Contes et légendes du Pays Gentiane - livret
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De que se dizzio pas !*<br />
<strong>Contes</strong> <strong>et</strong> <strong>légendes</strong> <strong>du</strong> <strong>Pays</strong> <strong>Gentiane</strong><br />
*Que ne disait-on pas !
Apchon<br />
La femme louve<br />
ers la fin <strong>du</strong> XVIe siècle, dans un village distant<br />
V de deux lieues d'Apchon, un gentilhomme était<br />
un soir à sa fenêtre quand il aperçut un<br />
chasseur de sa connaissance <strong>et</strong> le pria de lui rapporter<br />
quelque gibier. Le chasseur promit. Arrivé dans la plaine,<br />
il vit un gros loup qui venait à sa rencontre. La lutte<br />
s'engagea. Le chasseur coupa la patte droite <strong>du</strong> loup<br />
mais l'animal parvint à se dégager <strong>et</strong> se sauva, estropié.<br />
Le chasseur rapporta la patte à son ami mais quand il tira<br />
de sa gibecière, il en sortit une main de femme avec un<br />
anneau que le gentilhomme<br />
reconnût aussitôt : c'était<br />
celui de sa femme. Il alla la<br />
trouver : elle était auprès <strong>du</strong><br />
feu <strong>et</strong> cachait son bras droit<br />
sous un châle. Lorsqu'elle<br />
lui montra la main, la<br />
malheureuse éper<strong>du</strong>e avoua<br />
qu'elle avait poursuivi le<br />
chasseur sous la forme d'un<br />
loup-garou. Son mari la livra<br />
à la justice <strong>et</strong> la dame<br />
sorcière fut condamnée <strong>et</strong><br />
brulée sur le Coudert de<br />
Riom-ès-Montagnes.<br />
Le pré de la guerre<br />
Celui-ci est situé à la sortie <strong>du</strong> village, à gauche en allant<br />
vers Saint-Hippolyte. Il porte son nom depuis une<br />
fameuse bataille entre le seigneur d'Apchon <strong>et</strong> celui de<br />
Mauriac. Or, le soir de Noël 1544, Guillaume Dumont,<br />
2
tromp<strong>et</strong>te <strong>du</strong> roi, arriva au village. Pour montrer sa<br />
bravoure, mais surtout pour répondre au souhait de la<br />
plus belle dentellière d'Apchon, il promit d'aller planter la<br />
quenouille de la mère Beynac au milieu <strong>du</strong> Pré de la<br />
Guerre sur le coup de minuit afin de provoquer le démon.<br />
Il partit. Quelques instants après, on entendit le son de la<br />
tromp<strong>et</strong>te, puis plus rien... On attendit en vain le r<strong>et</strong>our<br />
de Guillaume. A l'aube, quatre soldats des plus intrépides<br />
se rendirent sur les lieux. Ils le trouvèrent couché,<br />
inanimé, la face contre terre.<br />
Au bout de quelques jours, quand la fièvre disparut, il<br />
décrivit les scènes apocalyptiques qu'il avait vues :<br />
pendant des heures, il avait été entouré de démons<br />
hideux aux couleurs étranges. Armés de glaives, ils<br />
étaient montés sur des dragons ailés <strong>et</strong> des<br />
salamandres, <strong>et</strong> se pourfendaient. A l'aurore, tout avait<br />
disparu <strong>et</strong> il était tombé épuisé.<br />
Le 25 décembre 1545, Guillaume Dumont n'était plus<br />
tromp<strong>et</strong>te <strong>du</strong> roi : pour se repentir, il allait revêtir l'habit<br />
religieux à l'abbaye de Feniers.<br />
“Le pré de la Guerre, théâtre de scènes apocalyptiques”<br />
3
Cheylade<br />
Saint Léger <strong>et</strong> le Drac<br />
Par une belle journée d'été, Saint Léger demanda à Saint<br />
Pierre de bien vouloir lui ouvrir les portes <strong>du</strong> Paradis, afin<br />
qu'il pût aller revoir la plaine de la Bragouse où il était<br />
venu s'abriter des mauvais traitements que lui infligeait<br />
Ebroïn, son rival lorsqu'il était sur terre.<br />
Mais le Drac veillait <strong>et</strong> se prom<strong>et</strong>tait bien d'empêcher<br />
Saint Léger de regagner le Paradis : la veille <strong>du</strong> jour où le<br />
Saint devait se rendre à la Bragouse, il se présenta à la<br />
même heure aux deux plus jolies filles de la vallée,<br />
Toin<strong>et</strong>te de la Maurinie <strong>et</strong> Catinou <strong>du</strong> Caire, tel un riche<br />
<strong>et</strong> puissant seigneur anglais. « Comme vous êtes la<br />
plus belle fille que j'ai rencontrée sur mon chemin, si<br />
ma proposition vous est agréable, trouvez-vous<br />
demain à deux heures dans la plaine de la Bragouze,<br />
à cinquante toises <strong>du</strong> bois, au bord <strong>du</strong> ruisseau. ».<br />
Les deux filles furent fidèles au rendez-vous. La<br />
première, Toin<strong>et</strong>te, vit un bon vieux à longs cheveux <strong>et</strong> à<br />
grande barbe blanche. Elle s'approcha de lui <strong>et</strong> lui<br />
demanda : « Avez-vous vu un beau jeune homme à<br />
l'œil ardent <strong>et</strong> aux manières élégantes ? ». « Je n'ai<br />
vu personne », répondit le vieillard. Arriva alors Catinou<br />
qui, croyant se trouver en présence <strong>du</strong> père <strong>et</strong> de la fille,<br />
leur demanda : « Avez-vous vu passer un jeune<br />
homme à l'œil ardent <strong>et</strong> aux manières élégantes ? ».<br />
À c<strong>et</strong>te question, qui était la même que celle qu'elle avait<br />
posée, Toin<strong>et</strong>te eut toutes les peines <strong>du</strong> monde à<br />
demander quelques explications à sa rivale.<br />
Ayant assisté à leur conversation, le vieillard leur dit :<br />
« Mes pauvres enfants, puisque ce beau jeune<br />
homme a parlé à toutes deux à la même heure, à<br />
4
deux endroits différents, il ne peut s'agir que <strong>du</strong> Drac<br />
qui n'est autre que le Diable. Mais tenez, voici deux<br />
tiges d'églantiers fournies de longues épines.<br />
Prenez-en une <strong>et</strong> vous vous en servirez comme <strong>du</strong><br />
fléau avec lequel vous battez le blé, pour fouailler le<br />
Drac qui s'est moqué de vous ».<br />
À c<strong>et</strong> instant même, le Drac arriva. « Eh bien ! Léger, je<br />
te trouve en galante compagnie <strong>et</strong>, désormais, tu<br />
auras bien <strong>du</strong> mal à rentrer au Paradis. ». « Et moi, je<br />
te garantis que tu auras plus de mal à éviter la<br />
correction de ces jeunes filles dont tu t'es moqué »,<br />
répondit le Saint. « Il n'est pas au pouvoir des<br />
humains de me châtier, je vais disparaître », dit le<br />
Drac. « Pour une fois », rétorqua Saint Léger, « tu t'es<br />
trompé ». Toin<strong>et</strong>te <strong>et</strong> Catinou s'en donnèrent alors à<br />
cœur-joie. Elles fessèrent avec ardeur le Drac qui, à<br />
chaque coup, sautait comme un chevreau tant les épines<br />
le piquaient.<br />
Au bout de plusieurs minutes, Saint Léger dit au Drac :<br />
« Maintenant, tu peux t'éclipser ». C'est ce qu'il fit, non<br />
sans avoir juré qu'il ne reviendrait plus. Depuis, on ne l'a<br />
plus revu <strong>et</strong> les habitants de Cheylade l'ont pris pour<br />
patron, après avoir obtenu pour promesse que<br />
désormais, les filles « n'escoudraient 1 » plus les<br />
garçons !<br />
1 Éscoudre : battre le blé en fléau<br />
5
Collandres<br />
Le village ruiné de l'Oùpilhèiro<br />
Le village de l'Oùpilhèro était construit en un lieu appelé<br />
« lou claù de plùmo ». Autrefois, c'était le royaume des<br />
serpents. Les habitants, qui n'avaient pas trouvé le<br />
moyen de s'en débarrasser, s'y étaient habitués <strong>et</strong> les<br />
laissaient pulluler. Cependant, l'Oùpilhèiro était un village<br />
heureux, car les épidémies, si redoutables jadis, l'avaient<br />
toujours épargné. Inexplicablement.<br />
Satan en prit-il ombrage ?<br />
On ne sait. Toujours est-il<br />
qu'un jour, il arriva à<br />
l'Oùpilhèiro, sous les traits<br />
d'un jeune <strong>et</strong> fringant<br />
cavalier, <strong>et</strong> dévoila son plan.<br />
Il suffisait d'intro<strong>du</strong>ire dans<br />
le four des jarres de lait. Les<br />
serpents seraient attirés par<br />
l'odeur, s'y précipiteraient,<br />
seraient rôtis. C'était l'affaire<br />
d'une heure !<br />
Sur ces bonnes paroles, le cavalier prit congé, après que<br />
les habitants l'eussent congratulé <strong>et</strong> couvert de cadeaux.<br />
Cela ne traîna pas ! Le feu mis, <strong>et</strong> sous l'eff<strong>et</strong> de la<br />
chaleur, le lait déborda, répandant par tout le village une<br />
odeur de roussi. Les serpents accoururent : ils se<br />
bousculaient, luttaient de vitesse, entraient dans le four.<br />
Ils s'y enfonçaient, dans un atroce grésillement de chair.<br />
Cela <strong>du</strong>ra de longs instants. Puis le flot tumultueux des<br />
reptiles s'amoindrit, tarit enfin. La foule réunie battait des<br />
mains <strong>et</strong> dansait de joie, quand un dernier serpent,<br />
6
énorme, sans doute très vieux, apparut. Arrivé à la<br />
gueule <strong>du</strong> four, il se dressa <strong>et</strong>, gonflant son col, prononça<br />
ces mots :<br />
– Malheur à vous, habitants de l'Oùpilhèiro !<br />
Avant de rejoindre mes frères, je vous prédis<br />
de grandes infortunes. Si votre village était à<br />
l'abri des épidémies, c'est à nous, serpents,<br />
qu'il le devait. Nous avions le privilège<br />
d'arrêter les contagions. Maintenant que nous<br />
ne sommes plus là, les pires fléaux, des<br />
calamités terribles, vont fondre sur vous.<br />
Il eut encore ces paroles énigmatiques :<br />
– « A ieu ! Lo darrièro ! A ieu ! L'Oùpilhèiro ! »<br />
(A moi ! La dernière ! A moi ! L'Oùpilhère !)<br />
Puis il s'élança dans le brasier.<br />
Le soir-même, les premières manifestations de l'horrible<br />
peste noire apparurent. La sombre prédiction <strong>du</strong> serpent<br />
se réalisait. Dans l'espace d'une semaine, hommes <strong>et</strong><br />
animaux succombèrent, à une vitesse foudroyante. Rien<br />
de vivant ne resta. Depuis, les maisons se sont<br />
écroulées, le village est maudit. Seul subsiste dans la<br />
mémoire des humains le souvenir de c<strong>et</strong>te affreuse<br />
tragédie.<br />
7
Le Claux<br />
La Tombe de l'Anglais<br />
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9<br />
Dessins <strong>et</strong> illustration : Callixte
Marchastel<br />
Sueurs froides pour le violoneux<br />
Toinou de Marchastel maniait<br />
l'arch<strong>et</strong> avec une dextérité<br />
certaine. Il était donc souvent<br />
invité à animer les noces. Pour le<br />
mariage de Marguerite Rodde <strong>et</strong><br />
Antoine Vernegheol de Terrou, il<br />
se rendit donc de bon matin dans<br />
ce hameau <strong>et</strong> fut convié à<br />
accompagner le cortège à la<br />
mairie puis à l'église <strong>et</strong> enfin à<br />
ramener la noce jusqu'à<br />
l'habitation des parents de<br />
Marguerite où se déroula le festin.<br />
Entre le déjeuner <strong>et</strong> le diner,<br />
jeunes <strong>et</strong> vieux dansèrent au son<br />
<strong>du</strong> violon force valses, mazurkas,<br />
polkas <strong>et</strong> bourrées. L'heure <strong>du</strong> dîner sonna. Après le<br />
repas encore très copieux, les couples valsèrent,<br />
virevoltèrent, tapèrent <strong>du</strong> pied jusqu'au p<strong>et</strong>it matin.<br />
C'est alors que Toinou regagna Marchastel en portant<br />
son violon <strong>et</strong> une miche qui lui avait été donnée en<br />
paiement. Il grimpa le raidillon <strong>et</strong> s'apprêtait à s'engager<br />
dans le bois quand le loup, menaçant, sortit d'un taillis.<br />
Toinou n'en menait pas large. Il allongea le pas mais le<br />
loup suivait, affamé.<br />
Alors Toinou écorna sa miche <strong>et</strong> j<strong>et</strong>a un bout de pain au<br />
loup qui, l'estomac toujours vide, restait sur ses talons.<br />
Tout le long <strong>du</strong> traj<strong>et</strong>, Toinou distribua des bouts de la<br />
miche à l'animal aux crocs inquiétants en priant le ciel<br />
d'avoir suffisamment de pain pour échapper à la voracité<br />
de l'animal. Toujours l'un derrière l'autre, ils arrivèrent au<br />
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Coin d'Or. La miche diminuait à vue d'œil <strong>et</strong> Toinou<br />
tremblait de plus en plus. Tout à coup, le coq de la Marie<br />
chanta. Le loup, surpris, s'étala <strong>et</strong> dévala tout le bois en<br />
direction de la Grolle. Allait-il tomber dans la trappe ?<br />
Toinou l'espéra <strong>et</strong>, soulagé, courut vers Marchastel où il<br />
conta à tous son aventure. Elle devint un conte que l'on<br />
transm<strong>et</strong> de génération en génération...<br />
Le château de Marc<br />
Suivant M. Déribier, Marchastel (Marcastrum) tirerait son<br />
origine d'un château qui devait exister dans les temps<br />
reculés, quoique aucun titre n'en fasse mention. La<br />
famille de Peyre aurait possédé c<strong>et</strong>te seigneurie dans<br />
une antiquité très-reculée, <strong>et</strong> comme le prénom de Marc<br />
était porté communément par ses membres, le nom de<br />
Marchastel (château de Marc) serait provenu de son<br />
fondateur. Toutefois, les souvenirs qui se rattachent à<br />
c<strong>et</strong>te légende sont totalement effacés.<br />
On trouve dans les environs de Val, au sud de la<br />
commune, des ruines d'habitations appartenant, dit-on, à<br />
l'ancien Marchastel. Le château aurait pu, dans ce cas,<br />
exister sur le mamelon qui y touche, c'est-à-dire sur le<br />
suc <strong>du</strong> Tour, en face <strong>du</strong> cim<strong>et</strong>ière.<br />
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Men<strong>et</strong><br />
Le pont de la Mort<br />
Au Moyen-Âge, à la mort <strong>du</strong> propriétaire <strong>du</strong> château de la<br />
Ribelle, une lutte pour la succession s'engagea entre le<br />
fils <strong>du</strong> défunt <strong>et</strong> le frère. A c<strong>et</strong>te époque, il n'y avait qu'un<br />
gué pour traverser la Sumène <strong>et</strong> accéder au château.<br />
L'oncle de l'héritier légitime se cacha là <strong>et</strong> tua son fils.<br />
Depuis, on affirme que l'assassiné se promène avec son<br />
cheval sur ce gué <strong>et</strong> lorsque le pont a été construit, on lui<br />
a donné le nom de “pont <strong>du</strong> Mort” qui s'est transformé<br />
peu à peu en “pont de la Mort”.<br />
12
Le lac de Men<strong>et</strong><br />
L'été, si le soleil menaçait de dessécher un lac ou si<br />
quelque paysan essayait de le tarir pour agrandir sa<br />
terre, on entendait tout à coup un grand cri sortir <strong>du</strong> fond<br />
de ses eaux. Alors les pics faisaient éclater sur lui un<br />
orage qui le remplissait jusqu'aux bords. Il arrivait<br />
pourtant que les sucs, pour des raisons mystérieuses, ne<br />
voulussent pas entendre l'appel de détresse. Les lacs<br />
alors s'appelaient <strong>et</strong> se secouraient entre eux :<br />
« O lac de Minit, sicourès lou lac dir Fayit qui lou<br />
bogou faïri tari ! »<br />
(O lac de Men<strong>et</strong>, secourez le lac <strong>du</strong> Fay<strong>et</strong> qu'on veut<br />
faire tarir !)<br />
Et, sur-le-champ, on voyait l'eau sourdre <strong>du</strong> fond de la<br />
cuve de pierre <strong>et</strong> le niveau <strong>du</strong> lac s'élever.<br />
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Riom-ès-Montagnes<br />
La croix de la Pagis<br />
Autrefois, le voyageur qui passait, de<br />
nuit, à la Croix de la Pagis 2 , entendait<br />
des gémissements, des plaintes<br />
d'enfants, semblant monter des entrailles<br />
de la terre. Presque toujours pris de<br />
peur, il s'éloignait en toute hâte. Mais si,<br />
plus courageux, il s'arrêtait, prêtait<br />
l'oreille, au milieu des sanglots, il<br />
démêlait des voix jeunes qui suppliaient :<br />
– Moun piri, moun piri ! (mon parrain, mon<br />
parrain !)<br />
Un soir de Noël, un brave homme, Garde-à-vos – on le<br />
surnommait ainsi car c'était un ancien soldat, eut une<br />
inspiration subite. Aux cris toujours répétés de Moun piri,<br />
moun piri, il répondit brusquement :<br />
– Piri di toutis ! (Parrain de tous !)<br />
A c<strong>et</strong> instant, les gémissements cessèrent, une lumière<br />
douce enveloppa la Croix, le piédestal s'entrouvrit sans<br />
bruit, livrant passage à deux enfants. Des pleurs<br />
mouillaient leurs cils, des sanglots leur contractaient<br />
encore la gorge, mais un sourire s'épanouissait sur leurs<br />
lèvres <strong>et</strong> une expression de bonheur était peinte sur leurs<br />
visages. Se tenant par la main, ils s'agenouillaient devant<br />
Garde-à-vos, le front baissé dans une attente.<br />
2 La croix de la Pagis se situe au nord de Riom, en direction de<br />
Saint-Etienne-de-Chomeil. Un chemin y accède via la D49.<br />
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L'homme n'hésita pas, il courut au fossé voisin, puisa de<br />
l'eau dans ses larges paumes <strong>et</strong> la versa sur les têtes<br />
inclinées, en disant par deux fois : “je te baptise, au nom<br />
<strong>du</strong> Père, <strong>du</strong> Fils <strong>et</strong> <strong>du</strong> Saint-Esprit”. Garde-à-vos, qui<br />
avait été enfant de chœur, n'avait rien oublié de la<br />
formule nécessaire <strong>et</strong> il fit réellement deux chrétiens.<br />
Maintenant, à nuit close, le passant n'a point à éviter la<br />
Croix de la Pagis : les esprits à jamais délivrés se sont<br />
envolés vers un monde où les enfants ne pleurent plus.<br />
15
Saint-Amandin<br />
Le loup-garou de Laquérie<br />
Un soir de janvier 1869 à Laquérie, une femme, la Catou<br />
de Biron, tomba subitement malade. Il était nuit noire <strong>et</strong><br />
le médecin résidait à Condat-en-<br />
Feniers. Michel, le sabotier, se mit<br />
en route pour Condat. À peine arrivé<br />
aux Quatre-Chemins, il entendit un<br />
sabbat effroyable : diablotins,<br />
sorciers, loup-garous <strong>et</strong> fantômes de<br />
toutes formes tapaient, hurlaient,<br />
bêlaient, miaulaient <strong>et</strong> beuglaient en<br />
une farandole infernale. Un énorme<br />
loup-garou se dirigea vers lui <strong>et</strong> lui<br />
demanda son âme. L'homme ne<br />
s'émut pas ; <strong>et</strong> donna un coup de<br />
couteau sur la peau <strong>du</strong> loup-garou<br />
qui se perça <strong>et</strong> se détacha <strong>du</strong> corps qu'elle enveloppait.<br />
Michel avait reconnu le père Garaud, qui s'était ven<strong>du</strong> au<br />
diable depuis que son métier de meunier ne nourrissait<br />
plus sa famille.<br />
– Voici neuf ans, lui dit-il, que mon âme est livrée à<br />
Satan pour trente mille francs. Chaque nuit je cours<br />
pour lui recruter d'autres âmes. Tout à l'heure, une<br />
force invisible m'a poussé jusqu'à toi. Ma peau<br />
d'ours a été percée. Je vais être obligé de lui donner<br />
ma fille pour un an.<br />
– Les gens de Laquérie en viendront à bout. Il y a<br />
José, le forgeron, l'amoureux de ta fille Antoin<strong>et</strong>te,<br />
qui est capable de le terrasser, répliqua Michel.<br />
– Jamais ! Mon pauvre Michel, on voit que tu ne le<br />
connais pas. Mais pourquoi es-tu ici ?<br />
16
– C'est la Catou de Biron qui est très malade ! Je vais<br />
quérir le médecin à Condat.<br />
– Elle n'en a pas besoin ! Je l'ai rencontrée hier <strong>et</strong> lui<br />
ai fait prêter serment de vendre son âme à Satan.<br />
C'est de frayeur qu'elle a de la fièvre. Dès que j'aurai<br />
annulé son engagement, elle sera guérie.<br />
La Catou revint à la santé en<br />
apprenant qu'on lui laissait son<br />
âme, mais le père Garaud était<br />
toujours lié à l'esprit malin. Le père<br />
Garaud se présenta aux Quatre-<br />
Chemins, à minuit, mais bien<br />
escorté. Satan apparut au meunier :<br />
– Tu m'amènes ta fille pour<br />
réparer ta maladresse, n'est-ce<br />
pas ?<br />
Celle-ci se montra, mais à l'instant<br />
précis où il allait l'entraîner dans le<br />
gouffre sans fonds, Charlot, le<br />
charpentier, le saisit avec le cordon de saint François <strong>et</strong><br />
le serra si vigoureusement qu'il en sortit sa langue. Pris<br />
au piège, Satan <strong>du</strong>t s'exécuter <strong>et</strong> déclarer publiquement :<br />
– Le père Garaud n'est plus mon esclave ainsi que<br />
toutes les victimes qu'il a faites en tant qu'âme<br />
damnée. À tous <strong>et</strong> à toutes, j'accorde la liberté.<br />
Le lendemain, la commune fut en fête. Le bon pasteur<br />
chanta une action de grâces <strong>et</strong>, neuf jours après, il<br />
célébra le mariage de José <strong>et</strong> d'Antoin<strong>et</strong>te.<br />
17
Saint-Etienne-de-Chomeil<br />
Le rocher d'Urlande<br />
La légende raconte que Burlafer, cabr<strong>et</strong>aïre d’Antignac,<br />
eut le courage de monter une nuit sur le somm<strong>et</strong> <strong>du</strong><br />
rocher d’Urlande pour danser avec les fées.<br />
Une fée entraina le<br />
cabr<strong>et</strong>taire jusqu'au bord de<br />
l'abîme. Burlafer l'enlaçait<br />
quand « une main sèche<br />
s'abattit sur son visage » <strong>et</strong><br />
c'est ainsi qu'il chut dans le<br />
vide.<br />
Le lendemain, on découvrit<br />
au pied de la roche son<br />
cadavre, sa cabr<strong>et</strong>te encore<br />
gonflée mais jamais son<br />
chapeau enlevé par la plus<br />
jolie danseuse.<br />
Comme le signifie son nom<br />
en patois, il « hurla », il<br />
brûla le reste de son<br />
éternité.<br />
La femme <strong>et</strong> le loup<br />
Par une nuit froide d'hiver <strong>et</strong> sous un violent clair de lune,<br />
une brave femme ramassait <strong>du</strong> bois mort dans la forêt<br />
d'Algères, près de Mont-de-Bélier. Soudain, elle tombe<br />
dans la fosse à loups que le camouflage lui avait cachée.<br />
Quelques instants plus tard, alors qu'elle somnolait au<br />
fond <strong>du</strong> trou, un grand bruit la réveille. Dans l'obscurité,<br />
18
elle aperçoit alors les deux yeux rouges <strong>du</strong> deuxième<br />
locataire de la fosse : un loup en quête de pitance. La<br />
pauvre femme va passer tout le reste de la nuit le dos<br />
contre le mur<strong>et</strong> de pierres sèches face à la bête féroce ;<br />
inutile de dire qu'elle n'a pas r<strong>et</strong>rouvé le sommeil.<br />
Le lendemain matin, ses voisins de l'ayant pas aperçue<br />
<strong>et</strong> pensant toute de suite qu'il lui était arrivé un malheur<br />
dans la for<strong>et</strong>, effectuent les recherches. Finalement, ils la<br />
r<strong>et</strong>rouvent avec son compagnon. Mais comment la faire<br />
sortir sans que le loup l'attaque au moment <strong>du</strong> sauv<strong>et</strong>age<br />
? Un dégourdi de la bande suggère qu'on lui lance une<br />
corde <strong>et</strong> qu'on lui conseille de dégrafer tous ses<br />
vêtements <strong>et</strong> jupons, de telle sorte qu'elle puisse<br />
abandonner ses eff<strong>et</strong>s au moment où on la hissera. Sitôt<br />
dit, sitôt fait, la pauvre vieille a passé une corde sous ses<br />
épaules, deux solides gaillards le remontent. Le loup,<br />
attentif dans son coin, se j<strong>et</strong>te alors sur les vêtements de<br />
la femme, la gueule ouverte. Surprise pour lui ! Sa proie<br />
lui échappe bien qu'il ait solidement cramponné les<br />
vêtements qui lui r<strong>et</strong>ombent sur la tête.<br />
La fin de l'histoire se passe au coin <strong>du</strong> cantou, le soir<br />
même où la victime qui a r<strong>et</strong>rouvé sa pudeur <strong>et</strong> ses<br />
vêtements, remercie ses sauv<strong>et</strong>eurs à l'aide de gobel<strong>et</strong>s<br />
de vin chaud sucré.<br />
19
Saint-Hippolyte<br />
L'invité de Rastoul<br />
Il y avait, un soir, grande « veillée » à Rastoul. Tout le<br />
village s'en donnait à cœur joie. Tout à coup, un grand <strong>et</strong><br />
beau jeune homme entra. Vous pensez s'il fit sensation<br />
avec ses grands yeux, ses cheveux blonds <strong>et</strong> ses habits<br />
extraordinairement riches. Il invita la plus jolie fille <strong>du</strong><br />
village à danser avec lui. Elle accepta, <strong>et</strong> la danse<br />
recommença de plus belle. Chose étrange ! Le<br />
« cabr<strong>et</strong>aïre » sentait peu à peu ses doigts s'animer –<br />
c'est lui-même qui l'a raconté depuis – <strong>et</strong> la musique<br />
s'envolait, étourdissante. Les groupes tournoyaient,<br />
emportés par on ne sait quel souffle.<br />
Puis l'on tourna plus vite encore.<br />
Bientôt, ce fut une course effrénée, au<br />
milieu d'un bruit infernal de plancher<br />
battu, de coups de pieds formidables,<br />
de respirations hal<strong>et</strong>antes. Un âpre<br />
ricanement éclata tout à coup. Comme<br />
par enchantement, les danseurs<br />
s'arrêtèrent. Blêmes d'épouvante, ils<br />
virent alors que l'inconnu – qui tournait<br />
toujours <strong>et</strong> toujours plus vite – avait<br />
des pieds de cheval <strong>et</strong> que de grandes<br />
flammes sortaient de sa bouche. Une<br />
vieille de la maison fit le signe de la<br />
croix, <strong>et</strong> le beau jeune homme qui<br />
tournoyait <strong>et</strong> ricanait toujours,<br />
disparut, emportant avec lui la jeune<br />
fille toute effarée. C'était le diable.<br />
20
La source de la Font-Sainte<br />
On raconte qu'un jour, la Vierge frappa la pierre de ses<br />
doigts, faisant jaillir par trois endroits une fontaine d'eau<br />
limpide.<br />
Ainsi naquit la Font-Sainte, source abondante <strong>et</strong> fraîche<br />
« qui jamais mal ne fit <strong>et</strong> qui souvent guérit ! »<br />
21
Trizac<br />
Le paysan <strong>et</strong> la sorcière<br />
Cotteughes, en Trizac, fut jadis habité par des fées ;<br />
obligées de l'abandonner sans qu'on puisse savoir bien<br />
pourquoi, elles y ont laissé des trésors immenses qu'elles<br />
viennent rechercher au milieu de ses débris. Il y a<br />
quelques années, un montagnard, égaré dans la forêt, se<br />
trouva en présence d'une p<strong>et</strong>ite vieille, qui traînait à<br />
grand'peine une énorme<br />
marmite de bronze, sans<br />
doute remplie d'or, <strong>et</strong> qui<br />
disparut dès qu'elle<br />
l'aperçut. Dans la forêt<br />
est une vaste dalle<br />
portant un anneau de<br />
bronze : elle recouvre<br />
l'entrée <strong>du</strong> souterrain où il<br />
sont enfouis ; mais elle<br />
est cachée avec soin<br />
sous des pierres <strong>et</strong> des broussailles, <strong>et</strong> il n'est donné de<br />
la découvrir que le jeudi saint ou le dimanche de Pâques,<br />
pendant la célébration des offices.<br />
L'étable hantée<br />
Le père Toinille – c'était le nom <strong>du</strong> vieillard – était vacher<br />
à la ferme de Vals. Une nuit, un hurlement lugubre<br />
troubla le silence... Son chien fidèle hérissa le poil <strong>et</strong><br />
gronda sourdement. Les bêtes montrèrent bientôt des<br />
signes d'inquiétude <strong>et</strong> secouèrent furieusement leurs<br />
chaînes... L'une d'entre-elles poussa un beuglement<br />
lamentable qui mit l'étable en effervescence. Toutes<br />
cherchèrent à se libérer de leur licol... Dans leur frayeur,<br />
les bêtes étaient capables de s'éventrer mutuellement.<br />
22
Toinille alluma sa lanterne <strong>et</strong> se leva pour se rendre<br />
compte de la cause de leur émoi.<br />
Dans le rectangle de clarté blafarde<br />
formé par le soupirail, il aperçut deux<br />
yeux phosphorescents <strong>et</strong> un museau<br />
allongé. Autour de l'étable, les loups<br />
affamés rôdaient <strong>et</strong> s'enhardissaient<br />
jusqu'à regarder à l'intérieur.<br />
Toinille saisit la fourche à fumier <strong>et</strong> menaça les fauves<br />
qui, jugeant sans doute la partie inégale, disparurent<br />
dans la nuit, le ventre creux <strong>et</strong> la queue basse... La<br />
r<strong>et</strong>raite des fauves ramena le calme dans l'étable. Il était<br />
temps : une bête avait rompu son licol <strong>et</strong> distribuait à ses<br />
voisines de terribles coups de cornes.<br />
Ayant vérifié toutes les attaches, Toinille regagna son lit<br />
avec la joie secrète qu'on éprouve quand on vient<br />
d'échapper à un grave danger...<br />
À peine commençait-il à s'assoupir, qu'un vacarme<br />
effroyable le fit sursauter : la jument poulinière, détachée<br />
de son box, filait ventre à terre sur le pavé de l'étable,<br />
comme harcelée par un invisible cavalier. Toinille fit<br />
vivement de la lumière <strong>et</strong> le vacarme cessa aussitôt. La<br />
jument avait regagné son box comme par enchantement,<br />
mais elle était littéralement trempée de sueur <strong>et</strong> toute<br />
tremblante encore de la cavalcade échevelée qu'elle<br />
venait de fournir... À quelques pas de la jument, deux<br />
vaches avaient le cou emprisonné dans le même licol.<br />
Ces deux méfaits surnaturels portaient le signe<br />
caractéristique de l'intervention <strong>du</strong> Drac.<br />
Toinille boucha hermétiquement tous les soupiraux de<br />
l'étable <strong>et</strong> les moindres interstices de la porte d'entrée,<br />
mais il eut soin de ménager une ouverture, une seule,<br />
23
pour perm<strong>et</strong>tre au Drac d'entrer librement... Il déposa une<br />
poignée de graines de foin, puis il se cacha dans une<br />
crèche <strong>et</strong> attendit.<br />
Au bout d'un instant, un léger frôlement le fit tressaillir, en<br />
même temps qu'une légère odeur de soufre emplissait<br />
ses narines. Dans le profond silence de l'étable, il<br />
entendit un être, homme ou esprit, proférer des jurons <strong>et</strong><br />
des imprécations. C'était le Drac qui avait entraîné au<br />
passage les graines de foin <strong>et</strong> s'efforçait de les ramasser<br />
une à une pour les rem<strong>et</strong>tre en place. Ce travail était long<br />
<strong>et</strong> minutieux <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tait sa patience à rude épreuve. Son<br />
passage, en eff<strong>et</strong>, devait rester inaperçu.<br />
Alors, Toinille se dressa brusquement dans sa crèche <strong>et</strong><br />
ricana : « Ah ! Ah ! Ah ! Je t'y prends à compter mes<br />
graines... ». Le Drac fut si vexé qu'il s'engouffra dans le<br />
soupirail en heurtant violemment ses cornes contre les<br />
parois de pierre <strong>et</strong> disparut dans la nuit glacée...<br />
Depuis c<strong>et</strong>te soirée mémorable, jamais plus le Drac ne<br />
remit ses pieds fourchus dans l'étable de Vals <strong>et</strong> les<br />
loups eux-mêmes qui pullulaient dans la montagne en<br />
hiver, évitaient de regarder par le soupirail avec leurs<br />
yeux de braise...<br />
24
Les Cinq Chemins<br />
Existe-t-il un monde lieu plus<br />
maudit que celui de « lais cinq<br />
charreiros » (les cinq<br />
chemins) ? Les récits oraux des<br />
anciens « Val<strong>et</strong>tous »<br />
racontaient que l'un des<br />
chemins était le lieu de réunion<br />
favori des sorcières <strong>et</strong> autres<br />
créatures maléfiques de la<br />
contrée. Vers Marcombes <strong>et</strong><br />
ses rochers régnait un peuple<br />
de géants, occupés depuis<br />
toujours à bâtir un cromlech. Un<br />
mauvais sort s'acharnait sur eux<br />
: ils devaient terminer leur<br />
entreprise nocturne avant que le<br />
coq ne chantât. Or, à chaque<br />
aube, il manquait une pierre, <strong>et</strong><br />
leur tâche n'était jamais achevée, car le soleil levant<br />
entassait en chaos les monolithes déjà dressés. Les trois<br />
autres chemins aboutissant à ce carrefour étaient<br />
fréquentés par de non moins redoutables créatures.<br />
Celui con<strong>du</strong>isant au moulin « de vès Croucon » était le<br />
domaine incontesté des naïades de la Sumène. Le<br />
deuxième se perdait dans le bois de Roche, royaume<br />
d'un loup-garou que d'intrépides chasseurs n'avaient<br />
jamais réussi à abattre, même avec des balles de plomb<br />
bénites par le curé de la paroisse. Quant au dernier,<br />
menant au hameau de Roche-Haut, il passait à proximité<br />
d'une p<strong>et</strong>ite mare où des fées lavandières étaient<br />
occupées chaque nuit à laver les âmes des enfants<br />
morts sans baptême <strong>et</strong> celles des a<strong>du</strong>ltes trépassés sans<br />
avoir reçu le sacrement de confirmation.<br />
25<br />
Val<strong>et</strong>te
Certaines nuitées de pleine lune <strong>et</strong> de grand gel, tout ce<br />
p<strong>et</strong>it monde se réunissait au carrefour « des cinq<br />
charreïros ».<br />
La p<strong>et</strong>ite fée des fleurs<br />
Sur l'adr<strong>et</strong> de La Redoundèiro, ce p<strong>et</strong>it suc volcanique<br />
qui protège Val<strong>et</strong>te des vents <strong>du</strong> nord <strong>et</strong> de l'est, s'étend<br />
un champ, « Lou Prat Flourit » (le pré fleuri). Une vieille<br />
légende s'attache à ce lieu.<br />
C'était vers la fin <strong>du</strong> Moyen-Age. Le vieux Jérémie était<br />
un ancien bûcheron. En l'espace d'une semaine, la peste<br />
lui ravit son fils <strong>et</strong> sa bru, ne lui laissant que sa p<strong>et</strong>ite fille<br />
Florence. Âgée de quinze printemps, Florence s'occupait<br />
<strong>du</strong> logis, préparait les maigres repas, menait ses quatre<br />
moutons au pâturage. Surtout, elle avait appris à<br />
observer les fleurs <strong>et</strong> on la surnommait “la p<strong>et</strong>ite fée des<br />
fleurs”.<br />
Un matin de printemps, il advint que l'aïeul ne put se<br />
lever. Florence voulut consulter la Césarie, une vieille<br />
femme qui passait pour sorcière <strong>et</strong> qui avait le don de<br />
guérir tous les maux. Celle-ci refusa de venir en aide à la<br />
jeune fille <strong>et</strong> lui conseilla de s'adresser à ses fleurs.<br />
Alors que Florence prenait le chemin <strong>du</strong> r<strong>et</strong>our, en<br />
sanglots, un frémissement parcourut toute la prairie. Une<br />
voix appela. C'était celle de la reine des prés, qui régnait<br />
sur Lou Prat Fleurit :<br />
– Approche, Florence ! Sèche tes pleurs <strong>et</strong><br />
m'écoute. Ce soir, au jour mourant, quand<br />
26
Phébus aura basculé sous l'horizon, dépose à<br />
mes pieds une simple écuelle. Demain, foi de<br />
souveraine, ton grand-père sera guéri.<br />
Entre chien <strong>et</strong> loup, Florence<br />
revint <strong>et</strong> déposa le récipient<br />
près de la reine des prés. Il<br />
se passa alors une chose<br />
extraordinaire. Ce furent les<br />
campanules qui s'agitèrent<br />
les premières. Aussitôt, des<br />
lucioles firent un cercle<br />
phosphorescent autour de<br />
l'écuelle de bois. D'abord<br />
diaphane, la quintessence<br />
subtile des plantes prit<br />
forme, se transforma en une<br />
sorte de génie aérien, qui<br />
vola jusqu'au vase pour y<br />
déposer une brillante perle<br />
liquide.<br />
– Florence !, dit la reine des prés, porte c<strong>et</strong>te<br />
potion à ton aïeul. Qu'il la boive en trois fois,<br />
avant le lever <strong>du</strong> jour ! Encore un mot. À aucun<br />
prix, ton grand-père ne doit connaître la<br />
provenance de ce breuvage !<br />
Il fut ainsi. Le miracle s'accomplit. Le lendemain, dès<br />
l'aube, débarrassé de toutes ses douleurs, le vieux<br />
Jérémie se vêtit, gagna le seuil de la chaumine. La<br />
lumière printanière était douce. Cela valait encore la<br />
peine de vivre ! Tout ragaillardi, il reprit ses occupations,<br />
<strong>et</strong> vécut longtemps, très longtemps, à en venir trisaïeul !<br />
27
Bibliographie<br />
La femme louve. Mathias DE GIRALDO, Histoire<br />
curieuse <strong>et</strong> pittoresque des sorciers, B.Renault éditeur,<br />
Paris, 1846<br />
Le pré de la guerre. Jean-Baptiste DERIBIER DU<br />
CHATELET, Dictionnaire statistique <strong>et</strong> historique <strong>du</strong><br />
Cantal, Imprimeurs de la Préfecture, Aurillac, 1855<br />
Saint Léger <strong>et</strong> le Drac. Guide de la vallée de Cheylade,<br />
Syndicat d'initiative de Cheylade, 1937<br />
Le village ruiné de l'Oupilhèiro. Jacques MALLOUET,<br />
Entre Dordogne <strong>et</strong> Puy Mary, Badel, Chateauroux, 1973<br />
La tombe de l'Anglais. Valrhue, <strong>Contes</strong> <strong>et</strong> poèmes de<br />
la vallée de la P<strong>et</strong>ite Rhue, février 2000<br />
Sueurs froides pour le violoneux. Recueilli auprès de<br />
Paule ESCOUROLLES<br />
Le château de Marc. Jean-Baptiste DERIBIER DU<br />
CHATELET, Dictionnaire statistique <strong>et</strong> historique <strong>du</strong><br />
Cantal, Imprimeurs de la Préfecture, Aurillac, 1855<br />
Le pont de la Mort. Collège nationalisé mixte de Riomès-Montagnes,<br />
Au bord des puys, 1983<br />
Le lac de Men<strong>et</strong>. Pierre BESSON, Un Pâtre <strong>du</strong> Cantal,<br />
De Borée, Riom, 2004<br />
La croix de la Pagis. Paulin MALGA, <strong>Contes</strong> de chez<br />
nous, Imprimerie Moderne, Aurillac, 1920<br />
Le loup-garou de Laquérie. Antonin MEYNIEL,<br />
Auvergne <strong>et</strong> Auvergnats, librairie G. Ficker, Paris, 1909<br />
Le rocher d'Urlande <strong>et</strong> le cabr<strong>et</strong>taire Burlafer. Gilbert<br />
LACONCHE, Légendes <strong>et</strong> diableries <strong>du</strong> Cantal, contes<br />
des veillées d'autrefois, éditions Verso, Ahun, 1993<br />
28
La femme <strong>et</strong> le loup. Collège nationalisé mixte de Riomès-Montagnes,<br />
Racines de gentiane, 1981<br />
L'invité de Rastoul. Pierre BESSON, Un Pâtre <strong>du</strong><br />
Cantal, De Borée, Riom, 2004<br />
La source de la Font Sainte. Antoine TRIN, Essai de<br />
répertoire <strong>et</strong> Fontaines sacrées <strong>du</strong> Cantal, Revue de la<br />
Haute-Auvergne, octobre-décembre 1967<br />
Le paysan <strong>et</strong> la sorcière. Jean-Baptiste DERIBIER DU<br />
CHATELET, Dictionnaire statistique <strong>et</strong> historique <strong>du</strong><br />
Cantal, Imprimeurs de la Préfecture, Aurillac, 1855<br />
L'étable hantée. Justin BOURGEADE, Tintinou, <strong>Pays</strong>an<br />
d'Auvergne, De Borée, Riom, 1997<br />
Les Cinq Chemins. Jacques MALLOUET, Entre<br />
Dordogne <strong>et</strong> Puy Mary, Badel, Chateauroux, 1973<br />
La p<strong>et</strong>ite fée des fleurs. Jacques MALLOUET, Jours<br />
d'Auvergne, Imprimerie Lienhart, Aubenas, 1992<br />
29
Remerciements<br />
La Communauté de communes <strong>du</strong> <strong>Pays</strong> <strong>Gentiane</strong> tient à<br />
remercier l'ensemble des acteurs qui ont collaboré à c<strong>et</strong><br />
inventaire des contes <strong>et</strong> <strong>légendes</strong> <strong>du</strong> pays de Riom-ès-<br />
Montagnes.<br />
Ces remerciements vont d'une part aux élus des douze<br />
communes <strong>du</strong> territoire qui, grâce à leur connaissance <strong>du</strong><br />
terrain, ont été d'une précieuse aide <strong>et</strong>, d'autre part, aux<br />
organisations à but culturel : les Archives<br />
départementales <strong>du</strong> Cantal (Édouard BOUYÉ, Frédéric<br />
BIANCHI), la bibliothèque municipale de Riom-ès-<br />
Montagnes (Dominique MALTHIEU) <strong>et</strong> tous les acteurs<br />
associatifs pour leur très grande disponibilité.<br />
Nous tenons également à exprimer notre vive<br />
reconnaissance à toutes les personnes qui ont participé<br />
à ce travail de collecte, en nous transm<strong>et</strong>tant leurs<br />
témoignages oraux, ouvrages, articles : Didier HUGUET<br />
(Aurillac), Jean-François BENOIT, Roger VEYSSIER <strong>et</strong><br />
Simon VEYSSIERE (Saint-Etienne-de-Chomeil),<br />
Lucienne ESCOUROLLES <strong>et</strong> Paule ESCOUROLLES<br />
(Marchastel), Marcelle <strong>et</strong> Jean-Pierre JOURNIAC<br />
(Apchon), Maryse <strong>et</strong> Jean-Marie BLANC (Val<strong>et</strong>te), Anne-<br />
Marie <strong>et</strong> Jean-Pierre ANDRAUD (Le Claux), Jean-Claude<br />
FESTAS (Men<strong>et</strong>), Félix VERDIER (Trizac), Nicole<br />
MARONNE (Cheylade), Isabelle DIEUX (Saint-Amandin),<br />
Od<strong>et</strong>te LAPEYRE (Antignac).<br />
Enfin, pour avoir accepté de nous prêter leurs<br />
illustrations, merci à Damien SCHMITZ (Cheylade),<br />
Stéphane POUGET, Hélène POUGET <strong>et</strong> Jean-Jacques<br />
CASSES (Apchon) ainsi que Sébastien BOUCHET.<br />
30
De que se dizzio pas,<br />
contes <strong>et</strong> <strong>légendes</strong> <strong>du</strong> <strong>Pays</strong> <strong>Gentiane</strong><br />
Edité par la Communauté de communes<br />
<strong>du</strong> <strong>Pays</strong> <strong>Gentiane</strong><br />
Directeur de la publication<br />
Gaston MOURGUES<br />
Rédaction-mise en page<br />
Anthony BORDIEC<br />
Juin 2010<br />
Communauté de communes <strong>du</strong> <strong>Pays</strong> <strong>Gentiane</strong><br />
Place de la gare – 15400 Riom-ès-Montagnes<br />
31
Chateaubriand enfant imaginait l’Auvergne<br />
comme « un pays bien loin, bien loin, où il y avait des choses<br />
étranges ». Jusqu’au siècle dernier, le haut Cantal fut une<br />
région assez r<strong>et</strong>irée, d’accès difficile. Il n’est pas étonnant<br />
que les croyances populaires, transmises par la tradition<br />
orale, soient restées si longtemps vivaces.<br />
Le chemin de fer d’abord, l’automobile <strong>et</strong> l’avion,<br />
toute c<strong>et</strong>te mécanique déchaînée sur terre <strong>et</strong> au ciel, les ont<br />
peu à peu dépoétisées, détruites, précipitées dans l’oubli.<br />
Inquiétantes <strong>et</strong> ravissantes à la fois, elles étonnèrent mon<br />
âme d’enfant.<br />
Le temps a fui, l’automobile <strong>et</strong> la lumière des<br />
phares ont définitivement chassé ce peuple d’esprits. Que<br />
reste-t-il de c<strong>et</strong>te tradition orale, que d’aucuns ont nommée<br />
avec justesse « littérature d’ill<strong>et</strong>trés » ? Peu de choses, en<br />
vérité. C’est bien dommage…<br />
32<br />
Jacques Mallou<strong>et</strong><br />
(Paris, 1928 – Val<strong>et</strong>te, 2004)