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Dossier pédagogique - musée du quai Branly

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<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong><br />

Exposition virtuelle<br />

Va’a<br />

La pirogue polynésienne<br />

Musée de Tahiti et des îles-Te Fare Manaha<br />

BP 380 354 Punaauia Tahiti-98 178 Polynésie française<br />

Tel 548 435-Fax 584 300 musee@mail.pf


Sommaire<br />

L’exposition............................................................................ 3<br />

Bibliographie ......................................................................... 9<br />

Petit lexique de la pirogue en tahitien ................................. 10<br />

Pour en savoir plus…............................................................ 11<br />

Annexes : textes documentaires........................................... 28<br />

1


Fig 2: Proue de grande pirogue double. Bois de tämanu (Calophyllum<br />

inophyllum). Atoll de ’Ana'a aux Tuamotu. Propriété de la commune de<br />

’Ana'a.<br />

Va’a, vaka, waka, wa’a… les pirogues océaniennes<br />

Nommée va’a, waka, wa’a, vaka, la pirogue dite « à balancier » est présente dans toutes les aires de<br />

souches culturelles et linguistiques d’origine austronésienne. Quand les premiers Européens arrivèrent à<br />

Tahiti au XVIII e siècle, ils furent impressionnés par le nombre, les performances nautiques et la qualité de<br />

construction de ces pirogues.<br />

De nombreux modèles ré<strong>du</strong>its ont été réalisés par les Polynésiens et échangés ou ven<strong>du</strong>s aux marins de<br />

passage. Aujourd’hui, ils témoignent de la variété et la qualité de construction des embarcations<br />

polynésiennes.(fig 1)<br />

De même, d’importantes fouilles archéologiques menées à partir des années 1970 ont permis de mettre au<br />

jour des fragments de bordés de pirogues et de mieux comprendre les techniques de construction. Sur l’île<br />

de Huahine, dans l’archipel de la Société, ce sont des vestiges datés entre 850 et 1450 après JC qui ont été<br />

miraculeusement retrouvés dans les sols chauds et humides tropicaux. A ’Ana’a dans l’archipel des Tuamotu,<br />

un cyclone a permis la découverte de bordés ainsi qu’une proue (Fig 2) de grande pirogue double.<br />

Fig 1 : Modèle ré<strong>du</strong>it de pirogue. Puna’auia, Tahiti.<br />

Long 2,47 m. Bois. MTI 82.05.49<br />

2


A fa’aaraara i te to’i ! Réveillons l’herminette !<br />

Issue d’un travail communautaire, la pirogue était le fruit d’un long processus de construction. Avant<br />

l’arrivée des Européens, le métal n’existait pas en Polynésie. Les outils utilisés étaient alors en bois, en<br />

pierre, en coquillage. L’herminette (Fig 3) était l’outil indispensable à la coupe des arbres et à l’évidement<br />

des troncs. Les planches de bordés « cousues » à la coque par un système de liens fabriqués en bourre de<br />

coco, étaient préalablement percées grâce à un perçoir à pompe (fig 4). Au moyen de petites herminettes,<br />

les charpentiers effectuaient les finitions, notamment la sculpture des pièces de proue et de poupe. Puis ils<br />

ajustaient le balancier ou la seconde coque par un jeu de traverses et de ligatures. Les femmes, quant à<br />

elles, tressaient puis cousaient des nattes pour confectionner les voiles.<br />

Aux îles de la Société, la construction des grandes pirogues ou des pirogues sacrées, était réservée à des<br />

maîtres en charpenterie de marine, les tahu’a va’a. Jouissant d’un grand prestige social, ils recevaient un<br />

long apprentissage. La construction de ces pirogues était entourée de nombreux cérémoniels et rites. Ainsi,<br />

les artisans, le soir qui précédait la dernière nuit <strong>du</strong> cycle lunaire, déposaient leurs herminettes dans une<br />

niche <strong>du</strong> marae. Ce geste s'appelait ha'amoe ra'a to'i, "endormir l'herminette". Puis ils invo<strong>quai</strong>ent les dieux<br />

qui pourraient leur venir en aide <strong>du</strong>rant le travail, et notamment Tane, le dieu des artisans. Simultanément,<br />

lors d'un rassemblement organisé aux alentours <strong>du</strong> marae, des offrandes étaient présentées aux dieux. Le<br />

lendemain, chacun allait chercher son herminette et la plongeait dans la mer pour la "réveiller". Ainsi, l'outil<br />

chargé de la puissance des lieux, le mana, pouvait travailler efficacement et en accord avec les charpentiers.<br />

Fig 4: Tieke ou hou, perçoir à pompe. Rangiroa, Tuamotu. Bois<br />

de mikimiki (Pemphis aci<strong>du</strong>la), coquille de coco, dent de requin,<br />

fibres de bourre de coco. Musée de Tahiti et des îles.<br />

Jeune homme creusant une pirogue à tema’e, Mo’orea dans les années 1930, Bishop<br />

museum, Hawaii.<br />

Fig 3 : To'i, herminette. Îles de la Société. Bois, basalte, fibre<br />

de bourre de coco. Musée de Tahiti et des îles<br />

3


A fano rä, naviguons !<br />

Il y a plus de 3000 ans, des peuples venus de l’Ouest découvrent et colonisent la Polynésie occidentale<br />

(Tonga, Samoa…) puis, la Polynésie orientale (Cook, îles de Polynésie française…). Navigateurs d’exception,<br />

les Polynésiens sont sans doute les premiers à avoir couvert d’aussi longues distances sur des embarcations<br />

uniquement conçues en matière végétale et sans instrument de navigation. Prouesse d’autant plus grande<br />

que plus l’on va vers l’Est plus les distances sont longues et les îles petites.<br />

Les connaissances maritimes des anciens Polynésiens étaient fondées sur la transmission des savoirs et sur<br />

l’observation et l’interprétation de leur environnement naturel. Ils se guidaient en suivant la position et les<br />

mouvements <strong>du</strong> soleil, de la lune, des étoiles, des vents, des houles et des courants. Les constellations<br />

permettaient de tracer des routes, d’identifier des caps. Leurs noms étaient souvent en rapport avec la mer<br />

et la pirogue. L’hameçon de Mäui (la constellation <strong>du</strong> Scorpion) représente l’une des constellations les plus<br />

connues <strong>du</strong> Triangle polynésien. Elle servait à rallier Tahiti à partir des îles Hawai’i. Un pétroglyphe retrouvé<br />

à Tahiti (Fig 5), pourrait une rose des vents et une pirogue, serait un signe <strong>du</strong> lien intrinsèque qui existe<br />

aussi entre la connaissance des vents et la navigation. Le reflet d’un lagon sur un nuage, la présence de<br />

certains oiseaux marins ou encore la houle sont autant de signes que les Polynésiens savaient interpréter<br />

pour se diriger.<br />

L’initiation aux techniques de navigation prenait comme support d’apprentissage des jeux pratiqués sur l’eau<br />

ou dans les airs. Maîtriser les espaces aériens, c’était connaître les vents, leurs directions, leurs forces, leurs<br />

dangers. La fabrication et la manipulation des jouets relevaient d’un savoir ancestral qui était transmis aux<br />

jeunes chefs dès le plus jeune âge. Les jeux les plus notoires sont le tïtïra’ina, hydroglisseur (Fig 6), le<br />

’aumoa, modèle ré<strong>du</strong>it de pirogue et le ’uo, le cerf-volant.<br />

Fig 5 : Pétroglyphe représentant une rose des vents et une pirogue.<br />

Tahiti, îles de la Société. Long 48 cm. Roche volcanique.<br />

Dépôt collection privée. Musée de Tahiti et des îles<br />

Fig 6 : Tïtïra’ina, jouet sous forme d’hydroglisseur, tige de roseau,<br />

nervure de feuille de cocotier, feuille. Musée de Tahiti et des îles.<br />

4


Hoe, tatä, tütau, pagaie, écope et ancre<br />

Différents accessoires accompagnaient le Polynésien dans ses déplacements en pirogue, ils variaient selon la<br />

taille et le type de l’embarcation mais aussi selon l’archipel ou même l’île d’origine.<br />

La pagaie se différenciait des avirons puisqu’elle était utilisée seule, et de la rame, car on ne l’appuyait pas<br />

sur le bord. Mesurant généralement 1,5 m de long et utilisée pour la propulsion, elle servait aussi de<br />

gouvernail sur les plus petites pirogues. Les pagaies dites cérémonielles de Ra’ivavae, aux îles Australes,<br />

entièrement gravées de fins motifs géométriques sont les plus connues. Elles étaient probablement<br />

destinées aux chefs, puis devant l’intérêt des Occidentaux sont devenues des monnaies d’échange.<br />

Différentes formes de pagaies se distinguent selon les archipels.<br />

Les pagaies gouvernails, malgré des similitudes avec les pagaies, ont une forme plus massive et une taille<br />

plus imposante. Ces pagaies-gouvernails, qui pouvaient être très grandes et très lourdes, étaient accrochées<br />

soit à un pieu, soit à un support en fourche, fiché à l’arrière de la coque.<br />

L’écope avait partout une taille adaptée à la largeur <strong>du</strong> fond de la coque et pour les petites embarcations<br />

une demi-coque de noix de coco était suffisante. La forme traditionnelle de l’écope en Océanie était celle<br />

d’une cuillère à sucre avec le manche situé au-dessus de la cavité. Mais on trouve également des écopes en<br />

forme de cuillère à sucre avec une poignée externe (site archéologique de Fa’ahia – Huahine) type que l’on<br />

retrouvait en Nouvelle-Zélande, ou avec le manche interne mais libre, modèle caractéristique des îles<br />

Marquises et des îles Fidji.<br />

Les ancres étaient le plus souvent des pierres percées (fig 7) ou présentant une gorge ou une rainure<br />

périphérique, qui permettait d’attacher facilement un cordage. Des cailloux pouvaient aussi êtres choisis<br />

pour leur forme naturelle. Néanmoins et le plus souvent possible, les embarcations étaient remontées sur le<br />

rivage. Dans les lagons de faible profondeur, les petites pirogues étaient posées sur un support constitué de<br />

branches fourchues plantées dans le sol, qui les maintenaient au sec au-dessus des vagues.<br />

Fig 7 : Tütau, ancre à perforation. Mangareva, îles<br />

Gambier. Roche volcanique. Musée de Tahiti et des îles<br />

Fig 8 : homme tenant une pagaie-gouvernail, Taha'a, îles Sous-le-Vent.<br />

Bishop Museum, Hawaï.<br />

5


A hoe i te va’a ! Ramons !<br />

Au fil <strong>du</strong> temps, la pratique de la pirogue est aussi devenue un moyen de se mesurer sportivement. Depuis<br />

les 30 dernières années, les courses de pirogues polynésiennes sont devenues des événements sportifs<br />

internationaux, mais leur origine est très ancienne. Les premiers Européens ont pu assister à de grandes<br />

revues navales <strong>du</strong>rant lesquelles de grandes pirogues richement décorées évoluaient dans le lagon. Par la<br />

suite, les autorités françaises organisèrent de nombreuses fêtes patriotiques ou commémoratives avec des<br />

épreuves de course à la voile ou de pirogues doubles et de pirogues à trois rameurs.<br />

Au début des années 1950, les catégories se sont considérablement diversifiées : simples ou doubles et<br />

armées par un, trois, six, quatorze et seize rameurs ou rameuses. Les pirogues sont alors taillées<br />

spécialement pour la course. L’ère de la course de va’a contemporaine est née. Les équipes de Tahiti,<br />

comme « Maire Nui » (Fig 9), vont brillamment s’illustrer dans les compétitions. Aujourd’hui, la pirogue de<br />

sport bénéficie des progrès technologiques avec des coques en résine polyester et en carbone ultraléger.<br />

La victorieuse pirogue Teremata’i (Fig 10) intro<strong>du</strong>it la pirogue de course dans la très belle famille des objets<br />

de collection.<br />

Fig10 « Teremata’i », pirogue de course à 6 places (balancier<br />

manquant). Bois de falcata (Albizia falcata). 13 mètres.<br />

Ra’iätea. Collection Hugh Laughlin.<br />

Fig 9 : Pirogues doubles à 16 rameurs. Au premier plan, Maire nui.<br />

Fêtes <strong>du</strong> 14 juillet à Papeete, Tahiti, vers 1960. Photographie<br />

A.Sylvain, Tahiti<br />

6


Bibliographie<br />

Ouvrages généraux/Ethnologie<br />

CONTE, Eric. 1992 - Tereraa, Voyages et peuplement des îles <strong>du</strong> Pacifique. Éditions Polymages-<br />

Scoop, Tahiti<br />

DANIELSSON, Bengt. 1981 - Tahiti autrefois. Hibiscus éditions, Pape’ete, Tahiti<br />

DODD, Edward. 1972, Polynesian seafaring. Vol II of The Ring fire. Ed Dodd, Mead & Compagny, New-York<br />

ELLIS, William. 1972 - A la recherche de la Polynésie d'autrefois. Société des Océanistes, Paris<br />

HENRY, Teuira. 1988 [1962] - Tahiti aux temps anciens. Publication de la Société des Océanistes,<br />

n°1, Musée de l'Homme, Paris<br />

LAVONDES, A. 1976 - La culture matérielle en Polynésie et les collections <strong>du</strong> Musée de Tahiti et des îles.<br />

Thèse de 3 ème cycle en ethnologie soutenue en 1973 à l’Université René Descartes Paris V, Paris.<br />

0’REILLY, Patrick & Raoul TEISSIER. 1975 – Tahitiens, Répertoire biographique de la Polynésie Française,<br />

Publication de la Société des Océanistes, n°36, Musée de l’Homme, Paris.<br />

Ouvrages spécialisés / Architecture navale<br />

BONNEMAISON Joël. 1986 - L’arbre et la pirogue. Éditions de l’ORSTOM, Paris.<br />

BUCK, P. H. 1964 - Arts and crafts of Hawai’i, section VI: Canoes. Bishop Museum Press, Hawai’i<br />

EMORY, Kenneth. 1975 - Material culture of Tuamotu archipelago. Bernice Pauahi Bishop Museum Press,<br />

Honolulu, Hawai’i<br />

GUIOT, Hélène. 1997 - Waka et construction navale : mobilisation de l'environnement et de la société chez<br />

les anciens Polynésiens. Approche ethno-archéologique. Doctorat de l'Université de Paris I-Panthéon-<br />

Sorbonne en Préhistoire-Ethnologie-Anthropologie, Paris.<br />

HADDON, A.C., HORNELL, J. 1991 - Canoes of Oceania. Three volumes combined in one. Vol. I : The canoes<br />

of Polynesia, Fidji and Micronesia (1ère éd. 1936), Vol. II : The canoes of Melanesia, Queensland and New<br />

Giunea (1ère éd. 1937), Vol. III : Definition of terms, general survey and conclusions (1ère éd. 1938).<br />

Bernice Pauahi Bishop Museum Press, Honolulu, Hawai’i<br />

HANDY, E.S.C. 1932 - Houses, boats and fishing in the Society Islands. Bernice Pauahi Bishop Museum<br />

Press, Honolulu, Hawai’i<br />

NEYRET, Jean. 1974 - Pirogues océaniennes. 2 Tomes, Association des Amis des Musées de la Marine, Palais<br />

de Chaillot, Paris<br />

RIETH, Eric. 1993 – Voiliers et pirogues <strong>du</strong> monde au début <strong>du</strong> XIXeme siècle, Essai sur la construction<br />

navale des peuples extra-européens de l’amiral Pâris (1843), Du May, Paris.<br />

Récits de voyage<br />

AIMES, Paul. 1952 – « Eugène Caillot, Voyageur et historien de la Polynésie (1866-1938) », Journal de la<br />

Société des Océanistes, Tome VIII, Paris.<br />

BATAILLE-BENGUIGUI, Marie-Claire. 2001 – « Découverte de la Polynésie » in Le voyage de La Korrigane<br />

dans les mers <strong>du</strong> Sud, Museum national d’histoire naturelle / Hazan, Paris.<br />

BEAGLEHOLE, J.C. (ed.). 1955 - The Journals of Captain James Cook on his Voyages of Discovery. Extra<br />

Series n°XXXIV, University Press, Published for the Hakluyt Society, Cambridge.<br />

CAILLOT, Eugène. 1909 – Les Polynésiens orientaux au contact de la civilisation, Ed. Ernest Leroux, Paris.<br />

COIFFIER, Christian. 2001 - Le voyage de La Korrigane dans les mers <strong>du</strong> Sud, Museum national d’histoire<br />

naturelle / Hazan, Paris.<br />

MORRISON, James. 1966 - Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty. Société des<br />

études océaniennes, Pape’ete<br />

WILSON, James. 1997 - James Wilson 1797. Société des études océaniennes - Haere po no Tahiti, Papeete.<br />

7


Petit lexique de la pirogue<br />

Français Tahitien marquisien Tuamotu Mangareva Rapa<br />

pirogue va'a va'a / vaka vaka / häveke<br />

hoe / hoe<br />

vaka kami'a<br />

pagaie hoe pine<br />

tata / tapi<br />

hoe 'oe oe / rapa<br />

écope tatä 'iu tatä tatäpi ä'api<br />

voile 'ie 'a / ka / ti'a kie kie<br />

te muri ô te<br />

kie<br />

poupe rei muri hope mu'i noko vaka repe muri<br />

no'o<br />

pätunihi<br />

hope tau<br />

te mua ö te<br />

proue rei mua hope i mua kömua vaka vaka repe mua<br />

ihu va'a 'au'au<br />

hoe u'i / uki<br />

pagaie gouvernail<br />

balancier /<br />

fa'atere keho poka fa'atere uri peka<br />

flotteur ama ama ama ama ama<br />

coque extérieure tau 'atea käte'a kätea kätea akatea<br />

partie opposée<br />

käte'a / vahi<br />

au balancier<br />

ätea<br />

piquets ti'ati'a tiatia pätia tiatia tiatia<br />

traverse avant 'ïato mua 'ïato mua kïato mua kiato mua kïato mua<br />

traverse arrière 'ïato muri 'ïato mu'i kïato hôrau kiato muri kïato muri<br />

aroro / tou'a mau<br />

haubans rïtini tia täura tähaga rikini<br />

quille<br />

ornements de<br />

ta'ere teke'e takere tekere ta'ere<br />

mat mati para<br />

poki mua /<br />

ancre<br />

Maître<br />

tütau katau / 'ätau tütau poki muri kaiti<br />

charpentier tahu’a<br />

herminette to’i<br />

Perçoir à pompe tieke<br />

8


Pour en savoir plus…<br />

La conquête <strong>du</strong> pacifique sud en pirogue<br />

Des Austronésiens aux Polynésiens<br />

Les peuples qui ont quitté l’Asie <strong>du</strong> sud-est, il y a 5 000 à 6 000 ans, ont réalisé peut -être la plus grande aventure de<br />

navigation de l’histoire de l’humanité : plus de dix mille îles furent ainsi peuplées, éloignées entre -elles parfois par des<br />

distances de 4 000 kilomètres. Ces peuples parlant des langues austronésiennes confectionnaient une poterie dite<br />

« lapita » au décor géométrique de lignes pointillées obtenues par impression au peigne. Ils possédaient leurs propres<br />

techniques horticoles et de pêche et transportèrent avec eux leurs plantes. Mais surtout, l’outil de leur fabuleuse<br />

conquête fut la grande pirogue à balancier ou à double coques qui, épaulée par des techniques de navigation élaborées,<br />

a permis l’instauration de réseaux complexes d’échanges à travers les îles <strong>du</strong> Pacifique de l’ouest. Ces contacts entre les<br />

groupes mélanésiens déjà en place et les Austronésiens s’établirent dans la zone comprise entre l’archipel Bismark au<br />

nord-est de la Nouvelle-Guinée et les îles Salomon à partir de 3000 av J. C. Les groupes Austronésiens atteignirent vers<br />

1300 av J. C., le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie et les îles Fidji et enfin vers 1150 av J. C. les îles Tonga et Samoa. Près<br />

de mille ans plus tard, ces peuples issus des souches austronésiennes seront à l’origine de la culture polynésienne et de<br />

techniques de construction navale et de navigation encore plus performantes, paramètres indispensables à l’entreprise<br />

de la colonisation des îles de la partie Est <strong>du</strong> Pacifique, souvent séparées par des distances bien supérieures à celles de<br />

la zone mélanésienne.<br />

Le capitaine Cook fut le premier à reconnaître la fabuleuse expansion <strong>du</strong> peuple polynésien de part et d’autre <strong>du</strong> Grand<br />

Océan. Rencontrant des peuples qui parlaient un langage possédant manifestement une origine et une culture<br />

communes à celles des populations des îles Tonga, de Rapa nui (l’île de Pâques), des îles Hawai’i et de Aotearoa, il lui<br />

parut évident qu’il s’agissait d’un seul et même peuple qui n’avait pu coloniser ces terres que par le moyen de la pirogue.<br />

Il en eut la confirmation lorsque Tüpaia, originaire de Ra’iätea, parvint à dialoguer avec les Maoris de Aotearoa.<br />

Les techniques de navigation maîtrisées par les Polynésiens n’ont pas fait l’objet d’observations, ni de descriptions fines<br />

de la part des voyageurs européens. Néanmoins, plusieurs témoignages attestent de leurs richesses aux îles de la<br />

Société. En effet, lorsque Tüpaia embarqua avec le Capitaine Cook, ce dernier, étonné par les connaissances détenues<br />

par le Polynésien, lui fit dresser sur le papier une carte des îles polynésiennes, répertoriant ainsi soixante-quatorze îles<br />

telles que les Samoa, Fidji, Tonga, Tuamotu et Marquises, que Tüpaia disposa en zones concentriques, chacune<br />

correspondant à une journée de navigation. La présence de Tüpaia fut d’une aide précieuse au capitaine britannique,<br />

qu’il guida dans les eaux polynésiennes.<br />

Les sources documentaires historiques<br />

Carnets de voyages et expéditions scientifiques<br />

Les connaissances que nous avons aujourd’hui des anciennes pirogues polynésiennes sont essentiellement fondées sur<br />

les informations collectées par les premiers navigateurs européens qui sillonnèrent l’océan Pacifique dès le XVIe siècle.<br />

Les premiers témoignages sont capitaux, malheureusement trop insuffisants. Ce n’est qu’à partir de la fin <strong>du</strong> XVIIIe<br />

siècle, notamment lors des voyages <strong>du</strong> capitaine Cook qu’une riche documentation d’ordre scientifique va voir le jour<br />

concernant les pirogues <strong>du</strong> Pacifique. Des croquis pris sur le vif par des dessinateurs professionnels, tels que J. Webber,<br />

W. Hodges, S. Parkinson, maîtrisant le ren<strong>du</strong> des volumes et la perspective, ainsi que des plans précis vont être réalisés<br />

systématiquement chaque fois que cela sera possible. Ces illustrations, complétées de notes d’observations, nous<br />

donnent une idée assez précise de l’architecture navale polynésienne telle qu’elle avait existé avant la rencontre avec les<br />

Occidentaux. De même, les missionnaires nous ont laissé des témoignages intéressants : J. Wilson à la fin <strong>du</strong> XVIIIe<br />

siècle et W. Ellis au début <strong>du</strong> XIXe siècle. Par la suite, une pléiade de commandants de vaisseaux se passionnera pour<br />

les pirogues océaniennes et un nombre considérable d’informations sera ainsi collecté. Parmi les sources les plus<br />

complètes sur le sujet, celles de l’Amiral Pâris dressent des plans très précis de nombreuses embarcations polynésiennes.<br />

Mais ils ne furent pas les seuls, et de simples marins tel J. Morrison, membre de l’équipage de la Bounty lors de son<br />

passage dans les eaux polynésiennes en 1788 et 1789, réalisèrent également des descriptions très détaillées de<br />

pirogues.<br />

Plus récemment, des scientifiques anglo-saxons commencèrent à consacrer leurs recherches sur le sujet. L’ethnologue K.<br />

Emory observe attentivement les pirogues des Tuamotu et celles des îles de la Société dans les années 1930. Les<br />

informations et les photographies qu’il recueille représentent une richesse inestimable. A la même époque, E. Best publie<br />

« The maori canoe », un travail de recherche très dense sur la pirogue dans la culture maori. En 1936, les Américains, A.<br />

C. Haddon et J. Hornell éditent « canoes of Oceania », résumé de toutes les informations (relations de voyages et<br />

recherches ethnographiques) alors disponibles sur les pirogues <strong>du</strong> Pacifique. Cette publication reste de nos jours un<br />

9


ouvrage de référence. Deux érudits s’inscrivent dans cette même filiation : le Père J. Neyret, à partir des recherches<br />

débutées en 1931, publie finalement 45 ans plus tard « pirogues océaniennes ». E. Dodd consacre également de<br />

nombreuses années de sa vie à la connaissance des pirogues océaniennes et de la navigation ancestrale. Son ouvrage<br />

« Polynesian seafaring » paraît en 1971.<br />

D’autres pionniers apporteront leur contribution à la connaissance de l’architecture navale ancienne Polynésienne et aux<br />

techniques de navigation ancestrales par le biais de leurs propres expériences. Les tentatives sur des radeaux de T.<br />

Heyerdhal, de E. De Bishop et F. Cowan participent également à cette quête de connaissance. Les voyages de Hokulea<br />

initiés par D. Lewis et B. Finney suivant les instructions <strong>du</strong> maître en navigation micronésien Mau Pialug démontrent<br />

in<strong>du</strong>bitablement que les techniques de navigations ancestrales permettaient les mêmes traversées transocéaniques que<br />

celles réalisées par les circumnavigateurs bien des siècles plus tard, mais aux instruments cette fois. Ces aventures<br />

allaient faire école avec notamment le Hawai’ien Nainoa Thompson et depuis une vingtaine d’années, de nombreuses<br />

expériences de voyages à bord de reconstitutions de pirogues polynésiennes tradit ionnelles entreprises avec succès.<br />

Les vestiges : entre archéologie et tradition orale<br />

Si l’utilisation de la pirogue comme moyen de transport et de liaisons maritimes d’un bout à l’autre <strong>du</strong> grand océan<br />

Pacifique est attestée de tous, il n’en va pas de mê me des connaissances relatives aux types exacts des pirogues qui<br />

naviguaient aux temps des grandes migrations. Les chercheurs émettent l’hypothèse qu’elles furent probablement très<br />

grandes et performantes, peut -être même davantage que celles observées par les premiers navigateurs européens à la<br />

fin <strong>du</strong> XVIIIe siècle. Il semble que les Polynésiens ne prati<strong>quai</strong>ent déjà plus les longs voyages d’exploration depuis<br />

longtemps et que par conséquent, l’existence d’embarcations destinées à transporter des populations assez nombreuses<br />

pour y faire souche ainsi que les plantes et les animaux essentiels à leur survie, ne s’imposait plus. À l’heure actuelle,<br />

deux sources intéressent les chercheurs qui tentent d’apporter des éléments de réponses aux questions soulevées par<br />

les pirogues <strong>du</strong> peuplement : la recherche archéologique et le recueil et l’étude des traditions orales océaniennes.<br />

Les vestiges archéologiques sont quasi inexistants, à quelques exceptions près, comme ceux mis au jour dans des<br />

grottes funéraires aux îles Hawai’i, dans des marécages à Aotearoa (la Nouvelle-Zélande) et ceux provenant <strong>du</strong> site de<br />

Fa’ahia sur l’île de Huahine aux îles Sous-le-Vent, ces derniers constituant probablement les plus anciens vestiges de<br />

pirogues connus à ce jour en Océanie. Datés entre 850 et 1450, les éléments de pirogues appartiennent sans aucun<br />

doute à plusieurs types de pirogues. Les éléments de grandes dimensions laissent à penser qu’ils ont pu appartenir à<br />

une grande pirogue double similaire à celle dont le capitaine Cook dressa le plan et qui mesurait 33 mètres de long.<br />

Malgré l’ancienneté de ces vestiges, rien n’autorise à les rapprocher des pirogues de peuplement.<br />

Si les traditions orales n’ont pu apporter d’informations précises sur ce point, elles relatent toutefois des faits de tout<br />

premier ordre. Un épisode de la mythologie des îles de la Société rapporte ainsi que les divinités Tu et Hina se<br />

déplaçaient sur les océans à bord d’une pirogue à balancier désignée par le terme générique de va’a nommant les unes<br />

après les autres les limites spatiales qui séparaient les îles entre elles. Plus encore, l’époque légendaire nous rapporte<br />

que Hiro (héros légendaire et célèbre navigateur <strong>du</strong> Grand Océan Tai-nui), construisit lui-même à Tahiti une pirogue,<br />

d’un type différent de celui des va’a, aux dimensions impressionnantes, appelé pahï, possédant des performances<br />

supérieures, avec laquelle il sillonna les mers <strong>du</strong> triangle polynésien. Le récit mentionne toutes les étapes de la<br />

construction d’une grande pirogue, depuis le choix des essences suivant les parties de l’embarcation, l’abattage de<br />

l’arbre jusqu’aux cérémonies et rituels qui l’accompagnent, comme la « mise au repos » de l’herminette par le tahu’a<br />

va’a (le maître charpentier) à l’intérieur <strong>du</strong> marae, afin que les divinités lui donnent le pouvoir nécessaire à la réussite de<br />

la construction.<br />

L’approche de l’archéologie et celle de la tradition orale ne sont pas contradictoires, bien au contraire. Conjuguées, elles<br />

permettent avec l’examen des informations collectées depuis les premiers voyages des navigateurs occidentaux,<br />

d’ébaucher une idée assez fine des plus anciennes pirogues polynésiennes.<br />

Va’a, objet sacré<br />

Le dernier voyage vers Havaiki<br />

Les références associant le va’a au domaine <strong>du</strong> sacré sont nombreuses. Aux îles de la Société, les pirogues sacrées ou<br />

va’a ra’a étaient fabriquées sur les marae à partir <strong>du</strong> bois des arbres qui poussaient à l’intérieur des enceintes sacrées et<br />

n’étaient utilisées que pour le transport des to’o (réceptacles des divinités) ou des pierres de marae destinées à la<br />

fondation de nouveaux lieux de culte. Ces va’a ra’a devenaient dès lors des marae flottants et on les convoyait sur terre<br />

en les faisant glisser sur des corps d’hommes sacrifiés pour l’occasion. L’océan lui-même était considéré comme le plus<br />

grand et le plus sacré des marae.<br />

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À Aotearoa (Nouvelle-Zélande), des pirogues pouvaient être extrêmement tapu, c’est à dire sacrées et par conséquent<br />

soumises à de multiples interdits. Appelées waka mamae, elles servaient au transport d’un chef défunt ou alors étaient<br />

spécialement construites dans le but de venger un meurtre ou une défaite. Si la paix était préférée à la guerre, la<br />

pirogue était alors laissée à l’abandon, sans que personne ne puisse la toucher.<br />

Véhicule physique et spirituel des Hommes, le va’a accompagnait le Polynésien lors de son dernier voyage... celui dans<br />

l’au-delà. Ainsi, au Fenua ’Enana (les îles Marquises), des pirogues étaient disposées à côté des corps de défunts<br />

prestigieux (chefs, prêtres et guerriers) ayant un mana (prestige ou pouvoir social, physique et/ou spirituel) important.<br />

Les corps de nombreux guerriers tués étaient placés à l’intérieur de ces pirogues en guise de rameurs, car les<br />

Marquisiens estimaient nécessaire leur présence pour que le défunt puisse rejoindre le monde des morts. Le corps <strong>du</strong><br />

défunt était déposé dans une sorte de civière en forme de pirogue appelée papa tüpäpaku, puis ses ossements étaient<br />

placés dans un tronc évidé et taillé également en forme de pirogue dont le nom était vaka tüpäpaku. À Aotearoa, les<br />

ossements des défunts étaient déposés dans une extrémité de leur propre pirogue ou encore à côté de modèles ré<strong>du</strong>its<br />

de pirogues, et ce afin de les aider à trouver le chemin de la terre mythique des origines, Havaikï De même à Vaihï<br />

(aujourd’hui Hawai’i), des morceaux de pirogues étaient fréquemment déposés dans une grotte avec les ossements de<br />

son propriétaire. À Pukapuka aux îles Cook, le corps <strong>du</strong> défunt pouvait être enveloppé dans la voile de sa pirogue.<br />

Va’a / vä’a : objet sacré/espace social<br />

Le Polynésien, illustre navigateur des temps anciens, parcourant les océans alors que l’on cabotait encore sur la<br />

Méditerranée, s’installant sur une éten<strong>du</strong>e océanienne très vaste, a depuis les premières migrations connues et<br />

reconnues, posé des limites ou des frontières à l’intérieur des aires dans lesquelles il s’établissait, dans les espaces au<br />

milieu desquels il s’organisait et évoluait. Ces éten<strong>du</strong>es, immenses ou ré<strong>du</strong>ites, le Maori les nomme vä, c’est-à-dire, tout<br />

espace, situé entre deux îles, deux frontières ou deux objets bien identifiés. Mais il nommera également vä l’action de<br />

parcourir une distance se situant entre ces deux limites, de partir, de voyager et même de fuir. Et ici se fait le lien avec<br />

l’embarcation mythique, légendaire, historique et tellement identitaire qu’est la pirogue ou va’a.<br />

Mais plus qu’une tra<strong>du</strong>ction purement linguistique et dé<strong>du</strong>ctive qui ne donnerait qu’un seul signifié à la notion va’a, c’est -<br />

à-dire le mot « pirogue, » le concept va’a/vä’a doit être appréhendé de manière plus élargie, plus vaste, plus spatiale<br />

dirions-nous. Ainsi, les distances qui séparent les frontières, les districts, les îles ou les objets, entre eux ou au sein<br />

même de ceux-ci, se définissent davantage en termes de communauté, de groupe, de clans, ou de tout autre système<br />

où tous les éléments essentiels liés inconditionnellement les uns aux autres forment un tout fonctionnel, comme c’est<br />

bien évidemment le cas de « la pirogue ».<br />

Cette conception dichotomique de la notion vä’a/va’a va permettre au Polynésien d’établir ses limites sur terre, sur mer<br />

mais aussi dans les cieux : car chaque chefferie sur terre retrouve ses frontières sur mer et ses piliers/limites dans les<br />

cieux, ces derniers allant d’une constellation à une autre ou jusqu’à une seule étoile. Par conséquent, reconnaître ses<br />

limites terrestres, c’est avant tout connaître ses repères océaniques qui se reflètent de nuit sur la grande voûte céleste<br />

de Ta’aroa le Dieu créateur. Cette connaissance acquise de génération en génération permet à l’Homme d’organiser sa<br />

société et de vivre en vertu d’une identité et d’un espace propre et unique que l’on retrouve dans des compositions<br />

notionnelles telles les va’a mata’eina’a (espace organisé de myriades), communément tra<strong>du</strong>its par districts. De même, on<br />

nommera dans le même esprit va’a hiva tout groupe habitant à l’intérieur d’une île ou d’un district, cet espace-ci étant<br />

un sous espace de va’a mata’eina’a. Plus encore, tous se reconnaîtront faisant partie d’un va’a ‘äi’a, c’est -à-dire d’un<br />

grand espace regroupant plusieurs îles telle une Nation, et l’on pourrait citer encore bien d’autres espaces va’a/va’a qui<br />

regroupent les indivi<strong>du</strong>s selon d’autres critères qu’uniquement géographiques et où la notion vä’a/va’a compose la partie<br />

première et influence d’un sens spatial le reste de la composition notionnelle.<br />

Cependant, tout le merveilleux de ce concept réside dans l’incroyable capacité de son signifié à transcender la mobilité<br />

statique et inaliénable des limites qu’impose une organisation sociale et religieuse stable. Et la magie s’opérant, ce<br />

concept d’espace ou vä’a, comme une matrice, engendre une forme mobile qui se métamorphose en un réceptacle<br />

profane ou sacré, « La Pirogue ». Espace au début, réceptacle de ce même espace à tout autre moment, la pirogue ou<br />

va’a transporte ainsi ces espaces délimités, ces organisations systémiques terrestres ou ce défunt grand chef,<br />

franchissant les distances océaniques et célestes alors même que les Hommes n’auront peut -être jamais quitté leur île,<br />

leur groupe ou leur chefferie. Vä’a, l’espace terrestre devenu va’a, l’espace mobile est sans nul doute le réceptacle<br />

communautaire et sacré le plus prestigieux de tous, outil inaliénable d’un peuple de voyageurs, traversant les frontières<br />

d’autres vä’a, aux fins nécessaires et vitales mais aussi cérémonielles, de rencontres, de confrontations ou de retour aux<br />

origines.<br />

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Qu’il faille par conséquent se nourrir, se déplacer, faire alliance, étendre son pouvoir, guerroyer, se défendre, invoquer<br />

une divinité ou passer d’un Monde à l’autre, les Hommes ne quittent jamais leur va’a ni leur vä’a, sur terre comme sur<br />

mer, qui sont leur espace vital, social et religieux, où les limites, formes et repères ancestraux ont été établis depuis des<br />

générations immémoriales aux temps mythiques de la Création.<br />

A titre d’exemple, cet extrait issu de la tradition orale tahitienne que nous pro posons de livrer ci-dessous nous montre<br />

qu’après avoir créé la matière, Ta’aroa décide d’y mettre de l’ordre avec l’aide de son artisan Tü, afin de la stabiliser et<br />

d’en délimiter deux grands espaces premiers et sacrés qu’il nommera vä’a/va’a iti, petit espace et vä’a/va’a nui, grand<br />

espace. Ta’aroa ordonne ainsi à Tü d’œuvrer afin que l’Univers soit stabilisé et délimité par des racines qui puissent<br />

retenir le tout, celles <strong>du</strong> haut qui retiennent la voûte céleste, celles <strong>du</strong> bas la fondation de l’Univers et celles qui<br />

délimitent l’intérieur des terres de celles <strong>du</strong> littoral.<br />

« … Ua ta’o atura Ta’aroa :<br />

A horahora mai i te one i ta’u va’a iti<br />

e ! A horahora i te one o ta’u va’a nui<br />

e. »<br />

Ua ta’o atu ra Ta’aroa : « A horahora<br />

mai i te one i tä ‘u vä’a iti ë ! A<br />

horahora i te one ö tä ‘u vä’a nui ë ».<br />

Ta’aroa ordonna : « que des<br />

éten<strong>du</strong>es de sable emplissent<br />

mon petit espace ! Que des<br />

éten<strong>du</strong>es de sable emplissent<br />

mon grand espace ! »<br />

Les Polynésiens savent d’où ils viennent... de Havaiki. Ils ne savent peut-être plus où cette Terre se trouve, qu’importe<br />

puisqu’ils y retourneront inéluctablement après leur séjour dans le monde des vivants...Et, ils y retourneront comme ils<br />

en sont venus... à bord <strong>du</strong> va’a, la pirogue ma’ohi.<br />

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Extraits de textes<br />

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L’ART DE CONSTRUCTION DES PIROGUES DE TAHITI<br />

par Louis Antoine de Bougainville<br />

voyage autour <strong>du</strong> monde, Tahiti 1768<br />

« […] Ils ont deux espèces de pirogues ; les unes, petites et peu travaillées, sont faites d’un seul tronc<br />

d’arbres creusé fait, comme aux premières, le fond de la pirogue depuis l’avant jusqu’ai deux tiers environ<br />

de sa longueur ; un second forme la partie de l’arrière qui est courbe et fort relevée : de sorte que<br />

l’extrémité de la poupe se trouve à cinq ou six pieds au-dessus de l’eau ; ces deux pièces sont assemblées<br />

bout à bout en arc de cercle, et comme, pour assurer cet écart, ils n’ont pas le secours des clous, ils percent<br />

en plusieurs endroits l’extrémité des deux pièces, et ils y passent des tresses de fil de coco dont ils font de<br />

fortes liures. Les côtés de la pirogue sont relevés par deux bordés d’environ un pied de largeur, cousus sur<br />

le fond et l’un avec l’autre par des liures semblables aux précédentes. Ils remplissent les coutures de fils de<br />

coco, sans mettre aucun en<strong>du</strong>it sur le calfatage. Une planche, qui couvre l’avant de la pirogue et qui a cinq<br />

ou six pieds de saillie, l’empêche de se plonger entièrement dans l’eau lorsque la mer est grosse. Pour<br />

rendre ces légères barques moins sujettes à chavirer, ils mettent un balancier sur un des côtés. Ce n’est<br />

autre chose qu’une pièce de bois assez longue, portée sur deux traverses de quatre à cinq pieds de long,<br />

dont l’autre bout est amarré sur la pirogue. Lorsqu’elle est à la voile, une planche s’étend en dehors, de<br />

l’autre côté <strong>du</strong> balancier. Son usage est pour y amarrer un cordage qui soutient le mât et rendre la pirogue<br />

moins volage, en plaçant au bout de la planche un homme ou un poids.<br />

Leur in<strong>du</strong>strie paraît davantage dans le moyen dont ils usent pour rendre ces bâtiments propres à les<br />

transporter aux îles voisines, avec les transporter aux îles voisines, avec lesquelles ils communiquent sans<br />

avoir dans cette navigation d’autres guides que les étoiles. Ils lient ensemble deux grandes pirogues côte à<br />

côte, à quatre pieds environ de distance, par le moyen de quelques traverses fortement amarrées sur es<br />

deux bords. Par-dessus l’arrière de ces deux bâtiments ainsi joints, ils posent un pavillon d’une charpente<br />

très légère, couvert par un toit de roseau. Cette chambre les met à l’abri de la pluie et <strong>du</strong> soleil, et leur<br />

fournit en même temps un lieu propre à tenir leurs provisions sèches. Ces doubles pirogues sont capables de<br />

contenir un grand nombre de personnes, et ne risquent jamais de chavirer. Ce sont celles dont nous avons<br />

toujours vu les chefs se servir : elles vont, ainsi que les pirogues simples, à la rame et à la voile : les voiles<br />

sont composées de nattes éten<strong>du</strong>es sur un carré de roseaux dont un des angles est arrondi.<br />

Les Tahitiens n’ont d’autres outils pour tous ces ouvrages qu’une herminette, dont le tranchant est fait avec<br />

une pierre noire très <strong>du</strong>re.elle est absolument de la même forme que celle de nos charpentiers, et ils s’en<br />

servent avec beaucoup d’adresse. Ils emploient, pour percer les bois, des morceaux de coquilles fort<br />

aigus.[…] »<br />

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GUERRE NAVALE<br />

Textes extraits de « A la recherche de la Polynésie d’autrefois »<br />

de William Ellis, missionnaire de la L.M.S en Polynésie de 1816 à 1824<br />

« […] Les indigènes étant tous des insulaires, la mer était pour eux un domaine familier et c’est sur cet<br />

élément que se livraient leurs combats les plus sanglants. J’ai déjà donné une description de leur pähi, ou<br />

pirogues de guerre. Leurs flottilles étaient souvent importantes. Les expéditions contre des gens de Huahine,<br />

si j’en crois le récit que me firent les survivants de la bataille de Hooroto, comprenaient quatre-vingt-dix<br />

embarcations, chacune d’une longueur de vingt toises. Une quantité de petites pirogues les accompagnaient<br />

probablement. Lorsque l’engagement se pro<strong>du</strong>isait à l’intérieur des récifs, les pirogues étaient souvent<br />

attachées ensemble l’une derrière l’autre, l’étrave de l’une étant fixée à la poupe de la pirogue précédente.<br />

Ils appelaient cette formation api et l’adoptaient pour éviter que leur ligne ne se brise ou que certains ne se<br />

retirent <strong>du</strong> combat. Les bateaux ennemis pouvaient être amarrés de la même façon ; les deux flottes se<br />

présentaient en une ligne continue de pirogues, avec leurs reva, ou banderoles flottantes ; les voyageurs<br />

ramaient vers la haute mer, les guerriers occupant la plate-forme élevée pour leur défense ce qui<br />

permettaient de contrôler chaque partie de la pirogue. Encore loin les uns des autres, ils se battaient avec<br />

leurs frondes ; puis se rapprochant, ils jetaient les lances et les javelots ; enfin ils en arrivaient à<br />

l’abordages ; mus par des sentiments de rage, d’orgueil, d’ambition ou de désespoir, ils se battaient avec la<br />

fureur la plus opiniâtre. […] »<br />

SPORTS NAUTIQUES<br />

« […] Un autre amusement qui semble donner beaucoup de plaisir aux enfants des îles, consiste à construire<br />

de petites pirogues, des bateaux ou des embarcations et à les faire flotter dans la mer. Bien qu’ils soient de<br />

formes assez grossières et voués à une prompte destruction, beaucoup de garçons font preuve d’une grande<br />

ingéniosité dans la construction de ce genre de jouet. La coque est généralement taillée dans une branche<br />

d’hibiscus, au bois léger ; le cordage est fabriqué avec de l’écorce, les voiles sont formées de petites feuilles<br />

<strong>du</strong> cocotier ou de tissu indigène. Les propriétaires de ces petites embarcations partent souvent en groupes<br />

et, prenant leurs canots en main, avancent dans la mer jusqu’à la ceinture ou à la poitrine, et parfois<br />

nageant même encore plus avant. Alors, ils mettent à l’eau leur flotte en miniature. Elle consiste en bateaux,<br />

bricks, sloops, embarcations et pirogues. Puis ils retournent au rivage. Ils fixent généralement une pierre<br />

dans le fond de leurs bateaux pour les maintenir verticalement, et comme le vent les pousse à travers la<br />

baie, leurs propriétaires courent dans la mer, ayant de l’eau jusqu’au genoux, criant et éclaboussant pour<br />

surveiller leur avance. Tels étaient quelques-uns des divertissements des indigènes des îles des mers <strong>du</strong><br />

Sud. […] »<br />

TRISTE NAUFRAGE<br />

« […] Les pirogues simples, bien que plus sûres en me, sont pourtant sujettes à des accidents, malgré le<br />

balancier, qui doit être fixé avec grand soin pour les empêcher de se retourner. Pour les indigènes,<br />

l’inconvénient n’est pas grand, amis pour un étranger, ce n’est pas toujours agréable, ni sûr. Mrs Orsmond,<br />

Mrs et Mr.Barff, Mrs Ellis et moi-même, avec nos deux enfants, et un ou deux indigènes, traversions un jour<br />

le petit port de Fare, à Huahine. Une servante était assise à l’avant de la pirogue, ayant notre fillette dans<br />

les bras, notre petit garçon, un bébé, était au sein de sa mère ; un indigène, muni d’une longue perche<br />

légère, pagayait ou poussait la pirogue. Tout à coup, un petit buhoe (pü hoe) monté par un adolescent assis<br />

dedans, surgit de derrière des branches qui pendaient sur l’eau et, avant que nous ayons pu changer de<br />

route ou l’adolescent arrêter son embarcation, celle-ci entra dans notre balancier qui coula instantanément.<br />

Notre pirogue se retourna et tout notre groupe fut précipité dans l’eau. Le soleil s’était couché bientôt après<br />

que nous avions quitté l’autre rive et le crépuscule étant très court, les ombres de la nuit s’étaient déjà<br />

épaissies autours de nous, ce qui empêchait les indigènes sur le rivage de se rendre compte de notre<br />

situation. La femme indigène tenait notre petite fille en l’air d’une main et nageait de l’autre vers le rivage,<br />

aidant autant que possible Mrs.Orsmond qui avait saisi ses longs cheveux flottant sur l’eau derrière elle. Mrs<br />

Barff, revenant à la surface, s’était agrippée au balancier de la pirogue qui avait occasionné le désastre ; elle<br />

appela au secours, alerta les gens sur le rivage <strong>du</strong> danger que nous courions, ce qui les amena rapidement à<br />

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nous secourir. Mr Orsmond n’avait pas plus tôt atteint le rivage,qu’il plongea de nouveau, Mrs Orsmond<br />

abandonnant l’indigène qui la soutenait,s’accrocha à son mari, l’empêchant non seulement de nager, mais le<br />

faisant couler si profondément que sans l’arrivée rapide des indigènes, ils auraient tous deux trouvé là une<br />

mort prématurée ; Mahine-vahine, la reine, sauta elle-même à l’eau et accompagna Mrs Barff jusqu’au<br />

rivage. J’arrivai sur le côté opposé de celui où la pirogue s’était retournée et aperçus Mrs Ellis luttant dans<br />

l’eau, tenant toujours le bébé sur son sein. Je grimpais immédiatement sur la pirogue et la soulevai<br />

suffisamment au-dessus de l’eau pour permettre au petit garçon de respirer ; jusqu’à ce qu’une petite<br />

pirogue vint à notre aide. Elle prit ma femme tandis que je nageai vers le rivage, remerciant les gens de<br />

l’aide apportée. […] »<br />

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PIROGUE DE TUBUAI, ILES AUSTRALES<br />

Textes extraits <strong>du</strong> journal de James Morrison,<br />

second maître à bord de la Bounty, 1792 en séjour à Tahiti de 1788 – 1791<br />

« […] Leurs pirogues sont différentes de celles que nous avons vues dans toutes les autres îles ; elles ont de<br />

9 à 12 m de long et portent de 12 à 24 hommes ; elles sont étroites dans le fond et vont s’élargissant<br />

jusqu’à atteindre 40 à 45 cm à la hauteur <strong>du</strong> plat bord et conservant la même largeur ensuite. Elles ont<br />

environ 60 cm de profondeur et pointues à l’avant et à l’arrière, l’avant ressemblant à la tête d’un animal<br />

avec une large gueule et l’arrière s’élevant en forme de crosse finement sculptée et travaillée. Les pirogues<br />

sont construites de plusieurs bordés bien ajustés et assujettis par un laçage en fibre de coco le tout peint en<br />

rouge et sur les côtés, sont disposés sous forme d’arceaux, des écailles de poissons perroquet et de petits<br />

coquillages collés avec de la sève d’arbre à pain ce qui leur donne une grande élégance. Elles sont<br />

construites en bois de Tamanu ou d’arbres à pain et sont bien finies étant donné les outils qu’ils possèdent,<br />

n’ayant rien d’autre que des herminettes de pierre ou de coquillage, des os et des dents de requin avec <strong>du</strong><br />

corail et <strong>du</strong> sable pour les polir, le fini étant obtenu avec la peau de raie ou de requin ; tels sont tous les<br />

outils que nous leur avons vu utiliser ; leurs pagaies ont de 90cm à 1,20 m de long, a pale est circulaire,<br />

avec une arrête sur une face comme nos avirons, mais l’autre côté est creusé au lieu d’être plat. […] »<br />

LA PECHE AU THON A TAHITI<br />

« […] Celle-ci est pratiquée de la façon suivante : dans une pirogue double portant de 6 à 8 hommes est<br />

installée à l’avant une longue perche fixée à son extrémité inférieure et que l’on lève et abaisse au moyen<br />

d’une corde ; sur la partie haute se trouvent deux pièces de bois s’écartant comme des cornes de part et<br />

d’autre de la perche et sur lesquelles on attache des lignes. Aux sommets de la perche est fixé un bouquet<br />

de plumes de coq noires qui agitées par le vent lorsque la perche est abaissée sur l’eau, attire les poissons.<br />

Les appâts vivants sont conservés dans un panier immergé entre les deux pirogues. Lorsqu’ils voient <strong>du</strong><br />

poisson ils s’en approchent et une fois sur les lieux, pagayant de l’arrièrent, ils maintiennent l’arrière de la<br />

pirogue au vent. Un homme muni d’une écope jette continuellement de l’eau en pluie et les hameçons ayant<br />

été appâtés la perche est abaissée de façon à ce que les hameçon soient tout juste immergés. Celui qui a<br />

appâté les hameçons et qui se tient à l’avant jette de temps à autre un petit poisson vivant tandis que<br />

l’écope maintient une pluie là où se trouve les hameçons. Les poissons ne tardent pas à mordre, la perche<br />

est relevée et les prises ayant été détachées les hameçons sont ré-appâtées et remis à l’eau. Certains de ces<br />

poisons sont très gros et peuvent tirer la pirogue sous l’eau lorsqu’ils ne sont pas rapidement amenés à<br />

bord. Ceci est sans inconvénients mais il arrive que la ligne casse et lorsqu’il s’agit d’un hameçon de fer c’est<br />

pour eux une perte comparable à la perte d’une ancre pour nous. […] »<br />

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