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Il - Luciano Caveri

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à mes enfants,<br />

Laurent et Eugénie


Aoste, 2008


Direction du projet :<br />

Elena Garda<br />

Révision éditoriale :<br />

Marisa Gheller, Diana Jaccod<br />

Couverture :<br />

Pier Francesco Grizi<br />

© 2008, Arti Grafiche E. DUC<br />

Località Grand Chemin, 16<br />

11020 Saint-Christophe<br />

Tutti i diritti riservati all’autore.<br />

ISBN: 978-88-87677-27-1


Préface<br />

« <strong>Il</strong> faut fuir les équivoques comme le diable », a écrit Saint-Vincent de Paul.<br />

<strong>Il</strong> m’a semblé juste, avant d’évoquer le parcours et les passions de <strong>Luciano</strong><br />

<strong>Caveri</strong>, de les placer dans une perspective plus longue : celle de la défense de la<br />

vérité. Une quête qui fut la sienne, et avant lui celle de plusieurs générations<br />

de <strong>Caveri</strong>.<br />

L’histoire de <strong>Luciano</strong> commence sur les ondes de Radio Saint-Vincent, en<br />

1977. La bonne parole portée par une radio libre : tout un symbole ! L’année<br />

suivante, il reçoit le prix Saint-Vincent des jeunes talents du journalisme.<br />

C’est le début de son ascension dans le journalisme : pour la télévision<br />

valdôtaine d’abord, puis à la RAI. Pendant une décennie, son visage est devenu<br />

familier à tous, son franc-parler a plu, sa popularité a crû. Je ne suis pas sûr<br />

que cette popularité ait gagné la totalité de la direction de la RAI, mais ! <strong>Il</strong>s<br />

ont appris ce qu’est la détermination d’un valdôtain. L’association de la presse<br />

valdôtaine y gagne un nom, et l’association de la presse francophone un membre<br />

apprécié.<br />

A mes yeux, ce n’est pas un hasard si avant d’entrer en politique, il a passé<br />

dix ans de sa vie à la recherche de l’information, c’est-à-dire, d’une certaine<br />

manière, à la recherche de la vérité. Au Val d’Aoste, tous ceux qui le connaissent,<br />

et connaissent sa famille, savent quelle place la vérité, la défense de la vérité,<br />

ont tenu dans leur histoire.<br />

L’histoire de son grand-père, qui a préféré abandonner une brillante carrière<br />

administrative plutôt que de transiger avec le fascisme, ainsi que l’histoire de son<br />

père, qui a conduit tant de Juifs vers le sanctuaire suisse, et a payé le prix de la<br />

déportation. Et sans doute aussi l’histoire de ses oncles, qui se sont élevés contre<br />

l’horreur et la défaite, et ont connu l’exil, la déportation, et même la mort.<br />

Et j’ai en tête une belle phrase d’Emile Zola qui paraît écrite pour eux : « la<br />

souveraineté, c’est la vérité et la justice. Car elles seules assurent la grandeur ».<br />

<strong>Luciano</strong> a donc reçu en héritage l’amour de la justice, la passion de la vérité,<br />

et une certaine intransigeance dans l’adversité qui s’appelle la grandeur. Un<br />

héritage engageant, dont <strong>Luciano</strong> <strong>Caveri</strong> a eu le talent d’en avoir été digne.<br />

<strong>Il</strong> a mis toute son existence au service de trois causes : la montagne, l’Europe,<br />

la diversité.<br />

La montagne, d’abord. Nous connaissons tous cette phrase de Saint-<br />

Matthieu, qui dit que « la foi transporte les montagnes ». Mais l’on mentionne


moins souvent la plaisanterie que fit Boris Vian en réponse, en se demandant<br />

« pourquoi l’on devrait transporter les montagnes alors que l’on peut simplement<br />

passer par-dessus » !<br />

D’une certaine manière, <strong>Luciano</strong> <strong>Caveri</strong> a fait l’un et l’autre.<br />

Je connais peu de gens qui, autant que lui, ont bondi d’un bout à l’autre du<br />

massif alpin. Pour écouter. Pour discuter. Pour convaincre, inlassablement, que<br />

par delà les frontières administratives et linguistiques, la montagne devait nous<br />

rapprocher, et non nous diviser.<br />

Au Parlement italien, au Parlement européen, il a fallu toute son ardeur pour<br />

fonder et animer le groupe des amis de la montagne. <strong>Il</strong> s’est dépensé sans compter,<br />

à tous les échelons politiques et institutionnels, nationaux et internationaux,<br />

pour que soit prise en compte la spécificité de notre environnement, de nos<br />

activités, de nos besoins. Oui, il a déplacé des montagnes ! Des montagnes de<br />

paperasse, d’inertie, de hiérarchie.<br />

De ce point de vue, en présidant le Conseil général de la Savoie, j’étais son<br />

voisin de palier ! Et, pourquoi ne pas le dire, j’ai soutenu et accompagné ses<br />

initiatives.<br />

Je pense, comme lui, que la montagne n’est pas un handicap, mais une<br />

chance. Une chance de solidarité entre les hommes et les femmes. Une chance<br />

d’échange, de fraternité, un point de contact entre les cultures et les langues. Une<br />

chance d’identité, dans un monde balayé par le grand vent de l’uniformité.<br />

Dès lors, je suis bien placé pour savoir que de la montagne à l’Europe, il n’y<br />

a qu’un pas. Un pas que nous avons franchi presque au même moment, et dans<br />

la proximité du même homme : Romano Prodi.<br />

Proximité institutionnelle, pour moi. Proximité politique, intellectuelle,<br />

amicale, pour lui. <strong>Il</strong> a été, en effet, un membre écouté du groupe libéral du<br />

Parlement européen : petit groupe par la taille, mais groupe central par son<br />

activité, son positionnement, sa liberté de ton, son enthousiasme européen.<br />

<strong>Il</strong> a aussi été un président de commission respecté. Et pas de n’importe<br />

laquelle : celle des transports, de la politique régionale, du tourisme. Un rôle sur<br />

mesure pour celui qui veut, réellement, améliorer la vie des gens et des territoires.<br />

<strong>Il</strong> a saisi cette chance à pleines mains. Et je peux témoigner que jamais il n’a<br />

été accaparé par les enjeux pourtant considérables, au plan économique, de la<br />

politique des transports. <strong>Il</strong> savait rester disponible pour les régions et la politique<br />

européenne qui sert leur développement.<br />

Revenant aux années bruxelloises, je souhaite à tous les Commissaires de<br />

travailler comme j’ai travaillé avec lui : avec continuité ; avec rigueur ; et aussi<br />

avec amitié. Je me rappelle très bien quand, et c’était le 2003, <strong>Luciano</strong> <strong>Caveri</strong><br />

m’avait mis à part de son intention de s’engager dans la politique de sa Région,<br />

après les longues années passées à Rome et l’expérience bruxelloise. Et bien, à<br />

cette occasion je n’ai pas pu que le conseiller dans ce sens en étant convaincu<br />

de l’importance de dépenser les meilleurs ans de sa propre carrière politique au<br />

service de notre communauté d’origine.<br />

6


Le hasard de la politique nous plaçait à Bruxelles comme nous l’avions été<br />

ici : côte à côte, voisin de palier. C’était l’heure de faire avancer la cause des<br />

régions, de la diversité, d’un progrès mieux partagé en Europe. Et franchement<br />

je peux bien affirmer que nous ne l’avons pas laissée passer.<br />

L’on entend souvent des lieux communs sur l’Europe. Lointaine, complexe,<br />

bureaucratique. Ce n’est pas toujours faux.<br />

Mais n’oublions pas le sens de ce projet : la paix et la liberté, pour laquelle<br />

tant de gens se sont sacrifiés ; une certaine idée du progrès et de la prospérité, à<br />

partager par tous.<br />

Ces idées ne sont pas lointaines parce qu’elles sont difficiles à atteindre. Elles<br />

ne sont pas fausses parce qu’elles sont anciennes. Construire l’Europe reste une<br />

idée juste, nécessaire.<br />

Je me dis parfois que pour les hommes de notre génération, l’Europe est<br />

notre combat, comme celui de la liberté et de la vérité fut celui de nos pères.<br />

Un combat pacifique, démocratique. Un combat des projets, une bataille des<br />

idées. Mais un combat tout de même, au sens fort du terme. Cela a été un<br />

privilège de le vivre avec lui… et ce n’est pas fini, grâce aux rapports qu’il garde<br />

soigneusement avec les institutions de la République française, en tant que<br />

Président des Valdôtains.<br />

Je ne peux conclure sans dire un mot de la diversité, un autre mot-clé de son<br />

travail.<br />

L’histoire des nations européennes n’est pas un long fleuve tranquille. Elles<br />

se sont construites par la volonté, parfois par la nécessité, parfois même par<br />

le sort des successions ou, pire, des batailles. Pourquoi le cacher ? L’arbitraire,<br />

parfois, s’en est mêlé. La terre d’où je viens a rejoint la France après la Nouvelle-<br />

Calédonie… J’ai été frappé par cette terrible phrase de Massimo d’Azeglio :<br />

« nous avons fait l’Italie, maintenant il nous faut faire les Italiens ».<br />

Je ne crois pas qu’on « fasse » les gens. L’on peut les rapprocher, les unir,<br />

leur donner les moyens de communiquer. L’on peut leur donner, collectivement,<br />

l’ambition d’aller vers les autres. Ce sont par exemple les valeurs universelles qui<br />

fondent la nation française, et c’est pour cela que je suis patriote.<br />

Mais je ne crois pas que l’on puisse arracher aux gens leurs racines, leurs<br />

repères, leur identité, sans compromettre leur avenir même.<br />

Voilà pourquoi je veux saluer les années qu’il a passées à faire reconnaître,<br />

peu à peu, les spécificités de la Vallée d’Aoste. Mais aussi, avec elles, toutes<br />

celles des autres minorités de l’Italie et de l’Europe. Une cause collective, une de<br />

plus dans son parcours. « Chacun seul est responsable de tous » écrivait Saint-<br />

Exupéry.<br />

<strong>Luciano</strong> s’est senti responsable, chez lui, comme à Rome ou à Bruxelles, ou<br />

maintenant qu’il dirige avec vision et efficacité le Gouvernement régional de<br />

la Vallée d’Aoste, de construire une Europe qui ne soit pas aveugle devant la<br />

différence. Une Europe qui ne cherche pas à « faire » les Européens. Mais qui<br />

sache, au contraire, accepter et reconnaître la diversité en son sein. Diversité<br />

7


des situations. Diversité des volontés. Diversité des identités, et des langues. Le<br />

chemin est encore long. Mais nous sommes en marche.<br />

Je vais conclure en disant un mot de la France, qui a souhaité distinguer<br />

<strong>Luciano</strong> <strong>Caveri</strong> de la manière la plus haute et solennelle, avec la remise des<br />

insignes de la Légion d’Honneur, dont j’ai eu le grand privilège de pouvoir le<br />

faire en son nom, pour ce qu’il a fait et qu’il fait pour notre langue commune.<br />

Le Français, dont la République Française n’en est pas la propriétaire, mais,<br />

simplement, la dépositaire. La responsabilité de nous tous, que <strong>Luciano</strong> <strong>Caveri</strong><br />

a retenue comme la sienne, en le défendant avec passion, est de le garder vivant<br />

et ouvert, pour les générations à venir.<br />

8<br />

Michel Barnier<br />

Ministre de l’Agriculture et de la Pêche<br />

de la République Française


décembre<br />

Aujourd’hui je veux aborder un thème très personnel concernant – à<br />

l’approche de la Noël – mon anniversaire, pour traiter quelques éléments qui<br />

facilitent le souvenir à mes amis et qui empêchent de fait de grandes fêtes<br />

le jour de ma naissance. En effet, je suis né – et j’en suis fier tout en n’ayant<br />

aucun mérite – le 2 décembre, à 20h10, dans l’ancienne Maternité d’Aoste<br />

( il y a quelques jours j’ai rencontré à Chambave l’obstétricienne qui était présente<br />

à ce moment-là ), avec un mois d’avance par rapport aux 9 mois ordinaires<br />

et de ce fait je pesais seulement 2 kg et 300 grammes. J’y tenais vraiment<br />

à voir le jour en 19 8, un grand millésime ! Et puis la Noël, c’est la Noël !<br />

Dans mon enfance, j’aimais penser à la chance de pouvoir entrelacer une<br />

Fête avec le grand F avec le jour de ma naissance, si l’on exclut évidemment<br />

les cadeaux…<br />

L’anniversaire est une date étrange : pleine de joie et en même temps<br />

bourrée d’une nostalgie croissante dans les années, parce qu’on ne sait jamais<br />

si le lendemain le soleil éclairera encore la méridienne du temps qui s’enfuit<br />

de notre existence – surtout lorsque tu commences à avoir, je dirais à partir<br />

de l’adolescence, une idée des problèmes de la vie.<br />

Je m’approche ainsi de mon dernier anniversaire de quadragénaire et il<br />

est normal de penser au temps qui coule. Les âges ne sont pas tous pareils : il<br />

y a quelque temps, à l’occasion de mes vingt ans de politique, je pensais qu’il<br />

y a une belle différence, quoique l’intervalle du temps soit le même, entre<br />

28-48 et 48-68. C’était bien Einstein qui faisait remarquer comment trois<br />

minutes de cuisson d’un œuf sont bien différents des trois minutes passées<br />

entre les bras d’une belle fille. <strong>Il</strong> m’est arrivé parfois de percevoir le temps<br />

qui ralentissait incroyablement – je pense à un accident de la route – ou viceversa<br />

accélérer, comme si l’aiguille des secondes augmentait sa propre vitesse<br />

– ce qui m’arrivait au Parlement européen lorsque j’avais 0 secondes à ma<br />

disposition pour une intervention.<br />

Une fois abandonnées les années où l’âge était à un seul chiffre, le premier<br />

anniversaire à deux chiffres, celui avec le 1 devant, ressemblait – à une<br />

époque de croissance et de vitalité – à une fusée qui se prépare à être lancée<br />

dans l’espace avec un compte à rebours : en face de toi, à l’exception d’une<br />

terrible destinée, tu as beaucoup de temps. Et quoi dire de l’anniversaire avec<br />

11


le 2 devant : tu ressemblais à un boxeur qui monte sur le ring de la vie après<br />

des années d’entraînement. Le 3 marquait un passage semblable à celui d’un<br />

plongeur qui décide de descendre, fort à la fois de l’expérience et de la force,<br />

à 40 mètres de profondeur. Lorsqu’à la porte de ton âge se présente le chiffre<br />

4, on se délecte du fait que – au vu de l’âge moyen de nos jours – on est dans<br />

le cœur de l’existence.<br />

Et le ? Ici, nous plongeons au milieu du passage qui m’attend en 2008.<br />

0 ans, qui représentent un demi-siècle : en lisant certains romans du passé,<br />

les quinquagénaires passaient comme des vieux dépourvus de toutes attentes.<br />

Une démonstration des changements : l’allongement de la durée de vie<br />

moyenne développe différemment l’âge et change la nature ainsi que la<br />

considération de la vieillesse. Aujourd’hui, les grands vieux, très nombreux<br />

et pleins de vivacité, atteignent ces balises impressionnantes qui marquent le<br />

troisième et le quatrième âge.<br />

Bref, l’alibi pour dire que ce n’est pas un drame a été sciemment érigé,<br />

mais il reste un alibi. Qui – à moins de n’être un menteur – ne regrette pas<br />

ses vingt ans ? <strong>Il</strong> est vrai cependant qu’il faut jouir de chaque âge, en prenant<br />

ce qu’il y a de bon et de mauvais, sans jeunismes à l’âge adulte et sans<br />

hargnes séniles lorsqu’on est jeune. J’observe des senior qui jouent le junior,<br />

devenant pathétiques, surtout les femmes lorsque les dégâts du temps les<br />

obligent à finir dans les mains des chirurgiens plasticiens qui en changent les<br />

traits ou font refleurir de seins tombants. D’autre part, je connais des jeunes<br />

qui sont des vieux par leur manque de gaité et de caractère, qui paraissent<br />

des octogénaires même s’ils n’ont que 30 ans.<br />

Je crois qu’il faut être ce qu’on est à son âge, en regardant le futur avec<br />

optimisme, en s’aimant et en sachant que l’amour – un carburant moins<br />

cher que le pétrole – peut faire le bien de tous : 1, 2, 3, 4, , 6, 7, 8… peu<br />

importe.<br />

L’évolution de la langue, dans un monde de plus en plus globalisé ( il<br />

y a quelques jours à Madrid, je remarquais comment les magasins du centre<br />

se ressemblent de plus en plus dans toutes les Capitales ), est un phénomène<br />

à suivre avec attention. C’est de ce sujet que je souhaite vous parler<br />

aujourd’hui, en laissant de côté la politique, en raison du risque évident d’arriver<br />

à saturation et le Calepin étant une sorte d’oasis de pensées en liberté.<br />

Selon une définition du dico, l’acronymie ( du grec akros « au bout,<br />

extrême » et onoma, « nom » ) est l’abréviation d’un groupe de mots formé par<br />

la ou les premières lettres de ces mots. Le résultat, nommé acronyme, se prononce<br />

comme un mot normal ou bien – ce qui plaît beaucoup aux Français,<br />

mais cela arrive aussi aux USA ( acronyme ! ) – en le dictant lettre par lettre<br />

12


( par exemples : SNCF ou RATP, respectivement Société Nationale des Chemins<br />

de Fer français et Régie Autonome des Transports Parisiens ). Ce fait<br />

se produit également au sein de la bureaucratie européenne de Bruxelles où<br />

l’acronyme est un chichi qui finit par créer une sorte de langage initiatique<br />

mystérieux ressemblant – dans une logique de corporation – au jargon d’antan<br />

des ramoneurs valdôtains. Ceux qui ne font pas partie du groupe, ne<br />

comprenant pas finissent par en être exclus.<br />

Dans la vie, nous sommes accompagnés par les acronymes. <strong>Il</strong>s sont<br />

un moyen pour abréger les choses : un moyen qui, en Italie aussi, en raison<br />

des anglicismes envahissants, est utilisé au quotidien et à qui les Français<br />

essayent d’opposer leurs acronymes ( deux exemples éloquents : AIDS se<br />

transforme en SIDA et NATO devient OTAN ). Même dans la forme orale,<br />

la brièveté est devenue désormais un élément positif.<br />

Dans mon enfance, je n’avais aucune idée de l’origine de certains acronymes<br />

parce que je croyais qu’ils étaient de véritables mots, comme radar ou<br />

laser. Et quoi dire d’un ensemble de noms assez familiers : l’industrie d’automobiles<br />

par excellence, FIAT ( Fabbrica Italiana Automobili Torino ) ; la seule<br />

société téléphonique de l’époque, SIP ( Società Idroelettrica Piemontese,<br />

que j’ai découvert ensuite comme étant l’entreprise qui a construit la digue<br />

de Valgrisenche ) ; l’usine de fusées qui découvrait l’espace, NASA ( National<br />

Aeronautics and Space Administration ), les stations de service AGIP<br />

( Azienda Generale Italiana Petroli ). Des partis politiques d’antan ( PCI,<br />

DC, PSI, PSDI… ) il ne reste que l’UV – et nous méritons bien une mention<br />

–, alors que les syndicats restent solidement sur scène ( CGIL, CISL,<br />

UIL et en Vallée d’Aoste SAVT ). <strong>Il</strong> nous vient aussi du passé VDA ( « libra »<br />

selon les arpitans qui écrivaient sur les murs ! ), auquel, au sein de l’Administration<br />

régionale, se place de temps à autres l’affreux RAVA ( Région autonome<br />

Vallée d’Aoste ). <strong>Il</strong> fait désormais partie de l’histoire, l’acronyme BIM<br />

( Bacino Imbrifero Montano ), alors que CELVA ( Consortium des Collectivités<br />

Locales de la Vallée d’Aoste ) et CPEL ( Conseil Permanent des Collectivités<br />

Locales ), calqués sur l’italien « enti locali », font leur apparition.<br />

Un panneau placé derrière les camions a produit l’utilisation de TIR<br />

( Transports Internationaux Routiers ), alors qu’aujourd’hui il existe d’inquiétants<br />

néologismes du genre ADSL ( Asymmetric Digital Subscriber Line ) ;<br />

pour ne pas parler du jour où le Conseil de la Vallée, en me faisant paniquer,<br />

m’a demandé mon IBAN ( International Bank Account Number ). Nous<br />

vivons submergés par les SMS ( Short Message Service ), nous sommes victimes<br />

du syndrome NIMBY ( Not In My Back Yard, que l’on pourrait traduire<br />

par « pas de ça chez moi » ou mieux encore en le remplaçant par PPCV,<br />

« Pourquoi Pas Chez le Voisin ? » ). Dans cet ensemble bourré d’incertitudes,<br />

comme un îlot dans la mer, c’est le AAAAA ( Association Amicale des Amateurs<br />

d’Andouillette Authentique ) qui résiste. Nous avons la tentation de<br />

nous y inscrire ou bien de lancer un SOS ( Save Our Souls ) !<br />

13


Je voudrais calmement, à jeux faits, revenir pour la dernière fois – parce<br />

qu’à la Noël nous serons tous animés par les bons sentiments – sur les référendums<br />

de proposition. Je voudrais le faire sans devoir écouter que je suis<br />

un putschiste ou un antidémocrate. Et sans que quelqu’un ne sorte de son<br />

armoire idéologique les maquisards de la Résistance, en soutenant que les<br />

Valdôtains auraient dû voter cette fois – après le nombre de référendums<br />

désertés dans le passé sur les indications à la fois de la droite et de la gauche<br />

– en raison d’une reconnaissance respectueuse vis-à-vis de ceux qui ont<br />

été les fondateurs de l’autonomie valdôtaine. Ces valeurs font partie de notre<br />

histoire personnelle et collective et certains tests de démocratie – avec le carnet<br />

de notes qui nous est attribué – pourraient se retourner contre certains<br />

maîtres à penser à la plume facile. Je me réfère aussi aux lettres dirigées qui<br />

sont arrivées aux journaux le lendemain des référendums. Des lettres récitant<br />

entre autres un chapelet douloureux qui, comme dans chemin de croix<br />

pénible, a fini par ajouter du sel sur les blessures des vaincus. Dire aux électeurs<br />

– et nous dire – que nous sommes des crétins, peureux ou corrompus<br />

n’est pas un exercice des plus malins. Tout comme le fait de poursuivre dans<br />

l’étalage d’une série de méchancetés à mon égard ( à savoir sur le Président<br />

qui trahit les fonctions de préfecture ) et sur le régime de dictature instauré<br />

par l’Union démontre la petitesse de certaines argumentations et l’improbabilité<br />

de la carrure politique de leaders qui – comme des joueurs de fifres<br />

magiques qui ont poussé leurs troupes dans un gouffre – ressemblent désormais<br />

à des disques cassés qui utilisent toujours les mêmes phrases, comme si<br />

le « non vote » avait été seulement un mauvais rêve !<br />

Je veux revenir sur le thème après avoir analysé les résultats, qui ne permettent<br />

entre autres ni demi-mesures, ni commentaires ambigus : les référendaires<br />

ont pris une sacrée déculottée. Notre Mouvement doit thésauriser<br />

le résultat. Nous devons être sages et modérés, mais cela signifie quand<br />

même dire la vérité, rien que la vérité. <strong>Il</strong> n’y aurait rien de pire que être<br />

généreux avec les vaincus, parce que surement ils n’auraient pas eu de la<br />

pitié, si on avait été humiliés par l’électorat à leur place. Et alors il faut<br />

dire les choses : nous avons été ingénus à voter le mécanisme en vigueur du<br />

referendum qui propose, conçu comme il était : une bombe à retardement<br />

pour nous faire sauter en l’air. Etonnant, pour une fois qu’il y en avait raison,<br />

que le Gouvernement national, n’ait pas contesté parmi la Cour Constitutionnelle<br />

une loi qui prévoyait de remplacer la démocratie représentative<br />

avec une confuse démocratie directe, inexistante et jamais prévue avec ces<br />

mêmes mécanismes dans n’importe quelle démocratie. C’est clair que, selon<br />

la Constitution et le Statut, le pouvoir de légiférer – sauf dans le cas d’extraordinaire<br />

nécessité et urgence du décret législatif – est un devoir du Parlement<br />

ou des Conseils régionaux et seulement le referendum abrogatif peut<br />

s’occuper des lois, ou de tranches de lois, en créant des « coupures » des lois<br />

14


en vigueur. « Qui propose » veut dire proposer, et non pas parvenir, sous la<br />

pression du referendum et du peuple, à une nouvelle loi publiée !<br />

Et cela vaut dans tous les cas, mais spécialement en deux cas : pour les<br />

lois soi-disant statutaires dérivant de l’article 1 du Statut, qui doivent rester<br />

solidement dans les mains du Conseil de la Vallée, considéré que le referendum<br />

confirmatif comme mécanisme d’implication du peuple est déjà prévu ;<br />

et quand – deuxième cas – pour les lois qui n’ont pas ( conformément à l’article<br />

81 de la Constitution ) la nécessaire couverture financière, pour éviter<br />

que les caisses publiques deviennent une passoire. Les experts qui devaient<br />

se prononcer sur l’admissibilité des referendums se sont distraits sur ces<br />

deux points aux premier examens des documents, et seulement en seuil ils<br />

ont fait comprendre que ceux qui, comme le soussigné réclamaient l’inconstitutionnalité,<br />

n’étaient pas proprement des visionnaires. Mieux vaut tard<br />

que jamais. Et si malheureusement les referendums avaient passé, le Gouvernement<br />

national n’aurait pas pu éviter de cueillir – ex post même si c’était<br />

mieux ex ante – les bizarreries d’une procédure qui aurait fait chair à canon<br />

des points fondamentaux de notre démocratie représentative.<br />

Heureusement les électeurs y ont pensé, en faisant place nette. Et ça<br />

suffit, s’il vous plaît, de citer la Suisse ! Ceux qui approchent le referendum<br />

qui propose au système référendaire helvétique doivent arrêter de dire des<br />

mensonges, et se mettre à étudier. Peut être il aurait été simple de citer le<br />

fédéralisme suisse pour donner une allure noble à une action politique toute<br />

valdôtaine : le Coquelet, caché derrière un angle, voulait tuer dans un guetapens<br />

le Lion, et le Lion – entré directement dans le poulailler – s’est mangé<br />

le coquelet.<br />

novembre<br />

L’histoire est une chose importante et sa connaissance est une prémisse<br />

incontournable pour toute action politique. Pour cette raison, à maintes reprises,<br />

j’ai lancé, sans succès, un appel auquel je crois profondément. C’est<br />

une aventure où je voudrais m’engager en première personne si j’en avais<br />

le temps : il est temps que quelqu’un écrive un livre homogène et complet<br />

sur l’Union Valdôtaine, en racontant comment son histoire se croise avec<br />

l’histoire de la Vallée d’Aoste dans son ensemble. Avec des avantages non<br />

seulement au profit de nous, les Unionistes, mais de la communauté val-<br />

1


dôtaine tout entière, même de ceux qui sont diamétralement opposés à notre<br />

pensée mais qui reconnaissent correctement notre rôle au cours de ce<br />

dernier demi-siècle. <strong>Il</strong> s’agit d’ailleurs d’une circonstance incontestable pour<br />

tous ceux qui observent avec sérénité les faits : pour avoir un tableau clair<br />

de l’histoire contemporaine, il est indispensable de comprendre le rôle de<br />

l’Union. Pour être plus précis, il faut dire que sans l’activité de l’UV, dans<br />

les années cruciales de l’après-guerre et dans les décennies suivantes, nous<br />

n’aurions ni d’autonomie spéciale ni nous aurions su la conserver. Comprendre<br />

le rôle décisif de notre Mouvement est aussi un antidote contre le poison<br />

de certains ex-unionistes ( l’excès de méchanceté et la virulence de certains<br />

d’entre eux – qui s’est transformée en véritable paranoïa ! – nous surprennent<br />

et chagrinent ) ainsi qu’un moyen de repousser la contre-information de ceux<br />

qui trempent leur plume d’historien dans l’encre des préjugés contre l’Union,<br />

en diabolisant un ennemi qui s’est transformé en pure obsession.<br />

La nôtre, par contre – pour la tranquillité de ceux qui nous veulent du<br />

mal –, avec ses erreurs, ses hauts et ses bas, est l’histoire chorale d’un peuple,<br />

accompagnée de différentes personnalités qui ont donné de la substance, à<br />

partir de 194 jusqu’à aujourd’hui, à notre présence sur la scène politique,<br />

dans un enchaînement qui a déjà engagé plusieurs générations. Nous courons<br />

le risque – aussi bien pour la dispersion des documents ( l’absence de véritables<br />

archives de notre Mouvement ) que pour la naturelle disparition des<br />

témoins directs – de faire tomber dans l’oubli certains passages ( y compris<br />

les douloureuses diasporas du passé qui se sont raffermies dans la réunification<br />

) et de perdre quelques-unes des connaissances indispensables : nous ne<br />

pouvons pas nous le permettre.<br />

La transmission orale qui vient des rencontres entre les unionistes ou<br />

des récits de nos familles et des anciens militants qui aiment raconter des<br />

anecdotes ou des histoires du passé n’est pas suffisante. Tout comme ne l’est<br />

pas la collection des articles du Peuple : le puzzle, tout en étant très précieux,<br />

serait partiel et il nous maquerait ce tableau si vaste et participé qui traverse<br />

les 60 ans d’autonomie de notre Vallée et dont notre Mouvement a été le<br />

protagoniste.<br />

J’aime l’écrire en observant le scénario autour de nous. Le nôtre, est le<br />

seul arbre resté, comme un ancien et solide noyer, au milieu de jeunes petites<br />

plantes, qui sont dans certains cas de véritables buissons ou, dans le pire des<br />

cas, des plantes adventices. Tout cela vient de la crise des anciens partis, qui<br />

se sont transformés avec une périodicité grandissante en de nouveaux sujets<br />

politiques, ou de la naissance de petits mouvements personnalistes ou à base<br />

familiale même dans notre Vallée.<br />

16


La politique, dans son acception noble et démocratique, est faite de sérieux,<br />

beaucoup de sérieux. Je comprends et partage la crainte que ce présupposé,<br />

qui est le point de repère de la cohabitation civile, vienne moins face à<br />

une opinion publique déçue et inquiète par le danger de l’effritement de la<br />

crédibilité de ses hommes politiques. Je sais qu’il existe maintes raisons pour<br />

que cela se produise et je suis prêt, en premier, à dénoncer toute dérive et à<br />

faire toute autocritique utile ou nécessaire.<br />

<strong>Il</strong> faut toutefois, afin de contraster les risques de défiance et d’apolitisme<br />

larvés, bien agir, en gagnant, jour après jour, la confiance nécessaire ; tout<br />

comme il faut être les interprètes de la « bonne » politique, garder la tranquillité<br />

et ne pas céder aux pires provocations. Le résultat des référendums<br />

de proposition, annulés par la non obtention du quorum, est éloquente : ce<br />

résultat nous a donné raison quant à notre choix de « non vote », motivé de<br />

façon sérieuse et partagé largement par les citoyens valdôtains.<br />

Nous nous sommes retrouvés face à des ennemis motivés par la haine<br />

plutôt qu’à des adversaires présentant leurs raisons : c’était une sorte de Cirque<br />

multicolore monté par les référendaires tout particulièrement contre<br />

l’UV et imprégné d’acrimonie contre ma personne – assaisonnée par des racontars,<br />

des commérages et des méchancetés qui m’ont beaucoup attristé,<br />

même si je ne suis pas un novice.<br />

Voilà pourquoi, dans la perspective des élections régionales, je propose<br />

à tous – pour que la campagne soit menée de façon chevaleresque et propre<br />

– de couper comme des branches sèches ceux qui prêchent la haine, ceux<br />

qui jouent avec la réputation des personnes, ceux qui déversent contre les<br />

autres leurs malheurs et leurs frustrations. Une taille nécessaire et bénéfique<br />

– au nom d’une corporation politique selon le principe de « l’embrassonsnous<br />

» – simplement parce qu’il existe de règles élémentaires de bon ton et<br />

des valeurs fondées sur la bonne éducation.<br />

Ça suffit avec les mal élevés, les méchants, les semeurs de zizanie, les<br />

internautes anonymes : il en va de notre communauté, où il est légitime et<br />

souhaitable de partager des courants de pensée ainsi que d’avoir des idées et<br />

des actions administratives différentes. Tout cela peut se faire sans s’entredévorer,<br />

sans mener des guerres entre bandes, sans avilir la politique. Et en<br />

évitant d’imaginer qu’une démocratie directe puisse supplanter – à coups de<br />

référendum – la fiable et irremplaçable démocratie représentative.<br />

J’avoue que j’adore les contes de fées et le monde en miniature qu’ils représentent.<br />

Une dimension lilliputienne racontée par des auteurs qui reviennent<br />

à leur enfance dans cette sorte de bonsaï de la grande littérature qu’est<br />

la littérature enfantine, pour laquelle de grandes intelligences ont exercé leur<br />

17


savoir-faire en s’assumant de remarquables responsabilités éducatives.<br />

<strong>Il</strong> est certain qu’il faut y prêter une attention toute particulière sans sousestimer<br />

ces condensés de sagesse et sans s’arrêter aux apparences. <strong>Il</strong> s’agit<br />

en effet d’histoires suggestives qui traversent les époques et qui n’ont pas<br />

d’âge, justement parce que les règles de base de l’humanité ne changent pas.<br />

Ce qui est d’ailleurs magistralement démontré par les personnes âgées qui<br />

reviennent à leur enfance et par les enfants qui tendent leurs bras vers l’âge<br />

adulte comme des arbres à la recherche des rayons du soleil.<br />

Les contes de fées sont utiles aux enfants qui les écoutent et aux adultes<br />

qui les racontent, en sachant qu’il y a – tout comme il se passe aussi<br />

aujourd’hui dans les dessins animés de l’ogre vert Shrek – différents niveaux<br />

d’interprétations et une variété d’émotions. Rire et pleurer, jouir et souffrir,<br />

monter et descendre, se presser et ralentir : il y a un échantillonnage indispensable,<br />

une sorte de précis d’histoire utile aux différents usages de la<br />

quotidienneté.<br />

Bien avant de savoir lire, ceux qui nous racontaient, le plus souvent au<br />

chevet avant de nous endormir, ces histoires – la maman, le papa ou les mémés<br />

– n’avaient pas la pleine conscience d’un fait : dans ces contes il y a tout<br />

ce qui peut être utile et nous le gardons précieusement pour le faire ressortir<br />

en cas de nécessité, tout comme le faisait Iga Biva avec ses poches, d’où il<br />

sortait des trucs immenses en fonction des circonstances.<br />

Pour ne pas s’égarer ? Le Petit Poucet ( bien avant les navigateurs satellitaires<br />

! ). Croire en l’amour ? Cendrillon ( qui doit soigner ses pieds pour<br />

pouvoir chausser la petite pantoufle en verre ). Prendre garde des empoisonneurs<br />

? Blanche Neige ( combien de méchantes sorcières y a-t-il dans la view<br />

de chacun de nous ? ). Avoir de l’optimisme ? Le crapaud qui se transforme<br />

en un beau prince ( jusqu’à l’usage complet de ses lèvres ) ou la Belle au bois<br />

dormant qui reçoit un baiser du prince ( non pas de l’ancien crapaud… ). Ne<br />

pas se faire emprisonner par les règles ? Alice au pays de merveilles ( mais<br />

aussi le Chapelier Fou n’est pas mal du tout ).<br />

Cela vaut aussi en politique, sans aucun doute. Les référendaires par<br />

exemple ne ressemblent à rien d’autre qu’au grand méchant Loup qui cache<br />

gauchement son museau poilu sous les draps et essaie, d’une voix en fausset,<br />

de tromper le Petit Chaperon rouge ( à savoir la Vallée d’Aoste ). <strong>Il</strong>s raisonnent<br />

avec le Palais en utilisant le même mépris du Renard à l’égard du raisin.<br />

<strong>Il</strong>s se font grand, grand jusqu’à exploser, comme le crapaud. Voilà pourquoi<br />

– même grâce à l’enseignement des fables et des contes de fées – dimanche<br />

prochain je ne voterai pas !<br />

18


Les choses, à savoir les véritables objets matériels, évoquent des lieux et<br />

des personnes sans l’appui d’une machine à explorer le temps ni d’une séance<br />

de spiritisme avec des tables à trois jambes. Le jeu que je vous propose a des<br />

variétés infinies dérivant de ce que chacun de nous – de façon originale et<br />

unique – a vécu. Faites-le aussi et vous verrez comment à partir du passé<br />

lointain, certains épisodes oubliés ressurgiront d’un coin perdu du cerveau<br />

ainsi que les personnes qui y sont liées réapparaîtront en chair et os.<br />

Si je pense aux premiers téléphones fixes sans fil – les fameux cordless<br />

– c’est le prieur Donato Nuchy qui revient dans mes souvenirs, avec son téléphone<br />

monumental doté d’une longue antenne avec laquelle il couvrait le<br />

territoire de la paroisse d’Arnad. La sucette glacée – mes parfums préférés<br />

étaient l’anis, le citron et la menthe – est un lieu de mon enfance : le kiosque<br />

des glaces de Peppino sur la plage d’or de Porto Maurizio à Imperia, lorsque<br />

la sucette glacée était à 10 lires ! L’ordinateur, c’est le visage souriant de Eddy<br />

Ottoz, qui m’avait offert, il y a désormais quelques années, un Apple de première<br />

génération, lorsque l’informatique et ses applications étaient encore<br />

enveloppées d’un halo de mystère qui n’aurait jamais présupposé la miniaturisation<br />

actuelle. Les petits formats de liqueur ont été les premières formes de<br />

transgression : à l’époque de l’école moyenne, au bar Alpino de Champoluc,<br />

les plus audacieux arrivaient à en acheter, ce qui rendait plus animée la rentrée<br />

en car après le ski dans l’espoir d’un premier baiser de la petite camarade<br />

de classe. La glace crème de l’accueillante Madame Balma, dans la laiterie<br />

du « vallin », c’est un goût de l’enfance, tout comme les bonbons « sanateurs »<br />

achetés dans l’ancienne mercerie ou les bouteilles de « spuma » de Gervasone.<br />

Le cocktail « Negroni » n’évoque ni les bars ni les boîtes de nuit : c’est plutôt<br />

une gourde avec cet agréable mélange à consommer en compagnie d’un ami<br />

et de deux belles sœurs jumelles de Gressoney-Saint-Jean lors d’une soirée<br />

inoubliable passée dans un abris de montagne, sous un ciel étoilé dominant<br />

le Mont Rose. Et les cigarettes ! Je me souviens des papiers maïs, les terribles<br />

cigarettes brunes françaises, qu’Andrea Frachey étalait au Galion d’Ayas pour<br />

épater les touristes milanaises, ou les douceâtres cigarettes à la menthe que<br />

nous partagions avec Ezio Bruni dans l’obscurité d’une salle de cinéma, en<br />

sortant complètement gaga. Et quoi dire des occupations du Lycée à Aoste, où<br />

dominaient le muscat et les sandwichs au poivron et anchois de Papà Marcel<br />

ou – à l’époque de l’école à Ivrée – les frites et les bières du Cercle Garibaldi<br />

de Bienca, où je figurais dans la liste des membres !<br />

Tout cela confirme que chacun de nous est un monde dans le monde,<br />

que les souvenirs sont une compagnie merveilleuse et que la vie est un ensemble<br />

constant de rencontres et de découvertes que personne ne peut nous<br />

voler. Lors des moments de tristesse ou de pessimisme nous allumons, à titre<br />

de consolation et pour éloigner les mauvais fantômes, une lumière grâce à<br />

l’aide de l’imagination venant aussi des objets les plus banaux : je vous rassure,<br />

cela fait du bien !<br />

19


Je n’irai pas voter le 18 novembre pour les référendums et je défends ce<br />

choix avec une conviction absolue et en toute sérénité. Tout d’abord j’utilise<br />

le terme approprié, à savoir « non vote » au lieu « d’abstention », parce que du<br />

point de vue technique et politique il s’agit de deux différentes prises de position.<br />

L’abstention est associée à la non participation dans une logique plutôt<br />

passive. Dans ce cas, par contre, le « non vote » est un choix actif qui n’a rien<br />

de ponce-pilatesque, parce qu’il signifie la défense des lois en matière électorale<br />

qui ont été votées, selon un dessein homogène et innovateur, par 30<br />

conseillers régionaux sur 3 . La même chose vaut pour l’Hôpital : le Conseil<br />

de la Vallée a décidé depuis des années d’avoir une nouvelle structure à côté<br />

de celle qui existe déjà à Aoste, en définissant un programme global d’utilisation<br />

dont on connaît parfaitement le projet et les coûts.<br />

Je ne voterai pas parce que cette modalité de choix démocratique est<br />

prévue explicitement par la loi régionale sur le référendum, qui a fixé un quorum,<br />

c’est-à-dire un seuil à atteindre pour sa validité. Et cela en analogie avec<br />

l’article 7 de la Constitution, qui prévoit et permet – en tant que précieux<br />

principe constitutionnel – ce mécanisme de « non vote » justement pour déclarer<br />

la nullité du référendum.<br />

C’est la raison pour laquelle le citoyen, face à un référendum, peut choisir<br />

deux chemins qui sont tout à fait légitimes : aller voter ou choisir de ne pas<br />

y aller. Voilà pourquoi le vote au référendum n’est pas – comme il se passe<br />

aux élections – un droit et un devoir : en optant de ne pas voter, je fais un<br />

choix légitime dont je ne dois ni m’excuser ni me justifier.<br />

Je rappelle, par ailleurs, que ce n’est ni l’Etat ( élections politiques ) ni la<br />

Région ( élections régionales et communales ) à m’appeler au vote, mais, dans<br />

les faits, un groupe de citoyens signataires des propositions de loi soumises<br />

au référendum. Ce sont ces citoyens qui sont intéressés à atteindre le quorum<br />

et doivent donc en assumer aussi bien les honneurs que les charges, y<br />

compris les chiffres nécessaires pour obtenir la validité des référendums.<br />

Dans mon cas, le « non vote » représente la sauvegarde du rôle de la démocratie<br />

représentative contre la tentation d’une utilisation continuelle et<br />

massive du référendum dans des matières délicates, qui ne peuvent pas être<br />

réglementées à l’aide d’un instrument définissant certains choix d’un « oui »<br />

ou d’un « non » ( et, je le répète, du légitime « non vote » ).<br />

Le « non vote » n’est ni du mépris à l’égard de la démocratie ni une sorte<br />

de fuite face aux responsabilités : je me suis investi dans la campagne référendaire<br />

en présentant mes raisons, ce qui n’est ni un désengagement ni un<br />

désintérêt, mais plutôt de l’engagement civil et politique, et en prenant fait<br />

et cause de façon visible et claire.<br />

Dans l’histoire de la République toutes les formations politiques ont<br />

choisi, selon les circonstances, d’inviter les citoyens au « non vote » à l’occasion<br />

des référendums. Dans ce cas, nous le faisons aussi en toute légitimité<br />

et dans le respect de ceux qui ont fait d’autres choix.<br />

20


octobre<br />

J’adore les chiens et j’estime que leur compagnie – qui, pour les êtres<br />

humains, remonte à la nuiwt des temps et qui a fait écrire des pages magistrales<br />

aux éthologues ( je pense à Lorenz ou Mainardi ) – est une joie, voire<br />

même un enrichissement personnel. Ce n’est pas un hasard si j’ai plus de<br />

confiance, même dans ma vie, en ceux qui croient en la magie du rapport<br />

avec le chien, en connaissant combien l’amour que ces animaux ont à l’égard<br />

de leurs propriétaires est puissant et hautement formatif.<br />

J’en suis certain à partir de mon expérience : si je pense à mon enfance et<br />

à ma jeunesse, deux courants de souvenirs reviennent dans mes pensées. Le<br />

premier est lié à mes chiens-loups : Brik, un mâle – dont j’ai un souvenir aussi<br />

lointain que vif – qui fut tué par des voleurs lorsque j’avais 8 ou 9 ans, suivi<br />

aussitôt de Laica, une femelle, qui m’accompagna pendant de nombreuses<br />

années et avec qui j’ai eu une amitié solide et pleine de complicité. Je revois<br />

son regard affectueux au moment où mon père vétérinaire, plein de pitié,<br />

mettait fin à ses souffrances à l’aide d’une piqûre, lorsque je la caressais.<br />

Un chien est un ami, comme le précise un ancien adage « le meilleur des<br />

amis ». C’est vrai, je le pense toujours : aucun animal n’est entré en syntonie<br />

avec l’homme – qui s’est montré souvent ingrat – et il est d’autant plus vrai<br />

que, par un mécanisme incroyable mais tout à fait réel, les chiens finissent<br />

par ressembler à leurs patrons !<br />

Le deuxième courant de mes souvenirs est assez original et vient du métier<br />

de mon père, le vétérinaire, qui avait un penchant pour les grands animaux –<br />

les vaches étaient ses patientes les plus importantes – sans pour cela snober<br />

les chiens. Ainsi, non seulement je suivais le va-et-vient des clients à quatre<br />

pattes dans son dispensaire, mais souvent – comme une sorte d’aide de camp<br />

– il m’arrivait d’assister aux visites médicales ou aux opérations chirurgicales<br />

des pauvres patients allongés sur le lit de marbre. De la souffrance et de la<br />

peur qu’ils vivaient à ces moments là, j’ai appris à les admirer encore plus,<br />

parce que la voix de leur patron était une médecine unique, avec un effet<br />

placebo des plus efficaces, sur la base d’une motivation : la confiance.<br />

Le chien est confiant, il jette son cœur au-delà de l’obstacle. <strong>Il</strong> ne connaît<br />

ni les hypocrisies ni les duplicités, il est franc et loyal. Pour cette raison – en<br />

tant qu’école de vie – j’ai offert un golden retriver à mon fils Laurent. <strong>Il</strong> sera<br />

pour lui un vrai ami ; il lui apprendra beaucoup de choses sans jamais pouvoir<br />

lui dire des mots, il l’écoutera dans ses défoulements et il lui suffira un<br />

21


jappement ou un coup de langue sur sa main pour lui dire : cher Laurent, je<br />

suis là, tu peux compter sur moi. Comme Brik et Laica, solidement gravés<br />

dans mon cœur et à qui je pense bien souvent – il m’arrive de les revoir dans<br />

les museaux des autres chiens – comme à une consolation lointaine qui vient<br />

droit de mon passé pour me rappeler tout ce qu’ils m’ont appris dans mon<br />

enfance en leur compagnie.<br />

L’identité n’est pas comme la Joconde du Louvre, immortalisée, une<br />

fois pour toutes, par le génie pictural de Léonard de Vinci sur la toile d’un<br />

tableau. L’identité personnelle et collective, à savoir celle d’un peuple et de<br />

ses composants, bouge et évolue : elle ne s’arrête jamais et elle n’est donc pas<br />

une image statique et définitive. Dans son dynamisme, l’identité ressemble<br />

à ces photos témoignant les différents cycles de notre vie, qui mises sur une<br />

table les unes à côtés des autres, montrent les transformations des traits physiques<br />

que nous avons subies au cours des années en prenant de l’âge. Cela<br />

vaut aussi pour l’histoire de chaque famille, y compris la nôtre, cher lecteur<br />

et chère lectrice : nous pouvons le deviner dans les images d’enfants avec nos<br />

parents et, par après, avec nos familles dans les étapes de notre vie ou dans<br />

les albums photographiques historiques de famille qui nous parviennent, on<br />

ne sait pas trop comment, en héritage ( j’ai de très belles photos du XIX e siècle<br />

dont je ne connais malheureusement pas l’origine… ). Cette transformation<br />

continue, ce mouvement perpétuel, ressemblent à la stratigraphie des fresques<br />

de la Cathédrale ou de l’Eglise de Saint-Ours, à Aoste, où, comme dans<br />

une sorte de jeu, on superposait le nouveau sur l’ancien – surtout dans les<br />

églises qui suivaient la tendance iconographique et les modes picturales de<br />

l’époque –et, grâce aux techniques modernes, nous avons la certitude de ces<br />

superpositions qui créent justement l’identité.<br />

La culture est comme les arbres : des racines bien plantées et des feuilles<br />

différentes dans un mélange de continuité et de changements. Une société<br />

se transforme et, par là, sa culture aussi ; et ce mouvement sert également à<br />

éviter que des rigidités excessives ou des conservatismes paralysants déterminent<br />

la fin d’une identité. Un équilibre délicat, avec des ruptures et des<br />

âpretés, des regards sur le passé et des visions futures. Ainsi, être valdôtain,<br />

c’est le fait d’être les valdôtains d’aujourd’hui : une tautologie qui indique<br />

véritablement l’élément que je viens d’évoquer. Je ne suis pas mon père tout<br />

comme mes enfants ne seront pas ce que je suis, ce qui a été et vaudra pour<br />

la société valdôtaine et pour l’identité qu’elle exprime. Identité changeante,<br />

qui se perpétue à la condition d’avoir des éléments de force et d’originalité.<br />

La crainte des différences, de l’autre par rapport à soi-même – en fonction<br />

des us, des costumes et, aujourd’hui, aussi des religions – est motivée par un<br />

22


esprit légitime de conservation et de défense de son identité. De façon paradoxale,<br />

c’est véritablement de cela que vient le mouvement vieux-nouveau<br />

qui détermine le caractère imprenable – à l’inverse de ce qui se passe avec le<br />

visage de la Joconde – de l’instant qui passe d’une identité qui, chaque jour,<br />

perd et acquiert quelque chose. Cela vaut aussi pour l’identité valdôtaine.<br />

L’événement est bien connu : dans un hameau de Saint-Christophe, un<br />

groupe de citoyens fâchés adressent un mémoire aux autorités contre un<br />

éleveur âgé parce que une dizaine de vaches logées dans une vieille étable,<br />

bien que prévue par le plan d’urbanisme de la Commune, puent et gênent,<br />

par exemple lors du trajet menant à l’abreuvoir ( il paraît en vérité que même<br />

le jaillissement de la fontaine les agaçait… ). La suite est complexe et comprend<br />

une série de séquestres, d’arrêtés et de sentences de la Magistrature<br />

pénale et administrative, ainsi que des interventions du Corps forestier dans<br />

ses fonctions de police judiciaire, des contrôles sanitaires et vétérinaires, des<br />

manifestations publiques et maintes réunions outre qu’une longue discussion<br />

au sein du Conseil de la Vallée aboutissant dans l’adoption d’une résolution.<br />

J’estime que n’importe qui, ayant examiné le cas avec un certain recul,<br />

pourra remarquer l’incohérence absolue entre l’événement en lui-même ( en<br />

latin : casus belli ) et la paperasse et les paroles qui se sont cumulées dans les<br />

différentes causes : une situation qui frise le ridicule, en pensant à un certain<br />

langage juridique utilisé pour confirmer le séquestre, digne franchement de<br />

questions plus importantes et démontrant aussi une connaissance élémentaire<br />

du monde agricole, qui est à l’origine de la civilisation valdôtaine. En<br />

vérité, une simple querelle entre voisins a été transformée en fait emblématique.<br />

Parce que vous devez savoir, Messieurs du Jury, que la vache fait caca<br />

depuis des millénaires et la cohabitation entre les éleveurs et le bétail prévoit<br />

– surtout à nos latitudes – la présence obligatoire d’une étable où héberger<br />

nos animaux, ce qui est toujours arrivé depuis les cabanes des Salasses jusqu’aux<br />

villages de nos jours. Je comprends que l’odorat en soit éprouvé, que<br />

les mouches errent dans les alentours, que les cloches retentissent et que<br />

l’on court le risque – dont j’ai survécu – de piétiner sur une merde ( terme<br />

ennobli par le célèbre Cambronne ! ). Je comprends aussi – je l’écris en tant<br />

que fils d’un vétérinaire qui puait l’étable à son retour du travail – que les<br />

éleveurs ne sentent pas toujours les fleurs des prés : mais il faut aussi dire que<br />

leurs conditions de vie ont changé et que le stéréotype du paysan malodorant<br />

est une représentation caricaturale et stupide.<br />

Messieurs du Jury, j’aimerais que vous évaluiez le fait que ces vaches,<br />

en plus de produire des excréments et parfois des pets ( et, si vous les caressez<br />

sur le museau, vous aurez droit aussi à des coups de langue, râpeuse et<br />

23


gluante ! ), sont l’orgueil de notre production laitière et fromagère. La petite<br />

et rustique vache valdôtaine ( que ce soit la pie rouge, noire ou châtaigne )<br />

produit du bon lait – je signale entre autres que cette production vient, du<br />

moins jusqu’à aujourd’hui, des tétons situés au-dessous et frôlant donc dangereusement<br />

le sol ! – à partir duquel des mains averties tirent du beurre et<br />

des fromages délicieux comme la fontine. Dans une logique de compensation<br />

entre les aspects liés aux bêtes et les produits fromagers, il me semble qu’il<br />

faut trouver un juste équilibre. Ce qui vaut également pour ce qui est des<br />

requêtes légitimes d’hygiène et de sécurité alimentaire avec les aspects liés à<br />

l’élevage traditionnel qui, par exemple empêchent de mettre une couche à la<br />

vache ou de demander à l’éleveur de suivre ses animaux avec un balais et une<br />

pelle pour ramasser vite fait le caca, en excluant pour le moment – mais j’ai<br />

confiance dans l’ingénierie génétique – de convaincre les vaches à s’asseoir<br />

directement sur la cuvette des cabinets.<br />

Pour toutes ces raisons, je voudrais que le bon sens triomphe et qu’au<br />

code pénal l’on oppose un dialogue serein entre les parties, parce que le<br />

recours à la voie judiciaire pour la solution de litiges ordinaires démontre<br />

seulement un retour à la barbarie dans les rapports sociaux. Et c’est pourquoi<br />

je me remets à la clémence de la Cour.<br />

L’alcool, à moins qu’il ne soit bu qu’en doses modérées et sans en devenir<br />

des esclaves, est dangereux pour la santé, très dangereux : il faut le dire<br />

sans aucun tabou et sans trop tourner autour du concept. <strong>Il</strong> s’agit d’une obligation<br />

éducationnelle de prévention, de prophylaxie et de simple bon sens,<br />

qui doit, entre autres, imprégner les consciences et les comportements sans<br />

aucune revendication abstraite mais plutôt dans une logique de changement<br />

des pourcentages actuels. C’est une bataille qui concerne tout le monde et,<br />

personnellement, je crois que le temps est venu de lancer une campagne<br />

ample et globale, capable de peser en profondeur sur certains racontars ataviques<br />

ou sur des traditions insensées qui transforment en tragédie les plaisanteries<br />

dignes d’une comédie associées à l’alcool.<br />

Les dégâts de l’alcool se manifestent sous forme directe – par différentes<br />

pathologies – mais aussi indirecte, tels qu’il se passe avec les victimes, les<br />

morts ou les invalides permanents, causés par les accidents de la route. Ce<br />

qui entraîne aussi des coûts sociaux énormes dont il faut tenir compte pour<br />

une action de contraste sans ambiguïtés.<br />

Lève la main qui ne connaît au moins une personne tuée par le vice de<br />

la boisson ou qui n’est au courant au moins d’un drame familial causés par<br />

l’abus de l’alcool ou par les conséquences dérivant des désastres de la route.<br />

<strong>Il</strong> est bien de le rappeler, sans diaboliser une utilisation raisonnable des<br />

24


oissons alcoolisées mais sans avoir l’air de mine de rien : le phénomène de<br />

l’alcoolisme en Vallée d’Aoste est grave et toutes les recherches épidémiologiques,<br />

tout comme les maints et tristes événements dont je parlais auparavant,<br />

le démontrent avec certitude.<br />

Le phénomène frappe tous les âges et désormais, dans une égalité de<br />

chances pour tous dont nous ferions volontiers à moins dans ce cas, touche<br />

aussi bien les hommes que les femmes.<br />

Ceux qui excèdent dans les moralismes, ceux qui ont la main lourde en<br />

décrivant des scénarios de catastrophe, ceux qui prêchent un prohibitionnisme<br />

excessif n’auront jamais mon appui. Toutefois, il faut condamner aussi<br />

certaines attitudes qui sont diamétralement opposées : c’est de la pure stupidité<br />

que dire que l’alcool est la preuve de l’appartenance à un groupe, tout<br />

comme il arrive dans certaines distorsions et excès de camaraderie aux fêtes<br />

des conscrits ou aux fêtes populaires, qui finissent par des états lamentables.<br />

<strong>Il</strong> est par exemple insupportable l’axiome entre grand buveur et esprit de<br />

corps des chasseurs alpins : il faudrait par contre valoriser l’élément précieux<br />

de cohésion sociale et d’esprit bénévole qui existe dans ce Corps, en chassant<br />

la vision caricaturale et qui nuit à l’éducation de « ciuccatone ».<br />

Un bon verre de vin ou une chope de bière fraîche, tout comme une<br />

petite grappa ou un cocktail colorié, n’ont jamais tué personne et, bien au<br />

contraire, permettent un moment de détente, de socialité ou complètent<br />

de façon agréable un plat savoureux. Mais tout abus ou toute exagération<br />

change totalement les scénarios et les conséquences : c’est un devoir que de<br />

le rappeler.<br />

septembre<br />

La politique à cette époque est un puzzle difficile à rassembler et, si l’on<br />

veut travailler au jour le jour et ne pas céder à la tentation de jouer les casseurs,<br />

il faut être doué de sang-froid et de patience. Deux traits du caractère<br />

qui, heureusement, évoluent avec l’expérience…<br />

Parfois il est bien pénible de ramasser les petits morceaux éparpillés pour<br />

les mettre les uns à côté des autres, ma je ne vois d’autres alternatives si<br />

l’on veut répondre aux obligations dérivant de la politique, qui est un mixte<br />

d’idées et d’actions. <strong>Il</strong> serait inutile de se nourrir de la seule force des espoirs<br />

2


et des utopies si nous n’avions pas les pieds solidement ancrés sur terre.<br />

C’est bien là un travail de construction, contre la paralysie, que quelqu’un<br />

d’entre nous doit faire – et je crains qu’il ne porte aucune popularité personnelle,<br />

parce que, nous le savons très bien, il est plus difficile de construire que<br />

de détruire… Mais c’est l’air des temps : dans notre Vallée comme ailleurs, et<br />

cela indépendamment des engagements, des programmes, des projets et des<br />

qualités personnelles.<br />

Qu’est-ce qu’il se passe ? Difficile à dire : et pourtant, en regardant la situation<br />

des grandes démocraties aux différents niveaux de gouvernement, un<br />

danger imminent – à deux facettes, l’une interne l’autre externe, qui finissent<br />

par coïncider – surgit avec clarté.<br />

La facette externe est bien visible avec le comique Grillo, qui apparaît<br />

à la fois un guru et un maître à penser. On répond aux graves lacunes de<br />

la classe politique – et en Italie il y en a vraiment beaucoup – avec un vide<br />

pneumatique et suivant la logique des insultes. C’est la conséquence, qui est<br />

à l’opposé exact, d’un sentiment d’égarement et d’un caractère querelleur qui<br />

empoisonne la politique.<br />

Une sorte de virus terrible qui vient de la conviction que désormais les<br />

points fondamentaux de la démocratie ne sont que des oripeaux ou des rituels<br />

inutiles. Les partis et les mouvements politiques mêmes sont mis en<br />

question.<br />

Tout cela sent mauvais, voire il pue terriblement. On dirait parfois un<br />

déjà vu qui arrive cycliquement dans l’histoire. Une antichambre qui amène<br />

droit à un tournant autoritaire. Celui qui le dit reçoit de la part des démagogues<br />

et des populistes une réponse qui se répète : c’est la peur de perdre le<br />

fauteuil qui vous fait craindre pour la démocratie. Un triste raisonnement qui<br />

confirme par contre les préoccupations.<br />

L’honnêteté, comme pré-condition à la base de toute activité politique<br />

et administrative, ne se discute pas. <strong>Il</strong> m’est naturel de le redire – comme<br />

principe et comme méthode – parce que, même si cette affirmation est tenue<br />

pour acquise, je suis dérangé par ce petit vent de calomnie qui frappe aveuglement<br />

les représentants de notre Mouvement, y compris le soussigné. Si<br />

nous sommes accusés de snobisme, d’intellectualisme, de mauvais caractère<br />

ou d’autres aménités de ce genre, cela rentre d’un côté et sort de l’autre. <strong>Il</strong> ne<br />

maquerait plus que les adversaires soient tendres avec nous, surtout ceux qui<br />

doivent passer leur temps à expliquer la trahison d’avoir laissé l’UV ! J’estime<br />

par contre intolérable, et bien au-delà de toute légitime et âpre critique politique,<br />

l’accusation plus ou moins voilée d’être des affairistes ou de cultiver<br />

des intérêts privés. <strong>Il</strong> s’agit d’accusations qui sont, dans certains cas, telle-<br />

26


ment maladroites et ridicules qu’elles se commentent d’elles-mêmes.<br />

Cette histoire – dans sa forme et dans ses contenus – m’indigne et se<br />

teint, d’une part, de stupidité ( phénomène assez répandu… ) et, d’autre part<br />

– ce qui est bien pire –, de mauvaise foi de la part de ceux qui diffusent<br />

des voix incontrôlées ou écrivent des idioties sans motiver leurs attaques. <strong>Il</strong><br />

s’agit de l’ancienne technique de ceux qui, face à la pauvreté de leurs idées,<br />

utilisent la méthode de diaboliser l’ennemi au-delà de la frontière du licite.<br />

Sous ce point de vue qu’il soit clair qu’il ne suffit pas que certaines forces<br />

politiques distinguent entre la position officielle et la polémique soi-disant<br />

personnelle de ceux qui s’expriment en parlant en leur nom. Un distinguo<br />

malin qui n’exempte pas des responsabilités politiques collectives.<br />

Dans mon cas spécifique, l’honnêteté étant un principe incontournable,<br />

tout cela dégoûte et viole certains principes de respect réciproque qui sont<br />

à la base de toute coexistence démocratique. Cicéron, avec une veine de<br />

stoïcisme, gravait ainsi sa pensée : « Hominem frugi omnia recte facere »,<br />

c’est-à-dire que l’homme honnête fait tout avec justice. <strong>Il</strong> me paraît une très<br />

belle définition traçant même une ligne en politique et harmonisant tous les<br />

comportements.<br />

Je voudrais cependant ajouter quelque chose. Même en politique il faut<br />

des compétences et des connaissances. <strong>Il</strong> s’agit d’une activité de plus en plus<br />

complexe et le rappel aux grands idéaux vaut seulement s’il correspond à la<br />

capacité concrète de savoir les réaliser. En latin, pour en rester sur l’exemple<br />

classique, on dit avec une certaine rudesse – et il n’y a pas besoin de traduire<br />

– « Si nos coleos haberemus ». Ce qui établit la nécessité d’avoir de la détermination<br />

et de l’engagement, à savoir… « coleos ». Sans vouloir offenser les<br />

critiqueurs professionnels.<br />

Notre histoire – comme je l’ai rappelé tout dernièrement à la Fête de la<br />

Vallée d’Aoste – est une extraordinaire stratification de cultures, événements<br />

et personnalités dont nous devons être fiers. Un exemple concret réside véritablement<br />

dans la place au cœur de notre capitale, Aoste. Place qui est<br />

aujourd’hui intitulée à Emile Chanoux : dans mon discours officiel à la cérémonie<br />

du 7 septembre j’ai parcouru les étapes les plus significatives de ce<br />

lieu physique grâce à l’aide d’une mémoire rédigée par notre Joseph Rivolin,<br />

que je tiens à remercier.<br />

Les fouilles récentes placées sous les retrouvailles de l’époque romaine,<br />

qui ont été réalisées avec grand mérite par les archéologues de la Région,<br />

nous ont livré une nouveauté sensationnelle. Les Salasses étaient déjà bien<br />

présents dans le centre actuel de la ville, avec des cabanes ou des édifices<br />

à caractère religieux remontant aux I er ou II ème siècles avant J-C., lorsque<br />

les Valdôtains étaient une population celte-ligure. Les savants valdôtains du<br />

27


XVII ème siècle ( et notamment Roland Viot et Jean-Claude Mochet ) citaient<br />

l’existence d’une capitale des Salasses, ainsi que le lien de ce peuple avec Jupiter,<br />

Saturne, Hercule, et d’autres personnages de l’antiquité. Toutefois, déjà<br />

la Magna légende Sancti Grati – qui était lue chaque année à l’occasion du 7<br />

septembre à la Cathédrale – parlait d’une ville qui existait avant la fondation<br />

d’Augusta Praetoria. <strong>Il</strong> s’agit d’un ouvrage – en grande partie de pure fantaisie<br />

– du chanoine de la cathédrale Jacques des Cours, remontant à la moitié du<br />

XIII ème siècle. On y lit que la ville, avant de s’appeler Augusta, s’appelait Cordula<br />

( à savoir « cordelette » ). On ne parle pas des Salasses, car le chanoine<br />

Des Cours ne connaissait pas Strabon. Viot et Mochet, qui par contre le<br />

connaissaient et écrivaient en français, ont relié cette ville aux Salasses et ils<br />

ont traduit littéralement Cordula par Cordelle, successivement transcrite en<br />

Cordèle ( De Tillier écrit Cordeles ) et latinisée ( ou italianisée ) en Cordela<br />

ou Cordelia ( probablement sous l’influence du nom présumé « celtique » de<br />

la fille du roi Lear dans Shakespeare ). <strong>Il</strong> serait très intéressant de savoir où<br />

Des Cours a sorti cette Cordula, étant donné que ses inventions conservent<br />

toujours un lien avec l’« historiographie » plus ou moins légendaire connue à<br />

ses jours : mais malheureusement à ce stade nous n’en savons pas plus.<br />

L’époque romaine et l’invasion faite des Romains sur le territoire de la<br />

Vallée sont par contre une certitude : le centre géographique d’Augusta Praetoria<br />

est en effet au croisement entre le decumanus maximus et un cardus<br />

mineur ( dans le périmètre qu’il y a aujourd’hui entre le café Boch et le bar<br />

Sport ). Dans l’espace occupé de nos jours par l’Hôtel de Ville et les écoles<br />

il y avait un vaste établissement thermal, ce qui confirme la caractéristique<br />

standard de la ville romaine qui prévoyait aussi des moments traditionnels<br />

de détente.<br />

Au cours du Haut Moyen Age, la zone était probablement libre de toute<br />

construction ( à l’exclusion des ruines des thermes ) et était cultivée par les<br />

agriculteurs de l’époque. De grandes transformations sont par contre réalisées<br />

au cours du Bas Moyen Age : au XII ème siècle, dans la zone Nord du quadrilatère,<br />

les ruines des thermes ( coin rue De Sales – rue Hôtel des Etats )<br />

sont occupées par la maison forte de la Roche Copeyse, appartenant au vicomte,<br />

qui la tient en fief des chanoines de la Cathédrale. Le côté Sud est<br />

appelé Perron, toponyme qui s’étend jusqu’aux enceintes sud, comprenant le<br />

priorat de Saint-Bénin. En 13 2, les Challant, seigneurs de Fénis, fondent<br />

le monastère de Saint-François, en englobant la tour. L’église était située au<br />

centre de la place Chanoux actuelle. Dans le réfectoire du couvent avaient<br />

lieu les assemblées des Etats généraux et les séances du Conseil de la Ville,<br />

présidées par les deux Syndics. Le ru Perron, qui passait sur le côté Est de la<br />

place actuelle ( l’axe rue Xavier de Maistre – Ribitel ), marquait la limite entre<br />

les deux Municipalités ( Cité et Bourg ) et les deux paroisses ( Saint-Jean et<br />

Saint-Laurent ).<br />

L’époque moderne est marquée par de grandes décisions : en 1730, le<br />

secrétaire de l’Assemblée des Etats et du Conseil des Commis, Jean-Baptiste<br />

28


De Tillier, fait construire l’Hôtel des Etats – le nouveau siège pour les deux<br />

organismes – sur le côté Nord de la place. Côté Sud, se définissent les maisons<br />

de la noblesse : celle des nobles Cerise, puis passée aux D’Avise et enfin<br />

aux Sarriod de La Tour ( Banca Commerciale – Monte dei Paschi ) ; celle des<br />

comtes Nicole de Bard, puis des Decoularé de La Fontaine, qui en 1792<br />

accueille Xavier de Maistre ( Café du Centre ) ; celle des nobles Saluard, puis<br />

des comtes Savin de Bosses ( Banca San Paolo ) ; celle des barons Gippaz<br />

d’Hône ( librairie Brivio et ancien Hôtel Couronne ) ; et celle des nobles Passerin<br />

de Brissogne ( bar Sport ).<br />

L’époque contemporaine apporte enfin à la place sa conformation actuelle,<br />

parce que, après les confiscations napoléoniennes de l’année 1800,<br />

la Commune démantèle ce qui restait du couvent et de l’église entre 183<br />

et 1837, pour construire le nouvel Hôtel de Ville, qui sera prêt en 1839. Le<br />

syndic, le Baron Emmanuel Bich, descendant direct de la famille De Tillier,<br />

est accusé de mégalomanie par ses adversaires politiques ( les idiots se perpétuent<br />

dans le temps… ) en raison des dimensions « excessives » de l’édifice<br />

et de la nouvelle place. En 1924, le monument aux morts est construit ( lors<br />

de son inauguration le chant « Montagnes Valdôtaines » irrite les fascistes ! ),<br />

et la statue de Laurent Cerise – qui occupait le même emplacement – est<br />

expulsée et exilée aux jardins publics ( un choix qui engendra dans les années<br />

suivantes d’ardentes polémiques ). En 194 , ( d’après ce que Pierre Vietti<br />

raconta à l’ami Rivolin ), par un blitz tout à fait pacifique, la Jeunesse Valdôtaine<br />

de l’époque remplace les panneaux de la « Piazza Carlo Alberto » avec<br />

ceux de la « Place Emile Chanoux » : la Commune en prend acte successivement<br />

en officialisant la dénomination en cohérence avec le rôle du martyr<br />

valdôtain et l’éclipse de la Maison de Savoie.<br />

Voilà l’histoire dont nous devons être les défenseurs et les héritiers, en<br />

sachant que les changements ne nous effraient pas, mais nous devons savoir<br />

être dignes d’une profondeur si vertigineuse et si importante.<br />

La vie est avare de satisfactions avec certaines personnes et elles veulent<br />

le démonter à tout le monde, en choisissant un rôle à travers lequel, à la fin,<br />

se transformer en victimes. Chocs juvéniles, frustrations de l’adolescence,<br />

insuccès scolaires, travaux ingrats, veines de folie : chaque justification peut<br />

être indiquée pour chercher de comprendre ce qui pousse ceux qui, au lieu<br />

de la dialectique politique et de la juste dose homéopathique de fiel consenti<br />

dans la confrontation civile, deviennent méchants.<br />

Méchants, c’est le bon mot : méchants dans leurs considérations publiques,<br />

dans les articles de journal, dans les potins au bar. Méchants parce<br />

qu’ils veulent faire du mal, insinuer des faussetés, tirer des plans sur la comète<br />

sur la réputation des personnes. Ces personnages méchants et presque<br />

29


toujours molestes s’affirment apparemment sur la scène et après, petit à petit<br />

– au brillant des exordes ( souvent ils sont des jeunes, comme l’on dit, de bon<br />

espoir ) – ils remplacent leurs visages avec un masque répétitif et grotesque,<br />

marqué souvent par leurs propres insuccès et parfois, malheureusement, par<br />

l’alcool, triste compagnon d’aventure qui les rend tristement toujours plus<br />

caricaturaux. Ombres d’eux-mêmes, ennuyeux dans leurs accusations insensées,<br />

vides de contenus, pour une « agressivité » qui retombe sur eux-mêmes<br />

dans une solitude personnelle, ou dans celle d’un petit clan.<br />

Tout le monde désormais les connaît : ils sont comme la femme-canon<br />

d’un cirque ou les bêtes féroces derrières les barres du zoo. Pauvres diables<br />

sans espoirs et sans aucun talent, destinés à palabres déjà connus, souvent<br />

à mémoires ou lettres anonymes et au vide pneumatique d’idées à opposer à<br />

d’autres idées : le persiflage, l’insulte, la lâcheté sont un vide à perdre qui explose<br />

à la fin dans les mains de son auteur. Parmi les choses que j’ai apprises<br />

dans la vie politique, il y a le fait que certains personnages s’évaporent, disparaissent,<br />

finissent mal. <strong>Il</strong> faut seulement patienter, et ils seront eux-mêmes<br />

les victimes de leur méchanceté et agressivité. Ceux qui les ont utilisés, s’en<br />

débarrassent tout comme l’on fait pour une chose inutile, en désavouent la<br />

paternité politique et eux, ils finissent pour être toujours plus seuls et délégitimés.<br />

<strong>Il</strong> faudrait faire un pacte et se débarrasser des méchants : les isoler<br />

davantage, accepter leur inutilité, établir que ceux qui sortent de la confrontation<br />

civile sont étrangers à notre communauté.<br />

30<br />

août<br />

Pinuccio était une institution à Verrès, très apprécié dans toute la région<br />

et bien connu en dehors de la Vallée pour sa classe et son professionnalisme<br />

dans le monde du chant choral.<br />

Le chef de chœur Cerutti a dirigé le Chœur de Verrès pendant des décennies<br />

: rigoureusement masculin, tout comme je crois doit l’être un chœur de<br />

montagne, et avec un niveau de grande excellence. Les chemises vertes du<br />

chœur de Verrès – vert comme les écussons des uniformes des chasseurs<br />

alpins et sans aucune parentèle avec le vert de la Lega ( question souvent<br />

soulevée aux choristes dans toute l’Italie ! ) – sont un exemple de comment<br />

la valdôtainneté fait abstraction de ses propres origines : n’importe qui, même<br />

parmi les nombreuses identités d’un pays multiethnique comme Verrès, peut<br />

décider de se sentir valdôtain et de se reconnaître dans les traditions, telle


que celle du chant choral. Cerutti dirigeait avec grande légèreté dans la gestualité<br />

de ses mains, en se démontrant soliste de grand effet avec sa voix<br />

chaude et avec ce tout petit peu d’histrionisme qui caractérise les artistes<br />

de race. <strong>Il</strong> savait galvaniser ses chanteurs et interpréter le public face à lui.<br />

En tant que personne, il pouvait être bourru et à la fois très doux, avec un<br />

peu de sarcasme, typique des hommes libres. Le répertoire proposé par le<br />

chœur a toujours été très valdôtain –il en était en partie l’auteur, ou l’arrangeur,<br />

en prêtant attention au français et au patois – mais enrichi de chants<br />

plurilingues, dans un souci nationaliste, parce que la musique est un moyen<br />

pour s’exprimer dans sa propre langue, mais aussi pour lier des Continents<br />

différents.<br />

Dans son magasin de disques et d’instruments de musique, Pinuccio<br />

accueillait tous ceux qui voulaient s’approcher de la musique. Je me souviens<br />

d’y avoir acheté mes premiers disques, un harmonica à bouche, et une<br />

guimbarde, instrument de musique d’origine sicilienne. Je me souviens qu’il<br />

m’apprenait, avec patience, à jouer de la guitare, il me dessinait même les<br />

notes au dessous des cordes, jusqu’au jour où, avec délicatesse et ironie, il<br />

m’a dit « <strong>Luciano</strong>, laisse tomber, tu n’es pas très enclin… ». Quand, il y a<br />

plus de vingt ans, je posai ma candidature pour la première fois aux élections<br />

– Pinuccio était un homme encore fort et vigoureux – peut-être naïvement je<br />

lui demandai « Vous venez chanter pour moi ? » <strong>Il</strong> me répondit oui. Le Chœur<br />

de Verrès fut alors, et en d’autres circonstances, mon porte-bonheur en politique.<br />

Dans les dernières années, Pinuccio vivait dans un monde tout à lui. On<br />

me raconte que « son » chœur, dirigé maintenant par un autre chef de chœur<br />

incomparable comme Albert Lanièce, un jour a chanté pour les hôtes de la<br />

structure pour personnes âgés qui accueillait Pinuccio, et lui, en sortant de<br />

son monde solitaire, s’était mis debout en esquissant des gestes, comme s’il<br />

était encore en train de diriger. Ce fut comme si la musique, qui avait remplit<br />

sa vie, à un certain moment émergeait de nouveau du sombre qui l’enveloppait.<br />

Maintenant, si vraiment les anges ont une belle voix, Pinuccio est en<br />

train de les instruire avec les merveilleuses sonorités et les mots si expressifs,<br />

qu’il était le seul à savoir inventer.<br />

<strong>Il</strong> y a quelques jours, j’étais en voiture, lorsque je me suis retrouvé entouré<br />

de tous les côtés, par une série de Topolino – nom technique de la 00<br />

Fiat A-B et C, selon la série – : il s’agissait évidemment d’un rassemblement<br />

d’autos d’époque et non d’un retour au passé !<br />

Topolino : ainsi avait été nommée la petite voiture populaire produite – en<br />

rapetissant les formes de la bien connue Balilla – à partir de 1936 ( la même<br />

année que la Coccinelle allemande ! ) et jusqu’à 19 , une vingtaine d’années<br />

pas du tout banales et pleines de transformations.<br />

31


Ce qui m’a impressionné, à première vue, c’était la petitesse absolue de<br />

ces autos du passé : je me souviens très bien, d’ailleurs, le transit des voitures<br />

sous l’Arc d’Auguste ainsi que la circulation dans les deux sens sur la rue De<br />

Tillier à Aoste et dans tous les centres des villages. Aujourd’hui, les voitures<br />

ont une sorte de ruineuse boulimie qui les étend en hauteur, en largeur et en<br />

longueur, sans oublier la voracité dans la consommation de carburant. Les<br />

autos du passé, bien que dans leur volumétrie réduite, se distinguent par leur<br />

personnalité, alors que les modèles actuels sont tous très semblables.<br />

<strong>Il</strong> est incroyable à quel point ce fil rouge de la 00 apparaît et disparaît<br />

à partir des années ’30 du siècle dernier jusqu’à nos jours. En 19 7, des<br />

cendres de la Topolino naissait la Nouvelle 00 qui devait caractériser les 20<br />

années suivantes, elles aussi comblées d’énormes changements.<br />

Ceux qui, comme moi, sont nés dans les années ’ 0, ont grandi avec les<br />

différents modèles de la 00, d’abord avec papa et maman, ensuite avec les<br />

amis et enfin en la conduisant directement une fois le permis de conduire<br />

acquis. Sublime, la conduite avec « doppietta » de la 9 Abarth que mon<br />

père vétérinaire utilisait, comme beaucoup d’autres 00 le long des routes de<br />

notre Vallée. La 00 affrontait les routes enneigées avec un grand mordant,<br />

devenait une spider l’été avec sa capote mobile, était la voiture des premiers<br />

baisers… et bien d’autre encore. Aujourd’hui, avec le tout nouveau et hardi<br />

modèle, la 00 renaît après bon nombre d’années, suscitant de la curiosité et<br />

du divertissement, comme le remake d’un ancien film ou l’arrangement d’une<br />

chanson du passé. Personnellement je suis pour la nouvelle voiture, même si<br />

des 00 d’antan seulement le nom survit, même si la silhouette des designers<br />

propose des clins d’œil qui ont la saveur du déjà-vu et l’horizon européen a<br />

déplacé la production en Pologne. Les voitures, phénomène de masse et de<br />

costume, représentent désormais le temps qui coule : elles sont des photos et<br />

des images du passé tout comme des trouées dans la modernité. La 00 a été<br />

la compagne de vie pour différentes générations.<br />

32<br />

juillet<br />

Les rêves sont une chose bien étrange. C’est une constatation que tout<br />

être humain peut faire puisqu’il en a une connaissance directe. Comment<br />

pouvons-nous les définir ? Je dirais : ces histoires – de véritables films dont<br />

nous sommes les metteurs en scène et les producteurs – construites dans le


sommeil par notre cerveau, surtout la nuit lorsque nous sommes suspendus<br />

dans un espace irréel : le repos est peuplé de fantômes créés par notre imagination.<br />

Une espèce de vie parallèle à la vie réelle : d’ailleurs Carducci, ce<br />

grand poète, en paraphrasant Pindaro, se demande – au moment de sa mort<br />

– qu’est-ce que c’est la vie et il répond : « È l’ombra di un sogno fuggente ».<br />

Quand je suis fatigué ou stressé, mes rêves, au moment du réveil, disparaissent<br />

complètement de ma mémoire, ce qui m’arrive normalement dans la<br />

vie malheureusement trop frénétique que je mène ces dernières années. Je<br />

rêve, c’est certain – et il n’en pourrait être autrement – mais j’efface tout aussitôt<br />

et je ne rappelle plus rien, dieu sait pour quelle forme de refoulement ou<br />

d’autodéfense. Seulement après quelques jours de repos – donc quand je suis<br />

en vacances – ces rêves bénits réapparaissent et je les retiens tous, brefs ou<br />

longs, beaux ou mauvais qu’ils soient. L’été, avec la complicité de la chaleur<br />

et du grand air, il y a aussi des rêves qui sont comme des éclairs instantanés et<br />

parfois traîtres dans cette torpeur de l’après-midi qui accompagne la chaleur<br />

la plus intense.<br />

Lorsque j’étais au lycée – et probablement je comprenais bien peu de<br />

ce que je lisais – j’avais été vivement impressionné ( aujourd’hui je le suis<br />

beaucoup moins par la répétitivité des idées exprimées ) par le père de la<br />

psychanalyse, Sigmund Freud, et par son interprétation des rêves. Un cadre<br />

compliqué pour expliquer le pont qui existe entre la vie et le rêve, en revenant<br />

en arrière dans les années de notre formation et à partir desquelles nous<br />

bâtissons l’ossature de ce que nous serons dans notre âge d’adulte.<br />

Aujourd’hui je préfère davantage penser à la bonté de la phrase de Fernando<br />

Pessoa, lorsqu’il dit : « Un bon rêveur ne se réveille pas ».<br />

Ce qui me paraît une belle clé de lecture : espérer que les rêves, lorsqu’ils<br />

incarnent des espoirs, ne soient pas confinés dans les yeux fermés mais qu’ils<br />

orientent – tout comme des choses à faire et à réaliser – l’action politique<br />

quotidienne. <strong>Il</strong> serait bien triste, voire improductif, si notre travail quotidien<br />

n’était pas parsemé par des sursauts d’avenir, des rêves les yeux ouverts, des<br />

points d’arrivée tellement difficiles qu’ils paraissent des rêves. Comme une<br />

porte secrète dans la vie de tous les jours qui sert à éviter la répétitivité et la<br />

banalisation et nous distingue des robots, et nous pousse à avoir des élans<br />

plus forts et plus intéressants. La rationalité contre-balancée et chauffée par<br />

les émotions.<br />

Corrado Gex avait vu loin. Sa passion pour le vol aérien – qui malheureusement<br />

lui coûta la vie – lui avait permis, il y a 0 ans, d’entrevoir l’utilité d’avoir<br />

un aéroport régional bien structuré ainsi que l’utilisation innovante d’avions<br />

et d’hélicoptères pour le vol en montagne. <strong>Il</strong> s’agissait d’intuitions parce que,<br />

33


au cours de ce demi-siècle, il y a eu un développement énorme surtout dans<br />

le domaine du transport aérien et même au-delà des attentes par rapport à la<br />

structure de cette époque, où seuls les vols de tourisme étaient les protagonistes.<br />

Dans les années soixante, personne n’aurait pu imaginer, à l’instar de<br />

ce qui se passe aujourd’hui, un vol quotidien régulier entre Aoste et Rome<br />

ou des sauvetages en hélicoptère en toute sécurité sur les sommets les plus<br />

hauts de notre Vallée.<br />

Mais surtout, personne n’aurait jamais osé penser que la procédure de<br />

vol contrôlé par contact radio sur l’aéroport, l’éclairage que nous avons déjà<br />

réalisé, l’allongement – dans de brefs délais – de la piste à 1 00 mètres, tout<br />

en ayant prévu une série de mesures pour l’approche à la piste en raison de<br />

l’orographie particulière, auraient permis à des avions de différent genre d’atterrir<br />

au milieu de nos montagnes.<br />

Voilà pourquoi je regrette que ce dossier, que j’ai suivi au cours de ces<br />

dernières années en le ressortant d’une sorte de marais où il avait été enseveli,<br />

soit périodiquement la victime du hachoir de la politique. Un hachoir<br />

qui n’est pas détestable par lui-même, mais qui le devient lorsque – tout<br />

comme il se passe souvent au sein du Conseil de la Vallée – on affirme la critique<br />

gratuite, le côté superficiel, la banalisation de thèmes sérieux. Parmi les<br />

conseillers d’opposition on en trouve qui interviennent avec de longs prêchiprêcha<br />

sur des arguments qu’ils ne connaissent pas et qu’ils n’ont jamais étudié<br />

en profondeur. Ce qui est important, c’est la simple polémique, la recherche<br />

du sensationnel, la démagogie contre tout choix raisonné. Pour certains<br />

conseillers de l’opposition, les interrogations et les questions en assemblée<br />

ne sont pas les instruments pour acquérir des nouvelles ou des informations :<br />

ce qui compte, c’est l’étalage verbal, l’avilissement du travail des autres, voire<br />

la politique des insultes.<br />

Ceux qui comparent l’aéroport à la « cathédrale au milieu du désert » ne<br />

saisissent pas deux points essentiels. En premier lieu, dans le système de la<br />

protection civile, l’aéroport est un tasseau incontournable et donc une escale<br />

bien équipée est une garantie de sécurité. En deuxième lieu, le tourisme du<br />

futur passera de plus en plus par l’utilisation des avions et, sans cacher certaines<br />

limites structurelles que nous ne pourrons jamais enlever ( les avions de<br />

grandes tailles ne pourront jamais atterrir ), l’aéroport est une chance de plus,<br />

surtout pour attirer les charters de touristes des quatre coins de l’Europe. On<br />

ne trouve nulle part dans les Alpes une telle proximité entre l’aéroport et les<br />

stations touristiques. Nous espérons que la crise de l’Air Vallée, qui garantit<br />

la liaison avec Rome et qui est partenaire de la Région dans la société de<br />

gestion de l’aéroport, soit dépassée par une nouvelle propriété. Le futur de la<br />

compagnie aérienne et de ses employés nous tient à cœur : mais cette crise<br />

ne change pas la bonté du projet pour un nouvel aéroport qui reste solidement<br />

dans les mains de la Région.<br />

34


Dans la vie d’une personne, vingt années représentent-elles beaucoup<br />

ou peu de temps ? Sincèrement, si l’on réfléchit au fait que de la naissance<br />

à la mort le destin ne nous appartient jamais, je crois qu’il faut penser au<br />

moment de l’existence auquel on situe ces vingt ans, et ce n’est tout à fait<br />

pas la même chose, si on les affronte à un âge plutôt qu’à un autre ! Si je<br />

devais – dans un bilan au vu et au su de tout le monde – parler de ma vie,<br />

je dirais que les premiers vingt ans ont été, évidemment, ceux de l’enfance<br />

et de la formation ( même si, par choix, j’ai obtenu ma maîtrise après être<br />

devenu journaliste, ce qui était l’objectif poursuivi ). Et en effet, une dizaine<br />

d’années ou un peu moins, ceux immédiatement après, je les ai consacrés à<br />

ce travail : la fièvre du journalisme, l’envie de raconter des événements et des<br />

histoires, convaincu comme je suis, qu’il y a dans le journalisme une partie<br />

de devoir d’utilité publique très élevée.<br />

A latere, j’ai soutenu les examens universitaires, en obtenant une maîtrise,<br />

et il me reste seulement la thèse de fin d’études pour la deuxième ( quand je<br />

pourrai, je la rédigerai ).<br />

Improvise et inattendue, au printemps 1987, la politique est arrivée.<br />

Non pas que j’en étais immune, pour des évidentes raisons de famille. J’avais<br />

milité dans la Jeunesse et j’étais inscrit à l’Union Valdôtaine et j’avais suivi<br />

avec beaucoup d’intérêt certaines grandes batailles civiles de ces années<br />

radicales. De toute façon, je pensais que mon parcours était celui du journalisme,<br />

mais je me trouvais à être candidat pour les élections politiques du<br />

mois de juin 1987.<br />

C’est à ce moment que les deux décennies qui portent tout droit jusqu’à<br />

aujourd’hui ont commencé, et après ces élections encore trois pour Rome<br />

ont suivi : 1992, 1994 et 1996. Ensuite, en 2000 j’entrais au Parlement européen<br />

et en 2003 la bien connue candidature aux régionales. Aujourd’hui,<br />

après vingt ans de politique, le bilan pour moi est positif, même si ce n’est<br />

pas à moi de me donner une note sur le « carnet scolaire » ni d’exprimer des<br />

évaluations positives ou négatives. Je me suis engagé le plus possible, je<br />

n’ai jamais arrêté d’étudier, et si je me suis trompé, je l’ai fait en bonne foi<br />

et avec un viatique dont je ne peu pas me démentir : l’honnêteté. Dans les<br />

nombreux messages de félicitations et de sympathie qui m’arrivent dans ces<br />

heures, on me souhaite encore vingt ans d’heureuse activité politique. Je les<br />

remercie avec le cœur ( même si avec quelques conjurations ), mais je pense<br />

que la sérénité de ces vingt ans découle de la considération que la politique<br />

est une activité qu’il faut vivre pleinement, toujours en tenant compte – surtout<br />

en raison de la juste guillotine du jugement populaire qui s’exprime à<br />

travers le vote – que ce n’est jamais quelque chose de définitif, mais que l’on<br />

y est prêtés pour une certaine période et il serait donc risqué de faire trop<br />

de prévisions pour le futur. Je pense que le thème important sont les satisfactions<br />

qui dérivent d’un travail bien fait et avec engagement, en sachant à<br />

quel point est fatigante la scène de la politique, où l’on doit soutenir souvent<br />

3


des collisions féroces et des polémiques inutiles mais pénibles. Le jour où<br />

la politique devient une sorte de cage qui limite la liberté d’action en réduisant<br />

les gens – comme des pauvres chimpanzés dans les zoos – à des gestes<br />

terriblement répétitifs et aliénants, alors il vaut mieux faire autre chose. Aux<br />

amis, et surtout aux ennemis, j’annonce que pour le moment je ne me sens<br />

pas dans une cage et sans croire à qui sait quels horizons futurs – si Dieu le<br />

veut et si la santé me soutient – je me sens encore suffisamment éveillé pour<br />

affronter de nouvelles luttes et me fixer de nouveaux projets. Je pense que le<br />

parcours de modernisation de la Vallée est à peine commencé et les batailles<br />

à combattre ne permettent ni des paresses ni des préretraites.<br />

L’histoire du bouquetin blanc est bien bizarre et elle est instructive de<br />

la façon dont on peut voir la Nature selon les différents points d’observation.<br />

L’événement est désormais hyper connu : une femelle de bouquetin dans le<br />

vallon des Laures au-dessus de Brissogne accouche d’un petit albinos, un cas<br />

rare que la littérature scientifique n’avait jusqu’à présent mentionné. <strong>Il</strong> y a<br />

une année de cela, le fait avait été déjà observé par les chasseurs de la zone et<br />

par les gardes forestiers, qui ont entre autres une petite guérite très belle sur<br />

les rives du premier des trois lacs d’un vallon d’extraordinaire beauté, dans<br />

l’un des poumons verts de notre Vallée, aux marges du tourisme de masse.<br />

Durant l’hiver l’animal disparaît, c’est probablement son albinisme qui<br />

le rend plus fragile face à la clarté aveuglante de la neige qui enveloppe la<br />

haute montagne et qui gêne ses yeux rendus délicats par la pathologie. Le<br />

dégel nous redonne la certitude que le petit bouquetin est vivant et soigné<br />

par sa mère, ce dont j’ai pu me rendre compte en première personne avec<br />

une sincère émotion.<br />

La décision de médiatiser la découverte, choisissant le dimanche pour la<br />

dévoiler, lorsque pour les journalistes la faim de nouvelles intéressantes est<br />

plus ample qu’au courant de la semaine, naît de la conscience que tout ce<br />

qui apparaît comme extraordinaire dans le monde animal intrigue les êtres<br />

humains depuis la nuit des temps. Et il est juste qu’il en soit ainsi : seulement<br />

la conception déformée des intégristes de l’environnement peut considérer<br />

l’homme comme un élément étranger à la Nature, dont, par contre, il fait partie<br />

légitimement. Les animaux albinos, avec leur manteau blanc, ont toujours<br />

été enveloppés par une auréole de magie et de charme. Ainsi le bouquetin<br />

blanc – repris par cet opérateur de la RAI, doué, capable et… chasseur qu’est<br />

<strong>Luciano</strong> Joris ( issu d’une ancienne famille valdôtaine vouée à l’activité de la<br />

chasse depuis des générations ) – est devenu une authentique star des télés<br />

du monde entier, paraissant aussi dans nombre d’articles de journaux. Ma<br />

fille Eugénie, émue de le voir avec ses jumelles lorsqu’il se reposait dans une<br />

36


vire d’un rocher à quelques mètres de la paroi est du Mont Emilius – cette<br />

montagne qui est un culte pour les Valdôtains – l’a baptisé « Flocon de neige<br />

», le transposant de la petite chèvre blanche de Heidi.<br />

Ce qui apparaît singulier dans cette histoire, c’est comment une maladie<br />

rare peut rendre double le destin du bouquetin blanc. Pour nous les humains,<br />

ce manteau candide est une exception extraordinaire qui le rend unique<br />

et admirable, voire un objet ayant une tutelle particulière ( ce seront les<br />

gardes forestiers qui veilleront sur lui grâce à leur grand professionnalisme,<br />

même s’il paraît que, selon les légendes, de terribles sortilèges frapperaient<br />

les braconniers imprévoyants qui voudraient l’abattre ! ). Pour les bouquetins,<br />

par contre, le prodige est une sorte de handicap qui rend la mère plus protectrice<br />

et le troupeau méfiant et cela pourrait aussi rendre difficile la vie sociale<br />

de Flocon de neige ( y compris la possibilité de courtiser les femelles et par<br />

conséquent la capacité de se reproduire ). Admiré par les hommes, isolé par<br />

ses semblables : une histoire vraiment singulière.<br />

juin<br />

Le monde est un ensemble de variétés extraordinaires et de multiples<br />

différences. <strong>Il</strong> faudrait avoir le temps et l’argent pour le parcourir d’un bout<br />

à l’autre ! Voilà pourquoi j’estime que cette bénite Planète doit être défendue<br />

et sauvegardée et que l’Humanité doit avoir pour ce faire une grande responsabilité.<br />

Humanité qui vit aujourd’hui, dans la profonde différence de ressources<br />

à disposition de chacun et l’inéquitable distribution de la démocratie,<br />

l’un des drames qui empêche un développement équitable et harmonieux.<br />

Nous devons y réfléchir tous les jours, en regardant aux générations futures<br />

et aux responsabilités du présent, pour tout ce que – dans le bien et dans le<br />

mal – nous leurs léguerons. <strong>Il</strong> est donc fort utile que l’héritage ne soit pas un<br />

désastre !<br />

La grande dimension, la politique planétaire et la vision mondiale sont<br />

importantes mais elles n’ont pas l’exclusivité. Sans quoi nous serions à la<br />

merci des grands Etats, des tentaculaires accords internationaux, des grands<br />

intérêts des multinationales.<br />

Voilà pourquoi, quoique petits face aux dimensions gigantesques, nous<br />

devons faire entendre notre voix et la faire retentir, si possible, au-delà de notre<br />

taille minuscule. C’est ce que nous sommes qui vaut : nos traits distinctifs<br />

37


et particuliers, notre désir de faire et d’être reconnus, tout en étant conscient<br />

de notre petite échelle, là où nous pouvons dire la nôtre.<br />

Pour cette raison j’ai fortement voulu un accord avec la FAO, l’organisation<br />

internationale ayant son siège à Rome, avec laquelle j’ai commencé à<br />

travailler en 2002 à l’occasion de l’Année internationale des montagnes. En<br />

reprenant notre action positive en matière de coopération décentralisée dans<br />

différents Pays tels que le Népal, l’Equateur ou le Tibet, le pilier de cette<br />

entente réside dans l’idée de travailler en faveur des territoires de montagne<br />

du monde entier. Le texte de l’accord le rappelle : « Dans la Région autonome<br />

Vallée d’Aoste, avec un territoire de montagne à 100%, la population a acquis<br />

une remarquable expérience et connaissance en matière de promotion du<br />

développement dans le respect de l’environnement fragile de la montagne ».<br />

En citant aussi l’expérience du passé : « La Région autonome Vallée d’Aoste<br />

a été non seulement concernée dans les célébrations de l’Année internationale<br />

des montagnes en 2002, mais elle a joué un rôle moteur au niveau<br />

international en représentant un modèle pour les autres pays ». Et encore :<br />

« La Région autonome Vallée d’Aoste encourage une série d’activités visant<br />

l’information et la sensibilisation sur la question de l’importance des montagnes<br />

pour l’équilibre de l’écosystème mondial ainsi que pour la promotion<br />

du développement des montagnes dans le monde. Tout particulièrement, la<br />

Région a toujours célébré la Journée internationale de la Montagne en organisant<br />

des événements publics de haut niveau. » D’autres précisions figurent<br />

dans l’accord : « La Région autonome Vallée d’Aoste participe aussi aux activités<br />

organisées par la Convention des Alpes en tant que régions chef de<br />

file du groupe italien de la Conférence Etat-Régions de l’Arc alpin et, dans le<br />

cadre italien et européen, elle joue un rôle important dans la promotion du<br />

développement des montagnes en orientant l’attention politique vers les nécessités<br />

de l’environnement et des communautés montagnardes. »<br />

D’ici le choix de l’accord-cadre : « La Région autonome Vallée d’Aoste et<br />

la FAO, sous l’impulsion d’idéaux communs, désirent entreprendre et développer<br />

un rapport de collaboration dans le cadre des principes de la coopération<br />

décentralisée avec l’objectif de réaliser des initiatives destinées au<br />

développement durable notamment dans les zones de montagne, afin de promouvoir<br />

la sécurité alimentaire, déraciner la pauvreté et la marginalisation<br />

sociale, assurer le développement économique et la promotion de lois et de<br />

politiques spécifiques aux aires de montagne. »<br />

Ce pont avec la FAO, si nous serons en mesure de le garder en vie, peut<br />

représenter une belle opportunité pour la visibilité internationale de la Vallée<br />

d’Aoste.<br />

38


<strong>Il</strong> faut rêver. Cet impératif catégorique, qui est pour moi encore valable<br />

comme produit épanoui des expériences du passé, nous fait remonter le<br />

temps jusqu’aux sources de nombreuses espérances. Je pense aux optimistes<br />

de la famille, qui nous apprenaient à chevaucher avec engagement et sans<br />

bougonner les problèmes les plus compliqués. Un viatique très utile pour notre<br />

existence : j’ai sincèrement admiré ceux qui, même face à la malchance et<br />

aux injustices, ont su conserver leur sérénité vis-à-vis du futur. Tout comme<br />

j’admirais les amis avec lesquels je partageais des rêves colorés par la multitude<br />

d’attentes positives. Depuis notre enfance, une étincelle de plus dans<br />

les yeux caractérisait celui qui regardait ambitieusement au-delà de l’horizon<br />

de celui qui posait son regard seulement sur la pointe de ses pieds. Et je me<br />

réfère aussi à ces enseignants qui, du haut de leur pupitre, nous incitaient à<br />

croire dans nos énergies, surtout à une époque – je me réfère à l’adolescence<br />

– où il était difficile de distinguer, dans notre ventre bien avant que dans notre<br />

cerveau, le mélange d’émotions, d’idées, d’enthousiasmes, d’illusions.<br />

Aujourd’hui cet état d’âme bien disposé sert aussi à l’âge adulte, lorsque<br />

la rudesse du quotidien risque d’endurcir même le cœur le plus rempli<br />

d’utopies. Ce « monde qui n’existe pas », qui n’est pas le monde imaginaire<br />

de Harry Potter ou de Peter Pan, mais ce monde – le nôtre – qui se transforme<br />

d’époque en époque dans les mêmes lieux, et dont l’utopie est l’aliment<br />

qui permet de se fixer un objectif tellement difficile à réaliser qu’il apparaît<br />

comme irréel. Pensons à toutes ces étapes que nous avons franchies grâce à<br />

cette barre apparemment trop haute: mais qui a démontré, au fil du temps,<br />

ne pas être une limite parce que nous avons, tôt ou tard, réussi à l’atteindre.<br />

Le darwinisme appliqué à l’humanité a fait des dégâts – avec les phantasmes<br />

positivistes du classement entre les races humaines ( dont les génétistes ont<br />

enfin détruit certaines velléités ) – mais il peut avoir un visage positif à l’égard<br />

de cette idée, à prendre avec prudence, d’un progrès qui est un défi pour les<br />

êtres humains. Le fait de parcourir un chemin, une étape après l’autre, donne<br />

le sens d’une ligne d’arrivée mobile, qui se déplace toujours un peu plus audelà.<br />

Un but mobile exactement comme dans le paradoxe le plus connu de<br />

Zénon, celui d’Achille et de la tortue. Si Achille ( autrement dit « Achille aux<br />

pieds rapides » ) acceptait de challenger une tortue à la course et s’il accordait<br />

à la tortue une certaine avance, il ne pourrait jamais rattraper la tortue car<br />

Achille devrait d’abord atteindre le point occupé précédemment par la tortue<br />

qui, entre temps, aurait avancé encore plus loin, en atteignant un nouveau<br />

point qui lui permettrait d’avoir encore un certain avantage.<br />

Efforçons-nous donc de transmettre à nos enfants cette capacité de rêver.<br />

C’est un antidote contre cette grisaille d’âme et ce mal de vivre qui empoisonne<br />

tant de gens. Chaque jour il nous arrive de rencontrer ce genre de<br />

personnes, souvent irritées ou renfermées dans la cage de leurs insatisfactions.<br />

Elles ont cessé de rêver.<br />

39


Quelle attitude faut-il avoir dans le rapport entre la dimension publique et<br />

les aspects privés de la vie des personnes ? Le thème remonte à la nuit des<br />

temps, mais les nouvelles technologies, tels que l’Internet ou les chaînes<br />

par SMS, rendent l’information encore plus capillaire et parfois moins soignée<br />

dans la recherche des sources et des faits qui se sont réellement passés<br />

– pensons par exemple à l’absence de scrupules des blogs et à la superficialité<br />

permise par l’anonymat.<br />

Ainsi la vicissitude toute récente d’un curé valdôtain, qui a été rendue publique<br />

par la presse, est tout à fait significative : le choix – établi de commun<br />

accord ou imposé, peu importe – d’une année sabbatique dans l’activité de<br />

direction de la paroisse a eu comme explication, d’après les journaux, la naissance<br />

d’une petite fille, il y a trois ans, à partir d’une relation amoureuse.<br />

La nouvelle, dont le fondement est en vérité indéterminé, a fait la une<br />

des journaux et a eu une vaste diffusion. L’opinion publique est partagée<br />

entre ceux qui signalent une dérive d’un journalisme potinier et intrusif de<br />

l’intimité et ceux qui par contre pensent que la nouvelle en soi existe, s’agissant<br />

quand même d’un fait extraordinaire que celui d’un prêtre qui viole ses<br />

droits, tels que celui de la chasteté et, par conséquent, de la paternité.<br />

<strong>Il</strong> est légitime que chacun de nous manifeste ses positions par rapport au<br />

sujet en question. En parlant avec les gens j’ai saisi différents points de vue :<br />

ceux qui signalent l’obligation de l’action de la hiérarchie ecclésiastique, ceux<br />

qui estiment que cet épisode fait ressurgir le vieux thème du mariage pour<br />

les prêtres, ceux qui pensent que la nouvelle aurait pu être diffusée avec plus<br />

d’attention pour les sentiments des personnes concernées.<br />

La double casquette de journaliste et de personne jouant un rôle public<br />

m’impose de penser que cette question délicate réside justement dans l’équilibre<br />

entre les droits de l’information et le respect des personnes. Public et<br />

privé finissent par devenir les côtés problématiques de la même médaille.<br />

<strong>Il</strong> est juste et nécessaire que ceux qui ont un rôle public soient transparents<br />

et visibles dans leurs comportements. Mais qu’il soit clair, il existe des<br />

problèmes personnels et familiaux qui demandent à être manœuvrés avec<br />

soin et circonspection. <strong>Il</strong> faut que, cas par cas, le journaliste arrive à équilibrer<br />

les exigences opposées afin d’éviter que certaines intrusions dans la<br />

sphère la plus intime et privée finissent par créer des gênes, des difficultés,<br />

voire de la douleur.<br />

Exposer quelqu’un à la risée publique peut assumer les caractéristiques<br />

d’un procès sommaire, une sorte de pilori médiatique, alors que le bon sens<br />

coïncide avec le sens de la mesure et avec les règles élémentaires de la politesse<br />

et du respect envers les autres.<br />

Je crains que dans le cas du curé valdôtain il n’y a eu ni l’un ni l’autre et<br />

pour cela, s’il peut compter quelque chose, je suis solidaire avec lui.<br />

40


« Montagne » est un terme universel, qui – pour nous, les Valdôtains<br />

– représente la quotidienneté et on a donc la tendance à tenir pour acquis<br />

un tas de choses. Vies vécues, familiarités rassurantes, anciens mythes, traditions<br />

solides : la synthèse qui en dérive – civilisation montagnarde rondebosse<br />

– est fondée de façon certaine, mais il faut avoir la conscience du débat<br />

plus ample qui est en train de se développer autour de nous. Etre dynamique<br />

signifie éviter de tomber dans la tentation de la paralyse au nom d’une pure<br />

conservation.<br />

La particularité des territoires et les politiques qui en découlent pour<br />

leur développement est une nouveauté de ces dernières années, et il faut<br />

être réactif face à une formulation de source européenne qui rend les actions<br />

encore plus cohérentes avec les nécessités.<br />

Cela est différent de la vision traditionnellement aveugle face aux diversités<br />

dérivant des différences géographiques de ce rouleau compresseur qu’a<br />

toujours été l’Etat nation, où tout est égal dans une vision illogique et pour<br />

rien respectueuse du principe d’égalité, qui prévoit des conditions différenciées<br />

pour rétablir le même traitement et placer tout le monde au même<br />

niveau avec les même chances.<br />

L’Autonomie spéciale de la Vallée est, entre autre, un binôme peuple valdôtain<br />

– territoire montagneux qui accompagne au particularisme linguistique<br />

la singularité culturelle de communauté alpine dans un spécifique périmètre<br />

situé dans un contexte historique à travers les millénaires. C’est vrai que<br />

chacun utilise le mot montagne selon sa propre latitude. <strong>Il</strong> y a quelques jours,<br />

le chef de la délégation d’une île de l’Estonie en visite en Vallée me racontait<br />

que leur montagne est haute 300 mètres, ce qui est un discret bond respect<br />

aux 9 mètres d’altitude moyenne… L’exemple pourrait se répéter à l’infini<br />

et pour chaque Continent.<br />

En Italie, même Monte Citorio, qui est aujourd’hui le siège de la Chambre<br />

des députés et rien d’autre qu’une modeste montée, est apparu aux yeux<br />

des Romains digne d’être une… montagne, tout comme cela arrive pour<br />

Montmartre à Paris.<br />

A l’intérieur des nombreuses et changeantes conditions de notre planète,<br />

mais surtout au-dessus d’une certaine altitude et avec d’autres caractéristiques,<br />

la montagne, c’est la montagne.<br />

Un thème qui n’a rien de banal et qui a été au centre des débats en Italie<br />

avec la découverte – même de la part du Président de Confindustria Luca<br />

Cordero di Montezemolo – qu’une partie du périmètre des communautés<br />

de montagne est ridicule et gaspilleur. Le thème de la montagne fausse, située,<br />

sans aucun sens du ridicule, à la plaine ou sur la mer est en vérité bien<br />

connue depuis des décennies en Italie. Avec un grand absent : le montagnard<br />

et, le grand perdant, la vraie montagne ! Je crois qu’il s’agit d’un thème crucial,<br />

à côté d’un système solide de classement, distinguant le côté sérieux du<br />

problème et sauvegardant la montagne des Alpes, des Apennins, les îles et<br />

41


les volcans. Pour parler enfin de la véritable Cendrillon italienne : la haute<br />

montagne, à laquelle nous appartenons solidement et certainement. Autour<br />

de ces principes il est possible de créer des réseaux de solidarité.<br />

En 1977 je venais d’atteindre l’âge de la majorité. Le temps passé, bien<br />

qu’imbibé de nostalgie pour la jeunesse révolue, ne peut pas cacher certains<br />

aspects problématiques de ces années-là. Je peux dire en particulier que, soit<br />

à l’école soit par le biais d’amitiés et de connaissances de l’époque, j’ai assisté<br />

de près au mouvement de 1977, qui avait rempli les rues et les places. Une<br />

protestation vivace et forte, qui a pris par la suite un mauvais plis dans la<br />

foulée d’un phénomène, celui du terrorisme de droite et de gauche, qui a sévi<br />

l’Italie des années ’70 avec des bombes dans les rues, dans les trains et dans<br />

les gares et avec beaucoup d’assassinats politiques.<br />

<strong>Il</strong> s’agissait d’un humus politique et social embrouillé – qui a été rapporté<br />

par de nombreux livres parus à l’occasion du trentième anniversaire<br />

– qui a entraîné le phénomène très grave du terrorisme, imprégné du sang de<br />

nombreuses personnes innocentes. Je conseille aux jeunes de s’informer, de<br />

s’intéresser, s’agissant d’une histoire qui ne paraît pas encore dans les livres<br />

scolaires en raison du choix bien connu de garder l’histoire contemporaine<br />

à une certaine distance des décennies les plus proches, comme s’il y avait<br />

quelque chose de mal…<br />

« Kossiga boia », du nom du Ministre de l’Intérieur de ce temps-là, était<br />

un slogan parsemé de haine, qui était écrit à la main sur les murs de l’Italie<br />

tout entière et qui a marqué le climat dramatique de cette époque. Je me<br />

souviens très bien des articles de Giampaolo Pansa qui exhortait la Gauche à<br />

prendre les distances des violents et des éversifs contre la logique débonnaire<br />

de ceux qui, trop nombreux, parlaient de « compagni che sbagliano ». L’existence<br />

d’extrémismes opposés était contestée par certains intellos soi-disant<br />

progressistes qui acquittaient au préalable l’aire de la gauche que l’on définissait<br />

alors d’extraparlementaire. Un acquittement dénué de logique et de<br />

sens : le journaliste avait raison et il avait été clairvoyant ( encore aujourd’hui<br />

il a repris ce même thème ! ) en jugeant les comportements indulgents comme<br />

trompeurs et susceptibles de créer une complicité désastreuse. Malheureusement,<br />

la violence se déchaîna laissant derrière elle une foulée de crimes<br />

42<br />

mai


faits au nom des Brigades rouges et d’autres groupes éversifs, qui a démenti<br />

les optimistes et ceux qui n’avaient pas voulu voir la réalité d’une lutte armée<br />

criminelle et sanguinaire.<br />

Voilà pourquoi l’inscription « <strong>Caveri</strong> boia », à deux pas du Palais régional,<br />

m’a fait horreur et m’a dégoûté. On ne sait pas si ce jeune stupide ayant écrit<br />

cette bêtise si lourde et offensive, qui va au-delà de la gaminerie, sera un<br />

jour attrapé. On aurait en effet envie de régler la question, si l’auteur devait<br />

être découvert, en lui passant un savon et en lui donnant une leçon salutaire<br />

d’histoire avec l’obligation de lire un bon livre sur la démocratie ou contre<br />

l’utilisation de la violence.<br />

Bien différent devrait être par contre le traitement réservé aux inspirateurs<br />

de l’acte, ceux qui ont armé le spray qui a sali avec un graffiti le mur<br />

d’une maison. Dans les années ’70, les « mauvais maîtres » ont fait des désastres<br />

et ont gâché la vie d’un tas de jeunes, qui sont allés en prison pour<br />

des crimes commis au nom d’un communisme grotesque dont ils étaient<br />

porteurs. Voilà pourquoi certains piètres « mauvais maîtres » de nos jours, disponibles<br />

à tout pour une poignée de voix et en dépit de la cuisante défaite de<br />

certaines idéologies, devraient être éloignés des jeunes : ils leur font du mal<br />

et sèment une violence nuisible et inutile. Dans le fond ce « <strong>Caveri</strong> boia »,<br />

dont j’ai gardé la photo, finit par être – dans une certaine lecture historique<br />

– une sorte de médaille.<br />

Le silence est chose rare, de plus en plus rare. C’est une sorte de bien de<br />

luxe, effet d’un monde de plus en plus bruyant. Le point culminant de cette<br />

situation est représenté par les sonneries des portables ou par le petit bruit<br />

annonçant l’arrivée d’un sms. Une sorte d’invasion de sauterelles dans la vie<br />

quotidienne, qui n’épargne personne : même le curé de l’autel recommande<br />

d’éteindre les portables, tout comme au théâtre ou à un concert de musique<br />

classique on nous demande de le faire. Etre bruyant veut dire, dans nombre<br />

de cas, être impoli. Et le silence est souvent un privilège comme l’oasis<br />

dans un désert. Des chaînes d’hôtel même ont été créées signalant, comme<br />

caractéristique de prestige, le silence, s’opposant ainsi à l’agression quotidienne<br />

à laquelle nos pauvres oreilles sont soumises. Je crois que nous, en<br />

Vallée d’Aoste, nous devrions en profiter. <strong>Il</strong> s’agit de quelque chose dont nous<br />

abondons. Fermez les yeux et songez. Un alpage, un pré, du relax : les sonnailles<br />

des vaches paraissent un carillon. Un sommet, un panorama, la paix<br />

avec soi-même : la bise est imperceptible comme une note de musique. Un<br />

bois, des parfums, un plein d’énergie : le sous-bois croque comme le papier<br />

d’un bonbon. La cheminée, le canapé, la chaleur : le bois crépite alors que le<br />

feu brûle. Nous devrions confectionner autour de ces thèmes une série de<br />

séjours touristiques…<br />

43


Le silence vaut aussi bien dans les rapports interpersonnels et c’est une<br />

façon de communiquer entre les êtres humains. Nous pouvons nous parler<br />

avec les yeux, avec un mouvement de la main, avec la complicité de la<br />

proximité. Le silence – pensons au sacrifice d’Emile Chanoux – prend une<br />

dimension héroïque. Avec Max-Pol Fouchet : « Pour que demeure le secret,<br />

nous tairons jusqu’au silence ». Se taire signifie parfois avoir du respect pour<br />

l’autorité, comme aux temps de l’école ; c’est un moment de réflexion, assis<br />

sur le banc d’une église ; c’est du respect pour ceux qui nous ont quittés ( une<br />

minute de silence ) ou un dîner à la lueur d’une bougie où ce sont les cœurs<br />

qui parlent ; c’est un besoin de se reposer. <strong>Il</strong> m’arrive, après une journée de<br />

rencontres et de réunions, de savourer la dimension privée et personnelle du<br />

silence comme occasion pour récupérer mes forces.<br />

Cette duplicité entre le silence de la nature et le silence entre les personnes<br />

peut aussi alimenter le long débat entre ceux qui veulent les montagnes<br />

avec et ceux qui les veulent sans. Avec ou sans hommes, dans la perception<br />

erronée de ceux qui estiment que la Nature – avec un grand N – est une<br />

entité séparée de l’être humain et que sa présence dérange les équilibres de<br />

la Terre. « Anthropisation » est un mot grossier, utilisé avec un certain dégoût.<br />

Une culture qui arrive tout droit de l’extrême droite, aux racines profondes<br />

et inquiétantes, qui a parsemé son propre pollen à différentes latitudes politiques<br />

et qui joue une charge de cavalerie wagnérienne qui exalte, amplifie,<br />

résonne et, enfin, effraie. Parce que le silence, surtout s’il est opposé à certaines<br />

violences verbales qui caractérisent les rapports sociaux et politiques, est<br />

sûrement muet, mais il est aussi – et il ne s’agit pas d’un paradoxe – un écho<br />

courtois de notre façon d’être en harmonie avec ce monde auquel, légitimement,<br />

nous appartenons.<br />

L’Union européenne d’aujourd’hui est très différente du « bébé » qui a<br />

vu le jour il y a 0 ans à Rome, avec un accouchement décennal qui trouve<br />

ses racines dans les réflexions des pères fondateurs de l’idée fédéraliste européenne<br />

( Colorni, Rossi et Spinelli, mais aussi Einaudi et la « compagnie » de<br />

la Déclaration de Chivasso ), transformée en projet politique et en accomplissement<br />

institutionnel.<br />

L’UE a grandi, en dimension, en influence, en importance. L’Europe est<br />

présente dans la vie quotidienne de chacun de nous, mais ce quotidien acquis<br />

ne peut et ne doit faire oublier l’élan idéal qui avait allumé le moteur<br />

de l’unification européenne il y a 0 ans. Un moteur qui fut animé par une<br />

étincelle semblable à celle qui donna le feu vert, ces années mêmes, à la<br />

reconnaissance institutionnelle de l’autonomie valdôtaine. En effet, d’après<br />

une première analyse du courant européiste et de l’autonomie valdôtaine<br />

44


contemporaine, un parcours parallèle surgit avec clarté. Un parcours qui s’est<br />

développé à partir de la deuxième guerre mondiale jusqu’à nos jours, nourri<br />

par un humus commun qui est celui de la pensée fédéraliste. L’infiniment<br />

grand et l’infiniment petit qui, dans les espérances fédéralistes, devraient<br />

pouvoir coexister et s’intégrer grâce à une souveraineté répandue et multicouche,<br />

imprégnée de la notion de subsidiarité qui est l’un des éléments<br />

indissociables du fédéralisme.<br />

Un aperçu prophétique est représenté par ce « message en bouteille »<br />

qu’est la Déclaration de Chivasso, première véritable expérience fédéraliste,<br />

parce que organisée autour de véritables mouvements fédéralistes qui ont<br />

participé à la lutte contre le nazi-fascisme avec une physionomie politique<br />

autonome. C’était l’année 1943, les Valdôtains et les Vaudois voyaient dans<br />

le régime cantonal, pour les petits peuples des Alpes dans un contexte européen,<br />

un antidote au jacobinisme des Etats-nations et à leur nationalisme<br />

ancien, porteur des dictatures du XX e siècle, auquel on contre-opposait un<br />

Etat régionaliste respectueux des minorités linguistiques.<br />

Ce parallélisme n’a rien de fortuit : l’Europe était, et peut encore l’être,<br />

une occasion pour « démonter » ces formes limitées de concession d’autonomie<br />

de la part des vieux Etats nationaux et pour avancer vers une « recomposition<br />

» libre et respectueuse des peuples et des communautés. Ce<br />

qui aujourd’hui paraît un souhait, demain pourra être lu comme un projet<br />

politique concret. Le fédéralisme apparaît sous cet angle comme un projet,<br />

un ensemble d’idées, un instrument constitutionnel, une façon de vivre pour<br />

notre communauté et pour sa projection en Europe. C’est au monde politique<br />

qu’il reviendra de tenir le cap, sur une mer qui se fait de plus en plus agitée.<br />

Mais ne vous laissez pas induire en erreur par cette métaphore marine :<br />

nous sommes et serons toujours un pays de montagne et aucun changement<br />

climatique, aussi radical soit-il, ne pourra altérer cette réalité. Les diverses<br />

facettes de notre âme et nos multiples caractéristiques doivent ouvertement<br />

prendre place dans l’Europe des diversités.<br />

« L’Europe – écrivait Passerin d’Entrèves – est notre patrie […] et l’amour<br />

que nous lui portons n’exclut pas, bien au contraire il enrichit ce que nous<br />

ressentons pour ce coin de terre où nous sommes nés ». <strong>Il</strong> faut lutter contre<br />

tout projet macro-régional, contre toute tentative de se défaire des plus petits,<br />

contre une économie d’échelle qui agit comme une nivelle détruisant les<br />

peuples et les identités. <strong>Il</strong> faut lutter pour affirmer une solution raisonnable<br />

pour la Vallée d’Aoste et non seulement.<br />

Ce parallélisme ne s’arrête pas aux années de l’après-guerre, il est encore<br />

bien réel et sans aucune exagération : il est intéressant de voir le choix tout<br />

récent du Conseil de la Vallée de récrire le Statut d’autonomie par le biais de<br />

la Convention, en évoquant ainsi le processus d’élaboration du Traité constitutionnel<br />

européen amorcé avec le Traité de Nice de l’an 2000 et qui s’est<br />

par la suite empêtré entre les référendums contraires de la France et des<br />

4


Pays-Bas ainsi qu’un scepticisme larvé. La nouvelle Constitution régionale<br />

des Valdôtains, quels que soient les choix qui seront faits, devra certainement<br />

innover en profondeur l’une des limites du système valdôtain en vigueur : le<br />

Statut ne considère pas la dimension communautaire dans le texte actuel,<br />

même si l’autonomie dans le quotidien de l’administration et dans les choix<br />

politiques et programmatiques a dû tenir compte en mesure croissante du<br />

rôle, des pouvoirs, des fonctions et des compétences des institutions communautaires.<br />

La dimension européenne, dans un crescendo constant et<br />

continu, représente un défi tout à fait nouveau pour l’autonomie spéciale<br />

de la Vallée d’Aoste. Un défi que nous avons recueilli et auquel nous avons<br />

fait face en pleine conscience avec l’approbation de la loi sur l’Europe. Ayant<br />

été approuvé le 3 mars 1947, à savoir dix ans avant la naissance de la Communauté<br />

économique européenne, le Statut d’autonomie de la Vallée est de<br />

toute évidence dépourvu de références aux institutions communautaires. La<br />

loi régionale en question constitue donc un passage significatif, qui donne<br />

une réponse concrète à l’irruption de l’Europe dans la scène valdôtaine : de<br />

la participation à la phase ascendante du processus décisionnel communautaire<br />

– à l’intérieur duquel le Bureau de la Région à Bruxelles acquiert une<br />

valeur stratégique – au rôle de la Région dans la phase descendante, avec<br />

l’adoption d’une véritable loi communautaire, dont nous avons eu cette année<br />

la première approbation.<br />

Le thème du Traité constitutionnel ne peut être éludé, tout en reconnaissant<br />

les limites intrinsèques et les difficultés contingentes qu’il a rencontré.<br />

Donner une constitution à l’Europe signifie en reconnaître la nature d’Etat,<br />

d’institution unitaire naissant de la volonté commune des peuples européens.<br />

<strong>Il</strong> s’agit de rassembler les principes fondamentaux d’une Europe en croissance,<br />

qui s’élargit, qui se mesure à de nouveaux défis et qui doit donc pouvoir<br />

mieux fonctionner. <strong>Il</strong> s’agit par ailleurs d’établir une véritable gouvernance<br />

fédérale à tous les niveaux. Je pense au régionalisme et à l’action des Régions.<br />

Le Traité constitutionnel propose déjà quelques idées par rapport aux Traités,<br />

tels que la reconnaissance explicite du rôle local et régional, l’extension du<br />

principe de subsidiarité à ce niveau ainsi qu’une plus ample reconnaissance<br />

de la politique de cohésion territoriale. Le point est celui de comprendre quel<br />

type de fédéralisme nous poursuivons : s’il est respectueux de la fidélité des<br />

choses ou bien s’il est construit artificieusement et hâtivement, sans tenir<br />

compte ni des besoins réels ni des véritables attentes et potentialités.<br />

I l y a quelque jour, un rapporteur – en s’occupant de la politique en tant<br />

qu’activité qui doit tenir compte du futur – a dit une chose qui m’a frappé<br />

pour sa simplicité : l’espoir est une vertu théologale, la nostalgie non. J’aime<br />

cette définition si profonde, autant que synthétique, même si j’aime la nos-<br />

46


talgie, comme tout le monde, parce qu’elle est enveloppante comme la couverture<br />

de Linus. Objets, odeurs, mémoires qui – tout comme la Madeleine<br />

de Proust – rappellent des moments heureux du passé comme une sorte de<br />

marée montante sur la plage de notre vie. Un passé qui – de façon naturelle<br />

–devient plus beau, parce qu’on a la tendance à effacer tout ce qui nous a<br />

blessés ou affligés à un moment ou à un autre, avec le filtre du temps. Une<br />

espèce de coquille qui – vidée de son mollusque – apparaît dans toute sa<br />

beauté plastique. Un passé qui, quand on vieillit, coïncide avec les années de<br />

la jeunesse et avec la présence des amis d’antan ou des parents qui nous ont<br />

quittés. Mais regarder en arrière serait bien stérile s’il ne donnait lieu qu’à<br />

un regret qui éteint l’avenir. Voilà pourquoi, dans la comparaison avec ce qui<br />

s’est passé, la quotidienneté – si lourde dans sa prise en charge des problèmes<br />

et des difficultés – apparaît dans toute sa dure réalité. La force dans le<br />

présent est donc nécessairement représentée par l’énergie positive et à bon<br />

prix de l’espoir. On œuvre aujourd’hui pour que demain l’on regarde les fruits,<br />

et l’espoir est aussi un médicament – homéopathique pour la petitesse de la<br />

dose demandée – contre les amertumes qui arrivent de la part de ceux qui,<br />

sans aucune vision perspective, voudraient tout et tout de suite, ou finassent<br />

sur la nécessité, par contre inéluctable, de synchroniser avec patience la pensée<br />

et l’action. Cela nous oblige à ne pas être pressés, parce que construire<br />

– ce raisonnement nous parvient de l’ancienne sagesse paysanne qui vivait<br />

le temps dans la conscience des saisons et de la lenteur contemplative de la<br />

nature – signifie savoir attendre.<br />

Détruire, c’est plus facile : il suffit d’une grenade, d’un incendie, d’un acte<br />

de violence. Cela – si nous ne savons pas nous rebeller à la simplification et<br />

à la logique des raccourcis qui souvent faussent les compétitions – risque<br />

d’étouffer l’espoir qui, par contre, comme l’on dit, doit être le dernier à mourir.<br />

Ne nous privons donc pas des horizons qui, une fois atteints, tout comme<br />

les espoirs qui s’alimentent de nouveautés, se déplacent vers un nouvel objectif<br />

qui, atteint à sa fois, se dirige à nouveau vers une autre direction. La<br />

politique, pour cette raison, n’est pas comme un médicament avec une date<br />

d’échéance, parce que c’est l’espoir qui brûle comme une flamme, alimentée<br />

par des idées et des projets, qui la garde vivante. <strong>Il</strong> s’agit d’une sorte de plan<br />

qui nous accompagne dans la partie de route que nous parcourons dans notre<br />

vie, même en politique, qui est et qui reste une composante importante pour<br />

être des citoyens conscients et …pleins d’espoir.<br />

«J’ai vu tant de choses, que vous, humains, ne pourriez pas croire... De<br />

grands navires en feu, surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux,<br />

des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tanhauser. Tous ces<br />

moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes, dans la pluie... <strong>Il</strong> est<br />

47


temps de mourir... ». C’est ainsi que s’exprime Roy Batty, le réplicant de Blade<br />

Runner, film de Ridley Scott, sorti en 1982, dont l’histoire se déroule à Los<br />

Angeles en 2019. La ville est devenue une gigantesque mégalopole monstrueuse<br />

où règne la surpopulation, la saleté, la publicité omniprésente, et des<br />

créatures appelées « répliquants » ( créatures humaines artificielles ), utilisés<br />

pour des travaux dangereux sur Terre et dans les missions spatiales…<br />

Après vingt ans de politique, de temps à autres – certes sans aucune intention<br />

de mourir ! – j’ai l’impression d’avoir vu tant de choses, comme Roy<br />

Batty. Depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, j’en ai vu des choses et j’ai<br />

bonne mémoire. Je suis même convaincu que certains « répliquants » sont<br />

véritablement parmi nous… « J’ai vu tant de choses, que vous, Valdôtains,<br />

ne pourriez pas y croire… De nouveaux mouvements politiques, surgissant<br />

de la côte de l’UV. J’ai vu des alliances incroyables, de faces de C…, briller<br />

dans l’ombre des Portes prétoriennes le jour de l’inauguration de la Saint-<br />

Ours. Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes, dans la<br />

pluie… <strong>Il</strong> est temps de réagir… ».<br />

Afin d’éviter que la Vallée d’Aoste en 2019 – je dirais même à partir<br />

de 2008 ! – soit réduite à un déchet, ce qui pourrait très bien se passer si<br />

certains revenaient à la politique ou s’ils y parviendraient après une longue<br />

antichambre, il est nécessaire de commencer à réagir à toute provocation.<br />

Que les unionistes commencent à réagir pour affirmer la fierté de notre patrimoine<br />

politique, historique et culturel. Ça suffit avec cette histoire que<br />

l’Union est en train d’agoniser. Ça suffit avec l’idiotie que nous sommes un<br />

groupe de délinquants. Ça suffit avec ce commérage qui nous peint comme<br />

des incapables. Ça suffit avec la vulgate qui nous présente comme des soldeurs<br />

de notre patrimoine d’idées. Les temps de la tolérance et de l’aplomb<br />

sont achevés. Pour un choix de modération et un désir de vie tranquille,<br />

nous n’avons répondu ni aux insultes ni aux insinuations, même les plus graves.<br />

La contre information journalistique ainsi que la basse propagande ont<br />

vomi des histoires et des anecdotes ridicules donnant parfois des frissons.<br />

L’approche des élections ne nous rassure pas quant à un changement de<br />

style et de comportements. J’estime donc qu’il est temps de tourner la page<br />

– sans pour cela faire les mêmes erreurs ni singer les haines et les rancunes<br />

dont nous avons été les victimes. <strong>Il</strong> y a ceux qui ont joui en inspirant des mémoires<br />

anonymes et diffamantes aux autorités. <strong>Il</strong> y a ceux qui ont démontré<br />

d’être des provocateurs aux limites de la folie ; il y a ceux qui écrivent ou parlent<br />

en oubliant leur passé et les choses faites dans leur vie.Ces actions sont<br />

le contraire exact du dialogue qui a toujours été invoqué par ceux qui – et ils<br />

sont nombreux – avaient la vocation de recoudre les déchirures et de guérir<br />

les blessures. Je remarque que sur ce chemin beaucoup a été fait, mais<br />

quelques irréductibles – des « répliquants » de nom et de fait… – empoisonnent<br />

encore l’air de la politique et minent gravement la coexistence civile.<br />

Ce n’est pas ça dont nous avons besoin : les années à venir seront d’autant<br />

48


plus complexes et les problèmes à résoudre, à une époque de changements,<br />

encore plus difficiles. Ceux qui jouent avec notre communauté, en jetant de<br />

l’essence partout et cultivant le goût pour la polémique constante, ne mesurent<br />

pas les potentielles et même néfastes conséquences. Les divisions et<br />

les critiques prétentieuses nous affaiblissent tous et ce n’est pas aujourd’hui<br />

que nous avons besoin de ça. Nous devrions y réfléchir davantage.<br />

avril<br />

Une grande pagaille règne autour de la candidature du Mont Blanc à<br />

patrimoine mondial de l’Unesco. La Vallée d’Aoste sait peu de réellement<br />

officiel ! Le Ministre de l’Environnement Alfonso Pecoraro Scanio – bien que<br />

la compétence en matière soit du Ministre des Biens culturels Francesco<br />

Rutelli ! – m’a personnellement expliqué que l’Italie, pour ce qui est des montagnes,<br />

a déjà la candidature pour les Dolomites, les français ont d’autres<br />

intérêts, et donc les promoteurs pourraient être les helvétiques. Mais cela<br />

a-t-il sens, du moment que les Suisses ont la portion la plus petite du Mont<br />

Blanc ?<br />

Déjà dans le passé, j’avais nourri un doute sur la réelle appétibilité de<br />

l’opération Mont Blanc ( tandis que je soutiens fortement la candidature<br />

comme patrimoine immatériel Unesco du peuple Walser ) qui, entre autre,<br />

a du mal à trouver quelqu’un qui présente la candidature. Je veux rappeler<br />

que pour figurer sur la liste du patrimoine mondial, les sites doivent avoir une<br />

valeur universelle exceptionnelle et satisfaire au moins un des dix critères de<br />

sélection. Les critères de sélection sont :<br />

1) représenter un chef-d’œuvre du génie créateur humain ; 2 ) témoigner<br />

d’un échange d’influences considérable pendant une période donnée ou dans<br />

une aire culturelle déterminée, sur le développement de l’architecture ou<br />

de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou<br />

de la création de paysages ; 3 ) apporter un témoignage unique ou du moins<br />

exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue<br />

; 4 ) offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble<br />

architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes<br />

significative( s ) de l’histoire humaine ; ) être un exemple éminent d’établissement<br />

humain traditionnel, de l’utilisation traditionnelle du territoire ou de<br />

la mer, qui soit représentatif d’une culture ( ou de cultures ), ou de l’interaction<br />

humaine avec l’environnement, spécialement quand celui-ci est devenu<br />

49


vulnérable sous l’impact d’une mutation irréversible ; 6 ) être directement<br />

ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des<br />

idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification<br />

universelle exceptionnelle ; 7 ) représenter des phénomènes naturels<br />

ou des aires d’une beauté naturelle et d’une importance esthétique exceptionnelles<br />

; 8 ) être des exemples éminemment représentatifs des grands stades<br />

de l’histoire de la terre, y compris le témoignage de la vie, de processus<br />

géologiques en cours dans le développement des formes terrestres ou d’éléments<br />

géo morphiques ou physiographiques ayant une grande signification ;<br />

9 ) être des exemples éminemment représentatifs de processus écologiques<br />

et biologiques en cours dans l’évolution et le développement des écosystèmes<br />

et communautés de plantes et d’animaux terrestres, aquatiques, côtiers et<br />

marins ; 10 ) contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les plus<br />

importants pour la conservation de la diversité biologique, y compris ceux où<br />

survivent des espèces menacées ayant une valeur universelle exceptionnelle<br />

du point de vue de la science ou de la conservation. La protection, la gestion,<br />

l’authenticité et l’intégrité des biens sont également des considérations importantes.<br />

Aujourd’hui la liste du patrimoine mondial est une sorte de bazar comble<br />

d’objets différents : il comporte en effet 830 biens que le Comité du patrimoine<br />

mondial considère comme ayant une valeur universelle exceptionnelle.<br />

Ces biens comprennent 644 biens culturels, 162 naturels et 24 mixtes situés<br />

dans 138 Etats.<br />

Par exemple, en Allemagne on trouve les Châteaux d’Augustusburg et de<br />

Falkenlust à Brühl ( 1984 ) ou les Mines de Rammelsberg et la ville historique<br />

de Goslar ( 1992 ).<br />

En Australie la Grande Barrière ( 1981 ) et en Autriche le Centre historique<br />

de la ville de Salzbourg ( 1996 ), en Belgique les Minières néolithiques<br />

de silex de Spiennes ( Mons, 2000 ). Et encore : en Chine la Grande Muraille<br />

( 1987 ) et à Cuba la Vieille ville de La Havane et son système de fortifications<br />

( 1982 ), et dans les Etats-Unis d’Amérique la Statue de la Liberté<br />

( 1984 ) et dans la Fédération de Russie Le Kremlin et la place Rouge, Moscou<br />

( 1990 ), en France le Site historique de Lyon ( 1998 ), en Grèce le Mont<br />

Athos ( 1988 ).<br />

En Italie la première reconnaissance a été décernée à l’Art rupestre de<br />

Valcamonica ( 1979 ) et ensuite au Centre historique de Rome ( 1980 ).<br />

Regardez donc la liste, et vous verrez qu’il s’agit d’une sorte de panier<br />

contenant un tas de choses ; pour le Mont Blanc se serait un atout en plus,<br />

qui, cependant, ne changerait rien juridiquement. Donc, pour l’amour de<br />

Dieu, que l’on fasse, en admettant que l’on y arrivera ( et je doute que cela<br />

puisse se faire en absence d’un Etat proposant ), mais en dépurant l’opération<br />

de celle excitation fébrile qui parait s’être répandue dans certaines associations<br />

environnementalistes.<br />

0


«Riches et privilégiés : arrêtons une fois pour toutes ces maudites autonomies<br />

spéciales ! Nous sommes face à de persistances historiques intolérables<br />

et à des vieux et ataviques instruments juridiques ». Est-ce que vous<br />

les entendez ces slogans qui résonnent sur notre peau comme des tambours<br />

de guerre ? Voilà que soudainement nous sommes peints comme des avides<br />

profiteurs, des tire-sous des autres, des autonomistes rusés –dégoûtants et<br />

voleurs – à la chasse d’avantages financiers.<br />

Et les Valdôtains en particulier sont dans le collimateur de ces chasseurs<br />

– et jouer le rôle de la proie n’est pas du tout agréable. Par des articles de<br />

journaux, des déclarations politiques multicolores, des documents officiels<br />

( pensons aux propositions repoussantes sur le fédéralisme fiscal ), les nombreux<br />

moralisateurs – souvent inspirés par les casseurs locaux, des anciens<br />

autochtones frustrés, figurants éternels de la politique valdôtaine ou simple<br />

traîtres de la patrie – nous montrent du doigt : mais vous n’avez pas honte,<br />

sales accumulateurs de richesses d’autrui ! La récréation est terminée, tout<br />

comme les joies du Paradis où vous estimez vivre tranquillement : la Vallée<br />

d’Aoste doit être à nouveau – comme à l’époque du fascisme – une nullité politique,<br />

terre d’émigration forcée ( et d’immigration pilotée ), culturellement<br />

prosternée à l’Italie.<br />

Une certaine Droite tout comme une certaine Gauche oublient d’un coup<br />

les divisions et flirtent contre nous. Un coup de crayon et on balaye tout ! Ça<br />

suffit avec les mystifications et les sottises : histoire millénaire, sentiment<br />

identitaire, Constitution, Statut spécial. Minorité linguistique ? Mais nous<br />

sommes en Italie, parlons italien et adaptons-nous à la langue, aux habitudes<br />

et aux façons d’être de la Péninsule ! Zones de montagne ? Ça suffit avec ces<br />

histoires : que les gens descendent à la plaine, cela nous coûtera moins cher.<br />

Bâtissons des beaux édifices dans les villes et sur ces maisons écrivons « Valsavarenche<br />

», « Valgrisenche », « Champorcher » : ça suffit avec cette onéreuse<br />

manie des montagnards de vouloir rester chez eux. « Maîtres chez nous ? ».<br />

<strong>Il</strong>s sont fous ces Valdôtains ! Qu’ils arrêtent avec ces habitudes provinciales<br />

et à caractère local, avec ces obsessions nationalitaires ou pire nationalistes<br />

et même – authentique horreur pour nos ennemis – d’empreinte européiste.<br />

Finissons-en enfin – selon une logique prolétaire jouant au rabais et au paupérisme<br />

humble – avec cette histoire du système financier : indigents, un peu<br />

ahuris, esclaves et folkloriques. Ainsi doivent être les Valdôtains ! Rien à voir<br />

avec l’entente, le principe du pacte, le fédéralisme et la subsidiarité. Tout le<br />

monde pareil ! Que Rome ordonne, que Turin décide ! Ainsi les centralismes<br />

de Rome et de la Maison de Savoie renaissent de leurs cendres avec des violences<br />

verbales dignes de la meilleure cause.<br />

<strong>Il</strong> est temps de répondre à ce beau cœur de voix : nous sommes très fâchés,<br />

vous nous avez embêtés, arrêtez de tirer la corde, car elle peut se casser.<br />

Nous sommes prêts – au plan juridique, moral, culturel et de l’engagement<br />

personnel et collectif – à faire nos démonstrations. Tout comme ceux qui<br />

1


veulent briser les équilibres et bouleverser les choses – y compris les rapports<br />

de vie civile et l’ancien sens de l’accueil – sont libres de le faire. Mais nous<br />

sommes d’autant plus libres de crier aux attentats à notre liberté, aux tentatives<br />

de violer nos droits acquis, d’oublier nos principes de bases, aujourd’hui<br />

mis en discussion, de l’entente politique et de la collaboration loyale.<br />

Je ne suis pas d’accord : j’en ai assez, je suis préoccupé, offensé et extrêmement<br />

combatif. Je vais le crier en Vallée d’Aoste, à Rome, à Bruxelles et<br />

partout où il sera utile et nécessaire. Les idées comptent dans la vie et ceux<br />

qui pensent que les Valdôtains sont des marionnettes à manier ou qu’ils sont<br />

dociles comme l’âne et le bœuf de la crèche, se préparent au pire. Merci à<br />

ces ennemis, qui se sont alliés contre nous avec la colle de la haine, de la<br />

jalousie et de l’envie, bien souvent en mettant de côté les antiques hostilités<br />

que les séparent. Merci, parce que – qu’ils le sachent pour en tenir compte<br />

– ils nous font sentir pleins de vitalité et d’énergie comme jamais il n’a été.<br />

Dans son évangile, Saint Luc dit : « <strong>Il</strong> est plus facile à un chameau de<br />

passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des<br />

cieux ».<br />

J’avoue que, dans mon enfance, la vision plastique du chameau ( par<br />

ailleurs en Palestine il n’y a que des dromadaires… ) essayant de rentrer dans<br />

le trou d’une aiguille avait la vivacité d’un dessin animé à la Walt Disney !<br />

– sans pour cela être blasphème, mais il faut reconnaître que les Evangiles<br />

sont riches en métaphores incisives dans leur suggestivité qui traverse les<br />

millénaires. Pauvres…riches : ils n’avaient pas de grosses possibilités de succès<br />

et, par ailleurs, le chameau n’avait-il rien de mieux à faire que de tenter<br />

un défi encore plus improbable avec ses deux bosses sur le dos ?<br />

Après quoi – voilà la déception de l’adulte – j’ai découvert combien cette<br />

phrase est controverse : certains – et cette thèse me semble digne de foi –<br />

prétendent que le chameau en question serait un simple câble pour accoster<br />

les bateaux aux quais ( la confusion réside dans la traduction entre les mots<br />

grecs « kamelos – chameau » et « kamilos – câble » ), d’autres – mais cette<br />

hypothèse me semble moins crédible – affirment qu’il ne s’agirait pas d’une<br />

aiguille banale mais de la « porte de l’Aiguille », célèbre à Jérusalem pour son<br />

étroitesse. <strong>Il</strong> est certain que, même s’il s’agissait d’une corde et non pas d’un<br />

chameau, la métaphore manifeste la difficulté pour les riches d’accéder au<br />

royaume des cieux !<br />

Cette histoire me plaît beaucoup en raison de sa force et je crois qu’elle<br />

devrait être appliquée aussi à d’autres domaines. On pourrait se référer aux<br />

exercices de contorsion et aux bouillonnements qui se préfigurent pour entrer,<br />

dans une année, dans le trou d’une aiguille : le Conseil de la Vallée.<br />

2


Au fil des années, d’abord comme journaliste et ensuite comme politicien,<br />

j’en ai vu de toutes les couleurs – et, un jour peut-être, j’aurai le temps de les<br />

raconter – tout comme je continue à en voir aussi de nos jours. La naissance<br />

de nouvelles forces politiques, de mouvements, d’associations ; le va-et-vient<br />

de personnes ; les coups de théâtre et les trahisons ; les amitiés et les inimitiés<br />

: le tout finit par tourner autour des 3 sièges au Conseil, que ce soit pour<br />

un désir de représentation politique ou pour une ambition personnelle. Et je<br />

dois dire qu’en règle générale – comme un fil rouge dans nombre d’aventures<br />

de différentes personnes – ceux qui parlent très mal des élus sont les mêmes<br />

qui, par hasard, se portent candidats aux élections ! Au cours de ces années<br />

– qui, malheureusement, commencent à être bien nombreuses – j’ai observé,<br />

dans la rude bataille des campagnes électorales, de nombreuses formations<br />

politiques ainsi que des carrières personnelles se briser sur les écueils des<br />

élections régionales. Comme des chameaux tristement impuissants et paralysés<br />

face au trou de l’aiguille, qui était si étroit que l’on ne pouvait pas y passer,<br />

même en utilisant la plus puissante des vaselines.<br />

Je suis étonné qu’autour de la question de l’annexion à la Vallée d’Aoste<br />

de deux Communes du Canavese, Noasca et Carema ( et des autres qui l’invoqueront<br />

), il y ait des représentants de la politique valdôtaine se disant<br />

– dans une gamme de commentaires bigarrés – modérément ou fortement<br />

enthousiastes. Je ne comprends pas par contre – si ce n’était qu’au nom d’une<br />

vision démagogique entortillée et pour arracher un futur consensus électoral<br />

– sur la base de quoi nous devrions accepter un mariage imposé de façon<br />

unilatérale : un référendum communal qui déclenche une loi constitutionnelle<br />

pour le détachement du Piémont ne prévoyant qu’un avis des Assemblées<br />

des deux Régions ( qui sont, entre autres, contraires ). Avant même de<br />

rentrer dans le mérite des raisons qui sont à la base de l’opposition, il est<br />

évident qu’un mariage est un plat qui se consomme à deux et la volonté seule<br />

de l’une des deux parties n’est pas suffisante à conclure le contrat. <strong>Il</strong> s’agit<br />

d’une limite – à savoir l’absence du principe de l’entente – de cet article 132<br />

de la Constitution que nous pensions ne pas s’appliquer à la Vallée d’Aoste<br />

puisqu’elle a un territoire propre déterminé par le Statut d’autonomie et par<br />

le Décret précédent du Lieutenant du Royaume. La Cour constitutionnelle<br />

en a établi différemment, par une sentence incroyable par sa petitesse et sa<br />

superficialité, en portant un préjudice historique à notre autonomie et nous<br />

devrons trouver le moyen pour représenter nos raisons devant cette instance<br />

juridictionnelle. <strong>Il</strong> s’agit de réparer un vulnus qui déclenche de très graves<br />

conséquences pour l’identité historique, culturelle et géographique de notre<br />

Vallée. Par ailleurs, il est à préciser que le Gouvernement Prodi a présenté au<br />

Parlement italien une révision de l’article 132 qui prévoit, après le référen-<br />

3


dum de la Commune qui veut quitter sa Région d’appartenance, un référendum<br />

ultérieur à organiser séparément dans les deux Régions qui indiquera le<br />

« oui » au détachement ou à l’agrégation. Un mécanisme assez coûteux que<br />

l’on pourrait aisément dépasser par le principe de l’entente obligatoire : dans<br />

le cas en examen, sans le « oui » des deux Régions, exprimé par les Conseils<br />

régionaux, aucune initiative ne pourrait être entreprise.<br />

Si nous rentrons dans le mérite, alors la question devient encore plus facile.<br />

Carema est une Commune piémontaise et il est inutile de se passionner<br />

pour les épisodes historiques démontrant l’existence de liens plus ou moins<br />

forts avec le territoire valdôtain. Carema n’a pas de raison pour passer à la<br />

Vallée d’Aoste : il est bien clair qu’au fil des temps, elle a été principalement<br />

une Commune du Piémont. L’usage de la disparité de traitement entre Régions<br />

spéciales et Régions ordinaires comme élément fondant de la requête<br />

nous attriste par son inconsistance. Pour ne pas parler de Noasca qui est situé<br />

de l’autre côté des montagnes et la proximité géographique est tout à fait<br />

théorique. Combien de temps faut-il à un habitant de Noasca pour rejoindre<br />

la Vallée ? Les écoles de référence, les services sanitaires et sociaux sont et<br />

resteraient ceux du Piémont ! Selon la même logique, demain le Valsesia tout<br />

entier pourrait demander l’annexion à la Vallée !<br />

Certes, comme dit le proverbe, mieux vaut faire envie que pitié. A savoir,<br />

il vaut mieux que ce soit Carema à demander l’annexion à la Vallée que Pont-<br />

Saint-Martin au Piémont. Toutefois, on ne peut pas déroger à certains principes<br />

au nom de la sympathie ou d’un principe abstrait d’accueil et sans même<br />

invoquer le principe fédéraliste de l’autodétermination. L’autodétermination<br />

est une chose sérieuse et non pas une attraction fatale vis-à-vis de ceux qui,<br />

dans le fonds, sont considérés comme des riches et des privilégiés. <strong>Il</strong> faut du<br />

sérieux, tout comme a fait le syndic de Ronco Canavese qui, en révoquant une<br />

délibération de référendum adoptée de façon tout à fait imprévoyante, a saisi<br />

l’occasion pour demander plus d’autonomie et plus de ressources au Piémont<br />

et pour le Piémont, sans inventer des histoires artificielles pour changer de<br />

veste ou de drapeau. Si, dans le futur, la chaîne des annexions devenait – tout<br />

comme il pourrait se passer en acceptant de notre part la requête de n’importe<br />

quelle Commune – un phénomène répétitif, que pourrions-nous faire<br />

pour bloquer cette attaque à la diligence ? <strong>Il</strong> faut donc de la prudence en isolant<br />

ceux qui, pour une poignée de voix de plus et pour se mettre en évidence<br />

dans les journaux, sont disponibles à solder notre expression la plus évidente :<br />

les confins de notre identité, sans aucune fermeture à l’égard de n’importe<br />

qui, mais en sachant que les motivations actuelles qui sont apparues sont<br />

plutôt liées au portefeuille qu’au cœur. <strong>Il</strong> est vrai que nous pourrions éviter de<br />

nous emporter tellement, l’histoire républicaine nous racontant qu’aucune<br />

Commune n’est jamais arrivée à changer de Région et la procédure constitutionnelle<br />

appliquée à ce cas la rend encore plus improbable, mais il est<br />

toujours bien d’être prudents lorsque des valeurs fondamentales sont en jeu.<br />

4


mars<br />

Le Traité de Rome, acte fondant de l’Union européenne actuelle, fête<br />

son 0 ème anniversaire. Le temps passe et je m’attriste un peu en pensant que<br />

c’est le dernier cinquantenaire dont je peux dire « moi, je n’étais pas encore<br />

né… »<br />

Avec un esprit de rhétorique tout à fait compréhensible et de nombreuses<br />

manifestations ( à Rome il n’y avait que le Comité des Régions : que ce soit<br />

de bon auspice ? ), l’événement a été célébré, tout en étant conscients qu’il<br />

coïncide aujourd’hui avec un moment assez négatif pour les perspectives en<br />

faveur de l’Europe.<br />

Le Traité constitutionnel qui, avec ses multiples défauts, représentait<br />

un pas en avant par rapport aux Traités en vigueur, est paralysé par les veto<br />

croisés et les élections françaises et britanniques n’offrent aucune perspective<br />

dans l’immédiat. Nous l’avons perçu dans les documents très vagues approuvés<br />

à Berlin, qui ne semblent pas tenir compte que l’Union des 27 court<br />

un gros danger sans une piqûre de participation populaire et de nouveaux<br />

et plus efficaces instruments constitutionnels. L’Europe de l’après Chirac<br />

et de l’après Blair est un thème à traiter avec caution soit au Royaume-Uni,<br />

qui est eurosceptique par sa propre histoire, soit en France où l’européisme<br />

traverse une profonde crise et les candidats aux présidentielles en parlent<br />

avec circonspection.<br />

Les célébrations sont aussi une occasion utile pour nous, les Valdôtains,<br />

afin de comprendre notre rapport avec l’Europe. <strong>Il</strong> faut savoir que le chemin<br />

de l’intégration européenne a le même âge que notre parcours d’autonomie<br />

et les horreurs de la deuxième guerre mondiale ont produit deux mouvements.<br />

D’une part, l’élan de l’agrégation supranationale et d’autre part le développement<br />

du régionalisme. La croissance des deux n’a pas eu une courbe<br />

constante et régulière, c’était plutôt un mouvement fait de hauts et de bas<br />

imprévisibles.<br />

<strong>Il</strong> n’existe aucune contradiction dans le fait de croire – tout comme dans<br />

le patrimoine culturel et politique de l’UV – aux deux mouvements, qui sont<br />

apparemment contraires mais dans la réalité ils sont complémentaires. Coupant<br />

un peu le haut et grignotant par le bas, des morceaux de souveraineté se<br />

sont heureusement détachés de l’Etat nation, qui manifeste sa taille inapte :<br />

trop grand et inefficace pour la démocratie de proximité, trop petit et infructueux<br />

pour les thèmes internationaux importants.


Pour cette raison il est tout à fait cohérent de regarder soit vers le haut<br />

soit vers le bas et personnellement je n’ai aucun problème à me sentir à la<br />

fois un Valdôtain et un Européen. Une double identité cohérente qui n’a rien<br />

de schizophrénique. En sachant parfaitement aussi que ni cette autonomie<br />

spéciale ni la photographie actuelle de l’Union européenne ne me satisfont.<br />

Notre autonomie est faible parce qu’étant octroyée par l’Etat ne représente<br />

pas le fruit fédéraliste d’une autodétermination. L’intégration européenne<br />

tourne encore trop autour des Etats et trop peu autour des Régions, surtout<br />

là où – comme dans notre cas – la géographie coïncide avec l’histoire et la<br />

culture d’un peuple. C’est un signe évident du fait que rien ne doit jamais<br />

être tenu pour acquis et que les célébrations ne servent pas seulement et<br />

toujours pour regarder le passé – risquant ainsi de se transformer en de statues<br />

de sel ! – mais à regarder vers le futur, avec attention et avec un esprit<br />

combatif. Européistes valdôtains.<br />

Le Casino de la Vallée va avoir 60 ans et il est bien de fêter cet anniversaire.<br />

Nous considérons cet événement pour ce qu’il pourrait être au-delà<br />

du calendrier des manifestations : un point à la ligne, un symbole utile et<br />

représentatif. Un passage qui pose – en mettant de côté pour un instant les<br />

polémiques, bien qu’importantes, et les disputes destinées à augmenter ou<br />

à se dégonfler – l’attention sur un thème, celui du Casino, qui est étroitement<br />

lié depuis sa naissance jusqu’à nos jours à la politique valdôtaine. Avec<br />

des passages juridiques délicats, des vicissitudes judiciaires, des contentieux<br />

syndicaux, de la jurisprudence civile et pénale. Bref : un enchevêtrement de<br />

faits, de documents, d’histoires personnelles et sociétaires, des chroniques<br />

de tous les genres. J’ai connu quelques personnages ( je pense notamment au<br />

Comte Cotta ) et j’espère qu’un jour l’histoire de la naissance et de la mort de<br />

la SITAV – la société qui pendant 0 ans a géré le Casino – soit écrite.<br />

<strong>Il</strong> est évident que cette date sculptée dans le calendrier de notre historie<br />

est aussi une occasion pour préfigurer – dans le rapport entre origines et<br />

perspectives – un dessein qui pose, ici et aujourd’hui, les conditions pour<br />

relancer une entreprise qui est pliée sous le poids d’une série de difficultés.<br />

Différents sujets se rassemblent dans l’effort et dans l’engagement d’intégrer<br />

soit ce que le Casino a signifié pour notre communauté,soit pour promouvoir<br />

cette activité économique si atypique et particulière, dont nous ne pouvons<br />

et nous ne devons plus faire à moins.<br />

Le Casino a été et reste une tesselle importante aussi bien pour l’argent<br />

transféré à la Région, que pour le nombre d’employés qui y travaillent et également<br />

pour le développement de Saint-Vincent, des communes voisines et<br />

de la Vallée entière.<br />

6


Qu’il soit clair : derrière les difficultés actuelles, il n’existe aucun but plus<br />

ou moins caché. Quelqu’un raconte les fables suivantes : il y a ceux qui – et je<br />

serais parmi ces conspirateurs – cultivent l’idée d’une privatisation avec plusieurs<br />

entrepreneurs choisis à l’avance après avoir travaillé à une constante<br />

aggravation des comptes et du climat des relations industrielles et syndicales<br />

à l’intérieur de la maison de jeu.<br />

Ce serait un choix stupide outre que criminel. Stupide parce que toute<br />

privatisation ne serait jamais réalisée ad personam, étant donné l’obligation<br />

d’appels d’offre européens pour déterminer un gérant ou un associé pour<br />

la Région autonome. Criminelle parce qu’ouvrir au marché en des temps si<br />

difficiles serait comme solder l’entreprise.<br />

Si nous le voulons, tout cela peut tourner autour de ce mois de mars<br />

1947. Le Conseil de la Vallée venait d’être créé depuis une année, on était à<br />

cheval entre l’action de Federico Chabod et celle de Séverin <strong>Caveri</strong>, lorsque<br />

– avec une gestation rapide en pensant aux mécanismes bureaucratiques et<br />

politiques actuels – la maison de jeu ouvrait ses portes, en tirant comme un<br />

élastique la compétence en matière touristique du décret du lieutenant. Un<br />

titre dont la validité, une quarantaine d’années après était niée par une sentence<br />

bien connue de la Cour constitutionnelle. Toutefois la fermeture fut<br />

évitée puisque – à sauver l’exception de Saint-Vincent – intervenait à notre<br />

support la reconnaissance implicite de la dérogation au principe général d’interdiction<br />

au jeu d’hasard venant du système financier fondé sur une loi de<br />

l’Etat qui, bien que seulement tacitement, reconnaissait l’existence du Casino,<br />

tout en étant à l’absence du titre des compétences pour notre Région.<br />

Dans les récits de famille, on dit que mon oncle, la soirée historique de<br />

l’ouverture aux jeux du Casino valdôtain, craignait l’intervention de la police<br />

pour une fermeture immédiate, que Rome n’ordonna jamais : ainsi, débuta<br />

une activité qui a voyagé en parallèle avec le développement de l’autonomie<br />

valdôtaine.<br />

Moins de Région et plus de marché : voilà l’appel qui est lancé périodiquement<br />

de parts et d’autres et qui, récemment, est devenu plus pressant. Je<br />

voudrais dire avant tout qu’il ne faut pas être insensible aux requêtes raisonnables<br />

qui photographient une économie en changement et une mutation du<br />

rôle de la politique, des instruments et des logiques d’intervention publique.<br />

Les thèses critiques, qui sont plus ou moins articulées selon la provenance<br />

politique et le courant de pensée, déplorent, dans la meilleure des<br />

hypothèses, un excès de dirigisme – qui s’est incrusté dans le temps – de la<br />

part du Gouvernement régional sur l’économie locale. Cette présence pluridisciplinaire<br />

emprisonnerait les énergies entrepreneuriales, en déformant les<br />

règles du jeu et en dévaluant l’esprit de concurrence. Sans cet excès présumé<br />

7


de la Région, comme régulatrice du marché et des différents secteurs, on<br />

libérerait – dans la partie conclusive de ces raisonnements – des intelligences<br />

et des actions pouvant amorcer de nouvelles et plus efficaces activités<br />

économiques. Dans la pire des hypothèses – parfois à la limite de la paranoïa<br />

– la logique serait par contre celle sous-entendant « les mains sur la ville »,<br />

c’est-à-dire un groupe de pouvoir qui contrôle l’économie par l’entremise de<br />

la politique dans un ensemble qui sent le pourri. Délire…<br />

Une fois acquittés de la version affairiste-maffieuse, qui est ridicule et<br />

offensive, nous serions tentés de dire, sur les thèses de l’excès de la présence<br />

régionale : et bien, retirons la Région de l’économie, totalement ou<br />

en partie, et observons les résultats, selon les mesures entreprises ! <strong>Il</strong> faut<br />

dire tout d’abord que, les vaches grasses du budget régional étant épuisées,<br />

aujourd’hui un Welfare excessif et gaspilleur se heurte déjà tout seul avec les<br />

ressources budgétaires ainsi qu’avec le bon sens et le bon gouvernement ( et<br />

je me conforme à ces principes comme à un Evangile ). <strong>Il</strong> y a toutefois deux<br />

observations utiles à cerner l’aire d’intervention. La première concerne les<br />

secteurs qui doivent être solidement gardés au sein de la gestion publique,<br />

soit directement, soit avec son indiscutable régie. Santé et services sociaux,<br />

école et formation professionnelle, transport public local : personne ne peut<br />

penser que la gestion publique – sauf les principes de l’efficience et de l’épargne<br />

– sorte de ces secteurs stratégiques pour les services à la communauté et<br />

à la personne. Deuxièmement, dans un milieu de montagne comme le nôtre,<br />

il ne s’agit pas d’un prétexte, mais plutôt de l’augmentation des coûts qui sont<br />

estimables scientifiquement : ou bien il existe des éléments de compensation<br />

publique dans l’économie, ou bien certains secteurs – tels l’agriculture, l’industrie,<br />

l’artisanat, le commerce – risquent de disparaître et, avec eux, les<br />

personnes et les collectivités locales qui habitent notre territoire. Et dans<br />

certains cas – nous pensons au tourisme – il y a le danger de remettre à quelqu’un<br />

d’autre les clés de notre développement.<br />

Voilà pourquoi l’intelligence est utile dans l’usage du frein et de l’accélérateur.<br />

Donc : aucun libéralisme sauvage et naïvement adorateur du marché<br />

et de ses règles spontanées, mais non plus une gestion publique envahissante<br />

et suffocante qui veut mettre son nez partout et au lieu de supporter les<br />

entrepreneurs se substitue à eux. C’est facile à dire, mais il n’est pas aussi<br />

simple de fixer les limites à chaque fois. Pour l’instant, l’assainissement des<br />

excès de la présence publique est un chemin sans retour.<br />

8


Parfois il est nécessaire de se pincer la peau pour savoir si nous sommes<br />

réveillés ou bien si nous dormons et nous ne sommes pas en proie d’un cauchemar.<br />

L’épisode le plus récent et bien connu a rempli en effet les premières<br />

pages des journaux et nous a beaucoup bouleversés en raison des modalités<br />

presque surréelles de son déroulement, qui se situait entre un récit d’Edgar<br />

Allan Poe et le sarcasme napolitain d’un personnage comme Toto’.<br />

Le fait : renfermer dans un congélateur – acheté exprès pour cette macabre<br />

opération – le cadavre de son père pendant plusieurs années, dans le but<br />

de toucher entre-temps la retraite. Jusqu’au moment où, par hasard, c’est le<br />

petit-fils qui découvre – sans le reconnaître – le corps du pauvre pépé octogénaire<br />

congelé ( qui avait passé les 90 ans seulement pour l’Inps et l’Inail ) et<br />

dénonce le fait aux carabiniers.<br />

On découvre ainsi pour l’énième fois que chaque jour l’anormalité cohabite<br />

avec la normalité et que la réalité est pire qu’un roman noir, tel qu’il a été<br />

observé par nombre de commentateurs vu l’ampleur de la nouvelle.<br />

Le juge devra établir avec certitude les dynamiques et les responsabilités<br />

de cet événement qui, malheureusement, est arrivé à Aoste, même si – dans<br />

la bizarrerie de l’humanité – il aurait pu se passer n’importe où et sans aucune<br />

explication locale.<br />

Entre temps, même en Vallée d’Aoste on observe et on commente une<br />

histoire douloureuse, liée aux intérêts économiques pour survivre aux difficultés<br />

de la vie, où se croisent des affections, de la folie, des craintes. Une<br />

histoire qui nous laisse effarés parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un fait<br />

divers, mais c’est de la psychologie, de la sociologie et autre encore.<br />

Avec la mort solitaire d’un citoyen d’Aoste dans son appartement, découvert<br />

à cause de la mauvaise odeur qui dérangeait les voisins ( ce n’est pas<br />

la première fois que des morts de ce genre occupent les pages locales ), cet<br />

épisode démontre la solitude dans laquelle nous vivons, privés de ces liens<br />

du passé et de cet ensemble de pratiques collectives que nous définissons<br />

de « contrôle social ». Est-ce possible que la « disparition » pendant des années<br />

d’un homme, bien qu’âgé, n’ait pas suscité le suspect d’un ami, d’un<br />

voisin ou de quelqu’un de la famille ? Est-ce qu’il suffit d’être enfermé dans<br />

un congélateur pour devenir simplement un numéro sur la carte de la prévoyance<br />

sociale dans l’axiome vieux=retraite ? Nous habitons un bien étrange<br />

monde où la vie humaine peut être monnaie tellement précieuse à congeler<br />

un cadavre.<br />

Tu es là, assis sur le fauteuil, au deuxième étage de Place Deffeyes à la<br />

Présidence de la Région. Chaise confortable ou inconfortable, selon les circonstances,<br />

et personne ne le sait mieux de celui qui…y est assis dessus.<br />

9


Bien évidemment il s’agit – Statut spécial à la main – du sommet politique<br />

et administratif de la Vallée d’Aoste avec ses particularités telles que<br />

les fonctions de préfecture. Je suis le quinzième Président depuis 1946, le<br />

quatrième de ce siècle. Je me rapporte aux personnes et non pas aux nombres<br />

de Gouvernements qui se sont succédés, qui est par contre de vingt-huit<br />

présidents, avec ceux pré–statutaires ( trois en total ). La durée moyenne des<br />

Gouvernements dès le mois de mai 1949 résulte être, à l’état actuel, de deux<br />

années et un mois environ.<br />

De ces Présidents de la Région j’en ai connus et j’en connais certains<br />

très bien ( Severino <strong>Caveri</strong>, Cesare Dujany, Mario Andrione, Augusto Rollandin,<br />

<strong>Il</strong>ario Lanivi, Dino Viérin, Robert Louvin et Carlo Perrin ), certains<br />

bien ( Mauro Bordon, Gianni Bondaz ), un seul, je l’ai seulement rencontré<br />

( Vittorino Bondaz ), les autres, je ne les ai jamais connus pour des raisons de<br />

différence d’âge ( Federico Chabod, Oreste Marcoz, Cesare Bionaz ).<br />

Des personnalités très différentes, sous le profil de la formation culturelle<br />

et du curriculum, de différentes générations ( dès le début du XX e siècle<br />

jusqu’aux années 60 ) : chacun a représenté soit des moments de passage<br />

rapide, soit des périodes plus longues et significatives, soit des cycles de<br />

gouvernement qui ont marqué pas mal de temps. Chacun a joué un rôle, en<br />

laissant des traces plus ou moins grandes de son passage. Même si leur mise<br />

en partage dans le souvenir c’est la difficulté et la peur qui jusqu’à présent<br />

a empêché d’écrire une histoire réellement approfondie de l’autonomie actuelle<br />

de notre Vallée.<br />

Et cela au détriment de la mémoire des personnalités qui ont soutenu<br />

les Gouvernements régionaux au fil du temps et qui sont, malheureusement,<br />

littéralement méconnues auprès des jeunes générations, qui ignorent, de<br />

quelque façon, l’histoire patrie. C’est une circonstance très négative, parce<br />

que sans mémoire nous n’existons pas, les oublieux n’ont pas de passé et<br />

sont dépaysés dans le présent et sans perspectives pour le futur. Par contre,<br />

s’immerger dans les moments politiques vivants et changeants des dernières<br />

60 années acquiert une valeur précieuse de continuité et d’enracinement.<br />

Parce que la politique est lutte, souvent féroce et brutale, mais qui fortifie<br />

et motive notre identité.<br />

Bien sûr, la figure du Président assume une drôle de valeur : aimé et haï,<br />

en monté et en descente, admiré et envié. <strong>Il</strong> existe un danger incroyable qui<br />

s’est déjà vérifié et dont le Président a pleine conscience. <strong>Il</strong> s’agit de l’effet<br />

« bouc émissaire ».<br />

L’expression désigne en langage courant la personne qui est désignée par<br />

un groupe comme une victime expiatoire.<br />

D’ailleurs l’origine est un rite expiatoire annuel des Hébreux. Le grand<br />

prêtre devait prendre deux boucs puis les tirer au sort.<br />

L’un était directement sacrifié à Dieu, tandis que l’autre était envoyé<br />

dans le désert vers Azazel, démon sauvage, sans doute un ange déchu, dont<br />

le nom signifie dieu-bouc.<br />

60


C’est ce deuxième bouc qui est appelé bouc émissaire. Le rôle exact du<br />

bouc émissaire est clairement décrit dans le texte biblique : « Aaron lui posera<br />

les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des Israélites,<br />

toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi<br />

chargé la tête du bouc, il l’enverra au désert sous la conduite d’un homme<br />

qui se tiendra prêt, et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes en un lieu<br />

aride. » ( Lévitique XVI : 21-22 )<br />

Eh bien, il se révèle grotesque et paradoxal de voir comme de vieilles et<br />

de nouvelles oppositions jouent sur la représentation, sous des traits infamants,<br />

en termes politiques et parfois personnels, du Président en service,<br />

paratonnerre des polémiques et de boatos les plus variés, parfois sincèrement<br />

dégradants et signes de temps misérables dans la confrontation politique.<br />

février<br />

Les émotions, dans leurs différentes formes de manifestation, comptent<br />

dans la vie. Elles sont une extraordinaire source d’énergie, qui nous aide à ne<br />

pas nous arrêter. La force de leur impact nous vient surtout du passé, tout<br />

comme une marée inexorable. <strong>Il</strong> suffit de rappeler ces émotions et nous en<br />

sommes aussitôt investis seulement grâce à l’utilisation de notre pensée et à<br />

la capacité évocatrice de notre intelligence. Et cela vaut aussi pour l’activité<br />

politique. J’avoue avoir vécu en première personne des émotions uniques,<br />

dont je suis fier et qui sont aujourd’hui gravées dans ma mémoire. Et j’en suis<br />

énormément reconnaissant aux électeurs, seuls juges de ce bizarre métier qui<br />

est la politique.<br />

Si je regarde en arrière, je retrouve certains discours à la Chambre, quelques<br />

lois proposées et approuvées ou quelques séances de « ma » Commission<br />

au sein du Parlement européen. Ou encore : une foule en liesse au Palaceva<br />

suite à une victoire électorale, les appréciations des vieux unionistes,<br />

un verre en compagnie avec les amis du Tyrol du Sud, les Occitans ou les<br />

Slovènes. Des instants, des moments, des personnes, des circonstances. <strong>Il</strong><br />

suffit d’un document, d’une photo, d’une vidéo, d’une rencontre, pour être là,<br />

à nouveau. Ces émotions peuvent être encore plus lointaines et ne pas être<br />

directement les miennes, mais les miennes en tant que patrimoine de l’histoire<br />

et de la mémoire collective et aussi, et surtout, de l’Union Valdôtaine.<br />

Toutefois, les émotions ne vivent pas seulement du passé. Nous devons<br />

61


faire vivre de nouvelles émotions à notre communauté, dont l’humus est et<br />

reste dans le levain indispensable représenté par nos idées. Elles se concrétisent<br />

selon les circonstances historiques du moment. Seulement les intégristes<br />

– qui cultivent la pensée immuable et muséalisé – ne comprennent<br />

pas que pour affirmer leurs propres convictions il faut toujours tenir compte<br />

du contexte dans lequel on travaille, en fixant certainement une limite non<br />

franchissable à la nécessité du compromis. La Démocratie signifie justement<br />

des règles qui cherchent des points d’équilibre entre des positions qui sont<br />

au départ différentes.<br />

Si le passé est une référence riche de suggestions et de souvenirs, qui<br />

impliquent des certitudes et des nostalgies, il faut affronter les grands espaces<br />

du futur, en nous nous mettant en jeu, en amorçant des moments riches<br />

de participation et de chaleur humaine. Autrement le risque est celui d’être<br />

considérés immobiles et non pas en mouvement : on ne peut pas conduire<br />

une automobile en regardant seulement dans le rétroviseur !<br />

Ceux qui souhaitent arrêter le temps et pensent retourner à un passé<br />

parfois mythique ( souvent amélioré par les lentilles déformées du souvenir<br />

poignant, qui coïncide surtout avec la jeunesse ) ne tapent pas dans le mille :<br />

les émotions doivent être une chaîne à ne pas briser, tout comme un fruit qui<br />

avec ses semences se répand dans l’avenir. Vive les émotions !<br />

L’autonomie spéciale est gracile dans ses mécanismes de garantie pour<br />

éviter des coups de main qui puissent mettre en discussion les droits acquis.<br />

Sa défense – ou plutôt son travail en faveur d’une meilleure capacité d’autogouvernement<br />

– pose une obligation d’adhésion à certains points fondamentaux.<br />

L’unité n’est point une sorte de slogan abusé, mais une pré-condition<br />

qui sauvegarde la Vallée d’Aoste face à l’éventualité, pas du tout éloignée, d’un<br />

ensemble d’attaques contre le Statut. Ceux qui sortent de la logique d’une<br />

solidarité ample au sein de notre communauté font du tort à tout le monde,<br />

et non pas seulement à eux-mêmes. Et cela devrait être bien compris par<br />

les transfuges ex unionistes, fondateurs de nouvelles formations politiques,<br />

qui désormais passent le temps – tout comme il arrivait pendant la tragédie<br />

grecque – à faire le chœur. Quelle que soit la chose que l’on dise ou que l’on<br />

fasse, leur prise de position se déclenche, et cela touche toutes les cordes : le<br />

sarcasme, le drame, la contestation, le moralisme, etc. Avec la présomption,<br />

entre autres, d’être les dépositaires de la vérité révélée et d’une sorte de pureté<br />

originaire, comme si tout à coup, ils n’avaient aucune mémoire de leur<br />

passé, de leurs histoires personnelles, politiques ou professionnelles. Tabula<br />

rasa ? Trop facile !<br />

Toutefois, puisque trancher les ponts du dialogue c’est du pur masochis-<br />

62


me et c’est du profit pour les adversaires qui jubilent de l’existence de ces<br />

« repentis » ou « convertis », il serait bien d’avoir quelques points indiscutables,<br />

en commençant justement par le Statut.<br />

En considération du travail de réforme qui appartiendra à la Convention,<br />

il serait bien d’éviter un climat de Far West, tout comme il serait indispensable<br />

de pouvoir amorcer un échange de vues grâce à une action efficace,<br />

le plus possible partagée, sur quelques points. Le Statut paye son caractère<br />

de base : un Statut octroyé par la Constituante qui n’est pas le produit d’un<br />

accord paritaire Vallée d’Aoste-Italie. Et donc modifiable à la discrétion de<br />

l’Etat à n’importe quel moment, puisqu’il n’existe pas une norme juridique<br />

qui fonde ce principe de pacte que l’on considère vivant sous le profil politique.<br />

Deuxièmement, à cause de la non-application de nombreuses parties du<br />

Statut, soit par indolence de l’Etat, soit par calcul politique. Troisièmement,<br />

qu’il s’agisse de pouvoir ou d’argent, l’attitude de l’Etat est périodiquement<br />

menaçante : je vous invite à lire certaines parties du document sur le soidisant<br />

fédéralisme fiscal ou bien les défenses du barreau de l’Etat au sein<br />

des contentieux constitutionnels et vous verrez qu’il y en a qui considèrent<br />

nos droits comme de la paperasse. Ajoutons à cette liste les fonctionnaires<br />

européens qui, en évaluant au préalable quelques lois pour lesquelles nous<br />

avons l’obligation de notification, exercent des contrôles de mérite qui n’existent<br />

même plus dans le droit interne italien, ou qui se comportent de façon<br />

contradictoire et incohérente, tout comme dans la vicissitude des coupons<br />

d’essence. Ce n’est donc pas une question de droite ou de gauche. Ce n’est<br />

ni de la haine ni de la revanche à l’égard d’un représentant politique plus ou<br />

moins sympathique ou puissant. Tout comme ne peuvent pas l’être les légitimes<br />

ambitions personnelles et les blessures apportées, de quelque façon, à<br />

l’orgueil personnel. Tout comme ni les caprices ni les chantages ne doivent<br />

avoir de l’espace. Je suis peut-être un rêveur, mais je crois qu’il existe une<br />

frontière suffisamment ample pour permettre d’inclure certains choix pour le<br />

futur. Nous devons, comme Mouvement, y travailler afin que la désinformation,<br />

les ruses ou les tendances à se poser en victime ne se répandent comme<br />

un virus qui génère la division parmi les Valdôtains. <strong>Il</strong> en va de notre avenir.<br />

Pensez – mais c’est seulement un exemple – au Cervino-Cérvin-Matterhorn<br />

: ce prisme de roche, que nous partageons avec les valaisans, est un<br />

cult. On le voit représenté dans le monde entier, parce qu’il a démontré être<br />

le signe graphique le plus utilisé comme symbole de la montagne. <strong>Il</strong> est là,<br />

planté dans la terre, comme une sorte de unicum et à ses pieds – et dès 186<br />

sur son sommet – se dénoue une partie de l’histoire et de la civilisation alpine<br />

et de l’alpinisme.<br />

63


Pour ce qui est de notre Vallée, à ce tasseau, on pourrait ajouter d’autres<br />

petits morceaux pour construire le puzzle de nos montagnes et de notre civilisation.<br />

Mont Blanc, c’est le titre d’une histoire qu’une fois amorcée pourrait<br />

devenir une légende infinie. Mont Rose est autant déclinable en mille récits<br />

pour en décrire les nombreux aspects. Grand Paradis n’est certainement pas<br />

inférieur pour sa force évocatrice. Imaginons quelle extraordinaire capacité<br />

de rapprocher les chroniques, les légendes, les circonstances peuvent avoir<br />

le Grand-Saint-Bernard et le Petit-Saint-Bernard.<br />

Dans un spectacle multimédia, qui est fait d’images, de sons, de parfums :<br />

on reste stupéfait face à une richesse faramineuse, comme une suite infinie<br />

de faits et de personnages. Le territoire parle, il n’est pas muet et silencieux.<br />

<strong>Il</strong> faut avoir conscience de cela et savoir l’écouter. <strong>Il</strong> faut regarder au-delà<br />

des apparences. Le territoire est constitué de monuments de la Nature et de<br />

monuments de l’Humanité, conjoints dans un seul habitat, dont nous sommes<br />

les gardiens. <strong>Il</strong> y a quelques jours, j’y pensais, en frisant les murs de ce<br />

spectacle à couper le souffle qu’est le cryptoportique d’Aoste, caché comme<br />

un trésor quelques mètres sous la Cathédrale. Et j’y ai pensé souvent, face<br />

aux fresques du château d’Issogne ou face à Saint Georges et le dragon dans<br />

la cour du château de Fénis, ou encore en regardant de l’hélicoptère les forts<br />

en pierre de Bard et de Verrès.<br />

La Foire de Saint-Ours, elle-même, décavée de l’excessif gigantisme, de<br />

certaines pacotilles et du tourbillonnement de la fête, est une mine d’or de<br />

mémoire, d’évocations, de passerelles entre les époques différentes de notre<br />

passé. On peut rester tout à coup muet face à un morceau entaillé avec maîtrise,<br />

un morceau qui sait raconter quelque chose. Un vin, une tranche de<br />

Fontine, un bout de pain de seigle dur : ce sont les filons d’un goût ancien<br />

qui, tout comme le son d’un tambour, multiplient les sensations.<br />

Ce n’est pas seulement une approche sensorielle, un jeu intellectuel,<br />

un instinct qui apparaît : c’est une obligation de notre conscience, qui nous<br />

invite à découvrir et à étudier notre Pays, la Vallée d’Aoste. La citoyenneté<br />

valdôtaine n’est pas une étiquette bureaucratique, c’est un désir qui doit être<br />

alimenté, un désir de découverte et d’envie de voir au-delà de l’apparence.<br />

Un voyage passionnant qui nous rend les raisons les plus profondes d’un<br />

amour qui, pour qu’il ne soit pas stérile, doit se transformer en engagement<br />

civil et politique.<br />

J’ai toujours trouvé très amusante la représentation que les films de<br />

science-fiction font de l’autre – l’extraterrestre – venant d’une planète et d’un<br />

Univers inconnus. D’un aspect toujours désagréable, l’extraterrestre est en<br />

général ( exception faite pour le bon gars E.T. de Spielberg en 1982 ) un en-<br />

64


vahisseur, agressif et méchant. La laideur et la méchanceté ( dont Alien, protagoniste<br />

de la saga de Ridley Scott qui a débuté en 1979 et qui en est arrivée<br />

au cinquième film, en représente l’apothéose aux limites du « noir » ) servent<br />

de base à des astronefs perdus dans l’espace, à des planètes maudites, à des<br />

invasions ou à des destructions de la Terre.<br />

J’avoue que ce genre de film ne me déplaît pas du tout, parce qu’il est<br />

supporté de façon musclée par le « happy end », où les monstres sont anéantis.<br />

Même si les héros, notoirement étourdis et en général trop prétentieux de<br />

leur victoire, oublient un œuf, un tentacule, un embryon de l’extraterrestre,<br />

ce qui sert bien pour pouvoir tourner un nouveau film !<br />

<strong>Il</strong> est alors intéressant d’essayer un exercice utile : celui des inversions<br />

des rôles. Une pratique – et cela pour ne pas trop nous éloigner de la réalité,<br />

naviguant dans les espaces infinis… – qui devrait être aussi à la base de la<br />

politique : s’identifier dans l’adversaire et agir, penser et se comporter comme<br />

il pourrait le faire. Un exercice qui en Vallée d’Aoste – et aujourd’hui plus que<br />

jamais – est très utile.<br />

Et alors, arrêtant la politique et ses misères, mettons-nous dans la peau<br />

de l’extraterrestre, qui est en général baveux, vert ou gris, violent et un peu<br />

bête à la fois, avec des grosses dents de tigre ou transparent comme une méduse,<br />

bien plus évolué que nous. Mais, lui, l’extraterrestre – ou encore mieux<br />

les extraterrestres, comme dans l’échantillonnage amusant des robots et des<br />

corps aux formes bizarres de Star Wars – qu’est-ce qu’il peut bien penser de<br />

nous ? Est-ce que nous nous sommes bien regardé ?<br />

La concentration yeux, nez, bouche rend notre visage une bien étrange<br />

chose et nos organes internes – par exemple dans le cycle de l’ingestion de<br />

nourriture à l’évacuation des restes – sont assez impressionnants. Pour ne pas<br />

parler de la voix, des mouvements, des doigts symétriques de nos mains et<br />

de nos pieds. Les éléments mêmes de la reproduction – vus du regard extérieur<br />

du martien – sont aussi bizarres… Et quoi dire de l’élevage des chiots<br />

d’homme, des rites collectifs des terrestres, de la violence dont l’être humain<br />

peut être capable ?<br />

Dans le fond, ils sont pour nous des extraterrestres, mais nous sommes<br />

aussi des extra par rapport à d’autres endroits, y compris le leur. Tout comme<br />

il pourrait l’être en se mettant à la place des extra-communautaires, afin<br />

d’éviter les comportements stupides.<br />

Un excellent exercice est celui de se mettre dans la peau de tous ceux<br />

qui sont différents de nous et de se remettre en question. En définitive : vive<br />

les extraterrestres ! <strong>Il</strong>s nous permettent – qu’ils arrivent d’autres planètes,<br />

qu’ils viennent d’autres continents ou qu’ils soient comme des fantômes dans<br />

nos têtes – de nous regarder dans la glace pour mieux nous connaître, pour<br />

échanger nos certitudes avec d’autres idées, pensées, modèles. Une invitation<br />

au dialogue, dans le fond. Sans armes dressées, ni lasers spatiaux, ni<br />

astronefs de guerre…<br />

6


66<br />

janvier<br />

<strong>Il</strong> est avec moi, mon fils Laurent, assis sur le siège de l’avion. Depuis le hublot,<br />

nous regardons ensemble les nuages et les jeux d’air sur les ailes. Nous<br />

sommes allés en Pologne : le premier voyage seuls, même si un soir – lorsqu’il<br />

a eu mal au ventre – il a écrit un petit message à sa maman. C’est un signe<br />

évident que mon avis sur l’origine de son malaise ne faisait pas autorité et<br />

que son point de repère c’est elle, qui bien plus que moi – comme beaucoup<br />

de pères coupablement occupés – le suit et le forme. Honneur aux femmes :<br />

elles sont des espèces de Rambo qui conjuguent la famille et le travail et on<br />

ne sait pas trop comment elles font, surtout avec la génération des hommes<br />

années Cinquante, à laquelle j’appartiens, encore vaguement dans l’adolescence<br />

et tout à fait maladroits dans la vie domestique.<br />

Laurent vient d’avoir 11 ans et la complicité entre nous grandit, comme<br />

on dit le personnage masculin de repère c’est moi et nous apprenons à nous<br />

connaître. La génétique n’est pas une opinion et l’empreinte culturelle non<br />

plus. C’est tout comme regarder à travers une glace mes qualités et mes défauts.<br />

<strong>Il</strong> aura mon âge en 2044. Moi, si j’y arrive, j’aurai 86 ans, plus ou moins<br />

l’âge de mon père – son pépé – à ce moment. Dieu sait. Notre vie est liée à<br />

un fil très mince dont nous n’avons pas la maîtrise et l’impondérable domine<br />

tout le monde.<br />

Nous avons visité ensemble Auschwitz, le terrible camp d’extermination,<br />

où pépé Sandro – comme militaire interné avec une vingtaine d’autres Valdôtains<br />

âgés de 20 ans – avait transité il y a plus de 60 ans, voyant de près la<br />

tragédie de l’Holocauste. Mon père avait mon âge en 1972, moi j’avais 14 ans<br />

et j’allais acquérir plus de sûreté en moi et c’est ce que, grosso modo, est en<br />

train de se produire en Laurent. Ce sont des échelons de la vie où chacun de<br />

nous, à tâtons, prends les contacts avec le monde, se pose les tous premiers<br />

doutes et ébauche ses espoirs. Lui expliquer les comportements des nazis<br />

contre les Juifs n’a pas été un fait banal et il a nécessité une série d’explications<br />

au préalable : le bien et le mal sont des catégories qui restent gravées et<br />

visiter ces lieux est tout de même un vaccin contre les dictatures.<br />

<strong>Il</strong> n’existe pas – et c’est parfois une chance – une boule de verre pour<br />

lire dans le futur, mais j’imagine que mon père – comme moi et conjurant le<br />

mauvais sort – pouvait penser ce qu’il en aurait été de moi, de lui ( et en général<br />

de sa famille ) dans les décennies à venir. Et je m’interroge sur le futur


de Laurent et de sa sœur Eugénie. <strong>Il</strong> fut un temps, j’aurais dit : ils ne verront<br />

plus jamais la guerre. Aujourd’hui, je n’en suis pas si sûr. J’aurais pu penser :<br />

la lutte contre les maladies fonctionne. En tant que père, je tremble en regardant<br />

autour de moi, dénué de toute certitude. Je n’aurais jamais dit que<br />

la Nature même aurait pu se rebeller, mais je vois, au contraire, un climat<br />

de plus en plus bizarre. J’aurais pu me créer des illusions sur un monde plus<br />

homogène grâce au progrès, alors que le gouffre des pauvretés s’agrandit de<br />

plus en plus. La mondialisation plane et il faut savoir chevaucher les changements,<br />

au risque de se faire emporter par les vagues.<br />

Laurent s’est endormi, sa main dans la mienne. <strong>Il</strong> rêve, je l’aperçois de ses<br />

yeux fermés qui bougent imperceptiblement et de sa respiration qui change<br />

de vitesse. <strong>Il</strong> serre la main et il se réveille angoissé, avec ses yeux jaunes-verts.<br />

Un cauchemar, mais papa est là.<br />

Dans une période de rareté de nouvelles dans les rédactions des médias –<br />

et cela se passe notamment au début de l’année quand l’activité est au ralenti<br />

– même un fait qui n’a rien d’extraordinaire peut surgir à la une afin de solliciter<br />

l’attention du lecteur et pour remplir les pages. <strong>Il</strong> s’agit d’un processus<br />

tristement connu de formation des nouvelles, qui démontre, d’une part, que<br />

l’on peut gonfler comme un ballon un événement et, d’autre part, qu’il n’y a<br />

souvent pas chez les journalistes l’attention nécessaire à la recherche de sources<br />

directes. Aujourd’hui recopier et souvent déformer les infos qui viennent<br />

des agences de presse évite de se fatiguer et je peux vous assurer qu’auparavant<br />

il n’en était pas ainsi. Le travail du journaliste passait par la présence<br />

sur les lieux des événements et par nombre de vérifications croisées afin de<br />

donner tout élément utile de jugement. Aujourd’hui, par contre, un certain<br />

goût du scandale s’est affirmé, ce qui peut s’avérer tout à fait trompeur : en<br />

effet, les dommages d’une nouvelle publiée qui a parfois porté atteinte à une<br />

personne ne sont jamais réparés par des mises au point successives.<br />

Vous avez sûrement suivi le cas de la fille sarde, Eliana Cau ( fille d’origine<br />

africaine, adoptée par ses parents ), qui avait été appelée en Vallée d’Aoste<br />

– grâce à une insertion publiée dans un journal de Cagliari – par un restaurateur<br />

de sa même région qui gère une pizzeria à La Salle pour lui offrir un<br />

poste de serveuse. Une circonstance qui n’a rien d’exceptionnel étant donnée<br />

la difficulté de trouver du personnel saisonnier dans notre Vallée.<br />

Les thèses sont très différentes concernant l’issue négative de la rencontre<br />

: selon la jeune sarde, elle n’aurait pas été embauchée en raison de la<br />

couleur de sa peau, d’où le suspect de discrimination à teinte raciste ; selon<br />

le restaurateur, par contre, la rencontre se serait passée très mal à cause du<br />

caractère agressif de la jeune, raison pour laquelle elle aurait été jugée inapte<br />

à ce travail. Ce sera la Magistrature – en cas de dénonciations – qui devra<br />

67


vérifier les faits et l’existence d’un délit ou, vice versa, d’une diffamation.<br />

Un fait est certain : la nouvelle a explosé partout et est devenue, dans les<br />

journaux, un cas de racisme de notre communauté ( « le restaurateur valdôtain<br />

» était la définition la plus répandue ) avec tous les commentaires des Ministres<br />

que nous connaissons bien. L’un d’entre eux en est arrivé à invoquer<br />

la suspension de la licence, en oubliant de toute évidence que si le délit était<br />

le racisme les conséquences seraient bien plus graves pour le coupable : rien<br />

à voir avec une licence commerciale ! Aucun membre du Gouvernement n’a<br />

pensé – ce qui aurait été tout à fait logique – de demander des informations<br />

au Président de la Région, qui leur aurait fourni quelques considérations de<br />

plus. Mais nous savons que l’information serre de près et une déclaration à<br />

effet assure une présence dans les articles de presse du lendemain.<br />

Nous suivrons l’évolution des faits. Je suis personnellement curieux de<br />

parler avec Eliana, qui viendra travailler à la fin du mois dans une structure<br />

de Vétan grâce à la générosité d’un hôtelier, pour comprendre le déroulement<br />

des faits et pour la rassurer sur le sens de l’hospitalité des Valdôtains. Je n’ai<br />

pas en mémoire des événements significatifs de racisme dans notre Vallée<br />

et il faut donc éviter les nombreuses généralisations auxquelles nous avons<br />

inutilement assisté ces derniers jours. Je veux être clair : il se peut qu’en Vallée<br />

d’Aoste aussi, face au phénomène croissant de l’immigration, parfois très<br />

différente du point de vue culturel, nous devions enregistrer les venins du<br />

racisme et de la xénophobie. Je suis toutefois sûr que les anticorps résident<br />

dans l’éducation au respect et à la tolérance ainsi que dans une information<br />

plus attentive à étouffer les incendies plutôt qu’à les allumer.<br />

Pensez à quel jugement chacun de vous exprime pour commenter les caractéristiques<br />

particulières des peuples, connus par expérience directe ou<br />

par héritage culturel. Imaginons : la rigidité des Allemands, la grandeur des<br />

Français, la gaîté des Espagnols, la froideur des Anglais. <strong>Il</strong> s’agit en effet<br />

d’idées reçues, utilisées parfois en tant que préjugés, mais ces étiquettes restent<br />

comme point de départ. Exactement comme il se passe pour les Italiens,<br />

dont la réputation du peuple, pleine de fantaisie, est depuis toujours une<br />

arme à double tranchant : génie et dérèglement.<br />

<strong>Il</strong> est suffisant de fouiller un peu en profondeur pour observer comment<br />

certaines définitions qui englobent tout, résultent fragiles. Les Allemands ?<br />

Ça dépend du Länder d’appartenance. Les Français ? Là aussi chaque identité<br />

est changeante : imaginez de confronter un Corse et un Alsacien ! Et<br />

en Espagne, il suffit de penser aux grandes exceptions des Pays Basques et<br />

de la Catalogne pour vérifier que le prototype standard est une fiction. Les<br />

Anglais froids ? Au-delà des nationalités écossaises et galloises qui sont, his-<br />

68


toriquement, très différentes, il suffit de penser à un hooligan et à un lord<br />

pour comprendre que les différences sont abyssales et la froideur n’est pas<br />

du tout un détail…<br />

Le « cas italien »est encore plus complexe : un modélisme national n’est<br />

pas vraisemblable parce que le stéréotype bien connu à l’extérieur « pizza e<br />

mandolino »heureusement n’est pas proposable, dans son image caricaturale,<br />

notamment face au puzzle des différences régionales. Mais, la même échelle<br />

régionale, dans certaines Régions, n’est pas tout à fait représentative de l’ample<br />

fresque de personnalités. Pensons à la Vénétie et aux grandes différences<br />

de mentalité entre un Vénitien et un habitant de Belluno, ou encore, comme<br />

on peut comparer, bien que dans la même Région, un Emilien et un Romagnol<br />

? <strong>Il</strong> existe donc une logique qui se fait provinciale et qui devient sousprovinciale.<br />

Et nous, les Valdôtains, comme nous nous plaçons aux yeux des autres et<br />

quelle représentation avons-nous de nous-mêmes ? Pour les autres, l’ensemble<br />

« valdôtains » correspond – à mon avis – à une série de sous-ensembles.<br />

Bien sûr la spécificité linguistique représente déjà un unicum, et le fait d’être<br />

montagnard est un autre signe caractérisant, tout comme ce que j’aime définir,<br />

un mixte entre un individualisme un peu anarchique et une forte composante<br />

de vie en commun.<br />

J’imagine que l’on peut avertir que ces deux facteurs produisent une<br />

considération de sobriété et parfois d’un certain détachement, injustement<br />

interprétable comme un mélange entre timidité et présomption. Pour ce qui<br />

est de notre perception, je pense que nous nous représentons comme de<br />

bons travailleurs et des personnes qui font communauté, avec une tonalité de<br />

sérieux mais qui n’est jamais une ostentation du sérieux. Si je devais exprimer<br />

un jugement, j’estime que notre aspect le plus distinctif est le trait multidisciplinaire<br />

et l’étique du travail.<br />

Le Valdôtain est transversal dans les occupations quotidiennes ainsi que<br />

dans les passions personnelles. Mais il faut encore ajouter qu’une fouille<br />

ultérieure dans la « valdôtaineté » peut abattre, d’une vallée à l’autre et d’un<br />

clocher à l’autre, l’existence d’un homo valdostanus ( ou – pour être politiquement<br />

correct – de femina valdostana ). Différentes typologies existent parce<br />

que, dans le cœur de notre peuple, il suffit une distance de peu de kilomètres<br />

pour trouver des différences caractérielles et comportementales, parce que<br />

chaque collectivité locale impose un imprinting différent. Nous l’apercevons<br />

seulement après une longue pratique, les autres n’en ont pas la sensibilité et<br />

donc il est légitime que quelqu’un tombe dans la généricité d’une catégorie<br />

unifiée, « les Valdôtains », qui nous rend un peu indifférenciés aux yeux du<br />

monde.<br />

Mais, au moins entre nous, une certaine origine nous signale avec évidence<br />

une appartenance spécifique, qui nous rend encore plus riches dans le<br />

cadre des caractéristiques qui rapprochent le peuple valdôtain.<br />

69


En décrivant les attentes pour l’année qui commence – pour ceux qui font<br />

de la politique, c’est un devoir d’office, surtout en ces premiers jours de janvier<br />

– il existe une série de pièges, qui passent par des mots dont l’utilisation<br />

paraît plutôt dangereuse ou ambiguë. Des mots qui risquent – tout en étant<br />

utiles – d’être abusés, dégradés et changés selon les situations.<br />

Prenons le mot « Paix ». Qui ne voudrait-il pas un 2007 à l’enseigne de<br />

la paix ? Seulement un fou belliciste ou un irresponsable virulent pourrait<br />

applaudir à la « Guerre ».<br />

Cela vaut aussi pour « Santé ». Lorsque nous cherchons un terme bienveillant,<br />

la « Santé » est au premier rang. Et d’ailleurs, qui pourrait-il militer<br />

dans l’équipe de la « Maladie » ? Et quoi dire du mot « Amour », extraordinaire<br />

panacée contre tous les maux du monde, qui souvent finit – tout comme<br />

une cerise sur le gâteau – dans les discours des personnes acrimonieuses et<br />

endurcies, dont le cœur ne bat plus depuis longtemps ?<br />

Ces paroles phares sont le prélude à un vaste équipement idéologique et<br />

rhétorique et représentent une sorte de manifeste, dénué de toute correspondance<br />

avec la réalité.<br />

Par ailleurs, bien souvent, le même terme peut avoir une utilisation merveilleusement<br />

multiple. Un exemple : un politicien qui dit qu’ « en 2007 la<br />

Vallée d’Aoste devra renforcer son autonomie » se situe apparemment sur un<br />

terrain stable et rassurant. Mais si parmi le public quelqu’un se lève pour demander<br />

des détails tels « quel genre d’autonomie ? », l’effet surprise pourrait<br />

être sidérant. Parce que – heureusement pour l’Uv et pour son futur – pour<br />

plusieurs personnes, « Autonomie » est seulement un titre, qui n’est pas automatiquement<br />

suivi par des faits qui se nourrissent d’idées et de convictions.<br />

Cela vaut aussi pour « Identité », terme qui donne de l’épaisseur à une communauté,<br />

mais il y a ceux qui utilisent ce mot sans en avoir conscience, tout<br />

comme s’il s’agissait d’un automatisme vidé de contenus.<br />

Un autre mot qui risque d’avoir différentes clés de lecture – comme s’il<br />

était un couteau suisse à tout faire – est « Démocratie ». Un concept noble et<br />

très ancien, qui donne de la substance à des siècles de recherche de la vérité,<br />

comme une flamme de plus en plus étincelante malgré les difficultés. Toutefois,<br />

il y en a qui utilisent ce mot en agitant des drapeaux ou en prononçant<br />

des slogans qui n’ont rien à voir avec les graines qui font pousser la plante de<br />

la démocratie, bien au contraire.<br />

« Fédéralisme » : voilà un autre terme qui change comme la lumière de<br />

l’aube au coucher du soleil. En 2006, ce mot, auquel correspond une définition<br />

bien précise, a acquis une définition différente par rapport à 200 et si<br />

nous remontions le temps – je pense aux années 1919, 1943, 1960, 198 ou<br />

1992 – il aurait une signification différente d’année en année. En 1919, un<br />

fédéralisme de type européen se diffuse afin de contraster la plaie nationaliste<br />

qui débouchera dans la deuxième Guerre mondiale. En 1943, le fédéra-<br />

70


lisme est le dessein antifasciste et clairvoyant de la Déclaration de Chivasso<br />

inspirée d’Emile Chanoux. 1960, 198 et 1992 marquent des étapes d’un<br />

parcours qu’est le nôtre : l’UV est le seul Mouvement politique qui a cultivé<br />

avec conviction le fédéralisme, jusqu’à la proposition constitutionnelle de<br />

réforme fédéraliste. L’apogée d’une action politique, bien avant que le fédéralisme<br />

soit à la mode, de façon parfois déformée. Mais aussi 200 et 2006<br />

sont bien différents : à partir de 2006 on a assisté à un véritable changement<br />

de mentalité, qui ressurgit d’un sursaut centraliste qui inquiète et fait table<br />

rase de ce peu de fédéralisme qui pouvait se faufiler à l’horizon. Les mots<br />

vont et viennent. <strong>Il</strong> en sera ainsi en 2007 aussi.<br />

71


décembre<br />

Roulement de tambours ! L’atmosphère est celle des grandes occasions<br />

et le risque de se répéter guette ceux qui aiment noter leurs pensées. L’originalité<br />

est difficile surtout parce que Noël – avec les souhaits, la crèche,<br />

l’arbre, les cadeaux, la Messe de Minuit, les grandes bouffes – se fête selon<br />

un scénario dont le succès réside dans sa rassurante routine. Tout le monde<br />

– que ce soit dans les habitudes qui deviennent des traditions et vice-versa<br />

– retrouve soi-même ainsi que le cadre de référence de cette festivité.<br />

Ce qui surprend les passionnés de lecture, c’est qu’on n’en finit jamais de<br />

creuser sur un certain sujet. Ainsi, dans le livre de Jean-Louis Beaucarnot,<br />

titré « Comment vivaient nos ancêtres ? » ( sous-tire « De leurs coutumes à<br />

nos habitudes » ), édité par JC Lattès, nous trouvons des idées intéressantes.<br />

Pour commencer : « Le nom même de la fête se perd dans la nuit des temps<br />

chrétiens. Vient-il d’une simple interjection d’allégresse : Noël ! Noël ! n’ayant<br />

d’autre valeur qu’Alléluja, ou bien du latin natalis dies qui signifie ‘jours de<br />

naissance’ évoquant l’anniversaire de la naissance de l’enfant Jésus ? ».<br />

Le même auteur rappelle que cette date de naissance a été assez mobile<br />

jusqu’au moment où un Pape, en 3 4, a fixé en toute autorité la date du 2<br />

décembre, qui coïncide – et ce n’est pas un hasard – avec la dernière nuit du<br />

solstice d’hiver.<br />

Beaucarnot explique : « Au risque d’étonner, je peux presque dire qu’il<br />

y a une généalogie. Depuis longtemps, en effet, les fêtes solsticiales, appelées<br />

saturnales par les Romains, sont prétexte à des distributions de cadeaux.<br />

Dans l’Europe du Nord, ce rôle revenait à Odin alors qu’à Rome la déesse<br />

Sabine Sternia distribuait des cadeaux de bon augure qui sont à l’origine du<br />

nom de nos ‘étrennes’ ».<br />

Cela vaut bien évidemment, selon la même dénomination latine, pour<br />

notre terme francoprovençal étrèina, dont découlent les souhaits que nous<br />

faisons en Vallée d’Aoste le premier jour de l’an : Treìnadan !<br />

Mais avec le christianisme, est-il de savoir qui apporte les cadeaux ? Le<br />

livre raconte que chaque pays et chaque région avait ses saints : sainte Barbe<br />

en Autriche, sainte Catherine en Catalogne, les rois mages en Espagne. Dans<br />

nombre de régions françaises, c’est le petit Jésus en personne, et je crois ne<br />

pas me tromper lorsque je dis que c’était ainsi chez nous. <strong>Il</strong> l’était certaine-<br />

7


ment pour ma génération, avant que le Père Noël – qui est né aux Etats-Unis<br />

seulement en 1822, à partir de saint Nikolaus ( le saint qui offre les cadeaux<br />

aux enfants de notre communauté walser ! ) – se confirme comme le protagoniste<br />

indiscutable des dons de Noël.<br />

Mais Beaucarnot reconstruit aussi une autre invention culturelle, qui témoigne<br />

comment les traditions les plus authentiques sont le fruit de stratifications<br />

complexes. Je me réfère aux rois mages, que nous plaçons dans nos<br />

crèches : « seul saint Matthieu en parle dans son Evangile, disant que « Jésus<br />

étant né à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici que les mages<br />

d’Orient arrivèrent à Jérusalem, disant ‘où est le roi des Juifs qui vient de naître<br />

car nous avons vu son étoile à l’Orient et nous sommes venus l’adorer.’ « .<br />

Nul autre texte n’en dit davantage. Au V ème siècle, ces mages, qui devaient<br />

être des savants ou des sages, deviennent tout à coup des rois. Au VI ème , ils<br />

sont trois et reçoivent les noms de : Gaspard, Melchior et Balthasar. Au VII ème<br />

siècle, on retrouve leurs reliques et au XV ème , on sait d’où ils viennent : Melchior<br />

d’Arabie, Balthasar de Chaldée et Gaspard d’Ethiopie. <strong>Il</strong> est Noir ! ».<br />

Quel merveilleux métissage d’histoires et de cultures ce Noël : j’espère<br />

qu’il soit beau et joyeux pour toute notre communauté et pour chacun d’entre<br />

vous, mes chers lecteurs.<br />

Si je devais avouer le thème de perspective qui me tient le plus à cœur et<br />

que j’estime le plus important de l’année qui se termine, je n’aurais aucun<br />

doute : l’Eurorégion AlpMed.<br />

Je résume les épisodes précédents. Gustavo Malan – un vaudois extravagant,<br />

le plus jeune parmi ceux qui ont participé à la Déclaration de Chivasso<br />

en 1943 – racontait qu’Emile Chanoux lui avait parlé d’une République du<br />

Mont-Blanc, qu’aujourd’hui nous pourrions définir transfrontalière. Une sorte<br />

de petit Etat qui représentait une alternative aux anciens Etats, avec deux<br />

soucis : d’une part, être respectueux de l’aire linguistique francoprovençale<br />

et, d’autre part, se souvenir des traditions de la maison de Savoie. Avec la<br />

Vallée d’Aoste, une République du Mont-Blanc ne serait pas imaginable sans<br />

la Savoie et les cantons romands.<br />

Et maintenant, tout comme dans une machine à remonter le temps, revenons<br />

brusquement à nos jours. La perspective actuelle regarde à l’Europe.<br />

A la différence du Traité de Rome de 19 7, où la logique des Etats triomphait,<br />

le régionalisme – lentement mais inexorablement et avec des hauts et<br />

des bas – s’affirme comme une logique qui est également alternative en ce<br />

qui concerne le rapport entre les populations que l’Histoire a placé dans des<br />

Etats différents. Tout cela se passe aussi dans notre aire géographique.<br />

Reprenons notre machine à remonter le temps : il y a 2 ans ( soit le 2<br />

76


avril 1992 ), sous l’impulsion d’un débat qu’à l’époque venait du Conseil de<br />

l’Europe, la Cotrao ( Communauté de travail des Alpes occidentales ) voyait<br />

le jour. Ses membres : les toutes nouvelles régions françaises de Rhône-Alpes<br />

et Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Piémont et la Vallée d’Aoste en Italie<br />

( dans les faits la Ligurie n’a participé qu’à quelques projets ), les Suisses des<br />

Cantons du Valais, de Genève et de Vaud. En dehors de deux études Interreg,<br />

l’un sur les risques naturels et l’autre sur le tourisme, Cotrao est bien<br />

morte et ensevelie, en raison aussi d’un statut juridique incertain.<br />

Ceux qui me connaissent savent que, depuis des années, j’estime tout à<br />

fait illogique et négatif que notre aire historique et géographique languit alors<br />

qu’un peu partout en Europe les Eurorégions se multiplient. J’avais donc<br />

demandé, à tous les niveaux, d’entreprendre à nouveau le chemin amorcé,<br />

soit en suivant l’évolution juridique de la coopération dérivant du Conseil de<br />

l’Europe ( les mises à jour périodiques de la Convention de Madrid ) soit en<br />

parcourant l’évolution de la coopération transfrontalière dans l’Union européenne.<br />

Enfin nous y sommes. Un noyau historique ( Piémont, Ligurie et Vallée<br />

d’Aoste avec Rhône-Alpes et PACA ) est en train de reprendre le parcours,<br />

dont j’ai informé périodiquement les amis valaisans. D’abord à Turin, puis<br />

à Lyon et dans quelques mois à Aoste – pour la signature définitive ! – nous<br />

travaillons pour l’Eurorégion Alpes-Méditerranée avec un tout nouvel instrument<br />

européen – dont l’acronyme est GECT – qui a été approuvé l’été<br />

dernier. Le Groupement européen de Coopération territoriale – que j’avais<br />

soutenu avec force à l’époque où je siégeais au Parlement européen – permettra<br />

de créer une structure juridique pour les Régions dans le domaine de<br />

la coopération transfrontalière. Voilà ce qu’il fallait pour notre Eurorégion.<br />

<strong>Il</strong> faudra y travailler beaucoup et sérieusement afin de ne pas tomber dans<br />

le piège de créer une boîte vide, mais au contraire pour qu’elle nous aide à<br />

abattre définitivement les frontières, à être des Européens, à limiter les pouvoirs<br />

politiques centraux. Un bureau commun à Bruxelles, que nous aurons<br />

en 2007 avec le Piémont, Rhône-Alpes et PACA, ira dans cette direction. Et<br />

maintenant, au travail !<br />

Au terme des Etats Généraux de la Montagne de Turin organisés par<br />

l’Uncem, qui réunit les communautés de montagne, j’ai décidé d’écrire une<br />

lettre à la main au président Enrico Borghi, que je lui ai remise directement<br />

sur place. Entre-autres, il est intéressant d’utiliser un moyen traditionnel.<br />

C’est un signe de discontinuité et de polémique apaisée à une époque où les<br />

congrès sont devenus une sorte d’étalage de sonneries de téléphone polyphoniques<br />

et terriblement bruyantes. Et quoi dire des coups de fil « cachés »de<br />

congressistes, qui ressemblent – dans leurs contorsions pour répondre au<br />

77


téléphone – à ces types qui, dans le passé, utilisaient les cure-dents en se<br />

cachant derrière une serviette… Tout comme il faut ajouter les sms solitaires<br />

qui nous relient au monde, et au lieu de la solitude d’un fauteuil de congrès il<br />

y a, à présent, la connexion avec le monde ainsi que la tristesse ou le sourire<br />

qui n’a rien à voir avec ce que le rapporteur du moment est en train de dire.<br />

J’avoue que j’ai voulu écrire une lettre, parce que le fait de dire « écris-mois<br />

un mél » cache désormais un escamotage pour se libérer d’un casse-pied. Je<br />

propose cette lettre aux lecteurs du Peuple, car j’estime qu’elle représente<br />

une synthèse de quelques problèmes liés au futur de la montagne, ce qui est<br />

en grande partie le futur de notre communauté même.<br />

Cher Enrico,<br />

Nous nous connaissons depuis longtemps et je sais que nous croyons à la<br />

montagne, il est donc inutile de nous raconter des trucs que nous connaissons<br />

bien. Tu permettras cependant à un vieil ami de relever combien souvent nous<br />

nous débattons entre deux extrémismes opposés.<br />

Le premier a deux visages. Commençons par l’abstraction parfaite, qu’assume<br />

la montagne dans l’avenir : paradisiaque, tout près de nous. Certainement<br />

lié à la large bande, parce qu’au Paradis la fracture digitale n’existe pas… Le<br />

deuxième visage, c’est le pessimisme cosmique, qui condamne la montagne à un<br />

marais stygien : un petit enfer, aujourd’hui et ici. Et ça sent le soufre !<br />

Le deuxième extrémisme est aussi double. D’un côté, la bonne loi des<br />

Finances, de l’autre, la mauvaise. Dans une sorte de théâtre des marionnettes,<br />

on se bat à grands coups selon la position du moment au sein du Parlement,<br />

tout comme si la loi des Finances était une Bible taillée dans la pierre et non<br />

pas un impressionnant tome de papier que l’on vote chaque année. Et alors,<br />

il y a une troisième voie : le réalisme, qui ne devrait être rien d’autre que la<br />

normalité. En bref : une directive européenne très nette à même de classer<br />

la montagne une fois pour toutes et d’imposer une attention particulière aux<br />

territoires de montagne dans nombre de matières : aides d’Etat, politique de<br />

la concurrence, télécommunication, transports et ainsi de suite. Et encore :<br />

une loi sur la montagne en Italie liée aux réelles compétences de l’Etat après<br />

la réforme du Titre V ( fiscalité, obligation de services publics directs ou par<br />

appel d’offre, réseaux ) laissant aux Régions, avec leur propre législation, le<br />

devoir de s’occuper de leurs montagnes avec une approche tout à fait originale.<br />

Certes, pour éviter l’isolement chaque montagne doit regarder aux autres<br />

montagnes, dans une logique – là où il est possible – transfrontalière, transnationale<br />

et même avec un esprit international ! Pourquoi ? Parce que les peuples de<br />

toutes les montagnes du monde sont similaires et doivent coopérer entre eux.<br />

Toutefois dans les Régions les montagnes doivent avoir des Communautés<br />

de montagne dimensionnées justement et supportant ces Communes qui agonisent.<br />

Je veux être clair : il existe un point de référence fort et clair et c’est la Décla-<br />

78


ation de Chivasso de 1943. La logique était simple : s’il y aura les Régions – se<br />

référant à l’après-guerre – créons dans et pour les montagnes des Cantons avec<br />

des pouvoirs, des fonctions, des rôles véritables afin d’éviter que la montagne ne<br />

souffre.<br />

Une prophétie, un message en bouteille ! Les lois, les règlements, les<br />

décrets – de l’argent en plus, non pas l’aumône – ne suffisent plus si entretemps<br />

le montagnard s’effrite et avec lui s’en va la culture des montagnes.<br />

Avec un danger : que l’on parle encore dans le futur des problèmes de la<br />

montagne mais avec la nécessité – afin de se connecter avec un montagnard<br />

– de recourir à une séance de spiritisme.<br />

novembre<br />

«Potinier ». <strong>Il</strong> y a quelques jours, au cours d’une discussion, j’ai été apostrophé<br />

avec cet adjectif, dans un moment d’évident nervosisme, par mon interlocuteur.<br />

Considéré qu’il ne s’agit pas d’un compliment, je me suis intrigué<br />

sur ce thème pour comprendre comment, autours de ce sujet, se croisent de<br />

nombreuses trajectoires.<br />

« Contar tuti i peti » : c’est ainsi que disent les Vénètes, voilà alors que la<br />

bruyante et puante étymologie est dévoilée. <strong>Il</strong> s’agit – tout comme pour le pet<br />

francophone – d’une dérivation onomatopéique, c’est-à-dire un mot formé<br />

par harmonie imitative et, dans ce cas spécifique c’est bien connu par chacun<br />

de nous, du moment que nous appartenons à la même espèce qui, avec<br />

Dante « del cul fece trombetta ».<br />

Le cas évident, toujours sur la question, c’est le bavardage du bavard, qui<br />

nait du ba-ba-ba des bébés ( qui font la bave… ) ; et que dire du cancan ( Fére<br />

un cancan di dzablo ! ) qui dérive – selon les interprétations étymologiques<br />

– du cri des canards ou des oies, animaux parfois associés au converser entre<br />

femmes ( commérage ).<br />

On pourrait alors s’orienter vers des chemins nouveaux ou anciens. La<br />

nouveauté, c’est la Conversational Hypertext Access Technology ( en acronyme<br />

Chat, francisé avec Clavardage ou...Bavardage au clavier ) et aujourd’hui le<br />

moyen est plutôt diffusé, même en Vallée. <strong>Il</strong> existe certains sites qui utilisent<br />

le réseau, normalement grâce à l’anonymat ou à l’utilisation d’un astucieux<br />

nickname, pour divulguer de nouvelles malicieuses ou sans fondement.<br />

C’est-à-dire – et voici le chemin le plus ancien – les rumeurs : « La rumeur<br />

79


se murmure, se chuchote, serpente à travers toutes les couches de la société puis<br />

se gonfle et se répand comme une épidémie ». C’est ainsi qu’écrit Lydia Flem,<br />

tandis que son évolution – la légende urbaine – est décrite par Jean-Bruno<br />

Renard comme : « Un récit anonyme, présentant de multiples variantes, de forme<br />

brève, au contenu surprenant, raconté comme vrai et récent dans un milieu<br />

social dont il exprime les peurs et les aspirations ».<br />

Bref, le terme « potinier »dans la société actuelle est réductif. Entre le<br />

passé ( contes, mythes, légendes, anecdotes ) et le présent ( chat, messages<br />

téléphoniques, échange de courriel, jusqu’aux photos des portables ), de nouvelles<br />

formes de communication se répandent et s’accentuent. Ce n’est ni un<br />

bien ni un mal, il s’agit tout simplement de la réalité. Entre autres, dans le<br />

cas valdôtain, il vaut aussi ce qu’Alain Peyrefitte écrivait pour la France : « Le<br />

seul endroit où la communication résiste, c’est le bistrot ». La communication,<br />

dans ce cas, est en prédominance un bavardage !<br />

<strong>Il</strong> y a quelques jours je pensais aux objets qui n’existent plus, signe évident<br />

que les années passent. En triste confirmation de ça, un ami qui travaille<br />

pour la Région et qui était mon camarade au lycée, m’a téléphoné et m’a dit<br />

gaiement « <strong>Il</strong> y a trente ans nous étions en voyage scolaire ». Une fois terminé<br />

de revivre les souvenirs joyeux, un voile de regret nous a rapprochés, et le<br />

croissant alibi – destiné à s’aggraver dans les prochaines années – que l’on<br />

peut être jeune à n’importe quel âge ( sic ! ) nous a peu confortés. Cette caractéristique<br />

consolatoire ressort à la fête des conscrits, où souvent, après cinq<br />

minutes, il paraît d’être retournés sur les bancs de l’école.<br />

Parmi les objets disparus, ou changés, ce sont les jouets qui me sont revenus<br />

aussitôt à l’esprit. Un cousin à moi, Giusi, savait construire des mitraillettes<br />

fantastiques avec une boîte de petits fromages et quelques morceaux de<br />

bois. La fronde et la sarbacane étaient les armes d’une véritable guerre entre<br />

bandes ( à Verrès on combattait sur une montagne dont le nom est représentatif<br />

: Mont Carogne ). Le vélo était un objet de culte, utilisé sur des routes<br />

moins dangereuses qu’aujourd’hui.<br />

Elles étaient si belles les automobiles du passé, elles étaient rangées dans<br />

de garages minuscules, et elles nous accompagnaient pour longtemps. Chez<br />

moi, il y avait l’automobile du travail de papa ( la 00 Abarth, pendant des<br />

décennies ) et la voiture familiale du dimanche ( normalement des modèles<br />

de la Giulia super de l’Alfa Romeo ). Je pense aux trains du passé : quand<br />

j’étais étudiant on voyageait sur les « littorine » ( qui remontent évidemment à<br />

l’époque fasciste ): les wagons des trains s’arrêtaient à chaque gare ( gares qui,<br />

aujourd’hui, sont pour la plupart fermées en Vallée ), et ces wagons étaient<br />

séparés par des compartiments qui paraissaient de vieux petits salons rococo.<br />

80


Un autre objet disparu : le téléphone de l’époque. C’était un troublant et<br />

gigantesque instrument noir et pour appeler en « teleselezione » – je m’en<br />

souviens ! – il fallait se servir de l’intermédiation de gentilles standardistes.<br />

Pour ne pas parler des vieux jetons de téléphone et de l’appareil à déclenchement<br />

qu’il y avait dans les cafés, que l’on utilisait pour les coups de fils plus<br />

importants avec les copines. Et que dire des premiers portables, avec leur<br />

337, désormais claqué, et de la mort désormais acquise du fax, qui semblait<br />

être une modernité destinée à durer longtemps.<br />

Et les télésièges d’antan ? Je me souviens qu’au départ de Weismatten, à<br />

Gressoney-Saint-Jean, en hiver, avant de monter on était équipé d’une couverture<br />

et je me souviens encore des « œufs » colorés qui montaient à Pila,<br />

partant d’Aoste, avec le vieux téléphérique. Et les skis, et les chaussures ? Les<br />

premiers, on aurait dit ceux de Zeno Colò, rien à voir avec les nouvelles techniques.<br />

Le lait, on l’emportait dans une petite casserole spéciale, le Coca-<br />

Cola avait une vieille bouteille fuselée, au cinéma on prenait seulement les<br />

bonbons, la télévision avait seulement deux chaînes en noir et blanc, les<br />

préservatifs on les achetaient seulement chez le pharmacien et l’éducation<br />

sexuelle passait à travers de grotesques journaux pornographiques !<br />

<strong>Il</strong> est évident, aucun regret, parce que chaque époque a ses objets et<br />

aujourd’hui tout nous paraît plus étincelant. Mais, dans le cœur, restent –<br />

comme des photos dans le fond d’un tiroir – ces images flouées par le souvenir,<br />

qui évoquent, dans plusieurs personnes, des moments, des épisodes que<br />

malheureusement personne, sauf la mémoire, ne pourra nous rendre.<br />

Le temps présent est rapide comme un clin d’œil. Mais il est indispensable<br />

de se confronter avec l’actualité, en sachant que le temps s’écoule à<br />

grande vitesse, comme le sable dans un sablier. <strong>Il</strong> serait beau si l’on pouvait<br />

arrêter pour un instant ce temps bénit qui presse et de regarder une œuvre se<br />

réaliser, apprécier une idée, vivre un moment avant qu’il ne se soit enfui. En<br />

disant « Voilà, moi j’y suis », on exprime le sentiment extraordinaire d’une vie<br />

pleine, la vie de quelqu’un qui ne se laisse pas vivre banalement.<br />

Le Cardinal Mercier mettait en garde avec ces mots : « Je ne veux ni gémir<br />

sur le passé qui n’est plus, ni rêver follement de l’avenir qui n’est pas. Le devoir<br />

de l’homme se concentre sur un point, l’action du moment présent ».<br />

J’aime cette définition parce qu’elle donne le sens de la vie vécue et de<br />

la nécessité de se donner tout de suite et maintenant, conscients, justement,<br />

que le temps passe rapidement. <strong>Il</strong> est inutile de s’attarder dans le regret de<br />

ce qui fut, et c’est illusoire de tout renvoyer à l’horizon futur. Personnellement<br />

j’aime le passé s’il est utile au présent et aux actions qu’il faut mener<br />

aujourd’hui, tout comme, bien entendu, je lis et je respecte l’histoire et ses<br />

évènements, ainsi que les personnages qui les ont vécus. Et j’aime autant le<br />

81


futur s’il est utile comme perspective temporelle pour réaliser concrètement<br />

des idées et des projets semés dans le présent. <strong>Il</strong> est clair que la logique « tout<br />

et tout de suite » est tout aussi superficielle et heureusement le temps nous<br />

permet de construire : voilà le pont idéal entre générations qui regardent en<br />

avant et non en arrière, parce que ceux qui s’arrêtent sont perdus…<br />

Par contre, ce qui est insupportable est ce que les latins appelaient « Laudator<br />

temporis acti », c’est-à-dire « Celui qui vante le temps jadis ». Expression<br />

utilisée par Horace dans son Ars poetica pour réprimer le vieux bougon.<br />

Voyons l’expression dans son contexte : « Difficilis, querulus, laudator temporis<br />

acti / se puero, castigator censorque minorum », c’est-à-dire : « Quinteux,<br />

plaintif, vantant sans cesse le temps passé lorsqu’il était jeune ; prêchant,<br />

grondant tout ce qui est moins âgé que lui ». J’avoue que lorsque je parle avec<br />

les jeunes je fais bien attention à éviter d’évoquer le passé de cette façon.<br />

C’est grotesque de vivre seulement en fonction des souvenirs, pour critiquer<br />

ce que l’on fait aujourd’hui au nom du passé, passé qui souvent apparaît plus<br />

beau dans la mémoire que dans le vécu.<br />

Entre autre, l’expression d’Horace s’applique désormais à tous ceux qui,<br />

jeunes ou vieux qu’ils soient, regrettent une époque heureuse du passé qui<br />

n’est plus là, et qui utilisent la mémoire de la même façon qu’un tueur utilise<br />

son pistolet. Je déteste cette sorte d’attitude destructive, parce qu’elle est<br />

banale, inutile et parfois pétrie de mauvaise foi. En effet, souvent, certaines<br />

difficultés du temps présent ne sont pas des inventions soudaines, mais<br />

elles sont provoquées, dans un rapport de cause-effet, par les choix œuvrés<br />

dans le passé et probablement par ce même « Laudator » qui le regrette et le<br />

célèbre autant. Bref, affrontons les problèmes et le présent qui englobe ces<br />

problèmes, dans un engagement qui matérialise notre action quotidienne et<br />

qui nous fait sentir vivants.<br />

L’esprit constituant est une tension morale, un désir de changement, la<br />

conscience qu’il existe des valeurs supérieures auxquelles se rapporter lors<br />

des moments de passage et qui doivent voler plus haut que les divisions et les<br />

disputes. C’est tout comme respirer de l’air pur face à la puanteur du marais,<br />

qui souvent nous coupe le souffle et nous déprime l’âme.<br />

Et ces valeurs supérieures sont la passion, l’ardeur et les rivalités qui ont<br />

marqué la période historique qui, à partir de la Libération de 194 , conduisait<br />

au Statut d’Autonomie de 1948. A cette époque, les Valdôtains meilleurs<br />

espéraient tenir les rênes de leur propre destin politique et constitutionnel,<br />

en croyant que les idéaux démocratiques si annoncés auraient donné pleine<br />

liberté au Val d’Aoste.<br />

C’était la période ou se croisaient des événements passionnants tels que<br />

82


le Décret du Lieutenant, la naissance de notre Mouvement, les demandes de<br />

plébiscite et de garantie internationale, le premier Conseil de la Vallée ( il y a<br />

soixante ans, ces jours mêmes, Séverin <strong>Caveri</strong> devenait le premier Président<br />

unioniste de la Région ! ), les propositions statutaires à la Constituante et, enfin,<br />

le Statut d’autonomie octroyé, ainsi que l’effort pour que son application<br />

soit possible.<br />

<strong>Il</strong> faut alors se demander, en pensant aux évènements de l’époque et à la<br />

valeur personnelle des nombreux protagonistes de ces pages historiques, si,<br />

dans le contexte actuel – avec la réouverture du débat sur la réécriture de notre<br />

Statut d’autonomie – l’esprit constitutionnel est encore présent, ou non.<br />

Et surtout, il faut savoir si cela se produit non seulement parce que quelqu’un<br />

l’a déjà fait ( par exemple le Frioul-Vénétie Julienne ), ou est sur le point<br />

de le faire ( voir le cas de la Sardaigne ), mais parce que nous le considérons<br />

véritablement comme un élément indispensable pour notre futur.<br />

Et cela, en considérant que notre Statut, en tant que Constitution régionale,<br />

doit être réécrit parce qu’il est nécessaire et parce que les nouveaux<br />

contenus doivent apporter une nouvelle lymphe au traditionnel désir d’autogouvernement<br />

des Valdôtains. En pensant en particulier à la perspective européiste<br />

qui nous englobe et en regardant aux plus modernes modèles régionalistes<br />

et fédéralistes qui sont en train de s’affirmer dans le reste d’Europe.<br />

Si l’on regarde en arrière – je me réfère aux deux Commissions pour les<br />

réformes présidées respectivement par Robert Louvin et Roberto Nicco – les<br />

tentatives de réformes statutaires ont échoué, parce que le climat n’était pas<br />

propice et l’esprit constituant était de manière et non de substance. Si le débat<br />

est artificieux, le destin est marqué : discussions, réflexions, auditions et<br />

textes conclusifs sont tous destinés aux archives et aux tiroirs, trop souvent<br />

comblés de bonnes intentions, qui restent telles, et sont inutiles.<br />

Aux cours des prochaines semaines, avant de rouvrir le thème des réformes<br />

institutionnelles, il serait bien – pour éviter de perdre du temps et de<br />

l’énergie – de pressentir l’air des temps, en comprenant si les forces politiques<br />

et les personnes qui les représentent sont vraiment conscientes de la nécessité<br />

et unies dans la volonté d’avancer dans la reforme. Autrement, il vaut<br />

mieux de surseoir, mais en clarifiant bien les responsabilités de ceux qui ne<br />

veulent pas les réformes, et proposent des projets alternatifs plus ou moins<br />

compréhensibles, et certainement défavorables pour le futur de notre autonomie<br />

spéciale ; des projets qui souvent sont menés dans l’espoir, pas trop caché,<br />

de se débarrasser de l’Union Valdôtaine.<br />

Gouverner c’est lourd. Je ne me réfère pas aux journées de travail intenses,<br />

aux nombreuses réunions, aux déplacements nécessaires, à la longue liste de<br />

rendez-vous. Personne n’oblige personne et se poser en victime serait risible<br />

83


face à un activisme qui doit être lié aux règles d’un jeu qui engage, obligatoirement,<br />

ceux qu’y participent. Et lorsqu’on est appelé à gouverner, on sait ( et<br />

on le sait avant de faire ce choix ) qu’il faut percevoir le bon et le mauvais qui<br />

se cachent dans l’exercice du pouvoir, tout comme il arrive quand on accepte<br />

des clauses contractuelles. Les heures, il ne faut pas les compter. Comme<br />

les jours fériés, qui, trop souvent, coïncident avec des engagements publics.<br />

Entre-autre, c’est bien connu, ce n’est pas un travail à temps indéterminé et<br />

personne ne peut nier les avantages et les rentes de positions. Travailler en<br />

mine, c’est autre chose…<br />

La fatigue vient plutôt des terribles résistances aux changements, qui<br />

rendent chaque chose plus difficile, et une promenade se transforme en<br />

course à obstacle. Chaque intention réformatrice risque de naufrager face<br />

aux attitudes conservatrices et aux conduites habitudinaires de ceux qui vivent<br />

aisément dans des situations rangées. Ceux qui veulent innover doivent<br />

subir les résistances, actives et passives, qui dilatent les temps décisionnels,<br />

et qui voudraient éviter, préalablement, chaque changement.<br />

Le scénario est ultérieurement aggravé par l’affaiblissement du sens de<br />

responsabilité et du sens d’appartenance. Ces deux sentiments, qui suscitent<br />

cohésion, sont désormais une denrée rare dans un monde adsorbé par le<br />

particulare, par l’intérêt circonscrit, par une logique corporative – syndicale<br />

qui œuvre tenacement à la défense des droits, mais qui parait timide et réticente<br />

face au chapitre des devoirs. C’est ainsi que le mot devoir, ou encore<br />

pire, obligation, est désormais devenus un gros-mots et tous ceux qui ont le<br />

courage de l’utiliser en public sont tâchés de passéisme.<br />

Le décideur se rend alors antipathique, parce qu’il voudrait troubler des<br />

équilibres révolus, des niches de bénéfices, des comportements anachroniques.<br />

Seulement aujourd’hui, alors que j’atteins mes vingt ans de carrière<br />

politique, je découvre que celui qui ne fait pas, celui qui ne s’exprime pas,<br />

celui qui reste immobile ressemble à ces insectes qui ont fait du mimétisme<br />

et de l’immobilité leur point de force, parce que personne ne les remarque,<br />

et donc personne – métaphoriquement – les bouffe.<br />

Cette neutralité décolorée, qui est une puissante assurance sur la vie, ne<br />

m’appartient pas. Mon moteur reste la passion et le désir de faire. En étant<br />

presque quinquagénaire, la vie me parait comme un film dont j’assiste au second<br />

temps, et donc je ne voudrais pour rien au monde sommeiller ou bâiller<br />

face aux évènements ou aux circonstances qui nécessitent des interventions<br />

ou des actions concrètes. La politique serait bien pauvre chose si la logique<br />

était purement celle d’un bon salaire, d’un beau bureau, de quelques petits<br />

voyages. Une grisaille misérable et une routine déprimante, qui n’ont rien<br />

à faire avec la logique profonde qui séduit chacun de nous dans l’espoir de<br />

laissetr une trace, voire seulement un mot, dans la longue histoire de notre<br />

Vallée. Pessimisme ? Jamais. Gouverner, c’est lourd, mais, comme on disait,<br />

c’est un devoir et une obligation.<br />

84


octobre<br />

Nous étions en troisième secondaire à l’école de Verrès quand Rinaldo,<br />

qui avait un an plus que moi, perdit son père tout à coup. Lui, qui savait déjà<br />

faire le boucher, car, justement, son papa Guido lui avait appris le métier,<br />

décida de quitter l’école pour aller travailler. Son sourire et sa bonhomie simple<br />

et directe – qui est typique des « arnayots » – ont été les mêmes jusqu’à<br />

aujourd’hui, identiques à celles qui avait mon ami d’enfance. Je me souviens,<br />

comme aujourd’hui, combien m’avais frappé la mort soudaine de son papa<br />

et, comme il arrive quand on est gamins, je passais du temps à penser que<br />

j’aurais pu avoir le même sort.<br />

Nul n’aurait jamais soupçonné que le jour où il se trouvait obligé de relever<br />

la petite boucherie familiale il allait devenir ce que les américains appellent<br />

un « self-made man », un homme qui a construit son avenir seul. <strong>Il</strong><br />

faut dire que le succès d’un homme est souvent dû à une femme et Marilena<br />

a été pour Rinaldo, non seulement l’épouse et la mère de ses enfants, mais<br />

également un énorme soutien dans le travail du couple qu’ils avaient su créer,<br />

toujours en bossant avec le sourire et des mots d’esprit. Même lorsque l’inattendue<br />

dimension industrielle et les forts investissements les inquiétaient<br />

pas mal, ils ont su conserver ce trait de leur caractère, en dépit de l’inauguration<br />

un peu à « l’américaine » du beau siège en pierre et bois. Siège où<br />

les touristes peuvent acheter de nombreux produits dans le point de vente,<br />

et observer à travers les fenêtres internes le travail soigné, entre tradition et<br />

modernité, qui transforme des matières premières pauvres – tout d’abord le<br />

cochon – en de merveilleux produits.<br />

L’enthousiasme et l’envie de faire ont été indispensables pour transformer<br />

une petite production dans le système industriel actuel et pour faire<br />

accroître un label, « Bertolin » d’après son nom, qui a porté son entreprise<br />

à se refléter sur la diffusion des produits valdôtains, autrement destinés à<br />

rester de niche.<br />

« Lo lard » avant tout. Je me souviens comme, dans l’ancien siège situé le<br />

long de la route nationale qui traversait Arnad, le dimanche surtout, de nombreuses<br />

voitures s’arrêtaient. <strong>Il</strong>s allaient chercher ce lard épicé et savoureux<br />

que Rinaldo brassait, avec de nombreuses autres charcuteries qui ont marqué<br />

le succès des produits Bertolin et ont été même célébrés par de grands experts<br />

tels que Luigi Veronelli, Edoardo Raspelli et Paolo Massobrio.<br />

Rinaldo – et moi pour lui – était resté toujours le même, à l’instar de ce<br />

8


qui se passe, magiquement, pour les amitiés qui naissent au plus jeune âge.<br />

Entre nous, peu de mots suffisaient pour expliquer des situations ou des<br />

états d’âme. Pour lui, la politique, et son bien-aimé Union Valdôtaine, était<br />

un point fondamental dans la vie. De temps en temps je lui disais : « Tu es devenus<br />

célèbre, un jour ou l’autre, après la Chambre de Commerce, tu finiras<br />

au Conseil de la Vallée ! » Et lui, il secouait sa grosse tête en me disant : « Ne<br />

dis pas des bêtises, je dois encore faire beaucoup de saucissons ».<br />

Dans le Paradis des bouchers, il pourra continuer à faire son travail avec<br />

son papa, en bavardant en patois d’Arnad et en pensant au destin qui les a<br />

unis, avec leur cœur qui s’est arrêté trop vite.<br />

L’Union européenne continue son chemin d’intégration, commencé timidement<br />

il y a 0 ans et poursuivi entre plusieurs hauts et bas, et qui a<br />

eu récemment une forte impulsion avec le passage à 2 Pays. Une histoire<br />

charmante, surtout parce qu’elle est née de l’horreur des guerres mondiales<br />

et de la conscience que la politique est le seul remplaçant à la folie dans les<br />

champs de bataille.<br />

Au contraire, le processus d’unification est toujours en cours, puisque les<br />

deux Pays retardataires dans le processus d’élargissement, la Roumanie et la<br />

Bulgarie, ont été enfin promus eux aussi, et à partir du 1 er janvier ils rentreront<br />

dans la grande famille européenne. D’autres pays frappent à la porte : les<br />

Pays balkaniques comme la Croatie, la Turquie qui est en pré-adhésion, et il<br />

y a des états qui se sont poussés jusqu’à ouvrir le débat sur un élargissement<br />

– tout politique – vers Israël et ceux auxquels ne déplairait pas l’ouverture<br />

vers la Russie.<br />

Pour le moment conformons-nous à l’actuel rangement qui a beaucoup<br />

changé l’aspect de l’Europe, surtout avec l’entrée des anciens Etats communistes<br />

du centre et de l’est de l’Europe. <strong>Il</strong> s’agissait d’un acte de justice mais<br />

aussi d’un investissement pour le futur. <strong>Il</strong> faudra en effet encore quelques<br />

années et plusieurs difficultés pour absorber cet élargissement si brusque,<br />

rendu pourtant indispensable par la nécessité que les poussées antidémocratiques<br />

auraient pu créer des turbulences au reste de l’Europe. Fixer les<br />

wagons de ces Pays au fragile locomoteur européen comportera des coûts<br />

et des risques, mais l’alternative était une fragilité dangereuse de ces jeunes<br />

démocraties avec un effet de balkanisation assez négatif pour le Vieux Continent.<br />

Toutefois, le locomoteur avance péniblement parce que les Traités, qui<br />

sont le moteur, perçoivent le poids de l’âge et les mécanismes institutionnels,<br />

comparables à ceux d’une montre qui, à cause de leur complexité, risquent<br />

de ne pas fonctionner. Le fantôme qui incombe est celui de la paralyse et<br />

cela arrive pendant qu’il existe une brise antieuropéenne qui croît avec force<br />

86


dans le temps. Tous à Bruxelles connaissent la solution : reprendre la discussion<br />

sur la Constitution européenne ou, comme on la définit avec plus de<br />

précision, le Traité constitutionnel. Repoussé en France et dans les Pays Bas<br />

avec un référendum – un instrument précieux mais souvent dangereux en<br />

démocratie, parce qu’on utilise d’avantage le ventre en dépit du cerveau –, le<br />

Traité est resté dans les tiroirs, pendant que l’Europe avance péniblement et<br />

ralentit plusieurs choix politiques. Comme dans une navigation dangereuse,<br />

les décideurs européens naviguent à vue, parfois comme si la route n’était pas<br />

connue aux capitaines, parce que l’impératif absolu est d’éviter les secousses<br />

et la rupture. Un sujet inconfortable et un dossier contrasté sont de préférence<br />

laissés de côté. On gagne de l’harmonie mais on perd de l’efficacité.<br />

De plus, dans plusieurs Pays – pensons à la France, à l’Allemagne ou à l’Italie<br />

– le trait distinctif est l’instabilité interne et cela rend encore plus difficile le<br />

débat européen. Cela comporte une série de risques : le pire est celui que,<br />

malgré tous les efforts faits, se forme une agacement vers le processus d’intégration<br />

européenne et par conséquent l’original dessin d’intégration puisse se<br />

bloquer et commencer à se cliver et que les Etats nationaux, affaiblis en haut<br />

par l’Union européenne et en bas par la vague régionaliste, relèvent la tête.<br />

Par contre il n’existe pas d’alternatives à ces deux forces apparemment en<br />

opposition et en réalité fortement complémentaires : l’unité dans la diversité.<br />

Les Régions sont comme les veines qui portent partout le sang dans un organisme<br />

et dessinent une nouvelle carte géographique de l’Europe, à condition<br />

qu’entre temps l’Europe ne perde pas la boussole d’un entendre commun.<br />

Les Etats – et l’Italie en est un exemple admirable – gardent bien fort,<br />

dans leur ADN, le concept de frontière. Dans les passages entre les Pays<br />

membres, les douaniers et les contrôles de police disparaissent mais ces frontières<br />

restent dans la tête et dans les comportements. <strong>Il</strong> s’agit d’une une sorte<br />

de vice invétéré, d’une réaction automatique, d’un préjugé dur à mourir.<br />

Prenez les rapports et les études des différents Ministères en Italie : c’est<br />

épouvantable de constater que jamais, même par erreur, on se réfère à un<br />

centimètre au-delà de la frontière de l’Etat. Le territoire d’un Pays semble<br />

terminer tout à coup dans un abîme sans tenir compte d’une dimension plus<br />

ample. Une carte géographique puérilement découpée avec les ciseaux en<br />

évidente contradiction avec l’intégration européenne, mais cela ne frappe pas<br />

parce qu’une vision nationaliste souvent défie le bon sens.<br />

La même chose vaut pour l’attitude dans les réunions officielles, où le<br />

protocole – je le vois, par exemple, dans les conférences intergouvernementales<br />

du Tunnel du Mont Blanc – n’est pas dissemblable de celui du dixneuvième<br />

siècle et il y a les délégations officielles avec les petits drapeaux<br />

et les règles du savoir-vivre désormais moisis. A la limite de la farce, il y a la<br />

87


igidité nationaliste de la Convention alpine, où les fonctionnaires ministériaux<br />

dissertent sur le futur des Alpes qu’ils n’habitent pas et que parfois ils<br />

ne connaissent même pas. Absents, parce que les représentants des Régions<br />

alpines ne sont jamais prévus : des objets mais pas des sujets !<br />

Ainsi, en contrastant ces mentalités anachroniques, nous sommes les<br />

vrais et naturels transfrontaliers, populations nées et vécues aux frontières,<br />

portées à réfléchir en pensant aux confins comme un élément artificiel et aux<br />

territoires voisins comme un achèvement et non comme un espace adverse.<br />

Les problèmes, les idées, les échanges, les personnes, les langues brisent<br />

les vieilles cartes géographiques et les attitudes passéistes. Les Régions sont<br />

le niveau de Gouvernement qui incarne naturellement l’esprit en faveur de<br />

l’Europe, si loin dans la vision conservatrice et un peu hébétée des Capitales<br />

des Etats. La langue française, dans notre espace géographique, est une très<br />

grande valeur adjointe qui unit et cimente le dialogue. Pour nous, il s’agit<br />

heureusement d’un acquis, mais il ne l’est pas du tout, et maintenir cette<br />

spécificité nous ouvre à la confrontation.<br />

Tant qu’on plaisante, tout va bien, mais ça suffit. Cette histoire des valdôtains<br />

privilégiés m’a vraiment irrité et j’invite tout le monde à ne pas sousestimer<br />

les conséquences. <strong>Il</strong> s’agit d’une petite brise qui se transforme en<br />

vent et souvent en tempête. Généralement on commence de loin avec un<br />

seul mot qui est déjà une condamnation : riches. Comme si le bien-être était<br />

quelque chose dont on doit avoir honte, et comme si les Valdôtains étaient<br />

des oies aux pattes clouées, gavées par la généreuse Italie. Ensuite, on passe<br />

aux coups bas : privilégiés. En méprisant – voici le raisonnement – chaque<br />

concept d’égalité, suite aux favorables et inconvenants événements de l’histoire,<br />

les Valdôtains ont gagné à la loterie et ils obtiennent de l’argent de la<br />

part de Rome comme des scheiks de Bagdad.<br />

Après avoir construit ce cadre, qui est un mélange entre des calculs statistiques,<br />

des envies moisies et une dose importante d’indifférentisme, se<br />

lève, par conséquent, l’exigence réparatrice. Ça suffit avec ces privilèges !<br />

<strong>Il</strong> faut trouver un remède à une ancienne erreur et priver les valdôtains de<br />

ces richesses, ces avantages, ces gratifications. Ceux qui sont plus idéologiques<br />

précisent : une importante diminution aux transferts financiers permettra<br />

de couper la tête au serpent ! C’est-à-dire au système unioniste dans sa<br />

complexité. Pour mieux comprendre : il est préférable d’avoir une autonomie<br />

pauvre et sans moyens, parce que cela permettra une sorte de catharsis. Finalement<br />

une sorte de repentir collectif et de contrainte salutaire.<br />

Certains raisonnements indignent et montrent le vrai visage de nombreux<br />

adversaires que l’autonomie spéciale continue à avoir. Certains semblent les<br />

88


kamikazes des Tours Jumelles, prêts à s’écraser avec leur avion sur les valeurs<br />

de l’autonomie – en premier l’autonomie financière – afin de voir s’écrouler<br />

les conquêtes de l’autonomie. Un jeu au massacre qui étonne et indigne, et<br />

auquel il faut réagir, en se rappelant les droits et les devoirs de notre autonomie.<br />

Un ensemble de règles juridiques et de valeurs qui ne sont ni des caprices<br />

ni des étrangetés. <strong>Il</strong> ne faut jamais accepter la diffusion des bavardages<br />

anti-valdôtains, de la parole qui devient une vérité absolue. Répondre coup<br />

sur coup, dans un bar comme dans les institutions, est une obligation pour<br />

nous tous. <strong>Il</strong> en est de notre crédibilité.<br />

septembre<br />

<strong>Il</strong> est sage de se rappeler que personne n’est propriétaire de la Vallée d’Aoste.<br />

Nous sommes tous de passage comme nous sommes dépositaires, pendant<br />

une certaine période, de notre territoire et de notre culture. La constatation<br />

est banale et elle est liée à la logique qu’on pourra définir de la chaîne.<br />

Génération après génération, chacun d’entre-nous n’est qu’un anneau de la<br />

chaîne qui unit le passé et le futur. Et cela arrive, malheureusement, dans<br />

un horizon temporel limité. C’est notre vie, suspendue entre ce qui s’est<br />

passé avant et penchée vers ce qui viendra. S’il n’en était pas ainsi, il serait<br />

assez triste vu la brévité de notre existence, alors que nous avons une solide<br />

responsabilité, dont nous sommes dignes, vis-à-vis de nos ancêtres et des<br />

gens qui viendront, en commençant par nos enfants et nos petits-enfants. La<br />

forme la plus solide de reconnaissance est de laisser de bonnes conditions et<br />

d’améliorer ce que nous avons trouvé.<br />

Certes, au cours du long parcours millénaire de l’histoire valdôtaine, il y<br />

a eu des moments meilleurs et d’autres pires, des périodes où tout se passait<br />

bien et d’autres assez difficiles, des jours tristes et d’autres joyeux, des phases<br />

innovantes et d’autres consevatrices. Chacun, à son tour, hérite et laisse<br />

quelque chose, en caractérisant ainsi sa propre présence. Laisser une trace,<br />

même infinitésimale, est une juste ambition.<br />

Cela s’applique aussi à notre Mouvement politique, composé de personnes,<br />

de dirigeants et de militants simples, et né grâce à l’humus, voisin et<br />

éloigné en même temps, de l’identité autonomiste et libertaire de notre peuple.<br />

En 194 , il y avait ceux qui étaient déjà vieux et ceux qui, à l’époque<br />

très jeune, sont encore aujourd’hui un témoignage de ces événements. <strong>Il</strong> y a<br />

89


ceux qui ont adhéré à l’acte de fondation et puis ils ont quitté le Mouvement.<br />

<strong>Il</strong> y a ceux qui ont choisi à droite, le Rassemblement Valdôtain et à gauche,<br />

l’Union Valdôtaine Progressiste, différents parcours qui sont devenus de nouveau<br />

coïncidents à partir de la fin des années Soixante-dix. <strong>Il</strong> y a enfin ceux<br />

qui ont été toujours inscrits fidèlement au Mouvement et ceux qui ne l’ont<br />

jamais fait, mais ils ont toujours voté en faveur, en permettant l’affirmation<br />

de nos idées.<br />

Pour cela, je ne comprends pas ceux qui laissent l’Uv, souvent après avoir<br />

eu, grâce à ce Mouvement, des reconnaissances et des charges. Briser une<br />

chaîne générationnelle, en chevauchant la logique destructive, est grave et<br />

ceux qui le font, se trompent. L’alternative reste le dialogue.<br />

Les protagonistes de la Résistance en Vallée d’Aoste nous laissent l’un<br />

après l’autre. Doucement mais inexorablement ces gens, désormais des<br />

grands vieux, laissent la scène et nous privent des leurs si précieux témoignages<br />

directs. J’espère qu’il existe vraiment un Paradis où plusieurs amis<br />

puissent se retrouver.<br />

Ici je rends hommage et j’honore la mémoire du cher Comandant Loris,<br />

mon oncle Ulrico Masini, partisan combattant de Justice et Liberté et l’un<br />

des premiers unionistes. S’inscrire dans la section unioniste de Donnas en<br />

1946 était un choix courageux, mais un partisan comme lui – homme fort e<br />

méprisant du danger – était un valdôtain fier de son peuple et de sa terre et le<br />

choix unioniste rentrait dans ce sillon ( son jugement, même très récemment,<br />

vers ceux qui laissaient le Mouvement, était dur et sans appel ! ).<br />

Ses récits relatifs à la Résistance, limpides et sans censures, m’ont formé<br />

profondément. Sa Résistance n’était pas un récit de carte postale illustrée. <strong>Il</strong><br />

s’agissait d’aventures pétries de peur, de souffrance, de douleur. Les partisans<br />

n’étaient ni des icônes ni des images : il y avait les bons et les méchants, la<br />

guerre entre les bandes était une triste réalité et il fallait malheureusement<br />

tuer l’adversaire nazi ou fasciste : mors sua vita mea. L’espoir d’une Vallée<br />

d’Aoste plus libre, celui du cher Commandant Loris, n’était pas partagé par<br />

tout le monde. Au contraire, il rappelait comme la trahison d’Emile Chanoux<br />

s’était produite de la part de ceux qui craignaient sa primatie déterminée et<br />

son assassinat dériva aussi du le désir de se libérer d’un homme excessivement<br />

charismatique pour les valdôtains.<br />

Ces hommes ne doivent pas être oubliés. <strong>Il</strong>s n’ont jamais dû cacher leurs<br />

idées. Maintenant qu’on découvre – c’était une polémique estivale – que l’écrivain<br />

allemand Günter Grass, maître à penser de la gauche, s’était enrôlé dans<br />

le Waffen-SS, en le cachant pendant 60 ans, il est nécessaire que certains<br />

thèmes soient tenus en considération. Bien sûr, se tromper de front n’était pas<br />

impossible : je me rappelle la souffrance avec laquelle Jean Pezzoli, qui dans<br />

90


l’après-guerre a beaucoup fait pour notre culture, se souvenait de son choix<br />

juvénile d’adhésion à la République sociale. Mais il ne l’avait jamais caché.<br />

Donc, les 60 années passées ne signifient pas du tout oublier. Nombre de<br />

protagonistes des vicissitudes successives au 8 septembre 1943, pendant les<br />

années précédentes, s’étaient penchés en faveur du fascisme, peut-être pour<br />

faire carrière académique dans l’Université ou pour bien paraître aux yeux du<br />

régime fasciste. Le fait de les rappeler est positif : ce sont des parcours de vie<br />

ou de conversation diplomatique utiles à comprendre. Mais cela valorise, à<br />

plus forte raison, les premiers antifascistes, ceux qui – avec leur choix – ont<br />

permis aux antifascistes successifs de pouvoir compter sur quelques espaces<br />

de comparaison et de ne pas se trouver dans un vide d’idées.<br />

Aujourd’hui, beaucoup de démocrates, qui probablement se moquent de<br />

ceux qui utilisent comme moi l’histoire familiale, peut-être, ne peuvent pas<br />

faire la même chose, parce que pendant ces derniers vingt ans les choix de<br />

certains parents ont été une évidente compromission avec le régime fasciste.<br />

Personne ne répond du passé, pour la charité, le bon goût inviterait à être<br />

prudent en montrant une fièvre démocratique et en étant les paladins inoxydables<br />

de l’étique politique, comme si rien n’était arrivé.<br />

Dans nos raisonnements, le passé, le présent et l’avenir s’entremêlent<br />

autour des 60 ans d’autonomie.<br />

Et nous ne sommes pas les seuls dans ce cas : au début de la semaine<br />

dernière, j’étais à Trente, et là-bas tout comme chez nous, l’on discute des<br />

événements qui sont nés de cette période de grands bouleversements qu’a<br />

connu le pays, entre la Libération et l’adoption par la Constituante des Statuts<br />

d’autonomie.<br />

Là-bas – tout comme nous le faisons – les gens du Tyrol du Sud, les<br />

Autrichiens, les Italiens de Bolzano et ceux du Trentin qui ont plus ou moins<br />

de sympathie pour De Gasperi posent sur ces événements un regard différent,<br />

qui varie en fonction du point de vue de chacun, de ses idées, de ses<br />

convictions et de ses préjudices et bien sûr de son idéologie.<br />

Mais que dire du passé ?<br />

D’abord qu’avec des « si » on n’aboutit pas à grand chose. Si le décret du<br />

Lieutenant du Royaume avait fait l’objet d’un débat avec la communauté valdôtaine,<br />

l’Union Valdôtaine n’aurait jamais vu le jour. Si mon oncle Séverin<br />

avait été le premier président de la Région… ou si, au contraire, Frédéric<br />

Chabod était resté à la Présidence…<br />

Si, à la conférence de paix de Paris, De Gasperi avait dit « Concluons un<br />

accord De Gasperi-De Gaulle pour donner à la Vallée d’Aoste une garantie<br />

internationale »…<br />

91


Et d’autres « si » encore : si Chanoux n’avait pas été assassiné, si un plébiscite<br />

avait été organisé… Et j’en passe…<br />

Mais ce ne sont là que des exercices de style, des simulations.<br />

Par ailleurs, nous devons aussi considérer que le décret du Lieutenant<br />

du Royaume n’occupe plus aujourd’hui la même place qu’autrefois dans<br />

l’histoire. Ce n’est plus un fait isolé dans le contexte de l’après-guerre parce<br />

qu’aujourd’hui, nous connaissons les contenus du Statut, nous savons quelles<br />

modifications ont été apportées, quelles dispositions ont été appliquées et<br />

quelles autres ont demeurées lettre morte.<br />

Nous savons que notre Statut et ses dispositions d’application – dont différentes<br />

délégations de pouvoir ont étendu la portée à des matières qui ne<br />

figuraient pas dans le document initial – ainsi que le décret du Lieutenant du<br />

Royaume et les autres décrets pris avant l’adoption de ce texte constituent ce<br />

que le nouvel article 48-bis appelle « l’ordre juridique de la Vallée d’Aoste ».<br />

Cet ordre juridique, qui a déjà changé de nature et de substance, continue<br />

d’évoluer, chose logique pour une autonomie « dynamique » : il suit les<br />

changements qui affectent les institutions et la politique de Rome ( il semble<br />

qu’aujourd’hui, par exemple, la mode du fédéralisme doit être suivie d’une<br />

nouvelle phase centralisatrice ) mais doit également tenir compte du processus<br />

d’intégration européenne, avec tout ce que ce dernier peut comporter en<br />

termes de superposition de compétences et d’opportunités.<br />

La tâche de comprendre le passé reste, aussi pour remarquer les torts<br />

subis par les Valdôtains sur lesquels il n’existe ni l’oubli ni l’armistice. Le<br />

régime fédéraliste s’évapora en 194 dans l’actuelle autonomie et cela explique<br />

les jugements sur la faiblesse du décret du Lieutenant du Royaume<br />

mouillé par le travail des ennemis de la Vallée avec les bien connues complicités<br />

locales. L’UV naquit comme réaction et pour organiser politiquement<br />

le malaise. Les Valdôtains, privés de plus d’une garantie internationale, se<br />

trouvèrent seuls face à une Italie en rien désireuse de donner un caractère<br />

concret à notre autonomie ( pensons à la zone franche ! ). Pour cela, au nom<br />

de la dignité, nous devons travailler sur le nouveau Statut, reprendre la voie<br />

d’une autonomie qui change dans le scénario italien, européen et mondial.<br />

Chaque génération a sa bataille, dans le sillon des règles démocratiques, au<br />

nom et pour notre Pays.<br />

J’espère sincèrement que la Fête de la Vallée d’Aoste puisse, dans le<br />

temps, devenir une tradition et il faut un effort personnel de la part de chacun<br />

pour que cela se réalise.<br />

J’en serais fier parce que je trouve que, dans la loi régionale sur les signes<br />

distinctifs, cette nouveauté est la plus importante, bien sûr, à condition d’en<br />

savoir apprécier la logique d’unité, au-delà – pour un moment, au moins ! –<br />

92


des divisions. Dans cette phase historique, ce n’est pas ma tâche d’expliquer<br />

à quel point on en ressent le besoin, comme une sorte d’antidote à certains<br />

poisons assez dangereux pour notre destin collectif. Découvrir ce qu’unit,<br />

est beaucoup plus salutaire que passer le temps à chercher des occasions de<br />

conflit interne, qui souvent résultent inutiles et captieuses.<br />

Depuis plusieurs années, je pensais à cette nécessité d’agrégation : une<br />

date pour exprimer – entre le caractère officiel avec son protocole et la participation<br />

populaire avec sa spontanéité – les valeurs dont la Vallée d’Aoste<br />

est le messager. Le 7 septembre, jour de Saint-Grat ( Patron de la Vallée ),<br />

journée pendant laquelle se tenaient les audiences générales des Savoie dans<br />

le Duché d’Aoste et date du Décret du Lieutenant du Royaume de 194<br />

( dont naquit, pour réaction, l’Union Valdôtaine ! ), a été la date choisie pour<br />

l’ensemble des moments culturels, commémoratifs, ludiques qui rythmeront<br />

cette journée, mais aussi les précédentes et les successives.<br />

Certes, l’occasion est utile aussi pour réfléchir sur comment chacun peut<br />

librement interpréter cette nouvelle fête. Personnellement, j’estime que la<br />

diction Fête nationale est parfaite. Je comprends comment les sensibilités<br />

soient différentes. Institutionnellement la Vallée est une Région autonome<br />

fondée par des normes constitutionnelles valides en Italie et en Europe. Cette<br />

légitimité juridique n’éteint pas, à mon avis, dans une logique fédéraliste,<br />

le sens de nation que les Valdôtains expriment comme peuple et comme<br />

communauté politique.<br />

En Europe, j’appartenais à un intergroupe au Parlement européen appelé<br />

Nations sans Etat avec les Ecossais, les Gallois, les Catalans, les Galiciens,<br />

les Basques... <strong>Il</strong> y avait dans la définition, pour ma façon d’être, une certaine<br />

ambiguïté. Aussi bien le terme Nation, que le mot plus neutre Patrie –prononcés<br />

aujourd’hui et nettoyés de l’usage fait par les totalitarismes n’ont rien<br />

de subversif.<br />

Le terme Etat est plus difficile à utiliser pour un fédéraliste qui voit dans<br />

l’Etat ce Moloch naturellement centraliste et allergique à chaque diversité et<br />

à chaque différente revendication identitaire.<br />

Mais ce qui compte vraiment, c’est que chacun, fort de ses convictions,<br />

puisse s’y reconnaître : du léger régionaliste au convaincu, de l’autonomiste<br />

militant au fédéraliste dur et pur, des Chevaliers de l’Autonomie aux Amis<br />

du Val d’Aoste ( les deux nouvelles décorations régionales pour les citoyens<br />

valdôtains et pour les citoyens valdôtains honoraires ). La voie de l’autodétermination,<br />

qui est longue et tortueuse, désormais solidement ancrée à une<br />

vision panaeuropéenne qui évite le germe du micro-nationalisme et de la<br />

balkanisation, passe avant tout par la pleine conscience de soi, d’un peuple<br />

dans le respect des propres droits et des règles démocratiques. Ainsi la Fête<br />

doit être une occasion…de fête, mais avec le cœur et avec la tête, en sachant<br />

qu’il s’agit d’une occasion de plus pour apprécier les racines qui, du passé,<br />

nous ancrent solidement à la contemporanéité.<br />

93


94<br />

août<br />

La naissance d’un nouveau parti, qui s’est baptisé Renouveau Valdôtain,<br />

arrive à la fin d’une série de parcours politiques bien différents de ses principaux<br />

représentants, qui avaient eu des postes de responsabilité, surtout dans<br />

le passé, dans l’Union Valdôtaine. Certains, à vrai dire, n’étaient déjà plus<br />

inscrits depuis longtemps et ils attendaient la bonne occasion pour former<br />

une groupe : ils l’ont trouvée, en regroupant les amis, la famille, les sympathisants.<br />

La politique ressemble à une drogue et certains ne peuvent vraiment<br />

pas s’en passer...<br />

Je crois qu’on doit respecter les choix de chaque personne. La comparaison<br />

doit être toujours fondée sur les idées et sur les projets; les conflits<br />

personnels sont peu de chose, et ceux qui misent tout sur le côté personnel,<br />

sont destinés à ne pas aller loin. La logique ami-ennemi dans l’UV tend à exacerber<br />

les esprits et elle ne sert à rien, sinon à jeter de l’essence sur le feu ; et<br />

plus le temps passe et plus je trouve que pour le bien de la Vallée il faut isoler<br />

les incendiaires ( et aussi les empoisonnés de leurs malchances personnelles )<br />

et valoriser les pompiers !<br />

Ce dit, il ne faut pas cacher la réalité d’un choix très grave. Voilée de<br />

nobles idéaux, une rupture s’est consommée et cette fracture n’a entraîné<br />

rien de bon, il suffit de jouer sur l’équivoque « nous sommes les vrais unionistes<br />

» ou bien « je reste quand même un unioniste ». Ce sont des expressions<br />

malheureuses que j’ai entendues de mes propres oreilles, et qui créent de la<br />

confusion et personnellement elles m’énervent parce qu’elles montrent une<br />

profonde mauvaise fois. Personne n’est dépositaire des valeurs unionistes,<br />

seulement l’Union valdôtaine peut l’être, l’Union valdôtaine entendue comme<br />

Mouvement politique, opportunément réglée par de perfectibles règles<br />

démocratiques internes. Cette tentative de distinguer les « bons » ( eux ) et les<br />

« méchants » ( nous ) me paraît sincèrement pathétique. <strong>Il</strong> s’agit d’un jouet au<br />

massacre qui ne mène nulle part et qui m’indigne.<br />

Le peuple valdôtain doit réagir à la graine de la discorde. <strong>Il</strong> y a quelque<br />

chose d’affreux et de grossier dans le désir, souvent de vengeance, de frustrations<br />

personnelles, de jouer contre, une force autodestructrice aveugle et<br />

porteuse de ruine outre que de mise en discussion des principes qui fondent<br />

l’autonomie.<br />

Certains sorciers ou apprentis sorciers peuvent déclencher des processus<br />

d’opposition très graves en commençant ainsi une sanglante guerre au le<br />

cœur de notre communauté et nous le verrons bientôt dans plusieurs com-


munes. A en profiter, comme il s’est déjà produit, nos ennemis de toujours,<br />

émus depuis la naissance de Renouveau, utile cheval de Troie dans la citadelle<br />

de l’autonomie. Je le répète : parmi les enthousiastes du présent se cachent<br />

quelques-uns de nos ennemis depuis toujours ! <strong>Il</strong> faut le dire clair et fort.<br />

Dans ce climat, on avertit une haine et une âpreté personnelle qui finissent<br />

par éteindre toute lumière de dialogue dans une rancune forte et<br />

bruyante, qui a des traits d’irrationalité. Les valeurs morales, dans une logique<br />

de vengeance, s’élèvent à une grotesque représentation de contrepouvoir.<br />

C’est ridicule pour ceux qui ont vécu un certain pouvoir et l’ont créé personnellement,<br />

et certaines tortuosités qui se sont vérifiées dans le temps, ont<br />

une évidente paternité.<br />

On aurait envie de demander une trêve, mais je crains qu’une proposition<br />

de ce genre subirait la raillerie ou serait prise pour de la peur. Le hache-viande<br />

dans la politique a un effet destructeur et il faut s’arrêter avant qu’il ne soit<br />

trop tard et de toute façon il faut être prêt à défendre notre Mouvement.<br />

On discute avec un grand enthousiasme des avantages de la concurrence.<br />

D’abord je voudrais dire, pour éviter tout malentendu, que les principes de<br />

la concurrence sont sacro-saints et qu’une économie de marché est un bien<br />

inestimable. Mon expérience à Bruxelles – je pense au complexe système des<br />

transports – a été éclairante et aucune Région européenne ne peut penser,<br />

mais elle ne pourrait pas le faire, de se comporter en contre tendance et surtout<br />

en violant les préceptes de l’Union européenne.<br />

Le décret Bersani ( dérivant du nom du Ministre proposant ) fait une apologie<br />

de la concurrence et ensuite il grave un principe : celle-ci est une matière<br />

exclusive de l’État. Alors que dans l’ancienne Constitution on ne parlait<br />

pas de cette matière, aujourd’hui on le fait avec la réforme du Titolo V de<br />

2001 qui attribue une exclusivité à l’État quant à évaluer avec le bon sens son<br />

application et pas comme on est en train de faire maintenant.<br />

J’espère qu’il n’y aura pas de conséquences. <strong>Il</strong> s’était déjà produit avec<br />

le « pacte de stabilité », c’est-à-dire l’ensemble des règles européennes qui<br />

aident les États membres à réabsorber leur dette publique, devenu le cheval<br />

de Troie pour Rome afin d’envahir les autonomies régionales avec le prétexte<br />

des comptes publics. Maintenant il se produit avec la concurrence : les<br />

professions libérales, taxistes, commerce, boulangers, pharmacies, sociétés<br />

d’économie mixte. Certains choix que les Régions ont faits légitimement avec<br />

de propres lois régionales, sont annulés par l’emploi immédiat et jamais établi<br />

de la guillotine du décret-loi au nom de et pour le compte du nouveau tabou<br />

en clé antirégionaliste : la concurrence.<br />

C’est inutile dire que déjà aujourd’hui, dans le respect des Traités euro-<br />

9


péens, nous sommes obligés à nous assujettir aux règles de la concurrence<br />

et non seulement nous le faisons chaque jour, mais nous dialoguons de cette<br />

façon avec les autorités européennes sans avoir besoin de la sauvegarde de<br />

l’État. Que le Gouvernement national pense à ses systématiques violations<br />

de la concurrence, comme on le voit dans de nombreuses actions contre<br />

l’Italie de la part de la Commission européenne et des sentences émises par<br />

la Cour européenne. Pensons aux macroscopiques situations de monopole<br />

encore présentes en Italie dans le secteur des télécommunications, du gaz,<br />

de la télévision et à la bataille pour les licences des taxis…Ça fait vraiment<br />

sourire.<br />

Le centralisme d’état, qui souvent se cache astucieusement sous d’autres<br />

vêtements, a vraiment une grande capacité mimétique. Aujourd’hui, lorsque<br />

la main droite est pleine d’attestations ronflantes sur le fédéralisme et le<br />

régionalisme, la main gauche signe des mesures qui annulent les pouvoirs<br />

régionaux, en démontrant que la façade ne correspond pas à la substance.<br />

La prochaine Loi des Finances de l’État, dont on a déjà de vagues anticipations<br />

qui préoccupent, probablement portera des éléments ultérieurs qui<br />

montreront avec clarté notre rôle de défense de l’autonomie et que certaines<br />

divisions internes à la Vallée sont des prétextes. Ceux qui avec obstination et<br />

sans se rendre compte des dangers pour notre autonomie, s’en font les interprètes,<br />

se trompent gravement et ils en répondront face au peuple valdôtain,<br />

parce que le moment de cesser de se taire est arrivé.<br />

96<br />

juillet<br />

Encore récemment, avec l’émanation des premières mesures du Gouvernement<br />

Prodi, je me suis retrouvé – face au Président même et à ses Ministres<br />

– à soutenir les raisons de notre autonomie spéciale.<br />

Je vous assure que je ne perds pas l’occasion de le faire avec engagement<br />

et participation, parce que c’est ce que j’ai appris de ma famille et au cours de<br />

mon expérience politique. C’est l’une des constantes de notre raison d’être.<br />

L’Union Valdôtaine est née en 194 avec ce but : s’opposer à la première<br />

forme d’autonomie, précédant le Statut actuel, considérée trop faible par<br />

rapport aux requêtes des Valdôtains.<br />

Cette action de stimulation, mais aussi de défense des résultats obtenus<br />

malgré leur faiblesse, n’a jamais fait défaut et reste un trait distinctif et particulier<br />

qui nous appartient.


Aujourd’hui, alors que tout le monde proclame des valeurs autonomistes,<br />

il est facile de voir que, lorsqu’on passe des paroles aux actes, notre rôle est<br />

unique et indispensable. <strong>Il</strong> serait intéressant, face à certains enthousiastes<br />

de la dernière heure, de creuser l’histoire de plusieurs philo-autonomistes du<br />

présent mais pas du… passé.<br />

<strong>Il</strong> ne s’agit pas seulement d’être fiers de nos idées et de confirmer notre<br />

action incontournable, mais de nous engager pour combattre les virus qui<br />

risquent d’infecter notre communauté.<br />

Un premier virus est celui du doute de la légitimité même de notre particularisme<br />

et qui est source de certains slogans qui nous voudraient « riches<br />

et privilégiés ».<br />

Un deuxième – de stricte actualité – concerne le choix de diviser : celui<br />

qui décide de quitter l’Union, en l’affaiblissant, a toujours tort.<br />

Un troisième virus est celui de la superficialité de ceux qui, tout en se<br />

professant unionistes, défendent faiblement nos idées.<br />

Le principe d’une militance active, partout où l’activité de chacun de<br />

nous s’exerce, est le seul antidote contre certains poisons. Un activisme qui<br />

nécessite d’une conviction et d’une préparation. Adhérer à l’U.V, ce n’est pas<br />

un choix émotionnel ou du cœur, mais plutôt un choix raisonné et conscient,<br />

qui concerne l’approfondissement de notre histoire et une sincère adhésion<br />

aux principes fédéralistes.<br />

Le sens d’une communauté passe à travers plusieurs éléments du quotidien,<br />

y compris le choix de participer à l’amélioration de notre modèle démocratique.<br />

Si notre régionalisme devenait une sorte de décentralisation atténuée,<br />

alors à la place du drapeau rouge et noir il serait mieux d’arborer un<br />

drapeau blanc.<br />

Lire les événements historiques n’est pas du tout facile. La même chose<br />

peut être interprétée de façon opposée, parce que tout dépend des perspectives<br />

de départ que l’on emploie dans les analyses. Le dialogue est fait par ces<br />

ponts suspendus entre les certitudes de chacun de nous.<br />

C’est le cas de la naissance de l’État d’Israël et de la « question palestinienne<br />

». Ceux qui me connaissent savent que j’ai une grande admiration pour les<br />

Israéliens et pour ce peuple qui a été persécuté jusqu’à la terrible conception<br />

et à la dramatique concrétisation de l’Holocauste de la part du nazisme. Je<br />

peux imaginer qu’est-ce que signifie pour un Juif que de défendre son Pays,<br />

encadré dans une armée populaire et compacte, en ayant dans le cœur mille<br />

années d’un monstre changeant et toujours vif : l’antisémitisme, qui s’est<br />

nourri au cours de siècles de préjugés et de mensonges.<br />

Cela dit, afin d’éviter tout malentendu, comment ne pas penser au destin<br />

97


aussi tragique des Palestiniens, dans les mains aujourd’hui – après un triste<br />

passé de sans terre – d’une élite d’extrémistes islamiques qui prêchent le<br />

suicide comme moyen de rédemption au nom de la foi et d’une place au<br />

Paradis. Une aberration qui nous consterne parce que fictivement basée sur<br />

une religion, alors qu’une religion ne pourrait jamais accepter de s’identifier<br />

avec certaines méchancetés.<br />

Et il ne faut pas oublier que ces lieux – qui sont aujourd’hui le terrain de<br />

batailles sanglantes et de combats mortels, dans le court-circuit des attentats<br />

et des actions punitives – sont pour les catholiques des lieux saints. Là-bas<br />

Jésus est né et a vécu et les écritures que nous lisons dans nos Messes nous<br />

rappellent ces pays, aujourd’hui tourmentés et souffrants, ainsi que les histoires<br />

de ces peuples que nous avons appris à connaître à partir des rudiments<br />

du catéchisme.<br />

<strong>Il</strong> existe dans la diaspora historique des Hébreux et dans celle plus récente<br />

des Palestiniens une dimension tragique pleine de conséquences qui, comme<br />

dans une toile d’araignée d’horreurs, alimentent des haines et des incompréhensions<br />

qui font en sorte que cette guerre locale ait maintenant des conséquences<br />

mondiales. Ce qui s’est produit à New York le 11 septembre 2001 en<br />

est un exemple : à partir de ce jour, la globalisation a montré sa face féroce.<br />

On est amené à penser, la foi étant pleine de clés de lecture qu’il faut se<br />

forcer de percevoir, que derrière ce conflit – dans un territoire qui est saint à<br />

la fois pour les Juifs, les Musulmans et les Chrétiens – se cache un ensemble<br />

d’événements dont nous devons saisir l’exacte portée. Une sorte de métaphore<br />

du monde actuel, de scénario infernal dont la profondeur doit être perçue<br />

comme un avertissement, un cri, une alarme adressée à notre appartenance<br />

à la même humanité.<br />

Autrement le Christ en croix, symbole profond pour ceux qui ont la foi,<br />

mais également pour ceux qui en lisent seulement le drame humain, n’est<br />

servi à rien face aux risques terribles d’horreurs enchaînées, qui semblent se<br />

multiplier au fil des années et semblent hypothéquer lourdement notre futur<br />

et celui de nos enfants.<br />

Le terme le plus utilisé au cours de ces derniers temps à l’intérieur de<br />

notre Mouvement a été « malaise ». Je ne sais pas qui a baptisé ainsi cet ensemble<br />

d’incompréhensions, de querelles, de discussions qui ont entraîné<br />

aussi, parfois, des départs et des abandons. Ce mot magique, « malaise »,<br />

a été utilisé de différentes façons : en bonne ou en mauvaise fois, de façon<br />

ponctuelle ou sans distinction, avec un esprit réconciliateur ou en cherchant<br />

un prétexte pour la rupture.<br />

Et comme il se passe justement avec les mots, chacun a interprété le mot<br />

« malaise » selon sa propre vision des choses, souvent d’un esprit partisan,<br />

98


quelquefois sans avoir une pleine conscience du sens du mot. Par contre les<br />

mots sont des mots, ils paraissent légers et ils s’envolent, mais ils peuvent<br />

être lourds comme des pierres et être écrits à l’encre indélébile. Pour curiosité<br />

personnelle j’ai fait une petite recherche étymologique.<br />

Le dictionnaire de l’Académie française, 8 ème édition ( 1932- ), donne cette<br />

définition : « n. m. Trouble plus ou moins léger de la santé, qui ne peut guère<br />

se localiser avec précision. Ressentir du malaise. Avoir un grand malaise.<br />

Éprouver un malaise passager. <strong>Il</strong> signifie figurément sorte d’inquiétude ou<br />

de gêne résultant de causes obscures. <strong>Il</strong> y a un malaise général dans le pays.<br />

Cette famille vit dans un perpétuel malaise. ».<br />

Déjà cette brève description démontre au moins une dualité dans le mot<br />

en question, mais les citations littéraires nous confortent sur son utilisation<br />

prudente. La première : « Croyez-vous que cette soif de bien-être soit un signe<br />

des temps ? Les hommes n’ont eu à aucune époque l’appétit du malaise.<br />

<strong>Il</strong>s ont toujours cherché à améliorer leur état » ( A. FRANCE, Le crime de<br />

Sylvestre Bonnard, 1881 ). La suivante : « Gilliatt ( ... ) se mit à escalader la<br />

petite Douvre. À mesure qu’il montait, l’ascension était plus rude. <strong>Il</strong> avait négligé<br />

d’ôter ses souliers, ce qui augmentait le malaise de la montée. <strong>Il</strong> ne parvint<br />

pas sans peine à la pointe » ( HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866 ).<br />

Et encore : « Tandis que je lisais ( ... ), une brusque somnolence. Je regagne<br />

mon lit pour m’y étendre un instant, et, sitôt couché, des vertiges violents ;<br />

sueurs froides et nausées. Bientôt après, crise de vomissements. Le malaise<br />

a duré jusqu’à la nuit. » ( GIDE, Retour du Tchad, 1928 ).<br />

Mais les significations assument parfois d’autres nuances : « Les intoxications<br />

servent aussi à rassurer le malade, qui apprend avec joie que sa paralysie<br />

n’est qu’un malaise toxique » ( PROUST, Sodome et Gomorrhe, 1922, ).<br />

Très intéressant aussi : « Ce soir, on reste ensemble : Claire est souffrante.<br />

Pas gravement, je l’espère ? Non, malaise d’humeur plutôt que de santé »<br />

( ESTAUNIÉ, L’Ascension de M. Baslèvre, 1919 ).<br />

Encore un exemple : « La misère recommence toujours, on reste enfermé<br />

là-dedans... ( ... ). Un silence se faisait, tous soufflaient un instant, dans le<br />

malaise vague de cet horizon fermé » ( ZOLA, Germinal, 188 ).<br />

Et voilà, enfin, la politique avec deux suggestions : « état de trouble dans<br />

le corps social, un malaise d’opinion » ( J. DE MAISTRE, Considérations sur<br />

la France 1796 ) ; « Quand la France aborda la guerre, un lourd malaise social<br />

tenait son peuple divisé » ( DE GAULLE, Mémoires de guerre, 19 9 ).<br />

Tout cela démontre que le terme peut être utilisé en tenant compte de la<br />

variété des cas proposés par les exemples littéraires.<br />

Ou bien, par contre, que le mot n’est pas du tout approprié s’il s’agit<br />

d’une façon pour masquer la substance, qui n’est pas faite de sensations plus<br />

ou moins agréables ou douloureuses, mais de règles partagées pour susciter<br />

l’adhésion volontaire au même projet politique à travers la participation au<br />

mouvement politique même.<br />

99


Voilà déjà vingt ans depuis lieu la première visite de Jean-Paul II en Vallée<br />

d’Aoste, en septembre 1986. Je me souviens comme si c’était hier de cet<br />

après-midi ensoleillé sur la place Chanoux, avec ses chaudes couleurs de<br />

fin d’été. L’estrade avait été installée face à un hôtel de ville étincelant, à<br />

peine repeint pour l’occasion. La place, qui n’avait jamais été aussi noire de<br />

monde, était ordonnée et frémissante et l’arrivée, par l’avenue du Conseil des<br />

commis, du souverain pontife dans sa voiture découverte ( son hélicoptère<br />

avait atterri sur le terrain du stade Puchoz ) fut saluée par une explosion de<br />

joie. La tension ambiante se transforma en pure allégresse quand le Pape, en<br />

grand orateur qu’il était, sortit de son rôle officiel pour laisser libre cours à sa<br />

sympathie et à sa chaleur humaine.<br />

Personne, à la fin de cette journée et des jours qui suivirent, même pas<br />

l’auteur de ces lignes qui fut le chroniqueur de ces événements pour la télévision<br />

( défi personnel auquel je m’étais préparé scrupuleusement ) ne pouvait<br />

imaginer le coup de foudre qui venait de se produire : ce pape polonais était,<br />

si l’on peut dire, tombé amoureux de notre Vallée, de ses montagnes, de la<br />

gentillesse et de la discrétion des Valdôtains et allait décider d’en faire le lieu<br />

privilégié de ses futures vacances en montagne.<br />

Une longue amitié, appelée à durer, qui a permis à notre communauté<br />

d’observer le Saint-Père et de participer à sa vie une année après l’autre. Cette<br />

période a aussi coïncidé avec le long chemin de croix du déclin physique<br />

d’un pontife très éprouvé par la maladie, dont les premiers séjours furent de<br />

vraies vacances sportives sur nos sentiers de montagne tandis que ses dernières<br />

visites furent marquées par la contemplation résignée de nos sommets,<br />

alors qu’il était immobilisé sur son fauteuil roulant.<br />

Un destin de souffrance, que j’ai pu observer personnellement chez cet<br />

homme extraordinaire qui sera sanctifié dans quelques années, en raison notamment<br />

de la force de volonté dont il a fait preuve lorsque son esprit intact<br />

se trouvait renfermé dans un corps qui ne répondait plus à ses ordres et dont<br />

il s’efforçait de ne pas être le prisonnier. Vous vous souvenez sans doute,<br />

quand, à quelques heures de sa mort, le pape tenta en vain de s’adresser à la<br />

foule réunie sur la place Saint-Pierre de Rome depuis la fenêtre de son appartement.<br />

Je crois que cette impossibilité de communiquer a été à la base de<br />

sa décision de refuser toute forme d’acharnement thérapeutique susceptible<br />

de prolonger artificiellement sa vie.<br />

Le vingtième anniversaire de cette amitié correspond au deuxième séjour<br />

de Benoît XVI en Vallée d’Aoste, coïncidence qui me semble extraordinaire,<br />

je vous l’avoue.<br />

En effet, alors que l’an dernier le nouveau pape allemand avait suivi le<br />

programme de vacances prévu pour son prédécesseur, cette année, c’est luimême<br />

qui a décidé de revenir chez nous. Je craignais que la concurrence<br />

– en particulier celle des Dolomites et de la zone germanophone alpine, bien<br />

connue du Saint-Père bien avant son accession au trône pontifical – prive<br />

100


Les Combes de la visite du Pape en 2006. <strong>Il</strong> n’en pas été ainsi. Aujourd’hui<br />

nous engageons toute notre énergie afin que notre hospitalité garantisse au<br />

Saint-Père la tranquillité et la sérénité qui lui permettront de trouver chez<br />

nous le repos désiré. C’est à cette seule condition que ces simples vacances<br />

pourront ouvrir la porte à l’amitié.<br />

Mais dans l’immédiat, j’aurai dans quelques jours l’honneur d’accueillir<br />

le pape pour la deuxième fois : « Quel plaisir de vous revoir chez nous, Saint-<br />

Père ! »<br />

juin<br />

<strong>Il</strong> arrive parfois d’assister à des manifestations publiques sans en connaître<br />

à fond l’organisation et les motivations. C’est ainsi qu’il est arrivé samedi<br />

dernier au Col du Petit-Saint-Bernard. Dans une aimable lettre d’invitation,<br />

l’ami Hervé Gaymard – ancien Ministre et vice-président du Conseil général<br />

– m’invitait à une initiative de la fondation Facim ( Fondation pour l’action<br />

culturelle internationale en montagne ) présidée par lui-même. <strong>Il</strong> s’agissait<br />

de l’inauguration d’une plaque commémorative de la part du ministre de la<br />

Culture et de la Communication, M. Renaud Donnedieu de Vabres, pour<br />

rappeler le général Thomas Alexandre Dumas, qui en 1806, en qualité de<br />

commandant de l’Armée des Alpes, avait conquis le Col du Petit-Saint-Bernard.<br />

Je marque la date sur l’agenda et je décide de monter au Col, en ignorant<br />

que la Ligue savoisienne avait décidé d’organiser une importante contestation<br />

contre la manifestation, en remarquant que les troupes « d’occupation »,<br />

dans l’ancienne Savoie, commandées par Dumas « firent régner la terreur avec<br />

arrestations, confiscations, déportations ». Ainsi j’ai assisté à ce qui a été décrit<br />

par le Dauphiné Libéré de dimanche : « Une Marseillaise couverte par les<br />

huées et les sons des cloches, agitée par des représentants et sympathisants de la<br />

Ligue savoisienne. Un ministre de la Culture obligé de s’époumoner au micro,<br />

pour parvenir à se faire entendre ( presque ) lors de son discours ».<br />

En effet, la cérémonie a été plutôt grotesque avec un Ministre qui a parlé<br />

une quinzaine de minutes face à un groupe d’autorités assez convenables par<br />

le protocole et avec les contestateurs, qui agitaient des sonnailles de vache et<br />

des drapeaux de la Savoie, afin d’empêcher à Donnedieu de Vabres de parler,<br />

mais lui admirable, il a terminé son discours, jusqu’au bout.<br />

Lors de mon retour à la maison, j’ai voulu me créer une opinion. Est-ce<br />

101


que j’avais été inconsciemment complice d’une manifestation nationaliste<br />

contraire à notre histoire et à celle de la Savoie ? Entre temps, j’ai vérifié que<br />

la présence du Ministre sonnait comme compensatoire. En effet, malgré l’explicite<br />

demande d’insérer le nom de Dumas dans le cadre des célébrations<br />

nationales pour la commémoration de l’esclavage ( demandée en particulier,<br />

comme il est bien expliqué dans son blog, par l’écrivain Claude Ribbe ), Donnadieu<br />

de Vabres ne l’avait pas fait. Donc, son intervention au Col du Petit-<br />

Saint-Bernard sonnait comme compensatoire. Mais quel rapport y avait-il<br />

entre Dumas et l’esclavage ?<br />

Voilà donc la possibilité pour moi de découvrir une histoire extraordinaire,<br />

celle justement de Thomas-Alexandre Davy de la Pailleterie, dit Alexandre<br />

Dumas, général, père du romancier, né à Saint-Domingue ( aujourd’hui République<br />

d’Haïti ) et premier général français de couleur, défini par Anatole<br />

France « fils de la négresse » et défini pour son héroïsme de combattant « le<br />

diable noir ».<br />

Je crains que les autonomistes de la Savoie aient sous-estimé la valeur<br />

symbolique de Dumas, au-delà de la bataille du Petit-Saint-Bernard ( définie<br />

par le fils écrivain « terrible, les montagnes semblent un volcan enflammé » ).<br />

Dumas était le symbole de rachète du fils d’une esclave, qui s’appelait « Douma<br />

», qui signifiait « dignité », devenu en français « Dumas ». <strong>Il</strong> était connu<br />

comme « Monsieur de l’Humanité » pour avoir sauvé de la guillotine à Bourg-<br />

Saint-Maurice des villageois qui ne voulaient pas décrocher les cloches de<br />

leur église et pour avoir donné sa démission de commandant de l’armée de<br />

l’Ouest pour dénoncer les crimes contre les Vendéens. Lorsque Napoléon<br />

rétablit l’esclavage et chassa « les nègres et les autres gens de couleurs » de l’armée<br />

il dut abandonner aussi et, selon les biographes, il mourut juste après à<br />

cause de la douleur.<br />

Voilà pourquoi, même si l’histoire ne nous plaît pas et toute position de<br />

désaccord est légitime, je ne regrette pas d’être allé au Petit-Saint-Bernard<br />

pour rappeler le Général Dumas, dans un lieu qui – dans le cadre européen<br />

– ne verra plus de batailles et, au contraire, deviendra toujours plus le symbole<br />

de l’abattage des frontières et d’une Eurorégion autour du Mont Blanc<br />

qui fasse dialoguer in primis les montagnards des vallées intimement liés<br />

entre eux.<br />

écrire est une île. Tu es là, face à une feuille blanche ( et peu change si à<br />

la place d’un stylo à bille on utilise un ordinateur ), et c’est comme si tu te<br />

trouvais magiquement seul avec toi-même et tes pensées. L’île, tu la partages<br />

dans la mesure où l’écrit n’est pas réservé ou il reste personnel. L’écrit a été<br />

une extraordinaire découverte qui a élargi énormément les frontières bien<br />

plus exiguës de l’oralité et de ses méthodes de diffusion. Quant tu te plon-<br />

102


ges dans la lecture d’un livre, tu sembles être dans une dimension parallèle<br />

entièrement construite entre description et capacité d’abstraction et, s’il y a<br />

quelqu’un qui lit, c’est comme s’il te conduisait sur un sentier.<br />

J’aime, de temps en temps, en espérant que cela ne soit pas le signe<br />

de quelque névrose compliquée ou de n’importe quel syndrome, écrire un<br />

mot et discerner à quoi ma mémoire me rapporte. Je pense qu’il s’agit d’un<br />

exercice qui détend et surtout qui évoque un passé souvent lointain, des<br />

souvenirs profonds, parfois apaisés par la quotidienneté. <strong>Il</strong> s’agit peut-être<br />

d’un antidote aux plusieurs poisons, en sachant que la fantaisie fait voler et<br />

adoucit certaines amertumes.<br />

Je voudrais essayer avec les fruits. Par exemple : cerise. Je me vois en<br />

vélo, le long de la Doire entre Arnad et Issogne, avec mes amis d’enfance, à la<br />

recherche de la bonne plante pour ensuite prudemment monter sur les branches,<br />

les plus hautes. Avec « abricot », je suis dans le jardin de mon grandpère<br />

à Castelvecchio d’Imperia et je sens le parfum du fruit mûr qui vient juste<br />

d’être cueilli et le même concept vaut pour la « figue » qui me fait avoir l’eau<br />

à la bouche et aussi « pêche » dont je me souviens l’arbre et la recommandation<br />

: « Fais gaffe, les taches ne partent pas ». « Fraise » et « myrtille » représentent<br />

les bois de Pila et les recherches joyeuses et de groupe, en famille,<br />

de petits fruits savoureux, tandis que la « mûre » sont les buissons ardents de<br />

l’hinterland de la Ligurie et la récolte prudente parmi les épines. « Ananas »<br />

représente le soleil tropical du Brésil et un goût sucré dans la bouche que<br />

je n’ai plus jamais retrouvé et la même chose vaut pour « banane » avec ses<br />

fruits petits et délicieux qui me rappellent l’Île de la Réunion. La « pomme »<br />

me ramène en Vallée d’Aoste et il s’agit de somptueuses renettes cuites de<br />

mon enfance, ainsi que les poires martin sec, du jardin de ma tante Eugénie.<br />

La « mandarine » me rappelle encore ma tante et les repas de Noël avec la<br />

variété des fruits secs, tandis que l’« orange » représente les jus hivernaux<br />

pour les rhumes d’enfance.<br />

L’essayer, c’est l’adopter ! Ça marche avec tous les objets possibles. Ça ne<br />

coûte rien et ça assure des voyages gratuits dans notre passé. Comme viatique,<br />

je suggère certains termes de sûre efficace : encre, naphtaline, sable,<br />

réglisse, cartes à jouer. <strong>Il</strong> y en a à remplir un bon nombre de Calepins !<br />

<strong>Il</strong> y a beaucoup d’attente et une grande curiosité autour du Congrès de<br />

notre Mouvement fixé pour cette fin de semaine. <strong>Il</strong> est tout à fait compréhensible<br />

que cela se produise et, d’autre part, le mauvais résultat des élections<br />

politiques a accentué la nécessité de mettre de l’ordre et de donner un élan<br />

à l’action politique. <strong>Il</strong> y a en jeu, sans jouer à la dramatisation ou à élever excessivement<br />

les tons, la centralité de l’Uv dans les échiquiers de la politique<br />

103


valdôtaine et le destin d’une force politique historique et fondamentale pour<br />

notre Vallée. Je comprends que le moment n’est pas simple, puisque des années<br />

d’incompréhensions, de disputes, de divisions se concentrent en peu de<br />

jours. Et la tentation sera sans doute celle de reprendre le fil des événements,<br />

en signalant les erreurs, les omissions, la stupidité. Un exercice cathartique<br />

sur le fil de l’histoire plus récente qui, en marquant les étapes qui ont porté<br />

au Congrès, pourra devenir salutaire à condition qu’il y ait une volonté préliminaire<br />

de repartir ensemble.<br />

Le célèbre malaise n’est pas une invention. <strong>Il</strong> y a quelqu’un qui, comme<br />

je l’ai fait, l’a signalé et manifesté bien avant que certains paladins s’en fassent<br />

les porte-parole. <strong>Il</strong> n’y a rien à inventer. La discussion, même enflammée<br />

mais jamais poussée jusqu’à la déflagration, sert pour mettre en évidence<br />

aussi bien les points en commun que ceux sur lesquels les visions peuvent<br />

être nombreuses et différentes. La composition de ces différences est l’idem<br />

sentire de la maison commune unioniste, qui – comme toutes les maisons<br />

– a une seule porte tant pour entrer que pour sortir. Aujourd’hui nous devons<br />

réaffirmer qu’il n’y a pas de fils ni de beaux-fils. Nous avons tous les mêmes<br />

droits et les mêmes devoirs dans le jeu démocratique qui nous tient unis.<br />

Revoir certaines règles du Statut devrait vraiment aider à accentuer les éléments<br />

d’unification et à éloigner les poussées de division.<br />

Ceux qui pensent que l’histoire de l’Uv soit épuisée, commettent une<br />

grosse faute. Pour son futur, la Vallée a besoin de notre Mouvement, dont<br />

la croissance est un mérite et pas un malheur. Certes l’augmentation des<br />

consensus nous oblige à un majeur respect des règles de débat et de concertation.<br />

Chaque raccourci peut créer des incompréhensions qui peuvent engendrer<br />

des fractures en se transformant ensuite en gouffre. Le dialogue est<br />

difficile et fatiguant, mais je ne vois pas d’autres solutions. Certes, à la fin de<br />

tout, il y a la reprise du travail et il y a les problèmes à affronter, parce que<br />

celui qui s’arrête est perdu et les vides seraient remplacés par d’autres. Un<br />

petit jouet que quelqu’un, en jouant avec nos divisions pour ses ambitions,<br />

utilise depuis longtemps et c’est à nous de le décevoir.<br />

En Italie, la réforme de la Constitution a été pendant quelques années<br />

un sujet dont on pouvait se vanter. Face à une opinion publique vivement<br />

désintéressée, des groupes de parlementaires – y compris moi-même – se<br />

sont creusés la cervelle autour des modifications de la Constitution. Le climat<br />

constituant, c’est-à-dire cette effervescence mélangée à la considération<br />

du poids des décisions, était déjà absent avec la réforme du centre-gauche<br />

en 2001, et en 200 , avec le gouvernement de centre-droite, le climat s’est<br />

aggravé. Au moins le centre-gauche avait travaillé sur les textes de deux Bicamérales,<br />

tandis que la majorité de Berlusconi s’était accordée dans un chalet<br />

104


de Lorenzago, entre une tranche de polenta et des saucisses grillées.<br />

Déterminés comme on était à la vieille Constitution républicaine, amplement<br />

inappliquée mais enveloppée par une rhétorique douceâtre sur les<br />

« grandes valeurs » de l’associativisme de la Constituante, l’idée d’une modification<br />

n’était pas bizarre. Je me souviens que nous aussi de l’Uv, nous<br />

avions présenté un texte fédéraliste, y compris le principe d’autodétermination,<br />

qui visait à indemniser avec 0 ans de retard les grands vaincus de la<br />

Constituante : les fédéralistes.<br />

Le fédéralisme, négligé et vitupéré, finit par contre pour devenir, dans la<br />

dernière décennie, une grande panacée. Même les plus analphabètes étaient<br />

devenus des fédéralistes et un grand nombre d’apprentis sorciers avait commencé<br />

à s’exhiber dans un fédéralisme à l’italienne qui laissait préoccupés et<br />

perplexes.<br />

Maintenant, avec le référendum qui brisera la dernière réforme, on retournera<br />

pour une large partie au début. J’espère que le débat des prochaines<br />

semaines pourra éviter un risque sérieux qu’on respire déjà dans l’air : que<br />

l’occasion serve aux nationalistes de droite et de gauche pour mettre en scène<br />

une exaltation de l’État contre les Régions et pour affirmer que le fédéralisme<br />

a été une débâcle. Dommage que le fédéralisme réellement contenu dans les<br />

réformes, surtout dans la dernière qui a recyclé le fameux « intérêt national »,<br />

soit servi en dose tellement infinitésimale qu’il empêche à n’importe quel être<br />

pensant, d’invoquer les principes fédéralistes. À une fausse réforme risque<br />

ainsi de s’opposer une vraie contre-réforme que, je souhaite sincèrement,<br />

le Gouvernement Prodi ne voudra pas soutenir. <strong>Il</strong> faudra très peu de temps<br />

pour le comprendre et la première épreuve sera la Loi des Finances 2007.<br />

<strong>Il</strong> est très difficile d’administrer les Régions de nos jours, en tenant compte<br />

en particulier d’une série de règles très convaincantes, en matière de finance<br />

publique, que Rome impose dans les Lois de Finances de l’État. <strong>Il</strong> sera<br />

intéressant de voir si le Gouvernement Prodi retouchera certains principes<br />

caractérisés par une évidente logique anti-régionaliste du précédent Gouvernement<br />

Berlusconi, y comprises la tendance de réduire les pouvoirs et les<br />

compétences des autonomies spéciales.<br />

Mais abordons plus directement la question de l’argent. Pendant plusieurs<br />

années, je dirais les dernières 2 , la juste stabilisation des ressources<br />

financières pour notre Vallée avait créé un flux croissant d’argent pour<br />

alimenter le fonctionnement de notre autonomie. Le grand point d’interrogation<br />

de la diminution, au début des années 90, de l’argent dérivant de la<br />

T.V.A. d’importation des camions à l’autoport, avait été dépassée par le fond<br />

de compensation en vigueur.<br />

Aujourd’hui quelques circonstances changent le cadre. D’un côté, les<br />

10


nombreuses nouvelles compétences acquises par la Vallée ( Santé, Collectivités<br />

locales, Routes, Université, etc. ) ont, avec la dépense historique, rendu<br />

de plus en plus rigide le budget régional. De l’autre côté, la lente et inexorable<br />

introduction des mécanismes de contrôle de la dépense dérivant de l’application<br />

du Pacte de stabilité européen ( souvent une excuse pour envahir<br />

nos compétences ! ) rend difficile la construction du budget régional et ces<br />

mécanismes pourraient créer – si on ne les affaiblit – des effets grotesques,<br />

comme celui de ne pas pouvoir dépenser l’argent dont on dispose. Ajoutons<br />

encore que la répartition fiscale, les lois qui la règlent et les relatives lois d’application<br />

qui ressentent le poids des années ainsi que l’évolution des règles<br />

sur la fiscalité ne sont pas, pour l’instant, favorables.<br />

Ce cadre général, auquel on devrait ajouter en toute honnêteté que les<br />

incertitudes de la difficulté à gouverner pèsent beaucoup, comporte et comportera<br />

des coupures, des choix plus sévères dans l’allocation de l’argent régional<br />

et même des perspectives inférieures d’emploi dans le secteur public,<br />

en augmentation dans le temps. Cet air d’austérité contraste avec l’idée de<br />

finances régionales infinies et de demandes de financement qui croissent de<br />

plus en plus. Donc, en disant non afin de cadrer les comptes et en grevant<br />

avec des réformes qui réduisent la dépense courante, il y a le risque d’apparaître<br />

méchants ou d’être impopulaires. Certes, si les choix dans les coupures<br />

et la distribution de l’argent seront le résultat de débats démocratiques, qu’il<br />

soit clair qu’on ne peut pas rebrousser chemin sur la nécessité d’épargne et<br />

sur une plus attentive allocation de ressources décroissantes. <strong>Il</strong> s’agit d’un<br />

défi politique important, dont on doit tenir compte contre toute poussée démagogique<br />

et populiste, parce que gérer l’autonomie signifie choisir comme<br />

il faut les investissements stratégiques pour notre futur et retourner à réaffirmer<br />

notre spécificité. Et on peut y arriver seulement avec une Union Valdôtaine<br />

forte et resserrée, autrement il y aura le déclin.<br />

<strong>Il</strong> y a quelques jours, quelqu’un m’a dit : je suis comme toi, je crois dans<br />

l’existence des élites en politique. C’est vrai, je confirme d’y avoir toujours<br />

cru ; je voudrais le rappeler ici sans citations et sans donner lieu à un débat<br />

aussi ancien que la philosophie et la politique. <strong>Il</strong> s’agit de ceci : aussi dans<br />

notre Vallée – et dans l’histoire contemporaine l’exemple le plus concret nous<br />

l’avons, pendant des années assez difficiles, avec la Jeune Vallée d’Aoste – il<br />

106<br />

mai


faut quelqu’un qui raisonne, qui pense, qui propose. Cela peut arriver seulement<br />

dans de petits groupes, dans des tours d’ivoire, pendant des moments<br />

sérieux de réflexion, auxquels revient la tâche de maintenir vivants certains<br />

projets politiques<br />

Dans un système démocratique, ce mécanisme se synthétise dans les<br />

règles de la démocratie représentative, qui se matérialisent dans des assemblées<br />

réduites et dans des gouvernements encore plus restreints par la responsabilité<br />

de la conduction. Les instruments de démocratie directe, s’ils ne<br />

sont pas utilisés de façon inconsciente ou pour des dérives populistes, sont<br />

des moments précieux de contrôle et de vérification. Le plus important est et<br />

reste le vote, il y a ensuite les référendums, les propositions de loi d’initiative<br />

populaire et – dans la vie des partis – les congrès. Mais ces mécanismes définissent<br />

des orientations et des choix, qui ensuite doivent être mis en œuvre<br />

par des personnes qui décident, démocratiquement élus, qui doivent exercer<br />

la politique et l’administration. Si l’élite choisie est de bonne qualité, cela devrait<br />

consentir des espaces et des temps pour penser à des idées et à de nouveaux<br />

programmes. Si on risque d’être écrasés par l’administration ordinaire,<br />

les horizons deviennent bouchés en état d’asphyxie. Je pense que, en laissant<br />

faire le temps, le présent doit être gouverné mais que les vraies satisfactions<br />

se construisent aujourd’hui pour des réalisations futures. Le « tout immédiatement<br />

» n’existe pas pour passer de la conception à la réalisation.<br />

Vis-je dans le monde des rêves ? Je ne crois pas, mais je sais et je comprends<br />

comment les mécanismes de la démocratie ressemblent aux contenus<br />

délicats dans la caisse d’une montre. <strong>Il</strong> suffit très peu pour que de gouffres<br />

terribles entre les élites et l’opinion publique s’ouvrent. Nous de l’U.V., nous<br />

sommes dans une phase délicate : soit nous retrouvons ce feeling qui nous<br />

a permis d’obtenir de succès croissants ainsi qu’une correspondance entre<br />

nous et la large majorité du peuple valdôtain soit nous serons balayés. Et<br />

voici ce que nos ennemis espèrent, mais aussi à l’intérieur de notre Mouvement,<br />

une certaine confusion règne : ceux qui prêchent un « tutti a casa », qui<br />

tirent sur les soi-disant leaders, qui annoncent des purges de différent genre,<br />

devraient démontrer une certaine prudence. Je serais prudent à gaspiller personnes,<br />

énergies et projets. À condition que l’élite – qui doit avoir des points<br />

précis d’union et de partage – existe, qu’elle fonctionne et qu’elle produise<br />

des résultats.<br />

Le retour à Rome, pour l’élection du Président de la République ( un<br />

choix excellent Giorgio Napolitano ! ), confirme certains esprits du passé,<br />

toujours actuels ! Rien d’extraordinaire, un simple viatique à ce bon sens irremplaçable,<br />

même dans sa banalité.<br />

<strong>Il</strong> s’agit de se rappeler – dans une clef de lecture entre externe et interne<br />

107


– de l’exiguïté de notre Vallée et de la relativité de nos problèmes. <strong>Il</strong> ne s’agit<br />

pas d’une sous-estimation, pour la charité ! <strong>Il</strong> s’agit plutôt d’un effet bien visible<br />

et bénéfique qui fait en sorte que ces problèmes qui nous appartiennent,<br />

s’insèrent dans un contexte plus vaste. Arrêtons d’échanger la force de nos<br />

particularismes et de notre identité avec des pensées d’isolement dans une<br />

turris eburnea qui n’existe pas. Cela vaut en Italie et s’accentue évidemment<br />

à Bruxelles, face au gigantisme et à la complexité du niveau continental.<br />

Chaque confrontation, chaque dialogue, chaque comparaison comportent<br />

un enrichissement, à condition que l’on se présente unis et solidaires, en<br />

ayant toujours quelque chose d’original à montrer.<br />

Certes, plus l’on s’éloigne et plus l’on systématise nos vicissitudes dans<br />

des réseaux plus vastes, et plus on comprend comme notre force est et reste<br />

justement dans l’unité. Ce n’est pas un appel à se resserrer dans un embrassons-nous<br />

de façade, qui ne sert à rien, sauf à accentuer le sens du ridicule<br />

face aux mensonges. <strong>Il</strong> faut se demander plutôt si la ferveur des luttes intestines,<br />

qui secouent, à partir des fondations, la communauté et notre même<br />

Mouvement ( qui devient une métaphore de l’entière communauté et des<br />

poisons qui le traversent ) soient à banaliser ou à mettre sous observation. Je<br />

ne me réfère pas à la normalité du conflit politique qui reste la substance de<br />

la dialectique démocratique, mais à la pathologie qui se réalise dans l’image<br />

d’incommunicabilité. Je parle, je m’exprime, je propose mais sans même<br />

écouter ceux qui proposent des thèses et des propositions différentes des<br />

miennes. Au contraire, au quotidien, les éléments de la division s’alimentent<br />

– comme des feux d’où naissent des incendies – sans se rendre compte qu’à<br />

la fin il n’existe aucune véritable distinction entre les vainqueurs et les vaincus<br />

dans l’opinion publique qui abhorre la lutte continue. Tous repoussés<br />

dans un grand tourbillonnement qui crée seulement un mouvement dispendieux<br />

d’énergie, auquel rien de concret ne correspond. <strong>Il</strong> vaudra la peine de<br />

s’en souvenir.<br />

Lorsque vous êtes en train de lire cet article, les scénarios possibles ne<br />

sont que deux. Le premier : entre-temps le nouveau Président de la République<br />

a été élu avec un accord abordable entre les deux formations, après une<br />

longue période de conflits très forts. Ou bien – avec un scénario différent<br />

– on pourrait assister à un énième combat frontal entre les deux coalitions<br />

avec l’imposition d’un candidat du Centre gauche au Quirinal.<br />

En raison de ces deux hypothèses et vue l’intervalle entre le moment<br />

de l’écriture ( je suis actuellement au premier scrutin ! ) et la publication du<br />

Peuple ( dans trois jours ! ), il est vraiment difficile d’annoncer un nom. Je me<br />

limite à dire, avec le risque d’être démenti, qu’on pourrait trouver un accord<br />

sur Napolitano ou bien on pourrait retrouver D’Alema, après la troisième vo-<br />

108


tation. Certes, avec la politique italienne il y a le danger d’une piètre figure et<br />

donc on verra ce qu’il va vraiment se passer !<br />

De plus, il n’est pas facile d’être le successeur au Quirinal de la Présidence<br />

Ciampi, qui sera rappelée pour plusieurs raisons. De ma part, les<br />

aspects positifs sont prédominants. J’essaie, dans notre perspective de Valdôtains,<br />

d’en énumérer quelques-uns : un Président attentif à reconnaître<br />

l’existence de notre originale délégation politique, sensible aux prérogatives<br />

constitutionnelles de notre autonomie spéciale, vigilant sur les problèmes<br />

des minorités linguistiques, curieux des spécificités du monde de la montagne,<br />

prenant part au drame de l’alluvion en Vallée de l’année 2000. En<br />

Italie, dans une situation politique assez confuse, Ciampi – un homme qui<br />

a fait la Résistance et, de nos jours la circonstance n’est pas du tout banale<br />

– pouvait rester un point de repère et cela sans excessivement transformer<br />

la figure en mythe. <strong>Il</strong> n’a pas voulu se reproposer, malgré l’estime amplement<br />

majoritaire qu’il a acquis au Parlement et dans la société civile, en rappelant<br />

comme le long septennat du Président, conseille de ne pas additionner deux<br />

mandats pour éviter une sorte d’hérédité royale incompatible avec le régime<br />

républicain. Une renonce, celle du Président, qui a certainement voulu tenir<br />

compte aussi de son âge.<br />

Les élections du Chef de l’Etat m’ont aidé à reverdir les souvenirs de<br />

mon expérience parlementaire et aussi à mieux évaluer la situation politique<br />

italienne après les élections. Retrouver les endroits familiaux de ma formation<br />

politique m’a rempli de regrets, surtout pour le temps qui passe, mais<br />

le climat difficile me ramène tout de suite à la réalité. <strong>Il</strong> ne sera pas facile<br />

pour Prodi de gouverner avec une majorité querelleuse et avec peu de votes<br />

d’avantage au Sénat. Je le regrette beaucoup, vu le tas de difficultés auxquelles<br />

l’Italie doit faire face. Mais la grande coalition, c’est-à-dire une période<br />

de collaboration comme en Allemagne entre les Populaires et les Sociaux-démocrates,<br />

est difficile à réaliser en Italie, étant donné le tas de personnes qui<br />

pensent déjà aux prochaines élections politiques anticipées. Mais, dans ce<br />

cas, la réalité des faits pourrait facilement me démentir.<br />

Je voudrais en comprendre l’exacte raison, mais il est certain – à part la<br />

macabre complaisance de la presse italienne – qu’en Vallée d’Aoste on n’a pas<br />

assez discuté du tragique assassinat de la jeune marocaine de la part du mari<br />

à Quart. Avec une féroce préméditée, le délit a signifié une véritable exécution<br />

à coups de couteau avec un rite barbare, semblable, dans ses modalités<br />

inhumaines, à l’égorgement d’un mouton. J’espère que la « Cour d’Assises »<br />

auprès du tribunal d’Aoste soit exemplaire en matière de punition et que l’on<br />

veille afin que jamais plus un fait de ce genre ne se répète en Vallée d’Aoste.<br />

109


Et surtout que le procès soit une occasion pour discuter de cet événement,<br />

non seulement comme on discute d’un fait sanglant de chronique noire, mais<br />

pour parler d’un acte qui offre un cadre de la mentalité et des comportements<br />

dans le rapport homme-femme dans le monde islamique et d’une certaine<br />

conception de justice parallèle qui n’a rien à voir avec notre conception de<br />

Justice. <strong>Il</strong> s’agit de la Charia, c’est-à-dire le code de jurisprudence religieuse<br />

musulmane. Le terme signifie en arabe « ce qui a été légiféré [par Dieu] »<br />

et, en Occident, la Charia est connue sous le vocable de loi islamique. Vous<br />

rappelez, par exemple, la fatwa lancée contre Salman Rushdie, auteur du<br />

livre « Les Versets sataniques » considérés impies et blasphématoires, ce qui<br />

a suffi à établir la parfaite légitimité de l’élimination physique de l’auteur. Et<br />

encore, parmi les pratiques recommandées par la Charia, la lapidation des<br />

femmes et des hommes adultères et la mutilation des voleurs. Cela implique<br />

un imprinting culturel qui justifie certains délits considérés justifiables et qui<br />

dans une logique de « giustizia fai da te » permet aux maris violents de donner<br />

des punitions en famille. Ce n’est pas un cas si dans le monde musulman, on<br />

ne parle pas de « transmission », mais d’apprentissage de la Charia.<br />

Cet apprentissage se fait à travers les parents, qui sont le premier exemple<br />

pour l’enfant musulman dans une chaîne qui perpétue des comportements<br />

contraires à toutes nos normes de loi. De plus, la tendance actuelle<br />

des courants politiques intégristes à militer et à obtenir l’intégration de la<br />

Charia dans la Constitution des respectifs Pays conduit à la fossilisation des<br />

décisions – car elle est basée sur la situation d’une société du IX ème siècle<br />

– et à leur conférer un caractère de dogme plutôt que de loi telle que nous la<br />

concevons, à savoir justement liée à l’évolution des temps et de la société.<br />

Tout cela ouvre un abîme dans la conception du monde et nous oblige,<br />

de façon intransigeante, à nier l’existence de règles de droit différentes des<br />

nôtres pour ceux qui agissent, habitent et travaillent en Vallée d’Aoste comme<br />

dans le reste de l’Occident. L’acceptation de la Charia comme justice<br />

parallèle et même concurrentielle avec notre Droit, dans le nom d’une logique<br />

déformée d’intégration culturelle, produirait d’authentiques horreurs et<br />

finirait par être une justification de graves délits, comme l’assassinat dont on<br />

a parlé au départ.<br />

Combattre certaines mentalités, certaines pratiques et certaines convictions<br />

culturelles signifie demander et prétendre, dans les domaines public et<br />

privé, le partage des processus d’intégration sans lesquels la confusion et l’incompréhension<br />

augmenteront. Confusion et incompréhension deviennent<br />

porteuses de problèmes de plus en plus grands dans le chemin nécessaire<br />

de réciproque compréhension, dont la base, pour ceux qui veulent s’installer,<br />

doit être sans équivoques l’acceptation de certaines règles à la base de notre<br />

civile et bien réglée vie en commun.<br />

110


avril<br />

Heureusement la vie est faite d’émotions. À briser la routine parfois<br />

grise, sont des événements uniques et qui ne peuvent pas se répéter. C’est le<br />

cas de la visite à Canterbury pour l’inauguration et la bénédiction de l’autel<br />

de Stephen Cox, que notre Vallée a offert à l’église anglicane. Une extraordinaire<br />

pièce de marbre vert de Verrayes qui sous les mains de l’artiste, s’est<br />

transformé en un objet d’art contemporain. L’effet ancien-moderne, qui dans<br />

ce cas a merveilleusement réussi, pose cet autel dans une chapelle romane<br />

où brille pour le caractère essentiel de ses traits géométriques.<br />

La messe célébrée sous le signe d’une pacification interreligieuse dans le<br />

cœur de la Chrétienneté entre deux Eglises douloureusement ( et de manière<br />

sanglante ) séparées entre elles, a été suggestive et émouvante. Trois langues,<br />

– l’anglais, le français et l’italien – se sont mêlées dans le souvenir de Saint<br />

Anselme, ce fils de notre Vallée qui, plus que d’autres, a sculpté son nom<br />

dans l’histoire du monde. À partir du Moyen Age, sa pensée arrive limpide<br />

et pure à nos cœurs en vue du 2009, quand on fêtera les 900 années de<br />

sa mort. Une philosophie qui met ensemble la verticalité de ses montagnes<br />

d’origine, les couleurs de la Normandie et l’horizontalité de la campagne de<br />

Kent. Ainsi cet autel est le signe d’un engagement : célébrer dignement cette<br />

date ensemble à Bec et Canterbury, les deux étapes de la vie et de la carrière<br />

d’Anselme. A Gressan on est en train de restaurer le bâtiment historique,<br />

indiqué comme maison natale du Saint, qui accueillira l’Académie Saint Anselme,<br />

prestigieuse institution culturelle valdôtaine. Pouvoir parler pendant<br />

la célébration religieuse, en exprimant la pensée de notre communauté, a été<br />

pour moi une occasion unique, que je considère un honneur tel à adoucir,<br />

dans un seul coup, les nombreuses amertumes de la politique de nos jours.<br />

Les poisons, assumés à doses infinitésimales, peuvent être salutaires et<br />

l’homéopathie, pour ceux qui y croient, le témoigne éloquemment. Au-delà<br />

de certaines doses, par contre, l’effet létal est garanti : qu’il s’agisse d’un serpent,<br />

d’un champignon vénéneux ou d’un gaz asphyxiant. Voilà pourquoi,<br />

en raison de la grande quantité de poison qui nous entoure au lendemain<br />

des élections, il est bien de tenir la garde haute afin d’éviter d’y laisser des<br />

111


plumes. Etre donc vigilant, ce n’est pas banal. Dans les faits, pour bien nous<br />

entendre, la survie même de l’Union Valdôtaine est en jeu. Si elle devait devenir<br />

un lieu de lutte continuelle, nous serions si fatigués et si épuisés, avec<br />

le risque de nous blesser politiquement et de gagner seulement le mépris<br />

des électeurs. La seule alternative à l’ « homo homini lupus », est l’existence<br />

de règles certaines, qui posent des devoirs par rapport à la vie sociale et prévoient<br />

des limites infranchissables, sans lesquelles on se trouverait dans des<br />

situations incontrôlables.<br />

Je le dis et l’écris en appréciant le caractère exceptionnel des événements<br />

actuels. Dans cette phase, où trop souvent – avec des virements de cap incroyables<br />

– les amis deviennent des adversaires et vice versa, il est nécessaire<br />

d’éviter les violences verbales ou les rigidités. Si tout cela advient pour recoudre,<br />

inclure et coopérer, c’est très bien. Toutefois, en songeant aux nouveaux<br />

Statuts de l’UV, il faut savoir placer les comportements et avoir des certitudes<br />

dans la façon de se poser.<br />

<strong>Il</strong> ne s’agit pas de limiter la liberté des personnes, mais plutôt de faire cohabiter<br />

le pluralisme avec l’unité. Les mécanismes de la coexistence doivent<br />

assurer, en des temps raisonnables, un débat ample et participé, mais il faut<br />

aussi que les décisions soient suivies d’une façon d’être collective exempte de<br />

toute contradiction. Parce que l’alternative, c’est la confusion et l’instabilité,<br />

alors que nous avons besoin de certitudes et de stabilité.<br />

Ainsi disant, le Congrès du mois de juin est une opportunité pour contraster<br />

les sceptiques, les pessimistes et les casseurs à tout prix. Personne ne<br />

prétend que la vie au sein du Mouvement soit le Paradis sur terre, mais elle<br />

ne doit non plus se transformer en un Enfer pour ce qui est des rapports<br />

politiques et interpersonnels. Ce serait gaspiller nos énergies ainsi que les<br />

idéaux d’une vie.<br />

Les défaites en politique peuvent résulter salutaires. Je comprends que<br />

l’affirmation puisse étonner, mais il suffit de lire un peu l’Histoire pour en<br />

avoir une confirmation.<br />

Je ne suis pas à la recherche d’éléments consolateurs pour la récente débâcle<br />

aux élections politiques, parce que je suis resté mal comme tous les unionistes<br />

: je crois toutefois que la crue vérité doit être affrontée. J’ai toujours trouvé<br />

insupportable la recherche, typique de la politique italienne, de masquer les<br />

défaites en de presque victoires. Je me souviens d’interviews mémorables à<br />

la télévision avec les leaders des partis qui, malgré l’évidence des faits et des<br />

chiffres, s’exhibaient en de véritables exercices de contorsions verbales, en<br />

transformant des bains de sang en de sympathiques promenades du dimanche<br />

à la campagne. Lorsqu’on perd des voix et des élections il faut faire face<br />

à la réalité et celle que nous avons vécue avec les élections politiques est une<br />

112


aclée belle et bonne; l’admettre est une manifestation de respect vis-à-vis<br />

de l’unique et vrai juge pour nous les politiques : l’électorat. Au moment où<br />

j’écris ces lignes, je ne sais pas encore quels seront les choix futurs du Mouvement<br />

et par les deux autres forces politiques de majorité.<br />

La proposition d’élections anticipées a été reprise par un éditorial de La<br />

Stampa et apparaît entièrement en ligne avec les vainqueurs des élections.<br />

Personnellement je ne crois pas qu’interrompre la Législature soit un bon<br />

choix. Je crois par contre qu’il faut relancer l’action du gouvernement et qu’il<br />

faut aborder beaucoup d’émergences en cours. Je ne comprends pas pourquoi<br />

l’aire autonomiste devrait servir sur un plat d’argent la victoire à la gauche<br />

unie avec des élections anticipées, en admettant qu’ensuite ça se termine<br />

ainsi, parce qu’il serait bien de se rappeler qu’entre le majoritaire uninominal<br />

des politiques et le proportionnel des régionales il y a un abîme. Lorsque<br />

l’électorat lance un signal clair – et l’examen Commune par Commune de<br />

ces élections sera intéressant et instructif – il faut répondre avec des signaux<br />

aussi clairs. <strong>Il</strong> revient à notre Mouvement de retrouver à son intérieur, et je<br />

souligne à son intérieur et non pas en suivant les sirènes à son extérieur, les<br />

raisons et la force d’un ancien engagement. Sans lequel la dérive de notre<br />

Mouvement signifierait le triomphe de ceux qui, en creusant sous la surface<br />

de l’apparence, n’ont d’autres objectifs que la destruction du modèle de notre<br />

autonomie spéciale.<br />

Le système électoral en Vallée d’Aoste, uninominal, majoritaire à un seul<br />

tour, redevient une spécificité qui n’appartient qu’à notre Région. L’expérimentation<br />

de la Chambre des Députés qui prévoyait une élection partielle<br />

des Députés avec le partage de l’Italie en collèges uninominaux, semblable à<br />

celle qui caractérisait la Vallée, n’a duré que quelques années. En réalité une<br />

deuxième fiche pour la Chambre redistribuait au niveau national une partie<br />

des sièges avec la méthode proportionnelle, à laquelle on est revenu, avec la<br />

seule exception du siège valdôtain.<br />

En effet, comme il est notoire, le proportionnel avec des listes bloquées revient<br />

et il fait disparaître tout possible rapport de confiance entre électeur<br />

et élu. On vote un symbole et des députés méconnus sur le territoire seront<br />

élus. C’est la victoire des partis, du jeu des fiches, des choix centralisés sur<br />

Rome. Un résultat démocratique franchement décourageant : le retour du<br />

plein pouvoir des appareils dirigeants des partis.<br />

On rompt tout lien avec le niveau régional en méprisant ce fédéralisme<br />

auquel tous se montrent intéressés théoriquement. <strong>Il</strong> est l’heure qu’on retourne<br />

à dire haut et clair que le fédéralisme est une marchandise précieuse<br />

et nous devons nous révolter – nous qui sommes fédéralistes depuis toujours !<br />

113


– à des usages superficiels qui transforment le fédéralisme en l’un des nombreux<br />

« –isme »avec lesquels on peut faire de la propagande.<br />

La Vallée d’Aoste, comme une île du bonheur, représente une exception<br />

par rapport au système électoral italien. Nous avons évité, malgré une déconcertante<br />

proposition de loi présentée à la fin de la législature par les DS<br />

( belle conception de l’autonomie ! ), les tentatives de mêler nos voix avec le<br />

dégât italien. Le système traditionnel en vigueur depuis 1948 demeure, grâce<br />

à notre choix et à l’engagement des parlementaires sortants ( je profite de<br />

l’occasion pour remercier mon collègue Ivo Collé, mon successeur, pour l’excellent<br />

travail qu’il a fait à Montecitorio ). Nous devons en être fiers. Notre<br />

campagne électorale se tient, comme il doit être, en Vallée d’Aoste !<br />

Celui qui cherche de nous plonger dans la grosse marmite de la politique<br />

italienne, en signant des effets en blanc et en se faisant mettre une laisse au<br />

cou, devrait sérieusement examiner sa conscience. Les paladins de la liberté !<br />

Assez d’une information trempée de mensonges et d’ambiguïté. La réalité<br />

est au contraire celle d’un manque de scrupules déconcertant. On est prêt à<br />

vendre la Vallée d’Aoste au marché des vaches de la politique italienne. Nous<br />

ne vendons notre âme à personne. Nous sommes prêts, comme nous l’avons<br />

toujours été, à évaluer et à discuter des idées et des projets, mais en partant<br />

d’une position bien marquée et originale. Nous ne voulons pas de transformisme,<br />

qui est par contre à dénoncer face à l’électorat valdôtain, contre lequel<br />

nous nous présentons, avec un symbole connu, qui est une garantie<br />

contre ceux qui portent des masques.<br />

114<br />

mars<br />

Faute d’arguments politiques, les tenants de la liste du poulet s’attachent<br />

à polémiquer sur les moindres vétilles. C’est ainsi que l’un des promoteurs de<br />

cette multicolore coalition, Robert Louvin, étale les quelques informations<br />

qu’il possède sur la symbolique du coq. Dommage qu’il soit mal renseigné.<br />

Tout d’abord, il confond l’Eglise gallicane, c’est-à-dire l’Eglise de France,<br />

dont l’Eglise d’Aoste faisait théoriquement partie ( et qui affichait, c’est vrai,<br />

son autonomie par rapport au pape, mais parce qu’elle était soumise au roi<br />

de France ), avec le rite gallican : c’est-à-dire la liturgie propre au royaume des<br />

Francs avant la réforme de Charlemagne, qui imposa à tout son Empire le<br />

rite romano-germanique, d’où descendirent toutes les liturgies particulières<br />

des Eglises occidentales, y compris le rite valdôtain.


Ensuite, il croit que le coq qui surmonte les clochers est une marque<br />

caractéristique de l’Eglise gallicane en général – et de l’Eglise valdôtaine en<br />

particulier – et qu’il représente la résistance contre la Papauté. C’est faux.<br />

Les coqs de clocher sont répandus partout et les plus anciens se trouvent à<br />

Brescia ( IX e siècle ) et à Rome en Italie, à Wolstar en Allemagne et à Winchester<br />

en Angleterre.<br />

<strong>Il</strong> croit également que cet animal se rattache à la coutume des premiers<br />

chrétiens de se rassembler à l’aube pour prier. C’est faux. Le coq apparaît<br />

souvent dans l’art paléochrétien, mais il se rapporte déjà bel et bien à la triple<br />

trahison de Pierre, épisode très souvent commenté par les Pères et les<br />

Docteurs de l’Eglise des premiers siècles ( saint Denis d’Alexandrie, saint<br />

Ambroise, saint Basile, saint Hilaire de Poitiers ), ainsi que par le poète Prudence.<br />

<strong>Il</strong> est regrettable de constater que l’ancien Assesseur régional à la Culture<br />

ignore que l’une des images pieuses jadis les plus répandues dans nos paroisses<br />

était la Croix du Calvaire associée aux instruments de la Passion du<br />

Christ ( les clous, le marteau, l’échelle, la lance, la colonne et le fouet de la<br />

flagellation etc. ). Malheureusement, ces témoignages de la piété populaire,<br />

sculptés en bois et placés à l’extérieur des églises et des chapelles, ont disparu<br />

presque partout, à cause des voleurs et des vandales ; on peut toutefois<br />

en voir un exemple célèbre peint au XV e siècle sur la façade de l’église de La<br />

Magdeleine à Gressan : on y remarque notamment, en position très voyante,<br />

un coq, qui pour nos ancêtres ne représentait rien d’autre que la trahison de<br />

Pierre.<br />

Ajoutons que, pour les commentateurs et les exégètes, le coq symbolise<br />

la vigilance contre la tentation du Malin, car l’épisode de saint Pierre démontre<br />

que même le plus saint des apôtres n’est pas exempt de péché, puisqu’il<br />

se conduit, dans l’épisode évangélique en question, comme un renégat et un<br />

traître par opportunisme.<br />

Je crois même savoir que mon oncle, Séverin <strong>Caveri</strong>, en choisissant un<br />

coq de clocher comme couverture de son Histoire de l’Eglise d’Aoste, voulait<br />

faire allusion à la « trahison des clercs » qui caractérisait, à son avis, une partie<br />

du clergé valdôtain de l’époque.<br />

Laissons le domaine de la théologie et venons-en à la sagesse populaire,<br />

qui a toujours considéré le poulet un animal pas trop intelligent. Un animal<br />

qui zigzague çà et là, picore à droite et à gauche sans trop savoir où il va et se<br />

perd souvent dans les champs des voisins, qui en profitent ( s’ils sont malhonnêtes<br />

) pour le cuire à la broche.<br />

Un animal inconstant, qu’on a pris à modèle pour les girouettes qui tournent<br />

à tout vent. Un animal qui symbolise la superbe et l’arrogance. Un animal<br />

que des spéculateurs sans scrupules jettent dans l’arène et font batailler<br />

contre l’un de ses semblables jusqu’à la mort, pour tirer des revenus malhonnêtes<br />

des paris clandestins.<br />

11


La politique est faite d’alliances : une vérité qui vaut et vaudra toujours.<br />

Comme cela arrive dans la vie pour les amitiés entre les personnes, on peut<br />

avoir des moments différents dans les rapports entre les forces politiques.<br />

Les adversaires se transforment en alliés et les alliés prennent la place des<br />

adversaires. Ces changements font partie du mécanisme de la démocratie.<br />

Rien de drôle donc et rien de quoi s’étonner, mais pour faire fonctionner cet<br />

instrument, on doit avoir un élément de départ. <strong>Il</strong> faut bien savoir avec qui<br />

on s’allie, pour quelle raison et surtout il faut savoir ce que chacun de nous<br />

représente et qui il représente. Avant de penser aux autres il est bien de penser<br />

à soi-même.<br />

En effet la représentance est une chose sérieuse. On choisit une militance<br />

politique, on participe à la vie d’un Mouvement, on partage des règles<br />

communes et on discute des choix et des décisions. On peut être d’accord<br />

ou non sur la ligne politique, sur les dirigeants et sur les élus, mais cela ne<br />

signifie pas, quand on est mécontent ou frustré, qu’il faut s’en aller ou donner<br />

vie à de nouvelles forces politiques.<br />

C’était un patrimoine acquis après la réunification unioniste de 1978 : un<br />

tabou bien ancré à ne pas violer, en sachant que le « divide et impera »est fort<br />

clair aux adversaires de la Vallée d’Aoste. Celui qui se prête à cela devient<br />

un instrument de partage et il n’y a pas d’alibi pour ceux qui décideraient de<br />

faire des batailles externes et de rupture, lorsque le terrain de confrontation<br />

et d’affrontement doit rester entier. La haine personnelle ne peut pas être<br />

une bonne justification et cela vaut aussi pour les ambitions personnelles.<br />

Et s’il vous plaît assez de l’utilisation instrumentale des valeurs morales pour<br />

cacher de tristes opérations de revanche personnelle ou de groupe. Appelons<br />

ceux qui nous laissent avec leur vrai nom : traîtres. Et il est ridicule que celui<br />

qui s’en va s’enveloppe de purs idéaux en faisant semblant d’avoir emmené<br />

avec lui les idées pour les faire ressurgir en qui sait quel Mouvement. Celui<br />

qui déserte devrait au mois avoir un peu de bon goût et peut-être prouver sa<br />

gratitude à l’Union, notamment si, sous ce symbole, il a recouvert de rôles<br />

importants.<br />

Cela parce qu’il existe une frontière qui ne peut pas être dépassée. Plutôt<br />

que de rompre ou de partager, mieux vaut le choix plus courageux d’abandonner<br />

la vie publique.<br />

Celui qui a obtenu une charge dans une assemblée élective et laisse le<br />

Mouvement qui l’a élu, devrait accomplir le choix noble de la rendre et ne<br />

devrait pas penser que ce poste lui appartient pour qui sait quel droit. Je<br />

comprends qu’il est plus simple de faire semblant que rester est un droit<br />

envers ses électeurs, mais il s’agit d’une excuse puérile et injustifiée si le<br />

mode d’élection, comme il arrive pour l’élection du Conseil de la Vallée, est<br />

le système proportionnel.<br />

116


«Pour la Commission européenne, il y a un étage de trop qu’elle ambitionne<br />

de réduire, d’éliminer, celui des Etats. <strong>Il</strong> est vrai qu’elle se situe dans<br />

une logique ultralibérale qui détruit les solidarités et les services publics, et<br />

cela donne la clef de sa politique en direction des Régions... Pour la Commission,<br />

de toute évidence, mieux vaut 3 0 Régions sous sa coupe, que d’avoir<br />

en face de soi 1 Etats dont la force est une source d’ennuis... La logique de<br />

l’émiettement, de l’atomisation et de la balkanisation..., c’est pain bénit, et<br />

c’est exactement ce que demandent les multinationales ».<br />

Une merveilleuse exaltation des Etats-Nations ! Une sublime négation<br />

jacobine du fédéralisme ! Une représentation caricaturale de l’Union Européenne<br />

! L’auteur de ces lignes est Bernard Cassen du Monde Diplomatique,<br />

fondateur d’Attac. <strong>Il</strong> s’agit d’un maître à penser de l’antiglobalisation, de l’extrême<br />

gauche, hétérogène et multiforme, qui choisit la polémique contre<br />

le régionalisme, en le comparant, avec une simplification incroyable, à la...<br />

balkanisation. <strong>Il</strong> y a vraiment de quoi s’étonner, face à une telle confusion :<br />

on doit toutefois la considérer comme une cloche d’alarme, parce qu’il n’y a<br />

pas de pire ignorance que le choix systématique de la contre information militante.<br />

Une contre information qui dérive du climat tardo-marxiste et postsoixante-huitard<br />

qui se propage dans quelques cas jusqu’à nos jours. Ce n’est<br />

pas une nouveauté que l’extrême gauche soit antifédéraliste convaincue.<br />

Même en Vallée d’Aoste, il y a toujours eu un engagement idéologique<br />

contre l’Union valdôtaine considérée comme la partisane de l’autonomie valdôtaine.<br />

<strong>Il</strong> faudrait revoir la biographie de quelques personnages pour retrouver<br />

dans la gauche, autrefois définie extra-parlementaire, les grains de<br />

l’anti valdôtaineté qui, parfois cachée en quelques événements, réapparaît<br />

régulièrement en toute sa clarté.<br />

Une autonomie valdôtaine abhorrée, parce qu’elle est porteuse de privilèges<br />

présumés, de richesse excessive, de mécanismes de démocratie de proximité<br />

à dégonder en tant qu’accessoire d’un excès de pouvoir unioniste. Dans<br />

une logique élitaire qui inquiète, on signale comme déformant le légitime<br />

résultat électoral qui dérive uniquement du suffrage universel.<br />

<strong>Il</strong> y a une sorte de délire sectaire qui, au nom d’une utilisation difforme<br />

de l’égalité, voudrait éliminer certains thèmes, comme la défense culturelle<br />

et linguistique du particularisme valdôtain. Mieux vaut s’occuper de lointaines<br />

populations de l’Amazonie ou d’agriculteurs des Andes que des droits<br />

des citoyens de son Pays ! Enfin, ce qui préoccupe, c’est la diabolisation systématique<br />

de l’adversaire qui doit toujours être un ennemi. Ainsi on utilise<br />

aussi les armes de la dérision et du mépris. On lève le drapeau de la morale<br />

et de la pureté contre des adversaires accusés de bassesse morale et de déshonnêteté.<br />

Un jeu au massacre qui finalement ne fait que rabaisser ceux qui<br />

utilisent certains moyens, parce que les extrémismes sont toujours perdants,<br />

notamment si leur représentation de la réalité est grotesque et fallacieuse.<br />

117


Une même phrase, écrite de manière identique, peut avoir plusieurs significations.<br />

Le ton, le contexte, la motivation comptent aussi. Un classique<br />

de la répétitivité en Vallée d’Aoste et également un classique de la pluralité<br />

de significations à peine citée est : « En Vallée d’Aoste la politique se fait dans<br />

les cafés ». Quelqu’un le dit pour en prendre acte de manière neutre, comme<br />

s’il s’agissait d’une simple constatation, quelqu’un le souligne avec un fond de<br />

racisme dans un mélange plein de malice entre esprit valdôtain et alcool ( de<br />

là la variante « En Vallée d’Aoste on fait de la politique dans les caves » ) ; il y en<br />

a qui analysent avec intérêt la naissance des papotages et des rumeurs, politiques<br />

naturellement, même si en Vallée d’Aoste la différence entre public et<br />

privé n’est pas toujours évidente, comme parfois celle entre un blanc sec et<br />

un mousseux servi à table ou bu au comptoir.<br />

Personnellement je crois, même si je ne fréquente pas de manière assidue<br />

les cafés et si j’en ai pas un seul comme point de repère ( « cult » comme on<br />

dirait en anglais ), qu’on ne doit en aucun cas avoir une attitude de snob face<br />

à un phénomène social qui doit être investigué. La socialité et la politique<br />

procèdent ensemble et il faut prendre acte du fait que le réseau d’interaction<br />

entre les différentes personnes se crée et s’intensifie. Et le réseau des cafés<br />

est en Vallée d’Aoste un phénomène vaste et significatif, souvent encré dans<br />

la tradition de la ville ou des petits villages, mais qui toutefois accepte les<br />

innovations qui dérivent des nouveaux locaux et de la mode. La politique,<br />

dans une Vallée qui se passionne à cet argument, devient un thème de débat,<br />

d’approfondissement, qui doit se transformer dans un téléphone sans fils<br />

qui répand et change les nouvelles. On a naturellement des spécialistes du<br />

genre, des « opinions leaders » en la matière qui précipitent du sommet, se<br />

retrouvant en bas, en devenant les auteurs de lettres anonymes, alimentant et<br />

fomentant. Personnellement, toutefois – comme je suis optimiste par nature<br />

–, je vois les choses positives, tout en rejetant les négatives. <strong>Il</strong> me vient à l’esprit<br />

– pour anoblir ce qu’il y a de bon – un petit livre de George Steiner qui a<br />

pour titre « Une certaine idée de l’Europe »dans lequel il rappelle le rôle des<br />

cafés dans la recherche d’une notion commune.<strong>Il</strong> écrit, bien concrètement :<br />

« Les cafés caractérisent l’Europe. <strong>Il</strong>s vont de l’établissement préféré de Pessoa à<br />

Lisbonne aux cafés d’Odessa, hantés par les gangsters d’Isaac Babel. <strong>Il</strong>s s’étirent<br />

des cafés de Copenhague, devant lesquels passait Kierkegaard pendant ses promenades<br />

méditatives aux comptoirs de Palerme. ( ... ) Dessinez la carte des cafés,<br />

vous obtiendrez l’un des jalons essentiels de la « notion d’Europe ». Et encore :<br />

« Le café est un lieu de rendez-vous et de complot, de débat intellectuel et de<br />

commérage, la place du flâneur et celle du poète ou métaphysicien armé de son<br />

carnet. <strong>Il</strong> est ouvert à tous et pourtant c’est aussi un club, une franc-maçonnerie<br />

de reconnaissance politique ou artistique et littéraire de présence programmatique.<br />

Une tasse de café, un verre de vin, un thé au rhum donnent accès à un local<br />

où travailler, rêver, jouer aux échecs, ou simplement passer la journée au chaud.<br />

C’est le club de l’esprit et la « poste restante »des sans-abri ».<br />

118


J’ai vécu à la Chambre des Députés des années vraiment belles et intéressantes<br />

: une période de ma vie qui a duré de1987 à 2001 ( ou peut-être à<br />

bien y penser elle s’est terminée en 2003 avec la fin de l’expérience au Parlement<br />

européen ). J’ai eu beaucoup de chance à me retrouver parlementaire à<br />

28 ans : j’en suis gré et je le serais pour toujours à l’Union Valdôtaine et aux<br />

électeurs qui m’ont donné cette chance rare et exceptionnelle.<br />

Ça a été une école de vie, en pensant même aux personnalités avec qui j’ai<br />

eu l’occasion de me confronter : j’ai eu une alphabétisation sans égaux dans la<br />

politique, qui m’a permis de connaître les mécanismes du droit constitutionnel<br />

que je n’aurais jamais pu imaginer sans mon élection au Parlement. Des<br />

connaissances que j’ai voulu partager et transmettre aux autres et avant tout<br />

les utiliser pour le débat à l’intérieur de notre Mouvement.<br />

<strong>Il</strong> est vrai que je me suis toujours engagé au maximum pour être digne<br />

de la confiance qu’on m’a accordé et j’espère avoir répondu aux attentes.<br />

Mais il faut toujours, et en tout cas, avoir une bonne mémoire et un peu de<br />

reconnaissance, comme on dit dans la formule du mariage « pour le meilleur<br />

et pour le pire », et non pas suivre le fil des intérêts de chacun ou pire encore<br />

les états d’âme ou les névroses. Parfois ceux qui font de la politique,<br />

entièrement pris par une haute considération de leur personnalité et de leurs<br />

mérites, oublient ceux qui – comme pour notre Mouvement – ont investi leur<br />

confiance dans les élus. Un investissement qu’il ne faut jamais oublier, dans<br />

le travail de tous les jours et dans le devoir de représenter l’Union Valdôtaine<br />

( non pas soi-même ! ) au sein des institutions, si on ne veut pas trahir cette<br />

confiance et perdre de crédibilité.<br />

La longue expérience parlementaire me confirme l’importance des élections<br />

politiques. Le choix des personnes à envoyer à Rome doit être bien pesé<br />

et le fruit d’un projet politique sérieux et judicieux. Voilà pourquoi j’estime<br />

que le défi que nous attend au vote du 9 avril prochain doit être pris au sérieux<br />

et nous ne devons pas nous faire tromper ou aveugler par un dessein<br />

improbable. Représenter la Vallée d’Aoste à Rome est difficile et engageant.<br />

Nous devons travailler pour que nos idées – et je ne parle pas de copies décolorées<br />

– affirment une représentance autonomiste au Parlement italien. Je<br />

crois pouvoir dire que cela est important pour la Vallée d’Aoste, parce que<br />

si un message contradictoire s’affirmait, le travail du passé évaporerait en<br />

grande partie et l’incertitude et la confusion auraient le dessus. L’historie de<br />

l’Union ne le mérite pas et les défis qui nous attendent ne nous le permettent<br />

pas.<br />

119


120<br />

février<br />

Aujourd’hui tout le monde réfléchit au futur de notre Mouvement. Au<br />

chevet du malade ou présumé tel – dont la phase la plus grave de la pathologie<br />

coïncide paradoxalement avec le succès politique le plus important des<br />

dernières élections régionales – s’alternent beaucoup de médecins ( et même<br />

des sorciers ) qui cherchent à comprendre l’affection qui le frappe et quels<br />

sont les meilleurs soins à dispenser. J’ai même vu des psychanalystes penchés<br />

sur le lit sur lequel nous sommes idéalement tous allongés, des homéopathes<br />

qui cherchent les doses infinitésimales qui conviennent et des acupuncteurs<br />

qui préparent leurs aiguilles et cherchent les points les meilleurs pour les<br />

insérer !<br />

Difficile de dire quelle est la maladie. Un développement excessivement<br />

rapide, qui a fait que les jambes soient trop grêles ? Malgré les 61 ans, une<br />

maladie d’enfance comme la rubéole ou la coqueluche ? Une maladie contagieuse<br />

avec un virus – l’incompréhension réciproque – qui a frappé sans<br />

pitié ? Une maladie psychosomatique ou pire encore une maladie mentale ?<br />

Malheureusement il n’y a pas beaucoup à rire, l’enjeu est de grande importance<br />

; si on ne trouvera pas la maladie, on n’aura pas de médicaments.<br />

Avec le risque que la morgue soit la destination finale et un rigor mortis peu<br />

édifiant soit notre destin pour la joie de nombreux ennemis qui, inquiets,<br />

entourent le malade, en souhaitant, du moins quelques-uns, d’en hériter l’important<br />

patrimoine.<br />

Je me rebelle avec conviction, et non pas par crainte du mauvais sort, aux<br />

couronnes de fleurs, aux invitations à les remplacer par des offres de bénévolat,<br />

aux télégrammes douloureux, aux épigraphes affligées. Un mouvement<br />

d’orgueil est nécessaire, nous devons nous rehausser, le dos bien droit et crier<br />

aux quatre vents qu’on va bien, que notre santé est excellente, que l’énergie<br />

n’a pas diminué et l’envie de faire est grande.<br />

<strong>Il</strong> s’agit donc de chercher sérieusement les raisons de ce malaise célèbre,<br />

qui n’est pas une maladie, mais tout au plus le symptôme d’une maladie à<br />

éviter. Différentes possibilités se présentent. La première est que le ciment<br />

idéal manque et que le Mouvement risque – sans le ciment des idées et<br />

d’un sentiment partagé – de se briser en mille morceaux. En considérant la<br />

fraîcheur du fédéralisme et l’amour pour notre Vallée qui me semble intact<br />

dans la plupart de nous, estimons-nous que le système ne dispose pas de<br />

fauteuils assez prestigieux pour nos attentes ? <strong>Il</strong> ne serait pas généreux de le<br />

penser, aussi parce que les ambitions personnelles, bien qu’élevées en raison


de la personnalité hypertrophique qui règne chez tous les politiciens, ne correspondront<br />

jamais à la réalité. <strong>Il</strong> s’agit donc de leaders sur lesquels lancer<br />

des foudres et des éclairs au nom d’une virginité primordiale ou d’un Eden<br />

collectif sans chefs, petits chefs et prime donne ? Je ferais attention, parce<br />

que les élites ont toujours existé et le charisme est utile, à de bonnes doses,<br />

et si cela ne dégoûte pas totalement, il sert même à obtenir des voix. Et sans<br />

voix – j’espère qu’au moins sur ça on soit tous d’accords – on peut créer une<br />

association sportive ou une pro-loco, mais pas un mouvement politique qui<br />

pour compter doit être performant même en termes de consensus. On ne vit<br />

sans doute pas de seules voix, mais il vaut mieux éviter les snobismes de lord<br />

anglais, élus pour la vie grâce à leur naissance et à leur famille, mais la démocratie<br />

change et le Royaume Uni aussi. Les mots de De Coubertin ne s’adaptent<br />

pas à l’arène politique et « participer sans gagner » n’est plus une bonne<br />

chose même pas, dans la réalité des faits, aux Jeux Olympiques. Et l’Union<br />

n’est pas, dans cette même métaphore et par rapport à la politique, l’<strong>Il</strong>e de<br />

Tonga ou la Principauté des Oural. Nous sommes le Partis des Valdôtains !<br />

Le dialogue est difficile, mais il n’y a pas d’autre voie. Nous devons nous<br />

unir autour de règles partagées et de comportements bien identifiés. Je ne<br />

me réfère pas aux risques de fausseté, aux papotages, aux petites misères,<br />

aux clientèles, aux haines et aux amours qui appartiennent au monde de la<br />

politique. Les mouvements politiques ne sont ni une Confrérie des ursulines,<br />

ni l’Armée du Salut et même pas la Société des philatéliques ou des<br />

numismatiques. L’affrontement est dur, la rivalité est enflammée, le pouvoir<br />

existe vraiment, les intérêts ( licites naturellement ) s’opposent. L’éthique et<br />

la morale doivent être bien étudiées ( et distinguées de manière opportune )<br />

sans passer dans le domaine de la théologie ou de la philosophie. La stupeur<br />

ne fait pas partie de la politique.<br />

Toutefois l’Union n’est pas un hôtel où l’on peut entrer et sortir par une<br />

porte pivotante. C’est une maison bâtie par d’autres avant nous et qui nous a<br />

été donnée pour que nous la rendions plus jolie et plus confortable. D’autres<br />

y habiteront après nous à condition que, entre-temps, elle ne se réduise en<br />

ruines. Alors je n’y vois qu’une règle, le bon sens. La synthèse de tous les<br />

discours possibles, de longs documents, de mille réunions.<br />

J’ai assisté à Turin à l’ouverture des Jeux Olympiques dans le Stade<br />

olympique, où, il y a bien d’années, quand j’étais encore un enfant, j’ai vu<br />

jouer ma Juventus, ce qui a donné origine à ce rapport d’amour et de haine<br />

que j’ai encore aujourd’hui pour le football, dont la violence des supporteurs<br />

me fit physiquement peur. Le stade, nouveau et moderne, n’a rien à voir avec<br />

le vieil établissement et par bonheur le public de la cérémonie d’ouverture<br />

121


était décontracté et joyeux et absolument pas hostile ou névrotique. Dans un<br />

spectacle très long, on a assisté à des chorégraphies, à des musiques, à des<br />

images, à des feux d’artifice, à des sons et à des lumières dans un fil rouge<br />

amusant et captivant.<br />

<strong>Il</strong> n’était pas simple d’unir le feu de la flamme et l’allumage de la vasque<br />

olympique aux discours et aux serments officiels ainsi qu’au moment d’arborer<br />

les drapeaux, le tricolore et celui des Jeux ( une erreur, à mon avis, d’avoir<br />

fait manquer l’hymne de l’Union et le drapeau européen ! ).<br />

Et de plus ajouter au spectacle, l’Italie du Moyen âge et de la Renaissance,<br />

les excès du baroque et la technologie de la Ferrari, le défilé des Nations<br />

participant et l’idée des symboles alpins comme les vaches et les masques<br />

du Carnaval de notre Coumba Freida, de Mozart à Verdi avec la clôture de<br />

Pavarotti.<br />

Un mélange intelligent vécu par une foule cosmopolite, qui accompagnait<br />

le spectacle en chantant, en applaudissant, en faisant du bruit avec de<br />

fausses sonnailles et en utilisant la lumière pour créer des effets suggestifs<br />

dans le noir, et en donnant vie aux « ola »qui ne pouvaient pas manquer et en<br />

tapant frénétiquement des pieds.<br />

Ni les menaces du terrorisme ni les contestations de tout genre n’ont<br />

troublé la fête populaire et l’ambiance heureuse qui effaçait le froid et l’humidité,<br />

même grâce à cette musique de fond des années ‘70 qui m’a fait<br />

retourner à mon adolescence et qui faisait bouger mes pieds tout seuls.<br />

Le gigantisme des Jeux en ville et dans les sites olympiques des vallées<br />

témoigne, s’il le fallait, à quel point il aurait été difficile d’organiser cet événement<br />

en Vallée d’Aoste.<br />

Les espaces énormes dont il aurait fallu disposer, la réutilisation de structures<br />

consacrées aux compétitions, le grand nombre de préposés, les coûts<br />

de construction d’abord et de gestion ensuite : tout cela prouve à quel point il<br />

aurait été prohibitif d’adapter à notre milieu des Jeux d’hiver qui aujourd’hui<br />

doivent obligatoirement impliquer de grandes villes.<br />

J’ai été ému en voyant les athlètes pleins de joie et d’enthousiasme, ainsi<br />

que la gentillesse et la disponibilité des volontaires.<br />

Turin et le Piémont, bien qu’avec les craintes de l’après Jeux, ont donné<br />

une belle image des Alpes.<br />

<strong>Il</strong> est vrai que les Jeux cachent un réseau incroyable d’intérêts, que les<br />

processus du choix des lieux des Jeux suivent souvent des mécanismes douteux<br />

et corrompus et que le sport souffre des déformations du doping et de<br />

l’hypocrisie du dilettantisme, mais dans un monde difficile et face à tellement<br />

d’horreurs, les Jeux arrachent encore un sourire.<br />

De Coubertin était un menteur, comme Pinocchio, en disant qu’il n’est<br />

pas important de gagner, mais de participer... Moi qui ai participé à la cérémonie<br />

d’ouverture j’étais content d’y être comme... si j’avais gagné une médaille<br />

!<br />

122


Le retour à la forme écrite a du charme, mais il faut tout de même s’interroger<br />

sur certaines modalités. Dans la société de la parole et de l’image<br />

– dominée par la télé et par l’évolution de la radio, avec la présence des pc<br />

et des téléphones portables qui permettent de tout faire – la communication<br />

écrite semblait être destinée à disparaître. Bien au contraire, l’envie d’écrire<br />

renaît avec de nouvelles modalités d’écriture souvent plus synthétiques et<br />

syncopées : le fax d’abord, le courrier électronique ensuite et les sms qu’on<br />

envoie maintenant par téléphone. C’est presque une manie, dans le monde<br />

où nous vivons. On le voit durant des réunions importantes, pour ne pas dire<br />

à l’occasion de sépultures, lorsque les sonneries – omniprésentes, bruyantes<br />

et souvent liées intimement à leur propriétaire comme il arrivait autrefois<br />

seulement pour le rapport entre chien et maître, même museau et mouvements<br />

identiques – sont la preuve, souvent imprégnée d’un manque de<br />

politesse, d’un monde qui nous voit toujours connectés. On me téléphone et<br />

donc j’existe. J’écris des sms et donc je suis vivant.<br />

Tu parles avec quelqu’un et ton interlocuteur écrit sur son portable, pour<br />

annoncer peut-être à sa femme de préparer le repas car il va arriver ou à sa<br />

petite amie qu’il l’aime à la folie.<br />

La nouvelle tribu technologique sait manifester cette modalité d’expression<br />

d’elle-même, qui se présente souvent comme une nouvelle solitude, un<br />

solipsisme grotesque. Je ne parle pas avec celui qui travaille dans le bureau à<br />

côté du mien, avec celui qui voyage avec moi dans le train ou avec celui qui<br />

est assis au café à côté de moi, mais je garde le contact avec la community.<br />

Je jure avoir vu deux personnes assises l’une devant l’autre qui s’écrivaient.<br />

Des choses de fous !<br />

C’est ce qui arrive même en politique et dans ce cas la lettre change de<br />

logique. <strong>Il</strong> arrive que certains ne s’expriment pas tout à fait dans les réunions<br />

ou bien ils n’y participent même pas, mais ensuite ils écrivent des lettres<br />

ouvertes à la personne intéressée, où le but n’est pas celui de lancer des<br />

messages à leurs partisans. La lettre perd alors l’esprit de discrétion qui lui<br />

appartenait autrefois et devient une lettre ouverte transmise aux journaux<br />

et par e-mail avant que le destinataire ne l’ait reçue. Par ailleurs, il y a un<br />

élément secondaire qui suit la logique suivante : j’écris pour exister, pour apparaître,<br />

pour rassurer mes proches. Et l’autre répond, non pas pour instaurer<br />

un dialogue épistolaire, mais pour trianguler à son tour avec les autres. Pour<br />

faire savoir qu’il existe aussi et pour communiquer sa position à une opinion<br />

publique qui lui est amie. Ce n’est pas un pont pour communiquer, mais<br />

plutôt une exhibition de muscles, de sagacité et de rhétorique écrite. Ce n’est<br />

pas de la confrontation entre thèses opposées, mais une solitude satisfaite.<br />

Un monde bizarre, donc. L’évolution curieuse d’une modalité, l’écrit, qui<br />

voit transformer l’essence de sa raison d’être. Cela devient, dans de temps<br />

difficiles, une nouvelle arme à utiliser, qui ne ressemble en rien aux pam-<br />

123


phlets qui, à partir du XVII ème siècle jusqu’à aujourd’hui, ont opposé les adversaires<br />

en de duels réels et loyaux, mais qui est plus proche d’un jeu vidéo<br />

solitaire dans une logique virtuelle sans témoignages de politesse ou règles<br />

de comportement.<br />

Je trouve qu’il est beau de jouer avec les rapports entre les vies des personnes<br />

et de penser qu’il existe un fil rouge, une sorte de dessein qui unit<br />

des gens et des lieux différents, qui, une fois systématisés, apparaissent très<br />

drôles. Je comprends qu’on risque, en cherchant ces connexions, de forcer<br />

un peu la main, mais jouer ne fait jamais de mal.<br />

J’y pensais il y a quelques jours, en rencontrant, enfin, à Paris Eduardo<br />

<strong>Caveri</strong> ( en qui j’ai immédiatement remarqué un air de famille évident ) et sa<br />

fille Ingrid, née dans la Capitale française. Je les avais trouvés grâce à l’Internet<br />

et notre rencontre a été émouvante et utile.<br />

Remarquez le hasard : Eduardo – artiste argentin – est né à Esquel dans<br />

la province du Chubut, en Patagonie, lieu de montagnes extraordinaires. Son<br />

grand-père Armando avait émigré de Cuorgnè avec sa femme, une Peradotto,<br />

dans la seconde moitié du XIX ème siècle. De là l’idée de cette branche argentine<br />

des <strong>Caveri</strong> d’être des piémontais ( je ne sais pas encore si le célèbre<br />

architecte argentin Claudio <strong>Caveri</strong> appartient à la même famille ), alors que<br />

les <strong>Caveri</strong> sont ligures de Moneglia. <strong>Il</strong> est facile de supposer que Armando ait<br />

connu sa femme à l’Université de Turin ( tous les deux étaient pharmaciens )<br />

et qu’ils aient émigré officiellement du Canavais d’où les Peradotto – et non<br />

pas les <strong>Caveri</strong> – étaient originaires.<br />

Voilà un autre élément original : le premier <strong>Caveri</strong> connu, Nicolò <strong>Caveri</strong>,<br />

cartographe de Gênes, était célèbre aux yeux des spécialistes du secteur<br />

pour avoir particulièrement bien dessiné l’Amérique du Sud et tout spécialement...<br />

la Patagonie ! Lorsque Eduardo, pour suivre son esprit artistique,<br />

part pour aller vivre à Paris en 1964, il ne sait pas que la carte géographique<br />

de Nicolò <strong>Caveri</strong> ( large 2, mètres et haute 1m2 ) se trouve conservée à la<br />

Bibliothèque nationale de Paris !<br />

Pas mal, n’est-ce pas ? Je trouve également intéressant le fait que la branche<br />

valdôtaine des <strong>Caveri</strong> ait choisi de vivre, comme les <strong>Caveri</strong> d’Argentine,<br />

en une terre de montagne. Et mon grand-père René, encore un hasard, recroise<br />

les destins de la famille avec le Canavais, en devenant au début du<br />

XX ème siècle sous-préfet d’Ivrea, où naît l’oncle Séverin. Canavais et Vallée<br />

d’Aoste – ultérieur élément singulier – sont soudés par le Parc du Grand<br />

Paradis et mon arrière-grand-mère, Herminie De la Pierre, était de la même<br />

famille de ce Joseph – Inspecteur des eaux et des forêts du Duché d’Aoste<br />

– à qui on doit au début du XIX ème siècle le sauvetage du bouquetin, symbole<br />

du Grand Paradis, menacé d’extinction ! Alors que la grand-mère maternel-<br />

124


le de mon père « était – comme l’écrit Séverin dans Souvenirs et révélations<br />

– l’arrière petite fille de Louis Rebogliatti, originaire de Vico Canavese, avocat,<br />

établi à Aoste en 1728, membre du Conseil de Commis ». Un autre élément<br />

singulier !<br />

Donc une vaste fresque qui prouve à quel point le passé et les arbres<br />

généalogiques sont riches en idées et en surprises.<br />

janvier<br />

Dans de vieux livres reliés en cuir, survécus à la dispersion de la bibliothèque<br />

de mon grand-père et de mon arrière grand-père, j’avais trouvé le<br />

nom mystérieux de « Miscellanéees ». Y figuraient des mélanges d’ouvrages<br />

de science et de littérature. Une sorte de zapping par écrit et non pas avec<br />

une télécommande, qui permettait de lire plusieurs genres et qui changeait<br />

d’argument pour maintenir vivant l’intérêt du lecteur. J’avoue que pendant<br />

mon enfance j’ai passé beaucoup d’après-midi à feuilleter ces oeuvres d’antiquité<br />

aux caractères typographiques difficiles.<br />

Je retrouve à présent, traduit en français de l’anglais, un volume récent<br />

de Ben Schott, exactement intitulé – dans une logique entre la compilation,<br />

le dictionnaire illustré et le « Strano ma vero »de « La settimana enigmistica »<br />

– Les Miscellanées. La philosophie de ce texte, qui est une indication utile<br />

pour toute situation, résulte de la phrase en début du livre de Virginia Woolf<br />

« N’allons pas croire que la vie se vit plus pleinement dans les choses que l’on<br />

juge communément grandes que dans celles que l’on juge communément<br />

petites ».<br />

Des exemples. L’échelle de Scoville a été inventée en 1912 par Wilbur<br />

Scoville pour indiquer le degré de piquant des piments, de 0 ( piment doux ) à<br />

16.000.000 ( capsaïcine pure ). De l’explication des lignes de la main à la liste<br />

des présidents des Etats-Unis, de la compatibilité de chaque groupe sanguin<br />

aux lignes de métro de Londres, des différentes manières de nouer une cravate<br />

aux mesures de la statue de la Liberté ( longueur du nez 1, 0m ).<br />

Je trouve exhilarante la liste des « Proverbialement il ne faut pas » :...réveiller<br />

le chat qui dort ;...parler de corde dans la maison d’un pendu ;...jeter le<br />

bébé avec l’eau du bain. Pas mal « Je t’aime » dans les différentes langues : du<br />

Gaélique irlandais ( « Tá mé i ngrá lear » ) à l’Esperanto ( « Mi amas vin » ), de<br />

l’Hawaïen ( « Aloha wau ia oi » ) au Zoulou ( « Ngiyakuthanda » ).<br />

12


Sympathiques les définitions pour les anniversaires de mariage : 2 ans,<br />

comme on le sait, argent et 0 or, mais les 30 ans sont de perle et les 80<br />

de chêne. Entre les phobies, horrible la Taphophobie ( peur d’être enterré<br />

vivant ), ridicule la Bitrochosophobie ( peur des bicyclettes ), drôle la Chionophobie<br />

( peur de la neige ), incroyable la Coulrophobie ( peur des clowns ).<br />

Découvrir toutes les capitales du monde, les différents types de nuage,<br />

les surnoms des clubs de football, les Chevaliers de la Table ronde et le nom<br />

de tous les vents. 1 0 pages qui savent être – comme cela peut arriver ! – utiles<br />

et inutiles, mais qui font réfléchir sur la variété des choses, des cultures,<br />

des manières d’être.<br />

Attention : il ne faut pas qu’on se transforme, même en Vallée d’Aoste<br />

en victimes du syndrome de Nimby ! Nimby est un acronyme pour Not In My<br />

Back Yard ( pas dans mon arrière cour ). Ce terme provenant des Etats-Unis<br />

désigne de façon péjorative les associations de défense de l’environnement,<br />

quand elles s’opposent à des ouvrages publics indispensables, auxquels on<br />

s’oppose seulement parce qu’on n’en veut pas à côté de chez-soi, dans une<br />

logique évidente d’égoïsme. Qu’il s’agisse d’une rue, d’un parking, d’une antenne<br />

téléphonique, d’un répétiteur télé, d’une ligne de transport, d’un palais<br />

public, d’une habitation à logement modéré, peu importe : le syndrome se<br />

déclenche.<br />

Bien souvent, comme il arrive par exemple pour la pollution électromagnétique<br />

ou l’incinération des déchets, on utilise des craintes et des préjugés<br />

sans fondement scientifique ou des informations fausses pour enflammer les<br />

discussions. Je pense aux contestations et aux recours des Verts valdôtains<br />

qui ont retardé la réalisation de l’autoroute du Mont Blanc ou encore aux<br />

ennuis causés sur le versant piémontais par les retards de l’achèvement de<br />

la liaison entre Gressoney et Alagna Valsesia ou aux dommages dérivant de<br />

la non-construction du dépurateur des eaux de la Valdigne. De plus, dans la<br />

grande partie des cas, le paradoxe réside dans le fait qu’une association ou<br />

une mobilisation Nimby s’élève contre un projet d’infrastructure ou contre<br />

une infrastructure existante supposée être à l’origine de la dégradation de la<br />

qualité de vie d’une zone donnée, sans nier à priori l’utilité intrinsèque de<br />

cette dernière, mais seulement en raison de sa mauvaise localisation et des<br />

troubles qu’elle créerait dans le voisinage. La logique souvent est effectivement<br />

: bien sûr il faut réaliser ce projet, mais ailleurs !<br />

Les Anglo-saxons, pour mieux indiquer la dégénération a-critique et<br />

instrumentale du Nimby, emploient l’acronyme Banana c’est à dire « Build<br />

Absolutely Nothing Anywhere Near Anything »( ne rien construire à côté de<br />

quelque chose ). Si tout le monde appliquait cette logique on aurait une paralysie<br />

totale. En Italie, plusieurs projets font l’objet de contestations et le phé-<br />

126


nomène Nimby assume des proportions importantes, en intéressant surtout<br />

des structures liées au cycle de traitement des déchets ou des infrastructures<br />

pour les transports ( pensons par exemple aux No Tav, qui s’opposent à un<br />

nouveau chemin de fer, en favorisant, de fait, le transport sur la route ! )<br />

Si d’un côté l’attitude d’inquiétude des citoyens est compréhensible, alors<br />

que celle des mouvements environnementalistes peut se définir instrumentale,<br />

on doit par ailleurs constater que malheureusement, selon ce qui est reporté<br />

par la première rencontre Nationale Nimby Forum ( qui s’est déroulée<br />

à Rome le 6 juillet 200 ), en Italie, rien qu’en 3% de cas des initiatives de<br />

consultation et d’information des communautés locales avaient été organisées<br />

avant le début des travaux. Au contraire des initiatives meilleures pour<br />

intéresser la population doivent nous permettre d’éviter des contestations.<br />

C’est ce qu’on a fait pour les deux nouvelles téléphériques du Mont Blanc,<br />

ce qu’on est en train de faire pour l’aéroport de Saint-Christophe, ce qu’on<br />

fera pour l’hôpital d’Aoste et qu’on devra faire pour les choix futurs en matière<br />

de déchets. Pour éviter de donner des raisons aux professionnels de la<br />

contestation.<br />

Le Fort de Bard ouvrira le week-end prochain avec une exposition olympique<br />

et une partie de ses musées très avancés du point de vue technologique,<br />

liés à un bourg historique sans égaux et dont une partie des immeubles<br />

sont déjà restructurés. Qu’il soit clair : l’événement est important pour<br />

la Vallée tout entière et je dirais pour un système culturel international qui<br />

aura dans le Fort un nouveau point de repère. Le fil rouge sera l’univers de<br />

la montagne et nous avons l’ambition de faire retentir, dans le monde entier,<br />

chez le grand nombre de personnes qui s’occupent de montagne, le nom de<br />

Bard – court et sonore, comme s’il avait été étudié par un publicitaire ! – pour<br />

qu’il devienne familial. Un défi de gestion qui n’a rien de simple ni de banal,<br />

mais merveilleux à affronter.<br />

Durant la courte période de quelques années, l’un des symboles les plus<br />

connus de la Vallée d’Aoste a abandonné son rôle de forteresse militaire désormais<br />

vide et inutile – tant pour l’évolution des techniques de guerre que<br />

pour la paix en Europe – et est devenu un centre culturel pour le temps<br />

libre. Cela s’est fait aussi avec une bonne dose de fonds de l’Union européenne,<br />

ce qui est également un symbole : une machine de guerre devient<br />

un témoignage de paix sous le drapeau européen, qui a effacé – par bonheur<br />

de nos générations – les tragédies et les horreurs qui ont ensanglanté pour<br />

des millénaires le Vieux continent. La Vallée d’Aoste a le mérite de ce choix<br />

qui s’est concrétisé rapidement ( peu de temps s’est écoulé entre la première<br />

idée et la première réalisation pratique ) et qui, entre autres, change la vision<br />

uniquement conservative et de tutelle des biens culturels. Bard, ancienne<br />

127


forteresse, ne sera pas uniquement des musées multimédias, mais également<br />

de l’animation culturelle, des spectacles, des informations culturelles, des<br />

hôtels et de la restauration. Une sorte d’avant-première valable pour d’autres<br />

châteaux, en premier un autre Fort déjà instrument de guerre, celui de Verrès.<br />

Au cours des ouvertures partielles durant ces années à l’occasion de l’événement<br />

Marché au Fort, nous avons vu à quel point le Fort est apprécié par<br />

les Valdôtains, et nous espérons qu’il en sera de même avec les visiteurs et<br />

les touristes.<br />

La rhétorique sur la nouvelle année est prête à frapper, pleine d’un excès<br />

de sentiments et de prévisions qui se transforment en exercices funambulesques.<br />

Elle ressemble à ces gâteaux trop remplis, trop colorés et fortement<br />

caloriques ou bien à ces feux d’artifices bruyants et stupéfiants dans leur<br />

lumière, qui ne vivent que pour un instant.<br />

Par ailleurs les risques de transformer les prévisions en un horoscope<br />

banal sont tous là et il est encore plus nécessaire d’être attentifs, notamment<br />

dans un monde où personne n’aurait pu prévoir le terrorisme atroce du 11<br />

septembre ou la tragédie ensanglantée du raz-de-marée. <strong>Il</strong> existe quelque<br />

chose d’impondérable qui nous ramène toujours à la réalité et qui limité les<br />

excès des élans tant lyriques que poétiques qui accompagnent les prévisions<br />

pour l’année qui viendra.<br />

<strong>Il</strong> devient alors plus simple, bien que ce soit un peu consolateur, d’avoir<br />

des espoirs et de prendre des engagements pour faire en sorte qu’ils se réalisent.<br />

La politique et les actions qui y sont liées, dans le quotidien ainsi que<br />

dans l’organisation ambitieuse du futur, ne sont pas une science exacte. Trop<br />

de variables se regroupent et des précisions géométriques ne peuvent pas<br />

être appliquées à des comportements ou à des humeurs, à des amitiés ou à<br />

des antipathies, à des montées ou à des descentes, à des unions ou à des séparations<br />

brusques qui sont des caractéristiques spécifiques de la politique,<br />

de ses émotions et de ses passions. Elles impriment des dynamiques inattendues<br />

et des solutions bien différentes des points fondamentaux de départ.<br />

Le premier espoir nous concerne. Nous devons faire en sorte que notre<br />

Mouvement arrive à sortir des difficultés, qui le blesseront si elles ne sont pas<br />

réglées par les normes élémentaires de la vie commune et du bon sens. Ceux<br />

qui se sont mis sur cette voie doivent être aidés et la recherche des ententes<br />

n’est pas un pur compromis.<br />

Le deuxième espoir concerne le travail qu’il faut faire et qui ne manque<br />

malheureusement pas de complexité. Je ne connais pas d’autres moyens à<br />

l’exception de l’examen des problématiques et de la recherche de solutions<br />

dans des temps raisonnables. En discutant à fond des arguments, mais sans<br />

porter les discussions à l’infini. Tout en sachant que derrière les problèmes<br />

128


on trouve toujours des êtres humains et des membres de notre communauté.<br />

Cela implique de l’engagement et encore de l’engagement.<br />

Le troisième espoir, c’est que notre communauté ne soit pas affligée par<br />

une veine de cannibalisme. Que l’on ne se querelle donc pas sur tout argument<br />

et que l’on ne passe pas le temps à critiquer ce qu’on fait plutôt qu’à<br />

proposer des alternatives raisonnables. De graves incompréhensions finissent<br />

par alimenter des oppositions et disperser du poison. Invoquer la paix ne signifie<br />

pas être faibles, mais forts.<br />

Le quatrième espoir, c’est que l’on dirige un peu plus le regard du côté<br />

des jeunes. Non pas pour une démagogie stérile, mais puisque – pour de<br />

banales raisons démographiques – ils resteront après nous. On garde l’espoir<br />

qu’ils soient meilleurs que nous et notre devoir est de leur confier une Vallée<br />

d’Aoste en bonne santé dans son ensemble. Comment pourrons-nous autrement<br />

nous regarder dans la glace ou soutenir le regard de nos enfants et de<br />

nos petits-enfants ?<br />

129


131


décembre<br />

Mes enfants, à l’âge où ils commencent à être sceptiques, m’ont demandé<br />

si le Père Noël existe. Bien sûr, les enfants, le Père Noël existe. A<br />

vrai dire je ne l’ai jamais vu, et je ne le verrai jamais. Vous savez aussi que les<br />

Pères Noël que vous voyez à la télé, au cinéma, sur les places et le long des<br />

rues ne sont pas vrais. Je ne sais même pas s’il a une barbe blanche et s’il est<br />

vraiment habillé en rouge, je doute qu’il ait une luge et je crois qu’aussi gras<br />

qu’on le représente il ne pourrait jamais passer par une cheminée. Et de plus<br />

pourrait-il y avoir une usine de jouets au Pole Nord ? Et vraiment les rennes<br />

pourraient résister aux climats chauds ?<br />

Mais le Père Noël existe, j’en suis sûr. <strong>Il</strong> est dans nos cœurs, il résume<br />

une idée et beaucoup de pensées. L’idée est celle très ancienne et rituelle<br />

de l’échange des dons. Le don est comme un pont pour communiquer une<br />

amitié, un sentiment, un amour. Des moments de joie qui ressemblent aux<br />

lumières, qui sont aussi anciennes que des idées dans les nuits les plus noires<br />

du passé de l’humanité. Tout cadeau est une lumière.<br />

Et les pensées ? Le Père Noël n’a pas d’âge. <strong>Il</strong> est sage et amuseur, travailleur<br />

et globe-trotter. <strong>Il</strong> finit par être Roi mage et berger, comme dans la<br />

crèche. <strong>Il</strong> offre aux enfants parce que Noël est la naissance de cet enfant<br />

pauvre de la Palestine : Jésus de Nazareth, né dans une étable, enveloppé par<br />

la lumière d’une comète et destiné au noir et à la souffrance de la Croix.<br />

Le Père Noël est le sourire de nos parents, qui nous ont vus naître un<br />

jour de leur vie. Leurs cadeaux sont une déclaration d’amour. Souvent ce sont<br />

ceux-mêmes qu’ils auraient voulu avoir quand ils étaient enfants à l’époque<br />

de la guerre ou dans la pauvreté de leur passé, lorsque peut-être le « cadeau<br />

»qui arrivait ne correspondait pas aux espoirs. Et cela vaut encore plus<br />

pour les grands-parents qui appartenaient en général à des familles nombreuses.<br />

Le Père Noël à bien y penser est un grand-père dont nous sommes tous<br />

les petits enfants.<br />

Voilà pourquoi le Père Noël existe. <strong>Il</strong> vole dans les cieux de notre imagination,<br />

il apparaît derrière le divertissement du choix des cadeaux, il s’insinue<br />

dans l’espoir que le cadeau donne un moment de joie à ceux qui le reçoivent.<br />

Voilà pourquoi, mes enfants, lorsque vous aurez des enfants à vous, défendez<br />

l’existence du Père Noël. Parce que nous sommes le Père Noël, notre<br />

133


meilleur côté le représente, comme la mousse verte qui gagne sur le gris<br />

de l’hiver, et le gui argent qui illumine les bois tristes. Une lumière qui est<br />

comme celle du sourire du Père Noël, ce même sourire qui illumine le visage<br />

des personnes que nous aimons. Le sourire de tous ceux qui ne sont plus là<br />

et qui rien qu’à l’idée de Noël revient à notre mémoire.<br />

<strong>Il</strong> se peut que ce soit parce que la mondialisation a en partie fait du Noël<br />

quelque chose de laïque, en dépit de sa signification religieuse et c’est pour<br />

cela on le fête de manière désormais semblable sous les différentes latitudes.<br />

<strong>Il</strong> se peut que ce soit parce le Père Noël est une invention de Coca, qui a<br />

placé le pauvre Saint Nicolas au Pole Nord en l’entourant de rennes volantes<br />

et que sa popularité avec la pub de la boisson gazeuse. <strong>Il</strong> se peut que la<br />

lettre au Père Noël, qui désormais est souvent écrite à l’ordinateur et non<br />

plus en belle graphie, ait par conséquent vite remplacé sans trop de respect<br />

la bien plus légitime lettre à envoyer à « Gesù Bambino »pour lui demander<br />

des cadeaux. <strong>Il</strong> se peut que ce soit parce que l’arbre de Noel avec les lumières<br />

intermittentes est né avec le boom des années 60, quand l’électricité se<br />

transformait en opulence : depuis c’est le délire des décorations en une multiplication<br />

de couleurs et de formes. <strong>Il</strong> se peut que ce soit aussi parce que les<br />

repas de la veille et du jour de Noël sont désormais relativisés par les excès<br />

gastronomiques du quotidien et les mandarines –symbole du jour de Noël<br />

dans des périodes bien plus austères – sont toujours sur nos tables. <strong>Il</strong> se peut<br />

aussi que les cadeaux de Noël soient une boulimie de la consommation et<br />

non plus un moment symbolique de communion avec une multiplication qui<br />

les fait sortir de l’entourage familial en élargissant le nombre des destinataires<br />

et en augmentant le bilan.<br />

<strong>Il</strong> se peut aussi que les chants de Noël de tradition anglo-saxonne, comme<br />

il est arrivé avec la dinde rôtie, aient pris trop d’importance dans nos maisons<br />

et sont devenus nécessaires pour créer la bonne ambiance, de sorte que nos<br />

enfants s’étonnent de la « Pastorala » de Cerlogne qui suffisait, à elle seule,<br />

à réchauffer nos cœurs pendant la Messe de Minuit. <strong>Il</strong> se peut aussi que ce<br />

soit parce que les messages des portables ont fait vieillir les cartes de vœux,<br />

achetées en librairie, en faisant littéralement fumer les téléphones dans les<br />

heures clou de l’échange des vœux.<br />

Mais par bonheur, Noël est toujours Noël, et chacun de nous se trouve<br />

face à une série d’obligations. « Etre meilleurs » : c’est un des cauchemars<br />

qui nous suivent depuis l’enfance et qui est strictement lié à l’arrivée des<br />

cadeaux, dans un chantage qui marque pour la vie. Fréquenter la famille et<br />

appeler même les cousins et les oncles les plus éloignés est un autre impératif,<br />

tout en sachant qu’il faut éviter le danger de discussions rituelles, ainsi<br />

134


que la festivité et la banalité des phrases répétitives de circonstance et les<br />

bisous et les gestes qui ont l’air faux. Quand les enfants grandissent, il faut de<br />

plus répondre aux questions sceptiques sur l’existence du Père Noël et tenir<br />

plus possible, même s’ils te trouvent en pyjama, le matin de Noël, avec les<br />

cadeaux sous les bras, devant l’arbre.<br />

Noël, ensuite, comme je le rappelle toujours volontiers, est aussi le jour<br />

de mon anniversaire. Donc pour moi un jour spécial pour une raison de plus,<br />

et les ans qui passent sont marqués encore plus par les changements. Tu<br />

penses aux personnes qui ne sont plus là, aux odeurs saines désormais disparues,<br />

à la quantité de neige qu’on avait autrefois, au fait que par bonheur<br />

les enfants nous garantissent encore une marchandise rare de ces temps : la<br />

stupeur face à un cadeau et à la magie du Noël. Pour moi la tristesse apparaît<br />

en quelques sorte le 26 : Noël est passé par enchantement et je me retrouve<br />

avec un an de plus.<br />

L’idée n’est vraiment pas exceptionnelle, mais on sait que même des<br />

petites idées peuvent résulter un point de départ utile pour changer quelque<br />

chose, notamment en politique. Avant de l’exposer, une prémisse, qui sert<br />

aussi d’exemple concret. Je suis en effet de retour d’une visite en une Région<br />

de la République Tchèque. Elle s’appelle Liberec, un territoire grand comme<br />

la Vallée d’Aoste, avec une population quatre fois plus nombreuse et plus de<br />

deux cent Communes. Sa position géographique est semblable à la nôtre, en<br />

étant à la frontière avec l’Allemagne et la Pologne et pour cela elle a donné<br />

vie, avec les Régions voisines, à une Eurorégion. C’est une zone touristique,<br />

où se tiendront en 2009 les Championnats du monde de ski de fond. Ceux<br />

qui sont des sommets à leurs yeux, aux alentours des 1000 mètres, pour nous<br />

ne sont que des collines, mais la latitude assure l’enneigement. Du point de<br />

vue du régionalisme ils sont des néophytes, étant donné qu’il y a cinq ans la<br />

République Tchèque a crée des entités administratives régionales. Les rencontres,<br />

comme il arrive souvent dans le cadre de la diplomatie régionale dans<br />

l’Union européenne, sont caractérisées par l’analyse d’aspects très concrets.<br />

La confrontation généralement se fait sur des problèmes réels. Qu’est-ce que<br />

vous faites à ce sujet ? Comment vous portez-vous dans ce secteur ? Quels<br />

sont vos rapports avec l’Etat sur ce thème ? Comment vont vos rapports avec<br />

Bruxelles et les Institutions européennes ? On crée des intérêts, on renforce<br />

des amitiés, on ouvre des dossiers communs. <strong>Il</strong> me semble que ce soit une<br />

bonne route à entreprendre.<br />

Toutefois il ne faut pas tomber dans le piège de l’inutilité des vieux jumelages,<br />

qui souvent se transformaient en un va et vient ou encore pire en<br />

un tourisme politique fait par des délégations fatiguées en voyage. <strong>Il</strong> s’agit au<br />

contraire de donner des critères et de la scientificité à ce réseau de contacts.<br />

13


Le lien avec Liberec n’est pas le fruit du hasard, mais il dérive d’une étude<br />

que j’ai fait réaliser et j’ai partagé avec mes collègues sur la base des expériences<br />

européennes.<br />

En considérant les liens plus solides comme des acquis – je pense aux<br />

rapports avec Rhône Alpes, Provence Côte d’Azur, les Départements de la<br />

Savoie, la Catalogne ou avec les francophones belges – la richesse de l’étude<br />

est dans le fait d’avoir trouvé une Région ou une administration locale là où le<br />

niveau régional n’existe pas. A travers quelques critères à considérer seuls ou<br />

associés : régions avec des zones de montagne, minorités linguistiques, forte<br />

compétence législative, localisation transfrontalière.<br />

Ce fil rouge devient de plus en plus intéressant. La logique du réseau sur<br />

l’Europe entière peut nous renforcer et renforcer nos partenaires, qui appartiennent<br />

également à d’autres réseaux avec lesquels nous collaborerons enfin.<br />

Une Europe de lilliputiens contre la logique de Gulliver, un géant aux pieds<br />

d’argile comme l’est la conception désormais vieillie de l’Etat national.<br />

Je crois sincèrement qu’il n’y a qu’une minorité des unionistes, inscrits ou<br />

simples électeurs, qui est à connaissance de l’histoire de notre Mouvement.<br />

Ce qui manque est, à mon avis, cet aspect formatif qui est nécessaire pour<br />

que l’adhésion et le vote se fondent sur une base solide de connaissances.<br />

Le fait que cela arrive ne doit pas étonner : on se referme dans le présent<br />

( et parfois dans la vie privée ! ) sans insérer notre vie actuelle en un horizon<br />

temporel plus vaste et sans tenir compte de l’importance de personnages et<br />

faits du passé.<br />

J’y réfléchissais ces derniers jours, en pensant à la force d’un choix fait il<br />

y a 60 ans à cette époque de l’année. Une fois échouée l’hypothèse d’un vote<br />

démocratique sur l’alternative d’une annexion à la France ( même pour l’attitude<br />

tout à coup froide du Général De Gaulle ) et une fois niée une garantie<br />

internationale pour notre Vallée – pour des raisons semblables – au moment<br />

de la Paix de Paris, les voies pour l’Union Valdôtaine n’étaient que deux : une<br />

pacifique, faite d’une forte interlocution politique avec Rome pour construire<br />

un parcours d’autonomie spéciale, et une autre, pour ainsi dire, violente,<br />

d’affirmation nationaliste bâtie dans l’espoir de créer un petit Etat.<br />

Le premier choix s’est affirmé dans les faits et aujourd’hui nous pouvons<br />

en mesurer le bien-fondé. Choisir de travailler dans les institutions et d’utiliser<br />

ce Statut d’autonomie que toutefois nous critiquons, nous a placés au<br />

centre de la politique valdôtaine. Une lourde responsabilité qui nous oblige<br />

toujours à raisonner entre présent et futur. <strong>Il</strong> faut que périodiquement nous<br />

pensions à nous comme communauté valdôtaine pour que nos choix ne résultent<br />

pas solitaires et placés sur un échiquier isolé, mais pour qu’ils s’insè-<br />

136


ent dans les contextes italien, européen et international. L’empreinte la plus<br />

forte de ces dernières années est justement donnée par l’Europe, une vraie<br />

nouveauté par rapport à l’écho lointain que l’on percevait sur ces thèmes en<br />

194 . Tel est le défi de nos générations. Avec environ soixante-dix Régions<br />

européennes nous partageons la condition de « entités politiques », plus ou<br />

moins fortes, qui ont une compétence législative qui leur est propre et certaines<br />

d’entre elles sont, telles que nous, des minorités linguistiques entièrement<br />

ou en partie constituées par des territoires de montagne.<br />

Le défi est justement celui de constituer un groupe encore plus critique<br />

envers les Capitales et envers Bruxelles au nom de la subsidiarité. En critiquant<br />

le modèle de l’Etat qui paralyse le chemin de l’intégration européenne,<br />

il faut donner une signification à une politique communautaire de travail<br />

commun entre les Régions, pour avoir davantage de poids sur les choix européens<br />

et pour donner au fédéralisme une signification concrète. Le dessein<br />

des Eurorégions doit avancer et il faut savoir que derrière ce projet – même<br />

dans notre région géographique – existe l’ambition nécessaire de sortir des<br />

frontières serrées des Etats nationaux, au nom de la proximité territoriale et<br />

de l’effacement des frontières. Pour cela faire il est important de croire en<br />

nous-mêmes et de ne pas tomber sur des logiques de fermeture locale et il<br />

faut en même temps que la politique vole courageusement haut. La gestion<br />

administrative de la quotidienneté ne doit pas déprimer les ambitions politiques,<br />

nous risquerions autrement d’avoir une plante de l’autonomie sèche<br />

et sans fruits.<br />

Dans l’histoire de notre Vallée nous lisons des moments de haut et de bas<br />

dans l’affirmation de notre identité politique, qui change dans les différentes<br />

époques en fonction des périodes et des règles en vigueur dans le droit public.<br />

C’est à nous qu’il revient de donner au monde de la politique valdôtaine,<br />

qui en démocratie est le reflet de la société civile, la possibilité de profiter<br />

de l’instant qui passe et d’ouvrir au contraire le débat en se confrontant avec<br />

cette Europe des Régions dont nous sommes aussi l’expression.<br />

novembre<br />

La politique est une activité qu’il faut prendre au sérieux et il faut s’en occuper<br />

scrupuleusement. Cela veut dire étudier et passer beaucoup de temps<br />

sur les dossiers, rencontrer des gens, proposer des programmes et élaborer<br />

des idées. <strong>Il</strong> s’agit d’une activité difficile, qui place le politique toujours en<br />

137


discussion grâce aux mécanismes publics qui caractérisent la démocratie.<br />

Imaginez-vous ce qui peut arriver dans un microcosme comme la Vallée<br />

d’Aoste, où la proximité est vécue au quotidien et les occasions de rencontre<br />

se multiplient et où nos bureaux sont ouverts pour tous ceux qui le désirent.<br />

Si on veut faire sérieusement ce métier, il faut chercher d’être des professionnels<br />

de la politique. Avec une seule indication importante : ce travail<br />

peut durer longtemps ou terminer vite, lié aux mécanismes de l’approbation<br />

populaire et même à d’autres imprévus moins sympathiques. Voilà pourquoi<br />

il s’agit d’un métier « sui generis » : l’horizon temporel et les exactes responsabilités<br />

auxquelles on est appelé sont soumises bien souvent au destin et à<br />

ses caprices. Pour nous comprendre : aujourd’hui tu y es e demain peut-être<br />

pas.<br />

C’est pour cette raison que, quand on me demande quel est mon travail<br />

je réponds toujours, après les explications nécessaires dans les différentes<br />

situations : « journaliste ». C’est ce que je voulais faire quand j’étais jeune et<br />

je suis vite devenu professionnel, je me suis amusé d’abord avec la naissance<br />

des radios et des télés privées et ensuite avec l’expérience de la télé régionale.<br />

Des années merveilleuses avant de devenir député, et j’ai continué à<br />

écrire et à faire un peu de radio pour me tenir en exercice. Lorsqu’il m’arrive<br />

quelque chose, que ce soit un voyage, un fait lié au travail ou à toute autre<br />

circonstance, je m’aperçois de raisonner sur la situation comme si je devais<br />

la raconter à un public de spectateurs ou l’écrire pour des lecteurs. Une déformation<br />

professionnelle qu’on ne peut pas effacer, bien que je m’approche<br />

des vingt ans en politique.<br />

Voilà pourquoi les bassesses dans le journalisme me blessent. Un manque<br />

de déontologie et le contrôle insuffisant des sources font paraître à la une<br />

des nouvelles fausses. Une négligence dans l’approfondissement des thèmes<br />

qui risque de transformer les journalistes en pantins qui tiennent un micro<br />

dans les mains ou en artistes du « copier/coller »des communiqués de presse.<br />

Une répétitivité dans les nouvelles qui laisse entrevoir un manque d’envie de<br />

sortir des rédactions pour chercher des nouvelles fraîches et originales, parce<br />

que cela est fatigant. Un choix qui n’est pas partageable : mêler la nouvelle<br />

et le commentaire, en imaginant parfois que le journaliste devient militant et<br />

partisan d’une cause, souvent en polémique avec le Palais, qui est vu d’amblé<br />

comme un adversaire.<br />

Le métier du journaliste est et demeure au contraire celui d’un artisan<br />

humble, qui cherche, creuse, interroge et s’interroge. Une activité solitaire et<br />

en même temps d’équipe à accomplir en respectant les autres et les lecteurs,<br />

en parlant des positions différentes entre elles et en traitant avec attention<br />

les thèmes les plus délicats, en sachant qu’une petite colonne peut avoir<br />

des conséquences graves. Cela n’implique ni de muselière, ni de censure<br />

ou des attentats à une liberté de presse que j’ai toujours estimé sacrée. Mais<br />

cela veut dire qu’écrire dans un journal, parler à la radio et à la télé est un<br />

138


travail difficile qui doit être fait avec une grande attention. <strong>Il</strong> faut le faire<br />

avec amour, en évitant de banaliser l’expérience extraordinaire de la narration<br />

et du récit. Tout en sachant qu’il est également important de le faire avec<br />

une passion civile et en rappelant à quel point ce journalisme libre – et tout<br />

journaliste doit avant tout se sentir libre – est désormais une composante<br />

essentielle d’une démocratie moderne.<br />

Je suis depuis longtemps les faits du long tunnel de la Turin – Lyon et des<br />

« bouts » de voie ferrée qui y sont liés. J’ai pu étudier cette oeuvre cyclopéenne<br />

et ambitieuse tant du point de vue national – italien et français – que du<br />

point de vue du complexe scénario européen et en particulier de l’arc alpin.<br />

Cet intérêt est légitime pour nous valdôtains, étant donné que les destins<br />

de cette voie ferrée influencent pas mal le futur trafic des camions à travers<br />

notre Vallée, en utilisant le Tunnel du Mont Blanc, et noircissent même, en<br />

un horizon temporaire éloigné, la possible réalisation de la voie ferrée et du<br />

Tunnel entre Aoste et Martigny.<br />

De la Turin-Lyon j’ai discuté plusieurs fois – chez eux et même à Bruxelles<br />

– avec les administrateurs de la Vallée de Suse, mais également avec ceux<br />

de la Vallée de la Maurienne, et je sais bien que, notamment dans la basse<br />

Vallée de Suse, demeurent des peurs et des inquiétudes légitimes. <strong>Il</strong> m’avait<br />

semblé comprendre que le « non » plusieurs fois exprimé soit enfin négociable<br />

en échange d’avantages pour le territoire et du choix de projets qui limitent<br />

l’impact sur l’environnement. Ainsi que les représentants des communautés<br />

locales semblaient être conscients des risques que les anarchistes, les<br />

no-global, les environnementalistes puissent manipuler la situation. Même<br />

le risque d’implications terroristes a résulté être véritable, en pensant aux<br />

projectiles envoyés à la Présidente de la région du Piémont Mercedes Bresso,<br />

qui d’ailleurs a toujours su se différencier par sa capacité de rechercher des<br />

solutions raisonnables.<br />

Une situation politique d’ensemble qui n’est pas simple : la Vallée de Suse<br />

a déjà subi une autoroute absolument destructrice du territoire et liée au tunnel<br />

routier du Fréjus ( son doublement est déjà en discussion ). Elle a également<br />

subi un fort dépeuplement en faveur de la plaine et a été agressée par<br />

des phénomènes d’infiltration mafieuse et par des lourdes spéculations sur<br />

les constructions. Les Jeux olympiques de 2006 semblent avoir été, même en<br />

considération du grave déséquilibre sur la ville de Turin, une occasion loupée<br />

pour un nouveau développement touristique et risquent par ailleurs de devenir<br />

une occasion pour des oppositions bruyantes et largement médiatisées<br />

justement contre chemins de fer et trains.<br />

<strong>Il</strong> me semble aujourd’hui que l’opposition à la nouvelle transversale alpine<br />

ait acquis des éléments symboliques ultérieurs et une composante poli-<br />

139


tique qui ne doivent nullement être minimisés. <strong>Il</strong> revient à tout le monde de<br />

trouver des solutions raisonnables. Ma thèse est connue : ceux qui veulent<br />

bloquer la réalisation d’un chemin de fer se trompent, même si – en étant totalement<br />

sincères – il faudrait que le Gouvernement italien et français prouvent<br />

enfin qu’ils ont vraiment l’argent pour cette oeuvre colossale ( ce qui<br />

représente la condition nécessaire pour avoir des contributions de la part de<br />

l’Union européenne ).<br />

Par ailleurs la demande de confrontation et de participation des habitants<br />

de la Vallée de Suse est légitime et ne peut pas être comprimée avec la logique<br />

superficielle de considérer des requêtes comme locales et égoïstes par<br />

rapport à un intérêt abstrait plus ample.<br />

Cela dit, il est évident que le refus de la voie ferrée impliquerait la valorisation<br />

de la route et le doublement des Tunnels du Fréjus et du Mont Blanc.<br />

Cela représenterait pour les Alpes une défaite et une capitulation en faveur<br />

du transport sur la route qui serait vainquant par rapport à la voie ferrée. Je<br />

suis las que des environnementalistes citent le merveilleux exemple suisse<br />

qui valorise le transport des marchandises avec le train et, en même temps,<br />

manifestent contre la même solution entre Italie et France, qui est justement<br />

la nouvelle voie ferrée entre Turin et Lyon. Mettre en discussion cette traversée<br />

alpine, souvent au nom de raisonnements abstraits et idéologiques, est<br />

enfin un risque pour les populations alpines et pour leur futur.<br />

Je trouve que la polémique est une caractéristique importante en politique.<br />

En exposant les positions qu’on assume on se confronte – c’est la<br />

démocratie – avec les projets et les positions des autres. Cela implique des<br />

moments de « collision » et une vivacité évidente dans l’opposition, qui donne<br />

à la vie politique des émotions et de l’adrénaline. <strong>Il</strong> est vrai par ailleurs que la<br />

polémique peut aussi être ironie, sarcasme ou qu’elle peut se jouer à coups<br />

d’escrime. Celui qui accepte de descendre dans l’arène politique, sait de devoir<br />

accepter des règles et en subit par conséquent le bien et le mal. Le bien<br />

est dans le fait qu’on doit être vigilants et on doit défendre ses idées et ses<br />

propositions, le mal est dans la possibilité d’être blessés et battus. <strong>Il</strong> vaut<br />

mieux de se préparer aux coups et de ne pas être trop susceptibles. Cela<br />

arrive même à l’intérieur de notre Mouvement, où des différences légitimes<br />

existent, ce qui est une source de richesse. La quête d’une position unanime,<br />

qui est le résultat d’un travail fait d’une recherche lourde, ne s’identifie pas<br />

à une platitude unanime, vide et sans débat. Mais attention, il faut rappeler<br />

qu’il y a une différence énorme entre l’intérieur ( les polémiques au sein du<br />

Mouvement ) et l’extérieur ( le rapport avec nos adversaires ). <strong>Il</strong> faut faire attention<br />

au juste milieu, à la limite qu’on ne doit jamais dépasser. La phrase<br />

140


de Thomas Hobbes « Bellum omnium contra omnes »– une guerre où tout le<br />

monde se bat contre tout le monde – résume bien le danger qui est représenté<br />

par le fait qu’une lutte continue et sans pause risque de devenir pénible<br />

et de détruire à la base un mouvement politique. Voilà pourquoi il faut<br />

se vacciner contre les virus destructeurs, se doter d’anticorps pour éviter la<br />

maladie, notamment si elle peut être contagieuse. Dans ce cas le seuil de la<br />

confrontation à l’intérieur du Mouvement peut atteindre des niveaux élevés<br />

de polémique, mais doit s’estomper ensuite, en tenant compte des règles<br />

démocratiques, pour éviter des lacérations qui ne peuvent pas être guéries.<br />

<strong>Il</strong> faut être conscients de ces règles, même dans les moments de plus forte<br />

implication émotive et lorsque la colère peut jouer des drôles de tours, il faut<br />

continuer à penser à un intérêt supérieur et être prêts à faire un pas arrière<br />

plutôt qu’un en avant. <strong>Il</strong> est bien plus compliqué, et même impopulaire, de<br />

refroidir les esprits au lieu de les enflammer. Parfois on aime plus frapper<br />

des mains que les lever pour éviter la bagarre. Mais le dialogue, dans des<br />

circonstances particulières, lorsqu’il faut regarder au futur et aux problèmes<br />

quotidiens à résoudre, n’a pas d’alternatives pour éviter que des effets en<br />

cascade poussent la polémique au-delà des limites de non retour.<br />

Les peurs sont liées à notre vie, depuis notre naissance jusqu’au dernier<br />

souffle. Tout âge a les siennes et elles changent avec le temps. Mais la première<br />

inquiétude demeure toujours et légitimement celle de la mort. Heureusement<br />

nous n’y pensons pas en continuation et cela arrive par un mécanisme<br />

qui nous évite de nous y arrêter. Autrement, entre maladies, dangers<br />

quotidiens et risques incontrôlables nous ne bougerions même pas, comme<br />

paralysés, en attendant le pire.<br />

Mais au contraire la grande partie de nous n’y réfléchit pas et vit tranquillement.<br />

En évitant les mauvaises pensées et les angoisses, on vit toutes<br />

nos journées en évitant de penser : « Et si c’était mon dernier jour ? ». Si au<br />

contraire, par hasard, on s’y arête, on tente alors de s’intéresser à autre chose,<br />

pour éviter une sorte de court-circuit qui nous bloquerait.<br />

Ce n’est sans doute pas facile. Aujourd’hui la grippe aviaire est une sorte<br />

de fantôme qui annonce une pandémie très dangereuse. Les risques du terrorisme<br />

international nous remplissent d’appréhension à l’occasion des déplacements<br />

aériens ou des séjours dans les grandes villes. Nous ne savons pas<br />

bien si, malgré les discours importants et les excès du principe de précaution,<br />

ce que nous mangeons nous empoisonne ou pas, si l’usage du portable a des<br />

conséquences sur notre cerveau, si le trou dans l’ozone est ou pas une légende<br />

métropolitaine. Si nous regardons de plus certaines statistiques – telle<br />

que celle du nombre d’accidents de la route ou celle sur l’impact des maladies<br />

cardiovasculaires ou des tumeurs – il y a vraiment le risque d’avoir les<br />

141


frissons et de passer le temps à caser sa vie et son existence à l’intérieur des<br />

statistiques et des chiffres qu’elles imposent malignement.<br />

Même pour cela, sans devoir être obligatoirement courageux, c’est notre<br />

devoir de nous armer d’un fatalisme sain et de jouir de notre vie. Une vie<br />

unique – et cela n’a rien à voir avec l’abstraction ou avec l’espoir légitime de<br />

la foi en quelque chose après la mort – et comme telle à affronter avec force<br />

et détermination. A vivre, donc !<br />

142<br />

octobre<br />

L’Union ne peut pas être une partie intégrante de l’Unione ni s’effacer<br />

à l’intérieur de cette coalition. Je préfère le dire pour éviter des malentendus,<br />

tout en pensant à mon amitié avec Romano Prodi, qui est à mes yeux<br />

le Président qui devra être à Palazzo Chigi à partir de 2006. Je l’écris même<br />

pour répondre à ceux qui pensaient qu’on aurait du participer aux élections<br />

primaires de l’Unione, dont nous ne faisons pas partie ! En sachant de plus<br />

que, à la lumière du soleil, l’Unione regroupe alliés et opposants et donc l’ensemble<br />

de la coalition qui existe en Vallée d’Aoste uniquement pour le choix<br />

du candidat premier, pour nous n’est pas neutre. J’essaye de m’expliquer un<br />

peu mieux. Notre « non participation » aux primaires de l’Unione n’a pas<br />

grand chose à voir avec le slogan « ni droite ni gauche », qui demeure important.<br />

Ainsi on dresse la barre en soulignant l’âme centriste d’un Mouvement<br />

comme le nôtre qui a le but de rassembler les personnes. Chacun de nous,<br />

de plus, en utilisant des catégories politiques qui désormais représentent la<br />

réalité de manière imparfaite, peut s’identifier, au concret, plus à droite ou<br />

à gauche. Personnellement par exemple, pas de mystères là dessus, je me<br />

sens plus progressiste que conservateur, pour utiliser une autre manière pour<br />

exprimer les catégories politiques. Cela est prouvé non seulement par mon<br />

bagage culturel, mais également par mon parcours politique et par les amitiés<br />

dont je suis fier.<br />

Ce qui compte – pour revenir au Mouvement – est le parcours originel<br />

de l’Union Valdôtaine, qui depuis toujours est fait d’alliances « obligatoires »,<br />

différentes entre elles, nécessaires pour réaliser un espoir naturel : gouverner<br />

la Vallée d’Aoste à l’intérieur d’un système qui dans l’après-guerre a été largement<br />

proportionnel. Les choix du passé, que l’on ait choisi la DC plutôt que<br />

le PCI, ont donné lieu à la naissance, néfaste puisque les divisions nous affaiblissent,<br />

d’un Rassemblement sur la droite et d’une Union progressiste sur


la gauche. Un débat interne est bien plus utile que ces choix de rupture et<br />

cela au nom de l’intérêt supérieur de la Vallée, qui doit toujours faire passer<br />

en deuxième plan les tactiques et les personnalismes. Cela signifie regarder<br />

avant tout à nous mêmes et nous poser une question : l’Union a un sens<br />

ou il vaut mieux qu’elle conflue dans un rassemblement plus grand, comme<br />

l’Unione ?<br />

Je suis désolé pour les Cassandres qui désormais nous donnent pour<br />

morts. Je prends acte de l’attitude ambiguë de ceux qui voudraient jouer en<br />

même temps avec deux maillots différents. J’observe les nombreux ennemis<br />

qui font de nos possibles faiblesses leurs points de force. Je m’amuse avec<br />

ceux qui ont fait de cette haine une sorte de métier. Mais il n’y a pas d’alternatives<br />

croyables et penser, après 60 ans de vie, que l’Union décide de<br />

disparaître, en devenant une goutte d’eau dans la mer d’un grand groupement<br />

politique italien, aurait vraiment quelque chose d’ahurissant.<br />

Nous devons au contraire rester nous-mêmes, être des interlocuteurs<br />

pour l’Union, en gardant notre façon d’être et nos caractéristiques. En sachant<br />

de plus que le retour au proportionnel, qui par ailleurs en Italie a toujours<br />

existé pour une fausse utilisation des collège uninominaux partagé dans<br />

les réunions romaines et pour un seuil proportionnel qui a toujours demeuré,<br />

rend l’Unione faible pour les nombreuses divisions bien visibles même en<br />

Vallée d’Aoste, ou quelqu’un pense qu’on puisse répéter un vote qui était clairement<br />

pour Prodi et fortement contre Berlusconi et tout cela n’a pas grand<br />

chose à voir avec le reste.<br />

En tant que fédéralistes nous sommes et nous devons rester des rêveurs.<br />

Mais cela ne nous empêche pas de garder les pieds sur terre. C’est une image<br />

contradictoire. En effet, la complémentarité entre le rêve et le concret évite<br />

le risque qu’on pense au Fédéralisme comme à quelque chose d’abstrait et<br />

d’immobile.<br />

Certes, comme point de départ, il faut dire qu’il faut avoir les nerfs très<br />

solides pour garder la confiance et ne pas tomber dans le piège de la désillusion.<br />

Souvent on a l’idée d’être des homards qui, au lieu de poursuivre en<br />

avant le long de la route, se retrouvent à marcher à reculons.<br />

Toutefois en regardant au passé et au triomphe du centralisme, ( et malheureusement<br />

aux dictatures de droite et de gauche ) en large partie du Novecento,<br />

nous pouvons au contraire apprécier raisonnablement comme une série<br />

de pas en avant aient été accomplis. Cet exercice d’évaluation historique<br />

permet par conséquent d’alimenter une série d’espoirs. <strong>Il</strong> serait par ailleurs<br />

terrible de ne pas avoir une perspective positive pour le futur. Réaliser ses<br />

propres idées, même si aujourd’hui elles paraissent voilées par l’utopie, permet<br />

d’affronter des tâches quotidiennes avec plus d’énergie. C’est au fond<br />

143


notre espoir : un horizon qui se déplace un peu plus loin et auquel on n’arrive<br />

jamais, du moins jusqu’à quand – mais cela fait partie des mystères qui nous<br />

dépassent – notre parcours de vie s’interrompt. Et notre travail de fédéralistes<br />

ne sera pas perdu, mais il servira pour accroître les idées et les espoirs de<br />

ceux qui viennent après nous.<br />

Pensons par exemple à l’Italie et à l’Europe. Entre mille hauts et bas,<br />

l’idée fédéraliste est devenue un sujet de débat. <strong>Il</strong> est vrai que sur cet argument<br />

nous entendons des bêtises, des balbutiements, des ingénuités. Mais<br />

on a sans doute réussi à sortir de ces logiques élitaires et autoréférentielles,<br />

qui faisaient ressembler certaines associations fédéralistes à des groupes de<br />

numismatiques ou de bibliophiles.<br />

Ou, pire encore, comme si le fédéralisme était à associer à des clubs qui<br />

inventent des rites celtiques ou si on avait affaire à des pratiques mystérieuses<br />

comme celles des Templiers.<br />

<strong>Il</strong> existait donc un procès culturel et politique de marginalisation et d’avilissement.<br />

<strong>Il</strong> me semble maintenant que, tant les favorables que les contraires,<br />

ne peuvent pas nier que le fédéralisme occupe solidement la scène. Et qu’il<br />

offre des occasions de changement raisonnables, de plus grande démocratie,<br />

de souveraineté élargie, de proximité des Institutions, de subsidiarité entre<br />

l’énormément grand, comme le monde entier, et l’infiniment petit, comme<br />

peut l’être la Vallée d’Aoste. Un petit morceau coloré sur la mappemonde<br />

qui, avec la clé du fédéralisme, peut dire la sienne !<br />

J’ai voulu rappeler au Président de la République, M. Carlo Azelio<br />

Ciampi, en visite dans notre Vallée, à quel point nous estimons important<br />

de célébrer les 60 ans de notre autonomie. Et le Président est sans doute<br />

plus que d’autres sensible à cet exercice de respect des souvenirs, ce qui lui<br />

vient de sa biographie personnelle, celle d’un octogénaire qui a vécu en entier<br />

l’histoire républicaine.<br />

Sans une mémoire collective, nous n’aurions pas de point de repère et il<br />

n’y aurait aucune continuité avec le futur. Notre identité actuelle serait bien<br />

peu de chose, si l’histoire était un exercice abstrait de notions sans liens entre<br />

elles. Et le ciment qui nous lie est dans l’évolution d’une idée autonomiste<br />

qui, au fil du temps, sait faire face – en se modifiant à l’occurrence – aux<br />

nécessités qui dérivent de l’ensemble institutionnel dans lequel s’insère le<br />

destin politique de notre Vallée. Je pensais par exemple l’autre jour au fait<br />

que l’intramontanisme de Mgr Bailly a été un élément vivifiant de notre pensée<br />

politique, bien au-delà de l’horizon du XVII ème siècle. <strong>Il</strong> représente, au<br />

contraire, un morceau de cette chaîne solide qui lie dans les siècles le particularisme<br />

valdôtain.<br />

144


Et parmi les faits d’il y a 60 ans – c’était bien de l’évoquer – rentre l’anniversaire<br />

de la naissance de notre Mouvement, l’Union valdôtaine, qui depuis<br />

194 a été inséré dans l’histoire de notre Pays. Je suis heureux du fait que<br />

la référence que j’ai voulu faire devant le Chef de l’Etat à l’Union n’ait pas<br />

suscité de polémiques. <strong>Il</strong> est vrai par ailleurs que les 60 ans de l’Union sont et<br />

demeurent un fait historique d’une importance objectivement remarquable<br />

et mon évocation n’était donc pas partisane.<br />

<strong>Il</strong> est clair qu’il est avant tout à nous qu’il revient de communiquer à l’opinion<br />

publique l’importance du rôle de notre Mouvement, de ses dirigeants,<br />

du patrimoine de ses idées et de son action administrative. Nous devons<br />

le faire en soulignant l’événement, comme pourrait le faire le balancement<br />

d’une cloche qui retentit en équilibre entre les faits du passé et la force des<br />

projets pour le futur. Pour ce faire il faut viser haut, au-delà du quotidien.<br />

Cela ne signifie pas ne pas suivre et ne pas résoudre les problèmes<br />

d’aujourd’hui, mais les insérer dans un contexte plus vaste. En s’éloignant<br />

le plus possible d’une vision fragmentaire et sectorielle et en recueillant nos<br />

forces pour une vue d’ensemble, une fresque de notre futur dans laquelle<br />

l’ensemble résume le détail ; où nos affaires personnelles, même les incompréhensions<br />

et les jalousies, sont mises de côté face aux nouvelles nécessités<br />

et aux engagements plus importants. Ce qui nous demande de nous<br />

confronter à un destin collectif, celui du peuple valdôtain, qui nous oblige à<br />

la cohésion. Ce n’est pas une ennuyeuse image d’union, qui cache les ruisseaux<br />

méphitiques de mille divisions, mais une difficile acceptation de nos<br />

responsabilités.<br />

Le cerveau doit être entraîné. Toute nouvelle sollicitation, les scientifiques<br />

nous le disent, sert à éviter les limites qui dérivent de certaines habitudes<br />

ou de la répétitivité de nos actions. La lecture demeure un exercice idéal<br />

pour faire fonctionner les neurones.<br />

Les livres restent un merveilleux exercice intellectuel et personnellement<br />

je les choisis de la manière la plus disparate. Je regarde curieusement dans les<br />

librairies, je visite les sites internet spécialisé ou encore j’écoute les conseils<br />

des amis. <strong>Il</strong> m’est aussi arrivé de lire un livre après en avoir lu la critique.<br />

C’est le cas pour un livre de poche de chez Bompiani écrit par le Professeur<br />

Francesco Tomatis, de Cuneo, intitulé « Filosofia della montagna ». J’étais sur<br />

le point de l’acheter lorsque j’en ai reçu une copie accompagnée d’un gentil<br />

mot de l’auteur. Qu’est-ce que cela a à voir avec l’entraînement du cerveau ?<br />

Le lien est dans le fait que ce livre est un exercice intéressant en neuf chapitres,<br />

divisés en neuf sous-chapitres pour un total – très cartésien – de 81<br />

pensées cultivées, profondes et souvent absorbantes. Comme je le disais,<br />

l’exercice cérébral est garanti, au prix de 8 euros seulement !<br />

14


Tomatis, qui est Professeur de « Ermeneutica filosofica »à l’Université de<br />

Salerno, utilise des titres imagés pour les chapitres ( du type « Mistica e alpinismo<br />

»ou « Metafisica della cima » ) et pour les sous-chapitres ( de la sorte<br />

« Vuoto alpinistico »ou « Contrade alpine e civiltà ideali » ). L’importance des<br />

titres, je le dis comme journaliste, est tout autre que marginale : comme il arrive<br />

pour l’étiquette d’une bonne bouteille, les titres attirants s’accompagnent<br />

à un contenu intéressant, ainsi qu’une belle étiquette à un bon vin.<br />

L’index des citations bibliques et l’index des auteurs cités, y compris notre<br />

Saint-Anselme de Aoste, sont le témoignage de l’épaisseur de l’œuvre. Un<br />

livre qui a été pour moi comme une oasis dans le désert des engagements<br />

quotidiens. Pour faire un autre exemple, le livre ressemble à ce qui arrive en<br />

montagne lorsqu’un océan de nuages enveloppe la plaine et, du haut du sommet,<br />

tu contemples le soleil et le ciel bleu. Merci Tomatis, pour les points de<br />

réflexion, qui confirment la « simpatia »( c’est ainsi qu’il l’a écrit ! ) exprimée<br />

opportunément dans la dédicace !<br />

146<br />

septembre<br />

Quand on se plaint des attentats à l’autonomie spéciale, on déclenche toujours<br />

la réaction de ceux qui accusent l’Union Valdôtaine et ses représentants<br />

de vivre sur ce mécanisme atavique ami-ennemi. Comme si on disait que<br />

Rome, symbole du centralisme politique et institutionnel, finit pour être un<br />

utile bouc émissaire qui unit les valdôtains et renforce notre Mouvement politique.<br />

L’accusation est celle de dramatiser les tons dans ce but pour recruter<br />

partisans et électeurs et d’alourdir le ton de la polémique en augmentant les<br />

difficultés pour provoquer une sorte de cohésion tribale.<br />

<strong>Il</strong> se peut que, comme dans toutes les communautés humaines, des mots<br />

d’ordre ou des discours politiques profitent de mécanismes émotifs et de la<br />

légitime aspiration de captiver l’attention et de créer un groupe plus nombreux.<br />

<strong>Il</strong> y a des règles d’identification et de solidarité utiles et nécessaires.<br />

Mais c’est justement l’exemple de ce moment historique, qui coïncide<br />

avec le 60 e anniversaire de l’autonomie, qui démontre à quel point cette autonomie<br />

peut être vraiment menacée et les menaces sont malheureusement<br />

bien concrètes.<br />

Pour nous comprendre, je vous fais des exemples. On discute de la réforme<br />

électorale et de l’abolition des collèges majoritaires. Je peux vous assurer,<br />

puisque je l’ai vécu pour les discussions à la Chambre des Députés il


y a quelques années, que si la disposition du Statut qui considère la Vallée<br />

d’Aoste une circonscription électorale et nous donne droit à un Député et un<br />

Sénateur n’existait pas, la tentation serait de noyer la Vallée d’Aoste en une<br />

circonscription proportionnelle avec le Piémont et de faire disparaître nos<br />

représentants au Parlement.<br />

Un autre exemple. Depuis 1993 les dispositions d’application du Statut<br />

sont devenues un instrument constitutionnel qui passe à travers un organe<br />

de rang constitutionnel : la Commission paritaire. Cette Commission n’est<br />

pas seulement paralysée par l’Etat, mais nous attendons depuis des années<br />

des décrets très importants pour notre autonomie, qui ont disparu dans les<br />

couloirs du Gouvernement. Un scandale !<br />

Un dernier exemple. L’Union Européenne demande depuis des années<br />

à ses membres de respecter le pacte de stabilité, un mécanisme de contrôle<br />

des frais publics pour éviter tout déficit. A travers les lois budgétaires, le gouvernement<br />

Berlusconi utilise ce mécanisme européen pour toucher au cœur<br />

du système des autonomies spéciales : l’autonomie budgétaire, sans laquelle<br />

l’autonomie spéciale serait de fait annulée.<br />

Voilà pourquoi nous ne sommes pas des visionnaires et nous n’utilisons<br />

pas les problèmes avec Rome pour instruire les valdôtains. Nos demandes<br />

d’attention et de mobilisation sont au contraire motivées et nécessaires pour<br />

le bien de la Vallée d’Aoste. Tout affaissement minerait les fondations de<br />

notre Région.<br />

Lorsque j’étais journaliste à la RAI, pour les nouvelles de la Voix de la Vallée<br />

et celles du journal télé, j’étais orgueilleux d’utiliser très peu les communiqués<br />

de presse. <strong>Il</strong> ne s’agissait absolument pas d’une attitude de snob, mais<br />

je préférais trouver des nouvelles fraîches pour intéresser la personne qui<br />

écoutait la radio ou regardait la télé, et pour ne pas mourir d’ennui comme<br />

professionnel de l’information.<br />

Je l’écris contre mes intérêts actuels, étant donné que comme politique<br />

je confie souvent aux communiqués de presse la description de mon travail,<br />

pour qu’on en informe les citoyens et j’estime que ce type de communication<br />

institutionnelle a une utilité. <strong>Il</strong> y a toutefois une règle à respecter : on doit<br />

avoir des faits vrais, autrement il est légitime de jeter à la poubelle le communiqué,<br />

faute d’intérêt. Et il arrive trop souvent – voilà le point – d’avoir des<br />

communiqués de presse vides en réalité, sans aucune substance et qui n’ont<br />

donc aucune raison d’exister.<br />

Mais je dirais qu’il y a même pire. Je trouve par exemple grotesques ces<br />

communiqués qui semblent être à la mode aujourd’hui. Le schéma est simple<br />

: ceux qui sont régulièrement ignorés par les médias, puisqu’ils font des<br />

choses qui ne sont pas intéressantes, choisissent la stratégie qu’on pourrait<br />

147


définir du chœur grec, comme cela arrive dans la tragédie classique. <strong>Il</strong> y en a<br />

un qui fait, oeuvre, décide et l’autre – d’un pied ferme – qui critique, s’indigne,<br />

menace. Une opération substantiellement semblable au comportement<br />

d’un coucou. <strong>Il</strong> s’empare du nid d’un autre, il jette les œufs qu’il trouve et il<br />

les remplace par les siennes. Un parasite en quelques sorte, comme la ténia,<br />

le célèbre ver qui s’empare des viscères.<br />

Le spécialiste du chœur grec est imbattable. Tu proposes et il s’exprime<br />

contre ton idée, tu t’engages à fond dans ton travail et il s’indigne, tu travailles<br />

quotidiennement et il commente una tantum, généralement avec dégoût. Peu<br />

de propositions et beaucoup de contestations. Parce qu’il n’existe que comme<br />

une lumière réfléchie. Son programme politique se joue sur l’opposition.<br />

Voilà pourquoi les déclarations sont toujours contre et jamais pour, puisqu’elles<br />

manquent d’un contenu réel. Parfois je m’indigne, mais peut-être<br />

– et je l’apprends avec la sagesse accumulée dans les années – il vaut mieux<br />

de cultiver un sentiment d’indifférence. Le silence, parfois, a le son d’une<br />

cloche qui retentit pour annoncer un mort.<br />

Les données concernant les morts à cause du cancer sont impressionnantes.<br />

Umberto Veronesi, célèbre oncologue, dit autrefois à Aoste que si<br />

aujourd’hui environ une personne sur trois tombe malade, ce rapport est destiné<br />

malheureusement à croître, et il y aura deux malades toutes les trois<br />

personnes. En attendant naturellement que la science trouve un vaccin ou<br />

quelque chose de semblable.<br />

Voilà parce que, aussi en espérant de ne pas en avoir personnellement du<br />

besoin, les expériences de ceux qui ont abordé la maladie sont intéressantes<br />

à lire. <strong>Il</strong> est le cas du célèbre journaliste de Florence Tiziano Terzani, mort il<br />

y a un peu plus qu’un an.<br />

Son histoire de journaliste, que je connaissais déjà, est étrange. Bien<br />

qu’italien, il a été pour trente ans correspondant pour l’hebdomadaire allemand<br />

Der Spiegel. En Italie – un peu méconnu – il écrivait parfois pour<br />

« l’Espresso », ensuite il a travaillé pour « La Repubblica »et plus récemment<br />

pour « <strong>Il</strong> Corriere della Sera ».<br />

Observateur attentif de l’écriture efficace, il était un journaliste de race,<br />

polyglotte et acculturé. Souvent contre-courant dans ses choix comme l’évidente<br />

décision non global des derniers mois. J’avais déjà lu deux de ses livres :<br />

« Un indovino mi disse », dans lequel il raconte les voyages en Orient, d’une<br />

année entière, pendant laquelle il n’employa pas l’avion, vu qu’un voyant lui<br />

avait annoncé qu’il serait mort dans un accident aérien.<br />

Ensuite, avec « In Asia », il avait raconté la vie de ce Continent, si difficile<br />

et complexe. En 1997 il découvre être malade de cancer, et il commence une<br />

odyssée à la recherche de soins médicaux de divers genre : de la médicine<br />

148


traditionnelle à beaucoup de formes de soins alternatif, une bonne partie<br />

desquelles démasqués surtout pour la veine de superficialité si non d’avidité.<br />

<strong>Il</strong> mourra 7 ans après sur les montagnes de l’Appennino et les montagnes, de<br />

l’Himalaya aux montagnes de sa terre, sont importantes vu qu’il en comprend<br />

et apprécie l’aspect mystique. Le dernier livre « Un altro giro di giostra » est<br />

un récit émouvant et affligé, ironique et spirituel. <strong>Il</strong> a créé un tel phénomène<br />

d’intérêt et de sympathie qui, posthume par rapport à la vie de l’auteur, est né<br />

un site www.tizianoterzani.com, qui réunit l’intérêt de ceux qui ont découvert<br />

en Terzani une source d’inspiration, d’intérêt humain, d’impulse à la découverte<br />

intérieure. Sa figure hiératique, avec la barbe blanche et les vêtements<br />

orientaux, se retrouve même dans un film, dirigé juste avant sa mort, par le<br />

réalisateur Mario Zanot, dans lequel il montre avec quelle vitalité on peut<br />

aborder le trépas.<br />

Accompagner pour 00 pages la lente agonie d’une personne rend participes<br />

et émus, même si certaines rudesses antiaméricaines de l’auteur peuvent<br />

heurter. Dans le travail de Terzani – qui accepte le destin incessant qui<br />

l’attend – il n’y a pas le désespoir, au contraire on retrouve un parcours vers la<br />

mort qui devient peu à peu consciente et sereine, en valorisant l’importance<br />

de la vie. Une attitude et un état d’esprit culturels qui ont créé, et ce n’est<br />

pas un hasard, ce mouvement d’opinion qui a aujourd’hui en Tiziano Terzani<br />

un point de repère.<br />

Certes, ça lui ferait plaisir.<br />

Les anniversaires ne servent pas seulement pour se regarder dans le miroir,<br />

mais aussi pour se regarder autour. J’y pensais pendant que, comme dans<br />

une « moviola », les étapes fondamentales de l’histoire de notre Mouvement<br />

glissent à la mémoire.<br />

Histoire exemplaire de batailles politiques et de sacrifice personnel de<br />

milliers et milliers de nos militants, qui ont sacrifié du temps et des énergies<br />

pour le bien suprême de la cause valdôtaine. Ça réchauffe les cœurs de<br />

penser à ces personnes qui ont su traverser des instants difficiles et bien loin<br />

des résultats électoraux éclatants de ces derniers ans. Jamais ces triomphes,<br />

comme la majorité absolue au sein du Conseil de la Vallée, n’auraient existé<br />

sans ceux qui ont construit des bases solides dans un moment historique<br />

dans lequel il était difficile d’être unioniste. Aujourd’hui, il est très facile de<br />

se ranger du côté des vainqueurs. Je pensais, par contre, au triste destin de<br />

nos ennemis. <strong>Il</strong> y a soixante ans, dès le début, on n’était pas considérés du<br />

tout par beaucoup d’eux. Ensuite, parmi les fondateurs, quelques uns suivirent<br />

les sirènes des partis nationaux dans le climat hostile de la guerre froide :<br />

ainsi on a eu la possibilité de vérifier la présence d’un grand nombre de traîtres.<br />

La graine de la zizanie fut répandue à pleines mains et cela produisit – à<br />

149


l’aide aussi des services secrets italiens qui épiaient la vie privée et publique<br />

de mon oncle Séverin – des périodiques et douloureuses divisions. Les ennemis<br />

étaient les leaders nationaux qui empêchaient l’application du Statut de<br />

l’autonomie. Des ennemis qui peignaient les valdôtains comme « mafieux »<br />

et construisaient des grandes et petites enquêtes judiciaires contre les exposants<br />

unionistes. <strong>Il</strong> y avait ceux qui nous accusaient de n’importe quelles<br />

infamies parce qu’on était, et nous le sommes encore, des autonomistes et<br />

des fédéralistes. <strong>Il</strong> y avait qui, au nom du nationalisme ou de l’internationalisme,<br />

nous décrivaient comme des petits et mesquins provinciaux. Ceux qui<br />

se moquaient de l’emploi du Français et du franco-provençal, ainsi que de<br />

l’amour pour notre culture et nos traditions.<br />

Maintenant on découvre que les partis politiques férocement adverses<br />

à l’UV sont disparus de la scène. Durs comme le rocher de nos montagnes,<br />

nous sommes là à jouir en regardant nos adversaires vaincus par l’histoire<br />

ou forcés à nous imiter afin d’avoir le même succès qu’on obtient avec notre<br />

message politique. Tant d’ennemis, tant d’honneur. Ainsi nous pourrions dire<br />

de notre histoire. En sachant cependant que nous représentons nos pires<br />

ennemis. Nous le sommes quand les jalousies et les incompréhensions nous<br />

déchirent et la haine embrume le seul objectif que nous devons poursuivre,<br />

le bien-être et une majeure liberté pour notre Vallée et pour ce peuple valdôtain<br />

que nous devons servir avec humilité et engagement. Cela relativise<br />

le rôle et les ambitions de chacun de nous, afin d’éviter que l’étoile de notre<br />

Mouvement, qui n’a jamais été aussi luisante, puisse s’affaiblir.<br />

L’eau c’est nous. Notre corps en est fait, nous y vivons dans l’utérus de<br />

nos mamans, sans eau nous mourons en peu de temps et la nature autour de<br />

nous s’éteint si elle n’en reçoit pas régulièrement.<br />

Depuis quelques temps – ceux qui partagent cet intérêt le comprennent<br />

– l’évolution climatique me passionne. C’est une évolution qui garde toutefois<br />

quelques points de repère.<br />

Le premier : depuis 000 ans les valdôtains ont du faire face à beaucoup<br />

de changements avec des glaciers qui reculaient et s’étendaient en fonction<br />

du froid ou de la chaleur, et aux changements de température qui influaient<br />

sur les activités agricoles et sur la localisation des centres habités. Le deuxième<br />

: le problème de l’eau est prioritaire dans le monde agricole ; le territoire<br />

a été forgé avec des rus et des canalisations plus ou moins grandes qui, en<br />

guise de squelette, soutiennent le terrain et alimentent un système hydrique<br />

sans lequel le désert s’emparerait de bien de territoires. Le troisième : l’eau<br />

signifie aussi culture et donc toute civilisation, y compris la nôtre, qui est le<br />

sous système du système des Alpes, trouve dans l’eau et dans la manière de<br />

1 0


l’employer un élément fondateur ( je pense par exemple aux fontaines disséminées<br />

sur notre territoire ). Le quatrième : l’eau est aussi modernité, comme<br />

cela est arrivé avec l’énergie hydroélectrique et comme il arrive aujourd’hui<br />

avec l’eau pour produire la neige artificielle, indispensable pour avoir les pistes<br />

enneigées et pour permettre le tourisme d’hiver. Le cinquième : depuis<br />

des millénaires l’eau n’est pas uniquement un élément bénéfique : elle peut<br />

donner lieu à des catastrophes dans les zones de montagne, comme il arrive<br />

avec les alluvions et les bouleversements qui en dérivent. Le sixième : ce qui<br />

pourrait être différent, dans le graphique des mutations, serait la responsabilité<br />

directe des styles de vie et des modèles de développement de l’humanité<br />

sur les transformations du climat, qui ne seraient pas dues aux dynamiques<br />

de la Terre sur laquelle nous vivons. Ce court résumé est la démonstration<br />

de la complexité face à laquelle nous nous trouvons et de la nécessité de<br />

comprendre. Des exemples. Devrait-on penser à être plus attentifs à une ressource<br />

qui a été considérée infinie jusqu’à présent ? L’eau de pluie, rarement<br />

prise en considération à nos latitudes, doit être recueillie scientifiquement ?<br />

Nous faisons semblant de rien pour le brusque reculement des glaciers ou<br />

nous trouvons des mesures actives de tutelle ? Si l’hydrogène sera effectivement<br />

le combustible de demain, notre eau sera comme le pétrole ?<br />

Le climat des prochaines années et décennies n’est donc absolument pas<br />

neutre par rapport à des choix et à des décisions que nous devons assumer<br />

aujourd’hui pour être à temps. Je comprends la prudence des scientifiques et<br />

qu’ils soient souvent partagés dans les analyses et dans les prévisions, mais<br />

il est opportun que la politique s’intéresse aux changements climatiques en<br />

Vallée d’Aoste pour savoir, pour comprendre, pour intervenir. Suivre exclusivement<br />

les événements serait un choix renonciataire.<br />

août<br />

Des nuages noirs se lèvent à l’horizon des régions italiennes et si on tend<br />

l’oreille on entend le bruit des tonnerres qui ne promettent rien de bon. Elles<br />

seront mises en difficulté par la Finanziaria de l’Etat qui « coupera » férocement<br />

au nom et pour le compte du pacte de stabilité européen. Entendonsnous<br />

bien : pour un Pays comme l’Italie, où les dépenses publiques ont été<br />

hors contrôle et ont causé un déficit colossal accumulé dans les années, il<br />

est bien que l’Union européenne ait obligé au respect de quelques paramètre.<br />

Elle peut et doit demeurer une garantie. Même si désormais il faut être<br />

1 1


prudents sur ce thème, le pacte de stabilité est devenu un simulacre, qui sert<br />

pour tous les usages, comme il arrivera dans ce cas pour invertir le procès de<br />

décentralisation en faveur de ce centralisme italien qui est le vrai responsable<br />

du risque de banqueroute des comptes publics. Rome, au contraire, fait semblant<br />

d’être la vertueuse et virginale interprète des désirs de Bruxelles.<br />

<strong>Il</strong> faut en rire pour ne pas en pleurer !<br />

Une fois, plein d’amertume, Gianni Agnelli observa que l’Italie s’était<br />

mise dans les conditions idéales pour devenir non pas le premier Pays de<br />

l’Europe, mais... de l’Afrique. Un calembour qui cachait une vérité de fond :<br />

l’incapacité de l’Italie d’être un Etat moderne et efficace. Le semblant régionalisme<br />

à l’italienne risque d’être le bouc émissaire des fautes que les<br />

Régions n’ont pas commis, même si, bien entendu, on a des responsabilités<br />

du point de vue du sens régionaliste et une comparaison entre Nord et Sud<br />

servirait pour atténuer une sorte de rhétorique sur le « Mezzogiorno ».<br />

Berlusconi avait réussi à incarner quelques espoirs, y compris la dévolution<br />

tant gribouillée, donc une vraie injection d’autonomie régionale, qui gît<br />

inexprimée au Parlement. Berlusconi avait des qualités apparentes : un entrepreneur<br />

de succès, chargé d’un esprit décisionnel qui semblait alternatif par<br />

rapport aux byzantinismes de la politique, milanais efficient contre le marais<br />

romain, le Cavaliere est aujourd’hui seul face à une défaite. Et maintenant,<br />

dans la dernière Finanziaria qui précède les élections politiques, il tente de<br />

trouver de l’argent à redistribuer –notamment avec des réductions fiscales–<br />

aux classes productrices, naturellement composées par ses électeurs.<br />

Où trouver cet argent ? Depuis quelques temps, et ce n’est pas un hasard,<br />

les journaux de centre droite, y compris « <strong>Il</strong> Giornale », avaient commencé<br />

une lourde campagne contre les Régions, accusées d’être les vraies responsables<br />

d’une finance publique joyeuse et gaspilleuse. Ce même refrain a été<br />

repris récemment, justement à la veille de la Finanziaria, par des exposants<br />

du Gouvernement : la Gauche des DS – comme le Sénateur Salvi l’a fait<br />

aveuglement – s’est lancée contre les coûts excessifs du régionalisme, en<br />

devenant complice du projet rusé d’une nouvelle centralisation au nom du<br />

bien des comptes publics. Le vrai paradoxe est celui de décharger sur le<br />

système régionaliste les responsabilités de l’Etat. <strong>Il</strong> faut que le front régionaliste,<br />

indépendamment des majorités qui régissent les Régions mêmes, se<br />

rebelle avec tous ses moyens et affirme sa dignité politique. Les autonomies<br />

spéciales, à leur tour, doivent être les pointes de diamant de la protestation.<br />

<strong>Il</strong> faut se manifester et faire en sorte que l’opinion publique s’exprime dans<br />

les différentes Régions. Et il est nécessaire que la prochaine campagne électorale<br />

pour les élections politiques soit animée par le problème du futur et<br />

des espoirs du régionalisme. Qu’on nous dise et nous explique où les Partis<br />

veulent se diriger : on en tiendra la clarté du débat, qui demeure décisif pour<br />

les valdôtains. L’autonomie spéciale a besoin d’être relancée avec force et il<br />

est bien, comme je le disais, de rester unis sur ce point, notamment avec les<br />

1 2


autres « spéciales » du Nord, prêts à rappeler – aujourd’hui comme dans le<br />

second après-guerre – qu’on parle d’un pacte politique fait avec l’Etat et qu’il<br />

faut le respecter. Autrement il faudra tout rediscuter du début, et nous nous<br />

ferons trouver prêts et en aucun cas renonciataires. Ceux qui pensent que<br />

l’autonomie spéciale pourra être réduite avec simplicité auront de mauvaises<br />

surprises en Italie et en Europe : ils sous-estiment notre capacité de réaction<br />

politique et nos Institutions.<br />

juillet<br />

Benoît XVI a des yeux noirs et rapides, sur des cernes profonds dans un<br />

visage qu’on dirait être celui d’un curé du Moyen-âge. Vêtu de blanc, privilège<br />

du Pape, au milieu des Evêques en noir, sa présence émerge, au milieu de<br />

la couleur chaude du bois, des arbres verdoyants, des géraniums rouge feu ;<br />

il affronte la foule avec l’attitude évidente d’un timide, en avançant jusqu’à la<br />

limite de la « scène ». Un intellectuel qui pèse tous ses mots et qui se trouve<br />

probablement étonné par ce mécanisme difficile de l’immersion au milieu<br />

des gens. On dirait par moments un enfant qui se délecte de la nouveauté,<br />

des cœurs de jeunes qui rythment des chants sur son nom. Un sourire éclaire<br />

son visage et le rend joyeux par rapport à l’air pensif de quelques minutes<br />

plus tôt.<br />

Des yeux qui se font plus pénétrants quand il se concentre sur son interlocuteur.<br />

Je l’ai remarqué lorsque des parents détruits par la douleur lui indiquaient<br />

le corps ravagé d’un fils handicapé, allongé sur un brancard ou<br />

lorsqu’un mari, assis à côté de moi, lui a raconté avec un amour infini de la<br />

très grave maladie de son épouse.<br />

Ses mains de pianiste, nous le savons par la présence du piano installé<br />

dans le chalet de Les Combes, sont longues et fuselées, nerveuses quand elles<br />

accompagnent avec des mouvements les difficultés de la langue italienne<br />

employée devant toutes ces personnes. Si je devais le dire, j’ai l’impression<br />

qu’en français et même en franco-provençal – parlé pour la première fois<br />

par un Pape ! – son accent est moins fort qu’en italien, où les aspérités de<br />

l’allemand incident sur la sonorité de certains mots. Mais avec élégance dans<br />

sa langue maternelle il a cité la minorité allemande de Aostatal, qui n’était<br />

malheureusement pas présente à l’Angelus d’Introd avec ces costumes Walser<br />

qui auraient donné au Saint Père l’illusion d’être chez lui ! Ça sera pour<br />

la prochaine fois.<br />

1 3


Arrivé dans notre Vallée après l’aimé Jean Paul II, qui est venu « chez<br />

nous » pour dix fois ( et parfois nous sommes même allés « chez lui », je pense<br />

par exemple à l’Arbre de Noël de la Vallée d’Aoste en Place Saint Pierre ),<br />

Pape Ratzinger – c’est Navarro, son porte parole, qui l’a dit – a déjà appris<br />

à aimer les Valdôtains comme nous avons appris à aimer ce nouveau Saint<br />

Père, un théologien allemand devenu l’Evêque de Rome. <strong>Il</strong> ne connaissait<br />

pas notre Vallée, mais aujourd’hui, grâce à la majestueuse beauté de nos<br />

montagnes, il ne pourra pas l’oublier et nous espérons vraiment que le Pape<br />

revienne chez nous en vacance et que cette période de repos lui ait été utile,<br />

pour le corps et pour l’esprit, pour son rôle difficile de guide des catholiques.<br />

A bientôt, Joseph, nouvel ami de la Vallée.<br />

Chacun de nous a le droit de maintenir et d’entretenir sa culture et sa religion,<br />

ce qui est naturel aussi bien du point de vue du principe constitutionnel<br />

que du bon sens.<br />

Voilà pourquoi il est dans les droits de la communauté islamique, qui<br />

même en Vallée d’Aoste est composée de moins en moins de personnes seules<br />

et de plus en plus par des familles nombreuses, ( on le voit par les données<br />

des naissances et de la fréquence dans les écoles ), de garder ses habitudes et<br />

ses traditions : du maintien de la langue maternelle au rapport étroit avec les<br />

compatriotes, de l’abattage islamique aux kiosques avec des produits typiques<br />

tels que le kebab, des robes extrêmement sobres pour les femmes au respect<br />

des préceptes anciens tels que le Ramadan. Les lieux de rencontre pour la<br />

communauté – qu’il s’agisse de petits magasins ou de cafés – sont également<br />

compréhensibles et il est logique que l’on se rencontre, comme cela arrivait<br />

dans les brasseries de Paris pour nos émigrés valdôtains. La mosquée, de plus<br />

est un peu comme une Eglise pour nous, point de repère de la foi et lieu de<br />

socialisation et d’amitié.<br />

<strong>Il</strong> est toutefois inutile de nier que la présence croissante de personnes<br />

islamiques crée des difficultés à une bonne partie de l’opinion publique et<br />

les faits internationaux, avec des actes de terrorisme accomplis au nom de<br />

l’Islam, accentuent les craintes. Même pour la Vallée, habituée aux vagues<br />

de migration de l’Italie qui ont suivi un procédé rapide d’intégration ( d’abord<br />

les Piémontais, ensuite les Vénètes et enfin les Calabrais ), cette immigration<br />

de l’autre côté de la Méditerranée a la caractéristique d’un gap culturel très<br />

fort.<br />

Dans le débat de ces jours sur le problème, on souligne le fait – bien<br />

visible dans des Pays d’ancienne immigration islamique comme la France<br />

et l’Angleterre – que souvent ce sont des procédés d’intégration mal réussis<br />

qui donnent lieu à des flambées anti-occidentales fondées sur l’extrémisme<br />

1 4


islamique. Les cas des jeunes Pakistanais, désormais devenus Anglais, qui<br />

se sont fait exploser à Londres en sont un exemple éclatant. <strong>Il</strong> y a un terrain<br />

favorable qui permet un facile prosélytisme dans la pauvreté et dans la marginalisation<br />

même dans l’Occident, exactement comme dans les Pays du Tiers<br />

Monde. Cette cause doit être comprise, mais il soit clair qu’elle ne pourra pas<br />

devenir un argument à décharge des assassins.<br />

Souvent, de plus, dans des groupes de jeunes extrémistes, la redécouverte<br />

des racines se lie à une adhésion à des mouvements radicaux, qui fondent<br />

leur idéologie sur le refus de droits qui sont fondamentaux pour nous, tels<br />

que la parité entre hommes et femmes, la laïcité de l’Etat, la séparation entre<br />

justice et religion et les principes de solidarité et de fraternité entre les Peuples.<br />

De plus les principes de tutelle de la diversité culturelle, linguistique et<br />

religieuse se fondent naturellement sur la réciprocité et donc sur le respect<br />

des habitudes et des coutumes de chacun qui – dans le cas d’une légitimation<br />

par les normes élémentaires de notre Droit – doit être réciproque.<br />

S’il n’y a pas d’échange entre les cultures, mais quelqu’un ( persuadé de<br />

plus de sa supériorité ), se limite à se refermer en lui-même, on n’y est vraiment<br />

pas. Cela vaut pour l’ethnocentrisme occidental, mais il n’y a pas de<br />

justifications pour un islamisme protecteur et concentré uniquement sur<br />

soi.<br />

L’attitude et les comportements ont une énorme importance. <strong>Il</strong> ne doit<br />

pas être permis à un Imam d’enflammer ses fidèles avec des discours contre<br />

l’Occident. Si dans nos cafés on consomme de l’alcool, qu’on ne pense pas à<br />

des restrictions pour ne pas vexer ceux qui sont contraires à son utilisation et<br />

la même chose vaut pour les nombrils exposés ouvertement par nos jeunes<br />

filles qui ne doivent sans doute pas être couverts ! Si les préceptes religieux<br />

imposent le voile pour une croyante cela me va très bien ( mais à l’école, comme<br />

en France, le professeur doit voir le visage de son élève ), toutefois je ne<br />

pense pas que cela signifie que ma femme ou ma fille doivent faire la même<br />

chose ! Et Chirac a bien fait, il y a une dizaine d’années, à ne pas accepter le<br />

chantage des Iraniens qui, au cours d’une rencontre officielle, ne voulaient<br />

pas de bouteilles de vin sur les tables !<br />

Les droits donc, ont une limite insurmontable dans les droits des autres.<br />

<strong>Il</strong> existe une ligne de démarcation idéale qu’il ne faut pas oublier. Les devoirs<br />

sur les plateaux de la balance, doivent être clairs pour les deux côtés. Le devoir<br />

de respecter les lois, de respecter des règles de politesse, de reconnaître<br />

comme notre organisation démocratique permet de vivre bien et représente<br />

pour tout le monde une occasion de liberté. Malheureusement l’Islam, pour<br />

le moment, ne s’accompagne pas à des régimes démocratiques et cela est<br />

consolant. <strong>Il</strong> est vrai, malgré cela, que nos démocraties résultent imparfaites<br />

et améliorables, mais toujours mieux que les démocraties fictives des régimes<br />

dictatoriaux ou représentés par des petites élites corrompues ou incompétentes.<br />

1


Les bombes à Londres démontrent encore une fois à quel point la haine<br />

peut être aveugle, à la recherche de victimes innocentes qui, pour les cas de<br />

la vie, se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment. Des vies interrompues<br />

pour avoir pris un train ou un bus dans un instant précis, comme<br />

dans une sorte de roulette de la vie ou de roulette russe des circonstances.<br />

C’est ce qui arriva sur les tours de New York, où se trouvaient des milliers<br />

de personnes venant de lieux différents, victimes de l’impondérable. Parfois<br />

une minute de plus ou de moins a fait la différence et l’adieu aux familles a<br />

été donné, en quelques cas, avec un dernier et émouvant coup de fil, dans<br />

l’attente d’un épilogue dramatique.<br />

C’est un terrorisme lâche et assassin qui ensanglante le monde au nom<br />

de la foi religieuse. <strong>Il</strong> a des adeptes qui sont obnubilés par l’idéologie et formés<br />

dans le culte d’une mort héroïque et par conséquent d’une place au<br />

Paradis. Je crois qu’il n’y a que l’Enfer pour les engloutir !<br />

C’est dégoûtant de penser que ces personnes ont une famille et que souvent<br />

mères ou fils célèbrent la mort causée à d’autres par un proche, parfois<br />

avec un suicide qui n’est rien de plus que le résultat d’un endoctrinement<br />

systématique. <strong>Il</strong> n’y a pas de désespoir personnel ou de drame collectif, de<br />

lecture sociologique ou de justification psychologique qui excuse ces comportements.<br />

Infliger de la douleur parce qu’on en a subi n’est pas une raison.<br />

Au contraire, ceux qui ont souffert devraient pour cette même raison regarder<br />

le monde avec des yeux différents et chercher de ne pas amplifier la<br />

souffrance. L’horreur est horreur et ceux qui veulent faire des différences ou<br />

jouent avec les causes cachées sont et demeurent des complices et il n’y a pas<br />

d’anti-américanisme ou de vision no-global qui tienne.<br />

<strong>Il</strong> faut le dire fort et clair pour éviter le paradoxe de mettre des morts<br />

sans faute dans la situation grotesque d’être considérés presque des victimes<br />

sacrificielles parce qu’ils incarnent des valeurs occidentales. Encore de ces<br />

jours j’ai lu des communiqués venant de l’extrême droite qui dégoûtent. Au<br />

partage de la douleur suivent des phrases pensives sur des réflexions qui dériveraient<br />

automatiquement des faits, avec une recherche de motivations pour<br />

ces épisodes qui ne peuvent être en aucun cas être acceptées.<br />

C’est certain : nous nous trouvons dans ces cas face à une dégénération<br />

de l’Islam. Ce soit clair, il ne s’agit pas d’une condamnation aux Musulmans,<br />

à leur religion ou à leur culture. Mais il est l’heure, je crois, que la large<br />

majorité des modérés et des personnes raisonnables réagisse avec force et<br />

avec décision contre ces minorités qui utilisent la haine comme seule clé de<br />

lecture et qui sèment la mort dans le monde entier. Assez ! La prévention et<br />

la répression doivent être déterminées et énergiques : il n’est plus nécessaire<br />

d’avoir de Tribunaux spéciaux ou autre. <strong>Il</strong> faut toutefois que la justice soit<br />

exercée avec équilibre et sans céder. <strong>Il</strong> n’y a pas de pitié face à des monstres<br />

comme ceux-ci, des assassins qui doivent être renfermés pour toujours dans<br />

1 6


les prisons pour qu’ils réfléchissent jusqu’à la fin de leurs jours sur l’horreur<br />

dont ils ont été la cause. Et la peine de mort, que je refuse toujours, ne serait<br />

pour ces personnes qu’un raccourci vers leur martyre illusoire. Mieux vaut<br />

pour eux une vie en prison.<br />

Puisque il est bien qu’il y ait toujours une continuité entre le passé et le<br />

futur, j’ai voulu, dans mon intervention au Conseil régional au moment de<br />

la prise de fonctions comme Président de la Région, rappeler un discours<br />

prononcé à l’Assemblée Générale de l’Union à Aoste le 20 décembre 194<br />

par mon oncle Séverin <strong>Caveri</strong> qui avait pour titre « L’Esprit de l’Union ». Je<br />

vous en propose quelques passages. « Soyons dignes de l’espoir du Pays. ( ... )<br />

Et surtout gardons nous des querelles mesquines. Lorsque la jalousie, cette<br />

terrible ennemie de notre cause cherche de diviser nos esprits, rappelons<br />

nous que la cause valdôtaine est en jeu ( ... ). ( ... )Le plus grand ennemi est<br />

en nous : la discorde. La rivalité entre les personnes, les familles et les clans<br />

avaient cessé pendant la période de la lutte contre l’ennemi commun : le<br />

fascisme. Nous avons alors pensé que ces rivalités étaient mortes, mais nous<br />

les voyons déjà reprendre vigueur comme des serpents endormis. L’Union<br />

valdôtaine doit écraser ces serpents de la discorde et créer le front commun<br />

des Valdôtains ( ... ). L’esprit d’exclusivisme doit être étouffé : la maison de<br />

l’Union doit avoir les portes et les fenêtres ouvertes : tous peuvent entrer. ( ... )<br />

Nous n’avons pas des buts cachés, des buts mystérieux ou ténébreux. Notre<br />

action se développera à la lumière du soleil. Notre but est un seul : travailler<br />

tous ensemble pour la petite patrie. »<br />

Et encore un passage très significatif qui se propose de contraster l’accusation<br />

de conservatisme qui souvent nous est portée. Le voilà : « ( ... ). Nous ne<br />

devons pas être des admirateurs outrés du passé : ceux qui ne regardent pas<br />

le présent et ne regardent pas vers l’avenir sont semblables à ces personnages<br />

de la Bible, qui ont été transformés et figés en des statues de sel, tandis qu’ils<br />

se retournaient vers la cité morte.<br />

L’étude de notre histoire sera un moyen formidable de valdôtanisation, surtout<br />

des jeunes, mais nous devons dans le même temps concevoir les problèmes<br />

valdôtains d’une manière moderne. ( ... ) <strong>Il</strong> faut démontrer que les vieux,<br />

que les réactionnaires sont les autres, ceux qui conçoivent l’état unitaire et<br />

centralisé comme un Dieu, ceux qui conçoivent la Nation comme un mythe<br />

ou comme un bloc homogène. ( ... ) Les hommes modernes se sont aperçus<br />

que les petites patries sont plus vivantes que jamais et qu’en tuant les petites<br />

patries, les grandes patries deviennent des abstractions stratosphériques.<br />

( ... ) » On a quelques conclusions qui sont intéressantes : « Permettez-moi<br />

une dernière observation : nous devons éviter de tomber dans un nationalisme<br />

régional. Les valdôtains ne doivent pas penser d’être le peuple élu. Nous<br />

1 7


ne devons pas faire de la démagogie valdôtaine. Nous devons reconnaître<br />

nos défauts afin de pouvoir les corriger. ( ... ) L’Union doit être un instrument<br />

d’élévation matérielle et spirituelle. Sa devise sera alors la suivante : « Tradition<br />

et Progrès » » Dans ces phrases on trouve, comme vous le lisez, une<br />

grande sagesse et des avertissements qui – tels que des messages en bouteille<br />

– nous parviennent avec toute leur force.<br />

1 8<br />

juin<br />

Toutes les personnes n’ont pas la même perception des choses. Par bonheur<br />

les goûts et les prédispositions changent et chacun de nous est différent<br />

des autres. Le fédéralisme personnaliste s’appuie beaucoup sur ce respect<br />

de la personne – et de sa stupéfiante unicité – comme centre duquel dégage<br />

l’ensemble de la société et des institutions. <strong>Il</strong> n’y a pas de numéros, mais<br />

justement des personnes, ce qui est un antidote contre le poison des totalitarismes<br />

qui aiment au contraire des foules sans visage et des personnalités<br />

ternes et anonymes.<br />

Les lois de l’hérédité, toujours plus explorées, nous confirment de quelle<br />

manière, entre un patrimoine génétique, que nous tenons de nos parents,<br />

et des comportements culturels acquis, nous finissons par ressembler à nos<br />

mères et pères et aux membres de nos familles ; nous sommes donc égaux à<br />

nous mêmes, mais nous sommes le résultat de l’ADN et des conséquences<br />

de l’éducation. L’air de famille, donc. A celle-ci s’ajoutent naturellement des<br />

processus d’échange et d’identification avec les amis ou les groupes que nous<br />

fréquentons pour de nombreuses raisons et desquels nous apprenons et nous<br />

copions bien des choses. Peu importe qu’il s’agisse d’une équipe de football,<br />

d’une chorale, d’une compagnie, d’une classe.<br />

C’est pour cela aussi, pour chercher un exemple concret, qu’il est difficile<br />

de dire ce que le relax représente dans l’absolu, ce mot anglais qui a eu beaucoup<br />

de succès tant en français qu’en italien. En français il existe de plus<br />

un italianisme qui dérive de l’expression italienne « il dolce far niente »– qui<br />

n’est pratiquement plus utilisé chez nous –transformée par nos voisins en<br />

« farniente »écrit en un seul mot.<br />

Pour moi relax et farniente ont des collocations précises et il est sans<br />

doute beau de penser que chacun de nous a une liste possible.<br />

Première scène : la découverte d’un roman ou d’un essai en librairie, qui


accourcissent le temps d’un long voyage. Le contact avec la réalité diminue<br />

en fonction de l’intérêt de la narration et s’éloigner de la réalité fait démarrer<br />

un état de repos.<br />

Ou bien la musique. Une série de vieux succès qui, allongés au soleil en<br />

n’importe quel lieu, allument les souvenirs – comme en un film du passé – de<br />

moments beaux et heureux qui dégagent leur force à distance de décennies.<br />

Ou encore le sport : une course bénéfique dans un chemin au milieu d’un<br />

bois avec les odeurs et les couleurs du matin et les idées qui comparaissent à<br />

l’improviste dans le cerveau qui est à repos entre la sueur et le rythme rapide<br />

de la respiration.<br />

Le relax est le réveil au matin si on n’a rien à faire et si on entend des<br />

bruits familiers comme les enfants qui parlent entre eux et tu sais que tu es<br />

avec eux un jour de plus.<br />

Et comment oublier un restaurant de montagne et la chaleur d’un dîner<br />

typique et fort dans le froid de l’hiver ; ou encore la brise de la mer qui apporte<br />

l’odeur du sel sur une plage avec une grille allumée où cuit du poisson.<br />

Et l’amour, un moteur puissant de beaucoup de gestes et d’actions, qui<br />

nous laisse fatigués et parfois confus à oublier la réalité qui apparaît éloignée<br />

comme une étoile dans le ciel.<br />

<strong>Il</strong> y a de plus les moments collectifs – je pense à la joie de certaines<br />

élections que j’ai vécues – où la fatigue et le stress se perdent dans une autre<br />

fatigue faite de la satisfaction des étreintes de ceux qui ont confiance en toi<br />

et qui te soutiennent. C’est aussi du relax à mon avis.<br />

«Avec me sentiments valdôtains et savoyards les plus cordiaux ». C’est<br />

la conclusion d’une lettre très aimable, qui accompagne quelques livres,<br />

que j’ai reçus il y a un mois de la part d’une personne connue quelques<br />

jours auparavant à une rencontre sur le référendum européen à Saint-Jean<br />

de Maurienne, berceau de la Maison de Savoie et patrie du mythique petit<br />

couteau Opinel.<br />

Déjà pendant le débat de la soirée, cette personne m’avait posé une question<br />

sur le régionalisme en Europe, à laquelle en vérité j’avais répondu de<br />

manière très modérée, en considérant la présence de celui qui était à ce<br />

moment le Ministre de l’Education nationale François Fillon, puisqu’on sait<br />

à quel point les problèmes du régionalisme demeurent dans la France des Jacobins<br />

un nerf découvert, un réflexe conditionné qui allume des polémiques<br />

tant à Droite qu’à Gauche. Et cela est dû surtout à une sorte d’ignorance collective<br />

sur l’argument et sur les réelles caractéristiques du régionalisme, qui<br />

est associé d’abord et par prise de position aux bombes des Corses !<br />

Je ne savais pas à ce moment que ce valdo-savoyard souriant ( il est valdôtain<br />

d’origine, mais il est aujourd’hui un fier souteneur de la cause de la<br />

1 9


Savoie ), qui répond au nom de Noël Communod, se révélerait ensuite – une<br />

fois lus les livres reçus – un partisan sérieux et préparé du régionalisme en<br />

France ( ou comme il écrit souvent, j’imagine pour nuancer l’impact, de la<br />

décentralisation ) avant tout pour son aimée Savoie.<br />

Chef d’entreprise ( il est le directeur d’une société d’intérim Menvay International<br />

), il résulte également vice Président et porte parole d’une association<br />

pour la Région Savoie ( pour en savoir plus allez visiter le site www.<br />

regionsavoie.com ) et initiateur du Club d’amitiés savoyardes, qui regroupe<br />

des décideurs « soucieux d’étendre à la Savoie le dynamisme de Grenoble »,<br />

qui se réunissent périodiquement pour discuter au cours d’un repas savoyard<br />

au restaurant Les Cinq Voûtes de Montmélian.<br />

Communod a des idées claires et solides du point de vue juridique sur le<br />

futur de la Savoie et cela le différencie du populisme de la ligue Savoisienne,<br />

qui, ce n’est pas un hasard, a eu des rapports privilégiés avec la Lega de Bossi<br />

et avec son fédéralisme confus et anti-européiste. Les voies qu’il suit sont<br />

deux. La première part d’un livre de l’été 2002 « La région Savoie en 2004 c’est<br />

possible »( Edition MIRNO Graphie ) et d’une conséquente lettre ouverte à<br />

tous les élus de la Savoie, dont les idées confluent – avec le support du député<br />

de la Savoie Michel Bouvard – en un « Livre Blanc pour la création de<br />

la Région Savoie ». Au mois de mai de cette année le projet de Communod<br />

s’élargit et publique, avec les mêmes éditions du premier « Les Germes d’une<br />

révolution Régionale »avec un sous-titre qui est un programme « Les leviers de<br />

l’autonomie régionale sont dans les mains des collectivités territoriales »<br />

La deuxième voie semble souligner une polémique vers ceux qui, nés<br />

et élus en Savoie, semblent ne pas percevoir les exigences autonomistes.<br />

Et voilà, toujours édité par MIRNO, un pamphlet très fort sur « L’Affaire<br />

Gaymard », avec la description de la carrière de l’enfant prodige de la politique<br />

savoyarde jusqu’à sa récente démission de son poste de Ministre de<br />

l’Economie et des Finances suite à une série de faits gênants révélés par le<br />

« Canard enchaîné » liés à des appartements loués et possédés. Les différentes<br />

révélations tracent un entrelacement fort complexe et intéressant.<br />

Comme on le comprend, Noël Communod a une personnalité à lui et il<br />

n’a pas de craintes révérencielles. Son dessein résulte être intéressant et peutêtre<br />

son origine valdôtaine a fait en sorte qu’une « forma mentis »autonomiste,<br />

qui chez nous garde encore une sorte de vitalité, soit exportée là où le bien<br />

connu centralisme français a agi avec force en une logique d’aplatissement<br />

et de conformisme. Le débat qui en émerge, qui devrait peut-être être libéré<br />

de certaines aspérités, est utile pour comprendre si et de quelle manière<br />

– abattues les frontières et renforcés les liens très anciens – les Eurorégions<br />

naturelles et culturelles, et c’est le cas de celle que les valdôtains et les Savoyards<br />

partagent depuis des millénaires au nez et à la barbe des séparations<br />

dictées par les Etats nationaux, on pourra travailler ensemble dans un cadre<br />

européen. A condition que la Savoie ne soit considérée un territoire petit et<br />

marginal dans la gigantesque Région Rhône-Alpes.<br />

160


Pour faire voyager rapidement et de manière capillaire les marchandises<br />

en Europe, le moyen qui pour le moment triomphe sur le marché est le camion.<br />

Je le dis sans aucun plaisir, il ne s’agit que d’une constatation.<br />

Les routes, en une ramification sans précédents, relient tous les Pays,<br />

mais leur rythme de croissance – même pour des limitations structurelles<br />

objectives – ne correspond pas à l’augmentation du trafic. Si nous ajoutons<br />

aussi le trafic des particuliers, la conséquence est une seule : la paralysie.<br />

Nous vivons toujours et littéralement en queue et les logiques de l’économie<br />

créent de grands déplacements de marchandises qui embouteillent<br />

les routes, les autoroutes, les cols alpins. L’incrémentation ne s’arrête pas et<br />

la mondialisation de l’économie du marché multipliera les échanges et les<br />

consommations.<br />

On peut regretter le passé ou espérer d’énormes changements pour le futur<br />

dans l’économie et dans la mentalité. Mais les deux possibilités ne changent<br />

en rien la substance des faits. Aujourd’hui il faut trouver des mesures<br />

partageables pour gérer les difficultés actuelles. Pour les miracles il est mieux<br />

de s’adresser plus Haut, mais pour le reste le Livre Blanc sur les transports<br />

fixe quelques priorités qui sont lentement en train de se concrétiser. Avant<br />

tout les nouveaux tunnels ferroviaires alpins servis par des lignes modernes :<br />

pour l’instant les seuls qui ont entamé les travaux sont les Suisses avec les<br />

tunnels du Lötschberg – qui ouvrira en 2007 – et celui du Saint Gothard, en<br />

service aux alentours de 2016, alors que le tunnel de base du Brenner poursuit<br />

son chemin et celui entre Turin et Lion attend encore des certitudes. Un<br />

autre point est l’imposition pour les camions d’un système de péages, plus<br />

coûteux dans les zones de montagne, plus connu comme « eurovignette »qui<br />

servira justement pour financer ces tunnels ferroviaires indispensables : sur<br />

cela le Conseil européen proposera enfin au Parlement européen une solution.<br />

J’ajouterais enfin quelques autres éléments : les efforts, avec les Euro 4 et<br />

en futur les Euro , pour avoir des camions moins polluants, des paramètres<br />

pour calculer aussi les coûts environnementaux des transports, les directives<br />

européennes pour améliorer les transports ferroviaires et maritimes ( autoroutes<br />

de la mer ), outre que l’intermodalité ( projets Marco Polo ) et le système<br />

de contrôle satellitaire Galilée.<br />

Appliquer le raisonnement général au cas valdôtain met en évidence la<br />

complexité du thème. Le tunnel du Mont Blanc, la moderne autoroute entre<br />

Aoste et Courmayeur et la plus ancienne entre Turin et Aoste ( qui comprend<br />

la bretelle de Santhià en direction de Turin et Milan et la liaison avec d’autres<br />

autoroutes ) représentent une réalité qui s’est développée dans le dernier<br />

demi-siècle. Une directrice, qui avait au début une vocation touristique, qui<br />

s’est transformée en un axe de transport pour les marchandises appartenant<br />

au réseau transeuropéen des transports. Cela s’est produit avec un succès de<br />

plus en plus grand et sur les Alpes, même après l’ouverture du Tunnel routier<br />

161<br />

161


du Fréjus en 1980, l’augmentation des camions de passage en Vallée d’Aoste<br />

a été impressionnante.<br />

En Vallée d’Aoste- comme s’il s’agissait d’une sorte de remboursement,<br />

et il faut le rappeler par honnêteté – cela a rapporté pour quelques années<br />

d’importants transferts d’argent à notre région à travers le système de la répartition<br />

fiscale sur la taxation des marchandises de passage à l’autoport de<br />

Pollein. Un mécanisme avantageux pour les caisses régionales jusqu’au moment<br />

de la chute des barrières douanières du 1 er janvier 1993.<br />

Déjà au cours des années 1990, mais encore plus après l’incendie du<br />

Mont Blanc qui a mis en évidence des risques graves et des problèmes de<br />

sûreté ( l’Union européenne a justement promulgué des lois en ce domaine )<br />

on a souligné l’exigence d’avoir des règles certaines pour limiter le nombre de<br />

poids lourds de passage sur notre territoire. Cela prévoit des mesures pour<br />

aujourd’hui, pour demain et pour un futur plus lointain. Aujourd’hui il faut<br />

avoir une limité sérieuse et mesurée et des plans certains pour les émergences.<br />

Demain il faudra avoir des améliorations sur l’ensemble des liaisons<br />

alpines ferroviaires. Pour le futur on devra aussi avoir l’idée d’un chemin de<br />

fer – comme l’Aoste Martigny – qui ne nous coupe pas du réseau ferroviaire<br />

européen des marchandises et des passagers. Les raccourcis n’existent pas et<br />

il faut combattre les extrémismes opposés : tant celui de ceux qui demandent<br />

que les poids lourds ne passent pas à travers les Alpes ( et qui ne veulent<br />

peut-être même pas de tunnels ferroviaires ), mais également la position de<br />

ceux qui disent qu’il ne faut donner aucune limite aux poids lourds au nom<br />

de la libre circulation des marchandises, sans tenir compte du respect de<br />

l’environnement et de ses populations.<br />

Internet est une drôle de bête. <strong>Il</strong> offre un ensemble infini de possibilités,<br />

une quantité de matériel qui donne le vertige, des contacts avec le monde<br />

entier, des réseaux qui abattent les frontières.<br />

<strong>Il</strong> existe un revers de la médaille : on peut devenir la victime d’une manie<br />

de connexion, on peut être touché par les virus informatiques qui se propagent,<br />

le réseau peut être utilisé de manière négative ( terroristes, pédophiles,<br />

nazies et des horreurs de ce genre ), il finit par être tellement vaste qu’il fait<br />

perdre les recherches.<br />

Comme tout le monde le fait, je pense, je me suis amusé dans le temps à<br />

chercher des informations sur mon nom, ce qui m’a fait repérer même beaucoup<br />

de documents sur mon activité, dont souvent je n’avais pas le souvenir<br />

( y compris de belles photos dans les archives des images des moteurs de<br />

recherche ).<br />

Avec des découvertes qui me laissent étonné. Même dans le web le premier<br />

<strong>Caveri</strong> cité dans le temps est le cartographe génois, Nicolò <strong>Caveri</strong>, qui,<br />

162


au début de 1 00, est l’auteur d’un important planisphère qui fournit une<br />

description du monde après la découverte de l’Amérique, et se trouve maintenant<br />

dans les Archives du Service hydrographique de la Marine à Paris.<br />

Cela confirme, par ailleurs, que le nom a une origine ligure, qu’il est liée en<br />

particulier à la ville de Moneglia, où la rue principale est dédiée à un <strong>Caveri</strong>.<br />

<strong>Il</strong> existe là-bas une branche de la famille. Je leur ai écrit récemment et j’ai<br />

su qu’un tel Mauro <strong>Caveri</strong> est le maire adjoint de Lavagna, dans la province<br />

de Gênes. Et c’est justement à Gênes qu’en 1863 Antonio <strong>Caveri</strong>, qui fût<br />

député au Parlement Subalpin et Sénateur dans le Royaume, fût élu maire<br />

pendant quelques mois.<br />

Même si on me dit que mon oncle Séverin soutenait - mais il se peut qu’il<br />

ait inventé cette histoire – que, en remontant encore plus loin dans le temps,<br />

le nom trouve son origine en Corse.<br />

<strong>Il</strong> s’agirait de la famille Veri, qui venait de la Corse et qui habitait à Moneglia<br />

dans la Cà Veri, c’est-à dire « maison de Veri »et qui fut transformée en<br />

<strong>Caveri</strong> dans une transcription de la Paroisse !<br />

Cela confirmerait, par ailleurs, qu’il n’y a aucun lien avec le fleuve indien<br />

qui descend de l’Himalaya et qui a pour nom justement <strong>Caveri</strong>. Dommage,<br />

l’idée que le cartographe ait été en Inde était vraiment aventureuse ! Le fleuve<br />

se relie, au contraire, à la <strong>Caveri</strong> Foundation ( que l’on trouve sur www.caveri.<br />

nl ), dont je ne comprends rien ( parce que le site est en hollandais ) à part<br />

le fait qu’elle aide les enfants indiens. En Inde il existe même une usine qui<br />

produit du Nylon qui s’appelle <strong>Caveri</strong> Enterprises ! Par ailleurs il faut ajouter<br />

– autre découverte on-line – que <strong>Caveri</strong> en Finnois signifie « personne<br />

bonne, correcte » !<br />

Mais poursuivons la visite dans le Web. Parmi les contemporains, de l’Argentine<br />

apparaît un architecte, Claudio <strong>Caveri</strong>, de Buenos Aires, auteur de<br />

projets importants, comme l’Eglise Nuestra Señora de Fatima à Martínez et<br />

chef de file d’u style connu comme « casas blancas ». <strong>Il</strong> y a quelques années<br />

j’avais échangé quelques courriels avec quelqu’un de sa famille, M.me Ingrid<br />

<strong>Caveri</strong>, qui s’occupe de cinéma à Paris, mais dont j’ai perdu les traces, sans<br />

jamais parvenir à la rencontrer. Toujours en Argentine, où avait probablement<br />

immigré quelqu’un de ma famille originaire de Ligurie – j’avais découvert<br />

Bernardo <strong>Caveri</strong>, Président de l’Institut de « Prévision Social » de la province<br />

de Buenos Aires et je m’étais promis de lui écrire. L’autre jour, toujours en<br />

Internet, j’ai découvert qu’il est mort le novembre dernier dans un accident<br />

dramatique : il n’avait que 4 ans. En lisant les annonces de sa mort, publiés<br />

dans les journaux, j’ai la confirmation qu’il s’agissait d’une personne très appréciée.<br />

Autre découverte : mon arrière-grand-père, Paul <strong>Caveri</strong>, arriva en Vallée<br />

d’Aoste à 47 ans, comme sous Préfet. <strong>Il</strong> était veuf et il maria Herminie-Marie-Antoinette<br />

De La Pierre, 24 ans, en donnant vie à la branche valdôtaine<br />

qui, dans la courte période de quelques années a marqué sa présence. La<br />

découverte drôle est que aux Etats Unis, dans les sites qui permettent d’en-<br />

163


egistrer les mp3 on trouve un musicien qui s’appelle... Paul <strong>Caveri</strong> ! Mais il<br />

existe un autre musicien de Chicago qui s’appelle Perry <strong>Caveri</strong>.<br />

En rentrant en Italie, à Milan on trouve un magasin d’antiquités qui<br />

s’appelle – et ce sont des personnes qui appartiennent lointainement à ma<br />

famille d’origine – « <strong>Caveri</strong> & <strong>Caveri</strong> ». Je découvre aussi qu’une <strong>Caveri</strong> est<br />

infirmière à Gênes, qu’un <strong>Caveri</strong> construisait des navires à Sestri, que une<br />

<strong>Caveri</strong> a écrit un roman, que un <strong>Caveri</strong> était le plus connu avocat de Gênes.<br />

Internet : une fenêtre qui s’ouvre aussi sur chacun de nous, sur notre passé,<br />

sur nos mémoires, sur l’ensemble d’histoires et de gens, souvent destiné à<br />

rester irrésolu.<br />

Dans une époque dans laquelle les partis politiques apparaissent et disparaissent<br />

souvent sur des poussées improvises pour le vieillissement de l’existant,<br />

cela arrive notamment en Italie, mais même en Vallée d’Aoste, la longue<br />

durée demeure à mon avis, un mérite. En effet le changement – qu’il s’agisse<br />

d’un changement de façade ou de substance – n’a pas toujours une réelle<br />

raison d’être et parfois ce qui à l’apparence semble être vide, paraît extrêmement<br />

vieux. Pour ne pas dire de ceux qui se sont limités à changer seulement<br />

de nom et de symbole ou qui ont donné vie à des formations politiques liées<br />

à une personne et à un seul leader. La constance d’une présence ancienne,<br />

à condition de se montrer à connaissance des nouveautés, représentatifs et<br />

démocratiques, assume au contraire une valeur rassurante et évite des sauts<br />

dans le noir inutiles. Un exercice de vie en commun délicat et qui oblige à la<br />

pratique difficile du dialogue, qui se concrétise dans le fait d’avoir de bonnes<br />

règles pour habiter une maison commune dans le seuil d’une tradition qui<br />

sait, comme je le disais, anticiper la modernité. J’y avais pensé à l’occasion<br />

des 0 ans de la SVP, lors de l’anniversaire récemment fêté à Merano, où<br />

j’ai eu l’honneur de prendre la parole pour les valdôtains ( j’ai fait la moitié<br />

de mon discours en allemand, ce que j’espère n’ait pas fait frissonner les<br />

congressistes ! ). Je le répète maintenant, à l’occasion des célébrations auxquelles<br />

j’ai pris part ces derniers jours à Trieste, pour les trente ans de l’Union<br />

slovène Slovenska Skupnost.<br />

Avec ces deux partis l’affinité et l’amitié sont des faits historiques depuis<br />

plusieurs décennies et je suis heureux – depuis peu moins de 20 ans – d’avoir<br />

représenté un lien en cette direction avec un réseau épais de rapports et de<br />

collaborations.<br />

L’histoire des Slovènes est une histoire pleine de charme. Bien avant que<br />

l’Empire austro-hongrois transforme Trieste en une ville importante – avec<br />

son port – les Slovènes habitaient ces régions et cela vaut également pour des<br />

Provinces telles que Gorizia et même pour des zones de frontière du Frioul<br />

ce qui confirme que dans cette partie de l’Europe l’osmose entre des peuples<br />

164


différents était une quotidienneté bien connue et considérée totalement normale.<br />

Les Slovènes entre les deux guerres étaient déjà organisés du point de<br />

vue politique et ils l’ont été contre le fascisme et durant les faits compliqués<br />

de l’après guerre, lorsque Trieste devint la ville symbole de celle qui était définie<br />

« italianità ». Un choix nationaliste qui a empoisonné la politique locale<br />

et a été compliquée par les faits de la proche Yougoslavie. Un croisement<br />

douloureux entre les « foibe » ( les trous karstiques dans lesquels furent ensevelis<br />

– outre aux italiens – même des slovènes anticommunistes ), l’exode<br />

terrible des italiens de l’Istrie et de la Dalmatie, le joug communiste de Tito<br />

et du faux fédéralisme à la manière de la Yougoslavie, la désagrégation de l’ex<br />

Yougoslavie avec sa suite de massacres dans les Balkans.<br />

Les Slovènes en Italie, grâce au travail de l’Union slovène, ont maintenu<br />

vivant le flambeau de leur identité et de leur culture, comme pont idéal vers<br />

l’Est et le Centre de l’Europe : une culture slave qui est une des bases de la<br />

civilisation européenne. Ce n’est pas un cas si la Slovénie, avant le dernier<br />

élargissement, a ouvert la voie aux entrées suivantes et si les Slovènes italiens<br />

ont indiqué une ligne européiste et fédéraliste bien avant que la Slovénie,<br />

avec laquelle ils maintiennent des rapports naturels, notamment dans le domaine<br />

culturel, conquiert la démocratie actuelle.<br />

Avec les Slovènes nous avons affronté plusieurs fois les élections européennes<br />

et les Parlementaires valdôtains ont toujours maintenu avec eux des<br />

rapports étroits. Personnellement je suis considéré – ce qui me fait plaisir<br />

– parmi les pères de cette loi de tutelle que le Gouvernement de Berlusconi<br />

n’applique pas encore pour ne pas mécontenter la droite triestine. Une inapplication<br />

de fait d’une loi en vigueur qui devrait nous faire avoir honte face à<br />

l’Union européenne et qui demandera une mobilisation qui dénonce ce fait.<br />

Par ailleurs cela rentre dans un dessein plus vaste qui contrarie les autonomies<br />

spéciales et les droits des minorités linguistiques. Une raison de plus<br />

pour serrer les rangs, comme valdôtains, avec les Slovènes et les gens du<br />

Tyrol du Sud.<br />

«La paura, per uno scalatore, è un’ancora di salvezza. Ti tiene lontano<br />

da decisioni prese senza pensare. E’ però impensabile smettere di scalare, la<br />

morte di amici fa parte della vita degli alpinisti »<br />

Des mots pleins de sagesse, ceux de Christian Kuntner, un grand alpi-<br />

mai<br />

16


niste expert du Tyrol du Sud, mort il y a quelques jours au Camp 2 sur l’Annapurna,<br />

pour les blessures dues à la chute d’un sérac qui a investi la cordée<br />

des alpinistes valdôtains à laquelle il participait. La confirmation, si on en<br />

avait eu besoin, que l’alpinisme demeure une activité pleine de risques et<br />

de conscience et que les alpinistes ne jouent certainement pas avec leur vie,<br />

mais ils acceptent les règles d’une activité qui maintient de larges espaces<br />

liés à l’impondérable.<br />

Kuntner était revenu pour la quatrième fois sur cette montagne himalayenne<br />

pour obtenir ce sommet une fois sur toutes, le seul des quatorze<br />

8000 de la planète qui manquait dans son carnet de guide alpin des Dolomites.<br />

Au fond la mission – et cela valait aussi pour son grand ami et compagnon<br />

d’aventures Abele Blanc – devait servir pour clore un cycle et la présence de<br />

Marco Camandona et Marco Barmasse – deux autres alpinistes de grande<br />

classe – devait être un support et un stimulus pour affronter les bien connues<br />

pièges de l’Annapurna.<br />

Un 8000 banal du point de vue de la hauteur, mais difficile du point de<br />

vue technique et insidieux justement à cause du danger d’avalanches.<br />

Et au contraire, un coup de fil du Président des Guides valdôtaines<br />

Guido Azzalea, me prévient quelques heures après la tragédie, et lorsque<br />

j’espérais recevoir la nouvelle de la réussite, de l’avalanche qui avait investi la<br />

cordée valdôtaine en marche vers le sommet et celle des « Ragni di Lecco »en<br />

descente après avoir conquis le sommet. Seulement après quelques heures,<br />

lorsque les nôtres avaient déjà gagné Katmandu et donc un hôpital où être<br />

soignés – ce qui est par ailleurs la preuve d’une amélioration des temps et des<br />

modalités de secours au Népal – on a eu ces détails douloureux qui rendent<br />

encore plus tragique la disparition de Kuntner, qui s’est éteint avec des amis<br />

à ses côtés.<br />

<strong>Il</strong> ne nous reste qu’à lui rendre hommage, ce que j’ai déjà fait personnellement<br />

avec les autorités du Tyrol du Sud. L’amitié avec Abele et les missions<br />

qu’ils ont accomplis ensemble démontrent à quel point le monde de l’alpinisme<br />

sait construire des ponts solides qui se créent quand en une paroi les<br />

silences se remplissent de complicité et de solidarité.<br />

C’est ce qu’on a remarqué dans le temps dans les films de Blanc : l’intérêt<br />

pour l’entreprise des alpinistes est devenu un prétexte pour creuser dans les<br />

motivations de l’alpiniste et dans les cultures de la montagne, dans les différences<br />

et les similitudes des populations des montagnes du monde. Un intérêt<br />

ethnographique qui dépasse l’intérêt pour la grande performance sportive.<br />

Même en cela le lien spontané entre un Valdôtain et un homme du Tyrol<br />

du sud était une clé de lecture. Une union brisée par l’Annapurna, mais qui<br />

demeurera dans l’histoire de l’alpinisme et dans nos souvenirs<br />

166


«Acceptez-vous l’arrêté fédéral du 17 décembre 2004 portant approbation<br />

et mise en oeuvre des accords bilatéraux d’association à l’Espace Schengen et à<br />

l’Espace Dublin ? ».<br />

Cette question, admirable dans sa simplicité, en pensant aux questions<br />

compliquées des référendums en Italie, est celle qui sera posée aux Suisses<br />

dans la votation populaire du juin prochain. Comme on le sait, à fin que le<br />

vote résulte positif il faudra un double oui : celui de la majorité des citoyens<br />

et celui de la majorité des Cantons.<br />

La mise en jeu – et nous sommes face à un passage décisif pour une<br />

plus grande intégration de la Confédération avec l’Union européenne – a<br />

pour nous Valdôtains un grand intérêt puisque avec le Canton du Valais nous<br />

avons une frontière géographique en commun et des rapports historiques<br />

et culturels anciens. Des rapports qui sont par ailleurs rendus plus simples,<br />

durant toute l’année, par l’ouverture du Tunnel du Grand Saint Bernard, qui<br />

depuis plus de 40 ans se joint aux nombreux cols utilisés dans le passé pour<br />

les contacts réciproques. Dans le cas d’une réponse positive au référendum,<br />

la frontière s’ouvrirait encore plus.<br />

Je voudrais résumer les termes du problème. En juin 2004, après trois<br />

années de négociations, la Suisse et l’Union européenne conclurent de nouveaux<br />

Accords bilatéraux après ceux de 1999, que chez nous à mon avis nous<br />

n’avons pas assez utilisé, malgré les évidentes potentialités pour notre économie<br />

! Dans le cadre des Bilatérales II, il y a justement la participation de la<br />

Suisse à Schengen et à Dublin.<br />

L’accord Schengen abolit, entre autres, les contrôles systématiques des<br />

passeports aux frontières ( mais les contrôles des marchandises et la vérification<br />

d’identité des personnes à cette occasion demeurent ) et simultanément<br />

améliore les inter-changes des informations entre les polices en matière pénale.<br />

Pour nous comprendre : le Tunnel du Grand-Saint-Bernard ne serait<br />

pas sans obstacles comme le Mont Blanc, où, à part Schengen, agit l’abolition<br />

des contrôles douaniers, mais il est certain que les contrôles actuels<br />

seraient atténués en faveur d’une plus grande liberté de mouvement, ce qui<br />

pourrait relancer l’utilisation du Tunnel.<br />

L’accord Dublin, au contraire, prévoit qu’un seul Etat participant est<br />

compétent pour traiter une procédure d’asile et cela est simplifié par une<br />

banque de données dans laquelle sont enregistrées toutes les empreintes<br />

digitales des requérants.<br />

Même dans cette occasion les Comités référendaires anti-européens<br />

qui agissent en Suisse depuis des années comptent sur des slogans riches<br />

d’émotivité, qui n’ont souvent aucun lien aux faits réels. Du genre « Schengen<br />

= davantage de criminels et de chômeurs » ou encore « Schengen = adhésion<br />

à l’UE ». Reprend aussi la tentative de démontrer que tout rapprochement à<br />

l’Union européenne ne signifie que perte de souveraineté et d’identité sans<br />

167


aucun avantage. Pour Dublin le discours se fait souple en mêlant ouverture<br />

et fermeture : « Dublin = menace pour nos traditions humanitaires d’asile ; davantage<br />

de sans papiers »<br />

Le Conseil fédéral réagit avec des explications de bon sens. Du genre<br />

« Grâce à Schengen, la Suisse disposera d’instruments plus efficaces contre la<br />

criminalité internationale. Par ailleurs la fluidité du trafic transfrontalier sera<br />

assurée ». Sur Dublin : « L’accord préviendra les demandes d’asile multiples et<br />

abusives, sans pour autant remettre en question notre tradition humanitaire ».<br />

Je crois que chacun de nous, à travers ses propres connaissances en Suisse,<br />

devrait faire oeuvre d’information et de sensibilisation. S’il est certainement<br />

prématuré d’imaginer l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, il est au<br />

contraire juste de renforcer toute forme de croissante coopération réciproque<br />

pour diminuer le poids de « l’Effet frontière » qui est désormais totalement<br />

anachronique, ce qui rend justice aux liens profonds entre Vallée d’Aoste et<br />

Valais. J’y pensais l’autre jour en regardant sur Suisse romande la finale valaisanne<br />

de la « bataille des Reines ». On aurait dit la Croix Noire !<br />

Par hasard, dans l’avion, je me retrouve à lire un supplément du journal<br />

belge « Le Soir », qui synthétise en 17 icônes en ordre alphabétique les 17<br />

ans de la Belgique, ce Pays dans lequel j’ai vécu une partie des dernières<br />

années de ma vie et que je fréquente encore aujourd’hui pour des devoirs<br />

institutionnels et pour ne pas me rouiller en matière européenne.<br />

Je vous en propose un résumé, à mon goût personnel, en oubliant quelques<br />

lettres pour faire plus court. Le ton dans son ensemble est léger et<br />

plaisant, ce qui contredit la médisance selon laquelle les belges seraient dépourvus<br />

du sens de l’humour ( comme on le sait dans les blagues ils sont les<br />

« Carabinieri »de la francophonie ). J’avoue par ailleurs que, tout en étant seulement<br />

en partie comparable, pour le livre « La Vallée d’Aoste de A à Z »j’avais<br />

fait ce même effort : c’est un texte qui est désormais introuvable en librairie,<br />

mais qui vit sur le site www.caveri.it par concession de l’éditeur Musumeci.<br />

<strong>Il</strong> ressent un peu le poids des années. Mais revenons à la Belgique. Des<br />

deux premières lettres de l’alphabet on ne peut tirer que deux mots : Accent<br />

( belge ). « <strong>Il</strong> s’agirait déjà de distinguer l’accent flamand de l’accent wallon,<br />

l’accent du Flamand qui parle français de l’accent du Wallon qui s’essaye au<br />

flamand et, cerise sur le stoemp, de l’accent du Bruxellois qui mélange les<br />

genres ». Belge. « Le seul mot de la langue française qui ne connaît aucune<br />

rime. Avec « pauvre » ».<br />

A la lettre b il faut ajouter : Bières : « Blondes, brunes et ambrées, industrielles<br />

et artisanales, trappistes et d’abbayes, pils, balches et autres gueuzes<br />

»et naturellement Brel ( Jacques ) sur qui je peux éviter de faire de citations.<br />

168


Inutile de noter ici les textes liés à deux mots commençant par c qui<br />

ouvrent deux mondes : Congo et Cycliste !<br />

Avec d un mot intéressant Drapeau. « Fondée d’autour d’une seule bannière,<br />

la Belgique depuis quelques années, a multiplié les drapeaux – il y a<br />

l’iris pour la Région bruxelloise, le coq pour la Région wallonne, un coq aussi<br />

pour la Communauté française. La Flandre, elle, arbore un lion. Ses couleurs<br />

sont le jaune et le noir. Surtout le noir, ces derniers temps ». Sur la lettre d je<br />

vous informe aussi que, avec Dynamo, on découvre que l’inventeur du mécanisme<br />

à positionner sur les vélos est belge !<br />

Avec le e de Eclairage on sache, même si cela ne finira jamais d’étonner,<br />

que les autoroutes belges sont éclairées même la nuit.<br />

Le f est naturellement Fédéralisme et de tout le monde ils arrivent pour<br />

l’étudier, mais – comme observe « Le Soir » – « Le nombre de conflits dans le<br />

monde démontre avec netteté que nos visiteurs se sont fait mal expliquer les<br />

choses ou que le modèle est inexportable ». Avec f – le nom évoque la légèreté<br />

de ses travaux – on ne peut pas oublier Folon ( Jean-Michel ).<br />

F et G nous offrent aussi le salé et le sucré : Frites et Gaufres. Bon appétit<br />

!<br />

Le l est la devise du Pays : « L’Union fait la force »Le sarcasme est prévu :<br />

Vu l’amitié sans nuages entre Flamands et Francophones, et vu d’autre part<br />

notre produit national brut ( plus proche du Portugal que du Japon ), la devise,<br />

dans ses deux termes, prête à rire »Pour ma génération deux mots par m<br />

sont émouvants : Merckx ( Eddy ), un mythe du cyclisme, et Molteni ( « A vrais<br />

dire, c’est de cuisine ( italienne, évidemment ) qu’il s’agit. Mais dans l’imaginaire<br />

collectif, c’est un maillot » ). Celui de Merckx justement.<br />

Pour conclure le m, naturellement ( elles vont avec les frites ), Moules<br />

( « Mollusques bivalves » ), alors qu’à la lettre P on ne peut trouver que Pluie<br />

( il pleut peu, 78 cm par année, mais 203 jours par année ! )<br />

Avec R un évident Roi, avec s le deuil pour la disparition de la compagnie<br />

Sabena ( aujourd’hui Brussels Airlines ) et la gloire nationale de Solvay<br />

et Stella Artois.<br />

Irremplaçables les conclusions : comment vivre sans le T de Tintin, la<br />

blague brûlante sur le V de Venise ( « La Bruge du Sud »pour invertir les termes<br />

) et le W du champ de bataille de Waterloo.<br />

Bravo aux journalistes de « Le Soir » !<br />

Le jour du référendum français sur le Traité constitutionnel approche de<br />

plus en plus. Le 29 mai on saura si la victoire revient aux contraires ou aux<br />

favorables, après la confrontation très soutenue dans laquelle les deux parties<br />

se sont engagées, et qui est malheureusement animée par des questions in-<br />

169


ternes, plutôt que par un vrai débat sur les thèmes de l’Europe.<br />

A Bruxelles, en craignant le pire sur la base des sondages, on pense déjà à<br />

deux solutions dans le cas d’une victoire des « non ». La première thèse minimise<br />

et soutient que si tous les autres 24 Pays ratifient la Constitution ( mais<br />

les Pays Bas et la Tchéquie penchent aussi pour le « non » ), on pourrait alors<br />

demander à Paris de se prononcer à nouveau en 2006. La deuxième thèse<br />

est celle de prendre conscience de la victoire du « non »dans un des Pays fondateurs,<br />

en arrêtant par conséquent la Constitution et en relançant les opérations<br />

dites « renforcées », ce qui créerait une Europe intégrée à plusieurs<br />

niveaux et à différentes vitesses. Comme si on disait : adieu Constitution.<br />

Paraît entre-temps – et je le conseille vivement à ceux qui veulent un tableau<br />

synthétique de l’état de la situation – un livre essentiel, mais complet,<br />

du Ministre des Affaires étrangères françaises Michel Barnier. Le titre est<br />

tout un programme, vu l’ignorance sur l’Europe qui empoisonne le débat sur<br />

le référendum en France : « Sortir l’Europe des idées reçues ».<br />

Barnier profite du livre pour présenter son association Nouvelle République<br />

( qui fait paraître le livre aux éditions Perrin ), qui parmi ses buts a<br />

celui de promouvoir la citoyenneté européenne et la confrontation entre la<br />

France et les autres Pays de l’Union européenne. Une initiative méritoire, qui<br />

démontre que Barnier est le politique français plus pétri d’européisme vrai<br />

et que la politique, sans un approfondissement culturel et l’enrichissement<br />

apporté par l’apprentissage, serait quelque chose de bien triste, dont il ne<br />

serait pas la peine de s’occuper.<br />

Par ailleurs, Barnier lui-même, dans son introduction, rappelle son curriculum<br />

européiste jusqu’au mandat de Commissaire délégué à la politique<br />

régionale et avec le rôle délicat de représentant au sein de cette convention<br />

qui a rédigé le Traité Constitutionnel. Avec un choix décisif de la part de<br />

Barnier, qui l’a rendu itinérant et non fixe à Bruxelles : celui de connaître personnellement<br />

les différents territoires européens. <strong>Il</strong> n’a pas exagéré lorsqu’il a<br />

rappelé que, pendant les cinq ans au sein de la Commission Prodi, il a visité<br />

presque toutes les 2 0 Régions administratives en Europe.<br />

Je propose à votre attention trois réflexions prises dans le texte.<br />

La première : « Sourde aux prophètes du « choc des civilisations », cette<br />

Europe-là s’obstine au dialogue des cultures, tentant de propager ses valeurs<br />

par l’exemple plutôt que par la contrainte. Cette méthode, volontiers raillée<br />

par les amateurs de manière forte, fait au moins ses preuves dans son propre<br />

voisinage, littéralement captivé par l’Union européenne : nations des Balkans,<br />

Turquie, désormais Ukraine, toutes regardent dans sa direction, se plient<br />

à ses exigences en espérant la rejoindre »<br />

La deuxième : « Car le doute, en matière européenne, n’est pas permis : il<br />

est légitime. L’Europe est un enjeu primordial, et dans le même temps d’une<br />

rare complexité. Comment s’étonner que, dans la tête de nos concitoyens, il<br />

y ait plus de questions que de certitudes ? »<br />

D’autres questions, avec le troisième texte : « Bref, l’Union européenne<br />

170


affirme peu à peu sa vocation à s’occuper de tout ce que les États veulent<br />

bien lui confier, y compris les missions politiques et, le cas échéant, militaires.<br />

N’est-ce pas là précisément ce que les Français attendent de l’Europe,<br />

c’est-à-dire qu’elle accomplisse une action forte et juste sur la scène du monde,<br />

dans le respect du droit international ? Qu’elle contribue, par sa diversité<br />

même, à diffuser le dialogue et la tolérance ? ( ... ) Bref, que l’Europe devienne<br />

selon le mot du général de Gaulle, une « Europe européenne », c’est-à-dire<br />

une Europe indépendante, et non plus sous tutelle ou sous influence ? »<br />

Michel, ainsi que nous tous, attendra le résultat du référendum français.<br />

J’imagine qu’il le fera avec le réalisme qui l’identifie, mais en sachant que le<br />

passage assume une valeur vraiment historique. Par ailleurs, en comparant<br />

le débat français à la catatonie italienne, il y a de quoi s’émerveiller. On peut<br />

toujours plus dire des italiens : européistes par hasard...<br />

avril<br />

Les communes sont une des cellules fondamentales de la démocratie<br />

valdôtaine. Sur ce thème nous gardons l’exemple des pages écrites par Emile<br />

Chanoux, qui comprenait bien comme le fédéralisme doit avoir de bases solides<br />

sur le territoire pour bien fonctionner. Ce n’est pas un cas que le fascisme<br />

– nous l’écrivons à quelques jours du 2 avril, pour éviter un dangereux oubli<br />

de l’histoire ! – ait choisi d’attaquer toute forme d’autonomie communale,<br />

comme ce fut le cas avec la destruction du système scolaire valdôtain et<br />

de sa capillarité ou en nommant des podestà, destructeurs d’un modèle de<br />

participation depuis longtemps utilisé chez nous. Même si, pour tout dire,<br />

dans notre histoire plus récente sur cet argument existent un « d’abord » et un<br />

« ensuite ». Le « d’abord » était le modèle qui dérivait du Statut d’autonomie<br />

de 1948, dont la limite était dans le fait – que l’Union avait dénoncé déjà à<br />

l’époque – de maintenir un cordon ombilical trop fort entre notre système<br />

communal et la législation de l’état en la matière. Rome s’imposait lourdement<br />

dans le rapport entre la Région autonome et ses Communes.<br />

L’« ensuite » est représenté par la modification de la Constitution, en vigueur<br />

depuis 1993, que je considère un des résultats les plus importants de<br />

mon activité de parlementaire. L’obtention de la compétence primaire sur<br />

l’organisation des collectivités locales présente dans le Statut a eu un impact<br />

fortement innovateur sur nos Institutions, en nous libérant d’une série de<br />

graves obstacles pour le développement de nos libertés locales.<br />

171


A quelques jours du défi des élections communales, il faut bien avoir<br />

conscience de ce fait, qui a permis le développement d’une législation régionale<br />

et d’un modèle de répartition financière entre la Région et les Communes.<br />

Tout en sachant qu’il existe un juste équilibre dont il faut tenir compte.<br />

<strong>Il</strong> faut dire non au centralisme régional, mais il faut également dire fort et<br />

clair que les Communes ne sont pas un contrepouvoir de la Région, mais<br />

qu’elles participent au même dessein.<br />

<strong>Il</strong> s’agit, maintenant, de confirmer la force de notre Mouvement politique,<br />

non pas pour une démonstration abstraite de force, mais parce que<br />

c’est à partir de là que l’on construit le rapport plus étroit entre l’Union et la<br />

communauté valdôtaine, qui dans le pluralisme des 74 communes ressemble<br />

à un dessein riche qui rassemble des Communes minuscules et des plus<br />

grandes, situées en haute montagne ou aux pieds des Vallées, la Capitale de<br />

la Région et le système des Communautés de montagne.<br />

Si la législation valdôtaine ne sait pas valoriser de plus en plus cette réalité<br />

chorale, l’autonomie spéciale risque d’être une maison commune, qui n’a<br />

pas de fondations solides. Voilà pourquoi il est important de ne pas sous-estimer<br />

les élections communales et il faudra réfléchir tout de suite après – si<br />

nous en serons en mesure – sur notre capacité de trouver de forts collants par<br />

rapport à beaucoup de risques de rupture et d’incompréhension qui, comme<br />

un poison, risquent de nous faire mal, et peu importe le dur exercice du renvoi<br />

de la balle à propos des responsabilités.<br />

Si notre dimension politique était faite d’isolation têtue entre nos montagnes<br />

et de provincialisme trempé de chauvinisme, alors nous pourrions<br />

sereinement arrêter avec l’autonomie spéciale, dénouer l’Union Valdôtaine<br />

et rentrer tous à la maison pour cultiver le jardin ou pour nous dédier aux<br />

plaisirs de la philatélie. Au contraire, je suis convaincu qu’il faut continuer<br />

à s’engager sans céder à la tentation de se renfermer dans notre vie privée.<br />

Je crois que comme valdôtains nous sommes en mesure de porter dans le<br />

débat politique en Italie et en Europe des éléments utiles et originaux, qui<br />

permettent d’avoir la juste reconnaissance et la nécessaire dignité. Personnellement<br />

j’ai la possibilité de témoigner – pour les expériences faites à Rome,<br />

à Bruxelles et à Strasbourg – que si tu as des intentions sérieuses, on ne te<br />

pénalise pas pour les dimensions de ta Communauté et on ne te considère<br />

pas en fonction du nombre de personnes que tu représentes. Le choix se fait<br />

même en fonction de la qualité et de la valeur culturelle des propositions. Et<br />

cela vaut tant qu’il s’agisse des thèmes de l’autonomie et du fédéralisme, de<br />

la défense des minorités linguistiques, de la tutelle et de la valorisation des<br />

zones de montagne, du rôle des régions européennes ou de la coopération<br />

transfrontalière.<br />

172


Toutefois, pour que cela puisse se produire, il existe une condition, qui<br />

ne tient pas compte des capacités des individus et des qualités que chacun<br />

est en mesure d’exprimer. <strong>Il</strong> s’agit de la force propulsive des idées, qui alimentent<br />

un circuit vertueux entre la conception et la réalisation. L’idée est<br />

le sujet d’un débat, s’améliore, devient une partie d’un programme jusqu’à<br />

sa réalisation dans un ou plusieurs projets. Un travail qui peut donner de<br />

grandes satisfactions dans le sillon d’un sens nationaliste pacifique et pas<br />

veiné par le culte hypertrophique de soi-même comme centre du monde.<br />

Un nationalisme à échelle réduite, à mesure d’homme et sans agressivité ou<br />

violences.<br />

Certes un laboratoire d’idées naît et se développe là où il y a des conditions<br />

qui le favorisent. Je reste convaincu qu’en Vallée d’Aoste, à condition<br />

de mettre la sourdine à des rivalités personnelles ( sans arriver au ridicule<br />

de nier l’existence des leaderships en politique ! ) et d’accepter des normales<br />

diversités d’opinions même accentuées sur des sujets en discussion, il y a<br />

tout le nécessaire pour faire de notre petite réalité un lieu privilégié pour la<br />

confrontation des idées et une « zone test » parfaite pour expérimenter chaque<br />

nouveauté utile.<br />

Le problème est par conséquent culturel, s’il est vrai que la culture de la<br />

politique croît, se développe et fructifie seulement à condition qu’il existe un<br />

substrat culturel vivant et généraliste.<br />

Le penseur portugais Eduardo , en définissant l’Europe, observait : « Espace<br />

d’intercommunication où se recycle en permanence ce qu’il y a eu plus<br />

et ce qu’il y a de plus exigeant, de plus énigmatique, de plus inventif dans la<br />

culture conçue comme cultures des différences ».<br />

Si celles-ci sont les prémisses il est clair que la différence, à la base de<br />

l’échange d’expériences, est un élément qui existe à condition de sauvegarder<br />

ces éléments d’originalité qui rendent intéressant l’approche aux problèmes.<br />

C’est un excellent antidote à une globalisation qui ne soit pas le noir de la<br />

pensée unique et du conformisme, mais une mondialisation où – sur la scène<br />

du monde – l’on puisse affirmer la particularité de chaque personne qui, dans<br />

un marché des idées, arrive à fournir, pour l’échange fait de vente et d’achat<br />

entre les cultures, tout ce qu’il y a de mieux.<br />

Jean-Paul II nous a quittés. Le temps de la mémoire nous permet maintenant,<br />

après avoir dépassé la douleur et le déconcertement, de grouper une<br />

série de souvenirs. C’était un après-midi vers le crépuscule, avec une lumière<br />

chaude de septembre, lorsque le Pape polonais, comme un ange habillé en<br />

blanc, entra place Chanoux qui, pour l’occasion, était remplie de gens. A ce<br />

temps-là il était un homme vigoureux, fort et communicatif. Pour moi, jeune<br />

reporteur de télévision, ce personnage a représenté l’enthousiasme de celui<br />

173


qui rencontre un morceau d’histoire. Changement de décor. Nous étions<br />

encore en 1986, pendant la grande Messe dans le pré de Montfleury. J’avais<br />

étudié tous les moindres détails pour ne pas faire piètre figure dans mon<br />

commentaire. Dès la nuit des temps, ainsi j’avais étudié, les Papes passés par<br />

nos Cols alpins étaient nombreux, mais on assistait à la première visite officielle<br />

avec l’usage soigné – de la part de celui qui a su respecter la culture des<br />

nombreux peuples visités pendant son apostolat – des langues de la Vallée<br />

d’Aoste : le français et l’italien. On me raconta le plaisir sincère pour la découverte<br />

du culte marial sur nos montagnes ! Le mystérieux culte de la Vierge<br />

noire existe même sur les Alpes, comme a Czestochowa en Pologne. Franco<br />

Garda, ce complaint guide alpin et mon cher ami, l’accompagna – dans ces<br />

jours mêmes – sur le glacier proche du sommet du Mont-Blanc ( soucieux, ne<br />

pouvant pas l’assurer avec une corde, que le Pape puisse disparaître avalé par<br />

un glacier ! ). Ces images d’un Pontife souriant, qui scrute l’horizon et qui lance<br />

de la montagne plus haute du Vieux Continent son message pro-européen<br />

( caractérisé par des tons prévoyants en pensant récemment à l’élargissement<br />

à Est ), alimentèrent le mythe – pour une fois correspondant à la réalité– d’un<br />

Pape montagnard.<br />

Tout au moins, les dix séjours en Vallée d’Aoste, ainsi que les vacances<br />

dans le Bellunese, lui permirent de réunir une anthologie de réflexions sur la<br />

mystique de la montagne qui restent sculptées dans l’Histoire de l’Eglise.<br />

Quand le Pape arrivait à Les Combes, où les salésiens – aidés par la Vallée<br />

– ont su rendre toujours plus accueillant son séjour, se vérifiait toujours<br />

un grand jouer de coudes parmi les autorités. L’objet de la querelle : l’accueil<br />

du Saint-Père à son arrivée, en hélicoptère là-haut ou à l’aéroport d’Aoste,<br />

et ensuite la dislocation pendant les Messes, l’Angélus ou dans les audiences<br />

dans la maison des vacances. J’ai eu la chance d’avoir de bonnes places<br />

dans le protocole du cérémonial. Ainsi en 199 le Pape avait béni le ventre<br />

de ma femme enceinte et plus tard embrassé mes deux enfants, Laurent<br />

et Eugénie. Nous avons de très belles photographies des trois fois que cela<br />

s’est vérifié et je suis sûr que, quand ils seront adultes – et Pape Wojtyla sera<br />

Saint – elles seront parmi les souvenirs plus chers de leur enfance et de leurs<br />

parents souriants.<br />

Laissez-moi encore ajouter deux images. La merveille de la Messe sous le<br />

Cervin. A l’époque la Slovénie se battait pour son indépendance. Je réussis à<br />

faire parler avec le Pape, qui dans la brève conversation qui se déroula passa<br />

tout de suite à la langue slovène ( Jean-Paul II était un extraordinaire polyglotte<br />

), un ami slovène qui était venu expressément en Vallée pour avoir une<br />

phrase de soutien pour son Pays. <strong>Il</strong> l’obtint et ce fait donna plus de force à la<br />

protestation. L’autre image concerne le pré de Barmasc d’Ayas d’où d’un côté<br />

on peut admirer le Zerbion et de l’autre la chaîne du Mont Rose. Là aussi<br />

le Pape, qui en Vallée d’Aoste a parcouru des dizaines d’itinéraires pendant<br />

ses promenades estivales en rencontrant spontanément les valdôtains et les<br />

touristes, célébra une Messe pleine de joie et de participation.<br />

174


Le Pape malade et vieilli a honoré encore plus notre Vallée. Le choix de<br />

venir ici, même si en grave difficulté et dans ces derniers temps obligé à l’immobilité<br />

( comme l’été dernier, quand sa souffrance était déjà terrible ) était<br />

son désir personnel comme s’il s’agissait de l’approcher d’un adieu et qu’il ne<br />

voulait plus céder – pour le peu de repos qu’il se concédait dans la frénésie<br />

de se promener dans le monde jusqu’à l’épuisement de ses forces – aux devoirs<br />

géopolitiques dans les lieux de vacances. La Vallée d’Aoste, enfin, le<br />

lieu qu’il préférait pour ses séjours. Va savoir, si dans sa triste agonie il n’ait<br />

pas retrouvé, dans les images qui se pressent à la limite de la vie sur terre, les<br />

souvenirs de nos montagnes et cela –avant de gagner les sommets du Paradis<br />

– n’ait pas eu l’effet de calmer la souffrance, avant du dernier ‘amen’ qu’il<br />

aurait prononcé avec un ultime souffle.<br />

Personne ne peut nier le pouvoir évocateur des mots. Salgari, qui n’y avait<br />

jamais été, grâce aux pages magiques de ses romans m’a fait vivre dans mon<br />

enfance sur les mers et dans les forêts de la Malaisie. Verne m’a conduit sur<br />

la lune, dans les entrailles de la Terre avec ses personnages ou en d’autres<br />

aventures du futur. J’ai été mousquetaire avec Dumas et j’ai vécu des milliers<br />

de situations avec Simenon. Des romanciers et des essayistes m’ont conduit<br />

par la main dans des endroits, des situations, des idées. On peut se perdre<br />

dans les pages d’un livre, oublier ce qui nous entoure, voyager tout en étant<br />

immobiles, le cœur et la tête perdus dans des conditions qui sont crées par<br />

ceux qui savent éveiller nos émotions. Simplement avec les mots.<br />

Si des mots écrits nous passons aux mots prononcés, il est encore plus<br />

simple. Le premier mot que nous disons « maman »nous accompagne pendant<br />

toute la vie. Dire « joie »ou « douleur »ouvre la porte à une énormité de<br />

souvenir et d’évocations personnelles et collectives. Essayez : si vous fermez<br />

les yeux et vous prononcez le mot « montagne »vous serez envahis par des<br />

moments vécus, par des expériences, par des idées ou par des convictions<br />

propres ou transmises. J’ai compris, en parlant en public, comme la représentation<br />

des choses peut être partagée si on choisit les mots justes. On crée une<br />

magie, une attente, qui devient le silence grave de l’écoute qui met l’orateur<br />

dans la situation de l’ivresse et en même temps du risque. Le jongleur le fait<br />

en agitant des objets, celui qui parle en public – sans avoir un texte écrit<br />

– utilise les mots qui lui viennent à l’esprit et il peut les employer pendant<br />

que celui qui écoute retient le souffle pour voir s’il se trompe et où il veut<br />

arriver avec les phrases.<br />

A tous ceux qui partagent ces opinions, je conseille, dans la collection<br />

« Livre de poche »un livre de Erik Orsenna « La grammaire est une chanson<br />

douce ». Dans l’élégance d’un récit d’imagination l’auteur exprime tout ce qui<br />

tourne autour de ce point de départ : « Les mots sont de vrais magiciens. <strong>Il</strong>s<br />

17


ont le pouvoir de faire surgir à nos yeux des choses que nous ne voyons pas ».<br />

C’est beau quand un des personnages du livre lance une alerte : « Vingt-cinq<br />

langues meurent chaque année ! Elles meurent, faute d’avoir été parlées. Et<br />

les choses que ces langues désignent s’éteignent avec elles. ( ... ) Les mots<br />

sont les petits moteurs de la vie. Nous devons en prendre soin »<br />

Plusieurs fois dans ce Calepin j’ai rappelé que certains mots importants<br />

– tels que fédéralisme, démocratie, unité ou engagement – peuvent être usés<br />

par un mauvais emploi ou abus. Orsenna rend le concept plus poétique, il<br />

imagine les mots en un lit d’hôpital : « la petite phrase bien connue, trop<br />

connue « Je t’aime ». Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres<br />

ressortaient à peine sur la blancheur des draps ». Pourquoi cette expression<br />

est-elle malade ? Ecoutez Orsenna : « Tout le monde dit et répète « je t’aime ».<br />

<strong>Il</strong> faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout du champ.<br />

Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des<br />

mensonges. Autrement les mots s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les<br />

sauver ».<br />

176<br />

mars<br />

La Constitution européenne, avec ses 448 articles, est un texte long,<br />

compliqué et parfois difficile. Valéry Giscard d’Estaing, Président de la<br />

Convention – l’organe chargé de la rédaction du document et qui a travaillé<br />

du mois de février 2002 au mois de juillet 2003 – a affirmé : « La complexité<br />

est le prix à payer pour que l’Europe soit de plus en plus unie, sans jamais<br />

être uniforme ».<br />

Pour l’approbation de la Constitution les Pays de l’Union se sont conduits<br />

de manière différente en formant deux groupes. Le premier est celui des Pays<br />

dont les Parlements ont ratifié ou qui sont en train de le faire. En voilà une<br />

liste, sans un ordre précis : Lituanie, Hongrie, Slovénie, Autriche, Allemagne,<br />

Italie, Belgique, Chypre, Estonie, Finlande, Grèce ( où la Gauche demande<br />

un référendum ), Lettonie, Malte, Suède. Un deuxième groupe prévoit – entre<br />

cette année et la prochaine – des référendums populaires : Espagne ( où<br />

les oui ont déjà gagné ), France, Danemark, Royaume Uni, Irlande, Luxembourg,<br />

Pays Bas, alors que les référendums en Pologne, Portugal, Slovaquie<br />

et République Tchèque sont très probables.<br />

Pour avoir les idées claires sur ce qui est en jeu, il est à savoir qu’un seul<br />

non suffirait pour arrêter le procès, avec des conséquences difficiles à calcu-


ler. En bref : l’intégration européenne s’arrêterait avec mille incertitudes et<br />

la tentative d’avoir une Constitution européenne échouerait. Pour être bien<br />

renseignés je vous conseille de lire l’Eurobaromètre et ses sondages sur cet<br />

argument : le non a l’air de gagner dans plus d’un Pays.<br />

En commentant dans le Courrier international l’attente et les surprises<br />

du référendum français ( où dans les prévisions le non a dépassé le oui dans<br />

les semaines dernières ) le journaliste italien Alberto Toscano – depuis des<br />

années correspondant à Paris – signale de manière intelligente quatre raisons<br />

pour lesquelles les contraires à la constitution pourraient gagner ( ses affirmations<br />

sont entre guillemets ).<br />

La première raison est la confusion : « La connaissance du texte constitutionnel<br />

est largement déficitaire » La question de l’entrée de la Turquie est<br />

un des exemples cités par Toscano.<br />

La deuxième raison est la sinistrose : « Difficile d’imaginer que le refus<br />

du Traité puisse cicatriser les plaies sociales » Toscano observe de plus que<br />

« quand l’air est chargé de négativité, il est plus difficile de dire oui ».<br />

La troisième est l’Europe bouc émissaire : « Les autorités de nos Pays font<br />

systématiquement porter le chapeau à Bruxelles ». Les mérites reviennent à<br />

l’Etat, les démérites à l’Europe !<br />

La quatrième est la revanche des marginalisés : « Marginalisés dans les<br />

consultations majoritaires, les extrêmes sont avantagés quand tous les votes<br />

comptent de la même manière » Un phénomène, celui des extrémistes contre<br />

l’Europe, qui traverse tout le vieux Continent.<br />

J’espère que même en Vallée d’Aoste le défi de la Constitution émerge<br />

dans toute son importance et que l’on sorte d’une torpeur qui inquiète.<br />

Le rôle du service public radiotélévisé en Vallée d’Aoste est important et<br />

il est bien que les valdôtains, même s’ils réclament toujours plus d’engagement<br />

et de professionnalité, reconnaissent le travail presque désormais quarantenaire<br />

de la Rai dans notre Région. Bien que les espaces des émissions<br />

demeurent exigus et que – comme on s’était fait des illusions dans les années<br />

70 –une radio ou une télévision publique entièrement consacrées au Val<br />

d’Aoste ne soient pas nées, mais vu les temps qu’on a vécus – pas favorables<br />

à la décentralisation de la Rai – le risque était et sera celui d’un démantèlement<br />

de l’existant. Mieux vaut donc de se contenter.<br />

Je voudrais bien le rappeler dans ces heures pendant lesquelles le siège régional<br />

laisse sa place historique de rue Chambéry à Aoste et mes collègues,<br />

parmi lesquels je compte beaucoup de personnes auxquelles je suis sincèrement<br />

lié et que j’estime pour leur engagement, se déplacent définitivement<br />

dans le nouvel petit palais de Saint-Christophe ( j’espère qu’ils me laissent un<br />

177


ureau, vu qu’en politique on ne sait jamais… ). Un choix rendu obligatoire à<br />

cause de l’impossibilité de trouver une collocation dans la ville et ceci est un<br />

intéressant exemple de l’appauvrissement du chef-lieu régional. <strong>Il</strong> est triste<br />

de penser que les bureaux radiophoniques où en 1968 commencèrent les<br />

émissions de La voix de la Vallée disparaîtront et, la même chose, vaut pour<br />

le bureau TV d’où de 197 a été mit en ondes le journal télévisé régional.<br />

Même destin pour la salle de montage et les bureaux où des milliers d’heures<br />

d’émission radio et télévisée de la programmation régionale ont été conçues.<br />

J’ai passé en rue Chambéry des années très belles. J’ai profondément aimé<br />

mon métier de journaliste Rai et la date de mon engagement, le 22 février<br />

1980, reste une étape fondamentale de ma vie; l’attente pour le mandat politique<br />

du désormais lointain 1987 ne change pas le fait que celui ci reste<br />

mon travail. Dans ces années là, qui coïncident aux années plus belles de<br />

ma jeunesse et pendant lesquelles on respirait un grand enthousiasme en<br />

rédaction et un beau jeu d’équipe, j’ai tourné toute la Vallée de long en large<br />

avec les troupes télévisées ou équipé d’un magnétophone, en estimant que le<br />

métier du journaliste Rai n’est pas un emploi quelconque, mais il y a un élément<br />

de service public qui le charge de responsabilité et l’oblige à des critères<br />

d’impartialité et à un évident engagement personnel d’approfondissement<br />

des thèmes traités. Les pires ennemis ( dans ce métier ) sont la négligence, la<br />

répétition, le travail en rédaction sans sortir sur le territoire, se contenter des<br />

nouvelles qui arrivent sans aller à leur recherche, les idées préconçues où les<br />

sympathies personnelles qui uniformisent en négatif l’activité, en négligeant<br />

les devoirs élémentaires de distinction bien compréhensible entre la nouvelle<br />

et le commentaire. Le nouveau siège de la Rai représente de toute façon une<br />

bonne nouvelle. <strong>Il</strong> s’agit d’une structure bien plus efficace du vieux siège qui<br />

s’était progressivement élargi à l’intérieur d’une copropriété et qui même si<br />

riche de mémoires et d’histoire ne répondait plus et depuis longtemps aux<br />

nécessités. Bon travail, donc. Et – attention – gardez-moi un bureau.<br />

Si on fait partie de la catégorie des optimistes, on le sait, on peut parfois<br />

être considérés des imbéciles. <strong>Il</strong> suffit d’allumer la télé et d’écouter les nouvelles,<br />

ou bien de feuilleter le journal de la première à la dernière page, pour<br />

comprendre que nous ne vivons certainement pas dans le meilleur des mondes<br />

possibles. Au contraire ! <strong>Il</strong> me semble qu’une bonne tranche d’humanité<br />

s’amuse à s’exercer en de petits et malheureusement grands méfaits, pour le<br />

plus distillés de ce poison aussi répandu qui s’appelle haine. Avec des pics<br />

d’horreur, de douleur et parfois même de malchance qui nous laissent effarés<br />

et effrayés. Souvent ils nous coupent littéralement la parole.<br />

Et les pessimistes, qui sont la majorité, nous racontent du matin au soir<br />

problèmes et méfaits, et si, en retour, on tente de mitiger la situation ou la<br />

178


perception négative on risque d’apparaître comme le plus bête du groupe ou<br />

pire comme une sorte d’inconscient qui n’arrive pas à percevoir la gravité des<br />

faits. Je pense à des sentences tombales. Comme celle de Georges Benanos :<br />

« L’optimisme m’est toujours apparu comme l’alibi sournois des égoïstes, soucieux<br />

de dissimuler leur chronique satisfaction d’eux-mêmes ». Emil Cioran<br />

est terrible : « Ce qu’on appelle « pessimisme »n’est rien d’autre que l’ « art de<br />

vivre », l’art de goûter la saveur amère de tout ce qui est ».<br />

Au contraire je revendique le droit à l’optimisme. Je me fais fort aussi<br />

de quelques citations. Léon Daudet : « Autant l’optimisme béat, c’est à dire<br />

inactif, est une sottise, autant l’optimisme, compagnon de l’effort, pour sortir<br />

des difficultés, des souffrances, des lésions fonctionnelles et organiques, est<br />

légitime ». Ou André Gide « Ne te détourne pas, par lâcheté, au désespoir.<br />

Traverse-le. C’est par-delà qu’il sied de retrouver motif d’espérance. Va droit.<br />

Passe outre. De l’autre côté du tunnel tu retrouveras la lumière ». Voilà ce en<br />

quoi, je pense il faut croire, même en politique. Je crois en un optimisme qui<br />

est la conséquence de l’engagement et qui devient une réaction convaincue<br />

contre toute difficulté. S’il engage une action chorale et collective, les énergies<br />

alors se multiplient et la confiance en nous et en un effort de groupe<br />

augmente. C’est cette force qui a fait faire aux valdôtains de grandes choses,<br />

quand ils ont su en expliquer les raisons.<br />

J’y pensais à propos d’une situation négative que l’on perçoit de ces temps<br />

même dans notre Vallée. C’est comme une épidémie insidieuse qui grandit,<br />

se transmet et dont on avertit la gravité. Un effet avalanche qui emporte et<br />

angoisse et qui donne lieu à un climat de préoccupation et de méfiance. La<br />

seule réaction efficace est faite d’engagement et de bon sens, avec un optimisme<br />

factif contre un pessimisme complu.<br />

Avec Joseph Joubert : « Au lieu de se plaindre de ce que la rose a des épines,<br />

il faut se féliciter de ce que l’épine est surmontée de roses et de ce que<br />

le buisson porte des fleurs » C’est une image poétique, qui peut apparaître<br />

vide aux yeux d’un pessimiste. Mais on me permette de dire que je suis très<br />

optimiste quant à l’avenir du... pessimisme.<br />

L’alliance de centre gauche, en vue des élections politiques de 2006, a<br />

enfin choisi, après plusieurs tentatives maladroites, de s’appeler « Unione ».<br />

<strong>Il</strong> est sans doute vrai que l’Union valdôtaine n’a pas de copyright sur le mot<br />

et on ne peut donc rien reprocher à Prodi et à ses alliés, mais il est vrai aussi<br />

que dans la politique italienne, lorsqu’on parle de « Union »on parle depuis<br />

toujours de notre Mouvement politique et de la spécificité de la présence<br />

valdôtaine dans la politique, à Aoste, à Rome et, en certains moments, même<br />

en Europe.<br />

179


De plus, dans la mer incertaine et transformiste de la politique italienne,<br />

dans laquelle les mêmes navires changent de nom et de drapeau avec une<br />

grande facilité et souvent avec une logique de pirates, ce n’est pas une chose<br />

de rien que l’Union Valdôtaine ait gardé un même nom et un même symbole<br />

depuis 194 . Une longue durée qui mérite – puisque nous nous rapprochons<br />

du 60e anniversaire du Mouvement – des célébrations adéquates, surtout si<br />

l’on croit, comme c’est mon cas, que sans une vraie union dans l’Union, faite<br />

de règles et de comportements partagés, la désunion risque d’être vraiment la<br />

négation du dicton « L’Union fait la force », qui est un principe vrai partout,<br />

mais particulièrement en politique.<br />

Par ailleurs l’étymologie du mot « union » est pleine d’intérêt. Si dans le<br />

latin de l’époque impériale le mot signifiait « perle, grosse perle », dans le latin<br />

tardif il apparaît comme une « sorte d’oignon », mais il s’affirme avec clarté et<br />

dans le temps avec la définition actuelle de « amalgame, association, fusion,<br />

réunion » qui se décline dans la philosophie, dans la religion, dans la théologie.<br />

Et même en politique, vu que le mot « unionisti » apparaît dans l’histoire<br />

de la Grande Bretagne et des Etats Unis et dans l’histoire française on va de<br />

« l’Union sacrée » de Poincaré en 1914, avant de la déclaration de la Première<br />

guerre mondiale, à « l’Union nationale » proposée par De Gaulle en vue de la<br />

libération de la France dans le deuxième après-guerre.<br />

Jamais comme aujourd’hui, et on suppose que le choix de Prodi ait été<br />

fait – comme il arrive de nos jours, après l’avis de grands experts de marketing<br />

politique et de communication institutionnelle – ce terme de « Union » montre<br />

toute sa modernité. Si donc la définition à la base de notre mouvement<br />

est correcte, il est impressionnant d’ajouter qu’à cela s’associe cet ensemble<br />

d’idées et de propositions que les unionistes ont toujours fait remonter à la<br />

pensée autonomiste et aux fondements du fédéralisme ( que tout le monde<br />

utilise aujourd’hui pour recevoir des attentions, souvent de manière inappropriée<br />

! ) Cela nous permet d’apprécier la responsabilité que nous avons,<br />

en découvrant que tant l’étiquette que le contenu – après tant d’années - résultent<br />

être modernes et bons pour être copiés. Une ultérieure raison pour<br />

réfléchir, apprécier, partager et vivre, avec un engagement quotidien – contre<br />

toute tentation, souvent illégitime, de nous séparer – ce terme « Union » qui<br />

devrait être le premier principe à la base de notre action politique et en même<br />

temps ressentir que ce sentiment en est le fondement.<br />

C’est un livre qui a paru il y a une dizaine d’années, écrit par Alain Duhamel<br />

et intitulé « La politique imaginaire ». <strong>Il</strong> photographiait de manière très<br />

nette un changement de tendance en France, où l’opinion publique – selon<br />

l’auteur – démontrait toujours moins de tolérance pour les privilèges injustes<br />

des hommes politiques. <strong>Il</strong> écrit : « Devant la profondeur, la durée, la géné-<br />

180


alisation de la crise, l’intégrité des hommes politiques, des élus, des gouvernants<br />

devenait une exigence absolue, un critère impérieux ». <strong>Il</strong> avait été<br />

le bon prophète d’un changement de route qui aujourd’hui est entièrement<br />

visible dans les faits qui, en quelques jours, ont brûlé une des promesses de<br />

la politique de l’autre côté des Alpes, Hervé Gaymard, un Savoiard qui a de la<br />

famille en Vallée d’Aoste et qui a toujours démontré pour notre Région beaucoup<br />

de sympathie. Sa carrière avait été flamboyante : né en 1960 à Bourg<br />

Saint Maurice, il avait été élu député de la Savoie en 1993 et après avoir été<br />

Secrétaire d’Etat à l’Economie et ensuite au Travail, il devient Ministre de<br />

l’Agriculture en 2002 et il y a quelques mois Ministre de l’Economie. Dans<br />

le panorama de la politique française il est « chiraquien »( et donc de ces<br />

temps un anti-Sarkozy ) et il raconte avoir décidé de se mettre en politique à<br />

10 ans, après avoir vu a la télé les obsèques du Général De Gaulle. Partisan<br />

convaincu de la discrétion médiatique ( il avait récemment écrit pour Fayard<br />

le livre « La route des Chapieux », où il parle de sa conception politique ), il a<br />

été renversé par un scandale qui trouve son origine justement dans ces media<br />

que – contrairement à Sarkozy- il ne considérait pas fondamentaux. Quelqu’un<br />

a passé au Canard enchaîné une nouvelle brûlante : le journal a révélé<br />

que Gaymard « loge avec son épouse et ses huit enfants dans un appartement<br />

de 600 mètres carrés à Paris pour 14.000 euros payés par l’Etat ». Inutile de<br />

dire qu’en passant la nouvelle aux journaux quelqu’un a voulu, en y réussissant,<br />

couper l’herbe sous les pieds du jeune Ministre et cela fait partie d’une<br />

guerre souterraine qui – à coups de dossiers – anime depuis longtemps la<br />

politique française. A partir de ce moment, jusqu’au moment de sa démission<br />

après deux semaines- et donc il y a quelques jours- le Ministre a vécu une<br />

sorte de chemin de croix médiatique. Voilà la motivation qu’il donne pour sa<br />

sortie de scène : « Ce que je ne peux plus supporter, c’est le harcèlement que<br />

subit ma famille. J’ai fait des erreurs, j’en ai tiré des conséquences, je payerai<br />

ce qu’il faut pour les redresser mais je crois très honnêtement que le niveau<br />

que la polémique a atteint ne correspond pas à la réalité des choses. Je n’ai<br />

pas fait de crime ni de délit ».<br />

L’événement même, mis à part le fait qu’il est la preuve efficace de l’incertitude<br />

et de la fugacité du succès dans le monde de la politique, démontre<br />

toutefois des volets utiles. Duhamel en cela avait vu les choses avec une sorte<br />

de prévoyance : en s’opposant à l’idée de ceux – police ou magistrature- qui<br />

tendent à « transformer le personnel politique dans son ensemble en accusé<br />

perpétuel et en criminel collectif », signale – comme je disais – un brusque<br />

abaissement du seuil de tolérance et une demande collective de comment,<br />

dans les moments difficiles, l’opinion publique a « besoin d’éprouver de la<br />

considération sincère pour les élus ». Dans le cas de Gaymard demeure la<br />

conscience que la légitime « question morale »s’accompagne à une utilisation<br />

évidemment instrumentale de ces faits, dont quelqu’un profitera.<br />

181


182<br />

février<br />

En dehors de la Vallée d’Aoste – et cette fois je ne parle pas des milieux<br />

fédéralistes traditionnels et bien connus – on assiste aujourd’hui à une redécouverte<br />

de la pensée d’Emile Chanoux. Pour tout dire cela arrive dans<br />

des centres d’étude et par des intellectuels qui ne cachent pas un penchant<br />

pour la Lega. Face à cette perspective on voit deux sentiments opposés. Le<br />

premier peut être résumé par le slogan « Ne touchez pas à Chanoux ! ». Le<br />

deuxième, au contraire, est un intérêt pour une légitime valorisation d’un<br />

homme d’action et d’un penseur méconnu qui appartient à une branche<br />

injustement considérée mineure, celle du fédéralisme personnaliste et de<br />

l’autonomisme politique.<br />

Sur le premier aspect on aurait l’instinct de couper court et de dire à<br />

certains leghisti : Chanoux est antifasciste et ceux qui s’associent à des partis<br />

– comme Alleanza Nazionale – qui se réfèrent explicitement à des idées d’extrême<br />

droite ( incompatibles avec la forma mentis et l’ensemble des oeuvres<br />

de Chanoux ) ne peuvent pas se servir de son nom. Et on pourrait ajouter<br />

une deuxième pensée : Chanoux est à nous, il est de la famille, il est dans<br />

nos maisons, nous avons protégé sa mémoire et maintenu ses idées vivantes<br />

même lorsque l’Union valdôtaine était seule et incomprise. Dans les papiers<br />

de ma famille je trouve des lettres et des cartes postales de Chanoux : mon<br />

père et ses frères en ont partagé les espoirs et les douleurs ( papa vit le corps<br />

livide de Chanoux à la morgue de Aoste, avant que le vieux Camandona ne le<br />

chasse, de peur que les fascistes l’emprisonnent ). On doit à mon oncle Séverin<br />

les merveilleuses pages d’exaltation de ce martyre à qui, dans mon travail<br />

parlementaire, je n’ai jamais oublié de reconnaître la correcte importance, en<br />

le citant aussi bien à la chambre des Députés que au Parlement européen.<br />

Une source très pure à laquelle nous pouvons nous désaltérer, en nous efforçant<br />

d’actualiser ses avertissements et ses vues prophétiques.<br />

<strong>Il</strong> y a ensuite le deuxième aspect. Pour tant qu’on puisse être sévères<br />

et exigeants - si nous n’avons pas peur d’une utilisation instrumentale de<br />

« notre » Chanoux - nous devons apprécier ( et je pense au livre de Giorgio<br />

Andrea Pasqui sur Chanoux aux Editions Le Chateau ) ceux qui s’efforcent<br />

de trouver des clés de diffusion scientifique, dans le respect des parcours<br />

intellectuels et du sens d’une vie sacrifiée au nom de la Vallée d’Aoste et de<br />

la pensée fédéraliste. Je trouve, de ce point de vue, que Chanoux doit être valorisé<br />

et connu, puisqu’il porte en lui cette force et ces antidotes qui peuvent


donner un sens plus profond à des fédéralismes qui paraissent incohérents<br />

et balbutiants. Chanoux comme reconstituant, comme inspiration sincère,<br />

comme force propulsive, comme exemple qui nous oblige à lire ce qu’il a<br />

écrit et à nous efforcer d’actualiser son dessein en tenant compte du temps<br />

passé et des énormes nouveautés de la vie d’aujourd’hui et du cadre institutionnel.<br />

Mais il existe un fil rouge entre les générations et cela vaut même<br />

pour nous les valdôtains qui sommes obligés de nous démontrer cohérents<br />

et respectueux de notre passé et du témoin, de ce flambeau lumineux cher à<br />

Chanoux, qu’on nous lègue pour que nous le transmettions, à notre tour, aux<br />

générations futures.<br />

De toutes nos maisons, à travers un ordinateur relié à Internet, on peut<br />

accéder, aujourd’hui, à une quantité d’informations dont – jusqu’à il y a quelques<br />

années – il était impensable de disposer chez soi. La bibliothèque d’une<br />

maison, bien que riche en textes, ne peut en aucun cas rivaliser avec le web<br />

et cela vaut même pour les cd rom, qui concentrent une énorme quantité<br />

de matériel qui, imprimé, occuperait des pièces entières. Cette révolution<br />

informatique est un appui énorme pour la culture et le savoir.<br />

Dans le passé les livres que l’on possédait à la maison créaient une différence<br />

évidente dans les conditions qui favorisent l’étude et la formation<br />

personnelle. J’ai eu de la chance de ce point de vue, provenant d’une famille<br />

dans laquelle la valeur et l’importance des livres ont toujours été un acquis.<br />

J’ai toujours été charmé par les livres anciens, notamment par ceux du XIX ème<br />

siècle, qui provenaient d’un héritage paternel qui comprenait même des pages<br />

manuscrites par mon arrière-grand-père. On percevait clairement les caractères<br />

de la « bourgeoisie » de la ville, cosmopolite et francophile, avec des<br />

classiques français en toute évidence, ainsi que des livres de base d’histoire,<br />

de philosophie et de mathématiques.<br />

Cet amour pour les livres était comme un virus que l’on retrouvait dans<br />

les maisons de mes oncles. Séverin était l’exemple du savant, qui exhibait<br />

ses connaissances avec style et ironie, en passant avec une grande capacité<br />

dialectique d’une matière à l’autre du savoir. Eugénie était autant cultivée,<br />

mais avec la forme mentale de celle qui a consacré entièrement sa vie à<br />

l’enseignement. Emile et Mario représentaient la partie scientifique de la<br />

famille dans une époque durant laquelle la formation littéraire et la formation<br />

technique étaient complémentaires. De ce point de vue j’appartiens à une<br />

génération du milieu, j’ai de la chance en cela, mais je suis également obligé<br />

de m’efforcer pour ne pas rester en dehors de la révolution de l’électronique<br />

et du digital. Une génération au milieu entre le parfum du papier, les phrases<br />

soulignées à la main, le plaisir physique du choix et de l’achat d’un livre et<br />

l’ivresse de la navigation sur Internet, de la sélection et de l’utilisation des<br />

sources et enfin de l’emploi de l’imprimante. <strong>Il</strong> s’agit de deux alphabétis-<br />

183


mes utiles et complémentaires. Arriverons-nous tout de même à transmettre<br />

aux jeunes générations le goût et l’importance des livres ? Ou bien ils seront<br />

destinés à vivre avec les nouvelles technologies et ils liront les livres sur des<br />

ordinateurs de poche du futur ? On court vraiment le risque que la vitesse<br />

soit au désavantage de la pondération utile pour penser ?<br />

Peut-être, en réalité, le medium compte, mais il faut penser à la substance,<br />

donc au message. Voilà pourquoi nous, les parents, devons transmettre<br />

l’amour pour la culture et pour le savoir et nos enfants et petits enfants en<br />

pourront bénéficier avec tous les instruments qu’ils auront à leur disposition.<br />

C’est une chaîne générationnelle qui demeure l’essence fondamentale de la<br />

vie.<br />

Gustave Malan de Torre Pellice était un esprit libre, anticonformiste dans<br />

la vie et libertaire en politique, un fédéraliste souvent contre courant. <strong>Il</strong> était<br />

le plus jeune – il n’avait que 21 ans – parmi ceux qui étaient présents à<br />

Chivasso en 1943 pour la célèbre « Déclaration des populations alpines » une<br />

étape historique pour les montagnards dans une des périodes les plus sombres<br />

de l’histoire contemporaine.<br />

<strong>Il</strong> a été fidèle à ses principes jusqu’à la fin et son admiration pour Emile Chanoux<br />

lui faisait briller les yeux encore dernièrement. Malan, partisan dans<br />

les formations de Giustizia e libertà, aboutit au Partito d’Azione et il anime<br />

ensuite les groupes de fédéralistes mondialistes.<br />

Gustave avait du sarcasme et de l’ironie pour tout le monde, avant tout<br />

pour sa communauté vaudoise, envers laquelle il n’épargnait pas des considérations<br />

pleines de poison, mais il avait un faible pour nous, les valdôtains. Si<br />

on l’appelait en Vallée pour une manifestation il venait volontiers et il disait<br />

clairement que dans l’autonomie valdôtaine on trouvait un petit exemple de<br />

réalisation de la Déclaration de Chivasso, trop petit malheureusement, pour<br />

nous-mêmes et pour l’ensemble des Alpes !<br />

Nous nous sommes retrouvés souvent dans les dernières années, à l’occasion<br />

de rencontres ou de réunions et il m’a même écrit parfois, intellectuel<br />

curieux et omnivore, pour savoir du fédéralisme et de la protection des minorités<br />

linguistiques.<br />

La dernière fois que je l’ai vu il se sentait vieux et fatigué, mais – quand<br />

on commençait à parler de politique – il redevenait jeune et piquant, encore<br />

prêt à polémiquer et à affronter des discussions pour exprimer ses idées. <strong>Il</strong><br />

avait dit : « Non so dove ho pescato la parola « autonomia » per dirla ai miei<br />

compagni. Credo d’aver visto una volta su di una bancarella di libri usati a<br />

Torino, un piccolo libro del 1920 sull’autonomia del Friuli.<br />

Allora, mi son detto, esiste la parola ! ». Et encore, en rappelant les an-<br />

184


nées Quarante : « In quei tempi, quasi nessun giovane della mia età sapeva<br />

che fosse esistito un signor Matteotti.<br />

E pur fu un fatto enorme l’assassinio di Giacomo Matteotti, perché l’Italia<br />

ha tremato e tutto il mondo pensava che Mussolini sarebbe caduto. Bene :<br />

dieci anni dopo, i giovani non sapevano neppure quel nome e quel cognome ;<br />

non sapevano nulla. Così, per l’autonomia : un’idea che esisteva, sotto sotto,<br />

ma nessuno la conosceva ; eppure bisognava muoversi. Questa è la storia di<br />

Chivasso ».<br />

Dans un monde gris, où souvent la culture est un poids et encore plus<br />

l’intellect, Malan, avec sa verve et sa tête de « bastian contrario »a rejoint les<br />

autres de la déclaration de Chivasso. Les autonomistes – un mot qui se fonde<br />

bien avec fédéralisme et en est pas une diminution – se sont retrouvés.<br />

Giampaolo Pansa n’a pas peur de dire la vérité, tant comme journaliste<br />

que comme écrivain. On trouve en lui une veine toujours nouvelle d’anticonformisme<br />

sain, qu’il exprime sans se créer trop de problèmes. J’ai même<br />

l’impression que, en vieillissant, il devienne, comme il arrive parfois, de plus<br />

en plus direct et qu’il écrive pour exprimer ses convictions et non pas pour<br />

plaire, ce qui arrive même à des grands lorsqu’ils cèdent à des formes de<br />

vanité. Pansa ne veut pas plaire, mais transmettre des idées fortes sans les<br />

nuancer.<br />

Je lui dois, pour sa manière de raisonner franche et concrète, une réflexion<br />

sur un thème difficile : le sens du devoir. Dans une interview imaginaire<br />

avec un hypothétique homme politique de cinquante ans, appartenant<br />

au centre, il lui fait dire :« La mia adolescenza è stata segnata dal verbo dovere.<br />

Devi arrangiarti, devi studiare, devi imparare un mestiere, devi lavorare,<br />

devi rispettare chi non la pensa come te, devi essere onesto... Ma oggi vivo in<br />

un mondo capovolto. Dove sento parlare soltanto di diritti e quasi mai di doveri.<br />

D’accordo, i diritti sono uno dei cardini della nostra vita. Però sarebbero<br />

chimere irraggiungibili senza la trave portante dei doveri. Ecco una verità che<br />

viene sempre presa a calci ». Des mots très profonds, qui peuvent sembler<br />

impopulaires ou antipathiques, difficiles à écrire en un programme électoral<br />

politique. Toutefois j’appartiens aussi à une génération encore pleine de devoirs.<br />

Le sens du devoir est une sensation fort peu aimable, lorsqu’il oblige<br />

même à faire des choses que l’on n’aime pas, à accepter des sacrifices, à subir<br />

des défaites. Deux phrases du XIX ème siècle, de deux auteurs très semblables<br />

dans la manière de regarder à certaines ivresses révolutionnaires peuvent<br />

nous éclairer. Auguste Comte, philosophe : « Nul ne possède d’autre droit<br />

que celui de toujours faire son devoir ». Et René de Chateaubriand, écrivain<br />

et homme politique :« C’est le devoir qui crée le droit et non le droit qui crée<br />

le devoir ».<br />

18


Je crois qu’il est bien d’y réfléchir. Et, quand on a la chance de pouvoir<br />

le faire, on doit penser à la manière de transférer à nos enfants cette éthique<br />

du devoir. Un sens moral apparemment lourd, mais qui en réalité est un<br />

vaccin utile et une vitamine fortifiante contre une maladie de nos jours qui<br />

parfois fonde sur l’abus des droits grand nombre d’incertitudes et le risque<br />

que les droits sacro-saints perdent progressivement leur valeur comme une<br />

pièce dévalorisée.<br />

186<br />

janvier<br />

Je regarde avec méfiance au prohibitionnisme, pour une conviction personnelle<br />

et pour culture politique. Mais je trouve utile le choix de rendre plus<br />

difficile de fumer dans les locaux publics. En effet nous ne sommes pas face<br />

à une interdiction absolue. Ceux qui veulent équiper leurs exercices d’un<br />

local pour accueillir les fumeurs peuvent le faire et en Vallée d’Aoste, entre<br />

autres, une aide publique généreuse – que personne n’a demandé jusqu’à<br />

présent – peut être utilisée à ces fins. Et les fumeurs, s’ils ne résistent pas<br />

au manque de nicotine, peuvent sortir un instant du café ou du restaurant :<br />

je n’y trouve rien de dramatique. Ceux qui parlent d’une violation des droits<br />

personnels devraient tenir des discours libertaires pour de meilleures causes<br />

et non pour l’utilisation de substances qui pèsent grièvement sur la santé des<br />

fumeurs et de ceux qui les entourent. Et ceux qui dissertent sur les effets<br />

bien plus graves de la pollution de l’air ont probablement raison, mais ce n’est<br />

pas avec un mal qu’on en élimine un autre.<br />

Celui qui écrit n’a jamais fumé, exception faite pour quelques tentatives<br />

à l’époque de l’adolescence. A la maison je tolère avec une patience spontanée<br />

l’habitude de fumer de mes proches et de mes amis, dont la grande majorité<br />

– avec un grand témoignage de civisme – fume en demandant poliment<br />

l’autorisation et en évitant les comportements de maniaques ( la seule exception<br />

est mon père qui, octogénaire, continue de fumer et rappelle, en guise<br />

de justification historique et comportementale, que dans le camp d’internement<br />

nazi en Allemagne il échangeait la maigre ration de nourriture contre<br />

une cigarette ! ) Toutefois il existe une minorité de malpolis qui affiche cette<br />

mauvaise habitude : ils sont les premiers responsables du fait que la défense<br />

de fumer ait été imposée par la loi et non en travaillant sur l’autodiscipline<br />

des fumeurs au lieu que sur les amendes. Ce sont ceux qui nous ont empuantis<br />

pendant des années avec une fumée passive arrogante et professée. Et


aujourd’hui ils polémiquent fortement contre un Etat qui punit les fumeurs<br />

tout en leur vendant les cigarettes et gagne sur les impôts ( en Italie de plus<br />

l’Etat soutient les producteurs de plantes de tabac ! )<br />

C’est un paradoxe, alourdi de plus par le coût du vice sur le service sanitaire<br />

public, qui fait que l’argent qui entre par les impôts, sort pour soigner<br />

les gens qui tombent malades à cause de la fumée, mais il fallait bien qu’on<br />

commence par quelque chose. Voilà qui est fait et je dois avouer, après un<br />

court séjour à Paris où on continue à fumer dans les bistrots et les restaurants<br />

– dans lesquels les salles séparées sont encore rares – que je préfère la formule<br />

à l’italienne. Certains observent que les mesures prévues partageront<br />

l’Italie entre un Nord discipliné et un Sud hostile à la loi, comme il arrive déjà<br />

pour le casque des motocyclistes, les ceintures de sécurité dans les voitures,<br />

l’obligation de payer la redevance télé. Ceux qui croient au respect des lois<br />

en vigueur devraient regarder avec dégoût ceux qui ne les respectent pas,<br />

plutôt que de démontrer une envie mal cachée pour ceux qui une fois la loi<br />

faite trouvent le moyen pour éviter de la suivre et qui, au lieu de se croire des<br />

malins, devraient avoir honte.<br />

Le destin du Tibet, que la Chine tente d’assimiler non plus avec une violence<br />

évidente, mais avec une tactique plus rusée d’immigration massive et<br />

d’imposition de styles de vie et de modèles culturels, semble être marqué de<br />

plus en plus gravement. Et cela malgré une action internationale vaste et méritoire,<br />

notamment autour du personnage charismatique du Dalai Lama qui<br />

rappelle les grandes valeurs culturelles de ce Pays himalayen, occupé par la<br />

Chine et transformé en une province comme les autres, sans tenir compte du<br />

droit à l’autodétermination des peuples sanctionné par les Nations Unies.<br />

Le Tibet est pour cela un Pays symbole pour le Bouddhisme, qui compte<br />

– comme toutes les religions – une série de variantes. Mais le Bouddhisme<br />

a son cœur dans l’Himalaya à démonstration du fait que toutes les religions,<br />

grandes ou petites, ont dans la montagne un symbole important de la transcendance.<br />

Un livre assez original de Danielle e Olivier Föllmi ( Offrandes,<br />

Éditions de La Martinière, Paris ) propose des photos extraordinaires des<br />

lieux et des populations bouddhistes. Les auteurs font un couple très intéressant<br />

: il est photographe et elle est médecin anesthésiste, ils vivent entre les<br />

Alpes et l’Himalaya et ils ont adopté quatre enfants d’origine tibétaine.<br />

A côté des photos, et dans un parcours d’images de 36 jours qui va du<br />

premier jour de l’année au 31 décembre, sont proposées de belles pensées de<br />

maîtres bouddhistes. Sans vouloir s’abandonner en une xénophilie religieuse<br />

avec des nuances new age qui risquent souvent de paraître ridicules, je voudrais<br />

– dans la logique d’une comparaison productive et avec cette approche<br />

187


multiculturelle que nous ne devons pas oublier sans effacer la force de nos<br />

traditions – vous proposer une de ces citations pour chacune des neuf périodes<br />

dans lesquelles l’année a été organisée.<br />

L’ORDRE DE L’UNIVERS – Attachons-nous à reconnaître le caractère<br />

si précieux de chaque journée ( Le XIV dalaï lama ). GRAIN DE VIE – Notre<br />

conscience contient tous ces rôles et bien d’autres, les héros, l’amoureux,<br />

l’ermite et le dictateur, la femme sage et le fou ( Jack Kornfield ). GERMER<br />

– Atteindre le bonheur authentique exige de transformer à la fois le regard<br />

que l’on porte sur le monde et sa manière de penser ( Le XIV dalaï lama ).<br />

EAUX TROUBLES – <strong>Il</strong> n’y a rien d’intelligent à ne pas être heureux ( Arnaud<br />

Desjardins ). ÉCLORE – L’envie et la jalousie procèdent de l’incapacité<br />

fondamentale à se réjouir du bonheur ou du succès d’autrui ( Matthieu Ricard<br />

). CROÎTRE – Vous ne pouvez pas arrêter les vagues, mais vous pouvez<br />

apprendre à surfer ( Joseph Goldstein ). FLEURIR – On s’intéresse à ses<br />

membres comme partie de son corps : pourquoi pas aux hommes comme<br />

parties de l’humanité ? ( Shantideva ). SEMER – Vous ne pouvez pas trouver<br />

le surnaturel sans passer par la nature ( Arnaud Desjardins ). S’ÉPANOUIR<br />

– Les oiseaux qui vivent sur une montagne d’or reflètent la couleur de l’or<br />

( Proverbe tibétain ).<br />

«Noms de lieux, prénoms, noms de famille, noms de marques... ». C’est le<br />

sous-titre qui m’a frappé dans ce tout récent livre de Jean-Louis Beaucarnot<br />

( JC Lattès-Paris ). L’histoire des noms, dans ses différentes occurrences m’a<br />

toujours fasciné. C’est une manière pour découvrir plein de choses, souvent<br />

indispensables, curieuses ou utiles. Et le livre, qui traite en prévalence de<br />

l’aire francophone, est un réservoir précieux même pour notre Vallée et pour<br />

son territoire qui, par exemple à travers les toponymes, nous parle directement<br />

de notre passé. Leur respect, leur maintien et une prononciation correcte<br />

( contre les erreurs-horreurs qui sont entrées à faire partie du langage<br />

courant ! ) ne sont donc pas une manie passéiste, mais un témoignage du<br />

respect vers nous-mêmes et vers ceux qui nous ont précédés.<br />

On y trouve un chapitre fascinant, qui concerne le lien entre les produits<br />

et leurs inventeurs. <strong>Il</strong> s’agit, souvent, de vraies et propres « brand » pour<br />

utiliser un anglicisme, c’est à dire d’un label célèbre qui à lui seul évoque<br />

immédiatement le produit ou les produits qu’il représente. On y trouve aussi<br />

la Vallée d’Aoste ! Grâce au Baron Marcel Bich ( que j’ai eu l’honneur de<br />

connaître ) « qui perfectionna – explique Beaucarnot – l’invention du stylo à<br />

bille » avec la marque Bic !<br />

Mais il y a d’autres histoires intéressantes : du taillandier savoyard Joseph<br />

Opinel, à l’origine du fameux couteau au XIX siècle, aux fabricants de ski<br />

Abel Rossignol depuis 1911 et François Salomon depuis 1947 ; des fonda-<br />

188


teurs des marques de chocolat Philippe Suchard e Rodolfph Lindt à ceux qui<br />

ont fait naître les biscuits comme Hermann Bahlsen et Lu ( du mariage, en<br />

1846, entre Jean-Romain Lefèvre et Isabelle Utile ! ).<br />

Intéressantes les histoires de l’hôtelier texan Conrad Hilton et de Gérard<br />

Philips, fondateur d’une usine d’ampoules électriques aux Pays-Bas. Et celles<br />

des inventeurs de soupes et potages Heinrich Knorr, Julius Maggi et Justus<br />

von Liebig. Des destins croisés pour le thé entre Richard Twinning et Tomas<br />

Lipton en matière d’apéros entre les frères Cinzano, Alessandro Martini,<br />

Henry-Louis Pernod et Paul Ricard. Alors que le destin des boissons non<br />

alcoolisées rapproche Jean-Jacob Schweepes, Augustin Saturnin Badoit et<br />

le Docteur Perrier, celui des boissons spiritueuses unit George Ballantine,<br />

William Chivas, Johnnie Walker. Pas de fast-food sans les deux frères Maurice<br />

et Richard Mac Donald, pionniers de la restauration rapide en Californie<br />

et moins de voitures à choisir sans Louis Renault, André Citroen, Soichiro<br />

Honda, Henry Ford, Charles Rolls et Henry Royce.<br />

Comment ferait-on sans les imperméables inventés par Thomas Burberry<br />

et les jeans de Oscar Levi Strauss ? La mode française ne serait pas la même<br />

sans le vénitien Pierre Cardin et sans les célèbres Christian Dior, Ted Lapidus,<br />

Yves Saint Laurent. On n’aurait presque pas de champagne à boire sans<br />

les trois frères Munn, Eugène Mercier, Pierre Taittinger et Barbe-Nicole<br />

Ponsardin, plus connue sous le nom de Veuve Clicquot !<br />

Ce n’est qu’un petit extrait des nombreuses possibilités de découverte,<br />

qui associent des personnes, leurs vies, leurs histoires à des produits bien<br />

connus aujourd’hui et à de marques qui dérivent justement du travail des<br />

inventeurs ou des précurseurs dans les différents secteurs.<br />

Un raz-de-marée fait partie des anecdotes de ma famille. Mon grandpère<br />

René était vice-préfet à Palmi en 1908 : il se rendit un matin à l’aube sur<br />

la plage pour son bain habituel et il vit que la mer s’était retirée. Fort de ses<br />

connaissances scientifiques, il comprit qu’il s’agissait des conséquences d’un<br />

tremblement de terre ( qui eût effectivement des effets terribles, notamment<br />

à Messina ) et de la prémisse à l’onde destructrice d’un raz-de-marée. <strong>Il</strong> courut<br />

à la Préfecture et il donna l’alarme.<br />

J’y réfléchissais après les faits terribles du Sud Est Asiatique, en lisant la<br />

nouvelle bouleversante des experts américains qui – repérées les conséquences<br />

du tremblement – n’avaient pas su à qui communiquer l’alerte. Les ondes<br />

du raz-de-marée se déplaçaient déjà vers les cotes avec leur force destructrice<br />

pendant que les personnes étaient tranquilles dans leurs villages et les<br />

touristes sereins le long des plages.<br />

Dans une époque de globalisation, on n’a toujours pas de réseaux scien-<br />

189


tifiques qui échangent données et informations notamment entre les pays<br />

riches et les pays pauvres qui ne disposent pas de systèmes de contrôle avancés.<br />

Franchement cela est déconcertant et doit provoquer en nous des sentiments<br />

de honte. Un réseau d’alerte aurait certainement diminué les contours<br />

de cette tragédie. <strong>Il</strong> aurait suffit de savoir et de comprendre, ce qui est quasiment<br />

impossible sans l’éducation opportune et nécessaire dans des endroits<br />

sismiques, l’anomalie qui était manifestée par les eaux retirées de la mer.<br />

Mais si la mondialisation semble accentuer au lieu de rendre moins évident<br />

l’écart entre pays riches et pauvres du monde, il faut dire que les deuils<br />

de cette fin d’année témoignent qu’il existe aussi une globalisation « bonne<br />

»Par exemple celle qui a déclenché une longue chaîne de solidarité vers<br />

les populations frappées. L’Occident du monde a réagi positivement, bien<br />

que cela ne purifie pas notre conscience, sale pour les conditions de ces<br />

pays que nous appelons, d’une manière un peu grotesque, « en voie de développement<br />

». Des paradis de vacance exotiques qui se sont transformés en<br />

un enfer, en montrant que, à côté des villages et des hôtels de luxe pour les<br />

touristes, existent des villages pauvres et des bidonvilles accumulés le long<br />

des côtes. Le destin a fait que les histoires de personnes très différentes se<br />

croisent, comme pour rappeler – si jamais il le fallait – que devant la mort<br />

nous sommes tous égaux et les drames ne distinguent ni nationalité, ni couleur<br />

de la peau, ni classe sociale.<br />

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