Dossier : Le réseau cyclable de demain - Pro Velo Schweiz

© Claude Marthaler
VOYAGE
Pédaler au Caire
Avec ses 20 millions d’habitants, le Caire ressemble à une vaste fourmilière. Dans son trafic
ahurissant, le contact non-verbal entre chauffeurs, oculaire ou gestuel 1 , tient à lui seul
lieu de code de la route. Slalomer est un art, car ses rues ne connaissent aucune présélection.
Rois du slalom
Aux carrefours, des policiers remplacent
des feux de signalisation quasi inexistants.
S’ils cherchent souvent noise aux automobilistes
à la seule fin d’arrondir leurs fins
de mois, ils épargnent les rares cyclistes de
toute contravention. Ces derniers possèdent
même le rare privilège de pouvoir remonter
les rues à contresens, par la droite ou par la
gauche, sans que personne ne s’en offusque.
Les conducteurs sont parfois surpris, toujours
fair-play et jamais énervés, même si les
cyclistes embrochent fréquemment leurs rétroviseurs
du guidon. Ils s’excusent parfois
même de bloquer notre progression à grand
renfort de « sorry, sorry ! ». Abusif, mais loin
d’être offensif, leur usage du klaxon se veut
avant tout préventif. Les nombreuses rayures
sur les carrosseries qui ferait hurler un Suisse
de colère sont une marque de fabrique de
tout véhicule cairote.
Paradoxalement, la forte densité du trafic
engendre une lenteur généralisée favorable
aux vélos et à la sécurité du cycliste. Elle requiert
bien sûr une attention aiguë de chacun,
car à chaque seconde surgit de nulle part une
grappe de piétons, un attelage de chevaux, un
marchand ambulant de cacahuètes grillées,
un chiffonnier, un maraîcher ou un chauffeur
fou de micro-bus. Avant l’aube ou le vendredi,
jour de congé, les rues du Caire ressemblent à
un désert. Son calme inhabituel est alors une
aubaine pour cliste, de surcroît débutant, qui
prend enfin pleine possession de la chaussée 2 .
Première piste cyclable en Egypte
Si on fait abstraction de la pollution 3 et, pour
peu qu’on s’adapte avec bravoure au code de
conduite tacite, parcourir le Caire à vélo se révèle
ludique et des plus efficace dans un rayon
de cinq kilomètres. Avant-gardiste pour son
respect de l’environnement, la pratique du
vélo dans la suffocante « mère du monde »
en est pourtant aux balbutiements. Elle est
encore associée à la pauvreté ou au sport.
Une femme à bicyclette y suscite beaucoup
d’étonnement, voir même de la condamnation.
Le Caire étouffe et peu à peu, des ONG,
des associations et des réseaux sociaux se mobilisent.
On annonce ainsi pour l’été 2013 la
création des deux premières pistes cyclables
d’Egypte, dans la région du Fayoum...
Bike for bread
L’idée de réaliser le documentaire Bike for
bread consacré aux livreurs de pain à vélo du
Caire, est née en voyage. Après avoir écrit et
photographié l’usage du vélo dans le monde,
j’ai voulu aller plus loin, en retournant sur des
lieux et en m’associant à un ami caméraman
pour documenter et donner la parole aux anti-héros
de la pédale. Bike for bread, destiné à
la télévision, devrait être le premier d’une série
de films sur le thème du vélo comme instrument
de travail.
Un tournage à pied et à bicyclette
Dans le trafic chaotique, pour filmer le livreur
de pain de devant, il nous a fallu reconnaître à
VOyAGE 15
a gauche L’équipe de tournage (Claude marthaler, Raphaël
Jochaud, caméraman, Ruth Vandewalle, fixeuse et interprète),
Hamada, livreur de pain et deux habitants du quartier.
a droite Virtuose Hamada dans le trafic impétueux du Caire.
l’avance ses parcours et se poster à ses points
de passage habituels pour déclencher la caméra
au premier signe d’un « guetteur ». De
derrière, le suivre à vélo tout en le filmant
sans bouger s’est vite avéré difficile, voir impossible.
Le recours à une caméra go-pro
fixée à même la planche posée sur la tête de
cet incroyable acrobate, nous a permis de
suivre son unique gestuelle.
Claude Marthaler
Pour aller plus loin :
voir la bande annonce de Bike for Bread:
https://vimeo.com/55766348
www.kisskissbankbank.com/bike-forbread?ref=search
Les Bahia Alaheich du Caire, pp. 95-100, in
L’insoutenable légèreté de la bicyclette, éditions
Olizane, 2012.
Pierre-Arnaud Barthel et Safaa monquid,
pp 132-139, « Le vélo au Caire: une mission
impossible ? » in Le Caire : réinventer la ville,
éditions Autrement, 2011.
1 En 2001, le trafic du Caire se répartissait ainsi:
30% de non-motorisé (dont traction animale),
60% de véhicules des transports publics, 10% de
voitures privées représentant à elles seules 75% des
embouteillages !
2 http://cairocyclists.wordpress.com/regular-rides/
organise chaque vendredi matin une balade à vélo
ouverte à tous. http://cairocyclersclub.blogspot.ch/
correspond au PRO VELO cairote.
3 Le Caire a un taux de pollution dix fois supérieur à
l’indicateur global redéfinit par l’OMS en 2012. Des
tonnes de paille de riz brûlées dans le delta du Nil,
les industries polluantes et les gaz d’échappement de
voitures sont les ingrédients du cocktail nocif qu’inspirent
chaque jour les poumons cairotes.
© Claude Marthaler