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C o u r s d e f r a n ç a i s<br />

Mmes Meurant, Ferreira et Cerfontaine<br />

L e V o y a g e<br />

U n e r e n c o n t r e<br />

5 et 6 TT<br />

a v e c<br />

l'A u t r e<br />

1


LE VOYAGE, UNE RENCONTRE AVEC<br />

L’AUTRE<br />

Cours de littérature 5 et 6TT<br />

2


LE VOYAGE, UNE RENCONTRE AVEC<br />

L’AUTRE<br />

Cours de littérature 5 et 6TT<br />

Cours préparé par Mmes Meurant et Ferreira<br />

3


On peut <strong>voyage</strong>r non pour se fuir,<br />

chose impossib<strong>le</strong>,<br />

mais pour se trouver.<br />

Jean Grenier<br />

4


Plan<br />

INTRODUCTION : LE VOYAGE, UNE RENCONTRE AVEC L'AUTRE<br />

• Qu’est-ce qu’un récit de <strong>voyage</strong> ?<br />

• Exercice de rédaction : <strong>le</strong> grand reportage.<br />

• Exercice de résumé : <strong>le</strong> tourisme moderne.<br />

<strong>le</strong> tourisme responsab<strong>le</strong>.<br />

I. LE MOYEN AGE : LA CONQUETE DE L'ORIENT<br />

• A. MAALOUF, « <strong>Les</strong> croisades vues par <strong>le</strong>s Arabes » (XXe sièc<strong>le</strong>)<br />

• B. TIRTIAUX, « Le passeur de lumière » (XXe sièc<strong>le</strong>)<br />

• M. POLO, « Le divisement du monde » (XIIIe Sièc<strong>le</strong>)<br />

II. LA RENAISSANCE : LES GRANDES DECOUVERTES<br />

• J.C. CARRIERE « La controverse de Valladoli » (XXe sièc<strong>le</strong>)<br />

• MONTAIGNE, « Des Canniba<strong>le</strong>s », Essais, I XXXI (1588-1592)<br />

• J. de LERY « Histoire d’un <strong>voyage</strong> en terre de Brésil » (XVIe sièc<strong>le</strong>)<br />

III. LE XVIIe SIECLE: CLASSICISME ET IDEAL<br />

• F. CHANDERNAGOR, « L'allée du roi » (XXe sièc<strong>le</strong>)<br />

• Louis XIV, « Le code noir » (1685)<br />

IV. LE XVIIIe SIECLE : LES LUMIERES ET LA DENONCIATION DE<br />

L'ESCLAVAGE<br />

• B. de SAINT-PIERRE, « Voyage à l'î<strong>le</strong> de France » (1768-1770)<br />

• D. DIDEROT, « Supplément au Voyage de Bougainvil<strong>le</strong> » (1773)<br />

• Abbé de RAYNAL, « Histoire des deux Indes » (1770)<br />

• MONTESQUIEU, « L’esprit des lois » (1758 )<br />

• VOLTAIRE, « Candide » (1759)<br />

• J.-J. ROUSSEAU, « Dis<strong>cours</strong> <strong>sur</strong> l'origine de l'inégalité » (1755)<br />

V. LE XIXe SIECLE : EXOTISME ET DESENCHANTEMENT<br />

• J. ITARD, « Mémoire <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s premiers développements de Victor de<br />

l'Aveyron » (1801)<br />

• SPITZKA, « La craniométrie et <strong>le</strong> déterminisme biologique. » (1893)<br />

• V. SCHOELDER, « Abolition immédiate de l'esclavage » (1842)<br />

• N. BANCEL, P. BLANCHARD ET S. LEMAIRE, « Ces zoos humains de la<br />

République colonia<strong>le</strong> », (2000)<br />

• LAMARTINE, « Méditations poétiques » (1820)<br />

5


• V. HUGO, « <strong>Les</strong> Orienta<strong>le</strong>s » (1829)<br />

• C. BAUDELAIRE, « <strong>Les</strong> F<strong>le</strong>urs du Mal » (1857)<br />

VI. LE XXe SIECLE : IDENTITE ET ALTERITE<br />

• M. LEIRIS, « Race et Civilisation » (1951)<br />

• C. LEVI-STRAUSS, « Tristes Tropiques » (1952)<br />

• J. JULLIARD , « Combattre <strong>le</strong> fantasme de l’inégalité des races »<br />

(1996)<br />

• A. MAALOUF, « <strong>Les</strong> identités meurtrières » (1998)<br />

• T. TODOROV, « Tous <strong>le</strong>s matins du monde » (2006)<br />

CONCLUSION<br />

TRAVAUX<br />

BIBLIOGRAPHIE<br />

Claude Lévi-Strauss photos de femmes Caduveo 1935<br />

6


INTRODUCTION : LE VOYAGE, UNE RENCONTRE AVEC L'AUTRE<br />

Qu’est-ce qu’un récit de <strong>voyage</strong> ?<br />

Le récit de <strong>voyage</strong> tire son origine de l’épopée, qui<br />

avait pour but de raconter des <strong>voyage</strong>s héroïques et<br />

mythologiques. Ceux-ci foisonnent durant l’Antiquité comme<br />

l’Odyssée d’Homère. Mais la pratique du récit de <strong>voyage</strong><br />

s'est répandue <strong>sur</strong>tout à partir de l'époque des Grandes<br />

Découvertes (dans <strong>le</strong>s périodes de l'Histoire où <strong>le</strong> <strong>voyage</strong><br />

n'était pas encouragé, où il n'apparaissait pas comme une<br />

nécessité, <strong>le</strong>s récits de <strong>voyage</strong> étaient évidemment très<br />

rares). Ce genre dépend directement de causes extérieures<br />

(politique, économie, etc.). Il s'épanouit dans <strong>le</strong>s sociétés<br />

ouvertes (et non repliées <strong>sur</strong> el<strong>le</strong>s-mêmes) qui valorisent <strong>le</strong><br />

<strong>voyage</strong>, la curiosité, l'Étranger.<br />

Le récit de <strong>voyage</strong> est un texte dans <strong>le</strong>quel l’auteur<br />

raconte ce qu’il a vu dans un autre pays. Ce qui <strong>le</strong> distingue d’emblée des autres types de<br />

récits, c’est <strong>le</strong> rapport particulier qu’il entretient avec son objet. En effet, il n’existe<br />

qu’en fonction du <strong>voyage</strong>, c’est <strong>le</strong> <strong>voyage</strong> qui <strong>le</strong> fonde, lui donne sa raison d’être.<br />

Contrairement au roman qui forme un univers clos, autonome, à l’abri des aléas du réel, <strong>le</strong><br />

récit de <strong>voyage</strong> est ouvert <strong>sur</strong> <strong>le</strong> monde extérieur et soumis à ses règ<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> réel a<br />

priorité <strong>sur</strong> la fiction.<br />

Le récit de <strong>voyage</strong> s’élabore en deux temps : il y a d’abord <strong>le</strong> <strong>voyage</strong> où l’auteur du récit à<br />

venir entre en contact avec des réalités nouvel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s découvre, <strong>le</strong>s explore ; ensuite, il y<br />

a <strong>le</strong> récit , où l’auteur raconte <strong>le</strong>s événements qui ont pris place pendant son périp<strong>le</strong>, fait<br />

un compte-rendu de ses explorations, découvertes, bref cherche à faire voir et ressentir<br />

ce qu’il a vu et vécu.<br />

Le récit de <strong>voyage</strong> témoigne donc d’un souci de vérité, ce qui est dit doit être<br />

fidè<strong>le</strong> à ce qui a été vu, <strong>le</strong> locuteur doit rendre compte de ses découvertes avec la plus<br />

grande exactitude. Cela implique que la subjectivité demeure en retrait: <strong>le</strong>s sentiments ou<br />

<strong>le</strong>s opinions du locuteur doivent s'effacer autant que possib<strong>le</strong> devant l'observation de la<br />

réalité. Le dis<strong>cours</strong> du récit de <strong>voyage</strong> se veut donc objectif et transparent: ce qui est<br />

visé, c'est la parfaite concordance des mots et des choses vues.<br />

Si la vérité a cette importance dans <strong>le</strong> récit de <strong>voyage</strong>, c'est parce qu'il doit être uti<strong>le</strong>.<br />

Le roman est gratuit puisque rien ne <strong>le</strong> justifie à première vue et qu'il ne s'adresse à<br />

personne; <strong>le</strong> récit de <strong>voyage</strong>, au contraire, a un but didactique: il veut apprendre quelque<br />

chose à quelqu'un. À l'exception de certains types de récits de <strong>voyage</strong> (comme la relation<br />

de missionnaire où <strong>le</strong> destinataire, un supérieur, est clairement indiqué), la plupart du<br />

temps la présence du destinataire est implicite. On comprend par exemp<strong>le</strong> que Jacques<br />

Cartier, quand il note ses observations dans son journal de bord, s'adresse aux Français<br />

ou aux Européens en général. Le public visé par <strong>le</strong> récit de <strong>voyage</strong> appartient à la même<br />

culture que l'auteur de ce récit. L'auteur peut donc se mettre aisément à la place de son<br />

<strong>le</strong>cteur, d'où une grande complicité entre <strong>le</strong>s deux.<br />

7


Véracité et véridicité<br />

Ainsi donc, on pourrait attendre du récit de <strong>voyage</strong> qu'il soit essentiel<strong>le</strong>ment<br />

réaliste et même documentaire, qu'il ait pour objet de décrire un pays, un lieu, des<br />

autochtones avec un sens aigu de la véridicité. Or, ce critère de vérité doit être<br />

considéré avec une grande prudence, en effet, la vérité historique est une notion qui<br />

évolue au <strong>cours</strong> des sièc<strong>le</strong>s, même si <strong>le</strong> référent est réel, on peut trouver dans un récit de<br />

<strong>voyage</strong> des éléments imaginaires ou mythologiques (cf. la rencontre des cynocépha<strong>le</strong>s dans<br />

<strong>le</strong> <strong>voyage</strong> authentique de Marco Polo). Il nous faudra donc distinguer la véracité, ce qui<br />

pourrait être vrai de la véridicité, ce qui est vrai.<br />

<strong>Les</strong> stratégies d’authentification<br />

Pour atteindre son<br />

doub<strong>le</strong> ojectif de vérité et<br />

d’utilité, <strong>le</strong> locuteur a re<strong>cours</strong><br />

à plusieurs procédés.<br />

Le plus fréquent et <strong>le</strong><br />

plus efficace, c'est la<br />

description (de paysages, de<br />

coutumes, d'objets, etc.). Loin<br />

d'être secondaire ou<br />

simp<strong>le</strong>ment divertissante<br />

comme dans <strong>le</strong> roman, la<br />

description dans <strong>le</strong> récit de<br />

<strong>voyage</strong> joue un rô<strong>le</strong> essentiel:<br />

el<strong>le</strong> permet au <strong>voyage</strong>ur de<br />

rendre compte de ses<br />

observations et ainsi de<br />

transmettre son savoir au<br />

<strong>le</strong>cteur. Dans certaines relations, il arrive qu'el<strong>le</strong> prenne toute la place. Mais la<br />

description ne va pas de soi. D'abord, parce que la réalité à décrire est nouvel<strong>le</strong>,<br />

étrangère, et que nommer ce qu'on ne connaît pas n'est pas une tâche faci<strong>le</strong>. Le locuteur<br />

ne peut par<strong>le</strong>r qu'à partir de sa connaissance du monde. Par conséquent, pour décrire des<br />

réalités nouvel<strong>le</strong>s (<strong>le</strong> <strong>voyage</strong>ur est toujours confronté à la nouveauté, il explore <strong>le</strong><br />

Nouveau Monde, la Nouvel<strong>le</strong> France, etc.), <strong>le</strong> locuteur fait souvent des rapprochements<br />

avec <strong>le</strong>s réalités que lui et ses <strong>le</strong>cteurs connaissent. D'où l'utilisation courante de la<br />

comparaison; on ramène l'inconnu à du connu. Le dis<strong>cours</strong> du <strong>voyage</strong>ur reconstruit,<br />

transforme en quelque sorte <strong>le</strong> monde dont il par<strong>le</strong>. Le <strong>voyage</strong>ur voit <strong>le</strong> référent nouveau<br />

à travers <strong>le</strong> prisme de sa culture, de ses connaissances. Donc <strong>le</strong> récit de <strong>voyage</strong> ne peut<br />

pas être absolument objectif et transparent: il comporte toujours une part de<br />

subjectivité.<br />

L'autre difficulté que comporte la description, c'est qu'el<strong>le</strong> est parfois diffici<strong>le</strong> à<br />

insérer dans un récit. Celui-ci suit <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment du <strong>voyage</strong>, souvent au jour <strong>le</strong> jour;<br />

l'ordre du récit coïncide presque toujours avec l'ordre des événements (donc ordre<br />

chronologique). La logique du récit repose <strong>sur</strong> cel<strong>le</strong> du <strong>voyage</strong>; c'est la suite des<br />

événements qui lui donne une cohérence. La durée, qu'implique nécéssairement <strong>le</strong> <strong>voyage</strong>,<br />

est inscrite dans <strong>le</strong> récit (<strong>le</strong>s indications temporel<strong>le</strong>s, comme <strong>le</strong>s indications spatia<strong>le</strong>s,<br />

sont abondantes).<br />

8


Mais <strong>le</strong> but premier du récit de <strong>voyage</strong>, c'est avant tout d'instruire, de donner des<br />

informations, de transmettre du savoir au <strong>le</strong>cteur. Et cela passe <strong>sur</strong>tout par la<br />

description. Il y a donc une sorte de conflit entre <strong>le</strong> récit des événements du <strong>voyage</strong> et la<br />

description: cel<strong>le</strong>-ci interrompt <strong>le</strong> récit dans son dérou<strong>le</strong>ment, et <strong>le</strong> passage du mode<br />

narratif au mode descriptif est souvent abrupt. Dans <strong>le</strong> récit de <strong>voyage</strong>, c'est la<br />

narration qui est au service de la description, contrairement à ce qui se produit dans <strong>le</strong>s<br />

récits de fiction. Le récit de <strong>voyage</strong> utilise toutes <strong>le</strong>s ressources de la narration. Il faut<br />

que <strong>le</strong> récit soit vivant, coloré, tout en demeurant foncièrement didactique. Il est à la fois<br />

un document sérieux et un texte divertissant. Même si <strong>le</strong> but premier du récit de <strong>voyage</strong><br />

est d'instruire, on <strong>le</strong> lit souvent pour s'évader, par goût de l'exotisme, de l'aventure. On<br />

pourrait <strong>le</strong> classer dans la catégorie "Littérature d'évasion".<br />

<strong>Les</strong> différentes formes de récit<br />

Le récit de <strong>voyage</strong> est un genre polymorphe. Il peut prendre diverses formes:<br />

• Le journal intime : c’est <strong>le</strong> cas de Montaigne (1533-1592) dans son Journal de<br />

<strong>voyage</strong> en Italie par la Suisse où il relate son <strong>voyage</strong> au jour <strong>le</strong> jour.<br />

• Le roman : <strong>sur</strong>tout <strong>le</strong> roman d'aventure cf. L'î<strong>le</strong> au trésor Stevenson. <strong>Les</strong> romans<br />

de Ju<strong>le</strong>s Verne…<br />

• <strong>Les</strong> carnets de route : dans <strong>le</strong>squels l’auteur partage avec <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur son<br />

expérience de <strong>voyage</strong>ur et dont <strong>le</strong> fil conducteur est son itinéraire, étape par<br />

étape. À titre d’exemp<strong>le</strong>, André Gide (1869-1951) et son Voyage au Congo.<br />

• Le récit de vie : <strong>le</strong>s confessions, <strong>le</strong>s mémoires, <strong>le</strong>s autobiographies peuvent<br />

contenir des récits de <strong>voyage</strong>. Ceux-ci éga<strong>le</strong>ment peuvent être réels ou fictifs.<br />

• Le dis<strong>cours</strong> épistolaire : ce récit se présente sous forme de <strong>le</strong>ttres réel<strong>le</strong>s ou<br />

fictives.(ex. Victor Hugo),<br />

• L’essai : il s’agit d’un récit en prose traitant d’un sujet philosophique, scientifique,<br />

psychologique…dont <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment est celui de la pensée. Exemp<strong>le</strong>:Tristes<br />

tropiques de Claude Lévi-Strauss (XXème)<br />

Mais un même récit de <strong>voyage</strong> peut mê<strong>le</strong>r toutes sortes de dis<strong>cours</strong>: géographie,<br />

politique, histoire, linguistique, ethnologie, etc. C'est donc une sorte de collage de genres.<br />

<strong>Les</strong> gens qui <strong>le</strong> pratiquent viennent de tous <strong>le</strong>s domaines: il y a des missionnaires, des<br />

navigateurs, des écrivains, des scientifiques, des historiens, etc. Le récit de <strong>voyage</strong> n'est<br />

pas une spécialité et ne comporte pas de règ<strong>le</strong>s strictes, mise à part cel<strong>le</strong> d'instruire <strong>le</strong>s<br />

<strong>le</strong>cteurs.<br />

Le sentiment d'altérité<br />

Il existe cependant un critère qui permet, selon Tzvetan Todorov, de distinguer <strong>le</strong><br />

récit de <strong>voyage</strong> des autres genres littéraire. Il s'agit du " sentiment d'altérité" , c'est-àdire<br />

de la prise de conscience de l'étrangeté de l'autre. Dans cette rencontre, <strong>le</strong><br />

narrateur peut adopter différentes attitudes qu'il convient de repérer.<br />

• L'ethnocentrisme :<br />

Terme que l'on retrouve en psychologie et en sociologie, il signifie la tendance que<br />

possède tout être humain à privilégier <strong>le</strong> groupe auquel il appartient et à en faire <strong>le</strong> seul<br />

modè<strong>le</strong> de référence. Amin Maalouf dans son livre "<strong>Les</strong> identités meurtrières" explique<br />

que cette tendance se généralise et s'accentue lorsque <strong>le</strong> groupe est menacé d'une façon<br />

9


ou d'une autre. L'individu ne se définit plus alors<br />

que par cette appartenance au groupe. Ce qui peut<br />

mener des préjugés à la haine de l'autre.<br />

Cette attitude se retrouve de façon quasi<br />

systématique dans <strong>le</strong>s récits de <strong>voyage</strong> de la<br />

renaissance, du XVIe et du XVIIe sièc<strong>le</strong>, il faudra<br />

attendre <strong>le</strong> XVIIIe sièc<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s philosophes des<br />

Lumières pour assister à une dénonciation de<br />

l'attitude ethnocentriste des récits de <strong>voyage</strong>.<br />

• L'exotisme :<br />

L'exotisme désigne selon l'étymologie ce qui est<br />

étrange, ce qui vient de pays lointains. Le XIXe<br />

sièc<strong>le</strong> en France fera de l'exotisme une des<br />

caractéristiques principa<strong>le</strong>s de la littérature romantique. L'homme romantique, à la<br />

recherche de sa propre identité part en quête de l'autre, de paysages lointains qui vont<br />

hanter son imaginaire. Nous n'existons que parce que nous sommes différents des<br />

autres !<br />

• Le préjugé :<br />

Le préjugé peut être défini comme<br />

une idée préconçue, non fondée que<br />

l'on se fait d'autres cultures,<br />

d'autres pays, d'autres peup<strong>le</strong>s. Nous<br />

essayerons de mettre en évidence ces<br />

préjugés à travers <strong>le</strong>s récits de<br />

<strong>voyage</strong>.<br />

• Le stéréotype :<br />

Le stéréotype véhicu<strong>le</strong> des<br />

préjugés <strong>sur</strong> un groupe, c'est une<br />

image pré construite que l'on se fait<br />

de l'autre.<br />

• La reconnaissance de l'autre<br />

Cette attitude demande à<br />

l'individu d'être capab<strong>le</strong> de<br />

s'abstraire de sa propre culture afin<br />

d'adopter un point de vue neutre pour<br />

rencontrer l'autre. Reconnaître<br />

l'autre, c'est donc l'accepter dans sa<br />

différence et <strong>le</strong> respecter en tant<br />

qu'individu.<br />

10


Exercice de rédaction : <strong>le</strong> grand reportage.<br />

C'est une sorte de dérivé du récit de <strong>voyage</strong>. Le but est <strong>le</strong> même, mais la forme et<br />

<strong>le</strong> contenu sont un peu différents. Comme il prend place dans un journal ou une revue, il<br />

est plus concis, plus "ramassé". Alors que <strong>le</strong> récit de <strong>voyage</strong> développe beaucoup, propose<br />

des descriptions détaillées, rapporte tout ce qui a été vu, <strong>le</strong> reportage fait une synthèse<br />

des observations et des événements, il organise tous <strong>le</strong>s éléments pour en dégager une<br />

signification globa<strong>le</strong>. Il retient seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s éléments importants, <strong>le</strong>s faits qui sont<br />

significatifs. Le reportage est à la fois un compte rendu, un témoignage et une analyse de<br />

faits; il décrit et explique. Il a une cohérence propre (introduction, développement,<br />

conclusion), il est un peu plus détaché des faits que <strong>le</strong> récit de <strong>voyage</strong>, qui est collé <strong>sur</strong> la<br />

réalité.<br />

Le reportage est en général plus objectif que <strong>le</strong> récit de <strong>voyage</strong>: <strong>le</strong> journaliste doit<br />

être à tout prix neutre dans la relation et <strong>le</strong> commentaire d'événements. Le reportage<br />

n'est pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> fruit d'observations faites pendant un <strong>voyage</strong>, mais aussi <strong>le</strong><br />

résultat de recherches, d'enquêtes, d'entrevues, etc. D'où la présence de statistiques,<br />

de citations, de rappels historiques, etc. Le reportage est moins naïf que <strong>le</strong> récit de<br />

<strong>voyage</strong>, moins démuni que lui devant la réalité à décrire.<br />

Comme <strong>le</strong> récit de <strong>voyage</strong>, il est un collage de plusieurs genres: récit, analyse<br />

politique, compte rendu, etc. Le sty<strong>le</strong> est vivant (métaphores, humour, etc.) et clair pour<br />

garder l'attention du <strong>le</strong>cteur.<br />

Le reportage s'est développé d'adord aux États-Unis durant la guerre de<br />

Sécession. Il s'est répendu peu à peu par la suite dans <strong>le</strong> reste du monde. Maintenant il<br />

est <strong>le</strong> genre journalistique <strong>le</strong> plus populaire auprès du grand public auquel il s'adresse: <strong>le</strong><br />

dépaysement qu'il propose explique sans doute cette faveur dont il jouit.<br />

11


Un exemp<strong>le</strong> de grand reportage.<br />

TOURISME/REPORTAGE<br />

<strong>Les</strong> plateaux Batéké, un paradis pour touristes<br />

Situé au sud-est du pays, la province du Haut-Ogoué regorge de potentialités<br />

touristiques inestimab<strong>le</strong>s. <strong>Les</strong> savanes enso<strong>le</strong>illées, <strong>le</strong>s collines verdoyantes recouvertes<br />

en permanence d'un épais brouillard et <strong>le</strong> canyon de Léconi sont <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s<br />

qui happent <strong>le</strong> visiteur.<br />

Ce dimanche 11 août, la route qui mène à Bongovil<strong>le</strong> est déserte. Il est 14h30<br />

précises. Aucun véhicu<strong>le</strong> n'y circu<strong>le</strong>. Le temps est particulièrement doux, en ce début<br />

d'après-midi. C'est la saison sèche et un épais brouillard lacté enveloppe en permanence<br />

<strong>le</strong>s Plateaux Batéké. Au fur et à me<strong>sur</strong>e que nous progressons vers <strong>le</strong> nord, un paysage<br />

mirifique s'offre à notre vue.<br />

Nous sommes subjugués par la beauté des savanes enso<strong>le</strong>illées, qui alternent avec<br />

des plaines enchanteresses. Ce coin de paradis recè<strong>le</strong> d'innombrab<strong>le</strong>s richesses qu'on ne<br />

saurait découvrir en peu de temps. Témoins d'un passé lointain, <strong>le</strong>s plateaux se comptent<br />

par dizaines dans la région et il serait aussi vain que prétentieux d'établir une liste<br />

exhaustive. Au cœur de la vil<strong>le</strong> de Bongovil<strong>le</strong> se trouve un joyau de verdure parsemé des<br />

collines, où f<strong>le</strong>urissent manoirs et châteaux. La découverte de la petite cité passe aussi<br />

par cel<strong>le</strong> des mets locaux comme <strong>le</strong> "nkoumou", très prisé dans la région. Le fond de l'air<br />

est frais et il n'est pas nécessaire de recourir à la climatisation.<br />

Après une balade dans <strong>le</strong>s rues de Léconi, nous décidons de faire une escapade au<br />

canyon, situé à sept kilomètres de la vil<strong>le</strong>. La route qui y mène est une piste sablonneuse<br />

qui ferait <strong>le</strong> bonheur des professionnels de rallye. «C'est diffici<strong>le</strong> d'accéder au canyon en<br />

saison pluvieuse » nous fait remarquer Parfait, notre guide. Le vent a formé des dunes de<br />

sab<strong>le</strong> <strong>sur</strong> des plaines, qui alternent avec de petites étendues de forêts. Sous la lumière<br />

radieuse, <strong>le</strong>s lagons se transforment en dunes du velours. Le so<strong>le</strong>il a jauni l'herbe haute.<br />

Des sentinel<strong>le</strong>s de pierres rythment <strong>le</strong> paysage de <strong>le</strong>urs parois orange ou brunes sans<br />

jamais en casser la douceur.<br />

Une végétation luxuriante<br />

Quel n'est pas notre enchantement à la vue du canyon de Léconi ! La cou<strong>le</strong>ur des<br />

roches change selon <strong>le</strong>s moments de la journée et <strong>le</strong>s saisons, virant parfois du rose à<br />

l'ocre. Le site est d'une salubrité étonnante.«<strong>Les</strong> villageois disent que <strong>le</strong> canyon est<br />

peuplé de génies qui en interdisent l'accès », révè<strong>le</strong> Parfait. Le lieu est d'une quiétude qui<br />

12


permet de saisir tous <strong>le</strong>s bruits de la nature. Perchés <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s arbrisseaux qui poussent<br />

avec abondance autour des canyons, <strong>le</strong>s éperviers affamés guettent <strong>le</strong> passage des<br />

passereaux pour <strong>le</strong>s happer. Le rêve ? Peut-être. Le paysage environnant offre un avantgoût<br />

du paradis.<br />

Accueillis par la luxuriante végétation, nous sommes bercés par <strong>le</strong>s chants<br />

mélancoliques des rossignols et de milliers d'autres espèces d'oiseaux qui peup<strong>le</strong>nt la<br />

région. Sous la caresse du vent, nous contemplons <strong>le</strong> ciel muet où se déplacent des<br />

hirondel<strong>le</strong>s pressées. Avides d'autres découvertes, nous progressons vers la frontière<br />

avec <strong>le</strong> Congo.<br />

De temps à autre, nous apercevons des troupeaux d'antilopes effrayées par <strong>le</strong><br />

brouhaha du moteur et qui amorcent un sauve-qui-peut. Peu à peu, <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il glisse à<br />

reculons derrière <strong>le</strong>s arbres, diminuant ainsi la clarté du jour. C'est la saison sèche et <strong>le</strong><br />

jour se couche très tôt dans la région. C'est <strong>le</strong> crépuscu<strong>le</strong>. Tout à coup, <strong>le</strong>s alouettes, <strong>le</strong>s<br />

serpentaires, <strong>le</strong>s perdrix et <strong>le</strong>s touracos se mettent à chanter, comme pour saluer <strong>le</strong><br />

déclin du jour.<br />

De fait, nul n'arrive dans <strong>le</strong>s Plateaux Batéké sans avoir envie d'y rester. Au<br />

demeurant, <strong>le</strong> Haut Ogooué est une province à la fois superbe et curieuse. Ses agréments<br />

naturels lui permettraient de gagner tous <strong>le</strong>s con<strong>cours</strong> de beauté. Tout touriste devrait<br />

s'en réga<strong>le</strong>r. Pour tout dire, <strong>le</strong>s richesses naturel<strong>le</strong>s loca<strong>le</strong>s va<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> déplacement.<br />

Consignes d’écriture :<br />

Source : Journal l'Union du 30/08/2002<br />

(http://www.internetafrica.com/gabon/actu/actu_30082002d.htm)<br />

• Choisissez un pays, une vil<strong>le</strong>, un circuit touristique…<br />

• Faites quelques recherches au CDI de l’éco<strong>le</strong> (guides touristiques, encyclopédies…)<br />

et <strong>sur</strong> Internet (une séance sera organisée à l’éco<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> local de M Lecocq)).<br />

• Mettez-vous dans la peau d’un grand reporter envoyé dans la destination de votre<br />

choix et organisez <strong>le</strong>s informations récoltées afin d’écrire un artic<strong>le</strong> d’une page A4<br />

dactylographiée <strong>sur</strong> votre sujet.<br />

• Votre artic<strong>le</strong> doit comprendre : un titre accrocheur, un chapeau, une illustration<br />

(image importée d’Internet, photo, montage…), une introduction dans laquel<strong>le</strong> vous<br />

plantez <strong>le</strong> décor et la situation, une partie descriptive, une partie dans laquel<strong>le</strong><br />

vous prenez position, vous critiquez ou vous donnez votre avis et une conclusion<br />

• Attention au sty<strong>le</strong>, à la syntaxe et à l’orthographe. Votre artic<strong>le</strong> doit pouvoir être<br />

publié tel quel !!!<br />

13


Exercice de résumé : <strong>le</strong> tourisme moderne<br />

Privilège aristocratique avant d’être loisir de masse,<br />

<strong>le</strong> tourisme dévoi<strong>le</strong> ses origines.<br />

Bien sûr, <strong>le</strong>s hordes de japonais n'ont pas toujours mitraillé nos vil<strong>le</strong>s de <strong>le</strong>urs<br />

Konica flasheurs. <strong>Les</strong> peaux blanches n'ont pas de tout temps lézardé sous <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il<br />

d'Espagne. Non, <strong>le</strong> tourisme n'est pas aussi vieux que <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s grecs et n'a pas<br />

toujours été affaire de farniente. Marc Boyer, l'un des plus grands spécialistes du<br />

tourisme et de ses répercussions, vient de publier une « Histoire de l'invention du<br />

tourisme» 1 . Et tout ne commence pas en 1936 avec <strong>le</strong>s congés payés...<br />

La pratique du séjour culturel remonte à l'extrême fin du XVIème sièc<strong>le</strong>. Il<br />

faisait partie du nouveau modè<strong>le</strong> éducatif de l'aristocratie anglaise. La mode du grand<br />

Tour (d'où <strong>le</strong> mot tourisme) devait former <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s gent<strong>le</strong>men par une ouverture au<br />

monde et une contemplation « in situ» des merveil<strong>le</strong>s artistiques et historiques des pays<br />

étrangers.<br />

L'Italie fut pendant trois sièc<strong>le</strong>s la destination de prédi<strong>le</strong>ction de cette élite<br />

fortunée. En raison, <strong>sur</strong>tout, de ses vestiges romains. Au XVIème sièc<strong>le</strong>, l'appel au<br />

<strong>voyage</strong> vécu par <strong>le</strong> tourist est différent de celui auquel répondaient, depuis des sièc<strong>le</strong>s,<br />

<strong>le</strong>s pè<strong>le</strong>rins partis pour Rome. Pour ces derniers, seul compte <strong>le</strong> site sacré à atteindre, et<br />

<strong>le</strong> chemin pour y parvenir est une sorte de mise en condition spirituel<strong>le</strong>. Le touriste, lui,<br />

peut modifier son itinéraire au gré de sa curiosité. Sur la route de l'Italie, on peut ainsi<br />

découvrir Paris, <strong>le</strong> pays de la Loire et ses châteaux ou <strong>le</strong> royaume des Valois.<br />

<strong>Les</strong> Alpes ne furent longtemps connues que par quelques cols permettant <strong>le</strong><br />

passage en Italie. El<strong>le</strong>s faisaient peur. A la fin du XVIIIème sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s Glacières, <strong>le</strong><br />

Mont-Blanc puis <strong>le</strong> Cervin sont enfin explorés et font <strong>le</strong>s délices des étés mondains. La<br />

découverte hiverna<strong>le</strong> de la montagne blanche est en effet plus tardive, vers 1880, et se<br />

limite aux stations é<strong>le</strong>vées où peut se pratiquer un jeu élitiste nouveau, venu tout droit<br />

d’Ang<strong>le</strong>terre, <strong>le</strong> ski de descente dit alpin.<br />

Pas de <strong>voyage</strong> sans guide touristique. En 1552, l'imprimeur Char<strong>le</strong>s Estienne fait<br />

paraître «La guide des chemins de France». Cet ouvrage répondait à un réel besoin car, à<br />

l'époque, il n'y avait ni carte ni tracé légal des grandes routes. La guide (<strong>le</strong> mot n'est<br />

devenu masculin qu'au XVIIIème sièc<strong>le</strong>) rédigée d'après <strong>le</strong>s renseignements des<br />

marchands, pè<strong>le</strong>rins et <strong>voyage</strong>urs divers, précisait <strong>le</strong>s carrefours, indiquait <strong>le</strong>s bonnes<br />

auberges, informait <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s activités économiques des régions traversées, invitait à un<br />

détour pour un paysage, une curiosité ou une antiquité. Ce livre permettait non seu<strong>le</strong>ment<br />

de ne pas se perdre mais transformait <strong>le</strong> <strong>voyage</strong> en plaisir. Il connut un succès<br />

retentissant, fut publié en latin, en français, en anglais et réédité pendant des décennies.<br />

Au XVIIème sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s nob<strong>le</strong>s français <strong>voyage</strong>nt éga<strong>le</strong>ment mais ils souhaitent<br />

garder, au long de <strong>le</strong>urs séjours, <strong>le</strong>s bonnes habitudes de la Cour. Ce sont eux qui ont<br />

instauré la littérature gastronomique de <strong>voyage</strong>. La bonne chère à la française, ça ne<br />

s'improvise pas.<br />

Enfin, la nature suscite un intérêt tout neuf dans l'Europe du XVIIIème sièc<strong>le</strong>.<br />

De jeunes gens désœuvrés et férus de littérature scrutent <strong>le</strong>s espaces vierges et y<br />

projettent <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t de <strong>le</strong>urs âmes tourmentées. Cet élan provoque de nouveaux <strong>voyage</strong>s.<br />

1 Marc Boyer, «Histoire de l'invention du tourisme. XVI-XIX sièc<strong>le</strong>s», éditions de l’Aube.<br />

14


De petits coins jusqu'alors préservés acquièrent une nob<strong>le</strong> réputation parce qu'ils font<br />

verser des larmes! <strong>Les</strong> poètes suisses jouent un rô<strong>le</strong> majeur dans cette glorification de la<br />

nature; Rousseau en particulier. Le <strong>cours</strong> du Rhône est exploré avec enthousiasme et des<br />

thèmes inédits s’imposent: l'exaltation de la montagne, <strong>le</strong> frisson des gorges, la pureté<br />

des lacs suisses. Cette nature n’est pas encore sauvage (il faudra Chateaubriand), mais<br />

imprégnée de culture. <strong>Les</strong> <strong>voyage</strong>urs inspirés évoquent dans <strong>le</strong>urs carnets de route <strong>le</strong>s<br />

mêmes adjectifs: pittoresque, sublime, bucolique... romantique.<br />

Depuis <strong>le</strong> début, <strong>le</strong> touriste est à la recherche d’anecdotes, de traces du passé qui<br />

<strong>le</strong> rendront détenteur d'un secret à jamais enfoui dans <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s pierres. Ce besoin de<br />

faire revivre ce qui n'est plus encourage <strong>le</strong>s guides à raconter <strong>le</strong> passage d'un roi ou d'un<br />

assassin, tel massacre ou tel<strong>le</strong> histoire d'amour, à chercher dans <strong>le</strong>s livres d'histoire ce<br />

qui rend une région unique. Et si, <strong>sur</strong> place, <strong>le</strong> visiteur ne trouve à se mettre sous <strong>le</strong>s yeux<br />

nul<strong>le</strong> trace des faits passés, quel<strong>le</strong> importance? Ecrivains et touristes ont donné un<br />

contenu symbolique à des lieux qui se chargent de légende. Ce regard, curieux et<br />

imaginatif, a contribué à garder vivante l'histoire évènementiel<strong>le</strong>, cel<strong>le</strong> qui se raconte et<br />

se commémore, cel<strong>le</strong> qui rend un <strong>voyage</strong> magique.<br />

Marie Depraetere<br />

15


Exercice de résumé : <strong>le</strong> tourisme responsab<strong>le</strong><br />

Tourisme responsab<strong>le</strong> : valoriser <strong>le</strong>s projets respectueux<br />

des cultures loca<strong>le</strong>s.<br />

Le tourisme de masse n'est pas sans conséquence dans <strong>le</strong>s pays concernés. Face<br />

aux dégâts provoqués, des initiatives éparses commencent à émerger.<br />

Envie de so<strong>le</strong>il, d'exotisme et de folklore ? <strong>Les</strong> voyagistes vous offrent des<br />

<strong>voyage</strong>s clés en main, <strong>le</strong>s cigarettes et l'alcool compris. Transportés, logés, nourris à<br />

l'occidental, vous aurez tout <strong>le</strong> loisir de prendre trois douches par jour au beau milieu<br />

d'une région éprouvée par la sécheresse. Personne ne viendra vous <strong>le</strong> reprocher. Surtout<br />

pas <strong>le</strong>s acteurs d'un secteur devenu aujourd'hui <strong>le</strong> plus dynamique au monde, après <strong>le</strong><br />

pétro<strong>le</strong> et l'automobi<strong>le</strong>. Le tourisme, facteur de développement ? Oui, mais pas pour tous.<br />

Premiers pourvoyeurs de touristes, <strong>le</strong>s pays occidentaux ont la maîtrise du marché.<br />

Sur place, et pour <strong>le</strong>s attirer, <strong>le</strong>s États investissent massivement dans des<br />

infrastructures très lourdes : aéroports, réseaux routiers, communications, voirie,<br />

assainissement et adduction d'eau. Mais la plus grande part des profits générés revient <strong>le</strong><br />

plus souvent aux pays occidentaux. Il en va ainsi de 95 % des devises pour un <strong>voyage</strong> tout<br />

compris. Bien sûr, l'industrie touristique génère des emplois, mais la plupart du temps<br />

sous-qualifiés, mal payés et par nature précaires puisque saisonniers. <strong>Les</strong> ressources<br />

énergétiques ne sont pas épargnées : dans certaines régions du monde, l'usage intensif de<br />

l'eau douce met en danger <strong>le</strong>s cultures et <strong>le</strong>s populations. Enfin, en se conformant au<br />

désir des touristes, <strong>le</strong>s sociétés se retrouvent dépossédées de <strong>le</strong>ur identité. Du zoo<br />

humain en Birmanie, aux danses africaines limitées à un quart d'heure pour ne pas<br />

déplaire au <strong>voyage</strong>ur pressé, <strong>le</strong>s cultures sont peu à peu « folklorisées ». Sans compter<br />

que <strong>le</strong> geste <strong>le</strong> plus anodin peut parfois entraîner des conséquences désastreuses. À<br />

Marrakech, en faisant <strong>le</strong> faux guide, un gamin ramène à la maison trois ou quatre fois <strong>le</strong><br />

salaire de son père. Ce qui provoque un déséquilibre dans la structure familia<strong>le</strong>.<br />

Face à ce constat, <strong>le</strong>s spécialistes de la question préconisent l'application des<br />

règ<strong>le</strong>s du commerce équitab<strong>le</strong> au secteur du tourisme. Mais ce concept, qui existe depuis<br />

une vingtaine d'années pour <strong>le</strong>s biens de consommation, est très diffici<strong>le</strong> à mettre en<br />

œuvre pour <strong>le</strong>s produits touristiques. L'achat d'un forfait recouvre un nombre infini<br />

d'opérations (logement, transport, prix du musée, etc.) et implique des négociations<br />

souvent déséquilibrées. « Dans <strong>le</strong>s pays <strong>le</strong>s moins protégés par <strong>le</strong>s lois socia<strong>le</strong>s, ces<br />

opérations sont souvent pour <strong>le</strong> vendeur et sa famil<strong>le</strong> une question de <strong>sur</strong>vie », précise<br />

Dora Valayer, présidente de l'association Transverses. Or, il est quasiment impossib<strong>le</strong><br />

pour <strong>le</strong> touriste consciencieux de contrô<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s bonnes pratiques de son voyagiste.<br />

Surtout que depuis <strong>le</strong> sommet international de 1999 et l'adoption d'un code d'éthique du<br />

tourisme, ces derniers brandissent parfois la formu<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s besoins de <strong>le</strong>urs campagnes<br />

publicitaires. Et si, en France, une quarantaine de professionnels du secteur ont signé, en<br />

1999, la charte éthique du tourisme, aucun contrô<strong>le</strong> du respect de ses principes n'a été,<br />

pour l'instant, envisagé.<br />

Heureusement, <strong>le</strong>s associations se mobilisent. En mars 2002, Agir ici lançait une<br />

campagne de sensibilisation <strong>sur</strong> <strong>le</strong> thème « Quand <strong>le</strong> bonheur des uns fait <strong>le</strong> malheur des<br />

hôtes ». Pour un coût raisonnab<strong>le</strong>, des produits conjuguant tourisme classique et<br />

préoccupations éthiques commencent à voir <strong>le</strong> jour. C'est <strong>le</strong> cas notamment de l'opération<br />

16


Voyager autrement, initiée par l'Uncovac, en collaboration avec des associations de<br />

tourisme (Arvel, vacances b<strong>le</strong>ues, LVT et Lamtour). Ces professionnels s'engagent à<br />

respecter une charte rigoureuse qui se décline en trois temps : rencontrer, découvrir,<br />

soutenir. « Nous essayons de sensibiliser <strong>le</strong>s <strong>voyage</strong>urs au travail réalisé par <strong>le</strong>s<br />

associations de développement local en organisant des rencontres <strong>sur</strong> place », explique<br />

Marianne DidierJean de Voyager autrement. Prochaine destination pour l'Uncovac : <strong>le</strong><br />

Maroc, avec notamment des rencontres d'ONG loca<strong>le</strong>s à Essaouira, Tiznit et Tafraout qui<br />

travail<strong>le</strong>nt <strong>sur</strong> l'alphabétisation des femmes en milieu rural, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s questions d'hygiène<br />

et de défense de l'artisanat local.<br />

Ces initiatives destinées à amoindrir <strong>le</strong>s effets du tourisme <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s populations<br />

sont-el<strong>le</strong>s satisfaisantes ? Pour Dora Valayer, « on parviendra à un tourisme réel<strong>le</strong>ment<br />

solidaire lorsqu'on valorisera <strong>le</strong>s initiatives loca<strong>le</strong>s, comme <strong>le</strong> fait par exemp<strong>le</strong><br />

l'association Mass-éducation ». En clair, il revient aux populations loca<strong>le</strong>s de gérer el<strong>le</strong>smêmes<br />

<strong>le</strong>ur propre industrie touristique avec de simp<strong>le</strong>s relais en Occident. Une<br />

démarche qui n'en est aujourd'hui qu'à ses balbutiements.<br />

Chrystel<strong>le</strong> Grynberg.<br />

Enquête : Tourisme et éthique chez <strong>le</strong>s Français<br />

En mars 2002, une étude 2 intitulée « Tourisme Éthique Mondialisation » a été<br />

publiée par <strong>le</strong> secrétariat d'État au tourisme.<br />

<strong>Les</strong> grandes tendances. Le so<strong>le</strong>il, l'exotisme et <strong>le</strong>s grands espaces demeurent des<br />

éléments déterminants dans <strong>le</strong> choix des destinations. L'aspiration majeure réside dans la<br />

découverte de pays épargnés par <strong>le</strong>s dégâts de la civilisation. Le but recherché étant de<br />

« sortir du quotidien », de « tout oublier. Selon l'auteur du rapport, <strong>le</strong>s touristes<br />

manifestent un besoin de « grand spectac<strong>le</strong> », de « théâtralisation permanente ».<br />

L'évasion serait aussi synonyme de rencontres avec la population loca<strong>le</strong>.<br />

Appréciation <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s acteurs du tourisme. <strong>Les</strong> voyagistes sont jugés responsab<strong>le</strong>s<br />

de l'uniformisation du tourisme et accusés de présenter des produits tous identiques. Il<br />

reste que <strong>le</strong>s personnes interrogées ignorent généra<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>ur véritab<strong>le</strong> activité ainsi<br />

que <strong>le</strong>ur nationalité. Selon l'auteur, « peu importe au touriste la traçabilité de<br />

l'opérateur, si celui-ci ne met en danger ni sa sécurité ni son confort ».<br />

Tourisme et responsabilités. Bien que sensib<strong>le</strong> et attentif aux problèmes<br />

d'environnement dans sa sphère loca<strong>le</strong> et individuel<strong>le</strong>, <strong>le</strong> touriste <strong>le</strong> serait beaucoup moins<br />

une fois à l'étranger. Il exige manifestement que l'absence de contrainte fasse partie de<br />

sa parenthèse de temps libre : « Si j'ai payé 4 574 € mes vacances, je prendrai mes trois<br />

douches par jour, même en cas de sécheresse ». De manière généra<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s gouvernements<br />

sont perçus comme largement plus responsab<strong>le</strong>s que <strong>le</strong> tourisme des problèmes de<br />

dégradation de l'environnement, et indirectement du développement de la pédophilie et<br />

de la prostitution. Ces fléaux sont parfois tout bonnement attribués à une histoire ou une<br />

tradition loca<strong>le</strong>. De même, face au délitement des cultures loca<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s interviewés<br />

refusent énergiquement toute responsabilité : « si <strong>le</strong> folklore meurt, ce n'est pas à cause<br />

du tourisme ».<br />

2 Trois groupes de neuf personnes, toutes catégories professionnel<strong>le</strong>s confondues, ont été réunis et questionnés pour la<br />

réalisation de cette étude.<br />

17


Enfin, dans l'ensemb<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s personnes interrogées sont convaincues que <strong>le</strong> tourisme<br />

a <strong>le</strong> mérite d'apporter des devises aux pays visités, et qu'il contribue ainsi à lutter contre<br />

la misère.<br />

Chrystel<strong>le</strong> Grynberg @ CFDT (mis en ligne <strong>le</strong> 30 juil<strong>le</strong>t 2002).<br />

18


I. LE MOYEN-AGE : LA CONQUETE DE L’ORIENT<br />

Le Moyen-Age verra s’épanouir une multitude de grands <strong>voyage</strong>urs, c’est en<br />

effet la grande époque des croisades dont l’objectif était de récupérer <strong>le</strong><br />

tombeau du Christ tombé aux mains des Turcs à Jérusa<strong>le</strong>m au milieu du XIème<br />

sièc<strong>le</strong>, en 1095 de notre ère, <strong>le</strong> pape Urbain ІІ lançait un appel aux chrétiens afin<br />

de délivrer la Terre sainte des mains des « Infidè<strong>le</strong>s ». .<strong>Les</strong> croisades sont des<br />

pè<strong>le</strong>rinages en armes, des expéditions à la fois religieuses et féoda<strong>le</strong>s. Après un<br />

<strong>voyage</strong> de quatre mil<strong>le</strong> kilomètres qui dure presque trois ans, <strong>le</strong>s premiers croisés<br />

menés par Godefroid de Bouillon s’emparent de Jérusa<strong>le</strong>m en 1099. Des 150 000<br />

hommes qui ont quitté l’Europe, seuls 15 000 parviennent au but ! Le royaume de<br />

Jérusa<strong>le</strong>m est créé, Godefroid de Bouillon en est <strong>le</strong> premier souverain<br />

L’importance de la première croisade <strong>sur</strong> l’Occident est capita<strong>le</strong>. Il en<br />

résulte un important différend qui subsiste encore aujourd’hui. En effet,la<br />

question de la possession de la Terre sainte est, plus de dix sièc<strong>le</strong>s après la<br />

première croisade, au centre de l’actualité avec <strong>le</strong> conflit israélo-pa<strong>le</strong>stinien.et<br />

l’ethnocentrisme, qui se retrouve au cœur des Croisades, influence encore et<br />

toujours notre civilisation occidenta<strong>le</strong>.<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, des pè<strong>le</strong>rinages essentiel<strong>le</strong>ment religieux sont organisés vers<br />

<strong>le</strong>s grands sanctuaires chrétiens et musulmans: Saint Jacques de Compostel<strong>le</strong>,<br />

Rome, Jérusa<strong>le</strong>m, La Mecque. Ils donnent lieu à une organisation comp<strong>le</strong>xe qui, par<br />

certains côtés, préfigurent <strong>le</strong> tourisme d'aujourd'hui!<br />

En l'absence de cartes précises et de connaissances objectives,<br />

l'accumulation des témoignages sert de référence permanente. Guides des<br />

pè<strong>le</strong>rins et guides des marchands donnaient des conseils pratiques <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s<br />

itinéraires, <strong>le</strong>s distances, la monnaie, la nourriture... Dans <strong>le</strong> même temps, des<br />

19


<strong>voyage</strong>urs arabes, comme Ibn Battûta, racontent <strong>le</strong>ur long <strong>voyage</strong> à- travers<br />

l'Islam, de l’Atlantique à l'Indonésie.<br />

Dans la tradition musulmane, tout fidè<strong>le</strong> doit effectuer au moins une fois<br />

dans sa vie <strong>le</strong> pè<strong>le</strong>rinage à La Mecque. De même, <strong>le</strong> premier millénaire du<br />

christianisme a connu trois routes sacrées, qui valaient une série de bénédictions<br />

et d'indulgences à quiconque parcourait l'une d'el<strong>le</strong>s. La première menait au<br />

tombeau de saint Pierre, à Rome. Son symbo<strong>le</strong> était une croix. On appelait<br />

« romées » ou « romieux » ceux qui la parcouraient. La deuxième conduisait au<br />

Saint-Sépulcre du Christ, à Jérusa<strong>le</strong>m, et ceux qui la suivaient étaient appelés<br />

« pauliniers », car el<strong>le</strong> avait pour symbo<strong>le</strong> <strong>le</strong>s palmes qui saluèrent <strong>le</strong> Christ quand<br />

il entra dans la vil<strong>le</strong>. Enfin, il existait un troisième chemin - un chemin qui menait<br />

jusqu aux reliques de l'apôtre Jacques, enterrées en un lieu de la péninsu<strong>le</strong><br />

Ibérique où, certain soir, un berger avait vu une étoi<strong>le</strong> bril<strong>le</strong>r au-dessus d'un<br />

champ. D'après la légende, saint Jacques et la Vierge Marie el<strong>le</strong>-même passèrent<br />

par là après la mort du Christ, portant la paro<strong>le</strong> de l'Évangi<strong>le</strong> et exhortant <strong>le</strong>s<br />

populations à se convertir. L'endroit prit <strong>le</strong> nom de Compostel<strong>le</strong> - <strong>le</strong> champ de<br />

l'étoi<strong>le</strong> - et bientôt s'é<strong>le</strong>va une vil<strong>le</strong> qui allait attirer <strong>le</strong>s <strong>voyage</strong>urs de toute la<br />

chrétienté. À ceux qui parcouraient cette troisième route sacrée, on donna <strong>le</strong> nom<br />

de « pè<strong>le</strong>rins » et ils prirent pour symbo<strong>le</strong> une coquil<strong>le</strong>.<br />

Lors de son âge d'or, au XIVè sièc<strong>le</strong>, plus d'un million de personnes, venues<br />

de toute l'Europe, parcouraient chaque année la Voie lactée (qui doit son nom au<br />

fait que, la nuit, <strong>le</strong>s pè<strong>le</strong>rins s'orientaient grâce à cette galaxie). De nos jours<br />

encore, des mystiques, des religieux et des chercheurs font à pied <strong>le</strong>s sept cents<br />

kilomètres qui séparent la cité française de Saint-Jean-Pied-de-Port de la<br />

cathédra<strong>le</strong> de Saint-Jacques-de-Compostel<strong>le</strong>, en Espagne<br />

Vers <strong>le</strong> XIIe sièc<strong>le</strong>, la nation espagno<strong>le</strong> commença à tirer profit de la<br />

mystique de Saint-Jacques dans sa lutte contre <strong>le</strong>s Maures, qui avaient envahi la<br />

péninsu<strong>le</strong>. Plusieurs ordres militaires se développèrent <strong>le</strong> long du Chemin, et <strong>le</strong>s<br />

cendres de l'apôtre devinrent un puissant rempart spirituel pour combattre <strong>le</strong>s<br />

20


Musulmans, qui affirmaient avoir de <strong>le</strong>ur côté <strong>le</strong> bras de Mahomet. Mais la<br />

Reconquista achevée, <strong>le</strong>s ordres militaires étaient si puissants qu’ils devinrent une<br />

menace pour l'État, ce qui obligea <strong>le</strong>s Rois Catholiques à intervenir pour éviter que<br />

ces ordres ne s'in<strong>sur</strong>gent contre la nob<strong>le</strong>sse. Le Chemin tomba alors peu à peu<br />

dans l'oubli et, sans quelques manifestations artistiques sporadiques - comme La<br />

Voie lactée, de Buñuel, ou Caminante, de Joan Manuel Serrat -, personne<br />

aujourd'hui ne se souviendrait que sont passés par là des milliers de gens qui, plus<br />

tard, iraient peup<strong>le</strong>r <strong>le</strong> Nouveau Monde.<br />

Marco Polo accompagne son père et son onc<strong>le</strong> dans une mission politique et<br />

religieuse (et en même temps commercia<strong>le</strong>) qui <strong>le</strong> conduit en Chine. Son récit, très<br />

vivant (il <strong>le</strong> dicta, lors d'une incarcération, à un homme de <strong>le</strong>ttre pisan en l298)<br />

connaîtra un succès et une diffusion considérab<strong>le</strong>.<br />

Textes :<br />

• Amin Maalouf, <strong>Les</strong> Croisades vues par <strong>le</strong>s Arabes (XXème sièc<strong>le</strong>)<br />

• Bernard Tirtiaux, Le Passeur de lumière (XXème sièc<strong>le</strong>)<br />

• Marco Polo, Le divisement du monde (XIIIe Sièc<strong>le</strong>)<br />

21


<strong>Les</strong> croisades vues par <strong>le</strong>s Arabes<br />

Ce livre raconte l’histoire des Croisades tel<strong>le</strong>s<br />

qu’el<strong>le</strong>s ont été vues du côté arabe. Amin Maalouf<br />

s’est basé <strong>sur</strong> des témoignages d’historiens et de<br />

chroniqueurs arabes de l’époque pour écrire son livre.<br />

Ces derniers ne par<strong>le</strong>nt bien sûr pas de croisades mais<br />

de guerres ou d’invasions franques. L’auteur a donc<br />

choisi de nous par<strong>le</strong>r d’un épisode bien connu de<br />

l’histoire à partir d’un point de vue jusqu’ici négligé.<br />

C’est en effet <strong>le</strong> vendredi 22 chaaban de l’an<br />

492 de l’hégire, <strong>le</strong> 15 juil<strong>le</strong>t 1099, que <strong>le</strong>s Franj se<br />

sont emparés de la vil<strong>le</strong> sainte 1 après un siège de quarante jours. <strong>Les</strong> exilés tremb<strong>le</strong>nt<br />

encore chaque fois qu’ils en par<strong>le</strong>nt, et <strong>le</strong>ur regard se fige comme s’ils voyaient encore<br />

devant <strong>le</strong>urs yeux ces guerriers blonds bardés d’armures qui se répandent dans <strong>le</strong>s rues,<br />

sabre au clair, égorgeant hommes, femmes et enfants, pillant <strong>le</strong>s maisons, saccageant <strong>le</strong>s<br />

mosquées.<br />

Quand la tuerie s’est arrêtée, deux jours plus tard, il n’y avait plus un seul<br />

musulman dans <strong>le</strong>s rues. Quelques uns ont profité de la confusion pour se glisser dehors, à<br />

travers <strong>le</strong>s portes que <strong>le</strong>s assaillants avaient enfoncées. <strong>Les</strong> autres gisaient par milliers<br />

dans <strong>le</strong>s flaques de sang au seuil de <strong>le</strong>ur demeure ou aux abords des mosquées. Parmi eux,<br />

un grand nombre d’imams, d’ulémas et d’ascètes soufis qui avaient quitté <strong>le</strong>urs pays pour<br />

venir vivre une pieuse retraite en ces lieux saints. <strong>Les</strong> derniers <strong>sur</strong>vivants ont été forcés<br />

d’accomplir la pire des besognes : porter <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur dos <strong>le</strong>s cadavres des <strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s entasser<br />

sans sépulture dans des terrains vagues, puis <strong>le</strong>s brû<strong>le</strong>r, avant d’être à <strong>le</strong>ur tour<br />

massacrés ou vendus comme esclaves.<br />

Le sort des juifs de Jérusa<strong>le</strong>m a été tout aussi atroce. Aux premières heures de la<br />

batail<strong>le</strong>, plusieurs d’entre eux ont participé à la défense de <strong>le</strong>ur quartier, la Juiverie,<br />

situé au nord de la vil<strong>le</strong>. Mais lorsque <strong>le</strong> pan de murail<strong>le</strong> qui <strong>sur</strong>plombait <strong>le</strong>urs maisons s’est<br />

écroulé et que <strong>le</strong>s chevaliers blonds ont commencé à envahir <strong>le</strong>s rues, <strong>le</strong>s juifs se sont<br />

affolés. La communauté entière, reproduisant un geste ancestral, s’est rassemblée dans la<br />

synagogue principa<strong>le</strong> pour prier. <strong>Les</strong> Franj ont bloqué alors toutes <strong>le</strong>s issues, puis,<br />

empilant des fagots de bois tout autour, ils y ont mis <strong>le</strong> feu. Ceux qui tentaient de sortir<br />

étaient achevés dans <strong>le</strong>s ruel<strong>le</strong>s avoisinantes. <strong>Les</strong> autres étaient brûlés vifs.<br />

Maalouf A.., <strong>Les</strong> croisades vues par <strong>le</strong>s Arabes,<br />

1 Jérusa<strong>le</strong>m<br />

Prolongements :<br />

1. De quel type de récit s’agit-il ?<br />

2. De quel point de vue se place l’auteur ?<br />

22


Le passeur de lumière<br />

Nivard de Chassepierre est maître verrier,<br />

il joue avec <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs et la lumière dans son<br />

petit atelier de Huy. Lorsque <strong>le</strong> chevalier Rosal de<br />

Sainte-Croix l'emmène avec lui dans son périp<strong>le</strong><br />

vers l'Orient, Nivard ne se doute pas qu'il va<br />

rencontrer l'amour sous <strong>le</strong>s traits de la jeune<br />

Awen.<br />

Un beau soir, alors qu'ils suivent <strong>le</strong>s<br />

chemins côtiers vers <strong>le</strong> <strong>le</strong>vant, <strong>le</strong>s hommes<br />

aperçoivent des lueurs lointaines illuminant <strong>le</strong> ciel.<br />

Ce sont <strong>le</strong>s torchères géantes qui bordent <strong>le</strong><br />

Bosphore. C'est dans <strong>le</strong> halo de ces astres que <strong>le</strong>s<br />

bateaux se jettent comme des papillons de nuit.<br />

Nous sommes aux portes de l'Orient.<br />

Constantinop<strong>le</strong>, ce sont des voilures qui<br />

lambinent comme des cygnes en marge du port, ce<br />

sont des quais où <strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>ux objets côtoient<br />

<strong>le</strong>s matériaux <strong>le</strong>s plus frustres, c'est la majesté des palais raffinés et autres<br />

constructions somptueusement achevées, des ruel<strong>le</strong>s tortueuses et inextricab<strong>le</strong>s qui<br />

montent et qui descendent, des coins crasseux ou grouillant d'une fou<strong>le</strong> aussi disparate<br />

que cosmopolite, allant du montreur d'ours gitan à l'armateur grec, c'est l'ivresse des<br />

sens, la volupté. Il y fait bon voir, sentir, respirer, entendre, toucher…(…)<br />

Quatre longs mois seront nécessaires à l'expédition des chevaliers pour parcourir<br />

l'Anatolie et rallier la mer. En cause, <strong>le</strong>s caprices d'un relief souvent très accidenté et<br />

une avarie grave au chariot en Cappadoce. Mais si la traversée de ces hauts plateaux se<br />

fait à l'allure d'un homme qui marche, la multiplicité des images qui <strong>sur</strong>prennent à chaque<br />

détour des pistes suffit à compenser, pour un esprit en éveil comme celui de Nivard, la<br />

cadence monotone du <strong>voyage</strong>. Tout est objet d'étonnement, un amas de pierres et de<br />

colonnes provenant d'un ancestral temp<strong>le</strong> romain, la décoration léchée d'une mosquée<br />

coiffée d'un dôme resp<strong>le</strong>ndissant, l'architecture déchiquetée et irréel<strong>le</strong> de certains<br />

paysages décharnés par l'érosion et autres fol<strong>le</strong>s foucades de la nature.<br />

<strong>Les</strong> caravansérails qui jalonnent <strong>le</strong>s pistes sont aussi des lieux privilégiés de<br />

rencontres et d'échanges. On y croise des caravanes syriennes, égyptiennes, grecques…<br />

Parfois même on y côtoie Lombards, Bourguignons, Champenois ayant, depuis la croisade,<br />

délaissé heaume et cotte de mail<strong>le</strong>s pour se livrer à des échanges moins belliqueux avec<br />

l'ennemi, tels que <strong>le</strong> troc et <strong>le</strong> négoce. (…)<br />

Le convoi arrive à destination en novembre 1118. La pérégrination aura traîné plus<br />

de deux ans pour al<strong>le</strong>r de Clairvaux à Jérusa<strong>le</strong>m. À l'issue de ce <strong>voyage</strong> harassant, <strong>le</strong>s<br />

hommes sont épuisés d'avoir rongé <strong>le</strong>ur frein en sou<strong>le</strong>vant la poussière des pistes à la<br />

morne cadence des bœufs d'attelage.<br />

Lorsque <strong>le</strong> convoi fait son entrée dans la vil<strong>le</strong>, des émissaires de Baudouin II<br />

viennent au-devant des <strong>voyage</strong>urs.<br />

23


Notre maître vos attend ! dit l'un d'entre eux. Le monarque fait bon accueil à son<br />

ami Godefroi de Saint-Omer et aux autres chevaliers qui furent pour la plupart des<br />

compagnons de combat. Il était averti de <strong>le</strong>ur venue et <strong>le</strong>ur a réservé une ai<strong>le</strong> de son<br />

palais, qui est construit <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s ruines du temp<strong>le</strong> de Salomon. C'est <strong>sur</strong> ce site que <strong>le</strong><br />

chariot, acheminé avec tant de peines, sera remisé pour n'en plus bouger pendant des<br />

années. À peine arrivés, <strong>le</strong>s neuf se présentent devant <strong>le</strong> patriarche Garimond pour<br />

prononcer entre ses mains <strong>le</strong>s trois vœux de chasteté, d'obéissance et de non-possession<br />

pour eux-mêmes. Préférant <strong>le</strong> nom de "soldat du Christ" à <strong>le</strong>ur titre de chevalier, ils se<br />

mettent à <strong>le</strong>ur ouvrage mystérieux en adoptant un mode de vie quasi monastique.<br />

Bernard TIRTAUX , Le passeur de lumière, 1993.<br />

Prolongements :<br />

1. Constantinop<strong>le</strong> se dévoi<strong>le</strong> dans sa contradiction : relève <strong>le</strong>s termes de cette<br />

opposition.<br />

2. La Cappadoce est un lieu de croisements de culture : fais une recherche <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s qui y ont laissé <strong>le</strong>urs marques.<br />

3. Qu’est-ce que <strong>le</strong>s Templiers ?<br />

24


Le divisement du monde<br />

En 1295,<br />

Marco Polo<br />

revient à Venise<br />

après un périp<strong>le</strong><br />

de 24 ans qui<br />

l'avait conduit,<br />

lui, son père<br />

Nicolo et son<br />

onc<strong>le</strong> Maffeo, à<br />

travers l'Asie<br />

centra<strong>le</strong> jusqu'à<br />

la Chine et Pékin.<br />

Trois ans plus<br />

tard, en 1298, il<br />

dicta en français<br />

<strong>le</strong> récit de ses<br />

<strong>voyage</strong>s, Le<br />

Devisement du Embarquement de Marco Polo pour l'Orient<br />

monde qui est<br />

éga<strong>le</strong>ment connu sous <strong>le</strong> nom du Livre des merveil<strong>le</strong>s. Si <strong>le</strong> texte original est perdu, près<br />

de 150 manuscrits anciens existent, traduits dans toutes <strong>le</strong>s langues.<br />

Marco Polo raconte ce qu'il a vu ou entendu dire ; il livre des anecdotes et insiste<br />

<strong>sur</strong> la vie quotidienne, <strong>le</strong>s religions et <strong>le</strong>s combats des peup<strong>le</strong>s visités. Le Devisement du<br />

monde reprend <strong>le</strong>s deux <strong>voyage</strong>s effectués par <strong>le</strong>s Polo, en 1260, sans Marco, puis en<br />

1271, avec lui et s'articu<strong>le</strong> en trois livres : l'itinéraire par <strong>le</strong> Proche Orient, l'Asie<br />

mineure et l'Asie centra<strong>le</strong> vers la Chine ; <strong>le</strong> séjour dans l'empire de Catay(Chine) ;<br />

l'itinéraire par la voie maritime de l'Asie du sud-est puis par l'Inde jusqu'à l'Asie<br />

mineure.<br />

Tout au long du récit, Marco Polo fait preuve d'une précision documentaire qui<br />

n'exclut pas parfois la naïveté ; de qualités d'observations qu'on ne soupçonnerait pas<br />

chez un homme de son époque et qui expliquent peut-être que <strong>le</strong>s contemporains de Marco<br />

Polo aient d'abord cru qu'il avait fait preuve d'imagination.<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, dans <strong>le</strong>s années 1995, une polémique a <strong>sur</strong>gi après la publication d’une<br />

sinologue de renom qui affirmait que Marco Polo était une sorte de faussaire : " il n’a<br />

probab<strong>le</strong>ment jamais voyagé beaucoup plus loin que <strong>le</strong>s postes de commerce familiaux <strong>sur</strong><br />

la Mer Noire et à Constantinop<strong>le</strong>. "<br />

Il est vrai que cet ouvrage comporte beaucoup d’énigmes : légendes médiéva<strong>le</strong>s<br />

(hommes à tête de chien, peup<strong>le</strong>s de Gog et Magog royaume chrétien d’Orient dirigé par<br />

<strong>le</strong> prêtre Jean,…) ou de mensonges (il prétend la victoire mongo<strong>le</strong> <strong>sur</strong> la cité chinoise de<br />

Xiangyang en 1273 grâce aux machines de guerre qu’il aurait construites….alors que la<br />

vil<strong>le</strong> est prise un an avant son arrivée !).<br />

Cependant,la controverse porte principa<strong>le</strong>ment <strong>sur</strong> " <strong>le</strong>s si<strong>le</strong>nces " curieux du Livre<br />

des Merveil<strong>le</strong>s. Citons <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce <strong>sur</strong> la Grande Murail<strong>le</strong>, <strong>sur</strong> l’utilisation des baguettes, du<br />

thé, de l’écriture, des pieds bandés des femmes, de l’imprimerie……alors que ces sont des<br />

éléments majeurs qui symbolisent la Chine dans l’imaginaire populaire. De plus, <strong>le</strong>s Polo<br />

25


prétendent avoir porté une <strong>le</strong>ttre du pape à l’empereur mongol et Marco Polo se targue<br />

d’avoir été un familier du prince …<strong>le</strong>ttre qui n’existe pas dans <strong>le</strong>s archives vaticanes.<br />

Si <strong>le</strong> Livre des Merveil<strong>le</strong>s comporte autant de lacunes, c’est probab<strong>le</strong>ment parce<br />

que Marco Polo n’est pas allé en Chine : son ouvrage serait un condensé d’informations<br />

recueillies auprès de sa famil<strong>le</strong>, auprès des <strong>voyage</strong>urs arabes, ou recueillies dans <strong>le</strong>s<br />

ouvrages perses.<br />

Dans l’extrait qui suit, Marco Polo décrit <strong>le</strong> sp<strong>le</strong>ndide palais d’hiver de l’empereur<br />

de Chine, Kubilai Khan.<br />

Sachez que <strong>le</strong> Grand Khan demeure dans la capita<strong>le</strong> du Catay, nommée Pékin, trois<br />

mois par an : décembre, janvier et février. C'est dans cette vil<strong>le</strong> qu'il a son palais, que je<br />

vais maintenant vous décrire. [...]<br />

C'est <strong>le</strong> plus grand qu'on ait jamais vu. Il n'a pas d'étage mais <strong>le</strong> pavement est bien<br />

dix paumes plus é<strong>le</strong>vé que <strong>le</strong> sol a<strong>le</strong>ntour et <strong>le</strong> toit est très haut. <strong>Les</strong> murs des sal<strong>le</strong>s et<br />

des chambres sont tous couverts d'or et d'argent et on y a peint des dragons, des bêtes,<br />

des oiseaux, des chevaliers, et toutes sortes d'animaux. Le plafond est ainsi fait que l'on<br />

n'y aperçoit rien d'autre que de l'or et des peintures. La sal<strong>le</strong> est si vaste que six mil<strong>le</strong><br />

hommes pourraient bien y prendre <strong>le</strong>urs repas. <strong>Les</strong> chambres sont si nombreuses que<br />

c'est un spectac<strong>le</strong> extraordinaire. Ce palais est si grand et superbe que personne ne<br />

pourrait en concevoir un qui soit mieux fait. <strong>Les</strong> tui<strong>le</strong>s du toit sont toutes vermeil<strong>le</strong>s,<br />

vertes, b<strong>le</strong>ues, jaunes et de toutes <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs. El<strong>le</strong>s sont si bien vernissées qu'el<strong>le</strong>s<br />

resp<strong>le</strong>ndissent comme du cristal, de sorte qu'on <strong>le</strong>s voit bril<strong>le</strong>r de très loin à la ronde ; et<br />

sachez que cette toiture est si solide et résistante qu'el<strong>le</strong> dure beaucoup d'années. [...]<br />

J'ajoute que vers <strong>le</strong> nord, à une distance d'une portée d'arbalète, il a fait faire<br />

une colline qui a bien cent pas de hauteur et un mil<strong>le</strong> de tour et ce mont est couvert<br />

d'arbres qui ne perdent pas <strong>le</strong>urs feuil<strong>le</strong>s et sont toujours verts. Je peux vous dire que,<br />

dès que <strong>le</strong> Grand Khan apprend qu'il y a un bel arbre, il <strong>le</strong> fait transporter avec toutes ses<br />

racines et la terre où il a poussé et à l'aide d'éléphants on l'amène <strong>sur</strong> cette colline ; peu<br />

importe la grosseur de l'arbre. C'est ainsi qu'on trouve là <strong>le</strong>s plus beaux arbres du monde.<br />

Je dois aussi vous dire que <strong>le</strong> grand roi a fait recouvrir toute cette colline de roche de<br />

lapis-lazuli de cou<strong>le</strong>ur verte, de sorte que tout est vert, <strong>le</strong>s arbres comme <strong>le</strong> sol ; c'est<br />

pourquoi la colline s'appel<strong>le</strong> <strong>le</strong> mont vert. Au beau milieu du sommet, il y a un grand et<br />

beau palais, lui-même tout vert. L'ensemb<strong>le</strong> de la colline, des arbres et du palais offre un<br />

si beau spectac<strong>le</strong> que tous ceux qui <strong>le</strong> voient en éprouvent plaisir et joie : c'est pour cette<br />

raison que <strong>le</strong> Grand Khan l'a fait faire, afin d'offrir ce beau spectac<strong>le</strong> qui procure<br />

réconfort et plaisir.<br />

Marco Polo Le Livre des Merveil<strong>le</strong>s ou <strong>le</strong> Devisement du Monde, LXXXIV,<br />

traduction V. d'Aignan<br />

Prolongements :<br />

1. Re<strong>le</strong>vez dans <strong>le</strong> texte <strong>le</strong>s comparaisons et <strong>le</strong>s métaphores. Pourquoi Marco Polo<br />

utilise-t-il ces figures de sty<strong>le</strong> dans son récit de <strong>voyage</strong> ?<br />

2. Exercice de rédaction : travail <strong>sur</strong> la description.<br />

3. Choisissez un lieu, réel ou imaginaire, et faites-en une description imagée en<br />

utilisant des métaphores et des comparaisons.<br />

26


II. LA RENAISSANCE : LES GRANDES DECOUVERTES<br />

Le XVIè sièc<strong>le</strong> ouvre <strong>le</strong>s temps modernes. Ce départ s'appel<strong>le</strong> la<br />

Renaissance, la Réforme, l'Humanisme. Un grand sièc<strong>le</strong> aux yeux des historiens du<br />

tourisme. Long, puisqu'il commence en 1492 et ne se clôt qu'avec l'arrivée<br />

effective au pouvoir de Louis XIV en 1660.<br />

Le chant du départ vers <strong>le</strong>s océans mystérieux et <strong>le</strong>s terres lointaines naît<br />

vers 1400 et s'enf<strong>le</strong> vite. L'Occident redécouvre Ptolémée ( ); des navigateurs<br />

chinois gagnent l'Afrique par l'est, puis <strong>le</strong>s Portugais glissent <strong>le</strong> long des côtes<br />

africaines de l'Ouest. Chercher l'or ou d'autres denrées rares, trafiquer la soie<br />

ou <strong>le</strong>s épices ne sont pas <strong>le</strong>s seuls motifs; pour une large part, ces aventuriers<br />

partent par curiosité et, au retour, ont <strong>le</strong> plaisir ostentatoire de montrer <strong>le</strong>urs<br />

trouvail<strong>le</strong>s. L'amiral Zeng He, en revenant d'Afrique, exhibe sa girafe, animal qui<br />

a vocation à devenir touristique. Christophe Colomb, curieux de trouver, par<br />

l'ouest, une nouvel<strong>le</strong> route des Indes, découvre des terres nouvel<strong>le</strong>s et initie une<br />

recherche de nouveaux passages qui va se poursuivre pendant deux sièc<strong>le</strong>s entiers<br />

du Labrador ( avec John Cabot) au cap de Bonne Espérance ( avec Vasco de Gama).<br />

1492, c'est aussi <strong>le</strong> début des expéditions d’Italie. S'emparer de l'Italie,<br />

de ses souvenirs antiques, de ses richesses, attirer ses artistes, c'est s'as<strong>sur</strong>er<br />

de la domination de l'Europe. <strong>Les</strong> chrétiens connaissaient <strong>le</strong>s chemins de Rome en<br />

esprit de pè<strong>le</strong>rinage ou en quête de bénéfices à obtenir du pape. Avec la<br />

Renaissance, un motif culturel s'ajoute, grandit. Des ouvrages consacrés au<br />

<strong>voyage</strong> d'Italie, mère des arts, terre de l’antiquité se multiplient. Le <strong>voyage</strong> de<br />

Montaigne, à ce titre est exemplaire; il mê<strong>le</strong> une mission diplomatique à Rome, <strong>le</strong><br />

souci de sa santé (il boit des eaux), l'expression de sa piété ( il prie à Lorette) et<br />

<strong>sur</strong>tout sa curiosité, se laissant al<strong>le</strong>r à sa fantaisie, « allant à droite », « tirant à<br />

gauche » selon l'humeur. Montaigne est "<strong>le</strong> premier touriste". (d'après<br />

L'invention du tourisme, Marc Boyer, Gallimard 1996)<br />

27


C'est au XVIième sièc<strong>le</strong> que naît, avec la découverte de l'Amérique, un<br />

mythe fameux qui va transformer l'histoire de la pensée occidenta<strong>le</strong>- <strong>le</strong> bon<br />

sauvage. 1542 Las Casas, arrivé à Hispaniola (Haïti) et devenu prêtre pour se<br />

consacrer à la défense des Indiens, estime à 15 millions <strong>le</strong> nombre d'indigènes<br />

massacrés par la colonisation. En 1562, Montaigne, conseil<strong>le</strong>r au par<strong>le</strong>ment de<br />

Bordeaux rencontre trois Indiens du Brésil. Il est <strong>le</strong> premier à faire vo<strong>le</strong>r en<br />

éclats l'idée que l'Occident se fait de la civilisation et de la barbarie.<br />

Textes :<br />

• J.C. Carrière « La controverse de Valadolid » (XXème sièc<strong>le</strong>)<br />

• Montaigne, « Des Canniba<strong>le</strong>s » (XVIème sièc<strong>le</strong>)<br />

• J de Lérys « Histoire d’un <strong>voyage</strong> en terre de Brésil » (XVIe<br />

sièc<strong>le</strong>)<br />

28


La Controverse de Valladolid<br />

Chapitre 7 : La scène théâtra<strong>le</strong> entre Las Casas et Sépulvéda<br />

<strong>Les</strong> Indiens sont-ils des humains ou des<br />

barbares voués à l’assujettissement?<br />

Peut-on mener la guerre contre des<br />

incroyants au prétexte qu’ils sont<br />

incroyants ?<br />

La conquête bruta<strong>le</strong> des Amériques et la<br />

catastrophe démographique qui s’ensuit<br />

suscite nombre de questions<br />

fondamenta<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s préoccupent, non<br />

seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s juristes et théologiens<br />

espagnols, mais aussi <strong>le</strong>ur empereur,<br />

Char<strong>le</strong>s Quint. Le 16 avril 1550, il décide<br />

de l’arrêt de toutes <strong>le</strong>s conquêtes du<br />

Nouveau Monde et ordonne l’instauration<br />

d’un débat d’experts <strong>sur</strong> la façon dont «<br />

<strong>le</strong>s conquêtes pouvaient être conduites en<br />

toute justice et tranquillité de<br />

conscience ».<br />

A Vallodolid, en août 1550, devant une assemblée de quatorze membres réunie dans la<br />

chapel<strong>le</strong> du couvent de San Gregorio, deux contradicteurs, Fray Bartolomé de Las Casas<br />

et Ginés Sépulveda se succèdent.<br />

Las Casas, qui appartient à l’ordre des Dominicain s’est fait, depuis des années, l’avocat<br />

des Indiens et de <strong>le</strong>urs droits auprès du Conseil des Indes et des souverains d’Espagne. Il<br />

affirme l’égalité tota<strong>le</strong> de ces peup<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s hommes des autres races.<br />

Sépulveda, chanoine de Cordoue, ne s’est jamais rendu en Amérique, mais il a lu avec<br />

attention l’Histoire généra<strong>le</strong> et naturel<strong>le</strong> des Indes de Gonzalo Fernandez de Oviedo<br />

(1547) [et il est lui-même l’auteur d’un livre où il] démontre, d’après Aristote, que <strong>le</strong>s<br />

peup<strong>le</strong>s supérieurs doivent asservir ceux qui <strong>le</strong>ur sont inférieurs.<br />

Après quoi Sépulveda affirme avec la même fermeté :<br />

- Oui, Eminence, <strong>le</strong>s habitants du Nouveau Monde sont des esclaves par nature. En tout<br />

point conformes à la description d'Aristote.<br />

- Cette affirmation demande des preuves, dit doucement <strong>le</strong> prélat.<br />

Sépulvéda n'en disconvient pas. D'ail<strong>le</strong>urs, sachant cette question inévitab<strong>le</strong>, il a préparé<br />

tout un dossier. Il en saisit <strong>le</strong> premier feuil<strong>le</strong>t.<br />

- D'abord, dit-il, <strong>le</strong>s premiers qui ont été découverts se sont montrés incapab<strong>le</strong>s de toute<br />

initiative, de toute invention. En revanche, on <strong>le</strong>s voyait habi<strong>le</strong>s à copier <strong>le</strong>s gestes et <strong>le</strong>s<br />

attitudes des Espagnols, <strong>le</strong>urs supérieurs. Pour faire quelque chose, il <strong>le</strong>ur suffisait de<br />

regarder un autre l'accomplir. Cette tendance à copier, qui s'accompagne d'ail<strong>le</strong>urs d'une<br />

réel<strong>le</strong> ingéniosité dans l'imitation, est <strong>le</strong> caractère même de l'âme esclave. Ame d'artisan,<br />

âme manuel<strong>le</strong> pour ainsi dire.<br />

- Mais on nous chante une vieil<strong>le</strong> chanson! s'écrie Las Casas. De tout temps <strong>le</strong>s<br />

29


envahisseurs, pour se justifier de <strong>le</strong>ur mainmise, ont déclaré <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s conquis indo<strong>le</strong>nts,<br />

dépourvus, mais très capab<strong>le</strong>s d'imiter ! César racontait la même chose des Gaulois qu'il<br />

asservissait ! Ils montraient, disait-il, une étonnante habi<strong>le</strong>té pour copier <strong>le</strong>s techniques<br />

romaines ! Nous ne pouvons pas retenir ici cet argument ! César s'aveuglait<br />

volontairement <strong>sur</strong> la vie véritab<strong>le</strong> des peup<strong>le</strong>s de la Gau<strong>le</strong>, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>urs coutumes, <strong>le</strong>urs<br />

langages, <strong>le</strong>urs croyances et même <strong>le</strong>urs outils ! Il ne voulait pas, et par conséquent ne<br />

pouvait pas voir tout ce que cette vie offrait d'original. Et nous faisons de même : nous ne<br />

voyons que ce qu'ils imitent de nous ! Le reste, nous l'effaçons, nous <strong>le</strong> détruisons à<br />

jamais, pour dire ensuite : ça n'a pas existé !<br />

Le cardinal, qui n'a pas interrompu <strong>le</strong> dominicain, semb<strong>le</strong> attentif à cette argumentation<br />

nouvel<strong>le</strong>, qui s'intéresse aux coutumes des peup<strong>le</strong>s. Il fait remarquer qu'il s'agit là d'un<br />

terrain de discussion des plus délicats, où nous, risquons d'être constamment ensorcelés<br />

par l'habitude, prise depuis l'enfance, que nous avons de nos propres usages, <strong>le</strong>squels nous<br />

semb<strong>le</strong>nt de ce fait très supérieurs aux usages des autres.<br />

- Sauf quand il s'agit d'esclaves-nés, dit <strong>le</strong> philosophe. Car on voit bien que <strong>le</strong>s Indiens<br />

ont voulu presque aussitôt acquérir nos armes et nos vêtements.<br />

Certains d'entre eux, oui sans doute, répond <strong>le</strong> cardinal. Encore qu'il soit malaisé de<br />

distinguer, dans <strong>le</strong>urs motifs, ce qui relève d'une admiration sincère ou de la simp<strong>le</strong><br />

flagornerie. Quel<strong>le</strong>s autres marques d'esclavage naturel avez-vous re<strong>le</strong>vées chez eux ?<br />

Sépulvéda prend une liasse de feuil<strong>le</strong>ts et commence une <strong>le</strong>cture faite à voix plate,<br />

comme un compte rendu précis, indiscutab<strong>le</strong> :<br />

- Ils ignorent l'usage du métal, des armes à feu et de la roue. Ils portent <strong>le</strong>urs fardeaux<br />

<strong>sur</strong> <strong>le</strong> dos, comme des bêtes, pendant de longs par<strong>cours</strong>. Leur nourriture est détestab<strong>le</strong>,<br />

semblab<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> des animaux. Ils se peignent grossièrement <strong>le</strong> corps et adorent des<br />

ido<strong>le</strong>s affreuses. Je ne reviens pas <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s sacrifices humains, qui sont la marque la plus<br />

haïssab<strong>le</strong>, et la plus offensante à Dieu, de <strong>le</strong>ur état.<br />

Las Casas ne par<strong>le</strong> pas pour <strong>le</strong> moment. Il se contente de prendre quelques notes. Tout<br />

cela ne <strong>le</strong> <strong>sur</strong>prend pas.<br />

- J'ajoute qu'on <strong>le</strong>s décrit stupides comme nos enfants ou nos idiots. Ils changent très<br />

fréquemment de femmes, ce qui est un signe très vrai de sauvagerie. Ils ignorent de<br />

toute évidence la nob<strong>le</strong>sse et l'élévation du beau sacrement du mariage. Ils sont timides<br />

et lâches à la guerre. Ils ignorent aussi la nature de l'argent et n'ont aucune idée de la<br />

va<strong>le</strong>ur respective des choses. Par exemp<strong>le</strong>, ils échangeaient contre de l'or <strong>le</strong> verre cassé<br />

des barils.<br />

- Eh bien ? s'écrie Las Casas. Parce qu'ils n'adorent pas l'or et l'argent au point de <strong>le</strong>ur<br />

sacrifier corps et âme, est-ce une raison pour <strong>le</strong>s traiter de bêtes ? N'est-ce pas plutôt<br />

<strong>le</strong> contraire ?<br />

- Vous déviez ma pensée, répond <strong>le</strong> philosophe.<br />

- Et pourquoi jugez-vous <strong>le</strong>ur nourriture détestab<strong>le</strong> ? Y avez-vous goûté ? N'est-ce pas<br />

plutôt à eux de dire ce qui <strong>le</strong>ur semb<strong>le</strong> bon ou moins bon ? Parce qu'une nourriture est<br />

différente de la nôtre, doit-on la trouver répugnante ?<br />

- Ils mangent des oeufs de fourmi, des tripes d'oiseau...<br />

- Nous mangeons des tripes de porc! Et des escargots !<br />

- Ils se sont jetés <strong>sur</strong> <strong>le</strong> vin, dit Sépulvéda, au point, dans bien des cas, d'y laisser <strong>le</strong>ur<br />

peu de raison.<br />

- Et nous avons tout fait pour <strong>le</strong>s y encourager ! Mais ne vous a-t-on pas appris, d'un autre<br />

côté, qu'ils cultivent des fruits et des légumes qui jusqu'ici nous étaient inconnus ? Et que<br />

certains de <strong>le</strong>urs tubercu<strong>le</strong>s sont délicieux ? Vous dites qu'ijs portent <strong>le</strong>urs fardeaux <strong>sur</strong><br />

30


<strong>le</strong> dos : Ignorez-vous que la nature ne <strong>le</strong>ur a donné aucun animal qui pût <strong>le</strong> faire à <strong>le</strong>ur<br />

place ? Quant à se peindre grossièrement <strong>le</strong> corps, qu'en savez-vous ? Que signifie <strong>le</strong> mot<br />

"grossier" ?<br />

- Frère Bartolomé, dit <strong>le</strong> légat, vous aurez de nouveau la paro<strong>le</strong>, aussi longtemps que vous<br />

voudrez. Rien ne sera laissé dans l'ombre,<br />

je vous l'as<strong>sur</strong>e. Mais pour <strong>le</strong> moment,<br />

restez si<strong>le</strong>ncieux.<br />

Le dominicain, qui paraît fatigué, se rassied.<br />

Le cardinal s'adresse au philosophe :<br />

- Selon vous, la possession et l'usage des<br />

armes à feu seraient une preuve de la<br />

protection divine ?<br />

- Une preuve très évidente.<br />

- Cependant, <strong>le</strong>s Maures possèdent des<br />

armes à feu et s'en servent très bien<br />

contre nous.<br />

- Ils <strong>le</strong>s ont copiées <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s nôtres.<br />

Le légat semb<strong>le</strong> mettre en doute cette<br />

dernière affirmation. Il essaie de se<br />

souvenir. N'a-t-il pas lu quelque part que<br />

l'usage de la poudre à canon venait des pays<br />

de l'Orient ?<br />

Dans l'assistance, personne ne peut<br />

répondre avec précision et certitude. On<br />

préfère penser, et c'est à vrai dire plus<br />

confortab<strong>le</strong>, que l'arme à feu est une<br />

invention chrétienne, comme la plupart des<br />

autres.<br />

Et si d'aventure, comme <strong>le</strong> suggère <strong>le</strong><br />

comte Pittaluga, l'intervention divine ne<br />

s'est pas clairement montrée dans<br />

l'invention el<strong>le</strong>-même (qui s'étala <strong>sur</strong> des<br />

sièc<strong>le</strong>s, à ce qu'on raconte), à coup sûr el<strong>le</strong><br />

se manifesta en privant <strong>le</strong>s Indiens, jusqu'à<br />

<strong>le</strong>ur conquête, de ce type d'armes. Ainsi la<br />

pauvreté de <strong>le</strong>ur équipement militaire montre non seu<strong>le</strong>ment l'archaïsme de <strong>le</strong>ur<br />

technique, mais que Dieu <strong>le</strong>s priva de toute vraie défense.<br />

Le légat, mettant à part cette question, revient à Sépulvéda :<br />

- Autre chose : vous rapportez <strong>le</strong>s sacrifices sanglants qu'ils faisaient à <strong>le</strong>urs dieux.<br />

- Des dieux cruels, horrib<strong>le</strong>s, à l'image même de ce peup<strong>le</strong>.<br />

- Oui, oui, il s'agit bien d'une horreur démoniaque. Nous sommes tous d'accord. Mais s'ils<br />

ne sont pas des êtres humains du même niveau que <strong>le</strong> nôtre, s'ils sont proches des<br />

animaux, peut-on <strong>le</strong>ur reprocher ces sacrifices ? Vous voyez ce que je veux dire ?<br />

Jean-Claude Carrière « La controverse de Valladoli » 1992<br />

31


Des canniba<strong>le</strong>s<br />

Écrivain français, Michel Eyquem de Montaigne(1533-1592) suit une formation<br />

humaniste et entreprend une carrière politique, à laquel<strong>le</strong> il met fin en 1570 pour se<br />

consacrer à l'écriture des Essais qui présentent ses réf<strong>le</strong>xions humanistes <strong>sur</strong> des sujets<br />

divers<br />

Or, je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a<br />

rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on<br />

m'en a rapporté, sinon que chacun appel<strong>le</strong> barbarie ce qui<br />

n'est pas de son usage ; comme de vrai, il semb<strong>le</strong> que nous<br />

n'avons autre mire 1 de la vérité et de la raison que l'exemp<strong>le</strong><br />

et idée des opinions et usances 2 du pays où nous sommes. Là<br />

est toujours la parfaite religion, la parfaite police 3 , parfait<br />

et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de<br />

même que nous appelons sauvages <strong>le</strong>s fruits que nature, de<br />

soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité,<br />

ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun,<br />

que nous devrions appe<strong>le</strong>r plutôt sauvages. En ceux là sont vives et vigoureuses <strong>le</strong>s vraies<br />

et plus uti<strong>le</strong>s et naturel<strong>le</strong>s vertus et propriétés, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s nous avons abâtardies en ceuxci,<br />

et <strong>le</strong>s avons seu<strong>le</strong>ment accommodées au plaisir de notre goût corrompu... Et si<br />

pourtant, la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût excel<strong>le</strong>nt, à l’envi des<br />

nôtres 4 , en divers fruits de ces contrées-là sans culture. Ce n’est pas raison que l’art<br />

gagne <strong>le</strong> point d’honneur <strong>sur</strong> notre grande et puissante mère Nature. Nous avons tant<br />

rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions que nous l’avons du<br />

tout 5 étouffée. Si est-ce que, partout où sa pureté reluit, el<strong>le</strong> fait une merveil<strong>le</strong>use honte<br />

à nos vaines et frivo<strong>le</strong>s entreprises. (…)<br />

Trois d'entre eux, ignorant combien coûtera un jour à <strong>le</strong>ur repos et à <strong>le</strong>ur bonheur<br />

la connaissance des corruptions de deçà 6 , et que de ce commerce naîtra <strong>le</strong>ur ruine, comme<br />

je présuppose qu’el<strong>le</strong> soit déjà avancée, bien misérab<strong>le</strong>s de s'être laissé piper au désir de<br />

la nouvel<strong>le</strong>té, et avoir quitté la douceur de <strong>le</strong>ur ciel pour venir voir <strong>le</strong> nôtre, furent à<br />

Roüan 7 , du temps que <strong>le</strong> feu Roy Char<strong>le</strong>s neuvième y était. Le Roy parla à eux longtemps ;<br />

on <strong>le</strong>ur fit voir notre façon, notre pompe, la forme d'une bel<strong>le</strong> vil<strong>le</strong>. Apres cela quelqu'un<br />

en 8 demanda <strong>le</strong>ur avis, et voulut savoir d'eux ce qu'ils y avaient trouvé de plus admirab<strong>le</strong> 9<br />

: ils répondirent trois choses, d'où j'ai perdu la troisième, et en suis bien marri ; mais j'en<br />

ai encore deux en mémoire. Ils dirent qu'ils trouvaient en premier lieu fort étrange que<br />

tant de grands hommes, portant barbe, forts et armés, qui étaient autour du Roy (il est<br />

vraisemblab<strong>le</strong> qu’ils parlaient des Suisses de sa garde), se soumissent à obéir à un<br />

enfant 10 , et qu'on ne choisissait plutôt quelqu'un d'entr'eux pour commander ;<br />

secondement (ils ont une façon de <strong>le</strong>ur langage tel<strong>le</strong>, qu'ils nomment <strong>le</strong>s hommes moitié 11<br />

1<br />

Point de repère, critère<br />

2<br />

Usages<br />

3<br />

Régime politique<br />

4<br />

Au contraire des nôtres<br />

5<br />

Entièrement<br />

6<br />

De nos pays<br />

7<br />

Rouen<br />

8<br />

Leur avis à ce sujet.<br />

9<br />

A la fois remarquab<strong>le</strong> et étonnant : Montaigne va jouer <strong>sur</strong> <strong>le</strong> mot.<br />

10<br />

Char<strong>le</strong>s IX avait alors I2 ans.<br />

11<br />

De ce mot moitié, Montaigne dégage l'idée de fraternité.<br />

32


<strong>le</strong>s uns des autres) qu'ils avaient aperçu qu'il y avait parmi nous des hommes p<strong>le</strong>ins et<br />

gorgés de toutes sortes de commodités, et que <strong>le</strong>urs moitiés étaient mendiants à <strong>le</strong>urs<br />

portes, décharnés de faim et de pauvreté ; et trouvaient étrange comme 12 ces moitiés ici<br />

nécessiteuses pouvaient souffrir une tel<strong>le</strong> injustice, qu'ils ne prissent <strong>le</strong>s autres à la<br />

gorge, ou missent 13 <strong>le</strong> feu à <strong>le</strong>urs maisons.<br />

M. Eyquem de Montaigne, Des canniba<strong>le</strong>s, Essais, I, XXXI, (1588-1592)<br />

Prolongements :<br />

1. Quel<strong>le</strong> est la thèse défendue par Montaigne dans ce texte ?<br />

2. Que désignent respectivement <strong>le</strong>s pronoms « ils » et « nous » dans ce récit ?<br />

3. Quel<strong>le</strong> remarque pouvez-vous faire su l’utilisation des termes « barbare » et<br />

« sauvage » ? Cherchez <strong>le</strong>ur signification au dictionnaire. Quel<strong>le</strong> nuance apporte<br />

Montaigne ici ?<br />

4. Faites <strong>le</strong> plan de l’argumentation de Montaigne.<br />

5. <strong>Les</strong> arguments vous paraissent-ils convaincants ?<br />

6. Enoncez la thèse opposée à cel<strong>le</strong> de Montaigne.<br />

12 Comment.<br />

13 Sans prendre... ou mettre.<br />

33


Histoire d’un <strong>voyage</strong> en terre de Brésil<br />

Dans ce récit de <strong>voyage</strong><br />

qui connut un large succès,<br />

Jean de Léry se retrouve<br />

confronté à l’altérité<br />

absolue : un peup<strong>le</strong><br />

indigène canniba<strong>le</strong> et non<br />

chrétien, ce qui relève des<br />

deux plus grands péchés<br />

du monde européen Ce<br />

récit de <strong>voyage</strong> dépasse <strong>le</strong><br />

cadre ethnologique pour<br />

faire une critique en règ<strong>le</strong><br />

de la société européenne,<br />

en établissant une<br />

comparaison entre <strong>le</strong>s<br />

deux cultures.<br />

L’Histoire d’un <strong>voyage</strong> a<br />

connu un succès<br />

considérab<strong>le</strong> en son temps<br />

comme en témoigne <strong>le</strong> nombre d’éditions qu'il a connu : cinq jusqu'en 1611. L'ouvrage a<br />

notamment influencé Montaigne et , deux sièc<strong>le</strong>s plus tard, Rousseau qui y a puisé<br />

linspiration de son « mythe du bon sauvage ».<br />

Dans la seconde moitié du xxe sièc<strong>le</strong>, Claude Lévi-Strauss a contribué à attirer à nouveau<br />

l’attention <strong>sur</strong> <strong>le</strong> livre par <strong>le</strong>s pages qu'il y a consacré dans Tristes Tropiques, ouvrage qui<br />

a connu un large succès.<br />

Chapitre XV. Comment <strong>le</strong>s Américains traitent <strong>le</strong>urs prisonniers pris en guerre, et<br />

<strong>le</strong>s cérémonies qu’ils observent tant à <strong>le</strong>s tuer qu’à <strong>le</strong>s manger.<br />

Je pourrais encore amener quelques autres semblab<strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s, touchant la cruauté des<br />

sauvages envers <strong>le</strong>urs ennemis, n’était qu’il me semb<strong>le</strong> que ce qu’en ai dit est assez pour<br />

faire avoir horreur, et dresser à chacun <strong>le</strong>s cheveux en la tête. Néanmoins afin que ceux<br />

qui liront ces choses tant horrib<strong>le</strong>s, exercées journel<strong>le</strong>ment entre ces nations barbares<br />

de la terre du Brésil, pensent aussi un peu de près à ce qui se fait par decà pa rmi nous :<br />

je dirai en premier lieu <strong>sur</strong> cette matière, que si on considère à bon escient ce que font<br />

nos gros u<strong>sur</strong>iers (suçant <strong>le</strong> sang et la moel<strong>le</strong>, et par conséquent mangeant tous en vie,<br />

tant de veuves, orphelins et autres pauvres personnes auxquels il vaudrait mieux couper la<br />

gorge d’un seul coup, que <strong>le</strong>s faire ainsi languir) qu’on dira qu’ils sont encore plus cruels<br />

que <strong>le</strong>s sauvages dont je par<strong>le</strong>. Voilà aussi pourquoi <strong>le</strong> Prophète dit, que tel<strong>le</strong>s gens<br />

écorchent la peau, mangent la chair, rompent et brisent <strong>le</strong>s os du peup<strong>le</strong> de Dieu, comme<br />

s’ils <strong>le</strong>s faisaient bouillir dans une chaudière. Davantage, si on veut venir à l’action bruta<strong>le</strong><br />

de mâcher et manger réel<strong>le</strong>ment (comme on par<strong>le</strong>) la chair humaine, ne s’en est-il point<br />

trouvé en ces régions de par deçà, voire même entre ceux qui portent <strong>le</strong> titre de<br />

34


Chrétiens, tant en Italie qu’ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>squels ne s’étant pas contentés d’avoir fait<br />

cruel<strong>le</strong>ment mourir <strong>le</strong>urs ennemis, n’ont peu rassasier <strong>le</strong>ur courage, sinon en mangeant de<br />

<strong>le</strong>ur foie et de <strong>le</strong>ur cœur ? Je m’en rapporte aux histoires. Et sans al<strong>le</strong>r plus loin, en la<br />

France quoi ? (Je suis Français et je me fâche de <strong>le</strong> dire) durant la sanglante tragédie qui<br />

commença à Paris <strong>le</strong> 24 d’août 1572 dont je n’accuse point ceux qui n’en sont pas cause :<br />

entre autres actes horrib<strong>le</strong>s à raconter, qui se perpétrèrent lors par tout <strong>le</strong> Royaume, la<br />

graisse des corps humains (qui d’une façon plus barbare et cruel<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong> des sauvages,<br />

furent massacrés dans Lyon, après être retirés de la rivière de Saône) ne fut-el<strong>le</strong> pas<br />

publiquement vendue au plus offrant et dernier enchérisseur ? <strong>Les</strong> foies, cœurs, et<br />

autres parties des corps de quelques-uns ne furent-ils pas mangés par <strong>le</strong>s furieux<br />

meurtriers, dont <strong>le</strong>s enfers ont horreur ? Semblab<strong>le</strong>ment après qu’un nommé Cœur de Roi,<br />

faisant profession de la Religion réformée dans la vil<strong>le</strong> d’Auxerre, fut misérab<strong>le</strong>ment<br />

massacré, ceux qui commirent ce meurtre, ne découpèrent-ils pas son cœur en pièces,<br />

l’exposèrent en vente à ses haineux, et fina<strong>le</strong>ment l’ayant fait gril<strong>le</strong>r <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s charbons,<br />

assouvissant <strong>le</strong>ur rage comme chiens mâtins, en mangèrent ? Il y a encore des milliers de<br />

personnes en vie, qui témoigneront de ces choses non jamais auparavant ouïes entre<br />

peup<strong>le</strong>s quels qu’ils soient, et <strong>le</strong>s livres qui dès long temps en sont jà imprimés, en feront<br />

foi à la postérité. Tel<strong>le</strong>ment que non sans cause, quelqu’un, duquel je proteste ne savoir <strong>le</strong><br />

nom, après cette exécrab<strong>le</strong> boucherie du peup<strong>le</strong> français, reconnaissant qu’el<strong>le</strong> <strong>sur</strong>passait<br />

toutes cel<strong>le</strong>s dont on avait jamais ouï par<strong>le</strong>r, pour l’exagérer fit ces vers suivants : Riez<br />

Pharaon, Achab, et Néron, Hérode aussi : Votre barbarie Est ensevelie Par ce fait ici.<br />

Par quoi, qu’on n’abhorre plus tant désormais la cruauté des sauvages anthropophages,<br />

c’est-à-dire mangeurs d’hommes : car puisqu’il y en a de tels, voire d’autant plus<br />

détestab<strong>le</strong>s et pires au milieu de nous, qu’eux qui, comme il a été vu, ne se ruent que <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong>s nations <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>ur sont ennemies, et ceux-ci se sont plongés au sang de <strong>le</strong>urs<br />

parents, voisins et compatriotes, il ne faut pas al<strong>le</strong>r si loin qu’en <strong>le</strong>ur pays ni qu’en<br />

l’Amérique pour voir choses si monstrueuses et prodigieuses.<br />

Jean de Léry « Histoire d’un <strong>voyage</strong> en terre de Brésil » 1578<br />

35


III. LE XVIIe SIECLE: CLASSICISME ET IDEAL<br />

Le XVIIème sièc<strong>le</strong> est sédentaire. Nob<strong>le</strong>s, prélats, artistes, écrivains<br />

aspirent à vivre à la Cour et à y être domestiqués, craignant l'éloignement<br />

qualifié- d'exil. "Le so<strong>le</strong>il" est à Versail<strong>le</strong>s. L'idéal classique est de créer des<br />

endroits idylliques où tout s'agence à la perfection: châteaux qui sont des palais<br />

symétriques, jardins, ordonnancés. Le <strong>voyage</strong> se réduit au tour de jardin, à la<br />

promenade sous ga<strong>le</strong>ries. A partir de la fin du XVIIème, tous <strong>le</strong>s souverains de<br />

l'Europe veu<strong>le</strong>nt reproduire Versail<strong>le</strong>s et son mode de pouvoir sédentarisé. Par<br />

exemp<strong>le</strong>, Saint Petersbourg, création de Pierre <strong>le</strong> Grand.<br />

Tout autre <strong>voyage</strong> apparaît comme quelque chose d'imposé par des<br />

circonstances non désirées. Il est dangereux, inconfortab<strong>le</strong>, inhospitalier. Le<br />

<strong>voyage</strong>ur s'expose à toutes sortes de dangers: arrêts forcés, maladies,<br />

quarantaines, attaques de brigands, auberges épouvantab<strong>le</strong>s.<br />

Cependant, <strong>le</strong> commerce et <strong>le</strong>s relations diplomatiques avec <strong>le</strong>s pays<br />

lointains se développent et <strong>le</strong>s récits de <strong>voyage</strong> se multiplient et deviennent plus<br />

littéraires. Par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s écrits des missionnaires religieux en Orient<br />

obtiennent un grand succès en France. En effet, ces missionnaires étaient tenus<br />

‘envoyer <strong>le</strong>ur rapport chaque année à <strong>le</strong>urs supérieurs, ces <strong>le</strong>ttres faisaient la<br />

synthèse de <strong>le</strong>urs activités <strong>sur</strong> place et de <strong>le</strong>urs observations : description du<br />

pays, des mœurs des autochtones, anecdotes, … Ces <strong>le</strong>ttres seront publiées et<br />

deviendront un véritab<strong>le</strong> récit littéraire, mieux structuré et plus vivant.<br />

Textes :<br />

• Françoise Chandernagor, L’Allée du roi (XXème sièc<strong>le</strong>)<br />

• Louis XIV , Le code noir (1665)<br />

36


L'allée du roi<br />

Le 1 er mai, je partis pour<br />

l'armée avec <strong>le</strong>s dames : <strong>le</strong> Roi,<br />

cette fois, voulait avoir tout son<br />

monde sous <strong>le</strong>s yeux ; la Reine,<br />

Mademoisel<strong>le</strong> de La Vallière,<br />

Madame de Montespan et <strong>le</strong>ur<br />

suite s'entassèrent donc dans<br />

<strong>le</strong>s carrosses et nous cahotâmes<br />

de concert <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s routes de<br />

Flandre. Madame de<br />

Montespan, qui allait dans <strong>le</strong><br />

carrosse du Roi, faisait peine à<br />

chaque halte car el<strong>le</strong> était <strong>sur</strong><br />

<strong>le</strong> point d'accoucher et<br />

souffrait beaucoup des<br />

conditions du <strong>voyage</strong>; la<br />

poussière, que faisaient autour<br />

des carrosses <strong>le</strong>s gardes du<br />

corps et <strong>le</strong>s écuyers, dévorait<br />

tout ce qui était à l'intérieur;<br />

cependant, dans <strong>le</strong> carrosse<br />

royal, dont toutes <strong>le</strong>s glaces<br />

étaient baissées car <strong>le</strong> Roi<br />

aimait l'air, il ne fallait pas<br />

seu<strong>le</strong>ment songer à tirer un rideau; vingt fois la favorite pensa étouffer de cette<br />

incommodité, mais se trouver mal devant <strong>le</strong> Roi était un démérite à n'y plus revenir.<br />

La nuit, on couchait ordinairement dans de mauvaises auberges, quelquefois <strong>sur</strong> de<br />

la pail<strong>le</strong>; et après douze heures de route, on ne trouvait parfois rien à manger qu'un<br />

potage à l'hui<strong>le</strong> ou un œuf pour deux.<br />

<strong>Les</strong> bagages et <strong>le</strong>s vivres suivaient mal en effet, car <strong>le</strong> Roi allait toujours<br />

extrêmement vite avec <strong>le</strong>s relais; cette hâte était cause d'ail<strong>le</strong>urs, que d'aucuns besoins<br />

il n'en fallait point par<strong>le</strong>r; on dînait sans même sortir des carrosses, et <strong>le</strong>s dames<br />

devaient supporter <strong>le</strong>s nécessités <strong>le</strong>s plus pressantes jusqu'à être prêtes de perdre<br />

connaissance. La grossesse de Madame de Montespan faisait qu'el<strong>le</strong> souffrait plus que<br />

toute autre de cette contrainte mais el<strong>le</strong> n'osait l'avouer qu'à moi. Quant au Roi, s'il avait<br />

des besoins, il ne se gênait pas pour mettre pied à terre. <strong>Les</strong> grands sont ainsi faits qu'ils<br />

ne songent qu'à eux-mêmes et ne pensent point seu<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s autres aient aussi <strong>le</strong>urs<br />

désirs ou <strong>le</strong>urs peines ; aussi <strong>le</strong>s maîtresses du Roi avaient-el<strong>le</strong>s plus de trois dégoûts à la<br />

semaine.Françoise Chandernagor, L'allée du Roi, 1981.<br />

Prolongements :<br />

1. <strong>Les</strong> conditions de <strong>voyage</strong> décrites ici correspondent-el<strong>le</strong>s à l’idée que vous<br />

vous faites de la vie à la cour de Louis XIV ? Précisez.<br />

2. Montrez <strong>le</strong> lien entre cette façon de <strong>voyage</strong>r et la structure socia<strong>le</strong>.<br />

37


Le code noir<br />

Edit du roi <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s esclaves des î<strong>le</strong>s de l’Amérique<br />

Mars 1685, à Versail<strong>le</strong>s<br />

Cet édit royal comporte soixante artic<strong>le</strong>s<br />

qui constituent en quelque sorte <strong>le</strong> statut juridique<br />

de l’esclave. L’esclavage devient donc légal et des<br />

droits et des devoirs sont mis en place pour <strong>le</strong>s<br />

esclaves et <strong>le</strong>urs maîtres. Par exemp<strong>le</strong> : obligation<br />

de baptiser et d’instruire <strong>le</strong>s esclaves dans la<br />

religion catholique, interdiction de faire travail<strong>le</strong>r<br />

<strong>le</strong>s dimanches et fêtes, condamnation à deux mil<strong>le</strong><br />

livres de sucre <strong>le</strong>s hommes libres qui auront eu des<br />

enfants avec des esclaves (confiscation de<br />

l’esclave et des enfants adjugés à l’hôpital),<br />

l’esclave ne peut se marier sans l’autorisation du<br />

maître ; <strong>le</strong>s enfants d’une esclave sont esclaves, il<br />

est défendu de porter des armes ou des gros bâtons…<br />

En résumé l’esclave est une propriété et pas une personne. Mais c’est un « meub<strong>le</strong><br />

» qui reçoit <strong>le</strong> baptême, va à la messe, peut être tuteur des enfants du maître et à qui on<br />

peut faire appel pour participer aux opérations militaires !…<br />

On constate que l'écrasante majorité des artic<strong>le</strong>s concerne <strong>le</strong>s devoirs des<br />

esclaves, et <strong>le</strong>s punitions qui <strong>le</strong>ur sont réservées s'ils <strong>le</strong>s enfreignent. Parmi el<strong>le</strong>s, la peine<br />

de mort pour avoir frappé son maître pour vol de cheval ou vache, pour la troisième<br />

tentative), ou enfin pour réunion<br />

Artic<strong>le</strong> 38<br />

L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son<br />

maître l'aura dénoncé en justice, aura <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s coupées et sera marqué d'une f<strong>le</strong>ur de<br />

lis une épau<strong>le</strong>; s'il récidive un autre mois pareil<strong>le</strong>ment du jour de la dénonciation, il aura <strong>le</strong><br />

jarret coupé, et il sera marqué d'une f<strong>le</strong>ur de lys <strong>sur</strong> l'autre épau<strong>le</strong>; et, la troisième fois,<br />

il sera puni de mort.<br />

38


Artic<strong>le</strong> 44<br />

Déclarons <strong>le</strong>s esclaves être meub<strong>le</strong>s et comme tels entrer dans la communauté,<br />

n'avoir point de suite par hypothèque, se partager éga<strong>le</strong>ment entre <strong>le</strong>s cohéritiers, sans<br />

préciput et droit d'aînesse, n'être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et<br />

lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au<br />

retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et testamentaire.<br />

Commentaire de Louis Sala-Molins :<br />

C'est de la tail<strong>le</strong> qu'on par<strong>le</strong> en cas de vol, c'est-à-dire de cette flagellation<br />

féroce qui entaillait profondément la peau et <strong>le</strong>s chairs. A l'origine du système colonial <strong>le</strong><br />

nombre de coups qu'on donnait n'était pas limité. On <strong>le</strong> fixa plus tard à 29. En vain,<br />

puisqu'on lit dans l'ordonnance de 1786 qu'il « sera désormais interdit de donner plus de<br />

50 coups ».[…]<br />

Revenons à la tail<strong>le</strong> ou flagellation. 29 coups ? 50 coups ? La jolie querel<strong>le</strong>. Le P.<br />

Labat a parfois des tendresses envers ses esclaves. Sauf quand il s'énerve. C'est lui-<br />

même qui raconte avoir fait donner une fois « environ trois cents coups de fouet » à un<br />

esclave, « qui l'écorchèrent depuis <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s jusqu'aux genoux. Il criait comme un<br />

désespéré et nos nègres me demandaient grâce pour lui ». Puis <strong>le</strong> bon père <strong>le</strong> « fit mettre<br />

aux fers après l'avoir fait laver avec une pimentade, c'est-à-dire avec de la saumure dans<br />

laquel<strong>le</strong> a été écrasé du piment et des petits citrons. Cela cause une dou<strong>le</strong>ur horrib<strong>le</strong> à<br />

ceux que <strong>le</strong> fouet a écorchés, mais c'est un remède as<strong>sur</strong>é contre la gangrène qui ne<br />

manquerait pas de venir aux plaies ». Cela se passait à la veillée. Le jour venu, <strong>le</strong> saint<br />

homme fit reconduire l'esclave à son maître. Le maître « me remercie de la peine que je<br />

m'étais donnée » et fit encore fouetter son esclave « de la bel<strong>le</strong> manière » [Labat,<br />

Nouveaux <strong>voyage</strong>s aux î<strong>le</strong>s de l'Amérique, (1722).<br />

39


IV. LE XVIIIEME SIECLE : LES LUMIERES ET LA<br />

DENONCIATION DE L’ESCLAVAGE<br />

Le dix-huitième sièc<strong>le</strong> est <strong>le</strong> grand sièc<strong>le</strong> du <strong>voyage</strong>, ceux qui ne <strong>voyage</strong>aient<br />

pas lisaient des récits de <strong>voyage</strong> ! <strong>Les</strong> Européens achèvent de découvrir <strong>le</strong> monde<br />

habité. <strong>Les</strong> expéditions commercia<strong>le</strong>s se multiplient. La connaissance de l'Afrique<br />

progresse. Portugais et Italiens explorent <strong>le</strong> puissant royaume du Congo. <strong>Les</strong><br />

Français consolident <strong>le</strong>urs positions <strong>sur</strong> <strong>le</strong> continent américain (Canada et<br />

Louisiane).<br />

À cette époque, <strong>le</strong>s Anglais inventent pour <strong>le</strong>s jeunes nob<strong>le</strong>s une nouvel<strong>le</strong><br />

pratique éducative, <strong>le</strong> tour, qui fait <strong>voyage</strong>r <strong>le</strong>s jeunes hommes de vingt à vingt-<br />

cinq ans pendant six mois à un an et demi. À Rome et l'Italie succèdent <strong>le</strong>s autres<br />

capita<strong>le</strong>s européennes. Ce qui doit être vu est fixé par <strong>le</strong>s guides qui se<br />

multiplient. <strong>Les</strong> conditions de <strong>voyage</strong> s'améliorent.<br />

L'invention de la station therma<strong>le</strong> contemporaine du "tour" est aussi<br />

britannique : ex. Bath en Cornouail<strong>le</strong>s et puis Spa en Belgique. En 1750<br />

apparaissent <strong>le</strong>s premières stations balnéaires, qui proposaient des thérapies par<br />

<strong>le</strong>s bains. On découvre éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s beautés de la montagne et l'on incite à<br />

passer l'été à la campagne.<br />

Pendant des sièc<strong>le</strong>s, la vil<strong>le</strong> était <strong>le</strong> seul espace de liberté, <strong>le</strong> lieu de<br />

civilisation ; à partir du XVIIIe, el<strong>le</strong> devient lieu de perdition et de corruption.<br />

Jean-Jacques Rousseau qui marche à pied et dort à la bel<strong>le</strong> étoi<strong>le</strong> est qualifié de<br />

"premier touriste'’<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, marins, marchands, soldats, administrateurs coloniaux et<br />

missionnaires sillonnent <strong>le</strong> monde et rapportent une abondante littérature de<br />

<strong>voyage</strong>. <strong>Les</strong> récits de <strong>voyage</strong> sont de plus en plus nombreux et incitent à la<br />

comparaison des différentes cultures et civilisations.<br />

41


Parmi <strong>le</strong>s grands <strong>voyage</strong>urs, <strong>le</strong> baron de La Hontan, parti tenter sa chance<br />

en Amérique, observe de près <strong>le</strong>s Indiens et pendant un temps partage la vie des<br />

Hurons. Il publie un best-sel<strong>le</strong>r, Dialogues curieux entre l'auteur et un sauvage,<br />

de bon sens (1703-1705). La Hontan met en scène un dialogue imaginaire entre un<br />

Huron nommé Adario qui est allé en France et lui-même. L'idée lui vient sans<br />

doute de Montaigne et la comparaison des systèmes est peu flatteuse pour la<br />

civilisation occidenta<strong>le</strong>. Aux choquantes inégalités, Adario oppose une nation qui<br />

« a banni pour jamais de chez el<strong>le</strong> toute différence en matière de richesses et<br />

d'honneur, toute subordination en fait d'autorité ... où chacun consacre son<br />

adresse et son industrie au bonheur commun ».<br />

Le programme égalitariste d'Adario et sa valorisation de l'état de nature<br />

seront développés dans <strong>le</strong>s deux dis<strong>cours</strong> de Rousseau (Dis<strong>cours</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s sciences<br />

et <strong>le</strong>s arts, 1750. Dis<strong>cours</strong> <strong>sur</strong> l'origine de l'inégalité,1755) et <strong>le</strong> procédé<br />

littéraire qui consiste à faire endosser par un étranger la critique de nos mœurs<br />

sera repris tout au long du sièc<strong>le</strong>. Montesquieu imagine des touristes persans à<br />

Paris (Lettres persanes, 1721), Voltaire fait débarquer un Huron en Bretagne<br />

(L'ingénu, 1767). Diderot s'inspirera du Voyage de Bougainvil<strong>le</strong> (1771) qui ramène<br />

à Paris un Tahitien pour traiter de la question de la liberté et définir une nouvel<strong>le</strong><br />

mora<strong>le</strong>.<br />

Cette littérature de <strong>voyage</strong> est encore très marquée par l'ethnocentrisme.<br />

<strong>Les</strong> observateurs, aveuglés par <strong>le</strong>urs habitudes culturel<strong>le</strong>s, ne sont pas toujours<br />

ouverts aux nouvel<strong>le</strong>s cultures qu'ils rencontrent et, de <strong>le</strong>ur côté, <strong>le</strong>s philosophes<br />

ont tendance à idéaliser <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s étrangers dans <strong>le</strong> souci de <strong>le</strong>s opposer aux<br />

vices et à la corruption qu'ils dénoncent en Europe. Ainsi se répand <strong>le</strong> mythe du<br />

"bon sauvage" alors que parallè<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s Européens exploitent <strong>le</strong>s populations<br />

colonisées et instaurent la traite des esclaves venus d'Afrique noire.<br />

42


Voici trois extraits de témoignages de l'époque qui attestent des conditions<br />

dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s se passait la traite des Noirs. 14<br />

« Ceux qui sont vendus par <strong>le</strong>s Noirs sont <strong>sur</strong>tout des prisonniers de guerre.<br />

D'autres sont vendus par <strong>le</strong>urs compatriotes. D'autres encore sont vendus par<br />

<strong>le</strong>urs parents. <strong>Les</strong> rois ont un pouvoir absolu, et sous <strong>le</strong> moindre prétexte<br />

d'offense commise par <strong>le</strong>urs sujets, ils <strong>le</strong>s condamnent à être vendus comme<br />

esclaves. De nombreux petits Noirs des deux sexes sont volés par <strong>le</strong>urs voisins,<br />

quand ils se sont éloignés <strong>sur</strong> <strong>le</strong> chemin ou dans <strong>le</strong>s bois…En temps de détresse et<br />

de famine, nombreux sont ceux qui se vendent eux-mêmes pour rester en vie, pour<br />

ne pas mourir de faim… J'ajouterai encore que certains esclaves sont achetés à<br />

des Noirs en de lointains pays et qu'ils arrivent jusqu'ici par la voie du trafic pour<br />

être échangés contre des objets de va<strong>le</strong>ur insignifiante » (Johns Bardot, 1732.)<br />

« Dès qu'ils sont à bord, <strong>le</strong>s hommes sont aussitôt liés deux par deux, par<br />

des menottes aux poignets et par des chaînes rivées aux jambes. Ils sont pressés<br />

de si près contre <strong>le</strong>urs voisins, qu'ils ne peuvent s'allonger que <strong>sur</strong> <strong>le</strong> flanc. La<br />

14 GALLOY,D&HAYT,F,Du XVIIe sièc<strong>le</strong> à 1750,Col<strong>le</strong>ction Du document à l'histoire,De Boeck,Bruxel<strong>le</strong>s,1993,p 47.<br />

43


hauteur du pont ne <strong>le</strong>ur permet jamais de se tenir debout. Ils sont tel<strong>le</strong>ment<br />

pressés qu'il est impossib<strong>le</strong> de marcher entre eux, il faut marcher <strong>sur</strong> eux. »<br />

(Témoignage d'un médecin de bord, XVIIIe sièc<strong>le</strong>)<br />

« Tous <strong>le</strong>s navires qui prirent des esclaves à Calabar (golfe de Guinée), en<br />

même temps que "l'Albion" en perdirent <strong>le</strong>s uns la moitié, <strong>le</strong>s autres <strong>le</strong>s deux tiers,<br />

avant d'atteindre la Barbade…Le <strong>voyage</strong> de "l'Albion" <strong>sur</strong> <strong>le</strong>quel on avait fondé<br />

tant d'espoirs tourna à l'échec. Plus de 60 % du capital que représentaient <strong>le</strong>s<br />

esclaves fut perdu, à cause du manque d'eau, d'une nourriture qui ne <strong>le</strong>ur<br />

convenait pas ; et aussi à cause de l'imprévoyance des responsab<strong>le</strong>s du navire. »<br />

(Extrait du récit d'un capitaine qui commanda des vaisseaux négriers anglais et<br />

hollandais, 1701)<br />

Textes :<br />

• Bernardin de SAINT-PIERRE, Voyage à l'î<strong>le</strong> de France (1768-<br />

1770)<br />

• Denis DIDEROT, Supplément au Voyage de Bougainvil<strong>le</strong> (1773)<br />

• Abbé de RAYNAL, Histoire des deux Indes (1770)<br />

• MONTESQUIEU, L’esprit des lois (1758)<br />

• VOLTAIRE, Candide (1759)<br />

• Jean-Jacques ROUSSEAU, Dis<strong>cours</strong> <strong>sur</strong> l'origine de l'inégalité<br />

(1755)<br />

44


Voyage à l'î<strong>le</strong> de France<br />

Au <strong>cours</strong> d'un <strong>voyage</strong> à l'î<strong>le</strong> de France<br />

(aujourd'hui l'î<strong>le</strong> Maurice), Bernardin de Saint-<br />

Pierre découvre la manière dont sont traités <strong>le</strong>s<br />

esclaves noirs. Il en appel<strong>le</strong> à la conscience de ses<br />

<strong>le</strong>cteurs, en dénonçant l'aveug<strong>le</strong>ment de ses<br />

contemporains.<br />

Fèves de cacao<br />

Je ne sais pas si <strong>le</strong> café et <strong>le</strong> sucre sont nécessaires au bonheur de l'Europe, mais<br />

je sais bien que ces deux végétaux ont fait <strong>le</strong> malheur de deux parties du monde. On a<br />

dépeuplé l'Afrique afin d'avoir une nation pour <strong>le</strong>s cultiver (…)<br />

On dit que <strong>le</strong> Code noir 15 est fait en <strong>le</strong>ur faveur. Soit : mais la dureté des maîtres<br />

excède <strong>le</strong>s punitions permises, et <strong>le</strong>ur avarice soustrait la nourriture, <strong>le</strong> repos et <strong>le</strong>s<br />

récompenses qui sont dus. Si ces malheureux voulaient se plaindre, à qui se plaindraientils<br />

? Leurs juges sont souvent <strong>le</strong>urs premiers tyrans.<br />

Mais on ne peut contenir, dit-on, que par une grande sévérité ce peup<strong>le</strong> d'esclaves<br />

: il faut des supplices, des colliers de fer à trois crochets, des fouets, des blocs où on <strong>le</strong>s<br />

attache par <strong>le</strong> pied, des chaînes qui <strong>le</strong>s prennent par <strong>le</strong> cou ; il faut <strong>le</strong>s traiter comme des<br />

bêtes, afin que <strong>le</strong>s Blancs puissent vivre comme des hommes…Ah ! Je sais bien que quand<br />

on a une fois posé un principe très injuste, on n'en tire que des conséquences très<br />

inhumaines (…)<br />

Des théologiens as<strong>sur</strong>ent que pour un esclavage temporel, il <strong>le</strong>ur procure une<br />

liberté spirituel<strong>le</strong>. Mais la plupart sont achetés dans un âge où ils ne peuvent jamais<br />

apprendre <strong>le</strong> français, et <strong>le</strong>s missionnaires n'apprennent point <strong>le</strong>ur langue. D'ail<strong>le</strong>urs ceux<br />

qui sont baptisés sont traités comme <strong>le</strong>s autres.<br />

Ils ajoutent qu'ils ont mérité <strong>le</strong>s châtiments du ciel en se vendant <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong>s<br />

autres. Est-ce donc à nous à être <strong>le</strong>urs bourreaux ? Laissons <strong>le</strong>s vautours détruire <strong>le</strong>s<br />

milans.<br />

Des politiques ont excusé l'esclavage en disant que la guerre <strong>le</strong> justifiait. Mais <strong>le</strong>s<br />

Noirs ne nous la font point. Je conviens que <strong>le</strong>s lois humaines <strong>le</strong> permettent : au moins<br />

devrait-on se renfermer dans <strong>le</strong>s bornes qu'el<strong>le</strong>s prescrivent.<br />

Je suis fâché que des philosophes qui combattent <strong>le</strong>s abus avec tant de courage<br />

n'aient guère parlé de l'esclavage des Noirs que pour en plaisanter. Ils s e détournent au<br />

loin. Ils par<strong>le</strong>nt de la Saint-Barthé<strong>le</strong>my, du massacre des Mexicains par <strong>le</strong>s Espagnols 16 ,<br />

comme si ce crime n'était pas celui de nos jours, et auquel la moitié de l'Europe prend<br />

part. Y a-t-il donc plus de mal à tuer tout d'un coup des gens qui n'ont pas nos opinions<br />

qu'à faire <strong>le</strong> tourment d'une nation à qui nous devons nos délices? Ces bel<strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs de<br />

rose et de feu dont s'habil<strong>le</strong>nt nos dames, <strong>le</strong> coton dont el<strong>le</strong>s ouatent <strong>le</strong>urs jupes, <strong>le</strong><br />

sucre, <strong>le</strong> café, <strong>le</strong> chocolat de <strong>le</strong>ur déjeuner, <strong>le</strong> rouge dont el<strong>le</strong>s révè<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>ur blancheur, la<br />

main des malheureux noirs a préparé tout cela pour el<strong>le</strong>s. Femmes sensib<strong>le</strong>s, vous p<strong>le</strong>urez<br />

15 Le Code noir fut instauré en France en 1685 par Louis XIV,sous couvert de donner une instruction chrétienne aux<br />

esclave, il légalise en fait <strong>le</strong> pouvoir des colons.<strong>Les</strong> me<strong>sur</strong>es <strong>le</strong>s plus favorab<strong>le</strong>s aux esclaves ne sont que rarement<br />

appliquées.<br />

16 Allusion à l'élimination des Indiens du Mexique après la conquête de Hernan Cortès en 1521.<br />

45


aux tragédies, et ce qui sert à vos plaisirs est mouillé des p<strong>le</strong>urs et teint du sang des<br />

hommes !<br />

Bernardin de Saint-Pierre,Voyage en î<strong>le</strong> de France,<br />

Un officier du roi à l'î<strong>le</strong> Maurice, 1768-1770.<br />

Prolongements :<br />

1. De quel type de texte s'agit-il ?<br />

2. Faites <strong>le</strong> plan du texte de Bernardin de Saint-Pierre en notant chaque argument<br />

et chaque contre-argument.<br />

3. Quel<strong>le</strong> est la thèse de ce texte ?<br />

4. Quels sont <strong>le</strong>s différents destinataires du texte ? Quels reproches l'auteur <strong>le</strong>ur<br />

adresse-t-il?<br />

5. Quel sentiment envers <strong>le</strong>s esclaves l'auteur cherche-t-il à inspirer ?<br />

6. Imaginez la réponse d'un philosophe ou d'une dame de la cour de Louis XV à<br />

Bernardin de Saint-Pierre.<br />

46


Supplément au <strong>voyage</strong> de Bougainvil<strong>le</strong><br />

Bougainvil<strong>le</strong> (1729-1811) effectua<br />

plusieurs <strong>voyage</strong>s lointains, dont un à Tahiti. Il<br />

publia à son retour un récit de ses aventures qui<br />

connut un grand succès.<br />

Diderot va imaginer dans son<br />

"Supplément au <strong>voyage</strong> de Bougainvil<strong>le</strong>" que <strong>le</strong><br />

fameux navigateur n'a pas publié l'intégralité de<br />

son récit pour des raisons de mora<strong>le</strong> et de<br />

convenance. Il invente ainsi un certain nombre<br />

de scènes dont cel<strong>le</strong> du dis<strong>cours</strong> d'adieu du<br />

vieux chef tahitien au départ de Bougainvil<strong>le</strong>.<br />

Bougainvil<strong>le</strong> recevant des fruits<br />

Nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre<br />

bonheur. Nous suivons <strong>le</strong> pur instinct de la nature ; et tu as tenté d'effacer de nos âmes<br />

son caractère. Ici, tout est à tous ; et tu nous as prêché je ne sais quel<strong>le</strong> distinction du<br />

tien et du mien.(…).<br />

Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre <strong>le</strong> titre de notre<br />

futur esclavage. Tu n'es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ?<br />

Orou ! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me<br />

l'as dit à moi, ce qu'ils ont écrit <strong>sur</strong> cette lame de métal : ce pays est à nous. Ce pays est<br />

à toi ! et pourquoi ? parce que tu y as mis <strong>le</strong> pied ?(…).<br />

Tu n'es pas esclave : tu souffrirais plutôt la mort que de l'être, et tu veux nous<br />

asservir ! Tu crois donc que <strong>le</strong>Tahitien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui<br />

dont tu veux t'emparer comme de la brute, <strong>le</strong> Tahitien, est ton frère. Vous êtes deux<br />

enfants de la nature ; quel droit as-tu <strong>sur</strong> lui qu'il n'ait <strong>sur</strong> toi ?<br />

Tu es venu, nous sommes-nous jetés <strong>sur</strong> ta personne ? avons-nous pillé ton<br />

vaisseau? t'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t'avons-nous associé<br />

dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi.<br />

Laisse-nous nos mœurs ; el<strong>le</strong>s sont plus sages et plus honnêtes que <strong>le</strong>s tiennes ; nous ne<br />

voulons point troquer ce que tu appel<strong>le</strong>s notre ignorance, contre tes inuti<strong>le</strong>s lumières.<br />

Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous <strong>le</strong> possédons. Sommes-nous dignes de mépris,<br />

parce que nous n'avons pas su faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim, nous<br />

avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir. Tu es entré<br />

dans nos cabanes, qu'y mange-t-il, à ton avis ?<br />

Poursuis jusqu'où tu voudras ce que tu appel<strong>le</strong>s commodités de la vie ; mais<br />

permets à des êtres sensés de s'arrêter, lorsqu'ils n'auraient à obtenir, de la continuité<br />

de <strong>le</strong>urs pénib<strong>le</strong>s efforts, que des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir<br />

l'étroite limite du besoin, quand finirons-nous de travail<strong>le</strong>r ? Quand jouirons-nous ? Nous<br />

avons rendu la somme de nos fatigues annuel<strong>le</strong>s et journalières la moindre qu'il était<br />

possib<strong>le</strong>, parce que rien ne nous paraît préférab<strong>le</strong> au repos. Va dans ta contrée t'agiter,<br />

47


te tourmenter tant que tu voudras ; laisse-nous nous reposer : ne nous entête ni de tes<br />

besoins factices, ni de tes vertus chimériques.<br />

Denis Diderot, supplément au <strong>voyage</strong> de Bougainvil<strong>le</strong>, 1773.<br />

Prolongements :<br />

1. De quel type de texte s'agit-il ?justifiez votre réponse.<br />

2. Quel<strong>le</strong> est la thèse du chef tahitien ?<br />

3. Re<strong>le</strong>vez <strong>le</strong>s arguments qu'il utilise.<br />

4. Quels sont <strong>le</strong>s traits principaux qui caractérisent l'éloquence du chef tahitien ?<br />

Quel type de phrase prédomine dans son dis<strong>cours</strong> ? Comparez ce texte aux<br />

dis<strong>cours</strong> des hommes politiques d'aujourd'hui, quels en sont <strong>le</strong>s points communs?<br />

5. Re<strong>le</strong>vez <strong>le</strong> passage dans <strong>le</strong>quel Diderot défend la thèse du mythe du bon sauvage<br />

à travers <strong>le</strong> dis<strong>cours</strong> du chef tahitien.<br />

6. Comparez ce texte à l'extrait des Essais de Montaigne (Des Canniba<strong>le</strong>s) et<br />

mettez en évidence <strong>le</strong>s idées communes.<br />

Tahitien tatoué, Atlas de Krusenstern, 1804<br />

48


Histoire des deux Indes<br />

Cette œuvre, consacrée à l'expansion<br />

colonia<strong>le</strong> de l'Europe au XVIIIe sièc<strong>le</strong>, est<br />

parue en 1770 sans nom d'auteur. Attribuée<br />

plus tard à l'Abbé de Raynal, el<strong>le</strong> est en fait<br />

une œuvre col<strong>le</strong>ctive à laquel<strong>le</strong> Diderot<br />

collabora. <strong>Les</strong> pages consacrées à la<br />

dénonciation de l'esclavage lui sont attribuées.<br />

Composé de dix volumes, il s'agit d'un ouvrage<br />

considérab<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> genre.<br />

Mais <strong>le</strong>s nègres sont une espèce<br />

d'hommes nés pour l'esclavage. Ils sont bornés, fourbes, méchants ; ils conviennent euxmêmes<br />

de la supériorité de notre intelligence, et reconnaissent presque la justice de<br />

notre empire !<br />

<strong>Les</strong> nègres sont bornés, parce que l'esclavage brise tous <strong>le</strong>s ressorts de l'âme. Ils<br />

sont méchants, pas assez avec vous. Ils sont fourbes, parce qu'on ne doit pas la vérité à<br />

des tyrans. Ils reconnaissent la supériorité de notre esprit, parce que nous avons<br />

perpétué <strong>le</strong>ur ignorance ; la justice de notre empire, parce que nous avons abusé de <strong>le</strong>urs<br />

faib<strong>le</strong>sses. Dans l'impossibilité de maintenir notre supériorité par la force, une criminel<strong>le</strong><br />

politique s'est rejetée <strong>sur</strong> la ruse. Vous êtes presque parvenus à <strong>le</strong>ur persuader qu'ils<br />

étaient une espèce singulière, née pour l'abjection et la dépendance, pour <strong>le</strong> travail et <strong>le</strong><br />

châtiment. Vous n'avez rien négligé pour dégrader ces malheureux, et vous <strong>le</strong>ur reprochez<br />

ensuite d'être vils.<br />

Mais ces nègres étaient nés esclaves.<br />

A qui, barbares, ferez-vous croire qu'un homme peut être la propriété d'un<br />

souverain ; un fils, la propriété d'un père ; une femme, la propriété d'un mari ; un<br />

domestique, la propriété d'un maître ; un nègre, la propriété d'un colon ? Être superbe et<br />

dédaigneux qui méconnais tes frères, ne verras-tu jamais que ce mépris rejaillit <strong>sur</strong> toi ?<br />

Mais l'esclave a voulu se vendre. S'il appartient à lui-même, il a <strong>le</strong> droit de<br />

disposer de lui. S'il est maître de sa vie, pourquoi ne <strong>le</strong> serait-il pas de sa liberté ? c'est à<br />

lui à se bien apprécier ? C'est à lui à stipu<strong>le</strong>r ce qu'il croit valoir. Celui dont il aura reçu <strong>le</strong><br />

prix convenu l'aura légitimement acquis.<br />

L'homme n'a pas <strong>le</strong> droit de se vendre (… ).L'homme peut vendre sa vie, comme <strong>le</strong><br />

soldat ; mais il n'en peut consentir l'abus, comme l'esclave : et c'est la différence de ces<br />

deux états.<br />

Abbé de Raynal, Histoire des deux Indes,1770.<br />

Prolongements :<br />

1. Vocabulaire : fourbe, singulier, abjection, vil.<br />

2. Quel<strong>le</strong> est la thèse du premier interlocuteur ? Quels arguments utilise-t-il pour<br />

étayer son opinion ?<br />

3. Comment <strong>le</strong> second interlocuteur réfute-t-il <strong>le</strong> point de vue adverse ? Comment<br />

justifie-t-il <strong>le</strong> droit de chacun à sa liberté ?<br />

49


L’esprit des lois<br />

Au XVIIIè sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> philosophe Montesquieu (Char<strong>le</strong>s Louis de<br />

Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu), un des pères des<br />

Droits de l'Homme et de la séparation des pouvoirs, combattait <strong>le</strong><br />

racisme de son temps avec <strong>le</strong>s armes de l'ironie. En filigrane se lit <strong>le</strong><br />

thème de l'altérité.<br />

L'autre, <strong>le</strong> nègre<br />

Si j'avais à soutenir <strong>le</strong> droit que nous avons eu de rendre <strong>le</strong>s nègres esclaves,<br />

voici ce que je dirais :<br />

<strong>Les</strong> peup<strong>le</strong>s d'Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en<br />

esclavage ceux de l’Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.<br />

Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travail<strong>le</strong>r la plante qui <strong>le</strong> produit<br />

par des esclaves.<br />

Ceux dont il s'agit sont noirs depuis <strong>le</strong>s pieds jusqu'à la tête; et ils ont <strong>le</strong> nez<br />

si écrasé, qu'il est presque impossib<strong>le</strong> de <strong>le</strong>s plaindre. On ne peut se mettre dans<br />

l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, <strong>sur</strong>tout une âme<br />

bonne, dans un corps tout noir...<br />

On peut juger de la cou<strong>le</strong>ur de la peau par cel<strong>le</strong> des cheveux, qui, chez <strong>le</strong>s<br />

Egyptiens, <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>urs philosophes du monde, était d'une si grande conséquence,<br />

qu'ils faisaient mourir tous <strong>le</strong>s hommes roux qui <strong>le</strong>ur tombaient entre <strong>le</strong>s mains.<br />

Une preuve que <strong>le</strong>s nègres n'ont pas <strong>le</strong> sens commun, c'est qu'ils font plus de<br />

cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées, est d'une si<br />

grande conséquence.<br />

Il est impossib<strong>le</strong> que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce<br />

que, si nous <strong>le</strong>s supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne<br />

sommes pas nous-mêmes chrétiens.<br />

De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains: car, si<br />

el<strong>le</strong> était tel<strong>le</strong> qu'ils <strong>le</strong> disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes<br />

d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inuti<strong>le</strong>s, d'en faire une généra<strong>le</strong><br />

en faveur de la miséricorde et de la pitié ?<br />

Prolongements :<br />

1. Faites <strong>le</strong> plan de l’argumentation de Montesquieu.<br />

2. Quel<strong>le</strong> est la thèse de l’auteur.<br />

MONTESQUIEU, L’esprit des lois 1758.<br />

50


Candide ou l’optimisme<br />

CHAPITRE DIX-HUITIÈME CE QU'ILS VIRENT DANS LE PAYS D'ELDORADO<br />

Cacambo témoigna<br />

à son hôte toute sa<br />

curiosité ; l'hôte lui dit :<br />

« Je suis fort ignorant,<br />

et je m'en trouve bien ;<br />

mais nous avons ici un<br />

vieillard retiré de la cour,<br />

qui est <strong>le</strong> plus savant hom<br />

me du royaume, et <strong>le</strong> plus<br />

communicatif ». Aussitôt<br />

il mène Cacambo chez <strong>le</strong><br />

vieillard. Candide ne<br />

jouait plus que <strong>le</strong> second<br />

personnage, et<br />

accompagnait son va<strong>le</strong>t.<br />

Ils entrèrent dans une<br />

maison fort simp<strong>le</strong>, car la<br />

porte n'était que<br />

d'argent, et <strong>le</strong>s lambris<br />

des appartements<br />

n'étaient que d'or, mais<br />

travaillés avec tant de<br />

goût que <strong>le</strong>s plus riches<br />

lambris ne l'effaçaient<br />

pas. L'antichambre<br />

n'était à la vérité<br />

incrustée que de rubis et<br />

d'émeraudes ; mais<br />

l'ordre dans <strong>le</strong>quel tout<br />

était arrangé réparait<br />

bien cette extrême<br />

simplicité.<br />

Le vieillard reçut <strong>le</strong>s deux étrangers <strong>sur</strong> un sofa matelassé de plumes de colibri, et<br />

<strong>le</strong>ur fit présenter des liqueurs dans des vases de diamant ; après quoi il satisfit à <strong>le</strong>ur<br />

curiosité en ces termes :<br />

« Je suis âgé de cent soixante et douze ans, et j'ai appris de feu mon père, écuyer<br />

du roi, <strong>le</strong>s étonnantes révolutions du Pérou dont il avait été témoin. Le royaume où nous<br />

sommes est l'ancienne patrie des Incas, qui en sortirent très imprudemment pour al<strong>le</strong>r<br />

subjuguer une partie du monde, et qui furent enfin détruits par <strong>le</strong>s Espagnols.<br />

« <strong>Les</strong> princes de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> qui restèrent dans <strong>le</strong>ur pays natal furent plus sages ;<br />

ils ordonnèrent, du consentement de la nation, qu'aucun habitant ne sortirait jamais de<br />

notre petit royaume ; et c'est ce qui nous a conservé notre innocence et notre félicité.<br />

51


<strong>Les</strong> Espagnols ont eu une connaissance confuse de ce pays, ils l'ont appelé El Dorado, et<br />

un Anglais, nommé <strong>le</strong> chevalier Ra<strong>le</strong>igh, en a même approché il y a environ cent années ;<br />

mais, comme nous sommes entourés de rochers inabordab<strong>le</strong>s et de précipices, nous avons<br />

toujours été jusqu'à présent à l'abri de la rapacité des nations de l'Europe, qui ont une<br />

fureur inconcevab<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s cailloux et pour la fange de notre terre, et qui, pour en avoir,<br />

nous tueraient tous jusqu'au dernier. »<br />

La conversation fut longue ; el<strong>le</strong> roula <strong>sur</strong> la forme du gouvernement, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s<br />

mœurs, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s femmes, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s spectac<strong>le</strong>s publics, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s arts. Enfin Candide, qui avait<br />

toujours du goût pour la métaphysique, fit demander par Cacambo si dans <strong>le</strong> pays il y avait<br />

une religion.<br />

Le vieillard rougit un peu. « Comment donc, dit-il, en pouvez-vous douter ? Est-ce<br />

que vous nous prenez pour des ingrats ? » Cacambo demanda humb<strong>le</strong>ment quel<strong>le</strong> était la<br />

religion d'Eldorado. Le vieillard rougit encore. « Est-ce qu'il peut y avoir deux religions ?<br />

dit-il ; nous avons, je crois, la religion de tout <strong>le</strong> monde : nous adorons Dieu du soir<br />

jusqu'au matin.<br />

-- N'adorez-vous qu'un seul Dieu ? dit Cacambo, qui servait toujours d'interprète<br />

aux doutes de Candide.<br />

-- Apparemment, dit <strong>le</strong> vieillard, qu'il n'y en a ni deux, ni trois, ni quatre. Je vous<br />

avoue que <strong>le</strong>s gens de votre monde font des questions bien singulières. »<br />

Candide ne se lassait pas de faire interroger ce bon vieillard ; il voulut savoir<br />

comment on priait Dieu dans l'Eldorado. « Nous ne <strong>le</strong> prions point, dit <strong>le</strong> bon et<br />

respectab<strong>le</strong> sage ; nous n'avons rien à lui demander ; il nous a donné tout ce qu'il nous<br />

faut ; nous <strong>le</strong> remercions sans cesse. » Candide eut la curiosité de voir des prêtres ; il fit<br />

demander où ils étaient. Le bon vieillard sourit. « Mes amis, dit-il, nous sommes tous<br />

prêtres ; <strong>le</strong> roi et tous <strong>le</strong>s chefs de famil<strong>le</strong> chantent des cantiques d'actions de grâces<br />

so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment tous <strong>le</strong>s matins ; et cinq ou six mil<strong>le</strong> musiciens <strong>le</strong>s accompagnent.<br />

« Quoi ! vous n'avez point de moines qui enseignent, qui disputent, qui gouvernent,<br />

qui caba<strong>le</strong>nt, et qui font brû<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s gens qui ne sont pas de <strong>le</strong>ur avis ? »<br />

« Il faudrait que nous fussions fous, dit <strong>le</strong> vieillard ; nous sommes tous ici du même<br />

avis, et nous n'entendons pas ce que vous vou<strong>le</strong>z dire avec vos moines. »<br />

Candide à tous ces dis<strong>cours</strong> demeurait en extase, et disait en lui-même : « Ceci est<br />

bien différent de la Westphalie et du château de monsieur <strong>le</strong> baron : si notre ami<br />

Pangloss avait vu Eldorado, il n'aurait plus dit que <strong>le</strong> château de Thunder-ten-tronckh<br />

était ce qu'il y avait de mieux <strong>sur</strong> la terre ; il est certain qu'il faut <strong>voyage</strong>r. »<br />

VOLTAIRE, Candide, 1759.<br />

Prolongements :<br />

1. Dans <strong>le</strong> premier paragraphe, l’auteur décrit la « pauvreté » du logement du<br />

vieillard : par quel procédé ? quel en est l’effet ?<br />

2. Compare la religion décrite par <strong>le</strong> vieillard à cel<strong>le</strong> à laquel<strong>le</strong> Candide fait<br />

référence ?<br />

3. Quel est <strong>le</strong> procédé utilisé ici par Voltaire pour évoquer la religion en<br />

Europe ? Montre.<br />

4. Explique la mora<strong>le</strong> que tire Candide de cette expérience.<br />

52


Dis<strong>cours</strong> <strong>sur</strong> l'origine de l'inégalité<br />

Tant que <strong>le</strong>s hommes se contentèrent<br />

de <strong>le</strong>urs cabanes rustiques. Tant qu'ils se<br />

bornèrent à coudre <strong>le</strong>urs habits de peaux avec<br />

des épines ou des arêtes, à se parer de plumes<br />

et de coquillages, à se peindre <strong>le</strong> corps de<br />

diverses cou<strong>le</strong>urs, à perfectionner ou embellir<br />

<strong>le</strong>urs arcs et <strong>le</strong>urs flèches, à tail<strong>le</strong>r avec des<br />

pierres tranchantes quelques canots de<br />

pécheurs ou quelques grossiers instruments de<br />

musique, en un mot, tant qu'ils ne<br />

s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul<br />

pouvait faire et qu'à des arts qui n'avaient pas<br />

besoin du con<strong>cours</strong> de plusieurs mains, ils<br />

vécurent libres, sains, bons et heureux autant<br />

qu'ils pouvaient l'être par <strong>le</strong>ur nature et<br />

continuèrent à jouir entre eux des douceurs<br />

d'un commerce indépendant, mais dès l'instant<br />

qu'un homme eut besoin du se<strong>cours</strong> d'un autre,<br />

dès qu'on s'aper çut qu'il était uti<strong>le</strong> à un seul<br />

d'avoir des provisions pour deux, l'égalité<br />

disparut, la propriété s'introduisit, <strong>le</strong> travail devint nécessaire et <strong>le</strong>s vastes forêts se<br />

changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes et dans<br />

<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec <strong>le</strong>s moissons.<br />

[…] Dès qu'il fallut des hommes pour fondre et forger <strong>le</strong> fer, il fallut d'autres<br />

hommes pour nourrir ceux-là. […] De la culture des terres s'ensuivit nécessairement <strong>le</strong>ur<br />

partage et de la propriété une fois reconnue <strong>le</strong>s premières règ<strong>le</strong>s de justice : car, pour<br />

rendre à chacun <strong>le</strong> sien, il faut que chacun puisse avoir quelque chose. De plus, <strong>le</strong>s hommes<br />

commençant à porter <strong>le</strong>urs vues dans l'avenir, et se voyant tous quelques biens à perdre,<br />

il n'y en avait aucun qui n'eût à craindre pour soi la représail<strong>le</strong> des torts qu'il pouvait<br />

faire à autrui. Cette origine est d'autant plus naturel<strong>le</strong> qu'il est impossib<strong>le</strong> de concevoir<br />

l'idée de la propriété naissant d'ail<strong>le</strong>urs que de la main-d’œuvre car on ne voit pas ce que,<br />

pour s'approprier <strong>le</strong>s choses qu'il n'a point faites, l'homme y peut mettre de plus que son<br />

travail. C'est <strong>le</strong> seul travail qui, donnant droit au cultivateur <strong>sur</strong> <strong>le</strong> produit de la terre<br />

qu'il a labourée, lui en donne par conséquent <strong>sur</strong> <strong>le</strong> fonds, au moins jusqu'à la récolte, et<br />

ainsi d'année en année ; ce qui faisant une possession continue se transforme aisément en<br />

propriété.<br />

Jean-Jacques ROUSSEAU, Dis<strong>cours</strong> <strong>sur</strong> lorigine de l’'inégalité, 1755.<br />

Prolongements :<br />

1. Quel<strong>le</strong> est la thèse de Rousseau ?<br />

2. Quels arguments utilise-t-il pour défendre cette thèse ?<br />

3. Comparez ce texte avec celui de Diderot et de l'Abbé Raynal. Quels en sont<br />

<strong>le</strong>s points communs ?<br />

4. Que pensez-vous de la vision du bonheur de Rousseau ? Adhérez-vous à une<br />

tel<strong>le</strong> conception du bonheur ? Justifiez.<br />

5. Quel<strong>le</strong> thèse pourrait-on opposer à cel<strong>le</strong> de Rousseau ?<br />

53


V. LE XIXE SIECLE : EXOTISME ET DESENCHANTEMENT<br />

Au XIXe sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s <strong>voyage</strong>s commerciaux, militaires et scientifiques se<br />

multiplient, l'exploration de l'Afrique en particulier donne lieu à des études<br />

scientifiques parmi <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s récits de <strong>voyage</strong> de Livingstone.<br />

Le XIXe sièc<strong>le</strong> est aussi <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> de l'expansion colonia<strong>le</strong>. Dès 1830, <strong>le</strong>s<br />

Français colonisent l'Afrique du Nord, d'Algérie, <strong>le</strong>s Français descendent vers <strong>le</strong><br />

Sud, tandis que du Sénégal, ils atteignent successivement <strong>le</strong> Niger, <strong>le</strong> lac Tchad et<br />

<strong>le</strong> Soudan. Ils occupent éga<strong>le</strong>ment la Tunisie, convoitée par l'Italie et <strong>le</strong> Maroc,<br />

convoité par l'Al<strong>le</strong>magne. Plus tard, la France colonisera l'Indochine, Madagascar<br />

et quelques î<strong>le</strong>s en Océanie et dans <strong>le</strong> Golfe de Mexique.<br />

Vers 1870, l'expansion européenne qui s'était donnée depuis <strong>le</strong> début du<br />

sièc<strong>le</strong> toutes sortes de prétextes, s'affirme comme un impérialisme délibéré<br />

fondé <strong>sur</strong> la supériorité des nations blanches. "L'homme blanc doit civiliser <strong>le</strong>s<br />

races inférieures" déclare <strong>le</strong> président français Ju<strong>le</strong>s Ferry, pourtant républicain,<br />

organisateur de l'enseignement laïc et illustre défenseur des libertés ! Ce devoir<br />

lui confère un droit de domination, celui d'occuper des bases, des points d'appui<br />

et des territoires, ce que M. Ferry fera en Tunisie, en Afrique centra<strong>le</strong>, à<br />

Madagascar et au Tonkin.<br />

L'impérialisme occidental s'instal<strong>le</strong> au XIXe sièc<strong>le</strong> pour des raisons<br />

démographiques et économiques. En effet, la population européenne a presque<br />

doublé au <strong>cours</strong> du XIXe sièc<strong>le</strong>, ainsi des milliers de famil<strong>le</strong>s quittent chaque<br />

année l'Europe afin de s'as<strong>sur</strong>er de meil<strong>le</strong>ures conditions d'existence. Cette<br />

émigration est favorisée par <strong>le</strong> développement des moyens de transport et<br />

particulièrement de la navigation à vapeur. La recherche de débouchés<br />

commerciaux et de matières premières à bon marché joue aussi un rô<strong>le</strong> essentiel<br />

car la révolution industriel<strong>le</strong> a permis la mécanisation et la concurrence oblige à<br />

diminuer <strong>le</strong>s prix de revient.<br />

54


Dès 1848, l'abolition de l'esclavage sera décrétée en France pour des<br />

raisons de "dignité humaine" et de "violation du dogme républicain : Liberté,<br />

Égalité, Fraternité.". Voici un extrait du décret promulgué dans <strong>le</strong>s colonies<br />

françaises en 1948. "L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes <strong>le</strong>s colonies<br />

et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans<br />

chacune d'el<strong>le</strong>s. Tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres,<br />

seront absolument interdits." Décret du 17 avril 1948 relatif à l'abolition de<br />

l'esclavage dans <strong>le</strong>s colonies françaises. 1<br />

Par ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong> tourisme se développe en particulier chez <strong>le</strong>s rentiers et <strong>le</strong>s<br />

propriétaires. <strong>Les</strong> rentiers sont « la bonne société », ils connaissent <strong>le</strong> savoir-<br />

vivre et <strong>le</strong> savoir <strong>voyage</strong>r. <strong>Les</strong> livres de la comtesse de Ségur montrent <strong>le</strong>s<br />

vacances des enfants modè<strong>le</strong>s. <strong>Les</strong> premières bandes dessinées <strong>sur</strong> <strong>le</strong> <strong>voyage</strong><br />

paraissent : <strong>le</strong>s tribulations de la famil<strong>le</strong> Fenouillard annoncent Tintin et ses<br />

aventures.<br />

<strong>Les</strong> guides imposent des stéréotypes, ils ne poussent pas à la découverte,<br />

mais à la reconnaissance. On doit trouver ce que l'on cherche, éprouver ce qu'il<br />

est convenab<strong>le</strong> de sentir. <strong>Les</strong> paysages sont "pittoresques" ou "romantiques".<br />

Tous ces touristes rentiers donnent l'impression de ne pas pouvoir rester<br />

en place. Partout ils cherchent <strong>le</strong> raffinement des palaces, <strong>le</strong> grand luxe des<br />

chemins de fer (Orient Express) et <strong>le</strong> palace flottant (Titanic) qui <strong>le</strong>ur permet<br />

<strong>sur</strong>tout d'éviter la promiscuité.<br />

Enfin, <strong>le</strong> récit de <strong>voyage</strong> devient un genre littéraire consacré. L'exotisme<br />

est très à la mode chez <strong>le</strong>s écrivains romantiques et l'Orient en particulier suscite<br />

<strong>le</strong> goût d'un ail<strong>le</strong>urs un peu mystérieux. Chateaubriand illustre cette tendance<br />

dans son Itinéraire de Paris à Jérusa<strong>le</strong>m en 1811 ainsi que Nerval dans son Voyage<br />

1 GALLOY,D.,HAYT F,"De 1848 à 1918" Col<strong>le</strong>ction Du document à l'histoire, de Boeck,Bruxel<strong>le</strong>s,1994.<br />

55


en Orient en 1851. En littérature, l'exotisme est une déréalisation du monde<br />

c'est-à-dire qu'il produit des textes qui refusent <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s de la description<br />

réaliste. La description réaliste tente de donner une représentation objective de<br />

la réalité ; el<strong>le</strong> peut viser à rendre un lieu réel identifiab<strong>le</strong> et faire en sorte que<br />

l'individu qui aura lu une tel<strong>le</strong> description de la vil<strong>le</strong> par exemp<strong>le</strong> soit capab<strong>le</strong> de se<br />

repérer et de se déplacer dans cette vil<strong>le</strong>. À l'inverse la déréalisation est obtenue<br />

au terme d'une description subjective, onirique, qui trouve sa cohérence au regard<br />

non pas des caractéristiques objectives du référent, mais dans la reconstruction<br />

de ce référent en fonction d'un système de connotations et de stéréotypes.<br />

La déréalisation est souvent lourde de manipulations idéologiques : l'Autre<br />

et son monde sont offerts à la dégustation gourmande du <strong>voyage</strong>ur ; ils ne sont<br />

que l'occasion du plaisir de celui-ci, semb<strong>le</strong>nt n'exister que sous son regard. Ils<br />

n'appartiennent pas à l'Histoire en train de se faire, ne sont pas assujettis à des<br />

mécanismes sociaux ou économiques. Ils ne sont qu'un théâtre.<br />

Cet exotisme typiquement romantique finit, à la fin du sièc<strong>le</strong>, dans un<br />

désenchantement au travers de certains écrivains réalistes comme Pierre Loti.<br />

Le XIXe sièc<strong>le</strong> est donc avant tout un sièc<strong>le</strong> marqué par <strong>le</strong> mouvement<br />

romantique, en voici <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s caractéristiques. Le mot romantique vient de<br />

"roman" et qualifie au XVIIIe sièc<strong>le</strong> <strong>le</strong>s récits cheva<strong>le</strong>resques de Moyen Age<br />

avant d'être appliqué en peinture aux paysages contrastés, animés de précipices<br />

et de cascades et ornés de quelques ruines mélancoliques, tels qu'on <strong>le</strong>s<br />

affectionne à l'époque de Diderot. Madame de Staël 1'utîlise pour désigner une<br />

nouvel<strong>le</strong> inspiration littéraire trouvant ses racines dans <strong>le</strong> Moyen Age et <strong>le</strong><br />

Christianisme et non plus comme <strong>le</strong> classicisme, dans l'Antiquité gréco-latine.<br />

Le romantisme est donc un mouvement littéraire mais, de manière plus large, il est<br />

un état d'âme, une nouvel<strong>le</strong> façon d'envisager <strong>le</strong> monde et l'homme qui marqueront<br />

profondément <strong>le</strong>s auteurs du XIXe sièc<strong>le</strong> et influenceront notre littérature.<br />

56


Ses caractéristiques sont l’ouverture <strong>sur</strong> <strong>le</strong> monde et l'amour de la nature<br />

qui s'expriment par l'évocation de paysages nouveaux et par la recherche du<br />

dépaysement de contrées lointaines. <strong>Les</strong> paysages romantiques évoquent<br />

volontiers l'immensité, l'infini, <strong>le</strong> désordre et <strong>le</strong> mouvement : <strong>le</strong>s descriptions de<br />

la montagne, de la mer, <strong>le</strong>s scènes d'orage et de tempête sont fréquentes. Par<br />

ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s pays étrangers sont choisis pour <strong>le</strong>ur beauté pittoresque : forêts du<br />

Nouveau Monde (Chateaubriand), pays orientaux (Hugo, Nerval). Enfin, ces<br />

paysages, tourmentés ou mélancoliques sont l'expression des états d'âme des<br />

auteurs et des héros romantiques.<br />

Un sentiment d'inadaptation, causé sans doute par la rapidité des<br />

bou<strong>le</strong>versements historiques, et un sentiment de ne pas avoir sa place en ce monde<br />

et que toute action est vouée à l’impuissance. Ce "mal du sièc<strong>le</strong>" se caractérise par<br />

une complaisance à la tristesse et à la mélancolie : l’homme est voué à la<br />

souffrance et l'automne est sa saison de prédi<strong>le</strong>ction car el<strong>le</strong> évoque <strong>le</strong> déclin de<br />

la vie. Le héros romantique se sent un être à part, différent de ses contemporains<br />

et voué à un destin <strong>sur</strong> <strong>le</strong>quel il n'a pas de prise.<br />

Textes :<br />

• Jean ITARD, Mémoire <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s premiers développements de Victor<br />

de l'Aveyron (1801)<br />

• SPITZKA, La craniométrie et <strong>le</strong> déterminisme biologique.<br />

• Victor SCHOELDER, Abolition immédiate de l'esclavage (1842)<br />

• NICOLAS BANCEL, PASCAL BLANCHARD ET SANDRINE LEMAIRE, Ces zoos<br />

humains de la République colonia<strong>le</strong>, (2000)<br />

• LAMARTINE, Méditations poétiques (1820)<br />

• Victor HUGO, <strong>Les</strong> Orienta<strong>le</strong>s (1829)<br />

• Char<strong>le</strong>s BAUDELAIRE, <strong>Les</strong> F<strong>le</strong>urs du Mal (1857)<br />

57


Mémoire <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s premiers développements de Victor de l'Aveyron<br />

À la fin du XIIIe sièc<strong>le</strong>, on découvre, dans <strong>le</strong>s forêts de l'Aveyron, un enfant<br />

errant, hébété. Un jeune médecin, Jean Itard, émet l'hypothèse qu'il s'agit d'un enfant<br />

coupé de tout contact avec la société humaine depuis son plus jeune âge et entreprend de<br />

l'éduquer. D ans l'avant-propos de son rapport, il explicite la différence radica<strong>le</strong><br />

existant, selon lui, entre un homme vraiment sauvage et un homme socialisé.<br />

Jeté <strong>sur</strong> ce globe sans forces physiques et sans idées innées, hors d'état d'obéir<br />

par lui-même aux lois constitutionnel<strong>le</strong>s 2 de son organisation, qui l'appel<strong>le</strong>nt au premier<br />

rang du système des êtres, l'homme ne peut trouver qu'au sein de la société la place<br />

éminente qui lui fut marquée dans la nature, et serait, sans la civilisation, un des plus<br />

faib<strong>le</strong>s et des moins intelligents des animaux : vérité, sans doute, bien rebattue, mais<br />

qu'on n'a point encore rigoureusement démontrée…<strong>Les</strong> philosophes 3 qui l'ont émise <strong>le</strong>s<br />

premiers, ceux qui l'ont ensuite soutenue et propagée, en ont donné pour preuve l'état<br />

physique et moral de quelques peuplades errantes, qu'ils ont regardées comme non<br />

civilisées parce qu'el<strong>le</strong>s ne l'étaient point à notre manière, et chez <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s ils ont été<br />

puiser <strong>le</strong>s traits de l'homme dans <strong>le</strong> pur état de nature. Non, quoi qu'on en dise, ce n'est<br />

point là encore qu'il faut <strong>le</strong> chercher et l'étudier. Dans la horde sauvage la plus<br />

vagabonde comme dans la nation d'Europe la plus civilisée, l'homme n'est que ce qu'on <strong>le</strong><br />

fait être ; nécessairement é<strong>le</strong>vé par ses semblab<strong>le</strong>s, il en a contracté <strong>le</strong>s habitudes et <strong>le</strong>s<br />

besoins ; ses idées ne sont plus à lui ; il a joui de la plus bel<strong>le</strong> prérogative de son espèce, la<br />

susceptibilité de développer son entendement par la force de l'imitation et l'influence de<br />

la société.<br />

On devait donc chercher ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong> type de l'homme véritab<strong>le</strong>ment sauvage, de<br />

celui qui ne doit rien à ses pareils et <strong>le</strong> déduire des histoires particulières du petit<br />

nombre d'individus qui, dans <strong>le</strong> <strong>cours</strong> du XVIIe sièc<strong>le</strong>, ont été trouvés, à différents<br />

interval<strong>le</strong>s, vivant isolément dans <strong>le</strong>s bois où ils avaient été abandonnés dès l'âge <strong>le</strong> plus<br />

tendre.<br />

Mais tel<strong>le</strong> était, dans ces temps reculés, la marche défectueuse de l'étude de la<br />

science livrée à la manie des explications, à l'incertitude des hypothèses, et au travail<br />

exclusif du cabinet, que l'observation n'était comptée pour rien, et que ces faits précieux<br />

furent perdus pour l'histoire naturel<strong>le</strong> de l'homme. Tout ce qu'en ont laissé <strong>le</strong>s auteurs<br />

contemporains se réduit à quelques détails insignifiants dont <strong>le</strong> résultat <strong>le</strong> plus frappant<br />

et <strong>le</strong> plus général, est que ces individus ne furent susceptib<strong>le</strong>s d'aucun perfectionnement<br />

bien marqué ; sans doute, parce qu'on voulut appliquer à <strong>le</strong>ur éducation, et sans égard<br />

pour la différence de <strong>le</strong>urs origines, <strong>le</strong> système ordinaire de l'enseignement social.<br />

J. ITARD. Mémoire <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s premiers développements de Victor de l'Aveyron, 1801<br />

Prolongements :<br />

1. Quel<strong>le</strong> est la thèse défendue par Jean Itard ?<br />

2. A quel<strong>le</strong> opinion répandue s'oppose-t-el<strong>le</strong>?<br />

3. Quels arguments utilise-t-il pour justifier son point de vue ?<br />

4. En quoi consiste, selon Itard, la supériorité de l'homme social ?<br />

5. Quel<strong>le</strong>s erreurs <strong>le</strong>s prédécesseurs de Jean Itard ont-ils commises ?<br />

2 Dans <strong>le</strong> sens actuel de constitutives, qui <strong>le</strong> constituent.<br />

3 Il s'agit ici de Condillac, penseur du XVIIIe sièc<strong>le</strong>, maître à penser de Jean Itard.<br />

58


Marcel Gotlib, L’enfant sauvage, La rubrique-à-brac.1968<br />

59


La craniométrie et <strong>le</strong> déterminisme biologique<br />

Dans <strong>le</strong> courant du XIXe sièc<strong>le</strong>, la science va se développer considérab<strong>le</strong>ment<br />

grâce à l'évolution des technologies. C'est à cette époque que vont apparaître certaines<br />

théories racistes présentées à l'époque comme scientifiques basées <strong>sur</strong> <strong>le</strong> déterminisme<br />

biologique. Selon cette doctrine, <strong>le</strong>s inégalités socia<strong>le</strong>s, économiques et racia<strong>le</strong>s<br />

trouveraient <strong>le</strong>ur origine dans une inégalité héritée et innée. Ces distinctions sont donc <strong>le</strong><br />

ref<strong>le</strong>t d'une distinction biologique, ce qui légitimise scientifiquement toutes <strong>le</strong>s inégalités<br />

de la société du XIXe sièc<strong>le</strong> : infériorité des Noirs par rapport aux Blancs, des femmes<br />

par rapport aux hommes, des pauvres par rapport aux riches…La craniométrie, apparue au<br />

début du sièc<strong>le</strong>, s'inscrit dans ce déterminisme biologique. El<strong>le</strong> consiste en effet à classer<br />

et hiérarchiser <strong>le</strong>s races humaines en fonction du volume moyen de <strong>le</strong>ur crâne et du poids<br />

moyen de <strong>le</strong>ur cerveau. Ce racisme scientifique nous rappel<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s scientifiques euxmêmes<br />

sont susceptib<strong>le</strong>s d'interpréter des chiffres objectifs en étant prisonniers de<br />

<strong>le</strong>urs normes culturel<strong>le</strong>s et de <strong>le</strong>urs préjugés. Ils croient en <strong>le</strong>ur objectivité et ne<br />

parviennent pas à voir <strong>le</strong>s idées préconçues qui <strong>le</strong>s incitent à choisir une interprétation<br />

parmi d'autres. Le risque est d'utiliser <strong>le</strong>s chiffres pour illustrer des conclusions a priori<br />

(induction) et non de faire naître une nouvel<strong>le</strong> théorie en partant de l'observation des<br />

chiffres.(Déduction). Voici une illustration de ces théories élaborées par l'anatomiste<br />

américain E.A. SPITZKA à la fin du XIXe sièc<strong>le</strong>.<br />

60


Abolition immédiate de l'esclavage.<br />

Victor Schoelder est entré dans l'histoire <strong>le</strong> 28 avril 1848, lorsqu'il fit adopter<br />

l'abolition de l'esclavage aux colonies françaises par <strong>le</strong> gouvernement de la IIe<br />

République. Cette abolition est <strong>le</strong> résultat d'un combat acharné et obstiné qu'il mena<br />

durant de longues années avant d'arriver à ses fins. Le texte suivant date de 1842 et<br />

expose quelques-uns des nombreux arguments rassemblés par Victor Schoed<strong>le</strong>r en faveur<br />

de l'abolition sans délai de l'esclavage.<br />

Parce que <strong>le</strong> nègre et <strong>le</strong> blanc sont des rameaux divers de l'arbre humain, nous ne<br />

voyons pas pourquoi on ferait l'un supérieur à l'autre, ni que l'un doive être mis au-dessus<br />

ou au-dessous de l'autre. Il ne nous est point encore démontré qu’un tissu réticulaire 4 à<br />

sécrétion blanche ait plus de génie qu’un tissu réticulaire à sécrétion noire ; que des<br />

cheveux plats soient plus intelligents que des cheveux crépus ; des lèvres épaisses et<br />

brunes, plus sottes que des lèvres minces et rouges ; (…)mais ces nombreuses infériorités<br />

4 Tissu conjonctif de l’organisme<br />

61


fussent-el<strong>le</strong>s encore avérées, il nous serait impossib<strong>le</strong> d’y voir une démonstration bien<br />

évidente que <strong>le</strong> nègre doive être esclave, car el<strong>le</strong>s pourraientfaire que ce soit un autre<br />

homme, mais el<strong>le</strong>s ne l’empêcheraient pas d’être homme ; et cela étant, rien ne peut<br />

excuser son esclavage. Voilà pourquoi c’est pour nous une proposition éxécrab<strong>le</strong> au point<br />

de vue philosophique, impie au point de vue providentiel, que cel<strong>le</strong>-ci : « Dieu n’a pas voulu<br />

que <strong>le</strong> nègre fût libre » Le nègre a <strong>sur</strong>abondamment prouvé qu’il voulait être libre, en<br />

tuant ceux qui <strong>le</strong> faisaient esclave. Qu’on ne s’enivre pas de fol<strong>le</strong>s rêveries d’orgueil.<br />

Jamais on ne vit <strong>le</strong>s animaux domestiques se révolter contre la puissance de l’homme. Son<br />

ascendant <strong>sur</strong> eux continuel et perpétuel établit son droit de maître, tandis que <strong>le</strong>s<br />

tentatives continuel<strong>le</strong>s, perpétuel<strong>le</strong>s, et quelquefois heureuses des noirs pour<br />

s’émanciper, confondent chaque jour la prétendue supériorité des blancs.<br />

V. SCHOELDER, Abolition immédiate de l'esclavage, 1842.<br />

Prolongements :<br />

1. Quel<strong>le</strong> est la thèse de l’auteur ?<br />

2. Quels sont ses arguments ? Montre la structuration de son argumentation<br />

(plan).<br />

3. L’auteur fait des concessions à ses adversaires : <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s ? Pour quel<strong>le</strong>s<br />

raisons ?<br />

4. Quel rô<strong>le</strong> l’auteur fait-il jouer à la comparaison entre esclaves et animaux ?<br />

Sur quel<strong>le</strong> différence insiste-t-il ?<br />

5. Quel reproche principal Schoelcher adresse-t-il aux Blancs ?<br />

Le radeau de la Méduse de<br />

Géricault (détail)<br />

Le tab<strong>le</strong>au scandalisa au Salon<br />

de 1819 par son réalisme, car<br />

Géricault avait pris des<br />

cadavres pour modè<strong>le</strong>s, mais<br />

aussi par <strong>le</strong>s intentions<br />

politiques qu’on y décelait.<br />

La présence du naufragé noir<br />

fut considérée comme un<br />

manifeste contre l’esclavage :<br />

l’homme de cou<strong>le</strong>ur, en figure<br />

de proue, agite un tissu rouge<br />

et blanc, seul au sommet de la<br />

pyramide humaine, symbo<strong>le</strong> de<br />

l’espérance col<strong>le</strong>ctive et de la<br />

délivrance.<br />

62


Août 2000<br />

DES EXHIBITIONS RACISTES QUI<br />

FASCINAIENT LES EUROPÉENS<br />

Ces zoos humains de la<br />

République colonia<strong>le</strong><br />

Comment cela a-t-il été possib<strong>le</strong> ? <strong>Les</strong><br />

Européens sont-ils capab<strong>le</strong>s de prendre<br />

la me<strong>sur</strong>e de ce que révè<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s « zoos<br />

humains » de <strong>le</strong>ur culture, de <strong>le</strong>urs<br />

mentalités, de <strong>le</strong>ur inconscient et de<br />

<strong>le</strong>ur psychisme col<strong>le</strong>ctif ? Doub<strong>le</strong><br />

question alors que s’ouvre enfin, à Paris,<br />

au coeur du temp<strong>le</strong> des arts - <strong>le</strong><br />

Louvre -, la première grande exposition<br />

<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s arts premiers.<br />

<strong>Les</strong> zoos humains, expositions ethnologiques ou villages nègres restent des sujets<br />

comp<strong>le</strong>xes à aborder pour des pays qui mettent en exergue l’égalité de tous <strong>le</strong>s êtres<br />

humains. De fait, ces zoos, où des individus « exotiques » mêlés à des bêtes sauvages<br />

étaient montrés en spectac<strong>le</strong> derrière des gril<strong>le</strong>s ou des enclos à un public avide de<br />

distraction, constituent la preuve la plus évidente du décalage existant entre dis<strong>cours</strong> et<br />

pratique au temps de l’édification des empires coloniaux.<br />

« Canniba<strong>le</strong>s australiens mâ<strong>le</strong>s et femel<strong>le</strong>s. La seu<strong>le</strong> et unique colonie de cette race<br />

sauvage, étrange, défigurée et la plus bruta<strong>le</strong> jamais attirée de l’intérieur des contrées<br />

sauvages. Le plus bas ordre de l’humanité. » 5<br />

L’idée de promouvoir un spectac<strong>le</strong> zoologique mettant en scène des populations exotiques<br />

apparaît en parallè<strong>le</strong> dans plusieurs pays européens au <strong>cours</strong> des années 1870. En<br />

Al<strong>le</strong>magne, tout d’abord, où, dès 1874, Karl Hagenbeck, revendeur d’animaux sauvages et<br />

futur promoteur des principaux zoos européens, décide d’exhiber des Samoa et des<br />

Lapons comme populations « purement naturel<strong>le</strong>s » auprès des visiteurs avides de<br />

« sensations ». Le succès de ces premières exhibitions <strong>le</strong> conduit, dès 1876, à envoyer un<br />

de ses collaborateurs au Soudan égyptien dans <strong>le</strong> but de ramener des animaux ainsi que<br />

des Nubiens pour renouve<strong>le</strong>r l’« attraction ». Ces derniers connurent un succès immédiat<br />

dans toute l’Europe, puisqu’ils furent présentés successivement dans diverses capita<strong>le</strong>s<br />

comme Paris, Londres ou Berlin.<br />

Un million d’entrées payantes<br />

Une tel<strong>le</strong> réussite a, sans aucun doute, influencé Geoffroy de Saint-Hilaire, directeur du<br />

Jardin d’acclimatation, qui cherchait des attractions à même de redresser la situation<br />

financière délicate de l’établissement. Il décide d’organiser, en 1877, deux « spectac<strong>le</strong>s<br />

ethnologiques », en présentant des Nubiens et des Esquimaux aux Parisiens. Le succès est<br />

foudroyant. La fréquentation du Jardin doub<strong>le</strong> et atteint, cette année-là, <strong>le</strong> million<br />

d’entrées payantes... <strong>Les</strong> Parisiens accourent pour découvrir ce que la grande presse<br />

5 Plakate, 1880-1914, Historiches Museum, Francfort.<br />

63


qualifie alors de « bande d’animaux exotiques, accompagnés par des individus non moins<br />

singuliers ». Entre 1877 et 1912, une trentaine d’« exhibitions ethnologiques » de ce type<br />

seront ainsi produites au Jardin zoologique d’acclimatation, à Paris, avec un constant<br />

succès.<br />

De nombreux autres lieux vont rapidement présenter de tels « spectac<strong>le</strong>s » ou <strong>le</strong>s<br />

adapter à des fins plus « politiques », à l’image des Expositions universel<strong>le</strong>s parisiennes de<br />

1878, de 1889 (dont <strong>le</strong> « clou » était la tour Eiffel) - un « village nègre » et 400 figurants<br />

« indigènes » en constituaient l’une des attractions majeures - et cel<strong>le</strong> de 1900, avec ses<br />

50 millions de visiteurs et <strong>le</strong> célèbre Diorama « vivant » <strong>sur</strong> Madagascar, ou, plus tard, <strong>le</strong>s<br />

Expositions colonia<strong>le</strong>s, à Marseil<strong>le</strong> en 1906 et 1922, mais aussi à Paris en 1907 et 1931.<br />

(…)<br />

C’est alors par millions que <strong>le</strong>s Français, de 1877 au début des années 30, vont à la<br />

rencontre de l’Autre. Un « autre » mis en scène et en cage. Qu’il soit peup<strong>le</strong> « étrange »<br />

venu de tous <strong>le</strong>s coins du monde ou indigène de l’Empire, il constitue, pour la grande<br />

majorité des métropolitains, <strong>le</strong> premier contact avec l’altérité. L’impact social de ces<br />

spectac<strong>le</strong>s dans la construction de l’image de l’Autre est immense. D’autant qu’ils se<br />

combinent alors avec une propagande colonia<strong>le</strong> omniprésente (par l’image et par <strong>le</strong> texte)<br />

qui imprègne profondément l’imaginaire des Français. Pourtant, ces zoos humains<br />

demeurent absents de la mémoire col<strong>le</strong>ctive.<br />

L’apparition, puis l’essor et l’engouement pour<br />

<strong>le</strong>s zoos humains résultent de l’articulation de<br />

trois phénomènes concomitants : d’abord, la<br />

construction d’un imaginaire social <strong>sur</strong> l’autre<br />

(colonisé ou non) ; ensuite, la théorisation<br />

scientifique de la « hiérarchie des races » dans<br />

<strong>le</strong> sillage des avancées de l’anthropologie<br />

physique ; et, enfin, l’édification d’un empire<br />

colonial alors en p<strong>le</strong>ine construction.<br />

Bien avant la grande expansion colonia<strong>le</strong> de la<br />

IIIe République des années 1870-1910, qui<br />

s’achève par <strong>le</strong> tracé définitif des frontières<br />

de l’Empire outre-mer, s’affirme, en métropo<strong>le</strong>,<br />

une passion pour l’exotisme et, en même temps,<br />

se construit un dis<strong>cours</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s « races » dites<br />

inférieures au croisement de plusieurs<br />

sciences. Certes, la construction de l’identité<br />

de toute civilisation se bâtit toujours <strong>sur</strong> des<br />

représentations de l’autre qui permettent - par<br />

effet de miroir - d’élaborer une<br />

autoreprésentation, de se situer dans <strong>le</strong> monde.<br />

En ce qui concerne l’Occident, on peut déce<strong>le</strong>r<br />

<strong>le</strong>s premières manifestations de cela dans Anonyme, Jardin zoologique d’acclimatation, fin 19è<br />

l’Antiquité (la catégorisation du « barbare », du 20è s.<br />

« métèque » et du citoyen), idée à nouveau<br />

portée par l’Europe des croisades, puis lors de la première phase d’explorations et de<br />

conquêtes colonia<strong>le</strong>s des XVIe et XVIIe sièc<strong>le</strong>s. Mais, jusqu’au XIXe sièc<strong>le</strong>, ces<br />

représentations de l’altérité ne sont qu’incidentes, pas forcément négatives et ne<br />

semb<strong>le</strong>nt pas pénétrer profondément dans <strong>le</strong> corps social.<br />

- début<br />

64


Avec l’établissement des empires coloniaux, la puissance des représentations de l’autre<br />

s’impose dans un contexte politique fort différent et dans un mouvement d’expansion<br />

historique d’une amp<strong>le</strong>ur inédite. Le tournant fondamental reste la colonisation, car el<strong>le</strong><br />

impose la nécessité de dominer l’autre, de <strong>le</strong> domestiquer et donc de <strong>le</strong> représenter.<br />

Aux images ambiva<strong>le</strong>ntes du « sauvage », marquées par une altérité négative mais aussi<br />

par <strong>le</strong>s réminiscences du mythe du « bon sauvage » rousseauiste, se substitue une vision<br />

nettement stigmatisante des populations « exotiques ». La mécanique colonia<strong>le</strong><br />

d’infériorisation de l’indigène par l’image se met alors en marche, et, dans une tel<strong>le</strong><br />

conquête des imaginaires européens, <strong>le</strong>s zoos humains constituent sans aucun doute <strong>le</strong><br />

rouage <strong>le</strong> plus vicié de la construction des préjugés <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s populations colonisées. La<br />

preuve est là, sous nos yeux : ils sont des sauvages, vivent comme des sauvages et pensent<br />

comme des sauvages. Ironie de l’histoire, ces troupes d’indigènes qui traversaient l’Europe<br />

(et même l’Atlantique) restaient bien souvent dix ou quinze ans hors de <strong>le</strong>urs pays<br />

d’origine et acceptaient cette mise en scène... contre rémunération. Tel est l’envers du<br />

décor de la sauvagerie mise au zoo, pour <strong>le</strong>s organisateurs de ces exhibitions : <strong>le</strong> sauvage,<br />

au tournant du sièc<strong>le</strong>, demande un salaire 6 !<br />

En parallè<strong>le</strong>, un racisme populaire se déploie dans la grande presse et dans l’opinion<br />

publique, comme toi<strong>le</strong> de fond de la conquête colonia<strong>le</strong>. Tous <strong>le</strong>s grands médias, des<br />

journaux illustrés <strong>le</strong>s plus populaires - comme Le Petit Parisien ou Le Petit Journal - aux<br />

publications à caractère « scientifique » - à l’image de La Nature ou La Science<br />

amusante -, en passant par <strong>le</strong>s revues de <strong>voyage</strong>s et d’exploration - comme Le Tour du<br />

monde ou <strong>le</strong> Journal des <strong>voyage</strong>s -, présentent <strong>le</strong>s populations exotiques - et tout<br />

particulièrement cel<strong>le</strong>s soumises à la conquête - comme des vestiges des premiers états<br />

de l’humanité.<br />

Le vocabulaire de stigmatisation de la sauvagerie - bestialité, goût du sang, fétichisme<br />

obscurantiste, bêtise atavique - est renforcé par une production iconographique d’une<br />

vio<strong>le</strong>nce inouïe, accréditant l’idée d’une sous-humanité stagnante, humanité des confins<br />

coloniaux, à la frontière de l’humanité et de l’animalité 7 .<br />

La race blanche naturel<strong>le</strong>ment supérieure<br />

Simultanément, l’infériorisation des « exotiques » est confortée par la trip<strong>le</strong> articulation<br />

du positivisme, de l’évolutionnisme et du racisme. <strong>Les</strong> membres de la société<br />

d’anthropologie - créée en 1859, à la même date que <strong>le</strong> Jardin d’acclimatation de Paris - se<br />

sont rendus plusieurs fois à ces exhibitions grand public pour effectuer <strong>le</strong>urs recherches<br />

orientées vers l’anthropologie physique. Cette science obsédée par <strong>le</strong>s différences entre<br />

<strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s et l’établissement de hiérarchies donnait à la notion de « race » un caractère<br />

prédominant dans <strong>le</strong>s schémas d’explication de la diversité humaine. On assiste, à travers<br />

<strong>le</strong>s zoos humains, à la mise en scène de la construction d’une classification en « races »<br />

humaines et de l’élaboration d’une échel<strong>le</strong> unilinéaire permettant de <strong>le</strong>s hiérarchiser du<br />

haut en bas de l’échel<strong>le</strong> évolutionniste.<br />

Ainsi, <strong>le</strong> comte Joseph Arthur de Gobineau, par son Essai <strong>sur</strong> l’inégalité des races<br />

humaines (1853-1855), avait établi l’inégalité originel<strong>le</strong> des races en créant une typologie<br />

<strong>sur</strong> des critères de hiérarchisation largement subjectifs comme « beauté des formes,<br />

6<br />

Tous <strong>le</strong>s groupes « importés » n’avaient pas un statut exclusif et unique. <strong>Les</strong> Fuégiens, par exemp<strong>le</strong>,<br />

habitants de la Terre de Feu, à l’extrême sud du continent sud-américain, semb<strong>le</strong>nt avoir été « transportés »<br />

tels des spécimens zoologiques proprement dits ; alors que <strong>le</strong>s gauchos, sorte d’artistes sous contrat, avaient<br />

p<strong>le</strong>inement conscience de la mascarade qu’ils mettaient en scène pour <strong>le</strong>s visiteurs.<br />

7<br />

Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Laurent Gervereau, Images et colonies, Achac-BDIC, Paris, 1993.<br />

65


force physique et intelligence », consacrant ainsi <strong>le</strong>s notions de « races supérieures » et<br />

« races inférieures ». Comme beaucoup d’autres, il postu<strong>le</strong> alors la supériorité originel<strong>le</strong><br />

de la « race blanche », qui possède, selon lui, <strong>le</strong> monopo<strong>le</strong> de ces trois données et sert<br />

alors de norme lui permettant de classer <strong>le</strong> Noir dans une infériorité irrémédiab<strong>le</strong> au plus<br />

bas de l’échel<strong>le</strong> de l’humanité et <strong>le</strong>s autres « races » comme intermédiaires.<br />

Une tel<strong>le</strong> classification se retrouve dans <strong>le</strong>s programmations parisiennes des zoos humains<br />

et conditionne largement l’idéologie sous-jacente de ces spectac<strong>le</strong>s. Lorsque <strong>le</strong>s Cosaques<br />

sont, par exemp<strong>le</strong>, invités au Jardin zoologique d’acclimatation, l’ambassade de Russie<br />

insiste pour qu’ils ne soient pas confondus avec <strong>le</strong>s « nègres » venus d’Afrique, et, lorsque<br />

Buffalo Bill arrive avec sa « troupe », il trouve sans conteste sa place au Jardin grâce à la<br />

présence d’« Indiens » dans son spectac<strong>le</strong> ! Enfin, quand <strong>le</strong>s lilliputiens sont présentés au<br />

public, ils entrent sans aucun problème dans la même terminologie de la différence, de la<br />

monstruosité et de la bestialité que <strong>le</strong>s populations exotiques !<br />

Du darwinisme social au colonialisme<br />

Le darwinisme social, vulgarisé et réinterprété par un Gustave Le Bon ou un Vacher de<br />

Lapouge au tournant du sièc<strong>le</strong>, trouve sa traduction visuel<strong>le</strong> de distinction entre « races<br />

primitives » et « races civilisées » dans ces exhibitions à caractère ethnologique. Ces<br />

penseurs de l’inégalitarisme découvrent, à travers <strong>le</strong>s zoos humains, un fabu<strong>le</strong>ux réservoir<br />

de spécimens jusqu’alors impensab<strong>le</strong> en métropo<strong>le</strong>.<br />

L’anthropologie physique, comme l’anthropométrie naissante, qui constitue alors une<br />

grammaire des « caractères somatiques » des groupes raciaux - systématisé dès 1867 par<br />

la Société d’anthropologie avec la création d’un laboratoire de craniométrie -, puis <strong>le</strong><br />

développement de la phrénologie, légitiment <strong>le</strong> développement de ces exhibitions. El<strong>le</strong>s<br />

incitent <strong>le</strong>s scientifiques à soutenir activement ces programmations, pour trois raisons<br />

pragmatiques : une mise à disposition pratique d’un « matériel » humain exceptionnel<br />

(variété, nombre et renouvel<strong>le</strong>ment des spécimens...) ; un intérêt du grand public pour<br />

<strong>le</strong>urs recherches, et donc une possibilité de promouvoir <strong>le</strong>urs travaux dans la grande<br />

presse ; enfin, la démonstration la plus probante du bien-fondé des énoncés racistes par<br />

la présence physique de ces « sauvages ».<br />

<strong>Les</strong> civilisations extra-européennes, dans cette perception linéaire de l’évolution<br />

socioculturel<strong>le</strong> et cette mise en scène de proximité avec <strong>le</strong> monde animalier, sont<br />

considérées comme attardées, mais civilisab<strong>le</strong>s, donc colonisab<strong>le</strong>s. Ainsi, la bouc<strong>le</strong> est<br />

bouclée. La cohérence de tels spectac<strong>le</strong>s devient une évidence scientifique, en même<br />

temps qu’une parfaite démonstration des théories naissantes <strong>sur</strong> la hiérarchie des races<br />

et une parfaite illustration in situ de la mission civilisatrice alors en marche outre-mer.<br />

Scientifiques, membres du lobby colonial ou organisateurs de spectac<strong>le</strong>s y trouvent <strong>le</strong>ur<br />

compte.<br />

(…)<br />

Entre « eux » et « nous », une barrière infranchissab<strong>le</strong> Tout converge pour qu’entre 1890<br />

et la première guerre mondia<strong>le</strong> une image particulièrement sanguinaire du sauvage<br />

s’impose. Ces « spectac<strong>le</strong>s » - construits sans aucun souci de vérité ethnologique, est-il<br />

besoin de <strong>le</strong> préciser - renvoient, développent, actualisent et légitiment <strong>le</strong>s stéréotypes<br />

racistes <strong>le</strong>s plus malsains qui forment l’imaginaire <strong>sur</strong> l’« autre » au moment de la<br />

conquête colonia<strong>le</strong>. Effectivement, il est essentiel de souligner que la « fourniture de ces<br />

indigènes » suit étroitement <strong>le</strong>s conquêtes de la République outre-mer, recevait l’accord<br />

(et <strong>le</strong> soutien) de l’administration colonia<strong>le</strong> et contribuait à soutenir explicitement<br />

l’entreprise colonia<strong>le</strong> de la France.<br />

66


Ainsi, des Touaregs furent exhibés à Paris durant <strong>le</strong>s mois suivant la conquête française<br />

de Tombouctou en 1894 ; de même, des Malgaches apparurent une année après<br />

l’occupation de Madagascar ; enfin, <strong>le</strong> succès des célèbres amazones du royaume<br />

d’Abomey fait suite à la très médiatique défaite de Behanzin devant l’armée française au<br />

Dahomey. La volonté de dégrader, d’humilier, d’animaliser l’autre - mais aussi de glorifier<br />

la France outre-mer à travers un ultranationalisme à son apogée depuis la défaite de 1870<br />

- est ici p<strong>le</strong>inement assumée et relayée par la grande presse, qui montre, face aux<br />

colonisateurs, des « indigènes » déchaînés, cruels, aveuglés de fétichisme et assoiffés de<br />

sang. <strong>Les</strong> différentes populations exotiques tendent ainsi à être toutes montrées sous ce<br />

jour peu flatteur : il y a un phénomène d’uniformisation par la caricature de l’ensemb<strong>le</strong><br />

des « races » présentées, qui tend à <strong>le</strong>s rendre presque indistinctes. Entre « eux » et<br />

« nous », une barrière infranchissab<strong>le</strong> est désormais dressée.<br />

Attractifs, <strong>le</strong>s « sauvages » amenés en Occident <strong>le</strong> sont sans aucun doute, mais ils<br />

suscitent un sentiment de crainte. Leurs actions et <strong>le</strong>urs mouvements doivent être<br />

strictement contrôlés. Ils sont présentés comme absolument différents, et la mise en<br />

scène européenne <strong>le</strong>s oblige à se conduire comme tels, puisqu’il <strong>le</strong>ur est interdit de<br />

manifester tout signe d’assimilation, d’occidentalisation aussi longtemps qu’ils sont<br />

montrés. Ainsi, dans la plupart des manifestations, il est impensab<strong>le</strong> qu’ils se mélangent<br />

avec <strong>le</strong>s visiteurs. Grimés selon <strong>le</strong>s stéréotypes en vigueur, <strong>le</strong>ur accoutrement est conçu<br />

pour être <strong>le</strong> plus singulier possib<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> exhibés doivent en outre rester à l’intérieur d’une<br />

partie précisément circonscrite de l’espace de l’exposition (sous peine d’amende retenue<br />

<strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur maigre solde), marquant la frontière intangib<strong>le</strong> entre <strong>le</strong>ur monde et celui des<br />

citoyens qui <strong>le</strong>s visitent, <strong>le</strong>s inspectent. Une frontière délimite scrupu<strong>le</strong>usement la<br />

sauvagerie et la civilisation, la nature et la culture.<br />

Quand <strong>le</strong> corps du « sauvage » fascine<br />

Le plus frappant dans cette bruta<strong>le</strong> animalisation de<br />

l’autre est la réaction du public. Au <strong>cours</strong> de ces années<br />

d’exhibitions quotidiennes, fort peu de journalistes,<br />

d’hommes politiques ou de scientifiques s’émeuvent des<br />

conditions sanitaires et de parcage - souvent<br />

catastrophiques - des « indigènes » ; sans même par<strong>le</strong>r<br />

des nombreux décès de populations comme lors de la<br />

présence des Indiens Kaliña (Galibi) en 1892, à Paris 8 , peu<br />

habituées au climat français.<br />

Quelques récits soulignent néanmoins l’effroi devant de<br />

tels spectac<strong>le</strong>s. Au coeur de ceux-ci, l’attitude du public<br />

n’est pas <strong>le</strong> sujet <strong>le</strong> moins choquant : nombre de visiteurs<br />

jettent nourriture ou babio<strong>le</strong>s aux groupes exposés,<br />

commentent <strong>le</strong>s physionomies en <strong>le</strong>s comparant aux<br />

primates (reprenant en cela l’une des antiennes de<br />

l’anthropologie physique, avide de débusquer <strong>le</strong>s « caractères simiesques » des indigènes),<br />

ou rient franchement à la vision d’une Africaine malade et tremblante dans sa case. Ces<br />

descriptions - certes lacunaires - démontrent assez <strong>le</strong> succès de la « racialisation latente<br />

des esprits » chez <strong>le</strong>s contemporains. Dans un tel contexte, l’Empire pouvait se déployer<br />

8 Gérard Collomb, « La photographie et son doub<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> Kaliña et <strong>le</strong> "droit de regard" de l’Occident », in<br />

L’Autre et nous, éd. Syros-Achac, 1995, pp. 151-157.<br />

coll. Marabout Junior, Belgique, 1952<br />

67


en toute bonne conscience et instituer en son sein l’inégalité juridique, politique et<br />

économique entre Européens et « indigènes », <strong>sur</strong> fond de racisme endémique, puisque la<br />

preuve était donnée en métropo<strong>le</strong> que là-bas il n’y avait que des sauvages juste sortis des<br />

ténèbres.<br />

<strong>Les</strong> zoos humains ne nous révè<strong>le</strong>nt évidemment rien <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s « populations exotiques ». En<br />

revanche, ils sont un extraordinaire instrument d’analyse des mentalités de la fin du XIXe<br />

sièc<strong>le</strong> jusqu’aux années 30. En effet, par essence, zoos, expositions et jardins avaient<br />

pour vocation de montrer <strong>le</strong> rare, <strong>le</strong> curieux, l’étrange, toutes expressions du non-habituel<br />

et du différent, par opposition à une construction rationnel<strong>le</strong> du monde élaborée selon<br />

des standards européens 9 .<br />

Ces mascarades furieuses ne sont-el<strong>le</strong>s pas fina<strong>le</strong>ment l’image renversée de la férocité -<br />

bien réel<strong>le</strong> cel<strong>le</strong>-là - de la conquête colonia<strong>le</strong> el<strong>le</strong>-même ? N’y a-t-il pas la volonté -<br />

délibérée ou inconsciente - de légitimer la brutalité des conquérants en animalisant <strong>le</strong>s<br />

conquis ? Dans cette animalisation, la transgression des va<strong>le</strong>urs et des normes de ce qui<br />

constitue, pour l’Europe, la civilisation est un élément moteur.<br />

(…)<br />

Après la conquête, la « mission civilisatrice » Dans <strong>le</strong> registre de la transgression du<br />

sacré, la récurrence du thème de l’anthropophagie est révélatrice. Alors qu’on ne sait à<br />

peu près rien à la fin du XIXe sièc<strong>le</strong> d’une pratique socia<strong>le</strong> fortement ritualisée et de<br />

toute manière extrêmement limitée en Afrique subsaharienne, <strong>le</strong>s images de « sauvages<br />

anthropophages » envahissent tous <strong>le</strong>s médias et sont l’un des arguments <strong>le</strong>s plus<br />

vendeurs des zoos humains (jusqu’à l’Exposition colonia<strong>le</strong> internationa<strong>le</strong> de 1931 et la<br />

présence périphérique des Kanaks) 10 . Le cannibalisme rompt en effet un tabou majeur : <strong>le</strong><br />

rapprochement avec <strong>le</strong> monde animal s’impose d’évidence. <strong>Les</strong> mises en scène très<br />

évocatrices à ce sujet dans <strong>le</strong>s exhibitions ou dans <strong>le</strong> cadre de sal<strong>le</strong>s de spectac<strong>le</strong>s<br />

révè<strong>le</strong>nt la puissance du thème.<br />

A partir de l’exposition universel<strong>le</strong> de 1889 jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres, <strong>le</strong>s<br />

expositions vont se multiplier, et tout particulièrement <strong>le</strong>s expositions colonia<strong>le</strong>s. (…) <strong>Les</strong><br />

mises en scène sont ici beaucoup plus « ethnographiques », et <strong>le</strong>s « villages » ressemb<strong>le</strong>nt<br />

à des décors de carton-pâte dignes des productions hollywoodiennes de l’époque <strong>sur</strong><br />

l’« Afrique mystérieuse 11 ». On admire <strong>le</strong>s productions loca<strong>le</strong>s et l’« artisanat »<br />

commercialisé (sans doute l’un des tout premiers « arts nègres » destinés au grand<br />

public !), des formes particulières d’organisation socia<strong>le</strong> sont progressivement reconnues,<br />

quand bien même el<strong>le</strong>s sont généra<strong>le</strong>ment montrées comme <strong>le</strong>s traces d’un passé que la<br />

colonisation doit impérativement abolir. <strong>Les</strong> reconstitutions fantaisistes de « danses<br />

indigènes » ou <strong>le</strong>s épisodes historiques fameux s’espacent et s’estompent.<br />

Une autre conjoncture se dessine : <strong>le</strong> « sauvage » (re)devient doux, coopératif, à l’image à<br />

vrai dire d’un Empire qu’on veut faire croire définitivement pacifié à la veil<strong>le</strong> de la<br />

première guerre mondia<strong>le</strong>. A cette époque, <strong>le</strong>s limites territoria<strong>le</strong>s de l’Empire sont en<br />

effet tracées. A la conquête succède la « mission civilisatrice », dis<strong>cours</strong> dont <strong>le</strong>s<br />

expositions colonia<strong>le</strong>s se feront <strong>le</strong>s ardents défenseurs. Au militaire succède<br />

l’administrateur. Sous l’influence « bénéfique » de la France des Lumières, de la<br />

République colonisatrice, <strong>le</strong>s « indigènes » sont replacés au bas de l’échel<strong>le</strong> des<br />

civilisations, alors que la thématique proprement racia<strong>le</strong> tend à s’effacer. <strong>Les</strong> villages<br />

9 Anne McClintock, Imperial Leather. Race, Gender and Sexuality in the Colonial Contest, Rout<strong>le</strong>dge, Londres,<br />

1994.<br />

10 Didier Daeninckx, Canniba<strong>le</strong>, Gallimard (coll. « Folio »), éd. Verdier, rééd. 1998.<br />

11 Nom d’une troupe itinérante présentée au Jardin zoologique d’acclimatation.<br />

68


nègres remplacent <strong>le</strong>s zoos humains. L’indigène reste un inférieur, certes, mais il est<br />

« docilisé », domestiqué, et on découvre chez lui des potentialités d’évolution qui<br />

justifient la geste impéria<strong>le</strong>.<br />

Cette nouvel<strong>le</strong> perception de l’autre-indigène trouvera sa plus grande intensité lors de<br />

l’Exposition colonia<strong>le</strong> internationa<strong>le</strong> de Vincennes en 1931, qui, étendue <strong>sur</strong> des centaines<br />

d’hectares, est la mutation la plus aboutie du zoo humain sous couvert de mission<br />

civilisatrice, de bonne conscience colonia<strong>le</strong> et d’apostolat républicain.<br />

<strong>Les</strong> zoos humains constituent ainsi un phénomène culturel fondamental - et jusqu’ici<br />

tota<strong>le</strong>ment occulté - par son amp<strong>le</strong>ur mais aussi parce qu’il permet de comprendre<br />

comment se structure <strong>le</strong> rapport que construit alors la France colonia<strong>le</strong>, mais aussi<br />

l’Europe, à l’autre. De fait, la plupart des archétypes mis en scène par <strong>le</strong>s zoos humains ne<br />

dessinent-ils pas la racine d’un inconscient col<strong>le</strong>ctif qui prendra au <strong>cours</strong> du sièc<strong>le</strong> de<br />

multip<strong>le</strong>s visages et qu’il est indispensab<strong>le</strong> de déconstruire 12 ?<br />

NICOLAS BANCEL, PASCAL BLANCHARD ET SANDRINE LEMAIRE.<br />

Nicolas Bancel, Maître de conférences à l’université Paris-XI - Orsay (Upres EA 1609/Cress).<br />

Pascal Blanchard, Chercheur associé au CNRS et directeur de l’agence de communication historique <strong>Les</strong> Bâtisseurs de<br />

mémoire.<br />

Sandrine Lemaire, Agrégée et enseignante, docteur en histoire de l’Institut universitaire européen de Florence et<br />

codirectrice avec Pascal Blanchard et Nicolas Bancel de La Fracture colonia<strong>le</strong>, La Découverte, Paris, 2005.<br />

12<br />

Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, De l’indigène à l’immigré, Gallimard, coll. « Découvertes », Paris, 1998.<br />

69


Méditations poétiques : L'iso<strong>le</strong>ment<br />

Souvent <strong>sur</strong> la montagne, à l'ombre du vieux chêne,<br />

Au coucher du so<strong>le</strong>il, tristement je m'assieds ;<br />

Je promène au hasard mes regards <strong>sur</strong> la plaine,<br />

Dont <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au changeant se dérou<strong>le</strong> à mes pieds.<br />

Ici gronde <strong>le</strong> f<strong>le</strong>uve aux vagues écumantes,<br />

Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;<br />

Là <strong>le</strong> lac immobi<strong>le</strong> étend ses eaux dormantes<br />

Où l'étoi<strong>le</strong> du soir se lève dans l'azur.<br />

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,<br />

Le crépuscu<strong>le</strong> encor jette un dernier rayon,<br />

Et <strong>le</strong> char vaporeux de la reine des ombres<br />

Monte, et blanchit déjà <strong>le</strong>s bords de l'horizon.<br />

Cependant, s'élançant de la flèche gothique,<br />

Un son religieux se répand dans <strong>le</strong>s airs,<br />

Le <strong>voyage</strong>ur s'arrête, et la cloche rustique<br />

Aux derniers bruits du jour mê<strong>le</strong> de saints concerts.<br />

Mais à ces doux tab<strong>le</strong>aux mon âme indifférente<br />

N'éprouve devant eux ni charme, ni transports,<br />

Je contemp<strong>le</strong> la terre, ainsi qu'une ombre errante :<br />

Le so<strong>le</strong>il des vivants n'échauffe plus <strong>le</strong>s morts.<br />

De colline en colline en vain portant ma vue,<br />

Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,<br />

Je par<strong>cours</strong> tous <strong>le</strong>s points de l'immense étendue,<br />

Et je dis : Nul<strong>le</strong> part <strong>le</strong> bonheur ne m'attend.<br />

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,<br />

Vains objets dont pour moi <strong>le</strong> charme est envolé ;<br />

F<strong>le</strong>uves, rochers, forêts, solitudes si chères,<br />

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.<br />

Que <strong>le</strong> tour du so<strong>le</strong>il ou commence ou s'achève,<br />

D'un œil indifférent je <strong>le</strong> suis dans son <strong>cours</strong> ;<br />

En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,<br />

Qu'importe <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il je n'attends rien des jours.<br />

Quand je pourrais <strong>le</strong> suivre en sa vaste carrière,<br />

Mes yeux verraient partout <strong>le</strong> vide et <strong>le</strong>s déserts ;<br />

Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire,<br />

Je ne demande rien à l'immense univers.<br />

70


Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,<br />

Lieux où <strong>le</strong> vrai so<strong>le</strong>il éclaire d'autres cieux,<br />

Si je pouvais laisser ma dépouil<strong>le</strong> à la terre,<br />

Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux?<br />

Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire,<br />

Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,<br />

Et ce bien idéal que toute âme désire,<br />

Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !<br />

Que ne puis-je, porté <strong>sur</strong> <strong>le</strong> char de l'aurore,<br />

Vague objet de mes vœux, m'élancer jusqu'à toi,<br />

Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore?<br />

Il n'est rien de commun entre la terre et moi.<br />

Quand la feuil<strong>le</strong> des bois tombe dans la prairie,<br />

Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ;<br />

Et moi, je suis semblab<strong>le</strong> à la feuil<strong>le</strong> flétrie :<br />

Emportez-moi comme el<strong>le</strong>, orageux aquilons !<br />

LAMARTINE, Méditations poétiques,<br />

Prolongements :<br />

1. Analyse la structure du poème.<br />

2. Relève <strong>le</strong>s figures de sty<strong>le</strong> présentes ici et détermine pour chacune l’effet<br />

produit.<br />

3. En quoi peut-on dire, <strong>sur</strong> base de ce poème, que Lamartine est un<br />

romantique ?<br />

71


<strong>Les</strong> Orienta<strong>le</strong>s : XIX - Sara la baigneuse.<br />

Sara, bel<strong>le</strong> d'indo<strong>le</strong>nce,<br />

Se balance<br />

Dans un hamac, au-dessus<br />

Du bassin d'une fontaine<br />

Toute p<strong>le</strong>ine<br />

D'eau puisée à l'Ilyssus ;<br />

Et la frê<strong>le</strong> escarpo<strong>le</strong>tte<br />

Se reflète<br />

Dans <strong>le</strong> transparent miroir,<br />

Avec la baigneuse blanche<br />

Qui se penche,<br />

Qui se penche pour se voir.<br />

Chaque fois que la nacel<strong>le</strong><br />

Qui chancel<strong>le</strong>,<br />

Passe à f<strong>le</strong>ur d'eau dans son vol,<br />

On voit <strong>sur</strong> l'eau qui s'agite<br />

Sortir vite<br />

Son beau pied et son beau col.<br />

El<strong>le</strong> bat d'un pied timide<br />

L'onde humide<br />

Qui ride son clair tab<strong>le</strong>au,<br />

Du beau pied rougit l'albâtre ;<br />

La folâtre,<br />

Rit de la fraîcheur de l'eau.<br />

Reste ici caché : demeure !<br />

Dans une heure,<br />

D'un œil ardent tu verras<br />

Sortir du bain l'ingénue,<br />

Toute nue,<br />

Croisant ses mains <strong>sur</strong> ses bras !<br />

Car c'est un astre qui bril<strong>le</strong><br />

Qu'une fil<strong>le</strong><br />

Qui sort d'un bain au flot clair,<br />

Cherche s'il ne vient personne,<br />

Et frissonne,<br />

Toute mouillée au grand air !<br />

El<strong>le</strong> est là, sous la feuillée,<br />

Éveillée<br />

Au moindre bruit de malheur ;<br />

Et rouge, pour une mouche<br />

Qui la touche,<br />

Comme une grenade en f<strong>le</strong>ur.<br />

On voit tout ce que dérobe<br />

Voi<strong>le</strong> ou robe ;<br />

Dans ses yeux d'azur en feu,<br />

Son regard que rien ne voi<strong>le</strong><br />

Est l'étoi<strong>le</strong><br />

Qui bril<strong>le</strong> au fond d'un ciel b<strong>le</strong>u.<br />

L'eau <strong>sur</strong> son corps qu'el<strong>le</strong> essuie<br />

Rou<strong>le</strong> en pluie,<br />

Comme <strong>sur</strong> un peuplier ;<br />

Comme si, gouttes à gouttes,<br />

Tombaient toutes<br />

<strong>Les</strong> per<strong>le</strong>s de son collier.<br />

Mais Sara la nonchalante<br />

Est bien <strong>le</strong>nte<br />

À finir ses doux ébats ;<br />

Toujours el<strong>le</strong> se balance<br />

En si<strong>le</strong>nce,<br />

Et va murmurant tout bas :<br />

" Oh ! si j'étais capitane,<br />

Ou sultane,<br />

Je prendrais des bains ambrés,<br />

Dans un bain de marbre jaune,<br />

Prés d'un trône,<br />

Entre deux griffons dorés !<br />

" J'aurais <strong>le</strong> hamac de soie<br />

Qui se ploie<br />

Sous <strong>le</strong> corps prêt à pâmer ;<br />

J'aurais la mol<strong>le</strong> ottomane<br />

Dont émane<br />

Un parfum qui fait aimer.<br />

" Je pourrais folâtrer nue,<br />

Sous la nue,<br />

Dans <strong>le</strong> ruisseau du jardin,<br />

Sans craindre de voir dans l'ombre<br />

Du bois sombre<br />

Deux yeux s'allumer soudain.<br />

72


" Il faudrait risquer sa tête<br />

Inquiète,<br />

Et tout braver pour me voir,<br />

Le sabre nu de l'heyduque,<br />

Et l'eunuque<br />

Aux dents blanches, au front noir !<br />

" Puis, je pourrais, sans qu'on presse<br />

Ma paresse,<br />

Laissez avec mes habits<br />

Traîner <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s larges dal<strong>le</strong>s<br />

Mes sanda<strong>le</strong>s<br />

De drap brodé de rubis. "<br />

Ainsi se par<strong>le</strong> en princesse,<br />

Et sans cesse<br />

Se balance avec amour,<br />

La jeune fil<strong>le</strong> rieuse,<br />

Oublieuse<br />

Des promptes ai<strong>le</strong>s du jour.<br />

Prolongements :<br />

1. Recherche : <strong>sur</strong> base de trois sources<br />

différentes (une seu<strong>le</strong> <strong>sur</strong> Internet !),<br />

rédige une synthèse personnel<strong>le</strong> de la<br />

biographie de Victor Hugo.<br />

2. Analyse la structure du poème.<br />

3. En quoi <strong>le</strong> travail <strong>sur</strong> <strong>le</strong> rythme est-il<br />

particulier ?<br />

4. Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s caractéristiques<br />

romantiques que l’on peut re<strong>le</strong>ver dans<br />

ce poème ?<br />

L'eau, du pied de la baigneuse<br />

Peu soigneuse,<br />

Rejaillit <strong>sur</strong> <strong>le</strong> gazon,<br />

Sur sa chemise plissée,<br />

Balancée<br />

Aux branches d'un vert buisson.<br />

Et cependant des campagnes<br />

Ses compagnes<br />

Prennent toutes <strong>le</strong> chemin.<br />

Voici <strong>le</strong>ur troupe frivo<strong>le</strong><br />

Qui s'envo<strong>le</strong><br />

En se tenant par la main.<br />

Chacune, en chantant comme el<strong>le</strong>,<br />

Passe, et mê<strong>le</strong><br />

Ce reproche à sa chanson :<br />

- Oh ! la paresseuse fil<strong>le</strong><br />

Qui s'habil<strong>le</strong><br />

Si tard un jour de moisson !<br />

VICTOR HUGO, <strong>Les</strong> Orienta<strong>le</strong>s,<br />

Sara la baigneuse de A.Colin<br />

73


<strong>Les</strong> F<strong>le</strong>urs du Mal<br />

Parfum exotique<br />

Quand, <strong>le</strong>s deux yeux fermés, en un soir chaud<br />

d'automne,<br />

Je respire l'odeur de ton sein cha<strong>le</strong>ureux,<br />

Je vois se dérou<strong>le</strong>r des rivages heureux<br />

Qu'éblouissent <strong>le</strong>s feux d'un so<strong>le</strong>il monotone ;<br />

Une î<strong>le</strong> paresseuse où la nature donne<br />

Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;<br />

Des hommes dont <strong>le</strong> corps est mince et vigoureux,<br />

Et des femmes dont œil par sa franchise étonne.<br />

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,<br />

Je vois un port rempli de voi<strong>le</strong>s et de mâts<br />

Encor tout fatigués par la vague marine,<br />

Pendant que <strong>le</strong> parfum des verts tamariniers,<br />

Qui circu<strong>le</strong> dans l'air et m'enf<strong>le</strong> la narine,<br />

Se mê<strong>le</strong> dans mon âme au chant des mariniers.<br />

L'invitation au <strong>voyage</strong><br />

Mon enfant, ma sœur,<br />

Songe à la douceur<br />

D'al<strong>le</strong>r là-bas vivre ensemb<strong>le</strong> !<br />

Aimer à loisir,<br />

Aimer et mourir<br />

Au pays qui te ressemb<strong>le</strong> !<br />

<strong>Les</strong> so<strong>le</strong>ils mouillés<br />

De ces ciels brouillés<br />

Pour mon esprit ont <strong>le</strong>s charmes<br />

Si mystérieux<br />

De tes traîtres yeux,<br />

Brillant à travers <strong>le</strong>urs larmes.<br />

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,<br />

Luxe, calme et volupté.<br />

Des meub<strong>le</strong>s luisants,<br />

Polis par <strong>le</strong>s ans,<br />

Décoreraient notre chambre ;<br />

<strong>Les</strong> plus rares f<strong>le</strong>urs<br />

Mêlant <strong>le</strong>urs odeurs<br />

Aux vagues senteurs de l'ambre,<br />

<strong>Les</strong> riches plafonds,<br />

<strong>Les</strong> miroirs profonds,<br />

La sp<strong>le</strong>ndeur orienta<strong>le</strong>,<br />

Tout y par<strong>le</strong>rait<br />

À l'âme en secret<br />

Sa douce langue nata<strong>le</strong>.<br />

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,<br />

Luxe, calme et volupté.<br />

Vois <strong>sur</strong> ces canaux<br />

Dormir ces vaisseaux<br />

Dont l'humeur est vagabonde ;<br />

C'est pour assouvir<br />

Ton moindre désir<br />

Qu'ils viennent du bout du monde.<br />

- <strong>Les</strong> so<strong>le</strong>ils couchants<br />

Revêtent <strong>le</strong>s champs,<br />

<strong>Les</strong> canaux, la vil<strong>le</strong> entière,<br />

D'hyacinthe et d'or ;<br />

Le monde s'endort<br />

Dans une chaude lumière.<br />

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,<br />

Luxe, calme et volupté.<br />

74


Amer savoir, celui qu'on tire du <strong>voyage</strong><br />

Amer savoir, celui qu'on tire du <strong>voyage</strong> !<br />

Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,<br />

Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :<br />

Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !<br />

Faut-il partir ? Rester ? Si tu peux rester, reste ;<br />

Pars, s'il <strong>le</strong> faut. L'un court, et l'autre se tapit<br />

Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,<br />

Le Temps ! Il est, hélas ! Des coureurs sans répit,<br />

Comme <strong>le</strong> Juif errant et comme <strong>le</strong>s apôtres,<br />

À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,<br />

Pour fuir ce rétiaire infâme ; il en est d'autres<br />

Qui savent <strong>le</strong> tuer sans quitter <strong>le</strong>ur berceau.<br />

Lorsque enfin il mettra <strong>le</strong> pied <strong>sur</strong> notre échine,<br />

Nous pourrons espérer et crier : En avant !<br />

De même qu'autrefois nous partions pour la Chine,<br />

<strong>Les</strong> yeux fixés au large et <strong>le</strong>s cheveux au vent,<br />

Nous nous embarquerons <strong>sur</strong> la mer des Ténèbres<br />

Avec <strong>le</strong> cœur joyeux d'un jeune passager.<br />

Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,<br />

Qui chantent : " par ici ! Vous qui vou<strong>le</strong>z manger<br />

Le Lotus parfumé ! C'est ici qu'on vendange<br />

<strong>Les</strong> fruits miracu<strong>le</strong>ux dont votre cœur a faim ;<br />

Venez vous enivrer de la douceur étrange<br />

De cette après-midi qui n'a jamais de fin ! "<br />

À l'accent familier nous devinons <strong>le</strong> spectre ;<br />

Nos Pylades là-bas tendent <strong>le</strong>urs bras vers nous.<br />

" Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton É<strong>le</strong>ctre ! "<br />

Dit cel<strong>le</strong> dont jadis nous baisions <strong>le</strong>s genoux.<br />

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons l'ancre !<br />

Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !<br />

Si <strong>le</strong> ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,<br />

Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !<br />

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !<br />

Nous voulons, tant ce feu nous brû<strong>le</strong> <strong>le</strong> cerveau,<br />

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe,<br />

Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !<br />

BAUDELAIRE, <strong>Les</strong> F<strong>le</strong>urs du Mal,<br />

75


VI. LE XXe SIECLE : IDENTITE ET ALTERITE.<br />

Si <strong>le</strong> XIXe sièc<strong>le</strong> est marqué par une volonté de redéfinir <strong>le</strong> genre, <strong>le</strong> XXe<br />

sièc<strong>le</strong>, pour sa part, remet plus radica<strong>le</strong>ment en cause la possibilité même de<br />

<strong>voyage</strong>r, de découvrir du jamais vu, de rencontrer de l'inattendu.<br />

Au début du sièc<strong>le</strong> <strong>le</strong> dépaysement est à la mode. La simp<strong>le</strong> description<br />

est supplantée par <strong>le</strong> vécu. L’imaginaire s’oriente vers ce que <strong>le</strong> sociologue Jean-<br />

Didier Urbain appel<strong>le</strong> « <strong>le</strong> <strong>voyage</strong> des interstices ». Dans un monde quadrillé,<br />

saturé de multip<strong>le</strong>s réseaux, <strong>le</strong> <strong>voyage</strong>ur ne recherche plus la nouveauté dans un<br />

ail<strong>le</strong>urs, mais <strong>le</strong>s vestiges d’aventures de plus en plus rares dans notre société.<br />

Dès cette époque, <strong>le</strong> nomadisme n'est plus seu<strong>le</strong>ment géographique, <strong>le</strong><br />

<strong>voyage</strong>ur est animé par un profond désir de rupture, qu'il éprouve <strong>le</strong> besoin de<br />

prendre un vrai bain de réalité, à partir du moment où cette réalité est autre<br />

que cel<strong>le</strong> où il se trouve empêtré? C'est <strong>le</strong> temps de la réparation de soi par<br />

l'action et <strong>le</strong> mouvement. Sega<strong>le</strong>n écrit: «On fit, comme toujours, un <strong>voyage</strong> au<br />

loin de ce qui n'était qu'un <strong>voyage</strong> au fond de soi.»<br />

Pourtant, en 1975, avec la parution de la revue anglaise Granta, naît un<br />

mouvement d’écrivains qui choisissent d’être résolument ail<strong>le</strong>urs : dehors. Ceux<br />

que l’on appel<strong>le</strong>ra désormais <strong>le</strong>s Travel writers, ou écrivains <strong>voyage</strong>urs,<br />

enterreront la littérature «jeux de mots» pour une «écriture - monde» ou<br />

écriture du réel. Se frotter au monde, écrire une littérature qui dise <strong>le</strong> monde,<br />

en «appliquant au réel <strong>le</strong>s techniques de narration du roman, pour restituer la<br />

dimension romanesque du réel.» (Chatwin).<br />

Mais déjà en 1955, Lévi-Strauss déclarait, sous <strong>le</strong>s Tristes tropiques qu’il<br />

n’y a plus de <strong>voyage</strong>s : «ils apportent l’illusion de ce qui n’existe plus.». La<br />

prédi<strong>le</strong>ction de la ittérature de <strong>voyage</strong> pour la figure emblématique du nomade<br />

invite à interroger nos rapports avec l’espace <strong>sur</strong> une planète menacée. El<strong>le</strong><br />

enjoint l’Occidental à ne plus façonner <strong>le</strong> monde à son usage, mais à en voir <strong>le</strong>s<br />

76


multip<strong>le</strong>s visages. Dans ses chants à plusieurs voix, el<strong>le</strong> fait entendre une cohésion<br />

humaine, et, en <strong>le</strong>s écoutant, on se <strong>sur</strong>prend parfois à rêver de solidarité.<br />

Textes :<br />

• Michel LEIRIS, Race et Civilisation (1951)<br />

• Claude LEVI-STRAUSS, Tristes Tropiques (1952)<br />

• Jacques JULLIARD , Combattre <strong>le</strong> fantasme de l’inégalité<br />

des races (1996)<br />

• Amin MAALOUF, <strong>Les</strong> identités meurtrières (1998)<br />

• Zvetlan TODOROV, Tous <strong>le</strong>s matins du monde, (2006)<br />

77


Race et civilisation<br />

Michel Leiris, écrivain et chercheur<br />

spécialiste de l’Afrique, analyse ici <strong>le</strong>s<br />

sources du racisme, réfutant explicitement<br />

<strong>le</strong>s thèses de Gobineau <strong>sur</strong> l’inégalité des<br />

races.<br />

Le préjugé social n’est pas inné 1 :<br />

comme <strong>le</strong> note M. Ash<strong>le</strong>y Montagu, « en<br />

Amérique, là où <strong>le</strong>s enfants blancs et noirs<br />

vivent fréquemment côte à côte, il est<br />

indéniab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s enfants blancs<br />

n’apprennent pas à se considérer comme<br />

supérieurs aux enfants nègres tant qu’on ne <strong>le</strong>ur a pas dit qu’il en était ainsi » ; quand,<br />

d’autre part, on constate chez un groupe tenu à l’écart une tendance au racisme (se<br />

manifestant soit par l’endogamie volontaire, soit par l'affirmation plus ou moins agressive<br />

des vertus de sa « race »), il faut n’y voir qu'une réaction norma<strong>le</strong> d '« humiliés et<br />

offensés» contre l’ostracisme ou la persécution auxquels ils sont en butte et n’en pas<br />

faire un indice de la généralité du préjugé racial. Quel que soit <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de l’agressivité<br />

dans <strong>le</strong> psychisme humain, nul<strong>le</strong> tendance ne pousse <strong>le</strong>s hommes à des actes hosti<strong>le</strong>s<br />

dirigés contre des hommes regardés comme d’une autre race, et si pareils actes, trop<br />

souvent, se commettent ce n’est pas à cause d’une inimitié d’ordre biologique, car on n’a<br />

jamais vu (que je sache) une batail<strong>le</strong> de chiens où <strong>le</strong>s épagneuls, par exemp<strong>le</strong>, feraient<br />

front contre <strong>le</strong>s bou<strong>le</strong>dogues (…).<br />

Le préjugé ra cial n’a rien d’héréditaire non plus que de spontané ; il est « un «<br />

préjugé », c’est-à-dire un jugement de va<strong>le</strong>ur non fondé objectivement et d’origine<br />

culturel<strong>le</strong> : loin d’être donné dans <strong>le</strong>s choses ou inhérent à la nature humaine, il fait partie<br />

de ces mythes qui procèdent d’une propagande intéressée bien plus que d’une tradition<br />

immémoria<strong>le</strong>. Puisqu’il est lié essentiel<strong>le</strong>ment à des antagonismes reposant <strong>sur</strong> la<br />

structure économique des sociétés modernes, c’est dans la me<strong>sur</strong>e où <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s<br />

transformeront cette structure qu'on <strong>le</strong> verra disparaître, comme d’autres préjugés qui<br />

ne sont pas des causes d’injustice socia<strong>le</strong> mais plutôt des symptômes. Ainsi, grâce à la<br />

coopération de tous <strong>le</strong>s groupes humains quels qu’ils soient <strong>sur</strong> un plan d'égalité<br />

s’ouvriront pour la civilisation des perspectives insoupçonnées.<br />

« Race et civilisation », in Cinq essais d’ethnologie, UNESCO<br />

Prolongements :<br />

1. Qu’est-ce qu’un préjugé ?<br />

2. Quel<strong>le</strong> thèse Michel Leiris cherche-t-il à réfuter ?<br />

3. Relève et classe ses arguments.<br />

4. A quel<strong>le</strong>s causes attribue-t-il <strong>le</strong>s comportements de rejet de l’autre ? Ontel<strong>le</strong>s<br />

un point commun ?<br />

5. Quel<strong>le</strong> est, selon lui, l’origine du préjugé racial ? Quel<strong>le</strong> solution permettrait<br />

de <strong>le</strong> faire disparaître ?<br />

1 Existant dès la naissance.<br />

78


Race et Histoire<br />

Claude Lévi-Strauss, ethnologue<br />

et anthropologue français, a<br />

consacré sa vie à l'étude des<br />

sociétés dites « primitives ».<br />

Son œuvre est l’une des plus<br />

importante du sièc<strong>le</strong> en ce<br />

domaine. Sollicité par l'Unesco<br />

en 1952, il avait accepté de<br />

livrer son point de vue <strong>sur</strong> la<br />

nature des différences entre<br />

cultures dans un texte intitulé<br />

Race et histoire. Le passage<br />

suivant explicite <strong>le</strong> sens que<br />

revêt la diversité culturel<strong>le</strong> aux<br />

yeux de l’auteur.<br />

Il semb<strong>le</strong> que la diversité<br />

des cultures soit rarement<br />

apparue aux hommes pour ce<br />

qu'el<strong>le</strong> est : un phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre <strong>le</strong>s<br />

sociétés : ils y ont plutôt vu une sorte de monstruosité ou de scanda<strong>le</strong> ; dans ces<br />

matières, <strong>le</strong> progrès de la connaissance n'a pas tant consisté à dissiper cette illusion au<br />

profit d'une vue plus exacte, qu'à l'accepter ou à trouver <strong>le</strong> moyen de s'y résigner.<br />

L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute <strong>sur</strong> des fondements<br />

psychologiques solides puisqu'el<strong>le</strong> tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous<br />

sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simp<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong>s formes culturel<strong>le</strong>s : mora<strong>le</strong>s, religieuses. Socia<strong>le</strong>s, esthétiques, qui sont <strong>le</strong>s plus<br />

éloignées de cel<strong>le</strong>s auxquel<strong>le</strong>s non, nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela<br />

n'est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions<br />

grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manière,<br />

de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait<br />

el<strong>le</strong> tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous <strong>le</strong> même<br />

nom de barbare ; la civilisation occidenta<strong>le</strong> a ensuite utilisé <strong>le</strong> terme de sauvage dans <strong>le</strong><br />

même sens. Or, derrière ces épithètes se dissimu<strong>le</strong> un même jugement : il est probab<strong>le</strong><br />

que <strong>le</strong> mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du<br />

chant des oiseaux, opposées à la va<strong>le</strong>ur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui<br />

veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animal, par opposition à la culture<br />

humaine. Dans <strong>le</strong>s deux cas, on refuse d'admettre <strong>le</strong> fait même de la diversité culturel<strong>le</strong> ;<br />

on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la<br />

norme sous laquel<strong>le</strong> on vit.<br />

« Race et Histoire », in Anthropologie structura<strong>le</strong>, Plon.<br />

Prolongements :<br />

1. Re<strong>le</strong>vez <strong>le</strong>s mots appartenant au champ <strong>le</strong>xical du rejet.<br />

79


2. Quel<strong>le</strong> attitude de pensée l’auteur essaie-t-il d’analyser ? Comment l’expliquet-il<br />

?<br />

3. Approuve-t-il cette attitude ? Comment <strong>le</strong> montre-t-il ?<br />

4. Quels sont <strong>le</strong>s passages qui permettent de connaître son avis ?<br />

Claude Lévi-Strauss, Photo d'un indien Bororo du Brésil<br />

80


Combattre <strong>le</strong> fantasme de l’inégalité des races<br />

Est-il donc vraiment nécessaire, un demi-sièc<strong>le</strong> après Auschwitz, de combattre <strong>le</strong> fantasme<br />

de l’inégalité des races? Malheureusement oui. Il ne faut pas se contenter d’anathématiser <strong>le</strong><br />

racisme ordinaire, il faut expliquer calmement, sans imprécations gratifiantes pour <strong>le</strong>urs auteurs,<br />

en quoi ce racisme est condamnab<strong>le</strong>. Il <strong>le</strong> faut d’abord parce qu’il est en p<strong>le</strong>ine expansion à la<br />

<strong>sur</strong>face du globe, et l’intolérance avec lui. Tous <strong>le</strong>s zozos du différencialisme communautaire, tous<br />

<strong>le</strong>s apprentis sorciers des identités culturel<strong>le</strong>s savent-ils où ils sont en train de mettre <strong>le</strong>s pieds?<br />

Je n’en suis pas sûr. Il faudra bien <strong>le</strong> <strong>le</strong>ur expliquer.<br />

Mais chaque chose en son temps. Le racisme, et c’est là son atout principal, se drape dans<br />

<strong>le</strong>s plis du bon sens populaire. Jusqu’à une date récente, on nous a appris à l’éco<strong>le</strong> qu’il existait à la<br />

<strong>sur</strong>face de la terre trois grandes races, la blanche, la noire, la jaune, auxquel<strong>le</strong>s on ajoutait jadis la<br />

rouge à cause des Indiens d’Amérique! D’ail<strong>le</strong>urs, la cou<strong>le</strong>ur de la peau, cela se voit, non? Alors<br />

quand on assène aux gens, sans grande explication, <strong>sur</strong> <strong>le</strong> ton de l’évidence péremptoire, que <strong>le</strong>s<br />

races n’existent pas, on <strong>le</strong>s étonne, on <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>. Ils pensent à quelque pieux mensonge. Résultat:<br />

71% de la population estiment que <strong>le</strong> FN est un parti raciste, tandis que 51% se sentent proches de<br />

certaines de ses idées! (sondage Ipsos-«Libération» du 16 septembre). L’antiracisme moral, fondé<br />

exclusivement <strong>sur</strong> la culpabilisation, est un fiasco retentissant.<br />

Voilà pourquoi il faut bel et bien expliquer, sans jouer aux prédicateurs, pourquoi la science<br />

a renoncé depuis une cinquantaine d’années à une notion aussi vague qu’inuti<strong>le</strong>. Montrer que la «race<br />

blanche» comprend aussi bien <strong>le</strong>s petits Arabes bruns que <strong>le</strong>s grands Suédois blonds. Au fait, M.<br />

Le Pen doit être bien marri d’appartenir à la même race, mettons, que <strong>le</strong>s Kaby<strong>le</strong>s. De sorte que si<br />

l’on veut faire usage de la notion de race, on est bien obligé de distinguer, de catégoriser, de<br />

raffiner, d’introduire des sous-races, dont l’homogénéité, à quelques exceptions près, n’est pas plus<br />

forte que cel<strong>le</strong> des grandes. Car l’Histoire n’a cessé de brasser <strong>le</strong>s souches. Il y a peut-être une<br />

race eskimo, ou plutôt inuit. Il n’y a pas de race française, non plus que de race juive en dépit d’un<br />

fort taux d’endogamie. La science moderne ne connaît que des populations, c’est-à-dire des unités<br />

de reproduction composées de «l’ensemb<strong>le</strong> d’individus interféconds qui ont plus de chances de se<br />

croiser entre eux que de se croiser avec d’autres» 2 . Dans la réalité, personne ne croit plus à<br />

2 Jacques Ruffié, «Traité du vivant», Fayard, 1982, p. 85.<br />

81


l’existence de races. Le Pen lui-même, lorsqu’il veut montrer l’inégalité des races, ne par<strong>le</strong> plus de<br />

types physiques mais de civilisations, de sociétés parvenues à des degrés différents de<br />

développement.<br />

Il existe certes des types physiques, méditerranéen ou nordique, mais qui ne sont ni physiquement<br />

ni culturel<strong>le</strong>ment hiérarchisab<strong>le</strong>s. La différence n’implique pas l’inégalité. C’est si vrai que M. Le<br />

Pen a cru malin ou habi<strong>le</strong> de citer, pour montrer son absence de préjugés, la supériorité naturel<strong>le</strong><br />

des Noirs dans la <strong>cours</strong>e à pied. Il y a quelques années encore, on expliquait couramment la<br />

supériorité des Noirs dans <strong>le</strong>s épreuves de sprint par la longueur de <strong>le</strong>urs fibres musculaires,<br />

tandis que <strong>le</strong>s Blancs – Suédois, Finlandais notamment – auraient excellé dans <strong>le</strong> demi-fond pour<br />

des raisons opposées. Jusqu’à ce que <strong>le</strong>s Kenyans se mettent à pulvériser <strong>le</strong>s records du monde du<br />

3000 steep<strong>le</strong>, du 5000 ou du 10000, tandis que <strong>le</strong>s Ethiopiens devenaient pour quelque temps <strong>le</strong>s<br />

maîtres du marathon. Cela signifie tout simp<strong>le</strong>ment que dans un domaine où l’application humaine<br />

s’investit aussi fort que dans la <strong>cours</strong>e aux records, la place de la nature physique ne cesse de<br />

régresser par rapport à la culture physique. Une histoire sincère, et non pieuse, de l’anthropologie<br />

physique reste à écrire. Un homme comme Pierre-André Taguieff y a beaucoup contribué. On y<br />

découvre alors que <strong>le</strong> racisme biologique n’est pas pour l’essentiel un préjugé ancestral mais un<br />

acquis récent du scientisme à prétentions progressistes. Vacher de Lapouge, un des fondateurs du<br />

racisme moderne, qui entendait donner un statut scientifique à l’étude des types humains, ne fut-il<br />

pas membre du parti socialiste de Ju<strong>le</strong>s Guesde ? Il se mit à me<strong>sur</strong>er <strong>le</strong>s crânes, en compagnie, à<br />

l’occasion, de Paul Valéry. C’est ainsi qu’on était passé du vieil antisémitisme chrétien, à fondement<br />

culturel – c’était en réalité un antijudaïsme – à l’antisémitisme moderne, à prétentions<br />

scientifiques. C’est celui-là que <strong>le</strong> nazisme, volontiers scientiste, a repris à son compte. Il a pour<br />

point de départ <strong>le</strong>s idées de Malthus, puis de Darwin en termes de concurrence entre <strong>le</strong>s individus<br />

et <strong>le</strong>s groupes. C’est <strong>le</strong> cousin et discip<strong>le</strong> de ce dernier, Francis Galton, qui a prétendu justifier la<br />

hiérarchie des races en se fondant <strong>sur</strong> des caractères morphologiques (forme du crâne, cou<strong>le</strong>ur de<br />

la peau, cou<strong>le</strong>ur des yeux, etc. ) mais aussi «mentaux», c’est-à-dire culturels. C’est cette hérédité<br />

des caractères mentaux, tota<strong>le</strong>ment abandonnée par la science, qui reste <strong>le</strong> fond des croyances<br />

racistes.<br />

Logiquement, <strong>le</strong>s racistes modernes ont d’ail<strong>le</strong>urs tous évolué en adversaires décidés de la<br />

démocratie. Vacher de Lapouge: «Le conflit des races commence ouvertement et l’on se demande si<br />

<strong>le</strong>s idées de fraternité, d’égalité des hommes n’allaient point contre <strong>le</strong>s lois de la nature.» Ou<br />

encore: «L’idée même de droit est une fiction. Il n’y a que des forces.» A terme, toute théorie de<br />

l’inégalité des races se traduit par la négation de la démocratie et de la solidarité socia<strong>le</strong>.<br />

Non que toute anthropologie physique soit condamnab<strong>le</strong> en soi. On peut se livrer à des<br />

men<strong>sur</strong>ations de crânes sans en tirer pour conséquence qu’il faut défoncer à coups de pioche une<br />

partie d’entre eux. Mais on doit bien constater que la notion de race ne conserve d’intérêt que pour<br />

ceux qui entendent en tirer une politique discriminatoire: soit pour exalter une prétendue race<br />

supérieure, soit pour mettre en garde contre <strong>le</strong>s périls que lui font courir <strong>le</strong>s prétendues races<br />

inférieures. On ne comprendrait rien au retour en force du racisme actuel si on ne <strong>le</strong> reliait pas<br />

aux fantasmes du déclin, et même aux philosophies de la décadence. La crise profonde que<br />

traverse aujourd’hui la notion de progrès est <strong>le</strong> terrain vague <strong>sur</strong> <strong>le</strong>quel prospèrent <strong>le</strong>s herbes<br />

fol<strong>le</strong>s du racisme.<br />

Revenons à Le Pen. Lui-même, je l’ai dit, est amené, pour illustrer <strong>le</strong>s inégalités entre <strong>le</strong>s<br />

races, à citer de simp<strong>le</strong>s différences entre sociétés. Autrement dit, une bonne partie du vieux<br />

racisme biologique, balayé par la science moderne et déshonoré par Auschwitz, est en train de se<br />

déguiser en différencialisme culturel. Alors pourquoi marte<strong>le</strong>r avec tant d’acharnement<br />

«l’inégalité» des races? Pour une raison simp<strong>le</strong>. C’est que si <strong>le</strong>s inégalités entre <strong>le</strong>s groupes et<br />

entre <strong>le</strong>s individus ont un fondement non pas biologique mais seu<strong>le</strong>ment culturel – en d’autres<br />

82


termes, si el<strong>le</strong>s relèvent principa<strong>le</strong>ment d’un degré inégal de développement –, el<strong>le</strong>s peuvent être<br />

comblées par desme<strong>sur</strong>es éducatives, par des actions d’ordre social et culturel. Autrement dit,<br />

l’intégration est possib<strong>le</strong>. Le développement est possib<strong>le</strong>. C’est la ruine des théories de l’exclusion.<br />

Le Pen est raciste non de conviction mais d’intérêt. Supprimez la croyance à l’hérédité menta<strong>le</strong>,<br />

vous ruinez son fonds de commerce.<br />

C’est la raison pour laquel<strong>le</strong> je m’étonne qu’on fasse si peu de cas du principal moyen de<br />

lutte contre <strong>le</strong> <strong>le</strong>pénisme – celui qui consiste à démontrer l’erreur scientifique et historique du<br />

racisme. Car enfin, ou bien nous croyons à l’éducation, ou bien nous ne sommes que des cow-boys<br />

désarmés.<br />

Il n’est, à la fin des fins, de lutte conséquente contre <strong>le</strong> racisme que cel<strong>le</strong> qui refuse de faire<br />

acception des groupes, quels qu’il soient, et qui ne connaît de sujet de droit que l’individu. Saint<br />

Paul: «Il n’y a plus ni Juif ni Grec; il n’y a plus ni esclave ni homme libre; il n’y a plus l’homme et la<br />

femme; car tous vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ.» (Gal. III, 28). Seu<strong>le</strong> cette vision universaliste,<br />

qui voit en tout homme un racheté ou plutôt un rachetab<strong>le</strong>, et sa fil<strong>le</strong> naturel<strong>le</strong>, l’individualisme<br />

révolutionnaire de 89, est une réponse appropriée au défi raciste qui monte de nos sociétés.<br />

Comment combattre l’inhumain sans une certaine vision de l’homme? Le fondement de<br />

l’humanisme, c’est l’idée que l’unité de l’espèce peut triompher des différences entre <strong>le</strong>s<br />

individuset entre <strong>le</strong>s groupes. Il n’y a pas de politique démocratique ni d’espérance socia<strong>le</strong> en<br />

dehors de ce pari.<br />

Jacques Julliard, Le Nouvel Observateur, septembre 1996.<br />

Carte des migrations humaines élaborée à partir de la génétique mitochondria<strong>le</strong> des<br />

populations. Nous pouvons constater que l’espèce humaine a une origine africaine.<br />

83


<strong>Les</strong> identités meurtrières<br />

Dans cet essai <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s différences et <strong>le</strong>s<br />

vio<strong>le</strong>nces qu’el<strong>le</strong>s portent en el<strong>le</strong>s aujourd’hui,<br />

Amin Maalouf, romancier libanais, part de l’idée<br />

que notre identité n’est pas une, el<strong>le</strong> est au<br />

contraire fort comp<strong>le</strong>xe : nous sommes<br />

consitués de multip<strong>le</strong>s appartenances, chacun<br />

d’entre nous présente une combinaison unique<br />

d’appartenances qu’il nous faut assumer tout es.<br />

Le danger naît lorsque nous décidons de mettre<br />

en évidence l’une d’entre el<strong>le</strong>s, à l’ériger en<br />

étendard de façon à exlure notre voisin, à<br />

rejeter l’autre. Alors, l’identité devient<br />

meurtrière, el<strong>le</strong> peut servir de justification à<br />

tous <strong>le</strong>s rejets, à toutes <strong>le</strong>s exclusions, avec <strong>le</strong>s<br />

dérives dont ce vingt-et-unième sièc<strong>le</strong><br />

commençant n’a été que trop souvent témoin.<br />

L’identité n’est pas donnée une fois pour<br />

toutes, el<strong>le</strong> se construit et se transforme tout<br />

au long de l’existence. Bien des livres l’ont déjà<br />

dit, et abondamment expliqué, mais il n’est pas<br />

inuti<strong>le</strong> de souligner encore : <strong>le</strong>s éléments de<br />

notre identité qui sont déjà en nous à la<br />

naissance ne sont pas très nombreux – quelques caractéristiques physiques, <strong>le</strong> sexe, la<br />

cou<strong>le</strong>ur … Et même là, d’ail<strong>le</strong>urs, tout n’est pas inné. Bien que ce ne soit évidemment pas<br />

l’environnement social qui détermine <strong>le</strong> sexe, c’est lui néanmoins qui détermine <strong>le</strong> sens de<br />

cette appartenance : naître fil<strong>le</strong> à Kaboul ou à Oslo n’a pas la même signification, on ne vit<br />

pas de la même manière sa féminité, ni aucun autre élément de son identité …<br />

S’agissant de la cou<strong>le</strong>ur, on pourrait formu<strong>le</strong>r une remarque similaire. Naître noir à<br />

New-York, à Lagos, à Pretoria ou à Luanda n’a pas la même signification, on pourrait<br />

presque dire qu’il ne s’agit pas de la même cou<strong>le</strong>ur, du point de vue identaire. Pour un<br />

enfant qui voit <strong>le</strong> jour au Nigeria, l’élément <strong>le</strong> plus déterminant pour son identité n’est pas<br />

d’être noir plutôt que blanc, mais d’être yoruba, par exemp<strong>le</strong>, plutôt que haoussa. En<br />

Afrique du Sud, être noir ou blanc demeure un élément significatif de l’identité ; mais<br />

mais l’appartenance ethnique – zoulou, xhosa, etc. – est au moins aussi significative. Aux<br />

Etats-Unis, descendre d’un ancêtre yoruba plutôt que haoussa est parfaitement<br />

indifférent ; c’est <strong>sur</strong>tout chez <strong>le</strong>s Blancs – italiens, anglais, irlandais ou autres – que<br />

l’origine ethnique est déterminante pour l’identité. Par ail<strong>le</strong>urs, une personne qui aurait<br />

parmi ses ancêtres à la fois des Blancs et des Noirs serait considérée comme « noire »<br />

aux Etats-Unis, alors qu’en Afrique du Sud ou en Angola el<strong>le</strong> serait considérée comme<br />

« métisse ».<br />

Pourquoi la notion de métissage est-el<strong>le</strong> prise en considération dans certains pays<br />

et pas dans d’autres ? Pourquoi l’appartenance ethnique est-el<strong>le</strong> déterminante dans<br />

certaines sociétés, et pas dans d’autres ? On pourrait avancer, pour chaque cas, diverses<br />

84


explications plus ou moins convaincantes. Mais ce n’est pas ce qui me préoccupe à ce<br />

stade. J’ai seu<strong>le</strong>ment mentionné ces exemp<strong>le</strong>s pour insister <strong>sur</strong> <strong>le</strong> fait que même la<br />

cou<strong>le</strong>ur et <strong>le</strong> sexe ne sont pas des éléments « absolus » d’identité … A plus forte raison,<br />

tous <strong>le</strong>s autres éléments plus relatifs encore.<br />

Pour prendre la me<strong>sur</strong>e de ce qui est véritab<strong>le</strong>ment inné parmi <strong>le</strong>s éléments de<br />

l’identité, il y a un jeu mental éminnement révélateur : imaginer un nourisson que l’on<br />

retirerait de son milieu à l’instant même de sa naissance pour <strong>le</strong> placer dans un<br />

environnement différent ; comparer alors <strong>le</strong>s diverses « identités » qu’il pourrait<br />

acquérir, <strong>le</strong>s combats qu’il aurait à mener et ceux qui lui seraient épargnés … Est-il besoin<br />

de préciser qu’il n’aurait aucun souvenir de « sa » religion d’origine, ni de « sa » nation, ni<br />

de « sa » langue, et qu’il pourrait se retrouver en train de combattre avec acharnement<br />

contre ceux qui auraient dû être <strong>le</strong>s siens ?<br />

Tant il est vrai que ce qui détermine l’appartenance d’une personne à un grouppe<br />

donné, c’est essentiel<strong>le</strong>ment l’influence d’autrui ; l’influence des proches – parents,<br />

compatriotes, coreligionnaires – qui cherchent à se l’approprier, et l’influence de ceux d’en<br />

face, qui s’emploient à l’exclure. Chacun d’entre nous doit se frayer un chemein entre <strong>le</strong>s<br />

voies où on <strong>le</strong> pousse, et cel<strong>le</strong>s qu’on lui interdit ou qu’on sème d’embûches sous ses pieds ;<br />

il n’est pas d’emblée lui-même, il ne se contente pas de « prendre conscience » de ce qu’il<br />

est, il devient ce qu’il est ; il ne se contente pas de « prendre conscience » de son<br />

identité, il l’acquiert pas à pas.<br />

L’apprentissage commence très tôt, dès la première enfance. Volontairement ou<br />

pas, <strong>le</strong>s siens <strong>le</strong> modè<strong>le</strong>nt, <strong>le</strong> façonnent, lui inculquent des croyances familia<strong>le</strong>s, des rites,<br />

des attitudes, des conventions, la langue maternel<strong>le</strong> bien sûr, et puis des frayeurs, des<br />

aspirations, des préjugés, des rancoeurs, ainsi que divres sentiments d’appartenance<br />

comme de non-appartenance.<br />

Et très tôt aussi, à la maison comme à l’éco<strong>le</strong> ou dans la rue voisine, <strong>sur</strong>viennent <strong>le</strong>s<br />

premières égratignures. <strong>Les</strong> autres lui font sentir, par <strong>le</strong>urs paro<strong>le</strong>s, par <strong>le</strong>urs regards,<br />

qu’il est pauvre, ou boiteux, ou petit de tail<strong>le</strong>, ou « haut-<strong>sur</strong>-pattes », ou basané, ou trop<br />

blond, ou circoncis, ou non circoncis, ou orphelin – ces inombrab<strong>le</strong>s différences, minimes<br />

ou majeures, qui tracent <strong>le</strong>s contours de chaque personnalité, forgent <strong>le</strong>s comportements,<br />

<strong>le</strong>s opinions, <strong>le</strong>s craintes, <strong>le</strong>s ambitions, qui souvent s’avèrent éminemment formatrices<br />

mais qui parfois b<strong>le</strong>ssent pour toujours.<br />

Ce sont ces b<strong>le</strong>s<strong>sur</strong>es qui déterminent, à chaque étape de la vie, l’attitudes des<br />

hommes à l’égard de <strong>le</strong>urs appartenances etla hiérarche entre cel<strong>le</strong>s-ci. Lorsqu’on a été<br />

brimé à cause de sa religion, lorsqu’on a été humilié ou raillé à cause de sa peau, ou de son<br />

accent, ou de ses habits rapiécés, on ne l’oubliera pas. J’ai constamment insisté jusqu’ici<br />

<strong>sur</strong> <strong>le</strong> fait que l’identité est faite de multip<strong>le</strong>s appartenances ; maisq il est indispensab<strong>le</strong>s<br />

d’insister tout autant <strong>sur</strong> <strong>le</strong> fait qu’el<strong>le</strong> est une, et que nous la vivons comme un tout.<br />

L’identité d’une personne n’est pas une juxtaposition d’appartenances autonomes, ce n’est<br />

pas un « patchwork », c’est un dessin <strong>sur</strong> une peau tendue ; qu’une seu<strong>le</strong> appartenance soit<br />

touchée, et c’est toute la personne qui vibre.<br />

On a souvent tendance à se reconnaître, d’ail<strong>le</strong>urs, dans son appartenance la plus<br />

attaquée ; parfois, quand on ne se sent pas la force de la défendre, on la dissimu<strong>le</strong>, alors<br />

el<strong>le</strong> reste au fond de soi-même, tapie dans l’ombre, attendant sa revanche ; mais qu’on<br />

l’assume ou qu’on la cache, qu’on la proclame discrètement ou bien avec fracas, c’est à el<strong>le</strong><br />

qu’on s’identifie. L’appartenance qui est en cause – la cou<strong>le</strong>ur, la religion, la langue, la<br />

85


classe … - envahit alors l’identité entière. Ceux qui la partagent se sentent solidaires, ils<br />

se rassemb<strong>le</strong>nt, se mobilisent, s’encouragent mutuel<strong>le</strong>ment, s’en prennent à « ceux d’en<br />

face ». Pour eux, « affirmer <strong>le</strong>ur identité » devient forcément un acte de courage, un<br />

acte libérateur, …<br />

Au sein de chaque communauté b<strong>le</strong>ssée apparaissent naturel<strong>le</strong>ment des meneurs.<br />

Enragés ou calculateurs, ils tiennent <strong>le</strong>s propos jusqu’au-boutistes qui mettent du baume<br />

<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>s<strong>sur</strong>es. Ils disent qu’il ne faut pas mendier auprès des autres <strong>le</strong> respect, qui est<br />

un dû, mais qu’il faut <strong>le</strong> <strong>le</strong>ur imposer. Ils promettent visctoire et vengeance, enflamment<br />

<strong>le</strong>s esprits, et se servent quelquefois des moyens extrêmes dont certains de <strong>le</strong>urs frères<br />

meurtris avaient pu rêver en secret. Désormais, <strong>le</strong> décor est planté, la guerre peut<br />

commencer. Quoi qu’il arrive, <strong>le</strong>s « autres » l’auront mérité, « nous » avons un souvenir<br />

précis de « tout ce qu’il nous ont fait endurer » depuis l’aube des temps. Tous <strong>le</strong>s crimes,<br />

toputes <strong>le</strong>s exactions, toutes <strong>le</strong>s humiliations, toutes <strong>le</strong>s frayeurs, des noms, des dates,<br />

des chiffres.<br />

(…)<br />

Après chaque nouveau massacre ethnique, nous nous demandons, à juste titre,<br />

comment des êtres humains en arrivent à commettre de tel<strong>le</strong>s atrocités. Certains<br />

dechaînements nous paraissent incompréhensib<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>ur logique semb<strong>le</strong> indéchiffrab<strong>le</strong>.<br />

Alors, nous parlons de folie meurtière, de folie sanguinaire, ancestra<strong>le</strong>, héréditaire. En un<br />

sens, il y a bien folie. Lorsqu’un homme par ail<strong>le</strong>urs sain d’esprit se transforme du jour au<br />

<strong>le</strong>ndemain en tueur, il y a bien folie. Mais lorsqu’ils sont des milliers, des millions de<br />

tueurs, lorsque <strong>le</strong> phénomène se reproduit dans un pays après l’autre, au sein de cultures<br />

différentes, chez <strong>le</strong>s adeptes de toutes <strong>le</strong>s religions comme chez ceux qui n’en<br />

professent aucune, dire « folie » ne suffit plus. Ce que nous appelons commodément<br />

« folie meurtrière », c’est cette propension de nos semblab<strong>le</strong>s à se muer en massacreurs<br />

lorsqu’ils sentent <strong>le</strong>ur « tribu » menacée. Le sentiment de peur ou d’insécurité n’obéit pas<br />

toujours à des considérations rationnel<strong>le</strong>s, il arrive qu’il soit exagéré et même<br />

paranoïaque ; mais à partir du moment où une population a peur, c’est la réalité de la peur<br />

qui doit être prise en considération plus que la réalité de la menace.<br />

Je ne pense pas que tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> appartenance ethnique, religieuse, nationa<strong>le</strong> ou<br />

autre prédispose au meurtre. Il suffit de passer en revue <strong>le</strong>s événements de ces<br />

dernières années pour constater que toute communauté humaines, pour peu qu’el<strong>le</strong> se<br />

sente humiliée ou menacée dans son existence, aura tendance à produire des tueurs, qui<br />

commetront <strong>le</strong>s pires atrocités en étant convaincus d’être dans <strong>le</strong>ur droit, de mériter <strong>le</strong><br />

Ciel et l’admiration de <strong>le</strong>urs proches. En chacun de nous existe un Mr Hyde ; <strong>le</strong> tout est<br />

d’empêcher que <strong>le</strong>s conditions d’émergence du monstre ne soient rassemblées.<br />

A. Maalouf, <strong>Les</strong> identités meurtrières, Grasset, 1998.<br />

86


Tous <strong>le</strong>s matins du monde<br />

Ce texte a été publié sous <strong>le</strong> titre « Tous <strong>le</strong>s matins du monde » dans <strong>le</strong> numéro spécial de<br />

Télérama consacré à l’exposition « Lumières ! un héritage pour demain », organisée à la<br />

Bibliothèque Nationa<strong>le</strong> de France, dont <strong>le</strong> commissaire était Tzvetan Todorov. Il reprend<br />

<strong>le</strong>s grandes lignes du dernier chapitre du livre L’esprit des Lumières publié en 2006.<br />

Jean Huber ,Le repas des philosophes (1772-73).<br />

L’esprit des lumières est-il de toujours et de partout ? Trois sièc<strong>le</strong>s avant Jésus-<br />

Christ, en Inde, la raison s’immisce en politique ; dans la Chine confucéenne, l’amour du<br />

savoir s’épanouit ; dès 1615, un penseur africain dénonce l’esclavagisme… Et, plus tard, au<br />

XIXe, des mouvements éclairés essaimeront <strong>sur</strong> tous <strong>le</strong>s continents. Si l’Europe n’a pas <strong>le</strong><br />

privilège de ces idées, el<strong>le</strong> en est <strong>le</strong> creuset. Bien plus, <strong>le</strong>s Lumières sont constitutives de<br />

sa propre identité…<br />

L’esprit des Lumières, tel qu’on peut <strong>le</strong> décrire aujourd’hui, comporte une<br />

caractéristique problématique : on en trouve <strong>le</strong>s ingrédients à des époques variées, dans<br />

toutes <strong>le</strong>s grandes civilisations du monde. Et pourtant il s’agit aussi d’un fait historique<br />

qui a pris corps à un moment précis, au XVIIIe sièc<strong>le</strong>, et dans un lieu particulier, l’Europe<br />

occidenta<strong>le</strong>.<br />

87


La pensée des Lumières est universel<strong>le</strong>, même si on ne peut l’observer partout et<br />

toujours. Il ne s’agit pas seu<strong>le</strong>ment des pratiques qui la présupposent, mais aussi d’une<br />

prise de conscience théorique. On en trouve <strong>le</strong>s traces dès <strong>le</strong> IIIe sièc<strong>le</strong> avant Jésus-<br />

Christ, en Inde, dans <strong>le</strong>s préceptes adressés aux empereurs ou dans <strong>le</strong>s édits que ceux-ci<br />

diffusent ; ou encore chez <strong>le</strong>s « penseurs libres » de l’islam aux VIIIe-Xe sièc<strong>le</strong>s ; ou<br />

pendant <strong>le</strong> renouveau du confucianisme sous <strong>le</strong>s Song, en Chine, aux XIe-XIIe sièc<strong>le</strong>s ; ou<br />

dans <strong>le</strong>s mouvements d’hostilité à l’esclavage, en Afrique noire, au XVIIe sièc<strong>le</strong> et au<br />

début du XVIIIe sièc<strong>le</strong>. Énumérons, un peu au hasard, quelques-uns de ces éléments de<br />

doctrine provenant des contrées <strong>le</strong>s plus diverses.<br />

Tel est <strong>le</strong> cas des recommandations de tolérance religieuse liées à la pluralité des<br />

religions pratiquées <strong>sur</strong> un même territoire : brahmanisme et bouddhisme en Inde,<br />

confucianisme et bouddhisme en Chine, présence de musulmans, de juifs, de chrétiens, de<br />

zoroastriens, de manichéens <strong>sur</strong> ce que sont devenues <strong>le</strong>s terres de l’islam ; ou encore, en<br />

Afrique noire, coprésence de l’islam et des traditions païennes. Partout on constate –<br />

comme on <strong>le</strong> dira souvent en Europe au XVIIIe sièc<strong>le</strong> – que la tolérance est, pour tous,<br />

préférab<strong>le</strong> à la guerre et aux persécutions. Une autre exigence, probab<strong>le</strong>ment liée à la<br />

précédente, concerne la nécessité de séparer <strong>le</strong> politique et <strong>le</strong> théologique, <strong>le</strong> pouvoir de<br />

l’État et celui de la religion. On souhaite que la société des hommes soit dirigée <strong>sur</strong> la<br />

base de principes purement humains – et donc que <strong>le</strong> pouvoir <strong>sur</strong> terre soit entre <strong>le</strong>s<br />

mains du Prince plutôt qu’entre cel<strong>le</strong>s des intermédiaires avec l’au-delà.<br />

Autonomie du pouvoir politique, autonomie aussi de la connaissance. Ainsi de l’idée,<br />

présente en Inde, que <strong>le</strong> roi ne doit pas se soumettre à la tradition, aux présages ou au<br />

message des astres, mais qu’il doit faire confiance à la seu<strong>le</strong> investigation rationnel<strong>le</strong>. Ou<br />

encore de la défense, au IXe sièc<strong>le</strong>, par <strong>le</strong> célèbre médecin arabe Al-Razi, du savoir<br />

strictement humain, puisé dans l’expérience et encadré par la seu<strong>le</strong> raison. En Chine, <strong>le</strong>s<br />

nombreuses inventions techniques témoignent d’une attitude de libre recherche dans <strong>le</strong><br />

domaine du savoir. Il en va demême des progrès accomplis dans <strong>le</strong> monde islamique par des<br />

sciences comme <strong>le</strong>s mathématiques, l’astronomie, l’optique, la médecine.<br />

Un autre trait éga<strong>le</strong>ment répandu concerne la pensée même de l’universalité : de<br />

l’éga<strong>le</strong> dignité de tous <strong>le</strong>s êtres humains, des fondements universels de la mora<strong>le</strong>, et donc<br />

de l’unité du genre humain. « Il n’y a pas d’activité supérieure à faire <strong>le</strong> bien du monde<br />

entier », déclare l’empereur indien Asoka, au IIIe sièc<strong>le</strong> av. J.-C. C’est cette pensée de<br />

l’universalité qui devient aussi <strong>le</strong> point de départ du combat contre l’esclavage en Afrique.<br />

En 1615, à Tombouctou, Ahmed Baba écrit un traité qui plaide pour l’égalité des races, en<br />

refusant donc toute légitimité aux pratiques esclavagistes.<br />

<strong>Les</strong> manifestations que je<br />

réunis un peu arbitrairement<br />

ici à partir de ce que nous<br />

jugeons être l’esprit des<br />

Lumières européennes jouent<br />

un rô<strong>le</strong> plus ou moins fort,<br />

plus ou moins durab<strong>le</strong>. En<br />

Inde, la recommandation<br />

adressée au monarque de<br />

privilégier l’investigation<br />

88


ationnel<strong>le</strong> au détriment des croyances et des superstitions lui est réservée, el<strong>le</strong> ne sera<br />

pas généralisée à toute la population. Si proximité avec <strong>le</strong>s Lumières il y a, ce sera<br />

essentiel<strong>le</strong>ment avec ce qu’on appel<strong>le</strong> <strong>le</strong> « despotisme éclairé ». <strong>Les</strong> penseurs libres<br />

musulmans sont sévèrement réprimés à partir du Xe sièc<strong>le</strong>. Le rapprochement <strong>le</strong> plus<br />

significatif reste avec l’enseignement confucéen en Chine, qui concerne par principe un<br />

monde naturel et humain, et qui pose comme but <strong>le</strong> perfectionnement de la personne,<br />

comme moyens, l’éducation et <strong>le</strong> travail. Ce n’est pas un hasard si <strong>le</strong>s philosophes<br />

européens du XVIIIe sièc<strong>le</strong> éprouvent une sympathie particulière pour <strong>le</strong> « modè<strong>le</strong> »<br />

chinois (dont ils ont, il faut l’admettre, une idée assez approximative).<br />

Ces développements multip<strong>le</strong>s témoignent de l’universalité des idées des Lumières,<br />

nul<strong>le</strong>ment apanage des seuls Européens. Pourtant, c’est bien en Europe qu’au XVIIIe<br />

sièc<strong>le</strong> ce mouvement s’accélère et se renforce, c’est là que se formu<strong>le</strong> la grande synthèse<br />

de pensée qui se répand ensuite <strong>sur</strong> tous <strong>le</strong>s continents : d’abord en Amérique du Nord,<br />

ensuite en Europe même, en Amérique latine, en Asie, en Afrique. On ne peut manquer de<br />

se poser la question : pourquoi en Europe plutôt qu’ail<strong>le</strong>urs, par exemp<strong>le</strong> en Chine ? Sans<br />

vouloir trancher cette question diffici<strong>le</strong> (<strong>le</strong>s mutations historiques sont des phénomènes<br />

comp<strong>le</strong>xes, aux causes multip<strong>le</strong>s, voire contradictoires), on peut signa<strong>le</strong>r un trait présent<br />

en Europe et absent ail<strong>le</strong>urs : c’est l’autonomie politique, cel<strong>le</strong> du peup<strong>le</strong> et cel<strong>le</strong> de<br />

l’individu – auquel il faut donner une place au sein de la société et non en dehors d’el<strong>le</strong><br />

(comme cela pouvait être <strong>le</strong> cas des « renonçants » en Inde, des mystiques en terre<br />

d’islam, des moines en Chine). Le propre des Lumières européennes est d’avoir préparé<br />

l’avènement de ces notions : l’individu, la démocratie. Mais comment expliquer que ces<br />

idées-là aient pu prospérer en Europe précisément ?<br />

Là encore, la réponse est comp<strong>le</strong>xe. Pourtant, un fait saute aux yeux : l’Europe est à<br />

la fois une et multip<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> hommes des Lumières sont au demeurant unanimes à cet égard.<br />

Ils constatent que <strong>le</strong>s puissances européennes forment entre el<strong>le</strong>s une sorte de système,<br />

qu’el<strong>le</strong>s sont reliées par <strong>le</strong> commerce comme par la politique, qu’el<strong>le</strong>s se réfèrent aux<br />

mêmes principes généraux. Pourtant, ils sont tout aussi sensib<strong>le</strong>s aux différences qui<br />

séparent <strong>le</strong>s pays. Et pour cause : de ces différences, ils tirent profit1. Le <strong>voyage</strong> et <strong>le</strong><br />

séjour à l’étranger est devenu plus<br />

que commun : indispensab<strong>le</strong>. Avant de s’atte<strong>le</strong>r à son grand ouvrage, L’Esprit des lois,<br />

Montesquieu juge nécessaire de parcourir l’Europe et d’étudier <strong>le</strong>s mœurs des différents<br />

peup<strong>le</strong>s qu’on y rencontre. Pour parfaire son éducation, James Boswell, juriste et écrivain<br />

écossais, se lance dans un grand <strong>voyage</strong> en Europe. Quant au prince de Ligne, feldmaréchal<br />

autrichien, ambassadeur en Russie, écrivain de langue française, il a calculé avoir<br />

fait trente- quatre fois <strong>le</strong> <strong>voyage</strong> entre Bruxel<strong>le</strong>s et Vienne et avoir passé p lus de trois<br />

ans de sa vie en<br />

voiture : « J’aime mon état étranger partout : français en Autriche, autrichien en France,<br />

l’un et l’autre en Russie, c’est <strong>le</strong> moyen de se plaire en tous lieux et de n’être dépendant<br />

nul<strong>le</strong> part. »<br />

Le pays étranger peut être <strong>le</strong> lieu où l’on apprend comme celui où l’on échappe aux<br />

persécutions. Aucun pays ne l’emporte définitivement <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s autres : l’abbé Prévost,<br />

Voltaire, Rousseau séjournant en Ang<strong>le</strong>terre, Hume, Bolingbroke, Sterne en France,<br />

Winckelmann et Goethe iront en Italie, Beccaria viendra en France. De <strong>le</strong>ur côté,<br />

Voltaire, Maupertuis, La Mettris quittent la France pour se mettre sous la protection de<br />

Frédéric II à Berlin, Diderot s’en va conseil<strong>le</strong>r Catherine II en Russie. La pluralité est, en<br />

el<strong>le</strong>-même, source de bienfaits : après avoir comparé Anglais, Français et Italiens,<br />

89


Voltaire conclut : « Je ne sais à laquel<strong>le</strong> des trois nations il faudrait donner la préférence,<br />

mais heureux celui qui sait sentir <strong>le</strong>urs<br />

différents mérites. » Il ne révè<strong>le</strong> pourtant pas la raison de ce bonheur.<br />

Il faut dire que, par rapport à d’autres parties du monde, l’Europe se distingue<br />

effectivement par la multiplicité des États établis <strong>sur</strong> son territoire. Si on la compare à<br />

la Chine, dont la superficie est à peut près semblab<strong>le</strong>, on ne peut qu’être frappé par <strong>le</strong><br />

contraste : un seul État ici s’oppose à ce que sont à l’heure actuel<strong>le</strong> une quarantaine<br />

d’États indépendants. C’est dans cette multiplicité, qu’on aurait pu croire un handicap, que<br />

<strong>le</strong>s hommes des Lumières ont vu l’avantage de l’Europe. C’est la comparaison avec la Chine<br />

qui <strong>le</strong>ur paraît, justement, la plus éclairante. Hume déclare : « En Chine semb<strong>le</strong> exister un<br />

fonds considérab<strong>le</strong> de courtoisie et de science dont on aurait pu espérer au <strong>cours</strong> de tant<br />

de sièc<strong>le</strong>s<br />

qu’il ait éclos en quelque chose de plus parfait et de plus achevé que ce qui en a déjà <strong>sur</strong>gi.<br />

Mais la Chine est un vaste empire parlant une langue unique, régi par une loi unique,<br />

uni par la même façon de vivre. »<br />

Contrairement à ce qu’affirme l’adage ancien, c’est la division qui fait la force ! Hume est<br />

peut-être <strong>le</strong> premier penseur qui voit l’identité de l’Europe non dans un trait partagé par<br />

tous (l’héritage de l’Empire romain, la religion chrétienne), mais bien dans sa pluralité<br />

intérieure.<br />

Il reste à comprendre en quoi la différence, une caractéristique relationnel<strong>le</strong> en<br />

el<strong>le</strong>-même négative, peut constituer une qualité positive.<br />

<strong>Les</strong> penseurs du XVIIIe sièc<strong>le</strong> ont été confrontés à cette question dans différents<br />

domaines, et ils lui ont apporté des réponses nuancées. Pourquoi la pluralité des religions<br />

est- el<strong>le</strong> préférab<strong>le</strong> à la présence d’une seu<strong>le</strong> ? Parce que l’absence de choix crée une<br />

position hégémonique, qui el<strong>le</strong>-même engendre faci<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> despotisme. Alors que la<br />

coexistence de plusieurs religions suscite de l’émulation et engendre <strong>le</strong> zè<strong>le</strong>. En quoi la<br />

pluralité des cultures constitue-t-el<strong>le</strong> un avantage ? En ce que la comparaison favorise<br />

l’esprit critique et permet<br />

d’ébran<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s réputations u<strong>sur</strong>pées. Si <strong>le</strong>s sciences se développent librement <strong>sur</strong> ce<br />

continent, dit Hume, c’est parce que « l’Europe est, des quatre parties du monde, la plus<br />

morcelée ».<br />

Comment faire pour respecter la pluralité des opinions et des choix politiques au<br />

sein d’une république ? s’interrogeait Rousseau. En construisant une « volonté généra<strong>le</strong> »,<br />

très différente de la « volonté de tous », répondait-il : non plus une addition de voix<br />

semblab<strong>le</strong>s, mais une intégration des différences, chacun étant incité à se détacher de<br />

son point de vue particulier et à penser « en se mettant à la place de tout autre être<br />

humain », selon <strong>le</strong>s termes de Kant, ce qui lui permet d’agir au nom de l’intérêt commun. La<br />

pluralité est préférab<strong>le</strong> à l’unité pour au<br />

moins trois raisons : el<strong>le</strong> conduit à la tolérance dans l’émulation, el<strong>le</strong> développe et protège<br />

<strong>le</strong> libre esprit critique, el<strong>le</strong> facilite <strong>le</strong> détachement de soi conduisant à une intégration<br />

supérieure de soi et d’autrui.<br />

<strong>Les</strong> Lumières sont la création la plus prestigieuse de l’Europe, et el<strong>le</strong>s n’auraient pu<br />

voir <strong>le</strong> jour sans l’existence de l’espace européen, à la fois un et pluriel. Or, l’inverse est<br />

vrai aussi : ce sont <strong>le</strong>s Lumières qui ont engendré l’Europe tel<strong>le</strong> que nous la concevons<br />

aujourd’hui. De sorte qu’on peut dire sans exagération : sans l’Europe, pas de Lumières ;<br />

mais aussi : sans Lumières, pas d’Europe.<br />

T. TODOROV, Tous <strong>le</strong>s matins du monde, 2006.<br />

90


CONCLUSION<br />

1. Exercice de synthèse : reprends <strong>le</strong>s grandes idées vues dans <strong>le</strong> cadre du <strong>cours</strong> et<br />

synthétise-<strong>le</strong>s sous forme de conclusion.<br />

2. Exercice d’argumentation : détermine la thèse de Lévi-Strauss dans l’extrait cidessous<br />

et sers-t’en comme sujet de dissertation.<br />

Claude Lévi-Strauss nous avertit dès la première phrase de « Tristes Tropiques » :<br />

« Je hais <strong>le</strong>s <strong>voyage</strong>s et <strong>le</strong>s explorateurs. » D’ail<strong>le</strong>urs, peut-il exister encore des <strong>voyage</strong>s<br />

dignes de ce nom, dans un monde envahi, vicié par la civilisation européenne ?<br />

Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses, vous ne livrerez plus vos<br />

trésors intacts. Une civilisation proliférante et <strong>sur</strong>excitée troub<strong>le</strong> à jamais <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce des<br />

mers. <strong>Les</strong> parfums des tropiques et la fraîcheur des êtres sont viciés par une<br />

fermentation aux re<strong>le</strong>nts suspects, qui mortifie nos désirs et nous voue à cueillir des<br />

souvenirs à demi corrompus.<br />

Aujourd’hui où des î<strong>le</strong>s polynésiennes noyées de béton sont transformées en porteavions<br />

pesamment ancrés au fond des mers du Sud, où l’Asie tout entière prend <strong>le</strong> visage<br />

d’une zone maladive, où <strong>le</strong>s bidonvil<strong>le</strong>s rongent l’Afrique, où l’aviation commercia<strong>le</strong> et<br />

militaire flétrit la candeur de la forêt américaine ou mélanésienne avant même d’en<br />

pouvoir détruire la virginité, comment la prétendue évasion du <strong>voyage</strong> pourrait-el<strong>le</strong><br />

réussir autre chose que de nous confronter aux formes <strong>le</strong>s plus malheureuses de notre<br />

existence historique ? cette grande civilisation occidenta<strong>le</strong>, créatrice des merveil<strong>le</strong>s dont<br />

nous jouissons, el<strong>le</strong> n’a certes pas réussi à <strong>le</strong>s produire sans contre-partie. Comme son<br />

œuvre la plus fameuse, pi<strong>le</strong> où s’élaborent des architectures d’une comp<strong>le</strong>xité inconnue,<br />

l’ordre et l’harmonie de l’Occident exigent l’élimination d’une masse prodigieuse de sousproduits<br />

maléfiques dont la terre est aujourd’hui infectée. Ce que d’abord vous nous<br />

montrez, <strong>voyage</strong>s, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité.<br />

Je comprends alors la passion, la folie, la duperie des récits e <strong>voyage</strong>. Ils<br />

apportent l’illusion de ce qui n’existe plus et qui devrait être encore, pour que nous<br />

échappions à l’accablante évidence que vingt mil<strong>le</strong> ans d’histoire sont joués. Il n’y a plus<br />

rien à faire : la civilisation n’est plus cette f<strong>le</strong>ur fragi<strong>le</strong> qu’on préservait, qu’on développait<br />

à grand-peine dans quelques coins abrités d’un terroir riche en espèces rustiques,<br />

menaçantes sans doute par <strong>le</strong>ur vivacité, mais qui permettaient aussi de varier et de<br />

revigorer <strong>le</strong>s semis. L’humanité s’instal<strong>le</strong> dans la monotonie ; el<strong>le</strong> s’apprête à produire la<br />

civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne présentera plus que ce plat.<br />

Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, 1955.<br />

91


TRAVAUX<br />

Comment analyser un récit de <strong>voyage</strong>?<br />

1. L'essentiel :<br />

Présenter en une quinzaine de lignes ce qui est nécessaire à votre destinataire pour se<br />

représenter l'objet de votre étude : <strong>le</strong> <strong>voyage</strong>ur, <strong>le</strong>s grandes étapes de sa route et <strong>le</strong>s<br />

principaux souvenirs qu'il a rapportés.<br />

2. <strong>Les</strong> références<br />

Fournir <strong>le</strong>s renseignements nécessaires pour identifier l'oeuvre:<br />

S'il s'agit d'un livre : nom de l'auteur, titre du livre, lieu et date d'édition, nombre de<br />

pages, illustrations et textes de couverture, documents annexés (photos, cartes,<br />

croquis…)<br />

S'il s'agit d'un artic<strong>le</strong> : nom de l'auteur, titre de la rubrique, titre de l'artic<strong>le</strong>, nom du<br />

magazine, date de parution nombre de pages ou de mots, illustrations éventuel<strong>le</strong>s,<br />

informations supplémentaires : notes...<br />

S'il s'agit d'un film : nom du (des) réalisateur(s), titre, durée, date, sources de<br />

financement, chaîne de diffusion, date et heure de diffusion.<br />

3. L'auteur<br />

Quel<strong>le</strong> est sa compétence? Son expérience du <strong>voyage</strong>, de ce pays en particulier ?<br />

Voyage-t-il seul ? Est-il aidé ? De quels moyens techniques dispose-t-il ?<br />

De quel<strong>le</strong> culture provient-il ? Par<strong>le</strong>-t-il la langue des pays qu'il visite ?<br />

Pourquoi a-t-il choisi cette destination ?<br />

Quel objectif s'est-il donné pour ce <strong>voyage</strong> ? Dans quel but raconte-t-il son <strong>voyage</strong> ? Quel<br />

objectif donne-t-il à son récit ?<br />

A-t-il rédigé son texte au jour <strong>le</strong> jour ou a posteriori ?<br />

Comment l'auteur par<strong>le</strong>-t-il de lui-même ?<br />

Qu'a-t-il acquis au <strong>cours</strong> de ce <strong>voyage</strong> ? En est-il modifié ?<br />

Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs qu'il apprécie ? Quel<strong>le</strong>s sont cel<strong>le</strong>s qu'il dénonce ?<br />

4. Le destinataire<br />

Est-il représenté ? sous quel<strong>le</strong> forme ?<br />

Sa complicité avec l'auteur est-el<strong>le</strong> sollicitée ? Comment ? Où ?<br />

Dans quel<strong>le</strong> relation l'auteur instal<strong>le</strong>-t-il son <strong>le</strong>cteur vis-à-vis des étrangers qu'il lui<br />

présente ?<br />

5. Le <strong>voyage</strong><br />

Quel<strong>le</strong> est la durée du <strong>voyage</strong> ? <strong>Les</strong> moyens de transport ? Le logement ? <strong>Les</strong> grandes<br />

étapes ?<br />

Quels sont <strong>le</strong>s aspects retenus des pays visités : géographie, histoire, gastronomie,<br />

folklore, art, politique, économie, social, santé-hygiène, religion, langage, coût de la vie…<br />

Quels sont <strong>le</strong>s faits, <strong>le</strong>s rencontres <strong>sur</strong> <strong>le</strong>squels l'auteur s'attarde, qu'il développe,<br />

accentue ? Quel<strong>le</strong>s sont ceux qui sont effacés ?<br />

Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s personnes rencontrées : niveau social, ethnie, engagement politique,<br />

proximité culturel<strong>le</strong> avec <strong>le</strong> <strong>voyage</strong>ur…?<br />

92


6. Le récit<br />

Identifiez <strong>le</strong> sous-genre : carnet de route, chronique, journal, rapport, correspondance,<br />

autobiographie, essai, épopée, grand reportage.<br />

Quel<strong>le</strong> est la voix narrative : Je / Vous / Il ?<br />

Définissez <strong>le</strong> regard porté <strong>sur</strong> l'étranger : naïf, condescendant, admiratif; scientifique…<br />

Re<strong>le</strong>vez des exemp<strong>le</strong>s d'observations interprétées à travers <strong>le</strong> filtre de la culture du<br />

<strong>voyage</strong>ur.<br />

Quel est <strong>le</strong> système des temps verbaux : présent ou passé ?<br />

La langue utilisée fait-el<strong>le</strong> des emprunts à la langue du pays visité ?<br />

Quel<strong>le</strong>s illustrations ont été sé<strong>le</strong>ctionnées ? Ce choix produit-il un effet particulier ?<br />

Répond-il à une intention de l'auteur ? de l'éditeur ?<br />

L'auteur fait-il référence à d'autres auteurs-<strong>voyage</strong>urs, à des œuvres d'art connues<br />

(intertextualité) ?<br />

Le titre choisi accentue-t-il certains aspects du récit ?<br />

7. Commentaire<br />

Lorsque cette recherche est terminée, vous pouvez clôturer votre texte.<br />

Faites la synthèse de ce que vous avez découvert : l'essentiel de votre recherche.<br />

Formu<strong>le</strong>z votre avis <strong>sur</strong> ce récit (pas <strong>sur</strong> <strong>le</strong> pays visité !)<br />

8. Communiquer<br />

Il reste à transcrire <strong>le</strong> résultat de votre recherche en un texte oral.<br />

93


Directives pour l’exposé de 5ème<br />

Pour <strong>le</strong> mois de janvier : réalisation d’un dossier de recherche basé <strong>sur</strong> la <strong>le</strong>cture d’un<br />

récit de <strong>voyage</strong> :<br />

• Page de garde<br />

• Tab<strong>le</strong> des matières<br />

• Introduction,<br />

• Biographie de l’auteur,<br />

• Etude de la forme du récit de <strong>voyage</strong> et des stratégies d’authentification,<br />

• Illustration créative,<br />

• Conclusion,<br />

• Bibliographie.<br />

Ce travail donnera lieu à une présentation ora<strong>le</strong> courant du mois de mars.<br />

Liste des récits de <strong>voyage</strong><br />

“L'anthropologie n'est pas un sport dangereux” Nigel Bar<strong>le</strong>y<br />

Après ses deux inénarrab<strong>le</strong>s séjours chez <strong>le</strong>s Dowayo du C<strong>amer</strong>oun, Nigel<br />

Bar<strong>le</strong>y s'en va explorer un petit coin d'Indonésie, l'î<strong>le</strong> de Sulawesi, avant<br />

de recevoir dans la vénérab<strong>le</strong> institution qui l'emploie, <strong>le</strong> British Museum,<br />

quelques-uns des turbu<strong>le</strong>nts amis qu'il s'est faits là-bas.<br />

“Un Anthropologue en déroute” Nigel Bar<strong>le</strong>y<br />

Pourquoi diab<strong>le</strong> Nigel Bar<strong>le</strong>y s'est-il mis un jour en tête de devenir<br />

anthropologue ? Pour sa thèse il avait choisi <strong>le</strong>s Anglo-Saxons mais, tout<br />

plan de carrière impliquant une mission d'étude, c'est fina<strong>le</strong>ment une<br />

modeste tribu montagnarde du Nord-C<strong>amer</strong>oun, <strong>le</strong>s Dowayo, qui lui<br />

échoit. Une sinécure ? Si l'on veut... Non que <strong>le</strong>s Dowayo se montrent<br />

hosti<strong>le</strong>s, mais insaisissab<strong>le</strong>s plutôt, et imprévisib<strong>le</strong>s. Bar<strong>le</strong>y se voit<br />

transformé tour à tour en infirmier, banquier, chauffeur de taxi,<br />

exploité jusqu'à l'os par une tribu hilare.<br />

“Petite musique de chambre <strong>sur</strong> <strong>le</strong> mont Kenya” Vivienne de Wattevil<strong>le</strong><br />

En ces années trente, après un long séjour dans la savane (Un thé chez<br />

<strong>le</strong>s éléphants), voici notre très britannique <strong>voyage</strong>use <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s pentes du<br />

mont Kenya, pour un périp<strong>le</strong> qui laissera même son prénom à des chutes.<br />

Cette fois plus d'éléphants mais de somptueux paysages qu'el<strong>le</strong><br />

contemp<strong>le</strong> tout en devisant <strong>sur</strong> la nature humaine, avant de se réga<strong>le</strong>r<br />

chaque soir d'un concert de musique de chambre grâce à son<br />

gramophone de <strong>voyage</strong>.<br />

94


“Un Thé chez <strong>le</strong>s éléphants” Vivienne de Wattevil<strong>le</strong><br />

. En 1923, Vivienne accompagne son père en Afrique orienta<strong>le</strong>. Ce<br />

dernier tué par un fauve, el<strong>le</strong> n'en achève pas moins l'expédition. Et<br />

puis très vite la nostalgie l'emporte <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s sombres souvenirs ; alors<br />

el<strong>le</strong> retourne au Kenya, non pas <strong>le</strong> fusil à la main, mais avec une petite<br />

chienne qui se prend pour une lionne, des appareils photo, un<br />

gramophone et une provision de thé. Peu après ce séjour dans la savane<br />

el<strong>le</strong> ira s'instal<strong>le</strong>r en montagne (Petite Musique de chambre <strong>sur</strong> <strong>le</strong><br />

mont Kenya).<br />

“A tab<strong>le</strong> avec <strong>le</strong>s canniba<strong>le</strong>s “ Corrado Ruggeri<br />

Parti remonter <strong>le</strong> temps dans ce bout du monde, il a <strong>le</strong> chic pour se<br />

fourrer dans des situations impossib<strong>le</strong>s, qu'il soit coincé dans une<br />

batail<strong>le</strong> intertriba<strong>le</strong> ou dans <strong>le</strong>s bras d'une Américaine<br />

nymphomane.Heureusement, il va rencontrer là-bas quelques anges<br />

gardiens qui lui feront découvrir <strong>le</strong>s jardins d'ancêtres peuplés de<br />

sque<strong>le</strong>ttes, <strong>le</strong>s Hommes-Perruques qui se confectionnent de drô<strong>le</strong>s de<br />

couvre-chefs avec <strong>le</strong>s cheveux de <strong>le</strong>urs femmes et de <strong>le</strong>urs enfants,<br />

<strong>le</strong>s esprits de la forêt qui apparaissent parfois la nuit, et puis<br />

beaucoup d'autres merveil<strong>le</strong>s, mais aussi beaucoup de tristes<br />

conséquences de l'occidentalisation.<br />

“Une Aristocrate en Asie” Vita Sackvil<strong>le</strong>-West<br />

La romancière anglaise Vita Sackvil<strong>le</strong>-West , mariée à un écrivain et<br />

diplomate, Harold Nicolson, part avec lui au milieu des années 1920, au<br />

sud-ouest d’Ispahan, une ancienne piste de montagne fréquentée par<br />

<strong>le</strong>s caravanes et empruntée jadis par A<strong>le</strong>xandre <strong>le</strong> Grand pour gagner<br />

l’Inde. À dos d’âne et en voiture, <strong>le</strong> trucu<strong>le</strong>nt périp<strong>le</strong> du coup<strong>le</strong> sera<br />

émaillé de scènes de ménage, Harold ne perdant pas une occasion<br />

d’accab<strong>le</strong>r de reproches cette épouse qui l’a emmené se perdre au<br />

milieu des nomades.<br />

“Au cœur des Himalayas” A<strong>le</strong>xandra David-Néel<br />

Au début du XXe sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Népal est encore pratiquement interdit<br />

aux étrangers. Grâce à ses amitiés et à une connaissance subti<strong>le</strong> de<br />

l'âme orienta<strong>le</strong>, A<strong>le</strong>xandra David-Néel parvient à y entreprendre <strong>le</strong><br />

plus étonnant des <strong>voyage</strong>s. Publié en 1949 mais longtemps demeuré<br />

introuvab<strong>le</strong>, Au coeur des Himalayas relate <strong>le</strong> pè<strong>le</strong>rinage qu’el<strong>le</strong><br />

effectua durant l'hiver 1912-1913 <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s lieux mêmes où vécut <strong>le</strong><br />

Bouddha. Son récit éclaire une civilisation à la fois cruel<strong>le</strong> et mystique<br />

qui échappe à tous <strong>le</strong>s critères d'analyse de la pensée occidenta<strong>le</strong>.<br />

95


“Au pays du Grand Mensonge” Philippe Grangereau<br />

L'ouverture de la Corée du Nord n'est pas pour demain, et ce drô<strong>le</strong> de<br />

<strong>voyage</strong> dans l'effroyab<strong>le</strong> pays des Kim, en avril 2000, demeure<br />

d'actualité à tous égards. La dernière dictature stalinienne du globe<br />

s'était rarement entrouverte comme el<strong>le</strong> <strong>le</strong> fit alors à un groupe de<br />

<strong>voyage</strong>urs occidentaux. El<strong>le</strong> n'a pas récidivé... Un pan du rideau de<br />

velours pourpre semblait se <strong>le</strong>ver <strong>sur</strong> <strong>le</strong> théâtre d'ombres nordcoréen.<br />

Il a fini par retomber mol<strong>le</strong>ment. Le pays est toujours dirigée<br />

par un mort : <strong>le</strong> père de Kim Jong-il, Kim Il-sung, décédé en 1994 mais<br />

officiel<strong>le</strong>ment "président éternel". Nombreux sont ceux qui, au début<br />

des années 1990, prophétisaient une disparition prochaine du régime. C'était sousestimer<br />

la nocivité sans pareil<strong>le</strong> de ce totalitarisme terrifiant. Philippe Grangereau est<br />

journaliste à Libération.<br />

“Le Aye-aye et moi”| Gérald Durrell<br />

Le aye-aye est un lémurien minuscu<strong>le</strong> qui <strong>sur</strong>vit en toutes petites<br />

colonies à Madagascar. Au début des années 1990, Gerald Durrell s'est<br />

fixé pour mission d'en capturer quelques spécimens pour <strong>le</strong>s accueillir<br />

dans son célèbre zoo de Jersey. Une expédition scientifique des plus<br />

sérieuses… mais qui n'empêchera pas <strong>le</strong> savant à barbiche blanche de<br />

nous faire hur<strong>le</strong>r de rire au fin fond de la forêt.<br />

“C'est encore loin la Chine ? “ Gavin Young<br />

Comme la plupart des grands récits de <strong>voyage</strong>, ce livre a pour origine un<br />

rêve de jeunesse né d'une enfance en Cornouail<strong>le</strong>s, <strong>sur</strong> cette côte des<br />

Naufrageurs hantée par <strong>le</strong>s personnages de Stevenson. Partir ! C'est ce<br />

que fait Gavin Young lorsqu'il décide de gagner la Chine par mer. Il lui<br />

faudra sept mois pour y parvenir. Entre-temps, il aura pris ving-trois<br />

bateaux, traversé la Méditerranée, la mer Rouge, l'océan Indien et la<br />

mer de Chine. Gavin Young, né en 1 928, est l'un des plus célèbres<br />

grands reporters de l'après-guerre.<br />

"Journal d'Aran et d'autres lieux" Nicolas Bouvier<br />

L'oeil et l'oreil<strong>le</strong> accordés au génie d'un lieu, Nicolas Bouvier écoute et<br />

regarde, qu'il soit dans <strong>le</strong>s î<strong>le</strong>s d'Aran, à New York, en Corée ou en<br />

Chine. Sur la lande nue, aux marges de l'Irlande ou dans <strong>le</strong> grouil<strong>le</strong>ment<br />

de l'Asie, <strong>le</strong> <strong>voyage</strong>ur n'a rien vu s'il n'a vu <strong>le</strong>s hommes.<br />

96


“Dans <strong>le</strong>s collines de Mandchourie” Nicolas Baïkov<br />

Nicolas Baïkov, officier du tsar, explore au début du XXe sièc<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

régions de Mandchourie situées entre Harbin, la Corée et l'Extrême-<br />

Orient russe. De tels espaces, ouverts à l'aventure et à la liberté, sont<br />

aux antipodes du monde chinois traditionnel et s'apparentent à la taïga<br />

sibérienne. Sillonnés par des "coureurs des bois" russes, mandchous,<br />

toungouses, coréens et chinois, ces territoires sont aussi <strong>le</strong> domaine du<br />

tigre. Chasseurs et cueil<strong>le</strong>urs de ginseng, bandits et transfuges venus<br />

d'horizons divers y affrontent une nature sp<strong>le</strong>ndide mais impitoyab<strong>le</strong>.<br />

“Derrière la Grande Murail<strong>le</strong> “ Colin Thubron<br />

Chaque épisode du <strong>voyage</strong> de Colin Thubron dans <strong>le</strong>s années quatre-vingt<br />

derrière la grande murail<strong>le</strong> de Chine - des milliers de kilomètres à pied, en<br />

train, à bicyc<strong>le</strong>tte, depuis la frontière birmane jusqu'au désert de Gobi,<br />

depuis la mer Jaune jusqu'au toit du Tibet - est littéra<strong>le</strong>ment illuminé par<br />

l'acuité de son regard, son génie du détail, son art de se glisser au plus<br />

secret des êtres.<br />

“En Alaska” John Mc Phee<br />

S'embarquer avec McPhee, c'est descendre en canoë et en kayak l'ultime<br />

rivière arctique, dans <strong>le</strong>s Western Brooks Ranges, au-delà des derniers<br />

arbres, au royaume des grizzlis et des saumons, explorer l'arrière-pays avec<br />

d'étranges compagnons, pénétrer dans <strong>le</strong> "bush", vivre tout au long du <strong>voyage</strong><br />

avec <strong>le</strong> sentiment profond du si<strong>le</strong>nce, du froid, de l'espace immense, et<br />

rencontrer pourtant une fou<strong>le</strong> extraordinaire de personnages hors du temps<br />

: Esquimaux, Indiens, trappeurs blancs, prostituées, chercheurs d'or,<br />

pêcheurs de saumon, écolos, prospecteurs, Américains fuyant la vil<strong>le</strong> en<br />

quête de l'"ultime frontière". Le tout écrit dans une langue éblouissante,<br />

musica<strong>le</strong>, légère, avec un sens aigu de la scène juste, du détail qui frappe, singulier<br />

mélange d'humour et de poésie.<br />

“En radeau <strong>sur</strong> l'Orénoque” Ju<strong>le</strong>s Crevaux<br />

En 1881, après cinq ans passés dans <strong>le</strong>s solitudes de l'Amazonie, Ju<strong>le</strong>s<br />

Crevaux, escorté cette fois par son ami Lejanne (et par son guide, <strong>le</strong> fidè<strong>le</strong><br />

Apatou), entreprend la première traversée du bassin de l'Orénoque :<br />

depuis <strong>le</strong>s cols des Andes jusqu'aux bouches du Grand F<strong>le</strong>uve. Le f<strong>le</strong>uve en<br />

question traverse <strong>sur</strong> plus de deux mil<strong>le</strong> kilomètres l'une des forêts <strong>le</strong>s<br />

plus impénétrab<strong>le</strong>s du globe. Nos <strong>voyage</strong>urs parcourront ces immensités<br />

avec <strong>le</strong>s seuls moyens du bord : à pied (nus!), <strong>sur</strong> des radeaus de fortune ou<br />

des pirogues taillées dans des troncs d'arbres...<br />

97


“Entre f<strong>le</strong>uve et forêt “ Patrick Leigh Fermor<br />

Un "écolier itinérant" de dix-huit ans quitte l'Ang<strong>le</strong>terre un jour de<br />

décembre 1933 avec l'idée de traverser l'Europe à pied, depuis la Corne de<br />

Hollande jusqu'au Bosphore.Dormant ici à la bel<strong>le</strong> étoi<strong>le</strong>, là dans un château<br />

de conte de fées, perdant un jour ses maigres biens pour se retrouver <strong>le</strong><br />

<strong>le</strong>ndemain couvert de cadeaux, il poursuit sa doub<strong>le</strong> aventure : <strong>voyage</strong><br />

initiatique et découverte de l'âme même d'une Europe qui bientôt sombrera<br />

dans <strong>le</strong>s ténèbres.<br />

“<strong>Les</strong> Français aussi ont un accent” Jean-Benoît Nadeau<br />

Voici, en vingt-deux chapitres hilarants, <strong>le</strong> récit des découvertes et des<br />

coups de gueu<strong>le</strong> d'un Québécois en France : comment il va devenir <strong>le</strong><br />

soixante-septième miraculé de Lourdes, prouver mathématiquement<br />

l'existence de José Bové, percer <strong>le</strong> mystère de la crotte de chien à Paris,<br />

célébrer Halloween à la normande, changer de millénaire par trois fois... Sa<br />

mission impossib<strong>le</strong> : découvrir si <strong>le</strong>s Français résistent à la mondialisation.<br />

Aussi porte-t-il <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur pays <strong>le</strong> regard d'un anthropologue débarquant<br />

chez <strong>le</strong>s Yanomanis de l'Amazonie inférieure.A cette différence près que<br />

la France n'est pas l'Amazonie et que l'auteur n'est pas un journaliste<br />

comme <strong>le</strong>s autres.<br />

“<strong>Les</strong> Guerriers nus” Christian Bader<br />

La terre de confins qui s'étend entre la basse vallée de l'Omo et la<br />

frontière soudanaise, dans <strong>le</strong> sud-ouest de l'Éthiopie, reste l'une des<br />

régions <strong>le</strong>s moins connues du globe. <strong>Les</strong> nombreux peup<strong>le</strong>s qui y vivent<br />

comme aux premiers matins du monde, subsistant d'é<strong>le</strong>vage et<br />

d'agriculture <strong>sur</strong> brûlis font de cette contrée un prodigieux musée<br />

ethnographique, aujourd'hui menacé. Ce livre est <strong>le</strong> récit d'une<br />

expédition qui, après avoir traversé <strong>le</strong> territoire des Chai et des Tirma,<br />

ces "guerriers nus" dont <strong>le</strong>s femmes ornent <strong>le</strong>urs lèvres de gigantesques<br />

plateaux, a permis d'établir <strong>le</strong>s premiers contacts avec la tribu des Baalé.<br />

“Nos voisins du dessous “ Bill Bryson<br />

L’Australie n’est pas seu<strong>le</strong>ment célèbre pour ses kangourous, ses dragqueens<br />

et ses <strong>sur</strong>feurs. On y trouve aussi <strong>le</strong>s bestio<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus voraces<br />

et venimeuses du globe et des déserts où mieux vaut ne pas<br />

s’aventurer pour un petit besoin...<br />

Bill Bryson aimerait ressemb<strong>le</strong>r à Indiana Jones plutôt qu’à Mister<br />

Bean. Le voici donc <strong>sur</strong>armé de courage pour sillonner l’Australie et en<br />

aborder <strong>le</strong>s thèmes <strong>le</strong>s plus divers : sa flore, sa faune et sa population,<br />

mais aussi l’histoire très singulière de son exploration et de sa<br />

colonisation, sans oublier la "question aborigène.<br />

98


“Oasis interdites” Ella Maillart<br />

En janvier 1935, Ella Maillart quitte Pékin en direction de l'intérieur<br />

avec son compagnon Peter F<strong>le</strong>ming, correspondant du Times… Il s'agit de<br />

traverser la Chine d'est en ouest, d'atteindre <strong>le</strong>s oasis interdites du<br />

Sinkiang, berceau voici mil<strong>le</strong> ans d'une vieil<strong>le</strong> culture d'origine<br />

arménienne, et de là de gagner <strong>le</strong> Cachemire clandestinement, car <strong>le</strong><br />

Turkestan chinois, dont la population est en majorité musulmane, est en<br />

p<strong>le</strong>in soulèvement…<br />

.<br />

“Voyage à la Mecque” Richard Burton<br />

Orientaliste et soldat, poète et archéologue, Richard F. Burton (1821-<br />

1890) devint officier de la Compagnie des Indes parce qu’il était mû par <strong>le</strong><br />

démon de l’aventure et qu’il avait une grande passion : percer des secrets.<br />

En 1853, il entreprit un <strong>voyage</strong> clandestin à La Mecque ; la vil<strong>le</strong> sainte de<br />

l’islam, interdite aux infidè<strong>le</strong>s sous peine de mort, n’avait été visitée<br />

depuis la Renaissance que par onze Européens.<br />

“Voyages en Alaska” John Muir<br />

L’auteur a exploré l'Alaska sans armes ni équipement, avec pour se<br />

nourrir du pain sec et du thé, découvrant au passage <strong>le</strong> Glacier Bay -<br />

classé depuis monument national - et l'extraordinaire glacier qui porte<br />

aujourd'hui son nom.Entre autres... Seu<strong>le</strong>s l'intéressaient, disait-il,<br />

l'écoute et la préservation du "chant du monde". De là sans doute <strong>le</strong> ton<br />

unique de ce livre d'aventures insensées parmi <strong>le</strong>s derniers Indiens libres<br />

du Wilderness, au péril des icebergs, des tempêtes et des loups,<br />

l'allégresse de ce poème écrit dans l'émerveil<strong>le</strong>ment de la pure sauvagerie<br />

de la nature. Un livre d'enchantement pour tous ceux que fascinent <strong>le</strong>s<br />

paysages du Grand Nord.<br />

“Zones frontières” Char<strong>le</strong>s Nicholl<br />

Char<strong>le</strong>s Nicholl voulait se rendre au nord de la Thaïlande et s'initier au<br />

bouddhisme dans la sérénité d'un temp<strong>le</strong> au cœur de la forêt. Mais <strong>le</strong>s choses<br />

ne sont pas si simp<strong>le</strong>s, en Thaïlande.... D'abord, il y a Bangkok, p<strong>le</strong>ine de<br />

diversions. Puis il y a, dans <strong>le</strong> train de nuit qui rou<strong>le</strong> vers <strong>le</strong> nord, la rencontre<br />

avec Harry, <strong>le</strong> Français qui a des histoires à vous raconter par centaines -<br />

mais qui vous demandera une petite faveur en retour... Ainsi commencent <strong>le</strong>s<br />

détours qui conduiront Char<strong>le</strong>s Nicholl <strong>le</strong> long des rives du Mékong puis plus<br />

haut, dans la "zone métis" du Triang<strong>le</strong> d'or, à la frontière birmane. Ils lui<br />

feront connaître d'étranges rites de spiritisme, des fumeries d'opium villageoises, des<br />

repaires de rebel<strong>le</strong>s dans la jung<strong>le</strong>, et <strong>sur</strong>tout Katai, la bel<strong>le</strong> et mystérieuse Thaï.<br />

99


“L'Usage du monde” Nicolas Bouvier<br />

Quand, en 1953, Nicolas Bouvier quitte Genève sans esprit de retour au volant<br />

d'une vieil<strong>le</strong> Fiat Topolino pour mettre <strong>le</strong> cap <strong>sur</strong> l'Asie, il ne sait sans doute<br />

pas lui non plus ce qu'il cherche mais il sait exactement ce qu'il fuit : <strong>le</strong><br />

confort, <strong>le</strong>s habitudes et la trompeuse sécurité d'un avenir préparé, quand on<br />

appartient à une famil<strong>le</strong> de la grande bourgeoisie. Il voulait fuir, c'est évident,<br />

tout ce qui l'attendait et pouvoir inventer sa vie en découvrant <strong>le</strong> monde.<br />

“Nous partirons dimanche” Famil<strong>le</strong> Delachenal<br />

Le <strong>voyage</strong> de toute une famil<strong>le</strong> (un coup<strong>le</strong> et <strong>le</strong>ur 4 fil<strong>le</strong>s de 14, 13, 11 et 8 ans)<br />

autour du monde en camping-car. A travers <strong>le</strong>s journaux de bord des<br />

différents membres, des <strong>le</strong>ttres à la famil<strong>le</strong> et aux amis, <strong>le</strong>s photos et <strong>le</strong>s<br />

dessins des enfants, suivez <strong>le</strong>ur par<strong>cours</strong> <strong>sur</strong> des milliers de kilomètres (de la<br />

Turquie à l'Ang<strong>le</strong>terre en passant par la Chine, <strong>le</strong>s Etats Unis ou <strong>le</strong> Népal).<br />

“Dans l’ombre chaude de l’Islam” Isabel<strong>le</strong> Eberhardt<br />

En 1904, quelques mois avant sa mort dans une crue de l’oued à Aïn-Sefra,<br />

Isabel<strong>le</strong> Eberhardt, fatiguée par une série d’épreuves, se réfugie dans <strong>le</strong><br />

havre de paix de la zaouïa de Kenadsa. Dans cette retraite où el<strong>le</strong> se fait<br />

passer pour un jeune étudiant pieux, el<strong>le</strong> prend <strong>le</strong> temps de la réf<strong>le</strong>xion et<br />

de la méditation<br />

Dans l’ombre chaude de l’Islam paraît pour la première fois en 1906,<br />

“<strong>Les</strong> chemins de traverse” Nicolas Hulot<br />

Nicolas Hulot se raconte, se dévoi<strong>le</strong> à son <strong>le</strong>cteur. S'il nous fait <strong>voyage</strong>r au<br />

quatre coins du globe comme à son habitude, il nous transporte aussi à<br />

travers ses souvenirs et ses émotions <strong>le</strong>s plus intimes, <strong>le</strong>s drames qui ont<br />

marqués sa vie et l'ont entraîné à vouloir se <strong>sur</strong>passer, défier la solitude et la<br />

mort.<br />

“Méharées “ Théodore Monod<br />

Méharées reste <strong>le</strong> plus célèbre des livres de Théodore Monod, spécialiste<br />

incontesté du désert, qu'il parcourt depuis plus de soixante-dix ans à dos<br />

de chameau ou à pied. Ce savant exemplaire n'a en effet pas son pareil<br />

pour évoquer <strong>le</strong>s paysages mauritaniens, pour raconter ses longues<br />

méharées dans <strong>le</strong>s dunes, ni pour décrire la faune, la flore, l'histoire ou la<br />

préhistoire de ces régions où, dans <strong>le</strong>s années trente, il entendit par<strong>le</strong>r<br />

d'une mystérieuse et gigantesque météorite qu'il ne cesserait de<br />

chercher, durant un demi-sièc<strong>le</strong>, avec une insatiab<strong>le</strong> curiosité.<br />

100


“Erebus: Volcan antarctique” Haroun Tazieff<br />

H. Tazieff et ses compagnons s'affrontent aux blizzards polaires et aux<br />

"portes de l'enfer" (traduction d'Erebus) : <strong>le</strong> seul volcan, avec l'Erta Alé<br />

en Ethiopie, à posséder en permanence un lac de roche fondue au fond<br />

d'un cratère de 4.000 mètres, <strong>sur</strong> une î<strong>le</strong> de glace.<br />

Directives pour l’exposé de 6 ème<br />

Choisissez un roman dans la liste ci-dessous qui traite d’un pays que vous avez envie de<br />

découvrir.. Il va vous permettre de mieux appréhender <strong>le</strong>s réalités de la zone où vous<br />

devrez nous faire <strong>voyage</strong>r.<br />

Informez-vous <strong>sur</strong> l’auteur choisi (à la médiathèque, en bibliothèque,<br />

<strong>sur</strong> Internet.<br />

Vous constituerez un dossier comp<strong>le</strong>t <strong>sur</strong> votre <strong>le</strong>cture en tenant compte des consignes<br />

ci-dessous.<br />

Ora<strong>le</strong>ment vous exprimerez <strong>le</strong> fruit de vos recherches et découvertes devant la classe.<br />

Votre exposé sera constitué :<br />

• D'une présentation de l'auteur : sa carte d'identité, son milieu social, <strong>le</strong>s grandes<br />

étapes de son par<strong>cours</strong> biographique en mettant en évidence <strong>le</strong>s événements qui<br />

l'ont marqué, ses attaches à la région ou au pays d'origine. Pour une meil<strong>le</strong>ure<br />

compréhension de l’œuvre, il sera intéressant d'apporter quelques informations <strong>sur</strong><br />

la situation de ce pays.<br />

• Ensuite, vous situerez dans <strong>le</strong> par<strong>cours</strong> biographique <strong>le</strong> roman que vous avez lu<br />

parce que <strong>le</strong> contexte de sa production élargit la compréhension ;<br />

• Puis vous racontez ce dont il est question dans <strong>le</strong> roman. Illustrez votre résumé à<br />

l'aide d'extraits. Avant l'exposé, à une date convenue, vous me remettrez ce<br />

résumé écrit. Ainsi il sera coté à l'écrit et à l'oral.<br />

• En avant-dernière étape, vous essayerez d'établir <strong>le</strong>s rapports entre l'histoire<br />

contenue dans <strong>le</strong> roman et cel<strong>le</strong> qui est réel<strong>le</strong>, c'est-à-dire cel<strong>le</strong> de l'auteur ou de<br />

son pays, cel<strong>le</strong> du <strong>le</strong>cteur, etc.<br />

• Enfin vous expliquerez la ou <strong>le</strong>s raisons de votre choix et vous essayerez de <strong>le</strong>s<br />

développer. Exprimez en outre <strong>le</strong> plaisir et/ou la déception que vous aurez pu<br />

ressentir à la <strong>le</strong>cture ou dans l'élaboration de votre travail.<br />

• Clôturez votre exposé en expliquant l'intérêt que vous trouvez ou non dans ce que<br />

vous avez lu de l'auteur choisi.<br />

101


Liste des livres à lire en 6 e tourisme :<br />

Niveau 1<br />

DAENINCKX Didier « Canniba<strong>le</strong> » NIV 1<br />

WASSERMANN Jakob « L’or de Cajamlco » NIV 1<br />

BEGAG Azouz « Le gône du Chaâba » NIV 1<br />

BEGAG Azoue & BENEDIFF Ahmed « Ahmed de Bourgogne » NIV 1<br />

PAASILINA Arto « Prisonniers du paradis » NIV 1<br />

SEPULVEDA Luis « Le vieux qui lisait des romans d’amour » NIV 1<br />

ALVTEGEN Karin « Recherchée » NIV 1<br />

XIN RAN « Funérail<strong>le</strong>s cé<strong>le</strong>stes » NIV1<br />

HENDRICHS Betina « La joueuse d’échecs » NIV 1<br />

BATAILLE Christophe « Annam » NIV 1<br />

Niveau 2<br />

TABACHNIK Maud « Le san de Venise » NIV 2<br />

FERNEY Alice « Grâce et dénuement » NIV 2<br />

JORIS Lieve « Mon onc<strong>le</strong> du Congo » NIV 2<br />

HOSSEINI K « <strong>Les</strong> cerfs-volant de Kaboul » NIV 2<br />

HYLAND M.J. « Le <strong>voyage</strong> de Lou » NIV 2<br />

SLOVO G « Poussière rouge » NIV 2<br />

GOUR Batia « Meurtre au Kibouz » NIV 2<br />

WEI WEI « La cou<strong>le</strong>ur du bonheur » NIV 2<br />

MOURAD Kenise « De la part de la princesses morte » NIV 2<br />

Niveau 3<br />

TOURNIER Michel « Vendredi ou <strong>le</strong>s limbes du Pacific » NIV 3<br />

GUELASSIMOV Andreî « La soif » NIV 3<br />

OSORIO Elsa « Luz ou <strong>le</strong> temps sauvage » NIV 3<br />

HUSTON Nancy « L’empreinte de l’ange » NIV 3<br />

KHADRA Yasmina « A quoi rêvent <strong>le</strong>s loups » NIV 3<br />

GAUDE Christian « La mort du roi Tsongor » NIV 3<br />

102


BIBLIOGRAPHIE<br />

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CHARBONNIER J-Ph, « Le récit de <strong>voyage</strong> » in L’annuaire de la littérature de <strong>voyage</strong>,<br />

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CINTRAT I (dir.),Le récit de <strong>voyage</strong>, Col<strong>le</strong>ction Séquence, Didier Hattier, Bruxel<strong>le</strong>s,1997.<br />

DIDEROT D, Œuvres, Bibliothèque de la pléiade, Gallimard, Paris, 1951.<br />

GAILLARD Ph, Technique du journalisme, PUF, Paris 1975.<br />

GALLOY D, & HAYT F, Le Moyen Age jusqu'au XIVe sièc<strong>le</strong>, Col<strong>le</strong>ction Du document à<br />

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AGNES LEFILLASTRE, « Par monts et par mots », in CÉRÉN – CNDP, www.cndp.fr, avril<br />

2000<br />

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