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Maître Roland Yuno Rech - Méditation Nice

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<strong>Maître</strong> <strong>Roland</strong> <strong>Yuno</strong> <strong>Rech</strong><br />

Kusens à Gyobutsu-Ji : hiver 2003<br />

N° 6<br />

Fukanzazengi et autres kusens.


Vendredi 14 novembre 2003 - soir : la nature de Bouddha<br />

Pendant zazen, revenez constamment à la concentration sur votre posture. Etirez bien tout votre<br />

corps entre ciel et terre. Ne laissez pas la tête pencher en avant, rentrez bien le menton et relâchez bien<br />

les épaules. Le ventre également est détendu. On inspire et on expire profondément et au lieu de suivre<br />

ses pensées, on suit le mouvement de la respiration. Ainsi on réalise un esprit qui ne stagne sur rien car<br />

la respiration nous ramène toujours à l’extrême pointe de l’instant présent. Si on est concentré sur la<br />

respiration, on ne peut pas ruminer ses pensées. Le mental se calme. Les pensées s’apaisent et l’esprit<br />

se clarifie comme lorsque dans notre région le mistral se met à souffler et balaye les nuages. Ce qui se<br />

révèle à ce moment-là, que ce soit le vaste ciel dégagé, le soleil ou la lune et les étoiles, n’est pas produit<br />

par le vent. De même, le zazen ne produit pas notre véritable nature de bouddha. Simplement ce qui<br />

l’obscurcissait s’est dissipé, ce qui nous empêchait d’être en contact avec, a disparu. La fonction de zazen<br />

est de nous ramener à la réalité telle qu’elle est, par-delà l’obscurcissement produit par nos fabrications<br />

mentales. Nos préjugés, nos pensées orientées par nos désirs et nos aversions, nous font croire en ce que<br />

nous aimons et nous opposer à ce que nous n’aimons pas, au lieu de voir ce qui est réel et de l’accepter.<br />

Dans le bouddhisme du grand véhicule dont fait parti le zen, tous les êtres sensibles, sans aucune<br />

exception, ont la nature de Bouddha. Le sûtra du nirvãna dit que cette nature de bouddha est permanente<br />

et sans aucun changement. Ce thème est régulièrement repris par tous les maîtres zen. C’est aussi la<br />

confiance, la foi fondamentale de tous les pratiquants. Lorsque nous recevons l’ordination de bodhisattva,<br />

on prend refuge dans les trois trésors : le Bouddha, le Dharma et la Sangha. Le Bouddha n’est pas un<br />

être surnaturel ni même le Bouddha historique Shãkyamuni, c’est la nature de Bouddha de chacun.<br />

Prendre refuge en Bouddha, c’est prendre refuge en soi-même, non pas dans notre ego illusoire mais<br />

dans notre véritable nature. Toute notre pratique est fondée sur la foi ou la confiance qu’il existe cette<br />

véritable nature qui ne demande qu’à se réaliser, s’actualiser dans et avec la pratique.<br />

Cette notion de nature de bouddha a fini par créer des malentendus. On a fini par croire que les êtres la<br />

possèdent comme un fruit possède un noyau, ou bien qu’elle est destinée à se réaliser dans le futur au<br />

bout de la pratique et qu’elle n’a actuellement qu’une existence potentielle. Aussi, <strong>Maître</strong> Dõgen pour<br />

rectifier ces interprétations erronées, a dit : « Tous les êtres sont la nature de Bouddha. Le Bouddha est à<br />

la fois permanent et impermanent, être et non-être ». Ainsi la nature de Bouddha n’est pas quelque chose<br />

que l’on possède mais c’est ce que nous sommes au fond, c’est notre réalité intime. Elle se manifeste dés<br />

l’instant où l’on pratique zazen de la façon juste, en abandonnant toute avidité, toute attente même d’une<br />

illumination future, pour être simplement et intimement « un » avec la pratique de chaque instant.<br />

La pratique dans laquelle on n’attend rien, on ne cherche rien, on ne veut rien, dans laquelle on cesse<br />

de vouloir saisir ou rejeter quoi que ce soit, révèle la nature de bouddha, devient elle-même l’éveil, ici<br />

et maintenant. Il n’y a d’ailleurs pas d’autre éveil que celui qui est réalisé ici et maintenant. Cet éveil<br />

n’est pas un événement extraordinaire, c’est juste revenir à ce que nous sommes en réalité. C’est à dire<br />

des êtres en unité avec notre environnement, interdépendants des autres êtres et pas seulement humains<br />

mais de tous les êtres vivants et même du ciel, de la terre, des arbres, des montagnes et des rivières.<br />

Comme tout l’univers est sans commencement ni fin, chaque être est également sans commencement ni<br />

fin. La naissance et la mort ne sont que des transformations de cet être en unité avec tout l’univers. C’est<br />

pourquoi Dõgen disait que notre véritable nature de bouddha est à la fois permanente et impermanente,<br />

être et non-être. Nous sommes absolument ce que nous sommes ici et maintenant et ceci n’est pas<br />

limité.<br />

A chaque instant et particulièrement en zazen, on peut prendre conscience que tout ce qui nous<br />

constitue se transforme. Le corps change. Nos perceptions changent d’un instant à l’autre. Parfois, nous<br />

percevons le silence, parfois la voix qui s’élève, les bruits dans la rue, l’odeur de l’encens. Nos sensations<br />

se transforment. Parfois on se sent très bien, à d’autres moments on a mal aux jambes. Nos états de<br />

conscience également se transforment. Parfois, on est obsédé par certaines pensées, à d’autres moments,<br />

on est tout à fait calme, serein. D’un instant à l’autre, toutes sortes de phénomènes apparaissent et<br />

disparaissent. Nous sommes totalement cette impermanence. Il n’y a pas un moi caché, permanent<br />

derrière cette perpétuelle transformation et en même temps, notre existence n’est pas limitée par la<br />

naissance et la mort. Notre existence, en unité avec tout l’univers, est sans commencement ni fin. Aussi,<br />

d’un certain point de vue, on peut dire qu’elle est à la fois permanente et impermanente. En zazen, on ne


s’attache pas à ces notions de permanence ou d’impermanence, on se contente de vivre l’éternel présent<br />

de chaque instant.<br />

Samedi 15 novembre 2003 : la nature de Bouddha : Immo<br />

Pendant zazen, revenez périodiquement sur les points importants de la posture : le bassin basculé<br />

en avant, les reins et la colonne vertébrale étirés ainsi que la nuque étirée verticalement comme si on<br />

voulait pousser le ciel avec le sommet de la tête. On relâche les tensions du dos, de la nuque, des épaules.<br />

Surtout, on revient à la concentration sur ce que nous sommes en train de vivre maintenant, ici, dans<br />

ce dojo, c’est à dire le fait d’être totalement « un » avec la posture assise, pleinement assis. Les épaules,<br />

le ventre sont détendus et finalement, on place son attention sur le contact des pouces. La main gauche<br />

est dans la main droite, le tranchant des mains en contact avec le bas ventre, les pouces horizontaux<br />

forment un large ovale avec les index. On est attentif à ce contact délicat des pouces, sans tension ni<br />

relâchement. Cela aide à avoir la même attitude par rapport à tout le reste de la posture qui est la posture<br />

de l’équilibre, la stabilité dans laquelle on peut rester assis longtemps, dans laquelle il y a le moins<br />

d’efforts possibles à faire car le corps ne s’incline dans aucune direction. Il est parfaitement centré,<br />

détendu mais pas relâché. Ainsi, la respiration peut s’approfondir. On accompagne cet approfondissement<br />

de la respiration en observant comment se fait la respiration. Lorsque l’on inspire, on est totalement en<br />

unité avec l’inspiration, lorsque l’on expire, on est « un » avec l’expiration. On ne se laisse pas distraire<br />

par les pensées. On ramène constamment son attention à la respiration.<br />

Lorsque l’on pratique ainsi, au bout de quelques minutes d’attention à la posture et à la respiration,<br />

l’agitation mentale se calme et l’esprit se clarifie. Ce n’est pas seulement parce qu’il y a moins de pensées<br />

ou moins d’émotions qui apparaissent mais surtout parce que l’on ne s’en empare pas et que l’on cesse<br />

de vouloir les chasser. On abandonne toute intention consciente de faire quoi que ce soit de spécial.<br />

Cependant, on n’est pas inconscient, on est, au contraire, parfaitement conscient de ce qui se passe à<br />

chaque instant. On ne pense pas à hier ni à l’après zazen, on est juste attentif à ce qui se passe maintenant.<br />

Si une pensée du passé surgit ou un désir concernant le futur se manifeste alors, on les observe comme<br />

tels. On ne s’y accroche pas, on ne cherche pas non plus à les éliminer. C’est être comme un miroir.<br />

Le sens de notre pratique est de retrouver ce contact avec la réalité de l’instant, la réalité telle qu’elle est<br />

directement et non pas telle qu’on la reconstruit à travers nos pensées. Lorsque l’on pratique ainsi cette<br />

observation, on devient familier avec toutes sortes de pensées, d’émotions, de sentiments parfois qui<br />

nous animent et qui apparaissent durant le zazen. Cela devient le contenu des pensées. On ne se contente<br />

pas d’être conscient ou intime avec ce contenu de nos pensées mais on observe plus profondément<br />

« Qu’est ce que c’est ? - Quelle est la nature de ce qui apparaît ? ». C’est là que commence véritablement<br />

la pratique du zen.<br />

Lorsque Nangaku s’est rendu auprès du sixième patriarche, <strong>Maître</strong> Enõ (Hui Neng en chinois)<br />

lui demanda : « Qu’est ce qui vient ainsi ? » et non pas «Qui es-tu ? Quel genre de personne avec<br />

quelle histoire ? » mais «Ici et maintenant, qu’est ce que c’est qui est là en face de moi ?». Nangaku<br />

ne put pas répondre à la question et c’est devenu son kõan, son interrogation pendant de nombreuses<br />

années : « Qu’est ce que c’est ? ». Finalement, il s’éveilla à travers ce kõan. Il compris que ce n’est<br />

pas quelque chose. Ce n’est rien de saisissable, rien que l’on puisse enfermer dans les limites de nos<br />

catégories mentales, que l’on puisse décrire, exposer. Ainsi, il réalisa l’essence de son existence, de sa<br />

vie illimitée, de son existence en interdépendance avec tous les êtres.<br />

C’est ce que l’on appelle nature de Bouddha, véritable nature de notre existence. Ce n’est pas<br />

la nature du Bouddha Shakyamuni mais la nature à laquelle il s’éveilla et qu’il partageait avec tous les<br />

êtres. La nature de Bouddha veut dire la nature intime de chacun, de chaque existence. Ce n’est pas<br />

seulement une qualité que l’on posséderait, un potentiel de pouvoir s’éveiller dans le futur, ce n’est pas<br />

quelque chose du tout. C’est simplement la véritable nature de notre existence telle qu’elle se manifeste<br />

à chaque instant dés que l’on cesse d’être obnubilé par nos pensées, par nos catégories mentales. Ce<br />

n’est pas quelque chose à quoi il faut croire ou un nouvel objet de pensée à partir de ce que j’enseigne<br />

en ce moment. C’est une expérience à laquelle chacun est invité, que chacun peut réaliser par soi-même,<br />

que personne, du reste, ne peut réaliser à notre place. Cette expérience n’est pas limitée au temps du


zazen qui est un moment privilégié où le corps et l’esprit sont stables, concentrés, clarifiés mais à<br />

chaque instant de la vie quotidienne. Tout ce qui surgit en nous et autour de nous n’est autre que la<br />

manifestation de la nature de Bouddha. Ainsi toutes les circonstances de la vie sont un kõan. Il n’est<br />

pas nécessaire de rencontrer le sixième patriarche pour cela. Il suffit de conserver un esprit ouvert,<br />

alerte, qui s’interroge sur la véritable nature de ce qui apparaît à chaque instant, qui ne s’empresse pas<br />

de répondre à cette question par un mot, un concept même pas celui de nature de Bouddha, de vacuité,<br />

d’interdépendance généralement utilisés pour signifier ce dont il s’agit. Ne pas mettre de mots, ne pas<br />

limiter les expériences, c’est réaliser le fait d’être tel, immo, juste ainsi, au-delà de toutes conceptions,<br />

de toutes pensées qui limitent. Aussi, ne vous attachez pas même à cela et continuez de vous concentrez<br />

calmement sur la posture et la respiration.<br />

Lundi 17 novembre 2003 - soir : mort et vie<br />

En zazen, si on a tendance à s’endormir ou au contraire à être distrait par ses pensées, il est<br />

bon de se rappeler la recommandation de <strong>Maître</strong> Deshimaru de pratiquer zazen comme si on était sur<br />

le point d’entrer dans son cercueil. A ce moment-là, on ne perd plus un seul instant à somnoler ou à<br />

ruminer ses pensées. Chaque instant devient important, chaque respiration. En pratiquant ainsi, avec<br />

une totale attention à l’instant présent, on peut expérimenter une manière d’être dans laquelle le passé<br />

et le futur ne sont plus importants. Même si les phénomènes apparaissent et disparaissent d’instant en<br />

instant, si chaque instant est comme une naissance et l’instant suivant comme une mort, en réalité,<br />

dans l’expérience que nous en faisons, on est au-delà de l’avant et de l’après, de l’apparition et de la<br />

disparition. On expérimente l’éternité de l’instant. On ne sait plus si zazen a duré longtemps ou pas.<br />

On a simplement vécu totalement et pleinement chaque instant, sans le comparer à l’instant passé, sans<br />

s’inquiéter de l’instant suivant.<br />

En pratiquant zazen dans ce monde où tous les phénomènes apparaissent et disparaissent d’un<br />

instant à l’autre et où ils se transforment sans cesse, on expérimente une manière d’être au-delà de<br />

l’apparition et de la disparition, qui ne s’attache pas à ce qui naît, qui ne redoute pas la disparition.<br />

Ainsi cette perspective de devoir entrer dans son cercueil (qui est bien réelle même si elle ne paraît pas<br />

imminente), nous permet de renaître à une vie plus intense, vécue consciemment d’un instant à l’autre et<br />

de remettre à leur place, toute relative, les préoccupations qui nous agitent l’esprit la plupart du temps.<br />

Objectivement, tout ce qui naît, doit mourir, toute vie est destinée à disparaître. Se rappeler le caractère<br />

éphémère de l’existence, est ce qui permet de renaître à une vie plus authentique. Alors on peut inverser<br />

les termes de l’enchaînement qui nous paraît normalement conduire de la vie à la mort, pour réaliser que<br />

c’est la perspective de la mort, qui fait apparaître la vie dans sa plus profonde dimension.<br />

Mardi 18 novembre 2003 : l’impermanence<br />

Pendant zazen, on se concentre sur la posture aussi stable que possible. On ne bouge pas, on<br />

respire calmement et les pensées s’apaisent. Aussi calme que soit l’esprit en zazen, il se passe en réalité<br />

toujours quelque chose. Une sensation surgit, une pensée apparaît, une perception d’un bruit, le besoin<br />

de se gratter, même notre humeur n’est pas forcément égale pendant tout le zazen. C’est comme le ciel<br />

dont la couleur change rapidement. Souvent lorsque l’on pratique la Voie, on espère pouvoir atteindre un<br />

état d’esprit de totale stabilité, comme si on voulait arrêter l’impermanence. Beaucoup de grands maîtres<br />

comme Dõgen ont commencé la pratique de la Voie pour tenter de surmonter l’impermanence. Finalement,<br />

la pratique de la Voie ne consiste pas à suspendre le temps car le temps c’est la vie. L’impermanence<br />

est la nature même de l’existence. Certains bouddhistes imaginent la nature de Bouddha parfaitement<br />

stable, éternelle au-delà de l’impermanence. Dõgen a réalisé et enseigné que l’impermanence de toutes<br />

choses est elle-même la nature de Bouddha, l’ultime réalité.<br />

Cela change complètement l’attitude par rapport à la pratique. Il ne s’agit pas de faire barrage au<br />

changement, d’essayer de se figer dans une attitude de totale immobilité intérieure mais au contraire,<br />

d’accepter profondément l’impermanence. En zazen, c’est laisser s’écouler le flot des pensées, des<br />

sensations et des perceptions sans chercher à les répéter ou à les retenir. C’est le « lâcher-prise »


par rapport à l’immobilité. C’est accepter profondément de s’harmoniser avec l’impermanence. Les<br />

constructions mentales, abstraites, les idées que l’on se fait et auxquelles on voudrait pouvoir s’attacher,<br />

sont immobilité et la réalité est un flux perpétuel de transformations.<br />

Pratiquer zazen ressemble d’avantage à apprendre à nager avec le courant, que de lui opposer toute la<br />

résistance d’un ego. Si on accepte intimement l’impermanence comme impermanence, on accepte ce qui<br />

nous relie à tous les êtres. Nous sommes uniques, différents les uns des autres, différents des animaux,<br />

des montagnes, des rivières, des astres, du ciel et ce que nous partageons avec toutes les existences, c’est<br />

l’impermanence. A cause d’elle, beaucoup de souffrances apparaissent mais lorsque l’impermanence<br />

est acceptée, c’est l’éveil, la libération parce que l’impermanence est notre réalité fondamentale. C’est<br />

une chance de ne pas stagner dans nos bonnos, dans nos illusions, qu’un changement soit toujours<br />

possible, que rien ne soit figé. Si le point de départ de la pratique de la Voie est la prise de conscience de<br />

l’impermanence, sa réalisation en est l’acceptation (acceptation non pas résignée mais joyeuse).<br />

En ce moment, les feuilles tombent mais si on regarde bien les branches des arbres, les bourgeons sont<br />

déjà là.<br />

Lundi 24 novembre 2003 - soir : esprit de bouddha<br />

Pendant zazen, on revient régulièrement à la concentration sur notre posture. Et surtout on ne<br />

s’empare d’aucune pensée. On n’entretient pas les pensées qui apparaissent, on ne les suit pas, on en<br />

prend conscience juste au moment où elles surgissent. Cela nécessite d’être très vigilant, très attentif,<br />

de façon à ne pas laisser les pensées, les impressions, les sensations, les émotions nous envahir l’esprit.<br />

Pour cela, le mieux est de rester très concentré sur sa respiration et d’observer ce qui apparaît d’instant en<br />

instant, de revenir constamment au point de l’apparition des pensées, de revenir à l’esprit d’où la pensée<br />

a surgit. Mais cet esprit lui-même est insaisissable. Il est la condition d’apparition de toute conscience<br />

mais il n’est pas quelque chose que l’on puisse définir, saisir et pourtant on peut devenir complètement<br />

intime avec, en ne suivant pas les pensées et en revenant constamment à la source des phénomènes qui<br />

surgissent dans l’esprit.<br />

Si on pratique avec cette attention, cette vigilance, cette présence d’esprit, il n’est pas nécessaire<br />

de rejeter les pensées ou les phénomènes mentaux qui apparaissent. On en prend conscience un instant<br />

et on revient immédiatement à la source, à l’état de conscience d’avant l’apparition de la pensée. C’est<br />

ce que <strong>Maître</strong> Isan appelait « notre véritable visage d’avant la naissance de nos parents ». C’est l’esprit<br />

qui ne crée pas de distinction, d’opposition, qui ne demeure sur rien, qui englobe toutes choses comme<br />

le vaste ciel mais qui n’est pas limité par les phénomènes qui surgissent. Cet esprit vaste est ce que l’on<br />

appelle aussi l’esprit de bouddha.<br />

Lorsque l’on pratique ainsi, on devient intime avec la source de l’esprit alors, toute l’agitation<br />

mentale s’apaise, tout ce qui nous préoccupe est largement relativisé, chaque chose retrouve sa juste<br />

place. On peut ressentir une grande paix et une grande liberté dans l’expérience même de zazen de<br />

chaque instant.<br />

Mondo du 24 novembre 2003: l’effort<br />

- Après la méditation en zazen qui est une descente intérieure vers une autre dimension de la<br />

réalité, on retourne dans la vie active. La pratique de zazen permet d’être un peu plus clairvoyant,<br />

il n’empêche que la clairvoyance ne résout pas tous les problèmes. Alors quelle est la maîtrise de la<br />

pensée qu’il faut atteindre et qu’elle est l’énergie particulière qu’il faut développer pour transformer le<br />

plomb en or ?<br />

- Dans la vie quotidienne, il faut revenir le plus fréquemment possible à l’attitude d’esprit de<br />

zazen. Si à un moment donné, on éprouve une frustration, il faut se demander : « Qu’est-ce qui se<br />

passe ? - Qui est frustré ? - Quelle est la cause de cette frustration ? » Dans la mesure du possible,<br />

il faut faire de tous les phénomènes de la vie quotidienne telles les rencontres, les circonstances, les


choses à faire, des occasions de se comprendre soi-même plus profondément mais aussi des occasions<br />

de pratiquer un exercice de lâcher-prise. Il ne faut surtout pas limiter le zazen au temps où l’on pratique<br />

assis les jambes croisées dans le dojo sinon on finit très vite par construire deux mondes, deux états<br />

d’esprit, qui s’opposent : le monde idéal pendant zazen et puis le monde des phénomènes où l’on retombe<br />

comme du ciel dans le purgatoire ou en enfer ou je ne sais trop dans quel bas monde. Le propre du<br />

zazen, c’est justement de réunifier notre vie avec un esprit qui ne crée pas de dualité. Pour ne pas créer<br />

de séparation entre le zazen et le reste de la vie, il faut revenir aux points essentiels de zazen, revenir<br />

à la concentration sur le corps, à un état de vigilance, de concentration sur la respiration et surtout<br />

d’attention à ce qui se passe. Zazen devrait nous permettre de développer cela.<br />

- C’est donc un effort permanent ?<br />

- Oui, bien sûr. L’effort est une des six paramitas et d’ailleurs ce sera le prochain thème de notre<br />

petit journal « la Voie du dojo » Si les gens ne sont pas prêts à faire des efforts, ce n’est pas la peine qu’ils<br />

viennent pratiquer le zen. C’est une Voie dans laquelle on doit faire des efforts, non pas des efforts d’un<br />

volontarisme farouche comme pour lutter ou trancher quelque chose mais c’est l’énergie que l’on met à<br />

être attentif, vigilant, à avoir une grande présence d’esprit à tous moments. Cet effort est plutôt de cette<br />

nature pour constamment essayer de clarifier notre esprit et de ne pas laisser les nuages s’accumuler.<br />

Si je peux reprendre une image souvent utilisée : « Si on laisse les nuages s’accumuler, il arrive un<br />

moment où on ne voit plus rien et pourtant le soleil est toujours là ». Par cet effort de présence d’esprit,<br />

de vigilance, d’attention, il y a beaucoup moins besoin d’effort après pour faire face aux phénomènes.<br />

On est plus clair avec ce qui se passe, on ne se laisse pas déborder par les émotions négatives, on n’est<br />

alors pas obligé de rattraper des situations et de lutter contre des phénomènes difficiles à rectifier.<br />

Mercredi 26 novembre 2003 - soir : le premier vœu du bodhisattva<br />

Pendant zazen, concentrez-vous sur la verticalité de votre posture. En particulier, ne laissez pas<br />

la tête pencher en avant. Rentrez le menton. Etirez la colonne vertébrale et la nuque comme si vous<br />

vouliez pousser le ciel avec le sommet du crâne. Le nez est à la verticale du nombril, les oreilles à la<br />

verticale des épaules. Se concentrer sur la verticalité de sa posture, aide à trouver la stabilité. Cela<br />

signifie que l’on ne suit pas nos inclinations qui nous font pencher d’un côté ou de l’autre. L’avidité ou<br />

la somnolence nous font pencher en avant. La rêverie ou le côté extatique nous font pencher en arrière.<br />

Bien centré dans sa posture est le meilleur moyen d’être parfaitement présent ici et maintenant, attentif<br />

à ce qui surgit d’instant en instant, sans rien vouloir saisir ni rejeter. Surtout, faites attention à ne pas<br />

rendre votre posture rigide. Elle doit rester souple. Si vous êtes tendu dans votre posture, cela gène la<br />

respiration. Détendez-vous. Relâchez les contractions inutiles du dos et des épaules. Trouvez la bonne<br />

bascule du bassin en avant. Détendez le ventre en laissant le poids du corps presser sur le zafu. Le regard<br />

est posé devant soi sur le sol mais les yeux ne sont pas fermés, ils sont juste entrouverts de manière à ne<br />

pas tomber dans la somnolence et surtout de ne pas éprouver le besoin de se couper du monde extérieur.<br />

Si on ne s’attache pas aux objets extérieurs qui sont devant soi, rien ne nous dérange.<br />

Pratiquer zazen, ce n’est pas obtenir une concentration spéciale en se coupant du monde des<br />

phénomènes ou des autres mais c’est, au contraire, expérimenter notre totale interdépendance et notre<br />

unité avec les autres dans ce dojo et aussi au-delà du dojo. C’est la raison pour laquelle après chaque<br />

zazen, on chante les quatre vœux du bodhisattva Le premier est de venir en aide à tous les êtres. Un<br />

grand maître zen du septième siècle écrivit un des premiers manuels de la pratique de zazen dont <strong>Maître</strong><br />

Dõgen s’inspira fortement six siècles plus tard. Ce maître commençait son enseignement de zazen en<br />

recommandant à ceux qui aspirent à l’éveil, qui désirent étudier la Voie de la sagesse, de commencer par<br />

éveiller en eux-même une attitude de grande compassion et de se concentrer sur leur pratique en faisant<br />

le vœu d’aider les êtres à se libérer.<br />

En effet, si notre motivation à pratiquer zazen n’est pas juste, si on en fait une technique de bienêtre,<br />

une recherche de confort personnel, si on ne s’éveille pas à l’expérience de notre interdépendance<br />

avec les autres alors, on passe à côté de la véritable dimension du zazen. Il ne s’agit pas seulement


de le penser mais de l’actualiser dans la pratique avec les autres membres du dojo, dans la vie de la<br />

Sangha et plus généralement dans le contact avec tous les êtres dans la vie quotidienne, en ne créant<br />

pas de séparation ni d’opposition entre la vie dans le dojo, la pratique de zazen et le reste de la vie<br />

quotidienne.<br />

Ce maître ajoutait : « C’est alors seulement qu’il sera temps de lâcher prise par rapport aux objets, de<br />

vous tranquilliser par rapport à toutes vos préoccupations afin que le corps et l’esprit soient en harmonie<br />

avec la réalité. »<br />

Mondo du mercredi 26 novembre 2003 : les pensées bonnes ou mauvaises<br />

- Dans le zen, on n’utilise pas la pensée positive. Par exemple, remplacer une idée qui apparaît sur<br />

notre écran intérieur par une pensée positive. Pourquoi ne le fait-on pas ?<br />

- Le sens de notre pratique n’est pas de nous manipuler mentalement. Au lieu d’observer ce qui<br />

est présent et de se comprendre vraiment soi-même, dans ces pratiques que tu évoques, on essaie de<br />

transformer ses pensées négatives par des pensées positives. Cela peut avoir des vertus thérapeutiques<br />

mais ce n’est pas la pratique de méditation du Bouddha et encore moins la pratique du zen qui en est<br />

issue. La méditation du Bouddha, c’est d’une part d’apprendre à se connaître soi-même et d’autre part de<br />

reconnaître la nature de ses pensées, de ne pas les juger en termes de positif ou négatif, de bien ou de<br />

mal mais d’en observer l’ultime vacuité, l’absence de substance. Nos pensées n’ont pas plus de substance<br />

que les nuages donc on peut s’en détacher. Alors ce que tu évoques, c’est exactement le contraire. C’est<br />

une attitude de l’ego qui juge ce qui est bien, mal, bon ou mauvais. C’est de la manipulation. Ce n’est<br />

pas naturel. L’enseignement du Bouddha est justement de nous libérer de toutes pensées bonnes ou<br />

mauvaises.<br />

- On ne peut pas voir la pensée comme une force créatrice ?<br />

- On le peut mais c’est un autre contexte. Parfois, il peut être bon de pratiquer l’autosuggestion<br />

mais ce n’est pas le but du zazen qui est d’apprendre à se connaître soi-même. Pour cela, il faut suspendre<br />

tout jugement par rapport à soi-même et voir simplement ce qui est là. En arrêtant tout jugement, on<br />

permet à toutes les pensées de remonter à la surface et d’éclater comme des bulles. Si les pensées qui ne<br />

sont pas conformes à ce que l’on voudrait être sont réprimées, si on veut les effacer, les remplacer, cela<br />

crée du refoulement. D’un point de vue psychologique, cela ne me paraît pas très bon. Les pensées sont<br />

des fabrications mentales. Au moment où elles apparaissent, elles sont déjà du passé donc dépassées. Le<br />

but fondamental est de lâcher prise, de laisser tomber toutes formes d’attachement à des conceptions et<br />

de réaliser ainsi un esprit libre, ouvert. C’est cet esprit-là qui peut devenir un esprit créatif, neuf. Notre<br />

véritable créativité, c’est d’accéder à notre réalité la plus profonde et de la laisser s’exprimer.<br />

Du point de vue du zen, il est plus important de se libérer de la racine des pensées négatives que de les<br />

remplacer par des pensées positives. Le Bouddha a toujours été très clair là-dessus, en disant que le<br />

poison de notre vie, de nos pensées, de nos émotions, de notre comportement, c’est l’avidité, la haine,<br />

le rejet, l’hostilité, l’agressivité et surtout l’ignorance qui est la base de tout. C’est pourquoi, il faut<br />

chercher à être lucide et voir comment on arrive à créer des pensées négatives. En général, c’est par<br />

rapport à un attachement exacerbé à notre petit ego qui fonctionne constamment dans l’avidité et dans<br />

la haine. Comprendre cette racine des pensées négatives permet de les déraciner.<br />

Vendredi 28 novembre 2003 - soir : le piège à singe<br />

Pendant zazen, la main gauche est dans la main droite et les pouces se touchent horizontalement en<br />

formant un ovale avec les index. La position des mains en zazen est importante parce qu’elle permet de<br />

concentrer son attention sur le contact des pouces qui est délicat, sans trop de pression mais sans être<br />

relâché, comme tout le reste de la posture. Se concentrer sur le contact des pouces aide à éviter les deux<br />

excès : l’agitation mentale et la somnolence. Cela aide à garder l’équilibre, la vigilance, entre la pensée


et la non-pensée et à aller librement d’une pensée qui surgit à la non-pensée qui suit lorsque l’on lâche<br />

cette pensée. Le deuxième point important de la position des mains en zazen, c’est que les mains ne<br />

saisissent rien, ne fabriquent rien. En zazen, on n’a aucun objet, on est seulement assis, tout à fait présent<br />

ici et maintenant, sans saisir aucun objet et sans attendre d’atteindre quelque but, quelque condition<br />

spéciale que ce soit. Comme les mains ne saisissent rien, l’esprit est également ouvert et devient libre.<br />

Dans cette liberté, on peut tout recevoir, on peut être réceptif à ce qui se présente à chaque instant,<br />

précisément parce que le cœur et l’esprit ne sont pas encombrés par les vieilles pensées et surtout pas<br />

obnubilés par l’avidité de vouloir saisir ou conserver quelque chose.<br />

A ce sujet, <strong>Maître</strong> Deshimaru évoquait le piège à singe : Une noix de coco vidée et remplie de<br />

cacahuètes est solidement fixée. Les singes passent la main dans le trou pour attraper les cacahuètes.<br />

Quand ils veulent retirer la main, ils restent bloqués. S’ils avaient l’idée de lâcher les cacahuètes, ils<br />

pourraient sortir la main et retrouver leur liberté immédiatement. Mais ils se cramponnent à leurs<br />

cacahuètes et perdent leur liberté. Ils sont piégés. C’est exactement l’image de l’ego humain. A trop<br />

vouloir saisir, garder, on devient limité, prisonnier de nos attachements. Alors qu’il suffit d’ouvrir les<br />

mains, d’abandonner cette avidité, ce désir de saisir quelque chose ou quelqu’un et d’un seul coup on<br />

peut se retrouver libre, ouvert à tout l’univers.<br />

Cela, on l’expérimente directement pendant zazen. Même si des pensées, des émotions, des<br />

souvenirs, des désirs parfois surgissent, on ne cherche pas à les couper, à les trancher. On les accueille,<br />

on en prend conscience mais on ne s’y attache pas. On ne s’attache pas non plus à son propre corps ni<br />

à son esprit. Bien sûr, on se concentre sur la posture du corps, on observe son esprit mais finalement le<br />

corps et l’esprit sont remis à zazen. Au début, on fait zazen mais le pouvoir du zazen lui-même devient<br />

plus fort que notre volonté personnelle et on s’en remet avec confiance à zazen. On ne fait plus rien,<br />

on ne veut plus rien, on n’attend plus rien. On laisse simplement zazen faire zazen. C’est ce que <strong>Maître</strong><br />

Dõgen appelait rejeter le corps et l’esprit, c’est à dire l’attachement au corps et à l’esprit, plonger son<br />

corps et son esprit dans le zazen. Dõgen disait : « C’est comme pénétrer dans la maison de Bouddha et<br />

s’en remettre à son pouvoir. » Il n’y a plus besoin de faire des efforts avec sa propre volonté. C’est le<br />

pouvoir du zazen qui est le Bouddha lui-même, qui nous entraîne au-delà de nous-même, au-delà des<br />

limites de notre petit ego. Bien qu’avec cette expérience, on ne quitte pas le monde des phénomènes qui<br />

nous entourent, on peut y vivre avec une grande liberté intérieure.<br />

Samedi 29 novembre 2003 : Les six mondes de transmigration<br />

Pendant zazen, ne laissez pas votre tête pencher en avant, redressez-la. Si vous voulez rentrer<br />

le menton, cela ne doit pas provoquer l’inclinaison de la tête vers l’avant. Etirez plutôt tout votre corps<br />

et votre nuque comme si vous vouliez pousser le ciel avec le sommet de la tête. Décontractez-vous.<br />

Relâchez bien les épaules. Détendez le ventre. Inspirez et expirez calmement. Et surtout ne laissez<br />

pas votre esprit stagner dans les pensées ou s’emparer de certaines pensées ou de certaines émotions.<br />

D’inspiration en inspiration, on pratique le lâcher-prise avec tous les états que l’on traverse. Traverser<br />

ces états, ne pas y stagner, ne pas demeurer sur quoi que ce soit, est la grande liberté de zazen. Lorsque<br />

l’on ne parvient pas à dépasser certains états, on y reste attaché, comme obsédé. L’esprit se coagule. On<br />

entre dans un des états qui sont traditionnellement décrits dans le bouddhisme comme les mondes de la<br />

transmigration.<br />

Il est intéressant de connaître la description de ces mondes même si on ne croit pas aux renaissances<br />

dans ces mondes. En fait, ces mondes de transmigration sont un bon repérage de notre voyage de chaque<br />

instant dans la vie. Leur description nous permet de nous situer et d’aller au-delà :<br />

- Ce que l’on appelle l’enfer, naraka en japonais est un état de souffrance constante qui paraît<br />

insurmontable quand on est dedans, qui provoque la révolte, le désespoir, ce qui ne fait qu’accroître la<br />

souffrance. On l’expérimente parfois en zazen, particulièrement quand les zazens sont nombreux et<br />

durent longtemps. Le corps devient tendu, douloureux. Au lieu de se concentrer sur la respiration et de<br />

relâcher les tensions, le corps se tend davantage, l’esprit s’oppose et se révolte. On a envie de bouger, de<br />

quitter. Toutes sortes de pensées négatives apparaissent, on a l’impression de ne pas pouvoir en sortir.<br />

Dans la vie quotidienne, ce genre d’état peut se retrouver derrière de grandes dépressions où tout paraît


insensé, cause de souffrance, on ne voit pas le bout du tunnel. L’expérience de la pratique de zazen<br />

nous montre que même un tel état douloureux est impermanent. Le fait de regarder cet état comme<br />

impermanent, de dédramatiser la situation, par exemple d’accepter d’avoir mal aux genoux sans en faire<br />

un drame, permet d’alléger la souffrance et de transformer la situation en une occasion de lâcher-prise,<br />

de surmonter l’esprit rigide et de traverser cet épisode.<br />

- Parfois on en sort en se raccrochant à toutes sortes de désirs qui dans un premier temps nous<br />

donnent l’espoir qu’une fois satisfaits, on pourra enfin être heureux. Les objets du désir peuvent être<br />

variés : l’argent, le sexe, l’amour, la position sociale, les connaissances et même le satori, le nirvãna. On<br />

désire toujours autre chose et toujours plus, sans être jamais réellement satisfait. Au fond, on recherche<br />

la paix, être en harmonie avec la réalité mais on ne peut pas y parvenir en étant toujours sous l’emprise<br />

de nouveaux désirs. Cette avidité est un des trois grands poisons dénoncés par le Bouddha, c’est l’état<br />

de gaki, l’état d’affamé.<br />

- Une variante de cet état, c’est lorsque les désirs se portent sur les instincts que l’on partage<br />

avec les animaux tels que manger, boire, le sexe ou alors beaucoup dormir. C’est l’état d’incarnation<br />

animale.<br />

- Une autre variante, ce sont les instincts agressifs, la compétition, l’ambition, vouloir toujours<br />

être le premier, ne pas supporter les critiques. En zazen, c’est de ne pas supporter que l’on corrige notre<br />

posture parce qu’elle est meilleure que celle des autres. C’est aussi vouloir acquérir des positions, des<br />

responsabilités, non pas pour rendre service mais pour affirmer son ego. Tout cela décrit un état très<br />

répandu dans notre société qui est stimulé par le dogmatisme, l’attachement aux opinions entraînant<br />

l’intolérance, l’agressivité, les guerres.<br />

- Le cinquième état de renaissance mais aussi de transmigration d’instant en instant, c’est l’état<br />

dans lequel les préoccupations ordinaires liées à la famille, à la vie sociale, prédominent. Les soucis<br />

de la vie quotidienne viennent nous obséder pendant zazen. En zazen, lorsque l’on franchit la poutre<br />

du dojo, il est important de les abandonner, de ne pas s’y attacher si elles apparaissent, de les laisser<br />

retourner à l’arrière plan.<br />

- Parfois, certaines personnes rencontrent en zazen un état de béatitude un peu extatique. Elles<br />

s’imaginent que c’est le satori, l’illumination. Dans le bouddhisme, on l’appelle l’état de deva. Etat très<br />

narcissique où l’on est satisfait de soi. Bouddha dans sa pratique de zazen avait rencontré cet état. C’est<br />

la troisième étape du Dhyãna. Il l’avait traversé sans s’y attacher comme tous les autres états. Car il<br />

s’agit encore d’un état conditionné, impermanent, loin de la véritable libération.<br />

Si on reconnaît ces six états de transmigration dans notre pratique de zazen et dans notre vie<br />

quotidienne, cela nous permet de ne pas y rester prisonnier, de voir où nous en sommes et de laisser<br />

passer l’envie de s’attacher à un de ces états ou à la croyance que l’on ne peut pas s’en détacher. Dans<br />

notre pratique, nous faisons le vœu du bodhisattva de rester dans ce monde de transmigration, il est<br />

donc important de transformer ces conditions d’esprit, de ne pas les rejeter ou les fuir en recherchant<br />

un état de non-pensée, de non-émotion, de non-phénomène. Il faut voir dans tous ces états, l’occasion<br />

d’expérimenter ce qui fait le lot de la condition humaine générale. Cela nous permet alors de mieux<br />

comprendre les souffrances et les joies de chacun et ainsi de pouvoir pratiquer la compassion. Si on<br />

ignore ou si on rejette ces états, on a tendance à avoir une espèce d’orgueil spirituel pensant être arrivé<br />

au-dessus des autres, ne comprenant pas comment on peut stagner dans ses illusions comme (croit-on)<br />

le font la majorité des gens. Il faut bien réaliser qu’il n’y a pas d’autre nirvãna que ce qui se passe pour<br />

nous dans le samsara, dans ce monde de transmigration.<br />

Ce que l’on appelle nirvãna, c’est une autre manière de percevoir ce monde de transmigration.<br />

C’est y vivre en observant la vacuité, la non-substance, l’impermanence de tous les objets d’attachement<br />

qui provoquent cette transmigration et surtout de l’ego lui-même qui transmigre. C’est vivre en harmonie<br />

avec cela, en pratiquant d’instant en instant le lâcher- prise avec tous les états que nous rencontrons.<br />

Zazen, c’est apprendre à les traverser en respirant calmement et profondément.


Mondo samedi 29 novembre 2003 : le karma de la souffrance<br />

- Dans le bouddhisme, une théorie relative au karma dit que la souffrance est due aux actions passées<br />

de cette vie présente ou de vies antérieures. Le bouddha souhaitait soulager la souffrance avant tout,<br />

alors cette philosophie parait contraire à ce principe car la souffrance ressentie est en plus aggravée<br />

par la culpabilité !<br />

- Oui, mais si tu rejettes ce point de vue alors, quelle cause donnes-tu à la souffrance ?<br />

- Je n’ai pas l’intention de rejeter ce point de vue mais cela m’interpelle. Je vois mal comment cela peut<br />

fonctionner ?<br />

- Nous souffrons à cause de nos propres comportements mentaux, pensées, paroles, actions,<br />

comportements passés ou actuels. Ce n’est pas seulement le karma passé mais aussi nos illusions<br />

actuelles qui font notre souffrance. Les causes karmiques du passé ne sont qu’une des causalités qui,<br />

d’ailleurs généralement, détermine plutôt les conditions de la renaissance. Cela ne veut pas dire que le<br />

karma va entièrement déterminer tous nos comportements présents. Sinon il n’y aurait aucun sens à ce<br />

que Bouddha ait enseigné une Voie de libération. Si la souffrance était une fatalité irrémédiable, on ne<br />

pourrait pas s’en sortir. Au contraire, le Bouddha pensait que l’être humain a, au fond de lui, une liberté<br />

fondamentale qui permet, dans la mesure de la prise de conscience de la causalité de nos souffrances,<br />

de transformer sa manière d’être, de vivre et donc de remédier à sa souffrance. Si nos souffrances nous<br />

venaient d’un monde extérieur, d’un démiurge ou d’une déité maléfique, il n’y aurait pas tellement<br />

d’espoir. Par contre, si on réalise que c’est à cause de notre comportement, de la façon dont on a vécu<br />

dans le passé et jusqu’à maintenant alors là, tous les espoirs de changement sont permis par la prise de<br />

conscience de l’erreur.<br />

Bouddha insistait sur l’erreur mais ne parlait pas de culpabilité. Le bouddhisme n’est pas une<br />

religion de culpabilité. C’est une religion de sagesse. L’opposé de la sagesse, c’est l’illusion ou l’erreur,<br />

ce n’est pas la faute, c’est différent. Le karma n’est pas une notion comme le péché avec une faute et<br />

une punition, une sanction, un genre de tribunal où un dieu condamne au moment du jugement dernier.<br />

C’est une théorie presque plus scientifique et objective : toute cause a des effets. Si on n’adopte pas cette<br />

vision de la causalité, on se trouve dans une situation bien pire mentalement. Si on croit que ce qui nous<br />

arrive n’a aucune cause alors, on est face à l’absurde, aucune maîtrise possible, tout est incohérent, c’est<br />

le chaos. Si on pense que la cause vient de l’extérieur, des autres, d’un dieu, d’une déité ou d’un démon,<br />

il n’y a pas moyen de s’en sortir et on peut devenir à moitié paranoïaque, se sentant persécuté. Soit on<br />

est désespéré par l’absurde soit par l’impuissance et l’injustice. Au contraire, le Bouddha nous met face<br />

à notre responsabilité et à notre capacité de reprendre le cours de notre vie en main et de le changer. Les<br />

souffrances sont comme les symptômes d’une maladie. Le Bouddha avait une optique non pas de juge<br />

mais de médecin. On l’a souvent appelé le « grand médecin ». La douleur est un symptôme, en prendre<br />

conscience permet de se libérer des causes de ses souffrances.<br />

Pour les erreurs du passé qui ont donné des fruits, il faut parfois patienter afin que certains aspects<br />

de notre vie déterminés par ces causes anciennes, ne produisent plus d’effets. Quand il y a un orage, on<br />

peut invectiver le ciel mais il faut attendre que les nuages aient fini de vider leur eau pour que la pluie<br />

cesse et que le soleil revienne. Il faut laisser passer. Néanmoins, le Bouddha disait qu’il y a des moyens<br />

d’abréger les effets des erreurs passées. Par exemple en pratiquant la cause inverse de la cause dont on<br />

souffre. Quelqu’un qui souffre de grande misère matérielle, (généralement c’est l’effet d’un karma de<br />

grande avarice) peut alléger sa misère actuelle en pratiquant la charité, la générosité, en donnant de<br />

l’aide, du service, de l’amour. Quelqu’un qui souffre physiquement (selon la théorie du karma, cette<br />

personne en a fait souffrir d’autres) prendra soin des autres. Il s’agit de travailler sur la polarité inverse.<br />

Le message du Bouddha est un message de responsabilité. Ce n’est pas du fatalisme mais au contraire de<br />

l’espoir réaliste. Rien n’arrive par hasard. Notre vie n’est pas absurde, on peut influer sur son cours dès<br />

l’instant où l’on en prend conscience. La meilleure manière de sortir de l’enchaînement causal du karma,<br />

c’est l’éveil, c’est la prise de conscience.


Lundi 1 décembre 2003 - soir : comment se concentrer<br />

En zazen, ne perdez pas votre temps à entretenir vos pensées de la vie quotidienne. Dés l’instant où l’on<br />

entre dans le dojo et où l’on s’assoit sur le zafu, on se concentre complètement sur la posture du corps,<br />

sur les gestes et sur la respiration et on arrête d’entretenir ses pensées. Pour cela, il faut se concentrer<br />

avec beaucoup d’énergie sur la posture du corps, en particulier sur la verticalité du dos, de la nuque,<br />

ne pas laisser son corps pencher en avant, en mettant beaucoup d’énergie à rentrer le menton ce qui<br />

stimule la vigilance. Une fois que l’on a pris la posture correcte, on peut placer son attention sur un<br />

point particulier qui favorise cette concentration sinon l’esprit risque de rester dispersé. Pour cela vous<br />

pouvez vous concentrer, par exemple, sur le contact des pouces, c’est à dire être attentif à la sensation du<br />

contact des pouces jusqu’au point de pouvoir sentir la circulation du sang dans les pouces. Si toute votre<br />

attention est fixée sur un point comme celui là ou sur la pointe de la langue contre le palais ou sur le<br />

contact du tranchant des mains avec le bas ventre, il faut rester concentré sur ce point pendant un certain<br />

temps, c’est à dire laisser tomber toutes les pensées qui surgissent et qui pourraient déranger l’attention<br />

à ce point particulier. A ce moment-là, une seule chose est importante et tout le reste est en arrière<br />

plan. C’est ce qui permet de se détacher de ses pensées, de tous les phénomènes mentaux, sensations,<br />

perceptions, émotions, etc. Une autre manière, c’est de se concentrer attentivement sur le mouvement<br />

de la respiration, en particulier la sensation de l’air en contact avec les narines sur l’inspiration comme<br />

sur l’expiration. Vous pouvez expérimenter par vous-même et choisir le point de concentration qui vous<br />

convient le mieux.<br />

Ce n’est que lorsque l’esprit s’est complètement apaisé et que l’on parvient à laisser passer les<br />

pensées que l’on peut reprendre une attention plus globale sans se fixer sur un point spécial. Lorsque<br />

l’on est en état de sanran, d’agitation, que les phénomènes de la vie quotidienne continuent à nous agiter<br />

l’esprit, alors il vaut mieux se focaliser sur un point particulier. Non pas rejeter les pensées qui surgissent<br />

mais simplement, ne pas leur attribuer d’importance. L’important est le point de concentration. D’une<br />

manière générale, dans la vie quotidienne, être concentré veut dire être concentré sur une seule chose à<br />

un moment donné. Cela peut varier d’un instant à l’autre mais, dans un instant être seulement concentré<br />

sur une chose. C’est ce qu’on appelle la pratique de shikan : mettre toute son attention et son énergie sur<br />

ce que l’on est en train de faire, sans anticiper le résultat, sans penser à autre chose.<br />

La concentration, c’est aussi une grande faculté d’oubli. C’est à dire cesser d’être parasité par<br />

mille pensées, oublier tout le reste et être seulement « un » avec le point de la concentration. Ce qui<br />

permet de ne pas s’identifier aux pensées, de prendre du recul, de les voir apparaître et disparaître et de<br />

les laisser passer. La concentration ne signifie pas l’arrêt complet des pensées. C’est seulement cesser<br />

de s’investir dans les pensées et par contre adopter une attitude d’observation. A partir de l’ancrage que<br />

nous donne le point de concentration sur la posture ou sur la respiration, la conscience devenant comme<br />

un miroir clair, reflète le moindre mouvement de l’esprit. On prend conscience de la moindre sensation,<br />

de la moindre perception dés que cela apparaît et aussitôt, on revient à la concentration sur la posture ou<br />

sur la respiration et on laisse passer. Et, bien évidemment, les phénomènes passent. L’expérience nous<br />

confirme qu’aucun de ces phénomènes n’a de substance réelle. Ils sont comme des vagues à la surface<br />

de l’esprit où, au fond, règne le calme.<br />

La plupart des gens ont perdu le contact avec le fond. Pratiquer zazen, c’est retrouver ce contact,<br />

penser du tréfonds de la non-pensée, de la non-pensée volontaire et laisser les pensées du subconscient<br />

faire surface, sans les réprimer. Pour pouvoir penser du tréfonds de la non-pensée, il faut avoir réalisé<br />

la non-pensée, c’est à dire l’arrêt de la pensée personnelle consciente et volontaire : Arrêter de juger,<br />

de choisir, abandonner toute intention. Bien sur, il y a une intention minimum qui est d’être dans cette<br />

attitude de concentration et d’observation mais au-delà de cela, on n’attend rien. Ainsi, l’esprit se trouve<br />

immédiatement, instantanément, libéré de tous les conditionnements. On n’adhère à rien. On ne se<br />

laisse pas manipuler par ses désirs, ses arrière-pensées. On retrouve ainsi un mode de penser naturel,<br />

spontané. Pendant zazen, laissez bien se développer cet espace entre les pensées.<br />

C’est une chose que de comprendre que les pensées sont sans substance et une autre que de<br />

parvenir à ne plus penser volontairement et consciemment et d’être réellement libre de ses pensées. La<br />

meilleure méthode, encore une fois, est de revenir à la posture mais surtout, à la respiration d’instant en<br />

instant.


Mardi 2 décembre 2003 : concentration-observation<br />

Pendant zazen, ramenez constamment votre attention sur la verticalité de votre posture. Cela<br />

aide à ne pas suivre nos penchants, nos pensées conditionnées, nos désirs et nos aversions, et à rester<br />

bien centré ici et maintenant. Pour pouvoir revenir constamment à cette concentration, le mieux est de<br />

choisir un point de concentration : soit la ligne verticale entre le nez et le nombril, soit le contact des<br />

pouces délicat à travers lequel on peut sentir le pouls, les pulsations, le cœur ou soit la sensation de l’air<br />

qui passe par les narines. Autant que possible il faut rester concentré sur un seul point car si l’on passe<br />

d’un point de concentration à l’autre, cela contribue à disperser l’esprit.<br />

Mais évidemment, les pensées continuent à apparaître. Il ne faut pas les ignorer mais les<br />

reconnaître très rapidement au moment où elles surgissent : « De quoi s’agit-il ? ». Dès que l’on en a pris<br />

conscience, on laisse passer car le point important en zazen n’est pas de se livrer à une réflexion, une<br />

analyse de nos pensées, de nos désirs, de nos états d’esprit mais d’en observer directement, intuitivement<br />

l’impermanence, le caractère aussi insubstantiel que les nuages dans le ciel. Vouloir trop analyser nos<br />

états d’esprit est impossible car il n’y a pas de fin à la chaîne des conditionnements, des relations. Alors,<br />

dans la pratique de zazen, on va directement à l’essentiel. Bien que ces phénomènes existent, bien que<br />

ces pensées proviennent de notre cerveau, de notre esprit, elles ne constituent pas un ego, un moi. Nous<br />

ne sommes pas ces pensées.<br />

Reconnaître ses pensées mais ne pas s’identifier à elles, évite de se laisser conditionner, entraîner<br />

par nos différents états d’esprit et nous permet donc de garder une liberté d’esprit. Notamment pour<br />

l’action dans la vie quotidienne, on peut ainsi éviter de se laisser emporter par des émotions de colère,<br />

d’impatience, d’avidité et permettre à l’esprit de compassion d’apparaître et de fonctionner dans la<br />

relation avec les autres : Bien qu’une colère apparaisse, je ne suis pas cette colère, rien ne m’oblige à la<br />

suivre. Avoir cette attitude, cette capacité de concentration et d’observation, est ce qui permet de rester<br />

libre tout en étant en contact avec les phénomènes de la vie quotidienne, aussi bien les phénomènes<br />

extérieurs que nous rencontrons que les phénomènes fabriqués dans notre esprit.<br />

Mercredi 3 décembre 2003 - matin : un point de concentration<br />

En zazen, il y a de nombreux points de concentration possible. On se concentre sur le corps,<br />

sur la respiration. C’est assez vaste. Si on a l’esprit un peu dispersé, en sanran, instable, il vaut mieux,<br />

après avoir pris la posture globalement correcte, se concentrer sur un seul point. Par exemple, le contact<br />

des pouces qui se touchent horizontalement, délicatement. On met toute son attention sur ce contact<br />

des pouces. Cela signifie que tous les autres phénomènes qui surgissent dans notre esprit durant zazen,<br />

passent à l’arrière plan. On ne les investit pas, on ne leur donne pas d’énergie ni d’attention particulière.<br />

On revient constamment à ce point de concentration sur les pouces. Ainsi on peut, d’instant en instant,<br />

pratiquer le lâcher prise : non pas supprimer les pensées ou les émotions, les souvenirs mais ne pas se<br />

laisser absorber par eux et donc, éprouver cette liberté fondamentale d’être avec les phénomènes de la vie<br />

sans en être conditionné, avoir cette faculté de l’esprit de revenir à l’ici et maintenant. Ici et maintenant,<br />

l’important c’est de se concentrer sur la posture et plus particulièrement le contact des pouces.<br />

Bien sûr, à d’autres moments, l’important sera autre chose. Il pourra être de se concentrer sur<br />

le fait de manger, de travailler, de conduire sa voiture, de s’occuper de quelqu’un. Mais à chaque fois,<br />

cette chose ou cette personne sur laquelle on se concentre, devient ce qu’il y a de plus important. Tout<br />

le reste est abandonné, oublié. C’est ce qui permet d’être totalement présent à la vie de chaque instant,<br />

pas seulement concentré sur soi-même mais également sur les autres, en évitant d’être perdu dans la<br />

confusion.<br />

Un autre point de concentration peut être le passage de l’air par les narines. En zazen, c’est très<br />

efficace. Ne cherchez pas un état spécial, même pas d’allonger la durée de l’expiration comme on le<br />

dit souvent mais simplement soyez attentif à la respiration et notamment au passage de l’air dans les<br />

narines. Etre totalement « un » avec cette sensation permet à toute l’agitation mentale de se décanter et<br />

à l’esprit de retrouver sa clarté.<br />

Quant au flux des pensées qui, même si elles sont apaisées, calmées, continuent à apparaître,


le mieux est simplement d’observer leur surgissement, de ne pas chercher à bloquer l’apparition des<br />

pensées, ni de les réprimer, encore moins de les juger ou de se juger soi-même sur le fait que l’on pense,<br />

mais simplement d’être attentif à ce qui apparaît, d’un instant à l’autre. Pour stimuler cette observation<br />

on peut simplement se demander : « Qu’est-ce que c’est ? », simplement cela. Qu’est-ce que c’est qui<br />

surgit juste maintenant? et ainsi être constamment pleinement conscient de ce qui nous habite. Pas<br />

seulement du fait que c’est ceci ou bien cela mais parce que le « Qu’est-ce que c’est ? » ouvre l’esprit<br />

à la dimension vaste de la vie. Car « ce que c’est », même si on peut mettre un mot dessus, ne peut pas<br />

être limité. « Ce que c’est » est en unité, en relation constante avec tous les êtres, avec tout l’univers.<br />

Et même dire que c’est la nature de Bouddha ne répond pas complètement à la question qui doit rester<br />

pleinement ouverte.<br />

Mercredi 24 décembre 2003 – matin . la nuit des bouddhas vivants<br />

Pendant zazen, on place toute son attention sur la posture du corps. Ainsi, on cesse de s’obscurcir<br />

l’esprit et de créer des séparations entre nous-même et nous-même, entre ce que nous sommes en réalité<br />

et ce que nous pensons être.<br />

En soufflant la bougie de notre conscience personnelle qui croit éclairer le monde en l’enfermant<br />

dans ses catégories mentales, la véritable lumière apparaît. C’est une lumière qui ne crée pas d’ombre,<br />

qui ne cherche pas à saisir la réalité mais qui émane de la réalité elle-même. En pratiquant cela (c’est à<br />

la fois très simple et en même temps subtil), notre pratique cesse d’être un exercice pour être elle-même<br />

réalisation, le début et la fin de la Voie. C’est ce que <strong>Maître</strong> Dõgen appelait la pratique-réalisation d’un<br />

éveil parfait, que rien ne peut venir déranger.<br />

Aujourd’hui, c’est la nuit de Noël durant laquelle un être humain est né en tant que dieu vivant,<br />

en tant que lumière du monde. En terme de notre pratique de zazen, c’est l’occasion de se rappeler<br />

que Bouddha a pratiqué et enseigné pour nous donner confiance dans le fait que nous sommes tous<br />

exactement ce que nous sommes en réalité : des bouddhas vivants. En pratiquant cela avec confiance,<br />

on peut être éclairé par notre propre lumière et cette lumière rayonne sur le monde.<br />

Mondo lundi 8 décembre 2003 : rien ne nous appartient.<br />

- Je n’ai pas tellement suivi tes conseils pendant le zazen parce que j’avais des pensées qui venaient…<br />

- Tout le monde a des pensées qui viennent. Cela dépend de ce que tu en fais.<br />

- J’en fais ce mondo. Il y a une image que le Bouddha emploie dans un sûtra pour décrire l’ego profond,<br />

qui est l’image de la charrette. J’ai longtemps été en questionnement par rapport à cette image qui<br />

me semble un peu dérisoire et un peu dévalorisante par rapport à ce que représente pour moi l’être<br />

humain. En fin de compte, ce soir pendant le zazen je me rendais compte que la charrette (c’est ce qui<br />

beau) peut aussi, par le fait qu’elle est vide, prendre sur elle les fardeaux d’autres personnes. Ce n’est<br />

pas tellement mon cas car j’ai l’impression que ma charrette est très chargée de choses personnelles<br />

et il reste peu de place pour les fardeaux des autres ! Mais en tous les cas, j’entrevois la perspective<br />

d’une belle image.<br />

- L’image de l’être humain n’a pas pour but d’être belle et ce n’est pas une question d’esthétique.<br />

Il aurait pu prendre n’importe quelle image et cela aurait eu le même effet. Par l’image de la charrette, il<br />

a voulu dire qu’une charrette est un assemblage de constituants mais elle est sans substance. De même<br />

l’être humain est un assemblage des cinq agrégats et au fond il n’a pas de substance. L’être humain est<br />

vacuité. Le but n’est pas de trouver une belle image pour rehausser l’être humain mais de le libérer<br />

de l’attachement à l’idée qu’il est lié à un ego substantiel. Alors, on pourrait prendre n’importe quel<br />

exemple : une charrette, une horloge, une table, n’importe quel objet. Bien sur, cet objet a une fonction :<br />

une charrette doit pouvoir rouler, transporter des choses ou des êtres. L’être humain tel qu’il est, même


s’il n’a pas de substance, est au fond vacuité, c’est-à-dire unité avec le cosmos, sans substance propre,<br />

mais cela ne veut pas dire qu’il ne puisse pas avoir une fonction extrêmement utile. Quand tu dis : « Ma<br />

charrette est trop chargée » c’est intéressant, parce qu’en fait tu es attaché à des pensées telles : « Il<br />

faudrait avoir une belle image de l’être humain ». Tu es au fond dérangé par l’idée essentielle de Bouddha<br />

qui est de nous détacher de tout ce qui est substance d’un ego. Bouddha a conseillé à ses disciples de<br />

méditer devant des cadavres. Le cadavre n’a rien de réjouissant ni de beau. Précisément parce que ce<br />

n’est pas un problème esthétique, c’est un problème beaucoup plus ontologique, plus fondamental qui est<br />

de comprendre qu’elle est la véritable nature de l’être humain qui est de n’avoir point de nature, point de<br />

substance. Ce n’est pas seulement vrai pour l’être humain, tous les êtres sont ainsi et leur nature véritable,<br />

finalement, c’est d’être interdépendant. Notre fonction est de vivre pleinement cette interdépendance.<br />

Au lieu de s’attacher à essayer de décorer notre ego (ego relatif qui existe sur un plan relatif et dont<br />

la réalité est d’être interdépendant avec tout l’univers), au lieu de le rendre plus fort, plus solide, plus<br />

beau, il est préférable d’essayer de le faire fonctionner en harmonie avec cette interdépendance, avec<br />

un sens plus grand de la solidarité, moins d’égoïsme, moins d’avidité, plus de générosité, plus dans une<br />

dynamique de donner et de recevoir, plus d’échange que de possessivité.<br />

Il faut arrêter de vouloir trouver de belles métaphores. Bouddha n’en cherchait pas. Le sens<br />

du bouddhisme, c’est vraiment de nous détacher de toute image. C’est complètement iconoclaste. Une<br />

charrette, un cadavre, n’importe quoi, n’existent qu’à partir de constituants composés d’une parcelle de<br />

l’énergie cosmique. C’est un assemblage provisoire destiné à se désagréger au même titre qu’à moment<br />

donné, par un certain concours de circonstances d’interdépendance, ces agrégats se sont rassemblés<br />

pour former un être humain. Au moment de la fécondation d’un individu, d’un seul coup des cellules<br />

commencent à se développer, puis finalement cela donne un être humain. Mais ce qui se développe<br />

autour de ces deux cellules initiales, ce sont des parcelles de l’énergie cosmique fondamentale. Rien<br />

ne nous appartient en propre, rien, strictement rien. Il faut se faire rentrer cela dans la tête, à coups de<br />

marteau s’il le faut ! Tant que l’on est attaché à de belles images, on ne fait que décorer son ego et on<br />

n’avance absolument pas sur la Voie de la libération.<br />

l’origine de la vie<br />

- Si on peut dire que l’être humain est le résultat d’un karma fait d’éléments qui se sont rassemblés<br />

sous cette forme humaine, comment comprendre les scientifiques qui étudient l’origine de la vie. Si la<br />

première cellule a réuni différentes fonctions précédemment parsemées aux alentours dans le cosmos,<br />

comment peut-on dire qu’il y a un karma puisque c’est avant le karma. Quelle est la force qui, à moment<br />

donné, réunit en elle un nombre de fonctions s’il n’y a pas de karma ?<br />

- Bouddha a recommandé de ne pas se poser ce genre de questions parce que la question des origines<br />

est irrépondable. Cela n’aide pas à avancer d’un millimètre sur la Voie de la libération. Tu peux remonter<br />

à l’infini sur le chemin de l’origine pour essayer de trouver une cause antérieure au rassemblement de la<br />

matière et de l’esprit. Les chrétiens disent que c’est Dieu, certains pensent autrement, les taoïstes disent<br />

que c’est le tao, les scientifiques ont des théories qui changent tous les dix ans. De toutes façons, qu’y<br />

a t’il avant Dieu puisqu’il est dit que c’est Dieu qui a créé le monde ? Qu’elle est l’origine de Dieu ?<br />

Dieu n’est-il pas incréé ? Alors ainsi, on ne répond à rien. On peut dire aussi que le monde est incréé et<br />

en éternelle transformation, sans commencement ni fin. Savoir s’il y a un commencement ou pas, une<br />

origine ou pas et qu’elle est cette origine, c’est une question stérile à laquelle tu ne peux jamais répondre.<br />

C’est une croyance, un mythe. Il n’y a pas d’autre manière d’y répondre que de créer un mythe. Cela<br />

calme l’esprit. C’est comme un hochet pour bébé, cela l’occupe un moment. Bouddha disait qu’il y a des<br />

questions à laisser de côté parce qu’elles n’ont pas de pertinence. Par contre, la question fondamentale<br />

qu’il se posait à chaque instant, c’est comment on fonctionne, le « pour quoi ? » en deux mots (et non<br />

pas le « pourquoi » en un seul mot de la question des origines), quel sens donner à notre vie à partir de<br />

notre incarnation ? A partir du fait que l’on est là, veut-on continuer à créer de plus en plus d’illusions<br />

et vivre à côté de la réalité ou veut-on vivre d’une manière de plus en plus authentique, plus juste et plus<br />

en harmonie avec la réalité ? Cette question fondamentale devrait être constante et non pas la question<br />

des origines.


Mercredi 3 décembre 2003 – soir : la posture du Fukanzazengi<br />

Dans le Fukanzazengi, <strong>Maître</strong> Dõgen enseigne les principes essentiels de la pratique de zazen.<br />

En ce qui concerne la posture, il recommande de s’asseoir sur un zafu. C’est la base de la posture. La<br />

hauteur du zafu, environ 20 cm, permet de bien basculer le bassin en avant, de respecter la cambrure<br />

lombaire naturelle sans effort, d’amener les genoux au contact avec le sol et ainsi d’avoir une base stable<br />

pour rester assis avec un corps bien droit, vertical, sans tension, sans trop de fatigue. Il nous recommande<br />

de nous asseoir soit en lotus, soit en demi-lotus. Lorsque l’on pratique le demi-lotus, il recommande<br />

de placer le pied gauche sur la cuisse droite, évidemment on doit alterner : la première moitié puis la<br />

deuxième moitié du zazen, tantôt le pied droit sur la cuisse gauche, tantôt le pied gauche sur la cuisse<br />

droite. Certaines personnes ne parviennent pas à placer le pied sur la cuisse opposée, dans ce cas-là des<br />

positions un peu plus faciles sont possibles mais il faut s’efforcer petit à petit de prendre véritablement<br />

la posture, au moins du demi-lotus, car le corps et l’esprit sont complètement interdépendants et il est<br />

difficile de trouver un état d’esprit juste avec une posture déséquilibrée.<br />

Il nous recommande également de bien desserrer les vêtements, notamment la ceinture, de façon à être<br />

à l’aise. Vous devez pour cela porter un kimono et éviter les pantalons qui serrent les genoux et qui<br />

généralement compressent l’estomac. Même si vous n’avez pas de kimono, vous pouvez en emprunter un<br />

au dojo, n’hésitez pas à le faire.<br />

Ensuite pour la position des mains, Dõgen recommande de placer d’abord la main droite sur la<br />

jambe gauche ou bien le pied gauche, le talon par exemple qui se trouve sur la cuisse droite puis la main<br />

gauche, la paume tournée vers le haut sur la main droite. Beaucoup de gens ne savent pas trop où placer<br />

les mains, souvent ils les mettent trop haut ce qui produit des tensions dans les épaules. Le mieux est<br />

de permettre aux mains de reposer sur le pied gauche et de ne pas laisser les mains filer vers l’avant, de<br />

ramener le tranchant des mains en contact avec le bas ventre de façon à bien ouvrir la cage thoracique<br />

et de bien relâcher bien les épaules. Les coudes évidemment sont décollés du corps.<br />

Mais surtout dit-il, asseyez-vous bien droit, ni penché à gauche, ni penché à droite, surtout pas en avant,<br />

ni en arrière. Pour que le corps soit bien vertical, il faut s’assurer que les oreilles sont à la verticale des<br />

épaules, c’est-à-dire que la tête ne penche pas en avant. Le menton est rentré, la nuque est tirée vers le<br />

haut et à ce moment là, naturellement, les oreilles sont à la verticale des épaules et le nez se trouve à la<br />

verticale du nombril. Tout cela implique que la tête ne soit pas inclinée vers l’avant, la nuque est bien<br />

dans le prolongement de la colonne vertébrale et ne forme pas un angle avec la colonne.<br />

Dõgen ne donne pas de raison à cela mais il est évident que cela facilite une bonne circulation de<br />

l’énergie. Rentrer le menton stimule la vigilance, influe sur le centre de la vigilance dans le cerveau<br />

profond.<br />

La langue est placée en avant contre le palais, la bouche est fermée et les dents se touchent sans<br />

exercer de pression. Les mâchoires doivent être bien détendues.<br />

Et surtout les yeux doivent toujours rester ouverts. En fait, ils sont mi-clos car le regard est posé juste<br />

devant soi sur le sol. On se contente de juste voir ce qui est là, sans s’attacher aux objets de la vue, sans<br />

commencer à imaginer des formes dans la moquette, contre le mur, sans chercher non plus à éliminer la<br />

vue de ce qui est devant soi. Si on ne s’attache pas aux objets visuels, aucun objet ne nous dérange et on<br />

peut rester concentrer avec les yeux ouverts. Il en est bien sûr de même avec les pensées.<br />

Ensuite, Dõgen recommande de respirer doucement par le nez. Il ne parle pas d’expirer profondément,<br />

de faire quoi que ce soit de spécial avec sa respiration, seulement respirer doucement par le nez et cela<br />

veut dire au moins d’être attentif à la respiration.<br />

Parfois, il recommande de penser à ne pas penser, c’est à dire d’éviter de penser consciemment,<br />

d’entretenir ses pensées, de s’identifier à elles et de commencer à s’engager dans toutes sortes de débats<br />

intérieurs ou de fabrications mentales. Penser à ne pas penser, cela veut dire que dès qu’une pensée<br />

apparaît, on ne pense pas au sujet de cette pensée, on la laisse passer. On ne saisit rien et on ne rejette rien.<br />

Comment pense-t-on à ne pas penser ? Dõgen précise que c’est au-delà de la pensée, c’est hishiryõ, qui<br />

est l’art essentiel de zazen. Hishiryõ veut dire ne pas penser avec le mental ordinaire ou la délibération,<br />

tandis que ce que l’on appelle fushiryõ, c’est le contraire, c’est l’absence totale de pensée, la non-pensée.<br />

Hishiryõ, ce n’est absolument pas ne pas penser, c’est au-delà des deux, c’est ne s’attacher ni aux pensées<br />

ni à l’absence de pensées. C’est laisser simplement les pensées apparaître et les laisser disparaître comme


elles sont venues sans s’en emparer, sans se laisser entraîner par elles. Il est difficile d’en dire plus au<br />

sujet de hishiryõ car c’est une question d’expérience. Chacun peut le pratiquer, alors lorsque l’on veut<br />

l’expliquer, cela devient compliqué car précisément c’est au-delà de la pensée langagière. En fait, c’est ne<br />

pas s’attacher à la pensée et retrouver ainsi un esprit fluide, disponible, ouvert qui ne se laisse enfermer<br />

dans aucune de nos catégories mentales.<br />

Lundi 8 décembre 2003 – soir : dimensions absolue et relative<br />

Pendant zazen, concentrez-vous à être seulement pleinement présent dans la posture assise. C’est<br />

la seule chose importante. Laissez toutes autres pensées à l’arrière plan. La posture juste n’est ni trop<br />

tendue, ni trop relâchée, le dos bien vertical, le menton rentré, la colonne vertébrale et la nuque étirées<br />

comme si on voulait pousser le ciel avec le sommet de la tête. Les épaules sont relâchées, le ventre<br />

détendu et on inspire et expire calmement.<br />

L’esprit est complètement concentré sur la posture du corps et attentif à la respiration. On<br />

n’attache pas d’importance aux pensées qui vont et viennent, qui apparaissent et disparaissent, ni pour<br />

s’en emparer, ni pour les éliminer. Ce qui est important en zazen, ce n’est pas ce que l’on en pense ou à<br />

quoi on pense mais comment on pense. C’est à dire comment on laisse les pensées apparaître sans les<br />

refouler ni les réprimer et comment on ne s’identifie pas à ses pensées, comment on les laisse passer<br />

rapidement. C’est à dire comment on réalise un esprit qui ne stagne sur rien, qui ne demeure nulle part<br />

et qui ne se laisse pas enfermer dans nos catégories mentales.<br />

En zazen, il n’est pas nécessaire de penser au bouddhisme, à l’éveil, au zen. Aucun contenu de<br />

pensée particulier n’est recommandé. Nous nous contentons simplement de voir des pensées comme<br />

des phénomènes qui surgissent, qui se développent comme des bulles qui retournent à leur origine. En<br />

pratiquant ainsi, on s’harmonise véritablement avec la Voie, c’est-à-dire avec la réalité telle qu’elle est,<br />

dans laquelle rien ne demeure identique, qui se transforme sans cesse. Quelque chose apparaît dans des<br />

relations d’interdépendance puis disparaît.<br />

Donc, en pratiquant zazen et en réalisant un esprit qui ne stagne nulle part, on s’harmonise<br />

naturellement avec la Voie au lieu de fonctionner à contre courant en essayant de donner une substance<br />

à ce qui n’en a pas, de saisir ce qui est insaisissable.<br />

Au début du Fukanzazengi, <strong>Maître</strong> Dõgen disait : « La Voie est tellement parfaite, elle pénètre<br />

tout, comment pourrait-elle dépendre de la pratique et de la réalisation ». Dõgen s’exprime ainsi quand il<br />

dit que la Voie est fondamentalement parfaite. Dõgen parle d’un point de vue absolu. D’ailleurs, il parle<br />

de l’essence de la Voie telle qu’elle est objectivement. Il est bien entendu que cette essence de la Voie,<br />

cette réalité telle qu’elle est, pénètre tout, ne dépend pas de notre pratique. La pratique concerne notre<br />

manière relative de fonctionner. Même si au fond, nous sommes la Voie, nous faisons partie de la réalité<br />

telle qu’elle est, nous n’en sommes pas différents. Mais, comme subjectivement nous ne le reconnaissons<br />

pas, nous l’oublions, nous l’ignorons, nous adoptons souvent des modes de fonctionnement opposés.<br />

Même si on pense de façon juste, même si on pense par exemple que toute chose est impermanente,<br />

que tout est vacuité, ces pensées ne sont que des pensées supplémentaires qui s’ajoutent aux pensées<br />

qui nous encombrent et elles n’ont pas d’efficacité pour transformer notre manière d’être. Par contre,<br />

si dans la pratique régulière de zazen, on s’harmonise avec cette réalité alors notre manière subjective<br />

de fonctionner et la réalité objective deviennent une. C’est le sens de notre pratique de la Voie. La<br />

Voie n’a pas besoin de notre pratique pour être telle qu’elle est. Nous avons besoin de pratiquer pour<br />

nous harmoniser avec elle. Ce point est très important car souvent dans le passé on a confondu ces<br />

deux dimensions : la dimension absolue, la dimension relative. Alors, des disciples qui écoutaient des<br />

enseignements qui étaient prononcés d’un point de vue absolu, croyaient comprendre et se disaient que<br />

la pratique devenait inutile puisque tout est vacuité : « J’ai compris cela, pas besoin de pratiquer ! »<br />

ou bien : « Tous les êtres ont la nature de Bouddha, moi aussi et comme je suis déjà Bouddha, je n’ai<br />

pas besoin de pratiquer ». C’est confondre l’absolu, la réalité essentielle et la réalité relative, subjective,<br />

dans laquelle nous vivons. Cela avait été la grande question de jeunesse de <strong>Maître</strong> Dõgen par laquelle<br />

il démarre le Fukanzazengi, texte dans lequel il énonce les principes essentiels de zazen, et qui passe<br />

par le rappel de cette question. Pour conclure, si on ne pratique pas, la compréhension reste purement<br />

intellectuelle et donc n’a aucune valeur de transformation.


Vendredi 12 décembre 2003 – matin : réalisation de chaque instant<br />

Pendant zazen, revenez constamment à la concentration sur votre respiration. Inspirez et expirez<br />

calmement et laissez passer toutes les pensées. En zazen, on ne peut pas éviter complètement les pensées<br />

mais ce n’est pas non plus le sens de notre pratique. Il s’agit plutôt d’éviter d’adhérer aux pensées, de<br />

pouvoir en prendre conscience sans les réprimer, sans vouloir les supprimer mais de les voir pour ce<br />

qu’elles sont, c’est à dire un phénomène mental à la surface de l’esprit.<br />

Bien évidemment dans la vie quotidienne nous avons besoin d’utiliser nos pensées pour orienter<br />

notre action mais dans la pratique de zazen, il ne s’agit pas de faire quelque chose qui aurait besoin<br />

d’être pensé au préalable. Il s’agit d’être en harmonie avec notre réalité la plus intime, la plus profonde.<br />

Et pour cela, la pensée est plutôt un obstacle. La pensée veut saisir, délimiter, maîtriser. Elle n’est pas<br />

du tout appropriée au sens de la pratique du zen qui est une ouverture à la dimension illimitée, vaste de<br />

l’existence. Cette dimension de la vie sans séparation, dans laquelle il n’y a pas besoin d’ajouter quelque<br />

chose à notre existence pour être heureux, ni de retirer quelque chose pour cesser d’être malheureux.<br />

Zazen n’est pas un exercice pour obtenir ou éliminer quoique ce soit. Zazen se déroule toujours dans l’ici<br />

et maintenant de la pratique. Et cet ici et maintenant est absolu. Ce n’est pas une étape ou un moyen vers<br />

un état futur. Il ne peut qu’être vécu absolument. C’est pourquoi l’essentiel de zazen est de simplement<br />

s’asseoir et de ne rien faire, sinon d’être pleinement assis et de respirer calmement. Moins on en fait en<br />

zazen, mieux cela vaut. C’est ce que l’on appelle la pratique de shikantaza : seulement s’asseoir. C’est<br />

réaliser que nous n’avons pas besoin de quoique ce soit d’autre pour être pleinement nous même, pour<br />

être pleinement en harmonie avec l’essence de notre vie. Cette réalisation est une très grande libération<br />

si on la vit profondément et permet de mettre fin à notre course-poursuite permanente après des objets<br />

de satisfaction (tous plus ou moins décevants). Cette façon de pratiquer est ce qui permet à la Voie de ne<br />

pas être seulement un chemin vers quelque chose mais d’être déjà dans le cheminement lui-même, une<br />

réalisation de chaque instant.<br />

Vendredi 12 décembre 2003 – soir : le véhicule du Dharma<br />

Pendant zazen, chacun met de l’énergie dans la posture et fait un certain effort pour garder une<br />

posture juste, pour ne pas bouger. Bien que l’on fasse cet effort, cela ne veut pas dire que la pratique soit<br />

quelque chose de volontariste. En réalité, on doit faire un effort sans effort, en restant détendu et sans<br />

s’attacher à l’objet de notre effort. C’est ainsi que la pratique devient elle-même l’actualisation d’une<br />

grande liberté. Tant que l’on est tendu vers l’obtention d’un état spécial, notre pratique n’est pas libre.<br />

Mais, si on donne son énergie à la pratique, si on fait un effort pour maintenir la posture juste, stable,<br />

immobile à chaque instant, si on s’oublie soi-même, si on n’est pas attaché à un résultat, alors le résultat<br />

immédiat de cette façon de pratiquer est une grande libération. A ce moment-là, l’effort, l’énergie que<br />

nous donnons, fait que l’on reçoit immédiatement la réalisation.<br />

Dans le Fukanzazengi, <strong>Maître</strong> Dõgen dit : « Le véhicule du Dharma est libre et dégagé de toutes<br />

entraves. En quoi l’effort concentré de l’être humain est-il nécessaire ? ». Le véhicule du Dharma, c’est<br />

nous-même, notre propre vie en harmonie avec le système cosmique, avec la réalité telle qu’elle est.<br />

Généralement, on considère la liberté comme la possibilité d’obtenir, de faire ce que l’on désire. Dans<br />

la pratique de la Voie, la liberté est bien plutôt d’être en harmonie avec ce que nous sommes, de ne plus<br />

trahir notre véritable nature mais au contraire, de l’exprimer à chaque instant par notre manière d’être,<br />

de penser, d’agir. Le véhicule du Dharma que nous sommes, n’est pas différent de tous les êtres de<br />

l’univers. Nous sommes sans aucune forme fixe, sans substance, toujours reliés à la nature et à tous les<br />

êtres, sans rien qui ne demeure identique d’un instant à l’autre.<br />

S’harmoniser avec cette interdépendance et cette impermanence, c’est réaliser, comme en zazen,<br />

un esprit qui ne demeure sur rien, qui ne stagne pas, qui ne saisit rien et ne rejette rien, qui observe<br />

profondément et intimement la vacuité de tous les phénomènes. C’est cesser de vouloir s’emparer, saisir<br />

quoi que ce soit mais au contraire, c’est lâcher prise et réaliser un état d’esprit sans avidité, sans attente<br />

de profits. Cet esprit-là, l’esprit désintéressé, est profondément libre et sans obstacle. Il n’a pas peur de<br />

perdre ou de ne pas obtenir. Il est toujours parfaitement content avec ce qui est présent, avec ce qu’il a.


Décrit dans l’Hannya Shingyõ, c’est Shin mu ke ge, l’esprit sans obstacle, sans entrave, l’esprit de zazen<br />

qui se réalise en zazen, l’esprit de chacun lorsque nous pratiquons zazen.<br />

Puisque c’est notre esprit essentiel, à quoi bon faire des efforts de façon concentrée ? Si on ne<br />

fait pas l’effort de pratiquer alors, ce sont nos conditionnements habituels qui prennent le dessus et qui<br />

empêchent l’esprit véritablement libre de se manifester. L’effort est nécessaire pour nous permettre<br />

de retrouver notre condition normale, pour nous libérer de nos habitudes erronées et des poisons qui<br />

polluent notre esprit. Le véhicule du Dharma est au-delà de l’effort car il n’est pas produit par l’effort. Il<br />

préexiste à toute pratique mais il ne peut pas être contacté, actualisé sans la pratique.<br />

Samedi 13 décembre 2003 : le grand corps du Fukanzazengi<br />

Pendant zazen, on revient constamment à la concentration sur la posture du corps. On inspire et on<br />

expire calmement, sans forcer, en observant sa respiration. Naturellement, elle a tendance à s’approfondir.<br />

En détendant bien la zone du plexus solaire, l’expiration peut descendre profondément jusque dans le<br />

hara et l’inspiration peut se faire, à son tour profonde. Lorsque l’on est attentif à ce mouvement de la<br />

respiration, on ne se laisse pas prendre par ses pensées. Les pensées apparaissent, vont et viennent, on<br />

les laisse passer comme nuages dans le ciel. Ainsi, l’esprit fonctionne comme un miroir. Il reflète ce qui<br />

surgit : le subconscient, l’intérieur de nous-même, comme les perceptions du monde extérieur, mais sans<br />

y ajouter de commentaires, de jugements, de bien, de mal, de ceci j’aime ou je n’aime pas, je veux, je ne<br />

veux pas, je garde, je rejette. Le miroir ne saisit rien et reflète tout exactement tel que c’est.<br />

Dans le Fukanzazengi, <strong>Maître</strong> Dõgen dit : « En vérité, le grand corps est bien au-delà de la<br />

poussière du monde. Qui pourrait croire qu’il existe un moyen de l’épousseter ? Il n’est jamais distinct<br />

de quiconque, toujours exactement là où l’on est. A quoi bon aller ici ou là pour pratiquer ? ». Le grand<br />

corps n’est pas le corps de quelqu’un d’autre. Des fois, on dit que c’est le corps de Bouddha, le corps<br />

du Dharma, le Dharmakâya. Le grand corps, c’est le corps en zazen qui n’est ni grand ni petit, ni à moi<br />

ni aux autres, ni Bouddha ni être ordinaire. Il est au-delà de toutes ces catégories. C’est le corps-esprit<br />

absorbé dans la pratique et qui retrouve ainsi le contact avec sa véritable nature, au-delà de toutes nos<br />

catégories mentales. Ce corps-esprit n’est pas le résultat de l’exercice de la pratique de zazen. Il est notre<br />

corps-esprit originel. Il existe depuis toujours car il ne nous appartient pas en propre. C’est le corps en<br />

unité avec tout l’univers que certains appellent la nature de bouddha.<br />

Aussi, remarque Dõgen : « Il est au-delà de toutes souillures, au-delà de la poussière du monde.<br />

Qui pourrait croire qu’il existe un moyen, une méthode ou même une nécessité de l’épousseter ? ». Cette<br />

question évoque les poèmes respectifs de Shen-Hsiu (en japonais : Jinshû) et de Hui-neng (Enõ) à travers<br />

lesquels, ils ont exprimé leur compréhension de l’enseignement de Hung-Jen (Kõnin), le cinquième<br />

patriarche dont ils étaient disciples.<br />

Jinshû avait écrit :<br />

Notre corps est l’arbre de la Bodhi.<br />

Notre esprit est un miroir clair.<br />

Prenez soin de l’essuyer constamment<br />

Et de ne pas laisser la poussière s’y déposer.<br />

Enõ avait, quant à lui, écrit :<br />

Il n’y en réalité pas d’arbre de la Bodhi<br />

Ni de miroir clair<br />

Comme tout est vide<br />

Où la poussière pourrait-elle se déposer ?<br />

Les deux poèmes paraissent opposés mais, à eux deux, ils constituent l’enseignement du zen. Ce<br />

qu’indique Jinshû, c’est la nécessité de se concentrer sur la pratique, de ne pas laisser son esprit stagner<br />

sur quoi que ce soit, de s’identifier aux poussières. Lorsque l’on pratique seulement cette concentration,<br />

on est constamment dans l’effort. Croyant à la réalité des illusions qui surgissent, on éprouve le besoin


de les combattre pour les écarter, les éliminer. Quand l’esprit est constamment divisé entre «penser » et<br />

«ne pas penser », on n’est pas en paix. On n’est pas véritablement en harmonie avec la réalité ultime qui<br />

est qu’au fond, toutes les pensées qui surgissent n’ont pas plus de substance que les nuages dans le ciel,<br />

que notre esprit lui-même est insaisissable, comme le vaste ciel.<br />

Comme les pensées sont insaisissables, l’esprit l’est également et il n’y a donc rien, ni aucun lieu, sur<br />

quoi la poussière pourrait se déposer.<br />

Si on perçoit les choses ainsi dans leur réalité essentielle alors la pratique devient facile, au-delà<br />

de l’effort. Il n’y a pas besoin de lutter constamment pour écarter les phénomènes qui surgissent. On<br />

peut simplement ne plus s’y attacher. On les laisse passer. On reste simplement présent dans son corps,<br />

dans sa respiration, conscient de ce qui se passe, mais en ne s’identifiant à rien de spécial. Ainsi, on<br />

peut exister ici et maintenant en harmonie avec la véritable nature de l’existence, non seulement la nôtre<br />

mais l’existence en général, toutes les existences. C’est devenir intime avec la Voie, avec ce que Dõgen<br />

appelle «le grand corps ». Ce corps qui n’est pas séparé de tout l’univers, qui n’est jamais distinct, jamais<br />

séparé de l’endroit où nous nous trouvons mais qui au contraire est toujours présent ici et maintenant.<br />

Alors, à quoi bon partir en pèlerinage pour pratiquer ? Souvent les gens ont l’impression qu’aller au<br />

Japon, par exemple, pour pratiquer dans un monastère, est mieux, comme si la Voie pouvait exister de<br />

façon privilégiée dans un lieu plutôt que dans un autre. La voie existe partout dans notre propre esprit et<br />

se manifeste seulement lorsque l’on cesse de s’attacher à nos catégories mentales qui opposent toujours<br />

ici et ailleurs et qui nous font errer sans cesse. Pratiquer zazen, c’est précisément cesser cette errance et<br />

s’enraciner dans l’expérience concrète de la réalité de chaque instant.<br />

Lundi 15 décembre 2003 : la Voie du Fukanzazengi<br />

Dans le Fukanzazengi, <strong>Maître</strong> Dõgen dit : « La Voie n’est jamais séparée, n’est jamais ailleurs<br />

que dans ce lieu-ci. A quoi bon partir ailleurs, partir en pèlerinage pour la pratiquer ? ». Même si on est<br />

convaincu de cela, on a souvent tendance à penser à ailleurs, un autre lieu, un autre temps. Même pour<br />

ce qui est de la réalisation de la Voie, on oublie trop souvent que c’est juste ici et maintenant, dans cette<br />

action présente qu’elle peut s’actualiser, nulle part ailleurs.<br />

Le point essentiel de notre pratique est de ne jamais nous séparer de cet ici et maintenant. S’il y a<br />

la moindre distinction, la moindre séparation alors un fossé très profond se creuse. Dõgen dit : « Comme<br />

la distance qui sépare le ciel et la terre ! » Autrement dit, la Voie est exactement, non seulement sous<br />

nos pieds comme on dit parfois, mais dans notre corps, dans notre esprit, dans notre façon de pratiquer<br />

à chaque instant. Le point essentiel de la pratique est de revenir à cette réalité. Dès que nous nous en<br />

séparons, dés que nous projetons des idées pour quelque chose qui doit advenir dans le futur, alors nous<br />

créons nous même le fossé qui nous sépare de la réalisation de la Voie.<br />

Il ne s’agit finalement de rien d’autre que de devenir totalement intime avec ce que nous sommes<br />

réellement. La pratique de la Voie ne propose pas de devenir quelqu’un d’autre. Aussi pratiquer la Voie,<br />

c’est véritablement s’étudier soi-même et en même temps s’oublier soi-même, c’est-à-dire oublier toutes<br />

nos fabrications mentales au sujet de la Voie, oublier toutes les conceptions que nous produisons et qui<br />

aboutissent à des séparations. La pratique ne consiste pas à ajouter quoique ce soit à ce que nous sommes<br />

déjà (parfois on dit : « pas besoin d’ajouter une deuxième tête par-dessus la première ») mais seulement<br />

à découvrir notre véritable visage.<br />

Mardi 16 décembre 2003 : devenir intime avec soi-même<br />

Pendant zazen, nous revenons constamment à la concentration sur la posture et à l’attention<br />

à notre respiration. Ainsi, nous devenons intimes avec nous-même, en ramenant constamment notre<br />

esprit à la réalité de la vie de cet instant-ci, sans se laisser entraîner par toutes nos fabrications<br />

mentales.<br />

Devenir intime avec soi-même est l’essentiel de notre pratique. Cela ne veut pas dire seulement<br />

être conscient de ce qui se passe en soi et ce n’est pas non plus une question de compréhension.


Bien sûr, on devient conscient du moindre mouvement de l’esprit, des sensations, des perceptions,<br />

des pensées qui apparaissent d’instant en instant. Si on est bien concentré, rien n’échappe à notre<br />

observation. Si on observe clairement les phénomènes de notre vie, on peut également parvenir à une<br />

certaine compréhension qui vient confirmer l’enseignement reçu, transmis depuis le Bouddha au sujet<br />

des vérités essentielles telles que l’impermanence de tous les phénomènes, y compris de nous-même et<br />

de tout ce qui nous constitue et par conséquent, la non-substancialité de notre propre ego, comme de<br />

celui des autres.<br />

Mais être conscient, comprendre n’est que l’introduction (si l’on peut dire) de notre pratique<br />

de la Voie. Beaucoup de gens s’arrêtent à cela. Ils s’imaginent qu’être conscient et comprendre un<br />

certain nombre de réalités essentielles, suffit. Comme on le dit parfois dans le zen, c’est comme une<br />

vache qui veut sortir de son étable. Elle commence par passer la tête mais reste coincée dans la porte,<br />

le corps ne passe pas ou bien c’est la queue qui reste bloquée. Finalement, passer la tête ne suffit pas.<br />

L’important est de devenir réellement intime, corps et esprit avec ce dont on est conscient, ce que<br />

l’on a compris. C’est l’actualiser dans notre manière de fonctionner, de vivre, d’agir, de faire face aux<br />

événements comme aux petites choses de la vie quotidienne. C’est ne pas laisser se créer un fossé, une<br />

différence entre ce que nous avons entrevu en passant la tête et ce que le corps est capable de réaliser<br />

en franchissant la porte. Le corps, c’est-à-dire le comportement tout entier.<br />

Ce qui est vraiment spécifique de notre pratique, c’est cela : ne pas se contenter d’être conscient,<br />

ne pas se contenter de comprendre mais vouloir réaliser pleinement et totalement l’harmonie entre<br />

l’intuition que l’on peut avoir de la réalité et notre manière de la vivre au quotidien. Evidemment, ce<br />

n’est pas toujours facile. On est souvent en décalage, souvent une différence apparaît et cela devient le<br />

kõan de notre vie, non pas un obstacle mais au contraire un stimulant qui nous invite à approfondir notre<br />

pratique dans le sens de la réalisation.<br />

Mercredi 17 décembre 2003 matin : notre véritable nature<br />

La pratique de zazen n’est pas une pratique de relaxation. Il s’agit de devenir véritablement<br />

intime avec soi-même. C’est tout le sens de notre pratique. Pour beaucoup de gens, devenir intime avec<br />

soi-même, c’est devenir intime avec ses pensées. Mais les pensées ne sont que la surface et l’écume de<br />

nous-même, qui obscurcissent notre véritable lumière, qui obscurcissent la réalisation de notre véritable<br />

nature. C’est la raison pour laquelle se concentrer sur le corps et la respiration permet à cette agitation<br />

mentale de s’apaiser, de se calmer, et ainsi on peut réaliser la véritable intimité avec ce que nous sommes<br />

au fond de nous-même, par-delà ce que l’on pense être, par-delà toutes nos catégories mentales.<br />

Comme il s’agit de devenir ce que nous sommes au fond, on pourrait se demander à quoi bon<br />

tant d’effort et d’assiduité pour pratiquer puisque nous sommes de toute évidence déjà ce qu’il s’agit de<br />

réaliser, de révéler. Mais le fait est, que notre vision est comme obscurcie, brouillée car on s’attache à<br />

beaucoup trop de choses, trop de phénomènes, de sensations, d’émotions, de pensées, qui nous empêchent<br />

de réaliser l’essentiel.<br />

Non seulement nous-même, mais Bouddha et tous les maîtres de la transmission ont eu besoin<br />

de pratiquer zazen, sans aucune exception. Ce qui a été transmis de bouddhas en patriarches, de mon<br />

âme à ton âme, d’esprit à esprit, c’est la possibilité de réaliser cette expérience de notre véritable<br />

nature. Cette véritable nature ne peut pas être transmise. Ce n’est pas quelque chose et la comprendre<br />

seulement intellectuellement n’est d’aucune efficacité. On peut seulement transmettre la pratique, le<br />

cheminement qui y conduit et on peut simplement confirmer la réalisation. C’est pourquoi on parle de<br />

véritable transmission de soi-même à soi-même. Cette transmission a besoin d’être confirmée. Elle est<br />

irremplaçable mais elle a besoin d’être confirmée.<br />

Mercredi 17 décembre 2003 soir : faire un pas en arrière<br />

Dans notre vie quotidienne, on a généralement notre attention tournée vers le monde extérieur.<br />

Lorsque l’on entre dans le dojo et que l’on pratique zazen, on est assis face au mur et on tourne son


egard, son attention, vers soi-même, vers ce qui se passe en soi-même. Au lieu d’aller vers l’extérieur, de<br />

s’intéresser aux objets du monde extérieur, de les poursuivre, de chercher à s’en emparer ou à les utiliser,<br />

on ne fait plus rien de tel, on est simplement attentif à ce qui se passe en soi. C’est ce que <strong>Maître</strong> Dõgen<br />

appelait «faire un pas en arrière » et tourner son regard vers l’intérieur. C’est l’attitude fondamentale de<br />

la pratique de zazen : arrêter d’être tourné vers les objets et revenir à la source de notre conscience, au<br />

point d’avant l’apparition du fonctionnement de l’esprit qui crée des séparations entre soi et les objets de<br />

pensée ou les objets de perception du monde extérieur.<br />

Pour revenir à l’esprit d’avant la création des séparations, il faut être très vigilant car très vite<br />

les habitudes du mental ordinaire reprennent le dessus. La meilleure manière d’être vigilant consiste à<br />

rester en contact avec la posture du corps, la respiration et à ne pas laisser nos pensées, nos fabrications<br />

mentales, nous obnubiler l’esprit. Comme ce fonctionnement mental continue en général, alors on peut<br />

observer comment on obscurcit notre propre vision. Généralement, c’est en créant des séparations et<br />

des oppositions, en discriminant ce que nous aimons et ce que nous détestons, ce que nous pensons<br />

juste ou faux, ce que nous voulons garder et ce que nous voulons rejeter. Bien sûr, parfois ce mode de<br />

fonctionnement conscient de l’esprit qui discrimine est indispensable, notamment dans la vie quotidienne<br />

mais s’il domine notre vie alors il y a une réalité essentielle qui nous échappe et à laquelle zazen nous<br />

ramène : c’est l’esprit «un », l’esprit sans séparation.<br />

L’esprit «un » n’est pas un esprit opposé à la dualité ou à la multiplicité, c’est un esprit qui englobe<br />

toute chose, qui ne s’attache ni à l’unité ni à la dualité, qui ne crée pas de catégories mentales. Parfois on<br />

l’appelle notre «visage originel ». Ce n’est pas quelque chose qui remonte à une lointaine origine, c’est<br />

plutôt l’origine de notre existence de chaque instant donc c’est toujours parfaitement présent. C’est l’état<br />

d’esprit d’avant le moment où notre esprit s’empare de quelque chose. C’est un esprit vaste, disponible,<br />

que l’on peut expérimenter lorsque l’on est vraiment intime avec la posture et en unité avec la respiration.<br />

Ce n’est pas le résultat d’une spéculation intellectuelle, d’une déduction logique mais c’est l’expérience<br />

d’être présent à l’instant, de ne pas laisser cette présence être voilée par l’attachement aux pensées.<br />

C’est ce qui permet de percevoir intimement que la réalité de notre vie est sans séparation avec tout<br />

l’univers. Cette expérience est donc l’esprit d’avant le besoin de religion, le besoin de relier ce que l’on a<br />

préalablement séparé. Ce retour à l’esprit «un », l’esprit d’avant toutes séparations, est le cœur même de<br />

notre pratique mais il n’est pas séparé de la pratique elle-même. Nous ne pratiquons pas pour retrouver<br />

l’esprit «un ». Nous nous concentrons totalement sur la pratique, la posture, la respiration, abandonnant<br />

tout objet, toute arrière-pensée, et l’esprit «un » se réalise dans la pratique elle-même.<br />

Jeudi 18 décembre 2003 : rien de spécial : Fukanzazengi<br />

Dans ses instructions pratiques, <strong>Maître</strong> Dõgen dit dans le Fukanzazengi : « Pour sanzen, une<br />

pièce silencieuse convient ». Sanzen, dans la tradition zen, c’est la rencontre en tête-à-tête avec le maître.<br />

Dans le zen Rinzaï, c’est le moment le plus important de la pratique. Mais pour <strong>Maître</strong> Dõgen, sanzen<br />

c’est zazen, c’est la rencontre avec soi-même. San, veut dire pénétrer. Ce qui est à pénétrer, ce n’est pas<br />

le lieu, le dojo, le lieu de la rencontre, c’est soi-même, devenir réellement, complètement intime avec<br />

soi-même. C’est pour cela qu’il est recommandé de s’asseoir dans un lieu silencieux.<br />

S’il y a parfois des bruits, comme ici, à ce moment-là, la meilleure chose à faire est de devenir<br />

intime également avec le bruit, non pas de l’écouter attentivement, de l’étudier, d’y penser mais de<br />

l’inclure complètement dans la pratique de zazen. C’est-à-dire de laisser tomber toute réaction d’hostilité,<br />

d’opposition au bruit ou à tout autre phénomène. En zazen, les sons pénètrent dans l’esprit comme des<br />

gouttes d’eau qui tombent dans la mer. Les gouttes d’eau deviennent immédiatement l’eau de la mer ellemême.<br />

Le son qui pénètre dans l’esprit en zazen, devient zazen si on l’entend sans amour ni haine, sans<br />

choix ni rejet. C’est même l’occasion de laisser tomber les réactions de l’ego qui aime, qui n’aime pas,<br />

qui préfère le silence, qui n’aime pas le bruit. Cela ne veut pas dire de ne pas tout faire pour protéger le<br />

silence du zazen, mais lorsqu’un bruit est là, inévitable, alors le mieux est de l’intégrer dans la pratique.<br />

De même dans la vie quotidienne, il nous arrive toutes sortes de choses. On peut évidemment se battre<br />

sans cesse pour éviter les désagréments et rechercher les choses agréables, mais on peut aussi être dans<br />

une attitude de réceptivité à ce que les phénomènes que nous rencontrons, viennent nous enseigner.


Parfois, c’est l’occasion de mieux se connaître soi-même ou de s’oublier soi-même, d’oublier son petit<br />

ego par la relation avec ce que l’on rencontre.<br />

Puis, Dõgen recommande d’être modéré en ce qui concerne la boisson et la nourriture. Alors,<br />

pour cela, il y a une règle simple, c’est d’éviter de faire zazen après manger. Lorsque l’on vient au dojo,<br />

si possible, il faut avoir déjeuné ou dîné au plus tard une heure avant, de manière à avoir digéré et ne<br />

pas passer son zazen à digérer un repas, ce qui provoque la somnolence, la lourdeur, au détriment de la<br />

concentration. Etre modéré en ce qui concerne la nourriture et la boisson, est l’occasion, également, de<br />

contrôler l’avidité, ce besoin de l’ego de toujours vouloir compenser ses petites frustrations en buvant ou<br />

en mangeant, en se remplissant de quelque chose.<br />

Ensuite, Dõgen aborde un point très important. Il dit : « Rejetez tout engagement et abandonnez<br />

toute affaire ». Lorsque l’on pratique zazen en ville, dans un dojo comme ici, et finalement dans un<br />

temple aussi, les engagements et les affaires de la vie quotidienne nous reviennent souvent à l’esprit<br />

durant zazen. Lorsque l’on pratique zazen, il faut absolument éviter de continuer à ruminer les pensées<br />

en relation avec notre vie quotidienne sinon ce n’est pas zazen, c’est simplement rêvasser. Pour éviter cet<br />

état où l’esprit ordinaire continue à ruminer ses pensées, le mieux est de devenir totalement un avec la<br />

posture assise. C’est mettre toute son énergie et son attention dans la posture du corps, de sorte qu’il ne<br />

reste plus aucune énergie ni attention pour se disperser dans autre chose. Totalement concentré, c’est ça.<br />

Seulement un avec ce que l’on fait ici et maintenant.<br />

Seulement s’asseoir, c’est être assis sans rien d’autre, donc ramener constamment son attention à<br />

la posture du corps. Si on est concentré sur sa respiration, si c’est le sujet de la pratique, alors il s’agit de<br />

devenir « un » avec l’inspiration au moment d’inspirer et « un » avec l’expiration au moment d’expirer,<br />

de s’absorber complètement dans le fait de respirer. A ce moment-là, toute trace d’autre chose s’évanouit,<br />

toute préoccupation disparaît. Même si ce n’est pas facile, même si on n’y parvient pas totalement, cet<br />

exercice est une excellente hygiène mentale car dans la vie, on est trop souvent parasité par des pensées<br />

qui n’ont rien à voir avec la situation présente, qui nous empêche de vivre pleinement l’instant. Mais,<br />

dans la vie quotidienne si l’on a un problème à régler, il ne s’agit pas de pratiquer la non-pensée ou d’être<br />

seulement assis mais de s’emparer de ce problème et de le régler complètement, de manière qu’il cesse<br />

de nous obséder par la suite.<br />

Shikantaza, c’est seulement s’asseoir mais c’est aussi seulement travailler, seulement manger,<br />

seulement dormir, seulement marcher, seulement conduire sa voiture. « Seulement », cela veut dire<br />

abandonner tout le reste. Cela veut dire également mettre toute son énergie et son attention dans ce que<br />

l’on fait. Ce n’est pas vivre dans sa tête, dans son imagination, dans ses pensées mais réellement avec<br />

le corps et l’esprit en unité, avec l’activité de chaque instant ou l’état de chaque instant. En pratiquant<br />

ainsi, on parvient à le réaliser alors ce n’est pas la peine de se dire « Maintenant je pratique Shikantaza,<br />

maintenant je suis « un » avec la posture assise. » Car il s’agit également d’abandonner toute conscience<br />

personnelle, tout attachement à ce que l’on fait, à ce que l’on réalise. C’est réellement abandonner tout<br />

attachement au corps et à l’esprit dans la pratique. Ainsi la pratique devient réellement inconsciente,<br />

naturelle. Ce n’est même plus une pratique, c’est juste notre manière d’être : Rien de spécial.<br />

Samedi 20 décembre 2003 : le miroir<br />

Pendant zazen, revenez constamment à la concentration sur votre posture. En mettant toute notre<br />

attention dans la posture et la respiration, on laisse tomber tout jugement. On ne pense ni au bien, ni au<br />

mal, ni au vrai, ni au faux. On suspend toutes les activités de l’esprit conscient, l’esprit qui discrimine,<br />

qui juge, qui s’attache, qui rejette en général à cause de ses émotions, de ses préférences et de ses<br />

aversions. Tout cela n’est pas supprimé, notre activité mentale peut encore se produire pendant zazen,<br />

mais on ne l’entretient pas, on ne s’y attache pas. On se contente de voir ce qui se passe et on laisse<br />

passer.<br />

Parfois, on compare l’esprit en zazen à l’état d’un miroir. Ne pas entretenir les pensées conscientes,<br />

ne pas juger du bien ou du mal, du vrai ou du faux, ne veut pas dire ne pas refléter clairement ce qui est<br />

présent, bien au contraire. Le miroir ne refuse rien, reflète toutes choses, tous les êtres tels qu’ils sont.<br />

Il est donc parfaitement clair, conscient. Dès que l’on se laisse emporter par nos ruminations mentales,


nos préoccupations, nos désirs et nos rejets, alors l’esprit se trouble.<br />

Pour prendre une autre image : c’est comparable à la surface de l’eau quand le vent commence<br />

à produire des vagues. Lorsque l’eau est calme, elle reflète tout, comme un miroir. S’il y a un clair de<br />

lune, il se reflète exactement à la surface de l’eau. Lorsque le vent se lève et que les vagues commencent<br />

à se produire, la lune est toujours reflétée mais moins nettement, elle est déformée. Si le vent se met à<br />

souffler de plus en plus fort, alors on ne distingue plus du tout la lune. La lune est toujours là, la surface<br />

a toujours potentiellement la capacité de la refléter, mais dans le moment où le vent souffle fort, plus<br />

rien n’est reflété. Dans cette métaphore, la lune est notre véritable nature, notre nature de bouddha,<br />

qui se reflète clairement dans un esprit concentré, clair, sans attachement, mais qui est de plus en plus<br />

difficilement perçue lorsque l’esprit se met à s’agiter, à tel point que la plupart du temps et la plupart des<br />

êtres l’ignorent même totalement, n’en sont même plus conscients.<br />

Mais, il faut faire attention aux métaphores car cela ne veut évidemment pas dire que la nature<br />

de Bouddha soit quelque chose d’objectivable comme la lune. C’est plutôt la nature essentielle de notre<br />

existence, la nature sans séparation, sans rien de saisissable, sans limite. Pour cette raison, on ne peut<br />

pas la définir, même si on emploie des mots comme «illimité », mais on peut entrer en résonance avec<br />

elle, être intime avec cette manière d’être, en harmonie avec ce que nous sommes au fond, réellement.<br />

C’est le sens de notre pratique.<br />

Si on l’a expérimenté, ne serait-ce que quelque fois, on peut revenir à cette intimité régulièrement,<br />

avoir confiance, foi, dans son existence, dans sa réalité. Mais si on cesse de pratiquer ou si notre pratique<br />

devient confuse, alors on peut rapidement perdre ce contact et vivre comme si cela n’avait jamais existé.<br />

C’est la raison pour laquelle il est important de revenir constamment à cette expérience de manière à ce<br />

qu’elle imprègne et guide tous les aspects de notre vie.<br />

Lundi 22 décembre 2003 soir : Mushotoku<br />

En zazen, on se concentre sur la posture. En ce qui concerne la respiration, <strong>Maître</strong> Dõgen nous<br />

recommande simplement de respirer doucement par le nez. Il ne faut pas forcer sa respiration pour<br />

qu’elle soit plus ample, plus calme, mais simplement respirer doucement par le nez, en abandonnant<br />

toute intention. De même, avec le regard, même si on dit que le regard devient vaste, on ne cherche<br />

pas à ce que le regard soit vaste, encore moins qu’il soit focalisé sur un point particulier. Le regard est<br />

simplement posé devant soi sur le sol, sans rechercher rien de spécial. La langue est placée contre le<br />

palais et ne prononce aucune parole à haute voix mais aussi aucune parole intérieurement. En revenant<br />

toujours à la concentration sur la posture et la respiration calme, on peut revenir véritablement au silence<br />

qui n’est pas simplement le fait de se taire mais aussi d’arrêter les délibérations intérieures, les discours<br />

que l’on se tient à soi-même.<br />

De même que l’on ne recherche rien de spécial à travers la posture, la respiration et que l’on<br />

se contente d’être simplement assis, totalement assis, Dõgen nous recommande de ne pas chercher à<br />

devenir Bouddha, c’est-à-dire à devenir éveillé. Si l’on a la moindre attente à travers la pratique de<br />

zazen, alors on devient divisé car l’on met toute son énergie dans la posture de chaque instant mais<br />

en même temps, on a une idée derrière la tête et on attend quelque chose à venir. Cette attente devient<br />

source d’illusions.<br />

Le mieux est de pratiquer en n’attendant absolument rien de spécial, de se contenter simplement<br />

d’être pleinement assis. Se contenter d’être pleinement assis n’est pas limité. Pour Dõgen, zazen n’est pas<br />

limité à la posture de zazen (bien que cela veuille dire méditation assise). Zazen doit devenir toute notre<br />

vie et toute notre vie doit devenir zazen, que l’on soit assis, debout, couché ou en train de marcher, de<br />

travailler. C’est toujours le moment de pratiquer la Voie. On ne doit pas devenir des intermittents de la<br />

Voie mais des êtres avec une pratique constante qui englobe toutes choses, qui ne discriminent pas entre<br />

ce que l’on considère être la pratique du zen et le reste de la vie quotidienne.


Mardi 23 décembre 2003 – matin : la vie sans ego du Fukanzazengi<br />

Pendant zazen, on met toute son énergie dans la posture, toute son attention, sa vigilance, à suivre<br />

sa respiration et surtout à ne pas suivre ses pensées, ni à sombrer dans la somnolence. Spécialement, le<br />

matin, il est important de se réveiller complètement, d’être attentif à chaque instant de la pratique de<br />

zazen, comme si notre vie en dépendait, comme si nous étions dans un combat dangereux dans lequel la<br />

moindre faute d’inattention pourrait être mortelle.<br />

Dans cet état de concentration, Dõgen recommande de penser du tréfonds de la non-pensée. C’est<br />

ce qu’il appelle hishiryõ, non-pensée. Pas au sens de l’absence totale de pensées mais dans le sens de<br />

ne pas suivre ses pensées, de ne pas s’identifier à elles mais de les laisser défiler, paraître et disparaître<br />

naturellement, sans s’y opposer et sans s’en emparer. En ce sens, la concentration durant zazen, n’est pas<br />

un combat ordinaire car on ne se bat pas contre ses pensées, ni contre la somnolence, contre soi-même<br />

ni contre quelqu’un d’autre.<br />

On met simplement toute son énergie dans la pratique de chaque instant, en oubliant tout objet,<br />

toute notion même de combat. Toute intention dans la pratique de zazen revient, en fait, à suivre une idée<br />

préconçue, une de nos fabrications mentales. On se fait une certaine idée de comment on devrait être en<br />

zazen ou bien de ce que devrait être l’éveil, l’état de bouddha. Lorsque l’on pense ainsi, si on s’efforce<br />

par la suite de ressembler à ce que l’on avait imaginé, de s’identifier avec cet état, au lieu de se libérer<br />

et de réaliser véritablement l’éveil, on ne fait que s’enchaîner à une pensée. Le véritable éveil n’a rien à<br />

voir avec une pensée. Ce n’est pas quelque chose que l’on puisse enfermer dans une pensée, définir, ce<br />

n’est pas une notion, ce n’est pas quelque chose du tout.<br />

Hishiryõ, au-delà de la pensée, veut dire ne pas tomber dans des pensées conditionnées, ne pas<br />

être conditionnés par nos pensées. C’est n’avoir vis à vis d’elles ni amour, ni haine et n’exercer ni choix,<br />

ni rejet. Alors, quels que soient les phénomènes qui surgissent durant zazen et dans le reste de la vie<br />

quotidienne, même au milieu d’eux, nous pouvons rester libres, avec un esprit non conditionné, tel le<br />

miroir qui reflète les formes sans être terni, obscurci par elles. Ce n’est pas que le miroir rejette quoi<br />

que ce soit, simplement il ne garde rien. Il ne s’identifie avec rien. C’est ce qui lui permet d’être tout le<br />

temps réceptif, disponible, toujours «ici et maintenant », ne superposant rien à ce qui se présente. Dans<br />

la pratique du zen, c’est la vie «sans ego », libre de son ego.<br />

Première de couverture : dessin original de Myriam Butaye<br />

Quatrième de couverture : Calligraphie de Keiko Yokoyama<br />

Gyõbutsu-Ji : Dojo de la pratique de Bouddha


Temple zen de Gyõbutsu-Ji<br />

4bis, Av Notre Dame 06000 <strong>Nice</strong><br />

04 93 80 81 49 - dojozennice-office@wanadoo.fr

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