Anesthésie Loco-Régionale en Pédiatrie

Anesthésie Loco-Régionale en Pédiatrie
COQUARD L. PEREYRON O. (IADE Lyon HFME-Pédiatrie)
Les techniques d’anesthésie loco-régionale (ALR) ont acquis depuis une vingtaine
d’années une place importante en anesthésie pédiatrique.
En effet, l’ALR procure une analgésie per et surtout post-opératoire de qualité. Elle permet
une diminution des besoins en agents anesthésiques en per-opératoire et en antalgiques
morphiniques et non morphiniques en post-opératoire.
L’association à une anesthésie générale ou à une légère sédation est recommandée. En
pratique, une anesthésie générale au Sévorane est réalisée avant l’anesthésie loco-régionale
et est maintenue durant tout le geste chirurgical.
Les techniques, posologies et concentrations doivent être adaptées aux particularités
physiologiques et pharmacologiques de l’enfant.
Apport de l’échographie
Depuis quelques années, l’échographie est devenue une technique de repérage et de
guidage pour la pratique de l’ALR. C’est une technique non invasive permettant la
visualisation directe des différentes structures (nerfs, vaisseaux, plèvre), du bon
positionnement de l’aiguille par rapport à ces différentes structures, et de la diffusion de
l’anesthésique local autour de la structure cible.
Spécificités pédiatriques de l’échographie
Plus l’enfant est petit, plus les structures sont superficielles et petites, plus grande est la
sensibilité des vaisseaux à la compression (veines +++), plus les aponévroses sont échogènes,
plus la disproportion entre sa taille et la taille des sondes est grande (utilisation de sondes
« hockey »).
De plus, l’ossification du squelette est incomplète à la naissance : le nouveau-né est
« transparent » aux ultra-sons (visualisation de la moelle).

Particularités physiologiques pédiatriques et implications pratiques
Particularités Implications pratiques
- Clairance des AL abaissée
- Augmentation de la forme libre (toxique)
des AL
- Faible adhérence des gaines et
aponévroses
- Myélinisation incomplète des fibres
nerveuses
Immaturité sympathique, RVS de base
abaissée, volémie des membres inférieurs
abaissée
(RVS :résistance vasculaire systémique)
Particularités techniques et implications pratiques
Posologie adaptée au poids et risque
d’accumulation en cas de réinjection
Réinjecter la moitié de la dose du bolus
initial
Meilleure diffusion des AL
Utiliser des AL faiblement concentrés
Maintien d’une grande stabilité
hémodynamique lors des blocs centraux
Remplissage et vasoconstricteurs inutiles
Particularités Implications pratiques
Distance peau/espace péri-nerveux ou
péridural fonction du poids
Ossification incomplète des vertèbres
Terminaison plus basse de la moelle jusqu’à
1 an
Formation secondaire des courbures du
rachis : lordose lombaire vers 8-9 mois
Acquisition tardive du schéma corporel et
conception difficile des paresthésies,
coopération difficile
Excellente diffusion AL, ALR sous AG
(absence de signes subjectifs)
Aiguille graduée, taille adaptée et
connaissance de la distance avant le geste
Risque de pénétration osseuse et d’injection
intra-osseuse (= intra-vasculaire)
Risque de lésion nerveuse
Même en lombaire
Modifications adaptées de l’orientation de
l’aiguille
ALR sous AG et faible concentration AL pour
absence de bloc moteur
Techniques de repérage :
franchissement ressaut avec aiguille à biseau
court ou Tuohy
neurostimulation : IMS à 0,8 mA
échographie…

Posologie des anesthésiques locaux
AL Doses
courantes
(mg/kg)
Doses
max sans
adré
(mg/kg)
Doses
max avec
adré
(mg/kg)
Latence
(mn)
Durée
d’action
(heure)
Lidocaine 5 7,5 10 5-15 0,75-2
Mépivacaine 5-7 8 10 5-15 1-1,25
Ropivacaine 2-3 3,5 3-7 2-4,5
Lévobupivacaine 2,5 2,5 3 15-30 2,5-6
Du fait de sa toxicité cardiaque, la Bupivacaine ne doit plus être utilisée.
Particularités pédiatriques :
La fraction libre (toxique) des AL est augmentée, ce qui majore la toxicité systémique.
L’absorption systémique est accrue.
La teneur en eau de l’organisme est importante, les volumes de distribution sont
augmentés : le pic de concentration plasmatique après injection unique est moindre
(dilution), ce qui réduit les risques toxiques et contrebalance l’augmentation de l’absorption
systémique.
La clairance des AL est réduite : risque d’accumulation en cas de réinjections, ne réinjecter
que la ½ dose du bolus initial.
La diffusion des AL est meilleure que chez l’adulte : utiliser des AL faiblement concentrés
(Ropivacaine 2mg/ml, Lévobupivacaine 2,5 mg/ml)

Blocs centraux
1- Anesthésie Caudale
La caudale est une anesthésie péridurale : c’est l’injection d’un anesthésique local
dans le canal sacré (prolongement du canal spinal) par le hiatus sacré.
Le hiatus sacré se trouve au sommet d’un triangle équilatéral à partir des épines
iliaques postéro-supérieures ; c’est une petite dépression triangulaire ayant comme
base supérieure les cornes sacrées.
La distance entre la peau et le canal sacré est courte et varie avec l’âge.
Elle est toujours associée à une anesthésie générale sous Sévorane.
Indications Chirurgie sous-ombilicale (viscérale et urologique) et
orthopédique (si bilatérale)
Contre-indications Troubles de la coagulation, infection locale ou systémique,
malformation majeure du sacrum, myéloméningocèle
Refus des parents et/ou de l’enfant
Matériel Aiguille caudale biseau court avec mandrin 22 à 25G,
aiguille Tuohy 22 à 25G
AL : Ropivacaine 2 mg/ml, Lévobupivacaine 2,5 mg/ml
Pas de remplissage ni vasoconstricteur (Pas de
retentissement hémodynamique avant 8 ans)
Position Décubitus latéral droit ou gauche, colonne vertébrale
parallèle à la table, flexion des hanches et genoux à 90°
maintenus par une aide : Attention maintien VAS
Ponction Aiguille entre les cornes sacrées à 45°, franchissement de
la membrane sacro-coccygienne (crissement),
réorientation de l’aiguille en direction céphalique pour
cathétérisme du canal de quelques millimètres
Injection Test d’aspiration, dose-test : Lidocaïne Adrénalinée à 1%
0,1 ml/kg (scope : tachycardie, arythmie, segment ST)
Injection lente et fractionnée, pas de résistance lors de
l’injection : toute résistance anormale doit faire stopper
l’injection
Posologie Pour niveau S1 : 0,5 ml/kg, pour niveau L1 (hernie
inguinale) : 0,75 ml/kg, pour niveau T10 : 1 ml/kg
Maximum : 20 ml
Adjuvants Clonidine = 1 à 2 µg/kg : allongement de la durée de
l’analgésie, contre-indiqué chez le prématuré (risque
d’apnées post-opératoires)
Complications Injection intra-vasculaire, brèche dure-mérienne (= rachi
étendue), ponction sous-périostée (= injection IV),
injection sous-cutanée
Effets indésirables en SSPI Persistance du bloc moteur : l’enfant ne sent plus ses
jambes (angoisse), ni son sexe (angoisse de castration)
Retard mictionnel

2- Anesthésie Péridurale
Indications Lombaire : chirurgie majeure abdomino-pelvienne,
orthopédique bilatérale ou multi-sites
Thoracique : chirurgie sus-ombilicale, thoracotomie
Contre-indications spécifiques Anomalie vertébrale (spina-bifida)
Matériel Aiguille Tuohy graduée de 20 G (< 15kg) à 18 G
Cathéter 24 G (aiguille 19 à 20 G), 20 G (aiguille 18 G)
AL : Ropivacaine , Lévobupivacaine
Pas de remplissage ni vasoconstricteur (pas de
retentissement hémodynamique avant 8 ans)
Position Décubitus latéral : Attention maintien VAS
Ponction Repères idem adulte
Jusqu’à 1 an, ligne qui joint les crêtes iliaques = L5-S1
Espace peau/espace péridural varie en fonction du poids :
environ 1 cm/10 kg
Recherche perte de résistance avec mandrin liquide (pas
plus de 1 ml pour les moins de 10 kg : risque dilution AL)
Injection Test d’aspiration, dose-test : Lidocaine Adrénalinée à 1%
0,1 ml/kg(scope : tachycardie, arythmie, segment ST)
Blocs du tronc
Posologie Per-op : 0,5 à 1 ml/kg
1- Bloc ilio-inguinal ilio-hypogastrique
Les nerfs ilio-inguinaux ilio-hypogastriques sont les branches terminales du plexus lombaires,
ils assurent l’innervation sensitive de la région inguinale.
Indications Chirurgie du canal inguinal : hernie, hydrocèle, kyste du
cordon, ectopie testiculaire (associé avec bloc pudendal)
Matériel Aiguille à biseau court 25 mm, Tuohy 24 ou 25G, 50 mm si
échographie
AL : Ropivacaine, Lévobupivacaine, Mépivacaine
Position Décubitus dorsal
Ponction Repères : ombilic et épine iliaque antéro-supérieure
Ponction au ¼ externe de la ligne joignant les 2 repères,
aiguille à 45° en direction du milieu du pli inguinal
Recherche d’un ressaut lors du franchissement du fascia
du muscle oblique externe
Echographie Visualisation : des 3 muscles obliques (interne, externe,
transverse), des nerfs et vaisseaux, injection dans le fascia
entre oblique interne et transverse
Posologie 0,3 à 0,5 ml/kg – 0,1 ml/kg sous échographie
Complications Injection intra-péritonéale, ponction d’un organe (colon)
Risque de diffusion au nerf fémoral (bloc fémoral)

2- Bloc para-ombilical
Les branches des dixièmes nerfs intercostaux cheminent dans la gaine des muscles grands
droits et innervent la région péri-ombilicale cutanée et péritonéale.
Indications Hernie ombilicale, sténose du pylore par voie ombilicale
Matériel Aiguille à biseau court 25mm ou 50 mm si échographie
AL : Ropivacaine, Lévobupivacaine, Mépivacaine
Position Décubitus dorsal
Ponction Repères : ombilic et bord externe des grands droits(ligne
blanche externe à l’aplomb du mamelon)
Ponction au milieu de la ligne joignant les 2 repères
Aiguille à 45°, recherche d’un ressaut au franchissement
du fascia des grands droits
Injection bilatérale
Posologie 0,3 à 0,5 ml/kg/côté
Complication Injection intra-péritonéale
3- Bloc pénien
Le pénis est innervé par la branche terminale du nerf pudendal (nerf dorsal du pénis).
Indications Chirurgie du pénis : phimosis, circoncision, hypospade
distal
Contre-indications Anesthésique local adrénaliné (proximité artère
terminale, risque de nécrose du gland)
Matériel Aiguille à biseau court, aiguille Tuohy 24 ou 25G, 25 mm
AL : Ropivacaine, Lévobupivacaine, Mépivacaine
Position Décubitus dorsal
Ponction Au ras des branches ilio-pubiennes, pénis tiré vers le bas
2 points de ponction à 0,5 – 1cm de part et d’autre de la
ligne médiane
Aiguille presque perpendiculaire au plan cutané, légère
inclinaison médiale et caudale, recherche ressaut au
franchissement du fascia
Injection bilatérale
Posologie 0,1 ml/kg/côté (maxi : 5ml/côté)
Adjuvant Clonidine possible
Complications Lésion vasculaire (lésion artère dorsale si ponction
médiane)
Injection intra-caverneuse (= injection IV)

4- Bloc pudendal
Le nerf pudendal innerve la région scrotale, la région périnéale et péri-anale.
Indications Hypospade distal, abord scrotal, chirurgie périnéale et
péri-anale de surface
Contre-indications Anesthésique local adrénaliné (proximité artère
terminale, risque de nécrose du gland)
Matériel Aiguille à biseau court, 25 G, 25 mm
AL : Ropivacaine, Lévobupivacaine, Mépivacaine 1%
Position Position « grenouille »
Ponction Repère : tubérosité ischiatique
Ponction en dedans de la tubérosité ischiatique en
direction de la face médiale de l’ischion, recherche d’un
ressaut au franchissement du fascia
Injection uni ou bilatérale selon indication
Posologie 1 à 2 ml
5- Bloc du plan abdominal transverse (TAP)
Les branches antérieures des nerfs spinaux de T7 à L1 (nerfs intercostaux, sub-costaux et
nerfs ilio-inguinal et ilio- hypogastrique) cheminent entre le muscle oblique interne et le
muscle transverse.
Indications Chirurgie de la paroi antérieure abdominale sousombilicale
Matériel Aiguille à biseau court 25 G, 25 mm ou Tuohy 24 ou 25 G,
50mm si échographie
AL : Ropivacaine, Lévobupivacaine, Mépivacaine
Position Décubitus dorsal
Ponction Repères : triangle de Petit (bord muscle oblique externe,
bord muscle grand dorsal, crête iliaque
Ponction juste au-dessus de la crête iliaque (sur ligne
axillaire médiane) en direction céphalique, franchissement
de 2 fascias : 2 ressauts)
Posologie 0,3 à 0,5 ml/kg
Echographie Sonde en travers de l’abdomen entre le gril costal et la
crête iliaque : visualisation des 3 muscles
Injection de l’AL entre l’oblique interne et le transverse
Complications Attention en cas d’hépatomégalie
Risque théorique de perforation péritonéale

6- Bloc para-vertébral
C’est l’injection d’anesthésique local dans l’espace situé latéralement au rachis, juste à
l’émergence des nerfs spinaux par le foramen intervertébral pour la diffusion aux espaces
sus et sous-jacents.
Indications Analgésie post-opératoire d’une chirurgie thoracique
unilatérale, d’une lombotomie (néphrectomie)
Contre-indications Troubles de coagulation
Matériel Aiguille Tuohy
AL : Ropivacaine, Lévobupivacaine
Position Décubitus latéral
Ponction Repère : apophyse épineuse
Ponction sur la ligne horizontale passant par l’extrémité
supérieure de l’apophyse, de 0,5 à 2 cm en dehors de la
ligne médiane
Recherche d’une perte de résistance avec mandrin liquide
Profondeur fonction du poids
Posologie 0,5 ml/kg
Complications Echec (montée cathéter difficile), pneumothorax, diffusion
péridurale
Blocs périphériques périnerveux
Les différents blocs périphériques pratiqués en pédiatrie sont les mêmes que chez l’adulte :
axillaire, infra-claviculaire, supra-claviculaire, infra-scalénique, fémoral, sciatique, digital
intrathécal, etc…
Spécificités pédiatriques :
Ces blocs sont réalisés sous anesthésie générale, avec neurostimulation. L’absence de
contact avec le patient ne permet pas d’obtenir des signes subjectifs en cas de ponction
intra-neurale.
Par sécurité, on recherche avant l’injection, une disparition de la réponse musculaire à la
stimulation pour une intensité minimale de 0,8 mA. Toute réponse pour une intensité
inférieure nécessite le recul de l’aiguille qui se trouve trop près du nerf.
La distance peau/espace péri-nerveux est fonction du poids de l’enfant, il faut adapter la
ponction et la taille de l’aiguille. L’échographie associée à la neurostimulation permet de
préciser le lieu d’injection et limite les risques de ponction intra-neurale.
Meilleure diffusion de l’AL : la stimulation unique (d’un seul nerf) est suffisante pour
l’injection ; l’AL va diffuser et bloquer aussi les nerfs voisins.

1- Bloc axillaire
Les branches terminales du plexus brachial sont dans la gaine, en rapport étroit avec l’artère
axillaire.
Indications Chirurgie de la main, du coude, de l’avant-bras
Matériel Aiguille à biseau court 25mm (50 mm pour enfants obèses)
Neurostimulateur, échographe
Position Décubitus dorsal, bras en abduction à 90°
Ponction Repères : bord inférieur du tendon du grand pectoral et
bord latéral du muscle coraco-brachial
Ponction strictement perpendiculaire au plan horizontal
Réponses recherchées Réponses distales : médian ou ulnaire ou radial
Monostimulation
Posologie < 20 kg : 0,5 ml/kg
20 à 40 kg : 0 ,4 ml/kg
> 40 kg : 0,3 ml/kg
2- Bloc digital intrathécal
C’est un bloc distal, le bloc des « doigts de porte», pour une anesthésie des nerfs
interdigitaux par diffusion.
Indications Chirurgie du doigt
Contre-indications Solution adrénalinée : risque de nécrose
Matériel Aiguille 25G AL : Ropivacaïne 0,2%
Position Main en pronation
Ponction Ponction perpendiculaire à la paume de la main jusqu’au
contact osseux (centre de la tête du métacarpien), puis
retirer légèrement
Pas de stimulation
Posologie 1 à 2 ml
Cathéters péri-nerveux
Les cathéters péri-nerveux permettent d’obtenir une analgésie post-opératoire optimale par
l’injection d’anesthésique local en continu ou en discontinu (bolus). La pose de cathéter est
indiquée lorsque la durée prévisible de douleurs importantes est supérieure à 12H ou
lorsqu’une mobilisation précoce du membre opéré est prévue.
La pose de cathéters ne nécessite pas de matériel spécifique pédiatrique ; ils doivent être
posés stérilement, comme une péridurale.
L’analgésie post-opératoire est entretenue en mode PCRA. Dès que possible, il faut
privilégier l’administration sous forme de bolus qui diminue de moitié la consommation
d’anesthésiques locaux par rapport au débit continu seul.