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Dossier pédagogique - Ferme de la Chapelle

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Romain Saintonge<br />

C<strong>la</strong>rence Stiernet<br />

Philippe Reymondin<br />

Icônes<br />

Exposition à <strong>la</strong> <strong>Ferme</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Chapelle</strong><br />

Du 7 septembre au 9 octobre<br />

<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong>


Un peu d’histoire<br />

Icônes et iconoc<strong>la</strong>sme<br />

Le mot «icône», qui signifie au sens premier image religieuse, est lié à l'art byzantin<br />

qui s'est développé dans <strong>la</strong> partie orientale <strong>de</strong> l'empire romain, avec <strong>de</strong>s influences<br />

dans tous les pays <strong>de</strong> <strong>la</strong> Méditerranée. Dans ce contexte, l'icône fait plus<br />

particulièrement référence à <strong>de</strong>s images du Christ, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vierge ou <strong>de</strong>s saints,<br />

réalisées sur p<strong>la</strong>ques <strong>de</strong> bois à <strong>la</strong> peinture à l'œuf et dorées à <strong>la</strong> feuille. Les icônes les<br />

plus anciennes retrouvées dans <strong>de</strong>s couvents grecs ou du Proche Orient datent du<br />

XV e siècle. Cette tradition s'est perpétuée jusqu'à nos jours chez les chrétiens<br />

orthodoxes, avec toujours <strong>la</strong> même iconographie et <strong>la</strong> même technique ancestrale.<br />

La représentation du Christ n’est pas une question anodine, mais bien un sujet qui a<br />

fait l’objet <strong>de</strong> nombreuses disputes entre les ecclésiastiques et les représentants<br />

d’autres religions et sur lequelle on est souvent revenu au cours <strong>de</strong> l'Histoire. Dans <strong>la</strong><br />

culture is<strong>la</strong>miste ou judaïque, par exemple, il est interdit <strong>de</strong> représenter Dieu sous forme d’image<br />

<strong>de</strong>ssinée ou sculptée.<br />

La situation a été différente pour <strong>la</strong> religion chrétienne. En effet, avec l’avènement du règne <strong>de</strong><br />

Constantin I er (empereur romain <strong>de</strong> 306 à 337) <strong>la</strong> religion chrétienne <strong>de</strong>vient officielle, ce qui signifie<br />

que ses a<strong>de</strong>ptes peuvent pratiquer librement et donc commencer à décorer églises et manuscrits. C’est<br />

ce qu’ils font pendant plusieurs siècles, jusqu’au règne <strong>de</strong> l'empereur Léon III, en 730, quand ce<br />

<strong>de</strong>rnier interdit toute représentation <strong>de</strong> Dieu. Cette interdiction s’appelle le mouvement iconoc<strong>la</strong>ste. Il<br />

est possible que l’iconoc<strong>la</strong>sme ait vu le jour à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> proximité géographique avec les territoires<br />

sous influence <strong>de</strong> l’Is<strong>la</strong>m et du judaïsme. Dès cette pério<strong>de</strong>, il est donc interdit <strong>de</strong> peindre, <strong>de</strong>ssiner ou<br />

sculpter l'image <strong>de</strong> Dieu.<br />

L'interdiction est levée en 787, lors du Concile <strong>de</strong> Nicée, où les Pères <strong>de</strong> l'Eglise décrètent que, puisque<br />

le Christ s’est incarné, il est donc possible <strong>de</strong> le représenter sous sa forme humaine, et <strong>de</strong> même pour<br />

<strong>la</strong> Vierge et les saints.<br />

Mais une <strong>de</strong>uxième vague iconoc<strong>la</strong>ste déferle en 813, avec l'arrivée sur le trône <strong>de</strong> Constantinople <strong>de</strong><br />

l'empereur Léon V. Plus forte que <strong>la</strong> première, cette interdiction est levée en 843 par Théodora, veuve<br />

<strong>de</strong> l'empereur Théophile qui avait poursuivi le mouvement iconoc<strong>la</strong>ste <strong>de</strong> ses prédécesseurs.<br />

L’influence <strong>de</strong> l’iconoc<strong>la</strong>sme en art<br />

En premier lieu, il ne faut pas oublier que l’art a été dès ses débuts lié à <strong>la</strong> politique et à <strong>la</strong> religion,<br />

donc à l’Histoire <strong>de</strong>s hommes. Dans ce cas, les artistes ont dû s'expatrier pour fuir ces mouvements<br />

iconoc<strong>la</strong>stes et ont ainsi essaimé leur savoir-faire ainsi que les schémas iconographiques dans le mon<strong>de</strong><br />

<strong>la</strong>tin. C’est pour cette raison que l’on trouve <strong>de</strong>s influences byzantines dans <strong>de</strong> nombreux monuments.<br />

Cimabue, Madonna di Santa<br />

Trinita, 1280, Florence<br />

Duccio, Maestà, 1308-<br />

1311, Sienne.<br />

Ces <strong>de</strong>ux artistes toscans ont subi <strong>de</strong> manière évi<strong>de</strong>nte l’influence <strong>de</strong>s peintres notamment dans <strong>la</strong><br />

représentation du trône, dans <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> peindre les visages et l’utilisation <strong>de</strong>s dorures.<br />

Les influences byzantines en Europe<br />

Avant les mouvements iconoc<strong>la</strong>stes, ce sont les re<strong>la</strong>tions commerciales entre l’empire romain<br />

d’Occi<strong>de</strong>nt et d’Orient qui ont amené les artistes byzantins à voyager. Un <strong>de</strong>s exemples les plus<br />

célèbres est sans doute <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Ravenne, qui était sous influence <strong>de</strong>s empereurs d’Orient qui y ont<br />

fait décorer <strong>de</strong> nombreuses églises par leurs artistes <strong>de</strong> cour.<br />

L’influence <strong>de</strong> l’Orient en art se manifeste par l’utilisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> mosaïque très richement décorée, en


particulier grâce à l’utilisation <strong>de</strong> tesselles dorées à <strong>la</strong> feuille d’or. L’architecture aussi est marquée par<br />

<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns d’église particuliers à <strong>la</strong> culture byzantine.<br />

Procession <strong>de</strong> Teodora, 547, église <strong>de</strong> San Vitale, Ravenne.<br />

Si l’on se remet dans le contexte <strong>de</strong>s premiers chrétiens, il faut imaginer qu’ils ont dû inventer une<br />

iconographie propre à cette toute nouvelle religion. Pour ce faire, ils ont repris <strong>de</strong>s éléments à d’autres<br />

cultes et en particulier au culte <strong>de</strong> l’empereur. En effet, avant l’avènement <strong>de</strong> Constantin, l’empereur<br />

était adoré comme un dieu. Il était donc tout naturel que <strong>la</strong> figure du Christ en majesté ou <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Vierge en majesté soit directement copiée sur <strong>la</strong> représentation <strong>de</strong> l’empereur sur son trône richement<br />

orné <strong>de</strong> cabochons et d’un énorme coussin vermeil.<br />

Christ en majesté entouré par les saints, absi<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’église <strong>de</strong> Santa<br />

Pu<strong>de</strong>nziana, Rome, fin du VI e siècle.<br />

De même, les personnages qui s’approchent <strong>de</strong> <strong>la</strong> figure du Christ ont les mains voilées, comme c’était<br />

l’usage à <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> l’empereur. On en a <strong>de</strong>s exemples dans <strong>la</strong> représentation <strong>de</strong>s saints martyrs qui<br />

viennent apporter leur offran<strong>de</strong>, avec les mains voilées.<br />

Procession <strong>de</strong> martyr, 540, nef <strong>de</strong> Saint Apollinaire le Neuf, Ravenne.<br />

La représentation <strong>de</strong>s anges était problématique pour les artistes chrétiens, car ils n'apparaissent dans<br />

aucune autre iconographie. Dans les premières œuvres chrétiennes, on les aperçoit <strong>de</strong>rrière le trône <strong>de</strong><br />

l'empereur, <strong>de</strong>bout, grands et dotés d'une longue chevelure et blon<strong>de</strong>. L'origine <strong>de</strong> cette image est<br />

celle <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'empereur qui étaient traditionnellement <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves du Nord <strong>de</strong> l'Europe, et<br />

donc grands et blonds.<br />

Colonne <strong>de</strong> l’Hippodrome<br />

d’Istanbul<br />

Christ en majesté, 540,<br />

Saint Apollinaire le Neuf,<br />

Ravenne.


La seule représentation qui était entièrement à inventer c’est <strong>la</strong> crucifixion, image centrale et symbole<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> religion chrétienne.<br />

Crucifixion, VI e siècle, porte en bois <strong>de</strong> l'église <strong>de</strong> S. Sabine à Rome.<br />

Il s’agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> première représentation connue <strong>de</strong> cette iconographie.<br />

Ces quelques éléments sont essentiels pour comprendre qu'en art, tout artiste est tributaire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

tradition à <strong>la</strong>quelle il se rattache et <strong>de</strong>s influences qu'il récolte au cours <strong>de</strong> son expérience, et ce <strong>de</strong>puis<br />

les origines <strong>de</strong> l'art.<br />

De l'importance <strong>de</strong> l'image<br />

Les icônes publiques<br />

La lutte <strong>de</strong>s iconoc<strong>la</strong>stes montre à quel point <strong>de</strong>puis longtemps déjà les dirigeants sont conscients <strong>de</strong><br />

l'importance <strong>de</strong>s images et <strong>de</strong>s influences qu'elles peuvent avoir sur <strong>la</strong> société. D'ailleurs, le mot icône,<br />

dans son <strong>de</strong>uxième sens, signifie image emblématique.<br />

Les anciens Egyptiens avaient déjà compris l'importance <strong>de</strong> représenter le pharaon, afin d'en faire une<br />

image <strong>de</strong> culte et donc un dieu aux yeux du peuple qui serait ainsi plus facile à gouverner. Les Romains<br />

aussi considéraient leur empereur comme une divinité qu’ils représentaient sous forme <strong>de</strong> statue<br />

<strong>de</strong>vant <strong>la</strong>quelle il fal<strong>la</strong>it s’incliner. S'ils ne sont pas allés jusque là, les empires et les monarchies<br />

occi<strong>de</strong>ntaux qui ont succédé aux Romains se sont tout <strong>de</strong> même auto-décrétés investis du droit divin<br />

et se faisaient couronner par un ecclésiastique. Dans le but <strong>de</strong> maintenir sur le peuple un pouvoir<br />

absolu, les tyrans <strong>de</strong> tous les temps ont compris que leur présence multipliée sous forme <strong>de</strong> peintures,<br />

sculptures ou photos un peu partout dans les lieux officiels et même privés était une manière<br />

essentielle pour marquer leur emprise sur <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion.<br />

Lorsqu'un monarque ou un dictateur meurt ou est renversé, aujourd'hui encore, <strong>la</strong> première chose que<br />

font ses anciens sujets est d'ailleurs <strong>de</strong> brûler et détruire images et statues à son effigie.<br />

Avec <strong>la</strong> reproduction mécanisée <strong>de</strong> l'image par l'impression et <strong>la</strong> photographie <strong>de</strong>puis le début du XX e<br />

siècle (et aujourd'hui par internet), <strong>de</strong>s personnages sont <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s véritables symboles,<br />

emblématisés par une particulière image à <strong>la</strong>quelle on fait inévitablement référence lorsqu'on les<br />

nomme.<br />

L’industrie du cinéma a fait naître <strong>de</strong>s stars que <strong>de</strong>s photographes célèbres ont transformées en<br />

véritables icônes:<br />

Marylin Monroe Audrey Hepburn<br />

En art, il existe aussi <strong>de</strong>s œuvres que tout le mon<strong>de</strong> considère comme image emblématique. C’est le<br />

cas <strong>de</strong> <strong>la</strong> Jocon<strong>de</strong> <strong>de</strong> Léonard <strong>de</strong> Vinci, sujet dont que bien <strong>de</strong>s artistes se sont approprié.


Léonard <strong>de</strong> Vinci, 1503-6<br />

Marcel Duchamp, 1919<br />

Salvador Dalì, 1954<br />

En politique aussi, les images <strong>de</strong> certaines personnes sont <strong>de</strong>venues <strong>de</strong>s emblèmes <strong>de</strong> révolution (Che<br />

Guevara, Mao) ou d’oppression (Staline).<br />

Che Guevara<br />

Image officielle <strong>de</strong> Mao<br />

Les Hongrois à <strong>la</strong> chute <strong>de</strong> Staline<br />

Un exemple <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> l’icône en art: Andy Warhol<br />

Artiste issu du mouvement Pop Art, Andy Warhol a voulu notamment montrer dans<br />

son travail l'importance <strong>de</strong>s images dans le mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne et le pouvoir <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

répétition <strong>de</strong> l’image. Dès les années 60, il peint une boîte <strong>de</strong> soupe <strong>de</strong> <strong>la</strong> marque<br />

Campbell, très popu<strong>la</strong>ire aux Etats-Unis, en grand format sur toile. De cette manière,<br />

il en fait un symbole <strong>de</strong> <strong>la</strong> société américaine conformiste se nourrissant <strong>de</strong> <strong>la</strong> même<br />

soupe.<br />

Il est aussi célèbre pour avoir reproduit en sérigraphie <strong>de</strong>s portraits <strong>de</strong> personnages<br />

célèbres (Marylin Monroe, Jackie Kennedy, Mao, etc.). Sa technique est <strong>de</strong> décliner<br />

<strong>de</strong> plusieurs couleurs différentes ces visages connus du grand public pour en faire un<br />

sujet presque abstrait qui <strong>de</strong>vient œuvre d'art.<br />

L’exposition «Icônes» à <strong>la</strong> <strong>Ferme</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Chapelle</strong><br />

Les trois artistes réunis pour cette exposition travaillent d’une manière personnelle sur le thème <strong>de</strong><br />

l’image emblématique, d’où le nom donné à l’exposition, «Icônes». Que ce soit <strong>de</strong> manière plus<br />

littérale par le détournement d’images religieuses iconiques <strong>de</strong> Philippe Reymondin, ou par <strong>la</strong><br />

référence au co<strong>de</strong> vestimentaire <strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne pour C<strong>la</strong>rence Stiernet, ou encore l’image<br />

photographique comme vestige du passé et barrière contre le temps qui passe pour Romain<br />

Saintonge, tous ces travaux portent en eux le concept <strong>de</strong> l’icône.<br />

Philippe Reymondin<br />

Ecce Femina<br />

La série Ecce Femina présentée dans le cadre <strong>de</strong> cette exposition par Philippe Reymondin, fait<br />

référence à <strong>de</strong>s modèles d'icônes issus <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition chrétienne. Le titre <strong>de</strong> <strong>la</strong> série, calquée sur l’Ecce<br />

Homo (<strong>la</strong> présentation du Christ au peuple, en buste avec les mains attachées sur le <strong>de</strong>vant), indique<br />

sans ambiguïté cette parenté iconographique. On le voit bien avec le Nu masqué montrant une femme<br />

en buste, avec les mains attachées <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière que les tableaux religieux.


P. Reymondin, Nu masqué Jean Hey, Ecce homo, 1494<br />

Le lien christologique va jusqu’à <strong>la</strong> crucifixion, sauf qu’ici à nouveau c’est une<br />

femme qui est représentée sur <strong>la</strong> croix. Le but <strong>de</strong> l’artiste n’est pas <strong>de</strong><br />

choquer, mais plutôt d’extrapoler un symbole <strong>de</strong><br />

martyr et <strong>de</strong> souffrance universel pour le reporter<br />

sur <strong>la</strong> condition féminine qui n’est pas toujours<br />

facile. Représenter une femme en croix n’est pas<br />

nouveau, puisque le cinéma a déjà utilisé cette<br />

image. La photographe Bettina Rheims, dans sa<br />

série intitulée I.N.R.I (en référence au<br />

cryptogramme Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum<br />

p<strong>la</strong>cé au-<strong>de</strong>ssus du Christ crucifié) revisite<br />

l’iconographie religieuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> Renaissance en <strong>la</strong> p<strong>la</strong>çant dans un décor urbain<br />

contemporain. Pour montrer que <strong>la</strong> souffrance <strong>de</strong> l’humanité entière est crucifiée avec Jésus, elle<br />

représente aussi une femme sur <strong>la</strong> croix.<br />

Les parallèles entre cette série et <strong>la</strong> tradition artistique sont nombreux. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s sujets et <strong>de</strong>s<br />

compositions, le choix <strong>de</strong>s couleurs, où le rouge, le noir et l’or prédominent, rappellent l’utilisation <strong>de</strong><br />

ces teintes dans les icônes traditionnelles. Mais il y a également une référence à <strong>la</strong> sensualité qui régit<br />

<strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s images religieuses dès le Moyen Age. En effet, <strong>la</strong> peinture religieuse est souvent proche<br />

<strong>de</strong>s sujets profanes par l’introduction <strong>de</strong> poses suggestives et <strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong>s nus. On peut citer par<br />

exemple les séries <strong>de</strong>s Vierges al<strong>la</strong>itant l’Enfant où l’artiste dévoile le sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme, ou encore les<br />

martyrs <strong>de</strong>s saintes et saints où <strong>la</strong> souffrance est représentée sur les visages sous forme <strong>de</strong> jouissance<br />

charnelle. De cette manière l’artiste nous rappelle qu’il reste toujours libre grâce au double sens qu’il<br />

est capable d’apporter à ses œuvres et que le spectateur peut être à même <strong>de</strong> décrypter.<br />

Maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Marie-Ma<strong>de</strong>leine, Vierge al<strong>la</strong>itant<br />

Guido Reni, Saint Sébastien, 1615<br />

Lorsqu’il reprend textuellement l’image <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vierge au cœur ar<strong>de</strong>nt, peinture<br />

<strong>la</strong>rgement popu<strong>la</strong>ire, il en fait une icône mo<strong>de</strong>rne par le traitement au chablon, à <strong>la</strong><br />

manière du graffiti, avec <strong>de</strong>s couleurs très vives. L’image <strong>de</strong>vient ainsi intemporelle et<br />

ne dévoile plus que sa beauté et compassion universelle, comme dans l’image<br />

d’origine.<br />

La série d’affiches réalisées par Philippe Reymondin et p<strong>la</strong>cées en milieu<br />

urbain sont centrées sur 5 portraits <strong>de</strong> femmes, qui <strong>de</strong>viennent ainsi icônes au sens <strong>de</strong><br />

figure emblématique:<br />

Lilith: Symbole <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolte féminine, cette figure <strong>de</strong>s apocryphes serait <strong>la</strong> première femme<br />

d’Adam. L’image qu’a choisie l’artiste comme base est un tableau <strong>de</strong> John Maler Collier qui<br />

représente cette femme jouant sensuellement avec le serpent.


La guerrière urbaine: représentée torse nu, les jambes écartées, masquées et dégainant <strong>de</strong>s<br />

bombonnes <strong>de</strong> spray pour graffiti, cette femme contemporaine symbolise <strong>la</strong> lutte c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine <strong>de</strong>s<br />

femmes qui s’expriment à l’ombre <strong>de</strong>s rues et <strong>de</strong>s blogs. Le schéma iconographique est repris d’ne<br />

œuvre d’Andy Warhol, Elvis, qui dégaine pareillement <strong>de</strong>ux pistolets face au spectateur.<br />

Emma Hennings: compagne d’Hugo Ball, cette artiste a participé à <strong>la</strong> création du Café<br />

Voltaire à Zurich, <strong>la</strong>ncement du mouvement Dada en Suisse. L’image s’inspire d’une photo<br />

célèbre <strong>de</strong> cette femme.<br />

Lynn Maring: ce portrait issu d’une photo faite par l’artiste lui-même est celui <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

chanteuse du groupe Disagony. A travers elle, l’artiste rend hommage à l’art, domaine où<br />

en Occi<strong>de</strong>nt du moins, les femmes jouissent <strong>de</strong>s mêmes droits que les hommes.<br />

La mendiante: portrait inventé <strong>de</strong> toutes pièces, cette femme représente toutes celles qui<br />

luttent au quotidien pour leur survie.<br />

Faire référence aux maîtres<br />

Nombreux sont les artistes qui font référence à <strong>de</strong>s grands maîtres dont ils s’inspirent directement.<br />

Peinture: Le thème <strong>de</strong> Vénus couchée a été repris par plusieurs artistes, comme Titien ou Giorgione, et<br />

ensuite réinterprété en version profane par Goya (Maya <strong>de</strong>snuda) et par Manet (Olympia).<br />

Titien, Venus d'Urbin,<br />

1538<br />

Reymondin, Guerrière urbaine<br />

Giorgione, Venus endormie,<br />

1510<br />

Francisco Goya, Maya nue, 1799-<br />

1800<br />

Edouard Manet, Olympia,<br />

1863<br />

Photographie: Cindy Sherman a réalisé une série d’autoportraits où elle se déguise en portraits<br />

exécutés par <strong>de</strong>s peintres célèbres.<br />

Caravaggio, Bacchino ma<strong>la</strong>to, 1593 Cindy Sherman, sans titre, photo<br />

Vidéo: Bill Vio<strong>la</strong> a repris un tableau <strong>de</strong> Pontormo pour en faire une vidéo contemporaine.<br />

Andy Warhol, Elvis, 1963<br />

Pontormo, Visitation, 1528-29 Bill Vio<strong>la</strong>, The Greeting, 1985, vidéo


Cinéma: Pier Paolo Pasolini, dans La Ricotta, montre un réalisateur <strong>de</strong> film qui tente <strong>de</strong> recréer avec<br />

<strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong>ux tableaux célèbres: <strong>la</strong> Déposition <strong>de</strong> Rosso Fiorentino et celle <strong>de</strong> Pontormo.<br />

Rosso Fiorentino,<br />

Déposition, 1521<br />

Romain Saintonge<br />

Scène <strong>de</strong> La Ricotta <strong>de</strong> Pasolini,<br />

1963<br />

Pontormo, Déposition,<br />

1527<br />

Scène <strong>de</strong> La Ricotta <strong>de</strong><br />

Pasolini, 1963<br />

Retenir le souvenir<br />

La photo est le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong>s peintures <strong>de</strong> Romain Saintonge. Ce sont<br />

<strong>de</strong>s images trouvées dans les magazines, au marché au puces ou encore<br />

faites par lui. Mais quelle que soit sa re<strong>la</strong>tion au personnage représenté sur <strong>la</strong><br />

photo, le traitement reste le même: <strong>la</strong> figure humaine est peinte <strong>de</strong> manière<br />

réaliste, sur un fond uniforme, sortie <strong>de</strong> son environnement initial. De cette<br />

manière, l’artiste ôte au sujet toute anecdote et concentre l’attention sur <strong>la</strong><br />

figure qui semble ainsi arrachée au cours du temps. Et pourtant, il reste à ces<br />

personnages <strong>de</strong>s vestiges <strong>de</strong> leur époque, dans une coiffure ou un vêtement<br />

qui <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s indices, <strong>de</strong>s débuts d’histoires ébauchées dont ces<br />

enfants, femmes ou hommes détiennent le secret. Le spectateur peut alors<br />

sans peine s’emparer <strong>de</strong> ces bribes <strong>de</strong> récits <strong>de</strong> vie et y calquer sa propre<br />

histoire.<br />

La matière est essentielle pour cet artiste. Elle est épaisse, faite <strong>de</strong> peinture le<br />

plus souvent noire ou b<strong>la</strong>nche, à <strong>la</strong>quelle il superpose parfois <strong>de</strong> <strong>la</strong> cire qui<br />

vient apporter une dimension supplémentaire à l’image. La cire confère à <strong>la</strong><br />

fois <strong>de</strong> <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur, par son épaisseur légèrement opaque, mais fige aussi le personnage dans<br />

l’instant en l’ensevelissant <strong>de</strong> matière.<br />

En se perdant dans cette masse <strong>de</strong> peinture et cire, <strong>de</strong>nse et onctueuse, les personnages <strong>de</strong> Romain<br />

Saintonge <strong>de</strong>viennent purement picturaux. Ils semblent émerger du fond pour s’y replonger aussitôt,<br />

comme happés par ces couches qui les engloutissent par vagues successives. Les visages se<br />

désagrègent peu à peu, comme s’ils étaient soumis à l’usure du<br />

temps. Ils <strong>de</strong>viennent alors comme <strong>de</strong> images du passé qui<br />

s’étiolent au fil <strong>de</strong>s jours.<br />

Gerhard Richter, un maître à penser<br />

Les nombreuses coulures que l’artiste utilise forment une sorte<br />

<strong>de</strong> ba<strong>la</strong>yage horizontal qui dynamise <strong>la</strong> composition et fait<br />

penser au temps qui passe. On assiste ainsi à <strong>de</strong>ux mouvements<br />

contradictoires: l’un qui tente <strong>de</strong> noyer l’image vers le fonds du<br />

tableau, l’autre qui l’efface verticalement. Cette dynamique n’est<br />

pas sans évoquer celle du souvenir et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire, avec son va<br />

et vient d’images du passé, <strong>de</strong> réinterprétations personnelles et<br />

d’oublis.<br />

Dans une interview donnée pour le magazine Le Miroir <strong>de</strong> l’Art, Romain<br />

Saintonge parle <strong>de</strong> Richter comme <strong>de</strong> l’artiste contemporain qu’il préfère.<br />

Sans que le maître allemand soit pris comme modèle littéral, on peut tout<br />

<strong>de</strong> même voir <strong>de</strong>s liens <strong>de</strong> parenté, notamment dans le fait <strong>de</strong> prendre <strong>la</strong><br />

photographie comme point <strong>de</strong> départ pour <strong>la</strong> peinture. En effet, dès les<br />

années 60, Richter a reproduit <strong>de</strong>s personnages photographiés, en noir et<br />

b<strong>la</strong>nc, avec <strong>de</strong>s contours flous comme s’ils étaient vus à travers le filtre <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire.


C<strong>la</strong>rence Stiernet<br />

Un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> quidams<br />

Jusqu’à <strong>la</strong> série faite pour cette exposition, C<strong>la</strong>rence Stiernet s’est<br />

principalement concentrée sur <strong>la</strong> figure féminine. Son envie <strong>de</strong><br />

changement s’est manifestée chez elle par un dép<strong>la</strong>cement du<br />

centre d’intérêt vers les bonshommes. Sans aucune volonté<br />

esthétisante, elle les sculpte à même le tronc d’arbre qu’elle<br />

dégrossit peu à peu, d’abord à <strong>la</strong> tronçonneuse, puis avec <strong>de</strong>s<br />

instruments plus fins. Une fois ce travail accompli, elle utilise <strong>la</strong><br />

peinture pour donner une réalité plus vivante à ces têtes,<br />

notamment aux regards. Avec leur air <strong>de</strong> parenté, tous ces<br />

personnages semblent les déclinaisons infinies du même schéma,<br />

celui <strong>de</strong> l’homme en costard-cravate, que <strong>la</strong> société a uniformisé par<br />

un co<strong>de</strong> vestimentaire très stricte <strong>la</strong>issant peu <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce à l’imagination, si ce n’est dans les variations<br />

<strong>de</strong>s cravates.<br />

Si par <strong>la</strong> répétition presque obsessionnelle du sujet, ce travail pourrait faire penser à l’art brut, il<br />

n’appartient pas à ce mouvement, l’artiste ne répond avant tout pas à une pulsion incontrôlée, mais<br />

reste très présente dans le concept <strong>de</strong> série organisée, avec un début et une fin, un éventail <strong>de</strong><br />

plusieurs thématiques liées au thème du conformisme et <strong>de</strong> <strong>la</strong> masse. On retrouve ainsi <strong>la</strong><br />

problématique <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion père-enfant, <strong>de</strong> l’individu qui peine à sortir <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule, du pouvoir du<br />

costume qui anime les dirigeants économiques, <strong>de</strong> <strong>la</strong> stigmatisation d’un groupe d’individus que <strong>de</strong>s<br />

régimes totalitaires ont anéantis par milliers. De plus, par <strong>la</strong> forme en buste sans bras, ces personnages<br />

ressemblent à <strong>de</strong> pions d’échiquier, ce que nous sommes tous un jour ou l’autre.<br />

La manière stylisée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssiner les visages et d’ébaucher les<br />

corps sans bras se rattache à <strong>la</strong> tradition naïve popu<strong>la</strong>ire,<br />

proche <strong>de</strong> l’ex-voto. L’artiste semble vouloir ainsi apaiser<br />

l’inquiétu<strong>de</strong> qui pourrait naître chez le spectateur <strong>de</strong>vant<br />

ces têtes monumentales privées <strong>de</strong> corps. La simplification<br />

<strong>de</strong>s formes atténue toute aspérité du bois, confère à ces<br />

sculptures un aspect lisse et satiné qui donne envie <strong>de</strong> les<br />

toucher. Mais en s’approchant, on découvre les fissures, les<br />

traces <strong>de</strong>s outils qu’elle a volontairement <strong>la</strong>issées sur <strong>la</strong><br />

surface. Plus l’œuvre est petite, plus <strong>la</strong> facture en est<br />

grossière, comme si les petits personnages n’étaient que<br />

<strong>de</strong>s fragments ébauchés <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>s plus grands.<br />

Stephan Balkenhol<br />

Actif <strong>de</strong>puis les années 80, cet artiste allemand a centré son travail sur <strong>la</strong> figure<br />

humaine <strong>de</strong> dimensions diverses, sculptée en bois <strong>de</strong> manière réaliste. On le<br />

considère, avec Thomas Schütte et Juan Muñoz, comme initiateur d’un<br />

renouveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> sculpture figurative en Europe.<br />

Par le traitement brut <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière où le bois reste très présent par son aspect<br />

à peine dégrossi, les sculptures <strong>de</strong> Balkenhol, comme celles <strong>de</strong> C<strong>la</strong>rence<br />

Stiernet, font le lien entre <strong>la</strong> sculpture peinte médiévale et l’art contemporain.<br />

Ces œuvres en effet puisent aux sources <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition popu<strong>la</strong>ire pour restituer<br />

une image archétypale qui <strong>de</strong>vient le miroir <strong>de</strong> notre société. Chez ces <strong>de</strong>ux<br />

artistes, on retrouve un intérêt semb<strong>la</strong>ble pour l’individu face à lui-même et à<br />

<strong>la</strong> société, un questionnement sur <strong>la</strong> psyché <strong>de</strong> l’être humain, ses pensées, ses<br />

peurs, ses émotions et ses rêves.

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