Le système familial incestueux. P. Bauchet , E. Dieu - Revue ...
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<strong>Le</strong> <strong>système</strong> <strong>familial</strong> <strong>incestueux</strong>.<br />
P. <strong>Bauchet</strong> 1 , E. <strong>Dieu</strong> 2 , O. Sorel 3 .<br />
Résumé<br />
L’inceste, interdit et tabou fondamental, interroge nombre de chercheurs du fait de la<br />
frÅquence de sa transgression. Parmi eux les systÅmiciens qui, considÅrant la famille<br />
comme un systÇme, Åtudient l’inceste É partir du postulat que la dynamique <strong>familial</strong>e est<br />
influencÅe par chacun de ses membres : les rÑles de la victime et de l’agresseur ne sont<br />
donc pas plus importants que ceux des autres personnes de la famille ; ainsi, plusieurs<br />
typologies de familles incestueuses ont ÅtÅ Åtablies, prÅsentant toutes malgrÅ tout des<br />
caractÅristiques semblables. De plus, la variabilitÅ des systÇmes familiaux entraÖne<br />
plusieurs types d’incestes possibles : en effet, les relations <strong>familial</strong>es influent sur les<br />
modalitÅs de la situation incestueuse qui peut Ütre violente ou pacifique, plus ou moins<br />
prolongÅe et intense, et qui peut impliquer diffÅrents acteurs. Dans le schÅma <strong>familial</strong><br />
traditionnel, les trois incestes rencontrÅs que sont l’inceste paternel, l’inceste maternel,<br />
et l’inceste fraternel tÅmoignent dans leurs modalitÅs d’un systÇme particulier. Dans le<br />
cas oá l’agresseur est le pÇre, la mÇre a une part de responsabilitÅ dans l’instauration de<br />
la relation incestueuse : ces mÇres de victimes possÇdent des traits de personnalitÅ<br />
communs qui expliquent la non-dÅnonciation des faits ou la tendance É ne pas voir,<br />
c’est-É-dire leur complicitÅ passive ; quant É la mÇre de l’agresseur, elle est elle aussi<br />
impliquÅe puisque responsable de la construction de la personnalitÅ de son enfant.<br />
Mots clés : Inceste ; famille ; systÇme ; approche systÅmique ; situations incestueuses<br />
1 P. <strong>Bauchet</strong> : membre-chercheur É l’Association de recherches en criminologie appliquÅe (Arca).<br />
2 E. <strong>Dieu</strong> : Criminologue et PrÅsident de l’Arca.<br />
3 O. Sorel : Dr Psychologie, laboratoire de Psychologie des Ages de la vie (Univ. Tours).<br />
1
Introduction<br />
L’inceste, un interdit fondamental<br />
<strong>Le</strong> terme à inceste â, qui vient du latin incestrum, signifie non chaste, souillÅ,<br />
impur. Cette perversion, ou dÅviation sexuelle par rapport É une norme, dÅcrit une<br />
relation sexuelle entre individus d’une mÜme famille, au sens large du terme : elle peut<br />
avoir lieu dans un contexte intranuclÅaire c’est-É-dire au sein du noyau de la cellule<br />
<strong>familial</strong>e (par exemple, un pÇre qui inceste sa fille) ou extranuclÅaire (par exemple, un<br />
oncle maternel qui inceste sa niÇce) ; de mÜme, la transgression de l’interdit existe<br />
lorsque l’agresseur fait fonction de parent (pÇre adoptif, beau-pÇre…). Autrement dit, il<br />
y a inceste quand le mariage est impossible comme l’indique les articles 161 et suivants<br />
du code civil 4 .<br />
L’approche psychanalytique analyse l’inceste comme un tabou fondamental<br />
(Freud, 1913 5 ). En effet, il suppose qu’É l'origine de l'humanitÅ existait une horde<br />
primitive, groupement humain sous l'autoritÅ d'un pÇre tout-puissant qui possÇde seul<br />
l'accÇs aux femmes ; les fils du pÇre, jaloux de ne pouvoir possÅder les femmes, se<br />
rebellÇrent et le tuÇrent, pour le manger en un repas totÅmique. Une fois le festin<br />
consommÅ, le remords se serait emparÅ d'eux, qui ÅrigÇrent en l'honneur du pÇre, et par<br />
peur de ses reprÅsailles, un totem É son image. Afin que la situation ne se reproduise<br />
pas, et pour ne pas risquer le courroux du pÇre incorporÅ, les fils Åtablirent des rÇgles,<br />
correspondant aux deux tabous principaux : la proscription frappant les femmes<br />
appartenant au mÜme totem (inceste) et l'interdiction de tuer le totem (parricide).<br />
Mais bien que l’interdit soit clairement posÅ, l’ethnologue LÅvi-Strauss 6 note<br />
que l’inceste se rencontre dans diffÅrentes sociÅtÅs et É travers diverses Åpoques, ce qui<br />
interroge son universalitÅ. Ainsi, il est pratiquÅ par les Incas ; ou encore, jusqu’en 1850<br />
en Angleterre, on ne pouvait pas, mÜme veuf, Åpouser la sœur de sa femme. Par ailleurs,<br />
on note sa relative frÅquence dans les grands mythes fondateurs, notamment le mythe<br />
d’Œdipe, qui donna lieu au complexe d’Œdipe en psychanalyse : ce jeune homme, É la<br />
recherche de ses parents, tue un homme sans savoir qu’il s’agit de son pÇre Laços et<br />
Åpouse la reine de ThÇbes sans savoir qu’elle est sa mÇre Jocaste ; quand la vÅritÅ Åclate,<br />
Jocaste se suicide, Oedipe se crÇve les yeux, et les enfants qu’ils ont eu ensemble sont<br />
chassÅs de la ville, maudits par l’inceste de leurs parents.<br />
En somme, la prohibition de l’inceste serait transculturelle plutÑt que naturelle,<br />
et ferait passer de la nature É la culture : d’aprÇs la thÅorie structuraliste de <strong>Le</strong>vi-Strauss,<br />
cette prohibition serait une forme positive d'Åchange des femmes dans le but d’une<br />
complÅmentaritÅ sociale et affective, d’une pacification des relations.<br />
Elle est donc une rÇgle, d’oá la nÅcessaire intervention du droit pÅnal pour<br />
s’assurer de son respect. En 2010, les parlementaires ayant considÅrÅ que à l’inceste ne<br />
peut Ütre considÅrÅ comme une infraction comme les autres parce que la relation<br />
incestueuse se situe dans le milieu de rÅfÅrence de notre sociÅtÅ : la famille â, cette<br />
infraction s’est vue distinguÅe des autres formes d’agressions sexuelles : en effet, la loi<br />
du 8 fÅvrier 2010 avait ÅtÅ crÅÅe, inscrivant l’inceste commis sur les mineurs dans le<br />
Code PÅnal et prÑnant l’amÅlioration de la dÅtection et de la prise en charge des<br />
victimes d’actes <strong>incestueux</strong> 7 . Or, le 16 septembre 2011, cette crÅation du crime d'inceste<br />
4<br />
Art 161: "En ligne directe, le mariage est prohibÅ entre tous les ascendants et descendants et les alliÅs<br />
dans la mÜme ligne." ; Art 162: "En ligne collatÅrale, le mariage est prohibÅ, entre le frÇre et la sœur." Art<br />
163: "<strong>Le</strong> mariage est encore prohibÅ entre l'oncle et la niÇce, la tante et le neveuâ.<br />
5<br />
FREUD, Totem et Tabou (1913), Paris, Payot, coll. "Petite BibliothÇque Payot", 2001.<br />
6<br />
LEVI-STRAUSS, C., (1949). à <strong>Le</strong>s structures ÅlÅmentaires de la parentÅ â, Paris, Presses universitaires<br />
de France.<br />
7<br />
Art 227-27-2, crÅÅ par la loi né2010-121 du 8 fÅvrier 2010 - art. 1: à <strong>Le</strong>s infractions dÅfinies aux articles<br />
2
a ÅtÅ annulÅe pour anti-constitutionnalitÅ au motif que la loi ne prÅcise pas quelles<br />
personnes doivent Ütre considÅrÅes comme membres de la famille : le dossier propose<br />
une analyse en profondeur de cette rÅcente dÅcision du Conseil constitutionnel.<br />
L’inceste versus la pÅdophilie<br />
Toute relation sexuelle entre un adulte et un mineur est ainsi proscrite et punie<br />
par la loi, ce qui peut conduire É assimiler les termes d’inceste et de pÅdophilie : cette<br />
derniÇre Åtant dÅfinie comme une attirance ou prÅfÅrence sexuelle d’un adulte envers les<br />
enfants prÅpubÇres ou en dÅbut de pubertÅ, elle peut conduire É des agressions sexuelles<br />
mais existe dÇs lors que l’individu Åprouve le dÅsir de relation sexuelle avec un mineur.<br />
Dans les deux cas, nous retrouvons la notion de pouvoir puisque du fait de son<br />
ège, de son ignorance, l’enfant se trouve dans une position vulnÅrable. L’importance de<br />
cette vulnÅrabilitÅ est de surcroÖt proportionnel au degrÅ de proximitÅ entre l’agresseur<br />
et la victime : se dÅfendre devient d’autant plus difficile quand l’enfant a pleinement<br />
confiance en l’adulte ou lorsqu’il en a besoin. On parle donc d’abus de pouvoir, et par<br />
extension d’abus sexuel.<br />
Il paraÖt pourtant nÅcessaire de distinguer ces deux notions : mÜme si la<br />
dimension pÅdophilique est essentielle et prÅsente dans la clinique de l’inceste, les<br />
conduites pÅdophiliques et incestueuses s’Åtalant sur un spectre allant de l’amour<br />
idÅalisÅ aux agirs sadiques les plus retors et inavouables, celle-ci est spÅcifique car la<br />
majoritÅ des parents <strong>incestueux</strong> ne passent pas É l’acte sur d’autres enfants que les leurs.<br />
Pour ces derniers, il semble donc que c’est la relation elle-mÜme ou le contexte dans<br />
lequel elle Åvolue qui permet ou induit le passage É l’acte, et non pas un dÅsir<br />
irrÅpressible pour les enfants.<br />
En nous appuyant sur l’approche systÅmique que nous prÅsenterons dans la<br />
premiÇre partie, nous exposerons les divers systÇmes familiaux oá la pratique de<br />
l’inceste est constatÅe, et leurs caractÅristiques. Puis, É partir du schÅma <strong>familial</strong><br />
traditionnel, nous dÅtaillerons le rÑle de la mÇre dans la dynamique incestueuse. Enfin,<br />
nous Åvoquerons les modalitÅs et l’installation de la relation taboue, ainsi que quelques<br />
unes des formes qu’elle peut revÜtir.<br />
La dynamique incestueuse<br />
L’approche systÅmique des systÇmes familiaux <strong>incestueux</strong><br />
La comprÅhension de cette approche nÅcessite de dÅvelopper les notions de<br />
systÇme et de famille, l’un des systÇmes majeurs de la sociÅtÅ. <strong>Le</strong>s quatre fonctions<br />
d’une sociÅtÅ que sont la production, la spiritualitÅ, l’instauration des diffÅrences de<br />
gÅnÅrations et des sexes sont assurÅes par les institutions, dont fait partie la famille. <strong>Le</strong>s<br />
sociÅtÅs se mÅfiant de cette derniÇre, elles la gardent sous contrÑle et la mettent de la<br />
sorte en mouvement, l’obligeant en permanence É Åchanger des alliances : c’est la<br />
dimension sociale de l’inceste. Cela laisse entendre que l’inceste a lieu dans des<br />
systÇmes familiaux figÅs ou en marge du systÇme sociÅtal et de ses valeurs.<br />
Car un systÇme est une organisation d’ÅlÅments en relations les uns avec les<br />
autres et interdÅpendants les uns des autres ; il est structurÅ selon des normes et des<br />
rÇgles et fonctionne comme un tout, sachant que le tout est plus que l’ensemble des<br />
227-25, 227-26 et 227-27 sont qualifiÅes d'incestueuses lorsqu'elles sont commises au sein de la famille<br />
sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frÇre, une sœur ou par toute autre personne, y compris<br />
s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autoritÅ de droit ou de fait â.<br />
3
ÅlÅments qui le composent (Bentovim, 1996 8 ). Quant É la famille, elle est le point<br />
d’ancrage oá convergent l’intrapsychique, l’individuel et le collectif : Barudy 9 prÅcise<br />
en disant qu’il s’agit du point d’intersection entre la production matÅrielle de la culture<br />
<strong>familial</strong>e (les modÇles de comportement, l’organisation, la structure) et la production<br />
idÅologique (le systÇme des croyances et des affects) partagÅs complÇtement ou É des<br />
degrÅs divers par les membres. La famille Åtant une rÅalitÅ complexe, chaque science<br />
(eg. Droit, histoire, sociologie, ethnologie, psychologie) dÅcrit un de ses multiples<br />
aspects.<br />
DÅveloppÅe dans les annÅes 1940 É l’intÅrieur de la psychiatrie <strong>familial</strong>e,<br />
l’approche systÅmique voit donc la cellule <strong>familial</strong>e comme une entitÅ É analyser et<br />
permet de dÅpasser la perspective individualiste en tenant compte de l’influence de<br />
l’environnement : son postulat est que l’inceste est dê É des problÇmes familiaux ; la<br />
famille Åtant un systÇme interactif, le comportement indÅsirable de l’un des membres ne<br />
pourrait durer sans la participation des autres membres, et il faudrait agir sur l’ensemble<br />
de la famille pour modifier le comportement d’un des acteurs. Ou plus prÅcisÅment,<br />
à L’interaction violente dans une famille est conëue, soit comme la manifestation d’un<br />
problÇme de frontiÇre (membres de la famille trop ou pas assez engagÅs les uns par<br />
rapport aux autres), ou de hiÅrarchie (manque de clartÅ dans l’exercice du pouvoir<br />
parental notamment). La responsabilitÅ d’un comportement violent n’Åchoit donc pas au<br />
seul conjoint qui bat sa femme ou au seul pÇre ou frÇre qui commet l’inceste. <strong>Le</strong><br />
systÇme entier, c’est-É-dire les autres membres contribuent aussi au maintien de la<br />
violence â. 10<br />
Ce systÇme, qui fonctionne comme un tout rÅgulÅ, peut Ütre dÅsÅquilibrÅ É la<br />
suite d’un ÅvÇnement <strong>familial</strong> ou d’un moment de crise : cependant, ce bouleversement<br />
n‘entraÖne pas nÅcessairement des comportements dÅlictuels ou dangereux. En effet, la<br />
famille peut tout É fait opÅrer un changement, une rÅadaptation de son mode<br />
d’interaction ou de son systÇme idÅique, ce qui entraÖne un retour É l’homÅostasie. En<br />
revanche, le risque de basculer dans un fonctionnement pathologique existe lorsqu’il<br />
produit un symptÑme portÅ par l’un de ses membres et maintenu par l’ensemble de<br />
ceux-ci ; ou lorsqu’il montre une fixation et un accordage É ses valeurs. LÉ, sans une<br />
intervention externe nÅcessaire pour un retour É l’Åquilibre, l’inceste pourra Ütre une<br />
consÅquence du dÅsÅquilibre et en devenir le symptÑme. <strong>Le</strong>s systÅmiciens considÇrent<br />
en consÅquence l’abus sexuel intra-<strong>familial</strong> comme la rÅsultante d’un processus<br />
transgÅnÅrationnel inhÅrent É des modifications des frontiÇres gÅnÅrationnelles, É des<br />
systÇmes dysfonctionnels, et É des troubles de la communication oá l’enfant victime<br />
devient le reprÅsentant du symptÑme de la famille. Parce qu’elles ne sont ni identifiÅes,<br />
ni reconnues, ni symbolisÅes, et encore moins sublimÅes, les souffrances intra<strong>familial</strong>es<br />
circulent entre chaque membre : quiconque a souffert fait souffrir et identifie sa<br />
souffrance É celle de l’autre ; ainsi le scÅnario abusif se rÅpÇte et provoque le<br />
dysfonctionnement du systÇme.<br />
Ainsi il apparaÖt que l’amÅnagement <strong>incestueux</strong> est le fait d’une impossible<br />
sÅparation, non permise par les parents qui emprisonnent l’enfant : les acteurs du<br />
systÇme <strong>familial</strong> <strong>incestueux</strong> sont des Ütres mal diffÅrenciÅs les uns des autres, leurs rÑles<br />
et leurs places sont mal dÅfinis, interchangeables ; les individualitÅs sont gommÅes au<br />
profit d’une unitÅ symbiotique. Et lorsque l’enveloppe corporelle et psychique ne peut<br />
8<br />
BENTOVIM, A., System Theory. In C. Cordess & M. Cox (Eds). Forensic psychotherapy: crime,<br />
psychodynamics and the offender patient, 1996, Vol 2, pp. 107-117. London and Bristol, Jessica Kingsley<br />
Publishers.<br />
9<br />
BARUDY J., <strong>Le</strong> dÅvoilement de l'inceste et de l'abus sexuel : crise pour la famille, crise pour<br />
l'intervenant. Cahiers critiques de thÅrapie <strong>familial</strong>e et de pratiques de rÅseaux, 1989, Toulouse, Privat.<br />
10<br />
MOISAN, M., Pour que cesse l’inacceptable. QuÅbec : Conseil du statut de la femme, 1993, p.46.<br />
4
pas Ütre individuelle, elle est <strong>familial</strong>e.<br />
De plus, une scission s’Åtablit entre ce magma <strong>familial</strong> et le groupe social : c’est<br />
par le biais de cette exclusion sociale que le tiers existe malgrÅ tout et que la famille<br />
n’est pas dans un fonctionnement psychotique ; mais reconnu dans sa fonction<br />
sÅparatrice, il sera tenu É distance car toute expÅrience triangulaire gÅnÇre des angoisses<br />
de mort et de sÅparation.<br />
Tel est le cas de la famille G. 11 , dont le pÇre de famille est poursuivi pour des<br />
agressions sexuelles sur ses trois belles-filles qui accusent leur mÇre d’avoir eu<br />
connaissance des faits. L’impossible sÅparation qui entrave l’accÇs É la loi s’origine<br />
dans des carences affectives que chaque membre de la famille semble avoir subi.<br />
Monsieur G., dont la vie affective est centrÅe sur sa mÇre, a retrouvÅ avec sa femmemÇre<br />
un substitut identique car elles prÅsentent des traits similaires ; cela conforte sa<br />
tendance É s’accrocher É une situation incestueuse. Madame G., quant É elle, a toujours<br />
ÅtÅ projetÅe hors de toute filiation : en effet, aucun des hommes autour d’elle n’a assumÅ<br />
la fonction de pÇre et sa relation maternelle fut carencÅe puisque cette mÇre la rejetait<br />
sans cesse. De mÜme, les trois victimes semblent ne pas avoir reëu l’attention<br />
maternelle souhaitÅe. Ainsi, pÇre, mÇre, et enfants, n’ont pu intÅrioriser l’objet premier :<br />
le mensonge, le secret, le silence sont alors utilisÅs pour Åviter la sÅparation et la<br />
rÅsurgence de la sÅparation premiÇre d’avec l’objet maternel. L’agressivitÅ est refoulÅe :<br />
or, le sujet ne peut naÖtre que dans un mouvement agressif qui le sÅpare de l’objet ; ici,<br />
la relation est fusionnelle. On observe cela É travers les propos des filles, qui aprÇs avoir<br />
portÅ plainte, reviennent sur leurs dÅclarations. Delphine dira, É Bien des dÅclarations<br />
faites contre mon beau-pÇre sont fausses. C’est vrai qu’il m’a touchÅe mais au moment<br />
oÑ il a ÅtÅ arrÖtÅ, ma haine Åtait si forte que j’ai dit qu’il m’avait violÅe (…)Mon beaupÇre<br />
ne m’a pas violÅe et malgrÅ tout c’est un bon pÇre (…), j’ai eu de bons moments<br />
avec lui et maintenant il me manque á, et ajoutera concernant sa mÇre, à É Je l’aime<br />
passionnÅment, c’est de l’amour et je ne veux plus m’en passer á. Justine, dans sa quÜte<br />
de l’amour maternel, cherche É se rendre adorable aux yeux de sa mÇre : É Il n’y a pas<br />
que papa qui est puni mais nous tous. Quand la police m’a interrogÅe, j’ai eu peur<br />
d’eux, ainsi j’ai dit oui à tout ce qu’ils me demandaient sur ma maman et ce n’est pas<br />
vrai. Ma maman s’est toujours tenue correctement devant nous et je l’aime, ce n’est pas<br />
la solution que l’on soit tous sÅparÅs. MÖme si mon papa m’a touchÅe, c’Åtait il y a<br />
longtemps et il ne l’a fait qu’une fois ; depuis il n’a jamais recommencÅ et je lui<br />
pardonne car c’est mon papa, je l’aime et je sais qu’il m’aime aussi á. Il en est de<br />
mÜme pour ChristÇle qui dira, É Ma mÇre n’y est pour rien et il n’y a aucune raison que<br />
l’on subisse les consÅquences des autres par la sÅparation qui est trop dure pour moi á.<br />
Toutefois, l’approche systÅmique est sujette É de nombreuses critiques : elle<br />
tendrait É occulter la responsabilitÅ de l’agresseur, les avantages que ses comportements<br />
violents ou intimidants lui procurent et les rapports de pouvoir qui sont É la base mÜme<br />
de son comportement abusif ; une autre critique pointe le fait qu’elle se concentre sur<br />
les interactions entre les membres et ne prend pas en considÅration les forces sociales<br />
plus larges que sont les rapports entre les sexes ; de mÜme, il lui est reprochÅ de mal<br />
expliquer les formes d’agressions incestueuses autres que celles se produisant entre pÇre<br />
et fille. Concernant ces diffÅrentes restrictions du phÅnomÇne, Driver 12 explique que la<br />
thÅorie de la dynamique <strong>familial</strong>e perëue comme cause de l’inceste est une faëon de<br />
rÅduire l’inceste non plus aux classes dÅfavorisÅes ou É des classes et cultures<br />
11 RAZON L., à Crise de la sÅparation et confusion des gÅnÅrations â, in Janine AbÅcassis L’enfant à<br />
l’Åpreuve de la famille ÅrÇs É HypothÇses á, 2004, p. 77-86.<br />
12 DRIVER, E., et DROISEN, A., (Åd.) Child Sexual Abuse : A Feminist Reader, New York, New York<br />
University Press, 1989, p 38.<br />
5
particuliÇres, mais aux familles dysfonctionnelles. Quant É Hamel 13 , elle avance qu’il<br />
s’agit d’une approche reposant sur des bases fragiles et non vÅrifiÅes : à Elle n’a jamais<br />
pu expliquer pourquoi É l’intÅrieur des familles qui possÅdaient les mÜmes<br />
caractÅristiques que celles oá se produisait l’inceste, les problÇmes Åtaient solutionnÅs<br />
autrement (…) : le divorce, la violence verbale ou physique, la fuite dans l’alcool ou les<br />
drogues. De plus, aucune Åtude n’a pu dÅmontrer que les caractÅristiques associÅes aux<br />
familles incestueuses existaient avant que l’inceste se produise â.<br />
<strong>Le</strong>s typologies<br />
L‘Åtude de ces familles a permis de repÅrer plusieurs modÇles typologiques<br />
pouvant servir de base É la comprÅhension de leur structuration systÅmique ou sociale ;<br />
mais aucun de ces modÇles ne rÅpond entiÇrement É la rÅalitÅ clinique du phÅnomÇne<br />
car les familles incestueuses sont trÇs diversifiÅes et hÅtÅrogÇnes.<br />
De maniÇre gÅnÅrale, deux types de familles incestueuses ont ÅtÅ distinguÅes :<br />
les familles fermÅes sur elles-mÜmes d’une part, les familles indiffÅrenciÅes et<br />
promiscues d’autre part (Weinberg, 1955 14 ).<br />
Et il s’agit toujours d’un systÇme oá les finalitÅs des adultes apparaissent comme<br />
prioritaires et urgentes, puisque les enfants sont utilisÅs par les adultes. Cette<br />
chosification a pour but soit de combler des carences ou traumatismes que les parents<br />
ont connu dans leur propre famille, soit de rÅgler des conflits ou combler les<br />
consÅquences de conflits relationnels avec d’autres adultes de la famille nuclÅaire et/ou<br />
Ålargie. Furniss 15 stipule alors que l’inceste relÇve soit d’un mÅcanisme qui Åvite les<br />
conflits Åmotionnels et sexuels, soit d’un mÅcanisme qui les rÅgule.<br />
<strong>Le</strong>s quatre systÇmes familiaux prÅsentÅs de maniÇre rÅcurrente mettent l’accent<br />
sur la place du pouvoir dans la famille. <strong>Le</strong>s parents dÅtiennent un pouvoir lÅgitime sur<br />
leurs enfants puisqu’ils les Åduquent : or dans la famille dysfonctionnelle, le pouvoir<br />
peut Ütre excessif, appliquÅ par les enfants, ou encore sur l’un ou l’autre des parents.<br />
<strong>Le</strong> premier systÇme relativement opaque au monde social est constituÅ d’un pÇre<br />
dominateur et despotique qui s’adresse indiffÅremment É l’enfant ou É la mÇre, tandis<br />
que cette derniÇre est faible et dÅpendante de son mari (pÅcuniairement ou autre).<br />
BenoÖt 16 dÅcrit un systÇme <strong>familial</strong> pouvant s’apparenter É celui-ci : la famille<br />
incestueuse serait composÅe d’un pÇre É la fois autoritaire, dominateur, possessif, et<br />
parfois paranoçaque, tandis que la mÇre se montrerait soumise, indiffÅrente, passive, et<br />
non mÅcontente (consciemment ou non) que sa fille se sacrifie au devoir conjugal ; en<br />
somme, il note une difficultÅ, voire une absence, de communication dans cette famille.<br />
Dans le deuxiÇme systÇme, c’est la mÇre qui dÅtient le pouvoir : elle est dÅcrite<br />
comme une femme forte qui refuse les relations sexuelles avec son mari ; donc l’inceste<br />
permet d’Åviter le conflit dans le couple conjugal.<br />
<strong>Le</strong> troisiÇme systÇme est marquÅ par des frontiÇres intergÅnÅrationnelles<br />
inconsistantes : ce sont le pÇre et l’enfant qui jouent le rÑle des parents et dÅtiennent le<br />
pouvoir, alors que la mÇre est en situation d’enfant et peut s’y complaire.<br />
Enfin, dans le dernier systÇme, les trois partenaires sont sur le mÜme plan c’est-<br />
É-dire que l’enfant est sacrifiÅ pour Åviter le conflit et Åviter la sÅparation du couple : il<br />
est instituÅ gardien de la cellule <strong>familial</strong>e et en porte la responsabilitÅ, comme s‘il Åtait<br />
l‘adulte. Nous pouvons comparer cette dynamique É celle proposÅe par Hanson,<br />
13<br />
HAMEL, M., “L'intervention en matiÇre d'abus sexuel, L'enfant victime dans un monde d'adultes”, Bulletin de<br />
l'association Plaidoyer-Victimes, MontrÅal, printemps 1991, p. 19.<br />
14<br />
HAESEVOETS, Y.-H., L’enfant victime d’inceste, Paris, De Boeck UniversitÅ, coll. Oxalis, 1997, p. 39.<br />
15<br />
Idem.<br />
16<br />
BENOIT, G., Approches de l’inceste. Neuropsychiatrie de l’Enfance, 33(6), 1985, p. 211-216.<br />
6
Lipovsky et Saunders 17 qui est marquÅe par le conflit, l’expression quasi inexistante des<br />
affects, et le manque de respect des enfants.<br />
Une autre classification, qui reprend cette mauvaise gestion du pouvoir et<br />
l’inversion des rÑles au sein de la famille, prÅsente trois types d’organisation <strong>familial</strong>e<br />
avec un systÇme idÅique et un fonctionnement diffÅrents (Barudy, 1989 18 ). Cela signifie<br />
que la maniÇre dont les parents Åduquent leurs enfants, les relations qu’ils entretiennent<br />
avec eux, illustrent un systÇme de pensÅes frÅquemment semblable É celui qu’on leur a<br />
inculquÅ pendant l’enfance. <strong>Le</strong>s interactions entre les membres d’une famille conduisant<br />
É l’inceste se transmettraient donc souvent de gÅnÅration en gÅnÅration, ce qui tend É<br />
confirmer l’hypothÇse du systÇme <strong>familial</strong> <strong>incestueux</strong> transgÅnÅrationnel posÅe par les<br />
systÅmiciens.<br />
Tout d’abord, on distingue l’organisation enchevÜtrÅe et altruiste : le pÇre est<br />
maternel car il s’occupe activement de ses enfants, est proche d’eux, leur donne<br />
affection et tendresse ; quant É la mÇre, elle est admiratrice de son mari et a une fonction<br />
centrale dans la prise en charge de la gestion du mÅnage. Cette organisation parfaite en<br />
apparence cache l’utilisation des enfants comme objet du pÇre : cette relation<br />
fusionnelle pÇre-enfant permet É la mÇre de se positionner en tant que femme. <strong>Le</strong><br />
systÇme idÅique est donc celui du mythe du sacrifice et du dÅvouement: souvent, les<br />
parents ont eux-mÜmes connus les carences affectives de leurs parents et devenus<br />
adultes, souhaitent Ütre rÅcompensÅs par leurs enfants.<br />
Vient ensuite l’organisation chaotique, indiffÅrenciÅe et usurpatrice É<br />
promiscuitÅ importante : il y a un manque de frontiÇres gÅnÅrationnelles et une<br />
promiscuitÅ liÅe É la pauvretÅ et É l’habitat exigu qui facilitent les contacts physiques ;<br />
dans ce contexte, les rapports sexuels deviennent collectifs et ne font plus partie de la<br />
vie privÅe des parents. On note Ågalement des ruptures relationnelles rÅpÅtÅes au niveau<br />
trans-gÅnÅrationnelles, des situations <strong>familial</strong>es changeantes et trÇs hÅtÅrogÇnes avec des<br />
carences psychoaffectives : l’enfant devient alors un moyen d’obtenir affection et<br />
tendresse. <strong>Le</strong> systÇme idÅique est celui du mythe de l’anÅantissement et de la survie :<br />
lorsqu’ils Åtaient enfants, les parents ont du utiliser les autres pour survivre.<br />
Enfin, on identifie l’organisation pÅtrifiÅe, totalitaire et absolutiste : dans cette<br />
famille, le pÇre autoritaire et dogmatique ne partage pas ses sentiments, et la mÇre trÇs<br />
prÅsente Åtablit une coalition contre le pÇre ; donc les enfants sont dÅchirÅs entre pÇre et<br />
mÇre. <strong>Le</strong> systÇme idÅique a pour rÇgle absolue à ne pas connaÖtre, ne pas savoir â : les<br />
expÅriences de chacun sont ÅtouffÅes pour laisser place É des croyances rigides et<br />
dogmatiques ; l’Åducation se fait sur un mode violent et les enfants abusÅs s’identifient<br />
aux valeurs de l’agresseur. Souvent, ces parents ont eu un pÇre despotique et une mÇre<br />
soumise.<br />
<strong>Le</strong>s caractéristiques<br />
MalgrÅ la diversitÅ des typologies, certaines caractÅristiques semblent<br />
communes É toutes ces familles. PremiÇrement, elle auraient des frontiÇres rigides ou<br />
seraient fermÅes avec l’extÅrieur : ces groupes familiaux sont donc perëus comme isolÅs<br />
du monde social, et d’un type qualifiÅ d’endogame oá des rÇgles diffÅrentes de celles de<br />
la sociÅtÅ sont instaurÅes tout en maintenant un semblant d’adaptation sociale É<br />
l’extÅrieur. Certaines sont gouvernÅes par un pÇre tyrannique, d’autres fonctionnent sur<br />
17<br />
HANSON, R.F., LIPOVSKY, J.A. & SAUNDERS, B.E. (1994), 'Characteristics of fathers in incest<br />
families', Journal of Interpersonal Violence, vol.9, no.2.<br />
18<br />
BARUDY J., <strong>Le</strong> dÅvoilement de l'inceste et de l'abus sexuel : crise pour la famille, crise pour<br />
l'intervenant. Cahiers critiques de thÅrapie <strong>familial</strong>e et de pratiques de rÅseaux, Toulouse, Privat, 1989,<br />
né10, p. 99-118.<br />
7
des liens affectifs forts oá l’entraide est obligatoire et oá les erreurs de chacun sont<br />
cachÅes afin de protÅger l’unitÅ <strong>familial</strong>e. De plus, elles seraient dÅfinies par des<br />
frontiÇres floues entre les sous-systÇmes (conjugal, fratrie) ce qui illustre la confusion<br />
des sexes et des gÅnÅrations (la fille É la place de la femme, le pÇre É la place de la<br />
mÇre…) : l’autoritÅ et l’altÅritÅ n’y sont pas reconnues, il y a une confusion entre<br />
l’Åtranger et le familier, ainsi qu’un dÅfaut des limites. Dans ces familles, le couple<br />
conjugal est souvent dysfonctionnant, avec des relations sexuelles insatisfaisantes :<br />
l’insatisfaction au niveau du couple formÅ au moment des faits est rÅguliÇrement<br />
prÅsentÅ comme le meilleur dÅterminant de l’abus sexuel. Et elles s’illustrent Ågalement<br />
par un Åvitement du conflit, une expression des sentiments quasi inexistante, sauf la<br />
colÇre. Ces spÅcificitÅs sont reprises dans le portrait de la famille incestueuse dressÅ par<br />
certains auteurs. En 1987, VanMarcke et Igodt 19 parlent d’abus de pouvoir, d’isolement,<br />
d’absence d’empathie, de communication dÅficiente, de brouillage des frontiÇres, de<br />
contrÑle rigide et de fixation de limites inadÅquates. Quant É Born, Delville, Mercier,<br />
Sand et Beeckmans 20 , ils Åvoquent la rigiditÅ et l’autoritarisme, le traditionalisme et<br />
l’absolutisme, l’enfermement doctrinal, l’interchangeabilitÅ des membres, l’inversion<br />
des rÑles, et les ruptures relationnelles rÅpÅtÅes.<br />
Par ailleurs, ces familles sont nombreuses É dÅjÉ Ütre suivies pour des difficultÅs<br />
socio-Åconomiques, de l’alcoolisme, un divorce, un dÅcÇs, une pathologie somatique ou<br />
mentale, de la maltraitance physique ou des enfants placÅs : ce modÇle rejoint donc le<br />
concept de familles É problÇmes multiples (Pichot et Alvin, 1985 21 ). En cela, l’inceste<br />
semble prÅdominant dans les familles dites de à cas sociaux â, dÅsinsÅrÅs, vivant en<br />
promiscuitÅ, dans des conditions de salubritÅ douteuses, et Åtant souvent suivies ou<br />
repÅrÅes par les rÅseaux d’aide aux familles comme Åtant problÅmatiques. Pourtant<br />
l’inceste peut se repÅrer dans toutes les couches sociales : Balier 22 prÅcise que<br />
à certaines structures <strong>familial</strong>es, plus nombreuses qu’on ne le croit, sont si<br />
dÅsorganisÅes que les concepts manquent pour les analyser. On parle alors de à familles<br />
psychotiques â pour dÅsigner la prÅÅminence des modes de relation destructeurs, oá l’on<br />
se rÅfugie derriÇre l'alibi de pratiques culturelles propres É certains groupes. Ainsi, en<br />
France, l'inceste a semblÅ Ütre le fait de nos familles rurales. Or le dÅvoilement qui<br />
conduit maintenant tant d'affaires devant la justice montre que le milieu urbain est plutÑt<br />
reprÅsentÅâ.<br />
<strong>Le</strong> rôle de la mère dans la relation incestueuse<br />
La mère de la victime<br />
<strong>Le</strong>s rÑles de l’enfant et du pÇre dans la mise en place de la relation incestueuse<br />
semblent Åvidents puisqu’ils sont respectivement la victime et l’agresseur. Mais<br />
l’approche systÅmique stipule que tous les acteurs ont un rÑle É jouer : la mÇre a une<br />
responsabilitÅ dans l’installation et la pÅrennisation de la situation incestueuse, et son<br />
rÑle est É la fois majeur et complexe du fait de sa double position, É savoir femme de<br />
l’agresseur et mÇre de la victime.<br />
Nous pouvons nous demander si le rÑle primordial attribuÅ É la figure maternelle<br />
dans la dynamique incestueuse n’est pas le fait de l’image stÅrÅotypÅe de la mÇre<br />
vÅhiculÅe par la sociÅtÅ depuis des siÇcles. En effet, la bonne mÇre correspond É une<br />
femme aimante, dÅvouÅe É son mari et É ses enfants, responsable de la cohÅsion<br />
19<br />
HAESEVOETS, Y.-H., L’enfant victime d’inceste. Paris, De Boeck UniversitÅ, coll. Oxalis, 1997, p. 40.<br />
20<br />
BORN, M., DELVILLE, J., MERCIER, M., SAND, E.A., & BEECKMANS, M., à <strong>Le</strong>s abus sexuels d’enfantsâ ,<br />
LiÇge : Mardaga, 1996.<br />
21<br />
HAESEVOETS, Y.-H., L’enfant victime d’inceste. Paris, De Boeck UniversitÅ, coll. Oxalis, 1997, p. 39.<br />
22<br />
BALIER, C., Psychanalyse des comportements sexuels violents. Paris, PUF, coll. <strong>Le</strong> fil rouge, 1999, p118-119.<br />
8
<strong>familial</strong>e, de la protection et du bien Ütre de tous grèce É une Åcoute intuitive : dans ce<br />
rÑle prÅdÅfini, on s’attend donc É ce que la femme rejette le mari et protÇge l’enfant.<br />
Pourtant, ne pas correspondre au stÅrÅotype n’implique pas qu’elles prennent<br />
consciemment le risque qu’un inceste pÇre-fille ait lieu ; ni qu’elles sont de mauvaises<br />
mÇres. En effet, il faut prendre en compte le rÑle du pouvoir de contrainte et de contrÑle<br />
des hommes, ainsi que du contexte social qui idÅalise la famille et valorise le pardon.<br />
De ce fait, les femmes et les hommes Åvoluant dans un rapport de pouvoir, l’Åtendue de<br />
leur responsabilitÅ <strong>familial</strong>e serait entretenues par les femmes elles-mÜmes : notre<br />
sociÅtÅ patriarcale, selon les fÅministes, entretiendrait le mythe de la responsabilitÅ qui<br />
illustre la tendance É renverser les rÑles d’oppresseur et d’opprimÅ sous-jacente É tous<br />
les rapports de domination ; rien n’est aussi efficace pour s’assurer de sa soumission que<br />
de faire endosser É l’opprimÅ lui-mÜme le sentiment de culpabilitÅ.<br />
Pourtant, quelque soit les fonctions attribuÅes É la mÇre et l’ampleur de la tèche<br />
qui lui incombe, il apparaÖt É travers les Åtudes rÅalisÅes que ces femmes possÇdent des<br />
traits de personnalitÅ et des caractÅristiques spÅcifiques. De plus, leur rÅaction lors de la<br />
dÅcouverte des faits ou la non-conscience de la relation incestueuse donnent des<br />
indications sur leur personnalitÅ et sur les relations intra<strong>familial</strong>es.<br />
Ainsi, c’est son mode de relation avec chacun qui influencera sa dÅmarche : la<br />
dÅnonciation, ou le silence complice qui signe un refus inconscient de la rÅalitÅ, une<br />
passivitÅ, ou un calcul. A ce propos, l’Åtude de M. Myer 23 met en Åvidence les trois<br />
comportements maternels les plus frÅquents face É l’inceste : la protection de la fille et<br />
le rejet du mari reprÅsente 56 % des cas ; le rejet de la fille et la protection de l’Åpoux,<br />
notamment lorsque la fille est considÅrÅe comme une rivale, reprÅsente 35 % des cas ;<br />
enfin, 9 % des situations montrent une non-action en raison d’une incapacitÅ É prendre<br />
une dÅcision, ce qui introduit la notion d’inceste en creux, c’est-É-dire un inceste qui a<br />
lieu en raison d’un manque total d’amour maternel. Deux autres rÅactions plus<br />
spÅcifiques sont constatÅes : il arrive dans de rares cas qu’en prÅsence d’un pÇre<br />
tyrannique, la mÇre demande É la fille de continuer, de se sacrifier (« Fais le pour<br />
moi ») ; et il est É l’inverse trÇs frÅquent que des mÇres dÅnoncent les faits et retirent par<br />
la suite leur plainte, la plupart du temps dans le but de prÅserver une cohÅsion <strong>familial</strong>e.<br />
Rappelons toutefois que la majoritÅ des mÇres ne sont pas au courant de la situation :<br />
autrement dit, rares sont celles qui encouragent ou participent aux faits <strong>incestueux</strong>.<br />
La non-dÅnonciation des faits par la mÇre a ÅtÅ l’objet d’Åtudes qui ont montrÅ<br />
que le silence peut s’expliquer par diverses raisons. Tout d’abord, la condamnation<br />
pourrait crÅer de nombreuses difficultÅs : problÇmes financiers et matÅriels, Åclatement<br />
de la cohÅsion <strong>familial</strong>e, devoir Ålever seule les enfants. Or, affronter ces problÇmes leur<br />
semble insurmontable : souvent dÅpendantes financiÇrement et Åmotivement, passives et<br />
soumises É la domination du conjoint, immatures, dÅbordÅes en raison d’une maladie<br />
sÅrieuse telle que l’alcoolisme, la dÅpression ou la psychose, isolÅes socialement, elles<br />
ne peuvent gÅrer seule une famille. Elles prÅfÇrent opter pour le silence complice ou<br />
faire pression pour que l’enfant retire sa plainte et ainsi retrouver le semblant<br />
d’harmonie d’auparavant. D’autres femmes ferment les yeux car elle ne souhaitent plus<br />
de relations sexuelles avec leur mari, en raison d’une frigiditÅ, d’une crainte des<br />
maternitÅs, d’une dÅvotion au rÑle maternel, ou d’abus sexuels subis pendant l’enfance :<br />
frustrÅes et frustrantes sur le plan sexuel, elles tirent de la liaison incestueuse un rÅpit<br />
utilitaire, prÅfÅrant que l’Åpoux comble ses besoins avec la fille de la maison plutÑt<br />
qu’avec une maÖtresse inconnue. PrÅcisons ici que les femmes abusÅes sexuellement<br />
pendant leur jeunesse sont davantage sujettes É choisir un conjoint É risque lorsque le<br />
traumatisme n’a pas pu Ütre ÅlaborÅ. Enfin, comme nous l’avons ÅvoquÅ prÅcÅdemment,<br />
23 COLLECTIVE PAR ET POUR ELLE, Survivre É l'inceste : mieux comprendre pour mieux intervenir,<br />
Octobre 1989, p 35.<br />
9
certaines femmes ne dÅnoncent pas les faits car vivent dans la terreur, sous l’emprise<br />
d’un mari violent.<br />
Ainsi, Madame G. 24 ne dÅnonce pas les faits, soutient son mari, et met en avant<br />
les difficultÅs matÅrielles : É Il a reconnu plusieurs fois des attouchements. J’avais<br />
dÅcidÅ de le quitter puis j’ai rÅflÅchi, j’allais me retrouver seule avec six enfants ;<br />
j’Åtais sans travail et je n’avais pas de revenu ; je suis donc restÅe avec lui á ; par<br />
ailleurs, l’une de ses filles dit d’elle É Ma mÇre est aussi violente que Dimitri : à<br />
chaque fois que nous lui en avons parlÅ, elle a dit que c’Åtait de notre faute, que c’est<br />
nous qui l’allumions (…). Je pense que ma mÇre est parfaitement au courant de la<br />
situation mais qu’elle aime plus Dimitri que nous á. A l’inverse, Madame F. 25 , mÇre de<br />
Camille ègÅe de 15 ans, semble dÅpendante affectivement de son Åpoux : se dÅcrivant<br />
comme une femme qui accorde beaucoup d’importance É l’Åpanouissement de chacun<br />
mais qui ne peut avoir de dialogue approfondi avec ses enfants du fait du rythme effrÅnÅ<br />
du quotidien, elle est vue par les psychologues ayant recueilli les confidences de<br />
Camille ; le couple uni par les mains s’exprime d’une seule voix, et la femme va jusqu’É<br />
dire que ses rÅvÅlations pourraient donner un second souffle É son couple : É Mon mari<br />
m’a tout avouÅ, il ne comprend pas ce qui s’est passÅ et il regrette á. Lorsqu’elle<br />
apprend que son fils aÖnÅ, ègÅ de 17 ans, a Ågalement abusÅ de sa fille, elle s’effondre,<br />
vivant sa famille comme un Åchec, et banalisant le comportement du mari dont la<br />
condamnation l’isole encore davantage : É Ce n’est pas juste ce qui est arrivÅ…on ne<br />
voit l’homme qu’à travers ce qu’il a fait de mal…il a reconnu, j’ai pardonnÅ et le fait<br />
qu’il se soit dÅnoncÅ, je n’ai plus rien à lui reprocher…j’ai transformÅ ma colÇre en<br />
une vigilance à l’Ågard des enfants…Avant nous s’est tenu le procÇs d’un autre pÇre qui<br />
a pris moins que mon mari alors que ce qu’il a fait Åtait plus grave á. Enfin, Madame<br />
A. 26 , dont la fille Catherine a ÅtÅ abusÅe pendant des annÅes par son pÇre gynÅcologue,<br />
opposait une fin de non recevoir chaque fois que cette derniÇre tentait de se confier É<br />
elle : le pÇre Åtant dÅcrit comme un pÇre respectÅ de tous, mais Ågalement comme<br />
autoritaire et parfois violent, on peut Åmettre l’hypothÇse que cette femme a fermÅ les<br />
yeux par peur de la rÅaction de son Åpoux et de l’Åclatement <strong>familial</strong>.<br />
En cela, on comprend que la complicitÅ maternelle est É la mesure de<br />
l’impuissance maternelle. Pourtant, cette incapacitÅ É agir n’est en rien considÅrÅ<br />
comme une excuse : A. Nardon 27 affirmait que à la mÇre n’est que trÇs rarement la<br />
spectatrice impuissante É redresser une situation qui lui Åchappe, beaucoup plus<br />
frÅquemment, elle a une attitude rÅsignÅe ou plus franchement complice â. Quant É<br />
Martorell 28 , il expliquait à la mÇre est parfois quelque un qui scotomise, qui ne veut pas<br />
voir, ne veut pas savoir ce qui se passe au sein de sa maison, car cela risquerait pour elle<br />
de prÅcipiter une dÅcompensation gÅnÅralisÅe qu’elle a eu beaucoup de difficultÅs É<br />
construire, car elle-mÜme prÅsente peut-Ütre une fragilitÅ narcissique ou des difficultÅs<br />
sur le plan de l’identitÅ â.<br />
En outre, face É ce portrait de femmes fragiles et dÅpendantes, apparaÖt un autre<br />
type de femmes, dÅpeintes comme trÇs indÅpendantes : selon que cette mÇre assume un<br />
rÑle de dÅpendance et de soumission, ou un rÑle de domination et de contrÑle, la<br />
24 RAZON L., à Crise de la sÅparation et confusion des gÅnÅrations â, in Janine AbÅcassis L’enfant à<br />
l’Åpreuve de la famille ÅrÇs É HypothÇses á, 2004, p. 77-86.<br />
25 BECKER E. et CHAPELLE S., à L’accompagnement systÅmique des familles abusives â, ThÅrapie<br />
<strong>familial</strong>e, 2010/1 Vol. 31, p. 65-78.<br />
26 EDUARDO TESONE J., à Une activitÅ peu masculine: l’inceste pÇre-fille â, 1998/2, né62, <strong>Revue</strong><br />
franëaise de psychanalyse, PUF.<br />
27<br />
NARDON, A., RÅflexion sur 59 cas d’inceste observÅs en milieu psychiatrique ou de pratique mÅdicolÅgale.<br />
MÅmoire pour le Certificat d’Etudes SpÅciales de Psychiatrie., UniversitÅ de Rennes, 1975.<br />
28<br />
MARTORELL, A., à <strong>Le</strong> pÇre <strong>incestueux</strong> â. In Archer, E. (1998). Agressions sexuelles : victimes et<br />
auteurs. Paris, L’Harmattan, coll. SexualitÅ humaine, p.152.<br />
10
constellation triadique sera diffÅrente ; c’est-É-dire que le couplage de ces deux types de<br />
dyades conjugales avec la fille victime d’inceste va crÅer deux types de constellations.<br />
D’une part, la constellation constituÅe d’un pÇre abuseur, d’une Åpouse soumise, et<br />
d’une fille adultifiÅe : ici, le rÑle de dÅpendance et de soumission assumÅe par l’Åpouse<br />
est liÅ aux expÅriences qu’elle a connu en tant que femme mais aussi É des expÅriences<br />
d’apprentissage liÅes É des situations de violence, de maltraitance et/ou d’abus sexuel<br />
qu’elle a vÅcu dans sa famille d’origine. Cette femme va donner au mari abuseur<br />
l’illusion du pouvoir, mais en mÜme temps le sentiment d’Ütre encore une fois seul et<br />
sans protection : c’est dans la recherche d’une expÅrience de reconnaissance et de prise<br />
en charge par quelqu’un que le pÇre abuseur peut se tourner vers une de ses filles<br />
(É Depuis qu’elle est toute petite, ma fille m’a toujours compris. Au fur et à mesure<br />
qu’elle grandit, elle est toujours prÖte à m’Åcouter. Elle me donne mÖme des conseils.<br />
C’est comme si elle Åtait meilleure que mon Åpouse á). D’autre part, la constellation<br />
constituÅe d’un pÇre abuseur, d’une mÇre dominatrice, et d’une fille dominÅe : la femme<br />
qui choisit ou est choisie par un partenaire abuseur pour ses capacitÅs de domination<br />
et/ou de contrÑle, correspond É une fille qui a vÅcu des expÅriences d’abandon et/ou de<br />
nÅgligence intra<strong>familial</strong>e et a ÅtÅ obligÅe de grandir prÅmaturÅment pour Ütre parentifiÅe<br />
É l’extrÜme dans sa famille d’origine et/ou maÖtriser un environnement social carencÅ ou<br />
menaëant. Cette femme donne au mèle l’illusion de se sentir protÅgÅ mais Ågalement un<br />
sentiment d’impuissance et d’insatisfaction au niveau du contrÑle de la relation<br />
conjugale. C’est dans ce contexte que le pÇre abuseur, marquÅ par ses blessures<br />
historiques, sÅduira une ou plusieurs de ses filles : en les abusant sexuellement, il aura<br />
l’illusion de les possÅder et/ou de les contrÑler (É Elle n’avait aucun plaisir, avec elle<br />
c’est comme si je faisais âa à un arbre…Parfois je me sentais coupable, mais je me<br />
disais que c’Åtait moins grave que de tromper ma femme. C’est ma fille qui m’aidait à<br />
conserver du dÅsir car vu l’embonpoint de mon Åpouse et son allure nÅgligÅe, je<br />
finissais par ne plus pouvoir la dÅsirer. J’Åtais dÅpossÅdÅ de mon räle de chef de<br />
famille, elle tenait les cordons de la bourse et ne me donnait que de l’argent de poche ;<br />
pourtant je travaillais ! á).<br />
La mÇre de l’agresseur<br />
La psychanalyse accroÖt encore l’importance du rÑle de la mÇre dans l’inceste :<br />
en plus de la responsabilitÅ avÅrÅe de la mÇre de l’enfant, elle attribue une responsabilitÅ<br />
É la mÇre du futur agresseur. En effet, si la mÇre Åveille les premiÇres sensations<br />
gÅnitales voluptueuses, elle Åveillera simultanÅment les premiÇres bases de l’interdit de<br />
l’inceste ; mais au-delÉ de l’intensitÅ du lien fusionnel et corporel, un espace sÅparateur<br />
prÅexistera sous la forme d’un interdit du toucher, c’est-É-dire que la mÇre devra Ütre<br />
prÅalablement inscrite dans la loi. Il y a donc danger quand la mÇre n’a pas pu offrir la<br />
possibilitÅ É ses enfants de vivre la sÅparation car ils ne sont alors qu’un prolongement<br />
d’elles-mÜmes, enfermÅs dans leurs propres dÅsirs de fusion. Ces mÇres phalliques,<br />
castratrices, intrusives, ne vivent que pour une fusion physique et psychique ; et elles<br />
ont Ågalement pu Ütre prÅmaturÅment et violemment frustrantes et mortifÇres. Devenus<br />
adultes, ces individus seraient dans l’incapacitÅ de se sÅparer en raison de l’angoisse<br />
majeure de revivre la rupture premiÇre.<br />
NÅanmoins, cette sÅparation ou diffÅrenciation d’avec l’objet maternel qui<br />
permet l’accÇs É l’individuation et É l’interdit de la fusion est Ågalement de la<br />
responsabilitÅ du pÇre. MÜme si la mÇre induit le dÅsir <strong>incestueux</strong>, c’est bien É lui,<br />
reprÅsentant de la loi, que revient la fonction d’interdire la relation duelle, fusionnelle et<br />
incestueuse, la fonction de sÅparation et d’individuation qui permet l’accÇs É la<br />
diffÅrence des sexes et des gÅnÅrations. En Åtant inter, le pÇre unit autant qu’il sÅpare :<br />
11
s’il n’assume pas ce rÑle, il entrouvre les portes de la perversion. Racamier 29<br />
explique<br />
cette distinction en disant que le pÇre est responsable de l’inceste, tandis que la mÇre<br />
amÇne l’incestuel : l’incestuel est ce qui dans la vie psychique et <strong>familial</strong>e porte<br />
l’empreinte de l’inceste non fantasmÅ, sans qu’en soient nÅcessairement accomplies les<br />
formes gÅnitales. <strong>Le</strong> cas de Jean-Paul 30 , aÖnÅ d’une famille de six garëons, illustre cela :<br />
alors qu’il consulte pour un problÇme d’Åjaculation prÅcoce, il confie trÇs vite qu’il a<br />
souvent ÅtÅ dans le lit de sa mÇre jusqu’É une pÅriode avancÅe de son adolescence ; il<br />
raconte qu’un jour, alors qu’il avait tentÅ de lui caresser les seins, elle lui avait rÅtorquÅ<br />
É ArrÖte, ton pÇre pourrait arriver á. Ce qui est incestuel ici, c’est que tout en posant<br />
l’interdit, la mÇre laisse entendre que tout est possible et sÅduit narcissiquement son fils.<br />
Ainsi, l’angoisse qu’il Åprouve au lit avec les femmes est rÅactivÅe par le souvenir de<br />
celle qui a accompagnÅ l’excitation produite par la proximitÅ du corps de sa mÇre, si<br />
proche et presque offert, tout en Åtant interdit.<br />
<strong>Le</strong>s situations incestueuses dans le schéma <strong>familial</strong> traditionnel<br />
GÅnÅralitÅs<br />
La situation incestueuse peut prendre plusieurs formes selon le systÇme<br />
dysfonctionnel dans lequel elle se dÅveloppe : Larson et Maddock 31 dÅcrivent quatre<br />
principaux types d’inceste :<br />
Ils repÇrent en premier lieu un inceste sous prÅtexte d’affection : la relation est<br />
affectueuse, sans violence (physique) ; l’enfant victime se voit offrir des cadeaux et<br />
obtient des privilÇges, ce dont les autres enfants de la fratrie peuvent Ütre jaloux ; et<br />
aprÇs la rÅvÅlation des faits il reste une volontÅ de maintenir une cohÅsion <strong>familial</strong>e.<br />
L’inceste au sein d’une famille hyper ÅrotisÅe est une relation perëue comme<br />
normale pour cette famille qui est fiÇre de l’absence de vie privÅe (pas de porte, films<br />
pornographiques en famille, nuditÅ…) et qui en fait mÜme une valeur <strong>familial</strong>e (É C’est<br />
bon pour les enfants á) ; les interactions quotidiennes sont ÅrotisÅes É l’excÇs et les<br />
membres ne perëoivent mÜme plus le caractÇre anormal de ce mode de vie.<br />
Il existe Ågalement l’inceste fait d’Åchanges agressifs oá la colÇre du pÇre est<br />
sexualisÅe, et cette violence est utilisÅe pour soumettre la victime aux abus sexuels ; ces<br />
derniers sont donc vÅcus par l’enfant comme une punition.<br />
Enfin, l’inceste fait de viols violents est proche du prÅcÅdent type mais comporte<br />
encore plus de sadisme : l’agresseur qui souffre d’une pathologie psychopathique et<br />
narcissique trÇs importante force l’enfant É participer.<br />
Concernant la durÅe de la situation incestueuse, elle s’Åchelonne sur une pÅriode<br />
allant de 6 mois É 7-8 ans, avec une moyenne de 2 ans.<br />
Dans la majoritÅ de cas, les victimes ne subissent aucune violence ni force<br />
physique : la cœrcition psychologique, les menaces, le chantage, la manipulation, qui<br />
font rÅgner la peur et le silence sont plus frÅquemment utilisÅes afin de faire perdurer la<br />
relation. Mais lorsque une violence est exercÅe, elle peut Ütre de quatre sortes : une<br />
violence ponctuelle appartenant au dÅroulement de l’acte sans que puisse pour autant<br />
Ütre ÅvoquÅ un scÅnario, ce sont des maintiens physiques violents tels les claques, les<br />
coups… ; une violence plus dangereuse qui participe É la montÅe de l’excitation tels les<br />
actes de barbarie ; une violence consÅcutive É l’opposition de la victime ; une violence<br />
29<br />
RACAMIER, P.C., Autour de l’inceste, in Gruppo 7, 1991, p. 49-65.<br />
30<br />
DEFONTAINE, J., à L’incestuel dans les familles â, <strong>Revue</strong> franëaise de psychanalyse, 2002/1, Vol<br />
né66, p. 179-196.<br />
31<br />
LARSON, N.R. et MADDOCK, J.W., à Structural and functional variables in incest family systems:<br />
Implications for assessment and treatment â, Journal of Psychotherapy and the Family, 1986, vol. 2, no 2.<br />
12
subite, brutale, faisant effraction dans la conscience du sujet, court-circuitant toute<br />
possibilitÅ de manœuvre psychique et s’avÅrant rare.<br />
Quant aux abus eux-mÜmes, il s’agit surtout d’attouchements sexuels,<br />
d’exhibitionnisme, de propositions ou d’incitations, et de rapports oraux plutÑt que de<br />
pÅnÅtrations ; l’intensification des formes de l’agression survenant avec le temps.<br />
Enfin, Goodwin 32 affirme qu’il y a 40 % de chance que plusieurs sœurs/frÇres<br />
soient la cible d’agressions, et qu’un enfant peut subir des agressions de la part de<br />
plusieurs membres de sa famille.<br />
Il existe nÅanmoins un modÇle de la dynamique de la relation incestueuse en<br />
cinq phases (Sgroi, Blick, Porter, 1986 33 ) : la phase 1 qui comprend des occasions<br />
propices oá l’agresseur incite l’enfant, souvent par le jeu, les promesses et les<br />
rÅcompenses, É un comportement sexuel qu’il qualifie de normal ; la phase 2<br />
d’interaction sexuelle caractÅrisÅe par une progression de l’activitÅ sexuelle ; la phase 3<br />
du secret qui peut durer plusieurs mois ou annÅes ; la phase 4 de divulgation<br />
accidentelle ou prÅmÅditÅe ; et la phase 5 dite rÅpressive oá l’enfant subit des pressions<br />
pour nier l’agression et ses effets.<br />
La plupart des situations incestueuses se sont longtemps dÅveloppÅes avant que<br />
le passage É l’acte ne se produise. <strong>Le</strong> trouble de la personnalitÅ du pÇre est dÅjÉ lÉ et<br />
peut mÜme remonter É son enfance. L’encouragement de l’inceste par la mÇre ou son<br />
insuccÇs É restreindre le pÇre est souvent enracinÅ dans sa relation É sa propre mÇre.<br />
Enfin, les prÅdispositions de la fille peuvent affecter sa vulnÅrabilitÅ aux approches<br />
sexuelles de son pÇre et sa rÅaction lorsque l’inceste se rÅalise. On ne saurait donc<br />
dÅfinir un seul trouble de personnalitÅ ou facteur de la dynamique <strong>familial</strong>e comme<br />
cause de l’inceste pÇre-fille, mais on peut Åvoquer des traits communs (Meiselman,<br />
1978 34 ).<br />
Ayant ÅtÅ Åtabli que les abus sexuels se dÅroulant dans un contexte intra<strong>familial</strong><br />
sont plus frÅquents au sein de la famille nuclÅaire, il paraÖt important de prÅsenter<br />
quelques-unes des relations incestueuses possibles au sein du noyau <strong>familial</strong>.<br />
L’inceste pÇre-fille<br />
Concernant l’inceste pÇre-fille, certaines recherches indiquent qu’il reprÅsente<br />
90 % des situations ; tandis que d’autres affirment qu’il ne reprÅsenterait en fait que la<br />
moitiÅ des cas d’inceste connus. Cet Åcart majeur s’explique peut-Ütre par l’assimilation<br />
par certains chercheurs du pÇre, du beau-pÇre, et du pÇre adoptif ; les beaux-pÇres, de<br />
plus en plus impliquÅs en raison des nouvelles structures <strong>familial</strong>es, proclament souvent<br />
É Ce n’est pas mon sang á, ce qui indique qu’ils ont tout de mÜme conscience de<br />
l’interdit. 35<br />
Il s’agit souvent de pÇres qui se sont peu occupÅs de leur fille lors des trois<br />
premiÇres annÅes et n’ont pas participÅ aux soins physiques. <strong>Le</strong>s cas observÅs<br />
concernent des enfants de plus en plus jeunes. <strong>Le</strong> plus souvent, les activitÅs incestueuses<br />
32 GOODWIN, J., “Evaluation and Treatment for Incest Victims and Their Families: A Problem-Oriented<br />
Approach” dans Goodwin, Åd. Sexual Abuse : Incest Victims and Their Families, 2e Ådition, Chicago,<br />
Year Book Medical Publishers, 1989, p. 2.<br />
33 SGROI, BLICK et PORTER dans SGROI (sous la direction de), L'agression sexuelle et l'enfant :<br />
approche et thÅrapies, Saint-Laurent, ïditions du TrÅcarrÅ, 1986, op.cit, P; 29-44<br />
34 MEISELMAN, K.C. Incest, a Psychological Study of Causes and Effects with Treatment<br />
Recommendations. Londres: Jossey-Bass Publishers, 1978, p.140.<br />
35 DANAN, M., à Aspects actuels des conduites incestueuses â, confÅrence 3928, Bull. 36 (2006), p. 393-<br />
408.<br />
13
dÅbutent avant l’ège de 10 ans, avec pour cible une enfant exposÅe car immature, mal<br />
dÅgagÅe de la sÅduction oedipienne, et en rivalitÅ avec la mÇre. <strong>Le</strong> pÇre s’intÅresse<br />
d’abord É sa fille aÖnÅe et parfois É toutes ses filles É mesure qu’elles grandissent ; les<br />
garëons peuvent subir le mÜme sort.<br />
Tout est possible, de la sÅduction progressive et en douceur jusqu’au viol<br />
sauvage accompli en Åtat d’ivresse. Lorsqu’il s’agit d’une relation qui s’installe<br />
progressivement, l’agresseur peut utiliser diverses mÅthodes pour parvenir É ses fins :<br />
courtiser sa fille avec des compliments ou des cadeaux ; bloquer les efforts d’autres<br />
jeunes pour s’approcher d’elle en rappelant ses prÅrogatives paternelles ; ou encore se<br />
prÅsenter comme Åtant le mieux placÅ pour faire son Åducation sexuelle. La fille d’abord<br />
sollicitÅe en l’absence de la mÇre, va ensuite s’y substituer et se maintenir activement<br />
dans une situation : bien qu’elle la perëoit comme illicite, elle en tire quelques bÅnÅfices<br />
tels que des rÅcompenses diverses, ou encore domination de la fratrie. Quand cette<br />
liaison n’est pas stoppÅe par un ÅvÇnement intercurrent, c’est-É-dire par une<br />
dÅnonciation ou une grossesse, elle se dÅgrade dans la seconde partie de l’adolescence<br />
car l’agresseur se montre trop opposant É l’ouverture relationnelle de sa fille : il y a<br />
alors recours É l’action pÅnale, soit par dÅnonciation directe, soit en informant la mÇre,<br />
un professeur, ou encore une assistante sociale. Concernant la dyade pÇre autoritairefille<br />
passive, elle se rencontre surtout lorsque la fille est trÇs jeune : une adolescente est<br />
mieux placÅe pour se rebeller et considÅrer qu’un dÅpart de la maison est prÅfÅrable É la<br />
soumission.<br />
L’inceste maternel<br />
L’inceste maternel est rare, surtout lorsqu’il s’agit d’acte gÅnitaux caractÅrisÅs.<br />
Mais les troubles de la maternitÅ en montrent d’autres formes plus discrÇtes : l’enfant<br />
est un objet sexuel indirect É travers par exemple un allaitement addictif ou des soins<br />
intrusifs rÅpÅtÅs, l’emprise sur le corps de l’enfant en faisant un appendice de la mÇre,<br />
un objet auto Årotique masquÅ (conduite para incestueuse). Il est important de prÅciser<br />
que mÜme si certaines mÇres abusives ont elles-mÜmes ÅtÅ abusÅes, la plupart de ces<br />
derniÇres ne deviennent pas des mÇres incestueuses : les risques sont plutÑt la<br />
surprotection anxieuse, le contre-investissement des relations sensuelles si nÅcessaires É<br />
la qualitÅ du lien mÇre-enfant, le choix d’un conjoint É risque. Dans l’inceste mÇre-fils,<br />
ces mÇres, souvent masculines, cherchent É s’identifier É leur fils avec qui elles<br />
entretiennent une relation quasi fusionnelle en raison de la frÅquente absence du pÇre. Il<br />
peut dÅcouler de plusieurs types de relation : majoritairement, il a lieu quand le fils<br />
psychotique vit en symbiose avec une mÇre qui lui donne des soins physiques et qui<br />
manipule É cette occasion ses organes gÅnitaux ; mais il peut aussi Ütre du É la sÅduction<br />
du fils par une mÇre pathologique. Enfin, il y a quelques cas rares de viols <strong>incestueux</strong><br />
pratiquÅs par un fils malade mental sur sa mÇre ; mais frÅquemment, les viols commis<br />
par un fils font suite É l’emprise maternelle et reprÅsentent pour l’adolescent un<br />
triomphe narcissique. Tel est le cas de Monsieur B. 36 qui avait fait l’objet de la part de<br />
sa mÇre de stimulations excessives rÅpÅtÅes et dÅlibÅrÅes entre 6 et 10 ans sous forme de<br />
masturbations rÅciproques, et qui prÅsentait des troubles narcissiques profonds, se<br />
vivant comme un Ütre spÅcial dans un mÅlange de grandiose et de dÅpression. Dans un<br />
rÜve, le patient se voyait pourchassÅ par une momie (mummy en anglais qu’il associa<br />
sur le souvenir des odeurs du sexe de sa mÇre) ; et l’Åmergence de l’agressivitÅ dans le<br />
transfert permit l’Ålaboration de la haine masquÅe envers la mÇre, une haine qui<br />
accompagnait l’excitation sexuelle intense qu’elle avait provoquÅe : É Vous me rendez<br />
36<br />
G.O GABBARD et S.W. Twenlow, The role of noter son incest in the pathogenesis of narcissic<br />
personality discorder in Journal of the American Psychoanalytic association, 42, 1, 1994.<br />
14
fous á disait-il É l’analyste, comme sa mÇre le rendait fou. Quant É l’inceste mÇre-fille,<br />
encore plus rare, il est souvent le fait d’une mÇre dÅsinsÅrÅe qui revit ses conflits par<br />
l’intermÅdiaire du corps de sa fille. Parfois, l’inceste maternel est dê au fait que la mÇre<br />
est complice active du pÇre.<br />
L’inceste fraternel<br />
Bien que peu ÅvoquÅ en clinique, l’inceste entre frÇres et sœurs est frÅquent.<br />
Chez les enfants, on peut observer des jeux Årotiques qui correspondent É une curiositÅ<br />
et É une sexualitÅ exploratoire, pouvant aller jusqu’au viol, et qui doivent interroger<br />
aprÇs 3 ans. Quand il s’agit d’enfants du mÜme ège, on note un contexte de maltraitance<br />
et de carences Åducatives. Quand le garëon est plus ègÅ que la fille, il peut s’agir d’un<br />
pervers, autoritaire et abusif. <strong>Le</strong>s acteurs de cette situation incestueuse, qui dÅbute<br />
souvent É la pubertÅ, sont souvent de faible niveau intellectuel ou prÅsentent des<br />
fragilitÅs narcissiques particuliÇres. La relation est en miroir, entre le proche et le<br />
diffÅrent, un trÇs proche É peine diffÅrent, dans la logique amoureuse adolescente de la<br />
dÅcouverte de soi É travers un autre qui est un autre soi-mÜme ; ou bien elle est<br />
l’incarnation d’une problÅmatique oedipienne qui n’a trouvÅ qu’un dÅplacement<br />
dÅfensif minime de la mÇre É la sœur, ou du pÇre au frÇre ; enfin d’autres incestes<br />
fraternels sont les fruits et tÅmoins d’une problÅmatique narcissique d’indiffÅrenciation<br />
qui infiltre l’ensemble des relations <strong>familial</strong>es et alors la fille peut Ütre simultanÅment<br />
victime du frÇre et du pÇre, ensemble ou sÅparÅment. Quoiqu’il en soit, il ne faut pas<br />
confondre relation amoureuse incestueuse É l’adolescence et inceste violent entre un<br />
aÖnÅ et un cadet. Voyons le cas d’inceste fraternel au sein de la famille B. 37 oá<br />
Christophe, 24 ans, est l’aÖnÅ d’une fratrie 6 enfants : il y a Bastien, ègÅ de 21 ans ; les<br />
jumelles de 18 ans que sont PamÅla et Barbara qu’il dÅcrit comme calmes, gentilles et<br />
renfermÅes ; Samantha, 16 ans, qui souffre d’un handicap moteur et qui est sa favorite ;<br />
et Steve, ègÅ de 8 ans. Ce jeune homme a agressÅ, de l’ège de 16 É 18 ans, les jumelles<br />
ayant alors 10 ans, et Samantha, 8 ans: il Åjaculait sur elles ou dans leur bouche, ou se<br />
masturbait en leur prÅsence. C’est suite É une tentative de suicide de Barbara que les<br />
faits ont ÅtÅ rÅvÅlÅs. Christophe qui ne comprend pas pourquoi il agit ainsi, est soulagÅ<br />
d’avoir ÅtÅ arrÜtÅ. On peut Åmettre l’hypothÇse d’un passage É l’acte en raison d’une<br />
problÅmatique narcissique d’indiffÅrenciation au sein de la famille : en effet, lors des<br />
rencontres avec le psychologue, ce qui est majoritairement ÅvoquÅ et qui semble<br />
traumatique sont les sÅparations plus que les abus sexuels ; par exemple, le dÅpart de<br />
Barbara aprÇs le dÅpÑt de plainte. La famille, sous l’emprise d’angoisses de perte et<br />
d’abandon, connaÖt des liens familiaux en permanence menacÅs de rupture. Ce lien<br />
abandonnique se met en place d’abord dans le couple ; le choix du partenaire est vu<br />
comme une protection contre l’abandon mais aussi comme sa rÅpÅtition : c’est ainsi<br />
qu’une femme choisira un homme protecteur mais ayant des accÇs de violences et de<br />
conduites addictives, comme Monsieur B. <strong>Le</strong>s enfants sont eux aussi pris dans ce<br />
fonctionnement et auront É trouver une place dans la famille traumatisÅe : parfois, la<br />
seule vraie dÅfense contre la peur de l’abandon sera de former un corps commun, via<br />
l’inceste.<br />
37<br />
SAVIN, B., THIERY, F., à Une situation d’inceste fraternel, Rencontres <strong>familial</strong>es thÅrapeutiques en<br />
prison â, 4<br />
15<br />
Çme congrÇs international francophone sur l’agression sexuelle, CIFAS 2007.
Conclusion<br />
L’approche systÅmique permet d’avoir un aperëu des systÇmes familiaux qui<br />
transgressent l’interdit de l’inceste ; et leur diversitÅ explique la pluralitÅ des situations<br />
incestueuses : en effet, les relation ente les membres, le rÑle et la place de chacun<br />
expliquent le fait que dans telle famille l’inceste aura lieu entre le pÇre et la fille, tandis<br />
que dans une autre l’abus sexuel sera constatÅ entre un frÇre et une sœur ; comme le<br />
stipule les systÅmiciens, une situation n’existe que parce que les acteurs y contribuent.<br />
Toutefois, il existe des caractÅristiques semblables É tous ces systÇmes :<br />
autrement dit, il semble y avoir une part de fonctionnement commun au sein des<br />
familles incestueuses. A travers notre analyse sur l’influence de la mÇre dans la situation<br />
et sur sa personnalitÅ (qu’il s’agisse de la mÇre de la victime ou de l’agresseur), ainsi<br />
qu’É travers les extraits d’Åtudes de cas, nous constatons que tous les acteurs prÅsentent<br />
des fragilitÅs, notamment narcissiques.<br />
Ce fonctionnement individuel, qui empÜche l’individu d’avoir une identitÅ stable<br />
et solide, se renforce aux cÑtÅs des autres acteurs : chacun a besoin de l’autre pour se<br />
sentir unifiÅ et la famille entiÇre devient une famille de type abandonnique. Toute<br />
sÅparation entraÖnerait l’effondrement narcissique des sujets ; et pour faire face É cette<br />
angoisse majeure d’abandon, l’inceste, la fusion des corps, est utilisÅ en dÅfense.<br />
16
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