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À propos des palais de mémoire

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<strong>À</strong> <strong>propos</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>palais</strong> <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong><br />

<strong>À</strong> <strong>propos</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>palais</strong> <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong><br />

Séminaire Écrit, image et nouvelles technologies 1993-1994<br />

Reproduction possible à <strong><strong>de</strong>s</strong> fins non commerciales à condition <strong>de</strong> mentionner la source.<br />

1<br />

Alain MONTESSE<br />

cinéaste<br />

Cette expression, Palais <strong>de</strong> Mémoire, est énigmatique. Elle donne une<br />

impression <strong>de</strong> déjà entendu, mais où et quand ? On ne sait trop. En fait, elle<br />

recouvre une métho<strong>de</strong> mnémotechnique qui fut en honneur en Occi<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong>puis l’Antiquité grecque jusqu’à la Renaissance. Cet Art <strong>de</strong> la Mémoire 1 , lié à<br />

la rhétorique, occulté seulement <strong>de</strong>puis quelques siècles, est peut-être en<br />

passe <strong>de</strong> revenir par <strong>de</strong> nouvelles voies, en particulier par certains aspects <strong>de</strong><br />

l’informatique. C’était un art majeur, qui présidait à tous les autres<br />

(Mnémosyne est la mère <strong><strong>de</strong>s</strong> Muses) ; il trouve <strong><strong>de</strong>s</strong> prolongements dans toute<br />

l’histoire <strong>de</strong> notre imaginaire et <strong>de</strong> nos processus <strong>de</strong> représentation<br />

Le principe <strong>de</strong> cet Art consistait à se bâtir dans la tête une architecture<br />

imaginaire, et à la peupler d’objets et <strong>de</strong> scènes frappantes, <strong>de</strong> sorte qu’en la<br />

reparcourant mentalement, les visions <strong>de</strong> ce qu’on y avait déposé<br />

ressuscitaient les souvenirs qu’on y avait codés. Pour un orateur ayant à<br />

plai<strong>de</strong>r dans un procès pour empoisonnement, cela consistait par exemple 2 à<br />

se représenter la victime au lit, l’accusé au bord du lit, tenant <strong>de</strong> la main<br />

droite une coupe, <strong>de</strong> la gauche une tablette et <strong><strong>de</strong>s</strong> testicules <strong>de</strong> bouc : la<br />

coupe rappelle l’empoisonnement, la tablette l’héritage, et les testicules les<br />

témoins (testes en latin).<br />

Un autre exemple est cité par Jonathan D. SPENCE p. 138 <strong>de</strong> son remarquable<br />

ouvrage « Le <strong>palais</strong> <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong> <strong>de</strong> Matteo Ricci » 3 :<br />

Après avoir créé un lieu <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong> selon <strong><strong>de</strong>s</strong> normes conventionnelles,<br />

il y plaçait un objet - un pot <strong>de</strong> chambre, un pot à onguent, une cuvette<br />

1<br />

Cf. YATES Frances Amelia, L’art <strong>de</strong> la <strong>mémoire</strong>, Paris, Gallimard, 1975 ; (The art of memory,<br />

Londres, and Kegan, 1966 ; traduction française <strong>de</strong> Daniel RASSE).<br />

Les arts <strong>de</strong> la <strong>mémoire</strong> et les <strong>palais</strong> d’images, cinq émissions d’Emmanuel RIANT avec<br />

ARASSE MATHONIÈRE alia., dans la série « Les Chemins <strong>de</strong> la Connaissance »<br />

France-Culture, 8h30-9h, du lundi 13 au vendredi 17/5/85.<br />

2<br />

Ad Herrenium, YATES<br />

3<br />

PENCE, Le <strong>palais</strong> <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong> <strong>de</strong> Matteo Ricci (The Memory<br />

Palace of Matteo Ricci, New-York, Elizabeth Sifton Books/Viking, 1983, 1984; traduction française<br />

<strong>de</strong> Martine LEROY-BATTISTELLI). L’exemple cité est extrait <strong>de</strong> l’ouvrage <strong>de</strong> Guglielmo GRATAROLI, De<br />

memoria reparanda, augenda, servan<strong>de</strong>que, liber unus; <strong>de</strong> locali vel artificiosa memoria, liber<br />

alter (Zurich, 1553 ; Roma, 1555). Matteo RICCI était un jésuite envoyé en Chine à la fin <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

années 1500. <strong>À</strong> l’époque, les jésuites qui entraient en Chine n’avaient plus ensuite le droit d’en<br />

sortir. Limité en bagages, il avait surtout emporté avec lui ce qu’il avait dans sa tête, à savoir son<br />

propre Palais <strong>de</strong> Mémoire. Quelques images en subsistent, et le livre <strong>de</strong> Jonathan SPENCE,<br />

structuré sur ces images, est passionnant, peut-être le plus abordable sur le sujet pour le grand<br />

public.


à emplâtre furent ses trois premiers exemples -, puis, à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> trois<br />

personnages distincts, inspiré chacun <strong>de</strong> quelqu’un qu’il connaissait bien<br />

et auquel il donnait un nom, il animait la scène selon <strong><strong>de</strong>s</strong> lois<br />

mnémotechniques. Ainsi, dans un enchaînement rapi<strong>de</strong>, Pierre<br />

s’emparait d’un pot <strong>de</strong> chambre rempli d’urine et le renversait sur<br />

Jacques, Martin trempait son doigt dans le pot <strong>de</strong> pomma<strong>de</strong> et l’essuyait<br />

sur l’anus d’Henri, et André prenait <strong>de</strong> l’emplâtre dans la cuvette et en<br />

barbouillait la figure <strong>de</strong> François. Ainsi, à condition d’être capable<br />

d’associer par <strong><strong>de</strong>s</strong> calembours, <strong><strong>de</strong>s</strong> analogies ou <strong><strong>de</strong>s</strong> associations<br />

d’idées, ces vignettes à <strong><strong>de</strong>s</strong> concepts donnés, on était certain <strong>de</strong> ne<br />

jamais les oublier.<br />

On le voit, ces images ne sont pas neutres. Les traités insistent tout<br />

particulièrement sur la nécessité <strong>de</strong> se donner <strong><strong>de</strong>s</strong> images « actives » («<br />

imagines agentes »). Leur caractère frappant, anormal, grossier, obscène ou<br />

ridicule, est une ai<strong>de</strong> puissante à la mémorisation. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cet aspect<br />

mnémotechnique, il est évi<strong>de</strong>nt que l’organisation <strong>de</strong> telles images en<br />

séquences pouvait constituer une sorte <strong>de</strong> film mental. Au-<strong>de</strong>là encore, la<br />

manipulation <strong>de</strong> telles images renvoie évi<strong>de</strong>mment à la psychanalyse : ces<br />

images sont strictement personnelles, et certains auteurs recomman<strong>de</strong>nt<br />

d’ailleurs <strong>de</strong> les élaborer <strong>de</strong> nuit, et avec ce qu’il faut bien appeler une<br />

attention flottante.<br />

Ces images sont disposées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> « lieux». Quels lieux ? S’il ne s’agit que<br />

<strong>de</strong> se rappeler une suite linéaire <strong>de</strong> choses à faire, une simple colonna<strong>de</strong>, ou<br />

un escalier, suffiront, que l’on n’aura plus ensuite qu’à parcourir ou à gravir.<br />

S’il s’agit <strong>de</strong> mémoriser <strong><strong>de</strong>s</strong> données complexes et à long terme, on les<br />

répartira dans les différentes parties d’un bâtiment (il est bon <strong>de</strong> pouvoir<br />

entrer dans le <strong>palais</strong> <strong>de</strong> sa <strong>mémoire</strong> par différentes portes). Il est également<br />

conseillé <strong>de</strong> parcourir régulièrement son <strong>palais</strong> <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong>, afin d’en raviver<br />

et éventuellement d’en actualiser ou périmer les images.<br />

Comme souvent, cela avait commencé par une légen<strong>de</strong> grecque. Selon cette<br />

légen<strong>de</strong>, l’Art <strong>de</strong> la Mémoire aurait été inventé par le poète Simoni<strong>de</strong> <strong>de</strong> Céos.<br />

Simoni<strong>de</strong> <strong>de</strong>vait prononcer, au cours d’un banquet, la louange d’un dénommé<br />

Scopas. Mais, malgré tout son métier et son expérience professionnelle, il<br />

n’arrive à rien trouver d’intéressant à chanter sur ce Scopas. Pour se tirer<br />

d’affaire, il prononce quelques banalités, puis chante les louanges <strong>de</strong> Castor et<br />

Pollux. Scopas est furieux, il refuse <strong>de</strong> payer à Simoni<strong>de</strong> la somme convenue,<br />

et le renvoie pour le sol<strong>de</strong> à Castor et Pollux. Là-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus, on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> Simoni<strong>de</strong><br />

à l’extérieur. Et <strong>de</strong>hors, que trouve-t-il ? Personne d’autre que Castor et Pollux,<br />

venus pour lui régler leur <strong>de</strong>tte, à peine Simoni<strong>de</strong> a-t-il mis les pieds <strong>de</strong>hors,<br />

que la maison s’effondre. Tous les participants au banquet sont tués.<br />

L’effondrement a été si brutal que les corps sont méconnaissables. Mais<br />

Simoni<strong>de</strong>, seul survivant, se rappelle la place exacte occupée par chaque<br />

convive. Il peut donc ai<strong>de</strong>r les parents <strong><strong>de</strong>s</strong> défunts à en rassembler les<br />

morceaux. Et c’est ainsi qu’aurait été inventé l’art <strong>de</strong> la <strong>mémoire</strong> (topique, où la<br />

mémorisation s’opère par <strong><strong>de</strong>s</strong> techniques d’« images » supports <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong>,<br />

positionnées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> « Lieux ».<br />

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2


<strong>À</strong> <strong>propos</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>palais</strong> <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong><br />

<strong>À</strong> <strong>propos</strong> <strong>de</strong> cette histoire, quelques questions se posent. Quel est le rôle du<br />

poète ? il est celui qui assigne leur place aux choses et aux êtres pour autant<br />

qu’ils soient morts, car les vivants ont une fâcheuse tendance à ne pas rester<br />

en place. La poésie était à l’époque chantée : mais Simoni<strong>de</strong>, dans cette<br />

histoire, fait surtout montre d’une excellente <strong>mémoire</strong> visuelle faut-il y lire<br />

quelque mythe fondateur <strong>de</strong> l’audiovisuel ? Enfin, que font dans cette affaire<br />

Castor et Pollux ? Peut-être ont-ils quelque chose à voir avec une nature<br />

double du poète ? L’explication est faible, mais l’intervention <strong>de</strong> ces dieux<br />

jumeaux et donc doubles n’est pas très compréhensible.<br />

Quoi qu’il en soit, cette légen<strong>de</strong> est reprise, sous <strong><strong>de</strong>s</strong> formes diverses, par<br />

tous les commentateurs <strong>de</strong> l’Art <strong>de</strong> la Mémoire. On la retrouve même, hors <strong>de</strong><br />

toute considération mnémotechnique, au n° 14 du Livre 1 <strong><strong>de</strong>s</strong> Fables <strong>de</strong> La<br />

Fontaine (Simoni<strong>de</strong> préservé par les dieux). L’auteur en conclut simplement<br />

qu’autrefois, les Dieux et les poètes étaient plus proches que <strong>de</strong> nos jours<br />

Les textes grecs sont perdus, mais toute l’Antiquité latine sera traversée par<br />

cet Art <strong>de</strong> la Mémoire. On le retrouve, avec quelques variantes, chez CICÉRON,<br />

dans le traité anonyme Ad Herrenium, chez QUINTILIEN et SAINT-AUGUSTIN 4 .<br />

Puis s’ensuivra une longue pério<strong>de</strong> où nous n’avons plus la moindre référence.<br />

La lente décomposition <strong>de</strong> l’Empire romain, les invasions barbares et le haut<br />

Moyen-Âge n’offraient guère, il est vrai, un cadre favorable à<br />

l’épanouissement <strong>de</strong> ce sport intellectuel.<br />

L’Art <strong>de</strong> la Mémoire réapparaîtra avec les cathédrales - qui, contrairement au<br />

titre du livre <strong>de</strong> LE CORBUSIER, n’étaient pas blanches -, et la scolastique.<br />

Qu’est-ce en effet qu’une cathédrale, sinon - entre autres choses - un énorme<br />

livre d’images peintes, ou en pierre, ou en vitrail, où les fidèles se voient en<br />

permanence rappeler la nécessité <strong>de</strong> faire leur salut, et les moyens d’y<br />

parvenir. Certaines <strong>de</strong> ces images n’étaient pas forcement <strong><strong>de</strong>s</strong> plus<br />

orthodoxes, comme en témoignent les médaillons alchimiques que l’on peut<br />

encore distinguer aux portes <strong>de</strong> Notre-Dame <strong>de</strong> Paris 5 . L’Art <strong>de</strong> la Mémoire<br />

était dans l’Antiquité un art strictement personnel, il revient sous forme d’art<br />

monumental, et même officiel. On est passé d’images mentales à <strong><strong>de</strong>s</strong> images<br />

extériorisées, dont le contenu explicite est plus ou moins contrôlé par<br />

l’appareil <strong>de</strong> l’Église.<br />

L’église catholique avait déjà été sérieusement échaudée par les réactions que<br />

pouvaient susciter les images, lors <strong>de</strong> la Querelle <strong><strong>de</strong>s</strong> Iconoclastes, qui<br />

ensanglanta Byzance <strong>de</strong> l’an 700 à l’an 900 environ. On s’était étripé pendant<br />

<strong>de</strong>ux siècles sur la question <strong>de</strong> savoir s’il fallait adorer les textes ou les icônes,<br />

et cela s’était conclu par le Grand Schisme entre églises d’orient et d’occi<strong>de</strong>nt.<br />

L’Islam, en face, était <strong>de</strong>puis le début résolument iconoclaste. Il était donc<br />

important pour l’Église d’arriver à contrôler les images ; ALBERT LE GRAND et<br />

SAINT-THOMAS D’AQUIN lui fournirent l’argumentation adéquate. Pour SAINT-<br />

THOMAS, les images <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong> sont le symbole corporel <strong><strong>de</strong>s</strong> intentiones, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

4 Références dans YATES, op. cit., chapitre I.<br />

5 Cf. FULCANELLI, Le mystère <strong><strong>de</strong>s</strong> cathédrales, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1964.<br />

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3


Alain Montesse<br />

intentions spirituelles 6 . Mais se fournir en visions paradisiaques, infernales,<br />

grotesques, etc., n’est pas tout. Comme le souligne SAINT-THOMAS : « ce que<br />

l’on veut retenir, il faut prendre le soin <strong>de</strong> le mettre en ordre » 7 . Que ce soit<br />

par <strong><strong>de</strong>s</strong> Palais d’images ou autrement, le problème <strong>de</strong> l’organisation <strong>de</strong> la<br />

<strong>mémoire</strong> est un problème crucial. Avec l’Art classique, scolastique, <strong>de</strong> la<br />

<strong>mémoire</strong>, l’église catholique, sans aller jusqu’à les adorer ni jusqu’à les<br />

proscrire, avait trouvé un moyen d’utiliser les images, et <strong>de</strong> les mettre à son<br />

service. On en trouvera traces tout au long <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’art religieux, et<br />

même <strong>de</strong> nos jours dans les boutiques spécialisées autour <strong>de</strong> l’église Saint-<br />

Sulpice.<br />

Mais vers la fin du XII e un autre événement majeur dans l’histoire <strong><strong>de</strong>s</strong> Arts <strong>de</strong><br />

<strong>mémoire</strong> s’était produit en Méditerranée. Le majorquin Raymond LULLE avait<br />

élaboré son propre art <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong>, totalement différent <strong>de</strong> l’Art classique en<br />

honneur sur le continent, et où l’on ne manqua pas <strong>de</strong> voir comme une<br />

influence hébraïque 8 .<br />

Grossièrement résumé en termes mo<strong>de</strong>rnes LULLE co<strong>de</strong> les différents aspects<br />

du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la divinité par <strong><strong>de</strong>s</strong> lettres : B, C, D… Ces lettres, il les inscrit à<br />

la périphérie <strong>de</strong> roues pouvant tourner les unes par rapport aux autres. Et mis<br />

en mouvement, ces rouages provoquent la rencontre combinatoire <strong><strong>de</strong>s</strong> lettres,<br />

et donc la recomposition <strong><strong>de</strong>s</strong> choses, et même la recréation du mon<strong>de</strong>. Nous<br />

sommes très loin <strong>de</strong> la tradition rhétorique <strong><strong>de</strong>s</strong> poètes et <strong><strong>de</strong>s</strong> orateurs, très<br />

loin <strong><strong>de</strong>s</strong> images sensibles disposées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> architectures statiques. Nous<br />

sommes dans un espace abstrait, où se déploie le mouvement plus ou moins<br />

autonome d’une machinerie littérale. Certains ont vu dans cette abstraction<br />

presque mécanisée un ancêtre <strong>de</strong> la combinatoire <strong>de</strong> LEIBNIZ, voire <strong>de</strong> nos très<br />

mo<strong>de</strong>rnes ordinateurs. « L’historien <strong><strong>de</strong>s</strong> idées ne se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas tout d’abord<br />

quelle est la substance <strong>de</strong> certaines idées. Il se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quelle est leur<br />

dynamique » 9 .<br />

Le système <strong>de</strong> LULLE fut largement diffusé au cours <strong><strong>de</strong>s</strong> siècles suivants.<br />

Nicolas <strong>de</strong> CUES s’y intéressa. Après la chute <strong>de</strong> Byzance (1453), la magie<br />

néoplatonicienne <strong>de</strong> la Renaissance italienne (Marcile Ficin et alia.) trouva là<br />

un aliment <strong>de</strong> choix. Pic <strong>de</strong> la MIRANDOLE et d’autres auteurs i<strong>de</strong>ntifièrent à<br />

peu près complètement lullisme et Kabbale (alors que LULLE lui-même<br />

n’utilisait pas explicitement les lettres hébraïques).<br />

Dans le même temps, l’architecture fantastique <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens Palais <strong>de</strong> Mémoire<br />

s’était développée en représentations du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus en plus élaborées,<br />

jusqu’à construire <strong>de</strong> véritables systèmes du mon<strong>de</strong>, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> théâtres<br />

imaginaires, avec autant <strong>de</strong> niveaux que <strong>de</strong> planètes, <strong><strong>de</strong>s</strong> tiroirs, <strong><strong>de</strong>s</strong> étages<br />

et <strong><strong>de</strong>s</strong> cieux innombrables pour le classement, etc. Le « Théâtre du Mon<strong>de</strong> »<br />

6 Cf. YATES, op. cit., pp. 87sq.<br />

7 Cf. YATES, op. cit., p 100.<br />

8 De son vivant, LULLE publia diverses versions <strong>de</strong> son Art, dont la <strong>de</strong>rnière est Lars Magna (1305-<br />

1308). <strong>À</strong> cela vinrent s’ajouter <strong>de</strong> nombreux apocryphes. Références dans YATES, op. cit., chapitre<br />

VIII.<br />

9 CASSIRER, « Some Remarks on the Question of the Originality, of the Renaissance », Journal of the<br />

History of I<strong>de</strong>as n° 4, 1943, pp. 43-56. Cité par Ioan Peler COULIANO, Éros et magie à la renaissance<br />

(Flammarion, Paris, 1984), p 371.<br />

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<strong>À</strong> <strong>propos</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>palais</strong> <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong><br />

<strong>de</strong> Giulio CAMILLO semble avoir été effectivement construit, puis détruit, à<br />

Venise puis en France, vers 1550. Celui <strong>de</strong> Robert FLUDD pourrait bien avoir<br />

servi <strong>de</strong> modèle à celui <strong>de</strong> SHAKESPEARE. Et en 1602, la Cité du Soleil <strong>de</strong><br />

CAMPANELLA voit les murs <strong>de</strong> ses sept cercles concentriques couverts d’images,<br />

rassemblant la totalité du savoir <strong>de</strong> l’époque.<br />

Tout cela confinait parfois au délire, et CAMPANELLA lui-même n’échappa que <strong>de</strong><br />

peu au bûcher, en se faisant passer pour fou. Aussi, dès 1534, MELANCHTON<br />

prône-t-il le simple usage <strong>de</strong> la <strong>mémoire</strong> « naturelle », et interdit à ses<br />

étudiants <strong>de</strong> se servir <strong>de</strong> la <strong>mémoire</strong> « artificielle », tout cet attirail<br />

d’architectures, d’objets improbables, <strong>de</strong> scènes frappantes, horribles ou<br />

absur<strong><strong>de</strong>s</strong> lui paraissant inutilement compliqué, surtout s’il s’agit <strong>de</strong> mémoriser<br />

un discours, que l’on peut tout simplement apprendre par cœur.<br />

Une synthèse <strong>de</strong>venait donc nécessaire, et bien <strong><strong>de</strong>s</strong> gens s’en préoccupaient :<br />

« le problème a dû susciter un intérêt général assez considérable, comparable<br />

à l’intérêt que suscitent aujourd’hui chez tout le mon<strong>de</strong> les cerveaux<br />

électroniques » 10 .<br />

Finalement, ce ne fut personne d’autre que Giordano BRUNO qui eut l’idée <strong>de</strong><br />

disposer sur les roues <strong>de</strong> LULLE, non plus <strong><strong>de</strong>s</strong> lettres hébraïques, mais les<br />

scènes frappantes et les êtres étranges <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens Palais <strong>de</strong> Mémoire 11 . Des<br />

scènes frappantes et <strong><strong>de</strong>s</strong> êtres étranges sur <strong><strong>de</strong>s</strong> roues tournantes ? On peut si<br />

l’on veut y voir comme une prémonition <strong>de</strong> l’invention du cinéma 12 .<br />

Et là, nous sortons <strong>de</strong> la problématique habituellement associée à la <strong>mémoire</strong><br />

conserver, restaurer, ordonner, commémorer <strong>de</strong> temps en temps, etc. C’est la<br />

porte ouverte à la possibilité <strong>de</strong> manipuler les images <strong>de</strong> la <strong>mémoire</strong>. Tout ce<br />

fatras, légèrement poussiéreux, d’arts <strong>de</strong> la <strong>mémoire</strong> plus ou moins<br />

muséographiques, retrouve toute une virulence, une pertinence et une vitalité<br />

perdues, si on le transfère vers ce qu’il est convenu d’appeler les mass<br />

médias, ou la société du spectacle 13 .<br />

<strong>À</strong> ce qu’il semble, BRUNO prétendait à une sorte <strong>de</strong> magie opérative, <strong>de</strong><br />

maîtrise opérationnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> phantasmes. Selon son ouvrage De vinculis in<br />

genere (Des liaisons en général), il s’agit <strong>de</strong> « lier », <strong>de</strong> « prendre », <strong>de</strong> «<br />

fidéliser » ceux sur qui en veut avoir <strong>de</strong> l’influence 14 . Ioan Peter COULIANO,<br />

approuvé par Mircéa ELIADE dans sa préface, « reconnaît dans la technique<br />

exposée dans le De Vinculis l’ancêtre immédiat d’une discipline mo<strong>de</strong>rne, la<br />

psychosociologie appliquée » 15 . Ces mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> liaison, ces phénomènes<br />

10 YATES, op. cit., p225.<br />

11 YATES, op. cit., pp. 225sq. ; pp. 31.<br />

Cf. également : YATES Frances A., Giordano Bruno et la tradition hermétique, Paris, Dervey-<br />

Livres, 1988. (Giordano Bruno and the hermetic tradition, Londres, Routledge and Kegan, 1964,<br />

traduction française <strong>de</strong> Marc ROLLAND).<br />

p. 322 à <strong>propos</strong> <strong>de</strong> Trente sceaux ;<br />

p. 231 à <strong>propos</strong> du De Umbris I<strong>de</strong>arum ;<br />

p. 372 à <strong>propos</strong> du Adversus Mathematicos et <strong><strong>de</strong>s</strong> schémas à Rodolphe Il.<br />

12 MONTESSE Alain, « La machine à <strong>mémoire</strong> », in Cinémaginaire (Revue d’humeurs<br />

métacinématographiques) n° 3, 66720 Rasigueres, Février 1993.<br />

13 DEBORD Guy, La société du spectacle, Paris, NRF-Gallimard, 1993.<br />

14 COULIANO Ioan Peter, Éros et magie à la renaissance, Paris, Flammarion, 1984, pp. 128sq.<br />

15 COULIANO, op. cit., p 6.<br />

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5


contemporaine 16<br />

Alain Montesse<br />

Notons que les images même ont alors changé <strong>de</strong> statut, et <strong>de</strong> nom : il ne<br />

s’agit plus d’imagines, mais <strong>de</strong> Intelligere est<br />

phantasmata<br />

17 . OULIANO traduit cette phrase par « comprendre<br />

fantasmes projetés sur l’écran du sens interne », et Daniel A (traducteur<br />

français <strong>de</strong> ATES) la traduit par « penser est spéculer avec <strong><strong>de</strong>s</strong> images ».<br />

speculari (forme<br />

L’activité <strong>de</strong> l’intellectuel consisterait donc à réfléchir les fantasmes, à<br />

réfléchir sur les images<br />

déploient certains penseurs contemporains pour être présents à toute heure<br />

sur les écrans <strong>de</strong> télévision, s’explique ainsi fort normalement : ils ne font que<br />

affirmation serait qu’il est tout à fait concevable <strong>de</strong> penser en images. Le<br />

rêve n’est rien d’autre.<br />

que les images pieuses, Matteo ICCI en Chine est bien isolé, la chasse aux<br />

mésusage <strong>de</strong> drogues diverses 18<br />

possibilité <strong>de</strong> percoler par d’autres voies, en particulier celles qui mènent aux<br />

rébus, aux écritures idéogrammatiques ou aux logos,<br />

enseignes et emblèmes, et aux auberges du Lion d’Or. En particulier, le Tarot<br />

XVII e<br />

alors même que sa facture est plus ancienne, et qu’il existait différents tarots à<br />

l’usage <strong><strong>de</strong>s</strong> princes dès 1420-1440. Mais ce n’étaient que <strong><strong>de</strong>s</strong> versions <strong>de</strong> luxe,<br />

exemple, daté d’environ 1465, présente comme un air <strong>de</strong> famille<br />

Théâtre <strong>de</strong> Camillo : dans les <strong>de</strong>ux cas, il y a volonté très nette <strong>de</strong> classer les<br />

(5*10 dans le Mantegna ; 49+1=7*7+1 chez Camillo) .<br />

Les scientifiques aussi, vont prendre le relais. EIBNIZ, ACON, OMENIUS,<br />

ESCARTES, ERSENNE, connaissaient les arts <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong>, les discutaient, en<br />

ruines <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens <strong>palais</strong> <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong>, dans lesquelles elle est née. Elle <strong>de</strong>vait<br />

s’en détacher, et les éclipser, pour vivre sa vie. Le développement <strong>de</strong> la<br />

sur les images. Mais ce ne sont plus <strong><strong>de</strong>s</strong> « images actives », du moins au sens<br />

ancien du terme. Ainsi s’explique peut-être l’hostilité <strong>de</strong> certains scientifiques<br />

16<br />

FAVRET AADA Jeanne, , Paris, Gallimard, 1977.<br />

17<br />

COULIANO YATES<br />

18<br />

OULIANO, op. cit., pp. 390-392, notes 21 à 36.<br />

Le jeu <strong>de</strong> Mantegna DRIANT MATHONIÈRE alia. («<br />

Les Chemins <strong>de</strong> la Connaissance », Tarots-ci,<br />

Tarots-là<br />

Chemins <strong>de</strong> la Connaissance »,<br />

DRIANT MATHONIÈRE alia. (« Les<br />

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6


<strong>À</strong> <strong>propos</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>palais</strong> <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong><br />

à l’égard du cinéma, ou <strong>de</strong> la télévision : ils n’aiment guère ce retour <strong>de</strong><br />

l’image active, qu’ils avaient dû autrefois, ou leurs ancêtres, refouler. Leurs<br />

reproches sont en partie bel et bien d’ordre théologique : il s’agit là d’une<br />

sorte d’intégrisme. La Science a remplacé Dieu, elle est tout aussi cachée, et<br />

toute représentation ne peut en être qu’inadéquate.<br />

La science va tenir le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène pendant <strong>de</strong>ux siècles, et<br />

particulièrement au XIX e , avec le positivisme. Mais pour peu que l’on y prête<br />

attention, les résurgences <strong>de</strong> l’Art <strong>de</strong> la Mémoire sont innombrables <strong>de</strong> nos<br />

jours, dans les jeux <strong>de</strong> cartes, le cinéma, les ordinateurs, la télévision, la<br />

muséologie, la psychanalyse, la publicité, l’urbanisme, la science-fiction et la<br />

recherche universitaire. Cependant, ces résurgences sont peu conscientes<br />

d’elles-mêmes, et souvent ne manifestent plus guère qu’un seul objet <strong>de</strong><br />

<strong>mémoire</strong> : le trou. L’oubli est nécessaire, on le sait <strong>de</strong>puis bien avant BORGES,<br />

mais peut-être pas à ce point.<br />

Le concept <strong>de</strong> « lieux <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong> » est <strong>de</strong> plus en plus galvaudé, et les images<br />

rattachées <strong>de</strong> fait à ces lieux, <strong>de</strong> plus en plus insignifiantes. <strong>À</strong> l’occasion <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

fêtes <strong>de</strong> Noël 1993, on a même vu paraître un ouvrage intitulé Restaurants <strong>de</strong><br />

paris : <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong> à découvrir 20 , qui semble n’être qu’un gui<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

restaurants <strong>de</strong> plus, avec un peu d’histoire anecdotique <strong>de</strong> ces établissements…<br />

Il était peut-être normal que les lieux <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong> conventionnels basculent<br />

peu à peu dans la restauration.<br />

NAPOLÉON avait déjà formulé le projet <strong>de</strong> « contrôler monarchiquement<br />

l’énergie <strong><strong>de</strong>s</strong> souvenirs ». Toute gran<strong>de</strong> expédition, y compris celle d’Égypte,<br />

embarquait avec elle son contingent d’artistes et <strong>de</strong> peintres, à fins <strong>de</strong><br />

glorification et <strong>de</strong> renseignement : la guerre du Golfe n’a donc en cela rien<br />

innové. Les militaires entraînent même aujourd’hui leurs commandos à<br />

mémoriser <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux où ils n’ont jamais mis les pieds, mais où ils seront peutêtre<br />

obligés d’agir très vite. Il s’agit là d’une <strong>mémoire</strong> anticipée, préconstruite,<br />

pré-fabriquée. On la trouve aussi dans le civil « Derrière les<br />

oreilles noires <strong>de</strong> Mickey Mouse (…) existe une stupéfiante organisation<br />

ignorée du public : The Disney Cast à laquelle appartiennent 15 000<br />

employés <strong>de</strong> Walt Disney World - le W.D.W. -, tous a<strong>de</strong>ptes d’une philosophie<br />

basée sur l’exploitation <strong>de</strong> la force du rêve… » 21 .<br />

La psychanalyse partage avec l’art <strong>de</strong> la <strong>mémoire</strong> un ancêtre commun : la<br />

rhétorique. Métaphores, métonymies, tropes… Elle peut être décrite comme<br />

un Art <strong>de</strong> la Mémoire à l’envers. J’emprunte à une étu<strong>de</strong> récemment parue<br />

sur les rapports comparés <strong>de</strong> FREUD et MÉLIÈS (l’illusionniste venu du musichall<br />

et l’inventeur <strong>de</strong> l’Autre Scène) la citation suivante :<br />

Méliès fabrique <strong><strong>de</strong>s</strong> fantasmagories, par trucage, <strong>de</strong> façon à constituer<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> spectacles sur un écran, et on ne sait pas ce qui s’est passé<br />

<strong>de</strong>rrière. De même, le travail du rêve, et le travail <strong>de</strong> l’inconscient,<br />

20 CAZENAVE François (responsable éditorial), Restaurants <strong>de</strong> Paris : <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong> à<br />

découvrir, Paris, Gui<strong><strong>de</strong>s</strong> Gallimard, 1993. Cf. l’émission « Mise au Point » d’Éliane CONTINI,<br />

France-Culture, mercredi 29/12/93, 18h45-19h.<br />

21 LAFORÊT Pierre, Disney World : Les Coulisses. Le Figaro Magazine, octobre 81 cité par : DUCHÊNE<br />

Alain, Walt Disney n’est pas mort, Lausanne, Éditions Favre, 1989, p. 189.<br />

Séminaire Écrit, image et nouvelles technologies 1993-1994<br />

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construit un souvenir-écran, et on ne sait pas ce qui s’est passé<br />

<strong>de</strong>rrière…<br />

En tant que représentation globale du mon<strong>de</strong>, la télévision a maintenant<br />

supplanté le cinéma. Mais c’est une <strong>mémoire</strong> à très court terme : il faut sans<br />

grand’messe<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> Guignols du journal <strong>de</strong> 20 heures. Que les nouvelles soient vraies,<br />

- du moins dans un premier<br />

temps<br />

trop changé, et que les grilles d’interprétation, les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> catégories <strong>de</strong> mise<br />

en ordre du mon<strong>de</strong>, soient encore aujourd’hui apparemment efficaces et<br />

notre fatuité le pense, et si nous ne le faisons pas nous-mêmes, qui d’autre<br />

que les cloches, le clairon, le muezzin ou la télé s’en chargera ?<br />

doute bien avant les légen<strong><strong>de</strong>s</strong> grecques, a connu son plus récent<br />

développement avec l’entrée en lice <strong><strong>de</strong>s</strong> ordinateurs, où la question <strong>de</strong> la<br />

Après l’opposition spectaculaire entre Apple (iconique) et IBM (textuel), après<br />

les bases <strong>de</strong> données et les vidéodisques interactifs , nous avons maintenant<br />

les « images <strong>de</strong> synthèse » et les « réalités virtuelles ». Il ne s’agit plus<br />

architectures informatiques. Les programmes et les masses <strong>de</strong> données sont<br />

représentées graphiquement dans la matrice, la grille du<br />

forme d’objets 3D : ce sont, au pied <strong>de</strong> la lettre, <strong><strong>de</strong>s</strong> images <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong> dans<br />

un réseau. Comme <strong><strong>de</strong>s</strong> nœuds sur un mouchoir, mais en plus élaboré. C’est<br />

HUDRISIER<br />

contrôle et les actions s’y opèrent par le biais d’images logicielles. Certaines<br />

trajectoires individuelles susceptibles <strong>de</strong> se développer dans <strong>de</strong> tels<br />

cyberpunks, en particulier ceux <strong>de</strong> William G<br />

Stations <strong><strong>de</strong>s</strong> profon<strong>de</strong>urs 25<br />

inspiré du Théâtre du Mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> Camillo.<br />

24 et Bruce TERLING (dont<br />

Islands in the Net). Et tout<br />

SWANWICK<br />

22<br />

Méliès et la naissance du spectacle cinématographique (Colloque <strong>de</strong><br />

Klincksieck, 1984.<br />

23<br />

Cf. les travaux d’Henri H sur les imageurs documentaires, et en particulier les <strong>de</strong>ux<br />

France-Culture qu’y consacra Georges C dans sa série « L’homme et<br />

l’informatique » :<br />

systèmes et <strong><strong>de</strong>s</strong> technologies avancées (Biarritz, mai 1984) (Lundi 25/6/84, 19h30-20h), et<br />

(Lundi 9/7/84, 19h30-20h).<br />

24<br />

Œuvres <strong>de</strong> William GIBSON traduites en français :<br />

Neuromancien, Paris, La Découverte/J’ai Lu n° 2325, 1985 ;<br />

Comte zéro, Paris, La Découverte/J’ai Lu n° 2483, 1986 ;<br />

Gravé sur chrome, Paris, La Découverte/J’ai Lu n° 2940, 1987 ;<br />

Mona Lisa s’éclate, Paris, J’ai Lu n° 2735, 1990.<br />

Pour plus <strong>de</strong> détails, cf. MONTESSE Alain, Dernières Nouvelles du Cyberspace, à paraître.<br />

25<br />

SWANMCK Michael, Stations <strong><strong>de</strong>s</strong> profon<strong>de</strong>urs, Paris, J’ai Lu n° 3436, 1993.<br />

Séminaire Écrit, image et nouvelles technologies 1993-1994<br />

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<strong>À</strong> <strong>propos</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>palais</strong> <strong>de</strong> <strong>mémoire</strong><br />

Nous vivons, on l’a déjà dit, dans une société <strong>de</strong> l’image, voire même du<br />

spectacle. L’illetrisme, voire l’a-lettrisme, creusent <strong><strong>de</strong>s</strong> trous dans la tête <strong>de</strong><br />

nos contemporains comme autrefois la tuberculose dans leurs poumons. Par<br />

certains aspects, la situation n’est pas sans rappeler les sociétés sans<br />

imprimerie, où la quasi-totalité <strong>de</strong> la population ne savait ni lire ni écrire.<br />

Dans ces conditions, il était - et il est à nouveau - vital <strong>de</strong> développer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

métho<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong><strong>de</strong>s</strong> règles et <strong><strong>de</strong>s</strong> codifications <strong>de</strong> la mémorisation artificielle, afin<br />

<strong>de</strong> pallier les risques <strong>de</strong> dégradation <strong>de</strong> l’information par transmission orale ou<br />

médiatique, ou à sa simple conservation figée. Il est frappant <strong>de</strong> constater<br />

que cela se fera peut-être en partie par cela même que l’on aurait tendance à<br />

charger <strong>de</strong> tous les péchés du mon<strong>de</strong> : l’image. Le poison qui se renverse et<br />

<strong>de</strong>vient remè<strong>de</strong>, voilà bien une figure classique <strong>de</strong> la dialectique médicale. La<br />

réactualisation <strong><strong>de</strong>s</strong> anciens Arts <strong>de</strong> Mémoire constitue une utile contribution à<br />

la théorie, <strong>de</strong> plus en plus nécessaire, du spectacle contemporain. Mais peutêtre<br />

aussi en ira-t-il tout simplement <strong>de</strong> ce texte comme du reste : vous<br />

l’oublierez.<br />

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