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Autisme et sexualité? Focus - Autismus Schweiz

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<strong>Autisme</strong> <strong>et</strong> <strong>sexualité</strong>?<br />

La rencontre de deux mystères!<br />

Il n’est pas possible de prendre en compte<br />

ici en détail tous les divers troubles autistiques<br />

en lien avec l’intimité <strong>et</strong> la <strong>sexualité</strong>.<br />

Je vous prie tous d’adapter les idées partagées<br />

dans ces lignes à la réalité à laquelle<br />

vous êtes confrontés. L’alternance dans le<br />

texte du nous <strong>et</strong> du eux, est voulue pour décrire<br />

<strong>et</strong> non pour discriminer. Car dans notre<br />

intime unicité humaine, nous nous savons<br />

bien tous semblables.<br />

Je souhaite ici atténuer vos blessures de<br />

parents, <strong>et</strong> augmenter votre confiance en vos<br />

propres compétences: parce qu’il faut que<br />

vous sachiez que la plupart de vos craintes<br />

sont normales <strong>et</strong> non spécifiques, <strong>et</strong> qu’elles<br />

se r<strong>et</strong>rouvent chez tous les autres parents<br />

quand il s’agit du domaine de la <strong>sexualité</strong>.<br />

Pour vous affirmer cela, je puise dans<br />

mon expérience de sexo-pédagogue spécialisée:<br />

de très nombreuses rencontres avec<br />

des parents de tout public depuis 25 ans,<br />

puis ensuite aussi avec des familles en lien<br />

avec des handicaps, ainsi qu’avec des fratries,<br />

des professionnels éducatifs <strong>et</strong> soignants,<br />

<strong>et</strong>, évidemment, avec des personnes<br />

concernées elles-mêmes.<br />

Normalité <strong>et</strong> handicap:<br />

le piège de la comparaison<br />

En ne niant jamais les difficultés particulières<br />

liées à l’autisme, je voudrais, tant que<br />

faire se peut, relativiser quelques craintes <strong>et</strong><br />

apaiser certaines peurs.<br />

Je me centrerai sur des réflexions rodées<br />

aux théories <strong>et</strong> aux ouvertures actuelles, <strong>et</strong><br />

découlant d’elles, je vous proposerai des<br />

aménagements pratiques possibles avec bon<br />

sens <strong>et</strong> modestie. Des solutions respectueuses<br />

de la singularité de chacun avec l’objectif<br />

qu’une meilleure qualité de vie affective, in-<br />

Jumeler les deux domaines que sont la <strong>sexualité</strong> <strong>et</strong> l’autisme,<br />

c’est faire se rencontrer deux complexités où l’imprévisible règne<br />

en maître! C’est m<strong>et</strong>tre en relief de nombreuses contradictions.<br />

Comment vous, parents d’aujourd’hui, dont le fils ou la fille,<br />

quel que soit son âge, se trouve concerné par un des différents<br />

syndromes autistiques, pouvez-vous naviguer dans un tel labyrinthe<br />

d’obstacles <strong>et</strong> de contradictions sans vous sentir parfois dépassés<br />

voire découragés?<br />

time <strong>et</strong> sexuelle soit d’abord imaginable,<br />

dans un premier temps de maturation, <strong>et</strong><br />

qu’elle puisse devenir ensuite concrète!<br />

Nous tenterons ensemble de déjouer le<br />

piège toxique de la comparaison permanente<br />

envers une norme sociale qui, souvent,<br />

n’existe même pas! Il est plus réaliste de<br />

parler de toutes les «p<strong>et</strong>ites pathologies» qui<br />

composent notre grande normalité avec sa<br />

riche pal<strong>et</strong>te, dont sont nourries toutes les<br />

<strong>sexualité</strong>s, définitivement plurielles!<br />

Repousser l’automatisme<br />

de la comparaison est<br />

un entraînement libérateur<br />

qui en vaut la peine.<br />

La non-communication sur la <strong>sexualité</strong>,<br />

par exemple, est largement répandue, <strong>et</strong> en<br />

cela les personnes autistes rejoindraient assez<br />

facilement les composantes de «c<strong>et</strong>te<br />

norme». Car le tabou fondamental sur la<br />

<strong>sexualité</strong> comprend le silence <strong>et</strong> le secr<strong>et</strong>.<br />

L’absence de mots exprimés, la dissimulation<br />

des pensées <strong>et</strong> des fantasmes, la discrétion<br />

pour l’accomplissement des actes<br />

sexuels, individuels ou de couple, selon le<br />

principe originel de la gêne du corps nu, <strong>et</strong><br />

encore davantage du corps en émoi intime,<br />

constituent généralement les formes socialisées<br />

<strong>et</strong> culturelles de la pudeur. Dans la cellule<br />

familiale nucléaire, entre parents,<br />

grands-parents <strong>et</strong> enfants, le respect intergénérationnel<br />

de tout ce qui vient d’être listé,<br />

garantit, en plus, l’observance de l’interdit<br />

de l’inceste.<br />

Car c’est l’interdit qui humanise la <strong>sexualité</strong>.<br />

AUTISMUS • AUTISME • AUTISMO – INFOS, N. 9, 11/2006<br />

Mais en corollaire, c<strong>et</strong> interdit s’interpose<br />

aussi comme obstacle majeur à une parole<br />

qui informe, éduque, valorise <strong>et</strong> rassure,<br />

<strong>et</strong> finalement qui autoriserait activement<br />

une autonomisation sexuelle. Pour tout parent,<br />

parler de sexe à son enfant n’est donc<br />

pas donné d’emblée. Et l’enfant a aussi une<br />

influence sur la pudeur verbale de ses parents.<br />

Tout cela est normal <strong>et</strong> protège le bon<br />

ordre social.<br />

Certes, des valeurs passent aux enfants au<br />

sein des familles, dans le non-verbal <strong>et</strong> dans<br />

le registre émotionnel, mais outre certaines<br />

interdictions, peu est explicité (<strong>et</strong> surtout en<br />

présence de handicap). Et, à juste titre, la<br />

<strong>sexualité</strong> est encore moins mise en pratique!<br />

Habituellement c’est hors de la famille que<br />

la socialisation sexuelle se fait, tant bien que<br />

mal!<br />

Spécificités <strong>et</strong> points communs<br />

Ces repères sociaux classiques manquent<br />

en présence d’un handicap. De ce fait, la<br />

prise de distance des enfants devenant adultes<br />

ne s’opère pas, ou moins bien, ou plus<br />

tard. La perspective d’une vie différente à jamais,<br />

dans ce domaine aussi, constitue un<br />

stress écrasant pour les familles. Cela en a<br />

longtemps justifié la négation!<br />

Cependant la <strong>sexualité</strong> demeure l’axe majeur<br />

de la vie <strong>et</strong> elle sous-tend les phases<br />

d’intégration psychologique <strong>et</strong> sociale par<br />

l’affirmation de son identité. Au cours du développement<br />

de l’enfant autiste, comment va<br />

se faufiler sa croissance sexuelle? Quelle<br />

place dans le minutage contrôlé du quotidien?<br />

Plutôt que de la contraindre, ne faudrait-il<br />

pas plutôt d’emblée lui favoriser un<br />

canal d’expression, avec des habil<strong>et</strong>és bien<br />

ancrées, verbalisées <strong>et</strong> apprises dès les premières<br />

années?<br />

17<br />

<strong>Focus</strong>


18<br />

<strong>Focus</strong><br />

AUTISMUS • AUTISME • AUTISMO – INFOS, N. 9, 11/2006<br />

Les contradictions évoquées plus haut se<br />

poursuivent encore entre l’apparence physique<br />

le plus souvent ordinaire des enfants atteints<br />

d’autisme <strong>et</strong> l’étrang<strong>et</strong>é de leurs comportements,<br />

selon les circonstances <strong>et</strong> pour<br />

des causes différentes, chez les uns <strong>et</strong> chez<br />

les autres.<br />

«L’amour est enfant de bohème...» Et que<br />

veut dire aimer quand la parole, la compréhension<br />

<strong>et</strong> la pensée sont activées de manière<br />

si singulière? L’absence d’attrait pour<br />

l’autre, ou alors le besoin de n’avoir que des<br />

contacts codés, s’il y en a, envahissent le tableau<br />

des relations possibles. De plus, ilselles<br />

ne supportent pas la spontanéité ni<br />

l’imprévu.<br />

Les anticipations qu’apportent habituellement<br />

des programmes d’éducation sexuelle<br />

sont assez inopérantes. Même pour ceux<br />

<strong>et</strong> celles dont le niveau intellectuel est plus<br />

élevé, les compréhensions sont ténues <strong>et</strong><br />

seuls les apprentissages pratiques peuvent<br />

constituer à la longue une connaissance<br />

peut-être fiable.<br />

Il est à noter que pour nous tous, dits<br />

mammifères évolués, dont le désir sexuel<br />

n’est plus uniquement guidé par l’ovulation<br />

de la femelle, l’art de séduire, de coordonner<br />

les gestes amoureux <strong>et</strong> d’accéder aux<br />

sensations de plaisir nécessitent un apprentissage<br />

conscient. Parler d’apprentissage<br />

sexuel pour certaines personnes autistes se<br />

justifie alors pleinement aussi. 1<br />

Une interrogation importante propre à<br />

l’autisme concerne la perception du plaisir<br />

<strong>et</strong> de la douleur. Les seuils d’acceptation diffèrent<br />

d’avec ceux de la population ordinaire.<br />

On remarque une hypersensibilité aux<br />

bruits <strong>et</strong> une intolérance aux caresses douces.<br />

Un canal sensoriel à prendre en compte<br />

pour eux est par contre celui de l’olfaction,<br />

c’est une porte à une érotisation possible,<br />

qui primerait sur la vue. Elle est évidemment<br />

à socialiser, étant donné qu’on ne peut laisser<br />

facilement une personne autiste humer<br />

les cheveux ou les habits des inconnus, ici<br />

ou là.<br />

Le goût pour l’indépendance ne constitue<br />

pas le fort des jeunes personnes autistes non<br />

plus, alors que la dissimulation est nécessaire<br />

aux adolescents ordinaires tenus de<br />

transgresser pour échapper au contrôle parental.<br />

C’est ainsi qu’il leur sera possible de<br />

couper 2 sainement le lien d’origine pour<br />

s’affirmer dans le clan des pairs, <strong>et</strong>, à terme,<br />

fonder leur propre cellule familiale distincte<br />

de la première.<br />

La personne autiste, elle, n’est pas douée<br />

pour mentir, ni pour les nuances intermé-<br />

TORSE (40 x 50 cm)<br />

diaires entre noir ou blanc, juste ou faux,<br />

permis ou interdit. Elle ne cache rien. Elle a<br />

besoin de continuité <strong>et</strong> de monotonie sécuritaire.<br />

De leur côté, ses parents responsables<br />

ont de la peine à lâcher le contrôle, par habitude,<br />

par souci de protection, en dépit de<br />

l’espoir qu’elle devienne autonome jusque<br />

dans ses gestes sexuels.<br />

Les gestes sexuels<br />

dans l’autisme<br />

Le rapprochement physique avec autrui<br />

est rarement recherché, tant affectivement<br />

que sexuellement, car le monde est déjà bien<br />

suffisamment complexe pour eux dans les<br />

limites de leur mode de perception particulier.<br />

Une <strong>sexualité</strong> de couple demeure exceptionnelle.<br />

Mais la crainte fantasmatique<br />

d’une éventuelle procréation sous-tend instinctivement<br />

le souci des familles, comme<br />

souvent en présence d’un handicap important.<br />

Elle est présente dans toute arrièrepensée<br />

sur le sexe!<br />

Par contre, les situations observées fréquemment<br />

<strong>et</strong> difficiles à gérer, relèvent de<br />

l’auto-érotisme, de ces masturbations désordonnées<br />

<strong>et</strong> inefficaces, compulsives voire<br />

mutilantes. En l’occurrence, les lésions sont<br />

davantage la conséquence des gestes répétés<br />

sur la peau <strong>et</strong> les muqueuses, plutôt qu’une<br />

intention délibérée de se nuire. C’est le cas<br />

pour ceux qui restent toujours en deçà du<br />

point de non r<strong>et</strong>our, dans le processus d’excitation<br />

qui mènerait à l’orgasme <strong>et</strong> ne peuvent,<br />

en l’absence d’un apprentissage spéci-<br />

fique, le dépasser sans assistance extérieure.<br />

Une telle compulsion les submerge en réponse<br />

à un appel physiologique informulable,<br />

<strong>et</strong> leur comportement génital n’est peutêtre<br />

même pas sexuel en soi. Cependant ces<br />

gestes auto-offensifs 3 vécus comme extrêmes,<br />

génèrent souvent la recherche urgente<br />

de solution.<br />

Une éducation à des savoirs-faire apaisants<br />

se pose désormais comme un droit.<br />

Des recommandations internationales le<br />

précisent depuis des années. Anticiper avec<br />

des informations <strong>et</strong> des injonctions précises<br />

pourrait être opérant. Eduquer avec le visionnement<br />

d’un film 4 qui représente un<br />

jeune homme en érection, respectivement<br />

une jeune femme, <strong>et</strong> qui démontre les stades<br />

d’une masturbation serait un pas utile de<br />

plus. Enfin, un accompagnement érotique 5 ,<br />

pour favoriser intelligemment <strong>et</strong> avec délicatesse<br />

le processus physiologique de la décharge<br />

orgastique, pourrait apporter une<br />

amélioration à la vie quotidienne de l’homme<br />

ou de la femme autiste, ainsi que de tout<br />

son entourage dépassé, sinon épuisé.<br />

Des préludes sensoriels, des caresses,<br />

pour une cour progressive, pensée <strong>et</strong> préméditée,<br />

sont très rares dans ce trouble. Par<br />

contre, ils apprécient d’être serrés <strong>et</strong> contenus,<br />

pour ressentir leur enveloppe <strong>et</strong> leur<br />

masse corporelles. Certains peuvent ainsi<br />

avoir (ou du moins laisser voir) des gestes,<br />

apparemment sexuels, vigoureux, brusques<br />

<strong>et</strong> pas très habiles, connotés hâtivement de<br />

violence ou de tentative de viol par autrui. Il


s’agira d’aider l’entourage (<strong>et</strong> si possible ces<br />

personnes autistes) à donner du sens à ces<br />

maladresses inquiétantes, plutôt que de redoubler<br />

le rej<strong>et</strong>, les interdits <strong>et</strong> même la répression.<br />

Ne portons pas de jugement. Nos attitudes<br />

ont pu être répressives aussi. Les temps<br />

changent. Il aura fallu 3-4 décennies d’ouverture<br />

progressive, publique, professionnelle<br />

<strong>et</strong> internationale sur ces suj<strong>et</strong>s difficiles pour<br />

que la donne se modifie: que la compréhension<br />

remplace les peurs <strong>et</strong> que l’action se<br />

libère.<br />

Conclusions <strong>et</strong> perspectives<br />

Tentons d’offrir aux personnes autistes<br />

une attitude sereine, sans s’épuiser en luttes<br />

stériles contre ce qu’elles donnent à voir.<br />

Entraînons-nous à réfléchir en famille, <strong>et</strong> en<br />

équipe de travail, <strong>et</strong> à ne plus juger au premier<br />

degré, mais à chercher à m<strong>et</strong>tre du<br />

sens, avec tendresse <strong>et</strong> humanité.<br />

Parce qu’elles peuvent difficilement «faire<br />

mieux»!<br />

Ces actes inesthétiques, générateurs de<br />

dégoût aussi, parce que d’une intimité qui<br />

n’est pas la nôtre, nous choquent... <strong>et</strong> c’est<br />

normal d’être choqué, dans un premier<br />

temps.<br />

Maîtriser <strong>et</strong> dépasser ces réactions normales,<br />

dans un deuxième temps, devient<br />

possible en acceptant consciemment la<br />

transgression qui est d’observer les comportements,<br />

d’en parler <strong>et</strong> d’aménager des<br />

aides progressives:<br />

• Dans les institutions <strong>et</strong> dans les centres<br />

d’accueil par le travail, par exemple, les<br />

cultures professionnelles responsables, y<br />

compris les commissions d’architecture,<br />

pourraient inclure des lieux de repos où<br />

ils demeureraient tranquilles, par moments.<br />

• Une approche corporelle de base sans<br />

visée érotique, prévue pour le bien-être<br />

général <strong>et</strong> l’apprentissage du ressenti,<br />

pourrait figurer dans la panoplie des<br />

outils éducatifs. Des expériences, issues,<br />

entre autres, de la pratique du shiatsu,<br />

apportent d’encourageants témoignages.<br />

• Pour les personnes qui en ont besoin,<br />

prévoir un apprentissage auto-érotique<br />

adapté avec une équipe formée, en partenariat<br />

avec un ou une accompagnant-e<br />

érotique sachant transm<strong>et</strong>tre ses habil<strong>et</strong>és,<br />

<strong>et</strong> soutenu par une supervision pour<br />

le groupe institutionnel impliqué. Ce proj<strong>et</strong><br />

est opérationnel en Suisse allemande<br />

– région de Bâle 6 <strong>et</strong> encore en musique<br />

d’avenir (proche!) pour la Romandie:<br />

une formation spécifique devrait débuter,<br />

elle attend des sponsors. Des renseignements<br />

sont déjà possibles auprès de l’Association<br />

SEHP Suisse (Sexualité <strong>et</strong> handicaps<br />

pluriels). 7<br />

Enfin, grâce à tout ce que vous, parents,<br />

entreprendrez pour (re-)trouver <strong>et</strong> renforcer<br />

votre propre bien-être global, tous vos<br />

enfants, <strong>et</strong> pas seulement votre fils ou votre<br />

fille atteint-e d’autisme, en auront un bénéfice<br />

en ricoch<strong>et</strong>. Ceci vaut tout autant pour<br />

l’entourage professionnel qui accompagne<br />

la personne autiste.<br />

Ce travail individuel libère de l’angoisse<br />

<strong>et</strong> favorise une prise de distance dans la<br />

proximité exempte de projection personnelle<br />

<strong>et</strong> d’interprétation automatique. Il légitime<br />

la prise en compte du sexuel dans le<br />

proj<strong>et</strong> de vie global des personnes autistes.<br />

Des modules de formation 8 ad hoc existent<br />

pour accompagner ces prises de conscience.<br />

Parents, fratries <strong>et</strong> professionnels, ne<br />

restons pas seuls pour cela, afin de ne pas<br />

laisser ces adolescents <strong>et</strong> ces adolescentes,<br />

ces hommes <strong>et</strong> ces femmes perdus dans le<br />

désert de leur corps.<br />

Françoise Vatré<br />

Sexo-pédagogue spécialisée<br />

Formatrice pour adultes<br />

Praticienne de shiatsu<br />

fvatre@sefan<strong>et</strong>.ch<br />

1 Hellemans, Hans, «L’éducation sexuelle des adolescents autistes» Bruxelles, 1996. Article disponible<br />

en ligne sur le catalogue d’AUTISME SUISSE<br />

2 secare en latin, origine du mot <strong>sexualité</strong><br />

3 Fischer-Hauchecorne, Aline, «Automutilations <strong>et</strong> auto-offenses dans la psychose <strong>et</strong> la déficience mentale»<br />

Mémoire pour le certificat d’Etudes spéciales de psychiatrie – Université de Bordeaux II – 1991 –<br />

Prix Gerse 1992<br />

4 Prof. Desjardins, Jean-Yves, «Erotisme au masculin» <strong>et</strong> «Erotisme au féminin», films didactiques,<br />

CISS – Montréal<br />

5 Agthe Diserens Catherine, Vatré Françoise, «Accompagnement érotique <strong>et</strong> handicaps» (voir encadré)<br />

6 www.fabs-online.org <strong>et</strong> info@fabs-online.org; voir l’article d’Aiha Zemp dans ce numéro, p. 26<br />

7 www.sehp-suisse.ch <strong>et</strong> sehp@sehp-suisse.ch<br />

8 Agthe Diserens Catherine, Vatré Françoise, «Du cœur au corps, formons-nous... puis formons-les»,<br />

Programme de formation d’adultes reconnu par le Centre Suisse de Pédagogie Spécialisée<br />

(CSPS-SZH – Lausanne-Lucerne) par l’attribution du Prix Suisse 2001<br />

AUTISMUS • AUTISME • AUTISMO – INFOS, N. 9, 11/2006<br />

Accompagnement érotique<br />

<strong>et</strong> handicaps. Au désir des corps,<br />

réponses sensuelles <strong>et</strong> sexuelles<br />

avec cœur.<br />

Catherine Agthe Diserens <strong>et</strong> Françoise<br />

Vatré, Préface Denis Vaginay, Postface<br />

Jean-François Malherbe, Dessins Gérard<br />

Liardon. Lyon: Chronique Sociale, 160 p.<br />

Sortie en janvier 2007.<br />

Toute idée nouvelle, surtout si elle est<br />

accompagnée de pratiques sociales<br />

inédites, suscite la méfiance, voire<br />

l’hostilité. L’accompagnement érotique<br />

des personnes vivant avec un handicap ne<br />

fait manifestement pas exception.<br />

Toutefois, il y a vingt ans, on n’osait pas y<br />

penser. Tapies dans la tranquille certitude<br />

qu’il est normal d’exclure une partie de<br />

leur population des pratiques sexuelles,<br />

nos sociétés définissaient plus ou moins<br />

clairement qui y avait droit ou pas, tout en<br />

instaurant des situations paradoxales<br />

dans le quotidien. Aujourd’hui, on en parle<br />

de plus en plus; des réflexions, des<br />

initiatives voient le jour. Des pratiques<br />

organisées <strong>et</strong> reconnues se sont mises en<br />

place dans certains pays: Allemagne,<br />

Hollande, Danemark, Suisse allemande...<br />

La révolution sexuelle <strong>et</strong> l’évolution<br />

radicale du regard portent sur le handicap<br />

<strong>et</strong> contribuent au changement. L’accompagnement<br />

érotique s’inscrit pleinement<br />

dans le processus d’intégration actuel,<br />

dans une dynamique de citoyenn<strong>et</strong>é<br />

partagée <strong>et</strong> promotrice d’un agir<br />

émancipatoire.<br />

Handicap <strong>et</strong> <strong>sexualité</strong>:<br />

Au risque du désir<br />

Un film de Bernard Romy avec Catherine<br />

Agthe Diserens; Les Films de la Côte,<br />

2006, 1 DVD, 43 mn.<br />

(voir le descriptif dans la rubrique IDS/CID<br />

de ce numéro, p. 30)<br />

Une bibliographie en allemand, français,<br />

italien, anglais est disponible sur le site<br />

d’AUTISME SUISSE www.autismesuisse.ch<br />

/ centre d’information <strong>et</strong> de documentation<br />

/ <strong>Autisme</strong>-Infos<br />

19<br />

<strong>Focus</strong>


20<br />

<strong>Focus</strong> AUTISMUS<br />

• AUTISME • AUTISMO – INFOS, N. 9, 11/2006<br />

«Il a toujours la main dans le pantalon...»<br />

Les singularités de l’éducation sexuelle spécialisée dans l’autisme<br />

Endri (prénom fictif), jeune homme albanais de 23 ans, vit avec<br />

un autisme qui ne lui perm<strong>et</strong> qu’une expression verbale très restreinte<br />

dans un corps en perpétuel mouvement. Endri glisse sans<br />

cesse sa main dans son pantalon, sur son sexe.<br />

L’équipe éducative qui l’accompagnait dans son quotidien de vie,<br />

ne supportait plus c<strong>et</strong>te main logée dans c<strong>et</strong>te zone intime... alors<br />

qu’elle aurait du être fonctionnelle pour quelques activités occupationnelles<br />

ou d’apprentissages.<br />

L’ambiance de vie était devenue tendue, les professionnel-le-s<br />

étaient exaspéré-e-s...<br />

J’avais été sollicitée, au nom de mes pratiques en sexo-pédagogie<br />

spécialisée, par la Direction de la structure accueillant ce jeune<br />

homme. Le proj<strong>et</strong> consistait d’une part en une collaboration avec les<br />

accompagnant-e-s dans leur action éducative, <strong>et</strong> d’autre part en un<br />

suivi individuel pour le jeune homme pour tenter une forme de<br />

socialisation de sa <strong>sexualité</strong>.<br />

Tentative de décryptage des besoins<br />

En supervision d’équipe, nous avons d’abord travaillé les différents<br />

niveaux émotionnels que chacun-e pouvait éprouver à la vue de<br />

la main d’Endri sur son sexe. Dans un climat de confiance mutuelle,<br />

nous avons décrypté qu’Endri ne se masturbait pas: il avait la main<br />

sur son sexe, il le manipulait certes de manière stéréotypée, mais<br />

non pas en l’excitant. Le sentiment général que son pénis n’était<br />

d’ailleurs pas en érection semblait faire p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it l’unanimité. A<br />

la suite de c<strong>et</strong>te révélation normalement rassurante pour les professionnels,<br />

les ressentis verbalisés relevaient déjà moins du dégoût <strong>et</strong><br />

du rej<strong>et</strong>. Tout se passait comme si Endri était investi comme moins<br />

pulsionnel <strong>et</strong> donc moins sexuel.<br />

Ce geste, néanmoins, ne pouvait être acceptable... ceci d’autant<br />

plus que le proj<strong>et</strong> individuel du jeune homme prévoyait un début<br />

d’intégration accompagnée dans le village.<br />

Puis, j’ai rencontré Endri, qui d’emblée n’a pas marqué d’inquiétude<br />

ou de surprise. Il ne m’a pas regardée ou seulement très brièvement,<br />

marchant toujours de long en large, sa main logée dans son<br />

pantalon. Après m’être présentée, je lui ai verbalisé que j’étais là à<br />

cause de «c<strong>et</strong>te main toujours dans son pantalon». En même temps,<br />

je lui présentais un dessin très sobre qui m<strong>et</strong>tait en scène un homme<br />

dans la même situation que lui. Il s’est alors aussitôt arrêté de bouger,<br />

bien que ne regardant pas le support pédagogique. C’est au travers<br />

de c<strong>et</strong>te première séance que j’ai senti à quel point c<strong>et</strong>te main<br />

n’allait pas là pour des sensations sexuelles mais qu’elle se logeait là<br />

comme une réassurance, comme un geste ritualisé.<br />

J’ai encore nommé à voix haute bon nombre de parties du corps,<br />

<strong>et</strong> à chaque fois j’ai ajouté qu’à La Bohême (nom fictif) «Endri pouvait<br />

devant tout le monde toucher sa tête, toucher ses bras, toucher<br />

son ventre, <strong>et</strong>c.» mais qu’en dehors de sa chambre «Endri ne pouvait<br />

pas toucher son pénis, toucher ses fesses sous le pantalon». En même<br />

temps je renforçais mes mots avec les images correspondantes.<br />

Une forme d’éducation sexuelle spécialisée<br />

Nous avons travaillé sur plusieurs séances, toujours avec les<br />

mêmes termes <strong>et</strong> dessins. Ces séquences éducatives <strong>et</strong> pédagogiques<br />

relèvent d’une approche de type plutôt comportementaliste. Il s’agit<br />

néanmoins d’éducation sexuelle spécialisée, très adaptée, comme<br />

elle se conçoit toujours dans les situations d’autisme.<br />

Parallèlement à ces deux cheminements, j’ai demandé à rencontrer<br />

les parents du jeune homme, eux-mêmes démunis par ce comportement<br />

très réprouvé dans leur culture. Ils ont exprimé que lorsque<br />

Endri avait commencé ce geste, ils avaient tenté de le modifier à<br />

l’aide de punitions, de récompenses, de pantalons fortement serrés<br />

pour qu’il ne puisse plus se reproduire... <strong>et</strong> finalement, le père<br />

désespéré avait déclaré à son fils que son zizi était malade <strong>et</strong> qu’on<br />

le lui couperait!<br />

C<strong>et</strong>te précieuse indication m’a permis d’ajouter à c<strong>et</strong>te éducation<br />

sexuelle spécialisée les ingrédients suivants: «Endri, votre sexe est en<br />

bonne santé, il ne peut pas être coupé, c’est un sexe d’homme comme<br />

celui de tous les hommes. Il n’est pas nécessaire de vérifier s’il<br />

est toujours là».<br />

L’équipe éducative, tout en r<strong>et</strong>irant la main d’Endri, devait répéter<br />

ce message afin qu’il prenne un sens dans le contexte du quotidien.<br />

Je proposai aux parents de renforcer encore c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> en utilisant les<br />

mêmes phrases... mais au nom de leur culture, ces mots ne leur<br />

étaient simplement pas possibles.<br />

Par contre, le père accepta de dire régulièrement à son fils, tout en<br />

lui r<strong>et</strong>irant la main du pantalon, qu’«il ne lui couperait jamais le zizi».<br />

Enfin, <strong>et</strong> puisque les professionnel-le-s reconnaissaient à ce jeune<br />

homme le droit de se toucher intimement (avec ou sans érection,<br />

avec ou sans plaisir) dans sa chambre, nous avons valorisé ce geste<br />

intime comme autorisé dans ce lieu.<br />

Pour y parvenir, nous avons utilisé des photos des lieux communautaires<br />

<strong>et</strong> du lieu de vie privé à La Bohême sur lesquelles Endri<br />

pouvait déposer une poupée sexuée masculine (beau matériel didactique,<br />

conçu pour des adultes en situation de handicap) dans sa<br />

nudité ou habillée, selon le contexte adéquat.<br />

C’est le chemin... qui est le but!<br />

Ce suivi individuel a nécessité 6 séances en ma présence.<br />

Endri semble avoir intégré les messages, puisqu’il peut actuellement<br />

rester une demi-journée sans se toucher de manière inadéquate. Il<br />

reprend parfois ce geste lors de moments d’inactivité trop longs.<br />

Ce dernier constat est interpellant: au nom de la socialisation<br />

dans l’intégration, lesquelles des expressions singulières de la <strong>sexualité</strong><br />

des personnes autistes leur sont-elles vraiment autorisées?<br />

Catherine Agthe Diserens<br />

Sexo-pédagogue spécialisée<br />

Formatrice pour adultes<br />

Chargée d’enseignement ponctuel dans les HES Romandes, en Faculté de<br />

Psychologie <strong>et</strong> des Sciences de l’Education à l’Université de Genève <strong>et</strong> en Faculté<br />

de Médecine à l’Université de Lausanne

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