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Numéro 11.1 - Université de Montréal

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Les litiges fondés sur les droits<br />

et l’émergence du rôle<br />

<strong>de</strong>s tribunaux dans<br />

l’élaboration <strong>de</strong>s politiques<br />

en matière <strong>de</strong> santé<br />

Antonia Maioni<br />

<strong>Université</strong> McGill<br />

Christopher P. Manfredi<br />

<strong>Université</strong> McGill<br />

Résumé :<br />

Notre article s’intéresse à l’impact du processus judiciaire sur le financement public <strong>de</strong>s soins<br />

<strong>de</strong> santé au Canada. Nous analyserons quelques cas récents <strong>de</strong> jurispru<strong>de</strong>nce dans le but d’examiner<br />

certains enjeux généraux concernant l’impact du processus <strong>de</strong> révision judiciaire fondé sur les droits<br />

<strong>de</strong> la personne sur le développement <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> santé. Notre analyse portera sur les motivations<br />

<strong>de</strong>s requérants, l’élaboration <strong>de</strong>s stratégies et <strong>de</strong>s tactiques déployées durant la poursuite et<br />

les répercussions <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière sur les règles <strong>de</strong> droits et les politiques. Nous présenterons<br />

quelques conclusions préliminaires sur la pertinence <strong>de</strong> ces étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cas dans le débat sur<br />

le recours aux tribunaux comme moteur du changement en matière <strong>de</strong> politiques.<br />

Mots clés:Élaborations <strong>de</strong> politiques, financement <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé, rôle <strong>de</strong>s tribunaux,<br />

Charte canadienne <strong>de</strong>s droits et libertés.<br />

Introduction<br />

Le recours aux tribunaux <strong>de</strong>vient-il une façon<br />

efficace <strong>de</strong> faire changer les politiques ?<br />

Le présent article tente <strong>de</strong> répondre à cette<br />

question en étudiant les litiges fondés sur les droits<br />

dans le contexte du système <strong>de</strong> santé canadien.<br />

Les ressources du droit public comparé seront<br />

Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, vol. 11, n° 1, 2006, pp. 36-59.<br />

Article<br />

original<br />

ici mises à profit pour comprendre la relation<br />

entre les actions en justice, les règles <strong>de</strong> droit<br />

et la politique sociale. Dans un mon<strong>de</strong> idéal,<br />

la victoire en cour d’un mouvement social<br />

donné entraînerait l’établissement <strong>de</strong> nouvelles<br />

règles <strong>de</strong> droit qu’il désirait. Ces règles amèneraient<br />

à leur tour <strong>de</strong> nouvelles mesures politiques<br />

favorables au mouvement; ce <strong>de</strong>rnier ressortirait<br />

<strong>de</strong> l’aventure renforcé par son succès. Or, dans


Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 37<br />

le mon<strong>de</strong> réel, la situation est rarement aussi<br />

simple. Parfois, bien que la poursuite n’ait pas<br />

permis d’obtenir les règles <strong>de</strong> droit désirées,<br />

le gouvernement réagit <strong>de</strong> la façon souhaitée.<br />

À d’autres moments, au contraire, le statu quo<br />

persiste et ce, malgré une victoire en cour.<br />

Il arrive aussi qu’un échec au tribunal renforce<br />

un mouvement en ralliant ses membres autour<br />

d’une même cause et qu’une victoire l’affaiblisse<br />

ou stimule ses adversaires. Il y a donc essentiellement<br />

<strong>de</strong>ux façons <strong>de</strong> voir le recours aux tribunaux:<br />

soit comme un « faux espoir » (Rosenberg, 1991),<br />

soit comme une façon d’infléchir le débat politique<br />

et <strong>de</strong> donner du pouvoir aux groupes défavorisés<br />

(McCann, 1994).<br />

Les litiges fondés sur les droits qui visent<br />

une réforme <strong>de</strong> la politique canadienne en matière<br />

<strong>de</strong> santé restent utiles pour évaluer la valeur<br />

respective <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux points <strong>de</strong> vue pour au moins<br />

trois raisons. Tout d’abord, la santé représente<br />

le secteur <strong>de</strong> dépenses au Canada le plus important.<br />

La Loi canadienne sur la santé régit la prestation<br />

et le financement <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> même qu’elle<br />

oblige les provinces à garantir l’égalité d’accès<br />

à un régime d’assurance-maladie intégral, universel,<br />

transférable et géré par le gouvernement. Le système<br />

<strong>de</strong> santé engouffre environ 9 % du PIB<br />

et représente le plus coûteux poste <strong>de</strong> dépenses<br />

au sein <strong>de</strong>s budgets provinciaux. En outre, les<br />

litiges fondés sur les droits jouent un rôle <strong>de</strong> plus<br />

en plus significatif dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques<br />

en matière <strong>de</strong> santé (Jackman, 1995 ;<br />

Jackman, 1995-1996; Braen, 2002; Jackman, 2002;<br />

Greschner, 2002 ; Manfredi & Maioni, 2002).<br />

En effet, la gestion <strong>de</strong>s effectifs médicaux,<br />

les règles entourant l’exercice <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine,<br />

la restructuration <strong>de</strong>s hôpitaux <strong>de</strong> même que<br />

la prestation et l’administration <strong>de</strong> traitements<br />

et <strong>de</strong> services particuliers constituent autant<br />

<strong>de</strong> questions clés ayant déjà fait l’objet d’un examen<br />

fondé sur la Charte. Enfin, en juin 2004, la Cour<br />

suprême du Canada a entendu les plaidoiries<br />

dans <strong>de</strong>ux affaires pouvant entraîner <strong>de</strong>s répercussions<br />

très importantes sur la politique<br />

canadienne en matière <strong>de</strong> santé. La première,<br />

Jacques Chaoulli c. Procureur général du Québec, a<br />

pour objectif <strong>de</strong> restreindre la portée du système<br />

public en contestant la constitutionnalité <strong>de</strong><br />

la prohibition <strong>de</strong> l’assurance privée. Au contraire,<br />

Auton (Tutrice à l’instance <strong>de</strong>) c. Colombie-Britannique<br />

(Procureur général), vise à élargir l’éventail <strong>de</strong>s<br />

services assurés en établissant l’obligation<br />

constitutionnelle <strong>de</strong>s provinces <strong>de</strong> financer<br />

un traitement contre l’autisme dans le cadre<br />

<strong>de</strong> leur politique <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé.<br />

Le présent article se base principalement<br />

sur ces <strong>de</strong>ux affaires. Bien qu’elles concernent<br />

toutes <strong>de</strong>ux la politique en matière <strong>de</strong> santé,<br />

<strong>de</strong>ux différences notables les séparent : l’affaire<br />

Chaoulli ne comporte que <strong>de</strong>ux appelants et veut<br />

limiter la portée du système <strong>de</strong> santé public<br />

alors qu’au contraire, l’affaire Auton est menée<br />

par un mouvement social bien organisé et cherche<br />

à accroître la couverture offerte par le système<br />

public. L’une et l’autre s’inscrivent toutefois<br />

dans la tendance grandissante à recourir aux<br />

tribunaux pour modifier la politique en matière<br />

<strong>de</strong> santé. Entre 1982 et 2002, les tribunaux canadiens<br />

ont tranché 37 affaires qui exigeaient le contrôle<br />

judiciaire <strong>de</strong> la politique en matière <strong>de</strong> santé,<br />

conformément à la Charte canadienne <strong>de</strong>s droits<br />

et libertés (Manfredi et Maioni, 2002 ; Greschner,<br />

2002). De ce nombre, huit se sont rendues en Cour<br />

suprême. Mentionnons, parmi les arrêts les plus<br />

retentissants, l’arrêt Morgentaler (1988) qui invalidait<br />

la loi fédérale sur l’avortement, l’arrêt Rocket (1990)<br />

qui modifiait les règles régissant la publicité professionnelle,<br />

l’arrêt Rodriguez (1993) qui maintenait<br />

l’interdiction pénale contre le suici<strong>de</strong> assisté et l’arrêt<br />

Eldridge (1997) qui reconnaissait aux personnes<br />

malentendantes le droit constitutionnel <strong>de</strong> bénéficier<br />

d’un service d’interprétation gestuelle pour<br />

faciliter les communications avec les fournisseurs<br />

<strong>de</strong> soins. À l’exception <strong>de</strong> l’arrêt Morgentaler, qui<br />

révolutionna complètement la réglementation<br />

concernant l’avortement et facilita gran<strong>de</strong>ment<br />

l’accès aux cliniques d’avortement privées<br />

(Manfredi, 2004 : 181), les décisions <strong>de</strong> la Cour<br />

suprême n’ont affecté, jusqu’à maintenant,<br />

que <strong>de</strong>s aspects marginaux du domaine <strong>de</strong> la santé.<br />

Or, les affaires que nous examinons ici soulèvent<br />

<strong>de</strong>s questions beaucoup plus fondamentales.<br />

En effet, Chaoulli remet en question la pertinence<br />

même d’un système <strong>de</strong> santé financé par l’État,<br />

tandis qu’Auton conteste le pouvoir <strong>de</strong>s gouvernements<br />

provinciaux <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r quels services<br />

sont «médicalement nécessaires» et donc assurés<br />

dans le système <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé actuel.<br />

Les <strong>de</strong>ux étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cas présentées ici révèlent<br />

<strong>de</strong>ux façons très différentes, voire opposées,<br />

d’abor<strong>de</strong>r une action en justice. L’analyse portera


38 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi<br />

en priorité sur les motivations <strong>de</strong>s requérants,<br />

l’élaboration <strong>de</strong>s stratégies et <strong>de</strong>s tactiques<br />

déployées durant la poursuite et les répercussions<br />

<strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière sur les règles <strong>de</strong> droit et<br />

les politiques. Nous terminons en présentant<br />

quelques conclusions préliminaires sur la pertinence<br />

<strong>de</strong> ces étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cas dans le débat<br />

sur le recours aux tribunaux comme moteur<br />

<strong>de</strong> changement en matière <strong>de</strong> politiques.<br />

Le recours aux tribunaux<br />

et l’élaboration <strong>de</strong>s politiques<br />

Le recours à la loi désigne tout un ensemble<br />

<strong>de</strong> phénomènes connexes. Pour certains, c’est<br />

«un processus par lequel on fait appel à <strong>de</strong>s normes<br />

juridiques pour contrôler les comportements »<br />

(Lempert, 1976 : 173) et qui suppose l’affirmation<br />

<strong>de</strong> désirs « revendiqués comme <strong>de</strong>s droits »<br />

(Zemans, 1983:700). Pour d’autres, il s’agit plutôt<br />

d’une «tentative délibérée d’influencer le développement<br />

<strong>de</strong> la politique jurispru<strong>de</strong>ntielle, <strong>de</strong> façon<br />

à obtenir une réaction précise du gouvernement»<br />

(Lawrence, 1990:40). Cette <strong>de</strong>rnière définition plus<br />

spécialement s’appuie sur l’idée que l’action<br />

en justice représente parfois un moyen efficace<br />

<strong>de</strong> provoquer un changement social ou politique.<br />

L’idée que le recours aux tribunaux permet<br />

aux personnes et aux groupes politiquement<br />

défavorisés d’améliorer leur position dans la société<br />

est <strong>de</strong> plus en plus débattue. Aux États-Unis, par<br />

exemple, certains chercheurs ont soulevé <strong>de</strong>s doutes<br />

quant aux effets réels <strong>de</strong>s luttes juridiques<br />

<strong>de</strong> groupes comme la National Association for<br />

the Advancement of Colored People (NAACP),<br />

surtout en ce qui concerne la déségrégation<br />

dans les écoles (Scheingold, 1974 : 95). Au cours<br />

<strong>de</strong>s années 1990, un important débat entourant<br />

l’efficacité du recours aux tribunaux s’est<br />

engagé notamment entre Gerald Rosenberg<br />

et Michael McCann. Dans son ouvrage The Hollow<br />

Hope (1991), Rosenberg pose une question toute<br />

simple:les décisions judiciaires ont-elles entraîné<br />

<strong>de</strong>s réformes sociales notables ? Au terme d’une<br />

analyse guère optimiste, il conclut qu’en raison<br />

<strong>de</strong> certains facteurs institutionnels obligatoires,<br />

dont la portée restreinte <strong>de</strong>s droits constitutionnels,<br />

les limites <strong>de</strong> l’indépendance judiciaire et<br />

la difficulté <strong>de</strong> traduire les décisions judiciaires<br />

par <strong>de</strong>s changements politiques concrets, le recours<br />

aux tribunaux <strong>de</strong>meure un moyen particulièrement<br />

peu fiable d’accé<strong>de</strong>r à la réforme sociale<br />

(Rosenberg, 1991 : 10).<br />

En 1992, Michael McCann soutint que<br />

Rosenberg avait négligé le « pouvoir constitutif<br />

du droit », processus par lequel « le savoir<br />

juridique préfigure en partie la nature symbolique<br />

<strong>de</strong>s relations matérielles et <strong>de</strong>vient une ressource<br />

potentielle dans les luttes pour redéfinir ces<br />

relations » (McCann, 1992 : 733). Sa propre étu<strong>de</strong><br />

sur l’utilité du recours aux tribunaux dans<br />

les causes d’équité salariale l’amena à conclure<br />

que le processus judiciaire permet <strong>de</strong> faire d’importants<br />

gains politiques et ce, même en l’absence<br />

<strong>de</strong> retombées positives directes. Par exemple,<br />

l’usage du discours sur les droits chez les groupes<br />

marginalisés peut leur redonner une certaine<br />

confiance et contribuer à l’amélioration à long<br />

terme <strong>de</strong> leur situation (McCann, 1994 : 292).<br />

Dans son compte rendu critique <strong>de</strong> Rights at Work,<br />

Rosenberg affirma que McCann confirmait en fait<br />

la thèse centrale <strong>de</strong> Hollow Hope, c’est-à-dire<br />

que « les forces progressistes peuvent bénéficier<br />

<strong>de</strong>s tribunaux, mais uniquement dans certaines<br />

circonstances qui sont non seulement rares,<br />

mais qui amènent pratiquement le changement<br />

d’elles-mêmes » (Rosenberg, 1996 : 454).<br />

Une <strong>de</strong>s plus importantes conclusions<br />

à tirer du débat entre Rosenberg et McCann peut<br />

s’énoncer ainsi : le succès ou l’impact <strong>de</strong>s actions<br />

en justice reste extrêmement difficile à mesurer.<br />

La notion <strong>de</strong> succès n’est ni simple, ni synonyme<br />

d’impact. Elle peut désigner une issue favorable<br />

en cour ou encore le développement <strong>de</strong> la doctrine<br />

juridique souhaitée. Cependant, même la réalisation<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux tours <strong>de</strong> force ne garantit pas automatiquement<br />

les changements socio-économiques<br />

et politiques d’ensemble visés par les actions<br />

en justice. De plus, les conséquences d’une<br />

poursuite, l’évolution <strong>de</strong> la doctrine et les<br />

changements <strong>de</strong> cap dans un secteur politique<br />

donné ne sont pas toujours attribuables aux actions<br />

<strong>de</strong>s groupes.<br />

La littérature portant sur l’utilité <strong>de</strong> recourir<br />

aux tribunaux traite presque exclusivement<br />

<strong>de</strong> l’expérience américaine, ce qui constitue<br />

l’une <strong>de</strong> ses plus gran<strong>de</strong>s lacunes. Il semble


Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 39<br />

également que le phénomène tel qu’il se présente<br />

au Canada n’ait pas reçu toute l’attention qu’il<br />

mérite <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s chercheurs canadiens.<br />

En effet, bien que les poursuites intentées<br />

par <strong>de</strong>s groupes organisés suscitent l’intérêt<br />

<strong>de</strong>s spécialistes <strong>de</strong>puis au moins cinquante ans<br />

(Mallory, 1954), les étu<strong>de</strong>s réalisées jusqu’à présent<br />

se sont concentrées presque uniquement sur<br />

les causes d’égalité entre les sexes et d’orientation<br />

sexuelle (Razack, 1991; Morton, 1992; Smith, 1999;<br />

Hausegger, 2000 ; Brodie, 2002 ; Manfredi, 2004).<br />

De plus, nous dénombrons seulement quelques<br />

tentatives d’évaluer, <strong>de</strong> façon méthodique,<br />

l’effet <strong>de</strong>s décisions judiciaires sur l’élaboration<br />

<strong>de</strong>s politiques (Bogart, 2002 ; Schnei<strong>de</strong>rman &<br />

Sutherland, 1997; Bogart, 1994). Les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cas<br />

présentées ici contribuent doublement au débat.<br />

Nous abor<strong>de</strong>rons nos étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cas à l’ai<strong>de</strong><br />

du modèle <strong>de</strong> décision réparatrice élaboré par<br />

Philip Cooper (Cooper, 1988 : 16-24). Ce modèle<br />

comprend quatre phases : la phase d’amorce,<br />

la phase d’établissement <strong>de</strong> la responsabilité,<br />

la phase <strong>de</strong> réparation et la phase post-décision.<br />

La phase d’amorce regroupe à la fois les circonstances<br />

historiques générales et les événements<br />

particuliers ayant mené au déclenchement<br />

<strong>de</strong> la poursuite. Les phases d’établissement<br />

<strong>de</strong> la responsabilité et <strong>de</strong> réparation, au cours<br />

<strong>de</strong>squelles le tribunal détermine s’il y a eu atteinte<br />

aux droits et libertés et prescrit les réparations<br />

appropriées, forment le cœur du modèle <strong>de</strong> décision<br />

réparatrice. Elles peuvent se succé<strong>de</strong>r immédiatement<br />

ou faire l’objet d’instances distinctes.<br />

Enfin, c’est au cours <strong>de</strong> la phase postdécision<br />

que les réparations sont mises en œuvre, évaluées et<br />

adaptées. Cette phase se caractérise par l’interaction<br />

entre plai<strong>de</strong>urs et juges. Le niveau d’intervention<br />

judiciaire est lié à la gravité <strong>de</strong>s violations commises,<br />

à la capacité <strong>de</strong> changement <strong>de</strong> l’organisation et<br />

à la culture politique environnante.<br />

Auton :autisme et intervention<br />

comportementale intensive<br />

Phase d’amorce<br />

En 1987, le Dr O. Ivar Lovass a publié une<br />

étu<strong>de</strong> mesurant l’efficacité d’une forme particulière<br />

d’analyse behaviorale (ou comportementale)<br />

appliquée(« ABA ») ou intervention comportementale<br />

intensive (« ICI »), dans le traitement<br />

<strong>de</strong> l’autisme (Lovaas, 1987). L’étu<strong>de</strong> révélait<br />

que 17 <strong>de</strong>s 19 enfants soumis à une thérapie<br />

intensive individuelle <strong>de</strong> quarante heures par<br />

semaine en moyenne avaient considérablement<br />

amélioré leurs aptitu<strong>de</strong>s sociales et leur capacité<br />

<strong>de</strong> communiquer. De ce nombre, neuf enfants<br />

avaient même complété la première année<br />

du primaire dans <strong>de</strong>s classes régulières et possédaient<br />

un quotient intellectuel, une capacité<br />

d’adaptation et un fonctionnement affectif semblables<br />

à ceux <strong>de</strong> leurs camara<strong>de</strong>s. Six ans plus<br />

tard, Lovaas et <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses collègues réalisèrent<br />

une étu<strong>de</strong> complémentaire suggérant que les gains<br />

réalisés, lors du traitement, s’étaient maintenus :<br />

huit <strong>de</strong>s neuf enfants poursuivaient leurs étu<strong>de</strong>s<br />

au sein <strong>de</strong> classes régulières, sans nécessiter<br />

un soutien particulier (McEachen, Smith&Lovaas,<br />

1993). Selon un <strong>de</strong>s auteurs, il s’agissait là<br />

<strong>de</strong>s seules étu<strong>de</strong>s contrôlées sur les programmes<br />

d’ABA / ICI pour les enfants autistes (Auton,<br />

2000 : 62).<br />

En raison <strong>de</strong> l’efficacité apparente du<br />

traitement proposé, <strong>de</strong> son intensité (quarante<br />

heures par semaine pendant <strong>de</strong>ux ou trois ans)<br />

et <strong>de</strong> son coût élevé (environ 50 000 $ par année),<br />

les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Lovaas entraînèrent la formation<br />

d’un vaste groupe voué à l’obtention <strong>de</strong> fonds<br />

publics et privés pour accé<strong>de</strong>r au traitement.<br />

Fondé en 1993 dans le nord <strong>de</strong> la Californie,<br />

Families for Early Autism Treatment (FEAT)<br />

se répandit rapi<strong>de</strong>ment sur tout le continent.<br />

En 1996, la sociologue Sabrina Freeman, mère<br />

d’une enfant autiste, fonda une filiale <strong>de</strong> FEAT<br />

en Colombie-Britannique, après s’être battue<br />

seule pendant un an pour que le gouvernement<br />

finance le traitement Lovaas contre l’autisme<br />

(TLA). Le TLA, selon l’organisme, est « efficace,<br />

scientifiquement éprouvé et <strong>de</strong>stiné à ai<strong>de</strong>r<br />

les jeunes enfants atteints du trouble neurologique<br />

<strong>de</strong> l’autisme». Par conséquent, FEAT BC a soutenu<br />

d’emblée que le refus du gouvernement <strong>de</strong><br />

Colombie-Britannique <strong>de</strong> reconnaître la nécessité<br />

médicale du TLA et <strong>de</strong> l’inclure au nombre<br />

<strong>de</strong>s traitements assurés par le système <strong>de</strong> soins<br />

<strong>de</strong> santé <strong>de</strong> la province violait « <strong>de</strong> nombreuses<br />

lois <strong>de</strong>stinées à protéger les droits <strong>de</strong>s personnes<br />

ayant une déficience ». L’idée <strong>de</strong> recourir aux<br />

tribunaux constituait, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, l’avantplan<br />

<strong>de</strong> la campagne <strong>de</strong> l’organisme pour changer


40 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi<br />

la position du gouvernement à l’égard du TLA.<br />

D’avis que « le gouvernement <strong>de</strong> Colombie-<br />

Britannique doit reconnaître son obligation<br />

juridique <strong>de</strong> financer le traitement précoce,<br />

intensif et scientifiquement éprouvé <strong>de</strong> l’autisme<br />

pour tout enfant atteint <strong>de</strong> ce trouble », l’organisme<br />

recrutait ouvertement les avocats «désirant<br />

changer le système <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé discriminatoire<br />

du Canada ». Évoquant les poursuites<br />

qui se déroulaient aux États-Unis, FEAT BC<br />

insistait pour que «justice soit faite aussi au Canada»<br />

(FEAT BC). En fait, en août 1996, la Cour du Banc<br />

<strong>de</strong> la Reine <strong>de</strong> l’Alberta a conclu que les «programmes<br />

<strong>de</strong> type Lovaas » constituaient un service<br />

pour les enfants handicapés au sens du Child<br />

Welfare Act <strong>de</strong> la province. Elle a ordonné<br />

au directeur <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> protection <strong>de</strong> l’enfance<br />

<strong>de</strong> rembourser 90 % <strong>de</strong>s coûts du traitement<br />

(C.R. v. Alberta, 1996).<br />

Pour plai<strong>de</strong>r sa cause, FEAT BC retint les<br />

précieux services <strong>de</strong> Christopher Hinkson,<br />

membre du conseil <strong>de</strong> la reine et associé au sein<br />

<strong>de</strong> la société d’avocats Harper, Grey, Easton<br />

<strong>de</strong> Vancouver. Fondée en 1907, cette petite firme<br />

(une cinquantaine d’avocats) se spécialise dans<br />

le domaine du contentieux civil. Figurant au<br />

palmarès <strong>de</strong>s cinq cents meilleurs avocats<br />

du Canada établi par Lexpert, Hinkson se spécialise<br />

dans plusieurs domaines : les fautes<br />

professionnelles médicales, les préjudices corporels,<br />

la négligence professionnelle, les assurances,<br />

la responsabilité découlant du fait du produit et<br />

le droit administratif. De 1987 à 1995, il a occupé<br />

le poste <strong>de</strong> vice-prési<strong>de</strong>nt et directeur <strong>de</strong> la BC<br />

Medical Services Foundation. En bref, cet avocat<br />

représentait un plai<strong>de</strong>ur d’expérience possédant<br />

une expertise particulière en santé et oeuvrant<br />

dans une société d’avocats prestigieuse, bien<br />

que <strong>de</strong> petite taille.<br />

Le 30 mars 1998, FEAT BC diffusa un communiqué<br />

intitulé « Faute professionnelle au sein<br />

du gouvernement <strong>de</strong> C.-B. » («Malpractice in the<br />

B.C. Government »), attaquant le gouvernement<br />

provincial pour son refus <strong>de</strong> financer « le seul<br />

traitement efficace» contre l’autisme. Le 30 juillet<br />

suivant, un certain nombre <strong>de</strong> familles reçurent<br />

une lettre signée conjointement par le sous-ministre<br />

à l’Éducation et le sous-ministre à l’Enfance<br />

et aux Familles les informant que le gouvernement<br />

provincial n’était pas «financièrement en mesure»<br />

d’offrir le TLA (Auton, 2000 : 58). Deux semaines<br />

plus tard, Connor Auton et sa mère Michelle<br />

déposèrent un recours collectif au nom <strong>de</strong> tous<br />

les enfants et <strong>de</strong>s familles qui s’étaient vu refuser<br />

le financement du TLA par le gouvernement<br />

<strong>de</strong> la province. Le tribunal refusa d’accor<strong>de</strong>r<br />

l’autorisation d’exercer un recours collectif,<br />

mais les actes <strong>de</strong> procédure furent modifiés<br />

pour inclure, au nombre <strong>de</strong>s requérants, trois<br />

autres enfants et leurs parents, dont Sabrina<br />

Freeman et sa fille Michelle Tamir. Ces <strong>de</strong>rniers<br />

<strong>de</strong>mandaient au tribunal <strong>de</strong> déclarer que le refus<br />

du gouvernement <strong>de</strong> financer le TLA portait<br />

atteinte aux droits garantis par les articles 7<br />

et 15(1) <strong>de</strong> la Charte canadienne <strong>de</strong>s droits et<br />

libertés. L’article 7 garantit « le droit à la vie,<br />

à la liberté et à la sécurité <strong>de</strong>s personnes », droit<br />

auquel il n’est pas permis <strong>de</strong> porter atteinte<br />

« qu’en conformité avec les principes <strong>de</strong> justice<br />

fondamentale », tandis que l’article 15 garantit<br />

l’égalité <strong>de</strong>vant la loi, l’égalité <strong>de</strong> bénéfice et<br />

la protection égale <strong>de</strong> la loi. Les requérants réclamaient<br />

également une ordonnance <strong>de</strong> mandamus<br />

qui obligerait le gouvernement à les in<strong>de</strong>mniser<br />

pour les frais futurs et déjà engagés pour le traitement.<br />

Les <strong>de</strong>ux parties acceptèrent, par contre,<br />

que les questions <strong>de</strong> la responsabilité et <strong>de</strong>s réparations<br />

fassent l’objet d’instances séparées.<br />

Phase d’établissement <strong>de</strong> la responsabilité<br />

En avril 2000, au cours d’un procès <strong>de</strong> dix<br />

jours <strong>de</strong>vant la juge Marion Allan <strong>de</strong> la Cour<br />

suprême <strong>de</strong> la Colombie-Britannique (le plus haut<br />

tribunal <strong>de</strong> la province), la question <strong>de</strong> la responsabilité<br />

fut abordée. Comme il semblait prévisible,<br />

le principal désaccord entre les <strong>de</strong>ux parties concernait<br />

l’efficacité clinique du TLA. Les requérants<br />

organisèrent leur défense du traitement en <strong>de</strong>ux<br />

temps. La première étape fut <strong>de</strong> prouver que<br />

ce <strong>de</strong>rnier s’était montré efficace dans le cas<br />

<strong>de</strong>s quatre enfants inclus dans la poursuite,<br />

qui l’avaient tous reçu aux frais <strong>de</strong> leurs parents.<br />

Le gouvernement contesta la recevabilité <strong>de</strong>s lettres<br />

<strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins présentées comme preuves <strong>de</strong>s<br />

bienfaits du traitement, mais non les affidavits<br />

<strong>de</strong>s parents attestant <strong>de</strong>s progrès <strong>de</strong> leur enfant.<br />

En conséquence, la juge Allan déclara qu’elle<br />

était «convaincue, à partir <strong>de</strong>s preuves recevables,<br />

que le traitement Lovaas contre l’autisme avait<br />

permis aux enfants requérants d’améliorer leur<br />

condition <strong>de</strong> façon substantielle» (Auton, 2000:60).


Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 41<br />

Bien sûr, les affirmations <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs allaient<br />

encore plus loin. Pour eux, en effet, les progrès<br />

<strong>de</strong> ces enfants confirmaient tout bonnement<br />

les résultats <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> 1987 et 1993, prouvant<br />

que le TLA « est un service médicalement<br />

nécessaire puisqu’il améliore considérablement<br />

la condition <strong>de</strong>s enfants autistes » (63-64).<br />

S’étant gardé <strong>de</strong> contester avec vigueur<br />

les progrès réalisés dans ces cas particuliers,<br />

le gouvernement attaqua plutôt la valeur scientifique<br />

d’ensemble <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Lovaas.<br />

Il insista sur <strong>de</strong>ux failles méthodologiques, selon<br />

lui, importantes : la composition du groupe<br />

expérimental et du groupe témoin ne résultait<br />

pas d’un échantillonnage aléatoire et l’étu<strong>de</strong> n’avait<br />

jamais été reproduite. Vu ces problèmes, il était<br />

impossible, d’après le gouvernement, <strong>de</strong> tirer<br />

<strong>de</strong>s conclusions générales sur l’efficacité du TLA.<br />

À la limite, ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>vait être considéré comme<br />

un traitement expérimental et non comme<br />

un service médicalement nécessaire. Pour appuyer<br />

ses arguments, le gouvernement commanda<br />

une étu<strong>de</strong> à l’Office of Health Technology<br />

Assessment Services and Policy Research <strong>de</strong> UBC.<br />

Les auteurs du rapport conclurent que « <strong>de</strong><br />

nombreux types <strong>de</strong> thérapies behaviorales<br />

intensives sont clairement efficaces pour traiter<br />

les enfants autistes, mais il n’existe pas suffisamment<br />

<strong>de</strong> preuves scientifiques valables pour<br />

établir un lien entre un type particulier <strong>de</strong> traitement<br />

intensif et l’atteinte d’un «comportement normal»<br />

chez l’enfant». Cette conclusion reposait sur <strong>de</strong>ux<br />

données : (1) un seul essai clinique contrôlé avait<br />

fait l’objet d’une publication, et la communauté<br />

scientifique répugnait à en accepter les résultats;<br />

(2) l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Lovaas n’avait été confirmée<br />

par aucun chercheur indépendant. Or, affirmait<br />

le rapport du Office of Health, non seulement<br />

était-il « éthiquement et physiquement possible<br />

<strong>de</strong> mener <strong>de</strong>s essais cliniques randomisés comparant<br />

différentes thérapies précoces et intensives »,<br />

il était nécessaire d’effectuer ce genre <strong>de</strong> recherche<br />

« avant <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> financer un traitement<br />

plutôt qu’un autre en raison <strong>de</strong> son efficacité »<br />

(Bassett, Green & Kazanjian, 2000 : ix).<br />

La juge Allan critiqua sévèrement le rapport<br />

<strong>de</strong> l’Office of Health (Auton, 2000 : 66-67). Après<br />

avoir sous-entendu que les auteurs du rapport<br />

avaient induit le tribunal en erreur en affirmant<br />

qu’il avait fait l’objet d’une évaluation externe<br />

avant d’être déposé en preuve, la juge leur reprocha<br />

<strong>de</strong> ne pas avoir consulté <strong>de</strong> professionnels<br />

<strong>de</strong> la santé favorables au TLA et d’avoir utilisé<br />

« un seul commentaire anecdotique » pour<br />

appuyer une <strong>de</strong> leurs assertions clés. Elle leur<br />

rappela également que le Dr Lovaas et ses<br />

collègues n’avaient jamais prétendu que le TLA<br />

« guérissait » l’autisme, au contraire <strong>de</strong> ce que<br />

le rapport affirmait. Ce <strong>de</strong>rnier, selon elle,<br />

n’apportait « à peu près rien d’utile » aux débats<br />

entourant les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> 1987 et <strong>de</strong> 1993. De plus,<br />

il était « si tendancieux » qu’il perdait une bonne<br />

partie <strong>de</strong> sa crédibilité. Aussi, la juge n’en retint<br />

que le passage où les auteurs reconnaissaient<br />

que « le traitement behavioral précoce peut<br />

atténuer les symptômes <strong>de</strong> l’autisme chez<br />

<strong>de</strong> nombreux enfants, si ce n’est chez la majorité<br />

d’entre eux ». En effet, après avoir entendu<br />

l’expert cité comme témoin par les <strong>de</strong>ux parties,<br />

la juge conclut qu’il n’existait « aucun traitement<br />

alternatif efficace «pour remplacer«les traitements<br />

fondés sur les principes <strong>de</strong> l’ABA » (68). Elle<br />

déclara également qu’il fallait considérer<br />

le « traitement behavioral intensif et précoce »<br />

comme un « service médicalement nécessaire»<br />

au sens <strong>de</strong>s législations fédérale et provinciale<br />

(75). Elle arriva à cette conclusion, en élargissant<br />

la définition d’un service « médicalement<br />

nécessaire» pour inclure «tout ce qui peut guérir<br />

ou combattre efficacement une affection » (75).<br />

Après avoir émis cette conclusion et établi<br />

que la Colombie-Britannique ne fournissait pas<br />

ce service, la juge Allan entreprit <strong>de</strong> déterminer<br />

si l’inertie <strong>de</strong> la province portait atteinte aux<br />

droits à l’égalité garantis par la Constitution.<br />

Deux décisions antérieures <strong>de</strong> la Cour suprême<br />

formaient la base <strong>de</strong> sa discussion. Premièrement,<br />

la Cour avait conclu, en 1997, qu’en omettant<br />

<strong>de</strong> fournir <strong>de</strong>s services d’interprétation visuelle<br />

complets aux patients malentendants, la Colombie-<br />

Britannique privait ces personnes <strong>de</strong> la protection<br />

égale <strong>de</strong> la loi, car elle limitait leur capacité<br />

<strong>de</strong> communiquer, <strong>de</strong> façon efficace, avec les<br />

fournisseurs <strong>de</strong> soins (Eldridge, 1997). Deuxièmement,<br />

en 1999, la Cour suprême avait fait<br />

le point sur dix ans <strong>de</strong> jurispru<strong>de</strong>nce en résumant<br />

et en commentant les principes fondamentaux<br />

<strong>de</strong>vant gui<strong>de</strong>r l’analyse relative aux droits à<br />

l’égalité (Law, 1999). Cet arrêt stipulait que le but<br />

<strong>de</strong> l’article 15(1) était « d’empêcher toute atteinte<br />

à la dignité et à la liberté humaines essentielles


42 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi<br />

par l’imposition <strong>de</strong> désavantages, <strong>de</strong> stéréotypes<br />

et <strong>de</strong> préjugés politiques ou sociaux, et <strong>de</strong> favoriser<br />

l’existence d’une société où tous sont reconnus<br />

par la loi comme <strong>de</strong>s êtres humains égaux ou<br />

comme <strong>de</strong>s membres égaux <strong>de</strong> la société<br />

canadienne, tous aussi capables, et méritant<br />

le même intérêt, le même respect et la même<br />

considération» (paragr. 51). L’arrêt Law énumérait<br />

également trois questions primordiales pour<br />

déterminer s’il y avait ou non discrimination :<br />

Premièrement, la loi contestée a) établit-elle<br />

une distinction formelle entre le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur<br />

et d’autres personnes en raison d’une ou<br />

<strong>de</strong> plusieurs caractéristiques personnelles,<br />

ou b) omet-elle <strong>de</strong> tenir compte <strong>de</strong> la situation<br />

défavorisée dans laquelle le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur<br />

se trouve déjà dans la société canadienne,<br />

créant ainsi une différence <strong>de</strong> traitement<br />

réelle entre celui-ci et d’autres personnes<br />

en raison d’une ou <strong>de</strong> plusieurs caractéristiques<br />

personnelles ? […] Deuxièmement,<br />

le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur a-t-il subi un traitement<br />

différent en raison d’un ou <strong>de</strong> plusieurs <strong>de</strong>s<br />

motifs énumérés ou <strong>de</strong>s motifs analogues?<br />

Et, troisièmement, la différence <strong>de</strong> traitement<br />

était-elle réellement discriminatoire, faisant<br />

ainsi intervenir l’objet du par. 15(1) <strong>de</strong> la<br />

Charte pour remédier à <strong>de</strong>s fléaux comme<br />

les préjugés, les stéréotypes et le désavantage<br />

historique ? (paragr. 39)<br />

La juge Allan s’inspira <strong>de</strong> l’arrêt Eldridge<br />

pour conclure qu’« ayant créé un système<br />

d’assurance-maladie universel, le gouvernement<br />

n’a pas le droit <strong>de</strong> fournir ces services <strong>de</strong> façon<br />

discriminatoire». Elle détermina, à partir <strong>de</strong> Law,<br />

qu’en «omettant <strong>de</strong> fournir [aux enfants autistes]<br />

les soins <strong>de</strong> santé requis », le gouvernement<br />

exerçait une discrimination à leur égard, car<br />

il perpétuait le « stéréotype erroné » voulant<br />

« qu’il n’existe pas <strong>de</strong> traitement efficace pour<br />

les enfants autistes » (Auton, 2000 : 80). Elle rejeta<br />

les arguments du gouvernement qui justifiait<br />

sa décision en invoquant le rationnement nécessaire<br />

<strong>de</strong> ressources limitées. Selon la juge,<br />

« l’ABA ou intervention comportementale intensive<br />

et précoce constitue le traitement approprié<br />

[contre l’autisme] ». Elle affirma, en outre, que<br />

la Colombie-Britannique « traite les requérants<br />

<strong>de</strong> façon discriminatoire en violation <strong>de</strong> l’article<br />

15(1) <strong>de</strong> la Charte. En effet, en omettant <strong>de</strong> leur<br />

fournir un traitement efficace contre l’autisme,<br />

la province ne répond pas aux besoins qui<br />

accompagnent leur position défavorisée » (85).<br />

Tout comme la province, par contre, la juge<br />

Allan était d’avis qu’elle ne possédait pas<br />

la compétence pour ordonner à la province<br />

<strong>de</strong> fournir le TLA. Elle invita plutôt les avocats<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parties à soumettre <strong>de</strong> nouvelles observations<br />

sur la nature précise <strong>de</strong>s réparations<br />

appropriées à la violation constitutionnelle.<br />

Bien que favorable à FEAT BC, le jugement<br />

du tribunal <strong>de</strong> première instance sur la responsabilité<br />

du gouvernement n’était pas sans failles.<br />

Tout d’abord, il semble bien que la juge ait<br />

confondu <strong>de</strong>ux principes <strong>de</strong> la Loi canadienne<br />

sur la santé lorsqu’elle a présenté le litige comme<br />

un problème d’universalité (Greschner & Lewis,<br />

2003 : 515). En effet, la condition d’universalité<br />

suppose que tous les assurés <strong>de</strong> la province<br />

aient accès aux services <strong>de</strong> santé offerts et non<br />

que tous les traitements médicaux possibles<br />

soient assurés. Le choix <strong>de</strong>s services à assurer<br />

concerne plutôt la condition d’intégralité.<br />

Deuxièmement, en privilégiant une définition<br />

élargie d’un service « médicalement nécessaire»,<br />

le tribunal s’est éloigné <strong>de</strong> la Loi canadienne<br />

sur la santé, où cette expression s’applique aux<br />

services reçus à l’hôpital ou d’un mé<strong>de</strong>cin<br />

(Greschner & Lewis, 2003 : 515). Il est d’ailleurs<br />

probable que la juge ait mal interprété le témoignage<br />

<strong>de</strong> l’expert dont elle s’est inspirée dans<br />

sa définition. En effet, la définition du Dr Baer<br />

(«tout ce qui peut guérir ou combattre efficacement<br />

une affection ») s’appliquait à un « traitement<br />

médical » et non à un service « médicalement<br />

nécessaire». Nous ignorons s’il considérait ces<br />

<strong>de</strong>ux expressions comme <strong>de</strong>s synonymes.<br />

Phase <strong>de</strong> réparation<br />

L’article 24(1) <strong>de</strong> la Charte prévoit que toute<br />

personne ayant subi une violation <strong>de</strong> ses droits<br />

et libertés peut s’adresser «à un tribunal compétent<br />

pour obtenir la réparation que le tribunal estime<br />

convenable et juste, eu égard aux circonstances».<br />

Le procès pour déterminer la nature <strong>de</strong>s réparations<br />

appropriées dans l’affaire Auton s’est déroulé,<br />

en novembre 2000, et la juge Allan a rendu<br />

sa décision, en février 2001. Après sa défaite<br />

au tribunal, la province avait réagi en créant<br />

le Provincial Centre for Autism and Related


Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 43<br />

Disor<strong>de</strong>rs (P-CARD). Le centre assurait certains<br />

services dans l’ensemble <strong>de</strong> la province, dont<br />

l’ABA/ICI pour tous les enfants autistes <strong>de</strong> moins<br />

<strong>de</strong> six ans, à raison d’au moins vingt heures<br />

par semaine. Une partie du procès fut donc<br />

consacrée à l’examen <strong>de</strong> ces premiers efforts.<br />

Les requérants étaient insatisfaits du nouveau<br />

programme à cause <strong>de</strong> la limite d’âge, du nombre<br />

d’heures restreint alloué à la thérapie et parce qu’il<br />

n’incluait pas le traitement Lovaas en particulier.<br />

La juge Allan aborda ces objections avec pru<strong>de</strong>nce.<br />

L’affaire, fit-elle remarquer, «soulève d’importantes<br />

questions sur les rôles respectifs du judiciaire<br />

et <strong>de</strong>s législatures en matière <strong>de</strong> politiques ».<br />

« Les questions soulevées par les requérants,<br />

poursuivait-elle, mettent en relief les difficultés<br />

qui surviennent, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité<br />

prononcée par le tribunal est censée<br />

modifier le comportement du gouvernement ».<br />

Tout en reconnaissant l’importance du contrôle<br />

judiciaire, la juge Allan rappela que « les juges<br />

ne peuvent dicter au gouvernement quels<br />

programmes <strong>de</strong> traitement il doit mettre en place,<br />

ni la façon dont il doit répartir <strong>de</strong>s ressources<br />

financières limitées ». Elle n’était pas prête à<br />

affirmer que le gouvernement avait agi <strong>de</strong> façon<br />

réticente, négative ou intransigeante (Auton,<br />

2001 : paragr. 26-27, 30). Il était encore trop tôt,<br />

selon elle, pour évaluer l’efficacité réelle du programme<br />

P-CARD et donc trop tôt pour « rendre<br />

une ordonnance <strong>de</strong> mandamus » (paragr. 45).<br />

En guise <strong>de</strong> réparations, la juge déclara qu’il y avait<br />

eu négation <strong>de</strong>s droits à l’égalité <strong>de</strong>s requérants.<br />

Elle ordonna également au gouvernement<br />

<strong>de</strong> financer la thérapie behaviorale intensive et<br />

précoce pour les enfants autistes et attribua 20000$<br />

en dommages-intérêts aux requérants adultes.<br />

Phase post-décision<br />

Après la décision du tribunal <strong>de</strong> première<br />

instance, la cause fut portée en appel par les <strong>de</strong>ux<br />

parties. Le gouvernement contestait la déclaration<br />

<strong>de</strong> responsabilité, tandis que l’appel inci<strong>de</strong>nt<br />

concernait les questions du traitement et <strong>de</strong>s<br />

dommages-intérêts (Auton, 2002). La Cour<br />

d’appel <strong>de</strong> la Colombie-Britannique rejeta<br />

l’appel du gouvernement à l’unanimité,<br />

affirmant que « les administrateurs provinciaux<br />

<strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé n’ont pas tenu compte<br />

<strong>de</strong>s besoins individuels <strong>de</strong>s enfants nommés<br />

comme partie à l’instance, en refusant <strong>de</strong> financer<br />

leur traitement. Ce geste équivaut à dire que<br />

le handicap mental <strong>de</strong> ces enfants est moins<br />

digne d’attention que les problèmes médicaux<br />

temporaires d’autres enfants. Il sous-entend,<br />

en outre, que la communauté s’intéresse moins<br />

au sort [<strong>de</strong>s enfants autistes] qu’à celui<br />

<strong>de</strong>s autres enfants mala<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s adultes nécessitant<br />

<strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé mentale » (Auton, 2002:<br />

paragr. 51). La Cour d’appel rejeta également<br />

l’appel inci<strong>de</strong>nt concernant la décision du tribunal<br />

<strong>de</strong> première instance <strong>de</strong> ne pas exiger le financement<br />

du TLA en particulier. Elle estimait,<br />

comme la juge Allan, que le TLA n’était pas<br />

le seul type d’ABA / ICI efficace pour traiter<br />

les enfants autistes (paragr. 83-84). La Cour d’appel<br />

débouta également les requérants sur la question<br />

<strong>de</strong> la limite d’âge. Tout en reconnaissant qu’il<br />

était peu probable « que le traitement per<strong>de</strong><br />

toute efficacité dès l’atteinte <strong>de</strong> l’âge scolaire»,<br />

elle maintint que « débattre du financement<br />

<strong>de</strong> programmes pour <strong>de</strong>s enfants d’âge scolaire<br />

nécessite peut-être <strong>de</strong>s arguments supplémentaires<br />

qui n’ont pas été présentés à la Cour,<br />

que ce soit dans les observations ou dans<br />

les preuves déposées » (paragr. 90). La Cour<br />

d’appel ordonna cependant que les conflits<br />

au sujet <strong>de</strong> la durée du traitement soient tranchés<br />

au cas par cas, suivant un mo<strong>de</strong> approprié<br />

<strong>de</strong> résolution <strong>de</strong>s différends ou par les tribunaux<br />

inférieurs. Ce faisant, la Cour étendait en principe<br />

les réparations accordées par la juge Allan aux<br />

enfants ayant dépassé la limite d’âge. L’appel<br />

inci<strong>de</strong>nt eut <strong>de</strong>s retombées positives pour<br />

les quatre enfants inclus dans la poursuite initiale.<br />

En effet, bien que la Cour n’ait pas voulu imposer<br />

une directive générale concernant le TLA ou<br />

la durée du traitement, elle a déclaré que ces enfants<br />

avaient «droit au financement du gouvernement<br />

pour continuer leur traitement particulier […]<br />

jusqu’à ce que, du point <strong>de</strong> vue médical, on<br />

ne puisse plus raisonnablement espérer que<br />

ce traitement les ai<strong>de</strong> à faire <strong>de</strong>s progrès notables<br />

contre l’autisme » (paragr. 92).<br />

La province a réagi à son échec en Cour<br />

d’appel <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux façons distinctes. Comme<br />

il semblait prévisible, elle a déposé une <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

d’autorisation d’appel à la Cour suprême,<br />

accueillie le 15 mai 2003. Par contre, elle a également<br />

cherché à limiter l’application <strong>de</strong> la décision<br />

<strong>de</strong> la Cour d’appel aux quatre enfants i<strong>de</strong>ntifiés<br />

comme parties à l’instance. Bien sûr, les 23 familles


44 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi<br />

qui avaient fait partie <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> recours<br />

collectif initiale et qui avaient suivi l’affaire Auton<br />

se sont objectées à la tentative du gouvernement.<br />

Elles ont saisi la Cour suprême <strong>de</strong> la Colombie-<br />

Britannique d’un recours pour obtenir les mêmes<br />

réparations que les requérants dans l’affaire<br />

Auton, incluant les dommages-intérêts (An<strong>de</strong>rson,<br />

2003). Sauf sur cette <strong>de</strong>rnière question, le tribunal<br />

s’est rendu aux arguments <strong>de</strong>s familles et a déclaré<br />

qu’elles avaient droit, elles aussi, au financement<br />

du gouvernement pour poursuivre le TLA sur<br />

recommandation médicale.<br />

La Cour suprême du Canada a entendu<br />

les plaidoiries dans l’affaire Auton, le 9 juin 2004.<br />

L’importance générale <strong>de</strong> l’affaire transparaît<br />

clairement à travers le nombre d’intervenants<br />

qu’elle a attirés, dix-neuf en tout, dont dix gouvernements<br />

(Canada, Nouveau-Brunswick, Manitoba,<br />

Québec, Ontario, Alberta, Saskatchewan,<br />

Terre-Neuve-et-Labrador, Île-du-Prince-Édouard,<br />

Nouvelle-Écosse), huit organismes (l’Association<br />

canadienne pour l’intégration communautaire,<br />

le Conseil <strong>de</strong>s Canadiens avec déficiences, le Fonds<br />

d’action et d’éducation juridiques pour les femmes,<br />

le Réseau d’action <strong>de</strong>s femmes handicapées<br />

du Canada, la Société canadienne <strong>de</strong> l’autisme,<br />

Families for Effective Autism Treatment of Alberta<br />

Foundation, Friends of Children with Autism<br />

et Families for Early Autism Treatment of Ontario)<br />

et un particulier. Tous les gouvernements s’inquiétaient<br />

assurément <strong>de</strong>s répercussions possibles<br />

<strong>de</strong> l’affaire sur leur capacité à établir <strong>de</strong>s priorités<br />

en matière <strong>de</strong> financement <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé.<br />

Par contre, tous les intervenants provenant<br />

d’organismes non gouvernementaux souhaitaient<br />

que la Cour maintienne les décisions <strong>de</strong>s tribunaux<br />

inférieurs. Seule surprise, le particulier, une femme<br />

autiste, désirait que la Cour infirme les jugements<br />

antérieurs qui perpétuaient, selon elle, l’idée<br />

stéréotypée que les personnes autistes sont<br />

incapables <strong>de</strong> mener une existence pleinement<br />

satisfaisante et sont <strong>de</strong>stinées à finir leurs jours<br />

en institution.<br />

Outre la violation <strong>de</strong>s droits à l’égalité,<br />

le groupe Auton voulait que la Cour suprême<br />

reconnaisse l’atteinte portée aux droits garantis<br />

par l’article 7. Il soutenait, dans son mémoire,<br />

que la Colombie-Britannique avait l’entière<br />

responsabilité du financement du TLA pour<br />

les enfants nommés comme parties à l’instance.<br />

Les familles voulaient que la Cour ordonne au<br />

gouvernement <strong>de</strong> les rembourser <strong>de</strong>puis le début<br />

du traitement et non uniquement à partir<br />

du premier jugement rendu en leur faveur.<br />

Pour elles, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, le véritable enjeu<br />

du procès <strong>de</strong>vant la Cour suprême concernait<br />

moins la politique publique que l’obtention<br />

d’une compensation financière pour les frais<br />

engagés dans la poursuite du traitement. Après<br />

tout, le refus du gouvernement violait les droits<br />

constitutionnels <strong>de</strong> leur enfant. Ce point <strong>de</strong> vue<br />

transparaît clairement dans les arguments utilisés<br />

par Christopher Hinkson. L’avocat <strong>de</strong> FEAT BC<br />

tenta d’attirer l’attention <strong>de</strong> la Cour sur un exemple<br />

précis d’intransigeance <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s représentants<br />

gouvernementaux au lieu d’évoquer les grands<br />

enjeux du litige. Hinkson nia qu’il <strong>de</strong>mandait<br />

aux juges <strong>de</strong> substituer les préférences <strong>de</strong> la Cour<br />

en matière <strong>de</strong> politique <strong>de</strong> santé à celles<br />

<strong>de</strong> la province. L’unique désir <strong>de</strong>s familles, selon<br />

lui, était que les décisions bureaucratiques<br />

sur le financement <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé soient<br />

claires et non arbitraires. Pour la Colombie-<br />

Britannique, au contraire, l’affaire concernait<br />

clairement la politique publique. La province<br />

craignait que les jugements <strong>de</strong>s tribunaux<br />

inférieurs ne « dérèglent le processus » <strong>de</strong> prise<br />

<strong>de</strong> décision en matière <strong>de</strong> financement <strong>de</strong>s soins<br />

<strong>de</strong> santé en créant « une catégorie <strong>de</strong> services<br />

médicaux garantis par la Constitution» (Colombie-<br />

Britannique, 2004:paragr. 5). La province soutint<br />

<strong>de</strong>vant la Cour que le choix <strong>de</strong> refuser, <strong>de</strong> reporter<br />

ou <strong>de</strong> limiter les services constituait une décision<br />

polycentrique faisant partie du pouvoir discrétionnaire<br />

général du gouvernement.<br />

Analyse<br />

Le succès remporté par FEAT BC dans l’affaire<br />

Auton n’était pas total. Certes, <strong>de</strong>ux tribunaux<br />

provinciaux ont déclaré que la Charte obligeait<br />

le gouvernement à financer le traitement ABA /<br />

ICI contre l’autisme. Ils ont également accordé<br />

<strong>de</strong>s dommages-intérêts aux quatre familles<br />

en cause, <strong>de</strong> même qu’une compensation financière<br />

à 27 familles pour les frais futurs et déjà engagés<br />

du traitement (<strong>de</strong> leur choix). Par contre, les <strong>de</strong>ux<br />

tribunaux ont refusé <strong>de</strong> considérer le TLA<br />

comme le seul traitement efficace contre l’autisme,<br />

ce que le FEAT BC maintenait comme position<br />

officielle. Malgré tout, leurs décisions ont amené<br />

la Colombie-Britannique à transformer un petit


Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 45<br />

programme <strong>de</strong> traitement expérimental en politique<br />

gouvernementale à part entière et ce, alors même<br />

que le gouvernement en appelait <strong>de</strong> ses échecs<br />

en cour. Encouragées par les décisions <strong>de</strong>s tribunaux<br />

inférieurs <strong>de</strong> la Colombie-Britannique,<br />

d’autres filiales <strong>de</strong> FEAT, notamment en Ontario,<br />

ont entamé <strong>de</strong>s poursuites visant à assurer<br />

le financement <strong>de</strong> l’ABA/ICI ailleurs au Canada.<br />

En effet, en 2003-2004, les tribunaux <strong>de</strong> différentes<br />

provinces ont tranché neuf autres affaires<br />

concernant l’autisme.<br />

De nombreux facteurs expliquent la part<br />

<strong>de</strong> succès <strong>de</strong> l’action en justice. Tout d’abord,<br />

les enfants autistes et leurs parents dévoués<br />

constituent <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs bien sympathiques<br />

qui rallient tout le mon<strong>de</strong> à leur cause, d’autant<br />

plus que personne n’a contesté les bienfaits,<br />

chez ces enfants, du traitement en question.<br />

De plus, ce groupe possè<strong>de</strong> au moins <strong>de</strong>ux caractéristiques<br />

essentielles au succès <strong>de</strong>s «requérants<br />

à répétition » (« repeat player litigants », selon<br />

l’expression <strong>de</strong> Mark Galanter) : FEAT BC fait<br />

partie d’un réseau organisationnel cherchant<br />

à assurer l’accès au TLA à l’ai<strong>de</strong> d’actions<br />

politiques et juridiques, et son avocat représente<br />

un spécialiste en litiges touchant à la santé.<br />

Le refus explicite <strong>de</strong> la province <strong>de</strong> financer le TLA<br />

explique aussi en partie le succès <strong>de</strong> la poursuite,<br />

car les tribunaux <strong>de</strong> la Colombie-Britannique<br />

étaient plusieurs fois intervenus dans la politique<br />

en matière <strong>de</strong> santé <strong>de</strong> la province (Manfredi &<br />

Maioni, 2002). Enfin, FEAT BC avait réussi<br />

à construire un argument juridique convaincant<br />

en liant la définition élargie d’un service « médicalement<br />

nécessaire» à <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> nature<br />

légale (l’universalité) et constitutionnelle (égalité).<br />

En présentant la question <strong>de</strong> l’ABA / ICI sous<br />

cet angle, c’est-à-dire en accord avec le principe<br />

d’accès universel à <strong>de</strong>s services « médicalement<br />

nécessaires », FEAT BC a vaincu les limites<br />

imposées par le raisonnement axé sur les politiques<br />

qui guidait en général les provinces dans<br />

le financement <strong>de</strong>s programmes.<br />

La décision <strong>de</strong> la Cour suprême<br />

L’affaire Auton s’est soldée, le 19 novembre<br />

2004, par la stupéfiante défaite en cour <strong>de</strong>s familles<br />

rassemblées par FEAT BC. Dans une décision<br />

unanime, la Cour suprême du Canada a infirmé<br />

les jugements <strong>de</strong>s tribunaux inférieurs, rejeté<br />

le pourvoi inci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s requérants et conclu que<br />

le refus <strong>de</strong> la Colombie-Britannique <strong>de</strong> financer<br />

le traitement Lovaas contre l’autisme ne violait<br />

pas l’article 15 <strong>de</strong> la Charte. Tout en disant<br />

comprendre les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s requérants et<br />

les jugements <strong>de</strong>s tribunaux inférieurs, la juge<br />

en chef Beverley McLachlin a pris soin <strong>de</strong> préciser<br />

que la question dont la Cour était saisie n’était<br />

pas « <strong>de</strong> savoir quels services <strong>de</strong>vrait offrir<br />

le régime », mais bien <strong>de</strong> déterminer si « le refus<br />

du gouvernement <strong>de</strong> la Colombie-Britannique<br />

<strong>de</strong> supporter financièrement » certains services<br />

équivalait « à un refus injuste et discriminatoire<br />

<strong>de</strong>s avantages conférés par le régime » (Auton,<br />

2004 : paragr. 2).<br />

La décision, rédigée par la juge en chef,<br />

reposait sur quatre arguments principaux.<br />

Tout d’abord, le traitement proposé était à la fois<br />

« controversé » et nouveau (paragr. 5, 11, 60).<br />

Deuxièmement, le gouvernement <strong>de</strong> la Colombie-<br />

Britannique subventionnait déjà certains<br />

programmes <strong>de</strong>stinés aux enfants autistes et<br />

à leurs familles (paragr. 7). À ces <strong>de</strong>ux motifs<br />

d’origine factuelle, s’en ajoutaient <strong>de</strong>ux autres<br />

d’origine légale : l’avantage recherché par les<br />

requérants n’était pas prévu par la loi et, même<br />

si c’était le cas, la décision <strong>de</strong> ne pas financer<br />

ce traitement particulier n’était pas discriminatoire.<br />

En effet, selon la juge, rien ne permettait<br />

<strong>de</strong> conclure que le régime législatif <strong>de</strong> soins<br />

<strong>de</strong> santé « offre effectivement à quiconque tout<br />

traitement médicalement requis » (paragr. 31).<br />

Le régime, poursuivait-elle, prévoit le financement<br />

intégral <strong>de</strong>s services «essentiels», mais la thérapie<br />

ABA / ICI n’entrait pas dans cette catégorie,<br />

que ce soit en vertu <strong>de</strong> la législation fédérale<br />

ou <strong>de</strong> la législation provinciale. Se penchant<br />

ensuite sur les allégations <strong>de</strong> discrimination,<br />

la juge a commencé par rejeter l’idée qu’il fallait<br />

comparer les enfants autistes aux enfants non<br />

handicapés et aux adultes atteints <strong>de</strong> maladie<br />

mentale (paragr. 49). Cependant, elle a défini<br />

le nouvel élément <strong>de</strong> comparaison <strong>de</strong> façon<br />

si étroite qu’il était pratiquement impossible<br />

<strong>de</strong> conclure à la discrimination. En effet, selon<br />

la Cour, l’élément <strong>de</strong> comparaison approprié<br />

était « la personne non handicapée ou celle<br />

atteinte d’une autre déficience que la déficience<br />

mentale (en l’occurrence l’autisme) sollicitant<br />

ou obtenant le financement d’une thérapie qui<br />

constitue un service non essentiel important


46 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi<br />

pour sa santé actuelle et future, qui est nouvelle<br />

et qui n’est requise médicalement que <strong>de</strong>puis<br />

peu » (paragr. 55). Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la Cour,<br />

il n’y aurait eu discrimination que si la province<br />

avait accepté plus rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> financer<br />

un traitement nouveau et non essentiel pour<br />

ce type <strong>de</strong> personne que pour les enfants<br />

autistes. Or, a soutenu la juge en chef, non seulement<br />

n’y avait-il aucune preuve à cet effet, mais<br />

« vu le caractère nouveau <strong>de</strong> la thérapie ABA /<br />

ICI, on peut douter que, <strong>de</strong> par sa conduite,<br />

le gouvernement ait véritablement privé les enfants<br />

autistes d’un avantage ou leur ait réservé un traitement<br />

différent » (paragr. 59).<br />

Certes, la Cour suprême a donné raison<br />

à la Colombie-Britannique, mais non sans critiquer<br />

certaines <strong>de</strong> ses actions. La juge en chef a qualifié<br />

<strong>de</strong> « malencontreuse » la décision <strong>de</strong> la province<br />

<strong>de</strong> transférer du ministère <strong>de</strong> la Santé au ministère<br />

<strong>de</strong>s Enfants et <strong>de</strong> la Famille la compétence<br />

en matière <strong>de</strong> santé mentale <strong>de</strong>s enfants et<br />

<strong>de</strong>s adolescents (paragr. 60). Elle a aussi<br />

soutenu, à l’instar du tribunal <strong>de</strong> première<br />

instance, que le gouvernement n’avait pas agi<br />

conformément « à la norme <strong>de</strong> qualité sur<br />

le plan <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> scientifique» (Auton, 2000:<br />

paragr. 66, cité dans Auton, 2004 : paragr. 61) 1 .<br />

Elle a, malgré tout, affirmé : « Aucun élément<br />

<strong>de</strong> preuve ne permet <strong>de</strong> conclure que l’attitu<strong>de</strong><br />

du gouvernement vis-à-vis <strong>de</strong> la thérapie ABA /<br />

ICI était différente <strong>de</strong> celle qu’il avait à l’égard<br />

d’autres thérapies nouvelles comparables <strong>de</strong>stinées<br />

aux personnes non handicapées ou à celles<br />

atteintes d’un type différent <strong>de</strong> déficience »<br />

(paragr. 62). Par conséquent, s’il y avait eu<br />

manquement <strong>de</strong> la part du gouvernement, il<br />

ne s’agissait pas d’une violation constitutionnelle.<br />

Chaoulli :la contestation<br />

d’un « monopole » public<br />

Phase d’amorce<br />

En 1993, George Zeliotis, un ven<strong>de</strong>ur à<br />

la retraite, a souffert <strong>de</strong> nombreux problèmes<br />

<strong>de</strong> santé dont une dépression et un infarctus.<br />

En 1994, <strong>de</strong>s douleurs récurrentes à la hanche<br />

l’amenèrent à consulter une variété <strong>de</strong> praticiens.<br />

Son omnipraticien l’envoya voir un orthopédiste,<br />

en 1995. L’homme <strong>de</strong> 61 ans fut opéré à la hanche<br />

gauche la même année, puis à la hanche droite<br />

environ un an plus tard, en 1997. Tout au long<br />

<strong>de</strong> l’année 1996, Zeliotis a cherché un moyen<br />

<strong>de</strong> réduire son temps d’attente pour se rendre<br />

compte que la législation québécoise en matière<br />

<strong>de</strong> santé ne lui permettait pas d’obtenir sa chirurgie<br />

au privé, que ce soit en souscrivant à une assurance<br />

privée ou en payant directement pour les services<br />

d’un mé<strong>de</strong>cin. Administrateurs, politiciens et médias<br />

locaux sont <strong>de</strong>meurés sourds à ses plaintes.<br />

Malgré l’importance <strong>de</strong> l’histoire et <strong>de</strong> l’état<br />

<strong>de</strong> Zeliotis dans le déclenchement <strong>de</strong> la poursuite,<br />

le Dr Jacques Chaoulli s’est rapi<strong>de</strong>ment imposé<br />

comme le protagoniste principal dans cette affaire,<br />

«montant et pilotant le dossier presque tout seul»<br />

(Pinker, 2000). Chaoulli a étudié en France et<br />

au Québec, où il a obtenu son permis d’exercer<br />

la mé<strong>de</strong>cine, en 1986. Déjà à cette époque, tout<br />

nouveau mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong>vait travailler en région<br />

éloignée pendant trois ans ou accepter un taux<br />

<strong>de</strong> remboursement moindre pour ses services.<br />

Le Dr Chaoulli revint à <strong>Montréal</strong>, après <strong>de</strong>ux<br />

ans seulement. Il se fit rapi<strong>de</strong>ment connaître<br />

dans les milieux médicaux en tentant <strong>de</strong> mettre<br />

sur pied un service privé <strong>de</strong> soins d’urgence<br />

à domicile <strong>de</strong>sservant la Rive-Sud. Après une série<br />

<strong>de</strong> démarches infructueuses auprès <strong>de</strong>s représentants<br />

gouvernementaux et un refus <strong>de</strong> la régie<br />

régionale <strong>de</strong> la santé et <strong>de</strong>s services sociaux<br />

<strong>de</strong> reconnaître sa pratique, en 1996, le Dr Chaoulli<br />

entama une grève <strong>de</strong> la faim dans l’espoir<br />

d’attirer l’attention du public. Trois semaines<br />

plus tard, au terme <strong>de</strong> sa grève, le Dr Chaoulli<br />

décida <strong>de</strong> se retirer du système <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé<br />

du Québec et <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un mé<strong>de</strong>cin « non<br />

participant » (Sibbald, 1998).<br />

Au Québec, comme dans les autres provinces,<br />

les mé<strong>de</strong>cins peuvent choisir <strong>de</strong> ne pas participer<br />

au système public et <strong>de</strong> facturer directement<br />

les patients pour les services rendus. Cependant,<br />

comme le Dr Chaoulli a rapi<strong>de</strong>ment pu le constater,<br />

cette option comporte <strong>de</strong> très importants désavantages.<br />

En effet, en vertu <strong>de</strong> la législation<br />

québécoise sur les soins <strong>de</strong> santé, le système<br />

public ne rembourse pas les patients pour<br />

<strong>de</strong>s soins prodigués par <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins non participants.<br />

De plus, ces mé<strong>de</strong>cins ne peuvent<br />

prodiguer <strong>de</strong> soins privés au sein d’hôpitaux<br />

financés par l’État (Flood & Archibald, 2001).


Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 47<br />

De 1996 à 1998, le Dr Chaoulli a fait pression auprès<br />

<strong>de</strong>s administrateurs québécois et du ministère<br />

fédéral <strong>de</strong> la Santé pour obtenir la permission<br />

<strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r un hôpital privé. Après un nouvel<br />

échec, le Dr Chaoulli est retourné exercer dans<br />

le système public à titre d’omnipraticien<br />

dans une clinique sans ren<strong>de</strong>z-vous.<br />

Au moment où George Zeliotis était<br />

en attente <strong>de</strong> sa chirurgie, le Dr Chaoulli n’était<br />

pas encore son mé<strong>de</strong>cin. Les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs<br />

ont uni leurs efforts pour contester la constitutionnalité<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux dispositions <strong>de</strong>s lois québécoises<br />

sur l’assurance-maladie et sur l’assurancehospitalisation<br />

<strong>de</strong>vant la Cour supérieure<br />

du Québec, en 1997. Ils <strong>de</strong>mandèrent d’abord<br />

au tribunal <strong>de</strong> déclarer invali<strong>de</strong> l’art. 15 <strong>de</strong> la Loi<br />

sur l’assurance-maladie du Québec (15 LAM),<br />

qui prohibe les contrats d’assurance privée pour<br />

les services assurés par le régime d’assurancemaladie.<br />

Ils réclamèrent également un jugement<br />

déclaratoire contre l’art. 11 <strong>de</strong> la Loi sur l’assurancehospitalisation<br />

du Québec (11 LAH) qui stipule<br />

que « nul ne doit faire ou renouveler un contrat<br />

ou effectuer un paiement en vertu d’un contrat<br />

par lequel […] un service hospitalier compris<br />

dans les services assurés doit être fourni à<br />

un rési<strong>de</strong>nt ou le coût doit lui en être remboursé»,<br />

interdisant ainsi aux mé<strong>de</strong>cins non participants<br />

d’utiliser les hôpitaux financés par l’État pour<br />

fournir <strong>de</strong>s services à leurs clients.<br />

Bien qu’unis par une cause commune,<br />

le Dr Chaoulli et Zeliotis différaient sur le plan<br />

<strong>de</strong>s motifs et <strong>de</strong> la façon <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r. Le Dr Chaoulli<br />

a choisi <strong>de</strong> se représenter lui-même, lors du premier<br />

procès. Il affirma qu’il avait le «<strong>de</strong>voir» <strong>de</strong> fournir<br />

ses services et invita plusieurs critiques célèbres<br />

du système public <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé à témoigner<br />

en sa faveur. Par contraste, le but avoué <strong>de</strong> Zeliotis<br />

était <strong>de</strong> s’assurer qu’il n’aurait plus à attendre<br />

pour une chirurgie à l’avenir. Son avocat, Philippe<br />

Tru<strong>de</strong>l, travaille pour Tru<strong>de</strong>l & Johnston (Pinker,<br />

1999). Ce cabinet d’avocats <strong>de</strong> <strong>Montréal</strong> se spécialise<br />

en droit constitutionnel, en protection<br />

du consommateur et en responsabilité médicale;<br />

il fut également associé au célèbre recours collectif<br />

contre l’industrie du tabac, intenté à la fin<br />

<strong>de</strong>s années 1990, par <strong>de</strong>s Québécois <strong>de</strong>venus<br />

dépendants à la nicotine (Hamelin, 2003).<br />

Phase d’établissement <strong>de</strong> la responsabilité<br />

L’instruction <strong>de</strong> la cause Chaoulli c. Québec<br />

débuta, en décembre 1997, et se poursuivit pendant<br />

quatre semaines, <strong>de</strong>vant la juge Ginette Piché<br />

<strong>de</strong> la Cour supérieure du Québec (Chambre civile).<br />

La poursuite opposait les corequérants Jacques<br />

Chaoulli et George Zeliotis à la procureure<br />

générale du Québec (intimée) et à la procureure<br />

générale du Canada (mise en cause). La question<br />

essentielle se formulait ainsi:est-ce que les délais<br />

d’attente dans le système public et l’interdiction<br />

<strong>de</strong> souscrire à une police d’assurance privée<br />

portaient atteinte au droit à la vie, à la liberté et<br />

à la sécurité <strong>de</strong> la personne garanti par la Charte<br />

canadienne <strong>de</strong>s droits et libertés ?<br />

Le Dr Chaoulli, Zeliotis, ses mé<strong>de</strong>cins,<br />

un ancien ministre québécois <strong>de</strong> la Santé et<br />

plusieurs autres mé<strong>de</strong>cins et spécialistes<br />

témoignèrent au procès. Le tribunal entendit<br />

également le témoignage <strong>de</strong> Barry Stein, un<br />

avocat <strong>de</strong> <strong>Montréal</strong> dont l’histoire avait fait<br />

les manchettes <strong>de</strong>s journaux. Il avait poursuivi<br />

le gouvernement du Québec avec succès pour<br />

avoir refusé <strong>de</strong> lui rembourser une chirurgie<br />

subie aux États-Unis, après qu’elle ait été<br />

annulée au Québec.<br />

Dans sa plaidoirie, le Dr Chaoulli mit<br />

l’accent sur la souffrance morale que lui avait<br />

causée une législation «discriminatoire» qui l’empêchait<br />

d’exercer sa profession en tant que mé<strong>de</strong>cin<br />

«non participant». Il soutint que le «monopole»<br />

du gouvernement québécois en matière <strong>de</strong> soins<br />

<strong>de</strong> santé reposait sur une idéologie égalitaire<br />

inspirée du marxisme-léninisme. Il livra un<br />

témoignage si intense que la juge qualifia plus<br />

tard le docteur d’«inlassable». L’avocat <strong>de</strong> Zeliotis<br />

s’attarda plutôt à démontrer que onze LAH<br />

(utilisation interdite <strong>de</strong>s hôpitaux publics par<br />

les mé<strong>de</strong>cins non participants) et quinze LAM<br />

(contrats d’assurance privée prohibés pour<br />

le remboursement <strong>de</strong> services assurés) violaient<br />

les art. 7 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité<br />

<strong>de</strong> la personne) et 15 (égalité) <strong>de</strong> la Charte<br />

(Chaoulli, 2000 : paragr. 6).<br />

Cinq mé<strong>de</strong>cins spécialistes témoignèrent<br />

à ce procès. Dr Eric Lenczner et Dr Côme Fortin<br />

se montrèrent tous <strong>de</strong>ux préoccupés par les délais<br />

d’attente pour les chirurgies orthopédiques ou


48 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi<br />

celles <strong>de</strong> la cataracte. Selon eux, les listes d’attente<br />

ne mettaient pas les patients en danger, mais<br />

pouvaient sérieusement diminuer leur qualité<br />

<strong>de</strong> vie. Le Dr Abendour Nabid, quant à lui,<br />

soutint qu’il n’y avait pas <strong>de</strong> délai acceptable<br />

dans le traitement du cancer. Cependant, malgré<br />

toutes leurs frustrations par rapport au système<br />

public <strong>de</strong> santé québécois, les mé<strong>de</strong>cins interrogés<br />

n’appuyaient pas sans réserve le genre <strong>de</strong> changements<br />

proposés par les requérants (paragr. 44-48).<br />

Le témoignage <strong>de</strong> Barry Stein, quant à lui, fut<br />

contredit par celui <strong>de</strong> son mé<strong>de</strong>cin. En effet,<br />

selon le Dr André Roy, le délai prévu pour<br />

la chirurgie <strong>de</strong> M. Stein n’excédait pas une semaine<br />

(paragr. 52-55).<br />

Cependant, le témoin le plus impressionnant<br />

dans cette affaire fut sans nul doute<br />

Clau<strong>de</strong> Castonguay, considéré comme le « père<br />

<strong>de</strong> l’assurance-maladie » au Québec. L’ancien<br />

ministre <strong>de</strong> la Santé déclara qu’il approuvait<br />

toujours l’objectif d’accès égal aux soins <strong>de</strong> santé<br />

visé par la loi <strong>de</strong> 1970. Cependant, le manque<br />

<strong>de</strong> ressources financières et le vieillissement <strong>de</strong><br />

la population dans la province exigeaient, selon<br />

lui, le développement <strong>de</strong> nouveaux partenariats<br />

et <strong>de</strong> solutions au sein du système <strong>de</strong> santé.<br />

Il affirma, malgré tout, ne pas préconiser la solution<br />

privilégiée par les requérants en l’instance<br />

(paragr. 58-59).<br />

Le tribunal entendit également les témoignages<br />

<strong>de</strong> plusieurs «spécialistes» qui abordèrent<br />

le système québécois <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé dans une<br />

perspective historique ou comparée. Le Dr Fernand<br />

Turcotte, professeur <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine à l’<strong>Université</strong><br />

Laval, rappela au tribunal l’impulsion historique<br />

<strong>de</strong>rrière le système <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé et la relation<br />

entre l’accès aux soins et le statut socio-économique<br />

(paragr. 72-77). Le Dr Howard Bergman, directeur<br />

du département <strong>de</strong> gériatrie à l’Hôpital général<br />

juif <strong>de</strong> <strong>Montréal</strong>, confirma que les changements<br />

rapi<strong>de</strong>s au sein du système public insécurisaient<br />

la population, mais soutint que la privatisation<br />

(et son accent sur les «riches» et les «bien portants»)<br />

n’était pas une panacée (paragr. 78-89). Un chirurgien<br />

<strong>de</strong> la Colombie-Britannique, le Dr Charles<br />

J. Wright, apporta quelques commentaires<br />

sur l’efficacité administrative du système à payeur<br />

unique du Canada. Jean-Louis Denis, professeur<br />

en organisation <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong> santé à<br />

l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Montréal</strong>, souligna, quant à lui,<br />

que le rationnement était présent dans tous les<br />

systèmes <strong>de</strong> santé, qu’il repose sur le besoin,<br />

comme au Québec, ou sur la capacité <strong>de</strong> payer,<br />

comme aux États-Unis (paragr. 90-101). À la<br />

question <strong>de</strong> savoir quels étaient les effets potentiels<br />

d’un système parallèle <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé privé<br />

au Canada, Theodore Marmor, un professeur<br />

<strong>de</strong> politique publique à Yale, répondit qu’il fallait<br />

craindre, parmi les « effets secondaires indésirables»,<br />

la réduction du soutien accordé au système<br />

public et l’augmentation du prix <strong>de</strong>s soins et<br />

<strong>de</strong>s frais d’administration (paragr. 102-115).<br />

Le <strong>de</strong>rnier expert-témoin était le Dr Edwin Coffey.<br />

Cet obstétricien-gynécologue à la retraite était<br />

associé <strong>de</strong> recherche à l’Institut économique<br />

<strong>de</strong> <strong>Montréal</strong>, un centre d’étu<strong>de</strong>s conservateur<br />

en faveur <strong>de</strong> la privatisation <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé<br />

au Canada (Coffey & Chaoulli, 2001). Au cours<br />

<strong>de</strong> son long témoignage, le Dr Coffey déplora les<br />

«mythes alimentés par l’idéologie et la politique»<br />

dans le système <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé (Chaoulli, 2000,<br />

paragr. 116-120).<br />

La juge Piché rendit sa décision, le 25 février<br />

2000. À la différence <strong>de</strong> la juge Allan, qui avait<br />

exprimé <strong>de</strong> la sympathie à l’endroit <strong>de</strong>s requérants<br />

dans l’affaire Auton, la juge Piché critiqua sévèrement<br />

le Dr Chaoulli et George Zeliotis. Elle<br />

commença l’exposé <strong>de</strong> ses motifs en affirmant :<br />

«Disons-le d’emblée:à la lumière du témoignage<br />

<strong>de</strong> M. Zéliotis et <strong>de</strong> l’examen <strong>de</strong> son dossier<br />

médical, il est apparu que M. Zéliotis n’a pas<br />

véritablement subi tous les malheurs et les délais<br />

qu’il allègue dans sa requête » (paragr. 19). Elle<br />

remit également en question les motivations<br />

du Dr Chaoulli, souligna la présence <strong>de</strong> contradictions<br />

dans son témoignage et lui reprocha<br />

d’avoir utilisé le tribunal pour mener sa «croisa<strong>de</strong><br />

» personnelle contre le système <strong>de</strong> santé québécois<br />

(paragr. 42-43). Enfin, tout en soulignant l’obligation<br />

du tribunal <strong>de</strong> considérer les points <strong>de</strong> vue<br />

<strong>de</strong> tous les experts-témoins, elle conclut que<br />

le Dr Coffey faisait pratiquement «cavalier seul»<br />

dans sa critique du système <strong>de</strong> santé québécois<br />

(paragr. 119).<br />

Dans son analyse juridique, la juge Piché<br />

s’est <strong>de</strong>mandé si les interdictions touchant aux<br />

régimes d’assurance et aux soins <strong>de</strong> santé privés<br />

dans les lois visées par la poursuite constituaient<br />

<strong>de</strong>s dispositions <strong>de</strong> nature criminelle et donc<br />

hors <strong>de</strong> la compétence provinciale. Elle a plutôt


Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 49<br />

conclu que ces articles avaient pour but d’assurer<br />

le bon fonctionnement du système et non d’interdire<br />

<strong>de</strong>s actions répréhensibles. Ils relevaient<br />

donc bel et bien <strong>de</strong> la compétence provinciale<br />

(paragr. 122-183). Elle rejeta également l’idée<br />

que ces lois violaient les droits à l’égalité garantis<br />

par la Charte. Elle rappela aux requérants que<br />

la Cour suprême du Canada avait pris soin<br />

d’interpréter la Charte <strong>de</strong> façon à ce qu’on ne puisse<br />

pas l’utiliser pour attaquer <strong>de</strong>s lois qui servaient<br />

le bien collectif (paragr. 314).<br />

Cependant, ce sont les allégations concernant<br />

le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité<br />

<strong>de</strong> la personne garanti par l’art. 7 <strong>de</strong> la Charte<br />

qui ont occupé la place centrale dans l’analyse<br />

<strong>de</strong> la juge Piché (pour un compte rendu, voir<br />

Jackman, 2005 [à paraître]). Son examen <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce<br />

<strong>de</strong> la Cour suprême l’amena à conclure<br />

que l’accès aux soins <strong>de</strong> santé constituait effectivement<br />

un droit, car « s’il n’y a pas d’accès possible<br />

au système <strong>de</strong> la santé, c’est illusoire <strong>de</strong> croire<br />

que les droits à la vie et à la sécurité sont respectés»<br />

(paragr. 223). Elle précisa, par contre, qu’il<br />

n’existait pas <strong>de</strong> droit constitutionnel <strong>de</strong> choisir<br />

la « provenance » <strong>de</strong> ces soins (paragr. 227).<br />

En réponse à la question <strong>de</strong> savoir si la prohibition<br />

actuelle <strong>de</strong> l’assurance privée violait ces mêmes<br />

droits, elle répondit que l’interdiction pouvait<br />

effectivement ralentir l’accès aux soins, mais<br />

ne menaçait la vie, la liberté et la sécurité<br />

<strong>de</strong> la personne que si le système public ne pouvait<br />

garantir l’accès à <strong>de</strong>s soins similaires. La juge<br />

prit bien soin <strong>de</strong> souligner que la prohibition,<br />

bien que réelle et pouvant constituer une «menace»,<br />

était conforme aux principes <strong>de</strong> justice fondamentale<br />

et n’allait conséquemment pas à l’encontre<br />

<strong>de</strong> l’art. 7 <strong>de</strong> la Charte (paragr. 310). Elle appuya<br />

son raisonnement sur l’art. 1 <strong>de</strong> la Charte qui<br />

garantit que les droits et libertés ne peuvent être<br />

restreints « que par une règle <strong>de</strong> droit, dans<br />

<strong>de</strong>s limites qui soient raisonnables et dont<br />

la justification puisse se démontrer dans le cadre<br />

d’une société libre et démocratique ».<br />

Le recours au principe <strong>de</strong> justice fondamental<br />

était essentiel pour affirmer que l’atteinte<br />

aux droits individuels visait à protéger les droits<br />

du reste <strong>de</strong> la population (Greschner, 2002 : 12).<br />

En fait, la juge Piché a reconnu que les lois<br />

québécoises sur la santé portaient effectivement<br />

atteinte aux droits économiques, mais que le fait<br />

d’«empêcher la discrimination fondée sur la capacité<br />

<strong>de</strong> payer d’une personne ne viole pas les valeurs<br />

<strong>de</strong> la Charte» (Pinker, 2000 : 1348). La juge fit<br />

<strong>de</strong> nombreuses références au témoignage<br />

<strong>de</strong> l’expert qui comparait les systèmes privés<br />

et publics <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé sur le plan <strong>de</strong> l’efficacité<br />

et <strong>de</strong> l’accès. Elle cita également longuement<br />

le professeur Marmor quant aux effets négatifs<br />

d’un système privé parallèle sur la viabilité<br />

du système public (Jackman, 2002 : 6).<br />

La juge Piché conclut son analyse sur une<br />

note remarquable. Elle commença par affirmer<br />

que le système québécois <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé reposait<br />

sur <strong>de</strong> bons principes, mais que certains changements<br />

s’imposaient. Toutefois, précisa-t-elle,<br />

c’était là une question politique et non juridique.<br />

La juge a ainsi démontré qu’elle comprenait<br />

parfaitement les implications politiques du litige.<br />

La réforme du système <strong>de</strong> santé, affirma-t-elle,<br />

découlait <strong>de</strong> la responsabilité <strong>de</strong>s législateurs<br />

et non <strong>de</strong>s juges : « le Tribunal constate que<br />

ce n’est pas du côté juridique que se trouvent<br />

les solutions aux problèmes du système <strong>de</strong> santé»<br />

(Chaoulli, 2000 : paragr. 315).<br />

En dépit <strong>de</strong> ces mises en gar<strong>de</strong>, le jugement<br />

fut interprété comme une apologie <strong>de</strong>s limites<br />

imposées à l’assurance privée par les lois québécoises<br />

sur la santé. La décision reconnaissait<br />

clairement le droit <strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong>s soins, mais<br />

apportait d’importantes nuances à celui <strong>de</strong> fournir<br />

<strong>de</strong>s services privés. Les requérants étaient<br />

néanmoins convaincus qu’en perdant la bataille,<br />

ils « avaient une chance <strong>de</strong> gagner la guerre»<br />

(Pinker, 2002 : 1348), car la juge avait reconnu<br />

la possibilité d’une violation <strong>de</strong> l’art. 7.<br />

La Cour d’appel du Québec instruisit<br />

l’appel <strong>de</strong> Chaoulli et Zeliotis, le 27 novembre<br />

2001, à <strong>Montréal</strong>. Chaoulli était l’appelant<br />

en l’instance et se représentait lui-même contre<br />

le procureur général du Québec (intimé) et<br />

le procureur général du Canada (mis en cause).<br />

Chaoulli modifia légèrement sa stratégie pour<br />

l’occasion. Il soutint que les restrictions « excessives<br />

» sur l’assurance et la prestation <strong>de</strong> soins<br />

privés prévues par les lois québécoises sur la santé<br />

pouvaient être atténuées en s’inspirant <strong>de</strong> certains<br />

pays d’Europe. L’idée était <strong>de</strong> montrer que<br />

les systèmes privés parallèles ne mettaient pas<br />

nécessairement le système public en danger,


50 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi<br />

au contraire <strong>de</strong> ce qu’avaient soutenu certains<br />

experts, lors du premier procès, en se basant sur<br />

l’expérience américaine.<br />

La Cour d’appel rendit sa décision, le 22 avril<br />

2002. Les trois juges, Jacques Delisle, André Forget<br />

et André Brossard, se <strong>de</strong>mandèrent à leur tour<br />

si les articles <strong>de</strong>s lois québécoises sur la santé (1)<br />

excédaient la compétence <strong>de</strong> la province, (2)<br />

portaient atteinte aux droits à l’égalité garantis<br />

par l’art. 15 <strong>de</strong> la Charte et (3) portaient atteinte<br />

au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité<br />

<strong>de</strong>s personnes protégé par l’art. 7 <strong>de</strong> la Charte.<br />

Les trois juges maintinrent la décision <strong>de</strong> la juge<br />

Piché. Le juge Delisle apporta une importante<br />

contribution en revenant sur le droit d’accé<strong>de</strong>r<br />

aux soins <strong>de</strong> santé. Il soutint que le droit <strong>de</strong> conclure<br />

un contrat défendu par les lois québécoises<br />

est un droit économique « qui n’est pas fondamental<br />

à la vie <strong>de</strong> la personne ». En outre,<br />

poursuivait le juge, pour invoquer une violation<br />

<strong>de</strong> l’art.7, il fallait prouver que le droit garanti<br />

par cet article était la cible d’une atteinte réelle<br />

ou potentielle et imminente. Or, cette démonstration<br />

n’avait pas été faite (Chaoulli, 2002 :<br />

paragr. 23-29). Le juge Delisle cita également<br />

un arrêt <strong>de</strong> la Cour suprême pour rappeler<br />

aux appelants que la Charte ne pouvait servir<br />

à « remettre judiciairement en cause la justesse<br />

d’un choix <strong>de</strong> société» (paragr. 30). Autrement dit,<br />

comme l’avait souligné la juge Piché, il ne fallait<br />

pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r aux tribunaux d’empiéter trop<br />

largement sur le terrain du législateur. Le juge<br />

Forget était d’accord avec la juge Piché sur<br />

la conformité <strong>de</strong> l’atteinte avec les principes<br />

<strong>de</strong> justice fondamentale et le juge Brossard approuvait<br />

la distinction établie par le juge Delisle entre<br />

droit économique et droit fondamental.<br />

Après la décision <strong>de</strong> la Cour d’appel,<br />

le Dr Chaoulli se tourna immédiatement vers<br />

la Cour suprême du Canada, son but avoué,<br />

<strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong> la poursuite (Sibbald, 1998).<br />

Il appuya sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’autorisation d’appel<br />

sur l’arrêt Morgentaler (1988), dans lequel la Cour<br />

avait déclaré la loi fédérale sur l’avortement<br />

inconstitutionnelle en vertu <strong>de</strong> la Charte. Les juges<br />

avaient conclu que les délais administratifs pour<br />

obtenir la permission <strong>de</strong> subir un avortement<br />

thérapeutique portaient atteinte à l’intégrité<br />

physique et psychologique <strong>de</strong> la femme et violaient<br />

donc son droit à la sécurité <strong>de</strong> sa personne garanti<br />

par l’art. 7 <strong>de</strong> la Charte. George Zeliotis se joignit<br />

une fois <strong>de</strong> plus à la poursuite, <strong>de</strong> pair avec ses<br />

avocats Tru<strong>de</strong>l et Johnston, offrant leurs services<br />

bénévolement pour cette affaire susceptible<br />

<strong>de</strong> retenir l’attention du public (Gagnon, 2003).<br />

La Cour suprême accueillit l’appel, en mai<br />

2003. À la fin <strong>de</strong> l’année, douze questions constitutionnelles<br />

différentes avaient été formulées<br />

à partir <strong>de</strong> trois interrogations générales:(1) est-ce<br />

que quinze LAM et onze LAH excédaient<br />

les compétences provinciales en vertu <strong>de</strong> l’Acte<br />

constitutionnel ? (2) est-ce que ces dispositions<br />

portaient atteinte aux droits garantis par les art. 7<br />

(vie, liberté, sécurité) et 15 (égalité) <strong>de</strong> la Charte<br />

et si oui, est-ce que cette atteinte pouvait se justifier<br />

conformément à l’art. 1 <strong>de</strong> la Charte? À ces<br />

anciennes interrogations s’en ajoutait une nouvelle,<br />

reflétant directement les préoccupations du<br />

Dr Chaoulli : est-ce que les prohibitions <strong>de</strong> la loi<br />

québécoise sur l’assurance-hospitalisation violaient<br />

l’art. 12 <strong>de</strong> la Charte en imposant aux mé<strong>de</strong>cins<br />

non participants un «traitement cruel et inusité»?<br />

L’affaire prenait maintenant une ampleur<br />

et une importance considérables. La « croisa<strong>de</strong><br />

personnelle» du Dr Chaoulli s’était transformée,<br />

au fil <strong>de</strong>s années, en une remise en question fondamentale<br />

<strong>de</strong>s interdictions pesant sur les soins<br />

<strong>de</strong> santé privés, au Canada. Cinq nouvelles<br />

provinces (Ontario, Manitoba, Colombie-<br />

Britannique, Nouveau-Brunswick et Saskatchewan)<br />

s’étaient ajoutées au nombre <strong>de</strong>s intervenants,<br />

trahissant ainsi l’importance <strong>de</strong> l’affaire pour<br />

les gouvernements provinciaux, car leurs lois<br />

et systèmes <strong>de</strong> santé seraient également touchés<br />

par la décision <strong>de</strong> la Cour. Un nombre substantiel<br />

d’autres intervenants ne provenaient pas <strong>de</strong>s<br />

gouvernements. Parmi eux, certains groupes<br />

d’intérêts, soit le Congrès du travail du Canada<br />

(le plus grand regroupement syndical du Canada)<br />

et la Coalition canadienne <strong>de</strong> la santé, représentaient<br />

<strong>de</strong>s syndicats, <strong>de</strong>s regroupements <strong>de</strong> consommateurs<br />

et <strong>de</strong>s professionnels <strong>de</strong> la santé. Ils avaient<br />

à cœur <strong>de</strong> défendre le système public et <strong>de</strong> maintenir<br />

les restrictions sur l’assurance privée.<br />

Les intervenants en faveur <strong>de</strong> Chaoulli et<br />

Zeliotis représentaient surtout différentes cliniques<br />

et entreprises privées ayant un intérêt économique<br />

direct dans l’affaire. Fait à noter, tous ces<br />

participants provenaient <strong>de</strong> l’extérieur du Québec.


Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 51<br />

Une importante coalition était menée par le Cambie<br />

Surgery Center <strong>de</strong> Vancouver, une clinique<br />

privée qui offrait, <strong>de</strong>puis 1996, différents types<br />

<strong>de</strong> chirurgie aux membres <strong>de</strong> groupes non assujettis<br />

à la législation <strong>de</strong> la province, en matière<br />

<strong>de</strong> santé (le Workmen’s Compensation Board,<br />

par exemple). Cette coalition représentait également<br />

neuf patients et mé<strong>de</strong>cins qui dénonçaient<br />

leur incapacité à recevoir ou à fournir <strong>de</strong>s soins<br />

pourtant inaccessibles dans le cadre du système<br />

<strong>de</strong> santé public. L’Association médicale canadienne,<br />

l’Association canadienne d’orthopédie et la British<br />

Columbia Anesthesiologists Society figuraient<br />

également au nombre <strong>de</strong>s intervenants, mais<br />

préconisaient un point <strong>de</strong> vue modéré:en faveur<br />

du système public, elles dénonçaient cependant<br />

les obstacles à la prestation <strong>de</strong>s soins (Newfoundland<br />

and Labrador Medical Association, 2004).<br />

C’est également la position que privilégia<br />

un groupe <strong>de</strong> dix sénateurs qui <strong>de</strong>manda et<br />

obtint le statut d’intervenant, à la surprise<br />

générale. En 2002, on avait rendu publics<br />

les résultats <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux étu<strong>de</strong>s approfondies sur<br />

l’état du système <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé. Le premier<br />

<strong>de</strong> ces rapports, réalisé par la Commission<br />

sur l’avenir <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé au Canada (ou<br />

Commission Romanow, du nom <strong>de</strong> son prési<strong>de</strong>nt,<br />

ex-premier ministre social-démocrate <strong>de</strong> la Saskatchewan)<br />

défendait ar<strong>de</strong>mment le système <strong>de</strong> santé<br />

public contre la privatisation. De nombreux<br />

groupes d’intérêts publics avaient chau<strong>de</strong>ment<br />

accueilli ses recommandations. Le <strong>de</strong>uxième<br />

était l’œuvre du Comité sénatorial permanent<br />

<strong>de</strong>s Affaires sociales, <strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong> la technologie<br />

(ou comité Kirby, du nom <strong>de</strong> son prési<strong>de</strong>nt,<br />

le sénateur conservateur Michael Kirby). Tout<br />

en vantant les mérites du système <strong>de</strong> santé public,<br />

ce rapport en six volumes soulignait les avantages<br />

potentiels d’une meilleure intégration <strong>de</strong>s intérêts<br />

publics et privés dans la prestation <strong>de</strong>s soins<br />

<strong>de</strong> santé. Le comité recommandait, entre autres,<br />

la mise en place d’une «garantie <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé»,<br />

idée qui fut réitérée, lors <strong>de</strong> l’audience à la Cour<br />

suprême. Cette garantie prévoyait l’établissement<br />

d’un délai d’attente maximum pour chaque<br />

type d’intervention ou <strong>de</strong> traitement. Une fois<br />

ce délai expiré, le gouvernement provincial<br />

aurait l’obligation <strong>de</strong> financer l’intervention ailleurs<br />

au Canada ou même à l’étranger.<br />

Le 8 juin 2004, les appelants plaidèrent<br />

leur cause <strong>de</strong>vant sept juges au lieu <strong>de</strong> neuf.<br />

En effet, Louise Arbour et Frank Iacobucci<br />

avaient déjà signifié leur intention <strong>de</strong> quitter<br />

la Cour suprême et ne participèrent donc pas<br />

aux délibérations (voir les comptes rendus<br />

<strong>de</strong> Bueckert, 2004 et Borselino, 2004). Une certaine<br />

agitation régnait à l’extérieur <strong>de</strong> la Cour, où<br />

<strong>de</strong>s groupes en faveur du système public s’étaient<br />

rassemblés. Les quatre heures d’audience<br />

commencèrent par une série <strong>de</strong> questions<br />

adressées au Dr Chaoulli. Les juges Michel<br />

Bastarache et Marie Deschamps interrogèrent<br />

l’appelant sur les conséquences « socialement<br />

indésirables » d’un système privé parallèle<br />

sur l’accès aux soins <strong>de</strong> santé en général. Le Dr<br />

Chaoulli construisit son argumentation autour<br />

<strong>de</strong> l’idée que les « lacunes » du système <strong>de</strong> santé<br />

public étaient une source <strong>de</strong> « discor<strong>de</strong> » entre<br />

les gouvernements fédéral et provinciaux. Il<br />

évoqua l’exemple <strong>de</strong> pays comme l’Australie et<br />

la Suè<strong>de</strong> qui permettaient, selon lui, l’existence<br />

d’un système <strong>de</strong> soins privé parallèle. Il cita<br />

également Hayek en soutenant que la liberté<br />

<strong>de</strong> conclure un contrat constitue un droit protégé<br />

par l’art. 7 <strong>de</strong> la Charte.<br />

Philippe Tru<strong>de</strong>l, l’avocat <strong>de</strong> Zeliotis, posa<br />

<strong>de</strong>ux questions aux juges : <strong>de</strong>vrait-on permettre<br />

aux Canadiens <strong>de</strong> payer eux-mêmes pour les soins<br />

dont ils ont besoin, si le système public ne peut<br />

leur en garantir l’accès en temps opportun, faute<br />

<strong>de</strong> ressources et est-ce que l’État a le droit <strong>de</strong> le leur<br />

interdire? Le juge Binnie interrogea l’avocat<br />

sur la nature « grossièrement disproportionnée »<br />

<strong>de</strong>s moyens actuels pour protéger le système<br />

public, mais Tru<strong>de</strong>l se montra convaincu que<br />

la Cour avait la responsabilité <strong>de</strong> protéger<br />

la personne et non l’intégrité du système <strong>de</strong> santé<br />

public. Bruce Johnston, qui représentait également<br />

l’appelant, soutint que le système <strong>de</strong> soins<br />

<strong>de</strong> santé avait besoin d’argent neuf et qu’on <strong>de</strong>vait<br />

permettre aux individus <strong>de</strong> fournir cet argent,<br />

même si le gouvernement n’était pas prêt à le faire.<br />

Les observations soumises au nom<br />

<strong>de</strong> Cambie Surgery Center appuyaient le point<br />

<strong>de</strong> vue <strong>de</strong> Zeliotis. L’avocat <strong>de</strong> la coalition<br />

affirma que l’état du système <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé<br />

était « désespéré », mais qu’on pouvait aisément<br />

résoudre le problème <strong>de</strong>s listes d’attente en<br />

instaurant un système parallèle <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé


52 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi<br />

privé rapi<strong>de</strong>ment et facilement utilisable. Earl<br />

Cherniak, qui représentait le comité Kirby,<br />

se montra plus modéré dans ses propos. Il<br />

reconnut que le système était dans une situation<br />

désastreuse, mais soutint que les gouvernements<br />

étaient constitutionnellement obligés<br />

<strong>de</strong> fournir les services nécessaires à leurs résidants.<br />

La meilleure façon d’y arriver, selon lui, était d’offrir<br />

une « garantie <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé » appliquée par<br />

le gouvernement fédéral.<br />

L’Association médicale canadienne (AMC)<br />

partageait ce point <strong>de</strong> vue sur l’accès aux soins<br />

en temps opportun. Elle rappela vivement à<br />

la Cour que les mé<strong>de</strong>cins avaient le <strong>de</strong>voir<br />

<strong>de</strong> « défendre la vie, toute vie » et affirma, à son<br />

tour, que les gouvernements <strong>de</strong>vaient garantir<br />

l’accès aux soins en temps opportun ou arrêter<br />

d’affirmer qu’ils respectaient cette exigence.<br />

Guy Pratte, l’avocat <strong>de</strong> l’AMC, <strong>de</strong>manda à la Cour<br />

d’accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s réparations <strong>de</strong> type Eldridge,<br />

c’est-à-dire <strong>de</strong> forcer les gouvernements à adapter<br />

leur législation, <strong>de</strong> façon à respecter <strong>de</strong>s garanties<br />

<strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé, mais en suspendant toute<br />

déclaration d’inconstitutionnalité pour permettre<br />

aux législateurs d’explorer leurs options.<br />

Les juges firent preuve <strong>de</strong> persistance mais<br />

aussi <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce, dans leurs questions. Ils étaient<br />

clairement au courant <strong>de</strong>s implications <strong>de</strong> l’affaire.<br />

Quatre d’entre eux se montrèrent particulièrement<br />

sévères avec les représentants du gouvernement<br />

qui leur recommandèrent tous <strong>de</strong> ne pas intervenir<br />

sur ces questions politiques. Le gouvernement<br />

du Québec ne réussit guère à convaincre les juges<br />

Bastarache et Lebel que l’histoire <strong>de</strong> Zeliotis<br />

constituait un cas isolé et que les délais étaient<br />

souvent dus aux décisions <strong>de</strong>s patients eux-mêmes<br />

et non à <strong>de</strong>s failles du système. Le juge John Major<br />

cuisina Jean-Marc Aubry sur la conviction<br />

du gouvernement fédéral que la possibilité<br />

d’accé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s services privés nuirait au système<br />

public. Enfin, le juge Binnie se montra exaspéré<br />

par la conclusion du gouvernement <strong>de</strong> l’Ontario<br />

qu’il fallait limiter les services pour contrôler<br />

les coûts et qu’un système <strong>de</strong> santé à <strong>de</strong>ux vitesses<br />

ne réglerait pas le problème <strong>de</strong>s listes d’attente.<br />

Dans ses observations présentées au nom <strong>de</strong><br />

la Coalition canadienne <strong>de</strong> la santé, Martha<br />

Jackman, une chercheuse reconnue pour<br />

ses analyses du système <strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> la Charte,<br />

rappela à la Cour la distinction entre soins privés<br />

(déjà disponibles) et assurance privée (prohibée<br />

par la législation du Québec et d’autres provinces).<br />

Analyse<br />

Si on exclut la conclusion <strong>de</strong> certains juges<br />

que les délais d’attente excessifs violent les droits<br />

garantis par l’art. 7 <strong>de</strong> la Charte, l’affaire a subi<br />

un échec presque complet <strong>de</strong>vant les tribunaux<br />

inférieurs du Québec. Au total, quatre juges ont<br />

rejeté les arguments <strong>de</strong>s requérants. Monsieur<br />

Zeliotis n’est toujours pas assuré d’un accès<br />

rapi<strong>de</strong> aux soins dont il pourrait avoir besoin<br />

à l’avenir et le Dr Chaoulli est toujours tenu<br />

d’exercer la mé<strong>de</strong>cine dans le cadre d’un système<br />

<strong>de</strong> santé qui restreint la prestation <strong>de</strong>s services<br />

privés.<br />

D’un point <strong>de</strong> vue général, par contre,<br />

l’action en justice a eu un succès retentissant.<br />

Entre 1997 et 2005, elle a pris une ampleur et une<br />

importance considérables. La « croisa<strong>de</strong> personnelle<br />

» du Dr Chaoulli contre la législation<br />

québécoise en matière <strong>de</strong> santé s’est en effet<br />

transformée en débat fondamental sur la légalité<br />

<strong>de</strong>s interdictions relatives aux soins <strong>de</strong> santé<br />

privés au Canada. En poursuivant sa route vers<br />

la Cour suprême, le Dr Chaoulli a stimulé<br />

l’émergence sur la place publique d’une multiplicité<br />

<strong>de</strong> façons d’envisager l’avenir du système <strong>de</strong> santé<br />

canadien.<br />

L’affaire Chaoulli est susceptible <strong>de</strong> produire<br />

<strong>de</strong>s effets beaucoup plus importants et immédiats<br />

sur le système <strong>de</strong> santé canadien que l’affaire<br />

Auton. Dans leur poursuite contre le gouvernement,<br />

les enfants autistes et leurs parents ont <strong>de</strong>mandé<br />

à la Cour d’élargir la gamme <strong>de</strong>s services assurés<br />

par le régime actuel. Leur exemple incitera peut-être<br />

d’autres groupes d’intérêts particuliers à recourir<br />

aux tribunaux pour obtenir réparations et dédommagement.<br />

Dans l’affaire Chaoulli, par contre, on<br />

a <strong>de</strong>mandé à la Cour <strong>de</strong> déclarer inconstitutionnels<br />

les principes à la base même du système <strong>de</strong> santé<br />

à payeur unique, dans les provinces. Une décision<br />

favorable aux appelants dans l’affaire Chaoulli<br />

ou une solution du type Eldridge affecterait<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s lois canadiennes sur la santé et<br />

imposerait, à toutes fins utiles, d’importantes<br />

modifications aux systèmes provinciaux qui<br />

prohibent l’assurance privée.


Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 53<br />

L’affaire Chaoulli a été présentée dans<br />

les médias comme « le procès <strong>de</strong> l’assurancemaladie<br />

» et pourtant, elle s’est déroulée en<br />

gran<strong>de</strong> partie hors <strong>de</strong>s projecteurs. Au cours<br />

<strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière décennie, les Canadiens, leurs<br />

dirigeants politiques et les médias ont exprimé<br />

une préoccupation croissante à l’égard <strong>de</strong> la «crise»<br />

du système <strong>de</strong> santé et toute une série <strong>de</strong> rapports<br />

ont scruté le passé, le présent et l’avenir <strong>de</strong><br />

ce système. Malgré tout cet intérêt, le rôle<br />

<strong>de</strong>s tribunaux dans le domaine <strong>de</strong> la santé est<br />

plutôt resté dans l’ombre. Avant d’arriver en Cour<br />

suprême, l’affaire Chaoulli n’était guère connue<br />

à l’extérieur du Québec ou <strong>de</strong> certains milieux<br />

médicaux précis.<br />

Jusqu’au moment où la Cour suprême<br />

a rendu sa décision, chaque partie dans le débat<br />

sur la réforme <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé trouvait une raison<br />

d’espérer. Le passage en Cour suprême d’une<br />

affaire détenant le potentiel d’élargir la place<br />

du secteur privé dans le domaine <strong>de</strong> la santé<br />

encourage les opposants au «monopole» public.<br />

Les modérés, quant à eux, jugent que le litige<br />

somme les gouvernements <strong>de</strong> s’attaquer au sousfinancement<br />

<strong>de</strong>s services <strong>de</strong> santé dans le système<br />

public. Enfin, les farouches partisans du statu quo<br />

sont soulagés <strong>de</strong> constater que le «droit» constitutionnel<br />

d’accé<strong>de</strong>r aux soins <strong>de</strong> santé se développe<br />

en conformité avec les principes <strong>de</strong> justice fondamentaux.<br />

Malgré les réserves <strong>de</strong> certains<br />

juges, les tribunaux contribuent <strong>de</strong> plus en plus<br />

au façonnement <strong>de</strong>s politiques. Le jugement initial<br />

<strong>de</strong> la juge Piché, qui sous-entendait l’existence<br />

d’un droit aux soins <strong>de</strong> santé sans préciser<br />

qui avait le droit <strong>de</strong> les fournir, constituait un pas<br />

important dans cette direction.<br />

La décision <strong>de</strong> la Cour suprême<br />

La Cour suprême a également infirmé<br />

les décisions <strong>de</strong>s tribunaux inférieurs dans l’affaire<br />

Chaoulli, mais cette fois-ci avec <strong>de</strong>s conséquences<br />

fort différentes. L’arrêt rendu, le 9 juin 2005,<br />

révèle <strong>de</strong>s dissensions entre les sept juges, qui<br />

ont rédigé trois ensembles <strong>de</strong> motifs distincts.<br />

Selon la juge Marie Deschamps, les longs délais<br />

d’attente associés à certaines chirurgies portaient<br />

atteinte au droit à la vie et à l’intégrité <strong>de</strong> la personne<br />

garanti par la Charte <strong>de</strong>s droits et libertés<br />

<strong>de</strong> la personne du Québec. Comme cette atteinte<br />

ne pouvait être justifiée au regard <strong>de</strong> l’art. 9.1<br />

du même document 2 , la prohibition <strong>de</strong> l’assurance<br />

privée prévue par la législation québécoise<br />

en matière <strong>de</strong> santé était incompatible avec<br />

la Charte québécoise. Selon les juges McLachlin,<br />

Major et Bastarache, par contre, la prohibition<br />

était aussi invali<strong>de</strong> en vertu <strong>de</strong> l’art. 7 <strong>de</strong> la Charte<br />

canadienne <strong>de</strong>s droits et libertés. En effet, a expliqué<br />

la juge en chef, « [l]’accès à une liste d’attente<br />

n’est pas l’accès à <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé ». Par<br />

conséquent, « dans le cas où l’omission du gouvernement<br />

d’assurer un accès raisonnable à<br />

<strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé entraîne un accroissement<br />

<strong>de</strong>s risques <strong>de</strong> complications et <strong>de</strong> mortalité,<br />

l’interdiction <strong>de</strong> souscrire à une assurancemaladie<br />

qui permettrait aux Canadiens ordinaires<br />

d’obtenir <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé porte atteinte à<br />

la vie et à la sécurité <strong>de</strong> la personne que protège<br />

l’art. 7 <strong>de</strong> la Charte [canadienne]» (Chaoulli, 2005:<br />

paragr. 123-124).<br />

Les juges dissi<strong>de</strong>nts, à l’instar <strong>de</strong> la juge<br />

Piché <strong>de</strong> la Cour supérieure, étaient incapables<br />

d’accepter que le débat soulevé par l’affaire<br />

Chaoulli « soit tranché par la voie judiciaire,<br />

comme s’il s’agissait d’un simple problème<br />

<strong>de</strong> droit » (paragr. 161). Selon eux, il n’existait<br />

aucune « norme constitutionnelle fonctionnelle »<br />

permettant <strong>de</strong> définir précisément ce qu’on<br />

entendait par « services <strong>de</strong> santé « raisonnables »<br />

(paragr. 163). Même si c’était le cas, poursuivaient<br />

les juges Binnie et Lebel (en accord avec le juge<br />

Fish), il n’y avait aucune raison factuelle<br />

ou juridique d’infirmer les jugements <strong>de</strong>s tribunaux<br />

inférieurs. Sur le plan <strong>de</strong>s faits, les juges<br />

dissi<strong>de</strong>nts acceptaient la conclusion <strong>de</strong> la Cour<br />

d’appel selon laquelle « un système <strong>de</strong> santé<br />

à <strong>de</strong>ux vitesses aurait probablement une inci<strong>de</strong>nce<br />

négative sur l’intégrité, le bon fonctionnement<br />

et la viabilité du système public » (paragr. 181).<br />

Sur le plan juridique, tout en reconnaissant que<br />

le domaine d’application <strong>de</strong> l’art. 7 <strong>de</strong> la Charte<br />

canadienne s’était élargi, les trois juges dissi<strong>de</strong>nts<br />

précisèrent que « [l]a présente contestation ne<br />

découle pas d’un contexte juridictionnel<br />

ni d’une situation rattachée à l’administration<br />

<strong>de</strong> la justice» (paragr. 195). Aussi, selon eux, même<br />

une interprétation large <strong>de</strong> l’art. 7 ne permettait<br />

pas d’établir la présence d’une violation.<br />

En définitive, la décision rendue à quatre<br />

contre trois a eu pour résultat d’invali<strong>de</strong>r la prohibition<br />

québécoise <strong>de</strong> l’assurance privée. Toutefois,


54 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi<br />

comme la majorité <strong>de</strong>s juges n’ont pas fondé<br />

leur décision sur la Charte canadienne, l’arrêt<br />

n’aura pas <strong>de</strong> répercussions légales immédiates<br />

à l’extérieur du Québec. Le 28 juin 2005, le gouvernement<br />

québécois a, quant à lui, <strong>de</strong>mandé<br />

à la Cour <strong>de</strong> suspendre la déclaration d’invalidité<br />

pour 18 mois, le temps <strong>de</strong> réfléchir aux répercussions<br />

éventuelles <strong>de</strong> la décision et aux solutions<br />

appropriées.<br />

Conclusion<br />

Cet article s’est ouvert sur une question :<br />

est-ce que le recours aux tribunaux est efficace<br />

pour changer les politiques gouvernementales ?<br />

L’examen <strong>de</strong>s affaires Auton et Chaoulli révèle<br />

au minimum l’existence <strong>de</strong> l’idée que les droits<br />

constitutionnels peuvent être invoqués pour<br />

provoquer <strong>de</strong>s changements dans les politiques<br />

en matière <strong>de</strong> santé, que ce soit en invalidant<br />

certaines décisions politiques ou en remettant<br />

en question la nature même <strong>de</strong> la prestation <strong>de</strong>s<br />

soins. Cette croyance trouve, en gran<strong>de</strong> partie,<br />

son origine dans l’arrêt <strong>de</strong> 1988 <strong>de</strong> la Cour<br />

suprême sur l’avortement, une décision qui<br />

a considérablement facilité l’accès à un acte médical<br />

particulier. Depuis, la tendance à recourir aux<br />

tribunaux s’est gran<strong>de</strong>ment accentuée, soulevant<br />

au passage <strong>de</strong>s questions sur l’origine et les conséquences<br />

<strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong> recours, <strong>de</strong> même que<br />

sur le pouvoir <strong>de</strong>s tribunaux d’intervenir<br />

hors <strong>de</strong> leurs champs traditionnels d’expertise.<br />

Les présentes étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cas nous ont permis<br />

d’explorer quelque peu ces questions, à défaut<br />

d’y répondre.<br />

Dans les <strong>de</strong>ux cas examinés, les requérants<br />

avaient à la fois les ressources et le temps nécessaires<br />

pour transformer une action en justice<br />

en un moyen potentiellement efficace d’obtenir<br />

les changements politiques désirés. Les requérants<br />

dans l’affaire Auton, cependant, bénéficiaient<br />

d’un avantage : non seulement attiraient-ils<br />

la sympathie, mais leur démarche pour accroître<br />

la portée d’un service public n’affectait pas<br />

nécessairement le reste <strong>de</strong> la population.<br />

Jusqu’ici, la poursuite s’est soldée par <strong>de</strong>s victoires<br />

au tribunal et <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong> la campagne<br />

juridique, l’accès au TLA financé par l’État s’est<br />

amélioré. Par contraste, les requérants dans<br />

l’affaire Chaoulli semblaient motivés surtout par<br />

<strong>de</strong>s intérêts pécuniaires et la solution désirée<br />

menaçait l’accès général aux soins <strong>de</strong> santé.<br />

Par conséquent, le principal objectif <strong>de</strong> l’action<br />

en justice, soit <strong>de</strong> briser le « monopole » public<br />

sur la majorité <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> santé, n’a pas été<br />

atteint. Cependant, il est possible que ce litige<br />

contribue à briser l’impasse apparente dans laquelle<br />

se trouvent les discussions sur les principes<br />

fondamentaux <strong>de</strong> la politique en matière <strong>de</strong> santé.<br />

Les affaires Auton et Chaoulli ont également<br />

contribué au vigoureux débat sur le rôle <strong>de</strong>s<br />

tribunaux canadiens dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques.<br />

Une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> la discussion,<br />

lors <strong>de</strong>s plaidoiries à la Cour suprême, portait<br />

sur la sagesse d’utiliser la Charte pour imposer<br />

<strong>de</strong>s contraintes uniformes à l’élaboration <strong>de</strong>s<br />

politiques en santé, un domaine complexe,<br />

regroupant une multitu<strong>de</strong> d’intervenants,<br />

marqué par la transformation constante et<br />

l’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s prédictions. Seule certitu<strong>de</strong>,<br />

les décisions tant attendues et quoique rendues<br />

dans une certaine controverse, par la Cour<br />

suprême, démontrent qu’elle est prête à exercer<br />

un rôle important dans le futur <strong>de</strong>s systèmes<br />

<strong>de</strong> santé au Canada. ❏


Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 55<br />

Notes<br />

1 –Il est à noter que le tribunal <strong>de</strong> première instance<br />

a porté le même jugement sur la première étu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> Lovaas, car les enfants n’avaient pas été répartis<br />

entre le groupe témoin et le groupe expérimental<br />

<strong>de</strong> façon aléatoire (Auton, 2000 : paragr. 38).<br />

2 –L’article 1 <strong>de</strong> la Charte québécoise stipule que<br />

« [t]out être humain a droit à la vie, ainsi qu’à<br />

la sûreté, à l’intégrité et à la liberté <strong>de</strong> sa personne.<br />

Il possè<strong>de</strong> également la personnalité juridique. »<br />

L’article 9.1 se lit comme suit:«Les libertés et les droits<br />

fondamentaux s’exercent dans le respect <strong>de</strong>s valeurs<br />

démocratiques, <strong>de</strong> l’ordre public et du bien-être général<br />

<strong>de</strong>s citoyens du Québec. La loi peut, à cet égard,<br />

en fixer la portée et en aménager l’exercice.» La Charte<br />

québécoise est une loi à valeur quasi constitutionnelle.


56 Antonia Maioni et Christopher P. Manfredi<br />

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Les litiges fondés sur les droits et l’émergence du rôle <strong>de</strong>s tribunaux dans l’élaboration <strong>de</strong>s politiques en matière <strong>de</strong> santé 59<br />

Abstract<br />

Our article addresses the impact of the judicial process on public financing of health care in Canada.<br />

We will analyze recent court cases in or<strong>de</strong>r to examine certain general issues regarding the impact<br />

of the process of judicial revision, based on the rights of the person, on the <strong>de</strong>velopment of health care<br />

policy. Our analysis focuses on the motivations of petitioners, the formulation of strategies and tactics<br />

<strong>de</strong>ployed in the judicial process, and the repercussions of this on laws and policies. We will then<br />

present some preliminary conclusions on the relevance of these case studies on the <strong>de</strong>bate<br />

on the recourse to courts as catalysts of policy change.<br />

Biographies<br />

Antonia Maioni, Ph. D, est la directrice <strong>de</strong> l’Institut d’étu<strong>de</strong>s canadiennes <strong>de</strong> McGill. Boursière William Dawson<br />

à McGill et professeur auxiliaire à l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Montréal</strong>. <strong>Montréal</strong>aise multilingue, Antonia Maioni a fait ses<br />

étu<strong>de</strong>s à l’<strong>Université</strong> Laval avant d’obtenir une maîtrise à la Norman Paterson School of International Affairs<br />

à Carleton et un doctorat à l’<strong>Université</strong> Northwestern. Elle a occupé <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> professeur invité à Harvard<br />

et à l’<strong>Université</strong> Duke aux États-Unis et à l’Institut universitaire européen en Italie. Elle étudie actuellement<br />

la réforme politique et l’avenir du modèle <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé canadien, moyennant <strong>de</strong>s subventions du Conseil<br />

<strong>de</strong> recherche en sciences humaines du Canada et <strong>de</strong>s Instituts <strong>de</strong> recherche en santé du Canada. Madame Maioni<br />

a publié <strong>de</strong> nombreux écrits dans le domaine <strong>de</strong> la politique comparée, en particulier sur la politique <strong>de</strong> santé.<br />

Elle est l’auteur <strong>de</strong> Parting at the Crossroads : The Emergence of Health Insurance in the United States and Canada<br />

(Princeton University Press, 1998) et a écrit sur plusieurs sujets connexes comme la réforme <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé,<br />

le fédéralisme et l’élaboration <strong>de</strong>s politiques sociales, et l’État provi<strong>de</strong>nce au Canada.<br />

Christopher P. Manfredi est professeur titulaire en Science politique à l’<strong>Université</strong> McGill. Il est l’auteur <strong>de</strong> Feminist<br />

Activism in the Supreme Court (UBC Press, 2004), Judicial Power and the Charter : Canada and the Paradox of Liberal<br />

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of Kansas, 1997). Sa recherche en étu<strong>de</strong>s constitutionnelles a été publiée dans Journal of Health Politics, Policy and<br />

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