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Femme &<br />
Le Déficit démocratique<br />
I<br />
l est <strong>de</strong> bon ton, notamment dans<br />
les médias, <strong>de</strong> gloser sur le "déficit<br />
démocratique", alors que la démocratie<br />
-nous l‟avons constaté <strong>de</strong>puis<br />
l‟indépendance- est probablement<br />
ce qui manque le plus aux sphères<br />
politiques. En revanche, il existe sans aucun<br />
doute "un déficit politique" très net puisqu'il<br />
apparaît <strong>de</strong> plus en plus clairement que<br />
les citoyens, lassés <strong>de</strong> cet objet politique,<br />
trop neutre que semble être pour eux, souhaitent,<br />
<strong>de</strong> façon fort confuse il est vrai, une<br />
politique revendiquée, assortie d'une vraie<br />
politique économique et d'une réelle politique<br />
sociale.<br />
Selon les diverses opinions, il apparaît que<br />
les citoyens font preuve aujourd'hui d'une<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d'informations et surtout d'une<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d'éclaircissement sur ce qui leur<br />
apparaît encore largement opaque. Il apparaît<br />
aujourd'hui que l‟Algérie et ses institutions,<br />
telles qu'elles ont été voulues ou rêvées<br />
par les pionniers (ères), ne répon<strong>de</strong>nt<br />
plus totalement à cette espérance et que<br />
seul (e)s les plus convaincu (e)s continuent<br />
à se mobiliser pour défendre la démocratie.<br />
<strong>Les</strong> femmes, notamment, marquent une<br />
certaine méfiance qui se manifeste dans les<br />
sondages bien sûr, mais aussi dans les<br />
élections. Elles sont <strong>de</strong> plus en plus nombreuses<br />
à bou<strong>de</strong>r. Marquant ainsi une hostilité<br />
vague à l'encontre <strong>de</strong> ces "hommes en<br />
costume" qui les ont trop longtemps contenues<br />
dans un rôle <strong>de</strong> "citoyennes <strong>de</strong> secon<strong>de</strong><br />
zone". Et la suite <strong>de</strong>s événements a<br />
montré qu'elles ont bien fait d'être méfiantes<br />
: à l'égard <strong>de</strong> la parité.<br />
Certes cette image est en train <strong>de</strong> s'améliorer<br />
grâce à la présence plus marquées <strong>de</strong><br />
quelques parlementaires féminins, mais<br />
n'efface pas pour autant la crainte réelle <strong>de</strong><br />
voir <strong>de</strong>s avantages nationaux en matière <strong>de</strong><br />
droits familiaux, sociaux, économiques et<br />
juridiques rognés par la recherche d'un plus<br />
petit dénominateur commun.<br />
<strong>Les</strong> femmes, plus que les hommes, sont<br />
sensibles à la protection <strong>de</strong> l'environnement,<br />
la sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s droits humains et<br />
la défense <strong>de</strong>s plus démunis qui ne relève<br />
pas <strong>de</strong> la pure utopie ou d'un passé révolu.<br />
Elles n'ont pas du tout compris, ni intériorisé<br />
que "la construction du pays est au contraire<br />
un moyen <strong>de</strong> se protéger contre les<br />
excès <strong>de</strong> la mondialisation néo-libérale". Et<br />
que la législation s'est faite au contraire "par<br />
le haut". Sans doute l'a-t-on trop mal expliqué<br />
ou pas expliqué du tout. A nous <strong>de</strong> tenter<br />
<strong>de</strong> le faire. L'adhésion quasi unanime<br />
voire enthousiaste <strong>de</strong>s Algériens et <strong>de</strong>s Algériennes<br />
à l'entrée en vigueur <strong>de</strong> la participation<br />
citoyenne montre qu'il est parfaitement<br />
possible <strong>de</strong> faire la preuve que l‟Algérie<br />
en marche est celle d'une Algérie <strong>de</strong> la<br />
proximité et du quotidien.<br />
18<br />
H.T.<br />
Femme écrivain -<br />
Jeanne D’arc <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes<br />
E<br />
n Algérie, la femme se bat<br />
toujours pour s‟émanciper.<br />
Entre le marteau <strong>de</strong> la religion<br />
et l‟enclume du <strong>de</strong>spotisme<br />
masculin, peu<br />
d‟espace lui est attribué<br />
pour s‟exprimer.<br />
On a beau croire qu‟une femme écrivain<br />
a beaucoup plus <strong>de</strong> chance et <strong>de</strong><br />
moyens pour sortir <strong>de</strong> ce siège ancestral<br />
dont la femme a toujours été victime ;<br />
mais, en réalité, c‟est toujours le même<br />
combat !<br />
La censure qui lui est imposée quant à<br />
sa liberté personnelle et son autonomie,<br />
est doublement plus rigoureuse quant à<br />
sa liberté idéologique. D‟abord, une<br />
femme qui fait <strong>de</strong> l‟art, qui écrit ou peint<br />
ou danse est un phénomène difficilement<br />
accepté par la société algérienne. Que<br />
dira-t-on alors si, dans ses œuvres, elle<br />
tâche d‟ouvrir les yeux <strong>de</strong> ses semblables,<br />
<strong>de</strong> les exhorter à se libérer, à<br />
suivre l‟exemple <strong>de</strong> la femme occi<strong>de</strong>ntale.<br />
Si on arrive maintenant à avaler<br />
quelques aspects libéraux <strong>de</strong> la femme<br />
algérienne, c‟est uniquement parce que<br />
l‟on n‟a pas le choix. Mais, à mesure que<br />
cette liberté atteint ou dérange l‟amourpropre<br />
<strong>de</strong> l‟homme, la marginalisation<br />
<strong>de</strong>vient le seul moyen <strong>de</strong> freiner son élan<br />
et <strong>de</strong> la contraindre à se recroqueviller<br />
dans l‟ombre et le silence qui se chargeront,<br />
avec le temps, d‟anéantir ses talents<br />
et sa volonté.<br />
Souvent, cette lapidation intellectuelle se<br />
fait au premier niveau : celui <strong>de</strong> la famille.<br />
Quand une femme, par exemple,<br />
écrit un roman, c‟est déjà une sorte<br />
d‟anomalie au sein d‟une famille algérienne<br />
«qui se respecte». Vient, ensuite,<br />
l‟étape <strong>de</strong> la censure. Le mot censure<br />
<strong>de</strong>vient alors un simple barbarisme, car<br />
elle dépasse les règles <strong>de</strong> la bienséance<br />
et du respect <strong>de</strong> l‟autre pour s‟étendre<br />
sur tout l‟ensemble <strong>de</strong> l‟œuvre et finit par<br />
détruire cette <strong>de</strong>rnière et ne laisser à son<br />
auteur que l‟amer arrière-goût <strong>de</strong> l‟échec<br />
et <strong>de</strong> la frustration.<br />
Si, par miracle, la famille consent à ai<strong>de</strong>r<br />
sa fille à publier son roman, le public ou<br />
la critique s‟occupera <strong>de</strong>s tira<strong>de</strong>s<br />
d‟usage !<br />
C‟est une question <strong>de</strong> réflexe Pavlovien<br />
en effet : dès qu‟un roman sort sous le<br />
nom d‟une femme, on jurera sur tous les<br />
noms que c‟est une autobiographie ! Ce<br />
qui est parfaitement blasphématoire<br />
dans une société musulmane et conservatrice.<br />
Une femme, chez nous, ça sait cuisiner,<br />
ça sait pondre <strong>de</strong>s enfants, ça sait se<br />
taire… Ecrire, parler, analyser sa condition<br />
et celle <strong>de</strong> ses concitoyennes, c‟est<br />
<strong>de</strong> la contre-nature !<br />
Résultat : les plus belles plumes féminines<br />
se trouvent à l‟étranger. Exilées<br />
volontaires, déçues par l‟incompréhension<br />
et la persécution <strong>de</strong> leurs contemporains,<br />
étrangères dans leur propre<br />
pays… Obstinées toutefois à poursuivre<br />
leur combat, à s‟accrocher à leur talent<br />
comme à la seule vérité qui donne sens<br />
à leur vie, elles s‟en vont là-bas : en<br />
France, au Liban, en Egypte. Là où l‟art<br />
est permis à tous ceux qui ont eu la<br />
chance <strong>de</strong> l‟avoir dans les tripes, là où la<br />
religion n‟est pas un prétexte pour étouffer<br />
l‟élan artistique <strong>de</strong> la femme, là où<br />
l‟on peut écrire, peindre, chanter et danser<br />
sans avoir à ses trousses les différents<br />
surnoms diffamatoires tels que :<br />
«impie» ou «dévergondée» ou encore<br />
mieux : «pu…»<br />
Cette ingratitu<strong>de</strong>, cette flagellation intellectuelle<br />
n‟est pas près d‟écorcher leur<br />
passion pour leur patrie. De loin, elles<br />
continuent à évoquer la terre, l‟Histoire et<br />
les beaux souvenirs <strong>de</strong> l‟Algérie.<br />
<strong>Les</strong> belles œuvres sont celles qui se font<br />
dans le froid <strong>de</strong> l‟exil ; car l‟amour <strong>de</strong> la<br />
patrie n‟atteint son paroxysme que lorsqu‟on<br />
est loin d‟elle, privé <strong>de</strong> sa chaleur<br />
et <strong>de</strong> ses brises automnales. C‟est là où<br />
la plume trouve son plus bel encrier : la<br />
souffrance ! C‟est là où l‟encre <strong>de</strong>vient à<br />
la fois aci<strong>de</strong> et tendre, cruel mais amoureux…<br />
Mais, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> celles-là qui ont eu la<br />
chance <strong>de</strong> fuir ce purgatoire terrestre<br />
vers le paradis infernal <strong>de</strong> l‟exil, combien<br />
d‟autres encore se font mutilé la langue<br />
ici? Combien d‟œuvres féminines se<br />
trouvent castrées juste parce que leur<br />
auteur voulut se souvenir du parfum envoûtant<br />
<strong>de</strong> son premier homme ou bien<br />
évoquer sa première expérience<br />
sexuelle? Combien <strong>de</strong> plumes se <strong>de</strong>ssèchent<br />
peu à peu dans ce désert à force<br />
<strong>de</strong> courir <strong>de</strong>rrière le mirage <strong>de</strong> la liberté ?<br />
Et la question la plus importante : pourquoi<br />
la liberté <strong>de</strong> la femme est un mirage<br />
ici alors que c‟est <strong>de</strong>venu une évi<strong>de</strong>nce<br />
là-bas?<br />
Par Sarah HAIDAR