Prose - Les éditions de l'escarboucle
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“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007 ISSN 1660-5713<br />
Editorial<br />
Comme Poe, je crois que tous les êtres humains<br />
ont au fond d’eux cet admirable instinct poétique<br />
qui nous distingue <strong>de</strong>s bêtes. Et comme Poe,<br />
j’ai fait mienne cette maxime : « Un poème, ce<br />
n’est pas la faculté poétique, mais le moyen <strong>de</strong><br />
la susciter chez l’autre ».<br />
A notre époque, dans le mon<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntal je<br />
suppose, dans le mon<strong>de</strong> francophone je suis<br />
certain, nous vivons un véritable paradoxe : Il<br />
n’y a jamais eu autant <strong>de</strong> poètes, et aussi peu<br />
<strong>de</strong> poésie dans notre société. Pourquoi donc<br />
? Sans doute parce que ceux qui détiennent<br />
le pouvoir sur notre terre, et qui ont une vision<br />
féodale <strong>de</strong> l’Homme, (que l’on regroupe sous<br />
la dénomination <strong>de</strong> « Mondialisation ») n’ont<br />
jamais été dans l’Histoire aussi puissants et<br />
aussi hégémoniques. Non contents <strong>de</strong> détenir<br />
les rênes du pouvoir économique, comme dans<br />
Le Meilleur <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, ou 1984, ils dirigent<br />
les esprits par les divertissements et la “culture”<br />
: chaînes <strong>de</strong> télévision, cinémas, maisons <strong>de</strong><br />
production ou <strong>de</strong> disques, la plupart <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />
maisons d’édition, les sociétés <strong>de</strong> jeux vidéo,<br />
… Tout ça leur appartient. La poésie qui éveille<br />
et rend libre, ils n’aiment pas vraiment. Mais là<br />
n’est pas la seule cause du paradoxe précité.<br />
A“ xolotl”<br />
Revue littéraire et trimestrielle indépendante<br />
N° 45 - Nouvelle série - Novembre 2007<br />
Adresse <strong>de</strong> la rédaction:<br />
J. Grin - Avenue Ed.-Rod 15 - (CH) 1007 Lausanne<br />
Attention:<br />
Délais rédactionnels pour le prochain numéro<br />
J’accuse les poètes d’avoir oublié leur rôle<br />
premier pour se frotter le nombril ou hurler dans<br />
la nuit. J’accuse les poètes d’avoir trahi Homère,<br />
Poe, Schiller et Victor Hugo. J’accuse, mais ne<br />
juge pas, car moi-même, pseudo-poète que je<br />
suis, je souffre du mal occi<strong>de</strong>ntal, cette maladie<br />
composée d’individualisme et <strong>de</strong> nombrilisme.<br />
Je crois foncièrement que le mon<strong>de</strong> souffre<br />
d’une carence <strong>de</strong> poésie, comme il souffre d’une<br />
carence <strong>de</strong> solidarité et <strong>de</strong> progrès véritable.<br />
Un ennemi puissant, puissant surtout <strong>de</strong> notre<br />
compromission, se réjouit <strong>de</strong> notre dispersion,<br />
à nous poètes ! Il est temps <strong>de</strong> rassembler le<br />
plus d’entre nous pour combattre la lai<strong>de</strong>ur par<br />
la beauté, pour combattre l’abaissement <strong>de</strong>s<br />
esprits par l’élévation <strong>de</strong>s âmes. Comme il y a<br />
un peu plus d’un <strong>de</strong>mi-siècle en France et dans<br />
d’autres nations d’Europe et d’ailleurs, je rêve<br />
d’une armée <strong>de</strong>s ombres <strong>de</strong>s poètes, unis mais<br />
gardant leur liberté, retrouvant l’esprit <strong>de</strong>s bar<strong>de</strong>s<br />
celtes et <strong>de</strong>s aè<strong>de</strong>s grecs, qui re<strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s<br />
éveilleurs d’âme et répan<strong>de</strong>nt parmi les Hommes,<br />
grâce aux harmonies divines <strong>de</strong> la langue <strong>de</strong>s<br />
Dieux, la conscience <strong>de</strong> leur noblesse perdue.<br />
Laurent SAUZÉ<br />
(Extraits d’une lettre parvenue à la rédaction)<br />
“Axolotl” N°46, parution en février 2008: 3 décembre 2007<br />
Ce délai ne concerne que les textes liés à l’actualité. <strong>Les</strong> conditions générales <strong>de</strong> publications<br />
figurent en page 20.
2<br />
Mais qui était l’Eté ? ! Aur souvent se l’était<br />
<strong>de</strong>mandé. Mais les adultes avaient eu beau<br />
préciser à l’enfant qu’une saison ne saurait être<br />
un être vivant, leurs explications ne l’avaient pas<br />
convaincu. Elles ne rendaient compte que d’une<br />
infime part du réel.<br />
Aussi, plusieurs années, Aur scruta-t-il dans<br />
les premiers beaux jours les indices d’éclat <strong>de</strong><br />
l’imminente venue <strong>de</strong> l’Eté. Il lui avait paru que<br />
le mystérieux dispensateur <strong>de</strong> la chaleur usait<br />
arriver <strong>de</strong> nuit dans le pays, et il s’était efforcé<br />
<strong>de</strong> veiller. Mais à chaque fois, il avait à la longue<br />
été gagné par le sommeil. Au réveil, la vigueur<br />
chromatique <strong>de</strong> l’Eté s’était diffusée dans le<br />
ciel et la végétation, mais son être originel était<br />
<strong>de</strong>venu indécelable.<br />
Un mois <strong>de</strong> juin enfin, l’attente d’Aur fut<br />
récompensée. Pourquoi, comment avait-il dans<br />
Pour qui ne sait pas par cœur sa pierre <strong>de</strong> Rosette,<br />
Le Caire est un vaste hiéroglyphe. Sur limons,<br />
sables et prières, le Nil nourrit une luxuriante<br />
civilisation où <strong>de</strong>s grappes humaines ont érigé à<br />
la gloire <strong>de</strong> Rê pyrami<strong>de</strong>s, nécropoles, mastabas<br />
et caveaux. La porte pharaonique du Delta<br />
sécrète ici comme ailleurs en terres égyptiennes<br />
ses aspirations vers les pays <strong>de</strong> l’au-<strong>de</strong>là, ceux<br />
d’Osiris. Comme si Hathor, la mère <strong>de</strong>s dieux et<br />
<strong>de</strong> la fertilité, n’avait cesser d’allaiter ses enfants<br />
pour leur donner le sens du sacré.<br />
Que les scribes prennent leurs tables d’argile et<br />
comptabilisent les travaux ! Au gré <strong>de</strong>s crues,<br />
les felouques ont apporté le granit, l’albâtre et<br />
le basalte, tout ce dont Isis et Amon avaient un<br />
urgent besoin : ces temples où l’âme captive<br />
confesse sa vie d’ici-bas avant <strong>de</strong> prendre<br />
la souveraine barque pour l’éternité. Là où<br />
<strong>Prose</strong><br />
Le secret <strong>de</strong> l’été<br />
Le Caire<br />
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Béatrice GAUDY<br />
les ténèbres interrompu son somme ? Nul bruit,<br />
il en était certain, ne l’avait perturbé. Il n’était pas<br />
souffrant ni n’était préoccupé. Il eût dû dormir<br />
d’une traite, comme à l’accoutumée. Pourtant il<br />
s’était réveillé, pleinement reposé. Sans allumer,<br />
il s’était dirigé droit vers sa fenêtre qu’il avait<br />
ouverte, et s’était accoudé au rebord. Déjà son<br />
regard, autant que ses lèvres, souriait.<br />
Il s’était immobilisé dans cette attitu<strong>de</strong> sereine.<br />
Secon<strong>de</strong>s ou heures, le temps était tout une<br />
attentive perception du mon<strong>de</strong>. Soudain un trille<br />
puissamment avait jailli quand les premiers éclairs<br />
d’or et <strong>de</strong> garance <strong>de</strong> l’aurore avaient illuminé le<br />
ciel. L’astre s’était élevé <strong>de</strong>vant le cœur épanoui<br />
<strong>de</strong> bonheur d’Aur. Bien que le découvrant, il<br />
l’avait reconnu. L’Eté était un oiseau.<br />
Clau<strong>de</strong> LUEZIOR<br />
veille Anubis, l’insomniaque divinité <strong>de</strong>s rites<br />
funéraires.<br />
Terre dévoreuse <strong>de</strong> chair, terre sarco-phage !<br />
Lieux magiques où le premier <strong>de</strong>s hommes est<br />
le fils du Soleil. Lieux bénis <strong>de</strong>puis quatre mille<br />
ans, où l’on n’a cessé <strong>de</strong> croire à une pérennité.<br />
Quel amalgame urbain peut-il se targuer d’avoir<br />
comme banlieues Guizèh et Saqqarah ? Ces<br />
diamants enchâssés dans la peau du désert et<br />
que bien peu <strong>de</strong> mues politiciennes ou vents <strong>de</strong><br />
sables ont réussi à altérer : peut-être grâce son<br />
Sphinx, gardien léonin et Père <strong>de</strong> la Peur…<br />
Et comme si les influences perses et nubiennes,<br />
romaines et coptes n’avaient suffi à sa gran<strong>de</strong>ur,<br />
Le Caire a vu grandir en son sein <strong>de</strong>s bouquets<br />
<strong>de</strong> mosquées pour un Dieu cette fois-ci unique<br />
et abstrait.
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Amon a pris la robe d’Allah. <strong>Les</strong> grands prêtres<br />
sont <strong>de</strong>venus mollahs ; les scribes en tailleurs<br />
se sont accroupis. On a troqué les obélisques<br />
contre <strong>de</strong>s minarets.<br />
<strong>Les</strong> rites ont changé, la verticalité <strong>de</strong>meure.<br />
Non votre bleu n’est pas une couleur. Il est une<br />
vibration. Vous sonnez toujours trois fois et je<br />
sais que c’est là, que ça arrive, que ça va revenir<br />
enfin. Je vous reçois, un peu plus vieille que la<br />
vie, un peu plus vieille que la mort. Votre bleu<br />
ne vous habille pas : il me dénu<strong>de</strong>. Il m’arrache<br />
<strong>de</strong> mon enveloppe, il me rapproche <strong>de</strong> mon<br />
évi<strong>de</strong>nce. Vous sonnez, je vous entends, vous<br />
me prenez et l’horizon recule. Ma terre, votre<br />
bleu la dénu<strong>de</strong>. Vous êtes là où sont cachées<br />
mes choses. Immobile je frisonne pour vous<br />
d’un parfum inconnu. Au plus profond je crie ce<br />
bleu, le bleu crisse, je le mâche, m’y enfonce.<br />
Il me tourne comme vous me retournez en cet<br />
insaisissable thrène, mettant le doigt <strong>de</strong>ssus. J’en<br />
accepte le risque <strong>de</strong> ne pas en sortir. Que vous<br />
parliez mon corps, ses accrocs, ses ajouts. Que<br />
je ne sois plus, <strong>de</strong>venant tous les animaux. Que<br />
quelque chose se répan<strong>de</strong> sans répondre. Par<br />
ce chas <strong>de</strong> mes rêves, votre bleu, mon chaos.<br />
Jusque là. Blues dévalant <strong>de</strong> la tête, échapper,<br />
excé<strong>de</strong>r. Sortir <strong>de</strong>s mots lambeaux, aller plus<br />
profond. Devenir cette bête féroce. Poco a poco.<br />
Subito. Pour que votre corps passe par le creux<br />
dans bleu. Abyme, abyme du silence. Vous me<br />
coupez en morceaux, pour la <strong>de</strong>rnière offense.<br />
Mots <strong>de</strong>rrière les mots, abyme <strong>de</strong> silence. N’en<br />
<strong>Prose</strong><br />
Un <strong>de</strong>ssin original <strong>de</strong> Christiane Bon<strong>de</strong>r<br />
Bonjour, Monsieur le Facteur<br />
3<br />
Jean-Paul GAVARD-PERRET<br />
pouvant plus quand vous sonnez trois fois.<br />
J’ouvre la porte et vous le reste. Ne reste que<br />
le bleu. Solitaires, comme <strong>de</strong>s errants. Dans la<br />
lisière du mon<strong>de</strong>, dans le seuil du temps. Vous<br />
germez avec les mots que je vous susurre sur<br />
les parois du silence. Passagers clan<strong>de</strong>stins<br />
nous sommes – ou bêtes errantes. Vous dans<br />
ma morsure, pour disparaître <strong>de</strong>dans, moi pour<br />
disparaître en fumée sans la moindre innocence.<br />
Avec mes mots <strong>de</strong> femme je n’ai pas dit <strong>de</strong> nom,<br />
j’ai juste murmuré : bonjour Monsieur le Facteur.<br />
Vous m’avez ensevelie. Mon désir sur l’arrête.<br />
La chute <strong>de</strong> nos corps. Comme <strong>de</strong>s animaux.<br />
Férocement en vous. Férocement en moi.<br />
Nourris <strong>de</strong> toutes les lettres d’amour qui grèvent<br />
votre gibecière, cette ivresse <strong>de</strong>s sangs. Le cri,<br />
le cri, le cri. Le bleu, le bleu, le bleu. Je m’en<br />
suis remise à vous pour ne pas m’en remettre.<br />
Vous avez sonné trois fois pour que je vous<br />
reconnaisse. Vous êtes venu pour ça, que je<br />
bascule en ce trop, cet extrême. Tenant par ce<br />
lambeau pour me prolongez comme vous le<br />
faites, j’avance encore, retar<strong>de</strong> l’heure. Je n’y<br />
vois que du bleu. Que vous sonniez encore. Que<br />
je me laisse aller. Par tout ce qui est tu. Allant<br />
jusqu’au geyser. Sans s’arrêter jamais.
4<br />
Journal poétique<br />
Premières pages du journal (suite)<br />
(1977-…)<br />
<strong>Les</strong> nerfs à l’épreuve font éclater l’être dans<br />
tous les sens. Seule la fatigue permet une<br />
régularisation <strong>de</strong> l,angoisse. J’ai erré <strong>de</strong>s nuits<br />
entières dans Paris pour l’étouffer, pour calmer<br />
les ar<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> la quête insensée.<br />
La beauté du cœur fait rayonner les visages les<br />
plus laids. Plus l’on s’attache au Moi et plus le<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient infernal.<br />
Je n’ai plus la souvenance <strong>de</strong> ces lueurs que je<br />
nommais douces enfant et qui m’emmenaient<br />
dans la chaleur du soleil, dans une sorte <strong>de</strong> brûlure<br />
joyeuse, <strong>de</strong> ferveur, d’intensité, dans la chaleur<br />
du sang qui pour moi était tendresse, douceur,<br />
feu et brasier. Aujourd’hui c’est la cendre qui me<br />
caresse, le goût <strong>de</strong>s flammes mortes comme si<br />
tout s’était achevé. Fin d’un éblouissement jadis<br />
solaire.<br />
Dans le <strong>de</strong>stin d’un individu le cosmos courtcircuite<br />
l’i<strong>de</strong>ntité et nous échappe comme un<br />
météore.<br />
Nuits d’errances. Mois d’ennuis et <strong>de</strong> pluie.<br />
Bars les uns après les autres. Dérive. Solitu<strong>de</strong>.<br />
Mutisme. Mort <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années… Sans issue,<br />
malgré la multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s expériences, qu’il est<br />
inutile <strong>de</strong> décrire, les dérèglements.<br />
Lorsqu’on traverse l’effroi les épreuves qui<br />
viennent ensuite à notre rencontre nous<br />
paraissent moins difficiles. Pourtant à chaque<br />
fois elles exigent la même douleur, le même<br />
combat à l’issue incertaine. Il me semble que<br />
nous avançons toujours au long d’une spirale<br />
qui soit augmente l’ébranlement <strong>de</strong>s nerfs soit<br />
l’épuisement <strong>de</strong> la fonction créatrice.<br />
Serments échangés <strong>de</strong> l’amour, vous ne<br />
<strong>de</strong>meurez pas. Il ne reste rien <strong>de</strong>s écumes<br />
ensoleillées, <strong>de</strong> mes seize ans au long du rivage,<br />
noma<strong>de</strong>, la musique au cœur. Rien qu’une belle<br />
illusion jetée aux orties.<br />
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Didier MANYACH<br />
Pourquoi es-tu partie si vite ? Pourquoi cette<br />
blessure ? Pourquoi l’amour ne m’a-t-il pas<br />
sauvé ?<br />
Le désespoir est ce poison du Moi, ce linceul qui<br />
nous recouvre et nous empêche <strong>de</strong> goûter aux<br />
moindres délices <strong>de</strong> l’existence. Il nous aveugle,<br />
nous mutile, nous recrache. Il faut l’éradiquer<br />
car il n’est que le résultat ou le miroir <strong>de</strong> notre<br />
présence au mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> ses illusions, un<br />
méandre où la lucidité aggrave l’enfer d’être là,<br />
sans pouvoir se transformer, créer, agir.<br />
A la fin : Ayez pitié <strong>de</strong> moi !<br />
<strong>Les</strong> masses nuageuses, roses, noires, rutilantes<br />
du printemps au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la ville n’annoncent<br />
plus rien d’autre que les orages d’été. Encore<br />
une fois le printemps <strong>de</strong> l’être s’est éteint.<br />
Ecoutez ce bruissement <strong>de</strong> feuillages<br />
son empreinte déjà dans mon jardin <strong>de</strong><br />
rencontres<br />
et d’outrages.<br />
Je me cogne aux murs à force <strong>de</strong> la chercher.<br />
Visage endormi, clôt dans son mystère, visage<br />
qui apparaît :<br />
ardoise magique <strong>de</strong> ton amour.<br />
Son corps comme une rame.<br />
Elle doit chercher <strong>de</strong> l’eau dans un coin <strong>de</strong> la<br />
forêt<br />
entourée d’esprits.<br />
La douleur fait <strong>de</strong> nous une espèce menacée.<br />
Enseveli par ce vieux cheval que l’on finira par<br />
manger.<br />
Ressentir pourtant l’extrême souplesse <strong>de</strong> la<br />
pensée<br />
la vague qui nous élèvera, nous emportera…<br />
Ne jamais refuser ce regard<br />
qui monte en nous lorsque la vie se brise.<br />
Se faire la belle<br />
<strong>de</strong>venir autre, là-bas…
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Tu es passée dans mon sang avant <strong>de</strong><br />
disparaître pour toujours…<br />
La mort n’est rien<br />
comparée à ce qui meurt déjà dans l’existence.<br />
A la surface, il ne reste plus qu’in halot glacé et<br />
vi<strong>de</strong>.<br />
Le bel été<br />
Jacqueline THEVOZ<br />
Voici l’été<br />
Amer !<br />
Sur les chantiers<br />
<strong>Les</strong> ouvriers<br />
Nus comme vers<br />
En toute légalité<br />
<strong>Les</strong> vacanciers<br />
En liberté<br />
Fiers<br />
Bien en chair.<br />
<strong>Les</strong> forçats et les vacanciers<br />
(Fraternité)<br />
Tous bronzés.<br />
C’est la galère<br />
<strong>Les</strong> chemins barrés<br />
De goudron parfuméa<br />
<strong>Les</strong> vacanciers déviés<br />
Tout en nerfs<br />
<strong>Les</strong> ouvriers parqués<br />
Tous les camions à l’air<br />
<strong>Les</strong> vacanciers gazés<br />
Oh ! l’affreux concert<br />
Offert<br />
Par les pauvres salariés<br />
Aux riches vacanciers !<br />
Leur Ciel est en hiver,<br />
Leur Enfer en été…<br />
Ah ! vivement l’hiver<br />
Et l’égalité !<br />
Poésie<br />
J’ai suivi la Méditerranée, les climats, les pluies,<br />
allant en stop jusqu’à Ephèse et les églises<br />
rupestres d’Anatolie, partageant aussi ma route<br />
avec quelques gitans frustes d’Andalousie…<br />
Ecrivant ce manuel <strong>de</strong> survie et <strong>de</strong> pauvreté…<br />
Fête foraine<br />
Frédéric BECQUELIN<br />
Ta pauvre tronche inexpressive fixe en l’air<br />
Cet obscur ballon sans ficelle trop gonflé<br />
A qui l’enfant lance un caillou pour le crever.<br />
Tout autour, la fête foraine bat son plein :<br />
<strong>Les</strong> tourets ne sont pas encor mis, à <strong>de</strong>ssein,<br />
Que toi, vieil Arlequin, tu gis déjà par terre.<br />
Karel LOGIST<br />
Ton paysage n’est pas lourd :<br />
je le déplacerais sans difficulté<br />
comme on retourne une carte postale<br />
Ta vallée surtout est sensible<br />
<strong>de</strong> lourds chariots à bras menés par <strong>de</strong>s idiots<br />
la traversent quelquefois<br />
et toutes ses herbes frémissent<br />
Ainsi, à la croisée <strong>de</strong>s pentes<br />
je ne m’ennuie jamais<br />
Assis, je remplis ma vacance<br />
je t’écris une lettre<br />
une lettre <strong>de</strong> vacances<br />
la lettre <strong>de</strong> quelqu’un<br />
qui fait le tour du vi<strong>de</strong><br />
au lieu même <strong>de</strong> son départ<br />
et qui cherche ses mots<br />
pour les donner à ceux qui en ont besoin<br />
plus que <strong>de</strong> paysages ou d’or<br />
du pain-poème quotidien
6<br />
Rêverie<br />
Poésie<br />
Nicole DIENER-CARTON<br />
J’ai franchi le vieux pont <strong>de</strong> pierres,<br />
Des mouettes me suivaient, sanglotantes, perdues,<br />
l’eau brune s’en allait jusqu’à la mer d’Iroise<br />
Et l’île d’Ouessant,<br />
la brume se glissait dans le froid du matin,<br />
les cris <strong>de</strong>s grands oiseaux ricochaient sur l’écume,<br />
longs appels, plaintes aiguës, sans échos,<br />
qui rouillaient dans l’absence,<br />
comme pleuraient les âmes <strong>de</strong>s noyés,<br />
<strong>de</strong> ceux abandonnés sur <strong>de</strong>s rives lointaines<br />
et qui flottent, yeux clos sur les jours d’autrefois,<br />
privés <strong>de</strong>s souvenirs émiettés dans le sable,<br />
ils furent nos amis, nos amants, nos complices,<br />
les compagnons <strong>de</strong>s matins bleus,<br />
et <strong>de</strong>s nuits <strong>de</strong> solstice,<br />
nos maîtres, nos esclaves,<br />
ensemble nous avons glané les jours, les mois, les<br />
ans<br />
dans les verts pâturages du temps,<br />
et nous avons compté nos pas <strong>de</strong> danse<br />
sur les chemins du vertige, sur les allées en<br />
quinconce<br />
du jardin <strong>de</strong>s mille palais<br />
où se perdaient nos mille et une nuits,<br />
les voici en cortège dans le courant <strong>de</strong>s mortes-eaux<br />
ô mes soldats <strong>de</strong>s vieilles guerres,<br />
les marins <strong>de</strong>s grands abordages,<br />
avec eux j’accostais <strong>de</strong>s îles inconnues,<br />
je naviguais <strong>de</strong> saisons en saison<br />
sur les quatre océans.<br />
A l’aube j’entendais s’enrouler les chaînes<br />
d’amarrage,<br />
et dans l’attente d’une nouveau rivage<br />
je pagayais sur <strong>de</strong> frêles esquifs,<br />
ô fraîcheur du sable mouillé<br />
et d’une palme balançoire,<br />
ferveur d’un pâle coquillage<br />
échoué dans le soleil près d’une vague endormie<br />
où êtes-vous encore ?<br />
Perdus, là-bas, perdus…<br />
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Bernard DUTOIT<br />
Le pont du Rialto<br />
Soulève ses douze arca<strong>de</strong>s<br />
Dans un orgueilleux sursaut,<br />
Presque une fanfaronna<strong>de</strong>.<br />
Premier lien entre les <strong>de</strong>ux rives<br />
Depuis <strong>de</strong>s siècles le pont<br />
Fait gonfler la source vive<br />
Du commerce sur tous les tons.<br />
Banques et finances d’abord<br />
S’y donnèrent la main<br />
Puis vinrent comme renfort<br />
<strong>Les</strong> touristes en essaims.<br />
Extrait du recueil Venise ou l’aqueuse<br />
luminescence, Paris, Arcam, 2003.<br />
Avant-gar<strong>de</strong><br />
Frédéric BECQUELIN<br />
<strong>Les</strong> Jeunes remontent les rails ;<br />
Au nord, entrepôts et masures<br />
S’imbriquent en barres d’oolithe.<br />
<strong>Les</strong> Jeunes vont à leur travail :<br />
Rythme du pas, seyante allure,<br />
Sans se soucier <strong>de</strong>s vieux<br />
grévistes.<br />
Béatrice et la taupe<br />
Eric SAVINA<br />
Elle fait vraiment <strong>de</strong>s trous<br />
démentiels<br />
Gémit-elle en regardant le ciel<br />
Je mettrais bien sa photo en grand<br />
Dans ma galerie <strong>de</strong> macchabées
“Axolotl”<br />
Poésie<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Un souvenir d’enfance<br />
Alexandre DIOGO<br />
J’étais sous un arbre, mes amis jouaient<br />
Sous cet arbre je pensais à ce que jusquelà<br />
j’avais fait<br />
Je ne me suis pas rendu compte, mais le<br />
temps passait<br />
Mes amis jouaient encore, et ils<br />
m’appelaient<br />
Je revenais chaque jour sous cet arbre<br />
Parce que cet arbre me faisait réfléchir<br />
Pour moi, cet arbre était plus fort que du<br />
marbre<br />
Et je pensais qu’il n’allait jamais partir<br />
Mais un jour, <strong>de</strong>s hommes sont arrivés<br />
Et avec leurs outils ils ont essayé…<br />
Essayé <strong>de</strong> tuer mon ami<br />
Ils ont essayé <strong>de</strong> m’arracher ce souvenir<br />
N’arrivant pas à achever leur soif <strong>de</strong> pouvoir<br />
Ils sont partis et je suis resté là…<br />
Je suis resté là à soigner les blessures<br />
causées par le temps<br />
Et j’ai appris que je n’étais pas seul, et que<br />
je <strong>de</strong>vais laisser mon arbre grandir avec le<br />
vent<br />
Attentat à la pu<strong>de</strong>ur<br />
José MILLAS-MARTIN<br />
Flics <strong>de</strong> la mémoire<br />
Taisez-vous<br />
C’est moi qui pose les questions<br />
Répon<strong>de</strong>z Souvenirs Vieux cons<br />
En vrac<br />
Devant tribunal Magistrats carnaval<br />
<strong>Les</strong> choses bougent<br />
on ne peut entrer par effraction<br />
Dans la vie <strong>de</strong>s autres<br />
Vous là-bas<br />
Qui moi ?<br />
Vos papiers<br />
Attentat à la pu<strong>de</strong>ur<br />
7<br />
Isabelle ROLIN<br />
Son sac posé sur les genoux<br />
les mains croisées par-<strong>de</strong>ssus le sac<br />
le regard fixé <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> son reflet<br />
elle s’engouffre toute entière<br />
dans la vitesse <strong>de</strong>s rails qui défilent.<br />
A sa vue mes yeux s’affolent comme un<br />
papillon <strong>de</strong> nuit<br />
et se posent loin d’elle<br />
immobiles<br />
les ailes refermées.<br />
J’ai peur que cette forme géométrique toute<br />
en arêtes<br />
assise en face <strong>de</strong> moi en angle droit<br />
ne se brise comme du verre<br />
en un sanglot<br />
éclaté.<br />
Incertain carnet <strong>de</strong> balles<br />
Eric SAVINA<br />
Un paquet d’années <strong>de</strong>rrière moi<br />
Peu d’échecs, davantage <strong>de</strong> réussites<br />
Et pourtant cela ne me convient pas<br />
Je suis éternellement insatisfait<br />
Patchwork assez étrange<br />
Kaléidoscope au microscope<br />
Que parfois j’essaye d’analyser<br />
Pas grand-chose à prouver<br />
Ou bien à découvrir<br />
Tout simplement plus d’envie<br />
Alors je prends un peu <strong>de</strong> recul<br />
Pourquoi ne pas envoyer tout valser<br />
Du style et du sang-froid<br />
Je me mets à l’aise<br />
Et je me tire une balle dans la tête<br />
Demain…
8<br />
Cœur <strong>de</strong> figurants<br />
Poésie<br />
Bruno TOMERA<br />
A côté <strong>de</strong> toi, seul,<br />
Devant le parterre noctambule<br />
Veillent <strong>de</strong>s ombres<br />
Des mes élucubrations,<br />
Et <strong>de</strong>s nostalgies<br />
Tu ne connais le nombre,<br />
Eparses, s’encombrent<br />
De feintes rémissions.<br />
Fin <strong>de</strong>s combats, le corps est las.<br />
Se dire « Toujours… »<br />
Roule et s’emballe,<br />
Petit enfant lance la balle.<br />
Sous les pansements « Présent »<br />
Aux battements du pompeur d’amour.<br />
Boum boum… Boum boum…Boum boum…<br />
Veilleur <strong>de</strong> vie<br />
Percussionniste au tempo ralenti<br />
Ce murmure mécanique et insistant<br />
Accélère le périple <strong>de</strong>s galaxies<br />
Je tiens ta main dans cet univers cardiogramme<br />
Ou finalement nous <strong>de</strong>vions être.<br />
Je tiens ta main dans ce parcours infini.<br />
Nos vies pesantes <strong>de</strong> quelques grammes<br />
Ricochent sur la peau d’un tambour<br />
Et rebondissent dans les arcanes<br />
Calmes <strong>de</strong>s temps.<br />
Nous avons bravé tant <strong>de</strong> vacarmes<br />
Que le silence ne nous est plus apaisant.<br />
Nos vies ont créé <strong>de</strong>s fenêtres<br />
Dans les tromperies du firmament<br />
Il faut tant et tant <strong>de</strong> poussière<br />
Pour <strong>de</strong>venir caillou<br />
Et scintiller d’un peu <strong>de</strong> lumière,<br />
D’un rien façonner un bijou.<br />
Tu sais la petite hulotte espagnole<br />
M’en a dicté <strong>de</strong>s rêveries folles<br />
Dans ces nuits où vivre n’est plus suffisant,<br />
Dans ces nuits faites pour la cambriole<br />
Où nous volons quelques sourires fragiles.<br />
Et cette nuit semble un vieux décor fripé,<br />
Sur la tenture noirâtre sont collés <strong>de</strong>s astres,<br />
Ces étoiles tremblent fébriles,<br />
Et <strong>de</strong> ma peau suinte la sueur <strong>de</strong> leur fièvre.<br />
Metteur en scène <strong>de</strong> ce théâtre brinquebalant<br />
J’improvise <strong>de</strong>s hasards prémédités<br />
<strong>Les</strong> trames, les actes d’un figurant<br />
Etonné d’exister funambule<br />
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Simulacre flou, cocasse et mouvant,<br />
Nyctalope sensible aux frémissements <strong>de</strong>s cœurs<br />
D’autres figurants, eux-mêmes les entrailles<br />
Entaillées <strong>de</strong> plaies vives, cherchent à refermer.<br />
<strong>Les</strong> clochetons du<br />
Quai Anatole France<br />
Frédéric BECQUELIN<br />
Rien ne sonne là-haut<br />
Le silence très sain<br />
Pour qui perce les Hauts<br />
D’un courage certain :<br />
L’air léger, par un saut<br />
Oublierait son <strong>de</strong>stin.<br />
Il ne reste qu’à marier<br />
<strong>Les</strong> embruns et le vent<br />
Dans les voiles déployées<br />
Au bon vouloir du temps.<br />
L’espace s’ouvre immense<br />
Peuplé <strong>de</strong> moutons blancs<br />
Que retient le silence<br />
Où plongent les goélands.<br />
La main sur le gouvernail<br />
Vers quel cap cingler<br />
Et quelle étoile qui vaille<br />
Pour ne pas désespérer ?<br />
Bernard DUTOIT<br />
Extrait du recueil Venise ou l’aqueuse<br />
luminescence, Paris, Arcam, 2003.
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Oblat<br />
Jean-Marc THEVENIN<br />
D’avoir été intègre enclumes à ses bras<br />
La société voulut qu’on déserte ces bases<br />
Ainsi que haricot autrefois en sa phase<br />
S’était flanqué <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> auprès <strong>de</strong>s<br />
cancrelats.<br />
Du sublime avorté on le remit à plat<br />
Dans les bars il y a la curieuse hypostase<br />
Dont le chagrin <strong>de</strong> l’homme avait fait table<br />
rase<br />
Dire cette évi<strong>de</strong>nce est <strong>de</strong>venir oblat.<br />
Qu’ils per<strong>de</strong>nt la mémoire ainsi qu’aux<br />
origines<br />
On se baigne au torrent <strong>de</strong> quelque<br />
parenthèse<br />
Eau froi<strong>de</strong> qui réserve un vrai désir <strong>de</strong><br />
baise.<br />
Toute l’eau d’un orage avait mouillé ses<br />
jean’s<br />
Renvoyer leur image à ces anciennes<br />
lottes<br />
Comme la guerre affole ainsi toutes les<br />
crottes !<br />
Isabelle ROLIN<br />
Sa silhouette fatiguée<br />
ses mains rugueuses <strong>de</strong> travailleur<br />
je les vénère.<br />
Son respect <strong>de</strong> l’autorité aujourd’hui<br />
m’attendrit.<br />
Je n’arrive plus à le haïr<br />
<strong>Les</strong> faiblesses du vieux lion j’en suis fier.<br />
Tous les mots qu’il n’a pas réussi à me dire<br />
ont guidé mes pas,<br />
c’est lui au fond <strong>de</strong> moi<br />
qui me tient droit.<br />
Poésie<br />
Cythère à terre<br />
La fenêtre<br />
Marianne Charlotte MYLONAS-<br />
SVIKOVSKY<br />
Derrière la fenêtre<br />
Certains jours je reste<br />
À regar<strong>de</strong>r le mon<strong>de</strong> terrestre<br />
De mon ailleurs<br />
Plus familier que le grouillement <strong>de</strong><br />
l’humanité<br />
Derrière ma fenêtre-écran<br />
Je me repose avant d’avancer d’un cran,<br />
De faire le prochain bond en avant<br />
Je pose un jalon, sécurise le pont<br />
Au-<strong>de</strong>là duquel m’attend une main<br />
Qu’il m’appartient <strong>de</strong> saisir<br />
Ou <strong>de</strong> renoncer à conquérir<br />
Ma fenêtre est toujours ouverte,<br />
Même <strong>de</strong> nuit car les esprits<br />
Viennent me visiter, gentils<br />
Me portant conseil dans leur subtil langage<br />
M’engageant à poursuivre la trace <strong>de</strong> fin<br />
sable<br />
En <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s terrestres images et ramages<br />
Et d’ici-bas les présages<br />
Devant ma fenêtre je me pose et me repose<br />
Avant <strong>de</strong> prendre la prochaine pose<br />
Si j’ose<br />
Mais c’est le ciel qui dispose<br />
Devant ma fenêtre<br />
En moi j’écoute sa prose<br />
Et dans son silence je me compose<br />
Eric SAVINA<br />
Je n’embarquerai pas pour Cythère<br />
Je gar<strong>de</strong>rai les pieds sur terre<br />
Et dans un ciel sans étoiles pour toujours<br />
Mon esprit se souviendra d’un impossible<br />
amour
0<br />
Poésie<br />
Le jeune homme et la mort<br />
Gérard LEMAIRE<br />
Pourquoi le jeune homme ne s’intéresse-t-il<br />
à rien<br />
Ô pourquoi reste-t-il à l’écart du mon<strong>de</strong><br />
Dans un abri <strong>de</strong> fortune<br />
Entre les poutres d’un grenier <strong>de</strong> campagne<br />
livi<strong>de</strong><br />
Et moi j’habite son regard<br />
En arrière / lui-même sans tenue<br />
Le vivant a ses mécaniques en ron<strong>de</strong>urs<br />
Où peut-il encore s’endormir<br />
Il convient <strong>de</strong>s disparaître superbement<br />
Dans un osier où se pâment les reflets<br />
Le miel coule <strong>de</strong>s mêmes arbres<br />
<strong>Les</strong> montagnes dressent leurs sommets au<strong>de</strong>ssus<br />
<strong>de</strong>s sables<br />
Où poser un regard<br />
Le passage rend fou si vous n’y prenez<br />
gar<strong>de</strong><br />
Un instant seul et<br />
abandonné par le vent<br />
je cherche ma terre<br />
Yourte <strong>de</strong> nuit<br />
les étoiles dorment<br />
à même le sol<br />
Nicolas COTTEN<br />
Nicolas COTTEN<br />
Zoo<br />
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Isabelle ROLIN<br />
Le square s’est peu à peu vidé.<br />
<strong>Les</strong> poussettes lentement se sont<br />
éloignées.<br />
<strong>Les</strong> <strong>de</strong>rniers couples qui s’étaient attardés<br />
jusqu’au soir<br />
se sont dispersés un à un dans les rues<br />
avoisinantes.<br />
Lui, il quitte son banc comme quelqu’un qui<br />
aurait<br />
un endroit où aller, une clé à engager dans<br />
une serrure,<br />
une porte à ouvrir.<br />
A cet instant précis, il a besoin <strong>de</strong> le croire.<br />
Il sait qu’il reviendra dans la nuit<br />
pousser la grille métallique du square.<br />
Eric SAVINA<br />
J’aimerais bien un zoo<br />
Où les orangs-outans<br />
Nous jetteraient <strong>de</strong>s cacahuètes<br />
Un parc animalier où les hippopotames<br />
Prendraient les grosses dames<br />
En photo avec <strong>de</strong>s appareils numériques<br />
Un endroit où les hyènes<br />
Se fendraient la gueule<br />
Devant nos chapeaux ridicules<br />
Et nos sandalettes en plastique<br />
<strong>Les</strong> crocodiles verseraient probablement<br />
Une larme <strong>de</strong> compassion<br />
Sur certaines marques <strong>de</strong> nos vêtements<br />
<strong>Les</strong> girafes méprisantes<br />
Nous regar<strong>de</strong>raient <strong>de</strong> haut<br />
Et <strong>de</strong>s serpents, peut-être<br />
Tireraient une sonnette d’alarme<br />
Humains, réveillez-vous !<br />
Mais l’éléphant quant à lui<br />
Se trompant rarement<br />
Ne dirait rien du tout<br />
Car il sait <strong>de</strong>puis longtemps<br />
Que tout ce cirque est dérisoire
“Axolotl”<br />
Poésie<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
J’ignorais que le mon<strong>de</strong>…<br />
Patrice PERRON<br />
J’ignorais que le mon<strong>de</strong> plaque ses certitu<strong>de</strong>s<br />
Sur un canevas établi pour la fin <strong>de</strong>s temps,<br />
Faisant voyager sa voix au flux tendu <strong>de</strong>s<br />
vents,<br />
Forçant le passage et imposant ses<br />
servitu<strong>de</strong>s.<br />
J’ignorais que ta tendresse avait un objectif<br />
Dissimulé dans le labyrinthe <strong>de</strong> ton âme,<br />
Transformant notre sentiment en amour fictif<br />
Et notre secrète histoire en pitoyable drame.<br />
J’ignorais qu’il faut suivre l’empreinte <strong>de</strong> nos<br />
pas<br />
Pour accomplir quelques aller retour sans<br />
tracas<br />
Et prendre au pied <strong>de</strong> la lettre les bonnes<br />
consignes<br />
Des génies qui pensent pour nous et nous<br />
font <strong>de</strong>s signes.<br />
J’ignorais que l’aube a <strong>de</strong>s exigences <strong>de</strong> vie,<br />
Gravées dans l’humble granit <strong>de</strong>s croix <strong>de</strong> nos<br />
chemins,<br />
Qu’il faut savoir ouvrir les yeux et tendre les<br />
mains<br />
Pour espérer pouvoir échapper à la folie.<br />
J’ignorais que le crépuscule dicte sa loi<br />
Aux fantômes irresponsables <strong>de</strong> la<br />
conscience,<br />
Comme un fin maître d’école montrerait du<br />
doigt<br />
Le mauvais élève mettant un terme au<br />
silence.<br />
J’ignorais que le mon<strong>de</strong> calcule ses colères,<br />
Protège ses trésors et distribue ses misères ;<br />
Moi, je ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu’à jouer avec les mots,<br />
Afin <strong>de</strong> donner du sens à mes simples propos.<br />
L’artiste en chaussons<br />
Eric SAVINA<br />
Il trempait ses pieds dans la peinture<br />
Puis prenait douze mètres d’élan<br />
Pour jeter ses sabots en avant<br />
Sur la toile et puis sa signature<br />
Croqueur en faux mages <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong><br />
Et toiles d’araignées en argent<br />
Il connaissait un très bon agent<br />
Qui possédait <strong>de</strong> très gros clients<br />
Il <strong>de</strong>ssinait parfois <strong>de</strong> grands cubes<br />
Sans âme, sans technique et sans règles<br />
Très peu <strong>de</strong> talent, beaucoup <strong>de</strong> pub<br />
Il peignait sans soucis, sans envie<br />
Il produisait pour impressionner<br />
Et pour abuser la galerie<br />
Isabelle ROLIN<br />
S’élancer dans le vi<strong>de</strong><br />
couper les liens<br />
à la quête <strong>de</strong> l’indicible conquête<br />
renoncer à être<br />
se nourrir du rien.<br />
Pénétrer l’espace invisible,<br />
absorbé par l’apesanteur<br />
ne plus peser<br />
ne plus penser.<br />
Particule d’infini<br />
sans début ni fin,<br />
molécule <strong>de</strong> silence absolu,<br />
vierge <strong>de</strong> toute histoire,<br />
prête à recevoir<br />
l’extrême onction du sens<br />
dans son infinie simplicité.
2<br />
Comme toujours<br />
Gilles-Marie CHENOT<br />
Maria danse toujours<br />
Sur un feu dévorant<br />
La saveur <strong>de</strong> gentiane aux lèvres<br />
Comme un bouton <strong>de</strong> rose<br />
Jubilant<br />
Elle rêve au nectar <strong>de</strong> bûcher<br />
Laissant sa chevelure dénouée<br />
Lui inon<strong>de</strong>r le bas <strong>de</strong>s reins<br />
Quand le vent caresse d’un cil<br />
La courbe <strong>de</strong> son sein<br />
Transparence<br />
Nicole DIENER-CARTON<br />
Voici l’heure où vont boire un à un mes<br />
oiseaux<br />
<strong>de</strong> haute solitu<strong>de</strong>, emplumés <strong>de</strong> mystère<br />
et <strong>de</strong> rêve, effleurant <strong>de</strong>s éclats <strong>de</strong> lumière<br />
autour <strong>de</strong>s lignes d’ombre où sont mortes<br />
les eaux<br />
Tout s’endort, le courant limpi<strong>de</strong>, les<br />
roseaux<br />
sur la rive, pliés comme doigts en prière,<br />
les bateaux blancs venus <strong>de</strong> lointaines<br />
frontières<br />
où l’espace et le temps déroulent leurs<br />
anneaux.<br />
La courbure d’une aile aiguise la mémoire,<br />
oiseaux <strong>de</strong> bel envol et <strong>de</strong> si longue<br />
histoire,<br />
ils ont transcrit les chants du ciel et <strong>de</strong> la<br />
nuit.<br />
Leurs cris lancent le glas pour <strong>de</strong>s jours <strong>de</strong><br />
faïence<br />
et <strong>de</strong> cristal, et pour l’ultime transparence<br />
où se perdraient les feux <strong>de</strong>s soeils <strong>de</strong><br />
minuit.<br />
Poésie<br />
Je en trajectoire coupée<br />
Un vent violent dénaturé<br />
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Gérard LEMAIRE<br />
Voguant à tire d’ailes dans la mort et<br />
l’interdit<br />
Echouant sur le lit plat<br />
Ici personne ne peut se rencontrer<br />
Au-<strong>de</strong>là d’un signe <strong>de</strong> pâleur en fuite<br />
Fantômes montant dans l’immense<br />
balançoire <strong>de</strong>s hypothèses<br />
Cette fusée avec ses feux explore les<br />
rythmes hilares<br />
Parmi les zones <strong>de</strong> langues enchevêtrées<br />
L’amour est une issue pour gens mala<strong>de</strong>s<br />
Celui qui est tombé au fond <strong>de</strong> l’eau<br />
Sale du fleuve Madre <strong>de</strong> Dios<br />
Avait le sourire <strong>de</strong>s lèvres parfaites<br />
Qui saura trouver un champ hors <strong>de</strong> ce<br />
guetteur<br />
Le rêve <strong>de</strong> l’Homo Sapiens<br />
Je rêve<br />
De girafes sous la neige<br />
Des vocalises du gibbon<br />
Tout est beau<br />
Burne-Jones, Fra Angelico<br />
Inaltérable<br />
Comme <strong>de</strong> l’or pur<br />
Je traverse <strong>de</strong>s miroirs<br />
Mon cœur bat plus fort<br />
Que les ailes du condor<br />
Une femme me sourit<br />
Visage du passé<br />
Elle s’approche <strong>de</strong> moi<br />
Et me prend dans ses bras<br />
Je me love contre elle<br />
Pour renaître à la vie<br />
Au sein d’un nouveau mon<strong>de</strong><br />
Et m’envole à tire-d’elle<br />
Eric SAVINA
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
T-shirt man<br />
Pages d’Outre-langues<br />
Erich VON NEFF<br />
How to ge tough :<br />
. Drink beer.<br />
2. Have a pot belly.<br />
3. Weigh above 200 pounds.<br />
4. Wear a T-shirt.<br />
. Wear a greasy pair of black boots.<br />
6. Wear Big Ben Davis pants.<br />
7. Hobble when you walk (no graceful walks<br />
allowed).<br />
8. Watch football.<br />
. Be a Monday morning quarterback.<br />
0. Talk out of the si<strong>de</strong> of your mouth.<br />
. Have a day’s growth.<br />
2. Be slightly balding.<br />
3. Never admit being in the wrong,<br />
4. Put down women a lot, « fucking<br />
cunts ».<br />
. Have gone a high school in the 0’s.<br />
6. Voted for Reagan, Wallace and Nixon.<br />
7. Despise queers and liberals.<br />
18. Have an American flag stickker in your<br />
windshield.<br />
. Call your wife a dim-wit cunt in front of<br />
your friends.<br />
20. Love your mom.<br />
2 . Have your wife wash your T-shirt.<br />
22. Put it on again.<br />
Extrait du recueil inédit Welcome to the Circus<br />
Dirt<br />
Erich VON NEFF<br />
Dirt is when you don’t fling it far enough from<br />
your doorstep into the world. The rich aren’t<br />
dirty ; they fling it far and wi<strong>de</strong>. The poor are<br />
dirty ; they don’t heave it far enough.<br />
Extrait du recueil inédit Welcome to the Circus<br />
Auspicious Day<br />
3<br />
Erich VON NEFF<br />
Today is a very auspicious day. A woman gave<br />
birth to a snake early this morning. She was<br />
sweating in labor for many hours. Finally she<br />
gave biirth. The doctors were very surprised<br />
when the head of a snake appeared between<br />
her loins. Noonetheless they did thzeir duty.<br />
THey <strong>de</strong>livered the snake. The were very<br />
careful lest the snake be poisonous. It came<br />
out hissing. Fortunately they were able to<br />
hold its jaws shut. They cut and tied the<br />
umbilical cord. The woman was now free of<br />
the snake.<br />
She was very surprised when they held up<br />
her child. A boy. They slapped the snake<br />
to life and held him high aboove her. She<br />
gasped, but was thrilled to see he child. What<br />
a mother.<br />
A social worker was at the ready. Sehe asked<br />
the woman if she wanted to keep her child,<br />
pu tir up for adoption, or give it to a zoo.<br />
The woman <strong>de</strong>ci<strong>de</strong>d to keep he child. This<br />
in spite of the fact that it has fangs an dis<br />
dangeerous.<br />
Extrait du recueil inédit Welcome to the Circus<br />
Father of<br />
Erich VON NEFF<br />
Women mother babies. Men father i<strong>de</strong>as.<br />
These spring forth from men. They create<br />
things. They invent. Thus, analogously to<br />
women, they give birth. Now you take the<br />
« Father of the atomic bomb ». Here man has<br />
boorne an i<strong>de</strong>a that buds and buds. Where a<br />
woman can “only” produce children,<br />
Look what a man can produce.<br />
Extrait du recueil inédit Welcome to the Circus
4<br />
Le 2 septembre <strong>de</strong>rnier, il y a eu trente-cinq<br />
ans que Henry <strong>de</strong> Montherlant nous a quittés<br />
et son œuvre, qui bénéficiait d’une renommée<br />
internationale, est tombée au plus profond <strong>de</strong><br />
l’oubli. « Aussitôt que je serai mort, <strong>de</strong>ux vautours,<br />
la Calomnie et la Haine, couvriront mon cadavre<br />
pour qu’il leur appartienne bien à eux seuls »,<br />
avait-il prédit dans Tous Feux éteints où il affirma<br />
également que « pour abattre un auteur, certains<br />
cherchent à déconsidérer l’homme. » Il ne s’est<br />
guère trompé. « La poussée <strong>de</strong> vengeance,<br />
vile comme toute vengeance, doublement<br />
vile d’être vengeance dans l’impunité », qu’il<br />
avait pressentie à la faveur d’un <strong>de</strong> ses Coups<br />
<strong>de</strong> soleil, a probablement été à l’origine <strong>de</strong>s<br />
révélations, généralement incontrôlables, qui lui<br />
ont porté un préjudice irréparable. « J’ai toujours<br />
été un homme honnête et je n’ai jamais fait <strong>de</strong><br />
mal à personne », m’a-t-il constamment répété.<br />
Je l’ai cru et je le crois encore, sinon je n’aurais<br />
pas choisi <strong>de</strong> présenter ici <strong>Les</strong> Célibataires, le<br />
plus remarquable <strong>de</strong> ses romans.<br />
En 34, l’Académie française décerna son<br />
Grand Prix <strong>de</strong> Littérature aux Célibataires.<br />
Certes, Montherlant ne cessera <strong>de</strong> soutenir<br />
que les prix littéraires récompensent moins le<br />
talent que l’art <strong>de</strong> l’intrigue et les manigances du<br />
copinage ou du népotisme. Mais, il accepta cette<br />
distinction parce que d’éminents académiciens,<br />
dont Maurice Barrès, avaient généreusement<br />
encouragé ses premiers pas en littérature. Et<br />
lorsqu’il siégera lui-même parmi les quarante<br />
Immortels, il trouvera auprès <strong>de</strong> Pierre Gaxotte,<br />
<strong>de</strong> Jean Rostand ou du Professeur Jean Delay<br />
une discrète sympathie et un vrai réconfort.<br />
<strong>Les</strong> Célibataires ont été adaptés pour la télévision<br />
par Jean-Louis Curtis et mis en images par Jean<br />
Prat. Correctement interprété, ce bon film n’a<br />
guère plu à Montherlant.<br />
<strong>Les</strong> mirages du passé<br />
Quand <strong>Les</strong> Célibataires furent publiés, les<br />
critiques proclamèrent que Montherlant s’était<br />
Essais<br />
En souvenir <strong>de</strong> Montherlant<br />
<strong>Les</strong> Célibataires<br />
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Paule d’ARX<br />
Pour Mme Elisabeth Zehrfuss<br />
détaché <strong>de</strong> lui-même au point <strong>de</strong> ressusciter trois<br />
vieux magots avec qui il n’avait rien en commun,<br />
sinon une origine vaguement aristocratique. De<br />
cette magistrale erreur, l’écrivain en riait encore<br />
au seuil <strong>de</strong> la vieillesse.<br />
A la vérité, il y a peu d’œuvres où Montherlant se<br />
soit mis autant que dans ce roman. Le pavillon<br />
du boulevard Arago, qui sert <strong>de</strong> cadre principal<br />
aux Célibataires, ressemble à la propriété <strong>de</strong><br />
Neuilly que l’auteur habita en compagnie <strong>de</strong> ses<br />
parents et <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux frères <strong>de</strong> sa grand-mère, les<br />
modèles <strong>de</strong> MM. Elie et Octave <strong>de</strong> Coëtquidan.<br />
<strong>Les</strong> poules, qui bousculent l’ordre d’un jardin<br />
désolé, sont celles <strong>de</strong> Mme <strong>de</strong> Riancey. Un petitfils<br />
ému s’en rappellera une secon<strong>de</strong> fois au<br />
gré du Fichier parisien. La passion <strong>de</strong>s chats,<br />
qui dévore M. Elie, Montherlant la partageait.<br />
Si l’aboiement <strong>de</strong>s chiens annonce dans son<br />
théâtre le passage <strong>de</strong> la mort, les jeux <strong>de</strong>s<br />
siamois agressifs ou <strong>de</strong>s persans bleus animent<br />
plusieurs pages <strong>de</strong> ses livres.<br />
Dépeint avec une verve allègre, le square <strong>de</strong><br />
Montmartre témoigne du goût <strong>de</strong>s parcs publics<br />
que l’écrivain cultivera longtemps. Des heures<br />
durant, assis sur un banc, il observait le manège<br />
<strong>de</strong>s enfants et <strong>de</strong>s animaux. Même s’il en<br />
négligeait les arbres, il a magistralement décrit<br />
la forêt norman<strong>de</strong> à travers <strong>Les</strong> Célibataires.<br />
Quant à l’évocation <strong>de</strong>s oies sauvages, dont<br />
le vol triangulaire et mélancolique se déploie<br />
lentement au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la masure campagnar<strong>de</strong><br />
où Léon <strong>de</strong> Coantré endure le pire, elle constitue<br />
une superbe page d’anthologie.<br />
Avant d’ouvrir <strong>Les</strong> Célibataires, le lecteur<br />
gar<strong>de</strong>ra toutefois en mémoire qu’au fil <strong>de</strong><br />
son récit, Montherlant n’a nullement souhaité<br />
raconter une histoire pleine d’aventures et<br />
<strong>de</strong> rebondissements. Le romancier a voulu<br />
analyser les mouvements <strong>de</strong> la pensée et les<br />
oscillations <strong>de</strong>s sentiments qui démâtent <strong>de</strong>s<br />
âmes tourmentées. D’autre part, dans España<br />
Sagrada, le dramaturge du Maître <strong>de</strong> Santiago<br />
a relevé que le célèbre matador, Juan Belmonte,
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
était « comme tous les grands artistes, classique<br />
et original ». <strong>Les</strong> Célibataires refermé, le lecteur<br />
déci<strong>de</strong>ra s’il convient d’appliquer ce jugement à<br />
Montherlant lui-même.<br />
L’adieu à une époque révolue<br />
Composé d’une habile succession <strong>de</strong><br />
biographies riches en portraits incisifs et fouillés,<br />
<strong>Les</strong> Célibataires incite Montherlant à développer<br />
quelques idées majeures qui le tarau<strong>de</strong>ront<br />
perpétuellement. Très critique à l’égard <strong>de</strong> la<br />
France, il s’indigne <strong>de</strong> la « scandaleuse confusion<br />
<strong>de</strong>s valeurs qui est une plaie dévorante. » Mais<br />
l’irrémédiable déchéance <strong>de</strong> son pays, il la<br />
mesure parfois au délabrement et à la vétusté qui<br />
en<strong>de</strong>uillent Paris, ses rues et ses monuments.<br />
Essais<br />
Pour le moraliste <strong>de</strong> Service inutile, la vanité reste<br />
le mobile caché <strong>de</strong>s tous les actes humains. Elle<br />
corrompt même les aristocrates <strong>de</strong>s Célibataires.<br />
<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux Coëtquidan et leur neveu, Léon <strong>de</strong><br />
Coantré, semblent pourtant posés à la surface<br />
<strong>de</strong> la vie et d’un mon<strong>de</strong> qu’ils ne comprennent,<br />
ni ne dominent. Murés dans leur égocentrisme<br />
puéril, étouffés sous leurs manies, leurs tics et<br />
leurs préjugés, ils sont aussi victimes <strong>de</strong> leur<br />
paresse, <strong>de</strong> leurs faiblesses et <strong>de</strong> leur famille.<br />
Leur égoïsme, qui tisse la trame principale du<br />
roman, stupéfie. Mme <strong>de</strong> Coantré, une sœur<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Coëtquidan, laisse en héritage à son<br />
fils, Léon, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ttes considérables. Banquier,<br />
M. Octave en éponge les plus criantes et il<br />
relègue Léon dans la dépendance délabrée <strong>de</strong><br />
son rutilant château planté au cœur du bocage<br />
normand. Mais il refuse <strong>de</strong> subvenir aux besoins<br />
quotidiens <strong>de</strong> son neveu qu’indirectement, il<br />
condamne à mort. Néanmoins, ces excentriques<br />
d’autrefois, Montherlant les a <strong>de</strong>ssinés d’une<br />
plume ferme et froi<strong>de</strong>, trempée dans l’encre <strong>de</strong><br />
la tendresse et <strong>de</strong> la compassion.<br />
Du côté <strong>de</strong> Coantré<br />
<strong>Les</strong> essayistes, qu’ils fussent enseignants,<br />
écrivains ou journalistes, ont immuablement<br />
prêté les traits <strong>de</strong> Montherlant à un <strong>de</strong>spote<br />
éclairés tel le roi Ferrante ou à un avocat réputé<br />
tel Carrion. Mais s’il fallait désigner à l’écrivain<br />
un frère parmi la cohorte <strong>de</strong> ses personnages,<br />
Léon <strong>de</strong> Coantré s’imposerait.<br />
Jusqu’à son ultime souffle, l’auteur <strong>de</strong> Port-Royal<br />
conservera une prédilection marquée pour les<br />
vaincus <strong>de</strong> ses romans et <strong>de</strong> son théâtre. Selon<br />
son habitu<strong>de</strong>, Montherlant ébaucha l’esquisse <strong>de</strong><br />
l’un <strong>de</strong> ces malheureux à travers Léon <strong>de</strong> Coantré,<br />
il la reprit en la retouchant à travers Persilès<br />
dans Brocélian<strong>de</strong> et il l’acheva à travers Edouard<br />
Exupère dans Un Assassin est mon maître. Au<br />
fort <strong>de</strong> la quarantaine, il considéra ces hommes<br />
comme <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>ts malchanceux et prompts à<br />
s’enliser dans la nonchalance, l’oisiveté ou la<br />
défaite, pendant qu’une indomptable ténacité, un<br />
travail assidu et un talent certain le hissaient vers<br />
la notoriété. Il sentait et il avouait que ses dons<br />
d’écrivain l’avaient seuls sauvé <strong>de</strong> la déchéance<br />
où roulent ces infortunés.<br />
Sans doute aucun, Montherlant a transmis à Léon<br />
<strong>de</strong> Coantré sa courte taille, ses petites jambes
6<br />
et « un épais bourrelet que la chair faisait sur la<br />
nuque. » Il pousse Léon à villégiaturer après lui<br />
dans les Alpes bernoises dont Mme <strong>de</strong> Riancey,<br />
Mme <strong>de</strong> Montherlant et les leurs appréciaient le<br />
climat. Sur les bords du lac <strong>de</strong> Thoune, les <strong>de</strong>ux<br />
garçons se gavent <strong>de</strong> chocolat et ils acquièrent<br />
une hor<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces ours en bois que cisèlent<br />
présentement encore les habiles artisans <strong>de</strong> la<br />
région. Mais Coantré est comme Exupère un<br />
être « inégal, indolent, inconsistant, incohérent<br />
et instable. » De déceptions en inepties, ce<br />
gentil bon-à-rien gaspille ses jours inutiles et<br />
monotones. Toutefois, l’écrivain ne lui retire pas<br />
son affection. Devant les difficultés <strong>de</strong> la vie, le<br />
comte <strong>de</strong> Montherlant est à peine moins désarmé<br />
et moins désorienté que le comte <strong>de</strong> Coantré.<br />
Un homme clairvoyant l’admet impartialement.<br />
De plus, il pense qu’inquiets et timi<strong>de</strong>s, Henry<br />
et Léon ne nourrissent pas <strong>de</strong> vaines alarmes,<br />
car « ce qui est tragique chez les anxieux, c’est<br />
qu’ils ont toujours raison <strong>de</strong> l’être. »<br />
Vers la fin <strong>de</strong> son existence larvaire, Léon <strong>de</strong><br />
Coantré est accablé <strong>de</strong> malaises sournois qui<br />
n’épargneront pas Montherlant. Incapable <strong>de</strong><br />
supporter un soleil trop ar<strong>de</strong>nt ou un effort trop<br />
prolongé, l’écrivain était régulièrement saisi <strong>de</strong>s<br />
vertiges dont seront affligés Ferrante le héros<br />
<strong>de</strong> La Reine morte et Cisnéros, le Cardinal<br />
d’Espagne. Mais il les détaille pour la première<br />
fois dans son roman, qu fut et qui <strong>de</strong>meure l’un<br />
<strong>de</strong>s chefs-d’œuvre <strong>de</strong> l’entre-<strong>de</strong>ux-guerres.<br />
D’un chapitre à l’autre <strong>de</strong>s Célibataires, Léon <strong>de</strong><br />
Coantré s’aveugle sur lui-même, sur tout et sur<br />
tous. Cependant, à travers les affres <strong>de</strong> l’agonie,<br />
<strong>de</strong>s éclairs <strong>de</strong> lucidité et <strong>de</strong> fierté le déchirent<br />
pour revêtir son drame d’une dimension nouvelle<br />
et poignante. Dans l’effroyable dénuement <strong>de</strong> la<br />
souffrance, <strong>de</strong> la pauvreté et <strong>de</strong> l’abandon, le<br />
comte <strong>de</strong> Coantré s’éteint, seul et désespéré.<br />
Mais, cette mort cruelle ne préfigure-t-elle pas<br />
celle <strong>de</strong> Montherlant ?<br />
Avis au lecteur:<br />
Nous vous prions d’excuser la mauvaise qualité<br />
<strong>de</strong> reproduction <strong>de</strong>s images ici présentées:<br />
il d’agit, en fait, d’anciens documents<br />
d’archive.<br />
Essais<br />
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Née le 2 octobre 07, Mme Elisabeth Zehrfuss<br />
est une alerte centenaire dont l’acuité intellectuelle<br />
et la vaste culture émerveillent ses interlocuteurs.<br />
Après avoir perdu son père, un officier <strong>de</strong> l’armée<br />
française tué en 4, au tout début <strong>de</strong> la Première<br />
Guerre mondiale, elle a effectué sa scolarité au cours<br />
Désir où elle eut Simone et Hélène <strong>de</strong> Beauvoir comme<br />
condisciples. Critique littéraire, elle a entretenu<br />
d’étroites relations avec Montherlant dès le jour où<br />
elle a louangé <strong>Les</strong> Célibataires dans une revue parisienne.<br />
De 34 à 72, elle a fréquemment rencontré<br />
l’écrivain à qui elle a apporté une ai<strong>de</strong> efficace en<br />
maintes occasions. <strong>Les</strong> entretiens et les événements,<br />
qui ont émaillé cette longue et indéfectible amitié,<br />
Mme Zehrfuss les a consignés, avec l’assentiment <strong>de</strong><br />
Montherlant, entre les lignes d’un journal, qu’assorti<br />
<strong>de</strong> lettres et <strong>de</strong> souvenirs, elle désire maintenant publier.<br />
Ces textes contribueront assurément à restituer<br />
<strong>de</strong> l’écrivain une image authentique et juste. Comme<br />
Mme Zehrfuss a déposé à la Bibliothèque cantonale<br />
<strong>de</strong> Lausanne <strong>de</strong>s lettres, qu’elle a reçues <strong>de</strong> Montherlant,<br />
j’ai tenu à lui adresser <strong>de</strong> cette ville un bref signe<br />
d’estime, <strong>de</strong> respect et d’affection sincères.
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
C’est avec beaucoup d’empathie que Jean<br />
Grin préface ce recueil, dont il relève les<br />
cris <strong>de</strong> douleur silencieux transformés en<br />
questionnement. Devant l’immense souffrance<br />
d’une mère tragiquement dépouillée <strong>de</strong> son fils,<br />
le lecteur, écrit-il, partagera cette douleur parce<br />
que, chacun à notre manière, nous sommes tous<br />
<strong>de</strong>s en<strong>de</strong>uillés.<br />
Ecorchée vive, la poétesse nous emmène sur<br />
les chemins <strong>de</strong> mémoire bordés <strong>de</strong> ronces, mais<br />
aussi sur les lieux auxiliateurs <strong>de</strong> son enfance en<br />
Provence, puis en Normandie, à ne pas confondre<br />
avec une rêverie tissée d’invraisemblances.<br />
« Tous ces jardins secrets, dit-elle, miroitent<br />
encore comme <strong>de</strong>s lacs au fond <strong>de</strong> moi. » Une<br />
enfance comprise non pas tellement comme<br />
un espace <strong>de</strong> nostalgie, mais plutôt comme<br />
une réserve inépuisable <strong>de</strong> douceur, l’aidant<br />
à enclaver son chagrin dans le passage du<br />
temps qui le nivelle. Ainsi « la vie brève d’un fils<br />
aimé » peut-elle se détacher comme une bulle<br />
montée vers l’arc-en-ciel. Demeure la maison<br />
d’autrefois dans le cœur <strong>de</strong> Brigitte Neulas, et<br />
dont elle écoute encore maintenant « battre le<br />
cœur comme un métronome. » Et l’aïeule qui<br />
pour elle l’habite <strong>de</strong> toute éternité lui apprend<br />
l’éblouissement <strong>de</strong> la création divine, et la vie<br />
comme « un grand mouvement qui nous dépasse<br />
sans cesse. » Dans la foulée, on peut évoquer<br />
le Saint-Exupéry <strong>de</strong> Terre <strong>de</strong>s Hommes : « Ah !<br />
s’écriait-il, le merveilleux d’une maison n’est<br />
point qu’elle vous abrite ou vous réchauffe, ni<br />
qu’on en possè<strong>de</strong> les murs, mais bien qu’elle<br />
ait lentement déposé en nous ces provisions <strong>de</strong><br />
douceur. Qu’elle forme, dans le fond du cœur, ce<br />
massif obscur dont naissent, comme <strong>de</strong>s eaux<br />
<strong>de</strong> source, les songes… »<br />
« Le temps qui passe, existe-t-il vraiment ? » se<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> l’auteure. « <strong>Les</strong> beaux jours se sont<br />
enfuis avec l’éphémère <strong>de</strong> toutes choses et du<br />
temps qui ne s’arrête pas. A moins qu’il ne soit<br />
immobile ? » « Dans l’univers, poursuit-elle, ce<br />
qui compte le plus est ce qu’on ne voit pas ! »,<br />
cet « essentiel invisible pour les yeux » du Petit<br />
Essais<br />
Fragments poétiques, <strong>de</strong> Brigitte Neulas<br />
7<br />
Luce PéCLARD<br />
Prince. Ainsi, l’écriture lui indique la voie au<strong>de</strong>là<br />
du vi<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la stupeur, le chemin vers une<br />
vocation <strong>de</strong> mendiante <strong>de</strong> ferveur, frissonnante<br />
<strong>de</strong>vant « la vaste étendue marine », prête à<br />
s’immerger au creux <strong>de</strong>s vagues « pour être<br />
rebaptisée une <strong>de</strong>uxième fois » et dépasser « la<br />
mort qui est le plus grand <strong>de</strong>s désordres » !<br />
Appelée à aimer envers et contre tout, la poétesse<br />
s’applique <strong>de</strong> toute son âme à « reconstruire sa<br />
joie d’être née ». « Ce qui me permet d’espérer,<br />
dit-elle simplement, c’est la connaissance que j’ai<br />
<strong>de</strong> Dieu, <strong>de</strong>s autres, <strong>de</strong> la beauté du mon<strong>de</strong>. »<br />
« Prodiges <strong>de</strong> tout ce qui vole ! » s’extasie-telle.<br />
« <strong>Les</strong> alouettes dans les cieux printaniers<br />
montent en chantant au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s champs. »<br />
Il faut souhaiter à Brigitte Neulas d’arriver à une<br />
réédition mieux reliée, avec un dos portant son<br />
nom et son titre, afin que ce petit recueil à la fois<br />
poignant et lumineux ne disparaisse pas incognito<br />
dans les rangées <strong>de</strong> livres <strong>de</strong>s bibliothèques.
8<br />
L’un<strong>de</strong>rground a-t-il complètement disparu ?<br />
Post-soixante-huitard, ce mouvement<br />
d’écriture et d’art (art-total) tentait <strong>de</strong> s’exprimer<br />
dans <strong>de</strong>s feuilles très artisanalement<br />
fabriquées (ronéo, agrafes…). <strong>Les</strong> années<br />
70 et leur début surtout le virent naître,<br />
dans la foulée <strong>de</strong>s troubles révolutionnaires.<br />
<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux déca<strong>de</strong>s qui suivirent le laissèrent<br />
péricliter, face à une restructuration <strong>de</strong>s<br />
schémas mentaux <strong>de</strong> l’idéologie dominante,<br />
effaçant peu à peu toutes remises en<br />
questions fondamentales du « Système ».<br />
Cependant, il convient d’avoir à l’esprit que le<br />
contrôle <strong>de</strong> la parole dans cette société avait<br />
déjà lieu bien avant les années 70. C’est<br />
dès la fin <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième guerre mondiale<br />
qu’il doit être daté. Non pas pour les « Trente<br />
glorieuses », mais les « Trente piteuses »…<br />
Par exemple !<br />
Cet embargo sur l’expression humaine a<br />
touché évi<strong>de</strong>mment la littérature. Cette zone<br />
sensible, dirai-je.<br />
Personnellement, j’ai publié beaucoup dans<br />
les feuilles un<strong>de</strong>rground, en même temps<br />
Tribune libre<br />
Non, la libre expression n’existe pas<br />
Annonce <strong>de</strong> concours<br />
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Gérard LEMAIRE<br />
que dans les revues <strong>de</strong> poésies, ellesmêmes<br />
contestataires.<br />
<strong>Les</strong> revues <strong>de</strong> poésies, à très mo<strong>de</strong>stes<br />
tirages, s’éteignirent moins vite que les<br />
brûlots prônant la contre-culture ou la mettant<br />
en pratique.<br />
Mais même ceux-ci, jusqu’aux <strong>de</strong>rniers, ne<br />
dédaignèrent pas une forme <strong>de</strong> censure.<br />
Mes poèmes les plus « hard » (les plus<br />
nécessaires) ne trouvaient pas <strong>de</strong> refuge<br />
chez eux. Cet un<strong>de</strong>rground en quelque<br />
sorte était sans imagination, dans un anticonformisme<br />
intégré. Il ne prenait pas le<br />
risque <strong>de</strong> la libre-expression ; les poèmes<br />
trop centrés étaient refusés, et le revues<br />
<strong>de</strong> poésies encore moins accessibles à ce<br />
genre d’attaques, <strong>de</strong> paroles.<br />
Que dire <strong>de</strong> plus ? Cette contention du vrai<br />
entraîne aux pires effets, dans un règne<br />
mensonger toujours plus normatif.<br />
Je ne crois surtout pas noircir le tableau.<br />
Ce que l’on appelle le Réel va évi<strong>de</strong>mment<br />
beaucoup plus loin : son travail <strong>de</strong> fond<br />
ignore les mises en gar<strong>de</strong>.<br />
Le Fleuret poétique <strong>de</strong> Midi Pyrénées est un cours organisé par la Société <strong>de</strong>s Poètes<br />
Français du er novembre 2007 au er mars 2008.<br />
Pour recevoir le règlement, écrire à :<br />
Madame Marie SOUMEILLAN, déléguée SPF – Haute Garonne – Etoile <strong>de</strong> l’aube –<br />
24 , route <strong>de</strong> Rayga<strong>de</strong>s – 3 ’340 Villematier (France) – ( 00 33 62 22 87 7.<br />
N’oubliez pas <strong>de</strong> joindre une enveloppe timbrée pour la réponse.
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
Petit traité pratique<br />
<strong>de</strong> “bobologie”<br />
Etrange récit qui mêle échange épistolaire,<br />
éléments autobiographiques et revendications<br />
humanitaires. Dans ce roman qui se décline en<br />
« Je », le narrateur est un éducateur qui écrit<br />
à un handicapé mental, prénommé Balthazar,<br />
toujours domicilié dans une institution où<br />
il travaillait auparavant. Cette longue lettre<br />
commencée à l’aurore mènera son auteur – qui<br />
prie son collègue qui s’occupe actuellement <strong>de</strong><br />
Balthazar <strong>de</strong> bien vouloir la lui lire - au début<br />
<strong>de</strong> la nuit suivante. Mais ce roman ne constitue<br />
qu’un prétexte pour Bocampe, désireux d’afficher<br />
clairement ses convictions. S’ajoute donc encore<br />
une nouvelle dimension à ce livre : celui <strong>de</strong> la<br />
lettre ouverte, <strong>de</strong>stinée aux analphabètes du<br />
cœur et <strong>de</strong> l’amitié interhumaine.<br />
Il l’explique lui-même dans un long préambule,<br />
l’auteur, tout comme le protagoniste <strong>de</strong> l’ouvrage,<br />
est éducateur. Comme lui, il travaille avec <strong>de</strong>s<br />
personnes souffrant <strong>de</strong> déficience mentale. Et<br />
comme lui encore il dénonce, non sans virulence,<br />
les méfaits d’une technocratisation <strong>de</strong>s métiers<br />
du social et d’une planification étatique <strong>de</strong>s<br />
besoins et ressources tant <strong>de</strong>s institutions que<br />
<strong>de</strong>s personnes qui en dépen<strong>de</strong>nt.<br />
Il réfute même l’idée d’une différence radicale et<br />
fondamentale – originaire (?) – entre l’individu<br />
dit normal et la personne handicapée. Pour<br />
Bocampe, tout individu, à sa manière, est<br />
handicapé, parce que confronté à ses propres<br />
limites. Sa thèse, somme toute, peut se résumer<br />
fort succinctement : c’est l’engagement du<br />
professionnel, son implication dans sa tâche<br />
et son dévouement envers l’aidé qui doivent<br />
se trouver au centre du débat ; la course aux<br />
diplômes relève, elle, du non-sens.<br />
Le lecteur trouvera, au fil <strong>de</strong>s pages <strong>de</strong> cet<br />
ouvrage, <strong>de</strong> nombreux éléments <strong>de</strong> réflexion<br />
qui ne <strong>de</strong>vraient pas le laisser insensible.<br />
<strong>Les</strong> arguments développés par Bocampe<br />
l‘interpelleront à la fois sur le plan <strong>de</strong><br />
l’argumentaire et <strong>de</strong> l’émotion, même s’il risque,<br />
par endroits, <strong>de</strong> se sentir quelque peu bousculé<br />
par certaines redondances. Car l’auteur a su<br />
dépasser le pamphlet pour atteindre un niveau<br />
supérieur : celui d’une leçon, honnête et sincère,<br />
d’humanisme.<br />
Jean GRIN<br />
Bocampe : Lettre à un ami analphabète, Yverdon-les-<br />
Bains, Editions <strong>de</strong> l’Escarboucle, collection “Flambée<br />
dans le firmament”, 171 pages, 2006.<br />
Notes <strong>de</strong> lecture<br />
Alain CROZIER : La cité <strong>de</strong>s clés (Contes<br />
poétiques <strong>de</strong> La Clayette), Lyon, Edition cei<br />
Jacques André éditeur, 4 pages, 2007.<br />
La Clayette (prononcez “La Clette”) est une<br />
petite cité bourguignonne construite autour <strong>de</strong><br />
son château, dont on n’oublie pas <strong>de</strong> visiter les<br />
oubliettes – pourtant <strong>de</strong>stinées à oublier les gens<br />
qui y sont emprisonnés – et ville que les habitués<br />
surnomment – affectueusement ? – “LC”. Alain<br />
Crozier entendrait-il rendre hommage à un tissu<br />
social particulièrement <strong>de</strong>nse dans cette localité,<br />
ou en décrire nostalgiquement les horizons et les<br />
bâtiments ? Sans nul doute, du tout !<br />
“LC” est une localité comme tant d’autres :<br />
on ne s’y connaît guère – ou alors <strong>de</strong> manière<br />
superficielle et “bistrotienne” – mais l’on s’y<br />
espère – l’âme sœur, qui ne saurait tar<strong>de</strong>r<br />
d’arriver. De nombreux poèmes d’Alain Crozier<br />
font référence à cette attente incertaine et cette<br />
difficulté d’établir une communication avec ses<br />
proches, ses semblables. Il le dit dans <strong>de</strong>s<br />
mots <strong>de</strong> tous les jours, mais avec une manière<br />
personnalisée, qui tend à octroyer au présent<br />
recueil une dimension poétique difficile – sauf à<br />
être <strong>de</strong> mauvaise foi – à contourner.<br />
<strong>Les</strong> illustrations <strong>de</strong> Catherine Perret, saisissantes,<br />
renforcent l’atmosphère poignante mais réaliste,<br />
<strong>de</strong> ce recueil <strong>de</strong> poèmes.<br />
J.G.<br />
Edith HABERSAAT : Gérontoci<strong>de</strong>, Paris,<br />
L’Harmattan, collection “Voix d’Europe”, 72<br />
pages, 2007.<br />
Il ne fait pas bon vieillir ! Marie Cordier,<br />
enseignante dans un collège genevois s’en<br />
aperçoit à plus d’un titre. Il y a cette suspicion<br />
permanente qu’entretient le directeur <strong>de</strong><br />
l’établissement scolaire à l’égard <strong>de</strong>s professeurs<br />
qui, comme Marie, approchent <strong>de</strong> l’âge fatidique<br />
<strong>de</strong> la retraite, mais aussi ces jeunes collègues,<br />
nouveaux dans le métier, qui semblent prôner le<br />
laxisme à l’égard d’adolescents <strong>de</strong> plus en plus<br />
difficiles à encadrer, mais encore cette épaule<br />
qui la fait souffrir et nécessitera, finalement, une<br />
intervention chirurgicale.<br />
Marie et son époux, Charles – un enseignant déjà<br />
à la retraite – vont alors tenter, par un voyage à Sri
20<br />
Lanka, <strong>de</strong> retrouver quelque sérénité avant que<br />
Marie ne reprenne son travail ; ils découvriront<br />
une île ravagée par la pauvreté et la guerre civile.<br />
Avec lucidité et émotivité, Edith Habersaat restitue<br />
le cadre <strong>de</strong> vie et le questionnement multiple <strong>de</strong><br />
son héroïne, intégrant parfois <strong>de</strong>s paragraphes<br />
relevant du journal intime <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière. Avec<br />
minutie, l’auteure intègre son lecteur dans la vie<br />
privée d’un personnage qui, bien que fictif, n’en<br />
conserve pas moins toute sa crédibilité. Mais<br />
par-<strong>de</strong>là l’étu<strong>de</strong> psychologique d’un parcours<br />
<strong>de</strong> vie, l’auteure interroge également l’attitu<strong>de</strong><br />
actuelle <strong>de</strong>s enseignants – et finalement <strong>de</strong> toute<br />
la génération adulte – face à la jeunesse.<br />
Notes <strong>de</strong> lecture<br />
J.G.<br />
Ai<strong>de</strong>nor AIRES : XV élégies, Goiânia,<br />
Editora Kelps, 4 + 0 pages, 2007.<br />
Ai<strong>de</strong>nor Aires, poète brésilien, est né dans l’Etat<br />
<strong>de</strong> Bahia en 46, mais a déménagé à l’âge <strong>de</strong><br />
dix ans avec sa famille à Goiânia, où il rési<strong>de</strong><br />
actuellement. Très actif sur le plan professionnel,<br />
Conditions <strong>de</strong> publication:<br />
“Axolotl”<br />
N°45 - Novembre 2007<br />
dans le domaine juridique, il a aussi beaucoup<br />
milité dès les années soixante sur le plan culturel<br />
et a publié <strong>de</strong> nombreux recueils <strong>de</strong> poèmes.<br />
L’édition <strong>de</strong> ces élégies a la particularité d’être<br />
bilingue, proposant à la fois la version originale<br />
en Portugais et une très fine traduction française<br />
due à Yvan Avena. On fait pivoter le volume dans<br />
un sens ou un autre, suivant que l’on recherche<br />
la version portugaise ou la traduction.<br />
Dans ses poèmes, Ai<strong>de</strong>nor Aires questionne tout<br />
autant les faits individuels que les faits sociaux.<br />
Il interroge le poète, mais restitue aussi <strong>de</strong>s<br />
portraits intimes <strong>de</strong> personnages rencontrés<br />
ou familiers, tel son oncle, ancien berger,<br />
<strong>de</strong>venu invali<strong>de</strong>. Ou encore, il clame sa plainte<br />
et sa compassion envers une nation entière.<br />
Homme <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> sensibilité, l’auteur, par la<br />
musicalité <strong>de</strong> son langage, mêle avec un même<br />
bonheur la mélancolie, la tristesse, sans les<br />
rendre incompatibles cependant avec un certain<br />
optimisme et une gran<strong>de</strong> empathie envers les<br />
lieux qu’il décrit et les hommes qui les habitent.<br />
<strong>Les</strong> auteurs désireux <strong>de</strong> voir publier leurs<br />
textes sont priés <strong>de</strong> les faire parvenir sur<br />
support informatique exclusivement (<strong>de</strong><br />
préférence Word 200 pour MacIntosh ou<br />
compatible) à l’adresse <strong>de</strong> la rédaction.<br />
Une épreuve leur sera envoyée pour ultime<br />
contrôle avant parution.<br />
Un délai <strong>de</strong> six mois environ est à<br />
prévoir entre la date <strong>de</strong> retour <strong>de</strong> l’épreuve à<br />
“Axolotl” et la date <strong>de</strong> publication. Ce délai<br />
peut se prolonger pour les textes en prose<br />
dépassant les 3’000 signes.<br />
© 2007 - Mesdames et Messieurs les auteurs <strong>de</strong>meurent les seuls propriétaires du Copyright.<br />
J.G.<br />
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Je désire m’abonner à la revue “Axolotl”<br />
q 1 an (4 numerii) Frs 35.-/ € 25.- q abonnement <strong>de</strong> soutien (dès Frs 50.-/ € 35.-)<br />
Je souscrits pour …… exemplaires <strong>de</strong> l’“Axolotl” Hors-collection N°5, Frs 16.- € 11.- pièce<br />
NOM & Prénom: ……………………………………………………………………………………<br />
Rue et numéro: ………………………………………………………………………………………<br />
NPA et Localité: ………………………………………………………… Pays: …………………