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LA TOUSSUIRE LYCEE TURGOT, PCSI JANVIER ... - Alexis Gryson

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<strong>LA</strong> <strong>TOUSSUIRE</strong><br />

<strong>LYCEE</strong> <strong>TURGOT</strong>, <strong>PCSI</strong><br />

<strong>JANVIER</strong> 2011<br />

DISCOURS PATRONYMIQUE<br />

LE BLUES DU DEPART<br />

Chartres, dimanche 2 janvier, cinq heures du matin.<br />

Dans le coton, loin, là-bas : tut ! tut ! tut !<br />

Le gai robot qui me sert de réveil me met les nerfs à vif, avec ses prétendus doux<br />

coups, répétés, confinés, rauques, qui résonnent comme un banjo enroué dans l’amer<br />

ensemble strident des tsing ! tsing ! tsing ! tsing ! tsing !<br />

Avec mon coude ergonomique, je ferais bien la guerre au sacré objet, prétendument<br />

gai, d’idiot en fait, qui retentit si près de moi, en le faisant valser joliment…<br />

Mais je n’en veux guère au destin… alors : hé ! là ! zou ! zigotote ! debout ! tu n’avais<br />

qu’à éviter la faute saugrenue d’accepter de partir à la Toussuire, si tu ne voulais pas te<br />

lever si tôt. D’ailleurs, soyons franc et logique, je ne suis pas dupe : on sait bien que cette<br />

semaine, même si elle commence dans le petit matin gris, zombie, difficile, des lendemains<br />

de Nouvel An, laissera des souvenirs indélébiles.<br />

Je tangue, mais me voilà partie vers ce car improbable, arrêté à une gare<br />

indescriptible, devant Turgot, en plein sur la route, geôle ignoble et grégaire, naïf abri de<br />

quarante têtes qui le squattent, charmantes, studieusement penchées sur leurs cours de<br />

français, lus et relus, écornés, listés, annotés, travaillés sans fin. Il faut dire qu’ils les<br />

connaissent par cœur, mais préfèrent les réviser avant le DS du lendemain.<br />

Le car démarre, nous voilà partis pour cette promenade riante qui nous emporte,<br />

bien loin du Berry ondulant de collines, ce Berry cher à nos grands-mères.<br />

Demain, mes chers élèves s’élanceront sur les pentes enneigées, et je regarderai le<br />

violet des combinaisons extraverties des uns, ou le look aride des autres, leurs visages<br />

tannés par le soleil et les nombreux et lents gadins, ceux-là même qui permettent d’entrer<br />

progressivement dans le clan chèrement gagné des apprentis skieurs, puis des<br />

connaisseurs. Plus tard, ils entreront dans la secte nec plus ultra des cumulards, skieurs<br />

confirmés, collectionnant les médailles, ivres de poudreuse, magnifiques quand ils dansent<br />

sur les pistes cette fière, hautaine bergamasque, l’âme addictive, rivée au paradis opalescent<br />

de la neige — car, qu’est-ce que la neige ? de l’eau, au départ, cristallisée par ce froid filou,<br />

car ridant les peaux des hommes et de la terre, mais divin, quand il fabrique et transmute en<br />

dix opérations alchimiques l’eau en la meringue suprême !<br />

Ils lui imprimeront le rythme souple et balancé de la godille, dans la fraîche ou sur le<br />

fatal verglas, où zigzaguent et bruissent les cares — du moins lorsque les fixations tiennent,<br />

sans finir en malheureux écrous écrasés sur le bord des pistes, comme de pauvres cosses,<br />

tardives et abandonnées — les cosses et les fanes d’un matériel défectueux. Petits esprits de


la montagne, ils tenteront des sauts, djinns ou farfadets, et s’élanceront gracieusement dans<br />

les airs, expérimentant, qui, l’effet vrille, qui l’acrobatie du pont renversé, qui le coup de la<br />

pagaie dix dimensions, tentant de résister aux lois physiques, causes éléphantesques, qui<br />

nous font tous malheureusement atterrir comme des pachydermes à la corne lissée,<br />

lourdement, la langue à deux mètres, voire tomber, comme des vioques, sur la route, en<br />

bergamote (euh, pardon, en caramel !), puis rouler-bouler, fakirs malheureux, moins<br />

élégants encore qu’une mule à skis. Là, l’ange aux ailes légères n’est plus qu’un tas informe,<br />

et, pour un peu… boum ! on fe manve la neive ou les fkis ! On reste alors éperdu, on grimace,<br />

le coco nébuleux, à cause d’la neige hyper riche qu’on a partout. On s’ébroue, on fait le<br />

ménage ; on récupère par terre son forfait perdu ou son portable, on les range aussi<br />

soigneusement que possible dans leur étui, chaudement rentré dans son blouson ; on soigne<br />

son petit corps meurtri et on repart vaillamment vers les cimes — ou vers le sympathique<br />

magasin de location, avec son tutélaire ange au sourire légendaire.<br />

Il faut dire que l’enjeu est de taille, puisqu’à l’équipée montagnarde s’ajoute cette<br />

année une promenade rimante et que toute expérience de la journée peut donner lieu au<br />

meilleur des haïkus. Les voilà qui emmagasinent les idées, les empochent, les grèguent, —<br />

hoirs (c’est-à-dire héritiers) nouveaux des antiques aèdes ou des fragiles ménestrels<br />

médiévaux. Ils comptent les syllabes, mettent une barre à neuf pieds, manient le<br />

pentasyllabe à tu et à toi, et déclament des heptasyllabes à tue-tête dans la montagne<br />

attentive.<br />

Ô vision de rêve, d’une troupe exerçant son corps et son esprit… douce pensée qui<br />

me berce… mais ne suis-je pas en train d’anticiper ? Voyage, seras-tu conforme aux attentes<br />

de mon âme, additionnant les rêveries ? Tsing ! tsing ! mais qu’entends-je ? tsing ! tsing !<br />

tsing ! cinq coups, c’est l’heure, il faut se lever,<br />

Les petits m’attendent<br />

Il faut qu’au car je me rende<br />

Pour la bise fendre<br />

Chartres, dimanche 2 janvier, cinq heures du matin.

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