ren<strong>de</strong>z-vous avec la directrice du Secours Catholique, nous nous octroyons un<br />
petit-déjeuner au Roton<strong>de</strong>. Nous venons <strong>de</strong> moins en moins ici : le lieu est<br />
superbe, l’ambiance chic et tendance mais le service est pourri (et puis nous ne<br />
revoyons plus le serveur mignon d’avant, ce qui a quand même son<br />
importance) !<br />
NOUS . Un Classique et un Bloody Mary bien tassé, s’il vous plaît !<br />
L’alcool <strong>de</strong> bon matin avec un croissant rend l’Homme fort (si si) !<br />
Nous mîmes du temps à nous remettre <strong>de</strong> la soirée <strong>de</strong> vendredi. Notre<br />
table est encombrée : un chocolat chaud, un jus d’oranges fraîchement<br />
pressées, une assiette avec <strong>de</strong>ux tartines, du beurre et <strong>de</strong>s confitures, notre<br />
agenda, nos clopes, notre téléphone, le cendrier, notre Bloody Mary, notre<br />
feuille <strong>de</strong> notes ; c’est un vrai bor<strong>de</strong>l, tout comme notre esprit et ce que nous<br />
écrivons d’ailleurs. À force <strong>de</strong> considérer chaque jour comme un dimanche,<br />
nous dûmes <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r assistance pour nous souvenir <strong>de</strong> toute cela !<br />
Bref, cette soirée <strong>de</strong> vendredi, disons-nous !<br />
Nous fêtâmes pour commencer les 20 ans <strong>de</strong> Fabienne au Duplex avec un<br />
gin et une bouteille <strong>de</strong> rosé. Nous étions cinq : Nicolas, Sébastien, Valentin,<br />
elle et nous-même. Alexandra, son copain et Gunka vinrent nous rejoindre<br />
ensuite et nous continuâmes au Scat.<br />
Notons que 90 euros la bouteille <strong>de</strong> Smirnoff, c’est quand même du<br />
foutage <strong>de</strong> gueule, même dans un club ! Heureusement que ce n’est pas tous<br />
les soirs que nous célébrons un tel événement et que nous faisons la fête…<br />
Tout bien réfléchi… Ah ! Et mer<strong>de</strong> !<br />
Entourée d’alcooliques chroniques qui supportaient plus ou moins bien les<br />
mélanges, Fabienne géra plutôt bien les siens en ne constellant que les<br />
vestiaires, <strong>de</strong>vant la porte <strong>de</strong>s toilettes, close ! La pauvre, quand nous y<br />
pensons… Bref, ne nous formalisons pas ! Nicolas et Sébastien la<br />
500
Snob et hystéro-éthylique<br />
reconduisirent chez elle et revinrent, pour repartir un peu plus tard avec<br />
Valentin. Alexandra et son copain suivirent. Nous n’allions pas rester : la<br />
bouteille était vi<strong>de</strong>, nous ne voulions pas nous retrouver dans un lit mais faire<br />
la fête. La nuit commençait à peine ; il <strong>de</strong>vait être 2 heures.<br />
Nous allâmes donc au Med Boy, lieu d’ancrage, seul. Il n’y avait pas<br />
beaucoup <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>. Nous commandâmes une pinte, installâmes nos jolies<br />
fesses sur un tabouret au comptoir et parlâmes avec Yves, un habitué sans<br />
intérêt aucun, <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> rien, d’art et d’histoire, d’histoire <strong>de</strong> l’art, <strong>de</strong><br />
religion, <strong>de</strong> mythes, etc. Voilà ce que c’est <strong>de</strong> s’attacher un verre à un prof <strong>de</strong><br />
fac… Nous <strong>de</strong>mandâmes à Michel s’il allait au Cancan ; il nous répondit que<br />
non. Malik, en revanche, y allait et proposa <strong>de</strong> nous y conduire.<br />
À 4 heures, nous étions sur la route, Dire Straits dans les oreilles, à 160<br />
kms/h. Le trajet nous parut étrangement court ! Nous entrâmes dans la boite<br />
en invité et la soirée s’illumina sur le nouveau podium, les rampes et les<br />
marches que nous n’avions pas encore testées.<br />
Nous étions pinté, pour changer, torse nu, en sueur, trempé, inaccessible.<br />
Un mec s’approcha nous toucher, nous caresser par <strong>de</strong>rrière. Nous le laissâmes<br />
faire. Après un instant, Madonna bramait, il se retourna pour nous faire face,<br />
nous le regardâmes dans les yeux et l’expédiâmes.<br />
NOUS . Laisse tomber, tu n’as vraiment aucune chance !<br />
Incrédule, désarçonné, il ne sut bourdonner qu’un : « Ah ! », médiocre,<br />
avant <strong>de</strong> quitter le podium la queue entre les jambes, dégoûté <strong>de</strong> n’avoir pu que<br />
nous approcher.<br />
NOUS-MÊME . Prétentieux !<br />
Non ! Nous sommes seulement joueur, très sélectif et, d’ailleurs, nous<br />
n’avons aucun compte à te rendre, Fidèle ! Pour nous abor<strong>de</strong>r en boite, à<br />
moins d’être hyper canon, il faut avoir <strong>de</strong> très bons arguments ; lui n’en avait<br />
aucun (ni sa copine d’ailleurs). Les mecs en boite, tu les trouves cool et<br />
mignons dans le noir quand tu as bu pour te réveiller dans un lit qui n’est pas le<br />
501
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
tien, surplombant une stu<strong>de</strong>tte d’un immeuble <strong>de</strong> cité, avec à tes côtés un<br />
chiffon <strong>de</strong> chairs humi<strong>de</strong>s et une face qui ressemble alors à un suaire <strong>de</strong> toxico<br />
que même la carnation déserte peu à peu.<br />
NOUS . Un autre Bloody Mary, s’il vous plaît !<br />
Jusques à 6h30, nous restâmes sur le podium et après une coupe <strong>de</strong><br />
champagne rosé, nous rejoignîmes Malik. Il avait commandé une bouteille <strong>de</strong><br />
vodka que nous manquâmes, trop occupé à jouer le gogo dancer <strong>de</strong>vant tout le<br />
mon<strong>de</strong>.<br />
Le Cancan ferma et nous remontâmes avec lui sur Aix. Franchement, il<br />
était pété (même s’il pensait le contraire…), roulait vite, Dire Straits toujours à<br />
fond, déboîtait à quelques centimètres <strong>de</strong>s autres véhicules. Il donna même un<br />
coup <strong>de</strong> frein à main sur l’autoroute <strong>de</strong>vant un bus qu’il venait <strong>de</strong> doubler,<br />
jugeant qu’il aurait dû le laisser passer plus tôt. Et nous, comme un con,<br />
éclations <strong>de</strong> rire, trop heureux <strong>de</strong> nous sentir vivre, paradoxalement si proche<br />
<strong>de</strong> la mort…<br />
Nous rentrâmes chez nous torse nu et sombrâmes, passâmes l’après-midi<br />
avec Nicolas dans une crique d’Ensuès, soupâmes chez lui, loin <strong>de</strong> toute<br />
agitation éthylique.<br />
Ce matin, nous eûmes donc ce fameux ren<strong>de</strong>z-vous, obtînmes quelques<br />
adresses à exploiter et la quasi-certitu<strong>de</strong> que sans formation académique, dans<br />
ce mon<strong>de</strong> mal foutu, nous ne pouvions rien faire.<br />
Il est 12h09, nous avons le reste <strong>de</strong> notre vie (en attendant la cirrhose) pour<br />
prouver à cette société que son fon<strong>de</strong>ment pue l’ineptie !<br />
502
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 9 j u i n 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 5h22.<br />
Je suis rentré à 4h46, autant que je m’en souvienne, j’été pinté. J’ai eu l’idée,<br />
Fidèle, <strong>de</strong> te rconter ma vie <strong>de</strong> tous les jours, avec les fautes que ça contient, si<br />
tu comprends déjà parce que là franchement je fais un gros effort pûr ne pas<br />
rater les touches ! Je corrigerai peut-être plus tard ça dépend <strong>de</strong> si je le sens ou<br />
pas, mais faut pas rêver.<br />
Donc, je sors <strong>de</strong> la douche, dur, dur ! Déjà jétais au Med avec Niko et<br />
Valentin qui m’ont lâché vers 2h30 environ. J’écoute Bowling For Soup, un très<br />
bon groupe <strong>de</strong> rock que j’ai découvert quand je vivais en Thaîlan<strong>de</strong>, trop bon !<br />
Putain, les fautes… Et ça se prétend écrivain… Mes idées sont même plus en<br />
plqce… En même temps j’ai jamais rien eu en place dans mon esprit je crois.<br />
Bon, cette soirée. Déjà j’ai passé l’après(midi à dans une crique d’Ensuès, la<br />
même que samedi, avec Niko et Valentin. Nous avions <strong>de</strong> la Despe, c’était trop<br />
fort, mais pas assez hélàs, <strong>de</strong>ux bouteilles pour trois c’est jamais assez, juste<br />
suffisant pour frimer <strong>de</strong>vant les djeuns qui venaient squatter notre<br />
promontoire <strong>de</strong> saut. Mais c’étais quand même sympa. Je susi complètement<br />
niqué, laminé par les moules pour remonter sur les rochers ; je crois que j’en<br />
aurai même une cicatrice sur la main, pas grave, blessure <strong>de</strong> guerre, ou <strong>de</strong> délire<br />
c’est pareil. Nous sommes rentrés vers 20 heures, nous avons passé la soirée<br />
chez Niko et nous sommes remontés sur Aix. Niko et Valentin m’ont déposé<br />
et mon rejoint chez moi après s’être changé, avec une bouteille <strong>de</strong> vodka que<br />
nous avons pratiquement vidée à <strong>de</strong>ux, Niko et moi.<br />
Au Med, nous étions déjà pintés.<br />
Je ne sais même pas comment j’arrive encore à taper sur les touches. Je n’ai<br />
qu’une envie c’est daller me coucher mais j’ai envie <strong>de</strong> lire <strong>de</strong>main les conneries<br />
que j’aurai pu écrire. En fait c’est simple, une fois à la maison, j’ai rechargé<br />
mon MSN, je suis aller jouer la collégienne US anorexique sur son trône, j’ai<br />
pris une douche hyper froi<strong>de</strong> pour me réveiller un peu, j’ai rejoué à cette<br />
américaine, je me suis brossé les <strong>de</strong>nts, j’ai soigné mes plaies avec <strong>de</strong>s huiles et<br />
je me suis posé <strong>de</strong>vant mon écran pour écrire ces conneries. C’est pathétique.<br />
C’est comme ça tous les matins pratiquement. Je rentre et j’ai un véritable<br />
503
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
cérémonial : je me vi<strong>de</strong>, je me douche, je me lave les <strong>de</strong>nts, m’huile, me bourre<br />
d’Ibruprofen et me couche sur le dos, attendant que le sommeil m’emporte<br />
une secon<strong>de</strong> à peine avant <strong>de</strong> sombrer complètement.<br />
D’ailleurs, c’est précisément ce que je vais faire là, sombrer. Un délire <strong>de</strong><br />
plus dans ma vie <strong>de</strong> tous les jours où personne ne pourrait me suivre je pense.<br />
Demain nous retournons à la mer je crois, vive la Despe !! Cette fois-ci j’en<br />
prendrai plus.<br />
12h50.<br />
Nous venons <strong>de</strong> nous relire, Within Temptation dans les oreilles, en priant<br />
que notre mère ne lise pas ce journal avant que nous changions <strong>de</strong> vie…<br />
504
Snob et hystéro-éthylique<br />
2 j u i l l e t 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 6h34.<br />
Un quart d’heure que nous sommes levé. Nous dormîmes <strong>de</strong>ux heures,<br />
nous zonons et la vodka ne veut pas nous réveiller ; c’est horrible !<br />
Aujourd’hui, nous <strong>de</strong>vons nous rendre en Ardèche. Alors que beaucoup <strong>de</strong><br />
salopes essaieront <strong>de</strong> jouer l’homo intègre sur le Vieux Port, rassemblées sous<br />
la bannière “Pour nos droits et que cesse l’homophobie !”, nous serons pute et<br />
nous ferons masser.<br />
Allons, courage ! Finissons notre verre, prenons une douche, préparons<br />
nos profon<strong>de</strong>urs, fourrons notre sac (sans oublier cette fichue bio <strong>de</strong> Mata<br />
Hari qu’il serait temps que nous lisions) et rendons-nous à la gare !<br />
Marseille (Provence, France), 8h41.<br />
Les TER sont-ils <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> drague ? À en juger par le mec trop laid qui<br />
vient <strong>de</strong> prendre place dans notre cabine, si c’est le cas, nous n’avons vraiment<br />
pas <strong>de</strong> chance ! Nous nous assîmes ici dans l’espoir <strong>de</strong> trouver l’attention d’un<br />
charmant garçon (ou d’une charmante fille d’ailleurs) qui pouvait nous<br />
réveiller ; c’est raté !<br />
Sur notre gauche, un TGV blanc pattelé par un tigre attire nos yeux d’or :<br />
c’est une publicité pour Orange qui nous rappelle que nous leur <strong>de</strong>vons plus <strong>de</strong><br />
1100 euros… Est-ce un signe ? Si oui, nous sommes dans la mer<strong>de</strong>…<br />
Oh putain ! Non seulement il est laid, le mec d’à-côté, mais en plus il se<br />
décrotte le nez. C’est dégueulasse, à la fin ! Après, on s’étonne que les étrangers<br />
considèrent les Français comme <strong>de</strong>s crasseux. Et bien, surtout à Marseille, c’est<br />
le cas.<br />
NOUS . Ne vous gênez pas surtout !<br />
LE GROS DÉGUEULASSE . Pardon ?<br />
NOUS . Vous voulez un mouchoir ? Je suis sûr qu’il en reste un peu au fond…<br />
LE GROS DÉGUEULASSE . Volontiers !<br />
NOUS . Il y a du PQ dans les toilettes. Ce sera toujours mieux que <strong>de</strong> refaire la<br />
505
déco <strong>de</strong> la cabine, vous croyez pas ?<br />
LE GROS DÉGUEULASSE . Heu…<br />
NOUS . Laissez tomber !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Le train s’est arrêté, du coup la clim également, et nous ne sommes même<br />
pas encore parti. Vite, sortons notre brumisateur car le voyage s’affiche long !<br />
Bollène (Provence, France), 17h08.<br />
Vraisemblablement, il faut que tous nos retours d’Ardèche ne se déroulent<br />
pas comme nous le voudrions. Nous attrapâmes notre train cette fois-ci – nous<br />
étions dans les temps – mais tombâmes dans un four Dachau. Même notre<br />
brumisateur ne parvient-il plus à nous réhydrater. Nous nous <strong>de</strong>mandons<br />
comment ils survivaient à l’époque. Ah, quel con ! Ils en sont morts en fait…<br />
Désolé ! Nous ouvrîmes donc la fenêtre en pensant secrètement nous jeter du<br />
prochain pont qui traverserait une rivière.<br />
Nous passâmes une bonne journée : le repas était agréable et nous<br />
pétillâmes. Un avis : la graisse à traire au monoï Soleil <strong>de</strong>s Iles, c’est génial pour<br />
baiser bareback, Fidèle ! Nous l’utilisons <strong>de</strong>puis longtemps déjà, crois-nous<br />
sincère. « <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong> : notre expérience professionnelle pour<br />
VOS cheveux ! » Oula… Ça y est, nous délirons. C’est la chaleur, la canicule<br />
nous emporte. Et ouais, nous aurons 24 ans dans moins <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mois ; ça<br />
craint !<br />
NOUS . À quand le prochain pont ?!<br />
LE MEC D’À-CÔTÉ . Pardon ?<br />
NOUS . Je délire tout seul.<br />
LE MEC D’À-CÔTÉ . Longue journée ?<br />
NOUS . Jouissive !<br />
LE MEC D’À-CÔTÉ . Pardon ?<br />
NOUS . Laissez tomber !<br />
506
Snob et hystéro-éthylique<br />
Si encore il était jeune et mignon… Même pas ! Le train est arrêté, <strong>de</strong>s<br />
enfants courent sur les quais.<br />
Ce soir, il y a une soirée After Gay Pri<strong>de</strong> au Dock <strong>de</strong>s Suds, comme tous<br />
les ans. Franchement, payer 20 euros pour s’asphyxier entre cinq mille<br />
surexcités, nous hésitons… Peut-être irons-nous au New Cancan.<br />
Essayons <strong>de</strong> dormir jusques à Marseille déjà car, mine <strong>de</strong> rien, notre activité<br />
nous vi<strong>de</strong> !<br />
507
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 j u i l l e t 2 0 0 5<br />
Marseille (Provence, France), 7h51.<br />
Quelle nuit ! Nous pensons louer une tente à Saint-Charles car nous y voici<br />
<strong>de</strong> nouveau… Comment ? Une longue et lubrique histoire. Nous sommes là<br />
<strong>de</strong>puis 7 heures environ, dûmes acheter un stylo et piquer une feuille blanche<br />
dans la photocopieuse <strong>de</strong> l’accueil pour écrire nos aventures et surtout,<br />
SURTOUT, ne pas nous endormir comme une mer<strong>de</strong> ! Les sanitaires <strong>de</strong> la<br />
gare ont une trace <strong>de</strong> notre passage désormais, nous ne pouvions plus tenir ;<br />
trop <strong>de</strong> mélanges, trop <strong>de</strong> secousses.<br />
Hier soir, nous comptions passer une soirée tranquille, ne pas sortir et<br />
regar<strong>de</strong>r la saison 2 <strong>de</strong> Stargate SG1 que nous téléchargions sur la mule, fâchée<br />
avec notre Free Box. Notre connexion foirait et nous n’eûmes d’autre choix,<br />
d’autre envie, que celle <strong>de</strong> nous doucher et comater dans notre lit après une<br />
longue et épuisante journée. Seulement voilà, Arthur vint nous rendre une<br />
petite visite impromptue, lui qui habite désormais à Lyon et qui était là <strong>de</strong><br />
passage ; il <strong>de</strong>vait être 1 heure. Nous l’accueillîmes en serviette, tuâmes les<br />
bouteilles <strong>de</strong> vodka, <strong>de</strong> gin et <strong>de</strong> Martini Rosso entre <strong>de</strong>ux joints et sortîmes<br />
trouver un bar, tous fermés, hélas ! Nous le quittâmes sur le Cours Mirabeau et<br />
rentrâmes. Là, nous nous dîmes : « <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous êtes déjà fait, autant<br />
vous achever… Allez donc au Med ! » Écoutant Dame Passion, nous nous<br />
préparâmes et y allâmes ; il était plus <strong>de</strong> 3 heures.<br />
Notre train arrive dans quinze minutes. Notre paquet d’Ibuprofen hier soir<br />
mourut et nous ne nous sentons pas <strong>de</strong> chercher une pharmacie <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> ; la<br />
journée va être horrible ! Nos mots sur cette feuille, Fidèle, sont à peine plus<br />
lisibles que ceux d’un mé<strong>de</strong>cin généraliste qui bourre ton ordonnance <strong>de</strong><br />
médocs innommables et superflus. Nous nous endormons, sombrons, assis au<br />
pied d’un panneau publicitaire pour le Courrier International consacré à<br />
l’Espagne <strong>de</strong> Don Quichotte. Nous sommes telle une larve sur un marbre usé,<br />
pathétique ! Les gens ont l’air sain et conscient autour <strong>de</strong> nous, la sensation est<br />
étrange. Ils nous observent, notre rimmel doit couler, nous les voyons à peine<br />
en fait.<br />
Devant nous, une bonne heure pour retrouver notre bain. Si nous y<br />
parvenons, Dieu existe et n’est pas rancunier pour l’immon<strong>de</strong> blasphème<br />
508
orchestré cette nuit.<br />
Snob et hystéro-éthylique<br />
Cette nuit, justement, fut vraiment folle mais, dans l’état présent, nous<br />
sommes pratiquement incapable <strong>de</strong> la conter. À notre réveil, quand nous<br />
aurons cuvé, nous en écrirons davantage.<br />
Notre train nous attend, enfin !<br />
Aix-en-Provence (France), 14h46.<br />
Bon… Apparemment, Dieu existe ! Quoi que si tel était le cas, il nous<br />
aurait gratifié d’un ou <strong>de</strong>ux cachets, n’est-ce pas ? Quel ingrat ! En même<br />
temps, comme on doute <strong>de</strong> soi, il est toujours facile <strong>de</strong> douter <strong>de</strong> Dieu. Bref,<br />
ce carnet n’est pas le propos…<br />
Nous parvînmes ce matin à traîner notre esprit éthylique chez nous sans<br />
trop <strong>de</strong> problème et pûmes même somnoler un peu dans le train. Nous<br />
arrivâmes vers 9h30, ôtâmes nos vêtements aussi bien que faire se pouvait,<br />
nous fîmes couler un bain chaud, y versâmes trois litres <strong>de</strong> lait et, jusques à<br />
12h30… nous ne nous souvenons plus <strong>de</strong> rien. Nous en gardons, ceci dit, une<br />
peau douce et parfumée, c’est déjà ça ! Nous ne pensons pas dormir<br />
aujourd’hui et, ce soir, nous irons boire un coup avec <strong>de</strong>s potes en ville. Notre<br />
jeunesse nous tuera !<br />
Alors, la soirée d’hier… Nous allons sans doute attirer les critiques débiles<br />
<strong>de</strong> nos détracteurs mais, n’importe, laisse-nous te la conter !<br />
Nous avions pensé que le Med Boy serait fermé, Michel <strong>de</strong>vant aller au<br />
New Cancan, mais finalement non. En revanche, ils allaient partir et la voiture<br />
était déjà pleine ; tant pis, nous nous y attendions. Nous commandâmes une<br />
pinte le temps qu’ils se déci<strong>de</strong>nt ; cela prit plus d’une heure. Entre temps,<br />
aucune place ne s’était libérée mais nous pouvions quand même les<br />
accompagner ; six dans une Clio, après tout, n’est pas impossible.<br />
Nous arrivâmes par miracle entier. Le New Cancan était pratiquement vi<strong>de</strong><br />
mais, étant bourré, cela nous était bien égal. Ne racontons pas, encore, ce que<br />
nous y fîmes car, à force, ça lasse : torse nu sur le podium, une vodka jamais<br />
vi<strong>de</strong> dans une main, souvent une clope dans l’autre. Après cinq verres, Michel<br />
et les autres rentrèrent, nous pas. Nous voulions prendre le train plus tard.<br />
C’est à partir <strong>de</strong> là que tout commença <strong>de</strong> dégénérer.<br />
509
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous <strong>de</strong>scendîmes aux toilettes nous rafraîchir et <strong>de</strong>vant le miroir, un mec<br />
– 27 ans, arabe – nous aborda. Sur le podium, une fille s’était également<br />
aventurée à nous parler mais nous ne voyions pas la soirée aller dans ce sens.<br />
LUI . Ça va ?<br />
NOUS . Ah ouais, carrément. Je suis bon pour enchaîner une autre soirée là !<br />
LUI . C’est cool, il y a un after au Dock <strong>de</strong>s Suds. Je vais y aller, je pense.<br />
NOUS . Tu m’embarques ?<br />
LUI . Je bosse ici. Je fini mon service vers 6h30, tu m’attends ?<br />
NOUS . Pas d’problème !<br />
Finalement, nous n’atteignîmes pas le Dock mais baisâmes au pied d’une<br />
cathédrale ou d’une église en plein centre <strong>de</strong> Marseille.<br />
Ces <strong>de</strong>rniers temps, nous fûmes un vilain garçon. Le jour où l’on nous<br />
enverra ad patres, nous ne monterons pas au Ciel, c’est net ; autant donc nous<br />
envoyer en l’air sans nous soucier <strong>de</strong>s vertus théologales !<br />
510
Snob et hystéro-éthylique<br />
1 1 j u i l l e t 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 20h09.<br />
Notre repas du jour, au Roton<strong>de</strong> évi<strong>de</strong>mment : <strong>de</strong>ux toasts au foie gras<br />
truffé, un Bloody Mary, un paquet <strong>de</strong> clopes tout neuf.<br />
Nous passâmes la nuit dans le Var, chez un client, et ne dormîmes pas ou<br />
que peu. C’était jouissif, comme d’habitu<strong>de</strong>. Chez nous vers 9 heures, nous ne<br />
pûmes trouver le sommeil, somnolâmes <strong>de</strong>ux bonnes heures dans notre bain<br />
en écoutant Saint Privat. Nous avions d’autres ren<strong>de</strong>z-vous mais nous les<br />
annulâmes tous pour la seule bonne cause que nous connaissions : farniente !<br />
Nous n’avons envie <strong>de</strong> rien faire sauf zoner dans une espèce <strong>de</strong> langueur<br />
séraphique. La vie ne nous est pas difficile en ce moment ; elle manque juste <strong>de</strong><br />
piquant. Nous avons tant à faire, si peu l’occasion.<br />
Ce matin, nous nous réveillâmes au champagne, la bouteille y passa. Notre<br />
mère nous pense alcoolique ; peut-être est-ce vrai après tout ! Comprendra-telle<br />
un jour que cela nous convient ? Ou boire nous ai<strong>de</strong>-t-il seulement et nous<br />
nous leurrons ? N’importe, bor<strong>de</strong>l ! Aucune considération morale ne peut plus<br />
rien pour nous <strong>de</strong> toute manière ; boire, bien manger, sortir, baiser, au moins<br />
cela est-il concret. Nous n’avons pas envie <strong>de</strong> nous retourner plus tard et<br />
d’avoir <strong>de</strong>s regrets inutiles dont le seul responsable serait un trop <strong>de</strong> ce genre<br />
<strong>de</strong> considérations. Nous regar<strong>de</strong>rons notre passé en nous disant sans doute :<br />
« Mer<strong>de</strong>, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous avez abusé ! Vous avez trop profité <strong>de</strong> la vie et<br />
vous voici maintenant mala<strong>de</strong> et alité ; est-ce plus malin ? » N’importe, bor<strong>de</strong>l !<br />
Quelle trace laisserons-nous au final ? Aucune ! Les Hommes oublient vite,<br />
les sagesses évoluent, les idées changent elles aussi. La morale, enfin, n’est<br />
qu’une affaire <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>. Nous sommes un être du présent. L’avenir tout<br />
comme le passé nous importent peu ; nous ne leur survivrons pas.<br />
Une femme joue <strong>de</strong> la guitare et chante : une bonne ambiance qui nous<br />
réconcilie avec ce bar-lounge alors qu’une petite fille blon<strong>de</strong> et bouclée aux<br />
yeux clairs est en pleine extase <strong>de</strong>vant elle.<br />
Notre cendrier se remplit, notre verre se vi<strong>de</strong> dangereusement, nous allons<br />
recomman<strong>de</strong>r. Nos pensées se per<strong>de</strong>nt, une fois <strong>de</strong> plus. Recentrons-nous !<br />
Tu ne peux imaginer, Fidèle, la plénitu<strong>de</strong> que nous ressentons lorsque rien<br />
511
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
et tout en même temps nous attend. Il est superflu d’aller la chercher loin car<br />
elle trotte dans notre esprit, discrète mais bien présente. Les fous et les<br />
inconscients sont bénis, dit-on ; nous sommes heureux <strong>de</strong> ne l’être pas.<br />
Cette femme joue et chante divinement bien ; elle nous embarque. Cuba, te<br />
quiero !<br />
À 15 ans, lorsque nous décidâmes que la vie ne nous dicterait pas nos<br />
choix, qui aurait pu <strong>de</strong>viner que nous en serions là aujourd’hui, nulle part ?<br />
Personne et cela nous exulte ! Nous écrivons sans la prétention d’illuminer le<br />
mon<strong>de</strong>, nous rencontrons <strong>de</strong>s gens sans celle <strong>de</strong> leur apporter quelque chose,<br />
nous agissons sans nous soucier <strong>de</strong>s conséquences. Nous ne calculons pas,<br />
nous ne planifions rien, nous profitons et invitons qui veut le lire à en faire<br />
autant.<br />
Croire que notre <strong>de</strong>stin nous portera au souvenir est une erreur. Le<br />
bonheur, s’il existe, c’est maintenant ! Mais une bonne philosophie est<br />
personnelle, ne l’imposons donc pas.<br />
C’est la fête ici, tout le mon<strong>de</strong> s’exclame à chaque coup <strong>de</strong> cor<strong>de</strong>. La<br />
retenue et la constance adoptées nous en empêchent mais, au fond, nous<br />
sommes comme un enfant, ému sans trop savoir pourquoi.<br />
Crois-tu aux on<strong>de</strong>s, Fidèle ? Nous écrivîmes déjà sur elles dans nos travaux<br />
précé<strong>de</strong>nts. Ce soir, nous ressentons celle qui nous berce et nous élève, la plus<br />
chaleureuse, la plus douce. La solitu<strong>de</strong> ne nous pèse pas dans ces moments-là –<br />
et ils sont nombreux, au firmament. D’ailleurs, nous ne saurons même pas la<br />
partager ; nous ne sommes pas certain <strong>de</strong> le vouloir en fait. Un travail sur soi<br />
nécessite <strong>de</strong> l’intimité.<br />
NOUS . Le même chose, s’il vous plaît !<br />
Ah ! visiblement, ce travail requiert-il également une certaine dose <strong>de</strong> mets<br />
exquis…<br />
Il est 21h10, cela fait plus d’une heure que nous sommes ici ; le temps nous<br />
semble si dérisoire ! La nuit tombe doucement sur la cité cosmopolite et va<br />
s’emparer <strong>de</strong>s humeurs festives <strong>de</strong> chacun. Pour nous, elle est une révélation, le<br />
miroir <strong>de</strong> notre intérieur qui dévoile <strong>de</strong>s passions souvent débridées. Nous ne<br />
512
Snob et hystéro-éthylique<br />
sommes pas esclave pour autant <strong>de</strong> nos turpitu<strong>de</strong>s mais nous <strong>de</strong>vons avouer<br />
que, sans elles, nous nous sentirions stérile, fat et souffrant.<br />
Concluons ici le quatrième chapitre <strong>de</strong> notre saga en promenant nos<br />
rêveries d’une bougie à une autre…<br />
513
É p i s o d e V<br />
.<br />
C a r n e t d ’ e r r a n c e
Carnet d’errance<br />
P r o l o g u e<br />
Un nouveau psycho-trip débute. Sac sur le dos, à pattes, vers l’est en<br />
longeant la côte, sans <strong>de</strong>stination précise, sans retour prévu, <strong>de</strong>s rêves dans la<br />
tête, <strong>de</strong> l’air dans les poches.<br />
Bohème !<br />
Il est <strong>de</strong>s personnes qui ne tiennent pas en place et qui ne se trouvent bien<br />
nulle part plus <strong>de</strong> quelques mois. Nous en sommes et la vie relatée dans nos<br />
carnets en est témoin.<br />
Le changement, l’inconnu, apologie, peut-être, du romantisme. L’époque<br />
lointaine d’idéaux envolés, l’origine <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong>s poètes, les récits <strong>de</strong> ces<br />
nombreux paumés qui ont toujours cherché on ne sait quoi, on ne sait qui…<br />
Et si la vie ne menait pas, et si elle ne conduisait à rien, et s’il nous était<br />
seulement permis <strong>de</strong> l’apprécier, et si tu y pensais, Fidèle, plutôt que d’admettre<br />
la marginalité comme infécon<strong>de</strong>.<br />
Nous enculons et produisons, plus que beaucoup ! Nos pérégrinations<br />
nous amènent aux confins <strong>de</strong> la conscience <strong>de</strong> soi. Nous avons choisi notre<br />
sort et il nous convient.<br />
Le bonheur est là, peut-être… sinon mer<strong>de</strong> !<br />
517
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 0 s e p t e m b r e 2 0 0 5<br />
L’aventure, c’est comme une boîte <strong>de</strong> chocolats… Non, sérieusement !<br />
L’aventure, nous en héritâmes le goût – <strong>de</strong> qui nous ne savons. Elle est en<br />
nous, cette On<strong>de</strong> qui nous pousse à diverses tribulations, à <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> folie<br />
<strong>de</strong>stinés sans doute à nous enseigner ce que nulle part ailleurs nous ne<br />
pourrons apprendre. En fait, l’aventure, nous ne la choisissons pas, elle nous<br />
tombe <strong>de</strong>ssus. Si nous partons et la tentons, c’est un peu parce que nous<br />
n’avons pas le choix. Il n’y a plus rien pour nous ici et nous tînmes <strong>de</strong>ux ans et<br />
trois mois ; c’est considérable !<br />
Nous avons l’intention <strong>de</strong> poursuivre notre chemin et nous le sentons aller<br />
vers l’est. Nous allons donc <strong>de</strong>scendre dans le Var et longer la côte. À terme :<br />
Shanghai, peut-être, cinquante mille kilomètres, quarante pays, un horizon pour<br />
le moins indistinct. Et puis nous nous en foutons, l’important est <strong>de</strong> partir !<br />
Nous allons changer notre manière <strong>de</strong> voir le mon<strong>de</strong> également. Nous<br />
n’avons plus besoin <strong>de</strong> porter la critique sur les inepties <strong>de</strong> notre société, nous<br />
la quittons pour <strong>de</strong> meilleurs hospices auspices. Comme nous nous sentons<br />
bien ! Ce doit être l’air du temps. Il se trouve que le hasard nous fit tenir<br />
jusques en Automne qui est, comme tu le sais, Fidèle, notre saison. Nous<br />
faillîmes partir en juin, ce sera finalement en octobre. Quel bonheur !<br />
Adieu vie matérielle tant chérie ! Nous t’avons bradée ou donnée ; tu nous<br />
manqueras. Tous ces déjeuners au Roton<strong>de</strong>, ces mélanges <strong>de</strong> Bollinger, <strong>de</strong><br />
Bombay Sapphire, <strong>de</strong> Martini Bianco, <strong>de</strong> vodka et autres, nos éternels bains au<br />
monoï, notre vie pépère <strong>de</strong> lady ruinée qui s’en sort toujours… Tout cela est<br />
terminé.<br />
Le jour-J approche à grands pas et nous ne sommes toujours pas prêt ;<br />
n’importe, aucun retour n’est désormais plus envisageable. Nous laissons<br />
<strong>de</strong>rrière nous, dans cette mare <strong>de</strong> vomi bilieux et encore chaud, beaucoup,<br />
beaucoup <strong>de</strong> créances – nous nous plaisons même à en profiter. Qui nous en<br />
tiendra rigueur ? Qui nous suivra pour nous les réclamer ? Personne, nous le<br />
savons. Et puis après tout ne s’agit-il que d’organismes qui ne nous atten<strong>de</strong>nt<br />
pas pour engendrer <strong>de</strong>s bénéfices qui nous débectent.<br />
Voici une anecdote pour illustrer :<br />
518
Carnet d’errance<br />
Un jeudi, nous nous rendîmes à Marseille en train <strong>de</strong>puis Aix-en-Provence<br />
et ne payâmes pas notre ticket. La contrôleuse nous le <strong>de</strong>manda inévitablement<br />
et nous nous permîmes <strong>de</strong> lui donner notre ID avec ce mot : « Pour moi, ce<br />
sera une contravention, merci ! » La pauvre ne sut que répondre quand nous<br />
acceptâmes tout sourire son amen<strong>de</strong> <strong>de</strong> 80 euros en lui souhaitant la journée<br />
bonne.<br />
Oh ! Il y a également Monsieur Viriot., notre connard <strong>de</strong> propriétaire dont<br />
nous parlons dans Snob et hystéro-éthylique. Nous nous foutîmes tellement <strong>de</strong><br />
sa gueule lors <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>rnière visite qu’il n’ose même plus nous approcher et<br />
nous envoie désormais son épouse. Un « Ouais… Ta gueule en fait ! » résout<br />
beaucoup <strong>de</strong> choses, quoi qu’on en dise.<br />
Tout cela est au passé.<br />
Place au baroud, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong> conduit en mo<strong>de</strong> survie. Sac<br />
sur le dos et à pattes, c’est le grand périple que nous attendons <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />
mois. Enfin !<br />
On s’étonne <strong>de</strong> nous voir partir ainsi, sans vraiment être préparé, sans<br />
garantie, sans rien. D’Épicure à Descartes, nous avons besoin <strong>de</strong> vivre nos<br />
envies tout en mettant nos convictions à l’épreuve ; l’évolution sans doute…<br />
Qu’on nous croit naïf, rêveur, immature nous est égal. Nous l’écrivîmes plus<br />
haut : nous sommes plus fécond que beaucoup.<br />
Les personnes auxquelles nous tenons sont prévenues <strong>de</strong> ce départ, les<br />
autres aussi, ou presque, mais que sont les « Aurevoir ! » sinon <strong>de</strong>s mythos<br />
potentiels ?! Nous ne savons même pas où nous serons <strong>de</strong>main ; les donner<br />
semble dès lors bien inutile.<br />
Nous sommes incohérence, nous écrivit-on récemment et il semblerait,<br />
nous nous en rendons compte, que nous le soyons effectivement.<br />
Et bien, comme toujours, l’avenir est à venir et nous le dira !<br />
519
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
5 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Vendredi dans la nuit, l’Internet, c’est fini pour nous ! En tout cas tel que<br />
nous le connûmes ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années. Nous nous séparons <strong>de</strong> notre<br />
cher ordinateur que nous irons aujourd’hui confier aux bons soins <strong>de</strong> notre<br />
mère au château. L’air <strong>de</strong>s Basses Alpes lui fera grand bien et vu l’intérêt que<br />
porte notre mère à l’informatique, un peu <strong>de</strong> repos également. Nous<br />
reviendrons dimanche soir pour signer notre désastreux état <strong>de</strong>s lieux lundi<br />
matin et à midi, l’aventure débutera.<br />
Nous nous cassons !<br />
L’un pense que nous fuyons nos responsabilités et que nous sommes un<br />
mala<strong>de</strong> mental ; l’autre que nous ne nous assumons pas et que nous ne<br />
sommes encore qu’un gamin rêveur qui vit dans son mon<strong>de</strong> ; un autre enfin<br />
que nous essayons <strong>de</strong> trouver bonheur ailleurs alors qu’il se trouve souvent à<br />
notre porte. Ce <strong>de</strong>rnier a sans doute raison mais nous ne pouvons nous<br />
résoudre à attendre qu’il nous tombe <strong>de</strong>ssus après nos nombreux essais<br />
infructueux pour le cueillir nous-même ; état masochiste. Quant aux <strong>de</strong>ux<br />
autres, les pauvres, s’ils savaient comme nous sourions en lisant une critique<br />
qui s’apparente davantage à la jalouse intervention d’un passé révolu.<br />
Mais lisez donc avant d’écrire <strong>de</strong>s conneries !<br />
Ils n’enten<strong>de</strong>nt pas et restent enfermés dans leur vérité ; nous sourions<br />
encore. Nous partons justement parce que nous le pouvons, parce que rien ne<br />
nous retient ici. Nous fuyons la connerie et l’ennui, pas les responsabilités –<br />
nous n’en avons aucune présentement.<br />
On nous reprocha également récemment notre manque d’aptitu<strong>de</strong> à la<br />
remise en question. Nous sourions une <strong>de</strong>rnière fois, toute notre vie étant<br />
tournée vers un seul horizon : l’évolution. Nous ne cessons <strong>de</strong> l’écrire, <strong>de</strong> nous<br />
en revendiquer peut-être. Naturellement, telle critique ne peut naître que dans<br />
un esprit ignorant.<br />
Trêve <strong>de</strong> justifications, ils n’en méritent finalement pas.<br />
Nous partons réellement les mains dans les poches et cette idée ne sera pas<br />
facile à suivre. Notre sac à dos manque d’à peu près tout et nous <strong>de</strong>vrons nous<br />
équiper en route au fil <strong>de</strong>s opportunités et <strong>de</strong> nos moyens. Nous n’avons pas<br />
520
Carnet d’errance<br />
non plus trouvé l’appareil photo numérique que nous voulions tant – un carnet<br />
manque <strong>de</strong> saveur sans illustration. C’est fort regrettable mais nous <strong>de</strong>vrons là<br />
encore nous en accommo<strong>de</strong>r.<br />
Il y a <strong>de</strong>s choses importantes auxquelles nous tenons : être lu ou pas<br />
honnêtement est-il flatteur mais nous nous en foutons dans un premier temps ;<br />
en revanche, pouvoir témoigner convenablement nous tient à cœur. Nous<br />
avons donc avec nous <strong>de</strong>ux fioles <strong>de</strong> gin, du papier et une plume, un bagage<br />
d’idées à développer, <strong>de</strong> convictions à éprouver, <strong>de</strong> rêves à réaliser. Nous avons<br />
besoin <strong>de</strong> cette thérapie, ce travail <strong>de</strong> mémoire car il nous est utile et nous fait<br />
du bien.<br />
Toujours ce problème d’argent mais une certaine somme <strong>de</strong>vrait bientôt<br />
tomber ; nous serons déjà en route. Toutefois ne pouvons-nous décemment<br />
pas partir sans même un sac <strong>de</strong> couchage. Nous irons donc à Marseille <strong>de</strong>main,<br />
il le faut : shopping. Ce sera peut-être une nouvelle occasion <strong>de</strong> désabuser une<br />
autre contrôleuse <strong>de</strong> la SNCF. Amusons-nous !<br />
521
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
8 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 3h40.<br />
Nous sommes-nous fabriqué une illusion ou avons-nous mal joué ? Nous<br />
ne savons ! La somme d’argent que nous espérions tant ne tombera finalement<br />
pas et nous partons avec moins <strong>de</strong> 50 euros en poche. Ce périple n’est plus ni<br />
une aventure, ni un défi, il est <strong>de</strong>venu pure folie – cela nous excite davantage !<br />
Nous nous en allons et nous n’aurons que nous-même sur qui compter, nous<br />
et notre chance naturellement. L’On<strong>de</strong> dont nous parlons souvent nous presse<br />
à nouveau et notre Quête recommence. Réfère-toi à notre carnet <strong>de</strong> voyage<br />
Farang si besoin est, Fidèle, nous écrivons beaucoup sur elles. Naturellement<br />
feignons-nous <strong>de</strong> nous y vraiment intéresser pour ne pas une fois <strong>de</strong> plus<br />
tomber d’un haut nuage vaporeux.<br />
Ainsi ne nous attendons-nous à rien, donc à tout !<br />
Joindre le Var à pattes ne sera pas mince affaire. Notre horizon court entre<br />
Sainte-Victoire et Sainte-Baume ; voilà tout.<br />
Aujourd’hui, nous allâmes confier Ophélie (notre ficus mélomane) à MJD<br />
sur le Tholonet qui se proposa pour nous déposer lundi en début d’après-midi<br />
à Roques-Hautes, la colline ; nous partirons donc <strong>de</strong> là avec pour nous gui<strong>de</strong>r<br />
une carte IGN sommaire. Si nous parvenons jusques à la côte, notre nouvelle<br />
adresse sera : « entre ici et ailleurs » sans plus <strong>de</strong> précisions, inutiles du reste.<br />
Nos sentiments sont jaspés. Nous voguons entre joie émancipatrice et<br />
appréhension malsaine ; les <strong>de</strong>ux nous conviennent et nous terrifient. Notre<br />
décision fut soudaine, notre manque <strong>de</strong> préparation est plus qu’évi<strong>de</strong>nt mais<br />
notre résolution est neuve, noble et aventureuse. Nous emportons avec nous,<br />
suivant quelque conseil suisse que nous croyons sincère, les œuvres complètes<br />
<strong>de</strong> Lautréamont que nous achetâmes hier chez Vent du Sud aux éditions José<br />
Corti. Ce livre est à découper, comme avant ; le papier est tactile, impur, vrai. Il<br />
nous plaît et si nous en parlons, c’est qu’il est comme notre vie : imparfait,<br />
rugueux, biscornu et charnel. Le lire sera un plaisir, nous le savons maintenant.<br />
Vivre prend pour nous aujourd’hui un autre sens !<br />
522
Carnet d’errance<br />
1 0 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Saint-Antonin-sur-Bayon (Provence, France), 14h47.<br />
C’est finalement <strong>de</strong>puis la Maison Sainte-Victoire que ce périple débutera.<br />
MJD vient <strong>de</strong> nous laisser, l’appréhension au cœur, se <strong>de</strong>mandant sans doute<br />
quels nouveaux Vents <strong>de</strong> folie pouvaient bien nous pousser cette fois-ci. Nous<br />
pensons qu’elle espérait nous voir changer d’avis jusques au bout.<br />
Nous passâmes le week-end au château à préparer presque activement<br />
notre sac. Nous n’avions pas réussi à obtenir celui que nous voulions mais avec<br />
un savant mélange d’astuces, <strong>de</strong> reprises et <strong>de</strong> couture, notre bienveillante mère<br />
nous fabriqua l’idéal. Nous emportâmes avec nous environ vingt kilos <strong>de</strong> ce<br />
que nous considérerons après quelques lieues <strong>de</strong> marche dans la forêt comme<br />
bien inutile. Les choses indispensables “si jamais” restèrent au château – nous<br />
ne pouvions pas nous payer le luxe <strong>de</strong> l’encombrement et du confort.<br />
Dans la pièce, un homme et une femme d’un certain âge – celle-ci trop<br />
parfumée ! – hésitent à la machine entre café long ou court, sucré ou pas. Un<br />
jeune couple vient d’entrer et les <strong>de</strong>ux hôtes d’accueil s’ennuient <strong>de</strong>rrière un<br />
comptoir chargé pour rien et pas grand’mon<strong>de</strong>. Sur notre table, au milieu<br />
d’eux, sont étalés notre sac, notre carte, notre carnet, notre plume, nos clopes,<br />
une <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>ux flasques <strong>de</strong> gin et nous nous posons la ô combien existentielle<br />
question : « Et mer<strong>de</strong>, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, comment allez-vous bien pouvoir<br />
enlever l’énorme tâche qui sangle votre chemise Hugo Boss blanche ? » Ce<br />
psycho-trip semble-t-il ne sera pas stylisé.<br />
Nous laissons une trace <strong>de</strong> notre passage sur le livre d’or <strong>de</strong> l’exposition en<br />
cours sur les mandalas :<br />
« Le mandala est essences ;<br />
« Il est la représentation fugitive ;<br />
« Il a une histoire, il est “fait <strong>de</strong>”.<br />
« Le mandala est Vie.<br />
« En ce lundi 10 octobre 2005,<br />
« Je débute la plus gran<strong>de</strong>, peut-être, aventure <strong>de</strong> ma vie.<br />
523
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
« À pieds, sac sur le dos, du papier, une plume,<br />
« La poche trouée et l’esprit dégagé,<br />
« Les Vents me portent vers un horizon indistinct sans retour prévu.<br />
« Sainte-Victoire, je ne pouvais partir sans un adieu.<br />
« Ceci fait, adieu donc et merci pour cette illustration. »<br />
Plateau <strong>de</strong>s Cengles (Provence, France), 16h22.<br />
Une première halte, à la croisée <strong>de</strong>s chemins, sur une propriété privée. Tu<br />
penses bien, Fidèle, qu’un simple panneau rouge ne nous fit pas abandonner le<br />
chemin forestier – marre du bitume !<br />
À main droite, la Sainte-Victoire ; en face d’elle, à main gauche, une colline<br />
calcaire dont nous tairons le nom par ignorance. Le spectacle est magnifique.<br />
La lumière est douce, seuls les Vents nous parlent. Il nous vient l’image d’un<br />
mon<strong>de</strong> que nous laissons et d’un mon<strong>de</strong> qui s’ouvre à nous.<br />
Marcher avec vingt kilos sur le dos n’est pas mince affaire. Nous nous<br />
donnons dix jours d’adaptation ; si d’ici là nous n’avons pas acquis les<br />
sensations avec lesquelles nous allons <strong>de</strong>voir composer ces prochaines<br />
semaines, alors cela signifiera-t-il que nous ne nous y ferons jamais. N’y<br />
pensons pas, laissons tranquillement les choses s’installer et reprenons notre<br />
chemin.<br />
524
Carnet d’errance<br />
1 1 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Rousset (Provence, France), 8h57.<br />
Hier, nous marchâmes jusque dans un bois près <strong>de</strong> Rousset où nous<br />
passâmes une nuit à la belle étoile, sous les pins. Nous avions trouvé dans un<br />
premier temps un endroit sympathique, près d’une vieille ruine entourée <strong>de</strong><br />
vignes et <strong>de</strong> bambous, sous un grand chêne vert, mais il était infesté <strong>de</strong><br />
moustiques. N’ayant pas <strong>de</strong> tente pour dormir et nous en remettant toujours à<br />
notre bonne fortune pour trouver un abri sur notre chemin, nous continuâmes,<br />
dans l’obscurité tombée, jusque dans ce bois pas trop bruyant et fort agréable.<br />
La fraîche humeur du matin nous réveilla vers 6 heures. Nous flânâmes une<br />
petite heure avant <strong>de</strong> nous lever, ranger notre campement et faire notre toilette<br />
près d’un petit ruisseau courant là.<br />
MJD nous avait appelé la veille dans la soirée pour nous dire qu’elle avait<br />
entendu à la télévision la Croix Rouge rechercher <strong>de</strong>s bénévoles à envoyer au<br />
Cachemire et nous fîmes ce matin un détour par Rousset, un kilomètre après la<br />
N7, pour voir ce qu’il en était exactement. Il y avait une antenne mais, hélas<br />
pour nous, ouverte seulement le samedi. À la mairie, nous téléphonâmes au<br />
centre d’Aix-en-Provence qui n’était pas au courant. Ils nous donnèrent le<br />
numéro du siège à Paris mais ce sera pour une prochaine fois – <strong>de</strong> toute<br />
évi<strong>de</strong>nce, la capitale n’est pas sur notre chemin. Par ailleurs, quand on pense<br />
qu’il faut une formation spéciale pour distribuer du café et <strong>de</strong>s couvertures aux<br />
SDF les nuits d’Hiver avec la Croix Rouge, ce n’est pas en eux que nous<br />
plaçons nos espoirs, et ce <strong>de</strong>puis longtemps. Voudrais-tu ai<strong>de</strong>r les gens dans ce<br />
pays, Fidèle, qu’il serait préférable et plus avisé <strong>de</strong> le faire <strong>de</strong> ton propre chef !<br />
Nous sommes assis en ce moment près <strong>de</strong> la D57c dans une petite prairie<br />
privée, nous mangeons <strong>de</strong>s bananes séchées en étudiant notre carte IGN.<br />
Notre objectif premier est Hyères, par là-bas, peu importe le temps que nous<br />
mettrons pour atteindre la côte – c’est ce que nous nous disons.<br />
Saint-Maximin (Provence, France), 11h26.<br />
Alors que nous longions la N7 pour essayer <strong>de</strong> joindre le GR9 et continuer<br />
par la forêt, une superbe BMW noire à intérieur cuir s’arrêta et son chauffeur<br />
525
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
nous <strong>de</strong>manda s’il pouvait nous conduire jusques à Saint-Maximin, sa<br />
<strong>de</strong>stination. Nous comptions passer par Trets mais tant pis, une expérience se<br />
proposait à nous ! Nous montâmes dans sa spacieuse et la conversation<br />
s’installa. Il s’appelait Alain nous dit-il et <strong>de</strong>vait être indien ou d’origine<br />
asiatique – il était typé. Il voulut en savoir davantage sur nous et nous lui<br />
racontâmes succinctement les péripéties <strong>de</strong>s trois – non, cinq désormais –<br />
<strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> notre vie. Vint évi<strong>de</strong>mment le chapitre Snob et hystéroéthylique<br />
et son intérêt grandit encore lorsque nous lui apprîmes que notre<br />
penchant allait vers les mecs.<br />
ALAIN . Comment ça se passe ? C’est aussi bon ?<br />
Pourquoi ces questions connes doivent-elle nécessairement toujours<br />
revenir ? Il nous dit qu’il n’avait jamais osé le faire mais qu’à l’occasion, peutêtre…<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Mais bien sûr !! Nous te croyons, chéri…<br />
Nous fîmes comme si cependant et lui expliquâmes en omettant fort<br />
heureusement <strong>de</strong> lui parler <strong>de</strong>s seize à vingt centimètres <strong>de</strong> plaisir<br />
supplémentaire que nous apprécions chez un mec car lui ne les avait pas.<br />
Cette affaire conclue sur quelque chemin peu fréquenté (ce fut court là<br />
aussi !), il nous déposa à Saint-Maximin comme prévu, où nous sommes<br />
toujours, le nez dans nos cartes, au pied <strong>de</strong> la basilique construite au XIIIème<br />
siècle et restée inachevée <strong>de</strong>ux siècles plus tard, un peu comme nous en<br />
somme. Midi approche, cet encas nous mit l’appétit !<br />
Une forêt près <strong>de</strong> Tourves (Provence, France), 18h50.<br />
Cette nuit sera la première fois que nous dormirons sous un pont – mais<br />
un pont romain, attention, cela change tout ! Fait <strong>de</strong> pierres bien dures, près<br />
d’une rivière bien bruyante, bien fraîche, pleine <strong>de</strong> moustiques affamés, sous<br />
<strong>de</strong>s Cieux orageux, bien chargés ; seul, toujours.<br />
526
Carnet d’errance<br />
Dans ces moments <strong>de</strong> doute, nous nous disons : « <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>,<br />
comment pouvez-vous passer <strong>de</strong> luxurieuse voiture à pont en pierres, romain<br />
certes, mais pont en pierres quand même ? » Nous n’avons pas encore la<br />
réponse, elle viendra. Vite, un verre <strong>de</strong> gin ! Et mer<strong>de</strong>, notre première flasque<br />
est déjà vi<strong>de</strong>, ouvrons donc l’autre.<br />
La nuit tombe sur le massif <strong>de</strong> la Sainte-Baume et nous sommes épuisé.<br />
Notre dos nous crie <strong>de</strong> l’épargner <strong>de</strong>main ; nos pieds nous l’ordonnent. Quelle<br />
idée aussi <strong>de</strong> partir avec <strong>de</strong>s DVS !<br />
Hors cet interlu<strong>de</strong> sexuel et automobile, nous marchâmes toute la journée,<br />
plus ou moins vite, nous perdant à loisir dans les domaines viticoles pour y<br />
déguster les grappes laissées çà et là pour contenter le vagabond affamé mais<br />
sélectif.<br />
Nous arrivâmes à Tourves vers 16 heures. Nous voulûmes visiter le château<br />
<strong>de</strong> Valbelle ainsi que la chapelle mais nous n’en trouvâmes pas le courage et<br />
utilisâmes nos <strong>de</strong>rnières ressources pour atteindre ce pont et sa rivière, ou<br />
plutôt cette rivière et son pont.<br />
Ce début d’aventure nous laisse perplexe. Nous n’imaginons rien, même si<br />
en chemin il nous arrive d’espérer tout. En même temps, ce n’est que le second<br />
jour… Nous n’avons pas encore commencé <strong>de</strong> lire Lautréamont ; il fait jour<br />
encore mais nous sommes trop fatigué. Nous nous y attar<strong>de</strong>rons dans quelque<br />
autre lieu plus propice s’il en est.<br />
527
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 2 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
La Roquebrussanne (Provence, France), 12h53.<br />
Jérémie, tu vis dans un bled ! Tout est fermé ici ; impossible même <strong>de</strong><br />
trouver un Vival d’ouvert pour acheter jambon et beurre. Comme nous<br />
comprenons ta préférence pour Lyon…<br />
Nous sommes donc assis à une table <strong>de</strong> l’Auberge <strong>de</strong> la Loube, chau<strong>de</strong> et<br />
peuplée <strong>de</strong> mouches, <strong>de</strong>vant une daube couchée sur ses tagliatelles – le premier<br />
repas chaud <strong>de</strong>puis notre départ.<br />
13h12.<br />
Si tu entendais la conversation <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> chantier à notre gauche,<br />
Fidèle ; <strong>de</strong> vraies cancanières ! Tous y passent : les présentateurs <strong>de</strong> TF1, <strong>de</strong><br />
TMC, les footballeurs, les rugbymen, tous te disons-nous ! Notre téléphone est<br />
en charge, nous avons donc du temps <strong>de</strong>vant nous pour apprécier ces <strong>de</strong>rniers<br />
ragots.<br />
13h25.<br />
Soyons fou, offrons-nous une crêpe Suzette ! Le temps est couvert, il ne<br />
fait pas chaud du tout, il y a du vent, elle nous donnera la force <strong>de</strong> continuer<br />
notre périple.<br />
Ce matin, nous continuâmes sur l’Excursionnistes Toulonnais 33 (ET33)<br />
engagé au sta<strong>de</strong> municipal <strong>de</strong> Tourves et qui se perd dans le massif quand sur<br />
le chemin, moins sec que dans notre pays, nous trouvâmes tout étonné <strong>de</strong>ux<br />
sanguins que nous ramassâmes et croisâmes trois chasseurs.<br />
Un mot sur eux qui se vantent <strong>de</strong> réguler la forêt. Nous pensons surtout<br />
que s’ils arrêtaient leur massacre (car c’en est un assurément), s’ils allaient<br />
plutôt se défouler sur un bouquin, s’ils foutaient la paix aux animaux en liberté,<br />
nous n’entendrions plus <strong>de</strong>s « Bang ! » retentissants et surnaturels à terroriser le<br />
ramasseur <strong>de</strong> champignons bienveillant ou le cueilleur <strong>de</strong> glands et autres. Une<br />
forêt doit être sauvage ; nous ne <strong>de</strong>vrions la traverser qu’à nos risques et périls.<br />
Hélas aujourd’hui <strong>de</strong>viennent-elles <strong>de</strong>s parcs d’attraction pour aventuriers<br />
nostalgiques et excités <strong>de</strong> la gâchette.<br />
528
Carnet d’errance<br />
NOUS-MÊME . Oui, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, partez donc sauver les phoques !<br />
En arrivant sur la D95, nous rencontrâmes <strong>de</strong>ux jeunes hommes,<br />
ramasseurs <strong>de</strong> champignons à la bière abondante. L’un d’eux nous aborda et<br />
voulut savoir si nous étions du coin et si nous savions où en trouver davantage.<br />
Nous leur indiquâmes d’où nous venions et parlâmes avec eux un moment <strong>de</strong><br />
cet endroit et <strong>de</strong> comment s’y rendre, <strong>de</strong> notre périple également.<br />
LE RAMASSEUR . T’es un vagabond alors ?<br />
NOUS . Oui, <strong>de</strong>venu, <strong>de</strong>puis peu !<br />
LE RAMASSEUR . Tu fumes ?<br />
NOUS . Et comment ! Hélas n’ai-je pas l’occasion <strong>de</strong> souvent avoir <strong>de</strong> quoi sous<br />
la main…<br />
LE RAMASSEUR . Tu échangerais tes <strong>de</strong>ux beaux sanguins contre un peu<br />
d’herbe ? Ça ferait plaisir à nos femmes !<br />
NOUS . Messieurs, ils sont à vous !<br />
Légèrement moisie pour corser l’effet, nous prévint-il, il ne nous restera<br />
qu’à la sécher et la fumer ; ô joie ! C’est exactement ce qu’il nous fallait après<br />
avoir (déjà) épuisé nos <strong>de</strong>ux fioles <strong>de</strong> gin.<br />
Nous continuâmes notre route, eux leur recherche. Jamais nous n’aurions<br />
cru qu’un tel troc fût possible…<br />
14h54.<br />
C’est nul et complètement inutile d’écrire ce qui suit, nous le savons, mais<br />
nous sommes sur l’ET4, toujours à La Roquebrussanne, nous semble-t-il, et<br />
nous lisons <strong>de</strong>vant nous : « Chemin <strong>de</strong> la Persévérance ». Merci les gars, très<br />
drôle !<br />
Chartreuse <strong>de</strong> Morières-Montrieux (Provence, France), 19h19.<br />
529
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Notre verve sure à l’égard <strong>de</strong>s religions monothéistes que nous abhorrons<br />
dans le général – nous nous exprimâmes déjà longuement là-<strong>de</strong>ssus – se trouve<br />
frêle et déconfite <strong>de</strong>vant l’exemple que nous allons te conter.<br />
Nous arrivâmes à Méounes-lès-Montrieux sur les coups <strong>de</strong> 16 heures, la<br />
patte traînante pour chausses non adaptées, l’épaule rouge vif et la conviction<br />
faible. N’ayant rien à voir sauf une supérette où nous achetâmes un litre <strong>de</strong> jus<br />
d’orange pas frais, nous continuâmes en direction <strong>de</strong> la forêt domaniale <strong>de</strong><br />
Morières-Montrieux où nous comptions passer la nuit sous quelque autre pont<br />
bienvenu. Un mot vite fait pour signaler qu’elle est la seule vraie forêt que nous<br />
traversâmes <strong>de</strong>puis notre départ. Le Soleil tombait, toujours lui, nous rappelant<br />
<strong>de</strong> bouger nos jolies fesses, d’installer notre campement avant la nuit et surtout<br />
<strong>de</strong> trouver un abri car les Cieux menaçaient.<br />
Nous arrivâmes alors à une chartreuse perdue entre bois et vertes prairies<br />
et pûmes enfin nous libérer du poids mille fois maudit <strong>de</strong> notre sac. Nous la<br />
croyions, ayant lu son nom à l’entrée <strong>de</strong> la forêt, abandonnée et vouée aux<br />
prières <strong>de</strong>s animaux et esprits passés. Nous nous trompions, elle était habitée.<br />
Nous ne savions que faire : continuer ou risquer <strong>de</strong> déranger la congrégation<br />
en <strong>de</strong>mandant un asile salutaire pour la nuit. Nous le risquâmes pourtant et<br />
abordâmes un frère en blouse <strong>de</strong> travail, le premier que nous croisâmes là. Il<br />
nous répondit qu’il n’y avait plus aucun abri sur la piste après la chartreuse et<br />
alla pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il était possible <strong>de</strong> nous héberger pour la nuit lorsqu’il se<br />
souvint du cabanon qu’il construisait pour l’invité, la famille <strong>de</strong>s pères parfois<br />
nombreuse ou encore le pèlerin <strong>de</strong> passage. Il nous y invita et nous l’en<br />
remerciâmes du fond du cœur ; il venait <strong>de</strong> sauver notre nuit ! Il insista<br />
également pour nous servir un repas chaud et nous dûmes trouver une excuse<br />
pour le len<strong>de</strong>main matin, invoquant une sainte horreur <strong>de</strong>s petits-déjeuners<br />
afin d’éviter <strong>de</strong> le trop déranger.<br />
Le cabanon en question était situé dans une prairie adjacente au sentier<br />
forestier, utilisée par un berger qui y fait paître son troupeau <strong>de</strong> chèvres. C’est<br />
spartiate, presque tout à quoi nous aspirons en ce moment.<br />
Nous discutions avec le berger quand le frère arriva avec le portoir<br />
contenant notre repas et une <strong>de</strong>mi-baguette <strong>de</strong> pain à la main. Nous n’en<br />
revînmes pas, il avait tout préparé ! Nous eûmes même droit à du jus <strong>de</strong><br />
pommes, <strong>de</strong>s friandises, du fromage frais, en plus <strong>de</strong> l’omelette. Il avait<br />
530
Carnet d’errance<br />
auparavant déjà installé un lit et branché l’eau chau<strong>de</strong> pour nous qui ne sûmes<br />
que dire ; très honnêtement, nous n’en attendions pas le dixième. Il nous laissa<br />
manger après nous avoir indiqué (aussi) <strong>de</strong>ux domaines viticoles près <strong>de</strong> La<br />
Crau auprès <strong>de</strong>squels, peut-être, nous pouvions trouver asile et emploi et rentra<br />
dans son monastère.<br />
Vers 19 heures, le berger reconduisit ses chèvres dans leur étable plus bas<br />
dans la vallée et nous fermâmes le portail <strong>de</strong> la prairie après lui avoir souhaité<br />
une bonne soirée.<br />
Cette nuit, nous allons donc dormir dans un vrai lit et <strong>de</strong>main matin, nous<br />
pourrons prendre notre première douche chau<strong>de</strong>.<br />
Ainsi notre verve sure ne s’applique-t-elle pas à ces êtres adorables, proches<br />
<strong>de</strong> nous, simples, ancrés dans un humanisme beau et utile que sont les moines<br />
retirés ou mêmes les missionnaires rencontrés en Thaïlan<strong>de</strong>. Non ! Notre<br />
verve sure ne s’appliquera jamais qu’aux cathos catins qui vi<strong>de</strong>nt nos villes <strong>de</strong><br />
toute saine spiritualité et nos cœurs du moindre sentiment vertueux ; aux<br />
fossoyeurs ingrats qui <strong>de</strong> la Mort tirent l’indispensable ressource <strong>de</strong> leur bourse<br />
épaisse, jouant avec nos peurs et notre crédulité ; aux romanciers bibliques<br />
enfin qui prostituent la vérité pour obtenir l’aval d’une institution perchée au<br />
sommet d’une clef romaine et le titre d’écrivain <strong>de</strong> la Foi.<br />
Voilà qui est écrit ! Nous <strong>de</strong>vrons le répéter assurément… Sous prétexte<br />
que nous couchons avec <strong>de</strong>s mecs, nous n’aurions pas le droit <strong>de</strong> taper sur la<br />
communauté homo ; sous prétexte que nous nous sentions bien au milieu<br />
d’une telle congrégation, nous n’aurions pas le droit <strong>de</strong> signaler les nombreux<br />
ratés et abus <strong>de</strong> la religion ; sous prétexte enfin, nous écrivit-on récemment,<br />
que nous vivons dans notre société, nous n’aurions pas le droit <strong>de</strong> la critiquer.<br />
Et bien non, Messieurs les moutons aveugles, Messieurs les amuseurs <strong>de</strong> bassecour,<br />
il ne nous plaît guère à nous <strong>de</strong> plaire ! Vous ne savez faire la part <strong>de</strong>s<br />
choses et heureusement que tous ne pensent pas comme vous, autrement<br />
brûleriez-vous encore aujourd’hui les sorcières et serions-nous, nous, en train<br />
<strong>de</strong> vous maudire sur notre bûcher !<br />
531
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 3 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Chartreuse <strong>de</strong> Morières-Montrieux (Provence, France), 7h02.<br />
Les plaisirs rares sont décidément les meilleurs (nous parlons <strong>de</strong> la douche)<br />
et nous l’avions oublié, nous qui recevions tout ou presque au moindre<br />
souhait.<br />
Le jour se lève doucement dans cette petite vallée consacrée, les collines la<br />
protègent, tout comme du bruit <strong>de</strong> la ville. En ce moment, nous avons besoin<br />
d’isolement, <strong>de</strong> faire le point sur une vie qui, à l’évi<strong>de</strong>nce, n’a pas <strong>de</strong> but et n’en<br />
aura jamais.<br />
Une chartreuse, un peu comme dans Le Désespéré <strong>de</strong> Léon Bloy (ce que<br />
sans doute nous sommes), n’est-elle pas le lieu idéal à ce travail sur soi ? Nous<br />
ne pensons hélas pas pouvoir rester ici et abuser davantage <strong>de</strong> l’hospitalité <strong>de</strong>s<br />
pères.<br />
7h51.<br />
Le jour se levait alors que nous assistions à une messe surréaliste. Nous<br />
nous rendîmes à la chapelle Sainte-Roseline, sur le chemin forestier, où le père<br />
prieur Bruno célébrait ; nous étions seul, il était 7h20. Lorsque nous entrâmes,<br />
nous le vîmes vêtu pour l’occasion, entouré <strong>de</strong> vi<strong>de</strong> et <strong>de</strong> silence. Il lisait les<br />
paroles saintes pour lui-même dans l’espoir, peut-être, d’être rejoint par<br />
quelque promeneur très matinal habillé décemment pour la messe…<br />
Nous nous rendîmes compte que nous dérangions sans doute plus qu’autre<br />
chose. Toutefois était-il trop tard. Nous prîmes un siège dans le calme,<br />
adoptâmes une position <strong>de</strong> recueillement propre à moment pareil et essayâmes<br />
<strong>de</strong> comprendre ses paroles. Avouons que nous nous <strong>de</strong>mandions en fait ce que<br />
nous foutions là mais en écoutant le père réciter presque machinalement mais<br />
pieusement ses paroles, après maints essais <strong>de</strong> concentration, nous pensâmes à<br />
notre situation et tout prit un sens !<br />
Nous trouvons notre intérêt en la matière <strong>de</strong> l’observation et du<br />
témoignage – nous l’avons déjà écrit. En revanche, la nouveauté est que nous<br />
aimons et sommes fait pour vivre ces situations aussi incongrues<br />
qu’incompatibles. Avant-hier, cas d’uranisme dans spacieuse BMW ; hier, troc<br />
532
Carnet d’errance<br />
improbable <strong>de</strong> champignons contre un peu d’herbe ; ce matin, messe dans<br />
chartreuse isolée… Tout ceci n’a aucun sens – n’importe quel crétin peut s’en<br />
rendre compte – et c’est justement cela qui nous intéresse, mieux, nous excite :<br />
le manque <strong>de</strong> sens !<br />
Alors que d’autres cherchent l’ultime révélation, nous, nous n’en avons cure<br />
et voulons accumuler vivre <strong>de</strong>s expériences diverses et variées et en témoigner,<br />
voilà tout. Si plus tard quelque analyste s’intéresse à nos récits et veut en<br />
trouver un sens pour les exploiter, c’est son affaire… Présentement, nos écrits<br />
ne valent rien ; seul ce que nous vivons compte !<br />
12h15.<br />
Nous étions sur le point <strong>de</strong> continuer notre route, en pèlerin <strong>de</strong>venu,<br />
quand Jean-<strong>Louis</strong> (l’employé responsable <strong>de</strong>s terrains monastiques) nous fit<br />
rencontrer le père prieur Bruno en personne. Nous le remerciâmes pour son<br />
accueil et lui <strong>de</strong>mandâmes si notre ai<strong>de</strong> pouvait être utile ici. Il nous proposa<br />
<strong>de</strong> nous héberger encore quelques jours au besoin et qu’en échange nous<br />
pouvions si nous le souhaitions re<strong>de</strong>ssiner leur promena<strong>de</strong> panoramique<br />
envahie par broussailles et éboulements successifs. Ne cherchant pas un<br />
sanctuaire mais bien <strong>de</strong>s êtres à qui nous pouvons et voulons apporter quelque<br />
chose, nous n’acceptâmes qu’à cette condition.<br />
Nous voici donc installé dans la chambre <strong>de</strong> Monsieur Fernand – c’est ainsi<br />
qu’elle s’appelle. Le bâtiment est vieux, usé, marqué par les innombrables<br />
restaurations oubliées ; les moines ici se meurent. Aucune nouvelle génération<br />
n’attend son tour <strong>de</strong>rrière le vieux portail en bois sombre.<br />
Notre cellule est pauvrement aménagée mais ne manque <strong>de</strong> rien. Il y a <strong>de</strong>ux<br />
pièces ; une table pour manger, un bureau, un lit, une armoire, un meuble pour<br />
prier, un fauteuil et trois chaises en forment le mobilier. Il y a également un<br />
lavabo. Jésus est planté sur une croix en bois simple et domine la chambre en<br />
suppliant les Cieux, un père ingrat qui n’intervient pas. Ses mains sont trouées<br />
à un endroit impossible ; le sculpteur <strong>de</strong>vait manquer <strong>de</strong> ressources historiques.<br />
Après <strong>de</strong>ux milles années, est-ce bien normal ? Les fenêtres donnent sur une<br />
petite cour, jardinée par Marius à la française, autour d’une fontaine en mousse<br />
et en pierre. Fleurs et rosiers sont taillés avec soin, la Vierge est entretenue, les<br />
allées aussi et <strong>de</strong>meurent vi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> tout encombrement qui faucherait<br />
533
l’harmonie du lieu.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Dans la bibliothèque très sommaire <strong>de</strong> notre chambre, il n’y a que <strong>de</strong>s livres<br />
pieux. Lautréamont et nous-même avons peur <strong>de</strong> nous en approcher ; nous ne<br />
nous y risquerons pas.<br />
Une fois installé, les affaires les plus courantes déballées (les autres restant<br />
dans notre sac, prêtes au départ), nous partîmes travailler notre chemin au<br />
râteau, à la pelle et à la pioche pour lui donner la forme espérée, peut-être, par<br />
les moines médiévaux qui bâtirent la chartreuse en onze-cent-et-quelques. Elle<br />
est vraiment paisible et les peu nombreux randonneurs en cette saison qui<br />
s’aventurent sur le sentier sans s’y arrêter ne dérangent pas.<br />
Nous sommes assis à notre bureau éphémère. Le repas fut déposé <strong>de</strong>vant<br />
notre cellule à 11h45 comme ce le sera durant notre séjour ici. Tout le mon<strong>de</strong><br />
mange seul, c’est la règle dictée. Il était composé d’un potage <strong>de</strong> légumes et<br />
d’une omelette aux herbes, <strong>de</strong> fromage, <strong>de</strong> fruits, <strong>de</strong> pain d’épice – un repas<br />
sobre mais suffisant.<br />
Nous n’avons pas rencontré tout le mon<strong>de</strong> et n’en aurons sans doute pas<br />
l’occasion mais il y a treize moines ici plus d’autres gens comme Philippe le<br />
portier ou Jean-<strong>Louis</strong>. Les chartreux sont ascétiques et contemplatifs – vivre ici<br />
quelques mois nous ferait grand’bien… Quelques mois seulement car les<br />
Ordres, qu’ils soient militaires ou monastiques, ne sont pas pour nous. N’en<br />
espérons pas tant !<br />
19h41.<br />
De 13 à 17 heures, nous travaillâmes à nouveau sur la promena<strong>de</strong><br />
panoramique et apprîmes à mieux connaître notre entourage : Jean-<strong>Louis</strong>,<br />
André, Olivier et le frère Jean-Marie par exemple.<br />
Nous en parlions à l’instant avec le berger. Il est vrai qu’il se dégage <strong>de</strong> ce<br />
lieu et <strong>de</strong> ces êtres une atmosphère particulière, profon<strong>de</strong> et sincère<br />
d’apaisement – on se croirait dans un ashram !<br />
Nous lui <strong>de</strong>mandâmes, l’occasion nous semblant bonne, s’il ne cherchait<br />
pas un chevrier mais hélas avait-il déjà un associé (compétant) avec lequel il<br />
partageait son temps <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>. Aurait-il besoin <strong>de</strong> quelqu’un pour faire son<br />
fromage que ce serait en février et Dieu sait où les Vents nous auront alors<br />
534
porté…<br />
Carnet d’errance<br />
535
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 4 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Chartreuse <strong>de</strong> Morières-Montrieux (Provence, France), 7h13.<br />
Doucement la vie s’éveille sur le monastère. Pour nous, c’est dur mais juste<br />
un rythme à prendre. Pour le petit-déjeuner : le pain et la confiture servis hier<br />
midi. Hier soir, nous eûmes <strong>de</strong>ux œufs au plat et une sala<strong>de</strong> verte en sauce. Les<br />
repas ne sont toujours pas orgiaques mais nous ne nous plaignons pas car c’est,<br />
répétons-le, ce dont nous avons besoin en ce moment.<br />
12h21.<br />
Au menu <strong>de</strong> ce midi : moules et haricots en sauce. En mangeant, nous nous<br />
dîmes que nous allions <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un peu plus pour le soir – il suffit <strong>de</strong> laisser<br />
un mot dans le portoir à l’attention du frère cuisinier – mais, en fin <strong>de</strong> compte,<br />
nous croyons l’idée mauvaise. Nous <strong>de</strong>vons en effet nous plier aux règles<br />
établies ici. Ou peut-être un peu plus <strong>de</strong> pain… Nous ne voulons pas abuser<br />
même si notre travail vaut plus qu’une omelette. D’autre part, moins nous<br />
mangerons, moins nous aurons <strong>de</strong> confort, <strong>de</strong> plaisirs, plus nous nous<br />
rapprocherons du but que nous nous fixâmes (sans nous le véritablement fixer<br />
non plus) pour ce psycho-trip. Tu comprendras pourquoi, Fidèle, en<br />
continuant à lire le sillon sans para<strong>de</strong> que nous traçons dans ce carnet…<br />
17h37.<br />
Nous passâmes à nouveau la journée sur la promena<strong>de</strong> panoramique. Le<br />
travail est aussi long qu’épuisant mais le résultat est convaincant. Nous<br />
craignons cependant <strong>de</strong> ne pas avoir le privilège <strong>de</strong> passer l’Hiver ici ; le<br />
voulons-nous vraiment ? Nous avons besoin d’un salaire, même modique, afin<br />
<strong>de</strong> continuer ce périple, ainsi que d’un endroit où loger. Ici aurait été parfait<br />
mais le frère Jean-Marie nous confessa presque que le monastère ne pouvait se<br />
le permettre. Cependant restons-nous le bienvenu et d’après lui, le père prieur<br />
Bruno ne verrait aucun inconvénient si nous désirions rester un peu plus<br />
longtemps que les <strong>de</strong>ux ou trois jours qu’il nous accorda à notre arrivée.<br />
Nous fîmes également la connaissance ce matin du frère Théophane,<br />
responsable en quelque sorte <strong>de</strong>s équipements. C’est <strong>de</strong> lui que nous<br />
536
Carnet d’errance<br />
dépendons directement, après le père prieur bien entendu qui veille sur tout. Il<br />
est un homme d’une agréable compagnie, réservé et cultivé. Il sculpte<br />
également d’une main <strong>de</strong> maître d’après les œuvres que nous pûmes observer.<br />
Il nous fournit <strong>de</strong>s chaussures pour éviter d’abîmer (davantage) les nôtres,<br />
n’étant pas parti avec notre gar<strong>de</strong>-robe qui dut contenter le faiseur <strong>de</strong> poubelle<br />
passant dans la rue du Bon Pasteur à Aix-en-Provence.<br />
La nuit et le froid tombent vite dans la vallée. Nous sommes assis à la table<br />
en pierre <strong>de</strong>vant la chartreuse sur le sentier forestier mais nous allons rentrer<br />
prendre une douche, nous en avons besoin.<br />
537
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 5 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Chartreuse <strong>de</strong> Morières-Montrieux (Provence, France), 20h28.<br />
Le temps est gris, il a plu toute la journée. De 8 à 10 heures, nous<br />
continuâmes la promena<strong>de</strong> panoramique mais, la pluie commençant <strong>de</strong> battre,<br />
nous résolûmes <strong>de</strong> ne pas risquer le coup <strong>de</strong> froid et rentrâmes. Le père prieur<br />
Bruno, venu nous voir, accepta notre congé pour lundi dans la matinée – nous<br />
<strong>de</strong>vons continuer notre route. Toutefois la promena<strong>de</strong> panoramique est-elle<br />
désormais praticable et le père en était-il satisfait. Davantage aurait pu être fait<br />
mais pas en si peu <strong>de</strong> temps et avec si peu <strong>de</strong> moyens.<br />
Ainsi, lundi dans la matinée, nous retrouverons-nous sur les chemins <strong>de</strong><br />
notre Destinée, sac sur le dos, épaules et pieds suppliants. Croisant le frère<br />
Jean-Marie chez André qui vit dans le hangar, nous lui <strong>de</strong>mandâmes s’il était<br />
possible, puisque nous n’en aurons probablement plus eu l’occasion et qu’il<br />
aurait été dommage <strong>de</strong> passer à côté, <strong>de</strong> visiter l’intérieur du monastère,<br />
l’intimité <strong>de</strong>s moines, leur lieu <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong>. Il accepta et nous ouvrit les portes<br />
closes une à une, dans le silence <strong>de</strong> chuchotements. Nous fûmes impressionné<br />
par la beauté <strong>de</strong> l’architecture tranchant avec la sobriété <strong>de</strong>s cellules : l’espace<br />
d’une vie entière consacrée à la Foi, la solitu<strong>de</strong>, la méditation et le travail<br />
manuel ne tenait qu’en un peu plus que notre studio à Aix ; c’est peu ! Nous le<br />
fûmes davantage en entrant dans la bibliothèque. Des milliers <strong>de</strong> livres rangés<br />
par genre s’offrirent à nos yeux d’or ravis. Dans notre esprit, une bibliothèque<br />
représente beaucoup. Nous eûmes le cœur arraché quand nous dûmes bra<strong>de</strong>r<br />
la nôtre à ce bouquiniste obscur et charlatan avant notre départ. Ici, les sujets<br />
traités principalement étaient la religion : <strong>de</strong>s textes et <strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> théologiens<br />
dont la science rhétorique égalait celle <strong>de</strong>s meilleurs ; d’autres médiocres<br />
profiteurs <strong>de</strong> la Foi facile ; une mince rangée <strong>de</strong> littérature française également.<br />
Comme il nous plairait tant <strong>de</strong> passer notre Hiver à parcourir <strong>de</strong> nos doigts<br />
agités ces reliures et d’en numériser le contenu afin <strong>de</strong> les préserver à jamais <strong>de</strong><br />
tout défigurement du temps et <strong>de</strong>s catastrophes ! Oublions cette idée, ce ne<br />
sera pas possible. Nous nous contentons <strong>de</strong> Lautréamont dont nous<br />
achevâmes à l’instant le troisième chant en nous disant qu’en son temps, on<br />
nous aurait émasculé, brisé la nuque à la hache, écartelé sur une roue tirée par<br />
<strong>de</strong>s chevaux puissants et fouetté jusques à l’os avec <strong>de</strong>s verges pour le quart <strong>de</strong><br />
538
Carnet d’errance<br />
ce que nous écrivons aujourd’hui, ailleurs ! Ainsi va le mon<strong>de</strong> mais le mon<strong>de</strong><br />
justement ne va pas…<br />
539
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 6 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Chartreuse <strong>de</strong> Morières-Montrieux (Provence, France), 14h04.<br />
Le bonheur du pèlerin rési<strong>de</strong> dans son pouvoir à s’allonger <strong>de</strong>s heures dans<br />
une prairie vagabon<strong>de</strong> aux pâquerettes fleuries avec dans les oreilles une<br />
musique qui le fait rêver si et quand il le désire. Et cela, Fidèle, tu ne le<br />
connaîtras jamais si tu ne fais que le lire !<br />
Le temps s’est un peu découvert, l’o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la forêt lavée par la pluie a<br />
remplacé en ce dimanche <strong>de</strong> repos celle <strong>de</strong> la sérénité monastique.<br />
Au matin, nous assistâmes à la messe, la chapelle pleine, cette fois-ci, <strong>de</strong><br />
fidèles amis. Maintenant, une toute autre célébration, plus proche <strong>de</strong> notre<br />
philosophie, s’offre à nous. Sur la terrasse, au-<strong>de</strong>ssus du muret, l’apiculteur<br />
soigne ses ruches ; dans le bois, l’oiseau chante la symphonie du clair horizon ;<br />
sur la prairie, l’abeille et le bourdon récoltent alors que nous rêvassons, le<br />
regard perdu dans les nuages aux tons gris bleu. Nous ne nous gênons pas les<br />
uns les autres car nous respectons et adorons la même mère, Nature, qui <strong>de</strong> ses<br />
mains séraphiques caresse notre vision.<br />
19h03.<br />
Saint Bruno n’est pas une bonne source d’inspiration. Il domine notre<br />
bureau mais fixe la lumière, non nous. Tant pis, nous allons la conquérir chez<br />
un autre compagnon <strong>de</strong> Destinée, plus cher, plus fidèle : le silence. Il se fait,<br />
avec grâce et sans prétention, l’écho <strong>de</strong> nous-même. Il ne réclame aucune<br />
gloire, aucune part <strong>de</strong> ce qu’il nous ai<strong>de</strong> à produire ; il est juste présent et<br />
généreux, presque timi<strong>de</strong>, dirons-nous. Alors que les Vents, autres amis fidèles,<br />
s’acharnent sur nos pensées folles et les dévoilent, réclamant leur pécule à<br />
emporter, le silence, lui, non ! Quant à la cloche, elle sonne à l’instant et sonna<br />
tout le jour <strong>de</strong>puis les mâtines, coupant toute méditation pour une autre ; le<br />
silence, lui, non ! Il nous est cher car il nous laisse à nos doutes, nos angoisses<br />
et à la fin savons-nous que c’est <strong>de</strong> notre volonté propre que naît la création. Il<br />
ne nous laisse pas nous éva<strong>de</strong>r comme le font les nuages – en cela est-il sûr<br />
aussi. Il nous retourne notre pensée, nous pouvons lui faire confiance.<br />
Le jour a laissé place à la nuit dans la petite vallée <strong>de</strong> la chartreuse, notre<br />
540
Carnet d’errance<br />
herbe acquise sèche doucement sur le radiateur et il est temps pour nous <strong>de</strong><br />
remercier dans ce carnet le père prieur Bruno, les frères Jean-Marie et<br />
Théophane, Jean-<strong>Louis</strong>, Marius, André, Olivier et Philippe, les âmes sincères<br />
rencontrées ici ces quatre <strong>de</strong>rniers jours. Elles nous dictent que notre Quête,<br />
peut-être, débute par la recherche d’Hommes bons… Nous ne pouvons nous<br />
résigner à une conception maldorienne <strong>de</strong> l’humanité, ventilée par un esprit<br />
génial, certes, mais encore jeune et inexpérimenté ; ou encore à la confiance<br />
aveugle et utopiste <strong>de</strong> quelque foi savamment mal employée ; ou enfin à la<br />
puérile naïveté <strong>de</strong> l’adolescent qui croit le mon<strong>de</strong> alors qu’il ne l’a jamais vécu.<br />
Non ! Si en observateur que nous sommes nous <strong>de</strong>vons témoigner, ce sera<br />
comme ce le fut toujours par l’expérience personnelle et la relation proche que<br />
nous entretenons avec le verbe.<br />
Demain, le Soleil transpercera les nuages et éclairera le chemin <strong>de</strong> la<br />
continuité, celui que nous suivrons en pèlerin <strong>de</strong>venu, pratiquant du non-sens,<br />
adorateur <strong>de</strong> la Nature, grand rêveur <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> choses encore, aventurier<br />
du presque rien, prétendant à l’inconnu, cas désespéré pour certains, simple<br />
éphémère au cœur romantique nostalgique mélancolique, errant dont on dira<br />
qu’il bâtit malgré lui.<br />
541
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Aiguilles <strong>de</strong> Valbelle (Provence, France), 10h49.<br />
Nous quittâmes la chartreuse sous <strong>de</strong>s Cieux chargés <strong>de</strong> menaces à 8h47<br />
très précisément, après une poigne chaleureuse et pleine <strong>de</strong> reconnaissance<br />
avec le frère Jean-Marie qui nous souhaita une bonne route.<br />
Nous sommes actuellement au sommet d’une <strong>de</strong>s aiguilles <strong>de</strong> Valbelle. La<br />
vue est impressionnante, le brouillard s’est dissipé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> notre tête,<br />
comme pour nous laisser respirer. Du haut <strong>de</strong> ce promontoire, au son <strong>de</strong><br />
chants d’oiseaux divers, nous contemplons le chemin serpentin qui court dans<br />
cette forêt <strong>de</strong> chênes verts que l’Automne défeuille lentement ; nous<br />
contemplons la brume épaisse qui doit encore recouvrir le monastère ; nous<br />
contemplons le temps qui passe et qui s’inquiète <strong>de</strong> n’avoir plus d’emprise sur<br />
nous.<br />
Pas <strong>de</strong> Belgentier (Provence, France), 12h09.<br />
Pour tout repas ce midi : trois pâtes <strong>de</strong> fruit et quelques raisins secs en plus<br />
<strong>de</strong> nos cachets quotidiens <strong>de</strong> spiruline <strong>de</strong>s An<strong>de</strong>s ; l’omelette <strong>de</strong>s pères nous<br />
paraît déjà bien loin. Il nous faut vraiment arrêter <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> bouffe, nous en<br />
<strong>de</strong>venons mentalement obèse. Nous déjeunons en tête à tête avec une<br />
douzaine <strong>de</strong> monts bleus. Le Soleil nous tient timi<strong>de</strong>ment la chan<strong>de</strong>lle. Assis au<br />
bord <strong>de</strong> la falaise, un énorme roc nous cache la vision du village <strong>de</strong> Belgentier,<br />
en bas dans la vallée, nous aidant à maintenir un peu l’illusion <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong>.<br />
Hélas, nous ne sentons ni n’apercevons encore la côte. Continuons notre<br />
lecture avant <strong>de</strong> reprendre le chemin.<br />
Hyères (Provence, France), 19h04.<br />
Et oui, Hyères, déjà ! Comme il est bon <strong>de</strong> pouvoir nous goinfrer <strong>de</strong> gras<br />
burgers pas chers après une dure et longue journée <strong>de</strong> marche !<br />
Nous ne passâmes pas à la Navarre ou la Castille, le séminaire et le château<br />
que le frère Jean-Marie nous avait indiqués sur notre carte car une autre<br />
occasion, tout à fait informelle, se présenta.<br />
Nous nous étions perdu dans la forêt ; un cafouillage distrait entre GR et<br />
542
Carnet d’errance<br />
ET nous fit perdre <strong>de</strong>ux heures <strong>de</strong> marche à travers le plateau du Siou-<strong>Blanc</strong> et<br />
divers domaines <strong>de</strong> chasses – nos épaules nous promirent vengeance amère.<br />
Nous retrouvâmes quand même le GR51 qui nous porta jusques à Solliès-Ville.<br />
Nous étions épuisé, avions une faim <strong>de</strong> lionne et étions prêt à sauter sur le<br />
premier épicier ou restaurant rapi<strong>de</strong> venu. À cette pensée, notre estomac nous<br />
cria : « Oh oui ! Vite, un Mac Do’ ! » Nous n’arrivions pas à nous enlever cette<br />
idée <strong>de</strong> la tête, il nous fallait un burger. Hélas, Solliès-Ville, trou paumé et haut<br />
perché, n’avait en magasin qu’un petit épicier à l’enseigne peinte main et à<br />
l’étiquette prohibitive. Nous décidâmes donc <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre plus bas dans la<br />
vallée, sur Solliès-Pont mais nous trompâmes une fois encore et tombâmes à<br />
La Farlè<strong>de</strong>, légèrement moins perdu mais quand même, pas <strong>de</strong> Mac Do’.<br />
« Sacrée faim, ferme ta gueule et souffre en silence ! »<br />
Nous aurions dû nous douter <strong>de</strong> la supercherie déjà lorsque nous fûmes<br />
accueilli par un cimetière…<br />
Nous étions résigné à quelque mo<strong>de</strong>ste sandwich au jambon quand nous<br />
tombâmes sur <strong>de</strong>ux femmes, en fin <strong>de</strong> course à pieds, qui nous dirent après<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> que rien <strong>de</strong> notre recherche ne se trouvait ici, qu’il fallait remonter<br />
sur Solliès-Pont ou <strong>de</strong>scendre sur Hyères, treize kilomètres plus bas. L’une<br />
d’elle proposa <strong>de</strong> nous y conduire. Étonné tout autant que sa copine inquiète<br />
<strong>de</strong> cette proposition inespérée, nous acceptâmes avec joie, les suivîmes jusques<br />
à sa voiture, garée près <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> sa copine dans un lotissement voisin et,<br />
le temps qu’elle se changeât et se rafraîchît, nous fîmes route pour l’autoroute<br />
et Hyères.<br />
Elle s’appelait Cathy. Nous lui racontâmes quelques passages <strong>de</strong> notre<br />
histoire pour la rassurer un peu et décontracter l’humeur. Finalement, Hyères<br />
n’étant pas si éloignée que cela <strong>de</strong> notre point <strong>de</strong> départ, nous arrivâmes dans<br />
le centre-ville rapi<strong>de</strong>ment. Elle nous déposa <strong>de</strong>vant le Mac Do’ et nous lui<br />
laissâmes l’adresse <strong>de</strong> notre site-web (ce qui pouvait toujours être utile).<br />
Il est 19h47 maintenant et nous sommes re-pu. La nuit, évi<strong>de</strong>mment, est<br />
tombée. Nous ne savons encore où nous diriger ; la plage, oui, mais<br />
laquelle… ?<br />
543<br />
L’Aygua<strong>de</strong>s (Provence, France), 21h24.
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
En sortant du Mac Donald’s, plein comme un sac marin, nous<br />
<strong>de</strong>mandâmes notre route pour la plage <strong>de</strong> l’Aygua<strong>de</strong>s à un couple passant là. Il<br />
nous l’indiqua – « Quatre kilomètres par là ! » – et nous entendîmes un<br />
sifflement qui, lorsque nous nous retournâmes, s’accompagna d’un geste <strong>de</strong> la<br />
main, invitant notre personne à rejoindre son propriétaire. Pour faire clair, un<br />
mec dans une vieille voiture blanche nous interpella. Nous allâmes voir, il nous<br />
<strong>de</strong>manda notre <strong>de</strong>stination et proposa <strong>de</strong> nous y conduire. Nous acceptâmes,<br />
une secon<strong>de</strong> fois en l’espace <strong>de</strong> quelques heures, habitu<strong>de</strong> s’ajoutant<br />
tranquillement aux autres, et nous y allâmes. Il avait comme nous parcouru la<br />
France, <strong>de</strong>puis la Normandie, et avait échoué ici quatre ans plus tôt. Nous<br />
nous permîmes <strong>de</strong> lui poser ces questions car raconter notre vie, ça va un<br />
temps mais à force… ça lasse !<br />
Il nous déposa au bord <strong>de</strong> la plage, sur un parking, seul face à l’inconnu.<br />
Nous vîmes <strong>de</strong> la lumière dans un bar PMU nommé : La Réserve. Il tombait<br />
bien, il nous fallait un gin ! Nous nous installâmes au bar, commandâmes,<br />
taxâmes une clope à notre voisin et pûmes nous détendre, enfin. Nous<br />
<strong>de</strong>mandâmes également au patron, après cul sec, s’il connaissait sur la plage un<br />
endroit tranquille où passer la nuit et il eut l’idée <strong>de</strong> nous proposer le bar d’àcôté,<br />
fermé, envahie par les feuilles et plus sûr. Nous nous y trouvons<br />
actuellement, épuisé et notre lampe va mourir.<br />
544
Carnet d’errance<br />
1 8 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
L’Aygua<strong>de</strong>s (Provence, France), 8h06.<br />
Les moustiques ne dorment-ils jamais ?! En tout cas, pas celui qui nous<br />
empêcha <strong>de</strong> fermer l’œil cette nuit. Nous nous battîmes férocement mais il<br />
nous vainquit, nous infligeant <strong>de</strong>s coups insidieux partout où notre peau<br />
sortait <strong>de</strong> notre duvet. Nous avions chaud, le sol était dur, l’oreille droite nous<br />
démangeait ; impossible <strong>de</strong> trouver ne serait-ce qu’une <strong>de</strong>mi-heure <strong>de</strong> repos,<br />
impossible te disons-nous ! Vers 5h30, nous fîmes donc un brin <strong>de</strong> toilette et<br />
attendîmes le lever du Soleil sur la plage. Il fut magnifique !<br />
Nous sommes là assis sur un banc vert, <strong>de</strong>vant la capitainerie ; nous<br />
attendons qu’elle ouvre. Il y a du vent, beaucoup <strong>de</strong> vent ; on ne peut pas dire<br />
que les Cieux soient clairs, on ne peut pas dire qu’ils soient couverts. Dans<br />
notre esprit règne ce matin une étrange brume qui nous rappelle nos attentes à<br />
la gare Saint-Charles après une nuit d’éthylisme et <strong>de</strong> danse au New Cancan.<br />
Vu d’en haut ou pour le passant masochiste matinal, bien qu’il fasse froid, nous<br />
<strong>de</strong>vons sembler arriver <strong>de</strong> quelque pays lointain où la raison <strong>de</strong> vivre et l’espoir<br />
se seraient évaporés dans une guerre oubliée <strong>de</strong>s médias mais ancrée dans la<br />
mémoire, quand même, du vieux.<br />
Justement, en parlant du vieux, il y en a quatre qui atten<strong>de</strong>nt comme nous.<br />
Parlons-en puisque nous n’avons que cela à faire. En fait… ils ne nous<br />
inspirent guère.<br />
Nous <strong>de</strong>scendîmes sur la côte pour cherche un job sur un yacht, nous<br />
pensâmes à cela hier. Nous espérions y trouver chaleur mais il fait encore plus<br />
froid que dans les collines. Normal, nous diras-tu, Fidèle, et bien non ! Dans<br />
une ville qui arbore fièrement son attribut <strong>de</strong> « Les Palmiers », nous nous<br />
attendions – c’est la moindre <strong>de</strong>s choses – à trouver vahinés, Soleil, effluves<br />
parfumées <strong>de</strong> monoï… Et bien non !<br />
Hyères (Provence, France), 9h46.<br />
Nous entrâmes il y a quelques instants au Tocco pour y prendre notre<br />
petit-déjeuner, au hasard, sur le port <strong>de</strong> Hyères ; il fallut qu’il fût gay,<br />
naturellement ! Décoration fine et mo<strong>de</strong>rne, nous aurions dû nous en douter<br />
545
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
mais nous ne sommes toujours pas éveillé ; il va nous falloir un autre gin.<br />
À la capitainerie <strong>de</strong> l’Aygua<strong>de</strong>s, on nous conseilla d’aller nous renseigner<br />
plutôt à Hyères dont le port est en effet nettement plus important et le gin,<br />
nous le découvrons en même temps que toi, 2,10 euros plus cher, soit environ<br />
1 euro par kilomètre. Savourons-le donc ! Si lui ne nous réveille pas, nous<br />
n’aurons plus d’autre idée que celle <strong>de</strong> nous jeter dans le port et, dans ce cas,<br />
près d’un luxueux yacht tant qu’à faire.<br />
Pour citer la Rousse, les Vents semblent vouloir emporter tout, y compris le<br />
luxueux en question. Il nous semble, mais peut-être nous avançons-nous<br />
présomptueusement un peu trop, qu’ils veulent nous pousser loin, loin d’ici.<br />
11h09.<br />
Nous avons l’impression qu’en fait Hyères plage, ou au moins son port, est<br />
une enclave gay. Nous nous basons sur les passants (et leur cocker toiletté).<br />
Nous venons <strong>de</strong> nous acheter <strong>de</strong>s Dunhill mentholée, n’ayant pas trouvé <strong>de</strong><br />
Yves Saint Laurent. « Fumer tue », d’accord, la chose est admise et nous nous<br />
en foutons mais, Diable !, que la Mort ait bon goût par pitié !<br />
Rien n’y fait, nous n’arrivons pas à nous motiver et pourtant le <strong>de</strong>vonsnous<br />
être pour aller à la capitainerie ; nous <strong>de</strong>vons montrer que nous sommes<br />
un garçon qui en veut, prêt à (presque) tout et qui accepte (presque) n’importe<br />
quoi comme boulot. C’est net, nous avons besoin <strong>de</strong> fric, il nous en faut pour<br />
continuer ce psycho-trip et si nous arrivons à avancer en nous en faisant,<br />
comme ce serait le cas sur un yacht, que <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> mieux ? Nous verrons<br />
bien…<br />
11h51.<br />
1,40 euro le ticket <strong>de</strong> but pour aller <strong>de</strong> Hyères port à Hyères centre ; mais<br />
où va le mon<strong>de</strong> ? Enfin… Nous ne payerons pas notre ticket pour Saint-<br />
Tropez où les bateaux sont plus gros, voilà tout ! À la capitainerie <strong>de</strong> Hyères,<br />
une gentille dame nous dit que son port avait reçu cet été <strong>de</strong>ux gros gros<br />
bateaux mais que c’était exceptionnel. Ainsi, si nous voulons avoir la chance <strong>de</strong><br />
rêver <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s yachts <strong>de</strong> milliardaires, c’est vers Saint-Tropez, Nice, Cannes<br />
voire carrément Monaco qu’il faut diriger nos pas. Soit, c’est sur notre chemin<br />
546
Carnet d’errance<br />
mais nos pas, justement, en avaient un peu marre alors sautâmes-nous dans le<br />
premier bus pour le centre. Là, nous irons dans un cybercafé poster quelques<br />
nouvelles puis prendrons un autre bus pour la cité sous le Soleil (paraît-il).<br />
13h19.<br />
Assis sur notre sac, nous attendons. Nous attendons le bus 103 ; nous<br />
attendons que les employés daignent travailler et ouvrir les portes <strong>de</strong> leur<br />
putain <strong>de</strong> gare pour acheter notre ticket ; nous attendons le Soleil ; nous<br />
attendons… Ah ! ils viennent d’ouvrir, profitons-en.<br />
Bus 103 pour Saint-Tropez (Provence, France), 13h50.<br />
Une fille à côté <strong>de</strong> nous : canon, <strong>de</strong> quoi <strong>de</strong>venir hétéro (et nous n’en<br />
sommes vraiment plus très loin) ! Que faire ? Hélas pour nous, elle s’arrête au<br />
Lavandou, bien avant nous ; quel dommage ! Nous n’avons pas l’habitu<strong>de</strong><br />
d’abor<strong>de</strong>r les gens pour ce genre <strong>de</strong> choses, en plus une fille… Que faire ?!<br />
Rien, il n’y a rien à faire ! Le Lavandou s’approche, elle s’éloigne, trop tard ;<br />
nous sommes une mer<strong>de</strong>.<br />
Saint-Tropez (Provence, France), 16h53.<br />
Venir ici était vraiment une mauvaise idée. Nous vîmes <strong>de</strong> beaux bateaux<br />
sur… Ah non, ce n’est pas possible ! Quand ça ne va pas, ça ne va pas ! Après<br />
la lampe <strong>de</strong> poche la nuit <strong>de</strong>rnière, voici notre plume favorite qui nous lâche<br />
elle aussi ! Où en étions-nous ? Ces bateaux donc ! Oui ! Nous ne pourrons<br />
jamais monter <strong>de</strong>ssus… Venir à Saint-Tropez nous rendit désespérément triste.<br />
Il n’y a rien pour nous ici ; il n’y a que <strong>de</strong>s choses que nous aimerions avoir et<br />
faire. C’est dur… Les gens sont riches et roulent en Rolls ; nous sommes<br />
pauvre, marchons en DVS abîmées et avons besoin d’une douche.<br />
Nous obtînmes une adresse où nous renseigner mais elle se trouve à<br />
Monaco. Monaco, putain ! Autant dire le bout du mon<strong>de</strong> ! Nous avons le<br />
moral à zéro, nous n’avons pas envie <strong>de</strong> poétiser, nous voulons gueuler contre<br />
cette injuste machination qui se joue <strong>de</strong> nous. Pourquoi ne pouvons-nous être<br />
comme les autres, satisfait <strong>de</strong> ce que l’on nous donne ?<br />
Notre nuit va encore être terrible. Nous <strong>de</strong>vons aller à Saint-Raphaël, la<br />
547
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
gare SNCF la plus proche et essayer d’y trouver un train pour Nice où nous<br />
nous rendrons à la capitainerie et poserons la même question qu’aux trois<br />
autres : « Qui faut-il sucer pour embarquer à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong>s Tropiques ?!! »,<br />
plus savamment… De Nice, si notre recherche reste vaine, ce dont nous<br />
sommes sûr à l’heure actuelle, nous nous rendrons à Monaco et <strong>de</strong> là, pour la<br />
même raison, nous sommes prêt à embarquer clan<strong>de</strong>stinement ; non ! Nous<br />
nous faisons moine dans un monastère en Toscane ; non ! Nous allons chez<br />
nos parents ; oh non ! Nous retournons à Aix, nous asseyons sur notre fierté,<br />
trouvons un emploi et reprenons notre vie là où nous la laissâmes voilà huit<br />
jours ; non plus !<br />
Huit jours seulement et nous en sommes déjà là ! Triste histoire… Mais<br />
que faire alors ? Nous ne savons pas ! Nous aurons la réponse dans quelques<br />
lignes.<br />
Train … pour Nice (Provence, France), 19h14.<br />
Un Theoz tout neuf pour un vagabond en déroute. Il va <strong>de</strong> soi que nous<br />
ne payâmes pas le ticket. Même si pour le coup cela nous arrangeait, il avait<br />
cinquante minutes <strong>de</strong> retard ; c’est une question <strong>de</strong> principe, nah !<br />
Une fois à Nice, nous approcherons <strong>de</strong>s 20 heures et nous n’avons toujours<br />
aucune idée <strong>de</strong> ce que nous y ferons. En fait, puisque nous sommes dans la<br />
mer<strong>de</strong>, autant l’être jusques au front – le peu <strong>de</strong> chevelure dont nous disposons<br />
pourra ainsi abriter si elle le désire une famille <strong>de</strong> mouches !<br />
Notre sac est lourd et encombrant ; nous n’emportâmes que quelques<br />
vêtements mais c’est encore trop. Il nous faudra l’alléger – nous serons encore<br />
moins équipé que nous le sommes mais plus mobile. L’idéal serait un sac <strong>de</strong><br />
trente litres, duvet <strong>de</strong>ssus, bâche <strong>de</strong>ssous, une tenue <strong>de</strong> rechange, un litre d’eau,<br />
une canne à pêche, un nécessaire <strong>de</strong> toilette, notre carnet, une plume et pour le<br />
reste, une VISA GOLD ! Hélas pour nous cette <strong>de</strong>rnière manque-t-elle<br />
cruellement à notre bagage…<br />
Nice (Provence, France), 20h54.<br />
Combien aimerais-tu, Fidèle, pouvoir contempler le spectacle que nous<br />
avons la chance <strong>de</strong> voir jouer <strong>de</strong>vant nous ce soir !<br />
548
Carnet d’errance<br />
Il n’est pas encore tout à fait 21 heures, nous sommes couché sur les galets,<br />
adossé à notre sac. À main gauche, un troupeau <strong>de</strong> touristes japonais qui<br />
s’amusent avec les flashs <strong>de</strong> leur Canon et Nikkon ou s’essayent aux massages<br />
avec les galets <strong>de</strong> la plage ; c’est tordant mais ce n’est pas <strong>de</strong> cela dont il s’agit.<br />
En face <strong>de</strong> nous, la mer est agitée, les vagues gron<strong>de</strong>nt, cognent sur le rivage <strong>de</strong><br />
la Promena<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Anglais et les mouettes blanches reflètent dans les Cieux les<br />
éclats <strong>de</strong> la cité lumineuse. Dans la nuit, la mer est turquoise et se perd au loin<br />
comme si elle voulait plonger dans le grand néant <strong>de</strong> l’horizon. Pas un seul<br />
bateau n’est là pour retenir ce suici<strong>de</strong> homérique, non, pas un ! Les Cieux au<strong>de</strong>ssus<br />
<strong>de</strong> notre tête sont plein <strong>de</strong> menaces, ils sont jaunes. Nous les aimons <strong>de</strong><br />
nuit car ils appartiennent au passé…<br />
Nous avons faim et froid, nous sommes perdu mais nous trouvons notre<br />
compensation dans le plaisir <strong>de</strong> ces moments-là ; tout cela pendant combien <strong>de</strong><br />
temps… ?<br />
549
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 9 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Principauté <strong>de</strong> Monaco, 13h05.<br />
Nos résolutions tombent une à une. Dehors, la pluie inon<strong>de</strong> le pavé<br />
princier et le rocher est envahi d’une brume saine mais fraîche et<br />
décourageante. Nous nous <strong>de</strong>mandons ce que nous foutons ici ! Seul, assis au<br />
Quai <strong>de</strong>s Artistes, entouré <strong>de</strong> gens qui travaillent et dînent, nous cogitons sur<br />
notre trop proche avenir.<br />
Il semble inéluctablement, à moins d’un miracle, compromis. Nous<br />
(ré)apprîmes en dix jours à nous méfier <strong>de</strong> notre chance et le Centre d’Action<br />
Sociale <strong>de</strong> Nice où nous passâmes la nuit <strong>de</strong>rnière acheva notre moral déjà<br />
abattu d’un coup <strong>de</strong> grâce amer et ô combien brutal. Nous allons nous<br />
retrouver définitivement sans ressource dans quelques jours au plus et nous<br />
craignons avec cette pluie insidieuse pour la pérennité <strong>de</strong> notre carnet (simples<br />
feuillets volants et fragiles) que nous protégeons autant que faire se peut. Dans<br />
notre esprit désolé, il ne reste que résignation et un fugitif, peut-être, espoir <strong>de</strong><br />
renouveau. Nous guettons l’opportunité salvatrice comme l’herbe folle la rosée<br />
du matin. En fait, nous sommes trempé et froid mais aussi sec que le chat<br />
goudronneux qu’on aurait écrasé par perversion sur la voie rapi<strong>de</strong>. Nous nous<br />
sentons vi<strong>de</strong> et creux, creusé à la pioche, oui, c’est cela même, à la pioche.<br />
Nous admirons ces <strong>de</strong>ux serveurs et cette jeune hôtesse qui entretient la<br />
conversation avec nous entre <strong>de</strong>ux entrées <strong>de</strong> clients. Nous les admirons car ils<br />
sont quelque chose <strong>de</strong> défini, ce que nous ne pouvons, ne savons être. Nous<br />
les admirons car ils ont la force <strong>de</strong> caractère <strong>de</strong> l’acceptation. Nous les<br />
admirons enfin car ils nous étonnent par leur courage. Nous, nous ne le<br />
sommes guère, courageux, même si à l’instant elle nous dit le contraire ;<br />
tragique coïnci<strong>de</strong>nce ! Notre vie est riche en événements exceptionnels, nous le<br />
lui concédons, mais elle est chaotique au possible, sans len<strong>de</strong>main.<br />
Socialement, elle ne vaut rien car nous ne produisons rien, sinon ces quelques<br />
lignes <strong>de</strong> révolté contre nous-même et notre condition misérable plus que<br />
contre le mon<strong>de</strong>. Nous choisissons notre vie, cela est vrai, mais sans trop avoir<br />
le choix. Nous choisissons, en fin <strong>de</strong> compte, <strong>de</strong> contenter notre nature et <strong>de</strong><br />
suivre notre On<strong>de</strong>.<br />
Seul, assis au Quai <strong>de</strong>s Artistes, entouré <strong>de</strong> gens qui travaillent et dînent,<br />
550
Carnet d’errance<br />
nous cogitons sur notre trop proche avenir.<br />
En moins d’une journée, nous parcourûmes cinq ports en vain, suivant cet<br />
orage impétueux qui trempe le Sud-Est <strong>de</strong> ses cor<strong>de</strong>s que nous aurions<br />
savourées ailleurs, en un autre moment. En vain nous nous dîmes à chacun<br />
d’eux : « Peut-être est-ce le bon ! »<br />
Deux heures que nous sommes ici, il ne pleut plus, notre pantalon est<br />
toujours humi<strong>de</strong>, nos DVS baignent et notre esprit s’égare dans ces<br />
considérations matérielles finalement sans importance. Nous <strong>de</strong>vons entretenir<br />
notre foi sectaire tournée vers le large dans le positivisme. Soyons fort et<br />
faisons honneur à l’attribut <strong>de</strong> ce carnet !<br />
551
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 1 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Principauté <strong>de</strong> Monaco, 16h45.<br />
Parce qu’il faut nécessairement nous retrouver quelque part, ce ne pouvait<br />
être qu’au Quai <strong>de</strong>s Artistes ! Nos recherches restant infructueuses et le weekend<br />
venant, nous sautâmes dans le premier TER <strong>de</strong>puis Antibes où nous<br />
trouvâmes rési<strong>de</strong>nce temporaire pour venir refroidir notre esprit bouillonnant<br />
ici, lieu calme et plein <strong>de</strong> vie à la fois. Nous laissâmes notre énorme sac là-bas<br />
avec un mot pour celui ou celle qui le trouverait. Nous avons avec nous<br />
papiers, le peu <strong>de</strong> fric qu’il nous reste et sommes habillé “bitch beach style” car<br />
une lessive était plus que nécessaire et qu’elle sèche en ce moment à Antibes.<br />
Voici pour les nouvelles fraîches. Ah ! Nous trouvâmes également <strong>de</strong>s YSL qui<br />
constituent avec le chocolat chaud et le verre d’eau <strong>de</strong>vant nous notre repas du<br />
jour. Notre main en tremble, les mots qu’elle dicte sont frileux. Nous<br />
retournerons dans notre squat en toute fin <strong>de</strong> journée. Un squat bien<br />
confortable du reste ; laisse-nous te raconter, Fidèle.<br />
Nous rencontrâmes, mercredi, à la capitainerie d’Antibes, un agent qui<br />
nous raconta sa vie et nous indiqua le Relais International <strong>de</strong> la Jeunesse où<br />
nous pouvions, peut-être, passer la nuit. Nous nous y rendîmes en fin <strong>de</strong> soirée<br />
sous la pluie pour nous retrouver <strong>de</strong>vant un portail ca<strong>de</strong>nassé. Il y avait un abri<br />
<strong>de</strong> jardin et en désespoir <strong>de</strong> cause, ne pouvant ni ne voulant revenir sur<br />
plusieurs kilomètres <strong>de</strong> pas le long <strong>de</strong> la côte, nous l’escaladâmes et y<br />
déposâmes notre lourd bagage. Nous fîmes le tour <strong>de</strong> la rési<strong>de</strong>nce,<br />
apparemment vidée <strong>de</strong> ses estivaux et trouvâmes par miracle une porte ouverte<br />
avec <strong>de</strong>s lits, <strong>de</strong>s tables entreposés et, ô comble <strong>de</strong> joie, une salle <strong>de</strong> bain avec<br />
eau chau<strong>de</strong> !<br />
Huitième clope <strong>de</strong>puis la gare <strong>de</strong> Nice. Jouons donc un peu avec<br />
Parkinson…<br />
Nous nous installâmes en silence, n’étant pas sûr <strong>de</strong> l’endroit et la lumière à<br />
l’étage ne <strong>de</strong>vant servir que <strong>de</strong> veille pour les cambrioleurs, prîmes une douche<br />
et nous endormîmes comme un loir. Nos rêves nous invitèrent aux délires les<br />
plus fous, reflets <strong>de</strong> notre situation actuelle. Cette invitation sans carte nous<br />
préoccupa et nous nous réveillâmes <strong>de</strong>ux ou trois fois dans la nuit pour le<br />
constater.<br />
552
Carnet d’errance<br />
Hier, nous fîmes le tour <strong>de</strong>s yachts, toujours sans résultat, et trouvâmes<br />
finalement Anita, chez AMPM Crew Solutions, 1 avenue <strong>de</strong> la Libération, tout<br />
proche du port Vauban, qui, sinon <strong>de</strong> nous offrir une place sur un bateau, nous<br />
accueillit avec <strong>de</strong>s conseils avisés. Elle nous donna une feuille d’inscription à<br />
remplir et nous dit <strong>de</strong> repasser. Avant <strong>de</strong> rentrer au Relais, nous nous<br />
octroyâmes un moment <strong>de</strong> repos, sous un fin crachin, au bout du port, à côté<br />
du phare, après le superbe yacht saoudien.<br />
Olivier, le serveur, nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, puisque nous sommes seul dans le barrestaurant,<br />
quelle musique nous souhaitons écouter : « Du rock<br />
d’aujourd’hui ! » et nous parlons.<br />
Hier soir, nous retournâmes au Relais, fîmes notre lessive et priâmes tous<br />
les seins géniteurs <strong>de</strong> la Création pour qu’on nous y foute la paix.<br />
Ce matin, sur les conseils d’Anita toujours, nous entamâmes sérieusement<br />
notre “budget” dans un cybercafé, à côté du pub Blue Lady d’Antibes, pour<br />
rédiger notre CV en anglais et l’axer davantage sur le yachting. N’ayant aucune<br />
expérience dans ce domaine ou dans la restauration, nous dûmes y inscrire au<br />
moins nos motivations ; c’était indispensable, nous mangerons (encore) moins,<br />
voilà tout ! Nous ne pourrons lui remettre en revanche que lundi matin. D’ici<br />
là, l’éternel stand-by du week-end nous attend et c’est pourquoi nous sommes<br />
ici, parce qu’il faut nécessairement pouvoir nous retrouver quelque part…<br />
Essayons-nous, puisque le temps ne semble toujours pas s’intéresser à<br />
nous, à quelque <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> ce lieu d’ancrage.<br />
Devant nous, au fond <strong>de</strong> la salle côté cuisines, un Fernan<strong>de</strong>l étonné<br />
contemple les clients goinfrés et éclairés par un majestueux lustre <strong>de</strong> verre que<br />
les petits salons accueilleront plus tard dans la soirée. L’entrée, portique<br />
tournant plombé d’une Ferrari <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> époque, engage la créativité d’un<br />
grand hôtel parisien dont la célèbre tour est louée en peinture, fresques et<br />
décorations diverses. Comme aux Danaï<strong>de</strong>s à Marseille, un peintre expose <strong>de</strong>s<br />
œuvres numérotées sur les murs ; ambiance bucolique, o<strong>de</strong> à l’été encore<br />
fraîchement présent. Le comptoir où siège notre inspiration domine le reste <strong>de</strong><br />
la salle <strong>de</strong> son long comme s’il voulait rappeler sa place sur l’échelle du bar où<br />
le passant sans attache, l’habitué, le restaurateur en fin <strong>de</strong> service s’attar<strong>de</strong>nt. Il<br />
est bleu et tranche avec la sobriété <strong>de</strong>s sièges consacrés aux mondains.<br />
Ce bar présente tous les aspects <strong>de</strong> l’entretien et du bon goût. Pour preuve,<br />
553
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Bombay Sapphire et Pétrus s’imposent à notre palais connaisseur. Enfin, pour<br />
clore ce tour sommaire, citons le prince qui n’est plus seulement héréditaire<br />
cadré discrètement près <strong>de</strong> la caisse, joli symbole du capital que représente son<br />
rocher…<br />
554
Carnet d’errance<br />
2 2 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Antibes (Provence, France), 16h34.<br />
Qu’ajouter d’autre à notre situation que nous n’écrivions déjà hier ? Nous<br />
trottons entre Monaco et Antibes, essayons <strong>de</strong> nous y faire une petite place.<br />
Alors que <strong>de</strong> notre promontoire nous contemplons les bateaux du port<br />
Vauban dont les mâts inaccessibles nous narguent, les mouettes, leur bec noir<br />
grand ouvert, elles qui <strong>de</strong> naissance ont l’expérience du large, se rient <strong>de</strong> nos<br />
aventures. L’énorme burger acheté à l’instant dans la vieille ville ne semble<br />
même pas les intéresser. Nous mangeons tant que nous le pouvons avant la<br />
pénurie qui s’annonce.<br />
Nous avions prévu <strong>de</strong> faire le tour <strong>de</strong>s agences d’intérim et d’éditer<br />
plusieurs CV aujourd’hui mais il plut ce matin et nos bonnes volontés<br />
fondirent.<br />
Hier, nous fîmes <strong>de</strong>ux rencontres intéressantes, presque perturbantes.<br />
La première se fit en gare <strong>de</strong> Nice où nous nous arrêtâmes sans trop savoir<br />
pourquoi. La SNCF avait annulé <strong>de</strong>ux TER et la voie était envahie <strong>de</strong><br />
voyageurs circonspects et résignés plus qu’en colère. Au milieu, un jeune<br />
homme attira notre regard. Il avait une salopette en jean dont il laissait traîner<br />
les bretelles <strong>de</strong>rrières lui, un sweet noir à capuche qui ne laissait voir qu’un<br />
visage à la peau mat et une mèche ténébreuse <strong>de</strong>vant l’œil droit. Nous ne<br />
l’abordâmes pas, bien qu’il fût à quelques pas seulement <strong>de</strong> nous, mais il nous<br />
charma, sans même s’en apercevoir. Nous le prîmes pour un garçon <strong>de</strong>s rues,<br />
vaquant au milieu <strong>de</strong> la foule à la recherche <strong>de</strong> rien, donc <strong>de</strong> tout. Il s’était<br />
arrêté auprès <strong>de</strong> trois backpackers anglo-saxons pour leur emprunter leur<br />
djembe et en jouer. Il avait le rythme dans la peau et tout le mon<strong>de</strong>, nous<br />
l’observâmes, reconnaissait l’agilité <strong>de</strong> ses doigts ; l’attente en fut moins longue<br />
sans doute. Il y mettait son cœur et, sur son visage, nous pûmes lire du<br />
bonheur, peut-être. Notre train annoncé, il quitta les trois backpackers et alla<br />
s’asseoir sur la voie d’en face. Nous le regardâmes s’éloigner et nous ne savons<br />
quel sentiment naquit en nous. Ce garçon, un parmi d’autres mais avec ce petit<br />
quelque chose qu’eux n’avaient pas, nous l’enviions ! Jamais encore n’avionsnous<br />
envié quelqu’un à ce point, nous satisfaisant <strong>de</strong> notre vie perturbée en<br />
général. Nous ne cessâmes <strong>de</strong> penser à lui dès lors et c’est hier soir, dans notre<br />
555
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
lit, que nous comprîmes que nous enviions son naturel, sa vie ou plutôt l’image<br />
<strong>de</strong> sa vie que nous captâmes dans son regard. Nous comprîmes également<br />
dans ce lit qui n’était pas le nôtre combien nous aimerions nous réveiller au<br />
matin avec quelqu’un comme lui dans les bras, endormi, angélique encore<br />
avant le trouble moral que l’éveil apporte. Nous comprîmes enfin combien<br />
nous haïssions la solitu<strong>de</strong>, rapace plein <strong>de</strong> doutes et d’angoisses. Hélas<br />
portons-nous un <strong>de</strong>uil plus lourd encore et, l’a-t-on décidé, <strong>de</strong>vons-nous le<br />
porter seul…<br />
La secon<strong>de</strong> rencontre, nous la fîmes quelques instants après que nous<br />
étions sorti du Quai <strong>de</strong>s Artistes. Nous nous promenions alors sur un quai et<br />
une voiture <strong>de</strong> la police maritime s’arrêta. À Monaco, en plus <strong>de</strong>s caméras, il y<br />
a <strong>de</strong>s condés partout qui veillent. Ce surplus n’est pas plus mal, autrement<br />
retrouverions-nous vite là un Tortura du grand siècle <strong>de</strong> la flibuste. L’agent au<br />
volant, à notre passage, nous interpella :<br />
L’AGENT DE POLICE . Bonsoir ! Que faites-vous ici ?<br />
NOUS . Et bien, je regar<strong>de</strong> les bateaux…<br />
Cette réponse nous parut fort naturelle sur un port bondé <strong>de</strong> touristes à<br />
l’appareil photographique exubérant. Il nous <strong>de</strong>manda nos papiers et nous lui<br />
donnâmes notre passeport. Ainsi la conversation s’engagea-t-elle et nous leur<br />
parlâmes <strong>de</strong> notre venue sur la côte, <strong>de</strong> notre recherche. Nous entamâmes un<br />
véritable déballage <strong>de</strong> notre vie que, ne la cachant pas, tout le mon<strong>de</strong> va finir<br />
par connaître à force. La sincérité est notre plus gran<strong>de</strong> qualité comme notre<br />
plus grosse source d’ennuis mais il ne sembla pas choqué lorsque nous<br />
évoquâmes nos <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> débauche – au contraire en parlâmesnous<br />
naturellement ! Notre histoire n’est pas conventionnelle mais après tout<br />
pas unique non plus. Finalement, l’agent qui nous interrogea, un officier vu<br />
son uniforme et sa gran<strong>de</strong> tenue, nous invita lui aussi à déposer nos CV sur les<br />
yachts même si tel démarchage n’était que toléré, nous indiqua différentes<br />
agences d’intérim, <strong>de</strong> placement d’équipages et tout se passa bien.<br />
L’AGENT DE POLICE . Où allez-vous dormir ce soir ?<br />
556
Carnet d’errance<br />
La question phare ! Nous ne risquions pas cependant <strong>de</strong> lui parler <strong>de</strong> notre<br />
squat à La Garoupe et lui répondîmes avec le sourire “bon moral, bonne<br />
confiance” que nous ne le savions pas encore. Nous parlâmes une <strong>de</strong>mi-heure<br />
environ et il nous laissa continuer notre route en nous rappelant <strong>de</strong> revenir<br />
tenter notre chance sur le quai <strong>de</strong>s États-Unis. Nous partîmes sans réelle<br />
solution toujours mais étonné par tant <strong>de</strong> compréhension – non habitué à cela<br />
en Pays d’Aix avec ses connards <strong>de</strong> municipaux – et quelques pistes<br />
supplémentaires à suivre.<br />
Nous avons la chance <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r un contact naturel avec les gens,<br />
insuffisant dans certains cas mais fort utile dans d’autres ; preuve est faite !<br />
557
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 3 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Principauté <strong>de</strong> Monaco, 16h34.<br />
Nous passâmes une autre journée sur le Rocher, ne pouvant nous résoudre<br />
à rester au Relais, surtout que le temps se prêtait à promena<strong>de</strong> dès le milieu <strong>de</strong><br />
la matinée. Nous trouvâmes un cybercafé près du port Vauban d’Antibes,<br />
éditâmes quelques CV et montâmes dans le premier train en direction <strong>de</strong><br />
Vintimille. Là, une jeune espagnol, parmi trois autres, nous rappela que nous<br />
fondions littéralement <strong>de</strong>vant tel accent chez une fille – surtout employé avec<br />
autant <strong>de</strong> charme qu’elle.<br />
Nous n’avons déposé aucun CV encore ; nous le ferons la nuit tombée. Est<br />
amarré sur le port, quai <strong>de</strong>s États-Unis, un sailing-yacht au doux nom <strong>de</strong> Lady K<br />
et un peu plus loin son jumeau le Lady K II. Un signe du Destin ?<br />
Côté personnel, il nous reste 50 euros, <strong>de</strong> quoi tenir, peut-être, la semaine si<br />
nous <strong>de</strong>vons attendre les éventuelles réponses à nos recherches. Après…<br />
Heureusement ne payons-nous pas le train et jusques ici ne nous fîmes-nous<br />
pas choper. Nous imaginons mal en fait un contrôleur verbaliser un resquilleur<br />
étranger et le Trésor Public envoyer l’amen<strong>de</strong> sur quelque île <strong>de</strong>s Caraïbes, en<br />
Russie ou à Gibraltar… Zone exonérée ? Nous en doutons mais nous prions<br />
quand même pour passer au travers le temps <strong>de</strong> notre séjour ici.<br />
Nous commençons <strong>de</strong> nous bien diriger sur la côte que nous fîmes nôtre<br />
voilà six jours. Nous y établîmes déjà <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s (gênantes lorsqu’il faut s’en<br />
détacher), repérâmes certains lieux sympathiques, fîmes <strong>de</strong>s connaissances et<br />
surtout, nous nous faisons à l’idée <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir nous installer ici pour quelque<br />
temps si nous voulons avoir la chance d’embarquer la saison prochaine, peutêtre<br />
et toujours dans l’hypothèse très peu crédible que nous ne trouvions pas<br />
avant. Ayons confiance !<br />
558
Carnet d’errance<br />
2 4 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Principauté <strong>de</strong> Monaco, 14h39.<br />
Et comme toujours, ce syndrome <strong>de</strong> la préparole dont nous avons<br />
l’honneur <strong>de</strong> revendiquer la paternité nous rappelle une fois <strong>de</strong> plus que nous<br />
<strong>de</strong>vrions, plus souvent, fermer notre gueule ; l’apprentissage est difficile !<br />
Ce matin, un peu avant 9 heures, un homme entra dans le local du Relais<br />
en fracassant la chaise que nous avions laissée <strong>de</strong>rrière la porte pour prévenir<br />
<strong>de</strong> l’intrus ; il venait la fermer. Premier connard <strong>de</strong> ce psycho-trip que nous<br />
rencontrâmes. De la colère plus que <strong>de</strong> la surprise se lisait sur son visage. Sur le<br />
nôtre, rien, une brume légère, peut-être, dû à notre récent réveil. Il nous<br />
<strong>de</strong>manda, comme il l’aurait <strong>de</strong>mandé à un chien, ce que nous faisions là. Nous<br />
lui expliquâmes mais il ne voulut rien entendre et nous laissa cinq minutes –<br />
nous dit-il dans le jargon <strong>de</strong> l’imbécile qui se sait dans son droit, trop content<br />
d’avoir le <strong>de</strong>ssus, sans une once <strong>de</strong> civilité – pour débarrasser les lieux. Nous<br />
étions alors assis sur un lit, motivé pour une autre journée <strong>de</strong> recherches et<br />
heureusement presque déjà habillé. Nous refîmes donc notre sac à la hâte, peu<br />
déballé par précaution, et partîmes tracer notre sillon vers quelque autre rive<br />
inconnue.<br />
Nous nous retrouvons donc une fois encore à la rue, suivant la constance<br />
qui nous caractérise, sans nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r notre avis, <strong>de</strong>puis notre départ ; <strong>de</strong>ux<br />
semaines déjà ! Nous <strong>de</strong>vons donc nous attendre à passer <strong>de</strong>ux nuits <strong>de</strong> mer<strong>de</strong>.<br />
Que faire ? Où aller ? Deux récurrentes sans réponse immédiate. La lame<br />
acérée <strong>de</strong> Damoclès pend au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> notre tête et tranche les fils, mo<strong>de</strong>stes,<br />
que nous tissons – elle y prend, cette salope, un malin plaisir.<br />
Dans notre malheur toutefois eûmes-nous <strong>de</strong> la chance. Nous avions prévu<br />
<strong>de</strong> quitter le Relais tôt dans la matinée car notre journée s’annonçait chargée<br />
mais notre flemme nous séduisit davantage et nous flânâmes une heure <strong>de</strong> plus<br />
dans la chaleur accumulée <strong>de</strong> la nuit. Si la raison avait eu le <strong>de</strong>ssus, nous<br />
aurions trouvé ce soir porte close, notre sac à l’intérieur caché dans le placard,<br />
et nous aurions dû enfoncer la porte. Qui sait alors quel pire événement aurait<br />
attaqué notre résolution ?!<br />
Nous sommes assis <strong>de</strong>hors, sur la terrasse. Le temps est clair et nous nous<br />
rendons compte que toute idée architecturale à Monaco a laissé place à un<br />
559
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
bor<strong>de</strong>l d’immeubles entassés les uns sur les autres sans harmonie ou un<br />
minimum <strong>de</strong> cohérence. Un marin ne connaissant pas encore la cité doit être<br />
bien déçu en entrant dans le port ! Il nous semble, mais nous nous avançons<br />
peut-être trop (à toi <strong>de</strong> nous le dire, Fidèle), qu’Andorre a déjà plus <strong>de</strong> style.<br />
Pourtant est-elle, elle aussi, un puzzle mal formé. Elle reflète l’état dans lequel<br />
serait la chambre d’un enfant <strong>de</strong> milliardaire turbulent qui s’essaierait aux legos.<br />
Hier soir, nous fîmes donc le tour du port mais ne trouvâmes hélas aucun<br />
yacht où laisser notre CV, aucun sauf un : le Lady K II où nous pûmes parler<br />
un peu avec une fille du bord, embarquée à O<strong>de</strong>ssa sur un coup <strong>de</strong> chance ;<br />
comme quoi cela existe-t-il ! Nous lui laissâmes notre CV mais sans chance<br />
d’être embarqué car le yacht en question reste à quai, ici ou ailleurs, et ne<br />
recherche aucun membre d’équipage. Nous rentrâmes doucement au Relais en<br />
prenant le temps <strong>de</strong> visiter un peu la vieille ville d’Antibes sur notre chemin.<br />
Quel extraordinaire contraste, ces vieux murs et ce port avec les allées plus<br />
mo<strong>de</strong>rnes d’en haut, comme si l’on avait voulu afficher en vitrine le meilleur<br />
pour cacher le pire ou, au moins, les mœurs simples et sans prétention du<br />
Français dit “moyen”. Toutes les villes ont leur lumière, disons-nous, lorsque la<br />
petite voix nous répond : « C’est établit, tout comme leur part d’ombre. » Mais,<br />
encore une fois, sur la côte est-ce saisissant !<br />
560
Carnet d’errance<br />
2 5 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Cannes (Provence, France), 00h54.<br />
Ah, la Croisette ! Aussi belle et chic que la Promena<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Anglais (sauf<br />
qu’ici, c’est du sable). Il nous manquait un port, voilà qui est fait ! Il y a<br />
quelques instants, nous rêvions et tergiversions sur nous-même <strong>de</strong> l’autre côté,<br />
sur la digue, au milieu <strong>de</strong> mâts toujours inaccessibles. Il faut nous rendre à<br />
l’évi<strong>de</strong>nce : jamais nous ne monterons à bord d’un <strong>de</strong> ces yachts, hélas ! Nous<br />
ne <strong>de</strong>vons pas être fait pour cela, nous avons trouvé notre limite.<br />
Allongé sur un banc en pierre, la tête sur notre sac rescapé, nous<br />
regardâmes les nuages pendant près <strong>de</strong> quatre heures, entre <strong>de</strong>ux marches<br />
ron<strong>de</strong>s sur les rochers, clope au bec et musique dans les oreilles. Notre sort est<br />
loin d’être dramatique, quoi qu’il nous semblât l’être un moment à Monaco cet<br />
après-midi. Nous réalisâmes que nous étions libre, véritablement, et que ce<br />
voyage, par l’intermédiaire <strong>de</strong> ce carnet, allait nous apporter, peut-être, une<br />
réponse à la question que tu dois te poser, Fidèle : « Mais qu’est-il donc venu<br />
faire sur Terre, cet être-là ? » Martinez, Carlton ou Majestic Barrière ne nous<br />
ai<strong>de</strong>ront pas dans cette affaire ; à nous <strong>de</strong> nous débrouiller seul.<br />
La foi sectaire déjà citée que nous entretenons <strong>de</strong>puis six jours maintenant<br />
est crucifiée. Elle ne laisse comme <strong>de</strong>scendance que le rêve <strong>de</strong>s flots et la<br />
frustration du quai : un frère et une sœur qui ne cessent <strong>de</strong> se chamailler quand<br />
leur tuteur (et auteur <strong>de</strong> ces lignes) se noie dans le gin suave et décourageant.<br />
Combien <strong>de</strong> fois avons-nous baffé cet éthylique renaissant <strong>de</strong>puis notre<br />
départ, combien ? La foi perdue, le foie en <strong>de</strong>venir, il lui restera la larme<br />
chagrine et la main mendiante pour survivre.<br />
Nous les voyons, ces suceurs ailés qui en veulent à notre sang. Prenez<br />
gar<strong>de</strong>, compères nocturnes, vous risqueriez <strong>de</strong> prendre flamme au prochain<br />
lampadaire si vous vous attachez trop à nous ! La nuit porte conseil, dit-on,<br />
mais entre cinq arbres et un pieux éclaireur, elle apporte aussi boutons et<br />
rougeurs, omet-on <strong>de</strong> prévenir. Nous divaguons. C’est que nous ne trouvons<br />
pas le sommeil ; non que nous n’ayons pas envie ou besoin <strong>de</strong> dormir, c’est<br />
juste qu’il est parti coucher ailleurs – probablement avec ce charmant garçon<br />
<strong>de</strong> trottoir croisé en venant ici – en nous laissant seul avec notre plume. Et que<br />
faire d’autre avec une plume sinon écrire ? Se la foutre au cul est, dans notre<br />
561
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
cas, loin d’être suffisant pour éprouver quelque plaisir, alors<br />
conventionnellement écrivons-nous.<br />
Les Vents se levant, nous <strong>de</strong>vrions trouver un abri mais nous avons<br />
suffisamment prouvé que nous n’étions pas raisonnable pour rester encore un<br />
peu. La baie mérite cet honneur, elle qui ne sait pas quand nous reviendrons<br />
chercher notre inspiration dans ses sens reposants.<br />
Allons, il suffit ! Nous ne voudrions pas, en plus <strong>de</strong> la plume, avoir à nous<br />
taper la pluie.<br />
Nice (Provence, France), 14h32.<br />
Alors que nous étions confortablement adossé à notre sac contre un<br />
poteau sur la voie <strong>de</strong> la gare, ne gênant personne, celle-ci étant pratiquement<br />
vi<strong>de</strong>, un agent bleu osa nous dire que c’était interdit. Nous étions bien, sur le<br />
point <strong>de</strong> nous endormir au Soleil pour supporter ces <strong>de</strong>ux heures d’attente ;<br />
nous lui fîmes la moue du blasé qui ne cherche même plus à comprendre.<br />
Encore un pseudo chef content, fier même, <strong>de</strong> son ordonnance finalement<br />
médiocre.<br />
Nous sommes fatigué. Cette nuit, après nos tergiversations manuscrites,<br />
nous rejoignîmes la gare pensant y trouver un abri mais elle était fermée. Nous<br />
nous assîmes <strong>de</strong>vant sous le porche et le défilé <strong>de</strong> poivrots débraillés nous<br />
saoulant nous fit poser nos jolies fesses sur la plage <strong>de</strong> la Croisette entre le<br />
ponton du Martinez et celui du Majestic Barrière. Nos pieds nus purent<br />
apprécier ce sentiment d’évasion entre sable et vagues et nous y passâmes la<br />
nuit jusques à 6 heures, heure d’installation du bar <strong>de</strong> plage contre lequel nous<br />
avions établi notre campement.<br />
Si nous sommes à la gare <strong>de</strong> Nice, c’est que nous montons à Paris. Ne nous<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas pourquoi, Fidèle, tu sais déjà que nous n’en savons pas plus que<br />
toi… En fait, nous avons dans l’idée <strong>de</strong> rejoindre le Morbihan, côte plus<br />
sauvage, plus véritable. Nous ne nous souvenons pas <strong>de</strong> notre toute jeune<br />
enfance passée là-bas ; nécessairement, nous n’avions que quelques mois ! Il est<br />
plus que temps <strong>de</strong> revenir aux sources. Nous pourrions, cela dit, peut-être,<br />
rester quelques jours à Paris mais avec 30 euros, cela va nous être hélas<br />
impossible.<br />
562
Carnet d’errance<br />
Que retenons-nous <strong>de</strong> ce chapitre provençal ? Tout d’abord, que les<br />
burgers au Mac Donald’s <strong>de</strong> Monaco sont meilleurs qu’à Aix-en-Provence ;<br />
oui, c’est important ! Ensuite, que nos besoins sont [re]<strong>de</strong>venus primaires :<br />
trouver à manger, pouvoir dormir au sec, nous doucher et baiser. Enfin, que si<br />
nous voulons bosser sur un yacht un jour, il nous faudra certainement bosser<br />
sur un yacht d’abord. Heu… analysons ! Cette phrase ne veut rien dire. Bravo,<br />
tu as tout compris ! En fait, nous caricaturons. Si nous voulons embarquer, il<br />
nous faudra simplement prouver que nous pouvons embarquer. Voilà un<br />
accord plus honnête ! Pour cette saison, c’était juste mais au moins maintenant<br />
avons-nous informations et adresses.<br />
563
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 6 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 3h30.<br />
Ni la vieille dame, ni le phare Eiffel, ni le vit égyptien planté dans les Cieux,<br />
ni le cul <strong>de</strong> Jeanne, vierge énoncée mais princesse guerrière à la fente sévère, ni<br />
les ardoises phosphorescentes du Louvre ; ni même les eaux sales et les rives<br />
grouillantes, le sable envahissant les marches du jardin <strong>de</strong>s Tuileries, le cycle<br />
éternel <strong>de</strong> la cotonneuse volute, ces rues interminables que le reste <strong>de</strong> la France<br />
appelle avenues ou boulevards ; ni même l’étrange Théâtre <strong>de</strong> Poche, la<br />
métamorphose du phare en sapin à 00h57 ; ni même notre état <strong>de</strong> fatigue déjà<br />
bien avancé, la haute couture consumée avec exagération, le froid tremblement<br />
<strong>de</strong> nos muscles, la pensée saliveuse d’un énorme steak aux Trois Maillets ne<br />
parvinrent à nous donner l’inspiration du soir ! Paris ne sera qu’une escale sans<br />
saveur à l’orée <strong>de</strong> notre bois d’aventures. Paris ne fut-elle pas Paris que nous ne<br />
l’eussions parcourue.<br />
Ne sachant que faire après notre promena<strong>de</strong> dans la capitale par les quais,<br />
nos arrêts fréquents pour nous asseoir contre un arbre et fumer en écoutant les<br />
joueurs <strong>de</strong> guitares et les jeunes cosmopolites parler, nous montâmes à Saint-<br />
Germain-<strong>de</strong>s-Prés et trouvâmes le Old Navy, un bar-brasserie. À Paris, on ne<br />
dort pas ! Nous infligeâmes à notre bourse une <strong>de</strong>rnière folie – assurément<br />
c’en est une, il ne nous reste que 10 euros et quelques centimes – pour un<br />
<strong>de</strong>rnier repas <strong>de</strong> rêve : faux-filet cuit à point, sa sauce et <strong>de</strong> vraies frittes bien<br />
tendres.<br />
Nous partîmes voilà seize jours avec peu, il ne nous reste rien. Nous<br />
commençons d’en avoir marre d’être seul mais ne pouvons nous attacher à<br />
quelqu’un ; nous <strong>de</strong>vons tenir encore quelque temps ! Et puis la question ne se<br />
pose-t-elle pas, n’ayant rencontré personne à notre goût véritable pour le<br />
moment excepté le jeune ténébreux <strong>de</strong> la gare <strong>de</strong> Nice. Les gens que nous<br />
apprécions sont peu nombreux mais nous les apprécions vraiment et ils nous<br />
manquent. Nous étions encore hier assez proche d’eux ; aujourd’hui, la donne<br />
change. Se construire un cercle d’intimes quand on ne fait que passer comme<br />
nous n’est pas chose aisée, d’autant moins qu’en ce moment nous filons plus<br />
que nous ne passons. La sé<strong>de</strong>ntarité à ses bons côtés aussi…<br />
Mais qu’écrivons-nous ? Retiens-nous, Fidèle, que Diable ! Nous sommes<br />
564
Carnet d’errance<br />
un être solitaire, <strong>de</strong>stiné à l’être plus exactement. Non ! Nous aimons la<br />
proximité, les relations humaines intimes. Oui ! Non ! Et mer<strong>de</strong>, nous n’en<br />
savons rien. Si ! Nous avons besoin <strong>de</strong> quelqu’un, pas d’un mec mais d’un<br />
compagnon. Notre évolution DOIT nécessairement passer par lui, sinon à<br />
quel regard fin critique car connaisseur pourrions-nous bien nous référer ?! Il<br />
est difficile <strong>de</strong> nous vraiment connaître. L’autre nous perçoit souvent plus<br />
facilement car lui seul peut accé<strong>de</strong>r à notre regard. Nous essayons d’être<br />
impartial et sincère avec nous-même mais <strong>de</strong>s choses nous échappent. Il nous<br />
faut un miroir. Non, mieux ! Il nous faut une personnalité à laquelle nous<br />
confronter, mais une qui nous comprenne et que nous pouvons cerner en<br />
retour, pas une faça<strong>de</strong>, quelqu’un <strong>de</strong> vrai qui, comme nous, fait tout son<br />
possible pour exploiter ses erreurs et tracer son chemin dans un sillon sans<br />
para<strong>de</strong>, parallèle au nôtre. Avis à populace, Oyez : TWIN WANTED ! Le<br />
chaînon manquant, tout vient <strong>de</strong> là.<br />
565
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 7 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Quiberon (Armorique, France), 11h58.<br />
Le sable vole et fouette, les Vents s’expriment et le Morbihan, comme pour<br />
dire au mon<strong>de</strong> à travers notre carnet qu’il ne pleut pas toujours en Armorique,<br />
a ses Cieux dégagés <strong>de</strong> tout nuage. Le Soleil, les mouettes et quelques avions<br />
<strong>de</strong> gran<strong>de</strong> ligne sont aujourd’hui ses seuls composants.<br />
C’est magnifique ! Nous aurions dû naître et vivre ici, quel gâchis ! La<br />
Nature alors nous aurait-elle transmis sa force et sa volonté – il nous manque<br />
les <strong>de</strong>ux. Nous ne nous plaignons pas, nous voulons juste nous analyser. Après<br />
tout partîmes-nous pour nous trouver… Il nous manque les <strong>de</strong>ux donc : la<br />
force et la volonté <strong>de</strong> vivre. Nous n’avons envie <strong>de</strong> rien. Nous assumons cette<br />
vérité <strong>de</strong>puis longtemps mais elle <strong>de</strong>vient pesante. Si nulle part nous ne<br />
trouvons l’inspiration (nous ne parlons pas <strong>de</strong> l’inspiration littéraire mais <strong>de</strong><br />
l’inspiration <strong>de</strong> la Vie), où aller ? Que faire ? Pour conclure ce que nous<br />
effleurâmes hier à Paris, nous aurions dû naître <strong>de</strong>ux ou ne jamais naître du<br />
tout !<br />
Nous avons faim, en arrivons à poser notre regard sur la baguette <strong>de</strong> pain<br />
que le passant tient sous son bras ou le paquet <strong>de</strong> chips <strong>de</strong>s touristes assis sur<br />
le banc à notre droite.<br />
Que nous faut-il à la fin pour être heureux ? Trouver le mon<strong>de</strong> que nous<br />
cherchons tant ? Si oui, il nous faudrait faire usage <strong>de</strong> quelque magie ; oublions<br />
donc ! Nous enfermer dans un temple et fuir la société ? Non plus, nous ne<br />
pouvons pas fuir nos pensées. Nous jeter du haut d’une falaise après la<br />
publication <strong>de</strong> ce carnet chaotique pour finir dans le précieux vase <strong>de</strong>s auteurs<br />
géniaux reconnus post-mortem ? Non plus, nous sommes trop lâche, trop curieux<br />
<strong>de</strong> connaître notre Destinée pour y mettre un terme dès maintenant et trop<br />
génial pour savoir que dans la Mort nous ne retrouverons qu’un repos<br />
éphémère avant un recommencement plus ennuyeux encore. Alors quoi ?<br />
Dans le TGV <strong>de</strong> Nice à Avignon, mardi, avant que le contrôleur nous jetât<br />
<strong>de</strong>hors, nous fîmes la connaissance d’une parisienne, prési<strong>de</strong>nte adjoint d’un<br />
tribunal, ancienne soixante-huitar<strong>de</strong>, qui nous dit très justement qu’elle en était<br />
revenue et qu’elle était contente <strong>de</strong> s’être fait une place plutôt honorable dans<br />
cette société pleine <strong>de</strong> défauts. Elle avait raison, nous en avions conscience<br />
566
Carnet d’errance<br />
mais nous n’arrivons pas à nous l’imposer. Pour être franc, nous ne<br />
recherchons ni boulot, ni situation et nous n’avons même pas espoir<br />
d’atteindre les 35 ans – la sagesse <strong>de</strong> l’ancien, nous ne l’espérons donc pas non<br />
plus.<br />
Côte Sauvage, presqu’île <strong>de</strong> Quiberon (Armorique, France), 16h37.<br />
Nous n’avons plus faim ! Nous nous arrêtâmes au Vivier, un bar-restaurant<br />
sur la Côte Sauvage, pas très loin <strong>de</strong> Quiberon, pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au barman,<br />
Jaqui, s’il pouvait remplir notre gour<strong>de</strong> d’eau. Il était sympa et nous en<br />
profitâmes pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r également si, par hasard, il était possible <strong>de</strong> nous<br />
servir un repas chaud contre un peu <strong>de</strong> plonge ou quelque autre travail. Hélas<br />
la plonge était-elle faite et le service <strong>de</strong> midi était-il terminé. Tant pis, nous<br />
rangeâmes notre gour<strong>de</strong> quand il nous dit : « Par contre, je peux te faire une<br />
fritte si ça te dit ! » Une fritte, nous n’en espérions pas tant ! Il revint avec une<br />
assiette pleine, <strong>de</strong>ux tranches <strong>de</strong> jambon, une barquette <strong>de</strong> pain et du beurre<br />
<strong>de</strong>mi-sel (évi<strong>de</strong>mment). Nous eûmes même droit à un yaourt et du far aux<br />
pruneaux.<br />
À Auray, hier soir, nous entrâmes dans une boulangerie pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’ils<br />
n’avaient pas un pain invendable à nous donner. La ven<strong>de</strong>use – cette connasse !<br />
– nous répondit avec con<strong>de</strong>scendance : « Ah non ! Désolé mais on donne pas<br />
ici après ! » Nous commencions <strong>de</strong> croire, après avoir croisé en plus d’elle <strong>de</strong>s<br />
promeneurs dont le mot bonjour ne faisait pas partie <strong>de</strong> leur lexique, que les<br />
Bretons n’étaient pas accueillant mais finalement si, ils le sont et ont juste<br />
comme partout leur lot <strong>de</strong> gros cons.<br />
Il y a beaucoup <strong>de</strong> vent ici et les criques sont incroyables. Cette nuit déjà,<br />
sur la plage après les dunes blanches où nous dormîmes, il se levait. Rien à voir<br />
avec la Méditerranée où se baigner dans une crique avec laquelle les Vents<br />
jouent, c’est marrant. Ici, c’est du suici<strong>de</strong> ! L’Océan passe du bleu sombre au<br />
turquoise puis au blanc une trentaine <strong>de</strong> mètres avant la falaise pour recouvrir<br />
entièrement parfois les hauts rocs qui précè<strong>de</strong>nt.<br />
Nous regrettons <strong>de</strong> ne pas avoir d’appareil photo pour sauver ces images et<br />
surtout te les faire partager, Fidèle, mais après tout le Morbihan est-il<br />
accessible et n’as-tu qu’à venir le voir pas toi-même !<br />
567
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 9 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Carnac (Armorique, France), 14h54.<br />
La fontaine Saint-Colomban est un petit jardin d’É<strong>de</strong>n que le mon<strong>de</strong><br />
entoure sans trop oser y pénétrer. Nous sentons ici les années, les siècles d’un<br />
recueillement <strong>de</strong> pierre que la mousse fit sien. Nous nous attendons à voir là<br />
un croisé vétéran en armure tenant un calice à la main ; ou encore une épée à la<br />
poigne simple et soli<strong>de</strong> mariée à un roc gravé d’oghams ; ou encore le défilé<br />
mortuaire mais noble et joyeux d’un roi valeureux et oublié. Ce lieu dans une<br />
forêt primaire serait un enchantement ! Dommage que la route l’ait cerné,<br />
comme pour empêcher, peut-être, toute superstition malheureuse <strong>de</strong> s’en<br />
échapper.<br />
Hier midi, après une autre nuit humi<strong>de</strong> sous un arbre entre le fort <strong>de</strong><br />
Penthièvre et le camping municipal, nous arrivâmes à Kérouriec, un petit<br />
bourg entre Plouharnel et Étel, dans un état nauséeux et surtout affamé – la<br />
bouffe nous hante ! Ne sachant quel chemin emprunter pour, au moins,<br />
tomber sur une boulangerie quelconque, nous nous arrêtâmes dans une ruelle<br />
pour nous renseigner. On nous indiqua Er<strong>de</strong>ven, la ville suivante, et nous<br />
dûmes revenir sur nos pas. C’est alors qu’un peu plus loin une femme et sa<br />
fille, toutes <strong>de</strong>ux en bicyclettes, nous interpellèrent pour nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
étrangement si nous recherchions l’abbaye. Pas si étrange que cela toutefois si<br />
l’on prend en considération le complet <strong>de</strong> voyage que nous nous choisîmes à<br />
notre départ – nous ressemblons effectivement à un séminariste. Un bâton <strong>de</strong><br />
marche en plus et on nous croirait parti pour Compostelle…<br />
Nous engageâmes donc la conversation. Elles s’appelaient Véronique et<br />
Isaure, nous avaient vu passer <strong>de</strong>vant chez elles par <strong>de</strong>ux fois et se proposèrent<br />
<strong>de</strong> nous inviter à déjeuner. Nous acceptâmes volontiers et les suivîmes sur<br />
quelques mètres, jusques à une maison bretonne, vétuste presque, un confort<br />
minimal, un arrangement simple, peu <strong>de</strong> meubles, un camp atypique et<br />
bienvenu que nous adorâmes dès le pallier. Nous nous mîmes à table dans une<br />
ambiance sympathique <strong>de</strong> forum alter mondialiste. Beaucoup <strong>de</strong> sujets furent<br />
abordés, installant partage et ouverture d’esprit sur le trône <strong>de</strong> la<br />
communication productive.<br />
Véronique nous proposa <strong>de</strong> rester un peu et nous passâmes l’après-midi à<br />
568
Carnet d’errance<br />
jouer avec Isaure pendant qu’elle et Fabrice (un ami), allèrent en ville faire <strong>de</strong>s<br />
courses. Nous inspirons la confiance dans le cœur <strong>de</strong>s gens ; c’est bien heureux<br />
et notre plus grand bonheur est <strong>de</strong> faire ressortir ce qu’il y a <strong>de</strong> bon et <strong>de</strong><br />
sincère en eux.<br />
Véronique nous invita également à passer la nuit chez eux (leur maison <strong>de</strong><br />
vacances en fait) et nous acceptâmes en voyant le temps à la fenêtre. Nous<br />
sortîmes tous manger une pizza au Galiléo à Er<strong>de</strong>ven avant d’assister à un<br />
concert breton à la chapelle Saint-Armel <strong>de</strong> Plouharnel. Nous fûmes envoûté<br />
pendant environ <strong>de</strong>ux heures trente par bombar<strong>de</strong>, orgue, harpe et chants<br />
bretons, en sortîmes conquis et dormîmes dans le hamac du grenier encore<br />
sous le charme résonnant <strong>de</strong> cette journée formidable.<br />
Ce midi, tous les trois allèrent dîner <strong>de</strong>hors avec leur voisine. Quant à nous,<br />
nous empruntâmes à Véronique une vieille bicyclette d’après-guerre toute<br />
rouillée, sans freins, bruyante, pour nous bala<strong>de</strong>r au gré <strong>de</strong>s Vents tout l’aprèsmidi.<br />
Nous nous arrêtâmes à l’abbaye Saint-Michel-<strong>de</strong>-Kergonan susnommée<br />
avant <strong>de</strong> continuer jusques à Carnac. Les alignements <strong>de</strong> menhirs nous<br />
déçurent beaucoup. Ah, ces menhirs ! Beaucoup d’histoires furent inventées<br />
pour expliquer leur présence ici. Et s’ils n’étaient après tout que l’œuvre d’un<br />
artiste celte qui en son temps voulut représenter quelque inspiration géniale et<br />
inexplicable ? Que diront nos <strong>de</strong>scendants <strong>de</strong>s colonnes <strong>de</strong> Buren dans mille<br />
ans, si elles existent toujours ? Qu’elles sont les pétrifiés d’une république<br />
pourrie <strong>de</strong> jadis ? Non ! Nous croyons seulement qu’ils diront d’elles : « Mais<br />
quelle horreur ! Nos anciens avaient <strong>de</strong>s goûts <strong>de</strong> chiottes ! ». Bref, il y avait<br />
trop <strong>de</strong> touristes en plus, trop <strong>de</strong> flashs à l’appréciation rapi<strong>de</strong> aussi ; nous ne<br />
restâmes pas et continuâmes donc jusques à Saint-Colomban et cette fontaine.<br />
Nous sommes adossé à un grand pin dont la ramure protège ce carnet <strong>de</strong>s<br />
quelques gouttes carnacoises. Nous sommes, répétons-nous, conquis par ce<br />
pays !<br />
569
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 0 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Manoir <strong>de</strong> Kercadio (Armorique, France), 13h12.<br />
Nous venons d’achever un repas composé <strong>de</strong> pain viennois, <strong>de</strong> feta, <strong>de</strong><br />
thon et <strong>de</strong> maïs en attendant l’appel <strong>de</strong> Véronique qui va nous déposer sur la<br />
route <strong>de</strong> Sainte-Anne-d’Auray. Quant à eux, les vacances sont finies et ils<br />
rentrent dans l’Aine. Encore une fois, nous tombâmes sur <strong>de</strong>s gens vraiment<br />
formidables !<br />
Ce matin, alors que tout le mon<strong>de</strong> s’affairait pour le départ, le vieux poste<br />
au rez-<strong>de</strong>-chaussée jouait <strong>de</strong> vieilles chansons <strong>de</strong>s années trente et Isaure nous<br />
lisait <strong>de</strong>s lettres reçues et illustrées : une ambiance calme que nous appréciâmes<br />
beaucoup.<br />
Cette maison du reste est propice à l’évasion spirituelle et artistique. Isaure<br />
jouant son solfège au violon, Fabrice <strong>de</strong>ssinant ses rêves, Véronique roulant sa<br />
cigarette, réfléchissant à une manière <strong>de</strong> rendre le mon<strong>de</strong> plus esthétique, un<br />
tableau qui nous envoûta. Il nous fut dit que cette maison était chargée <strong>de</strong>s<br />
histoires <strong>de</strong> nombreux invités ; nous n’eûmes aucun mal à le croire. Il y règne<br />
<strong>de</strong>s o<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> voyage, ou plutôt <strong>de</strong> passage ; nous aimons !<br />
Nous rentrâmes sur une propriété privée car le cadre était enchanté. Le<br />
propriétaire <strong>de</strong>s lieux, après un moment, vint à l’instant nous rejoindre. Nous<br />
pensions être expulsé mais il nous accorda un : « Bonjour ! » souriant et dit<br />
simplement <strong>de</strong> faire attention aux chutes <strong>de</strong> branches ; les Vents soufflent fort<br />
en effet. Nous attirons autant le regard perdu <strong>de</strong>s vaches, les aboiements <strong>de</strong>s<br />
chiens que la sympathie <strong>de</strong>s gens. Notre habit <strong>de</strong> vagabond n’inquiète pas ;<br />
nous nous rassurons. Ces trois <strong>de</strong>rniers jours signèrent une halte reposante sur<br />
ce carnet. Comme toujours, nous ne nous y attendions guère et pûmes<br />
partager nos expériences avec celles <strong>de</strong> nos hôtes chaleureux. De Horsico Rage<br />
à Gigi Bigot en passant par le catastrophisme éclairé, nous actualisâmes<br />
également nos influences qui semblaient s’orienter vers <strong>de</strong> l’inédit, du<br />
traditionnel voire du régional.<br />
Musicalement parlant, par exemple, nous nous intéressons aux chansons à<br />
textes alors que nous n’en supportions qu’à peine le titre il y a peu. Est-ce un<br />
besoin, une envie, une révélation ? N’importe, ce que nous vivons étant<br />
toujours ce que nous <strong>de</strong>vons vivre, quand nous <strong>de</strong>vons le vivre.<br />
570
Carnet d’errance<br />
Sainte-Anne-d’Auray (Armorique, France), 15h30.<br />
Voici quinze minutes que l’on nous attend. Au loin, la statue figée <strong>de</strong> Sainte<br />
Anne nous ayant vu, ordonna : « Sonnez ! Sonnez braves cloches honorées par<br />
la Papauté elle-même ! Sonnez donc l’arrivée du pion <strong>de</strong> cette rocambole<br />
psychotique ! Élevez vos ron<strong>de</strong>urs à la face <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> la cité pour qu’ils<br />
comprennent, dans un sursaut frileux, que l’on vient maintenant les observer.<br />
Sonnez ! Sonnez braves cloches ! » et se tut.<br />
Hier, sur la platine, Gigi Bigot disait que quand on n’allait pas bien, il fallait<br />
se rendre à Sainte-Anne-d’Auray ; nous voici. L’humeur est froi<strong>de</strong> et couverte,<br />
les Vents ont disparu et les nuages restent. L’Armorique se révèle alors, elle qui<br />
ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu’à plaire, mais que les Cieux voilent par pu<strong>de</strong>ur. Les rues sont<br />
vi<strong>de</strong>s, c’est dimanche. Nous nous <strong>de</strong>mandons où nous allons pouvoir dîner,<br />
rien n’est ouvert. Les chasseurs en revanche ne se posent pas cette question et<br />
nous retrouvons les « Bangs ! » retentissants et surnaturels du Var profond. Ici,<br />
pas <strong>de</strong> train, tout se fait en car ; nous, irons à pieds. Vers la forêt nous<br />
montons.<br />
571
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 1 o c t o b r e 2 0 0 5<br />
Sainte-Anne-d’Auray (Armorique, France), 9 heures.<br />
À Sainte-Anne-d’Auray, les miracles existent ! Nous venions <strong>de</strong> visiter la<br />
basilique, la rue commerçante catholique pour le touriste en mal <strong>de</strong> Pardon,<br />
nous en avions plein <strong>de</strong> le cul <strong>de</strong> toutes ces bondieuseries idiotes et là, sortant<br />
sur la rue <strong>de</strong> Vannes, <strong>de</strong>vant la bibliothèque religieuse, un homme nous lança :<br />
LUI . Vous avez tout ce qu’il faut pour voyager ?<br />
Nous fûmes surpris, étions perdu dans nos pensées, nous questionnions<br />
sur le chemin à prendre et ne nous attendions guère à attirer l’attention du<br />
passant. Pourtant lui répondîmes-nous au naturel et, comme chaque fois<br />
(répétons-nous), une conversation tout à fait informelle s’installa. Nous lui<br />
racontâmes nos <strong>de</strong>rniers jours, notre Quête <strong>de</strong> non-sens.<br />
NOUS . J’aimerais voir la forêt <strong>de</strong> Brocélian<strong>de</strong>. Je monterai <strong>de</strong>main vers le centre<br />
<strong>de</strong> l’Armorique. Connaîtriez-vous, par hasard, un abri où passer la nuit ?<br />
Il réfléchit un moment et nous invita à le suivre. Nous entrâmes à la Boule<br />
d’Or, un hôtel tout voisin. Il serra la main aux présents et <strong>de</strong>manda s’il restait<br />
une chambre.<br />
NOUS . C’est gentil à vous, Monsieur, mais je n’ai absolument pas les moyens <strong>de</strong><br />
me payer les services d’un hôtel vous savez…<br />
LUI . Ne vous en faites pas, je vais régler !<br />
À ces mots, il sortit son carnet <strong>de</strong> chèques, le signa pour 50 euros.<br />
LUI . Bonne chance, jeune homme.<br />
NOUS . Je… Je ne sais pas comment vous remercier !<br />
572
Carnet d’errance<br />
Il nous serra la main prestement puisqu’il <strong>de</strong>vait rejoindre sa nièce à la<br />
sortie <strong>de</strong> la basilique.<br />
LUI . C’est déjà fait !<br />
À Sainte-Anne-d’Auray, les miracles existent ! Nous pûmes hier soir dîner<br />
un plateau <strong>de</strong> charcuterie <strong>de</strong>vant Astérix dans un lit bien chaud grâce à la<br />
bienveillance d’un homme dont nous récupérâmes le nom à l’instant auprès <strong>de</strong><br />
la patronne, histoire <strong>de</strong> lui écrire un mot plus tard : Gilbert P. !<br />
Le Faouët (Armorique, France), 11h58.<br />
Voie sans issue ! Nous nous y engageâmes pour cela et par curiosité aussi.<br />
Notre mère est fan <strong>de</strong> toutes ces séries d’été qui passent à la télévision et nous<br />
les connaissons donc. Nous sommes incollable sur les flores et monts<br />
d’Angélique, les yeux d’Hélène et connaissons donc aussi la Marion d’ici. Mais<br />
est-ce bien ici, d’ailleurs ?! C’est vraiment paumé… Pas âme qui vive sauf un<br />
chat peu courageux, trois bons gros lapins qui finiront en civet et au loin, peutêtre,<br />
le braiment d’un âne. Paumé te disons-nous, Fidèle !<br />
Mais peu importe, le voyageur doit prendre son temps. L’empressement, la<br />
précipitation sont <strong>de</strong>s erreurs <strong>de</strong> conduite qui mènent trop souvent à<br />
l’égarement. Nous parlons <strong>de</strong> déplacement comme <strong>de</strong> réflexion. Ainsi, le<br />
regard ne suffit-il pas au témoignage qui mérite l’observation et le détachement<br />
que le temps seul accor<strong>de</strong>.<br />
Pour illustrer notre propos, l’arbre planté <strong>de</strong>vant nous se propose. C’est un<br />
châtaignier pour l’œil du passant qui marche sur les bogues <strong>de</strong> ses fruits<br />
tombés. Pour l’observateur, la branche à trois feuilles que les Vents malmènent<br />
est le signe d’une saison qui s’apprête à laisser son trône <strong>de</strong> glands à sa sœur<br />
Hiver, pour quelques mois seulement. Si nous regardons un peu plus encore,<br />
nous apercevons une famille <strong>de</strong> rouges-gorges installée au creux d’un<br />
croisement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux branches et nous nous étonnons <strong>de</strong>vant l’ingéniosité <strong>de</strong><br />
leur construction qui les protégera <strong>de</strong> la sœur susnommée. Nous pouvons<br />
également pousser cette observation à la réflexion en témoignant <strong>de</strong><br />
573
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
l’importance <strong>de</strong> la cohabitation dans la Nature. Le châtaignier soli<strong>de</strong> ne craint<br />
pas les Vents mais se dénu<strong>de</strong> alors que le sapin voisin se balance mais est pru<strong>de</strong><br />
et chaste. Les <strong>de</strong>ux forment l’abri idéal pour notre famille à bec et à plumes. Le<br />
tout est un équilibre exemplaire que seul le Temps sut créer.<br />
Démonstration faite, le voyageur reprend son chemin.<br />
574
Carnet d’errance<br />
1 e r n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Pierre <strong>de</strong>s Sacrifices <strong>de</strong> Mané-guen (Armorique, France), 11h45.<br />
Nous reprîmes notre chemin jusques à Pluvigner où nous rencontrâmes le<br />
monsieur du comptoir <strong>de</strong> la Boule d’Or qui nous proposa <strong>de</strong> nous déposer<br />
plus loin avec sa voiture. Le plus surprenant est qu’il nous avait dit au matin<br />
avant notre départ : « À bientôt, qui sait ? Tu sais, les chemins… » Nous<br />
arrivâmes à Camors et alors que nous ouvrions la portière, il nous tendit un<br />
billet <strong>de</strong> 20 euros, pour notre regard sincère et gentil, nous dit-il.<br />
Nous entretenons avec nos yeux d’or <strong>de</strong>s rapports très particuliers. Nous<br />
les savons fragiles mais profondément communicatifs. Ils signent selon<br />
Maïnéa, la femme médium dont nous parlons dans Le noir et le blanc, nos<br />
origines mais renvoient, paradoxalement, le mystère <strong>de</strong> notre nature. Ils sont<br />
aussi instables que nous : ja<strong>de</strong> par Cieux couverts, or lorsque le Soleil brille,<br />
clairs et félins en tout temps. Ce qui est sûr est qu’ils attirent, envoûtent peutêtre,<br />
celles et ceux qui s’y per<strong>de</strong>nt.<br />
Nous arrivâmes à Guénin en fin <strong>de</strong> journée après quelques courses à<br />
l’Intermarché <strong>de</strong> Baud. Nous nous offrîmes du jus <strong>de</strong> fruit, du chocolat, du<br />
saucisson et <strong>de</strong>ux éclairs pour cette nuit festive que nous célébrâmes seul sous<br />
un abri près <strong>de</strong> l’église. Nous y passâmes également la nuit et ce matin, à 8<br />
heures, nous réveillâmes dans le froid et l’eau ; les Vents avaient soufflé la pluie<br />
sur notre duvet. Nous reprîmes la route pour nous réchauffer mais nous<br />
trompâmes <strong>de</strong> direction. Dans la campagne, nous <strong>de</strong>mandâmes notre chemin<br />
pour Locminé à la première femme rencontrée. Elle s’appelait Carole, nous dit<br />
qu’il fallait re<strong>de</strong>scendre sur Guénin et nous proposa <strong>de</strong> nous y conduire. Elle<br />
nous paya également un petit-déjeuner à la boulangerie et poussa sa générosité<br />
jusques au site où nous nous trouvons actuellement, nous faisant gagner <strong>de</strong>ux<br />
ou trois kilomètres.<br />
Nous sommes assis sur ce qui fut selon la Légen<strong>de</strong> le siège d’un drui<strong>de</strong><br />
présidant la cérémonie du sacrifice. Sur la pierre dédiée, la pluie remplit la nuit<br />
<strong>de</strong>rnière une petite cuvette naturelle dont nous nous servons à l’instant pour<br />
faire notre toilette ; tout va bien, apparemment, nous sommes toujours en vie.<br />
Les Cieux sont bleus, le Soleil haut, nous séchons, la vie est belle !<br />
575
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Bignan (Armorique, France), 12h56.<br />
Hier, nous marchâmes jusques à Locminé par la départementale. Il se mit<br />
dans l’après-midi à tellement pleuvoir que nous dûmes nous abriter sous une<br />
tôle renversée sur un arbre à la sortie <strong>de</strong> la ville. C’est là que nous passâmes la<br />
nuit. Nous aurions mieux fait d’y rester la journée car aujourd’hui, le temps est<br />
pourri. Même le chien <strong>de</strong>vant nous est roulé au chaud dans une botte <strong>de</strong> paille.<br />
Nous trouvâmes en effet un hangar dans une ferme à <strong>de</strong>ux bons kilomètres <strong>de</strong><br />
Bignan. La pluie est battante, il fait froid, nous sommes trempé, avons très<br />
faim. La vie est belle mais, vois-tu, Fidèle, parfois est-ce la mer<strong>de</strong> !<br />
Casserand (Armorique, France), 23h37.<br />
Heureusement, endurer une peine voit-il toujours souvent arriver sa<br />
récompense. Nous trouvâmes à Bignan une boulangerie ouverte où nous<br />
achetâmes pain, chocolat et petits plaisirs édulcorés. La journée étant <strong>de</strong> toute<br />
manière placée sous le signe <strong>de</strong> la cruche percée (oui, c’est tout nouveau !),<br />
nous nous résignâmes à continuer et trouvâmes un abribus un peu plus loin. Il<br />
pleuvait toujours et, sur le passage, une grand-mère nous interpella :<br />
LA GRAND-MÈRE . Alo’, on casse la croûte ?<br />
NOUS . Avec ce temps, on ne peut guère faire mieux, n’est-ce pas ?<br />
É<strong>de</strong>ntée, elle sourit quand même.<br />
LA PETITE FILLE . C’est qui mamie ?<br />
LA GRAND-MÈRE . Ch’é pô moué !<br />
Ah, le charme <strong>de</strong> la campagne ! Les flaques boueuses, les fermes, les<br />
effluves d’engrais après ceux <strong>de</strong>s algues vomies par l’océan, les “oi” prononcés<br />
“oué”, les conducteurs à fond sur la départementale qui trop rarement<br />
s’arrêtent pour écoper nos chausses… Bref, l’Armorique sous l’eau, c’est<br />
576
Carnet d’errance<br />
charmant et bucolique, cela va un moment mais là, après trois jours <strong>de</strong><br />
trombes, nous en avons marre ! Première ferme : pas d’abri ! La secon<strong>de</strong> :<br />
« Oui mais final’ment non, on a eu <strong>de</strong>s voyageurs qu’ont posé d’jô <strong>de</strong>s<br />
problèmes. » alors que cela fait longtemps que seules les mouches pouvaient en<br />
témoigner ou encore : « Heureus’ment qu’on a pô lôché l’chien hein ! » Le<br />
chien : vingt centimètres <strong>de</strong> haut répondant au doux nom <strong>de</strong> Titi.<br />
Nous commencions <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si entrer en Armorique profon<strong>de</strong><br />
n’avait finalement pas été une erreur quand nous tombâmes sur une charmante<br />
chaumière, à l’intersection <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux routes. Notre direction, Guéhenno, n’était<br />
pas indiquée et sous cette pluie battante, nous baignions encore et ne voulions<br />
pas nous perdre. Nous sonnâmes à la porte pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r notre chemin,<br />
ayant abandonné toute idée <strong>de</strong> trouver quelque abri là pour le soir. Une<br />
femme, bien habillée, élégante et courtoise vint nous répondre. Nous lui<br />
<strong>de</strong>mandâmes et parlâmes un moment avec elle qui voulait nous donner à<br />
manger et <strong>de</strong>s vêtements secs mais alors étions-nous plein et définitivement<br />
<strong>de</strong>stiné à être trempé. Nous recherchions juste un endroit où nous reposer et<br />
dormir. Hélas pour nous, chose fort compréhensible, elle ne pouvait nous<br />
inviter à dormir chez elle. Elle nous indiqua cependant la carrière, sur la route<br />
opposée à la nôtre, où nous pouvions peut-être trouver un refuge dans un<br />
local, son époux étant le propriétaire. Il y travaillait et elle l’appela pour le<br />
prévenir <strong>de</strong> notre passage. Nous parlâmes encore un instant et y allâmes.<br />
Ce n’était en effet pas vraiment loin et la pluie avait cessé. Nous y<br />
rencontrâmes Hervé Chamaillard, un patron au bon regard et au parler franc.<br />
Il nous parut <strong>de</strong> suite sympathique, sincère surtout. Nous lui racontâmes un<br />
peu notre histoire et il ne vit pas d’inconvénient à ce que nous passassions la<br />
nuit dans un <strong>de</strong> ses locaux, les vestiaires sans doute, à condition d’éviter les<br />
ouvriers revenants au matin pour travailler qui pouvaient trouver cela louche. Il<br />
nous fit visiter les lieux ; nous fûmes impressionné par la plaie <strong>de</strong> granit<br />
creusée à la dynamite sur sept hectares, si nous nous souvenons bien.<br />
Arriva alors une voiture. Il nous <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> l’attendre plus haut et revint<br />
avec la femme d’un <strong>de</strong> ses employés qui nous proposa le gîte pour la nuit.<br />
Monsieur Chamaillard avait déjà été étonné par notre histoire mais avec cela<br />
encore plus. Tout alla tellement vite en même temps… Nous le remerciâmes et<br />
montâmes dans la voiture avec nos sacs.<br />
577
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous sommes là dans le lit <strong>de</strong> la fille <strong>de</strong> la maison, Linda, qui fait les<br />
Beaux-Arts à Lorient. Brigitte et François, ses parents, ainsi que Marco, son<br />
frère, nous accueillirent avec un cœur énorme. Nous prîmes l’apéritif et<br />
mangeâmes ensemble, pûmes prendre une douche et Brigitte nous fit même<br />
une lessive. Devant kir et verres <strong>de</strong> cidre, nous n’arrêtâmes pas <strong>de</strong> parler. Nous<br />
nous sentons heureux, chanceux certes, mais heureux – fait suffisamment rare<br />
et trop éphémère pour en parler – <strong>de</strong> tomber sur <strong>de</strong>s gens aussi formidables.<br />
Tu ne peux te rendre compte à quel point ils le sont, toi qui campes <strong>de</strong>rrière<br />
ces lignes <strong>de</strong> vérité, mais ils le sont, crois-nous sincère ! Ce psycho-trip nous<br />
enseigne (entre autres choses) à reconnaître qu’il y a plus <strong>de</strong> gens bons que<br />
nous nous le figurions il y a quelques mois seulement. La clef rési<strong>de</strong> dans la<br />
confiance que nous accordons et celle que nous inspirons. Sois sincère et<br />
honnête, Fidèle, ne prétends rien, reste ouvert et ton cerbère laissera entrer<br />
chez toi <strong>de</strong>s êtres lumineux <strong>de</strong> bonté !<br />
578
Carnet d’errance<br />
3 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Les Forges (Armorique, France), 10h07.<br />
Et bons, ils l’étaient ! Après le petit-déjeuner, François nous déposa dans la<br />
forêt <strong>de</strong> Lanouë, la plus gran<strong>de</strong> du Morbihan, où il allait ramasser <strong>de</strong>s<br />
champignons avec l’un <strong>de</strong> ses amis, et nous indiqua la ligne à suivre pour<br />
atteindre Les Forges, un bourg quelques kilomètres avant Rohan. Entre eux<br />
<strong>de</strong>ux se trouve une abbaye que Brigitte nous conseilla <strong>de</strong> visiter. Ne comptant<br />
pas notre temps et ne traçant aucun itinéraire à l’avance, nous nous y rendons<br />
donc. Nous marchâmes quatre ou cinq kilomètres dans la forêt et nous<br />
reposons là <strong>de</strong>vant un café en apprenant à rouler. C’est un peu tard,<br />
convenons-en, mais nous nous en sortons plutôt bien. Ici, tout le mon<strong>de</strong> fume<br />
et roule ses clopes ; en tout cas, les gens que nous rencontrâmes. Nous nous<br />
mettons donc à la sauce locale. Adieu Yves Saint Laurent (bottes et cirés en<br />
caoutchouc ne vont guère sous tes robes Grand Siècle), bonjour Drum et<br />
OCB. Oui, nous prônons le tabagisme, et alors ?! Notre santé nous appartient !<br />
De toute manière, les milieux aseptiques ne conviennent pas à notre nature.<br />
Nous avons <strong>de</strong>vant nous une carte Poste du Morbihan que Brigitte nous<br />
donna (avec quelques pommes, un litre <strong>de</strong> jus d’oranges et 10 oranges ; <strong>de</strong>s<br />
gens bons, te disons-nous !) et nous nous rendons compte que <strong>de</strong>puis une<br />
semaine maintenant que nous marchons dans cette région, nous en vîmes pas<br />
mal et pouvons (ré)écrire : l’Armorique est belle, captivante et ceux qui la<br />
peuplent sont bienveillants ! Évi<strong>de</strong>mment y a-t-il toujours souvent la méfiance<br />
<strong>de</strong> l’étranger, du passant, même si ce n’est pas visible dans ce carnet. Il y a aussi<br />
l’incertitu<strong>de</strong> du temps qui change vite, la mentalité campagnar<strong>de</strong> <strong>de</strong> France<br />
profon<strong>de</strong>, pire, d’Armorique profon<strong>de</strong> mais tout est ô combien plus<br />
appréciable, plus vrai qu’en ville. Pays culturel, les jeunes baignent dans les<br />
concerts et la diversité pendant que les anciens veillent aux traditions ancrées.<br />
Ici, nous nous sentons et pouvons nous sentir à part ; le globalisme touche<br />
mais n’imprègne pas.<br />
Troisième essai : ron<strong>de</strong>, droite, belle, pleine et forte ! Nous parlons <strong>de</strong> notre<br />
clope, évi<strong>de</strong>mment, qui nous monte à la tête.<br />
L’Armorique, pays culturel et poétique donc. Sur la porte <strong>de</strong>s toilettes, on<br />
peut lire : « Dans ce lieu détestable aussi utile que votre table, faites en sortes<br />
579
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
que votre cuvette soit aussi propre que votre assiette car c’est là que tombent<br />
en ruine toutes les merveilles <strong>de</strong> la cuisine ! » ; le café est à 1 euro, la crêpe à 4,<br />
les bâtisses immenses et quasiment données ; les forêts abondantes, la boisson<br />
également ; les autoroutes, on les appelle quat’ voies, elles sont gratuites et ne<br />
tuent pas toujours. Ici, on prend le temps <strong>de</strong> vivre et d’apprécier ce qui est<br />
simple, on connaît le respect, on n’accepte pas la bêtise, on se défend !<br />
Abbaye <strong>de</strong> Tima<strong>de</strong>uc (Armorique, France), 17h26.<br />
Du haut <strong>de</strong> la fenêtre <strong>de</strong> la chambre 110, perchée au <strong>de</strong>uxième étage du<br />
bâtiment hôtelier, nous contemplons le jardin arpenté par les retraitants qui<br />
vont assister aux vêpres à peine sonnées ; nous contemplons le pic <strong>de</strong> l’abbaye<br />
qui semble vouloir percer le gris <strong>de</strong>s Cieux ; nous contemplons la Vierge<br />
blanche sur le parvis <strong>de</strong> l’église. Tout cela nous rappelle la Chartreuse <strong>de</strong><br />
Morières-Montrieux mais la vie ici est différente. Nous logeons chez <strong>de</strong>s<br />
cisterciens trappistes, une communauté <strong>de</strong> frères qui veillent au grain en<br />
quelque sorte, <strong>de</strong>s gens aimables et chaleureux toujours. C’est le père Marc qui<br />
nous accueillit et fit visiter la partie autorisée. Nous lui proposâmes notre ai<strong>de</strong><br />
en échange.<br />
Nous voyons déjà les porte-voix s’élever et l’abreuvoir à foutre qui sert <strong>de</strong><br />
bouche à nos détracteurs gueuler <strong>de</strong>rrière : « Quel profiteur, ce <strong>Florimon</strong>-<br />
<strong>Louis</strong>, il n’est même pas chrétien ; il cherche juste une planque ! » <strong>de</strong>vant<br />
lesquels nous n’avons pas à nous justifier. Nous nous cherchons, nous<br />
cherchons les autres, ce qu’ils ont en eux, ce qu’ils peuvent être. Nous<br />
écrivîmes ailleurs que nous prônions la notion <strong>de</strong> partage, d’échange et <strong>de</strong> troc.<br />
Outre notre expérience <strong>de</strong> vie, qu’à raison certains trouvent riche, nous avons<br />
notre travail et notre ai<strong>de</strong> à proposer. Nous trouvons dans une telle enceinte<br />
communautaire <strong>de</strong>s gens pour qui cette notion signifie également quelque<br />
chose. De plus, le silence introspectif qui règne en ces lieux nous ai<strong>de</strong> à<br />
avancer dans notre évolution. Enfin, si nous nous engageâmes à essayer <strong>de</strong><br />
croire en l’Homme dans ce psycho-trip, il faut son<strong>de</strong>r ce qu’il a <strong>de</strong> plus intime,<br />
son âme. Quel endroit est plus indiqué qu’un monastère peuplé <strong>de</strong> moines qui<br />
cherchent à l’élever pour observer son éclat ? Nous ne te le <strong>de</strong>mandons pas en<br />
fait, nous avons la réponse : il n’en est aucun autre !<br />
580
Carnet d’errance<br />
20h19.<br />
Prenons par exemple les complies ; nous en revenons. Les fidèles<br />
s’installent – peu nombreux, il fait sombre – et atten<strong>de</strong>nt. Des toux<br />
préparatrices et <strong>de</strong>s couinements <strong>de</strong> sandales sur le marbre blanc annoncent les<br />
moines qui entrent et prennent leur place dans une danse mille fois répétée<br />
pendant que l’un d’eux détache une cor<strong>de</strong> et sonne la cloche consacrée. Et là,<br />
ils chantent, le chœur répond et nous, pauvre païen, nous étonnons <strong>de</strong> sentir,<br />
sinon notre essence, notre esprit s’élever d’un unique feu vers la Sainte-Vierge<br />
éclairée et louée par un cantique grégorien. En sortant, nous n’étions pas<br />
converti mais charmé !<br />
581
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
4 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Abbaye <strong>de</strong> Tima<strong>de</strong>uc (Armorique, France), 20h25.<br />
Nous – notre weed et nous-même – revenons non sans mal <strong>de</strong>s complies<br />
et d’une promena<strong>de</strong> étoilée dans le petit parc réservé aux retraitants. Comme<br />
hier, le Grégorien nous charma. De fait, nous pensâmes l’accompagner d’un<br />
peu d’herbe ; il atteint ainsi sa canopée voûtée.<br />
Nous passâmes notre journée une griffe à la main, l’autre dans la terre à<br />
ramasser les châtaignes. Il naquit <strong>de</strong> ce couple improvisé <strong>de</strong>ux sceaux pleins et<br />
un énorme tas <strong>de</strong> feuilles et bogues morts <strong>de</strong>stinés au compost.<br />
Soit notre plume faiblit, soit notre troc du Var commence son effet – un<br />
peu tard, nous n’allons pas tar<strong>de</strong>r à aller nous coucher.<br />
Ce matin, nous assistâmes également à l’eucharistie où nous crûmes être<br />
déjà mort. Nous envions ces célébrations primordiales où les enfants courent,<br />
les adultes sont joyeux, la foi festive, l’oraison clair, inventif et non funèbre.<br />
Une eucharistie nous ennuie, lui ! Il prétend fédérer autour <strong>de</strong> l’hostie et du vin<br />
(blanc) mais il est fa<strong>de</strong>, à notre goût toujours, préférant le rosé du château<br />
Simone <strong>de</strong> toute manière.<br />
Avec tous ces offices, leurs exercices spirituels et leurs activités manuelles,<br />
les moines nous impressionnent ! Ils accomplissent un grand miracle, dit-on,<br />
en supportant le poids <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>. Nous, nous pensons que le miracle est<br />
qu’ils vivent si vieux… Tu nous diras, Fidèle, que c’est parce qu’ils<br />
entretiennent une vie saine et qu’ils ont la Foi et tu auras raison sans doute. Ils<br />
nous surpassent, en tout point, nous, l’animiste éthéré pédélique. Nous n’avons<br />
ni leur force, ni leur vertu et pourtant avons-nous les mêmes aspirations : nous<br />
élever vers l’Éternité – nous ne l’entendons pas <strong>de</strong> la même sorte, certes…<br />
Nous avons également l’honneur <strong>de</strong> les côtoyer et cette confrontation nous<br />
passionne. Les catho-catins sont loin maintenant ; nous pouvons reposer notre<br />
verve sure, pour la secon<strong>de</strong> fois <strong>de</strong> ce psycho-trip, et nous recentrer sur nousmême.<br />
L’espoir n’est toujours pas mais nous apprenons la patience, l’indulgence et le<br />
labeur – il en reste encore tant, nous sommes si jeune, avons si peu <strong>de</strong> temps<br />
<strong>de</strong>vant nous. N’y pensons pas, ceci n’est pas dans l’habitu<strong>de</strong>.<br />
582
Carnet d’errance<br />
6 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Abbaye <strong>de</strong> Tima<strong>de</strong>uc (Armorique, France), 15 heures.<br />
Comme pour répondre à nos vœux, hier, nous vîmes arriver pour<br />
l’eucharistie <strong>de</strong>ux groupes <strong>de</strong> sixième, l’un <strong>de</strong> Rennes et l’autre <strong>de</strong> nous ne<br />
savons où. Cette célébration nous parut dès lors plus enrichissante. Les enfants<br />
représentent et représenteront toujours ce que l’humanité possè<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus cher<br />
à nos yeux. Quant à celle <strong>de</strong> ce midi, elle fut, par le père supérieur Germain <strong>de</strong><br />
passage à Tima<strong>de</strong>uc avant son retour chez lui au Cameroun, célébrée d’une<br />
manière encore différente. Il y avait beaucoup plus <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> – normal en<br />
cette sainte journée – et puis, il y avait dans sa voix, sa parole, une conviction<br />
non ressentie chez les autres. Il parla d’Amour et <strong>de</strong> veille ; nous en eûmes,<br />
presque, la larme à l’œil à la fin. Une chose est sûre, nous avions envie<br />
d’applaudir – chose que nous aurions faite si nous avions été sûr <strong>de</strong> ne pas<br />
passer pour le touriste mal placé <strong>de</strong> service.<br />
Ce matin, nous veillâmes pour les vigiles qui furent longues mais<br />
supportables. Toujours ce manque <strong>de</strong> joie, <strong>de</strong> fête ! « Seuls et misérables… »,<br />
« Nous, pauvres pêcheurs… », « Prends pitié <strong>de</strong> nous ! » sont autant <strong>de</strong><br />
formules que nous exécrons. Non ! Nous ne sommes ni souffrant, ni<br />
abandonné, ni misérable et nous ne voulons pas vouer notre existence à la<br />
recherche d’un Pardon que nous sommes <strong>de</strong> toute manière le seul à pouvoir<br />
nous accor<strong>de</strong>r. D’ailleurs, nous n’avons commis aucune faute et notre<br />
conscience perturbée – probablement par la complexité <strong>de</strong>s méandres que<br />
forment nos réflexions – ne trouvera aucun Salut dans la miséricor<strong>de</strong> d’une<br />
Icône. Non, répétons-le, nous ne voulons inspirer ni envie, ni pitié !<br />
Nous en parlâmes à l’instant avec une retraitante qui nous dit : « Quand on<br />
me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quelle est ma religion, je réponds l’Amour ! » et nous sommes<br />
convaincu qu’il n’en est <strong>de</strong> plus belle. L’Amour n’est pas sectaire, juste un peu<br />
timi<strong>de</strong> ; il s’ouvre à toutes et à tous ; il ne faut pas croire en lui mais en celles et<br />
ceux qui le donnent et savent le recevoir. Un geste, une parole, une pensée, un<br />
sourire sont ses signes visibles et il n’en est besoin d’autres. Enfin, nous ne<br />
croyons pas qu’il faille souffrir intérieurement et chercher ré<strong>de</strong>mption pour les<br />
accor<strong>de</strong>r.<br />
C’est par notre évolution, nos doutes, nos réflexions, nos expériences, nos<br />
583
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
gui<strong>de</strong>s spirituels que nous apprîmes cela. Nous te souhaitons, Fidèle, au moins<br />
sur ce délicat sujet, d’arpenter le même chemin.<br />
584
Carnet d’errance<br />
8 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Bocneuf (Armorique, France), 16h04.<br />
Quelle angoisse ce bar ! C’est cra<strong>de</strong>, branché sur Eurosport 2 et tenu par au<br />
moins 130 kilos <strong>de</strong> burgers…<br />
Mexico City Champ Car, <strong>de</strong>rnier ren<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> la saison, en direct.<br />
Wilson est premier. Tu t’en fous, Fidèle ? Cela tombe bien, nous aussi !<br />
Freestyle, sports <strong>de</strong> glisse ; il n’y a que cela <strong>de</strong> vrai (Jourdan et MacArthur aussi,<br />
à la rigueur…) Heureusement les Cieux en face <strong>de</strong> nous sont-ils superbes, le<br />
canapé confortable, la clope montante et le café bien fort !<br />
Nous prîmes ce matin notre petit-déjeuner à l’abbaye avant <strong>de</strong> partir en<br />
direction <strong>de</strong> Rohan. Là, nous voulions faire du bateau stop sur le canal <strong>de</strong><br />
Nantes à Brest mais il est hélas fermé jusques au Printemps. Nous le<br />
<strong>de</strong>scendîmes donc à pattes ; nous sommes épuisé et pourtant n’était-ce guère<br />
loin. Les kilomètres paraissent étrangement plus longs quand on les parcourt<br />
en marchant… Nous vîmes cependant <strong>de</strong>s tableaux magnifiques, <strong>de</strong>s écluses<br />
paisibles et entretenues à celles en construction ; c’est une promena<strong>de</strong> qui vaut<br />
le coup ! Nous nous <strong>de</strong>mandons si nous n’allons pas la pousser jusques à<br />
Nantes. Nous remonterons alors Brocélian<strong>de</strong> après, à voir…<br />
Avant <strong>de</strong> quitte Tima<strong>de</strong>uc, nous fîmes un <strong>de</strong>rnier tour dans le parc <strong>de</strong>s<br />
retraitants ainsi qu’à la Bibliothèque où nous croisâmes le père supérieur<br />
Germain. Nous parlâmes <strong>de</strong> notre envie <strong>de</strong> participer à <strong>de</strong>s missions dans les<br />
orphelinats du mon<strong>de</strong> et il nous promit <strong>de</strong> nous mettre en contact avec l’un <strong>de</strong><br />
ses amis au Cameroun. Nous échangeâmes également quelques <strong>de</strong>vinettes avec<br />
le père portier puis vers 11 heures, nous serrions la main <strong>de</strong> père Marc qui<br />
nous souhaita bonne chance et bonne route.<br />
Tima<strong>de</strong>uc fut réellement une bonne expérience qui nous invita à remettre<br />
en question notre jugement sur la religion. Nous la croyons toujours bercée<br />
dans la plus absur<strong>de</strong> <strong>de</strong>s soupes pour ignorants mais, toutefois, nous <strong>de</strong>vons<br />
admettre que <strong>de</strong> telles communautés sont nécessaires à la ressource et que,<br />
spirituellement, elles restent une ancre indispensable à beaucoup d’égarés qui<br />
ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt rien <strong>de</strong> plus que ce qu’on y côtoie ici : silence, respect,<br />
fraternité, sincérité et toujours une pensée réconfortante accompagnée d’un<br />
sourire chaleureux.<br />
585
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 0 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Josselin (Armorique, France), 9h26.<br />
Roton<strong>de</strong>. Inutile <strong>de</strong> préciser que ce bar-tabac n’a rien à voir avec son<br />
éponyme en Pays d’Aix ; son patron est aussi froid que l’air <strong>de</strong> ce matin et le<br />
verre d’eau servi avec le café doit faire 10 cl, <strong>de</strong> quoi contenter un moineau, et<br />
encore !<br />
Josselin, petite cité <strong>de</strong> caractère morte où nous occupâmes la journée<br />
<strong>de</strong>rnière à une beuverie singulière. Tôt le matin, après une nuit passée sous le<br />
lavoir au pied du château, nous décidâmes <strong>de</strong> trouver un cybercafé ; peine<br />
perdue. Alors nous rendîmes-nous au bar pour changer, le Triskel, pour y<br />
prendre un café. Nous sortîmes notre paquet <strong>de</strong> tabac, notre téléphone, notre<br />
livre (Lautréamont achevé que nous ne réussîmes pas encore à remplacer),<br />
notre plume et une feuille ; nous nous installâmes pour la matinée. Nous<br />
allions pour écrire le récit manquant et nos impressions <strong>de</strong>puis mardi quand un<br />
homme passa près <strong>de</strong> notre table et vit la reliure.<br />
L’HOMME . C’est quoi que tu lis là ?<br />
NOUS . Les Chants <strong>de</strong> Maldoror, du comte <strong>de</strong> Lautréamont.<br />
L’HOMME . Un comte ?<br />
NOUS . Un poète… Un poète maudit !<br />
L’HOMME . Maudit ?!<br />
Il cacha une appréhension certaine et une curiosité cachée car notre<br />
réponse avait interpellé sa pensée chrétienne. Il cherchait visiblement à engager<br />
la conversation et nous l’invitâmes à notre table. Nous parlâmes <strong>de</strong> Foi et d’un<br />
peu <strong>de</strong> tout. Il s’appelait Yann, était SDF et se promenait avec un cabas bleu<br />
rayé. Mince <strong>de</strong> corps, la barbe abondante, le visage creusé par la faim et<br />
l’effort, la foi probablement très imbibée, il est une <strong>de</strong>s personnes les plus<br />
humaines que nous ayons rencontrées <strong>de</strong>puis notre départ. Son discours<br />
manquait <strong>de</strong> cohérence, c’est évi<strong>de</strong>nt, mais cela le rendit à nos yeux d’or plus<br />
intéressant. Nous restâmes à cette table pendant quatre heures environ. Il nous<br />
invita alors à changer <strong>de</strong> bar, ne comptant pas sa générosité. Déjà trois bières<br />
586
Carnet d’errance<br />
et trois rhums dans le gosier pour notre part, nous le suivîmes sans resquiller,<br />
évi<strong>de</strong>mment… Nous trouvâmes un pub, le Notre Dame’s, en plein centre-ville.<br />
Nous nous assîmes et rencontrâmes un jeune présent, Nicolas, qui se joignit à<br />
nous. Une autre bière et un rhum passèrent et Nicolas nous proposa un billard.<br />
Yann était déjà presque mort – il nous suivit en chancelant, beaucoup. Nous<br />
perdîmes la partie en trois manches sur le fil.<br />
Nous arrêtons ici ce récit pour le moment car nous <strong>de</strong>vons réveiller notre<br />
verve sure refroidie ces <strong>de</strong>rniers jours pour écrire la suite, plus tard.<br />
Saint-Gobrien (Armorique, France), 12h23.<br />
Torse nu au bord du canal <strong>de</strong> Nantes à Brest un 10 novembre ! Voudrais-tu<br />
nous croire qu’il faudrait nous y voir… Nous profitons <strong>de</strong> ces quelques rayons<br />
<strong>de</strong> chaleur gratifiés, comme pour récompenser notre nuit et notre marche <strong>de</strong> ce<br />
matin dans le très froid, pour nous attabler un instant et bronzer, autant que<br />
faire se peut. Cela ne durera pas, nous voyons déjà au (pas si) loin un lit<br />
nuageux. Sous le pont, <strong>de</strong>rrière les arca<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>ux chevaux broutent une herbe<br />
verte, laquelle nous fait repenser que l’époque et la région sont propices au<br />
ramassage <strong>de</strong> psylos, ces petites champignons hallucinogènes qui poussent<br />
dans les champs <strong>de</strong> vaches ou <strong>de</strong> chèvres et qui font, n’arrête-t-on pas <strong>de</strong> nous<br />
dire ici, <strong>de</strong>s miracles. Il nous faudra absolument tester cette saveur locale !<br />
Lorsqu’il s’avéra hier soir que Yann ne tiendrait pas un verre <strong>de</strong> plus, nous<br />
laissâmes nos sacs au pub pour le gui<strong>de</strong>r et l’ai<strong>de</strong>r à trouver un abri pour la<br />
nuit. Serge, le sympathique monsieur du Relais <strong>de</strong> l’Oust qui nous avait conduit<br />
<strong>de</strong>puis l’hôtel à Josselin la nuit d’avant, sous un orage aussi violent que<br />
passager, nous avait parlé et indiqué le chemin d’une retraite <strong>de</strong> frères. Nous<br />
pensions y trouver cet abri recherché et y allâmes, non sans <strong>de</strong> multiples arrêts.<br />
La chapelle ou l’église, nous ne sommes pas sûr, était close alors nous<br />
enquîmes-nous auprès <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> retraite directement. Fermée également,<br />
nous entrâmes quand même par la porte <strong>de</strong> la cuisine restée ouverte, elle. Les<br />
retraités étaient en train <strong>de</strong> manger et ne semblaient pas vouloir le moins du<br />
mon<strong>de</strong> s’intéresser à la misère et au besoin qui frappaient à leur porte <strong>de</strong>puis<br />
cinq minutes. Qu’à cela ne tienne, nous n’allions pas nous laisser emmer<strong>de</strong>r par<br />
<strong>de</strong>s ventres pleins et décidément bien égoïstes. Il <strong>de</strong>vait bien y avoir, sinon une<br />
chambre libre, un abri disponible pour notre ami du soir. Nous ne pouvions le<br />
587
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
laisser passer la nuit <strong>de</strong>hors dans son état et par ce froid. Nous croisâmes donc<br />
quelqu’un <strong>de</strong> charmant qui appela pour nous un responsable. Il vint, nous<br />
reçut avec la plus abjecte <strong>de</strong>s froi<strong>de</strong>urs et nous empressa <strong>de</strong> partir.<br />
L’ABJECT PERSONNAGE . Ne jouez pas à ça avec moi !<br />
Il claqua la porte lâchement, entouré <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux balèzes imbéciles.<br />
Yann n’était plus <strong>de</strong>vant la porte, seul son sac l’attendait. Nous nous<br />
inquiétâmes, oubliant même d’envoyer une répartie bien sentie à ce symbolique<br />
individualiste. Une minute plus tard, il rouvrit la porte, furieux, tenant un Yann<br />
ambulant par le col. Nous lui avions <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> nous attendre <strong>de</strong>vant mais il<br />
nous avait suivi et avait été surpris. Il fut éjecté – le mot est aussi juste que le<br />
geste – du pallier, le coup <strong>de</strong> pied au cul retenu sans doute par quelque<br />
considération restant là, bien cachée, et ils lui dirent <strong>de</strong> ne plus remettre le pied<br />
ici sous peine <strong>de</strong> poursuite.<br />
Ploërmel (Armorique, France), 17h04.<br />
Le temps était peu stable et aucun abri ne se présentait à notre alentour<br />
alors marchâmes-nous en longeant le canal puis nous perdîmes dans la forêt<br />
pour finalement arriver voilà un quart d’heure environ à Ploërmel. Ce n’était<br />
pas du tout prévu puisque nous essayons d’éviter les “gran<strong>de</strong>s” villes mais<br />
bon…<br />
Revenons-en à notre histoire !<br />
En sortant <strong>de</strong> l’enceinte <strong>de</strong> cette maison <strong>de</strong> retraite pour ventripotents,<br />
nous avions vraiment les boules. Yann voulait quant à lui tout casser et nous<br />
dûmes apaiser sa fausse colère d’alcoolique énervé en lui proposant <strong>de</strong> nous<br />
attendre au pied du château, le temps <strong>de</strong> récupérer notre sac au pub où nous<br />
recroisâmes Nicolas qui nous invita à une <strong>de</strong>rnière roulée et une partie <strong>de</strong><br />
baise ; nous acceptâmes pour le quart d’heure d’après, histoire <strong>de</strong> manger un<br />
peu avec Yann qui nous attendait <strong>de</strong>vant la fontaine. Nous le laissâmes ensuite<br />
pensant le retrouver sous le lavoir mais il était parti à notre retour. Nos<br />
chemins se séparèrent à cet instant et pendant que nous essayons <strong>de</strong> nous<br />
endormir dans le froid, nous nous surprenons à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Dieu – auquel<br />
588
Carnet d’errance<br />
nous ne sommes pas fidèle mais Yann si – <strong>de</strong> veiller sur lui cette nuit. Nous<br />
nous disons que peut-être aurions-nous dû rester avec lui plutôt que rejoindre<br />
Nicolas mais maintenant que nous y pensons, nous croyons avoir fait le bon<br />
choix. Il n’était pas clair, carrément imbibé en fait, mais il avait fait le sien.<br />
Nous sommes en train <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r tous ces joueurs qui claquent leur fric<br />
<strong>de</strong>vant les courses hippiques en lisant les pronostics sur trois journaux<br />
différents ou encore ceux à notre gauche qui tapent les cartes. Les courses sont<br />
superbes, il n’y a rien à dire, les chevaux surtout, mais nous préférons nos<br />
drogues ; elles ne nous déçoivent jamais, elles, et nous apportent bien plus.<br />
Nous n’avons pas trouvé – pas vraiment cherché non plus ! – <strong>de</strong> psylos sur<br />
notre chemin. Nous crûmes en reconnaître entre crottes <strong>de</strong> chèvres et feuilles<br />
mortes un moment mais dans le doute, nous les y laissâmes. De toute manière,<br />
les faire sécher avec ce temps n’est pas pensable.<br />
Nous aimerions retrouver le halage <strong>de</strong>main ; son paysage, ses hérons<br />
cendrés qui raviraient André, notre beau-père, les pêcheurs bonasses, les<br />
peupliers qui bor<strong>de</strong>nt le canal, ses écluses décorées si typiques, la tranquillité <strong>de</strong><br />
l’écoulement nous manquent déjà… La ville nous paraît souillée ; elle pue !<br />
Pense, Fidèle, que nous allons <strong>de</strong>voir y trouver un abri, y dormir et tu<br />
comprendras notre dégoût. Le lampadaire remplace le peuplier ; la route<br />
grouillante, le canal paisible ; la voiture, le cheval ; le joueur obnubilé, le<br />
promeneur pensif ; le stress, la quiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’esprit ; l’o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> chiottes sales,<br />
celle <strong>de</strong> la terre humi<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la pluie. Tout cela n’est guère nouveau mais<br />
pardonne le citadin qui nous sommes qui le découvre…<br />
La neuvième course à Vincennes vient d’être remportée, le bar se vi<strong>de</strong>. En<br />
ville, le fric semble avoir aussi remplacé le cheval, sa pompe.<br />
19h21.<br />
La Forge à Miston, voilà un bar qui nous convient davantage. Pour le coup,<br />
nous commandâmes une Beamish, bière découverte hier soir à Josselin. Nous<br />
ne tenons même plus les comptes ; nous les savons catastrophiques. Ainsi nous<br />
en remettons-nous à <strong>de</strong>main… Nous nous renseignâmes également un peu<br />
auprès <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux barmen, Gilles et David, pour savoir où nous pouvions<br />
trouver un abri ; peu encourageant !<br />
589
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
L’espace est encore vi<strong>de</strong>, le bois recouvre tout, c’est chaleureux ; la musique<br />
est éclectique : One night in Bangkok par Vinyllshakerz suivi d’un Dancing<br />
Queen remixé ; parfait ! Ce serait gay que nous ne serions pas étonné…<br />
Ploërmel reste quand même une ville relativement morte. Il n’y a personne,<br />
c’est incroyable ! S’ils se préparent à recevoir du mon<strong>de</strong> ce soir, ils ont <strong>de</strong><br />
l’espoir…<br />
Trois jeunes (charmants) passent <strong>de</strong>vant la vitrine mais ne s’arrêtent pas,<br />
hélas ! Nous sentons, et là pour le coup avons-nous peur <strong>de</strong> ne pas trop nous<br />
avancer, que nous allons passer une soirée et une nuit <strong>de</strong> mer<strong>de</strong>. Et puis,<br />
Diable !, nous sommes à la table la plus éclairée, cela <strong>de</strong>vrait attirer du mon<strong>de</strong>,<br />
on ne voit qu’elle <strong>de</strong>puis l’extérieur ; et bien non, même pas ! Notre aura dut se<br />
noyer hier… Nous manquons cruellement d’inspiration, la fatigue sans doute.<br />
Arrêtons-nous là ce soir.<br />
590
Carnet d’errance<br />
1 3 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Redon (Armorique, France), 14h12.<br />
Bientôt trois semaines que nous vagabondons dans le Morbihan sans réelle<br />
intention d’aller quelque part et nous n’avons toujours pas trouvé ne serait-ce<br />
qu’un boulot pour nous faire un peu <strong>de</strong> fric. Nous prostituer était plus facile !<br />
Nous admettons ne pas avoir vraiment questionné les gens à ce sujet et quand<br />
bien même l’aurions-nous voulu, on n’en rencontre pas tellement sur le canal<br />
<strong>de</strong> Nantes à Brest que nous suivîmes jusques ici. Nous sommes dimanche, tout<br />
est fermé et nous ne savons pas où aller. Nos chausses sont défoncées (elle<br />
l’étaient déjà à Quiberon en même temps), il reste 30 euros dans notre bourse,<br />
le froid montre finalement son bras glacé sur l’Armorique, nous n’avons plus<br />
rien <strong>de</strong> transcendant ni à fumer hormis notre paquet <strong>de</strong> Drum, ni à boire, ni à<br />
lire, nous n’avons pas pris <strong>de</strong> douche <strong>de</strong>puis Tima<strong>de</strong>uc et <strong>de</strong>puis Tima<strong>de</strong>uc<br />
nous passons nos nuits dans le froid à essayer <strong>de</strong> trouver une position plus<br />
chau<strong>de</strong> que les autres qui, nous te le donnons en mille, Fidèle, n’existe pas.<br />
Bref, tout va bien…<br />
Ainsi à Ploërmel ne fîmes-nous que passer. Nous voulions assister au<br />
concert <strong>de</strong> Rock à l’Anti-Virus – c’était sur notre chemin – mais 5 euros, en ce<br />
moment, nous nourrissent. Nous suivîmes donc la quat’ voies, puis les petites<br />
routes jusques à Montertelot. Il y avait également une soirée bien sympathique<br />
à L’Escale, <strong>de</strong> la musique bretonne, <strong>de</strong>s chants, <strong>de</strong> la bonne humeur mais le bar<br />
du petit bourg était bondé d’habitués et nous ne voulions pas nous incruster.<br />
Nous aurions peut-être dû mais nous nous résignâmes à nous asseoir <strong>de</strong>vant et<br />
manger quelques pommes avant <strong>de</strong> repartir par le chemin <strong>de</strong> halage.<br />
Nous trouvâmes à Roc-Saint-André un oratoire vouée à la Vierge, petite<br />
grotte ouverte abritée <strong>de</strong> la pluie. Nous nous installâmes <strong>de</strong>rrière l’autel et y<br />
dormîmes, dans le froid toujours mais au sec. Nous nous réveillâmes au matin,<br />
<strong>de</strong>s idées <strong>de</strong> dualité parfaite perdue que nous traînons avec mal pleine la tête.<br />
Elles s’accrochèrent à nous jusques au soir, mouillant nos yeux d’or <strong>de</strong> temps à<br />
autres. Nous n’y pouvions rien alors marchâmes-nous bêtement la tête basse.<br />
Elles nous ralentirent autant qu’elles nous peinèrent et nous dûmes faire halte<br />
plusieurs fois : à Saint-Congard pour une blon<strong>de</strong>, à Saint-Martin pour la nuit, à<br />
Peillac pour nous ravitailler dans un Vival et cette nuit au sec sous un abri <strong>de</strong><br />
591
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
l’écluse numéro 19 <strong>de</strong> la Mâclais. La vallée <strong>de</strong> l’Oust est superbe, doit l’être en<br />
fait car la conviction faible, nous n’y prêtâmes pas tellement attention. Nous y<br />
passâmes sans nous apercevoir <strong>de</strong> la chance que nous avions.<br />
Nous attendons là notre train. Nous voulons rester en Armorique, encore<br />
quelque temps, avant <strong>de</strong> re<strong>de</strong>scendre au château pour les fêtes mais nous nous<br />
disons qu’à Paris, même si la vie y est chère, nous aurions plus <strong>de</strong> chance <strong>de</strong><br />
gagner un peu <strong>de</strong> fric. Dans tous les cas, nous prenons le TGV pour Rennes /<br />
Paris – l’amen<strong>de</strong> qui va avec – et nous verrons <strong>de</strong>dans où nous <strong>de</strong>scendrons.<br />
Le problème est que nous ne savons rien faire <strong>de</strong> particulier, n’avons aucun<br />
talent à exploiter. Nous ne pouvons pas, par exemple, <strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s portraits et<br />
les vendre dans la rue ou jouer <strong>de</strong> la guitare sur les quais <strong>de</strong> Seine. Nous<br />
pouvons écrire une o<strong>de</strong> à la nicotine ou un pamphlet sur le milieu homo en<br />
quelques minutes mais personne n’achète cela… Nous n’allons pas enfin la<br />
jouer Jésus ou Bouddha en parcourant les villages avec notre bonne parole.<br />
Alors quoi ? Nous sommes baisé !<br />
Nous notons <strong>de</strong>puis notre départ que nous sommes plus proche <strong>de</strong> la<br />
mentalité <strong>de</strong>s jeunes Parisiens ou Bretons que <strong>de</strong> ceux du Sud. Ici, on ne joue<br />
pas à être, on est ; voilà toute la différence ! En revanche, ce n’est pas ici que<br />
nous croiserons un autre mec au teint mat et à la mèche ténébreuse sur une<br />
voie <strong>de</strong> gare… Ici, les mecs que nous croisons sont vi<strong>de</strong>s d’intérêt pour nous.<br />
Il fait également un froid pénétrant difficilement supportable pour le vagabond<br />
mal équipé que nous sommes. La pluie menace en permanence, mettant à<br />
l’épreuve notre moral. Pour le peu <strong>de</strong> gens qui prennent <strong>de</strong> nos nouvelles, nous<br />
allons bien mais dans le fond, nous marchons pour oublier mélancolie et<br />
vagues <strong>de</strong> l’âme. Comme nous l’écrivîmes au début <strong>de</strong> ce carnet, nous fuyons<br />
l’ennui. Cela ne fonctionne qu’à moitié en fait et nous avons l’impression <strong>de</strong> ne<br />
trouver notre inspiration que dans la tristesse. Nous voulions placer ces écrits<br />
sous le signe <strong>de</strong> l’espoir, du positivisme mais nous n’y parvenons pas. Lorsque<br />
nous montons trop haut, il y a toujours cette petite pensée fine, insidieuse, qui<br />
nous tombe <strong>de</strong>ssus et nous fait choir, comme si nous DEVIONS faire du<br />
malaise notre seul véritable compagnon. Toute notre bonne volonté ne suffit<br />
pas à l’étaler d’un KO une fois pour toutes.<br />
« Dite non à la drogue ! », scan<strong>de</strong> l’inculte flipper. Comme nous aimerions<br />
pouvoir le dire, au moins en aurions-nous sous la main… Passons. Une<br />
592
<strong>de</strong>rnière roulée et notre TGV sera là.<br />
Carnet d’errance<br />
Rennes (Armorique, France), 17h32.<br />
Pas d’amen<strong>de</strong> en fin <strong>de</strong> compte. Les contrôleurs ne manquaient pas<br />
pourtant ; ils étaient <strong>de</strong>ux et cela ne joua pas en leur faveur. Le TGV était<br />
chargé et nous dûmes rester <strong>de</strong>bout dans un sas entre <strong>de</strong>ux wagons. Les <strong>de</strong>ux<br />
contrôleurs se croisèrent au premier, l’un passa en pensant que l’autre nous<br />
contrôlerait, ce qu’il fit sans le faire.<br />
LE CONTRÔLEUR . Bonjour ! Apparemment, vous avez déjà été contrôlés !<br />
NOUS (sortant notre billet-alibi que nous traînons <strong>de</strong>puis Monaco) . Oui, oui !<br />
LE CONTRÔLEUR . Laissez, laissez.<br />
La pluie s’annonçant à Rennes, nous entrâmes au Surcouf, le premier café<br />
venu. Il y a beaucoup <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>, personne pour nous indiquer un abri par<br />
contre. Nous n’allons sans doute pas dormir cette nuit. D’ailleurs, où irionsnous<br />
? Sous un abribus ? À la gare ? Dans un hall quelconque ? Non ! Nous ne<br />
pensons pas y être aussi tranquille qu’à la campagne. Nous préférons marcher<br />
et risquer la sauce que nous poser n’importe où et nous attirer tous les clodos<br />
beurrés du coin.<br />
Nous pûmes dans les sanitaires du TGV faire une toilette sommaire. C’était<br />
folklorique, pas moins, mais là n’avons-nous rien <strong>de</strong> mieux. Nous n’avons pas<br />
faim, plus vraiment sommeil (à force <strong>de</strong> ne pas dormir, nous prîmes le<br />
rythme), nous avons juste envie d’une douche, d’un canapé, d’une énorme<br />
couette bien chau<strong>de</strong> et d’un film sur un écran – <strong>de</strong>s besoins hyper matériels<br />
auxquels nous ajouterions aussi un mec. Il en faut aussi <strong>de</strong> temps en temps, on<br />
ne peut pas s’en passer une fois qu’on les connaît…<br />
Nous n’aimons pas ce café, ne savons pas pourquoi. Les gens <strong>de</strong> passage<br />
ne nous intéressent pas puisqu’ils vont prendre le train. Quant aux autres, ils ne<br />
nous inspirent guère confiance. Entre le mec qui ne tient plus <strong>de</strong>bout (il vient<br />
<strong>de</strong> se casser la gueule dans la marche et le patron essaye <strong>de</strong> le virer d’ailleurs), le<br />
lecteur peu loquace <strong>de</strong> fond <strong>de</strong> salle, les piliers <strong>de</strong> bar, nos voisins dont le<br />
vocable du désert nous est inconnu, la serveuse over-pressée et les quelques<br />
593
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
autres, nous sommes perdu et n’y avons pas notre place.<br />
Arf, tu sais ce qu’on dit, Fidèle : « Quand tu n’as pas ta place quelque part,<br />
va-t-en donc voir ailleurs ! » Conseil écrit, conseil suivi…<br />
594
Carnet d’errance<br />
1 4 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Le Rheu (Armorique, France), 7h37.<br />
Nous entrâmes il y a quelques instants dans la ville, accueilli par un<br />
cimetière. C’est cela où un bar <strong>de</strong> toute manière, nous en avons l’habitu<strong>de</strong><br />
même si nous préférerions un cirque ou un jeune et beau ténébreux ! Nous<br />
poussâmes la porte du premier bar trouvé, près <strong>de</strong> l’église.<br />
LE PREMIER PROLO . Bon, on va aller travailler ! Faut ben payer les r’traites,<br />
hein !<br />
LE SECOND PROLO . Qu’on aura mêm’ pô !<br />
Et tous <strong>de</strong> rire. Où sommes-nous encore tombé, sérieux ?! Enfin, c’est<br />
toujours mieux qu’hier, laisse-nous te raconter, Fidèle.<br />
Nous allâmes donc après le Surcouf voir ailleurs, longeâmes le canal, fûmes<br />
attiré par quelque beau bâtiment illuminé et tombâmes sur, mais oui mais oui,<br />
une église, Saint-Germain <strong>de</strong> son petit nom. Elle s’élevait, majestueuse,<br />
puissante, glorieuse et régnante ; nous eûmes l’envie soudaine <strong>de</strong> nous y<br />
engouffrer, le père machin ayant réuni foule. Nous fîmes signe d’allégeance et<br />
nous posâmes sur la droite, sous une colonne. Une fille était assise dans un<br />
recoin <strong>de</strong>rrière la statue, comme elle l’aurait été probablement dans un hall <strong>de</strong><br />
fac, le camp d’un festival alter mondialiste, une réunion <strong>de</strong> MJC… Nos images<br />
ne te parlent peut-être pas, Fidèle ; désolé, nous n’avons qu’elles ! Retiens juste<br />
qu’elle nous fit bonne impression, sa foi semblait profon<strong>de</strong> et sincère.<br />
Nous étions arrivé un peu en retard et le père avait commencé son<br />
homélie. Il faisait l’éloge <strong>de</strong> la générosité, <strong>de</strong> la miséricor<strong>de</strong>, du partage et<br />
fendait l’hypocrisie d’un pieux verbiage. Il parla bien, pas pour ne rien dire. Il<br />
séduisit l’assemblée venue l’écouter qui répondit par ses chants et ses prières,<br />
un peu pour elle-même aussi. L’office achevée, il rappela aux fidèles les<br />
différentes manifestations à venir, comme par exemple dimanche prochain le<br />
quatre-vingt-quatorzième anniversaire d’un père célébré à la cathédrale par le<br />
Diocèse pour lui rendre hommage ; rien <strong>de</strong> bien exceptionnel mais rien <strong>de</strong><br />
condamnable non plus évi<strong>de</strong>mment. Nous attendîmes que tout le mon<strong>de</strong> fût<br />
595
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
sorti pour lui parler. Une femme nous aborda pour nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si nous<br />
étions pèlerin (nous en avons le look, un peu plus <strong>de</strong>puis que nous nous<br />
taillâmes un bâton <strong>de</strong> marche à l’écluse <strong>de</strong> la Mâclais), d’où nous venions, etc.<br />
Un autre nous <strong>de</strong>manda si nous étions compagnon, d’autres nous sourirent<br />
spontanément en voyant notre allure toujours. Bref, nous nous sentions bien et<br />
pensions naïvement avoir trouvé une communauté bienfaisante là. Nous<br />
sortîmes et nous tînmes sur le parvis, le temps que le père terminât ses<br />
conversations <strong>de</strong> bonne entente avec ses clients les bienheureux <strong>de</strong> sa paroisse.<br />
Une famille vint lui parler <strong>de</strong>s sujets habituels et il nous rejoignit enfin. Nous<br />
pûmes lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il connaissait à Rennes un orphelinat où nous pouvions<br />
apporter notre ai<strong>de</strong> en tant que bénévole, le cas échéant contre gîte et couvert.<br />
Il n’en connaissait pas, déplorait que les foyers d’accueil municipaux aient<br />
remplacés les œuvres <strong>de</strong>s bonnes sœurs, ne nous apporta finalement aucune<br />
réponse, détournant l’épineux problème <strong>de</strong> son désintérêt sur notre périple.<br />
Cet entretien sur pavé ne dura que quelques minutes durant lesquelles nous<br />
pûmes admirer avec désolation combien il était facile <strong>de</strong> sermonner le peuple<br />
et combien il était arrangeant <strong>de</strong> s’asseoir sur son sermon après, l’esprit<br />
tranquille. Ah ! pour annoncer en fin du Notre Père que ce soir le panier va à la<br />
paroisse et envoyer trois crédules passer dans les rangs avec ; pour embrasser<br />
son écharpe <strong>de</strong>vant tout le mon<strong>de</strong> avant <strong>de</strong> soigneusement la plier, elle qui a<br />
grassement rempli son rôle <strong>de</strong> gagne-pain ; pour entretenir le creuset formé<br />
par les étudiants catholiques et leur famille, les faux bien-pensants qui viennent<br />
à la messe extérieurement propres comme un calice éclatant mais le caleçon<br />
plein <strong>de</strong> foutre ; là, il y a du mon<strong>de</strong> ! Là, on crie : « Quelle œuvre sainte, pie et<br />
méritoire ! », formule qui est lour<strong>de</strong> <strong>de</strong> sens pour celles et ceux qui connaissent<br />
les abominations qu’elle couvre trop souvent ! Et puis, cette petite vieille en<br />
sortant <strong>de</strong> l’église qui distribue la pièce du pauvre avec le sourire : « Tenez,<br />
tenez ! Vous aussi, tenez ! », qui ne voit que <strong>de</strong>s mains mendiantes, plus les<br />
personnes qu’il y a <strong>de</strong>rrière, ne croit-elle pas accomplir là la volonté du<br />
Seigneur ? Comment pourrait-il en être autrement en ayant assisté à tel<br />
fourvoiement juste avant ! Elle se dit : « J’ai fait le bien ! », aura la conscience<br />
saine et mourra heureuse. Sur sa pierre froi<strong>de</strong>, le pasteur clamera ces mots :<br />
« Elle fut bonne et nous la regretterons tous. Que Dieu l’accueille dans son<br />
Paradis, blablabla ! »<br />
Nous, nous lui disons : « Mais regar<strong>de</strong>-toi donc, petite vieille ! Tu<br />
596
Carnet d’errance<br />
n’accomplis rien, tu viens juste baigner ta conscience et ton cul sales dans une<br />
eau mille fois bénite pour dix mille fois souillée. Je te plains mais je n’ai pas<br />
pitié <strong>de</strong> toi. Allez, prostitue-toi car ce fut, cela aussi, saint, pie et méritoire<br />
jadis ! »<br />
Nous ne pensions pas retrouver <strong>de</strong> catho-catins si tôt ; nous fûmes surpris,<br />
déçu même. Désormais, nous nous méfierons encore davantage. Si nous<br />
sommes loin <strong>de</strong> marcher sur la voie du Seigneur, <strong>de</strong> penser par Lui et pour Lui,<br />
nous le revendiquons au contraire. Nous préférons, puisqu’il le faut, être pute<br />
et soigner les enfants qu’être prêtre et prostituer ce en quoi nous croyons.<br />
Qu’on ne nous sermonne plus jamais sur l’hypocrisie dans une église que nous<br />
trouverons cohérente lorsqu’elle en fera l’éloge !<br />
Il était environ 19 heures et nous ne savions pas où aller. Notre première<br />
impression <strong>de</strong> Rennes que nous croyions sympathique n’étant nous l’espérions<br />
qu’un mauvais exemple, nous décidâmes <strong>de</strong> nous payer une bière dans un café<br />
tout proche. Il nous faudrait en retrouver le nom car il était fort agréable et la<br />
musique reggae, downtempo, jazz & blues nous fit oublier notre récente<br />
claque. Nous voulions y rester un moment mais il ferma vers 20 heures. Se<br />
posait alors à nous le choix <strong>de</strong> la direction : rester à Rennes et retenter notre<br />
chance le len<strong>de</strong>main ou poursuivre. Nous continuâmes jusques au sta<strong>de</strong><br />
rennais FC où nous passâmes la nuit à son pied, près <strong>de</strong> la Vilaine. À 5h30,<br />
nous étions parti et nous voici ici, au Rheu. Nous nous dirigeons toujours vers<br />
le Pays <strong>de</strong> Brocélian<strong>de</strong> – Viviane et Merlin, dans leur lutte interminable, nous<br />
accor<strong>de</strong>ront peut-être, eux, plus <strong>de</strong> crédit.<br />
597
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 5 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Iffendic (Armorique, France), 12h54.<br />
Nous passâmes la nuit <strong>de</strong>rnière dans la Halte au Passant <strong>de</strong> Montfort-sur-<br />
Meu. Nous ne connaissions pas mais, à la mairie, on nous indiqua qu’en<br />
échange <strong>de</strong> notre ID, nous pouvions y loger pour la nuit. Nous souhaitions<br />
juste un abri, nous pûmes même prendre une douche ; ô joie ! Six jours que<br />
nous l’attendions, celle-là ! Même si par ce froid il est difficile, voire quasiimpossible,<br />
<strong>de</strong> suer à grosses gouttes, nous en avions besoin. Nous ne pouvons<br />
nous contenter d’une toilette sommaire <strong>de</strong> temps en temps sur une fontaine,<br />
dans un TGV, etc. C’est loin <strong>de</strong> suffire, tu t’en doutes, Fidèle !<br />
Le petit studio prévu pour le passant est situé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s Restaurants du<br />
Cœur (fermés jusques en décembre), à côté du centre <strong>de</strong> secours. Il ne nous<br />
fallut que quelques minutes pour nous y rendre <strong>de</strong>puis la mairie ; il était<br />
environ 16h30. Quelques marches dissimulées et une porte basse plus loin,<br />
nous découvrîmes une petite pièce meublée d’un lit d’hôpital, une table, un<br />
réchaud, une petite commo<strong>de</strong> et une salle d’eau <strong>de</strong>rrière un ri<strong>de</strong>au cramoisi<br />
avec une douche, un lavabo, un bi<strong>de</strong>t hors d’usage, un vestiaire. Le tout était<br />
propre, chauffé, récupéré mais fonctionnel. Nous nous installâmes, mîmes<br />
notre téléphone portable à charger et nous assîmes sous une douche bouillante<br />
pendant près d’un quart d’heure. Quel bonheur !<br />
Ensuite, nous fîmes le tour <strong>de</strong>s placards et trouvâmes trois boites <strong>de</strong><br />
conserve ainsi qu’un livre oublié sans doute dans le vestiaire : La Corruptrice<br />
<strong>de</strong> Guy Des Cars. Nous le déposerons ailleurs une fois lu – un livre doit<br />
voyager également. Nous en trouvâmes un autre (trop catho pour nous), le<br />
laissâmes sans honte, mangeâmes, lûmes quelques pages et sombrâmes.<br />
À 9 heures, nous allâmes rendre la clef et récupérer notre ID, passâmes au<br />
Super U acheter trois conneries, en voler autant, et prîmes la route d’Iffendic<br />
où nous sommes actuellement.<br />
Voilà un récit bien chronique mais, franchement, nous manquons<br />
d’inspiration en ce moment.<br />
598
Carnet d’errance<br />
1 6 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Saint-Gonlay (Armorique, France), 11h17.<br />
Bienvenue en Armorique hyper profon<strong>de</strong> ! Comme on nous le dit déjà :<br />
« Faut l’vouloir pour s’r’trouver à Iffendic, hein ! »<br />
En effet, il le faut et quand nous leur répondîmes que c’était sur notre<br />
chemin, ils ne semblèrent guère convaincus et se <strong>de</strong>mandèrent si nous venions<br />
d’Uranus ou d’ailleurs.<br />
Alors qu’un pulmonaire fait son entrée dans le seul bar-tabac du bourg en<br />
toussant comme un mort, clope au bec, et comman<strong>de</strong> son <strong>de</strong>mi qu’il siffle d’un<br />
trait, laisse-nous, Fidèle, te parler du renouveau charismatique !<br />
Hier, aux Mille et Une Raisons, le bar d’Iffendic où nous passâmes près <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux heures, le patron nous parla <strong>de</strong> la Communauté <strong>de</strong>s Béatitu<strong>de</strong>s, un<br />
château sur notre route où nous pouvions, peut-être, trouver du boulot, sinon<br />
le gîte pour la nuit. Nous nous y rendîmes ; ce n’était pas loin, ce qui nous<br />
arrangeait car il faisait froid et que nous n’avions pas le cœur à beaucoup<br />
marcher. De Montfort à la Maison Marie Médiatrice <strong>de</strong> Toute Grâce, il y avait<br />
quelques sept ou huit kilomètres bien suffisants pour ce jour. Nous sonnâmes<br />
tout d’abord à la conciergerie. Une femme nous ouvrit avec le sourire et nous<br />
indiqua le Château <strong>de</strong> la Chasse, plus bas, en nous précisant que le père<br />
responsable s’était absenté pour la semaine, qu’il serait difficile d’être accueilli<br />
mais qu’il fallait quand même essayer.<br />
Nous tombâmes sur Féliqué, son remplaçant provisoire qui nous proposa<br />
l’hébergement pour la nuit et le repas, tout en s’attardant un peu, pour ce<br />
premier entretien, sur nos convictions, notre foi, notre démarche spirituelle.<br />
NOUS . Vous savez, moi je suis un marcheur, un vagabond. Je ne cherche pas<br />
mon chemin, juste <strong>de</strong>s personnes sincères, <strong>de</strong>s petits boulots ici et là pour<br />
continuer. Je ne m’attar<strong>de</strong> nulle part, j’aime découvrir !<br />
Ce concentré d’informations le laissa perplexe, évi<strong>de</strong>mment, et il nous<br />
expliqua le fonctionnement <strong>de</strong> leur communauté vouée à l’adoration <strong>de</strong> la<br />
Vierge. Nous ne fîmes rien, sourîmes et il nous montra notre chambre pour la<br />
599
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
nuit : <strong>de</strong>ux lits, <strong>de</strong>s vieilles couvertures, pas <strong>de</strong> draps, une moquette usée, une<br />
salle d’eau spartiate, un espace froid mais toujours préférable à l’abribus.<br />
Il nous invita aussi à la salle à manger où l’on nous servit <strong>de</strong>s tomates, <strong>de</strong> la<br />
purée et <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong> blanche. Nous avions déjà dîné en chemin mais nous le<br />
lui cachâmes – un repas quand on est sur la route ne se refuse pas ! Nous lui<br />
<strong>de</strong>mandâmes ensuite si nous pouvions faire quelque chose en échange <strong>de</strong> leur<br />
hospitalité et, dans l’après-midi, il nous proposa <strong>de</strong> balayer un peu, n’ayant rien<br />
d’autre en tête. « Parfait ! », lui dîmes-nous avant <strong>de</strong> nous en occuper jusques<br />
aux vêpres à 18 heures auxquelles nous assistâmes <strong>de</strong> bon cœur, dans une salle<br />
du château transformée en mo<strong>de</strong>ste chapelle, pensant y retrouver l’esprit <strong>de</strong><br />
Tima<strong>de</strong>uc. Nous nous trompions et fûmes surpris, encore !<br />
Nous avions déjà parlé avec quelques membres <strong>de</strong> la communauté au repas<br />
et dans les couloirs ou le hall du rez-<strong>de</strong>-chaussée, notamment Agnès, Sophie,<br />
Marie ou Philippe, et nous perçûmes déjà que nous étions tombé chez <strong>de</strong>s<br />
cathos très spéciaux, mais pas à ce point… Lors <strong>de</strong>s vêpres, nous eûmes la<br />
confirmation <strong>de</strong> nos soupçons : mais où Diable avions-nous encore échoué ?!<br />
Nous entrâmes dans la chapelle par l’extérieur, nous signâmes <strong>de</strong> la croix,<br />
nous assîmes. Gérard, un père nous dîmes-nous puisqu’il portait la robe, se<br />
tenait <strong>de</strong>vant un pupitre ; Marie était recouverte d’un châle et tenait la chorale ;<br />
quelques fidèles étaient déjà présents, en position <strong>de</strong> recueillement. Jusque là et<br />
alors même pendant les chants et lectures, ce nous parut tout à fait normal,<br />
bien qu’enfantin.<br />
Vinrent les prières. Là, tous se mirent à émettre <strong>de</strong>s vocalises personnelles<br />
et nous nous retrouvâmes dans un sain brouhaha, assez crédible mais très<br />
surprenant.<br />
« Prions le seigneur ! »<br />
Nous retînmes un pouffement qui voulu sortir <strong>de</strong> nous et leur clamer à la<br />
face : « Vous priez comme <strong>de</strong>s illuminés, convaincus et tellement naïfs ! »<br />
LE PREMIER ILLUMINÉ . Oui Seigneur, nous t’aimons, te servons, oh Seigneur !<br />
Nous t’aimons ! Dévoile-nous ta face, oh Seigneur ! Merci, Seigneur ! Merci<br />
pour la joie que tu portes à mon cœur. Oh oui Seigneur !<br />
600
Carnet d’errance<br />
Nous voulions lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si sa fornication allait durer longtemps mais<br />
nous retînmes. Une autre continua, hésitant un instant à couper l’inspiration<br />
venante d’une autre encore.<br />
LA SECONDE ILLUMINÉE . Heu… Oui, Seigneur, tu es parmi nous, nous<br />
t’aimons, te servons <strong>de</strong> notre cœur. Heu… Seigneur, béni sois-tu, Seigneur !<br />
Etc., etc., etc. Tous ajoutèrent leurs graines prières et remerciements à Celui<br />
Qui Tar<strong>de</strong> À Venir.<br />
C’était donc cela le renouveau charismatique, une incroyable comédie issue<br />
<strong>de</strong>s mouvements spirituels soixante-huitards, <strong>de</strong>s louanges et adorations futiles<br />
et, donc, théâtralisées dans une foi aveugle. Sans jugement, nous n’avons que<br />
cette opinion à donner. Une chose <strong>de</strong>vint alors sûre : nous venions <strong>de</strong> trouver<br />
plus paumé que nous dans ce château !<br />
Nous n’en fîmes évi<strong>de</strong>mment part à personne, témoignant simplement <strong>de</strong><br />
notre surprise pendant le dîner où nous n’étions que huit et à Marie en privé<br />
juste avant.<br />
NOUS . Je ne m’attendais pas du tout à cela… Ça change <strong>de</strong> tout ce que j’ai déjà<br />
vu, tu sais !<br />
C’est là qu’elle nous parla <strong>de</strong> sa foi, nous en expliquant les tenants et<br />
aboutissants.<br />
Nous assistâmes également aux complies, les premières célébrées chez eux<br />
<strong>de</strong>puis quelques années. Cela se voyait ! Autant pour les vêpres crûmes-nous<br />
nous trouver au beau milieu d’une pièce d’école mal financée, autant pour les<br />
complies en fûmes-nous certain.<br />
Nous parlâmes un moment avec Marie <strong>de</strong>vant un thé, avant d’aller nous<br />
coucher, <strong>de</strong> notre expérience, <strong>de</strong> la religion, <strong>de</strong> ce qui finalement faisait leur vie<br />
du matin au soir.<br />
Nous dormîmes bien sans être dérangé ni par d’étranges réflexions sur ce<br />
que nous venions <strong>de</strong> voir, ni par aucun bruit extérieur.<br />
601
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous retînmes la leçon toutefois et ne participâmes pas aux lau<strong>de</strong>s ce<br />
matin mais, par simple curiosité, nous suivîmes le groupe jusques à Montfort<br />
pour l’eucharistie. Nous pensions entrer dans l’église, et bien non ! Nous nous<br />
introduisîmes dans la maison où naquit Saint <strong>Louis</strong>-Marie Grignon <strong>de</strong><br />
Montfort en 1673. La <strong>de</strong>meure est jolie, bien installée, les boiseries<br />
magnifiques, le lieu consacré. La messe débuta lorsque nous arrivâmes,<br />
célébrée par un père que nous n’avions jamais vu auparavant, <strong>de</strong>rrière un autel<br />
au centre, entouré <strong>de</strong> chaises et <strong>de</strong> bancs en bois. Nous nous assîmes sur un<br />
banc à droite et suivîmes le tout avec une certaine gêne. Nous nous imaginions<br />
le passant <strong>de</strong>rrière la petite vitre portant un œil à la scène. Ils avaient l’air <strong>de</strong><br />
conspirateurs, d’une secte… De retour au château, nous petit-déjeunâmes en<br />
silence ou presque, fîmes la vaisselle et nous octroyâmes une petite entrevue<br />
avec Philippe, histoire d’agrémenter notre observation d’une conclusion<br />
cinglante. Et cinglante, elle le fut !<br />
Il commença par nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, comme l’avait fait Féliqué, nos<br />
motivations, notre recherche, notre direction spirituelle. Nous choisîmes <strong>de</strong><br />
jouer l’indécision, presque le je-m’en-foutisme afin <strong>de</strong> libérer ses conseils et<br />
opinions sur le sujet. Il nous parla <strong>de</strong> sa foi engagée, <strong>de</strong> la communauté, <strong>de</strong> sa<br />
valeur et <strong>de</strong> son utilité. Nous en vînmes aux paroles du Pape Jean-Paul II, <strong>de</strong> la<br />
fidélité, du préservatif, etc. Évi<strong>de</strong>mment, notre point <strong>de</strong> vue divergea<br />
nettement à partir <strong>de</strong> là. Nous acceptâmes le sien cependant. Le nôtre étant<br />
manifestement plus révolté, il nous parla <strong>de</strong> tolérance, précisément là où nous<br />
voulions le mener. Nous tirâmes une ficelle <strong>de</strong> véhémence pour voir sa<br />
réaction.<br />
NOUS . Non, je suis désolé, je ne pardonne pas à ces femmes qui mettent au<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s enfants sidéens ; je les ai vu, j’ai vécu avec eux, je les ai soignés, ils<br />
sont perdus <strong>de</strong> naissance ! Je ne pardonne pas à ces hommes qui violent<br />
d’autres enfants encore et leur transmettent ce mal pourri, eux qui sont si<br />
innocents ! Je n’ai aucune pitié pour le condamné qui a commis ces actes ! Ces<br />
gens-là me dégoûtent alors, non !, pour ceux-là n’ai-je aucune tolérance !<br />
Il accepta notre point <strong>de</strong> vue sans le discuter, nous parla <strong>de</strong> sa jeunesse, du<br />
fait que nous n’avions pas encore <strong>de</strong>mandé au Seigneur <strong>de</strong> nous parler. Nous<br />
602
Carnet d’errance<br />
rîmes intérieurement. Lui aussi nous parla <strong>de</strong> notre regard, <strong>de</strong> notre visage sur<br />
lequel il lisait la bonté, la générosité, nous dit-il. Il ajouta qu’en nous, nous<br />
avions déjà cette vérité divine. Nous prîmes le compliment comme il vint et<br />
nous retînmes du lui jeter à la face qu’il ne fallait JAMAIS nous parler <strong>de</strong><br />
Vérité ! Nous continuâmes sur d’autres choses – nous tissâmes notre filet –<br />
dont une qui amène notre conclusion.<br />
PHILIPPE . Cette Vérité qu’il faut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au Seigneur, tu vois, c’est<br />
important ! Sinon, par exemple, un enfant va finir homosexuel parce qu’on lui<br />
aura pas dit cette Vérité.<br />
La fin fut courte, il venait <strong>de</strong> se discréditer.<br />
NOUS . Personnellement, je ne vois pas le mal !<br />
Et là, il conclut avec le sourire débile <strong>de</strong> celui qui ne veut pas engager le<br />
débat car il sait que la tolérance qu’il prône, lui-même ne sait pas l’appliquer.<br />
PHILIPPE . On va arrêter là, hein, je te souhaite bon voyage !<br />
Nous sourîmes et le laissâmes à son “chemin <strong>de</strong> piété”.<br />
De l’autre côté, Marie nous préparait un casse-croûte pour le midi. Nous<br />
allâmes faire notre sac et revînmes à la cuisine. Nous y croisâmes à nouveau<br />
Philippe. Nous essayâmes une <strong>de</strong>rnière question quand ils nous donnèrent une<br />
documentation sur leur communauté – que nous omîmes là-bas d’ailleurs – et<br />
les adresses d’autres maisons dans le mon<strong>de</strong>.<br />
NOUS . Vous vous sentez proches <strong>de</strong>s Évangélistes ?<br />
Philippe se proposa, croix <strong>de</strong>vant pour ainsi dire, <strong>de</strong> nous répondre.<br />
603
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
PHILIPPE . Oui, je crois qu’on peut dire ça, hein Marie ?<br />
Elle se contenta d’un : « Hum hum ! »<br />
Tout était dit en effet…<br />
Une <strong>de</strong>rnière chose toutefois, qui vient du verso <strong>de</strong> la photo du frère<br />
Charles <strong>de</strong> Jésus que Marie nous remit avec la documentation que nous<br />
gardâmes.<br />
« Mon Père, je m’abandonne à Toi.<br />
« Fais <strong>de</strong> moi ce qu’il te plaira.<br />
« Quoi que tu fasses <strong>de</strong> moi,<br />
« je te remercie.<br />
« Je suis prêt à tout,<br />
« j’accepte tout.<br />
« Pourvu que ta volonté se fasse en moi,<br />
« en toutes tes créatures,<br />
« je ne désire rien d’autre, mon Dieu.<br />
« Je remets mon âme entre tes mains.<br />
« Je te la donne, mon Dieu,<br />
« avec tout l’amour <strong>de</strong> mon cœur,<br />
« parce que je t’aime,<br />
« et que ce m’est un besoin d’amour<br />
« <strong>de</strong> me donner,<br />
« <strong>de</strong> me remettre entre tes mains<br />
« sans mesure,<br />
« avec une infinie confiance,<br />
« car Tu es mon Père. »<br />
Nous lisons <strong>de</strong> semblables paroles sur les weblogues sadomasochistes que<br />
604
Carnet d’errance<br />
nous parcourons <strong>de</strong> temps en temps. Peut-être finalement ne sommes-nous<br />
pas si éloignés <strong>de</strong> Dieu que nous voulons bien le croire…<br />
605
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Paimpont (Armorique, France), 14h26.<br />
Nous sommes au cœur <strong>de</strong> le Légen<strong>de</strong> et les gens d’ici savent l’exploiter !<br />
Notre blon<strong>de</strong> s’appelle Duchesse Anne, nous abusons sur l’épaisseur <strong>de</strong> notre<br />
roulée qui nous défonce et le côté médiéval du bourg qui bor<strong>de</strong> l’étang et la<br />
forêt éponymes ne nous déplaît pas du tout.<br />
Nous passâmes la nuit <strong>de</strong>rnière au milieu <strong>de</strong>s chevreuils. Tu ne peux<br />
imaginer, Fidèle, le bonheur <strong>de</strong> se coucher et se lever au bruit <strong>de</strong> broussailles<br />
folles qui volent sous les pattes d’animaux sauvages (à savoir en liberté, pas<br />
dangereux).<br />
Depuis Saint-Gonlay, nous continuâmes sur la route jusques aux étangs qui<br />
débutaient un itinéraire pour le touriste avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>. Nous le suivîmes et<br />
fûmes terriblement déçu par la Fontaine <strong>de</strong> Jouvence autant que par le<br />
Tombeau <strong>de</strong> Merlin où la fée Viviane, dit-on, aurait enfermé l’enchanteur dans<br />
une prison d’air en traçant neuf cercles magiques autour <strong>de</strong> lui. Nous y vîmes<br />
surtout une pompe à fric sur laquelle les gens laissent <strong>de</strong>s petits papiers entre<br />
les pierres à l’attention <strong>de</strong> Merlin. Nous laissâmes tomber ces contes pour un<br />
moment et entrâmes dans la forêt qui, elle, nous impressionna réellement. Elle<br />
était gran<strong>de</strong>, entretenue mais pas trop, vivante. Ce fut notre bâton <strong>de</strong> marche<br />
qui, lancé en l’air, nous indiqua les sentiers à suivre une fois retombé. Nous<br />
comptions visiter le château <strong>de</strong> Comper mais il préféra nous faire <strong>de</strong>scendre<br />
dans le marécage du Pas-du-Houx où nous conclûmes que nous n’irions pas<br />
plus loin. Le lieu, en cette fin <strong>de</strong> journée couverte, nous parut en effet propice<br />
à campement. Nous tendîmes donc notre bâche entre <strong>de</strong>ux arbres, installâmes<br />
notre duvet et allâmes observer les environs, roulée au bec.<br />
Nous vîmes, pour la première fois <strong>de</strong> notre vie, cinq chevreuils et<br />
chevrotins réunis en ligne, venus sans doute se désaltérer au cours d’eau<br />
passant là. Il faisait presque nuit mais, pleine Lune étant, nous y voyions<br />
suffisamment clair et eux pas assez pour nous discerner. Par-<strong>de</strong>ssus tout<br />
exhalions-nous la nature, il ne pouvaient donc nous sentir. Les chasseurs<br />
tonnaient au loin <strong>de</strong> leur carabine tueuse mais ils ne semblaient pas non plus<br />
dérangés – le marécage <strong>de</strong>vait être interdit à la chasse.<br />
Nous nous couchâmes, il faisait encore doux. Pendant la nuit, la pluie vint<br />
606
Carnet d’errance<br />
et notre petit campement tint bon ; nous nous rassurâmes et dormîmes jusques<br />
au matin, froid, très froid et humi<strong>de</strong> matin.<br />
Petite parenthèse pour signaler que six mecs (aucun baisable) entrèrent<br />
dans le bar voilà quelques minutes et ne trouvèrent qu’un « Bon ! » à se dire<br />
après un café au moment <strong>de</strong> partir ; tu vois, Fidèle, le genre <strong>de</strong> bled que nous<br />
fréquentons <strong>de</strong>puis trois semaines… Même Axel, le husky <strong>de</strong> la maison, nous<br />
fait plus d’effet avec ses beaux yeux clairs qui nous en rappellent d’autres, c’est<br />
pour dire !<br />
Bref, au matin donc, nous étions frigorifié – l’herbe basse aussi – dans<br />
notre duvet. C’est un chevreuil qui, passant tranquillement à trois mètres <strong>de</strong><br />
nous puis au galop en s’apercevant <strong>de</strong> notre campement provisoire, nous<br />
réveilla. Puisqu’il en était ainsi, nous nous levâmes, sortîmes une tablette <strong>de</strong><br />
chocolat (il ne nous en reste que trois autres puis rien) et allâmes petit-déjeuner<br />
sur la lan<strong>de</strong> marécageuse et glacée. Nous aperçûmes quatre autres chevreuils,<br />
au même endroit que la veille, qui ne firent que passer en direction <strong>de</strong> la forêt.<br />
Notre tablette finie, nous rangeâmes notre campement mouillé par la nuit. Le<br />
Soleil fainéant montrait son nez au 110ème alors que la pleine Lune fêtar<strong>de</strong><br />
allait se coucher au 320ème. Nous en profitâmes pour nous réchauffer – peine<br />
perdue – avant <strong>de</strong> repartir pour Paimpont par la forêt toujours.<br />
Nous traversâmes le marécage pour l’autre rive et marchâmes jusques au<br />
château du Pas-du-Houx, au pied <strong>de</strong> l’étang. Nous voulûmes <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r notre<br />
chemin, puisque nous n’étions pas sûr <strong>de</strong> savoir où nous étions tombé, mais il<br />
était lointain. Un autre figurant sur notre carte cependant se présentait <strong>de</strong><br />
l’autre côté. Nous nous y rendîmes, magnifique, frappâmes à toutes les portes ;<br />
personne ! Tant pis, nous reprîmes le sentier balisé jaune et rouge jusques à la<br />
D71 et arrivâmes à Paimpont pour midi pile. Nous pensions y trouver une<br />
abbaye habitée par <strong>de</strong>s sœurs mais nous trompions et comme nous n’aimons<br />
pas les presbytères, nous passâmes dans l’église sans <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> gîte pour la<br />
nuit, nous assîmes près <strong>de</strong> l’étang sur un muret <strong>de</strong>vant la mairie, cassecroûtâmes<br />
un peu et profitâmes du Soleil présent pour sécher. Nous étions<br />
bien, roulée au bec, tranquille, seul. À 14 heures, nous allâmes au syndicat<br />
d’initiative <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelques renseignements et entrâmes dans ce bar, chaud.<br />
D’ailleurs, il est bientôt 16 heures. Nous ne vîmes pas le temps passer<br />
aujourd’hui et ne pourrons pas marcher longtemps avant la nuit.<br />
607
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Trécesson (Armorique, France), 18h48.<br />
Nous ne savons par où commencer… Écrire sur notre incroyable Bonne<br />
Étoile ou simplement relater les faits comme il se doit dans un carnet. Osons<br />
l’impru<strong>de</strong>nce et risquons-nous aux <strong>de</strong>ux !<br />
Alarmé par l’heure déjà avancée au bar <strong>de</strong> Paimpont, nous nous<br />
propulsâmes après une <strong>de</strong>rnière gorgée ducale dans la direction que nous avait<br />
indiquée l’hôtesse du Syndicat d’Initiative : Campénéac. Nous ne pensâmes pas<br />
le chemin si long lorsque nous vîmes, alors que nous avions déjà parcouru ce<br />
que nous considérions comme une distance honorable, un panneau signalant le<br />
bourg à onze kilomètres ; nous forçâmes la patte en longeant la route, côté<br />
droit, espérant nous attirer la sympathie <strong>de</strong> quelque automobiliste peu pressé<br />
qui nous y aurait conduit. Une chance pour nous, il n’y en eut aucun.<br />
La nuit tombait, l’abbaye La-Joie-Notre-Dame était à trois kilomètres <strong>de</strong><br />
Campénéac dont nous n’avions encore aucun signe et nous ne savions<br />
décidément pas où passer la nuit. Nous n’avions pour horizon que bord <strong>de</strong><br />
route et bois sans intérêt. Il y eut aussi un moment cet abri <strong>de</strong> lavoir mais seule<br />
une biche, petite <strong>de</strong> surcroît, aurait pu s’en contenter si déjà elle en avait<br />
ressenti la nécessité. Il fallait se rendre à l’évi<strong>de</strong>nce : nous étions paumé, bien<br />
paumé !<br />
Nous nous résolûmes donc à marcher jusques au bourg et à trouver là-bas<br />
un abri quelconque, sachant qu’il était trop tard pour déranger les sœurs. Par<br />
ailleurs, il n’était pas sûr que nous y trouvassions gîte et couvert étant donné,<br />
en plus <strong>de</strong> l’heure <strong>de</strong> notre venue pas du tout provi<strong>de</strong>ntielle, que nous nous<br />
refusions à profiter <strong>de</strong> la charité chrétienne sans échange <strong>de</strong> notre travail,<br />
lequel ne se trouve pas partout <strong>de</strong> nos jours, quand bien même nous le<br />
voudrions <strong>de</strong> tout cœur.<br />
Nous nous couvrons et revenons.<br />
Nous voilà revenu ; notre pull sent le foin, c’est un véritable bonheur pour<br />
notre pharyngite !<br />
Nous marchions donc sur le bord <strong>de</strong> la route quand une voiture venante<br />
éclaira pour nous un panneau : « Château <strong>de</strong> Trécesson, XVème siècle »,<br />
installé sur notre gauche. Nous nous dîmes qu’à défaut d’une chambre à<br />
608
Carnet d’errance<br />
l’intérieur – nous ne portons plus nos illusions aussi loin –, nous pouvions<br />
peut-être trouver un cabanon, ou dans le genre, sur son petit sentier forestier.<br />
Le château était fermé, nous continuâmes vers le bois, puis vers ce qui nous<br />
parut être un moulin mais rien, nous ne trouvâmes rien. Tant pis, va pour<br />
Campénéac !<br />
Nous tournâmes talons et nuque et là, <strong>de</strong>ux lueurs nous illuminèrent.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, votre Bonne Étoile a besoin d’être<br />
éprouvée ! Deman<strong>de</strong>z-donc à cette apparition qui s’est arrêtée pour ouvrir le<br />
portail s’il n’y a pas dans son grand château un petit hangar avec du foin, au<br />
mieux, où elle pourrait vous héberger pour la nuit froi<strong>de</strong> qui vient.<br />
Nous suivîmes le conseil <strong>de</strong> notre pensée profon<strong>de</strong> et nous approchâmes<br />
<strong>de</strong> la lumière. Nous y croisâmes une dame, relativement âgée, qui répondit à<br />
notre « Bonsoir ! » avec chaleur et sympathie.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Chic, voilà une apparition bien singulière, bien<br />
aimable !<br />
Elle semblait en effet embarrassée pour nous, réfléchit un instant et se<br />
<strong>de</strong>manda où elle pouvait bien nous loger. Il y avait bien un hangar mais il y<br />
faisait un peu froid, nous confia-t-elle.<br />
LA DAME BLANCHE . Où comptiez-vous aller comme ça, par ce froid, seul et à<br />
cette heure-ci ?<br />
NOUS . Et bien, Madame, je comptais me rendre chez les sœurs mais je fus<br />
surpris par la nuit et il me semble être un peu tard pour les déranger.<br />
LA DAME BLANCHE . Je vois. Vous avez mangé ?<br />
NOUS . Ce midi, oui, à Paimpont.<br />
LA DAME BLANCHE . Je vais vous conduire à l’abbaye ; suivez-moi !<br />
609
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Elle entra dans une bâtisse <strong>de</strong> la cour et nous la suivîmes. Elle chercha son<br />
calepin dans le fouillis <strong>de</strong> la table <strong>de</strong> travail du petit salon puis le numéro <strong>de</strong><br />
l’abbaye.<br />
LA DAME BLANCHE . Allo, sœur Solène ?… Bonsoir, sœur ! Ici Yolan<strong>de</strong>… Oui,<br />
en effet, cela fait longtemps que je n’ai pas entendu votre voix, ni vue<br />
d’ailleurs… Dites-moi, j’ai là un charmant jeune homme qui cherche un logis<br />
pour la nuit… Je suis un peu embêtée, il comptait venir vous voir… Oui, ce<br />
n’est pas la place qui manque ici mais je dois m’absenter ; c’est pour dîner le<br />
pauvre homme… Ah ! vous ne pouvez pas le recevoir. Vous êtes complets…<br />
Très bien, sœur… Oui, oui, je comprends ! Je vais m’en accommo<strong>de</strong>r… Bonne<br />
soirée, sœur… D’accord !<br />
Elle <strong>de</strong>vait en effet s’absenter jusques à 22-23 heures mais nous introduisit<br />
dans une pièce d’une autre bâtisse, adjacente au sentier forestier et nous<br />
indiqua <strong>de</strong>s bottes <strong>de</strong> foin que nous pouvions utiliser pour nous étendre. Elle<br />
nous proposa également <strong>de</strong> nous servir un repas chaud à son retour.<br />
Avant qu’elle ne partît, nous la remerciâmes pour son accueil ; nous<br />
venions <strong>de</strong> faire la connaissance <strong>de</strong> la Dame <strong>Blanc</strong>he <strong>de</strong> Trécesson !<br />
610
Carnet d’errance<br />
1 8 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Campénéac (Armorique, France), 11h48.<br />
Contre toute attente, nous revoici dans le Morbihan, qui plus est seulement<br />
à neuf kilomètres <strong>de</strong> Ploërmel où nous ne fîmes que nous arrêter quelques<br />
heures avec <strong>de</strong> repartir pour Montertelot et le canal <strong>de</strong> Nantes à Brest voilà<br />
huit jours. Tant pour nous retrouver là…<br />
Se pose à nous un fabuleux dilemme : <strong>de</strong>main soir se produit Lyse, un<br />
groupe <strong>de</strong> Rock venu <strong>de</strong> Vannes, à Saint-Abraham, mais dans notre idée, nous<br />
voulons remonter vers Brocélian<strong>de</strong>, Tréhorenteuc, le Val Sans Retour, la<br />
Fontaine <strong>de</strong> Barenton puis Dinan, Dinard, Saint-Malo et l’abbaye du Mont<br />
Saint-Michel. Nous nous disons aussi que les itinéraires ne servent à rien et que<br />
nous voguons d’habitu<strong>de</strong> en suivant le cours <strong>de</strong>s opportunités qui se<br />
présentent à nous et puis l’entrée est gratuite – cela <strong>de</strong>vrait nous ai<strong>de</strong>r à choisir<br />
mais non, même pas !<br />
Nous verrons ! Le cybercafé <strong>de</strong> la commune ouvre à 14 heures, nous avons<br />
le temps d’y réfléchir jusque là.<br />
Hier soir, après la rédaction <strong>de</strong> ce carnet, nous lûmes un peu et nous<br />
endormîmes en attendant le retour <strong>de</strong> la Dame <strong>Blanc</strong>he, notre protectrice du<br />
moment. Elle arriva vers 23 heures – sa chienne vint frapper à notre porte – et<br />
nous invita à entrer chez elle pour manger un peu. Elle nous prépara un potage<br />
<strong>de</strong> légumes ainsi que <strong>de</strong>ux galettes aux œufs et nous servit enfin une assiette <strong>de</strong><br />
fromages. Nous sortîmes <strong>de</strong> ce repas généreux repu et en dormîmes bien.<br />
À 8 heures, nous la rejoignîmes à nouveau pour le petit-déjeuner. Nous<br />
parlâmes, nous racontâmes nos petites histoires, en apprîmes beaucoup sur elle<br />
et sa légen<strong>de</strong>, sur le château également.<br />
Elle nous donna 60 euros pour nous ai<strong>de</strong>r dans notre périple, nous dit-elle.<br />
Nous préparâmes nos affaires avant <strong>de</strong> lui dire un nouveau grand merci et<br />
reprendre notre route jusques ici.<br />
Il est <strong>de</strong> ces êtres merveilleux que l’on ne rencontre que par provi<strong>de</strong>nce et<br />
– nous sommes heureux <strong>de</strong> l’écrire, ce sera notre mo<strong>de</strong>ste hommage – la<br />
Dame <strong>Blanc</strong>he <strong>de</strong> Trécesson en fait partie !<br />
611
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Ploërmel (Armorique, France), 18h11.<br />
Nous prîmes finalement la route <strong>de</strong> Ploërmel mais pas à pattes cette foisci<br />
; nous fîmes du stop ! Maryline, jeune et sympathique campénéacoise nous y<br />
conduisit. Nous manquons d’inspiration – surtout n’avons-nous rien <strong>de</strong><br />
particulier à écrire.<br />
Le patron vient <strong>de</strong> mettre MCM Pop après Equidia. Cette chaîne, quoi que<br />
peu intéressante en soi, nous rend nostalgique. Nous pensons au Med Boy, aux<br />
amis dans le Sud, à ce que nous y laissâmes, au fait que nous savions alors où<br />
aller.<br />
Nous les voyons venir, eux, nos détracteurs éternels avec leurs pattes <strong>de</strong><br />
trait.<br />
LA MASSE INCULTE . Jamais content, ce <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ! Un jour il nous saoule<br />
avec sa soi-disant liberté, il nous dit que rien ne le retient, rien ne le presse,<br />
personne ne l’attend, qu’il peut faire ce que et aller où bon lui semble et le jour<br />
d’après il regrette ce temps passé où il fréquentait <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s qu’il est, du<br />
reste, content d’avoir laissées <strong>de</strong>rrière lui !<br />
Et bien, tout comme nous aimons être seul autant que nous détestons cela,<br />
la sé<strong>de</strong>ntarité, parfois, nous manque et notre instabilité nous pèse. Ce soir,<br />
nous aurions envie d’un billard sur le tapis bancal du sous-sol <strong>de</strong> Michel, <strong>de</strong><br />
quelques pintes entre amis et, c’est vendredi, d’une nuit au New Cancan.<br />
Nous revivons la même soirée qu’il y a huit jours. Nous éviterons donc le<br />
chemin <strong>de</strong> halage <strong>de</strong> Montertelot au Roc-Saint-André ; nous risquerions <strong>de</strong><br />
pleurer, à nouveau.<br />
Tous ces mots que l’on nous dit, ceux que l’ont nous écrit nous touchent.<br />
Merci Brigitte, merci Patrick ! Nous ne traversons aucune pério<strong>de</strong> plus difficile<br />
qu’une autre mais ils nous font du bien.<br />
La conclusion est nette : il nous manque un port d’attache – un petit îlot<br />
nous suffirait pourtant ! Mais comment trouver un lagon salutaire quand,<br />
comme nous, on n’a personne à qui en parler ? C’est notre faute, craignons-le,<br />
nous ne cherchons personne. Laissons ces pensées dans leur coin et allons à la<br />
Forge à Miston, la musique y est plus entraînante !<br />
612
Carnet d’errance<br />
1 9 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Ploërmel (Armorique, France), 10h10.<br />
Et plus entraînante, elle l’était en effet ! Nous fûmes accueilli par Tainted<br />
Love puis d’autres, commandâmes une Beamish brune, posâmes nos sacs à<br />
une table et vînmes raconter nos huit <strong>de</strong>rniers jours aux <strong>de</strong>ux barmen qui se<br />
souvenaient <strong>de</strong> nous. Arriva le postier, Cyril, que nous connaissions déjà<br />
également. Nous leur dîmes que nous étions revenu presque malgré nous pour<br />
assister au concert <strong>de</strong> Lyse.<br />
CYRIL . Ah ouais ! C’est <strong>de</strong>main ça, je le sais, c’est moi qui ai distribué les<br />
affiches ! Je vais peut-être aller y faire un tour.<br />
NOUS . Vraiment ? Ça te dit pas <strong>de</strong> m’y conduire ? J’ai pas envie <strong>de</strong> me taper la<br />
quat’ voies jusque là-bas <strong>de</strong>main.<br />
CYRIL . J’y vais <strong>de</strong>main matin pour la tournée, l’après-midi j’ai un truc à faire<br />
avec un copain et le soir j’irai faire un tour pour voir. Si tu veux, je t’y emmène,<br />
ça me dérange pas.<br />
NOUS . Génial ! C’est sympa. On fait comment ? On se retrouve quelque part ?<br />
Il est à 21 heures le concert, au Charleston, c’est ça ?<br />
CYRIL . Oui ! Ben on n’a qu’à se retrouver ici. J’y viens tous les soirs vers 19h30<br />
- 20 heures, par là.<br />
NOUS . Aucun problème, on n’a qu’à faire ça, je te retrouverai ici !<br />
Nous payâmes 2 euros les <strong>de</strong>ux brunes – prix pour vagabond – et nous en<br />
allâmes ; il était un peu plus <strong>de</strong> 20 heures.<br />
Nous avions lu dans Le Ploërmelais, journal local, que le 115 avait ouvert<br />
une antenne pour les SDF en ville et que, la nuit venue, la Gendarmerie s’en<br />
occupait. Elle était fermée mais l’interphone était à disposition. Nous<br />
sonnâmes, on nous répondit et nous expliquâmes notre cas.<br />
LE GENDARME DE GARDE . Ah mais c’est pas avec nous qui faut voir ça,<br />
Monsieur, y faut app’ler l’115 !<br />
613
Bien… Journal <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> encore !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous appelâmes donc le numéro d’urgence sociale, une femme à la voix<br />
charmante et con<strong>de</strong>scendante nous dit que l’antenne <strong>de</strong> Ploërmel était fermée<br />
pour le week-end, faute <strong>de</strong> bénévoles. Elle le déplorait mais ne pouvait rien<br />
faire. Elle nous indiqua les températures attendues jusques à lundi matin – que<br />
<strong>de</strong>s négatives – et nous conseilla <strong>de</strong> nous rendre à l’hôpital si vraiment ça<br />
n’allait pas.<br />
ELLE . Une salle d’attente chau<strong>de</strong>, c’est toujours mieux que la rue !<br />
Vagabonds, oyez ! Ils veulent bien vous accueillir mais le week-end vous<br />
pouvez crever. Pourquoi ? Parce que sur les dix milles habitants <strong>de</strong> la ville, il n’y<br />
en a pas <strong>de</strong>ux ou trois pour tenir la maison. En même temps, nous choisîmes<br />
notre sort et n’avons pas le droit <strong>de</strong> nous plaindre.<br />
Pas grave, nous avions repéré une maison abandonnée près du<br />
concessionnaire Peugeot en ruine, sur la route. C’était assez confortable, nous<br />
y trouvâmes même <strong>de</strong> la moquette à l’étage. Nous passâmes une bonne nuit,<br />
sans déconner, nous eûmes à peine froid.<br />
Nous avons une journée à tuer. Un bon chocolat chaud, un jus <strong>de</strong> fruits et<br />
nous pensons visiter le centre.<br />
12h25.<br />
Nous croyons dans le Café <strong>de</strong> la Tour avoir trouvé notre Roton<strong>de</strong>.<br />
L’ambiance est ici médiévale, rien à voir avec le bar aixois mais si nous vivions<br />
ici, nous y passerions probablement beaucoup <strong>de</strong> temps !<br />
En sortant du bar à 11 heures, nous fîmes un peu <strong>de</strong> shopping. Nous<br />
achetâmes une nouvelle paire <strong>de</strong> chausses, <strong>de</strong>s Dr. Martens – ô joie ! – puis<br />
nous nous installâmes ici pour dîner. Nous nous faisons plaisir ! Au menu :<br />
sala<strong>de</strong> chevalière (magret <strong>de</strong> canard, foie gras) et une pinte <strong>de</strong> blon<strong>de</strong>. Cela<br />
n’arrive pas plus tous les jours, dégustons avec retenue et finesse !<br />
614
Carnet d’errance<br />
13h27.<br />
Pour <strong>de</strong>ssert : far breton sur coulis caramélisé ; un régal naturellement ! Ce<br />
lieu est si agréable que nous allons en profiter pour écrire quelques lettres<br />
<strong>de</strong>vant un café, <strong>de</strong> l’autre côté, sur l’un <strong>de</strong>s fauteuils. Ce sera toujours mieux<br />
que <strong>de</strong> nous geler <strong>de</strong>hors à visiter <strong>de</strong>s vieilles pierres et <strong>de</strong>s horloges.<br />
615
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 0 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Ploërmel (Armorique, France), 16h20.<br />
Laissons les abrutis claquer leur peu <strong>de</strong> fric paysan dans les excités <strong>de</strong> la<br />
cravache à Auteuil et intéressons-nous plutôt aux <strong>de</strong>rniers événements – et pas<br />
<strong>de</strong>s moindres – intervenus dans notre petite vie.<br />
En fin d’après-midi hier, nous entendîmes la cloche <strong>de</strong> l’église annoncer<br />
une messe et décidâmes <strong>de</strong> nous y rendre puisque nous n’avions ren<strong>de</strong>z-vous<br />
avec Cyril que vers 20 heures. L’homélie fut particulièrement absur<strong>de</strong>, le père<br />
se contentant d’expliquer à son troupeau le nouveau déroulement <strong>de</strong> la<br />
communion, donnée dans l’allée centrale uniquement, celles <strong>de</strong> droite et <strong>de</strong><br />
gauche étant réservées pour regagner sa place. Voilà neuf ans qu’ils distribuent<br />
l’hostie ici dans un bor<strong>de</strong>l monstre – premier arrivé, premier servi ! Tu t’en<br />
fous sans doute, Fidèle, mais nous non ! Nous nous disons que nous aurions<br />
bien voulu voir cela : l’illustration parfaire du berger distribuant le grain à ses<br />
brebis affamées <strong>de</strong> ré<strong>de</strong>mption. En ce jour <strong>de</strong> célébration du Christ-roi, il<br />
appela cela : « mieux servir le Seigneur ». Pff ! Tu nous en diras tant ! Le chant<br />
<strong>de</strong> la chorale aussi était assez marrant. En gros, un bon catho est un catho qui<br />
n’attend qu’une chose : mourir pour rejoindre son Roi ! Nous nous <strong>de</strong>mandons<br />
s’ils ont conscience <strong>de</strong>s conneries qu’ils chantent parfois… Nous fûmes enfin<br />
impressionné par les enfants qui reçurent la robe en ce jour pour servir l’Autel<br />
– ils étaient nombreux. Pauvres enfants, si vous saviez ! Aimez votre prochain,<br />
oui, mais ne leur donnez pas votre existence non plus, faut pas déconner ! Tout<br />
cela n’enleva rien au fait qu’ils étaient trop mignons, ces petits bouts d’humain.<br />
Nous sortîmes après la communion sans attendre la fin car la messe<br />
s’éternisait et qu’un concert valait bien mieux. Incroyable hasard, Cyril<br />
<strong>de</strong>scendait la rue <strong>de</strong> la gare en même temps et nous prit au passage. Nous<br />
passâmes un instant à La Forge à Miston avant <strong>de</strong> rejoindre Saint-Abraham, le<br />
Charleston, Lyse. La salle était petite, il n’y avait pas encore beaucoup <strong>de</strong><br />
mon<strong>de</strong> à 20 heures et le groupe n’était pas encore installé. Le bar offrait<br />
l’apéritif ; un punch qui ne dura pas trois gorgées et qui nous obligea à<br />
comman<strong>de</strong>r une autre blon<strong>de</strong> – nous n’en bûmes que <strong>de</strong>ux litres dans la soirée,<br />
raisonnable. L’ambiance s’installa, timi<strong>de</strong>, nous ne vîmes alors personne à notre<br />
goût et parlâmes au bar avec Cyril, Lee, une connaissance à lui, un anglais au<br />
616
Carnet d’errance<br />
look <strong>de</strong> routard qui avait parcouru le mon<strong>de</strong> et Ben, un sympathique garçon <strong>de</strong><br />
17 ans, anglais lui aussi, qui l’accompagnait. Pendant ce temps, Lyse accordait<br />
basse, guitare, voix et pour la première fois <strong>de</strong>puis que nous parcourions<br />
l’Armorique, nous vîmes un mec à notre goût : le bassiste au t-shirt blanc.<br />
Lorsqu’il passa plus tard <strong>de</strong>rrière la batterie pour jouer et chanter du<br />
Radiohead, nous tombâmes sous le charme (avec modération toutefois). C’est<br />
son regard plus que le reste qui nous attira. Cela n’alla pas plus loin cependant<br />
puisque nous sympathisâmes avec Lee et nous laissâmes emporter par le son,<br />
notre verre, notre roulée. Lee, d’ailleurs, était completely drunk, Ben cuvait dans la<br />
voiture et Cyril parlait, parlait, parlait encore au bar. Quant aux autres (la salle<br />
s’était remplie), ils n’avaient <strong>de</strong> rythme qu’un frêle balancement et <strong>de</strong>s sifflets<br />
ou « Whoouhou !!! » à chaque fin <strong>de</strong> titre, exceptés quelques jeunes bien<br />
imbibés déjà. Nous, <strong>de</strong> notre côté, n’arrivions pas à nous saouler et Lee nous<br />
invita à boire du whisky dans sa voiture. Rien n’y fit, nous restâmes quasisobre.<br />
Cela ne nous empêcha pas heureusement <strong>de</strong> bien nous éclater mais rien<br />
à voir avec nos frasques sur un podium <strong>de</strong> boite du Sud. Nous retournâmes au<br />
bar jusque vers 1 heure et Lee nous proposa <strong>de</strong> nous héberger pour la nuit<br />
chez lui, où Ben résidait déjà <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ou trois semaines. Nous acceptâmes<br />
volontiers, le dîmes à Cyril et chargeâmes nos sacs dans sa voiture. Il fallut<br />
réveiller Ben qui dormait au volant ; difficile.<br />
Lee ne tenait pas droit – oh non ! – quand il démarra. En roulant un brin<br />
trop vite, dirons-nous avec un peu d’euphémisme, il parvint quand même à<br />
tenir plusieurs kilomètres sur la petite route <strong>de</strong> campagne avant <strong>de</strong> nous planter<br />
dans le fossé. Le choc fut net, brutal ; nous prîmes la tête <strong>de</strong> son siège en plein<br />
œil malgré la ceinture – nous nous étions penché comme un con pour<br />
participer à la conversation en même temps.<br />
BEN . Lee!! You suck!! Three times you’ve crashed this fucking car!!<br />
Visiblement, il n’en n’était pas à son coup d’essai… Nous sortîmes voir les<br />
dégâts : le pare-choc et un phare niqués, l’avant <strong>de</strong> la voiture enterré dans le<br />
talus ; impossible <strong>de</strong> la sortir !<br />
Trois voitures passèrent sans pouvoir ai<strong>de</strong>r puis arrivèrent <strong>de</strong>s gars que<br />
nous avions croisés déjà au Charleston, bien imbibés également. Ils allèrent<br />
617
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
chercher le paysan sympa du coin, Hubert, et son tracteur. En <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ux, la<br />
voiture fut <strong>de</strong> nouveau sur le circuit la route et Lee nous ramena, un peu<br />
choqué, sans autre dommage. Nous, trouvâmes cela fun.<br />
Une fois chez lui, un mobile home réaménagé par ses soins à côté <strong>de</strong> la<br />
maison qu’il réhabilitait, nous parlâmes un moment <strong>de</strong>vant une bière et mîmes<br />
Transpoting en VO à la télé. Ben s’endormit <strong>de</strong>vant, Lee et nous-même à la<br />
fin ; il était 5 heures.<br />
Le réveil à 10h30 fut difficile, forcément. Nous ne fîmes rien <strong>de</strong> la matinée<br />
à part un peu <strong>de</strong> vaisselle après l’egg on bread au petit-déjeuner ; nous zonâmes.<br />
Ben <strong>de</strong>vait rentrer chez lui sur Redon, Lee visiter une amie à lui et nous<br />
<strong>de</strong>vions continuer notre chemin. Lee nous déposa donc avec sa voiture qui<br />
n’avait plus ce petit bruit bizarre <strong>de</strong> la veille à Monterrein et nous rejoignîmes<br />
Ploërmel à pattes.<br />
Buvez, jeune gens, buvez !<br />
618
Carnet d’errance<br />
2 4 n o v e m b r e 2 0 0 5<br />
Saint-Malo (Armorique, France), 17h37.<br />
Que d’événements ces quatre <strong>de</strong>rniers jours ! Nous ne pouvions les relater<br />
que <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>ux galettes et une crêpe arrosées d’un litre <strong>de</strong> cidre brut au Petit<br />
Malouin pour signer cette <strong>de</strong>rnière nuit en Armorique. Nous voulions pousser<br />
jusques au Mont Saint-Michel, tout proche, mais cela ne se fera pas.<br />
Dimanche soir, en sortant du Thy’roir à Ploërmel, nous passâmes <strong>de</strong>vant<br />
l’église sans nous y arrêter malgré la soirée dédiée au Secours Catholique car<br />
nous étions fatigué et que nous savions la journée à suivre longue ; il était 18<br />
heures. Nous rejoignîmes notre squat près du concessionnaire Peugeot et y<br />
dormîmes plus ou moins bien.<br />
Au matin, nous prîmes notre petit-déjeuner au bar Le Bretagne, comme<br />
samedi, puis la route <strong>de</strong> Tréhorenteuc. Nous arrêtant ici et là au gré <strong>de</strong> nos<br />
envies, il nous fallut la journée ou presque pour y arriver. Le Soleil, cet ami<br />
cher et présent <strong>de</strong>puis le marécage du Pas-du-Houx, montrait déjà fatigue.<br />
Nous nous renseignâmes pour un abri auprès <strong>de</strong> l’office du tourisme mais il n’y<br />
avait rien. Nous nous dîmes que, quitte à dormir <strong>de</strong>hors, autant le faire en terre<br />
consacrée et grimpâmes jusques au Val-Sans-Retour, le repère <strong>de</strong> Morgane. Le<br />
miroir aux fées était asséché pour cause <strong>de</strong> travaux mais le site restait<br />
grandiose. Une fois au sommet, nous nous installâmes, roulâmes une clope,<br />
puis <strong>de</strong>ux, en contemplant le couché du Soleil <strong>de</strong>rrière la colline, Feel <strong>de</strong><br />
Robbie Williams dans les oreilles ; nous planions et n’avions pourtant que du<br />
tabac ! La nuit s’annonçant, nous résolûmes <strong>de</strong> la passer dans les toilettes<br />
publiques, propres et spacieuses fort heureusement en cette saison touristique<br />
sèche. Nous y dormîmes mal, très mal, trop peu.<br />
Mardi matin, nous avions donc la tête dans le cul et continuâmes notre<br />
chemin sans gran<strong>de</strong> inspiration pour Mauron. De folles pensées allumaient nos<br />
réflexions. Nous nous disions : « Pauvre <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, comme vous semblez<br />
paumé, comme vous avez froid ! Êtes-vous convaincu <strong>de</strong> l’utilité <strong>de</strong> votre<br />
parcours ? » Nous ne l’étions pas le moins du mon<strong>de</strong>. Nous nous <strong>de</strong>mandions<br />
même s’il fallait continuer, si nous ranger dans une vie stable, une <strong>de</strong> celles que<br />
nous abhorrons, n’était pas mieux venu ! Nous nous persuadâmes enfin, après<br />
avoir constaté le trou la gigantesque faille dans notre bourse et notre<br />
619
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
désorientation, que nous DEVIONS nous poser et supporter le souffle timoré<br />
<strong>de</strong> l’inspiration collective et observée. Nous en étions là, abattu, en sortant <strong>de</strong><br />
Mauron – on nous avait dit qu’aucun local n’était plus disponible pour les SDF<br />
– quand un énorme 4x4 gris métallisé nous coupa le bord <strong>de</strong> route et une voix<br />
connue nous interpella.<br />
MONSIEUR CHAMAILLARD . Ah bah ça ! C’est pas croyable ! Je pensais bien<br />
t’avoir reconnu !<br />
NOUS . Monsieur Chamaillard !! Vous ici ?!<br />
MONSIEUR CHAMAILLARD . Où vas-tu comme ça, du mauvais côté <strong>de</strong> la route ?<br />
NOUS . Je ne sais pas, par là-bas ! Je comptais faire du stop un peu plus loin.<br />
MONSIEUR CHAMAILLARD . Allez, monte !<br />
Et oui, pour la secon<strong>de</strong> fois, l’intervention <strong>de</strong> ce sympathique monsieur<br />
nous sauva <strong>de</strong> bien tristes réflexions. Nous montâmes et il reprit sa route. Il<br />
<strong>de</strong>vait aller voir un client mauvais payeur à 100 kilomètres <strong>de</strong> chez lui, déjà,<br />
mais il nous proposa <strong>de</strong> nous déposer à Dinan, notre <strong>de</strong>stination s’il en était<br />
une. Ni lui ni nous-même n’en crûmes nos yeux <strong>de</strong> nous retrouver ainsi ; il en<br />
appela même sa charmante épouse pour le lui raconter. Nous n’en revenons<br />
toujours pas d’ailleurs ! Ce genre d’informels nous fait croire en notre Bonne<br />
Étoile… En nous déposant à Dinan, <strong>de</strong>vant la mairie, il nous donna 20 euros.<br />
MONSIEUR CHAMAILLARD . Tu pourras te payer un bon repas comme ça ce soir !<br />
NOUS . Vraiment, monsieur, vous me sauvez encore ! Je suis un rescapé<br />
perpétuel.<br />
À Dinan, la mairie nous envoya au CHRS, 12 rue du Capitaine Lesry,<br />
<strong>de</strong>rrière la gare SNCF. Joël, le responsable en présence nous accueillit dans le<br />
bureau et par chance – cela semble nous être toujours dévolu – une chambre<br />
s’était-elle libérée pour la nuit. Nous n’avions rien à y faire car la mairie aurait<br />
dû nous envoyer au numéro 10, le Samu Social à côté mais il consentit à nous<br />
héberger. Nous pûmes dîner <strong>de</strong>hors dans une sandwicherie grâce à l’argent <strong>de</strong><br />
620
Carnet d’errance<br />
Monsieur Chamaillard, prendre une douche, faire une lessive et dormir, enfin,<br />
dans un vrai lit confortable et bien chaud. Nous nous sommes habitué au froid<br />
<strong>de</strong>puis notre départ mais nous reconnaissons qu’un chauffage et <strong>de</strong>ux<br />
couvertures sont plus appréciables qu’un duvet, tous les vêtements qui<br />
bourrent notre sac à dos et passer la nuit, inerte, dans l’espoir <strong>de</strong> nous réveiller<br />
sans le gel au pied <strong>de</strong>s narines.<br />
Nous aurions apprécié nous accor<strong>de</strong>r dans ce centre une affinité mais les<br />
jeunes rencontrés avaient – <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce puisqu’ils étaient ici – d’autres<br />
chats à fouetter. Nous y passâmes donc la nuit sans nous attar<strong>de</strong>r au matin,<br />
visitâmes la tombe <strong>de</strong> nos arrières grands-parents au cimetière – un vœu <strong>de</strong><br />
notre mère – et continuâmes notre chemin.<br />
Dans notre esprit, nous avions idée <strong>de</strong> rejoindre Dinard puis Saint-Malo<br />
mais pas à pattes ! Il nous fallut faire du stop, pour la secon<strong>de</strong> fois <strong>de</strong> ce<br />
périple, ne nous attardant pas comme une pute sur les bords <strong>de</strong> route en<br />
général – non, non, nous te l’assurons, Fidèle !<br />
Il se fait tard, nous continuerons ce récit plus tard car <strong>de</strong>main nous nous<br />
levons tôt pour prendre notre TGV : nous rentrons en Provence.<br />
621
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
7 d é c e m b r e 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 19h58.<br />
Adieu incontrôlables frissons ! Adieu faim et sommeil léger ! Bonjour<br />
oliva<strong>de</strong>s pour dix à quinze jours !<br />
Retour en Provence donc, après quarante-six nuits d’errance à travers<br />
French Riviera et Armorique ; quarante-six nuits <strong>de</strong>hors à nous peler le cul pour<br />
ne rencontrer au final que <strong>de</strong>s gens extraordinaires avec leurs visions très<br />
éclectiques.<br />
Pourquoi ce retour au pays ? C’était inattendu, notre frère nous ayant invité<br />
lorsque nous étions à Saint-Malo. Venu <strong>de</strong> Flori<strong>de</strong> pour quelques jours, il nous<br />
proposa <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre pour visiter notre mère au château. Nous y restâmes un<br />
peu, après une vingtaine <strong>de</strong> cassages <strong>de</strong> gueule sur la piste verte – la honte ! –<br />
<strong>de</strong> Mont-Genèvre avec notre nièce, notre neveu et lui. De passage, notre sœur<br />
nous invita chez elle à Bouc-Bel-Air puis MJD au pied <strong>de</strong> la Sainte-Victoire<br />
pour les oliva<strong>de</strong>s. Nous allons y rester jusques au <strong>de</strong>rnier arbre peigné. Les<br />
fêtes approchent, ce sera en famille au château. Survécues Passées, nous<br />
verrons le programme à ce moment-là.<br />
Il fait chaud au Happy Days, Pink Martini met l’ambiance. Nous n’avons<br />
pas choisi ce bar innocemment ; il est gay, les serveurs sont parfois mignons,<br />
toujours sympathiques. Il n’y avait rien <strong>de</strong> mieux pour nous ressourcer. De<br />
toute manière, nous n’allons pas nous réinstaller ici ; quoi que… Non ! N’y<br />
pensons pas en fait ! Un ex propriétaire mala<strong>de</strong>, crétin et impulsif, <strong>de</strong>s anciens<br />
à éviter (difficile dans les petites rues aixoises), la vie chère (bah ouais, nous<br />
restons vagabond encore !), <strong>de</strong>s pensées méphistophéliques évaporées, une vie<br />
passée tout simplement.<br />
Nous ne sommes pas mécontent toutefois ; nous pûmes revoir Alexandra,<br />
Morgan, la fontaine <strong>de</strong> la mairie, les rues <strong>de</strong> la Verrerie et <strong>de</strong> l’École, le tabac<br />
Au Khédive ; que <strong>de</strong> souvenirs ! Deux années passées au service <strong>de</strong> la<br />
concupiscence, <strong>de</strong> l’aisance, <strong>de</strong> la déca<strong>de</strong>nce, <strong>de</strong> l’éthylisme pour toi, Fidèle.<br />
Non, pour NOUS, évi<strong>de</strong>mment ! Nous pensais-tu ego-narcissique ? Mais oui,<br />
absolument, nous le fûmes, sommes et serons sans doute encore jusques à<br />
notre cirrhose dans onze ans.<br />
622
Carnet d’errance<br />
Laisse-nous allumer une YSL – lieu oblige ! – et nous reprenons le cours <strong>de</strong><br />
ce masque bondissant mais retenu qui forme nos lignes.<br />
Nous ne <strong>de</strong>vons pas tar<strong>de</strong>r ; MJD, même si elle nous dit le contraire en<br />
nous lâchant aux Arts et Métiers, doit s’inquiéter et ne fermera pas l’œil avant<br />
notre retour, nous en sommes convaincu. Ensuite, nous sommes habillé<br />
comme quelqu’un qui a passé légitimement sa journée dans un arbre chargé,<br />
Despe dans une main, griffe dans l’autre. Six ou huit kilomètres <strong>de</strong> marche<br />
nous atten<strong>de</strong>nt enfin. Nous sifflons notre <strong>de</strong>mi et nous envolons.<br />
623
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 6 d é c e m b r e 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 20h03.<br />
Pourquoi faut-il absolument que nous nous retrouvions dans un bar pour<br />
écrire ? Parce qu’il faut nécessairement pouvoir nous retrouver quelque part !<br />
Nous avons une heure à tuer avant d’aller au Med Boy, lieu culte dont tu as<br />
déjà lu, Fidèle, quelque <strong>de</strong>scription dans notre précé<strong>de</strong>nt carnet. Il s’agit ici <strong>de</strong><br />
retrouver notre ancien – mais pas si lointain, avouons-le-nous – rythme <strong>de</strong> vie.<br />
Nous passâmes cette journée venteuse à Marseille, dans les boutiques <strong>de</strong> la<br />
rue <strong>de</strong> Rome, pour un shopping indispensable en ces jours <strong>de</strong> fêtes que nous<br />
ne portons pas particulièrement dans notre cœur. Il nous fallait absolument un<br />
t-shirt à manches longues et à capuche, histoire <strong>de</strong> liqui<strong>de</strong>r notre pull Ralph<br />
Lauren trop encombrant mais cependant bien chaud. Nous vidons les marques<br />
<strong>de</strong> notre sac à dos petit à petit – le sacrifice est horrible et difficile !<br />
Bref, aucune espèce d’importance ! Commentons-nous.<br />
Dans le TER <strong>de</strong> Marseille à Aix-en-Provence, nous fûmes annulé en<br />
chemin pour trois malheureux resquilleurs. Naturellement, tout le mon<strong>de</strong> sur la<br />
voie se plaignit mais impossible <strong>de</strong> faire rembourser notre billet à l’arrivée – les<br />
timbres auraient coûté plus cher. Nous avions dîné aux Danaï<strong>de</strong>s un gin, une<br />
<strong>de</strong>mie bouteille <strong>de</strong> rosé pas mauvais et une sala<strong>de</strong> italienne ; le fait,<br />
naturellement, nous parut moins grave. Après mûre et imbibée réflexion,<br />
étrangement, nous nous en foutons toujours autant.<br />
Demain, massage en Ardèche pour le week-end ; lundi, retour probable au<br />
château ; en janvier, agenda vi<strong>de</strong> pour le moment. Tout semble parfait, et<br />
pourtant… Si l’on met <strong>de</strong> côté ce Sébastien <strong>de</strong> Troyes qui vraiment nous prend<br />
pour un con – mais il n’en est rien –, il reste dans notre outre d’opportunités<br />
peu <strong>de</strong> place à l’improvisation. Nous avons un mois à combler et nous ne<br />
savons qu’y mettre. Partir nous est exclu puisque nous <strong>de</strong>vons répondre :<br />
« Présent ! » en février dans les Basses Alpes où notre frère veut construire une<br />
maison. Alors que faire ? Une idée peut-être as-tu, Fidèle ? De notre côté, nous<br />
séchons… Le plus mordant dans cette histoire est que pour une fois nous<br />
avons un peu <strong>de</strong> fric sur nous à dépenser grâce aux oliva<strong>de</strong>s – fait rare ces<br />
<strong>de</strong>rniers mois, certes, nous te l’accordons.<br />
624
Carnet d’errance<br />
Cette introspection inutile passée, il ne nous reste qu’à rouler une clope.<br />
625
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 9 d é c e m b r e 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 15h08.<br />
Nous sommes, inextricablement, un être <strong>de</strong> la nuit. Avant elle, nous avons<br />
la tête dans le cul ; nous ne comprenons pas, notre tempérament sans doute.<br />
Nous <strong>de</strong>vrions nous sentir éveillé comme tout le mon<strong>de</strong> – il fait un temps<br />
superbe en plus – mais non, cela ne semble pas nous appartenir.<br />
L’effet du week-end consommé ne nous ai<strong>de</strong> pas non plus, nous <strong>de</strong>vons<br />
bien l’avouer. Massage en Ardèche : <strong>de</strong>ux jours <strong>de</strong> pétillement uranique dont<br />
nous nous remettons avec peine. Une seule pensée : nous reposer encore,<br />
encore et encore !<br />
Notre Bloody Mary nous encourage à vaquer au Soleil et nous perdre dans<br />
<strong>de</strong> saines et relaxantes pensées mais le peuple anciennement familier d’ici nous<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’y renoncer et <strong>de</strong> nous consacrer à sa critique, mainte fois reconnue.<br />
Nous sentons notre verve sure renaître ; quel délice !<br />
Il y a ces Aixois à la consistance vaine, la personnalité blafar<strong>de</strong>. Attardonsnous<br />
par exemple sur le troupeau à main gauche dans le petit salon. Sur le<br />
jeune, le pantalon est tombant, la botte 70’s épineuse, la ceinture électrique, la<br />
coupe affreuse, la frange cisaillée, l’origine commune, l’esprit trop sobre, la<br />
cigarette volante et le tout sans grand intérêt. Jeunesse dorée ? Non, plaquée<br />
or.<br />
Et puis il y a le jeune barman… Les cheveux bruns, rai<strong>de</strong>s, naturels, la peau<br />
matte, le regard clair, la mâchoire masculine, le sourire percutant, l’intérêt<br />
propre, divin couronné <strong>de</strong> pourpre – tout ce que nous aimons, ne sommes pas.<br />
Sans s’en rendre compte, du fait <strong>de</strong> leur suffisance, les autres l’élèvent.<br />
Nous aimerions le lui signaler mais comment ? Recomman<strong>de</strong>r et ajouter au<br />
serveur une note ne serait-il pas risqué ? Si, quand même un peu ! Passer<br />
<strong>de</strong>rrière le bar, l’embrasser longuement et lui glisser notre numéro <strong>de</strong><br />
téléphone dans la poche arrière <strong>de</strong> son jean après quelque attouchement<br />
révélateur ? Non plus, trop direct ! Nous ne sommes vraiment pas doué pour<br />
le théâtre.<br />
Passons. Nous n’avons qu’à nous convaincre que nous ne sommes pas<br />
assez bien pour lui, voilà tout !<br />
626
Carnet d’errance<br />
NOUS-MÊME . Lâche, romantique timoré !<br />
NOUS . Peut-être…<br />
NOUS-MÊME . Pucelle théocratique frustrée !<br />
NOUS . Oh, ça va quand même ! Un peu <strong>de</strong> respect, salope ! Tranchons : nous<br />
fondons sur son regard seulement, nous sommes un romantique frustré.<br />
Maintenant, petite voix castratrice, ferme-la et laisse-nous contempler<br />
l’Olympe en silence !<br />
627
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 9 d é c e m b r e 2 0 0 5<br />
Aix-en-Provence (France), 9h10.<br />
Nous avions froid dans les Basses Alpes – -20°C à Barcelonnette ce matin<br />
– et nous décidâmes <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre un peu. Ici, il fait -5°C, juste assez pour<br />
nous désaltérer au Roton<strong>de</strong> <strong>de</strong>vant un Bloody Mary le temps que les boutiques<br />
ouvrent leurs portes. Nous avons, avant <strong>de</strong> reprendre la route début janvier,<br />
<strong>de</strong>s emplettes à faire : une nouvelle besace, un nouveau sac à dos plus<br />
fonctionnel, peut-être plus léger aussi, <strong>de</strong>s fringues. Papa Noël fut généreux<br />
avec nous cette année et au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cela, une chambre à l’Hôtel <strong>de</strong>s Augustins<br />
nous est réservée pour la nuit ; un habitué. Nous évitâmes <strong>de</strong> nous trop vêtir,<br />
nous eûmes tort et la pharyngite guette. Le Soleil nous réconforte à travers la<br />
baie vitrée mais cela n’est pas suffisant ; nous joindrons la côte pour nous<br />
guérir.<br />
L’espace d’un instant, dans le bus au niveau <strong>de</strong> Manosque, nous crûmes à la<br />
Résurrection en apercevant l’astre orangé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l’horizon flamand mais<br />
tout n’était qu’illusion. Le reste du théâtre dans la vallée chantait la mort Hiver.<br />
Nous l’aimons aussi mais ne l’attendons pas. Nous avons besoin <strong>de</strong> suer pour<br />
apprécier les jours ; nous rêvons <strong>de</strong> Tropiques, <strong>de</strong> lagons magiques, d’eau<br />
turquoise et <strong>de</strong> sable blanc, <strong>de</strong> vahinés musclés et bien montés, <strong>de</strong> transat et <strong>de</strong><br />
spa ; nous attendons une proposition qui ne vient pas, nous désespérons ! En<br />
même temps, nous rêvons <strong>de</strong> steppes, <strong>de</strong> cosaques guerriers, <strong>de</strong> conquêtes ;<br />
nous rêvons <strong>de</strong> flibustes, <strong>de</strong> large, <strong>de</strong> pavillons dorés ; nous rêvons beaucoup<br />
trop, c’est à craindre ! Nous vivons plus en esprit que nous le <strong>de</strong>vrions pour<br />
être heureux mais qu’y faire sinon subir l’état magnifique <strong>de</strong> la pensée<br />
sceptique ? Laissons cela, nous voyons bien que tu t’ennuies avec notre poésie<br />
romantique.<br />
Qu’en est-il <strong>de</strong> toi d’ailleurs, Fidèle ? Et <strong>de</strong> vous, mornes hommes<br />
satisfaits ? Êtes-vous heureux ou vous contentez-vous <strong>de</strong> le paraître ?<br />
Assurément, vous vous leurrez ; reformulons ! Vous plaît-il <strong>de</strong> paraître ou vous<br />
posez-vous <strong>de</strong> temps à autres les questions primordiales <strong>de</strong>s Origines ? Nos<br />
yeux d’or inspecteurs vous mettent à nu, nous perçons vos secrets, avouez<br />
donc ! Votre existence futile vous plaît, nous en sommes convaincu. Et bien,<br />
dans ce cas, souffrez que jamais nous ne nous taisions ! Nous serons contenté,<br />
628
Carnet d’errance<br />
nous, lorsque votre fon<strong>de</strong>ment sera révisé, lorsque vos désirs seront réglés,<br />
lorsque enfin nos visions ne seront plus vouées à l’ironie blasphématrice.<br />
D’ici là, nous jouerons à être fou et mal venu car cela te plaît, Fidèle, et que<br />
nous te savons masochiste.<br />
629
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
5 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Aix-en-Provence (France), 9h09.<br />
Levons notre verre à ce jour qui n’a rien <strong>de</strong> particulièrement exceptionnel<br />
mais que nous avons la chance, tout <strong>de</strong> même, <strong>de</strong> vivre !<br />
Le temps qu’il fait aujourd’hui re<strong>de</strong>vient notre seul préoccupation ; nous<br />
revoilà vagabond. Nous ne quittâmes jamais véritablement notre complet,<br />
l’échangeant sagement contre une belle bouteille bleue et le confort familial,<br />
mais ce jour signe un nouveau départ (énième, certes !) et cela nous enchante<br />
et se fête, tout comme l’année qui vient et s’écoulera, ne nous mentons pas,<br />
comme les autres.<br />
Ainsi, <strong>de</strong>puis le Roton<strong>de</strong>, te souhaitons-nous Joyeux et Bel An à toi, Fidèle,<br />
qui nous lis avec intérêt ! Pour le célébrer, nous visiterons ce midi les Danaï<strong>de</strong>s,<br />
leur exquise sala<strong>de</strong> Morgane et <strong>de</strong>ux ou trois verres <strong>de</strong> gin, évi<strong>de</strong>mment.<br />
Nous partons pour <strong>de</strong> plus cléments Cieux : la côte ! Arriverons-nous cette<br />
fois-ci jusques en Calabre ? Si nous ne sommes pas détourné par quelque<br />
nostalgie bretonne, il se peut en effet que nous y parvenions après maintes et<br />
maintes tribulations dont nous avons le secret.<br />
Profitons ! Profitons <strong>de</strong> ce jour et <strong>de</strong>s autres ; ils ne nous méritent pas mais<br />
nous leur accor<strong>de</strong>rons cependant un regard ouvert, juste et le moins vaporeux<br />
possible. Souffrons enfin <strong>de</strong> la pénurie du tout ; n’importe ! Si nous trouvons<br />
sur notre chemin un compagnon avec qui la partager, nous nous en<br />
contenterons. Cela est bon, cela est beau et c’est ce que nous nous souhaitons !<br />
Quant à toi, Fidèle, désireux <strong>de</strong> nous ne savons quoi, que l’Avenir te<br />
réserve le sourire que te mérites, qu’il te soit lumineux <strong>de</strong> bon sens, qu’il ne te<br />
promette rien mais qu’il fasse, seulement, ce que tu atten<strong>de</strong>s <strong>de</strong> lui ! Santé !<br />
Marseille (Provence, France), 16h05.<br />
Jamais encore n’avions-nous écrit <strong>de</strong>puis la cité phocéenne ! Nous sommes<br />
un brin pinté mais nous ne pouvions passer à côté <strong>de</strong> la majesté du Vieux Port<br />
sans nous attar<strong>de</strong>r un instant. Alors sautâmes-nous au Suffren, le premier bar<br />
venu, le plus évi<strong>de</strong>mment à notre convenance. Le Bloody Mary est ici trop<br />
potagé (trop <strong>de</strong> tomate, trop peu <strong>de</strong> vodka) mais la vue est superbe et la<br />
630
Carnet d’errance<br />
musique sympathique. Si l’on omet la circulation excessive et la tour <strong>de</strong> fond<br />
qui hache le paysage, l’arrêt vaut le coup ; fais donc halte à l’occasion, Fidèle !<br />
Les Cieux se dégagent, laissant plonger quelques rayons bienvenus sur les<br />
mâts <strong>de</strong>s vieilles embarcations. Qu’il est bon <strong>de</strong> retrouver la mer ! À ce théâtre,<br />
notre cœur se lève et notre esprit s’exclame : « Pourvu qu’ça dure ! »<br />
Ô plaisirs intenses et narcotiques, quels sont ces hommes qui passent sans<br />
observer telle lumière ? Quel est ce fort qui accueille les marins éreintés par<br />
leur course homérique ? Quel impuissant pourrait nous donner un coup<br />
<strong>de</strong>rrière le crâne pour que nous cessions d’écrire autant <strong>de</strong> conneries ?<br />
Nous venons d’apprendre que le 13, jour <strong>de</strong> péril, nous sommes invité sur<br />
la capitale pour cas d’uranisme et que <strong>de</strong> ce fait nous ne pouvons nous<br />
éparpiller bien loin. Qu’allons-nous pouvoir inventer pour tenir une semaine ?<br />
Laissons cela, joignons la gare et tâchons <strong>de</strong> trouver un wagon lui aussi à<br />
notre convenance.<br />
De retour au Roton<strong>de</strong> donc.<br />
Aix-en-Provence (France), 21h10.<br />
Nous convînmes qu’il était préférable <strong>de</strong> définitivement placer cette<br />
journée sous le signe <strong>de</strong> la langueur éthylique. Un double gin, quatre toasts <strong>de</strong><br />
foie gras, un paquet <strong>de</strong> clope neuf ; ce soir, Fidèle, appelle-nous Brigitte<br />
Fontaine !<br />
Il nous faudra bien une journée entière pour réaliser que nous avons creusé<br />
notre bourse plus que <strong>de</strong> coutume et cuver mais qu’importe à dire vrai ; savoir<br />
dire stop n’est pas <strong>de</strong> notre faîte lorsque nous parlons <strong>de</strong> beuverie solitaire.<br />
Nous irons nous achever au Med Boy chez Michel à qui nous achetâmes un<br />
ca<strong>de</strong>au pour le nouvelle an : Maktoub <strong>de</strong> Paolo Coelho.<br />
Oh putain ! Le gin sec sans glace, c’est pas pour les pédés !<br />
Où en étions-nous ? Ah ! Michel. Célébrons l’office, Radiguet bienveillant<br />
soutenant ce soir cette prose improvisée à 43°C.<br />
Divin mystique aux yeux d’enfant pervers, Michel tu nous attires. Non que<br />
nous voulions ouvrir le bal du Comte d’Orgel avec toi ou plus librement<br />
forniquer mais nous t’aimons bien !<br />
631
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Un essaim s’est formé autour du bar central. Nous voyons double, ne<br />
reconnaissons personne. La soirée sera absolue lorsque nous aurons rejoint<br />
Bau<strong>de</strong>laire et ses aveugles. L’écriture est déjà frénétique, cela ne saurait donc<br />
tar<strong>de</strong>r.<br />
Il nous vint alors que nous remontions la Canebière, chanson <strong>de</strong> pute dans<br />
les oreilles, l’envie <strong>de</strong> gravir cette nuit la Sainte-Victoire. Du haut <strong>de</strong> sa croix,<br />
au matin, nous toiserons la vallée et le petit peuple aixois sans qu’il s’en doute.<br />
Il est tard, nous bûmes beaucoup tout le jour, comprends ce que tu peux à<br />
ce récit. À Paris, nos fesses seront douces ; ici, nous enculons et ne te donnons<br />
pas le choix.<br />
632
Carnet d’errance<br />
8 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Principauté <strong>de</strong> Monaco, 13h58.<br />
Le mec assis à côté <strong>de</strong> nous débite <strong>de</strong> ces conneries à la femme qui<br />
l’accompagne ; c’est à pleurer <strong>de</strong> rire ! Il n’arrête pas <strong>de</strong> blablater et d’étaler sa<br />
fausse culture <strong>de</strong> trop pensant qui se figure plus <strong>de</strong> choses qu’il n’en sait. À<br />
notre avis, il veut la sauter ce soir !<br />
Nous nous faisons plaisir (encore) en ce beau dimanche ensoleillé :<br />
Bombay Sapphire à foison, sala<strong>de</strong> exotique (saumon fumé, avocat et ananas),<br />
un <strong>de</strong>mi ananas pour <strong>de</strong>ssert ; c’est jour <strong>de</strong> fête. Lequel ? Aucune importance,<br />
nous le décrétâmes ce matin en nous réveillant dans les douves du Fort Carré<br />
d’Antibes.<br />
Cet endroit nous fut conseillé la veille par <strong>de</strong>ux jeunes vagabonds sur la<br />
plage <strong>de</strong> la Gravette. Eux dormaient sur le sable, nous proposèrent <strong>de</strong> rester<br />
mais nous sommes un incurable solitaire qui recherche uniquement son idéal<br />
surréel.<br />
Le gin monte, monte mais nous ne pouvons l’accompagner à cause <strong>de</strong> la<br />
salope gentille madame d’à-côté (celle qui va se faire sauter ce soir) car elle ne<br />
supporte pas la fumée.<br />
En face <strong>de</strong> nous, <strong>de</strong>ux familles dînent ensemble et parmi elles, un enfant<br />
d’environ 10 ans attire nos yeux d’or. Blond, un regard bleu éveillé, un air<br />
coquin ; instant nostalgique !<br />
Le Quai <strong>de</strong>s Artistes s’est habillé aux couleurs du cirque. Ce panache rouge<br />
et blanc n’a rien à voir avec l’o<strong>de</strong> à la Tour <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière fois mais reste<br />
cependant assez crédible.<br />
Jeudi soir, nous quittâmes le Med Boy vers minuit mais ne trouvâmes ni le<br />
courage ni la force d’atteindre la croix <strong>de</strong> la Sainte-Victoire ; nous étions<br />
complètement mort. Nous nous arrêtâmes sous ses jupons au bord <strong>de</strong>s lèvres<br />
mais elles étaient trop venteuses, il y faisait très froid, nous étions trop fatigué.<br />
4 heures sonnaient et il nous en fallut quatre <strong>de</strong> plus pour re<strong>de</strong>scendre jusques<br />
à Aix-en-Provence. Nous évoluions comme un vrai zombi alors nous payâmesnous<br />
une chambre dans un motel miteux où nous zonâmes jusques au soir.<br />
Niko nous proposa enfin <strong>de</strong> sortir, chez Michel, évi<strong>de</strong>mment.<br />
633
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous eûmes mal au crâne au réveil ; <strong>de</strong>ux jours trop chargés, même pour<br />
nous.<br />
Hier fut donc une journée difficilement supportable et c’est pourquoi nous<br />
appréciâmes le confort tout relatif <strong>de</strong>s douves. Il fait ici moins froid que sur<br />
Aix-en-Provence, nous pensons y rester jusques à jeudi où nous monterons sur<br />
Paris.<br />
634
Carnet d’errance<br />
1 0 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Antibes (Provence, France), 14h33.<br />
Voilà trois mois, jour pour jour, nous entrâmes dans la Légen<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Grands<br />
Fous en quittant Aix-en-Provence, sac sur le dos, pour une aventure dont ne<br />
savions rien et n’étions que peu préparé ; nous sommes encore en vie !<br />
Nous passâmes la nuit <strong>de</strong>rnière près <strong>de</strong> Trans-en-Provence la bien nommée<br />
pour cas d’uranisme, nous nous produirons également ce week-end à Paris<br />
mais aujourd’hui, c’est torse nu sur le plage <strong>de</strong> la Gravette à Antibes, colonie<br />
anglophone <strong>de</strong> la French Riviera et port d’hivernage <strong>de</strong>s plus beaux yachts <strong>de</strong> la<br />
Méditerranée que nous travaillons notre bronzage… Le peux-tu croire, Fidèle,<br />
un 10 janvier ? Le Soleil est chaud, la brise légère, la mer calme et le sable vi<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> touristes bruyants. On nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à l’instant <strong>de</strong>ux feuilles à rouler, nous<br />
propose <strong>de</strong> la weed ; la vie n’est pas belle mais on s’y amuse quand même,<br />
n’est-ce pas ?<br />
Profitons toujours <strong>de</strong> nos instants, ne les abandonnons pas pour quelques<br />
futilités. Sans foie ni loi, toujours, telle est pour ce jour et ceux à venir notre<br />
<strong>de</strong>vise !<br />
Cannes (Provence, France), 23h06.<br />
La baraqua n’est décidément pas avec nous ce soir ! Nous n’étions pas<br />
assez habillé pour entrer aux tables du casino Les Princes (vagabond style<br />
oblige) alors nous contentâmes-nous d’étudier un peu les loosers <strong>de</strong>s machines<br />
à sous dont ce soir exceptionnellement nous faisons partie. Il semblerait que le<br />
bruit <strong>de</strong>s jetons qui coulent ne nous atteigne pas mais, toutefois, que nous<br />
aimerions bien être à la place <strong>de</strong> ce vieux au cigarillo pendant qui doit être bien<br />
malheureux en amour.<br />
Pourquoi sommes-nous ici ? En voilà une question intelligente ! Nous nous<br />
payâmes une chambre au Majestic Barrière avec vue sur la mer pour la nuit,<br />
tout simplement. Une aventure pour entrer dans un palace lorsque l’on est<br />
vagabond, tu t’en doutes, Fidèle – ou pas, que pourrais-tu bien savoir en fait ?<br />
Laisse-nous te faire part <strong>de</strong> notre expérience.<br />
Pour changer, ayant perdu tous nos jetons en quelques minutes <strong>de</strong><br />
635
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
frénétique modération, nous sommes assis au bar. De l’autre côté <strong>de</strong> la salle,<br />
certains crient leur joie éphémère, d’autres plus réservés pleurent. Pour nous,<br />
pauvre désenchanté, les coupes sont offertes et complètent la bouteille déjà<br />
morte qui trône sur le bureau <strong>de</strong> notre chambre. Peu <strong>de</strong> peuple, nous sommes<br />
mardi. C’est triste et nous manquons cruellement d’avances.<br />
Tiens, encore un éboulement <strong>de</strong> jetons qui sonne, encore un bienheureux<br />
qui va tout sécher <strong>de</strong> nouveau.<br />
Nous disions donc : nous sommes pinté et cela est bon !<br />
De toute évi<strong>de</strong>nce, il n’y a rien ni personne à notre mesure. Ici n’est pas<br />
Enghien-les-Bains ; ici, c’est Cannes un 10 janvier… Les caméras au plafond<br />
ne manquent pas mais les milliardaires russes si, hélas pour nous !<br />
Encore un malheureux en amour…<br />
Décidément, cela nous fait peine mais nous rassure. Nous fûmes bien avisé<br />
<strong>de</strong> ne fourrer notre poche qu’avec un billet vert autrement aurions-nous perdu<br />
davantage.<br />
Minuit sonne, notre plume s’agite. Allons-nous rentrer nous mettre un<br />
porno sur la chaîne payante ou lire le Nouveau Testament dans la table <strong>de</strong><br />
chevet ? Ferons-nous la promena<strong>de</strong> du romantique frustré sur la Croisette,<br />
clope au bec et esprit sur les vagues ? Comman<strong>de</strong>rons-nous une autre coupe ?<br />
Trois questions auxquelles nous n’apportons pas <strong>de</strong> réponse.<br />
L’HÔTESSE . Un whisky, c’est pour Monsieur S. !<br />
Sous-entends : « Tasse le bien, il jouera davantage ! »<br />
Allons, rentrons ! Un bain au sel nous attend et avec lui notre bar.<br />
636
Carnet d’errance<br />
1 1 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Cannes (Provence, France), 9h43.<br />
Le Majestic Barrière fut, pour être franc, notre second choix et bien que<br />
nous portions notre préférence en général sur ce cher Lucien, nous essayâmes<br />
d’abord le Carlton, mieux exposé. Tout se passait bien, nous allions avoir notre<br />
chambre avec vue sur mer quand l’hôtesse nous <strong>de</strong>manda une carte <strong>de</strong> crédit,<br />
sinon un <strong>de</strong>posit <strong>de</strong> trois fois la somme <strong>de</strong> la chambre – 900 euros tout <strong>de</strong><br />
même ! Exclu <strong>de</strong> ce mythe tant que nous n’aurons pas notre premier milliard,<br />
nous nous rabattîmes sur le Majestic Barrière, plus bas. Nous abordâmes cette<br />
fois l’hôtesse différemment.<br />
NOUS . Bonsoir !<br />
L’HÔTESSE . Bonsoir, Monsieur !<br />
NOUS (d’un souffle) . J’ai toujours eu envie <strong>de</strong> m’offrir une chambre dans un<br />
palace sur la Croisette avec vue sur baie ! Hélas pour moi, je n’ai pas <strong>de</strong> carte<br />
<strong>de</strong> crédit, uniquement du liqui<strong>de</strong> et j’aimerais savoir si vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z comme<br />
au Carlton un <strong>de</strong>posit et une carte <strong>de</strong> crédit, s’il vous plaît ?<br />
Nos yeux d’or firent le reste ; elle nous surclassa, nous offrit le petitdéjeuner,<br />
le champagne aux casinos Croisette et Les Princes. Notre clef<br />
imprimée, son assistante en formation nous accompagna dans la chambre où<br />
nous passâmes donc la nuit <strong>de</strong>rnière, coupe <strong>de</strong> champagne toujours à portée<br />
<strong>de</strong> main.<br />
Tout est classe ici, les gens sont bons et fréquentables, la vie princière<br />
(ducale en fait), la vue splendi<strong>de</strong>, l’imagination s’envole et pourtant nous en<br />
foutons-nous comme <strong>de</strong> l’an 450 ! L’expérience est intéressante mais ne nous<br />
contente guère. Le pouvons-nous être déjà ? Non, c’est à craindre ! Ainsi,<br />
palace aujourd’hui, douves du Fort Carré <strong>de</strong>main, Paris ce week-end ; seul le<br />
paradoxe nous amuse-t-il encore !<br />
637<br />
Principauté <strong>de</strong> Monaco, 17h01.
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Intéressant <strong>de</strong> retrouver Olivier, le serveur, qui nous apporte notre Bloody<br />
Mary, quelques tapas et nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s nouvelles. La <strong>de</strong>rnière fois en effet,<br />
nous partîmes sans prévenir alors que nous venions ici pratiquement tous les<br />
jours. Des ancres nous maintiennent quand même un peu sur cette fichue<br />
Terre et le Quai <strong>de</strong>s Artistes en est une tout particulièrement symbolique<br />
puisqu’il fut, pour ainsi dire, notre première escale éthylique.<br />
Nous nous <strong>de</strong>mandons ce que nous foutons à Monaco et si nous allons<br />
vraiment monter à Paris ; notre PMO tar<strong>de</strong> à venir. Devons-nous nous risquer<br />
à faire du stop <strong>de</strong>main ou <strong>de</strong>vons-nous attendre la certitu<strong>de</strong> ? À Dieu ces<br />
questions raisonnables, à Diable l’impulsion du moment ! Nous verrons<br />
<strong>de</strong>main matin si, nous réveillant dans les douves du Fort Carré, nous trouvons<br />
le courage nécessaire à telle expédition.<br />
Il fait chaud, le temps est toujours aussi clair.<br />
En fait, nous en avons notre claque <strong>de</strong> faire comme si notre quotidien avait<br />
<strong>de</strong> l’importance. À quoi bon écrire le bien-être pour les autres, les excentricités<br />
du vagabond paumé que nous sommes et qui ne désire plus rien sinon la<br />
parfaite tranquillité si nous-même n’en sommes pas convaincu ?<br />
Un milliard ? Et après, qu’en ferions-nous ? Nous pourrions tout nous<br />
permettre, aller où bon nous semblerait, poursuivre notre Quête et tenir ce<br />
stupi<strong>de</strong> carnet <strong>de</strong> vie pour finir par être célébré en génie mais n’importe, nous<br />
ne ferions que nous mentir à nous-même une fois encore. Tu célébrerais toi la<br />
réussite d’une œuvre et nous l’échec d’une vie !<br />
Que <strong>de</strong> perdition ce soir, que <strong>de</strong> doutes ! Où cela va-t-il nous mener ?!<br />
638
Carnet d’errance<br />
1 2 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Aix-en-Provence (France), 16h47.<br />
Comme pour nous consoler <strong>de</strong> notre peine et nos doutes hier après-midi à<br />
Monaco, notre Bonne Étoile bienveillante nous offrit le soir au Med Boy à<br />
Aix-en-Provence le privilège d’une belle et enrichissante rencontre.<br />
Confortablement installé <strong>de</strong>vant un verre au Roton<strong>de</strong>, expliquons-nous.<br />
Nous décidâmes tout d’abord en sortant du Quai <strong>de</strong>s Artistes <strong>de</strong> sauter<br />
dans le premier train pour Marseille car nous ne voulions pas passer une nuit<br />
<strong>de</strong> plus dans les douves du Fort Carré d’Antibes. Nous avions besoin <strong>de</strong> boire<br />
et <strong>de</strong> nous changer les idées ; quel endroit était plus indiqué que le Med Boy ?<br />
Après quatre heures d’un voyage plus fatiguant qu’autre chose, nous arrivâmes<br />
en gare d’Aix-en-Provence ; il était tout près <strong>de</strong> minuit.<br />
Dans le TER, nous tapâmes la discussion avec un vagabond d’une trentaine<br />
d’années, hongrois à ce qu’il nous sembla, et sa guitare. Le wagon était fumeur<br />
(un vieux Dachau sans doute) et nous échangeâmes avec lui sous un nuage<br />
quelques expériences personnelles dans un franco-hispano-anglais pour le<br />
moins approximatif. Il s’appelait Jimmy, nom <strong>de</strong> scène. Nous le conduisîmes<br />
rue <strong>de</strong> la Verrerie, seule rescapée <strong>de</strong> la fraîche nuit, car il voulait gratter un peu<br />
sur un trottoir <strong>de</strong>vant un public alcoolisé et généreux puis nous joignîmes le<br />
Med Boy. Un mec dont nous oublions à chaque fois le prénom nous ouvrit,<br />
nous saluâmes Michel d’un baiser, déposâmes notre sac dans la réserve et la<br />
soirée débuta vraiment.<br />
Le bar était relativement vi<strong>de</strong>, moins bondé que la fois précé<strong>de</strong>nte, et nous<br />
ne croisâmes qu’un regard déjà vu nous ne savons où. Nous restâmes à l’écart,<br />
clope au bec et pinte en main un petit moment et il <strong>de</strong>scendit faire un billard,<br />
seul. Nous nous ennuyions en haut à écouter les <strong>de</strong>rniers cancans du Milieu et<br />
puis nous avions envie <strong>de</strong> jouer alors <strong>de</strong>scendîmes-nous également.<br />
NOUS . On fait une partie ?<br />
JÉRÉMIE . D’accord !<br />
Nous fûmes vaincu comme <strong>de</strong> coutume mais pûmes faire plus ample<br />
639
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
connaissance avec lui. Spontanément et sans arrière-pensée, il nous proposa <strong>de</strong><br />
nous héberger pour la nuit chez lui. Nous étions à la rue, il nous attirait, une<br />
telle aubaine ne pouvait se refuser.<br />
Ce fut une nuit bercée par <strong>de</strong>s sons inconnus <strong>de</strong> nous comme Susheela<br />
Raman, d’autres communs et peu connus <strong>de</strong>s autres. Le matin, quant à lui, fut<br />
tout simplement excellent – instant privé. Cela faisait longtemps que nous<br />
n’avions éprouvé tel plaisir à rencontrer quelqu’un ! L’informel conspué par<br />
beaucoup, comprends, Fidèle, que sans lui nous ne serions rien.<br />
640
Carnet d’errance<br />
1 6 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 8h27.<br />
C’est bon, 2 euros 50 l’espresso, nous sommes bien à Paris là !<br />
Nous y débarquâmes vendredi à 12h30. Il était prévu que nous arrivions<br />
plus tôt mais Jérémie avait <strong>de</strong> meilleurs arguments… En fait, nous y serions<br />
volontiers resté un peu plus longtemps si nous n’avions eu d’obligation ici ;<br />
<strong>de</strong>ux nuits exceptionnelles sur un parcours pour le moins chaotique ne nous<br />
laissèrent en effet pas indifférent. Morgan désormais installé là-bas ; Niko, bon<br />
copain ; Michel et le Med Boy toujours les mêmes ; <strong>de</strong> nouvelles têtes et pas les<br />
moins intéressantes : Aix-en-Provence nous manque et nous n’osons toujours<br />
pas l’admettre. Il n’y a rien à faire, c’est notre pays, nous y sommes<br />
inéluctablement attaché. L’idéal pour nous serait la reconversion, un loft dans<br />
le Ier arrondissement <strong>de</strong> la capitale, <strong>de</strong>s moyens pour financer nos expéditions,<br />
<strong>de</strong>s déplacements fréquents. Des rêves, toujours <strong>de</strong>s rêves…<br />
Laissons cela !<br />
Lorsque nous <strong>de</strong>scendîmes du TGV, vendredi, le temps était comme<br />
aujourd’hui, gris, maussa<strong>de</strong>, parisien ; le peuple grouillait, se percutait dans<br />
l’escalator du métropolitain ; la vie prenait sa place. Nous avions la tête dans le<br />
cul, une faim <strong>de</strong> louve, besoin d’un verre. Nous appelâmes Élodie, une jeune<br />
amie d’ici, pour savoir où elle était et manger un bout avec elle à Saint-<br />
Germain-<strong>de</strong>s-Prés. En sortant, nous nous sentions mieux ; le Bandol rosé avait<br />
agi sur nous comme autant <strong>de</strong> molécules réparatrices ! Nous continuâmes avec<br />
un gin au Dôme, dans le Marais, où nous rédigeons ce carnet aujourd’hui, puis<br />
nous accordâmes quelques menues emplettes aux Halles. Nous n’avions rien à<br />
porter pour la salle <strong>de</strong> sport hormis notre complet <strong>de</strong> vagabond.<br />
Chez H&M, nous réquisitionnâmes un ven<strong>de</strong>ur, le plus gay naturellement.<br />
NOUS . Bonjour ! Vends-tu par hasard <strong>de</strong>s pantacourts, <strong>de</strong>s débar<strong>de</strong>urs et <strong>de</strong>s<br />
Vans, s’il te plaît ?<br />
LE VENDEUR . Hélas, non ! Ce n’est pas tellement la saison en fait. Peut-être les<br />
pantacourts, viens voir !<br />
641
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Il nous conduisit et conseilla. Nous l’avions seulement pour nous.<br />
NOUS . Tu n’as rien <strong>de</strong> plus sport par hasard ? C’est juste pour aller en salle ce<br />
soir et je n’ai vraiment rien à me mettre !<br />
LE VENDEUR . On peut aller voir chez les femmes si tu veux.<br />
NOUS . Aucun problème !<br />
Il nous proposa une série <strong>de</strong> pantalons et nous fit passer <strong>de</strong>vant tout le<br />
mon<strong>de</strong> pour les essayer.<br />
LE VENDEUR (entrant dans la cabine) . Alors, ça va ?<br />
NOUS (à moitié à poil, enfilant un premier pantalon blanc) . Je sais pas, attends… Voilà !<br />
Tu en penses quoi ? C’est pas mal, non ? Je prends celui-ci !<br />
LE VENDEUR (reluquant notre cul, pour la taille évi<strong>de</strong>mment…) . OK !<br />
NOUS . Pas <strong>de</strong> Vans ici alors ?<br />
LE VENDEUR . Non mais tu peux essayer chez Shoes-Up aux Halles, ils auront<br />
sans doute ce qu’il te faut !<br />
NOUS . Nickel ! Autrement, pour me rendre à Univers Gym d’ici, je fais<br />
comment ?<br />
LE VENDEUR . Ah ! La salle à brûlé en janvier et c’est pas encore rouvert… Tu<br />
étais venu que pour ça ?<br />
NOUS . Mer<strong>de</strong> ! On m’a donné un pass à Aix-en-Provence et comme je suis à<br />
Paris et que je n’ai rien à faire jusques à 22 heures, je pensais y faire un tour,<br />
oui !<br />
LE VENDEUR . Si tu veux, il y a Sun City. C’est plus grand, plus sympa ; la déco<br />
et l’ambiance sont indiennes et c’est à côté aussi.<br />
NOUS . Alors c’est parfait, j’irai là-bas !<br />
Nous payâmes notre pantalon blanc, allâmes acheter <strong>de</strong>s Globe à la<br />
boutique indiquée, <strong>de</strong>ux t-shirts noirs classiques chez Levis et nous mîmes en<br />
quête <strong>de</strong> Sun City sur le boulevard Sébastopol ; 15 euros l’entrée plus 2 euros<br />
642
Carnet d’errance<br />
<strong>de</strong> caution. Nous étions un peu pinté et malgré toute notre bonne volonté,<br />
nous ne parvînmes qu’à faire trois kilomètres sur le tapis et soulever quelques<br />
poids. Nous préférâmes rapi<strong>de</strong>ment le bar et la piscine au second sous-sol.<br />
Nous avons encore la tête dans le cul aujourd’hui et pensons être mala<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> surcroît ; pas drôle du tout ce week-end…<br />
Il fallut nous changer, nous étions trop habillé pour la piscine, trop habillé<br />
tout court. Seule tenue crédible dans pareil endroit : une serviette, un bracelet<br />
avec clef, capote et gel <strong>de</strong>dans. Nous aurions pu éviter <strong>de</strong> nous ruiner aux<br />
Halles en fin <strong>de</strong> compte…<br />
Alors que nous fouillions notre casier à la recherche d’un peu <strong>de</strong> place pour<br />
ce surplus, un mec d’une quarantaine d’années nous aborda avec son plan<br />
drague foireux.<br />
LE LOOSER . Bonsoir !<br />
NOUS . Salut !<br />
LE LOOSER . C’est la première fois que je te vois ici ; tu viens souvent ?<br />
NOUS . Je suis <strong>de</strong> passage à Paris et on m’a conseillé ce club pour me détendre.<br />
LE LOOSER . Tu es là <strong>de</strong>puis longtemps ?<br />
NOUS . Ce midi.<br />
LE LOOSER . Ah ! Tu as déjà fait <strong>de</strong>s rencontres alors !?<br />
NOUS . À Paris <strong>de</strong>puis ce midi ; ici, je viens d’arriver !<br />
LE LOOSER . Si je peux me permettre, tu as l’air d’avoir vraiment un joli cul !<br />
NOUS (désabusé) . Si je peux me permettre, tu n’es pas le premier à me le dire.<br />
LE LOOSER . Tu as le temps pour un verre ? On va s’asseoir ?<br />
NOUS . Pourquoi pas !<br />
Et nous entamâmes notre récit <strong>de</strong> vagabond désenchanté qui ne cherche<br />
rien et surtout pas à se faire sauter dans une cabine <strong>de</strong> sauna par un vieil<br />
inconnu qui, <strong>de</strong> son côté, nous baratina avec <strong>de</strong>s conneries, se vanta <strong>de</strong> sa<br />
situation <strong>de</strong> journaliste (dans une feuille <strong>de</strong> choux probablement) et nous invita<br />
à son hôtel.<br />
643
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
NOUS . Je sais déjà où passer la nuit pour le week-end. Je suis juste venu ici pour<br />
me détendre et pourquoi pas faire <strong>de</strong>s rencontres, mais rien <strong>de</strong> sexe là-<strong>de</strong>dans.<br />
LE LOOSER . C’est vraiment dommage. Je suis sûr que tu dois aimer te faire<br />
limer !<br />
Se faire limer, du verbe limer, employé à Pédéville sans doute pour signifier<br />
qu’on veut t’arrondir les angles…<br />
Quelle culture franchement ! Nous imaginons mal Roméo <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à<br />
Juliette ou Titus à Bérénice s’il peut la limer comme une pute… Hélas notre<br />
siècle n’est-il pas poétique, tout juste expéditif ; adaptons-nous !<br />
NOUS . Oui, j’adore me faire limer mais par <strong>de</strong>s mecs mignons <strong>de</strong> mon âge,<br />
sinon je suis escort-boy.<br />
LE LOOSER . On peut s’arranger alors !<br />
NOUS . Non, je ne suis vraiment pas intéressé, désolé !<br />
LE LOOSER . Bon, je n’insiste pas mais c’est vraiment dommage !<br />
NOUS . Sans doute, la vie est bien dure.<br />
Ce con nous lâcha enfin et nous pûmes continuer en paix notre relaxation<br />
solitaire. De retour aux vestiaires, nous le vîmes <strong>de</strong> nouveau et alors que nous<br />
enlevions notre pantacourt pour passer une serviette sèche, il continua en<br />
s’approchant <strong>de</strong> nous.<br />
LE LOOSER . Je confirme, tu as vraiment un très joli cul ! Je peux toucher ?<br />
NOUS . Bien sûr !<br />
Il s’en donna à cœur-joie. À son grand dam, nous refusâmes une nouvelle<br />
invitation à son hôtel.<br />
644
NOUS . Je suis déjà pris jusques à lundi.<br />
Carnet d’errance<br />
LE LOOSER . Je n’en crois pas un mot mais tant pis, comme tu veux, c’est<br />
dommage encore.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . On se console comme on peut, vieux pervers !<br />
Lâche-nous, trouve-toi une cabine et branle-toi en pensant à notre cul !<br />
Eurk ! On nous faisait la réflexion jeudi que cela n’arrivait pas souvent <strong>de</strong><br />
se faire abor<strong>de</strong>r mais pas pour nous et parfois, ça saoule ! Nous regardions<br />
Pretty Woman la nuit <strong>de</strong>rnière en rêvant n’être plus considéré comme un cul à<br />
limer. Peine perdue : pute un jour, pute toujours !<br />
Nous quittâmes Sun City à 22 heures pour rejoindre notre client dans le<br />
XIIème. Deux jours qui ne concernent pas ce présent carnet.<br />
Aujourd’hui, nous sommes fatigué, mala<strong>de</strong> et ne désirons que nous blottir<br />
dans les bras d’un garçon rencontré par hasard jeudi et dont nous savons si<br />
peu <strong>de</strong> choses. Nous caser nous est exclu mais la sincérité nous manque…<br />
Jouer pour plaire, maquiller nos profon<strong>de</strong>urs, tout cela est <strong>de</strong>venu tellement<br />
facile que nous sommes perdu hors <strong>de</strong> ce théâtre. Et tu sais quoi, Fidèle ?<br />
Nous aimons être perdu, c’est peut-être cela le pire !<br />
Une semaine chargée en émotions contradictoires ; un avenir toujours<br />
incertain sur lequel nous réfléchissons beaucoup et duquel nous attendons sans<br />
doute trop ; la maison promise dans les Basses Alpes n’est plus ; tout fout le<br />
camp ! Déjà cinq – non, six – clopes dans un cendrier qui pue la désolation,<br />
trois espresso pour un constat récurrent. Triste finalité pour ce début d’année.<br />
15h13.<br />
Nous ne pouvions quitter la capitale sans nous attar<strong>de</strong>r à critique à Sun<br />
City. Non que les fesses flasques du vieux au bouc brun qui passe le bac à<br />
pieds avant d’aller tripoter du jeune dans le jacuzzi nous inspire<br />
particulièrement mais cela nous plaît simplement, à nous qui ne savions où<br />
aller après le cybercafé ce midi. Et puis, <strong>de</strong>hors, il fait gris alors qu’ici le temps<br />
est tropical, voire moite – il le serait si nous étions bien accompagné… Cela<br />
enfin est bon pour ce que nous avons.<br />
Les thons et les vieux qui tournent ne manquent pas et à en juger par<br />
645
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
l’énorme tsunami qui vient d’inon<strong>de</strong>r le bord <strong>de</strong> la piscine, les baleines non<br />
plus ; un véritable zoo !<br />
Nous sommes attablé dans le petit salon du bar, Aznavour chante, la<br />
Marlboro fume, un verre <strong>de</strong> gin nous comblerait. Nous sommes assis au fond<br />
et notre champ d’étu<strong>de</strong> ne manque pas d’intérêt. Franchement, viens à Sun<br />
City, Fidèle, c’est tout simplement génial ! Certes, le gros qui se promène en<br />
serviette ras le cul en tenant sa virilité tombante à la main ou le black à lunettes<br />
qui nous observe ne sont guère ragoûtants mais l’ambiance reste sympathique<br />
et décontractée – sauf dans les cabines où se jouent sans le moindre doute<br />
d’orgiaques parties <strong>de</strong> boules. Autrement, quitte à prendre un verre dans un<br />
bar, autant venir ici ; il n’y a pas que <strong>de</strong>s bites ambulantes, tout <strong>de</strong> même !<br />
Nous n’espérons pas y trouver l’âme frère, ni même un plan défonce – oh<br />
putain non ! – mais peut-être avec un peu <strong>de</strong> chance un contact, jeune et<br />
mignon, avec qui entretenir une relation saine, amicale…<br />
« De p’tits trous, <strong>de</strong>s p’tits trous, encore <strong>de</strong>s p’tits trous… »<br />
C’est quoi cette musique <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> ? Elle vient d’où ? Très indiquée, très<br />
fine… Quand nous écrivions que ce siècle n’était pas poétique, nous étions<br />
loin <strong>de</strong> la vérité !!<br />
Ah ! voilà qui est mieux.<br />
BRIGITTE . L’amour, c’est du pipeau, c’est bon pour les gogos ! 1<br />
Nous commençons <strong>de</strong> le croire en effet…<br />
Tiens ! Voilà à l’instant un vieil ours qui passe et expose sa fourrure<br />
abdominale. Il ne reste pas, n’ayant pas trouvé dans la piscine <strong>de</strong> jeune et<br />
frétillant saumon à faire sauter. Déplorable ! Il y en a bien ici qui doivent se<br />
dire en sortant : « Quelle mer<strong>de</strong> ! J’ai pas niqué aujourd’hui ; 17 euros foutus en<br />
l’air ! » Quelle honte pour nous, pauvre âme en perdition qui ne vînmes ici que<br />
pour nous détendre (l’esprit) ! Ne nous crois pas farouche pour autant, Fidèle,<br />
oh non ! Nous sommes simplement trop sélectif et notre idéal ne traîne pas<br />
1 . Brigitte Fontaine, Pipeau, 2001.<br />
646
Carnet d’errance<br />
ici ; il vogue probablement à mille lieues dans les Cieux à la recherche d’un<br />
espoir pour nous, désolé <strong>de</strong> nous observer dans pareil endroit à perdre et notre<br />
temps et notre plume. Mais qu’y pouvons-nous ? Ici, nous oublions sans<br />
véritablement nous amuser que nous sommes ce que nous sommes.<br />
Pourquoi faut-il que lorsque <strong>de</strong>ux jeunes entrent ici, ils soient accompagnés<br />
d’un vieux ?! Admettons pour le vieux, cela fait grec mais, Diable !, dans la<br />
Grèce Antique, ils étaient bien foutus, eux !<br />
Nous montâmes à la salle <strong>de</strong> sport en arrivant, faire quelques kilomètres<br />
sur le tapis ; il n’y avait personne, la salle pleurait le vi<strong>de</strong>, sentait le neuf. Le<br />
corps est important aussi, mer<strong>de</strong> quoi ! Travaillez-le !<br />
Oops, nous nous oublions, mille excuses.<br />
Nous pourrions également nous énerver contre le barman qui sniffe du<br />
poppers, pensant que personne ne le voit, mais nous nous mettons à sa place :<br />
il nous faudrait au moins cela pour supporter le défilé <strong>de</strong> coqs <strong>de</strong>vant son bar.<br />
Recommandons plutôt !<br />
Concluons cette symphonie en précisant que le jour où nous en aurons les<br />
moyens, ce sera à Sun City que nous organiserons une soirée – d’ailleurs, ils le<br />
font : soirée fist-fucking le 20 janvier prochain ; charmant ! Non ! Nous serons<br />
plus soft, plus sophistiqué, nous n’inviterons que <strong>de</strong>s VIP <strong>de</strong> nos<br />
connaissances, nous célébrerons le comte <strong>de</strong> Villermont et Miss Gin, Ganesh<br />
et les arts lyriques, les autres et nous-même. Pensons-y, c’est à faire !<br />
647
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Biarritz (Gascogne, France), 8h15.<br />
NOUS . Bonsoir ! Un aller simple dans un train <strong>de</strong> nuit pour le plus loin possible<br />
avec 50 euros maximum, s’il vous plaît !<br />
LA VENDEUSE . Heu… Oui… Vous n’avez rien <strong>de</strong> plus précis ? Nice peut-être ?<br />
NOUS . Ah non, surtout pas Nice, merci !<br />
LA VENDEUSE . Bon… Essayons la côte basque… Un départ pour Biarritz à<br />
23h14 <strong>de</strong>puis la Gare d’Austerlitz pour 48 euros 60, ça vous irait ?<br />
NOUS . Parfait ! Je prends !<br />
Et nous voici, ce matin, aux pieds d’un autre casino Barrière, à contempler<br />
l’horizon ouvert ! La plage blanche est solitaire ; les vagues hautes sifflent la<br />
rumeur <strong>de</strong> l’Océan ; le Soleil fait son entrée dans ce théâtre séculaire ; la Lune,<br />
quant à elle, joue la petite lumière qui annonce la journée belle ; The Verve,<br />
enfin, chante une Bitter Sweet Symphony ; c’est simplement superbe !<br />
Nous sommes loin <strong>de</strong>s bruits tapageurs <strong>de</strong> la capitale et pourtant si proche<br />
en même temps. Notre esprit est un tambour et nous questionne toujours.<br />
Chercher une réponse dans les effluves, salées ou éthyliques, ne fonctionne<br />
visiblement pas…<br />
Antibes, Trans-en-Provence, Cannes, Monaco, Aix-en-Provence, Paris,<br />
Biarritz ; <strong>de</strong>puis sept jours, nous n’espérons plus la trouver <strong>de</strong> toute manière.<br />
ci.<br />
Rien d’autre à ajouter, nous verrons ce que la côte nous réserve cette fois-<br />
648
Carnet d’errance<br />
1 8 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Madrid (Espagne), 11h24.<br />
Nous ne restâmes finalement pas sur la côte comme nous l’avions prévu.<br />
En même temps, les prévisions et nous… Nous marchâmes jusques à Saint-<br />
Jean-<strong>de</strong>-Luz et, par pur manque d’idée, montâmes dans le premier train <strong>de</strong> nuit<br />
pour nous rendre compte une fois dans la capitale espagnole ce matin que<br />
nous étions paumé, encore ! Notre <strong>de</strong>rnier beau billet vert cassé pour un aller<br />
simple, nous voici désormais sans fric, sans contact ou point <strong>de</strong> chute, sans<br />
possibilité <strong>de</strong> retour ; cela nous rappelle un certain 14 janvier 2003… Auronsnous<br />
autant <strong>de</strong> chance qu’à l’époque ? Nous en doutons ferme ! Quoi qu’il en<br />
soit, nous sommes dans la mer<strong>de</strong>, encore, et ne pensons qu’à nous éva<strong>de</strong>r,<br />
toujours.<br />
Autrement, à part cela, il fait bon vivre ici ! Nos cours d’espagnol datent du<br />
collège mais remontent doucement à la surface. Venant <strong>de</strong> débarquer, nous<br />
n’avons rien <strong>de</strong> transcendant à conter.<br />
649
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 0 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Madrid (Espagne), 14h30.<br />
Madrid est LE bon endroit pour s’éclater toute la nuit si tu as du fric,<br />
Fidèle – 4 euros 50 la pinte <strong>de</strong> bière au O’Neill Irish Pub tout <strong>de</strong> même, c’est<br />
plus cher qu’à Aix-en-Provence ! Comme cela n’est hélas pas notre cas, hier<br />
soir, nous nous fîmes chier dans ce qui est sans doute le quartier le plus vivant<br />
<strong>de</strong> la ville. Le problème est que nous sommes désespérément seul et que si<br />
rentrer dans un café n’est pas compliqué, se faire abor<strong>de</strong>r l’est davantage, à<br />
moins que le café en question ne soit gay évi<strong>de</strong>mment. Nous avions avant cela<br />
un besoin urgent <strong>de</strong> prendre une douche et il n’était pas question <strong>de</strong> revisiter le<br />
banc <strong>de</strong> l’arrêt Bilbao sur la ligne 1 du métropolitain. Nous voulions <strong>de</strong>scendre<br />
dans un premier temps au Gay Hostal Puerta <strong>de</strong>l Sol mais la nuit à 30 euros<br />
nous était exclue alors marchâmes-nous à la recherche <strong>de</strong> mieux ; il <strong>de</strong>vait être<br />
un peu plus <strong>de</strong> 23 heures. À l’hôtel Astoria, perché au cinquième étage d’un<br />
vieux bâtiment <strong>de</strong> la carrera <strong>de</strong> San Jerónimo, le jeune et charmant<br />
réceptionniste nous conseilla <strong>de</strong> visiter la Posada <strong>de</strong> las Huertas. Si la chambre<br />
n’avait pas coûté 45 euros minimum, nous aurions bien aimé faire plus ample<br />
connaissance avec lui…<br />
Nous nous rendîmes donc à l’auberge et obtînmes un lit pour seulement 17<br />
euros. Une douche réparatrice et quelques minutes plus tard, nous étions<br />
<strong>de</strong>vant notre pinte au O’Neills, un immense établissement blindé <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> sur<br />
la calle Príncipe. Seul le serveur attira notre regard mais il bossait et nous<br />
n’étions pas certain qu’il fût gay – putains <strong>de</strong> métrosexuels, on sait plus à<br />
force !<br />
Il nous reste encore 11 nuits à tenir avant notre vol. Ah ! Tu n’es pas au<br />
courant, Fidèle ? Étrange… Aurions-nous omis <strong>de</strong> te dire que nous passerons<br />
le mois prochain à nous faire bronzer la pilule sous le Soleil marocain ? Nous<br />
accompagnerons Hubert, ancien client, ami <strong>de</strong>venu, pour l’ai<strong>de</strong>r à chercher son<br />
hivernage.<br />
650
Carnet d’errance<br />
2 3 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Madrid (Espagne), 23h12.<br />
Nous approchons du fond. Nous nous <strong>de</strong>mandons encore pourquoi nous<br />
continuons à marcher ; nous n’allons nulle part et nulle part nous n’avons à<br />
trouver quelque chose. Il nous reste 14 euros en poche, le tabac constitue notre<br />
principale source <strong>de</strong> “nourriture”, nous avons froid la nuit et <strong>de</strong>vons marcher,<br />
<strong>de</strong> place en place, <strong>de</strong> métropolitain en métropolitain, <strong>de</strong> rame en rame. Nous<br />
allâmes même la nuit <strong>de</strong>rnière en sortant du cybercafé à Barajas, puis à<br />
l’aéroport, pour nous rendre compte que notre roulée avait le même goût<br />
partout. Finalement, nous trouvâmes un parc en construction parsemé <strong>de</strong><br />
quelques tables et nous nous installâmes sur l’une d’elles pour dormir entre<br />
grelots incontrôlables et pensées malsaines. Au matin, vers 6 heures, nous<br />
n’étions ni reposé ni moins harcelé. Il faisait étrangement froid et ce n’est<br />
qu’avec mal que nos mains replièrent notre mo<strong>de</strong>ste camp fait d’une bâche et<br />
d’un duvet en plumes d’oie. Enfin, toute la journée durant, c’est en zombi que<br />
nous nous présentâmes aux yeux du mon<strong>de</strong>, hallucinant sur le moindre<br />
mouvement, tourmenté par la moindre étincelle. Nous avions élaboré un<br />
budget : 2 euros par jour pour tenir. Nous le crevâmes ce soir ; nous avions<br />
trop faim ! Un sandwich au salami hier, un kebab aujourd’hui, notre estomac<br />
s’habitue à cette diète forcée. Ajoute à cela la fatigue et le manque <strong>de</strong> douche,<br />
Fidèle, tu auras le parfait vagabond sans son ami le chien dans toute sa<br />
splen<strong>de</strong>ur !<br />
Pour étayer ce magnifique tableau bruegélien, ne sors pas trop <strong>de</strong> couleurs<br />
car nous sommes seul et <strong>de</strong> noir vêtu. Le <strong>de</strong>uil nous marque (l’exagération<br />
aussi apparemment) et les scènes ne changent guère : métropolitain, cybercafé,<br />
rues noires et désertes la nuit.<br />
Des jours et <strong>de</strong>s jours que nous n’avons pris quelqu’un dans nos bras en le<br />
désirant vraiment, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux instants trop peu prolongés à Aix-en-Provence.<br />
Comment expliquer tel gouffre en si peu <strong>de</strong> temps ?<br />
Hors la nuit <strong>de</strong>rnière, nous dormîmes les trois d’avant à la Posada <strong>de</strong> las<br />
Huertas. Hier matin, nous réussîmes même à abor<strong>de</strong>r un mec, chose qui ne<br />
nous arrive vraiment pas souvent car nous préférons nous faire désirer. Nous<br />
apprîmes qu’il était étasunien, habitait Chicago et en visite à Madrid où un ami<br />
651
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
à lui faisait ses étu<strong>de</strong>s. Et puis rien d’autre… L’inspiration avait déjà filé.<br />
Jusques où nous faudra-t-il donc creuser pour atteindre la source <strong>de</strong> tous nos<br />
maux ? Combien <strong>de</strong> temps <strong>de</strong>vrons-nous nous confiner dans la triste<br />
réalisation d’une œuvre solitaire qui finira par nous complètement détruire ?<br />
Huit nuits ! Huit nuits à tenir avant <strong>de</strong> monter dans l’avion. Nous espérons<br />
trouver là-bas bonheur mais c’est peine perdue… Au moins le Soleil marocain<br />
nous changera-t-il et pourrons-nous pousser nos horizons plus loin vers les<br />
dunes. Nous avons besoin d’espace, pour voler et crier ; nous avons besoin que<br />
notre écho nous répon<strong>de</strong>.<br />
652
Carnet d’errance<br />
2 6 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Madrid (Espagne), 15h05.<br />
C’est entre <strong>de</strong>ux étaux que nous rédigeons ce billet ; hier, nous bûmes<br />
trop !<br />
Nous résolûmes tout d’abord nos soucis financiers par un courriel<br />
salvateur : « Dear Brother, … » dont tu imagines facilement la suite, Fidèle.<br />
Nous pourrons ainsi tenir au chaud jusques à notre proche départ. Ainsi<br />
réservâmes-nous, mardi soir, à la Posada <strong>de</strong> las Huertas, un lit dans la chambre<br />
209 prévue pour six. Lorsque nous entrâmes, nous fûmes accueilli par un :<br />
« Hey ! What’s up ? » plutôt mignon. Nous ne parlâmes pas beaucoup avec lui<br />
cette première nuit car nous étions vraiment trop fatigué mais le len<strong>de</strong>main, il<br />
nous accompagna manger au Mac Donald’s <strong>de</strong> Puerta <strong>de</strong>l Sol et nous à la<br />
FNAC. Au passage, ce n’est toujours pas là-<strong>de</strong>dans qu’il faut aller si tu espères<br />
trouver un bon bouquin ! En fin <strong>de</strong> journée, nous le retrouvâmes dans la<br />
chambre après une course importante : une bouteille <strong>de</strong> Bombay Sapphire<br />
pour seulement 10 euros 50 ! Nous ne pûmes résister. Imbibées, les langues se<br />
délièrent et la communication reprit sa digne place. Il s’appelait Ryan, avait 18<br />
ans et venait ici environ une fois par an pour prendre <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> flamenco.<br />
Nous l’espérions gay mais non, même pas ! Il était chrétien (au point d’en avoir<br />
le Christ tatoué entre ses <strong>de</strong>ux omoplates), ses films préférés figuraient parmi<br />
les plus spectaculaire…ment pauvres en réflexion (Lord Of The Rings, Matrix,<br />
Indiana Jones, etc.), il lisait du Dan BROWN et pour conclure, il avait une<br />
copine éplorée qui l’attendait chez lui, à Santa Barbara, Californie. Mais,<br />
Diable !, il était aussi jeune, bien foutu, sympa et il découvrit récemment<br />
Requiem For A Dream qu’il trouva génial. Par ailleurs, un hétérosexuel n’a-t-il<br />
jamais été pour nous qu’un défi ! Nous ne désespérons donc pas <strong>de</strong> le<br />
convertir à d’autres plaisirs d’ici cinq nuits. Enfin, cela était ce que nous<br />
pensions avant qu’un Brésilien n’entrât alors que nous avions déjà vidé la<br />
moitié <strong>de</strong> la Belle Bleue à nous seul. Lui voyageait, arrivait <strong>de</strong> Londres et<br />
s’arrêtait ici avant <strong>de</strong> passer en Allemagne et d’enfin rejoindre son pays. Il ne<br />
nous intéressait pas, nous préférions étrangement l’Étasunien friqué et matériel<br />
au possible mais ne pouvions plus, au pire le rejoindre dans son pieu pour<br />
mater l’un <strong>de</strong> ses films, au mieux l’inviter dans le nôtre pour mater autre<br />
653
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
chose ; nous <strong>de</strong>vrons aviser et tu en seras le premier averti si nous y<br />
parvenons !<br />
Nous prîmes également mardi une décision importante : après le Maroc,<br />
nous rentrerons, chercherons un taff et un logement si nous le pouvons. Nous<br />
aimerions nous installer sur Paris ou Aix-en-Provence mais vu les <strong>de</strong>ttes qui<br />
nous collent au cul, c’est ailleurs qu’il faudra s’établir. Nous remplissons tout<br />
<strong>de</strong> même la liste noire <strong>de</strong> la Banque <strong>de</strong> France, <strong>de</strong> BNP-Paribas, <strong>de</strong> la Poste, du<br />
GIE Preventel, <strong>de</strong> l’EDF, <strong>de</strong> la SNCF, du Trésor Public, <strong>de</strong> France Telecom,<br />
<strong>de</strong> Free Telecom, <strong>de</strong> Orange, <strong>de</strong> la CAF, <strong>de</strong>s ASSEDIC et celle d’autres<br />
organismes sans doute comme le CHU d’Aix-en-Provence ; difficile avec cela<br />
<strong>de</strong> revenir tout sourire pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un appartement, tu en conviendras ! À<br />
ce sta<strong>de</strong>, seul le changement <strong>de</strong> notre nom légal nous sauverait… Et puis, une<br />
proposition nous tomba <strong>de</strong>ssus hier et nous l’envisageons avec beaucoup <strong>de</strong><br />
sérieux. Bref, le 27 février signera vraisemblablement la fin <strong>de</strong> ce troisième<br />
psycho-trip.<br />
19h09.<br />
Le Colby, un urban restaurant sur une calle quelconque <strong>de</strong> Chueca, quartier<br />
gay. La musique est calme, le rouge éclate. C’est une soirée qui débute et la vie<br />
prend son pied. Chacun sait ou ne sait pas ce qui l’attend en sortant ; ici,<br />
détente sans frasque !<br />
Nous marchâmes <strong>de</strong>ux bonnes heures à nous imprégner <strong>de</strong> la cité, nous<br />
inquiéter <strong>de</strong> ses humeurs, sans intention, toujours, d’aller quelque part. Nous<br />
voulions voir et sentir, nous perdre avant <strong>de</strong> trouver, peut-être, Ryan dans<br />
notre lit, ouvert à mille plaisirs, bandant avec malice. Il nous arrive <strong>de</strong> divaguer<br />
dans notre prose, sans doute l’as-tu noté, Fidèle, mais cela ne résulte que <strong>de</strong><br />
notre mesure à apprécier les petits moments <strong>de</strong> rêverie qui jalonnent notre<br />
existence.<br />
Le Bloody Mary comme muse a laissé place à la cerveza couleur <strong>de</strong> pisse ;<br />
l’effet n’est pas superbe mais suffit et Madrid orgasmique, lancée sur notre<br />
chemin par hasard, nous convient aujourd’hui. Ses sonorités résonnent comme<br />
autant <strong>de</strong> pas <strong>de</strong> danse que nous maîtrisons encore mal ; le sentiment est neuf,<br />
notre envie <strong>de</strong> découvrir jeune et impétueuse.<br />
654
Carnet d’errance<br />
Deux mecs passent <strong>de</strong>vant la vitrine, bras <strong>de</strong>ssus bras <strong>de</strong>ssous ; ici, la<br />
norme n’existe pas plus que la para<strong>de</strong> du Marais. Rachitique ou obèse, jeune ou<br />
âgé, gothique ou fashion, homo ou mal baisé, tous se fon<strong>de</strong>nt dans un ensemble<br />
qui trouve sa cohérence malgré tout.<br />
Le Temps lui-même semble vouloir oublier Madrid en ce début <strong>de</strong> soirée<br />
où la vie prend son pied !<br />
655
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 8 j a n v i e r 2 0 0 6<br />
Madrid (Espagne), 15h37.<br />
Tout était prévu pour une soirée parfaite : une bouteille <strong>de</strong> Bacardi, une<br />
autre <strong>de</strong> Bombay Sapphire, un pack <strong>de</strong> Coronitas, <strong>de</strong>s nachos et du guacamole.<br />
Ryan avait mis The Return Of The King (qui passerait presque pour un chefd’œuvre<br />
après quelques bouteilles), nous étions installé torse nu sur une<br />
couverture à même le sol, il n’avait pas l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> boire et se détendit<br />
rapi<strong>de</strong>ment. Nous ne pressâmes rien, nous passions un bon moment entre<br />
roommates quand vers minuit la porte s’ouvrit et le Brésilien entra ; et mer<strong>de</strong> ! À<br />
ce rythme là, nous n’arriverons jamais à le convertir le petit Ryan ; il nous<br />
faudrait un mois alors que nous ne disposons plus que <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux nuits à<br />
l’auberge. Nous rêvions d’être au matin enlacé et collé par la concupiscence<br />
mais en fin <strong>de</strong> compte, seul le gin nous avait baisé : six cachetons plus tard, le<br />
clair réapparaît seulement.<br />
17h46.<br />
Nous avions le choix : rester en chambre où <strong>de</strong>puis ce matin il est interdit<br />
<strong>de</strong> fumer et boire – vas donc, Fidèle, <strong>de</strong>viner pourquoi… – et nous autoriser<br />
une secon<strong>de</strong> tentative avec Ryan ou sortir prendre l’air dans Chueca à la<br />
recherche <strong>de</strong> quelque inspiration. Nous préférâmes sortir mais l’inspiration,<br />
cette chienne, est complètement noyée dans les trois autres cachetons absorbés<br />
à l’instant.<br />
En fait, nous nous <strong>de</strong>mandons comment réunir un peu <strong>de</strong> fric en <strong>de</strong>ux<br />
jours. Se loger à Marrakech n’est pas excessif mais vingt-sept nuits, tout <strong>de</strong><br />
même, sont quelque chose ; il nous faut absolument une auberge, un riad où<br />
séjourner ! Des idées ? Ici, nous n’en avons plus. Lors <strong>de</strong> ce psycho-trip,<br />
l’onglet Soutien <strong>de</strong> notre site-web attira quatre généreuses âmes. Nous les en<br />
remercions car autrement aurions-nous péri bien <strong>de</strong>s fois. Nos lignes ne nous<br />
coûtent rien, ni même le papier et la plume qui les dépose mais les lieux que<br />
nous fréquentons, par pure bonne éducation, eux, ne s’apitoient guère sur les<br />
besoins hautement matériels du paumé que nous sommes.<br />
Pourquoi pensons-nous à cela ? Hubert, lors <strong>de</strong> ce voyage, subviendra à<br />
656
Carnet d’errance<br />
nos besoins, alors… ? Par souci d’indépendance fort probablement. L’argent,<br />
l’argent, toujours l’argent ! Soyons réaliste, nous n’en gagnerons jamais autant<br />
qu’il nous en faut. Deux solutions toutefois : l’héritage ou la donation !<br />
Attendons <strong>de</strong> voir…<br />
657
É p i s o d e V I<br />
.<br />
I n c h a A l l a h
Incha Allah<br />
1 e r f é v r i e r 2 0 0 6<br />
Marrakech (Maroc), 22h56.<br />
Moins d’une journée pour nous faire <strong>de</strong>ux ennemis dans la cité où nous<br />
<strong>de</strong>vons nous installer quelque temps ; il ne pouvait nous arriver pire et<br />
pourtant est-ce bien le récit qui suit.<br />
Nous avions la tête dans le cul hier soir (trop d’alcool consommé la veille à<br />
Madrid, les nombreuses boîtes à sardines empruntées pour transporter notre<br />
carcasse désabusée ici, le changement <strong>de</strong> température, le paquet <strong>de</strong> clopes et les<br />
roulées consumés pour pallier notre manque <strong>de</strong> cachetons) quand un mec nous<br />
aborda dans une ruelle peu fréquentée <strong>de</strong> la médina. Nous cherchions un hôtel<br />
pas cher, il nous conduisit et nous proposa du rêve. Nous lui dîmes que nous<br />
repassions le len<strong>de</strong>main et il nous laissa à la réception. En fin <strong>de</strong> compte,<br />
l’hôtel était trop cher pour nous et nous continuâmes.<br />
Un <strong>de</strong>uxième mec (en fait il y en eut plusieurs mais nous ferons court)<br />
nous aborda ; il semblait différent, plus détaché, moins intéressé surtout et<br />
nous le suivîmes <strong>de</strong> bon cœur. Il nous installa à l’hôtel Imouzzer, nous<br />
l’invitâmes à boire un thé au café N’zaha et passâmes finalement la soirée avec<br />
lui <strong>de</strong>vant un tajine <strong>de</strong> kefta. Il s’appelait Ab<strong>de</strong>ljalil, avait 24 ans, n’était pas le<br />
moins du mon<strong>de</strong> gay et nous appréciâmes <strong>de</strong> suite sa compagnie amicale.<br />
Entre rencontres diverses <strong>de</strong> ses potes et autres choses, tu penses bien, Fidèle,<br />
que le marchand <strong>de</strong> rêve nous sortit complètement <strong>de</strong> l’esprit. Nous rentrâmes<br />
à l’hôtel après un passage au cybercafé et plongeâmes dans les bras d’un<br />
Morphée particulièrement en forme.<br />
Aujourd’hui, il nous libéra à midi puis nous prîmes notre thé à la menthe<br />
sur le toit-terrasse, face au Soleil chaud. Nous n’avions rien <strong>de</strong> prévu – jamais !<br />
– et nous promenâmes sur la place Jamaa-El-Fna et dans le souk, au gré <strong>de</strong>s<br />
rencontres. À la fin, nous en avions marre <strong>de</strong> nous faire abor<strong>de</strong>r tous les<br />
quinze mètres, simulâmes une éternelle conversation téléphonique avec Julie,<br />
notre alibi virtuel, et rentrâmes à l’hôtel. Naturellement, nous fûmes abordé –<br />
quelle calamité ce mot ! – par un autre marchand <strong>de</strong> rêve. Cette fois-ci, nous<br />
acceptâmes <strong>de</strong> le suivre. Question existentielle : avons-nous la tête du parfait<br />
pigeon ? Il faut croire que oui ! Il nous présenta à un pote à lui, qui nous<br />
présenta à un pote à lui, qui nous présenta… Nous nous retrouvâmes à la fin<br />
661
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
dans un riad, à l’abri <strong>de</strong>s regards inspecteurs, pour tester le soi-disant bon<br />
triangle qu’il voulait nous refourguer.<br />
NOUS . Alors, mon ami, à combien tu me fais les 10 grs. ?<br />
LE MARCHAND DE RÊVE . 10 grs. ? 300 dirhams !<br />
NOUS . Ça, ce que tu appelles la meilleure qualité ? Eh gars, ton riad et tes amis<br />
sont cool mais je suis pas un touriste ici. Au Maroc, 10 grs., c’est 100 dirhams.<br />
De toute manière, je n’ai pas davantage…<br />
De longues tractations plus tard (ils étaient quand même trois d’assez<br />
mauvaise foi), nous obtînmes satisfaction après l’avoir bien énervé.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Pauvre tache va ! Cela t’apprendra à nous prendre<br />
pour un con ! S’arrête-t-on déjà en pleine négociation pour prier ? Pff ! C’est<br />
bon, gars, range ta piété bon marché, la chantefable bigote n’a jamais été notre<br />
trip.<br />
Il prit notre fric et se cassa dans une autre pièce pendant qu’un autre nous<br />
raccompagna “gentiment” à la porte. Manque <strong>de</strong> bol, le marchand <strong>de</strong> rêve <strong>de</strong> la<br />
veille nous vit et ne manqua pas <strong>de</strong> nous signaler : « Toute façon, les Français<br />
ont pas d’parole !! » Désolé <strong>de</strong> toujours avoir la tête dans le cul, hein !<br />
Deux marchands <strong>de</strong> rêve à dos, cela fait beaucoup, n’est-ce pas ? La<br />
prochaine fois donnerons-nous 100 dirhams à Ab<strong>de</strong>ljalil qui, lui, ne cherche<br />
pas à nous baiser, au sens propre comme au sens figuré.<br />
662
Incha Allah<br />
3 f é v r i e r 2 0 0 6<br />
Marrakech (Maroc), 00h07.<br />
La Koutoubia ce soir éclaire nos pensées. Nous sommes seul, sur la<br />
terrasse, dans le noir, allongé à la sultane. Sur la table, un cendrier plein, un<br />
téléphone inutile, un paquet <strong>de</strong> Marlboro, notre agenda en cuir tanné par le<br />
temps qui fuit, <strong>de</strong>s notes diverses et éparses, la clef <strong>de</strong> la chambre 28, une<br />
boulette <strong>de</strong> shit sans effet, la flasque <strong>de</strong> Bombay Sapphire achetée à Madrid<br />
que nous gardons en cas d’urgence et hésitons encore à ouvrir ; notre seul<br />
trésor.<br />
Nous entendons au loin la rumeur <strong>de</strong> la place Jaama-El-Fna, éternel<br />
spectacle qui amuse davantage le Marocain que le touriste.<br />
Nous jouons avec notre <strong>de</strong>rnière pièce <strong>de</strong> 5 dirhams, la retournons mille<br />
fois ; elle date <strong>de</strong> 1987. Qui étions-nous à cette époque ? Nous n’en avons<br />
aucun souvenir.<br />
Dans quelques heures, Hubert débarquera. Il est prévu qu’il loge chez une<br />
particulière <strong>de</strong> Guéliz pendant son séjour mais nous sentons l’ambiance <strong>de</strong> la<br />
cité et savons déjà qu’elle ne lui conviendra pas. C’est un risque à prendre<br />
quand on part à l’aventure loin <strong>de</strong> chez soi ; l’inconnu attire l’Homme autant<br />
qu’il le terrifie. Louons celles et ceux qui ont le courage <strong>de</strong> s’embarquer !<br />
16h32.<br />
Assis à la terrasse perchée d’un café <strong>de</strong> la grand’place, nous nous étendons<br />
sur notre parcours. Partout les mêmes phrases, partout les mêmes rencontres,<br />
nulle part une seule envie. Parcourir le mon<strong>de</strong> à leur recherche pour toujours<br />
finir dans un café à ne voir la diversité <strong>de</strong> la rue que comme un autre lieu <strong>de</strong><br />
passage qui ne nous convient pas plus que le précé<strong>de</strong>nt. Dans la rue, c’est le<br />
<strong>Blanc</strong> qui s’émerveille <strong>de</strong>vant ce qui est finalement commun ; ce sont <strong>de</strong>s<br />
troubadours, <strong>de</strong>s charmeurs <strong>de</strong> serpents anesthésiés dans l’huile, <strong>de</strong>s<br />
marchands <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> rien ; c’est Ab<strong>de</strong>ljalil qui passe avec <strong>de</strong>ux porte-frics à<br />
sa suite ; c’est le fouillis monstre <strong>de</strong> tous les pays <strong>de</strong> débrouille ; ce sont enfin<br />
<strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> chats qui errent dans l’espoir <strong>de</strong> trouver sous leurs pattes agiles<br />
un morceau <strong>de</strong> Destinée.<br />
663
Nous sommes un chat !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
La culture <strong>de</strong> l’Homme ne nous évoque rien ; elle n’est pour nous qu’une<br />
affreuse comédie vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> sens. Dans la médina, ses petites ruelles mal bâties,<br />
nous retrouvons la nuit venue ces milliers d’yeux fraternels qui nous disent :<br />
« Nous vivons ici, être sans père aux cents <strong>de</strong>stins ; bienvenue chez toi ! »<br />
664
Incha Allah<br />
8 f é v r i e r 2 0 0 6<br />
Marrakech (Maroc), 16h23.<br />
Sur le banc d’un petit jardin dont nous ignorons le nom, nous nous assîmes<br />
il y a un instant, à la marocaine, pour ne rien faire <strong>de</strong> particulier, ou plutôt la<br />
chose la plus précieuse au mon<strong>de</strong> : boire <strong>de</strong> l’eau et la partager avec le jeune<br />
garçon qui joue du djembé à-côté. Des brochettes <strong>de</strong> touristes sortent du Palais<br />
Royal ou <strong>de</strong>s Tombeaux Saadiens dans la casbah mais ce ne sont pas eux –<br />
jamais ! – qui attirent notre regard.<br />
Nous croisâmes sur le chemin Adil, prétendu marchand <strong>de</strong> bijoux<br />
rencontré au café N’zaha la semaine <strong>de</strong>rnière. Nous visitions sa boutique<br />
lorsqu’il nous fit la remarque que nous ne ressemblions pas à un touriste, que<br />
notre aspect militaire lui plaisait et que ce <strong>de</strong>vait être pour cela que nous<br />
attisions le regard <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> la rue. Il nous aurait suffit <strong>de</strong> peu pour<br />
l’accompagner dans son lit après cette entrevue mais là n’était pas notre désir.<br />
Le jeune garçon assis à-côté <strong>de</strong> nous trouve quant à lui son aubaine dans la<br />
bourse <strong>de</strong>s touristes en lançant un : « Photo, photo ! » à chacun <strong>de</strong> leur passage.<br />
Cela doit fonctionner <strong>de</strong> temps en temps. Nous lui disons : « On peut toujours<br />
essayer, n’est-ce pas ? » Il sourit avec un air complice.<br />
L’air est frais et léger, il nous fait du bien en ce chaud après-midi. Hier,<br />
nous visitâmes la vallée <strong>de</strong> l’Ourika avec Hubert ; nous y dormîmes <strong>de</strong>ux nuits,<br />
très confortablement installé dans une chambre <strong>de</strong> l’Auberge du Maquis. Le<br />
temps était couvert mais propice à promena<strong>de</strong> dans les collines paysannes et<br />
argileuses. Icham, notre gui<strong>de</strong>, nous invita à le suivre contre 50 dirhams – ici,<br />
tout se paie ! – et nous vécûmes pendant trois heures la vie paisible d’un<br />
habitant local : contemplation, marche, ennui. Aujourd’hui, tout est différent,<br />
tellement plus à notre goût. Le Roi Mohammed VI en visite à Marrakech, nous<br />
ne pouvions, naturellement, être ailleurs !<br />
665
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 0 f é v r i e r 2 0 0 6<br />
Marrakech (Maroc), 16h19.<br />
Une main se tend vers nous ; <strong>de</strong>ssus, une petite pièce dorée rayonne. Nous<br />
nous étonnons <strong>de</strong> son aspect familier : il s’agit <strong>de</strong> 50 centimes d’euros. L’enfant<br />
qui la porte voudrait-il s’en débarrasser et la confier au premier <strong>Blanc</strong> venu<br />
dans un geste peu consensuel <strong>de</strong> générosité ? Non ! Cet enfant veut du change,<br />
5 dirhams. Il a compris que par facilité l’Européen divise sa monnaie unique<br />
par dix pour se faire une idée du prix <strong>de</strong>s arnaques dans les souks et même s’il<br />
y perd un peu, il est gagnant.<br />
L’ENFANT-ROUBLARD . Toi donner moi 5 dirhams en échange.<br />
NOUS . Non.<br />
L’ENFANT-ROUBLARD . Toi donner moi 5 dirhams en échange, merci beaucoup.<br />
NOUS . Non ! Les euros ne m’intéressent pas plus que toi.<br />
L’air misérable, il nous regar<strong>de</strong> et joue l’attendrissement, sa main gauche<br />
planquée dans son pull gris. Il la cache. Il a dû voir sur TV5 que le <strong>Blanc</strong><br />
crache son fric gagné sans peine dans un jeu débile comme l’Arabe crache par<br />
terre son ADN pour laisser sa trace ; il a dû voir sur TV5 que les mutilés et les<br />
handicapés attirent davantage la pitié <strong>de</strong>s masses ; il a dû voir surtout que son<br />
petit harcèlement fonctionnait souvent.<br />
L’ENFANT-ROUBLARD . Merci beaucoup. Toi donner moi 5 dirhams en échange.<br />
NOUS . Non !<br />
Il a repéré notre MP3, ses yeux s’agrandissent, il le montre du doigt.<br />
L’ENFANT-ROUBLARD . Walkman, pour moi. Merci beaucoup.<br />
Nous éclatons <strong>de</strong> rire, lui perd son jeu d’enfant triste et sourit, réalisant<br />
666
Incha Allah<br />
qu’il vient <strong>de</strong> brûler toute sa crédibilité. Il part faire un tour dans le petit parc à<br />
la recherche d’une bonne poire à la peau mûre d’inconscience, revient<br />
bredouille, s’approche et lit ce que nous écrivons. Il ne comprend évi<strong>de</strong>mment<br />
rien à notre plume <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cin généraliste. Il joue sa <strong>de</strong>rnière carte : l’intérêt.<br />
Nous l’observons du coin <strong>de</strong> l’œil, il ne le remarque pas. Ils sont quatre – cinq !<br />
– à former un véritable essaim autour du banc. Les touristes passant, quant à<br />
eux, s’amusent <strong>de</strong>vant le spectacle atypique que nous produisons. Les enfants<br />
parlent en arabe, se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt si oui ou non nous allons leur lâcher quelque<br />
chose – ils sont six désormais ! – mais, <strong>de</strong>vant notre je-m’en-foutisme,<br />
repartent à leurs activités et nous laissent moraliser.<br />
Arrêtez, ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> touristes atrophiés par votre culture ingérente, <strong>de</strong> croire<br />
que vous agissez en humaniste lorsque vous gratifiez <strong>de</strong> quelques trébuchantes<br />
un enfant <strong>de</strong>s rues qui joue l’inactivité ! Ne le ren<strong>de</strong>z pas esclave <strong>de</strong> votre<br />
stupidité, responsabilisez-le ! Laissez-le vous vendre <strong>de</strong>s macarons, <strong>de</strong>s<br />
cigarettes ; laissez-le vous gui<strong>de</strong>r dans les ruelles étroites <strong>de</strong> la vieille ville ;<br />
parlez avec lui ; payez-le 20 dirhams pour quelque service s’il le faut. Ici n’est<br />
plus chez vous (hélas !), ne venez donc pas en colons ; laissez votre air hautain<br />
en Métropole ; ne vous formalisez <strong>de</strong> rien !<br />
Mieux vaut un enfant qui travaille qu’un enfant qui meurt <strong>de</strong> faim et attend<br />
la source abondante <strong>de</strong> vos profits en tendant la main !<br />
667
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 2 f é v r i e r 2 0 0 6<br />
Marrakech (Maroc), 22h30.<br />
Le Maroc est une monarchie. Lorsque nous questionnons notre entourage,<br />
souvent <strong>de</strong> circonstance, sur ce qu’il pense <strong>de</strong> Mohammed VI, son jeune roi,<br />
nous obtenons la réponse d’un pendule : son oscillation tend un coup vers le<br />
bon, un coup vers le mauvais. Nous nous <strong>de</strong>mandions encore il y a peu<br />
comment appréhen<strong>de</strong>r cette opposition tranchante mais nous eûmes cet aprèsmidi<br />
la certitu<strong>de</strong> qu’il pourrissait sous le Palais Royal quelque chose <strong>de</strong> fort<br />
nauséabond.<br />
Hubert voulait du safran et Ab<strong>de</strong>ljalil lui proposa gentiment (non sans voir<br />
la petite commission qu’il en tirerait) <strong>de</strong> le conduire chez son “oncle”,<br />
marchand d’épices dans le mellah (quartier juif). Nous connaissions déjà le<br />
coin pour y venir nous détendre quelques fins <strong>de</strong> journée et rien <strong>de</strong> nouveau,<br />
semblait-il, n’allait s’offrir à nous. Pourtant…<br />
Ab<strong>de</strong>ljalil, la première fois que nous prîmes un thé avec lui, nous parla sans<br />
trop insister sur l’importance du fait que le Marocain n’était pas autorisé à<br />
fricoter avec le touriste. Figurer sur un <strong>de</strong> ses clichés, ajouta-t-il, pouvait même<br />
se retourner contre lui. Les raisons étaient multiples mais nous les résumerons<br />
selon notre point <strong>de</strong> vue à un seul mot : diktat !<br />
Nous étions las et les suivions d’un pas lent, clope au bec et regard vague,<br />
lorsque Ab<strong>de</strong>ljalil fut interpellé par <strong>de</strong>ux hommes d’un commun volontaire. La<br />
ruelle sentait les épices du mon<strong>de</strong> à plein nez, nous mangions une mandarine<br />
sur le bas-côté et pensions qu’il s’agissait une fois <strong>de</strong> plus d’une <strong>de</strong> ses<br />
connaissances mais, quand il revint, son teint était gris pâle (façon <strong>de</strong> parler),<br />
son allure inquiète ; nous ne l’avions jamais vu ainsi auparavant. Les <strong>de</strong>ux<br />
hommes étaient en fait <strong>de</strong>ux condés en civil qui l’avaient remarqué et<br />
menaçaient <strong>de</strong> le déporter au poste ! Ils furent cependant bien “généreux”<br />
pour accepter <strong>de</strong> lui foutre la paix contre 50 dirhams et Hubert dut acheter sa<br />
liberté.<br />
Si un touriste veut s’attacher à un Marocain, il doit payer un timbre à la<br />
police touristique : il suffit d’une CNI, d’un passeport, d’une décharge et <strong>de</strong> 20<br />
dirhams. Les femmes <strong>de</strong> ménage qui travaillent à l’hôtel gagnent 33 dirhams<br />
par jour.<br />
668
Incha Allah<br />
Le Maroc est un pays du Tiers-Mon<strong>de</strong> qui prétend évoluer vers la<br />
mo<strong>de</strong>rnité ; c’est pas gagné !<br />
669
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 f é v r i e r 2 0 0 6<br />
Marrakech (Maroc), 13h13.<br />
Hubert est parti ! Il préféra Agadir, comme nous le pensions, et nous le<br />
laissâmes y retourner seul ce midi. Nous sommes à la rue dans cinq nuits, nous<br />
buvons du Martini Bianco et fumons notre <strong>de</strong>rnière clope en écoutant May It<br />
Be d’Enya.<br />
Nous passâmes la matinée avec lui entre café N’Zaha, CTM et Café <strong>de</strong>s<br />
Négociants dans Guéliz. Pour toi, Fidèle, qui ne connais pas ce repère, il te<br />
suffirait <strong>de</strong> venir voir ; la chose est en effet flagrante. D’ailleurs, nous<br />
rencontrâmes <strong>de</strong> nouveau le jeune qui avait abordé Hubert au cybercafé la<br />
semaine <strong>de</strong>rnière : un garçon d’un commun ennuyeux qui a la tête <strong>de</strong> l’emploi,<br />
le parfait entourloupeur <strong>de</strong> vieux sapé Dolce&Gabbana contrefait du t-shirt<br />
aux lunettes noires. C’est ici le peuple pauvre le plus vêtu <strong>de</strong> marques italiennes<br />
que nous connaissions !<br />
670
Incha Allah<br />
1 8 f é v r i e r 2 0 0 6<br />
Marrakech (Maroc), 8h11.<br />
Marrakech, nous l’écrivîmes déjà plus haut, ville corrompue, cité <strong>de</strong>s vices.<br />
Ici, toutes les astuces sont bonnes pour abor<strong>de</strong>r le passant : le féliciter pour sa<br />
tenue, l’appeler mon ami (nous n’avions jamais eu autant d’amis avant <strong>de</strong> venir<br />
au Maroc…), lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si ça va, débiter un « Bienvenue ! » dans quatre ou<br />
cinq langues, etc. À ton tour, Fidèle, si tu viens à Marrakech et que tu fixes un<br />
marchand dans les yeux, lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s un simple renseignement ou souhaites<br />
seulement regar<strong>de</strong>r sa marchandise, tu es sûr <strong>de</strong> te faire ferrer comme une<br />
vulgaire truite d’élevage. Notre conseil est : marche les mains dans les poches,<br />
le regard posé sur la masse <strong>de</strong> détritus qui recouvre le sol et, le cas échéant,<br />
écoute Marilyn Manson à fond sur ton iPod : « The World is an ashtray ! »<br />
Dans tous les cas, tu n’es pas à l’abri d’un grand signe <strong>de</strong> détresse <strong>de</strong> sa part et<br />
tu te rends compte que tu n’as d’autre choix que d’entrer dans son jeu et lui<br />
répondre : « Je vis ici, mon ami, je suis pas un touriste ! », avant <strong>de</strong> continuer<br />
ton chemin avec un clin d’œil et un sourire hypocrite. C’est <strong>de</strong> bonne guerre !<br />
D’autres expressions apprises sans doute dans le lexique du parfait<br />
baratineur reviennent souvent.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Ça va ? Plaisir <strong>de</strong>s yeux, mon ami !<br />
NOUS . Je vis ici. Plaisir <strong>de</strong>s yeux partout, tout le temps. Merci, ça va.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Français ? Paris ?<br />
NOUS . Aix-en-Provence.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . …<br />
NOUS . À-côté <strong>de</strong> Marseille.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Marseille ? Je connais bien Marseille tu sais, mon<br />
ami ! Zidane, champion du mon<strong>de</strong> !!<br />
NOUS . Le foot ne m’intéresse pas, je préfère boire moi.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Tu aimes fumer aussi ? J’ai <strong>de</strong> quoi bronzer la<br />
tête si tu veux !<br />
NOUS (tout sourire) . Non, ça va, merci. C’est <strong>de</strong> la mer<strong>de</strong> ce qu’on achète à<br />
671
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Marrakech, vous coupez ça avec du henné. Je suis passé par Chaouen et j’ai fait<br />
le plein déjà, merci. J’ai un ren<strong>de</strong>z-vous là, je dois y aller, bonne continuation !<br />
Forcément, après cela, il ne sait plus quoi répondre car il sait qu’il vend <strong>de</strong><br />
la mer<strong>de</strong> comparé à ce qu’on trouve dans le Rif.<br />
Les boutiquiers-baratineurs ne manquent pas au Maroc, particulièrement à<br />
Marrakech. Pour commencer, tu peux être sûr que tous ont du chichon, <strong>de</strong><br />
l’huile, <strong>de</strong>s gâteaux magiques ou space cakes – appelle cela comme tu veux ! –<br />
dans leur arrière-boutique. Tout n’est que prétexte à te vendre quelque chose.<br />
Nous ne croyons plus trouver quelqu’un <strong>de</strong> véritablement sincère. Une pensée<br />
en cache toujours une autre à Marrakech, tu peux en être convaincu, Fidèle,<br />
fais très attention !<br />
Une anecdote nous vient à l’esprit ; elle date du même jour que l’histoire <strong>de</strong><br />
l’enfant-roublard. Nous nous promenions dans la médina, clope au bec<br />
toujours, lorsqu’un jeune marchand nous interpella.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Ça va ? Vraiment bien ton pantalon, mon ami !<br />
NOUS . Merci, c’est gentil.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . C’est pas arabe ça, hein ?<br />
NOUS . Non, en effet. C’est indien.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Viens, entre dans ma boutique, on va parler un<br />
peu.<br />
NOUS . Ah ! désolé, je suis pas touriste ici, je ne vais rien t’acheter.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Pas pour acheter. Il n’y a personne en ce moment<br />
et j’ai rien vendu <strong>de</strong> la journée. Juste pour passer le temps.<br />
NOUS . Soit !<br />
Il nous invita à nous asseoir sur un coussin brodé, à-côté du bric-à-brac<br />
qu’il vendait, et prit sa place à notre gauche. La cigarette ne le dérangeait pas –<br />
dommage, nous aurions pu l’utiliser comme prétexte pour fuir ! – mais le<br />
contraire nous aurait étonné.<br />
672
Incha Allah<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Alors, tu es allé en In<strong>de</strong> ?<br />
NOUS . Oui, j’ai acheté ça à Pondichéry l’an <strong>de</strong>rnier.<br />
Nous ne sommes plus à un mensonge près ici.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Ah ! c’est bien ça. Tu voyages beaucoup alors ?<br />
NOUS . Et oui !<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Tu dois connaître ça alors ?<br />
Ah, le con ! Il n’avait tenu qu’une minute avant <strong>de</strong> vouloir nous refourguer<br />
sa camelote hors <strong>de</strong> prix. Il nous présenta une espèce <strong>de</strong> fume-cigarette <strong>de</strong>s<br />
années folles.<br />
NOUS . Heu… Oui… Mais je suis européen tu sais, j’habite pas le fin fond <strong>de</strong><br />
l’Amazonie…<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Oui, oui, mais c’est spécial pour le chichon ça,<br />
parfait pour remplir <strong>de</strong> tabac. Regar<strong>de</strong> !<br />
NOUS . Je te fais perdre ton temps, “mon ami”, je ne vais rien t’acheter.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Je sais, je sais ! On regar<strong>de</strong> juste, on passe un bon<br />
moment.<br />
Il nous servit du thé et continua son petit manège pendant environ un<br />
quart d’heure. Il nous parla <strong>de</strong> ses merveilles comme s’il avait passé six mois à<br />
parcourir le désert pour les rapporter ici avec une caravane <strong>de</strong> dromadaires. Si<br />
nous étions naïf, nous aurions pu le croire mais nous savions très bien que<br />
comme les autres, il avait tout acheté en gros ma<strong>de</strong> in China et revendait en<br />
espérant faire le plus <strong>de</strong> marge possible, quitte à passer pour un abruti.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Si tu <strong>de</strong>vais acheter quelque chose ici, mon ami,<br />
tu choisirais quoi ?<br />
673
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
NOUS . Je n’ai besoin <strong>de</strong> rien et je suis plus pauvre que toi mais puisque tu me le<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s, j’aime beaucoup les coffres et celui-ci me plaît bien.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Donne-moi un prix pour ce coffre !<br />
Nous le regardâmes attentivement. Il ressemblait à ce que nous<br />
connaissions déjà. À Aix-en-Provence, il y a beaucoup <strong>de</strong> boutiques <strong>de</strong> ce<br />
genre et un tel coffre vaut au plus 40 euros.<br />
NOUS . En Europe, on peut en trouver <strong>de</strong> semblables pour 30 euros. Ils<br />
viennent <strong>de</strong> Mauritanie.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR (avec un air <strong>de</strong>s plus sérieux) . 1600 dirhams !<br />
NOUS . Tu me prends vraiment pour un Anglais toi, je crois !<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . 300 dirhams ? C’est pas possible, je le paie plus<br />
cher que ça !<br />
NOUS . Tu te fais arnaquer alors. Moi, avec 1600 dirhams, je peux rentrer en<br />
France, en acheter un, revenir et il me restera encore du fric pour un jus<br />
d’orange aux Terrasses <strong>de</strong> l’Alhambra ! J’en ai un chez moi, beaucoup plus<br />
grand, le même bois, les mêmes ferrures. Je l’ai payé 120 euros.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Mais tu sais, mon ami, plus c’est petit, plus c’est<br />
travaillé, plus c’est cher ; regar<strong>de</strong> !<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Tu commences vraiment <strong>de</strong> nous saouler avec ton<br />
coffre à cinq sous, petit.<br />
Un vieil homme, celui <strong>de</strong> la boutique d’en-face, entra et se mit à lui parler<br />
en arabe. Il lui <strong>de</strong>manda combien nous lui proposions. Notre boutiquierbaratineur<br />
lui répondit et le vieil homme ressortit avec une phrase<br />
incompréhensible. À son expression, nous la traduisîmes ainsi : « Fous-lui la<br />
paix, tu vois bien qu’il ne t’achètera rien ; il sert à rien ! »<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Pour 600 dirhams, tu le prends ?<br />
NOUS . Non ! Je ne les ai pas et je vis à l’hôtel. Je n’ai aucune utilité d’un tel<br />
674
Incha Allah<br />
coffre. Le vieux a raison, je te fais perdre ton temps, je m’en vais.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . 500 dirhams !!<br />
NOUS . Non, non. Inutile d’insister !<br />
Nous étions sur le pas <strong>de</strong> porte, prêt à partir.<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR . Même pour 100 dirhams tu le prendrais pas ?<br />
C’en était trop ! Nous aurions certes pu nous vanter d’avoir négocié un<br />
coffre <strong>de</strong> 1600 à 100 dirhams mais notre langue trop pendue ne pouvait pas<br />
rester dans sa poche.<br />
NOUS . Écoute ! Nous avions convenu <strong>de</strong> seulement parler. Moi, quand je dis<br />
quelque chose, je tiens parole. Apparemment, toi non ! Tu m’as trompé avec<br />
ton appât pour touristes et je n’aime pas ça. Même pour 100 dirhams, je te le<br />
laisse, ton coffre !<br />
LE BOUTIQUIER-BARATINEUR (fair-play, reconnaissons-le) . Dis-moi, mon ami, tu<br />
serais pas breton toi par hasard ?<br />
NOUS . Si. Bonne continuation, “mon ami” !<br />
Nous reprîmes notre chemin et avant <strong>de</strong> changer <strong>de</strong> rue, nous nous<br />
retournâmes. Il avait déjà ferré <strong>de</strong>ux autres truites à la chair plus blanche que la<br />
nôtre ; la vente était assurée.<br />
675
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 1 f é v r i e r 2 0 0 6<br />
Marrakech (Maroc), 1h37.<br />
Il nous <strong>de</strong>manda : « Est-ce que tu crois que tu pourrais tomber amoureux<br />
<strong>de</strong> moi ? »<br />
Nous lui répondîmes : « Je ne sais pas ! », alors que c’est probablement la<br />
seule chose que nous espérons encore : éprouver <strong>de</strong> nouveau un tel sentiment.<br />
Nous ne savons plus rien !<br />
Demain, nous <strong>de</strong>vrons à nouveau prendre la route, sac sur le dos et à pattes<br />
pour nous ne savons où. Nous en avons marre d’avancer vers rien ! Il est<br />
temps pour nous <strong>de</strong> nous poser mais nous ne savons plus comment nous y<br />
prendre. Avons-nous jamais été posé d’ailleurs ? Comment construit-on une<br />
vie sans la seulement traverser comme nous le faisons ? Suffit-il <strong>de</strong> quelqu’un,<br />
d’une seule personne, si bonne et belle soit-elle ?<br />
Nous ne savons plus rien !<br />
Quoi qu’il en soit, nous repartons vers le Rif avec moins <strong>de</strong> 30 dirhams en<br />
poche.<br />
676
Y’en a marre <strong>de</strong> tout légiférer !<br />
Incha Allah<br />
2 2 f é v r i e r 2 0 0 6<br />
Casablanca (Maroc), 21h28.<br />
Nous étions ce matin à Marrakech, fort et enthousiaste pour 250<br />
kilomètres <strong>de</strong> marche à pattes. Au bout d’une vingtaine seulement, un mec<br />
sortit <strong>de</strong> son usine sur la route quasi-déserte et nous aborda. Il nous <strong>de</strong>manda<br />
où nous allions. Sympathiquement, nous lui répondîmes : « Casa ! Enfin… Si je<br />
suis sur la bonne route… » Deux autres nous rejoignirent et s’intéressèrent à<br />
notre périple. L’un nous conseilla d’arrêter un car et quand nous lui signifiâmes<br />
que nous comptions y aller à pattes et que <strong>de</strong> toute manière nous n’avions que<br />
20 dirhams et quelques piécettes, tous nous prirent pour un grand mala<strong>de</strong>. Le<br />
même sortit toutefois <strong>de</strong>ux billets <strong>de</strong> sa poche et nous dit : « Tiens, voilà 50<br />
dirhams pour le car et avec ces 20 là, tu pourras manger quelque chose ! »<br />
Visiblement, l’esprit malsain <strong>de</strong> Marrakech ne sévit qu’à l’intérieur <strong>de</strong> ses<br />
murs…<br />
À la station Texaco suivante (la compagnie étasunienne qui se sous-titre<br />
elle-même : lubrifiants, histoire <strong>de</strong> crier au mon<strong>de</strong> qu’elle l’encule, certes, mais<br />
en douceur…), nous attendîmes le vieux car le temps d’une clope au bord <strong>de</strong> la<br />
route.<br />
Nous fîmes halte dans un bled où une femme nous invita à partager thé et<br />
brochettes. Après trois jours au pain / Kiri, Fidèle, crois-nous sincère, tu ne<br />
peux imaginer à quel point cette vian<strong>de</strong> trop grasse nous fit du bien, et ce<br />
malgré la turista que nous traînons en ce moment !<br />
Nous arrivâmes à Casablanca, le Soleil venait <strong>de</strong> se coucher. Comme à<br />
chaque fois que nous manquions d’idée, nous marchâmes jusques au port. Une<br />
fois sur place, nous abordâmes quatre policiers maritimes à l’air avenant. Ils<br />
l’étaient mais pas leurs informations, hélas. Pour embarquer contre du travail, il<br />
fallait absolument un putain <strong>de</strong> fascicule <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> et être en règle avec les<br />
autorités.<br />
Comme partout, les lois nous bouffent, même au Maroc, pays du Tiersmon<strong>de</strong><br />
ou l’on pourrait aisément penser l’oppression administrative moins<br />
soutenue. Et bien non, illusion pour poètes…<br />
677
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous avions le choix ce matin pourtant : répondre à l’appel d’un plan que<br />
nous trouvions louche sur Zagora ou tenter la fortune, <strong>de</strong> nouveau, au large<br />
qui ne voulait toujours pas <strong>de</strong> nous. Il semblerait que nous nous plantâmes<br />
lamentablement et nous allons subir faim et froid, une fois encore, dans une<br />
cité qui ne nous dit rien. Finalement, pourquoi sommes-nous étonné ? C’est<br />
tellement habituel <strong>de</strong>puis quelques mois !<br />
La gare se vi<strong>de</strong> et nous supposons qu’elle ferme ses portes la nuit. Alors<br />
allons-nous marcher, sans conviction, à la recherche d’un abri, peut-être chaud,<br />
au moins sec.<br />
678
Incha Allah<br />
2 3 f é v r i e r 2 0 0 6<br />
Casablanca (Maroc), 7h36.<br />
Une nuit <strong>de</strong> mer<strong>de</strong>, tu dois t’en douter, Fidèle ; et bien pas du tout mais<br />
avant <strong>de</strong> commencer le récit, réchauffons-nous à la gare ONCF car<br />
Casablanca, c’est un peu comme Avignon pour les Aixois : le grand Nord !<br />
Au sortir <strong>de</strong> la gare, hier soir, nous longeâmes l’enceinte du port jusques à<br />
un ultime poste <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>. Il faisait nuit, naturellement, mais il était habité et<br />
nous tentâmes l’approche du gentil vagabond qui cherche naïvement une<br />
information. Il s’agissait en fait <strong>de</strong> l’entrée <strong>de</strong> la base navale. On nous répondit,<br />
parla un peu avec nous, essaya <strong>de</strong> solutionner notre problème d’embarquement<br />
un peu clan<strong>de</strong>stin et finalement nous invita à entrer dans la petite bicoque pour<br />
nous réchauffer <strong>de</strong>vant un thé ; nous y passâmes la nuit.<br />
Il y avait le brave Hassan, agent <strong>de</strong>s douanes, Ab<strong>de</strong>lka<strong>de</strong>r, militaire <strong>de</strong> gar<strong>de</strong><br />
et <strong>de</strong>ux autres qui venaient squatter <strong>de</strong> temps en temps. Le poste était visité<br />
également tantôt par <strong>de</strong>s marins rentrant au quartier après une soirée <strong>de</strong><br />
beuverie en ville, tantôt par <strong>de</strong>s automobilistes venant chercher <strong>de</strong> l’essence<br />
(« Je roule à essence, oui, mais celle du Roi ! »), tantôt par les chiens hurlants.<br />
Neuf heures s’écoulent très lentement dans un froid poste <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> et, <strong>de</strong><br />
conversations futiles en confessions presque intimes, nous en apprîmes<br />
beaucoup. Le brave Hassan et Ab<strong>de</strong>lka<strong>de</strong>r nous conseillèrent librement sur les<br />
petits trucs à connaître pour avoir une chance <strong>de</strong> monter sur un cargo. En<br />
gros, cela donnait : « Tu n’en as aucune mais, Incha Allah, tu peux peut-être<br />
trouver ! », réponse typiquement marocaine. Nous jouâmes le jeu cependant et<br />
enflâmes un tantinet notre parcours. Ainsi fûmes-nous militaire un an au 3ème<br />
R.I.Ma. <strong>de</strong> Vannes au lieu <strong>de</strong> cinq semaines au 1er Régiment Médical <strong>de</strong> Metz<br />
et l’In<strong>de</strong>, le Sénégal, la Grèce, Singapour, le Canada ou le Brésil figurèrent-ils<br />
également sur la liste <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>stinations solitaires. Nous n’avions que 21 ans<br />
et quittâmes Papa et Maman (morts tous <strong>de</strong>ux dans un terrible acci<strong>de</strong>nt<br />
d’avion au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Madagascar sept ans plus tôt) au berceau, avec un truc à<br />
sucer entre les lèvres, une bouteille <strong>de</strong> gin dans une main, un boa en plumes<br />
roses dans l’autre… Non ! Ils étaient crétins mais pas à ce point quand même.<br />
Nous leur dîmes que nous étions orphelin et que nous étions parti parcourir le<br />
mon<strong>de</strong> à l’âge <strong>de</strong> 15 ans en quête <strong>de</strong> nous-même. Nous insistâmes enfin sur le<br />
679
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
fait que nous avions déjà travaillé sur un cargo dont le commandant était<br />
trafiquant <strong>de</strong> Yaba entre Bangkok et Pondichéry.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Mata Hari, chérie, tu peux aller te rhabiller !<br />
<strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> a suivi ses cours <strong>de</strong> baratin chez <strong>de</strong> vénérables maîtres, les<br />
Marrakchis.<br />
En bref maintenant car la journée s’annonce laborieuse : nous achevâmes<br />
cette nuit capuchonné d’un caban <strong>de</strong> l’Armée <strong>de</strong> Terre Royale et un pain au<br />
chocolat dans la bouche.<br />
Putain ! Nous allons finir par croire que mentir à du bon, dis donc !<br />
10h25.<br />
Un parc <strong>de</strong>vant la rési<strong>de</strong>nce du Consul <strong>de</strong> France. Cela commence fort !<br />
Petite anecdote sur le boulet que traîne la France <strong>de</strong>puis Napoléon.<br />
« Le gouvernement a décidé <strong>de</strong> faciliter les démarches administratives ! », te<br />
vois-tu clamer en Métropole, Fidèle, avec un grand sourire niai lorsqu’on te<br />
tend un autre formulaire à remplir…<br />
Sur les conseils <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>ux compagnons <strong>de</strong> nuit, nous nous rendîmes à<br />
8h30 au Consulat <strong>de</strong> France, service <strong>de</strong>s visas. Eux croyaient qu’en déclarant<br />
avec un air tristoune que nous avions été spolié <strong>de</strong> tous nos papiers et billets, le<br />
Consulat <strong>de</strong> France (connu pour sa gran<strong>de</strong>ur d’âme) nous payerait un billet<br />
retour pour le pays. Nous, moins crédule et plus expérimenté, imaginions mal<br />
Monsieur le Consul mettre la main à la poche, en sortir un billet bleu et nous<br />
dire : « Tiens, Fiston, rentre chez nous maintenant ! » Non ! 1 Alors y allâmesnous,<br />
tout sourire, simplement pour nous informer sur les démarches à suivre<br />
pour embarquer sur un cargo.<br />
1 . Quelques mois plus tard toutefois, notre Destin nous fit rencontrer notre erreur <strong>de</strong> jugement en<br />
la personne du Consul Général <strong>de</strong> France à Saint-<strong>Louis</strong>-du-Sénégal qui fut, en plus d’une précieuse<br />
ai<strong>de</strong>, un soutien moral décisif et, nous le pensons, un ami sincère que nous reverrons avec grand<br />
plaisir.<br />
680
Premier essai :<br />
Incha Allah<br />
LE GARDE . Vous êtes français ! Vous, c’est par la gran<strong>de</strong> porte, Monsieur, à<br />
gauche là-bas !<br />
Bien, jouons donc la star !<br />
À l’accueil, Myriam nous envoya nous documenter à l’étage puis nous<br />
re<strong>de</strong>scendîmes bredouille lui expliquer notre <strong>de</strong>ssein.<br />
MYRIAM . Il vous faudrait un petit coup <strong>de</strong> pouce en fait, ça fonctionne comme<br />
ça au Maroc !<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Arrêtez avec cette phrase, putain ! Si ça<br />
fonctionnait au Maroc, tout le mon<strong>de</strong> le saurait.<br />
NOUS . Oui, j’ai vu ça mais c’est partout pareil. Je ne vais tout <strong>de</strong> même pas<br />
frapper à la porte <strong>de</strong> Monsieur le Consul, si ?!<br />
MYRIAM . Et pourquoi pas ! Vous êtes chez vous ici, c’est votre droit ; allez-y<br />
donc en le sachant !<br />
Première à gauche, secon<strong>de</strong> porte.<br />
LE MALABAR . Oui, c’est pour quoi ?<br />
NOUS . Un entretien avec Monsieur le Consul.<br />
LE MALABAR . Il faut prendre ren<strong>de</strong>z-vous avec sa secrétaire, Monsieur. C’est à<br />
quel sujet ?<br />
NOUS . Une affaire urgente et personnelle.<br />
LE MALABAR . Une affaire urgente et personnelle ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Oui, crétin ! Tu parles français ?<br />
LE MALABAR (à la dame pipi <strong>de</strong>rrière sa vitre blindée) . C’est pour voir le Consul, une<br />
affaire urgente et personnelle.<br />
681
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Bienvenue, Fidèle, dans la maison <strong>de</strong> fous d’Astérix.<br />
LA DAME-PIPI . Il faut prendre ren<strong>de</strong>z-vous avec sa secrétaire. Voici le numéro.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Elle est à cinquante mètres <strong>de</strong> toi, cette putain <strong>de</strong><br />
secrétaire, et elle fait ses ongles. Tu peux pas aller lui dire que c’est une<br />
urgence, pauvre conne ?<br />
NOUS . C’est vraiment urgent ! Je n’ai plus d’argent sur moi, on m’a tout volé, je<br />
l’appelle comment ?<br />
LA DAME-PIPI . Il faut prendre ren<strong>de</strong>z-vous avec sa secrétaire. Voici le numéro.<br />
Parfois, nous comprenons vraiment les terroristes…<br />
Nous nous rendîmes à la première téléboutique venue, cassâmes notre<br />
<strong>de</strong>rnier billet <strong>de</strong> 20 dirhams, en donnâmes 5 au jeune homme qui prit la carte<br />
avec le numéro pour le taper sur le téléphone.<br />
LE TÉLÉBOUTIQUIER . C’est pour appeler où, mon ami ?<br />
NOUS . En France.<br />
LE TÉLÉBOUTIQUIER . Ça va être difficile avec 5 dirhams, tu sais !<br />
NOUS . Non ! En France, <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la rue mais tu as raison, c’est jamais<br />
facile avec mon pays…<br />
Il composa le numéro et nous passa le combiné : « Bip… Bip… Bip… »<br />
Apparemment, le vernis n’était pas sec ! Nous retournâmes voir Myriam au<br />
service <strong>de</strong>s visas.<br />
MYRIAM . Mon pauvre, on est vraiment mieux ici !<br />
NOUS . Si vous le dites…<br />
Elle proposa <strong>de</strong> prendre ren<strong>de</strong>z-vous pour nous mais tomba elle aussi sur<br />
cet énervant « Bip… Bip… Bip… ». Elle réessaya trois nouvelles fois et enfin,<br />
682
Incha Allah<br />
la téléphone sonna, sonna, sonna… Il était un peu moins <strong>de</strong> 10 heures,<br />
probablement la première pause café / clope avant la prochaine.<br />
Des coups <strong>de</strong> pied au cul se per<strong>de</strong>nt dans la fonction publique ! Qu’après<br />
on ne s’étonne pas que les Corses fassent péter le palais <strong>de</strong> justice d’Aix-en-<br />
Provence une fois tous les trois ans ; leur dossier doit pourrir en <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong><br />
celui <strong>de</strong>s tortures en Algérie !<br />
13h41.<br />
Le Maroc n’est plus une colonie <strong>de</strong> la France (hélas bis !) mais il semblerait<br />
qu’il ait gardé ses références les plus médiocres.<br />
Nous <strong>de</strong>scendîmes après notre clope du parc à la porte 1 du port. Un agent<br />
<strong>de</strong> la police maritime nous écouta et nous dit : « Tu veux le meilleur conseil qui<br />
soit ? Va voir ton consul, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>-lui <strong>de</strong> te faire une lettre. Après, sûr, tu<br />
montes sur n’importe quel bateau ! »<br />
En attendant, le Consul <strong>de</strong> France restait coincé dans son bureau avec sa<br />
secrétaire qui lui taillait une longue et barbante conférence sur la manucure…<br />
Après l’agent et son conseil révélateur (« Mohammed, appelle tonton<br />
Jacques à Paris pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si tu as la permission <strong>de</strong> minuit ! »), nous<br />
nous rendîmes à la Marine Marchan<strong>de</strong>. Le cadre que nous interrogeâmes ne fut<br />
pas surpris par notre <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Il nous confirma même qu’il était possible <strong>de</strong><br />
s’engager comme civil avec une simple promesse d’embarquement et nous<br />
envoya chez la COMATAV, une compagnie <strong>de</strong> croisière. Le gars qui avait tout<br />
compris…<br />
Là-bas, naturellement, nous fûmes trimballé d’un service à l’autre sans<br />
résultat. Ban<strong>de</strong> d’incurables attardés, incapable <strong>de</strong> savoir en quoi consiste leur<br />
propre fonction !<br />
Nous revoici donc à la gare ONCF <strong>de</strong> Casa-port, un brin démoralisé par<br />
tant <strong>de</strong> connerie humaine. Diable ! Nous ne <strong>de</strong>mandons rien d’extraordinaire<br />
pourtant, nous voulons juste bosser sur un rafiot en échange <strong>de</strong> la traversée<br />
vers n’importe quel continent et dans n’importe quelle condition ; mer<strong>de</strong> quoi !<br />
Nos pattes sont mala<strong>de</strong>s, le temps est gris, il nous reste 17,50 dirhams et le<br />
Kiri commence <strong>de</strong> sérieusement nous dégoûter. Il faudrait leur faire découvrir<br />
le foie gras aux Arabes, au moins serions-nous contenté et la prochaine fois<br />
683
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
qu’une Florence Aubenas se ferait enlever, elle pourrait <strong>de</strong>vant les télévisions<br />
du mon<strong>de</strong> entier se vraiment réjouir <strong>de</strong>s petits plaisirs que lui offriraient ses<br />
ravisseurs…<br />
16h44.<br />
Nous sommes perdu, sous la souche, dans une forêt d’immeubles qui se<br />
ressemblent tous à plusieurs kilomètres du centre <strong>de</strong> Casablanca et il ne nous<br />
reste que 6 dirhams dans la poche. Nous en vînmes à donner notre sang<br />
d’homo, celui que refuse l’Établissement Français du Sang parce que homo<br />
justement 1 pour quelques gâteaux et jus <strong>de</strong> fruits… « Mon Dieu, mon Dieu ! »,<br />
comme dirait notre cher ami du Grand Restaurant !<br />
La perte <strong>de</strong> sang joue-t-elle également sur les neurones d’après toi ou est-ce<br />
seulement le désespoir qui nous pousse au délire ?<br />
1 . Tome I, épiso<strong>de</strong> IV, 4 septembre 2004.<br />
684
Incha Allah<br />
1 e r m a r s 2 0 0 6<br />
Agadir (Maroc), 12h01.<br />
Hubert est reparti pour Marrakech attendre son vol retour à 11 heures ;<br />
nous revoici seul face à l’inconnu. Avant <strong>de</strong> continuer notre route, nous<br />
décidâmes <strong>de</strong> prendre une bière à l’Oasis Beach, un bar <strong>de</strong> plage que nous<br />
connaissions déjà - 25°C valaient bien cela ! La plage en revanche fut avalée ou<br />
repoussée par la houle nocturne. Les autorités aussi incompétentes ici<br />
qu’ailleurs n’avaient prévenu personne mais annoncent pire pour 16-17 heures.<br />
Résultat : un Océan déchaîné <strong>de</strong>puis 2 heures qui ravage la côte et ses<br />
constructions en bois mo<strong>de</strong>stes. « Du jamais vu ! », nous dit Éric, le gérant<br />
français du bar, qui <strong>de</strong>vra débourser 15 à 20000 dirhams pour réparer /<br />
reconstruire. « On ne compte pas sur les assurances non plus, naturellement…<br />
Catastrophe naturelle au Maroc, on connaît pas ! » L’eau est noire <strong>de</strong> sable et<br />
les vagues sont hautes à cent ou <strong>de</strong>ux cents mètres <strong>de</strong> la plage cratérisée dans la<br />
nuit. La location d’un tracteur pour la niveler : 7000 dirhams / jour ;<br />
incroyable !<br />
Quelques Marocains travaillent à la pelle mais la majorité, <strong>de</strong>vant le chantier<br />
à accomplir, refusa au matin <strong>de</strong> se joindre à eux.<br />
Selon la rumeur, la digue du port <strong>de</strong> plaisance ne supporterait pas l’assaut<br />
d’une autre vague. À Taghazout, un petit bled <strong>de</strong> surfeurs / fumeurs à une<br />
trentaine <strong>de</strong> kilomètres plus au nord, quatre baraques seraient tombées avec la<br />
falaise. Et tout ceci se passe <strong>de</strong>vant nos yeux d’or conquis ; une aubaine !<br />
Nous comptions <strong>de</strong>scendre vers la Mauritanie dès aujourd’hui mais <strong>de</strong>vant<br />
tel spectacle, nous attendrons sans doute <strong>de</strong>main après une étape à Tassila<br />
pour nous entretenir avec le contact du Consulat <strong>de</strong> France si nous le trouvons.<br />
Il est notre seul espoir pour le moment <strong>de</strong> quitter l’Afrique – nous n’en voyons<br />
d’autre ! – et <strong>de</strong> prendre le large pour suivre, toujours, nos augustes Vents.<br />
17h45.<br />
Nous avons une chambre dans un hôtel miteux pour attendre <strong>de</strong>main.<br />
L’Océan semble s’être calmé sauf du côté sud <strong>de</strong> la plage, vers l’Oasis Beach.<br />
Un banc <strong>de</strong> baleines doit s’agiter au large ! Si, par chance, il pouvait aussi<br />
685
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
pousser un sailing-yacht vers le port, nous pourrions aller y déposer notre<br />
candidature. Ceci est fort peu probable. Nous, qui ratâmes le tsunami en Asie<br />
du Sud-Est, aurions voulu nous rattraper ici mais hélas les choses se tassentelles…<br />
NOTRE CONSCIENCE . Comment pouvez-vous oser, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ?<br />
C’est simple : nous sortons notre plume Lucien Barrière et nous écrivons.<br />
Nous sommes attablé au Vendôme. Un chat passe nonchalamment, lève sa<br />
tête noire et regar<strong>de</strong> ce qui compose notre table. Ni le Pepsi, ni les Marquises,<br />
cigarettes bon marché et dégueulasses que l’on peut trouver ici, ne<br />
l’intéressent ; il continue. Ses frères – non ! NOS frères – nous refilèrent leurs<br />
puces à Marrakech la semaine <strong>de</strong>rnière. Quatre boutons constellent ainsi notre<br />
fesse gauche ; le Maroc est décidément un pays sale !<br />
Au Pentagone en 2001, à <strong>de</strong>ux semaines près, nous étions victime <strong>de</strong>s<br />
Attacks. De retour en Flori<strong>de</strong>, nous ne pûmes caresser les oreilles <strong>de</strong> Mickey à<br />
cause <strong>de</strong>s alertes à l’anthrax. Lorsque nous étions en Thaïlan<strong>de</strong> puis en<br />
Malaisie en 2003, nous passâmes au travers du SARS. Nous quittâmes l’Europe<br />
un mois avant sa psychose A-H5N1. Il fallait bien qu’une couille nous tombât<br />
<strong>de</strong>ssus en Afrique ! Ne nous invite jamais à <strong>de</strong>meure, Fidèle, nous risquerions<br />
<strong>de</strong> réveiller Peste et Choléra…<br />
Ah ! mais nous te voyons patiner ta galerie <strong>de</strong> sourires sceptiques. Non,<br />
non, non, nous n’exagérons rien ! Nous notons, simplement, que quel que soit<br />
le lieu où nous nous trouvions, il arrive une mer<strong>de</strong> ; c’est à en <strong>de</strong>venir<br />
paranoïaque, ou masochiste, vraiment !<br />
Nous nous <strong>de</strong>mandâmes en chemin s’il fallait profiter <strong>de</strong> notre passage sur<br />
le continent pour visiter les Dogons au Mali avant d’aller en Mauritanie car il se<br />
pourrait bien, après tout, si nous trouvons un bateau là-bas, que son capitaine<br />
nous embarque dans une guérilla <strong>de</strong> révolutionnaires frustrés en Amérique du<br />
Sud.<br />
« Et après ?, nous diras-tu, ce serait une aventure <strong>de</strong> plus à conter ! »<br />
On voit bien que ce n’est pas toi qui les vis… Comme nous aimerions<br />
parfois être à ta place, assis bien au chaud sur un rocking-chair, un mec plaid<br />
686
Incha Allah<br />
sur les genoux à lire tout ceci mais non, nous le vivons.<br />
Quoi qu’il en soit, le Soleil <strong>de</strong>scend lentement se coucher <strong>de</strong>rrière le port<br />
en sursis et se fout pas mal <strong>de</strong> tout ce qui nous guette. Le chat à la tête noire<br />
revient, jette <strong>de</strong> nouveau son œil cylindrique sur notre table et nous regar<strong>de</strong> en<br />
pensant : « N’aie crainte, Frère ! nous sommes éternels. »<br />
687
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 m a r s 2 0 0 6<br />
Agadir (Maroc), 16h32.<br />
Vingt-<strong>de</strong>ux heures <strong>de</strong> car nous atten<strong>de</strong>nt pour <strong>de</strong>scendre à Dakhla, Sahara<br />
Occi<strong>de</strong>ntal ; nous ne sommes pas encore <strong>de</strong>dans que nous en avons déjà<br />
marre… Daniel R., le contact du Consulat <strong>de</strong> France, ne put nous ai<strong>de</strong>r. Tant<br />
pis ! nous nous risquons au grand Sud. De toute manière, nous n’avons pas le<br />
choix : continuer ou crever sur place.<br />
Franchement, le Maroc commence <strong>de</strong> sérieusement nous casser les<br />
couilles ! La saleté sur tous les trottoirs, dans les parcs, les immeubles, la plage<br />
même ; les mendiants qui mériteraient un Oscar pour la meilleure<br />
interprétation ; les « Eh, mon ami ! » intéressés auxquels nous ne répondons<br />
plus <strong>de</strong>puis longtemps au risque <strong>de</strong> passer pour le mec le plus antipathique <strong>de</strong><br />
la Terre ; les regards cachés <strong>de</strong>s jeunes hommes qui voudraient nous draguer<br />
mais qui n’ont pas le droit <strong>de</strong> le faire – les pauvres, nous détesterions avoir une<br />
laisse autour du cou ! Tout ceci est terriblement malsain et ce n’est guère ce<br />
dont nous avons besoin en ce moment. Nous voulons la paix, la tranquillité et<br />
surtout <strong>de</strong> la sincérité ; rien <strong>de</strong> plus. Ici, impossible <strong>de</strong>vient français avec un<br />
accent <strong>de</strong> Soleil.<br />
Bon ! après cela, c’est sûr, tu vas encore nous taxer d’aigreur, Fidèle. Désolé<br />
<strong>de</strong> ne pas faire dans le nunuche en ressortant les cartes postales <strong>de</strong>s agences <strong>de</strong><br />
voyage : « Le Maroc, <strong>de</strong>s gens accueillants, sympathiques, toujours souriants.<br />
Le Maroc, terre chaleureuse, indomptable et riche. Un séjour inoubliable ! »<br />
Des gens qui préten<strong>de</strong>nt beaucoup et qui ne savent pas grand’chose serait plus<br />
juste. Le Maroc ? Une noble terre pour un peuple <strong>de</strong> pipeau ! Les trois seuls<br />
marocains que nous appréciâmes, nous les rencontrâmes lors <strong>de</strong> notre secon<strong>de</strong><br />
nuit blanche à Casablanca. Jeunes, pas gays, islamiques, intelligents, honnêtes,<br />
ouverts, sérieux, réels. Comme partout, quelques bonnes âmes noyées dans une<br />
masse <strong>de</strong> cons.<br />
Modérons-nous toutefois : dans les terres, c’est peut-être un peu mieux<br />
mais ne rêvons pas, le pays tout entier est corrompu jusques au poil <strong>de</strong> cul.<br />
688
Incha Allah<br />
3 m a r s 2 0 0 6<br />
Dakhla (Sahara Occi<strong>de</strong>ntal), 21h01.<br />
Il est étonnant <strong>de</strong> voir à quel point la route nous excite, surtout si celle-ci<br />
est mal fichue et longe 1173 kilomètres <strong>de</strong> côte… Nous avions le siège n°36 et<br />
passâmes notre temps sur le dos en tailleur contre la vitre lorsque nous ne<br />
parlions pas avec notre voisin jetable. Une dizaine <strong>de</strong> marocains furent assez fous<br />
pour faire le trajet complet avec nous, les autres montant ou <strong>de</strong>scendant à<br />
chaque escale. Après d’interminables pauses thé, clope et pisse, nous arrivâmes<br />
à Dakhla pour nous rendre compte que nous étions paumé plus que jamais<br />
auparavant. Des militaires partout, aucun consulat, les mêmes Marocains que<br />
plus haut. Ici, on craint un conflit, le Sahara Occi<strong>de</strong>ntal, zone litigieuse, étant<br />
convoité par l’ombrageux Algérien, le Marocain possesseur, le <strong>Blanc</strong> exploitant<br />
et naturellement le Front Polisario sahraoui indépendantiste ; un vrai bor<strong>de</strong>l !<br />
Entre Tan-Tan (la ville <strong>de</strong>s dromadaires) et Dakhla, nous passâmes six postes<br />
<strong>de</strong> gar<strong>de</strong>.<br />
LE GENDARME ROYAL . Votre passeport, s’il vous plaît !<br />
Nous comprîmes vite qu’il ne servait à rien <strong>de</strong> le ranger à chaque fois.<br />
LE GENDARME ROYAL . Français ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Tibétain, pourquoi ? Ça crève pas les yeux ?<br />
NOUS . Oui.<br />
LE GENDARME ROYAL . Votre profession ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Nous sommes un intégriste catholique avec une<br />
bombe dans notre sac et nous venons nous faire péter dans un siège <strong>de</strong><br />
préfecture, et vous ?<br />
Non… mais nous serions tenté !<br />
689
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
NOUS . J’étais serveur en France et j’ai pris une année sabbatique pour voyager<br />
un peu.<br />
LE GENDARME ROYAL . Bien ! Ça vous plaît le Maroc ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Que ne donnerions-nous pas pour le quitter, ton<br />
pays <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> !<br />
NOUS . J’aime beaucoup, oui !<br />
LE GENDARME ROYAL. Tenez !<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . C’est ça, va remplir tes statistiques.<br />
Descendu du car, nous fîmes un peu le tour <strong>de</strong> la ville avant <strong>de</strong> trouver<br />
l’hôtel Mijik à peine moins miteux que le précé<strong>de</strong>nt : 35 dirhams la nuit,<br />
cafards en primes, au lieu <strong>de</strong> 70 car le réceptionniste, embobiné, veut que nous<br />
gardions notre argent pour le visa. Nous ne pensons pas trouver quoi que ce<br />
soit dans ce bled ; nous prendrons la route vers la Mauritanie dès lundi.<br />
690
Incha Allah<br />
4 m a r s 2 0 0 6<br />
Dakhla (Sahara Occi<strong>de</strong>ntal), 12h43.<br />
Ne pensons pas aux difficultés qui nous atten<strong>de</strong>nt (le visa mauritanien qui<br />
ne serait délivré qu’à Casablanca, 1700 kilomètres plus au nord, par exemple) et<br />
profitons <strong>de</strong> l’instant ; glandons comme nous savons si bien le faire.<br />
Ce matin, nous trouvâmes un cybercafé qui ramait moins que celui d’hier<br />
soir, un itinéraire côtier moins sale que les rues <strong>de</strong> ville, un restaurant chic, le<br />
Samarkand, avec une large vue sur le Rio <strong>de</strong> Oro, il fait beau, il fait chaud,<br />
l’espace est superbe, <strong>de</strong>s écoliers en tenue fêtent un anniversaire sous la<br />
pergola et nous avons même <strong>de</strong>s clopes étasuniennes. Aujourd’hui, tout est<br />
plus tout et nous nous faisons plaisir <strong>de</strong>vant une sala<strong>de</strong> maison et <strong>de</strong>s<br />
spaghettis aux fruits <strong>de</strong> mer. Ce repas va nous ruiner mais quand on n’a rien,<br />
on n’a rien à perdre !<br />
Si Dakhla n’était pas marocaine, nous y passerions sans doute plus <strong>de</strong><br />
temps mais, lundi ou mardi, nous aurons les informations nécessaires pour<br />
partir. Dans notre conclusion à ce carnet, nous achèverons définitivement ce<br />
pays et cette religion aussi pourrie que sa mère chrétienne sinon mille fois plus<br />
d’un coup <strong>de</strong> dague. Nous nous en faisions une idée générale, répandue et<br />
surtout trop facilement acceptée. N’y pensons pas encore.<br />
Les hibiscus, fleuris et mauves, pointent vers l’ouest ; ceci est <strong>de</strong> bon<br />
augure.<br />
NOUS . Shukrane !<br />
LE SERVEUR . Le café, c’est offert <strong>de</strong> la maison !<br />
Serions-nous tombé dans une autre ombre ? Non, non ! un véritable<br />
espresso et une note comme à la maison. La maison… Cinq mois que nous<br />
n’en avons plus… Putain, toute une vie !<br />
691
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
5 m a r s 2 0 0 6<br />
Dakhla (Sahara Occi<strong>de</strong>ntal), 13 heures.<br />
C’est sac sur le dos et à pattes que l’on apprend la vie. Crois-nous sincère,<br />
Fidèle, ce ne sont pas que <strong>de</strong>s mots écrit sur une ligne ! Jamais nous n’aurions<br />
imaginé rencontrer un tel personnage il y a encore quelques années mais<br />
aujourd’hui cela ne nous étonne-t-il plus guère.<br />
Hier, en quittant le restaurant Samarkand, nous sifflâmes un taxi pour le<br />
camping situé après le barrage <strong>de</strong> police qui surveille les entrées dans Dakhla.<br />
Nous recherchions <strong>de</strong>s touristes qui partaient pour la Mauritanie afin <strong>de</strong><br />
profiter du voyage. Nous aurions ainsi économisé 300 ou 400 dirhams en<br />
évitant <strong>de</strong> louer les services d’un passeur. Nous apprîmes qu’un rallye<br />
hollandais arrivait aujourd’hui. Seulement, au commissariat principal où nous<br />
allâmes ensuite, on nous confirma que le visa mauritanien n’était délivré que<br />
dans une ambassa<strong>de</strong> ou un consulat ; il était donc inutile <strong>de</strong> continuer nos<br />
recherches dans cette voie. Franchir la frontière nous aurait coûté environ 1000<br />
dirhams que nous n’avons pas. Il nous fallait un bateau, nous ne voyions autre<br />
chose ! Toujours au commissariat principal, une autorisation d’entrée pour le<br />
port nous fut signée pour le len<strong>de</strong>main. Nous ne plaçons que peu d’espoir<br />
dans cette option mais c’est déjà bien… Nous surfâmes le reste <strong>de</strong> la journée<br />
sur l’Internet.<br />
Vers 21h30, retour à l’hôtel. Le réceptionniste nous invita à prendre un<br />
siège et à attendre un autre client, sénégalais, pour manger ensemble. Cher, 28<br />
ans, finit par arriver avec <strong>de</strong>s pâtisseries et nous montâmes dans sa chambre où<br />
nous sympathisâmes avec lui et apprîmes beaucoup <strong>de</strong> choses fort<br />
intéressantes sur le fonctionnement <strong>de</strong> l’Afrique. Nous ne t’en dirons pas plus<br />
sur cette expérience, Fidèle, car tu t’en servirais probablement contre nous…<br />
Un espresso et un cendrier-cimetière plus loin…<br />
14h04.<br />
Notre vie s’écoule paisiblement avec ses tracasseries mais si nous y pensons<br />
sans trop forcer, qui n’aimerait pas être à notre place ?<br />
692
Incha Allah<br />
NOTRE CONSCIENCE . Quel égocentrique faites-vous, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> !<br />
Et, ajoutons-nous, mégalomane. Si partir à la conquête du mon<strong>de</strong> est<br />
audacieux, le toiser avec insouciance fait <strong>de</strong> nous un dieu ! Les mouches<br />
gravitent, s’agitent et se battent pour une goutte <strong>de</strong> marc mais la tasse est<br />
nôtre. Nous <strong>de</strong>vions déjeuner avec Cher ; nous dûmes mal comprendre, ce sera<br />
pour une prochaine fois puisque Dakhla semble vouloir nous adopter quelques<br />
jours <strong>de</strong> plus. Nous lui ferons cet honneur si elle consent à nous illuminer<br />
comme elle le fait <strong>de</strong>puis notre arrivée.<br />
Il nous est facile d’être ce que nous voulons être ici et nous ne nous en<br />
privons pas, entrant avec facilité dans le jeu local <strong>de</strong> l’apparence. Taureau blanc<br />
ou cerf aux bois majestueux, l’Homme est crédule et ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que cela.<br />
Contons-lui donc une belle histoire, mystifions-le !<br />
693
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
7 m a r s 2 0 0 6<br />
Dakhla (Sahara Occi<strong>de</strong>ntal), 15h20.<br />
Nous rentrions du cybercafé hier soir, il était près <strong>de</strong> 20 heures. Sur notre<br />
itinéraire côtier, nous dépassâmes <strong>de</strong>ux jeunes étudiantes marocaines habillées<br />
à l’occi<strong>de</strong>ntale et l’une d’elles nous interpella <strong>de</strong> loin.<br />
LA FILLE-CHIENNE . Hello ?<br />
NOUS . Salut !<br />
Nous ne pensions pas qu’en répondant, nous allions enfreindre la loi, et<br />
pourtant…<br />
Elle était charmante et nous <strong>de</strong>manda seulement si elle pouvait utiliser<br />
notre portable pour appeler son copain car elle n’avait plus d’unité sur le sien.<br />
Cela semblait urgent, nous le lui prêtâmes <strong>de</strong> bon cœur – sans arrière-pensée<br />
naturellement, lui manquant bien vingt centimètres pour nous intéresser.<br />
Nous avions déjà repéré la vieille Merce<strong>de</strong>s jaune pourri qui nous suivait<br />
<strong>de</strong>puis la mosquée mais, dans ce pays, nous attirons le regard (comme partout<br />
ailleurs en fait…) et nous ne nous en inquiétâmes pas. Deux hommes étaient à<br />
l’intérieur. Le conducteur se gara, sortit, traversa la route défoncée par<br />
d’interminables travaux et nous tendit la main.<br />
LE MASTER . Bonsoir !<br />
NOUS . Salut !<br />
Il était habillé comme sa voiture, d’un costard sur mesure, jaune pourri, il<br />
avait la barbe entretenue, l’air affirmé, le regard <strong>de</strong> celui qui aime se faire<br />
longuement sucer.<br />
LE MASTER . Vous parlez français ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Ça te ferait chier que nous parlions russe, hein,<br />
694
pauvre con ?!<br />
NOUS . Je suis français !<br />
Incha Allah<br />
Il détourna le regard <strong>de</strong> nous et interrogea les <strong>de</strong>ux filles-chiennes. Dans<br />
ces cas-là, il est inutile <strong>de</strong> parler arabe pour comprendre ce qui se dit, notre<br />
énième sens jouant pour nous la pièce avec suffisamment d’amplitu<strong>de</strong>.<br />
Les <strong>de</strong>ux filles-chiennes se défendirent comme elles le purent mais le<br />
maître sortit son martinet et se mit à tonner en les frappant d’une voix sévère.<br />
Nous comprenions bien qu’il ne cherchait aucune justification ; il était sûr<br />
<strong>de</strong> lui, un véritable homme <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>, policier touristique, casseur <strong>de</strong>s libertés,<br />
vulgaire sadique. Au moment où la fille-chienne expliquait la situation en<br />
mordillant sa cor<strong>de</strong> pour essayer <strong>de</strong> s’échapper, nous intervînmes.<br />
NOUS . Elles ont raison, vous savez ! Vous n’avez pas à les engueuler comme ça,<br />
elles ne sont pas <strong>de</strong>s chiennes ! Elles voulaient simplement utiliser mon<br />
téléphone pour appeler un ami.<br />
LE MASTER . Je suis inspecteur, Monsieur ! Il fait nuit. C’est dangereux pour<br />
vous la nuit.<br />
NOUS . Dangereux <strong>de</strong> quoi ? De prêter mon téléphone à <strong>de</strong>ux étudiantes ?<br />
Vous vous foutez <strong>de</strong> moi ? Policier ou pas, vous n’avez pas à leur parler sur ce<br />
ton <strong>de</strong>vant moi. Je n’ai rien fait <strong>de</strong> mal que je sache, elles non plus, et je ne<br />
veux pas avoir <strong>de</strong> problèmes.<br />
LE MASTER . Ça ne vous regar<strong>de</strong> plus. Partez !<br />
Il ne pouvait rien faire contre nous, le savait et pour gar<strong>de</strong>r son autorité<br />
<strong>de</strong>vant ses chiennes, il leva la voix en jetant son bras gauche dans la direction<br />
<strong>de</strong> notre route. Nous aurions pu continuer à défendre ces <strong>de</strong>ux pauvres filles<br />
mais dans une geôle, le maître se défoule sur son esclave quand un visiteur<br />
intouchable le provoque. La première fille-chienne nous rendit notre téléphone<br />
avec un regard éteint, la secon<strong>de</strong> nous remercia ; elles étaient cassées mais nous<br />
montrèrent le peu d’honneur qui leur restait. Nous partîmes la rage au ventre,<br />
sans considérer le corrompu.<br />
695
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Le Maroc est un donjon avec ses maîtres et ses esclaves. Les visiteurs<br />
regar<strong>de</strong>nt les murs, admiratifs <strong>de</strong>vant telle construction, ignorant le reste et<br />
rapportant avec eux <strong>de</strong>s enchantements qu’ils partagent avec leur famille ; <strong>de</strong>s<br />
maquereaux en fait !<br />
Au Maroc, on connaît les Droits <strong>de</strong> l’Homme ; les droits <strong>de</strong> l’homme à<br />
considérer la femme comme une putain qu’il voile et bâillonne.<br />
696
NOUS . Le port, s’il vous plaît !<br />
Trois minutes plus tard.<br />
LE CHAUFFEUR DE TAXI . 5 dirhams !<br />
Incha Allah<br />
8 m a r s 2 0 0 6<br />
Dakhla (Sahara Occi<strong>de</strong>ntal), hier midi.<br />
NOUS (désolé, en regardant par la fenêtre) . Le port heu. Ici, c’est l’aéroport.<br />
LE CHAUFFEUR DE TAXI . Ahh, le poooort ?<br />
NOUS . Oui ! avec les gros bateaux…<br />
Aujourd’hui, en fin d’après-midi.<br />
Chaque soir, nous passons acheter du Pepsi et <strong>de</strong>s gâteaux à Ali, un enfant<br />
d’une douzaine d’années qui tient une petite épicerie sur notre chemin. Il est<br />
gentil, se débrouille en français et surtout à l’œil malin. Nous voulions faire un<br />
petit-déjeuner au matin mais il ne vendait pas <strong>de</strong> bol. Un bol… Cette petite<br />
chose universelle si simple. Et bien figure-toi, Fidèle, qu’ici, personne ne<br />
connaît – en tout cas pas les six marchands que nous visitâmes. Dans le doute,<br />
pour éviter <strong>de</strong> passer pour un inculte qui ne sait pas ce que signifie le mot bol,<br />
cinq d’entre eux nous dirent qu’ils n’en avaient pas. Ainsi la chose était-elle<br />
réglée ! Inutile <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r où en trouver… Au sixième.<br />
NOUS . Bonsoir ! Ven<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong>s bols par hasard ?<br />
LE MARCHAND . Des… ?<br />
NOUS . Bols heu.<br />
LE MARCHAND . Ahh, <strong>de</strong>s beuls ! Oui, oui !<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Amen !<br />
697
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Et lui <strong>de</strong> nous proposer une canette <strong>de</strong> Red Bull ; et mer<strong>de</strong> !<br />
NOUS . Non ! Des bols heu !<br />
Évi<strong>de</strong>mment, il n’en vendait pas. Le fond découpé d’une bouteille <strong>de</strong> Pepsi<br />
fera l’affaire.<br />
NOUS . Pourrais-je avoir <strong>de</strong> l’huile, s’il vous plaît !<br />
À l’instant, 21h01, au Samarkand.<br />
Nous avons commandé une sala<strong>de</strong> niçoise et un tajine <strong>de</strong> kefta pour dîner.<br />
LE SERVEUR . De la mayonnaise ?<br />
NOUS . De l’huile, s’il vous plaît !<br />
LE SERVEUR . Des frittes ?<br />
NOUS (le geste accompagnant l’articulation) . De l’huile heu !<br />
LE SERVEUR . Ah ! Oui, oui, bien sûr ! Tout <strong>de</strong> suite, mon ami !<br />
Et lui <strong>de</strong> nous rapporter du sel, du poivre et <strong>de</strong>s cure-<strong>de</strong>nts…<br />
NOUS . C’est parfait, merci !<br />
Heureusement, disons-nous, que l’Organisation Internationale <strong>de</strong> la<br />
Francophonie ne vérifie pas l’état <strong>de</strong> ses membres car il ne resterait vite que la<br />
tête, et encore… À moins que… Le Sahara Occi<strong>de</strong>ntal est-il bien marocain… ?<br />
698
Incha Allah<br />
9 m a r s 2 0 0 6<br />
Dakhla (Sahara Occi<strong>de</strong>ntal), 15h50.<br />
En nous levant ce matin, vers midi, nous feuilletâmes nos billets, prîmes<br />
peur et nous recouchâmes. Il nous reste <strong>de</strong> quoi survivre jusques à lundi, soit<br />
750 dirhams dont 350 pour l’hôtel. À Aix-en-Provence, nous dépensions<br />
souvent le double pour un début <strong>de</strong> soirée au Roton<strong>de</strong> et une partie <strong>de</strong> la nuit<br />
chez Michel au Med Boy – que ce temps nous manque ! – ou encore un<br />
passage dans notre boutique préférée : Nicolas. Mais cela n’est pas le plus<br />
important ; nous avons fait du sans-ressource notre quotidien acceptable. En<br />
revanche, nous avons un certain niveau <strong>de</strong> vie à entretenir et nous ne nous en<br />
sortîmes pas trop mal jusques ici mais ce matin, <strong>de</strong>vant notre biafrais portefric,<br />
aucune solution ne nous apparut.<br />
Quitte à être fauché, mieux vaut l’être dans la soie, les plumes et face à<br />
l’Océan que sur le banc d’une cité grise et froi<strong>de</strong>, n’est-ce pas ? Ainsi, dans un<br />
mon<strong>de</strong> où il est préférable d’être pute qu’écrivain (certains allient très bien les<br />
<strong>de</strong>ux au passage…), nous pensons sérieusement à rouvrir boutique !<br />
699
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 2 m a r s 2 0 0 6<br />
Dakhla (Sahara Occi<strong>de</strong>ntal), 16h16.<br />
Une seule phrase peut tout gâcher dans une amitié naissante ; la découverte<br />
<strong>de</strong> l’autre est un jeu risqué. Nous croyons tomber sur quelqu’un <strong>de</strong> bien,<br />
d’ouvert, d’indépendant spirituellement quand finalement, après une simple<br />
phrase <strong>de</strong> sa part, nous nous rendons compte que c’est un vrai con. Et le pire,<br />
c’est que nous culpabilisons <strong>de</strong> penser cela !<br />
En général, nous ne cachons guère notre orientation sexuelle. Nous<br />
sommes européen, Diable !, pas un <strong>de</strong> ces enfoirés d’intégristes musulmans.<br />
Chez nous (la civilisation), il n’est plus pensable <strong>de</strong> se prendre la tête avec ce<br />
sujet – peut-être alors dans le trou du cul <strong>de</strong> l’Auvergne.<br />
Tu es homo, Fidèle ? Hétéro ? Gothique ? Skater ? Fashion ? Handicapé ?<br />
Sidéen ? Garçon, fille ou tout cela à la fois ? Rien à foutre tant que tu n’es pas<br />
con également !<br />
Ici (terre <strong>de</strong> retardés), nous évitons d’en parler à n’importe qui et notre<br />
compagnon <strong>de</strong> galère ne faisait pas partie <strong>de</strong> notre liste d’abonnés – musulman<br />
mouri<strong>de</strong> convaincu, forcément, cela <strong>de</strong>mandait réflexion.<br />
5 heures approchaient, nous parlions <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> rien comme chaque nuit,<br />
<strong>de</strong> nos ambitions, notre envie commune <strong>de</strong> nous tirer <strong>de</strong> ce bled, etc. Nous en<br />
vînmes à parler sexe, évi<strong>de</strong>mment, et homos.<br />
CHER . Moi, je leur sers même pas la main !<br />
Nous n’oublierons jamais cette phrase, pour lui évi<strong>de</strong>nte. Extérieurement,<br />
nous étions tout ce que notre personnage impassible <strong>de</strong>vait être ;<br />
intérieurement, nous bouillions et mourions d’envie <strong>de</strong> lui jeter toutes les<br />
vérités du mon<strong>de</strong> à la figure.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Putain, Cher ! J’arrive pas à croire que j’entends ça<br />
<strong>de</strong> ta bouche ! Sérieux, gars, tu es noir, tes ancêtres ont servi d’esclaves à<br />
l’Arabe et au <strong>Blanc</strong> pendant <strong>de</strong>s siècles ; c’est toi qu’on traite <strong>de</strong> négro, <strong>de</strong> sale<br />
700
Incha Allah<br />
race ; c’est toi qu’on arrête à la frontière pour une chose aussi débile que la<br />
couleur <strong>de</strong> ta peau. Tu n’acceptes pas ça, tu as raison, et tu viens m’emmer<strong>de</strong>r<br />
parce que <strong>de</strong>s gens sont homosexuels ? Tu te fous <strong>de</strong> moi, hein ? Tu<br />
plaisantes !? Rassure-moi, Cher !<br />
Mais nous fermâmes notre gueule et sourîmes. Nous en avons marre <strong>de</strong><br />
faire la morale à <strong>de</strong>s pécores. Qu’ils restent donc ignorants, tous ! Ceci n’était<br />
pas notre affaire.<br />
Cinq minutes après, nous étions <strong>de</strong>hors à déplorer d’avoir rencontré un<br />
gars bien qui pensait comme un con. Nous ne fermâmes pas l’œil <strong>de</strong> la matinée<br />
et c’est pour cela que nous ne partîmes pas comme prévu.<br />
Il voulait nous ai<strong>de</strong>r et nous inviter à Dakar s’il arrivait à résoudre son<br />
problème <strong>de</strong> passeport ici. Nous étions enchanté à l’idée <strong>de</strong> continuer notre<br />
route avec lui pendant quelque temps, sans aucune arrière pensée toujours,<br />
mais désormais préférons-nous mille fois être seul et dans la mer<strong>de</strong> sur un<br />
chemin chaotique et inconnu que le suivre et jouer l’hétéro en nous asseyant<br />
sur notre dignité ! Peut-être essayerons-nous <strong>de</strong> le résonner cette nuit…<br />
21h06.<br />
Chaque fois que nous franchissons le seuil <strong>de</strong> la porte <strong>de</strong> l’hôtel, nous<br />
espérons fortement ne pas croiser le réceptionniste au nom imprononçable. Il<br />
ne nous inspire guère confiance avec son je-veux-tout-savoir-mais-je-capteque-dalle-à-ce-que-tu-racontes.<br />
Nous n’avons aucun compte à lui rendre alors<br />
lorsque nous tombons dans une longue conversation ennuyeuse avec lui, nous<br />
baratinons sur tout et n’importe quoi, du prix <strong>de</strong> nos cookies à notre pauvre<br />
enfance d’orphelin trimballé <strong>de</strong> famille en famille en passant par l’exil, la fuite<br />
<strong>de</strong> notre pays dont nous ne voulons plus entendre parler car nous en avons<br />
trop <strong>de</strong> mauvais souvenirs. En fait, nous nous le figurons comme le parfait<br />
collecteur d’informations, collaborateur d’un système pourri. Cher pense la<br />
même chose d’ailleurs.<br />
Ce soir, hélas !, <strong>de</strong>vions-nous le payer. Il était accompagné <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux autres<br />
Marocains, nous pensions donc régler puis filer à l’anglaise mais nous eûmes la<br />
fausse bonne idée <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à l’assistance s’il existait une route pour<br />
701
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
rejoindre l’Algérie <strong>de</strong>puis le Sahara Occi<strong>de</strong>ntal.<br />
Parmi eux, un homme plutôt âgé à l’expression française correcte nous<br />
répondit. Nous nous serions amplement contenté <strong>de</strong> cela mais il continua la<br />
conversation. Nous dûmes lui raconter une belle histoire à lui aussi, la même<br />
que pour l’autre, évi<strong>de</strong>mment. Là-<strong>de</strong>ssus, intéressé, peut-être intrigué, il nous<br />
déballa toutes ses connaissances sur le mon<strong>de</strong>. Nous fîmes mine d’attention.<br />
NOUS . Vous aussi semblez avoir beaucoup voyagé dans votre vie !<br />
LE PÉDANT-PARADEUR . En fait, pas tant que cela mais je lis beaucoup et regar<strong>de</strong><br />
les reportages à la télévision. Tu sais, j’ai le satellite chez moi !<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . OK ! Allez, dégage, gamin !<br />
NOUS . Bon… C’est pas tout ça mais j’ai <strong>de</strong>s choses à faire, moi, un voyage<br />
dans la vie réelle à préparer par exemple. Bonne soirée tout le mon<strong>de</strong> !<br />
Franchement, nous en avons marre <strong>de</strong>s clowns ! Déjà sur l’Internet,<br />
lorsque quelqu’un vient nous parler après avoir lu nos aventures, se sent-il<br />
obligé soit d’employer un français du XVIIIème siècle avec <strong>de</strong> longues phrases<br />
pompeuses savamment étudiées et à l’orthographe impeccable, soit <strong>de</strong> nous<br />
taxer <strong>de</strong> mythomane (ou <strong>de</strong> dieu), soit <strong>de</strong> nous écrire d’un ton con<strong>de</strong>scendant :<br />
« Ah ! tu sais, moi à 20 ans aussi… mais tu verras… la vie, c’est… » et autres<br />
débilités <strong>de</strong> ce genre.<br />
Et bien dans la réalité, les gens que nous croisons font pareil. Mer<strong>de</strong> à la<br />
fin ! N’y a-t-il personne dans ce mon<strong>de</strong> avec qui parler normalement <strong>de</strong> choses<br />
et d’autres sans passer pour un extraterrestre ou sans qu’il mesure sa queue son<br />
ego avec le nôtre ?<br />
Nous pensions en avoir trouvé un dans cet hôtel mais, hélas…<br />
702
Incha Allah<br />
1 6 m a r s 2 0 0 6<br />
Dakhla (Sahara Occi<strong>de</strong>ntal), 21h30.<br />
Nous étions propre comme une vierge <strong>de</strong> temple, prêt pour un nouveau<br />
départ, loin <strong>de</strong> cette ville où nous avions passé trop <strong>de</strong> temps.<br />
Mardi, nous quittâmes l’hôtel vers 10 heures pour le désert. Nous<br />
comptions sortir <strong>de</strong> la presqu’île <strong>de</strong> Dakhla, rejoindre la grand’route qui lie<br />
Agadir à la Mauritanie et faire du stop pour remonter vers le nord, l’Europe, là<br />
où les mecs sont ouverts, la nourriture bonne et variée, les prix assassins et les<br />
boîtes <strong>de</strong> nuit débridées ; chez nous. Nous étions résolu malgré les 30 dirhams<br />
qu’il restait dans notre bourse ; nous avions la foi !<br />
En chemin, au niveau du camping, après le premier barrage <strong>de</strong> police, nous<br />
avions chaud, ôtâmes notre t-shirt et nous remîmes en route. Il y avait du vent,<br />
beaucoup <strong>de</strong> vent, nous étions bien et notre allure était prometteuse. La côte,<br />
quant à elle, reflétait par endroits les belles criques <strong>de</strong> Provence. Nous fîmes<br />
halte sur un rocher pour regar<strong>de</strong>r au large un pêcheur sur une énorme<br />
chambre à air jeter son filet à l’eau lorsqu’un Marocain nous aborda.<br />
Il avait 22 ans et partait rejoindre à pattes son régiment vers Rachidia.<br />
Nous sympathisâmes et continuâmes avec lui. Il ne parlait pas très bien<br />
français et parfois, souvent, notre seule respiration haletante faisait la<br />
conversation. Nous traversâmes <strong>de</strong>s petites dunes <strong>de</strong> sable blanc, <strong>de</strong>s roches<br />
basses et sèches et le lit du Rio <strong>de</strong> Oro en cinq heures d’une marche épuisante.<br />
Nous arrivâmes à la plage Imouk, un lieu <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous où les camping-cars<br />
font halte et où wind-surfeurs et véliplanchistes s’éclatent. Nous étions mort<br />
<strong>de</strong> faim, assoiffé, éreinté. Nous comptions trouver là quelque touriste partant<br />
pour le nord à qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nous prendre en stop mais il n’y en eut pas.<br />
Les Français que nous interrogeâmes ne partaient pas avant un mois et il en<br />
était <strong>de</strong> même pour le jeune surfeur autrichien au regard <strong>de</strong> saphir jupitérien.<br />
Deux heures d’attente plus tard, alors que nous avions décidé <strong>de</strong> passer la<br />
nuit là et <strong>de</strong> reprendre le len<strong>de</strong>main vers le second barrage <strong>de</strong> police, nous<br />
fûmes illuminé par un trait luci<strong>de</strong>.<br />
Pourquoi, Diable !, étions-nous en train <strong>de</strong> nous casser le cul pour rejoindre<br />
un continent qui ne nous attendait pas encore ? Expliquons-nous au risque <strong>de</strong><br />
703
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
passer pour plus névrosé que nous ne sommes.<br />
À l’âge <strong>de</strong> 15 ans, nous nous fixâmes le seul but <strong>de</strong> notre vie : obtenir par<br />
tous les moyens un milliard d’euros (cinq milliards <strong>de</strong> francs à l’époque) avant<br />
nos 25 ans et financer nos ambitions jusques à 35 ans. Ne nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas :<br />
« Et après ? », Fidèle, nous ne voyons toujours rien.<br />
Bref, nous ne pouvions rentrer sans cela, il ne fallait pas baisser les bras et<br />
choisir la facilité. Non ! Il nous restait un peu plus <strong>de</strong> cinq mois avant la fin <strong>de</strong><br />
notre échéance et nous préférions les passer dans la mer<strong>de</strong> à essayer que<br />
rentrer nous installer et, pour le coup, vraiment perdre notre temps. Non !<br />
Nous <strong>de</strong>vions rester et continuer à fouiller cette foutue planète coûte que<br />
coûte !<br />
Il nous suffit d’un SMS à J. D., un ancien client, pour lui emprunter <strong>de</strong> quoi<br />
tenir encore un peu, pas beaucoup, mais suffisamment pour trouver, peut-être,<br />
autre chose et ainsi <strong>de</strong> suite.<br />
Nous regagnâmes la route et levâmes le pouce. Un vieux camion blanc<br />
s’arrêta et nous déposa dans le centre-ville. Le len<strong>de</strong>main, nous retirâmes notre<br />
secours à la Western Union et nous rendîmes compte que cette expédition<br />
ratée nous avait littéralement brûlé le crâne, le dos et que par-<strong>de</strong>ssus tout nous<br />
n’avions personne pour nous passer <strong>de</strong> la crème. À coup <strong>de</strong> Biafine, il faudra<br />
quelques jours pour nous soigner. Après cela, nous verrons, comme toujours.<br />
704
Incha Allah<br />
2 4 m a r s 2 0 0 6<br />
Dakhla (Sahara Occi<strong>de</strong>ntal), 13h12.<br />
Et c’est reparti ! Pour la secon<strong>de</strong> fois, <strong>de</strong>main midi, nous reprendrons la<br />
route du nord en espérant cette fois-ci ne pas nous décourager avant d’avoir eu<br />
le temps <strong>de</strong> dire : « Putain, comme ça fait trop du bien <strong>de</strong> quitter Dakhla ! »<br />
Nous prendrons un taxi pour la plage Imouk où nous passerons le week-end.<br />
Lundi, nous irons jeter notre pouce sur la grand’route en espérant voir<br />
s’arrêter, si Allah y consent, une âme charitable allant vers le nord, puisque<br />
nous ne pouvons aller ailleurs. Et si Allah est dans un bon jour, cette âme<br />
charitable sera également notre bienfaiteur. Et si Allah vient <strong>de</strong> passer une nuit<br />
d’enfer avec l’une <strong>de</strong> Ses quatre soumises et qu’Il donne aveuglement, nous<br />
espérons davantage encore. Mais comme Allah est aussi parvenu que les autres<br />
et qu’Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s suceurs plutôt que <strong>de</strong>s Hommes libres, ne comptons pas<br />
sur Lui car ce n’est pas <strong>de</strong>main que nous ferons sacrifice !<br />
705
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 9 m a r s 2 0 0 6<br />
Essaouira (Maroc), 20h44.<br />
Cette nuit, puisque nous ne savons pas où dormir et qu’il faut bien une<br />
raison, nous irons fêter cela sur les remparts <strong>de</strong> la Skala, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s canons.<br />
Après 1350 kilomètres <strong>de</strong> stop à travers Sahara Occi<strong>de</strong>ntal et Maroc, un<br />
passeur <strong>de</strong> poulpes, une soirée à fumer et à boire, un ancien militaire féru<br />
d’armement, trois agents <strong>de</strong> la Gendarmerie Royale, un bus rouillé, un<br />
ingénieur irakien en exile <strong>de</strong>puis 1985, un coucher <strong>de</strong> Soleil avec un chiot<br />
blanc, une nuit sur un transat <strong>de</strong> plage paumée, un ancien cardiologue gay<br />
parisien en retraite ici un mois sur <strong>de</strong>ux qui nous reconnut, une famille berbère<br />
adorable et trois alcooliques dans une Peugeot pourrie sur une route <strong>de</strong> côte<br />
marocaine (cela veut tout dire !), nous commençons <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir mentalement<br />
atteint.<br />
Qui s’en plaindra en même temps ?!<br />
706
Incha Allah<br />
9 a v r i l 2 0 0 6<br />
Essaouira (Maroc), 17h13.<br />
Voilà bien <strong>de</strong>s jours que nous n’avons rien écrit dans ce carnet. Voilà bien<br />
<strong>de</strong>s jours en fait que nous ne trouvons pas une minute à lui consacrer. Que <strong>de</strong><br />
changements !<br />
Tout d’abord, nous pouvons actualiser notre CV avec le titre très honorable<br />
(pour nous) <strong>de</strong> barman, et pas dans n’importe quel établissement : Il Mare, un<br />
restaurant réputé pour ses soirées débridées et la cave personnelle <strong>de</strong> son<br />
patron, un autrichien nommé Fritz. Il y a également Anette, son hyper<br />
charmante ex-femme avec laquelle il partage la direction. N’entrons pas dans le<br />
détail…<br />
Il nous plaît à nous <strong>de</strong> travailler là, même douze ou treize heures non-stop<br />
par jour / nuit pour un salaire <strong>de</strong> misère. C’est Saad, un pote rencontré par<br />
hasard via Mustapha, un autre pote marocain, qui nous trouva cette place ; il<br />
était musicien et y avait joué quelques mois plus tôt. Lundi <strong>de</strong>rnier, nous<br />
postulâmes ; le len<strong>de</strong>main, nous étions embauché. Dans moins d’un mois,<br />
notre visa expirera et nous <strong>de</strong>vrons trouver une solution pour le prolonger.<br />
Nous <strong>de</strong>vons aussi penser à nous loger ; une crypte comme celle que nous<br />
avions à Aix-en-Provence ferait affaire.<br />
L’Océan Vagabond où nous nous trouvons, c’est comme l’Oasis Beach à<br />
Agadir mais en moins grand et hélas moins alcoolisé. Aujourd’hui, le temps est<br />
couvert et froid, la plage vi<strong>de</strong>, notre porte-fric pas moins. Nos yeux d’or se<br />
ferment.<br />
Saad nous héberge dans son appartement (un sex-room sonnerait plus juste)<br />
et toutes les nuits, en rentrant vers 2 heures du boulot (un mot peu approprié à<br />
notre condition…), impossible <strong>de</strong> dormir avant 5 heures. Nous gagnons 2500<br />
dirhams par mois. Étrangement, notre ancienne activité se révélait moins<br />
prenante et surtout plus enrichissante ; note-le bien, Fidèle…<br />
Trop bon ! Le Soleil apparaît sous la pergola et nous réchauffe. Nous<br />
reprenons le service dans une grosse heure pour une autre nuit <strong>de</strong> folie.<br />
Pourquoi une mouche revient-elle une fois chassée ? Est-ce par amour,<br />
envie ou intérêt ? Aucune importance, nous diras-tu. Aussi est-ce notre seule<br />
707
préoccupation du moment !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
708
Incha Allah<br />
1 9 a v r i l 2 0 0 6<br />
Essaouira (Maroc), 18h37.<br />
Cela fait <strong>de</strong>ux semaines que nous sommes barman ici. Les soirs / nuits<br />
sont chargés. Aujourd’hui, nous sommes <strong>de</strong> service continu et pouvons enfin<br />
nous reposer à notre bar, clope au bec et plume en main.<br />
Depuis <strong>de</strong>ux semaines, c’est coup <strong>de</strong> bourre sans repos. Nous changeâmes<br />
notre complet <strong>de</strong> vagabond contre un style plus léger et fashion. Ainsi sommesnous<br />
vêtu <strong>de</strong> Diesel, Energy, Dolce&Gabbana et Puma (contrefaits) grâce à la<br />
CAF toujours et Jonathan L., un jeune Lausannois qui nous envoya un peu<br />
d’argent pour nous ai<strong>de</strong>r dans cet épiso<strong>de</strong>.<br />
Nous parlâmes hier <strong>de</strong> notre problème <strong>de</strong> visa à Fritz qui nous conseilla <strong>de</strong><br />
monter à Ceuta et <strong>de</strong> revenir par Tanger. Après, il nous promit qu’Anette<br />
monterait avec nous sur Rabat pour signer un contrat <strong>de</strong> sommelier afin d’être<br />
en règle avec les autorités. Tous ceci est bien louche tout <strong>de</strong> même… Il est vrai<br />
que la législation est très sévère au Maroc pour le travail <strong>de</strong>s étrangers vu le<br />
taux <strong>de</strong> chômage enregistré mais bon, <strong>de</strong> là à nous faire passer pour un<br />
sommelier, c’est bien louche ! Nous verrons en fin <strong>de</strong> semaine comment les<br />
choses se présenteront.<br />
En ce moment, nous perdons le goût <strong>de</strong> l’écriture. Il faut signaler qu’ici, à<br />
Essaouira, la vie est paisiblement affectée d’une langueur singulière. Nous<br />
travaillons, dormons peu la nuit et passons le reste <strong>de</strong> notre temps entre le<br />
cybercafé du Borj et l’Océan Vagabond, <strong>de</strong>vant le reflet du Soleil sur l’eau<br />
agitée.<br />
Nous aurions davantage <strong>de</strong> choses à raconter mais l’envie n’y est pas.<br />
Marie-Christine, la grosse avocate parisienne, cette salope qui nous laissa en<br />
ra<strong>de</strong> (Saad, Mustapha et nous-même) à la plage d’Immessouane une journée et<br />
<strong>de</strong>mie ; les petites magouilles et les nuits chau<strong>de</strong>s d’Il Mare ; l’ambiance<br />
d’Essaouira la belle juive…<br />
709
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
7 m a i 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 13h02.<br />
C’est bel et bien la gale <strong>de</strong>s gens propres que nous traînons <strong>de</strong>puis<br />
plusieurs semaines ! Nombreux furent les signes qui nous alertèrent. Tout<br />
d’abord à Dakhla, un correspondant sur l’Internet l’ayant chopée dans le métro<br />
parisien. Puis le cardiologue retraité à Agadir qui nous en parla un matin sur<br />
une plage. Sommes-nous aveugle ? Deux appels du Destin avant les premières<br />
lésions entre les doigts qui apparurent à Essaouira, juste avant notre départ.<br />
Nous n’en parlâmes à personne car nombreux sont les tabous chez les gens<br />
ignorants. On nous aurait rapi<strong>de</strong>ment expulsé <strong>de</strong> toute relation sociale.<br />
Toutefois fîmes-nous extrêmement attention !<br />
Le traitement idéal serait un isolement complet dans un centre anti-galeux à<br />
Paris mais ici, nous n’en avons pas l’occasion.<br />
Mercredi <strong>de</strong>rnier, nous visitâmes un <strong>de</strong>rmatologue qui confirma nos<br />
craintes et nous administra un remè<strong>de</strong> : « Trois jours et ce sera fini ! ». La<br />
poudre aux yeux pourtant ne nous aveugle-t-elle plus <strong>de</strong>puis belle lurette. En<br />
sortant <strong>de</strong> son cabinet, il nous tendit la main et nous lui répondîmes : « J’ai la<br />
gale, ce n’est peut-être pas le plus indiqué ; ne croyez-vous pas ? » Il réalisa<br />
mais n’y ayant pas pensé et ne pouvant se désister, il conclut d’un ton peu sûr :<br />
« Ne vous en faites pas ! »<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Mouais… C’est bien la peine <strong>de</strong> signaler sur ton<br />
CV que tu es diplômé <strong>de</strong> trois gran<strong>de</strong>s facultés <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine françaises,<br />
bouffon !<br />
Nous savons, nous, que le traitement prendra beaucoup plus <strong>de</strong> temps.<br />
À part cette infortune, il y en a d’autres, naturellement, car si nous<br />
n’écrivîmes rien durant tout ce temps, c’est que l’envie nous manquait.<br />
Aujourd’hui, essayons donc <strong>de</strong> nous rattraper !<br />
Nous fûmes débauché un soir d’Il Mare par Medhi, le fils soûlard fêtard <strong>de</strong><br />
Madame S., notre nouvelle patronne, qui nous proposa une place <strong>de</strong> barman à<br />
Safi, plus au nord sur la côte, dans son nouveau jazz-bar. L’idée ne nous<br />
710
Incha Allah<br />
emballa guère mais nous n’avions pas le choix : il nous fallait une prolongation<br />
<strong>de</strong> séjour et la haute influence <strong>de</strong> sa mère nous la donnait.<br />
Safi, Fidèle, est la ville oubliée <strong>de</strong>s touristes au Maroc. Gran<strong>de</strong>, peut-être<br />
riche mais pas pour tout le mon<strong>de</strong>, crapuleuse et à peine moins sale que les<br />
autres, c’est donc là que nous échouâmes le jeudi 20 avril pour voir et cinq<br />
jours plus tard définitivement.<br />
Notre job actuel, en attendant que le jazz-bar ouvre ses portes (Incha<br />
Allah !), consiste à servir l’après-midi <strong>de</strong>s soûlards dans un club <strong>de</strong> pétanque et<br />
la nuit <strong>de</strong>s soûlards dans un bar archi populaire <strong>de</strong> shiratte. Les <strong>de</strong>ux<br />
établissements appartiennent évi<strong>de</strong>mment à Madame S. qui les gère, insistonsnous,<br />
tant bien que mal.<br />
Reconnaissons-lui au moins cela : elle est seule et franchement pas aidée<br />
par son entourage.<br />
Pourtant, face à ce constat, ne pouvons-nous pas ranger notre langue dans<br />
le fond <strong>de</strong> notre cul et nous taire ; nous écrirons là encore à plume ouverte !<br />
Parlons donc un peu d’elle.<br />
Devant sa certitu<strong>de</strong> d’être une personne importante qui croit tout savoir<br />
parce qu’elle fit ses étu<strong>de</strong>s en Allemagne, nous abandonnâmes toute idée <strong>de</strong><br />
suggestion. Ici, nous nous cantonnons à servir qui elle nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
servir, point.<br />
Dans le fond, nous aimerions lui dire : « Vous voulez nous gratifier <strong>de</strong><br />
votre professionnalisme en cuisine, OK ! Mais côté bar, nous vous dominons<br />
alors fermez-là et écoutez nos conseils ou sombrez en silence ! »<br />
Mais nous ne pouvons pas, diplomatie oblige ! Si nous restons ici surtout,<br />
c’est faute <strong>de</strong> mieux… À la première occasion d’escapa<strong>de</strong> toutefois, nous<br />
fuirons ce milieu dégueulasse et désorganisé.<br />
La gale, putain ! En Thaïlan<strong>de</strong>, nous marchions pieds nus, soignions <strong>de</strong>s<br />
enfants immunodéficients – prompts à n’importe qu’elle infection – sans gant<br />
pour ne pas les traumatiser et jamais n’eûmes-nous le moindre doute sur<br />
quelque risque que ce fût.<br />
Ici, dans ce pays pourri, turista, puces, gale et qui sait quoi d’autre encore<br />
nous courent après !<br />
711
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
9 m a i 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 8h15.<br />
Le jazz-bar est logé sur la falaise <strong>de</strong> Sidi Bouzid. Dans l’horizon, entre<br />
Cieux et Océan, <strong>de</strong>ux cargos atten<strong>de</strong>nt le signal pour venir charger leurs<br />
marchandises et les emporter là où <strong>de</strong>s peuples civilisés payent cher pour les<br />
consommer.<br />
Nous nous réveillâmes, à notre grand étonnement, vers 6 heures, en proie à<br />
d’incontournables démangeaisons. Le traitement du <strong>de</strong>rmatologue n’est<br />
visiblement pas une réussite. Nous retournerons le voir dans une heure.<br />
Les sardiniers rentrent au port, après une nuit <strong>de</strong> pêche à ce que les gros<br />
chalutiers à pavillons étrangers daignèrent leur laisser.<br />
Ce pays est tellement contrasté ! Nous aimerions l’aimer pour ses<br />
exceptions – Dakhla, les paysans berbères, Essaouira, la ville <strong>de</strong> Marrakech –<br />
mais nous n’y parvenons pas. Peu importe, ce n’est pas ici que nous établirons<br />
quoi que ce soit <strong>de</strong> toute manière.<br />
Quel gâchis ! Tu verrais cette côte, Fidèle, ces remparts portugais, tu<br />
pleurerais <strong>de</strong>vant ce que les Marocains en font !<br />
Avant d’être propulsé au Maroc, nous <strong>de</strong>mandions souvent à notre mère,<br />
née à Casablanca en 1948, si elle ne voulait pas y retourner pour retrouver ses<br />
racines. Elle nous répondait : « Tu veux que je pleure <strong>de</strong> dégoût, c’est ça ? »<br />
Nous ne comprenions pas alors mais, Casanegra <strong>de</strong>venue, nous la soutenons<br />
dans son constat affligeant. Encore une fois, que nous regrettons l’Empire !<br />
C’est tellement pourri ici que les Marocains que nous rencontrons au club<br />
et à la shiratte nous avouent :<br />
EUX . Qu’est-ce que tu fous ici, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ? On comprend pas !<br />
NOUS . J’ai pas eu le choix en fait. La Force <strong>de</strong>s Choses m’a conduit ici, sans<br />
doute pour voir ce que j’ai vu.<br />
EUX . Tire-toi au plus vite !<br />
NOUS . J’essaye ! J’aimerais quand même voir un autre pays arabe pour ne pas<br />
rester sur une mauvaise impression. Les Émirats Arabes Unis par exemple.<br />
712
Incha Allah<br />
EUX . On n’a rien à voir avec les Arabes du Golfe. Eux sont bien, nous on est<br />
fous ! D’ailleurs, les Maroc, c’est pas musulman ; le Maroc, c’est juif !<br />
Ouf ! Au risque <strong>de</strong> nous attirer une fois <strong>de</strong> plus djihad et martyrs davidiens,<br />
nous voilà soulagé !<br />
Allez, sois honnête, Européen du Maroc ! Si nous te donnions dix millions<br />
d’euros, resterais-tu ici ou passerais-tu tes jours entre un mas en Provence et<br />
une villa signature sur Palm Island ?<br />
Pour nous, la question ne se pose même pas. Le Maroc, c’est bien car avec<br />
1,50 euros, tu peux t’acheter un paquet <strong>de</strong> clopes mais c’est franchement bien<br />
que pour cela. D’ailleurs, pour 1 euro <strong>de</strong> plus, autant t’en acheter un à Madrid<br />
dans un pub où les gens boivent sans se saouler la gueule en te parlant Islam et<br />
gran<strong>de</strong>ur d’Allah…<br />
À bon enten<strong>de</strong>ur, une douche nous attend.<br />
Marrakech (Maroc), 13h37.<br />
Un bain <strong>de</strong> presque civilisation ; enfin ! Certes, comme nous l’écrivîmes au<br />
début <strong>de</strong> ce récit, Marrakech est-elle la cité <strong>de</strong>s vices mais il faut lui reconnaître<br />
ses efforts pour axer son art <strong>de</strong> vivre sur celui que nous connaissons en<br />
Europe. Ici comme nulle part ailleurs au Maroc, nous retrouvons le vieux<br />
continent, son café chic, son Occi<strong>de</strong>ntal friqué et bien sapé, sa pollution. Ah !<br />
Marrakech, comme finalement tu nous manquais !<br />
En sortant <strong>de</strong> chez le <strong>de</strong>rmatologue ce matin à Safi, vers 9h30, nous<br />
comprîmes que l’incompétence cernait la ville <strong>de</strong> tous côtés. Son premier<br />
traitement inefficace, il se contenta <strong>de</strong> nous en prescrire un autre avec toujours<br />
ce rassurant verbiage du je-te-prends-pour-un-con-mais-fais-comme-si-tuvoyais-rien<br />
: « Ne vous en faites pas, c’est facile à guérir. Dans trois jours, vous<br />
n’aurez plus rien ! »<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Hé, connard, nous sommes blanc <strong>de</strong> peau, pas con<br />
du cerveau !<br />
713
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
En sortant <strong>de</strong> sa boutique à bonbons, il nous apparut clairement que<br />
personne ne prenait l’affaire au sérieux à part nous. Nous prîmes donc la<br />
décision <strong>de</strong> visiter notre consulat le plus proche, histoire <strong>de</strong> faire quelques<br />
vagues pour bouger les choses. Nous nous rendîmes à la gare routière à-côté et<br />
un car, comme pour nous signaler que nous faisions le bon choix, était sur le<br />
départ pour Marrakech. Nous payâmes les 30 dirhams <strong>de</strong>mandés, sautâmes<br />
dans le fond et nous voici, attablé au Millénium Café <strong>de</strong>vant une énorme glace<br />
tropicale, un jus d’orange et un paquet <strong>de</strong> Marlboro qui se meurt. Pour la<br />
vague, nous envoyâmes un SMS à Medhi, sûr qu’il allait tourner jusques à sa<br />
mère dans la journée, le temps qu’il émerge. Pour finir, nous partîmes à la hâte<br />
et n’avons aucun papier sur nous. Un coup <strong>de</strong> tête que nous voulons inspiré !<br />
15h07.<br />
Alors que nous sortions du Millénium Café, Medhi nous appela. Sans<br />
surprise, sa mère, qui nous téléphona <strong>de</strong>ux minutes après lui, ne l’avait pas mis<br />
au courant <strong>de</strong> notre cas.<br />
Tous les <strong>de</strong>ux ont peur désormais <strong>de</strong> notre réaction. Nous pourrions faire<br />
fermer leur si précieux restaurant en nous déclarant mais nous ne sommes pas<br />
salaud ; une certaine reconnaissance envers Madame S. pour nous avoir<br />
accueilli subsiste dans notre esprit… Ils le mériteraient pourtant ! On ne laisse<br />
pas un galeux se promener dans la cuisine d’un restaurant pseudo classé où<br />
l’on prépare le poisson par terre à-côté <strong>de</strong> toilettes turques puantes. Sommesnous<br />
le seul à voir ces choses-là ? Apparemment, oui !<br />
Pour être franc, nous vînmes à Marrakech pour nous renseigner sur les<br />
mesures à prendre auprès du Consulat <strong>de</strong> France mais surtout pour échapper<br />
une journée à leur milieu, sans la moindre intention <strong>de</strong> dénoncer qui que ce<br />
fût. Nous voulions leur faire peur, au plus.<br />
Au Consulat <strong>de</strong> France, aucune mesure n’est proposée pour un<br />
ressortissant français dans notre cas qui ne doit pas être exceptionnel. Ah !<br />
pour organiser <strong>de</strong>s galas, <strong>de</strong>s ren<strong>de</strong>z-vous culturels et noyer le Marocain<br />
désireux <strong>de</strong> faire ses étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> commerce dans l’Hexagone sous une montagne<br />
<strong>de</strong> formulaires et garanties à signer, il est fort, le Consulat <strong>de</strong> France ! Mais<br />
quand il s’agit d’un ressortissant qui se présente avec un parasite assez méchant<br />
pour se passer d’une poignée <strong>de</strong> main à une autre, là, il n’y a plus personne. En<br />
714
Incha Allah<br />
même temps, si la France s’occupait <strong>de</strong> ses citoyens, cela se saurait, bon<br />
Fidèle ! 1 Encore que la pauvre employée à qui nous eûmes affaire n’y était pour<br />
rien. Aucun recensement non plus, ne rêvons pas. Il ne faudrait surtout pas<br />
donner au Maroc une image <strong>de</strong> pays où l’on chope la gale dont personne ne<br />
s’occupe sérieusement.<br />
Au téléphone, Madame S. nous promit une mesure sanitaire telle que nous<br />
la lui <strong>de</strong>mandions, la même qu’elle refoula <strong>de</strong> la main au début. La peur,<br />
toujours ! La peur pour elle d’être accusée <strong>de</strong> négligence. La peur pour le<br />
portier du Consulat <strong>de</strong> France qui ne voulait pas nous laisser entrer avant que<br />
nous ne sortions la phrase fatidique : « J’ai la gale ! Ça vous suffit comme<br />
urgence ou je dois également me fracasser le crâne contre le mur ? » Il faut<br />
toujours en arriver aux extrêmes dans ce mon<strong>de</strong>, preuve que ses habitants<br />
n’ont que peu d’esprit.<br />
La gale n’est pas mortelle, Fidèle, mais à traiter en urgence et à prendre au<br />
sérieux, surtout dans un pays dont le peuple vend son poisson sur le sol où il<br />
crache et se mouche, entre chiens remplis <strong>de</strong> tiques et <strong>de</strong> puces, pieds crasseux,<br />
pots d’échappements <strong>de</strong> poubelles à bas prix <strong>de</strong>scendues d’Europe ; un peuple<br />
qui se torche le cul avec la main, la même qu’il te tend pour t’accueillir, la<br />
même qu’il plonge dans le kefta qu’il te sert trop pimenté pour sans doute<br />
cacher son goût véritable ; un peuple à passer à la javel.<br />
C’est vraiment <strong>de</strong>venu <strong>de</strong> la mer<strong>de</strong>, ce pays. Que tout cela re<strong>de</strong>vienne<br />
français au plus vite !!<br />
1 . Quelques mois plus tard toutefois, notre Destin nous fit rencontrer notre erreur <strong>de</strong> jugement en<br />
la personne du Consul Général <strong>de</strong> France à Saint-<strong>Louis</strong>-du-Sénégal qui fut, en plus d’une précieuse<br />
ai<strong>de</strong>, un soutien moral décisif et, nous le pensons, un ami sincère que nous reverrons avec grand<br />
plaisir.<br />
715
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 3 m a i 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 12h16.<br />
En rentrant <strong>de</strong> Marrakech, mardi <strong>de</strong>rnier, nous invitâmes Medhi au bar <strong>de</strong><br />
l’hôtel Panorama. Nous savions qu’il n’allait pas refuser… Là, nous lui<br />
annonçâmes notre décision <strong>de</strong> rentrer en France. Nous lui cachâmes la<br />
véritable raison, à savoir que son pays était pourri, que nous en avions marre<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>voir tous les supporter et dûmes improviser.<br />
NOUS . Je suis l’héritier <strong>de</strong> ma famille, Medhi. Ma mère me laisse mener ma vie<br />
comme je l’entends mais au moindre problème qu’elle juge suffisamment<br />
important, elle intervient. En l’occurrence, elle veut me rapatrier en France<br />
pour me faire soigner. jeudi ou vendredi, le Consulat <strong>de</strong> France m’informera <strong>de</strong><br />
l’arrivée <strong>de</strong> la valise diplomatique et je partirai.<br />
MEDHI . Tu sais, tu es libre ici, on ne te retient pas mais je ne te cache pas que<br />
j’aurais aimé que tu fasses l’ouverture <strong>de</strong> l’Armstrong.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Arrête avec ton jazz-bar, Medhi ! Un jazz-bar à<br />
Safi, l’idée déjà est grotesque.<br />
NOUS . J’aurais aimé aussi mais je n’avais pas prévu ça (lui montrant notre main<br />
gauche). Nous ne sommes pas irresponsables dans ma famille. Quand quelque<br />
chose ne va pas, nous agissons <strong>de</strong> suite !<br />
Etc., etc., etc. Il accepta mais son regard changea. Il prit le même que celui<br />
<strong>de</strong> sa mère le soir d’après pour laquelle nous rééditâmes nos beaux contes ; un<br />
regard mêlé <strong>de</strong> crainte et <strong>de</strong> respect.<br />
En fait, nous avions trouvé un financement auprès d’un ancien client et<br />
souhaitions seulement saisir cette occasion pour nous tirer, enfin, <strong>de</strong> ce pays…<br />
Tout semblait se dérouler à merveille jusques à jeudi matin. Notre<br />
téléphone vibra, un SMS <strong>de</strong> notre ancien client : « Je ne peux pas t’ai<strong>de</strong>r,<br />
problème personnel… Tu vas me haïr mais c’est pas <strong>de</strong> gaîté <strong>de</strong> cœur… » Et<br />
mer<strong>de</strong> !<br />
Quant à nous, nous nous retrouvions sur la cor<strong>de</strong> rai<strong>de</strong>, ayant annoncé à<br />
716
tout le mon<strong>de</strong> notre retour en France.<br />
Incha Allah<br />
Il nous restait une seule carte à jouer : le regard <strong>de</strong> Madame S. et <strong>de</strong> son<br />
fils.<br />
Nous passâmes la journée à réfléchir au club <strong>de</strong> pétanque et, le soir, allâmes<br />
parler à Madame S. dans son bureau. Nous avions contacté notre mère –<br />
presque aristocrate <strong>de</strong>venue à ses yeux – et nous pouvions rester contre une<br />
garantie <strong>de</strong> guérison rapi<strong>de</strong> ; tout le mon<strong>de</strong> y trouvait son compte ! Au fond,<br />
nous avions la rage <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir supporter cette ambiance pour une durée encore<br />
indéterminée mais nous <strong>de</strong>vions lui montrer que nous restions parce que nous<br />
le voulions bien et que rien d’autre ne nous retenait ici que l’envie <strong>de</strong> voir le<br />
jazz-bar ouvert prochainement.<br />
Nous allons donc essayer son traitement à elle, l’Ascabiol, et nous verrons<br />
bien.<br />
717
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 5 m a i 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 12h11.<br />
Nous restâmes éveillé jusques à 5 heures pour observer la vague <strong>de</strong> 400<br />
mètres <strong>de</strong> haut annoncée sur la côte marocaine atlantique mais ce n’était hélas<br />
qu’un hoax, une fausse information circulant sur l’Internet. Cette ville – ce pays<br />
peut-être – aurait pourtant eu besoin d’une bonne purge !<br />
C’est donc déçu <strong>de</strong> ne pas avoir pu mourir sur scène que nous allons<br />
t’écrire, Fidèle, ce à quoi nous nous consacrâmes ces douze <strong>de</strong>rniers jours.<br />
En bon observateur, nous savons que pour voir le fond <strong>de</strong>s choses, il faut<br />
parfois dégager le terrain en soulevant quelques roches. Nous nous prîmes si<br />
bien à ce petit jeu au club <strong>de</strong> pétanque que désormais les gus surveillent nos<br />
allées et venues ; les gus, c’est la Sûreté Nationale.<br />
Madame S. nous avait donné l’autorité pour gérer son personnel là-bas.<br />
Nous en profitâmes pour dévoiler les personnalités hypocrites et / ou<br />
crapuleuses <strong>de</strong> chacun.<br />
Du simple cuisinier au prési<strong>de</strong>nt ou au vice-prési<strong>de</strong>nt en passant par le<br />
barman, les <strong>de</strong>ux serveurs, les adhérents, les membres du comité et même<br />
quelques clients autorisés, tout le mon<strong>de</strong> était pourri jusques au poil <strong>de</strong> cul.<br />
Des soûlards qui magouillent trop ou <strong>de</strong>s crapules qui boivent trop, c’est<br />
comme tu le sens… Tous les jours, nous entendions les ragots sur la patronne,<br />
son fils et son époux ; <strong>de</strong>s réclamations sur la gestion et le personnel ; <strong>de</strong>s<br />
jérémia<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gamins en fait ! De chacun, nous allions dans le sens, jouant<br />
celui qui venait résoudre les problèmes. En quelques jours seulement, notre<br />
nom était sur toutes les lèvres. <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, celui qui apportait le<br />
changement dont finalement personne ne voulait ; <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, celui à<br />
virer au plus vite surtout !<br />
Avant-hier, ils obtinrent ce qu’ils souhaitaient. Ils suffisaient <strong>de</strong> graisser la<br />
patte jusques au caïd même pour nous cantonner à Sidi Bouzid. Pour cela,<br />
nous n’eûmes qu’à faire circuler <strong>de</strong>s vérités observées que personne ne voulait<br />
entendre.<br />
De toute manière, la première semaine, nous dîmes à Madame S. qu’elle<br />
n’arriverait à rien ici – au club, à Safi – sans une carte blanche <strong>de</strong> Rabat.<br />
718
Incha Allah<br />
Lorsqu’elle nous apprit que les Frères Musulmans cernaient le club, cela ne<br />
nous étonna guère.<br />
Lundi <strong>de</strong>rnier, nous déjeunâmes à La Trattoria, le restaurant d’Yvette,<br />
concurrente <strong>de</strong> Madame S. Nous voulions en toute sincérité retrouver un cadre<br />
européen – la patronne étant italienne – et manger autre chose que du poisson,<br />
<strong>de</strong>s tajines, <strong>de</strong>s boulettes <strong>de</strong> kefta ou <strong>de</strong>s frittes. Nous voulions enfin boire du<br />
bon gris. Dans les faits, nous ne restâmes pas dix minutes tranquille. Le<br />
serveur, en bon faux chien <strong>de</strong> sa maîtresse – nous apprîmes par la suite qu’il<br />
répétait tout à Madame S. – vint se renseigner.<br />
NOUS . Je suis barman au Refuge et au club <strong>de</strong> pétanque.<br />
LUI . Ah ! Vous êtes avec Madame S. ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Pourquoi, pauvre débile, ça change quelque chose ?<br />
Il y a <strong>de</strong>s clans ici, maintenant ?<br />
Et Yvette <strong>de</strong> venir en savoir plus par la suite. Certes, nous parlons<br />
beaucoup mais ce que nous disons – ou écrivons – est toujours constaté ! Le<br />
reste <strong>de</strong> notre pensée nous est personnelle et nous évitons <strong>de</strong> la partager.<br />
Nous parlâmes donc avec cette peut-être fausse charmante vieille dame en<br />
toute liberté. Naturellement, elle nous dit du mal <strong>de</strong> Madame S. et <strong>de</strong> son fils<br />
qui, le len<strong>de</strong>main soir, mécontents <strong>de</strong> ce que nous avions fait, dirent du mal<br />
d’elle. Dans notre esprit, la synthèse est rapi<strong>de</strong> : vite, fuyons ! Nous ne sommes<br />
entouré que <strong>de</strong> grands mala<strong>de</strong>s, ici.<br />
La semaine prochaine (Incha Allah !), notre passeport sera tamponné pour<br />
une prolongation jusques au 30 juin 2006. D’ici là, il nous faudra absolument<br />
trouver un moyen <strong>de</strong> quitter le pays, si ce n’est par la gran<strong>de</strong> porte, par<br />
n’importe quoi d’autre…<br />
719
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 7 m a i 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 23h12.<br />
Depuis le 31 janvier, nous parcourons le Maroc et le Sahara Occi<strong>de</strong>ntal <strong>de</strong><br />
Casablanca à Dakhla, nous vivons avec sa population, essayons d’apprendre sa<br />
langue, partageons son mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie – primitif, ajouterions-nous si nous étions<br />
salaud ! Depuis le 31 janvier, nous nous posons cette question : « Mais<br />
franchement, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, que foutez-vous donc ici ? » Sur l’Internet, nous<br />
bavardons parfois avec <strong>de</strong>s Marocains propulsés en France, homos souvent ;<br />
même eux ne comprennent pas pourquoi nous nous entêtons à rester.<br />
Ici ? Parlons-en ! C’est l’hypocrisie quotidienne, le manque absolu <strong>de</strong><br />
sincérité, d’honnêteté, le non-savoir-vivre, l’ignorance et la désorganisation la<br />
plus totale, la saleté enfin. Nous évitons d’abor<strong>de</strong>r le sujet avec les locaux, qui<br />
ne comprennent naturellement pas quand nous nous y essayons. Va donc leur<br />
faire comprendre, Fidèle, que leur pays est pourri… Vexer est <strong>de</strong>venu notre<br />
quotidien ! Nous n’avons pas l’âme diplomatique et pensons : « Vous n’êtes pas<br />
assez sage pour accepter un fait tel qu’il est, ou au moins tel que nous le<br />
voyons ? Allez vous faire foutre et grandissez un peu ! » Le Maroc, pour eux,<br />
c’est le pays où tout est possible (en graissant la patte) ; le Maroc, c’est plus<br />
qu’un pays, c’est un peuple, une vision du mon<strong>de</strong>, le « plus beau pays du<br />
mon<strong>de</strong> » ! Pff… Propose-leur un visa, tu verras ce qu’ils en pensent vraiment<br />
<strong>de</strong> leur pays magique : ils migreront tous en Europe, vendant mère, femme et<br />
enfants s’il le faut !<br />
Lorsque nous quittâmes la Provence le 10 octobre 2005, nous nous<br />
promîmes <strong>de</strong> n’y remettre le pied qu’une fois milliardaire <strong>de</strong>venu. Aujourd’hui,<br />
nous revoyons nos estimations à la baisse ; <strong>de</strong>ux ou trois millions suffiraient au<br />
rapatriement. Nous repartirions d’un nouveau souffle, plus en accord avec<br />
notre esprit indépendant. Reste à les trouver…<br />
720
Incha Allah<br />
2 8 m a i 2 0 0 6<br />
Le bar n’est toujours pas ouvert, nous sommes toujours galeux.<br />
Safi (Maroc), 14 heures.<br />
Nous nous réveillâmes à 5 heures avec la brume, qui avait envahi notre<br />
espace, pour compagne. Nous ne voyions pas à dix mètres <strong>de</strong>rrière la baie<br />
vitrée et décidâmes <strong>de</strong> nous asseoir observer l’horizon, clope au bec et gin /<br />
nectar <strong>de</strong> pêche dans un verre à vin Casabahce sur la table <strong>de</strong> chevet.<br />
Impensable <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quoi que ce soit à Madame S. étant donné que<br />
notre seul objectif du moment est <strong>de</strong> nous en éloigner au plus vite et que nous<br />
voulons avoir notre conscience pour nous. Et puis, après tout, ce sont eux qui<br />
nous amenèrent ici, promettant contrat, jazz-bar, chambre et prise en charge.<br />
Nous n’avons pas signé la prise en charge, le jazz-bar n’est même pas encore<br />
opérationnel et nous dormons sur le comptoir en marbre noir entre <strong>de</strong>ux<br />
couvertures et un drap… Quelqu’un se fait baiser dans l’histoire, Fidèle, <strong>de</strong>vine<br />
qui !<br />
Après <strong>de</strong>ux heures, la brume toujours épaisse, nous nous recouchâmes, <strong>de</strong><br />
l’air frais plein les narines.<br />
À 11 heures : « Boum ! Boum !! Vlan !!! » Madame S. arriva, sans doute<br />
levée du mauvais pied, et réclama après Loutfi, le jeune gardien. Impossible <strong>de</strong><br />
nous rendormir, ça gueulait <strong>de</strong> partout. ELLE gueulait, en fait ! Cette femme a<br />
un mauvais fond ; Yvette <strong>de</strong> la Trattoria avait raison… Nous le supposions<br />
déjà mais pas à ce point.<br />
Nous nous levâmes et passâmes à l’épicerie acheter du pain et du Kiri. En<br />
revenant par le bar <strong>de</strong> shiratte, nous la trouvâmes en train <strong>de</strong> gifler Loutfi.<br />
C’était marrant <strong>de</strong> la voir sauter pour atteindre ses joues mais bon… cela ne<br />
nous fit que reconnaître une fois <strong>de</strong> plus que nous nous trompons rarement<br />
sur le compte <strong>de</strong>s gens et qu’avec elle, nous avions visé juste.<br />
Loutfi, c’est le genre à fumer tranquillement son pétard et à récupérer les<br />
animaux blessés pour les soigner. En ce moment, un aigle trône sur le porche<br />
du restaurant.<br />
Madame S., c’est le genre à considérer ceux qui travaillent pour elle comme<br />
ses propres enfants pour avoir plus d’emprise sur eux, les traiter d’imbéciles,<br />
721
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
les rabaisser et les gifler dès que l’occasion se présente.<br />
Les choses fonctionnent ainsi au Maroc, d’ailleurs elles ne fonctionnent<br />
pas.<br />
Pour le moment, nous sommes coincé et avons besoin d’elle mais nous<br />
rêvons <strong>de</strong> la baffer pour briser son orgueil <strong>de</strong> pseudo professionnelle venue<br />
s’installer à Safi (ce qui veut tout dire).<br />
Non ! Finalement cela n’est-il pas notre condition <strong>de</strong> nous intéresser à ce<br />
genre <strong>de</strong> problèmes. Observons seulement et rédigeons.<br />
Depuis que nous ne pouvons plus aller au club <strong>de</strong> pétanque et tant que<br />
notre bourse nous le permet, nous passons nos après-midi au cybercafé La<br />
Scala en ville et faisons un saut le soir à la shiratte pour ai<strong>de</strong>r où nous pouvons.<br />
Madame S. vient d’ailleurs <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r d’y aller plus souvent pour<br />
observer le personnel et lui rapporter ce que nous voyons. Nous allons passer<br />
une fois <strong>de</strong> plus pour un inquisiteur auprès <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong> mais cela semble<br />
nous être dévolu ; nous portons une malédiction <strong>de</strong>puis bien <strong>de</strong>s âges à cause<br />
<strong>de</strong> cela. La fuite <strong>de</strong>vient urgente !<br />
Nous ne supportons pas d’avoir quelqu’un au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> nous pour dicter<br />
notre conduite. Voilà cinq ans, nous prîmes notre indépendance et notre âge<br />
apparent ne justifie en rien que l’on nous considère comme un gamin à mater.<br />
Dans notre philosophie, les ordres et la hiérarchie n’existent pas au sein<br />
d’une même maison. Nous nous entourons d’êtres respectueux et capables <strong>de</strong><br />
réflexion dont la ligne suit la nôtre et cela suffit. Ici, il est impossible d’être<br />
sincère et cela nous pèse. Il est difficile <strong>de</strong> cacher notre jeu, nous nous<br />
forçons !<br />
722
Incha Allah<br />
7 j u i n 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 14h52.<br />
Nous revenons <strong>de</strong> la plage. Dessous le “jazz-bar” (entre guillemets car cela<br />
fait tout <strong>de</strong> même plus d’un mois que nous poireautons en attendant qu’il<br />
ouvre), se trouve la falaise et les casca<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Sidi Bouzid. Nous n’y étions<br />
jamais <strong>de</strong>scendu auparavant mais, tôt levé ce matin, c’était l’occasion.<br />
Arf ! Allons dormir finalement, notre nuit fut courte et empreinte <strong>de</strong><br />
songes mystérieusement sombres.<br />
723
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
8 j u i n 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 1h41.<br />
Nous venons <strong>de</strong> voir au bar <strong>de</strong> shiratte le premier mec que nous trouvons<br />
charmant <strong>de</strong>puis notre arrivée au Maroc : blond, yeux bleus, français… Notre<br />
pays nous manque plus que jamais ce soir !<br />
Nous parlâmes le soir du 30 mai avec Monsieur S., quelques heures, autour<br />
d’un verre en écoutant du jazz au restaurant. Nous conclûmes ensemble que ce<br />
pays manquait cruellement d’éducation et <strong>de</strong> raffinement. Lui regrettait une<br />
opportunité laissée <strong>de</strong> s’installer en Ardèche et nous, <strong>de</strong> notre côté, regrettions<br />
d’être venu dans ce pays poursuivre notre Quête.<br />
En fait, ce n’est pas tellement un regret mais davantage un questionnement.<br />
Chaque jour où nous pourrissons ici, nous nous <strong>de</strong>mandons si la finalité <strong>de</strong> ce<br />
psycho-trip nous apportera ce que nous vînmes chercher. Chaque jour hélas<br />
notre espoir s’évapore-t-il. En regardant les individus qui composent notre<br />
entourage, tu penserais <strong>de</strong> même, Fidèle.<br />
Nous passâmes la nuit du 29 au 30 mai <strong>de</strong>rnier entre Casablanca et Settat.<br />
Tout commença bien avec une bouteille <strong>de</strong> Red Label à l’Annexe, un pub<br />
branché au raffinement européen, duquel nous dûmes sortir et glisser un mot<br />
au vi<strong>de</strong>ur pour qu’il laissât entrer Njimo, le toutou à sa patronne arrivé en<br />
retard (sa gueule ne leur revenait pas), et déboucha à Settat sous le chapiteau <strong>de</strong><br />
l’Hôtel du Parc où une shira gueulait encore plus fort que celle du bar à Safi ;<br />
abominable séjour !<br />
Nous étions monté avec Medhi pour, au début, seulement acheter la<br />
verrerie et la pon<strong>de</strong>use <strong>de</strong> glaçons pour le jazz-bar. Hélas, Njimo voulut venir<br />
également et insista pour y passer la nuit car cela faisait plus <strong>de</strong> vingt ans qu’il<br />
n’y avait pas pu marquer son territoire. Medhi invita tout le mon<strong>de</strong>, n’en faisant<br />
qu’à sa tête pleine <strong>de</strong> vapeurs éthyliques et dépensant le fric <strong>de</strong> son père qu’il<br />
aurait mieux fait au passage <strong>de</strong> mettre dans <strong>de</strong>s verres plus chics… Mais bon,<br />
choisir entre raffinement et quatre bouteilles <strong>de</strong> Red Label pour un soûlard en<br />
<strong>de</strong>venir fut vite fait… Nous allâmes donc acheter les verres chez Direct Usine,<br />
un genre <strong>de</strong> Foire Fouille ; l’horreur !<br />
Quand nous y pensons, la Maison Montigny à Aix-en-Provence nous<br />
724
manque elle aussi.<br />
Incha Allah<br />
Bref ! Passons ce détail qui ne vaut pas plus que les nombreux autres.<br />
Après le chapiteau, nous bougeâmes au night-club <strong>de</strong> l’hôtel, l’Allayali,<br />
situé à quelques dizaines <strong>de</strong> mètres dans le parc. Enfin un endroit comme nous<br />
en avions l’habitu<strong>de</strong> mais peuplé d’indigènes, hélas. Medhi connaissait le gérant<br />
(ou un truc dans le genre) qui nous installa à la meilleur table, commanda une<br />
autre bouteille <strong>de</strong> Red Label et nous fourra quatre putes-confiances dans les<br />
bras. Amina, l’une d’elles (la plus mince), s’intéressa à nous et entre caresses<br />
indécentes sur le dance floor et roulages <strong>de</strong> pelles sur le canapé d’un salon isolé,<br />
une bonne partie <strong>de</strong> la nuit s’écoula. N’oublions pas que nous dûmes avaler les<br />
verres <strong>de</strong> Njimo en cachette pour lui sauver sa face <strong>de</strong> caniche parce qu’il ne<br />
buvait pas d’alcool et d’autres en plus pour éviter que ce ne fût Medhi qui les<br />
sifflât. Et oui, même pinté, nous pensons à rentrer en vie ; c’est lui qui tenait le<br />
volant d’une vieille Express au cardan foutu.<br />
À 10h10 le len<strong>de</strong>main, nous nous réveillâmes chez son cousin à Casablanca<br />
avec un mal <strong>de</strong> crâne à dissimuler et une fausse joie d’avoir passé une bonne<br />
soirée à afficher.<br />
NOUS-MÊME . Mais, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, abominable pour quelle raison ? N’avezvous<br />
pas retrouvé votre mon<strong>de</strong> véritable avec cette soirée ?<br />
Non ! Nous notâmes surtout que nous traînons <strong>de</strong>puis un mois et <strong>de</strong>mi<br />
avec <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s mentaux incompétents, pourris, qui se veulent civilisés mais<br />
qui n’ont rien pour le vraiment être ! L’éducation, toujours l’éducation…<br />
Au retour dans la voiture, Medhi et Njimo nous <strong>de</strong>mandèrent <strong>de</strong> ne rien<br />
dire à Madame S. et ce <strong>de</strong>rnier menaça :<br />
NJIMO . Si tu dis à Madame, je t’envoie à Zagora et je lui dis que tu as fait fuck<br />
fuck avec Numéro 5 dans les toilettes.<br />
Numéro 5, c’était Amina. Elle portait un t-shirt avec Numéro 5 inscrit en<br />
paillettes <strong>de</strong>ssus.<br />
725
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
NOUS . Et tu lui mentirais, pour changer ! Putain, les gars, vous n’assumez<br />
vraiment rien dans ce pays, ça commence <strong>de</strong> me saouler ! Je ne lui en parlerai<br />
pas sauf si elle me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> où nous étions, et elle le fera. Je n’aime pas mentir<br />
et encore moins pour cacher à leur mère les conneries <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ados tout juste<br />
post-pubères.<br />
Nous nous couchâmes sur la banquette arrière et dormîmes jusques à Safi<br />
sans broncher.<br />
Depuis notre retour <strong>de</strong> ce périple ennuyeux, nous faisons la gueule<br />
légèrement plus que <strong>de</strong> coutume et passons nos journées à attendre et<br />
contrôler le travail <strong>de</strong>s ouvriers marocains au jazz-bar.<br />
Nous comprenons désormais l’expression : travail d’Arabe, n’en déplaise à<br />
certains !<br />
Le soir, nous vigilons le personnel et les clients au bar <strong>de</strong> shiratte. Nous en<br />
profitons plutôt pour agrémenter notre réflexion <strong>de</strong> quelques croustillantes sur<br />
ce pays soi-disant en mouvement.<br />
Le Marocain, par exemple, ouvre sa braguette trois mètres avant l’entrée<br />
<strong>de</strong>s toilettes, sait-on jamais qu’il ne trouve pas son tuyau une fois <strong>de</strong>dans…<br />
L’Européen qui casse un verre dans un night-club s’excuse voire se propose <strong>de</strong><br />
le payer là où le Marocain dans une shiratte essaye d’articuler au serveur :<br />
« Hé ! Nettoie-moi ça ! » Etc.<br />
Tiens, Madame S. qui crie encore après Loutfi sur la terrasse. Elle en a fini<br />
avec lui, part encenser les autres dans le bar <strong>de</strong> shiratte.<br />
Mardi soir, lorsque nous parlâmes avec Monsieur S., nous étions seul avec<br />
lui et nous occupions <strong>de</strong> changer la musique. Par inadvertance, nous<br />
rangeâmes l’un <strong>de</strong> ses disques dans la pochette d’un <strong>de</strong> ceux du restaurant que<br />
nous mîmes dans la platine. Le len<strong>de</strong>main, lorsqu’il voulut les récupérer, il n’en<br />
trouva qu’un sur <strong>de</strong>ux, forcément. Nous étions alors sur notre comptoir en<br />
train <strong>de</strong> dormir lorsque la voix <strong>de</strong> Madame S. retentit. Nous nous levâmes et<br />
allâmes voir ce qu’il se passait. Le maître d’hôtel nous expliqua l’affaire ; elle<br />
avait engueulé tout le personnel : « Qui a volé le CD <strong>de</strong> Monsieur ? » En<br />
Europe, la question aurait été : « Quelqu’un a-t-il vu le CD <strong>de</strong> mon époux ?<br />
726
Incha Allah<br />
Nous avons trouvé celui-ci dans la pochette, ce n’est pas le bon, quelqu’un a dû<br />
les échanger sans doute. Voulez-vous vérifier, s’il vous plaît ? » Et alors<br />
l’aurions-nous effectivement trouvé dans une <strong>de</strong>s pochettes du restaurant.<br />
Lorsque nous lui expliquâmes cela au téléphone, que le “CD volé” était<br />
retrouvé, elle nous cria : « Occupe-toi <strong>de</strong> tes affaires ! », avant <strong>de</strong> raccrocher.<br />
Visiblement, elle ne voulait pas perdre la face elle non plus en <strong>de</strong>vant s’excuser<br />
auprès <strong>de</strong> son personnel…<br />
Avec nous, notons-le, c’est important, Madame S. est “gentille” et nous<br />
considère, dit-elle, comme son propre fils. Elle nous accueille, nous “loge”,<br />
nous nourrit et nous paye (parfois !) ; nous lui <strong>de</strong>vons au moins cela.<br />
Depuis notre dîner à La Trattoria, elle nous interdit <strong>de</strong> parler à qui que ce<br />
soit d’autre chose que <strong>de</strong>s généralités admises. Nous apprenons ici à gar<strong>de</strong>r<br />
notre langue mais tel n’est pas notre tempérament. Il nous reste soixante-dixhuit<br />
jours avant la fin <strong>de</strong> notre échéance ; il se peut bien que nous la<br />
prolongions.<br />
727
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 1 j u i n 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 2h06.<br />
Une journée chargée en révélations suivie d’une soirée mouvementée.<br />
Tout le personnel du bar <strong>de</strong> shiratte est encore en train <strong>de</strong> s’engueuler. Il<br />
règne ici <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong>puis notre arrivée – il n’y a sans doute aucun<br />
rapport… – une ambiance <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> coupée <strong>de</strong> quelques instants <strong>de</strong> calme.<br />
Une chose nous apparaît certaine : nous les dérangeons dans leurs magouilles.<br />
Sur les ordres <strong>de</strong> Madame S., nous les épions non sans plaisir mais nos alliés<br />
nous lâchent un à un, nécessairement.<br />
Prenons par exemple Hassan, l’un <strong>de</strong>s trois vi<strong>de</strong>urs. Mardi encore, il nous<br />
tapa la discute à la porte pendant toute la soirée et nous invita à venir les voir,<br />
Saad (un autre vi<strong>de</strong>ur) et lui, à la plage où ils étaient sauveteurs pendant le jour.<br />
Mercredi, nous y allâmes à la nage <strong>de</strong>puis la Tête du Serpent et partageâmes<br />
avec lui sous le parasol les écouteurs <strong>de</strong> son MP3. Au passage, nous n’avions<br />
plus entendu certains morceaux <strong>de</strong> dance <strong>de</strong>puis notre voyage en Italie au<br />
collège. Vendredi, nous y retournâmes ; il dormait et Saad ne parlant pas<br />
tellement français, et nous pas tellement marocain, nous rentrâmes au<br />
restaurant prendre une douche. Le soir, Hassan revint nous parler et nous<br />
félicita même pour notre nage, la Tête du Serpent n’étant pas toute proche <strong>de</strong><br />
la plage. Toujours le même soir, nous vîmes <strong>de</strong>s filles-putes lui glisser un billet<br />
<strong>de</strong> 20 dirhams dans la main droite en sortant. En fait, ils <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à toutes<br />
<strong>de</strong> payer un droit d’entrée. Si elles ne le font pas, soit elles n’entrent pas, soit ils<br />
les laissent se démer<strong>de</strong>r avec les soûlards à l’intérieur en cas <strong>de</strong> problème,<br />
nombreux avec elles avons-nous remarqué. Ils font <strong>de</strong> même pour les mecs qui<br />
tiennent à peine <strong>de</strong>bout.<br />
Nous fîmes notre rapport à Madame S. en insistant sur le fait que nous<br />
trouvions normal tel trafic. Après tout, si elles payaient 20 dirhams à l’entrée,<br />
elles étaient sûres d’en gagner au moins 100 <strong>de</strong>dans, plus les bières et les clopes<br />
offertes.<br />
Madame S., avec son cruel manque <strong>de</strong> tact, s’empressa <strong>de</strong> leur dire que<br />
<strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> lui avait dit que… etc. C’est que nous ne sommes pas<br />
vraiment aidé, vois-tu !<br />
728
Incha Allah<br />
Pour le club, c’était la même chose. Elle nous <strong>de</strong>mandait <strong>de</strong> gérer le<br />
personnel et nous reprocha par la suite d’avoir dit à tout le mon<strong>de</strong> que, oui, en<br />
effet (et c’était visible), nous gérions le personnel ! Nous, <strong>de</strong> notre côté,<br />
abandonnons.<br />
Cette nuit, un nombre incalculables <strong>de</strong> problèmes survinrent ; <strong>de</strong>s<br />
problèmes auxquels nous suggérons <strong>de</strong>s solutions à Madame S. <strong>de</strong>puis notre<br />
arrivée. Ses <strong>de</strong>ux réponses fétiches sont : « J’ai assez <strong>de</strong> problèmes comme<br />
ça ! » et : « Je veux pas <strong>de</strong> problèmes ! »<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Pas d’bol, fallait faire none, pas gérante <strong>de</strong> bar à<br />
Safi, Maroc !<br />
Rappelons tout <strong>de</strong> même qu’elle est seule à gérer tout cela et que personne<br />
ne l’ai<strong>de</strong> vraiment entre son fils qui vi<strong>de</strong> la réserve, son personnel qui travaille<br />
pour lui-même et la vole et son époux qui abandonna voilà <strong>de</strong>s années.<br />
Pour les révélations, elles nous concernent directement mais tu n’auras pas<br />
la chance <strong>de</strong> les lire dans ce carnet, ni ailleurs du reste.<br />
L’anecdote du jour : mentalité zéro !<br />
17h12.<br />
Nous n’espérions plus <strong>de</strong> suite à notre petite expérience d’hier soir au bar<br />
<strong>de</strong> shiratte. Nous nous habillâmes avec notre pantalon indien, celui que nous<br />
portions quand nous étions vagabond en France, en Espagne mais aussi au<br />
Maroc. Déjà en France les gens ne pouvaient-ils pas s’empêcher <strong>de</strong> se<br />
retourner mais l’Europe, c’est autre chose. Aucun problème avec cela donc.<br />
Ici, au Maroc, le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> civilisation est moyenâgeux. Hier soir, pourtant,<br />
si nous omettons le toutou à sa patronne, Njimo, venu au bar <strong>de</strong> shiratte<br />
habillé avec une nappe roulée autour <strong>de</strong> la taille à la mo<strong>de</strong> samouraï et un pied<br />
<strong>de</strong> parasol fourré <strong>de</strong>dans en guise <strong>de</strong> sabre pour se foutre <strong>de</strong> notre gueule<br />
comme un gosse <strong>de</strong> 7 ans, tout se déroula sans embûche. Ab<strong>de</strong>lbast, l’un <strong>de</strong>s<br />
serveurs du restaurant et du snack, homo à n’en pas douter, voulut même nous<br />
l’acheter. Finalement, il en prit les mesures pour s’en confectionner un. Le<br />
reste <strong>de</strong> la salle, <strong>de</strong> toute manière imbibé au possible <strong>de</strong> Flag Spéciale et <strong>de</strong><br />
729
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Ksar ne trouva aucune raillerie à faire sur notre tenue du soir. Seul Njimo vint<br />
au snack nous ordonner <strong>de</strong> nous changer.<br />
NOUS (d’un ton à peine intéressé) . Oui, Njimo, je travaille en effet. T’as pas fini ton<br />
service toi ? Va jouer ailleurs, veux-tu !<br />
NJIMO . Je vais le dire à Madame !<br />
Ce gars doit approcher la quarantaine… Nous ne levâmes en fait ni les<br />
yeux, ni les mains <strong>de</strong> nos tapas et continuâmes comme si <strong>de</strong> rien n’était ; et rien<br />
n’était d’ailleurs.<br />
À l’instant, nous venons <strong>de</strong> rapporter notre vaisselle propre à la cuisine<br />
après un bon repas préparé par Aïcha. Il restait <strong>de</strong>ux clients dans le restaurant<br />
et <strong>de</strong> coutume, nous évitons <strong>de</strong> le traverser mais nous ne les vîmes pas <strong>de</strong> suite.<br />
Njimo était <strong>de</strong> service. Le salon marocain franchi, il nous regarda et courra<br />
vers sa maîtresse dans la cuisine. Ses mots auraient pu être : « Hé, regar<strong>de</strong>z<br />
M’dame ! J’avais raison, hein, z’avez vu ? On dirait une fille ! Ouhh, la<br />
fiilleeuuhh !! » et, la langue pendante, aurait <strong>de</strong>mandé un susucre que c’aurait<br />
été pareil. Et Madame S. <strong>de</strong> continuer : « Mis tu es fou ! On va te prendre pour<br />
une pédale si tu portes une jupe ! J’espère que tu seras habillé autrement quand<br />
tu serviras à l’Armstrong ! »<br />
Vu comme c’est parti, nous ne travaillerons jamais dans ce foutu jazz-bar !<br />
Et puis, mer<strong>de</strong> à la fin !, c’est un pantalon indien, IN-DIEN, ce n’est ni une<br />
jupe, ni une robe <strong>de</strong> bure, ni une tenue <strong>de</strong> geisha.<br />
730
Incha Allah<br />
1 4 j u i n 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 2h31.<br />
La soirée commença bien, Madame S. nous ayant donné quartier libre car<br />
<strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> l’administration <strong>de</strong>vaient passer dans le bar pour surveiller le<br />
personnel, voir qui était en règle, qui ne l’était pas, etc. Va donc savoir, Fidèle !<br />
Nous-même ne savons-nous pas si nous le sommes. D’après sa crainte, nous<br />
en doutons… De plus, cela fait un mois que notre passeport est aux<br />
Renseignements Généraux pour, nous dit-elle, prévoir sa nouvelle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
prolongation. Ça, c’est la mauvaise nouvelle. Nous ne voulons pas rester <strong>de</strong>ux<br />
mois <strong>de</strong> plus ; nous avons assez perdu <strong>de</strong> temps ici ! Demain, nous lui en<br />
parlerons.<br />
Njimo a décidé <strong>de</strong> nous emmer<strong>de</strong>r en ce moment. En fait, <strong>de</strong>puis notre<br />
séjour à Casablanca les 29 et 30 mai <strong>de</strong>rniers, il le fait dès qu’il trouve une<br />
occasion. Le fait qu’un soir Monsieur S. nous ait invité à sa table au restaurant<br />
n’arrangea pas les choses non plus.<br />
Hier midi donc, nous allâmes chercher la clef <strong>de</strong>s toilettes du restaurant. Il<br />
nous la prit <strong>de</strong>s mains en nous disant : « Toi, va aux toilettes <strong>de</strong>hors ! » Il parlait<br />
<strong>de</strong>s toilettes turques sans papier sur la terrasse.<br />
NOUS . Njimo, j’ai une tête à me torcher le cul avec les doigts ? Je viens d’un<br />
mon<strong>de</strong> civilisé, tu sais… Enfin, comme tu veux, je ne discute pas, tu vas<br />
encore t’en prendre plein la gueule.<br />
Le soir, il a prit l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ranger sa mobylette dans le jazz-bar dont,<br />
<strong>de</strong>puis notre arrivée, nous avons la clef. Il frappe donc à la porte et nous lui<br />
ouvrons, normalement.<br />
Hier soir, il frappa <strong>de</strong>ux fois sans succès. Lorsque nous sortîmes, il revenait<br />
du bar <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la terrasse.<br />
NJIMO . Hé ! Tu dormais ? La moto !<br />
NOUS . J’ai une tête <strong>de</strong> portier, maintenant ? Y’a pas <strong>de</strong> clef aujourd’hui !<br />
731
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Et nous fermâmes la porte. Il escalada le balcon.<br />
À la fin du service, il appela Loutfi pour escala<strong>de</strong>r à sa place. Nous étions<br />
avec lui.<br />
NOUS . Njimo ! Loutfi n’est pas ton portier non plus.<br />
NJIMO (d’un air menaçant à faire rire un gosse) . Quoi ?<br />
NOUS . J’ai dit : mon bar, c’est pas un garage. Ta moto, elle va avec celles <strong>de</strong>s<br />
autres employés.<br />
Évi<strong>de</strong>mment, cela partit en couille. Il monta sur ses grands chevaux, à<br />
défaut <strong>de</strong> pouvoir gonfler sa carrure hitlérienne et nous insulta. Encore un<br />
abruti sans cervelle qui va maudire l’Occi<strong>de</strong>nt…<br />
N’y a-t-il que chez nous que l’adjectif con ne désigne pas un peuple mais<br />
bien une personne ?!<br />
Nous parlerons peut-être aussi <strong>de</strong> tout cela à Madame S. <strong>de</strong>main. Le<br />
problème est que ces mer<strong>de</strong>s sont tellement basses pour nous, ou plutôt que<br />
nous sommes tellement au-<strong>de</strong>ssus d’elles, que nous ne pouvons désormais que<br />
les regar<strong>de</strong>r avec un air lassé et une note <strong>de</strong> dégoût.<br />
Encore une fois, il faut être éduqué pour comprendre cela.<br />
732
Incha Allah<br />
1 6 j u i n 2 0 0 6<br />
Des nouvelles fraîches dans l’affaire “toutou à sa patronne”.<br />
Safi (Maroc), 13h26.<br />
Depuis trois jours, Njimo ne cesse <strong>de</strong> nous casser les couilles pour<br />
n’importe quoi mais il est tellement con qu’il se croit tout permis alors que ce<br />
n’est pas le cas.<br />
Hier, nous nous couchâmes à 5 heures, profitant du calme <strong>de</strong> la nuit pour<br />
rédiger quelques notes. À 11 heures, notre porte sonna bruyamment une fois,<br />
<strong>de</strong>ux fois, trois fois. Nu dans notre drap sur le comptoir, nous nous levâmes,<br />
nous habillâmes et allâmes ouvrir. Il y a beaucoup <strong>de</strong> vent en ce moment à Sidi<br />
Bouzid et lorsque nous ouvrîmes la porte (qui s’ouvre vers l’extérieur), Njimo<br />
reçut le tajine qu’il nous apportait sur son gilet et sa chemise.<br />
NJIMO . Hé ! Regra<strong>de</strong> c’que tu as fait !<br />
NOUS . Ce n’est pas ma faute, Njimo. Je t’ai déjà dit que tu étais un imbécile<br />
hier soir, il fallait changer ça pour aujourd’hui. Quelle idée <strong>de</strong> te mettre <strong>de</strong>rrière<br />
la porte après avoir frappé <strong>de</strong>ssus aussi !<br />
Notons qu’il ne nous apporta pas notre repas par gentillesse mais<br />
seulement pour ne pas nous voir dans le restaurant venir le chercher. Manque<br />
<strong>de</strong> bol pour lui (à croire qu’il le fait exprès), Madame S. était sur la terrasse avec<br />
le jardinier.<br />
MADAME S. . Pourquoi il t’apporte ton repas aussi, tu peux très bien aller toimême<br />
en cuisine si tu as faim, tu es assez grand !<br />
NOUS . Allez donc lui faire comprendre ça !<br />
Njimo, sa chemise pleine <strong>de</strong> sauce trop grasse, repartit la queue entre les<br />
jambes.<br />
À 18 heures, c’était le branle-bas <strong>de</strong> combat sur la terrasse. Nous recevions<br />
huit caravaneurs car le snack était fermé lorsqu’ils y passèrent et que Fatima, la<br />
733
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
meilleure amie <strong>de</strong> Madame S. qui le tenait, leur avait proposé <strong>de</strong> venir manger à<br />
Sidi Bouzid pour le même prix.<br />
Nous sortîmes du jazz-bar, <strong>de</strong>s tables et <strong>de</strong>s chaises se préparaient.<br />
Madame S. nous mit au courant et nous <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> les accueillir. Soit ! Nous<br />
nous changeâmes, ayant jardiné tout l’après-midi. Nous pensâmes qu’ils<br />
auraient besoin <strong>de</strong> cendriers et nous voulions être prêt alors allâmes-nous<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Madame S. si nous pouvions en prendre un au restaurant, ce qui<br />
faisait <strong>de</strong>ux avec le nôtre au jazz-bar. Elle nous dit oui à condition <strong>de</strong> le<br />
ramener ensuite.<br />
NOUS . Mais, Madame, même ma vaisselle, je la ramène propre en cuisine.<br />
Nous allâmes au restaurant, sur la salle haute sachant que jamais personne<br />
n’y mangeait, et prîmes un cendrier. Njimo dormait par terre, en bon caniche<br />
qu’il était. Il nous vit, se leva d’un bon et nous interpella.<br />
NJIMO . Hé !<br />
NOUS . Je prends un cendrier pour les caravaneurs, Madame m’a déjà dit oui.<br />
NJIMO . Non ! Tu veux, tu <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s à moi !<br />
NOUS . Je te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> rien du tout. C’est Madame S. la patronne, pas Njimo,<br />
que je sache !<br />
Il nous prit le cendrier <strong>de</strong>s mains, nous insulta, etc., etc., etc. Aboiements<br />
sans intérêt !<br />
Toc, toc !<br />
NOUS . Madame, excusez-moi <strong>de</strong> vous déranger à nouveau mais pourriez-vous<br />
dire à Njimo d’arrêter <strong>de</strong> m’insulter <strong>de</strong>puis trois jours, s’il vous plaît ?<br />
Nous lui racontâmes l’épiso<strong>de</strong>.<br />
734
Incha Allah<br />
MADAME SLAOUI . Envoie-le-moi, je vais lui parler !<br />
Nous retournâmes à la cuisine. Le chef était là, <strong>de</strong> même qu’Aïcha et les<br />
<strong>de</strong>ux marmitons.<br />
NOUS . Njimo, Madame !<br />
Nous lui fîmes signe du doigt, sans même nous arrêter, et vîmes le chef<br />
sourire à notre intention. Njimo, sur les nerfs, nous suivit dans le restaurant<br />
avec un : « Hé ! » récurrent qui montre bien le niveau <strong>de</strong> son éducation et posa<br />
sa main sur notre épaule par <strong>de</strong>rrière, chose à ne jamais faire.<br />
Nous sommes un garçon calme, même zen, mais faut pas pousser. Nous<br />
n’avons pas les épaules d’un marin breton par simple élégance ; quand on nous<br />
cherche, nous rentrons dans le tas !<br />
Nous jetâmes sa main sale <strong>de</strong> notre épaule, nous retournâmes d’un pas et le<br />
poussâmes à trois mètres.<br />
NOUS . Oh ! Qui t’a permis <strong>de</strong> me toucher, sérieux ? Tu te prends pour qui,<br />
Njimo ?<br />
Il lança ses poings ridicules vers notre figure, nous le maintînmes sans mal,<br />
il se retourna, vit un couteau, le prit et voulut nous couper la lèvre. De justesse,<br />
nous l’évitâmes, le poussâmes <strong>de</strong> nouveau.<br />
NOUS . Refais ça et j’aurais pas besoin <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Madame la permission <strong>de</strong><br />
te briser la mâchoire, t’as compris ? Elle t’appelle, cours au lieu <strong>de</strong> jouer les<br />
caïds ; tu fais pitié, Njimo !<br />
Et nous continuâmes notre chemin vers la terrasse.<br />
Tu connais, Fidèle, ces petits chiens genre caniches ou yorkshire-terriers<br />
qui ne peuvent pas s’empêcher <strong>de</strong> courir dans les rayons d’une bicyclette qui<br />
735
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
passe tranquillement à-côté d’eux ?! Et bien Njimo, c’est tout à fait ce genre-là.<br />
Il nous suivit donc en nous insultant <strong>de</strong> toutes les grossièretés qu’il<br />
connaissait en français. Loutfi était présent. Il pourrait te témoigner qu’en<br />
sortant : « Fils <strong>de</strong> pute ! » <strong>de</strong> sa bouche é<strong>de</strong>ntée, <strong>de</strong>s bulles <strong>de</strong> bave explosaient<br />
sur ses lèvres dégueulasses.<br />
NOUS . Arrête donc <strong>de</strong> baver comme un vulgaire chien, Njimo. Madame<br />
t’appelle, je t’ai dit !<br />
Le chef était là et le ramena. En partant, il lâcha à notre intention <strong>de</strong>s<br />
insultes en marocain pour changer un peu.<br />
Nous rentrâmes dans le jazz-bar faire un peu <strong>de</strong> rangement en attendant<br />
que Madame S. l’engueulât – secon<strong>de</strong> fois ! – puis retournâmes au restaurant<br />
chercher ce putain <strong>de</strong> cendrier. Il était là et en passant, nous accentuâmes un<br />
peu :<br />
NOUS . C’est bon, t’as compris là ?<br />
Nous prîmes le cendrier et partîmes. Il nous suivit, faussement calme,<br />
uniquement car sa maîtresse lui avait passé sa laisse.<br />
NJIMO . Allez, tu prends le cendrier et tu rentres au bar.<br />
NOUS . Occupe-toi <strong>de</strong> tes affaires, Njimo ! Je vais où je veux, ici.<br />
Finalement, il alla ronger son os dans la cuisine avec les autres membres du<br />
personnel, probablement pour leur raconter sa version ô combien mythonnée<br />
<strong>de</strong>s faits. Mais bon, c’est le sport national au Maroc, davantage à Safi ; en<br />
avons-nous donc l’habitu<strong>de</strong> !<br />
Les huit Français arrivèrent, nous les accueillîmes et laissâmes Njimo,<br />
serveur, les installer et servir. Au milieu <strong>de</strong> l’entrée, il se rendit compte que les<br />
tables étaient mal disposées – <strong>de</strong>ux carrées à gauche, une ron<strong>de</strong> à droite – et les<br />
736
Incha Allah<br />
dérangea pour les réarranger. Franchement, un gosse <strong>de</strong> 2 ans et <strong>de</strong>mi s’essaye<br />
encore aux cubes <strong>de</strong> Playschool, pas un serveur professionnel. Arf… Nous<br />
oublions… Nous sommes au Maroc et Njimo n’a rien d’un serveur<br />
professionnel ; il serait plutôt une maquerelle. Il mit donc la table ron<strong>de</strong> au<br />
milieu.<br />
Pendant le service, nous étions en cuisine et Madame S. nous <strong>de</strong>manda<br />
d’apporter le tajine à Njimo. Nous le prîmes et revînmes une minute plus tard.<br />
NOUS . Madame, je vous rends ça, il faut que je cherche Njimo qui n’est pas au<br />
restaurant.<br />
MADAME S. . Mais il est où ?<br />
NOUS . Sans doute au bar <strong>de</strong> shiratte en train <strong>de</strong> jouer aux cartes comme chaque<br />
soir.<br />
MADAME S. . Appelle-le-moi, je vais lui parler.<br />
Nous y allâmes.<br />
NOUS . Njimo, Madame veut te parler, encore !<br />
Il n’écouta pas et nous insulta en français sur la terrasse <strong>de</strong>vant les clients.<br />
NOUS (<strong>de</strong> retour à la cuisine) . Moi, j’abandonne ! Il m’a dit d’aller me faire foutre<br />
<strong>de</strong>vant les clients.<br />
Il arriva finalement, elle l’engueula, une troisième fois.<br />
Heureusement que les Français n’étaient pas chiants et plutôt bon vivants.<br />
Nous parlâmes avec eux <strong>de</strong> temps en temps et malgré la relative fraîcheur du<br />
soir, ils passèrent un bon moment.<br />
Madame S. ne veut pas le comprendre. Elle, les appelle les FRAM (Français<br />
Rien À Manger). Il est vrai qu’ils n’ont payé que 400 dirhams à huit et n’ont<br />
pas pris <strong>de</strong> boissons mais que croit-elle ? Que les richards <strong>de</strong> France viennent<br />
737
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
passer leurs vacances au Maroc ? Non ! Quitte à se taper vingt-<strong>de</strong>ux heures<br />
d’avion, ils préfèrent Bora Bora ou Saint-Barthélemy plus proche. Les touristes<br />
du Maroc sont fauchés, ils économisent pour venir ici ; cela veut tout dire.<br />
Bref ! Nous leur souhaitâmes une bonne route jusques à Ceuta.<br />
Fatima nous <strong>de</strong>manda ensuite <strong>de</strong> lui ouvrir le jazz-bar pour téléphoner car<br />
elle n’avait pas <strong>de</strong> réseau sur la terrasse et voulait être tranquille. Nous la<br />
laissâmes seule et allâmes ai<strong>de</strong>r à ranger les tables et les chaises dans l’autre bar.<br />
Là, nous vîmes Ab<strong>de</strong>lbast ramener la moto <strong>de</strong> Njimo. Sans doute la lui avait-il<br />
<strong>de</strong>mandée pour la ranger dans le jazz-bar. Il passa et nous regardâmes la scène<br />
en silence, sachant que Fatima ferait un témoin idéal. La porte était fermée,<br />
Njimo escalada le balcon et sauta dans la salle alors que nous imaginions la tête<br />
<strong>de</strong> la pauvre Fatima craintive. Il ouvrit la porte et rentra sa moto.<br />
Nous revînmes alors à la charge.<br />
NOUS . Njimo, Madame a dit non pour la moto aussi !<br />
Il n’écouta pas et nous répétâmes les mots justes pour Fatima.<br />
NOUS . Tu t’en fous <strong>de</strong>s ordres <strong>de</strong> Madame, donc !<br />
Il sortit sans un mot, laissant sa moto puante sur le carrelage. Fatima n’en<br />
croyait pas ses yeux !<br />
NOUS (déplaçant la moto sans précaution sur le balcon) . Vous voyez, Fatima ? Que<br />
voulez-vous que je fasse, moi ? Tout à l’heure sous le porche, il parlait avec<br />
Madame S. et lui dit qu’il plaisantait avec moi. Je répondis à Madame S. sans le<br />
regar<strong>de</strong>r lui que la prochaine fois qu’il plaisantait avec moi, un couteau à la<br />
main et en traitant ma pauvre mère <strong>de</strong> pute, je lui brisais la mâchoire sans<br />
scrupule. Vous l’avez vu plaisanter, vous ?<br />
FATIMA . Non, en effet, mais tu sais, il a fait pareil avec moi quand je suis<br />
arrivée il y a un an.<br />
NOUS . Je vois… Toujours le même problème donc : l’orgueil démesuré <strong>de</strong><br />
738
Incha Allah<br />
l’imbécile qui n’aime pas qu’on casse le tout petit peu d’autorité qu’il a réussi à<br />
gagner après <strong>de</strong> nombreuses années.<br />
FATIMA . Exactement, nous sommes les intrus !<br />
Elle rentra chez elle, au-<strong>de</strong>ssus du restaurant et en parla à Madame S..<br />
Furieuse, elle appela Njimo – quatrième fois ! – et l’encensa puis parla avec lui<br />
pendant plus d’une heure. Quand il partit récupérer sa moto, nous étions au<br />
bar <strong>de</strong> shiratte. Pour se venger, il ferma le ri<strong>de</strong>au, reprit les chaussures qu’il<br />
nous avait données pour servir au club <strong>de</strong> pétanque et que nous rangions dans<br />
un placard. Nous retrouvâmes également notre serviette <strong>de</strong> toilette noire <strong>de</strong><br />
crasse.<br />
Honnêtement, rigolons car il n’y a que cela à faire. Il faut être vraiment con<br />
pour se faire engueuler cinq fois en <strong>de</strong>ux jours par sa patronne !<br />
739
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 j u i n 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 21h40.<br />
Ce matin, en revenant <strong>de</strong> la cuisine où nous étions allé chercher notre pain<br />
pour le petit-déjeuner, Loutfi nous appela. Deux Français et leur gui<strong>de</strong> nous<br />
attendaient sur la terrasse. Nous allâmes à leur rencontre ; ils souhaitaient<br />
réserver le midi pour quinze personnes. Nous en profitâmes pour parler un<br />
peu avec eux et ils nous racontèrent leur voyage, nous le nôtre. Ils venaient<br />
tous – nous ne croyons pas aux coïnci<strong>de</strong>nces ! – <strong>de</strong> Provence. Ils étaient déjà<br />
tombés ici en 1999, par hasard, en avaient gardé un bon souvenir et voulaient,<br />
<strong>de</strong> passage à Safi, manger une nouvelle fois un bon repas.<br />
Njimo n’étant pas encore arrivé, nous nous chargeâmes <strong>de</strong> prendre note <strong>de</strong><br />
leurs désirs. Ils <strong>de</strong>mandèrent à voir le menu, la salle, etc. ; rien d’extraordinaire<br />
jusque là. Ils allèrent enfin rejoindre le reste <strong>de</strong> leurs amis sur la colline <strong>de</strong>s<br />
potiers. Ne sachant pas en fait si la cuisine suivrait, nous en parlâmes à Fatima<br />
qui nous rassura.<br />
Njimo arriva, Fatima le mit au courant et il joua son rôle <strong>de</strong> petit chef <strong>de</strong><br />
rien du tout en bousculant gardien, marmitons et bonnes pour préparer la<br />
salle.<br />
Nous nous changeâmes pour accueillir les Provençaux qui arrivèrent,<br />
émerveillés <strong>de</strong>vant la vue splendi<strong>de</strong> et plongeante sur l’Océan que nous avons<br />
à Sidi Bouzid.<br />
Nous, hôte bien sapé au langage raffiné, les divertîmes le temps <strong>de</strong><br />
l’installation avec anecdotes et bonne oreille.<br />
Pendant qu’ils mangeaient, nous nous occupâmes <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux adorables<br />
enfants, Marine et Benjamin, sur la terrasse, leur racontant l’histoire <strong>de</strong> la tête<br />
du serpent, <strong>de</strong>s gros bateaux qui attendaient au large que leur numéro sorte <strong>de</strong><br />
la gran<strong>de</strong> roue, comme au loto, pour pouvoir rentrer au port ou encore celle du<br />
chien bleu <strong>de</strong> Marine sur le toit qu’on ne pouvait pas voir car les Cieux étaient<br />
<strong>de</strong> la même couleur que lui. Leurs mères venaient <strong>de</strong> temps en temps mais tout<br />
se déroula évi<strong>de</strong>mment au mieux. Ils passèrent aux aussi un agréable moment<br />
et voilà bien le principal. En partant, ils nous laissèrent 60 dirhams <strong>de</strong><br />
pourboire pour avoir gardé leurs enfants et pour nous ai<strong>de</strong>r dans notre<br />
740
aventure.<br />
Incha Allah<br />
Après cela, nous avions la nostalgie <strong>de</strong> notre Provence bien aimée et prîmes<br />
la résolution d’annoncer à Madame S. notre départ pour le 24. Tout l’aprèsmidi,<br />
nous y pensâmes. « <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, franchement, vous ne pouvez pas<br />
lâcher Madame S. maintenant ! Regar<strong>de</strong>z-la, elle est seule avec Fatima,<br />
personne ne l’ai<strong>de</strong>. Si vous avez été envoyé ici, ce n’est pas pour rien et vous le<br />
savez car vous ne croyez pas aux coïnci<strong>de</strong>nces ! » « Qu’est-ce que vous vous en<br />
foutez, en fin <strong>de</strong> compte ! Vous savez comment tout va finir, vous avez vu le<br />
renouveau dans vos songes ; pourquoi perdriez-vous votre temps et votre<br />
esprit dans ce milieu pourri ? »<br />
Le choix n’était pas facile ; le <strong>Noir</strong> et le <strong>Blanc</strong> brillaient tous <strong>de</strong>ux du même<br />
éclat.<br />
Et puis nous décidâmes-nous ce soir à aller lui annoncer notre départ.<br />
Nous frappâmes à sa porte.<br />
MADAME S. . Ah, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ! Entre un peu pour parler avec nous.<br />
Au fil <strong>de</strong> la conversation, nous la vîmes tellement espérer après le jazz-bar<br />
que nous ne pûmes nous résoudre. Nous lui parlâmes donc <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières<br />
conneries <strong>de</strong> Njimo.<br />
Hier soir, il parlait avec <strong>de</strong>ux amis clients <strong>de</strong>vant le jazz-bar puis vînt<br />
frapper à notre porte.<br />
NJIMO . Éteins la lumière !<br />
NOUS . Pourquoi ?<br />
Il réfléchit un instant.<br />
NJIMO . Madame a dit d’éteindre la lumière.<br />
NOUS . Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai à Madame alors. En attendant, la lumière reste allumée et<br />
toi, tu vas jouer ailleurs !<br />
741
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Et nous fermâmes la porte avant d’attendre la réponse qu’il préparait pour<br />
ne pas perdre sa face <strong>de</strong> caniche <strong>de</strong>vant ses amis.<br />
Naturellement, Madame S. ne lui avait rien <strong>de</strong>mandé ; pathétique ! Nous<br />
étions revenu au pipi / caca <strong>de</strong> collégiennes.<br />
Puisqu’une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> prolongation <strong>de</strong> séjour fut envoyée, nous <strong>de</strong>vrons<br />
supporter ce milieu <strong>de</strong>ux mois <strong>de</strong> plus. Courage !<br />
742
Incha Allah<br />
2 1 j u i n 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 4h05.<br />
C’est complètement pété au gin (du Gordon’s, hélas !) que nous écrivons et<br />
nous ne nous en excusons pas. Notre ligne illisible, pas contre elle, ne pourra<br />
pas servir <strong>de</strong> manuscrit témoin pour les générations à venir, quoi que… Putain,<br />
quand nous y pensons, que nous écrivons bien ! Espérons pouvoir nous relire<br />
<strong>de</strong>main.<br />
Nous aimerions lâcher ici nos impressions brutes sur le bar <strong>de</strong> shiratte.<br />
C’est une basse-cour, le coq faisant plus belle para<strong>de</strong> que le Marocain là<strong>de</strong>dans.<br />
Nous sommes toujours à Safi et, viré du club <strong>de</strong> pétanque par le comité<br />
influent, nous nous contentons, en attendant l’ouverture du jazz-bar, que nous<br />
espérons classe autant que faire se pourra… Oh putain ! Notre clope se<br />
consume sans nous ; malheur ! Une minute !<br />
C’est si bon !<br />
En attendant que le bar ouvre ses portes (cela fait tout <strong>de</strong> même presque<br />
<strong>de</strong>ux mois qu’on nous le promet), nous passons nos journées allongé sur notre<br />
comptoir en marbre noir à la sultane en regardant l’horizon, attendant que la<br />
Force <strong>de</strong>s Choses nous sorte <strong>de</strong> là et nos soirées à la shiratte, juste en face, <strong>de</strong><br />
l’autre côté <strong>de</strong> la terrasse, à observer ce qu’il se passe.<br />
Pose taffe…<br />
… et goulée.<br />
Eurk ! Vive le Bombay Sapphire ! Nos mères auraient honte en nous<br />
voyant ce soir. Un nacho au passage, cela ne peut pas faire <strong>de</strong> mal, hop !<br />
Heu… La shiratte ! Nous avions tant à écrire <strong>de</strong>ssus avant <strong>de</strong> commencer<br />
<strong>de</strong> boire mais maintenant cela nous semble si dérisoire ; l’analyse du poulailler<br />
<strong>de</strong> MJD serait plus intéressante !<br />
Enfin !<br />
NOUS-MÊME . Concentrez-vous, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, putain ! Ne pensez à rien et…<br />
743
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Mer<strong>de</strong>, elle fait chier cette mouche à la fin !<br />
Arthur, pourquoi n’as-tu pas vibré cette nuit, tu aurais pu partager notre<br />
joie d’assister à “ça” <strong>de</strong>puis sept semaines déjà.<br />
EDINA . Soon I’ll be bendy like Madonna, darling. Then I’ll be able to kiss my<br />
own ass from both directions.<br />
Va donc savoir, Fidèle, pourquoi nous pensons à elle maintenant…<br />
Nous fîmes les vitres <strong>de</strong> notre bar cet après-midi. Il reste <strong>de</strong>s traces ;<br />
mer<strong>de</strong> !<br />
Nacho.<br />
Clope.<br />
Y’en a marre du tout prêt ; t’avais raison, Véronique ! D’ailleurs, il nous<br />
faut répondre à ton courriel. Arf ! Tu liras sans doute ce billet. Nous pensons à<br />
vous <strong>de</strong>ux aussi, souvent, comme tu peux voir.<br />
Taffe.<br />
Re taffe.<br />
La shiratte, c’est une chanteuse – mala<strong>de</strong> en ce moment, probablement…<br />
Taffe.<br />
… l’urgence d’une consultation – et un chanteur populaires accompagnés<br />
d’un synthétiseur pourri et d’un violon trop aigu <strong>de</strong>vant une masse immon<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> soûlards bizarres. Entre celui qui propose une brochette <strong>de</strong> din<strong>de</strong> au<br />
chanteur qui a le micro sur les lèvres et l’autre qui nous confie un obscur secret<br />
<strong>de</strong>puis plus d’un mois – tellement obscur que nous n’avons toujours aucune<br />
fichue idée <strong>de</strong> ce dont il parle – en embrassant notre oreille précieuse, il y en a<br />
beaucoup d’autres.<br />
Nous aimons le bruit que fait le papier d’addition <strong>de</strong>s Celliers <strong>de</strong> Meknès<br />
quand nous en arrachons une feuille pour écrire ; il résonne dans notre bar<br />
vi<strong>de</strong>. En <strong>de</strong>ssous, c’est la falaise <strong>de</strong> Sidi Bouzid, sur laquelle nous nous<br />
proposons parfois <strong>de</strong> nous jeter. Mais non ! Cela nous ferait mal en fait.<br />
Taffe.<br />
744
Nacho.<br />
Grosse goulée.<br />
Incha Allah<br />
Les bougies que nous achetâmes chez Kitea sont jaunes, senteur citron.<br />
Cela n’ira pas avec l’encens au jasmin ; réelle faute <strong>de</strong> goût !<br />
Cela faisait longtemps, putain ! La <strong>de</strong>rnière fois remonte au club Allayali <strong>de</strong><br />
Settat avec la cinquième pute-confiance que le gérant nous avait mis dans les<br />
bras pour la soirée – 5 comme Chanel ! – avec laquelle nous dansâmes sur le<br />
dance floor entre baisers langoureux et caresses indécentes dans ce pays<br />
d’ignorants.<br />
Mais chut, faut pas dire que nous préférons la bite, cela ferait jaser ici !<br />
Taffe, la <strong>de</strong>rnière.<br />
Putain, tu fais chier à vouloir tout savoir, Fidèle ! Les 3/4 <strong>de</strong> notre clope<br />
sont partis dans le cendar qui pue. Allez, une autre !<br />
Envie <strong>de</strong> pisser !<br />
Les sanitaires sont loin, l’évier fera affaire.<br />
Ah ! Descendre du tabouret déjà ! Attends, attends… La jambe gauche…<br />
Yeeaahh ! La jambe droite… Ça coince… Huum… C’est jouissif ! Ayeiii, par<br />
terre !<br />
Cela fait du bien !<br />
Scratch, la feuille.<br />
La shiratte ! Franchement, viens au Maroc, rien que pour en voir une !<br />
Goulée.<br />
Non, nacho.<br />
Non, goulée !<br />
4h33.<br />
Hé ! Cinquième verre – 5 comme Chanel ! Sont tout neuf en plus – Kitea,<br />
ça pète ! Attends, attends ! 43% ! Ça va, sers donc un autre !<br />
Dans shiratte, il y a “rat” ; nous ne voyons quoi d’autre à ajouter.<br />
Demain, nous avons promis le café à Fatima à 9 heures, dans pas<br />
745
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
longtemps ; mer<strong>de</strong> ! Fuck les promesses ! Puis nous irons chez Acima, le<br />
supermarché <strong>de</strong> ce bled paumé, nous ravitailler.<br />
Ah ! Mais tu n’es pas au courant, Fidèle ? Soit la CAF continue à nous<br />
vénérer en nous versant notre APL (quoi <strong>de</strong> plus normal après huit mois <strong>de</strong><br />
sans-nouvelle…), soit nous avons un admirateur secret car ce midi, en allant à<br />
la Attijari Wafa Bank visiter notre compte postal dont nous avions oublié le<br />
co<strong>de</strong> (rappelé par maman via SMS), nous étions pété <strong>de</strong> thunes !<br />
Merci donc à l’un ou à l’autre !!<br />
Goulée, cul sec (et désespérément vi<strong>de</strong>…), dodo.<br />
746
Incha Allah<br />
2 2 j u i n 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 20h19.<br />
Entre <strong>de</strong>ux SMS avec un drug addict résidant chez les civilisés et quelques<br />
goulées <strong>de</strong> Gordon’s, laisse-nous te raconter, Fidèle, notre pitoyable soirée <strong>de</strong><br />
la fête <strong>de</strong> la musique !<br />
Pour l’occasion, nous avions acheté <strong>de</strong>ux enceintes et un subwoofer à notre<br />
MP3 ainsi qu’une bouteille, l’autre ayant péri dans un combat ru<strong>de</strong> mais loyal<br />
durant la matinée. Nous pensions bien ne pas trouver <strong>de</strong> rayon “mecs bien<br />
montés et propres” chez Acima ; nous rentrâmes.<br />
Hors <strong>de</strong> question <strong>de</strong> travailler ce soir-là. De toute manière, pour supporter<br />
ce que nous supportons <strong>de</strong>puis sept semaines, nous n’en vîmes pas l’intérêt.<br />
Notre MP3 recèle autant <strong>de</strong> merveilles que peu <strong>de</strong> personnes écoutent que<br />
<strong>de</strong> titres commerciaux comme les Backstreet Boys que les Dieux créèrent pour<br />
prouver qu’ils pouvaient faire craquer les minettes sur scène et partouzer entre<br />
eux après dans la loge – enfin… ceci est notre fantasme ! – ou encore Britney<br />
Spears et la vieille Madonna que les Dieux créèrent pour… – fantasme <strong>de</strong><br />
goudous. Nous l’allumâmes et le laissâmes choisir pour nous le ton <strong>de</strong> notre<br />
soirée : Umberto Giordano, Andrea Chénier, La Mamma Morta par – la seule,<br />
l’unique, l’inégalable – Maria Callas. Le ton était donné : nostalgie, déprime,<br />
cafard, poésie.<br />
LA MASSE INCULTE . Chanson pour pédés !<br />
Oui ! Et si ce pouvait être le cas ici, ce pays serait raffiné mais non ! Ici,<br />
même George Michael, c’est pour les durs, les vrais mecs qui crachent par<br />
terre, se grattent les couilles dans la rue à la vue <strong>de</strong> tous pour montrer qu’ils<br />
vont les chercher bien bas, les mecs qui s’habillent en petit t-shirt D&G taille<br />
gamine et qui jurent ne rater aucun épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> la saga Star Ac’ ; les vrais mecs<br />
du Maroc quoi…<br />
LA MASSE INCULTE . Chut, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ! Ne montrez pas que vous êtes pidi,<br />
Hassan ne veut pas !<br />
747
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Hassan est mort ! Aujourd’hui, Les Folies Bergères dirigent le royaume.<br />
Mer<strong>de</strong> quoi ! Il va se lâcher quand, ce peuple <strong>de</strong> débiles ? Impossible <strong>de</strong> leur<br />
dire cela, évi<strong>de</strong>mment ! Notre passeport chez les renseignements généraux <strong>de</strong><br />
Safi <strong>de</strong>puis plus d’un mois, il ne manquerait plus qu’il y reste – et nous avec !<br />
Cette soirée donc !<br />
Les Cieux étaient presque dégagés, la nuit complète et les barques <strong>de</strong><br />
pêcheurs déjà au large. Nous étions seul, notre verre à la main, <strong>de</strong>s nachos pas<br />
loin pour éponger, la diva subwoofée comme DJ, sur notre balcon perché. Tel<br />
Napoléon à son retour d’Égypte, sur la proue <strong>de</strong> son navire, le tricorne au<br />
vent, le regard fixé sur une Europe effervescente où réaffirmer sa gran<strong>de</strong>ur,<br />
nous étions. Nous chantions le désespoir <strong>de</strong> quitter un jour notre roc. En<br />
même temps, ici ou ailleurs…<br />
748
Incha Allah<br />
2 3 j u i n 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 4h27.<br />
Nous savions lorsqu’il nous le proposa qu’il allait être un plan foireux.<br />
Nous sortions <strong>de</strong> la shiratte (une <strong>de</strong> plus) et allions chercher <strong>de</strong>s glaçons à<br />
la cuisine pour accompagner notre Gordon’s. Là, nous rencontrâmes Medhi et<br />
Hassan, un ami à lui <strong>de</strong>scendu d’Italie, qui nous invitèrent à partager leur soirée<br />
à l’Hôtel Panorama. Nous acceptâmes, sans doute pour nous prouver que nous<br />
avions une fois <strong>de</strong> plus vu juste.<br />
Le Panorama, ce sont <strong>de</strong>s tables prêtes pour recevoir <strong>de</strong>s clients friqués.<br />
Nous en avions une. Tu sais, Fidèle, une <strong>de</strong> celles qui bor<strong>de</strong>nt le dance floor,<br />
pleines <strong>de</strong> clients qui se font grave chier mais qui le font avec <strong>de</strong> gros billets !<br />
Deux minutes (guère plus) après notre installation, nous avions déjà<br />
remarqué la fille canon (et mince) qui s’intéressait à nous, dansant sur<br />
déhanchements, regards <strong>de</strong> braise et mécanisme professionnel. Après une<br />
<strong>de</strong>mi-heure, <strong>de</strong>vant notre désintérêt monastique à ses charmes irrésistibles, elle<br />
vînt se loger dans le creux <strong>de</strong> notre épaule gauche. Elle voulait un baiser !<br />
Après plusieurs essais infructueux (nous vîmes ce que cela donnait avec Amina<br />
à Settat), nous lui <strong>de</strong>mandâmes au creux <strong>de</strong> l’oreille en évitant un léger coup <strong>de</strong><br />
sa tête vers nos lèvres :<br />
NOUS . Tu parles français ?<br />
ELLE . Oui !<br />
NOUS . Je suis homosexuel.<br />
La pauvre ! Visiblement, c’était la première fois qu’un mec lui sortait cela<br />
dans sa vie <strong>de</strong> pute-confiance. Elle essaya quand même <strong>de</strong> nouveau quelques<br />
approches puis finit par partir dans un fou rire <strong>de</strong> dépit ; nous la suivîmes.<br />
Medhi nous avait dit juste avant : « Tu la veux ? Prends-la ! Je trouverai une<br />
place à la maison ! » Quel imbécile ! Avons-nous la tête d’un affamé<br />
marocain ?!<br />
749
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
NOUS (à elle au creux <strong>de</strong> l’oreille après une nouvelle fois avoir évité ses lèvres mendiantes) . Je<br />
suis désolé !<br />
ELLE . « Je suis désolé ! » ? Tu es une femme ou une pute pour dire : « Je suis<br />
désolé ! » ?<br />
NOUS . Les <strong>de</strong>ux.<br />
ELLE (<strong>de</strong> rire) . Et moi, tu crois que je suis une dame ou une pute ?<br />
NOUS . Les <strong>de</strong>ux aussi.<br />
ELLE . J’aime les <strong>de</strong>ux…<br />
NOUS . Mais c’est impossible entre nous !<br />
Tout cela sur une musique R&B trop forte et insupportable ; tu vois.<br />
Hassan partit, la copine <strong>de</strong> Medhi suivit et nous plus tard. Entre temps, elle<br />
avait compris, rejoint un autre gars et était revenue à notre table. Tellement<br />
frustrée – c’était donc bien la première fois qu’on la refusait ainsi ! – qu’elle<br />
nous mordit au cou, nous pinça ou poussa <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> détresse dans le bruit <strong>de</strong><br />
la sono.<br />
Nous partîmes en la laissant seule ; elle faisait pitié à voir. Mécontente, un<br />
brin orgueilleuse (nous apprécions cela chez une fille !), elle prit le taxi suivant<br />
et lui <strong>de</strong>manda : « Suivez la voiture <strong>de</strong> <strong>de</strong>vant ! », genre le cliché ma<strong>de</strong> in NYC !<br />
À la porte <strong>de</strong> la shiratte, nous la retrouvâmes donc. Elle s’engueula avec<br />
Medhi, entra sur la terrasse, ne voulait plus en sortir, s’engueula <strong>de</strong> nouveau<br />
avec Medhi.<br />
ELLE . Je veux parler à personne ! J’ai juste envie <strong>de</strong> toi !<br />
Elle avait les larmes aux yeux quand elle nous dit cela. Medhi s’énerva<br />
(pour changer…), dit au gardien <strong>de</strong> la foutre <strong>de</strong>hors et la jeta dans “son” taxi<br />
en nous poussant : « Toi, tu rentres ! » En effet, nous l’accompagnions, la<br />
pauvre, nous seul civilisé du coin à la tenir par la taille en lui parlant<br />
calmement.<br />
Elle partit en pleurant.<br />
750
Incha Allah<br />
Ceci est la version ultra short. Pour les censures, il faut acheter le collector,<br />
Fidèle ! Tu y trouveras : elle qui frappe à la porte en criant : « Je t’aime ! » après<br />
s’être faite virer une première fois ; Hassan qui répond à notre :<br />
« Franchement, après avoir vu le Queen, tu peux t’amuser dans un tel<br />
endroit ? » par un tranchant : « Non, c’est d’la mer<strong>de</strong> ! » ; elle qui nous confie<br />
sur la terrasse un : « Il peut rien contre moi, Medhi, parce que je le connais ! »<br />
qui veut tout dire ; la “copine” <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier qui nous colle toute la soirée sur<br />
la banquette ; les barmans, serveurs et clients <strong>de</strong> la shiratte retrouvés à l’Hôtel<br />
Panorama ; et d’autres détails plus appréciés <strong>de</strong> nous que les autres.<br />
Pour conclure, nous lûmes dans le regard <strong>de</strong> cette fille dont nous ne savons<br />
pas le prénom l’espoir <strong>de</strong> quitter son mon<strong>de</strong> dégueulasse avec un homo qui,<br />
peut-être, la traiterait comme une personne et non comme un trou à défoncer.<br />
Cette fille, nous en sommes convaincu, ne nous <strong>de</strong>mandait que <strong>de</strong> la prendre<br />
dans nos bras, le temps d’une nuit d’évasion. Quelle tristesse !<br />
Demain, le tout Safi sera au courant d’une version mille fois mythonnée –<br />
téléphone arabe oblige ! – mais nous, et toi désormais, Fidèle, connaissons la<br />
vérité. N’écoute donc pas les ragots et ris, non d’elle, mais d’eux, les bâtards, et<br />
<strong>de</strong> nous qui ne sûmes dire : « La ferme, Medhi, tu n’as vraiment rien<br />
compris ! » car il est le fils <strong>de</strong> notre patronne.<br />
751
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 6 j u i n 2 0 0 6<br />
Essaouira (Maroc), 13h15.<br />
L’Océan Vagabond s’est offert pour le festival un complet <strong>de</strong> bédouin. Les<br />
tentes sont encore montées ; hier soir, gran<strong>de</strong> soirée !<br />
Et nous ? Rien ! Nada ! Walou ! Une shiratte aussi vi<strong>de</strong> que notre bouteille<br />
<strong>de</strong> gin. L’heure est au rattrapage : Domaine <strong>de</strong> Sahari gris, pour commencer.<br />
Impossible <strong>de</strong> retirer quoi que ce soit à la banque ce matin en arrivant.<br />
Nous rencontrâmes un Suisse à la Société Générale qui avait le même<br />
problème. Encore heureux car nous aurions fait un scandale, d’autant qu’il était<br />
bien mignon… Selon certains, le festival était une franche réussite ; selon<br />
d’autres, c’est <strong>de</strong> pire en pire. Nous, attendons le décompte <strong>de</strong>s morts. Pour<br />
l’instant, les seuls comateux que nous croisâmes étaient éthyliques. Notre<br />
temps viendra, lui aussi…<br />
Essaouira est, tu le sais désormais, Fidèle, notre coup <strong>de</strong> cœur dans ce pays.<br />
Dakhla, peut-être bien, ne passe qu’ensuite.<br />
Du Soleil ! Migrons donc à-côté vers le plus obscur… Là, c’est mieux !<br />
Essaouira, recolonisée par les Européens <strong>de</strong>puis les années 90, nous semble<br />
être une perle rare ; comme il est bon <strong>de</strong> s’y ressourcer !<br />
Aujourd’hui, nous avons prévu <strong>de</strong> visiter Jimmy, un jeune homme très<br />
affairé que nous rencontrâmes à notre premier passage ici en avril, puis nous<br />
irons nous payer une chambre dans un beau riad avant <strong>de</strong> reprendre la route<br />
pour Safi, <strong>de</strong>main. Que <strong>de</strong> dépenses, et ce seulement pour échapper à la folie<br />
safiote !<br />
752
Incha Allah<br />
1 e r j u i l l e t 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 10h53.<br />
Nous avions ren<strong>de</strong>z-vous hier après-midi ; nous <strong>de</strong>vions voir les luminaires<br />
chez Kitea pour le jazz-bar. Arrivé un quart d’heure en avance, c’était<br />
l’occasion !<br />
Nous y pensions <strong>de</strong>puis longtemps mais un nous ne savons quoi nous<br />
retenait encore, sans doute le scrupule d’abandonner notre pondération<br />
confessionnelle adoptée un peu faute <strong>de</strong> mieux quelques mois plus tôt.<br />
NOUS-MÊME . Et puis mer<strong>de</strong>, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> !<br />
Nous ne comprenions pas comment nous avions pu être blasé <strong>de</strong> ce côtélà.<br />
Hier fut une révélation ; le Maroc nous avait guéri !<br />
NOUS-MÊME . <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, très cher, vous avez quinze minutes pour faire<br />
votre choix !<br />
Et quel choix, Fidèle ! Toi qui nous comprends, toi l’affamé à la pensée<br />
maladive, tu serais comblé ! Un rayon entier <strong>de</strong> petits calibres vers les caisses et<br />
<strong>de</strong> gros calibres au fond, vers les jus <strong>de</strong> vaches ; montage exquis.<br />
Le Coran créa le kascher ; qu’il soit béni !<br />
Au soir, 600 grs. <strong>de</strong> pure élévation.<br />
753
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
4 j u i l l e t 2 0 0 6<br />
Casablanca (Maroc), 23h09.<br />
À la porte du hall d’embarquement <strong>de</strong> la gare CTM, un employé vérifiait<br />
les billets. Nous en avions <strong>de</strong>ux et voulions lui montrer le premier consommé<br />
<strong>de</strong> Safi à Casablanca, histoire <strong>de</strong> voir s’il faisait bien son boulot. Il ne <strong>de</strong>manda<br />
rien…<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Vous savez, le <strong>Blanc</strong> peut-être con aussi !<br />
Racisme inversé ? Non ! complexe du colon.<br />
Nous sommes en route pour l’Espagne, une chance pour nous, nous dirastu,<br />
mais en fait pas du tout car nous allons seulement y renouveler notre visa.<br />
Un aller / retour <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jours, Incha Allah !<br />
Plus <strong>de</strong> cinq mois, putain !<br />
NOUS-MÊME . Gaffe, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ! Vous vous sé<strong>de</strong>ntarisez… et tournez au<br />
kascher !<br />
00h43.<br />
Le bus a une heure <strong>de</strong> retard. Tout le mon<strong>de</strong> s’engueule dans le hall<br />
d’embarquement. Nous, avec patience, regardons…<br />
1h21.<br />
Le bus emprunta une voie annexe à l’autoroute, craquelée et paumée. Il se<br />
rendait en fait au garage : embrayage et climatisation foutue ! Tout le mon<strong>de</strong><br />
s’engueule sur le parking <strong>de</strong> la station. Nous, avec patience, regardons…<br />
La ville, en ce moment, se mo<strong>de</strong>rnise.<br />
754<br />
Tanger (Maroc), 7h26.
Incha Allah<br />
Majesté, au lieu <strong>de</strong> dépenser <strong>de</strong>s milliards pour vitrifier votre royaume,<br />
placez les donc dans <strong>de</strong>s écoles pour éduquer, alphabétiser, civiliser votre<br />
peuple qui a grand besoin d’apprendre respect, propreté et savoir-vivre ! car<br />
avec lui comme gardien <strong>de</strong> votre belle vitrine, cette <strong>de</strong>rnière ne passera pas<br />
cinquante ans…<br />
Contraste sans étonnement.<br />
Algésiras (Espagne), 12h02.<br />
Ceuta (Espagne), 14h09.<br />
Nous n’avions pas d’euros dans les poches et décidâmes <strong>de</strong> joindre la<br />
frontière à pattes. La marche ne nous fit pas <strong>de</strong> mal, la ville et la plage sont<br />
superbes. Dans les rues, <strong>de</strong>s gens propres qui ne nous regardaient pas comme<br />
l’étranger à plumer, quelques regards <strong>de</strong> beaux Marocains résidant ici ; un<br />
nouveau souffle entretenait alors notre moral. Ceuta, nous l’aimions déjà !<br />
19h24.<br />
La police refusa <strong>de</strong> nous laisser rentrer au Maroc. Après <strong>de</strong>ux heures et<br />
<strong>de</strong>mie <strong>de</strong> tractations, impossible d’obtenir quoi que ce fût, ni avec le simple<br />
agent, ni avec le commissaire aux lunettes intransigeantes.<br />
LUI . Vous aviez le droit à trois mois ; vous en avez fait cinq. Vous avez déjà<br />
bénéficié d’une prolongation.<br />
NOUS . Mais tout est réglé : je suis sorti du territoire et une nouvelle<br />
prolongation m’attend à Safi, où je dois continuer mon stage en restauration.<br />
LUI . Votre patronne aurait dû vous gar<strong>de</strong>r dans ce cas. Il était inutile <strong>de</strong> sortir.<br />
Restez quelques jours en Espagne et réessayez par Tanger !<br />
Tanger ! Il nous reste 70 euros dans la poche, moins la cerveza que nous<br />
venons <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r pour ne pas abuser <strong>de</strong> leur gentillesse à recharger notre<br />
téléphone épuisé à peine plus que nous.<br />
755
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
NOUS . ¿ Se prohíbe fumar ? Aucun problème, tant que se permite beber, ça ira.<br />
¡ Una cerveza, por favor !<br />
Putain <strong>de</strong> Maroc <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> ! Pourquoi nous a-t-on envoyé ici si <strong>de</strong>s papiers<br />
étaient en cours, aussi ? Pourquoi avons-nous cru un instant à la pub pour<br />
magazines <strong>de</strong> voyages : « Les Français, c’est comme nos frères ! » ? Nous<br />
pensions quoi, sérieux ? Qu’on nous traiterait comme le fils <strong>de</strong> Jacques Chirac,<br />
comme on nous le sortit à la frontière ? Foutaises ! Oui, c’est triste ! Non que<br />
nous soyons refusé d’entrée au Maroc – Oh putain non ! – mais que nous<br />
fûmes assez con pour penser y revenir et avoir laissé nos effets et notre carnet<br />
au Refuge. Cette occasion manquée, une autre cerveza s’impose. 1,50 euros,<br />
pourquoi s’en priver !?<br />
NOUS . ¡ Por favor, dos otras !<br />
756
Incha Allah<br />
6 j u i l l e t 2 0 0 6<br />
Devant la porte <strong>de</strong> l’Irish Castle K’melot comme un clochard.<br />
Ceuta (Espagne), 12h23.<br />
Nous passâmes la nuit à l’Hostal Real, un petit hôtel sans prétention à 25<br />
euros la chambre. Nous attendions quelques coups <strong>de</strong> fil mais Maroc Telecom<br />
ne semble pas plus être souveraine ici que son pays. Notre téléphone posé sur<br />
la commo<strong>de</strong>, quelques SMS passèrent toutefois et les nouvelles n’avaient rien<br />
d’encourageant.<br />
Enfin, au moins pourrons-nous nous vanter d’avoir été coincé en Europe<br />
et en Afrique à la fois… Mais quand même, cela fait chier ! Il nous reste 45<br />
euros et 5 dirhams – la pièce <strong>de</strong> 1987 avec laquelle nous jouions à Marrakech –<br />
pour tenir trois nuits. Aucun vêtement <strong>de</strong> rechange, pas suffisamment pour<br />
aller à Tanger, juste assez pour Algésiras, le ventre vi<strong>de</strong>, pas <strong>de</strong> kascher sous la<br />
main ; réfléchissons ! Avons-nous connu pire ? Oui, sans doute, ne comptant<br />
plus les fois…<br />
19h40.<br />
Nous étions au cybercafé lorsque Madame S. nous appela. La<br />
communication était mauvaise mais nous eûmes le temps avant qu’elle ne<br />
meure (la communication) <strong>de</strong> la mettre au courant <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières nouvelles.<br />
Une femme était assise à-côté <strong>de</strong> nous.<br />
MONETTE . Excusez-moi, je n’ai pas pu m’empêcher d’écouter votre<br />
conversation.<br />
NOUS . Ne vous en faites pas, tout le mon<strong>de</strong> ici en a profité…<br />
MONETTE . Vous êtes vous aussi coincé, alors. Je suis contente <strong>de</strong> ne pas être la<br />
seule !<br />
Elle était montée <strong>de</strong>puis le haut Atlas pour être en règle avec les autorités,<br />
son visa <strong>de</strong> trois mois expirant. Elle avait envoyé sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> prolongation<br />
à temps ; <strong>de</strong>s promesses non tenues par l’administration. Elle était donc partie<br />
757
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
avec sa voiture et <strong>de</strong>s affaires pour <strong>de</strong>ux jours. À la frontière, on lui sortit<br />
qu’elle n’avait pas le droit <strong>de</strong> passer, qu’elle <strong>de</strong>vait rentrer chez elle.<br />
Elle pense faire une grève <strong>de</strong> la faim <strong>de</strong>vant le poste ces prochains jours et<br />
avertir les Droits <strong>de</strong> l’Homme…<br />
De notre côté, rien ne change sauf l’épaisseur <strong>de</strong> notre bourse. Même<br />
notre mal au cul reste là.<br />
NOUS-MÊME . Cela vous apprendra à jouer avec votre bouteille d’eau dans<br />
l’Euroferry’s !<br />
Sans commentaire.<br />
Nous rentrerons au Maroc, il le faut ! Les six <strong>de</strong>rniers mois <strong>de</strong> notre carnet<br />
en dépen<strong>de</strong>nt. Et dire que nous faisons tout pour le quitter <strong>de</strong>puis mars ;<br />
comme quoi…<br />
758
Incha Allah<br />
7 j u i l l e t 2 0 0 6<br />
Ceuta (Espagne), 14h51.<br />
Nous visitâmes ce midi le Consulat Honoraire <strong>de</strong> France situé dans les<br />
bâtiments <strong>de</strong> la Cruz Roja. Monsieur Germinal, le responsable, nous informa<br />
<strong>de</strong> la manière suivante : « Ça dépend <strong>de</strong>s jours ; parfois ils vous laissent re<br />
rentrer, parfois non. Vous <strong>de</strong>vriez essayer par Tanger ; jusqu’à présent, ça<br />
fonctionne ! »<br />
Tanger donc, toujours. Existe-t-il <strong>de</strong>s navettes pour… voyons… 1,70 euros<br />
<strong>de</strong>puis ici ? Non ? Ah ! c’est étrange. Et bien nous l’avons dans le cul alors…<br />
Madame S. s’inquiète pour nous, pas plus que notre mère au château,<br />
évi<strong>de</strong>mment. Notre contact à Saint-Malo se démène, soi-disant, pour nous<br />
sortir <strong>de</strong> là auprès <strong>de</strong> l’armée française. Nous ne sommes donc pas seul dans<br />
cette histoire.<br />
Nous ne revîmes plus Monette <strong>de</strong>puis hier après-midi ; espérons qu’elle ait<br />
eu plus <strong>de</strong> chance que nous. Peut-être est-elle tombée, elle, sur un flic un peu<br />
moins con que les nôtres…<br />
Puisque nous n’avons plus <strong>de</strong> thunes ou presque, ne le gaspillons pas ;<br />
contentons donc notre foie avec Motou, la cerveza d’ici !<br />
Madame S. vient <strong>de</strong> nous appeler.<br />
15h23.<br />
MADAME S. . Je t’envoie <strong>de</strong> l’argent, t’en fais pas pour ton visa, l’essentiel est que<br />
tu rentres à Safi. Ici, on se débrouillera avec les RG, c’est entre nous !<br />
Traduction : nous ne rentrons pas, nous perdons nos effets et notre carnet ;<br />
nous rentrons, nous retombons dans les magouilles qui nous ont foutu dans la<br />
mer<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux fois déjà.<br />
C’est incroyable le Maroc ; rien n’y fonctionne correctement ! Nous<br />
rencontrâmes il y a peu à la shiratte un jeune homme fort sympathique qui<br />
affichait une double nationalité ; sa mère était marocaine et son père, général<br />
759
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
mort pendant la guerre du Golfe, était irakien. Nous lui <strong>de</strong>mandâmes quelle<br />
nationalité il préférait et il nous répondit sans hésiter : « Irakienne,<br />
évi<strong>de</strong>mment ! Le seul problème chez nous, c’est la guerre alors qu’ici, tout est<br />
un problème ! »<br />
760
Incha Allah<br />
1 0 j u i l l e t 2 0 0 6<br />
Tanger (Maroc), 10h07.<br />
Nous n’aurions jamais pensé être si heureux <strong>de</strong> revoir ce pays <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> !<br />
Voilà comment nous y arrivâmes, tout commençant par un SMS :<br />
FATIMA . Sois dans 10 minutes au Mac Donald’s. Tu y retrouveras une amie qui<br />
te remettra <strong>de</strong> l’argent pour rentrer par Tanger.<br />
Nous n’avions d’autre choix que d’accepter. Black out total avec notre<br />
contact malouin et le sien, soi-disant officier dans la marine française <strong>de</strong>scendu<br />
à Gibraltar pour traiter avec les militaires espagnols et nous sortir <strong>de</strong> là.<br />
Dans cette affaire, nous perdîmes beaucoup <strong>de</strong> crédits pour services rendus<br />
sans le moindre résultat. Encore une fois, nous n’avions pas le choix…<br />
Nous passâmes la nuit chez Nahima, l’amie <strong>de</strong> Fatima, adorable personne à<br />
qui nous <strong>de</strong>vons beaucoup désormais.<br />
Dans le fast ferry d’Algésiras à Tanger, l’agent <strong>de</strong> police marocain à qui<br />
nous eûmes affaire nous dit les mots suivants : « Cela n’a rien d’étonnant ! Vos<br />
papiers sont en règle mais à Ceuta, ce sont <strong>de</strong>s corrompus. Si vous ne leur<br />
donnez pas votre passeport avec quelques billets <strong>de</strong>dans, ils vous refusent<br />
l’entrée. » Et c’est vrai ! Combien <strong>de</strong> passeports verts ou européens avionsnous<br />
vu défiler au guichet numéro 5, bien remplis ?!<br />
Pays en mouvement ? Non, pays qui s’enferme dans sa connerie.<br />
Le temps est couvert, le muezzin gueule, cette aventure nous a plumé.<br />
Nous sommes dégoûté <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> choses aujourd’hui.<br />
LE CHAOS . Je viens, patience !<br />
761
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 2 j u i l l e t 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 1h56.<br />
En sortant du Royal Yacht Club <strong>de</strong> Tanger, hier soir, nous retournâmes à la<br />
gare CTM et y croisâmes un journaliste du Parisien, un peu perdu au bord <strong>de</strong><br />
la route, à la recherche <strong>de</strong> quelques bonnes âmes voulant bien répondre à ses<br />
questions, en français.<br />
LUI . Bonsoir ! Ce sont <strong>de</strong>s Marocains qui reviennent au bled, c’est ça ?<br />
Il interrogeait un Tanjaoui peu francophone sur les voitures immatriculées<br />
en Métropole au toit chargé et arrangé… à l’arabe.<br />
C’était plus fort que nous, impensable <strong>de</strong> ne pas lui sauter <strong>de</strong>ssus pour<br />
avoir <strong>de</strong>s détails. Il nous apparaissait un peu comique avec son bloc-notes en<br />
main et surtout dans pareil paysage.<br />
NOUS . Bonsoir ! Vous per<strong>de</strong>z votre temps, vous savez… Ils ne vous diront<br />
jamais ce qu’ils pensent vraiment.<br />
LUI . Oh si, j’ai déjà eu quelques témoignages. Ils ne les aiment pas.<br />
NOUS . Pas étonnant, ils ne s’aiment déjà pas entre eux. Donnez-leur les<br />
moyens d’aller en France et vous verrez… Ils n’atten<strong>de</strong>nt que ça, prendre leur<br />
place ou, au moins, avoir la même. Dites-leur comment ça se passe vraiment<br />
là-haut plutôt, ils ne vous croiront pas.<br />
LUI (<strong>de</strong> noter) . C’est intéressant ça !<br />
NOUS . Mouais… Enfin, vous pouvez interroger les policiers là-bas (la porte du<br />
port), ils sont sympathiques.<br />
LUI . Ça fait longtemps que vous êtes ici ?<br />
NOUS . Cinq ou six mois, je suis barman à Safi.<br />
LUI . Ah oui ? Et ça se passe comment ?<br />
NOUS . C’est simple : l’alcool est interdit aux musulmans et ce sont eux qui<br />
boivent le plus… Allez donc gérer ça !<br />
762
Incha Allah<br />
Nous t’épargnerons, Fidèle, toute la conversation pour conclure ainsi.<br />
NOUS . Vous allez rester longtemps au Maroc pour écrire votre article ?<br />
LUI . Quelques jours, oui. (<strong>de</strong>ux semaines il nous semble, foutue mémoire…)<br />
Nous irons à Fès, Casablanca et Rabat.<br />
Sans commentaire. Encore un article d’une gran<strong>de</strong> “objectivité”. Attendons<br />
<strong>de</strong> voir…<br />
Le reste du voyage retour fut long et diététique : du pain, <strong>de</strong> l’eau, 1 dirham<br />
en poche une fois au refuge. Marre d’être toujours fauché !<br />
Un peu après midi, après maints retards, nous ouvrîmes les portes <strong>de</strong><br />
l’Armstrong pour y découvrir… que dalle en fait. Rien n’avait été fait pendant<br />
notre absence. En revanche, Medhi s’était octroyé une petite soirée entre amis.<br />
Les verres étaient dégueulasses, <strong>de</strong>s mouches noyées dans les fonds <strong>de</strong> vin, les<br />
cendriers étaient pleins, le comptoir, le balcon, les torchons pourris, notre<br />
serviette <strong>de</strong> bain avait servi à cacher la machine à pression et la liste <strong>de</strong>s<br />
disparus était signée <strong>de</strong> trois verres, un torchon, une fourchette, un balais, un<br />
table basse, un savon…<br />
Qui dans ce mon<strong>de</strong> est assez débile pour voler un savon, sérieux ?! Ici, c’est<br />
déjà la secon<strong>de</strong> fois. Franchement, faut vraiment pas avoir <strong>de</strong> face…<br />
Ce soir, nous retrouvâmes la shiratte avec les mêmes têtes, les mêmes tas<br />
<strong>de</strong> bouteilles vi<strong>de</strong>s, les mêmes croûteux que nous quittâmes mardi 4.<br />
Et bien, tu sais quoi, Fidèle ? Cela ne nous avait pas manqué le moins du<br />
mon<strong>de</strong> !<br />
763
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 4 j u i l l e t 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 23h39.<br />
Dans un mois, jour pour jour, nous aurons un quart <strong>de</strong> dixième <strong>de</strong><br />
millénaire ; l’angoisse ! Notre échéance approche et aucune porte ne semble<br />
s’ouvrir à notre horizon. Ainsi, pourquoi nous désespérer sur une feuille<br />
lorsque celle-ci ne reflète rien, ce “rien” qui n’est autre en ce moment que<br />
notre quotidien passivement accepté. Nous ne trouvons aucune ressource<br />
inexploitée dans notre besace pour le remplacer par un chemin plus productif.<br />
Quoi qu’il en soit, nous travaillons sur d’autres projets, cherchons d’autres<br />
opportunités et essayons, toujours, <strong>de</strong> trouver le moyen <strong>de</strong> continuer notre<br />
Quête, loin <strong>de</strong> ce pays tuteur malgré nous.<br />
Nombre d’occasions <strong>de</strong> le quitter furent manquées et nos Vents ne<br />
semblent toujours pas nous <strong>de</strong>stiner à cette voie facile. Alors où nous portentils<br />
? Aujourd’hui, calmes ils sont et stagnant nous sommes. Stagner, c’est<br />
mourir et mourir, c’est perdre ! Nous n’aimons pas perdre aussi bêtement, sans<br />
combattre dans une arène peuplée <strong>de</strong> corps huileux que la chaleur fait briller,<br />
sans crier le mal du mon<strong>de</strong>, sans percer la canopée pour voir, finalement, qu’il<br />
n’y a plus rien ni personne pour se mesurer à nous.<br />
Inhumons ces lignes en attendant le renouveau.<br />
764
Incha Allah<br />
4 a o û t 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 00h51.<br />
Comme toujours, quand nous avons un peu <strong>de</strong> thunes, nous passâmes la<br />
journée au cybercafé La Scala, sur le plateau (la ville nouvelle) à travailler notre<br />
site-web. Nous en avions marre <strong>de</strong> superviser les “ouvriers” du jazz-bar. Ils<br />
nous saoulaient à blablater pour finalement ne rien foutre, à chercher la<br />
moindre excuse à l’inactivité, une vis manquante, un marteau disparu, une<br />
porte fermée, une discordance entre les directives <strong>de</strong> Madame S. et celles <strong>de</strong><br />
son fils, etc. Et ce quand ils pensaient à se présenter, évi<strong>de</strong>mment… Ainsi, ce<br />
matin, fûmes-nous surpris <strong>de</strong> voir le plombier que nous attendions <strong>de</strong>puis<br />
quatre jours.<br />
Hier, Medhi se mit dans la tête d’accélérer les choses et <strong>de</strong> venir engueuler<br />
les ouvriers, les bouger un peu. Quelle bonne idée : nous sommes le 4 août,<br />
cela fait plus <strong>de</strong> trois mois que nous campons ici dans l’attente d’une<br />
provi<strong>de</strong>ntielle ouverture, le ramadan est dans un mois et <strong>de</strong>mi et nous <strong>de</strong>vrons<br />
alors fermer ; sans commentaire, toujours.<br />
Nous, au milieu <strong>de</strong> cette idiote comédie, nous occupons comme nous le<br />
pouvons. Tous les matins, nous allons prendre notre café avec et chez Fatima<br />
et l’aidons à préparer sa marchandise, ce qui constitue le seul ou presque<br />
moment sympathique <strong>de</strong> la journée, cette femme n’étant ni conne, ni mauvaise.<br />
Le soir, nous visitons le bar <strong>de</strong> shiratte, y préparons les tapas, notons dans un<br />
coin encore peu occupé <strong>de</strong> notre esprit les petits trucs qui clochent pour, peutêtre,<br />
les rapporter à Madame S. dans ses rares moments <strong>de</strong> bonne humeur. La<br />
journée, quand nous ne nous désespérons pas <strong>de</strong>vant le travail <strong>de</strong>s ouvriers,<br />
nous allons sur l’Internet ou piquer une tête dans l’Atlantique en bas <strong>de</strong> la<br />
falaise. Quelle vie, quelle vie !<br />
Nous ne gagnons pas suffisamment pour penser à nous sauver ailleurs ; il<br />
faut que ce jazz-bar ouvre dans le courant <strong>de</strong> la semaine prochaine. Nous<br />
aurons ainsi peut-être la chance d’amasser un peu <strong>de</strong> tips pour financer un<br />
nouveau départ pour nous ne savons où et poursuivre notre Quête. Mais ceci,<br />
nous ne le décidons pas ; attendons donc <strong>de</strong> voir…<br />
765
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
6 a o û t 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 14h58.<br />
Hier matin, nous étions au cybercafé, prêt et emballé pour une nouvelle<br />
journée d’intense ennui <strong>de</strong>rrière dix-sept pouces lorsque notre téléphone<br />
sonna.<br />
MADAME S. . Où es-tu, <strong>Florimon</strong> ?<br />
NOUS . À la Scala, Madame, sur le plateau.<br />
MADAME S. . Mais nous allons ouvrir aujourd’hui et toi, tu n’es pas là ?<br />
NOUS . Quand je suis parti il y a une heure, c’était encore en plein chantier…<br />
MADAME S. . Medhi s’est mis en tête d’ouvrir aujourd’hui ; il ne t’a pas prévenu ?<br />
NOUS . Bien sûr que non !<br />
MADAME S. . Bien… Fini ce que tu as à faire ; dans une heure tu es là !<br />
Évi<strong>de</strong>mment qu’il n’avait prévenu personne, même pas sa mère ! D’ailleurs,<br />
nous ne savons pas très bien qui le dirige ce putain <strong>de</strong> jazz-bar. Chacun nous<br />
dit : « Mais non, c’est moi et je les emmer<strong>de</strong> ! » alors forcément, cela n’ai<strong>de</strong> pas<br />
à savoir…<br />
Nous mîmes donc un terme à nos cyber conversations, sautâmes dans un<br />
taxi et gagnâmes l’Armstrong… en chantier. Medhi se rendait à la cuisine, une<br />
assiette <strong>de</strong> sardines à la main, les ouvriers “travaillaient” ; rien n’était prêt.<br />
Vois-tu, Fidèle, dans la vie, il faut savoir gar<strong>de</strong>r son calme à tout instant et<br />
dans les situations les plus… comment dire… exaspérantes ! Ainsi, au lieu<br />
d’arriver et <strong>de</strong> lui lancer notre pensée à la figure, nous entrâmes tout sourire<br />
avec un : « Bonjour ! » très hypocrite, rangeâmes notre sac, nous assîmes et<br />
attendîmes qu’il termine son délire.<br />
Il dura, dura, dura ; une vraie calamité ! Il remua tout le personnel pour<br />
absolument ouvrir à 20 heures. Peine perdue ! Le jazz-bar était bien ouvert à 20<br />
heures mais manquait <strong>de</strong> tout, <strong>de</strong> la plus simple olive pour le Martini au ri<strong>de</strong>au<br />
ou à la caisse. Nous avions les fûts, les chaises, les bouteilles – pas fraîches –<br />
qu’il fallut jeter dans une bassine <strong>de</strong> glace pilée qui sentait le poisson, la<br />
766
Incha Allah<br />
musique, les verres et quelques clients <strong>de</strong> ses amis montés là par charité.<br />
Avec le premier d’entre eux, nous parlâmes <strong>de</strong> la peur ; intéressant,<br />
vraiment. Puis vinrent d’autres, puis d’autres, puis d’autres, puis Monsieur S. et<br />
un ami à lui qui consommèrent comme <strong>de</strong>ux parfaits clients et nous quittèrent<br />
à 3 heures.<br />
Medhi enfin, qui se prit d’amour pour notre frigo, décida <strong>de</strong> le vi<strong>de</strong>r, pour<br />
l’inventaire nous dit-il. Nous nous exécutâmes, sachant très bien <strong>de</strong>puis le<br />
temps que dans son état, il était <strong>de</strong> toute manière impossible <strong>de</strong> le raisonner. Il<br />
compta, nous comptâmes. Première recette : 1505 dirhams, une somme toute<br />
mo<strong>de</strong>ste mais qui nous satisfaisait, nous seul.<br />
MEDHI . C’est tout ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Ouais, et moins encore vu que tu consommes<br />
gratuitement et vi<strong>de</strong>s le frigo, pauvre débile !<br />
NOUS . C’est le premier soir…<br />
MEDHI . Tu ne veux pas que je t’ai<strong>de</strong> à ranger ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Oh putain, non ! T’en as déjà assez fait, MERCI !<br />
NOUS . Non, non, t’en fais pas, je vais ranger ça tranquillement en musique et<br />
aller me coucher. Tu peux partir tranquille.<br />
Sa mère était passée entre temps, vers 3h30, furieuse, pour changer. Cette<br />
fois-ci pourtant était-ce justifié. Aujourd’hui, elle se confia à nous.<br />
MADAME S. . Je veux pas <strong>de</strong> Medhi au bar ! C’est mon affaire, pas la sienne. Qu’il<br />
amène sa bouteille s’il veut boire gratuitement !<br />
Une vraie calamité, cette famille (bis) !<br />
Nous rangeâmes donc et allâmes nous coucher, pour nous lever trois<br />
heures trente plus tard, un brin la tête dans le cul.<br />
Aucun client <strong>de</strong>puis ; gardon espoir !<br />
767
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 6 a o û t 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 12h07.<br />
Sur la platine <strong>de</strong> notre bar vi<strong>de</strong> à cette heure-ci, Randy Crowford chante.<br />
L’Océan se confond à la fenêtre avec l’horizon, <strong>de</strong>rrière les palmiers et les<br />
plantes grasses. Le ramadan approche et notre indécision est plus forte que<br />
jamais. Nous nous servons du gin (<strong>de</strong> NOTRE bouteille) masqué dans un<br />
verre ballon et noyé dans du jus <strong>de</strong> pêche pour ne pas penser et relever un peu<br />
notre entrain pour d’éventuels clients, source <strong>de</strong> pourboire qui nous permettra,<br />
peut-être, <strong>de</strong> regagner notre indépendance vagabon<strong>de</strong>. Le goût n’est pas<br />
superbe mais le geste est indispensable.<br />
Voilà dix jours, notre bar ouvrit ses portes et <strong>de</strong>puis lors notre vie<br />
ressemble-t-elle à celle d’un pilier <strong>de</strong> comptoir, <strong>de</strong> 9 heures à la fermeture, 2<br />
heures voire plus. Nous qui rêvions d’avoir <strong>de</strong>s cernes à cause du boulot avant<br />
nos 25 ans ; formidable…<br />
Madame S. qui gueule, encore !<br />
12h35.<br />
Notre clientèle se précise au fil <strong>de</strong>s jours : riche, homo, lesbienne,<br />
transsexuelle même. Voilà qui nous change <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années en<br />
France… Nous dîmes un soir à Madame S. que bientôt elle allait aussi pouvoir<br />
s’inscrire dans le gui<strong>de</strong> gay du routard.<br />
MADAME S. . Tant mieux ! Au moins, les homos, ils ne posent pas <strong>de</strong> problème !<br />
Medhi n’était pas du tout emballé en revanche mais sa mère le vira dans la<br />
semaine ; il buvait trop et surtout lui coûtait trop cher. Ainsi notre jazz-bar estil<br />
axé gay…<br />
Samedi <strong>de</strong>rnier, nous fîmes connaissance avec Jaâfar, un jeune Marocain <strong>de</strong><br />
22 ans qui accompagnait un vieux Français délabré résidant à Oualidiya, plus<br />
haut sur la côte. Il revint seul le len<strong>de</strong>main. Nous savions dès le premier regard<br />
qu’il était intéressé par nous. De notre côté, nous ne le trouvions pas<br />
768
Incha Allah<br />
exceptionnel mais… suffisant… et lui donnâmes ren<strong>de</strong>z-vous le lundi suivant.<br />
Nous passâmes avec lui notre plus belle journée <strong>de</strong>puis que nous étions dans<br />
cette ville <strong>de</strong> mer<strong>de</strong>, non tellement grâce à lui mais surtout parce que nous<br />
pûmes avec lui être nous-même, libéré <strong>de</strong> toute contrainte. Il ne bouleversera<br />
pas notre vie mais bon, c’est déjà cela <strong>de</strong> pris…<br />
769
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 0 a o û t 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 12h29.<br />
Nous repartirons à l’aventure d’ici quelques semaines, le temps <strong>de</strong> réunir un<br />
peu d’argent, vers le sud, le Sahara Occi<strong>de</strong>ntal, la Mauritanie. Nous<br />
proposâmes à Jaâfar <strong>de</strong> nous accompagner, il fut emballé mais avec le recul,<br />
nous pensons avoir gaffé. En fait, nous ne voulons pas d’un tel compagnon <strong>de</strong><br />
route : il ne travaille pas, il est incapable <strong>de</strong> prendre la plus petite décision (bon,<br />
quand c’est un choix <strong>de</strong> vie, cela peut se comprendre mais choisir son sac à<br />
dos… cela pose problème) et surtout il commence déjà <strong>de</strong> nous saouler.<br />
Bref…<br />
Madame S. n’est pas encore au courant. Le problème est que, sans nous,<br />
l’Armstrong va finir en bar glauque pour vieil alcoolique et cela ne va pas<br />
tellement lui plaire même si elle nous répéta souvent, avec son mauvais esprit,<br />
qu’elle n’avait pas besoin <strong>de</strong> nous. Non, c’est sûr mais son bar en revanche…<br />
Ce n’est ni son premier fils alcoolique et impulsif, ni son époux lassé, ni son<br />
second fils loin <strong>de</strong> la restauration et encore moins elle-même, épuisée par la<br />
mauvaise gestion <strong>de</strong> ses cinq établissements qui va le tenir, ce jazz-bar. Puis<br />
nous y créâmes une ambiance surtout, celle que les clients apprécient (nous<br />
dit-on souvent).<br />
Nous vînmes à Safi sur un souffle <strong>de</strong> vent, c’est une chance pour ainsi dire.<br />
Personne <strong>de</strong> jeune et <strong>de</strong> civilisé ne viendra plus ici s’installer pour bosser dans<br />
les conditions qui sont les nôtres actuellement.<br />
770
Incha Allah<br />
2 5 a o û t 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 13h04.<br />
La terrasse ouvre ses portes à 11h30, en principe. Hier, pour notre<br />
anniversaire, Jaâfar vint à 11 heures avec <strong>de</strong>s pâtisseries, sodas et un présent en<br />
poterie. Nous le fîmes entrer, puis dans notre bar et fermâmes la porte pour<br />
être tranquille car ici tout le mon<strong>de</strong> surveille tout le mon<strong>de</strong>. Nous étions<br />
content en déballant notre paquet d’avoir trouvé quelqu’un d’apparemment<br />
bien dans ce bled. Nous l’embrassâmes et nous assîmes tous <strong>de</strong>ux autour d’un<br />
fût pour célébrer. Franchement, c’était bon enfant, rien d’exagéré, simple. Le<br />
gardien vînt vers 11h15 nous dire que Madame S. ne voulait pas que quiconque<br />
entre avant l’ouverture <strong>de</strong> la porte principale.<br />
NOUS . C’est mon anniversaire, Loutfi. Il est venu fêter ça avec moi. Madame,<br />
j’en fais mon affaire, elle comprendra.<br />
LOUTFI . Oh, <strong>Florimon</strong>, désolé. Bon anniversaire !<br />
Hypocrite ! Telle une traînée <strong>de</strong> poudre qui prend flamme, tout le<br />
restaurant fut mis au courant : « <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> a un garçon dans son bar et la<br />
porte est fermée ! »<br />
Madame S. fut prévenue par, évi<strong>de</strong>mment, Njimo, son caniche <strong>de</strong> service.<br />
Elle vint plus tard chercher les détails. Nous lui expliquâmes, elle partit après<br />
nous avoir “gentiment” interdit d’inviter qui que ce fût et <strong>de</strong> le faire à la vue <strong>de</strong><br />
tous, incohérence malsaine.<br />
Il y a <strong>de</strong>ux choses – parmi bien d’autres en fait – que nous ne supportons<br />
pas : qu’on touche à notre liberté et qu’on s’immisce dans notre vie privée.<br />
Dans ce pays d’attardés moyenâgeux, on se fout <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux. Tous nous<br />
gâchèrent la journée !<br />
Le 10 ou le 15 septembre prochain, Madame S. fermera ses établissements<br />
pour le ramadan ; nous partirons et continuerons notre Quête ailleurs, n’ayant<br />
trouvé ici qu’hypocrisie et malhonnêteté.<br />
771
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 1 a o û t 2 0 0 6<br />
Safi (Maroc), 13h05.<br />
Est-ce utile <strong>de</strong> préciser que notre bar est vi<strong>de</strong> ? En cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> Shaban<br />
et fin <strong>de</strong> mois, non !<br />
Lundi <strong>de</strong>rnier, Jaâfar nous invita à manger chez lui, sous le toit <strong>de</strong> ses<br />
parents en fait, puis nous nous promenâmes en ville pour finir dans le snack<br />
d’un client rencontré au jazz-bar un soir, sur la colline <strong>de</strong>s potiers.<br />
Dans seize jours, nous quitterons cette cité pourrie pour une nouvelle<br />
aventure plus au sud. Nous sommes <strong>de</strong> moins en moins sûr <strong>de</strong> prendre Jaâfar<br />
avec nous. Le crédit est quelque chose que nous n’accordons que rarement car,<br />
par expérience, nous savons que cela se retourne souvent contre nous.<br />
Pourtant continuons-nous à nous engouffrer dans cette galère et Jaâfar en est-il<br />
l’actuel bénéficiaire. Nous ne craignons plus <strong>de</strong> nous prendre une claque dans<br />
la figure ; nous savons qu’elle viendra, inévitablement. Nous ne savons pas<br />
encore en fait… Nous verrons !<br />
Lundi prochain, nous irons à Marrakech avec lui pour nous informer au<br />
Consulat <strong>de</strong> France, y passer la nuit et surtout le tester (au lit, entre autres)<br />
avant <strong>de</strong> revenir travailler.<br />
Notre travail, nous l’assumons pleinement mais <strong>de</strong>rrière, dans les coulisses<br />
<strong>de</strong> ce restaurant soi-disant classé, rien ne suit. Un client marocain transsexuel<br />
qui vit en Allemagne nous dit un soir qu’un navire ne pouvait avoir <strong>de</strong>ux<br />
commandants, autrement coulait-il. Ici, le navire attend sagement le<br />
scaphandrier courageux et un peu fou qui prendra le risque <strong>de</strong> plonger pour y<br />
sauver les trésors. Nous, glauque-trotteur <strong>de</strong> passage, observons, <strong>de</strong>s ailes<br />
rivées sur nos omoplates et <strong>de</strong>puis le mat, la poupe qui s’enfonce doucement,<br />
sans espoir d’empêcher tel gâchis. Pourtant y a-t-il ici tout ce qu’il faut pour<br />
naviguer avec noblesse et fierté : le lieu, le savoir du couple gérant, la clientèle.<br />
Hélas la dérive semble-t-elle être le quotidien accepté. Nous savons que, <strong>de</strong><br />
notre côté, nous tomberons mais solitaire et sans suivre ou entraîner quelqu’un<br />
dans notre chute.<br />
Adieu donc, vaisseau qui nous repêcha voilà plus <strong>de</strong> quatre mois et merci<br />
car ce que nous apprîmes ici, nul autre au mon<strong>de</strong> ne pouvait nous le mieux<br />
772
enseigner…<br />
Incha Allah<br />
773
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 3 s e p t e m b r e 2 0 0 6<br />
Marrakech (Maroc), 18h46.<br />
Des mafiosi ! Nous bossions avec <strong>de</strong>s mafiosi <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> quatre mois.<br />
Ce matin, sous couvert d’un pat <strong>de</strong> chat longuement étudié, nous prîmes la<br />
fuite. Nous nous payâmes directement dans la caisse. Nous prîmes tout mais<br />
fûmes honnête car cela correspondait à ce que Madame S. nous <strong>de</strong>vait, soit<br />
environ 2000 dirhams. Pour eux, les hypocrites malhonnêtes que nous<br />
quittâmes, la leçon du jour sera : « Le chasseur chassé ! » Comprendra qui<br />
pourra… Pour nous, glauque-trotteur re<strong>de</strong>venu, c’est la liberté et la continuité<br />
<strong>de</strong> notre Quête. Nous sommes terriblement déçu ! Hier, nous comprîmes<br />
beaucoup <strong>de</strong> choses et Monsieur A. pourra en témoigner s’il le désire.<br />
N’importe ! Nous savions déjà le mon<strong>de</strong> dégueulasse, nous n’espérions rien et<br />
surtout pas après les beaux discours <strong>de</strong> nos patrons, dictés pas l’alcool ou<br />
l’intérêt. Un soir, Madame S. nous téléphona pour savoir si nous avions encore<br />
du mon<strong>de</strong> au jazz-bar.<br />
NOUS . Votre époux est encore là, oui.<br />
MADAME S. . C’est une catastrophe !<br />
Des mala<strong>de</strong>s mentaux ! Ils s’emmer<strong>de</strong>nt tous les uns les autres par <strong>de</strong>rrière<br />
mais quand il s’agit d’être sincère <strong>de</strong>vant, il n’y a plus personne. Nous aurions<br />
tant à ajouter à leur propos mais si peu l’envie. Par ailleurs, nous ne savons pas<br />
si nous pourrons payer le renouvellement <strong>de</strong> l’hébergement <strong>de</strong> notre site-web.<br />
Impossible d’envoyer <strong>de</strong> l’argent en France, ni par virement bancaire, ni par<br />
Western Union, pour éviter la fuite <strong>de</strong>s capitaux sans doute, comme si la<br />
France avait besoin du pognon <strong>de</strong>s paysans marocains, comme si la réelle fuite<br />
<strong>de</strong>s capitaux ne s’opérait pas via <strong>de</strong> belles valises diplomatiques. À moins d’un<br />
miracle donc, le 20 septembre prochain, il sera supprimé, avec lui nos courriels.<br />
N’importe toujours, ce mon<strong>de</strong> est pourri !<br />
774
Incha Allah<br />
1 5 s e p t e m b r e 2 0 0 6<br />
Marrakech (Maroc), 20h48.<br />
Un nouveau départ s’annonce. Nous sommes en cavale mais nos <strong>de</strong>rniers<br />
papiers mis à jour, nous partirons. Jaâfar est notre seule véritable<br />
préoccupation ; nous ne pouvons pas l’embarquer dans notre Quête et ne<br />
savons comment le lui annoncer.<br />
Madame S. est toujours à notre recherche, nous en sommes convaincu.<br />
Aujourd’hui, c’est le barman <strong>de</strong> la shiratte qui tenta sa chance en nous<br />
téléphonant mais nous ne répondons plus à aucun appel <strong>de</strong> cette ville <strong>de</strong><br />
mer<strong>de</strong>.<br />
Notre mère va sauver notre site-web, seule véritable possession. Peu <strong>de</strong><br />
place à l’improvisation, nous sommes sur une cor<strong>de</strong> que le mon<strong>de</strong> bouscule à<br />
la moindre occasion pour nous déstabiliser.<br />
Lundi, nous <strong>de</strong>scendrons vers le sud en auto-stop et à pattes avec l’espoir,<br />
toujours, qu’il soit la direction <strong>de</strong> notre idéal.<br />
775
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 s e p t e m b r e 2 0 0 6<br />
N O S C I N Q P I L I E R S<br />
1 . L’assurance est cause <strong>de</strong> perte, la confiance est mort. Ne croire en rien ni<br />
personne.<br />
2 . La solitu<strong>de</strong> conduit à l’éternel. Se méfier du vagabond solitaire.<br />
3 . L’amour détruit le faible, l’intérêt façonne le mon<strong>de</strong>.<br />
4 . Si le mon<strong>de</strong> est pourri, le suici<strong>de</strong> n’est pas une fatalité.<br />
5 . Le mal n’est pas plus mal que le bien est bien.<br />
776
Incha Allah<br />
2 0 s e p t e m b r e 2 0 0 6<br />
Taghazout (Maroc), 12h04.<br />
C’est la tête dans le cul que nous écrirons aujourd’hui. Nous faisons halte<br />
ici, bled côtier <strong>de</strong> surfeurs / fumeurs pour <strong>de</strong>ux nuits. Nous n’avançons pas<br />
vite mais il nous reste encore vingt jours avant l’expiration <strong>de</strong> notre second<br />
visa pour passer la frontière. Plus <strong>de</strong> nouvelle <strong>de</strong> Safi <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux jours. Ils<br />
n’ont probablement toujours pas compris pourquoi nous partîmes ainsi, la<br />
véritable question étant : « Que firent-ils pour que nous ne restassions pas ?! »<br />
Ne leur accordons pas plus d’importance, nous verrons bien comme<br />
toujours. Il nous reste 1600 dirhams ; c’est fou ce que ça peut partir vite, les<br />
dirhams, presque aussi vite que les euros en fait. Nous en avions 5000 le 13<br />
septembre, nous sommes mala<strong>de</strong>, nous dépensons trop sans penser à l’avenir.<br />
Ceci n’est pas <strong>de</strong> notre faute, c’est l’habitu<strong>de</strong> peu saine du consommateur /<br />
consommé occi<strong>de</strong>ntal.<br />
À ce propos, Fidèle, ne nous emmer<strong>de</strong> plus jamais avec les arabomusulmans<br />
anticapitalistes ; ce sont <strong>de</strong>s conneries ! Nous ne vîmes dans notre<br />
vie jamais peuple plus intéressé par le pognon ailleurs qu’ici. De la chanteuse<br />
populaire au loueur <strong>de</strong> piaule en passant par le mec qui se propose <strong>de</strong> t’ai<strong>de</strong>r à<br />
trouver ton chemin ou l’éclopé assis sur un carton <strong>de</strong>vant une boutique <strong>de</strong><br />
prêt-à-porter <strong>de</strong> luxe, tous, TOUS te disons-nous, sont <strong>de</strong>s parvenus. Ne nous<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas d’où cela vient, nous risquerions une fois <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />
blasphémer…<br />
Cette semaine, nous visitâmes le site-web du Gui<strong>de</strong> du Routard. Nous y<br />
trouvâmes une femme qui voulait venir s’installer au Maroc avec ses jeunes<br />
enfants pour y trouver un autre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie. Nous répondîmes à son sujet<br />
avec notre verve habituelle en citant quelques exemples comme les difficultés<br />
administratives, la crise <strong>de</strong> l’éducation, la mentalité perverse <strong>de</strong> ce “peuple<br />
accueillant” vis-à-vis du <strong>Blanc</strong> friqué, le manque d’hygiène plus que flagrant et<br />
surtout une hypocrisie religieuse difficilement supportable pour un citoyen<br />
européen qui cultive la dérision ; que <strong>de</strong>s choses qui ne peuvent pas ne pas se<br />
voir. Nous conclûmes par cette phrase : « N’imposez donc pas à vos enfants<br />
votre lubie <strong>de</strong> changer <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie en venant au Maroc, pays qui ne bouge<br />
pas nécessairement dans le bon sens et dont le peuple n’aspire lui aussi qu’à<br />
777
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
changer son mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie. Ceci n’est que mon point <strong>de</strong> vue, vous en aurez<br />
d’autres, à vous <strong>de</strong> trancher, etc. »<br />
Dans l’heure, un Marocain à la fierté nazi-onale blessée nous insulta et le<br />
jour suivant, les modérateurs du Gui<strong>de</strong> du Routard nous censurèrent pour<br />
propos diffamatoires, genre si tu dis pas que le mon<strong>de</strong> il est gentil, t’es qu’un<br />
gros connard, fouteur <strong>de</strong> mer<strong>de</strong>, marginal et raciste.<br />
Et bien non, y’en a marre <strong>de</strong>s martyrs ! Le bien-pensant a fait du Juif un<br />
martyr pendant plus <strong>de</strong> 50 ans ; regar<strong>de</strong> donc aujourd’hui qui fout la mer<strong>de</strong><br />
dans le mon<strong>de</strong> en toute impunité. Le bien-pensant est en train <strong>de</strong> faire pareil<br />
avec l’Arabo-musulman. « Non, non, ne dites surtout pas que sa religion est<br />
pourrie et vieillotte, le pauvre, il a libéré la France quand même, et puis on l’a<br />
colonisé, et puis on l’a torturé ! » Mais c’est quoi ces conneries, putain ? Il faut<br />
être sacrément con pour avaler cela !<br />
Ras le bol ! Nous sommes au Maroc <strong>de</strong>puis bientôt huit mois, nous vîmes<br />
ici <strong>de</strong>s choses extraordinaires mais également la pire médiocrité. Ne pas en<br />
témoigner ne serait que collaborer au film le plus tragique <strong>de</strong> notre temps, celui<br />
<strong>de</strong>s Puissants qui maintiennent la société dans l’ignorance la plus parfaite pour<br />
la contrôler et lui dicter son pas uniforme <strong>de</strong> troupeau docile !<br />
T’as un problème ? Ils te laissent <strong>de</strong>ux choix :<br />
1 . Tu te fais péter dans une ambassa<strong>de</strong> européenne en criant ta foi en Allah.<br />
2 . Tu t’engages dans l’armée pour aller casser du basané.<br />
Allez, Fidèle, fais comme tout le mon<strong>de</strong>, sois con et discipliné !<br />
778
Incha Allah<br />
2 2 s e p t e m b r e 2 0 0 6<br />
Taghazout (Maroc), 23h58.<br />
Le ramadan approche. Dans la matinée, après quatre nuits dans une<br />
chambre au bord <strong>de</strong> mer, nous reprendrons la route vers le sud. Pour changer,<br />
nous ne savons à quoi nous attendre. La République Islamique <strong>de</strong> Mauritanie,<br />
un nom bien peu encourageant pour un vagabond homo…<br />
Nous hésitâmes une fois <strong>de</strong> plus à remonter en Europe mais le prix <strong>de</strong> la<br />
traversée et l’Automne venant nous en dissuadèrent. Aujourd’hui, nous<br />
voulons juste avancer, sans savoir où aller, profiter <strong>de</strong> notre insouciance et voir<br />
comment nos Vents vont tourner. Aujourd’hui, nous n’attendons plus qu’une<br />
chose : être étonné !<br />
779
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
6 o c t o b r e 2 0 0 6<br />
Nous ne <strong>de</strong>vons plus écrire les détails <strong>de</strong> notre vie et à cela plusieurs<br />
raisons que suivent :<br />
1 . Dans Snob et hystéro-éthylique, nous évoquâmes notre Syndrome <strong>de</strong> la<br />
Préparole. Il s’agissait <strong>de</strong> taire notre discours, notre pensée profon<strong>de</strong>, afin <strong>de</strong><br />
préserver notre <strong>de</strong>venir et éviter une émotion trop précipitée. Nous optâmes<br />
alors pour une philosophie saine <strong>de</strong> constance et <strong>de</strong> retenue. Cela dans nos<br />
belles lignes seulement car dans les faits, la chose n’était pas complètement<br />
acquise. Aujourd’hui seulement comprenons-nous et appliquons-nous la<br />
sagesse <strong>de</strong> notre décision.<br />
2 . Notre Quête, incomparable, ne pourra aboutir que dans la confiance en<br />
notre <strong>de</strong>stinée et le chèque d’un généreux multimilliardaire. Depuis tout temps,<br />
nous possédons une vision étendue et mystique qui souvent nous dépasse et<br />
que nul autre ne peut même entrevoir. Nous préférons vivre à la recherche <strong>de</strong><br />
cet idéal que nous contenter d’une civilisation pleutre, parvenue, couronnée <strong>de</strong><br />
sa minable désinvolture. Ainsi n’en parlons plus !<br />
3 . Les ennemis <strong>de</strong> notre cause, les vautours qui profitent <strong>de</strong> notre sincérité,<br />
votèrent notre perte sous la tribune <strong>de</strong> notre élitisme ; affamons-les ! Ne leur<br />
donnons plus cette chair tendre et notre esprit qui les écrasera un jour. Nous<br />
ne souffrons pas, nous, du temps que cela prendra car, sur ce chemin<br />
d’élévation, la grâce seule combat et vainc.<br />
780
Incha Allah<br />
1 3 o c t o b r e 2 0 0 6<br />
Nouadhibou (Mauritanie), 2h38.<br />
Atonie sur un lit bruyant. Voilà treize nuits que nous vivons dans ce<br />
nouveau pays, accompagné d’une passion misérable pour la perte <strong>de</strong> temps.<br />
Trouver une activité n’est pas chose évi<strong>de</strong>nte ici ; pas une entreprise digne <strong>de</strong><br />
ce nom, pas <strong>de</strong> place gay (évi<strong>de</strong>mment), pas <strong>de</strong> bar <strong>de</strong> plage branchouille, rien.<br />
À-côté, dans le salon, Moussa Canté. ronfle en écoutant une musique<br />
médiocre sur ArabSat. Nous, rêvons à notre Quête, toujours, qui nous semble<br />
fort inaccessible à cette heure.<br />
Nous <strong>de</strong>scendrons la semaine prochaine au Sénégal où sans doute<br />
trouverons-nous meilleur terrain pour notre évolution.<br />
781
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 1 o c t o b r e 2 0 0 6<br />
Nouakchott (Mauritanie), 00h27.<br />
Une fois encore, notre mère avait raison ; nous ne reverrons pas l’argent<br />
que nous avions prêté à Moussa Silla. pour sa fête <strong>de</strong> mariage, ni notre si<br />
précieux MP3 d’ailleurs. Le bail <strong>de</strong> l’appartement prenant fin, il nous fallut<br />
partir sans un sou et sans nouvelle <strong>de</strong> ce lâche. La différence entre l’Europe, le<br />
Maroc, la Mauritanie et sans trop préjuger le reste <strong>de</strong> l’Afrique, c’est que<br />
quelques personnes sont malhonnêtes en Europe quand quelques personnes<br />
sont honnêtes en Afrique. Nous l’écrivons comme nous le pensons et pûmes<br />
trop souvent le vérifier à nos dépens ; triste mon<strong>de</strong>… Cela ne nous empêchera<br />
pas cependant d’accor<strong>de</strong>r notre crédit à qui nous rencontrerons dans l’avenir<br />
mais sans illusion. Ainsi notre démarche va-t-elle !<br />
Nous arrivâmes sur la capitale voilà <strong>de</strong>ux heures environ dans un<br />
confortable Land Cruiser blanc. Son chauffeur, Afhed, 100% Maure blanc lui<br />
aussi, nous prit en stop à une dizaine <strong>de</strong> kilomètres <strong>de</strong> Nouadhibou.<br />
Nous sommes là étendu dans son salon, le ventre plein, et nos yeux d’or<br />
tombent sur la lumière rouge <strong>de</strong> notre téléphone où nous déchargeons notre<br />
esprit. Certains disent : « Après la pluie vient le beau temps ! » Et après le beau<br />
temps, à quoi <strong>de</strong>vons-nous nous attendre ?<br />
782
Incha Allah<br />
2 2 o c t o b r e 2 0 0 6<br />
Rosso (Sénégal), 18h13.<br />
Imagine la scène, Fidèle : nous, élitiste parfait, passerons la nuit qui vient<br />
dans une bâtisse à flanc <strong>de</strong> décharge ; la classe !<br />
Nous faisons d’incroyables efforts <strong>de</strong>puis plus d’un an sans résultat.<br />
Heureusement certaines rencontres nous réconfortent-elles mais cela n’est pas<br />
notre idéal. Nous sommes content, toutefois, d’être arrivé au Sénégal sain et<br />
sauf. Le contraire nous sembla plus probable ce matin en nous réveillant sans<br />
eau au sommet d’une dune blanche, avouons-le, et il fallut marcher plusieurs<br />
heures sous la chaleur du désert avant <strong>de</strong> trouver une âme compatissante pour<br />
nous conduire au fleuve-frontière.<br />
Pauvre oncle Loïc, tu nous parlais tellement du Sénégal dans notre enfance<br />
que nous nous en faisions belle image. La réalité, tout autre, nous rappelle<br />
combien trop d’humanité tue l’humanité ; c’était il y a longtemps. Aujourd’hui,<br />
les Hommes se sont multipliés, ont colonisé, infesté, détruit, pollué.<br />
783
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 7 o c t o b r e 2 0 0 6<br />
Saint-<strong>Louis</strong> (Sénégal), 14 heures.<br />
Alors qu’en ce vendredi saint le muezzin rote sa foi en un dieu aveugle,<br />
sourd, muet, sexiste et hypocrite, nous nous reposons dans une chambre <strong>de</strong><br />
l’Auberge <strong>de</strong> Jeunesse. Nous reprendrons notre chemin au petit matin.<br />
France, Italie, Angleterre, Espagne, Suisse, Andorre, Corse, Gua<strong>de</strong>loupe,<br />
États-Unis, Thaïlan<strong>de</strong>, Laos, Malaisie, Dubaï, Bahreïn, Maroc, Sahara<br />
Occi<strong>de</strong>ntal, Mauritanie, Sénégal… Un si long chemin… Tant <strong>de</strong> choses vues et<br />
vécues, tant <strong>de</strong> visages gravés, tant <strong>de</strong> désillusions. Pourquoi nulle part ne nous<br />
trouvons-nous ? Citoyen du mon<strong>de</strong>, porteur du Malbien, idéaliste à la bourse<br />
vi<strong>de</strong>.<br />
Un milliard d’euros, une fondation pour l’Enfance et la renaissance <strong>de</strong><br />
notre Patrimoine Primordial, une Quête que si peu enten<strong>de</strong>nt…<br />
21h54.<br />
Nous fumions une Houston en rentrant <strong>de</strong> la cybercase à l’auberge quand<br />
un mec nous interpella.<br />
LUI . Eh, mon ami ! Ça va ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Oh putain ! Impression <strong>de</strong> déjà-vu !<br />
NOUS . Bonsoir ! Ça va, ça va ! T’es pas marocain toi par hasard ?<br />
LUI . Non, moi j’suis sénégalais. Et toi, t’es français ?<br />
NOUS . Ah ! J’aurais cru… Moi, je suis moldave, je viens d’un petit pays<br />
francophone en Europe <strong>de</strong> l’Est.<br />
LUI . Tu peux me serrer la main quand même, en toute amitié ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Il a pas tiqué : culture faible…<br />
NOUS (<strong>de</strong> la lui tendre) . Oui, bien sûr mais bon… Tu sais mieux que moi qu’en<br />
ville, si un <strong>Noir</strong> abor<strong>de</strong> un <strong>Blanc</strong> dans la rue, c’est rarement pour le saluer mais<br />
plutôt pour lui vendre un truc.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Oops ! encore un <strong>de</strong> vexé.<br />
784
Incha Allah<br />
LUI (un peu vexé donc) . Faut pas dire ça, y’a <strong>de</strong>s gens qui veulent juste<br />
sympathiser ! Tu prends un thé avec nous ?<br />
NOUS . Mouais… Si on bouge pas d’ici, pourquoi pas.<br />
LUI . Non, on va rester là. On va fumer aussi ; c’est tranquille Saint-<strong>Louis</strong>, tu<br />
sais !<br />
Il continua à nous raconter sa vie “spécial toubab à plumer” pendant cinq<br />
minutes, pensant certainement bien mener sa pirogue et arriva finalement à<br />
son but.<br />
LUI . Tu connais Maastricht ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . À tous les coups, ce n’est pas politique européenne<br />
dont tu veux parler, n’est-ce pas ?<br />
NOUS . Oui, bien sûr !<br />
LUI . J’ai habité là-bas, j’y avais mon champ. Tu sais ce que c’est ?<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Banco ! Pourquoi t’y es pas resté si c’était si<br />
formidable, baltringue ?<br />
NOUS . Ouais, ouais, je vois.<br />
Nous ne connaissions la ville que <strong>de</strong> nom mais nous imaginions bien en<br />
effet les plans <strong>de</strong> cannabis sous le Soleil du Nord pousser entre les tulipes, les<br />
moulins et les bicyclettes.<br />
LUI . En fait, ici, il vient du Niger. C’est un ami à moi qui le ramène par<br />
enveloppes, tu vois.<br />
NOUS . C’est cool.<br />
Là, un autre “ami” à lui, musicien, vint lui parler <strong>de</strong> ses problèmes <strong>de</strong><br />
cachet, s’en alla et il continua.<br />
785
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
LUI . Ouais, c’que j’te disais, c’est que mon ami va venir avec une enveloppe.<br />
C’est un peu beaucoup, tu vois, donc on va partager, voir c’que tu peux mettre.<br />
NOUS . Ouais mais tu vois, “mon ami”, j’avais raison ; t’as pas tenu un quart<br />
d’heure avant <strong>de</strong> vouloir me refiler un truc.<br />
LUI . Nan, c’est pas ça, c’est un partage, entre amis quoi !<br />
NOUS . J’ai pas fini, OK ! Tu me tends la main avec un faux sourire, m’offres un<br />
verre <strong>de</strong> thé “en toute amitié”, pour finalement essayer <strong>de</strong> m’entuber. Sérieux,<br />
gars, tu crois avoir trouvé la formule magique <strong>de</strong> l’arnaque ou quoi ? Ça fait<br />
neuf mois que je suis en Afrique et on me l’a faite mille fois celle-là. Allez,<br />
<strong>de</strong>main je pars tôt et j’ai sommeil. (lui tendant la main) Bonne nuit ! Désolé pour le<br />
thé mais vous le boirez bien “entre amis”.<br />
Nous partîmes sans attendre sa réponse autrement allions-nous trop<br />
l’ouvrir et terminer dans un centre <strong>de</strong> santé.<br />
786
Incha Allah<br />
2 9 o c t o b r e 2 0 0 6<br />
P R Ê C H E U R D A N S L A B R O U S S E<br />
Vous, peuples du mon<strong>de</strong> que le vieux continent attire comme le puits <strong>de</strong><br />
pétrole attire l’Étasunien ; vous, qui croyez que le <strong>Blanc</strong> est riche parce qu’il est<br />
blanc ; vous, qui misez votre fortune sur un passage improbable dans la cale<br />
d’un cargo pour retrouver son paradis imagé : arrêtez <strong>de</strong> rêver, soyez réalistes !<br />
Vivre en Europe, c’est accepter un mon<strong>de</strong> organisé fait <strong>de</strong> normes, <strong>de</strong><br />
concepts et d’idées défendus <strong>de</strong>puis presque trois millénaires, <strong>de</strong> réflexions sur<br />
les droits <strong>de</strong> l’homme, <strong>de</strong> la femme et <strong>de</strong> l’enfant, sur leur universalité laïque.<br />
Vivre en Europe, c’est accor<strong>de</strong>r une place privilégiée à l’éducation,<br />
l’hygiène, le respect <strong>de</strong> la personne et <strong>de</strong> toutes choses.<br />
L’Europe, c’est la liberté <strong>de</strong> penser, <strong>de</strong> s’exprimer ; c’est la propriété, le<br />
confort, la para<strong>de</strong>, un savoir-vivre étudié parfois contraignant.<br />
L’Europe, c’est aussi l’argent, le pouvoir. Cela ne signifie pas que vous en<br />
trouverez en y allant mais qu’en y allant si vous n’en avez pas, vous serez mis à<br />
l’écart, relégués au côté <strong>de</strong>s mendiants du mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s profiteurs, <strong>de</strong>s arrivistes ;<br />
vous ferez partie <strong>de</strong> cette mauvaise immigration dont l’Europe – et Nicolas<br />
Sarkozy – ne veulent pas. Alors crierez-vous au racisme, au sectarisme,<br />
pleurerez-vous dans les bureaux <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s sociales pour manger et survivre car<br />
vos voisins en banlieue ne vous nourriront pas si vous crevez <strong>de</strong> faim, car vous<br />
ne pourrez pas jeter votre filet dans la Seine pour espérer y ramener quelques<br />
poissons à vendre sur un marché, car on ne vous permettra pas <strong>de</strong> vous<br />
débrouiller sans suivre les règles.<br />
L’Europe ne vous accueillera que si vos poches sont pleines et / ou votre<br />
esprit lumineux !<br />
La réalité est la suivante : que vous soyez noir, blanc, jaune, rouge, vert ou<br />
bleu, l’Europe ne fera aucune différence au nom <strong>de</strong> ses principes, les mêmes<br />
qui vous renverront sans honte et sans gloire dans votre pays d’origine si vous<br />
ne les respectez pas.<br />
Pour faire court, n’allez pas en Europe si vous n’êtes qu’un croûteux souséduqué,<br />
bougez votre cul pour rattraper le XXIème siècle et attachez-vous à<br />
787
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
développer votre pays comme les Européens, les Asiatiques et d’autres surent<br />
le faire pour les leurs !<br />
788
Incha Allah<br />
5 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
<strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong> fait son show !<br />
Tip (Sénégal), 8h50.<br />
Représentation exclusive tous les jours en brousse du Sénégal.<br />
Ouvert à tous !<br />
Qu’avons-nous <strong>de</strong> si mystérieux ? Nous pétrifions les assemblées que nous<br />
traversons sur notre chemin. Quand ce ne sont <strong>de</strong>s bouches béantes, ce sont<br />
<strong>de</strong>s yeux stupéfaits, rarement le salut pour voyageur. Dans certains villages, le<br />
<strong>Blanc</strong> est une légen<strong>de</strong> ancienne, synonyme <strong>de</strong> conquêtes, <strong>de</strong> richesses profuses,<br />
héritier d’une civilisation lointaine que nul ne connaît vraiment. Dans l’absolu,<br />
nous sommes l’attraction du moment : l’enfant sort pour rire et s’étonner, la<br />
femme sourit <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>nts tachées, l’homme parfois nous abor<strong>de</strong> sans<br />
conviction.<br />
Dans ces contrées reculées, la langue du Toubab est très peu employée sauf<br />
quelques expressions universelles : « Bonjour ! », « Bonsoir ! », « Donne-moi<br />
l’argent ! » Ne nous leurrons pas, le <strong>Blanc</strong> est avant tout un animal à plumer.<br />
Il y a <strong>de</strong>ux nuits, nous arrivions par le goudron au village <strong>de</strong> Touba Petegne<br />
lorsqu’un pêcheur <strong>de</strong> Mbour, Pape Low, nous interpella. Il proposa <strong>de</strong> nous<br />
payer le taxi-brousse jusques à Touba ; nous acceptâmes, le Soleil se couchait.<br />
Finalement, aucune voiture ne s’arrêta et nous passâmes la nuit au village. Le<br />
len<strong>de</strong>main matin, nous étions dans la capitale du mouridisme dont les portes<br />
monumentales semblent avoir été sponsorisées par Total. Pour l’anecdote, il est<br />
interdit <strong>de</strong> fumer dans cette cité sainte porteuse du message <strong>de</strong> Cheikh<br />
Amadou Bamba – sans doute une close dans le contrat avec le groupe pétrolier<br />
français…<br />
Pape Low voulait absolument que nous venions avec lui à Mbour mais<br />
nous sentions mieux la route intérieure, seul. Un peu déçu, il retarda notre<br />
départ en nous baladant <strong>de</strong> Touba à Mbacké, sa jumelle, chez ses “amis” à qui<br />
il raconta notre histoire pour leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’ils pouvaient nous ai<strong>de</strong>r avec un<br />
peu d’argent. Nous n’étions pas censé comprendre mais, peu dupe, la chose<br />
789
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
nous fut flagrante. Naturellement, nous ne vîmes pas la couleur d’un seul billet<br />
récolté.<br />
Vers 15 heures, nous en avions assez vu.<br />
NOUS . Je pars maintenant.<br />
PAPE LOW . Viens avec moi à Mbour !<br />
NOUS . Non.<br />
PAPE LOW . Alors donne-moi une bague en souvenir !<br />
NOUS (<strong>de</strong> rire) . Tu t’en achèteras une avec le fric que tu t’es fait sur mon dos<br />
aujourd’hui. Allez, bye !<br />
Nous partîmes sans attendre <strong>de</strong> réponse, comme toujours, continuâmes à<br />
marcher jusques au soir et établîmes notre mo<strong>de</strong>ste campement sous un arbre,<br />
<strong>de</strong>rrière une bûche : le garage du village <strong>de</strong> Tip Samba.<br />
La Lune pleine à l’horizon nous endormait, <strong>de</strong>s songes nous couronnaient<br />
déjà quand <strong>de</strong>ux hommes nous les ôtèrent. Ils trouvaient anormale notre<br />
condition et un quart d’heure plus tard, nous étions “invité” dans le village,<br />
entouré d’une famille médusée qui nous “offrit” l’hospitalité, généreuse si au<br />
matin chaque membre ne s’était pas présenté à nous dans la case avec l’espoir<br />
<strong>de</strong> nous dépouiller d’un stylo, <strong>de</strong> vêtements ou <strong>de</strong> notre bouteille d’eau ;<br />
tentatives pathétiques. Nous ne concédâmes qu’un Bic au jeune Essa que sa<br />
mère voulait nous donner.<br />
NOTRE PENSÉE PROFONDE . Eh ! chérie, si t’as pas les moyens d’élever tes<br />
gosses au point <strong>de</strong> vouloir les bra<strong>de</strong>r contre un bidon en plastique au premier<br />
toubab venu, ARRETE D’EN FAIRE AUTANT, putain !<br />
Nous vivons vraiment dans un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> tarés !<br />
790
Incha Allah<br />
7 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
Panel (Sénégal), 15h20.<br />
Jour <strong>de</strong> repos dans un paisible village ; nous en avions besoin, nos pieds<br />
étaient fatigués <strong>de</strong> nous porter sur une paire <strong>de</strong> tongs brésiliennes usées.<br />
Depuis <strong>de</strong>ux nuits, à Colobane, Mbar et ici, nous tombons sur <strong>de</strong>s<br />
villageois dénués <strong>de</strong> tout intérêt pécuniaire. Aujourd’hui, nous pûmes même<br />
parler librement politique et hypocrisie religieuse – <strong>de</strong>ux sujets fétiches,<br />
avouons-le – avec Mansour Diouf, penseur autodidacte et atypique en cette<br />
contrée, qui nous héberge avec sympathie. À propos d’Idrissa Seck (ex premier<br />
ministre et potentiel futur Prési<strong>de</strong>nt du Sénégal), d’Abdou Diouf (ex Prési<strong>de</strong>nt<br />
du Sénégal et actuel Secrétaire Général <strong>de</strong> l’Organisation Internationale <strong>de</strong> la<br />
Francophonie) ou <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scendants du Grand Marabout, la conscience<br />
populaire est la même : « On sait qu’ils sont tous pourris mais on peut rien<br />
faire ! »<br />
En fait, Fidèle, le principal problème <strong>de</strong> l’Afrique <strong>de</strong> l’Ouest, c’est l’Ouestafricain.<br />
Cette affirmation peut être naturellement étendue à l’humanité, son<br />
principal problème étant l’Homme lui-même…<br />
Ce serait tragique si nous ne nous sentions pas si peu concerné par l’avenir<br />
<strong>de</strong> la masse car pour être franc, nous n’allons rien révolutionner, et dans les<br />
faits et dans l’esprit ; qu’ils se laissent donc mourir, ces pauvres !<br />
Oh, ça va, hein ! Fous-nous la paix avec ton humanisme ridicule ! L’Ouestafricain<br />
est pauvre parce qu’il le veut bien. Sa région est mille fois plus riche<br />
que l’Europe en ressources naturelles qu’il bra<strong>de</strong> par facilité comme la femme<br />
<strong>de</strong> Tip Samba voulait nous bra<strong>de</strong>r l’un <strong>de</strong> ses jeunes fils.<br />
Un professeur <strong>de</strong> l’école nous dit que l’Ouest-africain était victime <strong>de</strong> son<br />
ignorance mais nous connaissons l’ignorance pour l’avoir perdue et pensons<br />
surtout qu’il ne veut rien savoir et qu’il se fout <strong>de</strong> son sort, lequel <strong>de</strong> toute<br />
manière il remet ici, par facilité, entre les mains d’Allah et <strong>de</strong> son prophète :<br />
« On est pauvre, on n’aime pas ça mais on fera rien pour changer. »<br />
Qu’à cela ne tienne, qu’ils s’étouffent dans leur mer<strong>de</strong> !<br />
791
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
9 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
Tambacounda (Sénégal), 00h49.<br />
Contre toute attente, nous fîmes un bon d’environ 200 kilomètres grâce à<br />
l’intervention quasi provi<strong>de</strong>ntielle d’un vieux camion malien à l’orée <strong>de</strong><br />
Kaffrine. Vers 23h30, nous étions à Tambacounda, cité que nous imaginions<br />
mystique par le nom ; hélas ! Nous nous <strong>de</strong>mandons si un jour nous<br />
trouverons la réponse à l’une <strong>de</strong> nos gran<strong>de</strong>s interrogations : ce mon<strong>de</strong> a-t-il<br />
jamais été enchanté… ?<br />
Nous fûmes accueilli par trois cochons roses errant dans les rues, les<br />
premiers <strong>de</strong>puis bien longtemps. Saliou, ven<strong>de</strong>ur dans une boulangerie,<br />
proposa <strong>de</strong> nous héberger pour la nuit. Le pain est encore chaud à cette heure<br />
et embaume le petit salon où nous sommes étendu. La route fut longue et<br />
cratérisée. Pour la refaire, <strong>de</strong> Kaolack à Tambacounda, le chauffeur du vieux<br />
camion malien nous confia que tous attendaient <strong>de</strong> la France qu’elle finance…<br />
Nous sommes mala<strong>de</strong> d’entendre ces conneries (cela et trop <strong>de</strong> piment dans la<br />
bouffe).<br />
Demain, nous découvrirons cette cité sous une autre lumière.<br />
792
Incha Allah<br />
1 0 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
Une pluie <strong>de</strong> cendres, c’est la brousse au loin qui brûle.<br />
Forêt <strong>de</strong> Kothiary (Sénégal), 16h12.<br />
L’Automne est tellement différent ici, nous ne le reconnaissons pas.<br />
Certaines couleurs, les quelques arbres qui se dépouillent pourraient nous<br />
rappeler nos promena<strong>de</strong>s dans le massif <strong>de</strong> la Sainte-Victoire en Provence<br />
mais rien n’y fait ; nous savons que nous sommes paumé au milieu du Sénégal<br />
et que marcher dans cette nature qui n’a plus rien <strong>de</strong> sauvage ne nous<br />
apportera que la satisfaction <strong>de</strong> mouler nos cuisses et faire fondre notre cul.<br />
Il fait chaud, très chaud ! Si physiquement nous pûmes nous restaurer la<br />
nuit <strong>de</strong>rnière au village <strong>de</strong> Botou, nous ne trouvons plus moralement le<br />
courage d’avancer. Telle n’est pas notre ambition <strong>de</strong> laisser à la postérité la<br />
bibliothèque <strong>de</strong>s carnets d’un vagabond solitaire qui parcourt les chemins du<br />
mon<strong>de</strong> à la découverte <strong>de</strong>s peuples pour conclure ainsi : « Ils sont cons ces<br />
humains, qu’ils crèvent tous en faisant grand bruit ! » Non ! Notre Quête est<br />
bien plus noble. Mais alors, Diable !, que faisons-nous ici ?<br />
La route du Mali est une ligne sombre, sèche, trop fréquentée par <strong>de</strong><br />
polluants transporteurs. Nous n’osons pas nous aventurer sur une autre piste ;<br />
qu’y trouverions-nous <strong>de</strong> toute manière ? Certainement rien <strong>de</strong> plus là<br />
qu’ailleurs…<br />
Dans ces moments <strong>de</strong> doute, nous nous enfermons dans notre solitu<strong>de</strong> et<br />
n’autorisons personne à nous abor<strong>de</strong>r. À : « Bonjour, Toubab ! », nous<br />
répondons : « Bonjour… », par politesse et continuons en pensée : « …,<br />
Bougnoul ! » Après tout, pourquoi <strong>de</strong>vrions-nous supporter le sobriquet <strong>de</strong><br />
Toubab ici ou Farang en Thaïlan<strong>de</strong> ? De quel droit peuvent-ils revendiquer la<br />
tolérance chez nous quand chez eux ils imposent une telle séparation agaçante,<br />
pour nous insultante ?<br />
Quelle importance… Continuons notre chemin et n’y pensons pas.<br />
793
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 2 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
Un taxi-brousse entre Semme et Ourossogui (Sénégal), 9h08.<br />
Plus nous marchons et rencontrons du mon<strong>de</strong>, plus nous sommes<br />
persuadé que l’Afrique <strong>de</strong> l’Ouest est un bor<strong>de</strong>l sans nom que personne ne<br />
veut voir changer, ni les autorités corrompues, ni les habitants passifs, ni la<br />
maquerelle France !<br />
Nous entendons beaucoup <strong>de</strong> récits sur la politique et l’histoire même <strong>de</strong><br />
cette région, notamment tout <strong>de</strong>rnièrement les anecdotes d’Alain et Rose-<br />
Marie, un couple charentais qui parcoure l’Afrique <strong>de</strong>puis une trentaine<br />
d’années dans un 4x4 Merce<strong>de</strong>s équipé. Tous <strong>de</strong>ux semblent être un puits <strong>de</strong><br />
connaissances sur ce continent et nous eûmes la chance <strong>de</strong> les accompagner<br />
jusques à Khidira, la ville-frontière avec le Mali. Nous aimerions les lire un jour<br />
car ce n’est pas à nous <strong>de</strong> les conter mais dans les gran<strong>de</strong>s lignes, toujours le<br />
constat <strong>de</strong> cette conscience populaire profondément endormie qui laisse le<br />
champ libre à toutes les corruptions. Mieux, les grands voleurs ici sont<br />
applaudis, loués, pris en exemple.<br />
Pour reprendre les mots d’Alain : « Ils n’ont RIEN compris ! »<br />
794
Incha Allah<br />
1 8 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
Carrières <strong>de</strong> Bandia (Sénégal), 11h46.<br />
Ne nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> évi<strong>de</strong>mment pas ce que nous foutons ici, Fidèle, nous<br />
n’en avons aucune idée. Confiant en notre <strong>de</strong>stinée, nous vivons ce que nous<br />
<strong>de</strong>vons vivre. Certes, au milieu <strong>de</strong> ce chantier, dans le bureau du chef<br />
d’exploitation, la raison nous échappe mais à notre sta<strong>de</strong>, plus rien ne nous<br />
étonne.<br />
Nous résidons <strong>de</strong>puis lundi soir dans une maison <strong>de</strong> Mbour, sur la Petite<br />
Côte. Nous n’y faisons rien, attendons un signe et nos déplacements se limitent<br />
en ce moment entre RTS1, S2 et la RDV, nouvelle chaîne privée. C’est te dire si<br />
nous avançons…<br />
795
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 9 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
Mbour (Sénégal), 11h56.<br />
Il y a une heure, notre mère nous annonçait par téléphone d’une voix faible<br />
la mort <strong>de</strong> notre grand-mère. Quelques minutes plus tard, nous rencontrions<br />
ici celle <strong>de</strong> Bécaye, le gars qui nous loge. Qui sommes-nous pour défier ainsi<br />
toute coïnci<strong>de</strong>nce, chaque instant <strong>de</strong> notre existence nous promettant tel<br />
enseignement ?<br />
C’est le signe que nous attendions hier ; il fait mal ! Notre mère en pleurs,<br />
notre beau-père désormais orphelin, nous si loin d’eux <strong>de</strong>puis si longtemps.<br />
Rien n’est moins facile à supporter. Notre choix (qui n’en est pas vraiment un)<br />
pèse aujourd’hui sur notre conscience.<br />
À moins d’un coup du Sort donc, nous n’assisterons pas à ses obsèques,<br />
mercredi, mais nous partirons. Par correction, nous en parlerons à Bécaye mais<br />
pas à sa famille qui ne ferait que nous plaindre, le genre <strong>de</strong> trucs qui ne servent<br />
à rien sinon à respecter la convenance.<br />
Un énième départ pour un exilé, en quête, qui ne rentrera en Provence que<br />
par souci <strong>de</strong> renouveau.<br />
796
Incha Allah<br />
2 3 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
Mbodiène (Sénégal), 14h23.<br />
Le thé chauffe sur le charbon, l’attente est longue, on nous servira trois<br />
verres comme nous en avons l’habitu<strong>de</strong>. Cette fois pourtant, il sera catholique.<br />
En arrivant à Nianing hier matin vers 10 heures, nous allumâmes une<br />
bougie à l’Église <strong>de</strong>s Frères du Sacré-Cœur en mémoire <strong>de</strong> notre grand-mère<br />
défunte – nous ne pouvions faire plus. Au soir, nous voulions passer la nuit sur<br />
la plage <strong>de</strong> Mbodiène mais Isidore, un jeune du village, insista pour nous<br />
accueillir chez lui. Comment refuser ? Il était sincère et nous avions le moral<br />
dans les chausses.<br />
Tel que nous prévint le frère <strong>de</strong> l’église <strong>de</strong> Nianing qui nous sembla, couché<br />
dans son drap blanc, plus proche <strong>de</strong> la peu farouche bergère que du viril et<br />
pieu berger : bienvenue à Pédéville ! Nous pûmes effectivement vérifier à<br />
maintes reprises que la Petite Côte était un repère…<br />
Il sera intéressant dans les jours prochains <strong>de</strong> revisiter sans illusion les<br />
mœurs <strong>de</strong> cette communauté, en théorie différente <strong>de</strong>s autres qui firent notre<br />
quotidien ces dix <strong>de</strong>rniers mois.<br />
797
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 5 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
Mbodiène (Sénégal), 23h17.<br />
Le bar est ce que l’homme inventa <strong>de</strong> mieux pour se décrédibiliser ; nous<br />
en fréquentâmes suffisamment pour le parfaitement savoir ! Ici comme partout<br />
ailleurs donc, rien n’est moins vrai.<br />
Isidore nous invite, nous acceptons avec plaisir. D’autres nous offrent une<br />
Gazelle, nous sourions avec cynisme. Sachez que si notre ami le fait par<br />
sincérité, eux atten<strong>de</strong>nt un retour. Ils peuvent toujours rêver pour que nous<br />
leur payions quoi que ce soit !<br />
On parle <strong>de</strong> foot à cette table, du boulot à cette autre. Isidore et nousmême<br />
participons et commentons en confi<strong>de</strong>nce. Seule la couleur <strong>de</strong> peau,<br />
simple tendance géographique, diffère ; nous ne trouverons rien ici. Alors ce<br />
soir noyons-nous notre exception dans la bière et <strong>de</strong>main célébrerons-nous le<br />
Christ-Roi pour la secon<strong>de</strong> fois <strong>de</strong>puis notre départ. « Ainsi va la vie ! », tente<br />
<strong>de</strong> nous articuler un mec entre <strong>de</strong>ux bouteilles.<br />
798
Incha Allah<br />
2 7 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
Mbodiène-plage (Sénégal), 11h53.<br />
La coupe était belle, Joseph Ndong (ministre <strong>de</strong>s Postes,<br />
Télécommunications & NTIC), vêtu <strong>de</strong> son t-shirt jaune le plus criant, était<br />
venu pour la remettre, les penalty allaient départager les <strong>de</strong>ux équipes, les<br />
supporters étaient exaltés (même nous !) quand le commentateur annonça qu’il<br />
fallait arrêter le match. En effet, la nuit tombait et personne n’avait prévu la<br />
lumière en cas <strong>de</strong> prolongations…<br />
Hier soir, nous étions dans la tribune d’honneur du sta<strong>de</strong> omnisports <strong>de</strong><br />
Joal-Fadiouth, quelques marches au-<strong>de</strong>ssus du ministre. La nuit avait été<br />
courte, la journée bien remplie mais nous étions enthousiaste à l’idée d’assister<br />
à la finale d’une compétition <strong>de</strong> football, enthousiaste d’entendre le<br />
commentateur louer une douzaine <strong>de</strong> fois les trente-<strong>de</strong>ux années <strong>de</strong><br />
compagnonnage entre le ministre et le prési<strong>de</strong>nt-maître Abdulaye Wa<strong>de</strong>,<br />
enthousiaste <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s joueurs “fair-play” simuler une déchirure au moindre<br />
accrochage, enthousiaste enfin <strong>de</strong> suivre ce jeu au son <strong>de</strong>s djembés, <strong>de</strong>s chants<br />
en langue sérère, une canette <strong>de</strong> Fanta offerte par le ministre à la main !<br />
Franchement, ce fut un bon moment. Nous ne connaîtrons jamais<br />
l’heureux vainqueur <strong>de</strong> cette compétition capitale pour beaucoup <strong>de</strong> jeunes ici<br />
mais au moins maintenant savons-nous pour qui voter en février 2007 ; qu’ils<br />
sont forts, ces politiciens !<br />
799
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 8 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
Mbodiène (Sénégal), 15h13.<br />
Cumba, la grand-mère d’Isidore, chantonne dans la cour. Les coqs du<br />
village, moins justes, tentent <strong>de</strong> l’accompagner. Nous <strong>de</strong>vrions chercher un taff<br />
dans l’une <strong>de</strong>s auberges toubab sur la plage mais nous préférons glan<strong>de</strong>r<br />
lamentablement sur le lit. <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> en a assez vu, il veut rentrer en<br />
Provence désormais ! Décembre, c’est notre frère qui se pacse (famille<br />
d’homos), ce sont les oliva<strong>de</strong>s, c’est le Noël <strong>de</strong>s petits. Chaque jour, nous<br />
pensons à eux, à nos ami(e)s laissé(e)s.<br />
Pourquoi, Diable !, n’atteignons-nous pas le but <strong>de</strong> cette Quête ? Le lieu<br />
n’est pas particulièrement idéal mais il y a autre chose. Si nous n’avançons pas,<br />
c’est qu’il manque un élément important au déroulement <strong>de</strong> notre évolution.<br />
Nous sommes fatigué <strong>de</strong> tâtonner l’esprit voilé et ne pourrons guère tenir plus<br />
longtemps.<br />
800
Incha Allah<br />
2 9 n o v e m b r e 2 0 0 6<br />
L ’ E S C L A V E D ’ A U J O U R D ’ H U I<br />
Il s’appelle Ibrahim, tout le mon<strong>de</strong> au village dit : Ibou. Il est content car il<br />
a trouvé un travail pour la semaine ; il va mouler <strong>de</strong>s briques rouges.<br />
François, que tout le mon<strong>de</strong> appelle François, est content car il a trouvé un<br />
Négro qui va mouler les briques rouges <strong>de</strong> sa prochaine dépendance pour<br />
l’équivalent d’un club-sandwich et d’un jus d’orange dans un bar-lounge aixois :<br />
13000 Francs CFA. Il est l’ancien directeur d’une gran<strong>de</strong> société, a <strong>de</strong> l’argent<br />
et pourrait payer plus mais si ce n’est pas Ibou, un autre villageois acceptera,<br />
peut-être pour moins. Il se persua<strong>de</strong> donc qu’il ne fait que répondre à la<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> et comme personne ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> plus… Il ne payera pas non plus le<br />
repas <strong>de</strong> midi. Ibou n’aura qu’à se débrouiller – sept heures <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> force<br />
par jour ne méritent pas une assiette <strong>de</strong> riz.<br />
Officiellement, l’esclavage n’existe plus dans cette région mais<br />
officieusement, les armes ont été remplacées par l’argent !<br />
Bien entendu, le soir après le repas, la famille d’Ibou en parlera, gentiment,<br />
avec le sourire toujours, mais jamais personne n’ira se plaindre à François qui<br />
<strong>de</strong> son côté se fend la poire, une bouteille <strong>de</strong> vin à 20000 Francs CFA sur la<br />
table, entouré <strong>de</strong> ses amis blancs installés comme lui sur la plage <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />
générations.<br />
Les choses ne changeront pas car Ibou et les siens ont peur <strong>de</strong> la Mort, ne<br />
s’organiseront pas en comité <strong>de</strong> village par exemple pour améliorer leur<br />
quotidien, imposer leurs droits mais vivent dans l’acceptation comme leurs<br />
ancêtres ; car François ne croit plus en l’Enfer, que son argent le protège <strong>de</strong>s<br />
Hommes et que ceux qu’il exploite sont si dociles qu’il commence même <strong>de</strong><br />
croire au paradis terrestre.<br />
Applique cela à ton quartier, Fidèle, à ta ville, ton pays, ta planète et tu<br />
obtiendras le mon<strong>de</strong> d’aujourd’hui : une vaste mer<strong>de</strong> que <strong>de</strong>s mouches sucent<br />
avec délectation !<br />
Qui est responsable ? Celui qui exploite ou celui qui se laisse exploiter ?<br />
801
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
R É V E I L L E T A C O N S C I E N C E !<br />
B A T S - T O I !<br />
802
Incha Allah<br />
3 d é c e m b r e 2 0 0 6<br />
Joal-Fadiouth (Sénégal), 3h22.<br />
La nuit <strong>de</strong>s 125 ans <strong>de</strong> l’église Saint-François-Xavier s’annonçait bien. Sur<br />
le pont du cimetière <strong>de</strong> l’île aux coquillages, <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> gens<br />
s’accumulaient pour assister au spectacle aquatique. « Applaudit, Fadiouth ! »,<br />
ne cessions-nous <strong>de</strong> scan<strong>de</strong>r du haut <strong>de</strong> la rambar<strong>de</strong>, « Applaudit ! C’est la fête<br />
ce soir ! », mais si peu suivirent.<br />
On nous conduisit ensuite à cette soirée pourrie au collège catholique.<br />
Nous suggérâmes le Finio, un restau-bar nettement plus branché pour le même<br />
prix, 1000 Francs CFA, mais si peu suivirent là encore, préférant ce bor<strong>de</strong>l<br />
organisé sur un sta<strong>de</strong> <strong>de</strong> basket-ball miteux, en plein air, sans sanitaires, sans<br />
bar digne <strong>de</strong> ce nom, un petit rassemblement <strong>de</strong> jeunes à la culture faible, Rap,<br />
R&B, Mballax que nous supportâmes moyennement ; un plan foireux. Le<br />
Mistral en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> vacances scolaires ne ferait meilleur effet…<br />
La Lune presque pleine fait la gueule, quel gâchis <strong>de</strong> l’honorer ainsi !<br />
803
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
4 d é c e m b r e 2 0 0 6<br />
Mbodiène-plage (Sénégal), 17h46.<br />
Que dire <strong>de</strong> plus sur notre situation actuelle sinon que l’Afrique nous<br />
saoule au point que, sérieusement cette fois-ci, nous sommes disposé à<br />
renoncer à un milliard d’euros dans une banque andorrane pour <strong>de</strong>ux ou trois<br />
millions dans une autre monégasque. Si cela n’est pas un remarquable sacrifice,<br />
nous ne savons plus quoi faire !<br />
Évi<strong>de</strong>mment, ce triste minimum se servirait qu’à nous tirer <strong>de</strong> la galère<br />
(certes volontaire) que nous traversons <strong>de</strong>puis quatorze mois, ne serait que<br />
provisoire et nous permettrait <strong>de</strong> poursuivre notre Quête sur un chemin plus<br />
éclairé. Pensons au présent ! Nous DEVONS rentrer, nous réinstaller en<br />
Provence, fon<strong>de</strong>r ce qui sera le point <strong>de</strong> départ et <strong>de</strong> retour <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong> nos<br />
futures expéditions, l’élément important dont nous parlions ailleurs : un foyer.<br />
Il y a quelque temps <strong>de</strong> cela, nous-même aurions été choqué par <strong>de</strong> tels<br />
écrits mais les choses évoluent, nous les comprenons à notre rythme et<br />
aujourd’hui, enfin, la résolution gui<strong>de</strong> notre plume.<br />
804
Incha Allah<br />
1 2 d é c e m b r e 2 0 0 6<br />
Saly (Sénégal), 4h39.<br />
Marre <strong>de</strong> Pédéville, marre <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir prostituer notre pensée profon<strong>de</strong> au<br />
mieux, au pire notre cul ! Franchement, avoir quitté les follasses à multiples<br />
problèmes <strong>de</strong> salopes surexcitées françaises pour nous retrouver dans la<br />
maison d’Olivier, une autre sénégalaise, ne vaut pas le coup !<br />
Mais qu’avons-nous fait au Seigneur, ce con ?<br />
Nous revenons du King Karaoké, une discothèque passable au village <strong>de</strong>s<br />
touristes. Marre aussi <strong>de</strong> ces vieux dansant sur Boney M ! Nous sommes peutêtre<br />
<strong>de</strong> ceux qui s’emmer<strong>de</strong>nt sur <strong>de</strong> l’Electro mais au moins le faisons-nous<br />
bien. On nous propose un taff <strong>de</strong> ven<strong>de</strong>ur dans une boutique d’art africain et<br />
un logement jusques au 23 décembre. Nous <strong>de</strong>vrions refuser car nous savons<br />
déjà où cela va mener mais nous sommes dans… le besoin. Et mer<strong>de</strong>, putain !<br />
Nous ne sommes pas fait pour cela : <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, bosser pour, dépendre <strong>de</strong>,<br />
l’hypocrisie, les concessions. Nous valons plus que ces débiles ; incomparable.<br />
Nous sommes né pour vivre retiré, seul, tranquille et nous suffire <strong>de</strong><br />
quelques apparitions. Que ne supportons-nous pas pour cette seule lacune :<br />
l’argent !<br />
805
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 6 d é c e m b r e 2 0 0 6<br />
Peulgha (Sénégal), 12h06.<br />
Et c’est reparti ! Nous ne pouvions squatter plus longtemps chez Isidore et<br />
sa famille, nous commencions <strong>de</strong> nous sentir gêné. Nos interminables journées<br />
sur la plage <strong>de</strong> sable blanc déserte à bronzer sous un chaud Soleil d’Hiver<br />
<strong>de</strong>vant un Atlantique bleu horizon nous bouffait ; sans commentaire.<br />
Alors, après <strong>de</strong>s « Aurevoir ! » que nous détestons toujours autant pour<br />
délit <strong>de</strong> mythomanie potentielle, continuâmes-nous notre chemin. Destination :<br />
Dakar.<br />
Notre frère veut nous payer le billet retour pour passer Noël en famille au<br />
château mais à quoi bon ?! Que ferions-nous après ? Trouver un taff et rentrer<br />
dans le rang comme l’un <strong>de</strong> ces putain <strong>de</strong> moutons qu’on s’apprête à égorger<br />
ici pour la Tabaski ? Hors <strong>de</strong> question ! Nous marcherons jusques à trouver un<br />
minimum – <strong>de</strong>ux millions d’euros – pour nous installer en Provence ou nous<br />
crèverons dans la pauvreté en essayant.<br />
NOUS-MÊME . Oui, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, résistez à la tentation facile ; la célébrité<br />
post-mortem vous attend !<br />
Ne perdons pas espoir ! Il nous reste une chance : une guerre sidérale…<br />
Sûr que nous trouverions notre place entre le ven<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> renseignements et le<br />
call-boy pour envahisseurs mégalos.<br />
NOUS-MÊME . Arrêtez <strong>de</strong> délirer, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous sombrez dans la folie !<br />
Oui ! Et comme le soulignait notre bon ami Jack Sparrow en parlant du<br />
génie et la folie : « It’s remarkable how often those two traits coinci<strong>de</strong>. » 1<br />
1 . Version française : « Ce qui est le plus marrant, c’est que le plus souvent, ces <strong>de</strong>ux choses vont<br />
ensemble. » Jack Sparrow (Johnny Depp) dans Pirates of the Caribbean: The Curse of the Black<br />
Pearl, 2003.<br />
806
Incha Allah<br />
3 1 d é c e m b r e 2 0 0 6<br />
Dakar (Sénégal), 3h12.<br />
Souvent nous ne savons si nous <strong>de</strong>vons regar<strong>de</strong>r ces visions qui défilent<br />
dans notre esprit, si continuer vaut le coup, si tout stopper sèchement n’est en<br />
fin <strong>de</strong> compte pas préférable ; cette incertitu<strong>de</strong> est une véritable souffrance,<br />
elle nous bouffe.<br />
Lorsqu’en plus nous tombons sur <strong>de</strong> lâches hypocrites, rien ne va plus !<br />
Bécaye nous avait invité cher lui, <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> rester fêter la Tabaski,<br />
rencontrer sa femme et sa fille, avec un sourire que nous croyions sincère.<br />
Tromperie ; les Hommes ne sont que <strong>de</strong>s mer<strong>de</strong>s !<br />
Ce matin, nous attendions <strong>de</strong>vant la porte du cybercafé où nous passions<br />
nos journées, ne rentrant que vers 21 heures. Nous dormions même sur le toitterrasse<br />
pour déranger le moins possible puis par choix, les étoiles, muses<br />
nocturnes, faisant meilleures compagnes que les mortels. Sais-tu ce qu’il osa<br />
faire, Fidèle ? Nous envoyer ses femmes avec notre sac à dos laissé dans la<br />
chambre. Le message était clair, certes, mais il y avait mieux pour le<br />
transmettre.<br />
Blasphème ; les musulmans ne sont que <strong>de</strong>s…<br />
Évitons-nous le djihad, tu as compris <strong>de</strong> toute manière. Aucune parole,<br />
aucune face, seulement le masque datant d’une civilisation fourbe et<br />
malhonnête.<br />
Nous reprîmes donc la route vers la capitale, sans but toujours. Nous<br />
fêtâmes cette désillusion dans une taverne sur le port autonome. De la musique<br />
cubaine en fond, quelques marins attablés à-côté <strong>de</strong> nous, peut-être n’est-ce<br />
pas le meilleur endroit au mon<strong>de</strong> mais il suffit à nous oublier.<br />
Le perron du Consulat Général du Liberia nous accueille cette nuit ;<br />
profitons <strong>de</strong> ce “privilège” !<br />
807
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 e r j a n v i e r 2 0 0 7<br />
Dakar (Sénégal), 22h22.<br />
Pourquoi faut-il que nous nous retrouvions toujours dans un bar pour<br />
écrire ? Parce qu’il faut nécessairement pouvoir nous retrouver quelque part !<br />
Cette sentence tombée mille fois est très révélatrice <strong>de</strong> notre condition :<br />
nous sommes un être désillusionné – cela t’es clair, Fidèle, <strong>de</strong>puis le temps ! –<br />
mais avant tout un être qui aime se perdre.<br />
Deux nuits que nous n’avons pas fermé l’œil ; nous commençons<br />
d’halluciner. Paranoïaque <strong>de</strong> nature, nous nous sentons traqué. Désormais, le<br />
manque <strong>de</strong> sommeil comme psychotrope surpuissant exploite notre<br />
imagination ; la sensation est magnifique, exclusive, charnelle.<br />
Alors que nous passons nos journées <strong>de</strong>vant un écran bien vieux, nos nuits<br />
déambulent dans la capitale au gré <strong>de</strong> leurs envies. Il nous reste suffisamment<br />
<strong>de</strong> fric pour survivre à <strong>de</strong>ux ou trois d’entre elles. Alors <strong>de</strong>vrons-nous migrer,<br />
encore, pour nous ne savons où, jamais. La Casamance rebelle attire nos yeux<br />
d’or mais son éloignement nous persua<strong>de</strong> <strong>de</strong> pérenniser ici.<br />
Ô Cieux, si nous avions la chance, l’honneur, le pouvoir <strong>de</strong> nous réaliser,<br />
que ne ferions-nous pas pour nous dépasser, nous déjà si hautement perché !<br />
Personne, PERSONNE, ne croit en notre réussite ; ils mériteraient une baffe,<br />
non pour ne pas nous encourager à continuer sur ce chemin chaotique mais<br />
pour nous pousser à la justification. Nous sommes convaincu <strong>de</strong> notre<br />
supériorité sur ce mon<strong>de</strong> ! Un jour, il s’en rendra compte mais il sera trop tard<br />
pour venir s’abaisser <strong>de</strong>vant notre autel.<br />
808
Incha Allah<br />
1 0 j a n v i e r 2 0 0 7<br />
Dakar (Sénégal), 17h55.<br />
À l’auberge Ker Maï, où nous étendons notre cul le soir venu, nous<br />
prenons le temps d’étudier presque sérieusement les choix, très peu nombreux,<br />
qui se proposent à nous pour notre trop proche avenir. Ces <strong>de</strong>rniers jours,<br />
belle villa <strong>de</strong>s Almadies (extrême pointe occi<strong>de</strong>ntale <strong>de</strong> l’Afrique, quartier <strong>de</strong>s<br />
riches, parfois puissants), restaurants chics, confort et nobles conversations<br />
firent notre quotidien.<br />
Mylène remixe à l’instant le désenchantement et elle, plus que quiconque,<br />
sait nous rendre nostalgique ; divine, tel est son pouvoir !<br />
Que nous réservent donc nos Vents désormais ? Non ! La véritable<br />
question est : qu’avons-nous encore à découvrir ? Ne savons-nous pas déjà<br />
parfaitement ce que nous voulons, ce dont nous avons besoin ? Ne nous<br />
sommes-nous pas encore suffisamment approché <strong>de</strong>s Cieux pour le clairement<br />
voir et toucher ? Bon… OK ! Cela fait plus qu’une simple question mais,<br />
mer<strong>de</strong>, c’en est assez <strong>de</strong> la galère, <strong>de</strong> ce jeu d’enfant ! Nous nous sentons prêt<br />
et plus que jamais nous ne voulons plus fouiller ce mon<strong>de</strong> à la recherche <strong>de</strong> ce<br />
qui n’est, finalement, qu’un morceau <strong>de</strong> <strong>de</strong>stinée que mille hommes, mille et<br />
mille autres encore, n’auraient aucun mal à nous cé<strong>de</strong>r.<br />
Ce soir, la Flag n’est pas assez forte pour nous permettre l’évasion. Quant à<br />
la blanche Davidoff, elle nous regar<strong>de</strong>, nous-raté, avec l’œil narquois <strong>de</strong> celle<br />
qui a réussi.<br />
Nous trouverons le courage et la force <strong>de</strong> lui prouver notre valeur mais<br />
pour l’instant, c’est mélancolique que nous partons dîner à La Fourchette.<br />
809
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 j a n v i e r 2 0 0 7<br />
Quelques kilomètres avant Rufisque (Sénégal), 20h17.<br />
Un bar. Il n’est pas simple <strong>de</strong> tout abandonner. Nous dûmes le faire <strong>de</strong>s<br />
dizaines <strong>de</strong> fois au cours <strong>de</strong> nos voyages, souvent à grand regret. La<br />
conséquence est vagabon<strong>de</strong>… Passer dans la vie <strong>de</strong>s gens sans nous y arrêter<br />
n’est pas simple non plus. Tel est notre quotidien ! Se laisser porter par nos<br />
Vents, si augustes soient-ils, n’est pas simple enfin. C’est épuisant et, comme<br />
nous le craignons, vain.<br />
Quand nous y pensons, peu <strong>de</strong> choses portent leurs promesses dans ce<br />
mon<strong>de</strong> sans nous trahir cruellement. L’espoir <strong>de</strong>vient désespoir ; l’illusion,<br />
désillusion ; l’importance, sans intérêt ; la valeur <strong>de</strong> la pensée et <strong>de</strong>s actes<br />
accomplis, mercantile ; le souffle <strong>de</strong> vie, une triste fumisterie.<br />
Nous sommes être résigné sur lequel l’acharnement est un boulet traînant<br />
dont nous, seul, pouvons entendre la mélodie sarcastique.<br />
Dans ce contexte, nous hésitons à continuer notre traversée africaine. Au<br />
nord : la Mauritanie, le Maroc, l’Europe. Pas encore ! Au sud : la Gambie, les<br />
<strong>de</strong>ux Guinées. Non plus ! L’ouest nous est hélas infranchissable. Quant à l’est,<br />
la première tentative fut un échec brûlant. C’est chiant en définitive <strong>de</strong> vivre<br />
ainsi !<br />
Nous ne sommes pas capricieux mais un raz-le-bol certain tient notre<br />
plume <strong>de</strong>puis quelques semaines. Nous avançons <strong>de</strong> pause en pause, trêves<br />
illusoires et moralement <strong>de</strong>structrices.<br />
Notre porte <strong>de</strong> sortie déjà citée ne se présente pas à nous et, visiblement,<br />
chercher à aller vers elle nous perd dans un dédale sans fil salvateur.<br />
Nous perdons patience.<br />
810
Incha Allah<br />
1 9 j a n v i e r 2 0 0 7<br />
Saint-<strong>Louis</strong> (Sénégal), 9h09.<br />
Nous sommes, à l’auberge <strong>de</strong> jeunesse, entouré d’anglo-saxons, une vraie<br />
plaie, <strong>de</strong>s touristes en plus ! À table, pour le petit-déjeuner collectif, ça parlait<br />
allemand, le jeune Étasunien semblait perdu <strong>de</strong>vant son café au lait, la scène ne<br />
nous intéressait pas, nous montâmes fumer une clope et boire un Fanta.<br />
Il nous reste trois jours avant l’expiration <strong>de</strong> notre visa ; déjà trois mois !<br />
Nous finirons clan<strong>de</strong>stin, tant pis, cela ou autre chose…<br />
Le lit est payé jusques à dimanche matin. Hélas ne pouvons-nous pas le<br />
rentabiliser puisque nous partageons la chambre avec le jeune Étasunien, qui à<br />
l’instant remonte lui aussi, et un universitaire belge.<br />
Dimanche irons-nous donc nous planquer dans la savane haute, à l’est. Si<br />
l’occasion se présente, nous franchirons la frontière avec le Mali et <strong>de</strong> là, nous<br />
verrons comme d’habitu<strong>de</strong>. Rien ne nous attire ici, c’est notre grand problème.<br />
L’Afrique… Jamais nous n’y remettrons les pattes sans l’argent et le confort<br />
qui nous va si bien !<br />
811
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 2 j a n v i e r 2 0 0 7<br />
Saint-<strong>Louis</strong> (Sénégal), 22h11.<br />
Nous pérenniserons dans le trou du cul du patrimoine mondial <strong>de</strong><br />
l’UNESCO quelque temps encore, ce qui en fin <strong>de</strong> compte n’est pas plus mal.<br />
La route <strong>de</strong> l’est ne nous retentait guère et l’on nous proposa asile ici. Il était<br />
suicidaire <strong>de</strong> refuser telle invitation, nous l’acceptâmes <strong>de</strong> bon cœur.<br />
La communauté franco-belge, plus intime à Saint-<strong>Louis</strong> qu’à Dakar, nous<br />
convient assez. Certes, il est rapi<strong>de</strong> d’en faire le tour et notre esprit libertin<br />
papillonnant se lassera probablement après quelques excès mais ne soyons pas<br />
trop exigeant car notre constellation protectrice a déjà bien assez <strong>de</strong> travail<br />
comme cela.<br />
Selon un ami, récent, nous nous posons aujourd’hui comme Marguerite<br />
Duras le signa en son temps. Espérons donc continuer dans cette voie…<br />
812
Incha Allah<br />
2 8 j a n v i e r 2 0 0 7<br />
Langue <strong>de</strong> Barbarie (Sénégal), 16h08.<br />
Le Campement porte bien son nom. Franco-française dans l’ensemble, la<br />
communauté qui s’y retrouve tous les dimanches nous apparaît moins agressive<br />
que les débor<strong>de</strong>mentaux <strong>de</strong>s terres. Nous nous sentons libre ici, n’avons rien à<br />
masquer. Personne ne joue <strong>de</strong> rôle, tout le mon<strong>de</strong> se connaît, s’apprécie en<br />
gran<strong>de</strong> ligne.<br />
L’horizon double, océanique ou fluvial, offre une certaine transparence que<br />
nous avions finie par oublier. L’aspect n’est pas colonial, pas tant que cela, car<br />
nous plus que quiconque pouvons comprendre que se retrouver chez soi, au<br />
milieu d’un pays faux, corrompu et désorganisé, apporte une certaine douceur,<br />
un répit dans une vie très contraignante, oubliée <strong>de</strong> beaucoup.<br />
Saint-<strong>Louis</strong> nous marque par la nonchalance <strong>de</strong> ses beaux rivages si peu<br />
apprivoisés. Notre hôte nous permet ces moments d’évasion, nous lui <strong>de</strong>vons<br />
tant ! Nous dînâmes en sa bonne compagnie il y a quelques jours au Ranch <strong>de</strong><br />
Bango et, comme ici, nous pûmes apprécier l’absence <strong>de</strong> médiocrité. C’est<br />
construit, civilisé, éduqué, respectable, propre ; ce sont pour nous autant <strong>de</strong><br />
repères précieux mais lointains, déjà.<br />
Voguer <strong>de</strong> galère en galère ne vaut rien. La vie ne doit pas se gagner à la<br />
sueur <strong>de</strong> pas incertains, <strong>de</strong> défis quasi suicidaires. Ne nous la donne-t-on pas<br />
d’ailleurs ? N’est-ce pas pour l’apprécier ? Ce “on” ne nous la retirera-t-il pas,<br />
invariablement, quelle que soit notre condition, privilégiée ou misérable ?<br />
Ne nous blâme jamais, Fidèle, <strong>de</strong> jouer avec la vie ! Ne condamne jamais<br />
notre paresse, elle si belle, si noble ! Ne jalouse jamais, enfin, cette peau que<br />
nous tannons sans scrupule, bercé dans un hamac sous le Soleil africain !<br />
Oui, nous consumons notre jeunesse, ô combien désirable ; peux-tu en<br />
écrire autant ? Qu’il en soit ainsi, toujours !<br />
813
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 5 f é v r i e r 2 0 0 7<br />
L ’ I N I T I A T E U R D E C H A O S<br />
Dans notre tête, <strong>de</strong>s cailloux se percutent. Ils sont les restes d’une époque<br />
lointaine, où l’Homme n’était qu’un primate, notre chère Méditerranée blanche<br />
<strong>de</strong> sel, l’existence moins barbare qu’aujourd’hui, une époque <strong>de</strong> Chaos<br />
magnifique que les civilisations animales domptaient entre Vie et Mort,<br />
mélangées, sœurs saphiques.<br />
Dans notre tête humaine débor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s idées noires <strong>de</strong> sang, le sang <strong>de</strong><br />
mille et mille êtres sacrifiés par nos insatisfactions successives.<br />
Il nous faut oublier, boire et fumer, nous perdre dans l’asphalte ou la<br />
molécule ou l’abandon ; la détresse non !<br />
Ce mon<strong>de</strong> que nous ne maîtrisons pas mais dont nous connaissons la<br />
Destinée se meurt. Les bonnes volontés sont trahies, nous sommes trahi, trahi<br />
par l’humanité.<br />
L’humanité, gâtée par son histoire ; l’humanité, à qui l’on prête gloire,<br />
honneur et civilisation ; l’humanité, maîtresse du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> son avenir.<br />
Foutaise, injure !<br />
L’humanité n’est rien sinon un troupeau <strong>de</strong> parvenus enragés suspendu à<br />
l’échelle <strong>de</strong> la pire déca<strong>de</strong>nce par les crochets <strong>de</strong> sa cupidité.<br />
Il suffit <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r les mérites qu’elle n’a. Le mon<strong>de</strong> change, une<br />
ancienne force se réveille, l’avenir n’est plus entre ses mains. N’est question<br />
d’aucun conte, d’aucune prédiction. Condamnation : l’humanité a prouvé<br />
qu’elle n’était qu’à la hauteur <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> tragiques erreurs qu’elle masque <strong>de</strong><br />
découvertes techniques, poudre aux yeux <strong>de</strong>stinée à satisfaire son orgueil <strong>de</strong><br />
dominante.<br />
Nous ne voulons pas d’un mon<strong>de</strong> construit sur ses valeurs violées, ses<br />
défaillances primitives, d’un mon<strong>de</strong> corrompu, crasseux et nauséabond.<br />
Voyager avec l’œil cynique d’un anthropologue blasé est pour le moins<br />
atypique. Depuis cinq ans et <strong>de</strong>mi, après quatre continents, nous, misanthrope<br />
très supérieurement perché sur notre mont, sommes las <strong>de</strong> l’humanité. En tout<br />
lieu, sa présence pourrit notre environnement.<br />
814
Incha Allah<br />
Partager ? Ouvrir son cœur ? Pardonner ? Espérer ? Est-ce là tout ce que<br />
l’humanité nous propose pour cacher la réalité merdique <strong>de</strong> son mon<strong>de</strong> ? Si<br />
oui, ce soir, nous n’aspirons qu’au confort provençal dans un absolu égoïsme.<br />
Prochainement, fais donc place, impuissant Fidèle, au revenant Initiateur <strong>de</strong><br />
Chaos !<br />
815
I n t e r l u d e : C h a o s
Interlu<strong>de</strong> : Chaos<br />
2 1 f é v r i e r 2 0 0 7<br />
Saint-<strong>Louis</strong> (Sénégal), 23h30.<br />
Cette nuit, Fidèle, alors que les “religieux” rotent et clament, les<br />
“politiques” promettent et crient, la populace tambourine et bat ce mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
débiles, nous-revenant débutons la rédaction du premier interlu<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre<br />
saga.<br />
Harcelé par <strong>de</strong>s démons plus tapageurs que la rue, nous passâmes la soirée<br />
à la Rési<strong>de</strong>nce en compagnie d’Histoire, <strong>de</strong> colonial glorieux, nécessaire,<br />
objectivement constructif. Débris d’une civilisation condamnée, hélas !<br />
Ce bruit inutile doit cesser et il n’est d’autre issue que le Chaos.<br />
Tous – homme, femme, enfant non – périront sous notre plume ! Déjà les<br />
fîmes-nous souffrir mais rien encore ne fut assez fort pour élever notre hache<br />
guerrière, polie par l’expérience, au-<strong>de</strong>ssus du cou misérable <strong>de</strong> l’humanité.<br />
Dans l’avenir, que nous sommons proche, une main tremblante <strong>de</strong> haine et <strong>de</strong><br />
dégoût se chargera <strong>de</strong> cette sale besogne mais pour l’heure, ingrat face à la vie,<br />
digne <strong>de</strong>vant la perdition, nous avançons vers l’Exil, solitaire, toujours.<br />
Nicolas jouait, banal, une fesse sur le billard, une fesse sur un tabouret, les<br />
jambes en croix, <strong>de</strong> la guitare. Le fond fut à peine recueilli par les convives<br />
mais, comme le souligna diplomatiquement Ma<strong>de</strong>leine, belle <strong>de</strong> cette simplicité<br />
noble et rare, manquait par son absence.<br />
Un talibé plus éveillé qu’un autre s’offrit un instant <strong>de</strong> rêverie par-<strong>de</strong>là la<br />
porte <strong>de</strong> sortie, sur son trottoir, filtrant les notes dans son esprit débrouillard,<br />
prostitué, sans doute, par un géniteur lascif ou un quelconque marabout sans<br />
scrupule, pilier d’une foi malsaine.<br />
Davantage que le musicien français, c’est lui, ce jeune chat mal tombé, qui<br />
attira nos yeux d’or.<br />
Personne ne s’en soucia !<br />
Ils sont pourtant notre Espoir, ces enfants, les pattes agiles que nous<br />
<strong>de</strong>stinons au Renouveau du genre humain.<br />
Tout détruire et tout recommencer, sur <strong>de</strong>s déchets.<br />
Endors-toi paisiblement, Fidèle : tu meurs et nous jouissons ton agonie !<br />
819
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 6 f é v r i e r 2 0 0 7<br />
Saint-<strong>Louis</strong> (Sénégal), 17h32.<br />
Une chose semble être sûre ces <strong>de</strong>rniers jours, il ne faut pas compter sur le<br />
Sénégalais (ni non plus sur le Sénégaulois) pour changer ce mon<strong>de</strong> atteint !<br />
Permettons-nous un certain point <strong>de</strong> vue, pas le moins faux.<br />
Wa<strong>de</strong>, le prési<strong>de</strong>nt-momie probablement réélu par tricherie ou connerie<br />
populaire dès le premier tour, aurait pourtant été l’amorce idéale mais le faire<br />
sauter n’était pas, semble-t-il, au goût du jour.<br />
Alors que l’Islam explose dans ce pays, la culture, elle, périt dans son<br />
souffle ; quelle ban<strong>de</strong> d’aveugles bêlants !<br />
Colons, miséreux anarchistes, anti-tout, revenez ou venez relever le niveau,<br />
pas pitié ou intérêt, venez donc car <strong>de</strong> ce continent, son peuple n’en fera rien !<br />
De-ci <strong>de</strong>-là, l’Européen est décrié, bafoué mais OUI, Monsieur Fa<strong>de</strong>l Dia,<br />
Jacques Chirac a raison <strong>de</strong> parler <strong>de</strong>s bienfaits <strong>de</strong> la colonisation. Auriez-vous<br />
pu faire éditer votre livre idiot <strong>de</strong> rancunier qui n’a rien compris au film <strong>de</strong><br />
l’Histoire si vos ancêtres n’avaient un jour, un seul, été gaulois ? 1 Et Allah, et<br />
Mohammed, que vous apportent-ils, eux, que vous n’osiez les renvoyer chez<br />
eux d’un coup <strong>de</strong> pied au cul, que l’un et l’autre apprécieraient, nous le<br />
pensons, masochistes qu’ils sont ? Car il faut être un peu con tout <strong>de</strong> même<br />
pour s’imposer en puissance machiste sur un continent que la femme porte<br />
<strong>de</strong>puis cette belle Nuit <strong>de</strong>s Temps où la Nature dignitaire sublimait. Oh oui,<br />
comme nous le pensons cela aussi !!<br />
Femmes, réveillez-vous et reprenez votre place en Afrique !<br />
Puisque les colons désertent leurs privilèges, non contraints mais épuisés<br />
par tant d’acharnements inutiles, puisque les hommes et l’Islam vous<br />
déconsidèrent, qu’atten<strong>de</strong>z-vous à la fin ? Un signe du Destin ? Un télex ?<br />
Wa<strong>de</strong>, Mesdames, vient <strong>de</strong> vous l’envoyer ; agissez maintenant, battezvous<br />
!<br />
1 . Fa<strong>de</strong>l Dia, À mes chers parents gaulois…, 2007.<br />
820
Interlu<strong>de</strong> : Chaos<br />
3 m a r s 2 0 0 7<br />
Saint-<strong>Louis</strong> (Sénégal), 23h51.<br />
Il est vrai qu’il ne se passe jamais rien à Saint-<strong>Louis</strong>, ce qui conduit sa<br />
communauté à se réunir à tout événement. Ce soir donc : dîner oriental au<br />
casino Laser, orchestré par Joffrey et Marie-Ange, créatifs.<br />
Une Eurasienne, sublime, tinte sur la piste et <strong>de</strong>ssine Dalida sur son ventre<br />
plat ; <strong>de</strong>s habitués célèbrent le rosé marocain ; les flashs harcèlent sans<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> ici ; notre image importe, se fait violer là ; nous sommes cadavérique,<br />
contrit par une pharyngite que nous ne pensions trouver que dans la cave du<br />
Med Boy chez Michel.<br />
Mais que fait la Lune ?<br />
Ce soir, rousse, née d’un alignement parfait hélas sans misère, elle regar<strong>de</strong><br />
l’Afrique <strong>de</strong> l’Ouest d’un air las mais compatissant, triste. Quelques nuages la<br />
voilent car elle aussi prend part à la fête.<br />
La Lune danse, mystérieuse, la Mort.<br />
Ses monts généreux, libres et libertins, enlacent les Vents cosmiques <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux bras élégants et légers que la Terre envie, elle si gauche, si lour<strong>de</strong>, la Terre.<br />
Son teint hâlé, en cette nuit exceptionnelle, longuement travaillé, comme seules<br />
les dames expertes savent, scie les Cieux. La Terre, vieille putain que trop <strong>de</strong><br />
médiocrité perfore, lui répond vulgairement et chantonne son opulente<br />
majesté.<br />
Et les Hommes, eux ?<br />
Ils ne voient rien. Se doutent-ils que sur leur vie miséreuse se joute un<br />
théâtre superbe <strong>de</strong> feux et <strong>de</strong> cendres ? Non, évi<strong>de</strong>mment ! Les Hommes ne<br />
rêvent plus les Cieux, ils les chargent <strong>de</strong> modules, <strong>de</strong> navettes, <strong>de</strong> rogatons<br />
synthétiques, <strong>de</strong> numéros et <strong>de</strong> figures.<br />
Dans cette immensité méconnue, néanmoins, nous révélons-nous à elle, la<br />
Lune, qui enchante nos yeux d’or et si les étoiles écoutent nos complaintes,<br />
c’est avec elle, seule, que nous communions.<br />
821
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
5 m a r s 2 0 0 7<br />
Saint-<strong>Louis</strong> (Sénégal), 14h26.<br />
Un disque rayé passe sur la platine <strong>de</strong> l’Hôtel <strong>de</strong> la Poste, le même que la<br />
<strong>de</strong>rnière fois où nous y vînmes boire une bière.<br />
Demain, nous <strong>de</strong>scendrons sur Dakar, y passerons quatre ou cinq nuits<br />
pour préparer, si cela se peut, notre prochain départ vers le Mali. Voilà un<br />
choix sans conviction qui nous pousse puisque <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce nous ne<br />
trouverons pas plus au pays dogon qu’ici mais un peu <strong>de</strong> marche ne peut en ce<br />
moment qu’être bénéfique à nos jolies fesses : il fait chaud, elles fondront !<br />
Notre bière ne passe pas, la Davidoff n’a aucun effet, nous avalons cachet<br />
sur cachet <strong>de</strong>puis quatre jours (rien <strong>de</strong> grave, que du bon) et c’est un peu plus<br />
blasé lourd que nous enfilerons notre complet <strong>de</strong> vagabond griffé croco,<br />
noblesse signare oblige.<br />
Nous approchons les quatre cents nuits passées sur le continent africain.<br />
Nous en avons assez ; overdose <strong>de</strong> bêtise ! Nous réorienter n’est pas chose<br />
facile. Comment en effet rentrer en Europe sans tuer lamentablement notre<br />
promesse <strong>de</strong> ne le pas faire les mains dans les poches ? Et pourtant est-ce plus<br />
que nécessaire aujourd’hui…<br />
822
Interlu<strong>de</strong> : Chaos<br />
8 m a r s 2 0 0 7<br />
Dakar (Sénégal), 8h55.<br />
Avoir du goût n’est pas un fait <strong>de</strong> choix. Tout comme l’esprit, on naît avec<br />
ou pas. Coup <strong>de</strong> bol, nous possédons l’un et l’autre, partagés jalousement avec<br />
notre ego, ce matin fort satisfait <strong>de</strong> lui-même. La nuit fut courte et le souvenir<br />
charnel <strong>de</strong> notre vie passée nous pénétra avec force jusques au petit matin.<br />
C’est bienheureux car nous étions sur le point <strong>de</strong> nous caser moine dans<br />
quelque temple dogon sur notre chemin… Nous retombé sous les prises du<br />
sexe, impossible désormais !<br />
De toute manière, le Mali… nous n’y pensons plus. Destination : Europe !<br />
NOUS-MÊME . Et votre promesse, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ?<br />
NOUS . Ta gueule et mange ton brownie, toi !<br />
Nous sommes en effet à la Galette, meilleur salon <strong>de</strong> thé <strong>de</strong> la capitale <strong>de</strong><br />
ce pays pourri. Quant à notre promesse, nous ne la voilerons que le temps d’un<br />
passage éclair pour visiter famille, amis, bars et boites fétiches, évi<strong>de</strong>mment.<br />
Ensuite, suivant notre goût donc, irons-nous vers l’Europe centrale et <strong>de</strong> l’Est<br />
retrouver bel ami et consorts pour procréer ensemble un mon<strong>de</strong> nouveau basé<br />
sur la perfection corporelle, la “blond’ attitu<strong>de</strong>”, le porno chic, les excès…<br />
Tout cela, Fidèle, mets-le au conditionnel car hélas pour l’heure ne savonsnous<br />
pas comment joindre le vieux continent. Travaillons donc là-<strong>de</strong>ssus, les<br />
Dogons nous attendront encore !<br />
823
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 1 m a r s 2 0 0 7<br />
Dakar (Sénégal), 20h38.<br />
Sur les routes, d’innombrables véhicules fracassés par le manque<br />
d’entretien ou le Temps qui passe se disputent un retour à <strong>de</strong>meure. Depuis le<br />
Grand Magal <strong>de</strong> Touba à Dakar, un nuage <strong>de</strong> pollution doit habiller le Sénégal.<br />
La capitale, normalement habitée par trois millions d’âmes est aujourd’hui vi<strong>de</strong>,<br />
morte. Dès <strong>de</strong>main, elle sera à nouveau envahie <strong>de</strong> peuple, saccagée <strong>de</strong> bruit,<br />
salie <strong>de</strong> pieds poussiéreux qui traîneront <strong>de</strong> taxis en marchés, <strong>de</strong> places en<br />
bâtiments officiels, <strong>de</strong> rues en snacks, <strong>de</strong> vie en vie.<br />
Nous haïssons ces mornes allées et venues ! Elles ne sont pour nous que<br />
désorganisation, pierre jetée par un mioche abandonné dans la mare d’un<br />
jardin nippon, médiocre danse qui vu <strong>de</strong>s Cieux ne ressemble qu’à l’annonce<br />
d’une fin inévitable.<br />
Après tout ne <strong>de</strong>mandons-nous rien d’extrême : les Hommes sont trop<br />
nombreux, trois ou quatre milliards d’entre eux doivent être sacrifiés pour<br />
regagner l’Équilibre ! Ce n’est donc rien à faire.<br />
Jadis, les civilisations s’entrechoquaient dans un vacarme grandiose,<br />
mélodie d’un massacre poétique. Aujourd’hui, la Force <strong>de</strong> Paix inon<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa<br />
“bien-pensée” – dont quelques pourris seulement profitent – le mon<strong>de</strong> avec un<br />
droit à sourire au mal lorsqu’en fin <strong>de</strong> compte il suffirait d’envahir, <strong>de</strong> détruire<br />
et brûler, sans sens moral, les terroristes / résistants, corrompus, gêneurs et<br />
ingérants.<br />
Aujourd’hui, l’on préfère se plier à un consensus que faire entendre sa voix<br />
au mépris <strong>de</strong>s autres, quitte à basculer dans une société terne qui ennuie, mère<br />
<strong>de</strong> désaxés, <strong>de</strong> frustrés, <strong>de</strong> marginaux baba-cool inutiles. Aujourd’hui, les<br />
musiciens se révoltent en textes copyrightés pendant que les Puissants<br />
s’interposent en vain pour régler <strong>de</strong>s conflits séculaires et profiter <strong>de</strong><br />
l’ignorance <strong>de</strong>s porteurs <strong>de</strong> machettes, <strong>de</strong> pierres ou d’engins plus sophistiqués<br />
qu’ils leur ven<strong>de</strong>nt.<br />
Mais laissez-les donc se taper sur la gueule, et ajoutez-en un peu s’il le faut !<br />
Où est passée votre animosité ?<br />
Aujourd’hui, les Hommes ne sont ni barbares, ni civilisés, ils ne<br />
824
Interlu<strong>de</strong> : Chaos<br />
réfléchissent pas leur sort, ils se le laissent imposer.<br />
Que n’insultent-ils pas l’Histoire en l’écrivant sur <strong>de</strong>s résolutions !<br />
Dans l’avenir, leurs fils conteront cette époque comme la <strong>de</strong>rnière où les<br />
Hommes se prirent pour <strong>de</strong>s dieux et c’est à nous <strong>de</strong> les éclairer sur le chemin<br />
à prendre.<br />
825
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 8 m a r s 2 0 0 7<br />
NOUS . Ciao! Vous parlez français, English?<br />
LA SERVEUSE . Yes, I speak English!<br />
NOUS . Perfect! Is there a place I can smoke in this airport?<br />
LA SERVEUSE . Yes : outsi<strong>de</strong>!<br />
Milan (Italie), 12h27.<br />
Bienvenue en Europe ! Nos Davidoff light détaxées ne tuent-elles pourtant<br />
pas, elles ne font qu’abuser <strong>de</strong> notre santé, où est donc le mal ?<br />
Nous revoilà chez nous, presque et enfin ! La correspondance que nous<br />
<strong>de</strong>vions prendre partit sans nous, il reste trois heures à tuer. La direction <strong>de</strong><br />
l’aéroport s’excusa, évi<strong>de</strong>mment, en nous offrant un déjeuner, sans alcool ;<br />
quelle misère ! Notre mon<strong>de</strong> aurait-il tellement changé que cela <strong>de</strong>puis notre<br />
lointain départ ? N’importe : une bière italienne à 4 euros ne nous tuera pas.<br />
À Dakar, nous avions une bouteille d’eau dans notre besace. On nous<br />
<strong>de</strong>manda <strong>de</strong> la jeter au sas d’embarquement. Va donc savoir, Fidèle, quel<br />
mystère se cache <strong>de</strong>rrière cela… ?! Qui allions-nous pouvoir détourner avec un<br />
<strong>de</strong>mi-litre <strong>de</strong> Kirène ?<br />
Bref… Europe, tu nous manquais tant que ces quelques sacrifices ne sont<br />
que plaisirs amusants.<br />
Notre numéro <strong>de</strong> téléphone est mort, lui aussi, et il nous faudra le changer<br />
pour les quelques jours que nous passerons en France.<br />
Vraiment pas mauvaise, cette italienne !<br />
Si tout se passe bien maintenant, nous serons à Marseille avant 17 heures et<br />
au château dans la soirée.<br />
826
Interlu<strong>de</strong> : Chaos<br />
2 0 m a r s 2 0 0 7<br />
Aix-en-Provence (France), 15h45.<br />
Comme il est bon <strong>de</strong> retrouver notre pays, ses étiquettes assassines, ses<br />
pigeons sur les trottoirs à la place <strong>de</strong> mutilés, <strong>de</strong> talibés, ses homos sapés<br />
comme la mo<strong>de</strong> l’impose, son froid personnel, les extravagances <strong>de</strong> son peuple<br />
débridé, une o<strong>de</strong>ur particulière jamais oubliée… Bien <strong>de</strong>s choses auxquelles<br />
nous tenons !<br />
Nous fûmes accueilli dans les Basses Alpes, à notre arrivée au château,<br />
lundi, par une tempête <strong>de</strong> neige.<br />
Aujourd’hui, l’Electro dynamise le Happy Days où nous cherchons un peu<br />
<strong>de</strong> chaleur : passage à Aix-en-Provence pour la journée, le temps <strong>de</strong> régler<br />
quelques papiers pour notre prochain proche départ, <strong>de</strong> retrouvailles tellement<br />
attendues, <strong>de</strong> déambulations dans les rues gelées par le Mistral. Une coupe <strong>de</strong><br />
rosé, <strong>de</strong>s baisers : comme cela nous manquait aussi !<br />
Que les homos n’ont-ils pas ici en fin <strong>de</strong> compte pour que nous nous<br />
sentions parfaitement chez nous ? Il serait si facile, si tentant, <strong>de</strong> nous poser<br />
dans l’acceptation, si juste à la fois.<br />
Nous ne sommes pas prêt pourtant. Il nous manque toujours l’essentiel, un<br />
triste minimum <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux millions d’euros pour atteindre le bonheur parfait,<br />
même éphémère car nous ne nous plaisons que dans la recherche, quête<br />
éternelle, soif jamais assouvie. Nous nous plaisons à désirer ce que, fatalement,<br />
nous aurons un jour.<br />
Car nous aurons, tout !<br />
Notre bus part dans <strong>de</strong>ux heures trente, pour la campagne. Vendredi,<br />
nous… N’en parlons pas encore !<br />
En traversant la cité cosmopolite, nous nous rendîmes compte que certains<br />
repères avaient disparu, que d’autres allaient naître. Cette ville bouge ;<br />
pourquoi la croyions-nous si pauvre et stagnante avant notre départ ? Ce <strong>de</strong>vait<br />
être nous, sans doute…<br />
827
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 6 m a r s 2 0 0 7<br />
Aix-en-Provence (France), 11 heures.<br />
Roton<strong>de</strong>. Nous ne sommes pas encore dans l’avion qu’Aix nous manque<br />
déjà. Cette cité, répétons-nous, exerce sur notre personne le pouvoir<br />
d’attraction d’une muse éthylique.<br />
L’UMP à <strong>de</strong>ux pas, l’élu obligatoire, le petit N. dont nous ne voulons pas<br />
mais que nous savons vainqueur, nous observe.<br />
Dans la rue, le froid printanier active le peuple, l’invite à la marche que<br />
nous louons. Dans quelques jours, le Soleil floridien parfumera nos polos<br />
anglais <strong>de</strong> monoï et <strong>de</strong> JPG : nous, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong>, <strong>de</strong> retour à<br />
Orlando pour quatre-vingt-dix jours. C’est l’est que nous visions, comme la<br />
première fois voilà dix-sept mois ; il ne nous veut pas encore.<br />
Il ne nous faut pourtant pas grand’chose pour être heureux en ce moment,<br />
simplement retrouver et profiter <strong>de</strong> nos anciennes habitu<strong>de</strong>s, activités aussi,<br />
pourquoi pas. Nous y pensions sérieusement à Dakar (exploiter à nouveau nos<br />
profon<strong>de</strong>urs) mais notre frère intervint à temps pour nous confier une autre<br />
mission, plus honorable (selon un certain point <strong>de</strong> vue), plus acceptable en<br />
tout cas. Il nous proposa un travail, une fiche <strong>de</strong> paye ; Diable ! Cela fait<br />
tellement longtemps… et ne durera pas, nous le savons.<br />
Profitons donc <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>rnières heures au Roton<strong>de</strong>, sirotons notre Bloody<br />
Mary, chéri, et attendons la suite.<br />
828
Interlu<strong>de</strong> : Chaos<br />
8 a v r i l 2 0 0 7<br />
Orlando (Flori<strong>de</strong>, USA), 23h36.<br />
Six ans ! Six longues années <strong>de</strong> baroud à travers Europe <strong>de</strong> l’Ouest, Asie du<br />
Sud-Est, Afrique du Nord et <strong>de</strong> l’Ouest avant <strong>de</strong> remettre les pattes ici.<br />
La Flori<strong>de</strong>, son climat humi<strong>de</strong>, ses lacs artificiels, ses parcs verts, ses<br />
rednecks… C’est une nouvelle aventure qui débuta voilà trois semaines, tout<br />
juste. Puisque c’est en Flori<strong>de</strong> que nos Vents nous portèrent, c’est en Flori<strong>de</strong><br />
que nous continuerons notre critique existentielle.<br />
Nous logeons chez notre frère, dans une maison traditionnelle <strong>de</strong> l’Historic<br />
District. Tout est tellement vaste ici et nous désoriente quel que peu… Côté<br />
social, nous ne manquons <strong>de</strong> rien : DTV nous permet l’évasion ; rencontre<br />
provi<strong>de</strong>ntielle. Côté fric… Devons-nous seulement préciser ? Certaines choses,<br />
au grand dam <strong>de</strong> nos ambitions, ne changeront jamais. C’est la mer<strong>de</strong> ! Nous<br />
nous voudrions libre financièrement mais nous dépendons encore <strong>de</strong> la<br />
générosité <strong>de</strong> celles et ceux qui croient en nous. C’est très frustrant et nous<br />
exploserons un jour…<br />
Les États-Unis d’Amérique ne représentent pas pour nous la réussite. Un<br />
arbuste <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’eau, du Soleil et une terre fertile pour croître. Dans ce<br />
pays peuplé <strong>de</strong> jeunes impatients, on le bourre d’engrais. Le résultat est le<br />
même, fort probablement, mais le Temps n’aime pas être violé et ce que<br />
l’humanité pense gagner sur lui n’est qu’une graine dans un sablier <strong>de</strong><br />
poussière, une page d’Histoire qui ne manquera pas <strong>de</strong> brûler comme les<br />
autres, lentement, avec perversion, jusques à l’oubli. À quoi bon dès lors se<br />
targuer <strong>de</strong> richesses que finalement elle ne possè<strong>de</strong> pas ?<br />
L’Évolution se trouve ailleurs, loin <strong>de</strong> toute pensée réduite, loin <strong>de</strong> ce<br />
qu’elle construit. Revenons à nous-mêmes !<br />
La <strong>de</strong>rnière fois que nous vînmes ici, <strong>de</strong> août à novembre 2001, nous n’en<br />
profitâmes pas suffisamment pour nous plonger dans cette “culture”. Peut-être<br />
est-il bon, cette fois-ci, <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r un peu <strong>de</strong> notre temps…<br />
829
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 j u i n 2 0 0 7<br />
Kissimmee (Flori<strong>de</strong>, USA), 11h34.<br />
Nos trois mois probatoires arrivent à leur terme, doucement ; nous ne<br />
signerons aucune prolongation. Nous pensions continuer vers le sud, le<br />
Mexique, les Caraïbes peut-être, mais nous vînmes en Flori<strong>de</strong> avec trop<br />
d’effets, tous nos carnets que nous voulions mettre en ligne une fois pour<br />
toute. Nous ne le pûmes hélas pas et ne pouvons prendre le risque <strong>de</strong><br />
vagabon<strong>de</strong>r avec eux dans notre sac ; ils sont tout ce que nous possédons,<br />
seule trace <strong>de</strong> ce que nous vécûmes. Oui, nous sommes un éternel fainéant,<br />
désabusé, vagabond, désenchanté, paumé, enfermé dans un être trop étroit<br />
mais, Diable !, toutes ces terres que nous parcourûmes, ces visages que nous<br />
apprîmes à connaître, à respecter parfois, ces expériences qui nous forgèrent :<br />
cela n’est pas rien ! Peu conventionnel, certes, mais pas RIEN !! Il ne s’agit pas<br />
<strong>de</strong> prouver quoi que ce soit, à qui que ce soit (si, un peu en fait…), il s’agit <strong>de</strong><br />
réformer certaines idées reçues, certaines acceptations moyenâgeuses que notre<br />
entourage (entre autres) persiste à nous dicter.<br />
Nous parviendrons à réaliser NOS ambitions en suivant NOS métho<strong>de</strong>s<br />
(avec ou sans LSD) !<br />
Tout cela pour dire que nous rentrerons au château, dans un vol éphémère<br />
comme à l’accoutumée, pour déposer nos carnets en sûreté.<br />
Nous n’écrivîmes pas grand’chose sur notre périple floridien (rien, en fait)<br />
car nous ne retrouvons dans ce pays, ce “peuple”, qu’un infime raisonnement<br />
puéril voué à la démolition tel que nous le soulignâmes dans notre précé<strong>de</strong>nt<br />
billet. Ils sont pires que les Communistes en fin <strong>de</strong> compte, qui eux, au<br />
passage, vivaient – vivent encore – pour un idéal sociétaire. Les Étasuniens ne<br />
vivent que pour eux et pour l’argent qu’ils n’ont pas, d’ailleurs. Qui donc<br />
possè<strong>de</strong> SA maison, SA voiture ? Peu d’entre eux. Tous vivent sur leur credit<br />
score, à savoir leur capacité à s’en<strong>de</strong>tter un peu plus ou un peu moins. Au final,<br />
un : « Ceci est à moi ! » n’est qu’un : « Ceci m’appartient… ainsi qu’à ma<br />
banque, mon assurance, mon assurance-vie, mon tax-refund, mon… » Et ils<br />
appellent cela : Indépendance !<br />
Pour nous, les Étasuniens (sauf peut-être ceux du nord-est et les<br />
Californiens) ne sont parfaits que dans leur connerie et nous prions pour que<br />
830
Interlu<strong>de</strong> : Chaos<br />
le peuple <strong>de</strong> France ne tombe pas dans ce dangereux piège. À côté <strong>de</strong> cela, ils<br />
sont étonnants dans le domaine du spectacle, dès lors qu’ils ne tournent pas<br />
leur mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie en show perpétuel, ce que, hélas, ils font bien aussi.<br />
Nous ne nous plaisons pas ici. Le temps, à la rigueur, nous convient-il, lui<br />
seul. Quant aux mecs, ils manquent cruellement d’imagination, sont boring à<br />
souhait. Enfin la vie chez notre frère est-elle trop surveillée ; assurément cela<br />
joue-t-il en notre défaveur et ne nous permet-il pas <strong>de</strong> pleinement apprécier.<br />
Aujourd’hui, nous tenons l’estate sale dans la secon<strong>de</strong> villa <strong>de</strong> notre frère,<br />
vouée à la vente, évi<strong>de</strong>mment. Le temps est venteux, pluvieux, la rési<strong>de</strong>nce est<br />
retirée, aucun signe pour diriger le provi<strong>de</strong>ntiel acheteur. Fidèle, si toi, par<br />
définition, tu crois aux miracles, nous non ! Cela cependant nous donne-t-il<br />
l’occasion <strong>de</strong> prendre la voiture et <strong>de</strong> nous bala<strong>de</strong>r un peu sur les autoroutes<br />
défoncées <strong>de</strong> ce pays riche…ment suren<strong>de</strong>tté. Ne te plains pas, peuple <strong>de</strong><br />
France, tu es bien loti !<br />
Que dire <strong>de</strong> plus sinon rien ; vivement l’Europe !<br />
831
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 2 j u i n 2 0 0 7<br />
Santa Ana (Californie, USA), 7h20.<br />
Dans quinze minutes, un énorme car Disney s’arrêtera <strong>de</strong>vant notre hôtel<br />
pour nous conduire à l’aéroport <strong>de</strong> Los Angeles, signant notre départ d’un trait<br />
coloré, à l’image <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers jours passés en Californie.<br />
DTV est à un <strong>de</strong>rnier rehearsal avant son concert en Corée du Sud. Hier<br />
soir, les adieux furent sincères, sans drame ; nous nous reverrons, ou pas.<br />
Quelle importance ? Des moments que nous passâmes ensemble, nous ne<br />
gardons que <strong>de</strong> bons souvenirs et n’en <strong>de</strong>mandons à dire vrai pas plus.<br />
L’amitié, telle que nous la vivons sur notre chemin, n’est ni symbiotique, ni<br />
futile. Elle est éphémère mais honnête, elle ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aucun effort, elle n’a<br />
aucun besoin d’entretien, elle est entière mais sans contrainte.<br />
Tu sais, Fidèle, autant toi es-tu un être physique dans lequel la souffrance<br />
<strong>de</strong> l’attachement s’attar<strong>de</strong>, autant nous dépassons-nous cette forme d’existence<br />
pour atteindre un état plus céleste car c’est en esprit que nous évoluons.<br />
Los Angeles (Californie, USA), 11 heures.<br />
Célébrons notre départ avec une double dose <strong>de</strong> Bombay Sapphire, seul<br />
évi<strong>de</strong>ment, car un long déplacement nous attend. Demain, nous serons à Paris,<br />
puis en Ardèche fort probablement, puis au château pour finir… et repartir<br />
presque aussitôt.<br />
11,68 dollars le verre, c’est moitié moins que la bouteille d’un litre au Duty<br />
Free ! Toutefois ne saurions-nous qu’en faire à notre arrivée. Des parents<br />
sobres qui tombent avec un verre <strong>de</strong> liqueur <strong>de</strong> Wareng, Arthur qui ne boit<br />
soi-disant plus et que <strong>de</strong> toute manière nous n’aurons pas l’occasion <strong>de</strong> voir,<br />
personne d’autre donc à quoi bon ?<br />
Nous sommes notre compagnon idéal en fin <strong>de</strong> compte.<br />
Le barten<strong>de</strong>r du bar <strong>de</strong> la gate 62 est hilarant ; gay maniéré à souhait !<br />
Priscilla, folle du désert version gore…<br />
Allons ! Nous n’avons pas l’esprit à la critique aujourd’hui, puis notre avion<br />
pour New York nous attend.<br />
832
Interlu<strong>de</strong> : Chaos<br />
2 3 j u i n 2 0 0 7<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 14h09.<br />
Dans le hall d’accès <strong>de</strong> la gare TGV-CDG, un jeune policier trop zélé et sur<br />
les nerfs gueule après les voyageurs qui ne comprennent pas ce qu’il se passe,<br />
probablement rien d’ingérable. Les militaires du plan Vigipirate bloquent<br />
ascenseurs, escaliers, escalators… « Personne ne passe ! », gueule encore une<br />
fois le jeune policier trop zélé.<br />
La gare est fermée, « tout ça à cause d’un boulet qui a oublié ses bagages. »,<br />
se l’explique un voyageur à-côté <strong>de</strong> nous, blasé lui aussi. Une autre déci<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
s’asseoir contre un pilier, d’attendre sagement que la situation se <strong>de</strong>ssèche en<br />
lisant le <strong>de</strong>rnier Courrier International, Cannabis : l’enquête, Pink dans les<br />
oreilles. « I’m not here for your entertainment! », dit la chanteuse. « Toi non,<br />
chérie, mais les flics si ! », lui répondons-nous, car il ne s’agit là ni plus ni moins<br />
que d’un coup <strong>de</strong> force, démonstration publique inutile. Nous nous étonnons<br />
d’ailleurs qu’aucun “journaliste” <strong>de</strong> Paris Match ne soit présent pour relater les<br />
faits dans le prochain numéro en l’agrémentant <strong>de</strong> statistiques à la gloire <strong>de</strong> la<br />
politique actuelle. Heureusement sommes-nous là, nous !<br />
Ce n’est pourtant que le début, Fidèle, car voici la France d’aujourd’hui et il<br />
va falloir t’y faire !<br />
833
É p i s o d e V I I<br />
.<br />
N o u v e a u c a r n e t d ’ e r r a n c e
Nouveau carnet d’errance<br />
3 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Oraison (Provence, France), 00h07.<br />
Un village, c’est le retour aux sources, là où l’on réacquiert la capacité à<br />
profiter <strong>de</strong> son existence ; heureusement en France n’en manquons-nous pas !<br />
Ce soir, au village <strong>de</strong> nos parents, nous célébrâmes le méchoui sur la place<br />
du château avec une trentaine d’amis, ou d’amis d’amis, et ce uniquement grâce<br />
à André, notre beau-père, sans qui… et bien déjà n’aurions-nous même pas <strong>de</strong><br />
village pour commencer. Les présents y étaient plus âgés que nous, voire âgés<br />
bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce que nous espérons atteindre, certains plus jeunes aussi et la<br />
soirée fut bonne. Nous sommes content d’avoir retardé notre départ pour elle.<br />
Puis nous pûmes passer du temps avec notre neveu et notre nièce, précieux<br />
lorsque, notre vie étant ce qu’elle est, vagabon<strong>de</strong>, rare.<br />
Estoublon (Provence, France), 12h05.<br />
Nous comptions partir plus tôt ce matin mais les petits n’étant pas réveillés,<br />
nous retardâmes, encore.<br />
André toutefois nous fit-il avancer <strong>de</strong> vingt-quatre kilomètres en nous<br />
conduisant à Bras d’Asse, sur la D907. Nous marchâmes ensuite jusques ici et<br />
posâmes nos jolies fesses sur l’une <strong>de</strong>s chaises du premier bar venu, pour<br />
changer.<br />
Rien <strong>de</strong> surprenant à raconter pour le moment donc.<br />
Ce nouveau départ ne sera pas comme le <strong>de</strong>rnier en octobre 2005 ; nous ne<br />
le voulons pas ! Ainsi, ce matin, tongs Hugo Boss, chemise Lacoste, pantalon<br />
propre et bob Quicksilver, M7 <strong>de</strong> Yves Saint Laurent mêlé <strong>de</strong> Davidoff light<br />
(n’ayant pas trouvé à Oraison le beau paquet noir du génie susnommé) pour<br />
parfum, crème teinté L’Oréal (pour le visage), mascara noir Yves Saint Laurent,<br />
hop ! hop ! hop !, nous étions parti.<br />
À l’instant sous notre table, une jeune chatte blon<strong>de</strong> à la moustache<br />
coquine se frotte à nos pattes. Voilà, c’est ainsi fait que nous voulons ce<br />
nouveau psycho-trip.<br />
837
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Mezel (Provence, France), 14h26.<br />
La bouteille <strong>de</strong> domaine Saint-Éloi rosé est fraîche…ment renommée. Ne<br />
prends pas, Fidèle, le terme au figuré car, littéralement, le 4 <strong>de</strong> 2004 fut changé<br />
en 6 <strong>de</strong> façon médiocre et peu honnête. Le vin est-il donc un peu piquant, trop<br />
peut-être. Nous nous attendons dans notre sala<strong>de</strong> landaise à voir le foie gras<br />
changé en vulgaire pâté <strong>de</strong> campagne… C’est honteux !<br />
838
Le réveil est difficile.<br />
Nouveau carnet d’errance<br />
4 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Chabrières (Provence, France), 10h12.<br />
Nous passâmes la nuit, après un frais bain dans une cuvette <strong>de</strong> l’Asse<br />
coincée entre <strong>de</strong>ux roches, près <strong>de</strong> la rivière, côté forêt. Une bâche militaire<br />
nous servant d’abri, un hamac acheté au marché <strong>de</strong> Chong Mek (Laos) comme<br />
lit, enfourné dans notre duvet-momie, nous connûmes plus confortable !<br />
Nous ne fîmes pas gran<strong>de</strong> marche <strong>de</strong>puis notre réveil, le ventre vi<strong>de</strong><br />
n’aidant guère. Ils ne servent <strong>de</strong> petits-déjeuners que pour les clients <strong>de</strong> l’hôtel<br />
dans cet hôtel ; ils sont bizarres les gens d’ici… Un grand café chaud, une tarte<br />
aux pommes et une Davidoff light feront donc affaire.<br />
Barrême (Provence, France), 13h59.<br />
Nous sommes épuisé, déjà, trop <strong>de</strong> route – treize kilomètres – <strong>de</strong>puis notre<br />
réveil sur la rivière. Nous sommes tout <strong>de</strong> même chargé <strong>de</strong> quinze kilos<br />
d’effets et il n’y a aucun endroit où nous puissions nous vraiment reposer, ni<br />
même un cybercafé alors sommes-nous obligé <strong>de</strong> marcher. Comme à<br />
l’accoutumée : marcher ou crever sur place !<br />
En entrant dans le village, nous vîmes sur la faça<strong>de</strong> d’une bâtisse que<br />
Napoléon y avait passé une nuit nous ne savons plus quand exactement. Voilà,<br />
c’était l’attraction <strong>de</strong> Barrême ; il craint, ce village !<br />
Pontgaillar<strong>de</strong> (Provence, France), 17h53.<br />
Après nous avoir servi <strong>de</strong>ux énormes sandwichs et une <strong>de</strong>mie, la tenancière<br />
du snack-bar-tabac <strong>de</strong> Barrême nous indiqua que nous pouvions joindre<br />
Thorame-Haute en train puis Allos avec la correspondance puis enfin<br />
Barcelonnette par le col. Il nous restait huit minutes cependant pour traîner<br />
nos pattes mala<strong>de</strong>s car déshabitués jusques à la gare ; heureusement le petit<br />
train avait-il du retard !<br />
Une fois à Thorame-Haute pour 3,40 euros, la chef <strong>de</strong> gare nous avoua :<br />
« Ah mais, Monsieur, la correspondance, elle attend jamais le train ! »<br />
839
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Évi<strong>de</strong>mment… Nous prîmes donc courage dans une roulée et quittâmes ce<br />
coin paumé en <strong>de</strong>scendant la D955 vers le Val d’Allos.<br />
En chemin, nous en eûmes marre et nous dîmes : « <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, au<br />
prochain gîte, vous vous arrêtez ou nous nous jetons par-<strong>de</strong>ssus bord dans la<br />
rivière magnifique ! »<br />
Nous n’espérions pas tant : une chambre et le petit-déjeuner <strong>de</strong>main matin<br />
pour 18,50 euros. Et, chose en plus, nos hôtes ont l’air sympathique !<br />
840
Nouveau carnet d’errance<br />
5 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Un kilomètre après Beauvezer (Provence, France), 12h12.<br />
Nous avions décidé, fort dans notre enthousiasme après douze heures <strong>de</strong><br />
repos au gîte <strong>de</strong> Pontgaillar<strong>de</strong>, d’arriver à Colmars avant midi ; nous sommes<br />
une mer<strong>de</strong> !<br />
L’air est frais, la route plutôt calme mais marcher <strong>de</strong>ssus manque<br />
cruellement <strong>de</strong>… comment dire… <strong>de</strong> charme. Cela dit, les paysages que nous<br />
traversons sont superbes et valent bien quelques ampoules aux pattes.<br />
Lorsque nous marchons, les Vents qui aèrent notre esprit déjà perturbé et<br />
font pleurer nos yeux d’or, nous ne pouvons nous empêcher <strong>de</strong> rêver et nous<br />
perdre dans <strong>de</strong>s songes inaccessibles ; pourquoi ? Nous voudrions être d’une<br />
simplicité affligeante mais, nous l’écrivîmes déjà, le contentement nous tuerait.<br />
Pas facile <strong>de</strong> gérer tout cela !<br />
Colmars-les-Alpes (Provence, France), 16h56.<br />
Devant nous, un fort anciennement noble trône sur un mont verdoyant en<br />
attendant sa résurrection. D’après les drapeaux, il appartenait à la famille <strong>de</strong><br />
Savoie ; ce pays manque d’aristocratie !<br />
Nous sommes assis au bord <strong>de</strong> la route. À l’office du tourisme, l’agent<br />
nous dit que l’auto-stop fonctionnait bien dans sa région. Tellement bien,<br />
ajoutons-nous maintenant, que personne ne s’arrête pensant qu’un autre sera<br />
assez généreux puisque cela fonctionne si bien sans sa région…<br />
C’est le problème d’une réputation : une fois acquise, on s’endort <strong>de</strong>ssus<br />
jusques à un beau jour où l’on se réveille au pied du lit, la tête dans les choux et<br />
une bosse sur le cul, en s’étonnant <strong>de</strong> voir à sa place son pire ennemi, souriant,<br />
en train <strong>de</strong> baiser son copain avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> nouveautés.<br />
Réveille-toi, France, il est plus que temps !<br />
841
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
6 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Allos (Provence, France), 19h18.<br />
Sur le grand écran du snack-bar-PMU du village, Hénin et Bartoli crient<br />
pour la semi-finale <strong>de</strong> Wimbeldon ; posé sur le mur au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> notre table,<br />
entre Fernan<strong>de</strong>l et une publicité vantant les mérites <strong>de</strong> l’Absinthe, un puzzle<br />
orgiaque et bacchant pue l’hétérosexualité ; <strong>de</strong>hors, le froid alpin nous attend.<br />
Tôt ce matin, en nous réveillant à quelques mètres du Verdon, après la<br />
D908, nous ne voulions pas retraverser l’eau glaciale et tentâmes notre chance<br />
par la montagne, suivant une piste empruntée par les chamois. Nous oubliâmes<br />
qu’eux étaient nés là et n’eûmes d’autre choix que <strong>de</strong> re<strong>de</strong>scendre par la falaise<br />
pour finalement, crétin que nous sommes, <strong>de</strong>voir traverser la rivière. Nous<br />
perdîmes ainsi trois bonnes heures alors que le village était tout proche.<br />
Pourtant, quelques heures avant, dans notre hamac perché, ne nous manquait-il<br />
qu’un peu <strong>de</strong> weed pour forniquer avec les anges ; quelle misère d’en arriver<br />
là…<br />
Nous étions assez en forme ce matin pour joindre Barcelonnette par le col<br />
mais non, il nous fallut écouter cette petite voix aventureuses qui perturbe sans<br />
cesse notre raison !<br />
Nous avons donc une chambre au cher-pour-pas-grand-chose hôtel Pascal,<br />
histoire <strong>de</strong> récupérer un peu. Nous pûmes également éditer la totalité <strong>de</strong> notre<br />
séjour africain sur notre site-web pour la “mo<strong>de</strong>ste” somme <strong>de</strong> 30,50 euros –<br />
soit trois heures cinquante, la grosse arnaque – au seul cybercafé <strong>de</strong> la vallée<br />
tout nouvellement ouvert. Ce village bourgeois aura bien entamé nos réserves<br />
et nous craignons déjà pour la suite…<br />
842
Nouveau carnet d’errance<br />
7 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Barcelonnette (Provence, France), 11h23.<br />
C’est fait, le col d’Allos est franchi ; avouons avoir fait du stop et évité ainsi<br />
tout effort…<br />
Sylvio, un jeune et charmant Lyonnais s’arrêta pour nous à la sortie du<br />
village. Sa R19 était aussi pourrie qu’une vieille guimbar<strong>de</strong>, sa conduite aussi<br />
folle que celle <strong>de</strong>s trois Marocains qui nous conduisirent <strong>de</strong> chez Brahim à<br />
Essaouira en mars 2006 mais, n’importe, nous sommes en vie et à bon port.<br />
Nous pensons continuer en stop jusques au GR5.<br />
Barcelonnette est envahie <strong>de</strong> touristes, nordiques ou italiens pour la<br />
plupart. Tous ces gens nous inspirent réflexion. Nous les voyons comme <strong>de</strong>s<br />
fantômes. Non ! En fait, au milieu <strong>de</strong> cette foule active, c’est nous le fantôme,<br />
sans vie fixe, sans attache. Ce que nous avons à leur raconter, à la limite s’en<br />
foutent-ils car cela les dépasse complètement. Ils sont <strong>de</strong>s spectateurs dans une<br />
salle <strong>de</strong> cinéma obscure. Une fois qu’ils en sortent, du film et <strong>de</strong> ses héros, ils<br />
ne gar<strong>de</strong>nt qu’une image voilée que leur vie active écrase.<br />
Il nous manque cette vie active. Ne te méprends pas, Fidèle, ni ne saute <strong>de</strong><br />
joie ! nous ne travaillerons pas pour l’avoir. En fait, ce qu’il nous manque, c’est<br />
une cage, comme la leur, à montrer et dont nous revendiquer, pour exister<br />
parmi eux. Notre porte serait ouverte, certes, et, nous-oiseau, serions volage<br />
mais sur nos plume pourrions-nous ainsi afficher ce que tous finalement<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt : « Folle avec cage ! »<br />
Saint-Paul-sur-Ubaye (Provence, France), 18h51.<br />
Nous sommes assis à la terrasse pelousée <strong>de</strong> l’Auberge du Chamois dans<br />
laquelle, hélas, nous ne dormirons pas faute <strong>de</strong> moyens. Il nous faudra donc<br />
trouver abri plus bas près <strong>de</strong> l’Ubaye ou, dans le pire <strong>de</strong>s cas, nous résigner à<br />
notre hamac bien inconfortable. Nous sentons déjà le froid alpin parcourir<br />
notre épine ; c’est terrifiant !<br />
Nous n’avons plus le cœur à l’ouvrage comme on dit, nous vieillissons…<br />
Nos voisins viennent <strong>de</strong> s’asseoir.<br />
843
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
LE SERVEUR (leur apportant <strong>de</strong>ux pastis) . Et voilà, le repos du guerrier !<br />
LES DEUX “GUERRIERS” . Ah, merci bien ! On a fait un long chemin.<br />
LE SERVEUR . Vous venez d’où ?<br />
LES DEUX “GUERRIERS” . De Paris !<br />
LE SERVEUR . Ah oui, ça fait un p’tit bout d’chemin ! Ça fait un p’tit bout<br />
d’chemin…<br />
LES DEUX “GUERRIERS” . Surtout qu’il y avait du mon<strong>de</strong> sur la route !<br />
Nous les imaginons en effet, éreintés d’avoir eu à supporter les sièges<br />
méchamment rembourrés et la température cruellement tempérée <strong>de</strong> leur 607<br />
tout automatique… Nous les jalousons en fait.<br />
Tant pis, ils nous énervent ! Pour marquer le coup, nous comman<strong>de</strong>rons à<br />
dîner la Boite à Coucou, spécialité maison.<br />
Et le serveur qui leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si ça va mieux… Ah ! ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> cons !!<br />
Changeons <strong>de</strong> table également, du côté <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Prussiennes sous la tente ;<br />
elles nous inspirent plus confiance.<br />
Un cabanon sur le GR6, 21h26.<br />
Comme pour nous récompenser d’avoir terminé la Boite à Coucou (un<br />
camembert entier fondu, une énorme pomme <strong>de</strong> terre et une assiette <strong>de</strong><br />
charcuterie : 15 euros, délicieux), le Destin mit sur notre chemin près <strong>de</strong><br />
l’Ubaye ce cabanon à l’abri <strong>de</strong>s Vents et presque tout confort. Il est propre,<br />
aucun tag n’en abîme la simplicité, <strong>de</strong>ux tables sont disposées alentour et,<br />
comble <strong>de</strong> joie, il y a même une poubelle. Il ne manque qu’une prise électrique<br />
pour recharger l’indispensable téléphone du vagabond citadin.<br />
C’est simple, Fidèle, pour te faire comprendre, un tel endroit dans le massif<br />
<strong>de</strong> la Sainte-Victoire en Provence serait sous clef qu’il te faudrait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à la<br />
mairie une semaine en avance, en échange <strong>de</strong> ton ID et nous ne serions pas<br />
étonné si tu <strong>de</strong>vais également fournir ton bulletin numéro 3… Espérons donc<br />
que cela continue !<br />
844
Nouveau carnet d’errance<br />
8 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Gran<strong>de</strong> Serenne (Provence, France), 10h40.<br />
Sereine, certes, gran<strong>de</strong>, c’est autre chose ! Suffisant toutefois puisque nous<br />
pûmes trouver petit-déjeuner au Terra Amata, petite maison d’hôte indiquée<br />
sur le GR6. La vue <strong>de</strong>puis le jardin suspendu au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la vallée est, tu t’en<br />
doutes, Fidèle, exceptionnelle !<br />
Lorsque nous entrâmes par la porte presque dérobée <strong>de</strong> cette ancienne<br />
bâtisse, nous trouvâmes la tenancière à sa cuisine. Notre : « Bonjour ! » lui fit<br />
peur ! Pourtant avions-nous passé une bonne nuit et notre allure n’était-elle pas<br />
trop déterrée…<br />
Le clocher <strong>de</strong> l’église sonne 11 heures. Une étape importante nous attend<br />
aujourd’hui : franchir la montagne à pattes pour atteindre l’autre vallée.<br />
845
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
9 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Guillestre (Provence, France), 11h51.<br />
Nous continuerons en stop ; fini la marche à pattes par les cols, le <strong>de</strong>rnier<br />
nous ayant achevé !<br />
Il nous fallut pas moins <strong>de</strong> sept heures pour passer <strong>de</strong> Maljasset à Ceillac<br />
par le GR5. Au sommet, le col du Girardin atteignait 2706 mètres d’altitu<strong>de</strong> ;<br />
nous pûmes même flirter avec quelques neiges éternelles ! Le temps était<br />
venteux, orageux, froid. Plusieurs averses nous firent nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce que<br />
nous foutions là, seul, à caresser les <strong>de</strong>ux gros chiens <strong>de</strong> berger qui nous<br />
croisâmes où à baigner nos pattes meurtries dans la casca<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Pisse – cela<br />
ne s’invente pas !<br />
La <strong>de</strong>rnière fois que nous entreprîmes tel effort, nous avions 13 ans. Notre<br />
famille avait organisé une randonnée dans le Mercantour, près <strong>de</strong> Saint-<br />
Étienne-<strong>de</strong>-Tiné. Notre mère sortant d’une importante opération, il nous fallut<br />
neuf heures pour atteindre les lacs au sommet <strong>de</strong> la montagne <strong>de</strong> Rabuon mais<br />
nous avions 13 ans ! Nous sommes trop vieux désormais, et surtout trop las…<br />
À côté <strong>de</strong> cela, le Queyras est un pays magnifique ; il faut seulement le<br />
mériter comme nous le dit le jeune automobiliste qui nous <strong>de</strong>scendit <strong>de</strong> Ceillac<br />
à ici à l’instant. Ce n’est plus pour nous toutefois ! Nous nous <strong>de</strong>mandons<br />
même si la Suisse nous conviendrait en fait ; c’est haut, c’est cher, nous<br />
sommes maso.<br />
Les Pays-Bas, c’est bien ça, les Pays-Bas : plat, froid mais il est autorisé <strong>de</strong><br />
fumer pour se réchauffer… Ne rêvons pas ! Nous sommes embarqué dans une<br />
galère que nous ne pouvons quitter aussi simplement.<br />
Nous nous offrîmes donc une nuit au gîte <strong>de</strong> Ceillac et un bon repas au<br />
Matefaim, un restaurant tout proche. Il nous reste 50 euros et quelques, c’était<br />
notre <strong>de</strong>rnière folie… Voilà pourquoi continuerons-nous en stop : c’est<br />
économique et sans effort.<br />
Briançon (Provence, France), 15h14.<br />
Une femme <strong>de</strong> marché <strong>de</strong> Guillestre nous prit en stop à la sortie du village.<br />
En chemin, nous lui racontâmes nos <strong>de</strong>rnières vicissitu<strong>de</strong>s et elle les siennes.<br />
846
Nouveau carnet d’errance<br />
Elle confectionnait, entre autres choses, <strong>de</strong>s bro<strong>de</strong>ries et s’était lancé le défi <strong>de</strong><br />
les vendre sur les marchés. Le défi… Un terme que nos gouvernements<br />
républicains ne connaissent plus. Acculée <strong>de</strong> taxes et cotisations, si elle<br />
continue ainsi (et si la mafia varoise ne lui cè<strong>de</strong> pas un emplacement sans<br />
<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> table dans un village plus ven<strong>de</strong>ur que ceux <strong>de</strong>s Hautes-Alpes), elle<br />
<strong>de</strong>vra tuer son commerce itinérant dans l’œuf. C’est incroyable quand même ;<br />
les gens volontaires n’y arrivent pas mieux que nous-vagabond en fin <strong>de</strong><br />
compte…<br />
Lorsque nous revînmes d’Asie du Sud-Est en juin 2003, nous rêvions<br />
d’ouvrir une petite librairie fantastique / salon <strong>de</strong> thé à notre sauce sur<br />
Megève, l’été ou l’hiver. Nous n’imaginions pas faire fortune avec elle et<br />
voulions seulement quelque chose sans prétention, un peu naïf mais honnête<br />
et convivial, un lieu unique au cœur <strong>de</strong> la Haute-Savoie dont nous aurions eu la<br />
clef.<br />
Nous rêvions, assurément !<br />
L’important dans cette anecdote, Fidèle, est que dans ce pays, les gens<br />
veulent rêver mais ne se le permettent plus car les pontes idiots qui les dirigent<br />
les assomment sans relâche <strong>de</strong> raisons mercantiles, réveils autoritaires et cruels.<br />
Alors notre petite librairie, tout comme le stand <strong>de</strong> la femme qui nous prit en<br />
stop, n’aurait certainement enrichi personne, peut-être même n’aurait-elle<br />
jamais amorti son installation mais au moins serait-elle, ne gênant finalement<br />
personne, un lieu convivial où les gens pourraient rêver sans être cruellement<br />
secoués par les réveils <strong>de</strong> l’État !<br />
847
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 0 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Grenoble (Dauphiné, France), 10h34.<br />
En ouvrant nos yeux d’or givrés ce matin dans un cabanon sur le N91 qui<br />
suit Le Bourg-d’Oisans, la neige recouvrait les cimes <strong>de</strong>s montagnes alentour<br />
voilées par <strong>de</strong> noirs et épais nuages, la brume plus basse fumait les pins et la<br />
fraîche rosée pesait sur l’herbe folle.<br />
C’est l’été ou nous ratâmes un épiso<strong>de</strong> ? Notre mère nous rassura au<br />
téléphone : « Oui, c’est l’été mais ne t’en fais pas, on se pèle aussi au château ! »<br />
Peu rassurant…<br />
Les nuages se dissipent sur Grenoble alors que le cafetier du Grenette<br />
relève son store Somfy mais n’importe, il fait trop froid pour continuer notre<br />
chemin dans les Alpes ; nous <strong>de</strong>scendons quelques jours chez Hubert, en<br />
Ardèche, nous réchauffer pattes, estomac et esprit.<br />
848
Nouveau carnet d’errance<br />
1 3 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Vesseaux (Ardèche, France), 23h41.<br />
Au loin dans le village, une bruyante fête <strong>de</strong> ploucs empêche Morphée <strong>de</strong><br />
venir se lover dans le creux <strong>de</strong> nos bras. Il faudrait leur dire, tout <strong>de</strong> même, que<br />
le 14 juillet n’est pas le 13…<br />
De plus, nous ne voyons pas là autre occasion à célébrer que la <strong>de</strong>struction<br />
d’un monument historique, l’exil <strong>de</strong> l’aristocratie française, l’avènement <strong>de</strong> la<br />
bourgeoisie jalouse <strong>de</strong> privilèges que finalement elle fit siens au détriment du<br />
peuple, toujours, pauvre troupeau <strong>de</strong> moutons ignorants dont seule la jeune<br />
mascotte révolutionnaire tuée sur un tas <strong>de</strong> pavés sauva l’image ; la mort d’un<br />
régime aussi, d’une époque, certes sanglante, mais glorieuse. Et qu’est-ce<br />
qu’une civilisation sans gloire sinon une masse vulgaire <strong>de</strong> citoyens castrés qui<br />
pensent naïvement avoir le contrôle <strong>de</strong> leur vie ? Alors qu’ils se pavanent dans<br />
leurs soi-disant droits, la Nation, racine, dépérit. Nous sommes en <strong>de</strong>uil !<br />
Notre horizon se porte en ce moment vers la Loire. En fait, nous ne<br />
savons pas, ne savons plus… Pour citer quelqu’une, « d’habitu<strong>de</strong> je sais<br />
rebondir mais là je sais pas ce que j’ai… je… je me sens terriblement… » Bref,<br />
nous perdons confiance !<br />
849
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 9 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Sur la Volane (Ardèche, France), 11h50.<br />
Hubert nous conduisit ce matin à Vals-les-Bains où, dans le petit parc,<br />
<strong>de</strong>mi-clochar<strong>de</strong>, nous fumâmes, contre tous les avis, fumâmes, sans peur et<br />
sans répit, fumâmes, pour l’amour <strong>de</strong> la Vie en attendant le gin et les sorbets au<br />
marron.<br />
Cet effort nous fatigua et nous vînmes dans une vieille Express jusques à<br />
Antraigues-sur-Volane puis ici, à pattes, pour nous baigner dans les eaux<br />
fraîchement remuantes <strong>de</strong> la rivière.<br />
Le calme, le doux papillon qui virevolte autour <strong>de</strong> notre plume vagabon<strong>de</strong>,<br />
le Soleil sur notre visage tanné, une libellule, fée <strong>de</strong>s bois, nous enchantent.<br />
Nous ne savons où aller, peut-être vers le nord en passant par l’est.<br />
N’importe la direction, la pensée fumante, elle se révélera à nos yeux d’or en<br />
chemin.<br />
Lorsque nous repartîmes le 3 juillet <strong>de</strong>rnier, la conviction faible, nous<br />
sentions qu’une page avait été tournée. Déjà plus haut écrivîmes-nous que la<br />
confiance nous avait abandonné, un peu, mais il y a autre chose, un sentiment<br />
encore masqué qui nous dicte notre retenue, notre méfiance. Nous vieillissons<br />
– c’est un fait ! – et notre corps autant que notre esprit nous réclament un long<br />
repos.<br />
Que ne donnerions-nous pas aujourd’hui pour rentrer…<br />
Cela se fera, inéluctablement, avec ou sans les conditions posées car le<br />
souffle vient à manquer, plus que jamais auparavant.<br />
Notre vie, que Diable !, ne vaut-elle pas quelque récompense ? Un nouveau<br />
souffle…<br />
Saint-Martin-<strong>de</strong>-Valamas (Ardèche, France), 16h36.<br />
Au sortir <strong>de</strong> notre bain, nous collâmes, refroidi, nos jolies fesses sur le<br />
bitume et levâmes le pouce. Après bien trente minutes, une voiture enfin<br />
s’arrêta non par commisération mais par pure gentillesse : le maire <strong>de</strong> la<br />
commune <strong>de</strong> Payzac qui nous avança sur la D578 puis la D120 jusques à la<br />
850
Nouveau carnet d’errance<br />
bifurcation pour Jaunac. De fil en aiguille, <strong>de</strong> col en lacet, <strong>de</strong> pattes en caisses,<br />
nos jolies fesses se retrouvèrent dans ce village, au Café <strong>de</strong>s Pêcheurs et<br />
s’apprêtent à supporter 25cl <strong>de</strong> bière blon<strong>de</strong>, seul repas <strong>de</strong> la journée.<br />
Voilà ! Que notre vie est excitante…<br />
851
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 0 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Bourg-Argental (Dauphiné, France), 7h51.<br />
Essayons <strong>de</strong> t’écrire notre <strong>de</strong>rnière mésaventure, Fidèle, sans sombrer dans<br />
la tasse <strong>de</strong> chocolat chaud qui nous sert <strong>de</strong> petit-déjeuner.<br />
Annonay, après maints kilomètres <strong>de</strong> marche et <strong>de</strong> stop dans les Cévennes,<br />
le Plateau du Vivarais, fut notre escale suivante ; ville <strong>de</strong> mer<strong>de</strong>.<br />
Nous voulions y passer la nuit, déjà tombée, mais nous ne sûmes choisir<br />
quelle cité HLM nous convenait le mieux… Il faut dire que le choix n’y<br />
manquent guère entre celle avec les antennes satellite à chaque fenêtre, celle<br />
avec les soumises qui gueulent dans la rue en arabe pour faire rentrer leurs<br />
gosses, celle avec les linges en vrac qui pen<strong>de</strong>nt à chaque balcon, celle avec…<br />
Bref ! Tu l’auras compris, <strong>de</strong>vant telles propositions, abondantes, nous<br />
restâmes tellement indécis que nous poussâmes jusques à la sortie <strong>de</strong> la ville<br />
sur la D206 sans regret. Il était 22 heures.<br />
À minuit, un jeune mignon nous sauva. Il ne roulait pas en Rolls rouge<br />
mais fut quand même le bienvenu. Hélas l’instant fut-il éphémère ; il nous<br />
lâcha à Saint-Marcel-lès-Annonay, sept kilomètres plus haut. Résolument blasé,<br />
nous attaquâmes un sentier près <strong>de</strong> la rivière à la lumière <strong>de</strong> notre téléphone<br />
portable puis, épuisé, nous effondrâmes, dans le froid toujours, sur l’un <strong>de</strong>s<br />
bancs <strong>de</strong> l’aire <strong>de</strong> repos <strong>de</strong> Bourg-Argental. Nous étions en Loire, il était près<br />
<strong>de</strong> 2 heures.<br />
À 7h07, nous entrâmes dans le bourg-dit, accueilli par un cimetière<br />
dominant. Vu la tête que nous avions, il ne pouvait en être autrement. Sur un<br />
abribus, nous lûmes une affiche publicitaire du Patrimoine et prîmes le « Avec<br />
votre passeport… » pour un « Aix-en-Provence… ». Dans les toilettes du Café<br />
<strong>de</strong> la Paix où nous sommes, Cézanne expose la Sainte-Victoire. C’en <strong>de</strong>vient<br />
obsessionnel !<br />
Pour certains, nous supposons que telle mésaventure est en effet excitante<br />
mais non, elle n’est pour nous qu’un élastique qui, à force <strong>de</strong> tirer <strong>de</strong>ssus, un<br />
jour nous pétera à la figure !<br />
852<br />
Saint-Étienne (Dauphiné, France), 15h23.
Nouveau carnet d’errance<br />
Nous intitulâmes ce carnet Nouveau carnet d’errance mais pour le premier<br />
en 2005 - 2006, nous avions la foi… Nous verrons bien comment les choses<br />
tourneront dans les semaines à venir.<br />
Saint-Étienne ne nous plaît pas plus qu’Annonay (trop <strong>de</strong> pentes pour nos<br />
pattes fatiguées). Nous continuerons donc après notre blon<strong>de</strong> au Tostaky Bar<br />
vers le fleuve puis nous le longerons vers le nord puis nous volerons vers<br />
l’infini, puis… Oh et puis mer<strong>de</strong> ! Sans foi, nous ne savons écrire que <strong>de</strong>s<br />
conneries.<br />
Ce midi, alors qu’il pleuvait à grosses gouttes, nous nous réfugiâmes sous<br />
l’abribus <strong>de</strong> La République, petit village au nom détestable, d’une, et sans<br />
grand intérêt, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux. Nous nous mîmes à penser, calumet au bec, et<br />
trouvâmes un moyen <strong>de</strong> nous sortir <strong>de</strong> notre errance justement. Le procédé est<br />
un peu naïf mais fonctionnera si nous trouvons la personne assez aimable et<br />
visionnaire pour entrer dans notre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement.<br />
Qu’il est mignon !<br />
Base nautique <strong>de</strong> Saint-Victor-sur-Loire (Dauphiné, France), 16h40.<br />
Pourquoi, Diable !, ne sommes-nous pas simple touriste ? Nous pourrions<br />
profiter pleinement du moment et l’inviter, peut-être, à dîner pour apprendre à<br />
le davantage connaître. De qui parlons-nous, Fidèle ? Du jeune qui tient l’office<br />
du tourisme sur la base nautique. Quelle misère d’être ainsi bloqué pour,<br />
finalement, si peu !<br />
Nous nous fîmes déposer ici par ignorance, en fait. Notre chauffeur nous<br />
donna 10 euros et nous indiqua le chemin à suivre en amont mais notre<br />
<strong>de</strong>stination était l’aval. Voilà pourquoi nous avions besoin <strong>de</strong> renseignements ;<br />
voilà comment nous le rencontrâmes.<br />
Nous sommes en train <strong>de</strong> déguster une glace à l’italienne au snack d’à-côté.<br />
Il vint à l’instant avec un plan imprimé, ce qui signifie que lui aussi est intéressé<br />
pour être allé le rechercher après notre départ.<br />
Mais à quoi servent tous ces signes, à la fin ? Quel est le message ? Notre<br />
clairvoyance souvent nous peine, au point que tu ne peux souvent même pas<br />
comprendre <strong>de</strong> quoi nous parlons.<br />
853
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Étrat (Dauphiné, France), 21h24.<br />
Notre glace à l’italienne achevée, nous retournâmes voir ce garçon dont<br />
nous ignorons le prénom. C’aurait été du harcèlement s’il n’était passé juste<br />
<strong>de</strong>vant nous pour aller gratter une clope à la fille qui tenait le snack et n’avait<br />
répondu à notre sourire… Nous lui <strong>de</strong>mandâmes s’il connaissait un abri près<br />
<strong>de</strong>, voire sur, la base nautique. Il nous invita à entrer dans l’office, une nouvelle<br />
fois, nous le suivîmes et discutâmes un moment. Il n’en connaissait pas,<br />
s’excusa <strong>de</strong> ne pouvoir nous héberger car il ne logeait pas chez lui pour les<br />
vacances ; il le voulait cependant, nous le lisions dans son regard. Il nous<br />
donna les horaires <strong>de</strong> bus pour remonter à Roche-la-Molière, insista sur le fait<br />
qu’il le prenait à 18h38. Nous ne le comprenions que trop bien mais,<br />
impuissant, le remerciâmes et partîmes.<br />
Envie incontrôlable, nous fîmes halte aux toilettes publiques, plus loin. En<br />
sortant, nous le vîmes près d’une carte affichée pour les touristes. Nous ne<br />
pouvions pas le rater ; il était sur notre chemin, plus que nous le pensions<br />
alors… Nos jeux d’approche étaient tellement clairs ! Nous sourîmes en le<br />
voyant, il nous répondit encore et, par souci <strong>de</strong> prolonger ce moment, nous lui<br />
<strong>de</strong>mandâmes une feuille d’horaire pour le bus. Retour à l’office, nouveaux<br />
aurevoirs frustrés.<br />
Cette fois-ci, nous avions compris la leçon que nous enseignait le Destin et<br />
résolûmes <strong>de</strong> remonter à pattes, sans suite car il n’en pouvait avoir une. À michemin,<br />
ouvrant notre paquet <strong>de</strong> tabac, les feuilles manquaient. Nous<br />
pensâmes à raison les avoir faites tomber par mégar<strong>de</strong> et dûmes re<strong>de</strong>scendre la<br />
côte. Elles étaient bien là, ces connes, près <strong>de</strong> l’arrêt <strong>de</strong> bus : la leçon n’était<br />
donc pas terminée…<br />
Comme prévu, il nous rejoignit vers 18h30, à moitié surpris. Les vous se<br />
transformèrent en tu, nos doutes en certitu<strong>de</strong>s : nous l’appréciions.<br />
Dans le bus, nous apprîmes un peu sur lui et prétextâmes <strong>de</strong>voir acheter un<br />
paquet <strong>de</strong> clopes à Roche-la-Molière, sa <strong>de</strong>stination, pour profiter <strong>de</strong> sa<br />
présence, seule, plus longtemps. Il s’en rendait compte, savait que nous savions<br />
qu’il nous appréciait aussi.<br />
C’est lui qui nous offrit un café en fin <strong>de</strong> compte mais à 19h18, il dut<br />
rentrer. Nous ne le voulions pas – oh non ! – mais n’y pouvions rien. Nous<br />
courrions sur le fil du Destin qui choisit cet instant, la séparation <strong>de</strong> nos<br />
854
Nouveau carnet d’errance<br />
regards certains ou presque <strong>de</strong> ne jamais plus se recroiser, pour se couper.<br />
Adieu, beau garçon dont nous ignorons toujours le prénom !<br />
Coïnci<strong>de</strong>nce est sœur d’orgueil, disons-nous. Physiquement, cette journée<br />
nous fut pénible ; moralement, elle nous acheva. La femme qui nous conduisit<br />
<strong>de</strong> Roche-la-Molière à la Croix-<strong>de</strong>s-Sagnes, alors qu’elle n’avait pas l’habitu<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> s’arrêter pour les auto-stoppeurs, se permit, en nous racontant l’histoire <strong>de</strong><br />
son fils, <strong>de</strong> rédiger la synthèse, même si nous l’avions déjà en esprit, comme<br />
pour s’en assurer.<br />
Sur la D25, route isolée qui serpente au milieu <strong>de</strong> la forêt, nous pleurâmes<br />
donc honteusement ce constat : si nous passons dans la vie <strong>de</strong>s gens sans<br />
pouvoir nous y arrêter, eux aussi !<br />
Le garçon au regard azuré dans le TER <strong>de</strong> Marseille à Aix-en-Provence, la<br />
fille canon dans le bus 103 pour le Lavandou, le garçon à la mèche ténébreuse<br />
sur la voie <strong>de</strong> la gare <strong>de</strong> Nice, Jamal dans le Sahara Occi<strong>de</strong>ntal, ce garçon dont<br />
nous ignorons le nom à la base nautique, et tant d’autres… Que gardons-nous<br />
d’eux sinon le sentiment <strong>de</strong> frustration <strong>de</strong> les avoir vus passer dans notre vie<br />
sans avoir pu les retenir, un moment, puis un autre, puis un autre ?<br />
Nous sommes impuissant, profondément, face au Destin mais nous<br />
sommes conscient <strong>de</strong> pouvoir changer, non Lui mais nous-même, en<br />
imprégnant les leçons, <strong>de</strong> plus en plus blessantes, qu’Il nous dicte. Travaillons<br />
là-<strong>de</strong>ssus !<br />
855
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 2 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Millau (Languedoc, France), 11h35.<br />
Les cloches du village sonnent la messe dominicale, le viaduc pur et<br />
majestueux joue avec le blanc tapis nuageux, les véhicules passent et ne<br />
s’arrêtent pas plus qu’ailleurs.<br />
Nous vécûmes la journée d’hier sous la pluie. Dauphiné, Auvergne : un<br />
froid glacial et pénétrant. À Saint-Just-Saint-Rambert, nous dînâmes une<br />
baguette bien sèche sous les arca<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’église médiévale. À Saint-Romain-Le-<br />
Puy, nous nous reposâmes dans le petit jardin du prieuré perché, un instant,<br />
mais nous voulions dormir et il fallut <strong>de</strong>scendre plus au sud. Un jeune Polonais<br />
(les cheveux blonds, les yeux clairs, le nez fin, le sourire charmeur, l’accent<br />
adorable) nous déposa à Montbrison. Encore un que nous ne pûmes retenir…<br />
Trois autres jeunes nous avancèrent à Ambert, après une longue marche<br />
trempée sur la D996 et un café offert par <strong>de</strong>ux petits vieux fort chaleureux<br />
dans un bled nommé Le Soleillant.<br />
La Chaise-Dieu, Le Puy-En-Velay n’attirèrent que peu notre attention ; il<br />
faisait nuit, nous fumions le froid.<br />
Enfin, à une dizaine <strong>de</strong> kilomètres <strong>de</strong> l’aire <strong>de</strong> repos du Puy, une spacieuse<br />
noire s’arrêta, notre sauveur du soir. Il nous fit traverser les Gorges du Tarn et<br />
nous invita à passer le reste <strong>de</strong> la nuit dans sa maison <strong>de</strong> vacances à<br />
Fontaneilles, une vingtaine <strong>de</strong> kilomètres avant Millau.<br />
Ce matin, propre, reposé, notre ventre contenté par <strong>de</strong>ux croissants et <strong>de</strong> la<br />
confiture, nous sommes beau. Une Davidoff entre les lèvres, notre pouce<br />
tendu vers le Midi, le Destin, Lui toujours, retisse avec soin notre fil <strong>de</strong> vie.<br />
Ganges (Languedoc, France), 15h50.<br />
Une autre spacieuse noire immatriculée au Luxembourg nous déposa à<br />
l’instant au cœur du village. Avec son chauffeur étasunien et sa femme<br />
française, tous <strong>de</strong>ux résidant à Paris, nous évoquâmes <strong>de</strong>s souvenirs <strong>de</strong> voyages<br />
qu’ils liront, ou pas, plus en détail sur notre site-web.<br />
Nous ne savons plus que faire. L’o<strong>de</strong>ur et les échos du Midi bouffent le<br />
peu <strong>de</strong> résolutions qu’il nous reste. Nous pensons remonter vers le nord… Ce<br />
856
carnet ne ressemble plus à rien, Fidèle !<br />
Nouveau carnet d’errance<br />
857
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 3 j u i l l e t 2 0 0 7<br />
Tarascon-sur-Ariège (Languedoc, France), 9h45.<br />
Ambiance Tour <strong>de</strong> France <strong>de</strong>puis Foix ; gros bor<strong>de</strong>l sur les routes !<br />
Hier fut une journée assez étrange pour être franc, même pour nous.<br />
Depuis Ganges, nos chauffeurs se succédèrent sans nous vraiment<br />
marquer, sauf cette jeune femme à la conversation florissante qui nous<br />
conduisit au péage <strong>de</strong> Toulouse <strong>de</strong>puis Montpellier (où nous étions retourné<br />
après Nîmes par manque d’idée), voyageuse, cultivée, travaillant dans la BD ;<br />
intéressante, voilà tout. Il y eut aussi Maël, jeune Breton charpentier qui nous<br />
mit sur la bonne voie à Montpellier car nous étions perdu sur un chemin sans<br />
intérêt. Deux autres partagèrent avec nous leur roulée parfumée, ce qui nous<br />
cassa plus qu’autre chose, le ventre vi<strong>de</strong>. Bref, tout cela est sans importance.<br />
Il nous reste <strong>de</strong>ux euros, moins le café du matin. Notre paquet <strong>de</strong> Davidoff<br />
est mort, nos vêtements auraient bien besoin d’une machine, Andorre toute<br />
proche nous rappelle nos instants <strong>de</strong> gloire mais nous ignore, nous-déchu.<br />
Quelle ingratitu<strong>de</strong> !<br />
À Foix, hier nuit, un bal nous divertit pendant quelques minutes mais les<br />
Vents courraient sur notre épine. Nous continuâmes jusques à Saint-Antoine et<br />
un chemin forestier pour nous endormir dans une petite clairière entre<br />
chevreuils et sangliers, à la belle étoile.<br />
Qu’ajouter <strong>de</strong> plus que nous n’ayons déjà vécu ailleurs ? Cette aventure,<br />
nous la connaissons !<br />
Sur le petit écran du bar, Valérie Lemercier se fait larguer par son riche<br />
Monégasque pour un jeune-musclé-bronzé-bien-monté ; les camping-cars se<br />
bousculent pour assister au défilé <strong>de</strong>s maillots ultra sponsorisés du Tour et<br />
leurs coureurs dopés à mort ; <strong>de</strong> notre côté, nos yeux d’or rougis par la fatigue<br />
portent leur horizon vers le non-sens.<br />
858
Nouveau carnet d’errance<br />
1 e r a o û t 2 0 0 7<br />
Vesseaux (Ardèche, France), 11h40.<br />
Il était une fois, aux pieds d’un <strong>de</strong>s monts d’Ardèche, sur le bord <strong>de</strong> la<br />
route, un jeune homme qui fumait son amertume et cuvait son rhum<br />
martiniquais. Dans sa névrose, il contait à son ego son avenir, perturbé, et<br />
profitait du Soleil, témoin diurne, pour sceller avec lui un pacte : « Dans vingtquatre<br />
nuits, nous aurons 26 ans ; nous serons vieux ! Si tu ne nous apportes<br />
aucun présent, nous te conspuons. » De toute évi<strong>de</strong>nce, il signait ainsi son rasle-bol<br />
<strong>de</strong> voguer <strong>de</strong> place en place sans but ou condition.<br />
La vie est ainsi faite, Fidèle : elle est une chienne étrange qui aime se faire<br />
battre.<br />
859
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 a o û t 2 0 0 7<br />
Il pleut ! Comme nous sommes étonné…<br />
Annemasse (Savoie, France), 8h28.<br />
Les eaux, en plus <strong>de</strong> foutre notre moral à bas en tombant <strong>de</strong>s Cieux,<br />
jaillissent aussi à rythme étudié <strong>de</strong>puis les six fontaines <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> l’Hôtel <strong>de</strong><br />
Ville. Nous attendons le Soleil pour nous rendre à l’office du tourisme ; c’est la<br />
Suisse que nous visons désormais.<br />
Il ne nous reste <strong>de</strong> toute manière <strong>de</strong>puis Narbonne plus un seul euro à<br />
dépenser ici.<br />
Assis en tailleur sous les arca<strong>de</strong>s, le passant matinal pourrait bien nous jeter<br />
la pièce mais non, notre ego en souffrirait et jamais ne nous résignerons-nous à<br />
cela !<br />
NOUS-MÊME . <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, ne chantez donc pas « Fontaine, je ne boirai<br />
jamais <strong>de</strong> ton eau… », vous qui déjà hier soir, assoiffé, bûtes tel un chien errant<br />
l’eau <strong>de</strong> l’Arve !<br />
Oh, ça va, hein ! Notre estomac s’habitue à peine à ne recevoir que les<br />
agents <strong>de</strong> saveur et <strong>de</strong> texture <strong>de</strong> notre tabac pour repas. C’était cela ou une<br />
perdition <strong>de</strong> plus…<br />
Le temps se découvre. Levons nos jolies fesses <strong>de</strong> ce pavé froid et<br />
avançons avec le peu <strong>de</strong> splendi<strong>de</strong> qui nous habite.<br />
Nyon (Suisse), 17h31.<br />
Comme nous aimerions être l’un <strong>de</strong> ces canards, idiots, qui ne pensent qu’à<br />
se nourrir sur les berges du lac Léman !<br />
En fait, non ! Trêve <strong>de</strong> comédie ! Il suffit !<br />
Nous serons toujours malheureux, mélancolique, nostalgique d’un temps,<br />
d’un mon<strong>de</strong>, qui ne sont les nôtres. Mais pourquoi, Diable !, ne le pouvonsnous<br />
être dans la fortune, l’abondance et la luxure ? On nous dit vagabond<br />
dandy ; il n’en est rien, n’ayant en commun avec lui que son premier attribut.<br />
860
Nouveau carnet d’errance<br />
Quel intérêt à tout cela en définitive ? Aucun, c’est à craindre !<br />
Nous sommes né pour la possession, d’un domaine, <strong>de</strong> gens, <strong>de</strong> pouvoir<br />
non (il ne nous intéresse pas), d’idéaux à réaliser.<br />
Lorsque nous entrâmes en Suisse, il flottait comme vache qui pisse, l’orage<br />
tonnait à en faire péter le pacemaker <strong>de</strong> la vieille fragile <strong>de</strong> cœur. Nous nous<br />
retournâmes et vîmes que les nuages s’arrêtaient linéairement au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la<br />
douane <strong>de</strong> Moëllesulaz, la France.<br />
Nous sommes maudit !<br />
861
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 a o û t 2 0 0 7<br />
Annecy (Savoie, France), 10h52.<br />
« Le château <strong>de</strong> Duingt, la belle Talloires !! », crie le rabatteur pour inciter<br />
les touristes à monter sur son bateau. La visite est payante, naturellement, tout<br />
comme les bonnes places pour assister au festival <strong>de</strong> pyrotechnie qui aura lieu<br />
ce soir sur le lac. Ceci n’est donc pas pour nous, bien que nous souhaitions<br />
nous rapprocher en ce moment davantage du gros touriste <strong>de</strong> base que du<br />
vagabond…<br />
Cette nuit suisse fut pleine <strong>de</strong> conseils à notre égard et <strong>de</strong> réflexions<br />
personnelles.<br />
À nos chauffeurs, nous contons notre histoire, la même, la véritable. Cette<br />
nuit donc, <strong>de</strong>ux d’entre eux nous intimèrent à poser nos bagages avec quelques<br />
idées.<br />
Comme nous les comprenons ! Mais que faire avec notre condition lorsque<br />
nous ne voyons et voulons qu’une seule direction ?<br />
Notre Quête nous hante, nous dormons et mangeons peu, fumons trop et<br />
ne pouvons plus boire. Réunis, tous ces paramètres pèsent lourd, Fidèle ! Nous<br />
voudrions un pied-à-terre, oui, mais pas sans rien. Ce que nous vécûmes et<br />
vivons encore n’aurait-il pour but que <strong>de</strong> nous convaincre que nous sommes<br />
un gosse qui fuit en avant ? Non, nous ne l’acceptons pas ! Le suici<strong>de</strong>,<br />
répétons-le, n’est pas une solution non plus. Par contre, si nous continuons<br />
ainsi (et nous le ferons jusques à ce que…), il finira par nous arriver plus que<br />
quelques galères et notre muraille, déjà bien entamée, face aux assauts <strong>de</strong> cette<br />
armada, lâchera sans retenue <strong>de</strong> la plus misérable <strong>de</strong>s façons.<br />
Nous sommes éteint !<br />
862
Nouveau carnet d’errance<br />
5 a o û t 2 0 0 7<br />
Cosne-Cours-sur-Loire (Bourgogne, France), 15h20.<br />
Notre gour<strong>de</strong> à peine remplie se rafraîchit dans l’un <strong>de</strong>s frigos <strong>de</strong> Pat à<br />
Pain, une boulangerie-viennoiserie sur la zone commerciale. Une femme<br />
aimable nous prit en stop quelques centaines <strong>de</strong> mètres plus haut, à l’entrée <strong>de</strong><br />
l’autoroute pour Montargis, Orléans, Paris enfin. Nous y avions passé <strong>de</strong>ux<br />
heures, pancarte à la main, sans résultat. Mais, ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> cons, que cela vous<br />
coûte-t-il <strong>de</strong> prendre quelqu’un en stop si vous en avez la place ?! Foutue<br />
humanité !<br />
Hier fut pourtant une journée pas si mal. Depuis Annecy, nous montâmes<br />
jusques à la sortie d’autoroute <strong>de</strong> Auxerre-Nord où nous perdîmes une nuit<br />
dans les toilettes du péage au son <strong>de</strong> la musique classique, pas trop mauvaise. À<br />
Auxerre (trois heures plus tard, toujours ce manque <strong>de</strong> gentillesse chez les<br />
automobilistes français), nous la continuâmes sur un banc après une visite<br />
rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la vieille ville. Ne sachant quelle direction emprunter, nous<br />
<strong>de</strong>scendîmes en direction <strong>de</strong> Nevers sur la N151. Là, un professeur s’arrêta<br />
(après <strong>de</strong>ux heures <strong>de</strong> stop tout <strong>de</strong> même) pour nous laisser plus loin, puis une<br />
Suisse un peu perdue que nous aidâmes à s’orienter, puis à nouveau ce<br />
professeur qui fit un détour pour nous déposer dans la vieille ville <strong>de</strong> Nevers,<br />
<strong>de</strong>vant la Mie Caline, une autre boulangerie-viennoiserie. Il nous avait donné<br />
10 euros la première fois pour nous payer un sandwich au soir, nous dit-il.<br />
Quelques bonnes âmes existent, Fidèle, mais elles sont, comme toujours,<br />
noyées dans une masse <strong>de</strong> cons !<br />
Nous allâmes finalement “dîner” chez Mac Donald’s puis traversâmes le<br />
pont pour nous baigner dans la Loire et faire un brin <strong>de</strong> toilette, quel que peu<br />
nécessaire avec cet été ressuscité.<br />
À notre gran<strong>de</strong> surprise, un concert sur la plage fluviale se jouait. Nous<br />
nous intéressâmes particulièrement à Semtazone, dansant, festif, intelligent. Le<br />
groupe suivant, les Canards Boiteux, portaient bien leur nom <strong>de</strong> scène, sans<br />
doute à cause <strong>de</strong> l’insupportable voix <strong>de</strong> la chanteuse pas-trop-punk-maisplutôt-déchaînée.<br />
Nous continuâmes donc vers l’entrée <strong>de</strong> l’A77 pour Paris.<br />
Trois heures plus tard, sans succès, nous retournâmes nous allonger aux pieds<br />
du château <strong>de</strong>s ducs <strong>de</strong> Nevers pour nous réveiller vers 7 heures, monter à<br />
863
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
l’autre entrée <strong>de</strong> l’A77, attendre, attendre, attendre que <strong>de</strong>ux Angolais nous<br />
avancent ici.<br />
Nos yeux d’or piquent <strong>de</strong> fatigue et <strong>de</strong> chaleur, le Soleil est encore haut,<br />
notre gour<strong>de</strong> probablement pas assez fraîche ; attendons la suite !<br />
864
Nouveau carnet d’errance<br />
9 a o û t 2 0 0 7<br />
Aix-en-Provence (France), 9h20.<br />
Retrouvons notre chère cité, inspiratrice, <strong>de</strong>vant un verre <strong>de</strong> Bombay<br />
Sapphire, pour débuter cette journée. Après cela, si nos New Rock le veulent<br />
bien, nous irons en Ardèche quelques jours.<br />
Il ne nous fallut pas moins <strong>de</strong> vingt-cinq heures <strong>de</strong> stop pour <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong><br />
Nevers, dimanche, à chez nos parents, au château, dans les Basses Alpes ; c’est<br />
vraiment la mer<strong>de</strong> <strong>de</strong> faire du stop en France !<br />
Ils s’inquiètent pour nous, notre avenir, beaucoup. Nous les comprenons<br />
mais qu’y faire ? Notre choix <strong>de</strong> vie n’est certes pas le plus simple mais il en<br />
sera toujours ainsi : nous peinerons sans les moyens que nous souhaitons tant<br />
ou nous continuerons, plus libre, avec. Quoi qu’il en soit, chic ou pas, nous<br />
sommes vagabond en fait et en esprit et le resterons ; assumons !<br />
NOTRE VOISIN DE DROITE . Excusez-moi !<br />
NOUS . Oui ?<br />
NOTRE VOISIN DE DROITE . Pourriez-vous éteindre votre cigarette, s’il vous<br />
plaît ? La fumée me dérange.<br />
NOUS . En même temps, nous sommes <strong>de</strong>hors et j’étais là bien avant vous ! Je<br />
vous invite à vous asseoir à ma gauche, si vous le voulez, car les Vents seuls<br />
sont à blâmer. Moi, je respecte la loi, je me drogue en terrasse !<br />
NOTRE VOISIN DE DROITE . C’est pas grave.<br />
NOUS . Parfait !<br />
Un passant pose la main sur le cul <strong>de</strong> son amie, la fontaine éjacule la douce<br />
humeur <strong>de</strong> ce jour, notre voisin crache donc la nicotine que nous fumons, les<br />
glaçons explosent dans notre verre chargé <strong>de</strong> bon, un automobiliste sonne son<br />
empressement. Tout bouge autour <strong>de</strong> nous ; ô joie !<br />
La retenue et la constance adoptée <strong>de</strong>puis longtemps se reposent<br />
paisiblement pendant que notre conscience festive et joyeuse s’exprime. Le<br />
compromis, acquis avec l’expérience, est plutôt acceptable. C’est la raison pour<br />
865
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
laquelle nous portons toutes les grâces <strong>de</strong> la vie, les joies simples, avec<br />
reconnaissance. Ce qu’il nous manque, ce sont les plaisirs matériels que la<br />
société <strong>de</strong>s Hommes peut offrir. Évi<strong>de</strong>mment, pour en jouir, faudrait-il encore<br />
accepter et participer à sa morne et éphémère construction et comme notre<br />
état d’esprit, l’On<strong>de</strong> qui nous pousse, ne nous le permet pas, une alternative<br />
<strong>de</strong>vra nous tomber <strong>de</strong>ssus ou nous crèverons sans jamais plus les pleinement<br />
apprécier.<br />
Nous parlons d’indépendance financière, Fidèle, comme toujours.<br />
Une impression <strong>de</strong> déjà-vu nous traverse, réellement ; nos voisins <strong>de</strong><br />
gauche cette fois-ci. Ils parlent <strong>de</strong> vagabondage. L’une, baba-cool, réinvente le<br />
système que nous méprisons et propose <strong>de</strong>s logements pour les SDF qui<br />
veulent se réinsérer mais ne le peuvent faute <strong>de</strong> moyens et pour tous les<br />
problèmes que nous connaissons personnellement. Les <strong>de</strong>ux autres la<br />
coupent : « Mais certains ne veulent pas rentrer dans ce système ! » Voilà, ils<br />
ont tout dit, elle se tait. Elle doit être <strong>de</strong> gauche, eux <strong>de</strong> droite, plus<br />
pragmatiques.<br />
Comme nous le disons souvent, nous préférons le social <strong>de</strong> droite à<br />
l’économie <strong>de</strong> gauche…<br />
Ce système, dont nous sortîmes complètement en octobre 2005, ne nous<br />
convient pas. Nous en voyons la fin, chaotique, mais ne pouvons décemment<br />
le complètement renier. En effet, Madame Baba-cool, nous-vagabond ne<br />
voulons pas le réintégrer tel qu’on ne le propose, n’avons donc pas à nous<br />
plaindre et ne nous plaignons d’ailleurs pas (sur ce point là). Nous attendons,<br />
fatalement, sa fin et surfons sur ses défaillances comme sur ses atouts. Si l’on<br />
nous proposait un travail, une vie communément acceptée, simple, nous<br />
refuserions dans l’instant et nous aurions raison, tout comme vous qui<br />
aimablement – et un peu naïvement – nous le proposeriez. Car vous n’avez<br />
rien connu d’autre, telles les perruches <strong>de</strong> chez nos parents, encagées dès la<br />
naissance. Nous, la porte ouverte (merci Maman !), apprîmes à libérer nos sens,<br />
à exploiter nos capacités (<strong>de</strong> survie, <strong>de</strong> débrouille) et ne savons plus, ne<br />
voulons plus apprendre à (et <strong>de</strong> toute manière ne pouvons plus) regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />
nos bâtons posés entre <strong>de</strong>ux grillages ou <strong>de</strong> notre baignoire ma<strong>de</strong> in China ces<br />
martinets auroraux et crépusculaires chanter en tournoyant avant et après un<br />
long voyage intercontinental au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s cheminées, libres et poétiques.<br />
866
Nouveau carnet d’errance<br />
Nous connaissons les <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong> cette porte, les <strong>de</strong>ux nous conviennent et,<br />
la société ainsi faite, nous sommes frustré <strong>de</strong> ne pouvoir voler à plaisir <strong>de</strong> l’un à<br />
l’autre.<br />
Si tu ne peux comprendre cela, Fidèle, il te manque certains repères dans ta<br />
vie et temps est pour toi, peut-être, <strong>de</strong> t’envoler un peu, <strong>de</strong> découvrir, <strong>de</strong><br />
prendre ce risque et <strong>de</strong> nous rejoindre.<br />
867
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 8 a o û t 2 0 0 7<br />
Antibes (Provence, France), 8h20.<br />
Sans gran<strong>de</strong> surprise hier soir, nous retrouvâmes les douves du Fort Carré<br />
d’Antibes plus sales qu’en octobre 2005, la <strong>de</strong>rnière fois que nous y passâmes<br />
<strong>de</strong>ux ou trois nuits, plus quelques moustiques malvenus, été oblige.<br />
Comme il était agréable toutefois, à la tombée du jour, d’observer Nice au<br />
loin sous une brume rose et humi<strong>de</strong>, clope au bec, avant <strong>de</strong> nous allonger sous<br />
les chauds pins à confondre dans les Cieux mouettes scintillantes, étoiles et<br />
gros porteurs au son <strong>de</strong> la cigale solitaire !<br />
Nous ne dormîmes pas – ou que peu – et ce matin avons-nous quelque mal<br />
à nous éveiller malgré le bruit <strong>de</strong>s mises en place <strong>de</strong> cafés, passants clinquants<br />
et autres machines grinçantes.<br />
Cette journée, nous la placerons sous le signe <strong>de</strong> la langueur, attablé<br />
probablement <strong>de</strong>vant un écran du cybercafé ou couché comme une mer<strong>de</strong> sur<br />
la plage <strong>de</strong> la Gravette. Il nous faut en effet reprendre le rythme après une<br />
semaine ardéchoise reposante et une journée aixoise cernée <strong>de</strong> haute-couture à<br />
consumer, <strong>de</strong> rosé local et <strong>de</strong> piscine tempérée.<br />
Le paradoxe, encore, toujours…<br />
868
Nouveau carnet d’errance<br />
2 1 a o û t 2 0 0 7<br />
Man<strong>de</strong>lieu-la-Napoule (Provence, France), 9h02.<br />
Le plus difficile après une première nuit blanche (car nous sentons en venir<br />
d’autres à la chaîne), c’est <strong>de</strong> passer le premier pallier. Heureusement l’Homme<br />
eut-il un jour la bonne idée <strong>de</strong> torréfier le café ! Cela n’ai<strong>de</strong> pas vraiment mais<br />
fait illusion…<br />
Temps <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis Cannes-la-Bocca, pour changer.<br />
Nous aurions pu dormir cette nuit, un peu, sur la plage <strong>de</strong> la Croisette s’il<br />
n’y avait eu un Arabe pour nous emmer<strong>de</strong>r et faire “sensation” <strong>de</strong>vant ses<br />
potes aussi débiles que lui. Nous étions allongé près du rivage et il lui vint<br />
l’idée, alors que nous nous endormions, <strong>de</strong> venir secouer notre sac.<br />
NOUS . Oh ! T’es con ou quoi ?<br />
LUI . Je te réveille sinon les policiers vont le faire.<br />
NOUS . Lâche ça !<br />
LUI . Tu peux pas dormir ici !<br />
NOUS . Tu es flic ? Non ! Fous-moi la paix !<br />
LUI . Allez, j’essaye <strong>de</strong> t’ai<strong>de</strong>r, moi ! Tu vas passer la nuit au poste.<br />
NOUS . Lâche ça, je t’ai dit !! Je m’endormais avant que tu viennes<br />
m’emmer<strong>de</strong>r !<br />
Là, nous étions encore assez calme. Il secoua à nouveau notre sac.<br />
NOUS . Putain, gars ! T’es con ou tu parles pas français ? Dégage avant que je<br />
donne aux condés une bonne raison <strong>de</strong> venir !<br />
LUI . Ça va, si on peut plus rigoler !<br />
NOUS . Je t’emmer<strong>de</strong> ! Dégage, je t’ai dit ! Je suis pas d’humeur à te divertir.<br />
Putain <strong>de</strong> racailles <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> ! À cause <strong>de</strong> lui, nous ratâmes le pallier du<br />
869
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
sommeil et ne pûmes le reprendre avant l’arrivée <strong>de</strong> cette conne <strong>de</strong> machine<br />
sensée nettoyer le sable, vers 4 heures, quand elle ne s’attar<strong>de</strong> pas à écraser<br />
<strong>de</strong>ux pauvres filles en train <strong>de</strong> cuver leur soirée arrosée.<br />
Ah, nous avons les boules maintenant ! Marre <strong>de</strong> vagabon<strong>de</strong>r sans moyens<br />
aussi ; fait chier !<br />
870
Nouveau carnet d’errance<br />
3 1 a o û t 2 0 0 7<br />
La Rochelle (Poitou, France), 9h44.<br />
Un petit parc près du vieux port. Devant nous, en plein centre-ville, le<br />
forain qui tient le carrousel, sur lequel les gosses pleurent pour tourner<br />
longtemps et rêver, tente <strong>de</strong> prolonger sa nuit entre <strong>de</strong>ux couvertures sous la<br />
toiture d’un véhicule désossé et posé là, malgré le froid atlantique et les quatre<br />
touristes anglophones qui s’étonnent plus <strong>de</strong> la cloche que le chien a autour du<br />
cou que <strong>de</strong> la condition <strong>de</strong> son maître… À quelques pas, sur l’autre quai, trois<br />
vieilles dames petit-déjeunent pour 8 euros un croissant, un thé et un jus<br />
d’orange. Il y a du vent mais les mâts, contrairement à notre habitu<strong>de</strong>, ne<br />
résonnent pas ; ils se tiennent, fiers, et défen<strong>de</strong>nt à leurs cordages d’éveiller le<br />
soupçon <strong>de</strong> leur présence.<br />
La Rochelle, citée protestante dont les arca<strong>de</strong>s dans les rues protègent le<br />
peuple <strong>de</strong> la colère <strong>de</strong>s Cieux, révoltés <strong>de</strong>vant tant d’inégalités.<br />
Cela n’empêcha guère pourtant, il y a peu, un jeune couvreur <strong>de</strong> s’envoyer<br />
en l’air avec la foudre…<br />
Aujourd’hui, si nos dires sont corrects, les exilés du Parti Socialiste doivent<br />
se réunir en université d’été, ici, pour « tirer les leçons » <strong>de</strong> leur pitoyable<br />
débanda<strong>de</strong> aux élections prési<strong>de</strong>ntielles et législatives <strong>de</strong> cette année. En clair,<br />
Ségolène va se faire décapiter !<br />
Hier midi, nous étions à Saint-Nazaire et déjeunâmes une flûte <strong>de</strong> pain au<br />
pied <strong>de</strong> la ville-port. Nous y croisâmes Tintin, bien âgé, qui nous raconta ses<br />
<strong>de</strong>rnières aventures.<br />
Depuis la mort <strong>de</strong> Milou et le mariage du capitaine avec la Castafiore, il<br />
avait sombré dans l’alcool, la prostitution et l’héroïne, était parti sur les routes<br />
d’Europe, sac sur le dos et à pattes, sans espoir ou considérations pour ses<br />
exploits passés. Un soir <strong>de</strong> juillet 1989, on le viola sauvagement dans une rue<br />
sombre <strong>de</strong> Cambrai et il perdit toute raison, se fit interner et, après dix-huit<br />
ans, émit le souhait <strong>de</strong> voir une <strong>de</strong>rnière fois le port <strong>de</strong> Saint-Nazaire. On lui<br />
accorda cette faveur et il y alla, seul, pensant y retrouver la splen<strong>de</strong>ur <strong>de</strong><br />
l’époque, le souvenir du général Alcazar, privé <strong>de</strong> son partenaire inca,<br />
embarquant pour l’Amérique du Sud, celui du maladroit capitaine élevé par<br />
871
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
mégar<strong>de</strong> sur un conteneur, etc. Et bien non, il n’y trouva qu’un cube <strong>de</strong> béton<br />
transformé en attrape-touristes, <strong>de</strong>s taules en guise <strong>de</strong> bâtiments car plus<br />
économiques à la construction, <strong>de</strong>s ouvriers tchèques ou roumains car plus<br />
économiques à l’entretien, <strong>de</strong>s marins au bras <strong>de</strong> putes albanaises, <strong>de</strong>s…<br />
Il avait un boulet à la main, ancré à sa cheville par une chaîne, lorsqu’il<br />
conclut : « Mon pauvre <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, je ne vous souhaite pas telles<br />
désillusions dans votre vie. Ce mon<strong>de</strong> ne ressemble plus à rien et je me méprise<br />
d’avoir participé à sa construction. Je vous dis adieu, ami ! »<br />
Nous le poussâmes dans le port, un peu par pitié, un peu par gentillesse, et<br />
le regardâmes couler, brièvement. Une <strong>de</strong>rnière bulle, en hommage à son<br />
créateur, jaillit <strong>de</strong>s eaux sales, puis son portefeuille. Nous nous penchâmes<br />
pour le repêcher et l’ouvrîmes. Hélas pour nous ne contenait-il pas une pièce,<br />
pas un billet. Il n’y avait à l’intérieur qu’un préservatif, une entrée gratuite pour<br />
Univers Gym à Paris, une photographie du jeune Tchang tâchée <strong>de</strong> blanc, une<br />
paire <strong>de</strong> carte à jouer (<strong>de</strong>ux neuf) et un autographe <strong>de</strong> Dalida.<br />
Un si grand homme… Quelle misère <strong>de</strong> ne laisser que cela à la postérité !<br />
Nous sortîmes notre briquet et brûlâmes le tout avant <strong>de</strong> prendre la route<br />
pour La Tranche-sur-Mer puis l’île <strong>de</strong> Ré. Là, nous passâmes la nuit dans une<br />
pinè<strong>de</strong> privée <strong>de</strong> La Flotte et nous réveillâmes ce matin, la faim au ventre, sous<br />
un épais tapis nuageux.<br />
Repensant à notre cher reporter, nous décidâmes <strong>de</strong> conclure la rédaction<br />
<strong>de</strong> cet épiso<strong>de</strong> et <strong>de</strong> nous enfermer dans notre imaginaire car vagabond nous<br />
sommes et rien ne sera plus vrai que ceci : notre époque ne nous apporte que<br />
la nostalgie <strong>de</strong> ce que nous ne sommes pas et ne pourrons sans doute jamais<br />
<strong>de</strong>venir – nous vînmes au mon<strong>de</strong> quatre siècles trop tard !<br />
872
É p i s o d e V I I I<br />
.<br />
8
8<br />
2 5 a v r i l 2 0 0 8<br />
Rimont (Bourgogne, France), 18h11.<br />
Plus bas dans la vallée, à quelques 200 mètres, une grosse dizaine <strong>de</strong> vaches<br />
couleur <strong>de</strong> crème paît en silence. Dans ce hameau consacré par les frères <strong>de</strong><br />
Saint-Jean avec qui nous vivons <strong>de</strong>puis sept mois, c’est bien le silence, lui seul,<br />
qui trône. La verte Bourgogne, en cette belle journée d’avril, se révèle<br />
prédicatrice <strong>de</strong> la Nature et c’est en son sein que nous décidons <strong>de</strong> reprendre la<br />
rédaction <strong>de</strong> nos carnets.<br />
Nous partagerons nos névroses avec celles <strong>de</strong>s frères jusques au 19 mai,<br />
date à laquelle nous embarquerons pour la Corse, son azur et son Soleil<br />
bourgeois. Tu dois te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, Fidèle, où nous étions passé <strong>de</strong>puis que nous<br />
achevâmes Tintin le 30 août 2007 sur le port <strong>de</strong> Saint-Nazaire. Et bien nous<br />
continuâmes à piétiner notre Destin jusques à la Chaise-Dieu, en Auvergne, où<br />
nous trouvâmes, un après-midi <strong>de</strong> septembre, <strong>de</strong>s frères <strong>de</strong> la communauté<br />
susnommée qui nous accueillirent dans leur prieuré. Nous comptions y<br />
seulement passer une nuit ou <strong>de</strong>ux, à notre habitu<strong>de</strong>, mais trouvâmes un<br />
chantier pour nous occuper.<br />
Par ailleurs, nous pûmes munir notre réflexion d’une expérience inédite. La<br />
vie monastique, propice à méditation, nous offrit en effet un repos mérité<br />
après six années <strong>de</strong> tribulations désordonnées, épuisantes moralement mais ô<br />
combien formatrices.<br />
Nous n’avions qu’à respecter ces personnes qui ne pensaient pas comme<br />
nous.<br />
Leur philosophie catholique, bien qu’un peu mièvre selon nous, ne<br />
dérangea en rien notre analyse sociétaire. Les Hommes sont <strong>de</strong>s êtres spirituels<br />
et là n’est pas notre rôle <strong>de</strong> les attirer à notre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> pensée. En revanche,<br />
érigée en religion, une philosophie <strong>de</strong>vient dangereuse et nous ne nous fîmes<br />
pas prier pour leur exprimer nos impressions, nos vécus et, mieux encore, nos<br />
sentiments fort négatifs à l’égard <strong>de</strong> toute religion monothéiste, pouvoir<br />
ingérable, malsain ; un pouvoir <strong>de</strong> trop. Nous vîmes donc le pire et le meilleur<br />
en sept mois. Inutile d’en débattre, tu sais déjà le peu <strong>de</strong> crédit que nous<br />
accordons à l’humanité. Ainsi fûmes-nous plus ou moins accepté tel que nous<br />
étions (jamais complètement) : gay, indépendant spirituellement et tant d’autres<br />
875
choses.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Tout Homme a un rôle à jouer dans ce mon<strong>de</strong>, au niveau personnel comme<br />
au niveau universel. Rejoindre un quelconque dieu dans sa gloire n’a aucun<br />
sens ; l’Homme dès lors se trompe-t-il <strong>de</strong> chemin. Nous le pensons<br />
profondément mais ne pouvons l’assujettir à un quelconque universalisme.<br />
Voilà la seule, et non <strong>de</strong>s moindres, critique que nous nous permîmes <strong>de</strong> leur<br />
exposer, eux qui prônaient une vérité qui ne pouvait être avec un grand V car,<br />
objectivement, elle n’était pas la seule…<br />
La seule universalité que nous reconnaissons est celle <strong>de</strong> l’esprit : tout<br />
Homme en a un. Maintenant, <strong>de</strong> là à y fixer une source et un absolu… L’idée<br />
même d’absolu est une terrible incohérence ; nous serions sûr <strong>de</strong> pouvoir<br />
l’atteindre qu’il ne serait plus un absolu.<br />
Les chrétiens sont <strong>de</strong>s êtres convaincus. Nous, un rêveur. Un Homme<br />
convaincu est aussi dangereux qu’un Homme qui rêve, à cela près qu’un<br />
Homme qui rêve est en mouvement, nuance incompréhensible à leurs yeux.<br />
Nous <strong>de</strong>vons avouer qu’ils prennent pour le moment nos objections plutôt<br />
bien, tout en nous considérant comme un gosse qui a encore beaucoup à<br />
apprendre. Désolé, ne réussîmes-nous finalement qu’à prouver que les<br />
Hommes pouvaient tous vivre ensemble sous l’égi<strong>de</strong> d’une seule valeur, le<br />
respect ? Non ! Il doit y avoir quelque chose <strong>de</strong> caché, nécessairement…<br />
876
8<br />
2 0 m a i 2 0 0 8<br />
Corbara (Corse, France), 11h10.<br />
Il flotte sur l’île <strong>de</strong> beauté alors que la cloche du couvent Saint Dominique<br />
sonne la messe journalière. Après vingt-six heures <strong>de</strong> voyage, hier et cette nuit,<br />
nous y arrivâmes, accompagné <strong>de</strong> Jean-Theotokos et Jean-d’Ephèse, <strong>de</strong>ux<br />
frères <strong>de</strong> Saint-Jean, exténué.<br />
Une fois à quai, sur Bastia, nous décidâmes d’aller déjeuner avant <strong>de</strong><br />
joindre le couvent. Nous choisîmes l’Apunto, petite pizzeria en bord <strong>de</strong> route à<br />
la sortie <strong>de</strong> la ville. De notre place, nous nous risquâmes à quelque facile<br />
analyse. Corse Matin titrait ainsi sa première page : « Un gendarme échappe à<br />
l’attentat <strong>de</strong> sa maison. » ; <strong>de</strong>hors, sous la pluie, une pancarte ajoutée sous les<br />
autres officielles, pointait, noir sur jaune, un bureau du Front <strong>de</strong> Libération<br />
Nationale <strong>de</strong> la Corse (FLNC) ; une estafette <strong>de</strong> la gendarmerie passait<br />
tranquillement <strong>de</strong>vant et s’engageait sur le rond-point ; notre calzone, cuite au<br />
feu <strong>de</strong> bois, dégoulinait son jaune d’œuf. À l’évi<strong>de</strong>nce, une région <strong>de</strong> fierté et<br />
<strong>de</strong> terroir s’offrait à nos yeux d’or…<br />
877
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 5 m a i 2 0 0 8<br />
Corbara (Corse, France), 1h27.<br />
Cette nuit, une énième pharyngite nous empêche <strong>de</strong> trouver sommeil.<br />
Nous assistâmes pendant la soirée au concert polyphonique donné dans<br />
l’église du couvent pour clôturer la journée portes ouvertes. Lors du <strong>de</strong>rnier<br />
chant, interprété par les <strong>de</strong>ux groupes présents, magnifiquement mis en valeur<br />
par la jeune femme à la voix poignante, nous prîmes conscience à quel point<br />
les Corses portent leur région au plus près <strong>de</strong> leur cœur ! Revenons donc à<br />
notre débarquement sur l’île, dimanche soir, pour éclaircir notre pensée.<br />
Les séparatistes sont <strong>de</strong>s imbéciles qui ne comprennent rien ; les terroristes,<br />
en plus <strong>de</strong> l’être eux aussi, sont <strong>de</strong> dangereux nuisibles. Nous condamnons les<br />
<strong>de</strong>ux. Les premiers bafouent l’idée France, ses valeurs. Les seconds ne<br />
défen<strong>de</strong>nt que dalle, et encore moins l’honneur <strong>de</strong> leur région, en faisant péter<br />
une baraque et son propriétaire.<br />
Quelle liberté veulent-ils réellement, ceux-là, sinon celle <strong>de</strong> ne rien glan<strong>de</strong>r<br />
tout en profitant d’ai<strong>de</strong>s sociales et autres avantages fiscaux que leur cè<strong>de</strong> la<br />
République <strong>de</strong> peur d’imploser ? Une République qui s’abaisse <strong>de</strong>vant la mafia<br />
en acceptant tel compromis n’est qu’une vulgaire putain. Adieu Marianne,<br />
bonjour Lizzie !<br />
Temps est à la France <strong>de</strong> retrouver ses fiertés. Oui, Fidèle, “ses” fiertés car<br />
la France n’a jamais été et jamais ne sera un état-nation. Brûle tes livres<br />
d’Histoire si tu crois le contraire. La France, d’un régime à un autre, est une<br />
belle et noble idée. Elle doit n’avoir aucune autre prétention !<br />
Si son peuple la défend, sans toujours parvenir à lui-même l’appliquer,<br />
certes, le fait est qu’il la défend. En cela, tu dois être fier d’avoir France pour<br />
mère, te battre et mourir pour elle s’il le faut car elle te dépasse. Ô quelle fierté<br />
alors pourras-tu exhiber !<br />
Mais on ne naît pas français, on le <strong>de</strong>vient, par raison.<br />
Ta source, avant cette idée France, Fidèle, jaillit <strong>de</strong> la terre qui t’a vu naître,<br />
du grand jardin balanais à la blanche plage <strong>de</strong> Quiberon en passant par le<br />
plateau casadéen, le marais poitevin, la réserve camarguaise ou la plaine<br />
parisienne, voire la brousse sénégalaise ou le désert algérien… Qu’importe où<br />
878
elle se trouve, tu dois pouvoir y puiser aussi.<br />
8<br />
Te voilà avec <strong>de</strong>ux amoures, sûres, respectables, entendues. Que la putain<br />
République ne vint-elle perturber cet harmonieux ménage !<br />
Voyageant et contemplant notre environnement, nous-vagabond nous<br />
sentons affreusement orphelin. Ces jérémia<strong>de</strong>s puériles, ces politiciens pourris,<br />
baveux, petits et sans vision, ce peuple d’enfants indignes ; une vraie cour <strong>de</strong><br />
maternelle. Des claques se per<strong>de</strong>nt en République !<br />
France, pardonne-leur, même s’ils savent exactement ce qu’ils font.<br />
Et toi, Fidèle, qu’attends-tu pour lever ton cul alourdi par tant <strong>de</strong> bêtise et<br />
porter ta voix à la face du mon<strong>de</strong> ? Ne sais-tu pas que là se trouve son seul<br />
désir, au mon<strong>de</strong> ? Que tu tires le premier !<br />
879
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
4 j u i n 2 0 0 8<br />
Valence (Dauphiné, France), 8h48.<br />
C’est avec peine que nous cuvons le presque litre et <strong>de</strong>mi <strong>de</strong> Bombay<br />
Sapphire consommé ces trois <strong>de</strong>rniers jours en Ardèche. Nous nous<br />
connaissions plus résistant : l’âge avancé <strong>de</strong> notre carcasse désabusée sans<br />
doute…<br />
Nous attendons notre TGV pour Paris, d’où nous nous envolerons pour<br />
l’Écosse. Une huitaine <strong>de</strong> jours sous les Vents <strong>de</strong>s Highlands nous rendra avec<br />
un peu <strong>de</strong> chance bonne tenue. Il est tellement tôt, quelle idée aussi ! Quand<br />
nous y pensons, nous n’étions pas plus frais à Madrid en janvier 2006 pour<br />
prendre notre avion à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> Marrakech. Il doit certainement avoir une<br />
signification à cela… Ne la cherchons pas, nous ne sommes guère en condition<br />
pour analyse.<br />
880
8<br />
9 j u i n 2 0 0 8<br />
Edimbourg (Écosse, Royaume-Uni), 9h49.<br />
Pas <strong>de</strong> tout repos ce voyage ! Hormis hier où nous pûmes seul errer dans<br />
les ruelles puis les berges <strong>de</strong> Water of Leith entre Saun<strong>de</strong>rs Street et Dean<br />
Village, ce fut une succession <strong>de</strong> visites <strong>de</strong>s nombreux monuments payants et<br />
voyages en coaches sur les Highlands.<br />
Aujourd’hui, visite du Britannia ; <strong>de</strong>main, autre tour organisé dans les glens<br />
et lochs <strong>de</strong> la région ; mercredi, retour à Paris ; jeudi, ce sera l’Ardèche. Ainsi ne<br />
pourrons-nous reprendre notre vie <strong>de</strong> vagabond que vendredi soir. À ce<br />
rythme et toujours sans le sou, nous nous dandinerons entre Savoie, Suisse et<br />
Morvan pour une poignée <strong>de</strong> jours avant <strong>de</strong> rejoindre le château puis, peutêtre,<br />
notre chère cité aixoise.<br />
Lorsque nous écoutons les Écossais, sur l’ancien yacht <strong>de</strong> la reine ce midi,<br />
lors du tour avant-hier et sans doute celui <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, nous nous rendons<br />
compte qu’ils sont attachés à leur passé. Qu’ont-ils d’autre en fait ?<br />
881
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 8 j u i n 2 0 0 8<br />
Lac <strong>de</strong>s Settons (Bourgogne, France), 16h35.<br />
Depuis le 9, notre envie d’écrire ne sut résister à notre nonchalance.<br />
Aujourd’hui, après un frais bain dans le lac morvanais, les idées neuves,<br />
reprenons le cours <strong>de</strong> notre récit !<br />
Les Écossais, disions-nous, n’ont dans leurs bottes, semble-t-il, que <strong>de</strong> la<br />
vieille boue à décrotter. Les histoires du passé, <strong>de</strong> la simple anecdote au<br />
roman-photo en passant par William Wallace, Robert <strong>de</strong> Bruce (Braveheart) ou<br />
John Knox, furent donc notre quotidien durant chaque visite.<br />
Nous regrettons que ce pays n’ait pas gardé cette noblesse, cette liberté, cet<br />
esprit combatif d’antan ! Si la mentalité en terre d’Écosse reste fortement plus<br />
traditionnelle que celle <strong>de</strong> sa voisine typically British dont nous n’aimons que<br />
l’accent soigné sur les lèvres d’un beau jeune homme branchouille, le tourisme<br />
<strong>de</strong> masse, cette abomination contemporaine, nous gâcha le plaisir parfait. Il<br />
nous faudra donc y retourner tantôt, sac sur le dos et à pattes, pour creuser un<br />
peu plus car ce séjour nous aura au moins fait apprécier la région.<br />
Bien que le camping y soit interdit, nous passerons la nuit sur les berges du<br />
lac, en espérant que la flotte ne nous tombe <strong>de</strong>ssus. Après avoir réussi à l’éviter<br />
ces six <strong>de</strong>rniers jours, ce serait injuste ! Déjà ce mauvais climat nous empêchat-il<br />
<strong>de</strong> faire comme prévu le tour du lac Léman, samedi et dimanche, nous<br />
forçant au retranchement dans le Jura puis ici, en Bourgogne. À défaut, faisons<br />
le tour <strong>de</strong> celui-ci puisqu’il fait encore jour pour quelques heures.<br />
882
8<br />
3 1 j u i l l e t 2 0 0 8<br />
Presqu’île <strong>de</strong> Quiberon (Armorique, France), 16h33.<br />
En octobre 2005, si tu t’en souviens, Fidèle, nous étions déjà passé ici, au<br />
Vivier, petit snack perché sur la côte sauvage. Nous-vagabond y avions croisé<br />
Jaqui, toujours au poste, qui nous avait offert un repas alors que nous avions<br />
faim.<br />
Aujourd’hui, pendant que le frère Jean-<strong>Louis</strong>-Marie fait une sieste dans sa<br />
voiture-épave au lieu <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> ce paysage unique, replongeons-nous dans<br />
<strong>de</strong> bons souvenirs.<br />
Ce billet est un hommage à nos rencontres <strong>de</strong> circonstance, ces gens qui<br />
nous accueillirent, dont nous traversâmes la vie, ces gens qui nous laissèrent<br />
une joie au cœur alors que naturellement nous n’étions et ne sommes toujours<br />
pas prédisposé à recevoir bonheur et plénitu<strong>de</strong>.<br />
Nous pensons à Véronique et Isaure (et désormais Dany), retrouvées<br />
toutes <strong>de</strong>ux à Kérouriec après presque trois ans, dont l’indépendance et la<br />
créativité nous réjouissent.<br />
Nous pensons à Patrick et Sylvie <strong>de</strong> Locunolé, à leur bonne et fraîche<br />
humeur, leur jovialité simple.<br />
N’oublions pas Gilbert P. <strong>de</strong> Sainte-Anne-d’Auray ; Yolan<strong>de</strong>, notre bonne<br />
Dame <strong>Blanc</strong>he <strong>de</strong> Trécesson ; Brigitte, François et Marco <strong>de</strong> Casserand ; Ben<br />
et Lee du Fresne ; Monsieur Chamaillard et sa charmante épouse ; Yann <strong>de</strong><br />
Josselin ; tant d’autres qui méritent ce bonheur qui nous est proscrit. Elles et<br />
eux, plus que nous, participèrent à l’écriture <strong>de</strong> notre premier carnet d’errance<br />
car ils étaient, car ils sont, car il nous éclairèrent <strong>de</strong> leur lumière vitale, nous,<br />
Ombre parmi les ombres, qui écrivons mais ne sommes que peu.<br />
À vous toutes et tous, mille et mille fois merci, même si vous ne le<br />
soupçonnez pas, merci d’Être !<br />
Les vagues claquent sur la terre d’Armorique ; le Soleil, timi<strong>de</strong>, fait oublier<br />
le crachin ; l’horizon, au large, nous fait <strong>de</strong> l’œil. Jaqui, souriant, célèbre cette<br />
majesté en faisant péter pour quelque client conquis une bouteille <strong>de</strong> cidre.<br />
Merci d’Être aussi !<br />
Et ces Vents, combatifs, qui ai<strong>de</strong>nt Mers et Océans dans leur rixe infinie<br />
883
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
avec la Terre, qui pense à eux ? Que seraient les Hommes sans cette magie<br />
chirurgicale ? D’irresponsables connards plantés sur un roc puant <strong>de</strong> platitu<strong>de</strong>.<br />
Ô oui, Vents, Sels et Embruns, balayez donc tout cela ! Ne laissez jamais à<br />
l’Homme le loisir <strong>de</strong> vous dominer ! Montrez-leur votre toute puissance, qu’ils<br />
se sentent petits et faibles, qu’ils apprennent l’humilité, l’humilité d’être enfin.<br />
Être…<br />
Évoluant dans un environnement catholique <strong>de</strong>puis dix mois, permetsnous,<br />
Fidèle, <strong>de</strong> t’interdire <strong>de</strong> remercier un quelconque dieu pour être et<br />
exister. Jamais ! Remercie plutôt ces gens qui par leur présence, un jour, peutêtre<br />
un seul, t’apportèrent ce que Dieu lui-même, quoi qu’ils en disent, ne sait<br />
apporter : être à tes côtés.<br />
Et qu’une sagesse humaine prenne le pas sur tout mythologie-théisme !<br />
Que l’Homme se libère <strong>de</strong> ses maux d’esprit ! Qu’il soit, par lui-même ! Qu’il<br />
soit, car cela suffit !<br />
884
8<br />
2 1 s e p t e m b r e 2 0 0 8<br />
Saanen (Suisse), 7h48.<br />
Il faut être complètement fou ou paumé pour dormir <strong>de</strong>hors dans pareil<br />
endroit en cette saison ; nous sommes congelé.<br />
Gstaad à quelques pas, tout est affreusement cher ici : pas moins <strong>de</strong> 10<br />
francs suisses pour un chocolat chaud et <strong>de</strong>ux viennoiseries. À cette heure<br />
matinale toutefois sommes-nous heureux <strong>de</strong> pouvoir nous réchauffer un peu.<br />
Nous avions dans l’idée <strong>de</strong> nous attar<strong>de</strong>r dans ce pays, le traversant d’ouest<br />
en est jusques en Autriche, empruntant les petites routes <strong>de</strong> montagne, voire<br />
les sentiers pé<strong>de</strong>stres mais ce froid pénétrant nous incite à réflexion.<br />
Ce matin, nous gagnerons Berne, son autoroute surtout, puis peut-être un<br />
pays moins assassin.<br />
Berne (Suisse), 12h53.<br />
Assis sur un banc, vert bouteille comme partout, nous contemplons la cité<br />
magnifique qui se présente en panorama <strong>de</strong>vant nos yeux d’or.<br />
Nous fîmes une première halte à Avanches sur les conseils d’une femme<br />
qui nous prit en stop à la sortie <strong>de</strong> Saanen. Elle partait là s’exercer avec ses<br />
chevaux, tranquillement installés dans le van à l’arrière. En chemin, elle nous<br />
dit qu’il fallait vivement visiter l’amphithéâtre romain d’Avanches. Ne traçant<br />
jamais notre route par avance, malgré le léger détour que cela nous faisait faire<br />
pour joindre la capitale administrative, nous participâmes à son enthousiasme.<br />
Ce fut en effet intéressant, nous ne le regrettons pas.<br />
Les Cieux sont bas, il ne fait qu’une huitaine <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés, l’allemand nous<br />
déconcerte et nous avons grand besoin <strong>de</strong> schlafen, l’humidité et la cloche <strong>de</strong><br />
l’église nous ayant empêché <strong>de</strong> le faire la nuit <strong>de</strong>rnière.<br />
Les clochers aussi nombreux que les grues <strong>de</strong> chantier nous rappellent à<br />
quel point les Suisses entretiennent leur pays. Que les Français ne prennent-ils<br />
exemple sur eux !?<br />
Si nous en avions les moyens, nous nous attar<strong>de</strong>rions plus longuement ici<br />
mais hélas n’est-ce pas le cas. Après donc la froi<strong>de</strong> Gruyère, continuons cet<br />
885
entremet helvète vers l’Emmental.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Lucerne (Suisse), 16h39.<br />
Nous faire comprendre dans ce pays aux multiples i<strong>de</strong>ntités ne nous est pas<br />
aisé, même pour comman<strong>de</strong>r une simple E<strong>de</strong>lhell dans un café sur les quais.<br />
Cependant nous y essayons-nous avec amusement, au risque <strong>de</strong> passer pour un<br />
touriste <strong>de</strong> base. La jeune infirmière qui nous conduisit <strong>de</strong> Olten à Lucerne se<br />
débrouillait un peu en français, heureusement.<br />
L’autostop, nous nous en rendons compte, n’est guère plus facile ici que <strong>de</strong><br />
l’autre côté <strong>de</strong>s Alpes. En France, les gens ont peur <strong>de</strong> s’arrêter, regardant sans<br />
doute trop TF1, médiatrice <strong>de</strong> la psychose nationale. Ici, c’est nous semble-t-il<br />
le snobisme ambiant qui les retient. Ne nous plaignons pas trop, cela dit, nous<br />
avançons quand même, passant d’une Merce<strong>de</strong>s à une autre voiture pour<br />
richards décomplexés.<br />
Lucerne, si nous <strong>de</strong>vions la comparer, ressemblerait à Annecy, ou peut-être<br />
Berne. En fait, en Suisse, tout serait si charmant si nous étions friqué le temps<br />
se prenait au jeu. Les nuages font place à quelques trous bleutés mais nous<br />
sommes encore loin <strong>de</strong> l’azur balayé <strong>de</strong> notre chère Provence !<br />
Milliardaire <strong>de</strong>venu (car nous le serons tôt ou tard, espérons plus tôt que<br />
tard, d’ailleurs…), il nous faudra penser à établir un pied-à-terre dans ce pays,<br />
ne serait-ce que pour centrer nos activités en Europe autour <strong>de</strong> l’élégance et la<br />
sécurité.<br />
886
8<br />
2 2 s e p t e m b r e 2 0 0 8<br />
Root (Suisse), 8h37.<br />
Nos doigts en tremblent ! De quoi, Fidèle ? De notre fraiche nuit dans les<br />
bois près d’Inwil, à quelques kilomètres du village où nous nous trouvons. Le<br />
temps n’est guère plus chaud ici, malgré l’éclaircie qui nous couvre.<br />
Nous nous dirigeons vers Zurich, les nuages, encore.<br />
Il nous reste une grosse trentaine <strong>de</strong> francs pour quitter la Suisse. Ensuite,<br />
nous repasserons en euros, les quelques piécettes qui n’alourdissent en rien<br />
notre besace.<br />
Allons, courage !<br />
Zurich (Suisse), 16h57.<br />
Courage, courage… Voilà qui était vite écrit ce matin ! Nous sommes<br />
complètement démoralisé. Ne nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas pourquoi, Fidèle, la raison<br />
est toujours la même.<br />
Nous n’avançons que parce qu’il le faut : marcher ou crever sur place.<br />
Devons-nous vraiment aller en Autriche ? Non, ce n’est là pas une obligation<br />
mais un manque d’idée. Vagabon<strong>de</strong>r ne nous excite plus autant que les<br />
premières années. Nous n’avons plus rien à nous prouver, ni à toi d’ailleurs.<br />
Nos ambitions, un peu folles il est vrai, se tournent désormais ailleurs, vers<br />
notre fondation.<br />
Ce que nous vécûmes pendant sept années fut un passage obligé pour<br />
atteindre un haut niveau <strong>de</strong> conscience. La triste pauvreté, les doutes, les<br />
angoisses, la confiance en nos pas et notre <strong>de</strong>stinée, les ras-le-bol enfin, tout<br />
ceci contribua énormément à élever notre statut mais aujourd’hui il suffit. Il<br />
nous faut trouver une alternative autrement allons-nous tomber dans le<br />
misérabilisme le plus absolu et telles ne sont pas nos valeurs.<br />
En bref, Fidèle, nous tenions à nous éprouver, rejetant d’une main les<br />
objections et les craintes <strong>de</strong> notre entourage, nous baffant convenablement <strong>de</strong><br />
l’autre. Nous sûmes à chaque fois encaisser ces coups avec dignité. Nous<br />
assumons tout, fièrement, sans chercher ni gloire ni récompense. Il est juste<br />
temps <strong>de</strong> passer à autre chose afin <strong>de</strong> rendre à notre parcours atypique<br />
887
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
l’honneur et la noblesse qui lui sont dû !<br />
888
8<br />
2 3 s e p t e m b r e 2 0 0 8<br />
Gossau (Suisse), 8 heures.<br />
Est-ce nécessaire, Fidèle, <strong>de</strong> te préciser l’état <strong>de</strong> notre arrangement ? En<br />
plus d’une douche, nous aurions besoin <strong>de</strong> draps <strong>de</strong> soie, <strong>de</strong> Monbazillac et <strong>de</strong><br />
crevettes. Quelle vie menons-nous !<br />
Nos <strong>de</strong>rniers francs viennent à l’instant <strong>de</strong> partir pour un chaud café au lait<br />
et un sandwich tomates / mozzarella, sans doute notre seul repas du jour. Hier<br />
ne fut guère plus gourmet.<br />
Aujourd’hui, nous ne nous arrêterons pas avant d’avoir complété notre<br />
tour <strong>de</strong> Suisse et joint la frontière, sinon française, au moins italienne pour<br />
nous siffler la bouteille <strong>de</strong> Chianti qu’un jeune automobiliste parlant un peu le<br />
français nous donna hier nuit en fumant un Davidoff, vestige d’un jour passé<br />
plus abondant.<br />
Maienfeld (Suisse), 14h35.<br />
Nous ne pensions vraiment pas nous retrouver un jour dans le village <strong>de</strong> la<br />
petite Heidi. Une femme, nous ayant prit en stop quelques kilomètres après<br />
Buchs, voulut absolument nous faire passer par le Liechtenstein, une base <strong>de</strong> la<br />
Swiss Army et Maienfeld avant <strong>de</strong> nous remettre sur la route <strong>de</strong> Chur.<br />
Comme à Gsdaat, Saint-Tropez, ce village prisé par les stars nationales <strong>de</strong><br />
la télévision nous fout le bourdon.<br />
Continuons donc sans nous retourner.<br />
889
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 4 s e p t e m b r e 2 0 0 8<br />
Dorf (Suisse), 9h53.<br />
Reconnais-nous une simple qualité, Fidèle : notre bonne constitution !<br />
Hier, nous continuâmes sur la petite route encaissée dans la vallée jusques à<br />
ce village où nous arrivâmes au milieu <strong>de</strong> la nuit. Il serait difficile <strong>de</strong> te<br />
témoigner <strong>de</strong> la majesté chaotique régnant dans les entrelacs brumeux qui<br />
serpentent dans la montagne entre Sedrum et Oberwald. Ce fut une chance <strong>de</strong><br />
trouver un couple en voiture pour nous faire passer l’Oberalppass et la<br />
Furkapass car nous étions sur le point <strong>de</strong> nous y engager à pattes, après <strong>de</strong>ux<br />
heures d’attente et d’hésitation quant à notre témérité. Ne risquions-nous pas<br />
en effet d’être fauché par un véhicule aveugle dans ces passes isolées ?<br />
Ce matin, à notre réveil dans un vieil hôtel délabré et abandonné, la brume<br />
épaisse avait fait place au gel. Nous nous réchauffons là sur un parking à la<br />
sortie du village et décidons <strong>de</strong> pousser l’expérience en franchissant, Martigny<br />
gagnée, le col du Mont <strong>Blanc</strong>. Les trois montagnes qui nous entourent sont<br />
revêtues <strong>de</strong> blanc pour l’occasion, elles nous lancent un défi. Nous le<br />
relèverons et célèbrerons notre victoire avec ce fameux vin italien !<br />
Sion (Suisse), 14h37.<br />
Deux marcheurs anglais nous prirent en stop <strong>de</strong> Gletsh à Visp où ils nous<br />
donnèrent <strong>de</strong>ux pommes et une banane qu’ils ne voulaient pas emporter dans<br />
leur <strong>de</strong>rnière randonnée alpine.<br />
Un autre Anglais nous poussa quant à lui jusques à Sion en nous<br />
conseillant un itinéraire pour joindre Chamonix par la montagne, à pattes. Il<br />
travaillait dans le tourisme et si pour lui était-ce évi<strong>de</strong>nt, pour nous-vagabond<br />
fort peu équipé, cela ne nous enchanta guère. Nous joindrons la station puis<br />
Annecy en stop, espérant gagner l’autoroute pour le Sud avant la nuit.<br />
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8<br />
2 5 s e p t e m b r e 2 0 0 8<br />
Challes-les-Eaux (Savoie, France), 14h37.<br />
Nous sommes encore loin <strong>de</strong> la Mer et il fait toujours aussi froid. Les<br />
lycéens peinent à entrer en cours et nous à rester éveillé. Le Soleil, quant à lui,<br />
ne daigne pas se montrer.<br />
Hier, dans le Valais suisse, entre Sion et la tierce du triangle d’or, Martigny<br />
(anciennement Octodure), le raisin appelait nos papilles mais nous ne<br />
succombâmes pas à cette tentation trop accessible. En chemin, un<br />
automobiliste nous dit qu’en cette saison il était facile <strong>de</strong> trouver un emploi<br />
dans la vigne mais, étant déjà passé par quelques domaines lors <strong>de</strong> nos<br />
promena<strong>de</strong>s solitaires et bourguignonnes, nous n’avions pas envie <strong>de</strong> côtoyer<br />
routards alcooliques et autres Roms qui tournent <strong>de</strong> saison en saison pour<br />
gagner quelque salaire. Et puis le vin, après tout, est-il fait pour que nous le<br />
buvions, seulement.<br />
Nous continuâmes donc vers Chamonix où nous fûmes accueilli par un<br />
Pétrin Ribeïrou ; ô joie ! Le pain au raisin vida notre bourse mais nous étions<br />
épuisé et affamé.<br />
Franchon, une jeune femme fort sympathique qui vit dans son camion<br />
nous conduisit ensuite dans le centre d’Annecy, autre cité bourgeoise au<br />
charme indéniable. Elle nous invita, une fois parquée, chez elle à l’arrière, à<br />
boire quelques verres <strong>de</strong> bière qu’elle avait ramenée d’Italie. Une heure passa et<br />
nous dûmes partir, lui laissant notre bombe lacrymogène car elle lui sera sans<br />
doute plus utile à elle qu’à nous. Il était 21h20.<br />
Deux heures plus tard, nous arrivions à Chambéry, contant d’avoir rassuré<br />
une autre femme, mère d’un jeune homme <strong>de</strong> 20 ans qui participera au 4 Ailes<br />
Trophy et qui s’inquiétait beaucoup. Le succinct récit <strong>de</strong> nos sept années<br />
vagabon<strong>de</strong>s lui permit <strong>de</strong> comprendre, d’accepter qu’une telle vie, riche en<br />
expériences, pleine <strong>de</strong> risques évi<strong>de</strong>mment, ne pouvait être que formatrice,<br />
mieux, libératrice. Elle en fut réellement joyeuse en nous laissant au péage <strong>de</strong><br />
Rumilly.<br />
Notre nuit fut quant à elle vraiment nulle. Nous tournâmes jusques à 2h30<br />
à la sortie <strong>de</strong> Chambéry, alternant notre stop entre la N6 et l’A41 pour<br />
891
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Grenoble, sans succès. Usé, c’est finalement dans la réserve d’une marbrerie<br />
que nous trouvâmes refuge, au milieu <strong>de</strong>s stèles consacrées aux morts ;<br />
charmant…<br />
À 6h30, les ouvriers reprirent leur travail et nous dûmes, d’un silence félin,<br />
replier notre paquetage et nous engager dans la brume matinale vers le massif<br />
<strong>de</strong>s Bauges.<br />
Vivement la côte !<br />
Enfin un peu <strong>de</strong> chaleur !<br />
Calanque du Pin <strong>de</strong> Galles (Provence, France), 21h21.<br />
C’est donc torse nu, en caleçon, engoncé dans notre méritant duvet en<br />
plumes d’oie, un gobelet <strong>de</strong> Chianti dans une main et un Davidoff dans l’autre<br />
que nous fêtons la Côte d’Azur. L’endroit est idéal, petit hameau retiré <strong>de</strong> tout<br />
avec pour seul bruit les vagues : un réel délice ! Les <strong>de</strong>rnières lueurs du Soleil<br />
disparaissent à l’ouest, laissant place à quelques étoiles. Nous craignons la pluie<br />
au matin mais n’y pensons pas et profitons <strong>de</strong> cet instant, magique, d’un repos<br />
bien mérité.<br />
Notre caleçon <strong>de</strong> bain sèche sur la balustra<strong>de</strong> <strong>de</strong> la pergola <strong>de</strong>s pompiers,<br />
délaissée en cette fin <strong>de</strong> saison, où nous trouvâmes refuge il y a plus d’une<br />
heure. La température <strong>de</strong> l’eau était elle aussi un délice. Avouons que nous<br />
avions véritablement besoin d’un bain. Ce soir fut le second, ayant fait halte à<br />
Toulon dans l’Anse du Lido.<br />
Nous visitâmes également la capitainerie pour voir si nous avions plus <strong>de</strong><br />
chance qu’en octobre 2005 mais aucun bateau se semblait quitter la côte pour<br />
quelque <strong>de</strong>stination exotique, étrangement… Nous aimerions tant une fois<br />
dans notre vie participer à telle traversée ! Nous sommes d’ailleurs tout disposé<br />
à nous passer <strong>de</strong> salaire, payant le voyage par notre travail, comme à notre<br />
habitu<strong>de</strong>, mais c’est <strong>de</strong>venu tellement difficile dans ce milieu que nous<br />
pensions protégé (qui <strong>de</strong>vrait l’être) que les bonnes volontés ne suffisent plus.<br />
Passons.<br />
Nous <strong>de</strong>scendîmes tout d’abord, avant d’échouer ici, à l’Anse <strong>de</strong> San Peyre<br />
mais elle ne nous convenait pas. En revanche, nous y croisâmes un jeune<br />
homme tout à fait charmant qui venait s’entraîner sur les marches. En<br />
892
8<br />
remontant, lui essoufflé s’apprêtait à re<strong>de</strong>scendre et nous lui proposâmes <strong>de</strong><br />
l’eau fraiche. Il n’en voulait pas, hélas, et refusa d’un sourire. Il nous plaisait,<br />
nous eûmes beaucoup <strong>de</strong> mal à le lui cacher.<br />
NOUS-MÊME . Pourquoi tant <strong>de</strong> mystère, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ? Pourquoi ne pas<br />
simplement le lui avoir dit ?<br />
NOUS . La chose est fort simple : vagabond <strong>de</strong> notre état, nous ne sommes pas<br />
en mesure <strong>de</strong> proposer quoi que ce soit !<br />
NOUS-MÊME . Que craignez-vous donc ?<br />
NOUS . D’être un poids ! C’est comme vouloir un chien, par caprice, car il est<br />
mignon, mais ne pas pouvoir l’assumer car nous sommes fauché.<br />
NOUS-MÊME . Fausse excuse : vous avez peur d’être rejeté !<br />
NOUS . <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, vous nous emmer<strong>de</strong>z ! Nous n’avons pas les moyens<br />
d’être pleinement indépendant. Si tel n’était pas le cas, nous aurions engagé<br />
plus avant la conversation, sans rien attendre d’autre <strong>de</strong> lui que sa sympathie<br />
mais étant vagabond, ne le cachant guère, nous ne voulons attirer ni pitié ni<br />
envie. Nous aimons jouer d’égal à égal, voilà tout !<br />
Et oui, Fidèle, ce n’est donc toujours qu’un problème <strong>de</strong> fric. N’en ayant<br />
pas, nous ne sommes, dans cette société, entièrement libre <strong>de</strong> nos choix. Nous<br />
dépendons toujours du bon vouloir <strong>de</strong>s gens à nous ai<strong>de</strong>r, ou pas, dans notre<br />
aventure et cela, nous ne le supportons plus !<br />
Stoppons ici l’analyse ; le Chianti nous fait écrire n’importe quoi. La soirée,<br />
malgré cette pensée matérielle, n’en est pas moins délicieuse.<br />
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<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 6 s e p t e m b r e 2 0 0 8<br />
Calanque du Pin <strong>de</strong> Galles (Provence, France), 19h15.<br />
Il est peu <strong>de</strong> choses meilleures, Fidèle, que d’assister à la tombée du jour<br />
face à la Mer ou l’Océan !<br />
Hier soir, nous <strong>de</strong>mandâmes à un homme qui remontait son muret rongé<br />
par la houle hivernale si nous pouvions passer la nuit sur la plage sans risque. Il<br />
nous rassura et l’échange ne dura pas mais reprit ce matin, à notre réveil vers<br />
10 heures. Alors que nous rangions nos effets dispersés, il vint nous parler.<br />
JEAN-FRANÇOIS . Alors, la nuit a été bonne ? Vous n’avez pas eu trop froid ?<br />
NOUS . Elle fut parfaite ! Je viens <strong>de</strong> passer six jours dans les Alpes suisses et ici<br />
fait-il encore chaud en comparaison.<br />
JEAN-FRANÇOIS . Vous voyagez ?<br />
NOUS . Je suis vagabond, oui. Je bouge beaucoup.<br />
JEAN-FRANÇOIS . Bien, bien.<br />
NOUS . Dites-moi : aimez-vous le vin ? Pour célébrer mon retour en France, j’ai<br />
hier soir ouvert une bouteille <strong>de</strong> Chianti. Il en reste la moitié et je ne vais pas la<br />
boire. La voulez-vous ?<br />
JEAN-FRANÇOIS . C’est gentil mais il nous en reste déjà trop et nous repartons<br />
dans pas longtemps. Nous ne savons, mon épouse et moi, nous non plus quoi<br />
en faire.<br />
NOUS . Tant pis, elle finira dans le laurier alors.<br />
Il était venu chercher une pierre aux pieds <strong>de</strong> l’escalier qui montait à la<br />
pergola, la ramassa et continua.<br />
JEAN-FRANÇOIS . Vous arrivez à trouver un peu d’argent pour financer vos<br />
voyages ?<br />
NOUS . Pas toujours, non.<br />
JEAN-FRANÇOIS . Vous seriez capable <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre quelques sacs <strong>de</strong> ciment<br />
894
<strong>de</strong>puis le parking en haut ?<br />
NOUS . Oui, bien entendu !<br />
8<br />
Nous venions <strong>de</strong> trouver un job ! Il nous conduisit chez Gedimat au Pra<strong>de</strong>t<br />
et nous lui <strong>de</strong>scendîmes ses quatre sacs <strong>de</strong> 35 kilos chacun jusque sur la plage.<br />
Nous étions en nage à la fin mais il nous récompensa avec 20 euros et nous dit<br />
que nous pouvions revenir l’ai<strong>de</strong>r vers 17 heures à raison <strong>de</strong> 5 euros / heure.<br />
Naturellement, nous acceptâmes ! Ainsi pouvons-nous profiter cette nuit<br />
encore <strong>de</strong> cette douce berceuse maritime.<br />
Demain, nous continuerons le travail commencé cet après-midi, seul car<br />
son épouse et lui seront absents pour la journée.<br />
Un orage venant, il nous installa dans un petit cabanon à trois mètres <strong>de</strong>s<br />
vagues, <strong>de</strong> quoi régaler notre sommeil.<br />
Cet après-midi, nous pûmes grâce à cette sol<strong>de</strong> inespérée aller à Saint-Jeandu-Var<br />
consulter notre courriel, à pattes, torse nu. Il nous faudrait un plan<br />
similaire pour cet Hiver, au chaud sur une île du sud. Va savoir, Fidèle…<br />
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<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 8 s e p t e m b r e 2 0 0 8<br />
Calanque du Pin <strong>de</strong> Galle (Provence, France), 20h50.<br />
Nous honorerons la permanence dans ce lieu paisible et ensoleillé, bon<br />
Fidèle, jusques au départ <strong>de</strong> nos hôtes, mardi.<br />
Comme hier, nous travaillâmes tout le jour sur la plage, tannant notre peau,<br />
bandant nos muscles dans l’effort. Le petit cabanon dans lequel nous logeons<br />
fut nettoyé et déjà avons-nous notre rituel. Vers 8h30, nous piquons une tête<br />
dans la Mer pour nous réveiller puis nous petit-déjeunons avec l’horizon pour<br />
seul comparse. À 10 heures, nous enfilons notre complet <strong>de</strong> travailleur (caleçon<br />
<strong>de</strong> bain Gotcha blanc, Dr Martens noire, notre croix <strong>de</strong> Jamal et un collier en<br />
os <strong>de</strong> poisson et bois <strong>de</strong> santal autour du coup) puis nous mettons au travail<br />
pour <strong>de</strong>ux ou trois heures avant un second bain pour laver notre peau souillée<br />
par Lafarge. Nous déjeunons, reprenons <strong>de</strong>ux ou trois heures et piquons une<br />
troisième tête. Là, le Soleil fuyant <strong>de</strong>rrière les rochers nous inspire à<br />
tranquillement rouler une clope. Puis nous lisons quelques chapitres <strong>de</strong> La<br />
cendre et la foudre <strong>de</strong> Frédérick Tristan sur notre couchette et au moment ou<br />
nos yeux d’or fatiguent, c’est le moment d’un <strong>de</strong>rnier bain solitaire avant <strong>de</strong><br />
rejoindre Morphée et ses multiples frasques.<br />
D’ailleurs, la houle nous appelle et le divin nocturne s’impatiente.<br />
Allons !<br />
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8<br />
3 0 s e p t e m b r e 2 0 0 8<br />
Calanque du Pin <strong>de</strong> Galle (Provence, France), 21h39.<br />
La Mer est à nos pieds, littéralement. Nous nous <strong>de</strong>mandons ce qu’il<br />
restera <strong>de</strong>main matin du travail que nous effectuâmes aujourd’hui. Nos hôtes<br />
nous racontèrent qu’une année les eaux étaient montées au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> leur<br />
cabanon, laissant un poteau télégraphique pour seule carte <strong>de</strong> visite sur leur<br />
terrasse. Les hivers semblent effroyables en ce lieu !<br />
Pour monter notre petite digue aux pieds dudit cabanon, nous utilisâmes<br />
en gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s galets, du sable fin et autres gravillons présent sur la plage<br />
et scellâmes le tout avec du ciment. Il est normal que la Mer reprenne ce qui lui<br />
appartient mais, si tôt, avant même le cliché final, est quel que peu<br />
décourageant. Nous verrons donc <strong>de</strong>main matin les effets <strong>de</strong> cette houle. La<br />
Mer, quoi qu’il en soit, jouera toujours dans ce chant sempiternel la <strong>de</strong>rnière<br />
note mais la Mer est bonne car elle permettra à nouveau, l’an prochain, à<br />
l’Homme <strong>de</strong> la humblement défier.<br />
Demain après-midi, nous quitterons la calanque pour le château où nous<br />
ai<strong>de</strong>rons nos parents à couper du bois dans la colline pour l’Hiver.<br />
Lorsque l’Homme pense dominer la Forêt, la Mer lui rappelle que face à la<br />
Nature, il ne peut que s’incliner et habiter en son sein avec respect et, osons la<br />
franchise, avec dévotion. Ce qu’on ne peut vaincre doit être aimer ; il n’est<br />
d’autre choix, Fidèle, sinon la folie <strong>de</strong> l’orgueilleuse arrogance.<br />
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<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 1 o c t o b r e 2 0 0 8<br />
Aix-en-Provence (France), 8h50.<br />
Cette journée sera proustienne ou ne sera pas. Installons-nous sur la<br />
terrasse du Roton<strong>de</strong>, commandons un Bloody Mary et apprécions la<br />
souvenance.<br />
La buraliste, en arrivant ce matin, nous apprit une terrible nouvelle : quinze<br />
jours après la mort <strong>de</strong> Saint-Laurent, ses cigarettes n’étaient plus en vente.<br />
Pourquoi, Diable !, fallait-il qu’elles fussent nos préférées ? Nous voilà<br />
orphelin !<br />
Les bruyants véhicules du service <strong>de</strong> la ville, le ballet <strong>de</strong>s agents d’entretien,<br />
la nonchalance <strong>de</strong>s universitaires qui rejoignent leur amphi, clope au bec,<br />
keffieh autour du coup, iPod dans les oreilles ; quel magnifique théâtre <strong>de</strong> rue !<br />
Comme chaque fois, c’est entre espérance et mélancolie que nous<br />
contemplons.<br />
Cette saison, nous ne révolutionnerons rien : pas <strong>de</strong> grand voyage (plus <strong>de</strong><br />
passeport), pas ou peu <strong>de</strong> vagabondage. Nous <strong>de</strong>vrons trouver asile dans<br />
quelque planque à notre mesure afin <strong>de</strong> réjouir notre intendance pour <strong>de</strong><br />
nouvelles aventures flamboyantes. Nous voudrions gagner Paris et son<br />
impitoyable climat social mais qu’y pourrions-nous bien trouver ? C’est<br />
pourtant en capitale que nos chances <strong>de</strong> convaincre le Destin seraient les<br />
meilleures. Attendons-nous au pire…<br />
Aix entretient notre démesure et nous nous plaisons à rêver, seul par<br />
habitu<strong>de</strong>. Son sein, cerclé <strong>de</strong> lions, jaillissant les eaux, éveille notre esprit ; estce<br />
réellement bon ? Que <strong>de</strong>vons-nous attendre <strong>de</strong> cette cité provençale que<br />
nous n’ayons déjà conquis ? Sa splen<strong>de</strong>ur poétique et ses mirages superflus ne<br />
nous perdraient-ils pas dans un autre carnet épris <strong>de</strong> belle déca<strong>de</strong>nce ?<br />
Les questions sont innombrables, Fidèle. En cela notre ville natale est-elle<br />
indispensable dans notre parcours. Ici, nous causons avec nos doutes en toute<br />
sincérité et indépendance. Comment pourrions-nous lui mentir, d’ailleurs, elle<br />
qui nous berça pendant tant d’années, elle qui vit tomber notre pu<strong>de</strong>ur chaque<br />
nuit, elle qui recueillit enfin si souvent nos larmes <strong>de</strong> garçon paumé dans ce<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> détraqués ? Car si Aix ne nous apporta aucune gloire, sinon celle<br />
898
8<br />
éphémère qui éblouit nos conquêtes, elle fit naître cet espoir intime et<br />
raisonnable que nous dominerons tout, tantôt, <strong>de</strong>puis notre mont, toisant<br />
notre société d’un regard neuf, la mo<strong>de</strong>lant avec sagesse sous le signe <strong>de</strong> notre<br />
dualité.<br />
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<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 o c t o b r e 2 0 0 8<br />
Neuilly-sur-Seine (Île-<strong>de</strong>-France, France), 14h57.<br />
Une belle journée éclaire la capitale que nous squattons <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux jours.<br />
Il nous fallut, <strong>de</strong>puis Aix-en-Provence, trente et une heure pour la joindre.<br />
En Provence, au cybercafé, nous éditâmes une lettre que nous comptions<br />
banalement poster. Hésitant après coup à la confier au service publique, du fait<br />
<strong>de</strong> son importance pour nous et n’ayant <strong>de</strong> toute manière rien <strong>de</strong> mieux à<br />
foutre, nous décidâmes <strong>de</strong> venir nous-même la remettre, ici à Neuilly.<br />
À moins d’un informel décisif, nous reprendrons la route ce week-end<br />
pour le sud. Nous aimerions rester ici car cela signifierait que nous aurions<br />
trouvé quelque chose à y faire mais Paris n’est guère une ville <strong>de</strong> rêve pour un<br />
vagabond fauché.<br />
Prenons donc notre courage à <strong>de</strong>ux mains et allons discuter avec notre<br />
avenir !<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 16h01.<br />
Faute <strong>de</strong> pouvoir la remettre en personne à la concernée, le gardien <strong>de</strong><br />
l’immeuble chic nous assura qu’il allait la confier à un responsable.<br />
Apprends, bon Fidèle, que si certaines choses paraissent vaines, il est<br />
néanmoins important <strong>de</strong> s’en préoccuper, ne serait-ce que pour avoir bonne<br />
conscience. Ainsi pouvons-nous désormais nous attendre au meilleur, ayant<br />
rejeté le pire en déposant ce courrier : l’indifférence.<br />
9 euros les 4cl <strong>de</strong> Bombay Sapphire au Dôme dans le Marais. À ce prix-là, il<br />
faut vraiment avoir envie <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong>s quelques rayons <strong>de</strong> Soleil qui<br />
s’immiscent entre <strong>de</strong>ux bâtiments.<br />
Il nous reste 20 euros sur les 90 que nous avions en arrivant dans la<br />
capitale. Restons confiant et volontaire !<br />
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8<br />
1 9 o c t o b r e 2 0 0 8<br />
Chartres (Orléanais, France), 14h26.<br />
Que la cathédrale serait noble et belle si elle n’était aussi religieuse !<br />
Nous remarquâmes la différence à la Vieille Charité <strong>de</strong> Marseille où nous<br />
assistâmes le 11 octobre à l’exposition sur Vincent Van Gogh et Adolphe<br />
Monticelli. Au cœur <strong>de</strong> la cour, une chapelle à coupole <strong>de</strong> style baroque et <strong>de</strong><br />
belle importance sans aucun signe religieux intérieur ou extérieur pour en<br />
ternir la majesté. C’est à cela que <strong>de</strong>vrait ressembler tous les édifices dans notre<br />
société, en eux-mêmes <strong>de</strong>s symboles <strong>de</strong> l’ingéniosité <strong>de</strong> l’Homme qui ne<br />
<strong>de</strong>vrait les enfermer dans un dogme, si ancien soit-il. D’une salle à l’autre, lors<br />
<strong>de</strong> cet étalage <strong>de</strong> tableaux plus ou moins bien agencés, nous réalisâmes qu’il<br />
était trop facile <strong>de</strong> fixer le beau, lui accolant une définition, souvent médiocre,<br />
toujours fausse ou incomplète. C’est ce que les conservateurs <strong>de</strong> ce musée avait<br />
fait, jouant sur le parallélisme entre les <strong>de</strong>ux artistes, les enfermant <strong>de</strong> fait eux<br />
aussi dans une espèce <strong>de</strong> mouvance, une mo<strong>de</strong> propre à une époque<br />
lumineuse.<br />
Pourquoi cet acharnement à vouloir expliquer le génie, le comparer, le<br />
compromettre ? N’est-il pas plus juste et vrai <strong>de</strong> le laisser pénétrer le regard <strong>de</strong><br />
l’observateur, néophyte ou non, qui va y accrocher ses références, ses rêves<br />
peut-être, participant lui aussi à l’œuvre par cette observation libre et<br />
personnelle ? Comment l’Homme peut-il espérer évoluer en attribuant telle<br />
chose, telle œuvre, tel architecture à tel usage ?<br />
Voilà pourquoi l’enfance nous sied ! Un enfant pose sur tout cela un regard<br />
neuf s’il n’est pas lobotomisé par sa culture ingérante et révèle au mon<strong>de</strong> son<br />
potentiel <strong>de</strong> créativité.<br />
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<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 2 d é c e m b r e 2 0 0 8<br />
Port-Grimaud (Provence, France), 11h15.<br />
Nous n’avons plus qu’un seul désir, Fidèle, rentrer nous reposer quelques<br />
années à Aix-en-Provence !<br />
Un fou calcul, moins ambitieux que les précé<strong>de</strong>nts toutefois, nous hante et<br />
bouillonne en nous comme un trop plein d’aventures. Il nous faut 250 000<br />
euros, 50 pour nous installer, 180 pour tenir cinq ans et 20 pour explorer une<br />
nouvelle idée asiatique. Ce ne sont après tout que dix fois 25000 euros…<br />
Prends-nous pour une folle, si tu le veux, toi qui peut-être penses que nous ne<br />
les méritons pas, que nous <strong>de</strong>vrions simplement épouser le médiocre et nous<br />
contenter <strong>de</strong> peu, d’un travail et d’une stu<strong>de</strong>tte. Excuses-nous cependant car,<br />
après ce que nous vécûmes ces sept <strong>de</strong>rnières années et <strong>de</strong>mie, dont trois à<br />
pattes, sac sur le dos et sans logement fixe, nous considérons cela comme un<br />
minimum. Comment te convaincre ? Que te faut-il donc pour accepter que<br />
non, en effet, ce n’est pas la facilité qui trace notre sillon mais un effort<br />
d’indépendance que nous payons par un lourd tribut <strong>de</strong> lassitu<strong>de</strong> morale et<br />
épuisements physiques.<br />
Depuis que nous quittâmes Aix, mercredi après-midi, où nous étions rendu<br />
pour oliver en famille comme chaque année, nous ne levâmes la tête <strong>de</strong> nos<br />
chausses. Nous gagnâmes d’abord Toulon en car puis Port-Grimaud à pattes<br />
en longeant la côte, oubliant même la pluie, le froid, la faim et nos effets usés,<br />
ne pensant qu’à Aix, ceux laissés là. Nous y restâmes juste assez longtemps<br />
pour renouer avec nos envies, nos passions, nous amoures ; c’est injuste ! Dans<br />
l’ordre universel, nous aurions déjà été récompensé pour notre mérite. Dans<br />
l’ordre <strong>de</strong>s Hommes, il faut l’admettre, nous ne sommes qu’un alien qui attend<br />
trop d’eux.<br />
Il nous reste 7 euros 30, moins la <strong>de</strong>mie <strong>de</strong> Leffe que nous partageons avec<br />
nous-même dans l’espoir qu’un météorite vienne cracher sur le peu <strong>de</strong> volonté<br />
qui nous habite encore.<br />
Nous sommes las, papillonnant avec l’asthénie la plus caractéristique, la<br />
moins noble. Il nous faut <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> et cela crève notre fierté, pour ce qu’il en<br />
reste, si peu là encore.<br />
902
8<br />
7 j a n v i e r 2 0 0 9<br />
Le Tholonet (Provence, France), 23h02.<br />
Ce matin, à notre réveil, une trentaine <strong>de</strong> centimètres <strong>de</strong> neige recouvrait le<br />
pays d’Aix. Depuis dix jours, notre environnement nous annonce un<br />
changement que nous n’attendions plus, signant, il faut le croire, la fin d’une<br />
longue confusion.<br />
Le 29 au soir, nous rencontrâmes sur l’Internet puis en réel un charmant<br />
garçon. Avec lui et <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses amies, nous passâmes une partie <strong>de</strong> la nuit au<br />
Med Boy. Nous l’aurions voulue plus avancée mais avions prévu <strong>de</strong> continuer<br />
notre route vers la côte atlantique et dûmes le quitter, la gorge serrée, sans<br />
nous retourner. Lui <strong>de</strong>vait dormir chez son amie, autrement évi<strong>de</strong>mment<br />
l’aurions-nous accompagné… À la sortie nord <strong>de</strong> la ville, larme à l’œil et l’idée<br />
sombre, nous nous effondrâmes <strong>de</strong>vant une réalité : notre vie <strong>de</strong> vagabond<br />
errant s’achevait là et il nous appartenait, enfin, <strong>de</strong> faire un choix ; notre tribut<br />
semblait payé ! Ce fut donc avec crainte et fatigue que nous joignîmes une<br />
grotte interdite sur la crête <strong>de</strong> Bibémus, quelques kilomètres <strong>de</strong>rrière nous,<br />
pour nous reposer un peu. Il était 7 heures.<br />
Il apparaissait clair alors que nous <strong>de</strong>vions nous établir. Nous pensâmes<br />
pouvoir le faire à Aix même grâce à l’ai<strong>de</strong> financière quasi provi<strong>de</strong>ntielle d’un<br />
mystérieux internaute soi-disant intéressé par notre travail mais, après trois<br />
jours durant lesquels nous élevâmes l’espoir au rang <strong>de</strong> futur, il nous avoua son<br />
infâme duperie par un silence lâche et imbécile. Nous, n’eûmes qu’à baisser les<br />
bras avant <strong>de</strong> nous résoudre à une nouvelle histoire sans fin sur petits et grands<br />
chemins<br />
Puis vint la chance, la <strong>de</strong>rnière. Le 30 janvier (si nous tenons jusque là !),<br />
nous prendrons le TGV pour Bruxelles afin <strong>de</strong> la saisir. Peut-être n’y<br />
trouverons-nous pas la promesse qui nous fait encore avancer mais nous<br />
voulons croire le contraire. Le 30 janvier, nous rencontrerons notre Destin en<br />
la personne d’Alexis, un jeune homme avec lequel nous voyons un avenir<br />
commun, le seul pour être tout à fait franc…<br />
De cette relation exclusive <strong>de</strong>vra sortir un épanouissement auquel nous<br />
avons droit tous <strong>de</strong>ux. Nous sommes déterminé à tout partager avec lui, sans<br />
concession, abandonnant ces rêves auxquels nous sommes le seul à croire.<br />
903
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Sera-ce une simple perte honorifique ou la fin <strong>de</strong> notre parcours ? Un risque, le<br />
<strong>de</strong>rnier là encore, que nous voulons prendre ! Nous misons la can<strong>de</strong>ur qu’il<br />
nous reste, celle que nous préservions dans nos tréfonds à l’abri du cynique<br />
inquisiteur que nous pouvons être. Le 30 janvier sera la date <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>rnier<br />
envol. Que les muses chantent et les astres dansent sa réussite !<br />
904
I n t e r l u d e : J u s t i n e
Interlu<strong>de</strong> : Justine<br />
La Chaise-Dieu (Auvergne, France), 17 août 2008.<br />
Ces <strong>de</strong>rnières semaines, nous avions castré notre esprit critique par respect<br />
pour les frères <strong>de</strong> Saint-Jean que nous accompagnons dans diverses entreprises<br />
<strong>de</strong>puis maintenant onze mois en Auvergne, en Corse ou en Armorique.<br />
Réflexion faite, il serait injuste, cher Fidèle qui suces notre verve avec belle<br />
perversion, <strong>de</strong> te cacher nos profon<strong>de</strong>urs. Ce récit restera anecdotique, à<br />
l’image <strong>de</strong>s religions monothéistes dans l’histoire <strong>de</strong> l’humanité, mais souvienst’en<br />
comme un cri <strong>de</strong> guerre, un cantique en l’honneur d’un dieu minable et<br />
déchu car mis à nu, une parodie <strong>de</strong> gloire, un <strong>de</strong> ces potentats obséquieux et<br />
obèses d’immondices. C’est donc en vérité et sans haine, car il t’appartient <strong>de</strong><br />
mettre le ton, que nous écrivons.<br />
Après ce récit, nous aurons certainement perdu ceux que nous<br />
considérions comme <strong>de</strong>s amis mais qui nous déçurent, tellement, par leur<br />
comportement parfois lâche, souvent faux et hypocrite.<br />
Ce soir fut la goutte <strong>de</strong> gin qui fit débor<strong>de</strong>r notre cocktail, comme s’il nous<br />
fallait accumuler autant <strong>de</strong> bêtise, prendre sur nous, pour exploser d’un<br />
retentissant éclat.<br />
Lorsque nous arrivâmes à la Chaise-Dieu le 20 septembre 2007, nous ne<br />
pensions pas y séjourner aussi longtemps.<br />
C’était un bel après-midi. Nous avions passé la nuit <strong>de</strong>hors à Mayres, sous<br />
le col <strong>de</strong> la Chava<strong>de</strong> en Ardèche, et voulions rejoindre l’autoroute pour<br />
Clermont-Ferrand à Briou<strong>de</strong>. En chemin, la charmante fille qui nous avait pris<br />
en stop au Puy-en-Velay nous dit qu’une communauté monastique vivait à la<br />
Chaise-Dieu et nous lui <strong>de</strong>mandâmes <strong>de</strong> nous y déposer.<br />
Sur la place <strong>de</strong> l’Écho, nous trouvâmes le prieuré Sainte-Marie, gran<strong>de</strong><br />
bâtisse où les frères <strong>de</strong> Saint-Jean avaient établi <strong>de</strong>meure en 1984 à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> l’évêque du Puy.<br />
C’est le frère Alain-François qui nous accueillit. Nous lui proposâmes notre<br />
ai<strong>de</strong> en cuisine ou au jardin contre une nuit ou <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> repos chez eux. Il<br />
accepta et nous fûmes installé à l’hôtellerie. Il nous parla également <strong>de</strong><br />
l’ouverture “prochaine” d’une école <strong>de</strong> vie où <strong>de</strong>s laïcs, en association avec les<br />
frères, voulaient enseigner, dans un cadre spirituel, la taille <strong>de</strong> pierre à <strong>de</strong>s<br />
907
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
jeunes. Il nous <strong>de</strong>manda si cela pouvait nous intéresser. Un autre jeune,<br />
Thibault, <strong>de</strong>vait même arriver dans la soirée pour vivre cette expérience. En<br />
d’autres termes, nous tombions à pic !<br />
Il nous fallait cependant réfléchir ; nous n’étions après tout pas catholique<br />
pour un sou et condamnions fermement toute forme <strong>de</strong> dogme.<br />
C’est le frère Jean-Theotokos, membre <strong>de</strong> Saint-Jean <strong>de</strong>s Quatre<br />
Couronnés, ladite association, avec lequel nous nous promenâmes ensuite,<br />
bucolique, qui nous expliqua plus en détail. Le foyer <strong>de</strong>vant accueillir l’école <strong>de</strong><br />
vie n’était pas encore acheté. La maison était connue mais il fallait attendre<br />
pour la signature. De plus, <strong>de</strong> nombreux travaux étaient à prévoir pour son<br />
aménagement. Cependant avaient-ils tous bon espoir d’ouvrir trois mois plus<br />
tard…<br />
De notre côté, nous avions grand besoin <strong>de</strong> repos après six années <strong>de</strong><br />
tribulations dans le mon<strong>de</strong> et, autant te l’avouer, en avions marre <strong>de</strong> marcher.<br />
Par <strong>de</strong>ssus-tout, l’occasion était trop belle : nous avions quelque chose à faire<br />
là, notre ai<strong>de</strong> à apporter. Nous ne serions, tu t’en doutes, jamais resté<br />
autrement.<br />
Ainsi acceptâmes-nous sa proposition et fûmes-nous intégré dans ce<br />
prieuré.<br />
Au début, tout se passa bien, il est vrai.<br />
Nous commençâmes avec Thibault par travailler au jardin puis dans la salle<br />
Saint-Jean, vieille pièce décrépie du prieuré, que nous restaurâmes à la chaux<br />
non sans une fierté certaine.<br />
Nous sympathisâmes naturellement avec les sept frères présents : Michel-<br />
Marie, Paul, Nicolas, Jean-<strong>Louis</strong>-Marie, Jean-Theotokos, Médéric et Alain-<br />
François. C’est avec Jean-<strong>Louis</strong>-Marie que nous trouvâmes le plus d’affinités<br />
car il s’occupait activement <strong>de</strong> l’aumônerie, que son esprit était porté sur la<br />
jeunesse et qu’il n’avait que la trentaine. Cependant rien d’autre en lui ne nous<br />
intéressait-il.<br />
Nous n’aurions jamais dû être si familier avec eux, jamais !<br />
Le 14 octobre, alors que nous revenions d’un après-midi en forêt où nous<br />
avions ramassé quelques champignons, le frère Jean-<strong>Louis</strong>-Marie avait épinglé<br />
908
Interlu<strong>de</strong> : Justine<br />
sur notre porte une longue lettre dans laquelle il nous déclarait son amour.<br />
Nous fûmes amusé : un mot doux <strong>de</strong> la part d’un moine, putain ! Quelle<br />
histoire ! Une <strong>de</strong> plus, certes…<br />
Nous pensions pouvoir dans ce lieu dit saint oublier quelque temps notre<br />
belle condition d’homo attirant mais nous nous trompions, assurément, et il<br />
fallut répondre à ce billet clan<strong>de</strong>stin, dégoulinant d’hypocrisie, avec jésuitique<br />
diplomatie.<br />
Il décida ensuite <strong>de</strong> nous couvrir <strong>de</strong> présents (cigarillos, vêtements, sorties,<br />
etc.). Il essaya tout mais nous, imperturbable, concurrencions la plus noble <strong>de</strong>s<br />
statues grecques. Il réitéra avec une secon<strong>de</strong> lettre, plus explicite, moins d’une<br />
semaine après, sans considération pour notre sage refus. Nous ne voulions<br />
PAS l’aimer ! Il ne nous attirait pas et nous trouvions cela obscène. Nous<br />
l’avions pratiquement engueulé un soir, dans un pub d’Ambert, pour son<br />
insistance. C’était clair pour nous, lui avait du mal à l’accepter.<br />
Le 31, nous <strong>de</strong>vions <strong>de</strong>scendre dans les Basses-Alpes pour visiter nos<br />
parents puis en Provence pour oliver chez MJD, aux pieds <strong>de</strong> la Sainte-<br />
Victoire. Nous imaginions qu’une vingtaine <strong>de</strong> jours calmerait ses ar<strong>de</strong>urs mais<br />
il décida <strong>de</strong> nous conduire.<br />
Chez nos parents, au château, il n’eut aucune chance <strong>de</strong> nous coincer,<br />
heureusement. Il repartit d’ailleurs après le dîner, refusant l’invitation à rester<br />
dormir que notre mère lui avait faite.<br />
Mais, Fidèle, si les chrétiens sont carnés, inusables, épuisants enfin, les<br />
religieux sont aussi calculateurs.<br />
Il revint à la charge le 18 novembre, au Tholonet cette fois-ci, chez MJD<br />
où nous logions pendant les oliva<strong>de</strong>s, pour “gentiment” nous reconduire à la<br />
Chaise-Dieu le len<strong>de</strong>main. Très bien ! Puisqu’il le voulait, nous lui montrâmes<br />
une partie <strong>de</strong> cette vie qui l’attirait tant.<br />
Pour commencer, nous l’emmenâmes dîner du canard et un excellent<br />
Gaillac chez Jacquou le Croquant dans le centre-ville aixois. Ensuite (car il<br />
suivait, le bougre !), nous lui fîmes découvrir le Med Boy. Imagine, Fidèle,<br />
l’effet que fit le frère en robe aux habitués <strong>de</strong> ce petit bar gay… Pour conclure,<br />
même si nous savions que le dimanche la musique y était pourrie, nous<br />
suggérâmes le New Cancan, boîte <strong>de</strong> nuit homosexuelle historique <strong>de</strong><br />
909
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Marseille. Là toutefois quitta-t-il son habit pour un pantacourt blanc.<br />
À 5h15, nous étions <strong>de</strong> retour chez MJD. À 17h35, nous dînions chez<br />
Monique et Francis, <strong>de</strong>ux paroissiens près <strong>de</strong> la Chaise-Dieu, comme si <strong>de</strong> rien<br />
n’était. Et, <strong>de</strong> fait, rien n’était pour nous ! Va donc savoir, Fidèle, quelle<br />
conclusion pouvait bien trotter dans la tête <strong>de</strong> ce religieux impie…<br />
Quelques jours après, Thibault annonçait qu’il ne souhaitait pas continuer<br />
l’aventure. Nous, ne re<strong>de</strong>scendîmes dans les Basses-Alpes, en Provence et en<br />
Ardèche que pour les fêtes <strong>de</strong> fin d’année.<br />
En janvier, la maison avait été achetée et nous pûmes y commencer les<br />
travaux. Ne parlons pas <strong>de</strong> la désorganisation et <strong>de</strong>s gâchis opérés lors <strong>de</strong> cette<br />
réfection car naturellement serait-ce trop long. Ajoutons seulement que nous<br />
nous rendîmes compte cette année qu’il était très facile <strong>de</strong> gaspiller pour un<br />
ordre mendiant qui recevait beaucoup. Souvent eûmes-nous cette réflexion :<br />
« Communauté Saint-Jean, benjamine pourrie gâtée <strong>de</strong> l’Église », mais il en va<br />
<strong>de</strong> même pour tous les ordres en fait, avec plus ou moins d’exagération.<br />
Passons, tous prochainement partiront d’eux-mêmes !<br />
Jusque fin mai, nous travaillâmes six heures par jour à la maison <strong>de</strong>s Quatre<br />
Couronnés, souvent seul, comme pour la salle Saint-Jean, d’ailleurs. Nous<br />
logions et mangions au prieuré mais, tombé par hasard sur une feuille <strong>de</strong><br />
compte, nous apprîmes que l’association lui remboursait notre train <strong>de</strong> vie. Elle<br />
nous gratifiait également d’une vingtaine d’euros par semaine, nous qui ne<br />
<strong>de</strong>mandions rien mais qui fûmes bien heureux, toutefois, <strong>de</strong> les recevoir.<br />
Le 18 mai, nous accompagnâmes les frères Jean-Theotokos et Jeand’Ephèse<br />
dans leur magnifique couvent <strong>de</strong> Corbara, en Corse. Là, nous<br />
aidâmes, une douzaine <strong>de</strong> jours, à la réfection d’une aile qui avait brûlé <strong>de</strong>s<br />
années plus tôt. Nous passâmes un bon moment, il est vrai, mais le méritâmes<br />
par notre travail, massacré par le frère Jean-d’Ephèse qui, probablement shooté<br />
avec trop <strong>de</strong> ses antidépresseurs, neuroleptiques ou anxiolytiques (quelle<br />
importance à ce sta<strong>de</strong> ?), était incapable <strong>de</strong> correctement vernir une porte sans<br />
la bien tacher.<br />
Du 31 mai au 10 juillet, nous les quittâmes pour nous promener entre<br />
Écosse, France et Suisse et ne retrouvâmes la Chaise-Dieu que pour assister au<br />
910
Interlu<strong>de</strong> : Justine<br />
spectacle du frère Jean-<strong>Louis</strong>-Marie. Finalement, le soir <strong>de</strong> notre arrivée eut<br />
lieu la première générale et, n’ayant personne pour s’occuper <strong>de</strong> la musique, il<br />
nous <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>. Nous acceptâmes, non par envie mais par <strong>de</strong>voir.<br />
Nous ne lui <strong>de</strong>vions rien, ne te méprends pas, Fidèle, mais dans notre<br />
philosophie, ce qui est à faire doit être fait. Nous étions disponible, point.<br />
Du point <strong>de</strong> vue technique, le spectacle étant orchestré uniquement par <strong>de</strong>s<br />
amateurs bénévoles, le résultat fut plus que convaincant et l’expérience<br />
humaine inoubliable. Nous éviterons donc tout commentaire malvenu sinon<br />
celui-ci : spectacle chrétien = spectacle naïf.<br />
Nous avions accepté, <strong>de</strong> longue date, d’accompagner à partir du 15 le frère<br />
Jean-<strong>Louis</strong>-Marie pendant ses vacances en Armorique. Les <strong>de</strong>ux premiers jours<br />
se déroulèrent à merveille mais uniquement grâce à la présence <strong>de</strong> Simon, un<br />
jeune homme rencontré au spectacle que nous <strong>de</strong>vions déposer en chemin à<br />
Tours et qui joua, sans le savoir, le rôle <strong>de</strong> barrière entre le frère et nous-même.<br />
Par ailleurs, nous l’appréciions (comme un ami, précisons !) et son esprit<br />
taquin, joueur, honnête nous permit l’évasion. Hélas ne nous suivit-il pas en<br />
Armorique et, à partir <strong>de</strong> là, les choses se compliquèrent-elles.<br />
Le frère se dévoila au fil <strong>de</strong> ce voyage. Pour marquer le coup, il laissa<br />
tomber sa robe et ne l’enfila qu’à l’occasion, histoire <strong>de</strong> para<strong>de</strong>r <strong>de</strong>vant ses<br />
confrères et les gens qu’il croyait choquer sans elle. Il se révéla piètre<br />
compagnon <strong>de</strong> voyage, sans organisation aucune, sans désir aucun, d’ailleurs.<br />
Enfin, aucun désir ? Non ! Un seul, à notre égard !<br />
À l’abbaye Sainte-Anne-<strong>de</strong>-Kergonan, nous avions <strong>de</strong>ux chambres<br />
séparées. Chez ses amis <strong>de</strong> Locunolé, à la maison diocésaine <strong>de</strong> Vannes ou à<br />
Sainte-Anne-d’Auray, nous avions chacun notre lit.<br />
Le soir d’avant la messe du Grand Pardon <strong>de</strong> Sainte-Anne, il voulut<br />
néanmoins dormir à l’hôtel. Nous venions d’être viré <strong>de</strong> chez ses amis, à juste<br />
titre, car il ne vivait pas au même rythme qu’eux ; en partant, sur la route<br />
mouillée, alors que nous avions plaisanté toute la semaine sur sa façon<br />
déplorable <strong>de</strong> tenir un volant, cela ne manqua pas et il leur rentra dans le cul,<br />
retardant ainsi notre départ pour le constat et tout ce qui en découlait ; bref, la<br />
journée avait été longue et il s’oublia quel que peu. Après un bon repas dans<br />
une pizzeria, quelques kilomètres avant la cité sanctifiée par la crédulité<br />
911
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
populaire, nous allâmes avec lui dans une boite <strong>de</strong> mer<strong>de</strong>, toute proche : le<br />
Transat. L’ambiance ressemblait, Fidèle, à celle <strong>de</strong> l’hôtel Panorama à Safi<br />
(Maroc) : la même musique <strong>de</strong> débiles, les mêmes soûlards, les mêmes bagarres<br />
pour regards <strong>de</strong> travers. Ce fut une soirée mémorable par son pathétisme,<br />
vraiment !<br />
Nous bûmes donc, le frère également, trop. Nous commencions <strong>de</strong> le<br />
sentir fébrile sur ses cannes et forçâmes notre retour à l’hôtel, lui aussi tout<br />
proche. Bien qu’il prétendit le contraire, il était bien imbibé tout <strong>de</strong> même,<br />
mais bien luci<strong>de</strong> aussi. Cependant prîmes-nous le volant (pas folle la guêpe !).<br />
Dans la chambre, un grand lit <strong>de</strong>ux places et un canapé. Nous avions le<br />
canapé, évi<strong>de</strong>mment. Il était hors <strong>de</strong> question <strong>de</strong> partager quoi que ce fût<br />
d’intime avec lui. Le frère ne l’entendait pas <strong>de</strong> la même oreille. Au sortir <strong>de</strong><br />
notre douche, il suivit notre exemple, en prit une et retourna se coucher. La<br />
lumière fut éteinte, nous pensions être enfin tranquille.<br />
JEAN-LOUIS-MARIE . <strong>Florimon</strong>, tu dois pas être bien là, sur le canapé. Il y a assez<br />
<strong>de</strong> place dans le lit, tu sais.<br />
NOUS (sentant la chose venir) . Non, merci ! Je suis très bien ici. Bonne nuit !<br />
Il insista, lour<strong>de</strong>ment.<br />
JEAN-LOUIS-MARIE . <strong>Florimon</strong>, viens dormir avec moi. Je t’assure que je suis pas<br />
saoule. J’ai envie que tu dormes avec moi !<br />
NOUS . Écoute, Jean-<strong>Louis</strong>-Marie, j’ai été clair déjà, n’est-ce pas ? On ne PEUT<br />
PAS être homo et vivre une vie d’homo tout en étant diacre et moine. Je ne<br />
VEUX PAS dormir avec toi. Laisse-moi, s’il te plaît, tu m’énerves !<br />
Il insista encore quelquefois malgré nos « Non !! » catégoriques puis, lâche,<br />
s’excusa.<br />
JEAN-LOUIS-MARIE . <strong>Florimon</strong>, tu gar<strong>de</strong>s ça pour toi, steuplé ? Tu en parles à<br />
personne, hein ?<br />
912
NOUS . Parler <strong>de</strong> quoi… ? Bonne nuit !<br />
Interlu<strong>de</strong> : Justine<br />
JEAN-LOUIS-MARIE . Merci. Bonne nuit, <strong>Florimon</strong> !<br />
Car, comble <strong>de</strong> l’horreur pour nous, il n’assumait rien : <strong>de</strong>s clopes qu’il<br />
fumait, <strong>de</strong> l’alcool qu’il buvait, <strong>de</strong>s plans cul ou cam qu’il se cherchait sur<br />
l’Internet, personne évi<strong>de</strong>mment n’était au courant. Pour la majorité, il était le<br />
sage, le pieux Jean-<strong>Louis</strong>-Marie, pas parfait mais en chemin. Pour d’autres<br />
encore, <strong>de</strong>ux paroissiens adorables mais trompés, il était le fils adoptif<br />
prodigue, le Petit Protégé.<br />
Ceci n’est pas un pamphlet atrabilaire contre ce frère en particulier, dont<br />
d’ailleurs nous nous foutons éperdument. Il ne nous sert que d’exemple parmi<br />
d’autres.<br />
Ceci se veut être en revanche le miroir très exact <strong>de</strong> ce que sont les<br />
catholiques convaincus regroupés dans <strong>de</strong> telles communautés : <strong>de</strong> vieux<br />
garçons frustrés, faux, hypocrites, prosélytes (même s’ils préten<strong>de</strong>nt le<br />
contraire), apocryphes, sectaires et lâches.<br />
Il n’est que trop facile d’expliquer la vie quand on s’enferme <strong>de</strong>rrière quatre<br />
murailles <strong>de</strong> pseudo sainteté. Il n’est que trop facile, Messieurs les clercs, <strong>de</strong><br />
prodiguer votre bonne parole à qui est assez ignorant pour l’entendre sans<br />
vous-même l’écouter. Il n’est que trop facile <strong>de</strong> vous vêtir d’un habit<br />
volontairement sobre qui cache une ventripotente médiocrité.<br />
Oui, Messieurs les religieux, vous savez <strong>de</strong> quoi nous parlons ! Combien <strong>de</strong><br />
conversations sur la sagesse, la philosophie, la vie avons-nous entendues ces<br />
onze <strong>de</strong>rniers mois ? Combien vous-mêmes êtes trop prompts à en parler,<br />
vous qui plus que les autres <strong>de</strong>vraient fermer votre gueule <strong>de</strong> prédicateurs<br />
foncièrement malhonnêtes et obscures ?<br />
Tu dois te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, Fidèle, pourquoi nous écrivons ceci cette nuit. Avonsnous<br />
été blessé dans notre orgueil ? Non et il nous indiffère au moins autant<br />
qu’il nous est égal <strong>de</strong> plaire. Nous supportons mal en revanche l’hypocrisie, la<br />
lâcheté, le manque d’éducation et par ce récit entendons-nous répondre à une<br />
gran<strong>de</strong> impolitesse.<br />
Nous sommes d’un naturel déférent. Jamais n’avons-nous manqué <strong>de</strong><br />
913
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
respect à qui ne nous avait pas trahi avant.<br />
Il n’est <strong>de</strong> meilleur enseignement que la vérité crûment contée, sache-le ! Si<br />
cela ne te plaît pas, c’est qu’au tréfonds <strong>de</strong> toi, tu caches sans doute misère. Ta<br />
sympathie ne suffit pas pour nous être appréciable. Tu dois être également<br />
fiable, honnête, indépendant spirituellement et responsable. Par <strong>de</strong>ssus tout,<br />
Fidèle, assume-toi avec pleine simplicité.<br />
Tu sais que nous trouvons très peu le sommeil la nuit, ou alors est-il allumé<br />
<strong>de</strong> songes macabres que nous ne savons encore bien contrôler. Nous en avions<br />
fait part aux frères dès le début. Ils n’y pouvaient rien, nous n’y pouvions rien<br />
mais suivions tout <strong>de</strong> même le rythme imposé par notre programme accepté<br />
sans trop <strong>de</strong> soucis avec parfois, souvent, <strong>de</strong>s migraines interminables dont<br />
une qui, un samedi soir, après perte d’équilibre et vomissements, nous cloua au<br />
lit le reste du week-end. C’était ainsi, nous avions fait le choix <strong>de</strong> rester et<br />
l’assumions.<br />
À notre retour d’Armorique, le 1er août, nous <strong>de</strong>mandâmes au frère Jean-<br />
Theotokos si nous pouvions rester et travailler sur la maison <strong>de</strong>s Quatre<br />
Couronnés jusques à son ouverture le 17 septembre. Il n’y vit aucune objection<br />
et nous récupérâmes, pour un temps et sans ce programme imposé, une<br />
chambre à l’hôtellerie. Nos nuits, nous les passions sur l’Internet à parler avec<br />
<strong>de</strong>s amis, corriger nos textes, faire <strong>de</strong>s recherches, raconter <strong>de</strong>s conneries avec<br />
<strong>de</strong>s mecs <strong>de</strong> passage. Nous tuions le Temps, nous vainquions la Nuit ellemême<br />
pour ne nous coucher qu’une fois le Soleil levé, entre 6 et 9 heures afin<br />
<strong>de</strong> reprendre la journée à midi, déjeuner avec les frères à 13 heures et bosser à<br />
la maison <strong>de</strong>s Quatre Couronnés <strong>de</strong> 14 à 18 heures, parfois plus tard. Était-ce<br />
malhonnête ? Ce rythme nous convenait. Nous siestions trois autres heures <strong>de</strong><br />
19 à 22 heures et recommencions. Qui cela pouvait-il objectivement déranger ?<br />
De plus, nous mangeons peu ces temps-ci, afin <strong>de</strong> préparer notre estomac<br />
aux prochains mois <strong>de</strong> vagabondage. À 13 heures, nous touchons à l’entrée,<br />
peut-être au <strong>de</strong>ssert (fruit) et sommes inscrit absent aux repas du soir jusques à<br />
la fin <strong>de</strong> notre séjour. Ce n’est donc pas que nous coûtions cher à cette<br />
communauté pour qui, rappelons-le au risque <strong>de</strong> passer pour sénile, nous<br />
travaillons bénévolement <strong>de</strong>puis onze mois. Du bruit ? Nous n’en faisions<br />
aucun la nuit. Alors quoi ? Et bien voici :<br />
914
Interlu<strong>de</strong> : Justine<br />
Ce soir, le père Michel-Marie, en sa qualité <strong>de</strong> prieur, et le frère Jean-<br />
Theotokos, en sa qualité <strong>de</strong>… <strong>de</strong> quoi d’ailleurs ? nous prîmes en sandwich<br />
pour nous dire que « certains frères » étaient « psychologiquement perturbés »<br />
<strong>de</strong> savoir que nous passions nos nuits sur l’ordinateur. Ils nous reprochèrent <strong>de</strong><br />
ne pas suivre le rythme du prieuré. Nous n’étions enfin pas dans un club <strong>de</strong><br />
vacances, etc, etc, etc. Un club <strong>de</strong> vacances ? Non ! Un camp <strong>de</strong> Travail,<br />
Famille, Patrie ? Oui ! Tends-leur la main, Fidèle, ils te prendront le bras !<br />
Putain, mais qui cela pouvait-il bien déranger à la fin ? « Certains frères »…<br />
et rien <strong>de</strong> plus comme explication ; lâches !<br />
Nous voulûmes leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’ils avaient besoin <strong>de</strong> cela pour être<br />
perturbés, si ce n’était pas chez eux naturel mais décidâmes <strong>de</strong> nous taire,<br />
mâchant notre dégoût, pire, notre déception.<br />
Nous n’aurions jamais espéré recueillir quelque reconnaissance <strong>de</strong> leur part<br />
pour cette année à bosser avec eux mais, tout <strong>de</strong> même, un peu <strong>de</strong><br />
considération !<br />
Car le problème est bien là. Nous sommes être incontrôlable, ils n’ont<br />
aucune prise sur nous et le savent. Ils ne pourront jamais nous convertir. Nous<br />
ne sommes, enfin, pas <strong>de</strong> leur mon<strong>de</strong> et à plusieurs reprises nous le firent-ils<br />
bien sentir, ceux à quoi nous répondions : « C’est là toute la différence entre<br />
nous : moi, j’accepte tout le mon<strong>de</strong> ! »<br />
Maintenant que la maison va ouvrir, que <strong>de</strong>s bras neufs vont arriver pour<br />
ai<strong>de</strong>r, que la salle Saint-Jean est presque achevée (si le prieur, avec ses lubies et<br />
influences, ne déci<strong>de</strong> pas sur un coup <strong>de</strong> tête <strong>de</strong> tout modifier à nouveau,<br />
gaspillant ainsi quelques centaines ou milliers d’euros généreusement donnés<br />
par <strong>de</strong> benêts paroissiens), que le site-web “Saint-Jean <strong>de</strong>s Quatre Couronnés”,<br />
sur lequel nous passâmes une nuit et <strong>de</strong> nombreuses heures <strong>de</strong> patience, est en<br />
ligne (à ce propos, aucun problème <strong>de</strong> rythme, n’est-ce pas… ?), maintenant<br />
que tout cela est fait, le bon <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> doit plier ou se tirer ?<br />
La tolérance n’est décidément pas l’apanage <strong>de</strong>s chrétiens. Ils tolèrent ce<br />
qui est proche d’eux, condamnent le reste, ironisent ou passent <strong>de</strong>ssus. Nous<br />
sommes, Fidèle, écœuré !<br />
Parlons désormais <strong>de</strong> l’humilité, cette sacro-sainte vertu tellement louée par<br />
915
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Jésus, et prenons en exemple le père Michel-Marie, prieur, car chez lui est-elle<br />
quasiment inexistante.<br />
D’une intelligence moyenne, peu expérimenté aux choses <strong>de</strong> la vie,<br />
conférencier légèrement soporifique, le moins que nous puissions écrire et que<br />
Michel-Marie a du bagou mais alors <strong>de</strong> ce bagou inutile et répétitif que l’on<br />
laisse couler par politesse. Et nous ne sommes pas le seul à le faire. Tous, oui,<br />
TOUS s’y plient par obéissance.<br />
Il est marrant <strong>de</strong> voir également comme il se fout royalement <strong>de</strong> l’avis <strong>de</strong>s<br />
autres et comme il se plait à le diminuer, lors d’un déjeuner ou en privé.<br />
Nous lui apprîmes un soir quelques co<strong>de</strong>s HTML pour mettre en ligne ses<br />
conférences <strong>de</strong> philosophie “pour tous” mais surtout pour lobotomisés.<br />
Entends par là, Fidèle, que si tu n’es pas d’accord avec lui, c’est que tu<br />
« manques très certainement <strong>de</strong> maturité ». N’est pas prieur <strong>de</strong> Saint-Jean qui<br />
veut, hein… Il s’agissait <strong>de</strong> quelques lignes <strong>de</strong> co<strong>de</strong>s pour <strong>de</strong>ssiner un tableau,<br />
changer <strong>de</strong> paragraphe, configurer une police <strong>de</strong> caractère en CSS, etc. Il n’y<br />
avait rien d’extraordinaire mais cela suffisait pour l’usage qu’il en souhaitait<br />
faire.<br />
Un soir que nous étions dans la salle informatique, la semaine <strong>de</strong>rnière, il<br />
vint exposer fièrement son site au frère Jean-François-Marc monté d’Italie. Ce<br />
<strong>de</strong>rnier fut poliment fasciné alors que le site en lui-même se résumait à une<br />
page blanche, une ligne, un tableau et quelques liens MP3… tout ceci réalisé<br />
avec un éditeur HTML car le père ne comprend pas grand chose à la<br />
programmation en définitive.<br />
Le frère Jean-François-Marc lui <strong>de</strong>manda s’il avait fait cela tout seul. Le<br />
père répondit que oui, avant d’ajouter, car nous étions présent sans doute, que<br />
<strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> lui avait montré comment faire, qu’il était un peu le conseiller<br />
informatique du prieuré.<br />
JEAN-FRANÇOIS-MARC (se retournant vers nous) . C’est vrai, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ? Tu fais<br />
<strong>de</strong> la programmation ?<br />
NOUS . Non, frère, je n’irai pas jusque là mais je sais monter un site-web.<br />
JEAN-FRANÇOIS-MARC (vraiment fasciné, pour le coup) . Ah, c’est très bien ça, bravo !<br />
916
Interlu<strong>de</strong> : Justine<br />
Et le père Michel-Marie, pauvre oublié <strong>de</strong> l’histoire, <strong>de</strong> rajouter.<br />
MICHEL-MARIE . Mais en fait il s’avère que c’est très simple, n’est-ce pas,<br />
<strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> ?<br />
Un sourire suffit, nous l’aurions autrement baffé !<br />
Comment peut-on être <strong>de</strong> si mauvaise foi ? Les frères, nous nous en<br />
rendîmes compte enfin, détestent être dans l’erreur, eux qui croient vivre dans<br />
la Vérité, eux qui se disent investis par l’Esprit Saint…<br />
« Fidèle, il n’est plus humble dans cet univers que MOI ! » Tu peux<br />
imaginer…<br />
Pauvreté, chasteté, tolérance, humilité… Hypocrisie, intérêt, lâcheté,<br />
orgueil, intolérance… la liste est longue !<br />
Nous resterons encore quelques jours ici, à la Chaise-Dieu, afin d’achever<br />
ce qui est commencé à la maison <strong>de</strong>s Quatre Couronnés, par <strong>de</strong>voir envers<br />
l’association.<br />
Nous pardonnons à celles et ceux qui voient <strong>de</strong> la perfidie et <strong>de</strong><br />
l’ingratitu<strong>de</strong> dans ce récit pour n’être que <strong>de</strong> fieffés imbéciles. Nous<br />
pardonnons aux paroissiens, aux membres laïcs <strong>de</strong> l’association, contre qui rien<br />
nous n’avons, car ils ne comprendront pas. Nous les remercions aussi et<br />
pensons avoir été un honnête travailleur dans leur futur foyer. Si nous<br />
vomissons leur côté catho, nous admirons leur volonté d’ai<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s jeunes à s’en<br />
sortir. Nous pardonnons à Jean-<strong>Louis</strong>-Marie car il n’est en effet ni le premier ni<br />
le <strong>de</strong>rnier à vouloir nous sauter. Nous pardonnons aux membres <strong>de</strong> la<br />
communauté pour n’être que <strong>de</strong>s Hommes et avec certains <strong>de</strong>squels nous<br />
aimions converser.<br />
Nous condamnons, enfin, tous les religieux, quels qu’ils soient, pour les<br />
raisons susnommées !<br />
Il est temps, Fidèle, <strong>de</strong> jouer la note <strong>de</strong> l’Esprit. Si tous les Hommes en ont<br />
917
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
un, il n’est pas fait pour adorer, encore moins un dieu présenté par ce genre<br />
d’individus.<br />
Fidèle, entends-nous bien ! Nous ne jugeons pas ces Hommes qui pensent<br />
comme <strong>de</strong>s cons. Nous ne jugeons que la fonction qu’ils se disent représenter.<br />
Hors <strong>de</strong> question par ailleurs d’en faire <strong>de</strong>s martyrs. Les Hommes DOIVENT<br />
comprendre, par eux-mêmes, que sans religion, sans dogme, ils peuvent<br />
s’épanouir dans une vie saine car, éminemment pleine d’erreurs, mais sans<br />
imposture.<br />
Les religieux sont bel et bien <strong>de</strong>s parvenus et, naturellement, c’est toujours<br />
en vérité et sans haine, car il t’appartient <strong>de</strong> mettre le ton, que nous l’écrivons !<br />
918
É p i s o d e I X<br />
.<br />
L e s u l t i m e s v i c i s s i t u d e s d ’ u n n o b l e<br />
v a g a b o n d d é f r o q u é
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
P r o l o g u e<br />
Nous sommes un jeune homo <strong>de</strong> 27 ans, quel que peu désenchanté, pour<br />
qui la vie n’est plus ni un don ni une malédiction mais un état qu’il faut jouir et<br />
partager en conscience. Depuis sept ans et <strong>de</strong>mi, dont trois à pattes et sac sur<br />
le dos, notre parcours chaotique se trace dans un sillon sans para<strong>de</strong> entre<br />
Orient et Occi<strong>de</strong>nt. Nous fûmes étudiant en histoire, assistant administratif<br />
dans une agence <strong>de</strong> voyage en Flori<strong>de</strong> par <strong>de</strong>ux fois, militaire en Lorraine,<br />
infirmier volontaire et professeur d’anglais en Thaïlan<strong>de</strong>, prostitué en Europe,<br />
dans les Antilles, barman au Maroc, vagabond ici et là le reste du temps, etc…<br />
Nous n’accomplîmes pas <strong>de</strong>s merveilles, à proprement parler, mais <strong>de</strong>s exploits<br />
personnels, ça oui ! Nous aspirons à balayer tout cela aujourd’hui. Puisque ces<br />
aventures se résument sur quelques centaines <strong>de</strong> pages noircies et éditées<br />
précé<strong>de</strong>mment, n’en parlons plus.<br />
Toi qui nous connais, tu vas <strong>de</strong>voir changer ta manière <strong>de</strong> nous apprécier<br />
ou fuir, tout simplement, car à compter <strong>de</strong> ces lignes, nous <strong>de</strong>venons un objet<br />
sexuel public ouvert à tous les vices. Tu pourras désormais nous voir en<br />
prendre plein le cul et nous entendre crier sur les scènes les plus gores, te<br />
servir <strong>de</strong> nous, nous soumettre ; nous ne te dirons rien et savourerons ta<br />
lubricité. Il n’y aura pas que cela puisque nous continuerons, plus que jamais,<br />
nos errances énigmatiques.<br />
Tu peux te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment nous en arrivâmes là ; la question est<br />
légitime. Nous considérons, peut-être avec trop <strong>de</strong> morgue, que nous vécûmes<br />
et vîmes tout ce que nous <strong>de</strong>vions vivre et voir. Évi<strong>de</strong>mment cette constatation<br />
ne s’applique-t-elle pas aux plaisirs <strong>de</strong> la chair qui, eux, sont innombrables.<br />
Non ! Nous avons le sentiment d’avoir accompli notre <strong>de</strong>voir, d’avoir payé<br />
notre tribut, non pas à la société, mais à nous-même. Aussi pouvons-nous nous<br />
reposer et attendre la fin. Nous sommes trop lâche pour tenter une solution<br />
plus expéditive, trop fauché pour sortir <strong>de</strong> notre état vagabond et nous retirer<br />
sur une île tout confort, trop fier pour nous contenter d’une vie <strong>de</strong> pleutre,<br />
rassemblant emploi, famille et normalité admise pour seul bagage. Non<br />
encore ! Cela n’est pas pour nous. C’est donc dans la débauche que nous<br />
décidons d’à nouveau nous complaire. C’est navrant, nous nous en rendons<br />
compte, mais c’est la seule idée que nous trouvâmes pour nous distraire ; en<br />
921
voici le récit.<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
922
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 4 j a n v i e r 2 0 0 9<br />
Le Tholonet (Provence, France), 15h23.<br />
Lundi 12, nous fîmes <strong>de</strong>s analyses sérologiques complètes au CIDAG 1<br />
d’Aix-en-Provence alors que nous espérions encore nous caser avec un garçon<br />
à Bruxelles dix-huit jours plus tard. Les résultats, obtenus jeudi <strong>de</strong>rnier, nous<br />
rendirent négatif. Tout s’annonçait donc parfait pour un nouvel établissement,<br />
à cela prêt qu’Alexis, le garçon en question, n’était pas aussi fiable que nous<br />
voulions le croire. Sans nouvelle <strong>de</strong> lui, nous laissâmes tomber l’affaire pour<br />
nous pleinement consacrer au sujet <strong>de</strong> ce carnet, ne nous arrêtant plus sur telle<br />
désillusion. En revanche, désormais sain <strong>de</strong> cul, <strong>de</strong> queue et <strong>de</strong> bouche, il aurait<br />
été idiot <strong>de</strong> ne pas en faire profiter quelqu’un. Ainsi, <strong>de</strong>main, c’est à Marseille<br />
que nous nous ferons démonter, toute une journée durant (nuit incluse), par<br />
Rodolphe, un beau garçon <strong>de</strong> 25 ans. Ce sera chaud mais soft ; le fist n’étant<br />
pas son truc, nous <strong>de</strong>vrons chercher ailleurs un membre expérimenté pour<br />
nous élargir le trou afin <strong>de</strong> le préparer aux semaines, au mois <strong>de</strong> défonce à<br />
venir…<br />
Nous le rencontrâmes la nuit <strong>de</strong>rnière sur le tchat (peu fiable) <strong>de</strong> guy.fr.<br />
Monté 18x5, il <strong>de</strong>vra user d’endurance et nous inon<strong>de</strong>r à plusieurs reprises<br />
pour nous contenter. Nous lui faisons confiance puis, pendant qu’il reprendra<br />
souffle et envies, nous l’enculerons à notre tour, bareback, avant <strong>de</strong> récupérer<br />
notre foutre, craché par et dévalant la courbe <strong>de</strong> son cul. Nous sommes sûr<br />
qu’il appréciera l’effet. Quel homo d’ailleurs, en toute honnêteté, n’aime pas<br />
sinon le goût, au moins l’idée ?<br />
Pour nous préparer à telle partie, nous avons notre métho<strong>de</strong>. Tout d’abord,<br />
nous mangeons peu et buvons beaucoup d’eau. Il serait dommage <strong>de</strong> salir sa<br />
queue en plein effort, n’est-ce pas ? Puis les pratiques scatologiques ne sontelles<br />
pas nôtres, pour le moment… Ensuite, dès que nous en avons l’occasion,<br />
nous nous massons l’anus et son canal avec <strong>de</strong> la graisse à traire au monoï,<br />
parfum <strong>de</strong>s îles, bergamote, coco ou vanille selon l’humeur. Enfin, et cela<br />
1 . Les CIDAG sont les Centres d’Information et <strong>de</strong> Dépistage Anonyme et Gratuit pour les<br />
infections sexuellement transmissibles. Ils sont financés par le Conseil Général.<br />
923
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> retenue, nous évitons <strong>de</strong> bêtement nous branler car<br />
nous escomptons aussi le bien bourrer !<br />
Cela nous fait penser à une chose importante à propos <strong>de</strong> la masturbation.<br />
Il n’y a rien <strong>de</strong> pire pour nous qu’un mec qui se branle et laisse échapper sa<br />
libido dans ses doigts en même temps que le foutre qui s’écoule <strong>de</strong> son gland<br />
rougi par la secousse. Si après cela il n’est pas capable <strong>de</strong> les porter à la bouche<br />
ou se les planter dans le cul pour recommencer <strong>de</strong> plus belle, si après cela il est<br />
mou, n’a plus envie <strong>de</strong> rien, ce mec ne nous intéresse pas. Il ne mérite d’ailleurs<br />
aucune attention sinon celle <strong>de</strong> sa main, droite ou gauche, puisque agissant<br />
ainsi il ne fait que mettre en évi<strong>de</strong>nce le peu <strong>de</strong> constance et <strong>de</strong> volonté qui<br />
habite son esprit !<br />
Et bien, passons… Il est temps <strong>de</strong> nous lubrifier un peu.<br />
924
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 5 j a n v i e r 2 0 0 9<br />
Le Tholonet (Provence, France), 00h20.<br />
Nous nous ennuyions ferme hier après-midi au Tholonet, la pluie<br />
incessante décourageant toute espèce d’enthousiasme à travailler dans la<br />
colline. Nous prîmes donc le bus pour le centre-ville d’Aix avec dans l’idée <strong>de</strong><br />
perdre quelques heures <strong>de</strong> notre temps <strong>de</strong>vant un écran du cybercafé. Nous<br />
n’avions rien prévu d’autre et pensions rentrer au plus tard vers 22 heures.<br />
Hélas, ou plutôt “Ô joie !!”, Benjamin, un skinhead <strong>de</strong> 31 ans avec qui nous<br />
avions pris contact sur recon.com, nous avait répondu qu’il était intéressé par<br />
notre profil et qu’il pouvait nous recevoir à loisir, sur Aix même. Nous fûmes<br />
sur le moment pris entre <strong>de</strong>ux flammes <strong>de</strong> désir : la première nous rappelait<br />
que nous <strong>de</strong>vions rester frais et disponible pour notre partie avec Rodolphe le<br />
len<strong>de</strong>main et la secon<strong>de</strong> brûlait d’envie entre nos jolies fesses. Nous ne<br />
pouvions donc succomber à cette tentation, nous aurions trahi notre parole<br />
envers Rodolphe, et envers nous-même aussi, mais la proposition était trop<br />
belle pour la décliner d’un simple revers. Ainsi décidâmes-nous avec Benjamin<br />
qu’il pouvait dans un premier temps nous faire découvrir le plaisir d’enfoncer<br />
notre main dans son cul, sans aller plus loin. Par ailleurs avions-nous gran<strong>de</strong><br />
envie <strong>de</strong> pisser et lui avait-il soif !<br />
À 20 heures, il nous récupéra donc sur l’avenue Pasteur et nous conduisit<br />
chez lui. Pour nous mettre en branle, son LCD diffusait <strong>de</strong> très lubrifiées<br />
pénétrations extrêmes. Il nous montra également sur son ordinateur quelques<br />
unes <strong>de</strong>s parties qu’il organisait avec ses potes. Sous notre pantalon, notre<br />
queue voulait craquer un ou <strong>de</strong>ux boutons pour se vi<strong>de</strong>r dans le fond <strong>de</strong> sa<br />
gorge mais nous attendîmes encore. Il ne fallait en effet pas précipiter les<br />
événements ; nous avions toute la soirée pour jouer.<br />
Comme prévu, il commença par nous vidanger. Nous en avions besoin :<br />
nous nous étions retenu pendant plus d’une heure pour ce moment. Puis, armé<br />
d’une paire <strong>de</strong> gants noirs, <strong>de</strong> graisse, <strong>de</strong> lubrifiant et d’une seringue, nous<br />
partîmes à l’assaut <strong>de</strong> son trou habitué. Nous ne saurons décrire avec précision<br />
le sentiment que nous apporta la vue <strong>de</strong> ce cul dilaté après plusieurs minutes <strong>de</strong><br />
jeu. C’était… remarquable ! Habillé d’un simple cockring, nous nous aperçûmes<br />
que nous ne bandions qu’une fois les <strong>de</strong>ux mains plongées dans l’orifice,<br />
925
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
lorsque Benjamin râlait sa jouissance. C’était donc un sentiment <strong>de</strong><br />
domination, en apparence seulement car il était le seul, oui le seul, à possé<strong>de</strong>r<br />
tous les pouvoirs. Il captivait nos sens, nous étions impuissant, comme<br />
prisonnier <strong>de</strong> son plaisir. Nous DEVIONS être à sa place, être celui que l’on<br />
comble, pour atteindre le sommet. Ce soir pourtant était-ce sa fête à lui. Mardi<br />
prochain, ce sera la nôtre. Quelle attente insoutenable !<br />
Benjamin répandit son foutre par trois fois. De notre côté, nous n’en<br />
pouvions plus. Nous voulions vraiment attendre le len<strong>de</strong>main pour tirer en<br />
Rodolphe une bonne salve mais la passion fut plus forte. Nous enfonçâmes<br />
donc notre queue au fond <strong>de</strong> sa gorge et la tapissâmes <strong>de</strong> blanc en une minute.<br />
Quelle soirée !<br />
Shooté au poppers et au cannabis, il nous reconduisit sur le Tholonet,<br />
promettant <strong>de</strong> nous tenir au jus pour mardi. Demain, nous essayerons <strong>de</strong><br />
gagner Marseille avant midi afin <strong>de</strong> profiter le plus longtemps possible <strong>de</strong><br />
Rodolphe.<br />
Devons-nous d’ores et déjà remercier Alexis <strong>de</strong> n’avoir pas tenu sa<br />
promesse ? Il semblerait…<br />
Aix-en-Provence (France), 11h09.<br />
« Prends pas le train, je suis bloqué à Toulon, te tiens o courant. »<br />
Et bien, nous qui pensions nous faire pilonner durant les prochaines vingtquatre<br />
heures, c’est raté ! Quoi qu’il en soit, notre billet pour Marseille était<br />
déjà composté lorsque nous reçûmes ce SMS <strong>de</strong> Rodolphe. Nous passerons<br />
donc quand même la journée dans la cité phocéenne ; il nous gagnera peut-être<br />
avant la nuit.<br />
TER … pour Aix-en-Provence (France), 20h36.<br />
Aucune nouvelle <strong>de</strong> Rodolphe <strong>de</strong>puis son <strong>de</strong>rnier SMS. Ce garçon manque<br />
décidément d’éducation ! Passons, il en coulera d’autres cette semaine.<br />
Nous passâmes donc l’après-midi dans un cybercafé / taxiphone / boite <strong>de</strong><br />
shiratte interculturelle du IIème arrondissement. Nous en profitâmes pour<br />
926
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
prendre <strong>de</strong> nouveaux contacts ici et là. C’est fou le nombre d’affamés <strong>de</strong> la bite<br />
que l’on peut trouver sur l’Internet ! Nous nous inscrivons en premier sur la<br />
liste, naturellement.<br />
Parmi tout ce beau mon<strong>de</strong> dépravé, nous espérons bien trouver notre<br />
compte. Nous en profiterons, dès vendredi en capitale, pour remplir notre<br />
bourse avec <strong>de</strong> colorés papiers rectangulaires au doux bruit <strong>de</strong> confort. Oui, il<br />
est vrai que nous nous étions ailleurs promis <strong>de</strong> ne pas replonger là-<strong>de</strong>dans<br />
mais – mer<strong>de</strong> ! – cela est plus fort que nous et nous excite !<br />
Nous avons faim et soif ; il nous faut quelque chose à nous mettre sous la<br />
<strong>de</strong>nt, à défaut d’avoir eu <strong>de</strong> quoi nous remplir le cul.<br />
927
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 7 j a n v i e r 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 20h14.<br />
Notre cul se gèle sur une murette en pierre en attendant Benjamin. Il aura<br />
intérêt à le bien réchauffer avant notre second cours <strong>de</strong> fist. Nous ne tenons<br />
plus, l’excitation nous donne envie <strong>de</strong> pisser ; vite !<br />
928
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 8 j a n v i e r 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 5h29.<br />
Putain que c’est bon ; cela faisait quelques mois que nous n’avions ainsi<br />
pétillé ! Même si nous l’espérions, nous ne pensions pas qu’un poing dans le<br />
cul, semi allongé sur un futon suédois, allait être aussi bon.<br />
Benjamin nous récupéra en haut <strong>de</strong> la gare routière à 20h20. Cette fois-ci,<br />
nous n’étions pas pris par le temps car nous avions prévu <strong>de</strong> coucher chez lui.<br />
Il rentrait du boulot et eut besoin d’une petite heure pour décompresser avant<br />
d’enfiler ses paraboots vingt trous et débuter la partie.<br />
Nous étions censé jouer soumis – nous ne le sommes jamais vraiment… –<br />
mais, sa queue dans notre bouche, nous ne pûmes nous empêcher d’être plus<br />
entreprenant. Son cul fisté <strong>de</strong>ux nuits plus tôt, à quelques centimètres <strong>de</strong> notre<br />
langue, nous donnait envie. Nous le retournâmes donc pour le bien mouiller<br />
avant <strong>de</strong> le fourrer, bareback, sans mal évi<strong>de</strong>mment. Le but n’était pas <strong>de</strong> jouir,<br />
seulement <strong>de</strong> l’enfoncer pour le mieux lécher ensuite. Ce fut un beau<br />
préambule !<br />
Notre petit délire satisfait, il passa aux choses sérieuses, prépara le futon, le<br />
protégea avec quelques serviettes pour ne le pas salir, nous nous installâmes<br />
<strong>de</strong>ssus à notre aise et la session débuta.<br />
C’était pour nous une véritable première. Nous nous amusions déjà seul<br />
avec notre main <strong>de</strong>puis longtemps mais n’étions jamais parvenu à la<br />
complètement rentrer (sans nous déchirer). Nous connaissions néanmoins le<br />
bien fou que déculer pouvait procurer. Parfois (souvent), sous la douche ou<br />
dans un bain, il nous arrivait <strong>de</strong> nous laver longuement à l’eau ou au Head &<br />
Shoul<strong>de</strong>rs. C’était à nous pisser <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> plaisir ! En ce qui concerne le-dit<br />
shampoing, si tu désires essayer, prends bien note qu’il est quel que peu laxatif<br />
et irritant… Prévois donc un ou <strong>de</strong>ux jours <strong>de</strong> repos ensuite. Mais telle<br />
jouissance est incomparable <strong>de</strong>vant ce petit sacrifice, crois-nous sincère !<br />
Bref ! Benjamin savait parfaitement ce qu’il faisait. Nous nous sentîmes en<br />
confiance – c’est important vis-à-vis d’un mec qui a sa main dans ton cul… –<br />
et nous relaxâmes. Nous n’eûmes besoin <strong>de</strong> rien d’autre, ni poppers, ni<br />
cannabis pour cela. L’envie seule suffit à nous laisser ouvrir. Il prit son temps,<br />
929
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
graissa abondamment et s’enfonça jusques au poignet.<br />
Et l’ont dit que les femmes pleurent en mettant bas ? Elles <strong>de</strong>vraient jouir,<br />
oui ! Certes ne peuvent-elles à ce moment-là pas connaître l’exquis va-et-vient<br />
qui nous fit pétiller mais le must, en revanche, la libération, lorsque la main se<br />
retire pour laisser apparaître une belle rosette, ça, c’est un supplice <strong>de</strong> Tental !<br />
Nous en re<strong>de</strong>mandâmes d’ailleurs jusques au moment où il décida qu’il nous<br />
avait assez travaillé et risquait <strong>de</strong> nous blesser s’il continuait. Nous avions dû<br />
déjà le tenter pour enfoncer sa main entière, malgré les risques pour cette<br />
première, et avions eu ô combien raison mais là nous fiâmes-nous à son<br />
jugement. Lui seul après tout était en mesure d’apprécier la couleur chau<strong>de</strong> et<br />
suffisante <strong>de</strong> son œuvre. Nous étions contenté, c’était parfait !<br />
Après cela, Benjamin voulut se coucher ; il était un peu plus <strong>de</strong> minuit.<br />
Nous somnolâmes avec lui quatre heures durant et zonâmes le reste <strong>de</strong> la nuit<br />
sur l’Internet entre tchats et film <strong>de</strong> boules. Nous n’avions pas éjaculé aussi<br />
pendant cette partie. Nous sommes d’ailleurs toujours sous pression là ;<br />
bienheureux celui qui nous vi<strong>de</strong>ra aujourd’hui !<br />
Le Tholonet ((Provence, France), 22h50.<br />
Enfin un peu <strong>de</strong> repos ! Ce midi, en face <strong>de</strong> la Roton<strong>de</strong>, nous rencontrâmes<br />
Morgan qui nous proposa <strong>de</strong> déjeuner avec lui. Nous étions épuisé mais ne<br />
pouvions refuser. Quand en effet allions-nous le revoir ? Vendredi soir, nous<br />
serons dans l’iDNiGHT Marseille - Paris (voiture 1, salle haute, place 103).<br />
Jusques à lundi, nous nous ferons engrosser sans scrupule par vingt-<strong>de</strong>ux<br />
centimètres <strong>de</strong> verge endurante et pleine. Ensuite, nous comptons exploiter les<br />
filons déminés <strong>de</strong>puis quelques jours sur le Net pour un maximum <strong>de</strong> plaisir et<br />
<strong>de</strong> fric. Bref, que restera-t-il <strong>de</strong> nous après ce séjour en capitale… ? Voilà<br />
pourquoi il fallait accepter ce déjeuner ; il pouvait être le <strong>de</strong>rnier avant un bail.<br />
Une fois chez lui, gavé par un chawarma sauce blanche / mayo, notre<br />
téléphone sonna. Surprise : J.-L. M., un client nous sachant en ville voulait<br />
nous boire pour 200 euros. Quelle aubaine ! Ce fric nous permit d’acheter le<br />
billet <strong>de</strong> train et renouveler une partie <strong>de</strong> nos effets usés. Nous n’eûmes pour<br />
cela qu’à jouir <strong>de</strong>ux fois et pisser ; argent facile…<br />
Ce type, nous l’avions déjà envoyer bouler plusieurs fois. Époux et père à la<br />
930
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
libido croulante, il nous posait souvent <strong>de</strong>s lapins au <strong>de</strong>rnier moment. Sans<br />
doute se branlait-il et retrouvait-il un semblant <strong>de</strong> raison : « 200 euros pour lui<br />
faire une pipe et boire ses flui<strong>de</strong>s, à ce jeune homme, c’est exagéré. Je vais lui<br />
écrire que c’est annulé. » Pff ! Et nous <strong>de</strong> maudire à chaque fois ce baltringue<br />
imbécile.<br />
Cette fois pourtant vint-il et nous lâcha-t-il quatre billets oranges sans<br />
rechigner. Pour marquer le coup et sustenter notre caractère armoricain, notre<br />
pisse était chargée en saveurs. Il n’apprécia que peu le goût, naturellement,<br />
mais il lui fallait payer ses rétractations passées.<br />
Les mecs ne manquent pas, nous voulons pouvoir compter sur eux. C’est<br />
primordial <strong>de</strong> n’avoir qu’une parole en ce qui nous concerne. Qu’on se le dise !<br />
931
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 0 j a n v i e r 2 0 0 9<br />
Le Tholonet (Provence, France), 3h57.<br />
En sortant du cybercafé hier soir, un peu avant minuit, nous nous dîmes<br />
qu’il fallait absolument passer chez Michel pour notre <strong>de</strong>rnière soirée sur Aix.<br />
Nous n’attendions rien sinon boire un coup entre amis – Michel étant le seul<br />
gars que nous considérions fréquemment au Med boy… – et tuer le temps.<br />
Nous y arrivâmes donc musique dans les oreilles, libéré <strong>de</strong> toute envie,<br />
préparant notre esprit à un séjour parisien chargé en sexe.<br />
Après <strong>de</strong>ux pintes, un charmant garçon nommé Jérémie nous <strong>de</strong>manda :<br />
« Alors c’est donc toi qui es vagabond, n’est-ce pas ? » Nous fûmes surpris,<br />
naturellement, un peu flatté aussi. Il nous avait connu sur la toile en suivant<br />
nos aventures manuscrites, comme pour nous rassurer quant à l’utilité <strong>de</strong> notre<br />
verve. Il était par ailleurs le seul à avoir attiré notre regard en entrant. Nous<br />
passâmes donc la soirée à nous entretenir <strong>de</strong> choses et d’autres avec lui. Il était<br />
escort-boy et acteur dans <strong>de</strong>s films pornos : la rencontre idéale, le mec qui avait<br />
le nécessaire background pour nous comprendre. Hélas pour nous <strong>de</strong>vait-il<br />
tourner le len<strong>de</strong>main sur Lyon et ne pouvait-il se vi<strong>de</strong>r afin <strong>de</strong> donner à la<br />
scène tout son éclat. De notre côté, nous le voulions mais dûmes nous<br />
résoudre.<br />
Frustration !<br />
La partie remise à plus tard, dans une autre ville, nous lui laissâmes nos<br />
coordonnées, lui les siennes et le quittâmes vers 3 heures. Michel nous<br />
reconduisit au Tholonet et nous voilà seul avec notre couette pour seule<br />
compagne, hésitant à nous soulager. Allons, son heure viendra !<br />
TER … pour Marseille (Provence, France), 21h14.<br />
Nous voilà à nouveau dans un train ; il y en aura un autre avant d’atteindre<br />
la capitale <strong>de</strong>main matin.<br />
C. S., notre client, nous offrira une entrée prometteuse. Il souhaite que<br />
nous le rejoignions chez lui pour se vi<strong>de</strong>r sauvagement dans notre bouche.<br />
Paris est et sera toujours pas excellence la ville <strong>de</strong> toutes les folies !<br />
De notre côté, aujourd’hui, nous passâmes notre temps <strong>de</strong> boutique en<br />
932
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
boutique à la recherche <strong>de</strong> nouveaux effets. Nous n’hésitâmes pas une secon<strong>de</strong><br />
sur les moyens (si maigres hélas). Ainsi pûmes-nous nous offrir une nouvelle<br />
paire d’Etnies et une veste Bikkembergs cintrée en laine pour l’assortir avec<br />
notre ample pantalon indien. Cela nous ruina mais l’allure est sublime ! Le<br />
regard <strong>de</strong>s badauds dans la rue confirma d’ailleurs notre goût prononcé pour<br />
l’innovation vestimentaire. Plus que tout, cette association met admirablement<br />
nos jolies fesses bombées en valeur ; il ne reste qu’à espérer que nous<br />
trouvions quelque connaisseur dans l’iDNiGHT <strong>de</strong> cette nuit. Ah ! Il nous faut<br />
être sage et tout gar<strong>de</strong>r pour C. S., non qu’il nous paye une fortune pour le<br />
rester avant notre rencontre mais simplement par bonne conscience. En même<br />
temps, si le connaisseur en question est jeune et mignon, nous ne nous<br />
priverons certainement pas. Et puis, enfin, parlons-en un peu <strong>de</strong> cette fortune ;<br />
150 euros en tout et pour tout déjà versés sur notre compte CCP, autant dire<br />
une misère assurée pour lui plaire jusques à lundi. C’est que, vois-tu, plus que<br />
son fric (et son énorme queue), nous montons sur Paris pour le fun. Nous<br />
espérons y accumuler les expériences !<br />
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<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 1 j a n v i e r 2 0 0 9<br />
TGV … pour Paris (France), 6h25.<br />
La première classe a beau être très confortable, impossible <strong>de</strong> vraiment<br />
bien dormir. Enfin… L’important est que cela ne se voit pas trop. Puis, avec le<br />
rythme <strong>de</strong> vie que nous menons, pute ou vagabond, il n’y a rien d’étonnant ;<br />
nous ne pouvons donc nous en prendre qu’à nous-même. N’importe, une<br />
bonne dose <strong>de</strong> sperme dans la bouche d’ici une grosse heure nous réveillera<br />
pleinement !<br />
La fatigue, tout comme l’alcool (que nous évitons désormais au maximum<br />
pour gar<strong>de</strong>r le cul clair…), rend nos yeux plus ja<strong>de</strong> et or que jamais. Impériaux,<br />
ils ont en effet intérêt à l’être avec ce qu’ils verrons tantôt.<br />
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2 f é v r i e r 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 9h24.<br />
L’un <strong>de</strong>s plaisirs matinaux est <strong>de</strong> se réveiller une bite profondément<br />
plongée dans le cul, ou l’inverse, cela va <strong>de</strong> soit. Aussi ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers jours<br />
furent-ils notre quotidien, C. S. étant plutôt du genre très actif. Ce matin, il doit<br />
bosser sur son ordinateur, nous y aurons sans doute droit ensuite ; nous<br />
n’attendons d’ailleurs que cela, queue bandée par la chaleur accumulée pendant<br />
la nuit.<br />
Les plans que nous avions imaginés pour nous occuper ici ne semblent pas<br />
vouloir se mettre en branle. En fin d’après-midi, nous quitterons donc C. S.<br />
pour Jean-Yves, chez qui nous passerons la nuit avant <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>ux rails<br />
pour Angoulême tôt dans la matinée. H. M., un autre client, nous y retrouvera<br />
alors pendant ses heures libres pour nous explorer le cul.<br />
935
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
6 f é v r i e r 2 0 0 9<br />
TGV 8541 pour Paris (Poitou, France), 14h58.<br />
La SNCF <strong>de</strong>vrait nous offrir un abonnement vu le nombre <strong>de</strong> kilomètres<br />
que nous parcourons sur ses rails ! Quoi que, tout bien réfléchi, nous avons<br />
toujours quelques impayés chez elle (environ 400 euros) datant <strong>de</strong> 2005, alors<br />
que nous débutions notre vie sac sur le dos. Aujourd’hui, comme une revanche<br />
sur nous-même, les choses sont-elles bien différentes : c’est en première classe<br />
que nos jolies fesses se promènent !<br />
Nous passâmes les trois <strong>de</strong>rniers jours à disposition <strong>de</strong> H. M. dans un<br />
motel excentré <strong>de</strong> la ville d’Angoulème. Lui travaillait et ne put nous rendre<br />
visite que quatre fois, ce qui nous permit <strong>de</strong> nous bien reposer, trop peut-être,<br />
zonant <strong>de</strong> site <strong>de</strong> rencontre en site <strong>de</strong> cul sur l’Internet à la recherche d’un<br />
emploi du temps digne d’un nabab <strong>de</strong> la débauche. Nous trouvâmes <strong>de</strong><br />
nombreux contacts, notamment sur la capitale mais rien en Charente, hélas,<br />
pour venir nous doser pendant nos nuits solitaires.<br />
H. M., quant à lui, préféra nous soumettre à ses désirs à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son<br />
ceinturon. Nous ne nous étions jamais fait fouetter auparavant ; avouons que,<br />
sur le coup, la sensation est excitante, castrante mais excitante. Bien sûr,<br />
n’aimant pas la violence déplacée, les coups qu’ils nous infligea ne portèrent<br />
pas au sang mais quelques rougeurs furent cependant bien plaisantes !<br />
Sur Dijon, Julien, un charmant jeune homme, nous propose <strong>de</strong> venir tester<br />
avec lui tels supplices. Nous sommes, autant être sincère puisque ce récit le<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>, plus que désireux <strong>de</strong> le rejoindre <strong>de</strong>ux ou trois jours pour une<br />
session qui, rien que d’y penser, nous fait ban<strong>de</strong>r (enfin, presque, là nous<br />
sommes surtout crevé).<br />
D’autres questions se posèrent à nous durant ces trois jours <strong>de</strong><br />
confinement charentais. Tout d’abord, il serait plus que temps <strong>de</strong> nous établir,<br />
d’avoir au moins un pied-à-terre où rentrer entre <strong>de</strong>ux plans / aventures,<br />
recevoir nos amis, nous coconner aussi. Nous pensâmes naturellement à Paris<br />
ou Aix centre. Vagabond <strong>de</strong> fait et d’esprit, comme tu le sais, nous ne pouvons<br />
cependant nous permettre <strong>de</strong> suivre une voie traditionnelle pour parvenir à<br />
nos fins. Il nous faut donc trouver une âme généreuse et propriétaire pour<br />
nous louer 40m² (c’est un minimum) sans trop regar<strong>de</strong>r quant à la légalité <strong>de</strong><br />
936
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
l’acte. En clair, nous ne pouvons assumer ni garantie ni caution pour cela. Une<br />
collocation est évi<strong>de</strong>mment envisageable, surtout dans un premier temps mais<br />
le gars qui partagerait notre espace (oui, ce ne peut être qu’un mec), <strong>de</strong>vrait<br />
avoir notre âge, notre condition et surtout nos folies pour favoriser pleine<br />
entente.<br />
La secon<strong>de</strong> question qui tempère notre libido sur ce large fauteuil,<br />
présentement, est la maladie. Nous ne pouvons en toute conscience passer à<br />
côté <strong>de</strong> la forte probabilité <strong>de</strong> chopper quelque chose. Nous couchons<br />
bareback, cela va <strong>de</strong> soit, et ne souhaitons pas particulièrement nous faire<br />
plomber. Nous savons, enfin… Nous nous doutons que cela peut arriver très<br />
rapi<strong>de</strong>ment, nous l’assumons. Néanmoins, fidèle à notre logique <strong>de</strong> vie, ce n’est<br />
pas en nous imposant <strong>de</strong>s barrières, <strong>de</strong>s peurs et <strong>de</strong>s conditions que nous<br />
pourrons nous pleinement réaliser. Ainsi, toi qui veux nous défoncer (et tu as<br />
raison <strong>de</strong> le vouloir), sois cohérent et annonce la couleur !<br />
937
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 7 f é v r i e r 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 10h14.<br />
La cohabitation, marquée par la routine et la promiscuité, n’est décidément<br />
pas faite pour nous. Cela fait vingt nuits que nous logeons chez Cédric, un<br />
garçon du XVIIIème parisien rencontré sur rezog.com alors que nous étions<br />
languissant dans notre motel charentais.<br />
Avant <strong>de</strong> le rejoindre, nous lui démontrâmes clairement, telle une solution<br />
arithmétique, que nous étions irrésistiblement toxique et qu’il ne DEVAIT en<br />
aucun cas s’attacher à nous, au risque d’y perdre plus que <strong>de</strong> simples ailes.<br />
Comment lui en vouloir, après tout ? Il est le seul à en souffrir et voilà déjà une<br />
bien assez lour<strong>de</strong> leçon.<br />
Les relations humaines ne sont pour nous que collisions. Elles permettent<br />
<strong>de</strong> se côtoyer, d’apprendre les uns <strong>de</strong>s autres, d’évoluer, dès lors que l’on ne se<br />
laisse pas piéger par ces illusions sentimentales et niaises développées et<br />
dénaturées par et pour la romance cinématographique et littéraire. Il s’agit,<br />
répétons-le, <strong>de</strong> constance et <strong>de</strong> retenue. Nous n’écrivons pas qu’il faille se<br />
contenter <strong>de</strong> relations superficielles – non ! – car la sincérité, l’honnêteté et la<br />
profon<strong>de</strong>ur sont primordiales. Nous écrivons en revanche qu’une relation saine<br />
se vit au présent ; le passé en effet n’est-il jamais qu’imparfait, <strong>de</strong> même que le<br />
futur ne peut être que mensonge et corruption par l’imagerie <strong>de</strong> l’esprit. La<br />
Vérité n’est donc, pour nous, que dans l’instant. Elle se nourrit <strong>de</strong><br />
consentement et <strong>de</strong> liberté, non <strong>de</strong> concessions et <strong>de</strong> calculs.<br />
Notre philosophie <strong>de</strong> vie, que nous appliquons à nos relations sexuelles<br />
comme à tout ce qui jalonne notre parcours (et nombreuses sont les<br />
expériences), n’est pas enfermée dans le risque <strong>de</strong> l’échec, la fin ou la peur <strong>de</strong><br />
ce qui vient, elle se contente d’apprécier en conscience les événements, les<br />
personnes, les décors qui se présentent à nous. Cela peut sembler rébarbatif<br />
mais comment expliquer que la démarche n’est pas suicidaire si déjà tu ne<br />
comprends pas ce simple fait ? Nous ne nous soucions guère <strong>de</strong>s<br />
conséquences que nos aventures peuvent avoir sur nous-même, nous ne<br />
souhaitons pas sombrer dans une psychose <strong>de</strong> la prévoyance. Il nous arrivera<br />
<strong>de</strong>s choses – oui ! – comme pour tout un chacun, que nous assumerons tel que<br />
nous l’avons toujours fait. Cela, en revanche, nous ne pouvons l’affirmer pour<br />
938
toi…<br />
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
Cédric nous parlait <strong>de</strong> gâchis mais son erreur était que l’on ne gâche pas sa<br />
vie en la menant comme nous le faisons, on la gâche quand en se retournant<br />
en sa fin on se rend compte <strong>de</strong>s occasions manquées par peur <strong>de</strong>s<br />
conséquences. Si l’on commence <strong>de</strong> considérer les risques, on part perdant, on<br />
ne vit qu’à moitié et quel est but plus noble que <strong>de</strong> vivre pleinement les<br />
choses ?! Elles peuvent s’arrêter à tout instant, d’une maladie comme d’un<br />
acci<strong>de</strong>nt à la con dans un foutu escalier. Qu’en sera-t-il après ? Nous, le<br />
savons ! La gran<strong>de</strong> question sera :« Cette vie s’achève pour toi. Tu as eu les<br />
mêmes chances que les autres. Qu’en as-tu fait ? As-tu vécu ? »<br />
C’est là, et seulement là, que la différence se fera, entre ceux qui afficheront<br />
un franc sourire, ces morts jeunes ou vieux qui l’auront remplie à loisir, et ces<br />
autres morts jeunes ou vieux, torturés par remords et regrets, qu’une larme <strong>de</strong><br />
honte défigurera. Pire, dans leur prochaine expérience <strong>de</strong> vie, ils auront ce<br />
poids sur leur conscience, ces affres à supporter !<br />
Alors non, nous n’avons pas le sentiment <strong>de</strong> nous enterrer dans une<br />
tranchée en attendant qu’un obus bien dirigé, et mérité, nous tombe sur la<br />
figure. Nous sommes plutôt <strong>de</strong> ceux qui, gonflés <strong>de</strong> confiance, se lèvent et<br />
partent sous un feu nourri tenter <strong>de</strong> récupérer le drapeau <strong>de</strong> la Liberté. Dans<br />
ce combat magnifique, nous tomberons peut-être, comme toi qui te planques<br />
<strong>de</strong>rrière une ligne soi-disant sûre, et alors ? En es-tu fier ?<br />
939
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 1 m a r s 2 0 0 9<br />
Valence (Dauphiné, France), 11h52.<br />
Un ren<strong>de</strong>z-vous avec un client débute très souvent dans une gare. Ici à<br />
Valence, le style “construction pas chère” <strong>de</strong>s gares TGV nouvelle génération<br />
n’est guère inspirateur.<br />
Nous zonâmes la nuit <strong>de</strong>rnière sur l’ordinateur d’un ami en Ardèche où<br />
nous avions passé trois nuits, à la recherche, toujours, <strong>de</strong> contacts pour<br />
combler les vi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cette fin <strong>de</strong> semaine. Nous nous rendons là <strong>de</strong> nouveau<br />
sur Paris afin d’y passer la nuit avec H. M., le même qui nous fit venir à<br />
Angoulême voilà déjà cinq semaines. Notre TGV arrive dans une heure<br />
quarante-cinq, <strong>de</strong> quoi nous reposer un peu.<br />
Si nous avions un pied-à-terre, nous pourrions pour commencer nous<br />
mieux préparer. Pour l’heure, nous savons où nous allons passer la nuit qui<br />
vient, pas encore la suivante et peut-être celle <strong>de</strong> vendredi. C’est, il faut bien<br />
l’avouer, quel que peu chaotique. Si nous ne trouvons pas où dormir la nuit <strong>de</strong><br />
jeudi, il faudra annuler notre client <strong>de</strong> vendredi soir, nous refusant à passer une<br />
nuit <strong>de</strong>hors en plein Paris. Nous trouverons, ce n’est pas un problème en fait,<br />
c’est juste… notre vie !<br />
Nous ne retournerons pas chez Cédric. Si nous n’acceptons pas que l’on<br />
s’attache à nous, nous acceptons encore moins que l’on se permette <strong>de</strong> nous<br />
juger. Ainsi resterons-nous sur le souvenir d’une belle rencontre avec un<br />
garçon que nous apprécions. Cela nous convient parfaitement et doit s’achever<br />
là.<br />
C’est épuisant, vraiment ! Tu ne peux imaginer à quel point ! Encore un qui<br />
croit que par amour (si tant est que cela en soit…), l’on peut se permettre<br />
d’enfermer une personne, <strong>de</strong> lui dicter sa conduite, lui dire ce qui est bien pour<br />
elle et ce qui ne l’est pas. Quelle insolente prétention ! De l’égoïsme, du<br />
possessivisme, aussi.<br />
Les gens que nous aimons, nous les laissons mener leur vie comme ils<br />
l’enten<strong>de</strong>nt. Nous sommes là pour eux si un jour ils viennent nous avouer<br />
qu’ils ont fait une connerie mais tel n’est pas notre rôle <strong>de</strong> leur dire que ce<br />
qu’ils font en est une. De quel droit ? Avons-nous <strong>de</strong>mandé conseils ? Non !<br />
940
Merci donc <strong>de</strong> les gar<strong>de</strong>r pour toi.<br />
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
Enfin bref… Dans quelques heures, nous nous ferons doser ; cela nous<br />
changera les idées, nous ramènera à <strong>de</strong>s choses plus appréciables.<br />
941
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 2 m a r s 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 11h08.<br />
Lorsque nous arrivons sur la capitale, notre réflexe premier est <strong>de</strong> nous<br />
rendre au Louvre. C’est ce que nous fîmes hier avant <strong>de</strong> rejoindre notre client<br />
dans le Marais.<br />
Alors que nous sortions <strong>de</strong> la Cour Carrée, Ayumi Hamasaki dans les<br />
oreilles, une fille <strong>de</strong> l’Est nous aborda. Elle avait, semble-il, trouvé quelques<br />
chose par terre : une bague dorée. Elle nous <strong>de</strong>manda si elle était vraiment en<br />
or. Nous regardâmes. N’étant pas expert en la matière, <strong>de</strong>ux poinçons la<br />
marquaient en son intérieur et nous lui dîmes que oui, cela semblait bien être<br />
<strong>de</strong> l’or, qu’elle avait beaucoup <strong>de</strong> chance et nous en allâmes. Elle nous retint.<br />
L’ayant essayée, visiblement trop gran<strong>de</strong>, elle nous la donna, nous souhaitant<br />
bonne fortune avec son accent <strong>de</strong> boule <strong>de</strong> cristal. Nous, tout content, nous la<br />
laissâmes passer au doigt et la remerciâmes d’un sourire en lui serrant la main.<br />
Nous repartîmes ensuite. Elle nous retint <strong>de</strong> nouveau pour nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si<br />
nous avions une pièce où à manger. Circonspect, nous enlevâmes la bague <strong>de</strong><br />
notre doigt déjà habitué à ce toc d’importance, la lui rendîmes et lui<br />
conseillâmes d’un ton sec <strong>de</strong> la vendre pour s’acheter un sandwich.<br />
Ils sont malins, quand-même, y’a pas à dire…<br />
Après cela, n’écoutant plus ses remarques et supplications, nous reprîmes<br />
notre route pour gagner la ligne 1 du métro, puis la 8 qui nous mena<br />
directement à notre client, aux Jardins du Marais. Là, après une douche pour<br />
laver notre voyage, il nous dosa convenablement la bouche, puis le cul au soir<br />
après un dîner au Gai Moulin.<br />
Nous ne savons pas encore quoi faire aujourd’hui. Notre client <strong>de</strong> ce soir<br />
vient <strong>de</strong> décomman<strong>de</strong>r, pour mieux négocier au sauna ensuite. Nous<br />
refusâmes, non par principe mais par ennui. Nous n’aimons pas en effet que<br />
l’on considère que parce que l’on paye quelqu’un, l’on peut se foutre <strong>de</strong> la<br />
bienséance.<br />
Nous errerons donc dans la capitale tout le jour durant. Sous ses Cieux<br />
chargés, nous passerons surtout <strong>de</strong> café en café. Quelle aventure que cette<br />
entrevue parisienne !<br />
942
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
1 3 m a r s 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 9h25.<br />
Nous flirtâmes hier après-midi avec quelques cafés <strong>de</strong> la capitale et<br />
renouâmes avec un ami que nous prenons toujours grand plaisir à voir. Notre<br />
sac <strong>de</strong> voyageur déposé chez lui pour la nuit, nous nous rendîmes chez Milk,<br />
un cybercafé 24/24 sur Sébastopol / Les Halles, idéalement placé près <strong>de</strong> Sun<br />
City (au cas où…) pour y trouver un contact nocturne. Deux heures plus tard,<br />
Fabien, un garçon <strong>de</strong> 31 ans habitant le XIème arrondissement, nous invitait<br />
chez lui pour une partie inédite.<br />
Mardi matin, nous nous étions fait un profond lavement, à l’eau plus froi<strong>de</strong><br />
que chau<strong>de</strong> pour chauffe-eau âgé, alors que nous étions en Ardèche. Depuis<br />
lors, impossible <strong>de</strong> nous vi<strong>de</strong>r, le cul parfaitement propre, auto lubrifié par un<br />
nectar unique. Il en aurait été ainsi jusques à notre client <strong>de</strong> ce soir, sans doute,<br />
si Fabien n’avait pas été fan <strong>de</strong> nos profon<strong>de</strong>urs.<br />
C’était la première fois, pour nous, qu’un gars nous fourrait <strong>de</strong> la sorte,<br />
langue et queue du reste. Sa queue, parlons-en ! Bien épaisse, assez large pour<br />
pénétrer notre premier anneau, un must qu’il savait utiliser. Le scat n’est pas du<br />
tout notre trip mais si d’aventure un gars aime nous fouiller, qu’il se fasse<br />
plaisir.<br />
Cela prit du temps pour peu mais, Diable !, que c’était bon ! À rééditer<br />
assurément dès que faire se pourra.<br />
Samedi, si nous ne trouvons rien d’intéressant ici pour le week-end, nous<br />
reprendrons la route <strong>de</strong>s Basses Alpes afin d’y déposer un dossier pour<br />
renouveler mon passeport.<br />
943
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 4 m a r s 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 15h12.<br />
Dans un rouge café du XVème arrondissement près du terminus <strong>de</strong> la<br />
ligne 8 du métro, nous attendons Kévin, un métis <strong>de</strong> 26 ans rencontré sur<br />
xtremboy.com avec lequel nous prévîmes une défonce annale au poing. Nous<br />
l’avions contacté durant notre nuit blanche au cybercafé. Il ne nous répondit<br />
que ce matin. Nous lui avions écrit que nous étions épuisé par une tournée <strong>de</strong>s<br />
bars et clubs du Marais, que nous ne savions que faire ni où aller mais que<br />
nous nous sentions bien <strong>de</strong> répondre à son profil axé fist et autres<br />
réjouissances du genre. Nous nous mîmes d’accord avec lui sur nos envies<br />
avant midi et nous voilà, l’attendant <strong>de</strong>vant une <strong>de</strong>mie d’Amstel que nous ne<br />
boirons pas. Notre estomac est vi<strong>de</strong>, nous ne pûmes avaler que <strong>de</strong>ux venti<br />
moka blanc <strong>de</strong> chez Starbucks, un cette nuit et un autre ce matin, pour essayer<br />
<strong>de</strong> nous éveiller un peu, sans grand succès hélas.<br />
La soirée et la nuit furent tellement ennuyeuses aussi !<br />
Tout d’abord, le client que nous <strong>de</strong>vions voir en soirée ne daigna donner<br />
signe <strong>de</strong> vie que vers minuit pour nous prévenir qu’il avait “du retard” et que<br />
son blackberry allait couper. Quant à son escort-boy métis qui <strong>de</strong>vait nous<br />
enfoncer <strong>de</strong>vant lui, il osa même nous engueuler pour ne l’avoir pas prévenu.<br />
Quels baltringues, ces <strong>de</strong>ux-là ! Nous les envoyâmes donc convenablement<br />
bouler tous <strong>de</strong>ux. Encore une histoire <strong>de</strong> bienséance oubliée <strong>de</strong> la culture<br />
homosexuelle contemporaine…<br />
Notre esprit est vraiment embrouillé et notre plume tremblante, comme<br />
après chaque nuit blanche.<br />
Au cybercafé, jusque vers 23 heures, nous flashâmes sur un beau garçon en<br />
face <strong>de</strong> nous. Nous le pensions homo en l’entendant écouter Rihanna et<br />
susurrer ses paroles ; nous en eûmes la confirmation lorsque brutalement la<br />
musique s’arrêta dans ses écouteurs pour laisser la place à un “sling”, ce son si<br />
particulier choisi <strong>de</strong> nous également, signe d’un message reçu sur<br />
gayromeo.com. Il était donc bel et bien homo, peut-être même lui aussi<br />
prostitué, une aubaine dans ce cybercafé <strong>de</strong> clochards nocturnes ! À 5 heures,<br />
nous retrouvâmes notre place après cette tournée <strong>de</strong>s bars et lui la sienne, en<br />
face <strong>de</strong> nous, <strong>de</strong>ux heures plus tard. Il en fut <strong>de</strong> même après déjeuner,<br />
944
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
retournant tous <strong>de</strong>ux à nos affaires par habitu<strong>de</strong> et sans dire mot, ne laissant<br />
échapper <strong>de</strong> notre attirance respective que <strong>de</strong>s regards fuyants <strong>de</strong> collégiennes.<br />
De notre côté, que pouvions-nous faire d’autre ? Vagabond <strong>de</strong> notre état et<br />
complètement shooté par le manque <strong>de</strong> sommeil, nous n’étions pas sous le<br />
meilleur angle afin <strong>de</strong> nous présenter. Et pourtant nous dîmes-nous souvent<br />
dans le passé <strong>de</strong> ne jamais plus laisser fuir telle occasion ! Enfin… Nous<br />
dûmes aller récupérer notre sac vers 13 heures et le laissâmes donc là, dans<br />
l’espoir <strong>de</strong>… peut-être… un jour…<br />
945
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 8 m a r s 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 14h54.<br />
Nous voilà encore sans le sou, usant les <strong>de</strong>rnières heures <strong>de</strong> connexion<br />
prépayées chez Milk. Que faire d’autre lorsque les clients annulent les uns<br />
après les autres sinon s’envoyer en l’air <strong>de</strong> dépit ? C’est en tous les cas ce que<br />
nous fîmes ces quatre <strong>de</strong>rniers jours mais là, à moins <strong>de</strong> tomber sur un<br />
informel plus sérieux que les autres, nous sentons la fin <strong>de</strong> notre séjour<br />
parisien arriver. Nous aimerions tant pouvoir y rester quelques jours encore,<br />
passant <strong>de</strong> plans cul à clients et potes ; dommage !<br />
Samedi, nous retrouvâmes Kévin <strong>de</strong>vant l’Aquaboulevard. Nous le<br />
suivîmes jusque chez lui et la partie débuta en toute simplicité. Il était mignon,<br />
expérimenté et équipé d’un go<strong>de</strong>, d’un plug et d’un chapelet assez gros. Pour la<br />
petite histoire, nous n’avions toujours pas réussi à nous vi<strong>de</strong>r <strong>de</strong>puis notre<br />
lavement ardéchois… Kévin ne s’en inquiéta heureusement guère ; un peu <strong>de</strong><br />
mer<strong>de</strong> sur les doigts ne le dérangeait pas. Nous eûmes le cul propre durant<br />
toute la séance cela dit et prîmes une fois <strong>de</strong> plus notre pied comme jamais<br />
auparavant. Nos doigts un moment en furent complètement engourdis<br />
tellement les nerfs étaient agréablement ébranlés. Kévin put même nous<br />
puncher, non violemment – nous n’en sommes encore pas là ! – mais avec<br />
beaucoup <strong>de</strong> tact. Lui y prenant du plaisir, sa main tripotant nos muqueuses, il<br />
déchargea <strong>de</strong>ux fois dans notre bouche une salve juteuse que nous bûmes<br />
après avoir bien pris le temps d’en apprécier toutes les saveurs. De notre côté,<br />
nous jouîmes sur notre ventre, puissamment car longuement excité.<br />
Nous repartîmes <strong>de</strong> chez lui plus épuisé et dilaté pour retrouver un ami<br />
chez qui nous nous reposâmes <strong>de</strong>ux nuits.<br />
Lundi, en début d’après-midi, avant <strong>de</strong> rejoindre le cybercafé pour y passer<br />
encore une nuit, nous nous arrêtâmes chez David, un latino du Ier<br />
arrondissement, qui nous remplit le cul <strong>de</strong> sa liqueur. Il nous invita ensuite à<br />
manger chez WokToUs, un nouveau concept <strong>de</strong> cuisine rapi<strong>de</strong> et pas trop<br />
dégueulasse dans une rue proche <strong>de</strong> la sienne. Il nous rappela hier soir pour<br />
nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si nous ne lui avions pas volé son ordinateur portable,<br />
menaçant <strong>de</strong> porter plainte, etc. Genre… Par ailleurs, nous n’étions pas le seul,<br />
nous confia-t-il, à être passé chez lui. C’est un risque à courir quand on reçoit<br />
946
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
quelqu’un pour son cul… Quoi qu’il en soit, telle n’est pas notre philosophie,<br />
encore faut-il nous connaître un peu ; nous ne volons PAS les gens, c’est cela<br />
“vivre en conscience” !<br />
Nous restâmes ensuite le cul collé sur une chaise du cybercafé jusques à<br />
mardi matin.<br />
Là, fatigué mais habitué, à force <strong>de</strong> plaisirs, nous proposâmes à un autre<br />
métis a<strong>de</strong>pte <strong>de</strong> scat <strong>de</strong> nous fouiller le cul et tenter <strong>de</strong> le vi<strong>de</strong>r. Nous avions<br />
mal au ventre, tu ne peux imaginer à quel point ! Soit nous ne mangions pas<br />
assez, soit le lavement avait été décidément efficace, soit notre organisme avait<br />
du mal à gérer qu’il en rentre presque autant par le cul que par la bouche…<br />
Bref, il accepta, nous nous rendîmes chez lui, nous installâmes sur un fauteuil<br />
ministre et il commença son challenge. Peine perdue, rien n’en sortit que du<br />
plaisir ; c’était déjà bon, certes…<br />
À bout <strong>de</strong> nerf mais ébahis par tant <strong>de</strong> résistance, nous zonâmes le reste <strong>de</strong><br />
la journée chez notre ami puis y passâmes la <strong>de</strong>rnière nuit.<br />
947
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 9 m a r s 2 0 0 9<br />
Versailles (Île-<strong>de</strong>-France, France), 9h23.<br />
Nous quittâmes le cybercafé hier à 16h40 et marchâmes jusques en forêt<br />
domaniale <strong>de</strong> Versailles où nous passâmes la nuit à la belle étoile. Nous nous<br />
éveillons là tranquillement, une Virginia Slim entre les lèvres, avec pour<br />
panorama château <strong>de</strong>s rois et tour universelle. Nous nous dirigeons vers l’ouest<br />
et ne remonterons sur la capitale que lorsqu’un client moins mythomane et<br />
plus constant que ceux <strong>de</strong> cette semaine nous y mandatera.<br />
Nos jolies fesses vont donc pouvoir, durant ces quelques jours <strong>de</strong> répit et<br />
<strong>de</strong> marche, se reposer un peu. Nous trouverons sans doute en chemin <strong>de</strong> quoi<br />
jouir en abondance mais ce sera sans extravagance. Il nous faudra également<br />
trouver du fric, nous sommes complètement à sec. Si les épiciers arabes sont<br />
assez aimables pour nous donner leurs invendables afin <strong>de</strong> manger, cela ne<br />
suffit pas. Il y a enfin toujours ce passeport à renouveler, puisque nous<br />
dépensâmes à Paris tout ce que nous gardions pour lui, notre sac à dos à<br />
changer, etc. Bref, nous verrons bien <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce comment les choses<br />
tourneront pour nous…<br />
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Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 4 m a r s 2 0 0 9<br />
La Teste-<strong>de</strong>-Buch (Guyenne, France), 10h12.<br />
Nous atteignîmes la côte atlantique à la Tranche-sur-Mer vendredi à 16<br />
heures après une nuit chez les ASF <strong>de</strong> Chemillé et maintes rencontres toutes<br />
plus intéressantes les unes que les autres. Sache que nous ne voyageons pas<br />
uniquement par ennui, même si cela correspond à bien 90% <strong>de</strong> nos<br />
motivations. Nous voyageons également dans le but <strong>de</strong> croiser <strong>de</strong>s gens dont<br />
l’esprit révolutionnaire et indépendant peut nous redonner espoir quant au<br />
<strong>de</strong>venir <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> qui n’attend qu’un chaos régénérateur. Sur la route, nous<br />
en trouvâmes <strong>de</strong>ux avec lesquels partager nos idées (et un joint) dont un qui<br />
nous fit découvrir quelques textes extraits <strong>de</strong> l’Internet dignes d’intérêt.<br />
Ce mon<strong>de</strong> n’est pas perdu, il a juste besoin d’une bonne purge et en cela<br />
nous inscrivons-nous dans la mouvance <strong>de</strong> ceux qui ont l’ambition d’éveiller<br />
les consciences et faire naître <strong>de</strong>s vocations anarchiques. Ne te méprends pas,<br />
compagnon, il n’est nulle question <strong>de</strong> “foutre le dawa” pour “foutre le dawa”.<br />
L’optique est-elle en effet bien plus noble que cela. Toi qui nous lis, peut-être<br />
peux-tu le comprendre. Si tel n’est pas le cas, peut-être <strong>de</strong>vrais-tu lever ton cul<br />
et, sinon le remuer comme nous le faisons avec désinvolture, au moins le<br />
traîner sur d’autres horizons que ceux qui te sont communs afin <strong>de</strong> voir,<br />
écouter et apprendre ce que le mon<strong>de</strong> crie dans le silence, ce silence qui pour<br />
toi est le signe que tout va bien, qui pour nous est le signe que tout va mal.<br />
Nous errâmes donc, longeant la côte jusques à La Teste-<strong>de</strong>-Buch, à huit<br />
kilomètres d’Arcachon.<br />
Ce matin, vers 9h30, un écureuil vint nous réveiller dans notre tipi<br />
improvisé par une cime <strong>de</strong> pin tombée lors <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière tempête et plantée au<br />
milieu <strong>de</strong> la forêt <strong>de</strong> réserve. Il fut bien avisé car quelques minutes plus tard,<br />
nous sentîmes une fraiche goutte <strong>de</strong> pluie sur notre visage et dûmes lever le<br />
camp pour aller faire notre toilette dans un proche cours d’eau avant l’averse.<br />
Nous attendons là une responsable <strong>de</strong>s Restaurants du Cœur afin d’y<br />
prendre une soupe chau<strong>de</strong> et quelques victuailles. Nous <strong>de</strong>vions la voir hier<br />
soir mais la manquâmes <strong>de</strong> peu ; le centre était fermé à notre arrivée. Ainsi<br />
viendra-t-elle à 11 heures, un peu spécialement pour nous, il faut bien l’avouer.<br />
949
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Les âmes nobles existent donc, <strong>de</strong> cela nous ne doutons, mais au milieu du<br />
troupeau <strong>de</strong> moutons que forme le peuple ignorant et <strong>de</strong>s loups affamés qui<br />
nous gouvernent, elles se font rares et il faut marcher, longuement souvent,<br />
pour les trouver. Giono disait qu’il n’y a que dans la marche que l’on rencontre<br />
réellement les gens. Nous n’avons pas sa lumière pour affirmer qu’il avait<br />
raison ou tort. Nous écrirons donc simplement que <strong>de</strong>puis presque huit années<br />
<strong>de</strong> voyages à travers le mon<strong>de</strong>, nous pûmes effectivement le vérifier. Que les<br />
gens soient bons ou mauvais, c’est à pattes que nous le vîmes.<br />
Plus nous avançons (peu importe la <strong>de</strong>stination !), plus nous acquérons la<br />
conviction qu’il en sera toujours ainsi pour nous. Avec ou sans confort, avec<br />
ou sans pied-à-terre, avec ou sans ai<strong>de</strong> conséquente pour financer nos<br />
aventures et projets, plus que jamais nous sentons-nous noble et vagabond à la<br />
fois. Si notre cul et notre queue aiment à se prostituer, il n’en est rien pour<br />
notre esprit qui prône son indépendance. Voici une dualité avec laquelle nous<br />
<strong>de</strong>vons composer tous les jours ; laisse-nous te confier que la musique qui sort<br />
<strong>de</strong> ce récital nous fait jouir intérieurement !<br />
Le Soleil réapparaît enfin ; la journée sera belle.<br />
950
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 8 m a r s 2 0 0 9<br />
Lézignan-Corbières (Languedoc, France), 8h50.<br />
Les Cieux matinaux <strong>de</strong>s Corbières sont couverts ; il fait froid et les Vents<br />
nous piquent. Nous dormîmes dans un cabanon en ruine au milieu <strong>de</strong>s vignes,<br />
l’estomac vi<strong>de</strong> mais contenté la veille par une généreuse part <strong>de</strong> gâteau donnée<br />
par Cinthia et Adam <strong>de</strong> Seix qui nous prirent en stop au niveau <strong>de</strong> Saint-<br />
Girons pour nous déposer ici, à Lézignan. Après six années, nous décidons<br />
enfin <strong>de</strong> nous rendre sur le Bugarach ! Toi qui prends ce récit en cours, il nous<br />
faut t’expliquer la raison <strong>de</strong> cette aventure.<br />
Lorsque nous étions en Thaïlan<strong>de</strong>, nous correspondions avec une médium<br />
via l’Internet qui sut à l’époque nous parfaitement donner confiance en sa<br />
parole. Elle nous parla <strong>de</strong>s Terres Aki (l’Atlanti<strong>de</strong>), <strong>de</strong>s exilés qui les quittèrent<br />
pour s’établir un peu partout, notamment dans le sud <strong>de</strong> l’Europe, en<br />
Méditerranée. Elle nous parla <strong>de</strong> ce pic montagneux étrange, le Bugarach. Elle<br />
y décelait <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s venues d’un temps ancien, comme emprisonnées dans la<br />
roche. Elle nous voyait en réincarnation d’un sombre puissant <strong>de</strong> ces temps<br />
anciens, un exilé nous aussi. Elle ne voulut pas nous rencontrer à notre retour<br />
en France et nous coupâmes court à notre long entretien, un peu par orgueil,<br />
un peu par déception, un peu avec le sentiment d’avoir été joué. Néanmoins,<br />
encore aujourd’hui, et même plus que jamais, notre sentiment reste-t-il à la<br />
confiance et notre quête au désir <strong>de</strong> réponses quant à notre singulière<br />
condition. Nous n’espérons pas particulièrement en trouver une sur le<br />
Bugarach mais notre esprit, ainsi que notre cœur, veulent s’y rendre.<br />
Privé <strong>de</strong> passeport et sans argent, nous sommes <strong>de</strong> toute manière cantonné<br />
dans l’Union. Ainsi est-ce le moment d’aller et <strong>de</strong> rencontrer les lieux et les<br />
personnes qui, d’une manière ou d’une autre, font partie <strong>de</strong> notre histoire.<br />
951
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 1 m a r s 2 0 0 9<br />
Soulatge (Languedoc, France), 6h49.<br />
Faire du stop comporte quelques risques, notamment celui d’oublier dans<br />
la voiture d’un gentil inconnu un effet sur lequel on peut tirer une croix. C’est<br />
ainsi que nous perdîmes notre couteau suisse, samedi matin, en route <strong>de</strong><br />
Lézignan-Corbières à Lagrasse. Nous en rendant compte lors du casse-croûte<br />
sur les hauteurs en ruine du village médiéval, nous dûmes retourner à notre<br />
campement nocturne, voir si nous ne l’y avions pas laissé par mégar<strong>de</strong>. Hélas<br />
était-il bien perdu et cette “expédition” ratée nous prit quatre heures et nous<br />
coûta un briquet tombé <strong>de</strong> notre besace dans la voiture d’un VRP qui nous<br />
<strong>de</strong>scendit en ville.<br />
Fatigué par les froids Vents, les averses et la marche pour remonter à<br />
Lagrasse, nous <strong>de</strong>mandâmes l’accueil aux chanoires réguliers <strong>de</strong> la mère <strong>de</strong><br />
Dieu installés dans l’abbaye Notre-Dame <strong>de</strong> l’Orbieu. Ils furent assez aimables<br />
pour nous permettre une halte <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux nuits en échange d’ai<strong>de</strong> à la plonge<br />
après les repas ou encore à notre arrivée pour monter une dizaine <strong>de</strong> chaises<br />
Ikea <strong>de</strong>stinées à l’église.<br />
À ce propos, à peine embauché, il ne fallut pas cinq minutes au père<br />
hôtelier Téophane pour essayer <strong>de</strong> nous entraîner sur son “Chemin <strong>de</strong> Vérité”,<br />
invoquant comme les autres la force du “discernement”. Sachant que<br />
“discerner” pour un religieux ne peut que signifier adhérer à sa Parole, nous<br />
l’écoutâmes sans trop dire mot, le laissant croire en sa bonne foi. De toute<br />
manière avions-nous abandonné toute idée <strong>de</strong> discussion constructive,<br />
constante, retenue et objective avec eux, comme toute vaine chose, <strong>de</strong>puis<br />
notre année au monastère <strong>de</strong> la Chaise-Dieu. Sans feindre l’hypocrite intérêt,<br />
nous laissâmes toutefois notre esprit ouvert et notre visage exprimer le respect<br />
<strong>de</strong> l’attention dû à tout être.<br />
Nous notâmes avec étonnement durant cette courte retraite claustrale<br />
l’incroyable jeunesse d’un bon nombre d’entre eux. Quel gâchis ! Rend-toi<br />
compte, compagnon : ces jeunes gens ne connaîtrons jamais autre chose <strong>de</strong> la<br />
vie et <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> que leur monastère et leurs apostolats religieux. Pour nous<br />
est-ce chose tragique ! Où est donc le cheminement personnel par l’expérience,<br />
la rencontre <strong>de</strong> l’autre dans la différence, la confrontation avec la réalité,<br />
952
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
parfois blessante, parfois juste et bonne, toujours pleine d’enseignements ?<br />
Qu’en est-il <strong>de</strong> cette formidable opportunité qui est donnée à l’Homme <strong>de</strong><br />
s’ouvrir aux influences, aux traditions nées et transmises à travers le mon<strong>de</strong> ?<br />
Comment enfin peut-on espérer unifier l’humanité, enfermé entre quatre murs,<br />
si anciens et nobles soient-ils ? Oui, voilà bien quelque gâchis que nous<br />
entendons dénoncer !<br />
Il n’y a rien <strong>de</strong> beau dans une clôture ; rien <strong>de</strong> bon ne peut guère en sortir.<br />
Les moines eurent, peut-être, leur utilité au moyen-âge, et encore, mais les<br />
Hommes aujourd’hui doivent-ils s’assumer, tous. Ils doivent, répétons-le, se<br />
confronter, non s’enfermer dans une forteresse <strong>de</strong> pierre ou d’idées.<br />
Parmi ces chanoines, un plus particulièrement retint notre attention. Nous<br />
lui accordâmes cette saine et rare beauté que l’on ne voit que dans les chimères<br />
<strong>de</strong> la mythologie. On venait <strong>de</strong> lui arracher une <strong>de</strong>nt, ce qui lui donnait une<br />
expression toute innocente. Ah ! Réellement, si ce jeune homme avait été à la<br />
place <strong>de</strong> Jean-<strong>Louis</strong>-Marie à la Chaise-Dieu 1 , il nous aurait été extrêmement<br />
difficile <strong>de</strong> refuser quelque proposition douteuse venant <strong>de</strong> lui. Nous aurions<br />
sans doute encore dû assumer un tribut pour cet obscène détournement <strong>de</strong><br />
vocation mais, oh oui, que cela aurait été bon ! Il n’en fut rien, évi<strong>de</strong>mment,<br />
sinon quelques regards intéressés qu’il ne comprit sans doute pas, mais l’idée y<br />
était et nous nous disions : « Voici là une âme à sauver <strong>de</strong>s griffes du<br />
dogmatisme ! »<br />
Nous n’en avons, hélas, toujours pas les moyens…<br />
En quittant l’abbaye, le père hôtelier Téophane nous chargea en nourriture<br />
pour la journée et nous confia à Marie en nous offrant sa médaille miraculeuse<br />
<strong>de</strong> la rue du Bac. Plus qu’un grigri <strong>de</strong> bigot immature, nous l’acceptâmes<br />
comme un présent honorable dont la valeur ne se mesure pas à son soi-disant<br />
pouvoir ou aux grammes d’argent fondus pour sa facture mais bien au don, au<br />
geste, à l’attention <strong>de</strong> cette personne vis-à-vis <strong>de</strong> nous.<br />
Après <strong>de</strong> sincères salutations, nous dirigeâmes nos pattes vers le sud,<br />
tentant toujours <strong>de</strong> gagner le Bugarach. Nous marchâmes jusques à Saint-<br />
Pierre-<strong>de</strong>s-Champs où un automobiliste nous poussa généreusement à<br />
1 . Tome I, Interlu<strong>de</strong> : Justine.<br />
953
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Laroque-<strong>de</strong>-Fa. Deux routes se présentèrent alors à nous, le doute nous prit et<br />
il fallut visiter le village pour y trouver bonne âme et bon conseil. Ce fut un<br />
chien qui nous fit rencontrer son maître, Michel B., une personne d’un certain<br />
âge à l’esprit là encore assez libre pour nous intéresser. Il tirait ses lumières du<br />
peuple maya. Il nous parla <strong>de</strong>s crânes <strong>de</strong> cristal, <strong>de</strong> l’année 2012 et, bien<br />
entendu, du Bugarach, nous indiquant le chemin à prendre et qui voir une fois<br />
à son pied, une femme qui pouvait nous en dire davantage. Il nous donna<br />
également <strong>de</strong>ux revues, Guetteur <strong>de</strong> l’Aube et Soleil Levant ainsi que le<br />
calendrier <strong>de</strong>s 13 lunes <strong>de</strong> cette année.<br />
Assuré <strong>de</strong> notre voie, nous continuâmes à pattes pour pique-niquer au col<br />
<strong>de</strong> la Cascagne sous <strong>de</strong>s Vents toujours aussi froids et quelques nuages <strong>de</strong><br />
mauvaise augure. Puis, toujours à pattes, la petite route n’étant guère<br />
fréquentée, nous traversâmes Massac, Bernacueillette, Montgaillard où une<br />
petite vieille sénile nous offrit un chaud café encourageant, la forêt domaniale<br />
<strong>de</strong>s Corbières orientales, Rouffiac et là, enfin, la journée s’achevant, un homme<br />
nous conduisit à Soulatge. En route, nous lui <strong>de</strong>mandâmes s’il connaissait une<br />
grange à foins où passer éventuellement la nuit. Il n’en savait rien mais évoqua<br />
la maison <strong>de</strong>s forestiers, sans véritablement savoir où elle se trouvait. Une fois<br />
au village, la voiture parquée, il avait un ren<strong>de</strong>z-vous avec quelques amis pour<br />
une séance <strong>de</strong> Qi Gong, une technique <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine traditionnelle chinoise<br />
jouant sur <strong>de</strong>s exercices corporels et <strong>de</strong>s visualisations mentales. Il s’informa<br />
auprès <strong>de</strong> l’une d’elle qui nous dit que la maison forestière était bien trop en<br />
montagne pour espérer la gagner avant la nuit ; elle nous invita donc chez elle.<br />
Ne souhaitant pas l’attendre <strong>de</strong>hors, nous acceptâmes <strong>de</strong> participer à leur<br />
séance. Ce fut une première pour nous, un informel bien sympathique et très<br />
enrichissant.<br />
Détendus, elle nous conduisit chez elle, une bergerie à quelques minutes du<br />
centre du village. Elle s’appelait Monique et son époux Pierre, <strong>de</strong>ux âmes<br />
nobles, ouverts sur le mon<strong>de</strong> et les autres. Nous sommes heureux d’avoir ainsi<br />
pu traverser leur vie.<br />
Ce matin, il pleut. Le Bugarach par la fenêtre, à quelques heures <strong>de</strong><br />
marches seulement, semble inaccessible. Nous <strong>de</strong>vrons revenir, il faut nous<br />
rendre à l’évi<strong>de</strong>nce, ce n’est pas le moment. Après tant d’efforts, cela,<br />
compagnon, doit-il te paraître bien absur<strong>de</strong> ! De notre point <strong>de</strong> vue, il ne faut<br />
954
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
pas forcer les événements puis, après tout, n’est-ce pas le chemin plus<br />
important que la <strong>de</strong>stination ? N’avons-nous pas rencontré <strong>de</strong>puis bientôt <strong>de</strong>ux<br />
semaines <strong>de</strong>s personnes riches <strong>de</strong> cœur et d’esprit ? Nous reviendrons,<br />
bientôt ; alors fera-t-il beau et pourrons-nous achever cet épiso<strong>de</strong>.<br />
Pour l’heure, nous attendons Pierre qui va nous conduire au village d’où<br />
nous joindrons Perpignan avant <strong>de</strong> remonter doucement en Ardèche pour y<br />
être le 3 avril.<br />
955
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 e r a v r i l 2 0 0 9<br />
Montpellier (Languedoc, France), 11h15.<br />
Lorsque Yoann nous déposa avec son fourgon à Montpellier, hier en fin<br />
d’après-midi, nous pensions avoir gagné le beau temps et pouvoir enfin sécher<br />
après une journée <strong>de</strong> marche et <strong>de</strong> stop à travers Corbières et Roussillon. Et<br />
bien non, il pleut encore aujourd’hui et nous sommes coincé sous un pont à la<br />
sortie <strong>de</strong> la ville en direction <strong>de</strong> Millau. Nous y passâmes la nuit et, vu les<br />
Cieux, il est fort probable que nous y restions jusques à <strong>de</strong>main.<br />
Heureusement hier un pilote <strong>de</strong> ligne retraité danois qui nous avait prit en<br />
stop, tout étonné <strong>de</strong> rencontrer quelqu’un qui menait une vie <strong>de</strong> bohème et<br />
trop content <strong>de</strong> pouvoir pratiquer son anglais, nous donna-t-il 20 euros pour<br />
manger. Il nous lâcha <strong>de</strong> fait dans une zone commerciale bienvenue proche <strong>de</strong><br />
Perpignan sur la route <strong>de</strong> Narbonne. Nous pûmes y faire le plein afin <strong>de</strong> tenir<br />
jusques en Ardèche. Nous eûmes quelque mal pour en sortir, toujours sous la<br />
pluie, mais un musicien alternatif eut la sympathie <strong>de</strong> nous mener à Sales-le-<br />
Château, une route plus praticable pour faire du stop.<br />
Yoann, enfin, un jeune artiste <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong> 33 ans, nous sauva <strong>de</strong> ce temps<br />
humi<strong>de</strong> et froid.<br />
Puisque nous sommes bloqué, profitons-en pour lire quelques pages <strong>de</strong>s<br />
magazines que Michel B. nous donna à Laroque-<strong>de</strong>-Fa.<br />
Au fait, si cela t’intéresse, compagnon, trois cranes <strong>de</strong> cristal seront exposés<br />
les 5, 6 et 7 juin prochains à Villeneuve-Loubet, près <strong>de</strong> Nice. Différents<br />
intervenants chamaniques ou spirit seront également présents.<br />
Encore une chose fort anodine, mais peu surprenante. Via le calendrier <strong>de</strong>s<br />
13 lunes, nous pûmes calculer hier notre signature galactique : Voyageur du ciel<br />
rouge 5 (harmonique)…<br />
Un hangar près <strong>de</strong> Lédignan (Languedoc, France), 22h44.<br />
En fin <strong>de</strong> compte, les Cieux se dégagèrent suffisamment vers 14 heures<br />
pour nous laisser continuer notre chemin. Nous attendîmes pas moins d’une<br />
heure trois quart pour qu’une voiture voulût bien nous sortir <strong>de</strong> Juvignac en<br />
direction <strong>de</strong> Lodève. La suite fut fort tranquille, heureusement ! Nous<br />
956
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
montâmes sur le plateau du Larzac pour en re<strong>de</strong>scendre à Quissac avant <strong>de</strong><br />
trouver un abri pour la nuit dans un hangar sur la route <strong>de</strong> Lédignan.<br />
Notre feu là crépite sa douce chaleur afin <strong>de</strong> sécher notre complet <strong>de</strong><br />
vagabond malmené <strong>de</strong>puis quatre jours par Vents et pluies. Le paysan que nous<br />
squattons ne pardonnera peut-être pas cette intrusion nocturne mais nous<br />
n’avions guère le choix. Nous lui laisserons <strong>de</strong>main en partant ce mot : « Cher<br />
Monsieur, veuillez excuser mon intrusion dans votre hangar la nuit <strong>de</strong>rnière.<br />
J’étais à pieds en route pour Alès, il pleuvait et, dans l’obscurité, aucun<br />
automobiliste ne daigna s’arrêter. Je trouvai cet abri bienvenu et y levai mon<br />
camp. Veuillez également pardonner le feu sur la terre battue. Il me fut lui aussi<br />
d’un grand secours, mon complet <strong>de</strong> voyageur étant trempé. Je vous dois un<br />
service, soyez assuré <strong>de</strong> ma sincérité ! Merci à vous. », ainsi que nos<br />
coordonnées.<br />
Tout est vrai ! Les gens la nuit sur la route se méfient davantage qu’en plein<br />
jour <strong>de</strong> l’auto-stoppeur et ne s’arrêtent pas, encore moins s’il pleut.<br />
Naturellement est-ce absur<strong>de</strong> mais les gens sont cons, ils regar<strong>de</strong>nt trop la<br />
télévision. Si elle ne les assomme pas, elle les rend craintifs ou névrosés. Dans<br />
la montagne ou les campagnes toutefois sont-ils moins débiles. C’est la raison<br />
pour laquelle nous préférons emprunter les petites routes. Puis les gens vont<br />
trop vite aussi, ils ne prennent plus le temps d’apprécier sinon les voyages, au<br />
moins les déplacements. Après quoi courent-ils ? Qui sait ! Des cheveux blancs<br />
et un ulcère sans doute.<br />
Bref, nous somme exténué. Demain, nous serons en Ardèche pour<br />
quelques jours, histoire <strong>de</strong> prendre un repos mérité après <strong>de</strong>ux semaines <strong>de</strong><br />
vadrouille.<br />
957
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
9 a v r i l 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 16h46.<br />
Comment par l’Internet inspirer confiance aux gens ? Pour convaincre N.<br />
D., notre client d’hier après-midi, <strong>de</strong> nous envoyer un mandat <strong>de</strong> 140 euros<br />
afin <strong>de</strong> monter <strong>de</strong> Valence à Paris en TGV, nous dûmes déployer, en plus <strong>de</strong> la<br />
sincérité évi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> notre site-web, une pléia<strong>de</strong> d’arguments, libérant notre<br />
verve sûre <strong>de</strong> son écrin enchanteur. Que pouvons-nous faire <strong>de</strong> plus ?! Il est<br />
vrai qu’avec tous les baltringues qui squattent la toile mondiale, nous ne<br />
sommes guère aidé mais ne sommes-nous pas aussi le premier à en subir les<br />
conséquences entre les mythomanes et les névrosés qui écrivent vouloir nous<br />
rencontrer et annulent au <strong>de</strong>rnier moment ? De notre côté, nous <strong>de</strong>vons<br />
composer avec cela. Devant une face pic et une proposition, nous exposons<br />
ouvertement notre nom légal pour le PMO, nos nombreux clichés, notre vie<br />
relatée. Qui prend donc le plus <strong>de</strong> risques ? Nous, sommes crédible, en plus<br />
d’être honnête <strong>de</strong> nature. Devons-nous nous déplacer à l’autre bout <strong>de</strong> la<br />
France sur une simple cyber-promesse émanant <strong>de</strong> ce qui n’est pour nous que<br />
la combinaison binaire d’un planqué <strong>de</strong>rrière son écran 17" ? Nous le ferions<br />
que nous tomberions neuf fois sur dix sur un lapin et nous n’aimons pas cela,<br />
n’en déplaise à ce presque temps pascal. Enfin, ne peuvent-ils pas tout<br />
simplement jouer le jeu comme nous le faisons ?<br />
La nuit <strong>de</strong>rnière, dans la chambre d’un hôtel à Saint-Gratien que nous avait<br />
laissée notre client après acte, nous regardâmes Shoot ’em Up <strong>de</strong> Michael<br />
Davis (II). Smith (Clive Owen), un héros sombre et violent, a bien raison <strong>de</strong> le<br />
dire : il y a trop <strong>de</strong> « chochottes avec une arme à la main » dans ce mon<strong>de</strong>. Des<br />
véritables tueurs, ça, c’est autre chose !<br />
Hubert, notre ami en Ardèche, pense également qu’aujourd’hui les beaux<br />
parleurs sont monnaie courante. Dans notre marché, cela est bien pire, ils se<br />
cachent et se branlent ; ils foutent en l’air notre commerce, et notre plaisir<br />
surtout ! Il résulte <strong>de</strong> cette médiocrité ambiante un sentiment <strong>de</strong> méfiance<br />
présent chez tous ceux portant l’honnêteté sur le mont <strong>de</strong>s valeurs<br />
primordiales et cela nous écœure !<br />
Passons.<br />
Nous en prîmes plein le cul et la bouche hier après-midi et cela fut bon.<br />
958
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
Nous ne savons encore pas où passer la nuit. Ce sera sans doute au cybercafé,<br />
notre QG parisien par circonstances <strong>de</strong>venu à notre <strong>de</strong>rnier passage. Ne<br />
retenons donc que les bons moments et laissons-les, ces autres inconstants,<br />
contaminer cette société déstructurée puisqu’à terme est-ce bien ce qu’elle<br />
mérite.<br />
959
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 0 a v r i l 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 22h01.<br />
Enfin un peu <strong>de</strong> repos au Père Tranquille, une brasserie campée sur les<br />
Halles. En effet, <strong>de</strong>puis notre <strong>de</strong>rnier billet, nous ne pûmes fermer nos yeux<br />
d’or une minute, sinon pour apprécier quelques plaisirs uraniques, moteurs <strong>de</strong><br />
ce présent carnet. Nous sommes vidé, au sens propre comme au sens figuré !<br />
Après cette nuit blanche, vers 8 heures, nous visitâmes un pote dans le<br />
XVIIème arrondissement afin, d’une, <strong>de</strong> le rencontrer car nous en parlions<br />
<strong>de</strong>puis notre <strong>de</strong>rnière venue et que nous n’aimons pas vivre dans la probabilité<br />
(comme tu l’auras compris désormais !) et, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux, pour nous faire fister, par<br />
<strong>de</strong>ux fois en l’espace <strong>de</strong> trois heures. Quel plaisir ! Nous y prenons goût, c’en<br />
<strong>de</strong>vient inquiétant. Qu’en sera-t-il lorsque nous serons bien élastique ? N’y<br />
pensons pas encore, évi<strong>de</strong>mment. Hugo, notre hôte, sut nous parfaitement<br />
élargir avec une maitrise réellement appréciable. N’entrons pas dans le détail<br />
sinon pour écrire qu’encore une fois notre esprit put se libérer dans une brume<br />
<strong>de</strong> perles avec un délice toujours plus précieux. Quant à notre verge, excitée<br />
pendant <strong>de</strong>ux heures en fait, plus longtemps en pensée, elle mouilla notre<br />
buste <strong>de</strong> sa liqueur sur un final… oui… ré<strong>de</strong>mpteur !<br />
De plaisirs plus intenses que ce pétillement obtenu, nous n’en connaissons<br />
point !<br />
H. M., notre client d’Angoulême, <strong>de</strong> passage en capitale, voulut ensuite<br />
nous voir. Nous n’eûmes après la douche que trois quarts d’heure pour le<br />
rejoindre à Étienne-Marcel. Il voulait un plan rapi<strong>de</strong> dans une cabine <strong>de</strong> Sun<br />
City où nous l’accompagnâmes à 12h30. Notre cul refermé sous l’eau froi<strong>de</strong> au<br />
matin n’eut aucun mal à se rouvrir très largement pendant la partie, ce qui,<br />
dans la con<strong>de</strong>nsation <strong>de</strong> la cabine, nous fournit matière à jouissance exclusive :<br />
second jet du jour, dans notre bouche, le cul en l’air et les épaules plaquées sur<br />
le tatami maculé. Dans une euphorie particulière, nous nous branlâmes dans<br />
l’attente, produisant un spectacle anodin pour ce privilégié spectateur, quelques<br />
goûtes sucrées <strong>de</strong> sueur nous tombant sur le visage, dans la bouche jusques à<br />
ce qu’enfin notre sperme plongeât sur notre langue gourman<strong>de</strong>.<br />
Nous ne pouvons, ni ne voulons, faire état ici d’un récit sadien overdétaillé.<br />
C’est pourquoi, là enfin, t’invitons-nous à vivre une fois dans ta vie<br />
960
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
telle expérience si, dans notre société si écaillée, tu ne t’y es déjà essayé.<br />
Goûte ! Et apprécie.<br />
H. M. nous quitta à 14 heures et nous décidâmes <strong>de</strong> profiter du peu <strong>de</strong><br />
mon<strong>de</strong> présent au sauna pour nous reposer quelques heures <strong>de</strong> plus sur un<br />
transat près <strong>de</strong> la piscine.<br />
Allongé, sur le point <strong>de</strong> nous endormir au doux son <strong>de</strong> la fontaine centrale,<br />
nous sentîmes un frisson au niveau du pied droit. Réunissant le peu <strong>de</strong> force<br />
que nous <strong>de</strong>stinions à la pru<strong>de</strong>nce en ce lieu d’outrecuidance homo, nous<br />
levâmes les paupières et eûmes la surprise <strong>de</strong> voir un homme d’environ 40 ans<br />
nonchalamment nous caresser, assis sur le transat d’à-côté ! Nous le<br />
regardâmes et, désabusé, le laissâmes continuer sa rêverie. Il <strong>de</strong>vint, forcément,<br />
plus entreprenant et nous massa une jambe, plus l’autre, le torse, les bras, le<br />
sexe sous la serviette. Confiant, son esprit s’emballa, sans doute, puisqu’il sortit<br />
notre queue bandante <strong>de</strong> son carcan <strong>de</strong> tissu humi<strong>de</strong> et la suça, lentement mais<br />
sans réelle application, faute d’expérience fort probablement ; nous sentîmes<br />
ses <strong>de</strong>nts, trop souvent, pour nous réjouir d’un pareil informel. Néanmoins le<br />
laissâmes-nous continuer, ne voulant gâcher son plaisir ingérant qu’une fois<br />
pour lui convenu. Il se retira et nous lui <strong>de</strong>mandâmes s’il comptait ainsi nous<br />
faire jouir. « Non ! Tu voudrais ? » Et nous <strong>de</strong> répondre : « Pas<br />
particulièrement ! », avant <strong>de</strong> refermer les yeux, lui accordant tacitement <strong>de</strong><br />
s’exciter à loisir. Il y croyait, il allait enfin pouvoir se taper un “petit jeune” au<br />
sauna, enfin pouvoir rentabiliser le prix assassin qu’il avait déboursé à l’entrée.<br />
Jouant sur la tentation, il partit en nous disant : « À tout à l’heure, alors ? » Et<br />
nous, sans grand intérêt pour cet effort que nous saluons tout <strong>de</strong> même pour<br />
être osé, <strong>de</strong> conclure : « Ah je crois pas, non ! » Déçu, il nous laissa, allongé sur<br />
notre transat, essayer <strong>de</strong> récupérer tant d’heures <strong>de</strong> sommeil manquées. Ce fut<br />
peine perdue. Nous fîmes donc plusieurs brasses dans la piscine avant <strong>de</strong><br />
prendre une douche pour nous laver <strong>de</strong> cet instant libertin et partir.<br />
Ainsi est inscrite notre troisième expérience à Sun City !<br />
961
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 2 a v r i l 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 17h47.<br />
C’est à Cergy-Pontoise, la nuit <strong>de</strong>rnière, que nous pûmes nous reposer. N.<br />
D., notre client fidélisé mercredi, nous y fit venir pour une heure dans l’aprèsmidi.<br />
Innovant à chaque représentation, c’est avec son sperme rendu <strong>de</strong> notre<br />
bouche que nous nous branlâmes pour finir. Il n’y eut pas <strong>de</strong> bis, hélas, car il<br />
<strong>de</strong>vait repartir.<br />
La chambre à disposition pour la nuit, nous voulions ensuite y recevoir un<br />
garçon mais cela lui parut trop loin, ce que nous pouvons comprendre. Hors<br />
du centre-ville, Paris n’a décidément rien d’attrayant ! Des villes nouvelles<br />
poussent près <strong>de</strong>s rames <strong>de</strong> RER, les pauvres s’y entassent et elles sont assez<br />
mal <strong>de</strong>sservies la nuit venue, sauf à risquer <strong>de</strong> se faire agresser par quatre<br />
connards dans le Noctilien pour quelques malheureux euros sous les yeux <strong>de</strong><br />
couards concitoyens incapables <strong>de</strong> venir en ai<strong>de</strong> à leur prochain.<br />
La soirée s’acheva donc sur notre lit <strong>de</strong>vant un film avec Richard Geere<br />
dont nous ne vîmes que début et fin, croulant sous la fatigue accumulée.<br />
La nuit d’avant, en revanche, alors que nous pensions l’user chez Milk, fut<br />
nettement plus intéressante. Nous retournâmes chez Hugo avec qui, clope au<br />
bec et verre <strong>de</strong> gin dans la main, nous regardâmes pour la énième fois Pretty<br />
Woman, film qui marqua avec récurrence notre histoire. Des soirées pépères et<br />
bien accompagnées comme celle-là manquent à notre parcours. Un garçon<br />
agréable dans les bras (ou entre les jambes), un film à la con, une conversation,<br />
<strong>de</strong>s gâteries… Voilà bien une chose fort rare que nous savourons quand nous<br />
le pouvons.<br />
Julia casée avec le beau Richard, Hugo nous fista une troisième fois,<br />
septième pour nous <strong>de</strong>puis janvier. Nous arrêterons d’ailleurs <strong>de</strong> compter<br />
désormais afin d’éviter toute comparaison, préférant gar<strong>de</strong>r cette soirée en<br />
mémoire comme le meilleur souvenir <strong>de</strong> ce passage parisien. Nous reverrons<br />
d’ailleurs Hugo avec plaisir avant notre départ, sauf si précipité pour quelque<br />
raison que ce soit.<br />
Aujourd’hui fut plutôt cool. Nous quittâmes l’hôtel vers 11h30, gagnâmes<br />
le centre <strong>de</strong> Paris, passâmes chez Starbucks avant <strong>de</strong> nous enterrer au cybercafé<br />
962
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
où aucune autre proposition financée ne nous attendait. Nous resterons en<br />
capitale pour la nuit, cela est sûr. Pour le reste, Lady Destiny en conviendra à<br />
gré.<br />
963
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 4 a v r i l 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 17h20.<br />
Nous prendrions facilement nos habitu<strong>de</strong>s ici : réveil sur un sourire<br />
silencieux, traversée <strong>de</strong> la capitale en métro pour rejoindre notre “bureau”,<br />
petite promena<strong>de</strong> apéritive vers 14 heures dans les rues piétonnes, retour au<br />
“bureau”, pause Bloody Mary vers 17 heures au Paris-Beaubourg ou au Père<br />
Tranquille pour écrire notre billet puis client s’il en est avant d’achever la<br />
journée dans les bras <strong>de</strong> ce même sourire, collé à lui par notre concupiscence<br />
jusques à pas d’heure.<br />
Mais non, il ne faut pas ! Apprécier, oui ; s’y habituer et en dépendre, non !<br />
Nous passâmes la matinée d’hier, <strong>de</strong> la fraîche aurore jusques à 14 heures,<br />
chez Fabien qui nous fouilla le cul à la recherche <strong>de</strong> ce que décidément nous<br />
n’arrivons pas à produire lorsque nous sommes à Paris.<br />
Aucun client décidé sur la toile, nous retrouvâmes Hugo chez lui vers 17<br />
heures dans le but <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à quelque contexte rédactionnel. Peine perdue !<br />
Lorsque <strong>de</strong>ux corps s’attirent, la plus gran<strong>de</strong> volonté du mon<strong>de</strong> ne peut ni ne<br />
doit les empêcher <strong>de</strong> s’unir, même dans l’excès (qui n’en est jamais<br />
véritablement un dans pareil cas…)<br />
Si ce soir, car nous re<strong>de</strong>scendrons sans doute sur la Provence dès <strong>de</strong>main, il<br />
nous est donné l’occasion <strong>de</strong> reprendre la scène où nous la laissâmes ce matin,<br />
nous en serons ravi !<br />
Nous <strong>de</strong>vons en effet être à Aix le 17 ou le 18 pour ai<strong>de</strong>r l’oncle <strong>de</strong> notre<br />
marraine dans ses travaux. Là trouverons-nous probablement un ou <strong>de</strong>ux<br />
clients, le temps <strong>de</strong> notre passage, pour financer passeport et sorties entre<br />
amis.<br />
964
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 2 a v r i l 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 16h52.<br />
Paris et ses plaisirs nous manquent. Nous y restâmes pourtant <strong>de</strong>ux nuits<br />
supplémentaires, absorbé par notre envie <strong>de</strong> luxure et <strong>de</strong> bien-être chez Hugo.<br />
Le Soleil cogne, séchant la Provence <strong>de</strong>s orages nocturnes. Nous sommes à<br />
Aix, installé à la terrasse du Roton<strong>de</strong>, libéré <strong>de</strong> notre travail chez MJD et Jean-<br />
<strong>Louis</strong> pour la journée et, sans contrainte, reprenons la rédaction <strong>de</strong> ce présent<br />
en sirotant un frais Bloody Mary. « Il serait temps, <strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong>, que vous<br />
vous bougiez un peu le cul ! », nous dicte notre conscience mais comment<br />
nous résoudre à cela quand la vie s’écoule avec telle douceur ?<br />
Un client se proposa il y a quelques minutes sur le Net <strong>de</strong> nous<br />
« pilonner », nous-déculant ; nous attendons nouvelles. Elles viendront, ou pas.<br />
N’importe ! Laisse-nous t’avouer que nous avons davantage besoin <strong>de</strong> sexe en<br />
ce moment que <strong>de</strong> fric, c’est dire ! Oui, la chose est évi<strong>de</strong>nte, nos habitu<strong>de</strong>s<br />
parisiennes nous manquent en ce jour.<br />
965
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 3 a v r i l 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 20h37.<br />
Considérant que nous ne pourrons remonter en capitale avant plusieurs<br />
jours, nous décidâmes aujourd’hui <strong>de</strong> nous plier à coutumes.<br />
Nous passâmes la soirée et la nuit d’hier avec Morgan entre Happy Days et<br />
Med Boy. Couchés vers 4 heures, nous le quittâmes à 8h30, lui somnolant sur<br />
une heure supplémentaire au lit, pour rejoindre Jean-<strong>Louis</strong> au Tholonet avec<br />
lequel nous travaillâmes dans l’oliveraie familiale au pied <strong>de</strong> la Sainte-Victoire<br />
jusques en début d’après-midi.<br />
Nous pensions pouvoir nous reposer un peu après fraises et framboises au<br />
<strong>de</strong>ssert mais F., un client rencontré sur bbackzone.com la veille, nous convia<br />
chez lui pour une partie <strong>de</strong> baise. Celle-ci fut courte ; à 150 euros pour nous<br />
jouir sur le ventre trois minutes après les préliminaires, que l’on ne nous ennuie<br />
plus avec la “crise” ! Il était fatigué, nous rééditerons sans doute une fois<br />
prochaine mais laisse-nous te confier notre légère frustration en partant. En<br />
désespoir <strong>de</strong> cause, n’espérant plus trouver quoi que ce fût dans la soirée, nous<br />
déchargeâmes dans la cuvette <strong>de</strong>s toilettes du cybercafé. Cela se passera <strong>de</strong><br />
commentaire.<br />
Au meilleur <strong>de</strong>s cas, <strong>de</strong> toute manière, nous avons nos réserves, si<br />
d’aventure quelque jeune éphèbe nous offre tentation dans les heures qui<br />
viennent.<br />
Demain, nous serons sur Marseille pour apprécier la première œuvre<br />
exposée <strong>de</strong> Niko à la bibliothèque <strong>de</strong> l’Alcazar. Nous y récupérerons également<br />
notre polo Ben Sherman commandé chez Timomo à Aix car ils n’avaient là pas<br />
notre taille.<br />
966
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 7 a v r i l 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 14h33.<br />
Nous quittons Aix pour le château dans une grosse <strong>de</strong>mi-heure, le temps<br />
<strong>de</strong> nous sustenter <strong>de</strong>vant un Bloody Mary au Roton<strong>de</strong>. C’est notre frère et son<br />
nouveau copain, tous <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>scendus <strong>de</strong> Flori<strong>de</strong>, qui nous conduiront. Là,<br />
dans ce bain familial, pourrons-nous enfin nous reposer une quinzaine <strong>de</strong><br />
jours.<br />
Notre belle veste Bikkembergs n’est plus !<br />
Vendredi, après l’exposition, nous accompagnâmes Niko chez lui pour une<br />
soirée Resi<strong>de</strong>nt Evil V sur la PS3. Un brin pintés au pastis, nous continuâmes<br />
au Med Boy, malgré les signes (autoroute bloquée, raccourci détruit) qui nous<br />
poussaient au contraire. Niko gara sa Fiesta aux Beaux-Arts, comme il en avait<br />
l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis cinq ans et, vers 3h30, lorsque nous sortîmes du Med, elle n’y<br />
était plus. Nous y avions laissé notre veste et un polo H&M rose,<br />
heureusement échangé avec notre polo Ben Sherman nouvellement acquis.<br />
Coût <strong>de</strong> la soirée : 160 euros. Enfin… Ce n’était après tout que laine et tissu ;<br />
ne nous formalisons donc pas.<br />
Nous déposâmes tout <strong>de</strong> même plainte à 4 heures au commissariat<br />
municipal, le même qui rappela Niko le len<strong>de</strong>main pour lui signaler son<br />
véhicule retrouvé <strong>de</strong>ux rues plus loin car les crétins qui l’avaient volé,<br />
fracturant <strong>de</strong>ux portières, avaient bloqué le volant en arrachant les fils pour la<br />
faire démarrer.<br />
Comme nous l’écrivîmes plus haut, ce mon<strong>de</strong> manque cruellement <strong>de</strong> vrais<br />
tueurs ! Ces petites frappes emportèrent cependant dans leur fuite le sac<br />
Timomo contenant nos <strong>de</strong>ux effets. Nous nous <strong>de</strong>mandons bien ce qu’ils en<br />
pourront faire ; un Bikkembergs manufacturé en Italie sur une racaille <strong>de</strong><br />
Provence est en effet une réelle faute <strong>de</strong> goût…<br />
Allons, nous trouverons mieux après un prochain client. Sur Paris, <strong>de</strong>ux<br />
nous atten<strong>de</strong>nt déjà mais nous ne savons encore quand nous pourrons y<br />
monter, probablement lorsqu’un autre se déci<strong>de</strong>ra à nous y mandater.<br />
C’est que, vois-tu, dans cette rocambole sexuelle, nous ne voyageons que<br />
rarement <strong>de</strong> notre fait.<br />
967
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 4 m a i 2 0 0 9<br />
Saint-Antonin-sur-Bayon (Provence, France), 14h41.<br />
Le fondant au chocolat commandé à la maison Sainte-Victoire achève <strong>de</strong><br />
nous définitivement ruiner. De toute manière, après une nuit passée dans notre<br />
grotte interdite sur la crête <strong>de</strong> Bibémus et une matinée <strong>de</strong> marche pour arriver<br />
ici, nous n’avions pas le choix, notre <strong>de</strong>rnier repas remontant à mardi soir au<br />
château. Cela n’est pas plus mal en fin <strong>de</strong> compte ; neuf nuits chez MJD et<br />
seize autres chez nos parents avaient fini par nous engrosser quel que peu.<br />
Nous nous rendons donc, malgré ce temps bien instable, à Cap d’Antibes où<br />
nous espérons pouvoir nager, bronzer et… et mer<strong>de</strong> !<br />
N. D., notre habitué parisien, vient à l’instant <strong>de</strong> nous téléphoner. Il nous<br />
envoie un PMO <strong>de</strong> 120 euros pour nous voir <strong>de</strong>main en capitale. Il n’est donc<br />
pas encore pour cette fois-ci, notre premier bain méditerranéen.<br />
Rien ne se passe jamais tel que nous le voulons, comme si le Destin prenait<br />
un plaisir pervers à nous rappeler notre condition d’ange déchu.<br />
Hier déjà, en arrivant sur Aix où nous ne comptions que passer une heure<br />
ou <strong>de</strong>ux au cybercafé, nous fîmes la rencontre d’un futur client puis, en fin<br />
d’après-midi, celle d’un garçon que nous <strong>de</strong>vions fister dans la nuit. Il n’était<br />
pas sûr après une heure <strong>de</strong> conversation chez lui, nous lui laissâmes le temps<br />
d’un dîner avec ses amis pour réfléchir et dûmes donc attendre. En chemin,<br />
nous visitâmes Morgan dans sa boutique et allâmes tous <strong>de</strong>ux vers 19h30 boire<br />
une bière au Happy Days. Ensuite, après maintes réflexions, nous conclûmes<br />
qu’attendre 23 heures <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> Paul, le garçon en question, était folie et<br />
nous dirigeâmes nos pattes vers Bibémus. Heureusement car il nous appela à<br />
l’heure dite pour nous avouer qu’il était pinté et qu’il sentait davantage un bon<br />
repos qu’un plan défonce. Partie remise ? Va savoir, Fidèle…<br />
968
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
1 9 m a i 2 0 0 9<br />
RER pour Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 17h48.<br />
Il faut le préciser car cela est sans conteste : nous sommes définitivement<br />
plus anal que verginal ! Seulement, lorsqu’un charmant garçon comme celui que<br />
nous venons à l’instant <strong>de</strong> partager avec N. D. se présente, le plaisir <strong>de</strong> l’enculer<br />
bareback nous le fait oublier.<br />
De fait sommes-nous maintenant épuisé mais nous rendons-nous quand<br />
même sur Paris, bien incapable, après telle partie, <strong>de</strong> rester dans la chambre, la<br />
télévision pour seule compagne. Comme à chaque fois que nous traînons en<br />
capitale, nous dormons trop peu, couchons trop… Espérons donc trouver <strong>de</strong><br />
quoi nous réjouir tout à l’heure sur l’Internet.<br />
Après notre nuit <strong>de</strong> vendredi sur Saint-Gratien, dans ce même hôtel, nous<br />
passâmes la suivante chez Fabien. Arrivé vers 23h30, nous pûmes regar<strong>de</strong>r la<br />
fin <strong>de</strong> la finale <strong>de</strong> l’Eurovision en buvant <strong>de</strong>s bières puis nous enculer l’un et<br />
l’autre trois heures durant, mélangeant pisse et foutre à nos plaisirs. C’était la<br />
première fois que nous nous soulagions ainsi dans les profon<strong>de</strong>urs d’un<br />
garçon. Nous ne pensions pas y arriver en bandant mais après <strong>de</strong>ux bières<br />
seulement la chose nous fut-elle étrangement bien plus facile. Quant à Fabien,<br />
une fois vidé dans nos jolies fesses, il put même profiter <strong>de</strong> quelques<br />
éclaboussures en nous enculant sans retenue. De plus, si chez certains garçons<br />
(la plupart) la poppers les rend mou du gland, tel n’était pas son cas ! C’est qu’il<br />
nous faut poids et taille pour nous apaiser, vois-tu, Fidèle ! Lui possè<strong>de</strong><br />
naturellement les <strong>de</strong>ux, plus un poing bien sympathique pour, aidé <strong>de</strong> graisse à<br />
traire au monoï, nous exciter davantage. Au matin, il remit d’ailleurs le couvert<br />
avec entrain, ce qui semble signifier qu’il faut également cela pour nous<br />
pleinement réveiller.<br />
Nous passâmes le reste <strong>de</strong> la journée, la nuit et la matinée suivante chez<br />
Milk, espérant y trouver quelque client pour nous permettre <strong>de</strong> tenir <strong>de</strong>ux jours<br />
<strong>de</strong> plus car nous étions déjà ruiné. Hélas n’en fut-il aucun et dûmes-nous<br />
repartir vers l’ouest à pattes, vagabond re<strong>de</strong>venu par la Force <strong>de</strong>s Choses.<br />
L’envie nous manquait cruellement, nous savions ne rien avoir à faire ailleurs à<br />
ce moment-là. Notre place <strong>de</strong> prostitué est à Paris, notre cul la réclame ! Alors<br />
que nous étions en chemin, nous nous souvînmes que N. D. nous avait parlé<br />
969
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
<strong>de</strong> son envie d’un plan à trois avec Calvin, escort-boy, pour le second jour<br />
d’après. Nous n’avions pas les moyens <strong>de</strong> rester une nuit <strong>de</strong> plus à ne rien faire<br />
mais lui téléphonâmes quand même et il voulut bien nous payer une chambre<br />
pour l’attendre, pensant évi<strong>de</strong>mment nous rejoindre pour une baise rapi<strong>de</strong>…<br />
Nous acceptâmes sa proposition, sachant qu’elle n’allait pas nous enrichir<br />
réellement, pour le fun et rester, surtout. Nous passâmes donc à pattes chez<br />
PLT prendre une douche et gagnâmes Saint-Gratien en RER pour attendre, mi<br />
content, mi épuisé par une nuit <strong>de</strong> débauche et une autre sans sommeil aucun,<br />
N. D. qui ne pouvait arriver qu’en fin <strong>de</strong> journée.<br />
Vladimir, un ami, <strong>de</strong>vait passer sur Paris ensuite et voulait nous voir, n’en<br />
ayant pas souvent l’occasion. Vers 21 heures, notre client vidé, nous allâmes<br />
pour le rejoindre mais il nous envoya un SMS pour nous indiquer qu’il était<br />
bloqué sur Chartres et allait arriver trop tard, notre <strong>de</strong>rnier RER partant <strong>de</strong> la<br />
bibliothèque François-Mitterrand à 23h52. Nous étions alors déjà aux Invali<strong>de</strong>s<br />
et dûmes revenir pour <strong>de</strong>scendre, la tête dans les choux, à Épinay-sur-Seine, un<br />
arrêt avant, sans nous en rendre compte. Il fallut attendre, encore, pour enfin<br />
pouvoir nous reposer tranquillement au son <strong>de</strong> la climatisation ambiante <strong>de</strong> cet<br />
“hôtel” sans grand intérêt sinon celui d’être un lieu <strong>de</strong> passe bien pratique.<br />
Notre vie, Fidèle, est à l’image <strong>de</strong> ce récit : un vrai bor<strong>de</strong>l ! Il est normal<br />
que tu n’en appréhen<strong>de</strong>s que peu <strong>de</strong> choses, ne te formalise donc pas.<br />
970
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 5 m a i 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 15h30.<br />
Deux tables à notre droite, sur la terrasse abritée du Paris-Beaubourg, un<br />
Français au crâne dégarni et à l’accent imprégné raconte à son amie anglaise<br />
comment la personne dont il parle et qu’il doit apprécier l’aida en son heure à<br />
faire son coming-out. Qu’ils sont soulants, ces homos, avec cette formalité ! Ils se<br />
veulent égaux mais continuent à parler <strong>de</strong> leur sexualité comme quelque chose<br />
qu’il faut avouer à leurs proches… Voilà bien un paradoxe qui nous<br />
déconcerte, Fidèle !<br />
Une norme, vois-tu, s’impose d’elle-même, par définition, dans la<br />
normalité. Dès lors être homo, à priori, ne concerne-t-il que directement son<br />
partenaire. Avoue-t-on à ses parents son hétérosexualité ? Parle-t-on même<br />
avec eux <strong>de</strong> sexualité ?! Cela serait bien indécent, convaincs-en ! Ce n’est pas<br />
aux homos <strong>de</strong> dévoiler quoi que ce soit, c’est à leur entourage d’accepter le<br />
mon<strong>de</strong> dans lequel il vit, ses influences, ses diversités, les individus qui le<br />
peuplent. Et que Dieu emporte les ignorants, puisque si souvent ils s’en<br />
revendiquent !<br />
Pour retrouver notre client, hier soir sur Antony, nous dûmes emprunter le<br />
RER B. À Châtelet, dans l’attente sur le quai, un <strong>Noir</strong> fort pieux criait que le<br />
jour du Seigneur n’était pas le dimanche, qu’Il allait venir pour rétablir la Vérité<br />
et la Justice, qu’il était inadmissible <strong>de</strong> vivre dans une société qui laissait les<br />
homosexuels et les hétérosexuels avoir <strong>de</strong>s droits qu’elle refusait aux sanspapiers.<br />
Un non-sens, là encore… Il nous coûta <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir entendre ce genre<br />
d’inepties mais nous lui reconnûmes le droit d’être et <strong>de</strong> penser ce qu’il voulait.<br />
Néanmoins sont-ce ces gens-là les marginaux, non les homos qui représentent<br />
un bon tiers <strong>de</strong> la population. Alors pourquoi, Diable !, nous emmer<strong>de</strong>nt-ils<br />
avec leur coming-out ? Ne peuvent-ils pas vivre simplement, cesser <strong>de</strong><br />
revendiquer leur différence d’un côté quand <strong>de</strong> l’autre ils aspirent à être<br />
acceptés dans la norme ? Une inexplicable incohérence enfin.<br />
Un homo est un mec qui aime la bite, un hétéro un mec qui aime la chatte ;<br />
point ! Ne faut-il pas être névrosé pour avoir fièrement besoin <strong>de</strong> l’annoncer<br />
au mon<strong>de</strong> comme si cela allait changer sa <strong>de</strong>stinée ? Le mon<strong>de</strong> s’en fout, voilà<br />
la vérité ! Vis ta vie, Fidèle homo, arrête <strong>de</strong> nous gonfler avec ton <strong>de</strong>ssein<br />
971
d’appartenance !<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
En quittant la chambre <strong>de</strong> l’hôtel <strong>de</strong> Saint-Gratien, mercredi <strong>de</strong>rnier, nous<br />
rentrâmes sur Paris consulter notre courriel avant <strong>de</strong> rejoindre Hugo chez lui<br />
pour trois nuits, plus soft que la fois précé<strong>de</strong>nte. Nous les échangeâmes avec<br />
langueur et repos, entremêlés d’un peu <strong>de</strong> sexe. Pour vivre ainsi avec un garçon<br />
sans nous sentir oppressé, nous écrivions plus haut qu’il nous fallait environ 50<br />
m² mais, en définitive, 80 <strong>de</strong> plus, minimum, sont nécessaires ; la chose est<br />
admise. Hugo les a et dans cet espace haussmannien, <strong>de</strong> fait, ne nous sentonsnous<br />
pas enfermé, dépendant <strong>de</strong> lui.<br />
En ce moment, un loft est en vente sur la butte <strong>de</strong> Montmartre. Qu’il nous<br />
serait bon et plaisant <strong>de</strong> nous y poser ! Évi<strong>de</strong>mment, ce n’est pas avec notre<br />
sol<strong>de</strong> <strong>de</strong> prostitué que nous pourrons nous le payer mais, si l’espoir ne nous<br />
fait plus vivre <strong>de</strong>puis longtemps, l’envie oui !<br />
Notre cul aujourd’hui est en repos forcé. Fourré ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers soirs par<br />
Crisco, poing et go<strong>de</strong> Cyclone <strong>de</strong> Meo (30cm/6), il n’en peut plus. Et pourtant,<br />
campé sur ce souvenir, il en re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>… Nous prîmes donc contact avec<br />
plusieurs potentiels clients pour le calmer mais nous ne savons pas combien <strong>de</strong><br />
temps nous pourrons encore tenir en capitale. Reconnais au moins notre<br />
prouesse : neuf nuits dans la cité universelle et une seule <strong>de</strong>hors, enfin… au<br />
cybercafé. Oh oui, ce loft, il nous le faut !<br />
Nous aimons notre vie, tout ce que nous faisons nous réjouit, nous fait<br />
jouir. Il serait dommage et fort triste <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir à nouveau partir sur les<br />
chemins, même si quelques jours <strong>de</strong> bronzette sur le Cap d’Antibes nous<br />
feraient grand bien.<br />
Allons, toutes ces incertitu<strong>de</strong>s nous donnent soif. Commandons donc un<br />
second Bloody Mary !<br />
972
Nous sommes honteux !<br />
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 7 m a i 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 13h58.<br />
Ce matin, à l’hôpital Saint-<strong>Louis</strong>, nous fîmes au mé<strong>de</strong>cin une promesse que<br />
nous savions ne pas pouvoir tenir. Pourquoi y étions-nous ? La réponse est<br />
simple : après <strong>de</strong>ux semaines <strong>de</strong> sexe, notre cul avait grand besoin d’être<br />
refroidi à l’azote liqui<strong>de</strong> !<br />
Alors que nous le lui montrions, le charmant mé<strong>de</strong>cin, assisté d’un élève<br />
infirmier, nous entretînt un instant sur la vie que nous menions. Là au moins<br />
était-il sûr <strong>de</strong> ne pas nous voir fuir… Il nous <strong>de</strong>manda si nous avions un<br />
partenaire. « Souvent, oui, mais je ne me souviens pas <strong>de</strong> tous leurs prénoms. »<br />
Il voulait savoir en fait si nous en avions un <strong>de</strong> régulier. « Non, pas au sens<br />
strict. »<br />
Alors qu’il soufflait la secon<strong>de</strong> couche, il voulut enfin se rassurer quant à<br />
nos pratiques.<br />
LE MÉDECIN . Vous avez souvent <strong>de</strong>s rapports sans protection ?<br />
NOUS . Neuf fois sur dix, oui. En fait, je n’en mets pratiquement jamais…<br />
LE MÉDECIN . Qu’est-ce qui vous fait vous protéger, dans ce cas ?<br />
NOUS . Quand ça ne dépend pas <strong>de</strong> moi.<br />
Comprend par là, Fidèle, que nous ne supportons le préservatif qu’avec un<br />
client qui souhaite en mettre un, fort rarement avec un pote <strong>de</strong> cul.<br />
Professionnellement, il nous conseilla d’en porter pendant chaque acte, ce<br />
que nous acceptâmes tacitement comme théorie. Là ne fut pas notre promesse<br />
cependant ; nous n’aurions pas osé sur ce sujet pour beaucoup si délicat. Non !<br />
Elle vint ensuite, lorsque nous nous inquiétâmes sur le fait qu’il était préférable<br />
<strong>de</strong> ne pas baiser pendant quelques jours après son intervention. Il nous le<br />
conseilla d’ailleurs vivement, plus pour notre cul que pour la queue qui nous<br />
pénétrerait. Nous acquiesçâmes.<br />
Seulement voilà, nous venons <strong>de</strong> passer les quarante <strong>de</strong>rnières minutes<br />
973
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
dans une cabine <strong>de</strong> Sun City ; honte sur nous ! H. M., avant <strong>de</strong> prendre son<br />
TGV retour pour Angoulême, voulait nous voir. Nous n’avions rien <strong>de</strong> mieux<br />
à faire <strong>de</strong> toute manière, sinon squatter chez Milk. Le sauna était tout indiqué,<br />
comme la fois d’avant, et nous le rejoignîmes pour l’ouverture à midi, le ventre<br />
vi<strong>de</strong> et, donc, le cul refroidi mais sain et toujours humi<strong>de</strong>.<br />
Souvent, nous aimerions être capable <strong>de</strong> nous y loger ; quelle agréable<br />
sensation ce serait ! Bref, ne divaguons pas non plus…<br />
Alors que nous nous produisions en cabine, un homo en manque passa<br />
<strong>de</strong>vant et, sans doute l’oreille plus fine que nécessaire, surprit notre plaisir. Il<br />
décida <strong>de</strong> se pencher pour confirmer son impression en regardant sous la<br />
porte. Nous le vîmes et, après un instant, las <strong>de</strong> nous donner en spectacle<br />
gratuitement, nous le prévînmes entre <strong>de</strong>ux souffles que s’il ne partait pas, il se<br />
prenait un coup <strong>de</strong> serviette dans la figure. Soit nous nous fîmes mal<br />
comprendre, soit son envie le démangeait trop. Quoi qu’il en soit, la serviette<br />
claqua et il partit se branler ailleurs.<br />
Qu’ils sont curieux, ces homos… Obscènes… Avons-nous pensé<br />
médiocres… ? Peut-être bien, en effet.<br />
Nous eûmes également droit il y a quelques minutes à un sondage pour<br />
quelque association <strong>de</strong> recensement. En plus du traditionnel questionnaire, le<br />
jeune mignon qui s’occupait <strong>de</strong> nous prit un peu <strong>de</strong> notre sang afin <strong>de</strong> savoir,<br />
nous expliqua-t-il, ce que les homos pensaient être (côté sérologie) et ce qu’ils<br />
étaient vraiment. Nous n’aurons pas nos résultats personnels puisque cette<br />
affaire se fit dans l’anonymat mais nous restons dubitatif et attendons <strong>de</strong> voir<br />
le général dans une prochaine parution.<br />
Nous resterons donc sur Paris encore une nuit, au pire chez Milk, au mieux<br />
chez quelqu’un. Demain, un autre client aimerait nous voir ; pourquoi pas, s’il<br />
est constant et n’annule pas au <strong>de</strong>rnier moment comme d’autres.<br />
Helmut Fritz chante que tout l’énerve dans les enceintes, la fontaine aux<br />
quatre têtes d’éléphant s’évertue sans espoir à faire débor<strong>de</strong>r la piscine du<br />
sous-sol, <strong>de</strong>ux jeunes viennent s’allonger sur un transat. Dormons un peu et<br />
attendons la suite.<br />
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Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 j u i n 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 3h37.<br />
Notre estomac résonne <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ou trois jours le vi<strong>de</strong> et ce n’est pas ce<br />
que nous y mettons qui le calmera ; nous avons <strong>de</strong> moins en moins faim, ni <strong>de</strong><br />
toute manière <strong>de</strong> quoi le remplir. N’ayant plus <strong>de</strong> fric pour le cybercafé non<br />
plus, c’est cette nuit sur le ponton en bois d’un quai <strong>de</strong> Seine, proche du pont<br />
Saint-Michel, qu’il chantera misère.<br />
Peut-être la Force <strong>de</strong>s Choses est-elle à l’origine <strong>de</strong> ce régime forcé. Depuis<br />
notre “opération”, mercredi, notre cul se repose. Sinon quelques encula<strong>de</strong>s,<br />
dont une <strong>de</strong>rnière fort bonne, il ne prit en effet rien d’autre. Néanmoins, ne<br />
sachant occuper notre temps avec raison, nous fallut-il trouver d’autres plaisirs.<br />
Vendredi après-midi, en quittant ceux <strong>de</strong> chez Hugo, nous allâmes nous<br />
enterrer le reste <strong>de</strong> la journée ainsi que la nuit chez Milk. Nous avions bon<br />
espoir <strong>de</strong> trouver sur la toile quelques clients mais, là encore, notre cul n’était<br />
pas prêt et aucun ne nous contacta, comme si sur nos profils était indiqué en<br />
caractères gras : « Je me prostitue mais pas en ce jour ; passe donc ton chemin,<br />
fidèle micheton ! » Notre nuit fut blanche, nous n’avions pas <strong>de</strong> quoi<br />
réalimenter notre compte, pensions enfiler notre complet <strong>de</strong> vagabond et<br />
continuer l’aventure à pattes et ailleurs. Un quart d’heure avant pourtant, Jean-<br />
Hugues, un jeune homme <strong>de</strong> 24 ans, nous contacta sur rezog.com et nous<br />
invita chez lui, aux pieds <strong>de</strong> la butte <strong>de</strong> Montmartre. Le métropolitain venait à<br />
peine <strong>de</strong> reprendre du service, tout se goupillait bien et nous acceptâmes. Avec<br />
moult mollesse, née <strong>de</strong> notre manque <strong>de</strong> sommeil, la journée s’écoula entre<br />
discussions, café, clopes, shit, coke, absinthe, repos et baise active. En le<br />
quittant vers 21h30, <strong>de</strong> fait, nous n’étions pas réellement plus reposé qu’au<br />
petit matin mais ravi par ce sympathique et accueillant informel.<br />
Il nous restait sur un autre compte au cybercafé <strong>de</strong>ux heures que nous<br />
voulions utiliser avant <strong>de</strong>, cette fois, quitter Paris. C’est du moins ce que nous<br />
pensâmes en montant dans le métro. Trois minutes avant la déconnexion<br />
automatique, un homme nous écrivit <strong>de</strong> passer chez lui récupérer un peu<br />
d’argent pour tenir une nuit <strong>de</strong> plus en capitale ; un geste peu consensuel <strong>de</strong><br />
générosité que nous prîmes comme il vint. Nous marchâmes donc jusque dans<br />
le XXème arrondissement, où il vivait, traversant rues et boulevards<br />
975
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
encombrés d’une masse bruyante et fêtar<strong>de</strong> en ce week-end <strong>de</strong> Pentecôte. Il<br />
était près d’1 heure lorsque nous tapâmes le co<strong>de</strong> du portail <strong>de</strong> sa rési<strong>de</strong>nce. Il<br />
ne pouvait nous recevoir chez lui car son copain dormait et nous fit <strong>de</strong>scendre<br />
<strong>de</strong>puis une fenêtre son don à l’ai<strong>de</strong> d’une ficelle : 40 euros, quelques<br />
viennoiseries, une bouteille d’eau et un mot d’encouragement. Nous ne vîmes<br />
pas son visage, il ne vit sans doute pas le nôtre dans cette obscurité non plus et<br />
cela se fit en toute sincérité. Quel épiso<strong>de</strong> peu commun, tout <strong>de</strong> même ! Nous<br />
aurions voulu l’inventer que nous n’aurions su comment. D’ailleurs, nous<br />
n’inventons jamais rien !<br />
Grâce à ce don inespéré, nous pûmes retourner chez Milk jusques à 11<br />
heures avant <strong>de</strong> rejoindre notre client d’Antony, non pour forniquer mais pour<br />
qu’il nous donnât lui aussi 50 euros par soutien. Nous prîmes une douche,<br />
mangeâmes un bout <strong>de</strong> brioche bio, bûmes un thé, sans complexe ; un peu <strong>de</strong><br />
quiétu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> forces pour entamer une troisième nuit blanche le soir au<br />
cybercafé.<br />
Vers minuit, Jean-Hugues nous réinvita chez lui. De bon cœur, nous<br />
acceptâmes. Si la fois d’avant nous n’avions pas touché à la coke, là ne nous<br />
fîmes-nous pas prier ; nous avions besoin <strong>de</strong> quelque ai<strong>de</strong> chimique pour<br />
passer la nuit en sa compagnie sans nous endormir. C’est le shit qui, au matin,<br />
finit par nous achever et, enfin et sans mal, nos yeux d’or se fermèrent pour ne<br />
s’éveiller que quelques heures plus tard <strong>de</strong>vant Jean-Hugues qui nous prit à son<br />
tour.<br />
Nous le quittâmes vers 21h30, sans savoir où aller ni que faire mais<br />
confiant, N. D. souhaitant nous voir le len<strong>de</strong>main, aujourd’hui donc, à Saint-<br />
Gratien comme toujours.<br />
Il nous reste 2 euros et quelques malheureux centimes que nous gardons<br />
pour le RER en espérant qu’il n’annule pas. S’il le fait, nous n’aurons là<br />
vraiment plus le choix et <strong>de</strong>vrons partir. Nous verrons bien ! Le plus dur<br />
jusque là va être <strong>de</strong> tenir avec seulement six clopes et l’estomac qui, en fin <strong>de</strong><br />
compte, se met à crier famine. Qu’il la ferme donc et atten<strong>de</strong> ! Notre contrat<br />
rempli en soirée, nous le contenterons.<br />
Vers 5 heures, nous monterons à Montmartre pour contempler Paris qui se<br />
lève <strong>de</strong>puis les marches du Sacré-Cœur puis, vers 10 heures, il sera temps <strong>de</strong><br />
siester sur une chaise inclinée du jardin <strong>de</strong>s Tuileries. Parfait !<br />
976
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
9 j u i n 2 0 0 9<br />
Chartres (Orléanais, France), 12h53.<br />
C’est en gare <strong>de</strong> Chartres, tout juste arrivé sans payer, que nous re<strong>de</strong>venons<br />
vagabond. Nous ne savons pas exactement où nous rendre encore ; nous<br />
prendrons le premier TER que nous trouverons, probablement celui pour Le<br />
Mans. Quoi qu’il en soit et comme d’habitu<strong>de</strong>, c’est sans gran<strong>de</strong> inspiration<br />
que nous visons la côte, atlantique ou méditerranéenne.<br />
Notre cure sociale et sexuelle en capitale s’acheva avec la rencontre <strong>de</strong><br />
Cyril, un garçon bien sympathique qui nous recueillit chez lui dans le VIème<br />
arrondissement durant trois nuits. En plus <strong>de</strong> sa naturelle générosité, nous<br />
appréciâmes particulièrement sa façon <strong>de</strong> nous prendre en levrette, sous<br />
poppers, dans une profon<strong>de</strong> fusion charnelle. Voilà un garçon que nous<br />
reverrons avec plaisir !<br />
Mardi soir, N. D. nous paya comme convenu une chambre à Saint-Gratien.<br />
Nous lui avions concédé un prix plus qu’honnête pour notre prestation afin <strong>de</strong><br />
rester sur Paris mais il trouva le moyen <strong>de</strong> gratter encore pour un tube <strong>de</strong> gel.<br />
À l’avenir, tel arrangement ne sera plus possible. Si nous nous prostituons par<br />
plaisir, nous n’en sommes pas dépendant. Négocier nous déplaît, surtout<br />
lorsque le prix est affiché clairement sur notre profil. Nous trouvons cela<br />
médiocre ! De même y écrivons-nous que nous jouons bareback. Il est donc<br />
inutile <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r d’arriver avec capotes et gel ; nous n’en avons<br />
évi<strong>de</strong>mment pas, sinon quelques sachets récupérés ici et là, au sauna<br />
notamment où nous consommons trop rarement. Bref, notre <strong>de</strong>al est clair, il<br />
plaît ou pas et ce qu’il implique ne doit pas être source <strong>de</strong> discussions. La chose<br />
est écrite !<br />
Hier soir, notre client d’Antony accepta <strong>de</strong> nous héberger. Nous étions sur<br />
le départ à midi en gare <strong>de</strong> Versailles mais le sale temps nous contraignit à<br />
rester. Il ne pouvait nous recevoir avant 21 heures cependant et nous dûmes<br />
tuer les heures, lentes, dans divers RER, profitant d’un siège pour grappiller<br />
quelques dizaines <strong>de</strong> minutes <strong>de</strong> repos entre chaque changement. Nous<br />
accusions en effet le coup d’une nuit blanche sur l’Internet, une nuit remplie <strong>de</strong><br />
vi<strong>de</strong> durant laquelle, shooté par la fatigue, nous rafraîchîmes notre site-web. Le<br />
résultat, bien qu’encore incomplet faute <strong>de</strong> temps, est assez convaincant. Nous<br />
977
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
terminerons ce travail à la première occasion.<br />
La même pensée nous harcèle toujours : qu’il serait bon <strong>de</strong> pouvoir mener<br />
notre vie avec le fric en plus ! Saurons-nous trouver quelqu’un pour nous<br />
ai<strong>de</strong>r ? Se présentera-t-il <strong>de</strong> lui-même ? Voilà bien, Fidèle, un problème qui<br />
moralement nous épuise.<br />
Nevers (Bourgogne, France), 23h29.<br />
2/10. C’est la note que nous donnons à la SNCF pour sa rigueur. C’est<br />
aussi le nombre <strong>de</strong> contraventions que ses agents nous donnèrent dans <strong>de</strong>ux<br />
<strong>de</strong>s dix trains que nous empruntâmes aujourd’hui. Le premier nous la tendit en<br />
nous souhaitant bonne chance dans le TER du Mans à Tours. Le second,<br />
moins aimable, dans celui <strong>de</strong> Tours à Orléans. 134 euros en tout sont un peu<br />
exagérés mais, bon, encore faudrait-il que nous recevions leurs lettres, ce qui<br />
évi<strong>de</strong>mment ne sera pas le cas.<br />
Nous sommes là allongé dans un petit cabanon en bois à la sortie <strong>de</strong><br />
Nevers. Il est propre et sent bon le neuf. Pour cause, il est en vente au milieu<br />
d’autres. Le portail <strong>de</strong> la boutique était clos, nous hésitâmes à passer par-<strong>de</strong>ssus<br />
mais nous souvînmes <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>rnière expérience en stop sur la N7 dans cette<br />
région. Il nous avait fallu vingt-cinq heures, pas moins, pour lier Nevers à<br />
Oraison. Nous préférons donc nous reposer à l’abri cette fois-ci.<br />
Demain, nous nous lèverons à 7 heures et regagnerons la gare à pattes. De<br />
là, nous essayerons d’atteindre Valence où Hubert nous récupérera. Il est<br />
temps <strong>de</strong> nous reposer quelques jours chez lui, en Ardèche, au calme, après<br />
vingt-cinq nuits <strong>de</strong> débauche et <strong>de</strong> n’importe quoi dans la capitale.<br />
978
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
1 4 j u i n 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 14h05.<br />
Il fait si chaud ! Nous attendons un TER pour Marseille. De là, nous irons,<br />
enfin, prendre notre bain à Cap d’Antibes, comme nous le souhaitions faire il y<br />
a un mois. Rien ne semble cette fois-ci décidé à l’empêcher.<br />
Un train part à l’instant mais un contrôleur l’habite. Même si nous nous<br />
foutons <strong>de</strong>s contraventions, autant les éviter quand faire se peut…<br />
Ces quatre <strong>de</strong>rnières nuits ardéchoises furent un réel plaisir, autant pour<br />
notre cul qui put se reposer que pour notre estomac, chouchouté par le talent<br />
culinaire d’Hubert. Désormais doit-il réapprendre le jeûne afin <strong>de</strong> laisser place<br />
à <strong>de</strong>s plaisirs entrant avec malice par l’autre côté. C’est qu’il faut choisir, Fidèle,<br />
le sens <strong>de</strong> la traversée lorsque tu embarques la galère qu’est la nôtre !<br />
Restons donc ouvert et prêt à recevoir ; quelques surprises uraniques<br />
seraient bien capables <strong>de</strong> nous tomber <strong>de</strong>ssus dans les jours qui viennent.<br />
Plage <strong>de</strong> la Garoupe (Provence, France), 20h41.<br />
Et bien, ce bain méditerranéen, nous l’avions attendu ! Dans une crique<br />
isolée sur le sentier du littoral entre la plage <strong>de</strong> la Garoupe et la villa Eilenrock,<br />
c’est nu comme un ver que nous communiâmes avec la mer. Il fallait au moins<br />
cela pour lui avoir fait l’affront <strong>de</strong> n’être pas venu la baiser plus tôt cette année.<br />
Elle nous le rendit bien, elle était bonne, sous certains remous parfois chau<strong>de</strong>.<br />
Personne ne nous dérangea, nos effets dispersés sur les rochers ne risquaient<br />
rien. Que du bonheur !<br />
Un noma<strong>de</strong> dans son camion à l’entrée du sentier nous donna même une<br />
cigarette pour nous encourager. Celle-là aussi, nous l’attendions <strong>de</strong>puis quatre<br />
jours.<br />
Finalement suffit-il <strong>de</strong> peu pour apprécier la vie. Nous n’en doutons pas,<br />
certes, même si dès que l’occasion se présente nous réclamons plus.<br />
N’importe ! En cet instant, le Soleil disparaissant <strong>de</strong>rrière la colline, nous n’y<br />
pensons pas.<br />
Le tenancier <strong>de</strong> la Joliette, un petit bar planté sur la plage, nous dit qu’il n’y<br />
avait pas <strong>de</strong> risque à dormir ici. C’est en effet loin <strong>de</strong> tout, d’Antibes comme <strong>de</strong><br />
979
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Juan-les-Pins. Il est donc fort probable que nous y passions la nuit. Puis,<br />
surtout, nous ne nous sentons pas <strong>de</strong> continuer la marche après tel bain.<br />
Une bouteille <strong>de</strong> Montbazillac et un peu <strong>de</strong> weed nous combleraient…<br />
980
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
1 5 j u i n 2 0 0 9<br />
Antibes (Provence, France), 6h50.<br />
Le gardien <strong>de</strong> nuit <strong>de</strong> la plage <strong>de</strong> la Garoupe consentit à nous laisser<br />
installer notre camp dans la partie privée, plus sûre. Couché vers minuit après<br />
une longue conversation téléphonique, nous fûmes réveillé par la Lune d’abord<br />
vers 4 heures puis par le frais matin. Les Cieux sont couverts aujourd’hui mais<br />
le Soleil vaincra.<br />
Le gardien <strong>de</strong> nuit remercié, une pomme suffit à nous lancer dans une<br />
marche nonchalante vers le centre d’Antibes.<br />
Notre sac nous pèse, lui qui nous suit <strong>de</strong>puis janvier 2006 à travers Europe,<br />
Afrique et Amérique. Il est temps <strong>de</strong> le changer. Dès que nous en aurons les<br />
moyens, nous lui préférerons un sac marin, plus adapté à l’errance estivale.<br />
Nous sommes là dans l’attente d’un PMO ; n’en disons pas plus. Il nous<br />
faut retourner dans la cité phocéenne ; rendons-nous donc à la gare et risquons<br />
une fois encore l’amen<strong>de</strong>.<br />
Marseille (Provence, France), 13h46.<br />
Nous attendons toujours notre PMO ; la chose se précise. Notre client ira à<br />
la Poste <strong>de</strong> Porto-Vecchio dès qu’elle ouvrira, vers 14h30, et nous enverra 150<br />
euros pour que nous l’y rejoignions. Nous prendrons le ferry <strong>de</strong> 18 heures et<br />
arriverons à 8 heures. Indisponible avant midi, nous prendrons le temps <strong>de</strong><br />
nous baigner dans les eaux turquoises et tempérées du sud <strong>de</strong> la Corse. Un<br />
autre ferry <strong>de</strong>puis Ajaccio nous ramènera en Provence, mercredi. Voilà<br />
comment le programme fut établi par notre client et nous-même.<br />
Notre vie, répétons-le, est ainsi faite. Nous n’hésitons pas à partir pour tel<br />
épiso<strong>de</strong>, si éphémère soit-il. Notre client, hier soir au téléphone, reconnut<br />
quelque originalité dans cette rencontre. Il est vrai, quand nous y pensons, que<br />
notre vie en est pleine mais il ne nous appartient pas d’en faire trop état. Pour<br />
nous attraper, la chose n’est en effet pas aisée. Il faut savoir nous sortir <strong>de</strong><br />
notre ordinaire qui, comme tu peux le lire <strong>de</strong>puis sept ans, Fidèle, n’est<br />
véritablement pas… ordinaire. Ainsi, quand un gars du Net nous propose un<br />
plan cul, se retrouve-t-il souvent déçu par notre réponse. Il peut être beau et<br />
981
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
bien monté, s’il lui manque cette originalité qui nous sied tant, il ne tirera rien<br />
<strong>de</strong> nous.<br />
Cela peut te paraître prétentieux mais il n’en est rien, au contraire. C’est<br />
sincère et simple que nous l’écrivons.<br />
982
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
Que d’événements <strong>de</strong>puis le 15 !<br />
2 7 j u i n 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 13h03.<br />
Tout d’abord, nous n’allâmes pas en Corse tel qu’il était prévu. Notre client<br />
nous envoya bel et bien un PMO <strong>de</strong> 150 euros alors que nous attendions à<br />
Marseille mais il se rétracta par SMS, la minute d’après pour ainsi dire, nous<br />
enjoignant <strong>de</strong> considérer finalement cet argent comme un don. Nous fûmes<br />
surpris, assurément ! Si cela ne nous dérangea pas, il nous fallut comprendre la<br />
raison et nous lui répondîmes <strong>de</strong> nous appeler. Il nous trouvait trop…<br />
comment le formuler sans prétention… trop intelligent, trop original, trop<br />
unique, peut-être, pour engager ce genre <strong>de</strong> relation avec nous. Pour être franc,<br />
nombre <strong>de</strong> nos clients s’attachent à nous, certains tombent amoureux (alors<br />
dans ce cas précis cessons-nous <strong>de</strong> les voir) mais toujours après une première<br />
rencontre, évi<strong>de</strong>mment. Enfin… cela nous le paraissait, évi<strong>de</strong>nt, avant cet<br />
épiso<strong>de</strong>.<br />
Bref, nous resterons sans jugement, flottant sur ce événement comme un<br />
autre atypique <strong>de</strong> notre vie.<br />
Sans rapport aucun, une migraine pointait et nous décidâmes <strong>de</strong> passer la<br />
soirée au Med Boy et la nuit dans notre grotte interdite sur la crête <strong>de</strong> Bibémus.<br />
Conduit là-haut vers 4 heures par un client <strong>de</strong> Michel, nous ne pûmes nous<br />
lever que vers 16 heures, emprunt à <strong>de</strong> violents vertiges que nous assimilâmes<br />
à cette foutue migraine chronique.<br />
Nous re<strong>de</strong>scendîmes dans le centre d’Aix à pattes y consulter notre courriel<br />
mais, toujours nauséeux, remontâmes nous coucher.<br />
Le len<strong>de</strong>main, mercredi 17, notre état ne s’était pas amélioré. Nous<br />
pensions avoir besoin <strong>de</strong> repos et notre oncle Guy, <strong>de</strong>vant passer <strong>de</strong>ux jours au<br />
château, nous prit au passage.<br />
Vendredi 19, notre mé<strong>de</strong>cin traitant, le docteur J.-M. R., diagnostiqua une<br />
jaunisse, probablement signe d’une hépatite.<br />
Mardi 23, au CIDAG d’Aix, nous fîmes donc <strong>de</strong>s analyses complètes afin<br />
<strong>de</strong> nous en assurer et hier, au même centre, alarmée par notre bilan très<br />
perturbé, le docteur D. A. nous envoya aux urgences du CHPA avec une lettre<br />
983
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
expliquant notre situation <strong>de</strong> SDF sans couverture sociale. Là, d’autres analyses<br />
furent faites tout l’après-midi et une hospitalisation fut décidée pour cause<br />
d’hépatite A aiguë.<br />
Nous sommes en observation jusques à lundi matin, minimum. Ils veulent<br />
stabiliser notre état avant <strong>de</strong> nous laisser sortir. Le docteur C. D., en charge <strong>de</strong><br />
notre cas, qui veut aussi nous faire passer une échographie, nous dit à l’instant<br />
qu’il faudra compter trois mois pour un rétablissement complet.<br />
À nous désormais <strong>de</strong> trouver un lieu <strong>de</strong> convalescence adapté. Nous ne<br />
prendrons plus <strong>de</strong> client, au moins jusques à fin septembre. Quant à nos potes<br />
<strong>de</strong> cul, il y a peu <strong>de</strong> chances que nous les voyions aussi. Nous passâmes<br />
cependant la matinée à les prévenir par SMS. Même si c’est une hépatite<br />
alimentaire pour l’essentiel, considérant nos pratiques avec certains d’entre eux,<br />
les risques existent. D’ailleurs, si ce n’est pas une huître qui nous refila ce mal,<br />
une moule juteuse en est peut-être la cause…<br />
Nous sommes las, notre tension est faible, notre foie perturbé, notre pisse<br />
chargée et notre cul se sent seul. Si nos jeux nous sont proscrits pour un<br />
certains temps, il nous faudra trouver une alternative pour habiller notre ennui<br />
et remplir notre porte-fric.<br />
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Le Tholonet (Provence, France), 16h16.<br />
Notre envie d’écrire <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux semaines est au moins aussi lâche que<br />
notre tension.<br />
Avant hier, nous fîmes d’autres analyses médicales au CIDAG d’Aix-en-<br />
Provence. L’infirmière qui nous ôta cinq tubes à essai <strong>de</strong> sang était<br />
complètement shootée. Nous ne savons pas ce qu’elle avait prit avant mais, en<br />
plus <strong>de</strong> nous charcuter trois veines sur <strong>de</strong>ux bras, elle laissa notre sang gicler<br />
sur le fauteuil et sur ses mains. Son incompétence se signait au bout <strong>de</strong> ses<br />
talons hauts, sur lesquels elle avait bien du mal à déambuler. Elle réussit à<br />
remplir trois tubes correctement, en gâcha <strong>de</strong>ux et ne nous garantit rien pour<br />
les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers, plus spécifiques. Elle poussa la plaisanterie en concluant<br />
ainsi : « Au moins, vous vous souviendrez <strong>de</strong> moi ! » Nous <strong>de</strong>vrons peut-être<br />
nous faire à nouveau percer jeudi lors <strong>de</strong> notre visite post-hospitalisation avec<br />
le docteur C. D..<br />
Côté sérologie, notre <strong>de</strong>rnier rapport datant du 6 juin avec Cyril, nous<br />
serons également fixé jeudi.<br />
Pour l’heure, nous nous reposons chez MJD au Tholonet, sans doute<br />
jusques au 20. Ensuite, et bien… Nous ne savons pas encore. Nous n’eûmes<br />
pas le temps courage <strong>de</strong> nous renseigner sur un endroit où passer cette<br />
convalescence.<br />
C’est dans <strong>de</strong>s moments comme celui-ci qu’un manoir napoléonien dans le<br />
Morbihan nous serait utile (sans oublier le confort financier qui irait avec) !<br />
Autant nous contentons-nous du strict minimum lors <strong>de</strong> nos errances<br />
vagabon<strong>de</strong>s, autant dans présente situation reconnaissons-nous notre état<br />
comme pesant et nous sentons-nous incroyablement dépendant.<br />
Nous détestons cela !<br />
Le choix nous étant proscrit – est-ce apodictique ? –, profitons <strong>de</strong> ces jours<br />
<strong>de</strong> repos pour tanner notre peau au bord <strong>de</strong> la piscine et restons confiant.<br />
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3 a o û t 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 19h57.<br />
Nous passerons la nuit sur la crête <strong>de</strong> Bibémus puis reprendrons la route<br />
<strong>de</strong>main pour la côte atlantique.<br />
Les <strong>de</strong>rniers événements <strong>de</strong> notre vie ne sont, en eux-mêmes, guère<br />
excitants. Nos problèmes <strong>de</strong> santé, sinon <strong>de</strong> nous rendre plus pru<strong>de</strong>nt<br />
maintenant que nous sommes sûr que nos résultats d’examen sont tous<br />
négatifs, eurent toutefois le mérite, dans le confinement familial, <strong>de</strong> nous<br />
soustraire quelque temps à tout environnement déca<strong>de</strong>nt que, <strong>de</strong>puis le mois<br />
<strong>de</strong> janvier et cette envie, perverse mais réfléchie, nous nous efforçons <strong>de</strong> créer,<br />
sans trop <strong>de</strong> mal, au risque <strong>de</strong> nous attirer certains désagréments. Il est drôle,<br />
limite mesquin pour certains autres, <strong>de</strong> noter que c’est notre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie<br />
vagabond qui nous cloua sur un lit d’hôpital puis dans le repos et non le fait <strong>de</strong><br />
nous être fait sauter bareback pendant six mois. Nous aurions pu attraper<br />
nombre d’infections plus sérieuses mais, non !, il n’en fut rien et l’heure est<br />
venue <strong>de</strong> nous questionner.<br />
Notre corps, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, est fatigué par tant <strong>de</strong> péripéties. S’il<br />
supporte avec plaisir le doux va-et-vient d’une queue, le manque <strong>de</strong> confort et<br />
une alimentation hasar<strong>de</strong>use, à la longue, l’abîment plus que nous le voudrions.<br />
Le voulons-nous déjà ?<br />
Notre esprit, quant à lui, <strong>de</strong>puis l’Afrique, n’attend toujours qu’un<br />
renouveau pour s’épanouir.<br />
Ainsi, ces <strong>de</strong>rniers jours, eûmes-nous tout le loisir <strong>de</strong> songer, songer,<br />
songer… sans pour autant trouver une solution. Pour seule idée, nous<br />
reconduirons notre adhésion à la SGDL, vers la fin <strong>de</strong> la semaine prochaine,<br />
dans l’espoir <strong>de</strong> pouvoir un jour nous distribuer, si d’aventure nous nous<br />
proposons, ce qui n’est pour le moment pas le cas.<br />
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1 2 a o û t 2 0 0 9<br />
TGV … pour Paris (Maine, France), 13h28.<br />
La côte atlantique n’aura finalement pas figuré dans notre itinéraire <strong>de</strong><br />
départ ; nous quittons Château-du-Loir. Maxime y voulait acheter une maison<br />
et nous <strong>de</strong>vions l’ai<strong>de</strong>r à la restaurer mais, aucun assainissement n’étant<br />
possible à moins d’engager <strong>de</strong> trop imposants travaux, il décida d’en chercher<br />
une autre ailleurs. Nous resterons donc quelques jours chez lui à Paris et<br />
sommes là dans le TGV pour nous y rendre. Nous ne risquons pas cette fois-ci<br />
l’amen<strong>de</strong> puisque la place nous est payée.<br />
Lorsque nous montâmes en capitale <strong>de</strong>puis Marseille, vendredi, un<br />
contrôleur nous en colla une <strong>de</strong> 153 euros. Nous étions assis dans un club 4,<br />
un vieux monsieur à la moustache entretenue occupait la place d’en face. Le<br />
voyant gêné pour nous et le contrôleur parti, nous risquâmes un mot <strong>de</strong><br />
détente.<br />
NOUS . Ne vous en faites pas, je les collectionne…<br />
Notre explication ne semblait pas le convaincre. Pour toute preuve au sanssouci,<br />
nous déchirâmes le papier vert en <strong>de</strong>ux et l’enfonçâmes dans le creux <strong>de</strong><br />
notre poche. Interloqué, sans doute par notre insouciante jeunesse, lui qui<br />
toute sa vie avait dû se conformer, s’aplatir <strong>de</strong>vant l’uniforme, n’appréhenda<br />
guère ce geste, banal, dix et dix autres fois répété ces <strong>de</strong>rniers mois.<br />
NOUS . … mais celle-ci, je l’ai déjà !<br />
Cela nous parut suffisamment évi<strong>de</strong>nt et conclusif. Nous n’avions <strong>de</strong> toute<br />
manière pas envie d’entrer dans le détail.<br />
Sur place, nous visitâmes Starbucks puis Milk <strong>de</strong>ux bonnes heures avant <strong>de</strong><br />
gagner Maxime à la gare Montparnasse. Nous fîmes avec lui une escale au<br />
Mans pour la nuit et ce fut à Château-du-Loir, le surlen<strong>de</strong>main, qu’enfin nous<br />
retrouvâmes <strong>de</strong> quoi fumer, boire et baiser après plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux longs mois<br />
987
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
d’abstinence et <strong>de</strong> sagesse (forcées par la maladie).<br />
Aujourd’hui, nous ne pouvons toujours pas recevoir les plaisirs qui nous<br />
caractérisent puisque nous ne sommes pas tout à fait remis mais redécouvrons<br />
ceux <strong>de</strong> l’actif que rarement nous sommes. Ne le pouvant être avec le client,<br />
nos finances stagnent. Laissons venir la chose.<br />
988
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
4 s e p t e m b r e 2 0 0 9<br />
TGV pour Marseille (France), 11h05.<br />
Nous pensons à quelque mot d’esprit pour le contrôleur mais l’inspiration<br />
nous manque, sans doute envolée dans cette belle fumée blanche d’hier soir ou<br />
encore endormie à l’appartement ; cette amen<strong>de</strong> sera sans éloquence, c’est à<br />
craindre !<br />
Nous rentrons en Provence une dizaine <strong>de</strong> jours avant <strong>de</strong> revenir en<br />
capitale pour nous y installer quelques mois. C’est une histoire somme toute<br />
assez surprenante que nous vivons <strong>de</strong>puis quatre semaines. Laisse-nous te la<br />
raconter, Fidèle.<br />
Si notre mémoire ne nous trahit pas, nous étions au château, un soir,<br />
lorsque nous reçûmes le SMS bien urbain d’un garçon qui souhaitait, après la<br />
lecture <strong>de</strong> notre weblogue, entretenir une conversation afin <strong>de</strong> nous mieux<br />
connaître. Il s’appelait Maxime et habitait Paris. Il n’était pas le seul inconnu à<br />
nous avoir contacté ainsi mais son message fort long nous intrigua et nous<br />
décidâmes <strong>de</strong> lui laisser sa chance en lui répondant avec la même politesse,<br />
soulignant toutefois que le manque <strong>de</strong> crédit allait couper court à cet entretien ;<br />
il le rechargea et nous pûmes apprendre au fil <strong>de</strong>s jours à mieux cerner ses<br />
intentions. Elles nous parurent sincères ; il ne voyait pas en nous la pute ou le<br />
vagabond mais le délicieux amalgame <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> complexité et cela nous<br />
rassura.<br />
Nous n’aimons pas les catalogues. S’il nous est impossible <strong>de</strong> nous définir,<br />
pourquoi donc accepter que d’autres le fassent pour nous ?<br />
Les jours passèrent, mala<strong>de</strong>s et las, quand il nous proposa <strong>de</strong> le rejoindre<br />
dans la Sarthe afin <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à retaper une vieille bicoque qu’il souhaitait<br />
acquérir. Il connaissait notre condition et notre état. Nous ne voulions pas<br />
retourner errer <strong>de</strong> villes en villages, <strong>de</strong> campagnes en côtes et vîmes dans cette<br />
idée incongrue (il ne nous connaissait après tout pas…) l’occasion <strong>de</strong> nous<br />
poser en nous engageant dans un projet qui promettait d’être intéressant.<br />
Le 7 juillet, nous prîmes donc le TGV et le rejoignîmes au Mans. Le<br />
len<strong>de</strong>main, nous étions dans sa future maison, à Château-du-Loir.<br />
Les quatre jours qui suivirent, nous les occupâmes tous <strong>de</strong>ux avec<br />
989
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
défrichage du jardin, alcool et baise sur le plancher semi pourri <strong>de</strong> l’étage.<br />
Nous commencions d’avoir nos habitu<strong>de</strong>s quand un expert en assainissement<br />
nous apprit qu’il n’en était aucun <strong>de</strong> vraiment viable. Maxime décida alors<br />
d’abandonner le projet en rompant le compromis <strong>de</strong> vente et nous rentrâmes à<br />
Paris avec lui. Il habitait un appartement d’une trentaine <strong>de</strong> m² dans le<br />
XVIIIème arrondissement et nous proposa d’y rester quelques jours avant <strong>de</strong><br />
repartir. Nous ne savions pas où aller et <strong>de</strong>vions réfléchir à une suite.<br />
Paris est une ville où <strong>de</strong>puis six mois nous essayons <strong>de</strong> pérenniser, avec<br />
parfois quelque mal, sans toutefois dépasser les dix ou quinze jours. Maxime,<br />
lui, voulait la quitter et retrouva son projet initial : partir vivre quelques mois<br />
en Nouvelle Calédonie, tout en gardant son appartement parisien.<br />
C’est à ce moment-là que les choses changèrent pour nous. La solution que<br />
nous attendions nous tomba <strong>de</strong>ssus. C’est donc chez lui, avec ses <strong>de</strong>ux jeunes<br />
chattes, qu’un renouveau décorera notre théâtre dans les mois à venir. Après<br />
quatre ans sac sur le dos et à pattes, nous eûmes besoin <strong>de</strong> quelques jours <strong>de</strong><br />
réflexion avant d’accepter ce troc improbable avec une joie immense, que hélas<br />
nous sommes toujours incapable <strong>de</strong> figurer. Néanmoins, intérieurement, nous<br />
jouissons cet état et notre cœur reconnaissant partage ce plaisir avec foie et cul<br />
trop heureux à l’idée <strong>de</strong> retrouver leur niveau <strong>de</strong> vie aixois, piétiné<br />
<strong>de</strong>rnièrement sur les chemins d’Europe, d’Afrique et d’Amérique.<br />
990
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
1 7 s e p t e m b r e 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 16h13.<br />
Il n’est pas rare dans notre parcours que l’Automne apporte avec lui <strong>de</strong><br />
nouveaux horizons. Ainsi, le 1er octobre serons-nous installé dans notre<br />
appartement.<br />
Aujourd’hui est un jour frais et sombre. Cinq bambins jouent autour d’un<br />
pigeon mort, criant à qui veut l’entendre qu’il dort, simplement, invitant les<br />
passants nonchalants du jardin du Palais Royal à réfléchir quant à leurs<br />
préoccupations trop familières qui bousculent la sérénité d’une vie formelle.<br />
Les gens savent-ils sourire à Paris ?<br />
Raisonnablement, le champagne aère notre analyse. Nous avions du<br />
shopping à faire cet après-midi mais une flemme entretenue <strong>de</strong>puis un mois<br />
nous supplie <strong>de</strong> la ménager. Il s’agit pourtant <strong>de</strong> rematérialiser notre vie,<br />
épurée <strong>de</strong> tout confort <strong>de</strong>puis quatre ans. Nous n’avons plus rien, ni vêtements<br />
ni accessoires, pour nous accompagner dans la mondanité. Car nous ferons en<br />
sorte <strong>de</strong> plonger <strong>de</strong>dans, évi<strong>de</strong>mment !<br />
Encore quelques jours et notre cul pourra nous ai<strong>de</strong>r dans cette tâche. Pour<br />
l’heure, c’est avec l’argent <strong>de</strong> l’état que nous boutiquons et cela n’est pas<br />
suffisant ; l’argent file vite mais nous nous attachons à ce qu’il file bien.<br />
Nous <strong>de</strong>vrons également nous resocialiser. Pour cela, nous trouverons un<br />
emploi à mi-temps dans un endroit que pour le moment nous avons du mal à<br />
imaginer. Nous ne le voulons ni médiocre, ni facile, ni même accessible. Il lui<br />
faut orchestrer ce que nous sommes et ce que nous voulons être à la fois. Ce<br />
ne sera pas évi<strong>de</strong>nt, nous en sommes conscient.<br />
Nous <strong>de</strong>vrons enfin éditer nos carnets.<br />
Tant <strong>de</strong> charges en pensée nous épuisent déjà ! Allons donc boutiquer.<br />
991
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 0 s e p t e m b r e 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 17h04.<br />
Vers 15 heures, nous déjeunâmes au Café du Théâtre dans le jardin du<br />
Palais Royal ; nous avions besoin d’évasion. Depuis trois jours, Maxime fait la<br />
gueule et agit comme si nous le dérangions. Nous le savons angoissé par son<br />
départ à l’aventure mais sentons autre chose et nous <strong>de</strong>mandons si finalement<br />
il ne va pas se lâchement rétracter quant à sa proposition d’occuper son<br />
appartement durant sa longue absence.<br />
Hier, il revint déjà sur les termes <strong>de</strong> l’accord qu’il avait lui-même formulés<br />
les premiers jours <strong>de</strong> cette cohabitation parisienne en nous <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong><br />
participer aux factures <strong>de</strong> l’Internet et à l’assurance habitation avec un ton sans<br />
équivoque. Nous lui avions dit que quand nous le pourrions nous prendrions<br />
en charge celle <strong>de</strong> l’électricité, ce qui nous paraissait normal. Pour le reste, il<br />
nous avait certifié que <strong>de</strong> toute manière il comptait laisser les abonnements<br />
courir. Nous nous attendons à ce qu’il nous le sous-loue à ce train…<br />
Avant-hier, il nous reprocha même <strong>de</strong> ne pas chercher <strong>de</strong> boulot,<br />
prétextant qu’il ne frapperait pas à notre porte. Nous le calmâmes en lui<br />
rappelant qu’elle n’était pas encore nôtre, cette foutue porte, et qu’il était bien<br />
inutile <strong>de</strong> chercher quoi que ce fût avant son départ. Nous ne savons pas<br />
comment son cerveau fonctionne mais tout n’y semble pas clair. Il nous paraît<br />
évi<strong>de</strong>nt, à nous, que pour le moment, à dix jours <strong>de</strong> son départ et vu son<br />
récent comportement, rien n’est certain.<br />
Les homos – les Hommes d’une manière générale – manquent tellement <strong>de</strong><br />
constance que nous ne nous sentirons chez nous qu’une fois lui dans l’avion.<br />
Et encore… Nous ne serons jamais véritablement chez nous dans cet<br />
appartement, nous dépendrons toujours <strong>de</strong> son désir à lui <strong>de</strong> rester là-bas ou<br />
pas, <strong>de</strong> continuer à payer le loyer ou pas, etc. Cela sans compter les<br />
innombrables lubies dues aux inconstances susnommées. Ne nous faisons<br />
donc aucune illusion !<br />
992
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 1 s e p t e m b r e 2 0 0 9<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 10h22.<br />
Alors que nous écrivions notre article, hier sur le lit mezzanine, Maxime<br />
regardait la télévision, affichant toujours son plus grave air d’enterrement et<br />
n’ayant décroché mot <strong>de</strong>puis notre retour <strong>de</strong> promena<strong>de</strong>. Nous finîmes par<br />
immanquablement nous endormir. À notre réveil, vers 21h30, il était parti pour<br />
ne rentrer que vers 1 heure avec cette phrase sortie d’une mauvaise série B :<br />
« Demain, il faut qu’on parle ! » Il lui avait fallu trois jours d’intense mornitu<strong>de</strong><br />
pour nous dire cela, mais juste cela.<br />
Nous n’allions pas le laisser s’en tirer aussi facilement. Il prétexta qu’il était<br />
fatigué et qu’il n’avait pas la tête à en dire davantage mais, avec esprit, nous<br />
apprîmes la raison <strong>de</strong> cette idiote mise en scène <strong>de</strong> collégienne. Ses “amis” lui<br />
avaient mis dans la tête que nous le faisions passer pour une salope dans notre<br />
billet du 4 septembre.<br />
Tout ça pour ça ! Nous n’en revenons toujours pas. Lorsque nous écrivîmes<br />
notre rencontre avec lui, nous racontâmes effectivement avoir couché<br />
ensemble à Château-du-Loir mais cela nous prit une ligne et s’inscrivait dans<br />
une quasi louange <strong>de</strong> la chance que nous avions eue <strong>de</strong> rencontrer quelqu’un<br />
d’aussi généreux et sympathique. Comment peuvent-ils penser cela, ces<br />
nuisibles ? Pourquoi nos amis à nous trouvent en la personne <strong>de</strong> Maxime,<br />
qu’ils ne connaissent pas, un cas rare d’altruisme et <strong>de</strong> gentillesse ? C’est<br />
incompréhensible, à croire que cette comédie ridicule n’est qu’un autre prétexte<br />
pour lâchement se rétracter, comme nous le pensions hier, car il se fait bourrer<br />
le mou par ses pseudo potes.<br />
Et nous <strong>de</strong> subir une fois <strong>de</strong> plus le coup du Destin, ou plutôt celui <strong>de</strong> la<br />
médiocrité <strong>de</strong>s Hommes !<br />
Attendons qu’il se lève, nous en saurons peut-être davantage.<br />
Et bien, la chose se révèle n’être en définitive pas bien glorieuse !<br />
14h29.<br />
Il dormait sur le canapé, n’ayant pas voulu au soir monter se coucher dans<br />
le lit, recroquevillé tel un fœtus dans le ventre <strong>de</strong> sa maman. Nous savions où<br />
993
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
la discussion mènerait, tant est qu’elle advienne, et nous levâmes, prîmes notre<br />
douche, faisant fis du dérangement occasionné. Après tout voulait-il parler au<br />
matin ! Nous n’espérions pas pour être franc une conversation entre adultes<br />
mais une explication, plausible, à son caca nerveux.<br />
Imagine la scène, Fidèle.<br />
Notre café était prêt, nous lui <strong>de</strong>mandâmes s’il voulait nous parler<br />
maintenant ou attendre d’être pleinement réveillé. Sans réponse, nous<br />
montâmes écrire notre article, clope au bec, en attendant le bon-vouloir <strong>de</strong> Sa<br />
Majesté <strong>de</strong>s Mouches, sachant pertinemment qu’un jour lui aussi rencontrerait<br />
ses marins sur une plage. Son masque <strong>de</strong> gentil garçon tombé, nous avions<br />
dans la nuit décidé <strong>de</strong> partir, refusant <strong>de</strong> prostituer notre esprit à quelque<br />
proposition que ce fût. N’était-ce pas lui après tout qui était venu nous<br />
chercher ? Nous voulions cependant une réponse ! Si nous avions fait quelque<br />
chose <strong>de</strong> mal, nous voulions nous corriger, non pour lui car il s’inscrivait<br />
désormais dans une anecdote révolue mais pour nous-même.<br />
Après un long moment <strong>de</strong> réflexion, il prit enfin son courage à <strong>de</strong>ux<br />
mains :<br />
MAXIME . C’est pas toi qui vas gar<strong>de</strong>r les chattes.<br />
Nous le savions, cela, et attendions plus. Nous <strong>de</strong>scendîmes et une<br />
discussion <strong>de</strong> mer<strong>de</strong> s’en suivit. Il n’avait aucun argument. Celui qu’il nous<br />
avait fourni ne tenant pas (même lui s’en était rendu compte), il en inventa un<br />
autre : « J’ai peur que tu amènes <strong>de</strong>s clients ici. » Il savait, comme tout le<br />
mon<strong>de</strong>, y compris nos clients, que jamais nous ne les traînions chez nous,<br />
préférant le mystère d’une rencontre à l’hôtel ou chez eux, y gagnant plus aussi.<br />
Le regard fuyant, une clope se consumant pour emplir son corps frêle<br />
d’hypocrite, son explication était pourrie, encore une fois. Mais il tint bon et<br />
n’en lâcha aucune autre.<br />
Soit ! Nous espérions plus <strong>de</strong> maturité mais il n’en fut rien. Calmement,<br />
nous préparâmes nos affaires. La journée étant bien avancée, il nous était<br />
difficile <strong>de</strong> partir ainsi. Il tenait à cela aussi. Nous le poussâmes un peu,<br />
affirmant rester une nuit <strong>de</strong> plus, ce que, convenu, nous avions décidé <strong>de</strong> ne<br />
994
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
pas faire. Il fit le plus vulgaire, nous tendre 40 euros pour passer la nuit à<br />
l’hôtel, il ne voulait pas nous supporter une journée <strong>de</strong> plus, il n’en avait pas la<br />
force. Il puait la faiblesse, la duperie. Il se savait dans son tort, nous l’espérions,<br />
autrement cela aurait signifié qu’il était pire que ce qu’il montrait à ce momentlà<br />
: simplement bête et méchant. Et encore… Il ne savait être méchant, aucun<br />
rôle n’était crédible quand il l’enfilait. Peut-être un seul… Le qualificatif<br />
employé par ses “amis” qui déclencha tout ceci était-il fondé ? Nous refusâmes<br />
l’argent, cela va <strong>de</strong> soit.<br />
À chacune <strong>de</strong> nos phrases, plus <strong>de</strong> simples réflexions pour nous-même, il<br />
répondait avec ce que nous entendions lorsque nous étions au collège. Tu sais,<br />
Fidèle, ces petites ridicules fièrement balancées, le visage relevé, pour se<br />
gonfler <strong>de</strong> vi<strong>de</strong> ? Et bien voilà, il en était arrivé là. Il ne savait que dire alors,<br />
pour sa défense, agissait comme si nous lui avions fait la pire <strong>de</strong>s crasses.<br />
Comment, Diable !, aurions-nous pu faire telle chose ? Nous lui étions<br />
reconnaissant, nous sommes honnête, éduqué. Nous l’avions intégré dans<br />
notre cercle <strong>de</strong> confiance. Choisissait-il ses “amis” en fonction <strong>de</strong> leur<br />
médiocrité ?<br />
Nous avions également emprunté l’un <strong>de</strong> ses disques durs externes pour<br />
monter les documents (musique, films, photos, etc.) <strong>de</strong> notre ordinateur au<br />
château. Nous avions travaillé <strong>de</strong>ssus, il le savait. Nous le prîmes et lui dîmes<br />
que nous viendrions le remettre à sa concierge une fois vidé chez nos parents.<br />
Naturellement, il ne voyait pas la chose <strong>de</strong> la même manière et ce petit excité<br />
s’emballa avec injures et menaces. Soit, à quoi aurait servi <strong>de</strong> lui coller notre<br />
point sur la tronche, sinon l’abîmer davantage. Avec raison, nous le laissâmes le<br />
reprendre, lui qui nous assura préférer le casser plutôt que nous le laisser<br />
emprunter. Ri-di-cu-le, la caricature d’opérette ! Il nous rappelait notre ancien<br />
propriétaire à Aix-en-Provence, l’un <strong>de</strong> ces êtres si lâches, si fa<strong>de</strong>s, qu’ils en<br />
sont incapables <strong>de</strong> raison.<br />
Nous lui prîmes <strong>de</strong>s mains en fin <strong>de</strong> compte pour le vi<strong>de</strong>r <strong>de</strong>puis son<br />
ordinateur, perdant les données auxquelles nous tenions ; tant pis. Nous<br />
abaisser à ses manœuvres débiles ne nous aurait avancé à rien. Puis nous<br />
partîmes, nonchalamment comme à notre habitu<strong>de</strong>. Qu’aurions-nous pu faire ?<br />
Son esprit embobiné pouvait-il même appréhen<strong>de</strong>r les notions <strong>de</strong> déférence et<br />
<strong>de</strong> noblesse ? Il n’oublia pas <strong>de</strong> préciser, au passage, que si ses pneus <strong>de</strong><br />
995
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
scooter étaient crevés, il savait <strong>de</strong> qui cela venait. Que <strong>de</strong> bassesses inutiles,<br />
franchement ! De nature, nous sommes plus enclin à faire la bise sans rancune<br />
en partant mais il choisit <strong>de</strong> s’enterrer avec ses propos dans une absurdité<br />
désespérante.<br />
Et si, en tout état <strong>de</strong> cause, il avait eu peur que l’on découvre qu’il était bel<br />
et bien une salope ?! N’aurait-il pas mieux fait ? Le voulait-il ? Ressembler à<br />
l’une <strong>de</strong>s “gentilles” salopes <strong>de</strong> ses séries B était-il un enjeu pour lui ? Raté,<br />
Maxime est simplement un baltringue. Nous pensions avoir affaire à quelqu’un<br />
d’intelligent, nous nous trompions. En trois jours, il modifia son<br />
comportement du tout ou tout, prouvant que la seule résolution qui l’habitait<br />
était celle <strong>de</strong> la bêtise. Nous en payons le prix, qui n’est même pas une<br />
désillusion mais plus une occasion manquée. Il y en aura d’autres, nous n’en<br />
doutons pas. Notre naturelle confiance n’est pas touchée par tout ceci. Trop <strong>de</strong><br />
bruit pour rien.<br />
Au final, cette histoire est à mourir <strong>de</strong> rire et nous rappelle que ce que nous<br />
vivons <strong>de</strong>puis quelques mois n’est qu’une pâle copie <strong>de</strong> ce que nous vécûmes<br />
déjà par le passé. Les gens changent, il est vrai, mais ne sont qu’un paramètre.<br />
Ces situations ne nous distraient plus, elles ne nous lassent plus. Elles sont,<br />
c’est tout, et la seule chose à faire est <strong>de</strong> les ajouter à une liste déjà bien longue<br />
<strong>de</strong> fabliaux mal récités.<br />
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Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 8 s e p t e m b r e 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 19h03.<br />
Seul sur le quai A <strong>de</strong> la gare SNCF, il nous est difficile <strong>de</strong> ne pas glorifier<br />
notre état qui, dans un contexte perturbé par <strong>de</strong>s rencontres imbéciles, ellesmêmes<br />
objets <strong>de</strong> notre Destin, nous évoque un sentiment d’accompli.<br />
Nos maux <strong>de</strong> tête chroniques s’amplifièrent il y a une dizaine <strong>de</strong> jours alors<br />
que nous étions toujours dans l’expectative d’un nid où nous percher, solitaire<br />
et quelques mois. Il apparut que tel n’était pas l’image que nous <strong>de</strong>vions laisser<br />
et nous retrouvâmes le château, accueillant.<br />
Ce matin, à notre réveil, une grosseur inconnue poussait sous notre scalp,<br />
comme si notre esprit, à l’étroit dans ce corps trop mortel, voulait s’en<br />
échapper. S’il y parvient, emportant avec lui le Chaos, ce sera la confirmation<br />
que notre choix <strong>de</strong> vie aura été le bon, nous refusant <strong>de</strong> nous compromettre<br />
dans le conformisme imposé malgré elle à la masse. Nous n’avons d’ailleurs<br />
pas besoin <strong>de</strong> cette “preuve” pour nous inspirer mais si la mort <strong>de</strong> notre<br />
condition doit s’exprimer pour occuper une place, quelle qu’elle soit, dans la<br />
sagesse collective <strong>de</strong> l’humanité, nous nous plierons à sa volonté. Avons-nous<br />
le choix ? Peut-on même parler <strong>de</strong> choix avec le Destin ?<br />
Nous y reviendrons.<br />
Ce que tu fais <strong>de</strong> ta vie, Fidèle, n’a aucune importance. Toute construction<br />
est vouée à la <strong>de</strong>struction, à l’oubli. Elle meurt avec ou après son architecte ;<br />
elle meurt. Ce qui importe est celui que tu <strong>de</strong>viens. Peu le comprennent.<br />
Beaucoup partent avec le sentiment d’avoir été utile sans finalement jamais<br />
n’avoir simplement été. La chose ne nous attriste pas, ni ne nous libère. C’est<br />
un constat. Nous sommes. Ni ceci, ni cela, nous sommes, simplement, et ce<br />
que nous sommes <strong>de</strong>venu nous convient.<br />
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<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 n o v e m b r e 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 17h35.<br />
Cela ne fera peut-être pas disparaître nos maux <strong>de</strong> crâne mais une<br />
infirmière du CIDAG d’Aix-en-Provence vient <strong>de</strong> nous injecter une dose<br />
conséquente d’Extencilline 2,4MUI dans la fesse droite pour nous guérir d’une<br />
vérole, vraisemblablement attrapée à Paris avec ce baltringue <strong>de</strong> Maxime<br />
puisqu’il fut notre <strong>de</strong>rnier plan et que nous étions parfaitement sain avant <strong>de</strong> le<br />
rencontrer – avec tous les tests que nous faisons <strong>de</strong>puis fin juin, aucun doute<br />
possible sur ce <strong>de</strong>rnier point, les dates correspon<strong>de</strong>nt. Exilé dans le Pacifique,<br />
nous ne pourrons le lui annoncer <strong>de</strong> vive voix ; un mail <strong>de</strong>vra donc suffire :<br />
« Tu as la syphilis, fais-toi soigner ! » Restons simple et sans jugement, pas sûr<br />
qu’il comprenne.<br />
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8 n o v e m b r e 2 0 0 9<br />
Aix-en-Provence (France), 17h05.<br />
Nous écoutâmes beaucoup nos absences <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières semaines afin <strong>de</strong><br />
déci<strong>de</strong>r du <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> notre condition. Il nous apparut comme une évi<strong>de</strong>nce<br />
que nous <strong>de</strong>vions tout d’abord arrêter quelques semaines <strong>de</strong> nous prostituer.<br />
En effet, l’ayant pratiquée pour rendre plus distrayantes nos relations (sexuelles<br />
et humaines) et n’y trouvant plus <strong>de</strong> plaisir, il était inutile <strong>de</strong> persévérer dans<br />
cette voie. Déjà à Paris, alors que nous étions chez Maxime, sans gran<strong>de</strong><br />
conviction quant à notre rôle d’actif, nous y pensions. Lui, en nous ouvrant<br />
son cul, nous occupa un temps mais, sur les <strong>de</strong>rniers jours, l’envie n’y était<br />
plus. Nous nous <strong>de</strong>mandons maintenant si nous aurions dû nous forcer afin <strong>de</strong><br />
gar<strong>de</strong>r l’appartement. Ah ! N’y pensons plus, nous en aurions <strong>de</strong> toute manière<br />
été incapable.<br />
Notons seulement que le sexe cessa alors <strong>de</strong> jouer le rôle <strong>de</strong> bouffon que<br />
nous lui imposions <strong>de</strong>puis janvier. Pourquoi faut-il toujours que nous épuisions<br />
jusques au dégoût les idées qui nous viennent ? C’est que, à force, nous n’en<br />
trouvons plus <strong>de</strong> suffisamment nouvelles pour éveiller en notre sein quelque<br />
curiosité. C’est gênant, Fidèle. Oui, gênant ! Puis, la chose est vaine. Nous ne<br />
gagnons par ces expériences que toujours plus d’antipathie vis-à-vis <strong>de</strong>s gens,<br />
ces gens que nous trouvons soit trop médiocres, soit trop peu évolués.<br />
En regardant cette semaine un documentaire sur la chasse à la baleine dans<br />
les fjords islandais, prochainement ré-autorisée pour sauver la pitoyable<br />
économie d’une société bouffée par l’égoïsme et le manque <strong>de</strong> sagesse, nous<br />
repensâmes à nos envies d’éco-radicalisme. Faut-il les satisfaire elles aussi ?<br />
Puisque l’Homme réclame <strong>de</strong> magistrales baffes pour comprendre certaines<br />
choses qui pour nous (nous n’osons écrire “nous seul”…) sont manifestes,<br />
quelle raison pourrait bien nous en empêcher ?! Ne soyons pas trop moraliste.<br />
Il s’agit avant tout, répétons-le, <strong>de</strong> nous distraire. Ce serait excitant, atypique et<br />
pour le moins inédit : quelques ingrédients qui surent jusques à aujourd’hui<br />
donner à notre quotidien ce goût d’aventure que nous recherchons tant. Ce<br />
penchant pour le non-encore-vécu ruinera probablement un jour notre peu<br />
d’enthousiasme à toute chose mais que faire ? C’est un problème tautologique !<br />
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<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 6 n o v e m b r e 2 0 0 9<br />
Nantes (Armorique, France), 22h47.<br />
En quittant le château, samedi midi, nous ressentîmes le besoin presque<br />
impérial d’aller fumer une cigarette (sinon mieux !) sur les berges du lac<br />
Léman. Nous fîmes donc du stop jusques à Marseille dans l’espoir <strong>de</strong><br />
rapi<strong>de</strong>ment trouver un train pour Lyon.<br />
Notre esprit évadé pour quelque lieu magique où les préoccupations<br />
humaines n’occupent qu’une place secondaire, une fois en gare Saint-Charles,<br />
nous regardâmes l’écran <strong>de</strong>s départs et y vîmes “Lyon” inscrit <strong>de</strong>vant un<br />
horaire tout à fait acceptable. Nous savions arriver dans l’ancienne capitale <strong>de</strong>s<br />
Gaules en pleine nuit et fort probablement sous la flotte mais cette nouvelle<br />
aventure nous enchantait alors que nous ne nous étions plus vraiment<br />
promené <strong>de</strong>puis cinq mois. Nous montâmes dans le TGV, libre et sain, les<br />
écouteurs dans les oreilles, prêt à terminer Le Crépuscule <strong>de</strong>s Tsars <strong>de</strong> Maurice<br />
Paléologue.<br />
Une fois en gare d’Avignon, le TGV reprenant sa folle course, entre <strong>de</strong>ux<br />
morceaux <strong>de</strong> The XX, nous entendîmes la chef <strong>de</strong> bord <strong>de</strong> sa douce voix<br />
annoncer la bienvenue aux nouveaux passagers et la <strong>de</strong>stination finale pour<br />
Paris. Bêtement, sur l’écran <strong>de</strong>s départs à Marseille, nous n’avions pas vu que<br />
“Lyon” suivait “Paris gare <strong>de</strong>”. Tant pis pour la cigarette, ce train était<br />
désormais direct.<br />
Arrivé en capitale vers 21 heures, nous passâmes la nuit chez Milk.<br />
Le len<strong>de</strong>main midi, nous visitâmes PLT pour converser <strong>de</strong> choses et<br />
d’autres et prendre un bain à la grenadine dans lequel nous pûmes sans trop <strong>de</strong><br />
mal après une nuit blanche sur un clavier défoncé par l’acharnement <strong>de</strong>s<br />
populeux qui hantent le cybercafé susnommé, somnoler sous un coussin <strong>de</strong><br />
mousse légère et parfumée. Nous dûmes en sortir, les doigts fripés à poing, car<br />
Vladimir nous invitait chez lui à Nantes et qu’un train nous attendait pour<br />
18h45, train qu’évi<strong>de</strong>mment nous manquâmes à cause <strong>de</strong>s bouchons parisiens,<br />
surprenants un dimanche soir. Un autre, heureusement, s’annonçait-il à 20<br />
heures.<br />
Affranchi d’un soir, la chef <strong>de</strong> bord, bonne âme compatissante, ne voulut<br />
1000
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
pas nous verbaliser lorsqu’elle nous trouva sans billet dans un sas entre <strong>de</strong>ux<br />
wagons <strong>de</strong> première classe. Le TGV était bondé mais se vida à Angers et nous<br />
pûmes, une petite <strong>de</strong>mi-heure, nous assoupir sur notre bouquin interminable.<br />
À 22 heures, nous étions enfin dans l’ancienne capitale armoricaine ; au<br />
final, même dans nos étourdissements, c’est dans l’Histoire que nous <strong>de</strong>vons<br />
évoluer.<br />
Nous sommes là planté au Petit Marais, un bar du centre-ville nantais. Le<br />
19, nous re<strong>de</strong>scendrons au château puis à Aix-en-Provence pour la Sainte-<br />
Cécile et les oliva<strong>de</strong>s. Il y aura ensuite Noël, puis le jour <strong>de</strong> l’an et cela fera un<br />
an que nous aurons entrepris la rédaction du carnet d’un chat pute et<br />
vagabond, pseudo débauché, jamais satisfait, ataraxique et marmoréen lorsqu’il<br />
s’agit <strong>de</strong> ses relations. Nous voudrions le prochain mieux rangé.<br />
1001
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 9 n o v e m b r e 2 0 0 9<br />
Le Tholonet (Provence, France), 00h24.<br />
Passant ces temps-ci nos journées dans les oliviers, il nous faut certains<br />
soirs <strong>de</strong> quoi nous oublier. Ainsi, régulièrement, visitons-nous le Med Boy.<br />
Mardi, nous pûmes apprécier en fin <strong>de</strong> soirée, ou plutôt en tout début <strong>de</strong><br />
matinée, alors que les <strong>de</strong>rniers rescapés <strong>de</strong> la nuit s’apprêtaient à quitter, un<br />
épiso<strong>de</strong> caractéristique du mon<strong>de</strong> homo dans lequel nous aimons tant et<br />
encore, avec surprise, nous immerger.<br />
Pour résumer, <strong>de</strong>ux colocataires y vinrent boire quelques bières. Un client<br />
s’enticha du premier, un Anglais pinté qui n’osait dire non, et voulut partir avec<br />
lui. Le second, jaloux sans trop l’avouer, prétexta un problème <strong>de</strong> clefs. Le<br />
client, le premier et lui entamèrent alors <strong>de</strong> pathétiques tractations pendant<br />
plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux heures, délaissant un quatrième, étasunien, qui avait lui aussi<br />
auparavant jeté son dévolu sur l’Anglais. Tout cela pour un morceau <strong>de</strong> vian<strong>de</strong><br />
trop alcoolisé ; il fallait vraiment être affamé !<br />
Michel nous reconduisit sur le Tholonet vers 6 heures. Impossible <strong>de</strong> taire<br />
notre fou rire durant le trajet. Les homos nous pouvaient-ils encore servir à<br />
quelque chose ? Nous y retournâmes jeudi pour nous en assurer.<br />
Le bar était plein, l’ambiance jeune et chau<strong>de</strong>. Nous commandâmes une<br />
Despe, puis une autre et, pendant que <strong>de</strong>ux jeunes mignons dansaient entre les<br />
clients sur un Mika déchaîné, las <strong>de</strong> ce théâtre que nous connaissions pour y<br />
avoir déjà tenu un rôle important quelques années plus tôt, nous <strong>de</strong>scendîmes<br />
faire un billard. Trois clients plus âgés s’y essayaient entre verres <strong>de</strong> vin rouge<br />
et joints. Ils nous invitèrent à partager leur jeu, nous acceptâmes avec délice,<br />
l’envie <strong>de</strong> fumer n’y étant pas pour peu. La salle voûtée finit par se remplir, <strong>de</strong><br />
même que notre foie à saturer. N’écoutant ni raison, ni sommeil, alors que les<br />
trois rentraient chez eux, nous restâmes faire une partie avec l’Étasunien <strong>de</strong><br />
mardi qui, à n’en pas douter, attendait plus <strong>de</strong> notre part. Nous aurions pu le<br />
libérer <strong>de</strong> cette illusion mais nous faire courtiser est une <strong>de</strong>s rares choses dont,<br />
étrangement, nous ne nous lassons pas. Cela dit, est aussi rare celui ou celle qui<br />
parvient à nous intéresser. Il aurait cependant dû persévérer, le pauvre… Non<br />
qu’il nous attirait particulièrement mais nous étions pinté. Peut-être aurait-il<br />
reçu un baiser ; va savoir, Fidèle ! Hélas pour lui, l’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux jeunes mignons<br />
1002
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
fans <strong>de</strong> pop britannique, le plus blond, le plus en chaleur, vint se trémousser<br />
sur notre cul alors que nous tentions <strong>de</strong> mettre une boule dans un trou.<br />
Oubliant billard, Étasunien, Despe, toute retenue ou constance, nous<br />
l’embrassâmes pour finir torse nu sur ses genoux dans un fauteuil <strong>de</strong> la salle<br />
vidéo. Nous passâmes <strong>de</strong>rrière un paravent <strong>de</strong> tissu et <strong>de</strong> bois, nous<br />
défroquâmes tous <strong>de</strong>ux ; il nous faisait envie. Pas assez, sembla-t-il,<br />
lorsqu’après une bonne vingtaine <strong>de</strong> minutes entre caresses et léchages en tous<br />
endroits, il apparut évi<strong>de</strong>nt que nous ne pouvions pas le prendre. Notre corps<br />
s’y refusait. Était-ce la fatigue accumulée, les alcools, le shit, la crainte <strong>de</strong> n’être<br />
pas encore tout à fait sain, l’ennui, l’âge peut-être… ? Impossible <strong>de</strong> le dire !<br />
Lui bandait, nous pas. Il nous laissa avec peine, forcément.<br />
Tout le mon<strong>de</strong> était parti et Michel nous attendait pour fermer. Il proposa<br />
<strong>de</strong> nous reconduire mais nous avions besoin d’air et conclûmes que rentrer à<br />
pattes nous ferait grand bien. Il était 3h25. De la musique dans les oreilles, sans<br />
trop penser à quoi que ce fût, pas même au chemin <strong>de</strong> retour, nous quittâmes<br />
le centre-ville. Cela nous mena dans les collines <strong>de</strong> Bibémus, loin, bien loin <strong>de</strong><br />
notre lit que nous gagnâmes finalement à 6 heures, sans véritablement savoir<br />
comment.<br />
C’est triste à écrire mais nous vieillissons !<br />
1003
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
6 d é c e m b r e 2 0 0 9<br />
C’est la Saint-Nicolas, fêtons-la dignement !<br />
Aix-en-Provence (France), 21h48.<br />
Vers 23 heures, nous irons nous pinter au Med Boy puis peut-être au New<br />
Cancan avec Niko mais pour l’heure, seul, contentons-nous d’une coupette au<br />
Roton<strong>de</strong>.<br />
Les oliva<strong>de</strong>s s’achèvent lentement ; encore un champ et nous serons libre<br />
<strong>de</strong> continuer notre chemin jusques à Noël que nous passerons en famille au<br />
château. Pour la nuit du Nouvel An, nous aimerions partager un moment <strong>de</strong><br />
folle et gay déca<strong>de</strong>nce avec Vladimir. La chose se fera s’il le peut. Nous n’avons<br />
pas l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> nous projeter, faute <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong> matérielle mais, en cette<br />
soirée <strong>de</strong> toute can<strong>de</strong>ur éthylique, il nous plaît <strong>de</strong> nous complaire dans cet<br />
exercice.<br />
Ainsi, début janvier, lorsque notre foie aura récupéré, irons-nous protéger<br />
nos <strong>de</strong>rniers écrits à la SGDL même si, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, nous ne les<br />
proposerons à personne. Il nous faudra ensuite <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelque ai<strong>de</strong> pour<br />
une éventuelle installation, bien que la chose soit improbable. En parallèle,<br />
pied-à-terre ou pas (cela ne change rien !), nous renouvellerons notre passeport<br />
afin d’engager un nouveau psycho-trip si l’envie nous tente. Nous voulons<br />
nous sentir libre <strong>de</strong> voyager où bon nous semble et <strong>de</strong>vons avouer que cela<br />
nous manque <strong>de</strong>puis plus d’un an.<br />
Le lieu fait la consommation. Chez Michel, nous nous sentons invité à<br />
prendre <strong>de</strong> la Despe, rarement du champagne, s’il est offert par quelque<br />
généreux client. Au Roton<strong>de</strong>, alors que l’ambiance feutrée pourpre s’impose au<br />
milieu <strong>de</strong>s illuminations municipales <strong>de</strong> Noël, nous ne voyons rien d’autre<br />
qu’un Moët rosé pour la compléter. Le Bloody Mary pourrait tenir le rôle mais<br />
se joue davantage l’après-midi, en terrasse, sous ce Soleil <strong>de</strong> Provence qui se<br />
cache ces jours-ci. Étreint contre un corps maculé <strong>de</strong> sublime, notre esprit<br />
s’évadant dans l’oubli d’un regard jupitérien, nous serions comblé.<br />
Laissons cela, la minute n’est pas au fantasme mais aux projets. Tout est dit<br />
en fait !<br />
Recommandons une coupe et quelques toasts <strong>de</strong> foie gras.<br />
1004
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
1 2 d é c e m b r e 2 0 0 9<br />
Le Tholonet (Provence, France), 00h43.<br />
À 5 heures, dimanche <strong>de</strong>rnier, après moult déambulations dans les rues <strong>de</strong><br />
Marseille, nous franchîmes enfin les innombrables marches qui mènent le<br />
boulevard d’Athènes à la gare Saint-Charles. Nous avions achevé notre Saint-<br />
Nicolas au New Cancan avec Niko, trouvant un chauffeur pour nous y<br />
conduire <strong>de</strong>puis le Med Boy vers 1h30. Ils partirent avant nous, trop englué au<br />
dance floor. Nous voulions rentrer en TER et l’un d’eux se présenta ; nous y<br />
montâmes, défoncé, avec la ferme intention <strong>de</strong> tendre notre ID pour seul titre<br />
<strong>de</strong> transport. C’était sans compter sur un jeune assermenté trop zélé qui nous<br />
embruma cette fin <strong>de</strong> nuit.<br />
Avant que le train ne démarre, il vint nous contrôler. Nous lui expliquâmes,<br />
éméché mais correct, que nous sortions <strong>de</strong> boîte, étions fatigué, voulions<br />
rentrer nous reposer en Aix au plus vite et n’avions pas voulu perdre <strong>de</strong> temps<br />
au guichet. D’un air dégoûtant d’aigreur, il nous dit qu’il ne pouvait pas nous<br />
verbaliser à l’arrêt et que nous <strong>de</strong>vions <strong>de</strong>scendre du train, quittant la gare cinq<br />
minutes plus tard. Nous insistâmes, blaguant sur notre état et l’image que nous<br />
rendions mais il ne voulut rien savoir sinon que si nous avions 10 euros, dans<br />
ce cas… Il nous restait <strong>de</strong> la soirée un billet <strong>de</strong> 50 euros. Nous le lui donnâmes,<br />
enfin débarrassé <strong>de</strong> cet encombrant. Il le prit, le rangea dans sa poche, remplit<br />
une amen<strong>de</strong> <strong>de</strong> 35 euros avec monnaie, qu’il n’avait pas, à récupérer en gare<br />
d’Aix-en-Provence et partit. Nous attendions 40 euros et, sur le coup, ne<br />
réagîmes pas. Lorsque nous réalisâmes, il était sur le quai et rejoignait l’avant<br />
du train. Nous le suivîmes et l’interpellâmes <strong>de</strong>vant la cabine du conducteur.<br />
Cette affaire commençait <strong>de</strong> nous dégriser. Il voulut quitter le<br />
compartiment. Nous l’en empêchâmes, faute d’explication, avec le sentiment<br />
<strong>de</strong> nous faire enculer à sec par un mec véreux. Le bousculant car il essayait <strong>de</strong><br />
passer, il nous laissa entendre qu’il était assermenté, nous seulement bien<br />
alcoolisé et que <strong>de</strong> toute manière, c’était lui qui avait toute raison si nous<br />
déposions plainte.<br />
NOUS . Évi<strong>de</strong>mment que je sens l’alcool, j’ai passé la nuit en boîte. Je dois<br />
même sentir la cigarette et en cherchant bien, un peu le sexe aussi. Cela ne<br />
1005
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
vous donne pas autorité sur moi. Vous m’aviez <strong>de</strong>mandé 10 euros. Je pensais,<br />
<strong>de</strong>vant votre manque <strong>de</strong> précision, que c’était pour payer le billet et vous me<br />
remettez une amen<strong>de</strong> <strong>de</strong> 35 euros, sans même me rendre la monnaie ? Quelle<br />
est donc cette manière mafieuse <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r ?!<br />
Il ne voulut pas en découdre, il se savait effectivement dans son droit car<br />
un connard un jour lui avait fait “prêter serment”. Quand on n’a aucune<br />
morale, le raisonnement est bien facile…<br />
Heureusement le conducteur arriva-t-il <strong>de</strong> sa cabine autrement aurionsnous<br />
perdu toute patience, faisant fi <strong>de</strong>s conséquences, juste pour la cause. Il<br />
nous <strong>de</strong>manda ce qu’il se passait, nous le lui racontâmes et le contrôleur en<br />
profita pour se retrancher sur le quai au milieu <strong>de</strong> ses collègues qui attendaient<br />
le départ d’un TGV sur celui d’en-face. Nous nous expliquâmes <strong>de</strong>vant tout le<br />
mon<strong>de</strong>, y comprit un gars <strong>de</strong> la sécurité, pressé par le temps car le train allait<br />
partir. Personne ne voulut rien savoir, tous appliquaient la plus imbécile<br />
cohésion. Lassé, nous montâmes nous asseoir, confiant quant à la finalité <strong>de</strong><br />
cette comédie.<br />
Une fois à Aix, nous n’avions plus <strong>de</strong> liqui<strong>de</strong>. Un sympathique bonhomme<br />
à l’arrêt <strong>de</strong> bus voulut bien nous donner 10 centimes pour compléter le prix <strong>de</strong><br />
notre billet pour le Tholonet où nous pûmes, enfin, nous reposer.<br />
Cet après-midi, nous allâmes chercher notre monnaie à la gare d’Aix. La<br />
fille au guichet prit notre papier et, confusément, nous <strong>de</strong>manda ce que c’était.<br />
Nous lui expliquâmes donc. Sa collègue, en le voyant, sortit un : « Oh, non,<br />
c’est pas vrai, encore un ! » qui voulait tout dire. Elle connaissait le contrôleur à<br />
qui nous avions eu affaire pour avoir joué ce coup à plusieurs reprises. Pour<br />
s’en assurer, elle alla vérifier son numéro d’immatriculation, inscrit sur le<br />
papier. Banco, c’était bien lui ! Elle avait reçu une plainte peu auparavant déjà.<br />
Elle nous <strong>de</strong>manda si nous voulions nous-aussi en déposer une mais <strong>de</strong>vant<br />
son intention <strong>de</strong> lui rentrer dans les plumes dès qu’elle le verrait, nous<br />
trouvâmes la chose inutile. Son cas était fait. Nous avions eu peur, après cette<br />
nuit <strong>de</strong> beuverie, <strong>de</strong> nous être trompé mais notre jugement n’en avait pas été<br />
affecté.<br />
Alors, évi<strong>de</strong>mment, nous n’avons rien à dire quand un contrôleur nous<br />
verbalise puisque nous ne payons pas nos billets. Nous les savons collectés au<br />
1006
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
Trésor Public et, un jour, nous <strong>de</strong>vrons les payer, cinq fois leur prix. Nous<br />
assumerons alors. Mais s’il y a bien une chose d’inadmissible, c’est qu’on se<br />
serve <strong>de</strong> son accréditation pour justifier son manque <strong>de</strong> probité ! Avoir prêté<br />
serment ne veut rien dire aujourd’hui. Que lui coûtait-il <strong>de</strong> nous verbaliser<br />
normalement ? En tous les cas, cela ne pouvait rien lui rapporter et c’est cela<br />
que nous mettons en cause. Nous le soupçonnons <strong>de</strong> se servir <strong>de</strong> son<br />
uniforme pour s’engraisser. Combien la SNCF se fait-elle sur les sorties <strong>de</strong><br />
boîte <strong>de</strong> nuit ? Combien il est facile pour elle <strong>de</strong> se doter d’un service d’ordre<br />
quand ce sont ses employés qui souvent sont cause <strong>de</strong> trouble. À l’image <strong>de</strong> ces<br />
<strong>de</strong>ux femmes au guichet d’Aix, heureusement reste-t-il <strong>de</strong>s gens honnêtes mais<br />
font-il le poids face aux sans-scrupules ?<br />
1007
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 7 j a n v i e r 2 0 1 0<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 7h35.<br />
Il disait s’appeler Lionel. Non. Commençons par Adrien, lui aussi disait<br />
s’appeler.<br />
En fait, il faut remonter à lundi, lorsqu’après plusieurs jours fort agréables<br />
chez Vladimir à Nantes, nous nous rendîmes à Paris dans l’idée d’y déposer<br />
nos carnets à la SGDL. Nous y renonçâmes dans le TGV, préférant gar<strong>de</strong>r cet<br />
argent pour nous divertir en capitale. Nous savions en prenant cette décision<br />
qu’elle nous mènerait, inéluctablement, à nous prostituer <strong>de</strong> nouveau car nous<br />
avions beau retourner le problème dans tous les sens, aucune autre activité<br />
n’avait l’assurance d’éveiller encore en nous quelque curiosité. Il fallait<br />
également, afin d’éviter <strong>de</strong> revivre les mêmes épiso<strong>de</strong>s que 2009, nous imposer<br />
<strong>de</strong> nouvelles règles et, en cela, comme <strong>de</strong>ux muses se posant sur notre<br />
couronne, dames Hépatite et Syphilis nous révélèrent leur venue. Nous les<br />
avions prises pour <strong>de</strong>s maudites mais ces impies n’étaient venues que planter le<br />
germe d’une nouvelle volupté. Il se trouve, Fidèle, que tu risques d’être choqué<br />
et dégoûté par les propos qui viennent. Un contact sur l’Internet nous dit à<br />
l’instant que nous ne <strong>de</strong>vrions pas tout raconter. Nous le faisons, non par<br />
vantardise car elle nous indiffère, mais bien par souci <strong>de</strong> vérité. Si nous voulons<br />
que tu comprennes, il est <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> t’imposer ces quelques lignes<br />
vilaines mais assumées.<br />
Avant <strong>de</strong> subir l’influence <strong>de</strong> la maladie, notre cul était ouvert à tous les<br />
plaisirs sans que nous ayons besoin <strong>de</strong> l’entretenir <strong>de</strong> quelque sorte. Comme la<br />
grenouille humi<strong>de</strong> sent la pluie venir, lui sentait la secousse arriver et se<br />
préparait à l’accueillir avec soin. On put le fister à la salive seule, chose rare,<br />
sans qu’il se déchirât. On put le remplir avec un go<strong>de</strong> <strong>de</strong> 30/6cm sans qu’il en<br />
ressortît ni mer<strong>de</strong>, ni sang. Nous lui infligeâmes même avec abus une partie <strong>de</strong><br />
baise au sauna après l’avoir refroidi à l’azote liqui<strong>de</strong>. Il appréciait pleinement<br />
chaque instant, dévorant avec gourmandise chaque larme <strong>de</strong> foutre qu’on y<br />
déposait, qu’on soit client, plan cul ou ami.<br />
Juin signa hélas la fin <strong>de</strong> ces réjouissances. Une hépatite A nous contraignit<br />
à refuser toute nouvelle proposition. Elle se répandit dans nos entrailles pour<br />
salir notre fon<strong>de</strong>ment d’hémorroï<strong>de</strong>s malvenues. Nous ne sûmes rien faire<br />
1008
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
pour en atténuer les effets, nous étions las et décidâmes <strong>de</strong> stopper toute<br />
activité. Puis, notre tension normale retrouvée, une syphilis n’attendit que peu<br />
pour achever le travail bien entamé <strong>de</strong> sa chère sœur.<br />
La nouvelle année arriva, nous étions guéri mais notre cul n’avait pas été<br />
dosé <strong>de</strong>puis six mois et le manque commença <strong>de</strong> se faire sentir. Un après-midi,<br />
excité par quelques pensées malsaines, nous le malmenâmes sans vergogne<br />
avec pour seul instrument notre main droite. Il avait perdu toute sa souplesse<br />
et, sans effort, nous l’ouvrîmes plus que la normale. C’est à cet instant qu’une<br />
nouvelle volupté apparut, dans la douleur du déchirement. Nous nous<br />
inquiétâmes tout d’abord mais la vue <strong>de</strong> notre main salie et ensanglantée sur<br />
notre queue branler nous convainquit. Poppers sous les narines, nous<br />
rééditâmes quelquefois ces instants libertins avec l’envie, toujours, d’avoir<br />
quelqu’un <strong>de</strong>rrière pour nous satisfaire mais, pour les raisons susnommées,<br />
nous ne pouvions plus nous présenter comme immaculé. Il fallait reconnaître<br />
qu’aucun <strong>de</strong> nos clients ne voudrait à nouveau visiter nos entrailles avec sa<br />
queue ou sa main pour y trouver mer<strong>de</strong> et sang. C’est ainsi que nous<br />
décidâmes, dans le train, <strong>de</strong> changer les règles du jeu. Après tout en étionsnous<br />
le seul dépositaire ! Désormais ne recherchons-nous que <strong>de</strong>s personnes<br />
que telle représentation au pire ne dérange pas, au mieux excite. Car la chose<br />
est établie, c’est certain : nous faire enculer ou fister ne nous suffit plus, il faut<br />
nous éclater la ron<strong>de</strong>lle !<br />
C’est dans ces dispositions, vendredi, que nous trouva Adrien, un jeune<br />
homme <strong>de</strong> 23 ans habitant le Vème arrondissement. Le plan proposé sur notre<br />
profil l’intéressait et il nous invita chez lui. Il ne pouvait nous payer mais nous<br />
étions en chaleur et l’occasion <strong>de</strong> renouer avec notre nature était trop bonne.<br />
Une fois à Châtelet, nous reçûmes un SMS <strong>de</strong> sa part ; il annulait. Cela eut le<br />
mérite <strong>de</strong> nous faire quitter Milk. Arrivé là lundi après-midi, nous n’en étions<br />
sorti qu’après <strong>de</strong>ux nuits blanches pour partager quelques heures avec Jérémie,<br />
cet ami que nous prenons toujours plaisir à revoir. Notre chaise au cybercafé<br />
reconquise jeudi vers 14 heures, nous ne trouvâmes aucune opportunité avant<br />
Adrien. Nos jeux étaient-ils trop… trash ? Va savoir, Fidèle ! N’importe, nous<br />
n’allions pas les changer. Après ce lapin et un Subway bienvenu, nous<br />
retournâmes nous connecter. Lionel, un jeune <strong>de</strong> 29 ans habitant Puteaux, se<br />
proposa en client pour la soirée et la nuit. Il était déjà 23 heures mais nous ne<br />
pouvions nous permettre <strong>de</strong> passer à côté d’une telle occasion, le fric nous<br />
1009
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
manquant et notre libido trop excitée lorsque nous ne dormons pas. Nous<br />
prîmes donc la ligne 1 du métro pour l’esplana<strong>de</strong> <strong>de</strong> La Défense. Nous avions<br />
convenu du scénario avec lui par téléphone. Il souhaitait le commencer dans<br />
son garage et l’agrémenter plus tard chez lui <strong>de</strong> son<strong>de</strong>s, fist, défonce et jeux <strong>de</strong><br />
pisse. Une fois <strong>de</strong>vant la porte <strong>de</strong> son immeuble, rue Paul Lafargue, nous<br />
l’appelâmes et il nous indiqua son garage, rue Roque <strong>de</strong> Fillol, afin que nous<br />
commencions <strong>de</strong> nous déshabiller, sur le trottoir peu visité en cette heure.<br />
Nous retirâmes pantalon indien et jean pour nous retrouver la queue à l’air,<br />
avant <strong>de</strong> remettre le pantalon indien, léger mais pratique à violer. Nous fîmes<br />
pareil pour le torse et l’attendîmes. Il nous avait dit une dizaine <strong>de</strong> minutes. Au<br />
bout <strong>de</strong> quinze, nous lui <strong>de</strong>mandâmes par SMS où il en était. Le message ne<br />
passa pas. Dans le doute, nous restâmes encore. Trois jeunes, <strong>de</strong>ux garçons et<br />
une fille, un peu éméchés par la nuit, s’arrêtèrent à un moment pour nous<br />
poser cette question : « Excuse-moi <strong>de</strong> te déranger, avec ma copine on se<br />
posait une question. C’est quoi le pire selon toi en public : roter ou péter ? »<br />
Nous répondîmes « péter », évi<strong>de</strong>mment. Voilà bien une chose que seule<br />
l’intimité peut dévoiler. Toujours sans nouvelle <strong>de</strong> Lionel après une <strong>de</strong>miheure,<br />
nous nous rhabillâmes convenablement et reprîmes le métro pour Paris.<br />
En chemin, sur le rail, par SMS.<br />
LIONEL. Petit contretemps, tu es tjs la ?<br />
NOUS. Tu te fous <strong>de</strong> moi ? Bien évi<strong>de</strong>mment que non, je ne suis plus là ! Je<br />
rentre à Paris.<br />
LIONEL. Non dsle j’ai eu un contretemps. Excuse moi.<br />
NOUS. La bonne éducation veut qu’on ne laisse pas les gens attendre à moitié<br />
nus dans la rue sans les prévenir.<br />
Peut-être s’attendait-il à une autre réaction, <strong>de</strong> l’énervement, <strong>de</strong>s<br />
supplications voire pas <strong>de</strong> réponse du tout mais nous préférâmes conclure avec<br />
ce mot d’esprit. Il n’osa <strong>de</strong> fait plus rien écrire. De retour chez Milk, nous<br />
vîmes qu’il avait supprimé son profil du site.<br />
Il n’est pas dans notre habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> nous laisser abattre et nous sommes<br />
trop désabusé pour nous énerver, même sur notre pathétisme. Car la situation<br />
1010
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
est évi<strong>de</strong>mment à notre désavantage, nous <strong>de</strong>vrions la taire ; c’est désespérant,<br />
en tout point <strong>de</strong> vue. Nous berner est tellement facile, nous qui portons la<br />
confiance comme évi<strong>de</strong>nce. N’importe, l’anecdote est belle et, en cette fin <strong>de</strong><br />
troisième nuit blanche, nous réjouit !<br />
1011
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
3 1 j a n v i e r 2 0 1 0<br />
Le Tholonet (Provence, France), 23h47.<br />
Nous ne nous souvenons pas avoir déjà écrit sur la relation que nous<br />
entretenons avec les autres.<br />
Nombreux sont ceux qui passent dans notre vie. De la même manière ne<br />
nous attardons-nous guère dans le leur. Il y a notre famille et nos amis que<br />
profondément nous aimons, nos rencontres <strong>de</strong> voyage, éphémères mais<br />
sincères, nos plans cul, nos clients, les autres avec qui nous partageons un<br />
moment…<br />
On nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> souvent comment conduire cette singulière para<strong>de</strong> sans<br />
nous perdre. Considérons-nous chacun pour ce qu’il est ? Non, évi<strong>de</strong>mment !<br />
Ce serait l’astreindre à notre seule définition. Classons-nous les autres en<br />
fonction ce qu’ils nous apportent : amour, argent et biens, plaisir, amusement ?<br />
Non, ce serait réduire la personne au simple objet.<br />
Toute relation est néanmoins belle et bien intéressée. Il serait hypocrite <strong>de</strong><br />
le nier. Les gens se côtoient par intérêt, c’est ainsi. Cela ne dicte pour autant<br />
pas la façon dont nous les appréhendons et ne répond donc en rien à la<br />
question.<br />
Nous sommes un garçon avenant, aimant et ne pouvons doser cet amour<br />
selon celui ou celle qui se tient en face <strong>de</strong> nous (<strong>de</strong>rrière pour certains). Il faut<br />
comprendre que ce n’est pas l’acte ou la personne qui compte mais bien la<br />
manière car, vraisemblablement, une personne est un paramètre, une matrice<br />
qui interagit avec nous selon un mo<strong>de</strong> défini par son éducation, son expérience<br />
et son besoin.<br />
Devons-nous contenter cette personne ou nous-même ? La réponse est<br />
évi<strong>de</strong>nte. Nous ne vînmes pas au mon<strong>de</strong> pour évoluer à la place d’un autre.<br />
C’est donc égoïstement à nous-même que nous <strong>de</strong>vons d’abord penser, l’autre<br />
étant là pour répondre à un besoin.<br />
Ne te méprends pas, Fidèle, c’est avec humilité que nous écrivons cela car<br />
nous sommes nous aussi l’autre <strong>de</strong> quelqu’un. C’est un rôle que nous<br />
acceptons avec raison. Serions-nous prostitué autrement ? Nous sommes<br />
programmé pour répondre à <strong>de</strong>s besoins, tout comme toi.<br />
1012
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
Les Hommes ne sont-ils alors que <strong>de</strong>s machines ? Non ! contrairement aux<br />
machines, ils éprouvent <strong>de</strong>s sentiments. Hélas se leurrent-ils quant aux<br />
relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres. De l’amour, ils ont une<br />
idée faussée par l’imagerie cinématographique ou la romance littéraire. Par<br />
orgueil ou par peur, ils se lient les uns aux autres ; ils se lient avec <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s<br />
qui leur brûlent la chair.<br />
Nous ne pouvons entrer dans cette mascara<strong>de</strong> ! Depuis fort longtemps<br />
déjà, seules les situations éveillent encore en nous quelque curiosité. Les lieux,<br />
les personnes se ressemblent tous après <strong>de</strong>s années d’observation et <strong>de</strong><br />
pratique. Puisque Qui, Quand et Où nous indiffèrent désormais, il ne reste que<br />
Quoi et Comment pour nous distraire. Ainsi les autres vont et viennent sans<br />
que nous puissions même parfois leur associer un visage.<br />
La para<strong>de</strong> alors <strong>de</strong>vient-elle plus esthétique. Les expressions s’effacent et ne<br />
virevoltent plus que les tons, les notes, les sensations et les pas <strong>de</strong> danse.<br />
Quelle belle manière <strong>de</strong> se libérer <strong>de</strong> l’autre en ne le considérant finalement<br />
pas !<br />
Tu dois nous prendre pour un monstre, Fidèle, un monstre insensible et<br />
laid. Il n’en est rien, laisse-nous conclure.<br />
Il nous arrive <strong>de</strong> porter un jugement plutôt catégorique sur quelqu’un. La<br />
chose est imbécile, nous nous corrigeons quand nous y pensons. Nous ne<br />
pouvons juger qu’un acte, pas une personne dont nous ne savons jamais que<br />
trop peu. Si nous ne pouvons la juger, pourquoi pourrions-nous l’aimer, la<br />
détester, la considérer elle en particulier ? La chose est tout aussi imbécile.<br />
C’est à en <strong>de</strong>venir fou !<br />
Afin <strong>de</strong> ne pas sombrer, nous avons choisi <strong>de</strong> considérer les autres comme<br />
s’ils n’étaient tous qu’une seule et même entité : le genre humain.<br />
La situation impose parfois qu’il nous encule, parfois plus <strong>de</strong> retenue. Elle<br />
exige toujours l’honnêteté ; tu comprendras, Fidèle, que nous ne pouvons dire<br />
tout et son contraire à la même personne. Il s’agit donc <strong>de</strong> s’assumer<br />
pleinement face à elle.<br />
Pour résumer, une relation ne se construit pas. C’est une invention ! Elle se<br />
vit, nous en prenons ce que nous <strong>de</strong>vons en prendre, elle s’assèche et avec<br />
sagesse nous passons à quelque chose d’autre, afin d’en goûter les saveurs et <strong>de</strong><br />
1013
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
s’enrichir d’autres arômes. S’il faut considérer les autres comme <strong>de</strong>s fruits, il<br />
faut accepter d’en être soi-même un et c’est <strong>de</strong> cela que les gens ont peur. Ils<br />
ont peur d’être consommés et s’inventent donc <strong>de</strong>s attaches et <strong>de</strong>s points <strong>de</strong><br />
repère sûrs et stables pour se rassurer.<br />
Il n’y a pourtant rien <strong>de</strong> moins sage que <strong>de</strong> donner ce que l’on est à qui<br />
veut le prendre ; pourquoi jouer l’exclusivité ? C’est égoïste et puritain.<br />
1014
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 6 a v r i l 2 0 1 0<br />
Aix-en-Provence (France), 16h04.<br />
La Provence au Printemps nous fait penser à la Bourgogne. La Nature,<br />
belle et fraîche en chlorophylle, les gainiers et les lilas en fleurs, parfumés <strong>de</strong><br />
cette douce o<strong>de</strong>ur chau<strong>de</strong> si typique à la région, nous ravit. Hélas ne nous<br />
inspire-t-elle pas ! Nous aurions envie <strong>de</strong> développer ces <strong>de</strong>rnières semaines –<br />
les anecdotes ne manquent en effet pas – mais notre muse n’inspire aucun <strong>de</strong>s<br />
récits dont nous écrivons les premières lignes. Nous ne vécûmes rien, il est<br />
vrai, <strong>de</strong> suffisamment neuf pour mériter quelque édition.<br />
Vagabond, nous ne le sommes plus que peu, trouvant dans la prostitution<br />
<strong>de</strong> quoi nous occuper. Si nous louons encore nos services, c’est que, <strong>de</strong>puis<br />
maintenant huit ans, nous savons le faire mais nous le faisons sans cette<br />
excitation née <strong>de</strong> nos premiers contrats ; nous aimons cette activité et elle nous<br />
distrait, voilà tout. Nous consacrâmes donc février et mars à nous refaire une<br />
clientèle. Basé chez Vladimir à Nantes, nous en trouvâmes dans le Maine, en<br />
Vendée, à Paris, en Provence et cela nous permit <strong>de</strong> nous reposer entre sauna,<br />
salle UV, shopping et beaucoup <strong>de</strong> farniente. Le 1er avril, fatigué <strong>de</strong> n’avoir en<br />
pays nantais que pécores, baltringues et alcooliques comme seul champ <strong>de</strong><br />
vision, nous errâmes en capitale neuf nuits avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre à Aix, profitant<br />
<strong>de</strong> la grève <strong>de</strong>s contrôleurs <strong>de</strong> la SNCF, afin <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r la baraque <strong>de</strong> notre<br />
marraine qui allait à Venise.<br />
Nous en sommes là ! Attablé presque religieusement à la terrasse du<br />
Roton<strong>de</strong> <strong>de</strong>vant un Bloody Mary bien dosé, une clope au bec et la plume à la<br />
main, rien <strong>de</strong> neuf ne semble se proposer pour nous changer d’air.<br />
Sommes-nous si las qu’aucune expérience ne peut aujourd’hui alimenter<br />
notre folie ?<br />
Nous fixons le prix <strong>de</strong> notre complète indépendance à dix millions d’euros.<br />
Tellement et si peu à la fois ! Ainsi reçus, nous serions en mesure<br />
d’entreprendre les choses qui nous tiennent à cœur mais pour le moment n’en<br />
avons-nous pas les moyens. Nous radotons…<br />
Alors passons, tel un chat atypique, dans les sphères <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>,<br />
l’abandon <strong>de</strong> l’enten<strong>de</strong>ment pour toute grâce, relevant les inepties que nous<br />
1015
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
rencontrons sans pour autant nous en étonner, impuissant, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce.<br />
Nous revenons à l’instant du CIDAG. Il nous fallait une <strong>de</strong>rnière mesure<br />
pour entériner notre dossier syphilis. Nous en profitâmes aussi pour tester<br />
notre sérologie. Le mé<strong>de</strong>cin, qui nous connaît bien, habituée, nous dit que<br />
nous faisions partie <strong>de</strong>s irréductibles qui continuent à avoir en conscience <strong>de</strong>s<br />
relations sexuelles non protégées. Où serait le plaisir si nous <strong>de</strong>vions nous<br />
couvrir ? N’est-il pas fort agréable <strong>de</strong> courir sous la pluie et sauter dans les<br />
flaques ? Un peu enfantin, nous nous en rendons compte, mais l’enfance est<br />
tellement pleine <strong>de</strong> noblesse et <strong>de</strong> charme que nous nous refusons toujours à<br />
rejoindre ce mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> vieux perdants que la peur <strong>de</strong> tout rend désagréables et<br />
petits. Nos jeux sexuels sont cependant re<strong>de</strong>venus eux aussi innocents. Ainsi<br />
n’acceptons-nous plus les plans cul, ne nous faisons-nous plus fister et les<br />
seules sessions que nous nous accordons sont-elles réservées à nos clients et<br />
amis.<br />
Tout cela est bien morne. Où est donc passé l’enchantement ?<br />
1016
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
1 2 m a i 2 0 1 0<br />
Aix-en-Provence (France), 1h44.<br />
Fréquentant l’Internet <strong>de</strong>puis un certain temps, pouvons-nous espérer <strong>de</strong>s<br />
rencontres <strong>de</strong> qualité ? Il faut, pour répondre, <strong>de</strong>s années d’expérience.<br />
Heureusement les avons-nous ! Oui, sans aucun doute, sont-elles, avec le<br />
temps, <strong>de</strong> moins en moins rares. La réputation, semble-t-il, fait tout.<br />
Nous entretenons aujourd’hui <strong>de</strong>s relations qui nous conviennent.<br />
Le week-end <strong>de</strong>rnier, nous passâmes à Hyères <strong>de</strong>ux jours d’une intégrité<br />
presque impeccable. Avec J.-M. R., notre hôte et client, sachant réunir autour<br />
<strong>de</strong> lui <strong>de</strong>s personnalités intéressantes, socialement riches et indépendantes,<br />
nous pûmes nous intégrer avec plaisir.<br />
Il est, dans ce milieu, beaucoup <strong>de</strong> superficialité. Lors <strong>de</strong> telles réunions,<br />
nous nous rendons compte que la recherche <strong>de</strong> la simplicité, d’intelligences,<br />
n’est pas vaine.<br />
Dans les jours qui viennent, nous nous produirons en capitale, peut-être en<br />
Alsace et surtout en Vendée.<br />
Il est <strong>de</strong>s moments où l’avenir s’annonce avec force. Ce soir en est et nous<br />
n’en <strong>de</strong>mandons pas plus pour faire confiance à la <strong>de</strong>stinée, promise au voile<br />
discrètement brodé, qui se présente à nous. Laissons-la se mouvoir sur un<br />
rythme luthiste et nous surprendre !<br />
1017
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
2 j u i l l e t 2 0 1 0<br />
Oraison (Provence, France), 20 heures.<br />
Foudre et grêlons viennent <strong>de</strong> battre le pays <strong>de</strong> Giono ; l’air est moite et<br />
chaud, il nous rappelle Chypre ; les martinets, vespéraux, dans leur ballet<br />
fantasque autour du château, nous invitent à conclure.<br />
En janvier 2009, affublant le neuvième chapitre <strong>de</strong> notre saga d’utlimes<br />
vicissitu<strong>de</strong>s, nous savions qu’il signerait la fin d’une époque, une mort annoncée.<br />
Ce que nous vivons, Fidèle, n’est nullement le fruit d’un propos élaboré dans<br />
un boudoir, retraite bienvenue, <strong>de</strong> la maison close qui formerait notre<br />
conscience. Non ! nous n’avons rien à prouver. Ce que nous vivons n’est que<br />
peu souvent <strong>de</strong> notre fait. Nous écrivîmes suffisamment là-<strong>de</strong>ssus pour ne pas<br />
encore ici à cet exercice nous soumettre. Laisse-nous donc simplement te<br />
narrer les <strong>de</strong>rniers événements ; tu comprendras.<br />
Nous évoquions Chypre, où nous séjournâmes le <strong>de</strong>rnier week-end du<br />
mois <strong>de</strong> mai. Nous y rencontrâmes P. B., un client qui arrivait <strong>de</strong> Turquie et<br />
souhaitait faire notre connaissance. Nous étions alors à Nantes et nous<br />
aimerions pouvoir nous vanter d’avoir emprunté <strong>de</strong>ux TGV, quatre avions et<br />
<strong>de</strong>ux taxis pour cette fugitive et peu commune “partie <strong>de</strong> thé” avec une<br />
personne agréable et d’excellente compagnie. La pose en effet aurait-elle belle<br />
allure ! Hélas un événement vint-il perturber la tranquillité <strong>de</strong> notre maintien.<br />
Nous avions auparavant refusé d’accompagner en Corse, ce même weekend,<br />
J.-M. R., notre client <strong>de</strong> Hyères car il avait osé négocier le tarif affiché.<br />
Bien que sympathique, comme nous l’écrivîmes dans un précé<strong>de</strong>nt billet, nous<br />
lui reprochions son assurance, sa certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> pouvoir tout avoir et, surtout, sa<br />
verve trop bala<strong>de</strong>use. Il ne pouvait s’empêcher <strong>de</strong> parler à et sur tout le mon<strong>de</strong>.<br />
Nous avions déjà noté ce trait <strong>de</strong> caractère lorsqu’il vint la première fois nous<br />
chercher en voiture au Tholonet et l’un <strong>de</strong> ses amis nous enjoignit même <strong>de</strong> ne<br />
pas trop en dire mais cela ne nous inquiéta guère.<br />
Nous pensons qu’il faut avoir bien peu vécu pour fourvoyer son esprit<br />
dans <strong>de</strong>s conversations frivoles et ressentir le besoin <strong>de</strong> raconter la vie <strong>de</strong>s<br />
autres. Par nature, tu le sais, nous diaprer nous est impossible ! Si nous<br />
parvenons à fermer notre gueule lorsque le sujet ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas que nous<br />
l’ouvrions, nous ne cachons rien lorsqu’il nous y encourage. Et peu nous chaut,<br />
1018
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
tu le sais aussi, ce qu’on peut en tirer. Les <strong>de</strong>rniers ragots, parisiens semble-t-il,<br />
nous font passer pour une pute sidéenne au cul sale ; en quoi cela peut-il bien<br />
nous distraire ? Nous n’interdisons pas aux gens d’être <strong>de</strong>s imbéciles, le combat<br />
serait vain. Laissons-les donc dire. Là d’ailleurs n’est pas où nous voulions en<br />
venir.<br />
Lors d’un apéritif chez J.-M. R., nous notâmes le nom du domaine d’où<br />
provenait la bouteille que nous buvions comme i<strong>de</strong>ntique à celui d’un ami.<br />
Nous <strong>de</strong>mandâmes à notre hôte et client, innocemment, si notre ami était<br />
apparenté à ce domaine. Il ne le pensait pas et nous passâmes à autre chose, ne<br />
précisant rien <strong>de</strong> plus. Il n’y aurait eu du reste pas grand’chose à raconter.<br />
Alors que nous étions à Chypre, au Capo Bay Hotel <strong>de</strong> Protaras d’où nous<br />
nous connections à l’Internet, nous reçûmes un courriel <strong>de</strong> Jérémy, l’ami en<br />
question, qui, étonné, nous écrivait que J.-M. R. l’avait recherché sur Facebook<br />
et contacté, en notre nom. Il nous <strong>de</strong>mandait pourquoi nous le considérions<br />
comme notre « mec <strong>de</strong> Toulon », tel que J.-M. R. le présentait, et pourquoi ce<br />
« vieux » avait ses coordonnées.<br />
Nous fîmes ce récit à Jérémy, sans trop comprendre ce qui avait poussé J.-<br />
M. R. à raconter ces conneries et, dans la foulée, écrivîmes une lettre à ce<br />
<strong>de</strong>rnier qui ne s’excusa point, arguant que l’on pouvait contacter qui l’on<br />
voulait sur Facebook. Il n’avait rien compris à sa modicité. Pourtant la chose,<br />
en nous, avait-elle gran<strong>de</strong> mesure. Il ne <strong>de</strong>vait plus chercher à nous joindre, lui<br />
qui entretenait la médisance et nous qui le trouvions fort malséant.<br />
Alors oui, nous sommes accort et accessible. Cela signifie-t-il pour autant<br />
que l’on puisse s’octroyer le droit <strong>de</strong> s'immiscer dans notre vie par n’importe<br />
quel chemin ? Les gens manquent décidément <strong>de</strong> façon !<br />
Et la famille d’en ajouter un peu aussi. Notre sœur, jalouse sans raison,<br />
reçut <strong>de</strong> notre part en avril un mot quel que peu aci<strong>de</strong> visant son<br />
comportement irresponsable et les relations, superficielles, qu’elle entretient<br />
avec la vie. Nous n’avons que faire <strong>de</strong> comment elle mène la sienne, ne te<br />
méprends pas, mais elle poussa l’affront si loin que, vraisemblablement, tout le<br />
mon<strong>de</strong> ne pouvait que s’en indigner. Et tout cela pour une idiote affaire<br />
d’orgueil, Fidèle ! De longue date déjà voulions-nous oser cette ingérence.<br />
Pourquoi ? Lui faire comprendre qu’en se permettant <strong>de</strong> juger notre façon,<br />
avec perfidie qui plus est car toujours par <strong>de</strong>rrière, elle s’exposait à une<br />
1019
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
explication. Elle fut courte et nous n’en aurons d’autres. Nous ne la<br />
reconsidérerons que quand elle aura satisfait son besoin puérile <strong>de</strong><br />
commérages, quand sa vie seule lui suffira pour avancer. Quand à 34 ans, on<br />
n’est pas capable <strong>de</strong> prendre les choses avec plus <strong>de</strong> retenue, plus d’intelligence,<br />
que le reproche ne peut seul que paraître, il n’est plus question d’analyse, <strong>de</strong><br />
psychotrope, <strong>de</strong> bouquins pseudo-psychologiques vendus chez le marchand <strong>de</strong><br />
journaux entre Gala, Voici et Closer pour les fans <strong>de</strong> people en manque <strong>de</strong><br />
reconnaissance sociale, non ! il faut un complet bouleversement dans sa façon<br />
d’être.<br />
La façon, encore. Et les potins, hélas !, <strong>de</strong> la pourrir.<br />
Nous approchons la trentaine et nous ne voulons plus subir la médiocratie.<br />
Sur le fond <strong>de</strong> notre baignoire, nous aussi pouvons lire : « Vous m’avez bien<br />
cassé les couilles ! » 1 Ainsi, dans les semaines, les mois à venir, nous voulons<br />
nous environner d’une société plus esthétique et plus noble. Nos relations<br />
<strong>de</strong>vront s’y soumettre ou s’effacer ; nous-même nous retirerons. Chaque action<br />
<strong>de</strong>vra être tournée, sinon vers l’utile, au moins vers le Beau, considérer<br />
l’ensemble, l’expression et non la personne, objet.<br />
1 . Arthur, roi <strong>de</strong> Bretagne (Alexandre Astier) dans Kaamelott, Livre VI, 2009.<br />
1020
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 8 j u i l l e t 2 0 1 0<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 2h24.<br />
« De la vian<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s patates », pour citer Florence Foresti. Nous avions<br />
faim et cette idée ne pouvait s’envoler <strong>de</strong> notre esprit sans être satisfaite. Nous<br />
quittâmes donc le cybercafé pour les Trois Maillets afin <strong>de</strong> nous sustenter.<br />
Nous voilà attablé, à l’intérieur, près d’une fenêtre gran<strong>de</strong> ouverte. La<br />
jeunesse parisienne au piano chante les classiques <strong>de</strong> Grease, les voisins <strong>de</strong> la<br />
rue Galan<strong>de</strong> ne s’étonnent plus, il fait bon et le malbec argentin ravit nos<br />
papilles, à défaut d’éveiller nos yeux qui <strong>de</strong>puis plusieurs jours maintenant ne<br />
peuvent se complètement fermer que quelques heures, fugitives et parfois<br />
accompagnées, presque volées.<br />
Ces feuilles, volantes, suivent les <strong>de</strong>rnières. Nous écrivons car là se trouve<br />
notre nature et qu’il faut penser à l’avenir, quand nous ne pourrons plus<br />
mentalement nous souvenir <strong>de</strong> ces moments solitaires, gravés dans le Temps<br />
par une bouteille <strong>de</strong> rouge.<br />
Nous errons en capitale <strong>de</strong>puis maintenant seize nuits. Nous y vînmes<br />
initialement déposer nos carnets, nouvellement corrigés, à la Société <strong>de</strong>s Gens<br />
<strong>de</strong> Lettres mais en fin <strong>de</strong> compte le fîmes-nous par l’Internet, autant par<br />
économie que par flemme. Il fallut donc trouver à nous occuper.<br />
Nous passâmes les <strong>de</strong>ux premières nuits, blanches, dans le creux d’un<br />
fauteuil au sous-sol <strong>de</strong> Milk à attendre que quelqu’un nous propose <strong>de</strong> l’inédit.<br />
Mercredi 14, au petit matin, ne voyant rien arriver, nous ne pûmes nous<br />
résigner à souffrir la connerie républicaine et décidâmes <strong>de</strong> nous exiler pour le<br />
jour en terre aristocratique. Le Luxembourg nous accueillit, nous-vagabond,<br />
pour nous laisser regagner notre pays le len<strong>de</strong>main, nous-prostitué, après une<br />
nuit chez un client trouvé sur place. Nous échappâmes ainsi aux célébrations,<br />
au défilé, à toute cette hypocrisie bourgeoise que les Cieux eux-mêmes<br />
noyèrent sous un flot continu.<br />
Les <strong>de</strong>ux nuits suivantes furent perdues <strong>de</strong>vant l’écran.<br />
Samedi 17, L. P. désira nous rencontrer. Nous sympathisâmes avec lui<br />
pendant le déjeuner dans un restaurant du VIIème arrondissement et il nous<br />
paya <strong>de</strong>ux nuits à l’hôtel afin <strong>de</strong> nous y reposer. Nous le revîmes le len<strong>de</strong>main,<br />
1021
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
dans notre chambre, sans que rien <strong>de</strong> sexuel ne se passe. Certains chemins,<br />
Fidèle, parce que précieux et d’intérêt, doivent être parcourus paisiblement afin<br />
d’en apprécier chaque pavé.<br />
Il émit le désir <strong>de</strong> nous revoir toute une nuit, à <strong>de</strong>meure. Nous convînmes<br />
qu’elle serait celle du vendredi et passâmes jusque là notre temps chez PLT,<br />
parti pour Venise quatre jours en nous laissant son appartement. Nous<br />
retrouvâmes le plaisir d’avoir un pied-à-terre. Paris à nouveau exerça sur nous<br />
sa magie. Nous voulions (voulons encore) y rester !<br />
Presque <strong>de</strong>ux heures se sont écoulées <strong>de</strong>puis le premier mot. Travolta a<br />
laissé sa place à Piaf. Nous pensons que le mon<strong>de</strong> entier se retrouve encore<br />
aujourd’hui à Paris. Les serveurs sont blasés et ne se ren<strong>de</strong>nt pas compte qu’ils<br />
sont, sinon acteurs, au centre d’un spectacle que le mon<strong>de</strong> applaudit <strong>de</strong>puis<br />
plusieurs siècles : Paris ! C’est en son sein, incontestablement, que nous<br />
pouvons et savons être.<br />
Olga, l’une <strong>de</strong>s serveuses, a les yeux rouges ; elle a pleuré. Notre repas<br />
coûte 57 euros, nous lui laisserons la monnaie sur 100 euros avec ce mot à<br />
l’oreille : « Il ne sert à rien <strong>de</strong> pleurer <strong>de</strong> chagrin. N’attendre du mon<strong>de</strong> que ce<br />
qu’il veut bien donner. » Elle ne comprendra pas, évi<strong>de</strong>mment, pas encore.<br />
Cette semaine, nous fîmes un check-up à l’hôpital Tarnier. Ils nous<br />
trouvèrent un gonocoque et probablement aussi une chlamydia. Nous nous<br />
fîmes soigner, naturellement. Coucher sans capote comporte certains risques ;<br />
assumons-les, simplement, et laissons les critiques à leur place, aux ordures.<br />
Nous ne sommes pas dupe.<br />
1022
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 a o û t 2 0 1 0<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 23h14.<br />
Il n’y a qu’aux Trois Maillets, semble-t-il, que l’on peut entendre chanter du<br />
Boris Vian au piano.<br />
Nous ne sommes plus snob aujourd’hui mais ô combien cette chanson<br />
nous parle ! Elle évoque une époque <strong>de</strong> jeunesse insouciante où nous prenions<br />
encore plaisir à nous jouer <strong>de</strong>s autres. Aujourd’hui, ils nous indiffèrent, ne nous<br />
distraient plus.<br />
Cet après-midi, alors que notre estomac nous intimait <strong>de</strong> le remplir, nous<br />
nous assîmes à une table chez Marianne, <strong>de</strong>rrière les <strong>Blanc</strong>s Manteaux. Nous<br />
étions seul et voulions tester la cuisine <strong>de</strong> ce restaurant où nous voyions à<br />
chacun <strong>de</strong> nos passages une queue dans l’attente <strong>de</strong> place. L’heure avancée,<br />
nous fûmes installé rapi<strong>de</strong>ment, bien que la terrasse fût complète. Une petite<br />
table sur le trottoir à l’entrée suffit.<br />
Un homme d’une quarantaine d’années nous <strong>de</strong>manda en anglais si la<br />
chaise d’en-face était libre.<br />
NOUS . Please!<br />
Il prit place, un peu gêné mais content <strong>de</strong> notre réponse. Comment<br />
aurions-nous pu refuser tel informel ? nous qui n’attendons plus d’être surpris,<br />
trop familier <strong>de</strong> la médiocrité <strong>de</strong>s mecs qui habituellement nous abor<strong>de</strong>nt par<br />
une caresse, un mot incertain ou un regard timi<strong>de</strong>.<br />
Nous passâmes plus d’une heure en sa compagnie. Il s’appelait Jim, était<br />
allemand, <strong>de</strong> passage à La Défense pour son travail et, seul lui aussi, au milieu<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux millions d’habitants et moitié moins <strong>de</strong> touristes, nous occupa par son<br />
expérience, son éducation. Les sujets furent variés, il était hétéro et nous<br />
savions tous <strong>de</strong>ux qu’ils seraient aussi sans conséquences. Quelle importance ?<br />
Dans un mon<strong>de</strong> où tout est appelé à avoir une signification, nous montâmes ce<br />
moment comme on monte un drapeau afin <strong>de</strong> le faire claquer dans le Vent et<br />
jouer le non-sens.<br />
Être pour être, simplement.<br />
1023
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Nous l’invitâmes, il en fut surpris, la chose nous parut évi<strong>de</strong>nte. Où et<br />
quand en effet aurons-nous l’occasion <strong>de</strong> remercier quelqu’un <strong>de</strong> sa présence<br />
inutile mais belle, quand même ?<br />
2h12.<br />
Nous aurions voulu stopper ce billet à ce sta<strong>de</strong> mais Marvin Gaye revit au<br />
piano, assez mal d’ailleurs, dans notre dos alors que nous sommes passé au<br />
comptoir. La barmaid s’endort. Nous lui proposons une vodka-Red Bull pour<br />
la réveiller mais elle refuse.<br />
NOUS . Vous ne voulez rien, vraiment ? Ce n’est pas un plan drague, je suis gay,<br />
je connais juste le métier…<br />
Elle n’accepte pas davantage. Tant pis pour elle ! L’occasion ne se crée pas,<br />
Fidèle, quoi qu’on y fasse. L’informel est peut-être formé <strong>de</strong> mais ne dépend pas<br />
<strong>de</strong> nous. Nous ne pouvons espérer que passer dans. La seule chose que l’on<br />
nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, c’est d’apprécier ce que l’on nous propose et, peut-être, en<br />
témoigner. Le peux-tu seulement comprendre ?<br />
1024
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
7 a o û t 2 0 1 0<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France), 20h41.<br />
Afin <strong>de</strong> célébrer cette journée complètement inutile, nous dînons au<br />
restaurant du Palais Royal. Jean-<strong>Louis</strong> Debré, qui occupe la table d’à-côté, sur<br />
la terrasse face au jardin dépeuplé, agréable, humi<strong>de</strong> après <strong>de</strong>s heures grises et<br />
venteuses, nous évoque par sa voix cette réflexion.<br />
Véritablement, si cette moitié d’année ne fut pas exceptionnelle en termes<br />
<strong>de</strong> vagabondage, elle nous permit <strong>de</strong> régler notre façon et nous accor<strong>de</strong>r, enfin,<br />
un cercle relationnel qui nous convient : <strong>de</strong>s gens éduqués, raffinés et simples.<br />
Note bien, Fidèle, car cela nous semble important.<br />
Lorsque socialement l’on n’est personne, on se surprend à para<strong>de</strong>r,<br />
comportement dont on se dispense lorsqu’on est <strong>de</strong>venu quelqu’un.<br />
Aujourd’hui, nous ne paradons plus. Grâce aux relations<br />
qu’inconsciemment nous entretenons, nous pouvons être, sans ornements,<br />
nous-même, complexe, élitiste, homosexuel, prostitué, vagabond au langage<br />
élaboré, je-m’en-foutiste, vivant, atypique enfin.<br />
Dans le <strong>de</strong>rnier billet, nous remerciâmes les gens d’être. Ce soir, nous les<br />
remercions d’être comme nous.<br />
1025
Vendra-t-il ? ne viendra-t-il pas ?<br />
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1 9 a o û t 2 0 1 0<br />
Versailles (Île-<strong>de</strong>-France, France), 15h09.<br />
Lorsque nous répondons à l’appel d’un client pour la première fois dans la<br />
région, nous ne savons jamais véritablement à l’avance si nous allons tomber<br />
sur une personne ou un lapin, surtout si celui-ci vient <strong>de</strong> rezog.com. Sur un<br />
trajet plus long, le PMO que nous requérons fait office <strong>de</strong> garantie mais là,<br />
nous ne pouvions en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un pour le RER ; la chose aurait été peu<br />
crédible. Le risque n’est toutefois pas grand. Nous ne payons pas le ticket et,<br />
s’il ne se présente pas, cela nous aura fait faire une petite promena<strong>de</strong>. Versailles<br />
n’est pas désagréable en cette saison, il fait beau, le Pouilly-Fumé que nous<br />
buvons au café <strong>de</strong> l’hôtel du Palais est bien frais. Quoi qu’il en soit, nous<br />
serons fixé à la <strong>de</strong>mie !<br />
Un <strong>Noir</strong> sur la place crie son manifeste à qui veut l’écouter.<br />
« Avant <strong>de</strong> condamner, il faut juger !… Depuis neuf ans, je suis entré en<br />
France, j’ai travaillé… Moi, la police… Changez votre vie !… Le Seigneur m’a<br />
ressuscité… C’est trop, c’est trop !… Y’a une assistante sociale qui m’a dit :<br />
"Ah ! vous pensez revoir vos enfants ?"… Le Seigneur m’a ressuscité… C’est<br />
ça la vie ? Vous aimez votre vie ? Il faut aimer la mienne aussi… Vous êtes en<br />
train <strong>de</strong> faire souffrir l’ozone… Changez ! »<br />
Ce monsieur est vraisemblablement perturbé mais sa contestation n’est pas<br />
inutile ; elle trouve une certaine cohérence au final. Le cafetier le menace<br />
d’appeler la police.<br />
L’ILLUMINÉ . Si vous me parlez, je peux vous écouter ! leur crie-t-il. Ne me<br />
menacez pas, je ne suis pas domestique chez vous !<br />
Il bouge son vélo, l’attache avec un antivol, prend sa sacoche, se tait et s’en<br />
va prendre le RER, soulagé, peut-être, d’avoir étalé sa souffrance sur la voie<br />
publique, même si personne ne s’en soucie vraiment.<br />
Notre client arrive. Chic ! nous avons envie <strong>de</strong> sexe.<br />
1026
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
2 o c t o b r e 2 0 1 0<br />
Sinon <strong>de</strong> l’inédit, du rare et du précieux…<br />
Paris (Île-<strong>de</strong>-France, France), 00h20.<br />
C’est épuisé par une course et un combat dans les marches <strong>de</strong> la station<br />
Saint-Michel-Notre-Dame que nous nous asseyons à l’une <strong>de</strong>s tables d’un<br />
Trois Maillets bondé en ce vendredi soir. Nous avons faim, et soif ; un argentin<br />
accompagné d’un pavé au poivre et d’une crème brûlée sauront nous sustenter.<br />
Alors que nous montions tranquillement vers la sortie, I don’t care if the<br />
sun don’t shine <strong>de</strong> Patti Page dans les oreilles, nous entendîmes une femme<br />
crier : « Arrêtez-le ! Arrêtez-le ! » Un homme sprintait en notre direction. Sur<br />
l’escalier, les autres personnes présentes s’écartaient, comme pour le laisser<br />
passer, <strong>de</strong> peur peut-être qu’il ne soit armé. Nous ne pouvions pas ne rien faire<br />
et tentâmes une cor<strong>de</strong>-à-linge. Peine perdue, il passa quand même, sautant les<br />
marches <strong>de</strong>ux à <strong>de</strong>ux. Nos écouteurs volèrent, transformant notre simple<br />
civisme en affaire personnelle. Nous le coursâmes donc, gagnâmes sur lui et,<br />
quelques marches plus loin dans le <strong>de</strong>rnier escalier, lui sautâmes sur le dos. Il<br />
tomba, se releva en nous poussant sur le proche mur ; il était fait. Nous le<br />
prîmes par les épaules et le tirâmes vers le bas, un pied sur ses talons. Perdant<br />
l’équilibre, il décolla par l’arrière et s’écrasa en bas <strong>de</strong> l’escalier, la jambe<br />
retournée, une main <strong>de</strong>ssus en se plaignant <strong>de</strong> ce mal qu’il n’avait pas prévu en<br />
volant à l’arrachée l’iPhone qu’il laissa glisser <strong>de</strong> son autre main sur le sol.<br />
Heureusement ce <strong>de</strong>rnier était-il protégé par une housse <strong>de</strong> cuir blanc. Nous le<br />
ramassâmes et le rapportâmes à sa propriétaire, une femme un peu ron<strong>de</strong>,<br />
essoufflée, qui nous remercia d’une accola<strong>de</strong> comme si nous avions sauvé son<br />
<strong>de</strong>rnier enfant d’une mort certaine. Nous la laissâmes pour rejoindre le voleur,<br />
toujours atterré, menacé d’un parapluie qu’un vieil homme moins rapi<strong>de</strong> que<br />
nous tenait dans sa main gauche. Un autre voulait appeler la police. Nous lui<br />
dîmes <strong>de</strong> n’en rien faire et d’appeler plutôt un mé<strong>de</strong>cin. Le voleur avait son<br />
compte, il était inutile <strong>de</strong> l’accabler davantage. Nous enfonçâmes nos écouteurs<br />
dans les oreilles et quittâmes la station vers la rue animée, répétant d’une voix<br />
plus forte en montant : « N’appelez pas les flics ! »<br />
Le procédé n’est pas nouveau. Nous le remarquâmes plusieurs fois déjà. Ils<br />
montent à <strong>de</strong>ux ou trois dans un wagon (lui était seul, par chance), repèrent<br />
1027
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
une bonne poire qui téléphone fièrement <strong>de</strong>puis son smartphone et, avant la<br />
fermeture <strong>de</strong>s portes, l’un <strong>de</strong>ux placé tout proche arrache le smartphone <strong>de</strong>s<br />
mains <strong>de</strong> la bonne poire et commence son sprint vers la sortie. Ses acolytes le<br />
suivent sans se presser pour retar<strong>de</strong>r, si besoin est, la bonne poire qui aurait eu<br />
le temps <strong>de</strong> sortir du wagon avant que les portes ne se ferment.<br />
D’une manière générale, le voleur s’en sort car nul ne veut s’intéresser à tel<br />
cas et la bonne poire se trouve rapi<strong>de</strong>ment distancée par <strong>de</strong>s jambes athlétiques<br />
et habituées aux méandres <strong>de</strong> l’un<strong>de</strong>rground. Parfois pourtant, quelqu’un<br />
réagit, autant par civisme que pour racheter l’honneur <strong>de</strong> tous les couards qui<br />
se dégagent du danger lorsqu’il vient au lieu <strong>de</strong> s’interposer.<br />
Un anniversaire au bar est célébré. Les lumières sont éteintes, le piano joue<br />
un happy birthday, les gens applaudissent quand un autre crie au fond <strong>de</strong> la salle :<br />
« Salope ! donne-nous <strong>de</strong> l’argent. » en levant son verre, souriant.<br />
La nature humaine peut en déconcerter plus d’un, il est vrai, mais chez<br />
nous n’est-elle qu’une succession d’événements qui se présentent <strong>de</strong> telle sorte<br />
que nous ne pouvons qu’y voir un message, non précisément à notre attention<br />
mais à tous ceux, si peu nombreux soient-ils, qui savent le lire avec<br />
détachement.<br />
Nous accompagnâmes les dix <strong>de</strong>rniers jours un client entre Allemagne,<br />
Bavière et Autriche sur les traces <strong>de</strong>s Bernadotte, Hohenzollern, Wittelsbach,<br />
Habsbourg et autres dynasties <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux anciens empires. L. P. les pleurait, avec<br />
raison. De notre côté considérons-nous les choses <strong>de</strong> plus haut. Les Beatles se<br />
jouent au piano pour évoquer un autre empire, lui aussi aujourd’hui déchu.<br />
« Yeah, Yeah, Yeah », le détachement anoblit. Les événements s’enchaînent.<br />
Suit Wild world <strong>de</strong> Cat Stevens qui nous rappelle que ne sommes que peu dans<br />
cette immensité. Les événements prononcés ne sont pas là <strong>de</strong> notre fait mais<br />
pour nous permettre <strong>de</strong> les apprécier, les analyser, les comprendre, les accepter<br />
afin d’en être nous-même tributaire, afin d’en nourrir notre réflexion, notre<br />
esprit, afin d’évoluer.<br />
Mais encore une fois, Fidèle, le peux-tu seulement comprendre ?<br />
1028
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué<br />
1 3 j a n v i e r 2 0 1 1<br />
Paris(Île-<strong>de</strong>-France, France), 3h03.<br />
Nos interventions manuscrites se font ces <strong>de</strong>rniers temps aussi rares que<br />
peut l’être la nouveauté.<br />
Par conséquent, en cette nouvelle année civile, nous prenons la résolution<br />
d’y accor<strong>de</strong>r plus <strong>de</strong> temps, au risque <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir engager <strong>de</strong>s événements afin<br />
d’en être l’observateur. Ah ! si la vie pouvait être fouillée avec le poing aussi<br />
facilement que le cul <strong>de</strong> notre client d’hier, que n’y trouverions-nous pas<br />
comme trésors ! Mais hélas n’est-ce pas le cas. Nous sortons du Sun City, après<br />
nous être promis <strong>de</strong> n’y plus mettre les pattes, et une conclusion nous apparaît<br />
évi<strong>de</strong>nte : Paris est résolument une cité <strong>de</strong> plus en plus mal fréquentée.<br />
Alors que nous tentions sans illusion <strong>de</strong> nous reposer sur un transat, un<br />
troupeau <strong>de</strong> folles sous-éduquées vint perturber le relatif silence dont nous<br />
jouissions. Mais quel est leur problème, à la fin, à tous ces nouveaux arrivants,<br />
étrangers ? N’ont-ils pas chez eux <strong>de</strong>s maîtres pour leur apprendre les bienfaits<br />
<strong>de</strong> la discrétion ? Ont-ils à ce point besoin <strong>de</strong> vagir leur présence ? Si encore ils<br />
proposaient un physique agréable ; même pas ! Juste trop <strong>de</strong> bruit pour rien.<br />
L’on peut vivre égoïstement, la chose est naturelle, mais personne n’a envie <strong>de</strong><br />
le savoir. Fermez-la, en somme !<br />
Nous aimerions aujourd’hui que davantage <strong>de</strong> fantaisie anime notre<br />
environnement, qu’elle vienne <strong>de</strong>s autres et non que ceux-ci soient, seulement,<br />
objets <strong>de</strong> nos envies.<br />
1029
I n d e x
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
Argument...................................................................................................5<br />
Le noir et le blanc......................................................................................9<br />
Prologue.............................................................................................................................. 11<br />
La Famille, origine............................................................................................................. 12<br />
I .................................................................................................................................... 12<br />
II................................................................................................................................... 13<br />
III................................................................................................................................. 21<br />
La présence <strong>de</strong> la Faux...................................................................................................... 29<br />
La recherche <strong>de</strong> la Foi....................................................................................................... 37<br />
I..................................................................................................................................... 37<br />
II................................................................................................................................... 39<br />
Le refuge <strong>de</strong> l’Illusion ...................................................................................................... 52<br />
L’Amour, objet................................................................................................................ 100<br />
I................................................................................................................................... 100<br />
II................................................................................................................................. 101<br />
III............................................................................................................................... 104<br />
Épilogue............................................................................................................................ 107<br />
Journal d’un soldat abusé.......................................................................111<br />
Prologue........................................................................................................................... 113<br />
28 octobre 2002............................................................................................................... 116<br />
29 octobre 2002............................................................................................................... 117<br />
30 octobre 2002............................................................................................................... 119<br />
31 octobre 2002............................................................................................................... 122<br />
3 décembre 2002............................................................................................................. 125<br />
5 décembre 2002............................................................................................................. 128<br />
6 décembre 2002............................................................................................................. 129<br />
7 décembre 2002............................................................................................................. 132<br />
9 décembre 2002............................................................................................................. 134<br />
15 décembre 2002........................................................................................................... 135<br />
20 décembre 2002........................................................................................................... 136<br />
21 décembre 2002........................................................................................................... 138<br />
1034
In<strong>de</strong>x<br />
4 janvier 2003................................................................................................................... 140<br />
5 janvier 2003................................................................................................................... 141<br />
6 janvier 2003................................................................................................................... 142<br />
7 janvier 2003................................................................................................................... 143<br />
8 janvier 2003................................................................................................................... 147<br />
10 janvier 2003................................................................................................................. 148<br />
11 janvier 2003................................................................................................................. 150<br />
12 janvier 2003................................................................................................................. 151<br />
13 janvier 2003................................................................................................................. 153<br />
Épilogue............................................................................................................................ 155<br />
Farang.....................................................................................................157<br />
Prologue........................................................................................................................... 159<br />
13 janvier 2003................................................................................................................. 160<br />
14 janvier 2003................................................................................................................. 162<br />
15 janvier 2003................................................................................................................. 166<br />
16 janvier 2003................................................................................................................. 168<br />
17 janvier 2003................................................................................................................. 171<br />
18 janvier 200................................................................................................................... 173<br />
19 janvier 2003................................................................................................................. 175<br />
20 janvier 2003................................................................................................................. 176<br />
21 janvier 2003................................................................................................................. 178<br />
22 janvier 2003................................................................................................................. 181<br />
23 janvier 2003................................................................................................................. 184<br />
24 janvier 2003................................................................................................................. 186<br />
25 janvier 2003................................................................................................................. 188<br />
26 janvier 2003................................................................................................................. 191<br />
27 janvier 2003................................................................................................................. 193<br />
28 janvier 2003................................................................................................................. 194<br />
29 janvier 2003................................................................................................................. 196<br />
30 janvier 2003................................................................................................................. 198<br />
31 janvier 2003................................................................................................................. 200<br />
1035
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
1er février 2003................................................................................................................ 202<br />
2 février 2003................................................................................................................... 203<br />
3 février 2003................................................................................................................... 205<br />
4 février 2003................................................................................................................... 209<br />
5 février 2003................................................................................................................... 212<br />
7 février 2003................................................................................................................... 214<br />
8 février 2003................................................................................................................... 217<br />
9 février 2003................................................................................................................... 220<br />
10 février 2003................................................................................................................. 221<br />
11 février 2003................................................................................................................. 224<br />
12 février 2003................................................................................................................. 225<br />
13 février 2003................................................................................................................. 226<br />
14 février 2003................................................................................................................. 228<br />
15 février 2003................................................................................................................. 231<br />
16 février 2003................................................................................................................. 233<br />
17 février 2003................................................................................................................. 236<br />
18 février 2003................................................................................................................. 240<br />
19 février 2003................................................................................................................. 241<br />
20 février 2003................................................................................................................. 244<br />
21 février 2003................................................................................................................. 247<br />
23 février 2003................................................................................................................. 249<br />
24 février 2003................................................................................................................. 252<br />
25 février 2003................................................................................................................. 254<br />
26 février 2003................................................................................................................. 255<br />
27 février 2003................................................................................................................. 258<br />
28 février 2003................................................................................................................. 259<br />
1er mars 2003................................................................................................................... 261<br />
2 mars 2003...................................................................................................................... 262<br />
3 mars 2003...................................................................................................................... 263<br />
4 mars 2003...................................................................................................................... 265<br />
5 mars 2003...................................................................................................................... 267<br />
1036
In<strong>de</strong>x<br />
6 mars 2003...................................................................................................................... 272<br />
7 mars 2003...................................................................................................................... 273<br />
8 mars 2003...................................................................................................................... 275<br />
9 mars 2003...................................................................................................................... 276<br />
10 mars 2003.................................................................................................................... 278<br />
11 mars 2003.................................................................................................................... 280<br />
12 mars 2003.................................................................................................................... 282<br />
13 mars 2003.................................................................................................................... 283<br />
14 mars 2003.................................................................................................................... 285<br />
16 mars 2003.................................................................................................................... 288<br />
20 mars 2003.................................................................................................................... 291<br />
21 mars 2003.................................................................................................................... 293<br />
23 mars 2003.................................................................................................................... 294<br />
25 mars 2003.................................................................................................................... 295<br />
26 mars 2003.................................................................................................................... 296<br />
30 mars 2003.................................................................................................................... 297<br />
31 mars 2003.................................................................................................................... 298<br />
7 avril 2003....................................................................................................................... 299<br />
14 avril 2003..................................................................................................................... 300<br />
15 avril 2003..................................................................................................................... 302<br />
16 avril 2003..................................................................................................................... 303<br />
22 avril 2003..................................................................................................................... 304<br />
26 avril 2003..................................................................................................................... 305<br />
27 avril 2003..................................................................................................................... 306<br />
28 avril 2003..................................................................................................................... 307<br />
29 avril 2003..................................................................................................................... 308<br />
30 avril 2003..................................................................................................................... 309<br />
1er mai 2003..................................................................................................................... 310<br />
4 mai 2003........................................................................................................................ 311<br />
8 mai 2003........................................................................................................................ 312<br />
10 mai 2003...................................................................................................................... 313<br />
1037
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
12 mai 2003...................................................................................................................... 315<br />
13 mai 2003...................................................................................................................... 316<br />
14 mai 2003...................................................................................................................... 317<br />
16 mai 2003...................................................................................................................... 319<br />
21 mai 2003...................................................................................................................... 321<br />
22 mai 2003...................................................................................................................... 322<br />
25 mai 2003...................................................................................................................... 323<br />
26 mai 2003...................................................................................................................... 325<br />
28 mai 2003...................................................................................................................... 328<br />
29 mai 2003...................................................................................................................... 330<br />
30 mai 2003...................................................................................................................... 332<br />
31 mai 2003...................................................................................................................... 333<br />
2 juin 2003........................................................................................................................ 334<br />
3 juin 2003........................................................................................................................ 337<br />
4 juin 2003........................................................................................................................ 339<br />
5 juin 2003........................................................................................................................ 340<br />
6 juin 2003........................................................................................................................ 342<br />
7 juin 2003........................................................................................................................ 343<br />
8 juin 2003........................................................................................................................ 344<br />
9 juin 2003........................................................................................................................ 346<br />
10 juin 2003...................................................................................................................... 349<br />
13 juin 2003...................................................................................................................... 352<br />
14 juin 2003...................................................................................................................... 355<br />
15 juin 2003...................................................................................................................... 357<br />
16 juin 2003...................................................................................................................... 358<br />
17 juin 2003...................................................................................................................... 360<br />
18 juin 2003...................................................................................................................... 362<br />
19 juin 2003...................................................................................................................... 363<br />
20 juin 2003...................................................................................................................... 366<br />
21 juin 2003...................................................................................................................... 367<br />
Épilogue............................................................................................................................ 368<br />
1038
In<strong>de</strong>x<br />
Snob et hystéro-éthylique.......................................................................369<br />
Prologue........................................................................................................................... 371<br />
15 décembre 2003........................................................................................................... 372<br />
Acte I ........................................................................................................................ 372<br />
Acte II ....................................................................................................................... 373<br />
Acte III ..................................................................................................................... 374<br />
11 juillet 2004................................................................................................................... 377<br />
26 juillet 2004................................................................................................................... 378<br />
4 septembre 2004............................................................................................................ 379<br />
20 septembre 2004.......................................................................................................... 384<br />
7 octobre 2004................................................................................................................. 385<br />
21 octobre 2004............................................................................................................... 388<br />
2 novembre 2004............................................................................................................. 393<br />
8 novembre 2004............................................................................................................. 398<br />
12 novembre 2004........................................................................................................... 401<br />
15 novembre 2004........................................................................................................... 406<br />
16 novembre 2004........................................................................................................... 411<br />
8 décembre 2004............................................................................................................. 414<br />
16 janvier 2005................................................................................................................. 416<br />
18 janvier 2005 : Crise d’un soir....................................................................................417<br />
28 janvier 2005................................................................................................................. 419<br />
29 janvier 2005 : Inculture..............................................................................................423<br />
17 février 2005................................................................................................................. 425<br />
25 février 2005................................................................................................................. 427<br />
26 février 2005 : Le syndrome <strong>de</strong> la Préparole ou la déraison du vice verbal.........429<br />
4 mars 2005...................................................................................................................... 432<br />
5 mars 2005...................................................................................................................... 435<br />
12 mars 2005.................................................................................................................... 436<br />
13 mars 2005.................................................................................................................... 439<br />
17 mars 2005.................................................................................................................... 442<br />
29 mars 2005.................................................................................................................... 445<br />
1039
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
31 mars 2005.................................................................................................................... 448<br />
2 avril 2005....................................................................................................................... 450<br />
3 avril 2005....................................................................................................................... 452<br />
5 avril 2005 : Apologie <strong>de</strong> la prostitution.....................................................................454<br />
Histoire et culture..................................................................................................... 454<br />
L’art dans le besoin ................................................................................................. 457<br />
L’exception gay ........................................................................................................ 458<br />
Ceux qui payent : petit lexique sournois ..............................................................459<br />
7 avril 2005....................................................................................................................... 461<br />
8 avril 2005....................................................................................................................... 462<br />
10 avril 2005..................................................................................................................... 464<br />
10 avril 2005 (suite)......................................................................................................... 466<br />
17 avril 2005..................................................................................................................... 469<br />
1er mai 2005..................................................................................................................... 471<br />
20 mai 2005...................................................................................................................... 473<br />
21 mai 2005...................................................................................................................... 474<br />
26 mai 2005...................................................................................................................... 477<br />
4 juin 2005........................................................................................................................ 480<br />
5 juin 2005........................................................................................................................ 481<br />
6 juin 2005........................................................................................................................ 483<br />
12 juin 2005...................................................................................................................... 485<br />
15 juin 2005...................................................................................................................... 488<br />
18 juin 2005...................................................................................................................... 490<br />
20 juin 2005...................................................................................................................... 493<br />
23 juin 2005...................................................................................................................... 495<br />
25 juin 2005...................................................................................................................... 499<br />
27 juin 2005...................................................................................................................... 500<br />
29 juin 2005...................................................................................................................... 503<br />
2 juillet 2005..................................................................................................................... 505<br />
3 juillet 2005..................................................................................................................... 508<br />
11 juillet 2005................................................................................................................... 511<br />
1040
In<strong>de</strong>x<br />
Carnet d’errance.....................................................................................515<br />
Prologue........................................................................................................................... 517<br />
30 septembre 2005.......................................................................................................... 518<br />
5 octobre 2005................................................................................................................. 520<br />
8 octobre 2005................................................................................................................. 522<br />
10 octobre 2005............................................................................................................... 523<br />
11 octobre 2005............................................................................................................... 525<br />
12 octobre 2005............................................................................................................... 528<br />
13 octobre 2005............................................................................................................... 532<br />
14 octobre 2005............................................................................................................... 536<br />
15 octobre 2005............................................................................................................... 538<br />
16 octobre 2005............................................................................................................... 540<br />
17 octobre 2005............................................................................................................... 542<br />
18 octobre 2005............................................................................................................... 545<br />
19 octobre 2005............................................................................................................... 550<br />
21 octobre 2005............................................................................................................... 552<br />
22 octobre 2005............................................................................................................... 555<br />
23 octobre 2005............................................................................................................... 558<br />
24 octobre 2005............................................................................................................... 559<br />
25 octobre 2005............................................................................................................... 561<br />
26 octobre 2005............................................................................................................... 564<br />
27 octobre 2005............................................................................................................... 566<br />
29 octobre 2005............................................................................................................... 568<br />
30 octobre 2005............................................................................................................... 570<br />
31 octobre 2005............................................................................................................... 572<br />
1er novembre 2005......................................................................................................... 575<br />
2 novembre 2005............................................................................................................. 576<br />
3 novembre 2005............................................................................................................. 579<br />
4 novembre 2005............................................................................................................. 582<br />
6 novembre 2005............................................................................................................. 583<br />
8 novembre 2005............................................................................................................. 585<br />
1041
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
10 novembre 2005........................................................................................................... 586<br />
13 novembre 2005........................................................................................................... 591<br />
14 novembre 2005........................................................................................................... 595<br />
15 novembre 2005........................................................................................................... 598<br />
16 novembre 2005........................................................................................................... 599<br />
17 novembre 2005........................................................................................................... 606<br />
18 novembre 2005........................................................................................................... 611<br />
19 novembre 2005........................................................................................................... 613<br />
20 novembre 2005........................................................................................................... 616<br />
24 novembre 2005........................................................................................................... 619<br />
7 décembre 2005............................................................................................................. 622<br />
16 décembre 2005........................................................................................................... 624<br />
19 décembre 2005........................................................................................................... 626<br />
29 décembre 2005........................................................................................................... 628<br />
5 janvier 2006................................................................................................................... 630<br />
8 janvier 2006................................................................................................................... 633<br />
10 janvier 2006................................................................................................................. 635<br />
11 janvier 2006................................................................................................................. 637<br />
12 janvier 2006................................................................................................................. 639<br />
16 janvier 2006................................................................................................................. 641<br />
17 janvier 2006................................................................................................................. 648<br />
18 janvier 2006................................................................................................................. 649<br />
20 janvier 2006................................................................................................................. 650<br />
23 janvier 2006................................................................................................................. 651<br />
26 janvier 2006................................................................................................................. 653<br />
28 janvier 2006................................................................................................................. 656<br />
Incha Allah.............................................................................................659<br />
1er février 2006................................................................................................................ 661<br />
3 février 2006................................................................................................................... 663<br />
8 février 2006................................................................................................................... 665<br />
10 février 2006................................................................................................................. 666<br />
1042
In<strong>de</strong>x<br />
12 février 2006................................................................................................................. 668<br />
17 février 2006................................................................................................................. 670<br />
18 février 2006................................................................................................................. 671<br />
21 février 2006................................................................................................................. 676<br />
22 février 2006................................................................................................................. 677<br />
23 février 2006................................................................................................................. 679<br />
1er mars 2006................................................................................................................... 685<br />
2 mars 2006...................................................................................................................... 688<br />
3 mars 2006...................................................................................................................... 689<br />
4 mars 2006...................................................................................................................... 691<br />
5 mars 2006...................................................................................................................... 692<br />
7 mars 2006...................................................................................................................... 694<br />
8 mars 2006...................................................................................................................... 697<br />
9 mars 2006...................................................................................................................... 699<br />
12 mars 2006.................................................................................................................... 700<br />
16 mars 2006.................................................................................................................... 703<br />
24 mars 2006.................................................................................................................... 705<br />
29 mars 2006.................................................................................................................... 706<br />
9 avril 2006....................................................................................................................... 707<br />
19 avril 2006..................................................................................................................... 709<br />
7 mai 2006........................................................................................................................ 710<br />
9 mai 2006........................................................................................................................ 712<br />
13 mai 2006...................................................................................................................... 716<br />
25 mai 2006...................................................................................................................... 718<br />
27 mai 2006...................................................................................................................... 720<br />
28 mai 2006...................................................................................................................... 721<br />
7 juin 2006........................................................................................................................ 723<br />
8 juin 2006........................................................................................................................ 724<br />
11 juin 2006...................................................................................................................... 728<br />
14 juin 2006...................................................................................................................... 731<br />
16 juin 2006...................................................................................................................... 733<br />
1043
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
17 juin 2006...................................................................................................................... 740<br />
21 juin 2006...................................................................................................................... 743<br />
22 juin 2006...................................................................................................................... 747<br />
23 juin 2006...................................................................................................................... 749<br />
26 juin 2006...................................................................................................................... 752<br />
1er juillet 2006.................................................................................................................. 753<br />
4 juillet 2006..................................................................................................................... 754<br />
6 juillet 2006..................................................................................................................... 757<br />
7 juillet 2006..................................................................................................................... 759<br />
10 juillet 2006................................................................................................................... 761<br />
12 juillet 2006................................................................................................................... 762<br />
24 juillet 2006................................................................................................................... 764<br />
4 août 2006....................................................................................................................... 765<br />
6 août 2006....................................................................................................................... 766<br />
16 août 2006..................................................................................................................... 768<br />
20 août 2006..................................................................................................................... 770<br />
25 août 2006..................................................................................................................... 771<br />
31 août 2006..................................................................................................................... 772<br />
13 septembre 2006.......................................................................................................... 774<br />
15 septembre 2006.......................................................................................................... 775<br />
17 septembre 2006 : Nos cinq piliers...........................................................................776<br />
20 septembre 2006.......................................................................................................... 777<br />
22 septembre 2006.......................................................................................................... 779<br />
6 octobre 2006................................................................................................................. 780<br />
13 octobre 2006............................................................................................................... 781<br />
21 octobre 2006............................................................................................................... 782<br />
22 octobre 2006............................................................................................................... 783<br />
27 octobre 2006............................................................................................................... 784<br />
29 octobre 2006 : Prêcheur dans la brousse................................................................787<br />
5 novembre 2006............................................................................................................. 789<br />
7 novembre 2006............................................................................................................. 791<br />
1044
In<strong>de</strong>x<br />
9 novembre 2006............................................................................................................. 792<br />
10 novembre 2006........................................................................................................... 793<br />
12 novembre 2006........................................................................................................... 794<br />
18 novembre 2006........................................................................................................... 795<br />
19 novembre 2006........................................................................................................... 796<br />
23 novembre 2006........................................................................................................... 797<br />
25 novembre 2006........................................................................................................... 798<br />
27 novembre 2006........................................................................................................... 799<br />
28 novembre 2006........................................................................................................... 800<br />
29 novembre 2006 : L’esclave d’aujourd’hui................................................................801<br />
3 décembre 2006............................................................................................................. 803<br />
4 décembre 2006............................................................................................................. 804<br />
12 décembre 2006........................................................................................................... 805<br />
16 décembre 2006........................................................................................................... 806<br />
31 décembre 2006........................................................................................................... 807<br />
1er janvier 2007............................................................................................................... 808<br />
10 janvier 2007................................................................................................................. 809<br />
17 janvier 2007................................................................................................................. 810<br />
19 janvier 2007................................................................................................................. 811<br />
22 janvier 2007................................................................................................................. 812<br />
28 janvier 2007................................................................................................................. 813<br />
15 février 2007 : l’initiateur <strong>de</strong> chaos............................................................................814<br />
Interlu<strong>de</strong> : Chaos....................................................................................817<br />
21 février 2007................................................................................................................. 819<br />
26 février 2007................................................................................................................. 820<br />
3 mars 2007...................................................................................................................... 821<br />
5 mars 2007...................................................................................................................... 822<br />
8 mars 2007...................................................................................................................... 823<br />
11 mars 2007.................................................................................................................... 824<br />
18 mars 2007.................................................................................................................... 826<br />
20 mars 2007.................................................................................................................... 827<br />
1045
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
26 mars 2007.................................................................................................................... 828<br />
8 avril 2007....................................................................................................................... 829<br />
2 juin 2007........................................................................................................................ 830<br />
22 juin 2007...................................................................................................................... 832<br />
23 juin 2007...................................................................................................................... 833<br />
Nouveau carnet d’errance......................................................................835<br />
3 juillet 2007..................................................................................................................... 837<br />
4 juillet 2007..................................................................................................................... 839<br />
5 juillet 2007..................................................................................................................... 841<br />
6 juillet 2007..................................................................................................................... 842<br />
7 juillet 2007..................................................................................................................... 843<br />
8 juillet 2007..................................................................................................................... 845<br />
9 juillet 2007..................................................................................................................... 846<br />
10 juillet 2007................................................................................................................... 848<br />
13 juillet 2007................................................................................................................... 849<br />
19 juillet 2007................................................................................................................... 850<br />
20 juillet 2007................................................................................................................... 852<br />
22 juillet 2007................................................................................................................... 856<br />
23 juillet 2007................................................................................................................... 858<br />
1er août 2007................................................................................................................... 859<br />
2 août 2007....................................................................................................................... 860<br />
3 août 2007....................................................................................................................... 862<br />
5 août 2007....................................................................................................................... 863<br />
9 août 2007....................................................................................................................... 865<br />
18 août 2007..................................................................................................................... 868<br />
21 août 2007..................................................................................................................... 869<br />
31 août 2007..................................................................................................................... 871<br />
8..............................................................................................................873<br />
25 avril 2008..................................................................................................................... 875<br />
20 mai 2008...................................................................................................................... 877<br />
25 mai 2008...................................................................................................................... 878<br />
1046
In<strong>de</strong>x<br />
4 juin 2008........................................................................................................................ 880<br />
9 juin 2008........................................................................................................................ 881<br />
18 juin 2008...................................................................................................................... 882<br />
31 juillet 2008................................................................................................................... 883<br />
21 septembre 2008.......................................................................................................... 885<br />
22 septembre 2008.......................................................................................................... 887<br />
23 septembre 2008.......................................................................................................... 889<br />
24 septembre 2008.......................................................................................................... 890<br />
25 septembre 2008.......................................................................................................... 891<br />
26 septembre 2008.......................................................................................................... 894<br />
28 septembre 2008.......................................................................................................... 896<br />
30 septembre 2008.......................................................................................................... 897<br />
11 octobre 2008............................................................................................................... 898<br />
17 octobre 2008............................................................................................................... 900<br />
19 octobre 2008............................................................................................................... 901<br />
12 décembre 2008........................................................................................................... 902<br />
7 janvier 2009................................................................................................................... 903<br />
Interlu<strong>de</strong> : Justine...................................................................................905<br />
Les ultimes vicissitu<strong>de</strong>s d’un noble vagabond défroqué.......................919<br />
Prologue........................................................................................................................... 921<br />
24 janvier 2009................................................................................................................. 923<br />
25 janvier 2009................................................................................................................. 925<br />
27 janvier 2009................................................................................................................. 928<br />
28 janvier 2009................................................................................................................. 929<br />
30 janvier 2009................................................................................................................. 932<br />
31 janvier 2009................................................................................................................. 934<br />
2 février 2009................................................................................................................... 935<br />
6 février 2009................................................................................................................... 936<br />
27 février 2009................................................................................................................. 938<br />
11 mars 2009.................................................................................................................... 940<br />
12 mars 2009.................................................................................................................... 942<br />
1047
<strong>Noir</strong> & <strong>Blanc</strong><br />
13 mars 2009.................................................................................................................... 943<br />
14 mars 2009.................................................................................................................... 944<br />
18 mars 2009.................................................................................................................... 946<br />
19 mars 2009.................................................................................................................... 948<br />
24 mars 2009.................................................................................................................... 949<br />
28 mars 2009.................................................................................................................... 951<br />
31 mars 2009.................................................................................................................... 952<br />
1er avril 2009.................................................................................................................... 956<br />
9 avril 2009....................................................................................................................... 958<br />
10 avril 2009..................................................................................................................... 960<br />
12 avril 2009..................................................................................................................... 962<br />
14 avril 2009..................................................................................................................... 964<br />
22 avril 2009..................................................................................................................... 965<br />
23 avril 2009..................................................................................................................... 966<br />
27 avril 2009..................................................................................................................... 967<br />
14 mai 2009...................................................................................................................... 968<br />
19 mai 2009...................................................................................................................... 969<br />
25 mai 2009...................................................................................................................... 971<br />
27 mai 2009...................................................................................................................... 973<br />
2 juin 2009........................................................................................................................ 975<br />
9 juin 2009........................................................................................................................ 977<br />
14 juin 2009...................................................................................................................... 979<br />
15 juin 2009...................................................................................................................... 981<br />
27 juin 2009...................................................................................................................... 983<br />
12 juillet 2009................................................................................................................... 985<br />
3 août 2009....................................................................................................................... 986<br />
12 août 2009..................................................................................................................... 987<br />
4 septembre 2009............................................................................................................ 989<br />
17 septembre 2009.......................................................................................................... 991<br />
20 septembre 2009.......................................................................................................... 992<br />
21 septembre 2009.......................................................................................................... 993<br />
1048
In<strong>de</strong>x<br />
28 septembre 2009.......................................................................................................... 997<br />
3 novembre 2009............................................................................................................. 998<br />
8 novembre 2009............................................................................................................. 999<br />
16 novembre 2009......................................................................................................... 1000<br />
29 novembre 2009......................................................................................................... 1002<br />
6 décembre 2009........................................................................................................... 1004<br />
12 décembre 2009......................................................................................................... 1005<br />
17 janvier 2010............................................................................................................... 1008<br />
31 janvier 2010............................................................................................................... 1012<br />
26 avril 2010................................................................................................................... 1015<br />
12 mai 2010.................................................................................................................... 1017<br />
2 juillet 2010................................................................................................................... 1018<br />
28 juillet 2010................................................................................................................. 1021<br />
2 août 2010..................................................................................................................... 1023<br />
7 août 2010..................................................................................................................... 1025<br />
19 août 2010................................................................................................................... 1026<br />
2 octobre 2010............................................................................................................... 1027<br />
13 janvier 2011............................................................................................................... 1029<br />
In<strong>de</strong>x.....................................................................................................1033<br />
1049
Tous nos textes, Fidèle, sont déposés à la Société <strong>de</strong>s Gens <strong>de</strong><br />
Lettres, Paris. Sois gentil, tu t’en inspires dans la vie si tu veux<br />
mais sur papier ou à l’écran, cherche ta muse ailleurs !<br />
<strong>Florimon</strong>-<strong>Louis</strong> <strong>de</strong> <strong>Kerloar</strong><br />
Téléphone : 0033-684-448-269<br />
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