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Presse<br />

Chloé Lorenzi<br />

16 rue de la Glacière<br />

75103 Paris<br />

Tél. 01 43 36 10 90<br />

Fax. 01 43 36 10 56<br />

lorenzi.chloe@wanadoo.fr<br />

Shellac<br />

Thomas Ordonneau<br />

82 boulevard Ornano<br />

75018 Paris<br />

Tél. 01 42 55 07 84<br />

Fax. 01 55 79 01 00<br />

shellac@altern.org<br />

EXPOSITIONS<br />

THE OTHER SIDE – THE INTSALLATION<br />

SELFPORTRAIT/AUTOBIOGRAPHY - a work in progress<br />

D'EST: AU BORD DE LA FICTION<br />

INTRO<br />

par Cyril Béghin<br />

D’EST<br />

A propos de D'Est par Chantal Akerman<br />

D’Est, au bord de la fiction par Raymond Bellour<br />

SUD<br />

À propos de Sud par Chantal Akerman<br />

Sud, le voyage par Chantal Akerman<br />

South by South-East (Au bord de la fiction)<br />

par Mathias Lavin<br />

DE l’AUTRE CÔTE<br />

De l’autre côté par Chantal Akerman<br />

Entretien avec Chantal Akerman<br />

FINAL<br />

Trois pièces Akerman par Cyril Béghin<br />

pièce et "pièce"<br />

Faits et sensations<br />

Trois arbres<br />

FICHES TECHNIQUES<br />

CHANTAL AKERMAN<br />

FILMOGRAPHIE<br />

LE JOUR OU - CHANTAL AKERMAN PAR CHANTAL AKERMAN - UN DIVAN A NEW-YORK - PORTRAIT D'UNE JEUNE FILLE DE LA FIN<br />

DES ANNÉES 60, À BRUXELLES - D'EST - LE DÉMÉNAGEMENT - NUIT ET JOUR - TROIS STROPHES SUR LE NOM DE SACHER, Henri<br />

Dutilleux - LES TROIS DERNIERES SONATES DE FRANZ SCHUBERT - HISTOIRES D'AMÉRIQUE - MALLET-STEVENS - LETTERS HOME -<br />

LE MARTEAU - LA PARESSE - GOLDEN EIGHTIES - LETTRE D'UNE CINÉASTE - NEW-YORK, NEW-YORK BIS - FAMILY BUSNESS - PARIS<br />

VU PAR 20 ANS APRES... J'AI FAIM, J'AI FROID. L'HOMME À LA VALISE - UN JOUR PINA M'A DEMANDÉ - LES ANNÉES 80 - TOUTE UNE<br />

NUIT - DIS-MOI - LES RENDEZ-VOUS D'ANNA - NEWS FROM HOME - JEANNE DIELMAN, 23 QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES<br />

- JE TU IL ELLE - HANGING OUT YONKERS - LE 15/8 - LA CHAMBRE 2 - LA CHAMBRE 1 - HOTEL MONTEREY - L'ENFANT AIMÉ OU JE<br />

JOUE À ETRE UNE FEMME MARIÉE - SAUTE MA VILLE<br />

Née à Bruxelles le six juin 1950. Vit à Paris depuis 25 ans.<br />

LIVRES<br />

UNE FAMILLE À BRUXELLES<br />

HALL DE NUIT<br />

LE DÉMÉNAGEMENT<br />

P. 2<br />

P. 7<br />

P. 10<br />

P. 13<br />

P. 14<br />

P. 16<br />

P. 18<br />

P. 22<br />

P. 24<br />

P. 31


INTRODUCTION<br />

Rassembler aujourd'hui D'Est, Sud et De l'autre côté, est en<br />

quelque sorte honorer l'évidence d'un lien : rapprocher ces trois<br />

œuvres, en permettre les visions successives, est un geste qui leur<br />

appartient déjà. Mais cette évidence ne doit pas masquer le fait<br />

simultané d'une séparation, manifesté par les longs intervalles<br />

entre chacune des réalisations et l'absence de formulation d'un<br />

projet global : ces trois films n'ont jamais été pensés comme un<br />

grand-œuvre en plusieurs volets à la manière des Histoire(s) du<br />

cinéma, dont Godard avait le plan dix ans avant leur achèvement -<br />

le temps qu'il a fallu pour aller de D'Est à De l'autre côté. Chantal<br />

Akerman n'aurait sans doute jamais voulu planifier une trilogie,<br />

qui serait aussi un triptyque, réalisé dans trois pays différents,<br />

déployant les thèmes de l'exil et du racisme et ouvrant son cinéma<br />

aux expérimentations nouvelles de l'installation vidéo. Pourtant<br />

l'œuvre s'est faite, et s'il convient au moins une fois de la rassembler,<br />

il ne faut donc pas oublier, derrière sa rigueur et sa cohérence,<br />

son caractère essentiel de dispersion et de work in progress :<br />

ces films vont ensemble, seuls.<br />

Que D'Est, Sud et De l'autre côté forment une trilogie, c'est d'abord<br />

sous l'apparent prétexte d'un genre, le documentaire, dont<br />

Akerman ne conserve à peu près que les dispositifs de tournage et<br />

quelques figures vite détournées. Le voyage, l'enquête, la rencontre,<br />

le dialogue abandonnent ici leurs formes habituelles, et s'il<br />

s'agit bien à chaque fois, comme en témoignent encore les textes<br />

qui suivent, d'aller voir ailleurs parce que quelque chose s'y est<br />

passé, ce quelque chose n'est jamais décrit par les films à travers<br />

des faits, mais plutôt à travers des états de faits, des "matters of<br />

fact". La traversée de l'Europe de Berlin à Moscou après la chute<br />

du communisme dans D'Est, un lynchage raciste au Texas dans<br />

Sud, les tentatives de passage clandestin de la frontière entre le<br />

Mexique et les Etats-Unis dans De l'autre côté, sont moins l'occasion<br />

d'une recherche de témoignages et de traces incarnés dans<br />

des personnages et des lieux précis, que celle de tragédies devenues<br />

immanentes aux visages et aux paysages et qui raccordent<br />

entre eux des pans de fictions et d'histoire a priori étrangers - les<br />

camps de concentration, notamment, hantent la trilogie. Ainsi la<br />

description des états de faits procède à l'extension illimitée des<br />

faits.<br />

La cohérence des sujets et des formes de ces films en font autant<br />

une trilogie - trois tragédies gravitant autour d'une même désolation<br />

de l'homme par l'homme - qu'un triptyque, une série déclinant<br />

et approfondissant les mêmes obsessions formelles. Les plans<br />

longs, les travellings, la précision des cadrages, l'utilisation des<br />

ambiances sonores, tout ce que Chantal Akerman a inventé dans<br />

ses films précédents est ici porté à un comble qu'ont permis autant<br />

le genre documentaire que l'outil vidéo. Mais c'est aussi l'horizon<br />

de l'installation, celles de D'Est et De l'autre côté, et leurs<br />

manières de disperser les images des films sur des moniteurs<br />

eux-mêmes rassemblés en diptyques ou en triptyques, qui nourrissent<br />

ces formes. Chaque film de la trilogie contient ainsi en luimême<br />

les principes de sa multiplicité, comme ceux de la libre<br />

extension de l'œuvre entière - pour pouvoir, encore une fois, les<br />

voir seuls, et ensemble.<br />

Cyril Béghin<br />

2


À PROPOS DE D'EST<br />

Je voudrais faire un grand voyage à travers l'Europe de<br />

l'Est tant qu'il en est encore temps. La Russie, la Pologne,<br />

la Hongrie, la Tchécoslovaquie, l'ex-Allemagne de l'Est,<br />

jusqu'en Belgique. Je voudrais filmer là-bas à ma manière<br />

documentaire frôlant la fiction. Tout ce qui me touche.<br />

Des visages, des bouts de rues, des voitures qui passent<br />

et des autobus, des gares et des plaines, des rivières ou<br />

des mers, des fleuves et des ruisseaux, des arbres et des<br />

forêts. Des champs et des usines et encore des visages,<br />

de la nourriture, des intérieurs, des portes, des fenêtres,<br />

des préparations de repas. Des femmes et des hommes,<br />

des jeunes et des vieux qui passent ou qui s'arrêtent,<br />

assis ou debout, parfois même couchés. Des jours et des<br />

nuits, la pluie et le vent, la neige et le printemps.<br />

Et tout cela qui se transforme doucement, tout au long du<br />

voyage, les visages et les paysages. Tous ces pays, en<br />

pleine mutation, qui ont vécu une histoire commune<br />

depuis la guerre, encore très marqués par cette histoire<br />

jusque dans les replis même de la terre et dont maintenant<br />

les chemins divergent.<br />

Je voudrais enregistrer les sons de cette terre, faire ressentir<br />

le passage d'une langue à l'autre, avec leurs différences,<br />

leurs similitudes.<br />

Une bande-son, non synchrone, ou seulement par<br />

moments.<br />

Un fleuve de voix diverses charriées par les images.<br />

Des voix qui raconteraient des histoires petites et<br />

grandes, souvent très simples, qu'il ne serait pas toujours<br />

nécessaire de comprendre mais que l'on sentirait comme<br />

des musiques de pays étrangers avec pourtant un sentiment<br />

de familiarité.<br />

Pourquoi faire ce voyage en Europe de l'Est ?<br />

Il pourrait y avoir les raisons évidentes, historiques,<br />

sociales et politiques, qui motivent de nombreux documentaires<br />

ou reportages et qui très rarement participent<br />

d'un regard attentif et calme.<br />

Mais celles-ci, bien que sous-jacentes, ne sont pas les<br />

seules. Je ne chercherai pas à montrer la désintégration<br />

du système, ni les difficultés à entrer dans un autre, parce<br />

que qui cherche trouve, trouve trop bien et filtre ainsi sa<br />

propre vision avec du pré-pensé.<br />

Tout cela transpirera sans doute, il ne peut pas en être<br />

autrement, mais de biais.<br />

Il pourrait y avoir des raisons affectives et elles existent.<br />

Mes parents viennent de Pologne, ils habitent la Belgique<br />

depuis les années 30 et ils s'y sentent bien.<br />

Pendant très longtemps, toute mon enfance, j'ai cru que<br />

leur manière de vivre, de manger, de parler, de penser<br />

7<br />

étaient celles des Belges.<br />

C'est seulement plus tard que j'ai senti des différences,<br />

au moment de l'adolescence, des différences entre eux et<br />

les autres parents, et même entre moi et les autres<br />

jeunes filles de ma classe.<br />

L'année dernière, j'ai fait un voyage en Russie pour préparer<br />

un film sur le poète Anna Akhmatova.<br />

C'était en hiver, j'étais loin de chez moi, dans un pays<br />

inconnu, je ne comprenais pas la langue, je me sentais à<br />

la fois un peu perdue, sans l'être vraiment, troublée sans<br />

savoir pourquoi, et dans un pays étranger mais pas complètement.<br />

Une langue étrangère, oui, mais dont je<br />

connaissais si bien la musique, les sonorités, et dont au<br />

milieu même de cette incompréhension, des mots et<br />

même parfois des phrases entières me revenaient<br />

comme à une amnésique, et puis la manière de vivre des<br />

gens, leur manière de penser m'étaient familières. Je<br />

retrouvais sur la table ce que ma mère faisait toujours à<br />

manger après cinquante ans de vie en Belgique.<br />

Et puis ces conversations où le banal se mélange au "philosophique",<br />

c'était comme chez moi à la maison, enfin<br />

tout près.<br />

Et pourtant, même si les raisons affectives sont réelles, je<br />

ne veux pas faire un film du genre "recherche de mes origines",<br />

parce qu'encore une fois qui cherche trouve, trouve<br />

trop bien et s'arrange un peu trop pour trouver.<br />

Je dirais que j'ai envie de faire un film là-bas, parce que<br />

là-bas m'attire. M'attire depuis longtemps et terriblement,<br />

et encore plus depuis que j'y ai été.<br />

Je disais : tant qu'il est encore temps.<br />

Temps de quoi, temps pourquoi, temps que l'"invasion"<br />

occidentale ne soit pas trop flagrante ?<br />

Comme s'il y avait un avant et un après, avant et après<br />

l'ère glaciaire ou glaciale. Temps de l'utopie réalisée et<br />

temps de l'utopie déglinguée ou d'une autre utopie ?<br />

Il y a toujours eu une espèce d'attraction-répulsion pour<br />

l'Occident et surtout pour l'Amérique, objet de désir<br />

trouble, peut-être encore plus fort avant ; et depuis longtemps<br />

déjà s'étaient infiltrés - je ne dirais pas à travers<br />

les failles du système, mais par le système même - des<br />

objets symboles de la culture américaine, blue-jeans et<br />

autres, jusqu'au jazz que jouaient les sept frères Siméon<br />

dans le fin fond de la Sibérie où ils sont morts. Maintenant<br />

ces signes sont seulement plus visibles, plus arrogants<br />

diraient certains, comme le McDonald de la place<br />

Pouchkine à Moscou.<br />

Et puis il n'y a pas d'avant pur et de maintenant gangrené<br />

ou perverti.<br />

La perversion était déjà là dans l'existence de ces deux<br />

blocs pas si contradictoires qu'il semble à première vue.<br />

Baudrillard, quand il parle de l'Amérique, parle aussi<br />

d'utopie réalisée.


Il y a aussi le sentiment d'immensité, de monde infini qui<br />

se suffirait presque à lui-même. Et puis l'intensité. Une<br />

intensité contraire, certes. New York et Moscou pour des<br />

raisons différentes sont toutes deux des villes électriques.<br />

Ces deux mondes dont les images se sont insinuées en<br />

nous à travers le cinéma. Dovjenko et Ford. L'espace<br />

américain et les champs de blé russes. Images idéales<br />

contrariées par des idées de grisaille et d'architecture<br />

stalinienne, de queues et de goulags. Par la littérature<br />

aussi sans doute, les paysages infinis et les bouleaux de<br />

Pasternak, les larmes et le thé de Tchékhov, le bien dans<br />

le mal de Dostoïevski.<br />

Non, je pense que ce que j'y vais "chercher", aussi peu<br />

préconçu que cela soit, subsistera encore longtemps non<br />

seulement dans le cœur des gens mais aussi à la surface<br />

de la terre et que, pour cela, il n'est pas trop tard.<br />

Et pourtant ce trop tard n'est quand même pas une figure<br />

de style...<br />

Avant, quand on téléphonait à Moscou par exemple il fallait<br />

passer par une opératrice. Elle vous donnait<br />

heure, deux heures, trois heures d'attente. On attendait<br />

elle rappelait alors et on avait la ligne.<br />

Il y avait des choses qu'on ne disait pas, ou on les disait<br />

mais autrement, on se comprenait à demi-mot, parfois on<br />

ne se comprenait pas. Même de notre côté, il fallait faire<br />

attention, certaines paroles qui pour nous semblaient<br />

anodines pouvaient avoir de graves répercussions là-bas.<br />

Puis, depuis Gorbatchev, on ne passe plus par l'opératrice,<br />

la conversation est devenue plus libre et certainement<br />

moins inventive, mais personne ne le regrette. Personne.<br />

Maintenant on fait toujours son numéro soi-même, et on<br />

se surprend presque à regretter le temps de l'opératrice<br />

(pas pour le côté inventif de la conversation), parce que<br />

pour obtenir la ligne, il faut parfois y passer une journée.<br />

II n'y a pas de règle. Il m'est déjà arrivé que cela passe du<br />

premier coup mais on ne s'y attend plus et la surprise<br />

entame les quelques premières minutes de conversation<br />

qui est souvent un peu embarrassée.<br />

II semble que l'on puisse dire tout ce qu'on veut bien sûr,<br />

mais ce qu'on a à dire, enfin ce qu'ils ont à dire, ils n'ont<br />

|pas envie de le dire, ce sont souvent des histoires de<br />

"déficit" comme ils disent. Même pour le pain, il y a des<br />

heures d'attente ou d'autres choses de ce genre. Souvent<br />

en riant, pas toujours. Dans ce rire, il y a beaucoup de ce<br />

qui m'attire là-bas chez les gens...<br />

Et pourtant, sous ce rire, on a l'impression d'une catastrophe<br />

imminente. Elle est imminente de semaine en<br />

semaine mais elle n'arrive jamais, tout simplement parce<br />

qu'elle est peut-être déjà là.<br />

Mais comme on l'attend toujours et qu'on a vécu pire, on<br />

ne s'en rend pas compte. C'est sans doute pour ça que je<br />

8<br />

dis avant qu'il ne soit trop tard, des fois qu'on annoncerait<br />

officiellement la catastrophe...<br />

Chaque fois qu'on raccroche le téléphone, on se demande<br />

combien de temps il faudra la prochaine fois pour passer<br />

entre les lignes des lignes. Vous me direz cela fait<br />

passer le temps. On ne peut s'empêcher de penser qu'un<br />

jour ce sera trop de temps.<br />

Cela me fait penser, mais à l'envers, à un article que j'ai<br />

lu l'année dernière dans les Nouvelles de Moscou et que<br />

je ne peux m'empêcher de vous transmettre fidèlement :<br />

"Les troubles de la transparence"<br />

par Mikhaïl Jvanetski<br />

"Un jour, avec l'écrivain Andreï Bitov, nous nous trouvions<br />

dans une gare. Il devait partir à la campagne. À moins que<br />

ce ne fût moi. Nous attendions le train de Vladimir ou de<br />

Kazan, maintenant je ne me souviens plus très bien. Nous<br />

conversions tranquillement, lorsque tout à coup on a<br />

entendu : "Les passagers partant par le train n°51 sont<br />

priés de se rendre sur le quai n°5."<br />

La foule chargée de bagages s'y précipite aussitôt. Pas de<br />

train ! Une autre annonce se fait entendre :<br />

"L'embarquement dans le train n°51 se poursuit au quai<br />

n°5." La foule s'agite et tout le monde se démène dans la<br />

gare.<br />

"L'embarquement dans le train n°51 touche à sa fin.<br />

Prière à toutes les personnes qui ne partent pas avec ce<br />

train de descendre des wagons." Alors la foule perd complètement<br />

la boule. Et les haut-parleurs continuent<br />

d'énoncer, d'une voix enrouée : "Le train n°51 va partir<br />

dans cinq minutes du quai n°5."<br />

Et bien, pour ce qui est des médicaments, c'est pareil.<br />

Il n'y a pas longtemps, on a déclaré l'octroi de moyens. On<br />

a informé les populations et le Soviet suprême que des<br />

devises, que personne n'a jamais vues, seraient consacrées<br />

à l'importation de médicaments. Les populations et<br />

le Soviet suprême ont applaudi avec enthousiasme. Et les<br />

annonces ont commencé : "L'argent est reçu. Nous<br />

sommes allés en Angleterre. Les médicaments produits<br />

par les capitalistes ont augmenté, mais nous en avons<br />

acheté. Attention ! Il y a les médicaments mais il faut être<br />

prudents."<br />

Les populations se sont précipitées dans les pharmacies,<br />

mais il n'y avait rien. "Camarades, maintenant qu'il y a<br />

tant de médicaments, des abus sont possibles. Si vous<br />

n'êtes pas spécialistes, ne conseillez rien à vos amis et<br />

connaissances." Les populations s'alignent en files d'attente<br />

et attendent jour et nuit. Pas de médicaments.<br />

Les responsables de la direction fédérale des pharmacies<br />

déclarent qu'en premier lieu on allait mettre en vente des<br />

calmants, des médicaments de première nécessité, surtout<br />

pour les retraités et les handicapés. Les populations<br />

se sont mises à courir dans tous les sens. Surtout les<br />

retraités et les handicapés. Et pourtant toujours pas de<br />

médicaments ! Quelque chose clochait. Et les annonces<br />

continuaient : "Camarades, n'aggravez pas la pénurie ! Il<br />

y a encore des remèdes, mais une consommation abusive<br />

et incontrôlée peut avoir des effets indésirables..."<br />

Mais, au téléphone, ils ne font pas que rire de leurs histoires<br />

de déficit, ils parlent aussi de leur ville, pour dire<br />

qu'elle est en train de perdre son âme et son visage... Et<br />

puis les gens aussi. Mais l'âme, qu'est-ce que c'est ? Je<br />

n'oserai pas m'engager sur ce terrain-là.<br />

Mais plus sur celui des visages que j'ai envie de filmer.<br />

À propos des visages, j'aimerais juste vous faire connaître<br />

le "En guise de préface" du Requiem, d'Anna Akhmatova :<br />

"Dans les années terribles de la "Iéjovchtchina", j'ai passé<br />

dix-sept mois à faire la queue devant les prisons de<br />

Leningrad. Un jour, quelqu'un a cru m'y reconnaître. Alors,<br />

une femme aux lèvres bleuâtres qui était derrière moi et à<br />

qui mon nom ne disait rien, sortit de cette torpeur qui nous<br />

était coutumière et me demanda à l'oreille (là-bas, on ne<br />

parlait qu'en chuchotant) :<br />

- Et cela, pourriez-vous le décrire ?<br />

Et je répondis :<br />

- Oui, je le peux.<br />

Alors, une espèce de sourire glissa sur ce qui avait été<br />

jadis son visage."<br />

À l'hôtel à Leningrad, il était très difficile de se faire servir<br />

le petit déjeuner. Une armée de serveurs était là, les bras<br />

croisés, le visage morne. Je leur ai demandé du thé. Ils ne<br />

m'ont pas regardée. C'était comme si je parlais à un mur.<br />

Je n'avais pas de visage pour eux et eux ne tenaient pas à<br />

m'offrir un visage.<br />

Avec l'homme que nous avions été voir à Peredelkino, petit<br />

village d'écrivains à la lisière de Moscou, ce fut tout le<br />

contraire.<br />

Il nous attendait dans une petite chambre étroite, pauvre<br />

mais propre comme on dit.<br />

Il était immense. Dans la chambre, un lit à une place, une<br />

petite table, une vieille machine à écrire. Un plat et trois<br />

pommes rouges. Il nous a lu une lettre-poème qu'il avait<br />

écrite à Anna Akhmatova ; à un moment, emporté par une<br />

passion presque épouvantable, il s'est levé. Je me souviendrai<br />

toujours de son visage quand on a entendu des<br />

coups très violents contre le mur de sa chambre parce qu'il<br />

9<br />

parlait trop fort.<br />

Et aussi du visage d'un homme assis dans le trolleybus<br />

traversant la place Pouchkine, visage qu'il a baissé et<br />

caché d'une main. La place était envahie par une queue<br />

qui en faisait tout le tour. Ils attendaient devant le<br />

McDonald. Loin de la place Pouchkine, l'homme a retiré<br />

la main de son visage.<br />

Je me souviens de bien d'autres visages et de l'"Epilogue"<br />

du Requiem d'Anna Akhmatova :<br />

"Et j'ai appris comment s'effondrent les visages,<br />

Sous les paupières, comment émerge l'angoisse,<br />

Et la douleur se grave sur les tablettes des joues,<br />

Semblables aux pages rugueuses des signes cunéiformes<br />

;<br />

Comment les boucles noires ou les boucles cendrées<br />

Deviennent, en un clin d'œil, argentées,<br />

Comment le rire se fane sur des lèvres soumises,<br />

Et, dans un petit rire sec, comment tremble la frayeur.<br />

Et je prie Dieu, mais ce n'est pas pour moi seulement,<br />

Mais pour tous ceux qui partageaient mon sort,<br />

Dans le froid féroce, dans le juillet torride,<br />

Devant le mur rouge devenu aveugle."<br />

Le mur n'était pas très loin du centre de Léningrad. J'ai<br />

été le voir, le mur de la prison. J'ai fait des photos. Il faisait<br />

déjà très noir.<br />

A la Fnac, ils ne les ont pas tirées.<br />

Je me suis dit, c'est bien. Sans trop analyser.<br />

Chantal Akerman<br />

Bruxelles/Paris, avril 1991<br />

Texte extrait de Chantal Akerman : D'Est. Au bord de la fiction,<br />

éditions du Jeu de Paume, 1995


D'EST, AU BORD DE<br />

LA FICTION<br />

Pourquoi l'installation de Chantal Akerman (D'Est, Au<br />

bord de la fiction - 1995 au Walker Center of the Arts de<br />

Minneapolis, et à Paris au Jeu de Paume) est-elle une<br />

œuvre forte - exemplaire? Parce qu'elle permet d'expérimenter<br />

pour la première fois peut-être de façon aussi<br />

nette le destin de la projection de cinéma et de son audelà.<br />

La première des trois salles où on entre (il y a un sens a<br />

la visite) est un cinéma Non pas une vraie salle, seulement<br />

un cinéma de musée construit pour l'occasion, où<br />

on pénètre et dont on sort de même, librement mais où<br />

on peut s'asseoir sur de vrais sièges pour suivre dans le<br />

noir, du début à la fin du film si l'on veut, pendant 107<br />

minutes, une vraie projection. D'Est fait partie des films à<br />

dispositif de Chantal Akerman, un de ceux, comme Hôtel<br />

Monterey (son presque premier film) ou News From<br />

Home, où la puissance du regard propre à la caméra<br />

s'avère, se libère, exerce sur ses objets une pression<br />

sourde, faisant surgir de la réalité saisie une force documentaire<br />

d'autant plus vive qu'on la sait, qu'on la sent<br />

pénétrée d'une fiction enracinée dans la vie personnelle,<br />

expérience et mémoire de soi. À la jeune exilée volontaire<br />

lisant face au New York qu'elle découvre et filme les<br />

lettres de sa mère arrivant de Bruxelles et qu'elle laisse<br />

sans réponse, fait écho ici la cinéaste belge, juive<br />

d'Europe centrale retrouvant sans le dire autrement que<br />

par des commentaires hors film et la puissance seule de<br />

son regard-caméra la nécessité d'un pays natal. Par l'altemance<br />

savamment hiérarchisée de plans fixes insistants<br />

et de très longs travellings enchaînés en particulier<br />

dans les rues de Moscou, par un traitement imprévu de<br />

sons directs montés et gradués au fil des successions,<br />

presque des processions d'images, Akerman a su rendre<br />

avec une évidence sensible constamment bouleversante<br />

10<br />

le choc du changement social et historique qui a affecté la<br />

Russie postcommuniste et dont l'exemple vaut, on le ressent,<br />

pour bien des saisissements immobiles refaçonnant<br />

l'espèce humaine.<br />

Telle est la projection qui se trouve dans la seconde salle<br />

soumise à une intense circulation. Huit fois trois moniteurs<br />

dressés et regroupés, dispersés avec rigueur dans<br />

l'espace, formant à hauteur de regard du promeneur<br />

autant de triples écrans, dessinent un circuit complexe de<br />

séquences ou moments prélevés sur le film. On peut<br />

ainsi, s'approchant, s'éloignant, s'arrêtant, repartant,<br />

engager comme à l'infini une reprojection sans plus de<br />

commencement ni de fin, par une activité proprement<br />

corporelle. On est tributaire (plus ou moins, diversement<br />

selon chacun, c'est là tout l'intérêt d'un tel déplacement)<br />

d'un effet de mémoire, déjà devant le film presque impossible<br />

à maîtriser, qui se propose ici à nu dans l'échange<br />

renouvelé de la déambulation d'un regard et de la<br />

conception d'un programme. Le plus émouvant devient<br />

l'altemance autrement rejouée entre les scènes fixes,<br />

animées de l'intérieur par des gestes (cette femme coupant<br />

compulsivement du saucisson, qu'on retrouve à<br />

diverses reprises combinée chaque fois avec deux autres<br />

scènes différentes), et les plans en longs mouvements<br />

devant des foules et des êtres figés. On se trouve alors<br />

saisi par une circulation double : celle d'une caméra<br />

attentive, anxieuse et amoureuse, renouvelant sans cesse<br />

sa distance à l'objet mais de façon à s'interroger sur cette<br />

distance et ce qu'elle suppose ; et celle de notre propre<br />

corps inconnu qui s'apprend à lui-même la leçon de cet<br />

autre regard.<br />

Un titre annonce la troisième salle, plus modeste, cube<br />

sombre ou chambre : "La vingt-cinquième image". Dans<br />

la première salle on s'assied pour entrer dans la projection<br />

d'une image ; dans la seconde on s'adonne en mar-<br />

chant à une circulation entre les images ; ici, on se pose<br />

seulement, si l'on veut, sur un simple banc, invité à un<br />

rapport différent avec l'image, entre diffusion et réflexion.<br />

La vingt-cinquième image est celle que la vidéo ajoute au<br />

film : c'est l'image de la télévision. Elle s'oppose ainsi<br />

subtilement aux vingt-quatre images/seconde du film<br />

dont les vingt-quatre moniteurs de la seconde salle font<br />

encore miroiter l'idée qu'ils détournent. Cette image de<br />

télévision se donne ici en un seul et long plan, glissant<br />

imperceptiblement de la figuration incertaine (une rue<br />

bordée de lumières irradiant une lueur jaune) à une<br />

presque entière abstraction (quand cette lueur arrivée en<br />

très gros plan est comme à son tour irradiée par la neige<br />

de l'image vidéo). Il faut dix minutes environ pour que<br />

cette image vive et s'efface dans un moniteur posé sur le<br />

sol, alors que la voix fait l'essentiel du travail, répercutée<br />

par deux haut-parleurs autonomes. La voix de Chantal<br />

Akerman nous parle pendant que se poursuit cette transformation<br />

d'une image possible de télévision en image de<br />

vidéo expérimentale Elle nous lit d'abord en hébreu un<br />

extrait de l'Exode, qu'elle reprend en français, touchant à<br />

l'interdit de l'idole et de l'image dans la tradition juive. Elle<br />

nous confie à mi-voix ce qu'ont été l'histoire et le projet, la<br />

sensation de ce film, D'Est, qui pourrait être aussi une<br />

lettre adressée au père, au nom de qui s'accomplit ce<br />

voyage de Belgique en Russie à travers l'Allemagne et la<br />

Pologne. Ce film, elle en annonce les images à venir dans<br />

les mots qu'il lui faut d'abord écrire pour répondre aux<br />

images qui se pressent en elle : images actuelles, passées<br />

et à venir, images des "gens que l'histoire qui n'a même<br />

plus de H, que l'histoire vient frapper...". Elle ajoute, avec<br />

une simplicité poignante : "II n'y a rien à faire, c'est obsédant<br />

et ça m'obsède. Malgré le violoncelle, malgré le<br />

cinéma." Malgré le beau solo de violoncelle joué sous ses<br />

mots par Sonia Wieder-Altherton ; malgré le film fini qui<br />

11<br />

se déroule, là-bas, si proche et si loin soudain, dans la<br />

première salle.<br />

C'est que nous sommes ici, après la projection, et la circulation<br />

propre à l'installation, dans ce lieu que l'installation<br />

se réserve enfin comme une chambre de méditation.<br />

Lieu même où penser, sous l'effet d'une diffusion à<br />

rebours de l'image de télévision et revenant à travers elle<br />

vers l'écriture et le livre, ce rapport entre la projection et<br />

la circulation des images qui s'accomplit, indécidablement,<br />

dans le double projet de film et d'installation s'enchaînant<br />

et se prétextant l'un l'autre . Quand Chantal<br />

Akerman ajoute au titre de son film, "D'Est", le supplément<br />

qui le transforme, D'Est, Au bord de la fiction, elle<br />

prend la mesure (ou au moins nous la laisse imaginer) du<br />

débordement qui frappe ici sa "manière documentaire<br />

frôlant la fiction". Ouverture vers cette fiction dont on<br />

n'entrevoit encore que le bord : fiction d'un cinéma se<br />

sauvant lui-même autant que de lui-même grâce aux<br />

métamorphoses auxquelles il se soumet.<br />

Raymond Bellour<br />

Extrait de "Sauver l'image", in L'Entre-Images 2, P.O.L., 1999,<br />

pp.70-73.


À PROPOS DE SUD<br />

Sud ? Pourquoi le Sud ?<br />

J'avais une sorte d'attirance. Toute littéraire sans doute.<br />

Faulkner, mais aussi Baldwin. Et quand j'ai décidé de partir<br />

là-bas, rien n'était encore arrivé, tout semblait calme<br />

et puis juste avant mon départ, il y a eu un nouvel incident<br />

raciste, c'est comme ça qu'on dit, enfin un lynchage, à<br />

Jasper, Texas. À notre époque et plus que jamais, il y a de<br />

la purification dans l'air.<br />

Alors il m'a fallu aller là-bas aussi.<br />

Et au fur et à mesure que j'avançais dans ce Sud, un peu<br />

erratiquement, et où au début je ne voyais rien, rien que<br />

des arbres ou presque, c'est à Baldwin que je pensais<br />

quand il dit, "je n'ai jamais vu autant d'arbres. Autant<br />

d'arbres qui évoquent autant de pendus". À Baldwin qui<br />

écrit aussi de ce Sud dans Harlem Quartett :<br />

"Le silence du Sud.<br />

Un silence lourd, tendu.<br />

Un silence de plomb.<br />

Un silence qui devrait être mais qui l'est pas.<br />

On guette le cri qui va briser ce silence.<br />

On redoute le jour qui vient."<br />

13<br />

Chez moi, à la maison, ce n'est pas du silence du Sud dont<br />

on parlait quand on parlait enfin de quelque chose, mais<br />

du silence du camp et là c'était la même peur du jour qui<br />

vient, parce qu'avec le jour qui vient, il n'y avait que le pire<br />

qui pouvait arriver, on répétait aussi comme Baldwin, la<br />

peur de marcher au milieu du trottoir et la tendance à<br />

raser les murs.<br />

Pourtant je pensais bien en avoir fini avec cette histoire de<br />

D'Est et avec toutes ces obsessions. Mais le film que je<br />

viens de tourner dans le Sud des Etats-Unis me semble<br />

bien faire écho tant au film D'Est qu'aux obsessions qu'il<br />

a mises en relief : l'Histoire, la grande et la petite, la peur,<br />

les charniers, la haine de l'autre, de soi, et aussi<br />

l'éblouissement de la beauté.<br />

Certains ont trop d'Histoire, trop de passé, les Européens<br />

sans doute, et d'autres pas assez peut-être, les<br />

Américains, sans doute. Certains organisent des<br />

meurtres ou même des génocides à cause ou au nom de<br />

ce trop d'Histoire, histoire de territoire et de terre, de<br />

race, de religion, de ce trop de culture même.<br />

D'autres, c'est parfois le vague souvenir d'une culture,<br />

d'une histoire ou d'un lieu qu'ils ont quitté pour aller<br />

ailleurs, là où c'était grand, nouveau, qui les mène aussi<br />

à supprimer ce qui les gêne, ce qui est en trop, peut-être<br />

aussi ce qui leur semble impropre à réaliser pleinement<br />

l'utopie de ce nouveau monde. Et j'ai compris en allant là<br />

dans le Sud, cet été, que pour certains, cette utopie de<br />

monde nouveau, ne peut pleinement se réaliser, que si ce<br />

monde est blanc et uniquement blanc et non pas régi par<br />

la loi des hommes mais par la loi de Dieu.<br />

J'ai aussi eu envie d'aller voir là-bas à quel prix se passe<br />

le miracle américain, sur le dos de qui se crée en ce<br />

moment même le plus grand amoncellement jamais vu<br />

de richesses mais aussi et surtout si ce paysage garde les<br />

traces ou le souvenir même de quelque chose d'autre que<br />

leur propre beauté. Filmer la nature, nature qui cache<br />

sang et charniers.<br />

Ce reflet du ciel sur une mare boueuse.<br />

Le souvenir peut-être imaginaire d'une partie de campagne.<br />

Et forcément d'être couché le cul par-dessus tête.<br />

Cette chaleur qui s'entend.<br />

Les abeilles, les moustiques.<br />

Tout est immobile et tout bouge.<br />

Des images qui évoquent presque trop de bonheur.<br />

Presque de l'écœurement.<br />

Et puis ce paysage va se mettre à bourdonner.<br />

Et par le ressassement, toujours le ressassement, j'espère<br />

vous faire valser du plaisir - que peut procurer la nature,<br />

le paysage, la partie de campagne - le plaisir et son<br />

frémissement, jusqu'au doute même de ce plaisir, jusqu'au<br />

sentiment de l'horreur et peut-être même du tragique<br />

dans un silence de plomb.


SUD, LE VOYAGE<br />

Je suis allée, j'ai traversé, l'Alabama et le Mississipi, la<br />

Louisiane et la Géorgie. Sans parler de Jasper, Texas.<br />

D'abord je n'y ai presque rien vu. Le Sud ne se donne pas<br />

comme ça, il faut rouler beaucoup et marcher et se laisser<br />

faire parfois par des impressions fugitives, mais qui<br />

se répètent.<br />

On cherche à la loupe bien sûr ce qui peut ressembler à<br />

ce que l'on a lu ou entendu.<br />

Puis on se laisse presque assoupir, l'on devient moins<br />

vigilant, une torpeur vous prend, une certaine douceur.<br />

Et c'est seulement parce que ce qu'on voit se répète que<br />

tout d'un coup cela prend sens, comme ces noirs qui très<br />

paisiblement tondent la pelouse devant une église ou<br />

d'autres qui désherbent un cimetière des confédérés, ou<br />

d'autres encore qui marchent d'un pas lent en s'éloignant<br />

du Mississipi River et puis ces maisons qui ressemblent à<br />

des cases presque dévorées par la végétation, dans un<br />

quartier où l'on ne voit absolument personne et l'on se<br />

demande où l'on est, et sans très bien savoir pourquoi, se<br />

mêlant à une certaine douceur, il y a soudain quelque<br />

chose qui vous étreint et puis, soudain, on comprend que<br />

si tout d'un coup le cœur vous serre, c'est parce que ces<br />

maisons pourtant colorées, presque gaies parfois<br />

éveillent des réminiscences, qu'elles évoquent pour vous<br />

des cases d'esclaves et puis à force de tourner en rond<br />

dans le quartier, on aperçoit furtivement, dans des allées<br />

perpendiculaires et sablonneuses, un homme ou un<br />

autre, une femme, un enfant, tous noirs. C'est le quartier<br />

noir de Vicksburg, Mississipi.<br />

Le long de ces routes ou autoroutes, ou dans les buissons,<br />

j'ai vu aussi des prisonniers, tous noirs qui travaillent<br />

en vêtements blancs, ou rayés, gardés par des<br />

hommes blancs et à cheval et on ne peut s'empêcher de<br />

penser aux esclaves, les mêmes gestes, les mêmes costumes<br />

presque et les mêmes gardes, comme si rien<br />

n'avait changé depuis le temps de l'esclavage, même si il<br />

n'y a plus personne dans les champs de coton, seulement<br />

le bruit du vent.<br />

Bien sûr je n'ai pas vu que ça. Il faut aussi pour mieux<br />

percevoir ce Sud, peu à peu rencontrer des gens, des<br />

gens qui parlent ou se taisent, des gens qui parlent pour<br />

ne rien dire et disent parfois tant, des gens qui parlent<br />

pour dire et en disent parfois trop.<br />

Il y a tant de dénégation chez les blancs et chez les noirs,<br />

et comment pourrait-il en être autrement alors que l'histoire<br />

qui les lie est aussi celle qui les sépare.<br />

Et puis quand on assiste à un office donné dans l'église du<br />

14<br />

pasteur Lyons en mémoire de James Byrd Jr., quand on<br />

écoute tout ce qui se dit ou se chante, on se dit que tout<br />

est encore plus compliqué que ce qu'on croit... Il y a là un<br />

mélange de gestes, de paroles qui montrent des gens<br />

qu'on pourrait croire être des oncles Tom mais qui finalement<br />

n'arrivent à survivre et à garder quelque chose<br />

d'eux-mêmes qu'en vivant dans une certaine ambiguïté,<br />

que derrière les discours apaisants sans doute, il y a le<br />

corps et sa douleur qui s'exprime, et quelque chose de<br />

profond et d'authentique.<br />

J'ai rencontré aussi !e shérif de Jaspers, un brave homme<br />

blanc, avec un chapeau de shérif, un drapeau américain,<br />

un regard bleu à la Paul Newman, on l'aimerait presque<br />

comme on peut aimer certains films américains, il dit<br />

simplement que s'il n'y avait pas de problèmes économiques,<br />

de chômage, il n'y aurait pas de cas Byrd et que<br />

quand un homme a suffisamment de nourriture dans son<br />

assiette, il ne pense pas à créer des problèmes aux<br />

hommes des autres races, il dit cela et semble complètement<br />

ignorer comme nous l'a appris John Craig qui a<br />

passé deux ans de sa vie à infiltrer les groupes d'extrême<br />

droite et notamment le mouvement pour une nation<br />

aryenne, que ceux-ci ce sont considérablement développés<br />

depuis les années 60, mais c'est surtout depuis une<br />

quinzaine d'années qu'il y a une forte résurgence d'organisations<br />

comme le K.K.K et d'autres groupes de "suprémacistes"<br />

blancs sous le chapiteau de ce que l'on appelle<br />

"l'identité chrétienne". Ce sont des groupes entraînés à<br />

saisir toute opportunité qui se présente pour nuire ou<br />

blesser les gens d'autres races car ils croient que n'importe<br />

quel "homme de couleur" qui vit ou arrive aux<br />

Etats-Unis doit être repoussé, que les Etats-Unis doivent<br />

être purgés d'eux pour que ceux-ci redeviennent une<br />

nation blanche sous le contrôle de Dieu et non des<br />

hommes. Pour ces extrémistes, race égale nation et<br />

nation égale race, c'est là leur croyance de base.<br />

Alors tout va-t-il vraiment mieux comme certains, beaucoup<br />

semblent le dire, comme ils disent que le lynchage<br />

de Byrd, n'est qu'un cas isolé et exceptionnel. Tout va<br />

sans doute mieux et il n'y a pas de lynchage tous les jours<br />

bien qu'il y ait eu deux cas étouffés récemment rien que<br />

dans le comté de Jaspers, mais tout est resté "ségrégué"<br />

de fait ou presque, les églises, les quartiers, les cimetières<br />

bien sûr et dans les écoles, les enfants noirs<br />

côtoient rarement les enfants blancs vice-versa, et pourquoi<br />

les problèmes économiques puisque problèmes économiques<br />

il y a, devraient-ils justifier un lynchage. On a<br />

déjà entendu cela ailleurs, à d'autres époques, dans<br />

d'autres lieux, très près de nous juste à côté et cela ne<br />

peut que faire frissonner.<br />

Chantal Akerman, 1998<br />

15


SOUTH BY SOUTH-EAST<br />

(Au bord de la fiction)<br />

Sud fonctionne sur un écart qu’on ne peut manquer de<br />

sentir entre l’obstination du dispositif et la violence de<br />

l’anecdote, qui semblent irréconciliables. Ce renvoi dos à<br />

dos, loin d’imposer le silence, ouvre la possibilité d’un<br />

entre-deux. Cette logique implique sans doute d’avoir le<br />

sens de l’équilibre, mais on sait à quel point ce cinéma<br />

entretient de similitude avec l’élément chorégraphique -<br />

la rencontre avec Pina Bausch, au début des années<br />

quatre-vingt, ayant exprimé de façon emblématique une<br />

parenté de projet dont on a pas encore mesuré la fécondité.<br />

Ce travail d’exploration des frontières ne peut manquer<br />

d’esquiver le partage trop bien réglé des genres : il<br />

est évident que pour Akerman il n’y a pas de distinction de<br />

droit entre le documentaire et ce qui lui échappe. C’est<br />

dans cette perspective qu’il faut entendre l’expression "au<br />

bord de la fiction" qui servait de sous-titre à l’installation<br />

faite à partir du film D’Est. Sud ne porte pas d’exergue de<br />

ce type, mais il n’y a sans doute pas lieu d’en conclure à<br />

un abandon, plutôt à la persistance d’un questionnement,<br />

celui qui, le long de lignes de fracture à la fois intimes et<br />

historiques, cherche à pousser tout mode d’expression à<br />

sa limite.<br />

De l’ensemble du film, il se dégage ainsi quelque chose<br />

de fascinant qui provient de la constance dont fait preuve<br />

la cinéaste : même rigueur du cadrage, même mutité<br />

obsessionnelle, même confrontation avec le photographique<br />

qui depuis ses premières manifestations, ont<br />

conféré son importance à ce cinéma. Il y a d’ailleurs une<br />

dimension qui pourrait s’apparenter à la création sous<br />

contrainte, dans la façon dont ce qui apparaît à l’écran se<br />

trouve cadré de manière si impitoyable. La contrainte<br />

renvoie à celle du dispositif choisi, et entre également en<br />

résonance avec l’interdit religieux de fabriquer des<br />

images, comme cela a été souvent rappelé, notamment<br />

par la cinéaste elle-même, bien qu’il serait terriblement<br />

réducteur de se contenter de ce seul type d’explication<br />

pour rendre justice à la richesse de cette oeuvre.<br />

Contrairement à D’Est, il n’y a pas ici de portraits muets<br />

mais des prises de parole qui indiquent de façon fragmentaire<br />

l’horizon du drame, bien que les questions, ou la<br />

formulation du thème de la discussion soient toujours<br />

laissées hors-champ. Il n’y a donc pas de recherche d’une<br />

vérité, comme dans la dialectique factice du lot commun<br />

des documentaires, où exhiber des opinions divergentes<br />

revient à donner l’illusion d’un débat. Chaque individu est<br />

responsable de son propos, non pas en tant que subjectivité<br />

autonome, mais comme intégrité irréductible au jeu<br />

mondain des opinions. Il n’y a d’ailleurs pas la moindre<br />

16<br />

place ménagée afin de permettre à une parole contradictoire<br />

de se dégager. Tout propos se fait alors témoignage,<br />

voire même commémoration. La succession de représentants<br />

des différents "pouvoirs" - journalistique, policier<br />

etc. - dessine en creux la forme que le film récuse : celle<br />

du procès qui fournit un motif scénaristique typique du<br />

cinéma américain. Mais tout en refusant qu’il y ait la<br />

moindre place laissée aux bourreaux, la cinéaste n’en<br />

réussit pas moins à provoquer un tremblement qui<br />

concerne directement l’implication du regard. Lors du<br />

premier travelling arrière, juste après le récit du meurtre<br />

- qui intervient donc plus d’un quart d’heure après le<br />

début du film - il semble, pendant un bref instant, que<br />

nous soyons placés en spectateur de la scène, et ce<br />

depuis le point de vue des meurtriers qui ont trainé le<br />

corps de leur victime après l’avoir attaché à l’arrière de<br />

leur véhicule. Et il faut alors la régularité du plan, l’insistance<br />

de sa durée pour rétablir la dimension descriptive<br />

autant que commémorative de l’enregistrement.<br />

L’accusation ne vient donc pas des faits évoqués ou des<br />

dénégations du shérif, qui paraissent d’ailleurs assez<br />

convenues, mais plutôt de la présence obsédante des<br />

arbres, de la nature ou bien au contraire de la récurrence<br />

de ces rues désertes - le rêve assez euphorique énoncé<br />

par Moretti dans son Journal Intime d’un film qui ne<br />

serait fait que de façades prend ici rapidement des allures<br />

de cauchemar. En effet, bien que le film soit centré sur<br />

une petite ville, c’est plutôt l’élément naturel qui demeure<br />

dans le souvenir que l’on peut en avoir. Cependant ce<br />

n’est pas un état premier, un état de nature qui apparaît<br />

devant nous. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler le<br />

témoignage de cette vieille femme noire qui raconte comment<br />

la succession des pendaisons a fini par déformer<br />

les arbres. Les plans superbes de ces arbres perdus au<br />

milieu d’étendus irradiantes de couleurs, une fois leur<br />

virtualité d’histoires actualisée, revêtent rétrospectivement<br />

une valeur inquiétante. Ils ne renvoient pas à un<br />

ordre immuable mais à un monde encore plein de bruit et<br />

de fureur, conservant le souvenir du chaos qui semble<br />

ainsi n’être que la dimension humaine du monde.<br />

La présence entêtante de ce passé violent est d’autant<br />

plus paradoxale qu’elle ne semble reposer que sur un<br />

respect scrupuleux du présent, de la stricte contemporanéité<br />

du tournage. Il n’y aucune photo, pas d’archives, et<br />

si la victime est tout juste nommée, son nom est vite<br />

oublié par un effet de labilité de la mémoire auquel nous<br />

renvoient sans arrêt témoignages ou souvenirs. De fait,<br />

au cours du film, on bascule insensiblement dans le<br />

domaine du cérémonial : les nombreux travellings,<br />

comme dans D’Est, sont véritablement de l’ordre de la<br />

"procession" , et impose la même concentration que l’ensemble<br />

composé par les témoignages. Mais cette impression<br />

provient surtout de l’insistance portée sur la cérémonie<br />

d’hommage à la victime où, de façon littérale, il<br />

semble que la cinéaste nous fasse sentir quelque chose<br />

qui est bien de l’ordre d’un rapport au sacré. Cette scène<br />

en effet forme un des moments les plus impressionnants<br />

du film en montrant cette combinaison, à la fois de spectacle,<br />

de transe et de prière. L’image de cette ferveur, filmée<br />

avec empathie et une grande pudeur, se présente<br />

comme le contrepoint d’un autre rapport au texte<br />

biblique, celui de la secte chrétienne désignée dans le<br />

film comme étant à l’origine du meurtre raciste. La<br />

cinéaste prend le temps de s’attarder sur cette partie de<br />

la cérémonie où la soeur de la victime lit son texte d’hommage<br />

pendant qu’une jeune femme vient redoubler la<br />

lecture par un chant. En soulignant l’expression d’une<br />

sorte de nostalgie d’une parole pleine, toute entière présente<br />

à soi, le film circonscrit l’espace même qui, originellement,<br />

est celui de la poésie, dont le film pose ainsi la<br />

nécessité sans en faire l’horizon de toute création.<br />

Cet élément vient en outre compliquer la relation au<br />

temps puisque la cérémonie semble rapprocher le<br />

moment du drame de celui du tournage, tout en indiquant<br />

des faits d’un ordre plus immémorial. Cet effet de réversibilité<br />

temporelle nous plonge donc de façon radicale<br />

dans une matière différente. Il semble faire des quelques<br />

corps qui peuplent le film, et de nous spectateur en<br />

retour, des contemporains exacts des romans de<br />

Faulkner. On peut penser alors que ce phénomène nous<br />

permettrait de comprendre l’expression "au bord de la<br />

fiction", ou plutôt, que celle-ci serait utile pour comprendre<br />

davantage le film et le projet qui le sous-tend.<br />

Dans Sud en effet le pas au-delà semble effectué, le<br />

"bord" a été franchi, et par là-même, il se dégage de<br />

façon plus manifeste ce qui est du ressort de l’aspect<br />

documentaire du film : non pas une affirmation de type<br />

ontologique mais plutôt un leurre (ne l’oublions pas, l’étymologie<br />

de fiction renvoie à feinte), un moyen de se débarasser<br />

de l’alternative qui règle la répartition économique<br />

et la majorité des discours esthétiques sur les images<br />

pour accèder à une dimension plus intense, celle que, à<br />

défaut d’autre terme il faut encore nommer fiction mais<br />

en lui donnant une signification sans doute renouvelée.<br />

17<br />

Repensons à ces longs plans hantés, notamment les travelling<br />

arrières ou latéraux. On pourrait trouver chez les<br />

Straub une même volonté de peupler l’image par l’appel<br />

des absents. En regardant le dernier travelling de Sud, on<br />

ne peut s’empêcher de penser à celui de Trop tôt trop<br />

tard, le long du Nil. Dans la démarche géologique et<br />

matérialiste des Straub il s’agissait d’exhiber les traces et<br />

les sédiments d’un passé qui en vient à affleurer à la surface<br />

de l’écran, un peu de la même façon que dans ce film<br />

d’Akerman où le balancement douloureux entre l’absence<br />

et la présence de traces produit l’essentiel de la force du<br />

film. Mais ce qui singularise Akerman réside dans une<br />

sorte de réaccommodement du fictionnel qu’elle n’hésite<br />

pas à opèrer ici. Il n’est pas question d’un arrangement<br />

d’actions, d’une narration conçue comme concaténation<br />

de faits, non plus que de l’appel au mythe mais ce qui définit<br />

peut-être cette dimension qui travaille dans les images<br />

sur un mode virtuel : comme si toute image fonctionnait<br />

comme un possible, comme une "puissance d’accès à la<br />

forme et au discours" . Ainsi il ne s’agit pas pour la<br />

cinéaste d’une exploration mélancolique des ruines, mais<br />

plutôt de revenir sur cette énigme du temps dans les<br />

images et sur ce qui nous attache à elles. De même que<br />

dans d’autres films d’Akerman l’usage de la première<br />

personne permettait une ouverture à l’Histoire et à ses<br />

fractures, on peut déceler une ouverture à la Fiction -<br />

irréductible à la projection, à la subjectivité comme à<br />

toute idée de totalité, serait-elle lacunaire, ouverte, parcellaire<br />

etc. Comme le remarquait Jean-Luc Nancy la<br />

définition d’un art va de pair avec celle du monde et s’il n’y<br />

a plus de monde la notion d’art telle que nous l’entendons<br />

communément pose problème . La fiction qui ne sert nullement<br />

à la restauration d’un ancien ordre narratif seraitelle<br />

alors l’opérateur d’une nouvelle proposition et surtout<br />

d’une nouvelle articulation de l’un et de l’autre? Il<br />

semble que c’est à cette tâche ambitieuse que s’est discrètement<br />

attelé ce film.<br />

Mathias Lavin


DE L'AUTRE CÔTÉ<br />

Après D'Est film voyage, film élégie, où il n'y avait aucune<br />

place pour une narration, même si par les détours de<br />

l'Histoire, chacun pouvait s'en construire une, il y a eu Sud<br />

comme en écho. Sud où même en creux, peu à peu, une<br />

narration prenait forme. Et maintenant, il pourrait y avoir<br />

Sonora, troisième terme d'une sorte de triptyque, qui lui<br />

ne ferait pas seulement écho à Sud, mais tenterait de<br />

creuser plus profond dans sa matière même et qui d'une<br />

manière ou d'une autre, laisserait encore plus de place à<br />

une narration. Une narration contemporaine sans doute<br />

cette fois. mais autour d'une situation vieille comme le<br />

monde, et sur laquelle, il faut encore et toujours revenir.<br />

18<br />

Il m'a été demandé de préciser ma pensée. On aimerait<br />

savoir par quel bout je vais pouvoir prendre ce sujet. Moi<br />

aussi, je me sentirais mieux, plus tranquille et aussi sans<br />

doute moins intéressée par le projet. Parce que ce qui me<br />

fascine et m'effraie à la fois, quand je me mets en tête de<br />

faire un documentaire, c'est bien de le découvrir ce documentaire,<br />

de le découvrir en le faisant. Et préciser ma<br />

pensée serait, je crois, aller à l'encontre même du projet<br />

documentaire et me fait donc un peu peur. Parce que en<br />

le faisant, je me laisse conduire, je dirais presque à<br />

l'aveuglette, et je deviens une sorte "d'éponge-plaque<br />

sensible" qui aurait une écoute flottante et d'où surnagerait<br />

ou se révélerait au bout d'un long moment, le film. Ce<br />

qui me fait peur, ce n'est pas de penser mais bien d'enfermer<br />

un documentaire dans du déjà "préprensé " alors<br />

que ce que j'essaie, c'est d'arriver "sur les lieux du crime"<br />

presque vierge et que ce soit la matière même du documentaire<br />

qui vienne m'occuper et pas le contraire. C'est<br />

presque impossible bien sûr, et l'on arrive toujours<br />

quelque part avec tout ce qu'on traîne, et tout ce qui vous<br />

constitue.<br />

Et peut-être pour ce documentaire-là, cette écoute flottante<br />

est-elle encore plus nécessaire que d'habitude<br />

parce qu'on a déjà tant d'images dans la tête, tant<br />

d'icônes, on peut presque dire, d'un certain monde américain<br />

en tout cas. Et aussi, même si elles sont d'un autre<br />

ordre, d'un certain monde mexicain. Et bien sûr l'enjeu ici<br />

serait de dépasser ou de déplacer ces icônes pour que<br />

quelque chose existé qui soit -dans ce déjà vu -, un vu tout<br />

nouveau, et donc quelque chose qu'on pourrait vraiment<br />

voir et sentir comme si c'était la première fois.<br />

Et pour cela, entre autres, il s'agit d'éviter tout système<br />

binaire comme : voilà le Mexique, avec ses pauvres et<br />

voilà l'Amérique, leur Eldorado, voilà le Mexique avec une<br />

vieille culture qui a aussi sa cruauté, sa corruption, mais<br />

qui est dans la vie, et voilà l'Amérique où rode la mort,<br />

l'acculturation, et ce qui est primitivement moderne.<br />

Tout cela qui existe pourtant, (mais c'est bien plus compliqué<br />

que ça), et il faut l'oublier quand on y va. Tout ce<br />

que j'ai raconté dans l'autre texte, il faut le savoir et pourtant<br />

l'oublier pour le faire exister. C'est compliqué, c'est<br />

trouver une sorte d'état où l'on ne jugerait pas. Où l'on ne<br />

serait pas celui ou celle qui arrive là en sachant mieux, en<br />

ayant une meilleure morale, ou un meilleur point de vue<br />

politique.<br />

Et ça aussi, c'est difficile. Parce que bien sûr, on aurait<br />

tendance à se mettre du "bon côté", du côté de ceux qui<br />

tentent le tout pour le tout pour survivre et à stigmatiser<br />

les autres. Mais si dans le film cela devait finalement arriver,<br />

il faudrait que cela soit par des chemins qui échappent<br />

et involontaires. Mais de toute façon ce n'est pas ce<br />

qui m'intéresse dans un documentaire que de prendre<br />

parti, mais que quelque chose s'exprime dans toute sa<br />

complexité, quelque chose qui devrait alors entrer en<br />

résonance avec ce qui est là, le plus souvent enfoui, mais<br />

bien là, chez l'autre, le spectateur.<br />

Si je me laissais aller, je resterais là avec cet homme qui<br />

regarde par un petit trou de l'autre côté de la frontière. Et<br />

cette frontière là, ce mur, ces barbelés en rappelleraient<br />

bien d'autres. Je resterais là des heures, j'entendrais<br />

avec lui tous les échanges qui se font entre les "border<br />

19<br />

patrol" de l'autre côté, leurs rires, leurs petites discussions,<br />

leurs réflexions sur leur vie, la pluie et le beau<br />

temps, je verrais par le petit trou, quelqu'un sortir sa voiture<br />

du garage de l'autre côté, je verrais tout ça, et j'entendrais<br />

tout ça. Je verrais avec lui les lampes halogènes<br />

s'allumer quand la nuit tombe et emplir l'endroit où il se<br />

trouve d'une lumière forte. Et derrière lui, j'entendrais les<br />

voix et les bruits dans ce qu'il appelle chez lui. Rien<br />

qu'avec ça, on peut faire un film. Un film avec des images<br />

qui ne sont pas iconiques, et que l'on connaît pourtant ou<br />

reconnaît .Des gens enfermés, d'autres qui les gardent.<br />

Et pourtant ce n'est pas ça. Ce n'est pas une prison, ce<br />

n'est pas un camp. Ils ont un chez eux. Ils sont chez eux<br />

Mais ça y fait penser.<br />

Ce même homme après avoir attendu, sans jamais pouvoir<br />

passer, irait roder devant les hôtels trop cher pour<br />

lui. Il verrait y entrer des Mexicains plus riches que lui. À<br />

peine plus riches. Et qui ont le même désir que lui, mais<br />

s'y prennent autrement pour le réaliser, Si je me laissais<br />

aller, je resterais aussi devant ces cabines téléphoniques<br />

et je filmerais et enregistrerais, tout ce que ces gens<br />

disent à leur famille restée au village. Et l'on pourrait<br />

aussi s'y reconnaître...<br />

Si je me laissais aller, je rechercherais les noms de ces<br />

gens sans sépultures, morts dans le désert. Et aussi<br />

leurs traces. Et de qui, ils étaient le père ou la mère, le fils<br />

ou la fille. Et puis exactement où ils sont morts. Ça c'est<br />

sans doute le plus facile. Certains officiers de la "border<br />

patrol" se souviennent d'avoir trouvé ici ou là, des corps


ou ce qu'il en restait. Pour le reste rien que poser la question<br />

fait déjà exister le reste, et dit qu'il y a un reste. Et là<br />

aussi cette question, là, dans ce désert américain ou<br />

mexicain, fait penser à cette même question qui s'est<br />

posée et se pose encore dans d'autres endroits du<br />

monde, de notre monde contemporain.<br />

Si je me laissais aller, j'irais essayer de retrouver la mère<br />

du tout jeune homme que j'ai rencontré là, à Agua Prieta,<br />

et qui veut essayer de passer parce que ça fait des mois<br />

qu'il n'a pas reçu de ses nouvelles et que les lettres qu'il<br />

lui envoie lui reviennent Sa mère était arrivée à passer,<br />

elle avait traversé le désert, ils étaient soixante autres<br />

avec elle. Cinquante-huit sont passés, deux sont morts de<br />

soif dans le désert. Elle a fait quelques petits travaux sur<br />

la route. Elle a souvent dormi dehors. Elle a fini par arriver<br />

à Los Angeles. Elle a écrit, envoyé de l'argent, au bout<br />

d'un moment, les mandats et les lettres ne sont plus arrivés.<br />

Le jeune homme m'a raconté, qu'il a envoyé son<br />

oncle qui vit là bas pour essayer de la trouver et voilà plus<br />

ou moins ce que son oncle lui a raconté. Sa mère a été<br />

serveuse, un jour, elle n'est plus venue, Elle a été femme<br />

de ménage un jour, elle n'est plus venue. Les gens qui<br />

remployaient et qu'il est allé voir ne savaient pas grandchose<br />

d'elle et certainement pas où elle habitait. Un jour<br />

parce qu'il était tard, le mari l'a raccompagnée, mais au<br />

bout d'un moment, elle a demandé de sortir de la voiture.<br />

C'était devant un 7/11, un magasin d'alimentation.<br />

L'oncle a même demandé au 7/11, si on la connaissait. Il<br />

l'a décrite. On lui a répondu que, oui, elle venait de temps<br />

en temps pour acheter des cigarettes et des biscuits, par-<br />

20<br />

fois un peu de fromage. Elle n'achetait jamais que ça.<br />

L'homme qui a répondu s'en souvenait parce que lui et<br />

son collègue en riaient entre eux, ils se disaient, c'est<br />

pour des biscuits ou de fromage, elle n'achetait jamais les<br />

deux à la fois. Un jour elle a acheté de la bière, ils étaient<br />

tout surpris. Un jour, elle n'est plus venue. Et c'est là que<br />

la piste s'est arrêtée.<br />

Et je pense à cette femme. Perdue dans l'immensité de<br />

Los Angeles. Perdue tout court. Les conditions économiques<br />

font qu'il faut partir pour survivre. Mais que quand<br />

on part, on meurt aussi un peu.<br />

Ça je le sais. Un peu.<br />

Je pense à moi, à ma famille et aussi à ma femme de<br />

ménage qui vient des Philippines. Et qui a un frère qui vit<br />

en Californie. De lui, non plus, elle n'a plus de nouvelles<br />

et plus son adresse, II déménage tout le temps, me ditelle<br />

parce qu'il a peur de se faire prendre. Elle de son<br />

côté, a peur aussi, de tout. Il faut que ce soit moi qui remmène<br />

se faire une piqûre juste en face parce qu'elle a<br />

peur de se perdre. Elle habite à Paris depuis dix ans et<br />

elle se perd tout le temps. Elle ne connaît toujours pas le<br />

français. Alors dans mon sujet, il y a les faits que je vous<br />

ai expliqué dans mon premier texte et aussi ce qu'il y a<br />

derrière les faits. Et cela de tous les côtés. Et bien sûr<br />

aussi du côté américain.<br />

Et des fascistes et aussi des pauvres blancs qui sont pris<br />

dans ces discours fascistes dans le vide de leur vie et<br />

aussi dans la violence de ce vide. Eux aussi, ils me fasci-<br />

nent, je ne leur ai pas laissé de place dans Sud, on les sent<br />

en creux sans doute. Mais ici, je ne sais pas pourquoi, J'ai<br />

envie de les voir.De les voir traîner, eux aussi enfermés en<br />

quelque sort, enfermés dans leur pauvreté, dans leur rien,<br />

eux aussi un jour sont venus d'ailleurs où ils avaient des<br />

traditions, si pas une culture, U, ici, en Amérique, ils n'ont<br />

plus rien. Ils sont à nu dans leur brutalité même. Parfois<br />

s'ils ont de la chance, ils deviennent des border patrol,<br />

sinon, ils vont de-ci delà, traînent, reçoivent le "welfare ",<br />

ont plein d'enfants, vivent dans des caravanes, jouent avec<br />

leurs fusils, tuent parfois.<br />

Je pense aussi que si j'appelais ce film "We are being<br />

invaded" à la place de Sonora et que le film commence par<br />

cette photo, tout le reste du film en serait changé, rien que<br />

par ça. Mais je ne suis pas encore certaine que cela soit la<br />

meilleure idée. Si ça se trouve oui, peut-être, on verra,<br />

Et je voudrais aussi d'une manière ou d'une autre que la<br />

situation que j'ai décrite dans le premier texte soit dite, ou<br />

montrée, ou racontée. Par bribes ou fragments, bouts de<br />

lettres, par des voix off aussi peut-être, officielles ou officieuses.<br />

De face, simplement, ou par des détours. Oui, je<br />

voudrais dire cette situation vieille comme la monde.<br />

Chantal Akerman<br />

Note d'intention pour De l'autre côté, 2001<br />

21


ENTRETIEN<br />

Comment est né le projet ?<br />

J’avais lu un article sur ces ranchers qui chassent avec des<br />

magnums les " illégaux ", comme ils disent, à la frontière<br />

entre le Mexique et les Etats-Unis. Dans ce texte il y avait le<br />

mot " dirt ", saleté : " Ils amènent de la saleté ", et en lisant<br />

ce mot j’ai pensé " dirt, dirty, dirty jews ". Ces mots m'ont<br />

fait travailler sur l'histoire des Mexicains à partir de celle<br />

des Juifs. À travers ma longue histoire avec " dirty Jews ",<br />

je suis allé vers l'histoire d'un autre peuple. Donc c’est ce<br />

mot qui m’a décidé à partir, ça a été mon " drive " comme<br />

disent les Américains. Puis c’est devenu autre chose, bien<br />

sûr : quand je suis allé faire les repérages, l'endroit m'a<br />

paru visuellement si fort… C’était autre chose que la<br />

simple idée de la frontière. Je ne sais pas, par exemple, si<br />

j’aurais eu envie de filmer le mur de Berlin. Mais dans<br />

cette petite ville, avec ce mur, le soleil par-dessus et les<br />

enfants jouant à côté, c’était beaucoup plus qu’une frontière.<br />

D’Est et De l’autre côté sont aussi des installations.<br />

Comment les films sont-ils passés du cinéma au<br />

musée ?<br />

C’est une histoire compliquée. Pour D’Est, Kathy<br />

Halbreich du Museum of Fine Arts de Boston m'a demandé<br />

si je voulais faire quelque chose " dans les arts plastiques<br />

". Je lui ai dit que j’aimerais travailler sur l’Europe<br />

de l’Est et les frontières - depuis plus de vingt ans j'avais<br />

ce désir. Je ne pensais pas d’abord aux arts plastiques, j’ai<br />

accepté si on me laissait réaliser un film financé par le<br />

musée. Mais il n’y avait pas d'argent. J’ai alors écrit un<br />

texte que j’ai présenté en France, où le film a été produit.<br />

Je n’avais plus de nouvelles de Boston et ne pensais pas<br />

du tout à faire une installation lorsque, plusieurs mois<br />

après, le musée m’appelle : " On a l’argent " ! Alors j’ai<br />

22<br />

accepté de faire quelque chose. En travaillant, l’installation<br />

a pris forme et j’y ai trouvé un plaisir nouveau, je me<br />

suis passionnée pour l'élaboration du dispositif, la<br />

construction d'un espace. C’était très stimulant : l’émotion<br />

était là, aussi. L’installation a trouvé un certain écho<br />

critique, j’ai été contactée par une galerie à New-York qui<br />

m’a demandé autre chose, et j’ai alors eu l’idée de l’autoportrait<br />

qui a été montré à Paris pendant l'exposition<br />

"Voilà " du Musée d'Art Moderne. Et puis, il y a quatre<br />

ans, Catherine David m’a demandé un projet pour la<br />

Documenta, mais je n’avais pas le temps. Ensuite, un ami,<br />

Marc Nacht, m’a fait une nouvelle proposition pour la dernière<br />

Documenta et j’ai accepté. J’avais déjà l’idée de la<br />

dernière partie de l’installation et c’était la première fois<br />

que cela se présentait avant le film. Pour moi il y a eu une<br />

coupure – je ne sais pas si on peut dire que c’est une coupure<br />

épistémologique, mais il y a bien une coupure avec<br />

De l’autre côté.<br />

Et maintenant que De l’autre côté existe à la fois<br />

comme film et comme installation, comment<br />

voyez-vous le lien entre les deux formes ?<br />

L’un et l’autre sont différents. Ils sont nés presque en<br />

même temps alors que pour D’Est, l’installation suivait le<br />

film. C’est une nuance importante. Pour De l'autre côté,<br />

projeter la fin du film sur un grand écran, au milieu du<br />

désert, entre deux montagnes dont l’une est américaine<br />

et l’autre mexicaine, et refilmer cette fin pour l’envoyer,<br />

par internet, à la Documenta de Kassel, est une idée qui<br />

préexistait au film. Évidemment sans le film je n’aurais<br />

rien eu à projeter mais cette partie ne peut pas non plus<br />

en faire partie – c’est "a piece", comme ils disent en<br />

Amérique.<br />

Comment s’est passée la projection dans le<br />

désert?<br />

C’était très beau, paraît-il. Je n'ai pas pu y assister, mais<br />

j’avais donné toutes les indications de cadrage, ce qu’on<br />

devait voir : les montagnes, le désert à l’avant-plan et<br />

dans quelles proportions, etc. C’était très émouvant parce<br />

qu’ils sont restés là une nuit entière à filmer. Le son était<br />

assez fort, je pense que les gens habitant à proximité ont<br />

dû entendre. C’est la fin du film qui était projetée, quand<br />

je parle en français, et on l’avait aussi doublé en anglais<br />

et en espagnol. On commence par le noir et blanc, avec<br />

les fantômes qui passent, puis ce qui a été filmé à Los<br />

Angeles avec ma voix, les voitures. Donc des gens ont<br />

entendu cette histoire et même sans voir l’image, c’est le<br />

plus important. Les "border patrols" sont passées et ont<br />

entendu, aussi.<br />

Dans l’installation, on ne garde plus que 45 minutes de<br />

cet évènement. L’idée pour Kassel était d’envoyer les<br />

images par internet en direct, et pendant des heures et<br />

des heures il n’y avait que la nuit, on ne voyait que des<br />

points rouges et pas les deux montagnes. On entendait<br />

ma voix avec la musique de Monteverdi et puis aussi des<br />

mouches, les bruits du désert. Maintenant il y a le lever<br />

du jour avec l’écran qui devient blanc, parce qu’il y a trop<br />

de lumière. Les gens qui étaient là-bas pour filmer m'ont<br />

dit que c’était une expérience incroyable. Ils sont restés<br />

dans une caravane sans dormir à entendre ma voix dans<br />

le désert, avec cette musique...<br />

Dans De l'autre côté, chaque plan a une grande<br />

force, soit lumineuse, soit de cadrage, soit temporelle<br />

; chaque plan a une force physique différente<br />

et on a l'impression que, par cette autonomie des<br />

plans, l'idée de l''installation comme dispersion<br />

d'images est déjà présente, en puissance, dans le<br />

film...<br />

Ça dépend des parties. Pour D'Est, qui est plus abstrait,<br />

la partie centrale avec les 24 moniteurs était plus évidente<br />

visuellement que la partie centrale de De l'autre côté.<br />

L'installation commence par un moniteur, alors que D'Est<br />

s'ouvrait par le film en entier. Ça commence avec un<br />

moniteur où il y a ce qui sera projeté dans le désert et<br />

retransmis dans la dernière salle, 45 minutes du film ;<br />

dans la partie centrale, il y a 18 écrans, un peu comme<br />

dans l'installation D'Est. La retransmission de la projection<br />

se faisait sur un grand écran plasma, mais l'espace<br />

était trop petit, et parfois, quand les gens arrivaient,<br />

c'était tout noir, il y avait juste la voix. Il n'y avait pas d'espace<br />

pour que ça vive, ça ne respirait pas. Maintenant, si<br />

je devais le refaire, je projeterai, avec de l'espace.<br />

Entre toutes vos installations, il y a ces constantes<br />

dans la partie centrale : la frontalité des moniteurs,<br />

leur regroupement par deux ou trois, la possibilité<br />

de circuler entre eux, quelque chose<br />

23<br />

comme des unités de direction de mouvement<br />

entre les moniteurs regroupés, qui génèrent là<br />

aussi des effets physiques très forts, de glissement,<br />

de fuite... on s'approche d'un système.<br />

Oui, c'est dangereux... et maintenant je suis rentré dans<br />

une grande gallerie... Il est évident que de nouveau, je n'ai<br />

pas envie de trop me répéter si je continue à faire de l'art.<br />

Je ne sais pas exactement où je vais. Au départ, "faire de<br />

l'art" a été une sorte de libération par rapport au cinéma,<br />

une chose plus immédiate, une façon de faire "ici et maintenant".<br />

Je ne vais pas de nouveau me coincer, comme je<br />

m'étais coincée après Jeanne Dielman. Bien sûr, ce sont<br />

les questions qu'amènent à se poser les galleristes :<br />

comment est-ce que je vais me "positionner", est-ce que<br />

je vais toujours me répéter, je ne sais pas encore.<br />

Les documentaires et les installations vous permettent<br />

aussi d'aller jusqu'au bout de votre travail<br />

esthétique de cinéaste.<br />

Je voudrais que le spectateur éprouve une expérience<br />

physique par le temps utilisé dans chaque plan. Faire<br />

cette expérience physique que le temps se déroule en<br />

vous, que le temps du film rentre en vous. Le spectateur<br />

qui est face à ça, il a une expérience physique qui est lié<br />

aussi à une expérience émotionnelle, et pas uniquement<br />

mentale. C'est ce qui m'intéresse dans ces documentaires<br />

ou je suis parfois à la limite du supportable, dans<br />

certaines longueurs de plan. Cette limite, cet excès dans<br />

la durée, on la vit. Et puis tout à coup, on se dit non, c'est<br />

trop, c'est trop long, et un autre plan arrive, et on respire.<br />

On est soulagé pendant un certain temps, et puis de nouveau,<br />

le plan, on le voit, on regarde, on regarde et il commence<br />

à durer. Ce temps est à la fois celui des gens qui<br />

attendent dans les trois films - dans les files de D'Est, au<br />

bords des routes de Sud, devant la frontière de De l'autre<br />

côté - et le temps personnel du spectateur. C'est pour ça<br />

que les documentaires et les installations sont plus libres<br />

; dans une fiction, ça devient de plus en plus compliqué<br />

d'imposer ce type de durées. C'est pour ça que je fais ces<br />

documentaires et que je serai prête à laisser tomber la<br />

fiction pour continuer à le faire. Je préfère maintenant<br />

travailler avec le moins de gens possible et même tourner<br />

seule, ou en partie, et faire les choses sans m'en rendre<br />

compte. Je découvre en faisant, et c'est ce que j'aime<br />

maintenant : découvrir pendant que je fais, au tournage,<br />

au montage, et après que ça soit fini, encore.<br />

(à partir de propos recueillis par<br />

Mathias Lavin, Nathalie Joyeux, Fréderic Borgia et<br />

Cyril Béghin le 24 septembre 2002, à Paris)


TROIS PIÈCES<br />

pièce et "piece"<br />

"Une pièce-film" : c'est ainsi que Chantal Akerman a<br />

sous-titré son dernier opus, où elle montre la violoncelliste<br />

Sonia Wieder-Atherton jouant quelques-uns de ses<br />

morceaux favoris. Qu'est-ce qu'ici une "pièce-film" ?<br />

D'abord, une œuvre confondue avec le dispositif d'un<br />

espace clos, d'une pièce-studio, et dont le principal travail<br />

avec la musique est de nature spatiale : lorsqu'il<br />

s'agit de filmer Sonia Wieder-Atherton accompagnée au<br />

piano, un élément de décor en contre-jour vient surcadrer,<br />

par le double jeu d'une colonne et d'un portique, les<br />

deux interprètes, les séparant à l'intérieur du cadre en ce<br />

que l'on pense d'abord être deux images indépendantes,<br />

comme en un effet de split-screen. La continuité des<br />

ombres et des couleurs entre ces deux images nous fait<br />

bientôt comprendre qu'il s'agit d'une illusion : derrière la<br />

faille, la verticale noire, l'espace est continu et la musique<br />

se déploie d'une seule pièce, et dans une seule pièce.<br />

Pourtant le trouble demeure d'une séparation, d'un<br />

abîme insensé qui fracturerait la pièce, trouble lui-même<br />

réduit à chaque instant par les juxtapositions sonores,<br />

l'harmonie musicale. Et si la musique dénie ainsi le trou<br />

noir et le "rapiéçage" visuel, ça n'est pas sans être, à son<br />

tour, atteinte par un infime effet de dislocation, la<br />

conscience douce d'une autonomie de chaque interprète<br />

- comme si, malgré les cohérences réelles de la musique<br />

et de l'espace, chaque instrument résonnait obstinément<br />

seul, et que cette "solitude partenaire" rendue visible et<br />

bruissante, approfondissait l'événement de la musique<br />

par un feuilletage de son unité.<br />

"A piece", en anglais, peut désigner un fragment indivisible,<br />

un morceau autonome, comme le rappelle Chantal<br />

Akerman à propos de la dernière partie de son installation<br />

De l'autre côté. L'image de la projection, sur un<br />

grand écran dressé dans le désert mexicain, de la fin du<br />

film, constitue "a piece", dit-elle : une œuvre qui ne pourrait<br />

pas exister sans le film, mais qui ne s'y intègre pas.<br />

La pièce-film Avec Sonia Wieder-Atherton offre une<br />

métaphore sensible des effets de dispersion au fondement<br />

des installations D'Est et De l'autre côté, pour lesquelles<br />

un même dispositif général a été répété. Dans<br />

une première salle, on peut voir le film dans son intégra-<br />

24<br />

lité ; puis on traverse un ensemble de moniteurs rassemblés<br />

en triptyques, diffusant des images extraites du film,<br />

avant d'arriver dans un ultime espace où apparaît une<br />

seule image, accompagnée de la voix off de la réalisatrice<br />

- image de l'écran dressé dans le désert pour De<br />

l'autre côté, lent zoom avant sur une rue, la nuit, jusqu'à<br />

l'abstraction d'une simple intensité lumineuse, pour<br />

D'Est. Chaque fois, c'est le jeu des "piece" et des "pieces",<br />

de la dispersion et des autonomies, qui revisite l'objetfilm<br />

pour en dire la dislocation essentielle et en recréer<br />

toutes les puissances de mystère et de fascination.<br />

Le faux diptyque que forment Sonia Wieder-Atherton et la<br />

pianiste Imogen Cooper sous l'unité invisible de la<br />

musique, peut ainsi servir de modèle à la question qui<br />

travaille en profondeur l'œuvre de Chantal Akerman, et<br />

plus particulièrement sa "trilogie documentaire".<br />

Comment mettre côte à côte deux images pour qu'elles<br />

soient à la fois liées et autonomes ? Comment créer des<br />

diptyques ou des triptyques dont les parties ne racontent<br />

rien, mais entretiennent des rapports intenses ?<br />

Comment faire voisiner plusieurs figures sans que s'engagent<br />

immédiatement entre elles la fable d'un destin ou<br />

la tyrannie d'un fait ? Lorsque, à la fin de Sud, un lent et<br />

très long travelling arrière nous montre la route où a été<br />

traîné, attaché à une voiture, le corps de James Byrd Jr.,<br />

les cercles noirs tracés par la police pour repérer les<br />

morceaux du cadavre disloqué se succèdent en archipels,<br />

dans une dispersion d'autant plus horrible qu'elle paraît<br />

infinie, comme si toutes les routes du monde et toute la<br />

nature avaient recueilli des fragments matériels de cet<br />

événement soudain irracontable. À l'inverse du travelling<br />

arrière final de News from home (1971), où l'éloignement<br />

dans la baie de l'Hudson concentre progressivement en<br />

une seule silhouette l'île de Manhattan, le film ne s'achève<br />

pas sur le spectacle conclusif d'une cohésion et d'une<br />

incarnation, mais d'une dissémination radicale. Les morceaux<br />

du corps ne seront plus jamais rassemblés, et ce<br />

problème concerne le paysage dans son unité splendide.<br />

faits et sensations<br />

"Un jour quelqu'un viendra, qui sera capable de mettre<br />

plusieurs figures sur une même toile", a dit le peintre<br />

Francis Bacon, lui-même auteur de nombreuses œuvres<br />

en plusieurs volets ou panneaux. Commentant cette<br />

phrase, le philosophe Gilles Deleuze se demandait quels<br />

étaient alors les nouveaux rapports de ces figures à la fois<br />

"accouplées et distinctes", et les appelaient des "matters<br />

of fact", ce que nous traduirons par "états de fait", pour<br />

les opposer aux relations intelligibles d'objets ou d'idées<br />

. Aux faits articulés, dialectisés, chronologisés des documentaires<br />

classiques, D'Est, Sud et De l'autre côté opposent<br />

des états de fait : plans apparemment vides, sans<br />

actions, gagnés par des durées excessives, où brille la<br />

précision tranquille des jeux de lumière, des matières et<br />

des sons, tout un primat sensationnel des poussières,<br />

des neiges ou des soleils au milieu desquels les silhouettes<br />

humaines attendent et semblent constituer les<br />

bornes muettes d'une procession circulant autour d'événements<br />

jamais décrits : l'exil, le lynchage, le passage de<br />

la frontière. Lorsque des groupes sont montrés dans Sud,<br />

qui seraient rassemblés par une même activité - la prière<br />

à l'église, le travail forcé dans un champ - ils sont<br />

ramenés à une pure immanence par leur manière d'apparaître<br />

(tous les corps se dressant d'un bloc dans l'église,<br />

comme une apparition magique) ou par une association<br />

visuelle (les forçats habillés en blanc et les fleurs de<br />

coton dans un champ, ancien travail des esclaves). Dans<br />

D'Est, les gestes, les marches, les groupes sont, sous la<br />

grande réalité de l'exil, sans autre but apparent que la<br />

progression et l'attente - une progression qui attend. La<br />

vieille femme au sac rouge qui ouvre le long ballet des<br />

marches, suivie en travelling latéral au début du film,<br />

serait comme une figure de Giacometti la simple et pure<br />

ébauche d'une silhouette humaine enfin isolée et concentrée,<br />

le dos légèrement plié vers l'avant, sur l'exercice de<br />

son avancée. Dans De l'autre côté, la dispersion est celle<br />

qu'opère le no man's land du désert séparant le Mexique<br />

et les Etats-Unis, zone d'où le film fait progressivement<br />

émerger, dans la nuit, non des corps mais des zones de<br />

25<br />

lumière et des taches blanches, des fantômes allant seuls<br />

et ensembles, d'un côté et de l'autre, sans arrêt, dans le<br />

grand mouvement tournant de l'avant-dernière séquence<br />

qui montre la vue aérienne d'un défilé de figurines<br />

crayeuses.<br />

Depuis ses premiers films, mais plus particulièrement<br />

Jeanne Dielman, l'esthétique de Chantal Akerman a été<br />

associée à différents styles picturaux, théâtraux ou cinématographiques.<br />

Les états de fait ont ainsi été interprétés<br />

soit comme les signes d'un "hyperréalisme" froid (c'est la<br />

réalisatrice elle-même qui lança le terme au moment de<br />

la sortie de Jeanne Dielman), soit comme ceux d'une<br />

volonté de neutralité signifiante l'associant aux grands<br />

courants de la modernité cinématographique (litanies<br />

sans conséquence, listes des choses du monde), soit<br />

encore comme les influences de la performance, de la<br />

contrainte ou du "happening" artistique... Mais aucune de<br />

ces associations ne rendait compte d'une préoccupation<br />

constante de la réalisatrice pour le détail sensationnel de<br />

ses images et le triomphe de leur influence sur le spectateur,<br />

les effets physiques des perspectives et des plans<br />

longs, la "volupté" des ambiances sonores et des couleurs.<br />

"Je pense que c'est une sorte de film voluptueux, à<br />

cause des bruits, à cause des images, à cause des couleurs",<br />

a ainsi pu dire Chantal Akerman à propos de News<br />

from home , et elle cite dans de nombreux entretiens trois<br />

films initiateurs - La région centrale, de Michael Snow,<br />

The art of vision, de Stan Brakhage et Pierrot le fou, de<br />

Jean-Luc Godard - où, de manières très différentes, la<br />

sensation et non plus son expression, mais sa production<br />

chez le spectateur, est un souci fondamental.


Trois arbres<br />

Si les états de fait doivent être ramenés à leurs forces<br />

visuelles et sonores pures, en isolant la figure comme<br />

"piece" et en lui restituant ses puissances voluptueuses<br />

hors de toute situation et de tout jugement moral, c'est<br />

pour mieux les ouvrir ensuite à d'autres associations, à<br />

des possibilités plus vastes de productions d'émotions ou<br />

de sens tout en respectant leur nature historique, leur hic<br />

et nunc. Ainsi l'arbre gigantesque qui se balance au vent,<br />

seul sur le bord d'une route d'Allemagne dans le premier<br />

plan de D'Est, se trouve au cœur d'un système d'échos :<br />

un reflet dans la vitre ouverte de la fenêtre à travers<br />

laquelle il est cadré ; un arbuste d'intérieur qui, parce<br />

qu'il est à l'avant-plan, semble aussi droit et haut que lui<br />

; le bruit de quelques voitures qui se confond avec le<br />

bruissement des feuillages. Dans Sud, des arbres morts,<br />

blanchâtres, se dressent seuls au milieu de champs inondés<br />

de soleil, leurs branches tordues évoquant soudain de<br />

manière violente le poids des pendus, victimes d'autres<br />

lynchages, dans d'autres temps. Dans De l'autre côté, des<br />

arbustes lointains, balayés par un intense vent de sable<br />

qui nous les rend presque indiscernables, se balancent<br />

d'avant en arrière comme des silhouettes humaines ne<br />

parvenant plus à avancer, un peuple de fantômes clandestins<br />

répétant sa marche vaine.<br />

Ces trois apparitions d'arbres résument bien les extensions<br />

des états de fait et leurs fonctions essentielles.<br />

Comme dans le cas de la séparation des deux interprètes<br />

de Avec Sonia Wieder-Atherton, qui fait imperceptiblement<br />

"bruisser" la musique, l'état de fait est d'abord ce<br />

qui fait bruisser le plan : ce qui, en isolant les figures,<br />

concentre l'attention sur leurs différences de vitesses, de<br />

couleurs ou de lumières, et à partir des images les plus<br />

simples ou les plus vidées, recompose du pluriel - d'où<br />

aussi, à l'inverse de ce vidage, le goût d'Akerman pour les<br />

plans de foule, flagrant dans D'Est, mais trouvant aussi<br />

des expressions dans les deux autres films. Il faut que du<br />

fluent et du statique se confrontent pour pouvoir bruisser<br />

: des feuilles s'agitant sur la raideur des branches, des<br />

corps marchant sur les lignes droites de perspectives ou<br />

26<br />

sous des architectures impassibles, un son lointain et<br />

familier sur des images désertes. L'état de fait est ensuite<br />

ce qui reste, ou ce qui est resté d'une situation : un<br />

cadavre dispersé, un squelette d'arbre, une branche<br />

ployée, une expression vague sur le visage d'un témoin, le<br />

souvenir d'un film ou d'un livre, qui ne constituent pas<br />

seulement les ruines ou les traces d'un événement<br />

unique, mais aussi des signes toujours actifs, recyclables,<br />

disponibles, reliant des situations éloignées - ainsi les<br />

lampadaires le long de la frontière de De l'autre côté sont<br />

aussi les ruines impossibles de ceux des camps de la<br />

mort. Enfin, l'état de fait ouvre les images à d'autres possibilités<br />

de représentation que celles normalement autorisées<br />

par la reproduction analogique. Ces hallucinations<br />

- De l'autre côté se termine précisément sur ce mot -<br />

arrivent doucement, avec les durées des plans ou avec les<br />

raccords, et si elles ne sont que rarement spectaculaires,<br />

elles sont en réserves de toutes les images comme un<br />

vaste fond qui les excède. C'est l'indiscernable au fond<br />

des perspectives, le battement d'une lumière invisible au<br />

bord du cadre, des confusions de lignes et de tâches dans<br />

un plan noir, le zoom avant vers la pure lumière de la dernière<br />

salle de l'installation D'Est.<br />

Ainsi l'autonomie des figures est toujours, dans les films<br />

de la trilogie, l'outil d'une volupté et d'une désolation.<br />

Volupté des évènements sensationnels, désolation de ce<br />

qui va seul : hommes abandonnés parmi les hommes,<br />

errant, s'affirmant comme des fantômes victimes de violences<br />

historiques, au bord de la représentation et en<br />

même temps investi de toutes ses puissances. Et dans les<br />

installations, les films dispersés deviennent eux-mêmes<br />

des "matters of fact", les images séparées errant à leur<br />

tour au gré des associations d'écrans et des déambulations<br />

des spectateurs, comme pour dire l'infini travail du<br />

bruissement et des ouvertures - rien ne sera donc jamais<br />

clos, dans le jeu des pièces et des films.<br />

Cyril Béghin


D’EST<br />

Un film de Chantal Akerman<br />

16 mm – couleur – 1/33 – 110 min. – 1993 –<br />

visa n° 81.767<br />

réalisation Chantal Akerman<br />

image Raymond FROMONT<br />

Bernard DELVILLE<br />

son Pierre MERTENS<br />

Didier PECHEUR<br />

montage Claire ATHERTON<br />

mixage Thomas GAUDER<br />

direction de production Simon ZALESKI<br />

Helena VAN DANZIG<br />

Marilyn WATELET<br />

une coproduction La Sept/ARTE<br />

RTBF<br />

RTP<br />

Paradise films<br />

Lieurac productions<br />

producteur délégué FrançoiS BAYON<br />

production exécutive Marilyn WATELET<br />

Résumé<br />

Chantal Akerman a fait un grand voyage à travers l’Europe de<br />

l’Est, la Russie, la Pologne, l’Ukraine, filmant tout ce qui la touchait<br />

: des visages, des rues, des voitures, des bus, des intérieurs,<br />

des queues, des portes, des fenêtres, des repas, des<br />

hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, qui passent ou<br />

qui s’arrêtent, assis ou debout. Des jours et des nuits, la pluie, la<br />

neige et le vent, l’hiver et le printemps.<br />

Chantal Akerman a filmé tout,<br />

" …pendant qu’il en est encore temps ".<br />

31<br />

SUD<br />

Un film de Chantal Akerman<br />

Vidéo – couleur – 4/3 ?? – 70 min. – 1999 –<br />

visa n° 97.470<br />

réalisation Chantal Akerman<br />

image Raymond Fromont<br />

son Thierry de Halleux<br />

montage Claire Atherton<br />

mixage Anna Louis<br />

direction de production Elisabeth Marliangeas<br />

une coproduction AMIP<br />

Paradise films<br />

Chemah I.S.<br />

INA<br />

en association avec de ARTE France - RTBF - YLE<br />

avec la participation de CNC - PROCIREP - DIA Centers<br />

for the ARTS - Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la<br />

Communauté Française - Programme MEDIA de l’Union<br />

Européenne - SOROS Documentary Fund<br />

producteur délégué Xavier Carniaux<br />

production exécutive AMIP<br />

Résumé<br />

Ce film heurté, hétérogène tourné dans le sud des Etats-Unis<br />

est sans doute pourtant, à sa manière, à la fois un écho et un<br />

contrepoint à un autre film tourné par Chantal Akerman au<br />

début des années 90 en Europe de l’Est : c’est lui aussi un voyage,<br />

mais dans un été chaud et humide qui fait parfois perdre la<br />

tête.<br />

Au cœur de ce voyage, et hanté par lui, il y a le meurtre de James<br />

Byrd Jr. Ce film n’est pas l’autopsie de ce meurtre, du lynchage<br />

d’un noir par trois blancs, mais plutôt comment celui-ci vient<br />

s’inscrire dans un paysage tant mental que physique.<br />

Comment le silence peut soudain paraître lourd et plein de<br />

menace ?<br />

Comment les arbres et la nature tout entière peuvent soudain<br />

évoquer la mort, le sang, la grande et la petite histoire ?<br />

Comment le présent évoque le passé ?<br />

Comment ce passé peut par bouffées venir vous hanter au<br />

détour d’un champs de coton vide, d’une route, d’un geste ou<br />

d’un regard ?


DE L'AUTRE CÔTÉ<br />

Un film de Chantal akerman<br />

35 mm – couleur – 1/85 – dolby SR – 90 min. – 2002 –<br />

visa n° 104.658<br />

réalisation Chantal Akerman<br />

image Raymond FROMONT<br />

Robert FENZ<br />

Chantal AKERMAN<br />

son Pierre MERTENS<br />

assistant à la réalisation Robert FENZ<br />

Claudia ROSAS BOCARDO<br />

Ricardo "Tato" PARILLA<br />

montage Claire ATHERTON<br />

assistant monteur Fabio BALDUCCI<br />

mixage Eric LESACHET<br />

conformation étalonnage Guillermo FERNANDEZ<br />

direction de production Elisabeth GERARD<br />

une coproduction AMIP<br />

producteur délégué Xavier CARNIAUX<br />

Élisabeth MARLIANGEAS<br />

Résumé<br />

On n'arrête pas quelqu'un qui a faim. Mais on en a peur. Peur de<br />

l'autre, peur de la souillure, peur des maladies qu'il peut apporter<br />

avec lui. Peur d'être envahi.<br />

Mais on n'a pas peur de le tuer.<br />

En s'attachant aux ressortissants mexicains traqués continuellement<br />

par les services de l'immigration américaine, alors qu'ils<br />

tentent d'échapper à la misère de leur pays pour se retrouver,<br />

parias déportés et exploités, Chantal Akerman réalise avec De<br />

l'autre côté, un documentaire poignant, dernier volet d'un triptyque<br />

commencé avec D'EST (1993) et SUD (1999).<br />

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