Tchouankam
Tchouankam
Tchouankam
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT<br />
A TRAVERS LE CYCLE DES JEUNES FILLES<br />
INTRODUCTION<br />
Considérée par une bonne frange de l’opinion comme un<br />
comportement anti nature, anti humain, anti religieux, la misogynie<br />
que d’aucuns confondent au sexisme est une attitude certes<br />
répréhensible. Mais les raisons et les mobiles poussant les écrivains à<br />
l’adopter ne sont pas toujours identiques d’un artiste à l’autre.<br />
Avec la vague déferlante des déviations des mœurs dans la<br />
plupart de nos sociétés, les misogynes sont aujourd’hui logés à la<br />
même enseigne que les homosexuels qui, agissant aussi contre nature<br />
revendiquent fermement leur légitimité au nom d’une certaine<br />
démocratie.<br />
Même si les écrivains comme André Gide ont cherché à prouver que<br />
cette inversion sexuelle n’était pas un vice et de surcroît n’apparaissait<br />
pas contre nature, la misogynie a-t-elle jamais signifié rejet de la gent<br />
féminine ? Nous ne le pensons pas. La misogynie est le fait en général<br />
pour un homme d’avoir du mépris pour les femmes ; assurément pour<br />
leurs attitudes, leurs idées et leurs comportements condamnables. La<br />
misogynie dont il est question ici est celle de l’écrivain qui évoque les<br />
raisons contre le mariage de l’artiste. En principe, pense Montherlant,<br />
« Le mariage ne doit pas convenir à l’artiste mais il y a sans<br />
doute de nombreux cas où les artistes s’en sont trouvés bien. Il<br />
est difficile de le savoir, car en matière de mariage tout le<br />
monde ment 1 »<br />
Tout en admettant que l’homme ici bas est à la quête du<br />
« bonheur » qu’il soit spirituel ou charnel, l’écrivain doit-il sacrifier<br />
1<br />
Tiré de l’entretien entre Jean Fayard et Montherlant 29 avril 1937 par le journal<br />
Candide<br />
181
ANALYSES<br />
son génie créateur et l’éclosion des œuvres d’art patrimoine de<br />
l’humanité au profit d’une union désastreuse ?<br />
Le présent article se fixe pour objectif de montrer les<br />
nombreuses facettes de cette misogynie chez Montherlant à travers Le<br />
cycle des jeunes filles regroupant les œuvres suivantes : Le démon du<br />
bien, Pitié pour les femmes, Les lépreuses, Les Jeunes Filles.<br />
Après des écrivains comme Tolstoï, Kafka,<br />
Vigny…Montherlant semble avoir donné une nouvelle dimension et<br />
un ton particulier à ce problème qui défraie toujours l’actualité ? Par<br />
rapport aux autres défenseurs de la misogynie, Montherlant fait-il<br />
piètre figure ou est-il considéré comme marginal ? Notre<br />
raisonnement s’articule autour des points suivants :<br />
Les raisons et les causes de la misogynie chez Montherlant,<br />
Les dimensions de cette misogynie chez l’écrivain,<br />
La signification de cette misogynie à travers une relecture du cycle des<br />
jeunes filles.<br />
I RAISONS ET CAUSES DE LA MISOGYNIE CHEZ<br />
MONTHERLANT<br />
Contrairement aux autres écrivains dont la misogynie est née à<br />
la suite d’une rupture amoureuse, d’une profonde déception, les<br />
raisons ayant poussé Montherlant à la misogynie sont plus profondes<br />
et nombreuses.<br />
I.1 Solitude et volupté<br />
Plus à l’aise dans la solitude qu’au grand jour, l’écrivain y<br />
trouve une douceur secrète qui lui permet de mieux savourer les<br />
voluptés de la vie. André Gide avant lui reconnaît avoir trouvé plus<br />
d’instruction dans la volupté que dans les livres mais note Pierre<br />
Sipriot dans Montherlant sans masque 1990 : 248<br />
« L’écrivain appartient au « type rapace » dont la vie se passe à<br />
goûter toutes formes de vie les plus opposées qui toutes ont leur<br />
volupté : voluptés artistiques jusqu’au raffinement…Volupté mystique,<br />
volupté de la culture. Ce style de vie a des répercussions sur la vie<br />
future de l’écrivain qui cultive son indépendance et son refus de se<br />
marier. Il est surtout féru du vieil aphorisme : « Le sel vient de l’eau,<br />
et s’il s’approche de l’eau il se dissout et disparaît. Pareillement, le<br />
moine ou l’artiste vient de la femme et, s’il s’approche d’une femme il<br />
se dissout » ibid. 297<br />
I.2 Le refus de la dictature familiale<br />
Le cycle des jeunes filles semble une réponse de Montherlant à<br />
sa famille. En 1934, il est harcelé par ses oncles et ses tantes qui font<br />
182
LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT<br />
tant d’histoires pour qu’il se marie. Dans carnets (1930-1944) XXVI<br />
paru en 1957 : 1927 il écrit :<br />
« Ils veulent me faire entrer dans un cadre et je ne veux pas. Ils veulent<br />
avoir barre sur moi par une femme qu’ils me donneraient. Par elle, ils<br />
s’introduiraient dans ma vie. Ils me rongeraient comme on ronge un<br />
os »<br />
La volonté de Montherlant dira Pierre Sipriot 1990 : 339 « C’est<br />
d’avoir des amies femmes mais pour lesquelles il n’éprouve aucun<br />
désir. Ainsi peut s’établir entre un homme et une femme une vraie<br />
amitié. » Andrée Hacquebaut, fille romanesque entretenant des liens<br />
avec Costals semble soutenir ce point de vue en lui donnant une<br />
dimension plus spirituelle à travers la lettre du 19 mai 1927 parue dans<br />
Les jeunes filles 1936 : 185 :<br />
« L’amitié homme-femme est une musique parfaitement immatérielle et<br />
céleste parfaitement différente de la sensualité mais qui n’existe que<br />
par elle. »<br />
Cependant à regarder de près, l’attitude de Montherlant<br />
apparaît aussi ici comme un rejet des écrits bibliques.<br />
I.3 Rejet des Saintes Ecritures<br />
« Il n’est pas bon que l’homme soit seul » dit Jéhovah dans la<br />
Bible. La misogynie de Montherlant se traduit aussi par le rejet des<br />
recommandations bibliques. Dans Genèse 2 (22-24) il est<br />
écrit : « L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa<br />
femme et ils deviendront une seule chair. Dans Lettre à Alice Poirier<br />
23 avril 1935 (inédite) Montherlant écrit : « Le grand bonheur de ma<br />
vie est de savoir d’une conscience permanente que je ne suis pas<br />
marié. En outre, son roman Les Jeunes Filles, l’auteur a voulu<br />
l’intituler « Au bord de l’abîme. L’abîme étant le mariage. »<br />
Tout en reconnaissant comme le souligne Pierre Sipriot 1990 :<br />
340 « Que l’accomplissement de l’homme c’est de posséder son âme<br />
en lui-même solitaire et profonde et d’aimer sans besoin d’être<br />
aimé ». Montherlant à son tour dans Carnets (1930-1944) XX Essais<br />
1950 :1001 s’interroge : « Comment avoir cette vie riche sous les yeux<br />
de sa secrétaire et de ses domestiques, sous les yeux de l’épouse et de<br />
ses enfants ! Comment les autres y parviennent-ils ? Je leur tire mon<br />
chapeau. Si la misogynie de l’artiste trouve son explication dans le<br />
souci de préserver la création artistique, il n’en demeure pas moins<br />
vrai que chaque écrivain a subi une influence qui a déterminé et sa<br />
vision du problème. Bref, cette misogynie est vécue par chaque<br />
écrivain avec des nuances et des colorations particulières.<br />
183
ANALYSES<br />
II LES DIMENSIONS DE CETTE MISOGYNIE CHEZ<br />
MONTHERLANT<br />
Certains écrivains condamnent sans appel la femme. D’autres à<br />
l’image de Tolstoï dans La sonate à Kreutzer assimilent la femme au<br />
mal et considèrent l’acte sexuel comme synonyme de saleté. Dans sa<br />
quête de pureté, Tolstoï en arrive à dénoncer la complicité de la<br />
société notamment les médecins qui contribuent à cette débauche<br />
généralisée « Transformant le monde en une immense maison de<br />
tolérance. » L’écrivain russe Gogol cité par Montherlant dans Les<br />
Démons du bien 1937 : 185 y ajoute un peu du sien en<br />
s’écriant : « Seigneur ; il y avait déjà dans le monde assez d’ordures<br />
de toutes espèces ! Qu’aviez-vous besoin d’y ajouter la femme ? » .<br />
Montherlant tout en s’éloignant de cet extrémisme en tant qu’écrivain<br />
qui veut sauvegarder sa création littéraire, est plutôt beaucoup plus<br />
gêné par cette cohabitation avec la femme qui se fait au détriment de<br />
l’écrivain. Le mépris de la femme ne signifie pas sa diabolisation, sa<br />
condamnation à mort. Montherlant reconnaît par moments l’apport de<br />
cette dernière dans sa vie d’écrivain. Il soutient par ailleurs qu’il a<br />
deux passions : la création des œuvres et la recherche du plaisir ;<br />
lequel il le trouve soit dans l’acte sexuel mais (il n’a pas besoin d’une<br />
épouse pour cela) soit dans l‘enseignement des grands sages. Bref il<br />
ne rejette pas la femme comme une calamité, il retrouve parfois auprès<br />
d’elle une certaine élévation dont il précise ici les contours dans Les<br />
jeunes filles 1936 : 206<br />
« Il y a des élévations religieuses ou d’autres qui naissent du<br />
jeûn…Chez Costals, il était fréquent que ces élévations prissent forme<br />
aussitôt accompli l’acte charnel…soit que s’étant vidé par l’acte toute<br />
sa sensualité, il ne restât plus en lui que sa part spirituelle…Presque<br />
tout ce qu’il y avait d’inspiré dans son œuvre avait été conçu durant<br />
les minutes qui suivaient la possession. Mais cette possession doit<br />
générer un plaisir enrobé d’indifférence et d’absence ».<br />
II.1 La dimension psychique de la misogynie<br />
La cohabitation avec la femme provoque chez Montherlant un<br />
bouleversement psychique considérable. L’écrivain a l’impression<br />
d’être vidé, d’avoir perdu sa personnalité, d’être dépossédé de quelque<br />
chose. Costals avoue se sentir diminué chaque fois qu’il se représente<br />
auprès d’un être féminin. Dans Le démon du bien 1937 : 129, Costals<br />
déclare : « cette « possession » de son corps et de son esprit c’était<br />
184
LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT<br />
Solange qui lui buvait son âme , puis se glissait en lui à la place de son<br />
âme ». Il a l’impression en compagnie de Solange d’être en cage, il<br />
étouffe, son esprit est malade, il ne retrouve ses esprits qu’une fois<br />
débarrassé de sa présence :<br />
« Je suis envoûté par cette cohabitation, exilé du monde en vain<br />
j’essaie de lire et d’écrire : ma tête est ailleurs, elle est de plus en plus<br />
à l’envers. Solange me « pompe » comme font les hystériques qui se<br />
chargent de la force nerveuse dont ils ont vidé ceux qu’ils touchent.<br />
Elle me possède, au sens argotique du mot, elle m’a eu, elle m’a<br />
vidé. » Ibid. 190-197.<br />
Aux heures où Costals n’était pas avec Solange, « Il se jetait<br />
dans son œuvre comme d’autres se jettent dans l’alcool ou la drogue.<br />
Il avait faim de son œuvre et elle le sauvait. » Les Lépreuses 1939 :<br />
63. Il a lu à ce sujet Tolstoï qui a vécu aussi à sa manière le même<br />
drame et qu’il a résumé en termes suivants : « Pendant les premiers<br />
temps de son mariage, il se croit heureux, en fait il est hébété, Il a reçu<br />
un coup sur la tête. »<br />
II.2 La dimension physique de cette misogynie<br />
Cette gêne, l’écrivain le ressent aussi à travers cette présence<br />
physique. Ainsi Costals ne peut déguiser son soulagement, la joie de<br />
sa libération, de sa sortie de prison quand il est débarrassé de la<br />
présence encombrante et gênante de Solange « Qui lui dérobe le<br />
monde et met un écran entre le monde et lui. Ainsi après leur<br />
séparation à Gênes,<br />
« Costals dormit jusqu’à deux heures de l’après-midi le lendemain. Et<br />
de trois heures jusqu’au soir il resta étendu sur le lit, les yeux fermés<br />
essayant de récupérer sa force, de faire revenir en lui son âme que la<br />
femme avait bu. Et lendemain, au réveil, sans même se laver… Il était<br />
oppressé de sa création qui tapait à l’intérieur de lui pour sortir car sa<br />
force était revenue et il était de nouveau lui-même. Il était de nouveau<br />
un homme. » Le démon du bien 1937 : 227.<br />
Par souci d’honnêteté, Costals le fait savoir à Madame<br />
Dandillot : « Si j’épousais Solange… Elle dériverait une partie de ma<br />
force et me déroberait à ma concentration »ibid.60 . Plus loin il<br />
ajoute : « Dans la vie à deux, il y a endosmose, si l’un s’ennuie, il<br />
force l’autre à s’ennuyer. Si l’un souffre d’une incommodité<br />
quelconque, il force l’autre à en souffrir » ibid.199-200.<br />
III LA SIGNIFICATION REELLE DE CETTE MISOGYNIE A<br />
TRAVERS UNE RELECTURE DU CYCLE DES JEUNES<br />
FILLES<br />
185
ANALYSES<br />
Montherlant tout en se démarquant des extrémistes comme<br />
Tolstoï, Gogol et autres semblent plutôt se rapprocher dans une<br />
certaine mesure de Kafka qui voit désormais la femme à travers un<br />
halo mystique. Les romans de Kafka s’attachent à cette vision<br />
dénonciatrice et pessimiste de la femme suite à l‘influence de Tolstoï<br />
notamment à travers La sonate à Kreutzer. Cependant, le<br />
dénominateur commun à Montherlant et Kafka c’est la femme conçue<br />
comme un catalyseur de la création littéraire. En fait les jeunes filles<br />
exercent sur Kafka un certain attrait (pouvoir aimanté), elles créent en<br />
lui une certaine sensation de féerie. Elles allument son sang, son génie<br />
qui lui permettra d’écrire et de produire des œuvres littéraires de<br />
qualité. Desmarquest dans Kafka et Les jeunes filles 2002 : 12<br />
reconnaît que<br />
« C’est dans ces jeunes filles qu’il puise la substance pour écrire…Sa<br />
rencontre avec Félice Bauer sa future fiancée lui inspire Le<br />
Verdict…La jeune fille rêvée de Kafka est vouée à une autre<br />
possession (littéraire celle-là). Il demande à la femme de l’aider à<br />
accéder à la terre promise de l’écriture, de lui donner la force<br />
d’écrire. Du désir qu’elle éveille, il fait le sésame de l’écriture ».<br />
Montherlant à son tour ayant fui Solange Dandillot se réfugie Gênes<br />
(Italie) pour écrire. Mais « Dans le roman qu’il écrivait, il avait ajouté<br />
le personnage de Solange. L’intrigue n’avait aucun rapport avec celle<br />
qu’il menait avec Solange. Mais, le personnage était copié aussi<br />
fidèlement qu’il le pouvait » Le démon du bien 1937 : 141-142. On<br />
constate donc que c’est à distance que la femme est plus utile à la<br />
création de l’écrivain. Cependant parmi les défenseurs de la<br />
misogynie, Montherlant est loin de faire piètre figure. Bien au<br />
contraire s’éloignant des autres écrivains, il fait d’elle son cheval de<br />
bataille, il s’en sert aussi comme point de départ de dénonciation de<br />
certaines hypocrisies humaines.<br />
III.1 La misogynie comme dénonciation des conventions sociales<br />
Dans Le démon du bien 1937 : 54, Costals dénonce d’abord le<br />
mariage : « Il y a des fortes raisons que la femme se marie. Pour que l’homme se<br />
marie, il n’y en a aucune : il y va par grégarisme. (Et il est donc assez<br />
naturel que la loi fasse à l’homme dans le mariage une situation plus<br />
belle qu’à la femme) ».<br />
L’Abbé Mugnier dans cette œuvre apportera à Montherlant<br />
d’autres éclairages de nature à satisfaire ses interrogations.<br />
186
LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT<br />
« Les hommes se marient « par goût de la catastrophe » oui c’est<br />
vraiment par amour du risque, du péril, le sombre et malsain attrait<br />
des embêtements qui poussent les mâles à se fourrer dans ce guêpier.<br />
S’ils y renâclent un peu, le monde parle de « leur lâcheté. On appelle<br />
lâcheté dans ce cas cette forme de l’intelligence qui est l’instinct de<br />
conservation. Il faut faire comme tout le monde ». Ibid.154.<br />
Costals s’en prend à cette complicité tacite des adultes dans la<br />
société : « L’inconscience des jeunes qui se marient est excusable. Mais que<br />
penser de l’inconscience de ceux qui les marient et qui, eux, savent ou<br />
devraient le savoir ? On croirait vraiment que la tarentule de marié est<br />
donnée aux gens par le génie de l’espèce, comme il leur donne la<br />
tarentule de s’accoupler. » ibid.171.<br />
III.2 La misogynie comme dénonciation du commerce des<br />
sentiments<br />
Pierre Sipriot 1990 : 348 reconnaît<br />
« Que les mariages tiennent par inertie. Notre force d’inertie nous<br />
enchaîne à des états pénibles. A cette inertie se mêle dans<br />
l’acquiescement du mariage des habitudes prises, ce qu’on appelle<br />
accoutumance ».<br />
Au nom des conventions sociales, l’individu doit se marier<br />
mais on se rend à l’évidence que ce mariage comme résultante d’un<br />
amour profond n’est qu’un vulgaire « marché » passé entre deux<br />
personnes ayant accepté de « jouer le jeu social ». Montherlant<br />
s’insurge par exemple contre la revue mensuelle des mariages octobre<br />
1926 intitulé ‘’Le plus beau jour’’ où les potentiels candidats classés<br />
par ordre et fichés étalent leur richesse, leur classe, leur religion, leur<br />
caractère comme autant d’atouts susceptibles d’appâter d’éventuels<br />
partenaires qui les aideront à lutter contre l’ennui de l’existence. Les<br />
nouvelles technologies de la communication ont banalisé ce sentiment<br />
appelé amour et surtout à travers des mariages qui se contractent<br />
aujourd’hui à distance. Le mariage tout comme l’amour s’exporte<br />
aujourd’hui comme des denrées. Dénonçant cette situation à son<br />
temps, Montherlant a voulu lever l’équivoque sur le mot amour et<br />
s’inspire au passage de la Bible dans Le Démon du bien 1937 : 55<br />
« En ne vous épousant pas, je sauvegarde notre amour, le mariage est<br />
la fin de l’amour, cela est connu depuis Jéroboam, je me lasserai de<br />
vous, vous me gêneriez, je vous apparaîtrais avec mes petits côtés,<br />
finish l’extase ».<br />
Même le mariage chrétien à ses yeux est une abomination :<br />
« Le mariage chrétien est pour l’homme une monstruosité, la contre<br />
nature même. Le génie de l’homme est de se lasser par habitude : on<br />
187
ANALYSES<br />
veut qu’il reste fidèle à une femme qui chaque mois perd un peu plus<br />
d’attrait »ibid.21.<br />
Dans une lettre à Solange Dandillot le 28 juillet 1927, Les démons du<br />
bien 1937 : 32 « Il avoue qu’il respecte trop l’église pour la mêler à<br />
une parodie de mariage et propose pour la circonstance avec cette<br />
demoiselle une union provisoire, bref sans engagements. Plus loin<br />
dans Les jeunes filles 1936 : 43, il en arrive à nier l’existence de<br />
l’amour que les filles avides de mariage ne voient que sous l’angle<br />
charnel : « Je connais bien l’amour, c’est un sentiment pour lequel je n’ai pas<br />
d’estime. D’ailleurs il n’existe pas dans la nature. C’est une invention<br />
des femmes ; mais il y a l’affection mêlée de désir ».<br />
L’amour tel que conçu par Costals est une véritable alchimie il s’agit<br />
d’un composé d’affection et de désirs qui n’est pas l’amour.<br />
III.3 La misogynie : solution contre l’égoïsme et la médiocrité<br />
féminine<br />
Beaucoup de femmes luttent pour s’arracher un mari. Aussitôt<br />
installées dans le confort du mariage, elles déroulent leur tapis<br />
d’égoïsme et de médiocrité, ce qui assurément suscite des réactions<br />
négatives chez Montherlant. Ces femmes vivant dans les chimères,<br />
demi-intellectuelles passent des heures dans le salon à rêver du<br />
bonheur, à encombrer la vie de leur conjoint d’inutilités et poussent ce<br />
dernier en s’engouffrer dans des dépenses futiles. . Dans Les lépreuses<br />
1939 : 60. Montherlant traduit son indignation en<br />
« songeant avec désespoir que tout l’argent qu’il ferait sortir de son<br />
intelligence, de son art et de son effort s’écoulerait dans les intestins<br />
d’une femme. Peut-on à la fois être digne d’estime et être gourmand ?<br />
Ainsi des heures passées, ainsi s’anéantissait le bien inestimable du<br />
temps…Ce côté grue qu’ont en puissance toutes les femmes, même les<br />
meilleures…Manger, toujours manger, être vautrée dans le fauteuil<br />
des heures durant. »<br />
S’agissant de cette médiocrité féminine, Andrée Hacquebaut,<br />
intellectuelle s’insurge à son tour contre la médiocrité féminine dans<br />
sa lettre du 10 janvier 1928 parue dans Les lépreuses 1939 : 35.<br />
« Telle femme, telle jeune fille qui aime un homme, n’aime en lui au<br />
fond que les enfants qu’il lui donnera. Dans Les jeunes filles 1936 :<br />
35, elle s’en prend à la médiocrité en général et dégage ici les<br />
exigences que doit s’imposer toute femme qui épouse un artiste, un<br />
écrivain, bref un créateur d’esprit :<br />
« Sentez-vous ce qu’il y a de dramatique à être une femme seulement<br />
un tout petit peu supérieur ? C’est tout mon drame. Cela se paie le<br />
188
LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT<br />
bonheur de ne pas aimer les médiocres. Et aimer les médiocres se paie<br />
par la médiocrité du bonheur qu’on y goutte. Ah ! Comme j’aurai bien<br />
fait l’épouse d’un artiste ! Car pour être la femme d’un artiste, il faut<br />
aimer l’artiste encore beaucoup plus que l’homme, faire que le<br />
premier soit plus grand et le second soit heureux. Et puis entre soi se<br />
comprendre à demi mot. »<br />
Montherlant pense que l’écrivain doit prendre de la hauteur, de<br />
la distance afin d’éviter l’enlisement dans cette vie « Où les gens se<br />
donnent beaucoup de mal pour tuer leur vie d’heure en heure. Il doit<br />
aussi éviter ces journées perdues, abrutissantes, désâmantes. Il doit<br />
aussi mettre fin à ces journées dévorées par le verbiage, l’insignifiance<br />
et la stérilité. » Les Lépreuses 1939 : 61. André Gide a soutenu qu’il<br />
faut suivre la pente de sa vie, pourvu que ce soit en la remontant. Et<br />
qu’il faut savoir sacrifier certains désirs et certaines tentations à la loi<br />
profonde de l’être. Ainsi donc la misogynie de Montherlant apparaît<br />
aussi comme un tremplin pour la créativité.<br />
III.4 Misogynie comme tremplin de la créativité littéraire<br />
Montherlant à l’image d’autres écrivains soucieux de préserver<br />
le génie créateur n’hésite pas à paraître désagréable. Il en vient à<br />
sacrifier la vie conjugale et à vitupérer ces écrivains qui se réfugient<br />
derrière les mariages pour justifier leur médiocrité témoin ces<br />
déclarations d’un écrivain français parues dans Les Lépreuses 1939 :<br />
22 :<br />
« J’ai publié quatorze livres. Et bien ! Si j’étais célibataire ; je n’en<br />
aurais publié que sept. Autrement dit un livre sur deux pour le<br />
budget… Et bien ! C’est que j’ai trois enfants... Cependant, le grand<br />
romancier français est riche ».<br />
Très rigoureux, Montherlant n’admet rien qui puisse entraver<br />
la vie de l’artiste qui doit contribuer au progrès de l’humanité par des<br />
œuvres à dimensions universelles, et à valeur atemporelle. Il vitupère<br />
ainsi ces écrivains qui pour excuser leur médiocrité se réfugient<br />
derrière la famille « Tout ce qu’ils font de vil ou de médiocre, ils s’en<br />
excusent sur leur famille. On dirait qu’ils se sont mariés pour avoir ce<br />
prétexte » Ibid.22. Un sacrifice s’impose pour atteindre les sommets<br />
de la création. Montherlant dans Les Lépreuses 1939 : 26-27 précise :<br />
« Il y a deux catégories d’hommes : ceux qui dirigent et ceux qui sont<br />
dirigés. Les premiers sont les créateurs littéraires, artistiques,<br />
scientifiques, politiques. En somme les conquistadores : conquête de la<br />
pensée par l’écrivain, de la beauté par l’artiste, de la vérité par les<br />
savants et le philosophe, du pouvoir par le politique. Il faut aux<br />
conquistadores la quiétude de l’esprit que chasse le mariage. Que les<br />
189
ANALYSES<br />
autres hommes se marient, qu’ils aient des enfants pour compenser<br />
tout qui n’ajoute pas au patrimoine de l’humanité mais que les<br />
conquistadores ne prennent du couple et de la paternité que ce qui<br />
peut être utile à leur économie »<br />
Vigny a précédé Montherlant dans cet hymne au progrès de<br />
l’humanité à travers son poème : « L’Esprit Pur » où il exprime sa foi<br />
enthousiaste dans le progrès conçu comme le triomphe de l’esprit pur.<br />
Ce vrai Dieu d’après Vigny est le Dieu des idées l’esprit indépendant<br />
de la matière dont les interprètes terrestres sont les poètes et les<br />
philosophes. Pour adhérer à cette « misogynie positive », il faut faire<br />
preuve d’abnégation, de foi et d’endurance car la lutte entre l’esprit et<br />
la chair est sans merci. Dans Le démon du bien 1937 : 24-25, Costals<br />
le fait savoir à mademoiselle Dandillot :<br />
« La vie est mon épouse et les livres que je tire d’elle sont<br />
mes enfants. Dans un esprit identique, Barrès a dit de<br />
Napoléon : « Ses filles étaient ses victoires. Et plût au ciel<br />
que Napoléon n’ait eu d’autre famille que celle là… Je me<br />
repose dans ma création, c’est ma création qui est ma<br />
santé, c’est elle qui me délivre et me délasse »<br />
. Cette vie d’écrivain nécessite concentration et calme et seule<br />
l’option célibat peut permettre l’accomplissement d’une telle forme de<br />
vie. La misogynie de l’écrivain lui impose le célibat qui est vu par<br />
Montherlant dans Le Démon du bien 1937 : 72 plutôt comme source<br />
d’épanouissement et d’affirmation de soi et de fécondité intérieure, de<br />
vitalité, des tourments actifs. Il existe en fait deux types de<br />
célibataire :<br />
« Il y a cependant célibataire et célibataire et il est amusant<br />
d’entendre parler de la « solitude » de certains d’entre eux quand cette<br />
solitude est peuplée de créatures ravissantes comme jamais parfois le<br />
mariage ne pourra contenir. Il y a une façon d’être marié dans le<br />
célibat comme d’être célibataire dans le mariage. »ibid.72<br />
Ce célibat permet d’échapper aux obligations morales<br />
véritables entraves à toute concentration précédant toute création<br />
intellectuelle :<br />
« Si j’épousais Solange dès les premiers jours les obligations morales<br />
que me créeraient sa tendresse et son dévouement anéantiraient le<br />
plaisir que j’aurais de cette tendresse…Je serai obligé de compter<br />
avec elle or un artiste ne doit compter qu’avec son œuvre. Elle me<br />
serait une gêne et un affaiblissement de ma valeur. Je serai<br />
malheureux alors que dans la solitude je n’ai jamais été qu’heureux. »<br />
Ibid.60.<br />
190
LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT<br />
En prenant ses distances vis-à-vis de la femme, Montherlant<br />
trouve là un tremplin pour mieux affronter l’existence et lui donner un<br />
sens, une certaine valeur et échapper ainsi à cette comédie humaine<br />
que jouent les couples mariés, qui, fatigués de se supporter n’ayant<br />
plus rien à ce dire sont incapables de se défaire de la situation. Par<br />
conséquent, ils sombrent dans la médiocrité et la monotonie de<br />
l’existence. Costals le fait savoir à Solange Dandillot : Le démon du<br />
bien 1937 : 24-26 :<br />
« Les faibles de caractère et les simples d’esprit auront toujours à se<br />
louer du mariage. Songer encore à ceci ; ceux qui défendent le plus le<br />
mariage en paroles sont ceux qui en souffrent le plus. Ils feignent le<br />
grand bonheur, crainte d’être percés et plaints… Je n’ai que mépris<br />
pour le mariage conçu comme un acte de garantie entre pauvres gens<br />
incapables chacun de se mesurer seul avec « les difficultés de<br />
l’existence ».<br />
Taxé d’égoïste, Costals ne s’en défend pas moins et il trouve<br />
que la vie conjugale génère inévitablement la pitié pour l’épouse qu’il<br />
faut absolument satisfaire pour éviter les chagrins et les douleurs.<br />
Cette pitié est aussi un danger qui guette l’écrivain. Dans Les jeunes<br />
filles 1936 : 7. Costals écrit :<br />
« Vous ne savez pas ce que c’est que la pitié, c’est un sentiment qui<br />
suffirait à ruiner une vie… J’ai une discipline d’égoïsme très exacte, si<br />
je n’avais pas d’égoïsme, je n’aurai pas d’œuvre il a fallu choisir.<br />
III.5 La misogynie de Montherlant : une philosophie de la<br />
vie<br />
Le cycle des jeunes filles apparaît en définitive comme le lieu<br />
privilégié pour Costals de dégager la philosophie de sa vie car il<br />
voudrait par son attitude et à travers ses correspondances<br />
désillusionner les jeunes filles sur leur attitude et leur comportement<br />
qui faussent les données réelles du mariage et même du bonheur. La<br />
confusion sur ces notions est telle que par souci d’honnêteté il<br />
voudrait clarifier certaines choses afin que les jeunes filles ne<br />
transforment pas inconsciemment leur vie en enfer. Voici l’éclairage<br />
de Montherlant sur le bonheur : mot auquel hommes et femmes<br />
semblent s’accrocher désespérément. Dans Les jeunes filles 1936 :<br />
121-124, il écrit :<br />
« Il y a, d’Alain un livre intitulé : ‘’Propos sur le bonheur’’ mais à<br />
aucun endroit de ce livre il est question du bonheur. Cela est tout à fait<br />
significatif. La plupart des hommes n’ont pas de conception du<br />
bonheur… Et c’est ainsi que bonheur- satisfaction- de- la- vanité entre<br />
dans le bonheur qui s’obtient sans qu’on y pense : la femme se fait au<br />
contraire une idée positive du bonheur… Le bonheur est pour la<br />
191
ANALYSES<br />
femme un état nettement défini pourvu d’une personnalité et d’une<br />
particularité et d’une réalité substantielle.<br />
Dans Le démon du bien 1937 : 182, il conclut que : « Le<br />
bonheur est comme l’été, il n’irradie pas… Le bonheur écrit blanc.<br />
Cette misogynie de Montherlant conçue comme philosophie de<br />
la vie débouche sur une forme de stoïcisme à la Vigny qui consiste à<br />
ne jamais baisser les bras et affronter l’existence avec dignité et sans<br />
faillir :<br />
« Vous vous faites une idée bourgeoise du monde selon laquelle il est<br />
indispensable que les hommes aient des heures de « découragement.<br />
Croyez qu’il y a des hommes qui non seulement ne savent pas ce qu’est<br />
le « découragement », mais n’ont même aucun repère pour imaginer<br />
ce qu’il peut être. Moi, par exemple, je n’ai jamais le moindre besoin<br />
d’être étayé (sauf si je suis atteint dans mon corps, bien entendu), je<br />
me repose dans ma création ; c’est ma création qui est ma santé, c’est<br />
elle qui me délivre et me délasse » ibid.25.<br />
La création d’œuvres de l’esprit met Montherlant devant un<br />
dilemme, un cas de conscience dans la mesure où l’écrivain a le choix<br />
douloureux entre l’éducation de son enfant et la construction de<br />
l’œuvre littéraire. On n’en arrive à se demander si Montherlant ne<br />
devient pas odieux au point de sacrifier ce qu’il y a de plus précieux<br />
dans le monde ? Une vie humaine. Montherlant pourtant froidement se<br />
justifie dans Les lépreuses 1939 : 127-128 :<br />
« J’avais à construire un homme ou à construire une œuvre ; j’ai<br />
choisi l’œuvre ; Rousseau abandonne ses enfants pour pouvoir écrire<br />
un livre sur l’enfant. Les pères ordinaires, c’est gagner de l’argent…<br />
Ou la belote qui les vole à leurs enfants. Moi c’est mon oeuvre qui m’a<br />
volé à l’amour et à l’éducation de mon enfant, qui m’a fait trahir mon<br />
enfant, qui m’a fait le remettre à demain.<br />
Quant à l’antinomie de l’art et de l’amour, elle n’est sans doute un cas<br />
particulier d’une antinomie universelle. »<br />
Montherlant est convaincu qu’il faut trancher sans émotions<br />
afin de lever toute équivoque. Raison pour laquelle il apporte des<br />
précisions dans Les lépreuses 1939 :128<br />
« Si on veut faire les choses profondément on ne peut pas à la fois par<br />
exemple en ce qui me concerne créer, se cultiver, chasser l’aventure,<br />
chasser la gloire et aimer : il y a toujours une de ces activités qui est<br />
trahie. ».<br />
III.6 La misogynie comme gage d’honnêteté<br />
Une cohabitation véritable et souhaitée ne peut devenir un<br />
calvaire pour le couple. Costals une fois de plus fait ressortir son souci<br />
d’honnêteté en refusant la comédie humaine. Il le signifie dans Le<br />
démon du bien 1939 : 193 en notant dans son journal personnel :<br />
192
LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT<br />
« Je ne fais pas le procès de la vie en commun liaison ou<br />
mariage. Je fais le procès de la charité qui vous force à<br />
vous conduire avec un être comme si on l’aimait alors<br />
qu’on ne l’aime pas (du moins alors qu’on ne l’aime pas à<br />
fond.) Dans ce même journal il ajoute plus loin : « La vie à<br />
deux dit-on est une thérapeutique en vue de se protéger de<br />
l’autre : « Moi près de toi je reprendrai ma<br />
solitude » »ibid.192.<br />
Il conclut son journal en disant :<br />
« Moi je finis par prendre en horreur ces caresses mensonges qui<br />
déshonorent l’affection vraie, dont elles sont le simulacre comme la<br />
charité déshonore l’amour »ibid.198.<br />
Costals influencé à son tour par Tolstoï est conscient que la<br />
cohabitation avec Solange Dandillot sera un échec. Il annote toutes les<br />
conséquences qui pourraient en suivre et invite Solange tout comme<br />
les autres filles qu’il rencontre à lire La sonate à Kreutzer de Tolstoï<br />
afin d’éviter des errements. Faisant preuve de franchise et fidèle à ses<br />
principes, il reconnaît la mobilité de ses sentiments et ne voudrait pas<br />
faire souffrir inutilement mademoiselle Solange Dandillot et jouer par<br />
la suite la comédie comme les autres :<br />
« Je suis quelqu’un de mobile, j’aime les êtres, j’aime leur possession<br />
et je les ai dans le sang. Il est inévitable qu’à un moment je désire<br />
d’autres femmes que la mienne. Alors quoi? Les cachotteries, le<br />
mensonge quotidien, les misérables ruses avec ce qu’on aime et qui<br />
vous aime ? Jamais… Je sentirai qu’elle se donne toute à moi et je ne<br />
pourrai pas me donner tout à elle et je ne serai pas heureux alors que<br />
dans la solitude je n’ai jamais été qu’heureux »ibid.60-61.<br />
Il se rappelle aussi de cet adage :<br />
« En mariage, trompe qui peut. « Il n’est pas d’exemple d’un mariage<br />
où l’un des conjoints n’ait été plus ou moins trompé par l’autre. En<br />
cette matière le pire est possible et sans jamais sortir de la parfaite<br />
honorabilité » Ibid.96.<br />
Costals à l’image de Jean Valjean dans Les misérables connaît<br />
une véritable tempête sous un crâne. Il doit libérer sa conscience d’un<br />
poids à savoir refuser les fiançailles avec mademoiselle Dandillot pour<br />
ne pas s’enfermer dans une prison à vie que constitue la vie conjugale.<br />
« De surcroît il taxe l’acte sexuel de ridicule victoire de l’homme sur<br />
les femmes et exprime sa honte d’avoir pu être humilié par cela,<br />
d’avoir mis sa vanité et ses ébriétés dans ces sortes d’exploits. Il<br />
reconnaît ensuite que la simulation de la jouissance est une triste<br />
comédie de chaque nuit et qui dure des années. » ibid. 122.<br />
Dans sa lettre du 7 septembre 1927, Costals résume ici sa<br />
décision :<br />
193
CONCLUSION<br />
ANALYSES<br />
« Si je vous avais épousée, vous aurez longuement et beaucoup<br />
souffert. Dieu seul sait de quoi je suis capable quand je me sens<br />
enchaîné. Je suis quelqu’un qui rompt et prend du champ pour<br />
respirer. Je suis prêt à vous donner tout ce que vous souhaiterez de<br />
moi hors mis celle du mariage » Ibid133-134<br />
La misogynie loin d’être une panacée apportant des solutions à<br />
la vie de l’écrivain, n’en demeure pas moins un catalyseur pour<br />
l’écrivain condamné ici à « accoucher dans la douleur » les œuvres de<br />
l’esprit. Comme le souligne un critique avec les écrivains de la trempe<br />
de Montherlant ayant un mépris pour la femme, c’est l’opposition à la<br />
fondation d’une famille avec pour conséquence le dépeuplement de la<br />
surface terrestre. Il n’envisage nulle part supporter la responsabilité<br />
d’avoir des enfants encore moins de les élever. Par cette attitude<br />
Montherlant semble reprendre en échos peut-être pas dans le même<br />
contexte cette phrase d’André Gide « Famille je vous hais.<br />
Cependant toute création artistique n’est-elle pas source de<br />
sacrifice, de renonciation et de douleur ? Le mérite de Montherlant<br />
aura été de transformer la misogynie en une attitude positive dès lors<br />
qu’elle devient source de dénonciation des hypocrisies sociales et<br />
féminines et en même temps tremplin de création littéraire. Il se<br />
démarque ainsi des autres écrivains notamment Kafka et Tolstoï qui<br />
dans leur « soif de pureté » considèrent la femme et l’acte sexuel<br />
comme synonymes de saleté. Par cette attitude il s’éloigne de ce fait<br />
de Montherlant qui dans sa quête de création littéraire et de plaisir se<br />
rapproche parfois de la femme. Cet écrivain à travers Le Cycle des<br />
Jeunes filles aura su démontrer avec ténacité que le célibat n’est pas<br />
un drame social encore moins une calamité individuelle. Il est plutôt<br />
un levier indispensable à toute création littéraire dans la mesure où la<br />
solitude en est le garant.<br />
Montherlant remet ainsi en question les déclarations de Léon<br />
Pierre Quint dans ‘’André Gide : L’homme sa vie et son œuvre’’<br />
1952 : 341 déclare que :<br />
« Le célibat est un défi et presque inhumain. Rares sont ceux dans<br />
l’histoire de la pensée, qui l’ont tenu, qui ont trouvé dans leur œuvre<br />
ou dans l’action des sentiments total d’obligation que la plupart des<br />
hommes connaissent avant tout par l’engagement du mariage.<br />
Si dans la Bible, Jéhovah dans la Genèse dit: « Il n’est pas bon que<br />
l’homme soit seul », Pierre Sipriot 1990 : 371 reconnaît que :<br />
194
LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT<br />
« Montherlant est une sorte de célibataire d’honneur qui n’a pas été le<br />
premier homme qui n’épouse pas mais le premier qui n’épousant pas<br />
décrit comme personne avant lui les maladies du couple ».<br />
Ce célibat et cette misogynie ont permis à Montherlant de se<br />
découvrir et de faire éclore son génie qui gratifie aujourd’hui la<br />
société d’œuvres de grande envergure qui participent au patrimoine de<br />
l’humanité par la force d’introspection de l’auteur.<br />
Frédéric TCHOUANKAM<br />
Université de Dschang / Cameroun<br />
ntchouankam@yahoo.fr<br />
REFERENCES BIBLIOGRAPH<br />
Baudelaire, Charles (1961) : Les Fleurs du Mal, Paris, Garnier<br />
(Classiques Garnier)<br />
Bonnet, Gérard (1983) : Les Perversions sexuelles, Paris, Presse<br />
Universitaire Française<br />
Corraze, Jacques (1982) : L’homosexualité, Paris, Puf, Que sais-je ?<br />
Quint, Léon, Pierre (1952) : André Gide, Paris, Stock<br />
Sipriot, Pierre (1990) : Montherlant sans masque (Biographie), Paris,<br />
Laffont, Collection livre de poche n°4337<br />
Desmarquet, Daniel (2002) : Kafka et Les Jeunes Filles, Essai Paris,<br />
Pygmalion (Prix Médicis)<br />
Henry de Montherlant (1939) : Les lépreuses, Paris, Gallimard<br />
Collection Folio<br />
(1937) : Les démons du bien, Paris, Gallimard, livre de poche n°48<br />
(1936) : Les jeunes Filles, Paris, Gallimard, Collection folio<br />
(1927) : Pitié pour les femmes, Paris, Gallimard, Collection folio<br />
(1954) : Les Bestiaires, Paris, Gallimard, livre de poche (1930-1944) :<br />
Carnets, Essais<br />
(1972) : Théâtre, Paris, Gallimard, NRF, (Bibliothèque de la Pléiade)<br />
Tolstoï, Léon (1967) : La Sonate à Kreutzer suivi de la mort d’Ivan<br />
Ilitch, Paris, Gallimard, Livre de Poche N°366<br />
Nietzsche, Friedrich (1964) : La Généalogie de la morale, Paris,<br />
Gallimard, Collection Idées, (traduit de l’Allemand par Henri Albert)<br />
Blanchot, Maurice (1981) : De Kafka à Kafka, Paris, Gallimard,<br />
collection folio N°245<br />
Vigny, Alfred de (1971) : Les Destinées, Paris, Larousse (Nouveaux<br />
classiques Larousse)<br />
Moeller, Charles (1954) : Littéraire du XX e s et christianisme, Paris<br />
Casterman<br />
195