Les pronoms clitiques dans les langues romanes - Savoirs Textes ...
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Philip Miller : miller@univ-lille3.fr Paola Monachesi :Paola.Monachesi@let.uu.nl<br />
A paraître <strong>dans</strong> Godard, Danièle (éd.). 2003. <strong>Les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> : Problèmes de la phrase simple.<br />
Paris : Editions du CNRS.<br />
<strong>Les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong><br />
Philip Miller et Paola Monachesi<br />
U.M.R. 8528 « SILEX » du CNRS, Université Lille 3 et Uil-OTS, Université d'Utrecht<br />
1 Introduction *<br />
Dans la grande majorité des <strong>langues</strong>, on trouve certains éléments dont le statut est<br />
problématique parce que leur comportement est en apparence intermédiaire entre celui<br />
des mots indépendants et celui des affixes habituels. S'ils semblent jouir d'une plus<br />
grande autonomie que ces derniers, ils s'appuient phonologiquement à un hôte,<br />
contrairement aux mots, et forment avec lui un seul mot prosodique. De tels éléments<br />
ont souvent été appelés <strong>clitiques</strong> par <strong>les</strong> comparatistes du 19 e siècle et <strong>les</strong> structuralistes,<br />
qui distinguaient pro<strong>clitiques</strong> et en<strong>clitiques</strong> selon que le clitique s'attache<br />
prosodiquement au mot qui le suit ou qui le précède.<br />
L'intérêt pour <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> la tradition générative au sens large est lié à deux<br />
sources principa<strong>les</strong>, d'une part l'analyse des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> (traditionnellement<br />
nommés faib<strong>les</strong> ou conjoints) en français de Kayne (1975), livre basé sur sa thèse non<br />
publiée de 1969 et l'étude typologique générale des différentes sortes de <strong>clitiques</strong> de<br />
Zwicky (1977). Dans ce travail, Zwicky passe en revue l'ensemble des types d'éléments<br />
qui ont pu être appelés des <strong>clitiques</strong> et relève <strong>les</strong> problèmes qu'ils soulèvent pour la<br />
syntaxe, la morphologie, la phonologie et leurs interfaces. L'une des distinctions <strong>les</strong> plus<br />
importantes qu'il propose est celle entre <strong>clitiques</strong> simp<strong>les</strong> et spéciaux. <strong>Les</strong> <strong>clitiques</strong><br />
simp<strong>les</strong> résultent de ce qu'un mot, s'il est non accentué, peut être phonologiquement<br />
réduit et rattaché prosodiquement à un mot adjacent. Il s'ensuit qu'un clitique simple<br />
occupe la même position syntaxique superficielle que <strong>les</strong> morphèmes non réduits<br />
correspondants. <strong>Les</strong> <strong>clitiques</strong> spéciaux, par contre, sont des éléments prosodiquement<br />
dépendants d'un hôte et qui apparaissent comme variantes de formes libres autonomes,<br />
dont ils partagent le sens et qui peuvent avoir une phonologie similaire, mais dont la<br />
distribution syntaxique superficielle est différente. Dans le cadre de cette dichotomie,<br />
des éléments comme <strong>les</strong> artic<strong>les</strong> ou <strong>les</strong> prépositions monosyllabiques <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong><br />
* <strong>Les</strong> auteurs tiennent à remercier Anne Abeillé, Julie Auger, Sabrina Bendjaballah, Berthold Crysmann,<br />
Elisabeth Delais-Roussarie, Paul Hirschbühler, Marie Labelle, Bernard Laks, Marc Plénat et Marleen Van<br />
Peteghem pour l'aide qu'ils leur ont apportée <strong>dans</strong> la rédaction de ce chapitre. Nous remercions aussi<br />
Anne-Marie Berthonneau et Anne Zribi-Hertz qui ont relu une version préliminaire et qui nous ont fait de<br />
nombreuses remarques ainsi que Danièle Godard pour ses nombreux commentaires et son soutien<br />
indéfectible. Enfin, nous tenons à remercier tout particulièrement nos collègues natifs d'autres <strong>langues</strong><br />
<strong>romanes</strong>, Ileana Comorovski, Donka Farkaş, Josep Fontana, Rafael Marín, Alexandra Popescu, Liliane<br />
Santos, Lucia Tovena, Enric Vallduví et Marina Vigário, qui ont consacré beaucoup de temps à nous<br />
aider à éclairer des données souvent complexes. Cependant, ceux-ci ne peuvent en aucun cas être tenus<br />
responsab<strong>les</strong> des erreurs de fait ou d'interprétation qui subsistent.<br />
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omanes ont pu être classés comme des <strong>clitiques</strong> simp<strong>les</strong>, tandis que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong><br />
<strong>clitiques</strong> 1 se rangent parmi <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> spéciaux.<br />
En effet, il est bien connu que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> personnels <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> se<br />
répartissent en deux grands types 2 . D'une part, <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> et, d'autre part, ce<br />
que l'on appelle traditionnellement <strong>les</strong> formes fortes, toniques ou disjointes, qui ont le<br />
même type de comportement distributionnel que <strong>les</strong> SN habituels 3 .<br />
(1) F a. Pierre te le donnera.<br />
I b. Pietro te lo darà.<br />
(2) F a. Pierre lira un livre pour Marie / pour elle.<br />
F b. Pierre donnera le livre à Marie.<br />
I c. Pietro darà il libro a Maria.<br />
On voit notamment en (1) que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> apparaissent devant le verbe fini,<br />
contrairement à la forme forte elle en (2a) et aux SN et SP pleins en (2a,b,c). On<br />
constate également que le pronom datif te précède le pronom accusatif en (1) ; l'ordre<br />
inverse entre ces <strong>pronoms</strong> est agrammatical, alors que l'ordre accusatif – datif est un<br />
ordre possible pour <strong>les</strong> syntagmes pleins correspondants en (2). On peut donc en<br />
conclure que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> sont des <strong>clitiques</strong> spéciaux.<br />
Dans cette étude, nous adopterons l'hypothèse lexicaliste, selon laquelle <strong>les</strong> mots<br />
morphologiquement complexes sont construits <strong>dans</strong> le lexique par la morphologie et<br />
insérés tels quels <strong>dans</strong> <strong>les</strong> constructions syntaxiques (voir p. ex. Lapointe 1980,<br />
Anderson 1992). Une phrase est ainsi une séquence de mots syntaxiques à laquelle <strong>les</strong><br />
principes prosodiques postlexicaux font correspondre une séquence de mots<br />
prosodiques. Cependant la relation entre ces deux structures n'est pas biunivoque, <strong>les</strong><br />
règ<strong>les</strong> prosodiques pouvant rattacher un mot syntaxique à un autre pour former un seul<br />
mot prosodique (voir p. ex. Kaisse 1985, Nespor et Vogel 1986) 4 .<br />
1<br />
Nous adoptons la dénomination <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> ce chapitre, parce qu'elle est aujourd'hui la plus<br />
répandue. Comme on le verra ci-dessous, cependant, il n'est pas du tout clair que l'ensemble des éléments<br />
ainsi désignés <strong>dans</strong> l'étude des <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> doivent être analysés comme <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> sens<br />
techniques du terme que nous discutons <strong>dans</strong> cette section introductive. Lorsqu'aucune ambiguïté n'est<br />
possible, nous omettons <strong>pronoms</strong> et désignons simplement par <strong>clitiques</strong> <strong>les</strong> éléments en question.<br />
2<br />
Voir cependant Cardinaletti et Starke (1999) qui distinguent trois classes, <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong>, <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong><br />
faib<strong>les</strong> et <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> forts.<br />
3<br />
Autant que possible, nous donnons <strong>dans</strong> <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> des phrases correspondantes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> différentes<br />
<strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> illustrées, en commençant par le français, ce qui rend en général <strong>les</strong> traductions inuti<strong>les</strong>.<br />
Cependant, dès que cela n'est pas possible, nous fournissons une traduction française, et si nécessaire une<br />
glose morphème par morphème. Chaque exemple est précédé de l'initiale de la langue qu'il illustre :<br />
F(rançais), P(ortugais), E(spagnol), C(atalan), I(talien), R(oumain), FQ (français québecois). On<br />
désignera <strong>les</strong> versions anciennes, standard et parlées d'une langue en faisant précéder ou suivre l'initiale<br />
par A, S ou P respectivement : AF = ancien français, FS = français standard, FP = français parlé. Sauf<br />
remarque particulière, nous nous limitons à l'espagnol et au portugais européens, et c'est ainsi qu'il faut<br />
donc entendre E et P. Nous utilisons en outre <strong>les</strong> abréviations suivantes : prés = présent, subj = subjonctif,<br />
acc = accusatif, dat = datif, pl = pluriel, sg = singulier, m = masculin, f = féminin, Ph = Phrase (au sens de<br />
IP en grammaire générative, voir Haegeman 1991).<br />
4<br />
Différents types de rattachements ont été proposés <strong>dans</strong> la littérature, voir par exemple Peperkamp<br />
(1997), Delais-Roussarie (2000) pour des discussion récentes.<br />
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2
Dans ce cadre, <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> simp<strong>les</strong> trouvent une place tout à fait naturelle. Il s'agit<br />
de mots indépendants sur le plan syntaxique qui sont rattachés postlexicalement à un<br />
mot adjacent (l'hôte) pour former un seul mot prosodique avec lui. On peut donc <strong>les</strong><br />
appeler des <strong>clitiques</strong> postlexicaux. Nous suivons Kaisse (1985) et de nombreux autres<br />
en adoptant l'hypothèse selon laquelle <strong>les</strong> interactions phonologiques et<br />
morphophonologiques entre <strong>clitiques</strong> postlexicaux et hôtes sont différentes de cel<strong>les</strong><br />
qu'on constate entre affixes et bases. Notamment, nous posons que la structure<br />
morphologique interne d'un mot syntaxique, ainsi que l'identité des morphèmes qui le<br />
composent, ne sont pas accessib<strong>les</strong> aux règ<strong>les</strong> postlexica<strong>les</strong>, mais seulement la structure<br />
phonologique et prosodique. Lorsqu'on <strong>les</strong> adopte strictement, ces hypothèses sont<br />
confrontées à un certain nombre de contre-exemp<strong>les</strong> apparents bien connus et pour<br />
<strong>les</strong>quels différents types de solutions ont été proposées (voir p. ex. Inkelas et Zec 1990<br />
et notamment l'article de Hayes 1990 inclus <strong>dans</strong> cette collection). Tous <strong>les</strong> cadres<br />
théoriques reconnaissent d'une façon ou d'une autre l'existence d'une différence entre<br />
processus lexicaux et postlexicaux et c'est cette distinction qui sera cruciale et<br />
problématique <strong>dans</strong> la discussion des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>.<br />
Le cas des <strong>clitiques</strong> spéciaux est a priori plus complexe à traiter <strong>dans</strong> le cadre<br />
lexicaliste strict. Comme ils n'apparaissent pas <strong>dans</strong> la même position syntaxique que<br />
<strong>les</strong> syntagmes correspondants, l'analyse proposée pour <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> simp<strong>les</strong> semble a<br />
priori inapplicable. Anderson (1992), Halpern (1995) et Fontana (1993, 1996),<br />
développant l'étude de Klavans (1985), ont proposé que la position des <strong>clitiques</strong><br />
spéciaux pouvait s'expliquer par une combinaison de contraintes syntaxiques et<br />
prosodiques. La syntaxe détermine, d'une part, un type de constituant par rapport auquel<br />
le clitique est positionné (p. ex. Ph, SN) ; d'autre part, si le clitique se positionne par<br />
rapport à l'élément initial ou final du constituant en question ; et enfin s'il est positionné<br />
devant ou derrière cet élément. Par exemple, un clitique pourrait être positionné devant<br />
le premier élément de Ph (où Ph ne comprend pas le premier élément, constituant<br />
antéposé ou complémenteur, qui précède le verbe). Ensuite, des contraintes prosodiques<br />
déterminent l'item spécifique auquel s'attache le clitique selon qu'il est proclitique ou<br />
enclitique. Pour prolonger l'exemple, un tel clitique, qui serait prosodiquement<br />
enclitique, s'attacherait au constituant antéposé ou au complémenteur. En l'absence d'un<br />
tel hôte à gauche, deux types de solutions sont possib<strong>les</strong> selon <strong>les</strong> cas. Soit le clitique<br />
reste <strong>dans</strong> sa position normale et reçoit exceptionnellement un rattachement proclitique<br />
(cette analyse est essentiellement celle proposée par Fontana 1993, 1996 pour <strong>les</strong><br />
<strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> en ancien espagnol) ; soit une opération postlexicale appelée<br />
inversion prosodique permet au clitique de se rattacher comme enclitique au premier<br />
mot du domaine P, ce qui revient à dire que la contrainte prosodique sur le rattachement<br />
du clitique prime sur la contrainte syntaxique de position. Cette analyse est proposée par<br />
Halpern (1995) pour différentes <strong>langues</strong> et est très proche de celle de Hirschbühler et<br />
Labelle (2000, 2001b) pour <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> premiers stades de l'ancien<br />
français. Nous reviendrons sur ces questions en 2.1.6 ci-dessous et, comme nous le<br />
verrons, il est possible qu'une analyse de ce type soit encore partiellement applicable au<br />
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3
portugais et au roumain. Une des conséquences de ce type d'analyse est que l'hôte du<br />
clitique spécial peut être de catégorie syntaxique très variable.<br />
Cependant, pour la majorité des <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> modernes, et notamment le<br />
français, l'italien, le catalan et l'espagnol, une analyse différente des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong><br />
peut être avancée, selon laquelle il ne s'agit en réalité pas du tout de <strong>clitiques</strong> spéciaux<br />
attachés postlexicalement, mais d'affixes flexionnels qui sont lexicalement attachés à<br />
une base 5 . Plusieurs types d'arguments seront avancés <strong>dans</strong> ce sens ci-dessous,<br />
notamment le fait que, <strong>dans</strong> ces <strong>langues</strong>, leur positionnement n'est pas déterminé par<br />
rapport au premier mot d'un syntagme donné, mais bien par rapport au verbe, auquel ils<br />
sont toujours contigus. De plus, on constate des interactions phonologiques et<br />
morphologiques de type lexical entre <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> et celui-ci.<br />
Le but de l'esquisse théorique qui précède est de situer clairement la description qui<br />
va suivre et non de prendre une position polémique 6 . Si nous adoptons ce modèle<br />
comme cadre de travail, nous sommes néanmoins tout à fait conscients des problèmes<br />
qu'il peut soulever et nous essaierons de rester le plus près possible des données sans<br />
fuir cel<strong>les</strong> qui nous paraissent problématiques et qui sont justement, pour cette raison,<br />
crucia<strong>les</strong>. Nous tentons en effet, <strong>dans</strong> ce chapitre, de faire une synthèse de l'état actuel<br />
des connaissances sur la question en insistant sur le côté empirique plutôt que sur <strong>les</strong><br />
analyses. Il est évident que nous ne pourrons pas être complets, loin de là, mais nous<br />
espérons faire apparaître <strong>les</strong> problématiques et <strong>les</strong> résultats qui nous paraissent <strong>les</strong> plus<br />
pertinents. Nous essayerons de fournir une présentation détaillée des comportements<br />
particuliers des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> aux niveaux syntaxique, morphologique et<br />
phonologique, <strong>dans</strong> un certain nombre de <strong>langues</strong> et de dialectes romans.<br />
A cause de leurs nombreuses propriétés remarquab<strong>les</strong>, <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> ont fait<br />
l'objet d'un grand nombre de recherches en linguistique (voir p. ex. Benveniste 1965<br />
pour une synthèse des propriétés centra<strong>les</strong> pour le français). Au cours des trente<br />
dernières années ils ont été étudiés <strong>dans</strong> le cadre de la grammaire générative au sens<br />
large, notamment depuis la publication des importants travaux de Perlmutter (1970) et<br />
Kayne (1975), centrés sur l'espagnol et le français, qui <strong>les</strong> ont placés au centre des<br />
problèmes théoriques importants. <strong>Les</strong> travaux qui ont suivi se sont caractérisés d'une<br />
part par l'élargissement du nombre de <strong>langues</strong> et de dialectes étudiés, avec la prise en<br />
compte d'abord des <strong>langues</strong> nationa<strong>les</strong> reconnues et, ensuite, de nombreuses variétés<br />
5 Cette analyse a été soutenue entre autres par Miller (1992), Fontana (1993), Auger (1994), Monachesi<br />
(1999). Elle a été également proposée pour le roumain par Monachesi (1998, 2000) et pour le portugais<br />
par Crysmann (2000a,b), bien que pour ces deux dernières <strong>langues</strong> cela impose de recourir à des<br />
extensions de la théorie pour expliquer certains contre exemp<strong>les</strong> apparents, notamment <strong>les</strong> cas de non<br />
contiguïté au verbe. Cependant, vu l'impossibilité de maintenir une analyse stricte en termes de <strong>clitiques</strong><br />
postlexicaux, on peut penser que ces <strong>langues</strong> sont <strong>dans</strong> une phase de transition. Le même type<br />
d'hypothèse a également été proposé <strong>dans</strong> des cadres un peu différents par entre autres Rivas (1977),<br />
Jaeggli (1982) et Enrique-Arias (2000) pour l'espagnol, par Cummins et Roberge (1994) pour le français,<br />
et par Bonet (1991, 1995) pour le catalan.<br />
6 Pour un ensemble de points de vue récents et variés sur le problème des <strong>clitiques</strong> en général voir <strong>les</strong><br />
recueils de van Riemsdijk (1999), Gerlach et Grijzenhout (2000) et Muller (2001), ainsi que la thèse très<br />
utile de Gerlach (2002).<br />
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4
plus restreintes. D'autre part, par une analyse plus détaillée des phénomènes à l'oeuvre<br />
<strong>dans</strong> chacune de ces <strong>langues</strong>, que ce soit au niveau de la syntaxe ou au niveau de la<br />
phonologie et de la morphologie. Ces études ont fait apparaître que <strong>les</strong> comportements<br />
de détail des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> au travers des différentes <strong>langues</strong>, et même souvent au<br />
sein d'une même langue, sont loin d'être uniformes, même si certaines propriétés sont<br />
partagées. El<strong>les</strong> ont aussi fait apparaître une variété de propriétés au travers du champ<br />
de données qui couvre apparemment presque tous <strong>les</strong> cas imaginab<strong>les</strong> intermédiaires<br />
entre celui de mot plein habituel et celui d'affixe flexionnel normal. Vu leur position à<br />
l'interface entre syntaxe, morphologie et phonologie, et la complexité du champ des<br />
données, <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> constituent un terrain<br />
particulièrement pertinent pour mettre à l'épreuve toute théorie linguistique.<br />
2 Propriétés syntaxiques particulières des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong><br />
<strong>Les</strong> premiers travaux générativistes sur <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong>, comme Perlmutter (1970) et<br />
surtout Kayne (1975), se sont principalement penchés sur le statut syntaxique particulier<br />
de ces éléments. Leur statut problématique du point de vue de l'interaction entre<br />
syntaxe, morphologie et phonologie n'a pas été véritablement pris en compte avant la<br />
publication de Zwicky (1977). En partant du français, Kayne (1975) a mis en évidence<br />
une série de propriétés syntaxiques particulières des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> dont on a pu<br />
montrer par la suite qu'el<strong>les</strong> étaient typiques de la situation <strong>dans</strong> la plupart des <strong>langues</strong><br />
<strong>romanes</strong>, bien que l'on constate beaucoup de variation <strong>dans</strong> le détail. Nous allons <strong>les</strong><br />
passer en revue ci-dessous en mentionnant au fur et à mesure certains cas particuliers<br />
intéressants.<br />
2.1 Position des <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> la phrase<br />
2.1.1 Clitiques positionnés par rapport à un verbe fini<br />
La propriété la plus immédiatement distinctive des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong><br />
<strong>romanes</strong> est qu'ils n'apparaissent pas <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mêmes positions que <strong>les</strong> SN ou SP pleins<br />
correspondants. Il s'agit donc de ‘<strong>clitiques</strong> spéciaux’ au sens de Zwicky (1977). Ceci est<br />
particulièrement clair pour <strong>les</strong> cas où la phrase comporte un verbe fini. En effet, <strong>dans</strong> ce<br />
cas, <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> apparaissent en général devant ce verbe, alors que la position<br />
habituelle des syntagmes pleins correspondants est derrière 7 .<br />
(3) I a. Martina legge il libro.<br />
F b. Martine lit le livre.<br />
(4) I a. Martina lo legge.<br />
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5
F b. Martine le lit.<br />
(5) I a. *Martina legge lo.<br />
F b. *Martine lit le.<br />
<strong>Les</strong> données sont identiques de ce point de vue en français, en catalan, en espagnol, et<br />
en italien (sauf le cas exceptionnel de loro en italien, qui a été discuté en détail <strong>dans</strong><br />
Monachesi 1999 : 119-133, et sur lequel nous n'aurons pas la place de revenir <strong>dans</strong> ce<br />
chapitre). En roumain, <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> sont pro<strong>clitiques</strong> aux formes finies (6a), sauf pour<br />
certaines configurations avec le pronom féminin accusatif o. Dans <strong>les</strong> formes verba<strong>les</strong><br />
avec auxiliaire de temps, alors que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> en général sont sur l'auxiliaire (6b), cf.<br />
2.1.5, le clitique o est sur le V infinitif avec l'auxiliaire du conditionnel (6e), et sur le<br />
participe passé avec l'auxiliaire du passé (6c) ; o est cependant proclitique à l'auxiliaire<br />
du futur (6d), la règle générale étant que o ne peut apparaître comme proclitique à un<br />
auxiliaire commençant par un voyelle (cf. Lombard 1974 : 128-129).<br />
(6) R a. Marina îl/o citeşte. [*citeşte-l/o] ‘Marina le/la lit.’<br />
R b. Marina l-a citit. [*a citit-îl] ‘Marina l'a lu.’<br />
R c. Marina a citit-o. Marina a lu-la. [*o a citit] ‘Marina l'a lu.’<br />
R d. Marina o va citi. Marina la AUX.FUT lire. [*va citi-o] ‘Marina la lira.’<br />
R e. Marina ar citi-o. Marina AUX.COND lire-la. [*o ar citi] ‘Marina la lirait.’<br />
Le portugais, sur cette question, est exceptionnel <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>. En effet,<br />
<strong>dans</strong> cette langue l'enclise est la position par défaut (7a,b). Le choix entre enclise et<br />
proclise n'est pas lié au statut fini ou non fini du verbe, mais est déterminé par la<br />
présence d'une série d'éléments qui forcent la proclise lorsqu'ils apparaissent devant le<br />
verbe (cf. Barbosa 1996, Rouveret 1999, Crysmann 2000a). Plus précisément, il s'agit<br />
des complémenteurs, des expressions wh-, de la négation, de certains quantificateurs et<br />
de certains adverbes (7c,d,e). En l'absence de tels éléments en position préverbale, <strong>les</strong><br />
<strong>clitiques</strong> sont en<strong>clitiques</strong> (7a,f). <strong>Les</strong> propriétés communes à ces différents déclencheurs<br />
de proclise sont peu claires.<br />
(7) P a. A Marina lê-o. (La Marina lit-le) ‘Marina le lit.’<br />
P b. *A Marina o lê. (La Marina le lit)<br />
P c. A Marina não o lê. ‘Marina ne le lit pas.’<br />
P d. *A Marina não lê-o.<br />
P e. A Marina raramente o lê / *lê-o. ‘Marina le lit rarement.’<br />
P f. A Marina lê-o /* o lê raramente. ‘Marina lit-le rarement.’<br />
7 Le verbe fini dont il est question ici est soit le verbe plein, soit un verbe auxiliaire au sens d'Abeillé et<br />
Godard (ce volume). Lorsque le verbe fini est restructurant au sens d'Abeillé et Godard, <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong><br />
peuvent également apparaître sur le verbe complément non fini, voir 2.1.2 et 2.1.5.<br />
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6
Enfin, l'ordre des <strong>clitiques</strong> entre eux n'est pas le même que l'ordre entre <strong>les</strong><br />
syntagmes pleins correspondants. En effet, comme nous le verrons ci-dessous en 3.4,<br />
l'ordre des <strong>clitiques</strong> est fixe, contrairement à ce qui est le cas pour <strong>les</strong> syntagmes<br />
compléments (pour ceux-ci, des facteurs discursifs peuvent favoriser l'un ou l'autre<br />
ordre, mais l'ordre n'est pas syntaxiquement contraint).<br />
(8) F a. Martine donnera le livre à Jean /à Jean le livre.<br />
I b. Martina darà il libro a Gianni / a Gianni il libro.<br />
F c. Martine le lui /*lui le donnera.<br />
I d. Martina glielo /*logli darà.<br />
On notera en particulier que l'ordre entre <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> correspondants en français (8c) et<br />
en italien (8d) est inversé. De plus, en français, si l'on a un datif autre que lui, leur, on<br />
obtient l'ordre datif suivi de l'accusatif (9a), comme <strong>dans</strong> le cas italien correspondant<br />
(9b) et comme en (8d).<br />
(9) F a. Martine me le / *le me donnera.<br />
F b. Martina me lo / *lo me darà.<br />
On constate donc que des facteurs complexes régissent l'ordre des <strong>clitiques</strong> entre eux<br />
avec des variations entre <strong>les</strong> <strong>langues</strong> et au sein d'une même langue. Nous reviendrons en<br />
détail sur cette question en 3.4.<br />
2.1.2 Clitiques positionnés par rapport à un verbe non fini<br />
Dans <strong>les</strong> cas où un clitique se combine avec un verbe à l'infinitif ou au participe,<br />
l'italien, le catalan, l'espagnol et le roumain exigent l'enclise, comme cela apparaît en<br />
(10) (cf. aussi 6c, 6e ci-dessus). On remarquera que seul l'italien permet la cliticisation<br />
au participe passé comme en (10b), la forme correspondante n'étant possible <strong>dans</strong><br />
aucune des autres <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> étudiées (10e,i) (cf. p. ex. Fernández Soriano 1999 :<br />
1261 pour l'espagnol, Crysmann 2000a : 78 pour le portugais).<br />
(10) I a. Martina vuole leggerlo. (Martina veut lire-le) ‘Martina veut le lire.’<br />
b. Lettolo, fu facile decidere. (Lu-le, fut facile décider.) ‘Une fois qu'il fut lu,<br />
il fut facile de décider’<br />
c. Avendolo letto, fu facile decidere. (Ayant-le lu, ...) ‘L'ayant lu, ...’<br />
E d. Martina quiere leerlo.<br />
e. *Leídolo, fue fácil decidir.<br />
f. Habiéndolo leído, fue fácil decidir.<br />
C g. Martina vol llegir-lo.<br />
h. Martina vol vendre'l. (Martina veut vendre le.)<br />
i. *Llegit-lo, va ser fàcil decidir.<br />
j. Havent-lo llegit, va ser fàcil decidir.<br />
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7
P k. Tendo-o lido, foi fácil decidir.<br />
R l. văzîndu-mă ‘(en) me voyant’<br />
On remarquera que le standard orthographique rattache <strong>les</strong> en<strong>clitiques</strong> au verbe <strong>dans</strong><br />
toutes <strong>les</strong> <strong>langues</strong> (directement en italien et en espagnol, par un trait d'union ou une<br />
apostrophe selon <strong>les</strong> cas en catalan, par un trait d'union en roumain et en portugais). Ces<br />
conventions orthographiques reflètent le fait que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> ne sont pas, <strong>dans</strong> ces<br />
phrases, malgré <strong>les</strong> apparences superficiel<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> la même position qu'un syntagme<br />
plein correspondant. En effet, contrairement aux syntagmes, <strong>les</strong> en<strong>clitiques</strong> ne peuvent<br />
en aucun cas être séparés du verbe, et cela <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> (voir cidessous<br />
2.1.4).<br />
En français, par contre, on constate une proclise avec l'infinitif et le participe présent<br />
(le participe passé étant incompatible avec <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong>), comme avec <strong>les</strong><br />
verbes finis.<br />
(11) F a. Martine veut le lire. (vs. *lire-le)<br />
b. En l'ayant lu / En le lisant, il fut facile de décider. (vs. *ayant-le lu / *lisantle,<br />
...)<br />
c. *Lu-le / *Le lu, il fut facile de décider.<br />
En portugais, <strong>les</strong> facteurs régissant le choix entre proclise et enclise fonctionnent<br />
exactement comme <strong>dans</strong> <strong>les</strong> phrases finies. Cette langue romane est ainsi la seule à<br />
avoir un choix entre position enclitique et proclitique qui ne soit pas régi par <strong>les</strong> seu<strong>les</strong><br />
propriétés flexionnel<strong>les</strong> du verbe (cf. Rouveret 1999, Crysmann 2000a,b, Duarte et<br />
Matos 2000). Ceci conduit à obtenir des exemp<strong>les</strong> de pro<strong>clitiques</strong> sur <strong>les</strong> infinitifs si<br />
ceux-ci sont précédés d'un déclencheur de proclise au sein même de l'infinitive comme<br />
en (12a), qui contraste avec (12b) 8 .<br />
(12) P a. Marina lamentava não o conhecer.<br />
‘Marina regrettait de ne pas le connaître’<br />
b. Marina lamentava conhecê-lo. ‘Marina regrettait de le connaître.’<br />
2.1.3 Clitiques positionnés par rapport à un verbe à l'impératif<br />
En français standard, <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> apparaissent comme en<strong>clitiques</strong> avec <strong>les</strong><br />
impératifs positifs, mais comme pro<strong>clitiques</strong> avec <strong>les</strong> impératifs négatifs (13a,b). En<br />
français parlé, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> impératives négatives sans ne, on trouve une alternance selon <strong>les</strong><br />
dialectes entre une conservation de la proclise (13c) et une variante innovante où<br />
l'enclise se généralise à tous <strong>les</strong> emplois de l'impératif (13d) (voir Hirschbühler et<br />
Labelle 2001a pour une étude détaillée).<br />
8 La situation est identique avec <strong>les</strong> infinitifs conjugués du portugais. Voir Crysmann (2000a : 83) sur <strong>les</strong><br />
exigences de localité sur le déclencheur de proclise (qui n'a pas d'effet s'il est <strong>dans</strong> la principale).<br />
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8
(13) F a. Lis-le !<br />
F b. Ne le lis pas !<br />
FP c. Le lis pas !<br />
FP d. Lis-le pas !<br />
En espagnol (Fernández Soriano 1999 : 1261), en catalan (Wheeler et al. 1999 : §12.2.2,<br />
§16.5.11) et en portugais la situation est assez similaire à celle du français standard,<br />
mais pour ces <strong>langues</strong>, il faut tenir compte du fait que <strong>les</strong> formes spécifiques de<br />
l'impératif (qui existent uniquement pour 2sg et 2pl) ne sont possib<strong>les</strong> que <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
impératives positives. Dans <strong>les</strong> ordres négatifs on trouve le subjonctif (sans élément<br />
introducteur du type que). Malgré la variété des formes, un principe unique gouverne la<br />
position des <strong>clitiques</strong>, à savoir qu'ils sont en<strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> impératives positives<br />
(14a,c,e) et pro<strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> imperatives négatives (14b,d,f) 9 . <strong>Les</strong> mêmes principes<br />
de positionnement s'appliquent en roumain (14g,h) 10 .<br />
(14) E a. Léelo ! (imp) E b. No lo leas ! (subj)<br />
C c. Llegeix-lo ! (imp) C d. No el llegeixis ! (subj)<br />
P e. Lê-o ! (imp) P f. Não o leias ! (subj)<br />
R g. Citiţi-l ! (imp) R h. Nu-l citiţi ! (imp)<br />
En italien (Cordin et Calabrese 1988 : 552 ; Vogel et Napoli 1995), on trouve<br />
des formes impératives spécifiques à la 2sg, à la 1pl et à la 2pl. Ces formes sont<br />
compatib<strong>les</strong> avec la négation, sauf la 2sg qui est remplacée par l'infinitif en présence de<br />
la négation, comme en roumain. Par ailleurs, <strong>les</strong> formes du subjonctif sont possib<strong>les</strong> à<br />
toutes <strong>les</strong> personnes avec une valeur exhortative, mais el<strong>les</strong> relèvent d'un registre plus<br />
formel. Pour ce qui est du placement des <strong>clitiques</strong>, la situation est plus complexe que<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> autres <strong>langues</strong>. Avec <strong>les</strong> formes spécifiques de l'impératif, en l'absence de<br />
négation, seule l'enclise est possible (15a,d). Par contre avec la négation, la proclise et<br />
9 Notons qu'en espagnol et en catalan, avec <strong>les</strong> emplois habituels du subjonctif (précédés de que), <strong>les</strong><br />
<strong>clitiques</strong> précèdent le verbe, que la négation soit présente ou non. On contrastera ainsi C Llegim-lo !<br />
‘Lisons-le !’ avec És possible que el llegim ‘Il est possible que nous le lisions’, et on notera que lorsqu'on<br />
emploie un subjonctif avec que <strong>dans</strong> une principale pour exprimer un ordre, on obtient également la<br />
proclise : C Que el llegeixi ! ‘Qu'il le lise !’.<br />
10 Il s'agit en (14g,h) de la 2pl, car pour 2sg (Citeşte-l !) c'est l'infinitif qui est utilisé avec la négation (Nul<br />
citi !). A la 2pl, la forme de l'impératif est identique à celle du subjonctif présent. Or, il est possible, en<br />
roumain, d'exprimer un ordre au subjonctif, sans proposition rectrice et sans la particule să (plus ou moins<br />
similaire à ‘que’). Dans ce cas on a des en<strong>clitiques</strong> : Bată-l Dumnezeu ! ‘Que Dieu le punisse !’ (cf.<br />
Lombard 1974 : 130, qui dit que de tels subjonctifs sont limités à des expressions figées exprimant une<br />
imprécation ou un souhait) ; avec să, <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> sont pro<strong>clitiques</strong> : Să-l bată ! (cette dernière forme<br />
étant d'un usage courant). Le fait que <strong>dans</strong> des exemp<strong>les</strong> comme (14g) on n'a aucun figement suggère qu'il<br />
s'agit bien d'un emploi impératif et non d'un subjonctif. Enfin, Lombard (1974 : 131) mentionne que, <strong>dans</strong><br />
une coordination d'impératifs, on peut avoir proclise devant le second coordonné, comme en français<br />
classique (Haase 1930 : 417, p. ex. Faites-en faire des informations, et me <strong>les</strong> envoyez le plus tôt que<br />
vous pourrez).<br />
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9
l'enclise sont toutes deux possib<strong>les</strong> (15b,c,e,f). Enfin, avec <strong>les</strong> formes du subjonctif<br />
(15g,h,i), la proclise toujours est obligatoire, même avec la négation.<br />
(15) I a. Leggi-lo ! I b. Non lo leggere ! I c. Non leggerlo !<br />
I d. Leggete-lo ! I e. Non lo leggete ! I f. Non leggetelo !<br />
I g. Lo legga ! I h. Non lo legga ! I i. *Non leggalo !<br />
On notera que <strong>les</strong> mêmes types de contraintes rigides sur l'ordre entre <strong>clitiques</strong>,<br />
constatées <strong>dans</strong> le cas de la proclise pour <strong>les</strong> formes finies, se retrouvent également <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> cas d'enclise sur <strong>les</strong> formes non finies et <strong>les</strong> impératifs, bien que l'ordre entre <strong>les</strong><br />
<strong>clitiques</strong> ne soit pas toujours le même en enclise et en proclise. <strong>Les</strong> impératifs<br />
correspondant à (9a,b) sont donnés en (16). On constate que l'ordre est préservé en<br />
italien, mais inversé en français standard (cf. 3.4 pour plus de détails).<br />
(16) I a. Dammelo !<br />
F b. Donne-le-moi !<br />
2.1.4 Contiguïté des <strong>clitiques</strong> avec le verbe<br />
Outre leur position linéaire particulière, <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong><br />
modernes doivent être contigus au verbe, sauf <strong>dans</strong> quelques cas particuliers très limités.<br />
Cette contrainte est catégoriquement respectée <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> en ce<br />
qui concerne <strong>les</strong> en<strong>clitiques</strong> 11 .<br />
(17) I a. *Leggi-bene-lo ! a'. *Voglio leggere-bene-lo.<br />
E b. *Lée-bien-lo ! b'. *Quiero leer-bien-lo.<br />
P c. *Lê-bem-o ! c'. *Quero lê/ler-bem-lo.<br />
R d. *Citeşte-bine-o ! d. *Marina ar citi-bine-o.<br />
En ce qui concerne <strong>les</strong> pro<strong>clitiques</strong>, <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> en (18) illustrent le cas général.<br />
(18) F a. *Martine le souvent lit.<br />
I b. *Martina lo non legge.<br />
E c. *Martina lo no lee.<br />
L'exemple français (18a) peut paraître peu convaincant parce qu'il est en général<br />
anormal de placer un adverbe devant un verbe fini, et que l'inversion de l'adverbe et du<br />
11 L'infinitif ler se réduit à lê devant un clitique accusatif (cf. 3.2 ci-dessous), mais le choix de lê ou ler<br />
devant bem en (17c') ne change rien à l'agrammaticalité de la phrase. En (17c,c'), la forme choisie pour le<br />
pronom clitique est celle attendue après le verbe dont il est séparé par bem (cf. lê-o ; lê-lo). Cependant,<br />
après une forme verbale qui se termine par [m], le clitique 3m.sg.acc est réalisé -no (cf. ci-dessous 3.2) et<br />
on pourrait se demander si le problème posé par <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> ne vient pas du choix de -o et -lo derrière<br />
un mot se terminant par [m]. Mais ceci n'est pas la bonne explication, vu que le remplacement par -no<br />
n'améliore en rien l'acceptabilité des exemp<strong>les</strong> : *Lê/ler-bem-no !<br />
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10
pronom clitique ne conduit pas à une phrase tout à fait acceptable (?Martine souvent le<br />
lit). Cependant, la phrase où le clitique est séparé du verbe est d'un degré<br />
d'inacceptabilité beaucoup plus extrême que la variante où l'adverbe apparaît devant le<br />
pronom clitique, au point même de sembler totalement ininterprétable. Par ailleurs, en<br />
français, où <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> sont pro<strong>clitiques</strong> aux infinitifs, on peut montrer bien plus<br />
clairement la distinction. En effet <strong>les</strong> infinitifs peuvent être précédés par des adverbes 12 .<br />
(19) F a. Je veux bien le regarder. a'. *Je veux le bien regarder.<br />
Cependant, alors que <strong>les</strong> en<strong>clitiques</strong> ne peuvent en aucun cas être séparés du verbe,<br />
la situation est un peu plus complexe pour <strong>les</strong> pro<strong>clitiques</strong>. En effet, le portugais et le<br />
roumain permettent quelques cas (classiquement appelés ‘interpolations’) où <strong>les</strong><br />
<strong>clitiques</strong> peuvent être séparés du verbe par un nombre limité d'éléments, typiquement<br />
des adverbes ‘légers’. En portugais, il s'agit principalement de la négation não 13 .<br />
L'exemple (20a) est emprunté à Barbosa (1996 : 7). Notons cependant que l'ordre<br />
inverse (20b) est le seul naturel <strong>dans</strong> la langue ordinaire. Quant au roumain, il s'agit d'un<br />
nombre limité d'éléments adverbiaux d'intensité, mai ‘encore’, cam ‘un peu, à peu près’,<br />
prea ‘très’, şi ‘aussi’, tot ‘encore’, comme illustré en (20c). Cependant, ces éléments<br />
eux-mêmes doivent sans doute être analysés comme des <strong>clitiques</strong> adverbiaux (cf.<br />
Dobrovie-Sorin 1994 : 10sv ; 63sv, Monachesi 2000).<br />
(20) P a. Ela prometeu que lhe não diria nada. ‘Elle promit qu'elle lui ne dirait rien.’<br />
P b. Ela prometeu que não lhe diria nada.<br />
R c. Îl mai văd. (le encore vois.1sg) ‘Je le vois encore.’<br />
Pour conclure, même si <strong>dans</strong> quelques cas extrêmement limités <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong><br />
<strong>clitiques</strong> peuvent être séparés du verbe, ils ne peuvent en aucun cas apparaître <strong>dans</strong> une<br />
phrase où le verbe dont ils dépendent est absent, comme le montre l'agrammaticalité des<br />
réponses elliptiques (21a,b,c,d,e) et du gapping <strong>dans</strong> (22a,b,c,d) par exemple. On<br />
12 En français classique, il est possible de violer la contrainte habituelle de contiguïté lorsque le verbe est<br />
à l'infinitif, et cela peut encore marginalement se faire <strong>dans</strong> un style archaïsant, comme <strong>dans</strong> Il a<br />
délibérément choisi de n'en pas tenir compte ; Puis j'avais découvert le moyen infaillible de ne <strong>les</strong> plus<br />
jamais confondre, ces deux exemp<strong>les</strong> étant empruntés à Togeby (1982, I : 398). Il est à remarquer que la<br />
construction est un peu moins choquante avec <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> adverbiaux y et en comme le montre le<br />
contraste entre <strong>les</strong> deux exemp<strong>les</strong> cités. Cependant, aucun exemple de ce type n'est attesté <strong>dans</strong> la langue<br />
courante.<br />
13 Sur ce point, voir aussi Vigário (2003) et Crysmann (2000a : 85). Barbosa (1996 : 7) donne pour<br />
acceptab<strong>les</strong> <strong>dans</strong> des dialectes portugais conservateurs du nord, et en galicien, des cas d'interpolation par<br />
un pronom sujet tonique. Par contre, Sánchez-Rei (1999) affirme que l'interpolation en général est<br />
agrammaticale en galicien contemporain. Selon <strong>les</strong> informateurs portugais consultés, <strong>les</strong> formes avec<br />
interpolations ne sont pas du tout naturel<strong>les</strong> en portugais contemporain. Il semblerait donc qu'el<strong>les</strong> soient<br />
en voie de disparition.<br />
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11
emarquera que ceci est vrai même en portugais et en roumain où le clitique peut<br />
apparaître non contigu au verbe <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quelques cas que nous venons de discuter 14 .<br />
(21) F a. Que voit Martine ? *Le./*Me. [= Martine le/me voit]<br />
I b. Che vede Martina ? *Lo./*Mi.<br />
P c. Que vê a Marina ? *O./*Me.<br />
R d. Ce vede Marina ? *O./*Îl./*Mă.<br />
R e. Cui îi vorbeşte Marina ? ‘A qui lui parle Marina ?’<br />
*Îşi./*Îmi. ‘Leur. / Me.’<br />
(22) F a. *Jean la voit, et Martine le/me. [= et Martine le/me voit]<br />
I b. *Gianni la vede e Martina lo/mi.<br />
P c. *O João vê-a e a Marina o/me.<br />
R d. *Radu îl vede şi Marina *o/*îl/*mă. [= şi Marina o/îl/mă vede]<br />
De même, <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> ne peuvent être directement cliticisés à une catégorie autre<br />
qu'un verbe, même si celle-ci peut régir un SP plein qui correspond à ce clitique. C'est<br />
ce que montrent des exemp<strong>les</strong> comme <strong>les</strong> suivants, où, comme indiqué en (23a), le<br />
clitique est sémantiquement le complément datif de l'adjectif attribut, mais doit<br />
cependant avoir le verbe copule comme hôte (voir également <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> (66), (67),<br />
(68) et (70) en 4.2 pour des exemp<strong>les</strong> où en et y sont sémantiquement arguments d'un<br />
adjectif ou d'un nom complément d'un verbe mais sont attachés à ce dernier).<br />
(23) F a. L'article semble incompréhensible à Paul.<br />
F b. L'article lui semble incompréhensible. /*semble lui incompréhensible.<br />
I c. L'articolo gli sembra incomprensibile. /*sembra gli incomprensibile.<br />
E d. El artículo le parece incomprensible. / *parece le incomprensible.<br />
Enfin, même en l'absence de verbe, un adjectif épithète ne peut régir un clitique<br />
datif (24a,b,c). On doit recourir à une forme forte introduite par une préposition<br />
(24d,e,f).<br />
(24) F a. *Un article lui incompréhensible<br />
I b. *Un articolo gli incomprensibile<br />
E c. *Un artículo le incomprensible<br />
F d. Un article incompréhensible pour lui<br />
I e. Un articolo incomprensibile per lui<br />
E f. Un artículo incomprensible para él<br />
14 Dans la section 3.1 nous parlerons de certains cas où <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> du roumain sont<br />
phonologiquement en<strong>clitiques</strong> au mot qui précède le verbe devant lequel ils sont placés (cf. (13j) et nu-l<br />
citi !, să-l bată ! <strong>dans</strong> la note 10). Cependant, de tel<strong>les</strong> formes ne permettent pas de créer des exceptions à<br />
la règle générale qui exige que le clitique soit contigu à un verbe, car el<strong>les</strong> ne peuvent en aucun cas<br />
apparaître sans être suivies d'un verbe.<br />
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12
2.1.5 La montée des <strong>clitiques</strong><br />
Dans toutes <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>, il existe des classes de verbes qui régissent des SV<br />
non finis et qui autorisent ou exigent que <strong>les</strong> compléments du verbe régi soient cliticisés<br />
sur le verbe recteur et non sur le verbe dont ils sont un argument sémantique. Dans <strong>les</strong><br />
exemp<strong>les</strong> en (25a,b), le pronom est l'argument du verbe enchâssé lire/leggere mais il<br />
doit se cliticiser sur le verbe recteur avoir/avere. En (25c), le pronom argument du verbe<br />
enchâssé peut se cliticiser soit sur celui-ci, soit sur le verbe recteur volere. Ce<br />
phénomène est traditionnellement désigné par le terme de ‘montée des <strong>pronoms</strong><br />
<strong>clitiques</strong>’.<br />
(25) F a. Jean a lu le livre. / *Jean a le lu. / Jean l'a lu.<br />
I b. Gianni ha letto il libro. / *Gianni ha lettolo. / Gianni l'ha letto.<br />
I c. Gianni vuole leggere il libro. / Gianni vuole leggerlo. /<br />
Gianni lo vuole leggere. ‘Gianni veut lire le livre / veut lire-le / le veut lire.’<br />
Il est intéressant notamment de contraster (25b) et (10b). En effet ce dernier montre<br />
qu'au moins en italien, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> temps composés avec participe passé, l'impossibilité de<br />
conserver <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> sur le verbe plein ne peut s'expliquer par une incompatibilité du<br />
pronom clitique avec la forme même du participe passé 15 . On se reportera au chapitre<br />
d'Abeillé et Godard <strong>dans</strong> ce volume pour une analyse détaillée du phénomène de<br />
montée des <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>. El<strong>les</strong> montrent que la position spéciale<br />
des <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> ces structures est une conséquence d'un phénomène plus général<br />
d'héritage des arguments du verbe non fini par le verbe recteur.<br />
Enfin, on notera que lorsqu'il y a plusieurs <strong>clitiques</strong> arguments d'un même verbe, ils<br />
ne sont pas libres de monter indépendamment <strong>les</strong> uns des autres. Si l'un des <strong>clitiques</strong><br />
monte, <strong>les</strong> autres doivent le suivre (“bandwagon effect”), comme cela est illustré par <strong>les</strong><br />
exemp<strong>les</strong> italiens en (26) 16 .<br />
(26) I a. Gianni vuole darglielo. ‘Gianni veut donner-lui-le.’<br />
I b. Gianni glielo vuole dare.<br />
I c. *Gianni gli vuole darlo.<br />
I d. *Gianni lo vuole dargli.<br />
15 Cet argument pourrait être invoqué pour <strong>les</strong> autres <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>, où l'on a vu qu'il y avait une<br />
impossibilité d'attacher un pronom clitique à un participe passé.<br />
16 On notera cependant que le clitique 3f.sg o du roumain reste sur le participe, même si un autre clitique<br />
monte : Le-am dat-o ‘(je) le lui ai donné’. Par ailleurs, on notera <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> classiques du type Je l'en ai<br />
fait se souvenir (Martinon 1927 : 302) où le clitique réfléchi se reste sur l'infinitif alors que en monte (cf.<br />
Kayne 1975 : 427-8, Kayne 1991 : 661). Enfin, Kayne (1991 : 661) mentionne des exemp<strong>les</strong> comme (i)<br />
de séparation de <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> des dialectes de type franco-provençal, empruntés à Chenal (1986). Ce<br />
type de cas demeure cependant totalement marginal <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>.<br />
(i) T'an-të deut-lo ? (2.sg.dat-avoir-3.pl.suj dit-3.sg.acc ?) ‘Te l'ont-ils dit ?’<br />
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13
2.1.6 Conclusion<br />
L'ensemble des données discutées ici montre clairement que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> sont des <strong>clitiques</strong> spéciaux au sens de Zwicky (1977), puisqu'ils<br />
n'apparaissent pas <strong>dans</strong> la position des syntagmes pleins qui leur correspondent.<br />
Cependant, le principe de positionnement des <strong>clitiques</strong> fait référence à des propriétés<br />
syntaxiques (contiguïté au verbe) et morphosyntaxiques (forme finie, non finie,<br />
impérative) et non prosodiques. Ceci nous fournit donc un premier argument en faveur<br />
de l'idée que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> doivent en fait être analysés comme des affixes<br />
flexionnels du verbe, du moins <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> modernes 17 . De plus, le fait<br />
que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> doivent être contigus au verbe (sauf pour <strong>les</strong> exceptions très limitées<br />
notées en portugais et en roumain) montre qu'ils sont très sélectifs quant à la catégorie<br />
syntaxique de l'élément auquel ils s'attachent, caractéristique typique des affixes et non<br />
des <strong>clitiques</strong> selon <strong>les</strong> critères de Zwicky et Pullum (1983) 18 .<br />
Dans <strong>les</strong> variantes anciennes, on peut suggérer suivant Fontana (1993, 1996),<br />
Hirschbühler et Labelle (2000, 2001b) que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> étaient au contraire de<br />
véritab<strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> spéciaux. Fontana avance que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> en ancien espagnol se<br />
placent syntaxiquement devant le premier élément de Ph, mais qu'ils sont, par défaut,<br />
prosodiquement en<strong>clitiques</strong>. Il avance également que l'ancien espagnol était une langue<br />
dite V2 (similaire au néerlandais ou à l'allemand modernes), le verbe étant le premier<br />
élément de Ph, mais pouvant être précédé d'un constituant <strong>dans</strong> une position initiale.<br />
Ainsi on obtient des exemp<strong>les</strong> comme <strong>les</strong> suivants, empruntés à Fontana (1996 : 55 ;<br />
1993 : 20) 19 .<br />
(27) AE a. mas que=l diessen a los freyres del Temple<br />
mais que=le ils.donnent aux frères du Temple<br />
‘mais qu'ils le donnent aux frères du Temple’<br />
b. Esto=t lidiare aqui antel Rey don alfonsso<br />
ceci=te je.défie ici devant.le Roi don alfonsso<br />
‘Je te défie sur ceci devant le Roi don Alfonsso’<br />
c. tomo=l consigo por compannero<br />
il.prit=le avec.lui pour compagnon<br />
‘il le prit avec lui pour compagnon’<br />
17 Le fait que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> se réalisent tantôt comme préfixes, tantôt comme suffixes, selon <strong>les</strong> propriétés<br />
morphosyntaxiques du verbe ne peut en aucun cas constituer un argument définitif contre une analyse<br />
affixale. En effet, d'une part, il existe des <strong>langues</strong> ou des morphèmes qui sont clairement des affixes ont la<br />
même propriété de ‘mobilité’ par rapport à la base (voir p. ex. Noyer 1994 et Bendjaballah 2002) ; d'autre<br />
part la forme des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> n'est pas toujours la même selon qu'ils sont pro<strong>clitiques</strong> ou en<strong>clitiques</strong><br />
(voir p. ex. Morin 1979b pour des données du français parlé, notamment le fait que y et en se réalisent /zi/<br />
et /zã/ lorsqu'ils sont derrière le verbe <strong>dans</strong> de nombreuses variétés : ‘donne-z-en ; donne-moi-z-en’).<br />
18 Voir cependant Monachesi (1998, 2000) et Crysmann (2000a,b) pour des propositions d'analyses en<br />
termes d'affixe pour <strong>les</strong> cas de non contiguïté en roumain et en portugais respectivement.<br />
19 Le signe = est utilisé ici pour séparer le clitique du verbe auquel il est phonologiquement et<br />
orthographiquement attaché, montrant bien qu'il s'agit à chaque fois d'un enclitique.<br />
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14
d. por que=las vos dexastes<br />
parce que=<strong>les</strong> vous abandonnâtes<br />
‘parce que vous <strong>les</strong> abandonnâtes’<br />
En (27a), on a une subordonnée et l'élément en position initiale est le subordonnant que,<br />
le verbe diessen étant le premier élément de Ph. En (27b), le SN objet est <strong>dans</strong> la<br />
position initiale et en (27c), c'est le verbe lui-même qui occupe cette position. L'exemple<br />
(27d) est intéressant car il montre un cas d'interpolation, qui serait tout à fait impossible<br />
en espagnol contemporain. De tels exemp<strong>les</strong> sont possib<strong>les</strong> à cette époque parce que la<br />
structure syntaxique des subordonnées offre une position préverbale <strong>dans</strong> le domaine<br />
Ph, où apparaît le sujet vos qui sépare le clitique las du verbe. La disparition de cette<br />
possibilité en espagnol (et plus généralement <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>, sauf pour<br />
<strong>les</strong> exceptions limitées qui subsistent en portugais et en roumain, voir 2.1.4) conduit à<br />
éliminer le seul cas de figure où <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> ne sont pas contigus au verbe.<br />
Cette analyse, présentée ici de façon très simplifiée, semble pouvoir s'étendre à<br />
l'ensemble des <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> anciennes (même s'il ne subsiste aucun exemple attesté<br />
d'interpolation en ancien français, cf. Hirschbühler et Labelle 2000). De façon très<br />
schématique, on peut comprendre le changement qui s'est opéré en espagnol, en catalan,<br />
en italien, en roumain et en français de la façon suivante. Ces <strong>langues</strong> perdent leur statut<br />
V2, ce qui a conduit à augmenter considérablement le nombre de phrases où le verbe<br />
fini est en position initiale <strong>dans</strong> Ph et précédé d'aucun élément (rappelons que <strong>dans</strong> ces<br />
<strong>langues</strong>, y compris l'ancien français, un sujet anaphoriquement récupérable n'est<br />
simplement pas exprimé, et que <strong>dans</strong> ce cas le verbe est à l'initiale <strong>dans</strong> une principale<br />
SVO). Dans ces conditions, on trouve de plus en plus souvent des <strong>clitiques</strong> devant un<br />
verbe fini à l'initiale absolue de phrase ce qui force un rattachement de type<br />
proclitique 20 . Ce rattachement proclitique est ensuite étendu aux cas où le verbe fini<br />
n'est pas initial, conduisant à la proclise systématique sur le verbe fini que nous avons<br />
vue <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> modernes.<br />
Pour <strong>les</strong> impératives, au stade V2, Fontana fait l'hypothèse que le verbe lui-même<br />
est <strong>dans</strong> la position initiale devant Ph, sauf s'il est accompagné de la négation qui<br />
occupe alors elle-même cette position. Il s'ensuit que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> sont en<strong>clitiques</strong> au<br />
verbe sauf si la négation est présente. Dans ce cas, ils sont en<strong>clitiques</strong> à celle-ci. On peut<br />
alors expliquer l'ordre des <strong>langues</strong> modernes, décrit en 2.1.3, comme un figement de cet<br />
ordre caractéristique des impératives positives, accompagné d'une réanalyse des<br />
<strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> négatives comme pro<strong>clitiques</strong> au verbe et non en<strong>clitiques</strong> à la négation<br />
(sauf en roumain, voir (14h)).<br />
En portugais, par contre, l'évolution du système se fait de façon très différente. On<br />
peut faire l'hypothèse que le statut phonologique d'enclitique a été privilégié 21 ,<br />
20 Fontana montre que le rattachement proclitique existe même <strong>dans</strong> l'espagnol le plus ancien, mais qu'il<br />
est très rare puisque la structure syntaxique de la langue est telle qu'il existe normalement toujours un<br />
élément <strong>dans</strong> la position initiale devant Ph.<br />
21 Voir ci-dessous la fin de la section 3.1.<br />
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15
conduisant à une enclise sur le verbe par inversion prosodique (cf. Halpern 1995) <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> phrases à verbe initial. Avec l'augmentation en fréquence de ce type de construction,<br />
cette position est devenue la position par défaut, la proclise n'étant plus déclenchée par<br />
des contraintes prosodiques mais par la présence d'un ensemble bien délimité de types<br />
de syntagmes initiaux. Voir aussi Vigário (2003 : 309-314) pour une analyse plus<br />
détaillée de l'émergence de l'enclise en portugais européen, basée sur des facteurs<br />
prosodiques.<br />
On peut donc faire l'hypothèse que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> anciennes, <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong><br />
<strong>clitiques</strong> étaient des <strong>clitiques</strong> postlexicaux, dont la distribution était définie par une<br />
combinaison de contraintes syntaxiques et prosodiques typique des <strong>clitiques</strong> spéciaux.<br />
Cependant, un processus de morphologisation de ces éléments serait en cours (et est<br />
peut-être terminé <strong>dans</strong> des <strong>langues</strong> comme le français, l'espagnol, le catalan et l'italien)<br />
par lequel ils sont réanalysés comme affixes flexionnels du verbe.<br />
2.2 Le redoublement des SN ou SP pleins par des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong><br />
En français standard et en italien, on constate une distribution complémentaire entre <strong>les</strong><br />
<strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> et <strong>les</strong> syntagmes pleins correspondants, ce qui est illustré en (28) et<br />
(29).<br />
(28) F a. Martine lit le livre.<br />
b. Martine le lit.<br />
c. %Martine lei lit le livrei.<br />
d. Martine lei lit, le livrei.<br />
(29) I a. Martina legge il libro.<br />
b. Martina lo legge.<br />
c. *Martina loi legge il libroi.<br />
d. Martina loi legge, il libroi.<br />
La phrase (28c) est un cas où le SN objet direct le livre est dit ‘doublé’ par un clitique<br />
coréférent le. Il en va de même pour (29c). Il faut distinguer ce cas de celui de la<br />
dislocation à droite donné en (28d) et (29d). La différence de statut est indiquée à l'écrit<br />
par la virgule, qui marque une rupture intonative entre la phrase et le syntagme disloqué,<br />
cette rupture étant absente en (28c) et (29c). <strong>Les</strong> phrases avec redoublement par un<br />
clitique sont considérées comme inacceptab<strong>les</strong> en français standard normatif et en<br />
italien. <strong>Les</strong> phrases avec dislocation (28d) et (29d) sont parfaitement grammatica<strong>les</strong>,<br />
bien que leur utilisation en discours soit soumise à certaines conditions (voir par<br />
exemple Ashby 1988, Lambrecht 1994). Cependant, en français parlé, ainsi que <strong>dans</strong><br />
d'autres <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>, la phrase avec redoublement (28c) est tout à fait naturelle<br />
<strong>dans</strong> certains cas et tend alors à être préférée à (28a) 22 . <strong>Les</strong> données sur cette question<br />
sont extrêmement complexes, d'une part parce qu'el<strong>les</strong> sont soumises, <strong>dans</strong> chaque<br />
22 Nous reviendrons sur le cas du doublement des <strong>clitiques</strong> sujet en français <strong>dans</strong> la section 4 ci-dessous.<br />
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16
langue, à de fortes variations selon <strong>les</strong> dialectes et <strong>les</strong> registres, et d'autre part parce que<br />
la possibilité du doublement est liée en partie à des facteurs pragmatiques et discursifs<br />
complexes, ce qui rend incertains <strong>les</strong> jugements sur <strong>les</strong> phrases hors contexte. Ceci<br />
explique un certain nombre d'incohérences <strong>dans</strong> <strong>les</strong> données tel<strong>les</strong> qu'el<strong>les</strong> sont<br />
présentées <strong>dans</strong> différents travaux antérieurs sur la question.<br />
Il n'est évidemment pas possible de faire le point sur ce problème complexe <strong>dans</strong> le<br />
cadre de ce chapitre. Cependant, on notera tout l'intérêt que représente ce domaine de<br />
variation pour <strong>les</strong> études typologiques sur la source des marques d'accord. En effet,<br />
depuis <strong>les</strong> travaux de Moravcsik (1974) et Givón (1976), on peut, sur des bases<br />
typologiques, faire l'hypothèse que <strong>les</strong> systèmes d'accord entre verbe et arguments<br />
résultent de la morphologisation de <strong>pronoms</strong> doublant <strong>les</strong> arguments en question, et que<br />
le développement de ce processus est soumis à certains principes universels. Givón<br />
propose que l'accord se développe d'abord avec <strong>les</strong> arguments qui sont <strong>les</strong> plus<br />
susceptib<strong>les</strong> d'être des topiques. En effet, il constate que l'accord apparaît plus<br />
rapidement avec des <strong>pronoms</strong> qu'avec des SN pleins, avec des SN définis plutôt qu'avec<br />
des SN indéfinis, avec des datifs plutôt qu'avec des accusatifs, avec des SN à référent<br />
humain plutôt qu'inanimé, etc. Dans cette perspective, une étude systématique de la<br />
variation sur ce point <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> constituerait un champ<br />
remarquablement intéressant pour développer et vérifier de tel<strong>les</strong> hypothèses,<br />
notamment en comparant avec <strong>les</strong> travaux sur <strong>les</strong> <strong>langues</strong> bantoues où un processus<br />
similaire est à l'oeuvre (voir Givón 1976, et p. ex. Bresnan et Mchombo 1987, Creissels<br />
2001).<br />
On constate en effet que <strong>les</strong> données dont on dispose pour <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> sont<br />
largement compatib<strong>les</strong> avec <strong>les</strong> hypothèses de Givón. <strong>Les</strong> premiers travaux qui ont<br />
discuté <strong>les</strong> conditions du doublement, par exemple, Farkas (1978) pour le roumain et<br />
Jaeggli (1982 : 12-14) pour l'espagnol, ont avancé que <strong>les</strong> paramètres pertinents étaient<br />
effectivement le statut pronominal ou non du SN objet, le fait qu'il soit datif ou<br />
accusatif, le fait qu'il soit animé ou non et spécifique ou non. Farkas fait en outre<br />
remarquer la pertinence des facteurs discursifs informationnels.<br />
En espagnol (cf. Jaeggli 1982 : 12-14, Suñer 1988 : 394, Fernández Soriano 1999,<br />
Franco 2000), par exemple, le doublement par un pronom clitique est obligatoire si<br />
l'objet direct ou indirect est un pronom fort, et ce <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> dialectes (30a, b). Pour<br />
ce qui est des objets non pronominaux, la situation varie en fonction de différents<br />
paramètres syntaxiques, sémantiques et pragmatiques, et selon <strong>les</strong> dialectes. En<br />
espagnol standard, quand <strong>les</strong> objets sont derrière le verbe en position non marquée, le<br />
doublement est possible avec <strong>les</strong> objets datifs pleins (30c) mais impossible avec <strong>les</strong><br />
objets directs (30d,e). Il est cependant obligatoire avec certains verbes avec expérient<br />
datif (le clitique ne pouvant être omis que si l'expérient n'est pas exprimé et est<br />
interprété comme générique).<br />
(30) E a. Lo veo a él. / *Veo a él. ‘Je (le) vois lui’<br />
b. Le hablo a él. / *Hablo a él. ‘Je (lui) parle à lui.’<br />
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c. Le hablo a Juan. / Hablo a Juan. ‘Je (lui) parle à Jean’<br />
d. *Lo veo a Juan. / Veo a Juan. ‘Je (le) vois [à] Juan.<br />
e. *La veo la mesa. / Veo la mesa. ‘Je (la) vois la table.<br />
Certains dialectes, cependant, notamment latino-américains, ont un doublement quasi<br />
systématique des datifs pleins, et une forte préférence pour le doublement des objets<br />
directs animés et spécifiques. Dans ces dialectes <strong>les</strong> variantes avec clitique de (30c,d)<br />
sont très nettement préférées 23 . De même, le doublement est obligatoire lorsqu'un<br />
complément datif ou accusatif marqué par a est placé devant le verbe. Il est obligatoire<br />
pour <strong>les</strong> accusatifs sans a placés devant le verbe s'ils sont définis. Divers arguments ont<br />
été avancés pour démontrer que <strong>les</strong> SN doublés ne sont pas disloqués <strong>dans</strong> une position<br />
non argumentale. Jaeggli (1986 : 34) montre que le doublement est soumis à la<br />
condition de subjacence ; Suñer (1988) observe que le constituant doublé n'est séparé<br />
par aucune rupture intonative. D'après <strong>les</strong> informateurs consultés, <strong>les</strong> faits du portugais<br />
semblent être assez proches de ceux de l'espagnol standard, mais nous avons trouvé très<br />
peu de données publiées à ce sujet.<br />
<strong>Les</strong> données du catalan (Wheeler et al. 1999 : 462-4) sont également assez<br />
similaires. <strong>Les</strong> <strong>pronoms</strong> forts objets directs et indirects doivent être doublés par un<br />
clitique. Dans <strong>les</strong> registres informels, on trouve un doublement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> relatives et <strong>les</strong><br />
questions wh- , et même lorsqu'un SN plein datif est présent derrière le verbe (cas<br />
considéré comme non standard par certains grammairiens). Il existe certains verbes à<br />
complément datif expérient comme plaure ‘plaire’ et convenir ‘convenir’ pour <strong>les</strong>quels<br />
le doublement par un clitique est obligatoire <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> cas, que le datif soit un<br />
syntagme normal, un élément wh- ou un relatif.<br />
Enfin, il existe également une littérature abondante sur le doublement en roumain<br />
(cf. Lombard 1974 : 150-151, Farkas 1978, Dobrovie-Sorin 1990, 1994), qui montre<br />
que <strong>les</strong> mêmes types de facteurs sont à l'oeuvre. Selon Farkas (1978), quand l'objet<br />
direct est un pronom fort défini et suit le verbe, le doublement est obligatoire pour <strong>les</strong><br />
<strong>pronoms</strong> [+humain], optionnel pour <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> [±humains] quand ils réfèrent à des<br />
non humains, et impossible pour <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> strictement non humains. Pour <strong>les</strong><br />
<strong>pronoms</strong> objets directs indéfinis derrière le verbe, le doublement est impossible sauf en<br />
cas de référents partitifs spécifiques pour <strong>les</strong>quels il est optionnel. Quant aux SN pleins<br />
objets directs placés derrière le verbe, le doublement est optionnel s'ils sont définis et<br />
humains (31a) ou s'ils sont indéfinis et ont un référent humain extrait d'un ensemble<br />
spécifique. Quand l'objet direct est devant le verbe, le doublement est plus fréquent <strong>dans</strong><br />
tous <strong>les</strong> cas (comme le laisseraient attendre <strong>les</strong> généralisations de Givón) ; il devient<br />
obligatoire <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> cas où l'objet est défini, et optionnel si l'objet direct est indéfini<br />
23 Voir Suñer (1988), Fernández Soriano (1999), Villada Moirón (2001 : 36sv) pour une discussion<br />
détaillée de la variation dialectale et des conditions syntaxiques et sémantiques sur le doublement. On<br />
notera enfin que <strong>dans</strong> certaines constructions à possession inaliénable le doublement de l'objet indirect est<br />
obligatoire, p. ex. *(Le) duele la cabeza a Mafalda ‘lui fait-mal la tête à Mafalda’ (Jaeggli 1982 : 13).<br />
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humain (31b), ou indéfini non humain extrait d'un ensemble spécifique (31c) (ces<br />
exemp<strong>les</strong> sont empruntés à Farkas 1978 : 88, 94).<br />
(31) R a. L-am văzut pe Ion. ‘J'ai vu Ion’<br />
[je] 3m.sg.acc-ai vu PE Ion<br />
b. Pe un argat l-a mînat la cîmp. ‘Il a envoyé un des travailleur au champ.’<br />
PE un travailleur 3m.sg.acc-a envoyé au champ [= un pris <strong>dans</strong> un groupe<br />
déjà connu]<br />
c. O parte din pîine am mîncat-o eu. ‘J'ai mangé une partie du pain’<br />
une partie du pain [j'] ai mangé-3f.sg.acc moi<br />
Avec <strong>les</strong> objets indirects, le doublement est courant. Il est toujours possible, et il est<br />
obligatoire avec <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> définis et <strong>les</strong> SN pleins préverbaux. Même <strong>les</strong> SN pleins à<br />
référent non animé placés derrière le verbe peuvent être doublés. <strong>Les</strong> études de<br />
Dobrovie-Sorin (1990, 1994) proposent des analyses détaillées des phénomènes de<br />
doublement, en particulier <strong>dans</strong> leur interaction avec le mouvement wh-, <strong>dans</strong> le cadre<br />
‘principes et paramètres’.<br />
2.3 <strong>Les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> et la coordination<br />
Kayne (1975 : 83, 97) remarque que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> du français ne se<br />
comportent pas comme des syntagmes pleins du point de vue de la coordination. Pour<br />
commencer il est impossible de coordonner <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> entre eux 24 . Ceci est vrai <strong>dans</strong><br />
toutes <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>, sauf certains cas très limités en roumain, qu'il s'agisse<br />
d'en<strong>clitiques</strong> ou de pro<strong>clitiques</strong>.<br />
(32) F a. *Martine le et la voit.<br />
I b. *Martina lo e la vede.<br />
E c. *Martina lo y la ve.<br />
C d. *La Martina el i la veu.<br />
24<br />
Morin (1981 : 19n) fait remarquer que des exemp<strong>les</strong> avec coordination de <strong>clitiques</strong> sujets, comme le<br />
suivant, sont acceptab<strong>les</strong> :<br />
(i) Le candidat doit s'adresser au surveillant lorsqu'il ou elle veut quitter la salle.<br />
<strong>Les</strong> emplois de ce type sont cependant très contraints et ne sont acceptab<strong>les</strong> que <strong>dans</strong> un emploi<br />
“métalinguistique” (voir Miller 1992 : 150-151) où ils permettent d'éviter de se prononcer sur le sexe du<br />
référent. On remarquera par exemple que (ii), qui a pourtant exactement la même structure syntaxique,<br />
mais qui n'est pas susceptible d'une telle interprétation, est inacceptable :<br />
(ii) *<strong>Les</strong> candidats doivent s'adresser aux surveillant lorsqu'il et elle veulent quitter la salle.<br />
Ces types d'exemp<strong>les</strong> avec interprétation métalinguistique sont très marginalement acceptab<strong>les</strong> avec des<br />
<strong>pronoms</strong> objets, <strong>dans</strong> des cas de figure similaires à (i).<br />
(iii) ??Dans ce cas, le surveillant le ou la fera sortir.<br />
(iv) *Dans ce cas, le surveillant le et la fera sortir.<br />
Le type illustré en (iii) avec interprétation métalinguistique est également marginalement disponible en<br />
cas de proclise en italien, en espagnol et en catalan. De même qu'en français, <strong>les</strong> cas de type (iv) sont<br />
exclus <strong>dans</strong> toutes ces <strong>langues</strong>. En cas d'enclise, même l'interprétation métalinguistique est inacceptable.<br />
La convergence des données entre <strong>les</strong> <strong>langues</strong> est étonnante sur un point a priori aussi marginal et<br />
mériterait une investigation plus approfondie.<br />
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19
P e. *A Marina não o e a vê.<br />
(33) I a. *Martina vuole vederlo e -la. ‘Martina veut voir le et la’<br />
E b. *Martina quiere verlo y -la.<br />
C c. *La Martina vol veure'l i -la.<br />
P d. *A Marina quer vê-lo e -la.<br />
(34) F a. *Prends-le et -la !<br />
I b. *Prendilo e -la !<br />
E c. *Tómalo y -la !<br />
C d. *Pren-lo i -la !<br />
P e. *A Marina vê-o e -a. ‘Marina voit le et la’<br />
P f. *Olha-o e -a. ‘Regarde-le et -la !’<br />
En roumain, la situation est plus complexe. La coordination des en<strong>clitiques</strong> est<br />
impossible <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> cas, mais la coordination des pro<strong>clitiques</strong> est parfois possible,<br />
au moins pour certains locuteurs. Ileana Comorovski, c.p., suggère qu'il s'agirait peutêtre<br />
des cas où ces <strong>pronoms</strong> peuvent former un mot prosodique autonome. En effet, le<br />
verbe lexical à consonne initiale a scrie (‘écrire’) se combine avec <strong>les</strong> formes<br />
syllabiques des <strong>clitiques</strong> datifs de 1e et 2e personne, îmi et îţi, qui peuvent se<br />
coordonner (35a) (au moins pour certains locuteurs) et cel<strong>les</strong>-ci peuvent former des<br />
mots phonologiques autonomes. Par contre, l'auxiliaire du passé a doit se combiner avec<br />
<strong>les</strong> formes non syllabiques mi et ţi, qui, el<strong>les</strong>, ne peuvent former un mot phonologique<br />
autonome et ne sont pas coordonnab<strong>les</strong> (35b) 25 .<br />
(35) R a. Îmi şi îţi scrie. ‘[Il] me et te écrit.’<br />
R b. *Îmi/mi şi ţi-a scris. ‘[Il] me et te a écrit.’<br />
Vu le statut prosodiquement déficient des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong>, l'impossibilité de <strong>les</strong><br />
coordonner n'est a priori pas surprenante. On peut cependant observer que <strong>dans</strong> d'autres<br />
<strong>langues</strong>, des <strong>clitiques</strong> postlexicaux peuvent avoir des variantes non réduites qui, el<strong>les</strong>,<br />
sont coordonnab<strong>les</strong>. <strong>Les</strong> raisons pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> cette stratégie est en général impossible<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> ne sont pas claires et mériteraient d'être étudiées en détail, et<br />
cela d'autant plus qu'il existe des exceptions, notamment <strong>les</strong> cas roumains du type (35a)<br />
ci-dessus, et <strong>les</strong> cas à interprétation métalinguistique discutés <strong>dans</strong> la note 24. Ces cas<br />
exceptionnels montrent que ce ne peuvent être <strong>les</strong> propriétés prosodiques des <strong>clitiques</strong><br />
en tant que tel<strong>les</strong> qui rendent la coordination impossible, ni leur statut de clitique<br />
‘spéciaux’ <strong>dans</strong> la terminologie de Zwicky (1977). Dans la perspective d'une analyse<br />
affixale des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong>, cette contrainte trouve naturellement une explication<br />
25 Ces données mériteraient d'être examinées de plus près, car la nature précise des conditions autorisant<br />
la coordination n'est pas claire. En effet, pour d'autres <strong>clitiques</strong> syllabiques, la coordination est<br />
impossible.<br />
(i) *Ma şi te vede. (‘[Il] me et te voit’)<br />
(ii) *Te şi îl vad. (‘[Je] te et le vois’)<br />
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20
<strong>dans</strong> la mesure où il est habituellement impossible de coordonner des affixes<br />
flexionnels.<br />
Kayne (1975) faisait également observer une deuxième propriété remarquable des<br />
<strong>clitiques</strong> objets en français, à savoir qu'ils ne pouvaient avoir une portée large sur une<br />
coordination de verbes, comme le montre (36a). <strong>Les</strong> données sont similaires en italien<br />
comme indiqué en (36b) 26, 27 .<br />
(36) F a. *Martine la voit et écoute. (comparer : Martine voit et écoute Marie)<br />
I b. *Martina la vede e ascolta. (comparer : Martina vede e ascolta Maria)<br />
Dans <strong>les</strong> autres <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>, cependant, <strong>les</strong> faits sont plus complexes. En cas<br />
d'enclise, la portée large est impossible <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> cas. Pour sauver <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> (37),<br />
il suffit de répéter le clitique sur chaque verbe 28 .<br />
(37) I a. *Voglio vedere e ascoltarla. ([Je] veux voir et écouter.la)<br />
E b. *Quiero ver y escucharla.<br />
C c. *Vull veure i escoltar-la.<br />
P d. *Posso aplaudir e festejá-lo. ([Je] peux applaudir et fêter-le)<br />
P e. *Ele viu-me e cumprimentou. (Il vit-moi et salua)<br />
P f. *Ele viu e cumprimentou-me. (Il vit et salua-moi)<br />
Par contre en cas de proclise, <strong>les</strong> résultats semblent acceptab<strong>les</strong> en portugais et en<br />
roumain. Pour l'espagnol et le catalan, <strong>les</strong> résultats semblent marginaux, mais pas tout à<br />
fait exclus 29 .<br />
26 Kayne (1975 : 97n) remarque cependant qu'avec des paires de verbes du type V et re-V la portée large<br />
est possible : Paul <strong>les</strong> lit et relit sans cesse. De même pour l'italien, l'espagnol et le catalan : I Paolo lo<br />
legge e rilegge continuamente ; E Pedro los lee y relee sin parar ; C En Pere els llegeix i rellegeix sense<br />
parar. Comme le fait remarquer Josep Fontana (c.p.) d'un point de vue pragmatique cela n'est pas<br />
tellement étonnant, puisque l'action ‘V et re-V’ est conçue comme un seul événement complexe. La<br />
question demeure cependant de savoir comment cette propriété pragmatique peut lever ce qui est<br />
apparemment une impossibilité morphosyntaxique (voir d'ailleurs à ce sujet la note 28). Par ailleurs, <strong>les</strong><br />
phrases de type (36a) semblent possib<strong>les</strong> en français jusqu'au 17e siècle au moins. Haase (1930 : 401)<br />
donne des exemp<strong>les</strong> attestés de ce type (cependant, tous <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> sauf un proviennent d'œuvres en<br />
vers et la répétition du pronom conduirait <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> cas à l'ajout d'une syllabe ; ces données<br />
demandent donc à être confirmées).<br />
27 Il est important de voir que l'impossibilité n'apparaît que si la coordination concerne directement le<br />
verbe auquel serait attaché le clitique en l'absence de coordination. Des exemp<strong>les</strong> comme Martine l'a vu<br />
et écouté sont parfaitement bien formés parce que le clitique ne se rattache pas aux éléments coordonnés<br />
vu et écouté, mais à l'auxiliaire a, qui a lui-même portée sur la coordination des deux verbes. En<br />
négligeant cette distinction cruciale, Vigário (2003 : 133), citant Matos, donne (i) comme contre exemple.<br />
(i) P Ele estava-lhe sempre a telefonar e a comprar livros.<br />
Il lui-était toujours à telephoner et à acheter des livres<br />
Or celui-ci est non pertinent pour <strong>les</strong> raisons indiquées, ce type de cas de figure étant grammatical <strong>dans</strong><br />
toutes <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>.<br />
28 <strong>Les</strong> exemp<strong>les</strong> (37e,f) et (38a) sont empruntés à Rouveret (1999 : 648). On notera que la portée large<br />
pour <strong>les</strong> en<strong>clitiques</strong> est exclue même <strong>dans</strong> <strong>les</strong> coordinations du type ‘V et re-V’ discutées <strong>dans</strong> la note 26<br />
(I *Voglio leggere e rileggerlo continuamente ; F *Lis et relis-le sans cesse !, cf. Benincà et Cinque<br />
1993), ce qui montre bien que l'explication pragmatique suggérée n'est pas suffisante en tant que telle.<br />
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21
(38) P a. Afirmo que ele me viu e cumprimentou.<br />
‘J'affirme qu'il me vit et [me] complimenta.’<br />
P b. Todos o aplaudiram e festejaram. ‘Tous l'applaudirent et [le] fêtèrent.’<br />
R c. Marina îl cunoaşte şi admiră. ‘Marina le connaît et [l']admire.’ 30<br />
R d. Marina îmi scria şi telefona zilnic. ‘Marina m'écrivait et [me] téléphonait<br />
tous.<strong>les</strong>.jours.’<br />
E e. ??Martina la ve y escucha [comparer : Martina ve y escucha a María]<br />
C f. ??La Martina la veu i escolta [comparer : La Martina veu i escolta la Maria]<br />
<strong>Les</strong> difficultés posées par la portée large sur une coordination d'hôtes ne peuvent<br />
s'expliquer, <strong>dans</strong> le cadre d'une analyse des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> romans comme <strong>clitiques</strong><br />
postlexicaux, simplement en termes du statut prosodiquement déficient des <strong>clitiques</strong>, car<br />
il n'y a aucune restriction universelle contre la cliticisation d'un élément prosodiquement<br />
faible sur l'un des membres d'une structure coordonnée (voir Miller 1992 : 155sv).<br />
Comme on s'y attend, le rattachement prosodique d'un clitique est une opération qui ne<br />
peut normalement pas être soumise à la condition sur <strong>les</strong> structures coordonnées, qui<br />
veut que <strong>les</strong> phénomènes syntaxiques s'appliquent de façon symétrique aux deux<br />
membres de cel<strong>les</strong>-ci. En effet, seule la structure prosodique, et non la structure<br />
syntaxique, peut contraindre <strong>les</strong> opérations postlexica<strong>les</strong>. Par contre, il est bien connu<br />
que <strong>les</strong> affixes sont typiquement répétés sur chaque membre d'une coordination de mots,<br />
bien que certaines exceptions existent 31 . Le fait que l'on doive obligatoirement répéter<br />
un élément sur une coordination d'hôtes peut donc être considéré comme un argument<br />
très fort en faveur du statut affixal et non clitique postlexical de cet élément. Par contre,<br />
<strong>dans</strong> la mesure où il existe des affixes qui peuvent avoir une portée large sur une<br />
coordination de bases, la possibilité de la portée large, constatée pour <strong>les</strong> pro<strong>clitiques</strong><br />
<strong>dans</strong> plusieurs <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>, ne nous dit rien sur leur statut d'affixes ou de <strong>clitiques</strong><br />
postlexicaux (cf. Miller 1992 : 155sv).<br />
2.4 Règ<strong>les</strong> syntaxiques affectant un verbe et <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> qui lui sont attachés<br />
L'italien et le catalan ont une construction syntaxique, typique du registre parlé, qui est<br />
parfois appelée dislocation à gauche du verbe (voir Benincà 1988 ; Monachesi 1999 :<br />
31, Vallduví 2001). Il s'agit d'une construction où l'infinitif est disloqué à gauche, et<br />
29<br />
Il semble que l'on ait affaire à une situation de variation où la portée large correspond à un système plus<br />
ancien, mais encore partiellement accessible aux locuteurs modernes. Par exemple, Uriagereka (1995 :<br />
105) donne l'exemple suivant de proclitique avec portée large comme bien formé : E Juan <strong>les</strong> hablará y<br />
perdonará ‘Juan leur parlera et [leur] pardonnera’ mais ce type d'exemple n'est pas considéré comme<br />
naturel par <strong>les</strong> natifs. De plus, il semble que la situation soit similaire en italien où certains locuteurs<br />
acceptent marginalement et <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mêmes conditions <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> de portée large d'un proclitique du<br />
type (36b).<br />
30<br />
Cependant, le résultat semble moins acceptable avec le pronom féminin accusatif o : ?Marina o<br />
cunoaste şi admiră.<br />
31<br />
P. ex. la portée large pour le suffixe ordinal -ième en français, comme <strong>dans</strong>. à la cinq ou sixième<br />
entrevue (Stendhal, cité <strong>dans</strong> Grevisse 1980 §892).<br />
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22
doublé <strong>dans</strong> la phrase par le même verbe à l'indicatif, comme en (39a,b). Cette<br />
construction est disponible pour des infinitifs nus comme en (39a,b), mais aussi pour<br />
des infinitifs accompagnés d'un clitique, comme en (39c,d). Par contre, il est impossible<br />
de détacher de la sorte un verbe infinitif avec un complément de type syntagme plein,<br />
comme le montre l'agrammaticalité de (39e,f).<br />
(39) I a. Dormire, dormo benissimo. ‘[Pour ce qui est de ]dormir, je dors très bien’<br />
C b. Dormir, dormo molt bé.<br />
I c. Vederla, la vedo ogni giorno.<br />
‘[Pour ce qui est de] la voir, je la vois chaque jour’<br />
C d. Veure-la, la veig cada dia.<br />
I e. *Vedere Martina, la vedo ogni giorno.<br />
‘[Pour ce qui est de] voir Martine, je la vois chaque jour’<br />
C f. *Veure la Martina, la veig cada dia.<br />
On constate que du point de vue de cette construction, un verbe nu et un verbe muni de<br />
<strong>clitiques</strong> sont traités de la même façon, par opposition à la combinaison d'un verbe et<br />
d'un syntagme. Ceci s'explique aisément si on admet que la dislocation à gauche du<br />
verbe s'applique à un constituant de niveau X 0 , et non à un syntagme et fournit donc un<br />
argument pour dire que l'unité formée par un verbe et <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> qui y sont attachés est<br />
une unité lexicale dès le niveau de la syntaxe. Dans le cadre lexicaliste adopté ici, ceci<br />
implique une analyse affixale des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> italiens et catalans (cf. Zwicky et<br />
Pullum 1983). En effet, à défaut, il faudrait supposer que <strong>les</strong> résultats de la cliticisation<br />
postlexicale puissent être "visib<strong>les</strong>" par une règle syntaxique, ce qui contredirait le<br />
principe d'inaccessibilité de la phonologie par la syntaxe (voir Miller, Pullum et Zwicky<br />
1997) 32 .<br />
2.5 Le statut obligatoire de la cliticisation.<br />
En français, il est généralement impossible d'employer une forme forte du pronom en<br />
position de complément s'il existe un clitique correspondant, comme cela apparaît en<br />
(40a,b,c,d). On peut donc dire que la cliticisation des <strong>pronoms</strong> objets est obligatoire. Il y<br />
a cependant deux cas de figure qui permettent d'échapper à cette contrainte, d'une part<br />
en cas de modification, par exemple un focus en que (40e,f), ou de coordination du<br />
pronom forme forte (40g,h), d'autre part s'il s'agit d'une stratégie permettant d'éviter une<br />
séquence de <strong>clitiques</strong> illicite (40i,j, cf. section 3.4 ci-dessous). Cependant, pour <strong>les</strong> cas<br />
32 Un argument similaire a été également avancé pour le français sur la base de l'alternance entre Ils m'ont<br />
vu et M'ont-ils vu ? Kayne 1975 : 92sv analyse cette dernière phrase comme résultant de l'inversion d'un<br />
noeud V dominant m'ont avec le pronom sujet, et en tire un argument pour considérer que le clitique objet<br />
est adjoint au verbe. Cependant, cet argument perd une grande partie de sa force du fait que l'inversion du<br />
verbe n'est possible qu'avec un clitique sujet, et non avec un SN plein : *M'ont <strong>les</strong> garçons vu ? Dans la<br />
mesure où on a de bonnes raisons de penser que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> sujets sont eux-mêmes des affixes (voir<br />
section 4), on peut douter du fait qu'il s'agisse d'une opération syntaxique d'inversion et considérer qu'on a<br />
simplement affaire à un problème de position des morphèmes <strong>dans</strong> le mot.<br />
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23
de coordination, il est beaucoup plus naturel, en tout cas en français oral spontané, de<br />
doubler <strong>les</strong> formes fortes coordonnées par un pronom clitique comme en (40g',g") 33 .<br />
(40) F a. *Marie voit moi/toi/elle/lui/nous/vous/eux.<br />
b. Marie me/te/le/la/nous/vous/<strong>les</strong> voit.<br />
c. *Marie parle à moi/toi/elle/lui/nous/vous/eux.<br />
d. Marie me/te/lui/nous/vous/leur parle.<br />
e. Marie ne voit que moi/toi/elle/lui/nous/vous/eux.<br />
f. *Marie ne me/te/le/la/nous/vous/<strong>les</strong> voit que.<br />
g. Marie voit Pierre et moi / toi et lui / ...<br />
g' Marie nous voit(,) Pierre et moi.<br />
g" Marie vous voit(,) toi et lui.<br />
h. *Marie me voit Pierre et.<br />
i. *Marie me te présente.<br />
j. Marie me présente à toi.<br />
<strong>Les</strong> autres <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> 34 , hormis l'italien, peuvent à première vue sembler<br />
similaires à cet égard, mais il s'avère que <strong>les</strong> faits doivent presque certainement être<br />
analysés autrement que pour le français standard 35 (le français parlé étant par contre très<br />
similaire aux autres <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>). L'élément qui fait apparaître cet écart est le<br />
doublement obligatoire des <strong>pronoms</strong> forts, discuté <strong>dans</strong> la section 2.2. En effet, on<br />
constate que, contrairement au français et à l'italien, lorsqu'on a un pronom fort modifié<br />
ou une coordination de <strong>pronoms</strong> comme en (40g,i), ceux-ci sont normalement doublés<br />
par un clitique. Ceci est illustré <strong>dans</strong> <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> suivants :<br />
(41) E a. *Veo solo a él. ‘[Je] vois seulement à lui’<br />
b. Lo veo solo a él. ‘[Je] le vois seulement à lui’<br />
c. *Hablo solo a él. ‘[Je] parle seulement à lui’<br />
d. Le hablo solo a él. ‘[Je] lui vois seulement à lui’<br />
(42) R a. *Maria nu vede decît pe mine. ‘Maria ne voit que PE moi’<br />
b. Maria nu mă vede decît pe mine. ‘Maria ne me voit que PE moi’<br />
c. *Maria nu vorbeşte decît mie. ‘Maria ne parle qu'à moi’<br />
d. Maria nu-mi vorbeşte decît mie. ‘Maria ne me parle qu'à moi’<br />
33 A l'écrit, on hésiterait à écrire (40g', g") sans une virgule séparant le SN coordonné, en faisant ainsi une<br />
dislocation à droite. Voir 2.2 sur le doublement. Anne Zribi-Hertz (p.c.) suggère que l'une des différences<br />
entre <strong>les</strong> versions avec et sans doublement (40g', g") et (40g) est que l'absence de doublement n'est<br />
possible que <strong>dans</strong> des emplois où la référence du pronom est construite ostensivement. Lorsqu'il s'agit<br />
d'une reprise anaphorique d'éléments topicaux, le doublement serait nécessaire.<br />
34 Le portugais brésilien est totalement exceptionnel à cet égard. En effet l'utilisation de <strong>pronoms</strong> forts<br />
sans doublement est tout à fait habituelle, voir Galves (1997).<br />
35 Il est possible que même le français standard soit plus proche des autres <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> que nous ne<br />
le suggérons. En effet, comme nous le suggère Anne Zribi-Hertz (p.c.), avec certains modifieurs de<br />
pronom, l'absence de doublement n'est possible que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cas de référence ostensive : Je vois<br />
seulement lui. vs. Je le vois seulement lui. (voir aussi note 33)<br />
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24
e. *Văd pe tine şi pe el. ‘[Je] vois PE toi et PE lui’<br />
f. Vă văd pe tine şi pe el ‘[Je] vous vois PE toi et PE lui’<br />
(43) P a. ??Vejo a ele e a ela. ‘[Je] vois à lui et à elle’<br />
b. Vejo-os a ele e a ela. ‘[Je] vois-<strong>les</strong> à lui et à elle’<br />
c. ??Vê a mim e a ela. ‘[Il] voit à moi et à elle’<br />
d. Vê-nos a mim e a ela. ‘[Il] voit-nous à moi et à elle’<br />
Ainsi <strong>dans</strong> ces <strong>langues</strong>, ce n'est pas tant la cliticisation des <strong>pronoms</strong> qui est obligatoire,<br />
que le doublement. L'italien, par contre, semble se situer à l'autre extrémité. Il est<br />
difficile de dire que la cliticisation des <strong>pronoms</strong> est obligatoire <strong>dans</strong> cette langue. La<br />
non cliticisation (sans doublement) est possible même sans modification du pronom<br />
objet, ni coordination, par exemple <strong>dans</strong> des cas de focalisation contrastive.<br />
2.6. Conclusion<br />
L'ensemble des propriétés syntaxiques discutées <strong>dans</strong> cette section suggèrent,<br />
comme nous l'avons déjà dit, que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> sont<br />
en réalité des affixes flexionnels du verbe, ou sont du moins impliqués <strong>dans</strong> un<br />
processus de grammaticalisation aboutissant à ce statut. Il nous faut cependant<br />
mentionner ici, pour la réfuter, une objection qui a souvent été soulevée contre une telle<br />
analyse, à savoir le fait que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> soient régulièrement attachés à un mot dont ils<br />
ne sont pas <strong>les</strong> arguments du point de vue sémantique. C'est le cas <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
constructions avec montée des <strong>clitiques</strong> en (25), mais aussi <strong>dans</strong> des exemp<strong>les</strong> comme<br />
(23) où le clitique est l'argument sémantique de l'adjectif attribut alors qu'il apparaît sur<br />
le verbe copule. 36 S'il est vrai que ces phénomènes rendent impossible l'analyse affixale<br />
la plus simple qu'on puisse imaginer, <strong>les</strong> formalismes grammaticaux fondés sur <strong>les</strong><br />
systèmes de traits comme HPSG ou LFG permettent des analyses strictement<br />
lexicalistes de ces phénomènes de montée. L'idée centrale est que l'élément recteur,<br />
déclencheur de montée pourra recevoir comme marques de flexion, <strong>dans</strong> le composant<br />
morphologique, toute combinaison possible de <strong>clitiques</strong>. Ainsi fléchi, il sélectionnera<br />
comme complément un constituant qui se serait combiné avec <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> en question.<br />
Ce type d'analyse a été proposé de façon détaillée <strong>dans</strong> divers travaux, notamment<br />
Miller (1992), Miller et Sag (1997), Monachesi (1999), Crysmann (2000a,b).<br />
3. Propriétés phonologiques et morphologiques particulières des <strong>pronoms</strong><br />
<strong>clitiques</strong><br />
Nous avons vu <strong>dans</strong> <strong>les</strong> sections précédentes que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong><br />
<strong>romanes</strong> ont des propriétés qui, à première vue, semblent intermédiaires entre cel<strong>les</strong> des<br />
mots et cel<strong>les</strong> des affixes. Dans cette section, nous examinerons <strong>dans</strong> quelle mesure <strong>les</strong><br />
36 Voir aussi <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> avec en et y <strong>dans</strong> la section 4.2. On trouve des exemp<strong>les</strong> où, comme pour <strong>les</strong><br />
<strong>clitiques</strong> datifs <strong>dans</strong> (23), ils sont sémantiquement <strong>les</strong> arguments d'un complément du verbe qui <strong>les</strong> porte<br />
(66), (67), (68), (70), ainsi que des exemp<strong>les</strong> où ils correspondent à des compléments non régis du verbe<br />
(voir note 64), et où ils ne sont donc pas des arguments de celui-ci au sens habituel.<br />
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25
données phonologiques et morphologiques sur le comportement des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong><br />
permettent d'éclairer le statut de ceux-ci, à l'interface entre syntaxe, morphologie et<br />
phonologie 37 . Nous verrons une fois de plus que <strong>les</strong> comportements sont loin d'être<br />
uniformes, à la fois d'une langue à l'autre, et même au sein d'une même langue. La<br />
complexité des données observées et la variété des situations intermédiaires que l'on<br />
constate sont tel<strong>les</strong> qu'il est difficile de dégager des réponses uniformes, simp<strong>les</strong> et<br />
totalement convaincantes, sur le statut des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> au travers des différentes<br />
<strong>langues</strong> ni même au sein de chacune de cel<strong>les</strong>-ci. Aucune des diverses solutions<br />
spécifiques qui ont été avancées <strong>dans</strong> la littérature ne s'impose clairement au regard des<br />
données. Ainsi, <strong>dans</strong> l'état actuel des connaissances, toute réponse ferme sur le statut<br />
des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> ne pourra être obtenue que grâce à d'importants présupposés<br />
théoriques. Cependant, une telle démarche, aussi intéressante qu'elle puisse être, ne doit<br />
pas conduire à occulter le degré de complexité effectif. Cela conduirait à<br />
déproblématiser, en quelque sorte, un champ de données empiriques dont la complexité<br />
même devrait au contraire conduire à faire avancer nos théories sur <strong>les</strong> interfaces entre<br />
<strong>les</strong> composants.<br />
3.1 Clitiques et prosodie<br />
Pour commencer cette discussion, nous nous tournerons vers <strong>les</strong> interactions<br />
prosodiques entre <strong>clitiques</strong> et hôte, et plus précisément vers le comportement<br />
prosodique de l'unité résultant de la cliticisation des <strong>pronoms</strong> au verbe qui en est l'hôte.<br />
On verra que, selon <strong>les</strong> <strong>langues</strong>, le comportement des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> est plus ou<br />
moins proche de celui des affixes, mais cependant non identique, en particulier en ce qui<br />
concerne <strong>les</strong> pro<strong>clitiques</strong>.<br />
En français, l'effet des en<strong>clitiques</strong> sur le placement de l'accent est parfaitement<br />
identique à celui des suffixes, à savoir que l'accent est déplacé sur la dernière syllabe, si<br />
celle-ci n'a pas pour noyau un schwa. Re'garde ! alterne avec Regarde-'<strong>les</strong> ! qui est luimême<br />
entièrement comparable au résultat de l'ajout d'un suffixe flexionnel : Regar'dez !<br />
(cf. Delais-Roussarie 1999 : 22) 38 . Pour <strong>les</strong> pro<strong>clitiques</strong> la situation est moins claire ;<br />
Delais-Roussarie (1999 : 21) suggère qu'ils ont un statut différent de celui des préfixes<br />
par rapport à l'accent d'insistance qu'on trouve optionnellement à l'initial de mot. Celuici<br />
peut, selon cet auteur, tomber sur le préfixe re-, mais non sur le clitique le <strong>dans</strong> Paul<br />
le reverra demain. Cependant, <strong>les</strong> faits eux-mêmes ne sont pas aussi clairement établis<br />
qu'elle le suggère : un accent contrastif sur me <strong>dans</strong> Il me le donnera ne paraît pas<br />
37 Sur cette question, voir entre autres Auger (1994, 1995), Bonet (1995), Delais-Roussarie (1999),<br />
Gerlach (2002), Halpern (1995), Labelle (1985), van der Leeuw (1997), Miller (1992), Monachesi (1999),<br />
Peperkamp (1997), Popescu (2000), Vigário (1999, 2003), Watson (1997), Zwicky (1987).<br />
38 Nous utilisons ici une apostrophe devant une syllabe pour marquer qu'elle porte l'accent tonique. Nous<br />
n'insistons pas ici sur l'enclitique le, qui est exceptionnel s'il est analysé phonologiquement comme /lə/,<br />
car il appartient alors à un petit groupe de cas (parmi <strong>les</strong>quels l'emploi de Parce que ! comme réponse<br />
elliptique) où une syllabe finale ayant un /ə/ pour noyau serait accentuée en français (cf. Regarde-'le ! vs.<br />
*Re'garde-le !). Diverses solutions ont été proposées <strong>dans</strong> la littérature sur ce point, l'une d'entre el<strong>les</strong><br />
étant de considérer qu'il ne s'agit pas en synchronie d'un /ə/ mais d'un /ø/.<br />
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26
impossible <strong>dans</strong> un contexte approprié. 39 Il semble donc qu'en français le comportement<br />
des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> de ce point de vue est au minimum très proche de celui des<br />
affixes.<br />
En italien, la présence d'un accent de mot variable rend <strong>les</strong> données plus<br />
intéressantes. En effet, celui-ci ne peut normalement remonter au delà de<br />
l'antépénultième. L'ajout d'un suffixe qui conduirait à une violation de cette contrainte<br />
entraîne en général un déplacement de l'accent vers la droite. Par contre, l'ajout<br />
d'en<strong>clitiques</strong> ne conduit jamais à un déplacement d'accent, même quand cela conduit à<br />
accentuer une syllabe en-deçà de l'antépénultième : Te-'le-fo-na-mi (‘téléphone-moi’),<br />
Pren-'de-te-ve-lo (‘prenez-le pour vous’) 40 . Ce type de donnée a été utilisé par Nespor et<br />
Vogel (1986), par exemple, pour soutenir que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> ne faisaient pas<br />
partie du mot prosodique. Cependant, le suffixe flexionnel de 3e personne du pluriel -no<br />
ne produit pas non plus de déplacement de l'accent lorsqu'il conduit à un accent avant<br />
l'antépénultième : te-'le-fo-na-no (‘ils téléphonent’), in-'ter-ro-ga-no (‘ils interrogent’).<br />
Nespor et Vogel (1986 : 148, 163n.2) considèrent que ces cas n'invalident pas la règle<br />
générale parce qu'ils représentent un petit ensemble de cas prédictib<strong>les</strong>. Cependant,<br />
comme le fait remarquer Monachesi (1999), le cas des <strong>pronoms</strong> en<strong>clitiques</strong> constitue<br />
également un petit ensemble de cas prédictib<strong>les</strong> et on voit mal ce qui justifierait de <strong>les</strong><br />
traiter différemment. Monachesi propose que la flexion de 3pl et <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> en italien<br />
sont adjoints au mot prosodique, et que c'est le mot prosodique minimal qui constitue le<br />
domaine d'assignation de l'accent.<br />
Par ailleurs, le comportement des dialectes italiens fait apparaître des situations plus<br />
complexes. En napolitain (cf. Bafile 1993, Monachesi 1999), par exemple, la situation<br />
est globalement similaire à celle de l'italien (l'accent ne peut en général apparaître avant<br />
l'antépénultième, la distribution des <strong>clitiques</strong> par rapport au verbe est identique).<br />
Cependant, lorsqu'on trouve deux en<strong>clitiques</strong> (à l'impératif notamment), on constate que<br />
l'accent de mot tombe sur le premier de ceux-ci. Par exemple, <strong>dans</strong> /prta'tillə/<br />
(porte+2sg.dat+3sg.acc), l'accent porte sur le premier des deux <strong>clitiques</strong>. Monachesi<br />
montre que l'analyse la plus appropriée du phénomène est de considérer que le groupe<br />
des <strong>clitiques</strong> est rattaché au verbe par une opération de type composition, c'est-à-dire<br />
une opération lexicale.<br />
En catalan, en espagnol et en portugais, la présence de <strong>clitiques</strong> peut également<br />
conduire à ce que l'accent se place en deçà de l'antépénultième (p. ex. P di'ziamo-no-lo<br />
‘disions-nous-le’), où le clitique tombe sur la cinquième syllabe avant la fin, cf. Vigário<br />
1999 : 224 ; 2003 : 134). Contrairement à l'italien, il semble n'y avoir aucun cas où la<br />
suffixation flexionnelle ou dérivationnelle conduise au même résultat, ce qui suggère<br />
39 Ces faits vont à l'encontre de l'affirmation courante selon laquelle <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> ne peuvent être<br />
accentués. En français <strong>les</strong> en<strong>clitiques</strong> finaux sont toujours accentués, et <strong>les</strong> pro<strong>clitiques</strong> peuvent porter un<br />
accent contrastif lorsqu'il s'agit d'établir un contraste. Par contre, ils ne peuvent jamais porter un accent<br />
focal (c'est-à-dire celui qui porte sur la syllabe normalement marquée par l'accent de mot, lorsqu'un mot<br />
est la réponse à une question qu-), voir Bolinger (1961). Nous remercions Anne Zribi-Hertz d'avoir attiré<br />
notre attention sur cette référence.<br />
40 Nous utilisons le trait d'union pour marquer ici <strong>les</strong> frontières de syllabes.<br />
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27
que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> ne font pas partie du domaine <strong>dans</strong> lequel est défini l'accent lexical.<br />
Cependant, vu <strong>les</strong> divers types d'opérations de rattachement prosodique qui ont été<br />
proposées <strong>dans</strong> la littérature (voir p. ex. <strong>les</strong> références données <strong>dans</strong> la note 4) il est<br />
difficile de considérer ceci comme une objection totalement concluante contre le<br />
rattachement lexical des <strong>clitiques</strong>. On pourrait par exemple invoquer une analyse<br />
similaire à celle de Monachesi pour l'italien, avec adjonction du clitique au mot<br />
prosodique (voir cependant Vigário 2003 :186-195 pour des arguments contre cette<br />
position).<br />
Pour conclure cette section, nous allons discuter brièvement deux cas, en roumain et<br />
en portugais, où <strong>les</strong> propriétés prosodiques des <strong>clitiques</strong> conduisent à <strong>les</strong> attacher<br />
prosodiquement comme en<strong>clitiques</strong> à un mot qui précède le verbe, et qui semblent être<br />
des survivances des propriétés des <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> anciennes<br />
évoquées en 2.1.6. Considérons d'abord <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> roumains en (44) (voir aussi <strong>les</strong><br />
exemp<strong>les</strong> note 10).<br />
(44) R a. Mama-l place. ‘Maman l'aime.’ (Popescu 2000 : 784)<br />
R b. Nu-l / N-o / Nu-i aştept. ‘(Je) ne le / ne la / ne <strong>les</strong> attends (pas).’<br />
(Dobrovie-Sorin 1994 : 71)<br />
R c. Nu ştie că-l / c-o / că-i aşteaptă mama. ‘(Il) ne sait (pas) qu'il / qu'elle /<br />
qu'ils attend(ent) maman.’ (Dobrovie-Sorin 1994 : 70)<br />
Dans ces exemp<strong>les</strong> on voit que, si le clitique est postitionné devant le verbe, il est<br />
cependant enclitique au mot qui précède, un nom en (44a), la négation en (44b), un<br />
complémenteur en (44c). Le statut enclitique est conforme à l'intuition des locuteurs,<br />
comme l'indique le trait d'union (qui est orthographique). Par ailleurs, il est confirmé par<br />
<strong>les</strong> interactions phonologiques avec le mot précédent, par exemple la disparition de la<br />
voyelle de nu et de că suivi du pronom accusatif o en (44b) et (44c) respectivement.<br />
Selon Dobrovie-Sorin (1994 : 71) et Popescu (2000 : 784), <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> roumains<br />
peuvent se rattacher optionnellement vers la gauche ou vers la droite <strong>dans</strong> ce type de<br />
cas.<br />
Il est crucial cependant de noter que le clitique ne peut apparaître comme enclitique<br />
<strong>dans</strong> des configurations comme cel<strong>les</strong> en (44) sans être suivi par le verbe. Ainsi (45a,b)<br />
sont des réponses elliptiques agrammatica<strong>les</strong> aux questions Qui l'aime ? et Qui attendil<br />
? De plus, il est impossible de coordonner l'élément sur lequel le clitique est<br />
enclitique en répétant le clitique comme en (45c). Par contre, sans répétition du clitique,<br />
la phrase est possible (45d).<br />
(45) R a. *Mama-l.<br />
R b. *Nu-l.<br />
R c. *Tata-l şi mama-l plac. ‘Papa-le et Maman-le aiment.’<br />
R d. Tata şi mama-l plac. ‘Papa et Maman-le aiment.’<br />
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28
Ces deux facteurs suggèrent que le rattachement du clitique à l'élément précédent ne<br />
peut être lexical 41 . L'analyse qui semble la plus plausible, vu ces phénomènes, est que<br />
<strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> en roumain peuvent encore être des <strong>clitiques</strong> postlexicaux (cf. 2.1.6). Dans<br />
ce cas, ils se positionnent devant le premier élément de Ph (qui est, étant donné <strong>les</strong><br />
propriétés syntaxiques du roumain, soit le verbe, soit l'un des adverbes qui peuvent<br />
séparer le clitique du verbe <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cas d'interpolation discutés en 2.1.4) et ils ont une<br />
tendance au rattachement enclitique 42 . Il est possible que cette analyse soit<br />
synchroniquement en concurrence avec une analyse affixale, ce qui rendrait compte de<br />
la possibilité de choix entre enclise et proclise.<br />
Pour le portugais européen, il a été soutenu par Carvalho (1989) que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong><br />
sont toujours prosodiquement en<strong>clitiques</strong>. Ainsi, <strong>les</strong> cas que nous avons traités comme<br />
pro<strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> la 2e partie seraient en fait à analyser une fois de plus comme des cas<br />
de <strong>clitiques</strong> postlexicaux précédant le verbe mais se rattachant prosodiquement à<br />
l'élément qui le précède. Voir cependant Vigário (2003 : 54-55, 184-203) qui soutient<br />
une position opposée à celle de Carvalho. Dans le cadre de ces observations, il est<br />
intéressant de rappeler que ce sont justement le roumain et le portugais qui permettent<br />
encore des cas (limités) d'interpolation.<br />
3.2 Interactions morphophonologiques particulières entre <strong>clitiques</strong> et hôte<br />
Une seconde voie d'investigation sur le statut des <strong>clitiques</strong> consiste à étudier <strong>les</strong> types<br />
d'interactions morphophonologiques qu'ils ont avec leurs hôtes afin de voir si leur<br />
comportement ressemble plutôt à celui des affixes ou à celui de mots indépendants<br />
prosodiquement déficients. Ce critère, dû au départ à Zwicky et Pullum (1983), pose<br />
cependant parfois certains problèmes d'interprétation, <strong>dans</strong> la mesure où l'on constate<br />
que <strong>les</strong> interactions morphophonologiques peuvent ne pas être identiques pour<br />
différentes classes d'affixes qui sont clairement lexicalement attachés (d'où l'idée<br />
classique d'une morphologie stratifiée où <strong>les</strong> affixes sont divisés en groupes s'attachant à<br />
des strates successives et où l'applicabilité des règ<strong>les</strong> phonologiques est définie par<br />
strate, voir Kiparsky 1982). Dans cette perspective, le fait qu'un pronom clitique ne<br />
présente pas <strong>les</strong> mêmes interactions phonologiques avec son hôte qu'un affixe ayant <strong>les</strong><br />
mêmes propriétés phonologiques peut soit signifier qu'il n'est pas lexicalement attaché,<br />
soit qu'il est bien lexicalement attaché, mais à une strate où le type d'interaction en<br />
question n'est pas applicable. Cette difficulté d'interprétation des données est d'autant<br />
plus problématique <strong>dans</strong> le cas des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> que, s'ils ont un statut affixal, ils<br />
seront inévitablement parmi <strong>les</strong> affixes <strong>les</strong> plus récemment morphologisés <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
<strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>. Conséquemment, on peut s'attendre à ce qu'ils soient attachés <strong>dans</strong> des<br />
41 Il faudrait cependant vérifier <strong>dans</strong> le détail que ceci n'est pas en contradiction avec le type d'interaction<br />
phonologique attesté <strong>dans</strong> ces contextes, par exemple la chute de la voyelle finale devant le clitique o<br />
attestée en (44b, c). Notons cependant que même s'il s'agissait d'une interaction typiquement lexicale, <strong>les</strong><br />
stratégies de phonologie précompilée proposées par Hayes (1990) permettent de rendre compte de tels<br />
cas, à condition que seuls un nombre limité de mots grammaticaux soient concernés, ce qui serait sans<br />
doute le cas ici.<br />
42 Cette analyse est proche <strong>dans</strong> l'esprit de celle proposée par Dobrovie-Sorin (1994).<br />
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29
strates plus tardives que <strong>les</strong> affixes plus anciens. En effet, <strong>dans</strong> la mesure où le degré<br />
d'idiosyncrasie morphophonologique tend à augmenter avec le temps, on s'attend à ce<br />
qu'il y ait de toute façon relativement peu d'interactions particulières entre <strong>clitiques</strong> et<br />
hôtes, et en tout cas beaucoup moins qu'entre <strong>les</strong> bases et <strong>les</strong> affixes plus anciens.<br />
Dans cette section, nous passerons en revue un éventail des types d'interactions<br />
morphophonologiques particulières que l'on constate entre <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> et leurs hôtes 43<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> différentes <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> ainsi que des cas où <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> divergent <strong>dans</strong><br />
leur comportement par rapport aux affixes classiquement reconnus comme tels. Pour<br />
des études détaillées sur ces questions voir par exemple Vigário (2003) pour le<br />
portugais, Miller (1992), Auger (1994), Delais-Roussarie (1999), pour le français,<br />
Peperkamp (1997), Monachesi (1999) pour l'italien, Monachesi (2000), Popescu (2000)<br />
pour le roumain, et Gerlach (2002) pour une discussion plus générale. On peut<br />
distinguer des cas où l'idiosyncrasie est liée à un hôte spécifique et d'autres où elle est<br />
phonologiquement conditionnée.<br />
Pour le premier type, on peut mentionner, par exemple, le verbe aller, pour lequel<br />
on constate une absence de réalisation phonologique du clitique y devant le radical ir-.<br />
On contrastera Pierre y va, Pierre y allait, et *Pierre y ira, ce dernier ne pouvant se<br />
réaliser que sous la forme Pierre ira. Or cette élision d'un /i/ devant un radical<br />
commençant par /i/ n'est pas une règle productive <strong>dans</strong> la phonologie du français (y<br />
illustrera ne peut en aucun cas se réduire à illustrera) 44 . Un autre exemple du même<br />
type est la réalisation de la séquence je suis comme chuis [i] et de je sais comme<br />
chais [e] en français parlé. Le phénomène est spécifique à ces deux verbes et ne peut<br />
être attribué à une règle phonologique productive, puisque la séquence homonyme je<br />
suis (1sg du verbe suivre) ne peut se réduire à [i] <strong>dans</strong> la plupart des variétés de<br />
français parlé.<br />
Pour le second type, phonologiquement conditionné, en français, on trouve, par<br />
exemple, un phénomène de semi-vocalisation ou d'insertion de yod entre le proclitique y<br />
et un verbe à initiale vocalique qui le suit (‘ils y allaient’ pouvant être réalisé [izjalε] ou<br />
[izijalε]). Johnson (1987) y voit l'application exceptionnelle, à un niveau syntagmatique,<br />
d'une règle opérant, <strong>dans</strong> son système de morphologie stratifiée, aux strates 1 et 2 (p. ex.<br />
colonie + -al → [kolonjal]) mais non à la strate 3 (le préfixe anti- étant par exemple<br />
rattaché à la strate 3, ce qui explique l'absence de semivocalisation <strong>dans</strong> des mots<br />
comme antiaérien). On pourrait, comme le fait Miller (1992 : 180), en conclure que,<br />
bien au contraire, le comportement du clitique y <strong>dans</strong> ce cas suggère justement qu'il est<br />
attaché lexicalement avant le niveau 3 45 . Cependant l'interprétation de ce phénomène est<br />
43<br />
Nous n'envisageons donc pas ici <strong>les</strong> interactions particulières entre <strong>clitiques</strong> (cf. 3.4), mais seulement<br />
cel<strong>les</strong> entre clitique et verbe hôte.<br />
44<br />
Voir Miller (1992 : 176-7) qui montre que ira doit pouvoir être interprété comme la réalisation de y+<br />
ira, et que l'ensemble des cas ne peut être traité si l'on pose une simple absence de y.<br />
45<br />
Un argument supplémentaire en faveur de cette position serait le fait que ni (qui est pourtant<br />
monosyllabique non lexical et non accentué) ne se comporte pas comme y : ni en courant ne peut subir<br />
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30
très problématique en raison de l'incertitude qui règne sur le détail des données,<br />
notamment en ce qui concerne la variation (voir notamment Delais-Roussarie 1999 : 21<br />
pour une interprétation inverse). De même la réduction de la à [l] (Martine l'accepte) et<br />
de tu à [t] (t'es prêt) devant des hôtes à initiale vocalique ne peut pas non plus être le<br />
résultat d'une règle phonologique productive (voir Morin 1979b : 4, 24 ; Miller 1992 :<br />
176sv).<br />
On trouve des phénomènes similaires <strong>dans</strong> <strong>les</strong> autres <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>. Nous en<br />
citerons ici quelques exemp<strong>les</strong>. En italien, on trouve une réduction facultative des<br />
<strong>clitiques</strong> accusatifs lo et la à [l] devant un hôte à initiale vocalique (Martina l'elegge ou<br />
lo elegge ‘Martina le choisit’). Ceci ne peut pas être le résultat d'une règle phonologique<br />
productive (cf. Monachesi 1999), et cela d'autant plus que le clitique prédicatif lo,<br />
homonyme du clitique accusatif, ne peut pas se réduire pas <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mêmes<br />
environnement (Martina lo è vs. *Martina l'è ‘Martina l'est’).<br />
En roumain, on constate également des idiosyncrasies <strong>dans</strong> la réalisation des<br />
<strong>clitiques</strong> (voir Lombard 1974 : 134sv et Monachesi 2000 ; voir aussi Popescu 2000 et<br />
Gerlach 2002 pour des interprétations inverses de ces faits). Par exemple, on constate<br />
une élision facultative de la voyelle des <strong>clitiques</strong> qui se terminent en [ă] devant un verbe<br />
qui commence avec un [a] ou un [o] non accentué, illustrée en (46a,b). Par contre, si le<br />
verbe est un auxiliaire, l'élision est obligatoire (47a,b). On notera que pour <strong>les</strong> emplois<br />
non auxiliaires du verbe a avea (‘avoir’), l'élision est optionnelle même si la forme<br />
phonétique est identique à celle de l'auxiliaire (48a,b). Ceci montre bien que l'élision ne<br />
peut être due à un règle phonologique productive.<br />
(46) R a. Mă aşteaptă. ‘[Il] m'attend.’<br />
b. M-aşteaptă. ‘[Il] m'attend.’<br />
(47) R a. M-a invitat. ‘[Il] m'a invité.’<br />
b. *Mă a invitat.<br />
(48) R a. M-ai acolo. ‘[Tu] m'as là.’<br />
b. Mă ai acolo. ‘[Tu] m'as là.’<br />
De même, le clitique se est facultativement élidé devant un verbe qui a un [a] ou un [o]<br />
non accentué à l'initiale (49a,b). Par contre, l'élision est impossible pour <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> te,<br />
ne, ou le <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mêmes contextes (50a,b).<br />
(49) R a. Se aşează. ‘[Il] s'assied.’<br />
b. S-aşează. ‘[Il] s'assied.’<br />
(50) R a. Te aşteaptă. ‘[Il] t'attend.’<br />
b. *T-aşteaptă. ‘[Il] t'attend.’<br />
une semi-vocalisation : *[njãkurã]. Il y aurait donc bien une différence de statut entre un mot<br />
prosodiquement faible comme ni et le clitique y.<br />
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31
En portugais, le clitique accusatif 3m.sg peut se réaliser sous <strong>les</strong> formes o, lo et no<br />
(<strong>les</strong> données sont parallè<strong>les</strong> pour <strong>les</strong> autres <strong>clitiques</strong> accusatifs os (3m.pl), a (3f.sg) et as<br />
(3f.pl)). Le choix entre ces formes (voir Vigário 1999 : 228-9, 2003 : 141-143) dépend<br />
de la phonologie de l'hôte. Si le verbe qui précède (ou le clitique qui précède) se termine<br />
par une consonne, celle-ci est élidée et le clitique apparaît sous la forme lo (p. ex. dás<br />
[donner.prés.2sg] + 3m.sg.acc → dá-lo). Si le verbe qui précède se termine par une<br />
diphtongue nasale le clitique apparaît sous la forme no (p. ex. comem [manger.prés.3pl]<br />
+ 3m.sg.acc → comem-no). Pour certains locuteurs, la réalisation no est limitée aux cas<br />
où la diphtongue nasale correspond à la réalisation du suffix de 3pl. Dans <strong>les</strong> autres cas,<br />
la forme o apparaît (p. ex. como [manger.prés.1sg] + 3m.sg.acc → como-o). Comme<br />
l'indique Vigário, il est clair que ces variations ne peuvent être dues à des règ<strong>les</strong><br />
phonologiques productives en portugais.<br />
De même, en portugais, la présence de certains <strong>clitiques</strong> derrière une consonne<br />
finale conduit à l'élision de celle-ci. Cette élision se produit de façon systématique<br />
devant <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> accusatifs, comme nous venons de le voir. Mais pour <strong>les</strong> autres<br />
<strong>clitiques</strong>, l'élision ne concerne que des combinaisons spécifiques. Par exemple, la<br />
consonne finale tombe si elle fait partie du marqueur 1pl et que le clitique qui suit est un<br />
datif de 1e ou 2e personne du pluriel (nos ou vos) à l'exclusion des autres <strong>clitiques</strong> datifs<br />
(me, te, lhe, lhes). Ainsi, damos [donner.prés.1pl] + 1pl.dat → damo-nos mais damos +<br />
3pl.dat → damos-lhes. De même, si le -s final n'est pas celui de la marque de 1pl,<br />
l'élision ne se produit pas, même devant <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> datifs nos et vos, p. ex. dás<br />
[donner.prés.2sg] + 1pl.dat → dás-nos.<br />
Par contre, toujours en portugais, Vigário (1999 : 224sv, 2003 : 134sv) met en<br />
évidence certains processus phonologiques lexicaux qui s'appliquent entre affixes et<br />
bases mais non entre <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> et verbes hôtes. Par exemple, selon Vigário, la<br />
diphtongaison nasale est une règle lexicale qui s'applique uniquement en position finale<br />
de mot. Or cette règle n'est pas bloquée par l'ajout d'un enclitique, ce qui suggère que<br />
celui-ci est ajouté postlexicalement.<br />
(51) P a. batente [e] / *[j] ‘marteau de porte’<br />
b. batem *[e] / [j] ‘[ils] battent’<br />
c. batem-te *[e] / [j] ‘[ils] te battent’<br />
De même, il existe selon Vigário une règle lexicale de centralisation de /e/ qui<br />
s'applique lorsque la voyelle est suivie d'un segment palatal hétérosyllabique, p. ex. le e<br />
de abelha (‘abeille’) est réalisé // et non /e/. Or cette règle ne s'applique pas <strong>dans</strong> le cas<br />
similaire où le segment palatal fait partie d'un enclitique, p. ex. dê-lha (‘donne-le-lui’)<br />
où e est réalisé /e/ et non //. Cependant, il existe différentes exceptions à cette règle (cf.<br />
Vigário 2003 : 78-82) et l'interprétation des données s'avère être complexe à plusieurs<br />
niveaux. Elle est en cela représentative de la situation <strong>dans</strong> l'ensemble des <strong>langues</strong><br />
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32
omanes. D'abord, on constate une variation dialectale importante sur <strong>les</strong> phénomènes<br />
dont il est question, qui complique la tâche de collection de données uniformes. Ensuite,<br />
<strong>les</strong> analyses proposées ne sont pas a priori évidentes et demanderaient à être poussées<br />
plus loin. Enfin, même en admettant que la caractérisation des données et l'analyse de<br />
base du phénomène soient correctes, on peut tirer des conclusions divergentes selon <strong>les</strong><br />
hypothèses théoriques que l'on se donne. En effet, certains auteurs ont proposé<br />
l'existence d'une morphologie syntagmatique ‘précompilée’ (voir p. ex. Hayes 1990),<br />
qui permet de rendre compte, au niveau de la phonologie et de la morphologie lexica<strong>les</strong>,<br />
d'alternances morphophonologiques dépendantes de l'environnement syntaxique ;<br />
Vigário (2003) propose d'adopter <strong>les</strong> mécanismes de Hayes pour traiter <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> du<br />
portugais comme des <strong>clitiques</strong> postlexicaux tout en rendant compte de leurs propriétés<br />
morphophonologiques idiosyncrasiques. De même, comme nous l'avons vu <strong>dans</strong> la<br />
section précédente, diverses extensions de la théorie de la hiérarchie des constituants<br />
prosodiques, et notamment la possibilité de l'adjonction, permettent de prévoir des<br />
interactions divergentes parmi <strong>les</strong> affixes selon qu'ils font partie du mot prosodique<br />
minimal ou qu'ils sont adjoints à celui-ci. Enfin, si l'on adopte <strong>les</strong> principes de la<br />
‘morphologie distribuée’ (cf. Harley et Noyer 1999, Harris 1997a,b), l'ensemble du<br />
débat sur le statut affixal ou clitique des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> romans perd la plus grande<br />
partie de son intérêt. En effet, au niveau de la syntaxe, <strong>les</strong> affixes et <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> sont<br />
traités de la même façon, comme des matrices de traits sans substance phonologique,<br />
tandis qu'au niveau morphologique et phonologique la distinction entre processus<br />
lexicaux et postlexicaux n'est pas considérée comme pertinente 46 .<br />
3.3 Lacunes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> paradigmes<br />
Une autre propriété considérée par Zwicky et Pullum (1983) comme caractéristique des<br />
affixes est l'existence de lacunes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> paradigmes (qui sont dits ‘défectifs’ <strong>dans</strong> la<br />
terminologie traditionnelle). <strong>Les</strong> <strong>clitiques</strong> postlexicaux, par contre, ne doivent pas, selon<br />
eux, exhiber de lacunes <strong>dans</strong> leurs paradigmes de combinaison (sauf si cel<strong>les</strong>-ci sont<br />
dues à des principes phonologiques généraux). En effet, <strong>dans</strong> la mesure où leur<br />
cliticisation est un phénomène postlexical, elle ne peut être contrainte, <strong>dans</strong> un modèle<br />
lexicaliste, par des propriétés spécifiques de l'hôte sur lequel s'appuie le clitique. Or, on<br />
constate des cas de lacunes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> paradigmes des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong>. Comme pour <strong>les</strong><br />
idiosyncrasies morphophonologiques, on peut distinguer <strong>les</strong> cas où ces lacunes<br />
concernent la combinaison des <strong>clitiques</strong> avec leur hôte et ceux où el<strong>les</strong> concernent la<br />
combinaison des <strong>clitiques</strong> entre eux. Seul le premier cas sera traité <strong>dans</strong> cette section, le<br />
second étant renvoyé au cadre plus général des contraintes sur la séquence des <strong>clitiques</strong>,<br />
qui sera traité en 3.4. Voici quelques exemp<strong>les</strong> pertinents.<br />
En français, par exemple, on constate, avec la grande majorité des verbes, une<br />
lacune <strong>dans</strong> le paradigme des <strong>clitiques</strong> sujets inversés pour présent de l'indicatif à la<br />
46 Voir par exemple Harley et Noyer (1999 : 4)"In D[istributed] M[orphology] the distinction between<br />
two types of phonology — ‘lexical’ and ‘postlexical’ — is abandoned."<br />
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33
1sg : *Chante-je vs. Chantes-tu ? Chante-t-il ? etc. 47 . Quelques verbes ont une forme<br />
avec le clitique je inversé (p. ex. suis-je, puis-je, dois-je, ...) mais <strong>les</strong> locuteurs<br />
francophones varient <strong>dans</strong> la liste précise des verbes permettant je enclitique 48 . De<br />
même, Miller (1992 : 175-6) note que, parmi <strong>les</strong> temps composés du français,<br />
l'impératif passé est exceptionnel en cela qu'il est impossible d'y avoir des <strong>clitiques</strong><br />
objets. On constrastera ainsi <strong>les</strong> deux phrases Aie mangé ton potage avant mon retour !<br />
et *Aie-le mangé avant mon retour ! Notons que le verbe plein avoir à l'impératif<br />
n'exclut pas <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> objets : Aie-le toujours présent à l'esprit ! Enfin, on peut<br />
remarquer l'impossibilité des <strong>clitiques</strong> réfléchis sur avoir verbe plein (*Heureusement<br />
qu'on s'a ; que nous nous avons) 49 .<br />
En italien, Benincà et Cinque (1991) notent que <strong>les</strong> participes présents peuvent être<br />
suivis par tous <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> datifs (52a). Pour <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> accusatifs, ceux de première<br />
et de deuxième personne sont possib<strong>les</strong> (52b), alors que ceux de troisième personne ne<br />
ne le sont pas, sauf marginalement la forme masculin pluriel li, lorsque le participe est<br />
au pluriel (52c). Si cependant le participe est au singulier, même le masculin pluriel est<br />
exclu (52d).<br />
(52) I a. I compensi spettanti-mi/-ti/-gli/-le /-ci/-vi<br />
‘<strong>les</strong> compensations m' / t' / lui (3sg.m.dat) / lui (3sg.f.dat) /nous / vous ...<br />
appartenant’<br />
b. Gli argomenti riguardanti-mi/-ti/-ci/-vi<br />
‘<strong>les</strong> arguments me / te / nous/ vous concernant’<br />
c. Gli argomenti riguardanti*-lo/*-la/*-le/?-li<br />
‘<strong>les</strong> arguments le / la / <strong>les</strong> (3pl.f.acc) / <strong>les</strong> (3pl.m.acc) concernant’<br />
d. *L'argomento riguardante-li. ‘l'argument <strong>les</strong> concernant’<br />
Enfin, on peut considérer que <strong>dans</strong> des exemp<strong>les</strong> roumains comme ceux de (6),<br />
répétés ici en (53), on a un cas de lacune <strong>dans</strong> <strong>les</strong> paradigmes. En effet, la nécessité<br />
d'utiliser le pronom accusatif féminin o comme enclitique sur la forme non finie, et non<br />
comme proclitique sur l'auxiliaire lorsque celui-ci commence par une voyelle, peut être<br />
47 Nous ignorons ici la forme chanté-je qui n'est plus usitée sauf <strong>dans</strong> un style écrit archaïsant. Notons de<br />
plus que l'on ne peut invoquer une quelconque raison pragmatique pour expliquer l'inacceptabilité des<br />
formes de type *Chante-je ? puisque des phrases comme Est-ce que je chante ce soir ? ne posent aucun<br />
problème.<br />
48 On notera que puis-je est par ailleurs un cas d'idiosyncrasie morphophonologique, puisque le -je<br />
enclitique sélectionne l'allomorphe /pi/ de pouvoir et exclut l'allomorphe /pø/ (*peux-je) alors que <strong>les</strong><br />
deux sont acceptés (avec cependant des variations liées au registre) pour je proclitique (je peux, je puis).<br />
49 Remarquons que le sens que devraient avoir ces phrases, si el<strong>les</strong> étaient bien formées<br />
(approximativement ‘Heureusement qu'on est là l'un pour l'autre’), est parfaitement cohérent. On notera<br />
par ailleurs l'existence d'une certaine variation sur ces jugements, certains locuteurs trouvant par exemple<br />
nous nous avons moins mauvais que on s'a (sur cette propriété de avoir, voir Morin 1984, Abeillé et<br />
Godard 2002).<br />
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34
considérée comme un mécanisme de supplétion pour des formes manquantes avec<br />
pro<strong>clitiques</strong> du type *o a et *o ar 50 .<br />
(53) R a. Marina o citeşte. ‘Marina la lit.’<br />
b. Marina a citit-o. (Marina a lu-la) ‘Marina l'a lu.’<br />
c. Marina o va citi. (Marina la AUX.FUT lire) ‘Marina la lira.’<br />
d. Marina ar citi-o. (Marina AUX.COND lire-la) ‘Marina la lirait.’<br />
3.4 Contraintes sur l'ordre et la réalisation des séquences de <strong>clitiques</strong><br />
<strong>Les</strong> contraintes qui pèsent sur l'ordre et la réalisation des séquences de <strong>pronoms</strong><br />
<strong>clitiques</strong> constituent l'une de leurs propriétés <strong>les</strong> plus remarquab<strong>les</strong>. Perlmutter (1970),<br />
<strong>dans</strong> le premier travail générativiste important sur la question, s'est attaché à décrire ces<br />
contraintes pour l'espagnol et le français. Perlmutter conclut à l'impossibilité d'un<br />
traitement syntaxique motivé de cel<strong>les</strong>-ci et propose une analyse où toutes <strong>les</strong><br />
combinaisons de <strong>clitiques</strong> sont produites en syntaxe, le résultat étant ensuite filtré, au<br />
niveau de la structure de surface, par une matrice de séquences possib<strong>les</strong>. Malgré<br />
certaines tentatives pour rendre compte de l'ordre des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> en syntaxe 51 , la<br />
grande majorité des linguistes travaillant sur la question ont suivi Perlmutter <strong>dans</strong> ses<br />
conclusions même s'ils n'ont pas adopté l'analyse par filtrage qu'il proposait.<br />
Trois traits principaux caractérisent ces contraintes. D'abord l'ordre entre <strong>les</strong><br />
<strong>clitiques</strong> est fixé pour chaque dialecte et présente des caractéristiques qui ne semblent<br />
pas pouvoir être explicab<strong>les</strong> par des principes syntaxiques habituels. Ensuite de<br />
nombreuses combinaisons de <strong>clitiques</strong> sont impossib<strong>les</strong> alors qu'on ne peut a priori <strong>les</strong><br />
exclure pour des raisons syntaxiques ou sémantiques. Enfin, la morphophonologie des<br />
séquences de <strong>clitiques</strong> relève clairement de la phonologie lexicale, avec l'apparition de<br />
nombreuses formes en combinaison qui sont imprédictib<strong>les</strong> à partir des formes isolées.<br />
Considérons <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> en (54) et (55) par opposition aux variantes inacceptab<strong>les</strong><br />
données en (56) à (58) :<br />
(54) F a. Martine {le lui / lui} envoie.<br />
I b. Martina glielo spedisce.<br />
R c. Marina i-l trimite.<br />
E d. Martina se lo envía. [*Martina le lo envía.]<br />
(55) F a. Martine me l'envoie.<br />
I b. Martina me lo spedisce.<br />
R c. Marina mi-l trimite.<br />
E d. Martina me lo envía.<br />
(56) F a. *Martine lui l'envoie.<br />
50 On explique parfois l'impossibilité de ces formes par le fait que le verbe commence par une voyelle.<br />
Cependant, cette explication ne peut être suffisante, vu que o monte sur le verbe modal a avea de + supin.<br />
51 P. ex. Fiengo et Gitterman (1978) (voir Morin 1979a pour une critique détaillée de leurs propositions).<br />
Voir cependant Laenzlinger (1993) pour une proposition plus récente et plus intéressante.<br />
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35
I b. *Martina lo gli spedisce.<br />
R c. *Marina l-i trimite.<br />
E d. *Martina lo se/le envía.<br />
(57) F a. *Martine le m'envoie.<br />
I b. *Martina lo mi spedisce.<br />
R c. *Marina îl-mi trimite.<br />
E d. *Martina lo me envía.<br />
(58) F a. *Martine me lui / lui me présente. [cf. Martine me présente à lui.]<br />
I b. *Martina mi gli / gli mi presenta. [cf. Martina mi presenta a lui.]<br />
E c. *Martina me le / le me presenta. [cf. Martina me presenta à él.]<br />
Pour commencer, on constate qu'en français, l'ordre entre <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> accusatifs et<br />
datifs dépend des personnes des <strong>clitiques</strong> en question. Si <strong>les</strong> deux <strong>clitiques</strong> sont de<br />
troisième personne, le clitique accusatif précède le clitique datif, voir (54a) vs. (56a).<br />
Par contre, si le clitique datif est de première ou de deuxième personne et le clitique<br />
accusatif de troisième personne, le clitique datif doit précéder le clitique accusatif voir<br />
(55a) vs. (57a). Aucune contrainte de ce type n'est attestée entre <strong>les</strong> syntagmes pleins<br />
correspondants.<br />
De même, ces exemp<strong>les</strong> montrent que l'ordre entre <strong>clitiques</strong> accusatifs et datifs de<br />
3e personne est opposé en français (où le datif suit l'accusatif) et en italien, roumain et<br />
espagnol (où l'accusatif suit le datif), voir (54) et (56). Or il semble impossible de<br />
corréler cette différence d'ordre à d'autres contrastes syntaxiques plus généraux qui<br />
opposeraient le français, d'une part, et l'italien, l'espagnol et le roumain, d'autre part<br />
(ceci est d'autant plus vrai que la séquence lui le de (56) est attestée <strong>dans</strong> certaines<br />
variétés régiona<strong>les</strong> de français qui n'ont par ailleurs aucune différence syntaxique<br />
notable avec le français standard).<br />
Ensuite, <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> (54) à (58) font apparaître que certaines combinaisons de<br />
<strong>clitiques</strong> sont impossib<strong>les</strong> ce qui constitue un exemple supplémentaire de lacune <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> paradigmes (cf. 3.3). Par exemple, (58) montre qu'il est impossible de combiner me<br />
accusatif et lui datif. Cette contrainte est présente <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> (et<br />
apparemment <strong>dans</strong> <strong>les</strong> séquences de <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> d'autres <strong>langues</strong> non apparentées) et<br />
a fait l'objet de diverses tentatives d'explication (voir p. ex. Haspelmath 2001 pour une<br />
discussion récente). Mais la plupart des contraintes de ce type sont beaucoup plus<br />
idiosyncrasiques. Par exemple, la séquence me te est généralement exclue <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
<strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>. Cependant, elle est possible en roumain à condition que le pronom de<br />
1 e personne soit datif et celui de 2 e accusatif : Marina mi-te trimite (‘Marina t'envoie à<br />
moi’). On remarquera par ailleurs qu'en français, pour une partie des locuteurs, la<br />
séquence me te est acceptable dès lors que <strong>les</strong> deux <strong>pronoms</strong> sont datifs, situation qui<br />
apparaît <strong>dans</strong> des constructions comme Pierre me te semble fidèle, où, de plus, me doit<br />
être interprété comme le complément de semble et te comme celui de fidèle. Enfin, il est<br />
en général difficile d'avoir des séquences de plus de deux <strong>clitiques</strong>. Une fois de plus, on<br />
voit mal comment des contraintes syntaxiques habituel<strong>les</strong> pourraient expliquer ce genre<br />
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36
de contrainte, puisque <strong>les</strong> formes fortes et <strong>les</strong> syntagmes pleins n'y sont absolument pas<br />
soumis.<br />
Enfin, on voit apparaître de nombreuses idiosyncrasies morphophonologiques <strong>dans</strong><br />
la réalisation des séquences de <strong>clitiques</strong>. En espagnol, la combinaison des <strong>clitiques</strong><br />
datifs (le, <strong>les</strong>) et accusatifs (lo, la, los, las) de 3 e personne provoque le remplacement du<br />
clitique datif par le clitique se, comme cela apparaît en (54d) (voir Perlmutter 1970). En<br />
français, il est normal, (même à l'écrit, cf. Grevisse 1980, §1070.2) de réaliser <strong>les</strong><br />
séquences le/la/<strong>les</strong> + lui/leur par lui/leur, comme cela apparaît pour lui <strong>dans</strong> la 2 e<br />
variante de (54a) (voir p. ex. Morin 1979b, Auger 1994, Miller 1992 pour de nombreux<br />
exemp<strong>les</strong> de ce type en français). De même, en portugais (voir Hutchinson et Lloyd<br />
1996 : 39, Vigário 1999, 2003 : 141sv) <strong>les</strong> séquences correspondant à la combinaison<br />
des <strong>clitiques</strong> de 3e personne datifs (lhe, lhes) et accusatifs (o, a, os, as) sont réalisées<br />
lho, lha, lhos, lhas, où la marque de nombre -s est celle de l'accusatif, celle du datif<br />
étant neutralisée. De même, <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> datifs de 1e et 2e personne (me, te, nos, vos)<br />
fusionnent avec <strong>les</strong> accusatifs de 3e personne (p.ex. avec o on obtient respectivement<br />
mo, to, no-lo et vo-lo). En italien, <strong>dans</strong> la combinaison des <strong>clitiques</strong> datifs et accusatifs<br />
(p. ex. lo) de 3e personne, la distinction entre le datif singulier masculin gli et le féminin<br />
le est neutralisée, et l'on obtient glielo <strong>dans</strong> <strong>les</strong> deux cas, *lelo étant impossible. De<br />
même, si l'on crée une situation où l'on s'attendrait à avoir une séquence du réfléchi si et<br />
de l'impersonnel si, au lieu de la séquence si si attendue, on obtient ci si. Ainsi, en (59a)<br />
on a un si réfléchi et en (59b) un si marquant l'impersonnel. Si on transforme (59a) en<br />
impersonnelle comme en (59c), au lieu de l'ajout d'un second si on obtient ci si.<br />
(59) I a. Si veste pesante. ‘Il se vêt pesamment.’<br />
I b. Si mangia bene. ‘On mange bien.’<br />
I c. Ci si/*Si si veste pesanti. ‘On se vêt pesamment.’<br />
Il est intéressant de noter ici que l'idée souvent invoquée pour expliquer ce phénomène,<br />
à savoir une contrainte contre la répétition de deux <strong>clitiques</strong> de forme identique, n'est<br />
pas suffisante, même si elle contient certainement une part de vérité. En effet, une<br />
séquence comme se se est possible si le premier se est la conjonction ‘si’ et le second le<br />
clitique impersonnel, p. ex. Se se la sente (‘S'il en a envie’ litt. ‘Si [il] se la sent’). Le<br />
clitique si (comme tous <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> se terminant en -i) apparaît toujours sous la forme<br />
se devant <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> commençant par l et n, ce qui constitue d'ailleurs encore une autre<br />
idiosyncrasie morphophonologique. De même, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations où l'on pourrait<br />
s'attendre à une combinaison du clitique locatif vi et du clitique de 2e personne de<br />
pluriel homophone, on obtient vi ci et non vi vi. (Cf. Monachesi 1999 : 28sv).<br />
Ce type de phénomène apparaît <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> et est<br />
particulièrement développé en roumain (voir Monachesi 1998, Popescu 2000) et encore<br />
plus en catalan (voir Bonet 1991, 1995, Harris 1997a,b, Wheeler et al. 1999 : 202sv).<br />
Dans cette dernière langue, pour ne prendre qu'un seul exemple parmi de nombreux cas,<br />
la combinaison du clitique neutre ho et du clitique locatif hi conduit, <strong>dans</strong> la langue<br />
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37
parlée à Barcelone, à une forme totalement inattendue li comme le montrent <strong>les</strong><br />
exemp<strong>les</strong> suivants empruntés à Bonet (1995 : 622).<br />
(60) C a. Això, ho portaré a Sabadell demà. ‘Ceci, [je] 3.neut porterai à Sabadell<br />
demain.’<br />
C b. A Sabadell, hi portaré això demà. ‘A Sabadell, [je] y porterai ceci<br />
demain.’<br />
C c. Això, a Sabadell, li portaré demà. (*ho hi / *hi ho)<br />
‘Ceci, à Sabadell, [je] l'y porterai demain.’<br />
Même si cela demanderait à être prouvé <strong>dans</strong> le détail pour chaque cas, il apparaît<br />
clairement que <strong>les</strong> irrégularités morphophonologiques complexes que nous avons<br />
évoquées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> paragraphes qui précèdent ne peuvent être le résultat de règ<strong>les</strong><br />
phonologiques postlexica<strong>les</strong> productives, ce qui rend inimaginable une construction<br />
postlexicale des séquences de <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> 52 . C'est pour cela que tous ceux qui se<br />
sont interessés à la question depuis Simpson et Withgott (1986) ont conclu que <strong>les</strong><br />
séquences de <strong>clitiques</strong> devaient être construites en morphologie, même si certains des<br />
auteurs qui soutiennent cette position s'opposent à celle qui est soutenue ici en ce qui<br />
concerne le rattachement de la séquence ainsi construite avec le verbe (p. ex. Popescu<br />
2000, Gerlach 2002).<br />
Afin de rendre compte des contraintes sur l'ordre et la compatibilité des <strong>clitiques</strong>, on<br />
propose généralement de <strong>les</strong> analyser en termes d'une matrice morphologique de<br />
positions (‘template’) du type illustré <strong>dans</strong> <strong>les</strong> tableaux 1 et 2. Dans ces tableaux, <strong>les</strong><br />
colonnes successives indiquent l'ordre d'apparition des <strong>clitiques</strong>. <strong>Les</strong> <strong>clitiques</strong><br />
apparaissant <strong>dans</strong> la même colonne ne peuvent se combiner entre eux. Le tableau 1<br />
présente la matrice de positions pour l'italien 53 . Sauf cas très exceptionnels, la séquence<br />
comporte un maximum de deux éléments.<br />
52<br />
Ceci est admis même par <strong>les</strong> opposants au statut affixal des <strong>clitiques</strong>, comme par exemple Vigário<br />
(1999, 2003).<br />
53<br />
Voir Monachesi (1999 : 203sv) pour l'inventaire de toutes <strong>les</strong> séquences de <strong>clitiques</strong> attestées <strong>dans</strong> un<br />
corpus italien de 13 millions de mots. Le tableau 1 rend compte de l'ensemble de ces séquences. Cordin et<br />
Calabrese (1988 : 589) proposent une version différente où <strong>les</strong> colonnes I et II du tableau 1 sont séparées<br />
en cinq : (i) mi ; (ii) gli, le (datif) ; (iii) vi ; (iv) ti ; (v) ci. Ceci permet de rendre compte de certaines<br />
combinaisons margina<strong>les</strong> (el<strong>les</strong> ne sont d'ailleurs pas attestées <strong>dans</strong> le corpus de Monachesi) que ne<br />
permet pas le tableau ci-dessus (p. ex. ?mi gli, ?gli ti) ; en contrepartie, il faut poser des incompatibilités<br />
entre colonnes (p. ex. il faut interdire <strong>les</strong> combinaisons de de (i) et (iv) (*mi ti) et de (iii) et (iv) (*vi ti), ce<br />
qui est automatique <strong>dans</strong> le tableau 1). De plus, il n'est pas clair que ces combinaisons margina<strong>les</strong> relèvent<br />
d'une matrice de positions, puisque l'ordre ?gli mi n'est pas jugé plus mauvais que l'ordre ?mi gli prévu par<br />
la matrice de Cordin et Calabrese.<br />
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38
Position I II III IV V VI<br />
mi ci (adv) si (réfl) lo si (imp) ne<br />
ti la<br />
gli li<br />
le (dat) le (acc)<br />
ci<br />
vi<br />
Tableau 1 : Matrice positionnelle des <strong>clitiques</strong> en italien (Monachesi 1999 : 23)<br />
Pour le français, le tableau suivant a été proposé par Perlmutter 1970 : 226.<br />
Remarquons d'abord qu'il est destiné aux pro<strong>clitiques</strong> et qu'il inclut des positions pour<br />
<strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> sujets (colonne I) et pour le clitique négatif ne (colonne II), qui n'existent<br />
pas en italien standard. Pour <strong>les</strong> en<strong>clitiques</strong>, <strong>les</strong> colonnes III et IV doivent être inversées<br />
en français standard. De plus, on constate globalement une beaucoup plus grande<br />
variabilité de l'ordre des en<strong>clitiques</strong>, d'abord entre <strong>les</strong> différentes variétés de français (ce<br />
qui se trouve également de façon limitée pour la proclise), mais surtout, <strong>dans</strong> certaines<br />
configurations, pour un même locuteur, qui pourra par exemple alterner entre Donnemoi-le<br />
! et Donne-le-moi !<br />
Position I II III IV V VI VII<br />
je ne me le lui y en<br />
tu te la leur<br />
il, elle nous <strong>les</strong><br />
on vous<br />
etc. se<br />
Tableau 2 : Matrice positionnelle des <strong>clitiques</strong> en français (Perlmutter 1970 : 226)<br />
En plus des contraintes imposées par le tableau en tant que tel, on doit interdire la<br />
combinaison d'éléments provenant des colonnes III et V pour exclure <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> de<br />
type (58a), avec cependant le problème (similaire à celui noté ci-dessus pour me te <strong>dans</strong><br />
%Pierre me te semble fidèle) que <strong>les</strong> séquences de type me lui/leur sont acceptab<strong>les</strong><br />
pour certains francophones quand <strong>les</strong> deux <strong>clitiques</strong> sont datifs (%Pierre me lui semble<br />
fidèle). Par ailleurs, il est souvent dit que la séquence ne peut comporter au total que<br />
deux <strong>clitiques</strong> objets (provenant des colonnes III à VII) 54 . De plus, on doit stipuler<br />
diverses autres difficultés de cooccurrence qui ne concernent pas toujours des colonnes<br />
54 On notera cependant la parfaite acceptabilité d'exemp<strong>les</strong> du type Pierre me la lui a fait raconter,<br />
relevés par Tasmowski (1985), où l'on a d'une part une séquence de trois <strong>clitiques</strong> objets, d'autre part des<br />
membres des colonnes III et V (séparés cependant <strong>dans</strong> ce cas par un élement de IV, sans lequel la<br />
séquence devient inacceptable). L'acceptabilité de ces exemp<strong>les</strong> est d'autant plus étonnante qu'on peut<br />
penser qu'il ne doit pas s'agir d'occurrences fréquentes.<br />
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39
entières (voir p. ex. Morin 1979b, 1981), surtout pour l'enclise (p. ex. *menons-l'y ; *lui<br />
y parler vs. m'y parler). Enfin, il est bien connu que, <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>,<br />
<strong>les</strong> datifs éthiques échappent largement aux contraintes imposées par <strong>les</strong> matrices de ce<br />
type, ce qui est peut-être à mettre en rapport avec la possibilité pour certains locuteurs<br />
de produire des séquences me lui avec me datif (p. ex. %Paul te m'a donné une de ces<br />
gifle, Leclère 1976 : 93). Ce comportement est en contradiction totale avec l'esprit de la<br />
morphologie de position incarnée par <strong>les</strong> matrices.<br />
Au-delà des difficultés déjà mentionnées, on peut reprocher à ce type de<br />
représentation le fait qu'il manque de puissance explicative, puisque rien n'y motive le<br />
classement des <strong>clitiques</strong> en colonnes, ni l'ordre des colonnes, ni <strong>les</strong> contraintes de<br />
compatibilité. Certaines personnes ont tenté de proposer des explications syntaxiques<br />
et/ou sémantiques et/ou phonologiques à ces phénomènes. On consultera par exemple<br />
Watson (1997) qui, tout en admettant que la séquence de <strong>clitiques</strong> est construite<br />
morphologiquement, explique l'ordre et la cooccurrence en termes des traits<br />
±ACCUSATIF et ±INDIVIDUATION, combinés à certaines contraintes phonologiques ; de<br />
même, Laenzlinger (1993) propose une explication syntaxique de l'ordre et de la<br />
cooccurrence basée également sur des traits morphosyntaxiques et sémantiques. La<br />
question reste ouverte cependant de savoir jusqu'à quel point <strong>les</strong> explications proposées<br />
peuvent être généralisées à tous <strong>les</strong> cas de figure de l'ensemble des <strong>langues</strong> et des<br />
dialectes de façon cohérente.<br />
D'autres travaux récents ont proposé d'expliquer <strong>les</strong> phénomènes d'ordre, de<br />
cooccurrence et d'idiosyncrasie en termes de la théorie de l'optimalité, qui permet<br />
beaucoup de flexibilité <strong>dans</strong> l'explication grâce à la possibilité de hiérarchiser <strong>les</strong><br />
mêmes contraintes différemment selon <strong>les</strong> <strong>langues</strong> ou <strong>les</strong> dialectes (voir p. ex.<br />
Grimshaw 1997, Popescu 2000, Legendre 2000, Gerlach 2002). Cependant, <strong>dans</strong> ce<br />
type de cadre, on peut considérer que le manque explicatif se situe au niveau du choix et<br />
de la hiérarchisation des contraintes.<br />
Dans <strong>les</strong> deux types d'explications que nous venons d'évoquer, la motivation des<br />
contraintes proposées est d'une plausibilité variable. Par exemple, le fait d'invoquer la<br />
hiérarchie de l'animé de Siewierska (1988) (1 > 2 > 3 > humain > animaux supérieurs ><br />
autres organismes > matière non organique > abstraits) et une hiérarchie des arguments<br />
(sujet > objet indirect > objet direct) et de suggérer que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> tendent à être<br />
ordonnés en fonction de cel<strong>les</strong>-ci (comme le font p. ex. Watson 1997 et Gerlach 2002)<br />
paraît a priori intéressant. Cependant de tels principes généraux sont clairement<br />
insuffisants. Par exemple, la séquence le lui de (54a), où le est objet direct et peut<br />
référer à un inanimé, et lui est objet indirect et réfère à de l'animé contredit la hiérarchie<br />
de Siewierska et la hiérarchie des arguments. Watson et Gerlach proposent des<br />
explications pour cette séquence fondée sur des principes auxiliaires mais c'est à ce<br />
niveau que <strong>les</strong> choses peuvent sembler beaucoup moins convaincantes.<br />
Une autre hypothèse sur le statut des régularités partiel<strong>les</strong> sur <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> sont<br />
fondées <strong>les</strong> explications que nous venons d'évoquer serait qu'il s'agit de figements<br />
morphologiques diachroniques d'ordres anciennement motivés, mais qui depuis leur<br />
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40
figement ont été modifiés par des phénomènes de métathèse morphologique et de<br />
syncrétisme entre morphèmes (voir Hyman et Mchombo 1992 pour une argumentation<br />
de ce type en faveur de la lexicalisation d'une série d'affixes en chichewa).<br />
3.5 La mésoclise et <strong>les</strong> interactions entre <strong>clitiques</strong> et affixes<br />
Dans un modèle lexicaliste, un clitique postlexical doit a priori être plus à l'extérieur<br />
que <strong>les</strong> affixes attachés à la même base. C'est ce qu'exprime le critère de Zwicky et<br />
Pullum (1983) selon lequel <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong>, mais non <strong>les</strong> affixes, peuvent s'attacher à un<br />
hôte qui contient déjà un clitique. Deux types de cas sont répertoriés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong><br />
<strong>romanes</strong> où l'on a en apparence un pronom clitique <strong>dans</strong> une position située entre la<br />
base verbale et un suffixe, ce qu'on appelle parfois un cas de ‘mésoclise’.<br />
Le cas le plus connu de ce type est celui du futur et du conditionnel en portugais où,<br />
lorsqu'on s'attendrait à avoir des en<strong>clitiques</strong>, on constate que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong><br />
apparaissent entre la base verbale et le suffixe de temps et personne. 55 Si cependant on<br />
se trouve <strong>dans</strong> un cas où un déclencheur de proclise est présent <strong>dans</strong> la phrase, le suffixe<br />
se trouve directement attaché à la base verbale.<br />
(61) P a. falaremos ‘nous parlerons’<br />
P b. falar-lhe-emos ‘nous lui parlerons’<br />
P c. não lhe falaremos ‘nous ne lui parlerons pas’<br />
Sur base de ces faits, Zwicky (1987) et Halpern (1995) ont suggéré que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong><br />
<strong>clitiques</strong> portugais doivent être analysés comme des affixes. Cependant, plusieurs<br />
auteurs ont contesté la validité de cette analyse. Leeuw (1997 : 139sv) propose une<br />
analyse détaillée du phénomène, <strong>dans</strong> le cadre de la théorie de l'optimalité, <strong>dans</strong> des<br />
termes qui reviennent à nier la pertinence de la distinction entre affixes et <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong><br />
un cas de ce type. Vigário (1999, 2003 : 147sv) suggère que la marque de temps et de<br />
personne (dont on sait par ailleurs que, comme <strong>dans</strong> <strong>les</strong> autres <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>, elle<br />
dérive du verbe latin habere) a un double statut. D'une part, <strong>dans</strong> des exemp<strong>les</strong> comme<br />
(61a,c), elle fonctionne comme un véritable affixe flexionnel entièrement morphologisé.<br />
Par contre, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> de mésoclise, comme en (61b), elle fonctionnerait comme<br />
un verbe, qui sert d'hôte aux <strong>clitiques</strong>, et qui se combine avec un infinitif par<br />
composition. Vigário donne différents arguments en faveur de cette analyse, notamment<br />
en montrant que <strong>les</strong> formes avec mésoclise comportent deux mots phonologiques et ont<br />
deux accents primaires. Elle mentionne par ailleurs le fait que certains locuteurs<br />
portugais utilisent une forme innovante falaremos-lhe à la place du type (61b), où le<br />
clitique est derrière la marque de temps et de personne. Selon elle, <strong>dans</strong> de tel<strong>les</strong><br />
variantes, l'analyse du marqueur de temps et de personne comme verbe disparaît, et il ne<br />
subsiste que le statut de suffixe normal. On notera cependant que l'ensemble de ces<br />
55 On trouve des exemp<strong>les</strong> similaires en roumain archaïque, voir Lombard (1974).<br />
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41
données n'est pas nécessairement incompatible avec une analyse entièrement<br />
morphologique des formes en question.<br />
Le second cas où l'on peut suggérer qu'un suffixe apparaît derrière un clitique<br />
concerne des formes rencontrées <strong>dans</strong> certaines variétés d'espagnol parlé, où le suffixe<br />
de troisième personne du pluriel -n peut se trouver derrière un enclitique, et non devant<br />
comme cela est exigé <strong>dans</strong> la langue normative. On obtient ainsi, à la place de<br />
siéntense ! (‘asseyez-vous !’, sentar.subj.prés-3.pl.réfl) des formes comme siéntesen<br />
(Fernandez Soriano 1999 : 1257) où la marque de 3e personne de pluriel -n n'apparaît<br />
pas sur la base verbale, mais derrière le clitique réfléchi se. Ce type de cas semble être<br />
un argument très fort en faveur du statut affixal des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> (ou plus<br />
précisément des en<strong>clitiques</strong>) <strong>dans</strong> <strong>les</strong> variétés d'espagnol en question, <strong>dans</strong> la mesure où<br />
il paraît très difficile d'attribuer un statut autre qu'affixal au morphème -n.<br />
4. <strong>Les</strong> <strong>clitiques</strong> sujets et <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> adverbiaux<br />
4.1 <strong>Les</strong> <strong>clitiques</strong> sujets<br />
Dans la majorité des <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> un sujet anaphoriquement ou déictiquement<br />
récupérable n'est pas exprimé par un pronom, mais simplement indiqué par la marque<br />
de flexion suffixale de personne (certaines théories posant cependant la présence d'un<br />
pronom phonologiquement vide ‘pro’ en position sujet, voir p. ex. Haegeman 1991).<br />
Ainsi, (62a) est bien formé en italien. En français et <strong>dans</strong> la plupart des dialectes du<br />
nord de l'Italie 56 , par contre, on constate l'existence de <strong>clitiques</strong> sujets obligatoires <strong>dans</strong><br />
ce genre de contexte, ce qui apparaît <strong>dans</strong> (62b,c).<br />
(62) I a. Mangia. ‘Il mange.’<br />
b. El magna. / *Magna. ‘Il mange.’ (trentin, Rizzi 1986 : 391)<br />
F c. Il mange. / *Mange.<br />
Kayne (1975) a proposé une analyse des <strong>clitiques</strong> sujets du français essentiellement<br />
identique à celle des <strong>clitiques</strong> objets, en termes de mouvement du pronom depuis la<br />
position syntaxique normale du sujet vers une position adjointe au verbe. Cette analyse<br />
en termes de mouvement permettait entre autres de rendre compte de la distribution<br />
complémentaire que l'on constate entre clitique sujet et SN plein en français standard<br />
normatif, parallèle à la situation décrite en (28c) pour <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> objets. Cependant,<br />
<strong>dans</strong> la plupart des variétés de français parlé, on constate une présence très systématique<br />
du clitique sujet qui double le SN plein quand il est présent. Il en va de même <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
dialectes italiens discutés par Rizzi (1986). Ce doublement s'étend même, <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
dialectes italiens et <strong>dans</strong> certaines variétés de français, à des SN quantifiés indéfinis<br />
comme un enfant, quelqu'un ou personne.<br />
56 Nous tirerons nos exemp<strong>les</strong> pour ce chapitre de Rizzi (1986) ; voir également Poletto (1999).<br />
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42
(63) FS a. *Personne il ne mange.<br />
FQ b. en campagne, quand quelqu'un il <strong>dans</strong>ait... (Auger 1994 : 97)<br />
FP c. Ben oui mais alors personne il a une table exhaustive ? (exemple trouvé<br />
sur un forum de discussion sur la toile).<br />
d. Gnun l'a dit gnent. ‘Personne il a dit rien.’ (turinois, Rizzi 1986 : 396)<br />
Ces phénomènes ont conduit Rizzi (1986) pour <strong>les</strong> dialectes italiens, Auger (1994)<br />
pour le français parlé québécois, et Zribi-Hertz (1994) pour la variété de français parlé<br />
de France parfois appelé le français ‘avancé’, à conclure que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong><br />
sujets étaient en fait des marqueurs d'accord avec le sujet. Auger (1994) fait par contre<br />
remarquer qu'on ne trouve pas, en français parlé, de doublement de SN quantifiés<br />
indéfinis en position objet et en conclut que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> objets ne sont donc pas<br />
(encore) des marques d'accord en français parlé 57 . Cette asymétrie entre sujet et objet,<br />
ainsi que l'ordre d'apparition du phénomène de doublement systématique avec différents<br />
types de SN, vont tout à fait <strong>dans</strong> le sens de la hiérarchie des marques d'accord de Givón<br />
(1976), discutée en 2.2. ci-dessus, selon laquelle <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> sujets se grammaticalisent<br />
en marque d'accord avant <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> objets et <strong>les</strong> SN définis déclenchent l'accord plus<br />
tôt que <strong>les</strong> SN indéfinis.<br />
Nous avons parlé en 3.2 et 3.3 des idiosyncrasies morphophonologiques et des<br />
lacunes qu'on constate avec <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> sujets en français, ce qui suggère qu'ils ont à la<br />
fois le statut de marque d'accord et d'affixe lexicalement attaché. Ces mêmes arguments<br />
montrent que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> objets peuvent être analysés comme des affixes <strong>dans</strong> toutes<br />
<strong>les</strong> variétés actuel<strong>les</strong> de français parlé. Par contre, comme on vient de le dire, il n'est pas<br />
clair que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> objets fonctionnent en français comme marques d'accord 58 . Ce<br />
constat a conduit Miller (1992) et Auger (1994) à contester l'idée parfois exprimée selon<br />
laquelle le statut de marque d'accord est un préalable au statut d'affixe <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong><br />
<strong>romanes</strong>. Cette position rapproche la situation d'une langue comme le français de<br />
certaines <strong>langues</strong> bantoues où <strong>les</strong> marqueurs de sujet et d'objet ont clairement le statut<br />
d'affixes lexicalement attachés, mais où seul le sujet est un marqueur d'accord (voir p.<br />
ex. Givón 1976, Bresnan et Mchombo 1987 et Creissels 2001).<br />
Un indice supplémentaire du statut d'affixe lexicalement attaché des <strong>pronoms</strong> sujets<br />
en français parlé est le fait, noté par Miller (1992 : 158) et Zribi Hertz (1994 : 138),<br />
qu'on doit répéter le pronom sujet avec une coordination d'hôtes, contrairement au<br />
français standard (voir section 2.3 ci-dessus). Ainsi, Elle chante et elle <strong>dans</strong>e est très<br />
nettement préféré à Elle chante et <strong>dans</strong>e en français parlé. Rizzi (1986 : 403) montre<br />
que la même chose est vraie en trentin où seul La canta e la balla avec répétition du<br />
clitique sujet la est acceptable.<br />
57 Dans la perspective de Givón (1976), on pourrait suggérer que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> objets sont déjà des<br />
marques d'accord en français parlé, mais que l'accord n'est pas déclenché par tous <strong>les</strong> types de SN.<br />
58 Dans certains cadres théoriques on pourrait <strong>les</strong> appeler des <strong>pronoms</strong> incorporés, p. ex. Baker (1988).<br />
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43
Dans la section 2.5, nous avons parlé du statut obligatoire de la cliticisation des<br />
<strong>pronoms</strong> objets en français. <strong>Les</strong> <strong>pronoms</strong> sujets sont à cet égard plus complexes. En<br />
effet, si le doublement des formes fortes sujets est la norme <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> variantes<br />
usuel<strong>les</strong> de français parlé, le français standard permet des sujets formes fortes non<br />
doublés, mais uniquement à la 3e personne (Lui viendra ; Eux viendront ; mais *Moi<br />
viendrai ; *Toi viendras). Cette asymétrie, déjà étudiée par Benveniste (1965 : 201), n'a<br />
pas encore été expliquée de façon satisfaisante.<br />
4.2 <strong>Les</strong> <strong>clitiques</strong> ‘adverbiaux’<br />
Pour conclure cette section, nous dirons quelques mots des <strong>clitiques</strong> dits<br />
‘adverbiaux’ (la dénomination traditionnelle n'est pas heureuse, car <strong>dans</strong> beaucoup de<br />
cas ils correspondent à des syntagmes pleins qui ne sont pas des adverbes) qui existent<br />
en français (en et y), en italien (ne, ci et vi), et en catalan (en, hi) 59 . Sur le plan<br />
morphologique et phonologique, ces éléments ont clairement le même statut que <strong>les</strong><br />
<strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> objets habituels. Cependant, leurs fonctions possib<strong>les</strong> <strong>dans</strong> la phrase<br />
sont beaucoup plus variées (voir p. ex. Sandfeld 1970: 134-168 et Pinchon 1972 pour le<br />
français ; Wheeler et al. 1997 : 186-196 pour le catalan ; Cordin et Calabrese 1988 :<br />
559-565 et 633-644 pour l'italien) 60 .<br />
Une première fonction de EN est de permettre l'anaphore de SP en de (I di, da ; C<br />
de). Le clitique Y est similaire à cet égard et permet l'anaphore de SP avec toutes <strong>les</strong><br />
prépositions locatives du type à, <strong>dans</strong>, sur, sous, ...(I a, in, ... ; C a, en, ...) 61,62 . Ceci est<br />
illustré <strong>dans</strong> <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> (64) et (65) 63 .<br />
(64) F a. <strong>Les</strong> étudiants n'en sont pas sortis. [en = de cette amphi]<br />
I b. Gli studenti non ne sono usciti. [ne = da questo anfiteatro]<br />
C c. Els estudiants no n'han sortit. [en = d'aquesta aula]<br />
F d. Il en a parlé. [en = de ce cas]<br />
59 Pour alléger le texte, lorsque <strong>les</strong> <strong>langues</strong> montrent le même comportement, nous utiliserons EN pour<br />
représenter le pronom catalan et français ainsi que le ne italien et Y pour désigner le pronom français et <strong>les</strong><br />
<strong>pronoms</strong> italiens ci et vi, ainsi que le catalan hi. Nous ne prenons pas en compte ici <strong>les</strong> différences entre ci<br />
et vi en italien.<br />
60 Pour des études sur des questions plus spécifiques concernant ces <strong>clitiques</strong>, voir entre autres Belletti et<br />
Rizzi (1981), Haverkort (1999), Milner (1978), Ruwet (1990).<br />
61 Dans <strong>les</strong> trois <strong>langues</strong>, il y a une restriction importante sur la pronominalisation par Y des SP en à, à<br />
savoir qu'il est nécessaire qu'ils ne puissent pas être pronominalisab<strong>les</strong> par des <strong>clitiques</strong> datifs (voir aussi<br />
note 63). On notera cependant que cette contrainte est moins claire <strong>dans</strong> certaines variétés de français<br />
parlé (considérées comme non standard) où y remplace lui : %J'y ai dit... Cordin et Calabrese (1988 : 562)<br />
rapportent un phénomène similaire <strong>dans</strong> <strong>les</strong> parlers régionaux en Italie, aussi bien méridionale que<br />
septentrionale : %A Marie, ce l'ho detto ieri ‘A Marie, [je] y l'ai dit hier’.<br />
62 En catalan (cf. Wheeler et al.1999 : 191sv), hi permet de pronominaliser une plus grande variété de SP,<br />
comprenant des non locatifs, p. ex. Sortia amb en Terenci, però ja no hi surt. ‘Elle sortait avec Terenci,<br />
mais elle n'y sort plus’ = ‘mais elle ne sort plus avec lui’.<br />
63 Dans <strong>les</strong> trois <strong>langues</strong>, EN et Y ont le plus souvent des antécédents non humains. Cette contrainte est<br />
cependant loin d'être absolue, voir p. ex. Ruwet (1990), Sandfeld (1970), ainsi que l'exemple catalan de la<br />
note précédente. De même, le verbe penser (65d,e,f) permet l'apparition de y avec un antécédent humain.<br />
Dans <strong>les</strong> trois <strong>langues</strong>, on constate, avec certains verbes, une alternance entre datif et Y selon le statut<br />
humain ou non de l'antécédent, p. ex. Il lui/y a dédié l'après-midi [à son ami / à son travail].<br />
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44
I e. Ne ha parlato. [ne = di questo caso]<br />
C f. N'ha parlat. [en = d'aquest cas]<br />
(65) F a. Il y allait souvent. [y = à Paris]<br />
F a'. Tu n'y étais pas. [y = <strong>dans</strong> ta maison]<br />
I b. Ci andava spesso. [ci = a Parigi]<br />
I b' Non c'eri. [ci = a casa tua]<br />
C c. Hi anava sovint. [hi = a París]<br />
C c'. No hi eres. [hi = a casa teva]<br />
F d. Il y pense. [y = à son examen]<br />
I e. Ci pensa. [ci = al suo esame]<br />
C f. Hi pensa. [hi = en el seu examen]<br />
Ces exemp<strong>les</strong> montrent que le SP pronominalisé peut être un complément locatif<br />
(64a,b,c, 65a,b,c, 65a',b',c') 64 . Il peut également être un complément non locatif introduit<br />
par une préposition (64d,e,f) et (65d,e,f). De plus, comme pour le cas des <strong>clitiques</strong> datifs<br />
régis par des adjectifs évoqués en (23), <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> adverbiaux peuvent apparaître sur<br />
un verbe alors qu'ils sont sémantiquement régis par un adjectif attribut de celui-ci,<br />
comme illustré en (66) et (67) 65 .<br />
(66) F a. Il en est très content. [en = de sa voiture]<br />
I b. Ne è molto contento. [ne = della sua macchina]<br />
C c. N'éstà molt content. [en = del seu cotxe]<br />
(67) F a. Il s'y sent attaché [y = a ce laboratoire]<br />
I b. Egli ci si sente legato. [ci = a questo laboratorio]<br />
C c. Ell s'hi sent vinculat [hi= al seu laboratori]<br />
Par ailleurs, le clitique EN peut correspondre à un complément de nom issu de l'objet du<br />
verbe, comme en (68). <strong>Les</strong> exemp<strong>les</strong> parallè<strong>les</strong> avec y sont cependant impossib<strong>les</strong>,<br />
comme cela apparaît en (69), bien que le nom régisse <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois <strong>langues</strong> un<br />
complément en à. De plus, en français et en italien, mais non en catalan, avec une classe<br />
64 Dans <strong>les</strong> trois <strong>langues</strong>, <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> sont moins naturels lorsque le SP locatif n'est pas un argument du<br />
verbe souscatégorisé par le verbe. Cependant, avec Y, si le contexte prépare la relation entre le lieu et<br />
l'activité, <strong>les</strong> phrases sont acceptab<strong>les</strong>.<br />
(i) F J'aimais aller à cette discothèque. Je savais que Marc y <strong>dans</strong>ait chaque nuit.<br />
I Mi piaceva andare a quella discoteca. Sapevo che Marco ci ballava ogni notte.<br />
C M'agradava anar a aquella discoteca. Sabia que en Marc hi ballava cada nit.<br />
Par contre, il semble impossible <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois <strong>langues</strong> de pronominaliser par EN un SP locatif en de <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> mêmes conditions : *Marc en a plongé [du dessus de la falaise] ; *Marco se ne è tuffato ; *Marc se<br />
n'ha capbussat.<br />
65 Ces constructions sont cependant soumises à des contraintes qui restent à élucider. Par exemple, alors<br />
qu'une phrase comme Il y est fidèle [y = à ses principes], similaire à (67a), est acceptée par <strong>les</strong><br />
francophones, <strong>les</strong> variantes italienne et catalane de cet exemple sont rejetées par nos informateurs, malgré<br />
le parallélisme apparent avec (67b,c) : I *Ci è fedele. [ci = ai suoi principi] ; C *Hi és fidel. [hi = als seus<br />
principis].<br />
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limité de verbes 66 , EN peut correspondre à un complément de nom issu du sujet, comme<br />
en (70).<br />
(68) F a. Je n'en connais pas le nom. [en = de l'auteur de ce livre]<br />
I b. Non ne conosco il nome. [ne = dell'autore di questo libro]<br />
C c. No en conec el nom. [en = de l'autor d'aquest llibre]<br />
(69) F a. *Je ne m'y rappelle pas le voyage. [vs. Je ne me rappelle pas le voyage à<br />
Paris]<br />
I b. *Non ci ricordo il viaggio. [vs. Non ricordo il viaggio a Parigi]<br />
C c. *No hi recordo el viatge. [vs. No recordo el viatge a París]<br />
(70) F a. L'auteur en est célèbre. [en = de ce livre]<br />
I b. L'autore ne è celebre. [ne = di questo libro]<br />
C c. *L'autor n'és cèlebre. [en = d'aquest llibre]<br />
Notons encore que le catalan est exceptionnel en ce qu'il permet l'utilisation de hi pour<br />
pronominaliser certains attributs (SAdj ou SN) 67 . Enfin, EN et Y apparaissent <strong>dans</strong> de<br />
nombreuses expressions idiomatiques <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois <strong>langues</strong>. En français on a par<br />
exemple en avoir marre, il y a, etc. Voir Wheeler et al. (1999 : 195) et Cordin et<br />
Calabrese (1988 : 640) pour des exemp<strong>les</strong> similaires en catalan et en italien.<br />
Le deuxième emploi central de EN est celui qu'on appelle partitif ou quantitatif<br />
(cf. p.ex. Milner 1978), <strong>dans</strong> lequel il sert d'anaphore à un antécédent nominal non<br />
spécifique. Par exemple, en (71), l'antécédent pourrait être livres, livres anglais, livres<br />
de grammaire, etc.<br />
(71) F a. Il en veut (trois) [, de livres].<br />
I b. Ne vuole (tre) [, di libri].<br />
C c. En vol (tres) [, de llibres].<br />
Sur base du contraste entre (72) et (73), il est souvent affirmé (cf. Belletti et Rizzi 1981)<br />
que cet emploi est limité à la position objet direct des verbes transitifs et au sujet<br />
postverbal des verbes inaccusatifs. Cette donnée a été utilisée comme argument en<br />
faveur d'une représentation syntaxique de l'inaccusativité, le sujet préverbal du verbe<br />
66 La nature exacte de la classe de verbes permettant la pronominalisation en EN du complément du sujet<br />
comme en (6) a fait l'objet de débats, et il est souvent affirmé qu'il s'agit des verbes inaccusatifs (voir<br />
Belletti et Rizzi 1981, par exemple, mais voir aussi Tasmowski 1990 pour un point de vue différent).<br />
67 Wheeler et al. (1999:193-4) donnent <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> suivants : Digué que el ferro es tornaria or, però no<br />
s'hi va tornar. ‘Il a dit que le fer deviendrait de l'or mais il ne l'est pas devenu’ [litt. ne s'y est pas tourné].<br />
—És gaire salat aquest arròs ? —Sí que l'hi trobo. ‘—Est-ce que ce risotto est très salé ?’ —Je trouve<br />
que oui.’ [litt. je l'y trouve]. Wheeler et al. notent également que cet emploi de hi (ainsi qu'un emploi<br />
similaire de en) apparaît <strong>dans</strong> la langue parlée pour <strong>les</strong> attributs des verbes ser, estar, semblar, esdevenir<br />
et aparentar, bien que la norme exige que ces verbes pronominalisent leur attribut avec le pronom neutre<br />
ho.<br />
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inaccusatif étant en position d'objet en structure profonde et se comportant comme un<br />
objet <strong>dans</strong> cette position du point de vue du EN quantitatif 68 .<br />
(72) F a. *Trois en sont venus. [en = de clients].<br />
I b. *Tre ne sono venuti. [ne = di clienti].<br />
C c. *Tres n'han vingut. [n' = de clients].<br />
(73) F a. Il en est venu trois. [en = de clients].<br />
I b. Ne sono venuti tre. [ne = di clienti].<br />
C c. N'han vingut tres. [n' = de clients].<br />
Cependant, en italien et en catalan, de nombreux locuteurs ont le même contraste avec<br />
des verbes clairement inergatifs comme dormir et téléphoner, ce qui met serieusement<br />
en doute <strong>les</strong> propositions de Belletti et Rizzi 69 .<br />
(74) F a. *Trois en ont téléphoné. [en = de clients].<br />
I b. *Tre ne hanno telefonato. [ne = di clienti].<br />
C c. *Tres n'han telefonat. [n' = de clients].<br />
(75) F a. *?Il en a téléphoné trois. [en = de clients].<br />
I b. %Ne hanno telefonato tre. [ne = di clienti].<br />
C c. %N'han telefonat tres. [n' = de clients].<br />
Il apparaît donc que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> EN et Y ont des fonctionnements très complexes et en<br />
même temps très convergents <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois <strong>langues</strong> étudiées.<br />
5. Conclusion<br />
<strong>Les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong> ont fait l'objet de nombreux<br />
travaux. Cependant, on n'a pas toujours suffisamment mis en lumière leur rôle clef pour<br />
la compréhension des propriété des interfaces entre <strong>les</strong> composants de la théorie<br />
linguistique. <strong>Les</strong> études précédentes se sont généralement focalisées sur un seul aspect<br />
de la cliticisation, le plus souvent sur <strong>les</strong> phénomènes syntaxiques, en négligeant <strong>les</strong><br />
propriétés morphologiques et phonologiques.<br />
Dans ce chapitre, nous avons essayé de donner une vue d'ensemble de la<br />
complexité des données, en prenant en compte à la fois <strong>les</strong> propriétés syntaxiques,<br />
morphologiques et phonologiques des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> diverses <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>.<br />
Ce survol fait clairement apparaître le défi posé par ces éléments aux théories<br />
grammatica<strong>les</strong>. Leurs propriétés morphophonologiques doivent être réconciliées avec<br />
leurs caractéristiques syntaxiques. Ainsi, <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> constituent un domaine d'une<br />
importance cruciale pour comprendre <strong>les</strong> interactions entre <strong>les</strong> différents modu<strong>les</strong> de la<br />
68 (72b) et (74b) sont acceptab<strong>les</strong> en italien avec un accent focalisant sur Tre.<br />
69 Voir sur cette question Centineo (1996 :230-231) pour l'italien et Cortés et Gavarró (1997) pour le<br />
catalan.<br />
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grammaire et leur organisation interne. C'est <strong>dans</strong> cette perspective qu'il nous semble<br />
pertinent de <strong>les</strong> étudier.<br />
<strong>Les</strong> données que nous avons présentées font apparaître un grand degré de<br />
variation <strong>dans</strong> <strong>les</strong> comportements des <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong>, à la fois au sein d'une même<br />
langue, et parmi <strong>les</strong> <strong>langues</strong>. De ce point de vue, ce domaine constitue un champ<br />
d'investigation particulièrement riche pour la problématique de la variation, à la fois<br />
synchronique et diachronique, au sein d'un groupe de <strong>langues</strong> très proches. Au vu de la<br />
variation constatée, il semble très difficile de soutenir que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> correspondent à<br />
une catégorie unitaire définissable de façon uniforme. Cependant, nous croyons qu'il y a<br />
une tendance, <strong>dans</strong> la majorité des <strong>langues</strong> <strong>romanes</strong>, à ce que <strong>les</strong> <strong>pronoms</strong> <strong>clitiques</strong> se<br />
comportent comme des éléments morphologiques. En particulier, nous concluons que<br />
leurs propriétés sont très proches de cel<strong>les</strong> des affixes flexionnels. <strong>Les</strong> <strong>clitiques</strong> du<br />
portugais et, <strong>dans</strong> une certaine mesure, ceux du roumain posent problème à cette<br />
hypothèse, vu <strong>les</strong> particularités constatées, notamment <strong>dans</strong> leur positionnement par<br />
rapport au verbe. Nous pensons que des recherches futures pourront montrer de façon<br />
plus convaincante que <strong>les</strong> <strong>clitiques</strong> <strong>dans</strong> ces deux <strong>langues</strong> sont à un stade intermédiaire<br />
de morphologisation.<br />
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