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dire: «On ne voya<strong>it</strong> rien de tout cela pendant<br />
le temps que je restai chez les Sœurs de la<br />
Char<strong>it</strong>é de Paris» 1 . L’axe de cette spir<strong>it</strong>ual<strong>it</strong>é<br />
se présente en trois pôles essentiellement:<br />
Jésus Christ - l’Eglise - les pauvres.<br />
Notre mère fondatrice ne nous a pas laissé<br />
des écr<strong>it</strong>s spécifiques concernant la<br />
formation des sœurs, mais sa «pratique<br />
de formation» est pour nous d’une importance<br />
historique unique et d’une grande<br />
valeur paradigmatique. Elle pressent immédiatement<br />
que la formation est stratégique<br />
pour la naissance et le développement<br />
d’une Congrégation. Elle en prend<br />
la responsabil<strong>it</strong>é et s’en charge personnellement<br />
pour transmettre «l’inspiration<br />
des origines» aux premières compagnes<br />
et aux jeunes qui se présentent successivement,<br />
et les implique dans un projet de<br />
vie en commun. S’adressant aux sœurs, à<br />
un moment très délicat du développement<br />
de l’Inst<strong>it</strong>ut, elle affirme avec force: «C’est<br />
moi, comme vous le savez qui ai élevé,<br />
avec l’aide de Dieu, cette Communauté où<br />
vous êtes et qui l’ai fa<strong>it</strong>e ce qu’elle est…» 2<br />
Utilisant l’expression «qui l’ai fa<strong>it</strong>e», elle se<br />
réfère aussi certainement à l’organisation,<br />
mais en prior<strong>it</strong>é, au style de vie, à la mission<br />
et à la transformation intérieure, fru<strong>it</strong><br />
d’une longue et attentive action éducative.<br />
Elle le confirme, sans aucune hés<strong>it</strong>ation,<br />
quand elle écr<strong>it</strong>: «Nos sœurs et filles très<br />
chères, nous vous avons donné après Dieu<br />
ce saint état; nous vous avons nourries temporellement<br />
et spir<strong>it</strong>uellement; nous vous<br />
avons formées et affermies dans le bien» 3<br />
Une de ses préoccupations principales, en<br />
France comme en Italie et en Savoie, est celle<br />
de chercher une maison pour le noviciat, avec<br />
des cond<strong>it</strong>ions bien précises. Aussi l’emplacement<br />
et la logistique de la maison doivent<br />
concourir à une formation adéquate pour des<br />
jeunes. Elle retient nécessaire «qu’elle ne so<strong>it</strong><br />
pas isolée, mais so<strong>it</strong> à portée des malades<br />
pauvres et de la jeunesse pauvre pour exercer<br />
les novices à l’une ou l’autre de ces fonctions,<br />
pour pouvoir permettre la formation<br />
des novices à l’une ou l’autre activ<strong>it</strong>é» 4 qu’il<br />
1 MPV LD p. 479<br />
2 Circulaire sans date, LD p. 96<br />
3 Circ. 1812 LD p. 78<br />
4 Let. à Mr Debry 3 dec. 1808, LD p. 145; cf let. à Mgr<br />
Lecoz LD p. 148<br />
y a<strong>it</strong> un jardin et que cette maison so<strong>it</strong> suffisamment<br />
spacieuse pour que les novices<br />
puissent rester toutes ensemble et avec les<br />
sœurs qui sont chargées d’elles.<br />
Avec clairvoyance et hardiesse, elle ose<br />
dépasser les frontières de la vie intérieure<br />
de la communauté et demander des aides<br />
pour la formation des sœurs, à quelques<br />
autor<strong>it</strong>és, en susc<strong>it</strong>ant leur émerveillement;<br />
c’éta<strong>it</strong> quelque chose d’insol<strong>it</strong>e et<br />
d’inattendu pour une femme! Il s’ag<strong>it</strong> de la<br />
Lettre circulaire de 1812: «Je l’ai composée<br />
avec l’aide de Dieu seul, sans aucune étude,<br />
ni instruction de personne… je la soumis<br />
au Gouvernement qui en fut très content en<br />
me disant que j’en fasse une tous les ans; il<br />
la présenta au Ministre de la Police qui voulut<br />
la lire lui-même. Ensu<strong>it</strong>e, il d<strong>it</strong>: «Rien de<br />
mieux! Est-il possible que ce so<strong>it</strong> l’œuvre<br />
d’une femme»?… il eut la bonté d’en faire<br />
imprimer 300 copies à ses frais» 5<br />
Style de la formation<br />
L’art éducatif de Jeanne-Antide est marqué<br />
par une capac<strong>it</strong>é de discernement «intu<strong>it</strong>if<br />
et surnaturel» des s<strong>it</strong>uations et «surtout des<br />
cœurs des jeunes», cond<strong>it</strong>ion indispensable<br />
pour une relation correcte dans la formation.<br />
Elle n’accueille pas les filles inaptes<br />
à la vie religieuse, elle ne craint pas d’interrompre<br />
le parcours de formation si des<br />
aspects émergent et révèlent les manques<br />
d’apt<strong>it</strong>udes. Elle est attentive et ouverte aussi<br />
à découvrir les appels du Seigneur pour<br />
une vocation différente, comme dans le cas<br />
d’Anne Marie Javouhey qui sera fondatrice<br />
d’une Congrégation missionnaire.<br />
A Naples, elle se trouve devant la difficulté<br />
d’une langue, mais surtout d’une culture différente<br />
qu’elle do<strong>it</strong> apprendre à comprendre,<br />
à accepter et tra<strong>it</strong>er, mais elle ne se décourage<br />
pas et accueille le défi: «Soyez très persuadé<br />
de notre empressement à recevoir les demoiselles<br />
de ce pays, en qui nous reconnaîtrons<br />
les dispos<strong>it</strong>ions nécessaires et que nous mettrons<br />
une attention plus qu’ordinaire pour les<br />
conduire et les former, avec intérêt, patience,<br />
douceur, prudence et justice» 6<br />
5 Let. à Mgr Lecoz 28 fev. 1813 LD p. 233<br />
6 Let. au Ministre du Royaume de Naples, 1811 ou 1812,<br />
LD p. 222<br />
Elle assume la responsabil<strong>it</strong>é de la formation<br />
des novices et des sœurs, mais elle<br />
ne s’y consacre pas tout seule, elle implique<br />
d’autres personnes, nous dirions,<br />
aujourd’hui, qu’elle travaille en équipe et<br />
en réseau. Elle demande la collaboration<br />
de sr Brigide pour soutenir la croissance<br />
de la jeune sr Catherine envoyée à Verceil 7 .<br />
Elle confie les aspirantes et les novices à sr<br />
Christine et à sr Marguer<strong>it</strong>e quand elle part<br />
pour Naples 8 . Elle inv<strong>it</strong>e des professionnels<br />
et des maîtres qualifiés pour «favoriser le<br />
perfectionnement de toutes, chacune selon<br />
sa compétence» 9<br />
Elle utilise, avec son intu<strong>it</strong>ion pédagogique,<br />
une méthodologie de l’expérience qui<br />
s’avère efficace parce qu’elle accroît la motivation<br />
pour l’apprentissage, implique dans<br />
le processus, stimule la participation active,<br />
et aide à faire la synthèse entre la théorie<br />
et la pratique. «Je leur appris la manière<br />
d’enseigner les écoliers, en leur faisant observer<br />
comment je faisais… je menais avec<br />
moi, tour à tour, mes filles et je pansais les<br />
plaies, je mettais les vésicatoires, je faisais<br />
les saignées au bras et aux pieds devant<br />
elles pour leur apprendre à le faire; … à<br />
connaître les maladies et les divers caractères…<br />
Dans les saisons du printemps et<br />
de l’automne, j’allais avec mes filles dans<br />
les jardins et dans les campagnes pour herboriser<br />
et leur faire connaître les diverses<br />
plantes et fleurs médicinales, leurs propriétés,<br />
et à faire des eaux distillées.» 10<br />
Service matériel des pauvres et évangélisation<br />
ne sont jamais séparés pour elle;<br />
tandis qu’elle se préoccupe de faire acquérir<br />
une compétence professionnelle, elle porte<br />
une attention spéciale pour transmettre ardeur<br />
et élan pour le soin de l’espr<strong>it</strong>, pour<br />
contribuer au développement de capac<strong>it</strong>és<br />
aptes à atteindre les cœurs afin qu’ils s’ouvrent<br />
à la connaissance et à la rencontre<br />
avec Dieu: «j’enseignais à parler de Dieu aux<br />
malades, à les instruire de toutes les choses<br />
nécessaires au salut, à les faire assister des<br />
saints sacrements de l’église, à les y préparer…<br />
à leur faire faire l’action de grâce, à les<br />
7 Let. à sr Brig<strong>it</strong>te 8 mai 1826 LD p. 461<br />
8 Circ. 1812 LD p.75<br />
9 Mémoire de 1807 au Chap<strong>it</strong>re général des Inst<strong>it</strong>utions<br />
des sœurs de la char<strong>it</strong>é et autres, à Paris, LD p. 128<br />
10 MPV LD p. 478<br />
consoler, à les encourager en tout temps, à<br />
leur faire des lectures spir<strong>it</strong>uelles» 11<br />
Les valeurs qui la soutiennent et qu’elle<br />
propose sont des valeurs absolues qui ont<br />
leurs racines dans l’Évangile; la place centrale<br />
de Jésus-Christ appara<strong>it</strong> clairement<br />
dans sa pensée, dans son expérience spir<strong>it</strong>uelle<br />
et dans son action: «O mes enfants,<br />
reprenez courage! Rallumons nos lampes<br />
devant notre Epoux céleste; ne regardons<br />
que lui, ne pensons qu’à lui, ne désirons<br />
que lui, ne vivons que pour lui» 12<br />
Le lien étro<strong>it</strong> et l’interdépendance entre<br />
contemplation et action deviennent le noyau<br />
central de son engagement de formation:<br />
«En même temps que je formais mes filles<br />
à la vie active, je les formais aussi à la vie<br />
contemplative, pour soutenir et sanctifier<br />
l’active» 13 L’action apostolique et l’amour<br />
pour les pauvres trouvent leur source et leur<br />
aliment permanent dans une spir<strong>it</strong>ual<strong>it</strong>é solide<br />
et authentique. Sans la synthèse entre<br />
contemplation et action apostolique, la Vie<br />
Consacrée s’appauvr<strong>it</strong>, se vide et perd sens.<br />
Jeanne-Antide, en faisant sienne aussi<br />
l’anthropologie de son époque dans laquelle<br />
la dimension sociale prévaut sur la<br />
dimension personnelle, se montre sensible<br />
et attentive aux personnes dans leur unic<strong>it</strong>é<br />
et leur total<strong>it</strong>é. Elle a une capac<strong>it</strong>é remarquable<br />
de les comprendre, de donner<br />
confiance, d’encourager et d’attendre. Elle<br />
recommande sr Catherine: «Il y a bien à espérer<br />
sur la jeunesse pour la santé et pour<br />
se former à être utile. Elle n’est pas sotte; il<br />
y a plus de jugement au-dedans qu’il n’en<br />
paraît au dehors; elle se fera; il ne lui faut<br />
que de la douceur pour l’encourager; étant<br />
timide, si elle vo<strong>it</strong> qu’on la dédaigne, qu’on<br />
ne prend pas d’intérêt, son cœur se fermera…<br />
je vous la recommande; sœur Cécile<br />
ne s’en soucie pas, elle d<strong>it</strong> qu’elle est trop<br />
enfant, cependant, il me semble… qu’elle<br />
en pourra tirer un bon parti» 14 En même<br />
temps, justement parce qu’elle s’inspire<br />
de la char<strong>it</strong>é vér<strong>it</strong>able, son amour pédagogique<br />
se revêt de force et d’exigences<br />
raisonnables, dans la propos<strong>it</strong>ion, dans la<br />
correction et dans l’accompagnement.<br />
24 Dieu et les pauvres: la passion d’une femme Dieu et les pauvres: la passion d’une femme 25<br />
11 MPV LD p. 479<br />
12 Circ. 1821 LD p. 95<br />
13 MPV LD p. 480<br />
14 Let. à sr Brig<strong>it</strong>te LD p.462<br />
Elle cultive en toutes, à commencer par<br />
elle-même, la conscience que toute la vie<br />
est un processus de formation, que toute<br />
la Communauté, toute la Congrégation est<br />
«agent» de formation.<br />
«Soutenez donc l’œuvre de Dieu que vous<br />
nous avez aidé à faire; soutenez-la et soutenez-vous<br />
dans l’espr<strong>it</strong> prim<strong>it</strong>if, afin que vos<br />
futures consœurs marchent sur vos pas» 15 .<br />
A cette fin, au-delà de son intervention directe<br />
et personnelle, elle indique et utilise une<br />
multiplic<strong>it</strong>é de moyens: la Règle à lire communautairement<br />
trois fois durant l’année; les<br />
circulaires qu’elle écr<strong>it</strong> tous les ans en demandant<br />
qu’elles soient relues, une fois ensemble,<br />
chaque mois; les lettres pastorales<br />
du diocèse; les lettres adressées à l’une ou à<br />
l’autre sœur. Elle recommande la «répét<strong>it</strong>ion<br />
de l’oraison» que nous pouvons considérer<br />
comme l’anticipation de l’actuel partage de la<br />
Parole et elle fa<strong>it</strong> un rappel précis: «Il semble<br />
aux plus anciennes qu’elle en do<strong>it</strong> être répétée<br />
que par les plus jeunes. Vous vous trompez:<br />
ce point aussi est pour toutes!» 16<br />
Références pour nous<br />
aujourd’hui<br />
L’expérience de Jeanne-Antide formatrice,<br />
dans son essence et dans ses aspects caractéristiques<br />
à peine esquissés, continue à avoir,<br />
aussi pour nous aujourd’hui, une importance<br />
paradigmatique. Naturellement, il faut les s<strong>it</strong>uer<br />
dans le contexte de la globalisation et de<br />
la postmodern<strong>it</strong>é défini avec la métaphore de<br />
la «liquid<strong>it</strong>é» par le philosophe Bauman.<br />
On parle de formation partout et tout le<br />
monde en parle; on ne discute pas de sa<br />
prior<strong>it</strong>é mais le problème qui se pose est lié<br />
aux transformations de notre époque. Nous<br />
voulons parler de la réal<strong>it</strong>é complexe du chemin<br />
de matur<strong>it</strong>é de la femme et de la croyante<br />
en Jésus-Christ qui v<strong>it</strong> en ce troisième millénaire,<br />
dans une Congrégation internationale,<br />
selon le «charisme» donné par l’Espr<strong>it</strong> à<br />
Sainte Jeanne-Antide. Il s’ag<strong>it</strong> d’un processus<br />
pédagogique articulé et un<strong>it</strong>aire dans<br />
lequel s’entrelacent contenus, méthodes et<br />
stratégies adaptées et qui a pour objectif de<br />
15 Circ. 1812 LD p.78<br />
16 Circ. 1810 LD p. 67<br />
favoriser l’intégration entre les différentes<br />
composantes de la personnal<strong>it</strong>é. A ce point,<br />
on ne peut pas faire moins que de respecter<br />
le principe de la gradual<strong>it</strong>é et de la total<strong>it</strong>é.<br />
La propos<strong>it</strong>ion pédagogique do<strong>it</strong> être nécessairement<br />
d’abord éducative et puis<br />
formative, à l’aide d’un service d’accompagnement.<br />
Il ne suff<strong>it</strong> pas de faire la propos<strong>it</strong>ion<br />
des valeurs et des contenus pour<br />
qu’ils soient accueillis et intériorisés, il faut<br />
d’abord éduquer, c’est-à-dire «mettre au<br />
jour» la vér<strong>it</strong>é du sujet: le je actuel, ce qu’est<br />
l’individu, souvent peu connu ou ignoré totalement,<br />
son pos<strong>it</strong>if et son négatif.<br />
La phase «propos<strong>it</strong>ive» de la formation<br />
en est la conséquence, elle met en acte les<br />
processus de transformation en vue de ce<br />
que la personne veut devenir: le je idéal.<br />
Se passionner pour la vér<strong>it</strong>é, la beauté et<br />
la bonté des valeurs proposées, les intérioriser<br />
progressivement, en assumant une<br />
ident<strong>it</strong>é charismatique claire, et devenir capables<br />
de les incarner dans des att<strong>it</strong>udes,<br />
des choix et des actions concrètes dans la<br />
vie quotidienne.<br />
Tout le parcours de maturation exige, en<br />
outre, une communauté qui so<strong>it</strong> un laboratoire<br />
de croissance et un service d’accompagnement,<br />
rendu par une grande sœur dans la<br />
foi qui est aux côtés de la jeune, durant une<br />
période de son chemin, pour qu’elle puisse<br />
discerner la voix de Dieu et lui répondre librement<br />
et d’une manière responsable.<br />
Dans cette perspective, la formation n’est pas<br />
seulement considérée comme une transmission<br />
de contenus mais comme une mise en<br />
acte des cond<strong>it</strong>ions pour assurer le développement<br />
de processus de croissance individuelle<br />
et communautaire qui renforcent l’ident<strong>it</strong>é et<br />
l’appartenance, rendent efficace la mission et<br />
remettent en circu<strong>it</strong> l’espérance.<br />
Le but de la formation est la croissance de la<br />
char<strong>it</strong>é qui mette la personne dans la perspective<br />
du don: être servante des pauvres,<br />
en vivant pour Dieu seul! Reconnaître le<br />
Christ dans les pauvres ou mieux, réaliser<br />
dans la rencontre avec les pauvres, la plén<strong>it</strong>ude<br />
de la rencontre avec Dieu, cela n’est<br />
pas automatique: on ne peut trouver Dieu<br />
dans l’autre que si on a atteint une matur<strong>it</strong>é<br />
humaine et spir<strong>it</strong>uelle, qui est décentration<br />
de soi pour se «centrer» en Dieu, que si on<br />
est inséré dans l’histoire et capable de lire<br />
les signes des temps.