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ESTA-France Bulletin n°13 Décembre 2003

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• Editorial, Michel Strauss, page 2<br />

• Impressions, Catherine Toulouse-Delpeuch, page 3<br />

• Beethoven, Rodolphe Kreutzer et la révolution française, Antonio Pellegrini, page 4<br />

• Association Paul Bazelaire, page 11<br />

• la Vie Secrète des Harmoniques, Caroline Bosanquet, page 12<br />

• le Style Classique en <strong>France</strong>, Gérard Geay, page 16<br />

• Scandinavian Strings, page 22<br />

• l’Assemblée Générale du 11 novembre <strong>2003</strong>, Frédérique Rouzeau, page 23<br />

• Voyage au Bout de l’Archet, entretien avec Gilles Apap, Nathalie Wizun, page 24<br />

• Association l’Ame, page 27<br />

• Congrès <strong>ESTA</strong>-International Rotterdam 2004, page 28<br />

• Coups de Coeur, Valérie Girbal, page 30<br />

• Aspects du Paris musical de 1890 à 1940, Michel Faure, page 31<br />

• <strong>Bulletin</strong> d’adhésion 2004, page 40<br />

<strong>ESTA</strong>-<strong>France</strong><br />

<strong>Bulletin</strong> <strong>n°13</strong><br />

<strong>Décembre</strong> <strong>2003</strong><br />

SOMMAIRE<br />

1


2<br />

Six mois ont déjà passé depuis notre congrès<br />

parisien, et, bien franchement, notre formidable<br />

équipe qui a travaillé d'arrache pied sur ce projet<br />

pendant plus d'une année a eu besoin de ces six mois<br />

pour refaire surface.<br />

Ce congrès a été un véritable succès, sur tous les<br />

plans.<br />

Organisationnel tout d'abord:<br />

• la qualité d'accueil,<br />

• le lieu du congrès - le CNSMDP et ses salles<br />

publiques, ainsi qu'une partie de son<br />

personnel.<br />

• la qualité de la brochure de présentation,<br />

• les interventions de toutes sortes: historiques,<br />

techniques, artistiques, lutherie, archèterie,<br />

les stands divers,<br />

• les concerts et les soirées "in" et "out", dont la<br />

fameuse soirée sur la péniche avec le groupe<br />

HORA,<br />

• l'ensemble des jeunes étudiants musiciens<br />

ayant joué au cours des interventions et<br />

conférences.<br />

• enfin, et ce n'est pas le moins, l'équilibre<br />

financier de notre entreprise, obtenue grâce<br />

aux sages conseils de notre trésorière.<br />

Plus de 300 congressistes furent présents durant<br />

cette semaine, et le temps fut idyllique: ensoleillé,<br />

chaud, un superbe printemps parisien.<br />

Des contacts importants furent noués ou renoués.<br />

Des délégations palestiniennes et israéliennes étaient<br />

présentes pour la première fois, avec la ferme<br />

intention de créer des sections <strong>ESTA</strong> à leur retour au<br />

Moyen- Orient. N'oublions pas que notre congrès se<br />

déroulait au moment même de l'intervention en Irak,<br />

et ces évènements n'étaient bien entendu pas de<br />

nature à favoriser les déplacements internationaux et<br />

donc la venue des congressistes.<br />

Nous avons pu écouter les points de vue de nos amis<br />

présidents et secrétaires, représentant l'ensemble des<br />

délégations et avons pu constater le désir d'une plus<br />

grande professionnalisation dans le travail de notre<br />

organisation. Nous devons formuler des demandes<br />

de subventions auprès de nos ministères respectifs<br />

pour pouvoir aider notre travail, et le bureau<br />

international doit faire de même vis-à-vis des<br />

instances européennes. En effet, nous sommes bien<br />

conscients qu'une bonne partie des sections n'a pas<br />

les moyens financiers d'organiser par exemple un<br />

congrès, ou tout simplement une rencontre<br />

internationale, en raison ou de sa taille, ou de sa<br />

situation économique.<br />

Quant aux travaux, une partie d'entre nous a<br />

souhaité rééquilibrer les pôles d'intérêts de nos<br />

Editorial<br />

sections. Jusqu'à présent, la plupart des interventions<br />

et contributions de nos membres concernaient les<br />

premières années d'apprentissage de l'instrument.<br />

Sur ce plan, de très importants progrès ont été<br />

réalisés, et nombreux sont nos amis et collègues qui<br />

ont vu leur horizon pédagogique s'enrichir et<br />

s'élargir au vu des contributions de nos collègues<br />

européens.<br />

Le travail en direction de la formation<br />

professionnelle semble en retard par rapport à nos<br />

contributions vis-à-vis de l'enseignement des<br />

enfants. Il en va de même quant à l'insertion<br />

professionnelle des jeunes instrumentistes sur le plan<br />

européen. Les délégués ont souhaité que le bureau<br />

international rationalise plus son travail et puisse<br />

mettre sur pied des groupes de réflexion sur ces<br />

différents thèmes.<br />

Des possibilités de travail en commun avec d'autres<br />

associations européennes ont été abordées, comme,<br />

par exemple, avec l'A.E.C. (Association Européenne<br />

des Conservatoires). Nous devons réaliser qu'une<br />

organisation de 5 ou 6000 membres représente une<br />

force non négligeable sur le plan européen, que ce<br />

soit sur le plan de la réflexion, des propositions ou<br />

même de l'action.<br />

Nous avons ainsi particulièrement apprécié la<br />

journée organisée par Jean TABOURET sur les<br />

échanges européens, la déclaration de Bologne et les<br />

autres véritables enjeux de la réalité musicale<br />

d'aujourd'hui: équivalence des diplômes, circulation<br />

des étudiants au sein de la communauté européenne,<br />

insertion professionnelle dans les différents pays de<br />

l'union. Ces enjeux sont fondamentaux, et <strong>ESTA</strong> se<br />

doit de participer à la réflexion et aux travaux de ces<br />

commissions.<br />

Ainsi, notre congrès fut parisien certes, mais surtout<br />

européen, et nous nous en félicitons.<br />

Nous ne pouvons pas terminer cet éditorial sans<br />

parler des mouvements sociaux qui traversent<br />

actuellement notre profession. La réforme du statut<br />

des intermittents du spectacle menace et précarise<br />

une importante partie des artistes. Ce statut fait<br />

partie de l'exception culturelle française, et nous<br />

devons nous mobiliser pour le défendre. Ce n'est<br />

certainement pas de gaieté de cœur qu'une partie de<br />

nos collègues sont intervenus pour interrompre une<br />

partie des festivals de l'été. Ils savent que les<br />

festivals sont leurs instruments de travail, mais ils<br />

ont également conscience que seule une mobilisation<br />

forte avec des effets directs sur la diffusion pourra<br />

pousser les pouvoirs publics ainsi que le MEDEF, à<br />

corriger leur copie quant au système d'indemnisation<br />

de la profession.<br />

Michel STRAUSS, président d’<strong>ESTA</strong>-<strong>France</strong>.


Réunir tous ceux qui, concernés dans leur travail par la même réalité, cherchent des réponses aux questions<br />

qu'ils se posent, c'est l'objectif d'un congrès international <strong>ESTA</strong>.<br />

Pendant 5 jours, on a vu se rencontrer des mondes qui ont souvent tendance à s'opposer : musicologues<br />

(Michel Faure, Myriam Chimènes, Gérard Geay) et musiciens (Thierry Barbé, M.Strauss, E.Zoubritski,<br />

A.Tamestit, le quatuor Castagneri) - on a même écouté des musicologues-musiciens (A.Pellegrini et J.<br />

Schröder) passer du rétro-projecteur au violon, des inventaires de bibliothèque à l'archet. On a vu des<br />

compositeurs se préoccuper des difficultés des jeunes apprenants en musique (T.Vaillant, T.Masson,<br />

C.H. Joubert) et chercher par la diversité de leurs pièces à enrichir le répertoire (très belle pièce composite<br />

de T.Vaillant pour un orchestre de 50 contrebasses du niveau débutant au professeur du CNSM);<br />

C.H. Joubert allant même jusqu'à proposer à l'interprète d'être lui-même compositeur, musicien complet<br />

en somme!<br />

Au diable les classifications étriquées : ici, les générations se mêlent et aux apprentis violonistes de banlieue<br />

parisienne de Laure Willmann succèdent l'école d'excellence de R.Papavrami ou encore les jeunes<br />

sélectionnés pour le concours <strong>ESTA</strong> de l'étudiant de l'année sans oublier les violonistes du Scandinavian<br />

Strings d'E. Bogren.<br />

Les archetiers (représentés ici par J.F. Raffin) de tous pays associés pour la replantation du pernambouc<br />

au Brésil croisent les expériences de lutherie de Gildas Bellégo à partir de fibre de verre. B. Sabatier, à<br />

l'encontre de la tradition de symétrie, prône l'asymétrie pour ses petits altos destinés aux enfants.<br />

Les férus de musique ancienne (J.Schröder) rencontrent les modernes (A.Tamestit).<br />

Quant à Mikulas Jelinek qui prend la parole au nom de la Slovaquie, il démontre l'importance de l'Europe<br />

Centrale dans le développement des instruments à cordes, non pas au nom d'un nationalisme étroit ou la<br />

description d'une quelconque école nationale mais plutôt comme d'un éternel creuset, mélange d'influences<br />

croisées entre professeurs, élèves, virtuoses toujours vagabonds de Moscou à Prague en passant par<br />

Bucarest, Vienne, Budapest ou Bratislava.<br />

Les acteurs reconnus du système (professeurs du CNSM et d'autres grandes écoles européennes, directeur<br />

de CEFEDEM) acceptent de prendre du temps avec une association de professeurs-chercheurs de<br />

terrain, anonymes, qui tentent ça et là et loin de tout corporatisme, des expériences musicales et pédagogiques<br />

multiples (je pense évidemment au travail fantastique de Valérie Girbal à Amiens mais il faudrait<br />

aussi parler par exemple des expériences passionnantes de Reine Brigitte Sulem à Cannes ou de Lionel<br />

Michel à Clermont-Ferrand... ).<br />

Au coeur de cette dialectique, une expérience formidable : celle d'un échange entre deux enseignantes de<br />

violon : l'une anglaise, l'autre française. Elles ont pris le temps d'aller observer la vie de leur collègue<br />

pendant une semaine. C'est donc la française qui explique ce qu'elle a vu du système anglais et viceversa.<br />

Ce double regard fait sauter bien des a priori et des généralisations hâtives. On a, en entendant cela, l'envie<br />

immédiate de renouveler l'expérience en Allemagne, aux Pays-Bas, en Hongrie etc. Envie de faire<br />

enfin vraiment connaissance, de parler parfaitement l'anglais mais aussi le suédois, l'allemand ou l'italien<br />

et j'en passe.<br />

A l'heure où, comme l'a expliqué P.Barrois, les échanges d'orchestres de jeunes se multiplient, on rêve de<br />

jumelages intensifs entre écoles de musique.<br />

Enfin, il y a la pause café où dans l'ombre se dépense sans compter le trio de choc, les trois organisatrices<br />

infatigables et passionnées : Frédérique Rouzeau, son portable à la main, Charlotte Klingenberg qui<br />

veille à la caisse, traduit l'allemand et Valérie Girbal qui connaît tout le monde et répond en souriant à<br />

chacun.<br />

C'est là, à la pause café, et au hasard des rencontres qu'on bénéficie de l'ultime point de vue : celui<br />

d'Israël, de Palestine ou du Québec sur notre vieille Europe, ses certitudes et ses conservatismes. Le<br />

doute s'installe alors définitivement et l'impérieuse nécessité de chercher réapparaît plus forte encore<br />

qu'au premier jour. Sans école nationale clairement identifiée ni voie royale ni système à envier, on repart<br />

expérimenter encore, mais cette fois avec sous le bras la liste des participants de ... 22 pays !<br />

Catherine Toulouse-Delpeuch<br />

IMPRESSIONS ...<br />

3


4<br />

Beethoven, Rodolphe Kreutzer et la Révolution Française<br />

Antonio PELLEGRINI<br />

conférence donnée lors du congrès d’<strong>ESTA</strong> d’avril <strong>2003</strong><br />

Que savons-nous de la relation entre les deux musiciens ? Nous savons que<br />

Beethoven dédia sa sonate pour violon opus 47 en la majeur à ce violoniste que nous<br />

connaissons comme compositeur des 42 études, autant appréciées par les professeurs<br />

que redoutées par les élèves.<br />

Nous ignorons en général que Beethoven, pendant la période importante aux<br />

alentours de 1798 où il se forgea son propre langage musical, avait des « échanges<br />

directs par sa rencontre avec le comte Jean-Baptiste Bernadotte, l’ambassadeur de la<br />

république Française, dans la suite duquel se trouvait le violoniste Rodolphe Kreutzer<br />

(1766–1831), par lequel Beethoven prit, de première source, connaissance de la<br />

musique révolutionnaire Française et de son impact sur les masses, ce qui le marqua à<br />

jamais 1 . » Les deux hommes partagèrent un même enthousiasme pour les événements<br />

et idéaux de la Révolution Française. « Dans la première symphonie que le public<br />

découvrit deux ans plus tard, le vent de la révolution semble vous souffler autour des<br />

oreilles. 1 » Kreutzer avait 32 ans lors de leur rencontre, Beethoven en avait 28.<br />

Peter Gülke démontre dans son livre 2 sur la 5ème symphonie que quelques<br />

éléments mélodiques provenant de chansons révolutionnaires inspirèrent tout<br />

particulièrement Beethoven. Il ne les cite jamais directement mais compose dans cette<br />

manière. Les exemples suivants n’ont pas pour objectif de prouver que Beethoven fit<br />

des emprunts pour la composition de la Cinquième. Même si cela s’était produit, cela<br />

aurait moins d’importance que le fait qu’il composa dans l’esprit et le style de la musique<br />

révolutionnaire française qu’il transposa dans le domaine symphonique. Des indices<br />

dans la première symphonie laissent penser que Beethoven connut par le biais de<br />

l’Ambassade de <strong>France</strong> le « Magazine de Musique » où il trouva plusieurs chants<br />

révolutionnaires.<br />

L’accord parfait montant et son retour par degrés conjoints vers la tonique qui<br />

ouvre le mouvement final de la Cinquième est caractéristique et fréquent dans ce<br />

répertoire français, à l’exemple d’un Hymne à la Liberté de François Joseph Gossec de<br />

1792 écrit dans une rythmique dansante et détendue. Plus proche de Beethoven est un<br />

Hymne à la Victoire d’Adrien Lacombe l’Aîné. Il s’agit d’une tournure mélodique<br />

diatonique « primaire » que nous retrouvons souvent bien avant. Beethoven s’en servit<br />

avant la Cinquième avec des intentions bien différentes, avec un caractère « con brio »<br />

dans la coda du thème principal du premier mouvement de la première Symphonie<br />

(mesure 33 et suivantes), comme thème principal du Concerto pour piano en ut mineur<br />

et comme thème en majeur dans l’Eroica (mesures 69 et suite).<br />

Arnold Schmitz, le premier à attirer l’attention sur les faits sus-mentionnés,<br />

découvrit une ressemblance inouïe entre le début de la cinquième Symphonie et<br />

« l’Hymne du Panthéon » de Cherubini. L’engrenage rythmique des parties à partir de la<br />

mesure 5 ainsi que les quatre mesures à l’unisson avec leurs points d’arrêt font presque<br />

office de modèle pour la Cinquième.<br />

Pour revenir à Kreutzer :<br />

Dans le livre de Georg Knepler 3 « Musikgeschichte des 19. Jahrhunderts » nous<br />

lisons que Kreutzer informa Beethoven à plusieurs reprises des évolutions techniques


concernant les instruments à cordes et surtout l’archet Tourte. Nous pouvons aussi voir<br />

que pour ses propres compositions, il s’inspira d’œuvres de Kreutzer écrites à l’occasion<br />

de divers événements de la révolution française : la première Symphonie par exemple.<br />

Le constat que Beethoven utilisait des éléments du style de la musique<br />

révolutionnaire française n’est pas récent. Arnold Schmitz cite des critiques<br />

contemporains à qui ce fait n’avait pas échappé et lui-même prouve des influences<br />

directes par des face à face très convaincants. Ainsi, entre la première Symphonie de<br />

Beethoven et le thème de l’Ouverture de la Journée de Marathon de Kreutzer, il attire<br />

l’attention sur la ressemblance rythmique et mélodique, le caractère de signal et la<br />

reprise de la phrase principale au deuxième degré. Cette ouverture faisait partie de la<br />

9ème livraison du « Magazine de Musique » de l’année 1795/1796 ce qui confirme la<br />

supposition que Kreutzer en remit des exemplaires à Beethoven. Ce périodique publiait<br />

les plus récentes œuvres de compositeurs français.<br />

En 1781 le violoniste Giovanni Battista Viotti (1755–1824) arriva à Paris et eut un<br />

énorme succès avec son jeu. Il y rencontra François Tourte (1747–1835), surnommé le<br />

Stradivarius de l’archet, et le conseilla dans ses recherches autour de l’archet. Il est fort<br />

probable qu’il reçut des suggestions décisives de Viotti pour trouver la nouvelle forme de<br />

l’archet, car l’exigence de modifications sur l’archet venait forcément de violonistes<br />

jouant dans le nouveau style, arrivant à la limite des possibilités de l’ancienne<br />

conception. Tourte augmenta le nombre de crins à 200, ce qui n’a pas changé depuis.<br />

Les modifications portent sur la répartition du poids, la puissance et la souplesse, la<br />

résistance et l’élasticité, cet équilibre entre un certain poids et une quasi apesanteur qui<br />

permet le jeu virtuose dans le sens moderne. Ce nouveau style de jeu du violon propagé<br />

par Viotti était caractérisé comme plein d’ardeur, d’audace, pathétique et sublime. Il fut<br />

adopté par le Conservatoire de Paris où Viotti enseignait et devint l’expression idéale de<br />

son époque. Il n’y eut plus de modifications sur l’archet depuis. Il sert à interpréter les<br />

œuvres de tous les compositeurs depuis l’an 1800 environ. Les changements sur l’archet<br />

précédèrent les modifications sur l’instrument qui vinrent un peu plus tardivement.<br />

Inspirés par Viotti, trois de ses confrères au Conservatoire, Kreutzer, Baillot et Rode<br />

exploitèrent les possibilités de ce nouveau type d’archet.<br />

La musique avait quitté les cours avec la révolution française. Un public plus<br />

nombreux de citoyens voulut écouter des concerts. On avait besoin de salles plus<br />

grandes. Les nouvelles formes de musique symphonique avec leur orchestre plus grand<br />

nécessitèrent plus de puissance sonore du violon, ce qui correspondait au nouveau<br />

style.<br />

La musique de chambre aussi était concernée par le nouveau style. Un exemple<br />

probant est la sonate que Beethoven dédia « al suo amico Kreutzer ». Je cite librement<br />

le travail de Owen Jander 4 sur le dialogue dans la Sonate à Kreutzer (Early Music février<br />

1988). La sonate à Kreutzer op. 47 fut achevée en 1803 et créée en mai de la même<br />

année. Le dernier mouvement fut composé l’année précédente comme mouvement final<br />

de la Sonate op. 30 n°1, en la majeur elle aussi. Il lui parut un peu trop brillant pour la<br />

première sonate de caractère plutôt serein et il composa un allegretto con variazioni<br />

pour terminer l’op. 30 n° 1. Il reprit le presto l’année suivante et composa un premier<br />

suivi d’un deuxième mouvement d’une telle fougue et d’une telle durée que le presto en<br />

6/8 acheva cette nouvelle œuvre de manière très réjouissante. Ce mouvement fut donc<br />

la source d’inspiration des deux premiers et n’est pas, ce qui est une croyance encore<br />

assez répandue, une solution de dépannage due au manque de temps. Mais qu’est-ce<br />

qui rend ce presto si brillant, trop brillant pour la sonate op. 30 n° 1 ? Quelques écrits<br />

plus anciens parlèrent de Tarantella. Owen Jander ne trouva pas de bien-fondé sur cette<br />

5


6<br />

danse très rapide dans le Vienne de 1802. Connaissant l’intérêt de Beethoven durant la<br />

période de 1798 à 1803 pour les nouvelles possibilités de la technique de l’archet, il est<br />

beaucoup plus convaincant que le jeune compositeur les ait exploitées. Il est évident<br />

que Beethoven fut très attentif à ces développements.<br />

La méthode officielle du Conservatoire de Paris fut la « Méthode de Violon » de<br />

Kreutzer, Rode et Baillot parue en 1803 et comportant « Le nouvel art de l’archet ».<br />

L’utilisation d’un archet Viotti est indispensable. Les exercices demandent l’utilisation de<br />

toute la longueur de l’archet d’un bout à l’autre pour produire un grand son. Le violoniste<br />

apprend à exercer plus de pression sur la baguette à la pointe pour compenser le<br />

manque naturel de force à la pointe par rapport au talon et comment changer le coup<br />

d’archet pour gagner de la puissance à la pointe. C’est le nouveau coup d’archet qu’on<br />

appelle le martelé. Il semble que c’était une spécialité de Kreutzer. Il décrit ainsi ce<br />

coup d’archet dans sa Méthode : « ce coup d’archet s’exécute à la pointe et il faut bien<br />

l’articuler ». Il contraste avec les mélodies soutenues et est du plus grand effet s’il est<br />

utilisé de manière appropriée (par ex. le 1er mouvement de l’op. 47 dans les 1ers et<br />

2èmes thèmes ainsi que dans le presto). Le tiré étant naturellement plus accentué, il<br />

faut compenser avec plus de poids et de force pendant le poussé pour que les deux<br />

sonnent pareillement. Ce coup d’archet est utilisé dans le premier et dans le dernier<br />

mouvement de la Sonate à Kreutzer qui était achevée quand parut la « Méthode » en<br />

1803.<br />

Beethoven aurait pu prendre connaissance de ce nouveau style d’archet par<br />

Kreutzer en 1798 comme nous l’avons démontré ; il est fort probable que Beethoven<br />

connut les 42 Etudes, parues en 1796. Les deux hommes sont restés en contact par<br />

lettre jusqu’en 1804 au moins. Une autre piste est celle de son ami Wenzel Krumpholz<br />

avec lequel il prit des cours de violon et qui avait un intérêt tout particulier pour les<br />

œuvres de jeunes compositeurs. Son recueil de pièces pour violon seul<br />

« Abendunterhaltung » témoigne de sa connaissance du nouveau style parisien.<br />

La plus importante source d’information sur le style de violon français est la<br />

Méthode de Michael Woldemar, parue en 1798, qui énumère tous les types d’archets,<br />

les anciens et les nouveaux coups d’archet. Y sont expliqués l’allongement graduel de<br />

l’archet, le passage de sa courbe convexe vers une courbe concave et, en ce qui<br />

concerne la pointe, le passage de la forme de « brochet » à la forme de « hache ».<br />

Woldemar prétend en 1798 que l’utilisation de l’archet Viotti se généralise, ce qui est<br />

confirmé par le Conservatoire de Paris en 1803. Pour montrer les possibilités de l’archet<br />

moderne, Woldemar donne une série d’exercices. Il associe ces techniques innovatrices<br />

à 9 grands violonistes. L’ampleur que prirent les expérimentations avec l’archet plus<br />

long et fort est inouïe : il semble qu’il était question d’honneur pour les violonistes<br />

d’inventer des nouveaux coups d’archet. Beethoven, étant lui-même étudiant de violon<br />

cinq ans avant la composition de l’opus 47, semble avoir été conquis par cet esprit<br />

d’expérimentation.<br />

Le plus révolutionnaire des coups d’archets modernes décrits par Woldemar fut le<br />

contre-coup d’archet – coup d’archet inversé pour le rythme : levée de croche ou de<br />

double croche – sur le temps accentué. Dans l’ancienne tradition, on aurait joué<br />

poussé-tiré au milieu de l’archet. Dans la nouvelle, le coup d’archet est inversé avec le<br />

plus grand effet. Ce nouveau martelé et le contre-coup d’archet se prêtent à merveille au<br />

début du Presto de la Sonate à Kreutzer. La vive pulsation musicale nécessite un archet<br />

moderne avec les caractéristiques citées.<br />

Est-ce que Beethoven pensait à cela en 1802 ?


Il est peu probable qu’il aurait jugé trop brillant ce Presto joué avec le vieux coup<br />

d’archet. Quand on l’a entendu avec le coup d’archet martelé, il devient l’essentiel de la<br />

pensé musicale de l’avant-garde en 1802.<br />

Le martelé ainsi que les notes soutenues dans toutes leurs nuances sont<br />

l’expression musicale de la volonté individuelle, d’une nouvelle confiance en soi et du<br />

désir de s’approprier les valeurs et idéaux de l’époque.<br />

Voici la description du martelé par un autre violoniste français, lui aussi<br />

professeur au conservatoire de Paris : Lucien Capet (1873–1928). Il écrit dans « La<br />

technique supérieure de l’archet 5 » : « le but de ce coup d’archet est l’expression<br />

d’énergie et de volonté. Il ne doit pas sonner écrasé et désagréable mais au contraire,<br />

correspondant à ces deux propriétés, fougueux et noble ». Le son doit rester sans<br />

impuretés. Il est inutile de l’écraser, cela ne ferait qu’affaiblir la force intérieure de son<br />

caractère ; car volonté et énergie ne se manifestent pas par la force musculaire mais<br />

sont le résultat de contemplations plus nobles nées de la connaissance et du respect de<br />

certains faits, ainsi que par les réflexions et le profond désir d’atteindre l’objectif fixé.<br />

C’est une description qui nous fait tout de suite penser à Beethoven (Capet fut le<br />

premier violon du Quatuor du même nom dans le répertoire duquel les quatuors de<br />

Beethoven tenaient une place centrale). Ce coup d’archet est demandé dans une<br />

quinzaine des Etudes de Kreutzer ainsi que dans plusieurs des Caprices de Rode (1774<br />

– 1830). La tendance de l’époque fait que Kreutzer écrit des Etudes demandant de la<br />

rigueur et de la force, se limitant à l’essentiel. Mazas, dix ans après seulement, compose<br />

des Etudes moins sévères, plus élégantes et plus sereines qui, du coup, ont plus de<br />

succès auprès des élèves.<br />

Le nouvel archet demande au musicien l’utilisation de toute sa longueur. Pour<br />

contraster avec le martelé rugueux, on prône le son filé. Kreutzer compose l’Etude en la<br />

mineur pour traiter ce coup d’archet (n°1 dans les anciennes, n° 42 dans les récentes<br />

éditions). Elle est à tort souvent négligée. Peu de violonistes maîtrisent vraiment bien ce<br />

coup d’archet qui est d’un grand effet, car il crée une tension intérieure maximale. Viotti<br />

enseigne le coup d’archet appelé le « coup d’archet des maîtres » : un son filé qui<br />

consiste à tirer l’archet du talon à la pointe le plus lentement possible et l’inverse dans<br />

une nuance choisie, sans le moindre accroc. Ce coup d’archet quasiment « infini » est<br />

une des tâches les plus difficiles de la main droite. L’étude n° 40 est impensable avec un<br />

archet autre qu’un archet Viotti.<br />

Avec cette possibilité du son soutenu, les liaisons commencèrent à relier un<br />

espace de plus en plus grand surtout chez Beethoven. Le son prend ainsi une toute<br />

nouvelle qualité. C’est un coup d’archet exigeant qui demande beaucoup de tension<br />

intérieure et autant de patience, pénible à acquérir pour beaucoup d’élèves. Beaucoup<br />

de violonistes n’essayent même pas de réaliser le coup d’archet indiqué ; ils disent que<br />

cela ne sonne pas bien, que cela ne correspond pas au violon, que le compositeur était<br />

pianiste, etc. Très souvent on sépare sans réfléchir ce qui musicalement va ensemble ;<br />

c’est tellement plus violinistique ainsi !<br />

Il est clair qu’on doit parfois changer de direction à l’intérieur de très longues<br />

liaisons, par exemple dans le premier solo du concerto de violon de Beethoven, mais<br />

cela doit être le dernier recours et se faire de manière inaudible. Ce n’est pas forcément<br />

le changement de coup d’archet qui gène, mais la fragmentation de longs phrasés. Une<br />

solution du problème est de jouer le phrasé à répartir tel qu’il est écrit dans un tempo un<br />

peu plus rapide pour bien prendre conscience de son étendue. Ensuite on cherche à<br />

trouver le même effet avec un ou plusieurs changements, par exemple dans la Sonate<br />

7


8<br />

en sol majeur op. 96 n° 2, le deuxième mouvement Adagio espressivo. L’image d’un<br />

pont qui s’élance d’une rive à l’autre sans pilier peut aider. Autre exemple : la sonate op.<br />

24 « le printemps » dans le premier mouvement juste avant la reprise.<br />

Il y a une autre raison pour couper les liaisons : les mouvements lents sont<br />

souvent joués trop lentement, parfois presque « célébrés » ! Il n’est pas exclu que ce<br />

propos de Richard Wagner y soit pour quelque chose. Voici ce qu’il dit dans son<br />

écrit « de la Direction d’Orchestre » : « On peut dire de l’adagio pur que, dans le souci<br />

d’une certaine tendresse, on ne peut le prendre trop lentement ». A la même époque,<br />

Mendelssohn, grand admirateur et un des premiers connaisseurs de Beethoven, choisit<br />

des tempi beaucoup plus rapides quand il dirige ses œuvres. Rudolph Kolisch dans son<br />

étude « Tempo et caractère dans la musique de Beethoven » arrive à des résultats plus<br />

proches de Mendelssohn. Le tempo de l’adagio sostenuto de la 1re étude de Kreutzer<br />

serait la noire = 60 comme les mouvements Adagio en 4/4 de Beethoven : celui de la<br />

9ème Symphonie et celui du Quatuor en mi mineur op. 52 n° 2.<br />

Il faudrait penser à ce qui suit : en coupant des liaisons, on opte souvent pour la<br />

facilité, ce qui est contraire à la volonté de Beethoven ! La tension créée par la tenue<br />

des longues liaisons est décisive ! (Mouvements lents de l’op. 12 n° 3, de l’op. 24 et de<br />

l’op. 96). La sonorité est complètement différente si on tire l’archet lentement avec<br />

résistance ou si on le laisse aller de manière plus fluide. J’aimerais, à ce propos, vous<br />

citer la grande personnalité qu’était Paolo Borciani, premier violon du « Quartetto<br />

Italiano » qui maîtrisait à la perfection cet art de l’archet.<br />

Une autre particularité du langage musical sont les « crescendi » et<br />

« rinforzandi » indiqués dans les moments de détente où on s’attendrait plutôt à un<br />

« céder » de la nuance. Très souvent, ils se trouvent conjointement avec un son soutenu<br />

(sostenuto). Le premier crescendo n’a rien de surprenant, il suit la montée de la tension<br />

culminant au sfp. Le deuxième cresc. (mesures 39 et 40) est mis dans une phase de<br />

détente et suivi d’un piano subito. Beethoven crée ainsi une tension maximale. L’emploi<br />

volontaire, quasi à contre-courant, de force pendant la phase de détente empêche cette<br />

dernière. Cela va contre la tendance naturelle de la baguette de l’archet ; pour cette<br />

raison, je fais jouer les crescendi et rinforzandi suivi d’un piano subito en tirant. Les<br />

élèves souvent n’apprécient pas, ils ont l’habitude de faire les crescendi en poussant.<br />

Mais là aussi il s’agit de mobiliser toute la force et la volonté de l’interprète pour résister<br />

à la facilité et au confort du crescendo poussé. Je pense par contre qu’il faut maintenir<br />

dans la phase de détente, la tendance agogique d’un léger étirement dans le crescendo,<br />

ce qui augmente d’avantage l’expression d’une plus grande, voire extrême force. Ce<br />

coup d’archet aussi ne se réalise qu’avec un archet moderne. La résistance s’accroît par<br />

l’effet de deux tendances contradictoires : la phase de détente et le crescendo pendant<br />

l’affaiblissement naturel de l’archet.<br />

Le confort n’est pas l’affaire de Beethoven, ni les valeurs moyennes. Dans toute<br />

son œuvre, il y a très peu de mezzoforte indiqués. Il travaille avec des contrastes<br />

extrêmes. Il met rarement des accents, mais presque exclusivement des sforzati, dans<br />

n’importe quelle nuance. Le piano ne doit pas être trop doux ; il remplace très souvent<br />

un mezzoforte comme nuance par défaut. Kolisch 6 décrit les pianissimi comme étant<br />

mystérieux, secrets, inquiétants, souvent d’une grande tension.<br />

Une caractéristique que nous rencontrons souvent est le caractère héroïque<br />

exprimé par des grands gestes et beaucoup d’espace. Je n’ai pas besoin de vous citer


des exemples. Mais nous le rencontrons aussi dans les études de Kreutzer (n° 27) et<br />

dans le Caprice en la majeur de Rode.<br />

Un autre trait de caractère souvent rencontré chez Beethoven est la marche à la<br />

française, plus rapide et impétueuse que son homologue allemande. Beethoven écrit un<br />

grand nombre de marches sans n° d’opus, des marches rapides pour des fanfares et<br />

des marches funèbres, la plus célèbre est celle de la 3ème symphonie. Ces marches<br />

fougueuses (ainsi que le caractère héroïque que nous rencontrons chez Beethoven et<br />

Kreutzer) sont difficilement imaginables sans l’archet moderne. On en trouve jusque<br />

dans ses dernières œuvres, par exemple la sonate pour piano op. 101 ou le quatuor à<br />

cordes en la mineur opus 1. Le rythme pointé est caractéristique de ce genre. Le<br />

deuxième thème du premier mouvement de la sonate pour violon en ut mineur op. 30 n°<br />

3 n’a-t-il pas lui aussi un caractère de marche ? Il rappelle la Marseillaise, et sa nuance<br />

piano dans l’allegro con brio lui confère un caractère subversif, pressant et tendu.<br />

N’oublions pas qu’à l’époque il était dangereux de chanter des chansons<br />

révolutionnaires françaises ; Beethoven « chante » quand même, mais doucement. Ce<br />

thème, tout comme les séries de croches qui lui font suite, doit être joué à la pointe avec<br />

un coup d’archet martelé.<br />

Les caractères héroïque, impétueux et de marche se confondent très souvent l’un<br />

dans l’autre. Le caractère impétueux et pesant, par ses motifs en montant, est<br />

l’expression de l’époque, symbole d’une nouvelle perception plus fière de soi-même<br />

comme nous avons vu avec les Capricci de Rode. Le début de la première sonate pour<br />

piano op. 2 semble vouloir prendre d’assaut le cycle des 32 sonates! Les mouvements<br />

dans ce caractère sont souvent des Allegro con brio. Il faut les interpréter avec intensité<br />

et ardeur, pressant voire volant, la noire entre 152 et 200. « La sensibilité est le domaine<br />

des femmes, la musique doit réveiller l’ardeur dans l’esprit de l’homme » – ainsi en est-il<br />

de Beethoven. Nous rencontrons ce type de mouvement pas moins de 20 fois dans les<br />

premiers mouvements d’œuvres cycliques en 4/4 entre les opus 2 et 111. Il y a une<br />

raison profonde à cela: il correspond au mieux au caractère de Beethoven. Un grupetto,<br />

un mordant ou la partie d’une gamme en fusée sont en fait les symboles musicaux du<br />

feu de son esprit (Kolisch).<br />

Le langage musical de Beethoven a amené les meilleurs violonistes à trouver un<br />

langage instrumental approprié qui évite les changements de positions audibles,<br />

glissandi et autres portamenti ainsi que les mauvais changements de direction d’archet<br />

qui ne correspondent pas à cette musique car ils lui sont étrangers. Le coup d’archet<br />

virtuose appelé sautillé est rarement approprié à la musique de Beethoven, sauf dans<br />

les rares endroits où il demande un leggiero. On utilisera plutôt des variantes du<br />

martelé.<br />

L’ardeur des mouvements rapides de Beethoven joués au juste tempo exige<br />

d’aller à l’extrême de nos capacités techniques et de puissance, voire à l’impossible !<br />

Mais n’est-ce pas cela l’essence de cette musique ? Dans ce sens, il faudrait parfois<br />

accepter des défauts de précision - ce qui est de moins en moins toléré. Jürgen Uhde<br />

écrit dans son livre « Penser et Jouer » : « … La forme mimétique de la représentation<br />

véritable ne doit pas correspondre à tout moment à la définition académique de la<br />

perfection. Elle peut supporter des erreurs. Si la forme essentielle est ressentie de<br />

l’intérieur, l’oreille rattrape des lacunes possibles. Ce qui est intérieurement juste est<br />

facile à corriger, même si par endroit il y a des impuretés. Une entrée qui ne prend pas<br />

le risque d’aller vaillamment à ses limites semble souvent sans intérêt ».<br />

Le souci de la perfection esthétique nous prive facilement de l’essentiel. Un jeu<br />

9


10<br />

d’une extrême intensité, comme un cheminement entre la vie et la mort, un<br />

cheminement au bord de l’abîme…<br />

Pourquoi toute cette volonté, cette force, la fougue et cette attitude héroïque dans<br />

la musique de Beethoven mais aussi dans les œuvres de Kreutzer et de Rode ? Il<br />

s’agissait de prendre en main son propre destin et aussi de lutter pour l’indépendance<br />

de l’artiste. Les droits ne sont pas octroyés à l’être humain, ils doivent être conquis. Rien<br />

de plus naturel que cet acte de libération, qui n’attend pas le soutien d’une puissance<br />

supérieure mais qui la refuse, s’exprime par des sons nouveaux, inouïs. Beethoven<br />

développa très tôt un enthousiasme pour les idéaux humanistes et une foi en la<br />

libération de toute oppression et esclavage, très confiant que le temps d’atteindre ce but<br />

serait proche. Il vit sa foi républicaine réalisée par l’apparition de Napoléon qui ébranla<br />

l’Europe féodale dans ses fondements. Il compara Napoléon à Prométhée, qui vola le<br />

feu aux dieux, pour élever l’être humain à l’action consciente : « Et les humains<br />

montèrent vers la lumière ». C’est une phrase de la cantate qu’il composa à l’âge de 19<br />

ans à l’occasion de la mort de Joseph II. Il s’agit bien de tous les êtres humains, pas<br />

seulement de quelques-uns !<br />

Nous voyons avec le recul que le cours de l’histoire a pris une autre direction ;<br />

mais à l’époque, dans le grand geste de la libération, quelle en était la sensation ?<br />

Beethoven a dû revivre cette libération encore et encore en lui-même et en sa musique.<br />

Il est resté fidèle à sa foi jusqu’à la fin, sinon il n’y aurait pas eu de neuvième<br />

symphonie. Pensons aussi à l’air de la libération dans Fidelio : « O, Dieu, quel<br />

moment… » chante Léonore : expression d’un bonheur indicible ! Beethoven reprend<br />

d’ailleurs la cantate sus-mentionnée quasiment sans changements dans la première<br />

version de Fidelio .<br />

Même si nous vivons une époque moins emplie d’espoir, nous pouvons toujours<br />

ressentir dans sa musique cette intensité, si nous en sommes encore capables. Pour<br />

conclure : écoutons la quatrième symphonie de Beethoven dans l’interprétation de<br />

Karajan avec la Philharmonie de Berlin et dans celle de Herrmann Scherchen avec<br />

l’Orchestra della Svizzera Italiana. Ecoutons cette énorme différence de perception, due<br />

peut-être à l’attitude politique divergente des deux chefs!<br />

1 Dietmar Holland : « Und da stiegen die Menschen ans Licht » Beethoven und die<br />

französische Revolution. Emission de la Radio bavaroise, Munich.<br />

2<br />

Peter Gülke : Zur Neuausgabe der Sinfonie Nr. 5 von L. van Beethoven; Edition<br />

Peters.<br />

3 Georg Knepler : Musikgeschichte des 19. Jahrhunderts; Edition Henschel.<br />

4 Owen Jander : Die Kreutzer-Sonate als Dialog; Early Music, February 1988<br />

5 Lucien Capet : La technique supérieure de l’archet; Edition Maurice Sénart, Paris.<br />

Die höhere Bogentechnik, Otto Junne GmbH Leipzig.<br />

6<br />

Rudolph Kolisch : Tempo und Charakter in Beethovens Musik ; Musikkonzepte<br />

76/77; Edition Text +Kritik


INFOS...INFOS...INFOS...INFOS...INFOS...INFOS...INFOS...INFOS...INFOS…<br />

L’Association Paul BAZELAIRE (dont le président est J.L. DEVILLE)<br />

nous a envoyé le manuscrit des Suites de BACH harmonisées pour le<br />

piano par Paul BAZELAIRE avec préface de l'auteur et courriers de<br />

Pablo CASALS sur cette œuvre, ainsi que l’édition de la réalisation<br />

par Paul Bazelaire du concerto de Fiocco pour deux violoncelles<br />

seuls. Le travail de cette assocation très dynamique mérite d’être plus<br />

connu. Vous pouvez les joindre sur le site www.paul-bazelaire.com. Voici la<br />

préface de Paul Bazelaire de sa version pour piano des Suites de J.S.<br />

Bach.<br />

Les Amis de Paul BAZELAIRE- 14, ruelle des Fourches- 08200 SEDAN.<br />

Cette nouvelle version pour piano des Suites pour violoncelle seul a un double but :<br />

- Permettre aux pianistes de prendre contact avec ces pages admirables<br />

- Aider le travail d’interprétation de ces suites par une réalisation complète de<br />

l’harmonie.<br />

Jean Sébastien Bach a adopté, dans les Suites pour violoncelle, l’écriture monodique.<br />

Cette écriture, en effet, s’adapte remarquablement au registre grave du violoncelle. Elle<br />

est légère, aérée. Elle permet d’éviter les accords, qui alourdissent toujours la marche du<br />

dessin musical dans les régions inférieures (accords que Bach emploie plus fréquemment<br />

dans la sixième suite, care cette suite a été écrite pour la Viola Pomposa qui possédait une<br />

corde supplémentaire supérieure).<br />

Mais cette écriture monodique est souvent, du point de vue harmonique, très imprécise.<br />

Elle passe continuellement du plan de basse au plan harmonique et au plan mélodique. Et<br />

ce passage d’un plan à un autre se fait, souvent, avec une fantaisie telle que chaque<br />

dessin musical n’est quelquefois fixé harmoniquement qu’au bout de quelques notes,<br />

quelquefois à la fin de ce dessin et, quelquefois, pas du tout.<br />

Il en résulte, pour le travail d’interprétation, une grande difficulté pour ceux des<br />

musiciens qui ne sont pas familiarisés avec ce genre d’écriture, et qui doivent,<br />

fréquemment, non seulement deviner l’harmonie, mais établir, dans tous les mouvements<br />

expressifs, un rubato qui est, précisément, fonction de cette harmonie.<br />

Schumann avait bien compris cette difficulté, et avait écrit un accompagnement de piano<br />

des six Suites de Bach. Mais, outre que cette version est à présent introuvable, elle<br />

suppose une collaboration obligée du piano avec le violoncelle.<br />

Nous possédons, fort heureusement, une version de la 5 ème suite, transcrite par J.S.Bach<br />

(avec de légères retouches) pour le luth, et harmonisée entièrement par lui, à deux, trois et<br />

quatre parties. Cette transcription nous a apporté de précieuses indications sur la façon<br />

dont l’auteur concevait, dans l’écriture monodique des suites, l’harmonisation de cellesci.<br />

Dans la nouvelle version des six Suites que nous proposons ici (et sur laquelle les<br />

violoncellistes pourront appuyer leur travail d’interprétation), nous espérons nous être<br />

approché - en tous cas avec le plus grand respect, un soin extrême et une rigoureuse<br />

sobriété - des intentions de l’auteur. Et nous souhaitons avoir, ainsi, grandement facilité<br />

l’accession à cet ouvrage génial, où nous sommes en contact avec une pensée si<br />

parfaitement belle que les richesses qu’elle nous apporte sont inépuisables.<br />

Paul Bazelaire.<br />

11


12<br />

Notre amie Caroline Bosanquet, d’<strong>ESTA</strong> Grande-Bretagne, intervenante lors du<br />

congrès d’avril <strong>2003</strong> a réalisé à notre intention quelques petites pièces en harmoniques<br />

dont voici les copies. Caroline Bosanquet est l’auteur de 2 livres très<br />

appréciés des professeurs de violoncelle: The Secret Life of Cello Strings et Fun<br />

with Cello Harmonics aux éditions SJ Music


16<br />

Le style classique en <strong>France</strong><br />

par Gérard Geay<br />

Chercheur au Centre de Musique Baroque de Versailles<br />

Professeur d’écriture et d’analyse au Conservatoire National Supérieur de Musique et Danse de Lyon<br />

L<br />

e Centre de Musique Baroque de Versailles 1 , organisme associé à l'Établissement public du<br />

musée et du domaine national de Versailles qui reçoit chaque année des millions de<br />

visiteurs du monde entier, offre au public un large éventail d’activités culturelles et<br />

artistiques. Depuis quinze années, le Centre de Musique Baroque de Versailles compte au<br />

nombre des acteurs fidèles de la mise en valeur du château et de son histoire. Créé en 1987 à<br />

l’initiative du ministère de la culture, cet organisme assure une mission d’étude et de diffusion du<br />

patrimoine musical français des XVIIe et XVIIIe siècles, jusqu’alors peu ou mal connu, et dont une<br />

grande partie fut composée pour la cour de <strong>France</strong>.<br />

Installé à Versailles dans l’ancien Hôtel des Menus-Plaisirs qui, sous l’ancien régime, fournissait les<br />

scènes du château en décors et accessoires, le Centre alimente chaque année la saison de concerts du<br />

château, l’Automne Musical du Château de Versailles, du fruit de ses recherches. Les prochaines<br />

Grandes Journées : « Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII » auront lieu du samedi 11<br />

octobre au mardi 21 octobre <strong>2003</strong> 2 . Elles présenteront des œuvres de Louis XIII, Guédron, Antoine<br />

Boësset, Formé, Bouzignac et Moulinié dont de nombreuses créations.<br />

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs, éditeurs, pédagogues, producteurs et musiciens, dont<br />

plusieurs associés, s’attache ainsi à retrouver, restaurer et revivifier les œuvres oubliées ou<br />

incomplètes qui firent les grands moments de l’histoire musicale de Versailles et de la <strong>France</strong>.<br />

Le Centre comprend l’Atelier d’études 3 , associé au Centre National de la Recherche Scientifique 4 ,<br />

qui, outre ses activités de recherche et de restitution, gère la base de données PHILIDOR 5 de 65.000<br />

documents ainsi qu’une bibliothèque 6 de 30.000 livres et partitions consultés par les musicologues et<br />

musiciens de tous les pays. L’atelier de gravure des Editions du Centre de Musique Baroque de<br />

Versailles 7 réalise les partitions et les livres issus des recherches de l’atelier d’études, soit à ce jour<br />

300 œuvres pour plus de 15.000 pages de musique destinées aux interprètes professionnels et<br />

amateurs qui se passionnent pour la musique de cette période. La diffusion sonore des œuvres est<br />

assurée par le Département de Productions Musicales qui affiche près de 1.500 concerts organisés en<br />

<strong>France</strong> et à l’étranger, dont une grande partie dans les murs mêmes du château de Versailles. Ces<br />

moments musicaux ont fait l’objet de 120 enregistrements discographiques. Les plus grands noms de<br />

la musique ancienne ont figuré dans ces concerts alors que, pour la plupart, ils n’avaient pas encore la<br />

renommée qu’on leur connaît aujourd’hui. Enfin, un département de pédagogie prépare la relève au<br />

travers d’une école maîtrisienne 8 Conférence donnée lors du congrès d’<strong>ESTA</strong> d’avril <strong>2003</strong><br />

qui accueille en permanence une centaine d’enfants et une vingtaine<br />

d’adultes.<br />

Des étudiants en musicologie venus d’universités françaises et étrangères bénéficient également de la<br />

formation et des ressources documentaires du Centre pour mener à bien leurs travaux de thèses.<br />

En quinze années, l’ensemble de ces actions, menées sur les terrains complémentaires de la<br />

recherche, de l’édition, de la production et de la formation, a contribué à populariser la musique<br />

française baroque et classique auprès d’un public qui ne cesse de s’élargir. La mission du Centre n’en<br />

continue pas moins, à la recherche des milliers d’œuvres remarquables qui attendent encore leur<br />

renaissance.<br />

Le Centre de Musique Baroque de Versailles bénéficie du soutien financier du Ministère de la<br />

Culture et de la Communication, du Centre National de la Recherche Scientifique, du Sénat, de<br />

l'AFAA, du Conseil Régional d’Ile-de-<strong>France</strong>, du Conseil Général des Yvelines, de la Ville de<br />

Versailles, de la Fondation de <strong>France</strong>, du Fonds d’Action SACEM ainsi que de plusieurs entreprises<br />

privées, dont, la Société Carglass et Mécénat Musical Société Générale, son premier partenaire privé.<br />

* * *


L<br />

es EDITIONS DU CENTRE DE MUSIQUE BAROQUE DE VERSAILLES ont été créées par le<br />

Centre en 1992 afin de permettre aux musiciens français et étrangers, professionnels et<br />

amateurs, chanteurs et instrumentistes, de jouer le répertoire français des XVIIe et XVIIIe<br />

siècles, comme ils pouvaient le faire depuis longtemps pour les musiques italiennes,<br />

anglaises et surtout allemandes qui ont bénéficié de nombreuses éditions depuis une centaine<br />

d'années. Avant 1990, presque rien n'avait été publié en <strong>France</strong> empêchant les interprètes de<br />

connaître et de jouer la musique française de cette grande période de notre histoire.<br />

Un plan éditorial, directement issu du travail de l'Atelier d'études, définit les priorités en matière de<br />

publication : choix des compositeurs, des genres musicaux, de la nature des ouvrages… Deux<br />

collections de partitions : l’une critique, destinée aux universités, centres de recherches,<br />

conservatoires et interprètes spécialisés, l’autre pratique, de forme plus légère, appelée Cahiers de<br />

Musique, destinée aux interprètes professionnels et amateurs, sont réalisées dans l’atelier de gravure.<br />

Depuis lors, plus de cent volumes ont été publiés par le Centre réunissant 400 œuvres. Ainsi le<br />

Centre de Musique Baroque de Versailles est devenu le premier éditeur mondial de partitions de<br />

musique française des XVIIe et XVIIIe siècles.<br />

* * *<br />

D<br />

ans les années 1960, il n’était pas rare d’entendre dire qu’il n’y avait rien dans le<br />

domaine de la musique en <strong>France</strong> entre Rameau et Berlioz. La célébration du<br />

bicentenaire de la Révolution française puis celle de la fondation du conservatoire en<br />

1795 avaient cependant permis de soulever un coin du voile. A l’automne 2002, le Centre<br />

de Musique Baroque de Versailles consacrait pour la première fois ses Grandes Journées à la<br />

musique classique en <strong>France</strong> à travers l’œuvre de François-Joseph Gossec 9 , né à Vergnies (village<br />

situé aujourd’hui en Belgique), près de Maubeuge, en 1734 et mort à Passy en 1829. Il était l’exact<br />

contemporain du plus célèbre musicien de son temps, Franz-Joseph Haydn (1732-1809), avec lequel<br />

il partageait le même prénom et auquel il aura survécu vingt ans. Formé chez les chanoinesses de<br />

Walcourt, à Maubeuge et à la cathédrale d’Anvers, Gossec arriva à Paris en 1751. Jean-Philippe<br />

Rameau l’engagea comme violoniste dans l’orchestre du fermier général Le Riche de la Pouplinière<br />

qu’il dirigeait depuis 1746. A son départ en 1754, il fut remplacé à la tête de l’orchestre par Jean-<br />

Joseph Cassanéa de Mondonville assisté du jeune Gossec. Puis, de 1755 à 1757, Johann Stamitz<br />

l’aîné, le célèbre fondateur de l’Ecole de Mannheim, en prit la direction. Sa santé déclinante<br />

l’obligeant à rentrer en Allemagne, c’est Gossec qui lui succèda à l’âge de vingt-quatre ans. C’est<br />

dire que, dès son arrivée à Paris, Gossec put travailler avec les meilleurs musiciens et compositeurs<br />

de son temps. L’orchestre du fermier général, accueillant en son sein des musiciens venus d’outre<br />

Rhin, possédait une nomenclature instrumentale plus riche que celui du Concert Spirituel ou de<br />

l’Académie Royale de musique. Il intégrait, par exemple, ce nouvel instrument qu’était, à l’époque, la<br />

clarinette, que Rameau lui-même utilisa dans ses dernières œuvres. C’est durant cette période que<br />

Gossec fit publier chez Richomme l’aîné ses Sei Sinfonie a piu stromenti opera III RH 1 à 6 10 et Sei<br />

Sinfonie a piu stromenti opera IV RH 7 à 12, dans lesquels l’emploi du crescendo, du forte subito, du<br />

pianissimo, témoigne de la maîtrise par le jeune compositeur des procédés les plus novateurs de la<br />

musique de son temps. Car, contrairement à ce que l’on peut encore lire parfois, même si Gossec<br />

subit l’influence de l’Ecole de Mannheim, et peut-être aussi celle de la musique italienne, il ne fut<br />

pas un simple épigone, mais bien l’un des créateurs en <strong>France</strong> de ce style que nous qualifions<br />

aujourd’hui de classique. La gloire justifiée des Haydn et des Mozart, ce dernier d’une génération<br />

beaucoup plus jeune, nous a fait oublier l’histoire de la vie musicale française entre Rameau et<br />

Berlioz. Les musiciens français et étrangers actifs en <strong>France</strong> dans la deuxième moitié du XVIIIe<br />

siècle et, particulièrement à Paris, participèrent, souvent avec talent, à la création et au<br />

développement des principales formations instrumentales utilisées dans la musique classique et<br />

romantique : duo, trio, quatuor, quintette, sonate, symphonie, symphonie concertante et concerto,<br />

alors même que l’opéra triomphait. Plusieurs d’entre eux, dont Gossec, fondèrent le conservatoire de<br />

Paris en 1795. Citons, à côté de Gossec, Johann Schobert (vers 1735-1767) qui était alors au service<br />

du Prince de Conti dont il dirigeait la musique. C’est là que Gossec le rencontra en même temps que<br />

17


18<br />

Johann-Gottfried Eckard (1735-1809) un des pionniers du pianoforte en <strong>France</strong> 11 . Schobert publia<br />

des œuvres pour clavier et instruments à cordes qui sont parmi les premiers témoignages du<br />

répertoire de la musique de chambre classique en <strong>France</strong>. Citons également Pierre Vachon (1738-<br />

1803), violoniste et compositeur qui fut l’un des plus importants soliste et chambriste de son temps ;<br />

le Chevalier de Saint Georges (1745-1799) violoniste virtuose, excellent escrimeur, célèbre pour ses<br />

conquêtes féminines, succéda à Gossec comme directeur du Concert des Amateurs qui devint<br />

rapidement un des meilleurs orchestres de son temps ; Cambini (1746 ?- 1825) compositeur et<br />

violoniste qui arriva à Paris au début des années 1770 ; Ignaz Pleyel (1757-1831) qui, dans les années<br />

1800, était plus estimé que Mozart et aussi populaire que Haydn dans le domaine de la musique de<br />

chambre.<br />

Le XVIIIe siècle, dont la postérité n’a retenu que les nomenclatures désormais classiques de la<br />

sonate, du quatuor à cordes, de l’octuor à vents, du concerto, de la symphonie, fut en fait une époque<br />

d’expérimentations qu’il est passionnant de redécouvrir aujourd’hui. La symphonie concertante<br />

remporte de francs succès au Concert Spirituel. La publication de nombreuses méthodes, publiées en<br />

fac-simile par des éditeurs comme Fuzeau ou Minkoff, témoigne de l’évolution du style et du<br />

développement de la technique des instruments. L’orchestration prend une importance inconnue<br />

jusqu’alors, jetant les bases d’une nouvelle discipline qui connaîtra un premier apogée au XIXe siècle<br />

avec les traités de Berlioz et de Kastner.<br />

* * *<br />

J<br />

ean-Marie Leclair est né à Lyon en mai 1697. Dès l’âge de 19 ans il était passé maître dans<br />

l’art du violon et de la danse. Il figurait sur la liste des danseurs de l’opéra de Lyon avec<br />

Marie-Rose Casthagnié qu’il épousa le 9 novembre 1716. Les œuvres les plus anciennes de<br />

Leclair que nous connaissons sont conservées dans une anthologie manuscrite parisienne de<br />

1721, ce qui suggère qu’il aurait pu se rendre à Paris à cette date. Il s’agit de dix sonates qui furent<br />

ensuite publiées en 1723 dans son op. 1 et vers 1728 son op. 2. Elles témoignent d’une grande<br />

maîtrise et frappèrent par leur originalité qui ne fut pas sans déconcerter certains musiciens :<br />

« Le Clair est le premier qui sans imiter rien,<br />

Créa du beau, du neuf, qu’il peut dire le sien ».<br />

Selon un texte du XIXe siècle aujourd’hui perdu, Jean-Marie Leclair se serait rendu à Turin en 1722.<br />

Il arriva à Paris en 1723 et entra au service de l’un des hommes les plus riches de <strong>France</strong>, Joseph<br />

Bonnier. En juin 1726, J. J. Quantz nota dans son journal lors de son séjour à Turin que Leclair y<br />

étudiait avec le célèbre violoniste et compositeur italien Giovanni Battista Somis (1686-1763), un<br />

élève de Corelli et peut-être même de Vivaldi. Plusieurs de ses œuvres furent publiées à Paris entre<br />

1726 et 1740. Il y séjourna en 1733 et il rencontra un immense succès le 2 avril et le 14 mai au<br />

Concert Spirituel. Quant à Jean-Marie Leclair, il composa en 1727 des ballets en guise de postludes<br />

pour le Teatro Regio Ducale de Turin.<br />

De retour à Paris en 1728, il fit ses débuts au Concert Spirituel en interprétant ses sonates et<br />

concertos chaleureusement applaudis. Il se rendit aussi à Londres et à Kassel où il joua à la Cour<br />

avec Locatelli.<br />

En 1733, il fut nommé ordinaire de la musique du roi. Il abandonna cette fonction et quitta Paris en<br />

1737 à la suite d’une querelle de préséance avec son rival Pierre Guignon. Invité à la Cour d’Orange<br />

aux Pays-Bas, Jean-Marie Leclair y passa trois mois par an entre 1738 et 1743 tout en occupant, à<br />

partir de 1740, les fonctions de maestro di cappella à La Haye. Après son retour à Paris où il publia<br />

son dernier livre de sonates en 1743, il séjourna quelque temps à Chambéry auprès du Prince Don<br />

Philippe d’Espagne. Puis il rentra à Paris où il demeura, mis à part quelques voyages à Lyon.<br />

Le 4 octobre 1746, Leclair était dans sa cinquantième année, son unique opéra Scylla et Glaucus fut<br />

donné avec succès à l’Académie Royale de Musique.<br />

En 1748, son ancien élève le Duc de Gramont le prit à son service. Il devint compositeur et directeur<br />

du théâtre privé du duc à Puteaux près de Paris, position qu’il conserva jusqu’à sa mort.<br />

Séparé de sa femme vers 1758, Leclair vivait seul à Paris lorsqu’il fut assassiné en 1764 alors qu’il<br />

rentrait chez lui un soir.


* * *<br />

J<br />

ean-Joseph Cassanéa de Mondonville naquit en 1711. Il fut l’un des plus importants<br />

musiciens de Paris au milieu du XVIIIe siècle où il publia, dans les années 1733-1734, ses<br />

premiers premiers volumes de musique instrumentale. En 1734, il se produit durant la Semaine<br />

Sainte au Concert Spirituel. Après un séjour à Lille, il revint à Paris en 1739 comme violoniste<br />

de la Chapelle et de la Chambre. Le Mercure de <strong>France</strong> de mars 1739 relate son concert du dimanche<br />

de Pâques 1739 en soulignant son caractère à la fois admirable et singulier probablement en référence<br />

à l’emploi de sons harmoniques dans son op. 4, Les sons harmoniques. C’est dans la préface de cet<br />

opus que se trouve la première explication connue de la manière de les exécuter au violon. En avril<br />

1739, le Mercure de <strong>France</strong> relate l’exécution de grands motets de Mondonville dans trois concerts<br />

différents. Les comptes de cette même année 1739 montrent qu’il donna environ cent concerts à<br />

Versailles, Compiègne, Fontainebleau et Marly. A partir de 1740 , il devint sous-maître de la<br />

Chapelle Royale. En 1744, il succède à Gervais comme intendant. Il composa également des opéras.<br />

Mais son œuvre la plus connue reste ses Pièces de clavecin en sonates avec accompagnement de<br />

violon op. 3 de 1734 qui inspirèrent les Pièces de clavecin en concert de Rameau. Il en existe une<br />

version pour ensemble instrumental, conservée en manuscrit et éditée par les Editions du Centre de<br />

Musique Baroque de Versailles 12 , que l’on peut interpréter avec un ensemble de chambre ou un<br />

orchestre, conformément aux usages de cette époque.<br />

* * *<br />

F<br />

rançois-Joseph Gossec (1734-1829) publie, vers 1761, ses Six symphonies op. 5. A l’image<br />

de celles de Johann Stamitz, elles comportent quatre mouvements. Avec un Menuet et un<br />

trio en guise de troisième mouvement. A cette époque, Rameau vit toujours. En 1764,<br />

l’année de sa mort, son dernier opéra Les Boréades est en répétition. Bien qu’il ait plus de<br />

quatre vingt ans, Rameau s’intéresse certainement aux innovations dont il a pu avoir connaissance,<br />

par exemple, chez Le Riche de la Pouplinière. L’usage des clarinettes dans son orchestre en<br />

témoigne.<br />

C’est en 1765 que paraît l’op. 7 de Gossec. Il s’agit de duos pour violons particulièrement<br />

intéressants pour un usage pédagogique.<br />

1769 est, à la fois, l’année de la publication des Symphonies op. XII et celle de la fondation du<br />

Concert des Amateurs. Etablie dans l’Hôtel de Soubise, cette société de concerts est gérée par le<br />

Fermier Général de la Haye et le baron d’Ogny. Gossec en est le directeur musical. Selon sa propre<br />

expression l’orchestre est « formidable » : 40 violons (y compris les altos), 12 violoncelles, 8<br />

contrebasses, bois et cuivres. Cette société fait évidemment concurrence au Concert Spirituel fondé<br />

en 1725.<br />

Dans son op. 12, Gossec adopte la forme en trois mouvements de la symphonie dite « parisienne »,<br />

forme reprise par Mozart dans sa symphonie « Paris » composée pour le Concert Spirituel.<br />

Soulignons que les indications de tempo de cet op. 12 13 figurent à la fois en français et en italien.<br />

* * *<br />

H<br />

enri-Joseph Rigel naquit à Wertheim en 1741. Il était chef d’orchestre, pédagogue et<br />

compositeur. Elève de Jommelli à Stuttgart et peut-être de Franz Xaver Richter à<br />

Mannheim qui l’aurait envoyé à Paris en 1768 pour y enseigner. En fait, Rigel publia ses<br />

Six Sonates pour Clavecin op. 1 à Paris dès 1767. Il était probablement déjà en <strong>France</strong><br />

vers 1764-1765 et s’établit à Paris en 1768. Dans les années 1770, Rigel écrivit de nombreuses<br />

œuvres instrumentales. Le 2 février 1774 une de ses symphonies 14 fut programmée pour la première<br />

fois au Concert Spirituel. La même année, il y donna un oratorio La sortie d’Egypte qui ne connut<br />

pas moins de 27 exécutions entre 1775 et 1786 et qui fut encore programmé à Paris en 1822. Un<br />

deuxième oratorio La destruction de Jéricho fut créé avec succès en 1778. Dans les années 1780, il<br />

se consacra à l’opéra pour lequel il composa 14 partitions. Il fut aussi maître de solfège à l’Ecole<br />

Royale de Chant puis professeur de piano au Conservatoire, poste qu’il conserva jusqu’à sa mort à<br />

19


20<br />

Paris en 1799.<br />

* * *<br />

A<br />

côté du répertoire symphonique, le XVIIIe siècle voit naître la musique de chambre sous<br />

toutes ses formes. A titre d’exemple, Michelle Garnier-Butel 15 a répertorié, dans sa thèse<br />

de doctorat au moins 1.500 quatuors à cordes publiés en <strong>France</strong> dans la deuxième moitié<br />

de ce siècle.<br />

Gossec nous a laissé six quatuors op. XIV avec flûte et six quatuors à cordes op. XV 16 .<br />

Pierre Vachon, violoniste et compositeur né à Avignon en 1738 et décédé à Berlin en 1803,<br />

certainement l’un des plus importants solistes et chambristes de son temps fut, avec Gossec et le<br />

Chevalier de Saint Georges, parmi les premiers compositeurs à composer des quatuors à cordes en<br />

<strong>France</strong> 17 . Il nous en a laissé plus de trente.<br />

De dix ans plus jeunes que Vachon, André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813), connu pour ses<br />

ouvrages lyriques, nous a cependant laissé un op. 3 de six quatuors à cordes 18 , une œuvre de jeunesse<br />

que les musicologues datent des années 1761-1765.<br />

Giuseppe Maria Cambini (1746-1825), violoniste et compositeur italien, arriva à Paris au début des<br />

années 1770 . Il interpréta l’une de ses symphonies concertantes au Concert Spirituel le 20 mai 1773.<br />

En décembre de la même année, parut un opus de quatuors à cordes. Comme Gossec, il aborda tous<br />

les genres y compris l’opéra. Compositeur prolixe, son catalogue comportait déjà plus de 600 œuvres<br />

en 1800. Il fut l’un des rares musiciens étrangers à prendre fait et cause pour la Révolution française.<br />

1. Hôtel des Menus-Plaisirs – 22, avenue de Paris – F78000 Versailles. Téléphone :<br />

0033/(0)1.39.20.78.10. Télécopie : 0033/(0)1.39.20.78.01. E-mail :<br />

. Site internet : .<br />

2. Réservation par téléphone au 0033/(0)1.39.20.78.00 à partir du 10 juin <strong>2003</strong>.<br />

3. Directeur scientifique et artistique : Jean Duron.<br />

4. Unité Mixte de Recherche 2162.<br />

5. Responsable : Corinne Daveluy.<br />

6. Responsable : Viviane Niaux.<br />

7. Responsable : Julien Charbey.<br />

8. Directeur musical : Olivier Schneebeli.<br />

9. Claude Role : François-Joseph (1734-1829). Un musicien à Paris de l’Ancien Régime<br />

à Charles X. L’Harmattan, coll. Univers musical, Paris, 2000.<br />

10. Nous nous référons au catalogue établi par Claude Role, chercheur associé au Centre<br />

de Musique Baroque de Versailles, et Charles Hénin, éditeur associé à ce même<br />

Centre. Claude Rôle, Ibid. p. 287 et suiv.<br />

11. Adélaïde de Place : Le piano-forte à Paris entre 1760 et 1822. Aux Amateurs de Li-<br />

vres, Paris, 1986.<br />

12. Cahiers de Musique n°23, n°27, n°28, n°22, n°29 et n°24.<br />

13. En préparation aux Editions du Centre de Musique Baroque de Versailles.<br />

14. Les Editions du Centre de Musique Baroque de Versailles ont déjà publié la Sinfonia<br />

op. XII n° IV (Cahiers de musique n° 80). Les autres symphonies de cet opus sont en<br />

préparation.<br />

15. Les quatuors à cordes publiés en <strong>France</strong> dans la seconde moitié du XVIII e siècle.<br />

Université de Paris IV, 1992.<br />

16. Cahiers de musique n° 108, n°109, n°110, n°111, n°112 et n° 113.<br />

17. quatuor à cordes op. 7, n° 2, paraîtra d’ici fin <strong>2003</strong> dans les Cahiers de musique.<br />

18. Editions du Centre de Musique Baroque de Versailles, CMBV 008, collection Anthologies<br />

II.2. Ce volume contient également la Symphonie en Ré.


* * *<br />

DISCOGRAPHIE<br />

Jean-Marie Leclair (1697-1764)<br />

Concerto op. 7 n°1 (1737).<br />

1er mvt : Allegro.<br />

Ensemble Stradivaria, violon solo et direction Daniel Cuiller.<br />

ADDA 581040.<br />

Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772)<br />

Sonata secunda [vers 1748-1749 selon Edmond Lemaître], d’après les Pièces de clavecin en Sonates avec accompagnement<br />

de Violon op. 3 (Lille, 1734).<br />

3ème mvt Gigha : Allegro.<br />

Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski.<br />

Archiv 457 600-2.<br />

François-Joseph Gossec (1734-1829)<br />

Symphonie op. 5 n°3 RH. 17 (Brook 27) [vers 1761] en ré majeur.<br />

4ème mvt Allegro.<br />

London Mozart Players, dir. Matthias Bamert.<br />

François-Joseph Gossec (1734-1829)<br />

Duo pour violon op. 7 n°6 RH. 168 (Brook 42) [vers 1765] en sol mineur.<br />

2ème mvt. Largo.<br />

Dirk Vandaele et Marianne Herssens.<br />

François-Joseph Gossec (1734-1829)<br />

Symphonie op. XII n°5 RH 39 (Brook 58) [vers 1769] en mib majeur.<br />

1er mvt. Lamentable ou Lamentabile – Très vite avec furie ou quasi presto con furie.<br />

Les Agrémens, dir. Guy van Waas.<br />

Chandos, CHAN 9661.<br />

Musique en Wallonie, MEW 0208.<br />

Ricercar, RIC 218.<br />

Henri-Joseph Rigel (1741-1799)<br />

Symphonie oeuvre XII n°IV [entre 1769 et 1774 selon Brook] en ut mineur.<br />

1er mvt. Allegro assai.<br />

Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset [enregistrement public réalisé lors des Journées François Joseph Gossec<br />

le 23 novembre 2002 à l’Opéra Royal du Château de Versailles]<br />

François-Joseph Gossec (1734-1829)<br />

Quatuor op. XV, n° 5 [vers 1771 selon le catalogue Role/Hénin] en mib majeur.<br />

2ème mvt. Englese.<br />

Quatuor Ad Fontes.<br />

Pierre Vachon (1731-1803)<br />

Quatuor op. 5 n°1 en la majeur [1772].<br />

3ème mvt. Rondeau : allegro non tanto.<br />

Quatuor Les Adieux.<br />

André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813)<br />

Quatuor op. 3 n° 6.<br />

3ème mouvement Allegro fuga.<br />

Quatuor Via Nova<br />

Giuseppe Maria Cambini (1746-1825)<br />

Quartetto op. 1 n°3 in si minore [1773] pour Monsieur le Sénateur Lacépède.<br />

4ème mvt. Scherzo fugato. Allegretto vivace.<br />

Quartetto „Le Ricordanze“.<br />

Alpha 025.<br />

Auvidis, V 4761.<br />

Pierre Verany, PV798102.<br />

Stradivarius, STR 33327.<br />

21


22<br />

SCANDINAVIAN STRINGS<br />

Certains professeurs souhaitaient se procurer les partitions des oeuvres jouées<br />

par les Scandinavian Strings lors du concert inaugural du congrès <strong>ESTA</strong> d’avril<br />

<strong>2003</strong>. Eva Bogren nous a fait parvenir son programme complet avec la liste des<br />

oeuvres, le nombre de solistes éventuels ainsi que les noms des éditeurs ou<br />

arrangeurs.<br />

- Concerto in A minor, Op.3, No. 8,<br />

1st mvt (2’45’’), Antonio Vivaldi, International<br />

Music Company, New<br />

York<br />

- Tango Janvier (3’15’’),Teresa<br />

Gunnarsson,Teresa Gunnarsson,<br />

Wrangelsg. 3C, 416 62 Gothenburg,<br />

Sweden,<br />

Phone: +46 31 775 95 08,<br />

teresa_gunnarsson@hotmail.com<br />

- Kansas City Kitty (1’45’’), Swing<br />

Tune, arr. Jeanine R. Orme,<br />

Unknown publisher<br />

- Por Una Cabeza (2’30’’), Carlos<br />

Gardel, arr. Thomas Wermuth,<br />

Soloists: Hampus Lüning, Philip Runsteen,<br />

Algot Bengtsson & Samuel<br />

Runsteen, Western Springs School<br />

of Talent Education Publications,<br />

1106 Chestnut, Western Springs,<br />

IL 60558, USA,<br />

1-877-246-9309 toll free number<br />

- Polkagrisen (2’10’’), Göthe<br />

Wahlén, Unknown publisher<br />

- Count Your Garden (4’40’’), Lars-<br />

Olof Forsberg, arr. Teresa Gunnarsson,<br />

Soloist: Isabelle Bania, Teresa<br />

Gunnarsson, Wrangelsg. 3C, 416<br />

62 Gothenburg, Sweden, Phone:<br />

+46 31 775 95 08,<br />

teresa_gunnarsson@hotmail.com<br />

- Hjortingens Polska (2’30’’), after<br />

Pekkos Per, arr. Hans Kennemark,<br />

Hans Kennemark, Box 4147, 400<br />

40 Gothenburg, Sweden,<br />

Phone: +46 31 14 80 20,<br />

hans.kennemark@telia.com<br />

- Largo (3’30’’), <strong>France</strong>sco Maria<br />

Veracini, arr. Thomas Wermuth,<br />

Western Springs School of Talent<br />

Education Publications, 1106<br />

Chestnut, Western Springs,<br />

IL60558, USA,<br />

Phone: +1-877-246-9309 (toll free<br />

number)<br />

- Black Label (0’50’’), Michael<br />

Radanovics, Universal Edition<br />

16537<br />

- Onnen Päivät (4’10’’), Paul Norrback,<br />

arr. Timo Alakotila,<br />

Copyright Timo Alakotila<br />

- El Relicario (2’00’’), Jose Padilla,<br />

arr. Merle J. Isaac,<br />

Highland/Etling Violin Quartet Series,<br />

book 5<br />

Highland Etling Publishing<br />

- Schindler’s List (3’45’’), John Williams,<br />

arr. Thomas Wermuth,<br />

Soloists: Hanna Sundkler-Johansson<br />

& Charlotta Grahn-Wetter,<br />

Western Springs School of Talent<br />

Education Publications,


1106 Chestnut, Western<br />

Springs, Il 60558, USA,<br />

1-877-246-9309 toll free number<br />

- Czárdás (5’15’’), V. Monti, Solos<br />

for Young Violinists, Volume<br />

5,<br />

Summy-Birchard Inc.<br />

- Happy Farmer/Redwing<br />

(1’30’’), Robert Schumann, arr.<br />

Marianne Rygner/American Fiddle<br />

Tune<br />

The Happy Farmer: Fun for 2 Violins,<br />

Edition Egtved, Denmark<br />

Redwing: One World Publications,<br />

P O Box 198645,<br />

Nashville TN 37219-8645, USA<br />

- Csardas (4’00’’), Michael<br />

McLean, Oak Cliff Publishing,<br />

Dallas, Texas, USA<br />

AVIS DE RECHERCHE<br />

Monsieur Lagoutte<br />

10 rue Beau Séjour<br />

71000 Mâcon<br />

Rercherche la « Cello<br />

Method » de Rudolf Matz<br />

dans l’édition « The<br />

Complete Cellist » en deux<br />

volumes de Matz-Aronson<br />

(c’est un condensé de la<br />

méthode de Matz édité par<br />

Tetra Music Corporation<br />

New-york 1974 & 1976)<br />

Qui peut l’aider?<br />

ASSEMBLEE GENERALE DU 11<br />

NOVEMBRE <strong>2003</strong><br />

Frédérique Rouzeau<br />

Le rapport du Président, Michel Strauss, a été<br />

accepté à l’unanimité.<br />

Des projets sont évoqués pour l’avenir de<br />

l’association. Michel Strauss estime qu’il serait<br />

important d’avoir un interlocuteur au ministère<br />

afin d’être reconnu et de pouvoir bénéficier<br />

d’aide. Fabienne Stadelmann souhaite relancer<br />

Alain Poirier sur la création d’une médiathèque<br />

pédagogique au CNSMDP pour la mise en<br />

place de laquelle <strong>ESTA</strong> pourrait être associé.<br />

Nathalie Wizun aimerait que des échanges<br />

entres pays ne s’effectuent pas seulement à<br />

l’occasion des congrès, mais également lors des<br />

journées de travail. Frédérique Daniellot évoque<br />

le dynamisme qu’a suscité le congrès au sein<br />

des professeurs de sa commune.<br />

Charlotte Klingenberg, Trésorière, expose le<br />

bilan de l’année 2002 ainsi que celui du<br />

congrès. L’année 2002 s’est terminée avec un<br />

solde positif de 2.759,89 €. Les dépenses pour<br />

le congrès se sont élevés à 34.573,84 €. Le<br />

congrès a dégagé un léger bénéfice.<br />

Ce bilan est accepté à l’unanimité.<br />

Elections du Conseil d’Administration :<br />

17 présents, 19 pouvoirs, 36 votants.<br />

Ont été élus ou réélus :<br />

Cristina Bellu, Cédric Catrisse, Frédérique<br />

Daniellot, Evelyne Daussy, Jean-Christophe<br />

Deleforge, Marie Deremble, <strong>France</strong> Devillers,<br />

Alexis Galpérine, Bénédicte Héranval, Marie-<br />

Emmanuelle Hérouard, Charlotte Klingenberg,<br />

Lionel Michel, Frédérique Rouzeau, Fabienne<br />

Stadelmann, Michel Strauss, Jean Tabouret,<br />

Catherine Toulouse-Delpeuch, Dominique<br />

Vuillemin, Laure Willmann, Nathalie Wizun.<br />

Il est décidé que l’élection du bureau se fera le<br />

Samedi 13 décembre à 20h30.<br />

23


24<br />

Voyage au bout de l'Archet<br />

Entretien avec Gilles Apap<br />

Nathalie Wizun<br />

Il y a dix ans, Bruno Monsaingeon révélait par le film, "l'Inconnu de Santa Barbara", un jeune violoniste<br />

français vivant aux Etats-Unis, talentueux, inclassable, mais totalement méconnu du public de son pays<br />

d'origine! Quelques temps plus tard, Yehudi Ménuhin disait de lui qu'il représentait le violoniste du 21ème<br />

siècle. Une déclaration forte mais sans doute chargée de quelques revers de médaille, dans un monde musical<br />

où une apparente insouciance et désinvolture seraient parfois perçues comme une forme de dilletantisme,<br />

voire même un manque de sérieux! Sans parler du non conformisme et de l'écclectisme musical...!<br />

Le 24 juin dernier, j'étais invitée à la projection du nouveau documentaire sur Gilles Apap,"Voyage au<br />

bout de l'Archet", de Max Jourdan, dont la diffusion est prévue sur Arte le 28 Février 2004 (sous réserve<br />

d'aléas de programmation).<br />

Loin des feux de la rampe, ce film au parti pris intimiste brosse son portrait en demi teinte, entre la Californie<br />

et Bénares, au rythme d'un quotidien simple, drôle, émouvant et d'une passion musicale partagée<br />

sans limites avec ses amis indiens. Un film courageux et original, grâce à une équipe de tournage dont la<br />

productrice, Hélène Lecoeur, dit tout simplement que c'est " la crème du documentaire ". Eric Guichard,<br />

responsable photo, a déjà obtenu un César pour son travail sur Latcho Drom de Toni Gatlif.<br />

J'ai souhaité prolonger ce "voyage" par quelques questions que j'ai eu envie de poser à Gilles, zigzagant<br />

volontairement autour des différents thèmes évoqués dans le film.<br />

NW: Comment ce projet de film s'est-il<br />

mis en oeuvre et qu'est ce qui t'a amené<br />

vers ce type de formulation différente de<br />

ce que l'on a connu jusqu'alors?<br />

GA: Hélène Lecoeur, productrice chez Ideal<br />

Audience me contacte au retour d'une<br />

tournée, pour me soumettre l'idée d'un<br />

nouveau film à la demande de <strong>France</strong> 3.<br />

Nous discutons de ce qui serait possible, je<br />

lui propose d'évoquer ce qui se passe en<br />

musique autour du violon, la musique<br />

irlandaise par exemple; elle pense que c'est<br />

une bonne idée. Je lui parle de la musique<br />

indienne, elle me répond que celà ne plaira<br />

pas! Je trouve que c'est vraiment dommage<br />

et je lui explique qu'il faut peut-être aller<br />

voir ce qui se passe sur place car il y a<br />

véritablement des choses tout à fait valables!<br />

Nous nous sommes donné rendez-vous en<br />

août dernier à Bénares, 42° à l'ombre, pour<br />

faire un repérage! Je suis parti avec l'idée<br />

qu'il serait intéressant, au travers de ce<br />

portrait, de percevoir les différences<br />

culturelles s'exprimant autour d'une amitié<br />

musicale de longue date. J'ai rencontré tous<br />

ces amis au retour d'un trekking en Himalaya<br />

il y a plus de dix ans; grâce à Jim Wimmer<br />

ami très cher, je me suis arrêté à Bénares et<br />

j'ai fait connaissance avec cette famille de<br />

violonistes, Balaji le fils, Pitaji le grandpère,<br />

Annand le petit fils et le quatuor<br />

Madras.<br />

Le projet s'est mis ainsi en place autour de<br />

l'histoire de ce petit français qui s'est<br />

expatrié aux Etats-Unis, dont le lien avec<br />

Bénarès apparaît en premier lieu avec cette<br />

jeune femme Anchu, une des mes anciennes<br />

élèves de l'Université de Bénarès venue<br />

s'installer en Californie avec son mari.<br />

NW: J'ai été tout à fait sidérée que tu<br />

mentionnes, d'ailleurs très furtivement au<br />

début du film lorsque tu parles de ton<br />

automutilation à quinze jours d'un<br />

concert, le fait que tu commences<br />

seulement à apprécier de t'entendre jouer<br />

et que le violon a été une véritable torture<br />

pour toi! N'est ce pas le résultat d'un<br />

parcours où la douleur est présente?<br />

GA: Oui la douleur a toujours été présente !<br />

NW: Je m'interroge sur ce que produit le<br />

système !<br />

GA: C'est quand même assez ambigu car s'il<br />

n'y avait que le système à incriminer! Il y a


aussi tout ce qui se passe autour, la façon<br />

dont tu es éduqué! J'ai des parents qui ont été<br />

extraordinaires, mais ma mère m'a poussé<br />

sur scène quand j'étais petit et j'étais mort de<br />

trouille. Je n'ai jamais vraiment accepté le<br />

fait de jouer sur scène, car je suis<br />

profondément timide, c'était toujours une<br />

véritable épreuve et j'aurais préféré me<br />

cacher ailleurs! Puis quand tu réalises que<br />

c'est ta vie, alors tu fais ton cheminement<br />

intérieur pour apprivoiser tout cela ! J'ai un<br />

certain parcours qui a fait que le violon était<br />

toujours là, présent, je dois avoir un don<br />

pour ça... Certains arrivent à l'assumer en<br />

étant forts, efficaces, pour d'autres, c'est plus<br />

délicat, plus sensible !<br />

NW: Mais justement, parmi les enfants<br />

qui vont faire de la musique et qui<br />

choisiront d'en faire leur chemin de vie,<br />

bon nombre sont émotifs, sensibles et<br />

doués, que peut-on faire pour tenir<br />

compte de tous ces éléments?<br />

Une semaine auparavant, j'étais invitée à<br />

l'avant première du nouveau film de Denis<br />

Dercourt (professeur d'alto au CNR de<br />

Strasbourg), "mes enfants ne sont pas<br />

comme les autres", une fiction qui aborde<br />

exactement les mêmes thèmes . Denis nous a<br />

expliqué, à l'issue de la projection, qu'il était<br />

fréquent que les enfants en<br />

professionnalisation précoce se mutilent,<br />

seul moyen d'exprimer leur refus et de se<br />

dérober ainsi à un niveau de pression<br />

parfois intolérable.<br />

GA: C’est un vrai problème, à dix huit ans je<br />

n'étais absolument pas conscient de l'impact<br />

de mon geste. Quinze jours avant ce concert,<br />

j'avais organisé mon scénario et je me suis<br />

mis la main dans la porte, en me disant je ne<br />

jouerais plus de violon! De toute façon, la<br />

musique c'est tellement dur<br />

professionnellement, quand on voit le niveau<br />

de concurrence... A moins d'avoir une<br />

attitude pédagogique et d'aimer<br />

l'enseignement, ou alors on garde le violon<br />

comme un hobby et on fait un autre métier!<br />

J'ai réussi à faire du violon un vrai hobby,<br />

car je n'aime pas le mot de travail, je peux<br />

jouer pour les gens et gagner ma vie. Mais ce<br />

chemin n'a pas du tout été facile! Quand tu<br />

veux essayer de faire quelque chose de bien,<br />

c'est dur, car il y a aussi tous les<br />

contacts humains en jeu autour de ta<br />

carrière. Souvent je finissais des concerts<br />

dans l’incapacité de parler, ayant envie de<br />

m'en aller! Maintenant j'ai appris à travailler<br />

avec tout cela, je me connais mieux et je<br />

m'identifie aussi mieux à ce que je suis.<br />

NW: Je suis persuadée qu'il faut dire tout<br />

cela, car bien souvent, on fait miroiter de<br />

façon tellement prématurée qu'un enfant<br />

est doué!<br />

GA: Si un enfant a un don, il faudrait surtout<br />

éduquer ses parents, mais peut-on éduquer<br />

les parents?! Car il faut avoir un esprit assez<br />

large pour comprendre certaines choses et<br />

pouvoir se demander comment traiter mon<br />

enfant qui a un don!<br />

NW: Est-ce que la structure d'accueil ne<br />

doit pas alors jouer ce rôle, afin de cadrer<br />

ce type d'enfant, mettant ainsi à distance<br />

le niveau d'attente de l'entourage?<br />

GA: Certainement, mais je maintiens qu'il<br />

faut éduquer les parents plus que les enfants!<br />

NW: Comment es-tu parvenu à intégrer le<br />

mouvement dans ton jeu, car tu es un des<br />

rares musiciens à te déplacer sur scène, à<br />

bouger?<br />

GA: C'est parce que j'adore jouer dans la<br />

nature, j'ai la chance de m'être créé une vie<br />

dans un cadre magnifique. En Californie il y<br />

a de l'espace, j'ai plusieurs endroits où je vais<br />

jouer et quand je suis dans la nature, je peux<br />

marcher un bon moment, en faisant de<br />

l'exercice, en étant seul avec la musique, ce<br />

qui est quand même une des choses les plus<br />

agréables. Lorsque j'en parle, les gens ne<br />

semblent pas comprendre! Pour moi, c'est<br />

très important d'avoir ces lieux<br />

extraordinaires où je peux changer de décor,<br />

je vois un arbre, je reste ou bien je me remets<br />

25


26<br />

en marche. J'ai aussi affiné tout cela au<br />

contact d'une violoniste chinoise avec qui j'ai<br />

travaillé, je l'ai observée, elle et ses amis<br />

dans leur façon d'être. Alors nous et notre<br />

côté rigide! J'ai le souvenir de cours avec<br />

Doukan ...., quand tu as l'esprit un peu plus<br />

libre que la norme, ça te martyrise! Mais je<br />

suis content d'être passé par là, maintenant<br />

j'aime véritablement ce que je fais.<br />

NW: De toute façon, je ne pense pas que<br />

l'on puisse renier son parcours, ce serait<br />

une folie!<br />

GA: Non bien au contraire, j'en suis heureux<br />

aujourd'hui, quand je vois des jeunes qui<br />

tentent de m'imiter, ils n'ont pas encore bien<br />

compris, c'est dommage. Bien sûr on se dit,<br />

allez, on peut jouer avec le sourire, mais<br />

pour arriver à un sourire en jouant avec<br />

sincérité et quelque chose de véritablement<br />

profond, c'est tout une autre affaire. Il y a<br />

différentes formes de sourires!<br />

NW: L'artifice dans la vie, tout un sujet!<br />

Qu'est ce qui t'a poussé à gérer ta place de<br />

soliste dans l'orchestre de chambre dans<br />

la continuité d'une certaine tradition où<br />

l'on jouait sans chef?<br />

GA: Le métier de soliste que je suis en train<br />

de faire est quelque chose d'assez récent<br />

dans ma carrière, je fais donc beaucoup plus<br />

de tournées, ce qui m'amène à rencontrer<br />

beaucoup de chefs et donc à faire face à<br />

certains ego! Le rôle du chef d'orchestre<br />

est un aspect du métier que j'ai du mal à<br />

assumer! Idéalement son travail serait de<br />

pouvoir faire répéter l'orchestre, de montrer<br />

comment donner un départ et ensuite il ne<br />

serait plus là au moment du concert, il<br />

laisserait les musiciens jouer à "coeur<br />

ouvert" et se diriger seuls. Tu imagines le<br />

développement musical que cela<br />

impliquerait!<br />

NW: En somme, un chef qui serait<br />

metteur en scène ou chorégraphe de<br />

partitions! Y-a-t-il des musiciens<br />

d'orchestre qui en discutent avec toi ou<br />

bien qui retirent quelque chose de ce type<br />

de confrontation?<br />

GA: Non il n'y a pas d'échange, ils ont leur<br />

travail! Mais moi j'en discute avec eux.<br />

Certains chefs me laissent diriger, d'autres…<br />

pensent que je ne peux pas me passer d'eux!<br />

Ils n’imaginent pas que la musique puisse se<br />

faire sans eux!<br />

NW: Et peut-être même mieux!<br />

GA: C'est justement cela, c'est un vrai<br />

dilemme pour moi , je ne regarde jamais le<br />

chef, je regarde les musiciens et j'essaie de<br />

jouer avec eux, pour moi le chef c'est comme<br />

un pingouin au milieu, je l'appelle l'homme<br />

du milieu, the middle man! Il y aurait<br />

tellement de choses à faire progresser autour<br />

de cette question, comme la place du rythme,<br />

de la pulsation, de l'autonomie et ce, dès le<br />

début de la pratique instrumentale, parce que<br />

cela fait partie des lacunes des<br />

conservatoires! Et la plupart des directeurs<br />

veulent tous diriger l'orchestre !<br />

J'adore la musique traditionnelle, je la trouve<br />

sublime du fait que l'on peut réunir tout le<br />

monde à des niveaux différents, on joue un<br />

air à deux parties ou plus et on peut le<br />

répéter jusqu'à la transe!<br />

NW: J'ai beaucoup aimé la confrontation<br />

à l'Inde, avec cette famille de musiciens<br />

sur trois générations, pour qui la musique<br />

semble être plus un mode de vie qu'un<br />

apprentissage!<br />

GA: Tu sais, ils sont très attachés à l'idée du<br />

maître, du gourou, c'est comme une espèce<br />

d'évidence, ils commencent à travailler très<br />

tôt le matin, pendant les cours, on leur crie<br />

dessus, parfois même, ils prennent des<br />

coups! Mais c'est totalement intégré, comme<br />

normal!<br />

NW: En tout cas, ils n'ont pas l'air d'avoir<br />

développé la moindre pathologie, ils<br />

manifestent une joie profonde quand ils<br />

jouent ou lorsqu'ils t’écoutent jouer!


GA: Oui, ils ont quelque chose d'intact et de<br />

pur. C'est comme le quatuor Madras, lorsque<br />

que je les ai écoutés la première fois dans du<br />

Mozart, ils étaient complètement incroyables<br />

et touchants de décalage culturel, alors qu'ils<br />

jouent aussi des compositions carnatiques en<br />

quatuor qui sont de toute beauté. On pourra<br />

voir tous ces musiciens dans un concert de<br />

deux heures dans le DVD "Apap Masala"*<br />

qui devrait sortir peu après le<br />

documentaire .<br />

*Masala: mélange d'épices préparé et utilisé<br />

dans les différentes recettes de cuisine<br />

indienne .<br />

Mais alors où est Mozart dans tout cela? Cet<br />

infatigable jeune voyageur qui au dire de ses<br />

proches ne tenait pas en place. Peut-être se<br />

promène-t-il bien sur d'immenses dunes de<br />

sables à la recherche d'un petit prince qui lui<br />

demanderait " Dessine-moi un violon"! Ou<br />

bien en contemporain de Rousseau célèbre-til<br />

la "nature qui est un temple", sur les bords<br />

du Gange où "les parfums, les couleurs et les<br />

sons se répondent… chantent les transports<br />

de l'esprit et des sens."<br />

INFOS...INFOS...INFOS...INFOS...INFOS...INFOS...INFOS...<br />

Un message de Vincent Magnan, président de l’AME<br />

L’AME est une association basée à Lyon regroupant des enseignants<br />

de musique des conservatoires. Celle-ci a atteint ses 10 années<br />

d’existence. Elle permet depuis ce temps la rencontre des enseignants<br />

lors de réunions pédagogiques ainsi que la diffusion d’informations au<br />

sujet de notre métier, notamment par l’intermédiaire de sa gazette<br />

« Etat d’Ame », qui a sorti en mai 2002 son 10e numéro.<br />

Depuis quelques semaines, notre association a mis en ligne son site<br />

Internet, projet sur lequel elle travaillait depuis quelques mois. Le but<br />

de ce site Web est de permettre une meilleure circulation des<br />

informations concernant les enseignants des écoles de musique et de<br />

permettre un réel partage de l’expérience des enseignants. Pour cette<br />

raison, un forum y est ouvert pour tous. http://www.ame.free.fr<br />

Convaincus que nos actions envers les enseignants œuvrent dans la<br />

même direction, nous serions heureux de pouvoir avoir avec votre<br />

association des liens plus étroits...<br />

Association des Musiciens Enseignants<br />

22, rue de la Cité<br />

69003 LYON<br />

L’Association des Professeurs de Formation Musicale a également<br />

manifesté son désir de créer avec les associations d’instrumentistes<br />

des liens plus étroits.<br />

27


28<br />

Welcome to Holland!<br />

Meet the Dutch, their musicians and their music at the<br />

32nd <strong>ESTA</strong> Conference<br />

“Communication on different levels”<br />

Monday August 16th – Saturday 21st 2004<br />

Concert and Congress Center De Doelen<br />

Rotterdam, The Netherlands<br />

The Program<br />

<strong>ESTA</strong> Nederland is presenting a program featuring string education, including the<br />

presentation of Dutch musicians (both professional and amateur) and Dutch music.<br />

Subjects offered include:<br />

A method for students to learn how to practice (Ilona Sie Dhian Ho),<br />

Baroque music and dance, with demonstration and workshop (Dorotheé Wortelboer),<br />

A presentation and demonstration of the Tango Class of the Rotterdam Music<br />

Academy (Martijn van der Linde, violin and Leo Vervelde, bandoneon),<br />

A presentation by violinist Coosje Wijzenbeek, followed by a short concert by her<br />

students “the Fancy Fiddlers”, a Suzuki workshop for cellists ( Marianne<br />

Vrijland,Anne van Laar en Nienke van der Dool),<br />

An introduction of the 24 Caprices for solo violin of Dutch composers by Theo<br />

Muller; a selection of those works will be performed by three young Dutch<br />

pricewinners,<br />

An interesting illustrated speech by composer and musicologist Leo Samama about<br />

Music and Musical Life in the Netherlands,<br />

Working with youth orchestras and music written especially for them (Hans<br />

Scheepers),<br />

Playing sessions will be organized to introduce Dutch pedagogical music. A certain<br />

amount of string instruments will be available thanks to the cooperation of the Dutch<br />

Violinmakers Association.<br />

From outside The Netherlands we received many interesting contributions to the<br />

program:<br />

Music in Malta (Antoine Frendo, Malta)<br />

The body as a musical instrument: gesture, expression, intention (Sabina<br />

Moretti,Italy)<br />

The F.M.Alexander Principle and Technique-leading to the road from basic tone<br />

production to the Bach cello suites (Anders Gron, Denmark)<br />

Interpreting Rhetorical Gestures in the solo Sonatas for violin by J.S. Bach -<br />

articulations and authentic slurs / The Rhetorical speech of Ancient Rome and Greece<br />

(Merit Palas, Finland)<br />

A Master class and presentation of Czech pedagogical music by violinist Ivan Straus<br />

(Czech Republic)<br />

Capricci by Nicolo Paganini; their didactic values in building violin virtuosity


(Miroslav Lawrynowicz, Poland)<br />

and more...<br />

Special attention will be paid to the Double Bass, including a workshop with children<br />

on mini-bass ( Peter Leerdam and Jules Kirch) and the introduction of a new<br />

Concerto for the Double Bass, commissioned especially for this conference to the<br />

Dutch composer Roel van Oosten.<br />

The daytime presentations and workshops will alternate with short concerts a.o. The<br />

Viola Quartet Alttijt with Esther Apituley.<br />

The evening concerts, which will be open to the public, will include well-known<br />

Dutch ensembles such as the Cello-Octet Conjuncto Iberico, the young Matangi<br />

Kwartet , the Haydn Youth Orchestra under Ben de Ligt with young violinist<br />

Simone Lamsma.<br />

Rotterdam<br />

The conference will be held in the Concert and Congress Center De Doelen, situated<br />

in the heart of Rotterdam, five minutes walking from the Central Train Station.<br />

Rotterdam is not only a dynamic city thanks to its port, the largest in the world, but<br />

was named the Cultural Capital of Europe in 2001, having developed during the past<br />

20 years into a city with much to offer in the cultural sense. The rebuilding of the<br />

city after World War II offered the possibility for modern, often daring architecture,<br />

including the Kubus Dwellings, which are open for viewing. Rotterdam’s Logo is the<br />

white ornate Erasmus Bridge, which spans the Maas River, named after the native<br />

Rotterdammer who founded the Humanist movement in the 15th century. Rotterdam<br />

has museums of every sort. The highly regarded museums, such as the Museum<br />

Boijmans van Beuningen, which has Art dating from the period 1750-1930, the<br />

Kunsthal Rotterdam containing modern Art and the Netherlands Architectuur<br />

Instituut are all situated around the easily accessible Museum Park. Needless to say<br />

Rotterdam has an extensive Maritime Museum with an indoor and outdoor<br />

exposition.<br />

De Doelen is situated in an area filled with restaurants, cafes and a large modern<br />

shopping center. Rotterdam has an extensive transportation system, including bus,<br />

tram and metro. Rotterdam Train Station is one of the main Stations in the Dutch<br />

Railway system, and Rotterdam has its own airport. Rotterdam is also easily<br />

accessible from Schiphol Airport (Amsterdam).<br />

Final Program and Registration<br />

The final program and registration forms will be available early in 2004.<br />

The congress fee will be €150, including all Concerts.<br />

Accommodation will be available in price classes ranging from €85.00 (opposite the<br />

Congresshall) to €45.00 (5 stops by tram) for a single room. Most hotels are within<br />

walking distance of de Doelen (10 or 15 minutes), but tram stops are opposite de<br />

Doelen.<br />

Dutch <strong>ESTA</strong> hopes to welcome a large delegation from all countries!!<br />

29


30<br />

Manuel de Composition et d’Improvisation<br />

Musicales<br />

100 recettes faciles (et délicieuses)<br />

à l’attention des élèves gourmands<br />

(dès leur première année d’étude)<br />

et des professeurs curieux<br />

Ed. Zurfluh<br />

Claude-Henry Joubert<br />

Nous avons tous énormément apprécié<br />

l’intervention de Claude-Henry Joubert lors du<br />

congrès d’avril <strong>2003</strong> pour la présentation de ce<br />

nouveau recueil. Quelques mois plus tard<br />

certaines recettes ont été testées ... par un<br />

professeur de saxophone qui s’occupe d’un<br />

ensemble de jeunes instrumentistes à vent ayant<br />

seulement une année de pratique ... par un<br />

professeur de Formation Musicale qui enseigne<br />

en niveau supérieur ... par un professeur d’alto<br />

qui se plonge dans l’univers des modes ... et bien<br />

tous ces professeurs sont conquis et le livre sera<br />

vraiment utile à tous les enseignants quel que<br />

soit le niveau des élèves auxquels ils s’adressent.<br />

Pas toujours facile à trouver c’est dommage,<br />

insistez un peu auprès de votre marchand de<br />

musique!!!<br />

Claude-Henry Joubert, travailleur infatigable,<br />

vient également de publier une multitude de<br />

nouvelles partitions pour nos jeunes élèves: en<br />

voici quelques titres, impossible d’être exhaustif,<br />

la production est si abondante!!!<br />

Aux éditions Robert Martin, « La Princesse<br />

Galantine » pour alto et piano (début de cycle I),<br />

« Rocambole et Crépinette », variations pour<br />

alto et piano (début de cycle II -ou fin de cycle I<br />

NDLR), « Le Mystère du Godiveau » pour<br />

violon et piano (début du cycle II), « Le Géant<br />

Galimafré » pour violon et piano (début de cycle<br />

I), « Jo le Fenouil » pour contrebasse et piano<br />

(début de cycle I) et « Souvenirs héroïques du<br />

Général Baderne » (pièce jouée lors du congrès),<br />

variations pour contrebasse et piano (cycle II).<br />

Aux éditions Fertile Plaine (11, rue de Rosny<br />

94120 Fontenay-sous-Bois, tél: 01-48-77-38-12,<br />

mail: contact@fertileplaine.com) « Ronde aux<br />

violons », rondeau pour une ensemble de violons<br />

multiple de 4 de niveau cycle I. Aux éditions<br />

Combre, les altistes apprécieront également la<br />

publication de « Cahiers d’Altos I » (11 pièces<br />

pour 2 altos). Les duos sont presque les mêmes<br />

que ceux pour violons. La partition pour violon<br />

s’intitule « Réjouissance»… Il faut bien motiver<br />

les violonistes!<br />

Witches’Brew<br />

pour violon et piano ou pour violoncelle et<br />

piano<br />

Caroline Lumsden et Ben Attwood<br />

Edition Peters<br />

Attirée par une publicité du supplément <strong>ESTA</strong><br />

du Strad d’aôut <strong>2003</strong> que tous les adhérents<br />

<strong>ESTA</strong> européens ont reçu cet été, j’ai commandé<br />

le CD « démo » de<br />

ce recueil pour violon ou<br />

violoncelle et piano ou CD.<br />

Une excellente initiative<br />

pour cette partition qui<br />

comporte à la fois la partie<br />

soliste (violon ou violoncelle),<br />

la partie de piano et<br />

le CD (version piano+instrument<br />

soliste puis<br />

version avec piano seul sans<br />

l’instrument soliste). Caroline<br />

Lumsen et Ben Attwood<br />

ont composé des musiques<br />

très variées et swingantes<br />

sur le thème des sorcières,<br />

toujours cher à nos charmantes têtes<br />

blondes, même s’il parait qu’Halloween ne<br />

fait plus recette. J’apprécie particulièrement la<br />

variété des rythmes proposés. On suppose<br />

souvent à tort que les enfants jeunes ne pourront<br />

jouer que des noires et des croches simples.<br />

Ce recueil nous prouve qu’il n’en est<br />

rien: je l’ai testé avec de jeunes enfants, ça<br />

marche!<br />

Un petit bémol, il y en a toujours malheureusement:<br />

l’interprétation instrumentale au violoncelle<br />

n’est pas à la hauteur du projet.<br />

Même si l’on suppose que les auteurs ont souhaité<br />

un son un peu « brut » adapté à l’atmosphère<br />

grinçante d’un univers de sorcières, 15<br />

morceaux avec ce même son, c’est un peu lassant<br />

-et pas forcément très pédagogique...<br />

Mais sans le violoncelle, la partie de piano<br />

seul sonne très bien!!!<br />

Le 1er volume ne comporte que des cordes à<br />

vides et des premiers doigts, le 2ème volume<br />

... et bien, je l’ai commandé il y a huit<br />

semaines et il n’est toujours pas arrivé, alors<br />

mystère ... la sorcière est de retour!


Aspects du Paris musical de 1890 à 1940 :<br />

Toute ma communication va tourner autour de<br />

quatre concepts clefs et de quelques hypothèses<br />

risquées que je crois stimulantes. Mes concepts<br />

peuvent être associés comme dans mon intitulé, le<br />

néoclassicisme étant une forme de nationalisme, et<br />

l'ouverture vers la musique contemporaine un corollaire<br />

du cosmopolitisme; ils peuvent être opposés<br />

: narcissisme national et audaces prospectives<br />

d'un côté, ouverture vers l'extérieur et repli sur une<br />

esthétique révolue de l'autre. Les trois volets de<br />

mon intervention seront :<br />

1°) Debussy et le symbole des contradictions de<br />

l'avant-guerre;<br />

2°) La nouvelle donne des années 20;<br />

3°) L'ouverture prometteuse des années 30.<br />

nationalisme et néoclassicisme;<br />

cosmopolitisme et prémisses de l'ouverture des années 50<br />

texte de la conférence donnée par Michel Faure, essayiste, lors du congrès d’<strong>ESTA</strong> d’avril <strong>2003</strong><br />

I- Debussy : symbole des contradictions<br />

de l'avant-guerre<br />

La Belle Époque doit son nom à la catastrophe qui<br />

la suit. En fait, c'est une époque de tensions sociales<br />

et de déchirements idéologiques. La <strong>France</strong> est<br />

largement ouverte sur l'extérieur quoique le protectionnisme<br />

et le nationalisme la contaminent déjà,<br />

et sa langue musicale est à la fois marquée par ses<br />

audaces et par sa nostalgie du passé.<br />

Reprenons ces points. Les personnalités du monde<br />

musical qui, de l'étranger, viennent à Paris sont<br />

toujours nombreuses. Autour de 1900, citons Albéniz,<br />

César Cui, Diaghilev, Stravinsky, Enesco,<br />

Sylvio Lazzari. La Favorite, Lucie de Lamermoor, Cavaleria<br />

Rusticana, Aïda, Falstaff, Othello, Rigoletto, La<br />

Traviata sont régulièrement à l'affiche à l'Opéra. La<br />

musique allemande, dans nos salles de concerts<br />

comme de spectacles, en matière de symphonies,<br />

de musique de chambre comme de drames lyriques,<br />

est omniprésente.<br />

La <strong>France</strong> n'oublie pas pour autant sa "revanche".<br />

Mais pour parvenir à égaler l'Allemagne et surmonter<br />

son complexe d'infériorité musicale, elle se<br />

met à l'écoute du modèle d'outre-Rhin. Un exemple<br />

entre autres : Vincent d'Indy assiste à l'ouverture<br />

du Théâtre de Bayreuth; il cotise à l'Association<br />

des Patrons du Saint-Graal; le Cours de composition qu'il<br />

professe à partir de 1897 regarde le drame wagnérien<br />

comme l'aboutissement de l'art lyrique de tous<br />

les temps. Sans le sérieux allemand pris pour modèle,<br />

impossible de contrecarrer notre légèreté entretenue<br />

par le goût de la musique italienne. Or, de<br />

Pergolèse à Rossini, Donizetti, Bellini, Verdi et<br />

Puccini, ce goût n'a fait que prostituer<br />

la musique aux sens et convertir l'art en une cohabitation<br />

malsaine de la sensualité et de la fioriture, au lieu de l'élever<br />

jusqu'au sublime mirage de l'intelligence et de l'idéal.<br />

D'Indy joue donc l'Allemagne contre l'Italie pour<br />

l'amour de la musique française… Ainsi, grâce à<br />

l'Allemagne, la musique devient pour nous autre<br />

chose qu'un divertissement. Nous écoutons à présent<br />

les yeux fermés, la tête entre les mains, les<br />

récitals de Marie Jaëll, d'Édouard Risler, de Robert<br />

Lortat qui programment l'intégrale des œuvres<br />

pour piano de Schumann ou de Chopin, celle du<br />

Clavier bien tempéré de Bach, celle des Sonates de Beethoven.<br />

La symphonie et la musique de chambre<br />

françaises renaissent sous les plumes des Lalo, Bizet,<br />

Chausson, Dukas, d'Indy, Magnard, Saint-<br />

Saëns, Fauré, Debussy, Ravel… Hélas! retombée<br />

négative, bon nombre d'œuvres françaises attrapent<br />

cette wagnérie purulente que dénonce Edouard<br />

Lalo. Sigurd, le Roi Artus, Gwendoline, Briséis ou Fervaal<br />

en portent les stigmates, pas seulement musicaux.<br />

Le chevalier Fervaal de d'Indy ne peut sauver<br />

son pays celte de l'anarchie intérieure et de la volonté<br />

de conquête des peuples limitrophes que s'il<br />

renonce à l'amour : suivez mon regard… Les idées<br />

allemandes nous abaissent plus que le siège de Paris<br />

ne l'a fait, s'insurge le Sâr Péladan. Satie approuve.<br />

Une réaction se met en marche. Pelléas,<br />

Ariane et Barbe-Bleue, Pénélope jalonnent ce difficile<br />

affranchissement de Wagner. Parallèlement, un<br />

mythe s'élabore dont Debussy se fait l'écho : la<br />

31


32<br />

musique française n'a cessé tout au long de son<br />

histoire d'être envahie par des esthétiques venues<br />

d'Italie, d'Allemagne ou d'ailleurs. Elle a trop souvent<br />

demandé son chemin à des gens intéressés à le lui<br />

faire perdre. En 1908 encore, la voici à la remorque des<br />

faits divers qui viennent d'Italie ou des anecdotes légendaires<br />

– miettes tombées de la table d'hôtes tétralogiques.<br />

La diplomatie de Delcassé et l'alliance franco-russe<br />

conclue en 1891 montrent heureusement la voie.<br />

Depuis l'Exposition Universelle de 1889, mais surtout<br />

dans le sillage de cette alliance, la <strong>France</strong> accueille<br />

les compositeurs russes. Elle fête César Cui,<br />

Borodine, Rimsky-Korsakoff, Moussorgsky… Debussy<br />

oppose Moussorgsky aux forts en thème<br />

d'outre Rhin : il<br />

est unique et le demeurera par son art sans procédés, sans<br />

formules desséchantes. Jamais une sensibilité plus raffinée ne<br />

s'est traduite par des moyens aussi simples. Il compose par<br />

petites touches successives reliées par un lien mystérieux et<br />

par un don de lumineuse clairvoyance.<br />

Boris Godounov, le Prince Igor, Ivan le Terrible, la Khovanschina,<br />

le Coq d'or sont ainsi présentés au public<br />

parisien entre 1908 et 1914. À l'exemple du nationalisme<br />

des Cinq Russes, nos compositeurs renouent<br />

avec l'écriture de leurs ancêtres. Debussy<br />

compose son Hommage à Rameau, Ravel, son Tombeau<br />

de Couperin. Diaghilev et Stravinsky les joignent<br />

pour prendre la musique allemande en tenaille<br />

entre les musiques française et russe.<br />

Le nationalisme pousse par ailleurs les deux rives<br />

musicales du Rhin à évoluer différemment. Là où<br />

le chromatisme wagnérien continuant sur sa lancée<br />

débouche sur l'atonalité, la <strong>France</strong> renoue avec la<br />

vieille modalité grégorienne. Là où l'orchestre germanique<br />

multiplie les symphonies colossales, Louis<br />

Diémer épaulé par la maison Gaveau remet à la<br />

mode le clavecin et sa littérature. Nos compositeurs<br />

redécouvrent l'écriture "sèche". La <strong>France</strong><br />

s'embarque de nouveau vers Cythère et ses fêtes<br />

galantes. Le menuet, la pavane, le rigaudon, la sarabande<br />

rentrent en scène. L'ancienne "Suite" ou la<br />

"Sonate" d'avant le bithématisme réapparaissent,<br />

en même temps que, sur les partitions, les indications<br />

de mouvements et de nuances en italien.<br />

Ce retour à l'Ancien Régime sonore plaît d'autant<br />

plus aux Français que l'Allemagne leur fait peur et<br />

que la nation française dominait alors, militairement<br />

et culturellement, l'Europe. Bref, notre bourgeoisie<br />

de l'immédiat avant-guerre s'aristocratise.<br />

Elle rêve de bergers et de frondaisons versaillaises,<br />

tandis que la seconde révolution industrielle pro-<br />

gresse et que le flot montant de la démocratie lui<br />

dispute le pouvoir. La guerre ? Bon nombre de<br />

musiciens français vont l'accepter comme indispensable.<br />

Debussy explique en 1915: depuis Rameau,<br />

nous avons cessé de cultiver notre jardin, mais par contre,<br />

nous avons serré la main des commis voyageurs du monde<br />

entier. Nous avons écouté respectueusement leurs boniments<br />

et acheté leur camelote. (…) Nous avons demandé pardon à<br />

l'univers de notre goût pour la clarté.<br />

Aussi lorsque l'Opéra rouvre ses portes en décembre<br />

1915, il n'affiche que des œuvres françaises,<br />

italiennes ou russes. La résurrection symbolique de<br />

Castor et Pollux viendra, le 21 mars 1918. En attendant,<br />

notre production musicale tricolorise à l'envi.<br />

Citons le chœur a capella de Ravel : Trois beaux<br />

Oiseaux du Paradis, de Debussy, le Noël des Enfants<br />

qui n'ont plus de Maison, la Boîte à Joujoux où l'on entend<br />

Le rêve passe et Gloire immortelle de nos Aïeux et<br />

En blanc et noir, la suite pour deux piano où s'affrontent<br />

la Marseillaise et le Choral dit de Luther.<br />

Quoique devenu nationaliste et nostalgique, Debussy<br />

continue d'être en même temps novateur et<br />

universel. Il est né un an avant Kandinsky, en<br />

1865. Il annonce comme lui le changement de représentation<br />

du monde en train de s'opérer dans<br />

les esprits. La fourchette chronologique voisine de<br />

1871-1886 voit en effet naître Bartok, Berg, Ives,<br />

Schœnberg, Scriabine, Stravinsky, Varèse et Webern,<br />

mais aussi Picabia, Picasso, Marcel Duchamp<br />

et Joyce. Avec eux, le langage musical, pictural ou<br />

littéraire vole en éclats. Pourquoi ? Parce que les<br />

révolutions industrielles qui s'enchaînent périment<br />

le vieil ordre néolithique avec la société hiérarchisée<br />

à laquelle il sert de fondement. Cinq millions<br />

de ruraux quittent les campagnes françaises en cinquante<br />

ans. La rente foncière s'effondre. Les coutumes<br />

ancestrales, les dévotions naïves tombent en<br />

désuétude. Le réseau des sociabilités traditionnelles<br />

se démaille. La classe ouvrière s'organise. Les partis<br />

socialistes investissent le parlement. L'ensemble<br />

des représentations mentales se métamorphose.<br />

Les juristes et les législateurs sont contraints de<br />

durcir ou d'adoucir les règles du contrat social; les<br />

compositeurs et les grammairiens de la musique,<br />

de consolider ou de dépasser les règles des<br />

contrats sonores hérités.<br />

Debussy assume à la fois le retour élitiste à la tradition<br />

et l'ouverture sonore indispensable. Rejet de<br />

l'écriture à quatre voix, de la cadence parfaite, du<br />

rituel des enchaînements des IIe, Ve et Ier degrés.<br />

Développement d'un thème par variation de son


éclairage harmonique. Valorisation du silence. À<br />

chaque œuvre, sa forme spécifique. À chaque intervalle,<br />

son originalité féconde. À chaque agrégation<br />

sonore, le droit d'exister en soi, non plus à sa<br />

place attitrée dans une fonction de tension-détente,<br />

mais comme tache de couleur, instantané de bonheur<br />

sonoriel. D'où ces gammes pentatoniques et<br />

heptatoniques, ces mélodies d'accords, ces musiques<br />

de timbres, ces sonorités qui se souviennent<br />

du théâtre annamite de l'Exposition de 1889, ce<br />

quatrième mode à transposition limitée qu'il inaugure<br />

dans La Terrasse des Audience du Clair de Lune,<br />

ou encore cette orchestration que Debussy conçoit<br />

autrement que comme instrumentation d'une partition<br />

pour piano. Dès le Prélude à l'Après-midi d'un<br />

Faune et les Nocturnes pour orchestre, l'essentiel de<br />

la révolution harmonique de l'Occident moderne<br />

est acquis, assure Gilbert Amy. Debussy choisit et<br />

groupe ses instruments en tenant compte de leur<br />

registre, de la dynamique de leurs modes de jeu et<br />

la spécificité de leurs partiels, de la différence de<br />

leurs types d'attaques, de la modulation du son et<br />

des phénomènes d'interférences. Tout automatisme<br />

d'écriture se trouve disqualifié. Pierre Boulez<br />

conclut : Debussy rompt le Cercle d'Occident. Braudel<br />

dirait qu'il brise les barreaux de cette prison de<br />

longue durée où s'est enfermée la musique.<br />

Élargissement de l'espace, élargissement du<br />

temps… Le génie novateur de Debussy tient selon<br />

moi au fait qu'il sort d'un milieu social sans rapport<br />

avec les cercles bourgeois dont sont généralement<br />

issus les compositeurs de son temps. Très tôt, les<br />

règles musicales qui, pour eux allaient de soi, lui<br />

apparaissent comme étrangères. Ses origines sociales<br />

populaires le poussent à remettre en question<br />

certains privilèges installés dans la société symbolique<br />

des sons – ceux par exemple de la carrure, du<br />

primat des hauteurs, de la préséance de tel ou tel<br />

degré... Son oreille et son plaisir exigeaient une<br />

musique autre. Il l'inventa.<br />

Seulement l'innovation a un coût. Si la mort rôde<br />

dans la musique de Debussy, si André Caplet compose<br />

Le Masque de la Mort Rouge, si Maurice Delage,<br />

Ernest Chausson, Paul Dukas, Henri Duparc détruisent<br />

nombre de leurs œuvres ou se suicident,<br />

c'est que la société qui les inspire et les écoute<br />

doute d'elle-même. Tout bouge autour d'elle. Une<br />

impression de décadence, de catastrophe imminente,<br />

de fin du monde trouble l'air de la fin du<br />

XIXe siècle. Pelléas et Mélisande n'existerait pas sans<br />

la mauvaise conscience sociale qui tourmente ses<br />

auteurs et leurs contemporains : au royaume d'Allemonde,<br />

les victimes de la faim rendent irrespirable<br />

l'atmosphère.<br />

II- La nouvelle donne des années 20<br />

À peine la guerre a-t-elle refermé ses boucheries<br />

que Jean Cocteau publie son opuscule Le Coq et<br />

l'Arlequin. Le Bloc national et la Chambre bleu<br />

horizon s'apprêtent à gouverner la <strong>France</strong>. Cocteau<br />

ajoute un volet esthétique à leur programme de<br />

"réparations". L'article que signe Henri Collet dans<br />

Comoedia, le 16 janvier 1920, institutionnalise le<br />

Groupe des Six. Sa mission est de dégermaniser la<br />

musique et de la réconcilier avec le peuple. Depuis<br />

Parade, Satie est le gourou du jour. Sa musique est<br />

truffée de rengaines à 100% tonales, populaires et<br />

françaises. Diaghilev flaire le vent. La première de<br />

Pulcinella, le 15 mai 1920, ouvre la saison des<br />

"réparations" musicales.<br />

En effet, au temps de la Querelle des Bouffons, les<br />

Encyclopédistes avaient enrôlé Pergolèse pour<br />

ébranler le système esthético-social de l'Ancien<br />

Régime. À présent, Pergolèse est appelé pour restaurer<br />

la tradition musicale et l'héritage méditerranéen<br />

! La <strong>France</strong> des années 20 et des années 30<br />

entre à reculons dans le XXe siècle. Son prestige,<br />

et l'héroïsme porté au crédit de ses morts au<br />

champ d'honneur font qu'elle redevient néanmoins<br />

un pôle attractif. Il est vrai qu'aux côtés des géants<br />

américain ou russe et des totalitarismes qui la cernent,<br />

elle représente une sorte de conservatoire<br />

humaniste. Mihalovici débarque à Paris en 1919,<br />

Tansmann en 1920, Aaron Copland et Serge<br />

Koussevitski en 1921, Alexandre Tcherepnine et<br />

Serge Lifar en 1922, Martinu en 1923, Conrad<br />

Beck, Harsanyi (Harchani) et Nobokov en 1924,<br />

Virgil Thomson en 1925, Elliott Cook Carter en<br />

1932… Le Conservatoire américain de Fontainebleau<br />

où Nadia Boulanger dispense son enseignement<br />

ouvre ses portes en 1921. On parle d'une<br />

"École de Paris" qui regroupe autour d'Arthur Honegger,<br />

né en <strong>France</strong> mais de nationalité suisse,<br />

plusieurs d'entre ces immigrés. Alexandre Tchérepnine<br />

élabore une échelle de neuf notes qu'il expérimente<br />

dans sa Sonatine Romantique pour piano de<br />

1918. Son rythme court après la mobilité du parlé.<br />

Pour conclure cette sonatine, il demande au pianiste<br />

de percuter le bois de son instrument. Les<br />

bruiteurs de Luigi Russolo et d'Ugo Patti en 1921,<br />

l'ætherophon du professeur Thérémin en 1928, et<br />

les micro-intervalles de Wischnégradsky en 1937<br />

troublent davantage les oreilles parisiennes. Le poil<br />

des traditionalistes se hérisse. André Cœuroy accuse<br />

cette escouade de compositeurs pionniers<br />

d'être l'aile marchante de la Mittel Europa : voilà la<br />

première vague de l'invasion ! Et le critique perfide<br />

d'ajouter : leur pointe d'accent yiddish est celle de<br />

33


34<br />

la langue des rats qui reniflent le fromage : camembert du<br />

disque, port-salut du cinéma, gorgonzola de la radio.<br />

Bref, être patriote exige d'être xénophobe, voire<br />

antisémite. Et être conservateur oblige à sacraliser<br />

le patrimoine. En conséquence, la musique française<br />

entre 1919 et 1945 revêt les caractères suivants<br />

:<br />

a) Défiance de la nouveauté. Le dernier Fauré et le<br />

Debussy des Études ou de Jeux sont mis sur la touche.<br />

Les accords parfaits, les cadences résolument<br />

tonales, les basses d'Alberti reprennent du service.<br />

Vive la musique simple, claire, physique ! Stravinsky<br />

renie les audaces du Sacre du Printemps pour la<br />

jolie monnaie de papier de Pulcinella. Celle-ci nous<br />

vaut la Suite Française de Poulenc (1935) ou la Suite<br />

d'après Corette de Milhaud (1937). L'auteur des Choéphores<br />

met pareillement son fauvisme polytonal<br />

entre parenthèses pour coloriser Jean-Baptiste<br />

Anet ou André Campra. La turlutaine du jour impute<br />

au Romantisme et à son maladif besoin d'expression<br />

la sophistication de la mélodie et du<br />

rythme, la surchauffe de l'harmonie. Désormais,<br />

plus de règles violées pour l’amour des frissons<br />

nouveaux. Cocteau accuse Beethoven, Wagner,<br />

Rimbaud, Mallarmé, Dada... Ses aphorismes font<br />

mouche :<br />

Ingres, le révolutionnaire par excellence....<br />

Delacroix, le rapin type...<br />

Schœnberg ? L'exemple à ne suivre sous aucun<br />

prétexte. Méfiance de l'innovation, donc. Mais aussi<br />

b) Méfiance de l'expression. Mise en quarantaine<br />

du lyrisme. La sensibilité doit être muselée. Les<br />

romantiques pleuraient au bord des lacs. Musset se<br />

frappait le cœur. Hugo s’apitoyait sur les misérables...<br />

Cette impressionnabilité qui amollit les courages<br />

et dévirilise les forts n'est plus tolérable. Car<br />

la bourgeoisie, comme toute classe sociale qui veut<br />

rester dominante, doit maîtriser les élans de son<br />

cœur. Elle ne doit pas désarmer ceux qui éventuellement<br />

devront faire barrage aux prolétaires, qu'ils<br />

soient bolcheviks ou non ! Ce n'est pas par hasard<br />

que les fascismes se font un titre de gloire de l'insensibilité.<br />

D'instinct, Stravinsky réactualise les<br />

théories d’Hanslick :<br />

La musique ne signifie rien au-delà d’elle-même.<br />

D'où l’implacable régularité rythmique de tant de<br />

compositions musicales de l’entre-deux guerres.<br />

D'où la rentrée du contrepoint et de la fugue. Stravinsky<br />

explique : la perfection de la fugue tient au<br />

fait qu’elle exige la soumission à la règle, principe éminemment<br />

classique en opposition absolue au<br />

principe d'insoumission qui caractérise en gros l'attitude des<br />

romantiques.<br />

Tant pis si les œuvres auxquels ces procédés donnent<br />

naissance sont rugueuses, si elles acquièrent<br />

un aspect "motorique". L’essentiel est que la mélodie<br />

- et l’individu- rentrent dans le rang, que la solidité<br />

des œuvres regonfle les muscles et retrempe<br />

les âmes. L'inspiration ? Faribole ! De longues veilles<br />

passées à étudier, copier, varier les vieux maîtres,<br />

voilà ce dont le créateur a besoin. Donc,<br />

d'abord et avant tout,<br />

c) Vénération de la tradition! Une invraisemblable<br />

kyrielle de retours s'en suit : retour à Bach, retour à<br />

Mozart, retour à Machault, à Gesualdo, à Lully,<br />

Scarlatti, Rossini, Verdi, Tchaikowsky, tutti quanti…<br />

Stravinsky se prend d'une admiration sélective<br />

pour les allegros du grand Cantor. Son Octuor de<br />

1923 et son concerto brandebourgeois dit Dumbarton<br />

Oaks de 1938 en restaurent le style. Apollon Musagète<br />

(1928) se place ostensiblement sous le patronage<br />

de Louis XIV et de Boileau. Plusieurs scènes<br />

de The Rake's Progress transposent quelques airs Cosi<br />

fan Tutte ou de Don Giovanni. Milhaud constate :<br />

La tradition est la raison d'être de la musique d'aujourd'hui.<br />

Naturellement, de New-York où il a élu domicile,<br />

Varèse récuse ce terrorisme classique. Il excommunie<br />

ceux qui le cautionnent. Il écrit à Jolivet, le 24<br />

août 1934 :<br />

Si vous saviez comme la bande des petits excités "russoblancs-français-bien<br />

pensants-et-patriotes" néo-classiques<br />

paraît ridicule de loin. Pas une note ne restera de leurs<br />

sécrétions. Ils ne chient même pas. Après des efforts surhumains,<br />

une goutte de sueur aigre leur sort du trou du cul.<br />

C'est tout. Ça pue à peine le pied de punaise. Plus que<br />

jamais je veux un art fort et sain, dépouillé de toute intellectualité<br />

morbide et décadente. Purgé de tout parisianisme.<br />

Pour Varèse, ces néoclassiques sont les équivalents<br />

des officiers tsaristes qui combattent en Russie le<br />

communisme. Leur esthétique est aussi condamnée<br />

que cette politique l'a été. N'empêche ! La<br />

quasi totalité des compositeurs de l'entre deux<br />

guerres, y compris Schœnberg, sacrifie au style alla<br />

celui-ci ou alla celui-là… Et nombre de leurs œuvres<br />

sont des imbroglios de références qui s’adressent<br />

soit au grand public lequel aime reconnaître ce<br />

qu’il entend, soit aux mélomanes capables de décoder<br />

les allusions ou d’apprécier les trahisons. Ja-


mais le patrimoine sonore n'a pareillement conditionné<br />

la création musicale. Parfois même on s’interroge<br />

: pastiche ou emprunt ? Le second mouvement<br />

du Concerto pour deux pianos et orchestre que<br />

Poulenc compose en 1932, les yeux fixés sur un<br />

portrait de Mozart, est le parangon de toutes ces<br />

musiques.<br />

Comment comprendre ? Quelle peur paralyse soudain<br />

ceux qui ont été les pionniers de l'innovation<br />

sonore ? Craignent-ils de se voir dépossédés de<br />

leur richesse culturelle comme les nantis de leurs<br />

leurs biens fonciers ou immobiliers sous la pression<br />

de l'anticapitalisme ambiant ? Veulent-ils sauver<br />

de l'oubli ce qu'ils aiment, tandis que les nouvelles<br />

façons de vivre et de penser périment jusqu'aux<br />

souvenirs ? L'allégorie de l'opéra de Martinu,<br />

Juliette ou la Clef des Songes, est révélatrice…<br />

Comme ce fut hier le cas pour les qualificatifs de<br />

gothique, baroque, impressionniste, etc.…le qualificatif<br />

de "néoclassique" perd sa nuance péjorative.<br />

Mais pour Varèse, comme Boulez après 1945, il se<br />

veut méprisant. Or les compositeurs de l'entredeux<br />

guerres, eux, ne se jugent pas néoclassiques.<br />

Ils s'inspirent des gratte-ciel new-yorkais, du sport,<br />

du music-hall, de mécanique, du jazz. Ils se veulent<br />

"modernes".Loin d'être tristes et nostalgiques, l'<br />

d) Impératif de la gaieté est pour eux une question<br />

d'hygiène civique. Leurs devanciers confessaient<br />

volontiers leur souffrance de vivre dans des œuvres<br />

de longue haleine. Eux, ils écrivent des pages<br />

cursives et euphorisantes. Milhaud conspue le sérieux<br />

liturgique de Wagner, de Franck, de Chausson…<br />

D'autres comme Satie, Auric, Poulenc, Jean<br />

Françaix cultivent l'humour, l'ironie, la grivoiserie,<br />

la loufoquerie. Ils redécouvrent l'aspect ludique des<br />

sons. Jean Wiéner réclame de la musique à manger<br />

tout de suite. Tous désacralisent l'art des muses.<br />

Le sérieux de la vie et les contraintes du bon ton<br />

ne sont pas revenus de l’enfer des tranchées. Le<br />

style familier, les gros mots, la syntaxe minimum se<br />

sont substitués au langage châtié, aux circonlocutions,<br />

aux politesses d’hier. Littéraire ou musical, le<br />

discours est à présent rapide et direct. L'hédonisme<br />

décontracté est la nouvelle norme. Le jazz enseigne<br />

le rythme vivant et la percussion tonique. Les<br />

orphéons et les fanfares militaires, l'éclat des sonorités<br />

cuivrées et l'extraversion de la trompette ou<br />

du saxo. Les Mariés de la Tour Eiffel, Le Bœuf sur le<br />

Toit, Le Train bleu, Skating-Rink et Le Bal masqué<br />

créent la couleur du temps. Plus de nuances : des<br />

temps forts, des assises tonales confirmées ! Malgré<br />

l'aggravation de la situation économico-sociale<br />

et le déferlement des bellicismes, il faut être heureux.<br />

Coûte que coûte. La méthode Coué se répand<br />

à partir de 1922, et la chanson rejoint dans la<br />

rue sa morale : Dans la vie faut pas s’en faire (1921),<br />

J’ai la rate qui s’dilate (1931), Tout va très bien madame<br />

la marquise ( 1935)… Au diable les lamentations, les<br />

sophistications, la distinction, la culpabilisation…<br />

Le peuple sort des usines et des bureaux pour défiler<br />

et revendiquer ? La révolution de 1917 et les<br />

grèves insurrectionnelles de 1920 inquiètent ? Puis<br />

la montée des fascismes, puis l'ampleur des Fronts<br />

populaires ? Eh bien, l'intérêt de la <strong>France</strong> bourgeoise<br />

est de faire comme si elle se confondait<br />

avec la <strong>France</strong> d'en bas. D'où cette<br />

e) Obligation de "faire peuple" qu'elle a tout l'air<br />

d'imposer aux néoclassiques. Par ailleurs, la réussite<br />

des Mayol, des Guilbert, des Mistinguett, des<br />

Chevalier, des Piaf, des Trenet et des Tino Rossi<br />

fait rêver les compositeurs dits sérieux. Plaire à ces<br />

nouvelles oreilles que captivent le disque et la radio,<br />

tenir compte des rapports nouveaux qui se<br />

nouent entre l'argent et la culture devient indispensable.<br />

L'esthétique dite de "l’emporte-pièce" et la<br />

prédilection des néoclassiques pour le style foire<br />

ou le style cabaret, pour les instruments à vent notoirement<br />

moins élitistes que les cordes obéissent à<br />

cette logique. Hasard ou nécessité ? Le fait est que<br />

notre bourgeoisie change d'oreille. Ses goûts alimentaires,<br />

dirait Claude Lévy-Strauss, glissent<br />

d’une nourriture cuite, mijotée, servie avec l’ajout<br />

de sauces délicates, vers les crudités, les grillades<br />

saignantes, les steaks tartares...<br />

Conséquences : les subtilités sonores, le respect<br />

des différents niveaux de musique cèdent la place<br />

aux dissonances agressives, aux scansions musclées,<br />

aux harmonies scabreuses, à la mise à mal<br />

des hiérarchies… Bon nombre de créateurs<br />

"sérieux" abordent à présent ces genres musicaux<br />

jugés naguère inférieurs. D'Indy, Honegger, Roussel<br />

composent des opérettes. Milhaud, Sauguet,<br />

Koechlin, Poulenc, des chansons de cabaret. Ravel<br />

ose faire danser sur la scène de l'Académie Nationale<br />

de Musique, une théière costumée en boxeur<br />

noir sur une musique de jazz ! Loin de rechercher<br />

la noblesse et l’unité de ton, le cousu-main de la<br />

structure, les néoclassiques cultivent à l'envi le bariolage<br />

et le pêle-mêle. L'<br />

f) Éclectisme domine leur esthétique. Il faut le métier<br />

et le génie de Ravel pour que s’accordent, dans<br />

son Concerto pour la Main gauche, un thème apparenté<br />

à Rameau avec une idée faisant référence au<br />

jazz. Il faut le toupet de Claudel et d’Honegger<br />

pour que leur Jeanne d’Arc au Bûcher passe du grégo-<br />

35


36<br />

rien et de la chanson populaire à la polyphonie, et<br />

du style galant ou des facilités mélodiques alla<br />

Gounod aux sophistications harmoniques alla Wagner,<br />

voire aux dissonances atonales genre<br />

Schœnberg. Autre signe qui atteste que le néoclassicisme<br />

n'est pas un classicisme bis. Ses productions<br />

se contentent le plus souvent de l’illusion de<br />

l’unité : elles rappellent en fin de parcours leurs<br />

mesures initiales, et le tour leur paraît joué. Ainsi<br />

l'œuvre se referme sur elle-même, alors que l’œuvre<br />

classique restait ouverte. Quel aveu ! Le néoclassicisme<br />

est un style à part entière, dans le sillage<br />

de l’éclectisme architectural du XIXe siècle.<br />

Jean Wiéner imagine des concerts où voisinent Le<br />

Sacre du Printemps et l'orchestre de Billy Arnold, le<br />

Pierrot Lunaire de Schœnberg et une valse de Joseph<br />

Strauss, ou quelques "blues" avec un Quatuor<br />

en quarts de tons de Aloïs Haba. Scandale ! Albert<br />

Roussel quitte la salle en claquant la porte. Le critique<br />

Louis Vuillemin se déchaîne :<br />

Il faut voir la figure de ces sires chevelus, minables et pourvus<br />

de lunettes à la boche… ils (…) tiennent avec zèle leur<br />

rôle de thuriféraire en service commandé. Commandé par<br />

qui ? (…) Leur effort a pour but, sans doute, de gangrener<br />

notre organisme…<br />

Vuillemin persiste et signe, toujours dans le Courrier<br />

musical : Ces minables, ces traîtres méritent<br />

d'être envoyés dans un camp de "bitonalité par représailles"<br />

!<br />

La haine nationaliste n'atteint pareil degré que<br />

parce que l'époque est en crise. Rappelons que la<br />

phase A du Kondratieff de 1896-1945 se retourne<br />

en phase B au niveau des années 20. L’inflation<br />

des audaces musicales des années 1896-1920 correspond<br />

manifestement à la prospérité de la Belle<br />

Époque. Ensuite, l'esthétique néoclassique recouvre<br />

deux décennies de récession. Les profits baissent.<br />

Les faillites se multiplient. La déflation est le<br />

remède administré. En musique, la déflation signifie<br />

moins d'instruments, moins d'œuvres de longue<br />

haleine, moins de modulations, moins de rubato,<br />

moins de nuances… Contraints d'enseigner, de<br />

courir le cachet ou de rechercher la protection des<br />

mécènes, les créateurs sont moins libres de leurs<br />

choix esthétiques. Surprise ? Les œuvres commandées<br />

par la princesse de Polignac sont résolument<br />

néoclassiques. Le réemploi des matériaux du passé<br />

n'est pas davantage surprenant : il permet d'écrire<br />

vite et de se faire applaudir à coup sûr. Les créateurs<br />

qui peuvent encore s'offrir le luxe de l’innovation<br />

sonore se font rares… Pourtant<br />

III- L'ouverture des années 30<br />

est un fait. Certaines hardiesses de l'immédiat<br />

avant-guerre continuent bien sûr d'être exploitées,<br />

par exemple l'arpège bitonal de Pétrouchka (1911)<br />

dont la formule fait recette. Qu'il soit le type<br />

même du couac des orphéons de village, ou superposition<br />

des accords parfaits de do et fa # majeurs,<br />

ou accord de quinzième, ou autre chose, Milhaud<br />

utilise cet arpège bitonal dans sa Sonate pour flûte,<br />

hautbois, clarinette et piano de 1918, Auric dans une<br />

scène des Fâcheux (1922), Honegger dans son Cahier<br />

romand et son Concertino pour piano et orchestre,<br />

Ravel dans la "Fanfare" de l'Éventail de Jeanne<br />

(1927) et d'entrée de jeu dans son Concerto en sol<br />

(1931)… Touches noires contre touches blanches,<br />

tonalité hyperdiésée superposée à une tonalité<br />

vierge de toute altération, cette agrégation sonore<br />

est fausse note légalisée, naturalisation de notes<br />

étrangères, hybride de deux gammes. A la limite :<br />

mélange des classes et métissage des cultures, sinon<br />

des races… Entre les touches blanches et les<br />

touches noires, entre les tonalités, les classiques<br />

choisissaient. Ils sériaient les tons, les modes, les<br />

genres musicaux, comme ils différenciaient les ordres<br />

sociaux. Depuis, la promiscuité des tranchées<br />

a réduit à néant ce principe de hiérarchie. Les néoclassiques<br />

rapprochent, associent, confondent les<br />

contradictoires. Une sorte de nuit du 4 août fait<br />

que les douze degrés de l'octave tempérée se retrouvent<br />

aujourd'hui quasiment égaux, hormis la<br />

tonique qui conserve ou retrouve sa prééminence.<br />

À l'évidence, l'entre-deux-guerres réorganise les<br />

rapports sociaux dans la musique, parce qu'ils<br />

changent ou parce qu'ils devraient changer dans la<br />

société bourgeoise. Pareillement, le néoclassicisme<br />

sonore fait la part belle aux contre-cultures qui<br />

menacent l'establishment musical, parce que le<br />

brassage et le métissage sont à l'œuvre dans la société<br />

civile. Auric, Honegger, Milhaud, Martinu ,<br />

Ravel, Tansman, passent du style savant au folklore.<br />

Ils espagnolisent ou jazzifient. Poulenc s'encanaille.<br />

Milhaud lui-même confesse que sa Création<br />

du Monde amalgame le Saint-Louis blues à des<br />

formules empruntée à la Passion selon Saint Mathieu.<br />

Ce mélange des encres est, à mon sens, réflexe de<br />

conservation. Mieux vaut transiger que risquer de<br />

tout perdre en défendant des positions intenables.<br />

Retombée positive : ce syncrétisme imagine un<br />

précieux inouï. De même l'intégration dans une<br />

tonalité donnée de degrés jugés jusque là étrangers,<br />

voire interdits.<br />

Darius Milhaud est sans doute l'un des cuisiniers<br />

les plus talentueux de cette salade sonore. Nostal-


gique et agraire, il sait aussi être novateur et cosmopolite<br />

: ses Machines Agricoles de 1919 et ses Saudades<br />

do Brazil de 1920-21 en témoignent. Milhaud<br />

exploite alors en pionnier les ressources qu'offrent<br />

la polytonalité, cette superposition cubique de tonalités.<br />

Dans un numéro de la Revue musicale de<br />

1923, il théorise. Il soutient qu'on sort de la tonalité<br />

avec la polytonalité comme on en sort avec<br />

l'atonalité selon Schœnberg. Mais alors que cette<br />

dernière se situe dans le droit fil de la tradition<br />

germanique, la polytonalité selon Milhaud est en<br />

parfait accord avec le génie latin de la <strong>France</strong>. Milhaud<br />

novateur en matière de percussion est encore<br />

plus convaincant. Ses Choéphores démontrent les<br />

qualités percussives de la voix humaine. Mais le<br />

final de la Création du Monde exige des percussionnistes<br />

une virtuosité si nouvelle que son déferlement<br />

entrecroisé de bloc de métal, wood-bloc,<br />

cymbale suspendue, caisse claire, tambourin et<br />

grosse caisse devient une référence. Passerone, son<br />

interprète habituel, s'en souviendra lorsqu'il inaugura<br />

son enseignement au CNSM, en 1948.<br />

Honegger, certainement moins connu en tant que<br />

compositeur révolutionnaire, mérite pourtant l'attention.<br />

Dans l'épisode intitulé "le Rat et la Mort"<br />

de ses Dits du Monde (1918), un impitoyable tambour<br />

talonne, persécute, élimine une flûte piccolo.<br />

Concluons : les plus "voyants" d'entre les compositeurs<br />

de l'entre-deux-guerres comprennent que<br />

tout bruit a vocation à devenir musique.<br />

Le cas limite est Varèse. Varèse l'unique, Varèse<br />

qui travaille à libération du son avec des physiciens<br />

dans des laboratoires acoustiques de New-York,<br />

Varèse qui ne fait que de brefs séjours à Paris,<br />

dont celui des années 1929-1933 où il prend en<br />

dégoût notre capitale. Sa musique dérange comme<br />

le débraillé et la grossièreté de sa langue parlée ou<br />

écrite. Quoique Octandre soit créé à Paris en 1927,<br />

Intégrales et Amériques en 1929, enfin Offrandes en<br />

1930, Varèse est tenu à l'écart. De dépit ou non, il<br />

rend à Paris son mépris. Lorsque Jolivet lui propose<br />

de programmer sa musique aux concerts de la<br />

Spirale, il reçoit du new-yorkais ces mots, datés du<br />

26 décembre 1935 :<br />

Je ne tiens à pas à être joué à Paris. (…) vous savez mon<br />

dégoût pour cette nécropole – et mon horreur de l'esprit parisien<br />

!<br />

À en croire Jean Touchard, cet esprit parisien<br />

bouillonne pourtant de vitalité prospective. Les<br />

Bertrand de Jouvenel, Robert Aron, Jean de Fabrègues<br />

et Emmanuel Mounier ( le 1er numéro d'Esprit<br />

paraît en octobre 1932) ne veulent ni fascisme,<br />

ni marxisme, ni intégrismes religieux, ni refus de<br />

l'absolu, mais un changement radical d'ordre économique,<br />

social et politique qui prenne en compte<br />

du spirituel. D'autres, tels Jolivet et Messiaen, s'opposent<br />

au sérialisme comme au néoclassicisme,<br />

mais ils souhaitent une musique résolument tournée<br />

vers l'avenir, ouverte aux mystères de la magie<br />

et de la foi. André Jolivet, qui compose un trio,<br />

une sonate pour violon et piano, un Quatuor à cordes,<br />

l'inaugure. Le 12 décembre 1935, enfin ! Mana<br />

est jouée en première audition aux concerts de La<br />

Spirale. L'Exposition que vient de lui consacrer le<br />

CNSM nous révéle, outre la beauté des fétiches<br />

inspirateurs de Jolivet, la richesse des séries, farben,<br />

clusters, sauts de registres, effets de résonance<br />

supérieure et inférieure que l'œuvre exploite, sans<br />

omettre cette nouvelle conception du silence et de<br />

l'espace sonore que salue aussitôt Messiaen. Avec<br />

Mana, la musique occidentale renoue avec son imaginaire<br />

ancestral. Par l'intermédiaire des civilisations<br />

d'outre-mer, elle redécouvre l'univers du primitivisme,<br />

de la magie, du mystère cosmique.<br />

Continuons de suivre à la trace les débuts de la<br />

modernité sonore. L'Encyclopédie de la Musique sous<br />

la direction de Lavignac paraît en 1924. Messiaen y<br />

découvre les 120 décî-tâlas de l'Inde, avec les notions<br />

de valeur rythmique ajoutée ou retranchée,<br />

d'accroissement ou de décroissement d'une valeur<br />

sur deux, d'augmentation inexacte, etc. Il commence<br />

à mettre en œuvre ses découvertes dans ses<br />

Préludes édités en 1931. Le plus remarquable du<br />

recueil, Les sons impalapbles du rêve, attire notre attention<br />

par sa mélodie d'accords en arabesquepédale<br />

dans le mode 3 bleu orange à la main droite<br />

et son chant syncopé, cuivré, en mode 2 violet<br />

pourpre à la main gauche.<br />

D'un tout autre niveau d'originalité est La Nativité<br />

du Seigneur, ce cycle pour orgue, contemporain<br />

exact de Mana. À l'évidence, au sein d'un monde où<br />

dominent logique et rationalité, ces deux œuvres sortent<br />

du rang. Mais avec cette différence : alors que Jolivet<br />

tente de renouer avec les vertus incantatoires et les<br />

pouvoirs primitifs de la musique sans se départir de la<br />

laïcité inséparable de sa formation et de sa fonction<br />

d'instituteur, Messiaen, lui, milite pour un<br />

regain de spiritualité catholique. Son zèle s'explique<br />

à mon sens par le contexte de "réparations" religieuses<br />

et de reconquête romaine auxquelles travaillent<br />

déjà les Maritain, les Claudel et les Bernanos.<br />

Pie XI demande aux laïcs catholiques de rechristianiser<br />

"la famille, la profession, le milieu et<br />

l'État" dans son encyclique Quadragesimo anno de<br />

1931. Messiaen au nom prédestiné se sent appelé<br />

par ce service…<br />

37


38<br />

Quoi qu'il en soit, le mystère reste entier concernant<br />

cette sorte d'O.P.A. qui, en 1934, fait passer<br />

la vieille Schola Cantorum des mains des d'Indystes<br />

maurassiens à celles d'une équipe plus ouverte,<br />

dont font partie Messiaen, Daniel-Lesur, Koechlin,<br />

Le Flem, Duruflé… Jolivet serait-il pour quelque<br />

chose dans cette refondation ? Son intervention<br />

est en tous cas incontestable dans la création de la<br />

Spirale, l'association de concerts qui lui est associée.<br />

Un luthérien fervent, Georges Migot, y occupe le<br />

fauteuil de Président; Claire Delbos l'épouse de<br />

Messiaen, est choisie comme secrétaire. Jolivet, lui,<br />

est en charge de la trésorerie, c'est-à-dire du nerf<br />

de la guerre. Car c'est bien d'une bataille esthétique<br />

qu'il s'agit. Double objectif : 1°) rendre sa dimension<br />

spirituelle à la musique; 2°) balayer le néoclassicisme<br />

folklorisant, imitateur et glacé. Pareille mission<br />

exige un nouveau milieu esthétique. Une estime<br />

réciproque rapproche Messiaen et Jolivet.<br />

Daniel-Lesur admire intimément Messiaen. Un<br />

brillant patronage d'illustrations sociales est constitué.<br />

Résultat : le premier concert des Jeune <strong>France</strong>, le<br />

3 juin 1936, les rend immédiatement célèbres. Leur<br />

"Manifeste" publicitaire fait du bruit. Coïncidence<br />

? Ce baptème suit de si près le déclenchement<br />

des grèves du printemps ouvrier qu'on s'interroge.<br />

La masse de ceux qui revendiquent plus<br />

d'aisance matérielle et de bonheur terrestre défile<br />

dans les rues. Or, salle Gaveau, si un quarteron de<br />

compositeurs juge aussi que les conditions de vie<br />

deviennent de plus en plus dures, mécaniques et impersonnelles,<br />

il estiment, eux, que c'est de violence spirituelle<br />

dont la <strong>France</strong> a besoin. Pas de poings tendus ni<br />

de charité forcée. Que la musique suscite des réactions<br />

généreuses et la transfiguration nationale suivra…<br />

Pour continuer sur ce mode grinçant, disons que le<br />

néoclassicisme exploitait, juxtaposait, amalgamait<br />

différents niveaux de musique. A sa manière, il<br />

travaillait à la coexistence pacifique des classes,<br />

sinon à leur fusion. Au moment où l'éducation<br />

musicale des masses préoccupe sérieusement les<br />

esprits, où Koechlin souligne l'alliance de la musique<br />

et du peuple contre l'obscurantisme et l'oppression,<br />

la Jeune <strong>France</strong> intervient. Elle redresse la<br />

barre. Elle répare cette barrière socio-culturelle que<br />

les néoclassiques mettaient à mal. Alors que Léon<br />

Blum entre en scène, la Jeune <strong>France</strong> rend aux<br />

privilégiés sociaux cette musique de haut vol qu'ils<br />

jugent leur appartenir de droit divin. Dorénavant<br />

les masses devront se contenter de la variété, du<br />

folk, du jazz et des musiques classiques d'hier, tellement<br />

enregistrée, radiodiffusées, banalisées et<br />

ressassée qu'elles en deviennent déclassantes.<br />

Concluons : la qualité d'une musique ne dépend ni<br />

de l'oreille sociale qui l'écoute, ni de celle dont elle<br />

souhaite attirer l'attention, ni de la nouveauté du<br />

matériau qu'elle met en œuvre. Par conséquent,<br />

remercions Messiaen et Jolivet d'être parmi les<br />

artisans de la Libération sonore des lendemains de<br />

la Seconde Guerre Mondiale. Mais remercions<br />

aussi ces néoclassiques auxquels nous devons le<br />

foisonnement musical de l'entre-deux-guerres.<br />

Supplément au <strong>Bulletin</strong> <strong>n°13</strong> d’<strong>ESTA</strong> <strong>France</strong><br />

Nous publierons désormais un supplément pour chaque bulletin<br />

d’<strong>ESTA</strong>-<strong>France</strong>, supplément qui pourra être un mémoire d’un<br />

étudiant de CEFEDEM, une étude universitaire, une enquête...<br />

Pour ce coup d’essai, nous avons sollicité l’autorisation de<br />

Monsieur Hervé Akrisch, qui a observé un projet spécifique<br />

d’enseignement mené avec des enseignants du CNR de Reims<br />

(dont Cécile Wenz-Bolbach, membre d’<strong>ESTA</strong>) dans le quartier<br />

d’Orgeval, banlieue de Reims et dont le travail de réflexion<br />

nous a semblé passionnant. En annexe, le texte distribué au<br />

CNR de Reims pour décrire le dispositif du projet.


La Fondation du Docteur Ernst Koch invite les élèves de tous les membres d’<strong>ESTA</strong> à participer au concours pour le “Prix de I’Etudiant(e) <strong>ESTA</strong><br />

de l’Année”<br />

<strong>ESTA</strong> Student of the Year Award<br />

qui aura lieu lors du 32 ème congrès international d’<strong>ESTA</strong> à Rotterdam, Pays-Bas.<br />

1. PARTICIPATION<br />

Le concours est ouvert aux étudiants des membres d’<strong>ESTA</strong> qui feront confirmer leur candidature par le bureau de leur section nationale.<br />

1.1. Limite d’âge supérieure:<br />

1.2. Catégorie 1 :16 ans au moment de l’épreuve finale<br />

1.3. Catégorie 2 : 22 ans au moment de l’épreuve finale.<br />

2. INSTRUMENTS ADMIS<br />

4 récompenses “<strong>ESTA</strong> Student of the Year Award” seront décernées: une pour le violon, une pour l’alto, une pour le violoncelle et une<br />

pour la contrebasse.<br />

3. INSCRIPTION<br />

Le dossier d’inscription comprendra une cassette vidéo VHS et une lettre de motivation I CV précisant les études suivies et les projets<br />

professionnels. Il doit être adressé au siège social de la fondation:<br />

Dr. Ernst Koch Stiftung<br />

c/o Musikschule Konservatorium Bern<br />

Kramgasse 36<br />

CH- 3011 BERN, Suisse<br />

4. DATE LIMITE<br />

Le dernier délai pour s’inscrire est fixé au 15 avril 2004.<br />

Fondation du Docteur Ernst Koch:<br />

REGLEMENT du concours “<strong>ESTA</strong> Student of the Year Award”<br />

(Prix de l’Etudiant(e) <strong>ESTA</strong> de l’Année)<br />

5. EPREUVE ELIMINATOIRE<br />

Un jury composé du conseil d’administration de la fondation et d’experts invités sélectionnera les candidat(e)s de l’épreuve finale.<br />

5.1. L’éliminatoire se fait par l’audition des enregistrements vidéo. Y seront jouées trois oeuvres différentes, dont une pièce contemporaine<br />

ou une improvisation.<br />

5.2. Les candidats restent anonymes pour le jury, les cassettes vidéo envoyées seront numérotées.<br />

5.3. Deux candidats pour chacun des 4 instruments peuvent être sélectionnés pour l’épreuve finale lors de la conférence internationale.<br />

6. EPREUVE FINALE<br />

6.1. Le jury est présidé par le président d’<strong>ESTA</strong>-lnternational. Il est composé de 7 personnes, nommées par le conseil d’administration de<br />

la fondation et pas nécessairement membres d’<strong>ESTA</strong>.<br />

6.2. Les membres du jury ont un vote chacun et ne peuvent pas se faire remplacer. En cas d’empêchement le président du jury nommera<br />

un autre expert.<br />

6.3. Tous les membres d’<strong>ESTA</strong> présents ont un droit de vote sauf les ressortissants du pays du candidat qui s’abstiendront pour cette<br />

prestation.<br />

6.4. Le total du vote des membres sera pris en compte pour 40% de la majorité par rapport au vote du jury.<br />

6.5. La durée des oeuvres jouées à l’épreuve finale ne peut dépasser 30 minutes par candidat.<br />

7. EVALUATION<br />

7.1. Les mêmes critères d’évaluation seront appliqués pour l’épreuve éliminatoire et la finale.<br />

7.2. Il y a un maximum de 25 points possibles, et le minimum pour obtenir une récompense est de 20 points.<br />

8. REPERTOIRE<br />

8.1. Les participants du concours final présenteront les mêmes oeuvres que sur leur cassette vidéo.<br />

8.2. Le jury choisira la pièce qui sera jouée en intégralité.<br />

9. FRAIS DE DEPLACEMENT<br />

9.1. Les frais de déplacement des candidats invités seront pris en charge par la Fondation du Docteur Ernst Koch ainsi que leur hébergement<br />

et leur participation au congrès.<br />

10. RECOMPENSE<br />

10.1. Les lauréates ou lauréats seront invités à donner des récitals dans deux ou trois pays <strong>ESTA</strong>.<br />

10.2. Le secrétariat central se chargera de l’organisation et de la coordination des concerts.<br />

10.3. Les frais de voyage seront pris en charge par la Fondation du Docteur Ernst Koch, les frais locaux par la section <strong>ESTA</strong> hôte.<br />

Il. DECISIONS DU CONSEIL D’ADMINISTRATION<br />

Les décisions du conseil d’administration sont sans appel. Aucun recours juridique n’est possible.<br />

39


40<br />

Frédérique Rouzeau-Pleintel<br />

Secrétariat d’<strong>ESTA</strong>-<strong>France</strong><br />

97 rue du Ranelagh<br />

75016 PARIS<br />

tél: 01 45 25 16 83<br />

monsieur<br />

madame<br />

mademoiselle<br />

NOM:<br />

Prénom:<br />

Adresse:<br />

Acceptez-vous que votre adresse soit publiée dans l’annuaire d’<strong>ESTA</strong>-<strong>France</strong>?<br />

OUI<br />

NON<br />

Téléphone:<br />

Fax:<br />

E-mail:<br />

Instrument(s) enseigné(s):<br />

Établissement(s):<br />

Cotisation annuelle:<br />

(cochez la case correspondant à votre choix)<br />

• membre actif individuel 32 €<br />

• membre actif «couple» 48 €<br />

( équivaut à deux adhésions individuelles, mais un seul bulletin sera envoyé à l’adresse indiquée)<br />

• étudiant 16 €<br />

• école de musique 56 €<br />

( l’école recevra les lettres d’information et les bulletins en double exemplaire)<br />

• membre bienfaiteur 64 €<br />

• membre d’honneur à partir de 80 €<br />

Je règle ce jour la somme de .......... euros par chèque à l’ordre de : <strong>ESTA</strong>-<strong>France</strong>.<br />

chez Charlotte Klingenberg, 33 bis rue Auguste Delaune. 94800 VILLEJUIF<br />

Fait le: Signature:<br />

<strong>ESTA</strong>-<strong>France</strong> est affilié à <strong>ESTA</strong>-International

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