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Blanqui, Adolphe (1798-1854). Histoire de l'économie politique en ...

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HISTOIRE<br />

DE<br />

L'ÉCONOMIE POLITIQUE<br />

EN EUROPE.


*<br />

SAINT-DEXI?. - TYPOGRAPHIE DE A. hIOL'LIX, SUCCL' DE il. DROl!,iRD.<br />

-4mP-


HISTOIRE<br />

L'ÉCONOMIE POLITIQUE<br />

EN EUROPE<br />

DEPUIS LES ANCIENS JUSQU'A NOS JOURS<br />

SUIVIE<br />

D'UNE BIBI,IOGI1APHIE KAISONNkE DES PRINCIPAUX OUVRAGES<br />

D'ÉCONOMIE POLITIQUE<br />

PdR<br />

BLANQUI<br />

MBDIRRT. DF, L'IXSTITC'F ,<br />

Qilatr-ièrrie Édition revue et annotée<br />

TOkiE PREMIER<br />

PARIS<br />

GUILLAUMIN ET ClK, LIBRAIRES<br />

Editeurs du Journal <strong>de</strong>s Économistes, <strong>de</strong> la Collection <strong>de</strong>s principaux con omis tes,<br />

du ü8ioriomo~i.e <strong>de</strong> I'Eeononiie politiqua,<br />

du Dictionnai~e universcl du Commerce ct dc ln Navigatioli, etc.<br />

RUE nlCIIELIEU, 44<br />

1860


II n'est peut-être pas inutile <strong>de</strong> faire connaître ici le<br />

motif qui m'a conduit & <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre cet ouvrage. Ap-<br />

pelé, il y a <strong>en</strong>viron douze années', à la chairc d'his-<br />

toire et d'économie <strong>politique</strong> <strong>de</strong> l'Ecole spéciale du Com-<br />

merce, que je dirige aujourd'hui, je ne tardai point à<br />

m'apercevoir qu'il existait <strong>en</strong>tre ces <strong>de</strong>ux sci<strong>en</strong>ces <strong>de</strong>s<br />

rapports tellem<strong>en</strong>t intimes, qu'on ne pouvait les étudier<br />

l'me sans l'autre, ni les approfondir séparém<strong>en</strong>t. Elles<br />

se priit<strong>en</strong>t un appui <strong>de</strong> tous les instants ; la première<br />

fournit lcs faits ; Ia secon<strong>de</strong> <strong>en</strong> explique les causes et <strong>en</strong><br />

déduit les conséqu<strong>en</strong>ces. A mesure que j'avançais dans<br />

l'esposition <strong>de</strong>s doctrines, les exemples me faisai<strong>en</strong>t<br />

faute ; ct l'btu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>meurait à son tour<br />

incomplète, tant que <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> n'était pas<br />

v<strong>en</strong>ue l'éclairer. Peu à peu, <strong>en</strong> rapprochant et <strong>en</strong> forti-<br />

fiant l'un par l'autre les travaux <strong>de</strong> mes <strong>de</strong>ux cours, je<br />

fus am<strong>en</strong>6 à la r<strong>en</strong>contre d'une foule <strong>de</strong> préjugés qui<br />

passai<strong>en</strong>t pour <strong>de</strong>s vérités reconnues, m&me aux yeux<br />

4 La première Bdilion <strong>de</strong> cet ouvrage a 614 publibe <strong>en</strong> 1839.<br />

'y *DIT. T. 1. 1


2 IFTRODUCTION.<br />

<strong>de</strong>s hommes les plus instruits et les plus avancés. C'est<br />

ainsi que les autcurs <strong>de</strong> tous les traités d'Économie poli-<br />

tique, sans exception, ne faisai<strong>en</strong>t pas remonter la<br />

sci<strong>en</strong>ce au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s premiers essais <strong>de</strong> Quesnay et <strong>de</strong><br />

Turgot, comme si jamais, avant Ies ouvrages <strong>de</strong> ces<br />

hommes célébres, aucun écrit systématique n'avait<br />

appelé l'att<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s savants et <strong>de</strong>s hommes d'État sur<br />

les phénomènes <strong>de</strong> la production <strong>de</strong>s richesses.<br />

Je m'attachai, dès lors, à rechercher avec sollicitii<strong>de</strong><br />

dans les histori<strong>en</strong>s <strong>de</strong>'tousles &es les faits les plus inté-<br />

ressants pour l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s questions économiques et so-<br />

ciales. J'eus bi<strong>en</strong>tôt trouvé <strong>de</strong>s pauvres à Rome et<br />

à Athènes, comme il y <strong>en</strong> a à Paris et à Londres ; et il<br />

me faut avouer que les priviléges, les impôts, les vexa-<br />

tions fiscales n'étai<strong>en</strong>t pas plus rares chez les anci<strong>en</strong>s<br />

que <strong>de</strong> nos jours. Alors, comme aujourd'hui, le moindre<br />

éclair <strong>de</strong> paix et <strong>de</strong> liberté était suivi d'une pluie <strong>de</strong> ri-<br />

chesses et <strong>de</strong> prospérités ; les mémes causes, <strong>en</strong>fin, pro-<br />

auisai<strong>en</strong>t les mémes effets, malgré la différ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s<br />

mœurs et <strong>de</strong>s institutions. La détresse <strong>de</strong>s peuples se re-<br />

connaft toujours à l'inégalité <strong>de</strong>s charges, à la distribu-<br />

tion vicieiise <strong>de</strong>s profits du travail, età Ia prédominance<br />

<strong>de</strong>quelques castes ingénieuses à placer les abus sous la<br />

protection <strong>de</strong> la loi.<br />

Mais le mon<strong>de</strong>n'est pas toujours <strong>de</strong>meuré indiffér<strong>en</strong>t,<br />

<strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ces calamites sociales, et plus d'une fois<br />

<strong>de</strong> magnanimes protestations ont éclaté, dans le cours<br />

<strong>de</strong>s siècles, <strong>en</strong> faveur <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l'humanité méconnus.<br />

Quelques nobles souverains se sont associés à ces efforts,<br />

tantôt suivis avec persévérance, tantôt interrompus par<br />

le malh<strong>en</strong>r<strong>de</strong>s temps. Il y adonc eu iine économie <strong>politique</strong><br />

chez les anci<strong>en</strong>s comme chez les mo<strong>de</strong>rnes, non pas une<br />

économie <strong>politique</strong> systématique et formulée, mais res-


iNTRODUCTION. 3<br />

sortant <strong>de</strong>s actes et pratiquée avant d'être écrite. Telle<br />

a été, d'ailleurs, la marche <strong>de</strong> toutes les sci<strong>en</strong>ces <strong>de</strong>puis<br />

l'origine <strong>de</strong>s sociétés. Les preiiliers v<strong>en</strong>us conçoiv<strong>en</strong>t,<br />

agiss<strong>en</strong>t, exécut<strong>en</strong>t ; les <strong>de</strong>rniers arrivés raisonn<strong>en</strong>t,<br />

complèt<strong>en</strong>t et amélior<strong>en</strong>t l'ceuvre <strong>de</strong> leurs <strong>de</strong>vanciers.<br />

Pour bi<strong>en</strong> apprécier les travaux <strong>de</strong>s économistes mo<strong>de</strong>rnes,<br />

il conv<strong>en</strong>ait donc <strong>de</strong> connaître les principales phases<br />

du mouvem<strong>en</strong>t social qui se continue <strong>de</strong>puis les anci<strong>en</strong>s<br />

au travers <strong>de</strong>s ré;volutions, et qui prés<strong>en</strong>te dans sa marche<br />

tant <strong>de</strong> glorieux élans et <strong>de</strong> péripéties dramatiques.<br />

C'est ce mouvem<strong>en</strong>t que j'ai essayé <strong>de</strong> retracer dans<br />

l'ouvrage que j'offre au public. Les grands États <strong>de</strong> l'antiquité<br />

et ceux du moy<strong>en</strong> âge ne sont pas tombés sans<br />

motifs ; tant <strong>de</strong> richesses n'ont été ni créées, ni détruites<br />

sans que leur création et leur anéantissem<strong>en</strong>t se rattach<strong>en</strong>t<br />

9 <strong>de</strong>s causes suseéptibles d'analyse et dignes <strong>de</strong><br />

méditation. Il est même impossible <strong>de</strong> ne pas reconnaître<br />

le doigt <strong>de</strong> la Provi<strong>de</strong>nce dans ces transformations successives<br />

du principe social, qui se réfugie tant& dans une<br />

institution, tantût dans une autre, sans distinction <strong>de</strong><br />

temps ni <strong>de</strong> lieu, comme pour se t<strong>en</strong>ir sans cesse à la disposition<br />

et au service <strong>de</strong> l'humanité. Ici, c'est un grand<br />

homme qui conserve le feu sacré; ailleurs, c'est un esclave<br />

qui essaye <strong>de</strong> le rallumer : Sosrates à Athènes,<br />

Spartacus à Rome. Du sein même <strong>de</strong> la barbarie jailliss<strong>en</strong>t<br />

les premières lueurs du tra~rail et <strong>de</strong> l'ordre : Charlemagne<br />

dompta le flot qui l'avait apporté; les villes<br />

anséatiques s'élevèr<strong>en</strong>t du fond <strong>de</strong>s marais qui servai<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> retraite à la piraterie.<br />

Le système féodal, si funeste aux travailleurs asservis<br />

à la glèbe, est tout plein d'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts précieux pour<br />

<strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>. C'était la division extrême <strong>de</strong> la<br />

souveraineté, comme nous assistons h la division plus


extrême <strong>de</strong> la propriélé. L'empire romain, un moineilt<br />

reconstitué par Charlemagne, avait vu la ceiitralisatioil<br />

poussbe a11 <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>gré; la féodalité nous fera voir<br />

cette gran<strong>de</strong> puissance <strong>politique</strong> réduite <strong>en</strong> atonies. Ici<br />

nous assisterons ailes syiitlièses gigantesques; ailleurs à<br />

<strong>de</strong>s analyses presque niicroscopiques. Quelle différ<strong>en</strong>ce<br />

lie <strong>de</strong>vait-il pas y avoir <strong>en</strong>tre <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> du<br />

chef <strong>de</strong> quarante millions <strong>de</strong> sujets et celle d'un hobe-<br />

reau planant sur la campagne du haut <strong>de</strong> son donjon !<br />

filais, <strong>en</strong> haine <strong>de</strong> ce donjon, les bourgeois comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t<br />

ft se blottir dans les villes, à s'organiser <strong>en</strong> confréries, et<br />

' à se faire respecterpar le nombre. On aie leurpr<strong>en</strong>d plus<br />

leur arg<strong>en</strong>t, on le leur emprunte ; et, <strong>de</strong> ce fait <strong>en</strong> appa-<br />

r<strong>en</strong>ce insignifiant, ressort pour l'économiste ,l'explication<br />

<strong>de</strong> tout un nouvel ordre social.<br />

J'ai suivi pas a pas ces grands événem<strong>en</strong>ts, et il m'a<br />

sembl;. que <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s n'avait pas<br />

d'autres prét<strong>en</strong>tions que celle <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes. Dans toutes<br />

les révolutions, il n'y a jamais eu qiic <strong>de</strong>ux partis <strong>en</strong>pré-<br />

s<strong>en</strong>ce : celui <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s qui veul<strong>en</strong>t vivre <strong>de</strong> leur travail et<br />

celui <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s quiveiilcnt vivredu travaild'autrui. Onne<br />

se dispute le pouvoir et les honneurs que pour se reposer<br />

dans cette région <strong>de</strong> béatitu<strong>de</strong>, où le parti vaincu ne<br />

laisse jamais dormir tranquillem<strong>en</strong>t les vainqiieurs.<br />

Patrici<strong>en</strong>s et plébéi<strong>en</strong>s, esclaves et affranchis, guelfes et<br />

gibelins, roses rouges et roses blanches, caoaliers et têtes<br />

ron<strong>de</strong>s, libéraux et serviles, ne sont que <strong>de</strong>s variétés <strong>de</strong><br />

la inkiiie espèce. C'est toujours la question du bi<strong>en</strong>-être<br />

qui les divise, chacun voulant, si j'oçe me servir d'une<br />

expression vulgaire, tirer la couverture 5 soi au. risque<br />

<strong>de</strong> découvrir son voisin. Ainsi, dans un pays, c'cst par<br />

l'impôt qu'on arrache au travailleur, sous prétexte du<br />

bi<strong>en</strong> <strong>de</strong> I'Etat, le fruit <strong>de</strong> ses sueurs; dans un autre,


c'est par les priviléges, <strong>en</strong> <strong>de</strong>(.larant le travail objet <strong>de</strong><br />

concession royale, et <strong>en</strong> faisant payer cher le droit <strong>de</strong> s'y<br />

livrer. I,e mémc abus se reproduit sous <strong>de</strong>s formes plils<br />

indirectes, mais non moins oppressives, lorsque, par le<br />

inoy<strong>en</strong> <strong>de</strong>s douanes, I'ktat Fartage avec les industries<br />

privilégiées les bénéfices <strong>de</strong>s taxes iinposécs à tolites<br />

celles qui ne le sont pas.<br />

Voyez les Romains dans les pays conqiiis ct les Espagnols<br />

dans leurs colonies d'Amérique : à plus <strong>de</strong> mille<br />

ans <strong>de</strong>'distance, vous retronvez le même mipris <strong>de</strong> la<br />

vic humairie, les ni&n~es paradoxes abomiriableç sur la<br />

nécessité pour les uns d'étre exploités par les autres.<br />

C'est que!qiie chose <strong>de</strong> plus affligeant que ce qui se<br />

passe parmi les animaux, dont les espbces dévorantes<br />

viv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s espèces dévorées, sans ériger du moins leur<br />

voracité <strong>en</strong> système, et parce qu'elles ne peiivcnt pas<br />

faire autrem<strong>en</strong>t. Toiites ces liorribles iniquités sociales<br />

se sont propaggées an travers <strong>de</strong>s âges, sous <strong>de</strong>s formes<br />

cliverses, qiielqiicfois adoiicies par le progrès <strong>de</strong> la raison<br />

hrimaine, mais tonjours vivaces au fond et partout soiit<strong>en</strong>ixs,<br />

tantbt avec audace, tantbt avec hj poerisie. Ici,<br />

c'èst Je clergé qui s'empare <strong>de</strong> tous les bi<strong>en</strong>s, et qui daigne<br />

faire l'aurriône an g<strong>en</strong>re humain clépossédé, meriaçant<br />

d'anatlième quiconque oserait trotibler le repos dc<br />

la maison <strong>de</strong> Dieu. Plus loin, la dîme apparti<strong>en</strong>t aux<br />

seigneurs, parce qu'ils sont <strong>de</strong>s seigneurs et qu'il n'y a<br />

pas <strong>de</strong> scigneurssans dîmes. Les 1iaysai:s se vcncl<strong>en</strong>t cricore<br />

<strong>en</strong> Russie comme ~ist<strong>en</strong>siles d'agriculture ', ct l'a-<br />

4 Parini les iniquités énuniér6es par l'auteur, <strong>en</strong> voilà une, du<br />

moins, qui cessera bi<strong>en</strong>tôt d'affliger l'Europe. La, sran<strong>de</strong> œuvre<br />

<strong>de</strong> l'émancipation <strong>de</strong>s scrfs a étB <strong>en</strong>treprise d'une main vigou-<br />

reuse par I'erripercur <strong>de</strong> Russie actuel, et tout porte à croire<br />

qu'elle ne SR réduira pas cette fois-ci, comme sous A!exandre 1'1,<br />

à <strong>de</strong>s int<strong>en</strong>tions stériles. hldlgr4 les l<strong>en</strong>teurs que doit <strong>en</strong>traîner


istocratie anglaise marchan<strong>de</strong> aux pauvres Irlandais<br />

quelques brins <strong>de</strong> paille, et quelques -pommes <strong>de</strong> terre<br />

qu'ils partag<strong>en</strong>t avec le bétail.<br />

11 n'y a donc pas si loin qu'on le p<strong>en</strong>se <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong><br />

<strong>politique</strong> grecque et romaine, cruelle, insatiable, inexo-<br />

rable, à <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> <strong>de</strong> plus d'un pays <strong>en</strong><br />

Europe. Dans notre belle France, si riche <strong>de</strong> pampres et<br />

<strong>de</strong> moissons, plusieurs millions d'hommes ne mang<strong>en</strong>t<br />

pas <strong>de</strong> pain, et ne boiv<strong>en</strong>t que <strong>de</strong> Seau. Le sel abon<strong>de</strong><br />

sous leurs pieds, mais l'impht pése sur leurs tbte's, et le<br />

gabelleur, I'odieux gabelleiir du moy<strong>en</strong> Age n'a fait que<br />

changer <strong>de</strong> nom et d'habit. Si Son découvre une plante<br />

nouvelle, le tabac par exemple, la loi <strong>en</strong> déf<strong>en</strong>dra la<br />

culture. C'est le cas <strong>de</strong> s'écrier Fec Rousseau : Tout est<br />

bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> sortant <strong>de</strong>s mains du Créateur; tout dégénère<br />

<strong>en</strong>tre les mains <strong>de</strong> l'homme. Ces pauvres filles <strong>de</strong> Lyon,<br />

dont les doigts <strong>de</strong> fée tiss<strong>en</strong>t le satin et la popeline n'ont<br />

pas <strong>de</strong> chemises; les canuts qui décor<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l<strong>en</strong>rs t<strong>en</strong>-<br />

tures magnifiques nos palais et nos temples, manqu<strong>en</strong>t<br />

souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sabots.<br />

Non, ce n'est point là le <strong>de</strong>rnier mot, <strong>de</strong>la Provi<strong>de</strong>nce,<br />

car <strong>de</strong> ceux qui jadis aurai<strong>en</strong>t été attachés haletants à la<br />

glèbe, plusieurs viv<strong>en</strong>t aujourd'hui au sein <strong>de</strong> l'opu-<br />

l<strong>en</strong>te, et ce nombre augm<strong>en</strong>te tous les jours. II n'y a<br />

pas un événem<strong>en</strong>t important <strong>de</strong> l'histoire qui ne con-<br />

coure à ce grand résultat. Après les croisa<strong>de</strong>s, la terre<br />

comm<strong>en</strong>ce à se diviser ; le commerce maritime ouvre <strong>de</strong><br />

nouvelles sources <strong>de</strong> profits; l'industrie émancipe <strong>de</strong>s<br />

nécessairem<strong>en</strong>t une reforme aussi radical; et la resistance que lui<br />

oppose une partie <strong>de</strong> la noblesse, on peut espérer que, d'ici à nn<br />

petit nombre d'annees,. les paysans russes, non-seiilem<strong>en</strong>t auront<br />

acquis le droit <strong>de</strong> disposer librem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur personne, mais qu'ils<br />

jouiront aussi <strong>de</strong> la proprieté foncière et <strong>de</strong> la liber16 du travail.<br />

(Note <strong>de</strong> l'Éditeur.)<br />

'


INTRODUCTION. 7<br />

milliers <strong>de</strong> vassaux. ~coutez<br />

les doléances <strong>de</strong>s peuples :<br />

que <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt-ils, quand ils élèv<strong>en</strong>t la voix? Des rS-<br />

ductions <strong>de</strong> taxes. Qiie voulai<strong>en</strong>t ces paysans effarés <strong>de</strong><br />

la Jacquerie, las <strong>de</strong> se voir décimés par la famine, par<br />

la lèpre et par le désespoir? Une distribution plus éqiii-<br />

table <strong>de</strong>s profits du travail. Ils étai<strong>en</strong>t plus mo<strong>de</strong>ste <strong>en</strong>-<br />

core, iIs <strong>de</strong>mandai<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s qui ne travaillai<strong>en</strong>tpas,<br />

<strong>de</strong> les laisser vivre au moins <strong>de</strong> la plus humble part du<br />

fruit <strong>de</strong> leurs sueurs. 1,es premiers qui eur<strong>en</strong>t cette au-<br />

dace périr<strong>en</strong>t dans les tortures, comme la chose se fùt<br />

passée à Rome si quelquc esclave avait osé <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r le<br />

moindre droit à son maftre.<br />

Ainsi apparaiss<strong>en</strong>t à l'économiste toutes les luttes,<br />

dont les détails sanglants rempliss<strong>en</strong>t les pages <strong>de</strong> l'his-<br />

toire. Ce serait une gran<strong>de</strong> erreur <strong>de</strong> supposer que la<br />

p<strong>en</strong>sée vraim<strong>en</strong>t religieuse du bi<strong>en</strong>-&tre général ait passé<br />

inaperçue au travers <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux mille ans <strong>de</strong> guerres st<br />

d'efforts soutcnus pour la faire triompher. On verra<br />

dans le cours <strong>de</strong> cet ouvrage, que, plus d'une fois, le<br />

nuage qui la dérobait aux regards <strong>de</strong>s peuples s'était<br />

dissipé pour les gouvernem<strong>en</strong>ts d'élite, chargés <strong>de</strong>s <strong>de</strong>s-<br />

tinées <strong>de</strong> la civilisation. La plupart ont dû agir d'une<br />

manière empirique, et sans proclamer leurs projets, <strong>de</strong><br />

peur <strong>de</strong> les faire échouer ; d'autres ont obéi, sans s'<strong>en</strong><br />

dotiter, à la loi du progrès qui les <strong>en</strong>traînait malgré<br />

eux : mais jamais il n'y a eu disette complète d'hommes<br />

<strong>de</strong> cœur pour accbldrer ce grand œuvre, et j'ai été sur-<br />

pris plus d'une fois, <strong>en</strong> parcourant l'histoire, <strong>de</strong> la har-<br />

diesse et <strong>de</strong> la netteté <strong>de</strong> leurs vues.<br />

Les Capitulaires <strong>de</strong> Charlemagne, les institutions <strong>de</strong><br />

' saint Louis, les maximes du gouvernem<strong>en</strong>t commercial<br />

<strong>de</strong>s républiques itali<strong>en</strong>nes sont tout pleins <strong>de</strong> disposi-<br />

tions claires et précises, ayant pour but le développe-


8 INTRODUCTION.<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la richessc publique, selon les Iiimiiircs et les<br />

prdjugés clil temps, sans doute, nxiis dans Ics int<strong>en</strong>tioiis<br />

les pliis gbnbreuses et les plus élevées. Au sein <strong>de</strong>s as-<br />

semblées privées et publiques qui consacrai<strong>en</strong>t leurs<br />

discussions aux affaires, <strong>de</strong>s avis remarquables fur<strong>en</strong>t<br />

souv<strong>en</strong>t énoncés; j'ai eu occasion <strong>de</strong> citer <strong>de</strong>s fragm<strong>en</strong>ts<br />

très-curieux <strong>de</strong> ces opinions sci<strong>en</strong>tifiques. Si ces pro-<br />

ductions ne sont pas plus connues, c'est que jusqc'à nos<br />

jours les lecteurs ont préféré la narration <strong>de</strong>s faits à l'a-<br />

nalyse sévère <strong>de</strong>s causes qui les ont am<strong>en</strong>és. D'ailleurs<br />

ces Bcrits, examinés isolém<strong>en</strong>t, ne sembl<strong>en</strong>t pas prbs<strong>en</strong>-<br />

ter une gran<strong>de</strong> importance ; c'est seulem<strong>en</strong>t qrinnd on<br />

les compare <strong>en</strong>tre eux et qu'on les étudie dans iiii ordre<br />

mbthodiqiie, qu'ils représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t l'ericbaine-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s doctrines économiqiies adoptées à chaque<br />

époque m6morablecomme règle <strong>de</strong> conduite par les gou-<br />

vernem<strong>en</strong>ts.<br />

Parfois, lorsque après <strong>de</strong> longues discor<strong>de</strong>s, les <strong>de</strong>iix<br />

principes <strong>de</strong> l'exploitation et <strong>de</strong> la liberté sembl<strong>en</strong>t près<br />

<strong>de</strong> succomber l'un <strong>de</strong>vant l'antre, et SC font pour ainsi<br />

dire une <strong>de</strong>rnière sommation, le problCme social appa-<br />

raît dans toute sa simplicité, tel. que nos pères le posè-<br />

r<strong>en</strong>t dans la fameuse nuit dn 4 août 1789 ; tel que I'a-<br />

vai<strong>en</strong>t déjh soumis il Charles-Quint les communes d'Es-<br />

pagne insurgées par Padillaî; tel <strong>en</strong>fin qu'il t<strong>en</strong>d à se<br />

.formuler <strong>de</strong>vant les communes d'Angleterre <strong>de</strong>puis la<br />

réforme <strong>de</strong> 1832. Toutes les théories <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> poli-<br />

tique se réduis<strong>en</strong>t alors à <strong>de</strong> courtes maximes qui la ré-<br />

sum<strong>en</strong>t clairem<strong>en</strong>t aux yeux <strong>de</strong>s peuples : liberté <strong>de</strong><br />

travailler, liberté d'user <strong>de</strong> son travail. La réformation<br />

protestante, l'insurrection <strong>de</strong>s Pays-Bas contre Phi-<br />

4 Voir le chapitre xxi <strong>de</strong> celte lfistoirc.


IN RoDLÇTIO'i 9<br />

Jippe 11, I'émancipatiori <strong>de</strong>s coloitics américaines du<br />

Nord et du Sud, les guerres civiles et les gucrres étrangères<br />

ne sont que <strong>de</strong>s symptômes dc ce nlouvem<strong>en</strong>t irrésistible<br />

qui <strong>en</strong>trairie l'fiurnariité . J'ai p<strong>en</strong>sé qu'il valait<br />

mieux <strong>en</strong> signaler a ~cc exactitu<strong>de</strong> les principales pliases<br />

économiques, que <strong>de</strong> nhgliger l'histoire europb<strong>en</strong>ne tout<br />

<strong>en</strong>tière, et <strong>de</strong> faire comm<strong>en</strong>cer presque avec notre siècle<br />

une sci<strong>en</strong>ce aussi anci<strong>en</strong>ne que les sociétés.<br />

Cette marche m'eût été prescrite par un simple s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />

d'équité, qua~d la natiire <strong>de</strong> mon sujet ne m'<strong>en</strong><br />

eUt pas fait un <strong>de</strong>voir. C'est unc erreur <strong>de</strong> croire que,<br />

même <strong>en</strong> ne t<strong>en</strong>ant aucun compte <strong>de</strong>s systèmes essayés<br />

par les goiiverncm<strong>en</strong>ts, l'éconon~ie <strong>politique</strong> date seulcmcnt<br />

<strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> moitié di1 dix-11uitième siècle. l'lus<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux c<strong>en</strong>ts ans auparavaul, l'Italie ai ait T'U paraitrc<br />

<strong>de</strong>s traités fort remarqi~sblcs sur une foulc <strong>de</strong> sujets<br />

sphciaux qui cn dépcndcnt. Les répiibliques <strong>de</strong> Veiiisc,<br />

dc Gkrics, (le Flor<strong>en</strong>ce ssvaierit trop hi<strong>en</strong> con~ii~cilt on<br />

rnulliplic les richesses pour n'al oir pas laissé <strong>de</strong> ho115<br />

csem~)lcs ii saivre et <strong>de</strong> bons livres iiconsulter. Plusieurs<br />

comptes r<strong>en</strong>dus <strong>de</strong> leurs doges et <strong>de</strong> leurs po<strong>de</strong>stats<br />

pourrai<strong>en</strong>t aller <strong>de</strong> pair avcc les nlcssagcs Irs plus cornplcts<br />

dcsprési<strong>de</strong>nts américains. J'ai cit6 1 un discours du .<br />

dogc Moncci~igo empreint <strong>de</strong>s niasimes éconoii~iques les<br />

plus judi'ciciiscs et un budget <strong>de</strong> Flor<strong>en</strong>ce, plus clair et<br />

plus circonstanci6 dans sa biiè\eté que ne le sont les<br />

nôtres dans leurs indécliiffrabics colonitcs. Et le systbrne<br />

<strong>de</strong> Law, que nos aut<strong>en</strong>rs aî[èc:ei~t <strong>de</strong> rejeter dans Ics<br />

temps héroiqu~! <strong>de</strong> 1'écoaom;c po!iticjue, qu'@tait-cc<br />

donc, sinon l'aurore ciicore incertaine ct douteuse du<br />

crédit public ct privé, tel qu'il se dévc~oppc <strong>de</strong> nos<br />

4 Chapitre xx.


1 0 INTRODUCTION.<br />

jours ? Quoi ! les belles réformes financières <strong>de</strong> Sully,<br />

les essais hardis <strong>de</strong> Colbert, le fameux acte <strong>de</strong> naviga-<br />

tion <strong>de</strong>s Anglais, passerai<strong>en</strong>t inaperçus avec la révolution<br />

causée par les croisa<strong>de</strong>s, avec les vastes opérations <strong>de</strong>s<br />

Juifs, avec le bouleversem<strong>en</strong>t monétaire qui suivit la<br />

découverte du Nouveau-Mon<strong>de</strong> !<br />

Si l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s causes qui ont ral<strong>en</strong>ti ou développé le<br />

progrès <strong>de</strong> la richesse publiqiie n'était autre chose<br />

qu'une simple affairc d'aritlimétique, il ne serait peut-<br />

étre pas indisp<strong>en</strong>sable <strong>de</strong> remonter si haut ; je n'aurais<br />

compté pour ri<strong>en</strong> l'avénem<strong>en</strong>t du christianisme, etje me<br />

serais borné à un simple exposé <strong>de</strong>s belles dissertations<br />

<strong>de</strong>s économistes sur la caleur et sur l'utilité. Mais c'est<br />

parce que j'ai cru voir dans 1'i.conomie <strong>politique</strong> ilne<br />

sci<strong>en</strong>ce vraim<strong>en</strong>t sociale, plutôt qu'une théorie (le<br />

finances, que j'ai voulii montrer, aussi loin que la vue<br />

<strong>de</strong> l'homme peut s'ét<strong>en</strong>dre, le fil provi<strong>de</strong>ntiel qui dirige<br />

Ics peuples dans l'accomplissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>stinée. Je<br />

crois fermem<strong>en</strong>t qu'un jour il n'y aura plus <strong>de</strong> Parias<br />

au banquet <strong>de</strong> la vie, et je puise cette espérance dans<br />

l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'histoire qui nous montre les générations<br />

marchant <strong>de</strong> conquête <strong>en</strong> conquéte dans la carrière <strong>de</strong><br />

la civilisation. Par le chemin qii'on a fait, je juge celui<br />

qu'on doit faire <strong>en</strong>core, et quand je vois le travail<br />

échappé <strong>de</strong>s bagnes romains se réfugier dans le servage<br />

féodal, puis s'organiser dans les corporations et s'élancer<br />

au travers <strong>de</strong>s mers sur les ailes du commerce, pour se<br />

reposer <strong>en</strong>fin à l'ombre <strong>de</strong>s libertés <strong>politique</strong>s, je s<strong>en</strong>s<br />

qu'il y a dans la sci<strong>en</strong>ce économique autre chose que<br />

<strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> mots, et j'espère qu'on me pardonnera<br />

d'avoir esquissé à grands traits l'histoire <strong>de</strong> sa marche<br />

au travers <strong>de</strong>s nations et <strong>de</strong>s Ages.<br />

Le premier volume conti<strong>en</strong>t cet exposé <strong>de</strong>puis les an-


INTRODUCTION. 11<br />

ci<strong>en</strong>s jusqu'auministère <strong>de</strong> Colbert. Plus d'me fois, <strong>en</strong><br />

le traçant, j'ai éprouvé leregret d'avoir circonscrit mon<br />

sujet dans les limites que je m'&ais imposées. Les matériaux<br />

que j'avais sous la main étai<strong>en</strong>t imm<strong>en</strong>ses, la<br />

pl~part~inédits, quoique extraits d'ouvrages fortconnus.<br />

Leur seule mise <strong>en</strong> ordre formerait une monographie<br />

économique ektrém<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t curieuse et plus d'un lecteur<br />

instruit serait fort étonné <strong>de</strong> trouver, dans cesdocum<strong>en</strong>ts<br />

trop longtemps négligés, une mine inépuisable d'étu<strong>de</strong>s<br />

et <strong>de</strong> méditations. Ce n'est pas là ce qu'on cherche hahituellem<strong>en</strong>t<br />

chez les histori<strong>en</strong>s, et la plupart d'<strong>en</strong>trc eux<br />

ont si bi<strong>en</strong> connu, à toutes les époqries, l'indiffér<strong>en</strong>ce du<br />

public pour les faits <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re, qu'ils <strong>en</strong> ont été trèssobres<br />

et qu'il faut les leur dérober presque par induction,<br />

tant ils ont craint d'<strong>en</strong> charger leurs annales. Les<br />

armées et les cours occup<strong>en</strong>t le prcmier plan ; l'espèce<br />

humaine, celle qui ne tue ni ne pille, ûgureà peitte au<br />

second, mais dans un lointain si obscur, qu'on a peine<br />

à savoir ce qn'elle est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue p<strong>en</strong>dant tr<strong>en</strong>te siècles.<br />

Il faut excuser les écrivains d'dconomie <strong>politique</strong><br />

d'avoir partagé à cet égard l'indiffér<strong>en</strong>ce, ou, si l'on<br />

aime mieux, l'ingratitu<strong>de</strong> générale. Ils dat<strong>en</strong>t presque<br />

tous du dix-huitieme siècle, parce que c'est celui où,<br />

pour la première fois, l'humanité a réellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>mandé<br />

ses comptes et rédigé><strong>en</strong> termes nets le programme <strong>de</strong><br />

l'av<strong>en</strong>ir. PIajs, <strong>en</strong> vérile, cette sci<strong>en</strong>ce n'est pas sortie<br />

tout aFmée dit cerveau <strong>de</strong>s Économisles p<strong>en</strong>dant ce<br />

siccle-là. Je n'<strong>en</strong>voudrais pour preuve que leurs thtonnem<strong>en</strong>ts,<br />

leurs disputes et leurs essais mal<strong>en</strong>contreux.<br />

11 était réservé à leurs succcsseiirs <strong>de</strong> l'bcole anglaise <strong>de</strong><br />

jeter les véritables bases <strong>de</strong> l'édifice économique et <strong>de</strong><br />

préparer les voies à la réforme qui doit s'accomplir <strong>de</strong><br />

nos jours. C'est l'histoire <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>, si riche <strong>en</strong>


productions B jamais célèbres dans les annales <strong>de</strong> la<br />

sci<strong>en</strong>ce, qui forme la secondé partie <strong>de</strong> mon livre. On<br />

s<strong>en</strong>t quels efforts j'ai dù faireapour me restreindre et<br />

pour ne pas dépasser les proportions nécessaires à i'u-<br />

nité <strong>de</strong> mon récit. J'emploie ce mot avec int<strong>en</strong>tion, afin<br />

<strong>de</strong> me justifier par avance d'un reproche que je crains<br />

d'avoir <strong>en</strong>couru <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> quelques esprits exigeants.<br />

J'avais <strong>de</strong>ux routes à pr<strong>en</strong>dre : je pouvais suivre I'or-<br />

nière accoutumée, développer les discours préliminaires<br />

<strong>de</strong> J.-B. Say, <strong>de</strong> II. <strong>de</strong> Sismondi, <strong>de</strong> RI. lllac Culloch sur<br />

la marcbe <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> <strong>de</strong>puis Quesnay, <strong>en</strong> y<br />

ajoutant quelques mots <strong>de</strong> politesse pour les siècles qui<br />

préce<strong>de</strong>nt ; ou bi<strong>en</strong> je <strong>de</strong>vais pr<strong>en</strong>dre les choses <strong>de</strong> plils<br />

haut, et lier <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> à l'histoire générale,<br />

<strong>en</strong> signalant leur influ<strong>en</strong>ce rkciproque <strong>de</strong>puis les anci<strong>en</strong>s<br />

jusqu'à. nos jours.<br />

Le lecteur jugera si ce <strong>de</strong>rnier parti, que j'ai pris, a<br />

été le meilleur. En me plaçant à ce point <strong>de</strong> vile, j'étais<br />

disp<strong>en</strong>sé <strong>de</strong> me jeter dans Ics discussions <strong>de</strong>s doctrines,<br />

dans la controverse, et par consbqu<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong>s lon-<br />

gueurs interminables. Je parcoiirais l'histoire tout d'une<br />

haleine, <strong>en</strong> m'arrbtant s<strong>en</strong>lem<strong>en</strong>t aux époques <strong>de</strong> gran<strong>de</strong><br />

influ<strong>en</strong>ce sur le progrès <strong>de</strong>s richesses et <strong>de</strong> la civilisation.<br />

Je montrais le travail trouvant toujours un refuge; soit<br />

dans un pays, soit dans lin autre, et préparant partout<br />

la richesses pour auxiliaire à la liberté. J'essaysis <strong>en</strong>fin<br />

<strong>de</strong> rattacher le prés<strong>en</strong>t au passé, au lieu <strong>de</strong> traiter la<br />

sci<strong>en</strong>ce comme une hybri<strong>de</strong> éclose au souffle du dix-hui-<br />

tième siècle, prolem sine matre crealam. J'aivoulu <strong>de</strong>s<br />

aieux à cette belle sci<strong>en</strong>ce qui s'occupe du bonheur du<br />

g<strong>en</strong>re humain, et qui ti<strong>en</strong>t <strong>en</strong> dépôt les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> lui<br />

<strong>en</strong> ,procurer la dose compatible avec les infirmités <strong>de</strong><br />

notre nature et les exig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> notre état social. En


voyant avec quelle l<strong>en</strong>teur arriv<strong>en</strong>t les réformes, et cil appréciant<br />

à leur juste valetir les obstacles qu'elles ont r<strong>en</strong>contrés,<br />

les. plus ar<strong>de</strong>nts réformateurs <strong>de</strong> notre époque<br />

appr<strong>en</strong>dront à modérer leur impati<strong>en</strong>ce et ti ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

au temps où nous vivons que sa part <strong>de</strong> concours au<br />

mouvem<strong>en</strong>t qui nous emporte. J'ai dit à ce sujet tout ce<br />

que nos conquetes passées nous permett<strong>en</strong>t d'espérer dans<br />

i'av<strong>en</strong>ir le plus prochain. Je n'ai créé aucun système;<br />

j'a~~oue ingénum<strong>en</strong>t que je n'ai pas <strong>en</strong> portefeuille iin<br />

plan <strong>de</strong> régénération et <strong>de</strong> prospérité universelles. J'ai<br />

raconté ce qu'ont kit nos anchtres et ce qu'ont proposé<br />

nos <strong>de</strong>vanciers pour réaliser la partie réalisable <strong>de</strong> celte<br />

généreuse utopie. Un jour, sans doute, j'agrandirai mon<br />

livre, si j'obti<strong>en</strong>s pour ce premier essai le seul succès<br />

que j'ambitionne, celui <strong>de</strong> popnlariser la sci<strong>en</strong>ce économique,<br />

<strong>en</strong> montrant qti'on <strong>en</strong> trouve les 6lémcnts dans<br />

l'histoire <strong>de</strong>s peuples aussi bi<strong>en</strong> que dans les écrits <strong>de</strong>s<br />

économistes.<br />

J'ai terminé mon travail par une bibliographie critique<br />

<strong>de</strong>s ouvrages d'économie <strong>politique</strong> Ies plus importants<br />

qui ai<strong>en</strong>t été publiés dans toutes les langues<br />

europé<strong>en</strong>nes. 'Ce catalogue, assurém<strong>en</strong>t, est loin d'htre<br />

complet; mais il est le plus ét<strong>en</strong>du qui ait paru jusqii'à<br />

ce jour, et il peut servir <strong>de</strong> base à une bibliothèque<br />

spéciale assez impprtante 1. J'ai lu et annoté la plupart<br />

<strong>de</strong>s écrits aont j'ai donné les titres et analysé la substance,<br />

<strong>de</strong> manière que les amis <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce sauront<br />

désormais quel est l'esprit d'un auteur, avant <strong>de</strong> se<br />

compromettre avec lui. On croira lacilem<strong>en</strong>t que celte<br />

partie <strong>de</strong> nia t$che n'a pas étd la moins ru<strong>de</strong>; mais<br />

La bibliographie a et6 completée dans la prks<strong>en</strong>te édilion jus-<br />

qu'<strong>en</strong> 1859 inclusivem<strong>en</strong>t. ( N d <strong>de</strong> C'Éditeur.)


14 INTRMKICTION.<br />

j'espèra avoir ainsi réhabilité plus d'un économiste<br />

ignoré et fait connaftre à nos concitoy<strong>en</strong>s une source<br />

fécon<strong>de</strong> <strong>de</strong> recherches et d'informations. Ce simple<br />

catalogue suffirait à lui seul pour prouver que lasci<strong>en</strong>ce<br />

est plus anci<strong>en</strong>ne qu'on ne p<strong>en</strong>se et qu'elle était déjà<br />

majeure tandis qu'on la croyait <strong>en</strong>core au berceau. J'ai<br />

hésité un mom<strong>en</strong>t si je compr<strong>en</strong>drais dans ma nom<strong>en</strong>cla-<br />

ture les écrivains vivants, et surtout si je pourrais me<br />

permettre <strong>de</strong> caractériser impartialem<strong>en</strong>t lems ouvrages;<br />

mais leur abs<strong>en</strong>ce aurait eu plus d'inconvéni<strong>en</strong>ts que -<br />

mon jugem<strong>en</strong>t ne me fait courir <strong>de</strong> hasards, et je me<br />

suis détermin6 à parler <strong>de</strong> ces contemporains comme<br />

s'ils étai<strong>en</strong>t morts, tout <strong>en</strong> faisant <strong>de</strong>s vmux pour qu'ils<br />

viv<strong>en</strong>t longtemps.<br />

Une raison importante a surtout motivé ma détermi-<br />

nation. La plupart <strong>de</strong>s économistes vivants, sauf quelques<br />

exceptions, form<strong>en</strong>t une école nouvelle, aussi bloignée<br />

<strong>de</strong>s utopies <strong>de</strong> Quesnay que <strong>de</strong>la rigueur <strong>de</strong> Malthus, et je<br />

vois avec ilne satisfaction philosophique et patriotique<br />

que cette école a pris naissance <strong>en</strong> France et qu'elle se<br />

compose presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Français. C'est elle qui<br />

tracera la marche <strong>de</strong> l'écouomie <strong>politique</strong> p<strong>en</strong>dant le<br />

dix-neuvième siècle. Elle ne veut plus considérer la pro-<br />

duction comme une abstraction indép<strong>en</strong>dante du sort .<br />

<strong>de</strong>s travailleurs; il ne lui suffit pas que la richesse soit<br />

crkée, mais qu'elle soit équitablem<strong>en</strong>t distribuée. A ses<br />

yeux, les hommes sont rkellemnt égaux <strong>de</strong>vant la loi<br />

commo <strong>de</strong>vant YÉternel, Les pauvres ne sont pas un<br />

texte à déclamations, mais une portion <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong><br />

famille digne <strong>de</strong> la plus haute sollicitu<strong>de</strong>, Elle pr<strong>en</strong>d le<br />

mon<strong>de</strong> tel qu'il est, et elle sait s'arrêter aux limites du<br />

possible; mais sa mission est d'agrandir chaque jour le<br />

cercle <strong>de</strong>s conviés aux jouissances légitimes <strong>de</strong> la vie.


INTRODUCTION. 15<br />

Je dis que cette école est éminemm<strong>en</strong>t française, el jc<br />

m'el1 glorifie pour nion pays.<br />

~u'il me soit permis, <strong>en</strong> finissant, <strong>de</strong> lui r<strong>en</strong>drc an<br />

hommage qui ne sera contesté par personne, piiisqu'il<br />

ressort du simple exposé <strong>de</strong> ses litres. Voyez les livres<br />

que nous lui <strong>de</strong>vons <strong>de</strong>puis une vingtaine d'années : les<br />

Nouueazix principes d'kconomie <strong>politique</strong>, <strong>de</strong> Rf. Sismondi;<br />

le Traité <strong>de</strong> àI. Dest-citt <strong>de</strong> Tracy, cet homnie <strong>de</strong><br />

caur, sublime B force <strong>de</strong> bon s<strong>en</strong>s et <strong>de</strong> probité ; le livre<br />

excell<strong>en</strong>t <strong>de</strong> N. Duchâtel sur la Charité; le Nouceau<br />

Traité d'économie sociale dc M. Dunoyer, si proi'ondém<strong>en</strong>t<br />

empreint <strong>de</strong> raison et <strong>de</strong> philanthropie; Ic Traité <strong>de</strong> législarion<br />

<strong>de</strong> M. Ch. Comte, qui a port6 le <strong>de</strong>rnier coup à<br />

l'esclavage colonial; ~'Econornie <strong>politique</strong> chvéti<strong>en</strong>ne <strong>de</strong><br />

hl. le vicomte <strong>de</strong>JTill<strong>en</strong>euve-Bargemont, quia signalé d'une<br />

manihre si neuve et si remarquable la plaie da paupérisme<br />

<strong>en</strong> Europe ; ~'~conornie~oliti~ue <strong>de</strong> M. Droz, qui a fait <strong>de</strong><br />

la sci<strong>en</strong>ce un auxiliaire <strong>de</strong> la morale, et l'Essai sur l'espvit<br />

d'association par M. Delabor<strong>de</strong>, auquel nous sommes<br />

heureux <strong>de</strong> recourir aujoi~rd'hui, au milieix du désarroi<br />

général <strong>de</strong> la concurr<strong>en</strong>ce illimitée. Ces ouvrages<br />

ont déjà puissamni<strong>en</strong>t modifié les tliéories austères dc<br />

laltlius et les formules algébriques <strong>de</strong> Ricardo. Indép<strong>en</strong>dants<br />

par la forme ct souv<strong>en</strong>t par le choix da sujet,<br />

ils se li<strong>en</strong>t néanmoins par une p<strong>en</strong>sée commune, qui est<br />

le bi<strong>en</strong>-btre général <strong>de</strong>s hommes, sans distinction <strong>de</strong> nationalité.<br />

Je n'ai pas méconnu non plus les services r<strong>en</strong>dus à la<br />

sci<strong>en</strong>ce et à l'humanité par l'école saint-simoni<strong>en</strong>ne, à<br />

l'époque oii le bon esprit <strong>de</strong> ses fondateurs avait su la<br />

préserver <strong>de</strong> l'invasion du mysticisme et <strong>de</strong>s utopies.<br />

Cette école a semé <strong>en</strong> Europe les germes d'une réforine<br />

qui éclate dc toutes parts ; elle a retrouvé les droits <strong>de</strong>


16 IPTRODUCTION<br />

la classe ouvriére, et les a dél<strong>en</strong>dus avec un tal<strong>en</strong>t et une<br />

conviction qui ont di1 faire impression meme sur ses plris<br />

chauds adversaires. Les saints-simoni<strong>en</strong>s ont pu se tromper<br />

sour<strong>en</strong>t, comme les éco?iontistes du dix-huitième siècle,<br />

avee lesquels ils ont plus d'un point dc ressemlilance<br />

; mais quoi qu'on ait dit <strong>de</strong> leurs int<strong>en</strong>tions et <strong>de</strong><br />

leur moralité, c'étai<strong>en</strong>t avant tout <strong>de</strong>s honlmes <strong>de</strong> cœur<br />

et <strong>de</strong> prohité. L'Angleterre ellc-m&me qui les avait raillés<br />

les imite, et les nouveaux ouvrages d'économie <strong>politique</strong><br />

publiés dans ce pays sont tout imprégnés <strong>de</strong> leurs<br />

idSes ,réformatrices. C'est l'école saint-simotiicnne qui a<br />

signalé avec le plus [l'énergie les souffrances <strong>de</strong>s classes<br />

Iaborieiiscs, et si lc grand problème du soiilagemeot dc<br />

ces nombrciiscs populations n'est pas <strong>en</strong>core résolu, il<br />

est resté du moins à l'ordre du jour <strong>de</strong> tous les peuples<br />

civilisés.<br />

C'est désormais sur cc terrain que doiv<strong>en</strong>t se déci<strong>de</strong>r<br />

toiitcs les questions d'économie <strong>politique</strong>. Le véritable<br />

but dc la sci<strong>en</strong>ce est d'appeler désorniais le plas grand<br />

nombre d'hommes au partage <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>faits <strong>de</strong> la civilisation.<br />

Lcs mots dicision du travail, capitaux, banques,<br />

association, liberté comme~~eiale n'ont pas d'autres signification.<br />

Telle est, dumoins, la t<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> l'école mo<strong>de</strong>rne<br />

à laquelle je nic lais gloire d'appart<strong>en</strong>ir et sous les inspirations<br />

dc laquelle parait l'ouvrage que j'ofîre aujourd'hui<br />

au public. Si quelques esprits conscicncieux s'étonnai<strong>en</strong>t<br />

que j'aie pu r<strong>en</strong>fermer eii <strong>de</strong>ux volunles l'liistoire<br />

d'une sci<strong>en</strong>ce aussi importante et aussi vaste que <strong>l'économie</strong><br />

<strong>politique</strong>, jc leur répondrais avec un <strong>de</strong> ses<br />

plus illustres fonclateurs : u L'histoire d'unc sci<strong>en</strong>ce<br />

J.-B. Say, Cours compl~t cl'fconomie <strong>politique</strong>, tome 11,<br />

page 540, nouvelle Bilition.


IXTRODUCTION. 17<br />

ne ressemlsle poirit à une narration d'é~éiiem<strong>en</strong>ls.<br />

Elle nc peut &ire quc l'expos6 <strong>de</strong>s te~itntives plos ou<br />

nioins heurerises qu'on a faite: à diverses repriscs et<br />

dans plusieurs <strong>en</strong>droits différ<strong>en</strong>ts, pour recueillir et soli-<br />

<strong>de</strong>ni<strong>en</strong>t établir lcs véritks dont elle SC compose. Elle <strong>de</strong>-<br />

vielit <strong>de</strong> pIus <strong>en</strong> PILIS courte à niesure que la scicncc se<br />

perfectioiine. n


HISTOIRE<br />

L~ECONOME POLITIQUE<br />

CHAPITRE 1.<br />

L'Bconomie <strong>politique</strong> est plus anci<strong>en</strong>ne qu'on ne p<strong>en</strong>se. Les Grecs<br />

et les Romains ont eu la leur. - Ressemblancequ'elle prés<strong>en</strong>te<br />

àvec celle <strong>de</strong> notre temps. - Différ<strong>en</strong>ces qui les sépar<strong>en</strong>t. -<br />

bIodifications successives que cette sci<strong>en</strong>ce a éprouvées dans sa<br />

marche. - Vue gdnérale du sujet.<br />

C'est un beau spectacle et bi<strong>en</strong> digne <strong>de</strong> méditation,<br />

que celui <strong>de</strong>s efforts t<strong>en</strong>tés, aux diff4r<strong>en</strong>ts %ges du<br />

mon<strong>de</strong>, pour améliorer la condition pliysique et morale<br />

<strong>de</strong> l'homme. Chaque siecle apporte son tribut <strong>de</strong> fana-<br />

tisme à cette gran<strong>de</strong> croyance, qui compte parmi ses<br />

martyrs <strong>de</strong>s nations et <strong>de</strong>s rois. Jamais l'humanité ne se<br />

repose; une experi<strong>en</strong>ce succè<strong>de</strong> incessamm<strong>en</strong>t à une au-<br />

tre, et nous marchons au travers <strong>de</strong>s sévolutions, vers<br />

dcs <strong>de</strong>stinées inconnues. Quand on étudie avec soin l'his-<br />

toire du passé, on s'aperçoit que ce mouvem<strong>en</strong>t v?<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

loin, qu'il a poiissé nos pères et qu'il nous <strong>en</strong>traîne avec<br />

nos <strong>en</strong>fants. Quclqucfois Ics peuples paraiss<strong>en</strong>t y obéir<br />

<strong>en</strong> aveugles, comme quand l'Europe est <strong>en</strong>vahie par les<br />

barbares ; plus souv<strong>en</strong>t ils y cè<strong>de</strong>nt avec un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t


conf~is <strong>de</strong>s lois éternelles qni le régiss<strong>en</strong>t Ainsi s'expliqu<strong>en</strong>t<br />

les innombrables essais dti gouvernem<strong>en</strong>t, qu'on<br />

voit nkanmoins graviter sans cesse autour d'un petit<br />

nombre <strong>de</strong> principes immualiles, tels que la sûreté <strong>de</strong>s<br />

personnes et le respect <strong>de</strong> la propriété.<br />

L'histoire <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> ne pouvait donc être<br />

que le résumé <strong>de</strong>s.expéri<strong>en</strong>ces qui ont été faites chez les<br />

peuples civilisés pour amPliorer le sort <strong>de</strong> l'espèce humaine.<br />

Les anci<strong>en</strong>s ne sont pas dans cet te carrière autant<br />

inférieurs aux mo<strong>de</strong>rnes que beaucoup d'auteurs<br />

le suppos<strong>en</strong>t, et c'est bi<strong>en</strong> à tort qu'on assigne rommunem<strong>en</strong>t<br />

a la sci<strong>en</strong>ce économiqtie une origine aussi réc<strong>en</strong>te<br />

que la secon<strong>de</strong> moitié di1 dix-huitième siiicle. Qoi<br />

ne connaît les institutions <strong>de</strong> Sparte et d'Athènes, et les<br />

magnifiques travaiiu <strong>de</strong> l'administration romaine? Il<br />

noris semble difficile <strong>de</strong> passer sous silcnce <strong>l'économie</strong><br />

politiqne <strong>de</strong> ces temps-là, surtout quand on y trouve<br />

l'origine <strong>de</strong> presque toutes les institutions qui nous gouvern<strong>en</strong>t<br />

et <strong>de</strong>s systèmes qui nous di\is<strong>en</strong>t. Certes, il y<br />

avait clans les lois <strong>de</strong> Lycurg~ie plu., <strong>de</strong> saint-simonisme<br />

qu'on nc p<strong>en</strong>se, et les quercllcs <strong>de</strong> patrici<strong>en</strong>s et <strong>de</strong> plbbéi<strong>en</strong>s<br />

n'ont pas 6th plus ives à Paris à l'époque <strong>de</strong> la<br />

terreur, qu'elles ne le f~ir<strong>en</strong>t à Rome p<strong>en</strong>dant les proscriptions<br />

<strong>de</strong> Sylla. 11 y a <strong>de</strong>s ressemblances bi<strong>en</strong> plus<br />

frappantes <strong>en</strong>rore <strong>en</strong>tre l'insiirrection cles ourriers <strong>de</strong><br />

Lyon et la retraite dü peuple romain ail mont Sacré l.<br />

' L'auteur fait allusion à l'insurieclion qui éclala a Lyon au<br />

mois <strong>de</strong> novembre 1831 et qui, tout étrangère à la polilique, n'a-<br />

vait élémolivée que par une question <strong>de</strong> salaiies. I<strong>de</strong>s ouvriers,<br />

qui avai<strong>en</strong>t écrit sur leurs drapeaux : Vivre <strong>en</strong> travaillant, mourir<br />

<strong>en</strong> combattant, fur<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>ux jours maitres <strong>de</strong> la ville; mais<br />

leur prise d'armes différa <strong>de</strong> la relraite du peuple romain sur le<br />

mon1 Sacré, <strong>en</strong> cequ'elle ne cliangea ri<strong>en</strong> a leur conditipn el qu'<strong>en</strong><br />

elTe1 elle ne pouvait ri<strong>en</strong> y changer. (hrofe <strong>de</strong> Z'Editein.)


DE L'ÉCONOHIE POLITIQUE. CHAF. 1. . 21<br />

Combi<strong>en</strong> <strong>de</strong> fois, <strong>de</strong>puis JIénénius Agrippa, n'a-t-oa pq<br />

eu l'occasion <strong>de</strong> dbbiter à dcs populations inutinécs l'apologue<br />

fameux <strong>de</strong>s nlembrcs ct <strong>de</strong> l'estomac?<br />

-En écartant <strong>de</strong> l'liisloire <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> tout<br />

ce qui avait rapport aux anci<strong>en</strong>s, les écoiiomistcs mo<strong>de</strong>rnes<br />

se sont donc volontairem<strong>en</strong>t privés d'une source fécon<strong>de</strong><br />

d'observations et <strong>de</strong> rapprochem<strong>en</strong>ts. Ils ont dédaignb<br />

<strong>de</strong>ux mille ans d'expéri<strong>en</strong>ces exécutées avec la<br />

plus gran<strong>de</strong> hardiesse sur une vaste échelle par les peuples<br />

les plus ingénieux et les plils civilisés <strong>de</strong> l'antiquité<br />

; ils ont méconnu l'histoire qui a recueilli soigneusem<strong>en</strong>t<br />

les iiioindres traces <strong>de</strong> ces expéri<strong>en</strong>ces que nous<br />

refaisons aujourd'hui, trop souv<strong>en</strong>t avec moins d'habileté<br />

et <strong>de</strong> nhcessité que les Grecs et les Romains. Ce préjugé<br />

<strong>de</strong>s écononiistes cst dû à ce que les anci<strong>en</strong>s n'ont<br />

laissé aucun ouvrage spécial qui rksumüt leurs vues sur<br />

la sci<strong>en</strong>ce économique ; mais si ces vues n'ont pas été exposées<br />

dans un livre, elles se retrouv<strong>en</strong>t dans leurs<br />

i~îstitutions, daiis leurs monumerits, dans leur jnrispru<strong>de</strong>nce.<br />

Les relais <strong>de</strong> clievaux, établis <strong>de</strong>puis Rome jusqu'à<br />

Yorlr, les soins particuliers donnés par les Romains<br />

à l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s routes et <strong>de</strong>s aqueducs, attest<strong>en</strong>t à un<br />

très-haut <strong>de</strong>gré leur intellig<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s principales nécessités<br />

<strong>de</strong> la civilisation. La législation <strong>de</strong>s colonies grecques<br />

valait mieux que celle <strong>de</strong>s colonies espagnoles dans l'Amérique<br />

du Sud.<br />

Sparte, htliènes, Rome, onl eu lcur écononlie <strong>politique</strong><br />

conlme la France et l'Angleterre ont Ialeur. L'irsure,<br />

les impôts exagérés, les tarifs, les fcrmages exorbitants,<br />

l'insuffisance <strong>de</strong>s salaires, le paupérisme, ont affligé les<br />

vieilles sociétés comnlc les nouvelles, et nos ancktres<br />

n'ont pas fait moins d'efforts que nous pour se débarrasser<br />

<strong>de</strong> ces fléaiix On se tromperait étrangem<strong>en</strong>t


si l'on croyait qu'ils n'ont jamais réfléchi aux difficiiltés<br />

<strong>de</strong>s réformes dont ils s<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t le besoin ; chaque page<br />

<strong>de</strong> leur histoire nous <strong>en</strong> offre la preuve ; et nous ne doiltons<br />

pas que la gran<strong>de</strong> insurrection <strong>de</strong>s escla~es sons<br />

Spartacus n'ait fait passer <strong>de</strong> bi<strong>en</strong> mauvaises nuits aux<br />

économistes du temps. Que si les histori<strong>en</strong>s ne nous ont<br />

pas fait part <strong>de</strong> leurs angoisses, c'est qu'à Rome on n'osait<br />

pas parler <strong>de</strong> cette plaie secrète qui minait la république<br />

et qui faisait monter la rougeur au visage <strong>de</strong> ses<br />

plus grands citoy<strong>en</strong>s. Quand plus tard les empereurs<br />

s'avisèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> distribuer <strong>de</strong>s vivres aux habitants <strong>de</strong> la<br />

ville éternelle, ne faisai<strong>en</strong>t-fls pas <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong><br />

comme les moines <strong>en</strong> font <strong>en</strong> Espagne à la porte <strong>de</strong><br />

leurs coûv<strong>en</strong>ts? Y a-t-il beaucoup <strong>de</strong> différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre les<br />

maximes <strong>de</strong>s Athéni<strong>en</strong>s qiii prohibai<strong>en</strong>t les figues A la<br />

sortie, et celles <strong>de</strong>s Français qui prohibai<strong>en</strong>t naguère la<br />

soie et les chiffons? Tout ce qu'on peut dire, c'est que<br />

les Grecs n'ont pas trouvé, comme nous, <strong>de</strong>s auteurs<br />

pour appuyer ces absurdités par cles sophismes; mais<br />

cela ne nous donne pas le droit <strong>de</strong> les mépriser.<br />

Quand on étudie avec att<strong>en</strong>tion la législation financière<br />

<strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Romairis, on ne peut s'empêcher<br />

<strong>de</strong> reconnaître que les plus graJ7es questions d'économie<br />

<strong>politique</strong> ont <strong>de</strong> tout temps attiré l'att<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> ces peuples.<br />

Il suffit <strong>de</strong> voir avec quelle sollicitu<strong>de</strong> ils veillai<strong>en</strong>t<br />

sur leurs relations internationales, sur l'état civil <strong>de</strong>s<br />

étrangers, sur la nature et les effets <strong>de</strong>s impôts, sur les<br />

<strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>ts à donner à l'agriculture, et sur le régime<br />

<strong>de</strong> la navigation. J'aurai occasion <strong>de</strong> citer dans le<br />

cours <strong>de</strong> cet ouvrage <strong>de</strong>s preuves irrécusables <strong>de</strong> leur<br />

parfaite intellig<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ces matières. Il n'est pas jusqu'aux<br />

phénomènesles plus compliqués <strong>de</strong> la division du<br />

travail qui ai<strong>en</strong>t pu échapper à leurs recherches, et l'on


DE L'ECONOIVIIE POLITIQUE. CHAP. 1. 23<br />

<strong>en</strong> trouve dans le second livre <strong>de</strong> la République <strong>de</strong> Platon<br />

une analyse qui ferait honneur :tu plus savant disciple<br />

d'Adam Smith. Les cono or niques <strong>de</strong> Xénophon, jusqu'à<br />

ce jour mal étudiées, r<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s aperçus d'une<br />

gran<strong>de</strong> netteté, et nous ne connaissons pas <strong>de</strong> meilleure<br />

&finition <strong>de</strong> la monnaie que celle que nous <strong>en</strong> a don-<br />

née Aristote dans le premier livre <strong>de</strong> sa Politique '.<br />

On se tromperait néanmoins si l'on considérait les<br />

essais t<strong>en</strong>tés par les gouvernem<strong>en</strong>ts, ou préconisés par<br />

les écrivains <strong>de</strong> la Grèce et <strong>de</strong> Rome, comme le résultat<br />

d'un système économique conçu d'après <strong>de</strong>s données<br />

vraim<strong>en</strong>t sci<strong>en</strong>tifiques, ou inspiré: par une haute philo-<br />

sophie. Les Grecs et les Romains méprisai<strong>en</strong>t le travail<br />

et flétrissai<strong>en</strong>t l'industrie comme une occupation in-<br />

digne <strong>de</strong> l'homme libre. L'esclavage apparaît à chaque<br />

page <strong>de</strong> leur histoire pour donner un dém<strong>en</strong>ti aux écrits<br />

<strong>de</strong> leurs philosophes et aux théories <strong>de</strong> leurs écono-<br />

mistes. Mais ne r<strong>en</strong>contre-t-on pas dans notre histoire<br />

<strong>de</strong>s contradictions aussi choquantes? C'est <strong>en</strong> les étu-<br />

diant chez les anci<strong>en</strong>s, où nous pouvons les juger avec<br />

plus d'impartialité, qu'il est facile <strong>de</strong> reconnaître parmi<br />

nous le danger ou l'inutilité d'une foule <strong>de</strong> t<strong>en</strong>tatives<br />

qui, pour paraître nouvelles, n'<strong>en</strong> sont pas moins re-<br />

nouvelées <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Romains.<br />

Les anci<strong>en</strong>s ont essayé <strong>de</strong> tout, et nous leur ressem- .<br />

blons sous trop <strong>de</strong> rapports pour négliger leur économie<br />

<strong>politique</strong>. Sparte avait ses ilotes, comme le moy<strong>en</strong> age<br />

ateu ses serfs, et nos colonies leurs esclaves. Quelques<br />

États mo<strong>de</strong>rnes ont mbme <strong>en</strong>core leurs castes disgra-<br />

&es, telle que celle <strong>de</strong>s Juifs <strong>en</strong>suisse, <strong>en</strong> Prusse et <strong>en</strong><br />

Pologne-: mais ce qui. distingue principalem<strong>en</strong>t l%cono-<br />

Polttiglce d'Aristote, liv, 1, ohap. VI et vii.


24 HISTOIRE<br />

mie <strong>politique</strong> <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s <strong>de</strong> celIe <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes, c'est la<br />

liberté du travail et l'emploi du crédit. Tout a changé<br />

autour <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>puis l'inv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> l'imprimerie, <strong>de</strong> la<br />

boussole et <strong>de</strong> la poudre. Rous connaissons et nous exploitons,<br />

dans <strong>de</strong>s proportions colossales, <strong>de</strong>s matières<br />

premières qui étai<strong>en</strong>t inconnues à nos aïeux. Le coton,<br />

le fer, les vins, la houille, la vapeur sont <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us pour<br />

nous <strong>de</strong>s sources inépuisables. Trois ou quatre plantes,<br />

la pomme <strong>de</strong> terre, la betterave, la canne à sucre, le<br />

thé, fourniss<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s alim<strong>en</strong>ts à <strong>de</strong>s miIlions d'hommes,<br />

et <strong>de</strong>s cargaisons à <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> vaisseaux. Les anci<strong>en</strong>s<br />

vivai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la conquête, c'est-à-dire du travail<br />

d'autrui; nous vivons, nous, <strong>de</strong> l'industrie et du commerce,<br />

c'est-à-dire <strong>de</strong> notre propre travail.<br />

Le caractère distinctif <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> grecque<br />

et romaine, c'est l'esclavage; la t<strong>en</strong>dance irrésistible <strong>de</strong><br />

la nbtre, c'est la liberté. Nous verrons comm<strong>en</strong>t l'influ<strong>en</strong>ce<br />

du christianisme a contribué à lui donner cette<br />

direction, interrompue tantbt par l'invasion barbare,<br />

tantbt par le fanatisme religieux ; mais auciin obstacle<br />

sérieux n'a pu l'arrêter dans sa marche. La glèbe féodale<br />

a eu pour contre-poids les corporations qui étai<strong>en</strong>t<br />

déjà un progrès, puisqn'elles développér<strong>en</strong>t l'esprit<br />

d'association ; les corporations à leur tour ont- disparu<br />

<strong>de</strong>vant l'émancipation <strong>de</strong> l'industrie. Chaque pas a affranchi<br />

l'hom~ne d'une servitu<strong>de</strong> et l'a gratifié d'un produit<br />

utile, <strong>de</strong> sorte qu'on peut dire que la liberté n'est<br />

jamais v<strong>en</strong>ue sans apporter avec elle quelque bi<strong>en</strong>fait.<br />

Les Grecs et les Romains, qui opprimèr<strong>en</strong>t l'hnmanité<br />

sous <strong>de</strong>s appar<strong>en</strong>ces trompe us;^, manquai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> linge<br />

et n'avai<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong> vitres à leurs niaisons ; nous-mêmes,<br />

nous n'avons comm<strong>en</strong>cé à jouir <strong>de</strong> quelque aisance dans<br />

la vie mattérielle que <strong>de</strong>puis la conqukte <strong>de</strong> la liberté.


DE L'OCONOMIE POLITIQUE. CHAP. 1. 25<br />

Pour apprécier à leur juste valeur ces différ<strong>en</strong>ces radi-<br />

cales et aussi lès ressemblances <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong><br />

<strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s avec la nôtre, il faut étudier à la fois leurs<br />

institutions et leurs écrits, c'est-à-dire les faits et les doc-<br />

trines <strong>de</strong> leur époque. J'ai choisi <strong>de</strong> préfér<strong>en</strong>ce pour cette<br />

étu<strong>de</strong>, <strong>en</strong> Grèce, le mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la plus haute prospé-<br />

rité d'Athènes, et à Rome, les premiers siècles <strong>de</strong> l'em-<br />

pire. C'est <strong>en</strong> effet Athènes qui représ<strong>en</strong>te le niieux<br />

la civilisation grecque, et Rome impériale la civilisation<br />

romaine. Les institutions et les écrits <strong>de</strong> ces époques<br />

mémorables ont exercé sur le mon<strong>de</strong> contemporain une<br />

influ<strong>en</strong>ce imm<strong>en</strong>se qui s'est ét<strong>en</strong>due jusqu'à la postérité<br />

dont nous sommes les représ<strong>en</strong>tants. Les lois romaines<br />

déci<strong>de</strong>nt <strong>en</strong>core à beaucoup d'égards les plus graves<br />

questions <strong>de</strong> notre état civil, prési<strong>de</strong>nt à nos mariages,<br />

regl<strong>en</strong>t nos successions et gouvern<strong>en</strong>t nos propriétés. Les<br />

douanes existai<strong>en</strong>t à Rome avant le règne <strong>de</strong> Néron, et les<br />

Athéni<strong>en</strong>s ont connu les emprunts publics. Ils savai<strong>en</strong>t<br />

très-bi<strong>en</strong> les richesses qu'on peut tirer du commerce ; ils<br />

prêtai<strong>en</strong>t à la grosse av<strong>en</strong>ture, et <strong>de</strong> tout temps ils don-<br />

nèr<strong>en</strong>t beaucoup d'att<strong>en</strong>tion a l'exploitation dc leurs<br />

mines. Souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lisant leur histoire on croit lire la<br />

nôtre, tant les faits se ressembl<strong>en</strong>t, et tant il est vrai<br />

que l'humanité s'agite dans une sphère <strong>de</strong> passioils et <strong>de</strong><br />

besoins semblables !<br />

A la chute du mon<strong>de</strong> romain, il s'opère une révolu-<br />

tion profon<strong>de</strong> dans la marche <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>.<br />

L'esclavage pr<strong>en</strong>d une forme nouvelle, incessamm<strong>en</strong>t<br />

modifiée par l'influ<strong>en</strong>ce du christianisme; les idées d'é-<br />

galité conlm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à se répandre. Au mépris affecté <strong>de</strong>s<br />

richesses succè<strong>de</strong>nt les premiers élem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l'art d'<strong>en</strong><br />

acquérir. Quelques grands souveraius donn<strong>en</strong>t l'exemple<br />

<strong>de</strong> l'ordre et <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> : Charlemagne fait v<strong>en</strong>dre<br />

4 O $DIT. T. I, 2


HISTOIRE<br />

ai1 marché les ceofs <strong>de</strong> ses poules et les légumes (le ses<br />

jardins. Les conquérants <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t conservateurs, et il<br />

est facile <strong>de</strong> trouver dans les Capillrlaires l le germe <strong>de</strong>s<br />

idées nouvelles qui vont r<strong>en</strong>îplacer la vieille <strong>politique</strong><br />

romaine. Les croisa<strong>de</strong>s ont exercé pliis tard leur part<br />

d'influ<strong>en</strong>ce, <strong>en</strong> faisant la fortilne <strong>de</strong>s vilIes maritinics <strong>de</strong><br />

l'Italie, qui <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t le refuge <strong>de</strong> la civilisation contre<br />

la barbarie du moy<strong>en</strong> 9ge. La proprihté <strong>de</strong>s terres, jus-<br />

que-la coiiceiitrée dans les mairis <strong>de</strong>s seigneurs, se divise<br />

aux mains <strong>de</strong>s bourgeois qui les achèt<strong>en</strong>t aux guer-<br />

royeurs <strong>en</strong> Terre-Sainte. Le contact <strong>de</strong> l'ori<strong>en</strong>t inspire<br />

<strong>de</strong>s goûts nouveaux, fait naitre <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong>. Iiise que<br />

I'iiidiistrie <strong>de</strong>s républiques italierines s'empresse ile sa-<br />

tisfaire. II n'est pas jusqa'aiix erreurs du temps qui ne<br />

concour<strong>en</strong>t à l'miivre continuelle du progrès, et les<br />

Jnifs persécutés cré<strong>en</strong>t la sci<strong>en</strong>ce du crédit et du change.<br />

Saint Louis parait et organise l'industrie. Les mCtiers se<br />

divis<strong>en</strong>t <strong>en</strong> confréries et se mett<strong>en</strong>t sous la protection <strong>de</strong>s<br />

saints, contre la tyrannie <strong>de</strong>s barons. IAa commune se<br />

forme, et la bourgeoisie, où se recrute le clergé, eom-<br />

m<strong>en</strong>ce contre l'aristocratie cette longue lutte qui finit à<br />

peine aux grands jours <strong>de</strong> 1789.<br />

Trois grands événem<strong>en</strong>ts, presque contemporains,<br />

la découverle <strong>de</strong> la ponclre, celle <strong>de</strong> i'imprimerie et du<br />

nouveau mon<strong>de</strong> changeront à leur tour la face <strong>de</strong> l'Eu-.<br />

rope et lesconditions <strong>de</strong> la richessepublique. Les métaux<br />

précieux, jusque-là si rares, vont <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir abondants ;<br />

<strong>de</strong>s produits inconnus circul<strong>en</strong>t plus rapi<strong>de</strong>s avec les<br />

idées : la force physique brutale est détrônée par la<br />

poudre. Je ne saurais compr<strong>en</strong>dre comm<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce<br />

<strong>de</strong> ces merveilleux é16m<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> régénération sociale, on<br />

4 Voyez le Capitulaire <strong>de</strong> Villis, art. 39, edit. <strong>de</strong> Baluze.


'<br />

DE I,'~~CO~VO?,IIE POI,ITlQüE. CBAP. 1. 27<br />

pourrait persister $ ne faire dater <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong><br />

que <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières années du dix-huitième siècle. C'est<br />

pourtant alors que le paupérisme recomm<strong>en</strong>çait avec la<br />

conc<strong>en</strong>tration <strong>de</strong>s fortunes ; c'est alors <strong>en</strong>core que le<br />

grand schisme du protestantiçme, <strong>en</strong> r<strong>en</strong>versant les couv<strong>en</strong>ts,<br />

frappa d'iine mort l<strong>en</strong>te, mais certaine, le principe<br />

<strong>de</strong>s dimes et l'exploitation religieuse <strong>de</strong> l'homme,<br />

qui avait elle-même remplacé l'exploitation militaire.<br />

Qui oserait affirmer que ces gran<strong>de</strong>s révolutions n'ont<br />

modifié <strong>en</strong> aucune manière les institutions économiques<br />

<strong>de</strong>s nations europii<strong>en</strong>nes ?<br />

11 a îdllu sans doute beaucoup d'événem<strong>en</strong>ts semblables<br />

pour détermiiler les hommes d'État et les sawnts<br />

à rcinonter à leurs causes prcmibrcs, dont I'étn<strong>de</strong><br />

constitue aujourd'hui la scieilcc économique. Nos pères<br />

ont fait longtemps <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> sans <strong>en</strong> connaître<br />

les principes, comme vivcnt la plupart <strong>de</strong>s<br />

homines sans étre initiés aux phénomènes physiologiques<br />

<strong>de</strong> la vie. Colbert seiil, parmi tous les ministres<br />

auxqiiels il fut donri6 dc r<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s édits sur ces graves<br />

matibres, Colbert seul paraît avoir eu un système,<br />

coniine plus tard Law <strong>de</strong>vait avoir le si<strong>en</strong>, comme les<br />

économistes du dix-huitième siècle ont proclamé le leur.<br />

filais ces hautes intellig<strong>en</strong>ces ne pcuvcnt pas être considérkes<br />

comme le foyer primilil d'où la sci<strong>en</strong>ce est sortie<br />

toute faite. Quand noiis exposerons Ics idées <strong>de</strong> Platon,<br />

d'Aristote, <strong>de</strong> Xérioplion, sur les questions si admirablem<strong>en</strong>t<br />

posées par Adam Smith, et si vivem<strong>en</strong>t controversées<br />

dc nos jours, il sera dilficile <strong>de</strong> rie pas rcconnaitre<br />

qnc ccs génies antiques <strong>en</strong> ont <strong>en</strong>trevu I'iniportance et<br />

prépar6 la solution.<br />

L'erreur générale vi<strong>en</strong>t surtout <strong>de</strong>s &crivains du dix-<br />

Iiiiitième siècle, qiii crur<strong>en</strong>t avoir troii~élc secret <strong>de</strong> 1s


28 HISTOIRE<br />

sci<strong>en</strong>ce sociale, parce qu'ils avai<strong>en</strong>t analysé avec une<br />

sagacité jusqu'alors inconnue quelques phénomènes<br />

ess<strong>en</strong>tiels <strong>de</strong> la production. Ils avai<strong>en</strong>t ouvert la voie aux<br />

recherches diune manière neuve et hardie, et ils passè-<br />

r<strong>en</strong>t pour avoir créé la sci<strong>en</strong>ce, parce qu'ils l'avai<strong>en</strong>t .<br />

<strong>en</strong>trevue au prisme <strong>de</strong> beaiicoup d'illusio?~. Les services<br />

<strong>de</strong> I'agricdlture avai<strong>en</strong>t été trop méconnus ; l'école <strong>de</strong><br />

Quesnay lui a r<strong>en</strong>du la place qu'elle <strong>de</strong>vait occuper dans<br />

les ag<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la production. Après lui, Adam Smith a<br />

réhabilité le travail et dévoilé les véritables causes '<strong>de</strong> la<br />

richesse <strong>de</strong>s nations. Rlalthus a jeté un cri d'alarme aux<br />

populations <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ues, selon lui, trop nombreuses ;<br />

J.-B. Say a préconisé la liberté du commerce et les avan-<br />

tages <strong>de</strong> la concurr<strong>en</strong>ce illimitée, dont fil. <strong>de</strong> Sismondi<br />

signalait bi<strong>en</strong>tôt, dans un manifeste éloqu<strong>en</strong>t et para-<br />

doxal, les funestes conséqu<strong>en</strong>ces. Ricardo a posé avec<br />

hardiesse les premières bases <strong>de</strong> l'édifice monétaire mo-<br />

<strong>de</strong>rne, qui ne s'est élevé, selon ses vues, un mom<strong>en</strong>t,<br />

qu'<strong>en</strong> Amérique.<br />

Telles sont les principales causes <strong>de</strong> l'indiffér<strong>en</strong>ce gé-<br />

nérale que les savants ont toujours montrée pour l'étu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s faits économiques <strong>de</strong> l'antiquité et <strong>de</strong>s temps posté-<br />

rieurs éloignés <strong>de</strong> nous. J'ai p<strong>en</strong>sé qu'il serait utile <strong>de</strong><br />

combler cette lacune, et d'exposer succinctem<strong>en</strong>t et<br />

avec netteté les efforts <strong>de</strong> nos prédécesseurs dans la<br />

carrière que nous poursuivons. Je me bornerai aux faits<br />

et aux doctrines les plus caractéristiques <strong>de</strong>s diffdr<strong>en</strong>tes<br />

époques qui passeront successivem<strong>en</strong>t soiis nos yeux.<br />

Athènes, Rome, les Barbares, le christianisme, les croi-<br />

s&ies, la r<strong>en</strong>aissance, la réforme, nous offriront <strong>de</strong>s<br />

époques pleines <strong>de</strong> t<strong>en</strong>tatives hardies et d'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts<br />

mémorables. Tout se ti<strong>en</strong>t, tout s'<strong>en</strong>cbaine dans l'his-<br />

toire générale <strong>de</strong> l'homme : <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l'insurrec-


DE T,'I?COSO~IIE T'OT.IT!@UE. CIIAP. 1. ?9<br />

tion <strong>de</strong>s esprits, qui se manileste aux États-unis contre<br />

l'émancipation graduelle <strong>de</strong>s noirs, il est impossi'wle <strong>de</strong><br />

ne pas se rappeler les maximes odieuses <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s sur<br />

l'esclavage, et <strong>de</strong> mécotinaitre, sous <strong>de</strong>s nomsdiffér<strong>en</strong>ts,<br />

les m&iiies préjugés.


CHAPITRE II.<br />

De i'économie <strong>politique</strong> chez les Grecs. - Leurs idées sur i'esclavage.<br />

- Administration <strong>de</strong> leurs finances. - 11s viv<strong>en</strong>t du<br />

travail <strong>de</strong>s esclaves et <strong>de</strong>s tributs <strong>de</strong>s alliés. - Ce que c'était<br />

que le thdorique. - Des cldrouqt~ies ou pays conquis. - Chaque<br />

citoy<strong>en</strong> se consi<strong>de</strong>rait comme r<strong>en</strong>tier <strong>de</strong> I'Etat. - Ce qu'il fal-<br />

lait à une famille pour vivre. - Des propriétés publiques. -<br />

Des mines. - De la monnaie. - Le temple <strong>de</strong> Delphes est une<br />

v6ritable banque <strong>de</strong> dépBt. -Quel etait <strong>en</strong> Grèce I'interêt <strong>de</strong><br />

i'ôrg<strong>en</strong>t. - Importance attachée aux finances. - Habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s<br />

Athéni<strong>en</strong>s.<br />

On lit dans le premier livre <strong>de</strong> la Politique d'Aristote<br />

ces paroles remarquables : u La sci<strong>en</strong>ce di1 maître se<br />

s réduit 5i savoir user <strong>de</strong> son esclave. Il est le maître,<br />

D non parce qu'il est propriétaire <strong>de</strong> l'homme, mais<br />

r parce qu'il SC sert <strong>de</strong> sa chose.. . L'esclave fait partie<br />

n <strong>de</strong> la richesse <strong>de</strong> la famille. n Xénophon 2 propose,<br />

comme moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> rev<strong>en</strong>u pour la république, d'accaparer<br />

les esclaves et <strong>de</strong> les louer au plus offrant, après les avoir<br />

marqués au front <strong>de</strong> peiir qu'ils ne s'échapp<strong>en</strong>t. Toute<br />

la philanthropie (les anci<strong>en</strong>s est là, et aussi une bonne<br />

partie <strong>de</strong> leur. économie politiqiie. II -est évi<strong>de</strong>nt que<br />

quand leurs philosophes parl<strong>en</strong>t du peuple, ils <strong>en</strong>t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt<br />

seulem<strong>en</strong>t une bourgeoisie domiciliée pour qui travail-<br />

' Chap. IV.<br />

Des Moy<strong>en</strong>s d'augm<strong>en</strong>ter les rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong> l'Attique, chap. xr.


HISTOIRE DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. II. 3j<br />

l<strong>en</strong>t les masses asservies au joug le plus intolérable.Leiir<br />

susceptibilité est extréme toutes les fois qu'il s'agit d'ac-<br />

cor<strong>de</strong>r à un homme le titre <strong>de</strong> citoy<strong>en</strong>, c'est-à-dire <strong>de</strong> le<br />

faire. passer <strong>de</strong> l'état d'exploitation à celui d'indép<strong>en</strong>-<br />

dance. 11 n'y avait pas jusqa'auparticirlierle plus mo<strong>de</strong>ste<br />

qui ne possédtlt un esclave pour l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong> sa maison.<br />

Les chefs <strong>de</strong> famille d'une fortune médiocre <strong>en</strong> cm-<br />

ployai<strong>en</strong>t pliisieurs à moudre le blé, S cuire le pain, à<br />

faire la cuisine et les habits. On <strong>en</strong> occlipait plusieurs<br />

milliers dans <strong>de</strong>s ateliers pour lesquels Athénes était<br />

r<strong>en</strong>ommée; mais généralem<strong>en</strong>t ils étai<strong>en</strong>t astrein& aux<br />

travaux les plus durs. OnJes <strong>en</strong>voyait boiie à la rivière<br />

avec les chevaux.<br />

C'est donc pour un petit nombre <strong>de</strong> privilégiés que<br />

les institutions <strong>de</strong> la Grèce étai<strong>en</strong>t faites. Les Athéni<strong>en</strong>s<br />

ne montrai<strong>en</strong>t pas plus <strong>de</strong> sympathie pour les souffrances<br />

<strong>de</strong> leurs esclaves que nos manufacturiers n'<strong>en</strong> éprouv<strong>en</strong>t<br />

pour les rouages <strong>de</strong> leurs machincs. Mais quand on se<br />

place au point <strong>de</strong> vue exclusif <strong>de</strong> ce cruel état social, on<br />

ne peut s'empkcher <strong>de</strong> reconnaitre dans plusieurs <strong>de</strong> ses<br />

combinaisons beaucoup d'habileté et <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>iir.<br />

L'administration <strong>de</strong>s finances était dirigée avec un ordre<br />

et une exactitu<strong>de</strong> remarquables. Tous les impOts réga-<br />

Iiers étai<strong>en</strong>t affermés à <strong>de</strong>s <strong>en</strong>trcpr<strong>en</strong>purs qui <strong>en</strong> versai<strong>en</strong>t<br />

le montant au trésor public, sous la surveillance <strong>de</strong>s con-<br />

trôleurs. On avait établi une distinction salutaire <strong>en</strong>tre<br />

le domaine public proprem<strong>en</strong>t dit et les bi<strong>en</strong>s particu-<br />

liers <strong>de</strong>s communes. Le produit <strong>de</strong>s ani<strong>en</strong>dcs prononcées<br />

par les tribunaux, les rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong>s temples, celui <strong>de</strong>s<br />

douanes, étai<strong>en</strong>t versés dans les mains <strong>de</strong> percepteurs<br />

responsables, qui pr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t note <strong>de</strong>s sommes reçues et<br />

poursuivai<strong>en</strong>t les retardataires. Un int<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s reve-<br />

nus pnblics, véritable ministre <strong>de</strong>s finances, avait la di-


32 HISTOIRE<br />

rection <strong>de</strong> toutes les caisses payantes, ordonnançait les'<br />

dép<strong>en</strong>ses et balançait ces dép<strong>en</strong>ses avec les recettes. Des<br />

adininistrations particulières étai<strong>en</strong>t préposées a la confection<br />

<strong>de</strong>s routes, à la construction <strong>de</strong>s vaisseaux, <strong>de</strong>s<br />

CdiGces. Toutes ces adnîinistrations avai<strong>en</strong>t leurs &critiires<br />

et par conséqu<strong>en</strong>t leurs grefîiers, le plus souv<strong>en</strong>t<br />

clioisis parmi les esclaves, parce qu'on pouvait leur<br />

donner la torture pour <strong>en</strong> obt<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s aveux. La défiance<br />

populaire était méme poussée si loin, que nul<br />

comptable ne pouvait ç'éloigncr, ni faire son testam<strong>en</strong>t,<br />

jusqu'j ce qu'il eût r<strong>en</strong>du ses comptes aux officiers publics<br />

Ctablis poiir les recevoir.<br />

Tout ce qui concernait les finances était soumis au<br />

contrôle <strong>de</strong> la publicité. On grawit sur la pierre les<br />

comptes r<strong>en</strong>dus, afin que chacun <strong>en</strong> prit connaissance<br />

et fût <strong>en</strong> état <strong>de</strong> Ies critiquer. Le temps nous a conservé<br />

presque intactes plusieurs inscriptions semblables et<br />

même quelques pierres sur Icsquelles on trouve le cahier<br />

<strong>de</strong>s charges <strong>de</strong> certaines adjuclications, telles que<br />

le fermage <strong>de</strong>s salines, <strong>de</strong> la pêche et <strong>de</strong>s bois. Le dévastateur<br />

d'Alhènes, lord Elgin, a rapporté une <strong>de</strong> ces<br />

pierres qui est dpposée au Muséum britannique. Le<br />

peuple se montrait, d'ailleurs, impitoyable <strong>en</strong>vers les<br />

prbvaricateurs et les coinptables <strong>en</strong> retard. Ri<strong>en</strong> n'était<br />

plus dangereux que <strong>de</strong> <strong>de</strong>x<strong>en</strong>ir ddhiteur puhlic. Dix<br />

jours après cette déclaration prononcée par jugem<strong>en</strong>t,<br />

la coiitrainte par corps était ordonnée ; le condamné<br />

était cxclu à janiais <strong>de</strong>s affaires publiques : ses <strong>en</strong>fants<br />

ct scs petits-<strong>en</strong>fants <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t responsables <strong>de</strong> ses mal-<br />

Ii<strong>en</strong>ïs ou <strong>de</strong> scs torts. Ku1 ne poii~ait <strong>de</strong>nian<strong>de</strong>r <strong>de</strong> rcmise,<br />

h moins qiie la faveur <strong>de</strong> parler à ce sujet lie Iui<br />

fut accordGe par décret rcndii à l'unaiiimité <strong>de</strong> six inille<br />

~oix. Cette extrénw sascepfibililé <strong>en</strong> uiatièrc dc financcs


DE L'ECONO~~IIE POLITIQUE. CHAP. II. 33<br />

n'étonnera point ceux qui connaiss<strong>en</strong>t l'organisation so-<br />

ciale <strong>de</strong>s républiques grecques.<br />

A Athènes surtout, le trésor public était une espèce <strong>de</strong><br />

bourse commune, non-seul<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t pour les besoins collec-<br />

tifs <strong>de</strong> la population, mais <strong>en</strong>core pour les dép<strong>en</strong>ses <strong>de</strong><br />

chaque particulier. Tout citoy<strong>en</strong> était r<strong>en</strong>tier <strong>de</strong> 17J?tat<br />

<strong>de</strong>puis l'institution du thkorique sous Périclès, vhritable<br />

jeton <strong>de</strong> prés<strong>en</strong>ce accordé à la fainkantise patriotiqiie el<br />

bavar<strong>de</strong>, et qui dégénéra bi<strong>en</strong>tôt <strong>en</strong> une taxe <strong>de</strong>s paii-<br />

vres. Dès lors le peuple athéni<strong>en</strong> voulut étre nourri et<br />

amusé aux frais du trésor public. 11 y eut <strong>de</strong>s festins pé-<br />

riodiques, <strong>de</strong>s fétes ruineuses, dont les ordonnateurs re-<br />

clierchai<strong>en</strong>t la popularité aux dép<strong>en</strong>s <strong>de</strong> la prospérité<br />

réelle du pays. De là cette rage <strong>de</strong> confiscations et d'a-<br />

m<strong>en</strong><strong>de</strong>s qui se manifestait presque toujours dans les as-<br />

semblées populaires, et dont Socrate, Miltia<strong>de</strong>, Thémis-<br />

tocle, Aristi<strong>de</strong>, Thrasybule, Cimon et le grand Périclès<br />

lui-même ont été frappés ou m<strong>en</strong>acés tour à tour. Ces<br />

am<strong>en</strong><strong>de</strong>s et ces confiscations étai<strong>en</strong>t infligées aux plus<br />

grands crimes comme aux plus simples coiltrav<strong>en</strong>tions.<br />

Le peiiple était Iracassier, parce qu'il était avi<strong>de</strong> ; il<br />

bannissait sous le moindre prétexte <strong>de</strong>s citoy<strong>en</strong>s hono-<br />

rables qui <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t conspirateurs pour r<strong>en</strong>trer dans<br />

leur patrie, et qui la désolèr<strong>en</strong>t plus d'une fois parce<br />

qu'eIle n'avait pas su être juste.<br />

Les alliés n'étai<strong>en</strong>t autres que <strong>de</strong>s tributaires auxquels<br />

on imposait <strong>de</strong>s contributions <strong>en</strong> écliange d'un contin-<br />

g<strong>en</strong>t <strong>de</strong> soldats tout à fait arbitraire *. La Carie, la<br />

4 Des travaux r6c<strong>en</strong>ts ont justifi6 la <strong>de</strong>mocratie athéni<strong>en</strong>ne d'une<br />

gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s reproches dont elle a 616 l'objet <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s*<br />

histori<strong>en</strong>s. M. Grote, notamm<strong>en</strong>t, a péremptoirem<strong>en</strong>t réfuté, dans<br />

son bel .ouvrage sur l'<strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> la Grèce, les accusalions calorn-<br />

nieuses dont les Bcrivains <strong>de</strong>s partis aristocratiques <strong>de</strong> i'antiquité


Thrace, les Liords <strong>de</strong> l'ilellcspont, Épli~se, l'île <strong>de</strong><br />

Rho<strong>de</strong>s <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t ainsi <strong>de</strong> vérital~les fiefs grecs. hristophaile<br />

comptait plus <strong>de</strong> niille villes asservies ait joug<br />

helléniqile, et il proposait plaisamnieiit dc mettre dans<br />

chacune d'elles vingt citoy<strong>en</strong>s atliénieris <strong>en</strong> perisioa.<br />

Quelq~~efois le <strong>de</strong>spotisme métropolitaiii allait plus loin,<br />

et les Athéni<strong>en</strong>s s'emparai<strong>en</strong>t sotis les inoiiidres prétextes<br />

d'une portion du territoire <strong>de</strong> leurs alliés. Les<br />

ont ét6 si prodigues <strong>en</strong>vers les libres instilutions d'Alh6n~s. La<br />

confédéralion <strong>de</strong>s villes maritimes qui se forma sous les auspices<br />

d'Athènes-<strong>de</strong>ux ans après le combat <strong>de</strong>.Rlycale naquit tout spon-<br />

taném<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s circonstances, ~t il n'est pas possible aujourd'hui <strong>de</strong><br />

conlester I'uliiitS dont elle fut pour la Grèce <strong>en</strong>tière et les villes<br />

' alliées elles-mêmes. La conlributjon à laquelle s'élaieat <strong>en</strong>gngbes<br />

les cites confédérees congistail pour chacune <strong>en</strong> une somme d'ar-<br />

g<strong>en</strong>t et un certain nombre <strong>de</strong> navires <strong>de</strong> gurrre; et, di: l'aveu <strong>de</strong>s<br />

intéressés, elle avait 616 réglée d'une manière parfaitem<strong>en</strong>t équi-<br />

table par Aristi<strong>de</strong>, au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> i'é/sbIissrm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la confédéra-<br />

tion.Si, une tr<strong>en</strong>taine d'années plus lard, Athènes prési<strong>de</strong>nte <strong>de</strong>-<br />

vint, pour nous servir <strong>de</strong> l'expression <strong>de</strong> Grote, Athènes impé-<br />

riale, ce fut <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> parlie pzr la faute <strong>de</strong>s allies eux-memes,<br />

qui préférèr<strong>en</strong>t convertir leurs prestations <strong>en</strong> hommes et <strong>en</strong> vais-<br />

seaux <strong>en</strong> prestations pécuniaires, et qui proposèr<strong>en</strong>t eux-mémes<br />

<strong>de</strong> transférer à Athènes le lrésor <strong>de</strong> la conféddration déposé jus-<br />

que-là à DClos. La contribiition totale avait él6 fix6e par Aristi<strong>de</strong>,<br />

<strong>en</strong> 476 av. J.-C., à 460 til<strong>en</strong>ts (<strong>en</strong>viron 2,600,000 Fr.); au com-<br />

m<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la guerre du Péloponèse, elle n'etail <strong>en</strong>core que <strong>de</strong><br />

600 ta!<strong>en</strong>ls (<strong>en</strong>viron 3,700,000 fr.), et cet accroissein<strong>en</strong>t ne prove-<br />

nait certainem<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong> l'augm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la part proportion-<br />

nel!e imposée à chaque confédéré, mais dci'admission d'un grand<br />

nombre <strong>de</strong> nouvaalix alliés et <strong>de</strong> la conversion <strong>de</strong>s pri?stalions <strong>en</strong><br />

nature <strong>en</strong> conlributions pécuniaires (Grote, IIist. of Grcece, t. V).<br />

- A l'époque où comm<strong>en</strong>ça la guerre du Péloponèse, le rev<strong>en</strong>u<br />

tolal d'Athènes s'élevait à 1,000 tal<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>viron (5,750,000 fr.),<br />

dont 400 prov<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s recettes propres i~ la cité el!e.même et le<br />

reste <strong>de</strong> la contribution <strong>de</strong>s allies. Or, <strong>en</strong> temps <strong>de</strong> paix, les fonds<br />

produi:s par cette contribution n'etai<strong>en</strong>t pas dép<strong>en</strong>ses, niaisélai<strong>en</strong>t<br />

versés au trésor forin6 par PBriclès, et qui s'éleva p<strong>en</strong>danl un<br />

rnorn<strong>en</strong>t jusqu'à 9,700 tal<strong>en</strong>ts. «Ce syslèrne d'epargne publique,<br />

dit Gi.ote,c;ui consic;lsit B niettre <strong>en</strong> réserve touslesans <strong>de</strong>ssomtncs<br />

cons:dét~ablos, et qui rie se trouve qu'à Athènes, car janiais les


DI!! I,'ECOKO~IIE 1'01,fil~~~ CkIlP. II. 3 5<br />

tci-res ainsi conquises portsiel?€ le iioriî <strong>de</strong> Clirouquies.<br />

Les conquérants cn fir<strong>en</strong>t <strong>de</strong> véritables colonies dont les<br />

~tbéni<strong>en</strong>s domiciliés composai<strong>en</strong>t l'aristocratie, toujours<br />

dép<strong>en</strong>dante du gouvernem<strong>en</strong>t c<strong>en</strong>tral. Le père <strong>de</strong> Platon<br />

Ctait clérouqur. Les citoyeiis que l'ktat <strong>en</strong>voyait dans<br />

ces coloiîics recevai<strong>en</strong>t habituell<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s armes et <strong>de</strong><br />

l'arg<strong>en</strong>t, et y <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>tôt odieux aux populations<br />

iildigbnes, qui SC soulev&r<strong>en</strong>t plus aune fois pour re-<br />

Etats du Péloponèscn'ont eu aucun fonds <strong>de</strong> rlserve public, suffit<br />

à lui seul pour absoudre PSricl6s d'avoir dissipé les rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong><br />

l'Etat <strong>en</strong> distributions pernicieuses <strong>de</strong>stinees à le r<strong>en</strong>dre populaire,<br />

et il disculpe <strong>en</strong> méme lemps le peuple athéni<strong>en</strong> du désir<br />

insatiable <strong>de</strong>,vivre aux dép<strong>en</strong>s <strong>de</strong> la bourse commune qu'on a<br />

l'habilu<strong>de</strong> <strong>de</strong> lui reprocher (itfème ouvrage, t. VI, p. IO). ))<br />

Il serait injuste, d'ailleurs, <strong>de</strong> consi<strong>de</strong>rer comme dép<strong>en</strong>ses improductives<br />

les édifices magnifiques que Périclès fit construire à<br />

Alhènes, les œuvres d'art dont il orna les temples, les sommes<br />

considérables qu'il consacra aux fêles et aux spectacles. Qu'on<br />

nous permelte d'invoqaer <strong>en</strong>core L'autorité <strong>de</strong> Grote sur ce point.<br />

« Les vues <strong>de</strong> Péric!ès etai<strong>en</strong>t évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t pan-helléniques. En<br />

fortifiant et <strong>en</strong> orn.ant Athènes, <strong>en</strong> <strong>de</strong>veloppant toute l'activité <strong>de</strong><br />

ses citoy<strong>en</strong>s, <strong>en</strong> lui donnant <strong>de</strong>s lemples, <strong>de</strong>s sacrifices religieux,<br />

<strong>de</strong>s œuvres d'art, <strong>de</strong>s f4tes sol<strong>en</strong>nelles, toutes choses d'un puissant<br />

attrait, il avait l'int<strong>en</strong>lion d'<strong>en</strong> faire quelque chose <strong>de</strong> plus<br />

grand qu'une cite impériale réunissant <strong>de</strong> nombreux allies sous<br />

sa dép<strong>en</strong>dance. Il <strong>de</strong>sirait cn faire le c<strong>en</strong>tre du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t grec,<br />

l'aigi~illon <strong>de</strong> l'intellig<strong>en</strong>ce grecque et le type d'un ferv<strong>en</strong>t pattio- '<br />

tisme démocratique, corribiné avec la pleine liberté <strong>de</strong> l'aspiration<br />

el du goiit individuel. Il ne <strong>de</strong>sirait pas seulem<strong>en</strong>t ret<strong>en</strong>ir les Etats<br />

sujets dans l'union avec AIhènes, mais attirer l'admiration et la<br />

<strong>de</strong>fer<strong>en</strong>ce spontanée <strong>de</strong> voisins indép<strong>en</strong>dants, <strong>de</strong> manière à assurer<br />

à sa palrie un asc<strong>en</strong>dant moral bi<strong>en</strong> plus ét<strong>en</strong>du que son pouvoir<br />

direct. Et il y arriva <strong>en</strong> élevant la cité à une giandzur visible qui<br />

la faisail paraître plus forte <strong>en</strong>core qu'elle ne l'était <strong>en</strong> realité, et<br />

qui avait <strong>en</strong> outre le résultat d'adoucir aux yeux <strong>de</strong>s sujets la<br />

p<strong>en</strong>sée humiliante <strong>de</strong> I'obeissance, <strong>en</strong> .formant <strong>en</strong> nl&nie temps<br />

pour' les étrangers <strong>de</strong> tous pays une sorte d'école normafe d'action<br />

énergique $pus l'empire ni&me.:<strong>de</strong> la liberle la plus cnlière<br />

<strong>de</strong> la critique, <strong>de</strong> belles <strong>en</strong>treprises m<strong>en</strong>ées à fin économiquem<strong>en</strong>t,<br />

: et <strong>de</strong> I'amou~,<strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce sans affaiblissem<strong>en</strong>t du caractère (t. YI,<br />

p. 24). a (iliole <strong>de</strong> I'gditeur.)


conquérir leui. indép<strong>en</strong>dance. Tout était donc conséqri<strong>en</strong>t<br />

dans le système social <strong>de</strong>s Athéni<strong>en</strong>s : on rançonnait<br />

au <strong>de</strong>dans, on ranqoniiait au <strong>de</strong>hors, ici par les<br />

confiscations et les am<strong>en</strong><strong>de</strong>s, ailleurs par les contribiitions<br />

<strong>de</strong> guerre ou par les monopoles. Personne ne songeait<br />

aux ressources qu'on peut trouver dans le travail.<br />

La rage du théorique faisait inv<strong>en</strong>ter chaque jour <strong>de</strong>s<br />

expédi<strong>en</strong>ts nouveaux pour suffire aux consommations <strong>de</strong><br />

ceg discoureurs exigeants, qui délibérai<strong>en</strong>t éternellem<strong>en</strong>t<br />

sans jamais ri<strong>en</strong> produire.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, si le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t exagéré <strong>de</strong> leur supériorité<br />

civique n'eût pas détourné les Athéni<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s voies régulières<br />

<strong>de</strong> la production, ils aurai<strong>en</strong>t peut-être ;ésolu le<br />

grand problème <strong>de</strong> la répartition la plus générale <strong>de</strong>s<br />

profits du travail. Toute leurs institutions avai<strong>en</strong>t pour<br />

but <strong>de</strong> faire participer les citoy<strong>en</strong>s aux bi<strong>en</strong>faits <strong>de</strong> I'association;<br />

mais ils <strong>en</strong> excluai<strong>en</strong>t les esclaves, qui formai<strong>en</strong>t<br />

près <strong>de</strong>s trois quarts <strong>de</strong> la population. L'état<br />

<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ait <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins publics (Hippocrate l'a été à<br />

Athènes), <strong>de</strong>s professeurs, <strong>de</strong>s artistes chargés <strong>de</strong> l'embellissem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s monum<strong>en</strong>ts dont chaque citoy<strong>en</strong> se<br />

. considérait comme copropriétaire; les fonctions <strong>de</strong><br />

notaire, celles <strong>de</strong> procureur, qui sont <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ues, parmi<br />

nous, <strong>de</strong>s sources d'exactions si onéreuses pour les<br />

familles, étai<strong>en</strong>t salariées par l'etat. L'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t<br />

était libre. Les <strong>en</strong>fants <strong>de</strong>s soldats morts recevai<strong>en</strong>t leur<br />

éducation aux frais du trésor public, et les orphelins<br />

trouvai<strong>en</strong>t dans la sc~llicitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s magistrats une protection<br />

toute paternelle. Démosthènes comm<strong>en</strong>ça sa réputation<br />

d'orateur <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant à partie ses tuteurs, 'et il<br />

gagna contre eux son premier procès. Les Athéni<strong>en</strong>s<br />

avai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> général pour principe qu'aucun citoy<strong>en</strong> ne<br />

<strong>de</strong>vait être dans le besoin, et ils accordai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s secours


DE L'ECONOJI~E I'OLITIQUE. CHBP. II. 37<br />

à ce& que leurs infirmitbs corporelles r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t inca-<br />

pables <strong>de</strong> pourvoir à leur subsistance. Mais cette libé-<br />

ralité dont ils usai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>vers <strong>en</strong>x-m<strong>en</strong>ies, <strong>en</strong>traîna bi<strong>en</strong>-<br />

tdt ses consEqu<strong>en</strong>ces naturelles, <strong>en</strong> multipliant outre<br />

mesure le nombre <strong>de</strong>s oisifs ou <strong>de</strong>s imprévoyants, et<br />

quand les malheurs cl@ la guerre du Péloponése eur<strong>en</strong>t<br />

tari les sources <strong>de</strong> l'impôt, la misère se montra dans<br />

toute son horreur. 11 fallutétablir une véritable taxe <strong>de</strong>s<br />

pauvres dont le professeur Boeclrli a discuté les chiffres<br />

incertains avec sa lucidité accoutumée, dans son excel-<br />

l<strong>en</strong>t ouvrage sur l'Éeosomie <strong>politique</strong> <strong>de</strong>s Athéni<strong>en</strong>s l. En<br />

méme temps l'esprit d'association les aidait à lutter<br />

contre la détresse du trésor. Plusieurs particuliers se<br />

réunir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> use socicté appelée Éranos, à la condition<br />

<strong>de</strong> verser une cotisation qui était répartie selon les<br />

besoins <strong>de</strong> chacun. CetLe société portait le nom <strong>de</strong> com-<br />

munauté <strong>de</strong>s Émnistes, et le chef était appelé Éra-<br />

narqzie.<br />

C'est à ces habitu<strong>de</strong>s antiéconomiques <strong>de</strong> vivre pres-<br />

que toujours aux frais du trésor public que les Grecs<br />

ont dù la perte <strong>de</strong> leur liberté et le peu <strong>de</strong> développe-<br />

ni<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Ieiir puissance industrielle. Les distributions<br />

publiques ayant pris un caractère périodique, tous les<br />

ambitieux jaloux <strong>de</strong> popularité achetèr<strong>en</strong>t la bi<strong>en</strong>veil-<br />

lance <strong>de</strong> la multitu<strong>de</strong> par <strong>de</strong>s largesses qui épuisai<strong>en</strong>t<br />

1'Etat sans <strong>en</strong>richir les donataires. Platon reinarque<br />

avec justesse que ce fatal système avait r<strong>en</strong>du les Athé-<br />

ni<strong>en</strong>s paresseux, avi<strong>de</strong>s, intrigants et mobiles. I'ériclès,<br />

qui <strong>en</strong> fut l'auteur, ne se faisait point illusion sur ses<br />

inconvéni<strong>en</strong>ts, mais il <strong>en</strong> avait besoin pour maint<strong>en</strong>ir sa<br />

puissance, et il y persista. De là naquir<strong>en</strong>t les m<strong>en</strong>ées<br />

Tome 1, chap. xvii.<br />

4e ÉDIT. T. I.


38 HISTOIRE<br />

perpétuelles <strong>de</strong>s orateurs qui avai<strong>en</strong>t intérét à flatter ce<br />

souveraii aux vingt mille têtes qu'on appelait le peuple,<br />

et dont l'avidité ne pouvait Btre assouvie que par <strong>de</strong>s<br />

impûts énormes sur les riches ou par <strong>de</strong>s confiscations.<br />

Les démagogues <strong>en</strong> étai<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>us au point <strong>de</strong> déclarer<br />

publiquem<strong>en</strong>t dans Ieurs harangues que si l'on ne con-<br />

damnait pas tel ou tel citoy<strong>en</strong>, il serait impossible <strong>de</strong><br />

suffire au salaire du peuple. Lesriches mehacés s'exécu-<br />

tai<strong>en</strong>t quelquefois pour 'conjurer l'orage; il se faisait ,<br />

alors une distribution extraordinaire où tous les mécon-<br />

t<strong>en</strong>ts étai<strong>en</strong>t appelés à la curée. Ainsi naquit le théo-<br />

rique, et Déma<strong>de</strong> osa dire tout haut que les distributions<br />

d'arg<strong>en</strong>t étai<strong>en</strong>t le cim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la démocratie. Ne trouve-<br />

t-on pas, à plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mille ans <strong>de</strong> distance, le même<br />

système r<strong>en</strong>ouvelé <strong>de</strong>s Grecs dans le salaire <strong>de</strong> 40<br />

sous par jour accordé<strong>en</strong> 1793 aux sectionnaires<strong>de</strong> Paris.<br />

Tout était calculk chez les Grecs pour assurer <strong>de</strong>s sa-<br />

laires à chaque classe <strong>de</strong> citoy<strong>en</strong>s. Les orateurs se fai-<br />

sai<strong>en</strong>t payer pour parler, et le peuple pour <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre;<br />

les juges, véritables jurés, ne s'étai<strong>en</strong>t pas non plus<br />

oubliés. Soit par <strong>politique</strong>, soit plutôt pour assurer <strong>de</strong>s<br />

positions aux notabilités populaires, on accréditait<br />

auprès <strong>de</strong> chaque puissance <strong>de</strong>ux, trois et jusqu'à dix<br />

ambassa<strong>de</strong>urs à la fois. Certains crieurs publics, certains<br />

copistes <strong>de</strong>s décrets du peuple se faisai<strong>en</strong>t noiirrir,au<br />

Prytanée, dans lequel sans doute aussi l'État leur four-<br />

nissait <strong>de</strong>s logem<strong>en</strong>ts. Il y avait <strong>de</strong>s musici<strong>en</strong>s et <strong>de</strong>s<br />

poëtes <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>us; <strong>en</strong>fin la foule <strong>de</strong>s salariés était si<br />

gran<strong>de</strong>, qu'il fallut établir <strong>de</strong>s règles sévères contre le<br />

. cumul, cette lèpre <strong>de</strong>nos financesmo<strong>de</strong>rnes. Il est facile<br />

<strong>de</strong> se faire une idée <strong>de</strong> l'énormité <strong>de</strong>simpôts qu'exigeait<br />

le payem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> tous ces salaires, quand on sait que la<br />

plus pauvre famille <strong>de</strong> quatre personnes ne pouvait pas<br />

'


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. WAP. II. 39<br />

vivre à moins d'un rev<strong>en</strong>u équival<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 400 fr. <strong>de</strong><br />

notre monnaie, si elle ne se cont<strong>en</strong>tait pas unic~uem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> pain et d'eau. 11 fallait donc <strong>de</strong>s ressources beaucoup<br />

plus considérables pour vivre déc<strong>en</strong>~ni<strong>en</strong>t ; <strong>en</strong> outre, la<br />

piété <strong>de</strong>s Grecs <strong>en</strong>srers les morts leur faisait souv<strong>en</strong>t<br />

faire cle grands frais pour les funérailles et pour les<br />

tombeaux; ils employai<strong>en</strong>t une quantité notable <strong>de</strong><br />

richesse <strong>en</strong> meubles, vêtem<strong>en</strong>ts et bijoux. La plupart<br />

<strong>de</strong>s bonnes maisons ne r<strong>en</strong>fermai<strong>en</strong>t pas seulem<strong>en</strong>t les<br />

objets nécessaires pour les usages ordinaires <strong>de</strong> la vie,<br />

mais généralem<strong>en</strong>t les instrum<strong>en</strong>ts iridisperisables B<br />

, l'exercice <strong>de</strong> plusieurs métiers, tels que le tissage, la<br />

boulangerie, pratiqués à domicile par les esclaves. La<br />

vanité avait conduit au luxe <strong>de</strong>s vases précieux d'or et<br />

d'arg<strong>en</strong>t, et ils se maltiplidr<strong>en</strong>t tellem<strong>en</strong>t, que pour <strong>en</strong><br />

fournir à ceux qui ne pouvai<strong>en</strong>t y mettre le prix, on fut<br />

obligé d'<strong>en</strong> fabriquer dont l'épaisseur ne dépassait pas<br />

celle <strong>de</strong> l'épi<strong>de</strong>rme. Maint<strong>en</strong>ant si l'on considère qu'il y<br />

avait <strong>en</strong>viron dix mille maisons h Athènes, indépeiidamm<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s constructions <strong>de</strong>s ports, <strong>de</strong>s petites villes et<br />

<strong>de</strong>s villages, et <strong>en</strong>viron 360,000 esclaves, on pourra se<br />

faire une idée <strong>de</strong> la richesse accumulée dans cette république,<br />

et, par analogie, <strong>de</strong> la puissance relative <strong>de</strong>s<br />

autres républiques grecques.<br />

On se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> toutefois avec surprise comm<strong>en</strong>t les<br />

Athéni<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t parv<strong>en</strong>us a payer ces éniolum<strong>en</strong>ts universels<br />

distribués aux différ<strong>en</strong>tes classes <strong>de</strong> citoy<strong>en</strong>s.<br />

Dans le principe, les temples et les prétres étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre- ,<br />

t<strong>en</strong>us au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong>s terrains sacrés, <strong>de</strong>s dîmes foncières<br />

et <strong>de</strong>s sacrifices '. Les magistrats <strong>de</strong> l'ordre judiciaire<br />

4 On immolait quelquefois à Athènes, dans certaines fktes reli-<br />

gieuses, jusqu'à trois c<strong>en</strong>ts bceuïs, dont on distribuait au peuple la<br />

chair et les peaux.


40 HISTOlRE<br />

recevai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s épices. l'lus tard, lorsque Solon eùt par-<br />

tagé le peuple <strong>en</strong> quatre classes selon leur <strong>de</strong>gré dc for-<br />

tune, chaque classe fut taxée d'apriis le capital imposa-<br />

ble dont elle était c<strong>en</strong>s<strong>de</strong> jouir, <strong>de</strong>manière pourtant que<br />

la pks riche payait dans une proportion <strong>de</strong> son rev<strong>en</strong>u<br />

plus considérable que la plus pauvre : ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> taxa-<br />

tion paraissait avoir tous les caractères <strong>de</strong> l'impôt <strong>de</strong><br />

quotité. Pour l'établir sur une base équitable, il existait<br />

un cadastre <strong>de</strong>s propriétés qui était revisé tous les qua-<br />

tre ans. Ce cadastre ne remplissait pas toutefois l'objet<br />

<strong>de</strong> nos registres d'hypothèques; le prêteur qui voulait<br />

pr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s sûretés se cont<strong>en</strong>tait <strong>de</strong> poser une borne,<br />

sur laquelle il inscrivait son nom, <strong>de</strong>vant le champ <strong>de</strong><br />

son débiteur. Outre l'impôt <strong>de</strong> quotité qui produisait<br />

seul <strong>de</strong>s sommes considérables, et les tributs <strong>de</strong>s alliés,<br />

espèce <strong>de</strong> contribution <strong>de</strong> guerre rigoureusem<strong>en</strong>t payée<br />

<strong>en</strong> temps <strong>de</strong> paix, les Athéni<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t les rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong>s<br />

mines, les am<strong>en</strong><strong>de</strong>s et les produits <strong>de</strong>s confiscations dont<br />

nous avons déjà parlé, et les droits <strong>de</strong> douanes. état<br />

et les communes possédai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s propriétés dont le fer-<br />

mage produisait <strong>de</strong>s sommes importantes. Ces propriétiis<br />

consistai<strong>en</strong>t ordinairem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> pAturages, foréts, maisons<br />

et salines. On les donnait à hail à perpétuité ou à temps<br />

à un fermier général qui s'<strong>en</strong>gageait à verser les rev<strong>en</strong>us<br />

d'une manière régulière dans les caisses du trésor.<br />

Les Grecs, et principalem<strong>en</strong>t les Athéni<strong>en</strong>s, manifestè-<br />

r<strong>en</strong>t <strong>de</strong> bonne heure leur aversion pour tout ce qùi res-<br />

semblait à un iqp6t personnel et surtout à l'impôt fon-<br />

cier. 11 n'y avait pas chez eux <strong>de</strong> contribution <strong>de</strong>s portes<br />

et f<strong>en</strong>êtres. Leurs rev<strong>en</strong>us habituels prov<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s do-<br />

maines publics et <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s communes. Ils aimaiedt<br />

surtout à frapper <strong>de</strong>s taxes sur les étrangers, et ils re-<br />

courai<strong>en</strong>t volontiers, même dans les circonstances ordi-


DE L'ÉCOWOBIIE POLITIQUE. CHAP. II. 41<br />

naires, a la ressource <strong>de</strong>s impbts indirects, 6tahlis d'ailleurs<br />

avec une gran<strong>de</strong> modération. Biais c'est surtout<br />

aux produits <strong>de</strong> leurs mines qu'ils attachèr<strong>en</strong>t dc tout<br />

tèmps une importance particiili?>re. Celles <strong>de</strong> l'Attique et<br />

du Laurium paraiss<strong>en</strong>t avoir fourni dts l'origine cles<br />

trésors considérables, pnisqiie c'est au siiccès <strong>de</strong> leur exploitation<br />

que Thénîistocle dut lcs moy<strong>en</strong>s ile porter à sa<br />

plus gran<strong>de</strong> hauteur la puissance maritime <strong>de</strong> l'ht.<br />

Toutefois ccs mines ne tarilkr<strong>en</strong>t pas à s'épuiser, et du<br />

'temps <strong>de</strong> Strabon on <strong>en</strong> retirait B peine (le quoi courrir<br />

les frais d'exploitation. Il est probahle aussi que les connaissances<br />

imparfaites <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s dans les sci<strong>en</strong>ces chimiques<br />

ne letir permir<strong>en</strong>t pas d'<strong>en</strong> tirer Ic parti conv<strong>en</strong>able.<br />

Ce travail était exéciité par <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s d'csclnves<br />

naturellem<strong>en</strong>t peu instruits, asscï; mal disciplicés , ct<br />

qu'on pourrait comparer avec exactitu<strong>de</strong> à ccs malheureux<br />

Indi<strong>en</strong>s dont les Espagnols avai<strong>en</strong>t peiiplé leurs mines<br />

da Mexique et du Perm, au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

conqiikte. Aussi, ri<strong>en</strong> n'égala le désespoir (les Athéni<strong>en</strong>s,<br />

quand ces ressources leur manquèr<strong>en</strong>t tout à coup, ct<br />

qu'ils & vir<strong>en</strong>t, comme les Espagnols <strong>de</strong> nos jours , rédiiits<br />

à cliercher dans Ic travail dont ils avai<strong>en</strong>t perdu<br />

l'habitu<strong>de</strong>, un refuge contre la rnisbre et la ruine. Cette<br />

r6volotion dut leur &Ire d'autant plus pénible, que les<br />

mines 6tai<strong>en</strong>t réparties <strong>en</strong>tre un plus grand nombre <strong>de</strong><br />

propriélaircs ou dc fermiers, jusque-là fort riches ct placés<br />

sur la même ligne que les agriciilteurs et les niarcllands<br />

l ~s plus opul<strong>en</strong>ts.<br />

Tout nous porte ti croire qiic les anci<strong>en</strong>s partageai<strong>en</strong>t<br />

les prb.jugés modcrnes au sujet <strong>de</strong>s m6tanx prkieiix.<br />

Rous verronç dan? l'exposé <strong>de</strong>s Ecnnomipres dc X<strong>en</strong>oplion<br />

qu'ils considéraicnt l'or et l'argrnt comme la ricliesse<br />

par excell<strong>en</strong>ce, et qiie leur politiqiie cut toiijours


42 HISTOIRE<br />

pour but <strong>de</strong> faire affluer ces métaux sur le territoire na-<br />

tional par tous les moy<strong>en</strong>s possibles. C'est ainsi qu'ils<br />

avai<strong>en</strong>t établi sur les marchandises étrangères l'impôt du<br />

cinquantième, qui était une taxe <strong>de</strong> douane. Cet impôt<br />

<strong>de</strong>vait etre acquitté au mom<strong>en</strong>t du déchargem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

marchandises, <strong>en</strong> aig<strong>en</strong>t et non <strong>en</strong> <strong>de</strong>nrées, opération fa-<br />

cile si l'on considère que presque tout le commerce <strong>de</strong> la<br />

Grèce se faisait par mer. II <strong>de</strong>vait méme exister à la<br />

porte <strong>de</strong> certaines villes un véritable octroi, source <strong>de</strong><br />

frau<strong>de</strong> comme le nôtre, puisque les auteurs rapport<strong>en</strong>t'<br />

plusieurs cas extrkmem<strong>en</strong>t curieux <strong>de</strong> contreban<strong>de</strong>, <strong>en</strong>tre<br />

autrcs celui d'un paysan qui introduisait <strong>de</strong>s barils <strong>de</strong><br />

miel dans <strong>de</strong>s sacs d'orge, et qui fut décoiwert par <strong>de</strong>s<br />

préposés accourus au secours <strong>de</strong> son &ne abattu.<br />

La monnaie d'or et d'arg<strong>en</strong>t était assez rare. chez les<br />

Grecs avant leurs exp4ditions <strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t. La conqukte<br />

d'une partie <strong>de</strong> l'Asie par Cyrus fit affluer vers l'Occi-<br />

<strong>de</strong>nt une masse imm<strong>en</strong>se <strong>de</strong> niiméraire, et sans doute<br />

les fabuleux récits <strong>de</strong>s richesses <strong>de</strong> Crésus et du Pactole<br />

aux sables d'or doiv<strong>en</strong>t leur origine à <strong>de</strong>s fails vraisem-<br />

blables que l'imagination <strong>de</strong>s Grecs aura exagérés. La<br />

gran<strong>de</strong> variété <strong>de</strong>s monnaies importées donna naissance<br />

à l'industrie <strong>de</strong>s changeurs qui spéciilai<strong>en</strong>t, comme ceux<br />

<strong>de</strong> nos jours, sur la conversion <strong>de</strong>s espèces. Les Atlié-<br />

ni<strong>en</strong>s exerçai<strong>en</strong>t d'ailleurs une surveillance sévère sur<br />

la fabrication <strong>de</strong> la monnaie, et la leur était <strong>de</strong> si bon<br />

aloi, qu'on la recherchait avec faveur sur tous les mar-<br />

chés. Quoique Plme le naturaliste l, Strabon et Dio-<br />

dore <strong>de</strong> Sicile 3 nous ai<strong>en</strong>t laissé <strong>de</strong> précieux docum<strong>en</strong>ts<br />

sur les richesses métalliques <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s, on n'<strong>en</strong> doit<br />

' Liv. xxxir.<br />

2 Liv. rir, IV et v.<br />

3 Liv. xxvir et xxxvi


DE L'ECONOPIE POLITIQUE. CHAP. II. 43<br />

pas moins. regretter la perte du livre spécial que Théo-<br />

phraste parait avoir écrit sur l'art métallurgique 300 ans<br />

avant notre ère, et dont il nous est resté quelques frag-<br />

m<strong>en</strong>ts épars dans les ouvrages <strong>de</strong>s &crivains scs succes-<br />

seurs. C'est làque tous ont puisé les docum<strong>en</strong>ts relatifs<br />

à la question du numéraire dans l'antiquité. Philippe <strong>de</strong><br />

Macédoine soutint ,la guerre contre les Grecs autant avec<br />

<strong>de</strong> I'or qu'avec du fer. Alexandre, son fils, rapporta <strong>de</strong>s<br />

millions <strong>de</strong> son expédition <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, et il fit à ses solclats<br />

<strong>de</strong>s libéralités extraordinaires. Les Ptolémées, ses suc-<br />

cesseurs, pass<strong>en</strong>t pour avoir réuni près d'un milliard cle<br />

francs <strong>de</strong> notre monnaie <strong>en</strong> espèces. L'arg<strong>en</strong>t &tait d'ail-<br />

leurs plus rare qu'aujourd'hui relativem<strong>en</strong>t a I'or. Au<br />

dix-neuvième sièclc le prix <strong>de</strong> l'or est quinze fois plus<br />

élevé que celui <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t, tandis que du temps <strong>de</strong>s<br />

Grecs il ne l'était que clix fois davantage. Une monnaie<br />

<strong>de</strong> billon, mélée <strong>de</strong> fer et <strong>de</strong> cuivre, servait aux rela-<br />

tions usuelles du pctit commerce, et n'avait pas cours<br />

<strong>en</strong> <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s frontiércs.<br />

L'extrbme importance âttribuée à l'or et à l'arg<strong>en</strong>t<br />

donna naissance chez les Grecs à <strong>de</strong>s institutions finan-<br />

cières qui ne manqu<strong>en</strong>t pas d'analogie avec les nôtres.<br />

Le temple <strong>de</strong> Delphes recevait annuellem<strong>en</strong>t, sous la '<br />

protection d'Apollon, <strong>de</strong>s dépôts <strong>de</strong> sommes considé-<br />

rables appart<strong>en</strong>ant à <strong>de</strong>s particuliers et méme à <strong>de</strong>s<br />

villes. Les prétrcs intéressés à voir l'or s'amasser an<br />

pied <strong>de</strong> leurs autels, <strong>en</strong>couragèr<strong>en</strong>t ces dispositions, et<br />

le temple <strong>de</strong> Delphes <strong>de</strong>vint une banque <strong>de</strong> dépOt res-<br />

pectée dans toute la Gréce. Cep<strong>en</strong>dant comme on ne<br />

retirait aucun intérét <strong>de</strong>s sommes qui y étai<strong>en</strong>t dépo-<br />

sées, plusieurs concurr<strong>en</strong>ces s'établir<strong>en</strong>t, et la profes-<br />

sion <strong>de</strong> banquier ne tarda pas à <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir très-lucrative.<br />

Le moindre taux <strong>de</strong> l'intérét paraît avoir été <strong>de</strong> 10 pour


44 HISTOIRE<br />

100, et le plus haut <strong>de</strong> 36. L'usure prit une ext<strong>en</strong>sion<br />

démesurée, <strong>en</strong> raison <strong>de</strong>s profils qu'on pouvait retirer<br />

<strong>de</strong>s. capitaux à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s esclaves, et surtout à cause du<br />

peu <strong>de</strong> securité <strong>de</strong>s prdteurs. Le méme phénoméne se<br />

reproduit <strong>en</strong>core <strong>de</strong> nos jours dans les pays à esclaves,<br />

ainsi qu'on le voit dans nos colonies, où d'ailleurs les<br />

formalités <strong>de</strong> l'expropriation sont si l<strong>en</strong>tes, qu'un débi-<br />

teur <strong>de</strong> mauvaise foi peut faire mourir son créancier à<br />

I la peine. Aussi les préteurs étai<strong>en</strong>t dans l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

prélever yar avance la somme <strong>en</strong>tière <strong>de</strong>s intéréts, qii'ils<br />

prêtai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nouveau à <strong>de</strong>s conditions rigoureuses, lm- ,<br />

vant le mépris pul?lic mêlé <strong>de</strong> défbr<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong> flatterie<br />

qui s'attachait aux hommes d'arg<strong>en</strong>t dans ce temps-là<br />

comme <strong>de</strong> nos jours. L'usure reparaîtra, non moins Iii-<br />

<strong>de</strong>use, à Rome et dans toute l'Europe au moy<strong>en</strong> Age :<br />

symptdme fatal <strong>de</strong> l'ignorance <strong>de</strong>s véritables lois <strong>de</strong> la<br />

production et du mepris <strong>de</strong>s plus simples exig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la<br />

morale. On peut juger par ces faits <strong>de</strong> ce que <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t<br />

etre les loyers et les fermages, dont le taux se règle tou-<br />

jours pliis ou moins d'après celui <strong>de</strong> 1'intéré.t <strong>de</strong> l'ar-<br />

g<strong>en</strong>t. Le professeur Boeckh évalue à huit et <strong>de</strong>mi pour<br />

c<strong>en</strong>t du capital Iemontant <strong>de</strong>s loyers celui <strong>de</strong>s fermages<br />

était un peu moins élevé. On bfitissait par spéculation<br />

<strong>de</strong>s espèces d'hbtels dont les appartem<strong>en</strong>ts étai<strong>en</strong>t loués<br />

aux divers Ctrangers que la <strong>politique</strong> ou le commerce<br />

attirait à. Athènes et qui n'y avai<strong>en</strong>t pas droit <strong>de</strong> bour-<br />

geoisie. t<br />

II est îacile <strong>de</strong> concevoir, d'après ccs données, sur<br />

qiielles bases onéreuses <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t étre effectiiés les em-<br />

prunts publics. Le manque <strong>de</strong> sécurité et la t<strong>en</strong>dance<br />

perpétuelle <strong>de</strong> ces peuples aux spoliations juridiques<br />

permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> douter qu'un seul emprunt <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re<br />

ait 6té cons<strong>en</strong>ti librem<strong>en</strong>t. On aimait mieux recourir B


ni3 L'ECOXO~E POLlTlQUE. CHAP II. 45<br />

<strong>de</strong>s augm<strong>en</strong>tations ou S <strong>de</strong>s crkations d'impdts, meme<br />

sur la propriété fonciére, quand Ics besoins <strong>de</strong> l'État<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t trop pressants. Le tem~jle <strong>de</strong> Dclphes, celui<br />

<strong>de</strong> Délos prktèr<strong>en</strong>t d'une fois une partie <strong>de</strong>s sommes<br />

qui leur avai<strong>en</strong>t été confiées. On décrétait <strong>de</strong> temps <strong>en</strong><br />

temps <strong>de</strong>s anticipations d'impbt qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t ktre supportées<br />

par les riches, véritables emprunts forcés assez<br />

semblables à ceux que nous avons vus <strong>de</strong> nos jours.<br />

Enfin on alla jusqu'à créer une monnaie fictive <strong>de</strong><br />

fer qui fut considérée comme reelle, et au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />

laqiielle on remplaca les esphces d'or et d'arg<strong>en</strong>t expor-tées<br />

par le commerce extérieur, jusqu'au mom<strong>en</strong>t où la<br />

monnaie <strong>de</strong> fer fut rachetkc et annulée, à l'instar <strong>de</strong> nos<br />

assignats. Puis vinr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s altkrations <strong>de</strong> monnaies plus<br />

lionteuses et plus ~Iéplorables, dcs alliages d'arg<strong>en</strong>t et<br />

<strong>de</strong> plomb, d'arg<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> cuivre, expbdicnts ortlinaires<br />

<strong>de</strong>s gouvernem<strong>en</strong>ts ailx al~ois; mais ces bcai'ts fiir<strong>en</strong>t<br />

toujours rlc peu <strong>de</strong> durée, et si l'on excepte Sparte, où<br />

la monnaie consista longtemps cn harres (le fer lour<strong>de</strong>s<br />

et grossières par <strong>de</strong>s motifs inhér<strong>en</strong>ts à la constitution<br />

<strong>de</strong> cette république ntopique, la Grke n'a ce& <strong>de</strong> se<br />

montrer fidèle à la réputation <strong>de</strong> son syst+rrie mon6taire.<br />

Les hommes d'ktat <strong>de</strong> ce pays ont toujours attaché<br />

une grandc import<strong>en</strong>ce aux afi'aires (le finances. C'titait<br />

iine sci<strong>en</strong>ce diTîicilc dans lin temps où les iletles publiques<br />

rie pcrrnettai<strong>en</strong>t lias <strong>de</strong> grcver l'av<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s charges<br />

di1 prtsciit. Les dép<strong>en</strong>ses extrnordinaircs pcsant dc tout<br />

leur poids sur Ic contribiial~lc, il fallait s'ingbnirr <strong>de</strong><br />

mille manii.rcs pour ne pas atteindre le capital, et par<br />

conséqu<strong>en</strong>t In production dans sa source. nialheurcusem<strong>en</strong>t<br />

l'interv<strong>en</strong>tion populaire, souv<strong>en</strong>t peu tclairéc,<br />

donna lieu il <strong>de</strong> graves dilapidations; les monum<strong>en</strong>ts


46 HISTOIRE<br />

<strong>de</strong>s arts s'élevèr<strong>en</strong>t avec profusion pour satisfaire la va-<br />

nité nationale; l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> vivre aux dép<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s al-<br />

liés détourna les citoy<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s voies régulières di1 tra-<br />

vail. L'exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l'État dép<strong>en</strong>dait donc ainsi <strong>de</strong> I'ex-<br />

térieur, et <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ait par conséqu<strong>en</strong>t trés-incertaine. C'est<br />

ce qui avait frappé Xénoplion lui-meme, lorsqu'jl écri-<br />

vit son traité <strong>de</strong>s rev<strong>en</strong>vs <strong>de</strong> l'Attique, dont nous aurons<br />

bi<strong>en</strong>tôt occasion <strong>de</strong> parler.<br />

Un semblable système <strong>de</strong>vait nécessairem<strong>en</strong>t exercer<br />

une gran<strong>de</strong> influ<strong>en</strong>ce sur les mceurs <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> la<br />

Grèce.-Les Athéni<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>clins au jeu et à I'oisi-<br />

veté; on les voyait souv<strong>en</strong>t assis <strong>de</strong>vant les portiques <strong>de</strong><br />

leurs monum<strong>en</strong>ts, raisonner d'affaires <strong>politique</strong>s, discn-<br />

ter les nouvelles du jour, puis visiter les boiitiques, les<br />

marchés et les bains publics, une canne à la main. Quel-<br />

quefois ils se faisai<strong>en</strong>t suivre par un esclave portant un<br />

pliant qu'ils déployai<strong>en</strong>t pour s'y asseoir quand ils<br />

étai<strong>en</strong>t fatigués. Leurs repas étai<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t somp-<br />

tueux, et le pain qu'on v<strong>en</strong>dait, méme aux plus simples<br />

ouvriers, était d'un goût exquis et d'une blancheur<br />

éblouissante. Leursmarcliés etai<strong>en</strong>t fournis <strong>de</strong> gibier, <strong>de</strong><br />

poisson, <strong>de</strong> légumes et <strong>de</strong> fruits <strong>de</strong> toute espèce. A<br />

Sparte, c'était tout le contraire, et cep<strong>en</strong>dant les consé-<br />

qu<strong>en</strong>ces du système lacédémoni<strong>en</strong> diffèr<strong>en</strong>t peu <strong>de</strong> celles<br />

<strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s d'Athènes. Les'Spartiates ne se sont jamais<br />

élevés à la hauteur d'une nation civilisée, parce qu'ils<br />

ont cherché à étouffer tous les besoins ; et les Ath6ni<strong>en</strong>s<br />

<strong>en</strong> son1 promptem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dus, pour avoir oul lu les<br />

satisfaire à tout prix, et s'<strong>en</strong> créer chaque jour <strong>de</strong> nou-<br />

veaux.<br />

u Si l'on jette les yeus sur l'<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong><br />

<strong>politique</strong> <strong>de</strong>s Athéni<strong>en</strong>s, à laquelle ressemblai<strong>en</strong>t plus ou<br />

moins les systhmes financiers cles autres Grecs qui jouis-<br />

.


DE L'ECONO&IIE POLITIQUE. CRAP. 11. 47<br />

sai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la liberté, 5 l'exception dc Sparte, on reconnaît<br />

que beaucoup <strong>de</strong> ses parties étai<strong>en</strong>t calctilées avec ssgesse.<br />

Les Grecs n'étai<strong>en</strong>t ni pauvres ni indiffér<strong>en</strong>ts pour<br />

les richesses ; mais la masse <strong>de</strong>s métaux précieux <strong>en</strong> circulation<br />

n'était pas aussi considérable que dans les ktats<br />

<strong>de</strong> l'Europe mo<strong>de</strong>rne, et l'on faisait <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce<br />

beaucoup <strong>de</strong> choses avec peu d'arg<strong>en</strong>t ; comme les bi<strong>en</strong>s<br />

donnai<strong>en</strong>t d'assez forts rev<strong>en</strong>us, les particuliers ponvai<strong>en</strong>t<br />

supporter <strong>de</strong>s charges élevées. Athènes fit <strong>de</strong> nobles<br />

dép<strong>en</strong>ses pour le culte <strong>de</strong>s dieux, pour perpétuer les<br />

p<strong>en</strong>sées généreuses et les gran<strong>de</strong>s actions par <strong>de</strong>s monum<strong>en</strong>ts<br />

qui manifestai<strong>en</strong>t un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t exquis <strong>de</strong>s beauxarts.<br />

Mais les distributions et les salaires <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drér<strong>en</strong>t<br />

l'oisiveté ; le peuple se persuada que l'ktat <strong>de</strong>vait le<br />

nourrir, et que son unique occupation <strong>de</strong>vait Atre <strong>de</strong> diriger<br />

l'administration générale. C'btait comme un problème<br />

pour les hommes publics <strong>de</strong> rechercher comm<strong>en</strong>t<br />

ils pourrai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>richir le peuple, non par le travail et<br />

l'industrie, mais <strong>en</strong> lui sacrifiant les rcv<strong>en</strong>us <strong>de</strong> 1'Etat;<br />

car on regardait la chose publique con-~me une propriété<br />

commune , qui <strong>de</strong>vait ktre' partagée <strong>en</strong>trc lcs particuliers<br />

'. 1)<br />

4 Boeckb, $conornie <strong>politique</strong> <strong>de</strong>s Atl~dni<strong>en</strong>s, liv. IV, ch. 21.


*<br />

CHAPITRE III.<br />

Des ciystémes economiques essay6s ou proposes <strong>en</strong> Grèce. - Des<br />

lois <strong>de</strong> Lycurgue. - République <strong>de</strong> Platon. - Économiques <strong>de</strong><br />

X<strong>en</strong>ophon. - Polititique d'Aristote.<br />

'<br />

Noris ne p<strong>en</strong>sons pas qu'on ait hasardé <strong>en</strong> aiicun pays<br />

du,mon<strong>de</strong> un système d'écoiiomie <strong>politique</strong> aussi cxtraordinaire<br />

que les lois <strong>de</strong> Lycurgue a Sparte. La regle<br />

la plus austère d'une communauté, les réformes les plris<br />

radicales décrbtées par la Conv<strong>en</strong>tion nationale, les uto-<br />

pies harmoniques <strong>de</strong>s Owrnist~s, et, dans ces,<strong>de</strong>rniers<br />

temps, les prédications av<strong>en</strong>tureuses du saint-simonisme<br />

n'ont ri<strong>en</strong> qui puisse Stre comparé S ces lois, <strong>en</strong> fait <strong>de</strong><br />

hardiesse et d'originalité. Elles sembl<strong>en</strong>t le r6ve d'un<br />

contemplateur plutôt que le fruit <strong>de</strong>s mkditations d'un<br />

homme d'État, et cep<strong>en</strong>dant elles ont eu une exist<strong>en</strong>ce<br />

assez longue, et elles ont pénétré assez profondém<strong>en</strong>t<br />

dans les mceurs d'un peuple célèbre pour occuper une<br />

place dans l'histoire <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce. I<strong>de</strong>principal caractbre<br />

qui les rlistingiie, c'est (l'avoir bté, Tour ainsi dire, im-<br />

provisécs et. appliqiiées sans transition à. l'administration<br />

d'un peuple qui <strong>en</strong> avait eu jusqu'alors <strong>de</strong> fort difîbr<strong>en</strong>-<br />

tes. On croirait, <strong>en</strong> les lisant, parcourir le règfem<strong>en</strong>t<br />

d'un collége plutôt que le co<strong>de</strong> d'une nation. Tout y est


HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLlTlQlJE. CHAP. III. 49<br />

.<br />

tellem<strong>en</strong>t singulier, que l'exist<strong>en</strong>ce m&me <strong>de</strong> leur auteur<br />

est mise <strong>en</strong> doute par beaucoup <strong>de</strong> savants, persuadés<br />

qu'il y a eu plus d'un Lycurgue, comme on a longtemps<br />

p<strong>en</strong>sé qu'il avait existé plus d'un Homère.<br />

Toutefois, quelle que soit l'origine <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> Lycurgue,<br />

il est hi<strong>en</strong> avéré qu'elles ont présidé p<strong>en</strong>dant plusieurs<br />

siècles, plus ou moins intactes, aux <strong>de</strong>stinées <strong>de</strong>s<br />

Spartiates. Elles pass<strong>en</strong>t pour avoir réalisé l'utopie d'un<br />

partage général <strong>de</strong>s propriétls, et d'une édiication commune<br />

à tous les citoy<strong>en</strong>s. Elles r<strong>en</strong>fermai<strong>en</strong>t à la fois un<br />

système complet d'économie <strong>politique</strong>, un catédiisme<br />

pour les croyances, un manuel universcl pour les industries.<br />

Elles réglai<strong>en</strong>t l'ordre <strong>de</strong> siiccession au trBne, et<br />

celui <strong>de</strong>s mets dans les repas. Quoi <strong>de</strong> plus étrange que<br />

la division du territoire <strong>de</strong> Sparte <strong>en</strong> neuf mille portions,<br />

et le reste du pays <strong>en</strong> tr<strong>en</strong>te mille autres parts, assignées<br />

à autant <strong>de</strong> pères <strong>de</strong> famille, à conditiori d'<strong>en</strong><br />

distribuer les produits à leurs femmes et à l~urs <strong>en</strong>fants?<br />

Combi<strong>en</strong> <strong>de</strong>vait durer cette égalité passagere <strong>de</strong>s<br />

fortunes? J'avoue que j'ai peine B compr<strong>en</strong>dre une sociétk<br />

dans laquelle il est abf<strong>en</strong>du d'acheter ou <strong>de</strong> v<strong>en</strong>dre<br />

une portion <strong>de</strong> terrain, ni <strong>de</strong> la léguer par testam<strong>en</strong>t.<br />

Coinm<strong>en</strong>t concilier cette dcf<strong>en</strong>se avec le droit<br />

d'aînesse qui existait à Sparte, à moins <strong>de</strong> supposer que<br />

I'aEné <strong>de</strong> cllaque faniille f6t ol-iligé d'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir ses frères,<br />

et alors que clel<strong>en</strong>ait l'égalité, ce but imaginaire <strong>de</strong>s<br />

lois <strong>de</strong> Lycurgiie?<br />

11 n'était pas permis dc constit~ier une dot aiix filles,<br />

mais on les épousait proBa1)lem<strong>en</strong>t sans inqiribt~i<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l'av<strong>en</strong>ir, piiisque l'État se chargeait d'élever et <strong>de</strong> nourrir<br />

les <strong>en</strong>fants à qci elles donnai<strong>en</strong>t le jour. Heureux<br />

pays où chaqiie citoycn n'avait qu'à se mettre h taIlle,<br />

- certain d'y trouver lin repas, pourvu qu'il apportdt son,<br />

'


50 HISTOIRE<br />

conting<strong>en</strong>t <strong>en</strong> orge ou <strong>en</strong> légumes 1 Pour comble <strong>de</strong> pro-<br />

dige, il n'y avait pas d'impôts ni <strong>de</strong> trésor public; et ce-<br />

p<strong>en</strong>dant, si nous <strong>en</strong> croyons Aristote, ce peuple ppiloso-<br />

phe trouvait qiielquefois le moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> prbter <strong>de</strong>-l'arg<strong>en</strong>t.<br />

Les députés <strong>de</strong> Samos ayant recouru à sa bourse, Aris-<br />

tote nous assure que l'assemblée générale ordonna un<br />

jeûne universel <strong>de</strong> vingt-quatre heures, hommes et uni-<br />

maux compris, pour obt<strong>en</strong>ir une petite économie, et <strong>en</strong><br />

gratifier les alliés. Mais puisqu'il était déf<strong>en</strong>du d'acheter<br />

et <strong>de</strong> v<strong>en</strong>dre, à quoi servait l'arg<strong>en</strong>t à Sparte? Malgré<br />

tout notre respect pour l'antiquité, je crains bi<strong>en</strong> que<br />

ces histoires d'emprunts et beaucoup d'autres <strong>en</strong>core lie<br />

soi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> vkritables mystifications. Ce qu'il y a <strong>de</strong> cer-<br />

tain, néanrnoii~s, c'est qu'il a existé une époque où le<br />

s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la propriété parut s'éteindre à Sparte, pour<br />

faire place à une insouciance patriotique fondée sur l'abs<strong>en</strong>ce<br />

presque <strong>en</strong>tière <strong>de</strong> besoins personncls; car la législation<br />

dc Lycurgue était parfaitem<strong>en</strong>t conséqu<strong>en</strong>te.<br />

En dktruisant les bases <strong>de</strong> la propriété, elle <strong>de</strong>vait faire<br />

une guerre infatigable au désir d'acquérir, et par suite<br />

à tous les goûts qui l'<strong>en</strong>flamm<strong>en</strong>t.<br />

C'est, <strong>en</strong> effet, ce que le législateur avait prévu. Tous<br />

les <strong>en</strong>fants, soustraits db l'age le plus t<strong>en</strong>dre à l'influ<strong>en</strong>ce<br />

maternelle, cessai<strong>en</strong>t d'appart<strong>en</strong>ir à leurs families<br />

pour <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir la propriété <strong>de</strong> l'État. On les élevait <strong>en</strong><br />

commun, quelle que fût leur origine, d'aprbs <strong>de</strong>s principes<br />

invariables, sous la surveillance <strong>de</strong>s magistrats et<br />

presque sur la place publique. Le fouet est décrété l'institution<br />

par excell<strong>en</strong>ce ; les <strong>en</strong>fants sont dépouillés <strong>de</strong><br />

leurs cheveux dans l'intérêt <strong>de</strong> la propreté ; ils march<strong>en</strong>t<br />

sans chaussure dans toutes lés saisons; ils couch<strong>en</strong>t sur<br />

ilne litière <strong>de</strong> feuilles <strong>de</strong> roseaux. On leur appr<strong>en</strong>d à voler<br />

<strong>de</strong>s fr~uts pour leurs repas, et on les fustige quand ils<br />

'


DE L'ÉCORORIIE POLlTIQUE. CHAP. III. 51 -<br />

se sont laissi! découvrir. Parv<strong>en</strong>us à l'adolesc<strong>en</strong>ce, un<br />

nouvel appr<strong>en</strong>tissage comm<strong>en</strong>ce pour eux, celni <strong>de</strong> la<br />

guerre, ci ils <strong>en</strong> font l'exercice avec une telle audace,<br />

que le sang coulc dans ces arènes dégoûtantes, oii ils se<br />

déchir<strong>en</strong>t <strong>de</strong>mi-nus, sous les ycux <strong>de</strong> leurs mères. u Tu<br />

me mors comme iine f<strong>en</strong>ime, dit l'un; non, niais comnie<br />

un lion, répond l'autre, s et les spectateurs d'applaudir<br />

à ces Furieux qui se servai<strong>en</strong>t avec grtice <strong>de</strong> leurs ongles<br />

et <strong>de</strong> leurs dcnts. Qilel détestable peuple ! et quel nom<br />

donnerions-nous à <strong>de</strong> telles vertus !<br />

L'éducation <strong>de</strong>s femmes ne prés<strong>en</strong>tait pas dcs anoma-<br />

lies moins choquantes, et notre raison se refuse à ad-<br />

mettre la prét<strong>en</strong>due efficacité morale du système adopté<br />

à leur égard. Un critique spirituel a pu dire avec jus-<br />

tesse qu'on les considérait à Sparte comme les femelles<br />

plutôt que comme les compagnes <strong>de</strong> l'homme. On ne<br />

les estimait qu'<strong>en</strong> raison <strong>de</strong> l'énergie <strong>de</strong> leurs formes et<br />

<strong>de</strong> la vigueur <strong>de</strong> leur tempéram<strong>en</strong>t. Elles étai<strong>en</strong>t exer-<br />

cées dc bonne Iicure à manier le javelot, à courir pres-<br />

que nues dans l'arène, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> tous les citoy<strong>en</strong>s<br />

et m&me <strong>de</strong>s jeunes liommcs dc leur âge. Parlerai-je <strong>de</strong><br />

l'usage infime <strong>de</strong> remplacer les maris par (les amants,<br />

dans une foule <strong>de</strong> circonstances légalem<strong>en</strong>t prévues?<br />

Faut-il rappeler les unions incestueuses et les combinai-<br />

sons dc haras qui conduisir<strong>en</strong>t ce peuple grossier à la.<br />

promiscuité <strong>de</strong>s sexes, sous prétexte d'embellir la race et<br />

<strong>de</strong> fortifier les générations? Je ne suis pas surpris que le<br />

temps ait détruit les monum<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Sparte, si toutefois<br />

Sparte a eu <strong>de</strong>s monum<strong>en</strong>ts. Nous lisons dans Plutarque<br />

que les maisons <strong>de</strong>s Lacédémoni<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t trbs-petites et<br />

constriiites sans art. On ne travaillait les portes qu'avec<br />

la scie et les planchers qu'avec la cognée; <strong>de</strong>s troncs<br />

d'arbres à peine dépouillés dc leur écorce servai<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

'<br />

'


52 HISTOIRE<br />

poutres, habitations bi<strong>en</strong> (lignes d'un tel peuple, et qui<br />

sembl<strong>en</strong>t plut6t appart<strong>en</strong>ir à <strong>de</strong>s tribus noma<strong>de</strong>s qu'à<br />

iine nation civilisée. N'avai<strong>en</strong>t-ils pas horreur du beau<br />

langage, <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces qu'ils appelai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s vices, et <strong>de</strong><br />

tout ce qui fait la gloire ou le charme <strong>de</strong> la vie? Sur leur<br />

thébtres-mémes, ils préferai<strong>en</strong>t les hoxeurs aux paktes ;<br />

, c'est tout dire.<br />

II n'est pas surpr<strong>en</strong>ant que les arts industriels ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

peu <strong>de</strong> place dans leur histoire. Quelle industrie était<br />

nécessaire à <strong>de</strong>s gcns qui vivai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> brouet noir, qui<br />

s'asseyai<strong>en</strong>t sur <strong>de</strong>s madriers mal équarris, qui mar-<br />

chai<strong>en</strong>t le pliis souv<strong>en</strong>t sans cliaussure et nu-tete ! Le peu<br />

d'artisans qu'on voyait à Sparte excrçait, coinme <strong>en</strong><br />

Égypte, la profession <strong>de</strong> letir père, ct la plupart <strong>de</strong>s ha-<br />

bitants n'<strong>en</strong> exerçai<strong>en</strong>t aucune. Ces hommes, si différ<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong>s Athéni<strong>en</strong>s pour toiit le reste, lrnr ressemblai<strong>en</strong>t com-<br />

plétem<strong>en</strong>t par I'horreur du travail manuel. Le travail<br />

était pbiir-eux le symbole <strong>de</strong> l'esclavage, déplorable er-<br />

reur qui a perdl la civilisation antique, et qui reti<strong>en</strong>t<br />

aujourd'hui dans un état voisin <strong>de</strong> la dérrPpitii<strong>de</strong> nos<br />

jeunes rfipubliques <strong>de</strong> l'Amérique du Sud. 3Iall:eur aux<br />

peuples qui se repos<strong>en</strong>t sur cles esclaves du soin <strong>de</strong><br />

pourvoir à leurs besoins et qui remett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>de</strong> telles<br />

mains I$ production nationale ! Entre les ilotes <strong>de</strong> Sparte<br />

et les nègres <strong>de</strong>s colonics europi.cnnes, où est la dif-<br />

fh<strong>en</strong>ce ? et quelle diff4r<strong>en</strong>ee y a-t-il aussi <strong>en</strong>tre les Spar-<br />

tiates chassant aux ilotes et les Espagnols chassant<br />

aux Indi<strong>en</strong>s ! La fin (le cette c1oul)le domination a été<br />

la même, car la force ])rutalc pc~it bi<strong>en</strong> conqui.rir,<br />

mais il n'apparti<strong>en</strong>t qu'à la vraie liberté <strong>de</strong> conserver<br />

et <strong>de</strong> civiliscr.<br />

Cep<strong>en</strong>dant lesinstitiitions <strong>de</strong> Sparte ont escith aii pliis<br />

<strong>de</strong>gr6 l'admiration <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s ct celle <strong>de</strong>s nio<strong>de</strong>rncs.


"E L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. III. 53<br />

Aristote, Platon, Xénophon nous <strong>en</strong> ont laissé <strong>de</strong>s pein-<br />

tures vives et animées. Mais ccs peintures ne doiv<strong>en</strong>t-<br />

elles pas Qtre considérées comme <strong>de</strong>s ouvrages d'imagi-<br />

nation, plutôt que comme <strong>de</strong>s traits sci<strong>en</strong>tifiques sé-<br />

rieux? Ne faiit-il pas y voir une thèse <strong>de</strong> philosophie, a11<br />

licu d'me doctrine économique? Je ne saurais me ran-<br />

ger <strong>en</strong>tikrem<strong>en</strong>t à cct avis. Les institutions <strong>de</strong> la Grècc<br />

ne sont pas nkes di1 hasard; la plupart d'<strong>en</strong>tre elles ont<br />

fité le fruit dcs mbditations <strong>de</strong> plusieurs homnaes ci.16-<br />

ùres, qui cn or,t poursuivi le dévcloppcm<strong>en</strong>t a17ec nnc<br />

inflexibilité dc logiqiie tout k fait systématique. On eut<br />

dit qu'ils vo~ilaicnt voir la fin <strong>de</strong> leurs expiii.icnces,<br />

comme chez nouq le poiiroir exécutif ti<strong>en</strong>t à I'applica-<br />

tion dcs lois que son initiative 3 fait r<strong>en</strong>di-e. Quand Pla-<br />

ton iicrivait les dialogue5 qui compos<strong>en</strong>t son Trctité <strong>de</strong> la<br />

République, il prouvait assez clairem<strong>en</strong>t que l'écono -<br />

mie politiqiic, telle que nous la compr<strong>en</strong>ons <strong>de</strong>nos jours,<br />

n'était pas étrangère a ses cont<strong>en</strong>iporains les pliis éclai-<br />

res. Il a signalé Its avantages <strong>de</strong> la division du travail<br />

avec une lucidité parfaite ct qui nous semble avoir ravi &<br />

Adam Smitli le mbrite <strong>de</strong> cette découverte, sinon la<br />

prioriti: <strong>de</strong> la dlmonstration. C'est ici le mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ci-<br />

ter les passages Ics pliis curieux <strong>de</strong> ce dialogue si natu-<br />

rd, si vrai et si admirable <strong>de</strong> justesse et <strong>de</strong> sim-<br />

plicité '.<br />

a Ce qui donne naissance à la socikté, c'est l'impiiis-<br />

sance où novs sommes <strong>de</strong> nous suffire à nous-memes, et<br />

le besoin que nous avons d'une foule <strong>de</strong> choses. Ainsi,<br />

le hesoin ayant <strong>en</strong>gagé l'homme se joindre à iin autre<br />

homme, la sociétk s'est établie dans un but d'assistance<br />

n~u!uelle.- Oui; mais on ne commilniqrie h un autre<br />

4 Rdpztblique <strong>de</strong> Platon, liv. rr.


54 HISTOIRE<br />

ce qu'on a, pour <strong>en</strong> recevoir ce qu'on n'a pas, que parce.<br />

qu'on croit y trou17er son avantage.- Assurém<strong>en</strong>t.-<br />

Bhtissons donc une ville par la p<strong>en</strong>sée. Nos besoins la<br />

formeront. Le premier et le glus grand <strong>de</strong> tous, n'est-ce<br />

pas la nourriture?- Oui.- Le second besoin est celui<br />

du logem<strong>en</strong>t; le troisième est celui du ~4tem<strong>en</strong>t.-<br />

Sans doute.- Comm<strong>en</strong>t notre ville poiirra-t-elle foiirnir<br />

à ces besoins? Ne faudra-t-il pas, pour cela, que l'un<br />

soit laborireur, un aitre architecte, un autre tisserand?<br />

Ajoiiteroiis-nous un cordonnier ou quelque artisan sem-<br />

blable?- Je veux bi<strong>en</strong>.- Toute ville est donc composée<br />

* <strong>de</strong> plilsieurs personnes; mais faut-il que chacun <strong>de</strong>s<br />

habitants travaille pour tolu les autres; que le labou-<br />

reur, par exemple, prépare à. manger pour quatre et<br />

qu'il y mette quatre fois pIus <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong>.peines, ou<br />

ne serait-il pas mieux que, sans s'occuper <strong>de</strong>s autres,<br />

il employât la quatrieme partie di1 temps à préparer sa<br />

nourriture et les trois autres parties à se b%tir une<br />

maison, à se faire <strong>de</strong>s habits et <strong>de</strong>s souliers?- 11 me<br />

semble que la première manière serait plus commo<strong>de</strong><br />

pour lui. En effet, nous ne naissons pas tous avec les<br />

mémes tal<strong>en</strong>ts, et: chacun manifeste <strong>de</strong>s dispositions<br />

particulières. Les choses irai<strong>en</strong>t donc mieux, si chaque<br />

homme se bornait à iin métier, car la tâche est mieux<br />

faite et plus aisém<strong>en</strong>t quand elle eet appropriée aux<br />

goûts <strong>de</strong> l'individu et qu'il est dégagé <strong>de</strong> tout autre<br />

soin. u<br />

Certes, jamais les avantages <strong>de</strong> la division du travail<br />

n'ont été plus clairem<strong>en</strong>t définis que dans ce passage<br />

remarquable. Nous allons bi<strong>en</strong>tôt voir avec qiiel art<br />

ingénieux l'auteur sera conduit à la définition <strong>de</strong> la<br />

monnaie. u Voilà donc, repr<strong>en</strong>d l'un <strong>de</strong>s interlocuteurs<br />

<strong>de</strong> Platon, les charp<strong>en</strong>tiers, les forgerons et les autres


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. III. 55<br />

ouvriers, qui vont <strong>en</strong>trer dans notre petite ville et<br />

l'agrandir. 11 sera prcsque impossible, dès lors, <strong>de</strong><br />

lrouvcr un lieu d'oii elle puisse tirer tout ce qui est<br />

nccessaire à sa subsistance.- La ville aura Besoin <strong>de</strong><br />

personnes qui aill<strong>en</strong>t chercher dans le voisinage ce qui<br />

poiirra lui manquer.- Mais ces Iicrsonnes revi<strong>en</strong>dront<br />

sans avoir ri<strong>en</strong> reqii, si elles ne port<strong>en</strong>t aux ivoisins <strong>de</strong><br />

qiioi satisfaire aussi à leurs <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s.- Assurém<strong>en</strong>t,<br />

et il faudra <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s qiii se charg<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'importation<br />

et <strong>de</strong> l'exportation <strong>de</strong>s marchandises. Ce soiit ceux<br />

qu'on appelle comniercants.- C'est ce que je p<strong>en</strong>se,<br />

et même, si Ic commerce se fait par mer, voilà <strong>en</strong>core<br />

une foule <strong>de</strong> g<strong>en</strong>s iiécessaires pour la navigation.- .<br />

Mais, dans la ville, comrncnt nos citoy<strong>en</strong>s se feront-ils<br />

part les uns aux autres <strong>de</strong> leur travail?- II est évi<strong>de</strong>nt<br />

que ce,sera par v<strong>en</strong>te et part achat.-Il nous faut<br />

donc <strong>en</strong>core un marché ct une monnaie, symbole<br />

du contrat. n<br />

Ne croirait-on pas, <strong>en</strong> lisant ces lignes si simples et<br />

si précises, parcourir l'un <strong>de</strong> nos meilleurs traités d'éco-<br />

nomie <strong>politique</strong>? II est difficile, <strong>en</strong> effet, d'exposer avec<br />

plus <strong>de</strong> clarté la marche naturelle du développem<strong>en</strong>t<br />

industriel dans une ville qui comm<strong>en</strong>ce. A mesure que<br />

cette ville imaginaire s'<strong>en</strong>richit, sa situation se compli-<br />

que ; la distribution <strong>de</strong>s richesses s'y fajt d'une manière<br />

inégale et soulèvc bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s questions qui ne sont pas<br />

faciles à r6soudre. u Qu'est-ce qui perd les artisans? dit<br />

Adimantei. - Et Socrate répond : l'opul<strong>en</strong>ce, et 13<br />

Pauvreté. - Comm<strong>en</strong>t cela? - Le voici : lc potier<br />

<strong>de</strong>~<strong>en</strong>u riche s'embarrassera-t-il beauconp <strong>de</strong> son métier?<br />

- Non. - Il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dra <strong>de</strong> jour <strong>en</strong> jour plus fai-<br />

De la Rdpublique, liv. II.


56 . IIISTOIRE<br />

néant et plus néglig<strong>en</strong>t? - Sans doute. - Et par con-<br />

sequ<strong>en</strong>t pliis mauvais potier? - Oui. - 1)'iin autre<br />

cbté, si la pauvreté lui ôte les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> se fournir<br />

d'outils, et <strong>de</strong> tout ce qui est nécessaire à son art, son<br />

travail <strong>en</strong> soiiffrira; ses <strong>en</strong>fants et les ouvriers qu'il<br />

forme <strong>en</strong> seront moins habiles. - Cela est vrai. -<br />

Ainsi les richesses et la pauvreté nuis<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t aux<br />

arts et à ceux qui les exerc<strong>en</strong>t. - 11 y a appar<strong>en</strong>ce. -<br />

Voilà donc <strong>de</strong>ux choses auxquelles nos magistrats prep-<br />

dront bi<strong>en</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> donner <strong>en</strong>trée dans notre ville,<br />

l'opul<strong>en</strong>ce ct la pauvret6 : 170i;ul<strong>en</strong>ce, parce qu'elle <strong>en</strong>-<br />

g<strong>en</strong>dre la mollesse et la fainéantise; la pai~vreté, parce<br />

qu'elle produit la bassesse et l'<strong>en</strong>vie : l'une çt l'autre<br />

parce qu'elles conduis<strong>en</strong>t l'État vers une révolution. n<br />

II falit <strong>en</strong>core reconnaître ici la compét<strong>en</strong>ce parfaite <strong>de</strong>s<br />

anci<strong>en</strong>s à examiner Ics plus graves questions <strong>de</strong> l'écono-<br />

mie politiqiie. Aprks plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mille ans, nous n'a-<br />

vons ras <strong>en</strong>core obteriu la réalisation <strong>de</strong> l'utopie <strong>de</strong> Pla-<br />

ton, (le ce juste milieu économique assurant à chaciin<br />

iinc Pgale rcpartition <strong>de</strong>s profits du travail. Xoiis avons<br />

toujours <strong>de</strong> ces potiers <strong>en</strong>richis qui néglig<strong>en</strong>t leur art<br />

et <strong>de</strong>s oiivriers pauvres auxqiicls il faut fournir <strong>de</strong>s on-<br />

tils qu'ils sont hors d'ktat <strong>de</strong> se procurer. 11 y a donc<br />

bi<strong>en</strong> longtemps qu'on y p<strong>en</strong>se, à ces terribles problèmes<br />

<strong>de</strong> l'état social, que les rkvoliitions abor<strong>de</strong>nt toiijoiirs<br />

sans les rcsouclre jamais ! Dictature, esclavagc, liberté,<br />

pillage, association, aristocratie, c!émocratic, on y a tout<br />

us6 : l'énigme <strong>de</strong>meure <strong>en</strong>core indécliiffrable; heureuse<br />

notre générction, si la sci<strong>en</strong>ce lui <strong>en</strong> donne le mot qiicl-<br />

que jour!<br />

Après avoir si ingCnic?iiscrncnt défini la cité ct analysé<br />

. la division du travail. I'laton s'arrbte tout à coup et<br />

conseille la communnutL <strong>de</strong>s femmc's ct <strong>de</strong>s <strong>en</strong>fants.


DE L'ÉCONOMIE POLïCIQUE. CBAP. 111. 57<br />

« Je propose, dit-il que les femmes <strong>de</strong> nos guerriers<br />

soi<strong>en</strong>t communes toutes d tous; qu'aucune d'elles n'ha-<br />

bite <strong>en</strong> particulier avec aucun d'cux ; que les <strong>en</strong>fants<br />

soi<strong>en</strong>t communs et quc ceux-ci ne connaiss<strong>en</strong>t pas leurs<br />

par<strong>en</strong>ts, ni les par<strong>en</strong>ts leurs <strong>en</strong>fants » . Je cite littéra-<br />

lem<strong>en</strong>t ce passage étonnant, pour donner une idée du<br />

<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> hardiesse où l'esprit <strong>de</strong> système a pu conduire<br />

un <strong>de</strong>s plus beaux génies <strong>de</strong> l'antiquité. La communauté<br />

<strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s, autre chimère, est aussi considérée par Platon<br />

comme uu remè<strong>de</strong> souverain aux plaies les plus invété-<br />

rées <strong>de</strong> la sociéth. Il n'y aurait plus ni troubles, ni<br />

désordres, niinsol<strong>en</strong>ce, ni servilité. L'usure disparaîtrait<br />

avec l'avarice et les vices qu'un amour immodkré <strong>de</strong>s<br />

richesses multipIie chez les hommes. l'lus <strong>de</strong> procès,<br />

partant pliis <strong>de</strong> chicane; nous vivrons tous comme <strong>de</strong>s<br />

hères. a N'espérons pas toutefois, ajoute Platon, réaliser<br />

le plan <strong>de</strong> cette parfaite république. Comme les peintres<br />

habiles <strong>de</strong>ssin<strong>en</strong>t à grands traits <strong>de</strong>s modèles d'une<br />

beauté idéale, impossible à trouver dans les individus,<br />

<strong>de</strong> méine nous ne voulons que donner un type accom-<br />

pli ; plus les législateurs SC rapprocheront <strong>de</strong> ce modèle,<br />

plus leur constitution sera propre à conduirc les<br />

hommes au bonheur. )I Telle est l'opinion que Platon<br />

lui-méme avait <strong>de</strong> ses doctrines, mélange remarquable<br />

d'apercus plein <strong>de</strong> justesse et d'utopies indignes d'att<strong>en</strong>-<br />

tion. On ne sait comm<strong>en</strong>t concilier, <strong>en</strong> effet, les rkves<br />

d'égalité qui agit<strong>en</strong>t ce philosophe, avec son profond<br />

mépris pour les classes laborieuses. « La nature, selon<br />

lui, n'a fait ni cordoniiiers, ni forgerons ; <strong>de</strong> pareilles<br />

occupations dégra<strong>de</strong>nt les g<strong>en</strong>s qui les exerc<strong>en</strong>t, vils<br />

merc<strong>en</strong>aires, misérables sans nom qui sont exclus, par<br />

De Za République, liv. v.


58 HISTOIIiE<br />

leur état m&me, <strong>de</strong>s droits <strong>politique</strong>s. Quant aux marchands,<br />

accoutumés h m<strong>en</strong>tir et à tromper, on ne les<br />

souffrira dans la cité que comme un mal nécessaire. I,e .<br />

citoy<strong>en</strong> qui se sera avili par le commerce dc boutique<br />

sera poursuivi pour ce clélit. S'il est convaincu, il sera<br />

condamné à lin an <strong>de</strong> prison. La punition sera doublée<br />

à chaque récidive. Ce g<strong>en</strong>re <strong>de</strong> trafic ne sera permis<br />

qu'aux étrangers qu'on trouvera &tre les moins corrompus.<br />

Le magistrat ti<strong>en</strong>dra un registre exact <strong>de</strong> leurs<br />

,factures et <strong>de</strong> leurs v<strong>en</strong>tes. On ne leur permettra <strong>de</strong><br />

faire qu'un très-petit bénéfice '. Xénophon n'est pas<br />

moins explicite. II p<strong>en</strong>se Que n les arts manuels sont<br />

infâmes et indignes d'un citoyerl. La plupart déform<strong>en</strong>t<br />

le corps. Ils oblig<strong>en</strong>t <strong>de</strong> s'asseoir à l'ombre on près du<br />

feu. Ils ne laiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> temps ni pour la république ni<br />

pour les amis, n<br />

C'est cette doctrine <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> loisir, ressuscitée<br />

parmi nous; qui résume toute <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> <strong>de</strong>s<br />

anci<strong>en</strong>s. RI. <strong>de</strong> Sismondi fait remarquer avec beaucoup<br />

<strong>de</strong> s<strong>en</strong>s que du moins ils avai<strong>en</strong>t toujours reconnu que<br />

la richesse n'a <strong>de</strong> prix qu'autant quelle contribue au<br />

bonheur général, et que c'est pour ne Savoir pas considérée<br />

abstraitem<strong>en</strong>t qu'ils avai<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t eu <strong>en</strong> cette<br />

matière <strong>de</strong>s idées plus justes que les nôtres. L'économie<br />

<strong>politique</strong> <strong>de</strong>s Grecs était éminemm<strong>en</strong>t goilvernem<strong>en</strong>tale<br />

et réglem<strong>en</strong>taire. Leurs Ccrivains veul<strong>en</strong>t que la loi se<br />

méle <strong>de</strong> tout et ne laisse presque ri<strong>en</strong> à la liberté individuelle<br />

<strong>de</strong>s citoy<strong>en</strong>s. La cité n'est pour eux qu'une<br />

vaste association où chaque habitant joiie un rble conv<strong>en</strong>u,<br />

ou bi<strong>en</strong> une gran<strong>de</strong> macGne dont il représ<strong>en</strong>te<br />

4 Platon, Traitd <strong>de</strong>s lofs, liv. XI.<br />

4 Nouveaux principes d'konomiepobitique, liv. I, ch. 2.


un <strong>de</strong>s rouages. Ils s'occup<strong>en</strong>t exclusivem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s masses<br />

ct néglig<strong>en</strong>t l'individu, dangereux excès aupr8s duquel<br />

il n'y a ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> plus dangereux que l'excès contraire, où<br />

paraiss<strong>en</strong>t tomber <strong>de</strong> nos jours les gran<strong>de</strong>s nations civi-<br />

lisées par l'industrie. Et <strong>en</strong>core quand on parle <strong>de</strong>s<br />

masses à Athènes, il ne faut pas perdre <strong>de</strong> vue qu'il<br />

s'agit seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce petit nombre d'hommes libres<br />

qui se faisai<strong>en</strong>t nourrir par <strong>de</strong>s armées d'esclaves. C'est<br />

<strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que BI. Dunoyer a eu raison <strong>de</strong> dire ' « que<br />

l'esclavage <strong>de</strong>s professions utiles avait été le regime<br />

économique <strong>de</strong> toute société nouvellem<strong>en</strong>t fixée. D Rous-<br />

seau prét<strong>en</strong>d que ce régime était indisp<strong>en</strong>sable, u parce<br />

qu'il est <strong>de</strong>s positions malheureuses où l'on ne peut<br />

conserver sa liberté qu'aux dép<strong>en</strong>s <strong>de</strong> celle d'autrui et<br />

oil le citoy<strong>en</strong> ne peut &tre parfaitem<strong>en</strong>t libre que l'es-<br />

clave ne soit extrêniem<strong>en</strong>t esclave 2. » Cette singulière<br />

doctrine prouve jusqu'à quel point les plus beaux génies<br />

ont pu s'égarer dans leur aveugle admiration pour les<br />

institutions <strong>de</strong> l'antiquité ; mais il n'est plus permis au-<br />

jourd'hui <strong>de</strong> s'égarer avec eux. Une étu<strong>de</strong> plus philoso-<br />

phique <strong>de</strong> l'histoire anci<strong>en</strong>ne nous montre les Grecs <strong>en</strong><br />

proie aux diss<strong>en</strong>sions civiles, à la guerre étrangère, aux<br />

intrigues <strong>de</strong> la place publique, par suite du désceuvre-<br />

m<strong>en</strong>t où Ieus permettait <strong>de</strong> vivre le travail <strong>de</strong>s esclaves,<br />

Ils excellai<strong>en</strong>t à conduire un char dans la carrière, à er-<br />

goter sur <strong>de</strong>s finesses grammaticales, à faire <strong>de</strong> la mau-<br />

vaise musique, et, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us rhéteurs après avoir été>pil-<br />

lards, ils ont succombé faute <strong>de</strong> courage pour se déf<strong>en</strong>dre<br />

et faute d'arg<strong>en</strong>t pour se faire déf<strong>en</strong>dre par <strong>de</strong>s merce-<br />

naires. -<br />

1 Nouveau Traité d'dcoaomz'e sociale, t. 1, p. 234.<br />

2 Contrat social, liv. 111.


\<br />

60 BISTOIRE<br />

L'économie <strong>politique</strong> <strong>de</strong> Xénophon ne repose pas sur<br />

d'autres bases que celle <strong>de</strong> Platon. Toutes les fois qu'il<br />

s'agit &analyser les opératioiis du travU1, <strong>de</strong> remonter.<br />

à la source du rev<strong>en</strong>u, <strong>de</strong> déterminer l'utilité <strong>de</strong>s choses,<br />

la lucidité <strong>de</strong> cet écrivain est admirable ; mais dès qu'il<br />

est question <strong>de</strong> la répartition <strong>de</strong>s profits, les préjugés<br />

grecs repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leur empire et l'auteur retombe dans<br />

la <strong>politique</strong> <strong>de</strong> Platon et d'Aristote, fidèles interprètes<br />

<strong>de</strong> i'oligarchie contemporaine. Quel malheur que ces<br />

hommes, si habiles à exposer les phénomènes ess<strong>en</strong>tiels<br />

<strong>de</strong> la production, n'<strong>en</strong> ai<strong>en</strong>t pas tiré plus judicieuse-<br />

m<strong>en</strong>t les conséqu<strong>en</strong>ces ! Écoutez Xénophon dans ses dé-<br />

finitions : u Il né faut <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre par bi<strong>en</strong> que ce qui<br />

peut nous Btre utile. - Les terres que nous cultivons<br />

ne sont plus <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s, lorsque nous perdons à leur cul-<br />

ture.-L'arg<strong>en</strong>t rcême n'est pas un bi<strong>en</strong>, si l'on n'<strong>en</strong> fait<br />

pas usage. 1 J.-B. Say n'a pas donné une meilleure défi-<br />

nition <strong>de</strong>s capitaux productifs et improductifs. L'auteur<br />

grec dit ailleurs ces paroles remarquables : On a les bras<br />

bi<strong>en</strong> longs; qzca~rd on a ceux <strong>de</strong> lotit un peuple. 11 pro-<br />

pose d'accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s gratifications à ceux du tribunal<br />

<strong>de</strong>s négociants qui terminerai<strong>en</strong>t les contestations avec<br />

le plus <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> célérité; mais il nous semble<br />

moins heureux lorsqu'il souti<strong>en</strong>t que la granQe abon-<br />

dance <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t ne le ferait pas baisser <strong>de</strong> prix. Au<br />

surplus, les écrits <strong>de</strong> Xénophon, bi<strong>en</strong> que remplis <strong>de</strong><br />

conseils ingénieux aux agriculteurs et <strong>de</strong> considérations<br />

très-importantes pour les philosophes, ne peuv<strong>en</strong>t pas<br />

nous donner une idke complète <strong>de</strong>s véritables Tues éco-<br />

nomiques <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s. L'auteur s'est borné à recomman-<br />

<strong>de</strong>r la tempérance, l'activitéi, la bonne distribution du<br />

travail. Il a soigneusem<strong>en</strong>t tracé les attrhutions <strong>de</strong><br />

l'homme et <strong>de</strong> la femme sous l'influ<strong>en</strong>ce du mariage,


DE L'BCONOIIIE POLITIQUE, CHLP. 111. 6 1<br />

les avantages <strong>de</strong> l'ordre, <strong>de</strong> l'émulation et <strong>de</strong>s récom-<br />

p<strong>en</strong>ses. Enfin, il a manifesté avec énergie le profond<br />

mépris que lui inspirai<strong>en</strong>t les travaux manuels : S aux<br />

g<strong>en</strong>s qui s'y livr<strong>en</strong>t, dit-il, ne sont jamais é1evL<br />

charges, ct on a bi<strong>en</strong> raison. La plupart coiîdamnés à<br />

étre assis tout le jour, quelques-uns même à éprouver<br />

un feu continuel, ne peuv<strong>en</strong>t nianquer d'avoir le corps<br />

altérP, ct il est bi<strong>en</strong> difficile que l'esprit ne s'cn ress<strong>en</strong>te. ,<br />

Outre cela, le travail emporte tout le temps ; on ne peul<br />

ri<strong>en</strong> faire pour ses amis, ni pour l'État. 3<br />

Telle est la conclusion obligée <strong>de</strong> toutes les théories<br />

ticonomiques <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s. On ne conçoit pas, cn lisant<br />

ces pliilippiques véhém<strong>en</strong>tes contre la classe ouvriCre,<br />

que leurs plus grands auteurs ai<strong>en</strong>t daigne <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre<br />

jusqii'à écrire <strong>de</strong> si belles choses ep faveur <strong>de</strong> ces tra-<br />

vailleurs, qu'ils accabl<strong>en</strong>t <strong>en</strong> toute occasion <strong>de</strong> leurs<br />

sarcasmes et <strong>de</strong> leur mépris. L'agriculture seule passait<br />

aux yeux dcs anci<strong>en</strong>s pour une industrie respectable ;<br />

c'est polir elle seule qu'ils ont réservé leur sollicitu<strong>de</strong><br />

et lem admiration. Xénophon lui consacrc la partie la<br />

plus importante <strong>de</strong> .ses dconomiques. Il y traite cles<br />

moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> fornlcr <strong>de</strong> hons fermiers, <strong>de</strong> connaître les<br />

propriEtés d'un keïrain, <strong>de</strong>s temps favorables au la-<br />

bour, <strong>de</strong>s semailles, <strong>de</strong>s plantations, <strong>de</strong>s défrichem<strong>en</strong>ts,<br />

du conimeree <strong>de</strong>s grains; mais si succinctem<strong>en</strong>t, et<br />

d'une manière tell<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tale, que son Ihre,<br />

nialgré les données excell<strong>en</strong>tes qu'il r<strong>en</strong>ferme, ressemble<br />

plutôt à un catéchisme <strong>de</strong> morale qu'à un irait6 sci<strong>en</strong>ti-<br />

fique. Cep<strong>en</strong>dant on y retrouve avec intérêt les préjugés<br />

habituels <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s sur cotaines questions impor-<br />

tantes cfe la sci<strong>en</strong>ce, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faveur <strong>de</strong>s métaux<br />

précieiix. (( L'arg<strong>en</strong>t, dit Xénoplpl'on, iîe ressemble poiot<br />

aux autres productions <strong>de</strong> la terre. Que le fer ou<br />

40 ÉDIT. T. I. a


62 HISTOIRE<br />

le cuivre <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t communs, au point que Ics ou-<br />

vrages faits <strong>de</strong> ces matières se v<strong>en</strong><strong>de</strong>nt à trop bon mar-<br />

ché, voila ies ouvriers ruinés cornpiétem<strong>en</strong>t. Je dis la<br />

m&me chose <strong>de</strong>s cultivateurs, dans les années où le blé,<br />

le vin ou les fruits sont très-abondants. Pour l'arg<strong>en</strong>t,<br />

c'est tout le contraire. Plus on <strong>en</strong> trouve <strong>de</strong> mines et<br />

plus on les exploite, plus on voit <strong>de</strong> citoy<strong>en</strong>s s'efforcer<br />

d'<strong>en</strong> <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir possesseurs ... En cas <strong>de</strong> guerre, l'arg<strong>en</strong>t<br />

est nécessaire aussi pour nourrir les troupes et payer les<br />

alliés. On m'objectera peut-étre que l'or est pour le<br />

moins aussi utile que l'arg<strong>en</strong>t : je me gar<strong>de</strong>rai bi<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />

sout<strong>en</strong>ir le contraire. Je remarquerai seulem<strong>en</strong>t que<br />

l'or <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u plus commun que l'arg<strong>en</strong>t ferait hausser<br />

celui-ci et baisserait lui-même '. ))<br />

Ainsi, dans ces gouvernem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la Grèce, si souv<strong>en</strong>t<br />

cités comme <strong>de</strong>s modèles <strong>de</strong> patriotisme, on ne faisait<br />

la guerre qu'avec <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t, on ne trouvait <strong>de</strong>s déf<strong>en</strong>-<br />

seurs et <strong>de</strong>s alliés qu'à ce prix. Et comm<strong>en</strong>taaurait-il pu<br />

<strong>en</strong> etre autrem<strong>en</strong>t? La classe riche était seule investie<br />

du privilége <strong>de</strong> la cité; elle était sans cesse occupée d'in-<br />

trigues <strong>politique</strong>s et se voyait obligée <strong>de</strong> contier à <strong>de</strong>s<br />

merc<strong>en</strong>aires l'honneur <strong>de</strong> protéger l'indép<strong>en</strong>dance na-<br />

tionale. Un jour vint oh les lois <strong>de</strong> Lycurgue et celles<br />

<strong>de</strong> Solon eur<strong>en</strong>t une <strong>de</strong>stinée commune. Les parts que<br />

ces législateurs avai<strong>en</strong>t cru assurer à chaque citoy<strong>en</strong><br />

dans la propriété du territoire, fur<strong>en</strong>t <strong>en</strong>fin absorbées<br />

par quelques ambitieux; et, quand les dangers exté-<br />

rieurs éclatèr<strong>en</strong>t, personne ne voulut déf<strong>en</strong>dre une pa-<br />

trie qui était <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue la propriété cle quelques familles. ,<br />

Cette crise fatale parait <strong>en</strong>core plus inévitable quand<br />

on lit les traités économiques d'Aristote. A vrai dire,<br />

1 Des moy<strong>en</strong>s d'azcgm<strong>en</strong>ter les rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong> Uttique, ch. ix.


DE L'E~ONO~I~E POLITIQUE. CHAP. 111. 63<br />

ces écrits apparli<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t bcwcoup plus à la politiqiie<br />

qu'à <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>; mais ils expos<strong>en</strong>t avec une<br />

clarié et iin ordre si parfait les doctrines économiques<br />

dcs Grecs, qu'on doit les considérer comme le moniim<strong>en</strong>t<br />

Ie plus précicux dc leur histoire. La Polilique<br />

d'Aristote est divisée <strong>en</strong> huit li~res; il y examine suc-<br />

cessivem<strong>en</strong>t les éléni<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> 1s formation <strong>de</strong>s sociétés,<br />

les qualités qui distingu<strong>en</strong>t le bon citoy<strong>en</strong>, les diffé-<br />

r<strong>en</strong>tes formes <strong>de</strong> gouvernem<strong>en</strong>t, les causes <strong>de</strong>s révolu-<br />

tions, et 1cs bases sur lesquelles doit reposer toute<br />

bonne 'législation. Ri<strong>en</strong> n'est plus singulier que les rai-<br />

sonnem<strong>en</strong>ts au mol <strong>en</strong> <strong>de</strong>squels ce publiciste ingénieux<br />

a cherclié à justifier l'esclavage comme une institution<br />

<strong>de</strong> droit naturel. « C'est la nature elle-même, dit-il 1,<br />

qui a créé l'esclavage. Les animaux se divis<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

inAles et femelles. Le mile est plus parfait, il com-<br />

nian<strong>de</strong>. La îemelle est moins accomplie, elle obéit. Or,<br />

il y a dans l'espèce humaine <strong>de</strong>s individus aussi infi:-<br />

rieurs aux autres que le corps l'est à l'&me ou que la<br />

bBte l'est à l'homme ; ce sont ces êtres propres aux<br />

seuls travaux du corps et qui sont incapables <strong>de</strong> faire<br />

ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> plus parfait. Ces individus sont <strong>de</strong>stinés par la<br />

nature à l'esclavage, parce qu'il n'y a ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> meillcur<br />

pour eux que d'obéir ... Existe-t-il donc, après tout, une<br />

si gran<strong>de</strong> diffkr<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre l'esclave et la bête? leurs ser-<br />

vices se ressembl<strong>en</strong>t ; c'est par le corps seul qu'iIs nous<br />

sont utilcs. Conclixons donc <strong>de</strong> ces principes que la na-<br />

ture crée <strong>de</strong>s hommes pour Ia liberté et d'autres poiir<br />

l'esclavage ; qu'il est utile et qu'il est juste que l'esclave<br />

obéisse. n<br />

Après avoir proclami: lcs étranges principes sur le:-<br />

Politique, liv. irr, ch. I.


64 HlSTOIRE<br />

quels repose, tout I'éditice <strong>de</strong> sa <strong>politique</strong>, Aristote examine<br />

sous le nom <strong>de</strong> spéculation. la théorie <strong>de</strong>s richesses<br />

dont il voudrait faire une sci<strong>en</strong>ce à part, et qu'il propose<br />

d'appeler la chrématistique. M. <strong>de</strong> Sismondi a paru<br />

attacher bcaucoup d'importance à l'adoption <strong>de</strong> cette<br />

dénomination excliisive, qui ne t<strong>en</strong>drait à ricn inoins<br />

qu'à borner <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> aux simples élém<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong> la production <strong>de</strong>s richesses. Mais les efforts du savant<br />

professeur <strong>de</strong> Gcnéve n'ont pu parv<strong>en</strong>ir b imposer aux<br />

éco~~omistes mo<strong>de</strong>rnes cette subtilitk du philosoplie <strong>de</strong><br />

Stagyre. Il y a autre chose pour nous que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

production matérielle dans la sci<strong>en</strong>ce dont j'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ds<br />

d'écrire l'histoire : tout le mon<strong>de</strong> s'accor<strong>de</strong> à y trouver<br />

les moy<strong>en</strong>s d'améliorer le sort <strong>de</strong> l'espèce humaine, et<br />

le livre d'Aristote lui-même <strong>en</strong> offre la preuve incontes;<br />

table. Pourquoi aurait-il lié à ses essais hardis (I'organisatioii<br />

sociale tout ce qui concerne la sci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s richesses,<br />

s'il n'eût pas considéré ces gran<strong>de</strong>s qucstions<br />

comme inséparables? Et plut à Dieu qu'il eiit été aussi<br />

heureux dans 1cs premières qu'il s'est montré écIairé<br />

dans les secon<strong>de</strong>s !<br />

A peine a-t-il exposé <strong>en</strong> quoi consist<strong>en</strong>t les bi<strong>en</strong>s qu'il '.<br />

appelle naturels, il se livre à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ceux qu'il<br />

nomme artificiels. (( Tout objet <strong>de</strong> propriétC, dit-il I, B<br />

<strong>de</strong>ux usages, tous <strong>de</strong>ux inhér<strong>en</strong>ts à l'objet, avec unc<br />

<strong>de</strong>stination particulière. L'un est l'usage naturel, l'autre<br />

est l'usage artificiel. Ainsi l'usage naturel d'nnc chaussure<br />

est <strong>de</strong> servir à marcher, son usage industriel est<br />

d'être un objet d'échange. )) Ne croirait-on pas lire la<br />

définition <strong>de</strong> la valeur <strong>en</strong> usage et dc la valeur <strong>en</strong><br />

echange, popularisée par Adam Smith, et <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue <strong>de</strong> nos<br />

4 Poiitique, liv. 1, ch. va.<br />

.


DE L'BCOKOAIIE POLITIQUE. CHAP. 111. 65<br />

jours la 11ase <strong>de</strong> tous les traités d'Économie <strong>politique</strong>?<br />

Aristote n'a pas exposé 81~ec moins <strong>de</strong> vbrité et <strong>de</strong> clarté<br />

Ics avantages dc la monnaie. Après avoir jeté un coup<br />

d'=il sur les différ<strong>en</strong>ts g<strong>en</strong>res <strong>de</strong> commerce, il explique<br />

très-bi<strong>en</strong> comm<strong>en</strong>t le besoin fit inv<strong>en</strong>ter la monnaie.<br />

(i On convint, ajoute-t-il, <strong>de</strong> donner et <strong>de</strong> recevoir dans<br />

les transactions une matière utile et d'une circulation<br />

aisée. On adopta pour cet usage le fer, l'arg<strong>en</strong>t et d'an-<br />

tres metaux. Ce premier signe d'échange ne valut d'a-<br />

bord qu'à raison du volume etdu poids : <strong>en</strong>suite on le<br />

'Srappa d'un signe qui <strong>en</strong> marquait la valeur, afin d'etre<br />

dispcnsé <strong>de</strong> toute autrc vérification. Aprés l'adoption<br />

néc~ssaire <strong>de</strong> la monnaie pour les échanges, il se fit une<br />

révolution dans la manière <strong>de</strong> spéculer : le trafic parut.<br />

Peut-ktre fiit-il peu compliqué dans l'origine; bi<strong>en</strong>tôt il<br />

se fit <strong>de</strong>s com1)inaisons plus hahiles, afin <strong>de</strong> tirer <strong>de</strong>s ,<br />

éctianges le plus grand bénéfice possible. 11 est arrivé <strong>de</strong><br />

lh qu'on s'est accoutumé à rcstrcindre l'art <strong>de</strong> la spéculation<br />

à la seule monnaie ; on a p<strong>en</strong>sé que l'unique fonction<br />

du spéculateur était d'amasser <strong>de</strong>s mCtaux pracieuu,<br />

parcc que le résultat cléfinitif <strong>de</strong> ses opérations est <strong>de</strong><br />

procurer <strong>de</strong> l'or et <strong>de</strong>s richesses. Cep<strong>en</strong>dant la monnaie<br />

ne serai t-elle pas un bi<strong>en</strong> imaginaire ? Sa valcur est toute<br />

dans la loi. Où est celle qu'cilc a <strong>de</strong> Ia nature? Si I'opinion<br />

qui l'admet dans la circulation vicnl à changer, où<br />

est son prix &el? Quel beqoin <strong>de</strong> la vic poiirrait-elle<br />

Soulager? A côté d'un monceau d'or, on manquerait <strong>de</strong>s<br />

plus indisp<strong>en</strong>sables alim<strong>en</strong>ts. Qucllc îolie d'appelcr ricliesse<br />

unc abondance au sein <strong>de</strong> laquellc on m<strong>en</strong>rt <strong>de</strong><br />

faim ! 1)<br />

Il rst impossilile <strong>de</strong> caractériser d'unc manibre plus<br />

juste Ics v6ritalileq propriéths <strong>de</strong> la monnaie. Aillrurs<br />

Ari~tote a apprbcik nvrc In mkmc csactitu<strong>de</strong> leç consé-<br />

4.


66' HISTOIRE<br />

qu<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> l'usure et celles <strong>de</strong> l'esprit d'accaparem<strong>en</strong>t.<br />

a Un Sicili<strong>en</strong>, dit-il, avait unesomme d'arg<strong>en</strong>t <strong>en</strong> dépôt.<br />

11 <strong>en</strong> acheta tout le fer qui se trouvait dans les forges,<br />

Bi<strong>en</strong>tôt les marchands arrivèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> différ<strong>en</strong>tes contrées<br />

et ne trouvèr<strong>en</strong>t du fer que cllez lui. Il n'<strong>en</strong> avait pas<br />

trop 61evé le prix ; cep<strong>en</strong>dant il doubla sa mise <strong>de</strong> fonds,<br />

qui était <strong>de</strong> cinquante tal<strong>en</strong>ts. )I<br />

On a reproché avec quelque raison à plusieurs Écono-<br />

mistes mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> n'avoir compris dans leurs apprécia-<br />

tions <strong>de</strong> la richesse publiqoe que les producteurs maté-<br />

riels, comme si le magistrat, qui disp<strong>en</strong>se la justice ou<br />

qui dirige l'administration, ne r<strong>en</strong>dait pas à la société<br />

autant <strong>de</strong> services que les instituteurs ou les agricul-<br />

teurs. Platon lui-meme était tombé dans cette erreur,<br />

qui est réfutée avec vivacité par Aristote : (( Eh quoi ! la<br />

cité ne serait constitiiée que pour les besoins physiques !<br />

<strong>de</strong>s cordonniers et <strong>de</strong>s laboureurs suffirai<strong>en</strong>t tout ! -<br />

Quelle est la partie <strong>de</strong> l'homme qüi Ic constitue ess<strong>en</strong>-<br />

tiellem<strong>en</strong>t? C'est l'&me plutôt que le corps. Pourquoi<br />

donc les seules professions q.ui pourvoicnt aux premiers<br />

besoins con~poserai<strong>en</strong>t-elles une cité, plutôt que la pro-<br />

fession d'arbitre inipartial <strong>de</strong>s droits ou celle <strong>de</strong> séna-<br />

teur délibérant pour le bi<strong>en</strong> cle l'État? Ccs professions ne<br />

sont-elles pas l'&me agissante <strong>de</strong> la cité 3 D Ainsi, Aristote<br />

avait réhal~ilité bi<strong>en</strong> .avant J .3. Say ces créateurs<br />

<strong>de</strong> produits immatcriels dont le classem<strong>en</strong>t passait pou,r<br />

une décoii~ei.te (le notre époque. Il avait aussi indiqué<br />

arec wc pi.écisioir admirable les causes (le la vieille<br />

lutte qui existe <strong>de</strong>puis les premiers àçes du mon<strong>de</strong><br />

<strong>en</strong>tre la richesse et la pauvreté. u Toixte socikté <strong>politique</strong>,<br />

disàit-il, se divise <strong>en</strong> trois classes, les riches, les<br />

4 Politique, liv. IV, ch. IV.


DE L'ÉCONOYIE POLITIQUE. CHAP. III. 67<br />

pauvres et les citoy<strong>en</strong>s aisés qui form<strong>en</strong>t la classe inter-<br />

médiairc. Les premiers sont insol<strong>en</strong>ts et sans foi dans les<br />

gran<strong>de</strong>s affaires ; les seconds <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t fourbes et fri-<br />

pons dans les pctites choses . <strong>de</strong> là mille injustices, ré-<br />

sultat nécessaire <strong>de</strong> la tromperie et <strong>de</strong> l'insol<strong>en</strong>ce qui<br />

les r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt égalem<strong>en</strong>t déplacés dans un coiiseil, dans<br />

unc tribu, et très-dangereux dans une cité. Les riches<br />

suc<strong>en</strong>t l'indép<strong>en</strong>dance avec Ie lait : élevés au sein <strong>de</strong><br />

toutes les jouissances, ils comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t dès l'école à mC-<br />

priser la vois <strong>de</strong> l'autorité. Les pauvres, au contraire,<br />

obsédés par la détresse, per<strong>de</strong>nt tout s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> di-<br />

gnité : incapables <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r, ils obéiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> escla-<br />

ves, tandis quc Ics riches, qui ne sav<strong>en</strong>t pas obéir, com-<br />

man<strong>de</strong>nt <strong>en</strong> <strong>de</strong>spotes. La cité n'est alors qu'une agréga-<br />

tion <strong>de</strong> maîtres et d'csclavcs; il n'y a point d'liomnies<br />

libres. Jalousie d'un cbté, niépris <strong>de</strong> l'autre ; où trouver<br />

l'amitié et cette bi<strong>en</strong>veillance mutuelle qui est l'$me <strong>de</strong><br />

la socikté ? Quel voyage avec un compagnon qu'on regar<strong>de</strong><br />

comme un <strong>en</strong>nemi ! 1)<br />

« Aussi, continue Aristote, la classe moy<strong>en</strong>ne est-elle<br />

la base la plus sûre cl'une bonne organisation sociale, et<br />

la cité. aura nécessairem<strong>en</strong>t 'un bon gouverncm<strong>en</strong>t, si<br />

cette classc


68 HISTOIRE<br />

rité, on ne connaît ni ces inquiétu<strong>de</strong>s, ni ces réactions<br />

viol<strong>en</strong>tes qui ébranl<strong>en</strong>t les gouvernem<strong>en</strong>ts. Lcs grhnds<br />

&ats sont moins exposés aux mouvem<strong>en</strong>ts populaires.<br />

Pourquoi? parce que la classe moy<strong>en</strong>ne y est nombreuse.<br />

Mais les petites cités sont souv<strong>en</strong>t divisées <strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>ux camps. Pourquoi <strong>en</strong>core? parce qu'on n'y trouve<br />

que cles pauvres et <strong>de</strong>s riches, c'est-à-dire <strong>de</strong>s extrêmes<br />

et pas <strong>de</strong> moy<strong>en</strong>s. n<br />

II scmble que ces lignes soi<strong>en</strong>t écrites d'hicr et jetées<br />

aux lecteiirs par une <strong>de</strong>s mille voix <strong>de</strong> notre temps. Je<br />

les ai citées avec quelque ext<strong>en</strong>sion, parce qu'elle3 donn<strong>en</strong>t<br />

une idPe exacte <strong>de</strong>s viles écoiiomiques <strong>de</strong>s plus<br />

grands ecrivains <strong>de</strong> l'antiquité. En plaidant avec tant <strong>de</strong><br />

chaleur la cause <strong>de</strong>s classes moy<strong>en</strong>nes, ils ne se laissai<strong>en</strong>t<br />

pas égarer à la poursuite d'une vaine utopie ; ils<br />

savai<strong>en</strong>t ce qui se passe dans les luttes civiles oii s'agitcnt<br />

<strong>de</strong>s qiiestions sociales <strong>en</strong>tre le riche et le paiivrc.<br />


DE L'BCONOMIE POLITlQUE. CHAP. III. 69<br />

toutes les républiques qui ont occupE ce petit territoire.<br />

En dépit <strong>de</strong>s nombreux changem<strong>en</strong>ts que les institutions<br />

<strong>de</strong> ces républiques ont kprouvés aux divcrs âges (le la<br />

Grèce, elles reposai<strong>en</strong>t sur <strong>de</strong>s principes à pcri pres in-<br />

variables, mais dont l'esclavage formait toujours la basc.<br />

Tout ce qui n'était pas grec était considéré comme bar-<br />

bare; les prktrcs, les philosophes Iégislateurs, les guer-<br />

riers et les orateurs, ont passé tour a tour par le pou-<br />

voir sans ébranler les vieux fon<strong>de</strong>nz<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la civilisation<br />

grecque, l'horreur du travail industrie1, le mépris du<br />

commerce, 1'indiîfi.r<strong>en</strong>cc pour tout ce qui était étranger<br />

ou esclave. Ern vain, les gran<strong>de</strong>s expéditions d'Alexandre<br />

et Ics développew<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Ieur puissance maritime au-<br />

rai<strong>en</strong>t facilité aux divers nations grecques l'6tal)lisse-<br />

m<strong>en</strong>t d'un grand empire oricntal : leurs divisions intes-<br />

tines el l'abus du servage Ieur ont fait perdre cette<br />

chance 'glori<strong>en</strong>sc, et le fédéralisme grec a disparu <strong>de</strong>-.<br />

vant l'unité romaine, dès qu'il a plu à celle-ci <strong>de</strong> se<br />

montrer.


CHAPITRE IV.<br />

Des colonies grecques et <strong>de</strong> leurs relations avec la m6tropole. -<br />

Elles ont contribue à répandre dans une gran<strong>de</strong> parlie <strong>de</strong> l'Eu-<br />

rope les i<strong>de</strong>es dont le foyer etait B Alhénes et à Sparte. - Elles<br />

ont été fon<strong>de</strong>es, comme les nûtres, par <strong>de</strong>s émigrations, mais<br />

elles ont joui d'une plus gran<strong>de</strong> in<strong>de</strong>p<strong>en</strong>darice.<br />

L'histoire <strong>de</strong>,la GrCce anci<strong>en</strong>ne prés<strong>en</strong>te, comme celle<br />

,<strong>de</strong> 1'Eiirope mo<strong>de</strong>rne, le ph6nomène remarquable d'une<br />

fédération <strong>de</strong> petits peiiplcs qiii ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> respect (les<br />

contrées imm<strong>en</strong>ses, par le seul asc<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> leur supériorité<br />

morale. La carte (les colonics grecques ressemble<br />

à lin mon<strong>de</strong>, quand on la compare à celle du Péloponèse<br />

et <strong>de</strong>s autres dép<strong>en</strong>dances métropolitaines <strong>de</strong> terre<br />

ferme. Les Grecs avai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet <strong>de</strong>s colonies daiis<br />

l'Asie-Mineurc, sur les bords <strong>de</strong> la mer Koire, à Cliypre,<br />

<strong>en</strong> Crac, eu Sicile, <strong>en</strong> Gaule, cn Espagne et <strong>en</strong> Afrique.<br />

11s y comptai<strong>en</strong>t.1~~ villes par c<strong>en</strong>taines, et l'on ne sanrait<br />

doiiter que la pltipart <strong>de</strong> Ces villes ai<strong>en</strong>t joui <strong>de</strong> la<br />

plus gran<strong>de</strong> opul<strong>en</strong>ce, méme dans le s<strong>en</strong>sqiie nous attachons<br />

aujourd'hui à. cc mot. Dans le principe, elles<br />

fur<strong>en</strong>t le produit <strong>de</strong> la conquéte ; on s'emparait <strong>de</strong>s habitants<br />

comme esclaves, et <strong>de</strong> leurs terres comme d'un<br />

domaine publique. Pliis tard, les nations conquises<br />

fur<strong>en</strong>t reçues à capitiilation; Icç Grccs y <strong>en</strong>voyèr<strong>en</strong>t


HISTOIKE DE ~,'ÉCOP\'OZIIIE I~OLïïlQUE. CIIAP. IV. 71<br />

l'excédant dc Iciir population îaniéliqrie et turbul<strong>en</strong>te, et<br />

il se forma une association véritable <strong>en</strong>tre les incligènes<br />

et les Bmigrants. Tant que la métropole pouvait les<br />

maint<strong>en</strong>ir dans l'obéissauce au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> ses flottes, la<br />

dép<strong>en</strong>dance était réelle; mais il suffisait d'one interruption<br />

dans les communications pour remettre sa suprématie<br />

<strong>en</strong> question. C'est ainsi que la défaite d'0tigos-<br />

Potamos fit perdre à Atli&nes toutes ses clérouquz'es.<br />

On ne saurait douter, néanmoins, que le régime colonial<br />

<strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s n'ait été, <strong>en</strong> généra1,gliis indép<strong>en</strong>dant<br />

que le nôtre <strong>de</strong> l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s métropoles. Les Grecs<br />

n'avai<strong>en</strong>t point à leur disposition les flottes imm<strong>en</strong>ses<br />

<strong>de</strong>s peuples mo<strong>de</strong>rnes, ni la puissance <strong>de</strong> l'artillerie qui<br />

agit <strong>de</strong> loin, sans nécessiter <strong>de</strong>s débarqu<strong>en</strong>i<strong>en</strong>ts. Toutes<br />

les fois qu'une <strong>de</strong> leurs colonies s'insurgeait, ils étai<strong>en</strong>t<br />

obligés d'y transporter <strong>de</strong>s troupes à grands frais, et ces<br />

troupcs <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t &tre très-nombreuses pour résister au<br />

choc <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>nemi. Aussi la plupart <strong>de</strong>s établiss<strong>en</strong>i<strong>en</strong>ts<br />

grecs ont-ils fini par <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t libres <strong>de</strong> toute<br />

influ<strong>en</strong>ce extérieure. Le travail y &tait honoré, le comnierce<br />

florissant et l'aisance beaucoup plus généralem<strong>en</strong>t<br />

répandue que dans les gran<strong>de</strong>s cités métropolitaines.<br />

Éphèse, Smyrne, Phocée et Nilet, se sont élevées à un<br />

<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> prospérité inoui. Milet seule avait quatre ports<br />

et une flotte <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> c<strong>en</strong>t vaisseaux. On sait les nierveilles<br />

<strong>de</strong> Rho<strong>de</strong>s, la richesse <strong>de</strong> Smyrne, la hardiesse<br />

<strong>de</strong>s navigateurs Phocé<strong>en</strong>s, fondateurs <strong>de</strong> iVarseille. Les<br />

Grecs asiatiques ont perfectionné <strong>de</strong> bonne heure la<br />

teinture <strong>de</strong>slaines, l'exploitation <strong>de</strong>s niines, la fonte <strong>de</strong>s<br />

métaux. Leurs savants ont tous contribué auxprogrès<br />

<strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces; la philosophie, l'astronomie leur doiv<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> brillantes découvertes ; les beaux-arts <strong>de</strong>s monum<strong>en</strong>ts<br />

magnifiques. Ils eur<strong>en</strong>t aussi leurs constitutions


72 HISTOInE<br />

particulières et <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t assez puissants pour faire <strong>de</strong>s<br />

conquêtes. L'île <strong>de</strong> Crète a longtemps maint<strong>en</strong>u son<br />

indép<strong>en</strong>dance par le commerce et n'a succombé que <strong>de</strong>vant<br />

la domination Romaine.<br />

Une gran<strong>de</strong>partie <strong>de</strong> l'Europe actuelle, la Gaule, l'Espagne,<br />

l'Italie méridionale ont longtemps existé à l'état<br />

<strong>de</strong> colonies grecques. La Sicile seule était un véritable<br />

empire, et les établissem<strong>en</strong>ts situés dans la portion actuelle<br />

du royaume <strong>de</strong> Naples qui se termine aqx <strong>de</strong>ux Calabres,<br />

parvinr<strong>en</strong>t à un tel <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur qu'ils effacèr<strong>en</strong>t<br />

i'éclat <strong>de</strong> la mère-patrie et méritèr<strong>en</strong>t le nom <strong>de</strong> &an&<br />

Grèce. Tous ces ~tats commcrçai<strong>en</strong>tlibrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre eux,<br />

et avec leurs métropoles. ilfais les richesses mémes qu'ils<br />

retirèr<strong>en</strong>t du commerce contribuèr<strong>en</strong>t à leur déca<strong>de</strong>nce,<br />

<strong>en</strong> affaiblissant leur t<strong>en</strong>dance guerrière et <strong>en</strong> créant<br />

au sein <strong>de</strong> leurs cités une démocratie effrénCe et amollie<br />

par les plaisirs, égalem<strong>en</strong>t impropre à supporter un gouvernem<strong>en</strong>t<br />

et à le remplacer. Voyez Corinthe : quelle<br />

magnifique situation pour le commerce ! Elle 6tait assise<br />

sur <strong>de</strong>ux mers ; elle ,ouvrait et fermait le Péloponèse.<br />

Elle avait un port pour recevoir les marchandises <strong>de</strong>l'Asie<br />

; elle <strong>en</strong> avait unautre pour recevoir celles <strong>de</strong>l'ltalie,<br />

et l'Italie c'était l'Europe <strong>de</strong> ce temps. Que <strong>de</strong> magasins !<br />

que <strong>de</strong> vaisseaux ! que <strong>de</strong> monum<strong>en</strong>ts? mais bi<strong>en</strong>tôt elle<br />

se mit B bâtir <strong>de</strong>s temples à Vénus et à y <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s<br />

milliers <strong>de</strong> courtisanes; déplorable abus <strong>de</strong> la civilisation<br />

et <strong>de</strong> la richesse qui a fait fuir <strong>de</strong> ces beaux lieux la<br />

ricliesse et la civilisation ! ainsi ont péri toutes les colonies<br />

grecques, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ues <strong>de</strong>s nations. Elles ont consacré au<br />

luxe et aux plaisirs <strong>de</strong>s trésors qu'elles aurai<strong>en</strong>t pu <strong>en</strong>iployer<br />

à consoli<strong>de</strong>r leur indép<strong>en</strong>dance, et nous ne trouvons<br />

plus aujourd'hui que sous l'herbe les traces <strong>de</strong> leur<br />

anci<strong>en</strong>ne spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur. Elles n'ont ri<strong>en</strong> fait pour le malheur


et pour lapauvret&, point d'asiles, point <strong>de</strong>secours pour les<br />

classes disgracihes; point d'iiconomics, cr6aQices <strong>de</strong> ca-<br />

pitaux. Elles ont vécu au jourle jour, consommantleurs<br />

fonds avec leurs rev<strong>en</strong>us, jusqu'au mom<strong>en</strong>t où, <strong>en</strong>trai-<br />

nées dans l'orbite du inon<strong>de</strong> romain, elles y onhnglouti<br />

leur indép<strong>en</strong>dance et leur fortune.


CHAPITRE V.<br />

De l'Économie <strong>politique</strong> chez les Romains, aux diffhr<strong>en</strong>ts âges. -<br />

Ils sont ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t guerriers et pillards sous la Rkpublique.<br />

- Ingénieurs et administrateurs sous l'empire. - Leur mepris<br />

pour le travail. - Imm<strong>en</strong>ses dévastations qu'ils commett<strong>en</strong>t.-<br />

Ruine <strong>de</strong> Carthage. - Premiers essais d'organisation sous les<br />

empereurs.<br />

On distingue trois graii<strong>de</strong>s époques, parfaitem<strong>en</strong>t<br />

caractérisées, dans l'histoire <strong>de</strong>s onze siècles qui sé-<br />

par<strong>en</strong>t la fondation <strong>de</strong> Rome <strong>de</strong> l'avénem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Cons- .<br />

tantin. La première, presque sauvage, finit au comm<strong>en</strong>-<br />

cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la guerre punique; la secon<strong>de</strong>, toute guer-<br />

rière, se termine S la bataille d'Actium; la troisième<br />

compr<strong>en</strong>d le règne <strong>de</strong>s empereurs : c'est celle du <strong>de</strong>spo-<br />

tisme et <strong>de</strong> l'administration. La véritable économie po-<br />

litique <strong>de</strong>s Romains ne, date que du siècle d'Auguste ;<br />

jusqu'alors ils n'ont été qu'agriculteurs ou conquérants :<br />

sous l'empire, ils comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t <strong>en</strong>fin à se civiliser. C'est<br />

alors seulem<strong>en</strong>t que le gouvernem<strong>en</strong>t exerce une in-<br />

flu<strong>en</strong>ce universelle et qu'ils <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t- les<br />

maîtres du inon<strong>de</strong>. Cep<strong>en</strong>dant, malgrC ces modiîlcations<br />

successives dans leur constitiition et dans leur <strong>politique</strong><br />

intérieure, Ics Romains conserv<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>puis les premiers<br />

jours <strong>de</strong> leur histoire jusqu'& la chute <strong>de</strong> l'empire, une


HISTOIRE<br />

DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. Y. 75<br />

physionomie toujours égale et <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>dances presque<br />

uniformes. Placés, à leur début, au milieu d'&tats in-<br />

dép<strong>en</strong>dants, tels que les Èques, les Volsques, les Sabins,<br />

les Samnites, ils se font conquérants pour n'btre pas<br />

conquis. Vainqueurs, ils conserv<strong>en</strong>t leurs habitu<strong>de</strong>s mi-<br />

litaires, dont le principal caractère est le mépris du tra-<br />

vail. Le travail, à leurs yeux et dès les premiers temps,<br />

est une affaire <strong>de</strong> prisonniers et d'esclaves. Aussi un <strong>de</strong><br />

leurs histori<strong>en</strong>s peut-il dire avec justesse qu'à cette<br />

époque leur unique métier est <strong>de</strong> broyer le grain et les<br />

hommes. Leur religion est à la hauteur <strong>de</strong> leurs mœurs,<br />

et ils élèv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s temples à Jupitcr pillard, Joci prœda-<br />

lori. Les beaux-arts, l'industrie, le commerce, leur sont<br />

<strong>en</strong>core inconnus. A l'époque <strong>de</strong> la première guerre puni-<br />

que, ils ne sav<strong>en</strong>t que faire <strong>de</strong>s belles peintures qu'ils<br />

trouv<strong>en</strong>t dans la ville <strong>de</strong> Tar<strong>en</strong>te. A Corinthe leurs<br />

soldats jou<strong>en</strong>t aux dés sur Ies plus magniGques tableaux<br />

<strong>de</strong>s plus grands maîtres, et l'un <strong>de</strong> leurs généraux ose<br />

dire sérieusem<strong>en</strong>t au patron d'un navire chargé <strong>de</strong><br />

transporter à Rome les chefs-d'œiivre <strong>de</strong> la Grèce : u Si<br />

tu cil perds, tu les remplaceras. o<br />

A cette époque leur langue meme n'existait pas; elle<br />

était ce qu'cst à la nbtre la langue exécrable <strong>de</strong>s no-<br />

taires, <strong>de</strong>s avoués et <strong>de</strong>s huissiers. Le changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

années se marquait par un clou planté sol<strong>en</strong>nellem<strong>en</strong>t<br />

tous les-ans sur les murs du temple <strong>de</strong>' Jupiter, au com-<br />

m<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t du mois <strong>de</strong> septembre. Il n'y avait que trois<br />

divisions du jour; une monnaie <strong>de</strong> cuivre grossière<br />

suffisait à tous les besoins, et toute l'indristrie, comme<br />

dans les républiques grecques, était conc<strong>en</strong>trée aux<br />

mains <strong>de</strong>s esclaves. Leurs premiers poëtes ont appar-<br />

t<strong>en</strong>u à cette caste flétrie : Ennius, Plaute, Tér<strong>en</strong>ce et<br />

beaucoup d'autres grands écrivains <strong>en</strong> étai<strong>en</strong>t. Les


76 HISTOIRE<br />

Romains <strong>de</strong> ce temps avai<strong>en</strong>t surtout <strong>en</strong> horreur la navi-<br />

gation, et leur ignorance dans cet art leur a causé <strong>de</strong><br />

sinistres mécomptes. Aussi faisai<strong>en</strong>t-ils <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction<br />

<strong>de</strong>s vaisseaux la première condition <strong>de</strong> leurs traités avec<br />

les vaincus ; ils <strong>en</strong> brûlèr<strong>en</strong>t plus <strong>de</strong>500 h Carthage. Cette<br />

aversion pour la marine dégénéra chez eux <strong>en</strong> une vraie<br />

monomanie, et quand ils <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t maîtres <strong>de</strong> la mer,<br />

ce ne fut pas par leurs vaisseaux, mais par l'abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />

vaisseaux <strong>en</strong>nemis. Sansles pirates, qui les bravai<strong>en</strong>t im-<br />

puném<strong>en</strong>t dans la Méditerranée, jusqu'au point do blo-<br />

quer leurs ports et d'<strong>en</strong>lever leurs fonctionnaires publics,<br />

ils euss<strong>en</strong>t volontiers r<strong>en</strong>oncé à la navigation, qui ne se<br />

soutint d'ailleurs chez eux qu'avec <strong>de</strong>s équipages étran-<br />

gers, grecs, égypti<strong>en</strong>s ou sicili<strong>en</strong>s. Auguste lui-mbme,<br />

qui gagna la bataille navale d'Actium, 'avait une peur<br />

horrible do l'eau.<br />

C'est au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leurs premières luttes avec Car-<br />

thage qu'on voit aussi apparaître les édits proscripteurs<br />

du commerce. cr Les peuples commerçants doiv<strong>en</strong>t tra-<br />

vailler pour nous, dis<strong>en</strong>t-ils : notre métier est <strong>de</strong> les<br />

vaincre et dc les rançonner. Continuons donc la guerre<br />

'qui nous a r<strong>en</strong>dus leurs maftres, plutôt que <strong>de</strong> nous<br />

adonner au commerce qui les a faits nos esclaves. D Ci-<br />

céron lui-même, malgré la haute supériorité <strong>de</strong> son<br />

esprit, partageait <strong>en</strong>core, à une époque plus avancée <strong>de</strong><br />

la république; les préjugés antisociaux <strong>de</strong> ses conci-<br />

toy<strong>en</strong>s. I Que peut-il sortir d'honorable d'une boutique?<br />

, s'écriait-il avec naiveté ; le commerce est chose sordi<strong>de</strong>,<br />

quand il est <strong>de</strong> peu d'importance, car les petits mar-<br />

chands ne peuv<strong>en</strong>t pas gagner sans m<strong>en</strong>tir; c'est un<br />

métier tort au plus tolérable quand on l'exerce <strong>en</strong><br />

grand et pour approvisionner le pays. ' 3 Avec <strong>de</strong> telles<br />

4 Cicéron, Trae'td <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs, liv. 1, sect. 44. Il faut citer ce


DE L'ECOHOIIE POLITIQUE: CHhP. V. 77<br />

doctrines sur le commerce, il n'est pas étorinant que les<br />

Romains ai<strong>en</strong>t cherché, dans la conquete et dans le pil-<br />

lage, <strong>de</strong>s ressources qu'ils ,trouvai<strong>en</strong>t indigne d'cnx <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au travail. Leurs premières richesses ont com-<br />

m<strong>en</strong>cé par du butin, et leiir histoire ressemkle p<strong>en</strong>dant<br />

plusieurs siècles à celle d'lin peuple <strong>de</strong> flibustiers. On ne<br />

lit dans leurs écrivains que cles récits <strong>de</strong> vols et dc dé-<br />

vastations : tantôt, c'est le pillage <strong>de</strong> Syracuse, puis<br />

celui <strong>de</strong> Tar<strong>en</strong>te, <strong>de</strong> la Syrie, dcs villes <strong>de</strong> Kamidie,puis<br />

<strong>en</strong>fin le triomphe <strong>de</strong> Paul fimile dont le char est suivi<br />

<strong>de</strong> 250 chariots remplis d'or et d'arg<strong>en</strong>t. Manlius déva-<br />

lise l'Asie-Minetire; Sempronius, la Lusitanic; Flacctis,<br />

l'Espagne. 70 villes d'Épire sont saccagées et détruites;<br />

150 mille habitants sont réduits <strong>en</strong> esclavage; la seule.<br />

ruine <strong>de</strong> Carthage produit 500 millions <strong>de</strong> nos francs.<br />

Ce fut un beau jour pour Rome que celui oit elle dé-<br />

pouilla cette rivale, dont les temples étaicnt doiiblés <strong>de</strong><br />

fcuilles d'or, produit <strong>de</strong>s mines d'Espagne et du com-<br />

merce imm<strong>en</strong>se <strong>de</strong> la M6diterrani.e !<br />

On s'est <strong>de</strong>mandé bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s fois ce qui serait sdvcnu<br />

<strong>de</strong> la civilisation, si Carthagc eût triomphé dc Rome et<br />

si l'esprit commercid <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> cité africaine l'eût<br />

emporté sur la <strong>politique</strong> guerrière <strong>de</strong> son implacable<br />

<strong>en</strong>nemie. 11 suffit <strong>de</strong> dire que Carthage etait tout à la<br />

fois une ville industrieuse et commerciale, et qu'elle al)-<br />

provisionnait tous les ports <strong>de</strong> la Méditerranée <strong>de</strong> ses<br />

marchandisee et <strong>de</strong> ses matières premières. La naviga-<br />

tion y était portée à un très-haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> perfection<br />

passage curieux : « Ne quidqt~am ing<strong>en</strong>u~im potest habere offi-<br />

cina ... Mercatura, si t<strong>en</strong>uis est, sordida putanda est; sin autem.<br />

magna et copiosa, multa îmdtque apportans, ncn est admodùm<br />

z'ituperan da... hrihil <strong>en</strong>im propciunt mercatores, nisi admodùm<br />

m<strong>en</strong>liantur.


78 HISTOIRE<br />

pour le temps, si nous <strong>en</strong> jugeons par le périple d'Han-<br />

non, qui est un <strong>de</strong>s plus beaux monum<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> cette<br />

sci<strong>en</strong>ce dans l'antiquité. On doit donc regretter à jamais<br />

qu'une puissance qui portait dans son sein tous les ger-<br />

mes <strong>de</strong> civilisation pacifique ait succombé sous les<br />

coups d'un peuple exclusivem<strong>en</strong>t guerrier. Le capital<br />

imm<strong>en</strong>se détruit dans cette catastrophe aurait alim<strong>en</strong>té<br />

<strong>de</strong>s travaux d'un grand intérbt pour l'humanité, et il<br />

alla se perdre à Rome dans les caisses <strong>de</strong>s patrici<strong>en</strong>s<br />

pour y donner naissance aux plus infâmes débor<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts<br />

d'usure qui ai<strong>en</strong>t souillé l'histoire d'une nation. II sem-<br />

ble dès lors que Rome soit <strong>en</strong> proie i une fièvre <strong>de</strong> spé-<br />

culation et d'agiotage ; on n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d plus parler que <strong>de</strong><br />

citoy<strong>en</strong>s poursuivis pour <strong>de</strong>ttes, <strong>de</strong> châteaux qui s'élé-<br />

v<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> nlalheureux qu'on exproprie. Brutus et Cassius,<br />

Antoine, Sylla, le grand Pompée lui-méme, se font prb-<br />

teurs à la petite semaine, et ne rougiss<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong> préle-<br />

ver <strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong> 48 et méme <strong>de</strong> 70 pour c<strong>en</strong>t. Un<br />

Verrèsparvi<strong>en</strong>t à épuiser la Sicile ; Salluste constriiit <strong>de</strong>s<br />

jardins fabuleux avec le produit <strong>de</strong> ses rapines <strong>en</strong> Numi-<br />

die. Cicéron, gouverneur <strong>de</strong> Cilicie, se croit le bi<strong>en</strong>fai-<br />

teur <strong>de</strong> la province, pour avoir abaissé l'intérbt à 12<br />

pour c<strong>en</strong>t et une commission, <strong>en</strong> cas <strong>de</strong> retard ou <strong>de</strong><br />

r<strong>en</strong>ouvellem<strong>en</strong>t. Juvénal <strong>en</strong>fin peut s'écrier plus tard :<br />

nous dénorons les peuples jusqu'auz os, après que Salluste<br />

aura dit que ses eontempos.ains tourm<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t l'arg<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

toutes les mulzières '. Voilà les liommes que nous admi-<br />

rons et la civilisation qu'on nous donne pour modèle,<br />

dès notre plus t<strong>en</strong>dre <strong>en</strong>fance ! Voilà I'bconomic poli-<br />

tique du peuple romain jusqu'aux premières années <strong>de</strong><br />

l'empire !<br />

Pecuniam omnibus rnodis vexant.<br />

L'histoire économique <strong>de</strong> i'ltalie anci<strong>en</strong>ne offre un fait <strong>de</strong>s


CHAPITRE 1 .<br />

De <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> <strong>de</strong>s Romains <strong>de</strong>puis le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

l'empire. - Abus <strong>de</strong>s conquêles. - Mépris du commerce. -<br />

Condition <strong>de</strong>s classes laborieuses. - Aristocratie insol<strong>en</strong>te. -<br />

Populace famelique. -On se réfugie dans le célibat. -Egoïsme<br />

public et privé. - Abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> manufactures. - L'utilitésacri-<br />

fi& a la gran<strong>de</strong>ur.<br />

Au milieu du chaos <strong>de</strong> guerres et <strong>de</strong> conquetes dans<br />

lequel Rome s'agite jusqn'aux premiers temps dc l'em-<br />

pire, on voit apparaître quelques essais <strong>de</strong> rénovation<br />

soci<strong>de</strong>, et la production s'établir sur <strong>de</strong>s bases régiilié-<br />

res. Le génie pacificateur d'Auguste <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dra cette<br />

plus remarquables, qui n'a 6th p!einem<strong>en</strong>t mis <strong>en</strong> relief que par<br />

<strong>de</strong>s écrivains réc<strong>en</strong>ts, notamm<strong>en</strong>t par Dureau <strong>de</strong> la Malle, dans<br />

-<br />

son leonornie <strong>politique</strong> <strong>de</strong>s Romains. C'est la dépopulation <strong>de</strong><br />

l'Italie causée par la disparition <strong>de</strong> la petite propriBl6 et la conc<strong>en</strong>tration<br />

<strong>de</strong>s terres aux mains d'un petit nombre <strong>de</strong> familles, qui<br />

finir<strong>en</strong>t par possé<strong>de</strong>r tout le sol <strong>de</strong> la pBninsule. Avant les guerres<br />

Puniques, l'Italie Btait couverte #une population serrée <strong>de</strong> paysans<br />

laborieux qui cultivai<strong>en</strong>t eux-mêmes leurs petits fonds du terre,<br />

et parmi lesquels se recrutai<strong>en</strong>t ces armées romaines qui ont con-.<br />

quis i'occi<strong>de</strong>nt. D6jh, au temps <strong>de</strong>s Gracques, cette population<br />

vigoureuse avait s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t diminué, et le but auquel t<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t<br />

avant tout les réformateurs du parti démocratique Btait <strong>de</strong> la reconstiluer<br />

par le partage <strong>de</strong>s terres <strong>de</strong> l'État. Mais ce but ne fut .<br />

pas atteint. Sur les débris <strong>de</strong> la petite pr'opri6té se formbr<strong>en</strong>t d'imm<strong>en</strong>ses<br />

domaines (latifndia); la petite culture fut remplacee par<br />

I'dxploitation <strong>en</strong> grandau moy<strong>en</strong> d'esclaves ; les champs <strong>de</strong> blé se<br />

convertir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> pâturages; la même terre qui avait nourri c<strong>en</strong>t à


"<br />

80 HISTOIRE<br />

gran<strong>de</strong> tâche, qui n'a jamais été complétem<strong>en</strong>t aban-<br />

donnée par ses successeurs. Un rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t g6néral <strong>de</strong><br />

la population et <strong>de</strong>s ressources tle l'empire, un véritable<br />

dolnesdag book, qui malheureusem<strong>en</strong>t n'est pas parv<strong>en</strong>u<br />

jusqu'à nous, lui fournira les élém<strong>en</strong>ts ess<strong>en</strong>tiels <strong>de</strong>s ré-<br />

c<strong>en</strong>t cinquante familles.<strong>de</strong> paysans libres fut cultivée par une<br />

cinquantaine d'esclaves, pour lesquels il n'existait pas <strong>de</strong> mariage<br />

ni par conséqu<strong>en</strong>t <strong>de</strong> poslerite. Dans ces circonstances la dépo-<br />

pulation <strong>de</strong>vait 6tre rapi<strong>de</strong>, et il était facile d'<strong>en</strong> saisir les causes.<br />

Déjà Pline a dit : Latifundia perdiare Italiam. Mais ce qui était<br />

plus difficile à compr<strong>en</strong>dre, c'était la raison économique <strong>de</strong> cette<br />

absorption <strong>de</strong> la petite propriété par la gran<strong>de</strong>, <strong>de</strong> cet appauvris-<br />

sem<strong>en</strong>t du cultivateur au sein <strong>de</strong>s richesses croissantes du pays.<br />

M. Th. Momms<strong>en</strong> nous semble avoir parfaitem<strong>en</strong>t explique ce fait<br />

dans son <strong>Histoire</strong> romaine,el nous croyons que le lecteur nous saura<br />

gré <strong>de</strong> lui faire connaître quelques passages <strong>de</strong> cet ouvrage inlé-<br />

ressaut. L'auteur, aprés avoir traité <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> rurale <strong>de</strong> 1'Ita-<br />

lie au sixième sibcle <strong>de</strong> Rome, poursuit <strong>en</strong> ces termes :<br />

(( Pour apprécier les résultats du systkme <strong>de</strong> culture usité <strong>en</strong><br />

Italie, il est necessaire <strong>de</strong> considérer le taux'<strong>de</strong>s, valeurs et no-<br />

tamm<strong>en</strong>t les prix <strong>de</strong>s grains à cette époque. En moy<strong>en</strong>ne ces prix<br />

etai<strong>en</strong>t d'une modicité effrayante, due <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partie à la faute<br />

du gouvernem<strong>en</strong>t romain, qui dans celte question importante s'est<br />

laissé <strong>en</strong>traîner aux mesures les plus funestes, non pas autant par<br />

un défaut d'intellig<strong>en</strong>ce que par la manière impardonnable dont<br />

il a favorisé le prolétariat <strong>de</strong> la capitale aux dép<strong>en</strong>s du paymnita-<br />

li<strong>en</strong>. II s'agit avant tout ici <strong>de</strong> la concurr<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s grains a'outremer<br />

avec le bl6 produit <strong>en</strong> Italie. Les blés livrés par I ~ provin- J<br />

ciaux, soit gratuitem<strong>en</strong>t, soit contre une faible bonification du gouvernem<strong>en</strong>t<br />

romain, étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> partie affectes sur place A l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong><br />

du personnel <strong>de</strong>s employés romains ou <strong>de</strong> l'armée romaine, <strong>en</strong><br />

partie cé<strong>de</strong>s aux fermiers <strong>de</strong>s dimes,'soit contre <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t, soit à<br />

la condition qu'ils <strong>en</strong> livrass<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s quantités déterminées à Rome<br />

ou partout où on <strong>en</strong> avait besoin. Depuisla <strong>de</strong>uxihme guerre <strong>de</strong> Macedoine,<br />

les armées romaines fur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> général nourries avec .du<br />

bl6 d'outre-mer; et bi<strong>en</strong> que cette mesure fût avantageuse pour le<br />

tresor public, il n'<strong>en</strong> résulta pas moins pour le cultivateur itali<strong>en</strong><br />

la suppression d'un débouché important. Mais ce n:était là qu'un<br />

mal accessoire. Comme <strong>de</strong> raison, le?gouvernem<strong>en</strong>t avait <strong>de</strong>puis<br />

longiemps l'œil ouvert sur le prix <strong>de</strong>s cérkales, et, à plusieurs reprises,<br />

il avait cherche à prév<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s disettes <strong>en</strong> achetant <strong>de</strong>s<br />

blés à i'etranger. Une fois que 1es:livraisons <strong>de</strong>s pays sujets four-


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. VI. 8 1<br />

formes qu'il médite. La statistique vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ai<strong>de</strong> à l'admi-<br />

nistration. On sait le nombre <strong>de</strong>s propriétaires fonciers,<br />

cclui <strong>de</strong>s soldats, <strong>de</strong>s esclaves, <strong>de</strong>s affranchis.<br />

Les jmpBts sont levés avec plus d'ordre, <strong>de</strong> cliscer-<br />

nem<strong>en</strong>t et d'impartialité. Le droit <strong>de</strong> siiccession est fixé<br />

nir<strong>en</strong>t annuellem<strong>en</strong>t '<strong>de</strong> grancles masses <strong>de</strong> grains, plus gran<strong>de</strong>s<br />

sans doute qu'il n'etait nbcessaire <strong>en</strong> temps <strong>de</strong> paix, et qu'<strong>en</strong> ou-<br />

tre il fut <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u facile d'avoir <strong>de</strong>s blés étrangers à <strong>de</strong>s prix trés-<br />

mo


83 HISTOIRE .<br />

au vingtième; une taxe générale <strong>de</strong> consommation <strong>de</strong><br />

un pour c<strong>en</strong>t atteint toutes les <strong>de</strong>nrées: Les douane, ce<br />

poison si doux et si fatal <strong>en</strong> m&me temps à l'industrie<br />

mo<strong>de</strong>rne: sont organisées sur le pied le pliis rigoureux,<br />

non pas à titre <strong>de</strong> protection, mais comme moy<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />

faveur spéciale aux Rhodi<strong>en</strong>s d'exporter une certaine quantité <strong>de</strong><br />

grains <strong>de</strong> Sicile, il faut bi<strong>en</strong> qu'<strong>en</strong> règle I'exportation<strong>de</strong>s provinces<br />

n'ait pu se faire que pour l'Italie, et que par conséqu<strong>en</strong>t le blé<br />

d'outre-mer fût monopolisé par la mère-patrie.<br />

Les résultats <strong>de</strong> ce systéme 6conomique s'aperçoiv<strong>en</strong>t claire-<br />

m<strong>en</strong>t ... Déjà, au temps <strong>de</strong> Caton, la Sicile est appelée le gr<strong>en</strong>ier<br />

à blé <strong>de</strong> Rome. Dans <strong>de</strong>s années fertiles on cédait dans les ports<br />

itali<strong>en</strong>s le blé <strong>de</strong> Sicile et <strong>de</strong> Sardaigne au prix du fret. Dans les<br />

contrees <strong>de</strong> la péninsule les plus riches <strong>en</strong> blé, dans la Romagne<br />

et la Lombardie d'aujourd'hui, on payait, du temps <strong>de</strong> Polybe,<br />

pour la nourriture et le logem<strong>en</strong>t à huberge, un <strong>de</strong>mi-as (2 ü<strong>en</strong>-<br />

times et <strong>de</strong>mi) ,par jour; le scheffel prussi<strong>en</strong> <strong>de</strong> blé valait là un<br />

<strong>de</strong>mi-<strong>de</strong>nier (40 c<strong>en</strong>times). Ce <strong>de</strong>rnier prix moy<strong>en</strong>, qui formait à<br />

peu près le douzième du prix normal ordinaire, prouve <strong>de</strong> la ma-<br />

nière la plus irrécusable que la production itali<strong>en</strong>ne manquait com-<br />

plétem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> débouchés et que la valeurdu bié, comme <strong>de</strong> la terre<br />

qui le produisait, élait coraplétem<strong>en</strong>t dépréciee.<br />

» Dans un pays <strong>de</strong> grand; industrie, où l'agriculture ne peut<br />

nourrir la population, un resultat pareil aurait pu être considéré<br />

comme utile, ou du moins corrime n'ktant pas absolum<strong>en</strong>t nuisible;<br />

un pays comme l'Italie, où I'industrie était peu importante et où<br />

l'agriculture etait la chose tout à lait principale, fut ruiné sysl6-<br />

matiqu<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t par cette voie, et le bi<strong>en</strong> g<strong>en</strong>eral fut sacrifie <strong>de</strong> la ma-<br />

nière la plus funeste aux intérêts <strong>de</strong> la population ess<strong>en</strong>tielle-<br />

ni<strong>en</strong>t impr,oductive <strong>de</strong> la capilale, qui à la vérité ne pouvait pas<br />

avoir le painà trop bon marché ... h partirdu mom<strong>en</strong>l ou la petite<br />

propriete ne fournit plus <strong>de</strong> prsduit net réel, la classe <strong>de</strong>s paysans<br />

fut perdue sans remè<strong>de</strong>, d'autant plus que dans son sein aussi,<br />

plus l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, il est vrai, que dans les autres classes, les mceurs<br />

severes et les habitu<strong>de</strong>s economiqiias <strong>de</strong>!'epoque républicaine an-<br />

térieure disparur<strong>en</strong>t peu a peu. La rapid~té avec laquelle les<br />

fonds itali<strong>en</strong>s <strong>de</strong> paysans allai<strong>en</strong>t être rachetes et absorbés dans<br />

la gran<strong>de</strong> propriéte, n'était plus qu'un8 queition <strong>de</strong> temps ... Les<br />

c;rconstances aurai<strong>en</strong>t suffi à elles seules pour que la petite cul-<br />

ture filt remplacee partout par la gran<strong>de</strong> exploitation ; et il était<br />

r difficile <strong>de</strong> les combaltre par la voie <strong>de</strong> la iegislation. Mais on fit<br />

une bi<strong>en</strong> gran<strong>de</strong> faute <strong>en</strong> déf<strong>en</strong>dant par la loi Claudia (peu avant


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHIP. VI. 83<br />

rev<strong>en</strong>u; les matières premières y sont sujettes ainsi<br />

que les marchandises. On rcmbonrsait les droits <strong>en</strong><br />

cas <strong>de</strong> réexportation, faute <strong>de</strong> v<strong>en</strong>te; mais les doua-<br />

niers, fl faut l'avouer, n'étai<strong>en</strong>t pas plus tolérants que<br />

les ndtres. Ils étai<strong>en</strong>t autorisés à ouvrir les ballots et<br />

m&me & décacheter les lettres, comme Tér<strong>en</strong>ce l'affirme<br />

expressém<strong>en</strong>t. L'omission <strong>de</strong> la déelaration <strong>en</strong> temps<br />

utile <strong>en</strong>traînait la confiscation ' ou, si elle était reconnue<br />

invoIontaire, I'e payem<strong>en</strong>t du double droit. Néron voulut<br />

un jour supprimer cet impct pour se r<strong>en</strong>dre populaire;<br />

mais le sénat lui représ<strong>en</strong>ta que si celui-l~succombait,<br />

on attaquerait bi<strong>en</strong>tôt tous les autres, et l'empereur se<br />

r<strong>en</strong>dit à ces iristes raisons. L'liistoire noiis a conservé un<br />

<strong>de</strong> ces tarifs, et la connaissance que j'<strong>en</strong> ai prise ne mr,<br />

permet pas <strong>de</strong> douter qu'<strong>en</strong> fait d'absurdité nos douanes<br />

ne l'emport<strong>en</strong>t <strong>de</strong> bcaricoup sur celles <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s2.<br />

Plus tard, quand l'empire fut partagé, sous Dioclé-<br />

ti<strong>en</strong>, <strong>en</strong> quatre gran<strong>de</strong>s préfectures qui cont<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

pliisieurs royaumes, iI s'établit une remarquable unité<br />

dans toutes les branches <strong>de</strong> l'administration romaine.<br />

Les lois étai<strong>en</strong>t les mèmes clu Tibre au Danube, <strong>de</strong><br />

l'Espagne C1 la mer Noire. Tr<strong>en</strong>te légions, formant un<br />

effectif d'<strong>en</strong>viron 400,000 homhes, maint<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t dans<br />

le <strong>de</strong>vair une foule <strong>de</strong> peuples différ<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> langage,<br />

536) aux maisons sknatoriales <strong>de</strong>se livrer aux çp6culations com-<br />

merciales et on les obligea ainsi à placer <strong>de</strong> prkf6rcnce <strong>en</strong> terres<br />

leurs imm<strong>en</strong>ses capitaux, c'est-à-dire à substituer aux anci<strong>en</strong>s do-<br />

maines <strong>de</strong>s paysaris <strong>de</strong>s fermes et <strong>de</strong>s pâturages (Th Mommscn,<br />

Rmmische Geschichte, te édi8. Berlin, 1856, t. J, p. 814 et suiv.)<br />

(Note <strong>de</strong> I'ddtteur).<br />

4 @ad qziid professus non est, perdat.<br />

2 On volt figurer dans ce docum<strong>en</strong>t le poivre, la cannelle, la<br />

myrrhe, le gingembre, quclques parfums, <strong>de</strong>s peazm <strong>de</strong> Oêtes,<br />

l'ivoire, les diamants et aulres objets <strong>de</strong> luxe; mais nos taiifsn'ont<br />

ri<strong>en</strong> épargné, pas même les allumettes!


\<br />

84 HISTOIRE<br />

d'habitu<strong>de</strong>s et d'intérkts. Des roufes magnifiques liai<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>tre eux ces vastes campem<strong>en</strong>ts assis au bord <strong>de</strong>s<br />

fleuves, à l'<strong>en</strong>trée <strong>de</strong>s montagnes ou sur la lisière<br />

<strong>de</strong>s contrées <strong>en</strong>core insoumises. Des relais <strong>de</strong> poste <strong>en</strong>-<br />

tret<strong>en</strong>us avec un soin extrhme portai<strong>en</strong>t sur tous les<br />

points <strong>de</strong> l'empire les ordres du gouvernem<strong>en</strong>t c<strong>en</strong>tral.<br />

D'imm<strong>en</strong>ses aqueducs approvisionnai<strong>en</strong>t d'eau les villes<br />

opul<strong>en</strong>tes, dont Ie nombre nous semble aujourd'hui<br />

fabuleux. Malgré les prodiges dont notre siCcle a 6té le<br />

témoin, cette gran<strong>de</strong>ur romaine nous étonne <strong>en</strong>core et<br />

nous subjugue ; les plus vastes monarchies.<strong>de</strong> l'Europe<br />

mo<strong>de</strong>rne p&liss<strong>en</strong>t <strong>de</strong>vant les c<strong>en</strong>t millions <strong>de</strong> sujets <strong>de</strong>-<br />

l'empereur Clau<strong>de</strong>. Mais on s'est cont<strong>en</strong>té jusqu'à ce<br />

jour d'admirer la hauteur imposante du colosse im-<br />

périal, sans la mesurer, sans remonter aux causes pre-<br />

mières <strong>de</strong> son élévation et sans chercher l'explication<br />

<strong>de</strong> cette étonnante exist<strong>en</strong>ce. Par quels moy<strong>en</strong>s pouvait-<br />

on suffire 5( la consommation <strong>de</strong> ces myria<strong>de</strong>s d'hom-<br />

mes? Dans quel budget puisait - on les ressources né- ,<br />

cessaires pour nourrir et pour vetir ce mon<strong>de</strong> si différ<strong>en</strong>t<br />

du ndtre? Y avait-il <strong>de</strong>s pauvres? Travaillait-on par<br />

gran<strong>de</strong>s <strong>en</strong>treprises, <strong>en</strong> atelier, ou, comme p<strong>en</strong>dant la<br />

' république, autour di fiyer domestique ? Quel était<br />

le sort du cultivateur et <strong>de</strong> l'ouvrier? Comm<strong>en</strong>t faisait-<br />

on le commerce? L'économie <strong>politique</strong> att<strong>en</strong>d la solii-<br />

tion <strong>de</strong> ces graves questions, dont les écrivains romains<br />

ne sembl<strong>en</strong>t pas avoir soupçonné l'importance.<br />

L'esclave apparaît toujours comme élém<strong>en</strong>t social dans<br />

la constitution <strong>de</strong> 1'Etat. Ce n'est plus l'esclavage grec,<br />

ni méme celui <strong>de</strong> l'époque moy<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> la rbpublique,<br />

qui avait le caractère d'une siniple domesticité : l'em- ,<br />

pire est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u si grand qu'on ne peut plus <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

aux esclaves seuls la masse énorme <strong>de</strong> travail indisp<strong>en</strong>-


DE L'ECONOIIIE POLITIQUE. CHAP. VI. 85<br />

sable à l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> d'une population aussi considérable.<br />

11 faut que le peuple lui-méme mette la main h l'oruvre<br />

et, <strong>en</strong> effet, Rome était pleine <strong>de</strong> manufactures où <strong>de</strong>s.<br />

ou~~riers salariés partageai<strong>en</strong>t avec les esclaves dévoués<br />

aux Plus ru<strong>de</strong>s t%ches les fatigues, sinon les profits, <strong>de</strong><br />

la fabrication. Les sénateurs les plus opiilcnts exploitai<strong>en</strong>t<br />

ces usines au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> leurs capitaux et <strong>de</strong>s esclaves<br />

qu'ils possédai<strong>en</strong>t par milliers. On naturalisait<br />

chaque joiir <strong>de</strong>s productions iioilvelles, <strong>de</strong>s fruits inconnus,<br />

<strong>de</strong>s plantes utiles, telles que le lin et la luzerne.<br />

Mais que <strong>de</strong> tcrres abanclonnées ou tombées <strong>en</strong> friche !<br />

(lue <strong>de</strong> magnifiques domaines transformés <strong>en</strong> parcs stériles,<br />

iandis que les ciiltivhteiirs mourai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> faim !<br />

Pline l'anci<strong>en</strong> déplorait cet abus que nous retroiivons<br />

signalé avec la m&me énergie dans les écrits <strong>de</strong> ColumeIle.<br />

On désertait peu à peii les occupations iridustrielles<br />

pour se livrer aux professions qui <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à<br />

la mocle, et il fut un temps où les liistrions, les gladiateurs,<br />

les astrologues, les cuisiniers étai<strong>en</strong>t les hotnmes<br />

les +plus recherchés. Le peuple eiit bi<strong>en</strong>tôt adopté les<br />

habituclcs <strong>de</strong>s grands ; il lui falliit <strong>de</strong>s parfilms comme<br />

aux patrici<strong>en</strong>s; et l'<strong>en</strong>~pereur Adri<strong>en</strong> <strong>en</strong> fit faire <strong>de</strong>s<br />

distributions publiques h tous les citoy<strong>en</strong>s, un jour <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tation. L'ivoire, l'ambre, l'<strong>en</strong>c<strong>en</strong>s <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> première nécessité, et il fallut les<br />

importer au prixd'nne masse énorme<strong>de</strong>numéraire, car le<br />

peupleromain riavait pas <strong>de</strong> produits àdonner <strong>en</strong> échange.<br />

Ici comm<strong>en</strong>ce t~ se manifester la piinciliale causc <strong>de</strong><br />

4 IL ne faut pas <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ce niot selon l'acception ordinairû .<br />

qu'on lui donne aujourd'hùi. Les Romains n'avai<strong>en</strong>t pas, <strong>en</strong> effet,<br />

<strong>de</strong> manufactures comme celies <strong>de</strong> nos jours, mais <strong>de</strong> vastes éta-<br />

bliss<strong>en</strong>i<strong>en</strong>ts où ils faisai<strong>en</strong>t travailler leurs esclaves sous fa direc-<br />

lion <strong>de</strong> conlre-maîtres libres.<br />

'


86 HISTOIRE<br />

la déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l'empire et l'une <strong>de</strong>s plaies les plus pro-<br />

foii<strong>de</strong>s <strong>de</strong> son économie <strong>politique</strong>. Les Romains vou-<br />

lai<strong>en</strong>t, avant tout, consommer sans .produire, et cette<br />

erreur am<strong>en</strong>a l'exportation perman<strong>en</strong>te <strong>de</strong> la majeure<br />

partie du numéraire qu'ils avai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>levé aux peuples<br />

vaincus. Les constructions monum<strong>en</strong>tales dont ils cou-<br />

vrai<strong>en</strong>t 1'Europe <strong>en</strong> absorbai<strong>en</strong>t aussi <strong>de</strong>s quantités no-<br />

tables, et ces imm<strong>en</strong>ses capitaux passai<strong>en</strong>t dans leurs<br />

mains sans y laisser <strong>de</strong> traces ni <strong>de</strong> profits. Ils se croyai<strong>en</strong>t<br />

les p<strong>en</strong>sionnaires <strong>de</strong> l'uiiivers, et ils ne supposai<strong>en</strong>t pas<br />

que ce rev<strong>en</strong>u si aisé à consommer finirait par ne plus<br />

se reproduire. Ils faisai<strong>en</strong>t la sieste aprPs leur repas,<br />

dans <strong>de</strong>s galeries ornées <strong>de</strong> fleurs, où leurs cli<strong>en</strong>ts ve- .<br />

nai<strong>en</strong>t les saluer le matin <strong>de</strong> bonne heure (ofick ante-<br />

lucana), après s'être fait annoncer par <strong>de</strong>s esclaves no-<br />

m<strong>en</strong>clateurs, huissiers <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>meures presque royalks.<br />

Les familles patrici<strong>en</strong>nes s'organisai<strong>en</strong>t peu à peu <strong>en</strong><br />

une puissante aristocratie dont les membres se faisai<strong>en</strong>t<br />

appeler votre sincérité, votre gravité, notre excell<strong>en</strong>ce,<br />

votre altesse, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue chez noiis, <strong>de</strong>puis lors, sérénis-<br />

sime. Leurs chars, parsemés d'ornem<strong>en</strong>ts d'arg<strong>en</strong>t ci-<br />

selé, travers<strong>en</strong>t les rues au galop <strong>de</strong>; chevaux, stiiuis<br />

d'une hor<strong>de</strong> d'escla\7es qui brûl<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s parfums. Le<br />

peuple, à son tour, veut sa part <strong>de</strong>s réjouissanees per-<br />

pétuelles auxquelles se livr<strong>en</strong>t les seigneurs <strong>de</strong> l'bpoque;<br />

on lui distribue (les bons <strong>de</strong> pain, <strong>de</strong> vian<strong>de</strong>, d'huile et<br />

mkme <strong>de</strong> bains. Les spectacles sont <strong>en</strong>vahis dès la pointe<br />

du jour ; les plus pressés y pass<strong>en</strong>t quelquefois la nuit.<br />

Daus ce désordre général <strong>de</strong>s mceiirs et <strong>de</strong>s coutumes<br />

. qui remontai<strong>en</strong>t aux <strong>de</strong>rniers temps <strong>de</strong> la république,<br />

on vit s'élever à Rome et dans toute l'ét<strong>en</strong>due <strong>de</strong> l'em-<br />

pire une vbritable conspiration contre le mariage. Tout<br />

le mon<strong>de</strong> se réftigiait dans le célibat comme dans un


DE L'ÉCONONIE POLITIQUE. CHAP. VI. 87<br />

agile inaccessible aux soucis et aux charges <strong>de</strong> la famille,<br />

et plus d'un empereur, <strong>de</strong>puis Auguste, se rit obligé (le<br />

poursuivre par <strong>de</strong>s édits cette mailie qui r<strong>en</strong>ait pour<br />

d'autres causes, au temps où nous vitons. Un c<strong>en</strong>seur<br />

invitait sérieusem<strong>en</strong>t les cito~<strong>en</strong>s au mariage conime à<br />

une corvhe patriotique, et YEtat s'emparait <strong>de</strong>s successions<br />

dévol~ies aux céIibataircs récalcitranfs. Tous Ies<br />

Romains étai<strong>en</strong>t saisis cl'une invincible répugnance pour<br />

l'esprit d'ordre et d'<strong>en</strong>treprise, pouretout ce qui exigeait<br />

<strong>de</strong> la prévoyance ou <strong>de</strong> l'kconomic. Les ouvriers<br />

prolhtaircs r<strong>en</strong>contrai<strong>en</strong>t dans les esclaves-ouvriers une<br />

concurr<strong>en</strong>ce d'autarit plus redoutable qlie ces esclaves<br />

étai<strong>en</strong>t nourris aux frais <strong>de</strong> l<strong>en</strong>rs maitrcs, et, par conséqu<strong>en</strong>t,<br />

cn état (le nuire aux travailleurs salariés.<br />

Aussi le nombre <strong>de</strong>s idg<strong>en</strong>ts était-il considérable ; ils<br />

vivai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tassés daus <strong>de</strong>s <strong>de</strong>meures étroites et féti<strong>de</strong>s,<br />

<strong>en</strong> proie ailx excès les plus lli<strong>de</strong>ux, aux privations les<br />

plus cruelles. Leurs v&temciits, généralem<strong>en</strong>t conîectionnbs<br />

<strong>en</strong> tissus <strong>de</strong> laine et rarem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>ouvelés, ailrai<strong>en</strong>t<br />

bi<strong>en</strong>tôt propagb parmi eux dcs épidémies meurtrières,<br />

si l'usagc <strong>de</strong>s bains ', universel h Rome, n'<strong>en</strong><br />

eût prév<strong>en</strong>u l'invasion. La bi<strong>en</strong>faisance publique, inconnue<br />

dans ces temps <strong>de</strong> <strong>de</strong>spotisme et cl'csclavage,<br />

n'avait pas <strong>en</strong>core organisé <strong>de</strong>s asiles pour la misbrc et<br />

pour 'la maladie, et Voltaire a pu dire avec raison :<br />

u Quand un pauvre diable tombait mala<strong>de</strong> à Rome sans<br />

avoir les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> se laire soigner, que <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ait-il? il<br />

rn0~11'ait. u<br />

Ainsi, au milieu dcs magnific<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la puissance romaine,<br />

on n'aperçoit qu'urie masse confuse <strong>de</strong> prolb<br />

' On pr<strong>en</strong>ail un bain pour 2 liards ; cjziadrante lacari, a dit un<br />

poëte.


88 HISTOIRE<br />

tairgs esclaves, affranchis, domestiques et artisans, qui<br />

travaill<strong>en</strong>t pour suffire aux consommations improduc-<br />

tives <strong>de</strong>s grands propriétaires <strong>de</strong> capitaux ou <strong>de</strong> terres.<br />

Les arls libéraux, si glorieux et si nobles, y soilt aban-<br />

donnés à <strong>de</strong>s mains servilcs ; Ia mé<strong>de</strong>cine elle-méme n'est<br />

exercbe qoe par <strong>de</strong>s esclaves. Le commerce <strong>de</strong>meure<br />

toujours dans l'<strong>en</strong>fance, à moins qu'on n'appelle com-<br />

nierce l'opération banale d'échanger l'or <strong>de</strong>s pays con-<br />

quis contre les marchandises qu'on <strong>en</strong> apportait. On lie<br />

cite aucune ville'romaine célèbre par quelque fabrica-<br />

tion spbciale, comme nos gran<strong>de</strong>s cités industrielles,<br />

Birmingham, Lyon ou Manchester. Aucun port <strong>de</strong> I'em-<br />

pire ne peut &tre comparé à cedx <strong>de</strong> Marseille, <strong>de</strong> Liver-<br />

pool ou <strong>de</strong> Ne11 -York l. Et cep<strong>en</strong>dant les gran<strong>de</strong>s villcs<br />

sont nombreuses sur toute la surface du mon<strong>de</strong> ro-<br />

main, et leur incroyable opul<strong>en</strong>ce a toujoiirs quelque<br />

chose qui nous accable; mais cette opul<strong>en</strong>ce ne res-<br />

semble <strong>en</strong> ri<strong>en</strong> B celle <strong>de</strong> nos États contemporains, oii<br />

les pliis mo<strong>de</strong>stes particuliers dispos<strong>en</strong>t <strong>de</strong> pliis <strong>de</strong> jouis-<br />

sances que les pri~ilhgiés <strong>de</strong> l'empire. Toute la gran-<br />

<strong>de</strong>ur romaine était extérieure ct théAtrale; on multi-<br />

pliait les monum<strong>en</strong>lspar ost<strong>en</strong>tation, rarem<strong>en</strong>t dans un<br />

but d'utilité. A côté <strong>de</strong> ces monum<strong>en</strong>ts fastueux, le<br />

peuple habitait <strong>de</strong>s <strong>de</strong>meures indignes <strong>de</strong> la spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur<br />

nationale, et dont les appariem<strong>en</strong>ts mal éclairés n'<strong>en</strong><br />

étai<strong>en</strong>t pas moins exposés à I'intempérie <strong>de</strong>s saisons.<br />

Nous jugerions très-mal du régime alim<strong>en</strong>taire <strong>de</strong>s mas-<br />

ses, si nous ne considérions que l'élégance <strong>de</strong>s ust<strong>en</strong>-<br />

siles dont elles se servai<strong>en</strong>t communém<strong>en</strong>t pour les<br />

usages domestiques. Leurs formes gracieuses excit<strong>en</strong>t<br />

4 CicBron disait : Kolo eum<strong>de</strong>m populum imperatorern esse ter-<br />

raruni. et porfitoretn.


DE L'ECONOXIE POLITIQUE. CHBP. VI. 89<br />

notre admiration, et sembl<strong>en</strong>t ii'avoir pu conv<strong>en</strong>ir qu'à<br />

un peuple riche ou artiste; mais ces objets 6tai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong><br />

loin <strong>de</strong> répondre à tous les besoins et <strong>de</strong> remplir la <strong>de</strong>s-<br />

tination <strong>de</strong>s ust<strong>en</strong>siles semblables dans les temps mo-<br />

<strong>de</strong>rnes. Les Romains ne connaissai<strong>en</strong>t ni le papier ni les<br />

plumes; ils écrivai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lettres niajuscules sur <strong>de</strong>s<br />

feuilles <strong>de</strong> papyrus ou sur du parchemin, avec <strong>de</strong>s<br />

poinçons <strong>de</strong> fer ou <strong>de</strong> bois. Leurs siéges étai<strong>en</strong>t élé-<br />

gants, mais fort durs, et leurs chars, assis sur l'essieu,<br />

sans ressorts ni soup<strong>en</strong>tes, n'étai<strong>en</strong>t guère plus com-<br />

mo<strong>de</strong>s que nos chariots <strong>de</strong> roulage. On ne peut admirer<br />

sans réserve parmi les productions rie leur génie indus-<br />

triel que les aqueducs et les grands chemins, et <strong>en</strong>core<br />

y a-t-il- lieu <strong>de</strong> s'étonner que <strong>de</strong>s constructions aussi<br />

gigantesques n'ai<strong>en</strong>t été établies que dans un intérêt<br />

purem<strong>en</strong>t militaire et pour l'embellissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> qucl-<br />

ques cith.


CHAPIllRE VII.<br />

De l'importance <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> communication chez les Homaips.<br />

- Services que leurs gran& chemins aurai<strong>en</strong>t pu r<strong>en</strong>dre à la<br />

civilisation et au comnierce. - Esquisse <strong>de</strong>s principales lois<br />

romaines <strong>en</strong> matière d'kconomie <strong>politique</strong>. - Vue générale <strong>de</strong><br />

leur commerce.<br />

Lcs grands chemins dc l'empire romain ont dépassé<br />

<strong>en</strong> graii<strong>de</strong>nr et <strong>en</strong> solidité tout ce qui a hté exécuté <strong>de</strong><br />

plus magnifique <strong>en</strong> ce g<strong>en</strong>re, <strong>de</strong> temps immémorial;<br />

leurs ruines, que nous admirons <strong>en</strong>core sous l'herbe qui<br />

les couvre, ne permett<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong> douter <strong>de</strong> toute l'im-<br />

portance qui s'attachait au perfectionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ces pro-<br />

digieux élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> puissance et <strong>de</strong> civilisation. Et ce-<br />

p<strong>en</strong>dant, ces grands chemins ne sembl<strong>en</strong>t pas avoir<br />

r<strong>en</strong>du à 1s civilisation tous les scrvices qu'elle <strong>en</strong> retire<br />

aujourd'hui; ils ne sont pas <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us pour Rome la<br />

source d'une gran<strong>de</strong> prospérité comnlerciale; ils ont rs-<br />

rein<strong>en</strong>t prév<strong>en</strong>uSla disette et les malhciirs qu'elle <strong>en</strong>-<br />

traîne à sa suite. Les Romains n'y ont vu que le moy<strong>en</strong><br />

<strong>de</strong> transporter rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t leurs armées dn c<strong>en</strong>tre à la<br />

frontière, <strong>en</strong> iiii mot, qu'an instrum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> conqiifitc et<br />

non pas d'industrie. Jamais, eii aucun pays du mon<strong>de</strong>,<br />

<strong>de</strong>s trésors plus nombreux ne hr<strong>en</strong>t consacrés à cette


HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CIIAP. VI. 91<br />

œuvre importante, et jamais aucun peuple ne recueillit<br />

un moindre profit d'aussi grands sacrifices l.<br />

La raison <strong>de</strong> ce fait est fort simple. Les Romains ne<br />

s'occupai<strong>en</strong>t que <strong>de</strong> l'agriculture, dont les produits<br />

étai<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t consommés sur place, ou dans un<br />

rayon fort peu éloigné <strong>de</strong>s c<strong>en</strong>tres <strong>de</strong> prodiletion. Les<br />

grands approvisionnem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la capitale se faisai<strong>en</strong>t<br />

habituellem<strong>en</strong>t par mer, la seule voie par laquelle arrivai<strong>en</strong>t<br />

les blés <strong>de</strong> la Sicile et <strong>de</strong> l'kgypte, ces <strong>de</strong>ux gr<strong>en</strong>iers<br />

<strong>de</strong> l'empire. On ne peut donc s'expliquer la magnific<strong>en</strong>ce<br />

<strong>de</strong>s voies romaines que comme une consLq u<strong>en</strong>cc<br />

nécessaire du système militaire <strong>de</strong> ce peuple antiindustriel<br />

et anticommercial. 11s y faisai<strong>en</strong>t contribuer ayec<br />

une égale ar<strong>de</strong>ur leurs soldats, leiirs administrateurs et<br />

leurs sujets. La surveillance <strong>de</strong>s routes était une magistrature<br />

imposante dont les plus grands citoy<strong>en</strong>s se montrai<strong>en</strong>t<br />

honorés. Aucun impbt ne paraissait trop 6levé<br />

quand il s'agissait <strong>de</strong> les ei~tret<strong>en</strong>ir, et la sévérité clt~<br />

gouvernem<strong>en</strong>t était si gran<strong>de</strong> à cet égard, que l'on vit<br />

plus d'une fois <strong>de</strong>s légions se révolter, par suite <strong>de</strong>s<br />

travaux excessifs auxquels elles étai<strong>en</strong>t conclamnées pour<br />

suffire à ce soin. Quelles qu'ai<strong>en</strong>t 6té les vicissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

l'empire, jamais l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s routes ne fut abandonné;<br />

les plus méchants princes y ont veillé avec la<br />

. mênie sollicitu<strong>de</strong> que les plus justcs : Néron et Caligula<br />

<strong>en</strong> ont construit grosque autant que Trajan et Adri<strong>en</strong> 2.<br />

On y travaillait par cor1 ées et par contributions, chacun<br />

suivant l'iniportance <strong>de</strong> ses propriétés riveraines, cstimées<br />

par arbitres et taxées eii coi;séqn<strong>en</strong>ce. Les comniunications<br />

&tai<strong>en</strong>t partagbes cn <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s clagses, les<br />

Opera magna potiùs qudm necessaria, disait SuBtone.<br />

Voyez Bergier, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong>s grands chemins <strong>de</strong> l'Empire ro-<br />

main, liv. I, chap. 16


92 HISTOIRE<br />

routes royales ou militaires, et les chemins vicinaux ou .<br />

communaux '. Les premières étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ues yar<br />

l'État, et les secon<strong>de</strong>s par les bourgs ou villages.<br />

Les qmpattiies populaires ont été acquises <strong>de</strong> tout<br />

temps aux princes, ailx magistrats et mBme aux simples<br />

particuliers qui se dérouai<strong>en</strong>t à cette tache difficiIe. On*<br />

leur prodiguait les couronnes, les médailles et les arcs<br />

<strong>de</strong> triomphe. Aussi l'histoire est-eile toute pleine <strong>de</strong>s<br />

efforts extraordinaires qui ont été faits pour mériter ces<br />

hautes preuves <strong>de</strong> reconnaissance du peuple romain..<br />

Dès le règne <strong>de</strong> Tibère, on poiivait parcourir l'Italie<br />

tout <strong>en</strong>tière, la Gaule et une partie <strong>de</strong> l'Espagne awc<br />

iine rapidité inonie, et Pline raconte que ce prince fit,<br />

dans lin voyage vers la Ilollan<strong>de</strong>, près <strong>de</strong> c<strong>en</strong>t lieues <strong>en</strong><br />

vingt-quatre hcnres. La nature <strong>de</strong> cet ouvrage ndus<br />

interdit <strong>de</strong> rappeler ici <strong>de</strong>s détails, d'ailleiirs bi<strong>en</strong> con-<br />

nus, sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> construction <strong>de</strong>s chemins impé-<br />

riaux; mais il faut avouer que sous ce rapport nous<br />

sommes bi<strong>en</strong> inférieurs aiix anci<strong>en</strong>s, et quoique leurs<br />

routes n'ai<strong>en</strong>t pas eu une gran<strong>de</strong> influ<strong>en</strong>ce sur les <strong>de</strong>s-<br />

tinées du commerce, on ne peut s'empécher d'admirer<br />

'qu'elles ai<strong>en</strong>t diiré plus <strong>de</strong> mille ans, quand les nbtres,<br />

plus nécessaires, dur<strong>en</strong>t à peine qiielques années in-<br />

tactes. Ri<strong>en</strong> n'y était oublié; les piétons avai<strong>en</strong>t leurs ,<br />

trottoirs, et les cavaliers leurs bornes <strong>de</strong> repos pour<br />

monter à cheval et pour <strong>en</strong> <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre; les monum<strong>en</strong>ts<br />

consacrés aux niorts s'élevai<strong>en</strong>t habituellem<strong>en</strong>t dans<br />

leur voisinage, Gomme pour obt<strong>en</strong>ir les respects <strong>de</strong>s<br />

~ivants. La voie Appi<strong>en</strong>ne est <strong>en</strong> ce g<strong>en</strong>rc le plus<br />

4 Viamm omnium non est una et ea<strong>de</strong>m condilio. Natn szcnt cix<br />

publiccr regales, qux public2 muniuntur : sunt et vicinales ûiz<br />

qu8 <strong>de</strong>publicis diverlunt in agros; hw mzini?intu? per pagos. Si-<br />

culus Flaccus, De conditioniùus agrcnbm.


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. VII. 93<br />

admirable chef-d'ocuvre qui soit sorti <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong><br />

l'homme.<br />

II semble donc que les Romains aurai<strong>en</strong>t dû retirer<br />

<strong>de</strong>s profits imm<strong>en</strong>ses du beau système <strong>de</strong> oute es dont<br />

ils avai<strong>en</strong>t couvert l'empire comme d'un vaste réseau.<br />

Mais ces routes voyai<strong>en</strong>t rouler plus souv<strong>en</strong>t les chars<br />

<strong>de</strong>s guerriers quc les paisibles voitures du commerce et<br />

<strong>de</strong> l'industrie; elles ne contribuai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> aucune ma- .<br />

nière à la hausse ou à la baisse <strong>de</strong>s profits et <strong>de</strong>s salaires,<br />

parce que le travail libre n'existait pas <strong>en</strong>core, et que<br />

tout était constitué pour la grandcur, comme nous<br />

l'avons dit, plutôt que pour l'utilité. Les grands ,che-<br />

mins <strong>de</strong> l'empire n'avai<strong>en</strong>t pour but que <strong>de</strong> faciliter le<br />

transport <strong>de</strong>s soldats et du produit <strong>de</strong>s contributions '.<br />

Le mouvem<strong>en</strong>t d'espèces qui s'opérait continuellem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> tous les points <strong>de</strong> la Gaule vers la ville <strong>de</strong> Lyon pour<br />

le compte du trésor public était imm<strong>en</strong>se, mai3 il n'y<br />

avait aucune circulation commerciale dans le s<strong>en</strong>s que<br />

nous attachons à ce mot. Chosc étrange ! il a suffi parmi<br />

nous <strong>de</strong> l'inv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> la lettre <strong>de</strong> change pour rem-<br />

placer la principale utilité <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s routes dcs Ro-<br />

mains, et le service spécial pour lequel elles sembl<strong>en</strong>t<br />

avoir été créées est précisém<strong>en</strong>t celui dont on se passe<br />

le mieux aujourd'hui. Ainsi, les magnifiques travaux <strong>de</strong><br />

l'administration romaine <strong>en</strong> matière <strong>de</strong> chemins publics<br />

n'ont exercé aucune inîlix<strong>en</strong>ce sur la production géné-<br />

rale, parce qu'ils participai<strong>en</strong>t du caractère exclusive-<br />

m<strong>en</strong>t militaire <strong>de</strong> la nation et <strong>de</strong> l'esprit général <strong>de</strong> ses<br />

institutions.<br />

Toute la législationromaine <strong>de</strong>puis les beaux jours <strong>de</strong><br />

1 Ut omnia tributa oelociter et tuta transmitterÿntur, dit Pro-<br />

wpe.


-<br />

94 HISTOIRE<br />

la république jusqu'à la chute <strong>de</strong> l'empire, n'est qpe la<br />

reproduction fidèle <strong>de</strong>s préjugés incurables <strong>de</strong> ce peuple<br />

contre le travail et l'industrie. Un coup d'œil rapi<strong>de</strong> siif-<br />

Gra pour <strong>en</strong> donner une idée. Dans le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t<br />

dé leur puissance, ils r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt une foule <strong>de</strong> lois agrai-<br />

res ', toutes inspirées par un vain désir <strong>de</strong> partage <strong>de</strong>s<br />

terres et d'équilibre <strong>en</strong>tre les fortunes. La loi Ter<strong>en</strong>tia<br />

.portait qu'il serait distribué à chaque citoy<strong>en</strong> indig<strong>en</strong>t<br />

cinq boisseaux <strong>de</strong> blé par mois ; la loi Semprûnia créait<br />

un mmitnum pour le prix <strong>de</strong>s grains que l'ktat <strong>de</strong>vait<br />

Ieur v<strong>en</strong>dre; la Ioi Claudia <strong>en</strong> ordonnait la fourniture<br />

gratuite. Une autre loi fixait la dép<strong>en</strong>se <strong>de</strong>s repas; la loi<br />

Cnlzinia déf<strong>en</strong>dait d'affranchir <strong>de</strong>s esclaves au <strong>de</strong>là d'un<br />

certain nombre. Eu méme .temps qu'on <strong>en</strong>courageait<br />

ainsi par <strong>de</strong>s largesses inconsidérées l'accroissem<strong>en</strong>t du<br />

nombre <strong>de</strong>s indig<strong>en</strong>ts, <strong>de</strong>s primes véritables étai<strong>en</strong>t ac-<br />

cordées à la fécondité; tout homme, père <strong>de</strong> trois <strong>en</strong>-<br />

fants, jouissait d'une foule <strong>de</strong> priviléges, dont le princi-<br />

pal consistait <strong>en</strong> une triple distribution gratuite <strong>de</strong> blé.<br />

Dans d'autres circonstances, la loi autorisait les débi-<br />

tciirs à se libérer, <strong>en</strong> payant seulem<strong>en</strong>t le quart <strong>de</strong> leurs<br />

<strong>de</strong>ttes.<br />

Tandis que l'esprit d'indép<strong>en</strong>dance et d'<strong>en</strong>treprise était<br />

paralysé par cette législation protectrice <strong>de</strong> l'oisiveté,<br />

on maint<strong>en</strong>ait dans la plus stricte subordination toutes<br />

les classes <strong>de</strong> citoy<strong>en</strong>s, à partir du foyer domestique,<br />

où régnait <strong>en</strong> maitre absolu le père <strong>de</strong> famille, armé du<br />

droit dc vie et <strong>de</strong> mort sur ses <strong>en</strong>fants. Lafemnie tombée<br />

<strong>en</strong> tutelle n'était que la servante <strong>de</strong> son mari. Au<br />

dchors, chaque affranchi reconnaissait un patron, cha-<br />

4 Leges Cassia, Liciaia, naminia, Sempronia, Cornelia, Servi-<br />

Eia, Fhvia, Julia, etc.


DE L'~~coNoMIE POLITIQUE. CHAP. VII. 95<br />

que soldat un supérieur. L'organisation militaire planait<br />

sur toute la cité, comme un joug <strong>de</strong> fer auquel per-<br />

sonne n'osait se soustraire. Nul citoy<strong>en</strong> ne pouvait sortir<br />

<strong>de</strong> sa caste, m&me pour déchoir, ét les travaux indns-<br />

triels étai<strong>en</strong>t interdits comme chose vile et sordi<strong>de</strong> à<br />

ceux qui n'y avai<strong>en</strong>t pas été condamnés par leur nais-<br />

sance. Auguste prononça la peine <strong>de</strong> mort contre le<br />

sénateur Ovinius pour avoir dérogé jusqu'à conduire<br />

une manufacture, et cet arrbt, si extraordinaire à nos<br />

yeux, parut aux Bomains une chose naturelle. Qui ne<br />

s'explique, dés lors, comm<strong>en</strong>t toute industrie fut impos-<br />

sible à Rome, puisqu'on <strong>en</strong> excluait les intellig<strong>en</strong>ces<br />

pour n'y tolérer que les machines ? Et quelles machines<br />

que ces malheureux esclaves, abrutis par les coups, par<br />

la débauche <strong>de</strong> leurs maîtres, et surtout par l'abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />

toute espèce <strong>de</strong> Salaire ! Dans les campagnes, ces consé-<br />

quepces fur<strong>en</strong>t les mêmes : point <strong>de</strong> fermiers, point <strong>de</strong><br />

cultivateurs inslruits. L'agriculture ressemblait à celle<br />

<strong>de</strong> nos colonies à esclaves, avec cette différ<strong>en</strong>ce que le<br />

sol du tropique supplke par sa lécondité à l'insuffisance<br />

du travail <strong>de</strong> l'homme, tandis que les campagnes ro-<br />

maines n'offrai<strong>en</strong>t aucune comp<strong>en</strong>sation. Laconcurr<strong>en</strong>ce<br />

et l'intérêt personnel, ces grands mobiles, n'agissai<strong>en</strong>t<br />

pas sur les esprits, préoccupés <strong>de</strong>s idées <strong>de</strong> guerre et <strong>de</strong><br />

plaisirs. On voyait sans cesse accourir à Rome <strong>de</strong>s my-<br />

ria<strong>de</strong>s d'av<strong>en</strong>turiers, d'intrigants, <strong>de</strong> vagabonds attirés<br />

par les distributions <strong>de</strong> vivres et par les spectacles <strong>de</strong><br />

tout g<strong>en</strong>re que les empereurs prodiguai<strong>en</strong>t à la popu-<br />

lace pour <strong>en</strong> obt<strong>en</strong>ir quelques applaudissem<strong>en</strong>ts 1. Les<br />

faubourgs <strong>de</strong> Rome <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s villes, et le gouver-<br />

nem<strong>en</strong>t n'avait pas peu <strong>de</strong> difficultés à vaincre pour<br />

4 M<strong>en</strong>gotti, Del! con8mercio <strong>de</strong>' Romani.


96 HISTOIRE<br />

suffire a la nour~iturc <strong>de</strong> cette foule innombrable <strong>de</strong><br />

consommateurs improductifs.<br />

Malgré les précautions infinies qu'on pr<strong>en</strong>ait pour l'éviter,<br />

la famine exerçait par mom<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> funestes ravages<br />

dans la capitale et dans les provinces. En vain la flotte<br />

chargée <strong>de</strong>s approvisionnem<strong>en</strong>ts portait-elle le nom <strong>de</strong><br />

flotle sacr<strong>de</strong>, un coup <strong>de</strong> v<strong>en</strong>t empkchait quelquefois son<br />

arrivée et mettait <strong>en</strong> péril la sécurité impériale. L'art <strong>de</strong><br />

gouverner ne fut bi<strong>en</strong>t6t plus que celui <strong>de</strong> pourvoir aux<br />

besoins quotidi<strong>en</strong>s d'un peuple fainéant et mobile ; et la<br />

moindre circonstance donnait naissan~e à <strong>de</strong>s abus sans<br />

nombre que leur fréqu<strong>en</strong>te répétition faisait passer <strong>en</strong><br />

force <strong>de</strong> loi. La mort d'une maîtresse du prince, la nais-<br />

sance d'un successeur, une guerre sanglante, un triom-<br />

phe innoc<strong>en</strong>t nécessitai<strong>en</strong>t Cgalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> copieuses dis-<br />

tributions. Les empereurs romains conservai<strong>en</strong>t à ce<br />

prix leur couronne, et ne maint<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t leur autorité<br />

qu'<strong>en</strong> payant exactem<strong>en</strong>t la taxe <strong>de</strong>s pauvres à leurs<br />

sujets affamés. a Ces chi<strong>en</strong>s, disait un <strong>de</strong>s Césars, ne<br />

cess<strong>en</strong>t d'aboyer que lorsqu'ils ont le v<strong>en</strong>treplein. n On<br />

compte par le nombre <strong>de</strong>s famines celui <strong>de</strong>s améliora-<br />

tions opérées dans les affaires du commerce et <strong>de</strong> la na-<br />

vigation. Une première famine sous Auguste est suivie<br />

<strong>de</strong> l'établissem<strong>en</strong>t Sune flotte et <strong>de</strong> magasins publics<br />

pour la v<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s blés ; une secon<strong>de</strong> famine sous Tibère<br />

donne lieu au système <strong>de</strong>sprimes à l'importation <strong>de</strong>s<br />

grains. Une troisième sous Claii<strong>de</strong> déci<strong>de</strong> le prince à<br />

faire réparer le port d'Ostie ; une quatrième sous Néron<br />

,procure aux marchands <strong>de</strong> blé une exemption <strong>de</strong> droits<br />

et <strong>de</strong>s méciailles; une autre sous Antonin le Pieux fait<br />

rétablir le porl <strong>de</strong> Terracine et le phare du môle <strong>de</strong><br />

Gaëte. P<strong>en</strong>dant *le règne <strong>de</strong> Marc-Aurèle, nouvelle<br />

famine suivie d'un approvisionnem<strong>en</strong>t pour sept ans ;


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. VII. 97<br />

<strong>en</strong>fin, durant l'administration <strong>de</strong> Commo<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s cata-<br />

strophes du mhmc g<strong>en</strong>re <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t fatales aux mar-<br />

chands <strong>de</strong> blé, poursuivis et châtiés coinme accapareuïs.<br />

Voilà tout ce qu'on savait faire S. Rome pour le com-<br />

merce, j'ai presque dit pour le seul commerce <strong>en</strong> hon-<br />

neur, celui <strong>de</strong>s subsistances. Nulle part on ne trouve une<br />

seule trace <strong>de</strong> mesures régulières ; on vit au jour le<br />

jour, sans songer aux ressources qu'il était facilé <strong>de</strong> dé-<br />

velopper au sein <strong>de</strong> l'empire, et à peine donne-t-on<br />

quelque att<strong>en</strong>tion aux autres branches <strong>de</strong> la produc-<br />

tion.<br />

Ainsi la laine, matière première presque unique <strong>de</strong><br />

tons les tissus employés & Rome, <strong>de</strong>puis le vêtem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

sénateurs jusqu'à celui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers soldats, la laine<br />

dont on faisait <strong>de</strong>s draps <strong>de</strong> lit, <strong>de</strong>s ri<strong>de</strong>aux, <strong>de</strong>s tapis,<br />

<strong>de</strong>s meubles <strong>de</strong> toute espèce, n'a jamais été <strong>de</strong> la part<br />

<strong>de</strong>s empereurs l'objet d'aucun système d'<strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>t.<br />

Jamais un liomme d'Etat romain .n'est <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>du à <strong>de</strong>s<br />

détails industriels qui puiss<strong>en</strong>t faire supposer qu'il com-<br />

prit l'importance <strong>de</strong> ces hautes questions. Chaque pays<br />

l'ournissait son tribut : l'Arabie ses parfums : l'Afrique<br />

ses céréales : 1'Esp;igne la cire et le miel ; la Gaule ses<br />

vins, ses huiles et ses métanx ; la Grèce les objets d'art<br />

et <strong>de</strong> goùt ; les bords <strong>de</strong> la mer Noire <strong>de</strong>s cuirs et <strong>de</strong>s<br />

peaux : Rome conscimmait et payait avec l'or <strong>de</strong>s impôts.<br />

Quand ceux-ci ne rbpondai<strong>en</strong>t pas aux prévisions du<br />

budget imphrial, cin établissait une contribution nou-<br />

velle sur l'industrie; c'est ce que fit plusieurs fois<br />

Alexandre Sévère. ii mesure que les empereurs s'<strong>en</strong>tou-<br />

rai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> légistes el <strong>de</strong> jurisconsultes, leurs dispositions<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t chaque jour plus m<strong>en</strong>açantes pour les pro-<br />

fessicns laborieuses. Des colripilatetirs <strong>de</strong> lois leur siig-<br />

gérai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s expétti<strong>en</strong>ts honteux qu'ils justifiai<strong>en</strong>t i)ar<br />

4ie RDIT. T. I 6


<strong>de</strong>s sophismes; ce fut un procureur qui leur apprit à<br />

falsifier les monnaies. Constantin, leur plus digne élève,<br />

assimilait aux filles <strong>de</strong> joies les marchan<strong>de</strong>s <strong>en</strong> boiitique<br />

et poiirsuivait <strong>de</strong> ses anathèmes redoutables Ics<br />

hommes qui avai<strong>en</strong>t l'honneur <strong>de</strong> gagner leur vie à la<br />

sueur <strong>de</strong> leur front.<br />

La manière dont les impôts étai<strong>en</strong>t levés ne témoigne<br />

pas moins <strong>de</strong> la rigueur <strong>de</strong>s Romains <strong>en</strong> matière <strong>de</strong><br />

finances. Des nuées <strong>de</strong> publicains étai<strong>en</strong>t postés à l'<strong>en</strong>trée<br />

<strong>de</strong>s ports, àl'embouchure <strong>de</strong>s rivières, au débouché<br />

<strong>de</strong>s vallées, et y taxai<strong>en</strong>t impitoyablem<strong>en</strong>t les marchandises.<br />

Ils joignai<strong>en</strong>t méme souv<strong>en</strong>t à leurs remises <strong>de</strong><br />

percepteurs les profits du monopole <strong>de</strong> certains articles<br />

<strong>de</strong> consommation. II n'y avait auctune limite légale au<br />

chiffre <strong>de</strong>s impôts, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us teliem<strong>en</strong>t élastiques <strong>en</strong>tre<br />

les mains <strong>de</strong> ces fonctionnaires, que le cultivateur ne<br />

pouvait jamais savoir exactem<strong>en</strong>t sur quelle part <strong>de</strong> ses<br />

produits il avait le droit <strong>de</strong> compter. Néron lui-meme<br />

eiit plus d'une velléité <strong>de</strong> réprimer ces abus qui faisai<strong>en</strong>t<br />

la fortune <strong>de</strong> ses favoris ; mais il r<strong>en</strong>contra <strong>de</strong>s difficiiltés<br />

<strong>de</strong>vant lesquelles sa puissance absolue fut obligée <strong>de</strong><br />

reculer. On sait jusqu'où pouvai<strong>en</strong>t aller, déjà du temps<br />

*<br />

<strong>de</strong> Cicéron, les exactions <strong>de</strong>s proconsuls, et les procédés<br />

Gnanciers <strong>de</strong> ~errè's n'ont ri<strong>en</strong> B <strong>en</strong>vier aux expédi<strong>en</strong>ts<br />

9 <strong>de</strong>s pachas turcs.<br />

Une seule branche <strong>de</strong> commerce parait avoir résisté<br />

p<strong>en</strong>dant longtemps aux <strong>en</strong>traves <strong>de</strong> tout g<strong>en</strong>re que la<br />

cupidité du gouvernem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> ses ag<strong>en</strong>ts opposait aux<br />

relations avec l'étranger, c'cst le commerce <strong>de</strong>s parfums<br />

et <strong>de</strong>s épiceries <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, dont la consommation à Rome<br />

dépassait t~ut ce que nous pouvans imaginer. Des<br />

sommes extravagantes étai<strong>en</strong>t prodiguées par <strong>de</strong> simples<br />

particuliers à l'achat <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>nrées ruineuses et inutiles,<br />

.


DE L'~?CONC)>IIE POLITIQUE: CIIAP. TII. 99<br />

qui occupai<strong>en</strong>t presq,ue autant <strong>de</strong> navires que I'approvisionnem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> la capitale Outre les dangers réels qu'on<br />

bravait pour <strong>en</strong> aller chercher vers les côtes les plus<br />

dloignées, on faisait valoir <strong>de</strong>s périls imaginaires, <strong>de</strong>s<br />

dragons ailés, <strong>de</strong>s bPtes féroces qu'il avait fallu vaincre<br />

pour arriver au pays du poivre et <strong>de</strong>la cannelle. Partoiit<br />

on respirait dans les appartem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s Romains l'o<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong>s parfums les plus exquis : leurs cheveux et leurs VAtem<strong>en</strong>ts<br />

<strong>en</strong> étai<strong>en</strong>t imprégnés. Les salles <strong>de</strong> bains, les<br />

Ii<strong>en</strong>x <strong>de</strong> ré~inion publique n'offrai<strong>en</strong>t pas moins <strong>de</strong> luxe,<br />

soris ce rapport, que la <strong>de</strong>meure <strong>de</strong>s citoy<strong>en</strong>s les plus<br />

opiil<strong>en</strong>ts. Un beau jour l'empereur Adri<strong>en</strong> inonda le vestihiile<br />

<strong>de</strong>s théàtres d'un flot d'ess<strong>en</strong>ccs les plus suaves.<br />

Ifs soldats s'<strong>en</strong> frottai<strong>en</strong>t le corps, et ce g<strong>en</strong>re <strong>de</strong> ration<br />

n'6tait pas <strong>de</strong> ceux dont les empereurs puss<strong>en</strong>t impuné- .<br />

m<strong>en</strong>t nbgliger la distribntion. Les diamants et les pierres<br />

précieuses, autres inntilitks, partageai<strong>en</strong>t avec les parfums<br />

la frénésie di~ peuple romain ; dès le siècle d'Auguste,<br />

on <strong>en</strong> comptait <strong>de</strong>s collections imm<strong>en</strong>ses, et Nécène<br />

rédigeait le ca.talogue <strong>de</strong> la si<strong>en</strong>ne, qui nous a été<br />

conservé <strong>en</strong> substaiice dans les écrits <strong>de</strong> Pline le naturaliste.<br />

L'usage <strong>de</strong>s anneaux <strong>de</strong>vint si général, que les Romaiils<br />

<strong>en</strong> portai<strong>en</strong>t à toutes les articulations <strong>de</strong> la main<br />

et <strong>en</strong> chaqeai<strong>en</strong>t tous les jours <strong>de</strong> la semaine. Voilà où<br />

s'abîmai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s calpitaux imm<strong>en</strong>ses, doilt un meilleur<br />

emploi aurait suffi pour préserver l'empire <strong>de</strong>s malheurs<br />

qu'il eut <strong>de</strong>puis à essuyer. Tibére lui-m&me <strong>en</strong> était<br />

effrayé, car dans une lettre qu'il écrivait au sénat ', il<br />

déplorait la sortie da numéraire, occasionnée par ces<br />

débor<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts du luxe et <strong>de</strong> la vanité. Un <strong>de</strong> ses édits<br />

prohihait l'emploi <strong>de</strong> l'or dans la fabrication <strong>de</strong> la vais-<br />

Tacite, Annales, liv. III, chap. I.III.


1 00 HISTOIRE<br />

selle <strong>de</strong> table, l'usage <strong>de</strong>lasoie dansla confection <strong>de</strong>s vbte-<br />

m<strong>en</strong>ts. Malgré toutescesprohibitions, lesRomainss'accou-<br />

tumai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> jour <strong>en</strong> jour davantage aux objets <strong>de</strong> fabri-<br />

cation étrangère les plus brillants et les plus chers. Les<br />

tapis <strong>de</strong> Perse, les moussclines <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, les <strong>de</strong>nts d'élé-<br />

phant, le bois d'ébène, l'écaille <strong>de</strong> tortue, les plumes<br />

d'oiseaux rares, avai<strong>en</strong>t fini par <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir pour eux <strong>de</strong>s<br />

articles <strong>de</strong> première nécessité. Que <strong>de</strong> richesses ils<br />

dur<strong>en</strong>t stérilem<strong>en</strong>t consommer à l'achat <strong>de</strong> ces produits<br />

fastueux, <strong>en</strong>kchange <strong>de</strong>squels ils n'avai<strong>en</strong>t & donner que<br />

<strong>de</strong> l'or1!<br />

On s'expliquerait difficilem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce dc ce<br />

système <strong>de</strong> profusion, <strong>de</strong> luxe et <strong>de</strong> fainéantise, com-<br />

m<strong>en</strong>t les Romains ont pu cowrir le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s monii-<br />

m<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> levr architecture et <strong>de</strong>s magnifiques travaux<br />

<strong>de</strong> leurs ingénieurs; mais il faut considérer que ces tra-<br />

vaux étonnants leur ont coûté fort peu <strong>de</strong> chose. L'in-<br />

v<strong>en</strong>tion seule leur <strong>en</strong> apparti<strong>en</strong>t tout <strong>en</strong>tière ; l'exécu-<br />

tion est l'œuvre <strong>de</strong>s peuples vaincus. La majeure partie<br />

<strong>de</strong> ces édifices a été construite au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> corvées ou<br />

<strong>de</strong> contributions spéciales, qui se cumulai<strong>en</strong>t avec les<br />

impôts ordinaires. Des captifs ou <strong>de</strong>s esclaves formai<strong>en</strong>t<br />

la classe ouvrière <strong>de</strong> leur temps, et marchai<strong>en</strong>t aj'œuvre<br />

comme <strong>de</strong>s troupeaux sans murmurer ni se plaindre.<br />

Nous retrouverons ce système dans la corvée <strong>de</strong>s temps<br />

féodaux, quand l'Europe chréti<strong>en</strong>ne s'est couverte à son<br />

tour <strong>de</strong> monum<strong>en</strong>ts inspirés par d'autres croyances,<br />

mais exécutés par les memes moy<strong>en</strong>s.<br />

Au surplus, les Ilornain,., n'ont jamais manqué <strong>de</strong> rcs-<br />

4 Jfinimd computatione millies c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>a millia sestertiùm annis<br />

omnibus lndia et Seres, p<strong>en</strong>i.nsulaque illa, drabia, imperio nos-<br />

tro adi&unt; tanti nobis <strong>de</strong>liciz et feminz constant!<br />

Pline, IIist. nat., liv. XII, chap. xvrrI.<br />

'


sources toutes les fois qu'il a fallu suppléer par <strong>de</strong>s imp8ts<br />

sur eux-mêmes à l'insuffisance <strong>de</strong>s trésors fournis<br />

par la conquête et le pillage '. Ils avai<strong>en</strong>t trois sortes<br />

<strong>de</strong> taxes, le portoriu~n ou les droits <strong>de</strong> douanes (un quarantième<br />

<strong>de</strong> la valeur), qui se payai<strong>en</strong>t sur les importations<br />

et les exportations, et dont les collecteurs pr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

le nom <strong>de</strong> poi?l.itores ou <strong>de</strong> doiianiers ; les dimes,<br />

<strong>de</strong>cumœ, compr<strong>en</strong>ant la dixième partie du blé et la cinquième<br />

<strong>de</strong>s autres fruits, c'était l'impôt foncier ; <strong>en</strong>fin,<br />

la taxe connue sous le nom <strong>de</strong> scrcptura, espfce d'oclroi<br />

sur les propriétés communales, telles que pSlturages<br />

et bois publics. 11 j eut p<strong>en</strong>dant longtemps un impbt<br />

sur le sel, mais il fut supprimé à une époque que les<br />

auteurs ont négligé <strong>de</strong> déterminer. Toatcs ces taxes<br />

étai<strong>en</strong>t affermées avec publicité et concurr<strong>en</strong>ce par les<br />

c<strong>en</strong>seurs à <strong>de</strong>s s6uinissionnaires qui donnai<strong>en</strong>t caution<br />

et qui partageai<strong>en</strong>t ;mec leurs répondants les chances <strong>de</strong><br />

pcrte ou <strong>de</strong> gain. Une foule d'autres taxes passagères<br />

fur<strong>en</strong>t établies sous, les empereurs ; ainsi, Auguste décréh<br />

l'impôt du vingtième sur les successions, qui<br />

existe <strong>en</strong>core parmi nous; Caligula mit sur les coniestibles<br />

une taxe, dont la perception excita les plaintes les<br />

plus amères ; yespasi<strong>en</strong> inv<strong>en</strong>ta la taxe <strong>de</strong>s urines. Le<br />

droit <strong>de</strong> cinq pour c<strong>en</strong>t sur toutes les marchandises<br />

rapportait aussi <strong>de</strong>s sommes considérables. On ne le<br />

payait que pour les effets exposés <strong>en</strong> v<strong>en</strong>te sur la place<br />

4 L'an 586 <strong>de</strong> Rome, on fit au peuple la remise <strong>de</strong>s tributs an-<br />

nuels, le tresor ayant kt6 rempli <strong>de</strong>s sommes immm<strong>en</strong>ses qu'y<br />

dBposa Paul-Emile, après la <strong>de</strong>faite <strong>de</strong> Persée.<br />

2 Vectiyalicc nova atylrc! inaudita, primùm per publicanos,<br />

<strong>de</strong>indè, quia lucrum exuberabat, per c<strong>en</strong>tlcriones, t,ïibunosque prs-<br />

tovianos ezercuit, nul10 verum azlt hominum g<strong>en</strong>ere misso, cui non<br />

fributi aliyuid imnponcret.<br />

Suii~o~n,<br />

in Calig. cap. 40.<br />

6.


102 HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. VII.<br />

publique, les foires et les marchés, ou v<strong>en</strong>dus par adjiidication;<br />

mais nous ne pouvons évaluer l'importance <strong>de</strong><br />

ces rev<strong>en</strong>us que d'iine manière approximative, à cause<br />

<strong>de</strong> la perte du fameux rationariu~n .imper$ cette pr8-,<br />

cieuse statistique <strong>de</strong> I'empire, rédigée sous Auguste et<br />

détruite sous ses successeurs. M. Guizot estime neanmoins<br />

le montant <strong>de</strong>s imp6ts à la somme <strong>de</strong> 960 millions<br />

<strong>de</strong> Erancs par année '.<br />

4 Notes <strong>de</strong> sa traduction <strong>de</strong> Gibbon, t. 1, p. 377.


CHAPITRE VIII.<br />

Déca<strong>de</strong>nce rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'empire. - Ses principales causes. - Prerniére<br />

apparition du fichristianisme. - Influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s mœurs asiatiques<br />

à Constantinople. -. bldification dans les idées civiles,<br />

rel~gieuses, industrielles, commerciales.<br />

\<br />

Au sein ae cette prospérité appar<strong>en</strong>te, le.e,pon<strong>de</strong><br />

ro-<br />

main r<strong>en</strong>fermait <strong>de</strong>s germes actifs <strong>de</strong> déca<strong>de</strong>nce et <strong>de</strong><br />

dissolution. La gran<strong>de</strong> quantité <strong>de</strong> peuples étrangers<br />

que la conquéte avait succesiv<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t réunis a l'empire,<br />

<strong>en</strong> modifiant inserisihlem<strong>en</strong>t ses mmrs, affaiblissait sa<br />

puissance. Ces peuples ne s'btaicnt pas tous fondus sans<br />

résistance dans wtte gran<strong>de</strong> unité, et plusieurs gar-<br />

dai<strong>en</strong>t fidèlem<strong>en</strong>t 'le souv<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> leur anci<strong>en</strong>ne indép<strong>en</strong>-<br />

dance. Les nombr'eux priv;léges dont jouissai<strong>en</strong>t les ha-<br />

bitants <strong>de</strong> Rome etai<strong>en</strong>t ambitionnés par tous les hom-<br />

mes importalits <strong>de</strong>s provinces conqaises, <strong>de</strong> sorte que<br />

personne rie voulait plus ktre <strong>de</strong> l'empire, mais seule-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la cité. lJne transformation profon<strong>de</strong> s'opérait<br />

ainsi peu peu, favorisée par l'avénem<strong>en</strong>t au trône <strong>de</strong><br />

cette longue série <strong>de</strong> candidats itali<strong>en</strong>s, espagnols, gaii-<br />

lois ou bataves, pouss8s au pouvoir par le meurtre,<br />

l'intrigue ou les séditioas militaires. Puis vi<strong>en</strong>t le tour


104 HISTOIRE<br />

<strong>de</strong>s Barbares; <strong>de</strong>puis les Antonins, on ne voit plus que<br />

<strong>de</strong>s Thraces, <strong>de</strong>s Pannoni<strong>en</strong>s, <strong>de</strong>s Dalmates, <strong>de</strong>s Illy-<br />

ri<strong>en</strong>s, se 'disputer l'empire : il <strong>en</strong> périt <strong>de</strong> mort vio-<br />

l<strong>en</strong>te soixante <strong>en</strong> lin siècle et <strong>de</strong>mi. Le premier qui<br />

ouvre cette série néfaste, Maximin, choisi pour sa taille<br />

et sa force colossales, grossier, parlant à peine la langue<br />

<strong>de</strong>s peuples qn'il gouverne, excelle à traiiier un chariot,<br />

à f<strong>en</strong>dre les arbres, à réduire les pierres et1 poudre, a<br />

dompter les chevaux sauvages; il remplit plusieurs<br />

coupes <strong>de</strong> sa sueur. Ainsi le règne <strong>de</strong> l'intellig<strong>en</strong>ce finit<br />

pour faire place à la force brutale.<br />

L'éconoqie <strong>politique</strong> ne se charge pas d'expliquer les<br />

longues saturnales <strong>de</strong> l'empire p<strong>en</strong>dant cette pério<strong>de</strong><br />

d'irifainie et <strong>de</strong> décrépitu<strong>de</strong>. Qui pourrait se faire iiiic<br />

idée exacte d'un tel mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> décomposition, com-<br />

pliqui: par l'esclavage, par l'invasion, par le mélange<br />

<strong>de</strong>s races, <strong>de</strong>s langues, <strong>de</strong>s coutumes, <strong>de</strong>s vices, sorte<br />

<strong>de</strong> chaos social oh la sei<strong>en</strong>ce s'arrbte et l'imagination<br />

s'égare? Quelle organisation <strong>politique</strong> aurait pu résister<br />

aux extravagances <strong>de</strong> monstres tels que Commo<strong>de</strong>, Ca-<br />

racalla, Héliogabale? Quand <strong>de</strong> semblables êtres parais-<br />

s<strong>en</strong>t siir la terre, ils n'y peuv<strong>en</strong>t figurer que comme<br />

élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> dissolution, et quelque lumière nouvelle ne<br />

saurait tar<strong>de</strong>r S sortir <strong>de</strong> la nuit qu'ils ont faite. Cette<br />

lumière, qui luit aux <strong>de</strong>rniers hori<strong>en</strong>s <strong>de</strong> l'empire,<br />

c'est le christianisme : essayons <strong>de</strong> l'étudier B sa nais-<br />

sance et d'expliquer sa gran<strong>de</strong> influ<strong>en</strong>ce, <strong>de</strong>stinée à<br />

changer la face du mon<strong>de</strong>. Quand il comm<strong>en</strong>ça à pa-<br />

raitre, on ne prévoyait guère la brillante carrière qu'il<br />

<strong>de</strong>vait parcou'rir, et cep<strong>en</strong>dant dkjà tout concourait à<br />

préparer son triomphe. I,a philosophie attaquait les<br />

dieux paï<strong>en</strong>s; le scepticisme grec arrivé du pays <strong>de</strong><br />

Platon, faisait déjà la guerre aux vieilles croyances ro-


BE L'ECONOILIE POLITIQUE. CH.4P. VJII. 105<br />

maines, et désormais les augures ne pouvai<strong>en</strong>t plus se<br />

regar<strong>de</strong>r sans rire. En vain chaque métier avait pris un<br />

dieu pour protecteur : les matelots Neptune, les forge-<br />

rons Vulcain, les laboureurs CérBs, les vignerons Bac-<br />

chus, et les marchands Mercure; déjà les dieux avai<strong>en</strong>t<br />

peine à se protéger eux-mêmes et s'apprbtai<strong>en</strong>t à faire<br />

place à d'autres patrons plus puissants.<br />

Des légions campies aux frontières et composées <strong>de</strong><br />

soldats levés dans les pays conquis, se retournai<strong>en</strong>t vers<br />

le c<strong>en</strong>tre et d'auxiliaires <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>nemies. P<strong>en</strong>dant<br />

ce temps, les rhéteurs déclamai<strong>en</strong>t dans les villes; les<br />

esclaves exercés par leurs maîtres aux voluptés et aux<br />

subtilités, se fatiguai<strong>en</strong>t du joug; Luci<strong>en</strong>, lc Voltaire du<br />

temps, se moquait <strong>de</strong>s supériorités sociales ; les stoï-<br />

ci<strong>en</strong>s, les épicuri<strong>en</strong>s , les acadérriici<strong>en</strong>s prêchai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

doctrines hardies : tout le vieil édifice <strong>de</strong>s Romains s'é-<br />

croolait. Une réaction viol<strong>en</strong>te les avait déjh avertis<br />

sous Mithridate <strong>de</strong> se défier <strong>de</strong> la fortune, le jour oii il<br />

<strong>en</strong> fit égorger soixante mille; et S une autre époque,<br />

Spartacus, ce grand chef d'esclaves, avait battu quatre<br />

<strong>de</strong> leurs génbraiix. Qui donc voudrait désormais verser<br />

son sang pour la vieille cause nationale? il n'y avait<br />

plus dc nation proprem<strong>en</strong>t dite, mais un assemblage<br />

confus <strong>de</strong> nations. L'empire se composait <strong>de</strong> villes sé-<br />

parées par <strong>de</strong>s déserts, <strong>de</strong>s foréts ou <strong>de</strong>s marais impéné-<br />

trables; les habitants, <strong>de</strong>s villages, rustica proles, s'étai<strong>en</strong>t<br />

peu à pcu infiltrés dans les villes, où le? spectacles, les<br />

distributions, les joliissances <strong>de</strong> tout g<strong>en</strong>re les .appe-<br />

lai<strong>en</strong>t sans cesse et les énervai<strong>en</strong>t.<br />

C'est au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette déca<strong>de</strong>nce universelle que le<br />

christianisme comrn<strong>en</strong>ca à se montrer sur quelqiies<br />

points <strong>de</strong> l'empire. I,a première information officielle<br />

qu'on <strong>en</strong> reçut se trouve dans une lettre <strong>de</strong> Pline le


106 HISTOIRE<br />

jeune, gouverneur <strong>de</strong> Bythinie l, et tout aussitbt la doc-<br />

trine noilvelle se répandit comme un éclair, timi<strong>de</strong>-<br />

m<strong>en</strong>t d'abord, mais sans qu'on ait eu le temps <strong>de</strong> s'<strong>en</strong><br />

apercevoir. A peine on achevait <strong>de</strong> lire ce qu'<strong>en</strong> disai<strong>en</strong>t<br />

les gouverneurs <strong>de</strong> provinces qui déjà Tertulli<strong>en</strong> s'é-<br />

criait hardim<strong>en</strong>t : u Nous ne sommes que d'hier, et nous<br />

remplissons vos. cités, vos colonies, l'armée, le palais,<br />

le sénat, le forum ; nous ne vous laissons que vos tem-<br />

ples. m En vain quelques persécutions sanglantes es-<br />

say<strong>en</strong>t d'étouffer dans sa source la religion nouvelle;<br />

Constantin lui donne <strong>de</strong>s temples et ses <strong>de</strong>stinées s'ac-<br />

compliss<strong>en</strong>t. Les histori<strong>en</strong>s <strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong> époque ont<br />

snffisamm<strong>en</strong>t retracé toiites les circonstances qui l'ont<br />

préparée ; notre rôle est d'<strong>en</strong> étudier les résultats hu-<br />

manitaires et <strong>de</strong> rechercher par quelle heureuse transi-<br />

tion l'esclavage grec et romain s dû faire place aii<br />

respect du travail, au régime <strong>de</strong> la liberté et <strong>de</strong> l'éga-<br />

lité.<br />

La division <strong>de</strong> l'empire <strong>en</strong> <strong>de</strong>ux vrtstes lambeaux a<br />

, singulièrem<strong>en</strong>t favorisé cette révolution inouïe. Constan-<br />

tinople était plus propre que Rome à recevoir le Dieu<br />

- . <strong>de</strong>s chréti<strong>en</strong>s ; ville toute neuve, elle conv<strong>en</strong>ait merveil-<br />

leusem<strong>en</strong>t à un culte nouveau. C'est par ingratitu<strong>de</strong> que<br />

ce culte adopta, <strong>de</strong>puis, Rome polir berceau ; le vArita-<br />

ble berceau du christianisme est à Constantinople. C'est<br />

là que la religion chréti<strong>en</strong>ne, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue religion <strong>de</strong> l'Etat,<br />

Voici un passage <strong>de</strong> cette lettre : « La chose m'a paru digne<br />

<strong>de</strong> consullation, principalem<strong>en</strong>t à cause du nombre <strong>de</strong>s accuses;<br />

car on met on peril plusieurs. personnes <strong>de</strong> tout âge, d7 tout<br />

sexe et <strong>de</strong> toute condition. Cette superstition a infecté. non-seule-<br />

m<strong>en</strong>t les villes, mais les bourga<strong>de</strong>s et la campagne ... Ils ont ac-<br />

coutume <strong>de</strong> s'assembler un jour avant le lever du soleil et <strong>de</strong> dire<br />

<strong>en</strong>semble, à <strong>de</strong>ux cburs, un cantique <strong>en</strong> i'honneur du Christ<br />

comme d'un Dieu. »<br />

.


DE L'~COI~TO~~IB I'OLITIQUE. CHAP. VII1. 107<br />

a comm<strong>en</strong>cé à s'organis8r sur <strong>de</strong>s bases rbgulières ; c'est<br />

là qu'elle s'est établie, radieuse, ail sortir <strong>de</strong>s catacom-<br />

bes <strong>de</strong> Ronie et <strong>de</strong>s asiles obscurs <strong>de</strong> la persécution.<br />

Peu à peu toutes les hautes intellig<strong>en</strong>ces, lasses du po-<br />

lythéisme romain, s'y sont ralliées, et les prêtres ont<br />

pris partout la place <strong>de</strong>s curiales qui étai<strong>en</strong>t les muni-<br />

cipaux <strong>de</strong> l'époque. Les lois ont comm<strong>en</strong>cé à leur don-<br />

ner <strong>de</strong>s attributions que la confiance <strong>de</strong>s peuples a rati-<br />

fiées, et que partout ils s'efforçai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> justifier par<br />

- leur savoir et leur habileté. Ri<strong>en</strong> n'est plus curieux à<br />

étudier que la transition au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> laquelle cette ré-<br />

volution s'est opérée. Constantin publiait dans la même<br />

année <strong>de</strong>ux édits, dont l'un recommandait l'observation<br />

du dimanche et l'autre prescrivait <strong>de</strong> consulter les au-<br />

gures. En mBme t<strong>en</strong>ips s'établissai<strong>en</strong>t les premières<br />

distinctions <strong>en</strong>tre le pouvoir spirituel et le pouvoir tem-<br />

porel. D'un autre côté, les légistes <strong>en</strong>vabissai<strong>en</strong>t I'em-<br />

pire avec <strong>de</strong>s textes, substiluant ainsi l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s<br />

lois. à celle <strong>de</strong> l'épée, et <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ant, sans s'<strong>en</strong>' douter<br />

- peut-&ire, les plus puissants auxiliaires <strong>de</strong> la religion.<br />

Rome mourante s'éteignait dans un linceul <strong>de</strong> monu-<br />

m<strong>en</strong>ts ; Constantinopli: naissante s'élevait sur <strong>de</strong>s mon-<br />

ceaux<strong>de</strong> livres. Les avocats et les prétres siiccédaieiit aux<br />

architectes et aux honimes <strong>de</strong> guerre. Les Pan<strong>de</strong>ctes, les<br />

Institutes, l'Évangile ije partageai<strong>en</strong>t désormais Ie res-<br />

pect <strong>de</strong>s peuples et l'influ<strong>en</strong>ce universelle. Un imm<strong>en</strong>se<br />

bourdonnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> plaidoiries succédait au cri <strong>de</strong>s ha-<br />

tailles, et le seul préfet du prétoire employait sept<br />

c<strong>en</strong>t cinquante avocats. Le patriciat n'était plus qu'une<br />

dignité viagère; on lui avait ôté l'hérédité. L'empire,<br />

divisé <strong>en</strong> plusieurs d~ocèses, grands comme <strong>de</strong>s royau-<br />

* mes et gouvernés par <strong>de</strong>s uicaires, voyait s'achever<br />

l'œuvre <strong>de</strong> la déc<strong>en</strong>tiralisation qui <strong>de</strong>vait favoriser tout


,<br />

à la fois les attaques <strong>de</strong>s Barbares et les abus <strong>de</strong> justice<br />

et <strong>de</strong> procédure. Le mon<strong>de</strong> allait &tre <strong>en</strong> proie aux g<strong>en</strong>s<br />

<strong>de</strong> loi, qui le m<strong>en</strong>ac<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> plus sérieusem<strong>en</strong>t au mom<strong>en</strong>t<br />

où j'écris. Leurs fortunes étai<strong>en</strong>t si rapi<strong>de</strong>s, et leurs<br />

exactions si scandaleuses, que le co<strong>de</strong> théodosi<strong>en</strong> dut<br />

les m<strong>en</strong>acer <strong>de</strong> la peine <strong>de</strong> mort '. On trouve à ce sujet<br />

dans Ammi<strong>en</strong> Marcellin <strong>de</strong>s détails qui pourrai<strong>en</strong>t don-<br />

ner lieu à <strong>de</strong> singuliers rapprochem<strong>en</strong>ts avec les abus<br />

<strong>de</strong> nos jobs.<br />

La division du siége <strong>de</strong> l'empire apporta aussi <strong>de</strong><br />

notables changem<strong>en</strong>ts au systeme <strong>de</strong>s impositions. Con-<br />

stantin et ses successeurs préfèrèr<strong>en</strong>t une taxe simple et<br />

directe au régime plus compliqué <strong>de</strong>s contributions d'o-<br />

rigine romaine. Le recouvrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cet impôt était<br />

opéré par les villes et formait une <strong>de</strong>s charges les plus<br />

lour<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> leur sénat municipal, les décu-<br />

rions. Ces administrateurs étai<strong>en</strong>t responsables sur leurs<br />

bi<strong>en</strong>s personnels <strong>de</strong> la r<strong>en</strong>trEe <strong>de</strong> l'impôt, et on les força<br />

méme dk pr<strong>en</strong>dre à leur propre compte les terres aban-<br />

données par les possesseurs qui ne pouvai<strong>en</strong>t suffire aux<br />

organes du fisc, A eux seuls étai<strong>en</strong>t dévolues les fonc-<br />

tions pénibles <strong>de</strong> répartiteurs, qui les exposai<strong>en</strong>t au mé-<br />

cont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t et souv<strong>en</strong>t aux viol<strong>en</strong>ces <strong>de</strong>s populations.<br />

Toutes les terres <strong>de</strong> l'État, sans excepter le patrimoine<br />

<strong>de</strong> l'empereur, étai<strong>en</strong>t assujetties à la taxe, et chaque<br />

nouveau propriétaire <strong>de</strong>vait payer les <strong>de</strong>ttes <strong>de</strong> l'anci<strong>en</strong>.<br />

Un cadastre exact, revisé tous les quinze ans, permettait<br />

<strong>de</strong> fixer les cotes avec assez d'impartialité, puisque l'on<br />

avait soin <strong>de</strong> désigner sur les registres la nature particu-<br />

4 « Cess<strong>en</strong>t rapacgs jàm nunc ofkcialium tnanus; cess<strong>en</strong>t, in-<br />

puam; si in0nit.i non cessave?int, gladiis przci<strong>de</strong>ntur. >) Liv. I,<br />

tit. 7, loi 1.<br />

Liv. XXX, chap.


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAIJ. VIII. 109<br />

lière <strong>de</strong> chaque propriété, dont la valeur était estimée<br />

d'après la moy<strong>en</strong>ne d'un rev<strong>en</strong>ii <strong>de</strong> cinq ans. L'imp6t se<br />

payait généralem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> monnaie d'or ; mais il y <strong>en</strong> avait<br />

une forte partie exigée <strong>en</strong> <strong>de</strong>nrées <strong>de</strong> toute espèce, blé,<br />

vins, huiles, bois et fourrages, qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t &tre trans-<br />

portés aux frais <strong>de</strong>s contribuables dans les magasins <strong>de</strong><br />

l'emper<strong>en</strong>r, et qui donnai<strong>en</strong>t lieu d'effroyables con-<br />

cussions. Les plaintes étant <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ues générales, les em-<br />

pereurs eur<strong>en</strong>t recours à d'autres expédi<strong>en</strong>ts, parmi les-<br />

quels on peut ranger l'inv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s pat<strong>en</strong>tes imposées h<br />

tous lesg<strong>en</strong>res d'industrie et <strong>de</strong> commerce. On fut m&me<br />

obligé <strong>de</strong> payer les fonctionnaires publics <strong>en</strong> nature, et<br />

Lampri<strong>de</strong> nous appr<strong>en</strong>d qu'indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t d'un<br />

traitem<strong>en</strong>t d'<strong>en</strong>viron 4,000 fr. <strong>de</strong> notre monnaie <strong>en</strong> es-<br />

pèces, les gouverneurs <strong>de</strong> province recevai<strong>en</strong>t six cru-<br />

ches <strong>de</strong> vin, <strong>de</strong>ux mulets et <strong>de</strong>ux chevaux, <strong>de</strong>ux habits<br />

<strong>de</strong> para<strong>de</strong>, un habit simple, une baignoire, un cuisinier,<br />

un muletier, et <strong>en</strong>fin, quand ils n'étai<strong>en</strong>t pas mariés,<br />

une concubine ; quod sine h;is esse non poss<strong>en</strong>t, dit l'au-<br />

teur. Quand ils sortai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> charge ils étai<strong>en</strong>t toujours<br />

obligés <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre les mulets, les chevaux, le muletier<br />

et le cuisinier. Si l'empereur était cont<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur admi-<br />

nistration, ils gardai<strong>en</strong>tle reste, sinon ils étai<strong>en</strong>t obligés<br />

<strong>de</strong> le r<strong>en</strong>dre au guaclruple. On voit dans d'autres écrits<br />

que les gouverneurs <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s provinces ont reçu<br />

<strong>de</strong> l'huile pour eritrcteriir quatre lampes. Il s'introdui-<br />

sait chaque jour quelque chose <strong>de</strong>s mœurs asiatiques<br />

dans le gouvernem<strong>en</strong>t financier et dans les Iiabilu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

l'empire. Les ewuqiies, les espions, les fonctionnaires<br />

<strong>de</strong> la domesticité se multipliai<strong>en</strong>t outre mesure, et avec<br />

eux les bassesses, la délation et le favoritisme. Ce fut<br />

4 Chap. 42.<br />

&"DIT. T. 1.


a frontières,<br />

i i 0 HISTOIRE DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. ViII.<br />

alors que les Barbares répandus sur les bords <strong>de</strong> la mer<br />

Noire, aux bouches du Danube et sur plusieurs autres<br />

comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t à reconnaître les parties vul-<br />

nérables <strong>de</strong> l'empire et à préparer la gran<strong>de</strong> invasion<br />

qui <strong>de</strong>vait changer la face du mon<strong>de</strong>, après que le chris-<br />

tianisme les aurait changés eux-mêmes. Examinons<br />

donc quelle a'été l'influ<strong>en</strong>ce du christianisme sur le dé-<br />

veloppem<strong>en</strong>t social europé<strong>en</strong>, et quelles modifications<br />

son établissem<strong>en</strong>t définitif a fait éprouver à <strong>l'économie</strong><br />

<strong>politique</strong> <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s.


CEIAPITRE IX.<br />

Changem<strong>en</strong>ts surv<strong>en</strong>us clans I'6conomie sociale <strong>de</strong> l'Europe par<br />

l'influ<strong>en</strong>ce du christianisme. - Son organisation vigoureuse et<br />

savante. - Les monastbres cré<strong>en</strong>t la vie <strong>de</strong> communauté. - Le<br />

principe religieux donne naissance aux hôpitaux, aux asiles.-<br />

Le prêtre est aujourd'hui au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> sa t%che. - Opinion à<br />

ce sujet.<br />

La s<strong>en</strong>sation fut gran<strong>de</strong> <strong>en</strong> Europe quand le christia-<br />

nisme, jusque-là proscrit et humilié, s'éleva tout B coup<br />

au rang <strong>de</strong> religion dominante et poursuivit à son tour<br />

ses persécuteurs. Quelile péripétie! tout change presque<br />

A la fois, tout se réorganise comme par <strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>t<br />

sur <strong>de</strong>s bases nouvelles. Le pouvoir <strong>politique</strong>, jusque-là.<br />

uniquem<strong>en</strong>t appuyé sur la force, cherche <strong>de</strong>s auxiliaires<br />

dans la raison, dans les croyances; il s'<strong>en</strong>toure et se<br />

fortifie du prestige <strong>de</strong> l'autorité religieuse, qui a déjh<br />

poussé <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s racines dans les cœurs. C'est chose<br />

merveilleuse à voir que la promptitu<strong>de</strong> avec laquelle le<br />

mon<strong>de</strong>, <strong>en</strong>core paï<strong>en</strong> pour le culte, se hdte <strong>de</strong> tirer les<br />

conséqu<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la parole évangélique, et l'admirable<br />

instinct avec lequel chaque opprimé <strong>de</strong>vine que l'heure<br />

<strong>de</strong> la liberté va sonner pour lui. Quoique l'Église chr6-<br />

ti<strong>en</strong>ne apparût tout organisée avec sa hiérarchie noble<br />

et sévdre, tout le mori<strong>de</strong> eut bi<strong>en</strong>tôt compris le principe


112 HISTOIRE<br />

<strong>de</strong> l'égalité qu'elle portait dans son sein. Elle plaisait<br />

aux grands par ses dogmes <strong>de</strong> subordination et d'obéis-<br />

sance, et aux petits par ses doctrines d'indép<strong>en</strong>dance et<br />

<strong>de</strong> nivellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>vant Dieu. Elle élevait l'esclave sans<br />

rabaisser 'le maître et prés<strong>en</strong>tait à l'esphce humaine<br />

courbée sous le joug un refuge contre la tyrannie <strong>de</strong> ce<br />

mon<strong>de</strong> dans lesespérances <strong>de</strong> l'autre. Le paganisme s'était<br />

rarem<strong>en</strong>t mèlé à la <strong>politique</strong>, mais les premiers prktres<br />

chréti<strong>en</strong>s prir<strong>en</strong>t part aux affaires, et ils gouvernai<strong>en</strong>t<br />

déjà, que personne ne se doutait <strong>de</strong> leur puissance. Les<br />

hérésies mêmes qui désol<strong>en</strong>t le christianisme à sa nais-<br />

sance, ne fur<strong>en</strong>t pas inutiles à la causedu progrès social :<br />

elles ont ouvert <strong>en</strong> Europe le droit <strong>de</strong> discussion.<br />

On a beau n'&tre pas un chréti<strong>en</strong> bi<strong>en</strong> austère, la ma-<br />

jesté <strong>de</strong> ce bel édifice étonne et comman<strong>de</strong> le respect.<br />

On ne peut voir sans une vive admiration cette organi-<br />

sation vigoureuse et luxuriante se form'er tout d'une<br />

piècef avec ses magnifiques dép<strong>en</strong>dances, et se répandre<br />

sur le mon<strong>de</strong>, partout semblable à elle-m&me, comme<br />

le flot paisible sur la surface <strong>de</strong> la grève. Les premiers<br />

évkques, si impérieux à la fois et si doux, si intolérants<br />

pour le doute et si indulg<strong>en</strong>ts pour les faiblesses, si fiers<br />

, avec les grands et si humbles avec les pauvres, sembl<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s tribuns populaires qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t protester au nom<br />

<strong>de</strong>s droits imprescriptibles <strong>de</strong> l'humanité. Tout <strong>en</strong> eux<br />

rappelle les vieilles maximes <strong>de</strong> la république romaine,<br />

l'élection publique, la prédication r<strong>en</strong>ouvelée du forum,<br />

les assemblées générales, l'admission aux plus hautes<br />

dignités sans distinction <strong>de</strong> fortune ou <strong>de</strong> naissance. Ri<strong>en</strong><br />

ne restait <strong>de</strong> ces antiques prérogatives du citoy<strong>en</strong> qu'un<br />

souv<strong>en</strong>ir stérile et confus; la religion chréti<strong>en</strong>ne a tout<br />

régénéré, tout remis <strong>en</strong> honneur.. Peu d'années s'écou-<br />

l<strong>en</strong>t après le règne <strong>de</strong> Constantin, et déjà l'affranchisse-<br />

*


DE L'ECORO~~IE POLITIQUE. CHAP. IX. 113<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s esclaves est permis sur la simple attestation<br />

d'un év&que ; le concubinage est proscrit; les bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s<br />

mineurs et <strong>de</strong>s femmes sont exempts <strong>de</strong> la conliscation,<br />

les prisons sont visitées, les pauvres secourus, lu bi<strong>en</strong>faisance<br />

est découue~r'e. Nous la raisonnerons plus tard ;<br />

<strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant, on l'exerce.<br />

L'économie <strong>politique</strong> a bi<strong>en</strong> d'autres obligations <strong>en</strong>core<br />

à l'influ<strong>en</strong>ce du christianisme qui a fait disparaître<br />

ce s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t étroit et égoiste <strong>de</strong> nationalité, source <strong>de</strong>s<br />

longues querelles d'd~tliènes et <strong>de</strong> Sparte, <strong>de</strong> CartEiage.et<br />

<strong>de</strong>Rome, déplorableij arènes oii s'kpuisèr<strong>en</strong>t tant <strong>de</strong> ressources<br />

sociales qu'lin autre principe eût fécondées ! 1.a<br />

seule création <strong>de</strong>s conciles est une <strong>de</strong>s plus heureuses<br />

conceptions du génic civilisateur chréti<strong>en</strong>, à ne les considbrer<br />

que comme <strong>de</strong>s congrPs oh toutes les lumières<br />

étai<strong>en</strong>t convoquées à la discussio~i d'une idée. Que <strong>de</strong><br />

temps n'a-t-il pas fallu pour que ces nobles inspirations<br />

triomphass<strong>en</strong>t du préjugé guerrier et barbare ! Il y a ii<br />

peine quelques années que J.-B. Say achevait <strong>de</strong> démontrer<br />

dans sa belle thkorie <strong>de</strong>s débouchés la doctrine<br />

<strong>de</strong> la solidarité commerciale <strong>de</strong>s nations, et ce n'est pas<br />

sans peine que <strong>de</strong> nos jours la solution <strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>ds<br />

<strong>en</strong>tre peuples a été remise à la diplomatie plutbt qu'à<br />

l'épée. Qui a préparé ces résultats, si ce n'est le christianisme?<br />

Et qu'est-ce donc aujourd'hui que la liberté civile,<br />

religieuse et cornnierciale, si ce n'est le développem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée fondam<strong>en</strong>tale chréti<strong>en</strong>ne ?'Sans le<br />

principe nouveau cle l'égalité <strong>de</strong>vant Dieu, l'esclavage<br />

grec et romain infesterait <strong>en</strong>core le mon<strong>de</strong>, la faiblesse<br />

serait toujours à la merci <strong>de</strong> la force, et la richesse serait<br />

cncore prodiiitc! par les uns pour $tre consomn~ée<br />

par les autres, sans dédommagem<strong>en</strong>t.<br />

Sous le point <strong>de</strong> vile <strong>de</strong> la distribution du pouvoir,


114 HISTOIRE<br />

il n'y a aucune institution humaine qui puisse &tre com-<br />

parée à la manière vraim<strong>en</strong>t admirable dont l'Église est<br />

organisée <strong>de</strong>puis l'apparition officielle du christianisme.<br />

Un pape siége à Rome et ti<strong>en</strong>t sous sa puissance les hauts<br />

dignitaires da clergé, qui nomm<strong>en</strong>t eux-mêmes aux em-<br />

plois les membres <strong>de</strong> la milice inférieure. Toute cette<br />

milice est soumise ailx m&mes règles et au méme cos-<br />

tume, <strong>de</strong> Paris au Japon et <strong>de</strong> la Chine à Rome. Le meme<br />

office se célèbre dans la même langue aux <strong>de</strong>ux extrémi-<br />

tés du mon<strong>de</strong> ; les noms <strong>de</strong>s saints du christianisme fi-<br />

gur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> téte <strong>de</strong> tous nos actes <strong>de</strong> naissance, et nous ne<br />

distinguons les jours <strong>de</strong> l'année que par la nom<strong>en</strong>clature<br />

<strong>de</strong> ses ap6tres et <strong>de</strong> ses martyrs. Le dimanche <strong>de</strong>s chré-<br />

ti<strong>en</strong>s est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u le jour du repos uriiversel; partout,<br />

quand l'Église ouvre ses temples, le travail ferme scs<br />

ateliers. 11 n'y a pas une seule circonstance importante<br />

<strong>de</strong> la vie qui échappe à l'influ<strong>en</strong>ce religieuse ou qui se<br />

passe <strong>de</strong> son interv<strong>en</strong>tion Le prétre chréti<strong>en</strong> att<strong>en</strong>d aux<br />

fonts baptismaux l'<strong>en</strong>fant qui vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> naltre et lui im-<br />

pose un nom; plus tard il le précè<strong>de</strong> pour bénir son<br />

mariage ; <strong>en</strong>fin, quand lc terme <strong>de</strong> ?a vie est arrivé, il<br />

l'accompagne, <strong>en</strong> priant, ai tombeau. Que <strong>de</strong> puislants<br />

moy<strong>en</strong>s d'actiop le christianisme a inv<strong>en</strong>tés, <strong>de</strong>puis,<br />

pour s'emparer <strong>de</strong> l'exist<strong>en</strong>ce tout <strong>en</strong>tiere <strong>de</strong> l'homme !<br />

Partout on voit le prêtre se faire instituteur et diriger<br />

, Il<strong>en</strong>fance par ses conseils. Le catbcliisme lui assure cette<br />

conquéte sans effort; un premier sacrem<strong>en</strong>t, lacommu-<br />

nion, crée un li<strong>en</strong> <strong>de</strong> plus, resserré par les communica-<br />

tions mystérieuses et redoutables du confessionnal. Puis,<br />

comme si ce n'était assez <strong>de</strong> ces premiers succès, l'évk-<br />

que parait dans toute la majesté <strong>de</strong> la puissance ecclé-<br />

siastique et administre la confirmation, accor<strong>de</strong> <strong>de</strong>s dis-<br />

p<strong>en</strong>ses, prononce <strong>de</strong>s c<strong>en</strong>sures, lie et délie comme arbitre


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. IX. 115<br />

suprbme et vicaire tie Dieu. Ainsi, ni l'<strong>en</strong>fance, ni 1'Age<br />

mûr, ni la vicilless,e, ni la mort ne pcuv<strong>en</strong>t soustraire à<br />

l'influ<strong>en</strong>ce du prktre, la'plus complète et la plus inévi-<br />

table qui ait jamais existé dails le mon<strong>de</strong>.<br />

d Ce n'est pas toul, et nous ne faisons à peine qu'indi-<br />

quer les attributions illimitées du pouvoirreligieux. Quel<br />

est aujourd'hui le nnagistrat quidispose dans le moindre<br />

village d'un vaste local pour réunir la population, d'lin<br />

moy<strong>en</strong> prompt et sûr <strong>de</strong> la convoquer, d'une tribune<br />

aux harangues pour l'émonvoir ou la convaincre? C'est<br />

le prktre. Lui seul est le maître du temple, <strong>de</strong> la chaire<br />

et <strong>de</strong>s cloches; il réunit ses ouailles quand bon lui sem-<br />

ble et sans la permission <strong>de</strong> l'autorité civile ; il ordonne<br />

ct on obéit. Aux yeux mbme <strong>de</strong>s plus incrédules, Pâques<br />

Noel, la P<strong>en</strong>tecôte, la 'koussaint, toutes les fbtes chr6-<br />

ti<strong>en</strong>nes sont <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s fbtes; les jours <strong>de</strong> jeùne sont<br />

<strong>de</strong>s jours <strong>de</strong> privation. Nos rues et nos cités port<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

noms <strong>de</strong> saints ; les arts el les' métiers pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

saints pour patrons. Les marins éperdus vot<strong>en</strong>t <strong>de</strong>sorai-<br />

sons à Notre-Dame <strong>de</strong> la Gar<strong>de</strong>. On, fauche à la Saint-<br />

Jean; on v<strong>en</strong>dange ;i la Saint-&Iichel. De temps à autre,<br />

le prétre irrité donne <strong>de</strong>s avertissem<strong>en</strong>ts sévères; tantôt<br />

il couvre nos fronts <strong>de</strong> c<strong>en</strong>dre pour nous appr<strong>en</strong>dre la<br />

vanité <strong>de</strong>s choses hiumaines ; tantôt il refuse son assis-<br />

tance aux prières <strong>de</strong>s héritiers d'un homme mort dans<br />

l'impénit<strong>en</strong>ce finale. Il monte sur l'échafaud pour y con- .<br />

duire les criminels rep<strong>en</strong>tants dans le sein <strong>de</strong> la miséri-<br />

cor<strong>de</strong> <strong>de</strong> Dieu, et il1 effraye la jeune fille timi<strong>de</strong> sur les<br />

conséqu<strong>en</strong>ces d'un simple aveu. Il décrit l'<strong>en</strong>fer et on<br />

tremble ; il <strong>en</strong>tr'ouvre le paradis et on espkre. Quand<br />

parfois un hardi scélérat lui vole ses vases sacrés, tout<br />

s'émeut et s'indigne ; le coupable s'appelle un impie, et<br />

le crime un sacrilége auquel on doit une expiation. II


'<br />

116 HISTOIRE<br />

fallait voir jadis les fidèles consternés I~aiser avec fer-<br />

veur le pavé <strong>de</strong>s temples et solliciter à force <strong>de</strong> pleurs,<br />

<strong>de</strong> prières et <strong>de</strong> jeûnes, le parddn <strong>de</strong> cesgrandsatt<strong>en</strong>tats.<br />

Cette puissance si singulière et si subite <strong>de</strong> la religion,<br />

et les révolutions profon<strong>de</strong>s qu'elle a causées dans<br />

l'ordre social, se manifest<strong>en</strong>t principalem<strong>en</strong>t dans l'é-<br />

tablissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s monastères qui ont soulevé et résolu<br />

tant <strong>de</strong> questions parmi les hommes. En Ori<strong>en</strong>t, ces<br />

monastères ont eu pour but la solitu<strong>de</strong> et la contempla-<br />

tion, le besoin <strong>de</strong> s'isoler, d'échapper aux plaisirs, aux<br />

relations humaines ; <strong>en</strong> Occi<strong>de</strong>nt, au contraire, ils ont<br />

comm<strong>en</strong>cé par la vie commune et par le besoin <strong>de</strong> se<br />

réunir, <strong>de</strong> s'<strong>en</strong>tr'ai<strong>de</strong>r. Tandis que la société, <strong>en</strong> proie<br />

à une démoralisation générale, n'offrait plus aucun<br />

c<strong>en</strong>tre d'activité nationale, provinciale ou municipale<br />

aux esprits élevds, les monastères ouvrai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s asiles à<br />

ceux qui voulai<strong>en</strong>t vivre, p<strong>en</strong>ser et discuter <strong>en</strong> commun,<br />

et ils <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>tdt le foyer le plus ar<strong>de</strong>nt du mou-<br />

vem<strong>en</strong>t intellectuel. C'est <strong>de</strong> là que partai<strong>en</strong>t ces har-<br />

diesses théologiques et philosophiques, sout<strong>en</strong>ues avec<br />

<strong>de</strong>s ressources si ingénieuses, et ces essais <strong>de</strong> mortifica-<br />

tions austères qui retrempai<strong>en</strong>t les âmes affadies au ré-<br />

gime <strong>de</strong> la civilisation paï<strong>en</strong>ne. Une correspondance<br />

active et souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s luttes vives s'établir<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre ces<br />

diverses solitÙ<strong>de</strong>s, déjà peuplées comme <strong>de</strong>s villes, par<br />

l'afflu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> tous les hommes qu'y attirai<strong>en</strong>t la li-<br />

berté <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée et la régularité <strong>de</strong> la vie matérielle.<br />

Ce fut bi<strong>en</strong>tbt la route <strong>de</strong>s ambitieux pour parv<strong>en</strong>ir aux<br />

honneurs et le sanctuaire <strong>de</strong>s lettres exilées d'un mon<strong>de</strong><br />

exclusivem<strong>en</strong>t occupé <strong>de</strong> plaisirs et <strong>de</strong> s<strong>en</strong>sualités. Les<br />

habitants <strong>de</strong> ces oasis fortunées ne tardèr<strong>en</strong>t pas à per-<br />

fectionner <strong>de</strong> toutes les manieres les professions néces-<br />

saires au mainti<strong>en</strong> <strong>de</strong> leur indép<strong>en</strong>dance et <strong>de</strong> leur con-


DE L'ECON~~~IE POLITIQUE. CHAP. IX. 117<br />

servation. L'industrie, qui était une profession domesti-<br />

que exercée par <strong>de</strong>s esclaves ail profit <strong>de</strong> leur maître, sous<br />

la république et dans les premiers temps <strong>de</strong> l'empire, <strong>de</strong>-<br />

viritpour les communautés religierises une étu<strong>de</strong> savante;<br />

elles ne vCcur<strong>en</strong>t pas longtemps <strong>de</strong> fruits secs ou <strong>de</strong><br />

légumes ; il letir fallut <strong>de</strong>s métiers, et ces métiers fur<strong>en</strong>t<br />

exe~cés avec la meme supériorité qui distinguait dans<br />

tout le reste les nouveaux sociétaires: Je ne doute pas<br />

que ce ne soit là la véritable source <strong>de</strong>s corporations<br />

industrielles, dont l'organisation a été attribuée à saint<br />

Louis. Saint Louis a discipliné les communautés d'arts,<br />

mais il ne les a point créées. Leur origine se confond<br />

avec celle <strong>de</strong>s couv<strong>en</strong>ts. C'est <strong>de</strong> là que l'industrie est<br />

sortie libre pour s'ktablir <strong>en</strong>suite au sein <strong>de</strong>s villes du<br />

moy<strong>en</strong> %ge sous la protection du principe d'association.<br />

Une autre création du christianisme achève dc le dis-<br />

tinguer <strong>de</strong> tout le régime social qui s'écroule, c'est le<br />

précepte <strong>de</strong> la bi<strong>en</strong>-reillance mutuelle mis <strong>en</strong> pratique et<br />

converti <strong>en</strong> obligation sacrée pour tous les citoy<strong>en</strong>s. Si<br />

quelque chose a lieu <strong>de</strong> surpr<strong>en</strong>dre dans le polythkisme<br />

romain, c'est cette indiffér<strong>en</strong>ce profon<strong>de</strong> pour les souf-<br />

frances du pauvre et pour les doléances <strong>de</strong> l'opprimé.<br />

Il y avait dans la vieille société romaine une ligne <strong>de</strong><br />

démarcation infranivhissable <strong>en</strong>tre le riche et le pauvre,<br />

<strong>en</strong>tre le patrici<strong>en</strong> et le plébéie,n; on eût dit que le se-<br />

cond <strong>de</strong>vait &tre fatulem~nt la proie du premier, comme<br />

dans le règne animal certaines espèces sont pré<strong>de</strong>stinées<br />

$ la nourriture <strong>de</strong>s autres. Le christianisme a rapproché<br />

les distances, <strong>en</strong> prescrivant la charité publique et pri-<br />

vée dont l'empereur Juli<strong>en</strong> lui-m&me, ce philosophe<br />

traité d'apostat, éprouvait le besoin impérieux. K Ne <strong>de</strong>-<br />

vons-nous pas rougir, disait-il ' que les Galilé<strong>en</strong>s, ces<br />

Nàm turpe profectd est, cùm impii Galilæi non suos modo,<br />

7.


i'i 8 HISTOIRE<br />

impies, après avoir nourri leurs pauvres, nourriss<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>coi'e les nbtres, laissés dans un dénûm<strong>en</strong>t absolu ! B .<br />

Voilà la création <strong>de</strong>s hôpitaux, <strong>de</strong>s asiles, <strong>de</strong>s aum6nes ,<br />

indiqube d'une manière bi<strong>en</strong> précise par le plus formidable<br />

<strong>en</strong>nemi du christianisme. Quel' pas v<strong>en</strong>ait <strong>de</strong> faire<br />

<strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> ! et si, <strong>de</strong>puis, cette gran<strong>de</strong> mission<br />

du christianisme ne s'est pas accomplie plus complètem<strong>en</strong>t,<br />

s'il a été donné à d'autres causes d'arrêter dans<br />

sa marclie le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée sublime qui<br />

conviait l'humanité <strong>en</strong>tière au banquet <strong>de</strong> la vie, sans<br />

distinction , <strong>de</strong> fortune et <strong>de</strong> caste, nous avons la conflance<br />

qu'elle y pr<strong>en</strong>dra sa place quelque jour, et que<br />

la uolonté <strong>de</strong> Dieu sera faite.<br />

Ainsi s'est transformée, sous les auspices <strong>de</strong> la religion<br />

chréti<strong>en</strong>ne, la civilisation antique, toute fondée sur l'esclavage,<br />

<strong>en</strong> une civilisation nouvelle appuyée sur la liberté.<br />

Une partie <strong>de</strong> cet honneur apparti<strong>en</strong>t néanmoins<br />

aux grands génies <strong>de</strong> l'antiquité, à Socrate, à Cicéron,<br />

à ces nobles philosophes dont les écrits ont survécu à la<br />

chute <strong>de</strong> la Grèce et <strong>de</strong> Rome, et qui avai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trevu ces<br />

A<br />

<strong>de</strong>stinées meilleures vers lesquelles nous marchons.<br />

Tout était <strong>en</strong>core pai<strong>en</strong> dans Rome et dans l'empire,<br />

que la révolution chréti<strong>en</strong>ne était flagrante ; Luci<strong>en</strong><br />

tournait les dieux <strong>en</strong> ridicule au mûm<strong>en</strong>t où le Christ<br />

r<strong>en</strong>versait leurs autels. Quelques esclaves habiles émancipai<strong>en</strong>t<br />

l'industrie à force <strong>de</strong> tal<strong>en</strong>t, quarid la religion<br />

vint leur t<strong>en</strong>dre la main; ils obligeai<strong>en</strong>t déjà leurs maitres<br />

à <strong>de</strong>s ménagem<strong>en</strong>ts, avant que les doctrine. <strong>de</strong> la<br />

bi<strong>en</strong>faisance et <strong>de</strong> l'égalité <strong>de</strong>vant Dieu leur <strong>en</strong> euss<strong>en</strong>t<br />

fait un <strong>de</strong>voir. Aussi la transition <strong>de</strong> l'anci<strong>en</strong> régime au<br />

sed nostros quoque alun6 et nostri awilio, quod ànobis ferri ipsis<br />

<strong>de</strong>beat, <strong>de</strong>stiluti vi<strong>de</strong>antur. JULIANI Epist. 49.


DE L'ÉCOFTOMIE POLITIQUE. CHAI'. IX. 119<br />

nouveau est-elle difficile à saisir ; les plas cél8bres &cri-<br />

vains s'y per<strong>de</strong>nt <strong>en</strong> conjecti~res, et l'un <strong>de</strong>s plus beaux<br />

ouvrages qui ai<strong>en</strong>t été consacrés à la recherche, dans les ,?<br />

lois, <strong>de</strong>s causes <strong>de</strong> cette transfiguration ' laisse beaucoup<br />

à désirer.<br />

Quand on remet dans son esprit les souv<strong>en</strong>irs glorieux<br />

<strong>de</strong>s premiers temps du christianisme et les détails majes-<br />

tueux <strong>de</strong> cette organisation si simple et si savante, on ne<br />

peut se déf<strong>en</strong>dre d'un profond s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> mélancolie,<br />

<strong>en</strong> voyant aujourd'hui cette religion m<strong>en</strong>acée d'une sé-<br />

rieuse déca<strong>de</strong>nce. Sans doute l'édifice, quoique miné <strong>de</strong><br />

toutes parts, se ti<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>de</strong>bout et projette toujours<br />

stir le prés<strong>en</strong>t la gran<strong>de</strong> ombre du passé ; les offices se<br />

célèbr<strong>en</strong>t, les temples sont ouverts, la hiérarchie est la<br />

mbmc : mais quelle altération dans la ferveur <strong>de</strong>s<br />

cyoyances ! et combi<strong>en</strong> les rôles sont changés ! Le prbti-e<br />

ne doime plus l'im'pulsion, il ne sait plus m&me la rece-<br />

voir; il use, dans les Iiittes stériles contre le pi-ogrèç so-<br />

cial, <strong>de</strong>s forces affaiblies par l'intolérance et par le choc<br />

<strong>de</strong>s révolutions. Il occupe les chaires, mais les chaires<br />

sont mettes; leur voix ne vibre plus, comme jadis, au<br />

cœur <strong>de</strong>s peuples cpand elle les <strong>en</strong>traînait <strong>en</strong> masse à la<br />

conquête <strong>de</strong>s lieux saints. La religion existe toujours,<br />

mais elle n'a plus <strong>de</strong> ministres à la hauteur <strong>de</strong> ses be-<br />

soins et <strong>de</strong>s nôtres. Et cep<strong>en</strong>dant, malgré nos essais norn-<br />

breux <strong>de</strong> régénération <strong>politique</strong>, aucune constitution<br />

humaine ri'est <strong>en</strong>core pareille à la si<strong>en</strong>ne, aucun pouvoir<br />

c<strong>en</strong>tral n'est cn niesure <strong>de</strong> se faire obéir comme elle; le<br />

malheur est qu'on ne sache pas dignem<strong>en</strong>t comman<strong>de</strong>r<br />

<strong>en</strong> son nom. Il y a <strong>de</strong>s questions d'économie <strong>politique</strong><br />

L'<strong>Histoire</strong> du droit romain au moy<strong>en</strong> Qge, par M. <strong>de</strong> Sa-<br />

vigny.


120 . HISTOIRE<br />

qui <strong>de</strong>meureront insoliibles tant qa'elle n'y mettra pas<br />

Ia main. L'instruction populaire, la répartitiontyuitable<br />

<strong>de</strong>s profits du travail, la réforme <strong>de</strong>s prisons, les pro-<br />

& grès <strong>de</strong> l'agriculture et bi<strong>en</strong> d'autres problèmes <strong>en</strong>core,<br />

ne recevront <strong>de</strong> soliition compléte que par son interv<strong>en</strong>-<br />

tion, et c'est justice ; elle seule peut, <strong>en</strong> effet, bi<strong>en</strong> ré-<br />

soudre les questions qu'ellea bi<strong>en</strong> posées.<br />

Nous sera-t-il donné d'assister à ce dénoûm<strong>en</strong>t si<br />

vivem<strong>en</strong>t désiré? Nous ne le p<strong>en</strong>sons pas, quoique la<br />

réaction religieuse qui se manifeste <strong>de</strong> toutes parts pa-<br />

raisse le faire espérer. C'est <strong>en</strong> effet un bel hominage<br />

r<strong>en</strong>du par l'Europe à la sublime influ<strong>en</strong>ce qui nous<br />

donna jadis le principe <strong>de</strong> toutes les libertés; mais cet<br />

hommage, les prétres l'ont pris pour un simple retour<br />

aux vieilles idées, pour un désaveu du progrés plutBt<br />

que pour le progrès lui-mbme ! Fatale erreur qui arréte<br />

le mon<strong>de</strong> dans sa course! Étrange aveuglem<strong>en</strong>t d'une<br />

caste obstinée à vivre <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> i'humanitb, et qui se<br />

traîne à sa suite au lieu <strong>de</strong> marcher à sa téte ! Ah ! stle<br />

prêtre savait aujourd'hui <strong>de</strong> quelle admirable métamor-<br />

phose il pourrait étre l'instrum<strong>en</strong>t et quelle prodigieuse<br />

influ<strong>en</strong>ce il dép<strong>en</strong>drait <strong>de</strong> lui d'exercer sur les <strong>de</strong>stinées<br />

humaines! Hdpitaux, prisons, écoles, ateliers, relations<br />

publiques et privées <strong>de</strong>s peuples et <strong>de</strong>s individus, agri-<br />

culture, communications, <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs et ouvriers, tout<br />

serait <strong>de</strong> son ressort, tous pr<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t volontiers pour<br />

arbitre et pour gui<strong>de</strong> le pr&tre civilisateur à la façon du<br />

dix-neuvième siècle, le prbtre tolérant, éclairé, parlant<br />

un peu moins <strong>de</strong>s terreurs <strong>de</strong> l'autre mon<strong>de</strong> que <strong>de</strong>s<br />

besoins <strong>de</strong> celui-ci, et ne refusant plus à I'insuffisauce<br />

<strong>de</strong> la <strong>politique</strong> le concours <strong>de</strong> son zèle et <strong>de</strong> son dévoue-<br />

m<strong>en</strong>t. On se souvi<strong>en</strong>drait bi<strong>en</strong>tbt que les prktres ont été<br />

longtemps les premiers missionnaires <strong>de</strong> la civilisation,


et nous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>drions dans les temples autre chose que<br />

<strong>de</strong>s déclamations contre la corruption du siècle, le luxe<br />

et les richesses. La lutte singulière à laqrielle nous assistons,<br />

la t<strong>en</strong>dance pacifique du mon<strong>de</strong> sous une attitu<strong>de</strong><br />

guerrière, aurait déjà fait place à l'harmonie universelle<br />

vers laquelle on s'avance, si la belle organisation du<br />

christianisme était représ<strong>en</strong>tée par <strong>de</strong>s hommes <strong>en</strong> état<br />

<strong>de</strong> la compr<strong>en</strong>dre et <strong>de</strong> la conserver. Mais je ne crains<br />

pas <strong>de</strong> dire que la religion chréti<strong>en</strong>ne est aussi éloignée<br />

aujourd'hui <strong>de</strong> cette influ<strong>en</strong>ce, que le polythéisme<br />

romain l'était <strong>de</strong> son antique pouvoir au mom<strong>en</strong>t où elle<br />

lui porta le <strong>de</strong>rnier coup. Qu'a-t-elle fait <strong>de</strong> l'Espagne,<br />

du Portugal et <strong>de</strong> l'Amérique du Sud, ses plus magnifiques<br />

domaines? Qu'est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue, <strong>en</strong>tre ses mains, la<br />

malheureuse I~lan<strong>de</strong> ?


CHAPITRE X.<br />

Des conséqu<strong>en</strong>ces é.conomiques <strong>de</strong> l'invasion <strong>de</strong>s Barbares et du<br />

dkmernbrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'empire romain. - Nouveeux blém<strong>en</strong>ts in-<br />

troduits dans l'organisation sociale.<br />

A mesure que les <strong>de</strong>rnières lueurs <strong>de</strong> la puissance ro-<br />

maine s'éteignai<strong>en</strong>t dans ce flot <strong>de</strong> corruptions, <strong>de</strong>lâche-<br />

tés et <strong>de</strong> faiblesses qui finit par <strong>en</strong>gloutir l'empire, les<br />

Barbares paraissai<strong>en</strong>t à l'horizon pour s'<strong>en</strong> partager les<br />

débris. A vrai dire, ils s'étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis longtemps ménagé<br />

<strong>de</strong>s intellig<strong>en</strong>ces dans le cœur <strong>de</strong> cette place imm<strong>en</strong>se,<br />

dont les gouverneurs avai<strong>en</strong>t fait la folie <strong>de</strong> leur confier<br />

la gar<strong>de</strong>. Il y avait plus <strong>de</strong> Barbares que <strong>de</strong> Romains<br />

dans les légions qui veillai<strong>en</strong>t aux frontikes, et quand<br />

ils Se mir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> marche pour conquérir l'empire, une<br />

étape suffit pour les conduire sur son territoire, ouvert<br />

<strong>de</strong> toutes parts. Tontefois, avant <strong>de</strong> parv<strong>en</strong>ir au terme<br />

<strong>de</strong> leur conquete, ils eur<strong>en</strong>t à faire un long voyage : ce<br />

voyage a dur6 plus <strong>de</strong> c<strong>en</strong>t ans. Les pères étai<strong>en</strong>tpartis:<br />

les fils seuls arrivèr<strong>en</strong>t. Quels étai<strong>en</strong>t ces hommes? d'où<br />

v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t-ils ? à quelle influ<strong>en</strong>ce obéissai<strong>en</strong>t-ils, quand ils<br />

s'avançai<strong>en</strong>t infatigablessur les ruines du mon<strong>de</strong> romain,<br />

<strong>en</strong> une telle cohue que nous ne pouvons distinguer nette-<br />

m<strong>en</strong>t leurs véritables noms et leur mystérieuse patrie?


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. X. 1.23<br />

Ce qui paraît certain, c'est qu'ils v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t d'une région<br />

où l'esclavage était inconriu ' et la liberté indomptable ;<br />

car ils faisai<strong>en</strong>t passer leurs chefs par <strong>de</strong> ru<strong>de</strong>s épreuves,<br />

et ne ressemblai<strong>en</strong>t ]?as mal S ces Arabes<strong>de</strong> l'Atlas, avec<br />

lesquels nous avons fait récemm<strong>en</strong>t connaissance <strong>en</strong><br />

Afrique.<br />

Quand ils se prés<strong>en</strong>tèr<strong>en</strong>t aux frontières, presque<br />

tous & cheval, suivis <strong>de</strong> leurs bestiaux et <strong>de</strong> leurs t<strong>en</strong>tes,<br />

il n'y avait parmi eux $une loi, la force; qu'une seule<br />

passion, le besoin d'<strong>en</strong> user. Ils trouvèr<strong>en</strong>t l'empire<br />

occupé <strong>de</strong> discussions philosophiques, théologiques et<br />

<strong>politique</strong>s, et ils n'eur<strong>en</strong>t pas beaucoup <strong>de</strong> pehc à faire<br />

fuir <strong>de</strong>vant leurs framées ces légions <strong>de</strong> docteurs raisonnant<br />

au lieu <strong>de</strong> combattre. Leur singularité même,<br />

leur costume étran-:e, l'horrible bizarrerie <strong>de</strong> leurs armes,<br />

tout contribua à répandre la terreur sur leurs pas;<br />

et les Romains <strong>de</strong> la déca<strong>de</strong>nce ne fur<strong>en</strong>t pas moins<br />

épouvantés à leur approche qae ne <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t l'Dtre mille<br />

ans plus tard les habitants dii Mexique a la vue <strong>de</strong>s soldats<br />

<strong>de</strong> Fernand Cortez. C'était une race nouvelle dans<br />

toute la force du terme, robuste, intrépi<strong>de</strong>, altière, et<br />

qui r<strong>en</strong>dait avec usure aux Romains le mBpris dont<br />

ccux-ci n'avai<strong>en</strong>t cassé <strong>de</strong> la poursuivre. 11 faut lire dans<br />

les histori<strong>en</strong>s contemporains les <strong>de</strong>seriptioils qu'ils nous<br />

ont Ittissées <strong>de</strong> la physionomie <strong>de</strong> ces peuples ; A. l'air<br />

Willustre auteur <strong>de</strong>s gtu<strong>de</strong>s historiques sur La chute <strong>de</strong> Z'em-<br />

pire romain, Chateaubriand (tome III, page 146), p<strong>en</strong>se quo<br />

les Barbares connaissai<strong>en</strong>t l'esclavage. Si c'est <strong>en</strong> vertu du droit<br />

<strong>de</strong> la guerre qu'ils I'imposai<strong>en</strong>t momunlaném<strong>en</strong>t aux vaincus,<br />

personne n'<strong>en</strong> doute; mais ils n'avai<strong>en</strong>t pas, comme les Romains,<br />

<strong>de</strong>s marchés d'hommes, semblables à ceux <strong>de</strong> nos colonies. Leur<br />

esclavage ne resseu~blait <strong>en</strong> ri<strong>en</strong> à celui-là ;' disons mieux, ce n'é.<br />

tait pas <strong>de</strong> l'escidvage, dans l'acception veritable du mot, sans<br />

quoi la liberte n'aurait pas pu <strong>en</strong> sortir. . .


124 HISTOIRE<br />

effaré dont ils <strong>en</strong> pa~l<strong>en</strong>t, il est facile <strong>de</strong> voir quelle<br />

profon<strong>de</strong> impression <strong>de</strong> stupeur leur apparition v<strong>en</strong>ait<br />

<strong>de</strong> produire. Déjà Tacite lui-même sembIait avoir Cté<br />

saisi d'un press<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t prophétique, lorsqu'il raconta<br />

le massacre <strong>de</strong>s lkgions <strong>de</strong> Variis.<br />

II &ad écrit, pourtant, que la civilisation <strong>de</strong>vait passer<br />

par ces mains <strong>de</strong> sauvages, pour se débarrasser du<br />

vernis impur dont elle avait été couverte p<strong>en</strong>dant la décrépitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> l'empire. A partir du mom<strong>en</strong>t où la Barbarie<br />

s'avança à la r<strong>en</strong>contre <strong>de</strong> l'anci<strong>en</strong> mon<strong>de</strong>, on voit<br />

la métamorphose qiii comm<strong>en</strong>ce : l'esclavage s'affaiblit,<br />

parce qu'il ne vieut plus personne du pays <strong>de</strong>s esclaves.<br />

Ils sont plus chers ; on les ménage comme une rareté,<br />

ou bi<strong>en</strong> on les emploie comme une déf<strong>en</strong>se. A mesure<br />

qu'ils ne pouvai<strong>en</strong>t plus &tre r<strong>en</strong>ouvelés par la conqukte,<br />

mais seulem<strong>en</strong>t par leur propre fécondité, ils <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

membres <strong>de</strong> la famille romaine; ils vivai<strong>en</strong>t dans une condition<br />

assez rapprochée <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> nos domestiques, et<br />

leurs maîtres perdai<strong>en</strong>t ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t les habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>spotisme qui s'attachai<strong>en</strong>t à l'idée <strong>de</strong> la propriété.<br />

C'est ainsi que s'est opérée la transition <strong>de</strong> l'esclavage au<br />

servage, <strong>de</strong>ux régimes bi<strong>en</strong> différ<strong>en</strong>ts, puisque le premier<br />

inféodait l'homme à l'homme, et le second l'attachait<br />

seulem<strong>en</strong>t à la terre. Tout semblait au contraire<br />

favorable à la liberté dans les co<strong>de</strong>s barbares : le qar- .<br />

tage <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s se faisait par égales parties <strong>en</strong>tre les <strong>en</strong>fants<br />

d'un méme pere, et si quelque préfér<strong>en</strong>ce était<br />

permise, c'était <strong>en</strong> faveur du plus jeune, c'est-à-dire du<br />

pliis faible. Ils mettai<strong>en</strong>t surtout la personne <strong>de</strong> l'homme<br />

B. l'abri <strong>de</strong> toute atteinte, car leurs lois pénales sembl<strong>en</strong>t<br />

pliitdt protéger celle-ci que la propriété. Le cheval seul,<br />

le compagnon et l'instrum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur indép<strong>en</strong>dance,<br />

participait quelque peu <strong>de</strong> la protection accordée


DE L'ECONOHIP POLITIQUE. CHAP. X. 1?5<br />

I'liomme ; il y avait (le fortes am<strong>en</strong><strong>de</strong>s seulem<strong>en</strong>t pour<br />

le monter sans permission. La chasse etait soumise à<br />

<strong>de</strong>s lois et les foréts placées sous la sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> tous,<br />

comme l'asile commun et le boulevard <strong>de</strong> la liberté.<br />

Il y avait <strong>de</strong>s tarif!: pour les blessures faites par vio- -<br />

l<strong>en</strong>ce ou par inadverlance : tant pour quatre <strong>de</strong>nts cas-<br />

sées, tant pour un œil crevé, tant pour l'ongle du pouce<br />

ou pour la membrane du nez. La peine <strong>de</strong> mort était<br />

rare, et ces hommes si durs <strong>en</strong> étai<strong>en</strong>t plus sobres que<br />

nous. Ri<strong>en</strong> n'est plus surpr<strong>en</strong>ant chez eux que l'unifor-<br />

mité <strong>de</strong>s règles ou, si on l'ose dire, <strong>de</strong>s pimoipes, mal-<br />

gré l'extrkme di\ ersi té <strong>de</strong> leur origine ; car les uns ve-<br />

nai<strong>en</strong>t du nord, les autres du sud et <strong>de</strong> l'est : on eût dit<br />

qu'<strong>en</strong> se donnant 1111 r<strong>en</strong><strong>de</strong>z-vous commun, ils avai<strong>en</strong>t<br />

fait échange d'habitu<strong>de</strong>s et qu'ils s'étai<strong>en</strong>t préparé un<br />

mot d'ordre. (1 J'ai eu la passjon d'effacer le nom romain<br />

<strong>de</strong> la terre, P disait Ataulpbe, successeur d'Alaric, au<br />

mom<strong>en</strong>t ob la vanité <strong>de</strong>s Romains traitait leurs conqué-<br />

rants <strong>de</strong> généraux aux services <strong>de</strong> l'empi~e. Rome dispa-<br />

raissait <strong>de</strong>vant cette civilisation v<strong>en</strong>ue <strong>de</strong>s bois, et elle<br />

croyait régner <strong>en</strong>core, alors qu'elle avait cessé d'htre.<br />

Le peu d'égards que ses vainqueurs conservai<strong>en</strong>t pour<br />

elle, étai<strong>en</strong>t accordés à une puissance qui conspirait sa<br />

ruine avec eux et qui les aida à l'achever. Cette pnis-<br />

- sance, c'était I'Egliise chréti<strong>en</strong>ne. L'Eglise chréti<strong>en</strong>ne<br />

r<strong>en</strong>contra les Barbares <strong>en</strong> route pour la conquPte du<br />

mon<strong>de</strong> paï<strong>en</strong> et elle s'offrit à eux pour auxiliaire : elle<br />

fut acceptée. Elle avait une organisation toute faite, une<br />

hiérarchie constituée, <strong>de</strong>s sympathies déjà vieilles dans<br />

le cœur <strong>de</strong>s peuple!;, et elle apparut comme un arbitre<br />

intellig<strong>en</strong>t au milieu <strong>de</strong> ces cohortes confuses qui ne sa-<br />

vai<strong>en</strong>t procé<strong>de</strong>r que par le fer et le feu. Le désordre<br />

avait bi<strong>en</strong> pu se cc~ncilier avec l'invasion; il n'aurait


126 HISTOIRE<br />

jamais pu subsister avec un établissem<strong>en</strong>t régulier.<br />

L'Eglise s'était déjà emparée <strong>de</strong>s municipalités; la com-<br />

mune romaine avait été transformée <strong>en</strong> paroisse dont<br />

les marguilliers pouvai<strong>en</strong>t btre considérés comme les ad-<br />

ministrateurs. Tels fur<strong>en</strong>t les premiers points <strong>de</strong> rallie-<br />

m<strong>en</strong>t du système nouveau, et l'on <strong>en</strong> eut la preuve lors-<br />

que Alaric, après s'être emparé <strong>de</strong> Rome, fit mettre <strong>en</strong><br />

sfireté les vases sacrés <strong>de</strong>s chrkti<strong>en</strong>s, escortés par une<br />

double haie <strong>de</strong> Romians et <strong>de</strong> Goths, le sabre à la main et<br />

chantant <strong>de</strong>s hymnes à la louange du Christ '. .<br />

C'est qu'<strong>en</strong> effet il y avait <strong>de</strong> nonlbreux points <strong>de</strong><br />

contact, malgré leurs dissemblances, <strong>en</strong>tre les doctrines<br />

<strong>de</strong> l'Église chréti<strong>en</strong>ne et les habitu<strong>de</strong>s du régiine bar-<br />

bare. Tout était électif chezles premiers chrétieris comme<br />

chez les Germains; les assemblées <strong>de</strong> fidèles, soit dans le<br />

temple, soit <strong>en</strong> conciles, délibérai<strong>en</strong>t sur les affaires <strong>de</strong><br />

la religion, comme les Barbares délibérai<strong>en</strong>t dans ces<br />

réunions tout à la fois parlem<strong>en</strong>taires et militaires, qui<br />

se transformèr<strong>en</strong>t plus tard <strong>en</strong> champs <strong>de</strong> mai périodi-<br />

ques. Peu après les prêtres prir<strong>en</strong>t da l'empire sur ces<br />

hommes d'imagination qui avai<strong>en</strong>t besoin tout à la fois<br />

Sétre dirigés et d'être émus. Ce fut la main seule <strong>de</strong> la<br />

religion qui arréta leurs bras tellem<strong>en</strong>t infatigables & .<br />

frapper, qu'\in grand tiers <strong>de</strong> l'Europe avait succombé<br />

sous leurs coups. La peste, la famine, l'inc<strong>en</strong>die leur<br />

servai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cortége; les villes tombai<strong>en</strong>t par milliers,<br />

comme r<strong>en</strong>versées par <strong>de</strong>s trembfemeiits <strong>de</strong> terre. a Quand<br />

l'océan aurait inondé les Gaules, disait un poete, il n'y<br />

aurait pas fait <strong>de</strong> plus terribles dégdts que cette inva-<br />

sion. r En Ori<strong>en</strong>t, les al<strong>en</strong>tours <strong>de</strong> Constantinople n'eu-<br />

r<strong>en</strong>t pas moins & souffrir <strong>de</strong> cet effroyable cataclysme ;<br />

j Orose, Hist., liv. vil, chap. 39.


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP, X. . 127<br />

le sol disparut bi<strong>en</strong>tdt sous les ronces, et les animaux<br />

mêmes semblèr<strong>en</strong>t avoir quitté les bois. Sur quelque<br />

point <strong>de</strong> la vieille domination romaine que l'on porte les<br />

yeux, le même spectacle se prés<strong>en</strong>te aux regards; la Sicile,<br />

l'Espagne, l'Afrique, la Gran<strong>de</strong>-Bretagne sont <strong>en</strong>liahies.<br />

Des torr<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Barbares roul<strong>en</strong>t sur ces belles<br />

contrées leurs flots dkvastateurs et font disparaître, avec<br />

leurs monum<strong>en</strong>ts. toutes les ressources <strong>de</strong> l'industrie,<br />

toutes les traditions tles arts aiici<strong>en</strong>s.<br />

C'est <strong>de</strong> ce chaos que dcvait sortir la civilisation<br />

nouvelle. 11 fallait que tout l'univers romain passat par<br />

cette épreuve avant <strong>de</strong> subir une rénovation complète,<br />

comme ces vieilles villes qui se relèv<strong>en</strong>t plus belles<br />

après un inc<strong>en</strong>die. Aux premiers mom<strong>en</strong>ts du réveil, le<br />

changem<strong>en</strong>t était déjà visible. Il n'y avait déjà plus <strong>de</strong><br />

temples pai<strong>en</strong>s et partouf s'élevai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s églises chréti<strong>en</strong>nes,<br />

flanquées <strong>de</strong> moiiastères oh <strong>de</strong> pieus cénobites<br />

recueillai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> sil<strong>en</strong>ce les débris <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong>s arts.<br />

Les solitu<strong>de</strong>s se peuplai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> malheureux qui îuyai<strong>en</strong>t<br />

le spectacle <strong>de</strong> Ia désolation publique, ct qui~'imposai<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s privatiol~s pires que celles du mon<strong>de</strong> qu'ils v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> quitter. Jls croissai<strong>en</strong>t ainsi dans l'estime publique, et<br />

ils vir<strong>en</strong>t accourir auprès d'eux une foule d'admirateurs<br />

qui propagcai<strong>en</strong>t avec ar<strong>de</strong>ur la doctrine <strong>de</strong> la séparation<br />

du pou~~oir spirituel et du pouvoir temporel.<br />

~'Eglise fondait ainsi l'indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée <strong>en</strong><br />

prés<strong>en</strong>ce du glaive ; heureuse si, après avoir fondé cette<br />

indép<strong>en</strong>dance contre la Barbarie, elle n'avait .voulu<br />

l'étouffer un jour dafis l'intérêt du <strong>de</strong>spotisme ! Les Barbares<br />

avai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet <strong>de</strong> merveilleiises dispositions pour<br />

l'exercer. Nous n'avons ri<strong>en</strong> à comparer dans les temps<br />

mo<strong>de</strong>rnes, si ce n'est peut-être le caractère <strong>de</strong>s peupla<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> l'Amérique du Nord, aux habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ces hommes


nouveaux, pour qui le grand air, la vie errante, l'abs<strong>en</strong>ce<br />

<strong>de</strong> frein, méme au prix <strong>de</strong> mille dangers, semblai<strong>en</strong>t une<br />

félicité inexprimable ; et cep<strong>en</strong>dant nous avons hérité<br />

d'eux beaucoup <strong>de</strong> vertus et beaucoup <strong>de</strong> vices qui ont<br />

pénétré peu i peu notre société, sans qu'elle puisse re-<br />

monter nettem<strong>en</strong>t à leur Source.<br />

li<strong>en</strong>doiis grâces, néanmoins, à cette influ<strong>en</strong>ce harbare<br />

<strong>en</strong> vertii <strong>de</strong> laquelle la dignité personnelle, j'ai presque<br />

dit la généreuse susceptibilité <strong>de</strong> l'homme, a retrowé<br />

son domaine, au sortir <strong>de</strong> la longue oppression où elle<br />

avait langui sous Ïe joug ori<strong>en</strong>tal <strong>de</strong>s empereurs ro-<br />

mains. Si la hiérarchie et la subordination sont <strong>de</strong> beaux<br />

élém<strong>en</strong>ts dans l'ordre social, la liberté individuelle n'<strong>en</strong><br />

est pas un élém<strong>en</strong>t moins respectable, et quoiqu'elle nous<br />

soit arrivée <strong>en</strong> croupe <strong>de</strong>s Barbares, il n'<strong>en</strong> faut pas<br />

moins reconnaître le service imm<strong>en</strong>se qu'ils nous ont<br />

r<strong>en</strong>du <strong>en</strong> nous l'apportant. C'est ainsi qu'ils out préparé<br />

I'émancigation <strong>de</strong>s travaiileurs et la chute <strong>de</strong> l'exploita-<br />

tion, <strong>en</strong> favorisant le mélange <strong>de</strong>s castes auparavant ir-<br />

réconciliables, et <strong>en</strong> les courbant mom<strong>en</strong>taném<strong>en</strong>t sous<br />

uqe commune oppression. Nous ne compr<strong>en</strong>ons pas<br />

comm<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s esprits éclairés ont pu voir, dans ces faits<br />

si simples et si évi<strong>de</strong>nts, la jiistification d'une théorie<br />

condamnée à l'avance par l'observation et par l'expé-<br />

. ri<strong>en</strong>ce. Que p<strong>en</strong>ser, par exemple, <strong>de</strong> ceux qui ont divisé<br />

les nations europé<strong>en</strong>nes <strong>en</strong> <strong>de</strong>ux castes, dont l'one serait<br />

la postérité <strong>de</strong>s vainqueurs et l'autre celle <strong>de</strong>s vaincus?<br />

Et qui pourrait sout<strong>en</strong>ir sérieusem<strong>en</strong>t aujourd'hui que<br />

1'EgIise dht &tre <strong>en</strong> tout temps maitresse du mon<strong>de</strong>,<br />

parce qu'elle le fut un mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ses maîtres? Douze<br />

siècles ont passé sur la poussière niélée <strong>de</strong> ccs généra-<br />

tions d'origines si différ<strong>en</strong>tes; et, si la réconciliation<br />

n'est pas <strong>en</strong>core complète <strong>en</strong>tre les e~ifants <strong>de</strong> tant <strong>de</strong>


DE L'ECOXOPIE: POIAITIQUE. CHAP. X. 1 29<br />

morts, elle s'opère chaque jour davantage sur l'autel <strong>de</strong><br />

l'égalité civile et au foyer <strong>de</strong> l'association (!es travaux.<br />

Le contraste était frappant <strong>en</strong>tre les habitu<strong>de</strong>s sociales<br />

<strong>de</strong>s Barbares et la civilisation romaine à laquelle ils v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

se mêler. Ils étai<strong>en</strong>t presque tous campés dans<br />

<strong>de</strong>s villages, vivant <strong>de</strong> la vie pastorale et agricole, lorsqu'ils<br />

partir<strong>en</strong>t pour la conquete du mon<strong>de</strong> romain, et<br />

ils le trouvèr<strong>en</strong>t presque tout <strong>en</strong>tier établi dans les<br />

villes. Quelque profon<strong>de</strong> que fût la déca<strong>de</strong>nce du pouvoir<br />

impérial, son organisation subsistait <strong>en</strong>core et les<br />

rouages <strong>de</strong> l'administration fonctionnai<strong>en</strong>t toujours,<br />

malgré l'affaiblissem<strong>en</strong>t général <strong>de</strong> la <strong>politique</strong>. 11 y<br />

avait dans toutes les villes une hiérarchie locale <strong>en</strong>core<br />

respectée, quand le premier flot <strong>de</strong>s Barbares vint atteindre<br />

leurs murs. Qui pourrait dire quelles fur<strong>en</strong>t les<br />

s<strong>en</strong>sations <strong>de</strong> ces hor<strong>de</strong>s irrégulières, à l'aspect <strong>de</strong> I'ordre<br />

régulier et méthodique <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s cités romaines, .<br />

épouvantées à leur aspect? Les Cosaques, <strong>en</strong>trant à Paris<br />

<strong>en</strong> 1814 sur leurs ehevaux couverts <strong>de</strong> peaux <strong>de</strong> bétes,<br />

ne dur<strong>en</strong>t pas être plus étonnés du spectacle <strong>de</strong> notre ci:.<br />

vilisation. Peu à peu, à mesure que l'invasion s'ét<strong>en</strong>dait,<br />

ces conquérants se fir<strong>en</strong>t propriétaires ; ils s'emparèr<strong>en</strong>t<br />

d'une foule <strong>de</strong> domaines ruraux, et soit par sympathie<br />

pour leurs vieilles habitu<strong>de</strong>s agrestes, soit par dédain<br />

pour le séjour <strong>de</strong>:; villes, ils s'établir<strong>en</strong>t <strong>de</strong> préter<strong>en</strong>ce<br />

dans les campagnes, qui ne tardèr<strong>en</strong>t pas à se couvrir <strong>de</strong><br />

villages. Ils maint<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> là les villes <strong>en</strong> respect et ils<br />

fondai<strong>en</strong>t ainsi la suprématie <strong>de</strong> la propriété foncibre.<br />

Les paysans gaulois, bataves, itali<strong>en</strong>s, espagnols qu'ils<br />

r<strong>en</strong>contrèr<strong>en</strong>t épars, tombèr<strong>en</strong>t sous leur joug immédiat,<br />

cultivèr<strong>en</strong>t pour eux et fur<strong>en</strong>t leurs colons avant d'étre<br />

leurs serfs ; puis, Ile besoin <strong>de</strong> se déf<strong>en</strong>dre les uns contre<br />

les autres, peut-étre aussi contre la sédition <strong>de</strong>s villes,


transforma lp, chaumière <strong>en</strong> donjon et le village <strong>en</strong><br />

place <strong>de</strong> guerre, préparatifs avant-coureurs du système<br />

féodal.<br />

Ainsi, ces chefs purem<strong>en</strong>t militaires, après s'btre fait<br />

leur part <strong>de</strong> butin <strong>en</strong> vastes lots <strong>de</strong> terre, sources <strong>de</strong><br />

grands rev<strong>en</strong>us, s'accoutumèr<strong>en</strong>t à la richesse et for-<br />

cèr<strong>en</strong>t leur subordonnés au travail et à la re<strong>de</strong>vance.<br />

Leur contact avec les habitu<strong>de</strong>s romaines contribua<br />

chaque jour à modifier les préjugés qu'ils avai<strong>en</strong>t ap-<br />

portés avec eux du fond <strong>de</strong> leur foréts; ils oubliai<strong>en</strong>t<br />

leurs propres mœurs, ou ils les modifiai<strong>en</strong>t sous l'in-<br />

flu<strong>en</strong>ce du peuple <strong>de</strong>s villes. Ils n'étai<strong>en</strong>t déjà plus <strong>de</strong>s<br />

Barbares purs, puisqu'ils avai<strong>en</strong>t fait halte au milieu<br />

d'un mon<strong>de</strong> qui allait se les assimiler <strong>de</strong> toutes parts.<br />

Si la fusion s'était opérée subitem<strong>en</strong>t et sans autre se-<br />

cousse que l'arrivée <strong>de</strong>s conquérants, le changem<strong>en</strong>t<br />

n'aurait pas coûté à l'humanité tant <strong>de</strong> sang et <strong>de</strong> lar-<br />

mes; mais le ciel voiilut que, n'ayant plus d'<strong>en</strong>nemis à<br />

vaincre et <strong>de</strong> peuples à soumettre, ils se déchiiass<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>tre eux. Ce n'est pas la preinière invasion qui a été la<br />

plus funeste ; c'est la secon<strong>de</strong>, c'est la troisième, c'es1 la<br />

quatrième ; c'est cette série <strong>de</strong> peupla<strong>de</strong>s nouvelles qui<br />

se poussai<strong>en</strong>t les unes sur les autres et qui se disputai<strong>en</strong>t<br />

les débris du mon<strong>de</strong> romain éperdu et sil<strong>en</strong>cieux. Les<br />

Francs, les Visigoths, les Bourguignons qui ont occupé<br />

plusigurs vastes portions <strong>de</strong> notre territoire, n'y ont pas<br />

pénétré tous <strong>en</strong>semble et s'y sont établis sur <strong>de</strong>s bases<br />

très-différ<strong>en</strong>tes. On p<strong>en</strong>sait d'une manière souv<strong>en</strong>t op-<br />

posée à la cour <strong>de</strong> Toulouse, à celle <strong>de</strong> Lyon et à celle<br />

<strong>de</strong> Soissons, s'il est permis <strong>de</strong> donner le nom <strong>de</strong> cours à<br />

ces quartiers généraux <strong>de</strong> la conquete : mais il y domi-<br />

nait une idke générale, c'est que l'oisiveté était <strong>de</strong>droit<br />

souverain et que le travail était le partage exclusif <strong>de</strong>s


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. X. 131<br />

vaincus et <strong>de</strong>s homines sans propriété. Il faut avouer<br />

qiieles Romains avai<strong>en</strong>t singuliScem<strong>en</strong>t préparé les voies<br />

à cette transition, par la manière dont ils ne cessèr<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> traiter les peuples soumis;, quand les Barbares vin-<br />

r<strong>en</strong>t, ils n'eur<strong>en</strong>t qu'à pr<strong>en</strong>dre la place : elle était toute<br />

prete, et on la leur céda sans résistance.<br />

Que <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant ce temps l'industrie, et les<br />

arts et les institutions romaines, le système <strong>de</strong>s impôts,<br />

les habitu<strong>de</strong>s commerciales du mon<strong>de</strong> et ses grands dé-<br />

bouchés, l'Afrique, l'Espagne, l'Asie-Mineure, la Sicile<br />

et toute l'Italie? Une révolution profon<strong>de</strong> s'y manifestait<br />

toui à coup et détruisait d'abord les grands foyers <strong>de</strong><br />

l'intellig<strong>en</strong>ce et du progrès rationnel. Tout ce que le<br />

christianisme avait détourné à son profit <strong>de</strong> la philoso-<br />

phie grecque et romaine; toutes ces écoles qu'il avait<br />

refondues et animées <strong>de</strong> son esprit, disparur<strong>en</strong>t <strong>de</strong>vant<br />

les exig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la ivonquête, jusqu'à ce que la religion<br />

nouvelle eût conguis à son tour tous les conquérants et ,<br />

les eût fait servir au triomphe <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>stinées. Dans<br />

l'ordre mathiel, il s'effectua aussi un'grand revirem<strong>en</strong>t;<br />

les beaux-arts fur<strong>en</strong>t sinon proscrits, du moins aban-<br />

donnés comme <strong>de</strong>s superfluités. On vit cesser presque<br />

soudainem<strong>en</strong>t les constructions gigantesques, les <strong>en</strong>tre-<br />

prises hardies qui <strong>en</strong>flammai<strong>en</strong>t l'<strong>en</strong>thousiasme <strong>de</strong>s<br />

Romains, méme au temps <strong>de</strong> leur plus triste déca<strong>de</strong>nce.<br />

A quoi bon désormais ces formes gracieuses <strong>de</strong> meubles<br />

et d'ust<strong>en</strong>siles doiuiestiques, ces statues, ces tissus élé-<br />

gants pour <strong>de</strong>s consommateurs à <strong>de</strong>mi sauvages qui n'<strong>en</strong><br />

aiirai<strong>en</strong>t pas su apprécier l'usage, ni voulu récomp<strong>en</strong>ser<br />

la façon? L'abandon <strong>de</strong>vint tel, que la plupart <strong>de</strong>s se-<br />

crets industriels se perdir<strong>en</strong>t et que plusieurs n'ont pu<br />

htre retrouvés. Quelques artisans conserver<strong>en</strong>t dans le<br />

fond <strong>de</strong> leurs ateliers la tradition <strong>de</strong>s métiers les pIus


132 H~STOIRE<br />

indisp<strong>en</strong>sables; mis <strong>en</strong>tre l'art romain et l'art chréti<strong>en</strong><br />

11 n'y a ri<strong>en</strong>. Aucune transition s<strong>en</strong>sible ne lie les tem-<br />

ples du paganisme aux basiliques du nouveau culte, et<br />

l'on ne saurait reconnaitre un caractère intermédiaire à<br />

ces rudim<strong>en</strong>ts lourds et informes <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> pure-<br />

m<strong>en</strong>t barbare, qui n'ont <strong>de</strong> nom dans aucune langue.<br />

Pour retrouver quelque chose <strong>de</strong> grand, <strong>de</strong> vraim<strong>en</strong>t<br />

noble et majestueux, il faut att<strong>en</strong>dre que le peuple chré-<br />

ti<strong>en</strong> ait succédé au peuple romain, <strong>en</strong> se dépouillant <strong>de</strong><br />

l'écorce vandale.<br />

On ne saurait nier, pourtant, que l'invasion barbare<br />

n'ait apporté <strong>de</strong>s changem<strong>en</strong>ts notables dans la consiitu-<br />

tion sociale <strong>de</strong> l'Europe. Elle a simplifié la législation<br />

romaine,.<strong>en</strong>combrée <strong>de</strong> textes et <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue inextricable à<br />

force <strong>de</strong> subtilités. Elle permettait même aux peuples<br />

conquis d'adopter ou <strong>de</strong> repousser le régime nouveau,<br />

à condition <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong>s priviléges qu'il leur offrait,<br />

ou d'<strong>en</strong> &Ire privés selon le parti qu'ilsaurai<strong>en</strong>t adopté.<br />

Ainsi la loi salique établissait que la vie d'un Romain<br />

était moins précieuse que celle d'un Barbare, cruelle<br />

insulte du vai~lqueur, dont on ne trouve le correctif,<br />

, . que dans la loi ripuaire ! qui pIaçait les membres du<br />

clergé au-<strong>de</strong>sbus <strong>de</strong>s dominateurs eux-mémes. Ins<strong>en</strong>sible-<br />

m<strong>en</strong>t, cette influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> I'~g1ise se manifeste avec une<br />

telle efficacité, que les Barbares cons<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t à abandon-<br />

ner leurs titres pour y substituer les noms latins <strong>de</strong> ducs,<br />

- <strong>de</strong> comtes et <strong>de</strong> préfets. Aux preuves régulières et mi-<br />

nutieuses exigées par la jurispru<strong>de</strong>nce romaine, ils<br />

substitu<strong>en</strong>t les épreuves religieuses par le feu et par l'eau<br />

et, bi<strong>en</strong>tût après, les combats singuliers dont nous avons<br />

eonservé la mauvaise habitu<strong>de</strong>. Quel témoignage plus


DE L'ECONOM~ POLITIQUE. CHAP. X. 133<br />

puissant <strong>de</strong> leur vict~oire et <strong>de</strong> leur souveraineté ! « Puisque<br />

Dieu dirige l'événem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s guerres nationales et<br />

donne la palme au parti le plus juste, pourquoi ne le<br />

consulterait-on pas ]par les armes dans les affaires particulières?<br />

)) Voilà ce qu'ils disai<strong>en</strong>t, convaincus que,<br />

dans leurs querelies privées, les Romains ne t<strong>en</strong>terai<strong>en</strong>t<br />

pas comme individ.ns une lutte qui leur avait si mal<br />

réussi comme nation. Et c'est ainsi que cette funeste<br />

innovation a introcluit dans les disputes humainesun<br />

élém<strong>en</strong>t déplorable dont les générations futures dcvai<strong>en</strong>t<br />

longtemps subir les conséqucnces. La portion <strong>de</strong>s<br />

terres conquises, que les Barbares s'étai<strong>en</strong>t adjugée,<br />

donna naissance à (<strong>de</strong>s vexations <strong>de</strong> toute espèce et continua,<br />

sous <strong>de</strong>s forirries nouvelles, le système d'usurpation<br />

que les Romains avai<strong>en</strong>t suivi, partout où leurs armes<br />

s'étai<strong>en</strong>t avanches. Les artisans ne fur<strong>en</strong>t plus libres<br />

<strong>de</strong> travailler Four eux-mêmes; ils se vir<strong>en</strong>t adjugés par<br />

le droit <strong>de</strong> la guerre aux chefs <strong>de</strong> leurs vainqueurs, et<br />

ceux-ci <strong>en</strong>tourés <strong>de</strong> forgerons, <strong>de</strong> charp<strong>en</strong>tiers, <strong>de</strong> cordonniers,<br />

<strong>de</strong> tailleurs, <strong>de</strong> teinturiers, d'orfévres, joi-<br />

gnai<strong>en</strong>t aux rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong> leurs terres les profits du travail<br />

<strong>de</strong> ces ouvriers. C'était <strong>en</strong>core la servitu<strong>de</strong> romaine,<br />

avec cette différ<strong>en</strong>ce que naguère les Romains l'exploi-<br />

tai<strong>en</strong>t pour leur compte et que maint<strong>en</strong>ant ils la subis-<br />

sai<strong>en</strong>t pour le com]?te d'autrui. La civilisation n'aurait<br />

pas manqué <strong>de</strong> perdre à ce changem<strong>en</strong>t, si plus tard<br />

une main puissante n'avait organisé les élém<strong>en</strong>ts épars<br />

<strong>de</strong> l'ordre social nouveau, <strong>en</strong> associant l'intellig<strong>en</strong>ce ro-<br />

maine à la force vandale et <strong>en</strong> pliant l'indép<strong>en</strong>dance un<br />

peu sauvage <strong>de</strong> cette force au régime <strong>de</strong> la contrainte et<br />

au respect <strong>de</strong> la loi. Ce grand réformateur fut Charle-<br />

magne.<br />

Le fait ess<strong>en</strong>tiel et caractbristique <strong>de</strong> l'invasion <strong>de</strong>s<br />

ka EDR. T. 1. 8<br />

I


peuples désignés sous le non1 <strong>de</strong> Barbares, ce fut leur<br />

passage <strong>de</strong> l'état conquérant et vagabond à la condition<br />

<strong>de</strong> propriétaires. Lamanière dont ils se distribuèr<strong>en</strong>t une<br />

portion du territoire conquis, chacun selon ses habitu<strong>de</strong>s<br />

natives, am<strong>en</strong>a dès modifications profon<strong>de</strong>s dans le sys-<br />

tème <strong>de</strong> la propriété, sans amélioration notable au sort<br />

<strong>de</strong>s cultivateurs. On trouve, dans les lois <strong>de</strong>s Visigoths<br />

et <strong>de</strong>s Bourguignons, que ces <strong>de</strong>ux peuples eur<strong>en</strong>t les<br />

<strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong>s terres l ; les Francs ne suivir<strong>en</strong>t pas le<br />

m&me plan et prir<strong>en</strong>t ce qu'ils voiilur<strong>en</strong>t. Ils ne prir<strong>en</strong>t<br />

cep<strong>en</strong>dant pas tout, et les Bourgtlignons n'avai<strong>en</strong>t pas<br />

mbme exercé leur droit <strong>de</strong> conqukte sur la totalité <strong>de</strong>s<br />

terres disponibles, puisqu'il est stipulé dans un supplé-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur loi * qu'on n'<strong>en</strong> donnerait plus que la moi-<br />

tié à ceux qui vi<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite dans le pays. P<strong>en</strong>dant ,<br />

longtemps, chaque Barbare s'établit <strong>en</strong> p<strong>en</strong>sion chez<br />

chaque Romah, comme avai<strong>en</strong>t fait les Athéni<strong>en</strong>s chez<br />

les peuples conquis, comme les Romains eux-m8mes<br />

avai<strong>en</strong>t fait, à leur tour, chez les nations dont ils s'étai<strong>en</strong>t<br />

r<strong>en</strong>dus maîtres. Ainsi la propriété changeait <strong>de</strong> main,<br />

mais le système grec et romain, <strong>de</strong> vivre aux dép<strong>en</strong>s<br />

d'autrui, subsistait toujours, et sous ce rapport, il n'y<br />

avait ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> changé, si ce n'est que la barbarie pr<strong>en</strong>ait<br />

sa revanche aux dép<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s oppresseurs, désor-<br />

mais opprimés. Sous quelqiie point <strong>de</strong> vue qu'on <strong>en</strong>vi-<br />

sage cette ru<strong>de</strong> transition, on n'y aperçoit pas <strong>en</strong>core Ie<br />

germe d'une i-évolution économique décisive. L'aristo-<br />

crakie territoriale nouvelle ne se distingue <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s<br />

propriétaires <strong>de</strong> latifundia que par <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s moins<br />

4 Montesquieu, Esprit <strong>de</strong>s Lois, liv. xxx, chap. 8.<br />

2 Ut non ampliùs à Burgundionibzcs qui infrà v<strong>en</strong>erunt requi-<br />

ratur quàm in przs<strong>en</strong>s necessitas (ruerit,) medietas terra:<br />

(art. 11).


DE L'ECOKOUIE POLlTIQUE. CHAP. X. 135<br />

élégantes et moins ]polies; mais la cruauté au fond est<br />

égale dans les <strong>de</strong>ux castes ; la nouvelle bat elle-même ses<br />

serviteurs; l'anci<strong>en</strong>ne, mieux élevée, les faisait battre :<br />

voilà la différ<strong>en</strong>ce.<br />

Le mon<strong>de</strong> romain était si fortem<strong>en</strong>t imprégné <strong>de</strong> ces<br />

idées <strong>de</strong> servitu<strong>de</strong> ct <strong>de</strong> hiérarchie <strong>de</strong>spotique, que les<br />

Barbares n'eur<strong>en</strong>t pour ainsi dire qu'à substituer leurs<br />

dénominations à cc1 les <strong>de</strong> l'administration impériale. Les<br />

employés étai<strong>en</strong>t presque tous les mêmes; le pouvoir<br />

coulait clans les memes canaux. La bourgeoisie romaine<br />

avait Sait place à l'ktat-major <strong>de</strong>s Barbares; et, sauf les<br />

conséqu<strong>en</strong>ces qui dkcoulèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette substitution, la<br />

révolution qui s'opérait aurait pu passer pour un simple<br />

changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> fonctionnaires publics. Nais bi<strong>en</strong>tbt les<br />

chefs colquérants accordèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s exemptions <strong>de</strong> charges,<br />

<strong>de</strong>s domaines, <strong>de</strong>s bénéfices viagers que les empiétem<strong>en</strong>ts<br />

successifs <strong>de</strong> leurs subordonnés finir<strong>en</strong>t par r<strong>en</strong>dre<br />

héréditaires. Les distinctions pénékèr<strong>en</strong>t jusqu'aux <strong>en</strong>trailles<br />

<strong>de</strong> la société civile; il y eut <strong>de</strong>s terres libres<br />

d'impôts, saliques et allodiales, dont les propriétaires<br />

s'arrogèr<strong>en</strong>t peu à peu <strong>de</strong>s droits sur les habitants voisins,<br />

et <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t, sous le titrc <strong>de</strong> s<strong>en</strong>iores ou seigneurs, <strong>de</strong><br />

véritables tyrans. 1,a chasse, qu'ils aimai<strong>en</strong>t avec passion<br />

fut cousidérée par eux comme un droit interdit aux<br />

paysans. 11 4 avait iplus <strong>de</strong> danger à tuer un eed ou un<br />

'sanglier qu'à se défaire d'un homme. Cep<strong>en</strong>darit toutes<br />

ces vexations n'étai<strong>en</strong>t pas établies par les lois et jamais<br />

il n'y eut, à propr'em<strong>en</strong>t parler, un édit <strong>de</strong> confiscation<br />

générale. Quand cet abus <strong>de</strong> la domination fut inscrit<br />

dans les co<strong>de</strong>s, il y avait longtcmps qu'il figurait parmi<br />

les faits accomplis. Lc clergé <strong>en</strong> adoucissait chaque jour<br />

les rigueurs par son influ<strong>en</strong>ce sur les dépositaires <strong>de</strong> la<br />

force; <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t con~posé <strong>de</strong> natifs, g<strong>en</strong>s habiles et


i 36 HISTOIRE<br />

déliés, il ne négligeait aucune occasion <strong>de</strong> faire plier<br />

sous le joug religieux la tête altière <strong>de</strong>s dominateurs ; il<br />

leur appr<strong>en</strong>ait le latin, <strong>en</strong> le corrompant sans doute,<br />

mais <strong>en</strong>fin il leur Bcilitàit aussi le moy<strong>en</strong> d'<strong>en</strong>trer <strong>en</strong><br />

communication plus intime avec <strong>de</strong>s lois et <strong>de</strong>s cou-<br />

tumes qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t à la longue influer sur eux.<br />

Une circonstance, signalée avec raison comme très-<br />

importante par les histori<strong>en</strong>s, contribua beaucoup aussi<br />

à empècher l'invasion germaine <strong>de</strong> remplacer <strong>de</strong> toutes<br />

pièces le régime précé<strong>de</strong>nt. Les Barbares avai<strong>en</strong>t l'habi-<br />

tu<strong>de</strong> <strong>de</strong> se rassembler dans leurs bois et dans leurs ma-<br />

rais autour <strong>de</strong> la personne <strong>de</strong> leurs chefs, qui pr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

conseil <strong>de</strong> l'assemblée générale et délibérai<strong>en</strong>t avec elle<br />

avant d'agir. Quand ils se fur<strong>en</strong>t éparpillés et fixés 'sur<br />

les territoires conquis, ils se prés<strong>en</strong>tèr<strong>en</strong>t avec moins<br />

d'exactitu<strong>de</strong> aux réunions, et l'autorité <strong>de</strong>s chefs ne<br />

s'ét<strong>en</strong>dit guère au <strong>de</strong>là d'un certain rayon. Plus d'un<br />

Barbare <strong>en</strong>tra dans les ordres sacrés et y apporta ses ha-<br />

bitu<strong>de</strong>s d'intempérance ; les questions <strong>de</strong> doctrine se<br />

décidhr<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t par la force. En Espagne, les Visi-<br />

goths fir<strong>en</strong>t rédiger, sops l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s concilcs, plu-<br />

sieurs co<strong>de</strong>s <strong>de</strong> lois mélées <strong>de</strong> principes romains et <strong>de</strong><br />

préjugés religieux. En Arigleterre, la <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s Saxons<br />

trouva les habitants abandonnés à eux-mémes, et leur<br />

ktablissem<strong>en</strong>t n'y <strong>de</strong>vint définitif qu'après une lutte <strong>de</strong><br />

plus <strong>de</strong> c<strong>en</strong>t ans. P<strong>en</strong>dant longtemps cette tle fameuse<br />

sembla effac6e <strong>de</strong> la carte et fut regardée comme une<br />

terre mystérieuse dont or1 racontait toutes sortes <strong>de</strong> pro-,<br />

diges. Quand on la découvrit pour la secon<strong>de</strong> fois, tout<br />

y était changé; sept royaumes indép<strong>en</strong>dants s'y étai<strong>en</strong>t<br />

formés, et quoique sans cesse agités par la discor<strong>de</strong>, ils<br />

avai<strong>en</strong>t fait presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t disparaître jusqu'aux<br />

<strong>de</strong>rniers vestiges <strong>de</strong> la suprématie romaine. Un nouvel


DE L'ÉCONOMIE POLlTIQUE. CHAP. X. 137<br />

ordre <strong>politique</strong> v<strong>en</strong>ait <strong>de</strong> naître. La Gaule et l'Espagne<br />

étai<strong>en</strong>t partagées <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux puissantes monarchies<br />

<strong>de</strong>s Francs et <strong>de</strong>s Visigoths; l'Afrique était <strong>en</strong> proie aux<br />

Vandales propremerit dits et aux Maures. L'Italie obéissait<br />

à <strong>de</strong>s étrangers ; on ne voyait plus <strong>de</strong> traces <strong>de</strong> la<br />

majesté romaine, si ce n'est dans l'empire d'ori<strong>en</strong>t, qui<br />

s'ét<strong>en</strong>dait <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s rives du Danube jusqu'aux bords<br />

du Nil et du Tigre. Hors <strong>de</strong> là une foule <strong>de</strong> nationalités<br />

nouvelles s'étai<strong>en</strong>t formées; nous assisterons bi<strong>en</strong>tôt au<br />

développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur état social !


CHAPITRE XI.<br />

Dernières lueurs <strong>de</strong> civilisation à Constantinople sous Justini<strong>en</strong>.<br />

- Cet empereur r6surne toute la législation <strong>de</strong>s Romains. -Ce<br />

que c'&ait que son Co<strong>de</strong>. - Les Pan<strong>de</strong>ctes. - Les Institutes. -<br />

Les lois <strong>de</strong> Justini<strong>en</strong> sont les archives du pass6; les Capitula;-<br />

res <strong>de</strong> Charlemagne, le programme <strong>de</strong> l'av<strong>en</strong>ir.<br />

Entre le nouvel ordre <strong>de</strong> choses émané <strong>de</strong> l'invasion<br />

barbare et la civilisation romaine mourante, il y a une<br />

Bpoque intermédiaire digne d'intérét pour l'économiste,<br />

quoiqu'elle ne soit pas caractérisée par itn <strong>de</strong> ces chan- .<br />

gem<strong>en</strong>ts profonds qui boulevers<strong>en</strong>t le système social <strong>de</strong><br />

tout un peuple. Cette époque, c'est le regne <strong>de</strong> I'empe-<br />

reur Justini<strong>en</strong> d'ori<strong>en</strong>t; règne mémorable, <strong>en</strong> périté,<br />

qui n'a pas eu d'aurore et qui n'aura point <strong>de</strong> crépus-<br />

cule : véritable communication jetée <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s,<br />

dont l'un finit et l'autre comm<strong>en</strong>ce. 11 semble, <strong>en</strong> l'étu-<br />

diant, que le génie <strong>de</strong> la civilisation antique ait voulii<br />

faire son testam<strong>en</strong>t et se soit <strong>en</strong>veloppé, comme la chry-<br />

sali<strong>de</strong>, d'un tombeau d'or et <strong>de</strong> soie, avant <strong>de</strong> subir une<br />

<strong>de</strong>rnière transformation. Tout se résume et se recueille,<br />

les lois, les arts, les industries, les procédés agricoles.<br />

Pour la première fois, une matière première, la soie,<br />

<strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t l'objet <strong>de</strong> la sollicitu<strong>de</strong> impériale et pèse dans la<br />

balance <strong>politique</strong>, comme le coton, le sucre, le thé, au


HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XI. 139<br />

temps où nous vivoris. Les monopoles s'établiss<strong>en</strong>t au<br />

profit du trésor public; les monnaies sont altérées, les<br />

offices sont v<strong>en</strong>dus. Ce n'est pas là ce que nous admi-<br />

rons, mais nOdS le signalons comme le premier indice<br />

d'une économie <strong>politique</strong> syst6matique. Dans les sci<strong>en</strong>ces<br />

m&mes, <strong>de</strong>s expéri<strong>en</strong>ces hardies témoign<strong>en</strong>t du mouve-<br />

ni<strong>en</strong>t qui s'opère; <strong>de</strong>s miroirs ar<strong>de</strong>nts, <strong>de</strong>s poudres hl-<br />

minantes, <strong>de</strong>s pompes à irrigation sont essayés. La mé-<br />

<strong>de</strong>cine abandonne ses vieux errem<strong>en</strong>ts et l'architecture<br />

hasar<strong>de</strong> sa première coupole dans les airs '. Des palais<br />

et <strong>de</strong>s temples s'élèvisnt <strong>de</strong> toutes parts, <strong>de</strong>s aqueducs,<br />

<strong>de</strong>s ponts, <strong>de</strong>s hdpitctux sont construits dans presque<br />

toutes les villes; on semble se hbter <strong>de</strong> multiplier les<br />

monum<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s arts, <strong>de</strong> peur que la barbarie n'arrive<br />

trop t6t pour <strong>en</strong> interrompre l'achèvem<strong>en</strong>t, et dans l'es-<br />

poir qu'ils lui surviltront. De Belgra<strong>de</strong> à 1'Euxin et dti<br />

conflu<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la Save à l'embouchure dri Danube, une<br />

chaîne <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> quatre-vingts places fortes s'élève pour<br />

protéger les rives <strong>de</strong> ce grand fleuve; on dirait que l'em-<br />

pire roniain pose ses <strong>de</strong>rnières limites et s'établit <strong>en</strong>fin,<br />

las <strong>de</strong> coilqp8tes, dans un camp retranché. Mais, tandis<br />

que Rome se crénelait ainsi à l'ori<strong>en</strong>t, où se réfugieront<br />

bi<strong>en</strong>tôt les lettres et les arts, le reste <strong>de</strong> l'Europe subit<br />

la loi du vainqueur, et les instihitions latines sont par-<br />

tout remplacées par les coutumes barbafes. La greffe<br />

germaine appliquée sur le vieux tronc romain comm<strong>en</strong>ce<br />

à porter ses fruits, auxquels il reste <strong>en</strong>core quelque<br />

chose <strong>de</strong> la saveur du premier arbre. A cette cohue <strong>de</strong><br />

chefs dévastateurs, que le christianisme épouvanté re-<br />

doute et baptise, siiccè<strong>de</strong> <strong>en</strong>fin un grand homme, le vé-<br />

ritable représ<strong>en</strong>tant du nouvel ordre social, qui met<br />

4 L'église <strong>de</strong> Sainte-Sophie, à Conslantinople.


140 HISTOIRE<br />

autant <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong> à restaurer la civilisation que ses<br />

grossiers prédécesseurs <strong>en</strong> ont montré pour la détruire.<br />

Je veux parler <strong>de</strong> Charlemagne, le premier prince <strong>de</strong><br />

la race <strong>de</strong>s conquérants vandales, dont le règne ré-<br />

sume la p<strong>en</strong>sée <strong>de</strong> ces quatre ou cinq siècles d'inva-<br />

sions.<br />

Le contraste <strong>de</strong> cette p<strong>en</strong>sée avec celle <strong>de</strong>s empereurs<br />

romains n'apparaît nulle part d'une manière plus frap-<br />

pante que dans la double <strong>en</strong>treprise <strong>de</strong> Justini<strong>en</strong> et <strong>de</strong><br />

Charlemagne. En effet, ces <strong>de</strong>ux princes ont laissé, l'un<br />

et l'autre, un monum<strong>en</strong>t plus durable que le souv<strong>en</strong>ir <strong>de</strong><br />

leurs victoires, les Pan<strong>de</strong>ctes et les Capitulaires. Je ne<br />

connais pas <strong>de</strong> sujet d'étu<strong>de</strong> plus fécond et plus vaste<br />

que ces <strong>de</strong>ux grands co<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux grands souverains,<br />

dont l'un représ<strong>en</strong>te si bi<strong>en</strong> le soleil qui se couche et<br />

l'autre le soleil qui se lève. C'est là que <strong>l'économie</strong> po-<br />

litique doit chercher quelle fut la condition <strong>de</strong>s peuples<br />

aux <strong>de</strong>ux extrémités <strong>de</strong> YEurope, quand la civiljsation<br />

romaine se retira à Constantinople pour faire place la<br />

monarchie presque universelle <strong>de</strong> celui qui mit sur sa téte<br />

la couronne d'Allemagne, <strong>de</strong> France et d'Italie. Ainsi<br />

le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> Eapoléon a survécu à ses victoires et fera plus .<br />

d'honneur un jour à sa mémoire que les monub<strong>en</strong>ts les<br />

plus magnifiques <strong>de</strong> son règne. Là se retrouveront<br />

les faits sociaux les plus importants <strong>de</strong> son époque,<br />

comme nous retrouvons dans les lois <strong>de</strong> Justini<strong>en</strong> les<br />

traces les plus nettes <strong>de</strong> la sagesse collective <strong>de</strong>s Romains.<br />

L'<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> ces lois fut réuni pour la première fois<br />

sous le règne <strong>de</strong> ce prince <strong>en</strong> trois livres distincts, le<br />

Co<strong>de</strong>, les Pan<strong>de</strong>ctes, et les Institutes. Lorsqu'il monta sur<br />

le trbne, la jurispru<strong>de</strong>nce était <strong>en</strong>combrée d'une foule<br />

confuse <strong>de</strong> textes, dont la simple nom<strong>en</strong>clature eût été ,<br />

ilne aeuvre au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s forces humaines. Le sort lui


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XI. ' 141<br />

donna pour auxiliaire le fameux Triboni<strong>en</strong>, qui porta<br />

l'ordre et la lumière dans ce chaos et qui acheva <strong>en</strong><br />

moins <strong>de</strong> quinze mois la révision <strong>de</strong>s ordonnances <strong>de</strong><br />

ses prédécesseurs. Ce premier travail fut appelé le Co<strong>de</strong><br />

Justini<strong>en</strong> et promulgue dans tout l'empire avec une<br />

pompe inusitée. Dix-sept ~urisconsultes, sous la ' direction<br />

du méme savant, rédigèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite <strong>en</strong> trois ans les<br />

Pan<strong>de</strong>ctes, résumé colossal <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou trois millions <strong>de</strong><br />

s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ces, et qui avait été précédé <strong>de</strong> la publication <strong>de</strong>s<br />

instilutes. Ainsi les élém<strong>en</strong>ts du droit romain étai<strong>en</strong>t suivis<br />

<strong>de</strong> l'explication <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce, et la j~istice ponvait<br />

<strong>en</strong>fin consulter les éternels oraclesi, sans craindre<br />

<strong>de</strong> se dans un labyrinthe <strong>de</strong> lois. Malheureusem<strong>en</strong>t<br />

les oracles fur<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>teurs, comme ils le sont<br />

presque tous ; car <strong>en</strong> recueillant les lois on prit soin <strong>de</strong><br />

les adapter aux mœurs contemporaines. Triboni<strong>en</strong> se<br />

r<strong>en</strong>dit complice <strong>de</strong>s altérations qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t mettre le<br />

co<strong>de</strong> d'une république' <strong>en</strong> harmonie avec le <strong>de</strong>spotisme<br />

d'une monarcliie absolue. En m&me temps, et<br />

pour empkcher qu'a l'av<strong>en</strong>ir on ne fit subir au co<strong>de</strong>,<br />

ainsi am<strong>en</strong>dé au profit du <strong>de</strong>spotisme, une réforme qui<br />

pourrait profiter quelque jour à la liberté, l'empereur<br />

déf<strong>en</strong>dit, sous peine du châtim<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s faussaires, le<br />

moindre comm<strong>en</strong>taire sur le texte nouveau. Peu d'années<br />

après, il <strong>en</strong> faisait faire une autre édition augm<strong>en</strong>tée<br />

<strong>de</strong>s Novelles, qui complèt<strong>en</strong>t l'édifice imposant <strong>de</strong> sa jurispru<strong>de</strong>nce.<br />

On trouve dans les recueils <strong>de</strong> Justini<strong>en</strong> <strong>de</strong>s détails<br />

très-précieux sur l'état <strong>de</strong>s personnes à Constantinople,<br />

vers le milieu du sixième siècle. Quoique les citoy<strong>en</strong>s<br />

- fuss<strong>en</strong>t, fictivem<strong>en</strong>t dii moins, égaux <strong>de</strong>vant la loi, il n'y<br />

C'est le nom que Justini<strong>en</strong> donnait à ses Co<strong>de</strong>s.


HISTOIRE<br />

avait plus <strong>de</strong> droits attachés à ce titre jadis si beau et<br />

si vivem<strong>en</strong>t recherché. Des esclaves afîranchis l'obte-<br />

nai<strong>en</strong>t sans transition, et cette facilité n'a pas peu con-<br />

tribué à l'abolition <strong>de</strong> la servitu<strong>de</strong> domestique. L'auto-<br />

rité <strong>de</strong>s maîtres sur les esclaves élait aussi co~isidérable-<br />

m<strong>en</strong>t.restreinte. Le droit <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> mort accordé aux<br />

pères sur leurs fils était aboli, et ceux-ci pouvai<strong>en</strong>t ac-<br />

quérir quelques propriétés qui cessai<strong>en</strong>t dès lors d'ap-<br />

part<strong>en</strong>ir aux auteurs <strong>de</strong> leurs jours. L'abandon <strong>de</strong>s <strong>en</strong>-<br />

fants, longtemps tol6ré comme un usage excusable, fut<br />

puni comme un crime, quand la mort <strong>de</strong>s victimes s'<strong>en</strong><br />

était suivie; quelques restrictions fur<strong>en</strong>t mises à la li-<br />

berté du divorce qui avait dégradé le mariage jusqu'au<br />

plus vil concubinage l, et l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> 1'Eglise se ma-<br />

nifesta <strong>de</strong> 1,a manière la plus visible dans la liste <strong>de</strong>s<br />

causes qui, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l'homme ou <strong>de</strong> celIe <strong>de</strong> la<br />

femme, pouvai<strong>en</strong>t donner lieu a la sepration. La re-<br />

.ligion avait dkjà pénétré dans la jurispru<strong>de</strong>nce. On rc-<br />

marque principalem<strong>en</strong>t son interv<strong>en</strong>tion dans la sollici-<br />

tu<strong>de</strong> avec laquelle les droits <strong>de</strong>s orphelins et <strong>de</strong>s mi-<br />

neurs sont préservés <strong>de</strong> tolite atteinte.<br />

Voilàpour les personnes; mais la propriété ne fut point<br />

oubliée. Les Znst,itutes r<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t à cet égard une foule<br />

<strong>de</strong> dispositions remarquables. Elles admett<strong>en</strong>t le prin-<br />

cipe <strong>de</strong> l'hérédité <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s, dans son ext<strong>en</strong>sion la plus<br />

libérale. Point <strong>de</strong> prérogative <strong>de</strong> primogénitu& ; point<br />

<strong>de</strong> distinction, pour les droits <strong>de</strong> succession, <strong>en</strong>tre les<br />

garqons et les filles ; à l'extinction <strong>de</strong> la ligne directe,<br />

4 Saint JérBme vit à Rome un mari qui <strong>en</strong>terrait sa vingt et<br />

unième femme, laquelle avait <strong>en</strong>terré vingt-<strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses pr6dCces-<br />

seurs, moins robustes que lui. S<strong>en</strong>èque disait <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong> son<br />

temps : Non consulum numero, sed maritormm annos suos com-<br />

putant. De B<strong>en</strong>eficiis, 111, 16.


DE L'ECONORLIE POLITIQUE. CHAL). XI. 143<br />

la fortune passait au:< branches collatérales. Des prescriptions<br />

sag<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t combinées conciliai<strong>en</strong>t tous les intérêts<br />

et laissai<strong>en</strong>t peu <strong>de</strong> place aux proces. Cet imm<strong>en</strong>se<br />

détail occupe douze livres <strong>de</strong>s'~an<strong>de</strong>ctes. Les livres 17,<br />

18, 19, et 20 du même recueil r<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t aussi <strong>de</strong>s<br />

dispositions très-remarquables sur les prêts, sur le contrat<br />

<strong>de</strong> louage, sur la nature et les conditions <strong>de</strong>s<br />

baux dontla durée était <strong>de</strong> cinq ans. Le taux <strong>de</strong> l'intérét<br />

était fixé à quatre pour c<strong>en</strong>t pour les personnes d'ii~<br />

rang illustre et à six pour c<strong>en</strong>t pour toutes les autres ;<br />

c'était:le tüux ordinalire et légal. Néanmoins, on permit<br />

I1intér&t <strong>de</strong> huit pour c<strong>en</strong>t aux mariilfacturiers et aux<br />

commerçants et celui <strong>de</strong> douze pour les assurances maritimes.<br />

Le clergé, plus sévère ou moins éclairé, a toujours<br />

condamné le prêt à intérêt, que saint Jean Chrysostome<br />

et les Pères <strong>de</strong> l'Église poursuivai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leurs<br />

faibles argum<strong>en</strong>ts et que Shakespeare appelait plus tard,<br />

dans son langage pittoresque, la postérite' d'un métal<br />

stérile.<br />

Cep<strong>en</strong>dant malgré ces améliorations dans la rédaction<br />

<strong>de</strong>s lois, comparées à ce qu'elles étai<strong>en</strong>t auparavant,<br />

le peuple <strong>en</strong> retira beaucoup moins d'avantages<br />

qu'on ne pourrait le p<strong>en</strong>ser. Quoiqu'on les etit réduites<br />

à <strong>de</strong>s formes plus siimples et à <strong>de</strong>s termes plus précis,<br />

il y restait <strong>en</strong>core assez <strong>de</strong> vague et <strong>de</strong> contradictions<br />

pour alim<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>s nuées d'a~~ocats et <strong>de</strong> légistes. La r6si<strong>de</strong>nce<br />

<strong>de</strong>s plai<strong>de</strong>urs dans <strong>de</strong>s provinces éloignées <strong>en</strong>trainait<br />

<strong>de</strong>s longueurs, <strong>de</strong>s incertitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s dlp<strong>en</strong>ses considérables,<br />

toutes les fois qu'ilry avait appel à la juridiction<br />

suprbme. Le droit romain re<strong>de</strong>vint <strong>en</strong>core une fois<br />

une sci<strong>en</strong>ce mystérieuse que l'industrie <strong>de</strong>s pratici<strong>en</strong>s,<br />

dignes maîtres1 <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> nos jours, exploitait avec une<br />

audace inouie. Le 1-iche écrasait impitoyablem<strong>en</strong>t le


144 HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. Xi.<br />

pauvre, et les frais <strong>de</strong>s procès <strong>en</strong> absorbai<strong>en</strong>t habituel-<br />

m<strong>en</strong>t la valeur. Néanmoins ces formes et ces délais,<br />

quoique très-coûteux, protégai<strong>en</strong>t la personne et la pro-<br />

pri8té contre les caprices <strong>de</strong> la tyrannie et l'arbitraire<br />

du juge, et c'était <strong>en</strong>core un progrès. Que <strong>de</strong> réformes<br />

cont<strong>en</strong>ait cette seule revue <strong>de</strong>s lois romaines accommo-<br />

dées au temps prés<strong>en</strong>t et qui <strong>en</strong> portai<strong>en</strong>t si profondé-<br />

m<strong>en</strong>t l'empreinte ! Qui eht dit +'après plus <strong>de</strong> douze<br />

c<strong>en</strong>ts ans elles prési<strong>de</strong>rai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core, dans le plus grand<br />

nombre <strong>de</strong> leurs dispositions, au gouvernem<strong>en</strong>t d'une<br />

société se différ<strong>en</strong>te? Mais, dans ce long trajet au tra-<br />

vers <strong>de</strong>s siècles, elles <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t se pénétrer <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong><br />

beaucoup d'institutions nouvelles et fournir A un grand<br />

homme les élém<strong>en</strong>ts d'une législation qui eut aussi sa<br />

,gloire, si elle n'eut par; son originalité.


CHAPI'P'R E XII.<br />

Écbnomie <strong>politique</strong> <strong>de</strong> Charlemagne. - Analyse <strong>de</strong> la partie &O-<br />

nomique <strong>de</strong> ses Capitulaires.-Détails singuliers cont<strong>en</strong>us dans<br />

le capilulaire <strong>de</strong> Villis. - Consequ<strong>en</strong>ces sociales du régne <strong>de</strong><br />

ce grand homme. ,'<br />

Le règne <strong>de</strong> Charlernagnc formc la transition <strong>en</strong>tre la<br />

liarbarie et la féodalité. 11 rétablit l'unité du pouvoir et<br />

celle du territoire kgalem<strong>en</strong>t rompues par cette foule <strong>de</strong><br />

petits souverains et <strong>de</strong> petits ftats qui rempliss<strong>en</strong>t toute<br />

la phio<strong>de</strong> écoulée <strong>de</strong>puis la première invasion. Les<br />

royaumes <strong>de</strong> Metz, d'Orléans, <strong>de</strong> Soissons, <strong>de</strong> Paris,<br />

d'Aquitaine, dc Bourgogne, vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t se confondre dans<br />

la gran<strong>de</strong> monarchie impériale; et tous ces misérables<br />

<strong>de</strong>spotismes, inbabiles R concevoir quelques gran<strong>de</strong>s<br />

idées, s'abîm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> un seul capable <strong>de</strong> les exécuter.<br />

Pour la première fois <strong>de</strong>puis César, vainqueur et orga-<br />

nisateur, un homme apparaît digne <strong>de</strong> laisser son nom<br />

h, son siècle. Ce qui caractérise surtout cet homme re-<br />

marquable, c'est qu'il était un v~ritahle Franc <strong>de</strong><br />

France, lc moins inêié <strong>de</strong> sang roinain qui fut <strong>en</strong>core<br />

monté sur le trône. Presque tous ses prédécesseurs,<br />

Barbares ou non, avai<strong>en</strong>t reçu l'impulsion romaine et<br />

chréti<strong>en</strong>ne ; lui se s<strong>en</strong>tit assez fort pour la donner. Les<br />

autres avai<strong>en</strong>t régnci : Clrarl<strong>en</strong>iagne voulut goiivcrner.<br />

T. 1. 4" ÉDIT. ' 9


11 eût peut-être empbché l'avénem<strong>en</strong>t dù régime féodal,<br />

<strong>en</strong> comprimant fortemerit la t<strong>en</strong>dance aristocratique <strong>de</strong><br />

son temps, si ses débiles successeurs n'avai<strong>en</strong>t laissé<br />

périr son œuvre et remis au hasard les <strong>de</strong>stinées <strong>de</strong><br />

l'humanité.<br />

Ses cinquante-trois expéditions ont été dirigées par<br />

une p<strong>en</strong>sée <strong>politique</strong> qiîi semblait perdue <strong>de</strong>puis les<br />

Romains. Ce qu'il voulut d'abord et avant toute chose,<br />

ce fut <strong>de</strong> reconstituer <strong>en</strong> Europe un grand pouvoir,<br />

assez fort pour cont<strong>en</strong>ir toutes les ambitions et pour les<br />

soumettre à une domination commune. 11 fit la guerre<br />

auxindép<strong>en</strong>dànces m<strong>en</strong>açantes et a& croyances hostiles,<br />

et ne s'arrêta que lorsqu'il eut atteint son but principal,<br />

qui était <strong>de</strong>.faire un empire. Au nord et au midi, il r<strong>en</strong>-<br />

contra <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s résistances, les Saxons et les Ara-<br />

bes : il les vainquit toutes <strong>de</strong>ux. Rialheureusem<strong>en</strong>t ses<br />

Mctoires lui laissèr<strong>en</strong>t à peine assez <strong>de</strong> loisir pour orga-<br />

niser, et il r<strong>en</strong>contra moins <strong>de</strong> difficultés dans la guerre<br />

que dans la paix ; mais, quoique ses grands travaux ne<br />

lui ai<strong>en</strong>t pas survécu, l'impulsion qu'il avait donnée à<br />

l'Europe avait été trop vive pour que le mouvem<strong>en</strong>t pût<br />

s'arr-er. Elle ne re<strong>de</strong>vint point après sa mort telle<br />

qu'elle était avant son règne; il lui avait donné une<br />

p<strong>en</strong>sée qui se rbvélera dans les actes <strong>de</strong> ses successeurs,<br />

dans la <strong>politique</strong> <strong>de</strong>s États formés du démembrem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> sa monarchie, dans les guerres mêmes qu'ils se feront<br />

<strong>en</strong>tre cux ou qu'ils souti<strong>en</strong>dront Contre leurs <strong>en</strong>nemis.<br />

11 suffit <strong>de</strong> rappeler le soin avec lequel il essaya <strong>de</strong><br />

rétablir une hiérarchie administrative sévère, surveillée<br />

par <strong>de</strong>s inspecteurs ambulants, missi domircici, <strong>en</strong>-<br />

voyés du maître, chargés <strong>de</strong> lui r<strong>en</strong>dre compte .<strong>de</strong><br />

l'état <strong>de</strong>s provinces, <strong>de</strong> la r6forme <strong>de</strong>s abus et <strong>de</strong><br />

I'exéciition <strong>de</strong> ses ordres. II biait ainsi prés<strong>en</strong>t partout,


DE L'ECOKOMIE 1)OLITIQUE. CHAP. XII. 147<br />

et il pouvait ét<strong>en</strong>dre la main jusqu'aux extrémités <strong>de</strong><br />

son empire avec une rapidité dkcisivc dans ces temps<br />

<strong>de</strong> l<strong>en</strong>teur et sur cette surface imm<strong>en</strong>se, presque <strong>en</strong>tièrcm<strong>en</strong>t<br />

dépourvue <strong>de</strong> routes. Les tr<strong>en</strong>te-cinq assemblées<br />

générales t<strong>en</strong>ues sous son regne, quoiqu'elle, ne ressern-.<br />

bl<strong>en</strong>t guère à nos sessions parlem<strong>en</strong>taires mo<strong>de</strong>rnes,<br />

n'ont pas moins contribué (l'une manière efficace aux<br />

améliorations qu'il fit exécuter. 11 parait que les députés<br />

y avai<strong>en</strong>t seulem<strong>en</strong>t voix consultative : l'empereur pr<strong>en</strong>ait<br />

ses résolutions (<strong>en</strong> dépit <strong>de</strong> leur contrôle; mais il y<br />

recevait <strong>de</strong> précieuses communications sur l'état du<br />

pays, sur ses besoins, sur ses soulfraiices. L'arcl-iev&que<br />

Hincmar nous a laissé <strong>de</strong>s révéiations ciirieuses sur la<br />

.manii.re dont se t<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t ces assemblées générales, et<br />

sur l'origine <strong>de</strong>s Ca,oitzclaives qiii cn résum<strong>en</strong>t les travaux.<br />

« C'était, dit-il, un usage <strong>de</strong> ce temps dc t<strong>en</strong>ir<br />

chaque année dciix ass<strong>en</strong>~blées dans lesquelles on soumetlait<br />

aux grands, <strong>en</strong> vertu <strong>de</strong>s ordres du roi, les<br />

articles <strong>de</strong> la loi nornniés capitula, que le roi lai-meme<br />

avait rédigés par I'iiispiration <strong>de</strong> Dieu. R<br />

11 y avait donc cxam<strong>en</strong> préalab!e, iliscussion <strong>en</strong> conseil<br />

d'État, car on ne sailrait reconnaître un autre caractere<br />

à ces réunions pacifiques dont les clél~ats étai<strong>en</strong>t dirigés<br />

par le souverain, <strong>en</strong> *Liertu <strong>de</strong> la sagesse qu'il aaait ~eçîle <strong>de</strong><br />

Dieu, selon l'expres:,ion <strong>de</strong> son histori<strong>en</strong>. Charlemagne<br />

n'<strong>en</strong> aiirait à nos yeux que plus <strong>de</strong> niérile, piiisque la p<strong>en</strong>sbe<br />

doniinante dc toutes Ics améliorations <strong>de</strong> son règne<br />

Iiii apparti<strong>en</strong>drait tout <strong>en</strong>tiere. Et certes, samais i~cti~tité<br />

ne fut plus extraordinaire que la si<strong>en</strong>ne ; quoique scs<br />

nombreuses guerres l'ai<strong>en</strong>t forcé <strong>de</strong> se transporter, à<br />

plusieurs rcpriscs, (l'une extrémité à l'autre <strong>de</strong> l'Europe,<br />

il ne cessa <strong>de</strong> publier <strong>de</strong>s édits <strong>de</strong> réforme sur une<br />

multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sujets quelquefois tellemcnt miliiitieux,


148 HISTOIRE<br />

que nous avons peine à coinprcndre comm<strong>en</strong>t la majesté<br />

<strong>de</strong> son pouvoir est <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>due jusque-là. C'est donc dans<br />

ses Capitulaires qu'il faut chercher quelle fut son éco-<br />

nomie <strong>politique</strong>, et s'il est vrai que cette sci<strong>en</strong>ce Iiii<br />

doive quelques dispositions ess<strong>en</strong>tielles. Avant tout,<br />

nous <strong>de</strong>vons faire observer qu'on attribue à tort à Char-<br />

lemagne seul la collection d'àphorismes, <strong>de</strong> consulta-<br />

tions, <strong>de</strong> prescriptions et <strong>de</strong> lois qui port<strong>en</strong>t son nom.<br />

Près <strong>de</strong> la 'moitié apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à ses prédécesseurs, et<br />

un grand nombre à ses successeurs : le titre seul <strong>de</strong><br />

l'ouvrage (Capitula regum jrancorum) suffit pour indi-<br />

quer sa véritable signification et la nature exacte <strong>de</strong> son<br />

cont<strong>en</strong>u. La meilleure édition que nous possédions<br />

n'est qu'un rccueil indigeste, sans ordre, sans critique,<br />

et dont le texte, écrit <strong>en</strong> mauvais latin <strong>de</strong> la déca<strong>de</strong>nce,<br />

dbcourage les hommes studieux les plus intrépi<strong>de</strong>s ; inais<br />

c'est une mine inépuisable <strong>de</strong> docum<strong>en</strong>ts précieux, et il<br />

serait à dksirer qu'il <strong>en</strong> existât <strong>de</strong> semblables pour toutes<br />

les époques <strong>de</strong> notre histoire.<br />

Parmi les soixante-cinq capitulaires <strong>de</strong> Charlemagne,<br />

celui qui intéresse le plus l'histoire <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce écono-<br />

mique, nialgré l'incohér<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ses détails, est le fan~eux<br />

capitulaire <strong>de</strong> Villis, dans lequel ce grand liomme a<br />

essayer <strong>de</strong> résumer ses vues sur les finances et sur I'ad-<br />

ministration <strong>de</strong> ses domaines. 11 se compose <strong>de</strong> 70 para-<br />

graphes sans relation <strong>en</strong>tre eux, et qui ressembl<strong>en</strong>t assez<br />

aux instructions d'un riche propriétaire Bson int<strong>en</strong>dant.<br />

Le prince <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, avant lout, qu'on le serve avec pro-<br />

bité et que ses g<strong>en</strong>s soi<strong>en</strong>t traités avec sollicitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong><br />

manière à être à l'abri <strong>de</strong> la pauvreté2. 11 ne veut pas<br />

1 Celie <strong>de</strong> Baluze, <strong>en</strong> <strong>de</strong>ux volumes in-folio. paris, 1677.<br />

2 Ut familia nostra b<strong>en</strong>è conservata sit, et à nemine in pauper-<br />

tatern missa.


DE L'ECOKOI\IIE POLITIQUE. CHAP. XII. 140<br />

qu'on leur impose <strong>de</strong> corvée, ni <strong>de</strong> travaux fatigants 1 ;<br />

s'ils travaill<strong>en</strong>t la nuit, on leur <strong>en</strong> ti<strong>en</strong>dra compte. Ccuxci,<br />

à leur tour, doiv<strong>en</strong>t avoir bi<strong>en</strong> soin du vin <strong>de</strong>. la récolte<br />

et le mettre <strong>en</strong> bouteilles, <strong>de</strong> peur qu'il ne lui<br />

arrive malh<strong>en</strong>r2. S'ils s'écartcnt dcs <strong>de</strong>\ oirs qui leur sont<br />

imposés, ils pourront étre punis par la I1isligation, ou<br />

selon le bon plaisir di1 roi et <strong>de</strong> la reine 3. On soignera<br />

les abeilles et les oies; on veillera sur l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> et<br />

l'augm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s viviers. Les vaches, les jum<strong>en</strong>ts poixlinières,<br />

les brebis seront niultipliées. Nous ~onlons,<br />

ajoute le maître, que nos Sorhts soi<strong>en</strong>t aménagées avec<br />

intclligcncr 4, qu'ori ne les @friche point, qu'on y <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>ne<br />

<strong>de</strong>s épervier!; et <strong>de</strong>s faucons. On aura toi~jours à<br />

notre disposition <strong>de</strong>s oies grasses et <strong>de</strong>s poulets à l'av<strong>en</strong>ant;<br />

on v<strong>en</strong>dra ai1 marché les aufs qui n'auront pas<br />

ser~i à la consomrnntion dc nos fermes. Chacun <strong>de</strong> nos<br />

domaincs sera poui.vu <strong>de</strong> bons lits <strong>de</strong> plume, matelas,<br />

coii.ilertures, vases <strong>de</strong> cuivre, <strong>de</strong> plomb, <strong>de</strong> fer, <strong>de</strong> ])ois,<br />

<strong>de</strong> chaînes, <strong>de</strong> crémaillères, <strong>de</strong> Iiaclies, <strong>de</strong> tarikres, <strong>de</strong><br />

manière qu'on n'ait ricn à emprunter à pcrsonnc. Charlemagne<br />

voulait aussi avoir le compte <strong>de</strong> ses légumcs,<br />

<strong>de</strong> son beurre, <strong>de</strong> ses fromages, <strong>de</strong> son niiel, <strong>de</strong> son huile<br />

et <strong>de</strong> son vinaigre, voire mCme <strong>de</strong> scs naletu et autres<br />

minuties, comme le porte 1c texte <strong>de</strong>s Capitulaires. On<br />

se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> seul<strong>en</strong>l<strong>en</strong>t dans quel mom<strong>en</strong>t il aurait pu<br />

~érifier <strong>de</strong> tels comptes, s'ils lui euss<strong>en</strong>t été fournis.<br />

hTon corvadus, nec aliztd opus sibi facere cogant.<br />

Vinzcm in bona miltant va.scula et dilig<strong>en</strong>ter provi<strong>de</strong>re faciant<br />

qucd nzlllo modo. naufragium sit.<br />

3 Itecipiant s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>Liam aut in darso, aut quomodo nobis vel<br />

regina placuerit.<br />

Ut sylom vel forestes taostrz b<strong>en</strong>è sint cztstodilz, et cmnipos <strong>de</strong><br />

sil~cl increscere non permittant. Açcipilres et rpercarios ad nostrum<br />

profectum proai<strong>de</strong>ant,


150 . HISTOIRE<br />

On trou17e aussi dans le méme capitulaire une curieiise<br />

énumération <strong>de</strong>s diverses professions qn'il jugeait nécessaire'<strong>de</strong><br />

réunir dans chac~in <strong>de</strong> scs grands don-iaincs.<br />

Il y fallait <strong>de</strong>s forgerons, <strong>de</strong>s wféwres, <strong>de</strong>s tailleurs, <strong>de</strong>s<br />

tourneurs, <strong>de</strong>s charp<strong>en</strong>tiers, <strong>de</strong>s oiseleurs, <strong>de</strong>s tiss~zcrs<br />

<strong>de</strong> filets, et <strong>de</strong>s hommes <strong>en</strong> état <strong>de</strong> soigiier la faIlrication<br />

du cidre et du poiré. Tout esclavc qui voulait parler au<br />

souverain sur le compte <strong>de</strong> ses maîtres <strong>de</strong>vait avoir accès<br />

aiiprts <strong>de</strong> sa personne; on ne poulait lui <strong>en</strong> refuser la<br />

faveur sous aucun prbtcxte '. Charlemagne avait fixé l'époqac<br />

<strong>de</strong> Noel pour la redditiongénérale <strong>de</strong>sescomptes,<br />

et le bonhommc Harpagon n'était pas plus exigeant que<br />

ce grand honime sur cctte matière délicate. Le soilante<strong>de</strong>uxième<br />

article du capitulaire <strong>de</strong> Villis <strong>en</strong> off1 e la<br />

preuve la pllis évi<strong>de</strong>nte : c( 11 est important, 1- est-il dit,<br />

que nous sachions ce que tolites ces choses-1i1 nous rapport<strong>en</strong>t<br />

2 ; D et il énumère les bmufs, les moulins, les<br />

bois, les navires, les ~ignobles, les légumes, la laiiie, le<br />

lin, le chanvre, les fruits, les abeilles, le poisson, les<br />

peaux, la cire et le miel, les vins vicux et nomeaux ct le<br />

reste. Tout ce qui n'apas été consommé pour le service<br />

du prime doit étrc imméiliat<strong>en</strong>î<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>du. L'auguste<br />

économe ajoute naivem<strong>en</strong>t : (1 Nous espérons que tout<br />

a ccci ne vous paraîtra pas trop dur, parce que vous<br />

o pouvez l'exiger à votre tour, chacun ktanl maîtrecians<br />

» sa ferme. H Sa royale sollicitutle allait <strong>en</strong>core plus<br />

loin quand il s'agissait du transport <strong>de</strong>s vins et <strong>de</strong>s fa-<br />

Si aliq~is ex servis nostris super magistru~n suthm n~bis cle<br />

eausd nostrd aliqtbid vellet dicere, vias ei ad nos c<strong>en</strong>i<strong>en</strong>di nola contradicat.<br />

V?nnia <strong>de</strong>posita, distincla et ordinata ad naticitatem Domini<br />

notunL faciant, ut seire oaleamus quid aeG quanlîim <strong>de</strong> sinplis rebzcs<br />

habeamus.


DE L'EGOROMIE POLITIQUE. CHAP. XII. 151<br />

rines <strong>de</strong>stinées à son usage personnel. n Vous aurez<br />

soin <strong>de</strong> faire voyager le vin dans <strong>de</strong>s futailles dûmeilt<br />

cerclées cn fer, et jamais dans dcs outrès '; qnant aux<br />

farines, j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds qu'elles soi<strong>en</strong>t placées dansdcs cherrettes<br />

doubl~es et recouvertes <strong>en</strong> cuir, <strong>de</strong> manière à<br />

pouvoir traverser les rivibres, au besoin, sans courir<br />

risque d'avaries. Je veux aussi qu'on me r<strong>en</strong><strong>de</strong> bon<br />

comptc <strong>de</strong>s cornes ùc mes boucs ct <strong>de</strong> mes chhvres, ainsi<br />

qire <strong>de</strong>speanx <strong>de</strong>s loups qui auront éti: pris dans le courant<br />

<strong>de</strong> chaque annSe. Au mois <strong>de</strong> mai, on ne iuanqiacra<br />

pas, non plus, <strong>de</strong> faire une guerre terrible aux louveteaux.<br />

D Enfin, le,<strong>de</strong>rnier paragraphe <strong>de</strong> cet étrange docum<strong>en</strong>t<br />

r<strong>en</strong>fernie peut-8tre la plus rare nom<strong>en</strong>clature<br />

qui existe <strong>de</strong>s plantes <strong>de</strong> tout gcnre et <strong>de</strong>s arbres hi- tiers connus dans le neuvième sibcle 2, et doiît le graiîd<br />

ordonriatcnr <strong>de</strong>s domaines royaux rûulait qu'on ne liégligeAt<br />

la culture dans aucun dc ses jardins.<br />

Tellc cst, <strong>en</strong> substance, ce cblèbrc capitiilairc <strong>de</strong> Villis<br />

qui résuine l>caucoup mieux <strong>l'économie</strong> domestique<br />

~olt&s ut bonos barqdos ferro Iigatos judices si~gztli przpnralos<br />

semper habeant et &es ex co?%is non faciat ... ut caTTra nostva<br />

et opercula b<strong>en</strong>è siizt czmi, coriis coopcrta, et ilà sicut consuta<br />

ut si necessitas ev<strong>en</strong>erit ad aqztas ad,natandum, transi~e flumina<br />

possint, ut ner~ua,quÙ.m agua inlùs intrare valeat.<br />

2 Je crois <strong>de</strong>voir eii citer les principaux pour la satisfaction <strong>de</strong><br />

mes amis les horticulteurs : le lis, la rose, le f<strong>en</strong>ugrec, la sauge,<br />

la rue, les concombres, les citrouilles, les poivrons, le cumin,<br />

le romarin, ies pois chiches, l'anis, la coloquinte, les laitues, le<br />

cresson, la bardane, la moutar<strong>de</strong>, la m<strong>en</strong>the, le pavot, la guimauve,<br />

la mauve, les choux, les oignons, les poireaux, les radis,<br />

les cardons, les fèves, les pois, le cerfeuil et la barbe <strong>de</strong> capucin.<br />

En fait d'arbres,.Charlemagne voulait que l'on culiivât dans ses<br />

domaines les pommiers, les pruniers, les sorbiers, les poiriers,<br />

les ctiâtaigniers, les pdcliers, les noisoliers, les amandiers, les<br />

noyers, les mntiers, les figuiers, les picset lesccrisiers. il<strong>de</strong>signe<br />

même plusieurs varietes <strong>de</strong> ponimisrs.


152 HISTOIRE<br />

que <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> <strong>de</strong> Charlemagne. On r<strong>en</strong>contre<br />

dans les autres capitulaires du nouveau César <strong>de</strong>s dispo-<br />

sitions précises sur <strong>de</strong>s questions économiques, notam-<br />

m<strong>en</strong>t le passage suivant, dans lequel se trouve, comme<br />

l'a dit avec raison M. Guizot, un véritablc essai <strong>de</strong><br />

maximum : P Le très-pieux seigneur notre roi a décidé<br />

que nul homme, ecclésiastique ou laïque, ne pourrait,<br />

soit <strong>en</strong>. temnps d'abondance, soit <strong>en</strong> ternps <strong>de</strong> cherlé, v<strong>en</strong>dre<br />

les vivres plos cher que le prix récemm<strong>en</strong>t fixé par bois-<br />

seau, savoir, etc. n Ailleurs se trouve la création d'une<br />

taxe <strong>de</strong>s pauvres, dans le but d'arriver à la suppression<br />

<strong>de</strong> la m<strong>en</strong>dicité. a Quant aux m<strong>en</strong>diants qui cour<strong>en</strong>t le<br />

. pays, nous voulons que chacun <strong>de</strong> nos fidèles nourrisse<br />

ses pauvres, soit sur son bénéfice, soit dans l'intérieur<br />

<strong>de</strong> sa maison, et ne leur permette pas d'aller m<strong>en</strong>dier<br />

ailleurs. Et si on trouve <strong>de</strong> tels m<strong>en</strong>diants, et qu'ils ne<br />

travaill<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong> leurs mains, que personne ne s'avise<br />

<strong>de</strong> leur ri<strong>en</strong> donner. « Quelqiiefois les injonctions du<br />

législateur sont formulées sous l'appar<strong>en</strong>ce d'une simple<br />

interrogation : (1 Deman<strong>de</strong>z aux évéques et aux abbés <strong>de</strong><br />

nous déclarer avec vérité ce que veul<strong>en</strong>t dire ces mots<br />

dont ils se serveritsouv<strong>en</strong>t : r<strong>en</strong>oncer au siécle, et à quels<br />

signes on peut distinguer ceux qui r<strong>en</strong>onc<strong>en</strong>t au siecle<br />

<strong>de</strong> ceux qui n'y r<strong>en</strong>onc<strong>en</strong>t pas? Est-ce à cela seul qu'ils<br />

ne port<strong>en</strong>t point d'armes et qu'ils ne sont pas mariéspu-<br />

bliquem<strong>en</strong>t? Deman<strong>de</strong>z <strong>en</strong>core si celui-là a r<strong>en</strong>oncé au<br />

siècle qui travaille chaque jour, n'importe par quels<br />

moy<strong>en</strong>s, à accroître ses possessions, tantôt promettant la<br />

béatitu<strong>de</strong> di1 royaume <strong>de</strong>s cieux, tantôt m<strong>en</strong>açant <strong>de</strong>s<br />

supplices éternels <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>fer ; ou bi<strong>en</strong>, sous le nom <strong>de</strong><br />

Dieu ou <strong>de</strong> quelqiie saint, dépouille quelque homme<br />

riche ou pauvre, simple d'esprit et peu avisé ? 1)<br />

Le langage <strong>de</strong> Charlemagne n'était pas moins sigriifi-


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XII. 153<br />

cati[, comme on l'oit dans scs insinuations que dans ses<br />

prescriptions. Il fallait quela corruptionet la domination<br />

<strong>de</strong>s prbtres euss<strong>en</strong>t déjà acquis sous son règne un carac-<br />

tère bi<strong>en</strong> grave, pour qu'il se fiit déterminéà leur adres-<br />

ser d'aussi sévères mercuriales. Ailleurs ', il leur re-<br />

comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne pas jurer, <strong>de</strong> ne pas s'<strong>en</strong>ivrer, <strong>de</strong> ne<br />

pas fréqu<strong>en</strong>ter les mauvais lieux, <strong>de</strong> ne pas <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir<br />

<strong>de</strong>s femmes, et <strong>de</strong>ne pas v<strong>en</strong>dre trop cher les sacrem<strong>en</strong>ts.<br />

L'usure était alors un abus aussi habituel au clergé<br />

qu'au reste <strong>de</strong>s Iiabitants ; les Capitulaires y revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> plus <strong>de</strong> vingt circonstances, e.tne cess<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la flétrir<br />

<strong>de</strong> toutes les manières. Ces pieuses dispositions n'empb-<br />

cli<strong>en</strong>t pas, néanmoins, l'empereur <strong>de</strong> fixer lni-mbme le<br />

taux auquel on <strong>de</strong>vra recevoir sa monnaie 2, bonne ou<br />

mauvaise, et <strong>de</strong> condamner à <strong>de</strong> fortes am<strong>en</strong><strong>de</strong>s les<br />

hommes assez hardis pour <strong>en</strong> contester l'excell<strong>en</strong>ce.<br />

Mais ces prescriptions tyranniques sont co~ip<strong>en</strong>sées par<br />

<strong>de</strong>s mest~res souv<strong>en</strong>t favorables aux esc!aves, aux pay-<br />

sans, aux pauvres, qu'il est ordonné dc secourir, <strong>de</strong> re-<br />

cueillir dans <strong>de</strong>s asiles et <strong>de</strong> soigner quand ils sont ma-<br />

la<strong>de</strong>s. Lcs règlem<strong>en</strong>ts ecclésiastiques occup<strong>en</strong>t dans les<br />

Capitulaires une place considérable On ne saurait dou-<br />

ter, à leur ét<strong>en</strong>due, <strong>de</strong> toutel'importance qui s'attachait<br />

au clergé et aux nioines, & peu prPs maîtres <strong>de</strong> l'admi-<br />

nistration par la supériorité <strong>de</strong> leur lumières, et consul-<br />

tés par Charlemagne dans lcs moindres détails Ilsétai<strong>en</strong>t<br />

exempts du service militaire, charge pénible alors impo-<br />

sée b tous, sans sol<strong>de</strong>, et p<strong>en</strong>dant un temps presque illi-<br />

mité. Toute atteinte à leur considération ou à leur per-<br />

4 Capitula episcoporum.<br />

' De <strong>de</strong>nariis autem certissimè sciatis nostmim edtctum, quod<br />

in omni loco, in omni civitate et in omni emptuario similzter aa-<br />

dant isti novi <strong>de</strong>narii et ab cmnibus accipianlur.<br />

9.


154 HISTOIRE<br />

sonne était punie avec un redoublem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sévérité.<br />

On trouve dansles Capitulaires <strong>de</strong> Charlemagne peu <strong>de</strong><br />

traces d'aucun systbme d'imphts. Il paraît que le rev<strong>en</strong>u<br />

<strong>de</strong> l'État consistait principalem<strong>en</strong>t dans la pcrccption <strong>de</strong>s<br />

am<strong>en</strong><strong>de</strong>s, qui étai<strong>en</strong>t iiombreuses et élevées, et daris les<br />

fermagcs dcs doinaincs <strong>de</strong> l'empereur. Le soin minutieux<br />

avec lequel Charlemagne avait réglé tout ce qui concer-<br />

nait ce sujet, ne permet pas <strong>de</strong> douter que In. r<strong>en</strong>te <strong>de</strong><br />

ses terres nc fût Ic chapitre lc plus ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong> son bud-<br />

get. Quelques péages établis sur les grands chemins, à<br />

l'abord <strong>de</strong> certains ponts, fournissai<strong>en</strong>t un supplkm<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> ressources, qui étai<strong>en</strong>t exploitées <strong>en</strong> coilimun avec les<br />

grands propriétaires et qui <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t, sous la féodalité,<br />

l'origine <strong>de</strong>s pliis effroyables exactions. C'est <strong>en</strong>core au<br />

règne <strong>de</strong> Charlemagne qu'il faut attribuer la réhabilita-<br />

tion <strong>de</strong>s lois romaines qui prohibai<strong>en</strong>t la sortie <strong>de</strong>s<br />

grains dans les temps <strong>de</strong> disette, sous peine <strong>de</strong> confisca-<br />

tion, et noiis avons vu qu'il n'avait pas recul6 <strong>de</strong>vant<br />

<strong>de</strong>s essais <strong>de</strong> rnaxilnurn, qui eur<strong>en</strong>t pour résultat d'ag-<br />

graver <strong>de</strong>s maux auxquels ils <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t remédier. Cepeu-<br />

darit Charlemagile peut étre considéré, dans ces temps<br />

<strong>de</strong>mi-barbares, comme le prince qui ait le mieux com-<br />

pris les véritables intérêts du rommerce. Ses Capitu-<br />

laires r<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t une foule dc dispositions pluslibérales<br />

qiic toute celles <strong>de</strong>s empereurs romains. 11 avait établi<br />

aux frontières <strong>de</strong>s ofGciers chargés <strong>de</strong> protéger les rcla-<br />

tions avec les étrangers, et ce lut lui qui plaça à l'em-<br />

bouchure <strong>de</strong>s fleuyes les premiers stalionnu~res, sojt<br />

pour l'intimidation <strong>de</strong>s pirates, soit dans l'intérêt <strong>de</strong> la<br />

navigation. Il avait <strong>en</strong>trepris dc crcuser un canal navi-<br />

gable pour joindre le Rliin au Danube. Il ordonna l'éta-<br />

blissem<strong>en</strong>t d'un système régulier <strong>de</strong> poids:et]mesuresl par<br />

1 ~olum& ut æqwles m<strong>en</strong>suras et rectas, pon<strong>de</strong>ra justa et æqua-


DE L'ÉCONOJ~IE I'OLITIQUE. CIIAP. XII. 155 '<br />

tout l'empire ; poursuivit par CS peines ~6vbres la fabricatioii<br />

<strong>de</strong> la fausse moiinaie, et dbfeiltiit 1~s accapare-<br />

m<strong>en</strong>ts 1. Ses édits GC fur<strong>en</strong>t pas moins opposks à l'achat<br />

<strong>de</strong>s r6coltes siir pied, comme à un systbme <strong>de</strong> spécula-<br />

tion honteuse qui avait pour but d'exploiter la misère<br />

<strong>de</strong>s cultivateurs et <strong>de</strong> faire r<strong>en</strong>cliérir les <strong>de</strong>nriies 2. En<br />

méme temps, il frappait d'immobilité perpétuelle les<br />

bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s églises, <strong>en</strong> s'opposant à ce qu'ils reçuss<strong>en</strong>t<br />

jamais une autre <strong>de</strong>stination 3, et il pr<strong>en</strong>ait soin <strong>de</strong> les<br />

augm<strong>en</strong>ter <strong>en</strong> prescrivant dc~ donations <strong>en</strong> terres et <strong>de</strong>s<br />

dîmes qui étai<strong>en</strong>t payées par ses propres domaines 4.<br />

Nous sommes forcé <strong>de</strong> conv<strong>en</strong>ir que les esclalcs <strong>de</strong> son<br />

temps étai<strong>en</strong>t traitbs avec plus <strong>de</strong> philanthropie et <strong>de</strong><br />

pu<strong>de</strong>ur quc les malhcureax négres d! nos colonies. On<br />

ne pouvait séparer le nuri <strong>de</strong> la femme, et l'article di1<br />

capitulaire qui conteriait cette disposition, s'appuie <strong>de</strong>s<br />

paroles <strong>de</strong> l'fivangile : QUOS Deus eonjunzit, homo non<br />

separet. II Btait di?ï<strong>en</strong>tiu d'acheter oit (le v<strong>en</strong>dre ün<br />

esclave autrem<strong>en</strong>t qu'<strong>en</strong> pr6s<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s dBl.lbgiiEs <strong>de</strong> l'cm-<br />

lia olnnes hqbeant, in civitatibus, sice iic ~monasteriis,' si~e ad<br />

dandurn in illis, sicut ad accipi<strong>en</strong>dum.<br />

Turpe l?icrum exerc<strong>en</strong>t qui per varias circumcagatio?zes lucrandi<br />

ca,tt.\sû, inl%onestè res quaslibet co?zgregare <strong>de</strong>ce,,iant.<br />

Quiczimque elzi~n tempore nbessis rei vin<strong>de</strong>miz, non necessitate<br />

sed propter czipiditatem, compara8 anizmzam aut cinum, cerbi<br />

gratid <strong>de</strong> duobus <strong>de</strong>nariis compalat naod.ium unum et servat ttsrjlie<br />

d3m iterùm vewmrlari possit contra <strong>de</strong>narios quatuor aut sez, lboc<br />

turpe lztcrztrn dicimus..<br />

Ut Zoca qux s<strong>en</strong>zei Deo <strong>de</strong>dicata szint ?il monasteria, sint,<br />

maneant perpetuo monasteria, nec possint ultrd fieri secularih<br />

habitanda.<br />

4 De n~i?xoribus capilulis cons<strong>en</strong>serunt omnes, ad unanzquamque<br />

ecclesiafn curtem el-dtios mansos tel'rz pag<strong>en</strong>ris ad ecclesiam<br />

wcurr<strong>en</strong>tes condoncnt, et hoc Clzristo prcpitio plaeuit ut undiqui<br />

c<strong>en</strong>sus aliyuid ad fisetcm perc<strong>en</strong>erit, sice in \rido, sire i?~ szioli<br />

c'umqzie ba?l?lo, et in omni ?edibz


3 56 HISTOIRE<br />

pereur. Toute ~eiitc<br />

secrè tc était annulée et punie.<br />

On s'cxpliqiie aisémerit cette sollicitu<strong>de</strong> po11r les escla-<br />

ves dans un temps et sous un règne où l'esclavage pre-<br />

nait chaque jour une ext<strong>en</strong>sion nouvelle. Les donations<br />

<strong>de</strong> terres que l'empereur faisait sans cesse aux grands<br />

et aux églises diminuai<strong>en</strong>t chaque jour le nombre <strong>de</strong>s<br />

cultivateurs <strong>en</strong> état <strong>de</strong> vivre du produit <strong>de</strong> leurs rev<strong>en</strong>us,<br />

et leur condition <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ait si malheureuse qu'ils 1rii.pré-<br />

férai<strong>en</strong>t l'esclavage, 011 plutôt le servage. Peu à peu on<br />

vit disparaître presque tous les hommes libres, et lcilrs<br />

petits héritages s'ajouter à ces imm<strong>en</strong>ses domaines con-<br />

cédés par la munific<strong>en</strong>ce impériale à l'aristocratie <strong>de</strong><br />

guerre et d'église. Ainsi se confondai<strong>en</strong>t les idées <strong>de</strong><br />

souveraineté <strong>politique</strong> et <strong>de</strong> propriété fonciere qui <strong>de</strong>-<br />

vi<strong>en</strong>dront la base <strong>de</strong> l'anarchie féodale, aussitôt que la<br />

main d'un chef siiprbme aura cessé <strong>de</strong> t<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> respect<br />

<strong>de</strong>s vassaux ambitieux et puissants. Lui-méme prépareqa<br />

ce grand événem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> divisant l'empire <strong>en</strong>tre ses <strong>en</strong>-<br />

fants et <strong>en</strong> affaiblissant son propre ouvrage ; car c'est<br />

par là surtout que' sa réputation est vulnérable, et c'est<br />

d'après le caractère Cphémère <strong>de</strong> ses œuvres, que beau-<br />

coup d'histori<strong>en</strong>s se sont crus autoriser à le juger sévè-<br />

rem<strong>en</strong>t. il est pourtant juste <strong>de</strong> reconnaître que Char-<br />

lemagne n'a ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> commun avec la plupart <strong>de</strong> ses<br />

prédécesseurs ni ne ses successeurs. Tout ce que nous<br />

savons <strong>de</strong> son amour éclairé pour les sci<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong>s<br />

efforts généreux qu'il fit pour les rbpandre, ces t<strong>en</strong>tatives<br />

hardies <strong>de</strong> c<strong>en</strong>tralisation à une époque <strong>de</strong> démembre-<br />

m<strong>en</strong>t universel, cette création merveilleuse d'un grand<br />

empire <strong>en</strong> moins <strong>de</strong> quarante ans, ne peuv<strong>en</strong>t &tre<br />

l'aiivre que d'un génie supérieur, et nous font très-<br />

bi<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre comm<strong>en</strong>t Charlemagne fut honoré du<br />

nom dc Grand p<strong>en</strong>dant sa vie et canonisé après sa mort.


DE L'ECONOM~E POLITIQUE. CHhP. XII. 157<br />

II avait sans doute plusieilrs (les vices <strong>de</strong> son temps, et<br />

ses mccui-s pcï~oiinelles sembl<strong>en</strong>t trop souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> contladiction<br />

avec la rigidité <strong>de</strong> ses Capitulail-es ; mais sa<br />

p<strong>en</strong>sée ne sera point stérile, et c'est un grand spectacle<br />

que celui <strong>de</strong> ses travaux, surtout quand on les compare<br />

aus lam<strong>en</strong>tables gestes cles rois fainéants. Ce prince rêvait<br />

le rétablissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur romaine avec <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts<br />

germains. Barbare, et <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> Barbare, il<br />

parvint B dompter le flot qui l'apportait, et il aurait<br />

réussi complétem<strong>en</strong>t, s'il n'avait voulu réunir <strong>de</strong>s étém<strong>en</strong>ts<br />

trop dissemblables, c'est-&dire, dcs peuples déjà<br />

classés par la variété <strong>de</strong> leur langage, par l'opposition<br />

<strong>de</strong> leurs intérêts et par leiir sitaation géographique.<br />

« Cliarlemagne, dit M. Raynouard ', crut n'avoir pour<br />

sujets que <strong>de</strong>s guerriers el dcs ecclésiastiyues. II fiit<br />

grand, maispar 1ii selil et polir lui seul. Aucune r<strong>en</strong>ommée<br />

illnçtre ne s'élève ni à côté ni mème au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong><br />

la si<strong>en</strong>ne ; il al~sorba toute la gloire <strong>de</strong> son règne. Do-<br />

mine par les exig<strong>en</strong>ces du mom<strong>en</strong>t, par <strong>de</strong>s nécessités ac-<br />

ci<strong>de</strong>ritelles, il publia souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s lois pour fkvoriscr l'ac-<br />

tion <strong>de</strong> son gowern<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> réprimant <strong>de</strong>s abus<br />

naissants ; mais sa légiblation n'eut point d'<strong>en</strong>semble et<br />

marqua rarem<strong>en</strong>t quelque sollicitu<strong>de</strong> pour l'av<strong>en</strong>ir. n<br />

11 n'est resté <strong>de</strong> lui que l'hérédité <strong>de</strong>s bénéfices, d'oii la<br />

fbodalité <strong>de</strong>vait sortir avec ses misères et ses germes <strong>de</strong><br />

rénoration. C'était un principe affreux; mais à défant<br />

<strong>de</strong> l'unité n~onarchiclue, ce principe valait mieux que I'anarcliie;<br />

nous allons cn étudier les conséqu<strong>en</strong>ces.<br />

4 <strong>Histoire</strong> du droit ktmicipcll <strong>en</strong> France, t. 11, page 385. .


CHAPITRE XIII.<br />

De I'étahlissem<strong>en</strong>t du régime féodal et <strong>de</strong> ses consBqu<strong>en</strong>ees éco-<br />

nomiques. - La monarchie <strong>de</strong> Chai.lemagne est dém<strong>en</strong>iùrée<br />

par l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l'hérédilé <strong>de</strong>s tiefs. - Invasion p6nérale du<br />

servage.<br />

Lcs Capitulaires <strong>de</strong> Charleinagne consacr<strong>en</strong>t principa-<br />

lem<strong>en</strong>t le pouvoir <strong>de</strong> 1'Eglise. Elle seule intervi<strong>en</strong>dra<br />

dbsormais <strong>en</strong> qualité <strong>de</strong> médiateur <strong>en</strong>tre l'humanité et<br />

ses oppresseurs, et sori interv<strong>en</strong>tion vaut la peinc d'être<br />

remarquée, puisque les Capitulaires ont fait loi <strong>en</strong> France<br />

jusqu'au règne <strong>de</strong> 'Philippe le Bel. Elle seulc balancera<br />

la puissance <strong>de</strong>s barons, et lui portera le coup fatal <strong>en</strong><br />

se rangeant du côté du peuple, comme elle acheva l'<strong>en</strong>i-<br />

pire romain <strong>en</strong> s'alliant au parti <strong>de</strong>s Barbares. El1 effet,<br />

nîoins d'un <strong>de</strong>mi-siècle après la mort <strong>de</strong> Charlemagne,<br />

son empire était déjà partagé <strong>en</strong> sept royaiiiïles, et les<br />

comtes, les ducs, les béiléficicrs <strong>de</strong> la façon <strong>de</strong> ce grand<br />

homme, mettant le temps à profit, avai<strong>en</strong>t cherclié à se<br />

créer <strong>de</strong>s positions indép<strong>en</strong>dantes. Les fiefs t<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t à<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus. héréditaires, et les souverains y<br />

cons<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t volontiers. On lit dans un capitulaire <strong>de</strong><br />

Ciiarles le Chauve, eu 877, les dispositions suivantes,<br />

qui sont décisives à cet égard : (1 Si, après notre mort,


HISTOIRE DE I~~ECONOMIE POLITIQUE. CIIAP. XIII. 159<br />

quelqu'un <strong>de</strong> nos fidèles, saisi d'amour pour Diea et<br />

pour notre personne, veut r<strong>en</strong>oncer au siècle, et s'il a<br />

un fils ou tel aiitre palc<strong>en</strong>t capable <strong>de</strong> servir la chose<br />

publique, qu'il soit libre <strong>de</strong> lui transmettre ses bénéfices<br />

comme il lui plaira '. ,) Un autre article confirmait<br />

cclui-lh, et achevait la rédiiction <strong>de</strong> l'empire <strong>en</strong> atomes,<br />

puisque avant la hn du neuvième siècle, on con~ptait<br />

vingt-neuf grands fiefs plus on nioins indkp<strong>en</strong>dants, ct<br />

plus <strong>de</strong> cinquante, à la Gn du dixième, <strong>en</strong> 1' {rance seulem<strong>en</strong>t<br />

2-<br />

Ce nouvel aspect du démembrem<strong>en</strong>t social a été décrit<br />

d'une manière pittoresqiie par les histori<strong>en</strong>s : « Le<br />

royaume naguère si bi<strong>en</strong> uni, dit l'un 3, est divisé maint<strong>en</strong>ant<br />

: il n'y a plus personne qu'on puisse considérer<br />

comme empereur; au lieu <strong>de</strong> roi, on voit <strong>de</strong>s roitelets,<br />

et au lieu <strong>de</strong> royaume, <strong>de</strong>s nlorceaux <strong>de</strong> royaumes. a<br />

En réalité. toute la gran<strong>de</strong> organisation <strong>de</strong> Charlemagne<br />

avait disparu pour fairc place à <strong>de</strong>s associations turbiil<strong>en</strong>tes<br />

et faibles qui n'aiiraieiit pas manque <strong>de</strong> succomber,<br />

si quelyiie puissant agresseur f ~ veriu t à leiir rcncontre.<br />

A partir <strong>de</strong> cette époque, l'histoire <strong>de</strong> France<br />

n'est plus qu'une compi!ation d'annales provinci:tles,<br />

surchargées <strong>de</strong> détails purem<strong>en</strong>t locaux, dans lcsquels<br />

on a beaucoup <strong>de</strong> peine à sui~rc la marche <strong>de</strong> la civilisation.<br />

Lcs ker~vai~rs les plus habiles et les plus consci<strong>en</strong>cieiix<br />

ont dû rccourir aux hypothèses pour expliquer<br />

cette décomposition sans exemple qui s'est opérée presque<br />

instantariém<strong>en</strong>t, et sans préliminaires. hl. Augustin<br />

Thierry l'attribue :o la différ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s races, et M. Guizot<br />

' Capitulaires, édit. <strong>de</strong> Baluze, tome II, page 266.<br />

Guizot, Cours d'lzistostoire ~no<strong>de</strong>rne, tome II, page 435.<br />

3 Rec~~etl <strong>de</strong>s histori<strong>en</strong>.s cles Gaules et <strong>de</strong> la France, tome II,<br />

page 302.


, 160 HISTOIIIE<br />

à la perte <strong>de</strong>s traditions administratives et <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />

p<strong>en</strong>sées <strong>de</strong> <strong>politique</strong> générale. Nous croyons que ces<br />

<strong>de</strong>ux causes ont agi dans <strong>de</strong>s proportions ctiffér<strong>en</strong>tes.<br />

A mesure que les idées <strong>de</strong> cohksion s'affaiblissai<strong>en</strong>t,<br />

l'esprit <strong>de</strong> race ou plutôt <strong>de</strong> localité s'est développé,<br />

probablem<strong>en</strong>t selon <strong>de</strong>s circonstances dont l'apprécia-<br />

tion nous est impossihle; et l'Europe d'alors a dû<br />

ressembler à certaines portions <strong>de</strong> l'Asie actuelle où<br />

quelques hardis pachas, quelques chefs indép<strong>en</strong>dants<br />

rançonn<strong>en</strong>t les populations qui leur sont soumises, sans<br />

avoir même <strong>en</strong>tre eux <strong>de</strong> relations fédératives.<br />

Il n'y a pas lieu, dés lors, d'être surpris que <strong>de</strong> nou-<br />

velles hor<strong>de</strong>s d'<strong>en</strong>vahisseurs ai<strong>en</strong>t fait irruption sur nos<br />

territoires, et que la <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s Sarrasins au sud et<br />

celle <strong>de</strong>s Normands au nord ai<strong>en</strong>t fait pleuvoir sur nos,<br />

malheureux ancktres un déluge <strong>de</strong> maux. Plus <strong>de</strong> li<strong>en</strong><br />

nulle part, et plus d'obéissance; les guerres civiles, les<br />

dévastations produisir<strong>en</strong>t bieiitbt l'abando'n <strong>de</strong>s cultures,<br />

et la famine ajouta ses rigueurs a tous ces fléaux. Une<br />

poignée <strong>de</strong> pirates s'empara <strong>de</strong> Rlarseille <strong>en</strong> 848, et les<br />

Normands brulkr<strong>en</strong>t Bor<strong>de</strong>aux quelque temps après.<br />

Leurs barques remontai<strong>en</strong>t la Seine et pillai<strong>en</strong>t Paris,<br />

<strong>en</strong> 836. Les habitants courai<strong>en</strong>t dans les temples au lieu<br />

<strong>de</strong> combattre, et les rois consectai<strong>en</strong>t d'ignominieux<br />

traités, <strong>en</strong> vertu <strong>de</strong>squels ces mknies Normands, n'ayant<br />

plus ri<strong>en</strong> B iller dans un pays désolé, se le fir<strong>en</strong>t ad-<br />

juger à charge <strong>de</strong> le déf<strong>en</strong>dre. C'est ainsi que la Nor-<br />

mandie a reçu son nom <strong>de</strong> l'invasion mkme, et que la<br />

capitale <strong>de</strong> Charlemagne, la ville d'Aix-la-Chapelle, fut<br />

souillée par une ban<strong>de</strong> d'étrangers que ce grand souve-<br />

rain avait toujours Sait traiter comme <strong>de</strong>s pirates. Com-<br />

bi<strong>en</strong> les temps étai<strong>en</strong>t changés ! A peine l'édit <strong>de</strong> Piste a<br />

4 Voir cet edit dans la Collecti~n <strong>de</strong>s Capitulaires, page 174,


DE L'ECONOIIE POLlTIQUE. CHBP. XIII. 161<br />

jette-t-il ui:e lueur <strong>de</strong> bon Ôrdre dans cette nlit dlanûrchie<br />

et <strong>de</strong> troubles ; les fortifications <strong>de</strong>s barons féodaux<br />

n'étai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>core tout à fait abattues, qu'elles se relevai<strong>en</strong>t<br />

poiir ne plus disparaitre que <strong>de</strong>vant Louis XI,<br />

Richelieu et Louis XIV. Un nouveau contrat se formait<br />

<strong>en</strong>tre l'usurpateur du sol et le cultivatc~ir. Les grands<br />

abbés terri<strong>en</strong>s, les ducs, les comtes et les seigiieors recl-ierchèr<strong>en</strong>t<br />

l'hommage et l'appui <strong>de</strong> leurs vassaux presque<br />

aiitarit que leurs rjchesses. Ils estimèr<strong>en</strong>t la valeur<br />

<strong>de</strong> la terre beaucoup plus par la popiilation que par le<br />

rev<strong>en</strong>u qu'elle pouvait fournif. Le donjon, m<strong>en</strong>acant<br />

pour les voisins et pour les étrangers, <strong>de</strong>vint protecteur<br />

poiir le vassal. Les ca<strong>de</strong>ts <strong>de</strong> famille, les homn-ies libres,<br />

les bourgeois fur<strong>en</strong>t admis, moy<strong>en</strong>nant promesse <strong>de</strong> subordination,<br />

à pr<strong>en</strong>dre leur part <strong>de</strong>s profits <strong>de</strong> la terre,<br />

et pur<strong>en</strong>t se marier sans blesser les intbrhls <strong>de</strong> leurs<br />

maîtres. Ceux-ci, combattant à cheval <strong>en</strong> vertu <strong>de</strong> leur<br />

privilége, leur permir<strong>en</strong>t <strong>de</strong> porter le ariiies et <strong>de</strong> tombattre<br />

àpied; il s'établitzzinsi sous la t<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s relations<br />

biei~veillantes qui rayprocliai<strong>en</strong> t les railgs c t préparai<strong>en</strong>t,<br />

quoique <strong>de</strong> fort loin, le règne <strong>de</strong> l'kgalité. Chaque village<br />

forma bi<strong>en</strong>tBt une communauté liée d'intéréts, <strong>de</strong><br />

passions et presque <strong>de</strong> par<strong>en</strong>té. Qui pourrait dire jusqu'a<br />

quel point ce système <strong>politique</strong> tout municipal, d'où <strong>de</strong>-<br />

. vait sortir un jour l'émancipation <strong>de</strong>s communes avec<br />

les corporations <strong>de</strong> l'industrie, a contribué aux progrhç<br />

tome 11, <strong>de</strong> l'edition <strong>de</strong> Baluze. II se compose <strong>de</strong> tr<strong>en</strong>te-sept<br />

articles et <strong>de</strong> trois paragraphessuppl6m<strong>en</strong>taircs. 11 a eu pour but,<br />

<strong>en</strong>tre autres clioscs, la refonte g<strong>en</strong>erale <strong>de</strong>s monnaies dont la fabrication<br />

elait accordée seulem<strong>en</strong>t à dix v~lles; il fixait le rapport<br />

<strong>de</strong> l'or et <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t à raison <strong>de</strong> douze livres d'arg<strong>en</strong>t pour une<br />

livre d'or : il con~pr<strong>en</strong>ait <strong>en</strong> outre divers règlem<strong>en</strong>ts concern<strong>en</strong>t la<br />

boulangerie, la po1,ice <strong>de</strong>s marchés et la v8rification <strong>de</strong>s poids et<br />

mesures.


162 HISTOIRE<br />

<strong>de</strong> la civilisation et <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> ! On ne sait;<br />

mais la transition fut longue et cruelle, et le donjonne<br />

tarda point B se retourner contre les villages. La discor<strong>de</strong><br />

se mit <strong>en</strong>tre les myria<strong>de</strong>s <strong>de</strong> seigneurs qui lavai<strong>en</strong>t<br />

leurs off<strong>en</strong>ses daus le sang <strong>de</strong> leurs sujets ; et p<strong>en</strong>dant<br />

plus <strong>de</strong> trois siècles l'Europe offrit l'aspect d'une vaste<br />

arène où le plus fort exploitait le plus faible sans pitié.<br />

II n'y avait plus dc capitale pour doiincr l'impulsion, ni<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s villes pour la recevoir, mais seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

couvei~ts et <strong>de</strong>s châteaux sèparCs par <strong>de</strong>s rivières sans<br />

ponts, <strong>de</strong>s marais sans chauss6es et <strong>de</strong>s forêts sans routes. .<br />

La justice était assise au fond <strong>de</strong>s manoirs obscurs, plus<br />

souv<strong>en</strong>t la victime que la compagne <strong>de</strong> la force; c'est là<br />

qu'on v<strong>en</strong>ait plai<strong>de</strong>r aux pieds <strong>de</strong>s seigneurs tout-puissants.<br />

Le commerce, réduit au simple colportage, évitait<br />

les regards qu'il recherche aujourd'hoi; et d'ailleurs,<br />

qu'aurait-il pu offrir <strong>de</strong> séduisant à (les hommes bardés<br />

<strong>de</strong> fer et satisfaits par <strong>de</strong>s ouvriers nombreux jusque<br />

dans leurs moindres caprices? Le nombre <strong>de</strong> ces ouvriers<br />

diminuait néanmoins tous les jours à cause <strong>de</strong> la roine<br />

<strong>de</strong>s villes dévastées, tantôt par l'<strong>en</strong>nemi extérieur, tantSt<br />

par la guerre civile, et il n'y eut bi<strong>en</strong>tôt plus d'autres<br />

industries que celles qui étai<strong>en</strong>t consacrées à la production<br />

<strong>de</strong>s objets les plus indisp<strong>en</strong>sables. L'esprit <strong>de</strong> liberté<br />

s'éteignit donc avec les gran<strong>de</strong>s cités; plus <strong>de</strong> franchises,<br />

plus <strong>de</strong> ces rivalités énergiques et bruyantes qui <strong>en</strong>flammai<strong>en</strong>t<br />

les imaginations et que nous ret~ouverons au<br />

sein <strong>de</strong>s républiques itali<strong>en</strong>nes du moy<strong>en</strong> dge; mais un<br />

isolem<strong>en</strong>t général <strong>de</strong> toutes les intellig<strong>en</strong>ces e't <strong>de</strong> toutes<br />

les localités ; une poussière confuse <strong>de</strong> peuples et <strong>de</strong> rois.<br />

Les tkmoins <strong>de</strong> cette époque <strong>de</strong> dissolution <strong>en</strong> fur<strong>en</strong>t tellem<strong>en</strong>t<br />

effra~rés qu'ils crnrcnt la fin di1 inon<strong>de</strong> immin<strong>en</strong>te<br />

et qu'ils s'y préparai<strong>en</strong>t comme à un événem<strong>en</strong>t inévi-


DE L'ECONO~~IE POLITIQUE. CHAP. XIII. f 63<br />

table. Il nous est parveiiu une foule<strong>de</strong> testam<strong>en</strong>ts ou <strong>de</strong><br />

chartes <strong>de</strong> donation qui étai<strong>en</strong>t moti~ées sur l'explosion<br />

prochaine <strong>de</strong> cette fatale catastrophe. La plilpart comni<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t<br />

par ces mots : adv<strong>en</strong>lante nzundt aesppro, la fin<br />

du mon<strong>de</strong> étant prés d'arriver; niais heureusem<strong>en</strong>t elle<br />

n'arriva point et ne cansa d'antres ravages que lcs conséqu<strong>en</strong>ces<br />

<strong>de</strong> la peur qn'ellc avaitinspirée. Sur beaucoup<br />

<strong>de</strong> points le travail avait cessé; <strong>de</strong>s esclaves avai<strong>en</strong>t été<br />

r<strong>en</strong>dus à la liberté, <strong>de</strong> vieilles haines s'étai<strong>en</strong>t apaisées,<br />

<strong>de</strong>s méchants s'étai<strong>en</strong>t~convertis. Quel trioniphe pour<br />

YEglise! quelle recru<strong>de</strong>sc<strong>en</strong>ce dc fcrvcur poiir la foi!<br />

Mais <strong>en</strong> meinc temps quelle stupidité chez les peoples et<br />

qiielle espérance concex oir pour eux quand on les voit<br />

réduits ii un pareil <strong>de</strong>gré d'abrutissem<strong>en</strong>t !<br />

Aussi ce fut iin temps mcrveilleusern<strong>en</strong>t propre à tous<br />

les essais <strong>de</strong> I'aiidaee et à tous les empiktcm<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la<br />

tyrannie. On n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit plns parler <strong>de</strong> guerres <strong>politique</strong>s,<br />

mais d'expiiditioris <strong>de</strong> brigands et d'incursions<br />

<strong>de</strong> pirates. Les seigneurs autorisés à battre monnaie, à<br />

r<strong>en</strong>dre Ia justice, à prononcer sonverainem<strong>en</strong>t sur les<br />

terres <strong>de</strong> leur clornination, rompir<strong>en</strong>t les <strong>de</strong>rniers li<strong>en</strong>s<br />

<strong>de</strong> toute unité nationale, et effrayèr<strong>en</strong>t l'Europe du<br />

spectacle sanglant <strong>de</strong> leurs discor<strong>de</strong>s. Les châteaux<br />

' construits <strong>de</strong> toutes parts semblai<strong>en</strong>t alim<strong>en</strong>tcr ccttc<br />

fièvre <strong>de</strong> batailles, <strong>en</strong> offrant <strong>de</strong>s repaires assurés à tous<br />

les perturbateurs du repos public. L'histoire, si tant<br />

cst qu'on <strong>en</strong> retrotive le fil dans cette Ionguc série<br />

d'atrocités, n'est plus qu'un amas confus d'événem<strong>en</strong>ts<br />

sans liaison, sans portée, bcaucoup plus dignes <strong>de</strong> hor<strong>de</strong>s<br />

sauvages que <strong>de</strong>s habitants d'un pays civilisé.<br />

Cepcndant oii 1 découlre iine trace assez nettc <strong>de</strong>s<br />

principaux élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> Ia condition sociale <strong>de</strong>s travailleurs.<br />

Retirés presque tous dans les campagnes, ils y


164 ' HISTOIRE<br />

étai<strong>en</strong>t partagés <strong>en</strong> trois classes, les serfs, les vilains et<br />

les hommes librcs. Les premiers, attachés à la glèbe,<br />

adscripti gleb~, étai<strong>en</strong>t considérés comme la chose <strong>de</strong><br />

leurs maitres, comme dc véritables immcnbles par <strong>de</strong>stination;<br />

malgri: les prescriptions <strong>de</strong>s Capitulaires tombées<br />

<strong>en</strong> d6suét.u<strong>de</strong>, leurs maitrcs avai<strong>en</strong>t repris sur eux<br />

le droit dc vie et <strong>de</strong> mort ; ils leur rasai<strong>en</strong>t les cheveux,<br />

leur infligeai<strong>en</strong>t la torture, leur interdisai<strong>en</strong>t le mariage<br />

et leur refusai<strong>en</strong>t le droit <strong>de</strong> témoigner <strong>en</strong> justice<br />

contre <strong>de</strong>s Iiommes libres. Ils Btai<strong>en</strong>t distingués <strong>de</strong><br />

ceux-ci par un vêtem<strong>en</strong>t particulier, et ne pouvai<strong>en</strong>t<br />

pas inéme disposer par testam<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s haillons qui couvrai<strong>en</strong>t<br />

mal leur nudité. Nulle autorité n'al ait le droit<br />

d'intervcnir <strong>en</strong>tre le maître et le serf, dont l'état doit<br />

avoir été inférieur, p<strong>en</strong>dant cette périotle sacrilége,<br />

à celui <strong>de</strong> la bête <strong>de</strong> somme. Les vilains (cillani, habitants<br />

<strong>de</strong>s maisons <strong>de</strong> campagne) iliffkrai<strong>en</strong>t drs serfs <strong>en</strong><br />

ce s<strong>en</strong>s qu'ils étai<strong>en</strong>t admis à payer lcurs maitrcs une<br />

rctlevance au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> laquelle le surplus (les produits<br />

. <strong>de</strong> la culture lciir appart<strong>en</strong>ait. Il y avait pourtaiit (le<br />

nombreuses exceptions à cette règle, et généralem<strong>en</strong>t<br />

les vilains étai<strong>en</strong>t taillables et corciables d lncrci et à ?nisé~icor<strong>de</strong>.<br />

Quelqucs hommes libres, <strong>en</strong> bi<strong>en</strong> retit nombre,<br />

conservai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core une ombre d'indép<strong>en</strong>dance,<br />

sous les noms <strong>de</strong> conditionales, tributurii, a~i,manni, qu<br />

proul<strong>en</strong>t <strong>en</strong> meme temps que cette indép<strong>en</strong>dance ne<br />

leur appart<strong>en</strong>ait pas sans condition. C'étai<strong>en</strong>t prol~ablcm<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> petits propriétaires qui parai<strong>en</strong>t au!si leur<br />

part <strong>de</strong> re<strong>de</strong>vances aux seigneurs, soit <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t, soit <strong>en</strong><br />

ser~ices, et dont la condition était si précaire ct si misérable<br />

qu'ils r<strong>en</strong>onçaierit à leur lil~crth, souTcnt plus<br />

onéreuse pour eux que la servitu<strong>de</strong>. Cette dPmiscion <strong>de</strong>s<br />

SoBctions d'homme libre s'appclait obnoxiuiio, ct dcs


DE: L'ÉCOXOYIE POLlTI~tiI


trouve m&me <strong>en</strong> France, malgré les lois révolutionnaires<br />

qui ont réduit la propriété <strong>en</strong> atomes. « L'industriel et<br />

le commerçant sont <strong>en</strong>core, aux yeux <strong>de</strong> bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s,<br />

les fils <strong>de</strong> l'affranchi et <strong>de</strong> l'esclave ; au contraire, la<br />

prksomption est toujoiirs <strong>en</strong> fa~eur du propriétaire.<br />

Celui-ci est protégé, non comme agiculteiir et travail-<br />

leur, mais bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> raison <strong>de</strong> sa qualité abstraite <strong>de</strong> pro-<br />

priétaire, <strong>de</strong> dét<strong>en</strong>teur du sol, <strong>de</strong> légataire <strong>de</strong>s patri-<br />

cicns ou du baron féodal l. >I C'est ce qiii explique com-<br />

m<strong>en</strong>t il est sorti qiielque lueur <strong>de</strong> civilisation <strong>de</strong> cette<br />

nuit féodale qui semble avoir <strong>en</strong>veloppé le mon<strong>de</strong> du-<br />

rant plusieurs siècles. Si <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s idées <strong>politique</strong>s y<br />

ont disparu, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s individualités ont comm<strong>en</strong>cé à<br />

y briller et se sont pénétrées <strong>de</strong> leur propre importance,<br />

<strong>de</strong> manière à mériter un regard <strong>de</strong> l'histoire. L'armure<br />

chevaleresque et le privilége <strong>de</strong> combattre à cheval for-<br />

tifièr<strong>en</strong>t chez les seigneurs le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur indé-<br />

p<strong>en</strong>dance et <strong>de</strong> leurs droits, et conservèr<strong>en</strong>t i!~ la dignité<br />

humaine un asile libre <strong>de</strong> servitu<strong>de</strong>. Les barons féo-<br />

daux, vrais g<strong>en</strong>tilshommes rt!publicains, moins éclairés<br />

que ceux <strong>de</strong> Rome et d'Athènes, se créèr<strong>en</strong>t un droit<br />

<strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s, fondé sur la loyauté <strong>de</strong>s prornesscs et sur le<br />

respect <strong>de</strong> la foi jurée. Ils cherchèr<strong>en</strong>t dans la religion<br />

du serm<strong>en</strong>t une garantie contre la viol<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> leurs<br />

passions, qu'un gouvernem<strong>en</strong>t puissailt et c<strong>en</strong>tral ne<br />

pouvait pliis cont<strong>en</strong>ir. Ils placèr<strong>en</strong>t les femmes, pour la<br />

première fois, sous la protection cle la galanterie fran-<br />

çaise et préparèr<strong>en</strong>t, sans y songer peut-être, les chan-<br />

gem<strong>en</strong>ts plus graves survcnus dans les siècles suivants.<br />

Noiis allons les voir, unis au clergé, souffler le feu sacrB<br />

1 Lettres sur l'Amérique du Nord, par M. Michel Chevalier,<br />

tome II, page 268.


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XIII. 167<br />

<strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s qui civilisèr<strong>en</strong>t le mon<strong>de</strong> par le commerce,<br />

<strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant que leurs discor<strong>de</strong>s le régénèr<strong>en</strong>t par la<br />

liberté '.<br />

Une Abbaye au douzième siècle.<br />

Après avoir exposé les formations <strong>de</strong>s seigneuries, celles <strong>de</strong>s<br />

villages et <strong>de</strong>s paroisses, il pourra être intéressant <strong>de</strong> preseoter<br />

ici le tableau d'une seigneurie ecclésiastique au douzième siècle,<br />

<strong>de</strong> son administration et <strong>de</strong>s obligations qu'elle imposait à ses sujets<br />

<strong>de</strong> différ<strong>en</strong>tes classes, <strong>de</strong>puis les nobles <strong>de</strong>vant le service <strong>de</strong><br />

fiefs, jusqu'aux simples serfs faisant un service dompstique. Nous<br />

avons sur l'abbaye <strong>de</strong> Marmoutiers, près <strong>de</strong> Saverne <strong>en</strong> Alsace,<br />

Majus monasterium,, Nawm~smunster, <strong>de</strong>ux docum<strong>en</strong>ts très-circonstanciés<br />

et presque contemporains, recueillis tous <strong>de</strong>ux dans l'Alsatin<br />

illustrata <strong>de</strong> Schœpflin. L'un appel6 Urbaritcm est <strong>de</strong> l'an<br />

1120 et conti<strong>en</strong>tle relev6 <strong>de</strong>s terres qui appart<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à l'abbaye.<br />

L'autre <strong>de</strong> l'annee 1144 est un règlem<strong>en</strong>t pour la gestion <strong>de</strong> ces<br />

bi<strong>en</strong>s. Nous pouvons,.à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce docum<strong>en</strong>t et du comm<strong>en</strong>taire<br />

qu'<strong>en</strong> ont donné Anton et Langethal, faire un tableau assez exact<br />

<strong>de</strong> ce qu'était un canton au moy<strong>en</strong> âae.<br />

L'abbaye possedait un territoire qu'on appelait le Moresmark<br />

et qu,i compr<strong>en</strong>ait quatorze villages <strong>de</strong> différ<strong>en</strong>tes gran<strong>de</strong>urs, Bar<strong>en</strong>berg,<br />

Dompeter ou Doinpierre (Domus Petrq, Sigrist (Signz~m<br />

Christi), Raut<strong>en</strong>burg , Weiler, Humberting<strong>en</strong> , Marmouliers ,<br />

Schwabweil@r, Otterweiler, Schweinheim, Westhof<strong>en</strong>, Totz<strong>en</strong>heim,<br />

Onolsheim et Zell. Outre ce territoire elle avait quelques<br />

bi<strong>en</strong>s disséminés principalem<strong>en</strong>t dans le Saargau et les dîmes <strong>de</strong><br />

plusieurs villages.<br />

Les bi<strong>en</strong>s-fonds étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux sortes. Les uns, exploités directem<strong>en</strong>t,<br />

formai<strong>en</strong>t la reserve, ce qu'on nommait Terra dominica.<br />

Les autres étai<strong>en</strong>t in!&odés ou ac<strong>en</strong>sés: L'abbaye touchait<br />

tous les rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong>s premiers ; elle ne tirait <strong>de</strong>s seconds que <strong>de</strong>s<br />

services on <strong>de</strong>s re<strong>de</strong>vances <strong>de</strong> nature diverse.<br />

Parmi les rev<strong>en</strong>us, les uns étai<strong>en</strong>t affec~es aux moines et les au-<br />

' Nous empruntons à l'histoire <strong>de</strong> M. Darestè, que nous v<strong>en</strong>ons<br />

<strong>de</strong> citer, le chapitre intitulé : Une Abbaye au douzième siècle, qui<br />

expose d'une manière saisissante i'état economique <strong>de</strong> la socikté à<br />

cette époque.


tres à I'abbé. Il y avait aussi <strong>de</strong>ux ,budgets : lo le budget dii nio-<br />

naslére, qui <strong>de</strong>vait subv<strong>en</strong>ir à ses dép<strong>en</strong>ses propres, à I'<strong>en</strong>trsticn<br />

<strong>de</strong>s bBtes et à celui <strong>de</strong>s pauvres, aux besoins du service religieux<br />

et <strong>de</strong>s pr8lres dans les paroisses; 20 le budget <strong>de</strong> l'abbé. En elfet,<br />

I'abbé était chef d'une seigneurie et, comme tel, t<strong>en</strong>u <strong>de</strong> pourvoir<br />

aux services administratifs. Enlre autres obligations il avait celle<br />

<strong>de</strong> conduire ses hommes d'armes à l'évêque <strong>de</strong> Metz, son supé-<br />

rieur hiérarchique. Il <strong>de</strong>vait le gîte et la pourvoirie à I'évéque <strong>de</strong><br />

Netz et à l'empereur d'Allemagne. Comme <strong>de</strong> telles charges<br />

étai<strong>en</strong>t très-onereuses, son budget Btait le plus considérable <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux : même, à vrai dire, celui du monastère n'<strong>en</strong> formait qu'un<br />

chapitre particlilier.<br />

Les principaux ag<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l'abbaye etai<strong>en</strong>t l'avou.5, l'int<strong>en</strong>dant<br />

ou le juge (eausidiczu), le marechal, le camérier (Camerarius), les<br />

maires (villici) et les forestiers.<br />

L'avoué (advoeatz~s, coigt) t<strong>en</strong>ait trois fois par an les assiges sei-<br />

gneuriales; tous les, sujets <strong>de</strong>i'abbé, quel que fût leur rang, niéme<br />

les barons, <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t y comparaître. Il était paye par la jouissance<br />

du tiers <strong>de</strong>s am<strong>en</strong><strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s profits <strong>de</strong> la justice et par <strong>de</strong>s re<strong>de</strong>-<br />

vances particulières pour chaque session d'assises. Aux sessions<br />

<strong>de</strong> Noël et <strong>de</strong> PAques, il recevait <strong>de</strong>ux porcs, un sanglier, <strong>de</strong>ux<br />

pains, six mesures <strong>de</strong> fourrage, une d'avoiue et quatre muids <strong>de</strong><br />

vin ; à celle <strong>de</strong> la P<strong>en</strong>tecôte, six inoutons d'un an, quatre pains,<br />

l'avoine et le vin.<br />

L'int<strong>en</strong>dant (causidiczcs) avait <strong>de</strong>s attribulions très-complexes.<br />

Comme juge, il réglait les,eontestations <strong>en</strong>tre I'abbé et ses gubor-<br />

donnes et t<strong>en</strong>ait dans les villages <strong>de</strong>s assises particulières, aux-<br />

quelles assistai<strong>en</strong>t les c<strong>en</strong>silaires librcs. En meme temps il elait à<br />

la tête <strong>de</strong> toute I'admiiiistration, et les autres ag<strong>en</strong>ts, à 1:exception<br />

<strong>de</strong> i'avoué, <strong>de</strong>p<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lui : il ordonnait tous les travaux; il<br />

faisait les baux à 13 Saint-Jean <strong>de</strong> chaque année, publiait les bans<br />

<strong>de</strong> fauchaison, <strong>de</strong> v<strong>en</strong>dange, etc. II t<strong>en</strong>ait les registres <strong>de</strong>s v<strong>en</strong>tes,<br />

fixait le prix <strong>de</strong>s vins et l'époque' où les sujels <strong>de</strong> l'abbaye pou-<br />

vai<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>dre ceux qui leur apparl<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t. Enfin il avait la ges-<br />

tion financière ; il recevait les c<strong>en</strong>s et les re<strong>de</strong>vances par l'<strong>en</strong>lre-<br />

" mise <strong>de</strong>s maires et c<strong>en</strong>tralisait <strong>en</strong>tre ses mains toules les receiles<br />

et les d6p<strong>en</strong>ses. Il avait <strong>de</strong>ux assislants, appeles mi>zistri ou co-<br />

miles. Il touchait le liers <strong>de</strong>s am<strong>en</strong><strong>de</strong>s et jouissait <strong>de</strong> re<strong>de</strong>vances<br />

nombreuses qui lui elai<strong>en</strong>t payées <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t ou <strong>en</strong> nature.<br />

Le maréchal étdit chargé du soin <strong>de</strong>s haras, les chevaux <strong>de</strong> l'ab-


DE L'ECONOPIE POLITIQUE. CHAP. XIII. 169<br />

baye ayant, à une certaine époque <strong>de</strong> l'année, droit <strong>de</strong> piture sur<br />

tous les prés du territoire. II était nourri, avait un mause parti-<br />

culier et trois logem<strong>en</strong>ts (tres curias), probablem<strong>en</strong>t parce qu'il<br />

<strong>de</strong>vait, dans la bellesaison, se transporter <strong>en</strong> différ<strong>en</strong>ts lieux.<br />

Le caméi.i@ était, l'int<strong>en</strong>dant particulier <strong>de</strong> la maison abbatiale.<br />

Il était <strong>de</strong>frayé <strong>de</strong> sa dép<strong>en</strong>s2 personnelle et jouissait <strong>de</strong> re<strong>de</strong>-<br />

vances à lui spécialem<strong>en</strong>t affectées.<br />

Les maires (viliici, majores), étai<strong>en</strong>t à la tete <strong>de</strong>s villaçeç qu'ils<br />

administrai<strong>en</strong>t sous la surveillance du causidiciis. Ils avai<strong>en</strong>t cha-<br />

cun un manse particulier, franc <strong>de</strong> toute espèce <strong>de</strong> charges, outre<br />

quelques remises sur les. c<strong>en</strong>s qu'ils percevai<strong>en</strong>t. Ileux d'<strong>en</strong>tre<br />

eux administrai<strong>en</strong>t chacun <strong>de</strong>ux villages et avai<strong>en</strong>t, par consé-<br />

qu<strong>en</strong>t, la jouissance <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manses. En retour, ils étai<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>us à<br />

certains services, lorsque l'int<strong>en</strong>dant ou l'abbé <strong>en</strong> personne ve-<br />

nai<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>ir les assises du villagc. Ils <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t meme payer ce<br />

jour-!à <strong>de</strong>s re<strong>de</strong>vances estinlées pour chacun d'eux A un porc, huit<br />

pains et quatre setiers <strong>de</strong> vin.<br />

Dans un <strong>de</strong>s villages, celui <strong>de</strong> Bar<strong>en</strong>berg, l'ini<strong>en</strong>dant v<strong>en</strong>ait<br />

chaque année refaire les baux <strong>de</strong>s c<strong>en</strong>sitaires, qui étai<strong>en</strong>t au noni-<br />

bre <strong>de</strong> vingt et un ou vinçt-<strong>de</strong>ux. Langethal p<strong>en</strong>se que c'était .le<br />

même bail que I'on r<strong>en</strong>ouvelait tous les ans.<br />

Les forestiers elai<strong>en</strong>t au nombre-<strong>de</strong> six. Ils Blai<strong>en</strong>t chargés <strong>de</strong> la<br />

conservalion et <strong>de</strong> l'adrninistretion <strong>de</strong>s bois. Chacun d'eux avait<br />

la jouisssiice <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manses, mais <strong>de</strong>vait annuellem<strong>en</strong>t à I'abbd<br />

un porc, quatre setiers <strong>de</strong> vin, huit pains, une mesure d'avoine<br />

et une cognée ; à l'int<strong>en</strong>dant six quartauts <strong>de</strong> fourrage, six setiers<br />

<strong>de</strong> vin, six poules el douze pains. ils avai<strong>en</strong>t aussiquelques profits<br />

sur les bois.<br />

Les bois étai<strong>en</strong>t réservés, places <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors du territoire <strong>de</strong>s vil-<br />

lages, et par conséqu<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la juridiction <strong>de</strong>s maires. Mais les ha.<br />

hitants <strong>de</strong> chaque village jouissai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> commun <strong>de</strong> certains droits<br />

dans ies forets ; l'ürbariunz les désigne à cause <strong>de</strong> cela sous le nom<br />

<strong>de</strong> socii, consocii, par où I'on voit qu'il y avait <strong>en</strong>core chez eux<br />

<strong>de</strong>s restes d'anci<strong>en</strong>ne communaulé.<br />

Tels etai<strong>en</strong>t les principaux ag<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l'abbaye, au.<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s-<br />

queis so trouvai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts inférieurs, coruine les celldriers, les<br />

gar<strong>de</strong>s, le préposé <strong>de</strong>s monnaies (l'abbé avait le droit <strong>de</strong> battre<br />

monnaie), le préposé <strong>de</strong>s saliiles, le messager, etc .... Voilà pour<br />

I'administration.<br />

Maint<strong>en</strong>ant lessujels <strong>de</strong>l'abbayeéiai<strong>en</strong>tdivis6s <strong>en</strong> yuat;.e classes.<br />

kW ÉDIT. T. I. a o


La première était celle rles barons, c'est-à-dire <strong>de</strong>s hommes libres,<br />

qui ne <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t que le service militaire à cheval. Ils étai<strong>en</strong>t<br />

directem<strong>en</strong>t justiciables <strong>de</strong> l'abbé ou plutBt <strong>de</strong> son avoué, et farmai<strong>en</strong>t<br />

la cour <strong>de</strong> baronnie. Le nombre <strong>de</strong>s rnanses <strong>de</strong>vant ce<br />

service militaire, ou, si l'on aime mieux, <strong>de</strong>s Tifs <strong>de</strong> cimalier,<br />

était <strong>de</strong> tr<strong>en</strong>te dans toutel'ét<strong>en</strong>due <strong>de</strong>la seigneurie.<br />

Lesc<strong>en</strong>sitaires libres composai<strong>en</strong>t la secon<strong>de</strong> classe ; ils payai<strong>en</strong>t<br />

un c<strong>en</strong>s territorial annuel qui variait .pour chaque maose, mais<br />

qui Btait peu considérable; car le plus élevB ne <strong>de</strong>passait pas cinq<br />

schillings. Ils formai<strong>en</strong>t le conseil <strong>de</strong> chaque village, et <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t<br />

pr<strong>en</strong>dre pa~t aux assises que présidait l'int<strong>en</strong>dant. Le nombre<br />

<strong>de</strong>s manses ainsi t<strong>en</strong>us <strong>en</strong> c<strong>en</strong>sive était, <strong>en</strong> 1144, <strong>de</strong> quatre-vingts<br />

pour toul le territoire.<br />

Au troisième rang étai<strong>en</strong>t les serfs, ou dkt<strong>en</strong>teurs <strong>de</strong> manses<br />

serviles (m<strong>en</strong>sa servilia). Ceux-là, outre le c<strong>en</strong>s, contributions et<br />

m<strong>en</strong>ues re<strong>de</strong>vances d'ceufs et <strong>de</strong> poules, <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t à l'abbé trois<br />

jours <strong>de</strong> travail dans la semaine. La nature <strong>de</strong>s travaux à leur<br />

charge &ait soigneusem<strong>en</strong>t déterminée 1.<br />

Ils ne pouvai<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>dre-leurs bi<strong>en</strong>s qu'à <strong>de</strong>s hommes du pays<br />

et <strong>de</strong> la seigneurie. Les contributions qu'ils payai<strong>en</strong>t etai<strong>en</strong>t assez<br />

variées; la principale était celle qui portait sur la v<strong>en</strong>te <strong>de</strong> chaque<br />

pièce <strong>de</strong> vin.<br />

Enfinla <strong>de</strong>rnière classe btait celle <strong>de</strong>s hommes qui n'avai<strong>en</strong>t<br />

aucune espéce <strong>de</strong> manses et qui ssrvai<strong>en</strong>t comme domestiques.<br />

Ils faisai<strong>en</strong>l le service exterieur <strong>de</strong> l'abbaye et les travaux <strong>de</strong>s<br />

champs auxquels n'étai<strong>en</strong>t pas t<strong>en</strong>us les serfs <strong>de</strong> la cla~se piécé<strong>de</strong>nte.<br />

Ils Btai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>frayés et nourris, mais:ne recevai<strong>en</strong>t point<br />

d'arg<strong>en</strong>t. Quelques-uns, au lieu d'être nourris, avai<strong>en</strong>t la jouissance<br />

d'une pièce <strong>de</strong> terre, ce qui était. un Bquival<strong>en</strong>t.<br />

1 Lc principe n'était pas absolu; lc noml)rc <strong>de</strong>s jours <strong>de</strong> travail, réglé<br />

partout par d'anciçns iisnges, variait avec les saisons. Dans l'abbaye <strong>de</strong><br />

Prüin (Prusse rhCnane), les serfs <strong>de</strong>wi<strong>en</strong>t, suivant lz temps, <strong>de</strong>us, tois ou<br />

quatre journécs. -Dans un villagc dép<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> Blarmouticrs, le travail<br />

dû au seigneur durait <strong>en</strong> avril et mai trois jours par scmaine p<strong>en</strong>dant quatre<br />

, scmaincs, du mois dc mai ù la Saint-Jean unc aprés-dinée pal' semaine; <strong>de</strong><br />

ia Saint-Jean B la fauca.haison (qui avait lieu <strong>en</strong> juillet) cliacpe niansc -<strong>de</strong>vait<br />

dcux journfcs d'hommc par sciiiaine; du jour où la moisson eomm<strong>en</strong>qait,<br />

trois api.8~-8nOcs. -Et dcpiiis la Saint-Partin jusqu'à Noël, temps <strong>de</strong>s<br />

, rorvi.cs, tiaiisports rlc hois ct autres travaux, trois jours <strong>en</strong>ticrs par semaine.<br />

l,iingcLlial,~liv. 11, p. 559.


DE I~'ECO~\TO~III-, POLITIQUE. CITBP. XIII. 1 1<br />

Il peut ktre interessant <strong>de</strong> marquer d'une maniare plus particulière,<br />

d'après I'Urbariunz, les travaux qui elai<strong>en</strong>t imposés aux<br />

serfs dét<strong>en</strong>teurs <strong>de</strong> manses serviles,et ceux qui étai<strong>en</strong>t imposes<br />

aux simples domestiques.<br />

« Les serfs (<strong>de</strong> la troisièae classe) coup<strong>en</strong>t les blés du seigneur,<br />

les mèn<strong>en</strong>t à la grange et les décharg<strong>en</strong>t, mais n'ont ri<strong>en</strong> autre<br />

à faire avec la moisson ; ils ne doiv<strong>en</strong>t ni dresser les meules ni<br />

lier les gerbes. De méme pour !a v<strong>en</strong>dange; ils coup<strong>en</strong>t le raisin<br />

et le pcrt<strong>en</strong>t au pressoir, mais laiss<strong>en</strong>t le reste aux domestiques.<br />

De même pour les foins; ils'n'ont qu'à les couper, à les conduire<br />

au f<strong>en</strong>il et à les décharger. Ils conduis<strong>en</strong>t aussi le bois a la cuisine<br />

et au four, et n'ont plus à s'<strong>en</strong> occuper. Enfin ils travaill<strong>en</strong>t à <strong>en</strong>lever<br />

les fumiers, mais après qu'ils ont 6th tirés <strong>de</strong>s écuries. Ils<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au soleil levant, part<strong>en</strong>t au soleil couchant et ne reçoi.<br />

v<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong>. ))<br />

« Chaque manse, dans toute l'ét<strong>en</strong>due du territojre 1, doit fournir<br />

un homme pour couper les foins, et tous les hommes d'une<br />

force suffisante doiv<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>dre par,t a la fauchaison. Personne<br />

n'<strong>en</strong> est disp<strong>en</strong>sé, à moins qu'il n'<strong>en</strong> ait reçu la disp<strong>en</strong>se du maire<br />

<strong>de</strong> sou village. Chaque faucheur reçoit da l'abbe un pain <strong>de</strong> poids,<br />

et une annee, <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong> avec <strong>de</strong> la bière, l'autre année, du fromage<br />

avec du vin. Tout serf possesseur d'un manse doit labourer<br />

quatre journaux <strong>de</strong> la terre <strong>de</strong> l'alibk, avec autant <strong>de</strong> soin que<br />

si c'&ait pour lui-même ; il <strong>en</strong> labourera trois à l'automne et un<br />

au printemps. Mais chaque laboureur recevra pour ce travail<br />

trois pains et à l'automne <strong>de</strong> la bière, au printemps du vin. Tout<br />

manse doit fournir un moissonneur, soit pour les grains d'hiver,<br />

soit pour les grains d'été; ce moissonneur reçoit à boireet à manger<br />

<strong>de</strong>ux fois par jour et a droit à un pain d'extraordinaire. ))<br />

Ces détails étai<strong>en</strong>t nécessaires pour faire bi<strong>en</strong> apprécier la condition<br />

<strong>de</strong>s serfs à corvee (semi triduani). Quant aux domestiques<br />

qu'on appelait hommes <strong>de</strong> Saint-Martin, ils étai<strong>en</strong>t pleinem<strong>en</strong>t<br />

aux ordres <strong>de</strong> l'int<strong>en</strong>dant et <strong>de</strong> ses ag<strong>en</strong>ts : ddo?nnia in on~?~ibus,<br />

ac si proprii serai, obtemperabunt. Le texte porte <strong>en</strong> ce qui les<br />

concerne: « Ils li<strong>en</strong>t les épis, élèv<strong>en</strong>t !es mculos, sass<strong>en</strong>t le blt!<br />

dans la grange et batt<strong>en</strong>t au fléau. Ils mett<strong>en</strong>t la v<strong>en</strong>dange au<br />

* Le tcxtc nc dit pas si cc sont tous Ics maiiscs dc ccnsitaircs ou sculclemcnt<br />

Ics micnscs se~vilcs. II sc~xil)lcrnit pourtant qu'il lie s'ssit q11c <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>rnicrs.<br />

r


172 HISTOIRE DE L'ECONO~IIE POLITIQ.TJE. CHAP. XIII.<br />

pressoir et font le vin. Ils f<strong>en</strong><strong>de</strong>nt le bois, chauff<strong>en</strong>t le four et le<br />

poSle, ai<strong>de</strong>nt à faire .le pain et la bière, veill<strong>en</strong>t à la maison <strong>de</strong><br />

. l'atjbé et prépar<strong>en</strong>t ses voyages, <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t la propret6 <strong>de</strong> la<br />

prison seigneuriale, nettoi<strong>en</strong>t les égouls et font tout ce que doi-<br />

v<strong>en</strong>t faire <strong>de</strong>s serfs <strong>de</strong>'corps et <strong>de</strong>s domestiques. D<br />

La comparaison du docum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 1120 et <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> 1144 a<br />

fourni à Lançethal la matiere <strong>de</strong> quelques observations curieuses.<br />

Ainsi dans le registre <strong>de</strong> 1144, les services ont été simplifiés, les<br />

re<strong>de</strong>vances égalis6es ; la capitation ou iinpôt financier que payai<strong>en</strong>t<br />

les t<strong>en</strong>anciers serfs, supprimée; le rachat facultatif a été elabli<br />

pour un grand nombre <strong>de</strong> corvées; l'hérkdité <strong>de</strong>s mairies, qui<br />

d'aillcurs existait <strong>de</strong> fait <strong>de</strong>s le prernicr registre, a été positive-<br />

m<strong>en</strong>t reconnue. Oisait que le douzième siècle a été l'ëpoque<br />

d'une révision à, peu près sénéraie <strong>de</strong>s charles <strong>de</strong> seigneurie, et<br />

que cette révision a toujours été favorable aux cultivateurs qui<br />

ont améliore leur condition et accru leur liberté.<br />

(Dareste <strong>de</strong> la Cbavanne, Ifistoire <strong>de</strong>s classes agricoles <strong>en</strong><br />

France, 2" édit. 1858, page 175 et sciv.)<br />

(Note <strong>de</strong> L'éditeur).


CHAPITRE XIV. -<br />

Des Croisa<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> leur influ<strong>en</strong>ce sur la marche <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong><br />

<strong>politique</strong> <strong>en</strong> Europe. - Dime saladine. - Révolution dans Ics<br />

habitu<strong>de</strong>s. - Progrès <strong>de</strong> la navigation, <strong>de</strong> I'induslrie et du<br />

commerce.<br />

AU milieu dc I'anareliie féodale <strong>de</strong> l'Europe, ce fut<br />

une heureuse idée qnc l'<strong>en</strong>treprise moitié clievaleresqiie,<br />

moitié religieuse <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s. La premièrc p<strong>en</strong>sée <strong>en</strong><br />

vint au clergé; l'exécution apparti<strong>en</strong>t tout <strong>en</strong>tière à la<br />

noblcssc, à qui cetteficvre généreuse <strong>de</strong>vait couter si cher;<br />

mais les peuples <strong>en</strong> ont recueilli <strong>de</strong>s avantages durables<br />

dont le l~remier fut d'être déhariassi? d'une nuée d'op-<br />

presseurs. Que d'événem<strong>en</strong>ts décisifs portai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> effet,<br />

dans leur sein ces rameuses croisa<strong>de</strong>s ! L'émancipation<br />

<strong>de</strong>s communes, la modification du servage, l'apparition<br />

<strong>de</strong> la bourgeoisie, la résurrection <strong>de</strong> l'industrie, la créa-<br />

tion du commerce et <strong>de</strong> la navigation, et la fortune <strong>de</strong><br />

: cette pl6ia<strong>de</strong> si brillante et si pobtique <strong>de</strong>s répiibliques<br />

itali<strong>en</strong>nes. Ce ne fut pas l'œuvre d'un jour; mais l'eu-<br />

vre, une fois comm<strong>en</strong>cée, n'a cessé <strong>de</strong> marcher d'un pas<br />

régulier vers son <strong>en</strong>tier achèvem<strong>en</strong>t. Il ne s'est pas écoulé<br />

un mom<strong>en</strong>t sans que quclque génération y ait apporté<br />

son trilsiit d'intellig<strong>en</strong>ce et d'<strong>en</strong>thousiasme : tant le<br />

10.


274 HISTOJRE<br />

mon<strong>de</strong>, fatigué du chaos féodal, avait hAte <strong>de</strong> SC reposer<br />

dans une p<strong>en</strong>sée <strong>de</strong> gloire et d'av<strong>en</strong>ir !<br />

Il est extrém<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t intéressant <strong>de</strong> siii~rc le progrès <strong>de</strong><br />

cette révoltition dans l'histoire si confuse du onzième<br />

siècle, et tout y concoiii-r comme par <strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>puis<br />

l'usurpation <strong>de</strong> IIug~~es Capet jusqu'aux pèlerinages<br />

<strong>de</strong>s troubadours. On eût dit que l'Europe eiitiere allait<br />

continuer <strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t l'invasion à peine fiwéc <strong>en</strong> Occi<strong>de</strong>nt,<br />

tant il se prés<strong>en</strong>ta <strong>de</strong> voyageurs pour ces expéditions<br />

av<strong>en</strong>tureuses. Elles ne se con~posai<strong>en</strong>t pas iiniquem<strong>en</strong>l<br />

<strong>de</strong> guerriers; il y avait cZ la suite cles-soldats une multitu<strong>de</strong><br />

imm<strong>en</strong>se d'ouvriers, <strong>de</strong> marchands, <strong>de</strong> curieux,<br />

<strong>de</strong> pauvres, <strong>de</strong> riches, <strong>de</strong> moines, <strong>de</strong> femmes, et jusqu'à<br />

<strong>de</strong>s <strong>en</strong>fants au berceau '. C'est cettc tourbe qui a conipromis<br />

tant <strong>de</strong> fois le salut <strong>de</strong> l'armée par ses désordres<br />

et par la misère qu'elle semait sous ses pas. La famine<br />

y a fait plus <strong>de</strong> ravages que le fcr <strong>en</strong>nemi, et nous ne<br />

pouvons concevoir aujoiird'hiii un excès <strong>de</strong> détreçse<br />

pareil à cclni dont lcs liistori<strong>en</strong>s nous ont transmis les<br />

détails lam<strong>en</strong>tables. Un chroniqueur qui <strong>en</strong> avait été témoin<br />

s'écriait : « Plût au ciel que le pape n'eût pas permis<br />

aux faibles <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre la croix; qu'il eût donnS aux<br />

forts un glaive au lieu d'une panetière, un arc au lieu<br />

d'un bAton ! » Une funeste habitu<strong>de</strong> dont on nous pardonnera<br />

<strong>de</strong> dire un mot, puisqu'elle a pénétré malheureusem<strong>en</strong>t,<br />

<strong>de</strong>puis, dans les mceiirs europé<strong>en</strong>nes, prit<br />

naissance à cette époque parmi les croisés, ce fut la rage<br />

du jeu. Cette soif dé s'<strong>en</strong>richir avec rapidité fit <strong>de</strong> tels<br />

progrès que tout le mon<strong>de</strong> jouait, <strong>de</strong>puis 1cs chefs<br />

jilsqn'aux <strong>de</strong>rniers soldats. Après la conquête <strong>de</strong> Constantinople,<br />

les clievaliers jouai<strong>en</strong>t aux (lés les cités et ,<br />

Michaud, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong>s~Croisa<strong>de</strong>s, tome VI, page 43.


Dl! L'~CONOXIE POLITIQUE. CHAP XIV. 175<br />

les pro-c'inces <strong>de</strong> l'empire grec. Les compagnons <strong>de</strong> saint<br />

Louis, p<strong>en</strong>dant leur séjour à Damiette, jouai<strong>en</strong>t jusqu'b<br />

leurs chevaux, jnsqii'à leurs armes.<br />

On se drinandc quel motif huniain avait pu <strong>en</strong>gager<br />

une aussi gran<strong>de</strong> foule d'hommes B abandonner leur<br />

patrie pour coiirir <strong>de</strong> semb1d)lcs hasards. L'eritlionsiasrne<br />

religieux y lut poilr beaucoup ; mais la pailvreté,<br />

le servage, l'espoir d'on meilleirr av<strong>en</strong>ir, y contribuèr<strong>en</strong>t<br />

davantage <strong>en</strong>core. Une loi <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s accordait<br />

une terre, iine maison, une ille le même B celui qiii le<br />

premier y arborait un drapeau. Les prcmicrs croisés<br />

étaierit cxcnipts <strong>de</strong> la taille et fiir<strong>en</strong>t disp<strong>en</strong>sés <strong>de</strong> payer<br />

leurs <strong>de</strong>ttes 1. Leurs possessions fur<strong>en</strong>t mises sous la<br />

pro teclion <strong>de</strong> l'&glise, et par iinc fa1 eixr tout à fait contraire<br />

aux habiti~dcs du régime féodal, ils pur<strong>en</strong>t <strong>en</strong>gager<br />

leurs fiefs et les v<strong>en</strong>dre, soit aux leqiics, soit aux<br />

ecclésisstiqucs, sans la permission <strong>de</strong> leurs seigneurs.<br />

1,es croisés ne lur<strong>en</strong>t pl~is justiciables que <strong>de</strong>s tribunaux<br />

eccl4siastiq ues. Ce fut une- telle fièvre, que les artisans,<br />

les niarchaiidç, les la'soureiirs, abanclonilai<strong>en</strong>t leurs travaux<br />

et leur professioii ; les barons et les seigneurs se<br />

4 Voici quelques dispositions relatives à ce privilége : « Les<br />

guerriers qui auront pris la croix, auront pour payer leurs <strong>de</strong>ttes,<br />

tant <strong>en</strong>vers les Juifs qu'<strong>en</strong>vers les chreti<strong>en</strong>s, l'espace <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

ans, à conipter <strong>de</strong> la première f@te <strong>de</strong> tous les saints. l'intérêt ne<br />

courra pour personne à compter du jour <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> la croix.<br />

SI qr:elqut guerrier ou clerc <strong>en</strong>gage pour un nombre-Cannees dé-<br />

terminé son bi<strong>en</strong> ou ses rev<strong>en</strong>us, a queique bourgeois croisé, ou<br />

à un guerrier ou clerc noncroisé, I'<strong>en</strong>gegistc percevra celte année<br />

les fruits <strong>de</strong> la terre ou <strong>de</strong>s rev<strong>en</strong>us, et le ci.Garicier, au terme <strong>de</strong>s<br />

années p<strong>en</strong>dant lesquelles il <strong>de</strong>vait knir l'<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t ou la<br />

ferme, les reti<strong>en</strong>dra uri an <strong>de</strong> plus, pour dédommagem<strong>en</strong>b<strong>de</strong> i'an-<br />

née qu'il a perdue. Aucun croisé ne pourra être assigné polir<br />

I'exbcution <strong>de</strong> ses promesses, <strong>de</strong>puis le jour. <strong>de</strong> son départ jusqu'à<br />

celui <strong>de</strong> son retour, a moins que i'instance n'ait eu lieu avant<br />

qu'il ait pris la croix.


176 HISTOIRE<br />

débarrassai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> toute hhte <strong>de</strong> leurs domaines. Les<br />

terres, les chAteaux fur<strong>en</strong>t ' donnés pour <strong>de</strong>s sommes<br />

modiques, et cette circonstance, <strong>en</strong> am<strong>en</strong>ant <strong>de</strong>s modi-<br />

fications profon<strong>de</strong>s dans le systéme <strong>de</strong> la propriété, n'a<br />

pas peu contribué à l'aîfranchissem<strong>en</strong>t gradiicl et défi-<br />

nitif <strong>de</strong>s communes. La bourgeoisie sé<strong>de</strong>ntaire s'<strong>en</strong>richit<br />

peu à peu. <strong>de</strong>s domaines v<strong>en</strong>dus par la noblesse vaga-<br />

bon<strong>de</strong>, et le pouroir passa ainsi avec les terres aux<br />

mains <strong>de</strong>s nouveaux gossesseurs. II y eut un mom<strong>en</strong>t oh<br />

les propriétés ne trouvai<strong>en</strong>t plils d'acheteurs. Les croisés<br />

dédaignai<strong>en</strong>t tout ce qu'ils ne pouvai<strong>en</strong>t emporter avec<br />

eux; les produits <strong>de</strong> la terre se v<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t à vil prix,<br />

et l'abondance reparut tout à coup au milieu <strong>de</strong> la<br />

disette.<br />

Lorsqu'on étudie avec att<strong>en</strong>tion les détails <strong>de</strong> ce<br />

grand mouvem<strong>en</strong>t, il ést impossible <strong>de</strong> n'btre pas frappé<br />

<strong>de</strong> la ressemblance qu'il prés<strong>en</strong>te avec l'invasion <strong>de</strong>s<br />

Barbares. C'étai<strong>en</strong>t les mémes réves <strong>de</strong> jouissances et cle<br />

richesses; et, <strong>de</strong> méme que l'Europe avait paru à ceux-<br />

ci un skjour préférable à celui <strong>de</strong> leurs foréts et <strong>de</strong><br />

leurs marécages, <strong>de</strong> même, l'ori<strong>en</strong>t semblait aux croi-<br />

'sés un Eldorado sans égal dans le mon<strong>de</strong>, un véritable<br />

vestibule du Puradis, comme le disait l'un d'eux dans<br />

son langage naif 1. L'amour du vague et <strong>de</strong> la liberté,<br />

la certitu<strong>de</strong> d'échapper à l'esclavage <strong>de</strong> la gliibe avec<br />

leurs femmes et leiirs <strong>en</strong>fants, y couviai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s milliers<br />

d'hommes. Les moines, las <strong>de</strong> la discipline <strong>de</strong> leurs<br />

couv<strong>en</strong>ts, pouvai<strong>en</strong>t s'y soustraire par le voyage <strong>en</strong><br />

4 D'autres Btai<strong>en</strong>t plus nettem<strong>en</strong>t posilifs. Dans sa lettre au<br />

comte <strong>de</strong> Flandre, Alexis citait, parmi ses motifs, amor auri et<br />

arg<strong>en</strong>t; et pulcherrimamm fceminarum ooluptas; l'amour <strong>de</strong><br />

l'or et <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t et l'espoir <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r les plus belles femmes<br />

du mon<strong>de</strong>.


DE L'ECO~~ONIE POLITIQUE. CHBP. XIV. !y?'<br />

terre saictc; les i~îalfaiteais eux-mkrnes, absous <strong>de</strong> leurs<br />

crimes par <strong>de</strong>s indulg<strong>en</strong>ces, courai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> foule sous les<br />

drapeaux <strong>de</strong> la croix; et pr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t le chemin <strong>de</strong> Jérusalem.<br />

Ceux qui eur<strong>en</strong>t le Bon s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> résister à I'<strong>en</strong>trainem<strong>en</strong>t<br />

génCral réalisèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s bénéfices considérables<br />

sur les acquisitions <strong>de</strong> terres et d'objets <strong>de</strong> toute cspècc,<br />

et sur la vcnte <strong>de</strong>s chevaux et <strong>de</strong>s armes dont la <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

s'accriit dans <strong>de</strong>s proportions inouïes. On sait<br />

les échecs effroyal,les qui décimèr<strong>en</strong>t cette foule stupi<strong>de</strong><br />

et grossière dam sa première campagne vers l'ori<strong>en</strong>t,<br />

où peu <strong>de</strong> voyageurs arrivèr<strong>en</strong>t sains et saufs. A l'époquc<br />

<strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> croisa<strong>de</strong>, on dut mettre un peu d'ordre<br />

dans les <strong>en</strong>rôl<strong>en</strong>ierits et on imposa qiielq~xes conditions<br />

à ceux dont on autorisait le départ. La troisikme vit<br />

naître la Dime Saladine ', espèce <strong>de</strong> contribution forcée<br />

dont le produit était dcstiilé à subv<strong>en</strong>ir aux besoiris <strong>de</strong>s<br />

croisés, et dont on n'exempta que ceux qui payai<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

leur personne. Le rlgin~e fbodal avait tellem<strong>en</strong>t pénétr6<br />

dans les meurs et dans les lois, que le principal grief<br />

contre les contribnablcs récalcitrants v<strong>en</strong>ait <strong>de</strong> ce qu'ils<br />

refusai<strong>en</strong>t Jésus-Christ, comme suzerain, l'hommage<br />

que tout bon vassal ktait c<strong>en</strong>sé <strong>de</strong>voir à, son seigneur.<br />

Q~iand, malgr6 ces nombreux expkdi<strong>en</strong>tç, l'arg<strong>en</strong>t manqua<br />

aux <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs <strong>de</strong> croisa<strong>de</strong>s, on se mit a piller<br />

4 La t<strong>en</strong>eur <strong>de</strong> cette gièce curieuse a été conservée par Rigord, -<br />

chronographe <strong>de</strong> Philippe-Auguste, qui rédigeait <strong>en</strong> mauvais latin<br />

un journal du règne <strong>de</strong> ce prince. En voici le début : ((Tous ceux<br />

qui ne sont pas croisés donneront cette annee au nioins la dîme<br />

<strong>de</strong> tous les bi<strong>en</strong>s meubles et <strong>de</strong> tous les relr<strong>en</strong>us. Le guerrier non<br />

croise donnera au seigneur croisé dontil sera l'homme-lige la<br />

dîme <strong>de</strong> son propre mobilier et du tief qu'il ti<strong>en</strong>dra <strong>de</strong> Iiii. Tous<br />

les laïques donneront leurs dîmes sous la foi du serrii<strong>en</strong>t et<br />

la peine <strong>de</strong> I'anatb&me, et les clcrcs sous colle <strong>de</strong> l'excommunication.<br />

a Aujourd'hüi nous n'avons plus que <strong>de</strong>s porteurs <strong>de</strong>contrainte.


178 HISTOlRE<br />

les juifs, les Grecs et même les chréti<strong>en</strong>s. La disette fut<br />

. parfois si cruelle et les besoins si pressants, qu'on alla<br />

jusqu'à imposer les bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s kglises et <strong>de</strong>s communauth,<br />

qui s'<strong>en</strong> plaignir<strong>en</strong>t vivem<strong>en</strong>t. C'est ce que les<br />

moines du temps appelai<strong>en</strong>t livrer aux fureurs <strong>de</strong>s Turcs<br />

la vigne du Seigneur, abominable action digne <strong>de</strong>s<br />

peines <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>fer.<br />

La révolution causée par les croisa<strong>de</strong>s a exercé trop<br />

d'influ<strong>en</strong>ce .sur le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s institutions europé<strong>en</strong>nes<br />

pour qu'on n'ait pas recherche avec soin<br />

comm<strong>en</strong>t ces expéditions lointaines avai<strong>en</strong>t pu être alim<strong>en</strong>tées.<br />

Dans le principe, comme nous l'avons vu,<br />

l'eiithousiasme suffit; les volontaires s'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

eux-mêmes du prodiiit <strong>de</strong> leurs terres v<strong>en</strong>dues ou <strong>de</strong>s<br />

fonds qu'ils avai<strong>en</strong>t empruntés ; plus tard il fallut les<br />

nourrir et les sol<strong>de</strong>r; car <strong>de</strong> toutes parts les habitants<br />

fuyai<strong>en</strong>t à leur approche et ne leur laissai<strong>en</strong>t que <strong>de</strong>s<br />

déserts à parcourir. 11 existe une singulière lettre du<br />

pape Innoc<strong>en</strong>t III aux chefs <strong>de</strong> la cii~quième croisa<strong>de</strong> :<br />

« Vous êtes dévoués, leur disait-il, au service du crucifié<br />

h qui toute la terre apparti<strong>en</strong>t. Si on vous refusait<br />

les provisions nécessaires, il ne paraîtrait pas injuste<br />

que vous <strong>en</strong> prissiez partout ou vous pourrez <strong>en</strong> trouver,<br />

toujours acec la crainie <strong>de</strong> Dieu et dam l'int<strong>en</strong>tion<br />

<strong>de</strong> restituer. « Le savant histori<strong>en</strong> <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s qui rapporte<br />

cette lettre, ajoute avec beaucoup <strong>de</strong> s<strong>en</strong>s :<br />

« Nous n'avons pas besoin <strong>de</strong> dire que les croisés<br />

Btai<strong>en</strong>t naturellem<strong>en</strong>t portés à suivre les conseils du<br />

pape, et qu'ils ne les att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t pas pour se procurer<br />

.les vivres qui leur étai<strong>en</strong>t nkcessaires. n Leurs habitil<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> pillage ne les preser~èr<strong>en</strong>t pas toujours <strong>de</strong> la<br />

famine, et l'histoire <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s est toute pleine <strong>de</strong>s<br />

rCcits <strong>de</strong> leurs souffrances. Il n'y eut quelque régularité


DE L'ECO~IO~~II~E POLITIQUE. CHU. X1V. 119<br />

dans les appro~isionnerncnts, qu'à l'époque où les expéditions<br />

se fir<strong>en</strong>t par mer, avec l'interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s puissances<br />

qui bordai<strong>en</strong>t le littoral <strong>de</strong> la Méditerranée.<br />

Les résultats <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s out été <strong>en</strong>visagés <strong>de</strong> diverses<br />

manières, suivant le point <strong>de</strong> vue où les divers<br />

histori<strong>en</strong>s se sont placés. Considérées sous le rapport<br />

<strong>de</strong>s libertés publiques, on ne saurait nier qu'elles n'ai<strong>en</strong>t<br />

contribué à l'adoucissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> I'eslavage, <strong>en</strong> faisant<br />

passer une foule <strong>de</strong> serfs <strong>de</strong> la noblesse dans la dép<strong>en</strong>p<strong>en</strong>dance<br />

plus tolérable du clergé. En affaiblissant Ia<br />

fortune et le nombre <strong>de</strong>s seigneurs, elles préparèr<strong>en</strong>t<br />

l'avénem<strong>en</strong>t à la bourgoisie. La. gran<strong>de</strong> consommation<br />

<strong>de</strong> soldats qu'elles ne cessèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> faire, r<strong>en</strong>dit les hommes<br />

rares et valut a ceux qui étai<strong>en</strong>t restés <strong>en</strong> Occi<strong>de</strong>nt<br />

quelques bons traitem<strong>en</strong>ts. En même temps, ceux-ci,<br />

invcstis du gouvernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s localités <strong>en</strong> I'as<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />

leurs maîtres, adrinnistrèr<strong>en</strong>t avec modération et laissèr<strong>en</strong>t<br />

pr<strong>en</strong>dre aux populatious <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s que les<br />

barons n'osèr<strong>en</strong>t pas contrarier à leur retour. La paix<br />

régnait dans les campagnes p<strong>en</strong>dant tout le temps que<br />

les tyrans <strong>de</strong>s chateaux guerroyai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> terre sainte.<br />

La trêve <strong>de</strong> Dieu, auvre du clergé, que les expéditions<br />

<strong>en</strong> Palestine r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core plus sacrée, plaçait sous<br />

la sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1'~glise le Iaboiireur et sa cbarrue,<br />

j'ai presque dit son indhp<strong>en</strong>dance. On ne sait jusqu'oh<br />

cette alliance aurait pu s'ét<strong>en</strong>dre, si les scrfs qui partai<strong>en</strong>t<br />

pour J6rusal<strong>en</strong>1 a\ ai<strong>en</strong>t eu la p<strong>en</strong>sée d'exploiter<br />

au profit <strong>de</strong> leur émancipation l'cnthoiasiasme qui les<br />

poussait à la conquete d'un tombeau.<br />

Ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t le clergé pr<strong>en</strong>ait la placc <strong>de</strong> la noblesse<br />

dans l'administration @ la'justice, protégeait les<br />

veuves et les orphelins, les étrangers, les paulres, les<br />

lépreux. 11 était dcvcnii le tuteur <strong>de</strong> tous les mineurs


abandonnés par les chefs <strong>de</strong> famille ; et, bornant à <strong>de</strong>s<br />

cliàtim<strong>en</strong>ts spiritnels la sanction pénale <strong>de</strong> ses arréts, il<br />

substituafi an glaive dcs seigneurs Urie arme moins<br />

meurtrière. et pourtant aussi rcspcclée. Sa suprématie,<br />

tous les jours croissante, avait fini par exciter la jalousie<br />

<strong>de</strong>s barons, qui formèr<strong>en</strong>t dans le treizième siècle<br />

une ligue contre le clergé, <strong>de</strong>mandant qu'il r<strong>en</strong>dQt d<br />

César ce qui appart<strong>en</strong>ait à César. II fallut l'interv<strong>en</strong>tion<br />

<strong>de</strong>s papes pour apaiser ce grave différ<strong>en</strong>d qiic nous verrons<br />

se reproduire, et dont la liberté profitera. C'est <strong>de</strong><br />

là que sortir<strong>en</strong>t les parlem<strong>en</strong>ts, cette justice bourgeoise,<br />

fille du clergé, qui a r<strong>en</strong>du à l'liumanité tant <strong>de</strong> services,<br />

<strong>en</strong> faisant vivre et respecter la vieille maxime<br />

romaine : Cedant arma togœ. Il faut reconnaître aussi<br />

que la nécessité <strong>de</strong> prévoir l'av<strong>en</strong>ir, le grand nombre<br />

<strong>de</strong> testam<strong>en</strong>ts et <strong>de</strong> contrats que- les pèlerins diir<strong>en</strong>t<br />

souscrire, fir<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>tir l'importance du droit et <strong>de</strong> la<br />

justice, et par conséqu<strong>en</strong>t secondèr<strong>en</strong>t les progrès <strong>de</strong> la<br />

législation et <strong>de</strong> la jurisprii<strong>de</strong>nce. Mais les progrès se<br />

manifestèr<strong>en</strong>t d'une manière plus éclatante dalis I'industrie,<br />

la navigation et le conlinerce. Il s<strong>en</strong>ibla iin mom<strong>en</strong>t<br />

qric les navigateurs <strong>de</strong> tous les pays s'ktaicnt<br />

donné r<strong>en</strong><strong>de</strong>z-vous dans les mers d'ori<strong>en</strong>t. BrCine et<br />

Luheck fir<strong>en</strong>t connaissance avec Gênes et V<strong>en</strong>ise. La mer<br />

Baltique, retraite mystérieuse <strong>de</strong> piratcs normands, fut<br />

découverte et explorée. Les villes anséatiques, <strong>en</strong> mcttint<br />

la liberté sous la protection du commerce, préparèr<strong>en</strong>t<br />

dans le nord unc conCédération rivale <strong>de</strong>s républiques<br />

itali<strong>en</strong>nes, et qui apporta comme elles son tribut<br />

d'intellig<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong> richesses au foyer <strong>de</strong> la civilisation.<br />

L'architerturc na~ale agrandit la forme <strong>de</strong>s vaisseaux<br />

pour la facilité du transport <strong>de</strong>s p6lcrins. Quii~ze ans<br />

après la troisiéme croisa<strong>de</strong>, on vit sortir <strong>de</strong>s ports <strong>de</strong>


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XfV. 181<br />

V<strong>en</strong>ise et <strong>de</strong> Gênes <strong>de</strong>s flottes redoutables, telles que la<br />

Méditerranée n'<strong>en</strong> avait jamais porté. Des navigateurs<br />

<strong>de</strong> Barcelone publièr<strong>en</strong>t le premier recueil <strong>de</strong>s lois ma-<br />

ritimes qui ait fait autorité <strong>en</strong> Europe. Les Assises da<br />

Jérusalem r<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t quelques dispositions <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re,<br />

'et l'histoire nous a conservé plusieurs règlem<strong>en</strong>ts rédi-<br />

gés par RicharaCœur <strong>de</strong> Lion pour le mainti<strong>en</strong> <strong>de</strong> l'ordre<br />

à bord <strong>de</strong> ses flottes. La piraterie fut réprimée. La police<br />

<strong>de</strong>s mers, exercée avec rigueur par <strong>de</strong>ux ou trois puis-<br />

sances intéressées à la faire respecter, contribua beau-<br />

coup aux progrès du commerce <strong>en</strong> lui donnant un com-<br />

m<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sécurité. Des convois <strong>de</strong> navires suivai<strong>en</strong>t<br />

les côtes <strong>de</strong>s pays où combattai<strong>en</strong>t les croisés et s'<strong>en</strong>ri-<br />

chissai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> leur v<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s munitions <strong>de</strong> guerre et<br />

<strong>de</strong>s vivres.<br />

L'industrie n'a pas moins profité que le commerce <strong>de</strong><br />

l'impulsion donnée aux idées par les nombreuses expé-<br />

ditions <strong>en</strong> terre sainte. On sait que les croisés <strong>en</strong>r8lai<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> prbfér<strong>en</strong>ce les hommes qui ami<strong>en</strong>t un métier ou qui<br />

exerçai<strong>en</strong>t une profession mécanique ; ces industrieux<br />

pèlerins ne faisai<strong>en</strong>t pas toujours un voyage inutile pour<br />

leur pays ; et, tandis que leurs compagnons marchai<strong>en</strong>t<br />

à la conquête <strong>de</strong>s lieux saints, l'industrie avait aussi sa<br />

croisa<strong>de</strong> et dérobait aux Sarrasins et aux Grecs <strong>de</strong>s se-,<br />

crets et <strong>de</strong>s procédés plus précieux que <strong>de</strong>s victoires '.<br />

Les croisés appr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t dans Damas à travailler avec<br />

succès les mctaux et les tissus ; ils trouvai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s manufactures <strong>de</strong> camelot dont les échantillons exci-<br />

tèr<strong>en</strong>t l'admiration <strong>de</strong> la reine Marguerite. Beaucoup <strong>de</strong><br />

villes grecques <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s métiers <strong>de</strong> soie, qui<br />

donnèr<strong>en</strong>t naissance à la culture du mûrier <strong>en</strong> Italie et<br />

Michaud, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong>s croisadbs, tome VI, page 346..<br />

ke ÉDIT. T. I. Il


182 HISTOIRE<br />

par suite une ext<strong>en</strong>sion imm<strong>en</strong>se à ses gracieux pro-<br />

duits. Les verreries <strong>de</strong> Tyr aidèr<strong>en</strong>t au perfectionne-<br />

,m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s belles fabriques <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise, si justem<strong>en</strong>t re-<br />

dommées au moy<strong>en</strong> bge. 11 n'est pas jusqu'aux moulins<br />

B v<strong>en</strong>t dont l'introduction <strong>en</strong> Europe ne soit due aux<br />

voyages <strong>de</strong>s croisés. La canne à sucre, qu'ils vir<strong>en</strong>t pour<br />

la première fois B Tripoli, fut transportée par eux <strong>en</strong><br />

Sicile dès le douzième si8cle ; une foule d'autres plantes,<br />

non moins utiles, <strong>en</strong>tre autres, le mais, surnommé <strong>de</strong>-<br />

puis blé <strong>de</strong> Turquie, leur doiv<strong>en</strong>t aussi d'avoir été na-<br />

turalisées <strong>en</strong> Occi<strong>de</strong>nt. Que <strong>de</strong> temps' et <strong>de</strong> peines il a<br />

fallu néanmoins pour que ces conquétes puss<strong>en</strong>t porter<br />

leurs fruits, surtout quand on p<strong>en</strong>se que les hommes<br />

les plus émin<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l'époque, le sire <strong>de</strong> Joinville, par<br />

exemple, supposai<strong>en</strong>t naivem<strong>en</strong>t que le poivre et la<br />

cannelle v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t du paradis terrestre et qu'on pbchait<br />

las épiceries dans les eaux du Nil où elles étai<strong>en</strong>t portées<br />

par les v<strong>en</strong>ts !<br />

En somme, les- croisa<strong>de</strong>s ont relevé la puissance <strong>de</strong>s<br />

princes et apporté <strong>de</strong> graves modifications au régime<br />

féodal. Les nobles <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us sujets, les bourgeois <strong>de</strong>ve-<br />

nus commerçants, les villes <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ues riches, ont assuré<br />

aux rev<strong>en</strong>us publics <strong>de</strong> nouvelles sources fécon<strong>de</strong>s et<br />

régulières, qui ont consolidé le pouvoir <strong>de</strong>s souverains.<br />

Dès ce mom<strong>en</strong>t le tiers état put être opposé à la no-<br />

blesse, et <strong>de</strong>vint peu à peu, sous les auspices do la<br />

royauté, une classe puissante et respectée. Ces résultats<br />

ne se sont pas développés au meme point et <strong>de</strong> la meme<br />

manière dans toutes les contrées <strong>de</strong> l'Europe ; mais ils<br />

n'ont pas eu <strong>de</strong> cause plus influ<strong>en</strong>te que les croisa<strong>de</strong>s.<br />

Mous examinerons plus tard les véritables élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong><br />

4 Mimoires <strong>de</strong> Joinville, 2' parlie, p. 36, édition <strong>de</strong> Ducange.


DE L'ECONOYIE POLITIQUE. CHAP. XIV. 183<br />

l'affranchissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s communes ; ce qu'il y a <strong>de</strong> cer-<br />

tain, c'est qii'elles n'ont comm<strong>en</strong>cé à jouir <strong>de</strong> quelque<br />

lueur d'indkp<strong>en</strong>dance qu'aprés les gran<strong>de</strong>s expéditions<br />

<strong>de</strong>s croisSs. Le comnlerce lui-meme, dont les Barbares<br />

avai<strong>en</strong>t quelquefois respecté les franchises, aurait suc-<br />

combé sous le poids <strong>de</strong>s exactions dont l'accablait I'a-<br />

narchie féodale, si les besoins <strong>de</strong> la guerre sainte ne<br />

lui avai<strong>en</strong>t fait r<strong>en</strong>dre sa vieille indép<strong>en</strong>dance. Ainsi,<br />

tandis qu'à Byzance tout était réduit <strong>en</strong> monopole, le<br />

pain, le vin, les huiles, les cornestililes <strong>de</strong> tout g<strong>en</strong>re ',<br />

les <strong>de</strong>nrées circulai<strong>en</strong>t librem<strong>en</strong>t dans ia Méditerranée<br />

et dans les villes maritimes sous les auspices <strong>de</strong> la croi-<br />

sa<strong>de</strong> religieuse. Les Véniti<strong>en</strong>s fir<strong>en</strong>t adopter les prin-<br />

cipes <strong>de</strong> la liberté commerciale partout où s'ét<strong>en</strong>dit<br />

Ieur influ<strong>en</strong>ce <strong>politique</strong>. C'est à eux que l'on doit l'éta-<br />

blissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s premières factoreries, ou comptoirs qui<br />

servir<strong>en</strong>t <strong>de</strong> modèles à tous ceux que les diverses nations<br />

<strong>en</strong>treti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t aujourd'hui les unes chez les autres. Les<br />

rois <strong>de</strong> Jérusalem, qui avai<strong>en</strong>t besoin <strong>de</strong> ces hardis<br />

commerçants, leur accordèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nombreux priviléges<br />

et mSme <strong>de</strong>s possessions territoriales. Ainsi naquit l'es-<br />

prit coionial <strong>en</strong> Europe, et avec lui les rivalités san-<br />

glantes, les <strong>en</strong>treprises industrielles et les combinaisons<br />

financières, dans lesquelles les Juifs, ces économistes<br />

rusés du moy<strong>en</strong> Age, ont joué un r61e qui merite <strong>de</strong><br />

fixer un momênt nos regards.<br />

qeer<strong>en</strong>, Essai sur l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s,


CHAPITRE XV.<br />

Considérations sur la situation et l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s Juifs au moy<strong>en</strong><br />

âge.-Nature <strong>de</strong>s services qu'ils ont r<strong>en</strong>dus à <strong>l'économie</strong> poli-<br />

tique. - Sont-ils les premiers fondateurs du crédit?- Origine<br />

<strong>de</strong> la lettre <strong>de</strong> change et <strong>de</strong>s monts-<strong>de</strong>-piété.<br />

fandis que le système féodal couvrait l'Europe <strong>de</strong><br />

barrières, <strong>de</strong> péages ef d'<strong>en</strong>traves <strong>de</strong> toute espèce', le<br />

commerce se réfugiait au sein d'une caste proscrite et<br />

préludait sous son influ<strong>en</strong>ce aux magnifiques <strong>de</strong>stinées<br />

que <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t lui assurer les croisa<strong>de</strong>s. C'est <strong>en</strong> effet un<br />

spectacle digne d'intérét que le dbveloppem<strong>en</strong>t rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

la richesse au milieu <strong>de</strong>s troubles perpétuels <strong>de</strong> la féodalité,<br />

et aux mains <strong>de</strong>s hommes les plus impitoyabIem<strong>en</strong>t<br />

rançonnés <strong>de</strong> cette él)oque <strong>de</strong> pillage et <strong>de</strong> spolia-<br />

4 P&r donner une i<strong>de</strong>e <strong>de</strong> la singulsrite et <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong><br />

ces péages, il suffira d'<strong>en</strong> citer quelques-uns. 011 payait pour pas-<br />

ser sous les ponts le droit dc pontaticum, et celui <strong>de</strong> portaticum<br />

pour <strong>en</strong>trer dans les ports. Les seigneurs faisai<strong>en</strong>t payer sur le<br />

bord <strong>de</strong>s tleuves la taxe dite ripaticum aux bateaux. marchands<br />

quiyaviguai<strong>en</strong>l le lonj <strong>de</strong>s terres <strong>de</strong> leur domination ; ils <strong>en</strong> exi-<br />

geai<strong>en</strong>t une autre appelée tranaticum pour accor<strong>de</strong>r la permis-<br />

sion <strong>de</strong> conduire les marchandises <strong>en</strong> traîneau. Le mansionaticum<br />

se payait pour 6viter le.logern<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> guerre, et lepulve-<br />

raticum, pour la poussière soulev6e sur les chemins par les voi-<br />

türes du commerce. On payait <strong>en</strong>core le teloneum, leparaaerdum,<br />

le cespitaticum, le cœnaticum et beaucoup d'autres dont les doms<br />

ne sont pas moins barbares ni l'objet moins odieux.<br />

'


HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XV. 185<br />

tions. Il. n'est pas sans importance pour l'histoire <strong>de</strong><br />

<strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> d'exposer rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>t ce<br />

fait remarquable a pris naissance et s'est 81evé au rang<br />

<strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts les plus décisifs, sous l'empire <strong>de</strong>s<br />

circonstances les moins propres à favoriser son appari-<br />

tion.<br />

Je ne rappellerai point à ce sujet l'histoire du peiipk<br />

juif et <strong>de</strong> ses longues tribulations. Proscrits par les<br />

paï<strong>en</strong>s, proscrits par les chréti<strong>en</strong>s et par les musulmans,<br />

les Juifs sembl<strong>en</strong>t avoir vécu <strong>de</strong> persécutions et d'ava-<br />

nies, se dédommageant <strong>en</strong> sil<strong>en</strong>ce par le culte Ile l'or<br />

<strong>de</strong>s affronts prodigués à leur ciilte, ct reparaissant tou-<br />

jours plus puissants à niesiire qu'ils étai<strong>en</strong>t plus hais.<br />

Déjà, du temps <strong>de</strong> Charlemagne, on les voit recherchés<br />

à la cour, quoiqu'ils n'ai<strong>en</strong>t point d'état civil et qu'ils ne<br />

soi<strong>en</strong>t pas considérés comme <strong>de</strong>s citoy<strong>en</strong>s. Sous Louis le<br />

Débonnaire, on leur refuse Ia faseur da jugem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

Dieu et <strong>de</strong>s épreuves par l'eau et le feu; mais <strong>en</strong> com-<br />

p<strong>en</strong>sation ils obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s juges particuliers ct il existe,<br />

<strong>en</strong> 828, un magistrat spécial, personnage illustre, re-<br />

vetu <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong> rnaltre <strong>de</strong>s Juifs, qui leur r<strong>en</strong>d la<br />

justice et qui les protége. Aussi <strong>en</strong> vint-il beaucoup <strong>en</strong><br />

Frai~ce sous les rois <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> race, principalem<strong>en</strong>t<br />

dans les villes du midi, où les besoins du commerce, la<br />

facilité <strong>de</strong> trouver un asile <strong>en</strong> passant les frontières, et<br />

les moy<strong>en</strong>s qu'ils avai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> correspondre avec leurs CO-<br />

religionnaires d'Asie <strong>en</strong> attirhr<strong>en</strong>t un très-grand nombre.<br />

Un mom<strong>en</strong>t on put croire qu'ils allai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> véri-<br />

tables mandarins; leur maltrd résida à la cour et fut le<br />

conseiller intime du souverain; les princes et les grands<br />

recherchai<strong>en</strong>t leur protection par <strong>de</strong> riches prks<strong>en</strong>ts, ils<br />

leur accordai<strong>en</strong>t meme <strong>de</strong>s priviléges <strong>en</strong>viés par <strong>de</strong>s<br />

hommes libres.


186 HISTOIRE<br />

Sous le régime féodal, aucun rang ne fut assigné aux<br />

, Juifs; ils dur<strong>en</strong>t subir la loi commune du servage et<br />

obéir aux seigneurs <strong>de</strong>s terres sur lesquelles ils se trou-<br />

vai<strong>en</strong>t. Leur qualité d'hérétiques les empbchait d'&tre<br />

protégés autant que les autres sujets Jéodaux, et ils <strong>en</strong><br />

vinr<strong>en</strong>t au point d'étre échangés, v<strong>en</strong>dus et prdtés<br />

comme du bétail. Toutefois leur exist<strong>en</strong>ce était <strong>en</strong>core<br />

supportable, lorsqrie les premières persécutions systé-<br />

matiques fur<strong>en</strong>t dirigées contre eux sous le rPgne <strong>de</strong><br />

, Philippe Ier, qui les chassa <strong>de</strong> ses Etats <strong>en</strong> 1096. Ils y<br />

r<strong>en</strong>tdr<strong>en</strong>t, moy<strong>en</strong>nant finance, quelques années après,<br />

et ils y aurai<strong>en</strong>t 6th onbliés peut-btre sans les croisa<strong>de</strong>s<br />

qui donnèr<strong>en</strong>t lieu à un redoublem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ferveur reli-<br />

gieuse et par conséqu<strong>en</strong>t <strong>de</strong> rigueurs <strong>en</strong>Trers eux. On les<br />

fit contribuer aux frais <strong>de</strong> plus d'une campagne <strong>en</strong> terre<br />

sainte au moy<strong>en</strong> d'une foule d'accusations vagues et<br />

odieuses, et qui les obligeai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> racheter leur vie jour<br />

par jour <strong>de</strong> la fureur du peuple par <strong>de</strong>s contributions<br />

exorbitantes. Un mom<strong>en</strong>t favorisés par Philippe-Au-<br />

guste, ils finir<strong>en</strong>t par traîner sous son règne une vie mi-<br />

sérable, exposés à tous les g<strong>en</strong>res d'avanies, et plus tard<br />

forcés <strong>de</strong> porter un costume distinctif qui les signalait<br />

trop souv<strong>en</strong>t aux meurtres et aux pillages. Saint Louis<br />

les accabla <strong>de</strong>s lois les plus intolérables, libéra leurs dé-<br />

biteurs, déf<strong>en</strong>dit toutes poursuites au profit <strong>de</strong>s Juifs et<br />

poussa la rigueur jusqu'à leur interdire <strong>de</strong> cpntracter '.<br />

Une ordonnance <strong>de</strong> 1.354 portait expressém<strong>en</strong>t « que les<br />

Juifs euss<strong>en</strong>t à cesser iisures, blasphèmes et sortiléges,<br />

et àvivre désormais du labeur <strong>de</strong> leurs mains et autres<br />

besognes, sans pr&ter <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t. n Ces ordonnances<br />

&ai<strong>en</strong>t exécutées avec une sévérité d'autant plus gran<strong>de</strong>,<br />

4 Ordonnances <strong>de</strong>s rois <strong>de</strong> France, tome 1, pages 53 et 54.


que le roi déclarait les avoir r<strong>en</strong>dues pour soulager sa<br />

consci<strong>en</strong>ce et pourvoir à son salut. On était allé plus<br />

loin <strong>en</strong> 1239, et l'on trouve dans l'assise <strong>de</strong> Bretagne<br />

- iine disposition atroce <strong>en</strong> vertu <strong>de</strong> laquelle il était déf<strong>en</strong>du<br />

d'informer contre quiconque tuerait'un Juif. Plus tard,<br />

<strong>en</strong> 1288, le parlem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Paris les condamnait à payer<br />

une forte am<strong>en</strong><strong>de</strong> pour avoir chanté trop haut dans leurs<br />

synagogues. Philippe le Bel les proscrivit et les rappela<br />

tour à tour, selon le besoin qu'il avait dc leurs finances.<br />

Son successeur traita <strong>de</strong> leur exist<strong>en</strong>ce comme d'une<br />

matiere purem<strong>en</strong>t commerciale, et leur permit <strong>de</strong> hirc<br />

r<strong>en</strong>trer leurs créances, à condition <strong>de</strong> lui <strong>en</strong> payer les<br />

<strong>de</strong>ux tiers. « Si, par av<strong>en</strong>ture, dit l'ordonnance, ils ne<br />

peuv<strong>en</strong>t recouvrer leurs synagogues et leurs cimetières,<br />

nous letir ferons délivrer habitations et hébergem<strong>en</strong>ts<br />

pour prix conv<strong>en</strong>ables. )) Après douze années écoulées,<br />

le roi ne pouriait les chasser qu'<strong>en</strong> lciir donnant un ait<br />

pour emporter leurs effets. Enfin, il leur garantissait<br />

une certaine liberté <strong>de</strong> leurs personnes et <strong>de</strong> leurs pro-<br />

priétirs, ce qui ne les empècha point d'être pillés et trn-<br />

qués <strong>en</strong> 1321, avant l'expiration <strong>de</strong>s douzc,années, sous<br />

prétexte <strong>de</strong> conniv<strong>en</strong>ce avec les lépreux et m&me avec les<br />

infidèles. On les accusa aussi, suivant l'usage, d'a~oir<br />

empoisonilé les fontaines, et on <strong>en</strong> brûla un grand nom-<br />

bre <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce. Plusieurs conciles leur déf<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t<br />

l'exercice <strong>de</strong> la rnédccine, et m<strong>en</strong>acèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> rexcommu-<br />

nication les chréti<strong>en</strong>s qui oserai<strong>en</strong>t recourir à leurs<br />

soins. NOUS ne saurions aujourd'liui comm<strong>en</strong>t caracté-<br />

riser <strong>de</strong> telles absurdités, et cep<strong>en</strong>dant nous les imitons<br />

dans nos colonies <strong>en</strong>vers les hommes <strong>de</strong> couleur aux-<br />

' D'hrg<strong>en</strong>tre, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> Bretagne, liv. n, chap. xxrri,<br />

page 207.


188 HISTOIRE<br />

quels certaines professions sont <strong>en</strong>core interdites; tant<br />

il est vrai que les temps chang<strong>en</strong>t, mais que les préjugés<br />

sont l<strong>en</strong>ts b disparaître!<br />

L'histoire <strong>de</strong>s Juifs ne prés<strong>en</strong>te ainsi qu'une suite mo-<br />

notone <strong>de</strong> vicissitu<strong>de</strong>s sans cesse r<strong>en</strong>aissantes. En 1340,<br />

on fait déf<strong>en</strong>se à leurs débiteurs <strong>de</strong> les payer ; <strong>en</strong> 1346,<br />

ils sont forcés <strong>de</strong> se convertir ou <strong>de</strong> sortir du royaume.<br />

En Italie, <strong>en</strong> Espagne, <strong>en</strong> Allemagne, memes avanies,<br />

mêmes persécutions, quelquefois susp<strong>en</strong>dues quand les<br />

gouvernem<strong>en</strong>ts ont besoin <strong>de</strong> leur arg<strong>en</strong>t, et reprises<br />

aiissit6t que ces besoins sont satisfaits. A la charge <strong>de</strong><br />

ma.L^tre <strong>de</strong>s Juifs succè<strong>de</strong> celle <strong>de</strong> gardi<strong>en</strong> général <strong>en</strong><br />

1359, comme si ces hommes euss<strong>en</strong>t formé une nation<br />

au milieu <strong>de</strong> la nation; vi<strong>en</strong>t la captivité du roi Jean<br />

dont ils ai<strong>de</strong>nt à payer la rançon, et cette assistance est<br />

suivie d'une pluie <strong>de</strong> faveurs. On r<strong>en</strong>d aux Juifs leurs<br />

cimetières; on les autorise à acquérir <strong>de</strong>s maisons ; ils<br />

sont exempts d'ai<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> gabelles; on déf<strong>en</strong>d aux juges<br />

du roi <strong>de</strong> se mèler <strong>de</strong> leurs affaires, et pour ce qui leur<br />

est dh, on est autorisé à les croire sur leurs affirmations.<br />

C'étai<strong>en</strong>t les états-généraux qui leiir avai<strong>en</strong>t valu tous<br />

ces avantages. Heureuse et singalière conséqu<strong>en</strong>ce, pour<br />

re temps-là, <strong>de</strong> l'interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> la nation dans ses<br />

affaires ! Mais ces beaux jours ne fui<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong> longue<br />

durée, et nous voyons <strong>en</strong>core les Juifs forcés <strong>de</strong> racheter<br />

au poids <strong>de</strong> l'or, et pour ainsi dire une à une, les libertés<br />

qu'ils ont déjh payées tant <strong>de</strong> fois. Charles VI les chasse<br />

<strong>de</strong> France <strong>en</strong> 1393 et les force <strong>de</strong> se retirer <strong>en</strong> Allema-<br />

gne, où <strong>de</strong> nouvelles vexations les att<strong>en</strong><strong>de</strong>nt pour durer<br />

plus longtémps qu'<strong>en</strong> tout autre pays. Ce qu'il y a <strong>de</strong><br />

certain, c'est qu'à aucune époque ils ne fur<strong>en</strong>t popu-<br />

laires. Les services qu'ils r<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t ailx différ<strong>en</strong>ts gou-<br />

vernem<strong>en</strong>ts comme bailleurs <strong>de</strong> fonds, étai<strong>en</strong>t chère-


DE L'ECONOIIIE POLITIQUE. C H~P. XV. 289<br />

m<strong>en</strong>t payés par les peuples et t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt à expliquer com-<br />

m<strong>en</strong>t on a pu les voir, presquc au m&me instant, si vive-<br />

m<strong>en</strong>t protégés par les uns et si cruellem<strong>en</strong>t traités par<br />

les autres. L'isolem<strong>en</strong>t dans lequel ils fur<strong>en</strong>t forcés <strong>de</strong><br />

vivre, et la déf<strong>en</strong>se longtemps maint<strong>en</strong>ue d'acquérir <strong>de</strong>s<br />

immeubles, dirigèr<strong>en</strong>t leurs spéculations vers le com-<br />

merce et l'industrie, où ils obtinr<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>tôt une siipé-<br />

riorité incontestable. Malheureusem<strong>en</strong>t, ils s'y livrèr<strong>en</strong>t<br />

avec une défiance et <strong>de</strong>s s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts craintifs qui les ha-<br />

bituai<strong>en</strong>t peu à peu à chercher dans la ruse un asile<br />

contre les abus <strong>de</strong> la force, et c'est ainsi qu'ils fur<strong>en</strong>t<br />

am<strong>en</strong>és à ,ces transactions honteuses dont leur histoire<br />

n'offre que trop d'exemples.<br />

Ri<strong>en</strong> n'est plus curieux à étudier que l'état commer-<br />

cial <strong>de</strong> cette nation qui n'a eu ni territoire propre, ni<br />

ports, ni armées, et qui, louvoyant sans cesse sur une<br />

mer agitée, avec <strong>de</strong>s v<strong>en</strong>ts contraires, a fini par arriver<br />

au port avec <strong>de</strong> riches cargaisons et d'imm<strong>en</strong>ses ri-<br />

chesses. Les Juifs fir<strong>en</strong>t le commerce, parce qu'il leur<br />

fut rarem<strong>en</strong>t permis <strong>de</strong> faire autre chose et d'exercer<br />

leur industrie avec sécurité. Tandis quc la multiplicité<br />

<strong>de</strong>s péages et la tyrannie <strong>de</strong>s seigneurs féodaux r<strong>en</strong>-<br />

dai<strong>en</strong>t toute spéculation impossible, hormis celle <strong>de</strong>s<br />

petits marchands <strong>de</strong>s bourgs et <strong>de</strong>s villes, les Juifs,<br />

plus hardis, plus mobiles, songeai<strong>en</strong>t tt <strong>de</strong>s opérations<br />

plus vastes et travaillai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> sil<strong>en</strong>ce à lier <strong>de</strong>s con-<br />

tin<strong>en</strong>ts, à rapprocher <strong>de</strong>s royaumes. Ils esquivai<strong>en</strong>t les<br />

barrières et les donjons, cachant soigueusem<strong>en</strong>t sous<br />

<strong>de</strong>s appar<strong>en</strong>ces misérables leur opul<strong>en</strong>ce réelle et le se-<br />

cret <strong>de</strong> leurs transactions. Ils allai<strong>en</strong>t chercher à <strong>de</strong> gran-<br />

<strong>de</strong>? distances, et mettai<strong>en</strong>t à portbe <strong>de</strong>s consommateilrs<br />

aisés les produits peu connus <strong>de</strong>s pays les plus reculés.<br />

A force d'errer et <strong>de</strong> courir <strong>de</strong> contrée <strong>en</strong> contrée, ils<br />

11.


190 HISTOIRE<br />

avai<strong>en</strong>t acquis une connaissance exacte <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong><br />

toates les places ; ils savai<strong>en</strong>t où l'on <strong>de</strong>vait acheter<br />

et oh l'on pouvait v<strong>en</strong>dre : quelques échantillons et un<br />

carnet leur suffisai<strong>en</strong>t pour leurs opérations les plus im-<br />

portantes. 11s correspondai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre eux sous la foi <strong>de</strong>s<br />

<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>ts que leur intérbt les obligeait <strong>de</strong> respecter,<br />

<strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s <strong>en</strong>nemis <strong>de</strong> toute espèce dont ils étai<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>tourés. Le commerce a perdu la trace <strong>de</strong>s inv<strong>en</strong>tions<br />

ingknieuses qui fur<strong>en</strong>t le résultat <strong>de</strong> leurs efforts ; mais<br />

c'est à leur influ<strong>en</strong>ce qu'il doit les progrès rapi<strong>de</strong>s dont<br />

l'histoire nous a signalé le phénomène brillant au milieu<br />

<strong>de</strong>s horreurs <strong>de</strong> la nuit féodale. Ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t, Ics<br />

Juifs accaparai<strong>en</strong>t tout le numéraire, puisque c'était la<br />

seule propriété qu'ils pouvai<strong>en</strong>t acquérir et mettre <strong>en</strong><br />

sûreté, et l'usure s'offrit bi<strong>en</strong>tôt à eux comme le moycn<br />

le plus sûr <strong>de</strong> s'<strong>en</strong>richir. Libres d'armer <strong>de</strong>s navires et<br />

d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s spéculations avouées, ils aurai<strong>en</strong>t<br />

peut-étre r<strong>en</strong>ouvelé les merveilles <strong>de</strong> Tyr et <strong>de</strong> Car-<br />

thage ; esclaves et raiiqonnés, ils s'habituèr<strong>en</strong>t à re- o<br />

pr<strong>en</strong>dre par l'usure ce qu'on leur <strong>en</strong>levait par la spolia-<br />

tion. En vain publiait-on <strong>de</strong>s lois sévères contre le prêt<br />

à intérbt ; ces lois ne servai<strong>en</strong>t qu'lr r<strong>en</strong>dre les emprunts<br />

plus difficiles et par conséqu<strong>en</strong>t l'intérbt plus onéreux.<br />

Les prêteurs savai<strong>en</strong>t élu<strong>de</strong>r alors aussi bi<strong>en</strong> qu'aujour-<br />

d'hui les prescriptions qui gênai<strong>en</strong>t leurs projets, et<br />

leurs escomptes étai<strong>en</strong>t d'autant plus usuraires que<br />

leurs risques étai<strong>en</strong>t plus sérieux. Peu à peu ils se r<strong>en</strong>-<br />

dir<strong>en</strong>t maîtres <strong>de</strong> toutes les fortunes, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> quel-<br />

ques capitaux, et plus d'une fois le désespoir <strong>de</strong> leurs<br />

débiteurs les massacra comme créanciers, plutôt que<br />

comme hérétiques 1.<br />

4 Arthiir Beugoot, Les .lz~ifs d'occi<strong>de</strong>nt, 2e partie, page 35.


DE L'ECOROMIE POLITIQUE. CBBP. XV. 191<br />

Cet état <strong>de</strong> choses a duri! jusqiià la dkcoiiverte du<br />

cap <strong>de</strong> Bonne-Espérance et <strong>de</strong> l'Amérique, époque à Iaquelle<br />

les nations europé<strong>en</strong>nes se livrèr<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s <strong>en</strong>treprises<br />

bi<strong>en</strong> plus importantes que le colportage <strong>de</strong>s Juifs .<br />

et leurs spécnlations <strong>de</strong> preteurs à la petite semaine.<br />

Mais, p<strong>en</strong>dant près <strong>de</strong> cinq c<strong>en</strong>ts ans, c'est dans l'histoire<br />

<strong>de</strong> cette nation qu'il faut étudier la marche clil<br />

conimerce et les essais plus ou moins hardis par lesquels<br />

il s'est élevé air rang <strong>de</strong> puissance <strong>politique</strong>. Les<br />

Juifs comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t par v<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s esclaves sous la<br />

première race; ils <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t aussi percepteurs <strong>de</strong>s<br />

péages (telonarii), ct ils abusèr<strong>en</strong>t tellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette<br />

charge qu'on fut obligé <strong>de</strong> la leur retirer. Plus tard, on<br />

les voit établis à Vi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> Dauphiné, <strong>en</strong> relation avec<br />

Marseille polir le conimerce du Le~lant ; ils obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t,<br />

par suite <strong>de</strong> ces relations, plusieurs missions diplamatiques<br />

et ils les rempliss<strong>en</strong>t avec habileté. Le moine <strong>de</strong><br />

Saint-Gall cite un certain marchand juif qui était dcv<strong>en</strong>u<br />

le favori <strong>de</strong> Charlemagne et qui allait chercher<br />

dans les pays d'outre-mer les objets les plus précieux.<br />

e es prbtres et les évkques étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>vedus leurs tributaires,<br />

et plus d'une fois les vases sacrbs fur<strong>en</strong>t mis <strong>en</strong><br />

gage <strong>en</strong>tre les mains <strong>de</strong> ces hérétiques, pour subv<strong>en</strong>ir<br />

aux dép<strong>en</strong>ses ruineuses du clergé. Les Juifs étai<strong>en</strong>t Ees<br />

dépositaires <strong>de</strong>s plus belles étoffes connues, et ils <strong>en</strong><br />

faisai<strong>en</strong>t le commerce avec d'imm<strong>en</strong>ses bénéfices; ils <strong>en</strong><br />

rkpandai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> mbme temps l'usage et le besoin dans<br />

les chateaux et dans les abbayes. Ils s'emparai<strong>en</strong>t aussi<br />

<strong>de</strong> I'orfévrerie et du n6goce <strong>de</strong>s matières d'or et d'arg<strong>en</strong>t.<br />

La féodalité troubla moins q~l'on ne p<strong>en</strong>se ces<br />

occupations lucrati~es ; les seigneurs y mir<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s conditions<br />

sévères, mais ils eur<strong>en</strong>t le bon csprit <strong>de</strong> les respecter.<br />

Arissi, au niilieii <strong>de</strong> la terreur .générale qui nc ces-,


192 . HISTOIRE<br />

sait <strong>de</strong> planer sur toutes les routes et sur tous les voya-<br />

geurs, les Juifs, armés <strong>de</strong> sauf-conduits, parcourai<strong>en</strong>t<br />

sans inquiétu<strong>de</strong> l'Europe <strong>en</strong>tiére et disposai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> souve-<br />

rains <strong>de</strong> tout le commerce <strong>de</strong> la France, aux dixiPme et<br />

onzième siècles. A cette époque, ils avai<strong>en</strong>t déjà beau-<br />

coup simplifié les procédés commerciaux, et leur corres-<br />

pondance aurait fait honneur aux plus habiles négo-<br />

ciants <strong>de</strong> nos gran<strong>de</strong>s cités.<br />

L'apparition <strong>de</strong>s marchands <strong>de</strong> la Lombardie, <strong>de</strong> la<br />

Toscane et <strong>de</strong>s autres parties <strong>de</strong> l'Italie acheva <strong>de</strong> per-<br />

fectionner l'œuvre <strong>de</strong>s Juifs et <strong>de</strong> donner ail commerce<br />

du moy<strong>en</strong> âge une impulsion énergique. Ceux-ci fir<strong>en</strong>t<br />

dès lors ressource <strong>de</strong> tout et mir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> circulation les<br />

objets meubles et immeubles, tels que <strong>de</strong>s chcvaux, <strong>de</strong>s<br />

terres et <strong>de</strong>s maisons; l'histori<strong>en</strong> Rigord va jusqu'k<br />

dire que les Juifs étai<strong>en</strong>t, à cette époque, propriétaires<br />

reels <strong>de</strong> la moitié du royaume. En vain, <strong>de</strong>s ordon-<br />

nances royales fixai<strong>en</strong>t le taux <strong>de</strong> I'intérkt, réglai<strong>en</strong>t les<br />

hypothèques, le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>s poursuites contre les débi-<br />

teurs et une foule d'autres questions d'une importance<br />

économique n


DE L'BCONOBIIE POLITIQUE. CHAP. XV. 193<br />

p<strong>en</strong>se avec raison que l'inv<strong>en</strong>tion est due bi<strong>en</strong> pliltôt<br />

aux marchands itali<strong>en</strong>s qu'aux brocanteurs juifs <strong>de</strong> ce<br />

temps, ceux-ci n'ayant pas eu occasion <strong>de</strong> se livrer<br />

d'aussi bonne heure que les autres au commerce <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> place <strong>en</strong> place, qui a probablem<strong>en</strong>t suggéré cette<br />

idée. Le nom méme <strong>de</strong> la lettrr <strong>de</strong> ,change, qui était<br />

primitivem<strong>en</strong>t itali<strong>en</strong>, semble eii indiquer les véritables<br />

auteurs; et la première ville où l'on <strong>en</strong> fit usage, J,yon,<br />

alors l'<strong>en</strong>trepôt <strong>de</strong> l'Italie, est un indice <strong>de</strong> plus. Il est<br />

" probable que les Lombards et les Juifs y ont pris une<br />

part égale et <strong>en</strong> ont <strong>de</strong>viné dès l'origine les importantes<br />

conséqu<strong>en</strong>ces<br />

M. Courcelle-S<strong>en</strong>euil, dans unsavant article qu'il a publie daps<br />

le Dictionnaire <strong>de</strong> I'Economie pozitipue <strong>de</strong> Guillaumin (1 853,2 vol.<br />

gr. in-?a), fait remonter l'emploi <strong>de</strong> ce procedé <strong>de</strong> commerce jus-<br />

qu'à l'antiquite. Nous croyons <strong>de</strong>voir reproduire ici la partie his-<br />

torique ,<strong>de</strong> ce travail interessant :<br />


194 HISTOIRE<br />

Ces ingénieux inv<strong>en</strong>teurs <strong>en</strong>trèr<strong>en</strong>t plus tard <strong>en</strong> lutte,<br />

et l'histoire <strong>de</strong>s rBpubliques itali<strong>en</strong>nes du moy<strong>en</strong> âge est<br />

toute pleine <strong>de</strong>s débats qui s'élevèreht <strong>en</strong>tre eux au su-<br />

jet <strong>de</strong>s priviléges que les uns voulai<strong>en</strong>t exploiter a l'ex-<br />

clusion <strong>de</strong>s autres. On voit les Juifs se faire int<strong>en</strong>dants,<br />

les pirates <strong>de</strong>' Lacédémone ... Stratoclès s'étant inquiet6 <strong>de</strong> savoir<br />

qui lui r<strong>en</strong>drait son or, si mon père ne satisfaisait pas à mes lettres<br />

et si j'avais quitté Athénes 'à son retour, je le conduisis à Pasion,<br />

qui promit <strong>de</strong> lui rembourser, le cas echéant, le capital et<br />

les interêts. ?)<br />

» Voici bi<strong>en</strong> une lettre <strong>de</strong> change <strong>en</strong> forme achetée par Stra-<br />

toclès, et il est lrès-probable que le commerce d'Athènes, qui<br />

avait pénetre jusque dans l'In<strong>de</strong>, jusqu'<strong>en</strong> Serique, près- <strong>de</strong> la<br />

Chine, et d'un autre,côté jusqu'à laVistule,'oÙ il avait r<strong>en</strong>contre<br />

les Phénici<strong>en</strong>s, avait s<strong>en</strong>ti, bi<strong>en</strong> avant le cli<strong>en</strong>t d'Isocrate, i'avan-<br />

tage <strong>de</strong>s echanges <strong>de</strong> creancqs au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong>squels on fait voyager<br />

<strong>en</strong> quelque sorte <strong>de</strong>s fonds, sans les exposer aux naufrages ou<br />

aux pirates <strong>de</strong> terre et <strong>de</strong> mer.<br />

n Les Romains, eux aussi, connur<strong>en</strong>t sous cette forme la lettre<br />

<strong>de</strong> change. cc Faites-moi savoir, écrit Cicéron à Atticss, si l'arg<strong>en</strong>t<br />

dont mon fils a besoin à Athénes peut lui &trs <strong>en</strong>voyé par voie<br />

<strong>de</strong> change ou s'il faut qu'on le lui apporte (permularinepossif, an<br />

ipsi fer<strong>en</strong>dum sit). » Ce passage, où la lettre <strong>de</strong> change est d6çi-<br />

gaee presque par son nom, ne permet pas <strong>de</strong> douter <strong>de</strong> son exis-<br />

t<strong>en</strong>ce dans I'antiquit6.<br />

0 II est vrai que ni les lois romaines, du moinécelles que nous<br />

possédons, ni l'histoire ne conli<strong>en</strong>u<strong>en</strong>t <strong>de</strong> r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts précis<br />

sur la lettre <strong>de</strong> change. Mais comme nous l'avons <strong>de</strong>jà dit, l'his-<br />

toire qui, <strong>de</strong> nos jours, néglige volontiers le commerce, s'<strong>en</strong> occu-<br />

pait bi<strong>en</strong> moins <strong>en</strong>core dans ces temps reculés. D'ailleurs, chaque<br />

professipn, chaque corps d'ktat et les banquiers au moins autant<br />

que les autres, eur<strong>en</strong>t leurs colléges ou confréries et leurs secrets,<br />

dans toute l'anliquil6 et p<strong>en</strong>dant le moy<strong>en</strong> âge. Les opérations <strong>de</strong><br />

change, comme les autres opérations <strong>de</strong> banque. étai<strong>en</strong>t régiespar<br />

un réglem<strong>en</strong>t intérieur, par <strong>de</strong>s coutiimes et <strong>de</strong>s usages non écrits<br />

dont les initiés avïi<strong>en</strong>t seuls le secret et que les legislateurs et<br />

les g<strong>en</strong>s du mon<strong>de</strong> ignorai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t.<br />

)i Que les Juifs ai<strong>en</strong>t mieux conservé que les autres le secret <strong>de</strong><br />

la lettre <strong>de</strong> change, il n'y a paç lieu <strong>de</strong> s'<strong>en</strong> @tonner ; car dés les<br />

premiers CBsars, ils s'étai<strong>en</strong>t repandus dans tout l'empire, comme<br />

l'attest<strong>en</strong>t les Actes <strong>de</strong>s Apôtres, et ils faisai<strong>en</strong>t presque exclusivem<strong>en</strong>t<br />

le commerce <strong>de</strong>s métaux precieux et <strong>de</strong>s monnaies. Les<br />

\


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XV. 195<br />

économes, procureurs, hommes <strong>de</strong> finance et meme <strong>en</strong>-<br />

tremctteurs <strong>de</strong> mariages, selon qu'ils sont plus ou moins<br />

vivem<strong>en</strong>t pourchassés <strong>de</strong> toutes Ics positions commer-<br />

ciales régulières par les bulIes <strong>de</strong>s papes OU par la ja-<br />

lousie <strong>de</strong> leurs concurr<strong>en</strong>ts. Tout contribue ainsi à les<br />

Juifs ont dû porter avec eux la lettre <strong>de</strong> change, aussi bi<strong>en</strong> avant<br />

qu'après leur expulsion <strong>de</strong> 1181 , simple inci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la longue<br />

persécution don1 ils ont été l'objet p<strong>en</strong>dant quinze siècles.<br />

» Au moy<strong>en</strong> âge, comme auparavant, on trouve la lettre <strong>de</strong><br />

- change partout oh le commerce est <strong>en</strong> vigueur, à Amalfi, à Si<strong>en</strong>ne,<br />

à Flor<strong>en</strong>ce et dans les hanses du Rhin et <strong>de</strong> I'Elbe. En 1255, dit<br />

Mathieu Paris, le roi d'Angleterre,H<strong>en</strong>rIT11, ayant besoin d'arg<strong>en</strong>t<br />

pour son second fils, Edmond, chargé par le pape <strong>de</strong> conquérir les<br />

Etats <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> Souabe <strong>en</strong> Italie, négocia un emprunt auprès<br />

<strong>de</strong>s marchands <strong>de</strong> Si<strong>en</strong>ne et <strong>de</strong> Flor<strong>en</strong>ce. L'échéance v<strong>en</strong>ue et le roi<br />

ne sachant con~m<strong>en</strong>t payer, I'evêque <strong>de</strong> Hereford, Egeblanke, lui<br />

offrit un moy<strong>en</strong> commo<strong>de</strong> : il lui conseilla <strong>de</strong> s'acquitter <strong>en</strong> faisant<br />

tirer <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> change sur les évêques d'Angleterre par les<br />

marchands itali<strong>en</strong>s jusqu'à concurr<strong>en</strong>ce du montant <strong>de</strong> l'emprunt,<br />

et ce conseil fut suivi. Les évêques eur<strong>en</strong>t beau protester et dire<br />

qu'ils n'avai<strong>en</strong>t fait aucun acte <strong>de</strong> commerce, ils fur<strong>en</strong>t condam-<br />

nés a payer par les tribunaux du pape qui avait approuvé I'ex-<br />

pédi<strong>en</strong>t. Tel est l'usage curieux, bi<strong>en</strong> que peu commercia!, qu'on<br />

ût <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> change au treizième siècle.<br />

» Mais ni dans le moy<strong>en</strong> âge, ni dans l'antiquité nous n'avons<br />

r<strong>en</strong>contré aucune trace <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>dossem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> ses conséqu<strong>en</strong>ces.<br />

j Du reste, il slufiit <strong>de</strong> reîiéchir un seul instant à la situation du<br />

commerce dans les socielés <strong>de</strong> cette époque et dans I'antiquit6<br />

pour compr<strong>en</strong>dre que 13 lettre <strong>de</strong> change mo<strong>de</strong>rne, avec l'éudos-


196 HISTOIRE<br />

<strong>en</strong>fermer dans un cercle vicieux, d'où ils ne peuv<strong>en</strong>t<br />

sortir que par l'usure et les négociations d'arg<strong>en</strong>t. Quand<br />

l'<strong>en</strong>vie les a forcés d'abandonner une ville, i'intérbt <strong>de</strong>s<br />

habitants les y rappelle; leurs capitaux sont <strong>de</strong>v<strong>en</strong>uS<br />

tellem<strong>en</strong>t nécessaires 5 ces cités industrieuses, que l'on<br />

désobéit aux ordres <strong>de</strong>s autorités pour empkcher que<br />

les Juifs ne les port<strong>en</strong>t iiill<strong>en</strong>rs. Aussi vit-on bi<strong>en</strong>tbt <strong>de</strong>s<br />

maisons <strong>de</strong> prbt s'établir jusque dans les villages, et Ies<br />

Juifs <strong>de</strong> la Toscane diriger d'un point c<strong>en</strong>tral une foule<br />

<strong>de</strong> succursales <strong>de</strong> leurs maisons <strong>de</strong> Flor<strong>en</strong>ce ou <strong>de</strong> Pise.<br />

Leur opul<strong>en</strong>ce et leur,faste dépassai<strong>en</strong>t toute imagina-<br />

tion et leur suscitai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s adversaires fanatiques. On<br />

connait l'histoire <strong>de</strong> ce fameux Bernardin <strong>de</strong> Feltre, qui<br />

poussa I'<strong>en</strong>thousiasme jusqu'b pr&cher une croisa<strong>de</strong><br />

sem<strong>en</strong>t et ses garanties et le protkt, ne pouvait guAre y trouver<br />

place. La propriété, mobilière surlout, y était si peu respectée,<br />

que le recours aux tribunaux Ctait à peu prés impraticable. La<br />

lettre <strong>de</strong> change, si elle eût existé, n'aurait puavoir cours qu'<strong>en</strong>tre<br />

un très-pelit nombre <strong>de</strong> banquiers tous bi<strong>en</strong> connus les uns<br />

<strong>de</strong>s autres el d'une bonne foi assez éprouvée pour n'avoir jamais<br />

besoin <strong>de</strong> l'interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s tribunaux.<br />

» C'est ainsi, du reste, que la lettre <strong>de</strong> change est <strong>en</strong>tree dans<br />

la societé mo<strong>de</strong>rne. 1,orsque Louis XI r<strong>en</strong>dit l'ordonnance <strong>de</strong><br />

1462, il ne fit point une loi sur la lettre <strong>de</strong> change : il autorisa<br />

se~lem<strong>en</strong>t les négociants <strong>de</strong> la foire <strong>de</strong> Lyon à <strong>en</strong> faire usage.<br />

comme si cela leur etît été interdit auparavant. Les ordonnances<br />

qui établir<strong>en</strong>t ou plutôt reconnur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1549 la juridi~tion consu- '<br />

laire <strong>de</strong> Toulouse, et <strong>en</strong> 1563 celle <strong>de</strong> Paris, attribuèr<strong>en</strong>t à ccs .<br />

juridictions la connaissance <strong>de</strong> toutes les contestations relatives<br />

aux letlres<strong>de</strong> change, et c'est dans les archives <strong>de</strong> ces tribunaux<br />

qu'il faudrait chercher la loi commerciale du temps, qui Ctait la<br />

cou tume.<br />

» La lettie <strong>de</strong> change mo<strong>de</strong>rne, avec l'<strong>en</strong>dossem<strong>en</strong>t et les obligalions<br />

qui <strong>en</strong> découl<strong>en</strong>t, ne doit pas avoir son origine au <strong>de</strong>là du<br />

grand mouvem<strong>en</strong>t commercial qui sirnala la fin du quinzième<br />

siècle, et elle ne prit place dans le droit françaisque par l'ordonnance<br />

<strong>de</strong> 1073, au mom<strong>en</strong>t même où le commerce grandissait <strong>en</strong><br />

France dans la société civile et s'emparait <strong>de</strong> l'opinion. Biclion. <strong>de</strong><br />

l'$con. pol., article Lelke <strong>de</strong> cha.nge. (Note <strong>de</strong> I'dditeur.)


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XY. 197<br />

contre eux, et qui dans toute occasion se montra leur<br />

<strong>en</strong>nemi le plus implacable. il les poursuivait partout<br />

comme <strong>de</strong>s usuriers altérés du sang <strong>de</strong>s peuples ; et,<br />

pour ruiner leurs établissem<strong>en</strong>ts, il imagina <strong>de</strong> leur op-<br />

poser ces maisons <strong>de</strong> prét sur gages, qui fur<strong>en</strong>t nommés<br />

monts-<strong>de</strong>-pidté. Dès le principe, tout y était gratuit, et<br />

les sommes prêtées l'étai<strong>en</strong>t sans intérbt, tandis que les<br />

Juifs prélevai<strong>en</strong>t quelqiiefois <strong>de</strong> 30 à 40 pour c<strong>en</strong>t. Aussi,<br />

le succ&s <strong>en</strong> fut-il prodigieux, et la plupart <strong>de</strong>s villes <strong>de</strong><br />

l'Italie eur<strong>en</strong>t leurs monts-cle-piété, qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t sur-<br />

passer un jour <strong>en</strong> exactions usurakes les plus auda-<br />

cieuses opérations <strong>de</strong>s Juifs.<br />

Toutefois, ces monts-<strong>de</strong>-piété ne pur<strong>en</strong>t remplacer les<br />

établissem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s Juifs, et cette circonstance prouve<br />

avec quelle sagacité ceux-ci avai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>viné les véritables<br />

besoins <strong>de</strong> la circulation. Quoique les monts-<strong>de</strong>-piété<br />

prêtass<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t presque sans intérêt, les Grmali-<br />

tés qu'ii fallait remplir pour avoir droit à leur secours,<br />

les l<strong>en</strong>teurs inévitables <strong>de</strong> leur administration, la néccs-<br />

sité <strong>de</strong> prouver la légitime possession <strong>de</strong>s articles <strong>en</strong>ga-<br />

gé's, et par-<strong>de</strong>ssus tout l'obligation pour les déposants <strong>de</strong><br />

livrer leurs noms à la pnblicitk, ne tardèr<strong>en</strong>t pas h <strong>en</strong><br />

Bloigner les emprunteurs qui trouvai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s ronds h<br />

toute heure, <strong>en</strong> secret et sans formalités, chez les ban-<br />

quiers juifs. Riches et pauvres; seigneurs et vilains, ac-<br />

courai<strong>en</strong>t auprès d'eux, et leur crédit était si grand à<br />

Livourne, au temps <strong>de</strong>s Médicis, qu'on disait proverbia-<br />

lem<strong>en</strong>t : Il vaut mieux battre le graud-duc gu'u~z Juif.<br />

Le pape Sixte-Quint leur avait rouvert toutes les sources<br />

<strong>de</strong> richesses que ses prédécesseurs avai<strong>en</strong>t taries ; leurs.<br />

marchandises m&me étai<strong>en</strong>t exemptes <strong>de</strong> tout péage, et<br />

le sacro monte <strong>de</strong>lla pietd cessa <strong>de</strong> leur faire concur-<br />

r<strong>en</strong>ce, lorsque les chréti<strong>en</strong>s chargés <strong>de</strong> le diriger eur<strong>en</strong>t


198 HISTOIRE DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XV.<br />

dépassé les abus <strong>de</strong> leurs rivaux. Après moins <strong>de</strong> dix<br />

ans d'exist<strong>en</strong>ce, les monts-<strong>de</strong>-piété étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us ce<br />

qu'ils sont aüjourd'hui, <strong>de</strong>s al~fmes ouverts sous les pas<br />

du malheur plutbt que <strong>de</strong>s asiles pour y échapper.<br />

Tout semble donc nous autoriser à reconnaître que<br />

les Juifs bnt exercé une influ<strong>en</strong>ce notable sur la marche<br />

<strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> <strong>en</strong> Europe, <strong>en</strong> conservant, au<br />

milieu <strong>de</strong> l'anarchie féodale, le dépbt <strong>de</strong>s traditions<br />

commerciales qui vi<strong>en</strong>dront se perfectionner et s'épurer<br />

au foyer du quinzième siècle. C'est aux persécutions<br />

dont ils fur<strong>en</strong>t victimes que nous sommes re<strong>de</strong>vables<br />

<strong>de</strong>s premiers essais du crédit et du système <strong>de</strong> la circulation.<br />

Eiix seuls peut-être, <strong>en</strong> conc<strong>en</strong>trant sur le commerce<br />

<strong>de</strong> l'or et <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t une att<strong>en</strong>tion que les préjugés<br />

<strong>de</strong> leurs contemporains les empêchai<strong>en</strong>t d'occuper<br />

ailleurs, eux seuls ont préparé la gran<strong>de</strong> révolution<br />

monétaire que la découverte <strong>de</strong>s mines d'Amérique et<br />

l'établissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s banques europé<strong>en</strong>nes <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t accomplir<br />

dans le mon<strong>de</strong>. Ainsi brille et se conserve, au<br />

sein même <strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts les plus sombres, la trace<br />

lumineuse <strong>de</strong> l'av<strong>en</strong>ir, et nous allons la suivre <strong>en</strong>core<br />

plus prononcée dans l'histoire <strong>de</strong>s villes anséatiques.


CHAPlTRE XVI.<br />

Des villes anséatiques. - Motif <strong>de</strong> leur association: - Singulière<br />

organisation <strong>de</strong> leurs comptoirs. - Importance <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>trepôt<br />

<strong>de</strong> Bruges. - Oriqi~e du commerce <strong>de</strong> commission.<br />

Tandis que les Juifs créai<strong>en</strong>t et répandai<strong>en</strong>t la sci<strong>en</strong>ce<br />

commerciale <strong>en</strong> Europe, malgré l'anarchie féodale et les<br />

persécutions sans cesse r<strong>en</strong>aissantes dont ils etai<strong>en</strong>t ac-<br />

cablés, une association puissante se formait <strong>en</strong> Allema-<br />

gne et complétait l'eiivre <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s après l'avoir<br />

<strong>de</strong>vancée. Le nord et le midi marcli<strong>en</strong>t ainsi <strong>de</strong> concert<br />

à la conquéte <strong>de</strong>s grands élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la richesse publi-<br />

que, et le génie <strong>de</strong> la production trouve toujours un<br />

asile contre les abus <strong>de</strong> la force et lcs exactions <strong>de</strong> la<br />

tyrannie. Ce progrès n'est pas facile à suivre au travers<br />

<strong>de</strong>s vicissitu<strong>de</strong>s qui ne cess<strong>en</strong>t d'agiter la société euro-<br />

pCcnne <strong>de</strong>puis le règne <strong>de</strong> Charlemagne jnsqu'd celui <strong>de</strong><br />

Charles-Quint; mais il est impossible <strong>de</strong> méconnaitre les<br />

efforts qui sont t<strong>en</strong>tés chaque jour, soit dans un pays,<br />

soit dans un autre, pour restituer au travailleur son<br />

rang et au travail ses prérogatives. Meme <strong>en</strong>Mle pressu-<br />

rant on lui r<strong>en</strong>d liommage, et l'histoire <strong>de</strong>s Juifs sans<br />

cesse proscrits et rappelés n'est qu'une suite <strong>de</strong> tâtonne-<br />

m<strong>en</strong>ts dont les gouvernem<strong>en</strong>ts subiss<strong>en</strong>t la nécessité


200 HISTOIRE<br />

avant d'arriver à l'emploi du crédit, c'est-à-dire au respect<br />

inviolable <strong>de</strong> la foi promise et <strong>de</strong> la propriété.<br />

L'établissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la ligue anséatique est un <strong>de</strong> ces essais<br />

laborieux, et il doit occuper sa place dans i'histoire<br />

<strong>de</strong> l'éconon~ie <strong>politique</strong>.<br />

11 n'existe aucun monum<strong>en</strong>t auth<strong>en</strong>tique <strong>de</strong>s premiers<br />

temps <strong>de</strong> cette association célèbre, d'après lequel on<br />

puisse préciser l'époque exacte <strong>de</strong> sa fondation. La plupart<br />

<strong>de</strong>s actes d'accession à l'union anséatique ont m&me<br />

disparu <strong>de</strong>s archives <strong>de</strong>s principales villes qui <strong>en</strong> faisai<strong>en</strong>t<br />

partie. Aucun registre <strong>de</strong> dblibérations, aucun procèsverbal<br />

<strong>de</strong> confér<strong>en</strong>ces, ne nous est parv<strong>en</strong>u du premier<br />

age <strong>de</strong> ces opul<strong>en</strong>tes cités, plus occupées d'agir que <strong>de</strong><br />

parler et d'écrire. Ce qui est certain, c'est que dés le<br />

treizième siécle on voit déjà pliisieurs villes maritimes<br />

<strong>de</strong> la basse Allemagne unies <strong>en</strong>tre elles pour leur déf<strong>en</strong>se<br />

commune et surtout pour la protection <strong>de</strong> leur commerce.<br />

u Leurs comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>ts fur<strong>en</strong>t faibles, dit le<br />

savant histori<strong>en</strong> <strong>de</strong> ces villes ', leurs progrès rapi<strong>de</strong>s,<br />

leurs succès étonnants, et sans doute elles étai<strong>en</strong>t loin<br />

<strong>de</strong> prévoir qu'un jour leur opul<strong>en</strong>ce régnerait <strong>en</strong> souveraine<br />

sur les <strong>de</strong>ux mers du Nord, et pèserait d'un grand<br />

poids dans la balance <strong>politique</strong> <strong>de</strong> l'Europe. » Les premiers<br />

traités qu'elles fir<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre elles eur<strong>en</strong>t pour but<br />

la répression <strong>de</strong> la piraterie et l'abolition <strong>de</strong> ce brigandage<br />

connu sous le nom <strong>de</strong> droit <strong>de</strong> nau.frage, alors impitoyablem<strong>en</strong>t<br />

exercé contre tous les navigateurs. A mesure<br />

que leurs profits s'ét<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t, il fallait les mettre à<br />

l'abri <strong>de</strong>s déprédations maritimes qui correspondai<strong>en</strong>t<br />

d'une manière si cruelle aux exactions <strong>de</strong>s barons terri<strong>en</strong>s.<br />

On achetait lespriviléges qii'on ne pouvait obt<strong>en</strong>ir<br />

Sartorius, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong>s cdles anr~atiques, tome 1.


DE L'ECOKOMIE POLlTlQUE. CHAP. XVI. 301<br />

du bon droit ou par la force. En se réunissant, on ac-<br />

qulrait plus d'influ<strong>en</strong>ce, et peu à peu on eut assis sur<br />

<strong>de</strong>s bases soli<strong>de</strong>s une foule <strong>de</strong> franchises qui <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t<br />

la source <strong>de</strong> tout& sortes <strong>de</strong> prospérités.<br />

Les croisa<strong>de</strong>s offrir<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>tôt un alim<strong>en</strong>t actif à l'es-<br />

prit d'<strong>en</strong>treprise <strong>de</strong>s villes anséatiques. Leurs navires<br />

prir<strong>en</strong>t part aux expéditions <strong>en</strong> terre sainte et visitèr<strong>en</strong>t<br />

souv<strong>en</strong>t la Méditerranée; ils débaryubr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> plus d'une<br />

r<strong>en</strong>contre <strong>de</strong> hardis passagers et qui eilr<strong>en</strong>t facilem<strong>en</strong>t<br />

reconnu la supériorité du commerce <strong>de</strong> long cours sur le<br />

cabotage pauvre et restreint <strong>de</strong> la mer Ballique. A l'oc-<br />

ci<strong>de</strong>nt et dans la mer d'Allemagne, Cologne, Bréme,<br />

Lubecb, Hambourg, se faisai<strong>en</strong>t octroyer <strong>de</strong>s priviléges<br />

importants. On leur avait accordé la faveur <strong>de</strong> s'orga-<br />

niser <strong>en</strong> corporation à Londres, d'y avoir une maison et<br />

<strong>de</strong>s magasins, et elles <strong>en</strong> usèr<strong>en</strong>t avec une telle habileté,<br />

qu'<strong>en</strong> moins <strong>de</strong> quinze années tout le commerce anglais<br />

était tombé <strong>en</strong>tre leurs mains. En Suè<strong>de</strong>, <strong>en</strong> Danemark,<br />

<strong>en</strong> Norvége, <strong>en</strong> Livonie, leur préémin<strong>en</strong>ce ne connais-<br />

sait plus <strong>de</strong> bornes, et jusque dans Novogorod la Gran<strong>de</strong><br />

les magistrats <strong>de</strong> Liibeclr exercai<strong>en</strong>t sur les comptoirs<br />

anséatiques une influ<strong>en</strong>ce respectée. A la fin du trei-<br />

zième siècle on voit déjà sept villes maritimes <strong>de</strong> la Bal-<br />

tiqiie s'unir pour déf<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s privilhges que le roi <strong>de</strong><br />

Norwége voulait leur disputer dans ses ports; elles ar-<br />

m<strong>en</strong>t une flotte pour se les faire r<strong>en</strong>dre et triomph<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

la rksistance du prince. Dans le siècle suivant, leur pré-<br />

pondérance est si gran<strong>de</strong> que la plupart <strong>de</strong>s villes <strong>de</strong><br />

l'intérieur <strong>de</strong> l'Allemagne déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> s'y rattacher, avec<br />

<strong>de</strong>s provinces <strong>en</strong>tières. Tout le mon<strong>de</strong> veut ètre <strong>de</strong> cette<br />

association où il y a tant <strong>de</strong> profits à faire et si peu <strong>de</strong><br />

risques a courir. Les petites villes y sont admises à titre<br />

<strong>de</strong> cli<strong>en</strong>tes, à condition <strong>de</strong> supporter leur part <strong>de</strong>s


, charges générales, comme rançon <strong>de</strong> leur indép<strong>en</strong>dance<br />

nouvelle. On croit que ce fut à cette occasion qu'on<br />

dressa le premier. acte <strong>de</strong> confédération générale dans<br />

une assemblée t<strong>en</strong>ue à Cologne <strong>en</strong> 1364, où la ligue prit<br />

le nom 'd'ariséatique ou <strong>de</strong> hanse, qui signifiait, dans le<br />

vieux langage du pays, corporation. Ce qu'il y a <strong>de</strong> certain,<br />

c'est qu'à partir <strong>de</strong> cette époque, on n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d plus<br />

parler ni <strong>de</strong>s marchands <strong>de</strong> l'Empire, ni <strong>de</strong>s navigateurs<br />

&l'Allemagne, mais <strong>de</strong>s comptoirs et <strong>de</strong>s factoreries <strong>de</strong>s<br />

. villes anséatiques.<br />

Malheureusem<strong>en</strong>t, cette ligue portait dans son sein<br />

<strong>de</strong>s germes <strong>de</strong> désorganisation qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t t6t ou tard<br />

am<strong>en</strong>er sa déca<strong>de</strong>nce et sa ruine. ~llè manquait d'une<br />

puissance exécutive pourvue <strong>de</strong> moy<strong>en</strong>s suffisants pour<br />

forcer tous les associés à se soumettre aux résolutions<br />

adoptées par la majorité; elle n'avait pas <strong>de</strong> chef institué<br />

pour diriger toutes les forces vers le bi<strong>en</strong> général.<br />

a C'était un corps (1 c<strong>en</strong>t bras, sans t&tel. » En vain<br />

avait-on stipulé que les villes réfractaires serai<strong>en</strong>t re-<br />

tranchées <strong>de</strong> la confédération, et que leurs différ<strong>en</strong>ds<br />

serai<strong>en</strong>t jugés par un 'conseil suprême; ces clauses ess<strong>en</strong>- .<br />

tielles ne fur<strong>en</strong>t jamais ponctuellem<strong>en</strong>t exécutées, et<br />

nulle idée <strong>de</strong> persévérance et d'<strong>en</strong>semble ne présida<br />

jamais aux <strong>en</strong>treprises <strong>de</strong> la ligue. L'esprit d'anarchie<br />

qui dominait alors <strong>en</strong> Europe avait aussi soufflé sur elle,<br />

et nous ne compr<strong>en</strong>ons pas comm<strong>en</strong>t chacune <strong>de</strong>s villes<br />

dont elle était composée pouvait avoir conservé le droit<br />

<strong>de</strong> contrauter <strong>de</strong>s alliances avec <strong>de</strong>s princes ou <strong>de</strong>s États<br />

&rangers à la confédération. Aussi, arriva-t-il plus d'une<br />

fois que l'intérkt d'un ou <strong>de</strong> plusieurs membres <strong>de</strong> la<br />

4 Schoell, Cours d'histoire <strong>de</strong>s Ëbats europ<strong>de</strong>ns, lome XV,<br />

.page 49 1.


DE L'ÉcoNo~~IE POLITIQUE. CHAI?. X'. 303<br />

ligue se trouva <strong>en</strong> opposition avec celui <strong>de</strong> tous les au-<br />

tres, et <strong>en</strong>traîna <strong>de</strong>s guerres funestes à i'association tout<br />

<strong>en</strong>tihre. Les rois <strong>de</strong> Danemark, <strong>de</strong> Suè<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Nor-<br />

wége, toutes ces puissances féodales habituées aux tri-<br />

but$ et aux pillages, finir<strong>en</strong>t par voir <strong>de</strong> mauvais mil<br />

l'indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> quelques cités commerciales et I'in-<br />

sol<strong>en</strong>ce bourgeoise qui <strong>en</strong> était la conséqu<strong>en</strong>ce. Celles-ci,<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ant <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus puissantes à mesure qu'elles<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t plus riches, pouvai<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>dre S leur sol<strong>de</strong><br />

les sujets mbmeü <strong>de</strong> leurs <strong>en</strong>nemis, et elles opposai<strong>en</strong>t<br />

une aristocratie <strong>de</strong> commerce et d'arg<strong>en</strong>t à l'aristocratie<br />

purem<strong>en</strong>t féodale qui leur faisait la guerre. Elles étai<strong>en</strong>t<br />

militairem<strong>en</strong>t fortifibes et pouvai<strong>en</strong>t résister <strong>en</strong> ces temps<br />

où l'artillerie, <strong>en</strong>core inconnue, pe permettait pas <strong>de</strong><br />

battre <strong>en</strong> brèche leurs murailles '.<br />

Letir puissance ne tarda point S se manifester dans les<br />

premières luttes qu'il leur fallut sout<strong>en</strong>ir, nommém<strong>en</strong>t<br />

contre Val<strong>de</strong>mar, roi <strong>de</strong> Danemark. Elles forcèr<strong>en</strong>t ce<br />

prince à fuk <strong>de</strong> ses États, et répandir<strong>en</strong>t une teIle ter-<br />

reur dans la Baltique, que toutes les rivalités s'humi-<br />

likr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>vant leurs triomphes. Ainsi disparur<strong>en</strong>t les<br />

- flottes <strong>de</strong> ces redoutables Normands, qui avai<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>u<br />

4 On n'a jamais connu avec certitu<strong>de</strong> le nom <strong>de</strong> toutes les villes<br />

anséatiques. Les plus r<strong>en</strong>ommées el celles qui étai<strong>en</strong>t désiguées<br />

habituellem<strong>en</strong>t ddns les actes officiels <strong>de</strong> la Confédération, ne s'élevai<strong>en</strong>t<br />

pas au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> quarante ou <strong>de</strong> quarante-cinq. C'étaieiit<br />

Lubecle, Wismar, R?stock, Stralsund, Greifswal<strong>de</strong>, Colberg, Ane-<br />

$@m, Demmén, Stettin, Kiel, Brême, Hambourg, Mustargard,<br />

Culmn, Thorn, Elbing, Dantzig, Kœnigsberg, Riga, Dorpt, Revel,<br />

Pernoto, Cologne, Soest, Munster, Osnabruck, Brunswick, blag<strong>de</strong>-<br />

&ourg, Hil<strong>de</strong>sheim, Hanovre, Lu~ebourg, Utrecht, Zwoll, Dev<strong>en</strong>ter,<br />

Zulph<strong>en</strong>, Zi~ib<strong>de</strong>, Briel, Mid<strong>de</strong>lbou~g, Dordrecht, Rotterdam,<br />

Amsterdam, Camp<strong>en</strong>, Groningue, Har<strong>de</strong>rwick, Staverea. Les au-<br />

.tres étai<strong>en</strong>t désign6es par la qualification générale <strong>de</strong> villes ansestiques.<br />

On peut les Bvaluer <strong>en</strong>semble à quatre-vingts.


204 HISTOIRE<br />

l'Europe <strong>en</strong>tière <strong>en</strong> échec et fondé <strong>de</strong>s royaumes à plus<br />

<strong>de</strong> cinq c<strong>en</strong>ts lieues <strong>de</strong> leurs rivages. Les escadres <strong>de</strong> la<br />

ligue anséatique, commandées par <strong>de</strong>s sénateurs <strong>de</strong> Lu-<br />

beck, purgèr<strong>en</strong>t les mers du Nord <strong>de</strong> pirates, et le traité<br />

<strong>de</strong> Stralsund, <strong>en</strong> 1370, leur livra pour quinze an8 les<br />

places fortes <strong>de</strong> la Scanie, avec les districts qui <strong>en</strong> rele- ,<br />

vai<strong>en</strong>t. Dès ce mom<strong>en</strong>t, on peut dire que le droit <strong>de</strong>s<br />

g<strong>en</strong>s maritime comm<strong>en</strong>ça à naître, et que le commerce<br />

fit la loi à la barbarie. Partout où flotta l'ét<strong>en</strong>dard <strong>de</strong>s<br />

villes anséatiques, on vit succé<strong>de</strong>r le respect <strong>de</strong>s traités<br />

à l'abus <strong>de</strong> la force. Des ag<strong>en</strong>ts commerciaux, <strong>de</strong>s <strong>en</strong>tre-<br />

pôts, <strong>de</strong>s comptoirs, <strong>de</strong>'s magasins s'établissai<strong>en</strong>t sur<br />

tous les points où les échanges pouvai<strong>en</strong>t avoir quelque<br />

importance. La Russie a Sté réellem<strong>en</strong>t découverte par<br />

ces navigat<strong>en</strong>rs hardis, qui se frayèr<strong>en</strong>t les premiers une<br />

route jusqu'à Novogorod. Les produits naturels <strong>de</strong> ces<br />

vastes contrées fertiles, quoique mal cultivées, <strong>de</strong>vin-<br />

r<strong>en</strong>t et sont restés, <strong>de</strong>puis lors, le principal objet du<br />

commerce <strong>de</strong> la mer Baltique. C'étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s peaux, <strong>de</strong>s<br />

cuirs, <strong>de</strong>s pelleteries, <strong>de</strong>s grains, du chanvre, du gou-<br />

dron, <strong>de</strong>s bois <strong>de</strong> construction dont l'Europe manquait,<br />

et que lesvilles anséàtiques lui fournir<strong>en</strong>t presque aussi-<br />

tbt <strong>en</strong> abondance. La plus parfaite liberté régnait <strong>en</strong>tre<br />

ces villes dans les transactions qu'<strong>en</strong>trav<strong>en</strong>t aujourd'hui<br />

les exig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la <strong>politique</strong>, les tarifs <strong>de</strong> douanes et<br />

toutes les l<strong>en</strong>teurs <strong>de</strong> la fiscalité.<br />

Il fant se transporter par la p<strong>en</strong>sée dans nos comp-<br />

toirs mo<strong>de</strong>rnes <strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t ou à la Chine, pour retrouver<br />

la trace <strong>de</strong>s usages commerciaux que les vues anséati-<br />

ques avai<strong>en</strong>t fait prévaloir dans toute l'Europe aux trei-<br />

zième et quatorzième sièlces. En Angleterre et <strong>en</strong> Russie,<br />

leurs marchands jouissai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> priviléges considérables.<br />

Ils avai<strong>en</strong>t à Novogorod un magistrat chargé <strong>de</strong> mainte-


E L'ECONOMIE POLITIQUE. CBAP. XVI. 205<br />

~ il'ordre r parmi eux, et <strong>de</strong> juger leurs procès d'après<br />

le; lois <strong>de</strong> l'Union. Ce magistrat, assisté <strong>de</strong> quelques<br />

priid'hommes, avail le droit <strong>de</strong> ,prononcer dans certains<br />

ca3<strong>de</strong> fortes am<strong>en</strong><strong>de</strong>s, et nieme la peine <strong>de</strong> mort, avec<br />

-appel soit Lubeck, soit à la diète ans6atique. L'Église<br />

et la factorerie <strong>de</strong> l'Union étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tourées d'une <strong>en</strong>ceinte<br />

fermée p<strong>en</strong>dant la nuit et sévèrem<strong>en</strong>t gardée. Les<br />

marchands <strong>de</strong> la Hanse avai<strong>en</strong>t eu soin <strong>de</strong> s%ssurer le<br />

monopole <strong>de</strong>s affaires; les Russes ne pouvai<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>dre<br />

qu'u'à eux, et un statut <strong>de</strong> la coilfkdération avait déf<strong>en</strong>du<br />

<strong>de</strong> sol<strong>de</strong>r les marchés <strong>en</strong> espèces : toutes lestransactions<br />

<strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t se consommer par forme d'échange. De là naquir<strong>en</strong>t<br />

la contreban<strong>de</strong> et l'interlope, soit par la Suè<strong>de</strong>,<br />

soit par la Finlan<strong>de</strong>, jusqu'au mom<strong>en</strong>t ou les Anglais,<br />

ayant trouvé le chemin d'drkangel par la mer Blanche,<br />

annulèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> fait le monopole <strong>de</strong> la confédération.<br />

Aussi, peu à peu le li<strong>en</strong> t<strong>en</strong>dait-il à se dissoudre, et<br />

<strong>de</strong>puis ce mom<strong>en</strong>t ou voit chaque jour quelque ville se<br />

détacher <strong>de</strong> l'union, a la tete <strong>de</strong> laquelle Lubeck a lorigtemps<br />

brillé du plus vif éclat.<br />

Pour bi<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre l'influ<strong>en</strong>ce exercAe sur le développcm<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s richesses par les villes an-<br />

,séatiyiies, il est nécessaire <strong>de</strong> jeter 1111 coup d'œil sur la<br />

manière dont ces cités avai<strong>en</strong>t organis6 les comptoirs<br />

qu'elles <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à Novogorod, à Berg<strong>en</strong>, à Bruges,<br />

à Londres et dans d'autres places. Tous ces établissem<strong>en</strong>ts<br />

étai<strong>en</strong>t soumis aux memes règlem<strong>en</strong>ts, sauf un<br />

petit nombre <strong>de</strong> modifications locales. Les comptoirs se<br />

composai<strong>en</strong>t d'une série <strong>de</strong> bktim<strong>en</strong>ts isolés et généralem<strong>en</strong>t<br />

construits sur le bord <strong>de</strong> la mer ou <strong>de</strong>s fleuves,<br />

afin que les navires <strong>en</strong> puss<strong>en</strong>t approcher aisém<strong>en</strong>t pour<br />

y pr<strong>en</strong>dre ou y déposer leurs cargaisons. Chaque corps<br />

<strong>de</strong> bâtim<strong>en</strong>t avait un nom et une <strong>de</strong>stination particulière,<br />

4' ÉDIT. T. 1. 2 2


-<br />

306 HISTOIRE<br />

Les employés, les surveillants logeai<strong>en</strong>t à portée <strong>de</strong>s<br />

marchandises, qui étai<strong>en</strong>t réparties, suivant leur nature,<br />

dans <strong>de</strong>s gr<strong>en</strong>iers, <strong>de</strong>s magasins ou <strong>de</strong>s caves, comme<br />

dans les docks actuels <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Londres ; <strong>de</strong> vastes<br />

jardins servai<strong>en</strong>t au besoin <strong>de</strong> dépBt supplém<strong>en</strong>taire et<br />

fournissai<strong>en</strong>t les légumes nécessaires à la consommation<br />

<strong>de</strong>s habitants. P<strong>en</strong>dant l'hiver, une salle commune réu-<br />

nissait autour du m&me foyer cette nombreuse famille<br />

industrielle ; <strong>de</strong> vastes dortoirs la recevai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite<br />

p<strong>en</strong>dant la nuit. Aucun habitant du comptoir ne pouvait<br />

se marier, et l'infraction <strong>de</strong> cette loi était punie par la<br />

perte du droit anséatique et dw droit <strong>de</strong> cité. Imaginez<br />

la règle d'une communauté religieuse appliquée à une<br />

association commerciale, et vous aurez une idée <strong>de</strong> la<br />

constitution <strong>de</strong> ces factoreries, dont celles <strong>de</strong>s Anglais à<br />

Canton reproduis<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nos jours, à quelques différ<strong>en</strong>ces<br />

près, les principales dispositions.<br />

Comme aujourd'hui a Canton, il était déf<strong>en</strong>du aux<br />

employés <strong>de</strong> visiter, sous peine <strong>de</strong> mort, la partie <strong>de</strong> la<br />

ville qui appart<strong>en</strong>ait aux naturels. Les abords<strong>de</strong>s comp-<br />

toirs étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tourés <strong>de</strong> s<strong>en</strong>tinelles p<strong>en</strong>dant la nuit, et<br />

gardés par <strong>de</strong>s dogues énormes qui se jetai<strong>en</strong>t avec<br />

fureur sur tout inconnu qui s'approchait d'eux. II parqit,<br />

<strong>en</strong> outre, que les règlem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la confédération ne per-<br />

mettai<strong>en</strong>t pas aux employés <strong>de</strong> faire le commerce pour<br />

leur propre compte ; ils n'étai<strong>en</strong>t considérés que comme<br />

<strong>de</strong>s commis agissant au nom <strong>de</strong> leurs patrons, et aubout<br />

<strong>de</strong> dix ans ils retournai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Allemagne, riches <strong>de</strong> leur<br />

expéri<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong>s connaissances qu'ils avai<strong>en</strong>t acquises,<br />

Pour subv<strong>en</strong>ir aux frais du comptoir, chaque marchan-<br />

dise payait un droit léger à l'<strong>en</strong>trée ou à la sortie. On<br />

employait au m&me usage le produit <strong>de</strong>s am<strong>en</strong><strong>de</strong>s p&r<br />

violation <strong>de</strong> statuts ou <strong>de</strong> formalités, et chaque cité con-


DE L'ECOROMIE POLITIQUE. CHAP. XVI. 207<br />

féd6rée était soumise à une taxe pour l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s<br />

comptoirs.<br />

Les comptoirs ét<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t un mom<strong>en</strong>t leurs ramifications<br />

dans toute l'Europe et donnèr<strong>en</strong>t partout une impulsion<br />

extraordinaire au commerce et à l'industrie. La<br />

factorerie <strong>de</strong> Bruges <strong>de</strong>vint l'<strong>en</strong>trepôt <strong>de</strong> toutes les productions<br />

<strong>de</strong> l'Europe, et laville compta jusqu'à 35 mille<br />

maisons. Durant les plus beaux jours <strong>de</strong> leur prospérité,<br />

les cités anséatiques étai<strong>en</strong>t niaitresses <strong>de</strong>s pecheries, <strong>de</strong>s<br />

mines, <strong>de</strong> l'agriculture et <strong>de</strong> l'industrie <strong>de</strong> toute l'Allemagne.<br />

Les grains, la cire et Le miel <strong>de</strong> la Pologne, les<br />

métaux <strong>de</strong> la Bohéme et <strong>de</strong> laHongrie, les vins du Rhin<br />

et <strong>de</strong>' France, les laines et l'étain <strong>de</strong> l'Angleterre, les<br />

toiles <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong>, les draps <strong>de</strong> la Belgique s'khangeai<strong>en</strong>t<br />

par masses énormes surleurs marchés. Les marchands<br />

du midi <strong>en</strong>voyai<strong>en</strong>t à l'<strong>en</strong>trepdt <strong>de</strong> Bruges les<br />

produits <strong>de</strong> l'ori<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> k~talie, les épices <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>,<br />

les soieries, et les drogues dont la consommation était<br />

très-considérable. Mais bi<strong>en</strong>tôt la prospérité <strong>de</strong> cette<br />

ville excita la jalousie <strong>de</strong>s autres cités qui contribuai<strong>en</strong>t<br />

aux frais élevés <strong>de</strong> ses employés, et Cologne rompit avec<br />

éclat le li<strong>en</strong> qui l'attachait à elle. Les administrateurs <strong>de</strong><br />

la gran<strong>de</strong> factorerie avai<strong>en</strong>tcommislafaute d'établir <strong>de</strong>ux<br />

catégories <strong>de</strong> marchandises, dont les unes <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t être<br />

nécessairem<strong>en</strong>t négociées dans le dépôt <strong>de</strong> la confédération,<br />

tandis que les autres étai<strong>en</strong>t affranchies <strong>de</strong> cette<br />

condition. Peu àpeu on s'efforça d'augm<strong>en</strong>terle nomQre<br />

<strong>de</strong>s articles affranchis, c'est-à-dire <strong>de</strong> faire prévaloir ce<br />

que nous appelons aujourd'hui l'<strong>en</strong>trepst fictif sur l'<strong>en</strong>trepôt<br />

réel. La lutte qui s'établit à cette occasion détermina<br />

plusieurs négociants à consigner leurs marchandises<br />

à <strong>de</strong>s maisons flaman<strong>de</strong>s, pour échapper aux<br />

- exig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong>s <strong>en</strong>trepôts, et c'est ainsi que le commerce <strong>de</strong>


commissim, dont les <strong>de</strong>stinées <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t Btre si bril-<br />

lantes, naquit d'une protestation contre l'arbitraire<br />

<strong>de</strong>s tarifs.<br />

Les Anglais se lassèr<strong>en</strong>t à leur tour <strong>de</strong>s priviléges qu'ils<br />

avai<strong>en</strong>t accordés ailx villes anséatiques, et, <strong>en</strong> effet, ces<br />

priviléges étai<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t exorbitants. II avait été sti-<br />

pulé que les procès <strong>en</strong>tre Anglais et Allemands serai<strong>en</strong>t<br />

souverainemént jugés par <strong>de</strong>ux magistrats que le roi<br />

nommerait ; les Allemands étai<strong>en</strong>t soustraits à la juri-<br />

diction du tribunal <strong>de</strong> l'amirauté. On leur avait aban-<br />

donné, <strong>en</strong> toute propriété, un quartier <strong>de</strong> Londres, un<br />

autre à Boston et à Lynn, et ils étai<strong>en</strong>t exempts d'une<br />

série <strong>de</strong> taxes <strong>de</strong> douane et d'autres re<strong>de</strong>vances, aux-<br />

quelles tout le mon<strong>de</strong> était soumis. La querelle com-<br />

m<strong>en</strong>ça à s'<strong>en</strong>v<strong>en</strong>imer, lorsque les Anglais s'aperçur<strong>en</strong>t<br />

que ceux <strong>de</strong>s villes anséatiques profitai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leurs pri-<br />

viléges pour inon<strong>de</strong>r le pays <strong>de</strong>s draps fabriqués <strong>en</strong> Alle-<br />

magne, et pour accaparer toutes les opérations commer-<br />

ciales. Il fut démontré que les Allemands avai<strong>en</strong>timporté<br />

<strong>en</strong> une seule année quarante-quatre mille pièces<strong>de</strong> drap,<br />

tandis que les fabriques anglaises n'avai<strong>en</strong>t pu <strong>en</strong> placer<br />

que onze c<strong>en</strong>ts. Plus tard, la reine Élisabethfavorisa <strong>de</strong><br />

tout son pouvoir le progrès <strong>de</strong>s établissem<strong>en</strong>ts que les<br />

raa<strong>en</strong>lurie~s avai<strong>en</strong>t fondés pour rivaliser avec les villcs<br />

anséatiques, et mit le sceau <strong>de</strong> son autorité à ces repré-<br />

sailles <strong>de</strong> douanes qu'on peut considérer comme le pré-<br />

lu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s luttes industrielles auxquelles nous assistons.<br />

Des ce mom<strong>en</strong>t, le commerce s'élève au rang <strong>de</strong> puis-<br />

sance <strong>politique</strong> ; on combat à coups <strong>de</strong> tarifs autant qu'à<br />

coups <strong>de</strong> canon; et <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> fait son <strong>en</strong>trée<br />

4 On sait que ce fut sous ce nom que s'Blablit une compagnie<br />

<strong>de</strong> marcliands anglais, dans le but <strong>de</strong> se soustraire à la domipa-<br />

tion commerciale <strong>de</strong>s Allemaiids.


DE L'OCONONIE POLITIQG'E. CHAP. XVI. 209<br />

dans les conseils <strong>de</strong>s rois et dans le droit europé<strong>en</strong>.<br />

Les villes anséatiques ont merveilleusem<strong>en</strong>t servi ce<br />

mouvem<strong>en</strong>t si favorable à la liberté et à la civilisation,<br />

<strong>en</strong> rapprochant les peuples par le li<strong>en</strong> puissant <strong>de</strong>s inté-<br />

rets et <strong>de</strong>s industries. L'établissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>trepôt<br />

<strong>de</strong> Bruges, qui unissait le Nord et le Midi, était <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u<br />

le r<strong>en</strong><strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> tous les négociants <strong>de</strong> l'Europe et une<br />

place du premier ordre pour la circ~ilation <strong>de</strong>s espèces<br />

et les combinaisons du crédit. On y comptait soixantc-<br />

huit corps <strong>de</strong> métiers, et <strong>de</strong>s le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t di1 qua-<br />

torzième siècle ', il y existait une chambre d'assurances<br />

et <strong>de</strong>s courtiers instruits <strong>de</strong>s principales règles du<br />

change 2. De la partai<strong>en</strong>t comme d'un c<strong>en</strong>tre commun<br />

les ordres du commerce qui aurai<strong>en</strong>t réveillé l'indcistrie<br />

da sommeil où elle était plongée, si le régime <strong>de</strong>s cor-<br />

porations, <strong>en</strong> vigueur alors dans toute YEurope, n'eût<br />

contribui: à l'y maint<strong>en</strong>ir. Et cep<strong>en</strong>dant, les villes an-<br />

séatiques ont cré& le système <strong>de</strong>s pécheries mo<strong>de</strong>rnes,<br />

di1 har<strong>en</strong>g et <strong>de</strong> la baleine, la marine marchan<strong>de</strong>, les<br />

<strong>en</strong>trepôts, la commission et les franchises da g<strong>en</strong>re <strong>de</strong><br />

celles dont jouisscut les Europé<strong>en</strong>s dans l'ori<strong>en</strong>t et à la<br />

Chine, faute <strong>de</strong> mieux. Ellei ont accoutumé la barbarie<br />

féodale au respect du travail dont elle a fini par <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir<br />

tributaire, et substitué l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l'intellig<strong>en</strong>ce in-<br />

diistri<strong>en</strong>se et économe à celle <strong>de</strong> la cuirasse et du glaive.<br />

Elles ont préparé l'émancipation <strong>de</strong>s communes <strong>de</strong><br />

France et d'Angleterre, <strong>en</strong> faisant voir <strong>de</strong> quel côté<br />

En 1310.<br />

2 Comme les habitants <strong>de</strong>s villes ansCatiques étai<strong>en</strong>t vulgaire-<br />

ru<strong>en</strong>t désignes <strong>en</strong> Angleterre sous le,nom d'Esterlings, et que,<br />

dans les v<strong>en</strong>tes, onsti: uiait les payem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> monnaie <strong>de</strong>sEster-<br />

Iings, il est probable que 13 dénomination <strong>de</strong> livre sterling re-<br />

monts à cette époque.<br />

12.


1 HISTOIRE: DE L'~~~CONONIE POLITIQ~IE. CHAP. XVI.<br />

serait la force, .le jour oa les communes voudrai<strong>en</strong>t<br />

$'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre et s'associer. Nous leur <strong>de</strong>vons <strong>en</strong>fin I'abolition<br />

<strong>de</strong>s premieres barriéres commefciales et ler: premiers<br />

essais du crédit public dont elles donnér<strong>en</strong>t<br />

l'exemple, toutes les fois que les besoins <strong>de</strong> la .confédération<br />

les mir<strong>en</strong>t dans le cas d'y recourir. Le régime représ<strong>en</strong>tatif<br />

et électif qu'elles propagèr<strong>en</strong>t, l'espéce <strong>de</strong><br />

hiérarchie qu'elles établir<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les villes alliées,<br />

protégées ou assujetties, exerça chacune d'elles la déf<strong>en</strong>se<br />

<strong>de</strong> ses droits et les conduisit 21 la conquéte <strong>de</strong><br />

droits nouveaux. Ainsi se retrouve toujours la trace du<br />

progrès économiqiie, au milieu <strong>de</strong>svieissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s peuples<br />

qtii sembl<strong>en</strong>t l'avoir pei'due, et les forces productives<strong>de</strong><br />

l'ho~me l'ernport<strong>en</strong>tsans cesse sui' ses p<strong>en</strong>chant^<br />

<strong>de</strong>structeurs.


De ~'a&ranchissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s communes et <strong>de</strong> son influ<strong>en</strong>ce sur la<br />

marche dd progrès économique et social.<br />

Tandis que Ies villes ansbatiques s'organisai<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

.confédération dans' le nord, le grand-ceuvi6e <strong>de</strong> l'affranchissem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s communes s'accomplissait dans le midi.<br />

Les traditions romaines s'y étai<strong>en</strong>t conservées plus vivaces<br />

q<strong>de</strong> dans le reste <strong>de</strong> l'Europe, et sous la domination<br />

m&me <strong>de</strong>s Barbares, les gran<strong>de</strong>s cités <strong>de</strong> la Prov<strong>en</strong>ce<br />

et du Languedoc n'avai<strong>en</strong>t jamais cessé <strong>de</strong> jouir <strong>de</strong>s<br />

bi<strong>en</strong>faits du régime dunicipal. Ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t, a me-<br />

Sure que les villes du nord acquéraiefit <strong>de</strong> l'importance<br />

par leurs richesses, elles rir<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>tatives pour conqiiérir<br />

leur indép<strong>en</strong>dance ; elles votilai<strong>en</strong>t disposer librem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> leur fortune et y rattacher quelques privilégeç,<br />

8 une époque où c'était une preuve <strong>de</strong> servitudc <strong>de</strong> ne<br />

pas eil avoir. Les bourgeois parvinr<strong>en</strong>t à se faire juger<br />

par leurs pairs et b se soustraire à la justice <strong>de</strong>s seigneurs,<br />

oppressive, partiale et vénale. Ils rbclamèr<strong>en</strong>t<br />

le droit d'etre imposés d'une manière fixe et limitée,<br />

<strong>de</strong> régler eux-m&mes leurs intérkts et (le maint<strong>en</strong>ir<br />

l'ordre dans les villes et bourgs. « .Voici, disait l'abbé<br />

Guibert, chroniqueur du douéiè~ne siècle, voici ce qu'on


212 HISTOIRE<br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d aujourd'hui par ce mot nouveau et &testable <strong>de</strong><br />

conzmune : les g<strong>en</strong>s taillables ne pay<strong>en</strong>t plus qu'une fois<br />

l'an la r<strong>en</strong>te a leurs seigneurs; s'ils commett<strong>en</strong>t quelque<br />

délit, ils <strong>en</strong> sont quittes pour une am<strong>en</strong><strong>de</strong> légalem<strong>en</strong>t<br />

fixée, et quant aux levées d'arg<strong>en</strong>t qu'on a coutume<br />

d'infliger aux serfs, ils <strong>en</strong> sont exempts D<br />

C'est bi<strong>en</strong> sous un semblable aspect, <strong>en</strong> effet, que la<br />

liberté naissante <strong>de</strong>vait apparaître à un Iiomme d'~g1ise.<br />

église avait raison <strong>de</strong> s'alarmer <strong>de</strong> la conspiration<br />

universelle qui éclatait contre tous les priviléges, et qui<br />

allait Bi<strong>en</strong>tbt attaquer les si<strong>en</strong>s. Car, peu à peu, elle<br />

s'était substituée aux seigneurs, <strong>en</strong> obt<strong>en</strong>ant <strong>de</strong>s exemptions<br />

<strong>de</strong> taxes et <strong>de</strong>s prérogatives fiscales <strong>de</strong> la plus<br />

haute importance. Chaque jour voyait augm<strong>en</strong>ter ses ,<br />

bi<strong>en</strong>s par <strong>de</strong>s donations, et ses prét<strong>en</strong>tions s'élevai<strong>en</strong>t<br />

avec sa fortune jusqu'au point d'inquiéter les rois sur<br />

leurs trdnes. Louis IX lui-méme , qui était un saint, fut<br />

obligé d'y mettre ordre, et ses successeurs, souv<strong>en</strong>t excommuniés,<br />

ont eu à sout<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> longues luttes avec la<br />

papauté, protectrice naturelle <strong>de</strong>s exig<strong>en</strong>ces ecclésiastiques<br />

<strong>de</strong> tous les temps. Ainsi se continuait cette protestation<br />

perman<strong>en</strong>te, immortelle, <strong>de</strong> l'espèce humaine<br />

<strong>en</strong> faveur d'une répartition plus équitable <strong>de</strong>s profits du<br />

travail. é église s'y était associée aux jours <strong>de</strong> ses malheurs,<br />

et elle avait fourni <strong>de</strong> puissantes armes aux<br />

déf<strong>en</strong>seurs <strong>de</strong> l'égalité civile, à l'époque oh tout le<br />

mon<strong>de</strong> pliait sous le joug féodal. Mais, à mesure que<br />

la féodalité s'affaiblit, 1'6~iise voulut <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir son héritière,<br />

et repr<strong>en</strong>dre sa vieille domination sur les rois, qui<br />

se jetèr<strong>en</strong>t dans les bras <strong>de</strong>s peuples et créèr<strong>en</strong>t le tiers<br />

état au sein <strong>de</strong>s communes affranchies.<br />

4 Mémoires <strong>de</strong> Guibert. liv. rit, chap. 7.


Cette gran<strong>de</strong> révolution n'a pas été l'œuvre d'un<br />

jour; nous <strong>en</strong> voyons les résultats, mais nous n'<strong>en</strong><br />

savons pas la date certaine. Ce qui est probable, c'est<br />

que le mouvem<strong>en</strong>t a comm<strong>en</strong>cé par qiielques ~ilies<br />

opul<strong>en</strong>tes, et s'est propagé ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t, selon les<br />

circonstances, à toutes les villes, dont les mes ont<br />

<strong>de</strong>mandé la confirmation <strong>de</strong>s priiilbges qu'elles possé-<br />

dai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis longtemps et les autres ont argué <strong>de</strong><br />

services r<strong>en</strong>dus et d'actcs accomplis, pour faire Iégi-<br />

timer par l'octroi ce qu'elles avai<strong>en</strong>t gagné par la con-<br />

quête. Cep<strong>en</strong>dant on attribue communém<strong>en</strong>t à Louis le<br />

Gros les premières chartes d'émancipation, parce qu'il<br />

est le premier roi qui ait recouru à l'appui <strong>de</strong>s bour-<br />

geois pour rPsister aux usurpations <strong>de</strong> la noblesse. Mais<br />

ce serait une erreur <strong>de</strong> croire qu'à l'époque où les<br />

diverses cités se constituèr<strong>en</strong>t ep communes, elles nc<br />

possédai<strong>en</strong>t aucune institution populaire et localc ,<br />

chargée <strong>de</strong> ,surveiller les intérets <strong>de</strong>s habitants. Elles<br />

avai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s maires, <strong>de</strong>s échevins, <strong>de</strong>s pairs, <strong>de</strong>s jnrés,<br />

<strong>de</strong>s consuls. On sait la lutte éneigique et célèbre que<br />

'les habitants <strong>de</strong> V6zelai soutinr<strong>en</strong>t contre leur abbé et<br />

ses moines, qui prét<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t les maint<strong>en</strong>ir irrévocable-<br />

m<strong>en</strong>t sous le joiig féodal. Ri<strong>en</strong> n'cst plus curieux que<br />

<strong>de</strong> voir dans l'histoire cette longue querelle élevée <strong>en</strong>tre<br />

<strong>de</strong>s moines qui parlai<strong>en</strong>t au nom <strong>de</strong>s libertés <strong>de</strong> l<strong>en</strong>r<br />

- église, et quelques bourgeois qui réclamai<strong>en</strong>t les privi-<br />

léges <strong>de</strong> l<strong>en</strong>r commune; dispute sérieuse qui dura plu-<br />

sieurs années et dans laquelle intervinr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s évkques,<br />

<strong>de</strong>s seigneurs, la cour <strong>de</strong> Rome, le roi <strong>de</strong> France, polir<br />

la ruine et l'asservissem<strong>en</strong>t d'une chétive bourga<strong>de</strong>.<br />

Les villes <strong>de</strong> Tournay, <strong>de</strong> Noyon, <strong>de</strong> Meaux, <strong>de</strong> Dijon<br />

jouissai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> priviléges fort ét<strong>en</strong>dus, au premier rang<br />

<strong>de</strong>squels figur<strong>en</strong>t toujours quelques libertés commer-


21 4 HISTOIRE<br />

ciales, quelques prérogatives particulières <strong>en</strong> matière<br />

<strong>de</strong> routes, <strong>de</strong> monnaies, <strong>de</strong> corvées et d'impôts. L'abbé<br />

Suger, qui était ministre et qui a été biographe <strong>de</strong><br />

Louis le Gros, dit expressém<strong>en</strong>t que les hommes <strong>de</strong>s<br />

paroisses du pays assistèr<strong>en</strong>t ce prince au siége <strong>de</strong><br />

Thoury. Plus tard la reine Blanche, p<strong>en</strong>dant l'abs<strong>en</strong>ce<br />

<strong>de</strong> saint Louis, confia la gar<strong>de</strong> dc villes à <strong>de</strong>s milices<br />

bourgeoises. Plus on étudie ce sujet, plus on est con-<br />

vaincu que c'est la richesse accumulée dans les villes<br />

qui a fait naftre les idées <strong>de</strong> liberté et préparé I'affran-'<br />

chissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s communes.<br />

Si ces communes ne formèr<strong>en</strong>t point, comme <strong>en</strong><br />

Allemagne, une confédération générale, c'est qu'elles<br />

troiivèr<strong>en</strong>t un appui dans les souverains aussi intéressés<br />

qu'elles-memes à l'abaissem<strong>en</strong>t du pouvoir <strong>de</strong>s barons. La<br />

royauté ne pouvait rie? toute seule contre cette nuée <strong>de</strong><br />

seigneurs retranchés dans leurs donjons et qui exploi-<br />

tai<strong>en</strong>t pour leur compte personnel les ressoiirces <strong>de</strong> la<br />

France. Les communes ne pouvai<strong>en</strong>t pas davantage sans<br />

l'appui <strong>de</strong>s rois; il y eut <strong>en</strong>tre elles et eux une véri-<br />

table alliance ofr<strong>en</strong>sive et déf<strong>en</strong>sive qui n'a pas peu'<br />

contribué à fon<strong>de</strong>r l'indép<strong>en</strong>dance et l'unit6 nationales.<br />

Les Clironiques <strong>de</strong> Saint-D<strong>en</strong>is ont célébré le dévoue-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s villes <strong>de</strong> Corbie, d'Ami<strong>en</strong>s, d'Arras, <strong>de</strong> Beau-<br />

vais et <strong>de</strong> Compiégne qui <strong>en</strong>voyèr<strong>en</strong>t leurs conting<strong>en</strong>ts<br />

à la bataille <strong>de</strong> Bovines. La royauté eut le bon esprit <strong>de</strong><br />

déclarer libres les cit6s qui ne relevai<strong>en</strong>t que <strong>de</strong> son<br />

autorité, et cette résolution intellig<strong>en</strong>te lui assura une<br />

foule <strong>de</strong> dévouem<strong>en</strong>ts qui ne fur<strong>en</strong>t pas toujours payés<br />

d'ingratitu<strong>de</strong>. Je n'oserais affirmer que les rois-et les<br />

4 Suger, <strong>de</strong> Vitd Ludouici Grossi; dans Duchesne, Hist. franc.<br />

script., tome IV, page 301.


DE L'ECONO~~IE POLITIQUE. CHAP. XVII. 21 5<br />

villes ai<strong>en</strong>t.cru, <strong>en</strong> agissant ainsi, obéir à un système,<br />

et jeter d'un commun accord les bases d'un nouvel<br />

ordre social; mais le mouvem<strong>en</strong>t fut si rapi<strong>de</strong> que l'his-<br />

toire a peine à suivre ses progrès et qu'elle s'exerce<br />

<strong>en</strong>core <strong>de</strong> nos jours à <strong>en</strong> rechercher les causes.<br />

On ne saurait nier, pourtant, que cette révolution<br />

soit due à l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la richesse et du travail qui,<br />

plus tard, s'<strong>en</strong> aidèr<strong>en</strong>t pour marcher à <strong>de</strong> nouvelles<br />

conqiibtes. II s'opère <strong>en</strong> Europe, vers cette kpoque,<br />

une véritable rénovation dont l'aurore remonte aux<br />

premières croisa<strong>de</strong>s. On dirait que partout les idées<br />

s'agrandiss<strong>en</strong>t et pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leur essor; l'intellig<strong>en</strong>ae hu-<br />

maine s'émancipe sous la protection du grand principe<br />

d'association. On,s'associe au sud pour la conquéte <strong>de</strong><br />

la terre sainte, et au nord pour la sûreté du commerce.<br />

Des corporations d'arts et métiers, naguère inconnues,<br />

se multipli<strong>en</strong>t avec une telle abofidance qu'il faiidra<br />

bi<strong>en</strong>tôt les régulariser, <strong>de</strong> peur qu'elles ne se fass<strong>en</strong>t la<br />

guerre et qu'elles ne <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t une puissance darige-<br />

reuse au sein <strong>de</strong> I'Etat. Partout le Iravail est rcmis <strong>en</strong><br />

honneur; les magistratures municipales sont <strong>de</strong> véri-<br />

tables syndicats; les échevins, les prévbts <strong>de</strong>s mar-<br />

chands march<strong>en</strong>t les égaux <strong>de</strong>s seigneurs, et dispos<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> l'opinion et <strong>de</strong> la puissance <strong>de</strong>s villes. Lisez les or-<br />

donnances <strong>de</strong>s cinq ou six premiers rois <strong>de</strong> la troisième<br />

Tace; vous <strong>en</strong> trouverez un grand nombre qui sont<br />

consacrées à <strong>de</strong>s matières d'économie <strong>politique</strong>, aux<br />

foires, aux marchés, aux monnaies, aux changes, aux<br />

v<strong>en</strong>tcs et aux achats, aux poids et mesures, à la liberté<br />

du commerce, et surtout aux priviléges <strong>de</strong>s communes.<br />

La royauté gouvernc sérieusem<strong>en</strong>t ; elle met la mai9 à<br />

toutes les affaires, et la sci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l'administration 'se<br />

manifeste principalem<strong>en</strong>t par la manière neuve et hardie<br />

*


21 6 H~STOIRE<br />

dont elle abor<strong>de</strong> les queçtions économiques. Nous ver-<br />

rons bi<strong>en</strong>t6t avec quelle fermeté saint Louis a su les<br />

poser, s'il n'a~pas eu le temps ou le bonheur <strong>de</strong> les<br />

résoudre ; et l'on sera surpris <strong>de</strong> l'imm<strong>en</strong>se travail qui<br />

a été fait SOUS son règne, au milieu <strong>de</strong>s préoccupations<br />

extérieures <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s luttes intérieures <strong>de</strong><br />

l'esprit féodal contre la royauté. On sait que les ois ont<br />

les mains longues, disait déjàl'abbé Suger dans sa Vie <strong>de</strong><br />

Louis le Gros, et saint Louis les avait <strong>en</strong>core plus<br />

longues que ses prédécesseurs.<br />

On éprouve un vif intér&t à voir surgir ainsi <strong>de</strong>s té-<br />

nhbres du moy<strong>en</strong> Age les premikres lueiirs <strong>de</strong> ce feu<br />

brillant <strong>de</strong>s arts et <strong>de</strong> l'industrie, qui fut tout â la fois<br />

l'effet et la cause <strong>de</strong> nos libertés municipales. Les com-<br />

munes prir<strong>en</strong>t le nom <strong>de</strong> conjwration, d'amitié, <strong>de</strong> eon-<br />

fidération, <strong>de</strong> con[rai.ries qui indiquai<strong>en</strong>t clairem<strong>en</strong>t le<br />

but <strong>de</strong> leur exist<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong> leur organisation. Elle s'em-<br />

parèr<strong>en</strong>t chacune d'une tour qui était arm<strong>de</strong> d'un bef-<br />

froi, signal <strong>de</strong> réunion ou dè combat ; elles se donnèr<strong>en</strong>t<br />

une gar<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s magistrats ; elles eur<strong>en</strong>t une caisse mu-<br />

nicipale, un sceau communal, <strong>de</strong>s marques distinctives<br />

<strong>de</strong> leur pouvoir, <strong>de</strong> leur individualité. Elles interdir<strong>en</strong>t<br />

l'érection <strong>de</strong> toute forteresse à portée <strong>de</strong> leurs murailles<br />

et capable d'exciter leur inquiétu<strong>de</strong>, et elles fir<strong>en</strong>t, <strong>en</strong><br />

toute circonstance, acte <strong>de</strong> souveraineté locale. L'exem-<br />

ple <strong>de</strong>s' républiques itali<strong>en</strong>nes, celui <strong>de</strong>s villes anséati-<br />

ques, qui étai<strong>en</strong>t aussi <strong>de</strong>s puissances communales, leur<br />

apprir<strong>en</strong>t à faire respecter cette souveraineté. Pour bi<strong>en</strong><br />

compr<strong>en</strong>dre l'importance dconorniyue <strong>de</strong> l'affrancbisse-<br />

m<strong>en</strong>t communal, il faut considbrer à quelles dures né-<br />

cessités les habitants <strong>de</strong>s villes et <strong>de</strong>s bourgs étai<strong>en</strong>t<br />

soumis. 1,es seigneurs avai<strong>en</strong>t la prét<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> se faire<br />

mint<strong>en</strong>ir chez tous les bourgeois un crédit illimité;


DE L'I?CONON.IIE POLITIQUE. CHAP. XVII. ,217<br />

souv<strong>en</strong>t méme ils pr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t tout ce qui était à leur conv<strong>en</strong>ance,<br />

sans payer jamais, et l'on sait que <strong>de</strong> ses vieilles<br />

habitu<strong>de</strong>s c'est celle-là que l'aristocratie a eu le plus<br />

<strong>de</strong> pcine à perdre. Aussi voit-on les bourgeois (ceux <strong>de</strong><br />

Soissons <strong>en</strong>tre autres) stipuler dans leur charte que les<br />

l~abitants <strong>de</strong> la ville ne feront pas pllis <strong>de</strong> trois mois <strong>de</strong><br />

crédit B l'évêque, el que, s'il ne paye au terme conv<strong>en</strong>u,<br />

tout crédit ultérieur lui scra refusé. Iles associations <strong>de</strong><br />

métiers qui ont paru prés<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>puis lors un caractère<br />

purem<strong>en</strong>t industriel, étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s corps ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />

dé~oués an mainti<strong>en</strong> fies libertés <strong>de</strong> la commune; ils<br />

avai<strong>en</strong>t pour but d'échapper aux vexations <strong>de</strong> la no-<br />

blesse et <strong>de</strong> se déf<strong>en</strong>dre contre les emprunts forcés qui<br />

auraicnt r<strong>en</strong>ouvelé pour eux, sous une appar<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> li-<br />

berté, tontes les misères du servage.<br />

1.e privilége <strong>de</strong> comnlune différait <strong>de</strong>s franchises mu-<br />

nicipales, cn ce s<strong>en</strong>s que la sanction royale lui était né-<br />

cessaire et lui conférait une gran<strong>de</strong> îorce. Quel(liiefois<br />

on l'acquérait par transaction m7ec le seigneur féodal qui<br />

le cédait à prix d'arg<strong>en</strong>t; mais comme ce privilége <strong>en</strong>-<br />

trainait <strong>de</strong> graves modifications dans la situation finan-<br />

ciére <strong>de</strong>s villes, soit <strong>en</strong> réduisant, soit <strong>en</strong> supprimant<br />

les re<strong>de</strong>vances qu'elles payai<strong>en</strong>t aux barons, ceux-ci,op-<br />

posèr<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t beaucoup <strong>de</strong> résistance aux t<strong>en</strong>tatives<br />

<strong>de</strong>s bourgeois, qui eur<strong>en</strong>t <strong>de</strong> temps <strong>en</strong> temps besoin <strong>de</strong><br />

se compter pour les vaincre. On lit, dans le préambule<br />

d'une charte comnlunale, accordée aux habitants <strong>de</strong> Dour-<br />

l<strong>en</strong>s, u que cette charte est conckdée à cause <strong>de</strong>s injus-<br />

i> tices et <strong>de</strong>s vexations exercées par les piiissants contre<br />

n les bourgeois <strong>de</strong> laditc ville. » Philippe-Auguste disait<br />

<strong>en</strong> octroyant une charte il laville <strong>de</strong> Saint-Jean d'Angely,<br />

qu'il y adhérait <strong>de</strong> grand cœur afin que les habitants<br />

puss<strong>en</strong>t mieux c16f<strong>en</strong>dre et gar<strong>de</strong>r tant ses droits que les<br />

T. 1. he EDIT. 13


HISTOIRE<br />

leurs1. Ce qu'il y a <strong>de</strong> certain, c'est quela liberté marche<br />

du m&me pas que le travail, et que nulle époque<br />

n'est plus fécon<strong>de</strong> tout à la fois <strong>en</strong> développem<strong>en</strong>ts in-<br />

dustriels et <strong>en</strong> conquktes sociales, que celle où nous <strong>en</strong>-<br />

trons. M. Guizot a fait remarquer *, comme une preuve<br />

frappante du mouvem<strong>en</strong>t général <strong>de</strong>s esprits vers les<br />

réformes, que, dans les douzième ét treizième siècles, on<br />

trbuvait <strong>de</strong>ux c<strong>en</strong>t tr<strong>en</strong>te-six actes <strong>de</strong> gouvernem<strong>en</strong>t re-<br />

latifs aux communes, savoir : neuf 'sous Louis le Gros,<br />

vingt-trois sous Louis VU, soixante-dix-huit sous Phi-<br />

lippe-Auguste, dix sous Louis VIJI, ïingt sous saint Louis,<br />

quinze sous Philippe le Hardi, quarante-six sous Philippe<br />

le Bel, six sous Louis X, douze sous Philippe le Long,<br />

et dix-sept sous Charles le Bel. RIaiiit<strong>en</strong>ant, si l'on con-<br />

sidère que les rois n'étai<strong>en</strong>t pas les seuls qui donnass<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s chartes et qni intervinss<strong>en</strong>t dans les affaires <strong>de</strong>s<br />

communes, il sera facile <strong>de</strong> concevoir l'importance du<br />

changem<strong>en</strong>t qui s'était opéré dans la condition <strong>de</strong>s peu-<br />

ples.<br />

Cette révolution; car c'<strong>en</strong> est une, fut le résultat<br />

immédiat et direct <strong>de</strong> l'imm<strong>en</strong>se création <strong>de</strong> richesses<br />

due aux cités industrieuses du ,moy<strong>en</strong> Age. Les barons,<br />

possesseurs du sol, dédaignai<strong>en</strong>t toute occupation labo-<br />

rieuse et laissai<strong>en</strong>t aux boiirgeoislesoin<strong>de</strong>pourvoir àleurs<br />

besoins et à leurs plaisirs. Peu à peu le numéraire ob-<br />

t<strong>en</strong>u par ces seigneurs, au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong>s taxes ou <strong>de</strong>s pil-<br />

lages, allait s'<strong>en</strong>tasser dans les coffres <strong>de</strong>s citadins <strong>en</strong><br />

échange <strong>de</strong>s lainages, <strong>de</strong>s soieries, <strong>de</strong>s gants, <strong>de</strong>s cas-<br />

ques et <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> luxe dont l'aristocratie était avi<strong>de</strong>.<br />

a Les seigneurs étai<strong>en</strong>t prodigues, les bourgeois, au<br />

4 Ut tdm nostra qudm sua propria jura meliùs possint <strong>de</strong>fefl-<br />

<strong>de</strong>re, et magis integrè eustodire.<br />

2 Cours d'Histo.ire modme,, t. V, page 132.<br />

-


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XVII. ' 219<br />

contraire, passai<strong>en</strong>t pour très-avares1, i) et il n'est pas<br />

siirpr<strong>en</strong>ant qu'ils ai<strong>en</strong>t ainsi créé par l'hpargne une masse<br />

considérable <strong>de</strong> capitaux qui acqnir<strong>en</strong>t une gran<strong>de</strong> va-<br />

leur, gr$ce à la sécurité consolidée par l'affranchisse-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s communes. On <strong>en</strong> trouve la preuve dans Join-<br />

ville : K 11 y avait tant <strong>de</strong> malfaiteurs et larrons autour<br />

<strong>de</strong> Paris, que tout le pays <strong>en</strong> était plein. Le roi qui met-<br />

tait gran<strong>de</strong> dilig<strong>en</strong>ce comm<strong>en</strong>t le m<strong>en</strong>u peuple fut gardé,<br />

sut toute la vériti!; il ordonna eilqu&te par tout le<br />

royaume afin que l'on ftt bonne justice et roi<strong>de</strong>, et qui<br />

n'épargnât pas plus le riche que le pauvre. La terre alors<br />

comm<strong>en</strong>ça à s'am<strong>en</strong><strong>de</strong>r, et le peuple y vint pour le bon<br />

droit qu'on y faisait, et tant se multiplia et am<strong>en</strong>da, que<br />

les v<strong>en</strong>tes, les saisines, les achats et les autres choses ua-<br />

lai<strong>en</strong>t d double que quand le roi y pr<strong>en</strong>ait <strong>de</strong>vant. »<br />

Ainsi, nous voyons s'établir presque simultaném<strong>en</strong>t<br />

les communes dans toute l'Europe, <strong>en</strong> Italie, <strong>en</strong> Espagne,<br />

<strong>en</strong> Allemagne, <strong>en</strong> France, <strong>en</strong> Angleterre. Il y <strong>en</strong> a par-<br />

tout, parce que partout l'industrie et lé commerce re-<br />

pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leur essor. G&nes, Flor<strong>en</strong>ce, V<strong>en</strong>ise, Barce-<br />

lone, Breme, Lubeck, Hambourg, Bruges, Paris, Lyon,<br />

Marseille, Londres, Bristol; sembl<strong>en</strong>t un mom<strong>en</strong>t régies<br />

par les m&mes lois. La richesse mobilière s'y établit Ge-<br />

rem<strong>en</strong>t à côté <strong>de</strong> la propriété foncière et rev<strong>en</strong>dique ses<br />

droits. La terre, incapabJe désormais <strong>de</strong> suffire seule aux<br />

besoins <strong>de</strong> lasociété nouvelle, comm<strong>en</strong>ce à. perdre <strong>de</strong> son<br />

prestige, et voit passer aux mains <strong>de</strong>s artisans une part<br />

du pouvoir <strong>de</strong>s propriétaires. La démocratie apparaft,<br />

forte <strong>de</strong> l'esprit d'association et <strong>de</strong> toutes les ressources<br />

du travail orgaziish et disciplilié. Le tiers-état se consti-<br />

tue; la classe moy<strong>en</strong>ne, rêvée jadis par Platon et par<br />

4 Capefigue, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> Philippe-Auguste, t. IV, page 243.


220 HISTOIRE DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XVII.<br />

Aristote, <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t un corps délibérant, accor<strong>de</strong> ou refuse<br />

<strong>de</strong>s subsi<strong>de</strong>s, se juge, se gar<strong>de</strong>, se régit elle-même. La<br />

population s'accroit avec les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> subsistame. Lesindustries<br />

se perfectionn<strong>en</strong>t, le commerce donne Ie signai<br />

du rapprochem<strong>en</strong>t général <strong>de</strong>s nations, et les chclteaux<br />

forts <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t tributaires <strong>de</strong>s manufactures. Il y <strong>en</strong><br />

a un témoignage bi<strong>en</strong> remarquable dans la législation<br />

royale contemporaine. Le premier volume du recueil <strong>de</strong><br />

ces ordonnances, pour la troisième race, <strong>en</strong> compr<strong>en</strong>d<br />

plus <strong>de</strong> c<strong>en</strong>t, toutes consacrées à <strong>de</strong>s questions dc travail<br />

et d'industrie, <strong>de</strong> monum<strong>en</strong>ts, <strong>de</strong> commerce et<br />

d'échanges. Sans doute ces ordonnances laiss<strong>en</strong>t beaucoup<br />

& à dhsirer , car elles sont généralem<strong>en</strong>t rédigées<br />

dans <strong>de</strong>s vues fiscales et oppressives; mais leur<br />

nombre et leur variété meme démontr<strong>en</strong>t l'importance<br />

qui s'attachait déjà aux matieres qu'elles ont voulii définir.<br />

Nous allons <strong>en</strong> exposer l'esprit et les faits principaux<br />

avec quelques détails; parce que leur <strong>en</strong>semble forme le<br />

premier point <strong>de</strong> départ officiel <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce économique<br />

<strong>en</strong> Europe.


CHAPITRE XVIII.<br />

De la législation Qconornique <strong>de</strong>s premiers rois <strong>de</strong> Fr.ance <strong>de</strong> la<br />

troisième race.-Ordonnances sur les J uifs.-Sur les monnaies.<br />

- Contre l'exportation du numéraire. - Sur le commerce <strong>de</strong>s<br />

graius. - Règrem<strong>en</strong>ts somptuaires. - Origine officielle <strong>de</strong> nos<br />

pr6jugés commerciaux.<br />

11 existe, avons-nous dit, une preuve auth<strong>en</strong>tique du<br />

mouvem<strong>en</strong>t prodigieux imprimé B la production <strong>de</strong>s richesses,<br />

soit par l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s, soit par le<br />

commerce <strong>de</strong>s villes anséatiqaes, du douzième au quatorzième<br />

siècle; c'est la collection <strong>de</strong>s ordonnances <strong>de</strong>s<br />

premiers rois <strong>de</strong> France <strong>de</strong> la troisième race. On trouve<br />

parmi ces ordonnances plus <strong>de</strong> c<strong>en</strong>t dispositions toutes<br />

relatives à <strong>de</strong>s matières ir~dustrielles et commerciales,<br />

principalem<strong>en</strong>t sur l'usure et sur les Juifs, sur les monnaies,<br />

sur les ouvriers, sur les poids et mesures, et<br />

meme quelques essais <strong>de</strong> mmimum et <strong>de</strong> rkglem<strong>en</strong>ts<br />

somptuaires. L'économie <strong>politique</strong> du temps se révèle<br />

tout <strong>en</strong>tière dans ces dociirne~ts reinarquables, dont .<br />

l'étu<strong>de</strong> nous a paru mériter une att<strong>en</strong>tion particulière,<br />

parce qu'elle résume parfaitem<strong>en</strong>t les idées <strong>de</strong> nos sncbtres<br />

sur plusieurs questions qui nous di~iscnt ercore<br />

aujourd'hui. Assurém<strong>en</strong>t si le commerce et l'industrie


222 HISTOIRE<br />

n'avai<strong>en</strong>t pas acquis, dès lors, une ext<strong>en</strong>sion considéra-<br />

ble, nous ne verrions pas l'administration contempo-<br />

raine aussi sérieusem<strong>en</strong>t occupée <strong>de</strong> leurs affaires, à ce<br />

point que sous le seul règne <strong>de</strong> Philippe le Bel cin-<br />

quante-six ordonnances ont été r<strong>en</strong>dues seulem<strong>en</strong>t sur<br />

les monnaies royalcs et seigneuriales, et plus <strong>de</strong> dix sur<br />

les Juifs et les marchands itali<strong>en</strong>s.<br />

L'exam<strong>en</strong> att<strong>en</strong>tif <strong>de</strong> ces monum<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la législation<br />

économique du moy<strong>en</strong> âge nous permet dapprécier<br />

avec quelque exactitu<strong>de</strong> la nature <strong>de</strong> l'influ<strong>en</strong>ce exercée<br />

par le gouvernem<strong>en</strong>t sur les questions <strong>de</strong> finarice et<br />

d'industrie à cette intcressante époque. Une telle étu<strong>de</strong><br />

est d'autant plus curieuse, que la plupart <strong>de</strong> nos préju- .<br />

gés commerciaux actuels n'ont pas d'autre origine que<br />

la législation exclusive et intolérante du treizième siècle.<br />

Ainsi nos lois sur l'usure, si profondém<strong>en</strong>t <strong>en</strong> désaccord<br />

avec l'expéri<strong>en</strong>ce, avec le bon s<strong>en</strong>s, avec l'intérêt géné-<br />

ral <strong>de</strong>s prêteurs et <strong>de</strong>s emprunteurs, ne sont qu'une ré-<br />

minisc<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s ordonnances r<strong>en</strong>dues contre le pret &<br />

intérkt, et surtout contre les Juifs sous Louis IX et sous<br />

ses successeurs. Nos mauvaises lois <strong>de</strong> douane, si exclu-<br />

sives, si hostiles à l'étranger, sont le fruit <strong>de</strong>s .habi-<br />

tu<strong>de</strong>s étroites <strong>de</strong> nationalité et d'égoisme répandues à<br />

l'époque où l'unité nationale <strong>en</strong> avait peut-ètre besoin ,<br />

pour se consoli<strong>de</strong>r, mais non pour s'<strong>en</strong>richir. L'inter-<br />

v<strong>en</strong>tion du gouvernem<strong>en</strong>t dans l'achat et la v<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s<br />

marchandises, et les t<strong>en</strong>tatives <strong>de</strong> maximum r<strong>en</strong>ouve-<br />

lées sous la terreur <strong>de</strong> 1793, dat<strong>en</strong>t du jour où Philippe<br />

le Bel ' crut <strong>de</strong>voir fixer le prix du blé et obliger les<br />

marchands à <strong>en</strong> fournir le marché, quelle qu'<strong>en</strong> fût la<br />

4 Ordonnance <strong>de</strong> mars 1304, dans le RecueiZ du Louvre, tome 1,<br />

page 446.


DE L'%CONOXIE POLITIQUE. CHAP. XVIII. 223<br />

rareté. Toute notre législation <strong>de</strong>s grains remonte aux<br />

ordonnaiîces qui <strong>en</strong> déf<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t l'exportation, et Ics<br />

premières erreurs du sj stéme <strong>de</strong> la balance se trouv<strong>en</strong>t<br />

dans l'ordonnance du 28 juillet 1303, qui prohibait l'or<br />

et l'arg<strong>en</strong>t A la sortie. Qui peut dire jusqu'k quel point<br />

ces prescriptions, sans cesse répétées, ont contribué S<br />

fortifier dans I'csprit <strong>de</strong>s peuples <strong>de</strong>s préjugés déplorables<br />

!<br />

Nous examinerons donc rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t et selon l'ordre<br />

chronologiqu~ les ordonnances r<strong>en</strong>dues <strong>de</strong>puis l'avénem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> Philippe-Auguste jusqu'à l'époque <strong>de</strong> Charles<br />

le Bel, c'est-à-dire p<strong>en</strong>dant une pério<strong>de</strong> d'<strong>en</strong>viron <strong>de</strong>ux<br />

siècles. De tous les rois qui ont occupé le trône durant<br />

ces <strong>de</strong>ux c<strong>en</strong>ts annbcs, il n'y <strong>en</strong> a aucun qui n'ait cru<br />

<strong>de</strong>voir signaler sa puissance ou son orthodoxie p a <strong>de</strong>s ~<br />

mesures sévères contre les Juifs : à chaque instant on<br />

voit reparaître <strong>de</strong>s ordonnances contre ces parias di1<br />

moj <strong>en</strong> âge, considérés comme la matière imposable par<br />

excell<strong>en</strong>ce. Philippe-Auguste <strong>en</strong> a r<strong>en</strong>du quatre célè-<br />

bres, dont la première les m<strong>en</strong>ace, la secon<strong>de</strong> les dé-<br />

pouille, la troisième les chasse, et la quatrième libère<br />

leurs débiteurs. 1,oiiis VI11 puhlia aussi la si<strong>en</strong>ne. Il<br />

suppi-ima toute espèce d'intérét, et fit payer au profit<br />

<strong>de</strong>s seigneurs les sommes dues aux Juifs. Nous avons<br />

déjà vu que saint Louis ne se montra pas moins sévère<br />

à leur égard; Philipie le Bel, Louis le Hutin continuè-<br />

r<strong>en</strong>t Ie système <strong>de</strong> leurs prédécesseurs. Après Ies Juifs<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les moimaies, et nul règne ne s'accomplit sans<br />

que l'autorité royale ait r<strong>en</strong>du.pliis d'une ordonnance<br />

sur cette matière. Saint Louis voulut que la monnaie <strong>de</strong><br />

son gsuvernem<strong>en</strong>t se substituât partout à celle <strong>de</strong>s sei-<br />

gneurs, et cette prescription dkjà t<strong>en</strong>tée par ses prédé-<br />

cesseurs aurait eu <strong>de</strong>s résultats favorables, si, plus tard,


les rois n'<strong>en</strong> euss<strong>en</strong>t abusé pour multiplier artiiîcielle-<br />

m<strong>en</strong>t leurs ressources par <strong>de</strong>s altérations frauduleuses.<br />

Ces altérations se r<strong>en</strong>ouvelai<strong>en</strong>t avec une persévérance<br />

inouïe, malgré les échecs qui les suivir<strong>en</strong>t presque<br />

toutes. Tantôt on déf<strong>en</strong>dait à ceux qui possédai<strong>en</strong>t moins<br />

<strong>de</strong> six mille francs <strong>de</strong> r<strong>en</strong>te, d'avoir <strong>de</strong> la,vaisselle d'or<br />

et d'arg<strong>en</strong>t ; tantôt on <strong>en</strong>joignait aux personnes qui <strong>en</strong><br />

avai<strong>en</strong>t, d'<strong>en</strong> porter le tiers à la monnaie, où les mani-<br />

pulateurs <strong>de</strong> la cogroniie l'achetai<strong>en</strong>t au prix anci<strong>en</strong>,<br />

pour la rev<strong>en</strong>dre avec profit sous forme d'écus <strong>de</strong> mau-<br />

vais aloi 1. Le roi lui-méme était obligé d'<strong>en</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

pardon à ses propres sujets, et il promettait <strong>de</strong> les<br />

déclommager à l'av<strong>en</strong>ir 2.<br />

Les règlem<strong>en</strong>ts sur les céréales occup<strong>en</strong>t iine place<br />

notable dans la collection <strong>de</strong>s ordonnances. Une guerre,<br />

une disette, une mauvaise récolte suffisai<strong>en</strong>t pour faire<br />

déf<strong>en</strong>dre l'exportation <strong>de</strong>s comestibles, sous <strong>de</strong>s peines<br />

très-graves; mais ces prohibitions ressembl<strong>en</strong>t presque<br />

toujours à <strong>de</strong>s représailles, et elles sont généralem<strong>en</strong>t<br />

accompagnées d'un correctif. « ConsidBrant, est-il dit,<br />

que nos <strong>en</strong>nemis pourrai<strong>en</strong>t profiter <strong>de</strong> nos vivres et<br />

qu'il importe aussi <strong>de</strong> leur laisser leurs marchandises,<br />

nous avons ordonné que les premiers ne pourrai<strong>en</strong>t pas<br />

4 Ordonnance <strong>de</strong> Philippe le Bel, dans la Collection du Louvre,<br />

tome 1, page 324.<br />

2 Voici un extrait <strong>de</strong> cetle curieuse piecz : s hTostmm )acimus<br />

quod pro ingru<strong>en</strong>tibus nostris negotiis, temporibus istis monetam<br />

fabricasi dispon<strong>en</strong>tes, in qud forsan aliquantulum <strong>de</strong>erit <strong>de</strong> pon<strong>de</strong>re,<br />

alleio, seu lege ... ne propter hoc monetam recipi<strong>en</strong>tes eam<strong>de</strong>m<br />

in posterunt damnificari contingat aut lsdi, przs<strong>en</strong>tium<br />

t<strong>en</strong>ore promittimus, quod omnibus qui monetam ltl~jusmodi .in solulum,<br />

vel alias recipi<strong>en</strong>t in fitturum, in quod <strong>de</strong> ipsius ,valore, ratione<br />

minoris pon<strong>de</strong>pis, alleii, sive Ecgis <strong>de</strong>erit, in integrum <strong>de</strong><br />

nostro suppicbzmus, ipsosque in<strong>de</strong>mnes seroabimus. n Oirooxs~aeEs<br />

DES 801s DE FRARCB, tome 1, page 345.


DE L'%CONOMIE POLlTIQUE. CHAP. SYIII. 22.5<br />

sortir, ni les <strong>de</strong>rriières <strong>en</strong>trer. » Ainsi c'était une p<strong>en</strong>sée<br />

<strong>de</strong> guerre qui faisait repousser les marcharidises étran-<br />

gères <strong>en</strong> 1304, par Philippe le Bel, et <strong>en</strong> 1793 par la<br />

Conv<strong>en</strong>tion nationale ; et aujourd'hui <strong>en</strong> pleine paix, <strong>en</strong><br />

pleine civilisation, le mkme système prévaut <strong>en</strong>core,<br />

appuyC (les mknies argum<strong>en</strong>ts ! Quelquefois pourtant<br />

Ics ordonnances étai<strong>en</strong>t empreintes d'une sollicitu<strong>de</strong><br />

sagc et raisonnhe, comme quand elles prescrivai<strong>en</strong>t la<br />

statistique <strong>de</strong>s approvisionnem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> grains, par ville<br />

et par province, dans l'int<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> rassnrer les ci-<br />

toy<strong>en</strong>s et d'éclairer Ics magistrats. L'édit <strong>de</strong> février<br />

1304, dû à Philippe IV, offre mème, sous d'autres rap-<br />

ports, une justesse <strong>de</strong> vue et une sagacité remarqua-<br />

bles. (I On <strong>en</strong>verra par toutes les villes et par lcs vil-<br />

lages <strong>de</strong> la vicomté <strong>de</strong> Pûris, et l'on saura partout com-<br />

bi<strong>en</strong> il y aura <strong>de</strong> grain, from<strong>en</strong>t, méteil, seigle, orge et<br />

avoine et toute autre manière <strong>de</strong> grain et combi<strong>en</strong> <strong>en</strong><br />

chacune ville et Ps territoire, et combi<strong>en</strong> il <strong>en</strong> faudra<br />

pour leur vivre jusques aux nouveaux, et pour semer,<br />

et ce qui sera par-<strong>de</strong>ssus l'on fera porter aux marcliés<br />

<strong>de</strong>dans cette vicomté, non pas tout <strong>en</strong>semble, mais petit<br />

à petit, si que le grain se puisse continuer jusqu'au re-<br />

nouveau; et ne sera pas souffert qu'il cn soit trait hors<br />

ladite vicomté, sans congé spécial. A qui le grain ou le<br />

blé voudra acheter, si paie tantbt l'arg<strong>en</strong>t, et que nul<br />

n'achète grain pour le ineltre <strong>en</strong> gr<strong>en</strong>ier, sous peine <strong>de</strong><br />

le perdre. n<br />

Cep<strong>en</strong>dant, malgré ces précautions qui avai<strong>en</strong>t pour<br />

but <strong>de</strong> prév<strong>en</strong>ir tout à la fois les terreurs populaires et<br />

les accaparem<strong>en</strong>ts, le même pririce était obligé le mois<br />

suivant <strong>de</strong> prorniilgiier unc ordoni~auce <strong>de</strong> nzaxirnzlrn,


226 HISTOIRE<br />

<strong>en</strong> vertu <strong>de</strong> laquelle nul ne pouvait v<strong>en</strong>dre, sous peine <strong>de</strong><br />

confiscation <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>s, le setier du meilleur from<strong>en</strong>t,<br />

mesure <strong>de</strong> Paris, plus <strong>de</strong> quarante sols parisis, et le setier<br />

<strong>de</strong> blé <strong>de</strong> qualité inférieure, <strong>en</strong> proportion. Le seiierdw<br />

meilleiires fèves et du meilleur orge, mesure <strong>de</strong> Paris,<br />

<strong>de</strong>vait étre v<strong>en</strong>du tr<strong>en</strong>te sols ; la meilleiire avoine vingt<br />

sols; le setier du meilleur son, dix sols Quiconque avait<br />

plus <strong>de</strong> blé que ne le comportai<strong>en</strong>t les besoins <strong>de</strong> sa<br />

provision et <strong>de</strong> ses semailles, <strong>de</strong>vait l'<strong>en</strong>voyer au mar-<br />

ché; et si, aprés la proclamation faite, il s'<strong>en</strong> trouvait<br />

chez qixelqiies personnes au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> la quantité néceç-<br />

saire, tout était confisqué au profit du roi '. Qui aurait<br />

. ,<br />

4 Il nous a semblé uti!e <strong>de</strong> mettre <strong>en</strong> regard les considdrants<br />

<strong>de</strong> cette ordonnance avec ceux du <strong>de</strong>cret <strong>de</strong> la Coiiv<strong>en</strong>lion nalio-<br />

nale, qui proclama le maximum. Voici l'ordonnance <strong>de</strong> Philippe<br />

le Bel :<br />

Philippus Dei gratid, Francormm rex, Ballivo Viroman<strong>de</strong>nsi sa-<br />

lutem. Sicut in subjectorum nobis populorum tranquillitate et<br />

prosperitafe v<strong>en</strong>turd gloriamur uberiùs, sic et in ipsormm afflic-<br />

tione et advorsitate noxid, et oppressis compatim.ur, et condolemus<br />

afflictis tiias exquir<strong>en</strong>tes et modos, juxtà dalam nobis Ù Deo<br />

pot<strong>en</strong>tiam, quibus et eormm succuratur indig<strong>en</strong>tiis, disp<strong>en</strong>diis ob-<br />

vielur.<br />

Cùm itaque victualium omnium et przcipuè bladorum,. piso-<br />

mm, fabawm, hor<strong>de</strong>i, av<strong>en</strong>z, cœterorumque granorum, quibus<br />

sust<strong>en</strong>tari consuevit populi multitudo, a<strong>de</strong>o in regni nostri par-<br />

tibus Domino .pemitl<strong>en</strong>te caristia incaluerit his diebus, quod hu-<br />

milis plebis copia innumerabilis, nisi eis indilato succuratur re-<br />

medio, diutiùs, absque gravi totius vulgi disp<strong>en</strong>dio, nonpoterit<br />

sust<strong>en</strong>tari.<br />

G<strong>en</strong>erali condol<strong>en</strong>tes excidio, præsertim cum necessilalis tem-<br />

pore omnia ferè comtnunia jura publicè proterantur, consultè<br />

duximus ordinandum, quod baillivias, vice comitatus, prepositu-<br />

ras, et alia loca regni noslri, <strong>de</strong> quibus expcdire vi<strong>de</strong>rimus, facie-<br />

mus publicè proclamari, ac etiam inhiberi, sub omni amissione<br />

bonomn, ne quis subditorum nostromm sextarium frum<strong>en</strong>ti me-<br />

lioris, ad m<strong>en</strong>suram parisi<strong>en</strong>sem, ultra summani. quadraginta so-<br />

lidorum parisi<strong>en</strong>sium, v<strong>en</strong><strong>de</strong>re, vel emere, seu v<strong>en</strong>di, aut emi fa-<br />

cere, quoquomodo przsumat, et sextarium frum<strong>en</strong>ti, seu bladi


DE L'ECONOXIE POLITIQUE. CHAP. XYIII. 227<br />

cru pourtant alors, qu'après cette ordonnance m<strong>en</strong>a-<br />

cante, la disette atigm<strong>en</strong>terait et que les marchés seraielit<br />

déserts? C'est cc qui arriva <strong>en</strong> effet: parce qu'alors<br />

comme aiijourd'hui toute loi semblable <strong>de</strong>vait porter<br />

ses fruits. En vain Philippe IV avait-il pris soin d'ajouter<br />

minom's, pro minori pretio, c<strong>en</strong>di, aut emi <strong>de</strong>sc<strong>en</strong><strong>de</strong>ndo, præcipimus,<br />

habita consi@ratione ad valwem et pretium melioris sextarii,<br />

aut pisorum meliorum, ad meîzsuram prædictam similiter,<br />

pro qzcadraginta solidis parisi<strong>en</strong>sibus, et ininora pro ntinori pretio<br />

<strong>de</strong>sc<strong>en</strong><strong>de</strong>ndo, v<strong>en</strong>di przcipimus, ut est dictum.<br />

Fabas quoaue, et hor<strong>de</strong>um,, pro ûriginta solidis, av<strong>en</strong>am&e pro<br />

oiqintî' solidis, et furfur pro <strong>de</strong>cem solidis parisi<strong>en</strong> si bu,^, seztarium,<br />

ad m<strong>en</strong>suram parisi<strong>en</strong>sem, <strong>de</strong> melioribus et <strong>de</strong> aliis pro<br />

miizori pretio <strong>de</strong>sc<strong>en</strong><strong>de</strong>ndo, ac cetera grana, habito respectu ad<br />

qneliora, jzmta eorum qualitatem, v<strong>en</strong>di volumus, modo quo slcperiùs<br />

est expresszcm.<br />

Yobis itaque p~zcipiinus, et mandamus quat<strong>en</strong>ùs in civitatibus,<br />

oppidis, bonis villis et aCiis locis bailli8 vestræ, <strong>de</strong> quibus expedire<br />

vi<strong>de</strong>ritis, ordinationem, et statutuin praydictum public2 et<br />

solemniter proclamari, et in quâlibet su% parte faciatis fiimiter<br />

observari. Si quem sel quos ipsitcs transgressores inv<strong>en</strong>eritis, animadversione<br />

in eos<strong>de</strong>m espressa puni<strong>en</strong>tes, nemini in hac parte<br />

parc<strong>en</strong>do, nisi <strong>de</strong> nostrâ speciali lic<strong>en</strong>tiâ, seu mandato.<br />

Voici maint<strong>en</strong>ant l'exposé <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong> la loi du maximum<br />

prés<strong>en</strong>t6 à la Conv<strong>en</strong>tion par Coupé, <strong>de</strong> l'Oise, au nom du comité<br />

<strong>de</strong>s subsistances.<br />

« Je me hâte <strong>de</strong> v<strong>en</strong>ir prés<strong>en</strong>ter à la Conv<strong>en</strong>tion nationale le<br />

résultat <strong>de</strong>s discussions <strong>de</strong> votre commission sur le maximum à<br />

fixer pour les differ<strong>en</strong>tes marchandises <strong>de</strong> première nécessité, excepté<br />

le bois et le charbon que vous avez taxes hieripar un <strong>de</strong>cret<br />

particulier.<br />

» Cette loi est att<strong>en</strong>dus avec la plus gran<strong>de</strong> impati<strong>en</strong>ce; el !a<br />

malveillance, la cupidité, combinant leurs operations <strong>de</strong>testables<br />

avec celles <strong>de</strong> cos <strong>en</strong>nemis du <strong>de</strong>hors ne nous permetlerit pas <strong>de</strong><br />

la différer.. '<br />

), Nous <strong>en</strong> avons s<strong>en</strong>ti toutes les difficultés et l'ét<strong>en</strong>due; elle a<br />

paru effrayer m&me certains <strong>de</strong> nos collègues : nous ne sommes<br />

n estés qu'<strong>en</strong> petit nombre, sout<strong>en</strong>us moins par la confiance <strong>de</strong><br />

nos forces que par notre bonne volonte.<br />

» Dans les temps ordinaires, le prix <strong>de</strong>s choses se compose et<br />

. 7<br />

se forme naturellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> I'intéréb reciproque <strong>de</strong>s v<strong>en</strong><strong>de</strong>urs et<br />

<strong>de</strong>s acheleurs : catlc balance est infai!lible. II est inutile, niéille


228 HISTOIRE<br />

que l'on pourrait am<strong>en</strong>er sûrem<strong>en</strong>t toute n~anière <strong>de</strong><br />

paln au marcllé, avec un sauf-conduit royal, et sans<br />

que nul pût arrêter ni pr<strong>en</strong>dre cheaztix et charrelles :<br />

son infraction aux lois éternelles du négoce ne tarda<br />

point à aggraver le mal qil'elle avait pour but <strong>de</strong> pr6ve-<br />

au meilleur gouvernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> s'<strong>en</strong> m&ler. Quelque éclairé, quel-<br />

que bi<strong>en</strong> int<strong>en</strong>tionné qu'il soit, il ne r<strong>en</strong>conlre jamais aussi juste,<br />

et il court toujours risque <strong>de</strong> l'altérer <strong>en</strong> y portant la main.<br />

1) Mais, lorsqu'une conspiration générale <strong>de</strong> malveillance, <strong>de</strong><br />

perfidie, <strong>de</strong> fureurs dont il n'y a point d'exemple, se réunit pour<br />

rompre cet Bquilibre naturel. pour nous affamer, nous dépouiller,<br />

Ce salut du peuple <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t la règle suprême.<br />

n La société'a le droit <strong>de</strong> resister à cette guerre du commerce<br />

et <strong>de</strong>s tyrans, <strong>de</strong> rélablir et d'assiirer d'une main ferme la ba-<br />

lance qui doit exister au milieu <strong>de</strong> nos productions et nos<br />

besoins.<br />

)1 Alors cep<strong>en</strong>dant il faut un calcul intellig<strong>en</strong>t; il faut, par un<br />

mazimum, se cont<strong>en</strong>ter d'établir <strong>de</strong>s bornes salutaires et justes,<br />

qu'il ne sera pas permis d'oatre-passer. Il convi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> laisser <strong>en</strong>-<br />

core son action an commerce légilime et <strong>de</strong> m<strong>en</strong>ager les rapports<br />

<strong>de</strong>s inl6r6ts; et ils sont innombrables par toutes les localités<br />

qu'embrasse la France, et bi<strong>en</strong> plus <strong>en</strong>core par toutes les circon-<br />

stances <strong>de</strong> c<strong>en</strong>t guerres différ<strong>en</strong>tes, et <strong>de</strong> la conjuration inouïe <strong>de</strong><br />

toutes les parties <strong>de</strong> L'Europe contre nous.<br />

3 V.otre commission a <strong>en</strong>visagé que ce serait un travail sans<br />

fin, un <strong>de</strong>dale inextricable, que <strong>de</strong> <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre dans tous les détails<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées particulières, <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong>s localités, et surtouf<br />

que la loi <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>drait infinie et impraticable.<br />

» Elle a tâché <strong>de</strong> saisir un principe gBnéral et simple, qui pût<br />

s'appliquer partout et <strong>en</strong> meme temps, et selon les variétés <strong>de</strong>s<br />

besoins <strong>de</strong> v<strong>en</strong>dre et d'acheter.<br />

D Pour cela elle a choisi une hase qui Les représ<strong>en</strong>te dans leur<br />

etat naturel et spontané; elle a choisi la valeur respective <strong>de</strong>s <strong>de</strong>n-<br />

rees telle qu'elle exislait <strong>en</strong> 1790.<br />

)) Alors chaque chose Btait à son taux, selon le rapport <strong>de</strong>s pays<br />

productifs avec les pays <strong>de</strong> consommation, et la r8pa1,tition <strong>de</strong>s<br />

différ<strong>en</strong>ces nécessaires à l'activité du commerce se trouve toute<br />

faite: il ne restait plus qu'A y ajouter une quantité d'augm<strong>en</strong>ta-<br />

tion pro&ortionnée aux circooslances plus ou moins aggravantes<br />

où nous nous trouvons. » - Suivait le dCcret dont voici l'article<br />

premier :<br />

Les objets que la Conv<strong>en</strong>tion nationale a jugés <strong>de</strong> pr.emière né-


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XVIII. 229<br />

nir, et il se vit obligé <strong>de</strong> révoquer l'ordonnance <strong>de</strong><br />

rnaximuw~, presque aussitôt après l'avoir r<strong>en</strong>due. Les<br />

termes dont il se servit à cette occasion sont assez re-<br />

marquables pour que nous les reproduisions textuelle-<br />

m<strong>en</strong>t; ils apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'ailleurs à l'histoire <strong>de</strong> la<br />

sci<strong>en</strong>ce, qui, trouve rarem<strong>en</strong>t clans le langage <strong>de</strong>s rois<br />

une franchise aussi explicite.<br />

« Philippe, par la grâce <strong>de</strong> Dieu, roi <strong>de</strong> France, au<br />

bailli <strong>de</strong> S<strong>en</strong>lis, salut. Comme pour réfréner la com-<br />

mune iempite et nécessité <strong>de</strong> ce jourd'hui, pour lacherté<br />

du blé, pois, fkves, orge et autres grains dont la coiri-<br />

munauth du peuple est sout<strong>en</strong>ue, avonsnaguère ordoiiné<br />

et établi et fait crier et déf<strong>en</strong>dre dans notre royaume<br />

que nul <strong>de</strong> nos subgiets, sous peine <strong>de</strong> perdre tons ses<br />

bi<strong>en</strong>s, n'osât v<strong>en</strong>dre from<strong>en</strong>t le meilleur plus <strong>de</strong> 40 sols,<br />

cessité, et dont elle a cru <strong>de</strong>voir fixer le maximum or1 le plus haut<br />

prix, sunt :<br />

La vian<strong>de</strong> fraîche, Le sucre,<br />

La vian<strong>de</strong> salée et le lard, Le miel,<br />

Le 'beurre, Le papier blanc,<br />

L'huile douce, Les cuirs,<br />

Le bétail, Les fers,<br />

Le poisson sa\&, La fonte,<br />

Le vin, Le plomb,<br />

L'eau-<strong>de</strong>-vie, L'acier,<br />

Le vinaigre, Le cuivre.<br />

Le cidre, Le chanvre,<br />

La biere, Le lin,<br />

Le bois à brûler, Les laines,<br />

Le charbon <strong>de</strong> bois, Les étotres,<br />

Le charbon <strong>de</strong> terra, Les toiles.<br />

La chan<strong>de</strong>lle, Les matières premières qui Fer-<br />

L'huile a ùriiler, v<strong>en</strong>t aux fabriques,<br />

Le sel, Les sabots,<br />

La sou<strong>de</strong>, Les souliers,<br />

Le savon, Les colza et navette,<br />

IAa polasse, Le tabac.


fèves et orge plus <strong>de</strong> 30 sols, avoine plus <strong>de</strong> LO sols, et<br />

son plus <strong>de</strong> 10; duquel statut et <strong>de</strong> laquelle ordonnance<br />

nous espérions que plus g~and allégem<strong>en</strong>t et plus gran<strong>de</strong><br />

pourweanee dût v<strong>en</strong>ir à notre peuple, ce que <strong>en</strong>core n'est<br />

fait. Toutefois que pour ce que les nouvelles causes sur-<br />

v<strong>en</strong>ant, il convi<strong>en</strong>t muer (changer) les conseils et les<br />

ordonnances : Nous, pour que plus hâtivem<strong>en</strong>t il puisse<br />

étre secouru à la nécessité <strong>de</strong> notre peuple, avons rap-<br />

pelé (révoqué) et rappelons les prix que nous avions mis<br />

6s dits grains, et avons ordonné et établi que quiconque<br />

<strong>de</strong> notre royaume aura du grain susdit, il puisse le<br />

v<strong>en</strong>dre au marché et le donner pow tel prix comme il <strong>en</strong><br />

pourra avoir. Et voiilons et commandons que sûrem<strong>en</strong>t<br />

et paisiblem<strong>en</strong>t on puisse v<strong>en</strong>ir au marché, sans craindre<br />

pour chevaux ni charrettes. ))<br />

Ainsi, une expéri<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> quelques semaines avait<br />

suffi pour démontrer l'inutilité <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s viol<strong>en</strong>ts <strong>en</strong><br />

matière d'approvisionnem<strong>en</strong>t. Les ordonnances <strong>de</strong> Phi-<br />

lippe le Bel sont très-instructives <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu'elles for-<br />

m<strong>en</strong>t comme un petit drame économique où l'action<br />

s'<strong>en</strong>gage, se complique et se dénoue, précisém<strong>en</strong>t selon<br />

les règles <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce, c'est-à-dire au profit <strong>de</strong> la liberté.<br />

On a méme quelque peine à compr<strong>en</strong>dre comm<strong>en</strong>t,<br />

après <strong>de</strong>s expéri<strong>en</strong>ces aussi décisives, nous voyons re-<br />

comm<strong>en</strong>cer la lntte sous plusieurs règnes et même à la<br />

fin du dix-huitième siècle, <strong>en</strong>tre l'abbt Galiani et Turgol;<br />

<strong>en</strong>tre les administrateurs et les économistes. Il y a plus;<br />

désabusé par ces essais mal<strong>en</strong>contreux <strong>de</strong> maximum,<br />

Philippe le Bel alla plus loin qu'il ne nous a été donné<br />

<strong>de</strong> parv<strong>en</strong>ir, *à Paris même, au mom<strong>en</strong>t où j'écris. Un<br />

an après la révocation <strong>de</strong> ses ordonnances et la réhabili-<br />

tation du libre commerce <strong>de</strong>s grains, il affranchit les<br />

consommateurs du monopole <strong>de</strong>s boulangers et permit à


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XVIII. 231<br />

chaque citoy<strong>en</strong> <strong>de</strong> se fournir <strong>de</strong> pain, comme bon lui<br />

semblerait. Nous ordonnons et vouloris que chacun<br />

<strong>de</strong> Paris ou à Paris <strong>de</strong>meurant puiçse pain faire et four-<br />

nir <strong>en</strong> sa maison et v<strong>en</strong>dre à ses~voisins, <strong>en</strong> faisant pains<br />

suMsants ct raisonnables, et <strong>en</strong> payant les droits accou-<br />

tumés. Nous ordonnons et voiilons que tous les jours <strong>de</strong><br />

la scinnine qaaicoilqoe voudra, puisse apporter à Paris<br />

pain et blé et tontes autres victuailles et les v<strong>en</strong>dre sîire-<br />

m<strong>en</strong>t et paisiblem<strong>en</strong>t. Voulons égalem<strong>en</strong>t que <strong>de</strong> tolites<br />

<strong>de</strong>nrées veuant à Paris, dès quelles seront afforées (mises<br />

sur le marché), tout le commun <strong>en</strong> puisse avoir pour tcl<br />

prix, comme les grossiers (marcllands <strong>en</strong> gros) les acliè-<br />

teront. n Chose remarquable ! près <strong>de</strong> 500 ans plus tard,<br />

Saint-Just était obligé <strong>de</strong> reconnaître au sein <strong>de</strong> la Con-<br />

v<strong>en</strong>tion nationale, presque dans les memes termes qiie<br />

Pliilippe le Bel, l'inel'ficacité du maximum pour conjurer<br />

la disette. (1 Les différ<strong>en</strong>tes lois que vous portiez naguère<br />

sur les subsistances aurai<strong>en</strong>t Pté !~onnes, disait-il ', si<br />

les hommes ri'avai<strong>en</strong>t é1é mauvais. Lorsque vous r<strong>en</strong>dîtes<br />

la loi du max5mztm, les <strong>en</strong>nemis du peuple, plus riches<br />

que lui, achetèr<strong>en</strong>t au-<strong>de</strong>ssus du maximum. Les marchés<br />

cess6r<strong>en</strong>t d'être fournis par l'avarice <strong>de</strong> ceux qui v<strong>en</strong>-<br />

dai<strong>en</strong>t : La prix <strong>de</strong> la <strong>de</strong>lzrée amait baissé ; mais la <strong>de</strong>nrée<br />

fut rare. Les commissioiinaires d'un grand nombre <strong>de</strong><br />

communes' achetbr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> concurr<strong>en</strong>ce, et comme l'in-<br />

quiétu<strong>de</strong> SC nourrit et se propage d'elle-méme; chacun<br />

voulut avoir <strong>de</strong>s magasins et prépara la famine pour s'<strong>en</strong><br />

préserver. II Qui ne serait frappé <strong>de</strong> la ressemblancc<br />

<strong>de</strong> ces aveux, malgré les cinq siècles qui les sépar<strong>en</strong>t?<br />

Nais à aucune époque on n'a pu violer impuriémcnt les<br />

lois ess<strong>en</strong>tielles qui prbsi<strong>de</strong>nt à la production <strong>de</strong>s riches-<br />

' Moniteur du 14 octobre 1793, page 92, troisii?me colonne.


HISTOIRE<br />

ses, sans ress<strong>en</strong>tir presque immédiatem<strong>en</strong>t les funestes<br />

effets <strong>de</strong> cette violation, et l'liistoire est toute pleine <strong>de</strong><br />

pareilles lecons, qui n'ernpéch<strong>en</strong>t pas les m&mes erreurs<br />

<strong>de</strong> se r<strong>en</strong>ouveler.<br />

On <strong>en</strong> trouve une preuve frappante dans la persis-<br />

tance infatigable <strong>de</strong>s souverains it boiileverser, au gré<br />

<strong>de</strong> leurs caprices, la législation <strong>de</strong>s monnaies. R'oiis<br />

avons peine à compr<strong>en</strong>dre la pati<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s peuples à<br />

supporter ces changem<strong>en</strong>ts perpétuels dans la valeur<br />

ofljcielle <strong>de</strong>s pièces d'or et d'arg<strong>en</strong>t, véritables sophisti-<br />

cations dontle commerce était victime, et qui ne peuv<strong>en</strong>t<br />

étre considérées que comme <strong>de</strong>s banqueroutes. Tantôt<br />

il plaisait au roi <strong>de</strong> déclarer que les petits royaux au-<br />

rai<strong>en</strong>t cours pour onze sols parisis; tantôt qu'on revieii-<br />

drait à la bonne monnaie du temps <strong>de</strong> Bions.ieu~ saint<br />

Louis, et que nul ne se hasardât à payer autrem<strong>en</strong>t;<br />

puis on interdisait' l'emploi <strong>de</strong>s monnaies étrangères,<br />

pilis <strong>en</strong>fin celle <strong>de</strong> billon. Après avoir ainsi jet6 la per-<br />

turbation dans les prix, il fallait interv<strong>en</strong>ir dans les.<br />

contrats, clans les baux, dans les fermages, et l'on finit<br />

par ordonner que les payem<strong>en</strong>ts serai<strong>en</strong>t faits chaque<br />

année, chaque semestre, <strong>en</strong> la monnaie couranle 1.<br />

Personne, <strong>de</strong>s lors, ne peut plus compter sur <strong>de</strong>s reve-<br />

nus réguliers, et le roi liii-méme est obligé, ponr poil-<br />

voir v<strong>en</strong>dre ses bois dont personne ne veut, <strong>de</strong> faire<br />

am<strong>en</strong><strong>de</strong> -honorable et <strong>de</strong> déclarer que ceux qui ont<br />

aclieté du temps <strong>de</strong> la bonne monnaie payeront <strong>en</strong> la<br />

a<br />

4 Si les inarchés sont faits sous une somme, sous une quantile<br />

à püyer, à diverses années, pour cinq mille livres, par exemple,<br />

ou pour plus oii pour moins, ci payer <strong>en</strong> dix ans, chaque an tan1<br />

<strong>de</strong> mille livres. on les payera <strong>en</strong> telle ?thonnaie conime il courra<br />

selon notre ordonnance, au temps que le payem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> chacl~ne<br />

charra. (Ordonnances, lame 1, page 443.


DE L'ÉCOXOAIIE POLITIQUE. CHhP X\'IIJ. 233<br />

bonne monnaie, et ceux qui achèteront <strong>de</strong>s mémes bois<br />

du temps <strong>de</strong> la faible motbnaie payeront <strong>en</strong> la faible.<br />

Chaque ordonnance d'altération était suivie d'unè cata-<br />

strophe à laquelle on croyait remédier par <strong>de</strong>s règle-<br />

m<strong>en</strong>ts tyranniques. Cette lutte est intéressante à étudier,<br />

parce qu'elle démontre le danger et l'inutilité <strong>de</strong> l'in-<br />

terv<strong>en</strong>tion souveraine dans les transactions, auxquelles<br />

le gouvernem<strong>en</strong>t doit seulem<strong>en</strong>t la liberté et la sécurit6.<br />

En s'écartant <strong>de</strong> ces doctrines fondam<strong>en</strong>tales, les rois<br />

<strong>de</strong> France ont ouvert la voie aux crises commerciales et<br />

comm<strong>en</strong>cé la longue et douloureiise skie d'expéri<strong>en</strong>ces<br />

qui rempliss<strong>en</strong>t la premiere époque Ge noire histoire<br />

Cconomique. Que <strong>de</strong> t<strong>en</strong>tatives pour empécher la sortie<br />

<strong>de</strong> l'or et pour faire arriver <strong>de</strong> toutes parts à l'HBtel <strong>de</strong>s<br />

Monnaies les métaux précieux que les ouvriers <strong>de</strong> la<br />

couronne transform<strong>en</strong>t jour et nuit <strong>en</strong> écus <strong>de</strong> mauvais<br />

aloi I Les pèlerins eux-mèmes sont à peine exceptés <strong>de</strong><br />

la règle sévère qui déf<strong>en</strong>d l'exportation du numéraire.<br />

11 semble qu'<strong>en</strong> le ret<strong>en</strong>ant on reti<strong>en</strong>ne la richesse; on<br />

ne compr<strong>en</strong>d pas <strong>en</strong>core les ])lus simples lois <strong>de</strong> la cir-<br />

culation, et l'on pose les fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> ce culte <strong>de</strong><br />

l'or dont le système exclusif <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dra plus tard la <strong>de</strong>r-<br />

nière expression. Les uns sont obligés <strong>de</strong> v<strong>en</strong>dre leur<br />

vaisselle d'argénl, les autres <strong>de</strong> faire fondre leurs col-<br />

liers et leurs anneaux. On croit multiplier la richesse,<br />

<strong>en</strong> faisant d'un bon écu <strong>de</strong>ux mauvais, et quand les prix<br />

s'élèv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ces assignats <strong>de</strong> fraii<strong>de</strong> royale,<br />

on ne trouve d'autre correctif à cette conséqu<strong>en</strong>ce iné-<br />

vitable que <strong>de</strong> proclamer <strong>de</strong>s lois somptuaires et d'im-<br />

poser <strong>de</strong>s limites à la consommation.<br />

u Nous voulons, dit une ordonnance <strong>de</strong> 1294, quc<br />

toute manière <strong>de</strong> g<strong>en</strong>s qui n'ont six mille livres <strong>de</strong><br />

rciitc toiirriois n'us<strong>en</strong>t et ne piiisspnt user <strong>de</strong> vaisselle-


234 HISTOIRE<br />

m<strong>en</strong>t d'or et d'arg<strong>en</strong>t, ni pour boire, ni pour manger,<br />

ni pour autre usage, et que nul, sous peine <strong>de</strong> corps<br />

et <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>s, n'y fasse frau<strong>de</strong> ; et <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t susdit nous<br />

voulons faire nos monnaies pour le commun profit <strong>de</strong><br />

notre royaume. ))<br />

Une autre ordonnance <strong>de</strong> la mkme année disposait<br />

- ce qui suit :<br />

a Nulle bourgeoise n'aura char.<br />

n Nul bourgeois ni bourgeoise ne portcra vert, ni<br />

gris, ni hermines, et se délivreront <strong>de</strong> ceux qu'ils ont,<br />

<strong>de</strong> Pâques prochaines <strong>en</strong> un an. Ils ne porteront, ni<br />

pourront porter or, ni pierres précieuses, ni couronnes<br />

d'or, ni d'arg<strong>en</strong>t.<br />

u Les ducs, les comtes, les barons <strong>de</strong> six mille livres<br />

<strong>de</strong> terres, ou plus, pourront faire quatre robes par an<br />

et non plus, et les femmes autant.<br />

D Chevalier qui aura trois mille livres <strong>de</strong> torre<br />

pourra a\-air trois paires <strong>de</strong> robes par an, et non plus;<br />

et sera l'une <strong>de</strong> ces trois robes pour l'été.<br />

Nul ne donnera au grand manger que <strong>de</strong>ux mets<br />

et un potage au lard, sans frau<strong>de</strong>; et s'il est jehe, il<br />

pourra donner <strong>de</strong>ux potages aux har<strong>en</strong>gs et <strong>de</strong>ux mets.<br />

)l 11 est ordonné que nul prélat ou baron ne puisse<br />

avoir robe pour son corps <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 25 sous tournois<br />

l'aune <strong>de</strong> Paris. B<br />

Qui croirait que toutes ces injonctions, dignes <strong>de</strong>s<br />

plus mauvaises utopies <strong>de</strong> Spartc, et que ces potages<br />

aua har<strong>en</strong>gs, non moins ridicules que le brouet noir<br />

<strong>de</strong>s LacéGémoni<strong>en</strong>s, apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à une époque où<br />

l'industrie faisait effort <strong>de</strong> toutes parts pour r<strong>en</strong>aître,<br />

oii les villes anséatiqiies ct les républiques itali<strong>en</strong>nes<br />

s'étai<strong>en</strong>t déjà élevées S un trbs-haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> richesse<br />

et <strong>de</strong> spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur ! Mais l'aspect méme <strong>de</strong> cette richesse


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XVIII. 235<br />

suffit pour expliquer la persévérance aveugle <strong>de</strong>s rois,<br />

à prohiber la sorlic <strong>de</strong> l'or. La France avait, à cctte<br />

époque, peu <strong>de</strong> chose à offrir cn échange <strong>de</strong>s produits<br />

dont elle avait besoin; et c'est <strong>en</strong> vain que d'anci<strong>en</strong>nes<br />

ordonnances déf<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> trafiquer autrem<strong>en</strong>t que<br />

par <strong>de</strong>s échanges <strong>de</strong> marchandises, puisque d'un cbté il<br />

n'y avait que <strong>de</strong>s écus et <strong>de</strong> l'autre <strong>de</strong>s produi&. 11<br />

fallait absolum<strong>en</strong>t que le numéraire sortît, et il allait<br />

s'<strong>en</strong>gouffrer dans les coffres <strong>de</strong>s goiivernem<strong>en</strong>ts itali<strong>en</strong>s,<br />

que nous verrons bi<strong>en</strong>t6t <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s armées <strong>de</strong> mer-<br />

c<strong>en</strong>aires avec l'or <strong>de</strong>s nations tributaires <strong>de</strong> leur com-<br />

merce et <strong>de</strong> leur industrie. En vain, <strong>de</strong> temps <strong>en</strong> temps,<br />

la colère royale atteindra, sons le nom <strong>de</strong> Lombards,<br />

d'usuriers et <strong>de</strong> Caorsins, ces marchands intrépi<strong>de</strong>s;<br />

l'intérkt général' les a r<strong>en</strong>dus nécessaires, et ils repa-<br />

raiss<strong>en</strong>t toujours, Apres à la curée, scmant au cetir<br />

<strong>de</strong>s peuples les premières défiances, <strong>en</strong>core ineffaçables,<br />

contre l'exportation <strong>de</strong> l'or '. Tel est le véritable point<br />

<strong>de</strong> départ <strong>de</strong> nos prhjugés <strong>en</strong> économie <strong>politique</strong>, œuvre<br />

du ress<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>politique</strong>, quand on interdit tout com-<br />

merce avec les Flamands a; 011 du fanatisme religieux,<br />

Iorsqii'on persécute les Juifs. Ces préjrigls se sont per-<br />

pétués d'âge <strong>en</strong> Age dans les administrations et dans<br />

l'esprit <strong>de</strong>s peuples, et ils y règn<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core, investis <strong>de</strong><br />

la sanction supïbrne <strong>de</strong>s gouvernem<strong>en</strong>ts. C'est ce qui<br />

explique pourquoi l'on éprouve aujourd'hiii tant <strong>de</strong><br />

« Et comme nous avons appris que plusieurs Itali<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t<br />

dans notre royaume, lesquels excercit<strong>en</strong>t (exerc<strong>en</strong>t) marchandises<br />

et contrats qui ne sontpas honnttes, notre int<strong>en</strong>tion n'est pas <strong>de</strong><br />

donner à tels Itali<strong>en</strong>s lesciites franchises et libertés. » Ordri?~na,nce<br />

<strong>de</strong> Louis le Hutin, du 9 juillet 1315.<br />

Voir une autre ordonnance <strong>de</strong> Louis le Hutin, du 28 février<br />

131 5, et les soixanle ou quatre-vingts ordonnances r<strong>en</strong>dues contre<br />

les Juifs <strong>en</strong> moins <strong>de</strong> quatre règnes.


236 HISTOIRE DE I,'ÉCONOMIE POLITIOUE. CIIAP. XVIII.<br />

peine à les détruire, malgré les réfiitations et les dé-<br />

m<strong>en</strong>tis sol<strong>en</strong>nels <strong>de</strong> l'expbri<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong> l'histoire. Telle<br />

est la force <strong>de</strong> toiit ce qui a été vigoureusem<strong>en</strong>t orga-<br />

nisé, et ri<strong>en</strong> ne l'a été avec plos <strong>de</strong> tal<strong>en</strong>t et d'habileté<br />

que les industries naissantes, dont nous allons Btudier<br />

les comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>ts sous saint Louis.


CHAPITRE. XIX.<br />

Organisation <strong>de</strong>s corporations sous le règne <strong>de</strong> saint Louis. - Du<br />

Licre <strong>de</strong>s Métiers, par Eli<strong>en</strong>ne Boyleau.-Vue g6neralB du sys-<br />

tème <strong>de</strong>s corporations.- Ses avantages anci<strong>en</strong>s et ses inconv6-<br />

ni<strong>en</strong>ts mo<strong>de</strong>rnes.<br />

On a pu juger, par les ordonnances que nous al-ons<br />

citées, <strong>de</strong> l'état d'anarchie où se trouvait la société euro-<br />

pé<strong>en</strong>ne à !a fin du douzième et a11 treizième siècle. Il<br />

n'y a <strong>de</strong> repûs.et <strong>de</strong> stabilité que pour la propriété fon-<br />

cière; elle seule résume toutes les jouissances, tous les<br />

priviléges, toutes les libertés. Mais déjà s'élève a cûté<br />

d'elle la richesse mobiliêre créée par le travail <strong>de</strong> la<br />

démocratie, et c'est <strong>en</strong> vain qu'on lui refuse dans 1'Etat<br />

le rang qu'elle ambitionne et qu'elle va bi<strong>en</strong>tûl occuper.<br />

Peu ,à peu elle s'émancipe dans les villes soit qu'elle<br />

achète, soit qu'elle s'adjuge la bourgeoisie; chaque jour<br />

voit éclore un nouvel édit <strong>en</strong> sa faveur, et sa puissance<br />

se consoli<strong>de</strong> par les efforts mêmes qu'on fait pour la<br />

ruiner. Les conliaiunes étai<strong>en</strong>t déjà émancipées quand<br />

elles obtinr<strong>en</strong>t la concession <strong>de</strong> leurs franchises, et les<br />

persécutions contre les Juifs , sans cesse proscrits et<br />

toujours rappelés , prouvai<strong>en</strong>t déjà l'importance <strong>de</strong>s


possesseurs <strong>de</strong> capitaux. La législation s'humanise à<br />

mesure que les vilains acquièr<strong>en</strong>t cles richesses. On les<br />

protéçe dans les foires, sur les marchks ; on leur ac-<br />

cor<strong>de</strong> <strong>de</strong>s tribunaux .composés <strong>de</strong> leurs pairs, et ils sont<br />

exemptés d'une foule d'avanies dont on les accablait<br />

auparavant. Mais il se passe au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur éman-<br />

cipation un fait très-remarqual)le, qui caractérise d'une<br />

maiiière frappante l'esprit féodal <strong>de</strong> l'époque : c'est<br />

l'organisation hiérarchique <strong>de</strong>s travailleurs sous le ré-<br />

gime <strong>de</strong>s corporations. Il ne vi<strong>en</strong>t a l'esprit <strong>de</strong> personne<br />

d'affranchir l'homme comme homme; le principe <strong>de</strong><br />

l'égalité n'existe pas <strong>en</strong>core. 11 y aura <strong>de</strong>s maîtres et<br />

<strong>de</strong>s appr<strong>en</strong>tis comme il y avait <strong>de</strong>s seigneurs et <strong>de</strong>s<br />

vassaux, et une glèbe pour l'agriculture. Nul ne con-<br />

çoit le travail libre; il faut absolum<strong>en</strong>t que l'ouvrier<br />

travaille pour un maftre, comme le paysan pour un<br />

seigneur. La liberté est à ce prix; le roi la v<strong>en</strong>d comme<br />

une <strong>de</strong>nrée, mais elle ne manque pas d'acheteurs. Et<br />

comm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> eût-elle manqué au sein <strong>de</strong> cette armée<br />

industrielle que nous voyons surgir 'tout à coup <strong>de</strong>s<br />

ténèbres <strong>de</strong> la féodalité !<br />

Ce sera toujours un grand honneur pour Louis IX d'a-<br />

voir eu le premier la p<strong>en</strong>sée <strong>de</strong> soumettre une telle<br />

armée au joug <strong>de</strong> la discipline'. Elle y a gagné <strong>en</strong> puis-<br />

3 11 est prouvé aujourd'hui que i'orgauisation <strong>de</strong>s metiers etait<br />

auterieure à saint Louis. Voici ce que dit à ce sujet M. Levasseur<br />

dans son excell<strong>en</strong>le <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong>s classes ouvrières ( 1 859,2 volumes<br />

in-$", Guillaumin) : « Certaines corporations remontai<strong>en</strong>t sans<br />

doute aux colleges romains, bi<strong>en</strong> qu'il soit impossible <strong>de</strong> suivre<br />

leurs traces dans l'histoire du ve au xie siècle. II ne faut pas s'é-<br />

tonner du sil<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s chroniqueurs et <strong>de</strong>s archives sur <strong>de</strong> pareils<br />

sujets, à une Bpoque <strong>de</strong> grossièrete et d'ignorance ou l'industrie<br />

etait si peu <strong>de</strong> chose, où les 6vCnem<strong>en</strong>ts les plus importants eux-<br />

mêmps ont laisse si peu <strong>de</strong> souv<strong>en</strong>irs. Mais dès que l'usage <strong>de</strong> I'é-<br />

criture <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t plus fréqu<strong>en</strong>t, les preuves <strong>de</strong> l'antique exist<strong>en</strong>ce


DE L'~~CONO;\IIE POLITIQUE. CHAP. XIX. 239<br />

sailce et <strong>en</strong> vitalité ce qu'elle paraissait perdre <strong>en</strong> indép<strong>en</strong>dance,<br />

et c'est <strong>de</strong>puis cette époque que l'iiidustric a<br />

pris un essor qui ne s'arrêtera plus. Il est impossible <strong>de</strong><br />

n'être pas frappé d'admiration <strong>en</strong> voyant avec quelle<br />

ingénieuse sagacité tout a été classé dans ce monum<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> législation si curieux, qu'on appelle Établissem<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong> quelques corporations comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à paraître. Les marchands<br />

d'eau, à Paris, sont probablem<strong>en</strong>t les <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dants directs <strong>de</strong>s<br />

nautes parisi<strong>en</strong>s. II avait fallu <strong>de</strong> tout temps qu'une aompagnie<br />

<strong>de</strong> mariniers transportât les <strong>de</strong>nrées et les n~archandises nécessaires<br />

à l'approvisionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Paris. L'histoire, apres la chute<br />

<strong>de</strong> i'empire romain, avait perdu leur trace; elle la retrouve sous<br />

Louis VII, qui, à la date <strong>de</strong> 11?1, leur accor<strong>de</strong> <strong>de</strong>s privileges<br />

comme A une compagnie déjà anci<strong>en</strong>ne. Au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t du<br />

xi~esiècle, on ne savait d6jà pius à quelle date remontait l'origine<br />

<strong>de</strong> la corporation <strong>de</strong>s bouchers <strong>de</strong> Paris; une charte <strong>de</strong> 1134 parle<br />

<strong>de</strong> « leurs antiques étaux ; » une autre <strong>de</strong> 1162 rappelle ((l'anci<strong>en</strong>neté<br />

<strong>de</strong>s coutumes dont ont joui <strong>de</strong>puis longtemps les bouchers ))<br />

et ordonne leur retablissem<strong>en</strong>t.<br />

« Si nous avions sur l'organisation industrielle <strong>de</strong>s chartes antérieures<br />

au xie et au xir* siécle, il est probable que nous y verrions<br />

figurer <strong>en</strong>core les marchands d'eau et les bouc:iers, qui, <strong>de</strong><br />

tout temps nécessaires à la ville <strong>de</strong> Paris, n'ont pas 616 exposés<br />

à périr comme tant d'autres dans le naufrage <strong>de</strong> la civilisation.<br />

Lescorps <strong>de</strong> métier qui se reconstituèr<strong>en</strong>t dur<strong>en</strong>t le faire d'autant<br />

plus promptem<strong>en</strong>t que la ville habitée par les artisans était plus<br />

industrieuse et pius peuplée. I<strong>de</strong> corps <strong>de</strong> métier <strong>de</strong>vança la commune,<br />

mais onne saurait dire <strong>de</strong> combi<strong>en</strong> d'années, et il dut y<br />

avoir dans cett'c réorganisation pacifique et secrète du travail plus<br />

<strong>de</strong> diversité<strong>en</strong>core que dans la réorganisation bruyante <strong>de</strong>s communes.<br />

Le xie et le XII~ siecle paraiss<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant être l'époque<br />

ou les artisans comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à s<strong>en</strong>tir le besoin <strong>de</strong> s'unir et forni<strong>en</strong>t<br />

'leurs premières associations. II parait que les statuts <strong>de</strong>s chan<strong>de</strong>liers<br />

<strong>de</strong> Paris'dat<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 1061. Dans le Regislre <strong>de</strong>s métiers, rédigé<br />

par ordre d'Eti<strong>en</strong>ne Boileau, les artisaiis invoqu<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t les<br />

priviléges que leur avait donnés ou même confirmés Pbilippe-<br />

Auguste et qui, par conséqu<strong>en</strong>t, ne peuv<strong>en</strong>t pas être postkrieurs à<br />

l'annee 1123. En 1160, Louis la Jeune conce<strong>de</strong> à Theci, femme<br />

d'Yves, et à ses héritiers, la grand'maitrise <strong>de</strong>s cinq métiers <strong>de</strong><br />

savetiers, <strong>de</strong> baudroiers, <strong>de</strong> sueurs, <strong>de</strong> megissiers et <strong>de</strong> boursiers,<br />

11 fallait que chacun <strong>de</strong> ces metiers fût anterieuremeut organisé.<br />

A Rou<strong>en</strong>, les cordonniers et savetiers formai<strong>en</strong>t une corporation


,<br />

<strong>de</strong>smétiers <strong>de</strong> Paris, et qui nous est parv<strong>en</strong>u tout <strong>en</strong>tier ',<br />

du règne <strong>de</strong> saint Louis%. Ce fut à Eti<strong>en</strong>ne Boyleau que<br />

Louis IX confia le soin <strong>de</strong> mettre à exécution la gran<strong>de</strong><br />

p<strong>en</strong>sée qu'il avait conçue <strong>de</strong> donner à l'industrie et au<br />

commerce <strong>de</strong>s réglem<strong>en</strong>ts protecteurs et une discipline<br />

capable d'<strong>en</strong> assurer la prospérité. Les ~lablissemnts<br />

ont exercé une trop gran<strong>de</strong> influ<strong>en</strong>ce sur le développe-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la richesse publique et sur les <strong>de</strong>stinées <strong>de</strong> l'in-<br />

dustrie pour ne pas occuper une place dans l'histoire <strong>de</strong><br />

<strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>, et nous allons leur consacrer un<br />

exam<strong>en</strong> particulier. La simple citation du préambule <strong>en</strong><br />

donnera une première idée.<br />

u Eti<strong>en</strong>ne Boyleau, gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la prévôté <strong>de</strong> Paris, à<br />

tous les bourgeois et à tous les residans <strong>de</strong> Paris, etc.,<br />

salut. Pour ce que nous avons vu à Paris <strong>en</strong> notre temps<br />

mout <strong>de</strong> plais et <strong>de</strong>ffr'fnéesconvoitises quigaste soi-même,<br />

et par le non s<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s jeunes et <strong>de</strong>s peu sachants, <strong>en</strong>tre<br />

Ies étrangers g<strong>en</strong>s et ceux <strong>de</strong> la ville, qui aucun métier<br />

us<strong>en</strong>t et. hant<strong>en</strong>t, pour la raison <strong>de</strong> ce qu'ils avai<strong>en</strong>t<br />

veedu aux étrangers aucunes choses <strong>de</strong> leur métier qui<br />

à laquelle le roi H<strong>en</strong>ri 1'1, mort <strong>en</strong> 1135, avait concédé certains<br />

droits.<br />

(( Les corps <strong>de</strong> métiers exist<strong>en</strong>t donc avant le treizikme et<br />

m&me avant le douzième siècle; mais c'est seulem<strong>en</strong>t vers l'an<br />

1460, lorsque le mouv<strong>en</strong>~<strong>en</strong>t comniunal, auquel ils avai<strong>en</strong>t donné<br />

naissance, leur eut à son tour communiqué une nouvelle activité,<br />

qu'on les voit conslilués d'une manière complèle el regulière. n '<br />

(Tome 1, p. 193 et suiv.) (Note <strong>de</strong> l'éditeur.)<br />

4 II <strong>en</strong> existe trois ou quatre manuscrits. Le plus anci<strong>en</strong> apparti<strong>en</strong>t<br />

à la Bibliothèque impériale. Les archives <strong>de</strong> la pi.éfeclure <strong>de</strong><br />

police <strong>en</strong> possè<strong>de</strong>nt une bonne copie, dont je dois la commiinication<br />

à l'obligeance <strong>de</strong> &f..Labat, conservateur <strong>de</strong> ces archives.<br />

' Depis la première edition <strong>de</strong> cet ouvrage, le Aegistre <strong>de</strong>s mgtiers<br />

d'Eti<strong>en</strong>ne Boyleau a 616 publi6 dans la colleclion <strong>de</strong>s docum<strong>en</strong>ts<br />

inédils sur i'histoire <strong>de</strong> France, par M. Deppiog. 1837,<br />

in-40. (Note <strong>de</strong> l'éditeur).


DE L'ÉCONOJIIE POLITIQUE. CHAP. X1X. 241<br />

n'étai<strong>en</strong>t pas si bonnes, ni si loyaux que elles duss<strong>en</strong>t.. . . .<br />

notre int<strong>en</strong>cion est à <strong>en</strong>claver <strong>en</strong> la première partie <strong>de</strong><br />

cette œuvre, au mieux que nous pourrons, tous les mé-<br />

tiers <strong>de</strong> Paris, leurs or<strong>de</strong>nances, la manière <strong>de</strong>s <strong>en</strong>tre-<br />

presures <strong>de</strong> chascun métier et leurs am<strong>en</strong><strong>de</strong>s. En la se-<br />

con<strong>de</strong> partie, <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons noiis à traiter <strong>de</strong>s chaussées,<br />

<strong>de</strong>s tonlieus, <strong>de</strong>s conduits, <strong>de</strong>s rivages, <strong>de</strong>s hallages, <strong>de</strong>s<br />

poids, <strong>de</strong>s batages, <strong>de</strong>s rouages et' <strong>de</strong> toutes les autres<br />

choses qui a costume apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t. En la tierce partie<br />

et <strong>en</strong> la <strong>de</strong>rnière, <strong>de</strong>s jnstices et <strong>de</strong>s juridictions, à tous<br />

ceux quijustice et juridiction ont dans la ville et <strong>de</strong>dans<br />

les faubourgs <strong>de</strong> Paris. Ce avons-nous fait pour le profit<br />

<strong>de</strong>.tous, kt inèmem<strong>en</strong>t ponr les povres, pour les étran-<br />

gers quia Paris vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t acheter aucunes marchandises,<br />

que la marchandise soit si loyaux qu'ils n'<strong>en</strong> soi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>-<br />

çus, par le vice <strong>de</strong> li ; et pour châtier ceux qui perce-<br />

vront <strong>de</strong> vilain gain ou par non s<strong>en</strong>s les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt et<br />

pr<strong>en</strong>nerit contrc Dieu, contre droit et contre raison.<br />

Quand ce fut fait, recueilli, assemblé et ordonné, nous<br />

le fîmes lire <strong>de</strong>vant gran<strong>de</strong> assemblée <strong>de</strong>s plus sages, <strong>de</strong>s<br />

plus l6aiix et <strong>de</strong>s plus anci<strong>en</strong>s hommes <strong>de</strong> Paris et <strong>de</strong><br />

ceux qui plus <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t savoir <strong>de</strong> ces choses, lesquels<br />

toiis <strong>en</strong>s<strong>en</strong>ible louèr<strong>en</strong>t beaucoup cet ceuvre, et nous<br />

commandâmes a tous les métiers <strong>de</strong> Paris, à tous les<br />

péagiers et à tous les coutumiers qu'ils ne fiss<strong>en</strong>t et ne<br />

allass<strong>en</strong>t <strong>en</strong>contre. ><br />

Ainsi le roi avait surtout <strong>en</strong> vue <strong>de</strong> mettre un terme<br />

aux frau<strong>de</strong>s nombreuses qui se cornmettaicnt au détri-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s acheteurs, et <strong>de</strong> rédiger pour chaque métier<br />

<strong>de</strong>s règlem<strong>en</strong>ts particuliers. Quelques industries <strong>de</strong>meu-<br />

rèr<strong>en</strong>t libres; plusieurs fur<strong>en</strong>t astreintes àpayer certains<br />

droits, et il y <strong>en</strong> eut un petit nombre qui ne pur<strong>en</strong>t être<br />

exercées qu'avec privilége du souverain. Telles étai<strong>en</strong>t<br />

4' ÉDIT. T. I. i4


HISTOIRE<br />

(qui le croirait?] la profession <strong>de</strong> savetier ct celle (le<br />

marchand d'oignons et d'échalotes l . Les prescriptions<br />

les plus minutieuses obligeai<strong>en</strong>t les ouvriers <strong>de</strong> se con-<br />

former, sous peine d'am<strong>en</strong><strong>de</strong>, à une hule <strong>de</strong> pratiques<br />

tracées B l'avance dansles Établissem<strong>en</strong>ts. II était déf<strong>en</strong>du<br />

aux filandiers <strong>de</strong> méler le fil dé chanvre à du fil <strong>de</strong> lin.<br />

Le boulanger, privilégib du roi, pouvait v<strong>en</strong>dre du pois-<br />

son <strong>de</strong> mer, <strong>de</strong> la chair cuite, <strong>de</strong>s dattes, <strong>de</strong>s raisins, du<br />

poivre.commun, <strong>de</strong> la cannelle et du rdglisse, et le cou-<br />

telier n'avait pas le droit <strong>de</strong> faire les manches <strong>de</strong> ses<br />

couteaux. Les écuelliers et faiseiirs d'auges n'aurai<strong>en</strong>t<br />

pas pu se permettre <strong>de</strong> tourner une cuiller dc bois. La<br />

seule profession <strong>de</strong> chapelier comptait cinq métiers dif-<br />

fér<strong>en</strong>ts. En établissant ainsi la division du travail, saint<br />

Louis a beaucoup contribué au perfectionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

l'industrie, et, <strong>en</strong> garantissant aux acheteurs <strong>de</strong>s mar-<br />

chandises loyales, il a favorisé le commerce plus que<br />

n'ont fait ses successeurs <strong>en</strong> dix règnes.<br />

Le Livre <strong>de</strong>s méliers conti<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s réglem<strong>en</strong>ts pour plus<br />

<strong>de</strong>c<strong>en</strong>t cinquante professions diverses, dont le nombre<br />

et la variété suffirai<strong>en</strong>t pour démontrer l'importance<br />

que l'industrie avait acquise dans les villes 2. La plupart<br />

4 Nul ne peut être savetier s'il n'achbte le métier du roi.<br />

Nulne peutélre regrallier (rev<strong>en</strong><strong>de</strong>ur) <strong>de</strong> fruit ou d'aigrun : c'est<br />

à savoir, d'aux, d'oingnons ou d'eschalloogues, s'il n'achète le<br />

métier du roi. (Ex trai 1 du Litre <strong>de</strong>s mdtiers.)<br />

' Voici les noms <strong>de</strong>s principales industries organisées par<br />

Eti<strong>en</strong>ne Boyleau, telles qu'elles sont désignées dans son Livre :<br />

Lampiers, Tisserands <strong>de</strong> draps,<br />

Barilliers, Har<strong>en</strong>gers,<br />

Potiers d'étain, Fèvres-maréchaux,<br />

Foulans, Seri uriers ,<br />

Teinturiers, Talmeliers,<br />

Chaussiers, Meuniers <strong>de</strong> Grandpoot, '<br />

Potiers <strong>de</strong> terre, Blatiek,<br />

Çbaudronniers, Mesureurs <strong>de</strong> bled,


DE L'ECONOUIE POLITIQUE. CIlhP. XlX. 243<br />

<strong>de</strong> ces rbglem<strong>en</strong>ts, qui serai<strong>en</strong>t insupportables <strong>de</strong> nos<br />

jours, ont produit une véritable révolution dans les arts<br />

qu'ils avai<strong>en</strong>tpourbut <strong>de</strong> surveiller ou <strong>de</strong> perfectionner.<br />

On vit bi<strong>en</strong>t8t disparaître les nombreuses frau<strong>de</strong>s qui<br />

déshonorai<strong>en</strong>t les ateliers et qui paralysai<strong>en</strong>t les spécu-<br />

lations commerciales. Quand m&mc l'organisation <strong>de</strong>s<br />

corporations n'aurait r<strong>en</strong>du que ce service au travail, le<br />

bi<strong>en</strong> qui <strong>en</strong> résultait <strong>de</strong>vait Btre imm<strong>en</strong>se ; mais les tra-<br />

vailleurs se fortifièr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> SI! disciplinant. L'esprit <strong>de</strong><br />

corps, <strong>en</strong> d'autres temps si funeste, prit naissanceparmi<br />

eux et donna à leur association un caractère'grave et<br />

Crieurs, Huiliers,<br />

Jaugeurs <strong>de</strong> vin, Chan<strong>de</strong>liers <strong>de</strong> suif,<br />

Taverniers, Gainiers,<br />

Cervoisiers, Gainiers <strong>de</strong> gaines d'bpées,<br />

RegratLiers <strong>de</strong> sel et <strong>de</strong> pois- Ecriniers,<br />

Son <strong>de</strong> mer. Peigniers-lanterniers,<br />

Regrattiers <strong>de</strong> friiits et d'ai- Faiseuis'<strong>de</strong> tables a &rire,<br />

grun; Oyers et cuisiniers,<br />

Orfèvres, Poulaillers,<br />

Cordiers, Deiciers, faiseurs <strong>de</strong> <strong>de</strong>z à<br />

Bimbelottiers, joüer.<br />

Pévres-couteliers, Deiciers , faiseurs <strong>de</strong> <strong>de</strong>z A<br />

Coutelier? faiseurs <strong>de</strong> man- coudre,<br />

ches, Bou tonniers,<br />

Serruriers <strong>de</strong> laton, Barbiers,<br />

Batteurs d'archal, Etuveurs,<br />

Bolicliers <strong>de</strong> fer, Merciers,<br />

Boucliers d'archal, Fripières-iingères qui v<strong>en</strong><strong>de</strong>nt<br />

Trkfiliers <strong>de</strong> fer, dans les hallesneuves,<br />

Tailleurs <strong>de</strong> robes, Trkfiliers d'archal,<br />

Liniers <strong>de</strong> Paris, Attacheurs,<br />

Liniers <strong>de</strong>ho1.s Paris, Haubergers,<br />

Marchands <strong>de</strong> chanvre et <strong>de</strong> Pat<strong>en</strong>Btriers <strong>de</strong> pat<strong>en</strong>btres d'os<br />

fil <strong>de</strong> chanvre, et <strong>de</strong> cor.<br />

Chanevaciers, Pat<strong>en</strong>Btriers <strong>de</strong> corail,<br />

Epingliers, Pat<strong>en</strong>dtriet-s d'ambre,<br />

fmagers tailleurs <strong>de</strong> crucifix Ernailleurs d'orfèvrerie,<br />

et <strong>de</strong> manches <strong>de</strong> coiileaux, CristaIliers,<br />

Peintres et tailleurs d'images, Batteurs d'or à filer,


244 HISTOIRE<br />

une exist<strong>en</strong>ce soli<strong>de</strong>. Ces Confréries, ces uni~ersités d'ouvriers<br />

ne se laissèr<strong>en</strong>t pas facilem<strong>en</strong>t ravir, dans la suite,<br />

<strong>de</strong>s priviléges qu'on leur avait v<strong>en</strong>dus si cher. Elles se<br />

mir<strong>en</strong>t soiis la protection <strong>de</strong>s saints, adoptèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s bannières<br />

sacrées, véritables ét<strong>en</strong>dards <strong>de</strong> leur indép<strong>en</strong>dance,<br />

et elles v<strong>en</strong>gèr<strong>en</strong>t avec persévérance la moindre<br />

off<strong>en</strong>se faite à l'un <strong>de</strong> leurs membres. Elles eur<strong>en</strong>t leurs<br />

syndics, leurs chambres <strong>de</strong> discipline, leurs conseils,<br />

leurs déf<strong>en</strong>seurs. L'honneur <strong>de</strong>s diverses corporations,<br />

ainsi placé sous la sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> tous ceux qui cn faisai<strong>en</strong>t<br />

partie, éleva Ies classes laborieuses au rang <strong>de</strong>s<br />

puissances sociales, telles que le clergé, la noblesse et la<br />

Batteurs d'etain, Blâzonniers,<br />

Batteurs d'or <strong>en</strong> feuille, Bourreliers,<br />

Lasseurs <strong>de</strong> fil et soye, Coniéeurs <strong>de</strong> Cordoües,<br />

Fileresses <strong>de</strong> soye a grands Couratiers <strong>de</strong> Cordoües,<br />

fuseaux, Baudroyeurs,<br />

Crepiniers <strong>de</strong> fil ef. <strong>de</strong> soye, Cordou<strong>en</strong>niers,<br />

Ouvriers <strong>de</strong> tissus <strong>de</strong> soye, Baz<strong>en</strong>niers ou chavet<strong>en</strong>iers <strong>de</strong><br />

Braceliers <strong>de</strong> fil, baz<strong>en</strong>ne,<br />

Ouvriers <strong>de</strong> drap du soye, Tapissiers <strong>de</strong> tapis nouez,<br />

Fon<strong>de</strong>urs, Savetiers,<br />

Fermaillers <strong>de</strong> laton, Megissiers,<br />

Pàt<strong>en</strong>btriers , faiseurs <strong>de</strong> Courioyers , faiseurs <strong>de</strong> cour-<br />

bouclettes à souliers et roies,<br />

nogeaux <strong>de</strong> robes, Foiniers,<br />

Tixeran<strong>de</strong>s <strong>de</strong> couvrechef <strong>de</strong> Chapeliers <strong>de</strong> fleurs,<br />

SOY~, Chapeliers <strong>de</strong> coton,<br />

Ctiarp<strong>en</strong>tiers, Chapeliers <strong>de</strong> feutre,<br />

Maçons Chapeliers <strong>de</strong> paon,<br />

Escuelliers, , Fourreurs et garnisseurs da cha-<br />

Tixerands <strong>de</strong> lange. peaux, '<br />

Tapissiers <strong>de</strong> tapis sarrazi- Chirurgi<strong>en</strong>s,<br />

nois, Fourbeeurs,<br />

Fripiers, Archers, faiseurs d'arcs artil-<br />

Faiseurs <strong>de</strong> boursés et, liers,<br />

brayers (<strong>de</strong> peau), Pescheurs (à verge),<br />

Selliers et peintres <strong>de</strong> selles, Poissonniers d'eau douce,<br />

Chapuiseurs. Poissonniers <strong>de</strong> mer.


DE L'ÉCOXOUIE POLITIQCE. CAAP. MX. 243<br />

magistrature. La hiérarchie n'y fut pas moins sévère que<br />

dans les rangs élevés, et les seigneurs <strong>de</strong>s donjons n'é-<br />

tai<strong>en</strong>t pas plus respectés <strong>de</strong> leurs vassauxque lesmaitres<br />

<strong>de</strong> leurs appr<strong>en</strong>tis. Les habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> domination pas-<br />

sèr<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> vite <strong>de</strong>s châteaux aux ateliers; il y eut uii<br />

<strong>de</strong>spotisme <strong>de</strong> boutique à côté dc la tyrannie <strong>de</strong>s ma-<br />

noirs.<br />

Saint Louis était loin <strong>de</strong> prévoir toutes les consé-<br />

qu<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> son organisation <strong>de</strong>s métiers, œuvre <strong>de</strong> po-<br />

lice autant que d'kconomie <strong>politique</strong>. 11 n'a vraim<strong>en</strong>t<br />

posé <strong>de</strong> ce grand édifice <strong>de</strong>s corporations que la pre-<br />

mière pierre, et l'on pourrait rirsumer son système <strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>ux lignes : « Chacun fera son métier et ri<strong>en</strong> que son<br />

métier, afin <strong>de</strong> le bi<strong>en</strong> faire et <strong>de</strong> ne tromper per-<br />

soiine. » Mais, comme le prkvbt Éti<strong>en</strong>nc Boyleau avait<br />

soigneuscn-i<strong>en</strong>t prévu tous les cas <strong>de</strong> frau<strong>de</strong> et indiqué<br />

lcs meilIeurs procédés <strong>de</strong> travail, il se trouva que le<br />

Lhre <strong>de</strong>s mitiers <strong>de</strong>vint un traité <strong>de</strong> fabrication, et Ie<br />

modèle (l'après lequel ehacuu <strong>de</strong>vait diriger ses efforts,<br />

Le grand chambrier du roi obtint la surveillance <strong>de</strong>s<br />

communautés, et assura la sanction royale a toutes les<br />

mesures qui pouvai<strong>en</strong>t leur &tre utiles. Dès ce mom<strong>en</strong>t,<br />

il s'établit <strong>en</strong>tre les artisans une vive émiilatioii; réunis<br />

dans les mêmes quartiers ', placés sous les yeux les uns<br />

<strong>de</strong>s autres, et comme <strong>en</strong> regard <strong>de</strong>s consommateurs li-<br />

bres <strong>de</strong> choisir parmi eux les plus hon.n&tes et.les plus<br />

habiles, ils acquir<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>tôt <strong>de</strong>s qualités qui serai<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>meurées fort rares sous le régime anarchique pré-<br />

cSdt:nt.<br />

Il Btait réservé aux successeurs <strong>de</strong> Louis 1X <strong>de</strong> com-<br />

pléter son œuvre et (le compliquer, <strong>en</strong> voulant les ré-<br />

' Joinville, page 152. .<br />

16


246 . HISTOIRE<br />

soudre, les questions difficiles qui <strong>en</strong> <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t sortir tôt<br />

ou tard. Saint Louis avait, <strong>en</strong> effet, rSglS trop minu-<br />

tieusem<strong>en</strong>t la t%che <strong>de</strong> chaque artisan, pour qu'il ne<br />

s'élevât pas <strong>de</strong> nombreux conflits <strong>en</strong>tre les industries.<br />

Comm<strong>en</strong>t aurait-on pu éviter <strong>de</strong>s @scor<strong>de</strong>s <strong>en</strong>tre les<br />

chapeliers, dont les uns n'avai<strong>en</strong>t le droit <strong>de</strong> fabriquer<br />

que <strong>de</strong>s chapeaux <strong>de</strong> coton, et les autres <strong>de</strong>s chapeaux<br />

<strong>de</strong> feutre? Qui pouvait r4pondre que l'harmonie régne-<br />

rait toujours <strong>en</strong>tre le couteliers fabricants <strong>de</strong> manchcs<br />

<strong>de</strong> coateaux kt les couteliers fabricants <strong>de</strong> lames? Qui<br />

ne voit la difficulté <strong>de</strong> reconnaître, dans la fabrication<br />

<strong>de</strong>s chan<strong>de</strong>lles, le mélange déf<strong>en</strong>du <strong>de</strong> la graisse <strong>de</strong><br />

bœuf avec le suif <strong>de</strong> mouton, et dans celle <strong>de</strong>s bougies<br />

le mélange <strong>de</strong> la vieille cire avec la nouvelle? Les fila-<br />

teurs ne <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t pas non plus filer <strong>en</strong>semble le chanvre<br />

et le lin; les savetiers n'avai<strong>en</strong>t pas le droit <strong>de</strong> raccom-<br />

mo<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s souliers et <strong>de</strong> les remettre à neuf <strong>de</strong> plus <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux tiers, sous peine d'empieter sur la prérogative <strong>de</strong>s<br />

cordonniers. Les maîtres selliers sans ouvrage pouvai<strong>en</strong>t<br />

bi<strong>en</strong> faire <strong>de</strong>s souliers, mais les cordonniers ne pouvai<strong>en</strong>t<br />

pas faire <strong>de</strong>s selles. Les m<strong>en</strong>uisiers avai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s attribu-<br />

tions soigneusem<strong>en</strong>t distinctes <strong>de</strong> celles <strong>de</strong>s charp<strong>en</strong>tiers.<br />

Aussi, à peine ces confréries étai<strong>en</strong>t-elles établies, que<br />

les industriels cessèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> vivre <strong>en</strong> frkres. Puissantes<br />

contre les attaques du <strong>de</strong>hors, les corporations eur<strong>en</strong>t b<br />

sout<strong>en</strong>ir dans leur propre sein une guerre civile <strong>de</strong> tous<br />

les mom<strong>en</strong>ts, et leurs discor<strong>de</strong>s ne tardèr<strong>en</strong>t pas a les<br />

livrer, pieds et poings liés, à l'arbitraire <strong>de</strong> la cou-<br />

ronne. Depuis saint Louis jusqu'à Louis XIV, il ii'y a pas<br />

un souverain qui ne leur impose <strong>de</strong>s <strong>en</strong>traves, <strong>de</strong>s taxes<br />

et <strong>de</strong>s règlem<strong>en</strong>ts nouveaux : la justice les accable d'ar-<br />

r&ts et d'am<strong>en</strong><strong>de</strong>s sans ral<strong>en</strong>tir leur ar<strong>de</strong>ur ni calmer<br />

leurs haines. Le fondateur <strong>de</strong>s corporations <strong>de</strong> métiers


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE, CHAP. XIX. 247<br />

avait voulu y créer l'ordre : ses successeurs n'y ont vu<br />

qu'un moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t.<br />

Une ordonnance <strong>de</strong> Charles VI, <strong>en</strong> 1407; comm<strong>en</strong>ce<br />

à modifier les prescriptions <strong>de</strong> Louis IX relativem<strong>en</strong>t à<br />

la v<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s marchandises. L'édit <strong>de</strong> H<strong>en</strong>ri III, <strong>en</strong> 1581,<br />

établit sur les corporations une taxe élevée, sous forme<br />

<strong>de</strong> droit royal, et multiplie les règlem<strong>en</strong>ts à propos <strong>de</strong><br />

i'appr<strong>en</strong>tissage, <strong>de</strong> la réception <strong>de</strong>s maîtres ct <strong>de</strong> l'élection<br />

<strong>de</strong>s jurés. Un a'itre édit <strong>de</strong> H<strong>en</strong>ri IV, r<strong>en</strong>du <strong>en</strong><br />

1597, confirme le précé<strong>de</strong>nt et y ajoute quelques dispositions<br />

nouvelles plus oppressives. Enfin Louis XIV, par<br />

son édit <strong>de</strong> mars 1673, établit les corporations dans<br />

toutes les' villes et bourgs du royaume et créa plus <strong>de</strong><br />

quarante offices parasites. Ainsi mutilées par la main <strong>de</strong><br />

dix rois, les corporations~ile ressembl<strong>en</strong>t plus guère à ce<br />

qu'elles étai<strong>en</strong>t sous Louis lx, et il ne reste presque ri<strong>en</strong><br />

<strong>de</strong> la haute p<strong>en</strong>sée qui les avait constituées. Elles ne<br />

prbs<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t plus qu'une vaste arène où se livr<strong>en</strong>t d'ignobles<br />

co~nliats mercantiles, au profit (le la féodalité nouvelle,<br />

qui exploite, sous le nom <strong>de</strong> compagnons et d'appr<strong>en</strong>tis,<br />

les malheiireiix échappbs à la glèbe du servage.<br />

Le monopole <strong>en</strong>vahit la société industrielle. On limite<br />

sévèrem<strong>en</strong>t le nombre <strong>de</strong>s métiers pour assurer & quelque~privili.giés<br />

les avantages <strong>de</strong> la maîtrise. Des obstacles<br />

artificiels sont opposés au génie qui <strong>de</strong>vance l'âge,<br />

et <strong>de</strong>s l<strong>en</strong>teurs intersminables prolong<strong>en</strong>t, sous le nom<br />

d'appr<strong>en</strong>tissage, l'<strong>en</strong>fance <strong>de</strong> l'homme. Cet appr<strong>en</strong>tissage<br />

lui-méme n'est qu'un esclavage dkguisé; mais c'est<br />

<strong>en</strong>core <strong>de</strong> l'esclavage. P<strong>en</strong>dant toute sa durée, le malheureux<br />

appr<strong>en</strong>ti est la propri6tk <strong>de</strong> son maître, investi<br />

du droit <strong>de</strong> le faire travailler nléme it coups <strong>de</strong><br />

biiton. Il y a <strong>de</strong>s vices rédhibitoires pour lui comme<br />

pour les animaux. Tant& ce temps <strong>de</strong> ru<strong>de</strong>s épreuves


248 RISTOlRK<br />

dure huit années, tantôt il se termine au bout <strong>de</strong> sept,<br />

et l'appr<strong>en</strong>ti s'élève à la dignité <strong>de</strong> compagnon. C'est<br />

l'affranchi <strong>de</strong> ce temps-là, le mulâtre <strong>de</strong> ces colonies in-<br />

térieures.'l'el qui avait fait à Rou<strong>en</strong> cinq ans d'appr<strong>en</strong>-<br />

tissage et autant <strong>de</strong> compagnonnage, ne pouvait <strong>en</strong>trer<br />

dans une cornmiinauté <strong>de</strong> Paris ou <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux sans re-<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir appr<strong>en</strong>ti; exig<strong>en</strong>ce aussi absur<strong>de</strong> que le serait<br />

celle qui obligerait un officier à re<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir soldat <strong>en</strong><br />

changeant <strong>de</strong> régim<strong>en</strong>t.<br />

On a trop oublié les longues souffrancès <strong>de</strong> la classe<br />

ouvrière sous ce régime <strong>de</strong> monopole et d'exploitation.<br />

Ce qui les r<strong>en</strong>dait plus horribles, c'est que les tyrans<br />

sortai<strong>en</strong>t du sein <strong>de</strong>s ateliers, et se montraierit impi-<br />

toyables <strong>en</strong> raison même <strong>de</strong> l'origine quileur était com-<br />

mune avec les appr<strong>en</strong>tis. Quand v<strong>en</strong>ait pour un compa-<br />

gnon l'heure <strong>de</strong> passer maître, il r<strong>en</strong>contrait pour juges<br />

ceux qui étai<strong>en</strong>t intéressés à l'écarter conime rival. Ils<br />

lui <strong>de</strong>mandai<strong>en</strong>t un chef-d'œuvre pour prouver son<br />

tal<strong>en</strong>t, mais un chef-d'œuvre exécuté selon certaines<br />

rkgles, afin que son génie fiit contraint <strong>de</strong> s'arrêter à la<br />

hauteur <strong>de</strong> leur médiocrité. Eu1 ne. pouvait s'écarter<br />

<strong>de</strong>s procédés reçus, sous peine d'am<strong>en</strong><strong>de</strong> ; aussi était-ce<br />

le bon temps <strong>de</strong>s am<strong>en</strong><strong>de</strong>s. Il y <strong>en</strong> avait pour les<br />

moindres oublis comme pour les plus graves écarts. Un<br />

tonnelier <strong>de</strong>vait signer ses tonneaux et payer une<br />

am<strong>en</strong><strong>de</strong> pour un cercle mal'posé. Le serrurier répondait<br />

par corps <strong>de</strong> ses serrures, les drapiers <strong>de</strong> leur drap, les<br />

tanneurs <strong>de</strong> leurs cuirs. On voyait sans cesse passer<br />

dans les rues le serg<strong>en</strong>t armé d'une gaule aux rubans<br />

cle parchemin, barbouillés d'arrbts contre les boulan-<br />

gers, contre les maçons, contre les orfévres et autres<br />

artisans. Les percepteurs n'avai<strong>en</strong>t pas d'autre occupa-<br />

tion et la couronrie pas <strong>de</strong> meilleur rev<strong>en</strong>u. On est


DE L'~~coNo~~~E POLITIQUE. CHAP. XIX. 249<br />

effrayé <strong>de</strong>s abus qui se commettai<strong>en</strong>t chaque jour au<br />

détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s classes laborieiises, quand on lit avec<br />

quelque att<strong>en</strong>tion l'imm<strong>en</strong>se quantité d'arrêts r<strong>en</strong>dus<br />

sur les débats soulevés par la jalousie <strong>de</strong>s commu-<br />

nautés, ou par leurs discussions avec la couronne. A<br />

Paris les frais <strong>de</strong> ces procès s'élevai<strong>en</strong>t, vers le milieu du<br />

dix-septième siècle, à plus <strong>de</strong> 500,000 francs par année.<br />

Des communautés mo<strong>de</strong>stes <strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t pour 25,000 fr.<br />

Les statuts <strong>de</strong> toutes les corporations existeot <strong>en</strong>core<br />

<strong>de</strong> nos jours, soit à la bibliothèque <strong>de</strong> l'Hôtel <strong>de</strong> Ville,<br />

soit aux archives <strong>de</strong> la police, et on a peine à les dé-<br />

couvrir sous le fatras d'édits, d'arrkts et <strong>de</strong> décisions.<br />

souveraines provoqués journellem<strong>en</strong>t par le moindre<br />

inci<strong>de</strong>nt. L'esprit <strong>de</strong> corps se joignait aux exig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong><br />

l'intérêt privé pour <strong>en</strong> éterniser la durée, et il y a <strong>de</strong>s<br />

exemples <strong>de</strong> ritalités acharnées qu'on n'avait pu par-<br />

v<strong>en</strong>ir à mettre d'accord après une lutte <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />

c<strong>en</strong>t ans.<br />

Ainsi, Louis IX avait cru fon<strong>de</strong>r l'ordre, et ses suc-<br />

cesseurs préparèr<strong>en</strong>t l'anarchie iudiistrielle , malgré<br />

l'oppression absolue sous laq~ielle gémissai<strong>en</strong>t tous les '<br />

travailleurs subalternes. Qui croirait que les femmes<br />

avai<strong>en</strong>t été exclues <strong>de</strong> la corporation <strong>de</strong>s bro<strong>de</strong>urs? Les<br />

compagnons ne poiivai<strong>en</strong>t se marier avant d'avoir ob-<br />

t<strong>en</strong>u la maîtrise, et comme nous l'avons dit, cette<br />

maîtrise était pour eux la terre <strong>de</strong> Chanaan, qu'il leur<br />

était permis <strong>de</strong> voir, mais rarem<strong>en</strong>t d'abor<strong>de</strong>r. Outre<br />

l'exécution du chef-d'euvre accoutumé et les doubles<br />

l<strong>en</strong>teurs <strong>de</strong> l'appr<strong>en</strong>tissage et du compagnonnage, <strong>de</strong>s<br />

frais énormes att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t l'audacieux qui oul lait dé-<br />

passer la frontière : <strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>t, droit royal, droit<br />

<strong>de</strong> réception, droit <strong>de</strong> police, droit d'ouverture <strong>de</strong> bou-<br />

tique, honoraires du doy<strong>en</strong> et <strong>de</strong>s jurés, salaires <strong>de</strong>


230 ~I!STOIRE<br />

l'huissier et du clerc <strong>de</strong> la communauté, gratifications<br />

aux maîtres appelés à la cérémonie; ri<strong>en</strong> n'y manquait,<br />

et soiiv<strong>en</strong>t le malheureux compagnon ne pouTilit passer<br />

maître, faute du capital nécessaire pour jeter une proie<br />

à se? juges. Que <strong>de</strong> sombres <strong>de</strong>sespoirs ont dû agiter<br />

l'%me <strong>de</strong>s trayailleurs, p<strong>en</strong>dant cette longue pério<strong>de</strong><br />

d'oppression! Tout leur était interdit, jusqu'à la faculté<br />

<strong>de</strong> disposer d'eux-m&mes; comme si la liberté <strong>de</strong> travailler<br />

n'était pas la plus sacree <strong>de</strong> toutes les propriétés!<br />

Mais le <strong>de</strong>rnier mot du système <strong>de</strong>s corporations<br />

n'a été proclamé qu'<strong>en</strong> Angleterre, où la loi<br />

a punissait <strong>de</strong> mort, nagu-ère <strong>en</strong>core, l'ouvrier déserteur,<br />

même quand son pays n'avait pas <strong>de</strong> travail à lui donner.<br />

Éti<strong>en</strong>ne Boyleau, tout prévdt qu'il était, n'y avait<br />

pas p<strong>en</strong>sé.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, au travers <strong>de</strong> leurs nombreuses ,vicissitu<strong>de</strong>s,<br />

les corporations organisées par saint Louis dans<br />

une p<strong>en</strong>sée d'ordre, <strong>de</strong> discipline et <strong>de</strong> probité, ont produit<br />

<strong>de</strong>s résultats très-dignes <strong>de</strong> l'att<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s économistes<br />

et <strong>de</strong>s hommes d'fitat. Elles ont accoutumé les<br />

travailleurs à la pati<strong>en</strong>ce, à l'exactitu<strong>de</strong> et à la persévérance;<br />

elles ont fait r<strong>en</strong>aître la sécuritb dans le commerce<br />

et donné une impulsion imm<strong>en</strong>se à cet élém<strong>en</strong>t<br />

important <strong>de</strong> la richesse publique. Dés que les consommateurs<br />

ont été certains <strong>de</strong> n'btre plus trompés sur la<br />

qualité et sur la quantite <strong>de</strong>s produits, ils <strong>en</strong> ont fait <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s plusconsidérables et procure par là <strong>de</strong>smoy<strong>en</strong>s<br />

<strong>de</strong> subsistance plus ét<strong>en</strong>dus aux classes laborieuses. II y<br />

avait bi<strong>en</strong> aussi qiielqt~es avantagesdanscette hiérarchie.<br />

sévère qui faisait du rrtaftre <strong>en</strong> industrie comme le chef<br />

<strong>de</strong> famillc <strong>de</strong> ses oiivriers, avec <strong>de</strong>s pouvoirs presque<br />

aussi ét<strong>en</strong>dus que ceux du père surses <strong>en</strong>fants. La limite<br />

fixée al1 nombre <strong>de</strong>s métiers maint<strong>en</strong>ait la concurr<strong>en</strong>ce


dans <strong>de</strong>s bornes sans doute uii peu étroites et par consé-<br />

qu<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tachées dc moiiopole, mais elle s'opposait à ces<br />

<strong>en</strong>treprises inconsidérées qui trop souv<strong>en</strong>t donn<strong>en</strong>t aux<br />

luttes industrielles dc notre temps le caractère d'une<br />

guerre à mort, où le vaincufait faillite, sans que le vain-<br />

queur fasse fortune.Eii retardant le mariage <strong>de</strong>souvriers<br />

sans capital et sans état, 1s regle <strong>de</strong>s corporations pou-<br />

vait passer pour un bi<strong>en</strong>fait, à une époque où la pater-<br />

nité ne semblait que le don <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s malheureux.<br />

lais qui absoudra cette féodalité <strong>de</strong> l'atelier <strong>de</strong> tous les<br />

fléaux qu'elle traînait à sa suite? Si elle a r<strong>en</strong>du quel-<br />

ques services dans <strong>de</strong>s temps déjà bi<strong>en</strong> éloignés <strong>de</strong> nous,<br />

combi<strong>en</strong> n'a-t-elle pas causé <strong>de</strong> ravages dans les siècles<br />

suivants? Combi<strong>en</strong> d'hommes <strong>de</strong> génie n'a-t-elle pas<br />

étouffés au berceau ? Quelles fuiicstcs habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ser-<br />

vitu<strong>de</strong> n'a-t-elle pas <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ues? Tout ce qu'on peut<br />

dire <strong>de</strong> plus significatif à cet égard, c'est que les corpo-<br />

rations ont été modifiées on ébranlées à toutes les épo-<br />

ques 'où la civilisation a fait un pas et qu'elles ont été<br />

re<strong>de</strong>mandées toutes les fois que le mouvem<strong>en</strong>t humani-<br />

taire a paru stationnaire ou rétrogra<strong>de</strong>. Turgot les sup-<br />

prima l et sa chute les rappelle ; la révolution etl'emyire<br />

les détiriis<strong>en</strong>t sans retour, et <strong>en</strong> 1814 une pétitionfa-<br />

meuse <strong>en</strong> sollicite le rétablissem<strong>en</strong>t a.<br />

Nous ne sommes néanmoins pas conséqu<strong>en</strong>ts lorsque<br />

nous refusons aux fondateurs <strong>de</strong> ce système le tribut<br />

d'hommages qui leur est dû. L'établissemeiit <strong>de</strong>s corpo-<br />

rations, si on <strong>en</strong> excepte les abus <strong>de</strong> la fiscalité, était <strong>en</strong><br />

harmonie avec la constitution <strong>politique</strong> du temps où il<br />

1 Voir l'édit <strong>de</strong> Turgot <strong>de</strong> 1776 et le rapport <strong>de</strong> Dallar<strong>de</strong> à<br />

l'Assembl6e constituante, seance du 15 f6vrier 1791.<br />

2 Cette pétition, extréntem<strong>en</strong>t curieuse, et rédigée par M. Leva-<br />

cher Duplessis, a 616 imprimee in-40.


prit naissance. On avait peu <strong>de</strong> métiers, mais on avait<br />

les douanes <strong>de</strong> province à province ; peu <strong>de</strong> productions<br />

et peu <strong>de</strong> débouchés. Les douanes intérieures assurai<strong>en</strong>t<br />

à la fabrication locale lav<strong>en</strong>te <strong>de</strong> ses articles, et les cou-<br />

v<strong>en</strong>ts offrai<strong>en</strong>t du pain et un asile aux compagnons inoc-<br />

cupés. La population était cont<strong>en</strong>ue, par le célibat <strong>de</strong>s<br />

religieux et <strong>de</strong>s ouvriers, dans <strong>de</strong>s limites proportionnées<br />

aux moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> subsistance contemporains. L'appr<strong>en</strong>ti<br />

ne gagnait ri<strong>en</strong>; mais, après un petit nombre d'années,<br />

son <strong>en</strong>treti<strong>en</strong> tombait à la charge du maftre. La concur-<br />

r<strong>en</strong>ce ne faisait pas baisser le prix <strong>de</strong>s salaires, et l'on<br />

n'éprouvait pas dans le commerce ces variations <strong>de</strong> prix<br />

brusques et fréqu<strong>en</strong>tes qui déconcert<strong>en</strong>t quelquefois<br />

parmi nous les plus habiles spéculateurs. Nous avons<br />

émancipé le travail, chose étrange! et sa condition, à<br />

beaucoup d'égards, est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue plus ru<strong>de</strong> et plus pré-<br />

caire. C'est que nous avons bi<strong>en</strong> imparfaitem<strong>en</strong>t exécuté<br />

ce grand œuvre <strong>de</strong> l'affranchissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s travaille,urs :<br />

nous avons proclamé la liberté illimitée <strong>de</strong> produire,<br />

' mais nous nous sommes refusé la lierth d'écouler nos<br />

produits. Notre système <strong>de</strong> libre concurr<strong>en</strong>ce est incom-<br />

plet, et nous n'avons conquis, <strong>de</strong>puis la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong><br />

l'œuvre <strong>de</strong> saint Louis, que la faculté <strong>de</strong> nous <strong>en</strong>com-<br />

brer : les guerres <strong>de</strong>douanes ont succédé aux luttes <strong>de</strong>s<br />

corporations.


CHAPITRE XX.<br />

Du mouvem<strong>en</strong>t imprimé à <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> par les républi-<br />

ques itali<strong>en</strong>ocs du moy<strong>en</strong> âge.-Infiu<strong>en</strong>ce croissante du travail.<br />

-Accroissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la richesse mobilière. - Changem<strong>en</strong>ts qui<br />

<strong>en</strong> résult<strong>en</strong>t dans l'état social europb<strong>en</strong>. -Fondation du cré-<br />

dit. - Banque <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise. - Origine du système prohibitif<br />

mo<strong>de</strong>rne.<br />

Quand on étiidic avec att<strong>en</strong>tionl'histoire <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers<br />

temps <strong>de</strong> la féodalité, il est impossible <strong>de</strong> n'être pas<br />

frappé <strong>de</strong>s efforts t<strong>en</strong>tés sur les différ<strong>en</strong>ts points <strong>de</strong> l'Eir-<br />

rope pour assurer à tous les producteurs une plus juste<br />

part dans la distribution <strong>de</strong>s profits du travail. L'af-<br />

franchissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s conlmunes <strong>en</strong> France, l'établisse-<br />

m<strong>en</strong>t (le la Ligue anséatique <strong>en</strong> Allemagne,.la création<br />

<strong>de</strong>s républiquesitali<strong>en</strong>nes au moy<strong>en</strong> âge, ne sont que <strong>de</strong>s<br />

épiso<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cc grand ceuvre d'émancipation qui se<br />

poursuit <strong>de</strong> siècle <strong>en</strong> siècle avec ilne persévérance iné-<br />

branlable. L'organisation <strong>de</strong>s corporations sous le règne<br />

<strong>de</strong> saint Louis y contribue puissamm<strong>en</strong>t à son tour. Par-<br />

tout où les artisans et les marchands se réuniss<strong>en</strong>t, ils<br />

essay<strong>en</strong>t <strong>de</strong> se créer une exist<strong>en</strong>ce indép<strong>en</strong>dante du ca-<br />

price <strong>de</strong>s seigneurs et <strong>de</strong>s gouvernem<strong>en</strong>ts. La facilité<br />

qu'ils éprouv<strong>en</strong>t à dissimuler leurs ricl~esscs ou à les<br />

Le ÉDIT. T. I. 15


254 HISTOIRE<br />

déplacer quand l'oragc gron<strong>de</strong>, leur agglomération, le<br />

besoin qu'on a <strong>de</strong> leurs services, leur assur<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s franchises<br />

qui ne fur<strong>en</strong>t nulle part plusét<strong>en</strong>dues qu'<strong>en</strong>Italie,<br />

puisqu'elles allèr<strong>en</strong>t jusqu'à leur donner le monopole <strong>de</strong><br />

la souveraineté.<br />

Dès l'année 1282, l'industrie était si puissante à Flor<strong>en</strong>ce,<br />

que les citoy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> cette république se donnèr<strong>en</strong>t<br />

une magistrature exclusivem<strong>en</strong>t composée <strong>de</strong> marchands,<br />

sous le nom <strong>de</strong> Prieurs <strong>de</strong>s arls. Ces délégués du peu-.<br />

ple, réunis <strong>en</strong> un collége suprême <strong>de</strong> six membres, fur<strong>en</strong>t<br />

investis du pouvoir exécutif et logés dans le palais<br />

<strong>de</strong> la nation. Leurs fonctions ne durai<strong>en</strong>t que <strong>de</strong>ux mois,<br />

mais ils pouvai<strong>en</strong>t être réélus au bout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans. Les<br />

prieurs étai<strong>en</strong>t choisis par leurs prédécesseurs réunis<br />

aux chefs <strong>de</strong>s arts majeurs et à un certain nombre <strong>de</strong><br />

notables. A Si<strong>en</strong>ne on fit <strong>de</strong> même, et les quinze seigneurs<br />

qui gouvernai<strong>en</strong>t cette petite république fur<strong>en</strong>t remplacés<br />

par neuf bourgeois, exclusivem<strong>en</strong>t désignés parmi<br />

les marchands. A G&nes et à V<strong>en</strong>ise, les fortunes commerciales<br />

se substituèr<strong>en</strong>t à l'aristocratie foncière et<br />

créèr<strong>en</strong>t un pouvoir plus absolu que celni <strong>de</strong>s barons<br />

féodaux. 11 fallut, dans la plupart <strong>de</strong> ces républiques,<br />

exercer un art ou un métier pour rester citoy<strong>en</strong> et pour<br />

poilvoir aspirer au gouvernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 1'~tat. Les marchands<br />

voulur<strong>en</strong>t &tre anoblis par leur profession m&me :<br />

il y eut un<strong>en</strong>oblesse <strong>de</strong>soie et un<strong>en</strong>oblesse <strong>de</strong> laike, et celle-ci<br />

se crut bi<strong>en</strong>tôt <strong>en</strong> droit <strong>de</strong>mépriser celle-là[. Au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t<br />

du qiiatorzième siècle, on remarquait dans toute<br />

l'Italie <strong>de</strong>s nuances infinies parmi les diverses constitutions<br />

républicaines ; mais elles étai<strong>en</strong>t toutes d'accord <strong>en</strong><br />

ce s<strong>en</strong>s que nulle part I'aristocratîe n'avait prévalu sur<br />

Daru, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise, tome 1, page 505.


DE L'ECONONIE POLITI~UE. CHAP. XX. 255<br />

les bourgeois <strong>de</strong> l'industrie et du commerce. Bi<strong>en</strong>tbt les<br />

armes à feu et l'imprimerie porteront un <strong>de</strong>rnier coup à<br />

la puissance <strong>de</strong>s chhteanx, <strong>en</strong> nivelant les forces et les<br />

intellig<strong>en</strong>ces.<br />

Quel homme du peuple n'eût s<strong>en</strong>ti son cœur battre<br />

d'espérance à l'aspect <strong>de</strong>s progrès chaque jour croissants<br />

<strong>de</strong> la liberté itali<strong>en</strong>ne ! Jamais les républiques <strong>de</strong> Rome<br />

et d'Athènes n'avai<strong>en</strong>t joui d'une liberté semblable à<br />

celle-là : 2 Rome et à Athknes on combattait pour la sou-<br />

veraineté <strong>de</strong> quelques-uns; dans l'Italie du moy<strong>en</strong> tige<br />

on déf<strong>en</strong>dait l'indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> tous. On pr<strong>en</strong>ait les ma-<br />

gistrats dans les comptoirs, dans les échoppes ; on t<strong>en</strong>ait<br />

les nobles à distance et <strong>en</strong> respect. On travaillait pour<br />

soi, non pour <strong>de</strong>s maîtres. Peu <strong>de</strong> Vexations et peu d'im-<br />

pbts; liberté absolue du commerce et vigoureuse orga-<br />

nisation <strong>de</strong> l'industrie. 1,'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s réunions publi-<br />

ques et privées fit bi<strong>en</strong>tbt naître <strong>de</strong>s orateurs, <strong>de</strong>s<br />

hommes d'État, et la pratique <strong>de</strong>s affaires mercantiles<br />

donna l'élan aux premières idées financières qui se soi<strong>en</strong>t<br />

popularisées <strong>en</strong> Europe. Il ne faut pas croire que ces<br />

gouvernem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> marchands fuss<strong>en</strong>t exclusivem<strong>en</strong>t oc-<br />

cupés du commerce1; leur <strong>politique</strong> se montra souv<strong>en</strong>t<br />

plus libérale que celle <strong>de</strong>s seigneurs clont ils avai<strong>en</strong>t pris<br />

la place. Ils accordèr<strong>en</strong>t aux beaux-arts <strong>de</strong>s <strong>en</strong>courage-<br />

m<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> toute espèce, et multiplièr<strong>en</strong>t, avec la plus<br />

louable sollicitu<strong>de</strong>, les Btabbssem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>faisaiice,<br />

d'instruction, d'utilité publique. Tr<strong>en</strong>te hôpitaux avec<br />

mille lits pour les mala<strong>de</strong>s et pour les paiivres ; plus <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux c<strong>en</strong>ts Ccoles où dix millc <strong>en</strong>fants appr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à lire;<br />

<strong>de</strong>s récomp<strong>en</strong>ses spl<strong>en</strong>di<strong>de</strong>s prodiguées au génie <strong>de</strong>s<br />

4 Sismondi , Hist. <strong>de</strong>s Bdpubd. itali<strong>en</strong>nes du moy<strong>en</strong> dge,<br />

tome IV, p. 166.


356 RISTOIRE<br />

peintres, <strong>de</strong>s architectes et <strong>de</strong>s sculpteurs t6moign<strong>en</strong>t du<br />

zèle -éclairé <strong>de</strong>s administrateurs <strong>de</strong> Flor<strong>en</strong>ce au qua-<br />

torzième siècle.<br />

La pfospérité du commerce n'était .pas moins digne<br />

<strong>de</strong> remarque. On comptait <strong>de</strong>ux c<strong>en</strong>ts fabriques <strong>de</strong> laine,<br />

produisant chaque année <strong>en</strong>viron quatre-vingt mille<br />

piéces <strong>de</strong> drap, dont la v<strong>en</strong>te assurait <strong>de</strong>s salaires àplus<br />

<strong>de</strong> tr<strong>en</strong>te mille ouvriers. Quatre-vingts comptoirs étai<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>stinés au commerce <strong>de</strong> banque, et leurs nombreuses<br />

succursales favorisai<strong>en</strong>t partoiit l'escompte et le crédit,<br />

déjà familiers aux habitants <strong>de</strong> ce pays, avant que le<br />

reste <strong>de</strong> l'Europe <strong>en</strong> eut connaissance. Flor<strong>en</strong>ce égalait<br />

alors <strong>en</strong> richesse et <strong>en</strong> force protluctive la république <strong>de</strong><br />

V<strong>en</strong>ise, qui l'emportait sur la plupart <strong>de</strong>s autres États.<br />

Ses rev<strong>en</strong>us publics s'élevai<strong>en</strong>t à trois c<strong>en</strong>t mille florins.<br />

Villani <strong>en</strong> a dressé à cette époque un tableau assez com-<br />

plet' , qui est suivi du budget <strong>de</strong>s dép<strong>en</strong>ses, monum<strong>en</strong>t<br />

Cet important docum<strong>en</strong>t a été cité par M. <strong>de</strong> sismondi; dans<br />

son excelknte <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong>s ripubliques itali<strong>en</strong>nes. Je le reproduis<br />

tout <strong>en</strong>tier comme le seul budget complet <strong>de</strong> ce temps qui ait &té<br />

conservé a i'économie <strong>politique</strong>.<br />

Rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong> la ville et république <strong>de</strong> Flor<strong>en</strong>ce, <strong>de</strong> 1338 d 1338, <strong>en</strong><br />

florins d'or du poids <strong>de</strong> 72 gammes à 24 karats.<br />

Gabelle <strong>de</strong>s porles ou droits d'<strong>en</strong>trbe et <strong>de</strong> sortis<br />

sur les marchandises et les vivres, affermée par année<br />

à .......................... 8. 90,200<br />

Gabelle sur la v<strong>en</strong>te du vin<strong>en</strong> détail, 113 <strong>de</strong> la valeur.<br />

......................... 59,300<br />

Est


DE L'&COI\'O?~IIE POLITIQUE. CHAP. XX. 257<br />

financier bi<strong>en</strong> digne <strong>de</strong> méditation, lorsque l'on con-<br />

sidére le peu <strong>de</strong> progrès qu'avai<strong>en</strong>t fait & cette épo-<br />

que, dans l'art <strong>de</strong>s finances, les nations les'plus re-<br />

nommées. On y voit avec surprise que la république<br />

n'accordait aucun salaire à ses fonctionnaires publics,<br />

à moins qu'ils ne fuss<strong>en</strong>t étrangers. La milice t<strong>en</strong>ait<br />

d<br />

Report. ......<br />

Re<strong>de</strong>vance <strong>de</strong>s nobles possessionnés sur le terri-<br />

toire. .........................<br />

Gabelle <strong>de</strong>s contrats (inscriptions <strong>en</strong> hypothèques):<br />

Gabelle <strong>de</strong>s boucheries pour la ville. .......<br />

Gabelle <strong>de</strong>s boucheries pour la campagne. ....<br />

Gabelle <strong>de</strong>s loyers .................<br />

Gabelle <strong>de</strong> la farine et <strong>de</strong>s moulins. ........<br />

Impôts sur ies citoy<strong>en</strong>s nomm6s po<strong>de</strong>stats <strong>en</strong> pars<br />

etranger. ........................<br />

Gabelle <strong>de</strong>s accusations. ...............<br />

Profit sur le monnayage <strong>de</strong>s espèces d'or .....<br />

Profit sur le monnayage <strong>de</strong>s espPces <strong>de</strong> cuivre . .<br />

R<strong>en</strong>tes <strong>de</strong>s bieiis-fonds<strong>de</strong> la communaute et péages.<br />

Gabelle sur les marchands <strong>de</strong> betail dans la ville. .<br />

Gabelle à la vérificslion <strong>de</strong>s poids et mesures. ..<br />

Immandices et loyers <strong>de</strong>s vases d'0rto San-Michele.<br />

Gabelle sur les loyers dans la campagne. .....<br />

Gabelle <strong>de</strong>s marchands.<strong>de</strong>s campagnes. ......<br />

Am<strong>en</strong><strong>de</strong>s et condamnations dont on obti<strong>en</strong>t le<br />

payem<strong>en</strong>t. ......................<br />

DBfauts <strong>de</strong> soldats (pour rachat du <strong>de</strong>voir <strong>de</strong>s milices).<br />

.........................<br />

Gabelle <strong>de</strong>s portes <strong>de</strong>maisons à Flor<strong>en</strong>ce. ....<br />

Gabelle sur les fruilières et rev<strong>en</strong><strong>de</strong>uses. .....<br />

Perniission du porl d'armes à 20 sols par t8te. ..<br />

Gabelle <strong>de</strong>s serg<strong>en</strong>ts ..... : . .........<br />

Gabelle <strong>de</strong>s bois flottés su? l'Arno. ........<br />

.Gabelle <strong>de</strong>s réviseurs <strong>de</strong>s garanties donnees a la<br />

communauté .....................<br />

Part <strong>de</strong> I'Etal aux droits perçus par lesconsuls<strong>de</strong>s<br />

arts. ..........................<br />

Gabelle sur les citoy<strong>en</strong>s dont l'habitation est à la<br />

campagne . ......................<br />

fl. 201,050<br />

2,000'<br />

11,000<br />

15,000 .<br />

4.400<br />

4.050<br />

4,250


258 HISTOIRE<br />

lieu d'armée p<strong>en</strong>dant la paix, et les merc<strong>en</strong>aires. à<br />

la sol<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'ktat ne figurai<strong>en</strong>t qu'aux dép<strong>en</strong>ses extraor-<br />

dinaires <strong>de</strong> la guerre. Les impôts indirects l'emportai<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> beaucoup <strong>en</strong> nombre et <strong>en</strong> valeur sur les impûts di-<br />

rects, et particulièrem<strong>en</strong>t sur la contribution foncière,<br />

qui était <strong>de</strong>ux fois moindre que le seul rev<strong>en</strong>u <strong>de</strong>s bois-<br />

Gabelle sur les possessions à la campagne. ....<br />

Gabelle sur les batailles sans armes ........<br />

Gabelle <strong>de</strong> Fir<strong>en</strong>zuola ...............<br />

Gabelle <strong>de</strong>s moulins et p&ches ...........<br />

. Le total surpasse. ..... fl. 300,000<br />

' . Da<strong>en</strong>ses <strong>de</strong> la rdpublique <strong>de</strong> Flor<strong>en</strong>ce, <strong>de</strong> 1336 d 1338, <strong>en</strong> livres<br />

flor<strong>en</strong>tines, le florin d'or à 3 livres 2 sols.<br />

Salaire du po<strong>de</strong>stat et <strong>de</strong> sa famille (ses archers<br />

et sbires) ....................... liv.<br />

Salaire du capitaine du peuple et <strong>de</strong> sa famille. .<br />

15,240<br />

5,880<br />

Salaire <strong>de</strong> I'kxécuteuy <strong>de</strong> I'ordonnance <strong>de</strong> justice.<br />

Salaire du conservateur, avec cinquante chevaux . '<br />

4,900<br />

et c<strong>en</strong>t fantassins (office extraordinaire et bi<strong>en</strong>tbt<br />

abnli). ........................ 46,400<br />

Juge <strong>de</strong>s appellalions sur les droits <strong>de</strong> la communauté.<br />

..........................<br />

Ofifcier chargd <strong>de</strong> rdprimer le luxe <strong>de</strong>s fëmmes. .<br />

Oflicier du marche d'Or10 San-Mich<strong>de</strong>. .....<br />

. Office <strong>de</strong> la sol<strong>de</strong> <strong>de</strong>s troupes. ..........<br />

Office <strong>de</strong>s payes mortes aux s~ldats. .......<br />

Tresoriers <strong>de</strong> la communaute, leurs officiers et<br />

notaires. .......................<br />

Offices <strong>de</strong>s i.eve&s fonciers <strong>de</strong> la communauté. ..<br />

Gesliers et gar<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s prisons. ..........<br />

Table <strong>de</strong>s prieurs et <strong>de</strong> leur famille au palais. .<br />

1,100 .<br />

t,(rOO<br />

1,300<br />

1,000<br />

250<br />

1,400<br />

200<br />

800<br />

3,600 .<br />

Salaire <strong>de</strong>s douzels <strong>de</strong> la ccmmunaut.5 et <strong>de</strong>s gardi<strong>en</strong>s<br />

<strong>de</strong>s tours du po<strong>de</strong>stat et <strong>de</strong>s prieurs ..... 550<br />

Soixante archers et leurs capitaines au service<strong>de</strong>s<br />

prieurs .........................<br />

Notaire <strong>de</strong>s reformalions, avec son ai<strong>de</strong>. .....<br />

Lions, torches, lumière et feu au palais. .....<br />

Notaire au palais <strong>de</strong>s prieurs ...........<br />

Salaire <strong>de</strong>s archers et huissiers. .........<br />

5,700<br />

450<br />

2,400<br />

100<br />

1,500<br />

A reporter. ..... fl. 73,770<br />

.


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CITAP. XX. 259<br />

sons. Le produit <strong>de</strong>s am<strong>en</strong><strong>de</strong>s et condamnations joue un<br />

grand r61e dans le budget <strong>de</strong>s recettes, triste preuve du<br />

peu <strong>de</strong> respect qu'on avait pour les lois, ou <strong>de</strong> la dureté<br />

qui présidait à leur exécution. Que pouvai<strong>en</strong>t être les<br />

profits sur le monnayage <strong>de</strong>s espèces d'or et <strong>de</strong> cuivre,<br />

sinon une concession du même g<strong>en</strong>re que les altérations<br />

<strong>de</strong> monnaies dont notre histoire est toute pleine, <strong>de</strong>puis<br />

Philippe-Auguste jusqn'à Charles le Bel? Néanmoins, Ic<br />

compte <strong>de</strong>s dép<strong>en</strong>ses et <strong>de</strong>s rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong> Flor<strong>en</strong>ce témoi-<br />

' gne vivem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la simplicitt du régime goiivernem<strong>en</strong>-<br />

ta1 <strong>de</strong> la république; heureuse, si la rivalité <strong>de</strong>s no-<br />

blesses nouvelles, et trop souv<strong>en</strong>t l'oppression du peuple<br />

par les patrici<strong>en</strong>s sortis <strong>de</strong> son sein, n'eus?<strong>en</strong>t ouvert la<br />

voie aux discor<strong>de</strong>s civiles et les frontières à l'étranger !<br />

Les républiques itali<strong>en</strong>nes do moy<strong>en</strong> Bge peuv<strong>en</strong>t &tre<br />

considérées comme <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s maisons <strong>de</strong> commerce,<br />

administrées avec habileté et économie. Les rev<strong>en</strong>us<br />

créés par le travail y étai<strong>en</strong>t rarem<strong>en</strong>t atteints par l'im-<br />

pBt, et donnai<strong>en</strong>t naissance chaque jour à <strong>de</strong>s capitaux<br />

nouveaux que la liberté <strong>de</strong>s transactions permettait <strong>de</strong><br />

.....<br />

.........<br />

......<br />

Report.<br />

Trompettes <strong>de</strong> la communauté.<br />

Aumônesaux religieux et aux hôpitaux.<br />

Six c<strong>en</strong>ts gar<strong>de</strong>s <strong>de</strong> nuit dans la ville ......<br />

Les drapeaux pour fêtes et courses <strong>de</strong> chevaux.<br />

Espions el messagers <strong>de</strong> la commune.. .....<br />

Ambassa<strong>de</strong>urs ...................<br />

Châtelains et gar<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s forteresses .......<br />

Approvisionnernert annuel d'armes et <strong>de</strong> flèches.<br />

Florins 39,119, à 3 liv. 2 S. pour 1 florin. liv. 121,630<br />

Les travaux aux murs, aux ponts et aux kglises form<strong>en</strong>t la <strong>de</strong>-<br />

p<strong>en</strong>se extraordinaire, avec la sol<strong>de</strong> <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> giierre. En temps<br />

<strong>de</strong> paix, la republique t<strong>en</strong>ait à sa sol<strong>de</strong> <strong>de</strong> sept c<strong>en</strong>ts à mille g<strong>en</strong>-<br />

darmes et autant <strong>de</strong> fantassins.


260 HISTOIRE<br />

faire fructifier avec avantage. La ville <strong>de</strong> Hambourg et<br />

celle <strong>de</strong> G<strong>en</strong>ève, si riches malgré l'exiguïté <strong>de</strong> leur ter-<br />

ritoire, rappell<strong>en</strong>t avec assez d'exactitu<strong>de</strong> aujourd'hui la<br />

prospérité <strong>de</strong> ces gran<strong>de</strong>s cités municipales du moy<strong>en</strong><br />

Age. Leurs <strong>en</strong>virons, couverts <strong>de</strong> maisons <strong>de</strong> campagne<br />

et <strong>de</strong> .oiElas délicieuses, où l'opul<strong>en</strong>ce se repose <strong>de</strong>s fati-<br />

gues du commerce, sont l'image fidèle <strong>de</strong>s <strong>de</strong>meures<br />

somptueuses <strong>de</strong>s marchands itali<strong>en</strong>s alors presque tous<br />

logés dans les paIais dont Ieurs successeurs actuels ne<br />

peuv<strong>en</strong>t pas m&me <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir le mobilier. ~ussi'étai<strong>en</strong>t-<br />

ils <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us les bailleurs <strong>de</strong> fonds <strong>de</strong>s principales puis-<br />

sances <strong>de</strong> IBurope ; on les recherchait comme int<strong>en</strong>dants<br />

et administrateurs <strong>de</strong> domaines et <strong>de</strong> finances. C'est<br />

toujo!irs à eux que s'adressai<strong>en</strong>t les soiiverains <strong>en</strong> dé-<br />

tresse; c'étai<strong>en</strong>t leurs florins d'or que les rois <strong>de</strong> France<br />

se plaisai<strong>en</strong>t surtout à altérer, et dont ils portai<strong>en</strong>t la<br />

valeur <strong>de</strong> dix sols B tr<strong>en</strong>te. Édouard111 d'Angleterre avait<br />

choisi ses <strong>de</strong>ux banquiers à Flor<strong>en</strong>ce, et les emprunts<br />

qu'il faisait par eux supassai<strong>en</strong>t tellem<strong>en</strong>t ses rembourse-<br />

m<strong>en</strong>ts, que les Bardi se trouvèr<strong>en</strong>t lui avoir avancé c<strong>en</strong>t<br />

quatre-vingt mill! marcs sterlings, et les Peruzzi c<strong>en</strong>t<br />

tr<strong>en</strong>te-cinq mille, <strong>en</strong>semble seize millions trois c<strong>en</strong>t<br />

quatre-vingt mille <strong>de</strong> nos francs, dans un temps où l'ar-<br />

g<strong>en</strong>t était cinq ou six fois plus cher que <strong>de</strong> nos jours I.<br />

Les citoy<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s républiques itali<strong>en</strong>nes disposai<strong>en</strong>t à<br />

cette époque <strong>de</strong> la meilleure partie du commerce euro-<br />

pé<strong>en</strong>. Leurs ouvriers étai<strong>en</strong>t recherchés partout comme<br />

Ies plus habiles, ct leurs produits comme les plus par-<br />

faits. Ils étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us les arbitres du goût et les seuls<br />

marchands r<strong>en</strong>ommés pour les tissiis, 'les mo<strong>de</strong>s, les<br />

armes, les ameublem<strong>en</strong>ts. Leurs capitaux leur procu-<br />

4 Sismondi, Hist. <strong>de</strong>s Républ. itali<strong>en</strong>nes, tonie V, page 261.


DE L'ECONOIIIE IIOLITIQUIL. CHbP XX. ?tif<br />

rai<strong>en</strong>t aussi <strong>de</strong>s profits imm<strong>en</strong>ses, sans parler <strong>de</strong> leuks<br />

bhnéfices comme armateurs <strong>de</strong> navires, comme 'ban-<br />

quiers, comme associés dans toutes les <strong>en</strong>treprises <strong>de</strong><br />

qiielqtie importance. Les lois qu'ils faisai<strong>en</strong>t eux-memes,<br />

<strong>en</strong> qualité <strong>de</strong> législateurs investis du pouvoir suprbmc,<br />

favorisai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la manière la plus libhrale toutes les<br />

transactions commerciales; et ils ont prouvé les pre-<br />

miers, par la théorie et par la pratique, les avantages<br />

<strong>en</strong>core méconnus <strong>de</strong> la liberté la plus illimitée du com-<br />

nierce. Génes, V<strong>en</strong>ise n'ont pas eu d'autre élém<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur.<br />

C'est ici le mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> signaler la part importante<br />

qui revi<strong>en</strong>t aux Itali<strong>en</strong>s dans la fondation <strong>de</strong>s premiers<br />

établissem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> crédit. Lcur imm<strong>en</strong>se commerce leur<br />

avait s<strong>en</strong>tir <strong>de</strong> bonne heure-la nécessité <strong>de</strong> simplifier les<br />

combinaisons <strong>de</strong> tout gcnre dont se compose cette<br />

branclie <strong>de</strong> la production; et, dès la fin du douzième<br />

siècle, V<strong>en</strong>ise avait vu s'élever dans son sein une banque<br />

<strong>de</strong> dépbt qui ouvrait <strong>de</strong>s crédits aux bailleurs <strong>de</strong> fonds,<br />

pour faciliter les payem<strong>en</strong>ts et les revirem<strong>en</strong>ts. La<br />

caisse ne ret<strong>en</strong>ait aucun droit <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> ni <strong>de</strong> commis-<br />

sion, et ne payait aucun intérbt; niais ses certificats <strong>de</strong><br />

* déphts faisai<strong>en</strong>t les m&mes fonctions que le numéraire.<br />

Au moy<strong>en</strong> d'une caisse, dite du comptant, on payait b<br />

vue, <strong>en</strong> espèces, les effels qui étai<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>tés, et l'on<br />

choisit poix ces payem<strong>en</strong>ts la meilleure monnaie, qui<br />

<strong>de</strong>vint celle <strong>de</strong> la banque. Il fut réglé que la banque ne .<br />

payerait et ne compterait qu'<strong>en</strong> ducats ef€ectifs,,dont le<br />

titre était plus fin et l'altération moins commiiiie que<br />

celle <strong>de</strong>s autres espèces. Dès ce mom<strong>en</strong>t, le papier <strong>de</strong> la<br />

banque obtint siir tous les effets <strong>de</strong>s marchands l'avan-<br />

tage <strong>de</strong> pouvoir étre échangé contre une monnaie <strong>de</strong><br />

bon aloi, et le crédit <strong>de</strong> cet établissem<strong>en</strong>t. fiit fondé siir<br />

15.


HISTOIRE<br />

<strong>de</strong>s bases soli<strong>de</strong>s. Peu à peu le gouvernem<strong>en</strong>t intro-<br />

duisit l'usage tie faire ses payem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> mandats sur la<br />

banque, au lieu <strong>de</strong> les effectuer <strong>en</strong> espèces, et il ajouta<br />

ainsi un nouvel élém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> succès à tous ceux dont elle<br />

était <strong>en</strong> possession. Enfin l'ouverture d'un compte <strong>de</strong><br />

débit et <strong>de</strong> crédit, qui permit aux propriétaires <strong>de</strong> fonds<br />

<strong>de</strong> transmettre leurs crisances, acheva <strong>de</strong> compléter les<br />

moy<strong>en</strong>s d'action <strong>de</strong> la banque, et bi<strong>en</strong>tôt elle donna<br />

naissance à plusieurs établissem<strong>en</strong>ts semblables 1.<br />

La pdition <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise lui fit, <strong>de</strong>s son origine, une<br />

nkcessité di1 perfectionnem<strong>en</strong>t industriel et commercial.<br />

V<strong>en</strong>ise était une république sans territoire, et sa capi<strong>de</strong><br />

une flotte <strong>de</strong> navires amarres sur leurs ancres. C'est au<br />

commerce qu'elle fut obligée <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r non pas la<br />

fortune, mais la tie. Aussi, toute la <strong>politique</strong> du gou-<br />

vernem<strong>en</strong>t a-t-ellc eu sans cesse pour but l'accroisse-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ses libertés commerciales et <strong>de</strong> ses franchises<br />

GnanciPres chez tous les peuples. A défaut <strong>de</strong> produits<br />

plus préciéux, les Véniti<strong>en</strong>s comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t par v<strong>en</strong>dre du<br />

sel; puis ils export<strong>en</strong>t les produits agricoles du nord <strong>de</strong><br />

l'Italie et ils vont chercher dans la mer Noire ceux <strong>de</strong><br />

la Turquie, <strong>de</strong> la Russie et <strong>de</strong> la Perse. A la foire <strong>de</strong><br />

Pavie, déjà du temps <strong>de</strong> Charlemagne, ils avai<strong>en</strong>t<br />

ébloui les acheteiirs par <strong>de</strong> magnifiques exhibitions <strong>de</strong><br />

tapis précieux, d'étoffes <strong>de</strong> soie, <strong>de</strong> tissus d'or, <strong>de</strong><br />

perles et <strong>de</strong> pierreries. Des lois somptuaires les obli-<br />

geai<strong>en</strong>t à ménager leurs capitaux et a ne sacrifier à la<br />

consommation improductive qu'une portion <strong>de</strong> leurs<br />

4 M. Daru a publis, dans le 79 volume <strong>de</strong> son <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> Ve-<br />

nise, aux piéces juslificatives, sect. 2, paragraphe 5, un mémoire<br />

sur la banque <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise, sous la date du 30 iuin 1753, extrait <strong>de</strong><br />

' la correspondance <strong>de</strong> l'abbé <strong>de</strong> Bèrnis. alors ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong><br />

France.


'<br />

DE L'ECOXO~IIE POLITIQUE. CHiiP. XX. 2G3<br />

rev<strong>en</strong>us. Placés <strong>en</strong>trc l'ori<strong>en</strong>t ct l'occi<strong>de</strong>nt, ils avai<strong>en</strong>t<br />

imité l'industrie d'une partie <strong>de</strong> leurs voisins et la<br />

simplicité économique <strong>de</strong>s autres. Leurs privilégcs a<br />

Constantinople avai<strong>en</strong>t quelque chose dc l'insol<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />

la conqukte, et leurs colonies <strong>de</strong> la Méditerranée forme-<br />

rai<strong>en</strong>t presque aujourd'hui un royaume. 'C<strong>en</strong>ise <strong>en</strong>tre-<br />

t<strong>en</strong>ait avec un luxe vrai.m<strong>en</strong>t royal ses consuls et géné-<br />

ralem<strong>en</strong>t tous ses employés commerciaux ; elle exigeait<br />

qu'ils euss<strong>en</strong>t une suite nombreuse <strong>en</strong> état <strong>de</strong> représ<strong>en</strong>-<br />

ter dignem<strong>en</strong>t la république et d'imposer aux étran-<br />

gers. Le po<strong>de</strong>stat <strong>de</strong> Constantinople fut p<strong>en</strong>dant qùelqne<br />

temps sur le. pied d'un souverain. II jugeait <strong>en</strong> <strong>de</strong>rnier<br />

ressort les différ<strong>en</strong>ds <strong>de</strong>s nationaux <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise; il por-<br />

tait <strong>de</strong>s bro<strong>de</strong>quins d'écarlate, marque <strong>de</strong> la dignité<br />

impériale, et ne paraissait <strong>en</strong> public qu'<strong>en</strong>touré <strong>de</strong><br />

gar<strong>de</strong>s. C'est <strong>en</strong> honorant <strong>de</strong> cette manière la profession<br />

du commerce et <strong>en</strong> favorisant par tous les moy<strong>en</strong>s les<br />

citoy<strong>en</strong>s qui s'y livrai<strong>en</strong>t, que les Véniti<strong>en</strong>s élevèr<strong>en</strong>t si<br />

haut la prépondérance <strong>de</strong> leur pays et la considération<br />

<strong>de</strong>s négociants qui <strong>en</strong> faisai<strong>en</strong>t la fortune.<br />

Aussi la république occupait-elle au quinzikme siècle,<br />

dans le seul ars<strong>en</strong>al <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise, seize mille ouvriers et<br />

tr<strong>en</strong>te-six mille marins. Le gouvernem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>voyait tous<br />

les ans dans les ports principaux <strong>de</strong>s escadres <strong>de</strong> quatre<br />

ou six grosses galères qui recevai<strong>en</strong>t les marchandises<br />

<strong>de</strong>stinées aux particuliers. Cet usage avait pour motif<br />

d'exercer la marine militaire, d'<strong>en</strong> tirer parti p<strong>en</strong>dant<br />

la paix, <strong>de</strong> faire respecter le pavillon national et <strong>de</strong><br />

fournir <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> transport à ceux qui n'étai<strong>en</strong>t ,<br />

pas <strong>en</strong> état d'armer <strong>de</strong>s vaisseaux pour leur compte ', ~a<br />

marine du commerce n'<strong>en</strong> <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ait pas moins: trois<br />

1 Sandi, Stoda civilerdi V<strong>en</strong>eaiaJib. v.


264 HISTOIRE<br />

mille navires <strong>en</strong>iployCs à l'importation et à I'exporta-<br />

tion <strong>de</strong>s produits <strong>de</strong> tous les pays du mon<strong>de</strong>. Ces na-<br />

vires explorai<strong>en</strong>t tour à tour les ports <strong>de</strong> la mer Noire,<br />

ceux <strong>de</strong> la Syrie et <strong>de</strong> l'Égypte, et ils allai<strong>en</strong>t d'escale<br />

<strong>en</strong> escale visiter toutes les places du Péloponèse, <strong>de</strong><br />

l'Asie-Mineure, <strong>de</strong> Chypre, <strong>de</strong> Candie et <strong>de</strong> l'Archipel<br />

groc. Une tlotte, la plus importante <strong>de</strong> toutes, partait<br />

chaque année pour les cbtes <strong>de</strong> Flandre, longeant la<br />

Sicile, l'Afrique et l'Espagne, avec <strong>de</strong> gros navires qui<br />

ne pouvai<strong>en</strong>t avoir moins <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux c<strong>en</strong>ts hommes d'é-<br />

quipage, et qui trafiquai<strong>en</strong>t successivem<strong>en</strong>t sur tous les<br />

rivages <strong>de</strong>s marchandises dont leurs habitants avai<strong>en</strong>t<br />

besoin. Des traités <strong>de</strong> commerce assurai<strong>en</strong>t dans chaque<br />

relbche les relations les plus avantageuses aux négo-<br />

ciants véniti<strong>en</strong>s qui correspondai<strong>en</strong>t à Bruges, à Anvers,<br />

à Londres, avec les marchands <strong>de</strong>s villes anséatiques.<br />

V<strong>en</strong>ise avait déjà donné à cette époque une gran<strong>de</strong> im-<br />

pulsion à ses manufactures et les plus riches colis <strong>de</strong> ses<br />

expéditions se composai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> glaces , <strong>de</strong> cristaux, d'é-<br />

toffes <strong>de</strong> laine fine et <strong>de</strong> tissus <strong>de</strong> soie magnifiques<br />

exécutés par <strong>de</strong>s guvriers véniti<strong>en</strong>s. Les gouvernem<strong>en</strong>ts<br />

les plus éclairés <strong>de</strong> notre temps n'ont jamais montré<br />

autant <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong> que celui <strong>de</strong> cette république pour<br />

les intérbts du commerce et <strong>de</strong> l'industrie.<br />

Quelques auteurs ont ' cru \loir dans ces voyages <strong>de</strong><br />

long cours faits sur <strong>de</strong>s vaisseaux <strong>de</strong> l'Etat, mais pour<br />

le compte du commerce, le modèle <strong>de</strong>s compagnies que<br />

les 1-lollandais, les Anglais et les Francais ont organisées<br />

dans <strong>de</strong>s temps postérieurs pour le commerce <strong>de</strong>s<br />

In<strong>de</strong>s : nous ne saurions partager cet atis. Sans doute,<br />

4 Entre aiitres, M. le comte Daru, lfistoi~re<br />

<strong>de</strong> Frnls?, tome 111,<br />

page 107.


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XX. 265<br />

les particuliers qui avai<strong>en</strong>t loiié les vaisseaux di1 goiivernem<strong>en</strong>t<br />

pour faire Ic commerce jouissai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> quelqucs<br />

privjlBges; mais ces privil6gcs n'étai<strong>en</strong>t pas perman<strong>en</strong>ts,<br />

et chaque galère était affermée séparém<strong>en</strong>t à<br />

un prix si modéré, qu'on ne peut attribuer raisonnablem<strong>en</strong>t<br />

à <strong>de</strong>s vues fiscales le système suivi à cet bgard.<br />

Le commercc a été fort longtemps libre à V<strong>en</strong>ise, et la<br />

rbpublique n'a comm<strong>en</strong>cé à déchoir que lorsque son<br />

gouvernem<strong>en</strong>t eut fait tarir par le monopole la source<br />

<strong>de</strong> ses prospérités. Dans le principe, tous les jeunes<br />

patrici<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t obligés <strong>de</strong> passer par les plils ru<strong>de</strong>s<br />

épreuves <strong>de</strong> la carrière commerciale. On les <strong>en</strong>voyait<br />

souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> qualité <strong>de</strong> novices à bord <strong>de</strong>s vaisseaux <strong>de</strong><br />

l'État, t<strong>en</strong>ter la fortune avec une légère pacotille, tant<br />

il cntrait dans les vues <strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong> diriger<br />

tous les citoy<strong>en</strong>s vers les professions laborieuses ! Le<br />

seul reproche qu'on puisse adresser aux Véniti<strong>en</strong>s, c'cst<br />

d'avoir cherché à exclure les étrangers <strong>de</strong> toute concurr<strong>en</strong>ce.<br />

Quoique la jalousie commerciale n'eût pas<br />

<strong>en</strong>core érigi: les prohibitions <strong>en</strong> système, et que les<br />

ports <strong>de</strong> la r8piiblique fuss<strong>en</strong>t oiiverts à toutes les marchandises<br />

(lu moii<strong>de</strong>, cep<strong>en</strong>dant les Véniti<strong>en</strong>s n'<strong>en</strong> permettai<strong>en</strong>t<br />

la circulation quc sur leurs propres navires ;<br />

et ils régnai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> maîtres absolus dans toute la Méditerranée.<br />

La guerre leur avait fait raison <strong>de</strong>s Pisans,<br />

<strong>de</strong>s Sicili<strong>en</strong>s et dm Génois. L'Espagne, longtemps occupée<br />

par les Maures, leur causait peu d'ombrage. I,a<br />

France dédaignait le conimerce ; l'Angleterre n'y p<strong>en</strong>sait<br />

pas <strong>en</strong>core; la république <strong>de</strong> IoIollan<strong>de</strong> n'existait<br />

"<br />

pas. A la faveur du droit <strong>de</strong> soi11 craineti: qit'elle s'btlait<br />

arroge sur le Golfe, V<strong>en</strong>ise se réservait le droit presque<br />

exclusif <strong>de</strong> naviguer. Des flottilles armées gardai<strong>en</strong>t les<br />

eml~oueliiires cle tous ses flf~iives er ne laissai<strong>en</strong>t pas


266 HISTOIRE<br />

<strong>en</strong>trer ou sortir une barque sans l'avoir rigoureusem<strong>en</strong>t<br />

visitée. Mais <strong>de</strong> quoi lui servit cette sollicitu<strong>de</strong><br />

ombrageuse pour les intéréts <strong>de</strong> sa navigation? Un jour<br />

vint où les Portugais découvrir<strong>en</strong>t la route du cap <strong>de</strong><br />

Bonne-Espkrance, et tout cet édifice <strong>de</strong> précautions et <strong>de</strong><br />

défiance s'écroula sur-le-champ.<br />

C'est ici que comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t les premières guerres <strong>de</strong><br />

douanes, et que <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> reçoit <strong>de</strong> l'histoire<br />

un haut <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t. Les Véniti<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t aplani tous<br />

les obstacles, mais pour eux seuls et à l'exèlusion <strong>de</strong>s<br />

autres peuples. Leur législation était très-dure à l'égard<br />

<strong>de</strong>s étrangers, <strong>en</strong> matière <strong>de</strong> commerce. Les lois déf<strong>en</strong>- .<br />

dai<strong>en</strong>t même <strong>de</strong> recevoir sur les vaisseaux <strong>de</strong> l'État un<br />

négociant qui n'était pas sujet <strong>de</strong> la république. Leg<br />

étrangers payai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> douane <strong>de</strong>ux fois plus<br />

élevés que les nationaux. Ils ne pouvai<strong>en</strong>t ni faire con-<br />

struire ni acheter <strong>de</strong>s navires dans les ports véniti<strong>en</strong>s.<br />

Les navires, les patrons, les propriétaires, tout <strong>de</strong>vait<br />

&tre véniti<strong>en</strong>. Toute société <strong>en</strong>tre les nationaux et les<br />

etrangers était interdite; il n'y avait <strong>de</strong> protection, <strong>de</strong><br />

priuiléges et <strong>de</strong> bénéfices que pour les Véniti<strong>en</strong>s ; mais<br />

du moins ceux-ci y avai<strong>en</strong>t tous les mémes droits l.<br />

C'est dans V<strong>en</strong>ise méme et là seulem<strong>en</strong>t qu'il était per-<br />

mis <strong>de</strong> traiter avec les Allemands, les Bohémi<strong>en</strong>s et les<br />

Hongrois. A mesure que les manufactures nationales<br />

acquir<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'importance, le gouvernem<strong>en</strong>t se départit<br />

<strong>de</strong> la <strong>politique</strong> libérale qu'il avait suivie jusqu'alors, et<br />

les fabricants obtinr<strong>en</strong>t la prohibition absolue <strong>de</strong>s mar-<br />

chandises étrangères dont ils étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us produe<br />

' teurs. En vain, dans le dix-septième siècle, le commerce<br />

<strong>en</strong> déca<strong>de</strong>nce sollicitait-il le rétablissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s an-<br />

' Ssndi, liv. VI, chap. 1.<br />

'


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XX. 267<br />

ci<strong>en</strong>nes libertés et la franchise du port; on <strong>en</strong> Gt un<br />

mom<strong>en</strong>t l'essai, mais l'esprit <strong>de</strong> restriction l'emporta,<br />

et le régime prohibitif prépara <strong>de</strong> bonne heure l'anéantissem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> la république.<br />

Les peuples <strong>de</strong> l'ltalie pardonnai<strong>en</strong>t, néanmoins, aux<br />

Véniti<strong>en</strong>s leur intolérance commerciale, <strong>en</strong> raison du<br />

prix modéré auquel i.1~ livrai<strong>en</strong>t toutes les marchandises.<br />

Les JuiB , les Armémi<strong>en</strong>s , les Grecs, les Allemands<br />

affluai<strong>en</strong>t chez eux, et s'y livrai<strong>en</strong>t avec sécurité<br />

à <strong>de</strong>s spéculations toujours avantageuses, à cause <strong>de</strong>s<br />

shreiés qu'y offrai<strong>en</strong>t les institutions <strong>de</strong> crédit et la<br />

probité reconnue <strong>de</strong>s négociants. Nais bieqtôt V<strong>en</strong>ise<br />

vit s'élever <strong>en</strong> Europe <strong>de</strong> nombreuses fabriques rivales<br />

<strong>de</strong>s si<strong>en</strong>nes, et son conîmerce r<strong>en</strong>conlra dans celui <strong>de</strong>s<br />

Portugais, <strong>de</strong>s Hollandais, <strong>de</strong>s Espagnols et <strong>de</strong>s Anglais<br />

la plus formidable concurr<strong>en</strong>ce. La découverte<br />

du cap <strong>de</strong> Bonne-Esphance lui <strong>en</strong>leva le nlonopole<br />

<strong>de</strong>s épiceries <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>. La prise <strong>de</strong> Constantinople,<br />

par 3laliomet II, lui avait déjà fait perdre les magnifiques<br />

priviléges dont ses sujets jouissai<strong>en</strong>t dans cette<br />

riche capitale <strong>de</strong> l'Ori<strong>en</strong>t. Mais la découverte <strong>de</strong> 1'Amérique<br />

et les ~igoureiises représailles <strong>de</strong> Charles-Quint,<br />

qui, dès le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> son règne, <strong>en</strong> 1517,<br />

doubla les droits <strong>de</strong> douane que les Véniti<strong>en</strong>s payai<strong>en</strong>t<br />

dans ses États, achevèr<strong>en</strong>t la ruine <strong>de</strong> cet heureux<br />

monopole qui avait mis à contribution l'Europe <strong>en</strong>tière.<br />

Charles-Quint éleva à 20 pour c<strong>en</strong>t les taxes à l'importation<br />

et à l'exportation sur toutes les marchandises<br />

véniti<strong>en</strong>nes ; et ce tarif, qui paraîtrait aujourd'hui modkrk,<br />

suffit alors pour interdire aux Véniti<strong>en</strong>s l'<strong>en</strong>trée<br />

<strong>de</strong>s ports espagnols. Telle fut l'origine du système exclusif,<br />

dont la république dc V<strong>en</strong>ise <strong>de</strong>vait expier si<br />

cruellem<strong>en</strong>t la funeste inv<strong>en</strong>tion. Tant qu'elle ne cher-


268 HISTOIRE<br />

cha la fortune que dans la libre concurr<strong>en</strong>ce du tal<strong>en</strong>t<br />

et <strong>de</strong>s capitaux <strong>de</strong> ses propres citoy<strong>en</strong>s, elle grandit<br />

d'ttge <strong>en</strong> âge et <strong>de</strong>vint un momerrt l'arbitre <strong>de</strong> l'Eu-<br />

rope ; mais dès qu'elle voulut dominer les marchés par<br />

la tyrannie du monopole, elle vit se former contre son<br />

commerce une ligue bi<strong>en</strong> autrem<strong>en</strong>t redoutable que celle<br />

<strong>de</strong> Cambrai.<br />

Nous ne voudrions pas d'autre argum<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faveur<br />

<strong>de</strong> la liberté du commerce que le développem<strong>en</strong>t pro-<br />

digieux <strong>de</strong> l'industrie véniti<strong>en</strong>ne p<strong>en</strong>dant le lùng règne<br />

<strong>de</strong> cette liberté. Il n'avait pas fallu recourir à la protec-<br />

tion pour assurer à la république, dans ses plus beaux<br />

jours, <strong>de</strong>s arcliitectes habiles, <strong>de</strong>s constructeurs <strong>de</strong><br />

vaisseaux, <strong>de</strong>s ingénieurs civils <strong>en</strong> Ctat <strong>de</strong> suffire à tous<br />

les besoins <strong>de</strong> ses services. Ses orfévres passai<strong>en</strong>t pour<br />

les plus distingués <strong>de</strong> toute 1'Eurppe. Elle avait <strong>de</strong>s<br />

manufactures <strong>de</strong> soieries sans rivales <strong>en</strong> Italie même,<br />

où cette industrie fit bi<strong>en</strong>tôt <strong>de</strong> rapi<strong>de</strong>s progrès; et ces<br />

manufactures lui rapportai<strong>en</strong>t, dès le principe, plus <strong>de</strong><br />

cinq c<strong>en</strong>i mille ducats par année, près <strong>de</strong> trois mil-<br />

lions <strong>de</strong> nos francs. Les ouvriers les plus ingénieux dc<br />

l'btranger recevai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> toute es-<br />

pèce pour s'établir à V<strong>en</strong>ise, et l'inquisition d'État<br />

poursuivait <strong>de</strong> ses m<strong>en</strong>aces homici<strong>de</strong>s les ouvriers na-<br />

tionaux assez hardis pour s'expatrier. u Si qiielque<br />

ouvrier ou artiste, est-il dit ', transporte son art <strong>en</strong><br />

pays étranger, au détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la république, il lui<br />

sera <strong>en</strong>voyé l'ordre <strong>de</strong> rev<strong>en</strong>ir. S'il n'obéit pas, on met-<br />

tra <strong>en</strong> prison les personnes qui lui apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

plus près, alin <strong>de</strong> le déterminer à 1'obi.issance par l'in-<br />

tSr4t qu'il leur porte. S'il revi<strong>en</strong>t, le passé loi sera<br />

4 Arl. 26 <strong>de</strong>s Statuts <strong>de</strong> i'inqttisition d'État.


DE L'ÉCONOBIIE POLITIQUE. CA-ZP: SX. 269<br />

pardonné et on lui procurera un établissem<strong>en</strong>t à V<strong>en</strong>ise;<br />

si, malgré l'emprisonnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ses par<strong>en</strong>ts, il s'obstine<br />

à vouIoir <strong>de</strong>meurer chez l'étranger, on chargera quel-<br />

que émissaire <strong>de</strong> le tuer, et après sa mort ses par<strong>en</strong>ts<br />

seront mis <strong>en</strong> liberté. )) Le résultat inévitable <strong>de</strong> ces<br />

dispositions atroces <strong>de</strong>vait être <strong>de</strong> ral<strong>en</strong>tir le mouve-<br />

m<strong>en</strong>t progressif <strong>de</strong> l'industrie, <strong>en</strong> empêchant les ou-<br />

vriers d'aller étudier à l'étranger les secrets et les per-<br />

fectionnem<strong>en</strong>ts dont elle alait besoin. A force <strong>de</strong> faire<br />

un mystère <strong>de</strong> leurs inv<strong>en</strong>tions déjà vieilles, ils y habi-<br />

tuèr<strong>en</strong>t leurs artisans ct les y <strong>en</strong>fermér<strong>en</strong>t, pour ainsi<br />

dire, comme dans un cercle vicieux. Tout marchait<br />

autour d'eux, tandis qii'ils <strong>de</strong>meurai<strong>en</strong>t immobiles, et<br />

les produits <strong>de</strong> leurs fabriques ne conservèr<strong>en</strong>t quelque<br />

débit dans l'intérieur <strong>de</strong> la rtpublique qu'à la faveur<br />

<strong>de</strong>s lois proliibitivcs. La déca<strong>de</strong>nce comm<strong>en</strong>ça avec la<br />

protection.<br />

V<strong>en</strong>ise avait pourtant débuté dans la carriére indiis-<br />

trielle sous <strong>de</strong>s auspices plus heureux. Un tribunal y<br />

avait été créé, dPs l'année 11 72, pour la police dcs<br />

arts et métiers. 1,a qnalité et la quantité <strong>de</strong>s matières<br />

étai<strong>en</strong>t sévèrem<strong>en</strong>t examinées. 11 était déf<strong>en</strong>du à tout<br />

ouvrier <strong>de</strong> s'occuper <strong>de</strong> plus d'une sorte d'ouvrage,<br />

afin <strong>de</strong> l'exécuter avec plus <strong>de</strong> soin. Aussi l'industrie<br />

Btait-elle parv<strong>en</strong>ue à un très-haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> pecfection,<br />

dès la fin du qiiatorzième siècle. La fabrication <strong>de</strong>s<br />

tissus <strong>de</strong> coton était déjà connue à V<strong>en</strong>ise vers cette<br />

époque. On y faisait les plus belles toiles <strong>de</strong> toute l'Ita-<br />

lie, et on savait leur imprimer <strong>de</strong>s couleurs r<strong>en</strong>ommées<br />

par leur éclat et leur solidité. Berthollet rapporte ' que<br />

ce fut à V<strong>en</strong>ise que parut, <strong>en</strong> 1429, le premier recueil<br />

Élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l'art <strong>de</strong> la tPznture.


270 HISTOIRE<br />

<strong>de</strong>s procédés employés dans la teinture. La chimie y<br />

était alors plus avancée qu'<strong>en</strong> aucun autre pays, et les<br />

Véniti<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> possession presque exclusive du<br />

commerce <strong>de</strong>s drogues. Ils préparai<strong>en</strong>t et dorai<strong>en</strong>t les<br />

cuirs avec une supériorité reconnue sur tous les autres<br />

peuples. Leurs <strong>de</strong>ntelles, connues sous le nom <strong>de</strong> point<br />

<strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise, étai<strong>en</strong>t recherchées avec empressem<strong>en</strong>t. Leur<br />

qiiincaillerie, leurs raffineries <strong>de</strong> sucre suffisai<strong>en</strong>t àpeine<br />

aux besoins <strong>de</strong> la consommation europé<strong>en</strong>ne ; et, quand<br />

l'imprimerie était <strong>en</strong>core dans l'<strong>en</strong>fance che7; leurs ri-<br />

vaux, elle s'était élevPe parmi eux au premier rang <strong>de</strong>$<br />

industries. Ils avai<strong>en</strong>t établi <strong>de</strong>s manufactures nom-<br />

breuses, qui ont été surpassées <strong>de</strong>puis <strong>en</strong> France et dans<br />

le reste <strong>de</strong> l'Europe; mais auxqiieiles apparti<strong>en</strong>t l'lion-<br />

neur d'avoir servi <strong>de</strong> modèle à toutes les autres. Ainsi,<br />

les Véniti<strong>en</strong>s ne brill&r<strong>en</strong>t pas seulem<strong>en</strong>t ]jar le com-<br />

merce, mais par l'industrie; ils réunir<strong>en</strong>t, p<strong>en</strong>dant long-<br />

temps, aux bénéfices <strong>de</strong>s transports , les profits <strong>de</strong><br />

la fabrication. L'usage pru<strong>de</strong>nt et ingénieux qu'ils<br />

a-vai<strong>en</strong>t su faire <strong>de</strong>s combinaisons du crédit s'était TB-<br />

pandu peu à peu dans toutes les républiques itali<strong>en</strong>nes,<br />

et y avait développé sur une vaste échelle la richesse<br />

manufacturière et commerciale.<br />

Il existe un discours remarquable, prononcé <strong>en</strong> 1421<br />

au grand conseil par le doge Thomas Monc<strong>en</strong>igo, sur<br />

les ressources financières et sur l'ét<strong>en</strong>due du commerce<br />

<strong>de</strong> la république <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise '. Apres un exposé exact et<br />

4 Ce discours est textuellem<strong>en</strong>t cit6 par M. Daru -dans son<br />

<strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise, tome II, pages 293-314. L'extrait suivallt me<br />

semble digne <strong>de</strong> figurer à c616 du budget <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Flor<strong>en</strong>ce:<br />

(( J'ai fait faire, dit le doge Monc<strong>en</strong>igo, le relevé <strong>de</strong>s produits <strong>de</strong><br />

» notre commerce.<br />

» Toutes les semaines il nous arrive <strong>de</strong> Milan dix-sept ou dix-


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XX. 271<br />

détaillé <strong>de</strong>s profits da travail national sur les marchés<br />

étrangers et <strong>de</strong> la part qui <strong>en</strong> rev<strong>en</strong>ait au trésor <strong>de</strong> I'État,<br />

le vieux doge s'appuyait principalem<strong>en</strong>t du danger<br />

qu'il y aurait à troubler cette magnifiqiie prospérité,<br />

. n huit mille ducats, ce qui fait par an. ..... 900,000 ducats.<br />

» De Monza mille par semaine, et par an. 52,000<br />

» De Côme <strong>de</strong>ux mille par semaine, et par an. 104,000<br />

» D'Alexandiie mille par semaine, et par an. 52,000<br />

» De Tortone et <strong>de</strong> Novare <strong>de</strong>ux mille par<br />

)) semaine, et par an .............. .104,000<br />

» De Pavie <strong>de</strong>ux mille par semaine et par<br />

» an.. ....................... .104,000<br />

» De Crémone <strong>de</strong>ux mille par semaine, et.<br />

» par an. .................... 104,000<br />

r De Bergame quinze ce.nts par semaine, et<br />

» par an ..................... 78,000<br />

» De Palerme <strong>de</strong>ux mille par semaine, et par<br />

)) an. ...................... 104,000<br />

» De Plaisance mille par semaine, et par an 52,000<br />

..<br />

1,654,000 ducats.<br />

» Ce qui constate évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t ce resultat, c'est l'aveu <strong>de</strong> tous<br />

» les banquiers, qui déclar<strong>en</strong>t que tous les ans le Milanais a seize<br />

» c<strong>en</strong>t mille ducats à nous sol<strong>de</strong>r. Trouvez-vous que ce soit là un<br />

» assez beau jardin dont V<strong>en</strong>ise jouit sans qu'il lui occasionne su-<br />

» cune dép<strong>en</strong>se ?<br />

» Tortone et Novare emploi<strong>en</strong>t par an six mille pièces <strong>de</strong> drap,<br />

» qui, à quinze ducats la pièce, font ...... 90.000 ducats.<br />

1) Pavie trois mille pièces. .......... 45,000<br />

» Mi!an quatre mille pièces <strong>de</strong> drap fin à 30<br />

» ducats la pièce. ................ 120,000<br />

...<br />

» Côme douze mille pièces à 15 ducats. 180,000<br />

» Monza six mille pièces ........... 90,000<br />

» Brescia cinq pille pièces. ......... 75,000<br />

» Bergame dix mille pièces à 7 ducats. . . 70,000<br />

» Crémone quarante mille pièces <strong>de</strong> futaine à<br />

......<br />

» quatre ducats et un qiiart la pièce. 170,000<br />

>) Parme quatre mille pièces <strong>de</strong> drap à 15 du-<br />

>) cats. ...................... 60,000<br />

900,000 ducats.<br />

» En tout quatre-vingt-quatorze mille pièces; et les droils d'<strong>en</strong>-


pour repousser une guerre alors vivem<strong>en</strong>t rlclamée par<br />

les impati<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l'époque. (( Vous etes les seuls, disait-<br />

il, à qiii la terre et les mers soi<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t ouvertes.<br />

Vous êtes le canal <strong>de</strong> toutes les richesses; vous approvi-<br />

» tr6e et <strong>de</strong> sortie, à un ducat seulem<strong>en</strong>t par pièce, nous produi-<br />

>) s<strong>en</strong>t 200,000 ducats.<br />

» Nous faisons avec la Lombardie un commerce dont on evalue<br />

» la somme à 28,800,000 ducals. Trouvez-vous que V<strong>en</strong>ise ait IB<br />

» un assez beau jardin7<br />

» Vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite les chanvres pour la<br />

» somme <strong>de</strong>. ................. i00,OOO ducals.<br />

» Les Lombards achèl<strong>en</strong>t <strong>de</strong>' vous tous les<br />

n ans cinq milliers <strong>de</strong> colon pour. ....... 250,000<br />

D Vin$ mille quintaux <strong>de</strong> fil (ou peut-êlre <strong>de</strong><br />

)) coton file). à 15 et 90 ducats le c<strong>en</strong>t ..... 30,000<br />

a Quatre mille milliers <strong>de</strong> laine <strong>de</strong> Catalogne,<br />

» à 60 ducats par mille.. ............ 120,000<br />

u Autant <strong>de</strong> France. ............. l10,000<br />

1) Eloffes <strong>de</strong> soie et d'or pour. ........ 250,000<br />

» Trois mille charges <strong>de</strong> poivre à 100 ducats<br />

n la charge. ................... 300,000<br />

» Quatre c<strong>en</strong>ts far<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cannelle à 160 du-<br />

» cats la far<strong>de</strong>. ................. 64,000<br />

i) Deux c<strong>en</strong>t milliers <strong>de</strong> gingembre à 40 du-<br />

» cats le miilier ................. 8,000<br />

» Des sucres taxés <strong>de</strong>puis 2 et 3 jusw'à 15<br />

» ducats le c<strong>en</strong>t, pour. ............. 95,000<br />

» Autres marchandises pour coudre et bro-<br />

» <strong>de</strong>r.. ...................... 30,000<br />

» Quatre mille milliers <strong>de</strong> bois <strong>de</strong> teinture<br />

» à 30 ducats le millier. ............ 120,000<br />

n Graines et plantes tinctoriales ....... 50,000<br />

» Savons ................... 250,000<br />

» Esclaves. ..................- 30,000 .<br />

» Je ne compte pas le produit <strong>de</strong> la v<strong>en</strong>te du sel '. Conv<strong>en</strong>taz<br />

qu'un tel commerce est une belle lerre. Consid6rez combi<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />

a vaisseaiix le mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> toutes ces marchandises <strong>en</strong>lreli<strong>en</strong>t<br />

' 1.e cointc Filiasi, dans ses Herirrrches sur le comm


sionnez le mon<strong>de</strong> <strong>en</strong>tier. Tout l'univers s'intéresse B<br />

. votre fortune. Toul l'or du mon<strong>de</strong> arrive chez vous.<br />

Heureux, tant que vous conserverez <strong>de</strong>s idkes pacifiques,<br />

p<strong>en</strong>dant que l'Europe <strong>en</strong>tière est <strong>en</strong> feu ! Pour moi, tant<br />

qu'il me restera un souffle <strong>de</strong> vie, je persisterai dans ce<br />

système, qu'il faut aimer la paix. Je me suis toujours<br />

efforcé <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s mesures pour que l'intérêt <strong>de</strong>s<br />

emprunts et toutes les charges publiques fuss<strong>en</strong>t acquittés<br />

régulièrem.<strong>en</strong>t <strong>de</strong> six mois <strong>en</strong> six mois, et j'ai eu le<br />

bonheur d'yréussir. 11 ne ti<strong>en</strong>t qu'à vous <strong>de</strong> maint<strong>en</strong>ir<br />

l'heureux état <strong>de</strong> nos affaires, <strong>en</strong> priant le Tout-Puissant<br />

<strong>de</strong> vous , faire persévérer dans Ie systBme salutaire<br />

suivi jusqu'à ce jour. Si vous y persistez, vous <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>drez<br />

redoutables et possesseurs <strong>de</strong> toutes les richesses<br />

dumon<strong>de</strong> chrbti<strong>en</strong>. Gar<strong>de</strong>z-vous, comme du feu, <strong>de</strong> toucher<br />

au bi<strong>en</strong> d'autrui et <strong>de</strong> faire'la guerre injustem<strong>en</strong>t :<br />

Dieu vous <strong>en</strong> punirait. Alors ceux qui avai~nt dix mille<br />

ducats, n'<strong>en</strong> auront plusque nzille; qui avait dix maisons<br />

sera réduit d une, et ainsi du reste. Plus <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>s, plus<strong>de</strong><br />

crédit, plus <strong>de</strong> réputution. De maitres que cous étiez, cous<br />

vous trouverez sujets, et <strong>de</strong> qui 7 Des g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> guerre, d'une<br />

soldatasque, <strong>de</strong> ces b~n<strong>de</strong>s qua coz~s soicdoyez. I.es étrangers<br />

ont souv<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>du Iiommage à votre sagesse, <strong>en</strong><br />

pr<strong>en</strong>ant <strong>de</strong>s arbitres parmi vous; persistez donc, pour<br />

n <strong>en</strong> activité,: soit .pour les porlèr <strong>en</strong> Lombardie; soit pour aller<br />

)) les chercher <strong>en</strong> Syrie, dans la Rornanie, <strong>en</strong> Catalogne, <strong>en</strong><br />

» Flandre, <strong>en</strong> Cbypre, <strong>en</strong> Sicjle, sur tous les points di1 mon<strong>de</strong>.<br />

p V<strong>en</strong>ise gagne <strong>de</strong>ux et <strong>de</strong>mi, trois pour c<strong>en</strong>t sur le fret. Voyez<br />

combi<strong>en</strong> <strong>de</strong> g<strong>en</strong>s viv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce mouvem<strong>en</strong>t : courliers, ouvriers,<br />

)) matelots, <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> fan~illes, et <strong>en</strong>lin les marchands dont<br />

». le b<strong>en</strong>tfice ne s'elève pas à moins <strong>de</strong> six c ~ mille t ducats.<br />

» Voilà ce,que vous produit volre jardin. Etes-vous d'avis <strong>de</strong> le<br />

» détruire? Vraim<strong>en</strong>t non; mais il faut le déf<strong>en</strong>dre contre qui<br />

» vi<strong>en</strong>dra I'ai.laquer. ))<br />

'<br />

.


vous et pour le bonheur'<strong>de</strong> t7os fils, dans le système qui<br />

vous a procuré tant <strong>de</strong> prospérités. u<br />

Il est difficile <strong>de</strong> n7&tre pas touche <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur et<br />

<strong>de</strong> la sagesse <strong>de</strong> ce langage. Ainsi, m&me à cette époque<br />

fort éloignée <strong>de</strong> nous, on compr<strong>en</strong>ait dBjà que le commerce<br />

est ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t ami <strong>de</strong> la paix, et que les nations<br />

sont solidaires les unes <strong>de</strong>s autres dans la bonne<br />

comme dans la maiivaise fortune. a Que v<strong>en</strong>drez-vous aux<br />

Milanais, disait le doge, quand vous les aurez ruinés?<br />

que pourront-ils vous donner <strong>en</strong>échange <strong>de</strong> vos prodilits?<br />

Et vos produits, que <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dront-ils <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s<br />

exig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la guerre, qui <strong>en</strong>tameront les capitaux dont<br />

vous avez besoin pour les créer? x Le simple bon s<strong>en</strong>s<br />

indiquait alors aux hommes Bmin<strong>en</strong>ts ce quel'expéri<strong>en</strong>ce<br />

a mis, <strong>de</strong>puis, hors <strong>de</strong> doute, et ce que la théorie <strong>en</strong>seigne<br />

aujourd'hui, appuyée <strong>de</strong> l'autorité <strong>de</strong>s faits.<br />

Dans les autres républiques itali<strong>en</strong>nes, où l'esprit industriel<br />

et commercial avait prévalu, comme à ~lor<strong>en</strong>ce<br />

et a V<strong>en</strong>ise, sur le <strong>de</strong>spotisme féodal, la prospérité n'était<br />

pas moins brillante, et ,les progrès <strong>en</strong> tout g<strong>en</strong>re<br />

moins étonnants. Chacun sait les richesses accumulées à<br />

G&nes par la hardiesse <strong>de</strong> ses navigateiirs et par l'habileté<br />

<strong>de</strong> ses négociants. G&nes avait <strong>de</strong>s comptoirs dans<br />

l'Archipel et dans la mer Noire, et ses marchands<br />

v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t partager dans les ports <strong>de</strong>s villes anséatiques<br />

les profits <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise. La banque <strong>de</strong> Saint-Georges, née<br />

. <strong>en</strong> 1407 <strong>de</strong>s emprunts contractés pour subv<strong>en</strong>ir aux hesoinspiiblicsl,<br />

<strong>de</strong>vint bi<strong>en</strong>tot la rival? <strong>de</strong> celle<strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise,<br />

et r<strong>en</strong>dit les mêmes services que sa rivale. Keiaumoins,<br />

, les Génois ne persistèr<strong>en</strong>t pas aussi longtemps que les<br />

t<br />

' Gilbart, History and principles of banking, page 10.<br />

2 Le comte Pecchio, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> l'dcononaie <strong>politique</strong> <strong>en</strong> Italie,<br />

page 6.


~ L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XX. 875<br />

Véniti<strong>en</strong>s dans les principes <strong>de</strong> la liberté commerciale,<br />

et leur gouvernem<strong>en</strong>t a fourni le premier exemple <strong>de</strong><br />

priviléges exclusifs accordés à une compagnie, <strong>en</strong> paye-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> subsi<strong>de</strong>s. A Milan, dès l'année 1260, on s'occu-<br />

pait du rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s terres, et dans cette capitale<br />

<strong>de</strong>s républiques lombar<strong>de</strong>s il fallait mettre plus <strong>de</strong> c<strong>en</strong>t<br />

hôtels <strong>de</strong>s monnaies <strong>en</strong> activité, pour suffire à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

imm<strong>en</strong>se <strong>de</strong> numéraire nécessitée par le développem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s affaires.jDe quelque côté que l'on tourne ses regards,<br />

on est frappé <strong>de</strong> l'activité dévorante qui règne dans<br />

toutes ces républiques, et <strong>de</strong> la sagacité avec laquelle<br />

chacune d'elles a su approprier ses institutions aux be-<br />

soins <strong>de</strong> l'industrie et'du commerce. Nous leur <strong>de</strong>vons<br />

la création <strong>de</strong>s premiers établissem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> crédit public,<br />

soit qu'elles, inv<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les banques, soit qu'elles imagi-<br />

n<strong>en</strong>t les emprunts. Elles avai<strong>en</strong>t déjà mis <strong>de</strong> l'ordre dans<br />

l'industrie, avant que saint Louis y eut fondé les corpo-<br />

rations. La puissance.<strong>de</strong>1eurs gouvernem<strong>en</strong>ts ne semblait<br />

pas avoir d'autre mission que <strong>de</strong> protéger le; intérêts du<br />

travail; et, tandis que partout ailleurs on rançonnait les<br />

manants et les vilains, à V<strong>en</strong>ise, à GCnes, à Flor<strong>en</strong>ce, à<br />

Pise, à Milan, ces memes vilains, <strong>en</strong>richis par le com-<br />

merce et par l'industrie, disposai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> maîtres <strong>de</strong> la<br />

souveraineté.<br />

Les républiques itali<strong>en</strong>nes n'ont donc pas seulem<strong>en</strong>t<br />

servi la cause <strong>de</strong> la liberté, <strong>en</strong> ravivant les nobles riva-<br />

lités d'indép<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>s vieilles républiques 'grecques ;<br />

mais, <strong>en</strong> mettant partout le travail <strong>en</strong> honneur, elles ont<br />

changé la face <strong>de</strong> l'Europe et préparé l'avénem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

doctrines libérales, dont nous verrons un jour le triom-<br />

phe. C'est chez elles que se sont faites les gran<strong>de</strong>s expé-<br />

ri<strong>en</strong>ces économiques, d'où la sci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>vait sortir tout<br />

armée. Ces républiques ont essayé, tour à tour, avant


.q- '<br />

-16 HISTOIRE DE L'ECO$OAIIE POLITlQUE. CHBP. XX.<br />

les autres peuples, <strong>de</strong> la liberté du commerce et <strong>de</strong> fa<br />

prohibition. Elles ont afl'ronté les premiers écueils du<br />

crédit et posé les bases du système <strong>de</strong>s emprunts mo-<br />

<strong>de</strong>rnes. Tandis que le reste <strong>de</strong> l'Europe se couvrait <strong>de</strong><br />

donjons et <strong>de</strong> chaumières, I'ltalie bâtissait <strong>de</strong>s palais et<br />

<strong>de</strong>s temples <strong>de</strong> marbre ; elle armait <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> na-<br />

vires, chargbs <strong>de</strong>s produits <strong>de</strong> ses manufactures. Elle<br />

organisait le travail, et appelait tous les citoy<strong>en</strong>s, sans<br />

. distinction <strong>de</strong> caste, aux honneurs et à la fortune, quand<br />

ils <strong>en</strong> étai<strong>en</strong>t dignes par leur savoir et leur capacité.<br />

EIeiireuse, si l'aristocratie ne se fût glissée dans son sein,<br />

à la faveur <strong>de</strong>s richesses, comme la prohibition k la suite<br />

<strong>de</strong>s manufactures et le monopole sur les pas du com-<br />

merce ! Que <strong>de</strong> leçons pour nous daris cette imm<strong>en</strong>se va-<br />

riété d'événem<strong>en</strong>ts ! L'expéri<strong>en</strong>ce y précè<strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce.<br />

et nous montre le premier exemple d'une large applica-<br />

tion <strong>de</strong>s théories du commerce à la pratique du gouver-<br />

nem<strong>en</strong>t. L'administration s'y prés<strong>en</strong>te sous les formes<br />

simples et régulières d'une gestion industrielle, où toutes.<br />

les ressources sont mises <strong>en</strong> œuvre avec ordre, intelli-<br />

g<strong>en</strong>ce et économie. On dirait <strong>de</strong>vastes <strong>en</strong>treprises, fortes<br />

d'un crédit assuré, qui expédi<strong>en</strong>t dans tous les ports <strong>de</strong><br />

riches cargaisons, et qui s'occup<strong>en</strong>t sans cesse <strong>de</strong> suffire.<br />

par une production infatigable, aux besoins d'une con-<br />

sommation imm<strong>en</strong>se. C'est, <strong>en</strong> effet, dans le sein <strong>de</strong>s ré-<br />

publiques itali<strong>en</strong>nes qu'ont pris naissance les arts les<br />

plus iiigénieux et lcs doctrines financières les plus avan-<br />

cées dont l'histoire fasse m<strong>en</strong>tion à cette époque; et l'an ,<br />

ne saurait dire à quel <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur ces Etats au-<br />

rai<strong>en</strong>t pu s'élever <strong>en</strong>core, sans le funeste avén<strong>en</strong>i<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

Charles-Quint, qui changea tout it la fois la facc <strong>de</strong> l'Eu-<br />

rope et celle <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>.<br />

-


CHAPITRE XXI.<br />

De la r6volution causee par Charles-Quint dans la marche <strong>de</strong> 1'6-<br />

conomie <strong>politique</strong>..- L'esprit <strong>de</strong> coiiquête subsLitu6 à l'esprit<br />

<strong>de</strong> commerce. - Elablissem<strong>en</strong>t officiel du systbme restriclif.-<br />

Traite <strong>de</strong>s noirs. - Exkcutions financières. - Couv<strong>en</strong>ts et pau-<br />

périsme. - Resistance du protestantisme.<br />

Charles-Quint, <strong>en</strong>fant <strong>de</strong> Flandre, empereur allemand<br />

et monarque espagnol, réunissait au plut haut <strong>de</strong>grh<br />

toutes les antipathies itali<strong>en</strong>nes.,Il v<strong>en</strong>ait d'un pays oix<br />

les manufactures <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise, <strong>de</strong> Milan, <strong>de</strong> Flor<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong><br />

Génes avai<strong>en</strong>t trouvé <strong>de</strong> redoutables concurr<strong>en</strong>ces; il<br />

était, <strong>en</strong> sa qualité d'empereur d'Allemagne, la personniGcation<br />

la plus haute du parti Gibclinj si abhorre <strong>en</strong><br />

Italie ; et, comnle roi (l'Espagne, il allait <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir le plus<br />

funeste rival <strong>de</strong>sbanquiers itali<strong>en</strong>s, incapables d'opposcr<br />

une résistance sérieuse à l'heureux possesseur <strong>de</strong>s mines -<br />

dii Mexique et du Pérou. A peine niionté snr le trône, il<br />

mit dans la balance du commerce, outrc le poids <strong>de</strong> soli<br />

épée, celui du nouveau nlontlc et d'une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong><br />

l'anci<strong>en</strong>. Eri <strong>politique</strong>, <strong>en</strong> religion, <strong>en</strong> industrie, sa puissance<br />

ne voulut point souffrir <strong>de</strong> rivale; et, dès l'àge <strong>de</strong><br />

vingt ans, il se prépara à soulever toutes les questions<br />

et à bouleverser tous les royaumes.<br />

ICe ÉD~T. T . 1. 16


278 HISTOIRE<br />

Ce n'est pas sans raison que les histori<strong>en</strong>s s'accor<strong>de</strong>nt<br />

considérer le règne <strong>de</strong> ce prince comme le point <strong>de</strong><br />

départ d'un nouvel ordre social <strong>en</strong> Europe. A dater <strong>de</strong><br />

son règne, <strong>en</strong> effet, il s'opère un changem<strong>en</strong>t rapi<strong>de</strong> et<br />

profond dans la marche <strong>de</strong> la civilisation. Les idées sont<br />

aussi agitées qüe les empires, et pour la première fois,<br />

<strong>de</strong>puis bieii <strong>de</strong>s siècles, le mon<strong>de</strong> semble convoqué à la<br />

lutte définitive du <strong>de</strong>spotisme et <strong>de</strong> la liberté. La décou-<br />

verte <strong>de</strong> l'Amérique, l'expulsion <strong>de</strong>s Maures d'Espagne,<br />

la réformation protestante, la traite <strong>de</strong>s noirs, sont <strong>de</strong>s<br />

événem<strong>en</strong>ts contemporains <strong>de</strong> Charles-Quint, et chacun<br />

<strong>de</strong> ces événem<strong>en</strong>ts porte dans sesflancs legerme <strong>de</strong> vingt<br />

révolutions futures. Au régime mrinicipal qui s'était<br />

établi sous i'influeiice du travail dans toutes les villes<br />

libres <strong>de</strong> l'Allemagne, <strong>de</strong> la Belgique, <strong>de</strong> l'Espagne et<br />

<strong>de</strong>s républiques itali<strong>en</strong>nes, nous allons voir succé<strong>de</strong>r la<br />

domination <strong>de</strong> quelques puissantes monarchies qui se<br />

partageront l'Europe, après l'avoir ruinée. Charles-Quint<br />

a été le principal instrum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette révolution, dont<br />

le contre-coup <strong>de</strong>vait htre si fatal à <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>,<br />

<strong>en</strong> mettant sous la protection <strong>de</strong> Ia force les plus funestes<br />

doctrines qui ai<strong>en</strong>t affligé l'humanité.<br />

La nécessité <strong>de</strong> sout<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s guerres sans cesse re-<br />

naissantes réduisit ce monarque, dès les premières années<br />

<strong>de</strong> son règne, B <strong>de</strong>s expédi<strong>en</strong>ts financiers qui <strong>en</strong>levèr<strong>en</strong>t<br />

. la majeure partie <strong>de</strong>s capitaux aux industries produc-<br />

tives, pour les <strong>en</strong>gloutir dans le gouffre <strong>de</strong> la consom-<br />

mation stérile. Son trésor était toujours vi<strong>de</strong>; ses<br />

troupes étai<strong>en</strong>t mal soldées, et elles prir<strong>en</strong>t i'habitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> vivre au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> pillages, <strong>de</strong> concussions ou <strong>de</strong><br />

taxes arbitraires. Des mesures viol<strong>en</strong>tes et oppressi?es<br />

remplacèr<strong>en</strong>t partout le systiime régulier <strong>de</strong> contribu-<br />

tions établi par Ies financiers itali<strong>en</strong>s. Alors comm<strong>en</strong>cè-


DE L'ECOEOJIIE POLITIGUE. CMAP. IX1.<br />

279<br />

r<strong>en</strong>t les extorsions dc toute espèce, les logem<strong>en</strong>ts mili-<br />

taires, les impôts cxccssifs sur la consommation, qui<br />

faisai<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>chérir le prix <strong>de</strong> la main-d'œuvre au détri-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s manufactures. On augm<strong>en</strong>ta les droits sur<br />

les matières premieres a l'<strong>en</strong>trée et sur les produits<br />

fabriqués; à la sortie. Au libre exercice <strong>de</strong>s arts on<br />

substitua le. monopole <strong>de</strong>s métiers et celui du commerce.<br />

I'artout s'élevèr<strong>en</strong>t, flanquées <strong>de</strong> priviléges, les manufac-<br />

tures impériales ou royalcs dont il fallut acheter <strong>de</strong>s<br />

lic<strong>en</strong>ces pour avoir le droit <strong>de</strong> travailler. Tout cet atti-<br />

rail restrictif .s'établissait peu à peu dans les lois et<br />

dans les mceurs , puis vinr<strong>en</strong>t les sophistes qui <strong>en</strong> fir<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s doctrines, et c'est ainsi que toutes les hérésies éco-<br />

nomiques dont l'Eiirope est <strong>en</strong>core infcstbe, sont <strong>de</strong>ve-<br />

nues d'autant plus difficiles à détruire qu'ellcs se pré-<br />

s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t avec la sanction du temps et le caractère <strong>de</strong> .<br />

l'autorité. charles-&uint les r<strong>en</strong>dit plus funestes, <strong>en</strong> les<br />

organisant, <strong>en</strong> les faisant pénétrer dans'l'administration<br />

dont clles <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir la règle <strong>de</strong> conduite et le<br />

dogme inviolable.<br />

Une cooséqii<strong>en</strong>ee plus déplorable du système impé*A<br />

autrichi<strong>en</strong>-espagnol fut <strong>de</strong> remettre <strong>en</strong> honneur l'aristo-<br />

cratie <strong>de</strong> parchemin et d'épée, qui comm<strong>en</strong>çait dispa-<br />

raître <strong>de</strong>vant les notabilités <strong>de</strong> l'industrie et du com-<br />

merce. La noblesse <strong>de</strong>s républiques itali<strong>en</strong>nes, <strong>de</strong>s villes<br />

anséatiques, <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s cités marchan<strong>de</strong>s belges, fran-<br />

çaises et espagnoles, travaillait du moins et s'honorait<br />

d'une origine laborieuse; mais Charles-Quint se mit i<br />

v<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s titres pour avoir <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t, et le préjugé<br />

castillan, qui fait consister la noblcsse dans l'oisiveté,<br />

se répandit comme un fléau sur toute l'Europe. Un seil1<br />

règne suffit pour faire rétrogra<strong>de</strong>r les libertés publiqiies<br />

jiisqu'aux plus mauvais temps <strong>de</strong> la Céodalité. Chaque


280 HISTOIRE<br />

jour, quelque gran<strong>de</strong> exist<strong>en</strong>ce industrielle se retirait<br />

<strong>de</strong> l'arène, où il ne lui était plus possible <strong>de</strong> se mainte-<br />

nir sans déroger. Les seigneurs avai<strong>en</strong>t cessé <strong>de</strong> détrous-<br />

ser les passants siir les routes, comme faisai<strong>en</strong>t leurs<br />

prédécesseurs du haut <strong>de</strong>s vieux donjons; mais ils se<br />

retranchèr<strong>en</strong>t dans les priviléges qui leur assùrai<strong>en</strong>t la<br />

meilleure part <strong>de</strong>s profits du travail <strong>de</strong> leurs conci-<br />

toy<strong>en</strong>s. Des nuées <strong>de</strong> traitants se fir'<strong>en</strong>t adjuger le fer-<br />

mage <strong>de</strong>s rev<strong>en</strong>us publics; et l'un <strong>de</strong>s gouverneurs,<br />

pour Charles-Quint, dans les pays conqiiis, osa répondre<br />

aux injonctions royales : « Le roi comman<strong>de</strong> à &ladria,<br />

D et moi à Milan. ,I Plus <strong>de</strong> discussion publique, plus <strong>de</strong><br />

recours possible h la justice, plils <strong>de</strong> juridiction consu-<br />

laire, plus <strong>de</strong> crédit : toutes les formes tutClaires avai<strong>en</strong>t<br />

été abolies pour faire place au régime absolu <strong>de</strong> pachas<br />

espagnols.<br />

Mais ce n'&tait pas seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Italie et dans les<br />

États <strong>de</strong> Charles-Quint qu'on avait à déplorer ce chan-<br />

gem<strong>en</strong>t soudain dans la marche et surtout dans les<br />

doctrines <strong>de</strong>s gouvernem<strong>en</strong>ts. Pour quiconque se sou-<br />

vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'exactitu<strong>de</strong> scrupuleuse <strong>de</strong>s Véniti<strong>en</strong>s, <strong>de</strong>s Flo-<br />

r<strong>en</strong>tins, <strong>de</strong>s Génois et <strong>de</strong>s villes anséatiques à s'acquitter<br />

<strong>de</strong> leurs <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>ts, les expédi<strong>en</strong>ts hasar<strong>de</strong>ux aux-<br />

quels 'fa <strong>politique</strong> <strong>de</strong> l'empereur d'Allemagne accoii-<br />

tuma et obliga les autres princes par son exemple et<br />

par ses guerres continuelles, paraltront plus funestes<br />

que le dommage immédiat qui <strong>en</strong> résultail;. Ri<strong>en</strong> n'a<br />

pliis contribué. à paralyser Ic développem<strong>en</strong>t social, que<br />

l'inrertitu<strong>de</strong> et la crainte répandues dans toutes les<br />

relations qui avai<strong>en</strong>t &soin <strong>de</strong> garanties et <strong>de</strong> sécurité.<br />

Sur quelle base pourrait-on désormais asseoir la moin-<br />

dre spéculation, quand les principales sources <strong>de</strong>s<br />

rev<strong>en</strong>us publics étai<strong>en</strong>t aliénbes à l'avance pour plu-


DE L'BCOSO~I~~ I~OLITIQUB. CHAP. XSI. YS1<br />

sieurs années, et les monnaies altérées soit par <strong>de</strong>s<br />

alliages audacieux, soit par <strong>de</strong>s décrets spoliateurs?<br />

Aussi le numéraire, dont on ne trouvait plus un place-<br />

m<strong>en</strong>t utile et certain, déserta bi<strong>en</strong>tbt l'industrie et fut<br />

immobilisé <strong>en</strong> achats <strong>de</strong> terres. L'agriculture, frappée<br />

au cwur par la déca<strong>de</strong>nce du conimeree, ne tarda point<br />

à déchoir sous l'empire d'une législation qui prohibait<br />

l'exportation <strong>de</strong>s grains. Pour comblc <strong>de</strong> malheur, les<br />

changem<strong>en</strong>ts nombreux opérés dans l'administration<br />

<strong>de</strong>s Etats bouleversés par la guerre affligèr<strong>en</strong>t l'Europe<br />

.d'une plaie r<strong>en</strong>ouvelée du Bas-Empire : nous voulons<br />

parler <strong>de</strong>s procés et <strong>de</strong>s querelles <strong>de</strong> toute espèce avec<br />

leur cortége habituel <strong>de</strong> rapines et d'hommes <strong>de</strong> loi.<br />

L'éclat éblouissant <strong>de</strong>s beaux-arts n'a jamais dédom-<br />

magé l'Italie <strong>de</strong> la déca<strong>de</strong>nce qui suivit la perte <strong>de</strong> sa<br />

liberté; et la diminution continuelle <strong>de</strong> sa population<br />

a suffisamm<strong>en</strong>t démontré, <strong>de</strong>puis lors, que les véri-<br />

tables élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la prospérité <strong>de</strong>s Etats consistai<strong>en</strong>t<br />

dans les arts utiles plutbt que dans les arts glorieux.<br />

Le règne <strong>de</strong> Charles-Qiiiiit a surtout été contraire<br />

aux progrès <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu'il a .<br />

détourné violemm<strong>en</strong>t l'Europe <strong>de</strong>s voies régulières <strong>de</strong><br />

la production, pour la précipiter dans les hasards <strong>de</strong><br />

la guerre et dans le vieux système d'exploitation <strong>en</strong>-<br />

g<strong>en</strong>dré par fa féodalité. Tout ce que nous avons au-<br />

jourd'hui <strong>de</strong> fausses doctrines et <strong>de</strong> funestes préjugés à<br />

combattre, nous le <strong>de</strong>vons à son gouvernem<strong>en</strong>t, con-<br />

tinué et empiré par son exécrable successeur. La liberté<br />

du commerce allait s'établir daris le mon<strong>de</strong> et rallier<br />

- <strong>en</strong> une solidarité commune les intéréts du Nidi et du<br />

Nord : Charles-Quint y substitiia les restrictions et les<br />

prohibitions. Les banques <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise et <strong>de</strong> G<strong>en</strong>es ve-<br />

nai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> îondcr le crédit : Charles-Quint se mit à faire<br />

1 (i.<br />

1


'<br />

<strong>de</strong> la fausse monnaie; et, quoique déjà les trésors du<br />

nouveau mon<strong>de</strong> lui fuss<strong>en</strong>t ouverts au point <strong>de</strong> lui<br />

rapporter près <strong>de</strong> cinquante millions <strong>de</strong> francs par<br />

année, il inonda l'Europe, vers 1540, d'une masse con-<br />

sidérable <strong>de</strong> mauvais écus d'or <strong>de</strong> Castille. Ce détes- .<br />

table exemple ne trouva que trop d'imitateurs; et il y<br />

eut un mom<strong>en</strong>t où, selon l'expression <strong>de</strong> II. Ganilh,<br />

u l'Italie se distingua autant par ses mauvaises mon-<br />

naies que par ses excell<strong>en</strong>ts ouvrages sur la mon-<br />

naie. i, On ne cherchait plus la richesse dans le travail<br />

et dans l'emploi intellig<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s capitaux, mais dans<br />

I'acci~mulation <strong>de</strong>s espèces; on <strong>en</strong> prohibait la sortie '<br />

par <strong>de</strong>s lois draconi<strong>en</strong>nes, comme s'il eût été possible<br />

d'acheter les marchandises qu'on ne produisait plus<br />

soi-méme et <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r l'arg<strong>en</strong>t qui servait à les payer.<br />

C'est alors qu'eur<strong>en</strong>t lieu les premiers essais <strong>de</strong> ces<br />

théories étranges dont l'inv<strong>en</strong>tion apparti<strong>en</strong>t lout <strong>en</strong>-<br />

tière aux Espagnols, et qu'un économiste <strong>de</strong> leur pays<br />

résumait si naivem<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>ux c<strong>en</strong>ts ans plus tard, dans<br />

ce passage remarquable : u 11 est nécessaire d'employer<br />

. avec rigueur tous les moy<strong>en</strong>s qui peuv<strong>en</strong>t nous con-<br />

duire à v<strong>en</strong>dre aux étrangers plus <strong>de</strong> nos.productions<br />

qu'ils ne nous v<strong>en</strong>dront <strong>de</strong>s leurs : c'est Id lout le secret<br />

et la seule utilité du commerce '. n<br />

4 Ustariz, Thdorie et pratique du commerce, chap. IV, p. 13, <strong>de</strong><br />

l'édition française. Cet auteur ajoutait :<br />

« Si nous pouvions au moins rester <strong>de</strong> pair pour l'échange, ce<br />

serait <strong>en</strong>core assez pour conserver <strong>en</strong> Espagne la majeure partie<br />

<strong>de</strong>s richesses qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s occi<strong>de</strong>ntales à Cadix, au lieu<br />

qu'elles ne peuv<strong>en</strong>t aujourd'hui nous étre n'aucune uiilité. Au<br />

contraire, ces Irésors <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t funestes à la monarchie, si, dès<br />

le port même où ils arriv<strong>en</strong>t, ils pass<strong>en</strong>t dans les mains <strong>de</strong>s peu-<br />

les rivaux <strong>de</strong> cette couronne, qui les port<strong>en</strong>l <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> quanti16<br />

dans les pays <strong>de</strong> la domination <strong>de</strong>s Turcs. Ainsi, outre le malheur<br />

d'être dépouillés <strong>de</strong> notre arg<strong>en</strong>t dès qu'il arrive à Cadix par les


DE L'ECONOF~IIE POLITIQUE. CHAP. XXI. 283<br />

Tel est le système qui a donné naissance aux guerres<br />

innombrables dont l'Europe a été le th65tre <strong>de</strong>puis<br />

l'avénem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Charles-Q!lilit, et qui domine <strong>en</strong>core, h<br />

leur insu, la <strong>politique</strong> commerciale <strong>de</strong> presque tous<br />

les gouvernem<strong>en</strong>ts mo<strong>de</strong>rnes. Tous se sont efforcés, dès<br />

lors, <strong>de</strong> ret<strong>en</strong>ir le numéraire et <strong>de</strong> proscrire les mar-<br />

chandises étrangéres ;-tous ont cru voir dans les impor-<br />

tations une cause <strong>de</strong> ruine, sans s'apercevoir que les<br />

importations <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t d'autant plus nécessaires que<br />

la production intérieure diminuait exactem<strong>en</strong>t, chez<br />

cliayue peuple, dans la proportion <strong>de</strong>s restrictions ima-<br />

ginées pour <strong>en</strong> activer l'essor. C'iitait, d'ailleurs, pour-<br />

suivre une chimère que <strong>de</strong> vouloir v<strong>en</strong>dre sans acheter,<br />

et d'ambitionner le monopole <strong>de</strong>s manufactures, <strong>en</strong><br />

abandonnant pour le produit <strong>de</strong>s mines les grands tr?<br />

vaux <strong>de</strong> l'indiistrie. L'Espagne a cruellem<strong>en</strong>t expiS,<br />

<strong>de</strong>puis, cette fatale erreur <strong>de</strong> Charles-Quint; elle a<br />

perdu ses fabriques, pour avoir attaché trop d'iinpor-<br />

tance B l'or <strong>de</strong> ses colonies; et, plus tard, ses colonies lui<br />

ont échappé, parcc qu'elle avait trop négligé ses fabriques.<br />

Mais ce mauvais systeme n'est pas la seule erreur que<br />

Charles-Quint ait accréditée <strong>en</strong> Europe. L'humanité a<br />

<strong>de</strong> plus graves reproches à faire à sa mémoire, pour<br />

avoir rétabli siir une iiiim<strong>en</strong>se échelle l'esclavage qui<br />

v<strong>en</strong>ait <strong>de</strong> mourir, et l'exploitation humaine qui touchait<br />

flottes ou les galions, et le désagretn<strong>en</strong>t <strong>de</strong> le vbir <strong>en</strong>lever par <strong>de</strong>s<br />

nations peu affectionnées qui s'<strong>en</strong> serv<strong>en</strong>t à accroître leur com-<br />

metce et leur opul<strong>en</strong>ce, nous avons la douleur <strong>de</strong> savoir qu'une<br />

gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ces millions pass<strong>en</strong>t chez les Turcs et les autres<br />

infidèles pour augm<strong>en</strong>ter leurs forces et nos pert~s. Ces funestes<br />

conséqu<strong>en</strong>ces meril<strong>en</strong>t la plus gran<strong>de</strong> att<strong>en</strong>tion et les rnesurcs les<br />

plus sdres pour les prét~<strong>en</strong>ir,<br />

11<br />

Et cep<strong>en</strong>dant Ustariz écrivait ces lignes <strong>en</strong> 1740, et il avait été<br />

ministre1


284 HISTOIRE<br />

à son terme. La traite <strong>de</strong>s nègres fut organisée sous ce<br />

règne comme une iristitution légitime et régulière, et<br />

l'on r<strong>en</strong>ouvela, <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Romains, la doctrine<br />

funeste <strong>en</strong> vertu <strong>de</strong> laquelle les profits du travail social<br />

appart<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> droit à quelques privilégiés. Des mil-<br />

lions d'hommes périr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Amérique, victimes <strong>de</strong> ce<br />

préjugé détestable, et l'Afrique n'a pas <strong>en</strong>core cessé,<br />

après trois c<strong>en</strong>ts ans, <strong>de</strong> payer son tribut <strong>de</strong> sang et <strong>de</strong><br />

larmes au système qui <strong>en</strong> a été le fruit. On ne saurait<br />

se faire une idée <strong>de</strong> toutes les absurdités qui fur<strong>en</strong>t<br />

imaginées à cette époque, pour assurer aux hommes <strong>de</strong><br />

la métropole les bénéfices et les rev<strong>en</strong>us <strong>de</strong> la nouvelle<br />

colonie : jamais l'audace du privilége ne s'était mani-<br />

festée d'une manière aussi tyrannique. La métropole<br />

imposa tous ses produits a la colonie, et lui interdit <strong>de</strong><br />

se les procurer, mbme sur son propre sol. Il fut déf<strong>en</strong>du<br />

aux Américains <strong>de</strong> planter le lin, le chanvre et la vigne,<br />

d'établir <strong>de</strong>s manufactures, <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s navires,<br />

<strong>de</strong> faire élever leurs <strong>en</strong>fants ailleurs qu'<strong>en</strong> Espagne. En<br />

meme temps, on leur prescrivait certaines consomma-<br />

tions inutiles, et ils étai<strong>en</strong>t assujettis à <strong>de</strong>s avanies dont<br />

l'histoire semblerait îabuleuse aujourd'hui. Le fouet<br />

du comman<strong>de</strong>ur repré~<strong>en</strong>tait alors toute la civilisation<br />

espagnole.<br />

Tandis que les maximes du gouvernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Chai-les-<br />

Quint protégeai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Amérique l'établissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> I'es-<br />

clavage et <strong>de</strong>s monopoles les plus odieux, elles <strong>en</strong>coii-<br />

rageai<strong>en</strong>t' <strong>en</strong> lJurope le <strong>de</strong>spotisme et la paresse par<br />

toutes sortes <strong>de</strong> moy<strong>en</strong>s. Les couv<strong>en</strong>ts se multipliai<strong>en</strong>t<br />

et se dotai<strong>en</strong>t aux dép<strong>en</strong>s <strong>de</strong> l'agriculture et du travail.<br />

L'inquisition faisait feu <strong>de</strong> ses mille biichers contre la<br />

liberté civile et religieuse; <strong>de</strong>s monum<strong>en</strong>ts fastueux et<br />

iniitilcs succédai<strong>en</strong>t a ces constructions nombreuses


DE L'ECONOIIIE POLITIQUE. CHAP. XXI. 285<br />

$utilité publique, qui avai<strong>en</strong>t tiistingué d'une manière<br />

si brillante l'administration <strong>de</strong>s républiques itali<strong>en</strong>nes.<br />

On eût dit qu'il n'y avait à loger, <strong>en</strong> Europe, quc cinq<br />

ou six <strong>de</strong>mi-dieux dans <strong>de</strong>s temples. : l'espèce humainc<br />

<strong>de</strong>vait s'estimer lieureuse <strong>de</strong> ramper sous le chaume.<br />

Ce fut l'époque <strong>de</strong> touies les mauvaises p<strong>en</strong>sées, <strong>de</strong><br />

tous les mauvais systbmes, <strong>en</strong> industrie, <strong>en</strong> <strong>politique</strong>,<br />

<strong>en</strong> religion. Nous ne commettons pas aujourd'hui une<br />

faute, nous n'obéissons pas à un seul préjugé industriel<br />

qui ne nous ait été légué par ce pouvoir malfaisant,<br />

assez îort poiir convertir <strong>en</strong> loi ses plus fatales aberra-<br />

lions. Non, jamais la sci<strong>en</strong>ce ne trouvera <strong>de</strong> termes<br />

assez énergiques, ni l'humanité assez <strong>de</strong> larmes, poiir<br />

flétrir et déplorer les gestes néfastes d'un tel règne!<br />

Philippe II, <strong>de</strong> sinistre mémoire, n'cn a tiré que les<br />

conséqu<strong>en</strong>ces; c'est Charles-Quint qui <strong>en</strong> a posé les<br />

bascs. Mais les att<strong>en</strong>tats' du fils ont cessé <strong>en</strong> mbme<br />

temps que sa vie, ct les doctrines du père <strong>en</strong>trav<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>core, après trois siecles, la marche <strong>de</strong> la civili-<br />

sation.<br />

De nobles et sublimes résistances ont cep<strong>en</strong>dant<br />

protesté contre ces graves atteintes portées aux droits<br />

imprescriptibles <strong>de</strong> l'humanité. L'Espagne conscrve <strong>en</strong>-<br />

core religieusem<strong>en</strong>t le souv<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>tatives héro~ques<br />

<strong>de</strong> Paclilla et <strong>de</strong>s villes municipales <strong>de</strong> la Péninsule qui<br />

suivir<strong>en</strong>t l'impulsion <strong>de</strong> son patriotisme. Ce fut un beau<br />

reflet <strong>de</strong> l'anci<strong>en</strong>ne indépcnilance <strong>de</strong>s communes, et<br />

l'on peut jnger, par ce qii'elles <strong>de</strong>mandai<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> ce que<br />

Charles-Quint leur a fait perdre. (( Nous voulons, di-<br />

sai<strong>en</strong>t les chefs <strong>de</strong> la ligue provinciale, dans leur célèbre<br />

remontrance à ce prince, que l'on ne donne plus aux<br />

troupes <strong>de</strong> logem<strong>en</strong>ts gratuits; que toutes les taxes<br />

soi<strong>en</strong>t rétablies sur le pied où elles étai<strong>en</strong>t à la mort


d'isabelle; qu'aiix états qui se 'ti<strong>en</strong>dront par la suite,<br />

chaque ville ait à <strong>en</strong>voyer un représ<strong>en</strong>tant du clergé,<br />

un <strong>de</strong> la noblesse et un dzr tie~s état, élus chacun par<br />

leur ordre ; qu'aucun membre <strong>de</strong>s états ne puisse recevoir<br />

ni oflice, ni p<strong>en</strong>sion du roi, soit pour lui, soit pour<br />

<strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> sa famille, sous peine <strong>de</strong> morh et <strong>de</strong><br />

confiscation <strong>de</strong> ses bi<strong>en</strong>s; que chaque ville ou communauté<br />

paye a son représ<strong>en</strong>tant le salaire conv<strong>en</strong>able<br />

pour son <strong>en</strong>treti<strong>en</strong> p<strong>en</strong>dant le temps qu'ils assistera<br />

aux états, et que les terres <strong>de</strong>s nobles soi<strong>en</strong>t assujett.ies à<br />

toutes les taxes publiques, comme celbs <strong>de</strong>s communes '. »<br />

Telle était <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> du parti libéral <strong>de</strong> cette<br />

époque; mais la mort <strong>de</strong> Padilla et la ruine <strong>de</strong> I'insurrection<br />

espagnole permir<strong>en</strong>t a C4aries-Quint d'appesanti:<br />

son joug <strong>de</strong> fer sur la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong><br />

l'Europe, désormais livrée au pillage <strong>de</strong> ses troupes et<br />

à la contagion <strong>de</strong> ses doctrines. La France meme se vit<br />

4 Robertson, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> Clkarles-Quint, liv. III.<br />

2 Sandoval, Hist., vol. 1, page 478, nous a conserve la lettre<br />

admirable que Padilla écrivil à la ville <strong>de</strong> Tolè<strong>de</strong> la vejlle <strong>de</strong> son<br />

exécution. Jecrois <strong>de</strong>voir reproduire quelques-unes <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières<br />

p<strong>en</strong>sees <strong>de</strong> ce marlyr <strong>de</strong>s franchises communales. A Loi la cou-<br />

ronne d'Espagne et 1s lumiére du mon<strong>de</strong> <strong>en</strong>tier; à toi qui fus libre<br />

du temps <strong>de</strong>s puissants Golhs et qui. <strong>en</strong> versant le sang <strong>de</strong>s élran-<br />

gers et celui <strong>de</strong>s li<strong>en</strong>s, as recouvr6 la liberté pour toi el pour les<br />

cités voisines : ton <strong>en</strong>fant légitime, Juan <strong>de</strong> Padilla, t'informe<br />

comm<strong>en</strong>t par le sang <strong>de</strong> ses veines tu dois r<strong>en</strong>oüveler tes anci<strong>en</strong>-<br />

nes victoires. Si le soit n'a pas voulu que mes aclions soi<strong>en</strong>t<br />

placées au nombre <strong>de</strong>s exploits fortunes et fameux <strong>de</strong> tes<br />

aulres <strong>en</strong>fants, il faut l'imputer à ma mauvaise fortune et'non<br />

pas à ma volonl6. Je te prie, comme ma mère, d'accepter la<br />

vie que je vais perdre, puisque Dieu ne m'a ri<strong>en</strong> donne <strong>de</strong> plus<br />

précieux que ja puisse perdre pour toi ... Je ne l'<strong>en</strong> ecris pas da-<br />

vantage; car dans ce mom<strong>en</strong>t m&me je s<strong>en</strong>s le couteau prés <strong>de</strong><br />

mon sein, plus touche du <strong>de</strong>plaisir que tu vas ress<strong>en</strong>tir qiie <strong>de</strong><br />

mes propres maux. »


obligée <strong>de</strong> <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre dans i'arène ', où clle combattit<br />

longtemps avec gloire, sinon toujours avec succès, jusqu'au<br />

mom<strong>en</strong>t o-ii la piiissante diversion du protestantisme,<br />

<strong>en</strong> Allemagne, replaça toutes Ics iibcrtés sous la<br />

protection d'un principe.<br />

Ainsi, sous quelque point <strong>de</strong> vue qu'on <strong>en</strong>visage<br />

l'histoire <strong>de</strong> Charles-Quint, on ne peut s'empêcher <strong>de</strong><br />

reconnaître que ce monarque a mis obstacle au magnifique<br />

développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> richesse et <strong>de</strong> prospérité créées<br />

par le travail <strong>de</strong>s bourgeoisies émancipées du moy<strong>en</strong><br />

âge. En essayant <strong>de</strong> reconstruire la monarchie universelle<br />

<strong>de</strong> Charlemagne et d'<strong>en</strong>lever aux divers htats<br />

europk<strong>en</strong>s leur physionomie avec leur indép<strong>en</strong>dance, il<br />

les a condamnés au fléau <strong>de</strong>s armées perman<strong>en</strong>tes et<br />

<strong>de</strong>s im~ôts anticipés. Il a rétabli <strong>en</strong> Amérique I'esclavage<br />

8 peu près aboli <strong>en</strong> Europe. 11 a conc<strong>en</strong>tré dans<br />

sa seule personne et dans celle <strong>de</strong> quelques princes,<br />

alliés ou rivaux, la puissance <strong>de</strong> la souveraineté, dont<br />

les classes moy<strong>en</strong>nes comm<strong>en</strong>çai<strong>en</strong>t à <strong>en</strong>trcr <strong>en</strong> partage.<br />

Ce sont là sans doute <strong>de</strong> graves sujets d'accusation aux<br />

yeux <strong>de</strong> la postérité; mais il y <strong>en</strong> a <strong>de</strong> plus graves <strong>en</strong>core<br />

et dont les conséqu<strong>en</strong>ces ne fur<strong>en</strong>t pas moins<br />

déplorables. Le gouvernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Charles-Quint est un<br />

<strong>de</strong> ceux qui ont le plus contribué à répandre sur le<br />

mon<strong>de</strong> la hi<strong>de</strong>use plaie du paupérisme. N'est-ce pas <strong>en</strong><br />

détruisant la liberté <strong>de</strong> l'industrie et du commerce,<br />

par l'établissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s monopoles et <strong>de</strong>s manufactures<br />

4 Dans une <strong>de</strong> ces nombreuses gueries, <strong>en</strong> 1552, une armBe<br />

française <strong>de</strong> 44,000 hommes, comman<strong>de</strong>e par le connetable <strong>de</strong><br />

Montmor<strong>en</strong>cy, <strong>en</strong>vahit les trois Bvéchés, <strong>en</strong> se faisant préc6<strong>de</strong>r<br />

d'un manifeste français et allemand, dont le frontispice repres<strong>en</strong>tait<br />

un bonnet avec <strong>de</strong>ux poignards, <strong>en</strong>tourés du mot LIBERTÉ. »<br />

SCHOEL€, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong>s États europé<strong>en</strong>s, tome XV, p. 160.


288 HISTOIRE<br />

royales, qu'il a fait refluer vers les couv<strong>en</strong>ts:une foule<br />

d'exist<strong>en</strong>ces condamnées à la vie contempIative ou à la<br />

m<strong>en</strong>dicité? N'est-ce point <strong>en</strong> créant le systéme colonial,<br />

qu'il a accoutumé une partie <strong>de</strong> ses sujets à vivre aux<br />

dkp<strong>en</strong>s <strong>de</strong> l'autre? N'a-t-il pas favorisé l'établissem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> la société <strong>de</strong>s Jésuites, si fécon<strong>de</strong> <strong>en</strong> inv<strong>en</strong>tions<br />

funestes au travail et à la liberté? N'est-ce pas lui qui<br />

a fait <strong>de</strong> si lugubres funérailles aux républiques ita-<br />

li<strong>en</strong>nes ?<br />

Mais le mauvais génie d'un seul homme ne saurait<br />

prévaloir contre les <strong>de</strong>stinées éternelles du g<strong>en</strong>re hu-<br />

main. Tandis que la fortune semblait sourire à Charles-<br />

Quint et couronner toutes ses <strong>en</strong>treprises, il s'élevait<br />

dans la vieille et laborieuse Allemagne une puissance<br />

qui <strong>de</strong>vait détruire le fruit <strong>de</strong> ses victoires et préparer<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s liomiliations à son successeur. La liberté<br />

d'exam<strong>en</strong> r<strong>en</strong>aissait à la voix d'un moine irrité. Les<br />

germes d'indép<strong>en</strong>dance mal étouffés dans les villes<br />

anséatiques ferm<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nouveau soiis l'inllu<strong>en</strong>ce<br />

<strong>de</strong>s prédications brûlantes du protestantisme. Les pay-<br />

sans opprimés courai<strong>en</strong>t aux armes ; les écrivains les<br />

les plus courageux préludai<strong>en</strong>t par <strong>de</strong>s essais hardis<br />

aux manifestes éloqu<strong>en</strong>ts du' dix-huitième siècle '. La<br />

4 « Pauvres g<strong>en</strong>s et miserables, disait La Boëtie *, peuples in-<br />

s<strong>en</strong>ses, nations opinihtres <strong>en</strong> votre mal et aveugles <strong>en</strong> votre bi<strong>en</strong>,<br />

vous vous laissez emporter <strong>de</strong>vant vous le plus beau et le plus<br />

clair <strong>de</strong> votrerev<strong>en</strong>u, pil!er vos champs, voler vos maisons el les<br />

<strong>de</strong>pouiller <strong>de</strong>s meubles anci<strong>en</strong>s et paternels; vous vivez <strong>de</strong> sorte<br />

que vous pouvez dire que ri<strong>en</strong> n'est à vous,:. .. et tout ce <strong>de</strong>gàt,<br />

ce malheur, cette ruine vous vi<strong>en</strong>t, non pas'<strong>de</strong>s <strong>en</strong>pemis, mais<br />

bi<strong>en</strong> certes <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>nemi et <strong>de</strong> celui que vous faites si grand qu'il<br />

est, pour lequel vous allez si courageusem<strong>en</strong>t à la guerre, pour<br />

la gran<strong>de</strong>ur duquel vous ne refusez point <strong>de</strong> prés<strong>en</strong>ter à la mort


DE L'ECONO~IIE POLlTIQUE. CHAP. XXI. 289<br />

contreban<strong>de</strong> et l'interlope amortissai<strong>en</strong>t l'effet <strong>de</strong>s mo-<br />

nopoles naissants. Les vexations <strong>de</strong>s traitants, la véna-<br />

lité <strong>de</strong>s charges et le poids <strong>de</strong>s impBts faisai<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>tir<br />

le prix <strong>de</strong> l'ordre dans les finances et le besoin <strong>de</strong><br />

considération chez les magistrats, et fortifiai<strong>en</strong>t l'éduca-<br />

tion <strong>de</strong>s peuples par <strong>de</strong> ru<strong>de</strong>s épreuves. L'esprit d'exa-<br />

m<strong>en</strong> émané <strong>de</strong> la réformation protestante v<strong>en</strong>ait <strong>de</strong><br />

pénétrer dans toutes les questions sociales : il est im-<br />

portant d'<strong>en</strong> étudier les conséqu<strong>en</strong>ces 6conomiques<br />

avant d'abor<strong>de</strong>r celles qui suivir<strong>en</strong>t la découverte <strong>de</strong><br />

l'Amérique, car ces <strong>de</strong>ux mots réformation et nouueazc<br />

mon<strong>de</strong> sont tout pleins d'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts mémorables.<br />

vos personnes. Celui qui vous maîtrise tant n'a que <strong>de</strong>ux yeux<br />

n'a que <strong>de</strong>ux mains, n'a qu'un corps et n'a autre chose que<br />

ce qu'a le moindre homme du nombre infini <strong>de</strong> nos villes, sinon<br />

qu'il a plus que vous tous i'avantage que vous lui faites pour vous<br />

<strong>de</strong>truire. ))


CHAPITRE XXII.<br />

De la rBformatiod prolestante et <strong>de</strong> son influ<strong>en</strong>ce sur la marche <strong>de</strong><br />

l'economie <strong>politique</strong>. - SBcularisation <strong>de</strong>s moines.-V<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s<br />

bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong> I'Eglise. - Leur importance <strong>en</strong> Angleterre à cette épo-<br />

que. - Lois sur les pauvres. - Augm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s jours <strong>de</strong><br />

' : travail.<br />

Il y a quelque chose <strong>de</strong> vraim<strong>en</strong>t provi<strong>de</strong>ntiel dans<br />

la marche du travail et <strong>de</strong> la liberté. Poursuivis sur un ,<br />

point, ils se réfugi<strong>en</strong>t sur un autre; arrhtés dans leur<br />

essor, ils s'élanc<strong>en</strong>t plus vivem<strong>en</strong>t vers l'av<strong>en</strong>ir, aussitbt<br />

que cet essor leur est r<strong>en</strong>du. A l'esclavage grec et<br />

romain succè<strong>de</strong> l'indkp<strong>en</strong>dance barbare ; celle-ci à son -<br />

tour, à peine altérée par le servage féodal, reparaît<br />

plus brillante et plus forte dans les communes affran-<br />

chies. La glèbe succè<strong>de</strong> à la meule, et les corporations<br />

précè<strong>de</strong>nt la liberté du travail. Quand une expéri<strong>en</strong>ce<br />

a fait son temps, elle r<strong>en</strong>tre dans la niiit du passé et<br />

soudain recomm<strong>en</strong>ce l'expéri<strong>en</strong>ce nouvelle, chargée <strong>de</strong><br />

transmettre (r la postérité le dépbt et.le profit <strong>de</strong> toutes<br />

celles qui l'ont précédée ; la réformation protestante est<br />

une <strong>de</strong>s ces gran<strong>de</strong>s péripéties du développem<strong>en</strong>t ma-<br />

jestueux <strong>de</strong> l'hrimanito. Ses comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>ts fur<strong>en</strong>t


HISTOIRE DE I:ECONOMIE POLITIDUE. CRAP. XXII. 291<br />

très-humbles; mais ses résultats ont chan& la face <strong>de</strong><br />

l'Europe. Léon X n'y avait vil que la révolte d'un moine,<br />

et Charles-Quint qu'une infraction au dogme <strong>de</strong> l'obéissance<br />

passive; mais sous la révolte du moine se cachait<br />

une protestation contre l'exploitation <strong>de</strong> la chréti<strong>en</strong>té<br />

par l'évêque <strong>de</strong> Rome, et l'apparition <strong>de</strong> Luther à la<br />

diète <strong>de</strong> Worms ne fut que le prélu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la ligue <strong>de</strong><br />

Smalkal<strong>de</strong>, c'est-à-dire <strong>de</strong> la première confédération<br />

<strong>de</strong> petits ~tats contre le <strong>de</strong>potisme <strong>de</strong>s grands. Aussi,<br />

dès les premiers éclairs <strong>de</strong> cette tempkte, il <strong>de</strong>vint évi<strong>de</strong>nt<br />

que la foudre allait frapper <strong>de</strong>s institutions que<br />

l'on croiait consolidées par le temps, mais que le temps<br />

avait minkes. Comme la découverte du cap <strong>de</strong> Bonne-<br />

Espérance v<strong>en</strong>ait d'arracher aux Véniti<strong>en</strong>s le monopole<br />

du commerce, l'établissem<strong>en</strong>t du protestantisme <strong>en</strong>leva<br />

an pape et aux empereurs la domination <strong>de</strong> l'Europe.<br />

Les Guelfes et les Gibelins fur<strong>en</strong>t mis hors <strong>de</strong> cause<br />

et la question sociale apparut sous un jour tout nouveau.<br />

On ne peut s'empêcher <strong>de</strong> reconnaitre une sorte <strong>de</strong><br />

corrélation coiisolante et merveilleuse <strong>en</strong>tre ces grands<br />

événemehts coiitemporains, tels que la traite <strong>de</strong>s noirs<br />

et la réformc protestante <strong>de</strong>stinée à. y mettre un terme;<br />

la monarchie universelle <strong>de</strong> Charles-Quint et la formation<br />

<strong>de</strong>s États allemands, auxquels se joindront plus<br />

tard la Suè<strong>de</strong> tout <strong>en</strong>tière am<strong>en</strong>Pe au combat par le<br />

grand Gustave-<strong>Adolphe</strong>, et les Provinces-Unies <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong>,<br />

<strong>en</strong>sanglantées par Philippe II. Mais nous n'avons<br />

à les considérer que sous le point <strong>de</strong> vue économique<br />

et quoique, pour cet exam<strong>en</strong>, la :plupart <strong>de</strong>s histori<strong>en</strong>s<br />

soi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s guidcs peu sûrs, les résultats prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t un<br />

caractère tellem<strong>en</strong>t prononcé, qu'il suffira cle les indiquer<br />

pour <strong>en</strong> faire s<strong>en</strong>tir l'importance. Ce n'était d'a-


292 HISTOIRE<br />

bord qu'un refus <strong>de</strong> payer les indulg<strong>en</strong>ces au moy<strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>squelles Rome battait monnaie jusque dans les moin-<br />

dres villages '; mais ce refus <strong>de</strong>vint l'ère d'une pre-<br />

mibre réforme dans le système <strong>de</strong>s impôts, et il n'y<br />

a pas aussi loin qu'on le p<strong>en</strong>se <strong>de</strong> cette réforme aux<br />

diseussions financières <strong>de</strong>s parlem<strong>en</strong>ts constitutionnels<br />

mo<strong>de</strong>rnes. En Allemagne , les petits princes eur<strong>en</strong>t<br />

bi<strong>en</strong>tôt compris tout le parti qu'ils pouvai<strong>en</strong>t tirer <strong>de</strong><br />

l'<strong>en</strong>thousiasme religieux, pour <strong>en</strong>trainer leurs peuples<br />

B la résistance aux projets ambitieux <strong>de</strong> l'Autriche.<br />

D'ailleurs , I'appAt <strong>de</strong>s trCsors du clergé que chaque<br />

souverain protestant réunissait à son fisc; celui <strong>de</strong> I'in-<br />

dép<strong>en</strong>dance et l'union intime que la cause commune<br />

établissait <strong>en</strong>tre tous les confédérés, décidèr<strong>en</strong>t les plus<br />

timorés à courir les hasards <strong>de</strong> la ligue et a fon<strong>de</strong>r la<br />

première coalition efficace d'États libres contre la pré-<br />

pondérance <strong>de</strong> leurs oppresseurs.<br />

Le premier résultat <strong>de</strong> la lutte, et le plus important<br />

pour <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>, ce fut la sécularisation <strong>de</strong>s<br />

religieux, et la v<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong> toutes les commu-<br />

nautés, ou leur adjonction pure et simple au domaine<br />

public. Ces bi<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t déjB une gran<strong>de</strong> valéur, et ils<br />

<strong>en</strong> acquir<strong>en</strong>t une plus considérable <strong>en</strong>core <strong>en</strong> passant<br />

dans <strong>de</strong>s mains laborieuses, au sortir du régime stérile<br />

<strong>de</strong> la main-morte, auquel ils avai<strong>en</strong>t été si longtemps<br />

soumis. La noblesse <strong>en</strong> eut sa part ainsi que les princes<br />

souverains, et on <strong>en</strong> appliqua une partie avec plus ou<br />

4 J'ai eu <strong>en</strong>tre les mains l'original d'un diplôme d'indulg<strong>en</strong>ce<br />

plénière accord6 pour la somme d'<strong>en</strong>viron 1 franc 50 c<strong>en</strong>times <strong>de</strong><br />

notre monnaie; il y 6tait dit textuellem<strong>en</strong>t : V<strong>en</strong>iam damus Joanni<br />

N. pro omnibus peccatis prreteritis, pras<strong>en</strong>tibus et FUTURIS, puan-<br />

tumcunquè <strong>en</strong>ormibus ... .Le bénéficiaire avait ajouté <strong>en</strong> marge,<br />

. peut-$Ire impru<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, le nom <strong>de</strong> sa femme, qui se trouvait<br />

ainsi comprise dans l'indulg<strong>en</strong>ce par-<strong>de</strong>ssus le marché.-


. - ,<br />

DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXII. 293<br />

moins d'équité et <strong>de</strong> discernem<strong>en</strong>t à l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> du culte,<br />

<strong>de</strong>s pauvres et <strong>de</strong>s instituts d'éducation publique. Lors-<br />

que la réformation pénétra <strong>en</strong> Angleterre, le change-<br />

m<strong>en</strong>t fut <strong>en</strong>core plus s<strong>en</strong>sible, et il s'y effectua sur <strong>de</strong><br />

telles bases, qu'on peut le considérer comme une véri-<br />

table révolution. Le clergé y possédait les sept dixièmes<br />

<strong>de</strong> la propriété foncière et les mille quarante-un éta-<br />

blissem<strong>en</strong>tsreligieux répandus sur la surface du royaume,<br />

au temps <strong>de</strong> H<strong>en</strong>ri VIII, jouissai<strong>en</strong>t d'un rev<strong>en</strong>u d'<strong>en</strong>-<br />

viron six millions <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> notre monnaie, somme<br />

énorme pour cette époque, <strong>en</strong> raison <strong>de</strong> la rareté du<br />

numéraire et <strong>de</strong> I'exiguité du rev<strong>en</strong>u national.<br />

La suppression d'un grand nombre <strong>de</strong> jours abusive-<br />

m<strong>en</strong>t îériCs r<strong>en</strong>dit au travail <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> bras habi-<br />

tués au désœuvrem<strong>en</strong>t et fournit <strong>de</strong> nouveaux élém<strong>en</strong>ts<br />

d'accroissem<strong>en</strong>t à la riche& piiblique. Mais, <strong>en</strong> même<br />

temps, cette masse énorme <strong>de</strong> travailleurs, volontaires<br />

ou forcés, jetés dans la circulation au sortir <strong>de</strong>s couv<strong>en</strong>ts<br />

qui défrayai<strong>en</strong>t leur oisiveté. occasionna <strong>de</strong>s modifica-<br />

tions imprévues dans l'organisation sociale et fit appa-<br />

raître le paupérisme sous une face nouvelle. Il y eut<br />

<strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> ps-uvres : ceux qui étaie$ habitués sous<br />

le régime précé<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r l'aumône, et les g<strong>en</strong>s<br />

qui la leur faisai<strong>en</strong>t. Le nombre <strong>en</strong> <strong>de</strong>vint même telle-<br />

m<strong>en</strong>t considérable, qu'il fallut recourir a la législation<br />

pour les cont<strong>en</strong>ir et régler les conditions rigoureuses que<br />

la réforme <strong>de</strong>s couv<strong>en</strong>ts leur avait imposées. La plupart<br />

se refusèr<strong>en</strong>t obstiném<strong>en</strong>t au travail, et ceux qui s'y<br />

résignai<strong>en</strong>t n'<strong>en</strong> trouvèr<strong>en</strong>t pas toujours. Que ferait-on<br />

<strong>de</strong> cette population av<strong>en</strong>tureuse et noma<strong>de</strong>, <strong>de</strong> ces mal-<br />

heureux roundsnz<strong>en</strong>, quêtant <strong>de</strong> porte <strong>en</strong> porte du pain<br />

4 J. Wa<strong>de</strong>, History of the midd le and working classes, p. 38.


294 HISTOIRE<br />

et <strong>de</strong> l'ouvrage, sans trouver le plus souv<strong>en</strong>t ni l'un ni<br />

l'autre! Le catholicisme avait créé cette plaie <strong>en</strong> multi-<br />

pliant les couv<strong>en</strong>ts; le protestantisme l'aggravait <strong>en</strong><br />

les supprimant : qui l'aurait cru, lorsqu'on se mit à<br />

l'œuvre !<br />

Aussi, cette époque a-t-elle été plus qu'aucune autre<br />

fertile <strong>en</strong> mesures législatives et administratives <strong>de</strong> toute<br />

espèce, pour contraindre les vagabonds au domicile et<br />

les fainéants au travail. Les annales <strong>de</strong> l'Angleterre <strong>en</strong><br />

sontpleines, et l'on ne sait <strong>de</strong> quoi s'étonner le plus, <strong>en</strong><br />

les parcourant, ou <strong>de</strong> leur impuissance ou <strong>de</strong> leur mul-<br />

tiplicité. En 1531, Charles-Quint avait publie à ce sujet<br />

dans les Pays-Bas un long édit aussi stérile que toutes les<br />

ordonnances analogbes <strong>de</strong>s rois d'Angleterre. Il avait<br />

déf<strong>en</strong>du à toute personne <strong>de</strong> m<strong>en</strong>dier, excepté aux moines<br />

et aux pèlerins, sous peine <strong>de</strong> la prison et du fouet. Les<br />

indig<strong>en</strong>ts reconnus <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t etre <strong>en</strong>tretemis au moy<strong>en</strong><br />

<strong>de</strong> quétes régulières à la porte <strong>de</strong>s églises, <strong>de</strong>s hbpitaux<br />

et <strong>de</strong>s maisons <strong>de</strong> refuge, et les magistrats étai<strong>en</strong>t auto-<br />

risés tt faire <strong>de</strong>s collectes dans les temples ou dans les<br />

maisons particulières, une ou <strong>de</strong>ux fois par semaine,<br />

pour le m&me objet. Les fainéants récalcitrants pouvai<strong>en</strong>t<br />

btre contraints a travailler '. Mais tout cet appareil <strong>de</strong><br />

sévérité <strong>en</strong> Belgique, <strong>en</strong> Angleterre, <strong>en</strong> Allemagne, ne<br />

servit qu'à faire ressortir l'absurdité qu'il y avait à dé-<br />

créter par ordonnance la prospérité publique.<br />

Cette prét<strong>en</strong>tion étrange fut poussée, <strong>en</strong> Angleterre et<br />

dans les pays protestants, jusqu'à ses plus extrhmes<br />

limites. La suppression <strong>de</strong>s couv<strong>en</strong>ts y convertit d'un<br />

trait <strong>de</strong> plume plus <strong>de</strong> cinquante mille moines <strong>en</strong> misé-<br />

sables p<strong>en</strong>sionnaires <strong>de</strong> l'État, et les jeta, sans l'habitu<strong>de</strong><br />

4 An<strong>de</strong>rson, Histovy of commerce, vol. II, page 55.<br />

'


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXII. 295<br />

du travail ni du mon<strong>de</strong>, au Milieu <strong>de</strong>s besoins et <strong>de</strong>s<br />

séductions d'une société industrieuse. Les corrections,<br />

les chAtim<strong>en</strong>ts et les supplices ne pouvai<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> sur ces<br />

hommes aguerris à la paresse, et qui d'ailleurs n'avai<strong>en</strong>t<br />

pas tous à leur disposition <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> travail. Comm<strong>en</strong>t<br />

distinguer parmi eux l'oisiveté forcée <strong>de</strong> l'oisivetd<br />

volontaire? Cette question n'est pas <strong>en</strong>core jugée <strong>en</strong><br />

Europe, quoiqu'elle y ait été posée <strong>de</strong>puis plusieurs<br />

sikcles, et elle se complique tous les jours, par les progrès<br />

<strong>de</strong> l'industrie et <strong>de</strong> la civilisation, d'une foule <strong>de</strong><br />

difficultés qui la r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus insoluble. En<br />

vain le protestantisme a-t-il opposé à la charité aveugle<br />

<strong>de</strong>s catholiques la sévérité <strong>de</strong>s lois sur les pauvres : il<br />

n9<strong>en</strong>.est résulte qu'une chose, c'est que les pauvres <strong>de</strong>s<br />

pays protestants sont obligés <strong>de</strong> cacher leur misère, tandis<br />

que ceux <strong>de</strong>s pays catholiques peuv<strong>en</strong>t l'étaler sans<br />

crainte; mais la misère n'<strong>en</strong> est pas moins réelle daus<br />

les <strong>de</strong>ux camps. Qui sait méme si la taxe <strong>de</strong>s pauvres<br />

n'a pas plus contribué à les multiplier <strong>en</strong> Angleterre<br />

qu'<strong>en</strong> Espagne, <strong>en</strong> leur assurant aux frais <strong>de</strong>s paroisses<br />

un rev<strong>en</strong>u régulier et forcé, aii.lieu <strong>de</strong>s ressources précaires<br />

<strong>de</strong> l'aumône !<br />

Ce n'est pas qu'on ait le droit <strong>de</strong> reprocher à l'influ<strong>en</strong>cc<br />

protestanite les conséqu<strong>en</strong>ces du principe qu'elle<br />

a posé. La suppression <strong>de</strong>s monastères et la v<strong>en</strong>te <strong>de</strong><br />

leurs bi<strong>en</strong>s ont été <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s sages et dictés autant<br />

par la raison que par la nécessité. A une autre époque,<br />

aussi, quand l'esclavage personnel et meme le servage<br />

<strong>de</strong> la glèbe fur<strong>en</strong>t supprimés, on aurait été t<strong>en</strong>té <strong>de</strong><br />

calopnier la liberté <strong>en</strong> voyant l'embarras où se trouvai<strong>en</strong>t<br />

pour vivre ces prolétaires sans propriété, soudainem<strong>en</strong>t<br />

émancipés et livrés à eux-m&n~es. La liberté leur<br />

imposait la nécessité <strong>de</strong> gagner leur vie à la sueur cle<br />

-


296 HISTOIRE A<br />

leur front, et <strong>de</strong> jtistiiier leur dignité d'hommes libres<br />

par le travail qui <strong>en</strong> est l'insigne distinctif et la condi-<br />

tion ess<strong>en</strong>tielle. C'est une condition <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re que le ,<br />

protestantisme exigeait <strong>de</strong> tous les citoy<strong>en</strong>s, comme les<br />

besoins nombreux et variés <strong>de</strong> notre civilisation actuelle<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt plus <strong>de</strong> travail, parce qu'ils procur<strong>en</strong>t plus<br />

<strong>de</strong> jouissances. 11 ne serait donc pas juste <strong>de</strong>r<strong>en</strong>dre l'un<br />

ou l'autre responsable <strong>de</strong> l'exist<strong>en</strong>ce d'un mal inhér<strong>en</strong>t<br />

à la nature humaine et qui n'a pas cessé <strong>de</strong> se repro-<br />

duire sous toutes les religions et sous tous les régimes.<br />

Il suffit <strong>de</strong> savoir quel était alors le g<strong>en</strong>re <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s<br />

populations laborieuses, pour se faire une idée <strong>de</strong>s mi-<br />

,sères qui att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t l'indig<strong>en</strong>t sans ouvrage et quelque-<br />

fois meme le cultivateur sur sa terre. Érasme nous<br />

appr<strong>en</strong>d que la plupart <strong>de</strong>s maisons étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core dé-<br />

pourvues <strong>de</strong> cheminées, et qu'on y marchait sur la terre<br />

nue, faute <strong>de</strong> carreaux ou <strong>de</strong> briques; les lits consis-<br />

tai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> un monceau <strong>de</strong> paille rarem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>ouvelée, et<br />

un bloc <strong>de</strong> bois mal équarri y servait d'oreiller. For-<br />

tescue, qui avait parcouru la France vers cette époque,<br />

disait <strong>de</strong> nos paysans : u Ils boiv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'eau, mang<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s pommes, se font avec du seigle un paid <strong>de</strong> cou-<br />

leur noire et ne sav<strong>en</strong>t pas m&me ce que c'est que la<br />

vian<strong>de</strong>. r<br />

L'établissem<strong>en</strong>t définitif di1 protestantisme <strong>en</strong> Europe<br />

a beaucoup contribué à changer ce triste état <strong>de</strong> choses.<br />

Si la suppression <strong>de</strong>s couv<strong>en</strong>ts ne résolvait pas la ques-<br />

tion <strong>de</strong> paupérisme que leur multiplicité avait compli-<br />

quée, elle forçait du moins une partie <strong>de</strong>s oisifs à<br />

chercher leur exist<strong>en</strong>ce dans le travail. Un trop grand<br />

nombre <strong>de</strong> jours fériés étai<strong>en</strong>t perdus pour la produc-<br />

tion : les protestants le réduisir<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s proportions<br />

conv<strong>en</strong>ables, et bi<strong>en</strong>tôt les contrées oii leurs réformes


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXII. 297<br />

avai<strong>en</strong>t triomphé prés<strong>en</strong>tèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>ces profon<strong>de</strong>s<br />

avec les pays catholiques. A mesure que leurs popula.-<br />

tions ne pouvai<strong>en</strong>t plus vivre d'aumônes, elles contrac-<br />

tai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s plus laborieuses et plus régulières,<br />

qui subsist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core et qui les distingu<strong>en</strong>t d'une ma-<br />

nière très-remarquable <strong>en</strong> Europe. C'est <strong>de</strong>puis le schisme<br />

<strong>de</strong> H<strong>en</strong>ri VI11 et l'abolition <strong>de</strong>s couv<strong>en</strong>ts que l'Angle-<br />

terre a marché, au travers <strong>de</strong>s plus cruelles vicissitu<strong>de</strong>s,<br />

vers son développem<strong>en</strong>t actuel. CAllemagne doit aussi<br />

au protestantisme <strong>de</strong>s résultats semblables, et mbme<br />

<strong>en</strong>core aujourd'hui la partie catholique <strong>de</strong> ce beau pays<br />

est inférieure <strong>en</strong> civilisation, <strong>en</strong> richesses et <strong>en</strong> lumières,<br />

à la partie protestante. Voyez G<strong>en</strong>ève et les cantons<br />

suisses réformés : quelle différ<strong>en</strong>ce avec les cantons<br />

catholiques ! La <strong>de</strong> la Hollan<strong>de</strong>, après sa ré-<br />

volte contre les Espagnols monopoleurs et persécuteurs,<br />

ne reconnut pas d'autres causes. En France meme, lors-<br />

que plus tard Louis XIV mal inspire signa la faméuse<br />

révocation <strong>de</strong> l'édit <strong>de</strong> Nantes, les protestants bannis<br />

du territoire allèr<strong>en</strong>t donner <strong>de</strong>s leçons d'industrie à<br />

toute l'Europe. La Flandre, la Suisse, l'Angleterre, la<br />

Prusse ' s'<strong>en</strong>richir<strong>en</strong>t du fruit <strong>de</strong> leurs travaux. Leur<br />

« A I'avénem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Frédéric-Guillaume à la rég<strong>en</strong>ce, dit un<br />

écrivain allemand, un prince <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> Bran<strong>de</strong>bourg, on ne<br />

faisait dans ce pays ni chapeaux, ni bas, ni serges, ni aucune<br />

6toffe <strong>de</strong> laine ; l'industrie <strong>de</strong>s Français nous <strong>en</strong>richit <strong>de</strong> toutes ces<br />

manufactures. Ils Btablir<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s fabriques <strong>de</strong> drap, <strong>de</strong> serges,<br />

d'&amines, <strong>de</strong> petites étoffes, <strong>de</strong> droguets, <strong>de</strong> bonnets et <strong>de</strong> bas<br />

tissés sur <strong>de</strong>s métiers, <strong>de</strong> chapeaux <strong>de</strong> castor, <strong>de</strong> poil <strong>de</strong> chèvre et<br />

<strong>de</strong> lapin, <strong>de</strong> teintures <strong>de</strong> toules les espèces. Quelques-uns <strong>de</strong> ces<br />

réfugiés se tir<strong>en</strong>t marchands et débitèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> détail l'industrie <strong>de</strong>s<br />

autres. Berlin eut <strong>de</strong>s orfévres, <strong>de</strong>s bijoutiers, <strong>de</strong>s horlogers, <strong>de</strong>s<br />

sculpteurs, et les Français'qui s'établir<strong>en</strong>t dans le plat pays y cul-<br />

tivèr<strong>en</strong>t le tabac et fir<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s fruits et <strong>de</strong>s légumes excel-<br />

l<strong>en</strong>ts dans les contrées sablonneuses, qui par leurs soins <strong>de</strong>vin-<br />

r<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s potagers admirables. D<br />

17.


298 HISTOIRE<br />

prosélytisme ar<strong>de</strong>nt et sévhre <strong>en</strong>traina beaucoup d'es-<br />

prits généreux et leur fit accepter <strong>de</strong>s sacrifices que la<br />

mollesse indol<strong>en</strong>te et fastueuse du catholicisme aurait<br />

toujours repoussés. La simplicité <strong>de</strong> leur culte et <strong>de</strong><br />

leur costume ménagea pour les besoins <strong>de</strong> l'industrie<br />

<strong>de</strong>s capitaux imm<strong>en</strong>ses consacrés dans toute l'Europe<br />

catholique à <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir la majesté <strong>de</strong>s temples ou le luxe<br />

<strong>de</strong>s prélats.<br />

La révolution ne fut pas moins décisive <strong>en</strong> tout ce qui '<br />

touche <strong>de</strong> plus prés aux questions sociales débattues<br />

<strong>de</strong>puis le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s siécles. L'esprit d'associa-<br />

tion se manifesta dans les rangs catholiques pour atta-<br />

' quer et dans les sectes protestantes pour se déf<strong>en</strong>dre.<br />

L'imprimerie, qui v<strong>en</strong>ait d'étre découverte comme une<br />

arme nouvelle, servit avec avantage les <strong>de</strong>ux partis et<br />

prit rang parmi les puissances. La lutte tout intellec-<br />

tuelle qui s'établit d'abord, força les dissi<strong>de</strong>nts à l'étu<strong>de</strong><br />

et ah raisonnem<strong>en</strong>t, et la lumière, néedu sein <strong>de</strong> l'erreur<br />

et du trouble, finit par se rPpandre sur les objets mbme<br />

qui paraissai<strong>en</strong>t le plus étrangers à ces disputes. Une<br />

réforme conduisit à une autre : la scolastique fut rem-<br />

placée par la philosophie, et la morale <strong>de</strong>s casuistes s'é-<br />

vanouit <strong>de</strong>vant celle <strong>de</strong> l'Évangile. Tout le mon<strong>de</strong> se mit<br />

à l'œuvre, et il se fit à c6té <strong>de</strong>s plus hautes modifications<br />

religieuses <strong>de</strong>s changem<strong>en</strong>ts industriels inatt<strong>en</strong>dus.<br />

Ainsi, la seule suppression <strong>de</strong>s jours maigres prescrits<br />

par les comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l'Église catholique, am<strong>en</strong>a<br />

' ilne diminution considérable dans les armem<strong>en</strong>ts consa-<br />

crés à la pêche. La Hollan<strong>de</strong> consomma plus <strong>de</strong> vian<strong>de</strong>,<br />

à mesure qu'elle consommait moins <strong>de</strong> poisson. Ses ma-<br />

riniers se fir<strong>en</strong>t agriculteurs, et ils élevèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s bœufs<br />

au lieu <strong>de</strong> pecher du har<strong>en</strong>g. Le contre-coup <strong>de</strong> la ré-<br />

forme protestante produisit aussi d'autres effets d'un


-<br />

DE L'ECONOIIIE POLITIQUE. CHAP. XXlI. 299<br />

ordre plus élevé, quoique plus indirects. Lorsque Philippe<br />

II s'empara du Portugal et ferma l'<strong>en</strong>trepôt <strong>de</strong><br />

Lisbonne aux marchands hollandais accoutumés à y<br />

acheter les marchandises dc l'ori<strong>en</strong>t, ceux-ci allèr<strong>en</strong>t<br />

les chercher directem<strong>en</strong>t aux In<strong>de</strong>s et y jetèr<strong>en</strong>t les fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong> leur puissance coloniale. Une bouta<strong>de</strong> religieuse<br />

<strong>de</strong> ce mauvais prince fit perdre aux Espagnols<br />

l'empire <strong>de</strong> la mer.<br />

Mais il était donné au protestantisme <strong>de</strong> revbtir un caractère<br />

plus élevé et d'exercer une influ<strong>en</strong>ce plus générale,<br />

lorsqu'il eut emprunté le secours <strong>de</strong> la langue française,<br />

qui ache~a <strong>de</strong> le populariser <strong>en</strong> Europe. A partir<br />

<strong>de</strong> cette époque, la réforme <strong>de</strong>vint un auxiliaire <strong>de</strong> la<br />

<strong>politique</strong>, et les guerres <strong>de</strong> religion qui ont désolé notre<br />

pays prouvèr<strong>en</strong>t assez qu'on <strong>en</strong> avait pris au sérieux les<br />

doctrines et les conséqu<strong>en</strong>ces. Les masses pauvres comm<strong>en</strong>çai<strong>en</strong>t<br />

a compr<strong>en</strong>dre l'importance d'un cliangem<strong>en</strong>t<br />

qui les débarrassait <strong>de</strong>s dîmes ecclésiastiques, et les<br />

classes élevées ne voyai<strong>en</strong>t passansintérbt le mouvem<strong>en</strong>t<br />

religieux qui leur r<strong>en</strong>dait la liberté d'exam<strong>en</strong> et l'indép<strong>en</strong>dance<br />

<strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée. Les propriétés <strong>de</strong> l'Église, naguère<br />

exemptes d'impôts, r<strong>en</strong>trai<strong>en</strong>t dans le domaine<br />

public et soulageai<strong>en</strong>t les contribuables du poids <strong>de</strong>s<br />

taxes innombrables dont ils étai<strong>en</strong>t accablés. Une part<br />

<strong>en</strong> revint àl'aristocratie et l'attacha aux nouyelles idCes,<br />

<strong>en</strong> augm<strong>en</strong>tanttout à la fois saconsidération et sa fortune.<br />

Les petits princes d'Allemagne les avai<strong>en</strong>t accueillies<br />

comme un mol <strong>en</strong> <strong>de</strong> ralliem<strong>en</strong>t contre la domination <strong>de</strong><br />

Cbarles-Quint ; les g<strong>en</strong>tilshommes <strong>de</strong> France s'y rattachèr<strong>en</strong>t<br />

pour augm<strong>en</strong>ter leur influ<strong>en</strong>ce locale ct parce<br />

que le protestantisme s'accordait parfaitem<strong>en</strong>t avec leurs<br />

habitu<strong>de</strong>s provinciales. Il y eut un momcnt ou l'Europe<br />

fut ~artag'hr critrc lc lbtlPiali,irie protestant cl I'I)II~(&


300 IIISTOIRE<br />

catholique. Elle se serai1 couverte <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s cités<br />

libres' à l'inslar <strong>de</strong>s villes anséatiques ou <strong>de</strong> petits Etats<br />

indép<strong>en</strong>dants comme les républiques itali<strong>en</strong>nes, si le<br />

principe calviniste avait complétem<strong>en</strong>t triomphé; elle<br />

aurait été absorbée <strong>en</strong> <strong>de</strong>ux ou trois gran<strong>de</strong>s monarchies,<br />

peut-être <strong>en</strong> une seule, si ce principe avait <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t<br />

disparu. Que serait <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue la civilisation, sous l'influ<strong>en</strong>ce<br />

<strong>de</strong> l'un ou <strong>de</strong> l'autre événém<strong>en</strong>t? On ne saurait<br />

e dire ; mais la prospérité <strong>de</strong>s pays protestants ne per-<br />

]met pas <strong>de</strong> douter que la réforme eût beaucoup activé<br />

le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la richesse publique ; nous n'aurions<br />

pas vu le rev<strong>en</strong>u social europb<strong>en</strong> dévoré par trois<br />

ou quatre puissances belligérantes, plus occup~es <strong>de</strong>s<br />

intéréts <strong>de</strong> leur agrandissem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> leur <strong>politique</strong> que<br />

du bi<strong>en</strong>-Btre <strong>de</strong>s peuples.<br />

Il fallait bi<strong>en</strong> que le protestantisme r<strong>en</strong>fermât dans<br />

son seiii <strong>de</strong>s germes féconds d'av<strong>en</strong>ir, puisque partout<br />

oii il s'est établi, les populations ont contracté <strong>de</strong>s habi-<br />

til<strong>de</strong>s pliis régulières, <strong>de</strong>s meurs plus austères, une<br />

prop<strong>en</strong>sion plus prononcée vers le travail. Comparez la<br />

Hollan<strong>de</strong> et le Portugal, l'Angleterre et l'Espagne, l'Al-<br />

lemagne luthéri<strong>en</strong>ne et l'Allemagne catholique : quel<br />

contraste sous le rapport <strong>de</strong>s lumières, <strong>de</strong> la richesse et<br />

<strong>de</strong> la moralité ! Quelle diffkr<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre la vie qui regne<br />

chez les uns et la langueur où végèt<strong>en</strong>t les autres ! On<br />

<strong>en</strong> peut bi<strong>en</strong> juger désormais <strong>en</strong> Amhique, oii la civili-<br />

sation semble avoir établi ses <strong>de</strong>ux cxtrémes : les États-<br />

Unis du nord sont parv<strong>en</strong>us au plus haut <strong>de</strong>grb. <strong>de</strong> pros-<br />

périté sous l'influ<strong>en</strong>ce du libre exam<strong>en</strong> et avec <strong>de</strong>s<br />

populations protestantes ; les républiques du sud, malgré<br />

les avantages naturels <strong>de</strong> leur climat et la richesse <strong>de</strong><br />

leur sol, n'ont pu <strong>en</strong>core établir un gouvernem<strong>en</strong>t régu-<br />

lier à raiise <strong>de</strong>. leurs préjugés catholiques. L'oisiveté et


HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXII. 301<br />

la m<strong>en</strong>dicité y régn<strong>en</strong>t toujours comme dans leur an-<br />

ci<strong>en</strong>ne métropole, tandis que le travail <strong>de</strong>s Américains<br />

du Nord a mis les forêts <strong>en</strong> culture et peuplé les déserts<br />

<strong>de</strong> villes opul<strong>en</strong>tes <strong>en</strong> moins <strong>de</strong> cinquante ans. Malheu-<br />

reusem<strong>en</strong>t, le protestantisme, si habile à multiplier la<br />

richesse, n'a pas <strong>en</strong>core trouvé le-secret <strong>de</strong> la distribuer<br />

avec impartialité parmi toutes les classes qui la pro-<br />

duis<strong>en</strong>t. 11 a brisé le li<strong>en</strong> qui unissait les nations chré-<br />

ti<strong>en</strong>nes, et substitué 1'é.goisme national à l'harmonie<br />

universelle où t<strong>en</strong>dait le catholicisme. Il n'y a plus au-<br />

jourd'hui <strong>en</strong> Europe <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée commune <strong>en</strong> état <strong>de</strong> ral-<br />

lier les esprits et les coiivictions. En industrie, <strong>en</strong> poli-<br />

tique, <strong>en</strong> philosophie, <strong>en</strong> religion, les idées flott<strong>en</strong>t au<br />

gré du souffle <strong>de</strong>s révolutions. Chaque jour on défait<br />

l'ouvrage <strong>de</strong> la veille. Les geuples se disput<strong>en</strong>t les dé-<br />

bouchés et se font concurr<strong>en</strong>ce, au lieu <strong>de</strong> s'associer<br />

sous l'empire <strong>de</strong> leurs besoins ct pour l'échange<strong>de</strong> leurs<br />

produits respectifs. Je <strong>de</strong>sire avant tout être juste; mais<br />

je ne puis m'empêcher <strong>de</strong> reconnaître que, si le vieux<br />

catholicisme n'a pas su SC mettre à la tête <strong>de</strong> la produc-<br />

tion <strong>de</strong>s richesses, on n'a point à lui reprocher cette sé-<br />

cheresse <strong>de</strong> doctrines <strong>en</strong> vertu <strong>de</strong>laquelle la distribution<br />

s'<strong>en</strong> fait d'une manière si peu équitable dans les pays<br />

protestants. II faut donc qu'aujourd'hui césoit lasci<strong>en</strong>ce<br />

qui se charge <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> ce grand sacerdoce, <strong>en</strong><br />

prêchant la paix et la solidarité aux nations, et <strong>en</strong> leur<br />

démontrant que leurs intérêts sont communs, malgré<br />

l'appar<strong>en</strong>te opposition qu'ils prés<strong>en</strong>teiit. Cette vkrité<br />

ressortira plus frappante d'un rapi<strong>de</strong> exam<strong>en</strong> du systeme<br />

colonial.


CHAPITRE XXIII.<br />

Desconséqu<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la découverle du Nouveau-Mon<strong>de</strong> et du sys-<br />

terne colonial <strong>de</strong>s Europé<strong>en</strong>s dans les <strong>de</strong>ux In<strong>de</strong>s.<br />

Les grands profits que les Véniti<strong>en</strong>s retirai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur<br />

commerce avec l'In<strong>de</strong>, avai<strong>en</strong>t excité <strong>de</strong>puis Iongtemps<br />

l'émulation et la jalousie <strong>de</strong>s autres peuples. P<strong>en</strong>dant<br />

toute la durée du quinzième siècle, les Portugais n'avai<strong>en</strong>t<br />

cessé <strong>de</strong> chercher, une route qui les conduisit par mer<br />

aux pays d'ou les Maures leur apportai<strong>en</strong>t, & travers le<br />

désert, <strong>de</strong> l'ivoire et <strong>de</strong> la poudre d'or. Ce fut ainsi que<br />

d'escale <strong>en</strong> escale le long <strong>de</strong>s cbtes d'Afrique, Vasco <strong>de</strong><br />

Gama s'avança jusqu'au cap <strong>de</strong> Bonne-Espérance et dé-<br />

couvrit les rivages <strong>de</strong> l'Indostan, <strong>en</strong> 1497, après une<br />

navigation <strong>de</strong> onze mois. Cinq années auparavant,<br />

Christophe Colomb abordait <strong>en</strong> Amérique et dotait sa<br />

patrie etle mon<strong>de</strong> d'un nouvel hémisphére. L'l'urope se<br />

trouve donc tout à coup et sans préparation lancée dans<br />

la voie <strong>de</strong>s conqu&tes coloniales, qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t exercer<br />

une influ<strong>en</strong>ce si profon<strong>de</strong> sur ses <strong>de</strong>stinées.<br />

On ne saurait comparer avec exactitu<strong>de</strong> le système<br />

qu'elle suivit à leur égard, avec celui qui dirigea les<br />

Grecs et les Romains dans leurs établissem<strong>en</strong>ts du m&me<br />

g<strong>en</strong>re. Les colonies grecques s'étai<strong>en</strong>t gén8ralemcrit


HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP.' XXIII. 303<br />

peuplées <strong>de</strong> citoy<strong>en</strong>s forcés <strong>de</strong> s'expatrier par la vio-<br />

l<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s factions ou par l'impossibilité <strong>de</strong> trouver<br />

une exist<strong>en</strong>ce suffisante dans leur pays. On a vu que<br />

ces co'lonies jouissai<strong>en</strong>t d'une certaine indép<strong>en</strong>dance,<br />

et que la plupart d'<strong>en</strong>tre elles <strong>de</strong>vinr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> véritables<br />

empires. Les colonies romaines s'étai<strong>en</strong>t élevkes sur <strong>de</strong>s<br />

bases différ<strong>en</strong>tes : leur administration intérieure, moins<br />

indép<strong>en</strong>dante que celle <strong>de</strong>s possessions grecques, était<br />

mo<strong>de</strong>lée sur le régimc <strong>de</strong> la métropole, qui les corisidé-<br />

rait tout à la fois comme <strong>de</strong>s asiles pour les citoy<strong>en</strong>s<br />

pauvres ou mécont<strong>en</strong>ts et comme <strong>de</strong>s avant-postes mili-<br />

taircs <strong>en</strong> pays étranger. Ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> pareil ne se retrouve<br />

dans la p<strong>en</strong>sée qui inspira les expéditions espagnoles et<br />

portugaises, et qui a dirigé, <strong>de</strong>puis, tous les établisse-<br />

m<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s Europé<strong>en</strong>s dans les <strong>de</strong>ux In<strong>de</strong>s. C'est à'la<br />

recherche <strong>de</strong> l'or et <strong>de</strong>s richesses que Vasco <strong>de</strong> Gama et<br />

Christophe Colomb, ces sublimes av<strong>en</strong>turiers, courai<strong>en</strong>t<br />

avec une persévérance héroïque, quand ils arrivèr<strong>en</strong>t sur<br />

ces rivages où leur apparition <strong>de</strong>vait faire couler tant<br />

<strong>de</strong> sang et <strong>de</strong> larmes. On n'a qu'à lire le récit <strong>de</strong> leurs<br />

premiers exploits pour se convaincre queleur but n'&tait<br />

ni <strong>de</strong> civiliser, ni même, quoiqu'ils l'ai<strong>en</strong>t dit, <strong>de</strong> con-<br />

vertir les populations ; mais <strong>de</strong> les dépouiller, <strong>en</strong> les<br />

exterminant au besoin.<br />

Lor8qiie Christophe Colomb revint <strong>en</strong> Europe et qu'il<br />

fut prés<strong>en</strong>té eil gran<strong>de</strong> pompe à la cour <strong>de</strong> Castille, ce<br />

qui frappa le plus agréablem<strong>en</strong>t ses illustres hbtes, ce<br />

fut une collection <strong>de</strong> lamcs d'or, <strong>de</strong> bracelets d'or, <strong>de</strong><br />

morceaux d'or, mêlés à quelques balles <strong>de</strong> coton, qu'il<br />

apportait avec lui <strong>de</strong>s pays nouvellem<strong>en</strong>t découverts.<br />

Fernand Cortez et Pizarr<strong>en</strong>e cherchèr<strong>en</strong>tpas autre chose<br />

dans leurs audacicuses expéditions au Mexique et au<br />

Pérou, et l'on sait quelles fur<strong>en</strong>t leur surprise e.t leur


304 HISTOIRE<br />

joie à la vue <strong>de</strong>s trésors qu'ils allai<strong>en</strong>t conquérir.. C'est<br />

l'amour <strong>de</strong> l'or qui a condriit ces courageux flibustiers<br />

aux extremités du mon<strong>de</strong>, ct qui leur a fait surmonter<br />

les plus formidables obstacles. Partout où ils meitai<strong>en</strong>t<br />

le pied, ils <strong>de</strong>mandai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> l'or; et ils se<br />

r<strong>en</strong>ibarquai<strong>en</strong>t lorsqu'il n'y <strong>en</strong> avait pas à ravir. C'est à<br />

cette cause qu'on doit attribuer principalem<strong>en</strong>t l'extréme<br />

l<strong>en</strong>teur du progrès <strong>de</strong>s colonies espagnoles. L'or et l'ar-<br />

g<strong>en</strong>t accumulés par les indigènes fur<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>tôt épuisés,<br />

et les flots d'émigrés qui suivir<strong>en</strong>t la conquéte employè-<br />

r<strong>en</strong>t toute leur activité aux travaux généralem<strong>en</strong>t impro-<br />

ductifs <strong>de</strong>s mines. Ce ne fut qu'après <strong>de</strong> longs et stériles<br />

essais dans cet te carrière hasar<strong>de</strong>use qu'on s'aperçut<br />

qu'il y avait dans le sol américain <strong>de</strong>s ressources<br />

bi<strong>en</strong> autrem<strong>en</strong>t riches et fécon<strong>de</strong>s que ses mines d'or et<br />

d'arg<strong>en</strong>t.<br />

Nais les préjugés <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drés par cette fièvre <strong>de</strong> métaux<br />

précieux ne disparur<strong>en</strong>t pas avec les circonstances qui<br />

les avai<strong>en</strong>t fait naître. On sait le r&ve <strong>de</strong> sir Walter Ra-<br />

leighsur laville d'or et le pays d'Eldorado. Plus <strong>de</strong> c<strong>en</strong>t<br />

ans'après la mort <strong>de</strong> sir Walter, le jésuite Gumila était<br />

<strong>en</strong>core pefsuadé <strong>de</strong> l'exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> cette contrée merveil-<br />

leuse, et il exprimait avecbeaucoup <strong>de</strong> chaleur combi<strong>en</strong><br />

il serait heureux <strong>de</strong> pouvoir porter la lumière <strong>de</strong> l'Évan-<br />

gile. che7; un peuple <strong>en</strong> état <strong>de</strong> recomp<strong>en</strong>ser aussi géné-<br />

reusem<strong>en</strong>t les pieux travaux <strong>de</strong>s missionnaires '. Chaque<br />

Espagnol croyait s'embarquer pour la terre promise <strong>en</strong><br />

faisant voile pour l'Amérique. La cupidité <strong>de</strong> la multi-<br />

tu<strong>de</strong> était sans cesse excitée par <strong>de</strong>s rapports exagérés<br />

auxquels on peut lui pardonner d'avoir ajoute foi, <strong>en</strong><br />

prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s trésors qu'elle voyait continuellem<strong>en</strong>t arri-<br />

1 Adam Smith, Richesse <strong>de</strong>s nations, liv. IV, chap. 7.


DE L'DCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIII. 305<br />

ver <strong>de</strong> ces lieux poétiques. Peu à peu la nation espagnole<br />

tout <strong>en</strong>tière s'accoutuma à l'idée <strong>de</strong> faire fortune sans<br />

travailler, et elle dédaignanon-seulem<strong>en</strong>t les occupations<br />

agricoles, qui aurai<strong>en</strong>t pu changer la face <strong>de</strong> l'Amérique,<br />

mais qui lui étai<strong>en</strong>t nécessaires pour empkcher la déca-<br />

<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> son propre pays. Chaque citoy<strong>en</strong> espagnol se<br />

crut un g<strong>en</strong>tilhomme investi <strong>de</strong> son fief dans le Xouveau-<br />

Mon<strong>de</strong>, et la législation coloniale vint bi<strong>en</strong>tbt confirmer<br />

ce ficheux préjugé. L'Amérique fut considérée comme<br />

une propriété nationale <strong>de</strong> la métropole, et celle-ci lui<br />

imposa <strong>de</strong>s règlem<strong>en</strong>ts dont la tyrannique absurdité est<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue égalem<strong>en</strong>t funeste aux <strong>de</strong>ux pays. Nous <strong>en</strong><br />

avons déjà signalé quelques-uns dans notre esquisse ra-<br />

pi<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> <strong>de</strong> Charles-Quint.<br />

Telle a été l'origine <strong>de</strong>s préjugés coloniaux qui ont<br />

<strong>en</strong>travé si longtemps la prospérité du mon<strong>de</strong> et frappé'<br />

<strong>de</strong> stérilité, aux mains <strong>de</strong> ses auteurs, la découverte du<br />

nouveau contin<strong>en</strong>t. L'esclavage noir, cette honte <strong>de</strong> la<br />

civilisation, n'<strong>en</strong> est qu'un épiso<strong>de</strong>, et quoiqu'il existe<br />

<strong>en</strong>core, nous espérons que sa <strong>de</strong>rnière heure n'est pas<br />

loin <strong>de</strong> sonner. Mais il est d'autres vices qui seront lorig-<br />

temps incurables, parce que leur origine remonte aux<br />

premiers jours <strong>de</strong>laconquête, et qu'ils ont profondém<strong>en</strong>t<br />

pénétré dans les meurs coloniales. On s'est trop habi-<br />

tué à vivre aux dép<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s travailleiirs <strong>de</strong> tout ordre, et<br />

tandis qu'au Mexique et au Pérou les colons exploitai<strong>en</strong>t<br />

sans pitié les malheureux indigènes, la métropole, non<br />

moins impitoyable, <strong>en</strong>levait aux colons le fruit <strong>de</strong> leurs<br />

rapines, sous les noms <strong>de</strong> tarifs, <strong>de</strong> dîmes, d'alcavala<br />

et vingt autressemblables. Cette mauvaise économie po-<br />

litique a infesté l'Europe et prépar6 les rivalités indus-<br />

trielles et commerciales d'où sortiront presque toutes les<br />

guerres mo<strong>de</strong>rnes.


306 HISTOIRE<br />

En att<strong>en</strong>dant que nous assistions à ces événem<strong>en</strong>ts<br />

déplorables, il convi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> signaler ici l'un <strong>de</strong>s résultats<br />

les plus curieux que la découverte du Nouveau Mon<strong>de</strong><br />

ait fournis à la sci<strong>en</strong>ce. Quand les Espagnols fur<strong>en</strong>t las<br />

d'expérim<strong>en</strong>ter sur les mines, ils se livrèr<strong>en</strong>t il quelques<br />

essais agricoles, tels que la culture <strong>de</strong> la canne à sucre<br />

et celle du coton. On vit alors le phénomène d'une po-<br />

pulation maitresse <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> terres qu'elle n'<strong>en</strong> pouvait<br />

cultiver, obligée d'accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s salaires très-élevés ii<br />

<strong>de</strong>s ouvriers <strong>en</strong> état <strong>de</strong> <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir eux-mémes propriétaires<br />

et <strong>de</strong> salarier, à leur tour, d'autres ouvriers bi<strong>en</strong>tdt<br />

assez riches pour les quitter. La récomp<strong>en</strong>se libérale du<br />

travail <strong>en</strong>couragea les mariages, et contribua à l'aug-<br />

m<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la population. C'est ainsi que les États-<br />

Unis ont vu, dans moins d'un <strong>de</strong>mi-siècle, le nombre <strong>de</strong><br />

leurs habitants s'élever <strong>de</strong> douze c<strong>en</strong>t mille Bmes à<br />

plus <strong>de</strong> quinze millions, tandis que les colonies espa-<br />

gnoles <strong>de</strong> l'Amérique du Sud, vouées à l'oisiveté, et<br />

rongées par <strong>de</strong>s corporations civiles et religieuses égale-<br />

m<strong>en</strong>t parasitcs, n'oqt cessé <strong>de</strong> marcher vers leur déca-<br />

<strong>de</strong>nce. Aujourd'hui mème, r<strong>en</strong>dues à leur indép<strong>en</strong>-<br />

dance, elles se débatt<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core tristem<strong>en</strong>t dans les<br />

langes du passé, sous le poids <strong>de</strong>s vices et <strong>de</strong> l'impé-<br />

ritie <strong>de</strong> leurs premiers fondateurs.<br />

La gran<strong>de</strong> erreur <strong>de</strong> ce systhme, inv<strong>en</strong>té par les<br />

Espagnols, fut <strong>de</strong> chercher à isoler du reste <strong>de</strong> l'univers<br />

lin mon<strong>de</strong> qui avait plus <strong>de</strong> trois mille lieues <strong>de</strong> chtes<br />

accessibles. Les Espagnols oublièr<strong>en</strong>t trop vite que<br />

c'était <strong>en</strong> haine du monopole véniti<strong>en</strong> que les Portugais<br />

avai<strong>en</strong>t cherché fortune dans les découvertes maritimes,<br />

et qu'eux-m&mes croyai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> avoir <strong>en</strong>voyé Christophe<br />

Colomb aux ln<strong>de</strong>s ori<strong>en</strong>tales , lorsqu'il découvrit les<br />

In<strong>de</strong>s occi<strong>de</strong>ntales. Ce nom coinmun appliqué à <strong>de</strong>s


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIII. 307<br />

colonies si différ<strong>en</strong>tes témoigne vivem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'esprit<br />

qui animait alors les voyageurs <strong>de</strong> la Péninsule ibé-<br />

rique. Pourquoi donc s'écartai<strong>en</strong>t-ilç si positivem<strong>en</strong>t du<br />

principe qui leur avait fait <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre tant <strong>de</strong> si<br />

gran<strong>de</strong>s choses? Nous l'avons dit : l'esprit <strong>de</strong> mono-<br />

pole <strong>en</strong> haine duquel les Espagnols découvrir<strong>en</strong>t 1'Amé-<br />

rique el que leur gouvernem<strong>en</strong>t y Stablit sur <strong>de</strong>s bases<br />

si odieuses, fut une nécessité <strong>de</strong> la <strong>politique</strong> gaer-<br />

royante <strong>de</strong> Charles- Quint; réduit sans cesse aux expé-<br />

di<strong>en</strong>ts, et pressé par le besoin d'arg<strong>en</strong>t, ce prince rie<br />

vit dans l'Amérique qu'uhe mine d'or et l'exploita sans<br />

pitié, parce qu'il était sans ressources. Toute sa 1é-<br />

gislation n'eut pour but que <strong>de</strong> dépouiller les naturels<br />

au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong>s colons, et les colons au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong>s tarifs.<br />

Malgré la justice <strong>de</strong> son coup d'œil et sa haute expé-<br />

ri<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s clloses, Charles-Quint ne se douta jamais<br />

du parti qu'il aurait pu tirer <strong>de</strong> sa riche conquéte, s'il<br />

l'eût sagem<strong>en</strong>t administrée, au lieu <strong>de</strong> la pressurer sans<br />

ménagem<strong>en</strong>t. Ses successeurs ont tué la poule aux œufs<br />

d'or ; mais il lui avait déjà ouvert les <strong>en</strong>trailles.<br />

Ce mauvais exemple, donné par les Espagnols, fut<br />

malheureusem<strong>en</strong>t imité par toutes les nations euro-<br />

pé<strong>en</strong>nes dans leurs rapports avec leurs colonics. 11 n'y<br />

<strong>en</strong> eut pas une seule qui ait soiigé aux bénéfices im-<br />

m<strong>en</strong>ses qu'elle aurait pu obt<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> la liberté du com-<br />

merce, <strong>en</strong> la niettant sons la proteciion <strong>de</strong> son pavillon.<br />

Chaque métropole se considéra comme propriétaire <strong>de</strong><br />

sa colonie, et l'03 vit le wonl<strong>en</strong>t oh l'esclavage dc na-<br />

tion à nation allait succb<strong>de</strong>r à la servitu<strong>de</strong> personnelle.<br />

Portugais, Français, Anglais, Hollandais, Suedois et<br />

Danois, tous obéir<strong>en</strong>t au meme préjugé, et l'ont cruel-<br />

lem<strong>en</strong>t expié <strong>de</strong>puis, par <strong>de</strong>s milicomples irréparables.<br />

Le Brésil s'est- séparé du Portugal; la France a perdu


308 HISTOIRE<br />

Saint-Domingue, l'Angleterre a été chassée <strong>de</strong>s ~tats-<br />

Unis, la Hollan<strong>de</strong> est réduite à I'ile <strong>de</strong> Java, et l'Es-<br />

pagne n'a plus que Cuba et les Philippines. Ce n'est pas<br />

que le systéme colonial <strong>de</strong> ces nations ait été absolu-<br />

m<strong>en</strong>t le mbme. Quelques-unes d'<strong>en</strong>tre elles ont admi-<br />

nistré directem<strong>en</strong>t leurs colonies, comme l'Espagne et<br />

Ie Portugal; d'autres <strong>en</strong> ont livré le gouvernem<strong>en</strong>t à<br />

<strong>de</strong>s compagnies privilégiées , comme ont fait l'Angle-<br />

terre, la France, la Hollan<strong>de</strong> et le Danemark. Nais, s'il<br />

y avait quelques différ<strong>en</strong>ces dans les procédés <strong>de</strong> toutes<br />

ces administrations, il n'y <strong>en</strong> avait point dans la p<strong>en</strong>sée<br />

qui les dirigeait. partout on voulait exploiter la con-<br />

qu&te à la manière grecque et romaine, et pour y par-<br />

v<strong>en</strong>ir, on multiplia les règlem<strong>en</strong>ts, les restrictions, les<br />

prohibitions, et trop souv<strong>en</strong>t les supplices. Les com-<br />

pagnies privilégiées exploitai<strong>en</strong>t leurs monopoles avec<br />

la plus impitoyable rigueur. Les colons étai<strong>en</strong>t obligés<br />

<strong>de</strong> leur v<strong>en</strong>dre la totalité <strong>de</strong> leurs produits siirabon-<br />

dants. Le monopole fixait les prix au taux le plus élevé<br />

quand il v<strong>en</strong>dait, et au'taux le plus bas quand il ache-<br />

tait. Souv<strong>en</strong>t même l'intérbt <strong>de</strong>s compagnies était d'a-<br />

vilir la valeur <strong>de</strong>s produits coloniaux et d'<strong>en</strong> arrêter<br />

l'accroissem<strong>en</strong>t pour que le prix pùt <strong>en</strong> étre maint<strong>en</strong>u<br />

très-élevé <strong>en</strong> Europe. Cette rage a désolé une partie <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, et l'on a vu les Hollandais mettre le feu<br />

aux plantations d'arbres à épices dans les îles lifolu-<br />

ques, pour empbcher que leurs rivaux n'<strong>en</strong> puss<strong>en</strong>t<br />

profiter.<br />

D'autres nations, sans accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong> priviléges à <strong>de</strong>s<br />

compagnies escIusives, ont restreint le commerce colo-<br />

nial à un seul port <strong>de</strong> la métropole, duquel il n'était<br />

permis à aucun navire <strong>de</strong> mettre à la voile, excepté à<br />

une époque déterminée , soit seul, soit <strong>en</strong> convoi, à


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIII. 309<br />

moins d'une autorisation spéciale. Cette circonstance<br />

obligeait les armateurs <strong>de</strong> s'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre et souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

s'associer, pour ne pas se nuire par la concurr<strong>en</strong>ce;<br />

et l'effet <strong>de</strong>meurait le même à l'égard <strong>de</strong>s colons, tou-<br />

jours obligés d'acheter cher et <strong>de</strong> v<strong>en</strong>dre à bon marché.<br />

Les métropoles les plus libérales ont quelquefois modi-<br />

fié ces règlem<strong>en</strong>ts dans la forme, mais elles n'ont jamais<br />

cessé <strong>de</strong> considérer les colonies comme <strong>de</strong>s possessions<br />

soumises <strong>de</strong> droit à une justice exceptionnelle. Malgré<br />

les révolutions qui ont protesté à diverses époques contre<br />

cette oppression, toutes les nations europé<strong>en</strong>nes per-<br />

sist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core dans Ie même système. Il y a une législa-<br />

tion particulière pour les colonies <strong>en</strong> France, <strong>en</strong> Angle-<br />

terre, <strong>en</strong> Hollan<strong>de</strong>, <strong>en</strong> Espagne. Ce qui est légitime <strong>en</strong><br />

Europe, cesse <strong>de</strong> l'être <strong>en</strong> Asie, <strong>en</strong> Afrique, <strong>en</strong> Amé-<br />

rique. L'esclavage <strong>de</strong>s nègres est v<strong>en</strong>u compliquer dans<br />

le Nouveau Mon<strong>de</strong> ce régime déjà <strong>en</strong>taché <strong>de</strong> pIus d'un<br />

vice radical. Les colons se sont dédommagés, aux dép<strong>en</strong>s<br />

pe cette race infortunée, <strong>de</strong>s avanies qu'ils essuyai<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s hauts et puissants seigneurs <strong>de</strong> la mé-<br />

tropole; et c'est ainsi que le régime colonial est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u<br />

l'école <strong>de</strong> toutes les immoralités dont la civilisation in-<br />

dustrielle et commerciale est <strong>en</strong>core affligée.<br />

Le funeste principe <strong>de</strong>s monopoles a pénétré m&me<br />

dans les établissem<strong>en</strong>ls où la mère-patrie n'avait pas <strong>de</strong><br />

droit <strong>de</strong> souveraineté à exercer. Au Japon, à la Chine,<br />

sur quelques points du littoral <strong>de</strong> la Méditerranée, où,<br />

faute <strong>de</strong> colonies, on fut réduit à <strong>de</strong>s comptoirs tolérés,<br />

ces comptoirs étai<strong>en</strong>t affermés à <strong>de</strong>s compagnies privi-<br />

légiées, et ce n'est que <strong>de</strong>puis quelques années seule-<br />

m<strong>en</strong>t que les Anglais ont aboli le monopole <strong>de</strong> la<br />

compagnie <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s pour. le commerce d e la Chine,<br />

désormais ouvert à tous les régnicoles. On comm<strong>en</strong>ce


à compr<strong>en</strong>dre aujourd'hui qu'il n'est pas nécessaire<br />

d'être maître d'un pays pour y établir <strong>de</strong>s relations<br />

avantageuses. Quand, après la guerre d'Amérique, le<br />

gouvernem<strong>en</strong>t anglais se vit forcé <strong>de</strong> signer la paix avec<br />

sa colonie émancipée, il y eut dans les ports <strong>de</strong> l'An-<br />

gleterre une émotion générale. La ville <strong>de</strong> Bristol<br />

adressa une pétition au parlem<strong>en</strong>t, pour le supplier <strong>de</strong><br />

refuser sa sanction à cette paix fatale qui <strong>de</strong>vait eutrai-<br />

ner la ruine du commerce britannique; et quelques<br />

années après la signature <strong>de</strong> la paix, la même ville<br />

<strong>de</strong>mandait l'autorisation <strong>de</strong> creuser <strong>de</strong> nouveaux bas-<br />

sins pour ses navires, dont le nombre avait doublé par<br />

suite <strong>de</strong> ses rapports avec les États-unis. En perdant<br />

ses possessions révoltées, la nation anglaise économisait<br />

les frais <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> et d'administration, et son commerce<br />

gagnait <strong>en</strong> ét<strong>en</strong>due et <strong>en</strong> importance beaucoup plus qua<br />

le <strong>de</strong>spotisme colonial n'aurait pu lui donner. Si l'Es-<br />

pagne avait eu le bon esprit <strong>de</strong> faire la paix, <strong>en</strong> temps<br />

opportun, avec les républiques américaines du Sud et<br />

<strong>de</strong> mettre h profit les avantages résultant <strong>de</strong> la con-<br />

formité du langage, <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux peuples, elle ne serait pas aujourd'hui privbe <strong>de</strong><br />

ressources, et son induslrie aurait retrouvé quelques<br />

restes <strong>de</strong> sa vieille spl<strong>en</strong><strong>de</strong>ur.<br />

Qui ne compr<strong>en</strong>d, désormais, les difficultés <strong>de</strong> gou-<br />

verner un pays à <strong>de</strong>ux mille lieues <strong>de</strong> distance, avec<br />

<strong>de</strong>s idées opposées au caractère <strong>de</strong> ses habitants et avec<br />

les dép<strong>en</strong>ses énormes que nécessit<strong>en</strong>t toutes les occupa-<br />

tions lointaines! Le pouvoir tombe donc aux mains <strong>de</strong>s<br />

vice-rois, <strong>de</strong>s proconsiils, <strong>de</strong>s gouverneurs. Le gouver-<br />

nem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la mère-patrie ne voit que par leurs yeux,<br />

n'agit que d'après leurs conseils, et il est trop souv<strong>en</strong>t<br />

dupe <strong>de</strong>s rapports qu'on lui fait. u Les colonies dép<strong>en</strong>-<br />

.


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIII. . 3! 1<br />

dantes, dit J. B. Say ', ont toujours été aussi mal ha-<br />

bitées que mal gouvernées. On n'y va qu'avec l'esprit<br />

<strong>de</strong> retour ; c'est-à-dire pour rev<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> Europe avec une<br />

fortune acquise bi<strong>en</strong> ou mal. )) Aussi, voyez quelle était,<br />

après trois c<strong>en</strong>ts ans <strong>de</strong> domination, la situation <strong>de</strong><br />

la plupart <strong>de</strong>s colonies aujourd'hui <strong>en</strong>fin émancipées !<br />

Elles porteront longtemps les cicatrices <strong>de</strong>s plaies que,<br />

leur a faites la tyrannie <strong>de</strong>s métropoles, et la longue<br />

influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> leurs funestes principes y flétrira p<strong>en</strong>dant<br />

un siècle <strong>en</strong>core tous les essais <strong>de</strong> régénération. E.lles<br />

subiss<strong>en</strong>t la loi commune <strong>de</strong>s individus, heureux par<br />

leur éducation, malheureux quand elle est négligée.<br />

L'Europe a amoncelé dans ces régions du privilége tous<br />

les abus et,tous les vices <strong>de</strong> ses plus mauvais gouverne-<br />

m<strong>en</strong>ts. Elle y a réorganisé l'esclàvage sur une im-<br />

m<strong>en</strong>se échelle, au point que dans plusieurs colonies la<br />

population noire a débordé comme un torr<strong>en</strong>t I'aristo-<br />

cratie blanche. Saint-Domingue a donné le signal <strong>de</strong> la<br />

réaction, qui déjà gron<strong>de</strong> à la Louisiane et au Brésil, et<br />

que l'abolition <strong>de</strong> l'esclavage aux Antilles anglaises pré-<br />

cipitera d'une manière inévitable, si lcs colons récalci-<br />

trants n'ouvr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>fin les yeux. Quand on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d les<br />

révélations 2 que chaque jour amène sur le régime in-<br />

térieur <strong>de</strong>s colonies, on cesse d'être surpris <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong><br />

langueur 0% elles ont vécu et du désespoir qui les a<br />

poussées à la révolte. Jamais un dém<strong>en</strong>ti plus audacieux<br />

n'a été donné aux vues du Créateur. Jamais plus <strong>de</strong><br />

fronts courbés vers la terre n'ont sollicité une réparation<br />

plus tardive et plus méritée.<br />

4 Cours complet à'Economie poiiligue, tome 1, page 629.<br />

2 Il suffit <strong>de</strong> citer l'ouvrage pub116 <strong>en</strong> 1826, à Londres, sous ce<br />

titre : Noticias secretas <strong>de</strong> America, por don Jorge Juan y don An-<br />

tonio 02 UZEoa, in-40.


a<br />

312 HISTOIRE<br />

Cep<strong>en</strong>dant le système colonial n'a été maint<strong>en</strong>u dans<br />

toute sa vigueur que comme un mal temporaire, et dont<br />

l'Europe <strong>de</strong>vait recueillir, dans un av<strong>en</strong>ir plus ou<br />

moins prochain, les plus brillantes comp<strong>en</strong>sations. Les<br />

priviléges <strong>de</strong>s compagnies ne fur<strong>en</strong>t jamais concédés à<br />

perpétuité, mais seulem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>ouvelés soit par actes <strong>de</strong><br />

la législature <strong>en</strong> Angleterre, soit par <strong>de</strong>s ordonnances<br />

royales dans les autres pays. On n'aurait jamais osé<br />

proclamer <strong>de</strong> prime abord la perpétuité d'un régime<br />

aussi monstrueux, m&me quand la <strong>politique</strong> et la néces-<br />

sité semblai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> justifier l'établissem<strong>en</strong>t. Ce ne <strong>de</strong>vait<br />

btre, comme tous les monopoles, qu'une mesure <strong>de</strong><br />

circonstance, indisp<strong>en</strong>sable à l'affermissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s colo-<br />

nies naissantes, et qui; cesserait <strong>de</strong> droit dès qu'elles<br />

serai<strong>en</strong>t consolidéeS. Peu à peu, néanmoins, le bail<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>u emphytéotique finit par pr<strong>en</strong>dre le caractêre<br />

d'une concession perpéhielle, et la durée n'<strong>en</strong> aurait<br />

jamais été interrompue sans l'interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s révolu-<br />

tions. C'<strong>en</strong> était déjà une imm<strong>en</strong>se que la découverte<br />

<strong>de</strong>s produits spéciaux trouvés ou naturalisés dans le<br />

Nouveau Mon<strong>de</strong>, la coch<strong>en</strong>ille, le quinquina, le sucre,<br />

le café, le coton, le cacao, l'indigo, les bôis <strong>de</strong> teinture<br />

et les autres articles dont toutes les nations europé<strong>en</strong>nes<br />

voulur<strong>en</strong>t avoir leur part, m&me au prix <strong>de</strong> la contre-<br />

ban<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l'interlope et <strong>de</strong> la guerre. De 18 naquit un<br />

nouveau droit commercial, éminemm<strong>en</strong>t exclusif, cha.<br />

cun voulant gar<strong>de</strong>r pour soi le monopole <strong>de</strong>s produits<br />

<strong>en</strong> faveur, ou le ravir à <strong>de</strong>s rivaux plus heureux. Les<br />

complications éclatèr<strong>en</strong>t surtout quand la plupart <strong>de</strong>s<br />

puissances europé<strong>en</strong>nes eur<strong>en</strong>t fondé <strong>de</strong>s établissem<strong>en</strong>ts<br />

sous les mêmes latitu<strong>de</strong>s, et lorsqu'on y eut naturalisé<br />

la culture <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> consommation. Le<br />

sucre fut bi<strong>en</strong>tbt exporté <strong>de</strong> Saint-Domingue, <strong>de</strong> la Ja-


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIII. 313<br />

maïque, <strong>de</strong> Cuba et <strong>de</strong> toutes les Antilles appart<strong>en</strong>ant à<br />

divers maîtres. On planta le café au Brésil et à la Mar-<br />

tinique. Le coton <strong>en</strong>richit les plaines <strong>de</strong> la Louisiane,<br />

<strong>de</strong> la Géorgie et <strong>de</strong> la Caroline. L'indigo vint a la fois<br />

<strong>de</strong> Calcutta, <strong>de</strong> Guatemala et <strong>de</strong> Caracas. Le sucre <strong>de</strong><br />

l'In<strong>de</strong> fit concurr<strong>en</strong>ce à celui d'Amérique, tous <strong>de</strong>ux<br />

m<strong>en</strong>acés aujourd'hui par celui <strong>de</strong> la betterave. L'or était<br />

épuisé ; mais il restait à l'dniérique <strong>de</strong>s mines plus pré-<br />

cieuses, et c'étai<strong>en</strong>t les seules que ses aveugles métro-<br />

polcs n'avai<strong>en</strong>t pas su exploiter.<br />

La gran<strong>de</strong> erreur <strong>de</strong> l'Europe est d'avoir cherché ses<br />

profits dans le haut prix résultant <strong>de</strong> la rareté ou du<br />

monopole <strong>de</strong>s produits coloniaux, plntôt que dans leur<br />

. abondance. Dans le principe, les premiers v<strong>en</strong>us s'effor-<br />

cèr<strong>en</strong>t d'empêcher leurs rivaux d'arriver : ils essayèr<strong>en</strong>t<br />

méme <strong>de</strong> cacher la route <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s comme <strong>de</strong>s avares<br />

cach<strong>en</strong>t leur trésor; puis la route une fois connue, ils<br />

interdir<strong>en</strong>t aux étrangers l'abord <strong>de</strong> leurs possessions,<br />

et quand, malgré la force et la m<strong>en</strong>ace, il fallut se rési-<br />

gner à souffrir <strong>de</strong>s compétiteurs, les guerres <strong>de</strong> tarifs<br />

créèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s distinctions <strong>de</strong> prov<strong>en</strong>ances <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>n-<br />

rées d'un même sol. Le sucre et le café coûtèr<strong>en</strong>t plus<br />

cher suivant qu'ils étai<strong>en</strong>t imporlés .par navires étran-<br />

gers ou par bâtim<strong>en</strong>ts nationaux. Telle colonie améri-<br />

caine voisine <strong>de</strong> la Terre-Ferme fut obligée <strong>de</strong> faire<br />

v<strong>en</strong>ir son blé d'Europe, au risque <strong>de</strong> mourir <strong>de</strong> faim,<br />

<strong>en</strong> cas <strong>de</strong> retard <strong>de</strong>s arrivages. Toute cette absur<strong>de</strong> légis-<br />

lation est <strong>en</strong> vigueur aujourd'hui '. L'Angleterre J'a<br />

fortifiée dans son fameux acte <strong>de</strong> navigation; la France<br />

par toutes ses dispositions <strong>de</strong> douanes; l'Espagne par<br />

respect pour sa propre inv<strong>en</strong>tion. Des terres séparées<br />

4 Voir la note <strong>de</strong> i'dditeur au chap. xxix.<br />

be ÉDIT. T. I. 18


314 HISTOIRE<br />

par un bras <strong>de</strong> mer <strong>de</strong> quelques heures sont aussi étran-<br />

gères l'une à l'autre, sous le ciel <strong>de</strong>s Antilles, que si<br />

l'océan Atlantique ét<strong>en</strong>dait <strong>en</strong>tre elles ses quinze c<strong>en</strong>ts<br />

lieues <strong>de</strong> largeur. Nous-mêmes, nous sacrifions <strong>en</strong>cofe .<br />

à <strong>de</strong>ux ou trois îles moins peuplées qu'un seul <strong>de</strong> nos<br />

départem<strong>en</strong>ts, les intérêts généraux du commerce natio-<br />

nal. Les conséqu<strong>en</strong>ces du système adopté par les pre-<br />

miers colonisateurs ne nous ont valu <strong>en</strong> défkitive que<br />

la traite <strong>de</strong>s noirs, les guerres <strong>de</strong> douanes, les guerres<br />

maritimes, <strong>de</strong>s dép<strong>en</strong>ses navales énormes, même eu<br />

temps <strong>de</strong> paix, et la nécessité <strong>de</strong> payer fort cher les<br />

<strong>de</strong>nrées qu'aujourd'hui toute l'Europe <strong>de</strong>vrait avoir à<br />

bon marché, si elle eût employé à fertiliser les colonies<br />

la dixième partie <strong>de</strong>s trésors coasommés $ les ruiner.<br />

Un jour nos neveux auront peine à croire que ce système<br />

ait duré si longtemps, et que les peuples d'Europe ai<strong>en</strong>t<br />

supporté d'aussi grands sacrifices pour le mainti<strong>en</strong> d'un<br />

état <strong>de</strong> choses si opposé à leurs intéréts bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus.<br />

On a dit, pour l'expliquer, que le commerce exclusif <strong>de</strong>s<br />

colonies, eu empéchant la concurr<strong>en</strong>ce, ne risquait pas<br />

d'&tre atteint par les perturbations qui m<strong>en</strong>ac<strong>en</strong>t plus<br />

ou moins le commerce que l'on fait avec les nations<br />

indép<strong>en</strong>dantes; mais, outre que la concurr<strong>en</strong>ce est un<br />

avantage réel, il faut considérer que le monopole ne<br />

peut s'exercer que sur <strong>de</strong>s coIonies d'une petite ét<strong>en</strong>due<br />

et faciles à gar<strong>de</strong>r. Toute la marine britannique ne suffi-<br />

rait plus aujourd'hui à protéger contre la contreban<strong>de</strong><br />

le-littoral <strong>de</strong> l'Union américaine, si ce pays lui appar-<br />

' t<strong>en</strong>ait <strong>en</strong>core, et s'il y avait du profit à y porter <strong>de</strong>s<br />

produits. Les règlem<strong>en</strong>ts sévères du gouvernem<strong>en</strong>t espa-<br />

gnol, ses douaniers, ses gar<strong>de</strong>s-cotes n'ont pas empéché<br />

l'Amérique1 du Sud d'étre inondée <strong>de</strong> marchandises<br />

europé<strong>en</strong>nes.41 n'est pas vrai, non plus, que ce soit au


DE L'ECONO&~IE 1)OLITIQUE. CHAP. XXIII. 3 15<br />

système prohibitif que les métropoles doiv<strong>en</strong>t la régiilarité<br />

<strong>de</strong> leurs approvisionnem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> <strong>de</strong>nrées coloniales.<br />

La Prusse, l'Autriche, la Saxe, la Suisse, la Bavière et<br />

tous les atats qÜi n'ont point <strong>de</strong> colonies transatlantiques,<br />

n'ont jamais manqué <strong>de</strong> sucre, <strong>de</strong> café, ni <strong>de</strong><br />

coton; au contraire, ces articles y ont toujours été à<br />

meilleur marché que dans les pays à possessions d'outremer.<br />

N'ayant point <strong>de</strong> monopole à exercer ni à prét<strong>en</strong>dre,<br />

ces ktats choisiss<strong>en</strong>t les lieux où ils peuv<strong>en</strong>t se<br />

procurer aux conditions les plus avantageuses les <strong>de</strong>nrées<br />

dont ils ont besoin, et l'expéri<strong>en</strong>ce a prouvé qu'ils<br />

<strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t toujours été fournis à meilleur compte que<br />

les nations maritimes.<br />

En somme, le régime colonial n'a abouti qu'à créer<br />

<strong>en</strong>tre les monopoles et leursdép<strong>en</strong>dances une réciprocité<br />

<strong>de</strong> préjudices et <strong>de</strong> dommages, et le commerce <strong>de</strong>s colonies<br />

n'a été, <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux parts, qu'une source <strong>de</strong> vexations<br />

et d'appauvrissem<strong>en</strong>t. C'est du plus pur sang <strong>de</strong> leurs<br />

veines que les populations europé<strong>en</strong>nes ont payé l'honneur<br />

<strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s établissem<strong>en</strong>ts dans les <strong>de</strong>ux In<strong>de</strong>s.<br />

Ces établissem<strong>en</strong>ts ne sont aux yeux <strong>de</strong> l'observateur<br />

att<strong>en</strong>tif que comme <strong>de</strong>s <strong>en</strong>fants qui ont imposé <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>s privations à leurs familles jusqu'au mom<strong>en</strong>t oh,<br />

parv<strong>en</strong>us à l'âge mûr, ils seront <strong>en</strong> état <strong>de</strong> se sout<strong>en</strong>ir.<br />

Quelquefois alors la reconnaissance lesattache plus vivem<strong>en</strong>t<br />

aux auteurs <strong>de</strong> leurs jours ; plus souv<strong>en</strong>t ceux-ci<br />

ont à se plaindre <strong>de</strong> leur indiffér<strong>en</strong>ce ou <strong>de</strong> Ieur ingratitu<strong>de</strong><br />

: mais c'est folie <strong>de</strong> croire que l'indép<strong>en</strong>dance<br />

n'arrive pas avec l'âge, et qu'après trois c<strong>en</strong>ts ans <strong>de</strong><br />

tutelle, cet âge ne soitpas arrivé pour toutes les colonies.<br />

Prolonger leur <strong>en</strong>fance, c'est continuer à nourrir dcs<br />

g<strong>en</strong>s qui peuv<strong>en</strong>t se suffire, ou opprimer <strong>de</strong>s citoy<strong>en</strong>s<br />

dignes <strong>de</strong> vivre libres. A~~jourd'hiii que toutes les chi-


3 16 HISTOIRE DE L'ECONOAIIE POLITIQUE. CH. XXIII.<br />

mères sur l'or et l'arg<strong>en</strong>t se sont évanouies, et qu'une<br />

ruine éclatante a frappé <strong>de</strong> discrédit les <strong>de</strong>rniers essais<br />

d'exploitation <strong>de</strong> mines t<strong>en</strong>tés <strong>en</strong> Amérique, c'est à <strong>de</strong>s<br />

sources différ<strong>en</strong>tes qu'il faut aller chercher la richesse.<br />

Mais, avant <strong>de</strong> les indiquer <strong>en</strong> détail, nous <strong>de</strong>vons porter<br />

nos regards <strong>en</strong> arrière et prés<strong>en</strong>ter un exposé rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

révolutions monétaires qui ont précédé et suivi la décou-<br />

verte du Nouveau-Mon<strong>de</strong>.


CHAPITRE XXIV.<br />

Des divers systèmes monetaires qui ont régr16 <strong>en</strong> Europe <strong>de</strong>puis<br />

les anci<strong>en</strong>6 jusqu'à la <strong>de</strong>couverte <strong>de</strong>s mines du Nouveau-Mon<strong>de</strong>.<br />

-Consequ<strong>en</strong>ces economiques <strong>de</strong> la ddcouverte <strong>de</strong> ces mines.<br />

- Vue g<strong>en</strong>érale <strong>de</strong>s ouvrages qui out OtB pubtiés sur les mon-<br />

naies.<br />

ï,es anci<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t apprécié aussi bi<strong>en</strong> que les mo-<br />

<strong>de</strong>rnes les véritables fonctions <strong>de</strong> la monnaie. Aristote<br />

<strong>en</strong> avait dit : « C'est une marchandise interniédiaire <strong>de</strong>s-<br />

tinée à faciliter l'écl~ange <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>ux autres marchan-<br />

dises. I) Xénophon ' n'est pas moins explicite : u Dansla<br />

plupart <strong>de</strong>s autres villes, dit-il <strong>en</strong> parlant d'Athènes; un<br />

marchand est obligé <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s marchandises <strong>en</strong><br />

relour <strong>de</strong> celles qu'il y apporte, parce que la monnaie<br />

dont on y fait usage n'a pas grand crédit au <strong>de</strong>hors;<br />

chez nous, au contraire, le commerçant étranger a l'a-<br />

vantage <strong>de</strong> trouver une multitu<strong>de</strong> d'objets qui sont par-<br />

tout <strong>en</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, et, <strong>de</strong>plus, s'ilne veut pas <strong>en</strong>combrer<br />

son vaisseau <strong>de</strong> rnar,'handises, il se fait sol<strong>de</strong>r <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t<br />

comptant, qui <strong>de</strong> tous les articles commerçables est le<br />

plus sûr et 1c plus commo<strong>de</strong>, att<strong>en</strong>du qu'il est reçu <strong>en</strong><br />

+ Essai sur ie rev<strong>en</strong>u <strong>de</strong> l'Attique.


tous pays, et qu'<strong>en</strong> outre, il rapporte toujours quelque<br />

profit à son maître, quand celui-ci juge à propos <strong>de</strong> s'<strong>en</strong><br />

défaire. )I<br />

Les fonctions <strong>de</strong> la monnaie n'ont pas changé <strong>de</strong>puis<br />

Xénophon et Aristote ; l'arg<strong>en</strong>t est toujoiirs une mar-<br />

chandise intermédiaire <strong>de</strong>stinée h faciliter l'échange<br />

<strong>en</strong>tre les autres marchandises. D'où vi<strong>en</strong>t donc que son<br />

histoire, qui semblerait <strong>de</strong>voir être très-simple, est pré<br />

cisém<strong>en</strong>t la plus compliquée et la plus difficile <strong>de</strong> toutes<br />

& celles dont l'<strong>en</strong>semble constitue les annales <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong><br />

<strong>politique</strong>? d'où vi<strong>en</strong>t que tous les peuples ont eu leur<br />

monnaie particulière, aulieu <strong>de</strong> s'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre pour le choix<br />

d'un étalon uniforme? et surtout pourquoi chaque<br />

siècle nous offre-t-il le spectacle d'une révolution moné-<br />

taire, c'est-à-dire d'un bouleversem<strong>en</strong>t dans la vaIeur,<br />

la forme, le poids et le titre du principal élém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

circulation, celui <strong>de</strong> tous qui aurait dû <strong>de</strong>meurerle plus<br />

inaltérable? pourquoi, <strong>en</strong>fin, voit-on apparaître tour à<br />

tour, sur les marchés du mon<strong>de</strong>, tantôt <strong>de</strong> bons écus,<br />

tantôt <strong>de</strong> mauvais ; les uns <strong>de</strong> métal presque pur, les<br />

autres presque absorbés par i'alliage? Une réponse<br />

exaçte et développée à toutes ces questions exigerait <strong>de</strong>s<br />

volumes, et ces volumes exist<strong>en</strong>t; aussi me bornerai-je<br />

à indiquer les plus importants, pour ne pas donner à<br />

l'exam<strong>en</strong> di1 sujet qui y est approfondi plus d'ét<strong>en</strong>due<br />

que n'<strong>en</strong> comport<strong>en</strong>t les proportions <strong>de</strong> cette histoire.<br />

La question <strong>de</strong>s monnaies est une <strong>de</strong> celles que les<br />

mo<strong>de</strong>rnes ont le plus compliquées; il y règne la méme<br />

confusion que dans les langues, et la simplicité ingé-<br />

$euse <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s a 6th remplacée par <strong>de</strong>s combinaisons<br />

tellem<strong>en</strong>t inextricables, que nous avons perdu l'espoir<br />

d'y reveiiir, quand n16me l'Europe <strong>en</strong>tière ferait un pacte<br />

dans ce but. Posons quelques principespour nous gui<strong>de</strong>r


DE L'&coNO~~IE POLITI'QUE. CHAP. XXIV. . 319<br />

dans cette étu<strong>de</strong>. La qualité ess<strong>en</strong>tiel- d'une monnaie<br />

est qu'elle conserve sa valeur <strong>de</strong>puis l'instant où on la<br />

reçoit jusqu'à celui oii on la donne ; autrem<strong>en</strong>t, on ne<br />

recevrait plus, <strong>en</strong> échangeant ce qu'on v<strong>en</strong>d contre ce<br />

qu'on achéte, une marchandise égale <strong>en</strong> valeur à celle<br />

qu'on aurait livrke. Une autre proprieté <strong>de</strong> la monnaie,<br />

c'est que sa valeur se mesure comme celle <strong>de</strong> tout autre<br />

objet, sur la quantité <strong>de</strong> choscs qu'une autre personne<br />

cons<strong>en</strong>t à donner <strong>en</strong> échange ; si, contre une once <strong>de</strong><br />

monnaie d'or, on cons<strong>en</strong>t à donner quinze fois plus <strong>de</strong><br />

blé ou <strong>de</strong> toute autre marchandise qu'on n'<strong>en</strong> donnerait<br />

contre une once <strong>de</strong> monnaie d'arg<strong>en</strong>t, il sera aisé <strong>de</strong><br />

conclure que la monnaie d'or, k poids égal, vaut quinze<br />

fois plus que la monnaie d'arg<strong>en</strong>t. Ainsi, déjà nous pouvons<br />

expliquer la folie <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>tatives qui ont été faites<br />

à diverses époques pour aItCrer les monnaies, c'est-àdire<br />

pour leur donner, par la force, une valeur qu'elles<br />

n'avai<strong>en</strong>t pas. A mesure que ces altérations ont été opérées,<br />

le prix <strong>de</strong>s marchitndises s'est élevé, parce que<br />

chacun se refusait à <strong>en</strong> donner une quantité égale pour<br />

une valeur métalliq~e <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue moindre. Aussi a-t-il<br />

fallu proclamer le maxinzum toutes les fois qu'on a<br />

voulu obt<strong>en</strong>ir quelques résultats <strong>de</strong> ces gran<strong>de</strong>s spoliations.<br />

Quand les écus d'une once fur<strong>en</strong>t rdduits à une<br />

<strong>de</strong>mi-once, sous Louis XIV, ils n'achetèr<strong>en</strong>t plus que<br />

tr<strong>en</strong>te livres <strong>de</strong> from<strong>en</strong>t au lieu <strong>de</strong> soixante. A toutes les<br />

autres époques <strong>de</strong> notre histoire, bi<strong>en</strong> avant et bi<strong>en</strong><br />

après Louis XIV, les niémes causes ont produit les mémes<br />

résultats.<br />

Les manipulations plus ou moins frauduleuses qui ont<br />

été exercées sur les monnaies, <strong>de</strong>pilis l'antiquité jusqu'à<br />

nos jours, vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dliine erreur <strong>de</strong>s gouvernem<strong>en</strong>ts,<br />

aujourd'hui <strong>en</strong>core assez répandue, et quia fait supposer


320 HISTOIRE<br />

à la monnaie un caractère <strong>de</strong> fixité qu'elle n'a point. On<br />

s'est imaginé mal à propos que l'unité monétaire, <strong>en</strong> sa<br />

qualité <strong>de</strong> mesure <strong>de</strong>s valeurs, avait elle-mkme une<br />

valeur invariable, et que lorsqri'on payait une marchan-<br />

dise tantbt plus, tantôt moins, c'était nécessairem<strong>en</strong>t la<br />

marchandise qui changeait <strong>de</strong> valeur, et non la monnaie. .<br />

Cette erreur a servi <strong>de</strong> prétexteà la cupidité <strong>de</strong> plusieurs<br />

princes auxquels on persuadait impru<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t qu'i1,dé-<br />

p<strong>en</strong>dait d'eux <strong>de</strong> doubler leurs ressources <strong>en</strong> déclarant<br />

que c<strong>en</strong>t mille écus valai<strong>en</strong>t six c<strong>en</strong>tmille francs, comme<br />

- s'ils ne <strong>de</strong>vaiemt pas étre punis le l<strong>en</strong><strong>de</strong>main méme <strong>de</strong><br />

leur frau<strong>de</strong>, par l'augn!<strong>en</strong>tation du prix <strong>de</strong> toutes choses,<br />

et par la nécessité <strong>de</strong> doubler les contributions pour g<br />

faire face. 11 faut donc r<strong>en</strong>oncer aujourd'hui à comparer<br />

avec exactitu<strong>de</strong>lavaleur durev<strong>en</strong>u <strong>de</strong> chaque profession,<br />

dans les temps éloignés <strong>de</strong> nous, à celui <strong>de</strong>s professions<br />

. analogues dans le nôtre, parce qu'il est impossible <strong>de</strong><br />

trouver pour cela une mesure commune, telle que le<br />

mètre pour les longueurs et le'litre pour les capacités.<br />

Quelles que soi<strong>en</strong>t les variations qu'ils lui ai<strong>en</strong>t fait<br />

subir; tous les peuples ont eu recours à la monnaie pour<br />

la commodité <strong>de</strong> leurs échanges. Les Lacédémoni<strong>en</strong>s<br />

avai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s mhnnaies <strong>de</strong> fer, et lesRomains <strong>de</strong>s premiers<br />

temps <strong>de</strong> la républiqiie <strong>de</strong> la monnaie <strong>de</strong> cuivre. On a<br />

vu employer à cet usage, dans diverses contrées, <strong>de</strong>s<br />

coquilles, <strong>de</strong>s clous, <strong>de</strong>s graiils <strong>de</strong> cacao, <strong>de</strong>s m0rceau.x<br />

<strong>de</strong> cuir; mais, dès la plus haute antiquité, l'or et I'ar-<br />

g<strong>en</strong>t ont joui du privilége presque exclusif <strong>de</strong> servir <strong>de</strong><br />

matièrepremière aux monnaies. Le caractère inaltérable<br />

et homogène <strong>de</strong> ces métaux, leur divisibilité extrkme,<br />

leur pureté native égale <strong>en</strong> tous lieux, leur résistance au<br />

îrottem<strong>en</strong>t moy<strong>en</strong>nant quelques particules d'alliage,<br />

peut-étre aussi leur beauté naturelle, expliqu<strong>en</strong>t siiffi-


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIV. 381<br />

samm<strong>en</strong>t le suffrage universel qu'ils'ont obt<strong>en</strong>u dans<br />

tous les temps et dans tous les pays. Aussi, .dès qu'on<br />

parle génbralem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> monnaie, il est conv<strong>en</strong>u que<br />

c'est <strong>de</strong> la monnaie d'or et d'arg<strong>en</strong>t, et le premier fait<br />

historique auquel on s'intéresse est celui <strong>de</strong> savoir<br />

quelle a été, aux divers âges, la quantité <strong>de</strong> ces métaux<br />

<strong>en</strong> circulation. Qui ne compr<strong>en</strong>d l'avantage qu'on a dû<br />

retirer d'un intermédiaire d'échanges aussi ét<strong>en</strong>du sous<br />

un petit volume, recherché partout et partout accueilli,<br />

tandis qu'avec le simple troc <strong>de</strong>s marchandises le com-<br />

merce serait toujours <strong>de</strong>meuré dans l'<strong>en</strong>fance? Mais il<br />

se trouve que ce qu'on aurait tant d'intérbt à savoir, est<br />

précisém<strong>en</strong>t ce que nous avons le plus <strong>de</strong> peine à con-<br />

stater. Nous ne connaissoiis pas mème d'une manière<br />

certaine le montant <strong>de</strong>s monnaiesactuellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> circu-<br />

lation dans notre pays, quoiqu'il y soit t<strong>en</strong>u un compte<br />

exact <strong>de</strong> toutes les pièces frappées <strong>de</strong>puis plusieurs an-<br />

nées. On ignore le nombre et la valeur <strong>de</strong> celles qui<br />

sont fondues ou exportées ; on ne sait pas la quantite<br />

<strong>de</strong>s monnaies <strong>de</strong> vieille fabrication qui exist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core.<br />

La petite monnaie <strong>de</strong> cuivre, qui a survécu à toutes les<br />

refontes et à toutes les réformes, forme aussi une portion<br />

difficile à apprécier <strong>de</strong> notre richesse monétaire et <strong>de</strong><br />

celle<strong>de</strong>s autres peuples, e J'aitrouvé dans nos provinces,<br />

dit J.-B. Say, <strong>de</strong> ces pièces <strong>de</strong> cuivre qui circul<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>puis le temps oh nous étions sous la domination<br />

<strong>de</strong>s empereurs romains. Elles pass<strong>en</strong>t pour un liard,<br />

<strong>de</strong>ux liards, un sou, <strong>de</strong>ux sous, avec l'effigie <strong>de</strong> ces<br />

mailres dn mon<strong>de</strong>. n<br />

La multiplication rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> change, <strong>de</strong>s<br />

billets <strong>de</strong> banque, <strong>de</strong>s papiers-monnaie ayant cours<br />

forcé, et <strong>en</strong> général celui <strong>de</strong> tous les effets <strong>de</strong> com-<br />

mer'ce, a beaucoup contribué à r<strong>en</strong>dre plus difficile


HISTOIRE<br />

l'appréciation <strong>de</strong>s'monnaies <strong>en</strong> circulation. Mais il n'est<br />

pas nécessaire <strong>de</strong> connaître ces faits avec une parfaite<br />

exactitu<strong>de</strong>, pour <strong>en</strong> tirer <strong>de</strong>s conséqu<strong>en</strong>ces d'une utilité<br />

pratique. L'ess<strong>en</strong>tiel est <strong>de</strong> savoir par quels signes se<br />

manifeste l'abondance 011 la rareté du numéraire, car<br />

ces signes sont quelquefois très-trompeurs. Ainsi, dans<br />

les pays où règne une gran<strong>de</strong> activité commerciale,<br />

l'arg<strong>en</strong>t est presque perpétuellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> circulation ; et<br />

il faut moins <strong>de</strong> numeraire qu'on ne p<strong>en</strong>se pour suffire<br />

aux besoins <strong>de</strong>s affaires '; tandis que dans d'autres<br />

contrées où l'arg<strong>en</strong>t abon<strong>de</strong>, mais où les transactions<br />

sont nulles, on croirait que la monnaie est fort rare,<br />

, parce qu'elle ne circule point. A mesure que l'aisance<br />

publiqoe augm<strong>en</strong>te, il y a une parlie <strong>de</strong>s métaux pré-<br />

cieux qui est employée cn objets d'orfévrerie, et qui<br />

cesse <strong>de</strong> faire fonction <strong>de</strong> monnaie. Dans d'autres cir-<br />

constances, l'arg<strong>en</strong>t baisse <strong>de</strong> valeur par suite <strong>de</strong> son<br />

abondance, et plusieurs mines cess<strong>en</strong>t d'&tre exploitées<br />

qui l'étai<strong>en</strong>t auparavant, jusqu'à ce qu'il y ait du proiit<br />

à <strong>en</strong> repr<strong>en</strong>dre l'exploitation.' Il est nécessaire <strong>de</strong> t<strong>en</strong>ir<br />

compte <strong>de</strong> toutes ces variations dans l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ques-<br />

tions monétaires, mais la connaissance exacte du numé-<br />

raire possédé par chaque nation est inutile à leur solution.<br />

Personne ne doute que dans les plus beaux jours <strong>de</strong><br />

l'empire romain, alors que l'on évaluait à près d'un<br />

milliard le rev<strong>en</strong>u annuel <strong>de</strong> I'Etat, il n'y eUt une massè<br />

énorme <strong>de</strong> numéraire <strong>en</strong> circulation, et cep<strong>en</strong>dant I'in-<br />

4 Tout le mon<strong>de</strong> sait qu'il existe à Londres un Btablissem<strong>en</strong>t<br />

connu sous le nom <strong>de</strong> Cleariq house, où les commis <strong>de</strong>s diverses<br />

maisons <strong>de</strong> banque vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t chaque jour regler les comptes <strong>de</strong><br />

leurs patrons, par <strong>de</strong> simples ecbanjes <strong>de</strong> crBances, dont la ba-<br />

lance seule est soldée <strong>en</strong> espèces, quand elle n'est pas considéra-<br />

ble. Quelques milliers <strong>de</strong> francs suffis<strong>en</strong>t ainsi pour termine; <strong>de</strong>s<br />

transactions qui se mont<strong>en</strong>t à plusieurs millions.


dustrie n'existait pas. L'arg<strong>en</strong>t arrivait par le pillage 1<br />

et s'<strong>en</strong> allait par les prodigalités. Le peu que les Ro-<br />

mains tirai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s mines était dû au travail <strong>de</strong>s esclaves,<br />

comme <strong>en</strong> Grèce, et il ne paraît pas qu'on y ait attaché<br />

une gran<strong>de</strong> importance, même quand l'exploitation <strong>en</strong><br />

" fut affermée à <strong>de</strong>s concessionnaires, et régularisée au<br />

profit <strong>de</strong>s empereurs. Mais déjà l'accroissem<strong>en</strong>t du nu-<br />

méraire se faisait s<strong>en</strong>tir dans les prix, et nous avons<br />

quelque peine à concevoir le taux énorme auquel<br />

s'étai<strong>en</strong>t élevés à Rome, du temps meme <strong>de</strong> Cicéron,<br />

une foule d'objets <strong>de</strong> consommation habituelle. Plus<br />

tard, l'avidité impériale, franchissant toutes les bornes,<br />

obligea'les citoy<strong>en</strong>s à travailler aux mines comme à <strong>de</strong>s<br />

<strong>en</strong>treprises d'utilité publique, à l'instar <strong>de</strong>s corvées du<br />

moy<strong>en</strong> âge 2, et ce régime était si dur, que sous l'em-<br />

pereur Val<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s. légions <strong>en</strong>tières <strong>de</strong> mineurs se joi-<br />

gnir<strong>en</strong>t à l'invasion <strong>de</strong>s Goths dans la Dacie. Cep<strong>en</strong>-<br />

4 Temoins les vers suivants <strong>de</strong> la Pharsaie <strong>de</strong> Lucain, à propos<br />

<strong>de</strong> l'<strong>en</strong>lèvem<strong>en</strong>t, par Jules-CBsar, du trésor <strong>de</strong>posé dans le temple '<br />

<strong>de</strong> Satiirne :<br />

Tunc rupes Tarpeia sonat, magnoque reclusas<br />

Testatur stridore fores : tunc conditus imo<br />

Eruitur templo, multis non tactus ab annis,<br />

Romani c<strong>en</strong>sus populi, quem Punica bella,<br />

Quem <strong>de</strong><strong>de</strong>rat Perses, quem victi præda Philippi ;<br />

Quod tibi, Rorna, fugâ populus trepidante reliquit ;<br />

Quo te Fabcicius regi non v<strong>en</strong>didit auro ;<br />

Quidquici parcorum mores servâstis avorum ;<br />

Quod dites Asiæ populi niisêre tributum,<br />

Victorique <strong>de</strong>dit Minoïa Creta MetelIo ;<br />

Quocl Cato longinqria vexit super æquora Cypro.<br />

Tunc Ori<strong>en</strong>tis opes, cdptorumque ultima regum<br />

Qua pompeïanis prælata est gaza triumphis,<br />

Egeritur : tristi spoliantur templa rapinâ ;<br />

Pauperiorque fuit tunc primùm Czsare Roma.<br />

2 Jacob, Onp~ecious metak, t. 1, page 174.


dant l'accumulation <strong>de</strong>s capitaux énormes dont jouis-<br />

sai<strong>en</strong>t les chefs <strong>de</strong> l'aristocratie romaine n'a pas été<br />

sans influ<strong>en</strong>ce sur le magnifique développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

prospérité <strong>de</strong> l'empire, et nous ne saurions douter que<br />

la plupart <strong>de</strong>s villes qui se sont élevées comme par ,<br />

<strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>t sur tous les points do territoire, n'ai<strong>en</strong>t<br />

dû leur prospérité à cette cause. Tibère ' était assez<br />

riche pour distribuer <strong>en</strong> secours à <strong>de</strong>s inc<strong>en</strong>diés une<br />

somme d'<strong>en</strong>viron vingt millions <strong>de</strong> notre monnaie.<br />

Adri<strong>en</strong> dép<strong>en</strong>sa près <strong>de</strong> quatre-vingts millions <strong>de</strong> nos<br />

francs <strong>en</strong> libéralités pour assurer la succession <strong>de</strong> son<br />

trône à Commo<strong>de</strong>; et l'empereur Sévére ne paya pas<br />

moins <strong>de</strong> tr<strong>en</strong>te-cinq millions <strong>de</strong> francs <strong>en</strong> frais <strong>de</strong> gra-<br />

tifications à son avénem<strong>en</strong>t.<br />

Une seule circonstance nous"semb1e néanmoins <strong>de</strong><br />

nature à ébranler la foi qu'on a ajoutée jusqu'à ce jour<br />

aux merveilleux récits <strong>de</strong>s histori<strong>en</strong>s qui nous ont<br />

transmis le compte <strong>de</strong>s millions <strong>en</strong>tassés par les Ro-<br />

mains : c'est qu'on n'a ri<strong>en</strong> trouvé dans les ruines<br />

d'Herculanum et <strong>de</strong> Pompeï qui pût justifier ces exagé-<br />

rations, Presque tous les ust<strong>en</strong>siles recueillis étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

fer ou <strong>de</strong> bronze, mbme ceux que nous faisons habituel-<br />

lem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t, et cep<strong>en</strong>dant la richeise et la somp-<br />

tuosité <strong>de</strong>s peintures, <strong>de</strong>s ameublem<strong>en</strong>ts, <strong>de</strong>s statues,<br />

démontrait assez qu'on avait pénétré dans <strong>de</strong>s <strong>de</strong>meures<br />

jadis habitées par <strong>de</strong>s familles opul<strong>en</strong>tes. Y aurait-il<br />

eu <strong>en</strong>tre la monnaie et le métal employé <strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>ces<br />

telles qu'on <strong>de</strong>vait toujours convertir le <strong>de</strong>rnier <strong>en</strong> *<br />

espèces, ou bi<strong>en</strong> faut-il réduire à <strong>de</strong> plus mo<strong>de</strong>stes<br />

proportions les richesses métalliques <strong>de</strong>s Romains? Ce<br />

qui est certain, c'est que ces richesses ont été fort<br />

i Suetone, Vie <strong>de</strong> Tz'bke, chap. xt.


DE L'ÉCONOPIE POLITIQUE. CHAP. XXlV. 325<br />

considérables, car il a suffi <strong>de</strong> la translation du siége <strong>de</strong><br />

l'empire à Constantinople, pour affaiblir d'une nianière<br />

très-sérieuse la richesse <strong>de</strong> l'occi<strong>de</strong>nt. Les capitaux<br />

émigrèr<strong>en</strong>t à la suite <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s familles, avec leurs<br />

armées d'esclaves; et l'Italie, qui était le jardin <strong>de</strong> Rome,<br />

vit ses maisons <strong>de</strong> campagne désertées pour les ruines<br />

du Bosphore. M. Jacob ' a publié, à ce sujet, un tableau<br />

<strong>de</strong> la déca<strong>de</strong>nce monétaire <strong>de</strong> Rome <strong>de</strong>puis Auguste<br />

jusque vers la fin du cinquième siècle, tableau duquel<br />

il résulterait que la diminution <strong>de</strong>s espèces s'est opérée<br />

<strong>de</strong>puis l'ère chréti<strong>en</strong>ne jusqu'à l'année 482, dans la<br />

proportion <strong>de</strong> neuf milliards à <strong>de</strong>ux milliards <strong>de</strong> francs.<br />

Le mouvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> translation <strong>de</strong>s espèces d'occi<strong>de</strong>nt à<br />

<strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t, qui se continue <strong>de</strong> nos jours, v<strong>en</strong>ait <strong>de</strong> com-<br />

m<strong>en</strong>cer et ne s'est jamais arrété 2.<br />

Depuis l'année 482 jusqu'à la fin du neuvième siècle,<br />

le numéraire tomba <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux milliards à moins d'un<br />

milliard <strong>de</strong> francs, et même à 825 millions, selon les<br />

calculs <strong>de</strong> M. Jacob. L'apparition <strong>de</strong>s mahométaiisôuffit<br />

pour susp<strong>en</strong>dre tous les travaux <strong>de</strong>s mines ; <strong>en</strong> même<br />

temps l'horrible confusion qui a régné <strong>en</strong> Europe <strong>de</strong>puis<br />

l'invasion <strong>de</strong>s Barbares, ne permet plus <strong>de</strong> suivre avec<br />

exactitu<strong>de</strong> la trace <strong>de</strong>s richesses métalliques. Les prix<br />

s'abaiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus, soit par l'influ<strong>en</strong>ce du<br />

servage qui oblige au travail non rétribué une foule<br />

4 On trouve dans l'<strong>Histoire</strong> <strong>de</strong>s métaztspréciem du même au-<br />

teur un prix courant d'<strong>en</strong>viron quatre c<strong>en</strong>tsarticles <strong>de</strong> consomma-<br />

tion, sous le règne <strong>de</strong> Diocleti<strong>en</strong>, <strong>en</strong> 301, recueilli par MM. Ves-<br />

covali et William Banks. Ce docum<strong>en</strong>t conli<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s détails du<br />

plus haut intérét pour I'étu<strong>de</strong><strong>de</strong>s monnaies et <strong>de</strong>s prix.<br />

a On consuitera avec fruit aujourd'hui sur la dépréciation suc-<br />

cessive <strong>de</strong> la monnaiei'excell<strong>en</strong>t ouvrage <strong>de</strong> M. Leber : Essai sur<br />

Z'appréciation <strong>de</strong> la fortune privée a74 moy<strong>en</strong> âge, 2e édit., 1847,<br />

,Guillaumin. (Note <strong>de</strong> I'dditeur.)


326 HISTOIRE<br />

d'hommes aujourd'hui salariés, soit par la rareté crois-<br />

sante <strong>de</strong>s espèces. On n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d plus parler <strong>de</strong>s mines si<br />

riches et si abondantes qui existai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Autriche, <strong>en</strong><br />

Hongrie, <strong>en</strong> Boh&me, <strong>en</strong> Saxe et dans le Tyrol. Les<br />

souverains reçoiv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> nature, <strong>de</strong> leurs vassaux les<br />

tributs qui sont aujourd'hui payés <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t. On a vu<br />

que Charlemagne surveillait avec la plus bourgeoise soiii-<br />

citu<strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong> ses domaines, eq que la ma-<br />

jeure partie <strong>de</strong> son rev<strong>en</strong>u se composait <strong>de</strong>s produits<br />

matoriels qu'il <strong>en</strong> retirait par ses fermiers. La masse<br />

du peuple avait <strong>de</strong>s consommations plus bornées, et le<br />

nambre <strong>de</strong>s objets qu'elle achetait consistait principale-<br />

mént <strong>en</strong> matières alim<strong>en</strong>taires. On conçoit qu'il ne<br />

fallait pas beaucoup d'or ni d'arg<strong>en</strong>t pour payer un<br />

morceau <strong>de</strong> pain qui coûtait un liard, ou une botte <strong>de</strong><br />

légumes, dont le maximum s'élevait rarem<strong>en</strong>t à un sou.<br />

Ainsi s'explique l'imm<strong>en</strong>se quantité <strong>de</strong> monnaie<br />

qui servait S la circulation dans ces temps peu pros-<br />

. pères<strong>de</strong>s pièces d'or et d'arg<strong>en</strong>t étai<strong>en</strong>t trbs-rares, et<br />

leur valeur s'affaiblit <strong>de</strong> regne <strong>en</strong> regne jusqu'à l'épais-<br />

seur d'une feuille <strong>de</strong> papier. Aussi, les heureux pos-<br />

sesseurs <strong>de</strong> ces métaux précieux étai<strong>en</strong>t-ils l'objet <strong>de</strong><br />

l'adulation et <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>vie, témoins les Juifs, dont nous<br />

avons esquissé l'histoire économique et raconté la per-<br />

sécution. Nobles et vilains sollicitai<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t leur<br />

bi<strong>en</strong>veillance ; les nobles surtout, plus avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> jouis-<br />

sances, et qui achetai<strong>en</strong>t le moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> s'<strong>en</strong> procurer<br />

par tontes sortes <strong>de</strong> complaisances, et méme par <strong>de</strong>s<br />

préselits aux femnles <strong>de</strong> ces hérétiques maudits '.<br />

L'<strong>en</strong>iploi <strong>de</strong>s métaux précieux était principalem<strong>en</strong>t<br />

nsitl. dans le service <strong>de</strong>s hglises où brillaicnt <strong>de</strong>s vases<br />

4 Agoùardus, i e Insol<strong>en</strong>tid Judaomm, page 144.


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIY. 329<br />

magnifiques, d'énormes candélabres, <strong>de</strong>s lampes, <strong>de</strong>s<br />

balustra<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s statues d'or et d'arg<strong>en</strong>t. Les ornem<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong>s prbtres <strong>en</strong> absorbai<strong>en</strong>t aussi <strong>de</strong>s quantités<br />

considérables, et il <strong>en</strong> restait réellem<strong>en</strong>t fort peu pour<br />

la fabrication et le r<strong>en</strong>ouveltcm<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s monnaies. @es<br />

monnaies étai<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t très-mal frappées, et l'on<br />

eût dit, à voir les progrès <strong>de</strong> 170rfévr<strong>en</strong>e contemporains<br />

<strong>de</strong> cette déca<strong>de</strong>nce du rnonnayage, que l'or et l'arg<strong>en</strong>t<br />

n'avai<strong>en</strong>t plus d'autre <strong>de</strong>stination que <strong>de</strong> servir à fabriquer<br />

<strong>de</strong>s bijoux ou <strong>de</strong>s vases sacrés. Personne n'ignore<br />

que saint Éloi était un grand orfévre du temps du roi<br />

Dagobert, comme le fut Alan <strong>de</strong> Walsingham chez les<br />

Anglais au moy<strong>en</strong> âge, et le célèbre B<strong>en</strong>v<strong>en</strong>uto Cellini<br />

<strong>en</strong> Italie, dans un siècle plus rapproché <strong>de</strong> nous. Lorsque<br />

Richard fut prisonnier <strong>en</strong> Allemagne ', saint Louis<br />

<strong>en</strong>, Égypte et le roi Jean <strong>en</strong> ~ngleterre 5 leur rachat<br />

ne put étre effectué qu'<strong>en</strong> mettant <strong>en</strong> réquisition la<br />

vaisselle et les joyaux <strong>de</strong>s nobles et <strong>de</strong>s églises. Les<br />

histori<strong>en</strong>s <strong>de</strong> l'époque saxonne, <strong>en</strong> Angleterre, parl<strong>en</strong>t<br />

souv<strong>en</strong>t d'une monnaie vivante (living money), qui était<br />

autorisée par la loi, et qui consistait à payer <strong>en</strong> esctaves<br />

et <strong>en</strong> bétail (cattle), toute espèce <strong>de</strong>s marchandises mises<br />

<strong>en</strong> circulation. Plus tard, à mesure que la monnaie<br />

Les histori<strong>en</strong>s évalu<strong>en</strong>t la rançon <strong>de</strong> Richard à cioq millions<br />

<strong>de</strong> nos francs. Presque toutes les richesses métalliques <strong>de</strong>s barons<br />

et <strong>de</strong>s églises y fur<strong>en</strong>t employées.<br />

2 La rançon du roi Jean fut fixée à plus <strong>de</strong> tr<strong>en</strong>te millions <strong>de</strong><br />

francs <strong>de</strong> notre monnaie. On paya d'abord un premier cinquième,<br />

qui parut si 6norme qu'il aurait été impossible d'y faire honneur,<br />

si on ne se fitt adresse aux Juifs, <strong>en</strong> leur assurant <strong>de</strong>s privileges.<br />

Le successeur du roi Jean etait si pauvre qu'il se vit dans la né-<br />

cessité <strong>de</strong> payer les <strong>de</strong>p<strong>en</strong>ses <strong>de</strong> sa maison <strong>en</strong> une monnaie <strong>de</strong><br />

plomb 18gèrem<strong>en</strong>t.arg<strong>en</strong>tb. Les termes du payem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la rançon<br />

<strong>de</strong> Jean fur<strong>en</strong>t successivem<strong>en</strong>t ajournés, el la France <strong>de</strong>vait <strong>en</strong>-<br />

core le <strong>de</strong>rnier cinquième quarante ans après le traité, quand une<br />

nmvelle guerre avec t'Angleterre eclata.


328 HISTOIRE<br />

reparut, on n'admit plus la monnaie vivante que pour<br />

sol<strong>de</strong>r les appoints; et dans ce cas les chevaux, les<br />

hceufs, lef vaches, les moutons et les esclaves ne pou-<br />

vai<strong>en</strong>t etre donnés <strong>en</strong> payem<strong>en</strong>t que d'après une esti-<br />

mation conv<strong>en</strong>ue. Les am<strong>en</strong><strong>de</strong>s imposées par l'État ou<br />

par l'Église fur<strong>en</strong>t seules exceptées et payables à vo-<br />

.Ionté, soit <strong>en</strong> écus, soit <strong>en</strong> êtres vivants. 11 faut r<strong>en</strong>dre<br />

néanmoins cette justice à l'Église, que, pour décourager<br />

le commerce <strong>de</strong>s esclaves, elle finit par refuser d'<strong>en</strong><br />

accepter aucun <strong>en</strong> payem<strong>en</strong>t. Le docteur H<strong>en</strong>ry nous a<br />

laissé une histoire d'Angleterre dans laquelle se trouv<strong>en</strong>t<br />

plusieurs évaluations curieuses du prix correspondant<br />

<strong>de</strong> la monnaie vivante à la monnaie <strong>de</strong> nos jours.<br />

D'après ses calculs, le prix du tarif pour un esclave<br />

était, <strong>en</strong> 997, d'<strong>en</strong>viron 70 francs; d'un cheval, 45 fr.;<br />

d'une vache 8 francs; d'un mouton 1 franc 50 c<strong>en</strong>-<br />

times. On sait, par les comptes qui ont été conservés<br />

dans la cathédrale <strong>de</strong> Strasbourg, que les salaires <strong>de</strong>s<br />

maçons employés à la construction <strong>de</strong> ce monum<strong>en</strong>t,<br />

étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 3 à 4 c<strong>en</strong>times <strong>de</strong> notre monnaie par jour<br />

(1 ou 2 pf<strong>en</strong>nings).<br />

Sous le règne <strong>de</strong> Charlemagne, la livre d'arg<strong>en</strong>t se<br />

composait <strong>de</strong> douze onces <strong>de</strong> métal ; elle était divisée <strong>en</strong><br />

vingt sous, chacun <strong>de</strong> douze <strong>de</strong>niers, et le <strong>de</strong>nier cor:<br />

respondait ti 6 sous <strong>en</strong>viron <strong>de</strong> notre monnaie actuelle.<br />

Le pain <strong>de</strong> quatre livres se v<strong>en</strong>dait pourmoins <strong>de</strong> 5 c<strong>en</strong>-<br />

times, cequi peut donner une assez juste idée <strong>de</strong> la petite<br />

quantité <strong>de</strong> numéraire alors <strong>en</strong> circulation. Peu à peu<br />

la li&e <strong>de</strong> Charlemagne tomba <strong>de</strong> 80 francs à 10 francs,<br />

où. elle était <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>due par <strong>de</strong>s altérations successives,<br />

sous le règne du roi Jean. Maisles croisa<strong>de</strong>s fir<strong>en</strong>t refluer<br />

vers l'occi<strong>de</strong>nt une partie <strong>de</strong>s métaux précieux qui<br />

avai<strong>en</strong>t pris la route <strong>de</strong> l'ori<strong>en</strong>t. La prise <strong>de</strong> Constanti-


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIV. 329<br />

nople par les croisés donna lieu à un imm<strong>en</strong>se partage<br />

<strong>de</strong> butin, et Gibbon assure que l'empereur Alexis paya<br />

au marquis <strong>de</strong> Montserrat la somme énorme <strong>de</strong> seize<br />

c<strong>en</strong>ts livres pesant d'or. Néanmoins, il y a lieu <strong>de</strong> croire<br />

que, lors <strong>de</strong> la fondation du royaume <strong>de</strong> Jérusalem, les<br />

rev<strong>en</strong>us du pays fur<strong>en</strong>t insuffisants à l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> du gou-<br />

vernem<strong>en</strong>t, et que l'Europe dut verser <strong>de</strong>s sommes con-<br />

sidérables, chaque année, pour y pourvoir ; ce qui r<strong>en</strong>d<br />

très-difficile l'appréciation exacte <strong>de</strong> la quantité du nu-<br />

méraire <strong>en</strong> circulation à cette époque. Tout ce qu'on<br />

sait, c'est qu'après l'impulsion qui ~ésulta <strong>de</strong>s grands<br />

mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> troupes et <strong>de</strong> vivres expédiés <strong>en</strong> terre<br />

sainte, les choses reprir<strong>en</strong>t leur cours accoutumé, et que<br />

la diminution <strong>de</strong>s espèces continua <strong>de</strong> se faire s<strong>en</strong>tir<br />

dans tous les pays <strong>de</strong> l'Europe.<br />

La découverte <strong>de</strong>s mines du Nouveau-Mon<strong>de</strong> arr&ta<br />

brusquem<strong>en</strong>t cette diminution. Les masses métalliques<br />

que ces mines verskr<strong>en</strong>t dans la circulation s'élevèr<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> peu d'années à douze fois le montant <strong>de</strong> tout le nu-<br />

méraire préexistant, surtout après la découverte <strong>de</strong>s<br />

mines du Potose, <strong>en</strong> 1545, les pliis ahoridantes <strong>de</strong> toutes.<br />

Aussitbt on vit les prix s'accroître avec rapidité, et la<br />

production moy<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>s mines put &tre évaluée à plus<br />

<strong>de</strong> 60 millions <strong>de</strong> francs par année, <strong>de</strong> 1 546 à 1600. De<br />

1600 à 1700, cette production s'éleva à 80 millions <strong>en</strong>-<br />

viron, annuellem<strong>en</strong>t ; et <strong>de</strong> 1750 à 1800, l'importation<br />

<strong>de</strong>sespèces d7Afnérique <strong>en</strong> Europe a dépassé constamm<strong>en</strong>t<br />

la somme <strong>de</strong> 180 millions par an. Mais c'est principale-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> 1800 à 1810 que l'accroissem<strong>en</strong>t fut le plus<br />

considérable, puisqii'il a été estimé, d'après les meil-<br />

leures autorités, à 250 millions <strong>de</strong> francs. On croirait,<br />

au premier abord, qu'un accroissem<strong>en</strong>t aussi rapi<strong>de</strong><br />

aurait dû produire une élévation correspondante dans


ies prix, et changer brusquemeht tes conditions et le<br />

salaire du travail ; mais ii n'<strong>en</strong> fut point $idsi. Les progrés<br />

<strong>de</strong> l'iadusti.ie tontempotains <strong>de</strong> la d6couverte da<br />

mines nécessitkr<strong>en</strong>t l'emploi d'une p h gran<strong>de</strong> quantité<br />

<strong>de</strong> numéraire, et il <strong>en</strong> fallut d'autant plus, quela valeur<br />

<strong>de</strong> cette marchandise baissait par' son abondafice mbrni?,<br />

L'aisance, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue plus géhérale, permit à bea~coup <strong>de</strong><br />

personnes <strong>de</strong> convertir leurs épargrlies <strong>en</strong> achats d'ust<strong>en</strong>siles<br />

d'or et d'arg<strong>en</strong>t. Ladécouverte du cap <strong>de</strong>Bonne-<br />

Esphrance, <strong>en</strong> ouvrant <strong>de</strong>s ;communications directesavec<br />

le contin<strong>en</strong>t asiatique, accoutlimé aux importatiotîs d'or<br />

et d'arg<strong>en</strong>t, empêcha la révolution modétairse nouvelle<br />

d'exercer sur !es prix nne réaction, qui aurait pu <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir<br />

dangereuse <strong>en</strong> Ehrope sans cette diversion.<br />

Ainsi, à mesure que la masse du humeraire augm<strong>en</strong>tait,<br />

le besoin s'<strong>en</strong> faisait plus vivemeat s<strong>en</strong>tir ; <strong>de</strong>s transactidins<br />

qui avai<strong>en</strong>t été jusque-là très-difficiles oip m&me<br />

impossibles, <strong>en</strong> employai<strong>en</strong>t une quantité plus considérable<br />

et I'emp&chai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> baisser <strong>de</strong> prix dans la méme<br />

proportion pue son abondance Iétait accrue. Les 6conomistes<br />

ne sont pas d'accord sur l'augm<strong>en</strong>tation qui<br />

hsulta <strong>de</strong> cette baisse du prix <strong>de</strong> l'argeilt dans le prix<br />

<strong>de</strong>s marchandises. Adam Smith ne l'évalue qu'au triple,<br />

tandis qbe le mar4iiis [le Garnier estime qu'elle fut<strong>de</strong>ux<br />

fois plus considérable. Par une coincidance vraim<strong>en</strong>t 1%marquable,<br />

ce fut le mom<strong>en</strong>t que la plilpart <strong>de</strong>s souverainstboisi~eiit<br />

pour élever artificiellem<strong>en</strong>t la valeiir <strong>de</strong>5<br />

monnaies. Des édits royaux avai<strong>en</strong>t porte, <strong>en</strong> France, à.<br />

16 et 18 livres la valeur numéraire du marc d'aiig<strong>en</strong>t<br />

monnayé, au lieu <strong>de</strong> 8 10 livres pour lesquelles il était<br />

compte dans les premières années <strong>de</strong> ce siècle. L'effet<br />

'


<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux causes, qui agissai<strong>en</strong>t à la fois sur le prix<br />

nomind <strong>de</strong> toutes les <strong>de</strong>nrées <strong>de</strong> consommation générale,<br />

produisit une hausse qui les fit paraître dix à douze fois<br />

plus chéres qu'elles n'étai<strong>en</strong>t auparavant. On ne' savait<br />

comm<strong>en</strong>t exiliquer ce phénomène cornmcrcial, qui<strong>de</strong>vint<br />

le sujet d'un mémoire prés<strong>en</strong>té à Catherine <strong>de</strong> RIédicis,<br />

et imprimé à. Bor<strong>de</strong>aux <strong>en</strong> 1586, sous ce titre : Discours<br />

sur lemessive cherté, prés<strong>en</strong>té d la Reine, mère du Roi,<br />

par un si<strong>en</strong> fidèle serviteur l. L'auteur <strong>de</strong> ce discours y<br />

passe <strong>en</strong> revue, dans lcs plus grands détails, le prix <strong>de</strong>s<br />

grains, <strong>de</strong>s vian<strong>de</strong>s, fruits, légumes, fourrages et autres<br />

objets <strong>de</strong> consommation journalière ; le taux<strong>de</strong>s salaires,<br />

gages, journées d'ouvriers <strong>en</strong> hiver et <strong>en</strong> été, tels que<br />

ces prix courai<strong>en</strong>t soixante ou soixante-dix ans aupara-<br />

vant; et il etablit qu'au mom<strong>en</strong>t où il écrit, la plupart<br />

<strong>de</strong> ces prix sont r<strong>en</strong>chéris dc dix à douze Sois. (Suant<br />

aux bi<strong>en</strong>s-fonds, dit-il, qu'on examine les maisons, fiefs,<br />

seigneuries, terres labourables, prés, vignes ct autres<br />

bi<strong>en</strong>s auxquels on n'a ri<strong>en</strong> augmcnté<strong>de</strong>puis soixante ans,<br />

on verra qu'ils sè v<strong>en</strong><strong>de</strong>nt aujourd'hui six fois pliisqu'ils<br />

ne se v<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t auparavant '.<br />

4 Nv6eS dc la t~adt&ction<br />

d'Adam Smith; par Garnier, tome V,<br />

page 191.<br />

Les mêmes lam<strong>en</strong>tations ret<strong>en</strong>tissai<strong>en</strong>t alors <strong>en</strong> Angleterre.<br />

On remarque dans un sermon prononcé par l'évêque Latimer,<br />

sous le règne d'Edoua?d\VI, ces paroles singulières que je trans-<br />

cris fidèlem<strong>en</strong>t dans le langage naïf <strong>de</strong> I'kpoque : The physician,<br />

if the poor man he diseased, he can have no help without too<br />

, much ;and of the lawyer the poor man can get no coünsell, expe-<br />

dition, nor help in this matter, excepl he give him too much.<br />

You landlords, you r<strong>en</strong>traisers, 1 may say you step-lords, you<br />

uiinateral lords, you have for yocr possessions fearly too niuch.<br />

Poor m<strong>en</strong>, which live of their labour, candot, with the sweat of<br />

tbeir face, have a living ; al1 kinds df viûtuals are so <strong>de</strong>ar, pigs,<br />

geese, capons, cbick<strong>en</strong>s, eggs, elc. ! These things with others are<br />

so unreasonably <strong>en</strong>hansed and 1 thibk, verily, thût if thiis'


332 HISTOIRE<br />

Cette augm<strong>en</strong>tation du prix <strong>de</strong>s choses se manifeste<br />

dans tous les pays <strong>de</strong> l'Europe, à mesure quel'or et l'ar-<br />

g<strong>en</strong>t du Nouveau-Mon<strong>de</strong> s'y répandait par l'<strong>en</strong>tremise<br />

<strong>de</strong>s Espagnols. On trouve dans le Secret <strong>de</strong>s finances<br />

attribué à Froum<strong>en</strong>teau, que <strong>de</strong>puis la fin di1 règne <strong>de</strong><br />

Louis XII jusqu'à l'année 1581, oh ce livre fut imprimé,<br />

c'est-à-dire dans une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> soixante-quinze ans, les<br />

tributs publics avai<strong>en</strong>t plus que quintuplé <strong>en</strong> France; le<br />

méme accroissem<strong>en</strong>t s'étant fait s<strong>en</strong>tir dans les autres<br />

contrées, il y eut une forte <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail pour y<br />

suffire, et c'est peut-ktre autant pour ce motif par<br />

suite du développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la civilisation que les prix<br />

mom<strong>en</strong>taném<strong>en</strong>t exagérés, finir<strong>en</strong>t par se maint<strong>en</strong>ir<br />

dans une limite raisonnable, malgré l'accroissem<strong>en</strong>t ar-<br />

tificiel du chiffre <strong>de</strong>s monnaies par les altérations, et<br />

son accroissem<strong>en</strong>t réel par les importations. Toutes les<br />

habitu<strong>de</strong>s chang<strong>en</strong>t; <strong>de</strong>s <strong>en</strong>treprises hardies s'exécut<strong>en</strong>t,<br />

<strong>de</strong>s besoins nouveaux se manifest<strong>en</strong>t avec la possibilité<br />

continued, we shall at l<strong>en</strong>gth be constrained to pay for a pfgge<br />

a pound. »<br />

On retrouve les mérnes doléances dans les &rivains espagnols.<br />

Voici comm<strong>en</strong>t s'exprimait à ce sujet le père D. Sancho <strong>de</strong> Mon-<br />

cada, auleur d'un ouvrage intitule : Bestauracion-politica <strong>de</strong> Es-<br />

pana, qui r6sume assez bi<strong>en</strong> I'6conomie <strong>politique</strong> <strong>de</strong> ce temps-là ;<br />

je cite textuellem<strong>en</strong>t : « Es verdad, que antes <strong>de</strong>l <strong>de</strong>scubrimi<strong>en</strong>to<br />

<strong>de</strong> las Indias solia comprarse por un quarto Io que ahora por seis<br />

reales; valia el cobre Ires tanto mas que ahora la plata, pues<br />

pesaba un quarlo Io que ahora un real <strong>de</strong> à dos; y ansi, mas rico<br />

estaba uno con ci<strong>en</strong> reales <strong>en</strong> quartos que ahora con cinco mil. Y<br />

con la abondancia <strong>de</strong> plata y oro ha baxodo su valor, y consei-<br />

gui<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>te ha subido el <strong>de</strong> Io qua se compra con la moneda ;<br />

y asi se introduc<strong>en</strong> altos precios <strong>en</strong> todas las cosas, y faltando la<br />

plata y Oro, quedan los hombles oblijados à tan gran<strong>de</strong>s gastos,<br />

imposibilitados <strong>de</strong> alcanzar las gran<strong>de</strong>s. cantida<strong>de</strong>s que son rne-<br />

nesler parà ellos ; poique antes que hubiese tanta plata, un pobre<br />

hall@a un quarto <strong>en</strong> ocho blancas, mas facilm<strong>en</strong>te que ahora dos<br />

reales<strong>en</strong> diez y siete qüartos. ))


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIV. 333<br />

<strong>de</strong> les satisfaire ; <strong>de</strong> plus grands moy<strong>en</strong>s d'échange faci-<br />

lit<strong>en</strong>t le commerce et les spéculations. Toutefois, si l'A-<br />

mérique n'eût pas été di.converte, les pièces d'or et<br />

d'arg<strong>en</strong>t aurai<strong>en</strong>t été moins nombreiises, mais elles au-<br />

rai<strong>en</strong>t eu plus <strong>de</strong> valeur; il y aurait eu <strong>en</strong>tre les<br />

marchandises et la monnaie <strong>de</strong>s rapports très-diffkr<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong> ceux qui exist<strong>en</strong>t aujourd'hui ; on aurait obt<strong>en</strong>u plus<br />

<strong>de</strong> choses avec moins d'arg<strong>en</strong>t ; mais la production au-<br />

rait été longtemps languissante faute <strong>de</strong> capitaux, et la<br />

civilisation serait <strong>de</strong>meurée stationnaire avec elle. Ce<br />

qui le prouve, c'est que l'impulsion donnée au travail<br />

par l'augm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s métaux précieux, ne s'est point<br />

arrbtée à ce premier pas. Bi<strong>en</strong>tôt les espèces n'orit plus<br />

suffi; les lettres <strong>de</strong> change, les billets <strong>de</strong>s banques <strong>de</strong><br />

dépôt et <strong>de</strong> circulation, et tontes les institutions <strong>de</strong> crédit<br />

public et privé sont v<strong>en</strong>us accroitrela masse <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s<br />

d'échange, et par eux stimuler au plus haut <strong>de</strong>gré le<br />

travail. 11 ne faut pas s'attacher aux abstractions : l'a-<br />

bondance ou la rareté du numéraire ne peut jamais <strong>de</strong>-<br />

meurer un fait isolé ; l'équilibre t<strong>en</strong>d sans cesse à s'éta-<br />

blir. Quand les espèces rnétalliqiies abon<strong>de</strong>r<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

Espagne, elles y excitèr<strong>en</strong>t un vif désir <strong>de</strong> consommer,<br />

<strong>en</strong> fournissant aux citoy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> ce pays les facilités né-<br />

cessaires pour se procurer dans les pays voisins tout ce<br />

qui pouvait flatter leurs goùts ou répondre A leurs<br />

besoins. L'Europe se mit à produire .pour eux, et p<strong>en</strong>-<br />

dant prPs d'un siècle, eux seuls commandèr<strong>en</strong>t le travail,<br />

et fur<strong>en</strong>t les plus puissants promoteurs <strong>de</strong> l'industrie.<br />

11 se lit par leurs mains une imm<strong>en</strong>se distributioii <strong>de</strong><br />

salaires, et les ouvriers osèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trevoir l'espérance<br />

d'obt<strong>en</strong>ir, au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> leur paye, quelque chose <strong>de</strong>plus<br />

que le triste morceau <strong>de</strong> pain noir dont ils avai<strong>en</strong>t vécu<br />

jusqu'alors.<br />

19.


334 HISTOIRE<br />

Mais une telle mét,amorphose ne pouvait pas s'operer<br />

sans douleur. Les premiers mom<strong>en</strong>ts fur<strong>en</strong>t ru<strong>de</strong>s à tous<br />

ceux qui vivai<strong>en</strong>t d'un rev<strong>en</strong>u fixe ou d'un salaire limité,<br />

avant pue la hausse dufermage ou du salaire se fût mise<br />

<strong>en</strong> harmonie avec l'élévation du prix <strong>de</strong>s choses. L'accroissem<strong>en</strong>t<br />

du numéraire agit dans cette circonstance<br />

comme la découverte d'une machine, quicomm<strong>en</strong>ce par<br />

mettre à la retraite un certain nombre d'ouvriers, jiisqu'A<br />

ce qiie la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s produits provoqués par I'abaissem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s prix, leur ait r<strong>en</strong>du <strong>de</strong> l'emploi. G'est ce<br />

qui explique coMm<strong>en</strong>t, ai1 lieu <strong>de</strong> se réjouir d'une circonstance<br />

qui, selon les idées vulgaires, <strong>de</strong>vait <strong>en</strong>richir<br />

tout le mon<strong>de</strong>, les contemporains fur<strong>en</strong>t seulem<strong>en</strong>t<br />

frappés du r<strong>en</strong>chérissem<strong>en</strong>t qui leur r<strong>en</strong>dait la vie plus<br />

dure. On a vu quel était à cet égard l'état cle l'opinion<br />

<strong>en</strong> France, <strong>en</strong> Angleterre. et <strong>en</strong> Espagne ; et I'on ferait<br />

un livre fort curieux <strong>de</strong> toutes les jérémia<strong>de</strong>s inspirees<br />

par ce phénomène <strong>de</strong> l'élévation <strong>de</strong>s prix dont on s'efi<br />

frayait d'autant plus qu'on n'y compr<strong>en</strong>ait ri<strong>en</strong> '. Et <strong>en</strong><br />

effet, il était difficile <strong>de</strong>s'expliq~er comm<strong>en</strong>t les <strong>de</strong>nrées<br />

et les marchandises avai<strong>en</strong>t pu ainsi augm<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> prix,<br />

puisqii'elles n'étaieilt bi plus rares, ni plus <strong>de</strong>mandées.<br />

La m&me quantité <strong>de</strong> ble s'échangeait toujoiirs contre<br />

une vache ou un certain nombre <strong>de</strong> moutons j mais,<br />

quand il fallait mesurer ces marchandises ad moy<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />

l'arg<strong>en</strong>t, les proportions n'étai<strong>en</strong>t plus les mémes; l'acheteur<br />

se plaignait d'&tre obligé <strong>de</strong> donner plus <strong>de</strong><br />

4 Le plus reinarquable <strong>de</strong> ces Bcritv est assuré<strong>de</strong>nt Celui qhi<br />

parut <strong>en</strong> 1531, p<strong>en</strong>dant le règne d'Elisabeth, sous ce litte :<br />

A briefe conceipte touching the commonu~ealthe of this realme of<br />

Engtahd. 11 a la lorine d'un dialogue où figur<strong>en</strong>t Lin proprietaire<br />

<strong>de</strong> tanes, un fermier, un inarchanci, uk fabkicht et titi tNBd-<br />

logi<strong>en</strong>.


DE L'ECONOMIE POLITIQGE. CHAP. XXIV. 335<br />

numéraire, oilbbtiant que lorsqu'il <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ait v<strong>en</strong><strong>de</strong>ur il <strong>en</strong><br />

recevait aussi davantage. Toutelois, celiii qui produisait<br />

plus qu'il ne consommait, vol ait ses profits s'accroître<br />

quand il les évaluait <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t, tandis qile celui qui se<br />

trouvait dans une position contraire, le simple consom-<br />

mateur, s'apercevait avec amertume <strong>de</strong> sa décadcnce, <strong>en</strong><br />

, pr4s<strong>en</strong>c.e <strong>de</strong> son rev<strong>en</strong>u immobile <strong>de</strong>vant l'dlévation <strong>de</strong>s<br />

prix. Mais comme dans une sociCté organisée tout le<br />

mon<strong>de</strong> est producteur cn même temps, et presque dans<br />

les mêmes proportions que consommateilr, le malaise<br />

&vint <strong>de</strong> jour <strong>en</strong>jour moins considérable, et l'équilibre<br />

am<strong>en</strong>a la prospérité. La monnaie ne tardapoint à baisser<br />

<strong>de</strong> valeur <strong>en</strong> augm<strong>en</strong>tant <strong>de</strong> masse, et la prédiction <strong>de</strong><br />

l'évêque Latimer, qu'un cochon cobterail, bi<strong>en</strong>tôt plus<br />

d'une gui%&, se vérifia exactem<strong>en</strong>t. II arriva <strong>en</strong> Europe<br />

ce qui arrive dans tons pays, quand l'afflu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s<br />

espèces fait <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s clioses auxquelles on n'au-<br />

rait pas songé si cette afflu<strong>en</strong>ce n'eût pas permis <strong>de</strong> les<br />

exbcbiter.<br />

11. <strong>de</strong> Humboldt a évalué à la somme énorme <strong>de</strong><br />

t~<strong>en</strong>te m?lliards, le produit <strong>de</strong>s mines du Nouveau-<br />

Mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>puis la dbcouveste jnsqu'à nos jours. Sans<br />

admettre <strong>de</strong> confiance. lin chiffre aussi élevé, nous<br />

croyons qu'il n'a fallu ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> moins que la fécondité <strong>de</strong><br />

.ces mines ;pour suffire aux besoins <strong>de</strong> la circulation, dès<br />

que le travail eut été stimulé <strong>en</strong> Erirope par l'importa-<br />

ti«a <strong>de</strong> lwrs premiers produits. La prospérité <strong>de</strong> l'An-<br />

gleterre, <strong>de</strong> la Hollan<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l'Allemagne, <strong>de</strong> la France et<br />

celle <strong>de</strong> la Russie elle-même doiv<strong>en</strong>t être attribukes à<br />

l'impulsion industrielle que ces différ<strong>en</strong>ts pays ont reçue<br />

<strong>de</strong>s <strong>en</strong>vois <strong>de</strong> numéïairc américain, <strong>en</strong> échange dc leurs<br />

matières,premières on <strong>de</strong> leurs marchandises fabriquées.<br />

Quand la guerre <strong>de</strong> l'indép<strong>en</strong>dance, eri siisp<strong>en</strong>dant aii


336 HISTOIRE<br />

Pérou et au Mexique les travaux <strong>de</strong>s mines, réduisit ]a<br />

production <strong>de</strong>s métaux précieux au tiers <strong>de</strong> ce qu'elle<br />

était auparavant, l'Europe y suppléa par le perfection-<br />

nem<strong>en</strong>t du crédit et par la miiltiplication <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong><br />

tout g<strong>en</strong>re qui ont pour but <strong>de</strong> remplacer ou <strong>de</strong> complé-<br />

ter les services <strong>de</strong> la monnaie. Cette révolution <strong>en</strong> s<strong>en</strong>s<br />

contraire dB celle qui suivit les premiers temps <strong>de</strong> la<br />

découverte se continue aujourd'hui, par suite <strong>de</strong> la<br />

diminution croissante <strong>de</strong>s métaux précieux. En effet, si<br />

on compare la masse <strong>de</strong>s marchandises actuellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

circulation à celle qui l'était il y a vingt ans, on verra<br />

qu'il aurait fallu un accroissem<strong>en</strong>t d'espèces d'au moins<br />

dix pour c<strong>en</strong>t pour y faire face. Loin <strong>de</strong> là, les espèces<br />

diminu<strong>en</strong>t, et la population augm<strong>en</strong>te avec le besoin<br />

d'arg<strong>en</strong>t. Une cause extraordinaire et subite a concouru<br />

aussi <strong>de</strong>puis 181 5 à <strong>en</strong> accroftre la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Les gou-<br />

vernem<strong>en</strong>ts qui avai<strong>en</strong>t émis une masse considérable <strong>de</strong><br />

papier-monnaie p<strong>en</strong>dant les longues guerres <strong>de</strong> la révo-<br />

lution et <strong>de</strong> i'empire, ont voulu le rembourser après la<br />

paix. Les États Américains eux-mbmes, d'où l'Europe<br />

tirait ses espèces, n'ont guère vécu que d'emprunts<br />

<strong>de</strong>puis cette époque ; et les habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> luxe se sont<br />

tellem<strong>en</strong>t répandues parmi nous, qu'une somme assez<br />

importante d'or et d'arg<strong>en</strong>t est employée chaque année<br />

<strong>en</strong> objets d'art ou <strong>de</strong> ménage; 30 millions <strong>de</strong> francs y<br />

sont consacrés <strong>en</strong> France, et M. <strong>de</strong> Humboldt p<strong>en</strong>se avec<br />

raison qu'on peut estimer au quadruple, c'est-à-dire à<br />

120 millions, la consommation analogue qui s'<strong>en</strong> fait <strong>en</strong><br />

Europe. fil. Huskisson a fait connaître que, dans l'année<br />

1828, le produit du droit d'essayage s'était élevé <strong>en</strong><br />

Angleterre à 2,625,000 francs, ce qui suppose, dans ce<br />

pays seulem<strong>en</strong>t, une fabricationd'ust<strong>en</strong>siles d'or etd'ar-<br />

g<strong>en</strong>t <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 100 millions <strong>de</strong> francs.


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIV. 337<br />

Ainsi les flots <strong>de</strong> numéraire qui n'ont cessé <strong>de</strong> débor-<br />

<strong>de</strong>r sur l'Europe <strong>de</strong>puis la fin .du quinzième siècle,<br />

comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t- à se retirer '. La réaction s'opère avec<br />

, 4 Les choses ont bi<strong>en</strong> changé <strong>de</strong>puis que i'auleur a écrit ces<br />

lignes. La révolution monétaire du xvir siècle se reproduit sous<br />

nos yeux. La <strong>de</strong>couverte <strong>de</strong>s mines <strong>de</strong> la Californie <strong>en</strong> 1848, <strong>de</strong><br />

celles <strong>de</strong> I'hustralie <strong>en</strong> 1851, l'ext<strong>en</strong>sion au'a prise l'exploitation ,<br />

<strong>de</strong>s gîtes aurifères <strong>de</strong> la Russie asiatique <strong>de</strong>puis, la méme époque,<br />

ont accru la production <strong>de</strong> I'or au point que l'équilibre <strong>de</strong> la cir-<br />

culation, qui s'était maint<strong>en</strong>u <strong>de</strong>puis le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce siè-<br />

cle, se trouve rompu <strong>de</strong> nouveau et que les métaux précieux sont<br />

<strong>en</strong> voie <strong>de</strong> subir une dépréciation, dont il es1 impossible jus-<br />

qu'ici <strong>de</strong> fixer les limites. M. Litvasseur, qui a recueilli récemm<strong>en</strong>t<br />

dans un excell<strong>en</strong>t ouvrage (la Question <strong>de</strong> l'or, 1858, Paris, Guil-<br />

laumin) tous les r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts désirablefi sur l'accroissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

la production <strong>de</strong> l'or et l'influ<strong>en</strong>ce qu'il a exercée d6jà sur le prix<br />

<strong>de</strong>s marchandises et la situation <strong>de</strong>s diverses classes <strong>de</strong>la societé,<br />

Bvalue comme il suit !a masse <strong>de</strong>s métaux précieux jetés dans la<br />

circulation p<strong>en</strong>dant !es huit anuées qui ont suivi la découverte <strong>de</strong>s<br />

mines californi<strong>en</strong>nes :<br />

cc La production totale du mon<strong>de</strong> ou du moins <strong>de</strong>s contrées qui<br />

sont <strong>en</strong> relation directe avec le grand marche <strong>de</strong>s nations occi-<br />

<strong>de</strong>ntales, durant la pBrio<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1848 à 1856, a été<strong>de</strong> 1,841,820 ki-<br />

logrammes ou 6,055,173,000 fr. <strong>en</strong> or, savoir :<br />

Californie 752,400 kilog. 2,508,000,000 francs.<br />

Australie 508,500 1,695,000,000<br />

Russie 217,633 718,136,000<br />

Anci<strong>en</strong>nes mines d'or 313,287 1,133,937,000<br />

Totaux 1,821,820 kilog. 6,055,173,0z<br />

cc Et <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> 9,870,346 kilog. ou 2,170,596,120 francs.<br />

cc La valeur totale <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux m6taiix est <strong>de</strong> 8,226,769,120 fraiics. '<br />

u La moy<strong>en</strong>ne anniielle est <strong>de</strong> 218,391 kilag. ou 672,297,000<br />

francs pour I'or, <strong>de</strong> 1.096.705 kilog. ou 21t,i28,140 francs pour<br />

l'arg<strong>en</strong>t, et <strong>de</strong> 913,085,000 francs pour les <strong>de</strong>ux mbtaiix r6uiiis.r<br />

Le rapport <strong>de</strong> i'arg<strong>en</strong>t à I'or est <strong>en</strong>viron <strong>de</strong> 5 à 1 <strong>en</strong> poids et<br />

<strong>de</strong> 1 à 2,95 ou presque 3 <strong>en</strong> valeur.<br />

La pr,oduction <strong>de</strong>s mines d'or s'arr6lera-t-elle, ou diminuera-<br />

1-elle après ce brillant début? Je ne crois pas qu'il faille <strong>de</strong> long-<br />

temps s'y att<strong>en</strong>dre. Après le premier Blari <strong>de</strong> la d6couverte, la<br />

production s'est, il est vrai, quelque peu ral<strong>en</strong>tie. Les bénBficol<br />

fabuleux avai<strong>en</strong>t attiré tout à coup aux mines une foule imm<strong>en</strong>se


338 H$STOIBE<br />

l<strong>en</strong>teur, ms doiite, mais avec pewévémrtce, et déjà<br />

les pays hç ptus avancés dans la oarrièse <strong>de</strong> l'i411strie<br />

et du mmmerce sont obligés <strong>de</strong> b & r au .crédit ce<br />

<strong>de</strong> travaineurs; les <strong>de</strong>cepltons <strong>en</strong> ont dëcouragé une mtie. Pourtant<br />

nous avons vu que I'bmigration a continue, que le produït,<strong>en</strong><br />

Australie et <strong>en</strong> Californie, loin <strong>de</strong> diminuer, avait queTque peu<br />

augm<strong>en</strong>té, et que, si les profits n'&ai<strong>en</strong>t plus les rnhmes, i'industrie<br />

<strong>de</strong> I'extraction <strong>de</strong> l'or, d'un autrec6t6, comm<strong>en</strong>çait'à <strong>de</strong>vehir<br />

plus rëjulière, et s'appliquait à 'trouver <strong>de</strong>s yroc6dés economiques.<br />

Les travaineurs isolés avai<strong>en</strong>t fait place au$ associatib'ns,<br />

la battée au long tom et aux machines; <strong>de</strong>s canaux apportai<strong>en</strong>t<br />

l'eau <strong>de</strong>s montagnes jusqu'aii milieu <strong>de</strong>s e~ploitalions;. le mercure<br />

etait plus souv<strong>en</strong>t employé; <strong>en</strong>fin les mineurs Comai<strong>en</strong>çaieh't 'à<br />

peine à attaquer les cha-mps imm<strong>en</strong>ses ouverts à leur activité.<br />

» En Californie, la chaîne <strong>de</strong>la sierra, dans to'ute son 6't<strong>en</strong>due;se<br />

compose <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> quar'tz aurifère, et, patmi les terrains<br />

d'alluvion <strong>de</strong> ses vallees, beaucoup r<strong>en</strong>'fefm<strong>en</strong>'t aussi <strong>de</strong> I'or.<br />

C'est, nous I'avons dit, une exploitation qui peut s'ét<strong>en</strong>dre sur<br />

une longueur <strong>de</strong> 1,200 kilomètres et sur une largeur <strong>de</strong> 'Ir5 icilonnètres,<br />

c'est-à-dire sur une superficie <strong>de</strong> 138,500 kilomëtres<br />

carrés, <strong>de</strong>s bords du Sacram<strong>en</strong>to et du San-Joaqulm aux sommets<br />

<strong>de</strong>la Sierra. Là ne se borne pas e.ncore l'explo,itation probable <strong>de</strong><br />

l'av<strong>en</strong>ir. ku nord <strong>de</strong> la Californie, I'Qrégon conti<strong>en</strong>t aussi iles<br />

gîtes aurifères; au midi, les plaines etles monlagnes <strong>de</strong> Sonora <strong>en</strong><br />

conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t et sembl<strong>en</strong>t rattacher les mines du Mexiqueà<br />

celles <strong>de</strong> la Californie par la gran<strong>de</strong> arete amëricaine, la<br />

chaîne du mon<strong>de</strong> la plus riche <strong>en</strong> mélaux <strong>de</strong> toute sorte.<br />

» En Australie, c'est la chaini: ori<strong>en</strong>lale du continznt, connue<br />

sous le-nom <strong>de</strong> -mcrntagnes Bleues ou Alpes australi<strong>en</strong>nes, qui pres<strong>en</strong>te<br />

les rnêmes ric'hesses. On a découvert d'abord I'or près <strong>de</strong><br />

Bathurst; quelque teraps après an le découvrit ,au sud, prits <strong>de</strong><br />

Melbourue, à 700 kilomètres <strong>de</strong> la première mine. Une troisième<br />

d6couverle a été.faile au nord. <strong>de</strong> Cokburn; <strong>en</strong>fm on exploite<br />

aussi <strong>de</strong>s mines au sud-ouest, dans le voisinage d'Adélaï<strong>de</strong>, à,plus<br />

<strong>de</strong> 500 kilomklres <strong>de</strong> Melbourne. Ainsi la prks<strong>en</strong>ce<strong>de</strong> I'or a &<br />

reconnue à divers <strong>en</strong>droits sur un développem<strong>en</strong>t d'<strong>en</strong>viron<br />

1,500 kilomètres, et, à mesure que les découvertes et I'ixpluitation<br />

avanceruo t, on la reconnaîtra sur ti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s points .inter médiaires;<br />

on l'a meme déjà signalée <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> cetteprcmière'ligned~ex-<br />

,ploitation. On a trouvé <strong>de</strong> l'or dans la Tasmanie, île située au.sud<br />

du contin<strong>en</strong>t australi<strong>en</strong>.<br />

1) Ea Russie et<strong>en</strong> Sib4r.ie le ohp.est plus vaste <strong>en</strong>core, L'or se


DE L'ÉCONO~IIE POLITIQUE. CHAP. XXIY. 359<br />

que les mines oint cessé <strong>de</strong> fon~nir av gr6 <strong>de</strong> 3eui-s<br />

bescins. L'Q~ et J'arg<strong>en</strong>t t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt à. jouer dhorzniais dans<br />

bs &ralnsactikons le rôle dont bs dwrves sont chargées<br />

kouve à la fois dans les vall<strong>de</strong>s du Caucase, <strong>de</strong>puis ]la Uihgr6lie<br />

jusqu'à Tiflgs, Eliûavetopd et Dilosrlak; dans l'Oural, &qufs Ekatersn<strong>en</strong>bourg<br />

jusqu'aux bords <strong>de</strong> la mer Glaciale ; clans la Kivgh3aie,<br />

<strong>de</strong>puis les rwes <strong>de</strong> I'lrtiûch juçqa'à 1'Ala-Kou! et méme Jasqu'au<br />

Turkestan, dans les eaux <strong>de</strong>i Sihoun et du Djihonn; dans<br />

I'Altai, <strong>de</strong>puis le gouvernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Tornsk, dans lequel se trmveak,<br />

sur la Mve droite <strong>de</strong> I'lrtisch, <strong>de</strong>s gîles ausst nches que<br />

ceux <strong>de</strong> la Kirghizie sot la rive gauche, jusqii'a Nertschinsk, dans<br />

le distrbt d'lrkoutsk, sitoé 6 plw <strong>de</strong> &,O00 ktlornèkes <strong>de</strong> la Mmgrélie.<br />

» L'exploiWion s'&<strong>en</strong>d déjà sur ceMe irntn<strong>en</strong>iserégioa dont bieii<br />

peu <strong>de</strong> pdnis, il est vrai, ont été jusqu'ioi <strong>en</strong>tamb.<br />

» 11 est peu <strong>de</strong> metaux qui soi<strong>en</strong>t repandus'sur un plus vaste Bs-<br />

Pace que l'or. Presque contempomin <strong>de</strong> l'homme, il n'apparaît<br />

que vers l'&poque <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières formations du globe, au milieu<br />

<strong>de</strong>s roches <strong>de</strong> quark d'où ii a été <strong>en</strong>trainé par les eaux Qiaas les<br />

d6p6ts qui form<strong>en</strong>t dujo~rd'bui ia croûte terrestre. C'est pourquoi<br />

on le rwcoritre à Iâ surface <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> terrains. On peut plasque<br />

dire, sans ex~gération, qu'il est peu <strong>de</strong> c1iaînes qui n'<strong>en</strong> conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t,<br />

peu <strong>de</strong> contrées dont quelque fleuve n'<strong>en</strong> charrie <strong>de</strong>s paillettes<br />

L'Adour, dams les Pyr<strong>en</strong>ées, le Rhin, dans les Alpes, roul<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> l'or dans leurs aux. Ri<strong>en</strong> donc <strong>de</strong> ,plu4 facile que<strong>de</strong><br />

découvrir <strong>de</strong> l'or. Aussi 1'6lan donne pnr la découver Le <strong>de</strong> la Ca.<br />

Lifornie a-t-il provoqub <strong>de</strong> toutas parts <strong>de</strong>s &xploitations. 41 1 <strong>en</strong> a<br />

eu au Canada, dans la Guyane, au Chili ; celles du Caucase et <strong>de</strong><br />

4a Kirghi~ie dat<strong>en</strong>t aussi <strong>de</strong> cette epoqve<br />

>, On s'est fait sans doute <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s iliusions sur ce sujet. II y<br />

- a partout <strong>de</strong> I'oi ; mais parlout l'or ne vaut pas la peine d'être extrait.<br />

Les orpailleurs du Rhin ne


340 HISTOIRE<br />

dans les banques d'escompte. Un clea~ing house uni-<br />

versel s'établira t6t ou tard pour rCgler tous les marchCs<br />

par <strong>de</strong>s comp<strong>en</strong>sations <strong>de</strong> créances, et l'on verra se<br />

on est rémunéré <strong>de</strong> son travsil quand on obti<strong>en</strong>t 1 gramme d'or<br />

sur 2 kilogrammes <strong>de</strong> minerai ; les minerais ont donne beaucoup<br />

plus, et le perfectionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s machines, qui sont toutes jusqu'à<br />

pres<strong>en</strong>t trop faibles. auem<strong>en</strong>tera <strong>en</strong>core le profit. Nul ne peut<br />

dire quelle sera la limite <strong>de</strong> l'exploitation <strong>de</strong> I'or; mais il est cer-<br />

tain qu'on ne i'a pas <strong>en</strong>core atteinte.<br />

» Ce qu'on peut aflirmer,c'est qu'on IH trouvera, non dans l'épui-<br />

sem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s gîtes aurifères, mais dans I'elévation du codt <strong>de</strong> pro-<br />

duction et dans la baisse <strong>de</strong> valeur <strong>de</strong> I'or sur le marché g<strong>en</strong>éral<br />

du mon<strong>de</strong>.<br />

» Si i'av<strong>en</strong>ir promet pour <strong>de</strong> longues années <strong>en</strong>core une abon-<br />

dante production aux mines d'or, il promet aussi <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s ri-<br />

chesses aux niines d'arg<strong>en</strong>t. On parle beaucoup aujourd'hui <strong>de</strong><br />

. l'inondation <strong>de</strong> I'or; il y a dix ans on ne parlait que <strong>de</strong> I'inonda-<br />

lion <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t, et la possibilile d'un énorme accroissem<strong>en</strong>t dans<br />

la quantité <strong>de</strong> ce metal inspirait <strong>de</strong>s craintes & 1'6conoinie poli-<br />

tique.<br />

u La longue cliaine qui parcourt les <strong>de</strong>ux Amériques, <strong>de</strong>puis les<br />

monlagnes <strong>de</strong> I'Or6gon jusqu'au Chili, r<strong>en</strong>ferme dans loute sa<br />

lougunur, sur une ét<strong>en</strong>due <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 12,000 kilomètres, <strong>de</strong>s filons<br />

d'arg<strong>en</strong>t, comme elle r<strong>en</strong>ferme <strong>de</strong>s minerais d'or. Elle n'a <strong>en</strong>core<br />

010 allaquée que sur quelques points isolés ; et ces quelques points,<br />

tels que le Polose au' Pérou, la Veta-Madre au Mexique, ont déjà<br />

r<strong>en</strong>du d'imm<strong>en</strong>ses richesses ; c'est <strong>de</strong> ses flancs qu'est sorti pres-<br />

que tout l'arg<strong>en</strong>t qui est aujourd'hui dans le commerce, puisque<br />

sur 31 milliards d'arg<strong>en</strong>t, l'Amérique seule <strong>en</strong> avait fourni 27<br />

<strong>en</strong> 1848.<br />

» Au Mexique, dans la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>a<strong>de</strong>. au Pérou, dans la<br />

Bolivie, au Chili, on exploite <strong>de</strong>s mines. Dans I'Am6rique sept<strong>en</strong>-<br />

trionale, presque tous. les fleuves, tous les ruisseaux qui <strong>de</strong>sceu-<br />

<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s hautes vallées<strong>de</strong>s An<strong>de</strong>s roul<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sables arg<strong>en</strong>tifères..<br />

M. <strong>de</strong> Humbold p<strong>en</strong>sait que l'Amérique n'avait pas une richesse<br />

moins gran<strong>de</strong> <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t qu'<strong>en</strong> or : « La richesse <strong>de</strong>s chaines <strong>de</strong><br />

' montagnes <strong>de</strong> i'Am6rique <strong>en</strong> gisem<strong>en</strong>ts d'or et d'arg<strong>en</strong>t est éton-<br />

nante, dit-il. En passant <strong>en</strong> revue la quantité <strong>de</strong>s gisem<strong>en</strong>ts d'or<br />

qui y abon<strong>de</strong>nt visiblem<strong>en</strong>t, gisem<strong>en</strong>ts dont on a à peine comm<strong>en</strong>ce<br />

I'exploitation maint<strong>en</strong>ant, et mêmn, dans quelques localites seule-~<br />

m<strong>en</strong>t, on resta convaincu que si on parv<strong>en</strong>ait à apaiser les trou-<br />

bles <strong>politique</strong>s qui mett<strong>en</strong>t obstacle à toute espèce d'industrie, et


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIV. 341<br />

réaliser l'utopie <strong>de</strong> Ricardo, que la monnaie est dans sa<br />

condition véritable, lorsqu'elle est à l'état <strong>de</strong> papier.<br />

N'<strong>en</strong> trouvons-nous pas déjà la preuve dans les opéra-<br />

si on introduisait dans ces mines les procédés dont on se sert <strong>en</strong> Europe<br />

pour l'exploitation, les seules mines du Mexique déjà connues ,<br />

pourrai<strong>en</strong>t fournir une imm<strong>en</strong>se quantite d'arg<strong>en</strong>t. » Ailleurs il<br />

ajoute : « L'Europe serait inondée <strong>de</strong> mélaux précieux si l'on attaquait<br />

à la foid, avec tous les moy<strong>en</strong>s qu'offre le p-erfectionnem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> l'art du mineur, les gîtes <strong>de</strong> minerais <strong>de</strong> Bolanos, <strong>de</strong> Batopilas<br />

<strong>de</strong> Sombrerete, <strong>de</strong> Rosario, <strong>de</strong> Pachuca, <strong>de</strong> Moran, <strong>de</strong> Ziiltepec,<br />

<strong>de</strong> Chihuahua, et tant d'autres, qui ont joui d'une anci<strong>en</strong>ne célé-<br />

brité ... En général, l'abondance <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t est telle dans la<br />

chaîne <strong>de</strong>5 An<strong>de</strong>s, qu'<strong>en</strong> refléchissant sur le nombre <strong>de</strong>s gîtes <strong>de</strong><br />

minerais qui sont reslés intacts, ou qui n'ont été que superficiel-<br />

lem<strong>en</strong>t exploités, on serait t<strong>en</strong>té <strong>de</strong> croire que les Europé<strong>en</strong>s ont<br />

à peine comm<strong>en</strong>cé à jouir <strong>de</strong> cet inépuisable fonds <strong>de</strong> richesses<br />

que r<strong>en</strong>ferme le Nouveau Mon<strong>de</strong>. ))<br />

«M. Boussingault, qui a plus r6cemni<strong>en</strong>t visité les m hes con-<br />

trées, partage <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t sur ce point l'opinion <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Hum-<br />

boldt (page 81 et suivantes). ))<br />

Dans une autre partie <strong>de</strong> son livre (page 192 et suiv.), M. Le-<br />

vasseur constate ainsi les résultats <strong>de</strong> L'intlu<strong>en</strong>ce que i'accroisse-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la productiori <strong>de</strong> l'or a exercée sur le prix <strong>de</strong>s matières<br />

premières et <strong>de</strong>s produits manufacturés.<br />

« La hausse <strong>de</strong> 1856 sur 1847 est <strong>de</strong> 4i 61 pour 100, c'est-à-<br />

dire que i4l fr. 61 c. ne pouvai<strong>en</strong>t pai: <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne acheter<br />

plus <strong>de</strong> marchandise$ <strong>en</strong> 1856 que n'<strong>en</strong> achetai<strong>en</strong>t 100 fr. <strong>en</strong><br />

1847. L'arg<strong>en</strong>t <strong>en</strong> France avait donc perdu. <strong>en</strong> 1856, 29 pour 100<br />

ou <strong>en</strong>viron les 217 <strong>de</strong> sa valeur, dépréciation Bnorme dans un<br />

si court espace <strong>de</strong> temps, et à laquelle on aurait peine à croire,<br />

si elle n'était démontrée par aes chiffres incontestables. Nous ne<br />

sommes pourtant qu'au début d'une r6volution dont nous ne<br />

voyons pas <strong>en</strong>core le terme, et nous ne <strong>de</strong>vons pas oublier,<br />

quelque inouï que nous paraiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> tels changem<strong>en</strong>ts, qu'au<br />

xvie siècle la hausse <strong>de</strong>s marchandises a et&, <strong>en</strong> c<strong>en</strong>t vingt ans, <strong>de</strong><br />

1,200 pour 100, et que les métaux précieux ont perdu les 11/12<br />

<strong>de</strong> leur valeur. Nous ne sommes pas dans une pareille situation,<br />

et il est certain que l'activit8 industrielle et i'exl<strong>en</strong>sion du com-<br />

merce arrêteront la baisse bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> <strong>de</strong>çà d'une pareille limite.<br />

11 y a, toutefois, une remarque importante à faire sur ce chiffre<br />

<strong>de</strong> 29 pour 100.11 est évi<strong>de</strong>nt que <strong>de</strong> quelque monnaie qu'on se<br />

serve, il fallait <strong>en</strong> 1856, <strong>en</strong> France, à peu près sept pièces <strong>de</strong> 1 fr.<br />

'


342 HISTOIRE<br />

tions <strong>de</strong>s banques <strong>de</strong> France, d'Angleterre et <strong>de</strong>s kta~s-<br />

Unis? Qu'est-ce qu'un établissem<strong>en</strong>t, qui opeire pour<br />

sept ou huit c<strong>en</strong>ts mqlions d'escompte dans l'année, au<br />

. ou l'équival<strong>en</strong>t <strong>de</strong> sept pièces, là où cinq pièces suffisai<strong>en</strong>t il y a<br />

dix ans. Mais il faut d&m&ler dans ce r<strong>en</strong>ch&rissem<strong>en</strong>tg&neral la<br />

multiplicité <strong>de</strong>s causes, voir ce qui est perman<strong>en</strong>t et ce qui est<br />

passager, et ne pas attribuer uniquem<strong>en</strong>t à l'or ce changem<strong>en</strong>t<br />

dont il n'est pa; seul coupable. S'il y a eu cherté, c'est que, <strong>de</strong>puis<br />

quelques années, la disette du blé a fait monter le prix <strong>de</strong><br />

toute's les substances alim<strong>en</strong>taires au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> la proportion naturelle.<br />

C'est que nous avons sout<strong>en</strong>u au loin une guerre coûteuse<br />

pour laquelle le gouvernem<strong>en</strong>t a dil faire d'imm<strong>en</strong>ses<br />

approvisionnem<strong>en</strong>tset produire la hausse par .une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> considérable<br />

<strong>de</strong> produits. C'est <strong>en</strong>fin que l'industrie française, comme<br />

nous l'avons dit, a fait <strong>de</strong>puis quelques années, <strong>de</strong> rapi<strong>de</strong>s progrès,<br />

et qu'<strong>en</strong> appelant un nombre <strong>de</strong> consommateurs plus grand<br />

qu'autrefois à pr<strong>en</strong>dre une part <strong>de</strong>s jouissances <strong>de</strong> la vie, elle a<br />

créé parmi les acheteurs une concurr<strong>en</strong>ce qui <strong>de</strong>vait-infailliblem<strong>en</strong>t<br />

produire la hausse : singulier effet <strong>de</strong>s progrés <strong>de</strong> i'industrie,<br />

qui provoqu<strong>en</strong>t à la fois la baisse <strong>en</strong> créant plus <strong>de</strong> produits,<br />

et la hausse <strong>en</strong> creant plus <strong>de</strong> consommateurs. La disette,<br />

la guerre, le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'industrie am<strong>en</strong>ant une augm<strong>en</strong>tation<br />

dans le nombre <strong>de</strong>s consommateurs : trois causes qui ont<br />

contribue avec l'avilissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'or à la cbert6. De ces trois.<br />

causes, <strong>de</strong>ux sont passagères : la guerre a cessé <strong>de</strong>puis le traité<br />

du 30 mars 1856, el la disettr <strong>de</strong>puis la récolte <strong>de</strong> 1857. Mais la<br />

troisième est perman<strong>en</strong>te et contribuera avec l'or à élever d'une<br />

manière <strong>de</strong>tinitive les prix <strong>de</strong> toutes choses. Quelle sera cette<br />

élévation, abstraction faites <strong>de</strong>s causes passagères ? Nous avons<br />

pu fixer d'une manière certaine les chiffres <strong>de</strong> 67 19 pour les<br />

produits naturels, <strong>de</strong> 14 94 pour les produits manufacturés, et.<strong>de</strong><br />

1i 61 pour les marchandises <strong>en</strong> g&n6ral, parce que pour arriver<br />

à ces résultats, nous n'avions qu'à constater les prix réels du<br />

marche. Au <strong>de</strong>là nous n'avançons plus qu'à travers <strong>de</strong>s bypothèses.<br />

Cep<strong>en</strong>dant il est un fait certain, c'est que les causes passagères<br />

ont dQ, par leur nature m&me, agir beaucoup plus forlemerit<br />

sur les produits naturelsque sur les produits manufacturcts et que<br />

67 17 et 14 94 ne marqu<strong>en</strong>t pas le rapport véritable <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxorcires<br />

<strong>de</strong> produits dans les temps ordinaires.<br />

On reste dans les limites les plus probables <strong>de</strong> la vdrité <strong>en</strong> disant<br />

que la guerre et la disette ont augm<strong>en</strong>té le prix <strong>de</strong>s produits<br />

naturels <strong>de</strong> 20 pour 100 <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne, et celui <strong>de</strong>s produitsmanu-


moy<strong>en</strong> d'un fonds social <strong>de</strong> c<strong>en</strong>t millions <strong>en</strong> espdces ,<br />

dont le qtiart suffirait pour les remboursem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>-<br />

mandés? L'arg<strong>en</strong>t, commé on le voit, ne joue plus<br />

<strong>de</strong>sormais qu'un rôle secondaire, et quoique sa valeur<br />

semblât augm<strong>en</strong>ter par la réduction du produit <strong>de</strong>s<br />

bines et par l'accroissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s besoins cor~imerciatix,<br />

la m0rinai.e <strong>de</strong> papier t<strong>en</strong>d S la déprécier et iz prefidre<br />

sa place sur tous iles marchés <strong>de</strong> I'uni~ets. La lcttre<br />

<strong>de</strong> change circiile partout, prkférablem<strong>en</strong>t aux écus,<br />

parce qt~'elle est plus commo<strong>de</strong> et qu'elle court moins<br />

<strong>de</strong> risques dans la circulation.<br />

Cette révolution monétaire, presque accomplit <strong>en</strong><br />

Europe, ne permettra plus le retour <strong>de</strong>s alttrations et<br />

<strong>de</strong>s frad<strong>de</strong>s dont l'histoire <strong>de</strong>s peuples prés<strong>en</strong>te <strong>de</strong> si<br />

.nombreitx exemples. h force d'expéri<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong> mal-<br />

heurs, on a fini par compr<strong>en</strong>dre la nécessite d'un res-<br />

facturés <strong>de</strong> 2 pour iO0; que la sp6culatio~î qui 3 porté si haut<br />

tous les prix a <strong>de</strong>passe la baisse <strong>de</strong>s metaux et l'a exagér6e d'une<br />

manihre factice d'<strong>en</strong>viron 5 pour 100; que par conséqu<strong>en</strong>t il reste<br />

uue hausse perman<strong>en</strong>te<br />

*De 42 19 pour i00 sur les produits hzturels :<br />

» De 7 94 pour $00 sur les produrts maniifacturés:<br />

» D'euvilon25 pour lOO,<strong>en</strong>moyeaue, sur touteslesmarchandises<br />

eil général.<br />

r Sur cetteangdie.dtation <strong>de</strong> 21 pou? (00,5 pour 100 à peu pr&s<br />

sont Bus au développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'industrie et à l'augm<strong>en</strong>tation du<br />

nombre <strong>de</strong>s consommateurs : 11 reste donc 20 pour 100 qui sont<br />

iin -eîTet <strong>de</strong> l'abondance <strong>de</strong>s métaux pr8cieux.<br />

»Quand lescauses passagè~saurorit cesse d'agir,il faudra<strong>en</strong>core<br />

125 francs pour acheter ce qui coûtait 100 fr. il y a dix ans; aü-<br />

trem<strong>en</strong>t dit, i1 fdddra une piece <strong>de</strong> cinq francs pour se procurer la<br />

m4me quailtitd <strong>de</strong> marchandises qu'on avait auparavant pour<br />

quatre francs : i'arg<strong>en</strong>t aura perdu 20 pou~ 100,un 115 <strong>de</strong> sa valeur.<br />

Si on faisait abstraclion <strong>de</strong> la cause perman<strong>en</strong>te que nous<br />

désignohs sous le nom <strong>de</strong> développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'industrie, on trouverait<br />

que l'abondance seule <strong>de</strong>s Inetaux pr6cieiix a ptdduit une<br />

baisse <strong>de</strong> iêE? pour 100 sur leur valeur. (Note <strong>de</strong> Z'&it;eur.) )I


344 HISTOIRE<br />

pect invariable pour tous les élém<strong>en</strong>ts qui concour<strong>en</strong>t<br />

, à la sécurité <strong>de</strong>s échanges. Peuples et rois sont aujour-<br />

d'hui guéris <strong>de</strong> la funeste' manie <strong>de</strong> chercher dans la<br />

fausse monnaie <strong>de</strong>s ressources précaires, toujours aussi<br />

honteuses qu'elles sont stériles. Mais qui pourrait nom-<br />

brer les méhits <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re dont l'histoire est toute<br />

pleine <strong>de</strong>puis la découverte du Nouveau Mon<strong>de</strong> ? Ceux<br />

qui n'avai<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong> mines, s'imaginèr<strong>en</strong>t qu'ils <strong>en</strong><br />

trouverai<strong>en</strong>t l'équival<strong>en</strong>t dans la réduction du titre ou<br />

du poids <strong>de</strong> leurs écus, et la fausse monnaie <strong>de</strong>vint<br />

pour les gouvernem<strong>en</strong>ts une arme à <strong>de</strong>ux tranchants,<br />

dont ils se blessai<strong>en</strong>t eux-mêmes <strong>en</strong> essayant <strong>de</strong> s'<strong>en</strong><br />

servir contre leurs <strong>en</strong>nemis. Ainsi fir<strong>en</strong>t les Hollandais<br />

dans leur révolution contre l'Espagne, et les Français,<br />

au dix-septikme siècle, dans leur guerre contre les Es-<br />

pagnols. V<strong>en</strong>ise et Flor<strong>en</strong>ce mème, ces républiques<br />

opul<strong>en</strong>tes, ne se refusèr<strong>en</strong>t pas ce supplém<strong>en</strong>t ignoble<br />

<strong>de</strong> rev<strong>en</strong>u; et l'on peut ranger parmi les principales<br />

causes <strong>de</strong> la déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s Flor<strong>en</strong>tins l'habitu<strong>de</strong> prise<br />

par leurs négociants <strong>de</strong> se livrer au trafic <strong>de</strong>s espèces<br />

monnayées plutbt qu'à la culture <strong>de</strong>s arts qui avai<strong>en</strong>t<br />

fait la fortune <strong>de</strong> leurs ancétres. Le ma1 ne tarda point<br />

à jeter <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s racines, et il y eut non-seulem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> mauvaises monnaies , mais d'innombrables livres<br />

sur la monnaie. C'est peut-étre le sujet économique sur ,<br />

lequel on ait Je plus écrit. Chacun voulait avoir trouvé<br />

la pierre philosophale. Davanzati écrivait <strong>en</strong> 1582 :<br />

a L'or et l'arg<strong>en</strong>t sont <strong>de</strong>s instrum<strong>en</strong>ts qui font circuler<br />

sur tout le globe les bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s mortels, et que l'on peut<br />

considérer comme les causes secondaires d'une vie<br />

heureuse. n Serra publia, <strong>en</strong> 161 3, son ouvrage inti-<br />

tulé : Petit traité' <strong>de</strong>s causes qui peuc<strong>en</strong>t faire abon<strong>de</strong>r<br />

l'or .et l'arg<strong>en</strong>t dans Les royaumes, et il s'attachait à


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIV. 345<br />

prouver qu'à ses yeux les seules richesses étai<strong>en</strong>t les<br />

matières d'or et d'arg<strong>en</strong>t. Montanari fit paraître, <strong>en</strong><br />

1680, son Truitd sur les monnaies, dans lequel on re-<br />

trouve, avec les préoccupations <strong>de</strong> ses prédécesseurs, <strong>en</strong><br />

faveur <strong>de</strong>s métaux précieux, <strong>de</strong>s réflexions très-justes<br />

sur les phénomènes <strong>de</strong> la circulation. Un siècle aupa-<br />

ravant, Gaspard Scaniffi, <strong>de</strong> Reggio, avait adressé au<br />

comte Tassoni un Discours sur les monnaies, plein <strong>de</strong><br />

vues très-élepées, et digne <strong>en</strong>core d'intérbt aujourd'hui,<br />

après lesexcell<strong>en</strong>ts écrits qui ont paru sur la matière.<br />

C'est Scaruffi qui proposa le premier la marque <strong>de</strong> l'or<br />

et <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t, adoptée, <strong>de</strong>puis, dans toute l'Europe,<br />

pour servir <strong>de</strong> garantie au commerce <strong>de</strong> l'orfévrerie.<br />

Les autres écrivains itali<strong>en</strong>s d'économie <strong>politique</strong> ,<br />

Broggia 1, Neri 2, Carli 3, Beccaria 4, Vasco ont ré-<br />

pandu les plus vives lumières sur toutes les questions<br />

relatives aux monnaies, dont les économistes français<br />

ont résumé l'<strong>en</strong>semble avec plus ou moins d'ordre et<br />

<strong>de</strong> netteté. Boutteroue, Leblanc, Abot <strong>de</strong> Bazingh<strong>en</strong>,<br />

Dupré <strong>de</strong> Saint-Maur, Boizard, Poulain, nous ont laissé<br />

<strong>de</strong>s écrits plus complets que les Itali<strong>en</strong>s, mais oh l'on<br />

ne trouve pas la m<strong>en</strong>ie hauteur <strong>de</strong> vues et la meme ori-<br />

ginalité. En Hollan<strong>de</strong>, <strong>en</strong> Angleterre, <strong>en</strong> Espagne, la<br />

questipn <strong>de</strong>s monnaies a <strong>en</strong>fanté <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> livres,<br />

plus ou moins empreints dcs préjugés du tem~, mais<br />

qui ne saurai<strong>en</strong>t avoir désormais qu'une importance <strong>de</strong><br />

g~uriosité , <strong>de</strong>puis que les dconomistes mo<strong>de</strong>rnes ont<br />

éclairé cette étu<strong>de</strong> par les travaux les plus brillants et<br />

les plus consci<strong>en</strong>cieux.<br />

4 Traité <strong>de</strong>s monnaies, 175i.<br />

"Observations sur le priai légal <strong>de</strong>s monnaies. 1751.<br />

Traité <strong>de</strong>s monnaies. 1760.<br />

Sur les désordres et les remè<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s monnaies, 1762.<br />

Essai <strong>politique</strong> sur les monnaies, 1772.


346 HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXIV.<br />

C'<strong>en</strong> est fait pour jamais <strong>de</strong>s folles t<strong>en</strong>tatives qui ont<br />

été r<strong>en</strong>ouvelées p<strong>en</strong>dant plusieurs siècles contre I'int6-<br />

grité du systéme monétaire. De tous les procès p<strong>en</strong>dants<br />

ail tribunal <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce, il n'y <strong>en</strong> a point qu'eIle ait<br />

jugé avec plns d'expkri<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong> maturité, et sur JequeI<br />

son jugem<strong>en</strong>t soit plns inattaquable. Chacun sait an-<br />

jourd'hui que les vkritables avantages que l'Europe a<br />

retirés <strong>de</strong> la découverte <strong>de</strong>s mines du Nouveau Mon<strong>de</strong>,<br />

ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas exclusivem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Pabondanee <strong>de</strong>s m&-<br />

taux prkcieux, mais <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées consom-<br />

mables qui font la base <strong>de</strong> nos échanges avec ce pays.<br />

L'or et l'arg<strong>en</strong>t ont disparu; le eoton, le sucre et le<br />

café sont restés. La seule découverte <strong>de</strong> la pomme da<br />

terre a mieux valu que celle <strong>de</strong>s mines du Pérou et du<br />

Mexique.


D; quelques fâcheuses conséqu<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la <strong>de</strong>couverte <strong>de</strong>s mines<br />

d'Am6rique. - Des premières apparitions <strong>de</strong> pauvres <strong>en</strong> An-<br />

gleterre. - Miniktère <strong>de</strong> Sully. - Ses reformes financières. -<br />

Ses i<strong>de</strong>es erronees sur l'industrie et le commerce. - 11 est le<br />

plus ar<strong>de</strong>nt propagateur du système mercantile. - Son p<strong>en</strong>-<br />

chant pour Ies Iois somptuaires.'- Ses ru<strong>de</strong>s attaques contre<br />

14 abus <strong>de</strong> finances. - RBsultats définitifs <strong>de</strong> son adminis-<br />

tration.<br />

Si l'on se bornait à examiner la surface <strong>de</strong>s choses,<br />

il y aurait peut-être lieu <strong>de</strong> déplorer la découverte <strong>de</strong>s<br />

mines du Nouveau-Mon<strong>de</strong>. La gran<strong>de</strong> importation <strong>de</strong><br />

numéraire qui <strong>en</strong> fut la eoilséqu<strong>en</strong>ce ne semble, <strong>en</strong><br />

effet, avoir servi qu'à bouleverser l'Europe et à jeter la<br />

perturbation dans les esprits et dans les intérbts. Char-<br />

la-Quint et Philippe 11 s'<strong>en</strong> serv<strong>en</strong>t pour assouvir leur<br />

ambition, <strong>en</strong> suscitant partout <strong>de</strong>s guerres sanglantes et<br />

ruineuses; les autres princes n'y voi<strong>en</strong>t qu'une occa-<br />

sion d'accaparer le nurnkraire <strong>de</strong> leurs sujets, afin <strong>de</strong><br />

lutter à armes égales contre les possesseurs <strong>de</strong> la nou-<br />

velle terre promise, Partout i'esprit <strong>de</strong> fiscalité se ré-<br />

veille à l'aspect <strong>de</strong>s monceaux d'or et d'arg<strong>en</strong>t qui<br />

nous vi<strong>en</strong>nerkt <strong>de</strong> l'Amérique, eE le premier rksdtat <strong>de</strong>


348 HISTOIRE<br />

cette inondation est <strong>de</strong> susp<strong>en</strong>dre i'activité <strong>de</strong>s peupIes<br />

et <strong>de</strong>s rois, uniquem<strong>en</strong>t pressés <strong>de</strong> courir après la ri-<br />

chesse <strong>de</strong>s mines, plut& que d'<strong>en</strong>courager celle qui<br />

vi<strong>en</strong>t du travail. On a vu qu'eue fut la surprise <strong>de</strong>s uns<br />

et les expédi<strong>en</strong>ts imaginés par les autres, à l'apparition<br />

<strong>de</strong> ces phénomènes inconnus <strong>de</strong> hausse subite dans le<br />

prix <strong>de</strong>s choses sans augm<strong>en</strong>tation dans le taux <strong>de</strong>s<br />

salaires. En vain on opposait aux inci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> chaque<br />

jour <strong>de</strong>s palliatifs nouveaux; le mal r<strong>en</strong>aissait sous<br />

mille formes imprévues, toujours plus m<strong>en</strong>açant et plus<br />

incurable. La fausse monnaie, les augm<strong>en</strong>tations d'im-<br />

pdts, les exactions <strong>de</strong> tout g<strong>en</strong>re n'y pouvai<strong>en</strong>t porter<br />

remb<strong>de</strong>, et la plus affreuse anarchie faillit désoler un<br />

mom<strong>en</strong>t toute l'Europe.<br />

Qu'on se transporte, par la p<strong>en</strong>sée, au temps <strong>de</strong> nos<br />

guerres civiles, sous H<strong>en</strong>ri III, lorsque <strong>de</strong> toutes parts<br />

le vieux catholicisme, ébranlé jusqu'<strong>en</strong> ses fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts,<br />

essayait <strong>de</strong> ressaisir un pouvoir près <strong>de</strong> lui échapper.<br />

C'était l'époque la plus brillante <strong>de</strong>s mines d'Amérique ;<br />

chaque année les galions rev<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t du Mexique chargés<br />

<strong>de</strong> piastres fortes, et cep<strong>en</strong>dant la pauvreté régnait par-<br />

tout, malgré ces élém<strong>en</strong>ts naissantsd'opul<strong>en</strong>ce, et, d'une<br />

extrémité a l'autre, l'Europe était <strong>en</strong> proie à la discor<strong>de</strong><br />

et à la misbre. On n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait parler que d'extorsions<br />

et <strong>de</strong> pillages. u Le pays, s'écriait un écrivain français<br />

contemporain 1, est mangé non-seulem<strong>en</strong>t par la g<strong>en</strong>-<br />

darmerie et par les gabelleurs; mais d'heure à autre<br />

sort<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s cita<strong>de</strong>lles les soldats qui vont à la picorée,<br />

avec <strong>de</strong>s insol<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong>s excès tels et si grands, qu'il<br />

n'y a village oii maison qui, une, <strong>de</strong>ux et trois fois la<br />

semaine, ne soit contrainte <strong>de</strong> distribuer a l'appétit <strong>de</strong><br />

4<br />

4 Froum<strong>en</strong>teau, le Secret <strong>de</strong>s finanees, édit. <strong>de</strong> 1581.


DE L'ECOYO~~IE POLlTIQUE. CHAI?. XXV. 349<br />

ces canailles; qttatld le soldat sort, le serg<strong>en</strong>t y <strong>en</strong>tre,<br />

et d'ordinaire les maisons sont remplies <strong>de</strong> g<strong>en</strong>s d'armcs,<br />

sotdats, collecteurs <strong>de</strong> tailles, serg<strong>en</strong>ts et gabelleurs,<br />

tellem<strong>en</strong>t que c'cst bicn à merveille quand l'heure du<br />

jour a passé sans être visité <strong>de</strong> teIIes g<strong>en</strong>s. ))<br />

La mhne chose se passait <strong>en</strong> Angleterre, <strong>en</strong> Flandre,<br />

<strong>en</strong> Italie, <strong>en</strong> Allemagne. On eût dit que <strong>de</strong>s armées <strong>en</strong>-<br />

tières <strong>de</strong> soudards s'étai<strong>en</strong>t ruées surlafortunepnblique,<br />

et que les peuples étai<strong>en</strong>t condamnés à verser dCsomais<br />

leurs sueurs et leur sang jnsqu'à Ia <strong>de</strong>rnière goutte pour<br />

assouvir cette soif d'or et d'arg<strong>en</strong>t qui dévorait leurs<br />

oppresseurs. An lieu <strong>de</strong>secon<strong>de</strong>r les ressources naturelles<br />

<strong>de</strong> chaque pays, les métaux précieux ne servir<strong>en</strong>t d'a-<br />

bord qu'à les épuiser, et il a fallu près <strong>de</strong> trois siè<strong>de</strong>s<br />

d'expéri<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong> malheurs pour nous- appr<strong>en</strong>dre que<br />

leur véritable <strong>de</strong>stination était d'alim<strong>en</strong>ter l'industrie<br />

plutôt que la guerre. Les mines d'Aniériqiie ont été.<br />

décuuvertes c<strong>en</strong>t ans trop tôt ; elles n'aiiraicnt dh verser<br />

leurs trésors <strong>en</strong> Eiiropc qu'après les longues guerres <strong>de</strong><br />

religion, d'où sortir<strong>en</strong>t la liberté d'exam<strong>en</strong>, l'ordre dans<br />

les finances et la sécurité pour le travail. Aux mains<br />

d'un roi tel que Philippe II, leur action fut plus meur-<br />

trière que cclle dc la poudre, et c'est par elles, ou A<br />

cause d'elles que la France, l'Espagne etllAngleterreoat<br />

été si longtemps désolées. Les princes qui n'avai<strong>en</strong>t<br />

point <strong>de</strong> mines, <strong>en</strong> cherchèr<strong>en</strong>t l'équival<strong>en</strong>t dans la<br />

bourse <strong>de</strong>leurs su,jets, sans songer qu'<strong>en</strong> attaquant ainsi<br />

les capitaux <strong>en</strong> même temps que les rev<strong>en</strong>us, ils $ap-<br />

pai<strong>en</strong>t la production dans sa source et l'État dans sa vie.<br />

Aussi, Iorsqu'on étudie l'histoire <strong>de</strong> ces temps déplora-<br />

hles, an n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d plus parler que <strong>de</strong> provinces épuisées,<br />

<strong>de</strong> maisons détruites, <strong>de</strong> mallieureux errants dans les<br />

campagnes. Quand les états <strong>de</strong> Blois s'assemblèrerit, on<br />

4@ ÉDLT. T. I. 20


350 HISTOIRE<br />

leur prés<strong>en</strong>ta l'énumération <strong>de</strong> ces scènes <strong>de</strong> désespoir<br />

et <strong>de</strong> ruine, et dans tous les diocèses, après chaque<br />

exposé <strong>de</strong>s pertes <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t, on disait le nombre <strong>de</strong><br />

prêtres égorgés, <strong>de</strong> moines, <strong>de</strong> soldats et bourgeois<br />

massacrés, <strong>de</strong> filles et <strong>de</strong> femmes violées, sans que<br />

jamais ce supplém<strong>en</strong>t au budget <strong>de</strong>s misères contempo-<br />

raines ait été oublié.<br />

La plus horribIe confusion régnait égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> An-<br />

gleterre, et le règne d'Élisabeth, dont les résultats <strong>de</strong>-<br />

vai<strong>en</strong>t &tre si glorieux pour son pays, avait comm<strong>en</strong>cé<br />

sous <strong>de</strong>s auspices très-lugubres. H<strong>en</strong>riVIIIs'était emparé<br />

<strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s églises, sous prktexte <strong>de</strong> soulager ses<br />

sujets du poids <strong>de</strong>s impdts qu'ils ne continuèr<strong>en</strong>t pas<br />

moins à payer. Élisabeth poursuivit la m<strong>en</strong>dicité d'une<br />

main inflexible, et au lieu <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre quelques milliers<br />

d'ouvriers à la société, elle infesta l'Angleterre <strong>de</strong><br />

voleurs. Déjà sok H<strong>en</strong>ri VlII, selon le témoignage <strong>de</strong><br />

Harrison, on <strong>en</strong> l ait mis à mortplus <strong>de</strong> 72,000, et sous<br />

le règne d'Élisabeth, il ne se passait pas une année sans<br />

qu'on <strong>en</strong> <strong>en</strong>voyht trois ou quatre c<strong>en</strong>ts an gibet. Ces<br />

malheureux, errant par ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong> plusieurs c<strong>en</strong>taines,<br />

pillai<strong>en</strong>t les fermes, dévalisai<strong>en</strong>t les voyageurs et bra-<br />

vai<strong>en</strong>t au fond <strong>de</strong>s bois les poursuites du gouvernem<strong>en</strong>t.<br />

Après avoir essayé contre eux toutes sortes <strong>de</strong> supplices,<br />

Élisabeth dut mettre leur subsistance à la charge <strong>de</strong>s<br />

paroisses, et créer la fameuse taxe <strong>de</strong>s pauvres, insuffi-<br />

sante pour les nourrir, mais non pour les empécher <strong>de</strong><br />

se multiplier. Ainsi, <strong>en</strong> Espagne, les mines du Nouveau-<br />

Mon<strong>de</strong> avai<strong>en</strong>t détourné l'administration et le peiiple<strong>de</strong>s<br />

véritables voies <strong>de</strong>la richesse, <strong>en</strong> leur assurant presque<br />

sans elforts un rev<strong>en</strong>u indép<strong>en</strong>dant du travail; <strong>en</strong><br />

France, elles v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> forcer le prince à multiplier<br />

les impôts et les avanies <strong>de</strong> tout g<strong>en</strong>re, pour se main-


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CH.@. XXY. 351<br />

t<strong>en</strong>ir contre la concurr<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s Espagnols, et <strong>en</strong> Angle-<br />

terre, elles donnai<strong>en</strong>t naissance à la taxe <strong>de</strong>s pauvres,<br />

l'une <strong>de</strong>s plus îunestes inv<strong>en</strong>tions <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes.<br />

Il n'est pas impossible, toutefois, <strong>de</strong> reconnaître au<br />

milieu <strong>de</strong> ce chaos l'aurore d'nne époque plus prospère<br />

et d'un ordre <strong>de</strong> choses plus régulier. En vainles souve-<br />

rains s'efforçai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ret<strong>en</strong>ir l'or el l'arg<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> l'extor-<br />

quer à leurs sujets, d'<strong>en</strong> favoriser l'<strong>en</strong>trée et d'<strong>en</strong> inter-<br />

dire la sortie ; l'or s'échappait par tous les pores et se<br />

r<strong>en</strong>dait partout oii l'appelai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>stransactions,<br />

c'est-à-dire <strong>de</strong> grands profits1. l'eu à peu méme, les<br />

gouvernem<strong>en</strong>ts s'aperçur<strong>en</strong>t que la perception <strong>de</strong>s im-<br />

pBts avait besoin, pour <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir productive, d'être sou-<br />

mise à <strong>de</strong>s règles sévères, et ces règles se fir<strong>en</strong>t jour<br />

dans la législation. Le parlem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Angleterre et Sully<br />

<strong>en</strong> France fur<strong>en</strong>t les auteurs <strong>de</strong> cette réforme, d'oii <strong>de</strong>-<br />

vait bi<strong>en</strong>tBt sortir la sci<strong>en</strong>ce financière et avec elle le<br />

remè<strong>de</strong> aux mauvais systèmes nés <strong>de</strong> l'ignorance con-<br />

temporaine et <strong>de</strong> l'impéritie <strong>de</strong>s gouvernem<strong>en</strong>ts. Ici<br />

comm<strong>en</strong>ce une ère nouvelle pour <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>,<br />

et nous voyons <strong>en</strong>fin un système surgir du sein <strong>de</strong> l'anar-<br />

chie affrcusc qui a désolé l'Europe p<strong>en</strong>dant les longues<br />

guerres <strong>de</strong> religion.<br />

L'histoire a reconnu avec raison dans Sully la person-<br />

nification la plus parfaite <strong>de</strong> ce système, et nous ne<br />

pouvons mieux le faire connaître qu'<strong>en</strong> exposant rapi-<br />

<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t les principaux actes <strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong> ce<br />

ministre célèbre. Ils ne sont pas tous conformes aux<br />

vrais principes, car Sully n'avait pas moins <strong>de</strong> préjugés<br />

4 « Le numeraire, dit M<strong>en</strong>gotti, est ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t rebelle aux<br />

ordres <strong>de</strong> la loi : il vi<strong>en</strong>t sans qu'on l'appelle, s'<strong>en</strong> va quoiqu'on<br />

I'arrbte, sourd aux avances, ins<strong>en</strong>sible aux m<strong>en</strong>aces, attire seule-<br />

m<strong>en</strong>t par l'appât <strong>de</strong>s profits. »


352 HISTOIRE<br />

queses contemporains; mais il frit le premier adminis-<br />

trateur résolu à ne pas marcher au hasard, et ses actes<br />

sont tous remarqiiables par lin esprit d'ordre et <strong>de</strong> suite<br />

qui â, exercé la plus gran<strong>de</strong> influ<strong>en</strong>ce sur I'économje poli-<br />

tique <strong>de</strong> l'Europe. A peine investi <strong>de</strong> la confiance <strong>de</strong><br />

H<strong>en</strong>ri IV, il comm<strong>en</strong>ça par bi<strong>en</strong> étudier.les charges et<br />

les ressources <strong>de</strong> laFrance, et il dressale premier budget<br />

qui ait servi <strong>de</strong> base à la comptabilité publiqtie. Ses re-<br />

cl*erches fir<strong>en</strong>t connaître une <strong>de</strong>tte d'<strong>en</strong>viron 300 mil-<br />

Iionis <strong>de</strong> francs vers la fin <strong>de</strong> l'année 1595, et il s'appliqiia<br />

aussitdt sans relache à la création <strong>de</strong>s voies et moy<strong>en</strong>s<br />

nécessaires pour l'éteindre. Sa maxime principaic était<br />

d'appliquer à chaque partie <strong>de</strong> la dép<strong>en</strong>se une partie <strong>de</strong><br />

la recette, sans permettre qu'elle fût jamais détournée<br />

pour un autre emploi. Il mit un frein à la fureur <strong>de</strong>s<br />

traitaats pi exploitai<strong>en</strong>t le pays avec une telle audace,<br />

que, sur 150 millions <strong>de</strong>-francs <strong>de</strong>mandés aux con€ri-<br />

btiables, à peine 30 millions <strong>en</strong>trai<strong>en</strong>t dans le trésor<br />

public. Dkf<strong>en</strong>se fut faite aux receveurs <strong>de</strong> saisir, sons<br />

aucun prétexte, le bétail et les instrum<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> labourage<br />

<strong>de</strong>s cultivateurs <strong>en</strong> retard avec le fisc, et les peines les<br />

plus sévbres fur<strong>en</strong>t infligées aux soldats qui vexerai<strong>en</strong>t le<br />

paysan, soit p<strong>en</strong>dant leurs marches, soit arrivés dans<br />

leurs quartiers, ce qui était, comme on l'a vu, une <strong>de</strong>s<br />

phis horribles plaies clc ce temps. Il ne fallut pas moins<br />

<strong>de</strong> fermeté pour réprimer l'avidité <strong>de</strong>s gouverneurs <strong>de</strong><br />

province, qui avai<strong>en</strong>t poussé la lic<strong>en</strong>ce jusqu'à lever <strong>de</strong>s<br />

contributions pour leur compte et <strong>de</strong> leur seule autorité.<br />

Le duc d'Épernon, qui se faisait, par <strong>de</strong> scmblaltles vio-<br />

l<strong>en</strong>ces, soixante mille éciis <strong>de</strong> r<strong>en</strong>tes, osa résister<br />

Sully, qui soutinsrzt <strong>en</strong> homme <strong>de</strong> guerre son opération<br />

<strong>de</strong> finance'.<br />

Forbonnais, Recherches sur les finances, tome 1, pagez38.


DE L'BCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXlr. 333<br />

Le courageux ministre, après avoir mis à la raison<br />

tous ces pillards <strong>de</strong> haut et bas étage, eut bi<strong>en</strong>tôt com-<br />

pris, et il répétait souv<strong>en</strong>t, que pour <strong>en</strong>richir le prince,<br />

il fallait <strong>en</strong>richir les sujets. Tous ses soins se portèr<strong>en</strong>t<br />

donc vèrs l'amélioration <strong>de</strong> l'agriculture, qu'il considé-<br />

rait comme la premibre industrie du pays 1. Il lui pro-<br />

digua <strong>de</strong>s <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> toute sorte, et avant peu<br />

d'années la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s terrains qui étai<strong>en</strong>t<br />

tombés eu friche par suite <strong>de</strong>s malheurs <strong>de</strong> la guerre,<br />

avai<strong>en</strong>t été remis <strong>en</strong> culture. Il abolit les <strong>en</strong>traves les<br />

plus gbnantes pour la circulation, et il supprima les<br />

petites faveurs <strong>de</strong> toute espkce que l'habileté <strong>de</strong>s cour-<br />

tisans avait surprises au roi. C'est ainsi que le duc <strong>de</strong><br />

Soissons s'était fait octroyer l'autorisation <strong>de</strong> lever un<br />

droit <strong>de</strong> quinze sous parballe <strong>de</strong> marchandise qui sortait<br />

du royaume. H<strong>en</strong>ri IV croyait avoir accordé une gratili-<br />

cation <strong>de</strong> quelques milliers d'écus; lecourtisan <strong>en</strong> avait<br />

sii tirer un rev<strong>en</strong>u <strong>de</strong> trois c<strong>en</strong>t mille francs. Sully fit<br />

r<strong>en</strong>trer au trésor ces rev<strong>en</strong>us usurpés. Malheureusem<strong>en</strong>t<br />

ce grand ministre méconnut toute sa vie l'importance<br />

<strong>de</strong>s man~ifactures. Il y avait chez lui tout a la fois une<br />

sorte <strong>de</strong> répulsion aristocratique pour le travail <strong>de</strong>s mé-<br />

tiers et une indifk<strong>en</strong>ce phiIosopliiyue pour tous les<br />

objets <strong>de</strong> commodité et <strong>de</strong> luxe. Sully était lin g<strong>en</strong>til-<br />

homme à l'âme stoiqiie, un véritable patrici<strong>en</strong> romain<br />

<strong>de</strong>s beaux joiirs <strong>de</strong> la république. On sait les longues<br />

querelles qu'il eut avec II<strong>en</strong>ri IV ail sujet <strong>de</strong>s planta-<br />

tions <strong>de</strong> mùriers <strong>en</strong>couragées par ce prince, et qui fail-<br />

lir<strong>en</strong>t le brouiller avec son ministre. Sully frémissait à<br />

l'idée <strong>de</strong> l'introduction <strong>de</strong>s soieries <strong>en</strong> France : n Que<br />

Labourage<br />

'l'ktaf.<br />

disait-il , sont


354 HISTOIRE<br />

fait-on, disait-il ', <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>tant au peuple la culture <strong>de</strong><br />

la soie pour l'exercer ? on lui fait quitter un g<strong>en</strong>re <strong>de</strong> vie<br />

dur et laborieux, tel qu'est celui <strong>de</strong>s champs, pour un<br />

autre qui ne fatigue par aucun mouvcm<strong>en</strong>t viol<strong>en</strong>t. On<br />

a remarqué <strong>de</strong> tout temps que les meilleurs soldats se<br />

tir<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ces familles <strong>de</strong> robustes laboureurs et d'arti-<br />

sans nerveux : substitue^-y ccs hommes qui ne connais-<br />

s<strong>en</strong>t qu'un travail que dcs <strong>en</strong>fants peuv<strong>en</strong>t faire, voiis<br />

pe les trouverez plus propres pour l'art militaire, que la<br />

situation <strong>de</strong> la France et son état <strong>politique</strong> Iiii font une<br />

,nkcessité indisp<strong>en</strong>sable <strong>de</strong> conserver et <strong>de</strong> maint<strong>en</strong>ir.<br />

En meme temps que vous énerverezles peuples <strong>de</strong>s Cam-<br />

-pagnes, qui, <strong>en</strong> toute manihre, sont les vrais souti<strong>en</strong>s <strong>de</strong><br />

llEtat, vous introduirez par ceux <strong>de</strong> la ville le luxe avec<br />

toute sa suite, la volupté, la mollesse, l'oisiveté, qui<br />

n'est point à appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r pour ceux qui ont peu et qui<br />

sav<strong>en</strong>t se cont<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> peu. Eh ! n'avons-nous pas déjà<br />

<strong>en</strong> Franceun assez grand nombre <strong>de</strong> ces inutiles citoy<strong>en</strong>s,<br />

qui, sous un habit d'or et d'écarlate, nous cach<strong>en</strong>t toiitcs<br />

les mccurs <strong>de</strong> véritables femmes ! )I Un c<strong>en</strong>seur romain<br />

n'eût pas mieux dit; mais un ministre <strong>de</strong> l'agriculture<br />

et du commerce <strong>de</strong>vait avoir d'autres idées.<br />

C'est cette prév<strong>en</strong>tion philosophique contre le Iiixe<br />

qui a inspiré à Sully la plupart <strong>de</strong>s règlemcnts fâcheux<br />

que son administration a imposés au commerce et à I'in-<br />

.dustrie. Toute consommation <strong>de</strong> produits étrangers lui<br />

semblait un larcin fait h la France et une-atteinte portée<br />

! Mdmoires <strong>de</strong> Sully, tome II, pagk 289, 6dit. in-4".<br />

! 2 Sully, d'ailleurs, pr4chaitd'exemple : « Il allait ordinairem<strong>en</strong>t .<br />

'vbtu <strong>de</strong> drap gris, avec un pourpoint <strong>de</strong> satin ou <strong>de</strong> taffetas sans<br />

d6coupui.t: ni bro<strong>de</strong>rie. Il louait ceux qui se v&tai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la sorLe<br />

et se moquait <strong>de</strong>s autres, qui portai<strong>en</strong>t, disait-il, leurs moulins et<br />

leurs bois <strong>de</strong> haute futaie sur leur dos. »<br />

PÉKEFIXE, 3e parlie.<br />

*


DE L'ÉCORORTIE POLITIQUE. CHAP. XXV. 355<br />

à ses meurs; toute sortie <strong>de</strong> numéraire une caiamite<br />

qu'il fallait prév<strong>en</strong>ir par <strong>de</strong>s mesures énergiques. Il fut<br />

ainsi conduit à adopter les premières théories du sys-<br />

tème mercantile dont on doit le considérer comme le plus<br />

ar<strong>de</strong>nt propagateur. Jamais on n'avait déployé une ri-<br />

gueur plus gran<strong>de</strong> contre les contrebandiers, surtout<br />

contre ceux qui exportaielit <strong>de</strong> l'or oit <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t. A la<br />

confiscation <strong>de</strong>s espèces saisies, il fit ajouter celle <strong>de</strong> tous<br />

les bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s contrev<strong>en</strong>ants, et le roi déclara par ser-<br />

m<strong>en</strong>t qu'il n'accor<strong>de</strong>rait jamais aucune grâce pour les<br />

délits dc ce g<strong>en</strong>re. La monnaie frappée au coin <strong>de</strong>s<br />

différ<strong>en</strong>ts princes <strong>de</strong> l'Europe avait eu cours jusque-là<br />

et s'employait indifféremm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> France avec la mon-<br />

naie marquée <strong>de</strong> l'empreinte du souverain ; il fut dé-<br />

f<strong>en</strong>du dc s'<strong>en</strong> servir, excepté <strong>de</strong> celle d'Espagne, dont<br />

l'usage était trop général pour étro supprimé brusque-<br />

m<strong>en</strong>t. Nais cette dSEerise porta un coiip fatal au com-<br />

merce, et resserra la circulation <strong>de</strong>s capitaux, parce<br />

qu'op aimait niieux gar<strong>de</strong>r les espèces proscritcs, que les<br />

porter h la monnaie où les att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t d'énormes droits<br />

dc seigneuriage. Sully crut appuyer par <strong>de</strong>s lois sornp-<br />

tuaircs la mise <strong>en</strong> vigueur <strong>de</strong> ce système, qui avait pour<br />

but la réduction forcée <strong>de</strong> toutes les dép<strong>en</strong>ses publiques<br />

et particulières, et qui <strong>de</strong>vait, selon loi, am<strong>en</strong>er la ri-<br />

chesse ct la prospérité par la privation. (( 11 est <strong>en</strong>core<br />

plus iaécessaire <strong>de</strong> se passer <strong>de</strong>s marchandises <strong>de</strong> nos<br />

voisins, disait-il 1, que <strong>de</strong> leur monnaie. La nécessité<br />

qu'on s'impose <strong>de</strong> s'habiller <strong>de</strong> telles étoffes plutôt que<br />

d'autres, n'est qu'un vice <strong>de</strong> notrc .fantaisie; mais le<br />

prix qu'on y met est un mal qu'on *se fait à soi-méme<br />

mec pleine connaissance dc cause. 3) A cette occasion<br />

4 Hémoires, tome II, page 890.<br />

.


356 HISTOIRE<br />

les marchands <strong>de</strong> soie <strong>de</strong> Paris étant v<strong>en</strong>us réclamer auprès<br />

<strong>de</strong> Sully, au nom du commerce <strong>de</strong> la ville, le mi- ,<br />

nistre les reçut avec humeur et se permit, <strong>en</strong>vers celui<br />

d'<strong>en</strong>tre eux qui portait la parole, <strong>de</strong>s outrages qui aurai<strong>en</strong>t<br />

bi<strong>en</strong> mérité d'&tre vigoureusem<strong>en</strong>t réprimés 1.<br />

II ne voulut jamais supprimer non plus la douane <strong>de</strong><br />

Vi<strong>en</strong>ne, plus connue, <strong>de</strong>puis, sous le nom <strong>de</strong>. douane <strong>de</strong><br />

Val<strong>en</strong>ce, et qui avait pour objet avoué <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre presqiie<br />

impossible le commerce <strong>en</strong>tre la France et l'Italie.<br />

Ce funeste péage établi .sur le Rhône semblait <strong>en</strong> avoir<br />

fait un fleuve infranchissable, et força le commerce <strong>de</strong><br />

. pr<strong>en</strong>dre une autre route, au grand détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nos<br />

intérétç. Forbonnais rapporte le discours d'un député<br />

<strong>de</strong> Lyon aux états <strong>de</strong> Dauphiné, <strong>en</strong> 1600, dans lequel<br />

les tristes conséqii<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> l'opiniâtreté <strong>de</strong> Sully sont signalées<br />

avec énergie. I: Cette douane, disait le député,<br />

fut établie pour la réduction <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Vi<strong>en</strong>ne ; et<br />

quoique la ville <strong>de</strong> Lyon <strong>en</strong> eût, dès le principe, appré-<br />

cié le danger, elle espéra qu'ayant éth créée pour <strong>de</strong>s<br />

besoins urg<strong>en</strong>ts et passagers, on <strong>en</strong> verrait plus tôt la<br />

fin que l'occasion <strong>de</strong> s'<strong>en</strong> plaindre. Mais, comme les<br />

choses qui paraiss<strong>en</strong>t au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t douccs et faciles<br />

se r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt avec le temps âpres et intolérables, ce sub-<br />

sidé est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u un écueil ne r<strong>en</strong>contre point sans<br />

4 Le sire H<strong>en</strong>riot, chargé <strong>de</strong> la harangue, ayant mis g<strong>en</strong>ou à<br />

terre avant <strong>de</strong> la comm<strong>en</strong>cer, Sully le releva brusquem<strong>en</strong>t, et<br />

après l'avoir tourné<strong>de</strong> tous cBt6s pour conlempler à l'ais son ha-<br />

bit à I'aniique, doublé <strong>de</strong> soiries <strong>de</strong> diverses cowleurs, selon les<br />

habilu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> sa profession : K Eh l là, mon bonhomme, v<strong>en</strong>ez-<br />

vous ici avec votre compagnie pour vous plaindre? Mais vous<br />

êtes plus beau que moi! Comm<strong>en</strong>t donc? voici du taffetas. voici du<br />

damas, voici du brocart;)) et il se moqua <strong>de</strong> la députation, sans<br />

l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, d'une manière si cruelle. que les marchands confus<br />

. disai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> s'<strong>en</strong> allant : u Lewalet est plus ru<strong>de</strong> et plu glorieux que<br />

Lemaitre. II<br />

*


DE L'ÉCONO~~IE POLITTQUE. CRAP. XXV. 557<br />

y faire naufrage. Depuis 90 le passage d~ fih6tie a 6th<br />

déet% et qae les ?naP&ands ont mieux aimb t<strong>en</strong>ter kotlt<br />

autre hasard que <strong>de</strong> s'exposer à toutes sorbes d'injUst5ces,<br />

la ville <strong>de</strong> Lyon a hi<strong>en</strong> roconnu q ~ <strong>de</strong> , célèbre et fiorissante<br />

qzi'on l'a vac, elle <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dra nn désert, si la libcrté<br />

du cornmcrce n'est rétablie. Déjà. toutes las marchandises<br />

qui, du Levant v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à Narseifle et <strong>de</strong> là &<br />

Lyon, out quittUl'anci<strong>en</strong> passage et cherché d'a~tres<br />

rouies pins i~ong~ies, plus péfiibles, mais plus siires l. Ne<br />

p<strong>en</strong>sez pas, messieurs, que nous soyons si peti iilstruits<br />

dans la sci<strong>en</strong>ce d'obéir, la rneillvt~re et la ph&$ heuveuse<br />

possession <strong>de</strong>s sujels, que nous p<strong>en</strong>sions à contredire les<br />

int<strong>en</strong>tions du roi, ni a diminuer ses finances. Lw chavges<br />

que les peuples soufl'rcnt, quoiqu'eiles soi<strong>en</strong>t gran<strong>de</strong>s,<br />

sont toujours réputées saintes et justes; mais elles sont<br />

dans l'Etat ce que sont les voiles dans un vaisseati pour<br />

le conduire, l'assurer, et non pour le cliarger et le submergcr.<br />

)) L'histori<strong>en</strong> ilfathieu, qui a couservb ce discours,<br />

convieiît que les plaintes étaiefit générales et<br />

qu'elles ne lur<strong>en</strong>t point <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dues.<br />

Sully, toujours prkoccupé dcs m8mes ilitisions qui lzzi<br />

faisai<strong>en</strong>t redouter ie conirnerce etranger et l'industrie iiltéricure<br />

comme <strong>de</strong>s causes d'appauvrissem<strong>en</strong>t ct <strong>de</strong><br />

ruinc, imagina <strong>de</strong> r<strong>en</strong>ctiérir sur tes restrictions que les<br />

anci<strong>en</strong>s rois <strong>de</strong> France avai<strong>en</strong>t mises à la 3ibert6 da travail.<br />

Ori sail que H<strong>en</strong>ri III avait orclon&, <strong>en</strong> 1581, qtie<br />

tous négociants, marchands, artisans, g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> métier,<br />

rbsidant dans les villes et bourgs dtx royaitme, serai<strong>en</strong>t<br />

établis <strong>en</strong> corps, maitrise et juran<strong>de</strong>, sans qa'aucun piit<br />

4 C'est <strong>de</strong>puis ce temps-là que le commerce <strong>de</strong> l'Italie avec<br />

l'Angleterre et la Fiandre, qui se faisait <strong>en</strong> transit par la France,<br />

prit la route <strong>de</strong> mer et ne l'a plus quittee.


358 HISTOIRE<br />

s'<strong>en</strong> disp<strong>en</strong>ser. Un second édit, <strong>de</strong> 1583, avait déclaré<br />

Eapernvission <strong>de</strong> travailler un droit royal et domanial;<br />

<strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce, le temps <strong>de</strong>s appr<strong>en</strong>tissages, la forme<br />

et la qualité <strong>de</strong>s chefs-d'œuvre, les formalités pour la<br />

réception <strong>de</strong>s maîtres et toute la vieille législation <strong>de</strong><br />

saint Louis avai<strong>en</strong>t été tellem<strong>en</strong>t revus et corrigés, que<br />

le travail était <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u une sorte <strong>de</strong> privilége. Sully<br />

n'abusa point du droit royal et domanial, mais il se mit<br />

à v<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> maîtrise, qui diG<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t les ti-<br />

tulaires d'appr<strong>en</strong>tissage et d'kpreuves; et créant les<br />

priviléges au sein <strong>de</strong>s priviléges mêmes, il fit ce que saint<br />

Louis n'aurait point osé faire, malgré la diîfér<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s<br />

temps et <strong>de</strong>s circonstances. Il agissait ainsi du fond <strong>de</strong><br />

sa consci<strong>en</strong>ce, persuadé que l'industrie était une branche<br />

parasite <strong>de</strong> la production, nuisible à l'agriculture, et<br />

dont il eût dit volontiers avec Xénophon : r Que faire <strong>de</strong><br />

g<strong>en</strong>s, la plupart assis tout le jour et cloués à <strong>de</strong>s mé-<br />

tiers dont les produits énerv<strong>en</strong>t les consommateurs et<br />

nous font dép<strong>en</strong>ser <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t ? n<br />

La p<strong>en</strong>sée dominante <strong>de</strong> Sully, <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant toutes ces<br />

mesures, était <strong>de</strong> fournir aux besoins <strong>de</strong> 1'Etat et d'avoir<br />

toujours sous la main <strong>de</strong>s masses <strong>de</strong> numéraire consi-<br />

dérables. Aucune résistance ne lui semblait tolérable,<br />

dès qu'il craignait d'être <strong>en</strong>travé dans l'exécution <strong>de</strong><br />

cette tdche difficile. Tantdt il répondait aux parlem<strong>en</strong>ts<br />

récalcitrants : « Le roi ne saurait trouver injuste ce qui<br />

convi<strong>en</strong>t à ses affaires; 8 tant& il faisait construire à la<br />

Bastille <strong>de</strong> nombreux caveaux <strong>de</strong>stinés à recevoir <strong>de</strong>s<br />

amas d'arg<strong>en</strong>t, dont il privait ainsi la circulation, mais<br />

qu'il croyait aussi nécessaires à la sûreté <strong>de</strong> l'État que<br />

<strong>de</strong>s magasins <strong>de</strong> poudre à sa déf<strong>en</strong>se. H<strong>en</strong>ri IV appuyait<br />

<strong>de</strong> temps <strong>en</strong> temps ces mesures par <strong>de</strong>s discours étudiés,<br />

comme celui où il exposa dans un conseil extraordi-


naire les motifs qu'il avait <strong>de</strong> faire une réserve <strong>de</strong> fonds.<br />

pour satisfaire aux exig<strong>en</strong>ces d'une guerre imprévue ou<br />

parer aux besoins d'une minorité orageuse. Sully a été<br />

préoccupé toute sa vie <strong>de</strong> cette inquiétu<strong>de</strong> financière à<br />

laquelle il a sacrifié plus d'une fois <strong>de</strong>s principes qui lui<br />

étai<strong>en</strong>t chers; mais ses erreurs ont été plutôt celles <strong>de</strong><br />

son temps que <strong>de</strong> son jugem<strong>en</strong>t, et il a pu se r<strong>en</strong>dre à<br />

lui-même cette justice, dans ses mémoires, que l'abon-<br />

dance comm<strong>en</strong>çait <strong>en</strong>fin à r<strong>en</strong>aftre, et que les paysans,<br />

délivrés <strong>de</strong> tous leurs tyrans dans la finance, la noblesse<br />

et la milice, <strong>en</strong>sem<strong>en</strong>çai<strong>en</strong>t leurs champs et récoltai<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> sécurité '. C'est alors qu'il songea à l'exbcution <strong>de</strong>s<br />

grands travaux dont le canal <strong>de</strong> Briare <strong>de</strong>vait btre le<br />

point <strong>de</strong> départ, et qu'il eut tant <strong>de</strong> peine à faire com-<br />

pr<strong>en</strong>dre a H<strong>en</strong>ri IV, peu habitué à prévoir les profits <strong>de</strong><br />

si loin, lui qui avait vécu d'expédi<strong>en</strong>ts et d'anticipations.<br />

Sully a résumé lui-même ses doctrines économiques<br />

dans un exposé qui lui fut <strong>de</strong>mandéi par ce. prince, et<br />

qu'il a reproduit dans ses mémoires. u Pour voir si mes<br />

idées se rapportai<strong>en</strong>t aux si<strong>en</strong>nes, dit-il,' le roi voulut<br />

4 Ce n'était pas sans peine que Sully y était parv<strong>en</strong>u. Il raconte<br />

lui-m&me comm<strong>en</strong>t il lui fallait chaque jour livrer quelque ba-<br />

bataille poür déf<strong>en</strong>dre les interêts du pays. (< Le roi, dit-il, v<strong>en</strong>ait<br />

<strong>de</strong> se laisser arracher une vingtaine d'edils, et je partais dans le<br />

<strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> faire une t<strong>en</strong>tative auprès <strong>de</strong> lui, <strong>en</strong> faveur du peuple,<br />

lorsque je r<strong>en</strong>contrai la marquise <strong>de</strong> Verneuil qui me <strong>de</strong>manda<br />

quel 6tait le papiw que je t<strong>en</strong>ais. Que p<strong>en</strong>sez-vous faire <strong>de</strong> tout<br />

cela? me dit-elle. -Je p<strong>en</strong>se, madame, faire <strong>de</strong>s remontrances au<br />

roi. - Et pour qui donc, monsieur,ivoudriez-vous que le roi fit<br />

quelque chose, si ce n'est pour ceux qui sont ses cousins, pa-<br />

r<strong>en</strong>ts et maStresses? Toul ce que vous dites, madame, lui repli-<br />

quai-je, serait si bon si S. M. pr<strong>en</strong>ait l'arg<strong>en</strong>t dans sa bourse ; mais<br />

lever cela sur les marchands, arlisans, laboureurs et pasteurs, il<br />

n'y a aucune appar<strong>en</strong>ce ,: Ce sont eux qui nourr.iss<strong>en</strong>t le roi et<br />

nous tous; ils ont bi<strong>en</strong> assez d'un maître, sans avoir tant <strong>de</strong> cou-<br />

sins, <strong>de</strong> par<strong>en</strong>ts, et <strong>de</strong> maîtresses à <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir. n


366 HISTOIRE<br />

que jelui donnasse une note <strong>de</strong> tout ce que je croyais<br />

capable <strong>de</strong> r<strong>en</strong>verser au simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ternir la gloire<br />

d'un puissant royaume. Je la prés<strong>en</strong>te ici comme un<br />

abrégé <strong>de</strong>s prkipes qui m'ont servi <strong>de</strong> règle. Ces<br />

causes <strong>de</strong> la ruine ou <strong>de</strong> l'affaib1is.em<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s monar-<br />

ohies sont les subsi<strong>de</strong>s outrés; les monopoles, prioeipa-<br />

lem<strong>en</strong>t SUP le blé; le ~zégligern<strong>en</strong>l du commerce, du<br />

trafic, du labourage, <strong>de</strong>s arts et méliers; le grand<br />

nombre <strong>de</strong> charges; les frais <strong>de</strong> cos offices; l'autorité<br />

excessive <strong>de</strong> ceux qui les exerc<strong>en</strong>t ; les frais, les lon-<br />

gueurs et l'iniqiiité <strong>de</strong> la justice; l'oisiveté, te lexe et<br />

tout ce qui y a rapport; la débaiiche et la corruption<br />

<strong>de</strong>s moeurs; la confusion <strong>de</strong>s conditions; les variations<br />

dans la monnaie ; les guerres injustes et impru<strong>de</strong>ntes ;<br />

le <strong>de</strong>spotisme <strong>de</strong>s souwerains; leur attachem<strong>en</strong>t ave.gbe d<br />

certaines personnes; leur prév<strong>en</strong>tion <strong>en</strong> faveur <strong>de</strong> eer-<br />

taines conditions ou <strong>de</strong> certaines professions; la cupidité<br />

<strong>de</strong>s ministrés et <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s <strong>en</strong> faveur; l'avitissern<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

g&8 <strong>de</strong> qualité; le mBpris et l'oubli dcs g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> lettres;<br />

la tolérance <strong>de</strong>s méchantes coutiimes et l'infraction <strong>de</strong>s<br />

bonnes lois; la multiplicité <strong>de</strong>s édits embarrassants et<br />

<strong>de</strong>s règlem<strong>en</strong>ts inutiles. n Sully ne se montra pas tou-<br />

jours conséqu<strong>en</strong>t avec ses doctrines, p<strong>en</strong>dant la durée<br />

,<strong>de</strong> sa longue administration. Kous avons peine à con-<br />

cilier ce qu'il dit <strong>de</strong> l'importance <strong>de</strong>s arts et métiers<br />

avec ses elforts pour empécher l'établissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s ma-<br />

nufactures <strong>de</strong> soie et surtout avec son système <strong>de</strong><br />

privations qui fermait naturellem<strong>en</strong>t toute espèce <strong>de</strong><br />

débouché aux produits <strong>de</strong>s fabriques. Puisque le négli-<br />

gcm<strong>en</strong>t du commerce et les variations dans la monnaie<br />

lui semblai<strong>en</strong>t si préjudiciables au bi<strong>en</strong> général <strong>de</strong><br />

l'État, il n'aurait pas dû maint<strong>en</strong>ir la douane <strong>de</strong><br />

Vi<strong>en</strong>ne et troubler le régime <strong>de</strong>s monnaies. Rilais ses


DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXV. 361<br />

préjiigés expliqu<strong>en</strong>t ses contradictions. Il ne pouvait<br />

accor<strong>de</strong>r le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'industrie avec son hor-<br />

reur pour le luxe et le besoin <strong>de</strong> suffire aux exig<strong>en</strong>ces<br />

financières <strong>de</strong> chaque jour. On peut dire que ces <strong>de</strong>ux<br />

s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts ont été les plus vifs et les plus énergiques<br />

<strong>de</strong> toute sa vie. Les exactions <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> loi et <strong>de</strong>s<br />

g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> finances excitai<strong>en</strong>t particulièrem<strong>en</strong>t son indi-<br />

gnation, et son ministère a été un long combat livré à<br />

leur rapacité. On ne connait pas assez les campagnes<br />

vraim<strong>en</strong>t héroïques qu'il a dirigées contre les abus <strong>de</strong><br />

toute espèce et la hardiesse <strong>de</strong>s réformes que la mort<br />

<strong>de</strong> H<strong>en</strong>ri IV ne lui a pas permis d'exécuter. J'<strong>en</strong> don-<br />

nerai une idée <strong>en</strong> hissant ce chapitre, afin qu'on<br />

puisse juger du mouvem<strong>en</strong>t qui s'opérait déjà dans<br />

les esprits , B cette époque, <strong>en</strong> matikre d'économie<br />

<strong>politique</strong>.<br />

Dans le gouvernem<strong>en</strong>t ecclésiastique, on <strong>de</strong>vait dres-<br />

ser <strong>de</strong>s listes <strong>de</strong> tous les bénéfices avec leurs dénomina-<br />

tions et rev<strong>en</strong>us ', pour se r<strong>en</strong>dre compte ainsi <strong>de</strong><br />

l'importance <strong>de</strong> cette partie <strong>de</strong> la richesse nationale.<br />

Dans la noblesse, on eût fait le rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> toutes<br />

les terres et <strong>de</strong>s produits qu'elles rapportai<strong>en</strong>t aux g<strong>en</strong>-<br />

tilshommes propriétaires; dans la roture, on pr<strong>en</strong>ait<br />

les précautions nécessaires pour éviter aux laboureurs,<br />

artisans et commerçants, la moindre avanie <strong>de</strong> la part<br />

<strong>de</strong>s soldats et <strong>de</strong>s nobles. Sully poursuivait <strong>en</strong> méme<br />

temps <strong>de</strong> ses anathèmes toutes les dép<strong>en</strong>ses somptuaires:<br />

a On peut ètre assuré, disait-il, que si j'avais été cru,<br />

je n'aurais toléré ni les carrosses, ni les autres inv<strong>en</strong>-<br />

tions <strong>de</strong> luxe, qu'à <strong>de</strong>s conditions qui aurai<strong>en</strong>t cohté<br />

' Nul b<strong>en</strong>kficiaire n'aurait pu avoir plus <strong>de</strong> dix inille livres <strong>de</strong><br />

r <strong>en</strong>te.


362 HISTOIRE<br />

cher à la vanité. Des règlem<strong>en</strong>ts particuliers <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t<br />

prescrire aux procureurs gtnéraux <strong>de</strong> poursuivre et <strong>de</strong><br />

punir exemplairem<strong>en</strong>t ceux qui par le scandale d'une<br />

vie prodigue et dissolue portai<strong>en</strong>t un notable préjudice<br />

au public, aux parliculiers ou à eux-mémes. Le moy<strong>en</strong><br />

qu'ou leur donnait pour pouvoir le faire (c'est toujours<br />

Sully qui parle) était <strong>de</strong> leur joindre, <strong>en</strong> chaque- juri-<br />

diction, trois personnes publiques appelées c<strong>en</strong>seztrs ou<br />

réfo:formateurs, choisies <strong>de</strong> trois ans <strong>en</strong> trois ans dans<br />

une assemblée publique et autorisées par leur charge,<br />

à laquelle étai<strong>en</strong>t attachées toutes sortes d'exemptions,<br />

non-seulem<strong>en</strong>t à dénoncer aux juges tous pères, <strong>en</strong>fants<br />

<strong>de</strong> famille et telles autres personnes accusées <strong>de</strong> porter<br />

la dissolution au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s bornes <strong>de</strong> l'honneur, et les<br />

dép<strong>en</strong>ses superflues au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> leurs facultés, mais <strong>en</strong>-<br />

core à obliger les juges eux-memes, <strong>en</strong> les pr<strong>en</strong>ant à<br />

partie <strong>en</strong> cas <strong>de</strong> refus, à apporter le remê<strong>de</strong> qui leur<br />

était prescrit contre les exces dans l'un et l'autre g<strong>en</strong>re.<br />

Deux monitions <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t précé<strong>de</strong>r toute poursuite cri-<br />

minelle; mais a la troisième on int<strong>en</strong>tait une espèce<br />

d'action <strong>de</strong> curatelle par laquelle les mauvais ménages<br />

voyai<strong>en</strong>t le maniem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leurs bi<strong>en</strong>s et effets passer <strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>s mains qui ne leur <strong>en</strong> laissai<strong>en</strong>t prkisém<strong>en</strong>t que les<br />

<strong>de</strong>ux tiers, et réservai<strong>en</strong>t l'autre pour l'acquit <strong>de</strong> leurs<br />

<strong>de</strong>ttes. Nulle condition n'<strong>en</strong> était exceptée, et aucun<br />

citoy<strong>en</strong> n'aurait vraisemblablem<strong>en</strong>t évité cette c<strong>en</strong>sure,<br />

parce qu'elle avait elle-méme à répondre <strong>de</strong> ses actions<br />

à un tribunal supérieur, dont les ministres étai<strong>en</strong>t aussi<br />

bi<strong>en</strong> qil'elle fixés dans leur <strong>de</strong>voir par la m<strong>en</strong>ace d'une<br />

peine égale au déshonneur. Il aurait été établi <strong>en</strong> même<br />

temps qu'aucune personne <strong>de</strong> qnelque qualité et condi-<br />

tion qu'elle pût étre, n'eût pu emprunter une somme,<br />

c<strong>en</strong>sée considérable par rapporf B ses facultés, ni au-


364 HISTOIRE bE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. CH.4P. XXV.<br />

rédigé <strong>de</strong> sa main, le roi. le fit appeler sur-le-champ<br />

pour <strong>en</strong> causer <strong>en</strong>semble, et aussitdt qu'il le vit : u Allez<br />

dire au capucins, s'écria-t-il , qu'on retar<strong>de</strong> ma messe,<br />

car il faut que je m'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong>ne avec cet homme-là, qui<br />

n'est pas homme à Messe. r La mort <strong>de</strong> H<strong>en</strong>ri IV em-<br />

p8cha l'exécution <strong>de</strong> ces vues dont la plupart sans doute<br />

.étai<strong>en</strong>t impraticables, mais n'exprimai<strong>en</strong>t pas moins la<br />

p<strong>en</strong>sée économique <strong>de</strong> Sully, telle qu'on 1a.trouve dans<br />

les actes accomplis <strong>de</strong> son administration. Le principal<br />

mérite <strong>de</strong> ce grand ministre fut d'avoir rétabli l'ordre<br />

dans les finances et d'avoir facilité par cela seul le<br />

retour ou plutôt la création <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts ess<strong>en</strong>tiels <strong>de</strong><br />

la prospérité publique. Son canal <strong>de</strong> Briare a ouvert<br />

<strong>en</strong> France la première voie hydraulique, à laquelle il<br />

ajouta bi<strong>en</strong>tôt sur les rivières l'établissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s coches<br />

publics, comme il avait organisé sur les routes les mai-<br />

sons <strong>de</strong> poste avec <strong>de</strong>s chevaux pour les voyageurs. Il<br />

avait trouvé la France <strong>en</strong><strong>de</strong>ttée <strong>de</strong> trois c<strong>en</strong>ts millions<br />

<strong>de</strong> francs, qui ferai<strong>en</strong>t près d'un milliard aujourd'hui :<br />

il la laissa presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t Iibérée. LI réduisit les<br />

impdts, améliora les routes, les fortifications, le maté-<br />

riel <strong>de</strong> guerre, le domaine public, et fournit au trésor<br />

me réserve <strong>en</strong> espèces <strong>de</strong> quatorze millions déposés à<br />

la Bastille. Douze années avai<strong>en</strong>t suffit pour am<strong>en</strong>er<br />

ces résultats, qui préparèr<strong>en</strong>t l'avénem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s beaux<br />

jours du règne <strong>de</strong> Louis XIV, et qui installèr<strong>en</strong>t <strong>de</strong>fini-<br />

tivem<strong>en</strong>t <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> dans les conseils <strong>de</strong> rois.


CHAPITRE XXVI.<br />

Du ministère <strong>de</strong> Colbert et <strong>de</strong> ses conséqu<strong>en</strong>ces économiques. -<br />

Edit et tarif <strong>de</strong> 1664. -Son véritable but. - Edit <strong>de</strong> 1667. -<br />

Encouragem<strong>en</strong>ts au mariage. - Belles instructions donn6es aux<br />

ambassa<strong>de</strong>urs. - Véritables doctrines <strong>de</strong> Colbert. - C'est à<br />

tort qu'onle considère comme le fondateur du systéme prohibitif.<br />

Entre l'administration <strong>de</strong> Sully et celle <strong>de</strong> Colbert,<br />

il y a celle <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux prêtres, Richelieu et Mazarin, dissipateur~<br />

l'un et l'autre quoique pour <strong>de</strong>s motifs différ<strong>en</strong>ts,<br />

et dont les vues toutes personnelles n'ont ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> commun<br />

avec <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>; mais il y a aussi le régne<br />

d'Élisabeth d'Angleterre et le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la puissance<br />

commerciale <strong>de</strong>s Pays-Bas, magnifiques épiso<strong>de</strong>s<br />

dans l'histoire <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce et du mon<strong>de</strong>. Colbert domine<br />

ces <strong>de</strong>ux événem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> toute Ia hauteur <strong>de</strong> son<br />

génie, et I'éclat dont ils ont brillé <strong>en</strong> Europe pâlit<br />

<strong>de</strong>vant le récit <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s s ho ses accomplies par le<br />

ministre <strong>de</strong> Louis XIV. Colbert est, <strong>en</strong> effet, le seul ministre<br />

qui ait eu un système arrêté, complet, et conséqu<strong>en</strong>t<br />

dans toutes ses parties, et c'est l'honneur éternel<br />

<strong>de</strong> son nom qu'il Sait fait triompher <strong>en</strong> dépit <strong>de</strong>s obstacles<br />

<strong>de</strong> tout g<strong>en</strong>re amoncelés sous ses pas. Quoique<br />

ce système soit loin d'ktre irréprochable dans toutes ses<br />

.


parties, il &ait un progr8s imm<strong>en</strong>se au temps <strong>de</strong> son<br />

apparition, et nous n'avons ri<strong>en</strong> eu, <strong>de</strong>puis lors, qui<br />

puisse lui étre comparé <strong>en</strong> fait d'ét<strong>en</strong>due et <strong>de</strong> profon-<br />

<strong>de</strong>ur. Son organisation semble avoir conservé quelque<br />

chose du respect qui s'attache aux fondations religieuses;<br />

elle a fait secte, et cette secte compte aiijourd'hui peut-<br />

Btre autant d'e fidéles que la gran<strong>de</strong> église qui a pris<br />

pour bannière le principe immortel <strong>de</strong> la liberté com-<br />

merciale '.<br />

C'est <strong>en</strong>core Ie ,besoin <strong>de</strong> rétabIir l'ordre dans les fi-<br />

nances, qui a donné naissance aux essais d'amélioration<br />

exécutés par Colbert. Cet illustre ministre eut bi<strong>en</strong>tdt<br />

compris que le plus sîir moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> relever la fortune<br />

publique était <strong>de</strong> favoriser la fortune particulière, et<br />

d'ouvrir la production les voies les plus larges et les<br />

plus libérales. Son principal mérite est d'avoir mis <strong>en</strong><br />

parfaite harmonie tous les élém<strong>en</strong>ts qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> as-<br />

surer le succés. L'un <strong>de</strong>s premiers actes <strong>de</strong> son minis-<br />

tère, le rétablissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s taxes sur une base uniforme,<br />

est un hommage r<strong>en</strong>du aux vrais principes, et l'on ne<br />

saurait douter que tous les autres n'euss<strong>en</strong>t été con-<br />

formes à ce glorieux précé<strong>de</strong>nt, si la sci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s ri-<br />

chesses eût été, à cette époque, aussi avancée qu'elle<br />

l'est aujourd'hui. Colbert aurait certainem<strong>en</strong>t exécuté<br />

<strong>en</strong> France ce qne M. Huskisson avait comm<strong>en</strong>cé <strong>en</strong> An-<br />

' gleterre, au mom<strong>en</strong>t ou Ia mort est v<strong>en</strong>ue le frapper.<br />

C'est lui qui a comm<strong>en</strong>cé la plupart <strong>de</strong>s réformes dont<br />

2 Dépuis la publication <strong>de</strong> la premiére édition.<strong>de</strong> cet ouvrage,<br />

l'administration <strong>de</strong> Colbert a été i'objet d'un ouvrage justem<strong>en</strong>t<br />

estime, qui a ét6 couronné d'abord par IIAcad6mie française, et<br />

qui a valu <strong>en</strong>suite à son auteur l'<strong>en</strong>trée à l'Académie <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces<br />

morales et <strong>politique</strong>s, l'<strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> I'administraîion <strong>de</strong><br />

Colbert, par M. Pierre Clém<strong>en</strong>t, 1816, in-30. Paris, Guillaumin.<br />

(Note <strong>de</strong> I't?diteu~.)


-<br />

DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXVI. 367<br />

nous poursuivons l'accomplissem<strong>en</strong>t au travers <strong>de</strong>s dif-<br />

ficiiltés qu'il leur a créées; car il a souv<strong>en</strong>t donné d'une<br />

main pour retirer <strong>de</strong> l'autre, et il a été obligé <strong>de</strong> faire<br />

plus d'une concession aux préjugés <strong>de</strong> ses contemporains<br />

et aux exig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> sa position. Nais son œuvre n'<strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>meure pas moins digne <strong>de</strong> nos hornmagcs, comme le<br />

plus beau monum<strong>en</strong>t élevé à la sci<strong>en</strong>ce par la main du<br />

pouvoir et aussi comme une preuve <strong>de</strong> ce que les théo-<br />

ries économiques peuv<strong>en</strong>t offrir <strong>de</strong> ressources un<br />

homme d'État.<br />

Déjà, méme avant son <strong>en</strong>trée aux affaires, les besoins<br />

<strong>de</strong> l'industrie et du commerce avai<strong>en</strong>t trouvé <strong>de</strong>s or-<br />

ganes éloqu<strong>en</strong>ts, et il n'est pas inutile d'exposer rapi<strong>de</strong>-<br />

m<strong>en</strong>t leurs griefs pour mieux apprécier I'immcnsité <strong>de</strong><br />

la tâche dévolue à Colbert, et le mérite qu'il eiit à I'ac-<br />

. complir. On a vu que Sully, malgré sa haute raison et<br />

sa force <strong>de</strong> volonté, n'avait pu parvcnir it détruire une<br />

foule <strong>de</strong> taxes intérieures qui gbnai<strong>en</strong>t le commerce <strong>de</strong><br />

province à province et dont quelgiies-unes, telles que la<br />

douane <strong>de</strong> Val<strong>en</strong>ce, étai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ues <strong>de</strong> véritables fléaux.<br />

Ses successeurs avai<strong>en</strong>t augm<strong>en</strong>té la plupart <strong>de</strong> ces taxes<br />

et ils <strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t créé <strong>de</strong> nouvelles accompagnées <strong>de</strong>s<br />

formalités les plus vexatoires et <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s coercitifs<br />

les plus odieux. Jamais la perception n'avait été plus<br />

dare ; elle ressemblait beaucoup aux avanies <strong>de</strong>s collec-<br />

teurs ori<strong>en</strong>taux, et beaucoup <strong>de</strong> négociants avai<strong>en</strong>t re-<br />

noncé au commerce pour s'y soustraire. D'autres avai<strong>en</strong>t<br />

quitth la France ; et ceux qui avai<strong>en</strong>t pu résister, épui-<br />

sés par le fisc, voyai<strong>en</strong>t diminuer chaqiie jour leurs<br />

ressources avec leurs capitaux <strong>en</strong>tamés. L'agriculture<br />

elle-méme, tant protégée par Sully, était tombée dans<br />

un profond dkcouragem<strong>en</strong>t. Beaucoup <strong>de</strong> terres <strong>de</strong>meu-<br />

rSr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> îriclie, les bestiaux étai<strong>en</strong>t abandonnés, et la


368 HISTOIRE<br />

France comm<strong>en</strong>çait à se couvrir <strong>de</strong> vagabonds et <strong>de</strong><br />

m<strong>en</strong>diants. On trouve une peinture fidèle <strong>de</strong> cet état <strong>de</strong><br />

choses dans la requête prés<strong>en</strong>tée au roi, le 26 jan-<br />

vier 1654, par les six corps <strong>de</strong> marchands <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong><br />

Paris. a Sire, disai<strong>en</strong>t les pétitionnaires , l'expéri<strong>en</strong>ce<br />

appr<strong>en</strong>d que les impbts excessifs n'ont jamais augm<strong>en</strong>té<br />

les rev<strong>en</strong>us d'un État, parce qu'ils font perdre <strong>en</strong> gros<br />

ce qu'on gagne <strong>en</strong> détail. A vrai dire, il n'y a que le<br />

commerce et l'industrie qui attir<strong>en</strong>t l'or et l'arg<strong>en</strong>t par<br />

lesquels les armées subsist<strong>en</strong>t. .. Si nos ouvriers tir<strong>en</strong>t<br />

profit <strong>de</strong> leur industrie, ce n'est pas sans l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s étran-<br />

gers, qui nous fourniss<strong>en</strong>t toutes les laines fines, car<br />

nous n'<strong>en</strong> avons que <strong>de</strong> grossières; aussi bi<strong>en</strong> que les<br />

drogues pour les teintures, les épiceries, les sucres, les<br />

savons et les cuirs, dont on ne peut se passer et qui ne<br />

se trouv<strong>en</strong>t point dans le royaume. Les étrangers ne .<br />

manqueront pas, pour nous r<strong>en</strong>dre le change, <strong>de</strong> char-<br />

ger toutes ces marchandises <strong>de</strong> grosses impositions, d'ou<br />

il arrivera que nous n'<strong>en</strong> tirerons plus ou qu'ils déf<strong>en</strong>-<br />

dront l'<strong>en</strong>trée <strong>de</strong> nos manufactures; par ce moy<strong>en</strong> nos<br />

ouvriers <strong>de</strong>meureront sans emploi, et le nombre <strong>de</strong>s<br />

inutiles et <strong>de</strong>s m<strong>en</strong>diants augm<strong>en</strong>tera. D<br />

Colbert eut bi<strong>en</strong>tôt sondé la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> cette<br />

plaie, et les mesures qu'il adopta prouvèr<strong>en</strong>t qu'il avait<br />

à cœur <strong>de</strong> la guérir. L'édit <strong>de</strong> septembre 1664 réduisit<br />

les droits d'<strong>en</strong>trée et <strong>de</strong> sortie sur les marchandises à <strong>de</strong>s<br />

proportions conv<strong>en</strong>ables, et supprima les plus onéreux.<br />

a Notre int<strong>en</strong>tion, disait le roi, est <strong>de</strong> faire connaftre à<br />

tous nos gouverneurs et int<strong>en</strong>dants <strong>en</strong> quelle considé-<br />

ration nous avons d prés<strong>en</strong>t tout ce qui peut regar<strong>de</strong>r le<br />

commerce, et pourquoi nous voulons qu'ils emploi<strong>en</strong>t<br />

leur autorité à faire r<strong>en</strong>dre justice aux marchands, afin<br />

qu'ils ne soi<strong>en</strong>t pas divertis <strong>de</strong> leur trafic par la chi-


DE ~,'ÉCONO,\IIE POL1TlC)UE. CHAP. XXVI. 360<br />

cane.. . Nous avons convié tous les commerçants par <strong>de</strong>s<br />

lettres circulaires <strong>de</strong> s'adresser directem<strong>en</strong>t à nous pour<br />

tous leurs besoins; nous les avons conviés <strong>de</strong> députer<br />

quelques-uns d'<strong>en</strong>tre eux près <strong>de</strong> nous pour nous porter<br />

toutes leurs propositions ; et, <strong>en</strong> cas <strong>de</strong> difficultés, nous<br />

avons établi ilne personne à notre suite pour recevoir<br />

toutes leurs plaintes et faire toutes leurs sollicitations;<br />

nous avons ordonné qu'il serait toujours marqué à notre<br />

suite une maison <strong>de</strong> commerce pour les y recevoir;<br />

nous avons résolu d'employer tous les ans un million <strong>de</strong><br />

livres pour le rétablissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s manufactiires et I'augm<strong>en</strong>tation<br />

<strong>de</strong> la navigation ; mais, comme le moy<strong>en</strong> le<br />

plus soli<strong>de</strong> et le plus ess<strong>en</strong>tiel pour le rétablissem<strong>en</strong>t du<br />

commerce est la diminution et le règlem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s droits<br />

qui se lèv<strong>en</strong>t sur toutes les marchandises, nous avons<br />

ordonné <strong>de</strong> réduire tous ces droits <strong>en</strong> un seul d'<strong>en</strong>trée<br />

et un autre <strong>de</strong> sortie, et m&me <strong>de</strong> les diminuer cousidérablem<strong>en</strong>t,<br />

afin d'<strong>en</strong>courager la navigation, <strong>de</strong> rdtablir<br />

les anci<strong>en</strong>nes ~nanzbfactures ', <strong>de</strong> bannir la fainéantise,<br />

et <strong>de</strong> détourner par <strong>de</strong>s occupations honnétes l'inclination<br />

d'un grand nombre <strong>de</strong> nos sujets à une \' 'le rampante,<br />

sous le titre <strong>de</strong> divers offices sans fonctions,<br />

Jesqnels dégénèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> une dangereuse chicane qui infecte<br />

et ruine la pliipart <strong>de</strong> nos provinces. ))<br />

En m&me temps Colbert déf<strong>en</strong>dait <strong>de</strong> saisir pour fait<br />

<strong>de</strong> taille les lits, habits, pain, chevaux et bœufs servant<br />

au labour, ni les outils dont les artisans et manœuvres<br />

* ' C'est une erreur <strong>de</strong> croire que Colbert ait Bté le fondateur <strong>de</strong><br />

l'industrie <strong>en</strong> France; il n'<strong>en</strong> a été que le restaurateur. Sous le<br />

règne <strong>de</strong> H<strong>en</strong>ri IV et <strong>de</strong> Louis XIII, nos manufactures s'etai<strong>en</strong>t<br />

déjà élüvées à un très-haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> prospérité. On lit, dans les<br />

Mémoi~t?~ <strong>de</strong> Jean <strong>de</strong> Witt (vol. VI, page 182) que <strong>de</strong>s l'année<br />

1658 les objets <strong>de</strong> fabrique française exportés pour l'Angleterre<br />

et la Hollan<strong>de</strong> seules s'elevai<strong>en</strong>t à 80 millions <strong>de</strong> livres.<br />

21.<br />

.


'<br />

gagn<strong>en</strong>t leur vie. Le cadastre fut réformé, afin que les<br />

bi<strong>en</strong>s ne puss<strong>en</strong>t btre imposés qu'eu proportion <strong>de</strong> leur<br />

valeur et <strong>de</strong> l'ét<strong>en</strong>due réelle du terrain. Les grands che-<br />

mins du royaume et toutes les rivières étai<strong>en</strong>t gardés<br />

par <strong>de</strong>s armées <strong>de</strong> receveurs <strong>de</strong> péages, qui arrétai<strong>en</strong>t<br />

les marchandises au passage ct <strong>en</strong> grevai<strong>en</strong>t le transport<br />

d'une foule <strong>de</strong> frais abusifs, sans parler <strong>de</strong>s retards et<br />

<strong>de</strong>s avanies <strong>de</strong> tout g<strong>en</strong>re. Un édit ordonna la recherche<br />

<strong>de</strong> ces servitu<strong>de</strong>s dont la plupart fur<strong>en</strong>t abolies ou ré-<br />

duites à <strong>de</strong> justes limites. Mais <strong>en</strong> opérant ces utiles ré-<br />

formes dans le prés<strong>en</strong>t,'Colbert <strong>en</strong> prépara d'autres pour<br />

l'av<strong>en</strong>ir, par l'institution du conseil <strong>de</strong> commerce, dont<br />

les membres'étai<strong>en</strong>t chargés d'exposer officiellem<strong>en</strong>t les<br />

besoins <strong>de</strong> leur profession et ceux <strong>de</strong> l'industrie <strong>en</strong> gé-<br />

néral. L'exam<strong>en</strong> <strong>de</strong>s charges v<strong>en</strong>dues fit découvrir qu'il<br />

y avait alors <strong>en</strong> France plus <strong>de</strong> quarante-cinq mille<br />

familles employées à <strong>de</strong>s fonktions auxquelles six mille<br />

aurai<strong>en</strong>t suffi. Des masses énormes <strong>de</strong> valeurs btai<strong>en</strong>t<br />

ainsi absorbées chaque année au ,détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s profes-<br />

sions laborieuses, et Colbert <strong>en</strong> poursuivit impitoyable-<br />

m<strong>en</strong>t la réduction. Ce ministre professait le plus profond<br />

mépris pour la classe <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>tiers et pour celle <strong>de</strong>s<br />

'hommes à offices qu'il considérait comme <strong>de</strong>s parasites,<br />

vivant <strong>de</strong>s sueurs <strong>de</strong> la communauté, et il s'occupa à <strong>en</strong><br />

diminuer l<strong>en</strong>ombre, soit <strong>en</strong> remboursant leurs charges,<br />

soit <strong>en</strong> limitantleurs bénéfices.<br />

Le bail <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> douane étant près d'expirer,<br />

Colbert sâisit cette occasion pour <strong>en</strong> réviser le tarif, et<br />

quoique cette fatale mesure ait été considérée, <strong>de</strong>puis,<br />

comme le plus beau monum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> son administration,<br />

nous croyons <strong>de</strong>voir l'exposer sons son véritable aspect,<br />

qui nous semble avoir été constamm<strong>en</strong>t méconnu. Col-<br />

bert avait pour but, <strong>en</strong> révisant le tarif <strong>de</strong> douanes,


*<br />

DE L'ÉCONOMIE IJOLITIQOE. CHAP. XSVI. 35 1<br />

d'<strong>en</strong> faire un moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> protection pour lesn~anufactures<br />

nationales, au lieu d'nne simple ressource financière<br />

qu'ils étai<strong>en</strong>t anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t. La plupart <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong><br />

fabrication étrangère fur<strong>en</strong>t frappés <strong>de</strong> droits qui <strong>de</strong>-<br />

vai<strong>en</strong>t assurer ailx marcliandises françaises analogues le<br />

marché intérieur. En même temps, Colbert n'épargnait<br />

ni sacrifices, ni <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>ts pour activer dans notre<br />

pays l'esprit manilfacturier. Il faisait v<strong>en</strong>ir du <strong>de</strong>hors<br />

les ouvriers les plus babiles <strong>en</strong> tout g<strong>en</strong>re, et il assujet-<br />

tissait l'industrie ii une discipline sévère, pour qu'elle<br />

ne s'<strong>en</strong>dormit point sur la foi <strong>de</strong>s tarifs. Des am<strong>en</strong><strong>de</strong>s<br />

élevées fur<strong>en</strong>t infligées aux fabricants d'un article re-<br />

connu inférieur à la qualité qu'il <strong>de</strong>vait avoir. Les pro-<br />

duits <strong>de</strong>s délinquants Etai<strong>en</strong>t attachés au poteau, pour<br />

la première fois, avec un carcan et le nom du manufac-<br />

turier; <strong>en</strong> cas <strong>de</strong> récidive, le manufacturier y était atta-<br />

ché lui-même. Ces rigueurs draconi<strong>en</strong>nes aurai<strong>en</strong>t con-<br />

duit à <strong>de</strong>s résultats <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t contraires à ceux que<br />

Colbert eu att<strong>en</strong>dait, si sa sollicitu<strong>de</strong> éclairée n'avait<br />

tempéré par d'autres mesures ce que celle-ci avait <strong>de</strong><br />

cruel. Ainsi, il nomma <strong>de</strong>s inspecteurs <strong>de</strong> mauiifactures<br />

qui dirigèr<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t les industriels dans la meilleure<br />

voie, et qui leur apportai<strong>en</strong>t la connaissance <strong>de</strong>s procé-<br />

dés les plus nouveaux, souv<strong>en</strong>t achetés ou surpris a<br />

grands frais cliez les fabricants étrangers. Colbert était<br />

loin d'attacher aux tarifs <strong>de</strong> douane l'idée cle protection<br />

exclusive et aveugle qu'on n'a cessé <strong>de</strong> leur attribuer<br />

<strong>de</strong>puis son ministère. 11 savait très-bi<strong>en</strong> que ces tarifs<br />

<strong>en</strong>g<strong>en</strong>drerai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s représailles, et qu'ils apporterai<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> sérieuses <strong>en</strong>traves au commcrcc, tout <strong>en</strong> <strong>en</strong>coura-<br />

geant les manufactures. Aussi tous ses efforts t<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t-<br />

ils a <strong>en</strong> atténuer les effets désastreux. Ses instructions<br />

aux coiisiils et aux ambassa<strong>de</strong>urs témoign<strong>en</strong>t vivem<strong>en</strong>t<br />

.


372 HISTOIRE<br />

<strong>de</strong> ses préoccupations à cet égard. Il leur recommandait<br />

d'aplanir toutes les difficultés que nos négociants pour-<br />

rai<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>contrer à l'étranger et <strong>de</strong> faire respecter leurs<br />

priviléges avec la <strong>de</strong>rnière énergie. On ne peut lire sans<br />

admiration les dépéches qu'il expédia à M. <strong>de</strong> Bhziers,<br />

ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> France a Madrid : u En cas que les sujets<br />

du roi, disait-il, reçoiv<strong>en</strong>t quelques mauvais traitem<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong>s gouverneurs ou autres officiers du Roi Catholique,<br />

soit <strong>en</strong> leurs personnes, soit <strong>en</strong> leurs vaisseaux ou mar-<br />

chandises, vous ferez connaître au conseil d'Espagne<br />

que S. M. n'est pas résolue à souffrir que ses sujets soi<strong>en</strong>t<br />

molestés <strong>en</strong> aucune façon, et qu'on pourra faire perhe<br />

l'habitu<strong>de</strong> pprise jusqu'd prés<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ne leur r<strong>en</strong>dre aucune<br />

justice. 1, Nous sommes aujoiird'hui bi<strong>en</strong> loin <strong>de</strong> ces<br />

hardiesses. a Je vous prie, ajoutait-il, d'examiner s'il<br />

ne se pourrait ri<strong>en</strong> faire qui fbt agréable aux marchands<br />

pour faciliter leur commerce ou l'augm<strong>en</strong>ter. Comme les<br />

affaires qu'ils ont <strong>en</strong> Espagne <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t ordinairem<strong>en</strong>t<br />

longtemps indécises, faute d'btre sollicitees, il est néces-<br />

saire d'y établir une personne qui ait <strong>de</strong> l'intellig<strong>en</strong>ce et<br />

qui puisse s'appliquer uniquem<strong>en</strong>t au souti<strong>en</strong> et au sou-<br />

lagem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s marchands. a<br />

Dans une autre occasion, il écrivait à M. <strong>de</strong> Pompone,<br />

ambassa<strong>de</strong>ur <strong>en</strong> Hollan<strong>de</strong> : a Le commerce par mer <strong>de</strong><br />

tout le mon<strong>de</strong> se fait avec vingt mille navires <strong>en</strong>viron.<br />

Dans l'ordre naturel chaque nation <strong>en</strong> <strong>de</strong>vrait avoir sa<br />

part à proportion <strong>de</strong> sa puissance, du nombre <strong>de</strong> ses<br />

peuples et <strong>de</strong> ses cbtes <strong>de</strong> mer; les Hollandais <strong>en</strong> ont<strong>de</strong><br />

ce nombre quinze à seize mille, et les Français peut-étre<br />

cinq ou six c<strong>en</strong>ts au plus. Le roi emploie toutes sortes<br />

<strong>de</strong> moy<strong>en</strong>s qu'il croit étre utiles pour s'approcher un<br />

peu plus du nombre naturel que ses sujets <strong>en</strong> <strong>de</strong>vrai<strong>en</strong>t<br />

avoir. r Et pour y parv<strong>en</strong>ir, Colbert accorda <strong>de</strong>s primes


DE L'ECONOMIE POLITIQUE. CHAP. XXVI. 373<br />

pour la navigation dans la Baltique et pour la pbche<br />

dans les mers éloignées; il supprima le droit d'aubaine<br />

à Marseille, afin d'y attirer les étrangers, et bi<strong>en</strong>tôt l'on<br />

vit <strong>de</strong>s maisons opul<strong>en</strong>tes du Levant s'établir dans cette<br />

ville où elles construisir<strong>en</strong>t une gran<strong>de</strong> quantité <strong>de</strong> na-<br />

vires. En méme temps, l'édit du mois d'aoht 1669 dé-<br />

clarait le commerce <strong>de</strong> mer compatible avec la noblesse,<br />

et permettait à tout g<strong>en</strong>tilhomme <strong>de</strong> s'y intéresser direc-<br />

tem<strong>en</strong>t ou indirectem<strong>en</strong>t sans déroger. La création <strong>de</strong>s<br />

<strong>en</strong>trepôts servait <strong>de</strong> comp<strong>en</strong>sation aux rigueurs <strong>de</strong> la<br />

douane; il y ajouta la faculté du transit par toute la<br />

France pour les marchandises étrangères. Son att<strong>en</strong>tion<br />

s'ét<strong>en</strong>dait jusqii'aux moindres détails <strong>de</strong> conservation et<br />

<strong>de</strong> propreté. u Pr<strong>en</strong>ez bi<strong>en</strong> gar<strong>de</strong>, mandait-il ii. M. <strong>de</strong><br />

Sonzy, <strong>de</strong> ne ri<strong>en</strong> faire qui puisse troubler ni diminuer<br />

le commerce. Vous avez, bi<strong>en</strong> fait <strong>de</strong> faire arréter le com-<br />

mis du bureau <strong>de</strong> RIortagne, qui avait retardé le passage<br />

<strong>de</strong>s bateaux <strong>de</strong> charbon; il est <strong>de</strong> très-gran<strong>de</strong> consé-<br />

qu<strong>en</strong>ce que les marchands ne soi<strong>en</strong>t vexés pour quelque<br />

prétexte que ce soit. Ne déci<strong>de</strong>z jamais ri<strong>en</strong> sans les avoir<br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus. Soyez plutôt un peu dupe avec eux que <strong>de</strong> géner<br />

le commerce, parce que ce serait anéantir les produits.<br />

Objectez néanmoins toujours la rigueur <strong>de</strong>s ordon-<br />

nances. i,<br />

Voilà comm<strong>en</strong>t Colbert <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait l'administration <strong>de</strong>s<br />

douanes. Nous serions bi<strong>en</strong> heureux aujourd'hui qu'elle<br />

fût <strong>en</strong>t<strong>en</strong>due <strong>de</strong> la même manière dans son but et dans<br />

ses moy<strong>en</strong>s d'exécution. Comme instrum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> protec-<br />

tion, il ne la séparait pas d'une activité infatigable dans<br />

l'industrie, et il est facile <strong>de</strong> voir que cette protection<br />

n'était à ses yeux qu'une mesure temporaire, tant il fai-<br />

sait veiller à ce qu'elle ne dégénérât point <strong>en</strong> prime<br />

donnée à l'insouciance et <strong>en</strong> vexations préjudiciables au


374 HISTOIRE<br />

commerce. On dirait qu'il <strong>en</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon à la<br />

France dans tbutes les déphches qu'il adresse à ses am-<br />

bassa<strong>de</strong>urs. Il disait à son fils : « 11 faut que vous s<strong>en</strong>-<br />

tiez aussi vivem<strong>en</strong>t tous les désordres qui arriveront<br />

dans le commerce et toutes les pertes que feront les'<br />

marchands comme si elles vous étai<strong>en</strong>t personnelles. a<br />

Non cont<strong>en</strong>t d'avoir établi <strong>de</strong>s <strong>en</strong>trepdts dans les ports,<br />

il les désigna pour Mezcx d'étapes aux navires du com-<br />

merce étranger, <strong>en</strong> ordonnant que les droits qu'ils aa-<br />

rai<strong>en</strong>t payés leur serai<strong>en</strong>t restitués, quand il leur con-<br />

vi<strong>en</strong>drait <strong>de</strong> réexporter leurs marchandises. A cette épo-<br />

que, la compagnie <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s occi<strong>de</strong>ntales se trouvait<br />

hors d'état <strong>de</strong> sout<strong>en</strong>ir son privilége exclusif. Les colo-<br />

nies manquai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s choses nécessaires, et le bas prix<br />

auquel on pr<strong>en</strong>ait leurs <strong>de</strong>nrées désespérait les habi-<br />

tants. Colbert se décida à r<strong>en</strong>dre le comnierce libre, et<br />

il fit annoncer dans tous les ports que chacun aurait<br />

désormais le droit <strong>de</strong> s'y livrer. Plus on étudie les actes<br />

<strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong> ce grand ministre, plus on est<br />

convaincu <strong>de</strong> sa haute équité et <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>dances libérales<br />

<strong>de</strong> son systéme, jusqii'ici généralem<strong>en</strong>t préconisé comme<br />

hostile au principe <strong>de</strong> liberté. En vain les Itali<strong>en</strong>s l'ont<br />

salué du nom <strong>de</strong> Colbertisnze, pour désigner le régime<br />

exclusif, inv<strong>en</strong>té par eux-m&mes et mis <strong>en</strong> honneur par<br />

les EspagnoIs : Colbert n'a jamais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du sacrifier la<br />

majeure partie <strong>de</strong> ses concitoy<strong>en</strong>s à quelquesprivilégiés,<br />

ni créer, au profit <strong>de</strong> certaines industries, <strong>de</strong>s monopoles<br />

éternels '. On peut lui reprocher d'avoir été réglem<strong>en</strong>-<br />

1. M. H<strong>en</strong>ri BaiidriIlart, dans son ouvrage sur JeanBodin et son<br />

temps, tableau <strong>de</strong>, théories <strong>politique</strong>s et économiques au xviQsicle,<br />

ouvrage qui jette beaucoup <strong>de</strong> jour sur les origines <strong>de</strong> I'6conomie<br />

<strong>politique</strong> <strong>en</strong> France, a marque la véritable origine historique du<br />

système prohibitif dans notre pays. On y lit page 14 : « La vrai


DE L'~cOh'0~11E POLITIQUE. CHAP. XXVI. 375<br />

taire à l'excès, mais non d'avoir inféodé la France <strong>en</strong>-.<br />

tière à quelques filateurs <strong>de</strong> laine et <strong>de</strong> coton. Il avait ré-<br />

sumé lui-mênie <strong>en</strong> peu <strong>de</strong> mots son système dans le mé-<br />

moire qu'il prés<strong>en</strong>ta au roi : r Réduire les droits à la<br />

sortie sur les <strong>de</strong>nrées et sur les manufactures du<br />

royaume; diminoer aux <strong>en</strong>trées les droits sur tout ce<br />

qui sert aux fabriques ; repousser, par l'élévation <strong>de</strong>s<br />

droits, les produits <strong>de</strong>s manufactures étrangéres 1. a<br />

parrain du systhme prohibitif <strong>en</strong> France, c'est le ministre <strong>de</strong><br />

Charles lx. R<strong>en</strong>b <strong>de</strong> Biragiies, gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssceaux <strong>en</strong> 1571,et Chan-<br />

celier <strong>de</strong> France<strong>de</strong>puisla rnort <strong>de</strong>1,hopital jusqu'<strong>en</strong> 1'578.11 posa le<br />

premier <strong>en</strong> principe la double déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> faire sortir du pays les<br />

malibres propres à la fabrication, et d'y faire <strong>en</strong>trer les prodilits<br />

<strong>de</strong>s manufactures élrangères. Nous citerons. les considérants <strong>de</strong><br />

l'bdit <strong>de</strong> janvier 1572 sur le comrrierce'à l'étranger et sur la police<br />

du royaume : « Afin que nos dits sujets, lit-on dans le Recueii <strong>de</strong>s<br />

anci<strong>en</strong>nes 10% françaises, t. XIV, se puiss<strong>en</strong>t mieux adonner à la,<br />

manufacture et ouvrages <strong>de</strong> laines, lins et chanvres el fillaces qui<br />

croiss<strong>en</strong>t et abon<strong>de</strong>01 <strong>en</strong> nos dils royaumes et pays. et <strong>en</strong> faire et<br />

tirer le profit que fait l'étranger, lequel les y vi<strong>en</strong>t acheter com-<br />

munem<strong>en</strong>t à pelit prix, les transporte et fait metlre <strong>en</strong> œuvre,<br />

et aprés apporte les draps et lingris qu'il v<strong>en</strong>d à prix exces-<br />

sif: avons ordonrié et ordonnons qu'il ne sera doresnavant loi-<br />

sible à aucun <strong>de</strong> nos dits sujets et étrangers, sous quelque cause<br />

. ou pr6textc que ce soit, transporter hors nos ditsroyaume et pays<br />

aucunes laines, lins, chanvres et fillaces. Deff<strong>en</strong>dons aussi très-<br />

expressém<strong>en</strong>t toute <strong>en</strong>trée <strong>en</strong> celtug noslre dit royaume <strong>de</strong><br />

tous draps, toilles, passem<strong>en</strong>ts et cannetillles d'or ou d'ar.g<strong>en</strong>t,<br />

<strong>en</strong>semble tous velours, satins, damas, taffetas, camelots, toilles<br />

et toutes sorles d'étoffes rayées ou y ayant or ou arg<strong>en</strong>t, et pa-<br />

reillem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> tous harnois <strong>de</strong> chevaux, ceintures, espees et dagues,<br />

estrieux et 6perons dores, arg<strong>en</strong>tésou gravés, sur peine ne con-<br />

fiscation <strong>de</strong>s dites marchandises ... Davanlage <strong>de</strong>ff<strong>en</strong>dons l'<strong>en</strong>trée<br />

<strong>en</strong> nostre dit royaume et pays <strong>de</strong> toutes sortes <strong>de</strong> tapisseries es-<br />

trangères, <strong>de</strong> quelqu'étoffe et façon qu'elles soi<strong>en</strong>t, sur les m8mes<br />

peines que <strong>de</strong>ssus. )) On trouve à cdté, inspiré par le même esprit,<br />

un 6dil sur la fabrication <strong>de</strong>s draps (2 mars 1571), et unautre ljuin<br />

1572j, bur le règlem<strong>en</strong>t du taux <strong>de</strong> !'intérêt mis à 6 p. 010.<br />

(Note <strong>de</strong> PBditew.)<br />

' Forbonnais, Considérationsszcr les finances. t. II, page 434.


376 HLSTOlRB<br />

Tel était l'esprit <strong>de</strong> son premier tarif, publié <strong>en</strong><br />

septembre 1664. 11 avait surtout eu pour but <strong>de</strong> facili-<br />

ter les approvisionnem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la France <strong>en</strong> matières<br />

premières, et les relations <strong>de</strong> son commerce intérieur<br />

par l'abolition <strong>de</strong>s barrières provinciales, et par l'éta-<br />

blissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> douanes à l'extrbme frontière.<br />

Les résistances qu'il r<strong>en</strong>contra dans plusieurs localités<br />

paralysèr<strong>en</strong>t longtemps ses bonnes int<strong>en</strong>tions ; mais à<br />

force <strong>de</strong> persévérance, il parvint à faire partager à<br />

toutes les parties <strong>de</strong> la France le bi<strong>en</strong>fait <strong>de</strong> ses ré-<br />

formes. Le. seul reproche qu'on soit <strong>en</strong> droit <strong>de</strong> lui<br />

adresser, c'est d'avoir abusé <strong>de</strong> l'instrum<strong>en</strong>t protecteur<br />

qn'il v<strong>en</strong>ait <strong>de</strong> créer, <strong>en</strong> exagkrant dans le tarif <strong>de</strong><br />

1667 les mesures exclusives dirigées contre les manu-<br />

factures étrangères par celui <strong>de</strong> 1664. Ce ne fut plus<br />

dès lors une question d'industrie, mais une question <strong>de</strong><br />

guerre, nommém<strong>en</strong>t avec la Hollan<strong>de</strong>, et cette guerre<br />

éclata <strong>en</strong> 1672, après <strong>de</strong> longues et inutiles négocia-<br />

tions. Le nouveau tarif excluait une foule <strong>de</strong> marchan-<br />

dises hollandaises; sur son refus <strong>de</strong> les admettre, la<br />

France vit aussitôt frapper d'interdiction ses vins, ses<br />

eaux-<strong>de</strong>-vie et les produits <strong>de</strong> ses manufactures. L'agri-<br />

culture, déjà condamnée rl <strong>de</strong> ru<strong>de</strong>s souffrances par la<br />

déf<strong>en</strong>se d'exportation <strong>de</strong>s grains, l'une <strong>de</strong>s erreurs <strong>de</strong><br />

Colbert, éprouva un ru<strong>de</strong> échec <strong>de</strong> la prohibition nou-<br />

velle qui atteignait ses produits les plus importants.<br />

C'est <strong>de</strong> la même époque que dat<strong>en</strong>t les premières<br />

guerres <strong>de</strong> représailles commerciales <strong>en</strong>tre la France et<br />

l'Angleterre, hostilités qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t coûter tant <strong>de</strong> sang<br />

et <strong>de</strong> larmes aux <strong>de</strong>ux peuples. On vit donc tout à la<br />

fois <strong>en</strong> France, sous l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ce système, l'industrie<br />

prospérer et l'agriculture languir. Je ne sais si Colbert<br />

craignit aussi <strong>de</strong> voir la population diminuer; mais il


, DE L'ÉCONOMIE YOLlTIQUE. CHAP. XXVI. 377<br />

fit r<strong>en</strong>dre à cet égard, <strong>en</strong> novembre 1666, un édit qui<br />

n'est guère d'accord avec les théories <strong>de</strong> Malthus. En<br />

vertu <strong>de</strong> cet édit, tout chef <strong>de</strong> famille, père <strong>de</strong> dix <strong>en</strong>fants,<br />

était exempt <strong>de</strong> contributions p<strong>en</strong>dant toute sa<br />

~ie. S'il était g<strong>en</strong>tilhomme, le roi lui accordait mille<br />

francs <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sion, et'<strong>de</strong>ux mille francs, s'il avait douze<br />

<strong>en</strong>fants. La faveur <strong>de</strong> l'exemption <strong>de</strong>s taxes était ét<strong>en</strong>due<br />

aux jeunes g<strong>en</strong>s qui se mariai<strong>en</strong>t à vingt ans, pour<br />

<strong>en</strong> jouir p<strong>en</strong>dant cinq années, et par comp<strong>en</strong>sation,<br />

l'impbt atteignait le célibataire <strong>de</strong> vingt ans, m&me sous<br />

le toit paternel. En m&me temps Colbert essayait <strong>de</strong><br />

mettre un terme au développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s communautés<br />

religieuses ; il avait fait déf<strong>en</strong>dre aux particuliers <strong>de</strong><br />

leur léguer ni v<strong>en</strong>dre à fonds perdu leurs héritages<br />

ou propriétés quelconques. Mais toutes ces combinaisons<br />

n'eur<strong>en</strong>t aucun résultat efficace. Les mesures par<br />

lesquelles Colbert ouvrait <strong>de</strong> nouvelles sources <strong>de</strong> richesse<br />

au pays valai<strong>en</strong>t mieux que ses primes d'<strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>t<br />

à la fécondité <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>tilshommes, car il fallut<br />

y r<strong>en</strong>oncer <strong>en</strong> 16831 après qu'elles eur<strong>en</strong>t <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dré<br />

plus d'abus que <strong>de</strong> citoy<strong>en</strong>s.<br />

La paix <strong>de</strong> Nimègue força pareillem<strong>en</strong>t la France <strong>de</strong><br />

r<strong>en</strong>oncer au systbme d'exclusions organ;sé par Colbert<br />

contre les manufactures étrangbres. Chaque jour,<br />

chaque événem<strong>en</strong>t apportait ainsi une modification à ce<br />

que les idées <strong>de</strong> ce ministre avai<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> trop absolu ;<br />

mais ses doctrines prohibitives avai<strong>en</strong>t été déposées<br />

dans un terrain où elles <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t &tre religieiisem<strong>en</strong>t<br />

conservées sous les auspices <strong>de</strong> l'inter& personnel.<br />

Les manufacturiers français s'habituèr<strong>en</strong>t à considérer,<br />

comme un droit, la protection qui leur avait été accordée<br />

comme une faveur ; et ce qui, dans la p<strong>en</strong>sée <strong>de</strong><br />

Colbert, ne <strong>de</strong>vait Btre que temporaire, <strong>de</strong>vint à leurs


378 HISTOIRE<br />

yeux <strong>de</strong>finitif. Le développem<strong>en</strong>t industriel prodigieux<br />

qni suivit son système, les règlem<strong>en</strong>ts promulgués pour<br />

le sout<strong>en</strong>ir, la r<strong>en</strong>ommée mbme <strong>de</strong> son auteur, tout<br />

contribua à propager la funeste doctrine <strong>de</strong> l'hostilitb<br />

naturelle <strong>de</strong>s peuples manufacturiers. C'est <strong>de</strong> là que<br />

sont nées ces expressions aujourd'hui proverbiales,<br />

quoique vi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> s<strong>en</strong>s, du prét<strong>en</strong>du danger qu'il y a<br />

d <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir tributaire <strong>de</strong> l'khranger, à laisser <strong>en</strong>ûahir notre<br />

marché par <strong>de</strong>s marcl~andises étrangères, à nous laisser<br />

ravir notre or, et mille autres semblables; comme si<br />

tous les acheteurs n'étai<strong>en</strong>t pas tributaires <strong>de</strong>s v<strong>en</strong><strong>de</strong>urs,<br />

et ceux-ci à leur tour <strong>de</strong>s acheteurs; comme si, <strong>en</strong>fin,<br />

un peuple ne <strong>de</strong>vait pas recevoir <strong>en</strong> échange <strong>de</strong> ses<br />

marchandises les marcliandises <strong>de</strong> ses voisins, 21 moins<br />

<strong>de</strong> leur donner <strong>de</strong> I'or. S'il <strong>en</strong> était autrem<strong>en</strong>t, il n'y<br />

aiirait plus <strong>de</strong> commerce; car que serait un commerce<br />

dans lequel on ne voudrait ni laisser sortir <strong>de</strong> I'or, ni<br />

laisser <strong>en</strong>trer <strong>de</strong>s marchandises? L'Europe aura longtemps<br />

à souffrir <strong>de</strong> ce préjugé qui a <strong>en</strong>fanté tant <strong>de</strong><br />

guerres, et qui a jeté tous les peuples dans la voie dangereuse<br />

<strong>de</strong>s industries privilégiées. Non, Colbert n'<strong>en</strong><br />

fut pas coupable, et c'est <strong>en</strong> vain que les uns <strong>en</strong><br />

font honneur et les autres reproche à sa mémoire;<br />

Colbert était un homme <strong>de</strong> haute probité, <strong>en</strong>nemi <strong>de</strong><br />

tous les monopoles et le plus ru<strong>de</strong> adversaire <strong>de</strong>s privi-<br />

Iéges <strong>de</strong> tout g<strong>en</strong>re. Jamais ce ministre, qui déjà rbvait<br />

l'égale repartition <strong>de</strong>s taxes, et qui savait dire à son<br />

maître d'austères vérités, n'aurait organisé <strong>de</strong> fond<br />

<strong>en</strong> comble le triste régime qu'on a voulu batipser <strong>de</strong><br />

son nom.<br />

Nous ne citons que pour mémoire les grands travaux<br />

qu'il fit exécuter pour agrandir la viabilité <strong>de</strong> la France,<br />

et le canal du Languedoc, cette belle imitation du


DE L'~CONOIIE POLITIQUE. CHAP. XXVI. 379<br />

canal <strong>de</strong> Briare, qui a laissé si loin <strong>de</strong>rrière lui son<br />

modèle. C'est la p<strong>en</strong>sée <strong>de</strong> Colbert et non le détail <strong>de</strong><br />

ses œuvres que nous avions à faire connaître; et le<br />

simple exposé <strong>de</strong> ses travaux économiques a dû suffire<br />

pour la révéler tout <strong>en</strong>tière. p<strong>en</strong>dant la durée <strong>de</strong> son mi-<br />

nistère, Colbert n'a commis d'autres erreurs que celles<br />

qui lui étai<strong>en</strong>t imposées; ou qu'un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t exagéré<br />

d'amour pour son pays lui inspira dans quelques rares<br />

circonstances. Tels fur<strong>en</strong>t les droits élevés qu'il établit<br />

dans son tarif <strong>de</strong> 1667, dans l'int<strong>en</strong>tion d'assurer à la<br />

France la production <strong>de</strong>s articles qu'elle tirait du <strong>de</strong>-<br />

hors, et <strong>en</strong>core, faut-il le dire, ce tarif ne cont<strong>en</strong>ait<br />

aucune prohibition absolue. a Colbert avait jugé sage-<br />

m<strong>en</strong>t que la déf<strong>en</strong>se d'importer est siiffisamm<strong>en</strong>t reprC-<br />

s<strong>en</strong>tée par <strong>de</strong>s droits, surtout lorsqu'ils sont élevés à<br />

un certain taux. Alors, <strong>en</strong> effet, si l'industrie ne sait<br />

ou ne veut pas, avec la forte prime que lui accor<strong>de</strong> le<br />

tarif, satisfaire au goût <strong>de</strong>s consommateurs, ceux-ci ont<br />

<strong>en</strong>core Ie choix <strong>de</strong>s fabrications étrangéres, <strong>en</strong> payant<br />

un tribut volontaire dont l'État profite, au refus <strong>de</strong>s<br />

industriels. Cette liberté restreinte éveille <strong>en</strong>tre les dif-<br />

fér<strong>en</strong>ts peuples une émulation d'industrie que le mono-<br />

pole national étouffe au contraire '. n Assurém<strong>en</strong>t<br />

Colbert était loin <strong>de</strong> p<strong>en</strong>ser qu'un jour, après que l'in-<br />

dustrie française aurait pris rang <strong>en</strong> Europe, son tarif<br />

serait jugé insuffisant et flanqué <strong>de</strong> prohibitions que<br />

lui-même n'avait pas trouvées nécessaires pour la pro-<br />

téger, lorsqu'elle ne faisait que <strong>de</strong> naître. Il était rkservé<br />

à notre époque, si justem<strong>en</strong>t glorieuse du progrès <strong>de</strong>s<br />

manufactures, <strong>de</strong> réclamer tout à la fois <strong>de</strong>s médailles<br />

pour les récomp<strong>en</strong>ser et <strong>de</strong>s prohibitions pour les sou-<br />

' M. Bailly. <strong>Histoire</strong> financière <strong>de</strong> la France, t. 1, p. 454.


380 HISTOIRE DE L'ECOWOM~E POLITIQUE. CHAP. XXVI.<br />

t<strong>en</strong>ir. Nous serions heureux, sous ce rapport, <strong>de</strong> rétro-<br />

gra<strong>de</strong>r jusqu'à Colbert et <strong>de</strong> rev<strong>en</strong>ir à ses tarifs ; plus<br />

heureux <strong>en</strong>core, si nos ambassa<strong>de</strong>urs recevai<strong>en</strong>t quel-<br />

quefois <strong>de</strong> ces fières instructions, comme celles qu'il<br />

expédiait à M. <strong>de</strong> Béziers et à M. <strong>de</strong> Pompone! Qu'on<br />

cesse donc <strong>de</strong> mettre sous la protection <strong>de</strong> Colbert les<br />

nombreux monopoles dont la France est aujourd'hui<br />

obsédée. Ces monopoles sont l'œuvre <strong>de</strong>s temps malheu-<br />

reux que la génération prés<strong>en</strong>te a traversés; ils sont<br />

tous postérieurs au traité <strong>de</strong> 1786, et issus <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />

guerres <strong>de</strong> la révolution et <strong>de</strong> l'empire. Rétablis comme<br />

instrum<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>baine et d'extermination, ils n'aurai<strong>en</strong>t pas<br />

dû survivre à la guerre : nous espérons qu'ils ne sur-<br />

vivront pas B la paix.<br />

FIN DU TOME .PREMIER.


INTRODUCTION.<br />

TABLE DES MATJÈRES<br />

DU TOME PP.BMIER.<br />

Pages.<br />

. . . . . . . . . . . . . . . 1<br />

CHAPITRE 1. - L'Economie <strong>politique</strong> est plus anci<strong>en</strong>ne qu'on<br />

ne p<strong>en</strong>se. - Les Grecs et les Romains ont eu la leur. - Res-<br />

semblance qu'elle prés<strong>en</strong>te avec celle <strong>de</strong> notre temps. - DiBe-<br />

r<strong>en</strong>ces qui les sépar<strong>en</strong>t. - Moditications successives que cette<br />

sci<strong>en</strong>ce a éprouvées dans sa marche. - Vue générale du<br />

sujet. . . . . . . . . . . . a . . . . . . 19<br />

CHAPITRE II. -De <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong> chez les Grecs.-Leurs<br />

i<strong>de</strong>es sur l'esclavage. - Administration <strong>de</strong> leurs finances. -<br />

Ils viv<strong>en</strong>t du travail <strong>de</strong>s esclaves et <strong>de</strong>s tributs <strong>de</strong>s alliés. -<br />

Ce que c'&ait que le théorique. - Des clérouquies ou pays con-<br />

quis. - Chaque citoy<strong>en</strong> se considérait comme r<strong>en</strong>tier <strong>de</strong> 1'Etat.<br />

- Ce qu'il fallait à une famille pour vivre. -Des propriétes<br />

publiques. - Des mines. - De la monnaie. - Le temple <strong>de</strong><br />

Delphes est une v4ritable banque <strong>de</strong> dépbt. - Quel était <strong>en</strong><br />

Grèce l'intérbt <strong>de</strong> l'arg<strong>en</strong>t. -Importance attachée aux finances.<br />

- Habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s AthBni<strong>en</strong>s. .......... 30<br />

CHAPITRE III. - Des systèmes économiques essayés ou pro-<br />

poses <strong>en</strong> Gréce. - Des lois <strong>de</strong> Lycurgue. - RdpubCiqae <strong>de</strong> .<br />

Naton. - $conorniques <strong>de</strong> Xénophon. - Politique d'Aris-<br />

tote.. ................. 48<br />

CHAPITRE 1V. - Des colonies grecques et <strong>de</strong> leurs relations<br />

avec la mélropole. - Elles ont contribué à repandre dans une .<br />

gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> l'Europe les idées dont le foyer était à Athknes


382 TABLE DES MATIERES.<br />

et H Sparte. -Elles ont 616 fon<strong>de</strong>es, comme les nbtres, par <strong>de</strong>s<br />

hmigrations, mais elles ont joui d'une plus gran<strong>de</strong> indép<strong>en</strong>-<br />

dance. .................. 70<br />

CHAPLTRE V. - De ~'Economie <strong>politique</strong> chez les Romains,<br />

aux diff6r<strong>en</strong>ts âges. - Ils sont ess<strong>en</strong>liellem<strong>en</strong>t guerriers et pil-<br />

lards sous la république. - Ingénieurs et administrateurs sous<br />

l'empire.- Leur mépris pour le travail.- Imm<strong>en</strong>ses dévasta-<br />

tions qu'ils commett<strong>en</strong>t.- Ruine <strong>de</strong> Carthage. - Premiers essais<br />

d'organisation sous les empereurs. ........ 74<br />

CHAPITRE VI. - De IJEconomie'<strong>politique</strong> <strong>de</strong>s Romains <strong>de</strong>puis<br />

le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'empire. -Abus <strong>de</strong>s conquêtes. - Me-<br />

pris du commerce. - Condition <strong>de</strong>s classes laborieuses. -<br />

Arislocralie insol<strong>en</strong>te. - Populace famelique. - On se réfugie<br />

dans le célibat. - Egoïsme public et privé. - Abs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />

manufactures. - L'utilite sacriâee à la gran<strong>de</strong>ur. .. ?P<br />

CHAPITRE VII. - De l'importance <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> communi-<br />

cation chez les Romains: - Services que leurs grands chemins<br />

aurai<strong>en</strong>t pu r<strong>en</strong>dre à la civilisation et au commerce. - Es-<br />

quisse ries principales lois roniaines <strong>en</strong> maliére d'6conomie<br />

<strong>politique</strong>. - Vue générale <strong>de</strong> leur commerce. . : . 90<br />

CBAPITRE VIII. - Deca<strong>de</strong>nce rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> i'empire. - Ses principales<br />

causes. - Première apparition du christianisme. -<br />

Influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s mœurs asialiques a Constantinople. - Modilication<br />

dans les idées civiles, religieuses, indusirielles, com-<br />

- merciales. ................ i OS<br />

CHAPLTRE IX. - Changem<strong>en</strong>ts surv<strong>en</strong>us dans i'bconomie so-<br />

ciale <strong>de</strong> l'Europe par l'influ<strong>en</strong>ce du christianisme. - Son<br />

organisation vigoureuse et savante. - Les monastéres cré<strong>en</strong>t<br />

la vie <strong>de</strong> communauté. - Le principe religieux donne nais-<br />

sance aux bbpitaux, aux asiles. - Le pretre est aujourd'hui au-<br />

<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> sa lhche. - Opinion à ce sujet. ..... 11 I<br />

CHAPITRE X. - Des conséqu<strong>en</strong>ces économiquss <strong>de</strong> l'invasion<br />

<strong>de</strong>s Barbares et du <strong>de</strong>membrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'empire romain. -<br />

Nouveauxé1ém<strong>en</strong>ts inlroduils dans l'organisation sociale. 124<br />

CHAPITRE Xi. - Dernières lueurs <strong>de</strong> &vilisation à Constanti-<br />

nople sous Justini<strong>en</strong>. -Cet.empereur résume toute la legisla-<br />

tioo <strong>de</strong>s Romains. - Ce que c'était que son Co<strong>de</strong>. - Les Pan-<br />

<strong>de</strong>ces.-Les 1mtitutes.-Les lois'<strong>de</strong> Justini<strong>en</strong> sont les archives<br />

du passé ; les Capitdaires <strong>de</strong> Charlemagne, le programme <strong>de</strong><br />

l'av<strong>en</strong>ir. .................. 138


TABLE DES MATIERES. 383<br />

CHAPITRE XII. - Economie <strong>politique</strong> <strong>de</strong> Charlemagne. -<br />

Analyse <strong>de</strong> la partie économique<strong>de</strong>.ses Capitulaires. - Déiails<br />

singulierscont<strong>en</strong>us dans le Capitulaire<strong>de</strong> Vitlis.-Conséqu<strong>en</strong>ces<br />

sociales du règne <strong>de</strong> ce grand homme. ...... 145<br />

CHAPITRE XIII. - De l'établissem<strong>en</strong>t du régime féodal et <strong>de</strong><br />

ses conséqu<strong>en</strong>ces économiques. - La monarchie <strong>de</strong> Cbarlemagne<br />

est démembrée par l'influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l'hérédité <strong>de</strong>s fiefs.<br />

- Invasion g<strong>en</strong>érale du servage. ........ 158<br />

CHAPITRE XIV. - Des Croisa<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> leur influ<strong>en</strong>ce sur<br />

la marche <strong>de</strong> i'économie <strong>politique</strong> <strong>en</strong> Europe. - Dîme saladine.<br />

- Révolutions dans les habitu<strong>de</strong>s. - Progrès <strong>de</strong> la navigation,<br />

<strong>de</strong> l'industrie et di1 commerce. ......... 173<br />

CHAPITRE XV. -Considérations sur la situation et l'influ<strong>en</strong>ce<br />

<strong>de</strong>s Juifs au moy<strong>en</strong> âge. - Nature <strong>de</strong>s services qu'ils ont<br />

r<strong>en</strong>dus à <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>.-Sont-ils les premiers fondateurs<br />

du credit? - Origine <strong>de</strong> la lettre <strong>de</strong> change et <strong>de</strong>s monts-<strong>de</strong>-<br />

pikté. .................. 184<br />

CHAPITRE XVI. -Des villes anséatiques. - Motif <strong>de</strong> leur asso-<br />

ciation. - Singulière organisation <strong>de</strong> leurs comptoirs. -Impor-<br />

tance <strong>de</strong> I'<strong>en</strong>trepdt <strong>de</strong> Bruges. - Origine du commerce <strong>de</strong><br />

commission ................. 199<br />

CHAPITRE. XViI - De l'affranchissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s communes et <strong>de</strong><br />

son influ<strong>en</strong>ce sur la marche du progrès économique et so-<br />

cial. .................. 211<br />

CIiAPITRE XVIII. - De la législation économique <strong>de</strong>s premiers<br />

rois <strong>de</strong> France <strong>de</strong> la troisième race. - Ordonnances sur les<br />

Juifs. - Sur les monnaies.-Contre l'exportation du numéraire.<br />

- Sur le commerce <strong>de</strong>s grains.- Réglem<strong>en</strong>ts somptuaires. -<br />

Origine officielle <strong>de</strong> nos préjugés commerciaux. .... 221<br />

CHAPlTRE XIX. - 'Organisation <strong>de</strong>s corporations sous le<br />

règne <strong>de</strong> saint Loois. - Du Livre <strong>de</strong>s Hétiers, par Eti<strong>en</strong>ne<br />

Boyleau. - Vue générale du système <strong>de</strong>s corporations. - Ses<br />

avantages anci<strong>en</strong>s et ses inconvéni<strong>en</strong>ts mo<strong>de</strong>rnes . . 237<br />

CHAPlTRE XX. - Du mouvem<strong>en</strong>t imprimé à <strong>l'économie</strong> poli-<br />

tique par les républiques itali<strong>en</strong>nes du moy<strong>en</strong> Age. - In-<br />

flu<strong>en</strong>cecroissanle du travail. - Accroissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la richesse<br />

mobilière. - Changem<strong>en</strong>ts qui, <strong>en</strong> résult<strong>en</strong>t dans l'état social<br />

euroae<strong>en</strong>. - Fondation du crédit. - Banaue <strong>de</strong> V<strong>en</strong>ise. -<br />

origine du système prohibitif mo<strong>de</strong>rne. .- . . ,. . 253


384 TABLE DES MATIÈRES.<br />

CHAPITRE XXI. - De la revolution causée par Charles-Quint<br />

dans la marche <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>. - L'esprit <strong>de</strong> con-<br />

quete substitue à l'esprit <strong>de</strong> commerce. - Etablissem<strong>en</strong>t officiel<br />

du système restrictif. - Traite<strong>de</strong>s noirs. - Exécutions finan-<br />

ciéres. - Couv<strong>en</strong>ts et pauperisme. - Resistance du protes-<br />

tantisme. . . . . . . . . . . . . . . . . 277<br />

CHAPITRE XXII. - De la reformalion protestante et <strong>de</strong> son<br />

influ<strong>en</strong>ce sur la marche <strong>de</strong> <strong>l'économie</strong> <strong>politique</strong>. - Sécui<br />

larisation <strong>de</strong>s moines. - V<strong>en</strong>te <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong> 1'Eglise. - Leur<br />

importance <strong>en</strong> Angleterre à cette époque. - Lois sur les<br />

pauvres. - Augm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>s jours <strong>de</strong> travail. 290<br />

...<br />

CHAPITRE XXIII. - Des consBqu<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la <strong>de</strong>couverte du<br />

Nouveau-Mon<strong>de</strong> et'du systkme colonial <strong>de</strong>s Europe<strong>en</strong>s dans<br />

les <strong>de</strong>ux In<strong>de</strong>s. .............. 304<br />

CHAPLTRE XXIV. - Des divers systémes monétaires qui ont<br />

régne <strong>en</strong> Europe, <strong>de</strong>puis les anci<strong>en</strong>s jusqu'à la <strong>de</strong>couverte<br />

<strong>de</strong>s mines du Nouveau-Mon<strong>de</strong>. - Consequ<strong>en</strong>ces économiques<br />

<strong>de</strong> la découverte <strong>de</strong> ,ces mines. - Vue g<strong>en</strong>hrale <strong>de</strong>s ou-<br />

vrages qui ont 616 publiés sur les monnaies. .... 217<br />

CIIAPITRE XXV. - De quelques fAcheuses consequ<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la<br />

découverte <strong>de</strong>s mines #Ambrique. - Des premieres apparitions<br />

<strong>de</strong> pauvres <strong>en</strong> Angleterre. - Ministére <strong>de</strong> Sully. - Ses ré-<br />

formes financiéres. - Ses i<strong>de</strong>es erronées sur l'industrie et le<br />

commerce. - Il est le Pllis 'ar<strong>de</strong>nt propagateur du système<br />

mercantile. -Son p<strong>en</strong>chant pour les lois somptuaires. - Ses<br />

ru<strong>de</strong>s attaques contre les abus <strong>de</strong> finances. - Resultats <strong>de</strong>finitifs<br />

<strong>de</strong> son administration. 347<br />

...........<br />

CEIAPLTRE XXVI. -Du minisîhre <strong>de</strong> Colbert et <strong>de</strong> ses conse-<br />

qu<strong>en</strong>ces économiques.- Edit et tarif <strong>de</strong> 1664. - Son vkritable<br />

but. - Edit <strong>de</strong> 1667. - Encouragem<strong>en</strong>ts au mariage. -<br />

Belles instructions donnkes aux ambassa<strong>de</strong>urs. - Veritables<br />

doctrines <strong>de</strong> Colbert. - C'est à tort qu'on le considère comme<br />

le fondateur du systéme prohibitif. ........ 365


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oolitiauc. oar noms d'auteur et oar ordre <strong>de</strong> matiéres. avec <strong>de</strong>s Notices<br />

biograihiquc.'s ét ;ne appréciation rais6nni.e <strong>de</strong>s principaux buvrages,<br />

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Blaisc; <strong>Blanqui</strong> <strong>de</strong> l'Institut Maurice $Zock. CA. <strong>de</strong> Broucliàe . F~ber:<br />

bz~licz; Michel )Chevalier, <strong>de</strong>) l'Institut, consefiler d'État; Ambro<strong>de</strong> Clém<strong>en</strong>t;<br />

,41. <strong>de</strong> Clercg; A. Cochut; Ch. Coquelin; .A. Courtois; Frédéric<br />

Cuvier, conseiller d'État; Arist. Dumont, in énieur; Ch. Ihnoyer, <strong>de</strong><br />

l'Institut; Dupuit, Ingénieur <strong>en</strong> chef; Gust. Du juyno<strong>de</strong>; Léon Faucher, <strong>de</strong><br />

l'Institut, anci<strong>en</strong> ministre d'État; Joseph Garnier, prof. h l'école dcs ponts<br />

et chaussées; Louis Leclerc; AlJred Legoyt; G. <strong>de</strong> Molznari; Maurice<br />

Monjean; Moreau-Christophe; P. Paillottet; Esq. <strong>de</strong> Parieu, <strong>de</strong> l'Institut<br />

vicc-prési<strong>de</strong>nt du conseil d'État; H. Passy, <strong>de</strong> l'Institut; Quételet, corresp:<br />

dc1'Institut. Ch. R<strong>en</strong>ouard; L: Reybaud, <strong>de</strong> l'Institut; Nat.Rondot; Horace<br />

Say, <strong>de</strong> l'lnstitnt, anci<strong>en</strong> conseiller d'État Léon Say; Emile Thomas ingénieur;<br />

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Saint-D<strong>en</strong>is. - Typ. <strong>de</strong> A. Moulin, succr <strong>de</strong> DI. Drouard.

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