Le Seigneur et la femme syro-phénicienne - Faculté Libre de ...
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-La Bible au scanner-------------<br />
<strong>Le</strong> <strong>Seigneur</strong><br />
<strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>femme</strong> <strong>syro</strong>-<strong>phénicienne</strong><br />
L'épiso<strong>de</strong> qui m<strong>et</strong> en face <strong>de</strong> Jésus<br />
une <strong>femme</strong> <strong>syro</strong>-<strong>phénicienne</strong> ou<br />
cananéenne (Mt 15.21-28 ; Mc 7.24-<br />
30) surprend sans doute le lecteur <strong>et</strong> il<br />
exerce le commentateur : on peut y voir<br />
Jésus dans un style brutal, qui va jusqu'à<br />
friser l'insulte (Mt 15.26 ; Mc 7.27). <strong>Le</strong>s<br />
interprètes, cependant, n'ont pas eu<br />
grand mal à résoudre <strong>la</strong> difficulté.<br />
Ainsi leur a-t-il semblé. Mais, <strong>de</strong>puis<br />
quelques années, se répand une lecture<br />
dont nous voudrions faire ici l'examen<br />
critique. Nous nous rappelons avoir<br />
écouté le professeur Georges Casalis<br />
dans une prédication radio-diffusée:<br />
Jésus, pour lui, trahissait par ses gestes<br />
<strong>et</strong> ses paroles les limites <strong>de</strong> son incarnation<br />
; oui, Jésus, Juif du 1er siècle, avait<br />
épousé l'étroitesse nationaliste <strong>de</strong> ses<br />
compatriotes <strong>et</strong> partageait le mépris <strong>de</strong>s<br />
siens pour ces « chiens» <strong>de</strong> païens<br />
impurs; <strong>la</strong> dur<strong>et</strong>é <strong>de</strong> ses propos reflétait<br />
celle <strong>de</strong> son cœur pour une <strong>femme</strong> du<br />
<strong>de</strong>hors; <strong>et</strong> c'est elle qui avait « converti»<br />
Jésus, qui avait réussi à changer ses<br />
sentiments, é<strong>la</strong>rgi son horizon. Depuis<br />
nous avons entendu <strong>de</strong>s versions « féministes<br />
» <strong>de</strong> <strong>la</strong> même eau, qui glorifient<br />
l'apport qu'a fait une <strong>femme</strong> à <strong>la</strong> spiritualité<br />
<strong>de</strong> c<strong>et</strong> homme, le rabbi thauma-<br />
par Henri BLüCHER<br />
turge. Nous avons aussi rencontré une<br />
version douce, « évangélique» : Jésus<br />
n'est pas accusé d'une dur<strong>et</strong>é coupable,<br />
mais on peut penser, puisqu'il a grandi<br />
en sagesse <strong>et</strong> en grâce (Lc 2.52), que <strong>la</strong><br />
rencontre <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>femme</strong> a opéré une<br />
mutation en lui, d'une version encore<br />
étroite <strong>de</strong> sa mission à <strong>de</strong>s perspectives<br />
universelles.<br />
Sous sa forme très adoucie, <strong>la</strong> lecture<br />
en cause peut être accommodée à <strong>la</strong><br />
christologie orthodoxe - ce qu'on ne<br />
peut pas dire <strong>de</strong>s autres versions, car<br />
jamais l'i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> Jésus aux<br />
pécheurs n'a signifié pour lui <strong>de</strong> comm<strong>et</strong>tre<br />
les mêmes péchés. Eventuellement<br />
compatible, cependant, elle n'est<br />
pas, pour autant, justifiée. Il faut faire<br />
valoir <strong>de</strong>s considérations exégétiques <strong>et</strong><br />
contextuelles.<br />
La métho<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus sobre consiste à<br />
chercher l'intention <strong>de</strong>s évangiles (ou <strong>de</strong>s<br />
évangélistes). On évite ainsi le débat sur<br />
l'écart entre le Jésus historique <strong>et</strong> le portrait<br />
<strong>de</strong>s évangiles (que nous croyons<br />
fidèle). On limite l'eff<strong>et</strong> <strong>de</strong>s projections sur<br />
Jésus, dont <strong>la</strong> psychologie personnelle<br />
reste un mystère incomparable, <strong>de</strong> nos<br />
sentiments <strong>et</strong> convictions.<br />
--26 Fac-Réflexion n° 44
-------------LaBible au scanner-<br />
A notre connaissance, <strong>et</strong> nous avons<br />
feuill<strong>et</strong>é nombre <strong>de</strong> commentaires, <strong>la</strong> lecture<br />
selon <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> <strong>femme</strong> change heureusement<br />
<strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> Jésus, n'est pas<br />
attestée avant l'époque contemporaine.<br />
<strong>Le</strong> fait a <strong>de</strong> quoi nous avertir contre les<br />
entraînements d'une mo<strong>de</strong>. Et, en vérité,<br />
<strong>de</strong> nombreuses considérations nous<br />
conduisent à l'exclure.<br />
1) Rien, dans le texte, ne <strong>la</strong> soutient,<br />
expressément. En conclusion <strong>de</strong><br />
l'affaire, Jésus ne loue pas <strong>la</strong> Cananéenne<br />
parce qu'elle aurait eu raison<br />
contre lui; il ne <strong>la</strong> remercie pas parce<br />
qu'elle lui aurait ouvert les yeux sur <strong>de</strong>s<br />
réalités qu'il n'avait pas encore perçues;<br />
il célèbre sa foi: « Femme, ta foi est<br />
gran<strong>de</strong>! » (Mt 15.28), <strong>la</strong> confiance qu'elle<br />
a mise en lui.<br />
2) Jésus a déjà, auparavant, proc<strong>la</strong>mé<br />
l'ouverture aux païens. <strong>Le</strong><br />
témoignage <strong>de</strong> l'évangile (c'est notre<br />
seule source) a montré Jésus, plusieurs<br />
chapitres auparavant, guérissant le serviteur<br />
du centurion, <strong>et</strong>, <strong>de</strong> façon unique,<br />
admirant <strong>la</strong> foi <strong>de</strong> ce païen, avant d'annoncer<br />
<strong>la</strong> participation <strong>de</strong>s païens au<br />
banqu<strong>et</strong> messianique, avec Abraham,<br />
Isaac <strong>et</strong> Jacob (Mt 8.10ss). D'après<br />
l'évangile selon Luc, Jésus, au début <strong>de</strong><br />
son ministère, a prêché en recensant les<br />
païens favorisés par <strong>la</strong> grâce dans<br />
l'Ancien Testament, y compris <strong>la</strong> <strong>syro</strong><strong>phénicienne</strong><br />
<strong>de</strong> Sarepta (Lc 4.25-27). En<br />
Matthieu 15 comme en Marc 7, ce qui<br />
précè<strong>de</strong>, c'est <strong>la</strong> remise en cause <strong>de</strong>s<br />
notions <strong>de</strong> pur<strong>et</strong>é <strong>et</strong> d'impur<strong>et</strong>é externes,<br />
qui, justement, séparaient les Juifs <strong>et</strong> les<br />
Fac-Réflexion nO<br />
p8Jens (Mt 15.10-20 ; Mc 7.14-23, avec<br />
19b à comparer avec Ac 10.9-16,28).<br />
Cranfield relève (dans son commentaire<br />
ICC (sur Mark, ad loc.), contre <strong>la</strong> lecture<br />
nouvelle, que Jésus n'a nullement modifié<br />
son comportement après Marc 7.<br />
3) Prise au premier <strong>de</strong>gré, <strong>la</strong> dur<strong>et</strong>é<br />
<strong>de</strong> Jésus est extrême, <strong>et</strong> jure avec<br />
son caractère habituel. Il faut prendre<br />
<strong>la</strong> mesure <strong>de</strong> l'écart entre le caractère<br />
attribué à Jésus tout au long <strong>de</strong> l'évangile<br />
<strong>et</strong> <strong>la</strong> brutalité <strong>de</strong> son attitu<strong>de</strong>, si on <strong>la</strong><br />
considère comme <strong>la</strong> simple expression<br />
<strong>de</strong> ses vues <strong>et</strong> sentiments initiaux. <strong>Le</strong><br />
Jésus « doux <strong>et</strong> humble <strong>de</strong> cœur »<br />
(Mt 11.29) se mue en personnage dur <strong>et</strong><br />
fermé. Lui qui n'a jamais rej<strong>et</strong>é un appel<br />
au secours 0fV. Hendriksen, commentaire<br />
sur Matthew, ad. loc.) ne daigne pas<br />
répondre un mot (Mt 15.23a). <strong>Le</strong>s disciples<br />
sont plus généreux que lui, car<br />
l'usage <strong>de</strong> leur formule suggère le sens:<br />
« Fais-<strong>la</strong> partir en lui accordant ce qu'elle<br />
réc<strong>la</strong>me» (cf. Lc 2.29) ! Il reprend l'image<br />
<strong>de</strong>s chiens, fort dévalorisante pour les<br />
Juifs. Certains prennent le diminutif<br />
(chiots) comme empreint <strong>de</strong> tendresse,<br />
mais R.T. France n'en est pas d'accord<br />
(comm. Tyndale sur Matthew, ad loc.).<br />
<strong>Le</strong> jugement déjà <strong>de</strong> Richard C. Trench<br />
paraît trouver l'équilibre: « Il y a dans le<br />
diminutif une légère atténuation <strong>de</strong><br />
l'extrême mordant <strong>de</strong>s termes ; mais non<br />
pas au point qu'ils cessent d'être très<br />
sévères <strong>et</strong> blessants »(1).<br />
(1) Notes on the Miracles of our Lord, New-York,<br />
D. Appl<strong>et</strong>on, 1855 2 , p. 275. Ouvrage admirable<br />
autant qu'oublié.
-La Bible au scanner-------------<br />
Au premier <strong>de</strong>gré, les données justifieraient<br />
<strong>la</strong> colère <strong>de</strong> F.W. Seare (cité par<br />
France) : « énoncé atroce », « insolence<br />
incroyable », « <strong>la</strong> pire sorte d'intolérance<br />
[chauvinism] ».<br />
4) La mise en œuvre d'une « pédagogie<br />
» indirecte est fort p<strong>la</strong>usible.<br />
<strong>Le</strong>s difficultés du « premier <strong>de</strong>gré »<br />
conduisent à envisager une métho<strong>de</strong> ironique,<br />
une stratégie du détour. Un argument<br />
très fort est que <strong>la</strong> <strong>femme</strong> ne s'y<br />
est pas trompée, qu'elle a persisté,<br />
qu'elle a perçu <strong>la</strong> proposition d'une<br />
énigme qu'elle avait à percer(2). <strong>Le</strong> ton <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> voix, une lueur au coin <strong>de</strong>s yeux, ont<br />
pu l'ai<strong>de</strong>r (France, <strong>et</strong>c.). Ce n'est pas <strong>la</strong><br />
seule fois où Jésus a usé d'une certaine<br />
«duplicité» pédagogique (comme on l'a<br />
appelée) ; il provoque souvent, dans un<br />
premier temps, l'incompréhension <strong>de</strong><br />
ses interlocuteurs (Mt 14.16, cf. Jn 6.6 ;<br />
Jn 2.18 ; 3.3 <strong>et</strong> les autres fameux « malentendus<br />
johanniques» ; l'usage <strong>de</strong>s<br />
paradoxes, <strong>et</strong> l'étrange intention <strong>de</strong>s<br />
paraboles, Mt 13.13ss). En profon<strong>de</strong>ur,<br />
<strong>la</strong> manière habituelle <strong>de</strong> Jésus est tout<br />
sauf simple: complexe, subtile, raffinée.<br />
<strong>Le</strong> dialogue entre Jésus <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>femme</strong> a<br />
le caractère <strong>de</strong> ces duels oratoires <strong>et</strong><br />
sapientiaux comme en raffolent les vil<strong>la</strong>geois<br />
du Moyen-Orient, au cours <strong>de</strong>squels<br />
<strong>de</strong>ux « habiles» font assaut <strong>de</strong><br />
réparties spirituelles(3). La foi <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>femme</strong><br />
(2) Robert H. Stein, Oifficult Passages in the Gospels,<br />
Grand Rapids, Baker, 19S4, p. 10S. Il souligne<br />
aussi l'imparfait, élégen, en Mc 7.27, « il<br />
disait ", qui implique toute une conversation.<br />
(3) Stein, ibid., p. 109 « match of wits ».<br />
porte son habil<strong>et</strong>é à ce jeu : « Elle prend<br />
le <strong>Seigneur</strong>, qui ne veut rien d'autre<br />
qu'être pris <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte, au piège <strong>de</strong> ses<br />
propres paroles »(4), en r<strong>et</strong>ournant l'image<br />
<strong>de</strong>s chiens sous <strong>la</strong> table.<br />
5) <strong>Le</strong>s évangiles m<strong>et</strong>tent en valeur<br />
<strong>la</strong> maîtrise <strong>de</strong> Jésus. La lecture nouvelle<br />
<strong>de</strong> l'épiso<strong>de</strong> suppose un Jésus suj<strong>et</strong><br />
aux influences, dont <strong>la</strong> doctrine est susceptible<br />
d'évoluer au gré <strong>de</strong>. ses rencontres.<br />
L'intention <strong>de</strong>s évangiles, tout au<br />
long, c'est plutôt <strong>de</strong> glorifier sa maîtrise<br />
parfaite: il sait où il va, <strong>et</strong> il l'annonce aux<br />
disciples incapables <strong>de</strong> le comprendre; il<br />
sait ce qui est en l'homme, lisant dans les<br />
cœurs; il n'est jamais pris au dépourvu, il<br />
a réponse admirable, avec une autorité<br />
inouïe, <strong>et</strong> il embarrasse invariablement<br />
ses adversaires. Certes, il a longtemps<br />
médité <strong>et</strong> mûri son proj<strong>et</strong> avant, mais<br />
entré dans son ministère, il est le Maître,<br />
le <strong>Seigneur</strong>.<br />
Dans <strong>la</strong> mesure où les évangiles<br />
s'apparentent à <strong>la</strong> biographie antique, il<br />
ne serait pas conforme à ce genre littéraire<br />
<strong>de</strong> montrer le héros hésitant, corrigé<br />
par une <strong>femme</strong>.<br />
6) La lecture nouvelle reflète <strong>de</strong>s<br />
préférences mo<strong>de</strong>rnes. Pourquoi,<br />
<strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s objections si fortes, le succès<br />
<strong>de</strong> l'invraisemb<strong>la</strong>ble lecture ? Nous<br />
croyons discerner un facteur décisif:<br />
pour <strong>la</strong> présente génération, il n'est guère<br />
<strong>de</strong> valeur plus haute que <strong>la</strong> capacité à se<br />
rem<strong>et</strong>tre en question, à rester ouvert, à<br />
(4) R.C. Trench, op. cit., p. 277.<br />
--28 Fac-Réflexion n° 44
-------------La <strong>la</strong>ngue au creus<strong>et</strong>-<br />
évoluer toujours en intégrant l'expérience<br />
<strong>de</strong> rencontres nouvelles (alors que l'homme<br />
à <strong>la</strong> doctrine fixée - on dira « figée» <br />
est soupçonné d'être psychorigi<strong>de</strong>, <strong>de</strong><br />
compenser son insécurité cachée). Ces<br />
valeurs, l'interprétation que nous critiquons<br />
les r<strong>et</strong>rouve en Jésus! (Même<br />
ceux qui s'éloignent <strong>de</strong> <strong>la</strong> christologie<br />
orthodoxe sont attachés à <strong>la</strong> figure <strong>de</strong><br />
Jésus.) Mais ces valeurs sont d'adoption<br />
récente, elles n'ont guère <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce dans<br />
l'échelle c<strong>la</strong>ssique; on ne peut pas les<br />
imputer à l'Ecriture, au détriment <strong>de</strong><br />
celles <strong>de</strong> maîtrise <strong>et</strong> <strong>de</strong> stabilité.<br />
Nul doute que <strong>la</strong> nouvelle lecture<br />
s'égare, en refusant <strong>de</strong> discerner <strong>la</strong> stratégie<br />
pédagogique <strong>de</strong> Jésus. R.C. Trench<br />
est meNeilleusement inspiré quand il rapproche<br />
l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux récits <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Genèse. La « duplicité» est proche <strong>de</strong><br />
celle qu'on voit en Genèse 43-45 ; quand<br />
Jésus, après que <strong>la</strong> <strong>femme</strong> a triomphé <strong>de</strong><br />
l'épreuve, s'exc<strong>la</strong>me sur sa foi, Trench<br />
commente: « Il lui avait montré, comme<br />
Joseph à ses frères, une apparence <strong>de</strong><br />
sévérité; mais, comme Joseph, il n'a pas<br />
pu <strong>la</strong> conseNer longtemps - ou, plutôt, il<br />
n'a pas voulu <strong>la</strong> conseNer un instant <strong>de</strong><br />
plus qu'il n'était nécessaire »(5). Et quant<br />
au sens <strong>de</strong> l'épreuve elle-même, l'analogie<br />
avec Genèse 32 est frappante: <strong>la</strong><br />
<strong>femme</strong> « a conquis <strong>la</strong> force que Jacob<br />
avait conquise autrefois, par son combat,<br />
toute <strong>la</strong> nuit, avec l'Ange» ; elle a vaincu<br />
<strong>la</strong> résistance <strong>de</strong> Dieu par <strong>la</strong> force même<br />
<strong>de</strong> Dieu(5), <strong>et</strong> sa foi rayonne <strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>t<br />
même <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gloire. •<br />
H.B.<br />
$ $ $ @ @@ @ $ e @e @ $ e @ @<br />
Atort <strong>et</strong> à travers par Henri BLüCHER<br />
Parmi les tours dont <strong>la</strong> contagion défigure<br />
le <strong>la</strong>ngage, je relève l'usage instrumenta/<br />
<strong>de</strong>s locutions « à travers »<br />
au « au travers <strong>de</strong> » : à travers <strong>la</strong> lecture<br />
<strong>de</strong> ce livre, vous grandirez dans <strong>la</strong> sanctification<br />
; Paul intervient à Corinthe au<br />
travers <strong>de</strong> Tite. .. Je ne trouve pas chez<br />
les grands auteurs d'exemples d'un tel<br />
usage <strong>et</strong> je peux donc présumer qu'il<br />
heurte le sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue. Certes,<br />
l'écart n'est pas très grand. L'ang<strong>la</strong>is<br />
(dont je soupçonne ici l'influence) donne<br />
Fac-Réflexion n°<br />
le sens instrumental à through, comme<br />
le grec à dia. Mais, le plus souvent,<br />
« par », sobre <strong>et</strong> c<strong>la</strong>ir, suffit amplement,<br />
avec « par le moyen <strong>de</strong> » <strong>et</strong> le savoureux<br />
« par le truchement <strong>de</strong> » pour les cas<br />
d'insistance plus forte. Une règle commo<strong>de</strong><br />
me paraît <strong>la</strong> suivante: réseNer « à<br />
travers» quand il y a bel <strong>et</strong> bien traversée,<br />
par exemple l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'imposition<br />
(5) Ibid., p. 277.<br />
(6) Ibid., p. 278.
-La <strong>la</strong>ngue au creus<strong>et</strong>-------------<br />
<strong>de</strong>s mains à travers les siècles, c'est-àdire<br />
en parcourant l'espace métaphorique<br />
du temps concerné. Un lexicographe<br />
sentait une différence entre « à<br />
traver5 » <strong>et</strong> « au travers <strong>de</strong> », c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière<br />
expression suggérant pour lui une<br />
résistance à vaincre; mais c<strong>et</strong>te opinion<br />
isolée ne se vérifie pas dans <strong>la</strong> littérature.<br />
Quelqu'un dira, à propos <strong>de</strong> l'usage<br />
que nous critiquons: « Mais c'est l'usage<br />
qui est souverain, <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue évolue<br />
toujours! » Certes, mais toutes les évolutions<br />
ne sont pas heureuses, <strong>et</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>la</strong>ngue possè<strong>de</strong> une i<strong>de</strong>ntité. <strong>Le</strong>s évolutions<br />
déplorées (déplorables) n'ont pas le<br />
caractère organique « naturel », <strong>de</strong> celles<br />
qui ont fait <strong>la</strong> vie du français: à cause<br />
<strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> communication massive<br />
U'accepte volontiers <strong>de</strong> dire massmédia),<br />
elles sont forcées, sans maturation,<br />
par une clique d'« animateurs» pour<br />
qui le respect <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue est le cad<strong>et</strong>,<br />
au mieux, <strong>de</strong>s soucis, à côté <strong>de</strong> l'audimat<br />
... La pression qui s'exerce vient <strong>de</strong>s<br />
financiers <strong>et</strong> <strong>de</strong>s publicitaires qui vivent,<br />
frénétiquement, dans un <strong>de</strong>mi-mon<strong>de</strong><br />
d'ang<strong>la</strong>is appauvri, connu par eux <strong>de</strong><br />
façon. approximative.<br />
La vogue d'« à travers» participe d'une<br />
certaine enflure, ou inf<strong>la</strong>tion, contraire<br />
aux universaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> qualité <strong>la</strong>ngagière.<br />
On cherche le plus lourd, le plus compliqué,<br />
le «toc ». Pour dire qu'une offre attirait<br />
les recrues, un ministre déc<strong>la</strong>rait<br />
récemment qu'elle « augmentait l'attractivité<br />
au niveau du recrutement » •••<br />
N.-B. : Des réactions à <strong>la</strong> présente<br />
rubrique, parfois, se manifestent qui<br />
montrent une ignorance qui ne me réjouit<br />
pas: ignorance <strong>de</strong> l'article écrit pour<br />
introduire <strong>et</strong> fon<strong>de</strong>r <strong>la</strong> série <strong>de</strong> mes<br />
remarques (