la ministre belge quitte la présidence du parti qu'elle a créé ... - Milquet
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JOËLLE<br />
MILQUET<br />
LA MINISTRE BELGE<br />
QUITTE LA PRÉSIDENCE<br />
DU PARTI QU’ELLE A CRÉÉ.<br />
MAIS ELLE N’ABANDONNE PAS<br />
SA LÉGENDAIRE ÉNERGIE<br />
Ce jeudi 1 er septembre, une autre vie commence pour<br />
Joëlle <strong>Milquet</strong>, figure marquante de <strong>la</strong> politique<br />
<strong>belge</strong>. Une femme qui a sauvé les chrétiens francophones<br />
en <strong>la</strong>nçant le Centre démocrate humaniste<br />
(cdH). Une femme qui, pendant douze ans, a marqué<br />
de son empreinte ce milieu où les hommes règnent en<br />
maîtres. Vice-Première <strong>ministre</strong>, <strong>ministre</strong> de l’Emploi<br />
et de l’Egalité des chances dans le gouvernement Leterme,<br />
œuvrant d’arrache-pied au sauvetage de <strong>la</strong> Belgique<br />
tout en préservant les acquis et droits des francophones,<br />
elle a quitté, ce 31 août, <strong>la</strong> <strong>présidence</strong> de<br />
son <strong>parti</strong> en transmettant le témoin à Benoît Lutgen.<br />
Elle continuera malgré tout à négocier (elle dit son espoir<br />
d’avoir enfin un gouvernement pour <strong>la</strong> rentrée<br />
parlementaire d’octobre). Pour Paris Match, celle<br />
qu’on a erronément surnommée « Madame Non »<br />
commente les images de sa vie et ouvre son cœur<br />
comme jamais. Un oui franc et massif à <strong>la</strong> vie. Exclusif.<br />
Fin août 2011. Devant<br />
le <strong>parti</strong> humaniste,<br />
« Madame Non » joue<br />
les déménageurs pour<br />
Paris Match.<br />
PHOTO MICHEL GRONEMBERGER<br />
A fond<br />
<strong>la</strong> caisse !
Joëlle dans les bras de<br />
son père, avec son<br />
frère, et en 1 e primaire,<br />
à St-André en 1967.<br />
LES ANNÉES DE L’INSOUCIANCE<br />
L’HOMME QU’ELLE A TANT AIMÉ<br />
Février 1961, un homme heureux tient une future vice-<br />
Première <strong>ministre</strong> dans ses bras. « Mon père était professeur<br />
de français dans le réseau officiel, ma mère enseignait<br />
dans le libre. Mes parents aimaient à se<br />
détendre <strong>du</strong> côté de <strong>la</strong> mer <strong>du</strong> Nord. Sur <strong>la</strong> photo où je<br />
joue dans le sable à St-Idesbald, j’ai 3ans. Quand je <strong>la</strong> regarde,<br />
j’ai <strong>la</strong> nostalgie de cet âge de l’insouciance. En<br />
même temps, je vois mes enfants. Comme moi, ils ont<br />
adoré construire des châteaux de sable sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge. Aujourd’hui<br />
encore, nous allons séjourner à St-Idesbald.<br />
Quelle continuité! Sur <strong>la</strong> photo où nous sommes à quatre,<br />
nous posons devant <strong>la</strong> vil<strong>la</strong> que mes parents avaient<br />
achetée près <strong>du</strong> bois à Loverval, là où ma maman vit<br />
toujours. On aperçoit aussi mon frère Jean-Marc. Il a<br />
trois ans de plus que moi. Je l’adore. Il est devenu<br />
contrôleur des contributions à Charleroi. Nous étions<br />
une famille très unie. Nous le sommes restés après <strong>la</strong><br />
mort soudaine de papa. Un cancer foudroyant, à 36 ans.<br />
Il est <strong>parti</strong> en trois mois. Je n’avais que 6 ans. Malgré ce<br />
drame, j’ai eu une enfance heureuse dans une famille très<br />
unie. Ma mère a toujours été là pour mon frère et moi.<br />
Ma grand-mère maternelle, une passionnée de littérature,<br />
me faisait lire et lire encore. Enfant, je connaissais<br />
toute <strong>la</strong> mythologie grecque sur le bout des doigts. Je<br />
pouvais réciter d’interminables poèmes. Cette grandmère<br />
était une intellectuelle pure qui ne savait pas<br />
cuire un poulet. Mais elle m’a ouvert l’esprit. Son mari,<br />
mon grand-père, était un pharmacien très “guindailleur”<br />
qui avait son office rue Neuve à Charleroi. Je me<br />
souviens qu’à <strong>la</strong> mort <strong>du</strong> général de Gaulle, ils avaient<br />
mis un drapeau français en berne, ce qui avait surpris.»
REGARDS VERS L’AVENIR<br />
UN AIR DE CAROLINE<br />
DE MONACO<br />
Deux clichés pris à quelques années d’intervalle<br />
mais un même regard. Droit, direct,<br />
confiant. Comme si l’adolescente, puis <strong>la</strong><br />
jeune femme, avait conscience d’un destin,<br />
d’une tâche à accomplir. « J’aime beaucoup<br />
<strong>la</strong> photo au polo rayé rouge et b<strong>la</strong>nc, avec<br />
mon petit sifflet. J’avais 17 ans. A ce moment-là,<br />
j’étais cheftaine lutin, comme une<br />
de mes filles l’est aujourd’hui. C’est vraiment<br />
<strong>la</strong> tête que j’avais en rétho. Je n’étais pas très<br />
conventionnelle et je ne mettais pas toujours<br />
l’uniforme. J’ai toujours beaucoup<br />
aimé m’occuper d’enfants. La deuxième<br />
photo a dû être prise en 1987. J’étais assistante<br />
parlementaire depuis peu. C’est à<br />
cette époque que je me suis découvert une<br />
véritable passion pour <strong>la</strong> gestion de l’Etat. »<br />
A 14 ans (petite photo<br />
à gauche), dans le<br />
tram pour aller à<br />
l’école, puis jeune<br />
femme, qui fait craquer<br />
les garçons tant<br />
elle ressemble à <strong>la</strong><br />
princesse Caroline<br />
de Monaco.
ELOGE DE LA FIDÉLITÉ<br />
SALUT, LES COPAINS<br />
« Les photos en noir et b<strong>la</strong>nc datent <strong>du</strong> début des années<br />
1980. J’étais très active à l’Université, notamment<br />
au sein <strong>du</strong> Cercle des étudiants en droit. J’ai plusieurs<br />
fois <strong>parti</strong>cipé à <strong>la</strong> “Revue”, le cliché où nous sommes<br />
entre copines en témoigne. On sortait d’un numéro de<br />
danseuses. Le thème, c’était Jésus-Christ et chaque<br />
prof était décrit sous les traits d’un personnage de<br />
cette époque. Je n’ai per<strong>du</strong> le contact avec aucune<br />
d’entre elles. Sauf Patricia (NDLR : <strong>la</strong> femme qui porte<br />
des lunettes) : elle nous a quittés trop tôt, mais je vois<br />
encore très souvent sa fille. Deux des femmes qui sont<br />
là étaient en vacances avec moi, cet été. En fait, je suis<br />
très fidèle en amitié. La photo où l’on voit également<br />
des garçons date de <strong>la</strong> même époque, et là encore,<br />
combien d’amis sont restés dans ma vie ! L’un d’entre<br />
eux, Michel Eggermont, celui qui est assis en bas à<br />
gauche, travaille dans le bureau d’à côté comme directeur<br />
adjoint de mon cabinet. En bas, à droite, le<br />
jeune homme agenouillé s’appe<strong>la</strong>it Stéphane Steinier<br />
(NDLR : devenu journaliste à <strong>la</strong> Nouvelle Gazette de<br />
Charleroi, il sera assassiné en 1988 par des personnes<br />
liées à <strong>la</strong> mafia des négriers de <strong>la</strong> construction). C’était<br />
un super copain ; ensemble, nous étions les rédacteurs<br />
en chef <strong>du</strong> journal <strong>du</strong> Cercle de droit. Ce<strong>la</strong> s’appe<strong>la</strong>it<br />
“Le Bègue” et j’y rédigeais notamment des critiques<br />
de films. Là où je suis déguisée en <strong>la</strong>vandière, <strong>la</strong> photo<br />
en couleur, c’est <strong>la</strong> marche de Saint-Hubert à Loverval.<br />
J’ai toujours adoré ce folklore. D’ailleurs, j’y retourne<br />
le 4 septembre. J’invite tout le monde à nous<br />
rejoindre, il y a une ambiance <strong>du</strong> tonnerre de Dieu. »<br />
Joëlle <strong>Milquet</strong> au début<br />
des années 1980,<br />
rarement solitaire,<br />
plus souvent avec ses<br />
amis étudiants.
Années 1990. Maman<br />
avec Raphaël. Joëlle <strong>Milquet</strong><br />
est mère de quatre<br />
enfants : Raphaël<br />
(19 ans), Laura (17 ans),<br />
Sacha (12 ans) et C<strong>la</strong>ra<br />
(9 ans). Son mari se<br />
prénomme Pierre.<br />
LE TEMPS DE L’ÉPANOUISSEMENT<br />
MAMAN FAIT DE LA POLITIQUE<br />
« Ce sont des photos de vacances prises à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge,<br />
aux Antilles et sur l’île de <strong>la</strong> Réunion. Elles datent <strong>du</strong><br />
début des années 1990. Je travail<strong>la</strong>is dans des cabinets<br />
ministériels. La photo en noir et b<strong>la</strong>nc date <strong>du</strong><br />
tout début de ma carrière politique, l’époque de ma<br />
première campagne électorale, en 1995. L’enfant qui<br />
pose avec moi est mon petit Raphaël. A ce momentlà,<br />
l’emploi était au centre de notre discours. J’étais<br />
secrétaire politique <strong>du</strong> PSC et, sans que je m’y<br />
sois vraiment destinée, j’al<strong>la</strong>is devenir sénatrice. »
44<br />
LE 14 OCTOBRE 1967<br />
A LAISSÉ UNE TRACE INDÉLÉBILE<br />
MICHEL BOUFFIOUX S’ENTRETIENT AVEC JOËLLE MILQUET<br />
Paris Match. Les vacances ont été<br />
bonnes ?<br />
Joëlle <strong>Milquet</strong>. Excellentes... Et plus<br />
encore, parce qu’elles étaient inespérées!<br />
J’étais persuadée qu’on al<strong>la</strong>it négocier les<br />
réformes institutionnelles pendant tout<br />
le mois d’août. Mais, finalement, le<br />
message royal nous a permis de <strong>parti</strong>r.<br />
Au-delà <strong>du</strong> p<strong>la</strong>isir de me retrouver avec<br />
ma famille et des amis, j’ai vécu une<br />
expérience magnifique en Corse, une<br />
semaine sur un bateau. Barrer. Sentir ce<br />
vent marin qui caresse les visages et libère<br />
les esprits. Nous avons navigué entre<br />
Ajaccio et Porto-Vecchio. Découvrant,<br />
émerveillés, une côte encore sauvage et<br />
grandiose sous un soleil étince<strong>la</strong>nt. Il y<br />
avait quatre voiliers, plusieurs familles,<br />
plein d’enfants et de jeunes. L’ambiance<br />
était chaleureuse. On se sentait coupés<br />
<strong>du</strong> monde. Le soir, on mouil<strong>la</strong>it dans des<br />
criques, le matin on plongeait dans l’eau<br />
bleue de <strong>la</strong> Méditerranée. On a même<br />
vu des dauphins le jour de l’anniversaire<br />
de ma petite dernière. Fabuleux.<br />
« La mort de mon père… Peut-être<br />
est-ce ce<strong>la</strong> qui m’a un peu en<strong>du</strong>rcie »<br />
Et vous voilà à nouveau autour d’une<br />
table de négociations pour parler<br />
« prioritairement » de BHV. Lassée ?<br />
Non, je suis très motivée. J’ai le<br />
sentiment de contribuer à une mission<br />
historique : sauver l’Etat. Tout le monde<br />
ne pèse pas <strong>la</strong> dangerosité de <strong>la</strong> crise<br />
institutionnelle, mais on en est là. Ces<br />
derniers mois, à plusieurs reprises, j’ai eu<br />
le sentiment que nous étions à deux<br />
doigts d’une hypothèque totale sur<br />
l’avenir <strong>du</strong> pays. Mais là, il y a un espace<br />
nouveau. Un moment tout à fait crucial.<br />
La N-VA s’est mise hors jeu, tandis que<br />
nos alter ego f<strong>la</strong>mands ont affirmé en<br />
juillet qu’ils travailleraient à <strong>la</strong><br />
stabilisation et à <strong>la</strong> pérennité d’une<br />
Belgique réformée. Une course contre<br />
<strong>la</strong> montre contre le séparatisme vient<br />
de débuter. Si on échoue, les <strong>parti</strong>s<br />
nationalistes seront renforcés et ce<strong>la</strong><br />
ouvrira <strong>la</strong> voie à de périlleuses élections<br />
ayant pour thème l’avenir <strong>du</strong> pays. Nous<br />
sommes condamnés à réussir! La<br />
pression est devenue trop forte, qu’elle<br />
soit citoyenne, économique ou politique.<br />
Autour de <strong>la</strong> table, il faudra le sens des<br />
responsabilités et <strong>du</strong> courage.<br />
PARIS MATCH DU 1 ER AU 7 SEPTEMBRE 2011<br />
Il y aurait tellement d’autres débats<br />
cruciaux à mener dans ce contexte de<br />
crise financière...<br />
C’est frustrant, mais il y a ce pas de<br />
porte. L’indispensable rég<strong>la</strong>ge des outils<br />
institutionnels qui nous permettront<br />
d’agir, de prendre des décisions<br />
politiques. Comme tellement d’autres, je<br />
piaffe. Je suis impatiente de sauter dans<br />
le vrai wagon. Le socio-économique,<br />
l’emploi, <strong>la</strong> justice, <strong>la</strong> sécurité, <strong>la</strong> santé...<br />
Autant d’enjeux essentiels qui doivent<br />
revenir au centre <strong>du</strong> débat politique.<br />
Etudiante, vous rêviez de travailler dans<br />
l’humanitaire. Là, vous allez passer des<br />
nuits à discuter de <strong>la</strong> réforme d’un petit<br />
arrondissement électoral <strong>belge</strong> alors<br />
que plus de dix millions de personnes<br />
crèvent de faim dans <strong>la</strong> Corne de<br />
l’Afrique... N’avez-vous pas le sentiment<br />
que votre énergie pourrait être plus<br />
utile ailleurs ?<br />
Parfois. Dans le métier politique,<br />
il arrive que l’on perde beaucoup de<br />
temps et d’énergie pour des<br />
questions qui auraient pu rester<br />
accessoires. C’est un peu ce qu’on est<br />
en train de vivre. En même temps, ce<br />
métier reste magique quand il est fait<br />
avec conviction et sincérité. Je ne<br />
désire pas m’en retirer à ce moment<br />
de l’histoire où l’on a besoin de<br />
l’engagement d’un maximum de<br />
personnes pour réaffirmer <strong>la</strong> primauté<br />
<strong>du</strong> politique sur l’économie... Ce<strong>la</strong> dit,<br />
je réfléchis beaucoup. Je suis en quête<br />
de sens. Je pense à des engagements<br />
ultérieurs. Dans l’humanitaire, dans<br />
l’antiracisme, dans le social. Je veux<br />
être solidaire des femmes qui sont<br />
violées au Congo, de ces enfants dont<br />
on ne s’occupe pas dans d’autres pays...<br />
J’ai toujours été une collective. Avant <strong>la</strong><br />
politique, j’ai été chef scout, j’ai milité<br />
pour Amnesty, j’ai fait <strong>du</strong> bénévo<strong>la</strong>t<br />
dans une école de devoirs, j’ai été très<br />
active au cercle de droit à l’UCL...<br />
Toute petite, je rêvais d’être médecin<br />
tropical. Ce qui me nourrit, c’est d’être<br />
utile au bien commun. La politique,<br />
c’est un moyen, pas un but en soi.<br />
Après avoir côtoyé, puis exercé le<br />
pouvoir pendant autant d’années,<br />
il resterait donc quelque chose de<br />
l’étudiante en droit éprise de justice,<br />
qui vendait des sandwichs pour<br />
suppléer au paiement de ses études<br />
universitaires ?<br />
Je me suis sans doute en<strong>du</strong>rcie,<br />
mais j’ai gardé une intacte capacité<br />
d’indignation. Un roman de Levy<br />
raconte l’histoire d’une petite fille de 7<br />
ans qui s’envoie une lettre à elle-même.<br />
Elle devra l’ouvrir quand elle aura 30<br />
ans. L’enfant y parle de sa vie, de ses<br />
rêves, de ses désirs. Je pourrais ouvrir<br />
une enveloppe comme celle-là. Je ne me<br />
suis pas trop éloignée de <strong>la</strong> petite fille<br />
qui rêvait de sauver des enfants juifs.<br />
Vous êtes trop jeune pour avoir connu <strong>la</strong><br />
guerre !<br />
Alors que j’étais encore très petite,<br />
mes grands-parents m’en ont beaucoup<br />
parlé. Du coup, je n’arrêtais pas de penser<br />
à ces enfants qui avaient été déportés<br />
avec leurs parents. Je m’inventais des<br />
histoires où je remontais le temps pour<br />
les sauver.<br />
« Sauver les enfants juifs », « sauver le<br />
pays », il y a quelque chose, là…<br />
Je n’ai pas fait d’analyse... En tous<br />
cas, j’ai conservé ce feu sacré, l’envie de<br />
<strong>parti</strong>ciper, de faire bouger le monde. Je<br />
dis souvent à mes enfants d’oser être<br />
idéalistes et audacieux. A cet égard,<br />
même dans mon <strong>parti</strong>, je me sens<br />
parfois plus jeune que certains jeunes!<br />
A 18 ans, quel était votre ambition ?<br />
Je vou<strong>la</strong>is aller en Afrique...<br />
Pour « sauver des vie » ?<br />
Oui... Mais étant une littéraire,<br />
j’envisageais mal des études de médecine<br />
à cause des maths, de <strong>la</strong> physique et de <strong>la</strong><br />
chimie. J’ai opté pour le droit, me disant<br />
que j’al<strong>la</strong>is devenir juge de <strong>la</strong> jeunesse.<br />
Finalement, après une expérience<br />
d’assistante parlementaire, je me suis<br />
passionnée pour <strong>la</strong> chose publique, <strong>la</strong><br />
gestion de l’Etat.<br />
Dans votre bio officielle<br />
(www.joellemilquet.be), vous expliquez<br />
être originaire d’une « famille unie et<br />
respectueuse des valeurs humanistes ».<br />
Ce<strong>la</strong> pourrait être aussi <strong>la</strong> définition<br />
d’un cdH idéal, le <strong>parti</strong> dont vous êtes <strong>la</strong><br />
« mère fondatrice ». Phénomène de<br />
transposition ?<br />
En tous cas, c’est le cdH que je<br />
lègue. Un mouvement où il n’y a pas de<br />
conflit de personnes. Où il y a une réelle<br />
amitié entre les dirigeants. Ce <strong>parti</strong> est<br />
construit sur <strong>la</strong> convivialité et le respect.<br />
Des valeurs que je défends aussi dans<br />
les négociations politiques. C’est <strong>la</strong> clé<br />
qui permettra d’aboutir sur le p<strong>la</strong>n<br />
institutionnel. Des décisions historiques<br />
ont pu être prises grâce au respect que<br />
se portaient des adversaires politiques.<br />
Sauf dans « La Petite Maison dans <strong>la</strong><br />
prairie » — mais ce<strong>la</strong> a un peu vieilli —,<br />
les familles idéales n’existent pas. Ces<br />
derniers temps, quand les médias ont<br />
évoqué le cdH, il a beaucoup été<br />
question <strong>du</strong> « meurtre de <strong>la</strong> mère »…<br />
Il y a des familles qui se portent<br />
mieux que d’autres. Je me sens très<br />
heureuse de vivre une succession qui a<br />
été choisie, préparée et qui se fait de<br />
manière harmonieuse avec un ami que<br />
j’apprécie et que je trouve compétent. Je<br />
vis tout ce<strong>la</strong> avec beaucoup de sérénité.<br />
Hum... Vous idéalisez un peu, là !<br />
Dans tous les <strong>parti</strong>s, vous avez<br />
toujours l’un ou l’autre frustré qui, sous<br />
couvert d’anonymat, dit l’une ou l’autre<br />
chose. J’ai connu ce<strong>la</strong> depuis que je suis<br />
arrivée là, à 38 ans, avec ma volonté de<br />
transformation. Quand vous faites les<br />
choses avec conviction, il y a toujours le<br />
risque d’être critiqué par des gens qui<br />
restent assis sur le banc. Les chiens<br />
aboient, <strong>la</strong> caravane passe.<br />
Selon un membre <strong>du</strong> bureau <strong>du</strong> cdH,<br />
lequel évoquait dans un quotidien une<br />
réunion animée au <strong>parti</strong> en avril dernier,<br />
vous auriez <strong>la</strong>ncé : « Je fais tout, je<br />
travaille jour et nuit, je suis tout le<br />
temps disponible, et vous m’attaquez ! »<br />
Sentiment d’ingratitude ?<br />
Je ne me souviens pas avoir dit ce<strong>la</strong>.<br />
Personne ne m’a attaqué au bureau<br />
politique. Que je travaille jour et nuit,<br />
que je bosse comme une ma<strong>la</strong>de, que<br />
j’ai pris sur moi, oui, sûrement. Il y a des<br />
critiques lâches parce qu’elles sont<br />
anonymes, ou qui blessent parce qu’elles<br />
sont fausses.<br />
Qui blessent ? A ce point ?<br />
Ce n’est pas le genre de chose qui<br />
va me faire détourner de mes objectifs<br />
mais oui, ce<strong>la</strong> me blesse profondément.<br />
Derrière <strong>la</strong> présidente, il y a tout de<br />
même une femme qui est fort dans<br />
l’affectif. Comme tout le monde, j’ai<br />
des défauts, mais on ne peut me<br />
reprocher aucune malhonnêteté,<br />
aucune déloyauté, aucune erreur<br />
politique, aucun désintérêt. La vie<br />
politique est parfois très <strong>du</strong>re.<br />
De vos réalisations sur le p<strong>la</strong>n politique,<br />
quelle est celle qui vous donne le plus<br />
grand sentiment de satisfaction ?<br />
En termes d’Etat, parce que je suis<br />
une femme d’Etat avant d’être une<br />
femme de <strong>parti</strong>, je dirais que je suis très<br />
fière d’avoir initié <strong>la</strong> stratégie politique<br />
qui a permis le refinancement de<br />
l’enseignement en 2001. Le cdH était<br />
dans l’opposition et je me suis battue en<br />
interne pour faire comprendre les<br />
avantages d’une opposition constructive.<br />
En soutenant les réformes institutionnelles<br />
depuis l’opposition, on a aussi<br />
obtenu <strong>la</strong> signature de <strong>la</strong> Conventioncadre<br />
pour <strong>la</strong> protection des minorités.<br />
Vous avez grandi à Loverval (Charleroi).<br />
C’était donc dans « une famille unie et<br />
respectueuse des valeurs humanistes »,<br />
mais quoi encore ?<br />
Mes parents étaient tous les deux<br />
enseignants. Ils se sont rencontrés en<br />
faisant les romanes à Louvain. Ils sont<br />
devenus professeurs de français. Mon<br />
père dans le réseau officiel, ma mère<br />
dans le libre. Ce<strong>la</strong> ne les éloignait en<br />
rien, car leurs écoles se trouvaient dans<br />
<strong>la</strong> même rue. Michel, mon père, était un<br />
grand humaniste, passionné par les<br />
philosophes et les poètes. Il vouait une<br />
admiration <strong>parti</strong>culière à Cervantes,<br />
l’auteur de «Don Quichotte». Il nous a<br />
quittés subitement. Très jeune. A 36 ans.<br />
Un cancer foudroyant. Ma mère a<br />
assumé. Nous avons été très entourés<br />
par les oncles, les tantes, les cousins.<br />
Dans notre famille, il n’y a jamais eu un<br />
seul conflit.<br />
Comme au cdH ! Même pas une petite<br />
dispute pour une bêtise ?<br />
Aucun nuage. J’ai «koté» avec mes<br />
cousines à Louvain. On est parrains,<br />
marraines de nos enfants respectifs. On<br />
part en vacances les uns avec les autres.<br />
Nos enfants sont comme des frères. Une<br />
famille comme ce<strong>la</strong>, c’est une force, une<br />
garantie d’équilibre. Grâce à cet<br />
environnement, j’ai pu rester moimême.<br />
Je ne suis pas <strong>du</strong> tout devenue<br />
mondaine. Je ne recherche que les<br />
choses simples. Le contact avec <strong>la</strong><br />
nature, surtout.<br />
La perte d’un père, à un âge si<br />
important dans le développement d’un<br />
enfant, ce<strong>la</strong> <strong>la</strong>isse inévitablement des<br />
traces. En quoi, cette perte a-t-elle<br />
influencé votre manière d’être ?<br />
Quand on est confronté à un tel<br />
drame, on mûrit plus vite... Peut-être<br />
n’ai-je pas perçu tout de suite toute <strong>la</strong><br />
dimension de ce qui se passait. A 6 ans,<br />
ce n’est pas évident de comprendre <strong>la</strong><br />
nature exacte de <strong>la</strong> mort. En tous cas, le<br />
14 octobre 1967 a <strong>la</strong>issé une trace<br />
indélébile. Je m’en souviens comme<br />
d’un film que j’aurais vu hier. Je venais<br />
d’entrer en première primaire. Je me<br />
souviens de tout. De l’enterrement.<br />
D’une sorte de poids qui s’est abattu<br />
sur moi.<br />
L’émergence d’un sentiment de<br />
responsabilité ?<br />
Oui, le sentiment de devoir épauler<br />
ma mère. Ne plus être un enfant qui est<br />
porté, prendre sa part et grandir un peu<br />
plus vite. J’ai pris conscience que je ne<br />
devais pas être <strong>la</strong> source de difficultés<br />
supplémentaires, il fal<strong>la</strong>it que je<br />
m’assume. Ce qui ne veut pas dire<br />
que ma mère ne s’est plus impliquée.<br />
Au contraire, elle a toujours été<br />
exceptionnelle.<br />
En vous rendant à l’école, vous<br />
éprouviez un déca<strong>la</strong>ge par rapport à vos<br />
camarades de c<strong>la</strong>sse ?<br />
Une différence. A <strong>la</strong> mort de papa<br />
s’ajoutait le fait que désormais nous<br />
n’étions plus que trois. Ma mère, mon<br />
frère et moi. Une petite famille<br />
nucléaire. On se sent moins protégé. J’ai<br />
lu un livre qui m’a fait beaucoup<br />
réfléchir parce qu’au fond, j’ai fait <strong>la</strong><br />
même chose que son auteure. Dans «Le<br />
Voile noir», Anny Duperey raconte<br />
qu’elle a per<strong>du</strong> ses parents quand elle<br />
avait 9 ans. Ils sont morts asphyxiés dans<br />
<strong>la</strong> douche alors qu’elle était présente<br />
dans leur appartement. Pour se protéger<br />
d’un événement qu’elle ne pouvait<br />
assimiler, elle a d’abord tout refoulé.<br />
Elle n’a plus jamais voulu en reparler<br />
pendant des années. C’est ce que j’ai fait<br />
également. Pendant longtemps, je n’ai<br />
pas été en mesure d’aborder <strong>la</strong> perte de<br />
mon père.<br />
Et puis ?<br />
Eh bien, on croit que tout est<br />
assumé, mais ce<strong>la</strong> rejaillit à des moments<br />
clés comme des anniversaires, des<br />
mariages, des naissances, des choix<br />
professionnels, des ennuis. Ce sentiment<br />
de n’avoir pas ce père protecteur, d’être<br />
seule et sans filet. Peut-être est-ce ce<strong>la</strong><br />
qui m’a un peu en<strong>du</strong>rcie, qui m’a donné<br />
un côté un peu...<br />
« Patrick », dirait André Lamy…<br />
Oui, je dirais un peu viril... Mais ce<strong>la</strong><br />
ne veux pas dire que je ne sois pas<br />
féminine!<br />
Joëlle <strong>Milquet</strong> au<br />
mariage de son frère :<br />
«Je l’adore. Sa femme<br />
et moi, nous sommes<br />
devenues très<br />
complices. »<br />
45
46<br />
SA CAPACITÉ D’INDIGNATION<br />
EST RESTÉE INTACTE<br />
16 décembre 1995.<br />
Gérard Deprez félicite<br />
Joëlle <strong>Milquet</strong><br />
pour son discours lors<br />
<strong>du</strong> 50 e anniversaire<br />
<strong>du</strong> PSC.<br />
Benoît Lutgen et<br />
Joëlle <strong>Milquet</strong> : « Je ne<br />
veux pas être une<br />
belle-mère pour lui ! »<br />
Paris Match. Après une sco<strong>la</strong>rité sans<br />
faute — le droit à l’UCL, une<br />
spécialisation à Amsterdam —, vous<br />
avez entamé, il y a vingt-cinq ans, un<br />
parcours professionnel fulgurant :<br />
grands cabinets d’avocats, assistante<br />
à l’UCL, assistante parlementaire,<br />
secrétaire politique <strong>du</strong> groupe PSC au<br />
Sénat, chef de cabinet adjoint d’un<br />
<strong>ministre</strong>, conseillère communale,<br />
secrétaire politique, puis viceprésidente<br />
et présidente <strong>du</strong> PSC et <strong>du</strong><br />
cdH, première échevine, <strong>ministre</strong> de<br />
l’Emploi et de l’Egalité des chances.<br />
Quel parcours !<br />
Joëlle <strong>Milquet</strong>.A <strong>la</strong> vérité, les titres<br />
ne m’intéressent pas. Je ne comptais pas<br />
faire une carrière dans <strong>la</strong> politique<br />
active.<br />
Allons, vous n’êtes pas fière de vous ?<br />
Ce n’est pas important, ce sont les<br />
projets qui m’intéressent.<br />
« J’ai encore très<br />
envie d’un enfant »<br />
Ce n’est tout de même pas un parcours<br />
commun !<br />
Ce<strong>la</strong> s’est enchaîné. Mon ambition<br />
n’a jamais été de me mettre en avant.<br />
Au départ de ma carrière, j’étais une<br />
technicienne, une femme de dossiers, je<br />
n’avais pas l’envie de me vendre sur des<br />
listes électorales. Mais Gérard Deprez<br />
m’a repéré et il a insisté pour que je<br />
devienne secrétaire politique <strong>du</strong> <strong>parti</strong>.<br />
J’ai accepté parce que c’était une<br />
fonction de l’ombre comme celles que<br />
j’avais accomplies dans les années<br />
précédentes, notamment comme<br />
assistante parlementaire. Et puis le<br />
président m’a demandé d’être sa<br />
première suppléante lors d’élections, et<br />
je suis devenue sénatrice sans en avoir<br />
eu le projet.<br />
PARIS MATCH DU 1 ER AU 7 SEPTEMBRE 2011<br />
Comme quoi, il y a des rencontres<br />
déterminantes dans <strong>la</strong> vie<br />
professionnelle.<br />
Oui, j’ai eu de <strong>la</strong> chance. Les choses<br />
ne se seraient pas passées comme ce<strong>la</strong><br />
sans Gérard Deprez.<br />
La chance, c’est un peu court !<br />
Il y a bien sûr ce que l’on vaut. Mais<br />
encore une fois, je n’ai jamais eu de p<strong>la</strong>n<br />
de carrière. Pas plus aujourd’hui<br />
qu’hier. Pendant toutes ces années de<br />
<strong>présidence</strong>, je n’ai jamais préparé<br />
l’après. Je suis dans l’action, dans le<br />
présent. Par exemple, mon poste de<br />
vice-Première au fédéral, je l’avais<br />
négocié pour André Antoine et,<br />
finalement le <strong>parti</strong> m’a demandé d’en<br />
prendre <strong>la</strong> charge...<br />
Magnifique parcours, mais très lisse.<br />
Pas une aspérité, pas de révolte. Une<br />
bonne élève, une bonne patronne, une<br />
bonne mère. Vous ne vous mettez pas<br />
un peu trop <strong>la</strong> pression ?<br />
Non. La révolte, elle est là. Ma<br />
capacité d’indignation est restée intacte.<br />
C’est elle qui m’a con<strong>du</strong>it vers une<br />
activité où l’on peut essayer de faire<br />
bouger les choses. Le parcours lisse<br />
aurait été de chercher un boulot où<br />
j’aurais très bien gagné ma vie, de<br />
m’occuper plus de ma famille et de<br />
moi-même. Point barre. Objectivement,<br />
<strong>la</strong> trajectoire professionnelle que j’ai<br />
choisie implique pas mal de sacrifices.<br />
C’est une vie <strong>du</strong>re. Journées très<br />
longues, exposition aux critiques, le<br />
sentiment que l’on a parfois de se<br />
trouver sur un siège éjectable. Je ne me<br />
p<strong>la</strong>ins pas. De toute manière, je me sens<br />
portée par mes convictions.<br />
Selon certains de vos col<strong>la</strong>borateurs,<br />
vous êtes excessivement exigeante. Le<br />
genre à demander un rapport sur ceci<br />
ou ce<strong>la</strong> le vendredi soir à 22 heures...<br />
La vie politique ne s’arrête jamais!<br />
Il peut y avoir une urgence à tout<br />
moment. Un fait de société, une<br />
déc<strong>la</strong>ration, un effondrement de <strong>la</strong><br />
Bourse, que sais-je? Quelque chose qui<br />
nécessite un commentaire, une prise de<br />
position, une décision... Oui, je suis très<br />
exigeante dans mon travail. Quand je fais<br />
une note, chaque phrase, chaque virgule<br />
est soupesée. Ce qui est paradoxal, c’est<br />
que, d’un autre côté, il y a <strong>du</strong> désordre<br />
dans ma voiture, j’oublie mes clés, j’arrive<br />
en retard... Terriblement cartésienne<br />
dans le boulot, assez <strong>la</strong>tine dans <strong>la</strong><br />
logistique, je résumerais.<br />
A l’occasion de votre récente sortie sur<br />
le « décret Robin des Bois », certains<br />
vous ont reproché d’être une « droguée<br />
des médias », de vouloir absolument<br />
« exister » au prix de déc<strong>la</strong>rations<br />
intempestives…<br />
Ce truc-là, ça m’a bien énervé. Moi,<br />
je ne suis pas le genre à téléphoner<br />
d’un conseil des <strong>ministre</strong>s pour<br />
critiquer un confrère. J’ai refusé<br />
beaucoup de demandes médiatiques<br />
dans ma carrière. Je ne me suis jamais<br />
déguisée comme d’aucuns! On ne voit<br />
jamais mon mari dans les journaux. Il<br />
ne supporte pas ce<strong>la</strong>. On tient tous les<br />
deux à préserver un jardin secret. Je ne<br />
donne pas de photo de moi en maillot<br />
sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge. Je suis toujours restée dans<br />
le cadre que m’impose ma fonction. En<br />
plus, avant cette polémique, il y avait un<br />
an qu’on me reprochait d’être très<br />
discrète! Mais je l’étais par souci de<br />
mener au mieux mon job de négociateur<br />
institutionnel. J’ai travaillé dans l’ombre,<br />
rencontré des tas de gens, pro<strong>du</strong>it des<br />
notes que l’on retrouve très <strong>la</strong>rgement<br />
dans les discussions en cours.<br />
Et donc, il y a eu « Robin des Bois »...<br />
Oui. Eh bien, l’école, c’est important<br />
pour moi. Ensuite, Marie-Dominique<br />
Simonet est une <strong>ministre</strong> de<br />
l’enseignement exceptionnelle, qui<br />
occupe un poste explosif sans être<br />
toujours soutenue par sa propre<br />
majorité. Quand j’ai dit qu’il fal<strong>la</strong>it<br />
revoir ce décret, c’était en parfaite<br />
synergie avec elle et André Antoine.<br />
C’était même à leur demande expresse.<br />
Après ce<strong>la</strong>, dire que je fais les choses<br />
sans concertation avec mes <strong>ministre</strong>s,<br />
pour faire parler de moi, ce n’est pas<br />
sérieux.<br />
Quel conseil donneriez-vous à votre<br />
successeur ?<br />
Aucun! Je ne veux pas être une<br />
belle-mère pour Benoît. Je serai là de<br />
manière confidentielle quand il en<br />
exprimera le besoin. Nous sommes très<br />
complices.<br />
Lutgen, Tobback, Wathelet, De Croo,<br />
Michel... Quand on lit les pages<br />
politiques des journaux <strong>belge</strong>s, c’est en<br />
même temps un bain de jouvence et une<br />
seconde jeunesse, vous ne trouvez pas?<br />
Ce n’est pas le père de Benoît qui<br />
l’a fait arriver là où il est. Il est revenu<br />
d’Angleterre à 31 ans pour exercer une<br />
fonction de base dans le <strong>parti</strong>. Ensuite,<br />
il a fait lui-même son chemin. Je suis de<br />
celles et de ceux qui ont repéré ses<br />
qualités. J’ai décidé de le <strong>la</strong>ncer. Je sais de<br />
qui je parle. Benoît, c’est tout sauf un fils<br />
à papa. Idem pour Melchior Wathelet: je<br />
suis allée le chercher. Il a beaucoup<br />
hésité, car son ambition première était de<br />
devenir avocat. A 33 ans, c’est un <strong>ministre</strong><br />
<strong>du</strong> Budget impeccable. Grandes capacités<br />
intellectuelles et tout-terrain. Certes, il a<br />
le nom et même le prénom de son père.<br />
Et alors?<br />
Vos enfants préparent-ils déjà leur<br />
joyeuse entrée ?<br />
Déjà, mes enfants ne s’appellent<br />
pas comme moi. Avec ce qu’ils ont vu<br />
des implications personnelles de <strong>la</strong> vie<br />
politique, je ne crois pas que je leur ai<br />
donné l’envie de se <strong>la</strong>ncer dans cette<br />
direction. Ils feront de toute manière ce<br />
qu’ils veulent, mais j’attends d’eux qu’ils<br />
s’engagent dans <strong>la</strong> vie collective, qu’ils<br />
se bougent pour des causes. Raphaël,<br />
19 ans, termine sa deuxième candi de<br />
droit. Laura a 17 ans et elle sort de rétho<br />
avec l’intention de faire le droit. Sacha<br />
a 12ans et il rentre en deuxième<br />
humanité. C<strong>la</strong>ra, quant à elle, rentre en<br />
quatrième primaire. Elle a déjà 9 ans.<br />
Hé<strong>la</strong>s...<br />
Ah, il en faudrait une petite ou un petit<br />
en plus ?<br />
J’en ai très envie. Cette fois, nous<br />
ferons famille d’accueil.<br />
Question rituelle : « Si c’était à refaire ? »<br />
Sans doute serait-ce <strong>la</strong> même chose.<br />
De temps à autre, j’imagine une vie où<br />
j’aurais passé le cap de mon désamour<br />
pour les maths, <strong>la</strong> chimie et <strong>la</strong> physique.<br />
Médecin, ce<strong>la</strong> aurait été un passionnant<br />
métier. Mais je suis heureuse. Il ne faut<br />
jamais regarder derrière.<br />
Une vie réussie, en somme ?<br />
Attention à l’autosatisfaction! Il y<br />
a plein des choses qui manquent.<br />
J’aimerais avoir le temps de m’investir<br />
de manière plus personnelle dans des<br />
actions plus concrètes. Je souhaiterais<br />
avoir plus de temps pour <strong>la</strong> réflexion.<br />
Pour un enrichissement spirituel et<br />
intellectuel. On est mangé par<br />
l’immédiateté alors que le sens de<br />
l’existence interpelle. La vie va si vite! ■<br />
« IL FAUT UN GOUVERNEMENT<br />
ÉCONOMIQUE MONDIAL »<br />
Paris Match. Au bénéfice d'une croissance<br />
raisonnable, le chômage a diminué depuis que vous<br />
êtes <strong>ministre</strong> de l'Emploi. Encore faut-il s'entendre<br />
sur ce qu'est un emploi ! Les temps <strong>parti</strong>els, titresservices<br />
et autres formules subsidiées ne<br />
rapportent pas gros aux travailleurs concernés…<br />
Joëlle <strong>Milquet</strong>. C'est une nécessité. Sans ce<strong>la</strong>,<br />
on serait à 20 % de chômage avec des jeunes sans<br />
espoir. On est en pleine crise économique et si, en<br />
Belgique, elle n'a pas encore eu de répercussions<br />
importantes en termes de licenciement, c'est parce<br />
que nous avons pris des tas de mesures anticrise<br />
pour limiter <strong>la</strong> casse (chômage économique<br />
augmenté, ré<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> temps de travail, etc.)<br />
100 000 emplois ont été sauvé de cette manière.<br />
Avec les mesures win-win, on a mis plus de 80 000<br />
personnes à l'emploi. C'est un tremplin formidable,<br />
notamment pour des jeunes sans qualifications. Les<br />
titres-services, ce sont des vrais contrats, indexés,<br />
qui sortent les personnes <strong>du</strong> travail au noir. Ce<strong>la</strong> dit,<br />
l'avenir est préoccupant, une crise de l'emploi<br />
s'annonce partout en Europe.<br />
Selon l'Institut pour le développement <strong>du</strong>rable,<br />
60 % de <strong>la</strong> croissance de l’emploi est liée en<br />
Belgique à des subsides importants de l'Etat... Or,<br />
on annonce des coupes budgétaires considérables.<br />
La politique actuelle reste soutenable dans <strong>la</strong> mesure<br />
où il faut tenir compte de l'effet retour des subsides. Par<br />
exemple, en sortant des personnes <strong>du</strong> travail au noir, les<br />
titres-services ont un effet retour de 50% au moins. Le<br />
win-win, ce sont des jeunes qui échappent au chômage<br />
et que l'on forme en même temps.<br />
50 % des sa<strong>la</strong>riés <strong>belge</strong>s gagnent moins de 1 740 €<br />
nets par mois. C'est suffisant ?<br />
On doit valoriser le travail, c'est fondamental.<br />
Je suis très sociale, mais je veux aussi que le sens de<br />
l'effort soit récompensé. Il y a des choses qui ne vont<br />
pas. Exemple parmi d'autres de piège à l'emploi : le<br />
chômeur qui gagne 1 200 euros comme chef de<br />
famille n'est pas taxé, le travailleur qui gagne à peine<br />
plus est taxé à <strong>parti</strong>r de <strong>la</strong> tranche de revenu de 500<br />
euros. Le différentiel entre celui qui travaille et celui<br />
Avec ses enfants :<br />
« Avec ce qu'ils ont vu<br />
des implications personnelles<br />
de <strong>la</strong> vie<br />
politique, je ne crois<br />
pas que je leur ai<br />
donné l'envie de se<br />
<strong>la</strong>ncer dans cette<br />
direction. »<br />
ne travaille pas est trop faible. Il faut augmenter <strong>la</strong><br />
quotité exonérée des revenus <strong>du</strong> travail, 6 000 euros<br />
actuellement, pour <strong>la</strong> porter à 9 000 euros, de sorte<br />
d’augmenter les sa<strong>la</strong>ires poches les plus bas. Dans<br />
cette tranche de revenus, ce<strong>la</strong> fait quelques<br />
250 euros net en plus par mois. Qu'il y ait de plus en<br />
plus de travailleurs pauvres est inacceptable.<br />
Des Didier Bellens et autres qui affichent des<br />
rémunérations de plusieurs millions d'euros par an,<br />
ce sont des gens qui auraient une idée géniale par<br />
heure ?<br />
Non, je ne crois pas. Ce type de rémunérations est<br />
tout à fait excessif. Les sa<strong>la</strong>ires <strong>du</strong> privé pour des<br />
fonctions de ce type sont tout à fait démesurés. Ce<br />
n'est pas normal que les Premiers <strong>ministre</strong>s passent leur<br />
temps à désigner des gens qui gagnent le quintuple<br />
d'eux alors qu'en tant que chefs de gouvernement, ils<br />
doivent faire face à des responsabilités bien plus<br />
importantes. Il y a une crise de <strong>la</strong> gouvernance dans le<br />
secteur privé.<br />
Où des gens surpayés ne brillent pas<br />
nécessairement par une grande lucidité, voire<br />
provoquent des dégâts sociaux considérables...<br />
C'est pourquoi il faut injecter une dose<br />
d'éthique dans l'économie et <strong>la</strong> finance. Un retour<br />
vers plus de régu<strong>la</strong>tion. Il faut une révolution<br />
internationale. On ne réalise pas à quel point ce qui<br />
arrive est dramatique. Nos démocraties n'en sont<br />
plus. Qui dirige ? Les Etats, avec leurs élus légitimes,<br />
sont devenus les objets d'agences de notation, des<br />
acteurs privés qui n'ont aucune légitimité. Quand ces<br />
agences condamnent des pays qui ont investi pour<br />
sauver des banques, je me demande où l'on va ! C'est<br />
n'est plus l'idée que l'économie domine le politique.<br />
C'est encore plus grave : des groupuscules sans<br />
légitimité dictent leur loi aux démocraties <strong>du</strong> monde<br />
entier. La restauration de <strong>la</strong> primauté <strong>du</strong> politique sur<br />
l'économie est le plus grand défi <strong>du</strong> XXI e siècle. Les<br />
structures socio-économiques actuelles ne sont plus<br />
<strong>du</strong> tout adaptées à des enjeux devenus p<strong>la</strong>nétaires. Il<br />
faut un gouvernement économique mondial, une<br />
sorte d'ONU socio-économique.<br />
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