29.06.2013 Views

Document PDF, 26.2 Mo - VRM

Document PDF, 26.2 Mo - VRM

Document PDF, 26.2 Mo - VRM

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Université de Pau et des Pays de l’Adour<br />

THESE<br />

Présentée en vue de l’obtention<br />

du Doctorat de Géographie-Aménagement<br />

par<br />

Sylvie MIAUX<br />

L’itinéraire, ou l’expérience du piéton dans la<br />

perspective de l’aménagement urbain<br />

Directeur de thèse : Vincent BERDOULAY,<br />

Soutenue publiquement le 7 décembre 2005 devant le jury composé de :<br />

Vincent BERDOULAY, Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour<br />

Paulo Cesar Da COSTA GOMES, Professeur à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro, Rapporteur<br />

Marie-Christine JAILLET, Directrice de Recherche au CIRUS, Université de Toulouse 2, Rapporteur<br />

Olivier SOUBEYRAN, Professeur à l’Institut de Géographie Alpine, Université de Grenoble 1<br />

Vincent VLES, Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour<br />

1


Avant-propos<br />

« Je n’écris pas qu’avec ma main ; mon pied veut toujours<br />

être aussi de la partie. Il tient son rôle bravement, libre et solide,<br />

tantôt à travers champs, tantôt sur le papier ». [Nietzsche, Le<br />

gai savoir, 1950, p.31]<br />

C’est au moment d’achever ce travail que j’ai réalisé à quel point cette réflexion<br />

menée pendant quatre ans sur l’expérience de la marche avait influencé ma vie. En effet,<br />

les témoignages recueillis sur la marche à pied auprès des pèlerins, des citadins et de<br />

certains amis m’ont beaucoup apporté d’un point de vue scientifique mais surtout au<br />

niveau personnel. J’ai compris qu’il était nécessaire voire obligatoire de vivre cette<br />

expérience dans ma vie de tous les jours pour mieux cerner toutes les dimensions de<br />

l’itinéraire. En quelque sorte mon propre itinéraire est apparu au fil de cette recherche.<br />

Ainsi, les différents terrains sur lesquels j’ai travaillé ont tour à tour enrichie cette<br />

recherche et mon expérience personnelle. Rio de Janeiro a tout particulièrement<br />

influencé le déroulement de cette réflexion. Alors que l’incertitude de la problématique<br />

pesait avant le voyage à Rio, tout s’est éclaircit durant mon séjour dans lequel recherche<br />

et individu ont pris leurs envols. Se retrouver loin des siens dans une ville aussi<br />

imposante que Rio de Janeiro ne sachant pas parler portugais a été un véritable défi.<br />

L’apprentissage d’une nouvelle vie a donné une impulsion à ma réflexion. La<br />

découverte du centre-ville de Rio à pied a largement contribué à la compréhension de<br />

l’espace urbain carioca. Le mouvement a Rio est tellement dense qu’il est difficile de ne<br />

pas s’y intéresser.<br />

En partant loin de mes préoccupations la thèse est devenue l’élément central de ce<br />

voyage dans lequel le chercheur prend contact avec un espace inconnu. C’est la<br />

rencontre de diverses expériences qui a nourrit cette recherche. Même si le chemin a<br />

parfois été tortueux, l’expérience de la thèse restera la plus enrichissante de ma vie.<br />

5


SOMMAIRE<br />

Avant-propos _______________________________________________ 5<br />

Remerciements______________________________________________ 7<br />

SOMMAIRE________________________________________________________ 9<br />

INTRODUCTION GENERALE ______________________________________ 11<br />

Première partie - L’itinéraire : un nouveau regard sur l’expérience du<br />

mouvement du sujet_________________________________________________ 23<br />

Chapitre 1 - Le piéton en quête d’espace____________________________ 27<br />

Chapitre 2 - L’espace public support du mouvement des piétons _______ 49<br />

Chapitre 3 - L’expérience du mouvement ___________________________ 67<br />

Chapitre 4 - L’itinéraire comme révélateur du sujet dans l’espace/temps 91<br />

Deuxième partie - Des marqueurs de l’itinéraire : le corps, le religieux, et<br />

l’insécurité _______________________________________________________ 113<br />

Chapitre 5 - La quintessence de l’itinéraire : les chemins de Saint-Jacquesde-Compostelle________________________________________________<br />

119<br />

Chapitre 6 - La diversité des expériences qui s’expriment ____________ 135<br />

Chapitre 7 : La religion candomblé au fondement d’itinéraires : le cas de<br />

Rio de Janeiro_________________________________________________ 163<br />

Chapitre 8 : La métropole carioca à l’épreuve de l’insécurité dans<br />

l’expérience du déplacement_____________________________________ 179<br />

Troisième partie - L’itinéraire à l’épreuve de la ville_____________________ 251<br />

Chapitre 9 : Barcelone, un exemple en matière d’aménagement de l’espace<br />

public________________________________________________________ 255<br />

Chapitre 10 : l’itinéraire construit par la mise en récit du déplacement _ 277<br />

Chapitre 11 : Pau, une ville moyenne en mutation___________________ 325<br />

Chapitre 12 : La méthode des itinéraires : une nouvelle approche des<br />

déplacements dans la ville de Pau ________________________________ 343<br />

CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES________________________________ 413<br />

9


BIBLIOGRAPHIE ___________________________________________ 423<br />

Annexes _________________________________________________ 449<br />

ANNEXE 1 :______________________________________________ 451<br />

ANNEXE 2_______________________________________________ 453<br />

ANNEXE 3_______________________________________________ 455<br />

ANNEXE 4_______________________________________________ 457<br />

Liste des abréviations_______________________________________ 458<br />

Table des illustrations ______________________________________ 459<br />

Table des figures __________________________________________ 461<br />

Tables des photographies____________________________________ 463<br />

Table des tableaux _________________________________________ 465<br />

Table des Matières _________________________________________ 467<br />

10


« Voyageur, le chemin<br />

C’est les traces<br />

De tes pas<br />

C’est tout ; voyageur,<br />

Il n’y a pas de chemin,<br />

Le chemin se fait en marchant.<br />

Et quand tu regardes en arrière<br />

Tu vois le sentier<br />

Que jamais<br />

Tu ne dois à nouveau fouler… »<br />

( Antonio Machado. Campos de Castilla.<br />

Madrid : Catedra )<br />

11


INTRODUCTION GENERALE<br />

De nos jours, à l’intérieur des villes, le mouvement est partout; à chaque coin de<br />

rue, voiture, autobus, scooters, piétons, poussettes, cyclistes…. se croisent, se frôlent,<br />

s’évitent et parfois même s’entrechoquent. La vitesse paraît avoir pris le dessus, à tel<br />

point qu’on ne parle plus en terme de distance mais en fonction de la durée du<br />

déplacement. En effet, si l’on considère la relation espace/temps, il semble que la notion<br />

de durée l’emporte de façon déterminante. « La lutte contre la distance, qui fut l’une des<br />

grandes affaires de l’histoire de l’humanité, semble bel et bien gagnée » 1 .<br />

La distance n’étant plus considérée comme un obstacle majeur, les relations de<br />

l’individu à l’espace ont profondément changé. Les déplacements quotidiens pour le<br />

travail, les loisirs se sont multipliés et les distances parcourues ont considérablement<br />

augmenté. La proximité géographique n’est plus un facteur déterminant dans<br />

l’organisation des relations de l’individu à l’espace : « ce n’est pas en général la<br />

proximité géographique de résidence qui construit le groupe mais une proximité de<br />

goûts, de pratiques communes …on ne construit pas un groupe simplement avec les<br />

gens qui résident à côté » 2 . De plus, nous appartenons à l’ère de l’automobile et des<br />

transports en commun où la passivité de notre corps nous fait perdre contact avec le<br />

monde environnant. A tel point que Paul Virilio parle d’un véritable bouleversement<br />

concernant « non seulement la nature de l’environnement humain, de son corps<br />

territorial, mais surtout, celle de l’individu et de son corps animal, puisque<br />

l’aménagement du territoire par de lourds équipements matériels cède aujourd’hui la<br />

place au contrôle d’environnement immatériel ou presque (satellites, câbles à fibre<br />

optique) qui aboutit au corps terminal de l’homme, de cet être interactif à la fois<br />

émetteur et récepteur » 3 . En effet, l’homme « branché » 4 , en ayant la possibilité quel<br />

que soit l’endroit où il se trouve, « d’être, par l’écoute, la voix et bientôt le regard, dans<br />

au moins un autre endroit à la fois » 5 semble avoir perdu le contact avec l’espace qu’il<br />

parcourt. Néanmoins, tous les corps ne sont pas passifs, de nombreuses personnes se<br />

1<br />

Christian PIERRET. Les mobilités géographiques d’aujourd’hui. Dans Planète “nomade”: les mobilités<br />

géographiques d’aujourd’hui. Sous la direction de Rémy Knafou. Paris : Belin, 1998. p. 32.<br />

2<br />

Xavier PIOLLE. Proximité géographique et lien social, de nouvelles formes de territorialité ? Espace<br />

géographique, 1992. p. 6.<br />

3<br />

Paul VIRILIO. La vitesse de libération. Paris : Galilée, 1995. p. 23.<br />

4<br />

« branché » est un terme qui désigne l’usager du portable. Francis JAUREGUIBERRY. Les branchés du<br />

portable : sociologie des usages. Paris : PUF, 2003.<br />

5<br />

Ibid. p. 10<br />

13


déplacent à pied dans un espace qui reste à échelle humaine. La proximité des différents<br />

modes de déplacement conduit à la réduction de la place attribuée au piéton. En effet,<br />

celui-ci est confronté au manque d’espace, à l’absence, dans certains secteurs de la ville,<br />

de trottoirs lui permettant de circuler en toute sécurité. La proximité des véhicules<br />

associée aux discontinuités de l’espace ne facilite pas le maintien des déplacements<br />

piétonniers. Comment, en ce sens, les piétons parviennent-ils à se mouvoir au cœur d’un<br />

espace urbain où leur place tend à être réduite ?<br />

Au moment où le développement durable devient un véritable enjeu, notamment<br />

en ce qui concerne la ville durable orientée sur les questions d’environnement, de<br />

qualité de vie et de développement, nous remarquons l’intérêt pour les modes de<br />

déplacements alternatifs, respectueux de l’environnement. Dans cette optique, la marche<br />

à pied semble proposer une réponse adéquate à l’existence d’espaces urbains durables.<br />

Pourtant, au regard des projets et des actions entrepris en terme de déplacements, seuls<br />

les plans de déplacements urbains (PDU) initiés par la loi d’orientation des transports<br />

intérieurs (LOTI) et améliorés par la loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de<br />

l’Energie (LAURE) s’inspirent du développement durable dans la promotion des modes<br />

de déplacements alternatifs. Nous verrons que la prise en compte dans les PDU des<br />

déplacements piétonniers, d’un point de vue pratique, reste insuffisante (chapitre1).<br />

Dans ce contexte, il semble nécessaire de proposer une approche qui répondrait aux<br />

besoins des usagers au niveau de l’aménagement de l’espace public.<br />

Souvent, les études réalisées sur les piétons se limitent à une analyse temporelle<br />

du déplacement. De la même façon que Torsten Hägerstrand 6 a initié la<br />

« chronogéographie » en relation aux budgets espace-temps, c’est en terme de durée que<br />

de nombreuses études relatives aux déplacements sont menées 7 . Pour preuve, une<br />

maison du temps et de la mobilité a été crée à Belfort afin de travailler sur ce territoire<br />

en analysant de quelle façon il est structuré par le temps. Il existe aussi un observatoire<br />

de la « chronomobilité » qui analyse, à partir d’une enquête 8 menée chaque année,<br />

6<br />

Torsten HAGERSTRAND. Innovation diffusion as a spatial process. Traduit par A. Prad. Chicago :<br />

University of Chicago Press, 1968.<br />

7<br />

Thierry PAQUOT (dir.). Le quotidien urbain: essais sur les temps des villes. Paris : Editions la<br />

Découverte & Syros, 2001 ; Bernard LEPETIT, Denise PUMAIN Temporalités urbaines. Paris :<br />

Economica,1999 ; Luc GWIAZDZINSKI La ville 24 heures sur 24 : regards croisés sur la société en<br />

continu. Paris : l'Aube, 2003 ; François ASCHER et F. GODARD. <strong>Mo</strong>dernité : la nouvelle carte du<br />

temps. Paris : l'Aube, 2002 ; BOULIN J.-Y., DOMMERGUES P., GODARD F. (dir.). La nouvelle Aire<br />

du temps, La Tour D'Aigues : Editions de l'Aube.<br />

8<br />

L’échantillon porte sur 2350 individus de 18 ans et plus interrogés à domicile. Il comporte une partie<br />

analysant les attitudes face aux organisations du temps. Pour le reste, le questionnaire explore les registres<br />

d'organisation du quotidien – le travail, les déplacements, les courses, les médias, les technologies<br />

14


l’évolution dans les pratiques quotidiennes du facteur temps. La temporalité devenant<br />

une notion clé des sciences humaines, notamment en ce qui concerne la mobilité, elle a<br />

tendance à éclipser les autres problématiques. Seules les études menées sur l’ambiance<br />

par le laboratoire CRESSON (Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et<br />

l’Environnement Urbain) se développent 9 . Quant aux travaux réalisés par des instituts<br />

comme l’INRETS (Institut National de la Recherche sur les Transports et leur Sécurité)<br />

et le LATTS (Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés) étudient les déplacements<br />

en relation aux transports publics, à l’automobile, mais peu d’analyses se réfèrent aux<br />

piétons. En dehors des enquêtes, comme celle menée sur les séquences piétonnières par<br />

Jean-René Carré et Julien Arantxa 10 , qui s’intéressent aux comportements des piétons,<br />

aucune référence n’est signalée à propos de ce qui stimule et organise le déplacement :<br />

l’expérience. Cette dernière joue pourtant un rôle moteur dans la détermination du<br />

parcours, car en se déplaçant quotidiennement, le piéton acquiert une certaine<br />

connaissance et développe une sensibilité particulière à son égard. Sachant que<br />

l’expérience, en philosophie, se définit comme « l’ensemble des connaissances que l’on<br />

acquiert dans le temps et dans l’usage» 11 et que, lorsque l’on se réfère au piéton,<br />

l’expérience s’inscrit dans le mouvement qui s’effectue par le biais de la marche.<br />

Comme le rappelle François Ascher, «… le mouvement est au cœur de la vie » 12 . Il est<br />

aussi un élément central de la ville, comme le mentionne Kevin Lynch, dans la mesure<br />

où « les éléments qui bougent, en particulier les habitants et leurs activités, ont autant<br />

d’importance que les éléments matériels statiques » 13 . Raymond Ledrut confirme cette<br />

idée en annonçant que « la ville et ses éléments sont matière, forme et mouvement, cela<br />

est certain » 14 .<br />

personnelles, les transits… – dans une perspective d'articulation systémique de ces pratiques. (site<br />

internet : www.groupechronos.org)<br />

9 Jean-François AUGOYARD. L’environnement sensible et les ambiances architecturales, L’espace<br />

géographique, tome 24, n°4, 1995. p.302-318 ; Rachel THOMAS. Les trajectoires de l’accessibilité.<br />

Bernin : Editions A la Croisée, 2005, 309p. ; Grégoire CHELKOFF, Jean-Paul THIBAUD. L’espace<br />

public, modes sensibles. Le regard sur la ville, Les Annales de la Recherche Urbaine, n°57-58, 1993. p. 7-<br />

16<br />

10 Jean-René CARRÉ et Arantxa JULIEN. Présentation d’une méthode d’analyse des séquences<br />

piétonnières au cours des déplacements quotidiens des citadins et mesure de l’exposition au risque des<br />

piétons. INRETS, mai 2000.<br />

11 Jacqueline RUSS. Dictionnaire de philosophie. Paris : Bordas, 1991. p. 102.<br />

12 François ASCHER. Les sens du mouvement : modernités et mobilités dans les sociétés urbaines<br />

contemporaines. Sous la direction de Sylvain Allemand, François Ascher et Jacques Lévy.Paris : Belin,<br />

2004. p. 21.<br />

13 Kevin LYNCH. L’image de la cité. Paris : DUNOD, 1998. p. 2.<br />

14 Raymond LEDRUT. Les images de la ville. Paris : Anthropos, 1973. p. 11.<br />

15


En juin 2003, s’est tenu, à Cerisy-la-Salle, un colloque organisé par l’Institut de<br />

la ville en mouvement qui se proposait d’examiner les différentes facettes du<br />

mouvement dans les sociétés urbaines contemporaines. Cet événement montre combien<br />

une telle thématique, souvent associée à celle de la mobilité, est perçue comme un<br />

élément central d’analyse de nos sociétés, et surtout de nos villes. Le mouvement fait<br />

partie intégrante de la dynamique des villes, que ce soit au niveau des personnes, des<br />

biens et des services. De plus, « se mouvoir, c’est traverser les hiérarchies sociales,<br />

c’est consommer symboliquement et factuellement du temps, de l’espace, c’est<br />

manifester symptomatiquement ses places : celles que l’on perçoit, celles que l’on<br />

occupe comme celles que l’on désire. 15 »<br />

Ceci peut paraître paradoxal puisqu’en facilitant et en augmentant la mobilité, le<br />

corps devient de plus en plus statique, entraînant ainsi une perte de contact avec son être<br />

et l’espace parcouru. Afin de redonner sa juste place au corps, il semble primordial de<br />

s’intéresser à l’expérience du piéton en mouvement en étudiant la marche en tant<br />

qu’« expérience [qui] se vit d’abord par le corps et les sens avant de se penser<br />

intellectuellement » 16 . En effet, la marche ne privilégie pas le seul regard, tous les sens<br />

sont éveillés par ce corps qui évolue dans l’espace. Les parcours que l’on réalise à pied<br />

permettent de prendre le temps nécessaire à l’appréhension du monde. Ainsi, en<br />

révélant la sensibilité du piéton à l’espace parcouru, l’expérience du mouvement<br />

conduirait à détecter les potentialités ou les écueils de l’aménagement de l’espace<br />

public. Comment l’expérience du piéton en mouvement peut-elle être utilisée pour<br />

proposer une lecture sensible de la ville, en accord avec les usages et les formes de cette<br />

dernière ?<br />

Ce questionnement nous amène à préciser notre problématique qui s’articule<br />

autour de deux interrogations complémentaires : Comment révéler l’expérience du<br />

piéton en mouvement? Et comment proposer aux aménageurs, à partir de l’analyse de<br />

l’expérience du piéton en mouvement, une lecture sensible des limites et potentialités de<br />

l’espace public ? Sachant qu’en géographie, d’une part, l’expérience est analysée d’un<br />

point de vue statique et, que d’autre part, les déplacements piétonniers sont analysés au<br />

15<br />

Alain TARRIUS. Anthropologie du mouvement. Caen : Ed. Paradigme, 1989. p. 135.<br />

16<br />

Gilles RAVENEAU. L’expérience comme aménagement social et culturel de l’existence. Sociétés,<br />

n° 64, 1999/2. p. 33.<br />

16


niveau des pratiques et des comportements 17 , il reste à trouver ou construire le concept<br />

qui permettra de révéler l’expérience du piéton en mouvement.<br />

Au regard des différents domaines de la géographie, l’approche culturelle, qui<br />

« s’attache aujourd’hui à la manière dont les hommes perçoivent le monde, le vivent,<br />

l’investissent de leurs passions, le chargent de leurs intérêts, et développent leurs<br />

stratégies en s’appuyant sur des lieux et des territoires, et en modelant des<br />

paysages » 18 , fournit des pistes pertinentes lorsqu’on traite de l’expérience.<br />

En raison du rôle essentiel du sujet dans la connaissance qui le lie à la notion<br />

d’expérience, nous considérons que la culture intervient « comme l’exercice même de<br />

construction du sujet » 19 . Ceci est perceptible dans les diverses tensions que la culture<br />

génère, en ce que la conscience de soi se forme, notamment, dans le dialogue que le<br />

sujet établit avec la culture 20 . En effet, cette dernière « est pour l’individu une réalité<br />

dynamique : elle le rattache au passé, car elle est héritage et inscrit son expérience<br />

dans une tradition. Elle se nourrit de son expérience quotidienne, tire parti des<br />

opportunités qui se présentent et se transforme face aux aspérités du réel et aux<br />

difficultés de la vie » 21 . Ainsi, suivre l’orientation de la géographie culturelle peut<br />

faciliter la compréhension des choix et des comportements du sujet. La culture<br />

intervenant tout au long de la vie des gens sous diverses formes, l’expérience permet au<br />

sujet d’enrichir et d'ajuster les connaissances dont il a hérité. 22<br />

Nous intéressant à l’expérience du mouvement, il nous a semblé indispensable<br />

de rechercher un cadrage conceptuel qui permette de révéler l’expérience du<br />

mouvement du sujet que nous désignerons sous le terme d’itinéraire.<br />

Dans la mesure où, le lieu et le sujet « fonctionnent comme deux primitives de<br />

l’expérience humaine » 23 , nous veillerons à en tenir compte pour analyser l’expérience<br />

du mouvement.<br />

17 Cyrille GENRE-GRANDPIERRE et Jean Christophe FOLTETE. <strong>Mo</strong>rphologie urbaine et mobilité en<br />

marche à pied. Cybergeo, n°248, octobre 2003.<br />

18 Paul CLAVAL. Géographie culturelle : une nouvelle approche des sociétés et des milieux. Paris :<br />

Armand Colin, 2003. p. 248.<br />

19 Vincent BERDOULAY. Géographie culturelle et liberté. Géographie et liberté : mélanges en hommage<br />

à Paul Claval. Sous la direction de Jean-Robert Pitte. Paris : l’Harmattan, 1999. p. 569.<br />

20 Ibid. p. 570.<br />

21 Paul CLAVAL. Géographie culturelle : une nouvelle approche des sociétés et des milieux. Paris :<br />

Armand Colin, 2003. p. 49.<br />

22 Paul CLAVAL. Champs et perspectives de la géographie culturelle dix ans après, Géographie et<br />

cultures, n°40, 2001.<br />

23 Vincent BERDOULAY et J.Nicholas Entrikin. Lieu et sujet : perspectives théoriques. L’espace<br />

géographique, 1998, n°2, p. 118.<br />

17


Travailler sur les déplacements des piétons, et plus particulièrement sur la<br />

relation que ces derniers établissent avec l’espace public parcouru, nous a en effet<br />

orienté vers une nouvelle approche de ces déplacements par le biais de l’expérience.<br />

Notre objectif ne se limite pas à la conceptualisation de l’outil révélateur de<br />

l’expérience du piéton en mouvement. Nous souhaitons, d’une part, utiliser le concept<br />

que nous allons mettre en place pour initier une réflexion fondée sur l’opérationnalité et,<br />

d’autre part, mettre en interaction l’expérience du sujet avec les projets d’aménagement<br />

pour proposer une lecture sensible de la ville en adéquation avec les attentes des piétons<br />

et celles des aménageurs, sans négliger l’importance des autres modes de déplacements.<br />

Bien qu’ayant choisi de nous intéresser à la marche à pied, nous n’oublions pas<br />

l’importance des autres modes de déplacements, notre objectif étant de permettre aux<br />

piétons d’évoluer sans peine et agréablement, en toute sécurité, dans un espace qui tend<br />

à se complexifier. En essayant de réduire les discontinuités de l’espace piéton, nous<br />

permettrons, par exemple, aux personnes à mobilité réduite et aux personnes âgées<br />

d’éviter de trouver sur leur parcours la présence de nombreux obstacles comme les<br />

trottoirs non aménagés…<br />

Identifier les dysfonctionnements de l’espace public nécessite de recourir à une<br />

méthode qui facilite l’accès à l’expérience du piéton en mouvement tout en repérant<br />

l’influence des aménagements de l’espace public sur cette dernière. Cette méthode ne<br />

s’est pas imposée à nous dès le départ et c’est à travers le travail de construction<br />

théorique que s’est mise en place notre démarche méthodologique. Ainsi, nous avons<br />

tout d’abord cherché à vérifier l’importance de l’expérience du mouvement dans<br />

l’appréhension de l’espace parcouru, en utilisant l’entretien semi-directif afin de<br />

comprendre la démarche et les motivations des personnes effectuant ce type de parcours<br />

(le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle). Ensuite, la recherche des éléments<br />

donnant sens à l’expérience du mouvement, les marqueurs de l’itinéraire, nous a conduit<br />

à obtenir dans un espace particulièrement complexe (Rio de Janeiro) un nombre<br />

important d’enquêtés, d’où le recours au questionnaire associé à la réalisation d’un<br />

dessin à main levée 24 représentant le parcours effectué par la personne. Enfin, les<br />

résultats recueillis à travers ces deux méthodes nous ont permis de repérer les limites de<br />

ces dernières et de déterminer les moyens de les dépasser. C’est ainsi que nous avons<br />

24 Que nous qualifierons par la suite de « carte schématique spontanée ».<br />

18


choisi de travailler sur la méthode des itinéraires 25 , fondée sur la mise en récit en temps<br />

réel du parcours, dans l’optique de capter l’expérience du piéton en mouvement tout en<br />

révélant les potentialités et les limites de l’espace public.<br />

De la même façon que la méthodologie s’est construite à partir d’une démarche<br />

particulière, le choix de nos quatre terrains d’étude a suivi, lui aussi, une logique<br />

exploratoire. Ainsi, plutôt que de se limiter à un seul terrain, il nous a semblé préférable<br />

d’élargir l’analyse à différents terrains d’étude qui apporteront chacun des précisions,<br />

des pistes de réflexions importantes pour appréhender l’itinéraire dans sa globalité. Le<br />

pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle qui connaît depuis quelques années un franc<br />

succès, a suscité notre intérêt en ce qui concerne la durée et l’implication dans<br />

l’expérience d’une longue marche qui dépasse largement nos pratiques quotidiennes. Ce<br />

parcours qui s’effectue durant plusieurs semaines à travers des lieux différents, sous le<br />

soleil ou la pluie, avec un sac à dos pour seul bien, nous conduit à nous interroger sur<br />

l’expérience forte que ce pèlerinage construit. Nous interrogeant sur l’expérience du<br />

mouvement, ce parcours spirituel et intensif le long des chemins de Saint-Jacques-de-<br />

Compostelle nous a semblé illustrer ce que nous qualifierons de quintessence de<br />

l’itinéraire d’un point de vue à la fois historique et existentiel en raison de l’expérience<br />

forte qu’il génère. Ce premier terrain permettra de repérer les dimensions d’une<br />

expérience pleine afin, par la suite, d’examiner leurs présences et leurs rôles dans les<br />

expériences quotidiennes.<br />

Rio de Janeiro, Barcelone et Pau trois villes très diverses par leur taille, leur<br />

morphologie urbaine leurs caractéristiques socio-démographiques feront l’objet d’une<br />

analyse pertinente dans le cas de notre recherche, puisqu’elles conduisent à aborder<br />

l’expérience du piéton en mouvement dans toute sa complexité. Tout en révélant<br />

l’existence d’expériences particulières, nous déclinerons la présence de constantes à<br />

l’intérieur de l’expérience du mouvement des piétons dans ces différents<br />

environnements urbains.<br />

Notre recherche s’articulera dès lors de la manière suivante.<br />

Dans la première partie, nous allons présenter l’itinéraire comme révélateur de<br />

l’expérience du piéton en mouvement qui autorise une lecture sensible de la ville. Il<br />

s’agira d’insister dans le chapitre 1 sur la place du piéton au cœur de l’espace urbain et<br />

25 Jean-Yves PETITEAU et Elisabeth PASQUIER. La méthode des itinéraires : récits et parcours.<br />

L’espace urbain en méthodes, Sous la direction de Michèle GROSJEAN et Jean-Paul THIBAUD.<br />

Marseille : Ed. Parenthèses, 2001. p. 63-77.<br />

19


dans les projets d’urbanisme. Ceci nous permettra de cerner l’évolution de la mobilité<br />

en ville sans oublier les projets tels que les Plans de Déplacements Urbains qui essayent<br />

de la structurer. Nous serons ainsi amenés à nous interroger sur les critères relatifs aux<br />

déplacements piétonniers pris en compte par les PDU en essayant de déterminer si<br />

l’expérience en fait partie.<br />

Puis, nous verrons dans le chapitre 2 que l’élaboration des PDU introduit un<br />

questionnement relatif à l’espace public. En effet, marcher au cœur de la ville implique<br />

l’existence d’un espace public accessible dans lequel le piéton peut évoluer. Nous<br />

analyserons justement les capacités de ce dernier à accueillir les piétons, à proposer des<br />

aménagements favorables à l’épanouissement de chacun.<br />

Après avoir dans ces deux premiers chapitres souligné l’importance d’un travail<br />

sur un autre aspect des déplacements, davantage fondé sur le vécu et le ressenti du<br />

parcours, à savoir l’expérience, nous analyserons dans le chapitre 3 le recours à cette<br />

notion, en insistant sur son apparition et son utilisation en géographie. Son analyse nous<br />

amènera à nous interroger sur l’idée de mouvement associée au déplacement du piéton.<br />

L’expérience associée au mouvement peut-elle générer une approche sensible de la ville<br />

en tenant compte des contraintes de déplacement ?<br />

Ainsi, nous parviendrons, dans le chapitre 4, à partir des notions de mouvement,<br />

de lieu et de temps, à structurer la recherche du concept qui sera le plus à même de<br />

révéler l’expérience du mouvement du « sujet-piéton ». Nous présenterons, tout<br />

d’abord, les étapes qui ont guidé la construction du concept d’itinéraire révélateur de<br />

l’expérience du mouvement du « sujet-piéton », puis les différentes hypothèses<br />

élaborées, tant au niveau théorique qu’opérationnel.<br />

L’objectif de la deuxième partie est de mettre en valeur la diversité de<br />

l’expérience, que ce soit en relation à l’espace, aux motivations et aux intérêts du sujet,<br />

à partir de différents terrains d’étude.<br />

C’est pourquoi, nous avons choisi, tout d’abord, de nous pencher sur le<br />

pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Nous verrons que cette évolution lente dans<br />

l’espace introduit une dimension nouvelle à la notion d’expérience, tout<br />

particulièrement en ce qui concerne la relation au corps. De plus, le pèlerinage à Saint-<br />

Jacques-de-Compostelle illustre au mieux la quintessence de l’itinéraire, à la fois d’un<br />

point de vue historique et existentiel.<br />

20


Dans l’optique de mettre en valeur cette particularité du pèlerinage à Saint-<br />

Jacques-de-Compostelle, nous verrons dans le chapitre 5 l’importance de l’expérience<br />

dans le pèlerinage depuis ses origines, tout en insistant sur le choix du terrain sur lequel<br />

nous avons mené cette analyse. Puis, dans le chapitre 6, seront présentés les résultats de<br />

l’analyse, qui par leurs richesses, nous permettront de déterminer les particularités de<br />

cette expérience du mouvement qui s’inscrit dans un temps long.<br />

Afin de cerner l’expérience du sujet dans le déplacement, cette fois-ci quotidien<br />

ou routinier, nous nous interrogerons sur l’espace urbain afin de savoir si ce dernier peut<br />

proposer une analyse pertinente de l’itinéraire. Notre objectif étant de transposer ce que<br />

nous avons appris sur l’expérience du pèlerinage à l’espace urbain.<br />

Parmi toutes les villes sur lesquelles nous aurions pu travailler, nous avons<br />

choisi Rio de Janeiro pour deux raisons : parce qu’il s’agit d’une ville où l’attention de<br />

la population au corps est très développée et parce qu’elle permet de tester l’itinéraire<br />

dans un espace complexe où modernité et tradition se côtoient, où la mobilité ne cesse<br />

d’augmenter, dans un mélange de cultures, d’ethnies.<br />

Dans notre analyse du phénomène urbain à Rio de Janeiro, nous avons choisi<br />

d’aborder l’expérience du déplacement à travers deux aspects.<br />

Tout d’abord, dans le chapitre 7, nous nous intéresserons à la religion candomblé<br />

en observant son influence sur le choix et le vécu du parcours de ses adeptes. Si bien<br />

que nous présenterons, pour commencer, et bien qu’elle reste discrète, l’importance de<br />

la religion candomblé à Rio. Puis, à partir des entretiens réalisés, sera analysée<br />

l’influence de la religion candomblé dans les pratiques et l’expérience des déplacements<br />

quotidiens.<br />

Ensuite, pour élargir notre recherche, dans le chapitre 8, une enquête sur<br />

l’expérience du déplacement d’élèves de différents quartiers de Rio (Anchieta, Barra da<br />

Tijuca, Ipanema et Copacabana) sera présentée avec pour objectif de révéler l’existence<br />

de « marqueurs » de l’itinéraire.<br />

Les différentes analyses menées dans cette seconde partie nous autoriserons à<br />

repérer les éléments constitutifs de l’itinéraire, à savoir les marqueurs de l’itinéraire.<br />

Ces derniers représentent des informations précieuses pour les urbanistes qui souhaitent<br />

aménager un espace public en adéquation avec les aspirations du piéton. Dans cette<br />

optique, nous avons choisi dans la troisième partie de nous intéresser tout<br />

particulièrement à l’apport de l’itinéraire dans une approche opérationnelle.<br />

21


Pour ce faire, nous aurons recours à une méthode permettant le traitement de<br />

l’expérience du piéton en mouvement (chapitre 10). Ainsi, la méthode des itinéraires<br />

qui repose sur la mise en récit du déplacement en temps « réel » permet d’aborder au<br />

mieux l’expérience du mouvement. Cette méthode, que nous utiliserons dans deux<br />

contextes urbains différents, servira à la fois à repérer la façon dont apparaît l’itinéraire<br />

ainsi que les potentialités et les dysfonctionnements des aménagements de l’espace<br />

public.<br />

Notre réflexion étant centrée sur les problématiques liées aux déplacements,<br />

nous nous pencherons, plus particulièrement, sur une ville souvent citée comme<br />

exemple en terme d’aménagement de l’espace public : Barcelone. Cette dernière s’est<br />

développée à partir d’une démarche d’aménagement volontaire très forte qui, dans les<br />

années 90, s’est focalisée sur l’aménagement de l’espace public en faveur des piétons.<br />

Il s’agira de repérer (chapitre 9), dans les différents projets portés par les<br />

urbanistes, les éléments susceptibles de conforter une approche fondée sur l’itinéraire.<br />

L’espace public barcelonais sera abordé comme exemple en matière d’aménagement<br />

mais aussi comme terrain d’expérimentation de la méthode des itinéraires en tant<br />

qu’outil d’analyse de l’expérience du déplacement.<br />

Enfin, après avoir testé la méthode des itinéraires dans une ville où les urbanistes<br />

ont longuement réfléchi à l’aménagement de l’espace public, nous nous arrêterons sur<br />

un espace urbain marqué par le développement d’aménagements au « cas par cas » : la<br />

ville de Pau (chapitre 11). La lecture du PDU et des différents projets et plans adoptés<br />

jusqu’à présent nous permettra de repérer les priorités en terme d’aménagement. Et dans<br />

la perspective de cerner au plus près l’expérience des piétons, nous utiliserons à<br />

nouveau la méthode des itinéraires (chapitre 12) afin de repérer ce qui détermine<br />

l’expérience du déplacement chez les personnes interrogées et déterminer l’influence<br />

des aménagements de l’espace public sur le choix et le vécu du parcours.<br />

Pour conclure l’ensemble de cette recherche, nous verrons comment l’itinéraire<br />

peut intervenir pour proposer une nouvelle approche de la ville, dans le but de suggérer<br />

de nouvelles pistes de réflexions au niveau des aménagements piétonniers.<br />

22


Première partie - L’itinéraire : un nouveau<br />

regard sur l’expérience du mouvement du<br />

sujet<br />

23


Introduction de la première partie<br />

De nos jours, la marche à pied en ville devient un véritable « parcours du<br />

combattant » : voitures en stationnement sur le trottoir, discontinuités, absence de<br />

trottoir, détritus et déjections canines… contraignent les piétons à toujours plus de<br />

vigilance et de contorsions. Ce qui autrefois faisait partie intégrante de la ville, à tel<br />

point que « la vitesse de l’homme allant à pied déterminait les dimensions<br />

géographiques de la ville » 26 , ne semble plus d’actualité.<br />

L’automobile est devenue omniprésente et tend à créer de sérieuses difficultés<br />

de circulation et de stationnement qui fragilisent ceux qui se déplacent à pied. Le piéton<br />

est confronté au manque d’espace, à l’absence dans certains secteurs de la ville de<br />

trottoirs lui permettant de circuler en toute sécurité. La proximité des véhicules, les<br />

discontinuités de l’espace ne facilitent pas le maintien des déplacements piétonniers.<br />

Ces derniers sont devenus, en quelques années, les « oubliés » 27 de la ville. Néanmoins,<br />

de nombreux citadins continuent à se déplacer à pied, par choix ou par obligation liée à<br />

la précarité.<br />

Sachant que le développement durable prône le retour à des modes de<br />

déplacements alternatifs, respectueux de l’environnement, quels objectifs se mettent en<br />

place en ce qui concerne la marche à pied ? Dans cette optique de développement<br />

durable, comment appréhender les déplacements des piétons, afin de concevoir un<br />

espace public en adéquation avec leurs attentes et leur vécu ? Souvent, les études faîtes<br />

sur les piétons, notamment par l’Institut National de Recherche sur les Transports et<br />

leur Sécurité (INRETS), se limitent à une analyse des comportements ou des pratiques<br />

de ces derniers, sans aucune référence à ce qui stimule et organise le déplacement, c’està-dire<br />

à l’expérience. Celle-ci, renvoyant à ce qui anime le piéton dans l’idée de<br />

mouvement, permet de recueillir des informations sur la relation qui s’établit entre le<br />

piéton et l’espace parcouru, en terme de sensibilité, d’attentes… connaître cette<br />

expérience permettrait aussi de révéler les dysfonctionnements de certains<br />

aménagements qui ne répondent pas aux attentes et à la sensibilité des piétons, tout en<br />

réfléchissant aux éléments qui dans l’espace public faciliteraient leurs parcours.<br />

26 Françis BEAUCIRE. Les transports publics et la ville. Toulouse : les essentiels Milan, 1996. p.5.<br />

27 L’importance accordée aux automobilistes tend à diminuer l’attention portée au piéton.<br />

25


Comment donc l’expérience du piéton en mouvement peut être utilisée pour<br />

proposer une lecture sensible de la ville, en accord avec les usages et les formes de cette<br />

dernière ?<br />

Ce questionnement nous conduit d’abord, dans le chapitre 1, à faire le point sur<br />

la place du piéton dans l’espace urbain et dans l’évolution des politiques en matière de<br />

gestion des déplacements. En insistant sur les événements qui ont contribué à<br />

restreindre la place du piéton, nous verrons que certaines études ont révélé l’existence<br />

de nombreux obstacles à sa progression. Nous réfléchirons aussi aux apports des Plans<br />

de Déplacements Urbains en terme de déplacements piétonniers, à savoir si ces derniers<br />

sont privilégiés ou du moins reconnus pour entreprendre des aménagements à la hauteur<br />

de leurs attentes.<br />

Nous verrons dans le chapitre 2 que cette réflexion sur les PDU introduit un<br />

questionnement relatif à l’espace public, à ses capacités à accueillir les piétons, à<br />

proposer des aménagements favorables à l’épanouissement de chacun. Une analyse de<br />

chaque dimension de l’espace public permettra de repérer ce qui dans ce dernier va<br />

favoriser le développement des déplacements piétonniers.<br />

Ensuite, dans le chapitre 3, le recours à la notion d’expérience va être analysé, en<br />

insistant sur son apparition et son utilisation en géographie. On s’interrogera sur l’idée<br />

de mouvement associée à l’expérience du piéton. <strong>Mo</strong>uvement, lieu et temps vont<br />

structurer la recherche du concept qui sera le plus à même de révéler l’expérience du<br />

mouvement du « sujet-piéton ».<br />

Enfin, dans le chapitre 4, nous présenterons les étapes qui ont guidé la<br />

construction du concept d’itinéraire. Nous déclinerons ensuite les dimensions qui le<br />

portent, afin de réfléchir ultérieurement aux éventuelles pistes de réflexion, tant au<br />

niveau théorique qu’opérationnel, qu’un tel concept pourrait révéler.<br />

26


Chapitre 1 - Le piéton en quête d’espace<br />

De nos jours, les villes françaises sont le spectacle du mouvement 28 perpétuel<br />

des citadins dans leur quotidien. L’expérience du mouvement du sujet y est relativement<br />

complexe vu l’ampleur de l’espace urbain et des moyens de déplacements prévus à cet<br />

effet. Les piétons, dans ce système qui n’a fait que se complexifier, semblent avoir été<br />

oubliés. Pourtant, ils sont toujours présents, perdus dans les tumultes de la circulation.<br />

La diversité des moyens de transports a eu tendance à réduire l’importance de la<br />

marche. Jadis, celle-ci était conçue comme un outil de réflexion et en cela préconisée<br />

par Aristote et son école ou par Rousseau, ce dont ses célèbres promenades solitaires<br />

attestent, ou tout comme les longues marches de Nietzsche. Seules « les innombrables<br />

occurrences de la figure du marcheur parisien » 29 témoignent de l’importance de cette<br />

dernière. En effet, la marche, en tant que moyen de déplacement, « représente encore<br />

suivant les cas, de 20 à 50% des déplacements. Mais, n’oublions pas que, quel(s) que<br />

soi(en)t le (ou les) mode(s) utilisé(s), tous les déplacements commencent et finissent à<br />

pied… 30 » Avec la marche, ce n’est pas seulement le spectacle du paysage qui change<br />

de point de vue : «la marche est une activité concertée, pétrie d’interactions aussi bien<br />

avec d’autres piétons, qu’avec le paysage, les obstacles et les équipements de<br />

terrain 31 ». Néanmoins, il est devenu difficile de marcher dans les grandes villes,<br />

tellement l’espace piéton se rétrécit. « Le trottoir, invention d’à peine deux siècles,<br />

serait-il en situation de faillite ? » 32<br />

Comment les piétons parviennent-ils à se mouvoir dans un espace urbain où leur<br />

place tend à être réduite ? Les différentes réflexions menées sur les transports au niveau<br />

de la ville ont eu tendance à cibler l’analyse sur l’agglomération sans tenir compte de<br />

l’échelle plus grande à laquelle le piéton se réfère. En travaillant sur l’expérience du<br />

piéton durant ses déplacements, c’est l’espace public que nous allons observer,<br />

autopsier, afin de reporter ces observations sur l’ensemble de la ville (chapitre 2). Dans<br />

28<br />

Le mouvement est au cœur des dynamiques de nos sociétés. Il l’est socialement, économiquement,<br />

urbanistiquement. Les sens du mouvement. <strong>Mo</strong>dernité et mobilités dans les sociétés urbaines<br />

contemporaines. Colloque de Cerisy, sous la direction de Sylvain Allemand, François Ascher et Jacques<br />

Lévy . Paris : Belin, 2004. p. 21.<br />

29<br />

Olivier RATAOUIS. Le sens de la marche, dans les pas de Walter Benjamin. Les Annales de la<br />

Recherche Urbaine, n°57-58, décembre 1992 – mars 1993. p. 71.<br />

30<br />

Yan LE GAL. La marche, antidote à l’excès d’automobile. Urbanisme, n°314, septembre - octobre<br />

2000. p. 36.<br />

31<br />

Isaac JOSPEH. La ville sans qualités. La Tour d’Aigues : Ed. de l’Aube, 1998. p. 18.<br />

32<br />

Olivier RATAOUIS. Le sens de la marche, dans les pas de Walter Benjamin. Op. Cit., p. 70<br />

27


une période où l’opinion publique est sensibilisée aux problèmes de pollution, au<br />

respect de l’environnement, à la qualité de vie en milieu urbain, il semble primordial<br />

d’aborder la ville par le biais de celui qui l’arpente chaque jour avec pour seul véhicule<br />

son corps : le piéton. En ce sens, la manifestation « en ville sans ma voiture » remporte<br />

un franc succès auprès de l’opinion publique française : soit plus de la moitié de la<br />

population qui revendique l’intérêt de cette action 33 . Afin de saisir l’expérience du<br />

piéton au cœur même de l’espace urbain, nous avons choisi de débuter ce chapitre en<br />

retraçant les liens qui se sont établis entre la ville et le piéton depuis le XIXème siècle<br />

jusqu’à nos jours. Ainsi, nous serons à même d’analyser, d’une part, l’évolution de la<br />

mobilité en ville et, d’autre part, des politiques qui tentent de la structurer. Enfin, nous<br />

insisterons tout particulièrement sur la politique de déplacements urbains et sur les<br />

mesures que celle-ci propose en faveur des piétons. A partir de quels critères les<br />

déplacements de ces derniers sont-ils pris en compte ? L’expérience particulière, voire<br />

intime, que le piéton développe vis-à-vis de l’espace public est-elle retenue ?<br />

33<br />

Ministère de l’écologie et du développement durable - Bilan « En ville, sans ma voiture ? » - du 16 au<br />

22 septembre 2003.<br />

28


1.1- Le piéton : « l’oublié » de la ville<br />

De nos jours, celui qui choisit de se déplacer à pied doit composer avec un<br />

espace piéton qui tend à disparaître, tant la circulation motorisée occupe une place<br />

écrasante. Alors que certaines agglomérations comme Besançon ont depuis longtemps<br />

privilégié l’aménagement de secteurs piétonniers avec de « véritables trottoirs », de<br />

nombreuses villes persistent à privilégier le « tout voiture », pourtant dans une période<br />

où la ville durable est présente dans tous les discours. Avant de nous intéresser au<br />

contexte actuel qui minimise l’importance des déplacements piétonniers dans la ville,<br />

nous avons pensé qu’il était bon de retracer rapidement l’évolution du statut de piéton<br />

depuis la création des trottoirs parisiens jusqu’à l’avènement de l’automobile.<br />

1.1.1- Le piéton et la ville : une histoire ancienne<br />

Alors qu’autrefois le piéton pouvait se mouvoir dans la cité, tout en cohabitant<br />

avec les autres moyens de transport…, dans un espace peu sécurisant mais accessible à<br />

tous, nous allons voir que l’évolution de la ville a généré au fur et à mesure de son<br />

étalement une réglementation de la circulation.<br />

Depuis l’époque médiévale, peu de travaux avaient été entrepris afin de faciliter<br />

les déplacements dans la ville où, souvent, se côtoyaient dans la même rue en terre<br />

battue, voitures tirées par les chevaux, piétons, cavaliers, marchands ambulants… Il est<br />

important de signaler que ce n’est qu’au XIXème siècle que le revêtement de la<br />

chaussée, les trottoirs, l’éclairage au gaz… et les premières lignes d’omnibus à chevaux<br />

apparaissent. Les piétons avant cette période devaient être très prudents et apprendre à<br />

se faufiler dans un espace réduit, souvent boueux.<br />

Par exemple, avant la fin du XVIII ème siècle, il n’y avait pas de trottoirs à Paris.<br />

Dans quelques rues l’espace réservé aux piétons était limité par des bornes appelées<br />

« montoirs » qui servaient également aux cavaliers pour se mettre en selle. Un édit de<br />

Charles IX du 29 novembre 1564 ordonna la démolition des montoirs qui gênaient la<br />

circulation. Les piétons étaient donc contraints de circuler au milieu des charrettes,<br />

29


asant les maisons et risquant à tout instant d’être serrés entre deux véhicules ou écrasés<br />

contre une façade.<br />

Le premier trottoir parisien apparaît rue de l’Odéon en 1781 34 pour permettre la<br />

flânerie devant les vitrines des magasins de luxe. La question des trottoirs fut posée par<br />

le préfet Frochot en 1805 au conseil général de la Seine et souleva une désapprobation<br />

des ingénieurs chargés des eaux et des égouts. Il fallut attendre la loi du 7 juin 1845<br />

pour que soit instauré le système des trottoirs, qui va alors de pair avec le pavage des<br />

chaussées. Cette loi réglemente l’établissement des trottoirs dans toute la France. Ainsi<br />

fut mis en place un règlement sur les largeurs à assigner aux chaussées et aux trottoirs.<br />

Le principe retenu est établi sur une proportion de 3/5 de chaussée pour 2/5 de trottoirs.<br />

Désormais, la voirie est fonctionnelle pour le passage des futurs transports<br />

collectifs – y compris les tramways contemporains – et pour l’acheminement des<br />

voitures. La ville a ainsi gagné en sécurité et en confort pour les piétons ainsi qu’en<br />

efficacité pour la circulation, grâce à la séparation des flux. La ville devient dès lors un<br />

lieu de promenade dans lequel les piétons se déplacent y compris sur la chaussée, par<br />

goût ou par facilité.<br />

30<br />

Photographie 1- Les Champs Elysées, Paris. (photographie des frères Lumière, 1897)<br />

34 Bernard LANDAU. La fabrication des rues de Paris au XIX ème siècle : un territoire d’innovation<br />

technique et politique. Les Annales de la recherche urbaine, n°57-58, décembre 1992 – mars 1993. p. 24-<br />

45.


Photographie 2- Place du Pont, Lyon (photographie des frères Lumière, 1897)<br />

Photographie 3- Cours Belsunce, Marseille, (photographie des frères Lumière,<br />

1897)<br />

Ainsi, sur ces trois photographies, nous constatons qu’à la fin du XIX ème siècle,<br />

la rue réunissait sur la chaussée voitures à chevaux, tramways, piétons… ceux-ci ayant<br />

dorénavant la possibilité de se déplacer si nécessaire sur les trottoirs. La liberté de se<br />

mouvoir sur l’ensemble de la voie publique était encore de mise. La chaussée pavée<br />

présentait moins de risque et laissait davantage de liberté.<br />

L’avènement de la voiture, quant à lui, créa un basculement de mentalité, par la<br />

mise en place de restrictions sévères allant jusqu’à la pénalisation des piétons se<br />

31


déplaçant sur la chaussée et ne respectant pas les passages sécurisés. Un « code de la<br />

route » précis limita les actions des piétons dans la rue à un espace restreint qui ne cessa<br />

de se réduire. L’espace moyen du piéton à Paris, est, par exemple, descendu de 0.9<br />

m 2 /habitant en 1850 à 0.4 m 2 /habitant en 1980 35 . La liberté de mouvement fut<br />

sérieusement réduite, motivant ainsi les citadins à posséder une automobile pour<br />

satisfaire leurs besoins de liberté. La « dépendance automobile » 36 entraîna ainsi un<br />

mouvement d’extension-dilution des espaces urbains 37 .<br />

32<br />

1.1.2- Le piéton : le laissé pour compte de l’urbanisation<br />

La diminution des déplacements piétons en France, voire en Europe, s’explique<br />

notamment par le processus d’urbanisation qui a modifié les relations à l’espace. Ce<br />

processus peut être décomposé en plusieurs phases successives 38 .<br />

Au XIX ème siècle, sous l’impulsion de l’industrialisation, les villes centres<br />

deviennent un lieu de culture et d’échange dans laquelle les déplacements quotidiens<br />

sont principalement pédestres.<br />

Au milieu du XX ème siècle, dominent les villes inspirées de le Corbusier et des<br />

principes de la Charte d’Athènes. Il s’agit d’une période où l’urbanisation se caractérise<br />

par une séparation des fonctions et la généralisation des grands ensembles à proximité<br />

des villes-centres. La conception de ces derniers est associée aux réseaux de transports<br />

publics qui doivent gérer la pendularité en direction du centre-ville. La ville tend ainsi à<br />

se développer en suivant la structure en doigts de gant des réseaux de transports publics.<br />

Ces derniers, en augmentant les distances parcourues au quotidien, impulsent<br />

l’urbanisation de la ville.<br />

35<br />

Dictionnaire d’Urbanisme et d’Aménagement. Françoise Choay, P. Merlin et al. (dir.), Paris : PUF,<br />

1988.<br />

36<br />

Ce terme s’est imposé depuis quelques années en France. Dans les années 1970, Ivan ILLICH<br />

l’employait pour dénoncer l’apparition d’un monopole de l’automobile qui entraîne la destruction du<br />

milieu urbain de proximité dans lequel piétons et cyclistes ont l’habitude de vivre ( Ivan Illich. Oeuvres<br />

complètes. Volume 1. [comprenant] Energie and équité. Paris : Fayard, 2004 ).<br />

37<br />

Vannina POMONTI. Politiques urbaines et mobilité durable : analyse comparée d’Athènes et<br />

Amsterdam. Ecologie et politique, n°29, 2004. p. 53.<br />

38<br />

Martin SCHULER et Christophe JEMELIN. “Régions urbaines et agglomérations : multiplicité et<br />

diversité des définitions statistiques en Europe”, Raisons et déraisons de la ville - Approches du champ<br />

urbain. Sous la direction de Jaccoud Christophe. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires<br />

romandes, 1996. p. 45-68.


Impulsée par la diffusion de l’automobile, la troisième phase qui débute dès 1965,<br />

est qualifiée de périurbanisation et déclenche un essor discontinu des villes. « La<br />

pendularité qu’elle implique est donc longue et généralement basée sur<br />

“l’automobilité”. Cette troisième phase concorde avec le passage d’un modèle urbain<br />

centripète à un modèle urbain centrifuge : elle s’accompagne en effet d’une importante<br />

suburbanisation de l’emploi et des surfaces commerciales qui créent de nouvelles<br />

centralités articulées aux grandes infrastructures routières (jonctions autoroutières,<br />

rocades). On assiste à un fort accroissement des flux » 39 .<br />

Ce phénomène d’étalement que la mobilité a généré par la généralisation de<br />

l’automobile a été repris par Marc Wiel sous forme d’un schéma intitulé : la spirale de<br />

la transformation de la ville par la mobilité facilitée.<br />

39 Vincent KAUFMANN. <strong>Mo</strong>bilité et vie quotidienne : synthèse et questions de recherche. Centre de<br />

Prospective et de Veille Scientifique, Direction de la recherche et des affaires scientifiques et techniques<br />

Ministère de l’Equipement, des transports et du logement ? 2001 Plus, n°48 . p. 15.<br />

33


34<br />

Figure 1- La spirale de la transformation de la ville par la mobilité facilitée.<br />

Source : Marc WIEL. La transition urbaine : ou le passage de la ville pédestre à la ville motorisée.<br />

Sprimont : Pierre Mardaga, 1999. p.110<br />

Ce schéma, qui résume le passage d’une ville à « mobilité restreinte » à une ville<br />

à « mobilité facilitée », prouve à quel point la façon de vivre l’espace se transforme. La<br />

possibilité d’effectuer en peu de temps le maximum de distance par le biais de la voiture<br />

à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit a entraîné une dévalorisation de la marche<br />

à pied. En effet, ainsi que le développe Ivan Illich 40 , les déplacements rapides de<br />

certains supposent un ralentissement des déplacements lents (non-motorisés) d’autres<br />

personnes. De nombreux facteurs sont à l’origine de ce phénomène : les coupures<br />

urbaines induites par les infrastructures, la signalisation lumineuse, mais aussi la<br />

40 Ivan Illich. Oeuvres complètes. Volume 1. [comprenant] Energie and équité. Paris : Fayard, 2004.


dissociation des fonctions dans les agglomérations urbaines. Le piéton qui autrefois<br />

parcourait la ville pour ses différentes activités se trouve aujourd’hui prisonnier d’un<br />

espace urbain immense, aux fonctions dispersées. Le piéton devient l’oublié de la ville à<br />

tel point que la planification des déplacements et l’urbanisme favorisent, à cette<br />

époque 41 , l’« automobilité ». A cette époque, Jean-Marc Offner dans un de ses articles<br />

annonçait justement que le piéton était devenu « une espèce en voie de disparition » 42 .<br />

En effet, l’accessibilité des différentes fonctions et services est pensée pour des<br />

automobilistes à tel point que le fait de disposer d’une automobile tend à devenir une<br />

nécessité 43 .<br />

Un autre processus qui ne dépend pas des politiques publiques s’ajoute à ce<br />

dernier que Vincent Kaufmann a qualifié d’effet Zahavi en relation aux budgets tempsconstants.<br />

En effet, le constat, établi par Yacov Zahavi, « d’une relative constance du<br />

budget-temps consacré aux déplacements met à jour le mécanisme régulateur<br />

fondamental de la mobilité quotidienne » 44 . Yacov Zahavi fait dépendre l’espace<br />

pratiqué de la vitesse de déplacement : plus celle-ci s’avère importante, plus l’espace<br />

pratiqué est étendu, la durée totale de l’ensemble des déplacements restant à peu près<br />

constante 45 . « Dans l’optique de l’urbaniste et de l’ingénieur des transports des années<br />

1960-1980, l’usager est supposé utiliser le temps de déplacement libéré par<br />

l’amélioration des infrastructures de transport pour vaquer à des activités de temps<br />

libre. Or, l’expérience démontre que les gains de temps offerts par les infrastructures<br />

routières rapides (rocades, voies express) et autoroutières sont bien souvent utilisés,<br />

non pas pour développer d’autres activités, mais soit pour habiter plus loin de son lieu<br />

de travail, soit pour élargir la portée spatiale des déplacements de la vie<br />

quotidienne». 46<br />

Ce processus a eu pour conséquence d’accroître la pendularité tout en générant<br />

le phénomène de périurbanisation, produisant ainsi une ville spatialement éclatée et<br />

diffuse qui s’étale sur l’espace rural. Ainsi, « L’accélération de la mobilité quotidienne<br />

modifie les équilibres du système de mobilité spatiale : des mobilités quotidiennes se<br />

41 A partir des années 65 jusqu’aux années 90.<br />

42 Jean-Marc OFFNER. Enjeux politiques et sociaux de la marche à pied, Métropolis, n°75, 1986. p. 19.<br />

43 Francis BEAUCIRE. Les transports publics et la ville. Op. Cit., p. 21.<br />

44 Vincent KAUFMANN. <strong>Mo</strong>bilité et vie quotidienne : synthèse et questions de recherche. Centre de<br />

Prospective et de Veille Scientifique, Direction de la recherche et des affaires scientifiques et techniques<br />

Ministère de l’Equipement, des transports et du logement. 2001 Plus, n°48. p. 11.<br />

45 Jean-Pierre ORFEUIL. L’analyse de la mobilité. Le courrier du CNRS, N°81, 1994.<br />

46 Vincent KAUFMANN. <strong>Mo</strong>bilité et vie quotidienne : synthèse et questions de recherche. Op. Cit., p.17<br />

35


substituent à des mobilités résidentielles, voire à des migrations internationales» 47 .<br />

Ceci est perceptible notamment par l’accroissement important des kilomètres parcourus<br />

par personne et par jour, soit par exemple +2,7% par an en France et jusqu’à +5,8% au<br />

Portugal de 1970 à 1987 (cf. tableau 1).<br />

Pays Accroissement annuel Pays accroissement annuel<br />

Allemagne +2,10% Pays Bas +2,40%<br />

Belgique +1,40% Portugal +5,80%<br />

Danemark +2,30% Royaume-Uni +2,30%<br />

Espagne +3,30% Suède +1,80%<br />

Finlande +2,50% Suisse +2,80%<br />

France +2,70% Turquie +3,50%<br />

Italie +3,60% OCDE (tous pays) +2,50%<br />

Norvège +3,50%<br />

Tableau 1- Accroissement annuel du nombre de kilomètres par personne et par<br />

jour dans le cadre de la mobilité quotidienne entre 1970 et 1987<br />

Source : Bovy P., Orfeuil J.-P. et Zumkeller D. (1993)<br />

Face à l’hégémonie de l’automobile, le piéton reste exclu des projets proposés à<br />

cette époque. L’importance de la marche à pied en ville connaît un fort déclin surtout<br />

entre 1973 et 1981 48 , avec 415 kilomètres par personne et par an de déplacements<br />

réalisés à pied entre 1973 et 1976, pour atteindre 261 kilomètres entre 1981 et 1982.<br />

Alors que la voiture envahit la ville, le piéton ne cesse de la déserter. Une ségrégation<br />

s’organise entre ceux qui peuvent accéder à l’achat d’une automobile et ainsi profiter de<br />

l’ensemble des fonctions et services qui se dispersent dans la ville et ceux qui n’ont pas<br />

les moyens financiers d’accéder à ce transport et qui ont pour seuls recours les modes<br />

doux 49 ou les transports publics qui restent insuffisants.<br />

Il est légitime de se demander comment les piétons, dans ces conditions,<br />

pourront continuer à évoluer dans une ville aménagée pour l’automobile ? En effet, le<br />

nombre d’accidents était important au moment où la voiture a monopolisé l’espace<br />

urbain, avec par exemple 3202 piétons tués en 1970 en France. Nous verrons par la suite<br />

que cette évolution de l’insécurité routière associée à d’autres nuisances du « tout<br />

automobile » va générer l’inquiétude des pouvoirs publics et permettre une prise de<br />

conscience des conséquences de ce phénomène.<br />

47 Ibid. p.17<br />

48 D’après les données recueillies par Francis PAPON. <strong>Mo</strong>bilité urbaine et déplacements non motorisés :<br />

situation actuelle, évolutions, pratiques et choix modal : projet « Ecomobilité », 19997 [ Rapport interne<br />

non diffusé]<br />

49 <strong>Mo</strong>des doux : marche à pied, vélo, roller<br />

36


1.1.3- Quelques études révèlent l’existence de nombreux<br />

obstacles à la progression des piétons<br />

Dès le début des années 80, plusieurs études relatives à l’analyse des<br />

comportements piétonniers commencent à se développer à partir de l’utilisation de<br />

différentes méthodes : questionnaires, suivi des piétons par enquêteur, enregistrement<br />

vidéo et découpage des trajets en séquences successives 50 . Cette dernière méthode a été<br />

reprise par Jean-René Carré et Arantxa Julien 51 pour étudier les séquences piétonnières<br />

au cours des déplacements quotidiens. «Pour cette recherche 101 sujets ont été suivis<br />

une journée entière en Ile-de-France par un enquêteur muni d’un ordinateur de paume,<br />

notant et mesurant toutes les actions qu’ils effectuent au cours de leurs séquences<br />

piétonnières » 52 . L’objectif de cette étude est d’analyser le rôle des séquences de<br />

marche dans différents types de déplacements (alliant aussi différents modes) tout en<br />

repérant les conditions dans lesquelles elles se déroulent. Il existe des écarts entre les<br />

données publiées par l’Enquête Globale « Transports » (EGT) de la région Ile-de-<br />

France et cette étude, parce que l’enquête réalisée par la région Ile-de-France ne<br />

considère la marche comme un mode de déplacement que si ce dernier se fait<br />

intégralement à pied. Cela explique que la durée quotidienne de marche obtenue par<br />

Jean-René Carré et Arantxa Julien soit plus élevée ( 33 minutes 30 par jour dont 6<br />

minutes 30 dans ces lieux de transport pour seulement 16 minutes par jour dans l’EGT).<br />

Ce constat prouve la sous-estimation de la marche dans les statistiques. Durant les<br />

entretiens réalisés après le suivi des piétons, l’importance du sentiment d’insécurité 53 a<br />

souvent été exprimée ainsi que l’inconfort des cheminements, notamment chez les<br />

personnes âgées et les enfants craignant les traversées difficiles. Cette étude prouve à<br />

quel point les piétons sont vulnérables dans une ville où les obstacles n’ont fait<br />

qu’augmenter, rendant la progression de plus en plus pénible.<br />

En dehors de cette étude qui permet de déceler les faiblesses de l’espace public<br />

lors des déplacements piétonniers, peu de données relatives aux piétons existent à cette<br />

50<br />

Méthode développée par Ake Forsström pour analyser les risques d’accidents.<br />

51<br />

Jean-René CARRÉ et Arantxa JULIEN. Présentation d’une méthode d’analyse des séquences<br />

piétonnières au cours des déplacements quotidiens des citadins et mesure de l’exposition au risque des<br />

piétons. INRETS, mai 2000.<br />

52<br />

Corinne MIGNOT. <strong>Mo</strong>bilité urbaine et déplacements non motorisés. Paris : la <strong>Document</strong>ation<br />

Française, 2001. p. 28.<br />

53<br />

En relation aux risques d’agressions dans les transports en commun, aux dangers du trafic motorisé et<br />

de l’insécurité « sociale » dans certains lieux.<br />

37


époque. L’étude de Jean-François Augoyard 54 consacrée aux cheminements piétonniers<br />

quotidiens, donne une première lecture sensible du déplacement piétonnier focalisée sur<br />

le vécu des citadins, qu’il interprète en utilisant la rhétorique pour déterminer les<br />

différentes figures de cheminement. Il dépasse ainsi la seule lecture fonctionnelle du<br />

déplacement, mettant le piéton au cœur de l’expérience de la ville, de l’espace public,<br />

en repérant sous forme de figures les subtilités de choix du parcours. Cette approche<br />

permet de considérer le déplacement du piéton dans sa complexité. Il ne s’agit pas<br />

uniquement de repérer ce qui fait obstacle mais au contraire d’analyser les points de<br />

bifurcation. Est-ce que cette réflexion fondée sur l’expérience peut aider à réduire les<br />

dysfonctionnements générés par l’hégémonie de l’automobile, et dans quelle mesure ?<br />

Cette dimension est-elle présente dans les actions proposées par les politiques<br />

concernant les déplacements piétonniers et la gestion de l’espace public ? Les piétons<br />

sont-ils présents dans les projets établis par les plans de déplacements urbains ?<br />

piétons<br />

38<br />

1.2- Le PDU : un éventuel changement en faveur des<br />

Dès le début des années quatre-vingt, les pouvoirs publics interviennent pour<br />

tenter de rétablir un équilibre au cœur des différentes agglomérations françaises.<br />

L’urgence d’une restructuration des déplacements au sein de la ville apparaît au<br />

moment où la périurbanisation se généralise dans de nombreuses agglomérations. La<br />

mobilité durable, maître mot des politiques en matière de déplacement, prône un<br />

équilibre entre l'économique, le social et l'environnemental. « Du point de vue de<br />

l'environnement, il vaudrait mieux… qu'on se déplace assez peu » 55 . Pourtant l’homme<br />

a toujours été mobile et ce qui pose problème, ce n’est pas le déplacement en lui-même<br />

mais ce avec quoi le citadin se déplace. « Or, du point de vue social, les plus démunis<br />

doivent pouvoir se déplacer davantage qu'aujourd'hui. Enfin, du point de vue<br />

économique, les échanges doivent être favorisés. La mobilité durable est un compromis<br />

entre ces impératifs antagonistes » 56 . Ce concept s’associe à l’idée de développement<br />

54<br />

Jean-François AUGOYARD. Pas à pas essai sur le cheminement quotidien en milieu urbain. Paris :<br />

Seuil, 1979.<br />

55<br />

Jean-Pierre ORFEUIL cité par Elena SENDER. Les bolides verts, Sciences et Avenir, n° 669, novembre<br />

2002. p. 80.<br />

56<br />

Ibid. p.


durable mise en avant, notamment, par la loi SRU en vue de respecter la cohérence<br />

parmi les différents documents d’urbanisme entre organisation de la mobilité et usage<br />

de l’espace.<br />

Dans cette perspective de mobilité durable, les Plans de déplacements urbains<br />

intègrent-ils la marche à pied comme élément originel à la mobilité et surtout comme<br />

mode respectueux de l’environnement accessible à une majorité de la population ?<br />

1.2.1- Le PDU une démarche planificatrice comme « réponse<br />

partielle » à une mobilité effrénée<br />

Le plan de déplacements urbains (PDU) est une démarche de planification dont<br />

l’objectif est de créer les conditions d’une évolution de la mobilité compatible avec la<br />

notion de développement durable, et ce grâce à « un usage coordonné de tous les modes<br />

de déplacements, notamment par une affectation appropriée de la voirie, ainsi que la<br />

promotion des modes les moins polluants et les moins consommateurs d’énergie » 57 .<br />

C’est la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) qui a initié cette<br />

démarche PDU en 1982, mais l’absence de décret d’application a limité son élaboration<br />

à quelques agglomérations « pilotes ». La loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de<br />

l’Energie (LAURE), datant de décembre 1996, a rendu obligatoire l’élaboration d’un<br />

PDU dans les 58 agglomérations de plus de 100 000 habitants. Les objectifs du PDU<br />

sont listés, et, au premier rang, se situe la diminution du trafic automobile. Le PDU est<br />

soumis à enquête publique et devient opposable aux tiers.<br />

La loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) du 13 décembre 2000<br />

renforce le pouvoir prescriptif des PDU et lie davantage cette démarche avec d’autres<br />

documents de planification : Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT) et Plans<br />

Locaux d’Urbanisme (PLU). De nouveaux objectifs sont ajoutés, comme la sécurité<br />

routière. Les PDU devaient être mis en conformité avec la loi SRU avant le 13<br />

décembre 2003.<br />

L’objectif général du PDU est défini dans l’article 28 la loi LOTI modifié par la<br />

loi sur l’air : il « vise à assurer un équilibre durable entre les besoins en matière de<br />

mobilité et de facilité d’accès, d’une part, et la protection de l’environnement et de la<br />

57<br />

Article 28 de la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI) loi n°82-1153 du<br />

30 décembre 1982.<br />

39


santé, d’autre part ». Pour ce faire, il « définit les principes de l’organisation des<br />

transports de personnes et de marchandises, de la circulation et du stationnement ».<br />

Cette loi énumère les six domaines que les orientations de chaque plan doivent traiter.<br />

Nous allons nous intéresser aux objectifs fixés pour chacune d’entre elles ainsi que les<br />

moyens prévus pour les atteindre. Les orientations du PDU portent sur :<br />

- la diminution du trafic automobile ;<br />

- le développement des transports collectifs et des modes de déplacement<br />

« doux » ;<br />

- l’aménagement et l’exploitation de la voirie ;<br />

- l’organisation du stationnement sur le domaine public ;<br />

- le transport et la livraison de marchandises ;<br />

- l’encouragement pour les entreprises et collectivités publiques à favoriser le<br />

transport de leur personnel.<br />

Dans la pratique, les PDU ont concentré leurs actions sur trois des six thèmes<br />

retenus : la réduction de la circulation automobile, le développement des modes de<br />

déplacements alternatifs à la voiture et le stationnement, alors que les autres secteurs<br />

n’étaient généralement pas considérées comme prioritaires. Dans le cadre de notre<br />

étude, nous avons choisi de nous intéresser tout particulièrement au thème relatif au<br />

développement des transports collectifs et des modes de déplacement « doux » qui<br />

concernent entre autre les piétons.<br />

1.2.2- La marche à pied dans les objectifs et les mesures du PDU :<br />

une place restreinte<br />

La grande majorité des PDU place la promotion des modes de transport<br />

alternatifs à l’automobile comme le facteur essentiel de lutte contre la présence de celleci<br />

en milieu urbain et, de ce fait, elle correspond à l’orientation privilégiée plus que<br />

toute autre. Les PDU insistent particulièrement sur la nécessité de rendre les transports<br />

en commun plus compétitifs, tandis que les actions en faveur des « modes doux »<br />

semblent moins ambitieuses. Quelle place reste-t-il à la marche à pied ? Afin de<br />

répondre à cette question, nous avons choisi de détailler l’ensemble des mesures<br />

affectées à chaque mode alternatif. En effet, c’est en reprenant pour chaque mode le<br />

détail des mesures souhaitées que nous serons plus à même de cerner l’importance ou<br />

l’insuffisance du projet en faveur de la marche à pied.<br />

40


Le développement des transports en commun<br />

- L’objectif principal est d’augmenter la part modale des Transports en commun<br />

par rapport à celle de l’automobile. Les PDU évoque une hausse de 2 à 6% sur une<br />

durée de 5 ou 10 ans, certains un doublement de leur usage (Lille) en 15 ans. Ces<br />

chiffres, qui peuvent paraître modestes, doivent être replacés dans un contexte global de<br />

stagnation, voire de baisse, du nombre des usagers des transports en commun au cours<br />

des dernières années. Ainsi, en Ile-de-France, sur la période 1991-1997, la fréquentation<br />

des transports en commun est restée stable, tandis que les déplacements en voiture<br />

augmentaient de 18% 58 .<br />

- Les actions préconisées sont de plusieurs types. En premier lieu, il est<br />

nécessaire de privilégier une amélioration quantitative de l’offre afin d’inciter le<br />

transfert modal en faveur des transports en commun. Dans cette optique, très nombreux<br />

sont les PDU qui font de l’extension ou du renforcement du réseau de transports en<br />

commun une des mesures phares de leur projet. Il s’agit tout d’abord de créer de<br />

nouvelles lignes afin d’organiser une meilleure desserte de l’ensemble de<br />

l’agglomération. C’est pourquoi on assiste à la multiplication des projets de transports<br />

en commun en sites propres (TCSP) dans les agglomérations importantes. Ce courant<br />

est symbolisé par la réapparition du tramway, dont l’arrivée est annoncée dans au moins<br />

6 PDU (Orléans, Bordeaux, <strong>Mo</strong>ntpellier, Lyon, Nancy, Clermont-Ferrand), tandis que le<br />

réseau existant déjà dans certaines villes sera renforcé (à Grenoble, Nantes ou<br />

Strasbourg par exemple). Ailleurs, les TCSP prennent la forme de métro (à Rennes) ou,<br />

plus généralement, d’autobus disposant de voies séparées du reste de la voirie (suivant<br />

l’exemple du Trans-Val de Marne dans la région parisienne) et donc moins dépendants<br />

des aléas de la circulation automobile. L’augmentation de l’offre d’autobus est<br />

également préconisée hors du centre ville, pour les trajets inter-banlieues, trop souvent<br />

négligés jusqu’alors, et pour permettre le rabattement sur les gares, dans une logique de<br />

multimodalité.<br />

- Le développement quantitatif des transports en commun passe en second lieu<br />

par la hausse, sur une même ligne, de la fréquence de passage. Il en résulte une attente<br />

moindre pour l’usager, qui est chiffrée dans certains PDU (ainsi, à Lille, l’attente<br />

moyenne en heure de pointe devrait être de 5 à 10 minutes pour les bus).<br />

58 Plan de Déplacements Urbains Ile-de-France. Projet soumis pour avis aux collectivités locales, 30<br />

octobre 1999, La <strong>Document</strong>ation française. p. 12.<br />

41


- Prévaut aussi l’idée qu’il n’est pas possible de parvenir à une plus grande<br />

fréquentation des transports en commun en se limitant à une augmentation de l’offre<br />

existante. Il est nécessaire avant tout d’améliorer l’attractivité des transports collectifs<br />

auprès des citadins, et notamment de ceux qui les utilisent peu. Cela doit se faire grâce à<br />

l’adoption de mesures relatives à la qualité de l’offre de services proposée.<br />

- Les PDU prévoient aussi des actions visant à augmenter la vitesse des<br />

transports en commun de surface (en luttant contre le stationnement illicite, en créant<br />

des voies réservées…).<br />

- L’amélioration du bien-être des voyageurs constitue une autre préoccupation<br />

partagée par nombre de PDU. Des engagements sont donc pris afin d’agir sur le confort<br />

des véhicules, des gares et arrêts et pour faciliter l’accessibilité des personnes à mobilité<br />

réduite.<br />

- Pour finir, l’accent est souvent mis sur la promotion de l’intermodalité. Elle<br />

doit permettre une meilleure articulation entre les modes de transport et un maillage<br />

plus complet de l’agglomération. Cela se traduit par l’instauration de tarifications<br />

combinées avantageuses, l’organisation d’un système de rabattement de bus vers les<br />

stations de TCSP plus performant, ou encore l’adoption de mesures favorables au<br />

stationnement à proximité de celles-ci.<br />

- Parallèlement aux actions préconisées dans le domaine de l’offre de transports<br />

en commun, les PDU insistent parfois sur la nécessaire prise en compte, par les<br />

documents d’urbanisme, de la desserte des futurs logements ou équipements. Les<br />

autorités locales devront favoriser la densification des logements autour des gares et le<br />

long des itinéraires des TCSP, et au contraire la limiter dans les espaces éloignés du<br />

réseau de transports collectifs.<br />

Nous venons de constater à quel point la majorité des PDU veulent privilégier le<br />

développement des transports en commun, à tel point qu’ils sont au cœur du projet.<br />

Néanmoins, ce type de transport requiert des fonds considérables. La réussite de la<br />

transformation des agglomérations par les TCSP dépend donc en grande partie des<br />

moyens dont disposeront les collectivités locales dans ce secteur. Cependant, un<br />

élément n’a pas été pris en compte par le projet de loi : « La demande sociale porte<br />

principalement sur des maisons individuelles en périphérie, selon un schéma différent<br />

du modèle urbain. Le projet de loi qui vise à organiser la mise en cohérence de l’espace<br />

42


et la gestion des densités ignore cette réalité » 59 . Ces espaces qui se situent en marge<br />

des périmètres déterminés par la loi ne doivent pas être oubliés.<br />

Le développement des modes doux que sont le vélo et la marche correspondent à un<br />

thème secondaire dans les mesures avancées par les PDU, au regard des transports en<br />

commun. Ils correspondent davantage à des « modes relais » dans les déplacements,<br />

surtout en ce qui concerne la marche.<br />

Le développement des modes doux<br />

La part des déplacements à vélo en milieu urbain, demeure très faible dans les<br />

agglomérations françaises comparativement aux villes d’Europe du Nord, alors même<br />

que ce mode est performant sur les distances limitées. L’objectif annoncé par la plupart<br />

des PDU, quant à l’évolution des déplacements à vélo, varie lorsque celle-ci est<br />

chiffrée, entre 1 et 3 points depuis l’instauration du PDU jusqu’à 2005.<br />

Quant à la marche, une stabilisation de son importance est envisagée ; elle doit<br />

rester la norme sur les petites distances.<br />

Les mesures prévues pour favoriser l’utilisation du vélo :<br />

- Pour la promotion du vélo, la création de nouveaux itinéraires cyclables<br />

constitue la principale mesure invoquée dans les PDU. Il semble que la desserte des<br />

grands pôles de trafic (notamment les établissements scolaires) du centre-ville soit<br />

souvent prioritaire. L’efficacité des mesures envisagées dépend toutefois en premier lieu<br />

du choix de construire un réseau complet de voies cyclables (comme le réseau vert à<br />

Orléans) qui permet aux cyclistes de sillonner l’ensemble de l’agglomération en toute<br />

quiétude, ou de se contenter d’actions ponctuelles plus modestes. Certains PDU<br />

adoptent ainsi une attitude restrictive, se contentant de prévoir la construction<br />

d’itinéraires cyclables lorsqu’un nouvel aménagement global de la voirie est<br />

programmé.<br />

- Ces mesures sont accompagnées d’actions destinées à organiser de meilleures<br />

conditions de circulation et de stationnement en faveur des cyclistes. La circulation sera<br />

améliorée grâce à l’élimination des obstacles existants, ce qui dans la pratique semble<br />

renvoyer au thème récurrent de la lutte contre le stationnement illicite. Une signalisation<br />

59 Intervention de Marie-Christine JAILLET lors du débat sur le droit au logement au droit à la ville :<br />

diversité, mixité, mobilité. Journée du 4 février 2000 (table ronde).<br />

43


particulière sera également mise en place dans plusieurs agglomérations. Les mesures<br />

concernant le stationnement sont plus nombreuses et détaillées. Elles ont tout d’abord<br />

comme principe la construction de parkings à vélos sur la voirie. Les PDU vont bien sûr<br />

insister sur la nécessité d’équiper les grands pôles générateurs de trafic accessibles à<br />

bicyclette. Dans une optique multimodale, des parkings sécurisés seront construits à<br />

proximité des gares, de façon à encourager les cyclistes à laisser leur vélo sur place<br />

pendant la journée sans crainte de vol.<br />

- L’intermodalité va être un élément clé, non seulement par la création, à<br />

proximité des gares, d’itinéraires et de places de stationnement destinés aux cyclistes,<br />

mais aussi par l’aménagement des transports en commun de manière à ce qu’il soit<br />

possible d’y transporter son vélo.<br />

- Pour finir, quelques agglomérations mènent des actions directes d’incitation à<br />

la pratique du vélo, en mettant elles-mêmes sur pied un système de location, voire de<br />

libre service. Les véhicules sont à la disposition des habitants pour quelques heures ou<br />

l’ensemble de la journée, à des prix réduits, ou gratuitement.<br />

Les mesures relatives au développement de la marche sont généralement traitées<br />

de façon succincte par les auteurs des PDU.<br />

Le thème du partage de la voirie est décliné ici dans un objectif de croissance de<br />

la place dévolue aux piétons sur la voirie. Les PDU envisagent ainsi l’élargissement des<br />

trottoirs et, parfois, la création de zones piétonnes dans les espaces qui s’y prêtent. Afin<br />

d’éliminer les obstacles à la continuité des trajets piétonniers, il est à nouveau fait<br />

mention du stationnement sauvage, qu’il est indispensable de sanctionner lourdement.<br />

Certains PDU promettent d’améliorer les conditions de traversées piétonnes ou de<br />

permettre une meilleure « perméabilité urbaine » entre les différentes parties de<br />

l’agglomération.<br />

De nombreuses lacunes surtout en ce qui concerne la marche à pied<br />

A la lecture des mesures établies par le PDU, nous avons pu constater des<br />

insuffisances dans le domaine du développement des modes de transport individuels<br />

alternatifs à l’automobile. Les mesures envisagées se concentrent souvent sur le centreville,<br />

où le recours à la bicyclette ou à la marche à pied est sans doute pensé comme<br />

plus aisé. Mis à part peut-être pour la desserte des TCSP, beaucoup de PDU sont muets<br />

sur la question du développement de l’usage du vélo et de la marche dans les zones<br />

44


périphériques. Par exemple, les réseaux de voies cyclables envisagés ont généralement<br />

pour cœur les centre-ville, autour desquels tout s’organise. On peut noter la modestie<br />

des objectifs de report modal espéré en faveur des modes doux dans la plupart des PDU.<br />

En effet, « le développement des TCSP s’effectue le plus souvent sans les mesures de<br />

restriction de l’usage de la voiture qui permettraient d’espérer un transfert<br />

modal » 60 .Pourtant, lorsque des politiques réellement volontaristes sont menées, les<br />

résultats montrent que ces modes doux peuvent constituer des alternatives crédibles à<br />

l’automobile. C’est le cas de la Rochelle qui a su dès les années soixante-dix mener une<br />

politique en faveur des modes de transports alternatifs. Elle s’est dotée d’une zone<br />

piétonne en centre-ville, de vélos en libre-service (les « vélos jaunes ») et, en 1972, a<br />

mis en place un des premiers réseaux de mesure de la pollution en France. « Cette<br />

politique s’est diversifiée au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix avec des<br />

restructurations du réseau de transport collectif, le réaménagement de la gare routière,<br />

des services de taxis subventionnés complémentaires au réseau de bus, la promotion de<br />

véhicules électriques (location), des dessertes par bateau, le transport des personnes à<br />

mobilité réduite » 61 .Ces actions s’inscrivaient dans le cadre d’un premier PDU approuvé<br />

en 1984. Il s’agit d’une des rares villes ayant su promouvoir une politique en faveur des<br />

modes doux.<br />

En matière de développement durable « aucun indice ne vient, par ailleurs,<br />

corroborer l’émergence d’un référentiel du développement durable 62 ». La conclusion<br />

de la recherche Transports collectifs et développement durable (FNAU Services, Predit,<br />

décembre 1998) confirme cette remarque, soulignant « la faible intégration de la<br />

problématique du développement durable dans ces projets [de TCSP] : les décisions ont<br />

été le fait de volontés politiques souvent justifiées techniquement a posteriori ; la<br />

réflexion des concepteurs reste souvent monomodale, sans remettre en cause la<br />

primauté de la voiture ; la logique de massification des flux sur les TCSP tend à<br />

accroître les écarts entre les quartiers biens desservis (centres et secteurs denses) et les<br />

quartiers mal desservis (périphéries et secteurs peu denses) ; les TCSP favorisent<br />

l’étalement urbain dans la mesure où ils n’articulent pas gestion des déplacements et<br />

60<br />

Jean-Marc OFFNER. Les plans de déplacements urbains (1996-2002). Données urbaines, Denise<br />

Pumain (dir.),Paris : Anthropos, 2003. p. 381.<br />

61<br />

Les transports publics urbains en France, organisation institutionnelle. Direction des Transports<br />

Terrestres, CERTU, janvier 2003. p. 66..<br />

62<br />

L’élaboration des Plans de Déplacements Urbains de la loi sur l’air de 1996 : le nécessaire renouveau<br />

des politiques locales de transport. J-M. OFFNER, directeur du LATTS, février 2003. p. 17.<br />

45


planification de l’urbanisation ; les TCSP tendent à augmenter la mobilité générale » 63 .<br />

Ce déséquilibre entre le centre-ville et la zone périphérique qui tend à s’accroître par le<br />

biais des TCSP, ne favorise en rien le développement de la marche à pied au point<br />

même d’augmenter les distances à parcourir limitant l’accès aux piétons d’un grand<br />

nombre de fonctions et services urbains. Le fait d’assigner la marche à pied aux seuls<br />

déplacements courts limite d’autant plus les aménagements en sa faveur.<br />

La marche à pied reste l’oubliée des politiques en matière de déplacements<br />

urbains, « le vélo – plus que la marche à pied – est l’objet de nombreuses attentions » 64 ,<br />

étant donné le peu de mesures envisagées. Ces dernières, se cantonnant le plus souvent<br />

au centre-ville, sont loin de pouvoir répondre aux attentes des citadins habitant les<br />

quartiers périphériques. La ville du piéton ne se résume pas au seul centre. La ville<br />

s’étale et les besoins en infrastructures piétonnières se font ressentir dans tous ses<br />

quartiers. La volonté affichée dans les PDU de stabiliser la marche comme mode de<br />

déplacement prouve le manque d’initiative des aménageurs dans ce domaine.<br />

63<br />

FNAU SERVICE. Transports collectifs et développement durable, rapport Predit-Drast, décembre<br />

1998, 74p.<br />

64<br />

Jean-Marc OFFNER. Les plans de déplacements urbains (1996-2002). Op. Cit., p.381.<br />

46


Conclusion<br />

Jusqu’à présent, nous avons pu constater le peu de place accordé aux piétons<br />

dans les orientations proposées par le PDU. Seules les interventions en terme de<br />

morphologie, de fonctionnalité des déplacements sont abordées. Les parcours réalisés<br />

par les piétons ne représentent-ils pas davantage qu’un simple déplacement d’un point<br />

A à un point B ? Ne faudrait-il pas dépasser cette vision fonctionnelle pour s’intéresser<br />

à l’expérience qui en découle ? Par exemple, dans la communauté urbaine de Lyon où<br />

il existe une réelle politique en faveur de la marche à pied matérialisée par la mise en<br />

place d’une charte du piéton, la volonté des politiques est « d’ouvrir la ville aux piétons<br />

et de créer un climat favorable à la pratique de la marche à pied en ville pour les<br />

déplacements utilitaires et quotidiens, autant que pour la promenade ou le tourisme,<br />

afin qu’elle devienne un mode choisi plus qu’un mode subi. 65 » Malgré la prise en<br />

compte des secteurs aménagés pour les piétons, la politique en vigueur reste centrée sur<br />

l’aspect matériel des déplacements, sur les besoins physiques et non sur la dimension de<br />

l’expérience sensible générée, notamment, par les aménagements. La marche à pied ne<br />

peut se limiter à être seulement un mode de déplacement, il s’agit d’une expérience qui<br />

se vit et qui est ressentie par le corps. Le piéton n’est pas déconnecté de l’espace qu’il<br />

parcourt. C’est pourquoi il semble réducteur de proposer aux piétons une mesure qui<br />

consiste à « [lui] éviter… toute perte de temps et lui donner les trajets les plus courts,<br />

car ses déplacements sont lents » 66 . Ce n’est pas suffisant pour justifier de l’intérêt d’un<br />

aménagement, le temps n’étant pas le seul facteur déterminant. Pourtant, le monopole<br />

de la vitesse tend selon P. Virilio à « la perte de l’étendue de l’espace réel au profit du<br />

temps réel» 67 . La liberté de mouvement se trouve compromise étant donné que les gens<br />

sont enfermés dans la rapidité et l’inanité de tout déplacement 68 . Le maintien de la<br />

marche à pied va au contraire privilégier la liberté de mouvement pour tous, en contact<br />

direct avec l’espace parcouru.<br />

Incontestablement, parcourir la ville avec pour seul véhicule son corps, sachant<br />

que pour celui qui marche la logique de l’orientation est intuitive 69 , impose au piéton<br />

une relation particulière à l’espace. Celui-ci fait partie de son quotidien et de ses<br />

habitudes. Rappelons que l’espace « est, simultanément, le substrat dans lequel<br />

65<br />

Charte du piéton. Plan de déplacements urbains de l’agglomération du Grand Lyon. p. 2<br />

66<br />

Ibid. p. 2<br />

67<br />

Paul VIRILIO. Cybermonde la politique du pire. Paris : textuel, 2001. p. 56.<br />

68<br />

Paul VIRILIO. Cybermonde la politique du pire. Op. Cit., p. 57<br />

69<br />

Paul CLAVAL. La logique des villes : essai d’urbanologie. Paris : LITEC, 1981.<br />

47


s’exercent les pratiques sociales, la condition nécessaire pour qu’elles existent, et le<br />

cadre qui les délimite et leur donne sens » 70 . La marche en tant que pratique prend sens<br />

à travers l’espace parcouru. C’est pourquoi il semble particulièrement important de<br />

s’intéresser davantage au rapport du piéton à l’espace, et plus précisément à l’espace<br />

public, comme lieu où se matérialisent les relations publiques. Marcher au cœur de la<br />

ville sous-tend l’existence d’un espace public accessible dans lequel le piéton peut<br />

évoluer. Toutefois, cet espace public répond-il aux attentes des piétons ? Comment<br />

aménager la rue pour que chacun puisse en bénéficier ? « Partager la rue, est-ce y<br />

affecter à chacun un espace, une piste, un trajet spécifique : site propre du tramway,<br />

voie du piéton, voie du cycliste, etc. ? » 71 N’est-il pas réducteur et risqué de vouloir tout<br />

compartimenter ? Que devient l’espace public ?<br />

70 Paulo Cesar Da COSTA GOMES. Geografia fin de siècle, o discurso sobre a ordem especial do mundo<br />

e o fim das ilusões, Explorações geográficas, I. Castro, P.C. Gomes et R. Correa (dir.). Rio de Janeiro:<br />

Bertrand Brasil, 1997. p. 14.<br />

71<br />

Jean-Loup GOURDON. « La rue, on partage », il dépend comment… Urbanisme, n°329, mars-avril<br />

2003. p. 18.<br />

48


Chapitre 2 - L’espace public support du mouvement<br />

des piétons<br />

Depuis la naissance de la cité, le piéton arpente les rues en perpétuelle mutation.<br />

Il représente la composante principale du mouvement dans la ville, étant donné qu’au<br />

fur et à mesure que l’homme s’est installé, il a créé des chemins pour lier son habitation<br />

aux différentes fonctions de la cité. La ville étant construite à la mesure du pas de<br />

l’homme, le piéton représente le sujet privilégié de l’espace public en construction.<br />

Cependant, l’accroissement de la vitesse et de la mobilité a considérablement<br />

modifié l’espace public et les relations à ce dernier. L’étalement de l’agglomération,<br />

d’une part, limite l’accès des populations ne possédant pas de voitures et, d’autre part,<br />

augmente la circulation automobile dans la ville, favorisant la pollution et l’insécurité<br />

routière. Désormais l’accessibilité tend à se limiter dans un espace public partagé et<br />

convoité par l’automobile et les transports collectifs.<br />

Malgré de nombreuses tentatives pour limiter l’utilisation de l’automobile,<br />

l’espace dévolu aux piétons ne cesse de diminuer, à l’exception du centre-ville.<br />

L’accessibilité à tous de l’espace public est compromise et remet en question ce dernier.<br />

En effet, l’espace public ne peut exister dans sa globalité qu’à partir du moment où<br />

l’accessibilité pour tous existe. Dans cette situation de crise de l’espace public, le piéton<br />

pourra-il continuer à se déplacer ? Comment les responsables de l’urbanisme peuventils<br />

gérer la pression du trafic tout en conservant un espace de cheminement piétonnier ?<br />

Comme nous l’avons vu auparavant, il semble nécessaire d’aborder les déplacements<br />

piétonniers à partir de l’expérience que ces derniers développent durant leur parcours.<br />

En effet, souvent les études menées sur la marche à pied en milieu urbain se limitent à<br />

une approche fonctionnelle du déplacement, laissant peu de place au vécu et au ressenti.<br />

C’est pourtant cette dimension relative à l’expérience qui oriente en partie les pas du<br />

piéton. Ainsi, il semble nécessaire d’aborder l’espace public en tenant compte de<br />

l’expérience qui guide le piéton dans son déplacement. En effet, comme l’énonçait<br />

Jean-Marc Offner « à travers la marche à pied c’est du devenir de l’espace public que<br />

l’on parle » 72 . C’est pourquoi, nous aborderons le concept d’espace public en examinant<br />

72 Jean-Marc OFFNER. Enjeux politiques et sociaux de la marche à pied, Métropolis, n°75, 1986. p. 20.<br />

49


chaque dimension qui le compose, tout en observant les répercussions de chacune d’elle<br />

sur le développement de l’expérience du piéton.<br />

Nous avons donc choisi de démarrer ce chapitre en nous interrogeant sur ce<br />

qu’est l’espace public, sachant que par la suite nous analyserons chaque aspect de ce<br />

dernier afin de repérer l’implication de chacun d’eux dans l’expérience du piéton.<br />

Ensuite, nous mettrons l’espace public à l’épreuve de l’expérience du mouvement du<br />

piéton, vu qu’ « aujourd’hui, la notion d’espace est davantage liée à celle de<br />

mouvement et, au-delà de l’espace visuel, tend vers un espace plus profondément lié<br />

aux autres sens » 73 . Il s’agira de proposer au regard des aménagements en place, une<br />

nouvelle approche des déplacements des piétons en associant l’espace public à<br />

l’expérience afin de se rapprocher au plus près des aspirations du piéton.<br />

73 Edward HALL. La dimension cachée. Paris : Editions du Seuil, 1971. p. 120.<br />

50


piéton<br />

2.1- Analyse du concept d’espace public à l’échelle du<br />

Appréhender l’espace public à l’échelle des déplacements piétonniers nécessite<br />

une approche ciblée de chaque dimension constitutive de ce concept. En effet,<br />

l’expérience du piéton va être influencée par les règles imposées par l’espace public.<br />

C’est pourquoi nous analyserons chaque composante en privilégiant les apports de<br />

chacune dans l’accomplissement de l’expérience du mouvement du piéton. Un bref<br />

retour sur l’apparition du concept d’espace public permettra de confirmer l’importance<br />

de ce dernier.<br />

2.1.1- L’espace public un concept à double sens<br />

L’utilisation du concept d’espace public se fait surtout à partir des travaux<br />

effectués en philosophie, en sciences politiques ainsi qu’en aménagement. Ce concept<br />

se trouve ainsi partagé entre deux niveaux : politique et matériel.<br />

La notion d’espace public telle qu’elle apparaît en France dans la philosophie,<br />

les sciences politiques, la sociologie, est ambiguë, dans la mesure où elle utilise le terme<br />

d’espace de façon métaphorique 74 . C’est notamment Jürgen Habermas qui, à propos du<br />

XVIII ème siècle, a noté l’organisation d’une sphère publique délibérative bourgeoise. Le<br />

« public » pour Habermas 75 est formé par des individus, se revendiquant comme tels et<br />

faisant usage de leur raison. Plus précisément, il emploie l’expression « d’agir<br />

communicationnel » en rapport à un usage libre et public de la raison. Il s’agit, en effet,<br />

de la capacité d’un individu à présenter son point de vue en public, de le confronter à<br />

l’opinion des autres et de créer un débat. Cette nouvelle entité, à la fois abstraite,<br />

immatérielle et idéelle, et exprimée dans des lieux, des dispositifs, des « médias »,<br />

« s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité politique et la transforme en<br />

une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir de l’Etat» 76 . Dans ce cas, elle<br />

74<br />

Michel LUSSAULT. L’espace public. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. sous<br />

la direction de Jacques. Lévy et Michel Lussault. Paris : Belin, 2003. p. 339.<br />

75<br />

Jürgen HABERMAS. L’espace public Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la<br />

société bourgeoise. Paris : Editions Payot, 1993.<br />

76<br />

HABERMAS cité par Isaac JOSEPH. La ville sans qualités. Tour d’Aigues : Editions de L’aube, 1998.<br />

p. 61.<br />

51


envoie métaphoriquement à tout ce qui se réfère à la vie politique, dans toutes ses<br />

dimensions.<br />

Néanmoins, en philosophie politique et chez les spécialistes de la<br />

communication, « le terme d’espace public - utilisé au singulier – désigne aujourd’hui<br />

un espace de débats, de controverses ou de révélations et évoque le dispositif<br />

démocratique par excellence, la sphère de la publicité au sens de Kant et Habermas,<br />

régie par le plaisir « sociable » de parler ensemble, de converser librement et sans<br />

contrainte » 77 . Dans cette optique, H. Arendt 78 définit l’espace public comme lieu de<br />

l’action et, plus exactement, le lieu du discours politique. Quoique multidimensionnelle<br />

dans sa formulation philosophique, cette définition reste malgré tout immatérielle. Nous<br />

percevons à quel point l’apparition de ce concept a été fortement conditionnée par une<br />

philosophie politique de tradition républicaine où prime le débat politique.<br />

Depuis, ce concept a évolué. Au début des années soixante-dix, s’engage une<br />

réflexion en terme d’aménagement où l’espace public est utilisé comme moyen<br />

d’analyser les caractéristiques spatiales d’objets de sociétés spécifiques (places, rues..),<br />

tout en tenant compte de la perception de l’espace et des éléments qui lui donnent sens.<br />

Ces derniers se référent à la fois à l’espace public en tant que sphère du débat public qui<br />

ne peut exister sans la dimension de libre accès permettant l’existence de la démocratie.<br />

Alors que K. Lynch s’intéressait à l’image de la ville et à « tous les sens qui<br />

interviennent et se conjuguent pour composer l’image » 79 , J.-F. Augoyard 80 , dont<br />

l'essentiel du travail porte sur les pratiques quotidiennes de l'espace urbain, la<br />

perception du paysage et l'esthétique des ambiances, considère l’espace comme une<br />

synthèse abstraite des cinq sens. Ces deux auteurs, qui ont travaillé sur la perception de<br />

la ville, en terme d’image ou d’ambiance, intègrent dans la notion d’espace public une<br />

dimension sensible. Cette dernière est essentielle pour conforter l’expérience du piéton<br />

en mouvement.<br />

Réfléchir à l’espace public en relation à l’expérience du piéton en mouvement<br />

nécessite un certain nombre de conditions dont l’accessibilité constitue l’élément de<br />

77<br />

Isaac. JOSEPH (dir.) Prendre place : espace public et culture dramatique. Paris : Editions Recherches :<br />

Plan Urbain, 1995.<br />

78<br />

Hannah. ARENDT. Condition de l’homme moderne. Paris : Ed. Seuil, 1995.<br />

79<br />

Kevin LYNCH. L’image de la Cité. Paris : Dunod, 1998. p. 2.<br />

80<br />

Jean-.François AUGOYARD. Pas à pas essai sur le cheminement quotidien en milieu urbain.<br />

Paris : Seuil, 1979.<br />

52


ase. Dans cette perspective, nous verrons que la rhétorique de l’agora est souvent de<br />

mise.<br />

2.1.2- L’espace public ouvert à tous<br />

La signification de l’espace public est souvent ramenée à l’Antiquité grecque et<br />

son symbole ne serait autre que l’agora. Selon cette conception dominante, l’agora<br />

s’imposait comme le sanctuaire du commerce et de l’échange, espace de discussion, de<br />

négociation, de bavardage. Dans l’agora, nulle ségrégation des usages : toutes les<br />

classes (de citoyens) s’y mêlent. La mise en place de l’espace public avait comme<br />

première fonction de contrer les insécurités entretenues par la loi du talion.<br />

Effectivement, l’enjeu reposait sur l’existence de garanties spatiales en vue de rendre<br />

plus sûres les sorties hors des maisons. Il existait par exemple des sortes de rituels de<br />

sécurisation, comme la salutation romaine dont la formule salve (« sois sain et sauf »)<br />

servait à s’aborder dans un espace public. « L’espace dans lequel pénétraient ceux qui<br />

avaient osé franchir le seuil de la maison cessa d’être, dès l’époque la plus reculée, un<br />

domaine de grandes entreprises et d’aventures qu’on ne pouvait affronter et où on ne<br />

pouvait espérer subsister qu’en s’associant avec les autres en tant que pairs » 81 . Ainsi,<br />

l’émergence de l’espace public reposait sur la reconnaissance d’altérité entre citoyens<br />

mais aussi sur une sorte d’entente marquant une coopération signe d’accomplissement<br />

de la démocratie. L’insécurité intervenait déjà comme élément structurant de pratique de<br />

l’espace public. Le citadin devait faire preuve de discernement dans son comportement<br />

de même qu’au niveau du choix du parcours à suivre.<br />

Comme l’a montré Louis Gernet 82 , la cité s’est fondée sur une révolution des<br />

mentalités, essentiellement la régression de la communauté tribale. Ainsi, afin de<br />

favoriser son unité, la « polis » « n’est construite qu’en vue de l’espace public, la place<br />

publique dans laquelle ceux qui sont libres et égaux peuvent se rencontrer à toute<br />

heure » 83 . Apparaît de fait l’idée d’accessibilité comme élément essentiel à l’existence<br />

de l’espace public.<br />

81 Hannah. ARENDT. Condition de l’homme moderne. Op. Cit., p.62<br />

82 Louis GERNET. Anthropologie de la Grèce antique. Paris : François Maspéro, 1968. p.382-393<br />

83 Hannah. ARENDT. Condition de l’homme moderne. Op. Cit.,, p.62<br />

53


En somme, dans l’Antiquité grecque, l’espace dit public est celui qui permet de<br />

devenir conscient de la présence d’autrui : « La cité devient ce foyer commun où<br />

l’émergence de l’espace public supposait la reconnaissance d’altérité entre citoyens<br />

grecs et de coopération stable, en cours d’accomplissement en démocratie » 84 . Pour ce<br />

faire, cet espace doit être largement ouvert, accessible à tout un chacun, quelles que<br />

soient les caractéristiques individuelles ou collectives des gens qui le fréquentent 85 . Ceci<br />

implique une mise en tension perpétuelle entre distance et proximité, entre le face à face<br />

avec autrui et la coprésence avec tout un chacun. De véritables rituels vont apparaître<br />

dans les comportements des individus lors de leurs déplacements à pied. Suivant les<br />

cultures, la présence d’autrui n’aura pas la même importance. Si l’on s’intéresse aux<br />

travaux d’Edward T. Hall 86 , on se rend compte de l’impact de la culture sur les<br />

pratiques et représentations de l’espace, notamment public. Effectivement, si l’on<br />

reprend la notion de « zone tampon » développée par Edward T. Hall – cette enveloppe<br />

invisible, de taille variable selon les sociétés et les contextes, qui entoure chaque<br />

personne et dans laquelle il est interdit de pénétrer sans y avoir été invité – on relève<br />

que celle-ci va rendre plus ou moins supportable le caractère de coprésence de l’espace<br />

public. A partir de la comparaison qu’il établit entre les Arabes et les Américains au<br />

sujet de la proximité, voire du contact dans un espace public, on note une expérience<br />

totalement divergente de la coprésence. L’aménagement des espaces publics est, bien<br />

entendu, très différent entre les Etats-Unis et le <strong>Mo</strong>yen Orient. Les premiers, bénéficiant<br />

de vastes étendues, s’attachent à donner le maximum d’espace aux piétons, permettant<br />

dès lors aux individus de se croiser sans se toucher. Les seconds, en revanche, disposent<br />

d’espaces de passage plus restreints qui font de l’espace public un espace de rencontre<br />

et de convivialité. Nous pouvons ainsi noter la complexité de l’expérience d’un espace<br />

public ouvert à tous, fortement déterminée par la culture de chacun. Un même espace ne<br />

sera pas perçu, pratiqué, de la même façon par des individus de cultures différentes.<br />

Mais d’autres éléments que la culture peuvent modifier la perception et la pratique d’un<br />

espace public.<br />

84 André SAUVAGE. Éveil à l’espace public. User, observer, programmer et fabriquer l’espace public,<br />

sous la direction de Jean-Yves TOUSSAINT et <strong>Mo</strong>nique ZIMMERMANN. Lausanne, Presses<br />

polytechniques et universitaires romandes, 2001. p. 25.<br />

85 Richard SENNETT. Les tyrannies de l’intimité. Paris : Seuil, 1979.<br />

86 Edward HALL. La dimension cachée. Paris : Editions du Seuil, 1971<br />

54


Ce dernier n’est pas seulement un espace de libre accès, mais aussi un espace de<br />

mise en scène de soi et des autres. Effectivement, le fait de permettre l’accessibilité à<br />

tous, va générer la mise en place de différents comportements chez les piétons.<br />

2.1.3- L’espace de visibilité ou la mise en scène de l’altérité<br />

C’est à partir du XV ème siècle que, dans le mouvement de Renaissance<br />

intellectuelle et artistique, émerge une nouvelle conception de la forme urbaine : nous<br />

assistons à une mise en perspective de la ville où l’espace public est conçu comme un<br />

cadre architectural, le décor d’une scène où le riverain est constitué en acteur et le<br />

passant en spectateur. Ceci laisse à voir l’espace public comme « un ordre des<br />

visibilités, destiné à accueillir une pluralité d’usages ou une pluralité de perspectives et<br />

qu’il implique par la même une profondeur » 87 . Comme cité précédemment, l’espace<br />

public peut être perçu comme décor d’une scène. En effet, si nous le comparons à un<br />

théâtre, nous pouvons repérer plusieurs analogies :<br />

La première tend à faire de l’aménagement de l’espace public un décor. En effet,<br />

l’espace public « apparaît comme l’ensemble des lieux où il faut laisser possible les<br />

éventuels possibles » 88 . Dans ce cadre, le maître d’ouvrage est une figure à rapprocher<br />

de celle du metteur en scène. L’un et l’autre présentent au décorateur et à l’architecte les<br />

enjeux du décor et de la forme. Ainsi le maître d’ouvrage va donner au lieu des formes<br />

qui définissent des ambiances. L’espace public devient le cadre où s’effectue un<br />

ensemble de pratiques attendues, programmées…Même si les espaces ne font pas les<br />

comportements, nous pouvons supposer que les individus seront influencés par la forme<br />

des espaces publics.<br />

La deuxième analogie associe le passant à un comédien dans la mesure où il est<br />

placé, dans l’espace public et sur la scène, sous le regard d’un public. Etre sous le<br />

regard d’un public constitue un fait simple mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un<br />

fait qui porte à conséquence. Apparaître en public implique la mise en œuvre d’une<br />

foule d’artifices pour conserver son intimité. Le passant, lui aussi, se protège du public.<br />

Il s’en remet à des règles de conduite qui l’aident à faire de lui un citadin, anonyme et<br />

87 Isaac JOSEPH. La ville sans qualités. Paris : Edition de l’Aube, 1998. p. 32.<br />

88 Denys CHAUMARD. L’espace public, scène et mise en scène. User, observer, programmer et<br />

fabriquer l’espace public, sous la direction de Jean-Yves Toussaint et <strong>Mo</strong>nique. Zimermann. Lausanne :<br />

Presses polytechniques et universitaires romandes, 2001. p. 125.<br />

55


neutre. Si bien que le passant se met en représentation, il joue un rôle. C’est pourquoi<br />

l’espace public devient l’espace des apparences, des mises en scène.<br />

La troisième analogie repose sur l’idée de conflit. Effectivement, l’espace public<br />

est un lieu, lui aussi, propice au conflit. Il est ce lieu ouvert à tous, où tous se retrouvent<br />

avec leurs divergences d’intérêts. Il est donc un espace de tensions. Les passants se<br />

croisent, se frôlent, se heurtent aussi parfois, s’évitent le plus souvent. C’est en cela que<br />

l’espace public est complexe.<br />

Enfin, la quatrième analogie se fonde sur l’idée de règles qui régissent le théâtre,<br />

dans la dramaturgie classique, mais aussi l’espace public. L’observation des espaces<br />

publics semble correspondre à des règles analogues qui constituent les unités de la<br />

dramaturgie: l’unité de temps, l’unité de lieu et l’unité d’action. Les unités de temps<br />

sont marquées dans l’espace public par la variation des usages qu’on y observe. Cela va<br />

jusqu’au « temps qu’il fait » qui est l’un des facteurs déterminant la fréquentation, les<br />

saisons influençant aussi la pratique des espaces publics. « Mais le temps n’est d’aucune<br />

qualité sans l’espace où se déroule l’action et, à l’unité des temps que les cycles<br />

organisent, y compris dans leur perturbation, s’ajuste l’unité de lieu » 89 : Une place,<br />

une rue sont avant tout des éléments physiques, mais ce qui s’y vit n’est qu’une suite de<br />

mouvements. C’est justement la totalité de ces mouvements, qui renseigne sur l’usage<br />

des espaces. Chaque espace a une histoire et est lié à des usages qui génèrent un<br />

ensemble de pratiques aux dépens d’autres possibles. Le conflit survient lorsque,<br />

justement, ces possibilités adviennent malgré tout. C’est à ce moment que l’unité<br />

d’action devient un des enjeux de l’espace public. Ainsi, comme espace instituant des<br />

règles d’usage, l’espace public offre la garantie d’un lieu où se discutent en actes ces<br />

mêmes règles, leur efficience, leur validité, leur légitimité. L’unité d’action serait d’une<br />

certaine manière cette institution de la différence comme possibilité.<br />

Toutefois, il nous faut nuancer l’idée de l’espace public comme théâtre car, à la<br />

différence de ce dernier, il s’offre davantage comme la présentation du monde, de la<br />

société et non comme sa représentation. Mais, à partir de cette comparaison avec le<br />

théâtre, il reste à analyser un aspect souvent oublié de l’espace public et qui pourtant est<br />

fortement lié à l’idée de mise en scène, et surtout de règles à suivre : il s’agit du contrôle<br />

de soi. Celui-ci constitue pour le piéton un frein qui peut limiter la flânerie, la liberté du<br />

parcours et surtout régler le comportement.<br />

89 Ibid. p.129<br />

56


2.1.4- L’espace du contrôle de soi<br />

Ce phénomène se manifeste bien dans un guide populaire de 1870 (sur Paris) qui<br />

note : « en plein XIX ème , il existe encore des créatures primitives poussées à<br />

l’incontinence des larmes par le malheur de quelque héroïne sur les planches » 90 . Ainsi,<br />

le fait de montrer sa peine ou sa joie passait pour inconvenant, il fallait garder ses<br />

émotions pour soi, le visage devant rester calme. En quelque sorte, l’homme doit rester<br />

toujours pareil à lui-même quelles que soient les circonstances. Le citadin au cœur de<br />

l’espace public apparaît insensible, indifférencié. Ceci est entretenu par la culture de<br />

l’anonymat (sur laquelle nous reviendrons plus tard). En public, le citadin évite de<br />

révéler les particularités de son appartenance sociale. Il s’efforce d’être silencieux, là où<br />

il est susceptible d’être vu, ou entendu.<br />

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Le contrôle de soi est toujours présent, même<br />

s’il semble beaucoup moins marqué. Il n’empêche que, pour beaucoup, fréquenter un<br />

espace public implique de passer inaperçu, et ce pour plusieurs raisons. La plus<br />

importante est sans doute celle liée à l’insécurité. « Ne pas se faire remarquer pour ne<br />

pas être des proies faciles où la neutralisation est conçue comme une peur de<br />

l’exposition » Ceci est repris par Jacques Lévy sous le terme « d’extimité ». « Le<br />

parcours dans l’espace public suppose une suspension de l’intime, qui en est,<br />

paradoxalement, une condition d’existence. […] Seul « l’anonymat », c’est-à-dire la<br />

garantie que l’autre urbain ne projettera pas son intimité sur la nôtre par une<br />

injonction à l’interconnaissance, permet à l’individualité de se développer et de se<br />

déployer, y compris dans l’espace public lui-même » 91 . Effectivement, comme le note<br />

aussi Richard Sennett, la ville devrait être le lieu des possibilités de rencontres sans que<br />

l’individu soit forcément obligé de révéler son intimité 92 .<br />

De plus, ce qui semble prégnant, c’est la difficulté de tout un chacun d’accepter<br />

réellement la différence. Le fait de se mettre en tension avec autrui amène à la<br />

coprésence avec des individus qui peuvent déranger, déplaire… Nous en venons, ainsi,<br />

90<br />

Cité par Françoise CHOAY. L’urbanisme, utopies et réalités : une anthologie. Paris : Editions du Seuil,<br />

1965. p. 413-414.<br />

91<br />

Jacques LEVY. Le tournant géographique : penser l’espace pour lire le monde. Paris : Belin, 1999. p.<br />

239<br />

92<br />

Richard SENNETT. Les tyrannies de l’intimité. Op. Cit.,<br />

57


à l’idée de tension qui prend place au cœur de l’espace public et qui rend parfois les<br />

déplacements piétonniers difficiles.<br />

2.1.5cohabitation<br />

L’espace public comme tension entre différence et<br />

La dimension de libre accès de l’espace public est à l’origine de cette tension. La<br />

présence d’individus différents sur un même espace peut être à l’origine de conflits,<br />

comme nous l’avons noté précédemment. Il importe alors de permettre à tous de<br />

pouvoir accéder à cet espace en cohabitant avec des individus de cultures ou d’origine<br />

sociale différentes. Se mettent ainsi en place, comme le disait Isaac Jospeh 93 , des rituels<br />

d’exposition ou d’évitement, faisant, à partir de ces expériences, un espace public de<br />

sociabilités froides et de liens faibles. La réponse à cette situation n’est autre que le<br />

développement de l’anonymat, qui « est aussi nécessaire que la circulation à la<br />

coprésence de milliers et de millions d’habitants qui autrement, ne se supporteraient<br />

pas » 94 . Il est un des moyens de se protéger d’autrui et d’être libre de ses mouvements.<br />

Il pourrait être en quelque sorte l’une des traductions possibles et urbaines de la<br />

recherche, fondamentale chez l’homme, d’un équilibre entre sécurité et liberté. Il n’en<br />

reste pas moins un élément qui repose sur une logique de codes, de règles. Comme nous<br />

pouvons le voir en ce qui concerne le port du voile dans les écoles, l’espace public<br />

associé à l’idée de laïcité ne peut concevoir que les individus affichent leurs<br />

appartenances. « En effet, le souci de préserver l’espace public de toute appropriation<br />

par un groupe ou un autre et de lui assurer une accessibilité maximale requiert de<br />

l’individu qu’il se détache de sa communauté d’origine ou d’appartenance » 95 .<br />

L’espace public doit alors être le plus neutre possible pour ne pas risquer de susciter<br />

l’appropriation par certains. Les aménageurs ont pour devoir de maintenir en quelque<br />

sorte cette tension dans la mesure où le rôle de l’aménagement d’un espace public n’est<br />

pas d’éliminer les conflits mais de les rendre vivables 96 . Sachant qu’il est primordial de<br />

93<br />

Isaac. JOSEPH. Prendre place : espace public et culture dramatique. Op. Cit., p. 14.<br />

94<br />

Colette PETONNET. L ‘anonymat urbain. In Penser la ville de demain. Sous la direction de Cynthia.<br />

GHORRA-COBIN. Paris : l’Harmattan, 1994. p. 18.<br />

95<br />

Vincent BERDOULAY. Le lieu et l’espace public. Cahiers de Géographie du Québec. Vol.41, n°114,<br />

décembre 1997. p. 305.<br />

96<br />

Jean-Yves TOUSSAINT et <strong>Mo</strong>nique ZIMMERMANN (dir.). User, observer, programmer et fabriquer<br />

l’espace public. Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2001. p. 77.<br />

58


sauvegarder l’expérience du rapport à l’autre. En tant qu’espace public, « l’espace de<br />

mobilité doit rester un espace d’échange de rencontre » 97 .<br />

Ce retour sur l’espace public et ses diverses dimensions, nous permet de mieux<br />

cerner les potentialités, mais aussi les limites, auxquelles le piéton doit faire face lors de<br />

ses déplacements. L’espace public contraint le piéton à certaines règles dans l’idée de<br />

conserver l’accessibilité pour tous. La liberté du déplacement se voit restreinte par les<br />

différents ajustements auxquels le piéton doit se référer pour réaliser son expérience du<br />

mouvement. Se mettre en scène, gérer la coprésence, le contrôle de soi, représentent un<br />

véritable défi pour le piéton qui n’est pas toujours conscient de ces différentes règles. Il<br />

n’en demeure pas moins que certains aménageurs ont su jouer de la mise en scène de<br />

l’espace public en invitant les habitants à y produire du sens, en intégrant la<br />

participation de ces derniers aux projets 98 .<br />

9797 Marie-Christine JAILLETet Jean-Patrick FORTIN. La mixité sociale : un enjeu de la rénovation<br />

urbaine, Comme la ville, n°13, févier 2004, p. 22.<br />

98 Vincent VLÉS. Espaces publics et mise en scène de la ville touristique. L’espace public à l’épreuve<br />

régressions et émergences. Sous la direction de Vincent Berdoulay, Paulo C. da Costa Gomes et Jacques<br />

Lolive. Pessac : MSHA, 2004.<br />

59


60<br />

2.2- L’espace public à l’épreuve de l’expérience du piéton<br />

en mouvement<br />

Prendre en compte les exigences du piéton nécessite une lecture croisée de la<br />

dimension matérielle et immatérielle de l’espace public. Notamment, Vincent<br />

Berdoulay 99 a tenté de réduire l’antagonisme souvent mis en avant entre les deux façons<br />

de conceptualiser l’espace public, l’une, donnant celui-ci comme espace accessible à<br />

tous et qui donne à voir avec autrui, et l’autre comme épanouissement du débat<br />

politique. Pour parvenir à un « rapprochement opératoire » de ces deux dimensions, il<br />

propose de faire intervenir la notion de lieu. « Parce qu’elle n’implique a priori aucune<br />

échelle ni aucun enfermement dans des limites spatiales, tout en restant caractérisée<br />

par sa matérialité, la notion de lieu permet d’approcher d’un même regard les<br />

phénomènes que ces deux conceptions ont tendance à tenir séparés » 100 . Ce concept de<br />

lieu ne renvoie pas à un éventuel risque d’appropriation que le concept de territoire met<br />

au contraire en avant. Il semble que le lieu soit plus à même de maintenir les<br />

fondements d’un espace public dans son acception la plus large.<br />

Apparaît actuellement un réel intérêt pour recentrer la problématique de l’espace<br />

public sur sa spatialité en vue de montrer l’importance de celle-ci dans les politiques<br />

d’aménagements. Comme le souligne Paulo César da Costa Gomes, « un regard<br />

géographique sur l’espace public doit considérer, d’un côté, sa configuration physique<br />

et, de l’autre, le type de pratiques et dynamiques sociales qui s’y développent. Il peutêtre<br />

vu comme un ensemble indissociable des formes avec les pratiques sociales » 101 .<br />

Plusieurs chercheurs ont travaillé sur le concept d’espace public (Augustin,<br />

Berdoulay, Da Costa Gomes et Castro, Ghorra-Cobin, Vlès 102 …), et certains ont choisi<br />

99<br />

Vincent BERDOULAY. Le lieu et l’espace public. Cahiers de Géographie du Québec. Vol.41, n°114,<br />

décembre 1997. p. 301-309<br />

100<br />

Ibid . p. 305<br />

101<br />

Paulo Cesar Da COSTA GOMES. A condição urbana : ensaios de geopolitica da cidade. Rio de<br />

Janeiro : Bertrand Brasil, 2002. p. 172.<br />

102<br />

Jean-Pierre. AUGUSTIN et Daniel LATOUCHE (dir.). Lieux culturels et contextes de villes. Talence :<br />

MSHA, 1998 ; Vincent BERDOULAY. Lieu et espace public. Cahiers de géographie du Québec, n°41,<br />

1997, p. 301-309 ; Vincent BERDOULAY, Ina. CASTRO et Paulo Cesar Da COSTA GOMES. L’espace<br />

public entre mythe, imaginaire et culture. Cahiers de Géographie du Québec. Volume 45, n°126,<br />

décembre 2001. p. 413-428 ; Paulo Cesar Da COSTA GOMES. La dynamique de l’espace public<br />

métropolitain et le recul de la citoyenneté au Brésil. Villes et régions au brésil, Leila Christina Dias (dir.).<br />

Paris : l’Harmattan, 2001. p. 17-32 ; Cynthia GHORRA-COBIN. Réinventer le sens de la ville : les<br />

espaces publics à l’heure globale. Paris : l’Harmattan, 2003 ; Vincent VLÉS. Espaces publics et mise en


de travailler à la croisée de réflexions politiques et culturelles. En nous appuyant sur les<br />

apports de la philosophie, de la sociologie dans la conception de l’espace public, nous<br />

souhaitons insister sur l’organisation, l’agencement de cet espace et ses répercussions<br />

sur les pratiques sociales. Comment un espace public doit-être agencé pour<br />

correspondre au mieux à ce qu’on attend de lui ? Comment une réflexion fondée sur<br />

l’organisation de l’espace, peut amener une nouvelle lecture de l’espace public ? Toutes<br />

ces interrogations sont tournées vers des préoccupations liées à l’aménagement et qui<br />

doivent rester fidèles à l’épaisseur de sens, de l’espace public. Avant de rentrer au cœur<br />

des politiques d’aménagement, nous allons faire le point sur les limites de l’espace<br />

public, notamment en terme de déplacement piétonnier.<br />

2.2.1- Repérer les limites de l’espace public en relation à la question<br />

des déplacements piétonniers.<br />

La diversité de sens d’un seul concept tend parfois à la perte de celui-ci. Dans le<br />

cas de l’espace public qui est au cœur des préoccupations urbanistiques, politiques, il en<br />

est de même. Nous verrons que ce dernier est souvent réduit à une définition en terme<br />

de libre accès, ne tenant pas compte de lui en tant que fondement de la démocratie, avec<br />

tout ce que cela génère. Nous insisterons tout particulièrement sur les limites de<br />

l’espace public au niveau des déplacements, dans leurs diversités et surtout ceux réalisés<br />

par les piétons.<br />

Un obstacle qui rend difficile la compréhension de l’espace public est l’idée, très<br />

répandue, qu’il se définit simplement par le libre accès. D’une part, cette conception<br />

pèche par le fait de ne pas distinguer le public du collectif ou du commun, c’est-à-dire<br />

que la simple caractéristique d’avoir un accès libre ne confère pas un statut public à<br />

l’espace. D’autre part, on connaît diverses formes d’espace public qui ne disposent pas<br />

de ce libre accès : hôpitaux, écoles, etc. ne sont pas librement accessibles à tous sans<br />

pour autant perdre leur qualité d’endroits publics. Ceci est un des premiers écueils que<br />

nous pouvons rencontrer.<br />

scène de la ville touristique. L’espace public à l’épreuve régressions et émergences. Vincent Berdoulay,<br />

Paulo C. Da Costa Gomes et Jacques Lolive.(dir.). Pessac : MSHA, 2004.<br />

61


Souvent, nous avons pu remarquer que l’espace public se cantonnait à une seule<br />

fonction : la mobilité. Pourtant, l’espace public est censé favoriser une pluralité de<br />

fonctions quelles soient culturelles, économiques, ludiques… En effet, la libre<br />

circulation, à l’heure du tout automobile, a considérablement modifié l’espace public où<br />

l’appropriation de la voiture a largement empiété sur l’espace dévolu aux piétons, aux<br />

cyclistes, aux riverains. Ainsi, l’automobile commande et impose ses espaces dans la<br />

ville. Comment promouvoir une mixité des fonctions, des usages, des individus dans<br />

une ville où l’espace public est pris d’assaut par l’automobile ? Nous avons pu voir,<br />

dans le premier chapitre, que cette préoccupation est devenue centrale dans les<br />

politiques de déplacements urbains.<br />

Si l’on revient à la notion d’accessibilité, celle-ci est le plus souvent entendue<br />

comme «offre de mobilité, ensemble des possibilités effectives pour relier deux lieux par<br />

un déplacement» 103 . Alors qu’il serait plus pertinent de la présenter, tout d’abord,<br />

comme la qualité d’un contexte qui permet l’évolution d’un déplacement dans l’espace,<br />

mais c’est une liberté d’échange qui appuie l’idée développée par Habermas de « l’agir<br />

communicationnel ». Néanmoins, même si les aménageurs sont friands de ce concept<br />

qui promeut le libre exercice de la parole, les résultats sur le terrain sont loin d’être<br />

aussi convaincants. Ceci se vérifie dans les orientations choisies en matière de<br />

déplacement. Seul l’aspect fonctionnel est retenu dans les choix d’aménagement de<br />

l’espace public. La place du piéton est matérialisée par l’aménagement de trottoirs plus<br />

ou moins larges suivant la place dévolue à l’automobile. Le plus souvent, le piéton doit<br />

improviser suivant le peu d’espace qui lui reste. Quant à l’espace sensible, pourtant<br />

central dans l’expérience du déplacement du piéton mais aussi du cycliste…, il n’est<br />

que très peu, voire pas du tout abordé. La distance est une fois encore très grande, entre<br />

l’espace public « idéal » porté par le concept et l’espace public restrictif du terrain.<br />

La perte du sentiment d’appartenance à une nation crée un vide d’où émerge,<br />

comme le note Alain Touraine, le sujet à la place de l’acteur social de jadis 104 ,<br />

entraînant la crise de l’espace public. Ceci remet en cause à la fois le sens même de<br />

l’espace public mais aussi de celui qui le fréquente. En effet, l’émergence du sujet est<br />

liée à la croissance de l’individualisme qui se traduit par la libre recherche du<br />

103<br />

Jacques LÉVY. Accessibilité. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Jacques.<br />

Lévy, Michel Lussault (dir.). Paris : Belin, 2003. p. 35.<br />

104<br />

Alain TOURAINE et Farhad KHOSROKHAVAR. La recherche de soi, dialogue sur le sujet. Paris :<br />

Fayard, 2000.<br />

62


développement de soi. On peut se demander dans quelle mesure l’espace public serait<br />

devenu le support de l’autonomie du sujet ? Nous tenterons de répondre à cette question<br />

lorsque nous présenterons le concept d’itinéraire.<br />

2.2.2- Approche de l’espace public au niveau des politiques<br />

d’aménagement<br />

Comme nous avons pu le constater dans le premier chapitre, l’espace public est<br />

au cœur des politiques d’urbanisme. Effectivement, la volonté de le restructurer en<br />

matière de déplacements, de gestion des flux, est centrale. Ce qui prévaut, en général, ce<br />

n’est pas la place de l’usager, du citadin dans cet espace, sa façon de le pratiquer, de le<br />

vivre, tout simplement, mais au contraire une sorte de découpage de l’espace en secteurs<br />

et axes qui déterminent la place de chacun. Les priorités sont données à la voirie, à la<br />

gestion des différents flux. Les mesures relatives à chaque mode de transports sont<br />

étudiées afin de gérer au mieux l’espace de circulation. Les piétons sont cantonnés à<br />

suivre une sorte d’itinéraire balisé, repérable entre la zone cyclable et la zone des bus.<br />

Quelle est la part de liberté laissée au citadin ? Le libre accès ne deviendrait-il pas un<br />

chemin obligatoire ?<br />

Néanmoins, d’autres alternatives semblent se dessiner. A Lyon, par exemple, les<br />

politiques d’aménagement voient le concept d’espace public comme un concept<br />

opératoire pour désigner l’espace où se tient le public, l’espace du public. Un premier<br />

travail vise à transformer les usages des espaces de la presqu’île, en améliorant le<br />

confort, en limitant la circulation automobile, en favorisant l’accessibilité et surtout<br />

l’attractivité, en orientant les usagers vers les pratiques de consommation (lèchevitrines,<br />

promenade). Un écueil apparaît encore, cette fois-ci en direction de l’activité<br />

qu’on veut faire porter à l’espace public, comme lieu d’attraction commerciale. Comme<br />

dirait l’adjoint au maire de la ville de Lyon (Henry Chabert) : « l’espace public est<br />

constitué comme offre en pratiques ; offre qui orienterait les comportements du<br />

public… » 105 . Ceci justifie parfaitement l’orientation que peut prendre une majorité de<br />

projets d’aménagement d’espace public en matière de création de secteurs piétonniers,<br />

centrés le plus souvent sur le cœur commercial de la ville. L’espace public en dehors du<br />

105<br />

Yves TOUSSAINT et <strong>Mo</strong>nique ZIMMERMANN (dir.). User, observer, programmer et fabriquer<br />

l’espace public. Op. Cit., p. 77.<br />

63


centre ville a été largement oublié par les aménageurs qui ne tiennent pas compte des<br />

déplacements piétonniers dans ces secteurs, ne serait-ce que pour se rendre à l’arrêt de<br />

bus…<br />

Un espace public, dont la mise en scène est trop localisée et excessivement<br />

planifiée, risque d’aller à l’encontre des aspirations des usagers. Il est donc primordial<br />

que le décor qui va être mis en place ne soit pas trop structurant mais plutôt ouvert à<br />

différents usages. L’espace public doit laisser le maximum de liberté en terme d’accès<br />

et de choix de comportements, sans toutefois tomber dans l’extrême et l’incontrôlable,<br />

même si cela reste néanmoins un risque à prendre. Comment, à travers les différentes<br />

dimensions que nous venons de traiter, ajuster l’espace public, d’une part comme<br />

support du piéton en mouvement et, d’autre part, en tant qu’espace offrant une lisibilité<br />

suffisante pour inviter au cheminement ?<br />

64


Conclusion<br />

Jusqu’à présent nous avons analysé les différentes dimensions de l’espace public<br />

sans oublier de révéler les actions entreprises par les aménageurs en matière<br />

d’organisation de celui-ci. Certes, les exemples que nous avons retenus sont loin de<br />

préserver le sens global de cet espace. Néanmoins, il semble difficile d’embrasser toute<br />

la richesse d’un tel concept, tant les logiques de lieu peuvent être diverses et parfois<br />

difficiles à comprendre et à modifier.<br />

Comment, en restant fidèle au concept d’espace public, aborder la cohérence des<br />

cheminements piétonniers que ce dernier propose, suscite ?<br />

Les déplacements sont au cœur des politiques d’aménagement de l’espace public,<br />

par le biais de l’accessibilité que ce dernier est censé offrir aux citadins. La<br />

multiplication des modes de transport n’a fait que compliquer les choses. L’espace<br />

public perd ainsi de sa lisibilité, tant les panneaux et les voies spécialisées se<br />

multiplient. Tout ceci crée des parasites dans l’expérience du cheminement du piéton se<br />

voyant contraint de cohabiter avec les voitures, les bus, les scooters, les vélos, qui<br />

représentent chaque jour davantage de risques. Comment redonner sa place au piéton ?<br />

Peut-être suffirait-il de redonner de la lisibilité à l’espace public, voire à la ville tout<br />

entière ? Car, comme le notait Isaac Joseph, « la qualité d’accessibilité d’un espace<br />

public est liée à la lisibilité de son mode d’emploi… » 106 . Il ne suffit pas de couvrir<br />

l’espace de panneaux de signalisation, d’information… Au contraire ; l’espace public<br />

doit pouvoir être lisible sans avoir recours exclusivement à la signalétique. D’autres<br />

éléments peuvent être pris en considération, comme par exemple la logique même du<br />

lieu dans lequel l’espace public va prendre place, en s’efforçant de tenir compte d’une<br />

logique préexistante à l’espace public que l’on souhaite aménager. Il peut notamment y<br />

avoir des espaces propices à la déambulation, en rapport avec leur exposition, leur<br />

morphologie, les monuments ou scènes qu’ils mettent en perspective. En repérant<br />

certaines logiques de lieux, il semble plus évident de proposer un espace public dont la<br />

lisibilité sera effective. Si on prend l’exemple de Paris où ont été mis en place des<br />

aménagements d’espaces dits « spécifiés » ou plus exactement de « couloirs séparés »,<br />

les résultats ne sont pas satisfaisants. Comme le souligne en effet Jean-Loup Gourdon:<br />

« mais aussi participant à la production d’un espace général disparate, alternant<br />

secteurs brutaux et secteurs en sommeil, entrecoupé de flux totalement étrangers les uns<br />

106 Isaac JOSEPH. Prendre place : espace public et culture dramatique. Colloque Cerisy, 1995. p. 20.<br />

65


aux autres, contradictoire avec la nécessaire continuité des itinéraires (un enfant qui va<br />

à l’école à pied devra à un moment quitter la « zone calme », traverser « l’axe<br />

rouge » ; un cycliste aura à franchir plus d’un carrefour sur son itinéraire, etc..) » 107 .<br />

L’espace public doit, à l’inverse, se présenter à nous comme une totalité. « Il reste à<br />

assurer le fonctionnement dans sa pleine complexité et sa totale vocation de l’espace<br />

public (qui est aussi en partie l’espace de la circulation) et à y garantir le jeu des<br />

indénombrables interactions urbaines » 108 . En ce sens, il nous a semblé indispensable<br />

de proposer un nouvel outil de lecture de la ville, qui tienne compte de l’expérience du<br />

mouvement du citadin, c'est-à-dire, d’un point de vue géographique qui tienne compte<br />

de l’expérience du mouvement du sujet. Le concept d’itinéraire s’est ainsi imposé à<br />

nous, comme nous le verrons plus tard, car il peut être mis en relation avec le concept<br />

d’espace public, tant au niveau des déplacements qu’au niveau de la lisibilité de la ville.<br />

Dans quelle mesure le concept d’itinéraire propose-t-il donc un nouvel outil de lecture<br />

de la ville et notamment de l’espace public ? Pour répondre à cette question, il importe<br />

d’abord de s’attarder, dans le chapitre suivant, sur la notion d’expérience associée à<br />

l’idée de mouvement.<br />

107<br />

Jean-Loup. GOURDON. « La rue, on partage », il dépend comment… Urbanisme, n°329, mars-avril<br />

2003. p. 18.<br />

108<br />

Ibid. p.19<br />

66


Chapitre 3 - L’expérience du mouvement<br />

La réflexion que nous avons menée jusqu’à présent sur la place accordée aux<br />

piétons au cœur de l’espace public a révélé la nécessité de dépasser l’analyse<br />

fonctionnelle des déplacements pour s’intéresser à l’expérience du piéton. Il est donc<br />

essentiel d’approfondir et développer cette notion fondamentale pour aborder plus<br />

efficacement l’aménagement de l’espace public. En effet, celle-ci correspondant à<br />

« l’ensemble des connaissances que l’on acquiert dans le temps et dans l’usage» 109 , et,<br />

lorsqu’elle est associée à la marche, nous constatons que l’« expérience se vit d’abord<br />

par le corps et les sens avant de se penser intellectuellement » 110 . Cette caractéristique<br />

indique l’importance que les aménagements ont sur le choix et le vécu du parcours,<br />

surtout dans le cas du piéton, en contact direct avec l’espace. Les aménageurs prennentils<br />

en considération cette dimension ? L’expérience permet-elle de mieux cerner les<br />

logiques en place dans le choix du parcours ? L’expérience associée au mouvement<br />

peut-elle générer une approche sensible de la ville en tenant compte des contraintes de<br />

déplacement ?<br />

L’expérience qui se développe le long des parcours piétonniers a pour<br />

particularité d’évoluer à la fois dans le temps et dans l’espace. Il ne s’agit pas d’une<br />

expérience statique analysée en un point donné. Au contraire, toute l’épaisseur de<br />

l’expérience durant le cheminement s’accomplie. Le recours à la marche permet au<br />

piéton de développer un rapport particulier à l’espace à travers une expérience qui se vit<br />

d’abord par le corps.<br />

Jusqu’à présent, d’un point de vue géographique, l’expérience a été abordée de<br />

façon statique, et non évolutive. Il nous semble que cette approche est limitée et qu’il<br />

est nécessaire, dans notre cas, d’intégrer le mouvement dans l’analyse de l’expérience.<br />

Dans ce chapitre nous aborderons donc, tout d’abord, le regain d’intérêt pour la notion<br />

d’expérience, en insistant sur l’apparition en géographie de ce concept dans le courant<br />

humaniste, puis nous analyserons ce concept, en intégrant l’idée de mouvement, pour<br />

enfin rapprocher le concept d’expérience de celui de lieu dans l’idée de voir jusqu’à<br />

quel point ce dernier est susceptible d’intégrer le mouvement.<br />

109<br />

Dictionnaire de philosophie. Jacqueline RUSS. Paris : Bordas, 1991. p. 102<br />

110<br />

Gilles RAVENEAU. L’expérience comme aménagement social et culturel de l’existence. Sociétés, n°<br />

64, 1999/2. p. 33.<br />

67


3.1- Le regain d’intérêt pour la notion d’expérience<br />

C’est au moment où les courants positiviste et radical connaissent ont le plus<br />

d’audience que l’humanisme et la phénoménologie commencent à se développer en<br />

sciences humaines. L’expérience va devenir ainsi un concept central de différentes<br />

disciplines, dont la géographie. Nous verrons que l’expérience peut prendre différentes<br />

formes suivant le courant de pensée qui l’utilise. Néanmoins, c’est la géographie<br />

humaniste qui insistera sur l’expérience sensible des lieux qu’elle considère comme<br />

riches de diversité.<br />

3.1.1- Une réaction au positivisme et au structuralisme…<br />

Dans le courant des années 60, une nouvelle orientation de la géographie va se<br />

développer sous le nom de « nouvelle géographie ». Deux traits caractérisent cette<br />

approche :<br />

- l’interrogation centrale est relative à la localisation des activités humaines. Si la<br />

question première des physiciens est « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que<br />

rien ? », On peut dire que la question fondamentale de la nouvelle géographie est<br />

« pourquoi est-ce ici plutôt qu’ailleurs ? » ;<br />

- ce courant renouvelle également ses méthodes en faisant appel à la<br />

formalisation (modèles, graphes, chorèmes…) et à la démarche hypothético-déductive.<br />

Il s’inspire de modèles classiques de localisation : ceux de Von Thünen, Alfred Weber,<br />

Walter Christaller…La théorie de la localisation fascine d’autant plus qu’elle autorise la<br />

prévision.<br />

De plus, la nouvelle géographie est « beaucoup plus soucieuse d’explication<br />

logique que de reconstitution historique. Elle essaie de proposer une interprétation<br />

théorique des phénomènes spatiaux : elle veut dégager des principes à partir desquels il<br />

est possible de comprendre leur articulation, de saisir leur fonctionnement et de<br />

reconstituer leur logique interne » 111 . Elle se penche sur le rôle de l’espace dans la vie<br />

de chacun et dans le fonctionnement de la société ; elle met à jour les principes qui lient<br />

les hommes au milieu naturel, ceux qui les poussent à se disperser et ceux qui tendent à<br />

les rassembler.<br />

111 Paul CLAVAL. La nouvelle géographie. Paris : PUF, 1977. p. 22.<br />

69


En France, des personnalités comme Paul Claval optent pour<br />

l’approfondissement des modèles théoriques imaginés par les économistes : « ce qui<br />

m’intéressait au premier chef était de débusquer les processus à l’œuvre dans<br />

l’organisation de l’espace. La période était celle de la grande croissance et de la<br />

science économique triomphante. Pourquoi ne pas y chercher des modes de pensée et<br />

de principes qui permettraient de comprendre et d’agir ? » 112 . Les chercheurs liés à<br />

Seattle (Brian J.-L. Berry, W. Garrison, John D. Nystuen, Richard L. <strong>Mo</strong>rrill…)<br />

s’engagent dans la mise à l’épreuve systématique des schémas déjà élaborés et sur des<br />

sujets relatifs à l’impact des autoroutes sur l’organisation de l’espace. La mutation<br />

scientifique accomplie par les chercheurs américains apparaît comme une « révolution<br />

quantitative ». L’expression la plus radicale de ce courant positiviste se trouve très tôt<br />

aux Etats-Unis par la voix de Schaefer (1953). Il dénonce « l’exceptionnalisme » en<br />

géographie. Adepte du néo-positivisme, qui privilégiait la recherche de loi et théories, il<br />

reprochait à la géographie classique, à ses maîtres depuis Kant, de ne pas se conformer<br />

aux règles normales de la démarche scientifique. « En optant pour la description de ce<br />

qui est unique, en se voulant idiographique et non nomothétique, la géographie se<br />

condamnait à ne jamais déboucher sur un savoir autorisant la prévision » 113 . Il est<br />

important de signaler la réticence de certains géographes français à ce nouveau courant,<br />

comme B. Kayser pour qui les théories ou schémas a priori dans l’étude de la région<br />

n’ont pas raison d’être… « pour comble, le refus implicite des théories de Christaller –<br />

auquel il se réfère évidemment en critiquant les inventaires des villes françaises –<br />

complète le tableau » 114 .<br />

Le bilan de la nouvelle géographie signale la présence d’ombres, comme la<br />

réduction de la ville à ses seules dimensions fonctionnelles, en oubliant la dimension<br />

symbolique. De plus, certains chapitres de la géographie sont laissés à l’abandon, telles<br />

les structures agraires et la géographie historique jugées trop passéistes, ou la<br />

géographie culturelle qui paraît en voie de disparition à l’heure où la diffusion de types<br />

de comportements inspirés du modèle américain se généralise. Il en est de même pour<br />

les études régionales et la géographie physique... Mais « une réaction se dessine contre<br />

ces excès… Beaucoup d’attitudes ont leur racines dans l’expérience que chaque homme<br />

112 Paul CLAVAL. Histoire de la Géographie française de 1870 à nos jours. Paris : Nathan, 1998. p. 316.<br />

113 Paul CLAVAL. Histoire de la Géographie. Paris, Presses Universitaires de France, 1996. p. 100.<br />

114 Horacio CAPEL. La continuité et le changement. Dans Géographe : entre espace et développement ,<br />

sous la direction de Bernard KAYSER. Toulouse : Presses universitaires de Mirail, 1990. p. 30.<br />

70


a du monde. La géographie ne peut ignorer le sens du vécu » 115 . Malgré la prise de<br />

conscience des lacunes de la nouvelle géographie, un autre courant, plus contestataire,<br />

voit le jour.<br />

Dans les années 70, la demande sociale a changé, la mode est de critiquer la<br />

société de consommation. C’est la mise en place du courant « radical », qui s’intéresse<br />

particulièrement aux inégalités et à leur traduction spatiale. Des auteurs d’inspiration<br />

marxiste, comme David Harvey, ont voulu montrer comment le processus<br />

d’accumulation capitaliste aboutissait à des effets de concentration spatiale dans<br />

certaines zones au détriment d’autres. Autre thème de cette géographie critique : la<br />

ségrégation spatiale des minorités. Elle tire également profit des analyses de<br />

philosophes et sociologues marxistes français ou d’expression française, comme<br />

Manuel Castells, dont l’approche est structuraliste: « Pour un marxiste l’expression<br />

« expérience vécue » pourrait symboliser la manifestation ultime de l’aliénation, l’issue<br />

d’une lutte contre l’injustice des structures de domination et les réalités des jeux<br />

économiques et politiques » 116 .<br />

Ce courant conteste la science positiviste en critiquant son projet normatif et en<br />

lui opposant des théories sociales contradictoires. Dans les années 1980, ce courant<br />

commence à s’essouffler. Le nouvel intérêt pour l’individu est venu amoindrir<br />

l’importance accordée aux structures sociales, la mouvance structuraliste et systémique<br />

faisant peu de place à l’autodétermination individuelle.<br />

Certes, dans la même période, la géographie du comportement (behavioral<br />

geography) va s’inspirer de la psychologie pour analyser les pratiques spatiales des êtres<br />

humains. Le principe retenu repose sur l’idée que le comportement humain dépend<br />

essentiellement des interactions qui surviennent entre la personne et son environnement.<br />

Mais la méthode retenue, reposant sur des analyses empiriques (comportements<br />

répétés), ne tient pas compte de l’expérience ou du moins tend à vouloir « réduire cette<br />

notion vague en termes précis et mesurables » 117 . Nous pouvons constater, d’après les<br />

remarques suggérées par Anne Buttimer sur la diversité de réponses qu’appellerait<br />

l’expression « expérience vécue », qu’entre le courant marxiste et la géographie du<br />

comportement, l’expérience peut être interprétée de différentes manières, souvent<br />

réductrices, suivant les objectifs et aspirations de chacun.<br />

115 Paul CLAVAL. La nouvelle géographie. Op. Cit., p. 122.<br />

116 Anne BUTTIMER. Le temps, l’espace et le monde vécu. L’Espace Géographique, n°4, 1979.<br />

117 Ibid. p. 244.<br />

71


La géographie du comportement n’arrivant pas à franchir les portes de<br />

l’expérience, face à l’insatisfaction générée par la nouvelle géographie et le courant<br />

radical, s’affirme le courant humaniste qui propose de s’intéresser davantage à<br />

l’individu et à son expérience.<br />

72<br />

3.1.2- …l’expérience dans le courant humaniste<br />

C’est en totale opposition aux courants vus précédemment que l’humanisme voit<br />

le jour. Il est né d’une prise de conscience des faiblesses explicatives des points de vue<br />

« quantitativistes » et « marxistes » à l’époque de la guerre du Viêt-Nam et des émeutes<br />

raciales aux Etats-Unis ainsi que du manque de pertinence de la géographie classique<br />

ressenti à la suite des événements sociaux de 1968 en Europe. La perspective humaniste<br />

souhaite alors saisir le sens des valeurs humaines et des pratiques spatiales. Armand<br />

Frémont le souligne : « Parce qu’une société vit dans des lieux précis, parce qu’elle<br />

possède une histoire collective, l’étude de l’espace vécu devient aussi indispensable à la<br />

compréhension des pratiques spatiales que l’analyse des localisations<br />

économiques » 118 .<br />

Nous constatons dans cette citation le détachement pris par ce courant vis-à-vis<br />

des autres tendances focalisées moins sur les individus que sur les faits économiques.<br />

Frémont s’est alors intéressé à la littérature, par exemple dans l’ouvrage Madame<br />

Bovary où il repère les éléments caractéristiques de la Normandie : « autour du père<br />

Rouault, de Charles Bovary, du pharmacien Homais, Flaubert campe une région hautnormande<br />

d’une densité peu commune, aussi vivante que solidement structurée. A<br />

chaque page, le géographe se retrouve en pays de connaissance dans cette contrée où<br />

vivent des hommes de la terre, de l’argent, des relations de place de marché… » 119 .<br />

C’est en reprenant la définition de l’expérience dans un sens courant – « elle<br />

représente l’ensemble des connaissances que l’on acquiert dans le temps et dans<br />

l’usage. Il s’agit d’une connaissance acquise par les sens, impression sensible non<br />

élaborée : synthèse des sensations » 120 – que l’on peut souligner l’importance des sens<br />

mais aussi du temps et de la pratique (que nous développerons plus tard) dans cette<br />

118<br />

Cité dans L’Humanisme en Géographie. , sous la direction d’Antoine BAILLY et Renato SCARIATI.<br />

Paris : Anthropos, 1990. p. 9.<br />

119<br />

Armand FREMONT. La région: essai sur l’espace vécu, Dans la pensée géographique française<br />

contemporaine, Saint-Brieuc : Presses universitaires de Bretagne, 1972. p. 672.<br />

120<br />

Jacqueline RUSS. Dictionnaire de philosophie. Op. Cit., p. 102.


notion clé de la pensée humaniste. Elle ne se contente pas de vouloir décrire, elle<br />

souhaite interpréter dans un contexte global d’intersubjectivité.<br />

C’est en s’inspirant de la phénoménologie, courant philosophique qui « prône le<br />

retour à l’immédiateté des choses, [ à ] une quête du sens, [ à ] un regard transparent<br />

sur un monde opaque » 121 , que la géographie humaniste s’est mise en place. En<br />

Amérique du Nord, un chercheur d’origine chinoise, Yi-Fu Tuan, qui s’inscrit dans<br />

l’école de Berkeley, a réfléchi à ce que son expérience d’étranger, plongé dans un<br />

monde profondément différent de celui où il est né, lui a fait éprouver. Un de ses<br />

ouvrages, Topophilia, insiste sur l’expérience des lieux qu’ont les individus<br />

: « Topophilia is the affective bond between people and place or setting. Diffuse as<br />

concept, vivid and concrete as personal experience, topophilia is a recurrent theme of<br />

the book” 122 . Au-delà des localisations, des formes, des structures et des activités, Yi Fu<br />

Tuan annonce que le caractère distinctif du lieu émane des valeurs, des significations et<br />

des aspirations ressenties par l’homme 123 . Cet espace signifiant existe à toutes les<br />

échelles. La topophilie 124 concerne la description des lieux que les gens affectionnent et<br />

auxquels ils se sentent attachés, la géopiété exprime le caractère mythique, religieux des<br />

lieux. La topophobie 125 , quant à elle, concerne les lieux évoquant la peur. Le sens du<br />

lieu reflète ainsi la qualité perçue d’un espace. L’expérience associée aux lieux se situe<br />

au centre des recherches entreprises par Yi Fu Tuan.<br />

Anne Buttimer dans ses recherches a insisté sur la définition de l’expérience<br />

vécue dans laquelle elle perçoit « l’expérience vécue non dans le sens d’une<br />

détermination unidirectionnelle, mais plutôt comme des déterminismes réciproques,<br />

d’un dialogue continuel entre le corps et son milieu » 126 . Rendant compte de l’espace,<br />

du temps et du monde vécu, il n’est pas étonnant que la phénoménologie ait trouvé écho<br />

dans la géographie, « puisque toute expérience individuelle engage l’âme et le corps<br />

dans l’espace et le temps » 127 . Beaucoup de géographes, gênés par les présupposés de la<br />

nouvelle géographie, emboîtent le pas : c’est le cas par exemple de Marwyn Samuels,<br />

121 Bertrand LEVY. L’apport de la philosophie existentielle à la géographie humaniste. Dans<br />

L’Humanisme en Géographie, sous la direction d’Antoine BAILLY et Renato SCARIATI. p. 80.<br />

122 Yi Fu TUAN. Topophilia, a study of environnemental perception, attitudes and values. New York :<br />

Colombia University Press, 1990. p. 4.<br />

123 Yi Fu TUAN. Space and Place: the perspective of experience. University of Minesota Press, 2001.<br />

124 Yi Fu TUAN. Topophilia : a study of environmental perception, attitudes, and values. Columbia<br />

Université Press, 1990.<br />

125 Yi Fu TUAN. Landscapes of fear. New York : Blackwell, 1981<br />

126 Anne BUTTIMER. Le temps, l’espace et le monde vécu. L’Espace Géographique, n°4, 1979, p. 247.<br />

127 Bertrand LEVY. L’apport de la philosophie existentielle à la géographie humaniste. Op. Cit., p. 81.<br />

73


d’Edward Relph. Dans un article de 1976, Yi-Fu Tuan parle de géographie humaniste<br />

pour désigner le nouveau courant, le terme géographie phénoménologique faisant trop<br />

explicitement référence à une philosophie particulière.<br />

Les thèmes qu’aborde le courant humaniste sont variés. Dans le monde anglosaxon,<br />

c’est au sens des lieux ou à la notion de personnalité géographique que l’on<br />

s’attache surtout autour de 1972-1974. Pour comprendre la diversité des expériences<br />

que l’on peut avoir de l’espace, les témoignages littéraires sont également explorés. Le<br />

milieu étudié est considéré au niveau sensible, en tenant compte de l’expérience des<br />

individus.<br />

Dans les autres pays, les orientations choisies sont souvent différentes. En<br />

France, par exemple, Armand Frémont tire de sa passion pour l’écriture et de son goût<br />

pour les romans des moyens d’approcher l’espace vécu. Ce n’est qu’au terme de cette<br />

démarche qu’il prend conscience de ce qu’elle a en commun avec les travaux des<br />

chercheurs anglo-saxons. C’est une géographie qui n’a plus honte de la subjectivité et<br />

qui, au contraire, l’utilise pour révéler les consciences collectives, dévoiler les traces des<br />

mémoires et participer à la création des lieux.<br />

Toutefois, le succès de ce courant humaniste à traiter de la subjectivité et, plus<br />

exactement, de l’expérience du sujet, celle-ci reste abordée de façon statique : les<br />

géographes ont peu introduit la notion de temps dans leur compréhension de ce que<br />

nous avons qualifié « d’expérience du mouvement ». Il sera donc utile de faire un<br />

détour par certains travaux de sociologie, afin de déterminer les fondements de notre<br />

analyse de « l’expérience du mouvement ».<br />

74


3.1.3- L’expérience comme processus dans le temps<br />

L’analyse de l’expérience nécessite de s’intéresser à différentes disciplines et<br />

tout particulièrement, lorsqu’il s’agit de l’aborder dans la perspective du mouvement, à<br />

la sociologie. Pour ce faire, nous allons tout d’abord réfléchir sur les caractéristiques de<br />

l’expérience sociale, puis sur l’influence de ce concept dans la lecture des lieux ; enfin,<br />

nous verrons l’apport des travaux d’Alain Tarrius dans la mise en place de l’expérience<br />

du mouvement.<br />

L’expérience sociale<br />

François Dubet, dans son ouvrage Sociologie de l’expérience, a fait porter son<br />

analyse sur l’expérience en dégageant, pour commencer, deux sens à cette notion. Tout<br />

d’abord, « l’expérience est une manière d’éprouver, d’être envahi par un état<br />

émotionnel suffisamment fort pour que l’acteur ne s’appartienne pas vraiment tout en<br />

découvrant une subjectivité personnelle (expérience esthétique, amoureuse,<br />

religieuse…) » 128 Cette représentation du vécu apparaît comme ambivalente. D’un côté<br />

elle se présente comme proprement individuelle et de l’autre, l’expérience peut être<br />

conçue comme le recouvrement de la conscience individuelle par la société. « Même si<br />

l’expérience se veut, le plus souvent, purement individuelle, il n’empêche qu’elle<br />

n’existe vraiment, aux yeux de l’individu que dans la mesure où elle est reconnue par<br />

d’autres, éventuellement partagée et confirmée par d’autres » 129 . Dans un second sens,<br />

« l’expérience est une activité cognitive, c’est une manière de construire le réel et<br />

surtout de le vérifier, de l’expérimenter » 130 .<br />

L’expérience de l’individu s’inscrivant dans des registres multiples, l’expérience<br />

sociale ne peut être totale. Ceci se vérifie au regard des caractéristiques de cette<br />

dernière.<br />

Elle se veut d’abord critique : les individus mettent leur propre expérience à<br />

distance, la jugent. Ceci ne peut se faire qu’en relation avec d’autres et au cours de<br />

débats.<br />

Ensuite, elle combine plusieurs types de logique d’action :<br />

128 François DUBET. Sociologie de l’expérience. Paris : Ed. du Seuil, 1994. p. 91.<br />

129 Ibid. p. 101<br />

130 Ibid. p. 92<br />

75


- l’intégration (communauté) ;<br />

- la stratégie (marché) ;<br />

- et la subjectivation (système culturel).<br />

Dans la logique d’intégration, l’acteur se définit par ses appartenances qu’il vise<br />

à maintenir ou à renforcer dans une société considérée comme un système d’intégration.<br />

La culture y est définie en terme de valeurs.<br />

Au niveau de la stratégie, l’acteur essaie de réaliser la conception qu’il se fait de<br />

ses intérêts dans une société conçue comme un marché. Il précise son identité en terme<br />

de statut. Le moi social fonctionne alors comme un moyen. Comme le dit P.<br />

Bourdieu 131 , « l’habitus » n’est pas seulement un « être », c’est aussi une ressource<br />

stratégique, un « capital ».<br />

Enfin, dans la logique de subjectivation, l’acteur se représente comme un sujet<br />

critique, confronté à une société définie comme un système de production et de<br />

domination. L’activité critique suppose alors l’existence d’une logique culturelle par<br />

laquelle l’acteur se distingue des autres logiques. Comme le dit L. Dumont, le sujet est<br />

toujours partiellement « hors du monde » 132 . Son identité est formée par sa tension avec<br />

le monde, c’est-à-dire avec l’action intégratrice et avec la stratégie.<br />

En conséquence, les éléments simples qui composent l’expérience sociale<br />

n’appartiennent pas à l’acteur : ils lui sont donnés, lui préexistent ou lui sont imposés à<br />

travers une culture, des rapports sociaux, des contraintes de situation ou domination.<br />

Même si les références à l’espace manquent dans le point de vue qui vient d’être<br />

analysé, il nous a permis de mieux situer l’importance de l’expérience dans la<br />

compréhension de l’individu en tant qu’être à la fois social et culturel. Qu’en est-il<br />

lorsqu’on aborde l’expérience des lieux ? Quels sens l’expérience va assigner aux<br />

lieux ? Dans l’objectif de cerner le rôle de l’expérience dans la compréhension des<br />

lieux, dans le sens quelle peut leur procurer, nous allons nous intéresser dans le cadre de<br />

la géographie aux sens des lieux à partir de l’étude littéraire.<br />

L’expérience des lieux<br />

L’expérience intègre l’idée de perception des choses par les sens. Les sens de<br />

chaque individu sont influencés par ses connaissances et sa culture : « La culture est un<br />

ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui,<br />

131 Pierre BOURDIEU. Le sens pratique. Paris : Éditions de Minuit, 1980<br />

132 Cité par, Ibid. p. 93<br />

76


étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent d’une manière à la<br />

fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière<br />

et distincte » 133 .<br />

Cela revient à admettre que la culture influence l’expérience, donc la perception<br />

des lieux. Si nous prenons comme exemple l’arrivée d’un Européen au Japon, un monde<br />

où la culture est totalement différente, les lieux rencontrés n’auront pas la même<br />

signification à ses yeux qu’à ceux du Japonais. Ceci a été vérifié par Edward T. Hall :<br />

« L’homme occidental perçoit les objets, mais non les espaces qui les séparent. Au<br />

Japon, au contraire, ces espaces sont perçus, nommés et révérés sous le terme de<br />

« ma », ou espace intercalaire» 134 . La façon qu’ont les gens de s’orienter et de se<br />

déplacer d’un lieu à un autre révèle leur culture d’origine et le monde de perception<br />

qu’ils y ont acquis. Les personnes ayant une culture commune peuvent avoir la même<br />

sensibilité vis-à-vis d’un espace, néanmoins, nous savons que deux personnes ne<br />

peuvent jamais voir exactement la même chose, car les hommes n’entretiennent pas tous<br />

les mêmes rapports avec le monde environnant. « Chaque lieu se trouve associé à des<br />

expériences individuelles irréductibles les unes aux autres » 135 .<br />

De plus, Kevin Lynch, qui a justement travaillé sur l’interaction entre<br />

l’expérience et le temps 136 , montre aussi à quel point les expériences passées jouent<br />

dans l’expérience que l’on vit à un moment donné vis-à-vis d’un lieu : «l’expérience<br />

que l’on peut faire quelque part dépend toujours de son environnement, de la suite<br />

d’événements qui y conduisent, du souvenir des expériences passées» 137 . L’influence du<br />

temps sur l’homme ne peut être négligée lorsqu’on traite de l’expérience qui suit ce<br />

dernier depuis sa naissance et l’amène à appréhender l’espace et la vie, avec toute<br />

l’épaisseur de son existence.<br />

La géographie humaniste anglo-saxonne a d’ailleurs mis en valeur ce qui fait<br />

l’originalité des lieux, la charge subjective dont ils sont investis par l’expérience :<br />

« valeurs, représentations, intentions, subjectivité, identité, enracinement, expérience<br />

concrète, perception, autant de notions mobilisées pour remettre le sujet au centre des<br />

préoccupations des géographes dans leurs réflexions sur les rapports homme-milieu. En<br />

133<br />

Guy ROCHER. Introduction à la sociologie générale, tome1 : l’action sociale. Paris : Seuil, 1968.<br />

p. 111.<br />

134<br />

Edward HALL. La dimension cachée. Op. Cit., p.99.<br />

135<br />

Paul CLAVAL. La logique des villes : essai d’urbanologie. Op. Cit., p. 454.<br />

136<br />

Kevin LYNCH. What time is this place ? MIT Press, 1976.<br />

137<br />

Kevin LYNCH. L’image de la cité. Paris : Dunod, 1998. p. 1.<br />

77


géographie culturelle il s’agit du domaine des représentations fortement déterminées<br />

par les symboles, mythes…transmis par la culture » 138 .<br />

L’expérience des lieux a été approfondie par le recours des géographes à la<br />

littérature. Intéressés par les témoignages subjectifs sur les valeurs des lieux, les<br />

différents types de représentation ou de perception de l’espace, les chercheurs trouvent<br />

dans le récit romanesque de nombreux exemples pour confirmer leurs idées sur<br />

l’importance des aspects non quantifiables du rapport au monde : « La littérature et les<br />

arts sont également très utiles au géographe humaniste comme sources d’information et<br />

pour mieux saisir le développement ou l’apparition de notre sensibilité à l’égard du<br />

milieu ; en outre, ils nous aident à poser ou à confirmer nos hypothèses de<br />

recherche 139 ».<br />

L’atout de la littérature est de présenter une transcription de l’expérience.<br />

Soucieux de voir comment l’homme se représente son expérience de l’espace, les<br />

géographes humanistes privilégient le roman dans la mesure où il leur semble fournir<br />

l’occasion idéale d’une rencontre entre le monde objectif et la subjectivité humaine. Ce<br />

qui intéresse les géographes humanistes, ce ne sont pas les caractéristiques du lieu mais<br />

l’expérience que l’homme en fait. Dans cette optique, Julien Gracq, qui écrit notamment<br />

sur l’expérience de la marche, souligne dans un de ses ouvrages les changements de<br />

ressentis dans une marche nocturne en forêt « Très vite, la marche se fit silencieuse,<br />

puis un sentiment de malaise commença de nous envahir : nous étions partis pour une<br />

longue marche, au bout d’une demi-heure à peine nous décidâmes de rebrousser<br />

chemin. J’ai cru entrevoir cette nuit-là la source de l’angoisse qui pèse sur la traversée<br />

des grands bois par une nuit sans lune » 140 .<br />

Si nous prenons comme exemple l’ascension du <strong>Mo</strong>nt Ventoux de Pétrarque,<br />

nous apparaît alors l’importance de l’expérience de l’individu dans sa relation à<br />

l’espace. Cette ascension, qui avait pour but de voir « la singulière hauteur du lieu », va<br />

se résumer non à une perception de l’espace mais à une réflexion spirituelle sur son<br />

être : Pétrarque se tourne d’abord vers l’Italie, qu’il voit « par l’esprit et non par les<br />

yeux ». Pris de nostalgie, il se livre à un examen de conscience. Il se remémore les dix<br />

ans qui se sont écoulés depuis qu’il a quitté Bologne… et comprend que ses réflexions<br />

lui ont « presque fait oublier dans quel lieu il est venu et pour quelle raison », il se<br />

138 Marc BROSSEAU. Des romans-géographes : essai. Paris : L’Harmattan, 1996. p. 32.<br />

139 Antoine BAILLY et al. Les concepts de la Géographie Humaine. Paris : Masson, 1984. p. 140.<br />

140 Julien GRACQ. Carnets du grand chemin. Paris : Corti, 1992. p. 11.<br />

78


tourne « pour voir ce qu’il était venu voir » 141 . Cette expérience du lieu, singulière,<br />

montre à quel point la culture détermine l’expérience d’un individu. Les sens de<br />

Pétrarque sont brouillés par sa propre pensée qui prend le dessus. L’imaginaire prend<br />

forme dans ce paysage qu’il semble ne plus voir. Après avoir subi l’ascension, durant<br />

laquelle la marche a rétabli le contact entre son corps et son esprit, il s’abandonne à la<br />

contemplation. Le panorama qu’il découvre l’invite au voyage introspectif.<br />

Si à la même époque une autre personne avait écrit son ascension, nous aurions<br />

sans doute eu un récit différent, peut-être davantage tourné vers la perception de<br />

l’espace. C’est pourquoi il est intéressant, quand cela est possible, de comparer deux<br />

récits d’auteurs différents sur le même lieu, pour mettre en évidence l’importance de<br />

l’expérience individuelle 142 . Sur un itinéraire identique, les expériences vont-elles être<br />

similaires, ou les récits des lieux traversés vont-ils être différents ?<br />

L’expérience du mouvement<br />

L’expérience est souvent étudiée en géographie à un instant donné à partir d’un<br />

point statique. Il s’agit d’une expérience « hors temps », qui n’est pas centrée sur<br />

l’évolution. Ce sont les impressions et les sentiments recueillis à un moment donné qui<br />

sont retenus. Cependant, l’expérience d’un individu n’est pas fixe, elle change au fur et<br />

à mesure qu’il avance. C’est pourquoi nous trouvons indispensable de présenter le<br />

concept d’expérience avec l’idée de progression dans le temps.<br />

Envisager cette notion comme un processus qui évolue dans le temps entraîne un<br />

changement dans l’expérience du lieu. De nos jours, les transports modernes n’offrent<br />

que très peu de contact avec les lieux traversés. Ils interdisent l’accès à l’espace de nos<br />

sens. En effet, lorsque nous traversons en TGV (train à grande vitesse) la forêt des<br />

Landes, nous ne profitons pas des senteurs des pins, du chant des oiseaux…, du bruit du<br />

vent s’engouffrant dans la forêt et du soleil qui se glisse entre les branches pour venir<br />

nous effleurer. Il ne s’agit plus de ballade à pied ou à vélo. On ne perçoit pas les<br />

transitions entre les paysages, les espaces, avec la même intensité en train, en voiture ou<br />

à pied. Mais aussi, « se mouvoir, c’est traverser les hiérarchies sociales, c’est<br />

consommer symboliquement et factuellement du temps, de l’espace, c’est manifester<br />

141 PETRARQUE. Lettre familière, IV, 1.<br />

142 Autrefois certains éléments relatifs à l’expérience étaient consignés dans des récits de voyage.<br />

Cependant, ceux-ci n’étant pas au centre des préoccupations scientifiques, il nous est difficile d’exploiter<br />

ce domaine.<br />

79


symptomatiquement ses places : celles que l’on perçoit, celles que l’on occupe comme<br />

celles que l’on désire » 143 .<br />

En évoluant sur un parcours, nous sommes en relation avec différents lieux. Il y<br />

a ceux qui nous sont proches par la place qu’ils occupent dans notre histoire, ou parce<br />

qu’ils sont mythiques, symboliques, beaux… d’autres sont repoussants, ou hostiles…<br />

Tout ceci dépend de notre vécu, lequel oriente nos expériences et notre perception de<br />

l’espace. De la même façon, il existe différentes expériences de la mobilité :<br />

- Alain Tarrius, quant à lui, a distingué dans sa recherche deux espaces de<br />

mobilité : « le premier, endogène aux mouvements quotidiens ou aux déménagements de<br />

proximité peut toujours être considéré comme une étape sur un second type d’espace<br />

fait de cheminements, de longs itinéraires inter-générationnels de l’errance collective<br />

vers des terres promises, pour du travail et de la « différence » de mode de vie. 144 »<br />

Ceci recoupe l’idée de mobilité comme « franchissement de limites socialement<br />

signifiantes, à commencer par celles de l’espace domestique jusqu’à celles des<br />

états… » 145 .<br />

- Dans la deuxième partie, nous verrons qu’il existe aussi des itinéraires liés au<br />

fait religieux : les pèlerinages. Les individus parcourent des espaces connus ou inconnus<br />

qui vont leur procurer des sentiments particuliers qui vont évoluer tout au long du<br />

chemin en même temps que la perception des lieux traversés.<br />

C’est un enchaînement de lieux qui se révèle aux yeux du citadin, du promeneur,<br />

du migrant, du pèlerin… Le sens des éléments rencontrés peut alors changer du fait de<br />

la progression de l’individu à la fois dans le temps, dans l’espace, dans « son être » et<br />

vis-à-vis de l’altérité. Dépaysement et étonnement s’insèrent dans le cheminement. « Il<br />

s’agit d’exprimer, en le canalisant dans le sens de la découverte, cet habitus qui assure<br />

la connaissance fusionnelle individu-univers » 146 . Le monde existe en effet pour nous en<br />

tant que formation de sens à travers les façons changeantes de se livrer.<br />

De plus, la référence à la mobilité renvoie à deux notions : le temps et l’espace.<br />

Ces dernières « entretiennent des rapports très étroits dans tout acte de mobilité :<br />

rythmes, flux… organisent les parcours en trajectoires qu’expriment bien sûr des<br />

143<br />

Alain TARRIUS. Anthropologie du mouvement. Caen : Ed. Paradigme, 1989. p. 135.<br />

144<br />

Alain TARRIUS. Anthropologie du mouvement. Op. Cit., p.23<br />

145<br />

Xavier PIOLLE. <strong>Mo</strong>bilité, identités, territoires. Revue de Géographie de Lyon, vol.65, n°3, 1990.<br />

p. 150.<br />

146<br />

Alain TARRIUS. Anthropologie du mouvement. Op. Cit., p.14.<br />

80


histoires de vie, mais s’articulent en destins collectifs » 147 . Les histoires de vie dont<br />

parle Alain Tarrius font référence à la notion d’expérience qui évolue elle aussi dans le<br />

temps tout le long du parcours et des rencontres. La marche en est un parfait exemple.<br />

Celle-ci permet de développer une expérience particulière, dans la mesure où une<br />

multitude d’émotions est ressentie au cours de cette évolution lente, que se soit au<br />

niveau physique, psychologique ou sensoriel. L’homme a besoin « d’un espace où il se<br />

meut ; [d’]un ensemble de relations, d’échanges ; des directions et des distances qui<br />

fixent en quelque sorte le lieu de son existence » 148 . C’est ainsi que Dardel, à travers la<br />

« géographicité », a abordé le rapport des êtres humains avec l’espace, en intégrant<br />

l’idée d’expérience.<br />

A travers l’itinéraire qui se dessine, se développe l’expérience en tant<br />

« qu’ensemble des connaissances que l’on acquiert dans le temps et dans l’usage » 149<br />

puisque, les marcheurs vont acquérir de nouvelles connaissances sur les lieux qu’ils<br />

parcourent, des personnes qu’ils rencontrent et sur eux-mêmes, tout cela dans le temps<br />

et l’usage de la marche. « A travers la marche, on plonge dans une forme active de<br />

méditation sollicitant une pleine sensorialité» 150 . La marche mène à la découverte du<br />

monde, elle en est une expérience pleine laissant à l’homme l’initiative de sa démarche.<br />

On retrouve l’idée développée dans la définition de l’expérience en philosophie : « il<br />

s’agit d’une connaissance acquise par les sens, impression sensible non élaborée :<br />

synthèse des sensations. » 151<br />

En effet, la marche ne privilégie pas le seul regard. Tous les sens sont éveillés<br />

par ce corps qui évolue dans l’espace, « à la différence du train, de la voiture qui<br />

induisent la passivité du corps et l’éloignement du monde. 152 » « La marche est une<br />

méthode tranquille de réanchantement de la durée et de l’espace» 153 . Les parcours que<br />

l’on réalise à pied permettent de prendre le temps nécessaire à l’appréhension du<br />

monde. Le fait que notre corps évolue à travers la marche fait de la même façon évoluer<br />

la pensée : « …c’est non seulement avec notre corps que nous pensons, mais bien notre<br />

corps qui pense ; et cela non point comme s’il était isolé, mais nécessairement en<br />

relation avec son environnement physique et social. …la pensée relève de la<br />

147 Alain TARRIUS. Fin de siècle incertaine à Perpignan. Op. Cit., p. 93.<br />

148 Eric DARDEL. L’homme et la terre : nature de la réalité géographique. Paris : CTHS, 1990. p. 13.<br />

149 Jacqueline RUSS Dictionnaire de philosophie. Op. Cit., p. 102.<br />

150 David LE BRETON. Eloge de la marche. Paris, Ed. Métailié, 2000. p. 11.<br />

151 Dictionnaire de philosophie. Op. Cit., p. 103<br />

152 David LE BRETON. Eloge de la marche. Op. Cit., p. 14<br />

153 David LE BRETON.. Eloge de la marche. Op. Cit., p. 18<br />

81


corporéité » 154 . C’est pourquoi tout ceci équivaut à dire « que nous prédiquons le<br />

monde à partir de notre corps ; ce qui correspond, littéralement, à l’idée merleaupontienne<br />

que le réel est chargé de prédicats anthropologiques, donnant ainsi<br />

naissance à la réalité » 155 .<br />

De plus, marcher, c’est forcément naviguer, observer et agir en même temps,<br />

c’est ajuster son allure, sa direction, le contact physique avec l’environnement<br />

d’humains et d’objets… C’est en cela que l’on peut parler de la marche comme<br />

expérience pleine. « Autrement dit, la marche ne se contente pas de déplacer la<br />

perception, elle la peuple de l’intérieur, elle l’active à l’occasion de ses rencontres avec<br />

l’environnement et fait de la pluralité une conséquence pratique de la locomotion » 156 .<br />

La marche est en somme une technique du corps 157 tout à fait singulière, qui n’est autre<br />

que le déplacement primaire de l’homme.<br />

L’Histoire montre en outre que ce « corps des gens », sous l’influence des idées<br />

occidentales, est devenu moins sensible ; « ce qui confirme que la modernité, quelle que<br />

soit la société en question, est adverse au corps médial 158 (c’est la « trajection » de<br />

l’humain dans son environnement) ». On se rend compte qu’aujourd’hui il reste « des<br />

corps qui vont et viennent dans les territoires illimités du quotidien urbain, les uns sont<br />

pressés, actifs, agités, d’autres semblent au repos » 159 . Le corps se fait d’autant plus<br />

pénible à assumer à mesure que se restreint la part de ses activités sur l’environnement.<br />

« Cet effacement entame la vision du monde de l’homme, limite son champ d’action sur<br />

le réel, diminue le sentiment de consistance du moi, affaiblit sa connaissance des<br />

choses » 160 . Comme le soulignait déjà Paul Virilio, « l’humanité urbanisée devient une<br />

humanité assise » 161 . Hormis les quelques pas qu’ils font pour se rendre à leur voiture<br />

ou en sortir, aller à leur travail et rentrer, une majorité d’individus demeurent assis à<br />

longueur de journée, sans autre mobilisation physique. C’est pourquoi, de nos jours,<br />

nous constatons de plus en plus de problèmes de santé liés au manque d’exercice, de<br />

mouvement du corps. « Le corps paraît un anachronisme dans le monde où règne<br />

154<br />

Augustin BERQUE. Ecoumène, introduction à l’étude des milieux humains. Paris : Belin, 2000.<br />

p. 191.<br />

155<br />

Ibid. p. 192<br />

156<br />

Isaac JOSEPH. La ville sans qualités. Paris : éditions de l’Aube, 1998. p. 19.<br />

157<br />

Marcel MAUSS. Manuel d’ethnographie. Paris : Poche, 2002.<br />

158<br />

Augustin BERQUE. Ecoumène, introduction à l’étude des milieux humains. Op. Cit., p.196<br />

159<br />

Thierry PAQUOT. Redonner de l’espace au corps. L’urbanisme, juillet-août 2002, n°325. p. 31.<br />

160<br />

David LE BRETON. Redonner de l’espace au corps. Op. Cit., p. 37<br />

161<br />

Paul VIRILIO. Essai sur l’insécurité du territoire. Paris : Stock, 1976. p. 132.<br />

82


l’homme pressé » 162 . Il semble que le corps ait été oublié comme unité de mesure de<br />

l’espace des villes.<br />

Les aménageurs pourraient-ils redonner sa place au corps, en associant la notion<br />

d’expérience au concept de lieu ? En effet, ce dernier étant étroitement lié au sujet, nous<br />

pouvons nous demander si l’expérience qui naît de la progression dans le temps ne va<br />

pas développer un rapport particulier aux lieux traversés ? Le lieu peut-il révéler<br />

l’expérience du mouvement du sujet ? Afin de répondre à ces interrogations, nous allons<br />

tout d’abord définir la notion de lieu pour l’associer ensuite à celle d’expérience, puis au<br />

temps.<br />

3.2- Evolution dans le temps et rapport du sujet au lieu<br />

Le mot « lieu », en français, vient du latin locus, qui sert à traduire le mot grec<br />

topos et signifie place, endroit. Si topos renvoie à un endroit précis, locus est davantage<br />

un emplacement où l’on pose quelque chose. On peut alors considérer que le lieu n’est<br />

pas seulement un réceptacle.<br />

3.2.1- Le concept de lieu<br />

Le lieu n’est pas une notion récente en géographie ; son élaboration est liée à<br />

l’histoire de l’étude des relations de l’homme à l’espace. Longtemps abordée sous<br />

l’angle de la géographie régionale, la notion de lieu, à partir des années 1960, se<br />

transforme sous l’influence de l’approche analytique quantitative et spatiale et se réduit<br />

à la désignation d’une simple localisation. La réaffirmation, dans la dernière moitié du<br />

XX ème siècle, du concept de lieu, traduit l’apparition de la géographie humaniste dont<br />

nous avons parlé précédemment et où les approches et thématiques sont centrées sur<br />

l’expérience du sujet. L’importance de la connexion entre le lieu et le sujet est ainsi<br />

valorisée dans la recherche contemporaine sur l’identité et la représentation.<br />

Néanmoins, l’intérêt relativement récent pour le lieu n’a pas permis de limiter les<br />

tensions entre la définition du lieu et celle des autres concepts-clefs de la géographie.<br />

162 David LE BRETON. Redonner de l’espace au corps. Op. Cit., p. 38<br />

83


Il se trouve, ainsi, être un objet de débats en géographie et dans diverses<br />

disciplines. Pour certains, il peut être vu comme un simple point, comme une aire…<br />

c’est-à-dire comme un substrat matériel : « Le lieu peut-être défini absolument comme<br />

le point de l’espace physique où un agent ou une chose se trouve situé » 163 . Pour<br />

d’autres, le lieu s’exprime par l’entremise des valeurs qui lui sont données par la<br />

signification qu’il prend aux yeux des individus. C’est pourquoi les sentiments, les<br />

perceptions, l’imaginaire, jouent un rôle important.<br />

Néanmoins, la géographie a souvent manifesté des réticences à étudier<br />

l’imaginaire, car il n’a pas nécessairement une traduction immédiate et réelle : « On a<br />

souvent retenu de leurs travaux (Pascal, Descartes), les positivistes entre autres, que<br />

l’imagination était un frein aux progrès de la connaissance, « une ennemie de la<br />

raison ». (…) Mais si l’on s’appuie sur une autre tradition occidentale, celle de la<br />

philosophie critique, celle de l’anthropologie et de l’épistémologie contemporaine, on<br />

peut envisager l’imagination géographique sous un autre angle. (…) que l’imagination<br />

était à la fois « faculté de connaissance » et « état de conscience » essentiels dans notre<br />

rapport au monde. Cette seconde voie invite le géographe à traquer et à analyser<br />

l’imaginaire spatial qui est en œuvre dans une société. Car cet imaginaire est partout ;<br />

en tout un chacun dans sa façon de vivre le monde qui l’environne ; (…) il conditionne<br />

fortement nos pratiques de l’espace » 164 . C’est ainsi que les lieux sont sollicités, chargés<br />

de sens, investis par l’imaginaire, pour que reliés, distanciés, ils s’inscrivent dans un<br />

monde cohérent. L’individu constitue son univers de lieux multiples, lieux de vie entre<br />

lesquels il évolue, lieux imaginés (fictifs ou réels mais jamais approchés). Il se les<br />

approprie en leur donnant des rôles construisant ainsi le monde qui l’entoure, c’est<br />

pourquoi I. Castro 165 souligne que tout imaginaire social peut se révéler imaginaire<br />

géographique. L’imagination géographique permet dès lors « de recentrer sur soi-même<br />

un globe désespérément sphérique et de construire un monde autour de ce centre<br />

nouveau » 166 . On peut alors penser que la perception du lieu, engendrée par les valeurs<br />

et l’imaginaire, est à l’origine du lieu. C’est un peu ce qu’indique A. Bailly : « un lieu,<br />

quel qu’il soit, n’est rien pris en lui-même ; le milieu physique ne sert que de support et<br />

163 « Effet de lieu ». La misère du monde Pierre BOURDIEU (dir.). Paris : Seuil, 1993. p. 154.<br />

164 Bernard DEBARBIEUX, « l’imagination et imaginaire géographique » in Encyclopédie de<br />

Géographie sous la direction d’Antoine BAILLY. Paris : Economica, 1992. p. 875-876.<br />

165 Ina CASTRO. Imaginário político e territorío : natureza, regionalismo e representação. Explorações<br />

geográficas, Ina Castro, Paulo Da Costa Gomes e Roberto Lobato Corréa (dir.). Rio de Janeiro : Bertrand<br />

Brasil, 1997. p. 155-196.<br />

166 Ibid. p.886.<br />

84


ne prend un sens que par rapport aux sociétés qui ont créé son histoire et qui forgent<br />

son avenir » 167 .<br />

Pour J.Nicholas Entrikin le concept géographique de lieu « ne doit pas être<br />

interprété dans le sens de localisation, mais plutôt, dans un sens plus large, comme un<br />

ensemble d’éléments naturels, sociaux et culturels formant un tout sous l’action du sujet<br />

ou du moi » 168 .<br />

La notion de lieu fait émerger celle de sujet en tant que principal élément<br />

signifiant de l’action socio-spatiale. C’est la perception même du lieu par le sujet qui lui<br />

donne sens.<br />

D’une part, l’apport du mouvement humaniste en géographie a rappelé aux<br />

géographes l’importance essentielle des liens entre le sujet et son monde, et, d’autre<br />

part, l’idée que « le sujet et le lieu deviennent inextricablement liés, au point qu’ils<br />

s’instituent mutuellement » ont orienté leur recherche 169 . V. Berdoulay et J.-N. Entrikin<br />

soulignent à propos du lieu son caractère de médiation ou, plus exactement, « d’entredeux<br />

» entre le sujet et son environnement (entre subjectivité et objectivité). En<br />

revanche, l’échelle importe peu. Le qualificatif de lieu peut être donné à toute échelle en<br />

offrant du sens : « Nous cherchons en effet à insister sur cette part active du sujet qui se<br />

transforme lui-même tout en transformant le monde dans lequel il s’insère. C’est le jeu<br />

de la distanciation du sujet, actif et autonome, à l’égard de son environnement qui<br />

retient notre attention, afin de saisir la construction de l’entre-deux que constitue, dans<br />

notre perspective, le lieu » 170 .<br />

Cela nous amène alors à réfléchir aux conséquences du rapport de la notion de<br />

lieu avec celle d’expérience.<br />

167<br />

Antoine BAILLY (dir.). « Les représentations en géographie ». Encyclopédie de Géographie. Paris :<br />

Economica, 1992. p. 379.<br />

168<br />

J. Nicholas ENTRIKIN. Lieu, culture et démocratie. Cahiers de géographie du Québec. Vol.41,<br />

n°114, décembre 1997. p. 352.<br />

169<br />

Vincent Berdoulay et J.Nicholas Entrikin. Lieu et sujet : perspectives théoriques. « L’espace<br />

géographique », 1998, n°2. p. 115.<br />

170 Ibid. p. 115.<br />

85


86<br />

3.2.2- Le lieu, au travers de l’expérience, enraciné dans le sujet<br />

Comment au travers de l’expérience, le lieu peut être enraciné dans le sujet ?<br />

Afin de répondre à ce questionnement, il est important de mieux cerner la notion de<br />

sujet et de rappeler qu’elle a émergé lentement dans l’histoire. Tout d’abord, le sujet<br />

cartésien repose sur la pensée universelle identique en tout homme. Du point de vue de<br />

la phénoménologie et de l’existentialisme, le sujet est perçu comme « moi<br />

transcendantal » : « source et donation du sens, quoique lui-même privé de sens, qui<br />

met le monde entre parenthèse pour se découvrir comme conscience pure, dégagée du<br />

moi naturel et de la vie mentale » 171 . Au fond, un rôle essentiel ou fondateur dans la<br />

connaissance est attribué au sujet. Ceci le lie alors à la notion d’expérience qui constitue<br />

« l’ensemble des connaissances que l’on acquiert dans le temps et dans l’usage ». C’est<br />

à travers cette idée de conscience qu’émerge la capacité qu’a le sujet de se regarder.<br />

Pour cette raison, comme le remarque Alain Touraine, le sujet est également<br />

vide : « je veux dire par là que je le conçois d’abord et avant tout comme lutte de survie<br />

face à l’énorme pression de l’économie, de la consommation…» 172 , ce qui confirme le<br />

caractère non institutionnalisable du sujet. Sa capacité de distance de soi à soi lui permet<br />

de réfléchir sur lui-même. Nous abordons ici, l’idée d’introspection qui s’avère<br />

indispensable à l’existence du sujet.<br />

A partir de l’idée d’Heidegger qui souligne combien la spatialité de l’homme est<br />

liée à son « être là », nous pouvons souligner l’importance de l’expérience du sujet dans<br />

son rapport à l’espace. Si l’on reprend la notion de « dasein » (être-là), on constate que<br />

l’essentiel de l’être, c’est l’instant. <strong>Mo</strong>n « antériorité » n’est pas le souvenir des<br />

événements mais une ouverture au passé. Je suis mon passé ; je ne l’ai pas été. De<br />

même, mon futur n’est pas quelque chose qui m’attend aussi longtemps que je vis, mais<br />

quelque chose que je suis maintenant. Autrement dit, je suis mes possibilités. « La<br />

dimension spatio-temporelle devrait être fondamentale, car elle fournit la base d'une<br />

expérience de la totalité ouverte de l'étant » 173 . L’être et le temps apparaissent<br />

imbriqués l’un dans l’autre, se rapportant l’un à l’autre. C’est pourquoi, dans cette<br />

optique, « le sujet et le lieu fonctionnent comme deux primitives de l’expérience<br />

171<br />

MORFAUX Louis-Marie. Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines. Paris : Armand<br />

Colin, 1980. p. 349.<br />

172<br />

Alain TOURAINE et Farhad KHOSROKHAVAR. La recherche de soi, dialogue sur le sujet. Paris :<br />

Fayard, 2000. p. 37.<br />

173<br />

Martin HEIDEGGER. Être et temps. Paris : Éditions Gallimard, 1986. p. 198.


humaine » 174 .Ils sont alors les supports de l’expérience humaine du fait qu’ils sont<br />

étroitement imbriqués. Ceci est d’autant plus marqué quand l’identité territoriale est<br />

forte. Le sentiment d’appartenance est tel que l’on note une fusion entre le lieu et le<br />

sujet (en tant que conscience de soi). Différents exemples, comme le nationalisme<br />

basque ou corse, le phénomène de ghettos dans les banlieues sensibles, qui intensifie<br />

l’identité du groupe et le lien au lieu, peuvent être mentionnés. Ces sentiments<br />

d’appartenance existent aussi dans le cadre de fêtes traditionnelles, religieuses…, de<br />

pèlerinages (à Jérusalem, la Mecque, Rome, Saint-Jacques-de-Compostelle…) qui<br />

rassemblent des individus d’horizons différents mais partageant un but commun. Dans<br />

une société où tout évolue, le sujet et le lieu, étroitement liés, sont en constante<br />

mutation. Comme le rappelle A. Touraine, « Le sujet se définit par la réflexivité et la<br />

volonté, par la transformation réfléchie de soi-même et de son environnement » 175 .<br />

Nous avons vu à quel point ces deux notions (sujet et lieu) sont liées par<br />

l’importance même que l’expérience leur donne. Qu’en est-il lorsque le facteur temps<br />

est retenu ?<br />

3.2.3- Le lieu et le temps<br />

Celui-ci est important dans la compréhension de l’espace. Comme le montre<br />

bien des aspects de la géographie historique 176 , de façon générale, si la géographie a<br />

essayé de mieux articuler temps et espace, elle s’est peu investie dans la prise en compte<br />

simultanée de l’expérience.<br />

Ainsi, en géographie, T. Hägerstrand 177 , un des pionniers de la<br />

chronogéographie, a développé un travail relatif aux budgets espace-temps. « La<br />

conception axée sur le temps cosmique, permet à un moment (t) de situer une action (z)<br />

dans un espace à deux dimensions (x et y) » 178 .<br />

174<br />

Vincent Berdoulay et J.Nicholas Entrikin. Lieu et sujet : perspectives théoriques. L’espace<br />

géographique, 1998, n°2. p. 118.<br />

175<br />

Alain TOURAINE. Critique de la modernité. Paris : Fayard, 1992. p. 313.<br />

176<br />

Vincent BERDOULAY et Mark BASSIN. La géographie historique : localiser le temps dans les<br />

espaces de la modernité. Horizons géographiques, Georges Benko et Ulf Strohmayer (dir.). Paris : Bréal,<br />

2004. p. 291-338.<br />

177<br />

Torsten HAGERSTRAND. Innovation diffusion as a spatial process. Traduit par A. Prad. Chicago :<br />

University of Chicago Press, 1968.<br />

178<br />

Antoine BAILLY. (dir.). Les concepts de la géographie humaine. Paris : Armand Colin, 2004. p. 224.<br />

87


Figure 2- La trajectoire liée aux budgets espace-temps (source : Antoine BAILLY (dir.).<br />

Les concepts de la géographie humaine.p.224 )<br />

Un travail mené auprès des fermiers du sud de la Suède, lui a permis de<br />

comprendre pourquoi ces derniers « en viennent à choisir une technique nouvelle, en<br />

reconstituant l’itinéraire que celle-ci décrit dans l’espace et dans le temps » 179 . Ainsi, il<br />

a pu déterminer les choix qui influencent les trajectoires individuelles « dans un espace<br />

imparfaitement connu et diversement évalué» 180 . Ce type d’analyse, qui permet de<br />

suivre les activités humaines à la fois dans l’espace et dans le temps, tout en montrant<br />

comment les pratiques spatiales se différencient selon les appartenances, a été<br />

développé par des suédois, mais, malgré, les tentatives de A. Buttimer, la dimension de<br />

l’expérience n’a pas ou peu été intégrée 181 .<br />

Les lieux, quant à eux, se définissent par rapport à nos expériences qui<br />

s’inscrivent dans le temps et l’espace. Le fait d’intégrer l’expérience à la signification<br />

d’un lieu entraîne l’incorporation du temps et de la durée à l’espace. Le lieu peut alors<br />

être considéré comme une pause dans le mouvement (même si celui-ci continue à se<br />

dérouler) : il peut donc avoir une fonction de passage. Cette dernière est qualifiée par Yi<br />

Fu Tuan de « temps rendu visible puisqu’il porte les traces de l’évolution de la société<br />

et les multiples informations séculaires » 182 . Le lieu, riche de sens, incite à s’arrêter ;<br />

c’est le temps de la découverte. Il n’empêche pas la progression ; au contraire, il lui<br />

179<br />

Paul CLAVAL. Histoire de la géographie. Paris : PUF, 1995. p. 99.<br />

180<br />

Paul CLAVAL. La nouvelle géographie. Paris : PUF, 1977. p. 53.<br />

181<br />

Anne. BUTTIMER. Le temps, l’espace et le monde vécu. Op. Cit., p. 247.<br />

182<br />

Antoine BAILLY et Hubert BEGUIN. Introduction à la géographie humaine. Paris : Armand Colin,<br />

7 ème édition, 1998. p. 86.<br />

88


procure de l’intérêt. Il peut être aussi un retour sur le passé, orienté par la présence du<br />

patrimoine historique. L’avancée dans le temps et l’espace n’interdit pas de revenir sur<br />

les éléments anciens. Ceci est visible dans les récits de voyage où les personnages<br />

s’arrêtent sur des lieux où l’architecture, les monuments, rappellent des événements<br />

passés… Il en est de même dans la nature où par exemple un arbre peut réveiller des<br />

souvenirs, des sensations auxquelles on ne pensait pas. L’évolution dans le temps et<br />

l’espace semble dépendre du sujet et, surtout, de son expérience, alors que le lieu reste<br />

une étape dans la progression.<br />

L’expérience du mouvement ne pouvant se révéler uniquement à travers le<br />

concept de lieu, quel concept peut alors être susceptible d’incorporer la notion de temps<br />

dans le but de mieux comprendre l’expérience du sujet dans l’espace/temps?<br />

89


Conclusion<br />

Ce retour sur l’expérience dans l’approche géographique nous a permis de<br />

repérer les liens qui se tissent entre l’expérience, l’espace, le temps, à travers l’idée de<br />

mouvement. Nous avons pu, ainsi, entrevoir les particularités de la marche comme<br />

expérience pleine où l’ensemble des sens est sollicité et lie le piéton à l’espace qu’il<br />

parcourt. Le temps joue aussi un rôle primordial dans l’expérience du mouvement qui<br />

inscrit le parcours dans la durée, l’habitude et la mémoire ou au contraire projette le<br />

piéton vers ce qu’il découvre. Comment appréhender la richesse de l’expérience du<br />

mouvement ancrée dans le temps et l’espace pour proposer une nouvelle lecture de la<br />

ville ? Quel concept peut être susceptible de révéler l’expérience du mouvement du<br />

piéton ?<br />

Le long de cette réflexion sur l’expérience, nous avons constaté la faiblesse de<br />

certains concepts comme celui de lieu face à la durée. Il semble alors préférable de nous<br />

intéresser à un autre concept qui permettrait d’incorporer à la fois la progression dans le<br />

temps et dans l’espace. C’est pourquoi nous avons choisi de proposer le concept<br />

d’itinéraire comme révélateur d’expérience du mouvement, concept que nous allons<br />

présenter dans le chapitre suivant, en insistant sur les répercussions de celui-ci en<br />

aménagement.<br />

90


Chapitre 4 - L’itinéraire comme révélateur du sujet dans<br />

l’espace/temps<br />

Les concepts d’espace et de lieu s’avèrent considérablement secoués par les<br />

effets des nouvelles technologies de communication sur le couple espace/temps et, plus<br />

généralement, sur leur appréhension. A des degrés divers, la globalisation de<br />

l’économie et la mondialisation participent à notre représentation du monde, à notre<br />

façon de le regarder. Dès lors que les repères à l’espace ont changé, il était nécessaire de<br />

proposer une nouvelle notion permettant d’interpréter l’expérience du sujet à travers sa<br />

progression dans le temps et dans l’espace, sachant que « les pratiques des individus ne<br />

sont plus confinées à un espace de vie continu, mais se développent dans des lieux<br />

multiples : la conception de l’espace-étendue n’a plus la même pertinence » 183 .<br />

La mise en place d’un nouveau concept nécessite d’aborder celui-ci en deux<br />

temps : s’arrêter sur les deux principales approches qui ont influencé ce choix, puis<br />

réfléchir sur le concept retenu : l’itinéraire, à la fois comme référence à l’espace par<br />

rapport au parcours qu’il détermine… et comme chemin de vie ou récit de l’existence<br />

du sujet qui s’organise spirituellement et concrètement dans la vie. Ces deux<br />

déclinaisons présentées, nous tenterons de repérer les liaisons possibles qui seraient à la<br />

base du concept d’itinéraire en tant que révélateur de l’expérience du sujet en<br />

mouvement. Une expérience qui relève en partie de la relation de notre corps à cette<br />

progression, de même qu’à l’altérité. Nous insisterons, ainsi, sur les sens qui vont<br />

organiser cette évolution, voire parfois la limiter. Nous présenterons enfin la<br />

problématique retenue et les différentes hypothèses ébauchées.<br />

183 Rémy KNAFOU (dir.). Vers une géographie du rapport à l’autre. La planète « nomade » : les<br />

mobilités géographiques d’aujourd’hui. Paris : Belin, 1998. p. 11.<br />

91


92<br />

4.1- Cheminement et expérience du mouvement : à la<br />

rencontre de l’itinéraire<br />

L’intérêt pour l’expérience, traitée dans le chapitre 3, est déterminant dans<br />

l’approche du déplacement, des parcours et de leur perception. A l’aune de ce que nous<br />

avons vu dans le chapitre précédent, il est maintenant important de trouver quel est le<br />

concept qui peut révéler l’expérience du mouvement. Pour ce faire, nous nous sommes<br />

attardés sur différentes recherches menées au niveau des pratiques de cheminement et<br />

centrées sur l’espace urbain. Il s’agit notamment de l’ouvrage 184 de Jean-François<br />

Augoyard : il repose sur une approche non fonctionnaliste du cheminement quotidien<br />

qui accorde une place centrale à la créativité du citadin dans ses déplacements, en<br />

insistant également sur la pluralité des rapports de l’individu à l’espace à travers<br />

l’analyse des parcours. Cette recherche ouvre ainsi la voie à une lecture nouvelle des<br />

déplacements centrée sur le vécu des citadins, et ce, dans une logique d’interprétation<br />

fondée sur l’utilisation de la rhétorique 185 pour déterminer les différentes figures de<br />

cheminement. Cette lecture a confirmé le caractère essentiel du rôle du vécu, et de ce<br />

fait de l’expérience, laquelle se traduit ici sur l’espace limité du quartier, offrant peu<br />

d’ouverture sur l’ensemble de l’espace urbain. Cependant, les différentes figures<br />

repérées s’avèrent importantes comme référence centrale dans le choix du parcours.<br />

De plus, nous nous sommes aussi intéressés à L’invention du quotidien de<br />

Michel de Certeau et à la partie consacrée aux arts de faire. Il insiste sur la marche dans<br />

la ville, ainsi que sur les récits d’espace, et notamment de parcours. De la même<br />

manière que Jean-François Augoyard, il part d’une analogie entre la ville et le langage,<br />

en expliquant que « les usages de la ville sont conçus à l’image des actes de<br />

langages » 186 . Nous retrouvons, par ce qu’il nomme « énonciation piétonnière », une<br />

participation à une « rhétorique cheminatoire ». Le parcours réalisé par un individu ne<br />

se traduit pas en effet par une simple ligne, il est aussi chargé d’affectivité. De Certeau<br />

déplore justement les approches techniciennes, positivistes et fonctionnalistes qui<br />

184<br />

Jean-François AUGOYARD. Pas à pas essai sur le cheminement quotidien en milieu urbain. Paris :<br />

Seuil, 1979.<br />

185<br />

Par exemple, la digression en tant que figure élémentaire de cheminement qui en rhétorique se définit<br />

comme un discours qui s’écarte du sujet, correspond dans un parcours à un processus de mise à l’écart<br />

d’un lieu, d’une rue…<br />

186<br />

Michel LUSSAULT. Parcours. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. sous la<br />

direction de Jacques Levy et Michel Lussault. Paris : Belin, 2003. p. 690.


éduisent l’individu à la seule fonction d’usager devant s’adapter à un espace<br />

fonctionnel : « Les relevés de parcours perdent ce qui a été : l’acte même de passer.<br />

L’opération d’aller, d’errer, ou de « relicher les vitrines », autrement dit l’activité des<br />

passants, est transposée en points qui composent sur le plan une ligne totalisante et<br />

réversible… Visible, elle a pour effet de rendre invisible l’opération qui l’a rendue<br />

possible. Ces fixations constituent des procédures d’oubli. La trace est substituée à la<br />

pratique ; elle manifeste la propriété (vorace) qu’a le système géographique de pouvoir<br />

métamorphoser l’agir en lisibilité, mais elle y fait oublier une manière d’être au<br />

monde» 187 . Ceci souligne à quel point le fonctionnalisme a effacé toute épaisseur<br />

sensorielle, affective, d’un espace.<br />

Ces deux approches fondées sur l’analogie entre rhétorique et figures<br />

cheminatoires apportent dans l’analyse des comportements une référence à la sensibilité<br />

du sujet dans son parcours. Néanmoins, elles n’abordent pas directement l’expérience et<br />

encore moins l’idée de mouvement. Pourtant, ces recherches restent importantes dans<br />

l’élaboration d’un nouveau concept davantage centré sur l’expérience en mouvement du<br />

sujet.<br />

4.2- De l’itinéraire « spatial » à l’itinéraire « existentiel »<br />

Suite aux différentes lectures relatives aux cheminements et aux pratiques de<br />

déplacements, nous avons cherché quel était le terme qui semblait s’approcher au plus<br />

près de cette idée de support de l’expérience du mouvement. C’est en nous attardant sur<br />

différentes définitions ( celles de parcours, trajet, chemin…) que la notion d’itinéraire<br />

nous est apparue. Nous avons ainsi repéré deux acceptions de ce terme sur lesquelles<br />

nous insisterons pour parvenir progressivement à la conceptualisation.<br />

L’itinéraire, 188 qui dans un sens courant se définit comme « un chemin à suivre,<br />

ou suivi, d’un lieu à un autre » 189 , suggère l’importance du rapport à l’espace.<br />

187<br />

Michel de CERTEAU. L’invention du quotidien. Tome 1 Arts de faire. Paris : Gallimard, 1990. p. 147-<br />

148.<br />

188<br />

La notion d’itinéraire est un emprunt repris en 1606, au bas latin itinerarium « relation de voyage »,<br />

« carte de voyage », substantivation de l’adjectif bas latin itinerarius « de voyage, de route », dérivé du<br />

latin classique iter, itineris « voyage », « route » au propre et au figuré.(Dictionnaire historique de la<br />

langue française. Paris : dictionnaires le Robert, 2000. 4304p.)<br />

189<br />

Roger BRUNET. Les mots de la géographie. Op.cit.p.285.<br />

93


Il a effectivement pour fonction de faire le lien entre les différents lieux<br />

traversés. Des idées de pauses, d’arrêts successifs qui scindent le chemin en étapes, s’y<br />

rattachent. Ces dernières marquent des arrêts dans la progression spatiale et temporelle.<br />

Dès l’origine des déplacements, nous constatons que « de bonne heure, l’homme<br />

en société a fixé des tracés qui lui évitent ses hésitations et, au fur et à mesure que la<br />

civilisation a imposé des transports plus réguliers et plus importants, il a voulu des<br />

itinéraires plus directs, des routes droites, continentales réelles, ou bien maritimes et<br />

fictives » 190 . L’homme a souvent cherché à prendre les chemins les plus courts et les<br />

plus simples : « si l’on pouvait se mouvoir dans un environnement libre, les<br />

déplacements se feraient en ligne droite, au plus court » 191 . En ce sens, la durée paraît<br />

un des facteurs importants de décision. Le plus souvent, l’homme choisit la facilité et<br />

privilégie une durée moindre.<br />

Néanmoins, plus le parcours de l’itinéraire s’inscrit dans un temps long, plus la<br />

perception du monde environnant semble forte. En effet, un randonneur ou un pèlerin<br />

qui part durant des mois sur un chemin coupé de la modernité, avec son corps pour seul<br />

moyen de locomotion, va développer un rapport au monde différent. La marche sur ce<br />

parcours, qui s’inscrit dans l’espace et la durée, va offrir une ouverture du sujet au<br />

monde par la découverte des différents lieux qui jalonnent le parcours.<br />

Or, la notion de durée est liée, comme le souligne Bergson, à l’expérience : « la<br />

durée toute pure est la forme que prend la succession de nos états de conscience quand<br />

notre moi se laisse vivre, quand il s’abstient d’établir une séparation entre l’état présent<br />

et les états antérieurs » 192 . Dans le rapport à l’espace, et plus particulièrement dans le<br />

cas d’un itinéraire, la durée a un rôle primordial dans l’expérience du sujet. La<br />

sensibilité du sujet à travers son expérience de l’itinéraire va se décupler, étant donné<br />

que la durée va procurer d’autant plus d’intensité à cette progression.<br />

Si nous nous attardons maintenant sur le sens figuré du terme « itinéraire », on<br />

constate que ce dernier prend aussi souvent le sens de « chemin de vie » : un individu<br />

peut par exemple raconter son itinéraire professionnel ou privé. En effet, ce n’est pas<br />

seulement sur le sol qu’il foule que l’homme peut s’égarer ou chercher sa direction.<br />

Nous parlons aussi de « voie facile, rude, droite », des « étapes » de la vie,<br />

d’égarements, de déviations, de caps à franchir, de « se remettre sur la bonne voie », etc.<br />

190 Eric DARDEL. L’homme et le terre : nature de la réalité géographique. Op. Cit., p.16<br />

191 Paul CLAVAL. La nouvelle géographie. Op. Cit., p.17<br />

192 Henri BERGSON. Essai sur les données immédiates de la conscience. Paris : PUF, 1988. p. 74-75<br />

94


Toutes ces expressions semblent bien répondre à une spatialisation qui<br />

« déborde l’espace pour le corps, à ce que Minkowski appelle l’espace primitif où se<br />

meuvent nos pensées, nos désirs, notre volonté » 193 . Il s’agit d’un espace où se déploie<br />

l’existence car elle est par essence extension, elle cherche un horizon, des directions,<br />

des existants à rapprocher d’elle. La vie lui offre des parcours à suivre, faciles ou<br />

accidentés, sûrs ou incertains.<br />

L’itinéraire « spatial » correspond aussi à un chemin de vie où l’individu veut se<br />

retrouver à travers ce tracé, lequel peut s’apparenter à l’existence faite d’étapes, de<br />

rencontres, de difficultés, de remises en question.<br />

Mais comment cette double acception de la notion d’itinéraire peut-elle suggérer<br />

une nouvelle lecture de l’expérience du sujet par rapport à l’idée de mouvement ?<br />

L’idée de mouvement est présente lorsqu’on se réfère à l’espace. En effet, comme le<br />

notait Edward T. Hall, « aujourd’hui, la notion d’espace est davantage liée à celle de<br />

mouvement » 194 . De plus, le mouvement 195 n’est pas seulement perceptible à travers<br />

l’espace, il conditionne aussi l’expérience, étant donné qu’il fait partie de notre<br />

quotidien depuis le plus jeune âge : « … le mouvement est au cœur de la vie » 196 ..<br />

L’itinéraire permet justement de saisir ces deux aspects du mouvement et de<br />

l’expérience, à la fois au niveau spatial et existentiel. Nous insisterons sur ces deux<br />

aspects lorsque nous aborderons l’importance du corps dans la perception des<br />

déplacements.<br />

En somme, les deux caractéristiques qui constituent la définition de notre<br />

concept, « spatiale » et « existentielle », se retrouvent pour ne faire qu’un :<br />

l’itinéraire 197 . Cependant, nous ne pouvons nous arrêter à ce constat. Il nous faut<br />

maintenant revenir sur la définition proposée au départ afin de préciser la nuance entre<br />

« chemin à suivre » et « chemin suivi » qui paraissent apporter deux dimensions à<br />

l’itinéraire.<br />

193 Eric DARDEL. L’homme et le terre : nature de la réalité géographique. Op. Cit., p. 17<br />

194 Edward HALL. La dimension cachée. Op. Cit., p.120<br />

195 Au sens figuré : changement, modification : mouvements de l’âme, du cœur (les différents états de la<br />

vie psychique). Dictionnaire de la langue français. Paris : dictionnaires le Robert, 2002. p. 1686.<br />

196 François ASCHER. Les sens du mouvement : modernités et mobilités dans les sociétés urbaines<br />

contemporaines. Sous la direction de Sylvain Allemand, François Ascher et Jacques Lévy. Paris : Belin,<br />

2004. p. 21.<br />

197 En tant que concept que nous cherchons à définir.<br />

95


96<br />

4.3- Du chemin « à suivre » au chemin « suivi »<br />

Nous allons à présent insister sur les deux dimensions que propose cette notion, en<br />

reprenant la définition de l’itinéraire présentée au préalable : « un chemin à suivre, ou<br />

suivi, d’un lieu à un autre ».<br />

En s’attardant sur l’expression « à suivre », nous remarquons qu’il s’agit d’un<br />

chemin qui est proposé, conseillé, voire organisé, aménagé pour orienter le sujet dans<br />

son parcours. L’itinéraire est alors matérialisé spatialement dans l’idée de structurer le<br />

cheminement. On retrouve ce principe dans les itinéraires touristiques : « les parcours<br />

cartographiques, les itinéraires thématiques représentés (hôtels, fontaines, etc.) ont un<br />

sens (au double sens du mot). Ces circuits supposent, en effet, d’une part, une direction,<br />

un ordre de parcours (des priorités), un commencement et une fin ; une signification<br />

quasi rituelle, une quête initiatique qui suppose à son tour un ordre dans<br />

l’accomplissement du trajet » 198 . Tout est organisé pour répondre aux attentes du<br />

touriste, ou du moins à un certain parcours type. Celui-ci est censé mettre en évidence<br />

certains lieux ou monuments qui ne sont pas obligatoirement représentatifs d’une<br />

région, d’une ville ou d’un quartier. Ce décalage est perceptible dans l’exemple suivant<br />

: « le découpage de l’espace rompt avec la topographie réelle du quartier. Les éléments<br />

pertinents indiqués, les marqueurs retenus dessineront alors une<br />

cartographie « aléatoire », ou plutôt reliée à la « ligne de bus » qui établit au préalable<br />

un ordre et une direction. Ce qui existe en dehors de cet axe sera, par le fait même<br />

élagué (espaces vides, blancs) » 199 .<br />

A l’inverse, si nous nous attardons sur l’aménagement de l’espace ayant pour<br />

vocation de répondre aux besoins des différents usagers, nous remarquons une réelle<br />

organisation des déplacements. Un cas extrême : le cas du trottoir-rapide à Londres où il<br />

est interdit de marcher à moins de 5 km/heure sur Regent’s street 200 . Il prouve à quel<br />

point la vitesse devient un élément structurant, à la fois pour les politiques et pour les<br />

citadins. Marcher : oui, mais de façon très fonctionnelle. Cette idée semble s’imposer<br />

dans certaines grandes villes où la gestion du temps est devenue prépondérante. La mise<br />

en place de couloirs piétonniers limite réellement les possibilités de bifurcations dans le<br />

198 Anibal FRIAS. L’imaginaire des itinéraires touristiques dans les guides. In Itinéraires de l’imaginaire.<br />

Marie-Caroline VANBREMEERSCH (coord.) Paris : l’Harmattan, 1999. p. 176.<br />

199 Ibid. p.177<br />

200 Eric MONIN, Sophie DESCAT et Daniel SIRET. Le développement durable et l’histoire urbaine. Les<br />

Annales de la recherche urbaine, n°92. p. 12.


parcours. Ceux-ci donnent souvent l’impression de vouloir canaliser au mieux les flux,<br />

cantonnant ainsi le piéton à une seule fonction : le déplacement d’un point A vers un<br />

point B. La liberté de choix d’un itinéraire de complaisance, où fonctionnalité,<br />

convivialité et déambulation se côtoient, semble inexistante.<br />

Néanmoins, il existe un travail mené par les aménageurs pour mettre en<br />

perspective les comportements attendus et ceux que l’on souhaite susciter en proposant<br />

un effet de surprise : « Il faut donc aménager cet effet de surprise qui est nécessaire<br />

autant dans la démarche esthétique et créatrice que dans la vie quotidienne. .. Cela<br />

correspond à une démarche politique qui vise à rendre compatibles des mondes très<br />

différents, présents dans un même milieu, quelle que soit l’échelle » 201 . Un des grands<br />

dilemmes de l’espace public est en effet de le rendre accessible au plus grand nombre,<br />

afin que chacun puisse y trouver sa place…<br />

Pour appuyer l’idée de Vincent Berdoulay relative à l’effet de surprise que l’on<br />

aménage, on peut ajouter la remarque d’Edward Hall selon lequel, « très<br />

schématiquement, c’est ce qu’on peut y accomplir qui détermine la façon dont un<br />

espace donné est vécu » 202 . C’est la façon dont un espace va être aménagé qui va<br />

susciter ou non son intérêt. De ce fait, il semble important de ne pas négliger les attentes<br />

des citadins pour offrir des espaces publics les plus aptes à répondre à celles-ci 203 . Le<br />

choix du tracé d’un parcours ne peut se résumer à une seule fonction de déplacement.<br />

En revanche, si nous nous arrêtons sur le terme « suivi », il nous laisse à penser<br />

que le sujet peut choisir d’emprunter le chemin qui lui est proposé, ou à partir de ce<br />

dernier, d’apporter quelques changements afin de le façonner en fonction de ses besoins<br />

et de ses attentes. Il peut aussi choisir un tout autre chemin qu’il concevra à sa fantaisie.<br />

Cet aspect de l’itinéraire nous conduit à intégrer l’idée d’autonomie du sujet dans sa<br />

façon de pratiquer et d’appréhender la ville. Pour cela, il faut revenir à ce qu’est le<br />

« sujet », en nous référant aux recherches développées par Alain Touraine. Ce dernier<br />

insiste sur ce qui définit le sujet : « La subjectivation suppose l’instabilité, la<br />

désinstitutionalisation, la désorganisation, la crise, la foi, la découverte, l’affirmation<br />

d’un idéal : tous ces mots qui défient l’ordre du temps et de l’espace définissent le<br />

201 Vincent BERDOULAY. A propos de la forme urbaine. Aimons la ville. Nathalie Blanc, Jacques Lolive<br />

et al (dir.). Paris : Ed. de l’Aube, 2004. p. 134.<br />

202 Edward HALL. La dimension cachée. Op. Cit., p. 75<br />

203 Ces attentes qui ne se bornent pas aux aspects fonctionnels mais, au contraire, aux besoins de<br />

découverte, de rencontres, de repos… nécessaires au bien-être du citadin.<br />

97


sujet » 204 . On constate à quel point l’idée de planification se situe à l’opposé de ce qui<br />

permet au sujet d’exister. Il faut laisser une part de découverte, d’inattendu pour donner<br />

au sujet « la capacité de se regarder » 205 . Comme le rappelle Vincent Berdoulay à<br />

propos du rapport entre l’esthétique et la ville : « Cela fait partie justement du plaisir<br />

qu’on a en ville et de l’opportunité qu’elle offre de provoquer la pensée, le travail du<br />

sujet sur lui-même dans une perspective citoyenne » 206 . Par l’esthétique, l’art, la<br />

diversité, il est ainsi possible de proposer un espace dans lequel le sujet pourra<br />

s’épanouir, sans négliger toutefois la citoyenneté.<br />

Enfin, comme le rappelle Edward Hall : « Chez l’homme, le sentiment de<br />

l’espace est lié au sentiment du moi qui est à son tour en relation intime avec son<br />

environnement. Ainsi, certains aspects de la personnalité liés à l’activité visuelle,<br />

kinesthésique, tactile, thermique, peuvent voir leur développement inhibé ou au<br />

contraire stimulé par l’environnement » 207 . Ceci prouve à quel point il est important de<br />

rapprocher la perception de l’espace de déambulation à l’expérience sensible du sujet.<br />

De ce point de vue, c’est le choix du sujet individuel qui structure le parcours vécu,<br />

effectif. Ainsi, le ressenti durant le cheminement va guider les pas du sujet vers des<br />

lieux plus attrayants, ou plus calmes, suivants ses attentes.<br />

Nous venons de décliner les deux dimensions de la définition de l’itinéraire qui<br />

correspondent bien aux problématiques actuelles, fondées sur le décalage entre les<br />

comportements attendus (par les aménageurs) et les comportements effectifs des<br />

usagers. Or, n’y aurait-il pas des solutions à chercher à partir de cette dichotomie ? Ces<br />

deux dimensions de l’itinéraire peuvent-elles être réunies pour donner plus de lisibilité à<br />

l’expérience du mouvement ? et ainsi proposer des aménagements plus en adéquation<br />

avec les pratiques des usagers ?<br />

204<br />

Alain TOURAINE et KHOSROKHAVAR Farhad. La recherche de soi : dialogue sur le sujet. Op.<br />

Cit., p.106<br />

205<br />

Ibid. p.104<br />

206<br />

Vincent BERDOULAY. A propos de la forme urbaine. Aimons la ville. Coordonné par Nathalie Blanc,<br />

Jacques Lolive. Paris : Ed. de l’Aube, 2004. p. 133.<br />

207<br />

Edward HALL. La dimension cachée. Op. Cit., p. 86<br />

98


4.4- Le corps dans l’expérience du mouvement<br />

Tout d’abord, il est important de noter qu’en géographie, bon nombre de travaux<br />

entrepris sur le corps se réfèrent à la nudité et à ses représentations. Certains, comme<br />

Francine Barthe-Deloisy, analyse le corps nu en tant que révélateur de la construction<br />

sociale des lieux 208 . En revanche, l’expérience du corps dans l’idée de mouvement n’est<br />

pas abordée en tant que telle.<br />

Dans l’idée de présenter au mieux toutes les dimensions du concept d’itinéraire,<br />

il est primordial de s’arrêter sur l’importance du corps dans l’expérience du<br />

déplacement à pied, où ce dernier est grandement sollicité. La dimension corporelle est<br />

centrale dans l’appréhension de l’expérience du mouvement.<br />

Lorsque nous choisissons d’étudier l’expérience du mouvement, il importe de<br />

s’attarder sur le rôle du corps, « composante matérielle de la dimension biologique de<br />

l’être humain, ensemble de dispositifs (sens, motricité…) rendant possible l’interface<br />

avec le monde extérieur, par l’intermédiaire duquel l’individu appréhende l’espace et<br />

construit sa spatialité » 209 . Cette définition permet d’appréhender la place centrale de la<br />

dimension corporelle de l’expérience par la valorisation des sens et de leurs rôles dans<br />

la perception de l’espace. Néanmoins, le corps a souvent été oublié dans l’approche<br />

géographique de l’expérience, limitant souvent cette dernière à l’un des cinq sens : la<br />

vue. Si nous nous attardons sur le cas de la ville nous constatons par exemple qu’elle «<br />

s’offre à tous nos sens, mais d’abord à notre vue ; aussi est-ce d’éléments surtout<br />

visuels que nous tendons à construire le sens d’une ville, à le percevoir et à le<br />

représenter» 210 . Dans cette optique, Augustin Berque a invoqué deux raisons justifiant<br />

le primat de la vue sur les autres sens : « D’abord, l’œil est le seul organe des sens qui,<br />

du corps propre jusqu’à l’infini, peut choisir librement son objet. Les autres sens ne<br />

disposent pas d’un « regard », soit qu’ils restent prisonniers du corps propre, comme le<br />

toucher, soit qu’ils ne puissent guère s’orienter ni choisir comme l’ouïe. En outre, avec<br />

les images et les symboles écrits, la vue est le premier de nos sens qui est pu empiéter<br />

sur le domaine des autres sens, et du même coup s’affranchir du temps et de<br />

208 Francine. BARTHE-DELOIZY. Géographie de la nudité, être nu quelque part. Paris : Bréal, 2003.<br />

209 Claire HANCOCK. Le corps. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, sous la<br />

direction de Jacques Lévy et Michel Lussault. Paris : Belin, 2003. p. 213.<br />

210 Augustin BERQUE. Du geste à la cité : des formes urbaines et lien social au japon.. Op. Cit., p. 104<br />

99


l’espace » 211 . Même si la vue reste le premier sens qui intervient dans l’appréhension du<br />

monde, les autres sens permettent de travailler sur l’expérience du déplacement dans sa<br />

globalité. Si l’on s’obstine à n’utiliser que la vue pour comprendre la perception d’un<br />

espace, la dimension corporelle de celui-ci perd alors toute son épaisseur. Et, comme le<br />

dit Claire Hancock, « le corps est classiquement considéré comme un obstacle à une<br />

connaissance géographique légitime, et non comme un vecteur ou une détermination de<br />

la connaissance » 212 . Il convient, au contraire, de prendre en compte le rôle du corps<br />

dans la compréhension des comportements spatiaux du sujet, notamment lorsqu’il s’agit<br />

de travailler sur les déplacements. Le corps est à la fois un outil de perception et de<br />

connaissance. Le monde n’est pas comme un panorama qui passerait devant notre corps,<br />

indépendamment de lui. « Pour Merleau-Ponty, c’est au contraire le corps par<br />

l’expérience sensible qui détermine le rapport au monde » 213 . Il semble alors que le<br />

point de vue sur le monde soit un point de vue sur soi dans le monde. Mais qu’en est-il<br />

lorsque nous nous référons à l’expérience du corps en mouvement dans l’espace ?<br />

Pouvons nous réellement considérer que le mouvement du corps amplifie la<br />

perception ?<br />

Comme nous avons pu le voir dans le chapitre 3, le fait que notre corps évolue à<br />

travers la marche fait aussi évoluer la pensée. Ainsi, l’expérience de la marche,<br />

synonyme de mouvement, participe à la construction du sujet. De sorte que le concept<br />

d’itinéraire pourrait donner sens à la construction de l’expérience du mouvement, en<br />

privilégiant le corps à la fois comme perception et comme connaissance. Car l’itinéraire<br />

implique une prise de contact du sujet avec les lieux qu’il parcourt, à tel point que le<br />

chemin semble parfois se construire simultanément à l’expérience du sujet. Nous<br />

reviendrons sur cette idée quand nous aborderons les chemins de Saint-Jacques-de-<br />

Compostelle.<br />

Cependant, l’étude du corps ne suffit pas à appréhender dans sa globalité<br />

l’expérience du sujet en mouvement étant donné que le corps interagit avec ce qui lui<br />

est extérieur : l’altérité. Il est donc indispensable de traiter de la relation à l’altérité<br />

qu’entraîne tout parcours, principalement en ville.<br />

211<br />

Ibid.. p.105<br />

212<br />

Claire HANCOCK. Le corps. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Op. Cit.,<br />

p.213<br />

213<br />

Pascal DURET et Péguy ROUSSEL. Le corps et ses sociologies. Paris : Nathan, 2003. p. 43.<br />

100


4.5- <strong>Mo</strong>uvement et altérité<br />

La référence à l’altérité est légitime lorsqu’il est question des déplacements qui<br />

s’effectuent par le biais de la marche. Elle peut être à l’origine de certains<br />

comportements dont il faut tenir compte dans la construction du concept d’itinéraire.<br />

L’altérité, qui a été notamment définie par Angelo Turco, est la « caractéristique de ce<br />

qui est autre, de ce qui est extérieur à un « soi », à une réalité de référence : individu et<br />

par extension, groupe, société, chose, lieu » 214 . A la lecture de cette définition, nous<br />

avons choisi, dans le cas de l’expérience relative aux déplacements, de nous intéresser<br />

aux comportements qui peuvent apparaître face à l’altérité durant les parcours. Pour ce<br />

faire, nous avons choisi de travailler sur deux aspects de l’altérité : la première reposant<br />

sur la rencontre de l’autre en tant qu’individu et la seconde s’appuyant plutôt sur<br />

l’invitation à un ailleurs à partir de l’exemple du panorama.<br />

L’altérité comme rencontre avec l’autre en tant qu’individu nous conduit à<br />

réfléchir aux différents comportements qui peuvent être suscités par la proximité<br />

d’autrui lors des déplacements. Car qui dit déplacement dit aussi rencontre. Certains<br />

parlent de co-présence qui génère une plus ou moins grande proximité des corps,<br />

rendant parfois impossible, ou difficile, la progression dans certains lieux très<br />

fréquentés. Pour répondre à cette vulnérabilité lors du déplacement, toute une série de<br />

rituels 215 va se mettre en place dans la vie quotidienne afin d’assurer une certaine<br />

fluidité dans le mouvement. Erving Goffman a justement repéré, dans un article de<br />

Wolff et Hirsch, un type de procédé de circulation particulier appelé le « pas glissé » :<br />

« quand la circulation est dense, il y a une manœuvre très répandue (pour éviter les<br />

collisions) que Wolff a baptisée le « pas glissé » : une légère inclinaison du corps, une<br />

rotation de l’épaule et un pas de côté presque imperceptible, le tout rendu par celui qui<br />

vient en face » 216 . Wolff avait aussi remarqué certains schémas comportementaux chez<br />

les piétons qui vont suivre la même logique, le principe étant de se placer de façon à<br />

voir par-dessus l’épaule de ceux qui sont devant. Dans une autre logique, Goffman a<br />

repéré le mécanisme de la « galanterie 217 » qui donne la priorité à la faiblesse physique<br />

due à l’âge, au sexe ou à la maladie. Dans ces systèmes élaborés par les individus,<br />

214<br />

Angelo TURCO. Altérité. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, sous la direction<br />

de Jacques Lévy et Michel Lussault. Paris : Belin, 2003. p. 58.<br />

215<br />

Nous reviendrons sur cet aspect dans les chapitres relatifs aux chemins de Saint-Jacques-de-<br />

Compostelle ainsi que sur l’exemple de Rio de Janeiro.<br />

216<br />

Erving GOFFMAN. La mise en scène de la vie quotidienne. 2. les relations en public. Paris : les<br />

Editions de Minuit, 1973. p. 29.<br />

217<br />

Ibid. p.29-30<br />

101


l’importance des sens, surtout de la vue, est à nouveau présente pour leur permettre<br />

d’assurer l’anonymat et de faire respecter une distance minimale entre les corps. Ceci a<br />

été repris par Jacques Lévy 218 au sujet de la « zone tampon » : « enveloppe invisible, de<br />

taille variable selon les sociétés et les contextes, qui entoure chaque personne et dans<br />

laquelle il est proscrit de pénétrer sans y avoir été invité » 219 (cf. figure 3). Il semblerait<br />

que cette « zone tampon » tende à s’agrandir au cœur de l’espace urbain, tant la crainte<br />

d’autrui liée notamment à la montée du sentiment d’insécurité est devenue présente.<br />

Nous verrons plus loin que ceci dépend aussi beaucoup de la culture, comme le rappelle<br />

Edward T. Hall : « La façon qu’ont les gens de s’orienter et de se déplacer d’un lieu à<br />

un autre révèle leur culture d’origine, et le monde de perception qu’ils y ont acquis » 220 .<br />

La proximité, par exemple, ne sera pas vécue de la même façon par un Américain ou un<br />

Arabe : pour le premier la proximité va être évitée au maximum alors que, pour le<br />

second, elle est nécessaire afin de sentir l’autre, et donc en savoir plus sur ses intentions,<br />

son humeur 221 .<br />

Nous avons pu voir les différents ajustements générés par la co-présence d’autrui<br />

lors des déplacements. Ceci nous a permis, à nouveau, de privilégier l’importance à la<br />

fois du corps et des sens dans l’expérience du mouvement, laquelle peut parfois<br />

s’apparenter à celle de l’évitement, ou au contraire de la rencontre.<br />

218<br />

d’après l’ouvrage la dimension cachée de Edward T. Hall<br />

219<br />

Jacques LEVY. Le tournant géographique, penser l’espace pour lire le monde. Paris : Belin, 1999.<br />

p. 15.<br />

220<br />

Edward HALL. La dimension cachée. Op. Cit., p. 93<br />

221 Ibid. p. 70-71<br />

102


Sujet en<br />

mouvement<br />

Zone tampon<br />

Progression<br />

Sujet<br />

Z<br />

Sujet<br />

X<br />

Sujet Sujet Y<br />

Y<br />

ajustements<br />

Figure 3- Les ajustements du sujet dans sa progression<br />

(Réalisation : Sylvie Miaux)<br />

Après s’être intéressé au rapport à l’autre en tant qu’individu, nous avons choisi<br />

de nous arrêter sur un élément singulier, porteur d’altérité, qui invite le sujet à une<br />

double contemplation : il s’agit du panorama. L’attrait important du lieu panoramique<br />

du Boulevard des Pyrénées à Pau, nous a incité à réaliser un travail de recherches 222<br />

consacré aux particularités de ce panorama. Ce sujet a intéressé d’autres chercheurs<br />

palois, notamment Danièle Laplace qui a abordé le panorama en relation à l’altérité.<br />

L’intérêt du panorama, qui s’offre au regard des individus parcourant la<br />

promenade du boulevard des Pyrénées, se situe dans la double dimension qu’il suggère<br />

aux promeneurs : tout d’abord vers l’ailleurs avec une découverte des Pyrénées le long<br />

de la promenade, puis, existentielle, par le retour sur soi qu’elle peut générer : « cette<br />

vision panoramique nous ouvre à notre propre altérité, libère cet autre en nous-même<br />

que nous oublions trop souvent… » 223 . De plus, cette double dimension prend forme à<br />

222 Article qui va paraître en Angleterre. Imagining the City, vol. 2, Christian Emden, Catherine<br />

Keen et David Midgley (dir.) Berne: Peter Lang 2006. Le panorama en ville : itinéraire d’un lieu<br />

patrimonial. Co-écrit avec Claire Damery en doctorat de géographie à l’Université de Pau.<br />

223 Danièle LAPLACE. De quelques médiations géographiques dans la construction de l’identité.<br />

L’espace public à l’épreuve : régressions et émergences. Sous la direction de Vincent Berdoulay, Paulo<br />

C. da Costa Gomes et Jacques Lolive. Pessac : MSHA, 2004. p. 208.<br />

103


travers le cheminement. Les temps de marche paraissent diriger le regard du sujet vers<br />

la montagne et sa découverte, alors que durant les temps de pause le regard se fixe, le<br />

corps et la pensée s’interrompent. Cette dernière cesse de vagabonder, invitant le<br />

passant à s’arrêter sur « soi » et sa propre altérité, comme Danièle Laplace a su le<br />

repérer dans la lecture de Franz Schrader.<br />

Ce cadre proposé aux visiteurs par le panorama se présente comme une<br />

invitation au voyage mettant en perspective la promenade en tant que cheminement qui<br />

se projette vers la montagne. Le sujet qui se promène sur le boulevard contemple les<br />

jardins, le gave et la chaîne des Pyrénées et peut s’imaginer les parcourir. Par la relation<br />

qu’il a développée avec ces lieux et/ou grâce à son imaginaire, il transporte son<br />

expérience vers ce qu’il regarde. Ainsi, le panorama (des Pyrénées) se donne à voir<br />

comme miroir de l’existence et de ses possibles (des expériences et des désirs).<br />

Ce cheminement, spatial et existentiel, qui met en avant l’expérience du<br />

mouvement vers la découverte de l’ailleurs et de « soi » comme altérité, nous guide vers<br />

une nouvelle lecture du rapport du sujet au lieu.<br />

L’itinéraire qui se dessine à travers les différentes dimensions que nous venons<br />

d’évoquer (spatiale et existentielle, subjective et du point de vue de l’aménagement,<br />

corporelle et altérité) nous invite à rassembler l’ensemble des éléments proposés afin de<br />

dégager l’essence même de ce nouveau concept.<br />

104


4.6- L’itinéraire, outil de relecture de l’espace urbain<br />

A la lumière de ce que nous avons pu voir jusqu’à présent, la mise en place du<br />

concept d’itinéraire ne peut se cantonner à une simple réflexion sur les seules références<br />

spatiales et existentielles qu’il génère. L’expérience du mouvement que ce dernier doit<br />

révéler est polysémique et nous amène ainsi à réfléchir aux différentes dimensions à<br />

considérer.<br />

Tout d’abord, le fait d’appréhender l’expérience du mouvement par le biais de<br />

l’itinéraire nous a permis de réfléchir au double sens ainsi qu’au lien que ces deux<br />

notions suggéraient. Ainsi, nous avons pu déterminer que le mouvement n’est pas<br />

seulement perceptible à travers l’espace mais qu’il conditionne aussi l’expérience.<br />

L’itinéraire permet justement de saisir le mouvement et l’expérience du sujet au niveau<br />

spatial et existentiel. Au point que ces deux notions, révélées par l’itinéraire, semblent<br />

ne faire qu’une (cf. figure 4).<br />

LIEU<br />

SUJET<br />

Itinéraire<br />

<strong>Mo</strong>uvement Expérience<br />

Figure 4- L’expérience du mouvement du sujet<br />

Source : Sylvie Miaux<br />

Le concept d’itinéraire ne peut être abordé sans tenir compte à la fois du corps<br />

ainsi que de l’altérité. Lorsque nous travaillons sur l’expérience du sujet, il est<br />

difficilement concevable de ne pas se référer au corps en tant que perception et<br />

connaissance. Effectivement, c’est par le corps qui est mis en mouvement que le sujet<br />

développe son expérience durant le déplacement. C’est bien le corps qui dans un<br />

premier temps va ressentir et percevoir les éléments, tout en faisant évoluer la pensée.<br />

Le corps est mis en contact avec l’espace qu’il parcourt. Ne serait-il pas l’élément de<br />

105


connaissance indispensable à l’itinéraire pour révéler l’expérience du mouvement ?<br />

Ceci est visible lorsque le sujet se retrouve en présence d’altérité, le corps transmet alors<br />

des signaux qui vont influencer les comportements de rencontre ou d’évitement de<br />

personnes, d’objets, ou de lieux.<br />

Afin de finaliser le concept d’itinéraire, il est nécessaire de revenir sur les deux<br />

aspects précédemment étudiés : le premier, qui correspond au chemin « à suivre »,<br />

révèle le point de vue de l’aménageur alors que le second, « suivi », insiste sur la part<br />

d’indétermination qui incombe au sujet.<br />

Ces deux dimensions semblent se contredire. Pourtant, si nous choisissons de les<br />

rassembler, nous verrons qu’elles donnent au contraire tout son sens à ce nouveau<br />

concept, en intégrant à la fois la volonté des aménageurs, sans oublier la part de choix<br />

laissée au sujet. Plutôt que de les envisager comme contradictoires, le concept<br />

d’itinéraire va à l’inverse les rassembler afin d’établir un consensus entre les éléments<br />

morphologiques de l’espace et l’expérience en mouvement du sujet. Ce rapprochement<br />

nous autorise à nous interroger sur les propositions qui peuvent être faites en terme<br />

d’aménagement de l’espace public pour que ces derniers puissent à la fois répondre à<br />

des exigences spatiales et planificatrices d’un lieu tout en intégrant une part de choix<br />

laissée au sujet. Cela revient à réfléchir sur un espace public aménagé sur l’idée<br />

d’inattendu et de surprise, nécessaire à l’adhésion du sujet. Comment, en effet, à partir<br />

de l’interaction qu’il génère, entre la dimension subjective et la dimension aménagiste,<br />

l’itinéraire peut-il contribuer à améliorer l’approche relative à l’aménagement des<br />

villes ?<br />

Nous souhaitons proposer, à travers la mise en place de ce concept, une nouvelle<br />

approche de l’aménagement de l’espace public, fondée sur la prise en compte de la<br />

dimension subjective et existentielle de cet espace durant les déplacements piétonniers.<br />

Le sujet qui doit évoluer dans un espace avec son corps pour seul « véhicule » est<br />

davantage vulnérable qu’un automobiliste. Son expérience va être décuplée, de même<br />

que ses besoins. La polysémie des expériences que nous pouvons rencontrer, ne facilite<br />

pas la cohérence d’une action d’aménagement fondée sur des objets qualifiés qui<br />

laissent peu de place à l’autonomie du sujet. A trop vouloir qualifier l’espace public, les<br />

aménageurs risquent de rompre le contact et l’adhésion de la population : « mettre en<br />

106


scène l’espace urbain ce n’est donc pas l’apprêter pour un spectacle, faire qu’il en<br />

impose, c’est l’organiser sur un récit ou un parcours possible » 224 .<br />

Ainsi, nous avons choisi d’analyser l’expérience du déplacement en mettant à<br />

l’épreuve le concept d’itinéraire comme révélateur de fonctionnements, de perceptions,<br />

de pratiques de l’espace public, qui permettrait de mieux cerner les logiques de<br />

déplacements et les attentes des citadins. L’itinéraire comme révélateur d’expérience<br />

peut-il proposer une nouvelle lecture de la ville? Cette dernière est analysée tant au<br />

niveau morphologique que vécu, en insistant sur la perception des citadins durant leur<br />

progression.<br />

A ce stade, nous pouvons nous demander quels vont être les éléments permettant<br />

de repérer et de qualifier l’itinéraire ? Suivant cette logique, est apparu l’intérêt de<br />

déterminer de la même façon que Joël Bonnemaison avec ce qu’il a qualifié de<br />

géosymbole 225 (qui repose sur la structure symbolique d’un milieu, d’un espace et de<br />

ses significations), ce que nous avons choisi d’appeler « marqueurs » comme<br />

révélateurs de l’expérience du mouvement. Pourquoi avoir choisi d’utiliser le mot<br />

marqueur plutôt qu’un autre ? Le choix est lié avant tout au sens premier du mot. Si<br />

nous reprenons la définition du verbe marquer « faire une marque sur un objet pour le<br />

distinguer d’un autre » 226 , l’action de distinguer est centrale, dans la mesure où il s’agit<br />

de reconnaître quelque chose à partir d’un trait caractéristique : le marqueur. Ce dernier<br />

a pour objectif de laisser une trace qui permette de le repérer et l’identifier. Dans notre<br />

cas, le marqueur de l’itinéraire va nous informer sur ce qui fait distinction dans<br />

l’expérience du mouvement du sujet. De la même façon qu’Erving Goffman, qui traite<br />

des marqueurs 227 en tant que signes laissés par un individu, a décliné différents types de<br />

marqueurs, les « marqueurs centraux », les « marqueurs frontières », les « marqueurs<br />

signets »…, nous allons tenter de repérer les marqueurs spatiaux de l’expérience du<br />

mouvement, grâce aux différentes études de terrain. Le marqueur a pour rôle de mettre<br />

en évidence l’élément fort du vécu de l’itinéraire avec sa dimension spatiale, sachant,<br />

qu’en terme d’opérationnalité, le marqueur, en tant que signe distinctif, sera d’autant<br />

plus pertinent et repérable que l’expérience sera analysée dans sa globalité. Le marqueur<br />

224<br />

Isaac JOSPEH. L’espace public comme lieu de l’action. Les Annales de la Recherche Urbaine. N°57-<br />

58. décembre 19992. p. 3.<br />

225<br />

Joël BONNEMAISON. La géographie culturelle : cours de l’université de Paris IV Sorbonne :1994-<br />

1997. Paris : Editions du CTHS, 2000. p. 26.<br />

226<br />

Dictionnaire historique de la langue française. Paris : Robert, 2000. p. 2145.<br />

227<br />

Erving GOFFMAN. La mise en scène de la vie quotidienne. 2. les relations en public. Op. Cit., p. 55<br />

107


permettant de formaliser la part de subjectivité qui incombe à l’expérience. Qu’est-ce<br />

qui, dans l’attitude du sujet lors de son déplacement, dans son récit du parcours va nous<br />

éclairer sur sa relation vis-à-vis de l’espace de déambulation ?<br />

Comme nous le rappelle Vincent Berdoulay : « Le sujet construit le lieu par<br />

l’intermédiaire des récits qui donnent sens à sa relation aux gens et aux objets qui<br />

l’environnent » 228 . Qu’est-ce que cela implique dans le cas de l’itinéraire ? Nous<br />

verrons à travers la méthodologie retenue (chapitre 10), reposant sur le récit de la<br />

personne lors de son parcours, que l’itinéraire advient par capacité narrative.<br />

228<br />

Vincent BERDOULAY. Le lieu et l’espace public. Les Cahiers de Géographie du Québec, volume 41,<br />

n°14, 1997, p. 303.<br />

108


Conclusion :<br />

A partir de la construction théorique du concept d’itinéraire, nous proposons une<br />

nouvelle approche de l’aménagement de l’espace public par l’analyse de l’expérience<br />

des piétons. L’élaboration de ce concept a suscité de nombreuses interrogations, quant à<br />

sa construction, ses répercussions en terme d’aménagement, de méthodologie… Ainsi,<br />

différentes interrogations vont ponctuer nos analyses.<br />

Les unes sont relatives à la construction du concept: l’itinéraire comme<br />

révélateur de l’expérience du mouvement du sujet peut-il proposer une nouvelle lecture<br />

de la ville ? Le corps ne serait-il pas l’élément de connaissance qui donne sens à<br />

l’itinéraire comme révélateur de l’expérience du mouvement ?<br />

Les autres questions sont dérivées du concept lui-même : comment, à partir de<br />

l’interaction que l’itinéraire génère entre la dimension subjective et la dimension de<br />

l’aménagement, ce dernier peut-il contribuer à améliorer l’approche relative à<br />

l’aménagement des villes ? Quels vont être les éléments qui vont nous permettre de<br />

repérer et qualifier l’itinéraire ?<br />

Enfin, une interrogation relative à la méthode : l’itinéraire advient-il à partir du<br />

moment où le sujet met en récit son expérience de cheminement ?<br />

109


Conclusion de la première partie<br />

L’étalement urbain associé à une augmentation de la mobilité a grandement<br />

modifié les rapports des piétons à la ville. Dans ce contexte, le piéton est devenu<br />

l’oublié de la ville et des politiques d’urbanisme (chapitre1) tant sa place se réduit dans<br />

un environnement de plus en plus insécurisé où la fonctionnalité de l’espace a<br />

longtemps primé.<br />

Redéfinir l’espace en faveur des piétons, sans négliger les autres modes de<br />

transport, nécessite le recours au concept d’espace public (chapitre2) pour aborder la<br />

cohérence des cheminements piétonniers que celui-ci propose. La multiplication des<br />

modes de transport a entraîné une perte de lisibilité et de cohérence de l’espace public,<br />

surtout pour ceux qui le parcourent à pied. En travaillant sur l’expérience du piéton en<br />

mouvement, nous pouvons proposer un espace public dont la lisibilité sera effective.<br />

Ceci nous a conduit à étudier avec attention la notion d’expérience associée au<br />

mouvement (chapitre 3). Les liens importants qui se tissent entre expérience,<br />

mouvement, temps et espace nous ont amené à réfléchir sur le concept qui serait le plus<br />

à même de révéler l’expérience du piéton en mouvement, à savoir le concept<br />

d’itinéraire. Ce dernier, construit (chapitre 4) selon différents aspects - spatial,<br />

existentiel, corporel et lié à l’altérité - propose une approche de la ville à partir de<br />

l’interaction entre la dimension subjective et la dimension planificatrice.<br />

L’élaboration du concept nous a amené à identifier différentes hypothèses qui<br />

structurent notre démarche. Dans une seconde partie, nous allons vérifier :<br />

• Tout d’abord (chapitre 6) si l’hypothèse, plaçant l’itinéraire<br />

comme révélateur de l’expérience du mouvement à la fois au niveau spatial et<br />

existentiel à tel point que ces deux dimensions du parcours interagissent, se vérifie au<br />

regard de l’expérience des pèlerins.<br />

• Puis, (chapitre 6, 7 et 8) nous allons tester l’existence de<br />

marqueurs de l’itinéraire qui correspondent dans l’expérience du mouvement aux<br />

éléments qui conditionne le choix du sujet. Les marqueurs de l’itinéraire peuvent ainsi<br />

être utilisés comme révélateurs des potentialités d’un espace public.<br />

• Dans une troisième partie, à travers la méthodologie retenue, nous<br />

vérifierons l’hypothèse suivante : l’itinéraire advient par la mise en récit du parcours<br />

(c’est le récit qui le fait exister).<br />

110


• Enfin, nous terminerons sur l’hypothèse principale qui s’inspire<br />

de l’ensemble des hypothèses et des réflexions menées jusqu’ici : l’itinéraire génère une<br />

interaction entre la dimension subjective et la dimension de l’aménagement, qui<br />

contribue à améliorer l’aménagement des villes. Celle-ci oriente notre réflexion vers<br />

l’opérationnalité et sur les potentialités de l’espace public associées aux exigences du<br />

piéton durant son expérience en mouvement.<br />

111


112


Deuxième partie - Des marqueurs de<br />

l’itinéraire : le corps, le religieux, et<br />

l’insécurité<br />

113


114


Introduction<br />

L’expérience du mouvement peut être analysée dans différents espaces, selon<br />

des motivations et des intérêts variés. Ainsi, plutôt que de se cantonner à un seul cas,<br />

n’est-il pas préférable d’élargir l’analyse à divers terrains d’étude qui apporteront<br />

chacun des précisions, des pistes de réflexions importantes pour appréhender l’itinéraire<br />

dans sa globalité. En tenant compte de la diversité des expériences, comment travailler<br />

sur l’itinéraire en tant qu’outil de lecture de l’expérience du déplacement ? N’est-il pas<br />

possible d’isoler des constantes au cœur de ces différentes expériences ?<br />

Depuis quelques années, on observe le retour à certaines activités autrefois<br />

délaissées qui aujourd’hui redeviennent, avec force, phénomènes de mode. La marche,<br />

activité sportive actuellement très pratiquée, en est un des exemples. C’est pourquoi<br />

nous remarquons une recrudescence de la pratique des randonnées pédestres et<br />

sportives, mais aussi la réhabilitation de parcours « plus spirituels » comme les chemins<br />

de Saint-Jacques-de-Compostelle. Dans cette optique, nous avons choisi de nous<br />

intéresser à l’itinéraire de ces chemins de Saint-Jacques comme objet de recherche.<br />

Cette expérience se caractérise par un retour aux sources, un dénuement en symbiose<br />

avec l’esprit du pèlerinage qui « est une spatialisation émotionnelle du désir. Il vise<br />

essentiellement à réduire par déplacement de l’individu la distance entre lui-même et<br />

son dieu » 229 . A cette occasion, l’individu manifeste un besoin de se retrouver, de faire<br />

son introspection au travers d’une expérience particulière qui consiste à progresser sur<br />

un itinéraire durant plusieurs semaines par le biais de la marche. Ce déplacement à<br />

vitesse réduite dans l’espace va donner le temps nécessaire à la méditation, à<br />

l’appréhension et à la compréhension du monde environnant. Nous verrons que cette<br />

évolution lente dans l’espace introduit une dimension nouvelle à la notion d’expérience.<br />

Ces différentes caractéristiques propres au pèlerinage laissent supposer que le pèlerin va<br />

vivre une expérience particulière qui intéresse notre recherche. Ce pèlerinage à Saint-<br />

Jacques-de-Compostelle, sollicite une expérience pleine du sujet fortement influencée<br />

par sa volonté, ses attentes… Ce dernier illustre au mieux la quintessence de l’itinéraire,<br />

d’un point de vue à la fois historique et existentiel.<br />

229 Claude RIVIERE. Représentation de l’espace dans le pèlerinage africain traditionnel.<br />

Ethnogéographies, sous la direction de Paul Claval. Paris : l’Harmattan, 1995. p. 141.<br />

115


Dans l’optique de mettre en valeur cette particularité du pèlerinage à Saint-<br />

Jacques-de-Compostelle, nous verrons dans le chapitre 5 l’importance de l’expérience<br />

dans le pèlerinage depuis ses origines tout en insistant sur le choix du terrain sur lequel<br />

nous avons mené cette analyse et en présentant quelques statistiques relatives à<br />

l’évolution de la population pèlerine. Dans le chapitre 6 seront présentés les résultats de<br />

l’analyse qui s’organisent en quatre points : tout d’abord, nous approfondirons<br />

l’importance de la démarche en insistant sur son impact au niveau de l’expérience ; puis<br />

il s’agira de repérer les différents types d’itinéraires, fortement influencés par les<br />

motivations des pèlerins, en déterminant l’existence de marqueurs de l’itinéraire ;<br />

ensuite, nous insisterons sur l’importance de la dimension corporelle, comme marqueur<br />

de l’itinéraire, dans la progression ; enfin, nous terminerons en examinant l’itinéraire<br />

des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en tant qu’aventure organisée, à la fois<br />

comme lieu linéaire mais aussi en tant que support de rencontre des pèlerins.<br />

Dans l’optique de cerner l’expérience du sujet dans le déplacement, cette fois-ci<br />

quotidien ou routinier, nous chercherons à savoir si l’espace urbain peut convenir à une<br />

analyse pertinente de l’itinéraire. En effet est-il possible de transposer l’expérience du<br />

pèlerinage à l’espace urbain ?<br />

Comme nous le verrons dans l’exemple du pèlerinage à Saint-Jacques, le corps<br />

correspond à un marqueur important de l’expérience mais ce dernier semble néanmoins<br />

négligé au cœur de nos métropoles qui ne favorisent pas son développement 230 .<br />

Pourtant, il existe des villes dont les habitants accordent une importance primordiale à<br />

leur corps. Parmi celles-ci nous avons choisi de travailler sur Rio de Janeiro non<br />

seulement parce qu’il s’agit d’une ville où le culte du corps est très développé mais<br />

aussi parce qu’elle permet de tester l’itinéraire dans un espace complexe où modernité<br />

et tradition se côtoient, dans un mélange de cultures, d’ethnies, mais aussi dans un<br />

espace où la mobilité ne cesse d’augmenter. En effet, Rio de Janeiro est un exemple<br />

remarquable concernant le culte du corps, notamment mis en scène par le biais de son<br />

carnaval et de ses nombreuses plages. Ce constat suscite un questionnement sur la place<br />

du corps dans l’expérience du mouvement. La dimension corporelle correspond-elle, à<br />

Rio de Janeiro, à un marqueur de l’itinéraire ? Comment, dans cet espace complexe en<br />

raison de sa situation, de la fragmentation socio-spatiale et de l’insécurité croissante,<br />

230 « l’humanité urbanisée devient une humanité assise » cf. . Note 135.<br />

116


l’expérience du déplacement est-elle vécue ? Quels sont les marqueurs qui vont donner<br />

sens à l’itinéraire des cariocas 231 ?<br />

Dans notre analyse du phénomène urbain carioca, nous avons choisi d’aborder<br />

l’expérience du déplacement à travers deux aspects :<br />

- tout d’abord, celui de la religion candomblé (chapitre 7), en observant<br />

l’influence de cette dernière sur le choix et le vécu du parcours de ses adeptes. Nous<br />

présenterons en ce sens, l’importance de la religion candomblé à Rio, malgré un<br />

contexte empreint de discrétion. Puis, à partir des entretiens que nous avons pu réaliser,<br />

sera analysée l’influence de la religion candomblé dans les pratiques et l’expérience des<br />

déplacements quotidiens.<br />

- Ensuite, pour élargir notre recherche, nous avons choisi de mener une enquête<br />

sur l’expérience du déplacement des habitants de Rio (chapitre 8), à la recherche de<br />

marqueurs de l’itinéraire. Dès lors, notre choix s’est porté sur trois collèges situés dans<br />

des quartiers différents (Anchieta, Barra da Tijuca et Ipanema) et l’établissement de<br />

l’Alliance française de Copacabana, en vue d’élargir notre échantillon de population.<br />

Travaillant sur l’expérience, il nous a semblé intéressant d’utiliser, dans un premier<br />

temps, ce que nous avons qualifié de « carte schématique spontanée » afin de<br />

déterminer les représentations spatiales des déplacements, à savoir quels marqueurs de<br />

l’itinéraire semblent se dessiner… Pour compléter l’analyse, un questionnaire relatif aux<br />

pratiques et au vécu du déplacement nous a permis de mener une Analyse Factorielle<br />

des Correspondances afin de déterminer des typologies de comportements et<br />

d’expérience. Ces deux analyses nous permettront de révéler l’existence de marqueurs<br />

importants de l’itinéraire.<br />

231 Carioca : n.f. étymologiquement en langue tupy le mot kari (blanc) et oca (maison) signifie « maison<br />

des blancs ». Habitant de Rio de Janeiro. Relatif à la ville ou l’agglomération de Rio de Janeiro. (Louise<br />

BRUNO. Rio de Janeiro, une métropole fragmentée : le rôle des favelas et des condominios fechados<br />

dans le processus d’éclatement de la ville et de la société. Villes et régions au Brésil. Sous la direction de<br />

Leila Christina. DIAS et Cécile RAUD. Paris : l’Harmattan, 2001)<br />

117


118


Chapitre 5 - La quintessence de l’itinéraire : les<br />

chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle<br />

Le renouveau du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle nous a influencé<br />

dans notre choix, d’autant plus qu’il s’agit d’un chemin religieux qui porte l’empreinte<br />

de l’histoire. Les individus qui choisissent de le parcourir vont marcher sur les traces de<br />

leurs ancêtres.<br />

C’est un itinéraire porteur de sens sur lequel les pèlerins vont développer leur<br />

propre expérience. En quelque sorte, il représente la quintessence de l’itinéraire à la fois<br />

au niveau historique mais aussi existentiel à travers le développement d’une expérience<br />

particulière qui consiste à progresser sur un itinéraire durant plusieurs semaines en<br />

marchant.<br />

Dans ce chapitre, nous avons choisi d’aborder l’importance de l’expérience chez<br />

nos ancêtres pèlerins, leurs caractéristiques, et chercherons à découvrir ce qui a changé<br />

pour ces marcheurs de Dieu aujourd’hui, tout ceci en identifiant le sens du pèlerinage<br />

afin de cerner ce phénomène dans sa globalité. Enfin, nous aborderons la fréquentation<br />

du chemin du Puy-en-Velay qui nous permettra de repérer les premières informations<br />

relatives aux motivations des pèlerins.<br />

119


120<br />

5.1- L’expérience du pèlerinage chez nos ancêtres pèlerins<br />

Comprendre l’expérience du pèlerin nécessite un retour sur les fondements mêmes<br />

du pèlerinage. De ce fait, il est important de revenir sur la définition du pèlerinage :<br />

« Acte global de sacralisation. C’est dire que celui-ci est un tout : au départ,<br />

déploiement spatial de soi sacralisant, son terme est un lieu saint, où dans la démarche<br />

pèlerine la plus authentique, il faut être présent à des dates déterminées fixées par un<br />

calendrier sacral, et observer un rituel bien établi » 232 .<br />

Nous avons choisi de citer Paul Poupard car il met en évidence l’importance du<br />

rituel et des dates pour les pèlerins qui entreprennent cette démarche. Cela conforte<br />

l’idée du pèlerinage comme phénomène organisé, structuré à la fois spatialement,<br />

temporellement et spirituellement.<br />

Au niveau de l’expérience, « le pèlerinage opère un bouleversement mental de<br />

l’espace, en ce qu’il est affrontement à l’inconnu. Simultanément il favorise la mise en<br />

question du sens des choses et se déploie comme appel à l’altérité » 233 . Nous verrons<br />

dans le chapitre 6 que l’altérité joue un rôle important dans l’expérience du pèlerin.<br />

Nous allons à présent nous intéresser spécifiquement aux pèlerins « d’hier » pour<br />

identifier les particularités de leur expérience.<br />

5.1.1- Rappel étymologique et historique du terme pèlerin<br />

Le mot latin peregrinus évoque l’état ou la condition de celui qui se trouve en<br />

terre étrangère, hors de chez lui. Le pèlerin est en soi étranger, il n’appartient pas au<br />

monde qui l’entoure. Sa qualité d’étranger le met à l’écart, il est déraciné, incompris ou<br />

du moins en proie à l’incompréhension. Une situation en fin de compte extrêmement<br />

instable qui « dans l’Antiquité, repousse le pèlerin à l’extérieur du système social, au<br />

point de le considérer comme ennemi potentiel de la société « 234 .<br />

Le pèlerin n’est cependant pas un étranger comme les autres. Ce n’est pas un<br />

voyageur errant, il chemine en quête d’un but. Son signe distinctif est sans doute la<br />

démarche religieuse qui le fait évoluer vers son but. Cette expérience religieuse modifie<br />

232 Paul POUPARD. Dictionnaire des religions. Paris, PUF, 1984. p. 1547.<br />

233 Claude RIVIERE. Représentation de l’espace dans le pèlerinage africain traditionnel. Dans,<br />

Ethnogéographies, Paul CLAVAL (dir.),. Paris : L’Harmattan, 1995. p. 141.<br />

234 Pèlerinages : Compostelle, Jérusalem, Rome. Sous la direction de Paolo Caucci von Saucken,<br />

Fernando Lopez Alsina et al. Paris : Ed. Desclée de Brower, 1999. p. 39.


profondément l’attitude personnelle du voyageur et la façon avec laquelle il est reçu<br />

dans les milieux qu’il traverse. C’est le terme de la quête qui paraît essentiel, car c’est<br />

lui qui fait le pèlerin et le justifie à ses yeux et devant les autres.<br />

Quoi qu’il en soit, il n’est pas aisé d’établir la frontière entre pèlerin et voyageur.<br />

Nous l’avons dit, le pèlerin connaît le terme de son voyage. Il est aussi guidé par une<br />

intention, un sens. Généralement, et en particulier au <strong>Mo</strong>yen Age, tout pèlerinage se<br />

donne comme terme un lieu saint et se traduit le plus souvent par un voyage entrepris<br />

spécialement pour aller vénérer un saint.<br />

Cependant, c’est l’éloignement et la distance qui confèrent au véritable pèlerinage<br />

son caractère le plus particulier. Tout ce paysage de privation propre aux endroits de<br />

pèlerinage semble propice, comme le rappelle Yi Fu Tuan : « Il est des gens qui évitent<br />

tout environnement facile et qui cherchent le désert ou les milieux âpres pour y<br />

connaître la dureté impitoyable de la réalité et la splendeur pure… Les rencontres de<br />

Dieu avec les prophètes, qu’elles soient directes ou indirectes, ont toujours eu pour<br />

cadre des lieux désolés. Le Paysage nu reflétait la pureté de la foi 235 . Le choix de<br />

l’itinéraire traversant des paysages d’infini ne semble alors pas anodin.<br />

« Le chemin du pèlerin ne peut être que lointain. 236 »<br />

5.1.2- Les dispositions pour être pèlerin<br />

Le pèlerin doit avoir certaines dispositions fondamentales qui constituent le point<br />

de départ spirituel pour prendre la route. Quels que soient les moyens dont il dispose<br />

pour entreprendre son voyage, il devra passer de longues journées à travers des terres<br />

inconnues, il sera exposé à toutes sortes d’abus dus à sa condition d’étranger. La<br />

solitude et l’incompréhension lui pèseront. De plus, « la résignation face aux<br />

souffrances et aux privations est une attitude propre au pèlerin » 237 . En fait, il va<br />

devenir une sorte de marginal, éloigné des uns, rejeté par les autres : « Garder intacte sa<br />

volonté et sa décision, ne pas abandonner son vœu dans ces conditions, voilà ce qui<br />

confère sa véritable profondeur spirituelle au pèlerin. 238 »<br />

235 TUAN Yi Fu. Topofilia. Topophilia, a study of environmental perception, attitudes and values. New<br />

York : Columbia University Press, 1990. p. 60-61.<br />

236 Ibid. p39.<br />

237 Zeny ROSENDAHL. Le pouvoir du sacré sur l’espace, de deux petits centres brésiliens de<br />

pèlerinage : Muquém et Santa Cruz dos Milagres. Géographie et Cultures, n°12, 1994. p.71-86. p. 76.<br />

238 Ibid. p.40<br />

121


Celui qui décide de faire vœu de pèlerinage, c’est-à-dire de quitter sa patrie en<br />

renonçant, ne serait-ce que temporairement, à tout ce qu’il possède, doit être habité par<br />

de hautes et puissantes motivations.<br />

- En premier lieu, il doit aimer Dieu et désirer se rapprocher de lui. Ce sentiment<br />

doit être suffisamment intense pour donner un sens à toute sa démarche.<br />

- En second lieu, il doit « croire fermement que les choses saintes rapprochent de<br />

Dieu ; en particulier un corps saint ayant appartenu à un homme de Dieu qui entretient<br />

désormais une relation privilégiée avec la divinité en sa qualité de bienheureux. 239 »<br />

C’est pourquoi l’invocation constitue un des recours pour se rapprocher de Dieu.<br />

Un des points principaux du pèlerinage est le pouvoir donné au saint, comme lien<br />

direct avec Dieu. Sa résolution d’entreprendre le pèlerinage sera d’autant plus ferme que<br />

les capacités du saint lui paraîtront certaines.<br />

Le pèlerin baigne donc dans une atmosphère d’idéaux qui lui donne la force de<br />

surmonter les épreuves et le conforte dans l’intention qu’il s’est forgée : la conviction<br />

que le chemin qu’il a choisi, par la vénération et la prière fervente au saint auquel il<br />

s’est voué, lui permettra de se sentir près de la divinité et de voir exaucés ses vœux les<br />

plus chers.<br />

122<br />

5.1.3- Le but du chemin<br />

Au cours du <strong>Mo</strong>yen Age, la condition du pèlerin sur les routes devient moins<br />

pénible : « Les gens qui le recevaient étaient nourris d’un sentiment de charité spéciale<br />

envers ceux qui venaient de loin, qu’ils se devaient d’accueillir avec une attention<br />

particulière » 240 . Le voyage devenait ainsi, dans une certaine mesure, plus supportable.<br />

Le pèlerin devait certes connaître sa destination, mais tout n’était pas fini lorsqu’il<br />

atteignait son but. Il fallait revenir, ce qui multipliait par deux les épreuves et les<br />

difficultés.<br />

Au <strong>Mo</strong>yen Age, le dénominateur commun des grands pèlerinages était la<br />

destination lointaine des lieux sacrés que les pèlerins allaient visiter. Le voyage était<br />

perçu comme composante d’une évolution spirituelle dans le cadre de laquelle il fallait<br />

pratiquer les vertus. La vertu essentielle mise en avant dans le pèlerinage était la charité<br />

qui devait s’appliquer à tout le monde, sans distinction. De plus, tout le long de la route,<br />

239 Ibid. p.41<br />

240 Ibid. p.49


il fallait pratiquer les œuvres de piété et de miséricorde, ce qui obligeait à se rendre dans<br />

tous les sanctuaires afin de recevoir les grâces spéciales du Ciel.<br />

Tout pèlerinage en quête d’un sanctuaire doit être une métaphore de la grande<br />

pérégrination de l’homme. Ceci correspond au souhait de l’Eglise de suggérer au pèlerin<br />

de réaliser ce parcours dans l’idée d’un chemin de vie afin d’intégrer davantage la<br />

religion au sein de son existence. Cette dimension donnée au pèlerinage est<br />

particulièrement intéressante à analyser en géographie mais aussi dans d’autres sciences<br />

sociales. Elle peut permettre de déterminer la part de l’élément religieux dans la<br />

compréhension par le pèlerin de l’espace parcouru mais aussi de son être. En effet, le<br />

pèlerinage représente le passage de l’homme sur terre. Il s’agit d’une expérience fondée<br />

sur l’acte religieux. Elle peut recouvrir différentes formes selon l’acte à accomplir.<br />

5.1.4- Une expérience conditionnée par l’objectif du pèlerinage<br />

Il existe plusieurs sortes de pèlerinage :<br />

- Le pèlerinage comme pénitence apparaît au cours du Haut <strong>Mo</strong>yen Age. Sa<br />

naissance et son développement se placent d’abord dans le cadre de la pénitence tarifiée<br />

mise au point dans les monastères celtes et anglo-saxons. C’est une pénitence qui peut<br />

être recommencée autant de fois qu’on a péché et, surtout, elle comporte un barème<br />

précis des fautes. Comme peines, il y avait l’exil, qui initialement n’avait pas de<br />

destination précise, mais à partir du IX ème siècle, on fixe un but au voyage sur des lieux<br />

devenus célèbres par les reliques ou les tombeaux des saints. Le pèlerinage n’étant pas<br />

choisi, mais imposé, il modifie l’expérience du pèlerin.<br />

- Le culte des reliques : un des buts du pèlerinage était de demander l’intercession<br />

d’un saint en allant prier auprès de ses reliques. Le culte des reliques est en effet l’un<br />

des supports les plus constants du pèlerinage médiéval. Depuis le IV ème siècle, après le<br />

triomphe de l’Eglise dans l’Empire romain, les reliques des martyrs se virent attribuer<br />

un pouvoir surnaturel. C’est Saint Grégoire de Nazyance qui définit le plus clairement<br />

ce qui deviendra la base du culte des reliques : « les corps des martyrs ont le même<br />

pouvoir que leurs saintes âmes, soit qu’on les touche, soit qu’on les vénère. 241 »<br />

241 Pierre André SIGAL. Les marcheurs de Dieu : pèlerinages et pèlerins au <strong>Mo</strong>yen Age, sous la<br />

direction de Georges Duby. Paris : Armand Colin, 1974. p. 32.<br />

123


- Les pèlerinages de guérison où les malades, infirmes, s’adressent d’abord aux<br />

sanctuaires de leur région. Si on excepte quelques nobles et bourgeois riches, la masse<br />

de ces pèlerins est d’origine populaire.<br />

- Les pèlerinages politiques et nationaux s’appellent ainsi car il s’agit de<br />

démarches effectuées par des princes, rois ou empereurs. Il est naturel, en effet, que le<br />

caractère charismatique du pouvoir royal ou impérial au <strong>Mo</strong>yen Age prenne appui, entre<br />

autres éléments, sur la protection d’un saint qui apporte une justification supplémentaire<br />

à l’autorité du chef. En échange, le roi multiplie les offrandes, les constructions et les<br />

pèlerinages.<br />

Pour conclure sur ces anciens pèlerins européens, il est important de signaler<br />

qu’ils étaient interdit aux femmes. D’une part, on jugeait que la promiscuité risquait<br />

d’être dangereuse pour leur vertu et, d’autre part, qu’elles pouvaient être une incitation à<br />

la débauche pour d’autres. Ainsi, cette expérience du pèlerinage donnait un rôle<br />

important à l’homme dans la recherche de spiritualité, de rapprochement de Dieu, tout<br />

ceci dans une quête soit de pardon, soit de guérison, voire de pénitence. Cet acte de foi<br />

demandait une grande rigueur à celui qui l’entreprenait, un investissement considérable<br />

qui permettait au pèlerin d’atteindre son objectif. Qu’en est-il aujourd’hui ? Quelles sont<br />

les motivations qui poussent autant de personnes à prendre le chemin ? Dans une société<br />

où la vitesse domine et structure les relations à l’espace, que signifie cet engouement<br />

pour le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle ?<br />

Nous allons voir qu’aujourd’hui, le pèlerinage est ouvert à différentes démarches<br />

et motivations. Les pèlerins partent sur un chemin où les expériences vont se croiser,<br />

s’amplifier, prendre sens pour chacun d’entre eux.<br />

124


5.2- Le renouveau du pèlerinage à Saint-Jacques-de-<br />

Compostelle au fondement de notre réflexion<br />

C’est durant l’été 1999 que nous avons commencé notre étude, dans la mesure où<br />

il s’agissait d’une année charnière marquant le renouveau du pèlerinage à Saint-<br />

Jacques-de-Compostelle 242 . Ce regain d’intérêt pour le pèlerinage nous a conduit à<br />

rechercher ce qui motivait autant de personnes à réaliser ce parcours durant plusieurs<br />

semaines avec leur corps pour seul véhicule.<br />

Différents entretiens et lectures témoignent d’un véritable changement entre les<br />

pèlerins « d’hier » et ceux qui arpentent les chemins aujourd’hui. Il semble parfois<br />

même délicat d’utiliser ce terme de peregrinus. Nous verrons pourquoi, en présentant<br />

les caractéristiques des pèlerins « aujourd’hui » et en observant le renouveau du<br />

pèlerinage à travers l’analyse de la fréquentation associée aux motivations des pèlerins.<br />

5.2.1- Les pèlerins « aujourd’hui »<br />

Suite à un entretien avec un responsable de la mission touristique des Pyrénées<br />

Atlantiques, nous avons pu obtenir des statistiques réalisées par les responsables de<br />

l’accueil des pèlerins à Saint-Jacques de Compostelle pour l’année jacquaire 1999.<br />

Seuls les pèlerins qui se sont rendus à cet accueil pour y séjourner ont été répertoriés.<br />

Ceci n’englobe pas les pèlerins qui ont seulement commencé leur pèlerinage à Saint-<br />

Jean-Pied-de-Port.<br />

242 C’est au tournant des XI ème et XII ème siècles que se situe l’étape initiale de l’internationalisation du<br />

pèlerinage compostellan, la grande diffusion européenne du culte de saint Jacques qui est étroitement liée<br />

au patronage et au programme politique de repeuplement de deux monarques hispaniques contemporains :<br />

Alphonse VI de Castille et de Léon (1072-1109) et Sanche Ramirez de Navarre et d’Aragon (1063-1094),<br />

tous deux mariés à des princesses étrangères. Les deux rois sont ouvertement « européanistes » et<br />

pleinement conscients des répercussions favorables que pourrait avoir, sur le développement général de<br />

leurs royaumes respectifs, l’accroissement des relations avec l’Europe par l’intermédiaire de la route vers<br />

Compostelle. De plus, à cette époque, la société européenne est en pleine expansion et la mobilité<br />

géographique très importante. C’est dans cette perspective que le pèlerinage prend son essor et que les<br />

différents itinéraires se mettent en place.<br />

125


France 2823 Portugal 26 Venezuela 3<br />

Espagne 1347 Mexique 24 République Tchèque 3<br />

Allemagne 653 Danemark 19 Cuba 2<br />

Belgique 487 Ecosse 16 Ile Maurice 2<br />

Pays-Bas 389 Pologne 16 Lichtenstein 2<br />

Italie 283 Argentine 14 Paraguay 2<br />

Brésil 228 Japon 9 Pérou 2<br />

Suisse 188 Finlande 8 Costa-Rica 1<br />

Angleterre 168 Grèce 8 Equateur 1<br />

U.S.A. 162 Luxembourg 8 Uruguay 1<br />

Canada 163 Israël 7 Bulgarie 1<br />

Autriche 86 Colombie 6 Lituanie /Lettonie 2<br />

Suède 52 Afrique du Sud 6 Liban 1<br />

Irlande 50 Hongrie 5 Sri-Lanka 1<br />

Australie 39 Chili 3 Russie 1<br />

N elle Zélande 26 Slovaquie 3 Malaisie 1<br />

126<br />

Tableau 2- Répartition des pèlerins par pays d’origine<br />

(Source : accueil Saint-Jacques à Saint-Jean Pied de Port, 1999)<br />

Total 7359<br />

A Saint-Jean-Pied-de-Port, les pèlerins venus de France (38%) sont au premier<br />

rang, ceci pouvant s’expliquer par le fait que l’enquête a été réalisée du côté français.<br />

Néanmoins, la part d’Espagnols qui commencent leur pèlerinage en France (18%) est<br />

aussi conséquente. Nous pouvons signaler une forte présence des pèlerins venus<br />

d’Europe (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Italie, Suisse…). Nous notons aussi une<br />

participation importante du Brésil ainsi que de l’Amérique du Nord (Etats-Unis,<br />

Canada). L’analyse de l’origine des pèlerins montre à quel point ce pèlerinage a acquis<br />

une notoriété internationale.<br />

Ces données datant de 1999, le graphique suivant permet de visualiser l’évolution<br />

du nombre de pèlerins par nationalité en 2003.


Figure 5- Nombre de pèlerins par nation en 2003.<br />

(Source : accueil Saint-Jacques à Saint-Jean-Pied de Port)<br />

Nous constatons qu’en cinq ans le nombre de pèlerins a plus que doublé pour<br />

atteindre en 2003 : 18696 pèlerins. Les Français restent majoritaires ( 2823 en 1999 et<br />

5892 en 2003 ), en revanche les Allemands sont beaucoup plus nombreux ( 653 en 1999<br />

et 2488 en 2003) à prendre le chemin qu’en 1999, ils devancent même les Espagnols (<br />

1347 en 1999 et 2379 en 2003 ). L’évolution du pèlerinage est considérable, le<br />

graphique ci-dessus confirme la notoriété internationale ce celui-ci. Les pèlerins en<br />

marche vers Saint-Jacques-de-Compostelle se diversifient parallèlement à leur<br />

augmentation.<br />

Il est également intéressant de s’interroger sur les pratiques religieuses des<br />

pèlerins et de savoir s’ils sont catholiques, protestants… A partir des statistiques de<br />

l’accueil de Saint-Jean-Pied-de-Port, nous constatons qu’en 1999, 77% de la population<br />

interrogée était catholique, 8% protestante, 12% sans religion et 3% d’autres religions<br />

comme <strong>Mo</strong>rton D. Winsberg 243 , juif qui a effectué son pèlerinage durant l’été 1990.<br />

Même si les catholiques, dominent, les « pèlerins » non croyants sont relativement<br />

présents. Il en résulte une ambiguïté relative à la pertinence de l’utilisation du terme<br />

243 <strong>Mo</strong>rton D. WINSBERG. A walking pilgrimage across Spain to Santiago de Compostela. The<br />

American Geographical Society, 1993, n°3. p31-37.<br />

127


pèlerin pour des individus qui n’ont aucune appartenance religieuse. Il semble que nous<br />

soyons face à un changement significatif entre les pèlerins d’antan, souvent surnommés<br />

« marcheurs de Dieu », et les pèlerins des temps récents en quête d’eux-mêmes. Le<br />

renouveau du pèlerinage impulse la mise en place d’un autre type de pèlerinage où<br />

domine la découverte de soi dans des ambiances parfois mystiques.<br />

128<br />

5.2.2- La fréquentation de l’itinéraire<br />

A partir des statistiques collectées à l’accueil Saint-Jacques à Saint-Jean-Pied-de-<br />

Port, l’évolution de la fréquentation a été estimée entre les années 1996 et 2004.<br />

Figure 6– Répartition des pèlerins par année<br />

(Source : accueil Saint-Jacques à Saint-Jean Pied de Port)<br />

A la lecture de ce graphique, nous constatons l’importance de l’année 1999,<br />

comme année marquant le renouveau du pèlerinage, avec, en l’espace d’un an, entre<br />

1998 (3271) et 1999 (7318), une population de pèlerins qui a plus que doublé. Ceci est<br />

dû en partie à l’année jacquaire qui a lieu uniquement les années où le 25 juillet (fête de<br />

Saint-Jacques) correspond à un dimanche. Néanmoins, ce renouveau du pèlerinage<br />

correspond surtout à cette année 1999, pour laquelle les reportages et sollicitations n’ont<br />

pas manqué. Par la suite, l’évolution du pèlerinage augmente de façon exponentielle<br />

pour atteindre 21544 pèlerins enregistrés, en 2004, à l’accueil Saint-Jacques de Saint-<br />

Jean-Pied-de-Port.<br />

Si l’on s’intéresse aux statistiques plus anciennes (1985-1990) recueillies du côté<br />

espagnol, nous remarquons une forte proportion d’Espagnols (en 1990, ils<br />

représentaient en effet 50% des pèlerins) suivis par les Français (25% en 1990), les


Allemands (11% en 1990) et les Belges (7% en 1990). L’aspect international du<br />

pèlerinage n’est pas encore déterminé.<br />

Quant au mode de déplacement privilégié par les pèlerins, il s’agit de la marche<br />

(82% en 1999 d’après l’enquête réalisée à Saint-Jean-Pied-de-Port), qui permet de<br />

retrouver les sensations premières de l’homme vis-à-vis de la nature. Seuls 17% des<br />

pèlerins choisissent le vélo, dans une démarche plus sportive.<br />

5.2.3- Les motivations des pèlerins<br />

Si nous nous référons aux statistiques réalisées à l’accueil de Saint-Jean-Pied-de-<br />

Port sur les motivations 244 des pèlerins, nous constatons qu’elles sont avant tout<br />

culturelles (75%), puis spirituelles (54%) et sportives (38%). Les motivations<br />

religieuses représentent seulement 34% de la population interrogée. La place de<br />

l’élément religieux semble donc remise en cause aujourd’hui.<br />

En revanche, les statistiques relevées en Espagne montrent au contraire<br />

l’importance des motivations religieuses 245 . Les Espagnols semblent avoir une<br />

démarche différente de celle des autres pèlerins, car il s’agit du « berceau » du<br />

pèlerinage qui n’a jamais cessé d’exister en terre hispanique.<br />

Au regard des sources statistiques que nous avons pu consulter, nous remarquons<br />

des lacunes à différents niveaux. Tout d’abord l’absence d’informations au niveau des<br />

Catégories Socioprofessionnelles (CSP), de l’âge et du sexe, seule l’Espagne ayant<br />

réalisé des statistiques sur les pèlerins des provinces espagnoles dans lesquelles sont<br />

données les chiffres sur la répartition des pèlerins espagnols au niveau des CSP, du<br />

sexe, de l’âge, … Nous ne les avons pas utilisés car elles limitent la population des<br />

pèlerins à un seul pays. Au niveau du bureau d’accueil de Saint-Jacques-de-<br />

Compostelle, il s’avère très difficile d’obtenir ce type de renseignements. Nous n’avons<br />

pu recueillir que quelques informations dans une revue de l’archidiocèse de Saint-<br />

Jacques-de-Compostelle 246 . Néanmoins, après avoir constaté un changement<br />

considérable dans les caractéristiques des pèlerins (d’hier et d’aujourd’hui) nous<br />

pouvons nous demander quelle expérience ils vont développer, de nos jours, sur cet<br />

244<br />

A cette question il peut être apporté plusieurs réponses par une même personne.<br />

245<br />

Annexe 3<br />

246<br />

CAUCCI VON SAUCKEN Paolo G. Formas y perspectivas de la peregrinacion actual.<br />

Compostellanum, revista de la archidiocesis de Santiago. Juillet-septembre 1991, n° 3-4, vol.35.<br />

129


itinéraire chargé d’éléments du passé ? Quelle quête va animer les « nouveaux<br />

pèlerins » ?<br />

130<br />

5.2.4- Le choix du terrain : le chemin du Puy-en-Velay<br />

Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle sont nombreux. Afin<br />

d’harmoniser l’analyse de l’expérience, nous avons choisi de nous arrêter sur un des<br />

quatre principaux chemins traversant la France pour rejoindre le « Camino francès » 247 .<br />

N<br />

Figure 7- Répartition des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle.<br />

Source : p.51 de la revue l’officiel rando La Marche. N°3 mai-juin 2001.<br />

Dès lors, nous avons tenu compte du phénomène urbain, trois des chemins<br />

traversant d’importantes agglomérations (figure 8). La « via Turonensis » qui vient de<br />

247 Il s’agit du chemin le plus important d’Espagne faisant le lien depuis la frontière des Pyrénées au<br />

niveau de Ronceveaux jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle.


Paris, doit traverser tout d’abord la capitale puis Orléans, Tours, Poitiers et Bordeaux.<br />

Quant à la « via Lemovicensis », elle traverse Châteauroux, Limoges, Périgueux,<br />

Bergerac… Enfin, la « via Tolosana » traverse <strong>Mo</strong>ntpellier, Castres, Toulouse. Il n’est<br />

pas aisé et agréable pour des pèlerins de traverser une ville sur le bitume et dans la<br />

pollution… La « via Podensis » plus rurale, ne passe que par des villes de moyenne<br />

importance, la plus peuplée, le Puy, ne comptant que 12000 habitants.<br />

Légende :<br />

Les villes des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle<br />

Nombre d'habitants (en 1999) :<br />

0-1999<br />

2 000 - 9 999<br />

10 000 - 19 999<br />

20 000 - 49 999<br />

50 000 - 99 999<br />

100 000 et plus<br />

Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle :<br />

Via Turonensis<br />

Via Lemovicensis<br />

Via Podiensis<br />

Via Tolosana<br />

O<br />

100<br />

200 Km<br />

1/5 800 000 (1 cm : 58 Km)<br />

St-Jean-d'Angely<br />

Source : - ROUX Julie. Les Chemins de<br />

Saint-Jacques de Compostelle. 1999.<br />

- I.N.S.E.E. 1999.<br />

Figure 8- Répartition des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en fonction du<br />

phénomène d’urbanisation<br />

Il s’agit d’un des parcours les plus fréquentés. Il se compose pour l’essentiel de<br />

chemins de grande randonnée évitant le plus souvent la route et offrant ainsi un contact<br />

avec la nature et les grands espaces. Le premier pèlerinage fut entrepris sur cet<br />

itinéraire, en 950 par l’évêque Godescalc, du Puy-en-Velay. Le chemin venant du Puyen-Velay<br />

jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle, en empruntant le « camino francès »,<br />

s’étend sur 1400 kilomètres et s’effectue en deux, voire trois mois de marche. C’est au<br />

regard de l’ensemble de ces éléments que nous avons choisi d’étudier ce dernier<br />

parcours.<br />

Tours<br />

Châtellerault<br />

Poitiers<br />

Limoges<br />

Orléans<br />

Paris<br />

Bourges<br />

Châteauroux<br />

Vézelay<br />

Saintes<br />

Blaye Périgueux<br />

Bordeaux<br />

Bergerac<br />

Conques<br />

Le Puy-en-Velay<br />

Bazas<br />

Cahors<br />

Lectoure<br />

St-Paul-les-DaxSt-Sever<br />

Nogaro<br />

<strong>Mo</strong>issac<br />

St-Guilhem St-Gilles<br />

Auch<br />

Aire/Adour<br />

Ostabat<br />

<strong>Mo</strong>ntesquiou<br />

Maubourguet<br />

<strong>Mo</strong>rlaàs<br />

Toulouse<br />

Oloron-Ste-Marie<br />

Castres<br />

<strong>Mo</strong>ntpellier<br />

Arles<br />

131


132


Conclusion<br />

Le pèlerinage en tant qu’action fondée sur le cheminement à pied constitue un<br />

exemple en matière d’expérience du mouvement.<br />

Le renouveau du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle nous a amené à<br />

nous interroger sur l’évolution des motivations, des caractéristiques des pèlerins. Nous<br />

avons pu ainsi déterminer l’existence d’une expérience religieuse forte chez les pèlerins<br />

« d’hier », pour qui le pèlerinage représentait une métaphore du chemin de vie, l’église<br />

utilisant cet acte sacré comme moyen d’intégrer davantage la religion dans l’existence<br />

de l’homme.<br />

De nos jours, la démarche des pèlerins, se fondant sur différentes motivations,<br />

tend à complexifier les caractéristiques des pèlerins. Ces derniers partent sur le même<br />

chemin avec des motivations et des démarches variées. Qu’en est-il au niveau de<br />

l’expérience ? Est-ce que la motivation du pèlerin a une incidence sur son expérience du<br />

pèlerinage ? Au cours du chapitre 6, nous allons, à partir de différents entretiens réalisés<br />

auprès de pèlerins, analyser l’expérience qui se crée durant le mouvement et pendant<br />

plusieurs jours de marche.<br />

133


134


Chapitre 6 - La diversité des expériences qui<br />

s’expriment<br />

Alors que les ancêtres pèlerins marchaient en « quête », ce qui les différenciait des<br />

voyageurs, qu’est-ce qui aujourd’hui motive tant de personnes à « prendre le chemin » ?<br />

Pour répondre à cette interrogation centrale, nous avons mené une série d’entretiens sur<br />

le chemin du Puy-en-Velay à partir de différents lieux.<br />

Les personnes interrogées ont été rencontrées à des étapes différentes : soit elles<br />

ont été questionnées alors qu’elles étaient à mi-chemin de leur parcours afin de<br />

recueillir leurs impressions au cœur de l’action, soit elles ont été interpellées à leur<br />

arrivée à Saint-Jacques-de-Compostelle pour recueillir leur vision « à chaud » sur<br />

l’ensemble de leur périple.<br />

D’autres pèlerins ont été interrogés par téléphone, ceux-ci ayant effectué leur<br />

voyage il y a un an, dans l’optique de souligner les événements, les lieux qui les ont<br />

marqués. Enfin, l’opportunité s’est présentée d’interroger une personne ayant effectué<br />

son pèlerinage il y a 16 ans, alors que l’itinéraire n’était pas encore tant fréquenté, voire<br />

même désert et peu organisé, afin de connaître les souvenirs qui lui restent. L’ensemble<br />

de ces entretiens a permis de mettre en évidence les relations qui s’établissent entre les<br />

individus et les lieux traversés.<br />

Il a semblé important d’aborder ce chapitre en insistant :<br />

- tout d’abord, sur l’intérêt de déterminer s’il s’agit d’une démarche personnelle<br />

ou d’une expérience collective,<br />

- puis, de repérer les différents types d’itinéraires conditionnés par les motivations<br />

des pèlerins (l’itinéraire du croyant, l’itinéraire du sportif et enfin l’itinéraire de<br />

l’aventurier) qui permettent de déterminer l’existence de marqueurs de l’itinéraire,<br />

- ensuite, d’insister sur l’importance de la dimension corporelle lors de la<br />

progression,<br />

- enfin, d’aborder l’itinéraire des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle<br />

comme une aventure organisée, en tant que lieu linéaire mais aussi comme support de<br />

rencontre des pèlerins.<br />

135


pèlerins<br />

136<br />

6.1- L’entretien, outil révélateur de l’expérience des<br />

L’étude de l’expérience des pèlerins a nécessité le recours à l’entretien afin de<br />

mettre en évidence leurs motivations, attentes, perceptions… Correctement mise en<br />

valeur, cette technique permet de retirer des informations et des éléments très riches et<br />

nuancés. A la différence de l’enquête par questionnaire, les méthodes d’entretien se<br />

caractérisent par un contact direct entre le chercheur et ses interlocuteurs et par peu de<br />

directive de sa part. Dans le but de recueillir le maximum d’informations, nous avons<br />

décidé d’utiliser l’entretien semi-directif.<br />

Ce dernier est certainement le plus utilisé en recherche sociale. Il est semidirectif<br />

en ce sens qu’il n’est ni entièrement ouvert, ni canalisé par un grand nombre de<br />

questions précises 248 . Cela laisse une plus grande liberté au chercheur face à la personne<br />

qu’il interroge, sans oublier pour autant qu’il doit centrer ses questions par rapport à ses<br />

hypothèses, le principal étant d’instaurer la confiance, afin d’obtenir le maximum<br />

d’informations et d’impressions.<br />

Lorsqu’on souhaite obtenir des éléments relatifs à la perception des choses, donc<br />

subjectifs, le recours à cette technique est primordial. Les questions trop longues et<br />

complexes sont à proscrire. Il faut au contraire tenter d’amener l’interlocuteur, par<br />

certaines pistes, vers le sujet qui nous intéresse.<br />

Souhaitant recueillir des informations à différents stades de progression sur<br />

l’itinéraire, nous avons eu recours à deux méthodes différentes pour réaliser ces<br />

entretiens.<br />

Lorsque nous avons rencontré les pèlerins sur leur parcours, lors de leurs<br />

moments de repos dans les gîtes étapes, les entretiens se faisaient plus ou moins en<br />

groupe dans une salle de repos commune, où ils se retrouvaient pour discuter.<br />

Quant aux pèlerins que nous avons interrogés à leur retour de Saint-Jacques-de-<br />

Compostelle, les entretiens ont été réalisés par téléphone. Il est beaucoup plus difficile<br />

de détecter les réticences à répondre à une question par téléphone. La confiance peut se<br />

trouver elle aussi plus limitée. Néanmoins, les personnes contactées se sont montrées<br />

très disponibles et intéressées. Il s’agissait le plus souvent de personnes passionnées,<br />

248<br />

QUIVY Raymond et VAN CAMPENHOUDT Luc. Manuel de recherche en sciences sociales.<br />

Paris : Dunod, 1995. p. 194.


voulant faire partager leur expérience et leur bonheur avec force détails. Si nous avons<br />

choisi d’interroger les pèlerins durant leur progression et à la fin de leur périple, c’est<br />

pour obtenir leurs sensations au cœur de leur démarche puis une fois le parcours<br />

accompli. Tout ceci, dans l’optique de montrer une évolution dans la perception de<br />

l’espace.<br />

L’échantillon de personnes interrogées 249 reprend, en grande partie, les différents<br />

types de pèlerins, suivant le parcours qu’ils ont entrepris. En fait, le long de cet<br />

itinéraire, il est possible de côtoyer des pèlerins qui réalisent l’ensemble du parcours,<br />

d’autres seulement une partie. De plus, nous avons choisi d’interroger des individus qui<br />

l’ont réalisé il y a 5, voire 15 ans, afin de prendre en compte l’évolution du pèlerinage.<br />

Ces entretiens seront aussi mis en relation avec des témoignages recueillis sur Internet<br />

et dans des ouvrages. Nous ferons référence aussi au pèlerinage réalisé par Madeleine<br />

Griselin et son amie Manola en 1999. Madeleine Griselin, chercheur en géographie à<br />

l’Université de Besançon, elle est partie sur le chemin avec pour mission une recherche<br />

sur le paysage de la Haute-Saône à Saint-Jacques-de-Compostelle 250 . Elle a écrit sur un<br />

cahier qu’elle tenait jour après jour ses impressions durant le parcours, ce qui nous<br />

permettra d’associer son expérience à celles des personnes interrogées. Il est aussi<br />

important de signaler qu’uniquement les pèlerins progressant à pied sont retenus. Seule<br />

la marche donne le temps nécessaire à l’appréhension du monde.<br />

L’entretien s’organise autour de différents thèmes 251 :<br />

- les motivations : pourquoi ce pèlerinage ? Comment l’ont-ils connu ?<br />

Comment l’ont-ils fait ? Qu’est-ce que cela représente pour eux ?….<br />

- le choix du parcours : pourquoi ce chemin ? Le choix a t-il été important ?<br />

D’où sont-ils partis…. ?<br />

- Les attentes : au niveau personnel, rencontres, lieux….<br />

- Expériences : individuelle ou collective, la perception des choses a-t-elle<br />

changé, les rapports avec les autres pèlerins, l’itinéraire…. ?<br />

- Caractéristiques de la population interrogée : sexe, âge, profession, lieu de<br />

résidence.<br />

249 12 personnes au total<br />

250 M.GRISELIN. Chemin de St-Jacques de Compostelle : expertise technique qualitative des sentiers<br />

empruntés de la Haute-Saône au Cap Finisterre (Coruña), rapport de fin de contrat pour le compte de la<br />

FFRP, 2000.<br />

“ M. GRISELIN et S. NAGELSEIN. « Quantifier » le paysage au long d’un itinéraire à partir d'un<br />

échantillonnage photographique au sol. Cybergéo, n°253, www.cybergeo.com<br />

251 Voir le guide d’entretien annexe n°1.<br />

137


L’ensemble de ces questions va nous permettre de recueillir des informations sur<br />

l’individu « pèlerin » de nos jours, dans une société où le « nomadisme » est marginal,<br />

où la rapidité est le maître mot. Ces individus semblent alors en total décalage vis-à-vis<br />

de la société de consommation. Nous pourrons alors mettre en évidence ce qui incite les<br />

pèlerins à se retrouver seuls, loin de leur vie sociale, dans ce dénuement qui les<br />

rassemblent. Plus de hiérarchie sociale, ils sont pèlerins avant tout.<br />

collective<br />

138<br />

6.2- D’une démarche personnelle à une expérience<br />

Quelle expérience vont vivre tous ces individus qui ont décidé de partir sur cet<br />

itinéraire pendant des mois, loin de leur travail, de leur famille, de leurs amis, de leurs<br />

soucis?<br />

6.2.1- Un itinéraire individuel<br />

Sachant que la plupart des personnes interrogées sont parties seules, nous pouvons<br />

penser que leur voyage s’inscrivait dans une démarche individuelle.<br />

Leslie est partie seule le 6 septembre 2000 du Puy-en-Velay. Originaire de<br />

<strong>Mo</strong>ntréal au Québec, sans motivation religieuse, elle a décidé de partir loin de ses<br />

soucis « pour vivre les moments présents et réfléchir car la marche permet de méditer et<br />

de faire le point sur sa vie ». Sa démarche était au départ solitaire, car pour elle « c’est<br />

une façon d’effectuer un cheminement qui correspond à une transition dans ma vie pour<br />

arriver à autre chose ».<br />

Dans le cas de Patricia, originaire de la Loire (Sorbiers), elle est partie au mois<br />

d’août 1999, sur un coup de tête. Il s’agissait « d’un impératif car j’étais au chômage,<br />

j’avais besoin de fuir la maison, faire un nettoyage intérieur. C’était une grande<br />

aventure vraiment personnelle. » Elle partait pour la première fois de sa vie seule. Elle a<br />

dû faire l’expérience de l’autonomie. « Ça n’était pas pour moi une démarche de foi,<br />

mon désir était de partir seule pour ne pas être influencée par qui que ce soit ».<br />

Dans la même perspective que Patricia, Philippe qui vit au Puy-en-Velay, au cœur<br />

même de l’itinéraire, se trouvait aussi au chômage. Il n’avait plus goût à rien, aucun but


dans la vie. « Ce fut une véritable opportunité pour moi, je suis parti sans aucune<br />

préparation, dans l’urgence, sans vraiment savoir pourquoi. »<br />

Nous remarquons au travers de ces quelques témoignages de personnes qui<br />

ressentaient la nécessité de fuir leur situation de crise, un véritable besoin de se<br />

retrouver seules face à elles-mêmes loin de leurs soucis.<br />

Dans le cas des pèlerins qui ont longuement préparé leur itinéraire dans une<br />

optique soit culturelle, soit religieuse ou sportive, l’idée était aussi d’avoir une<br />

démarche solitaire.<br />

Léo, originaire d’Annecy, est parti durant l’été 1999. Passionné par l’art roman, il<br />

effectuait seul son pèlerinage comme une sorte de retraite. « J’aime la solitude, le<br />

chemin de Compostelle c’était seul que je devais le faire. J’avais besoin de faire un<br />

retour sur moi-même. » Il s’agit aussi « d’une expérience unique, très forte dans le sens<br />

de la découverte de soi ».<br />

Quant à Marie-Claire, d’Annecy, qui a réalisé son pèlerinage de mai à juillet 2000,<br />

elle est partie « pour effectuer une intention personnelle au niveau de la foi ». Tout le<br />

long de son parcours, elle profitait des temps de marche pour prier.<br />

Pour finir, Michèle est partie sur le chemin en 1985, alors que l’itinéraire GR 65<br />

n’était pas complètement achevé. « Je suis partie pour faire une recherche sur l’énergie<br />

au plan personnel. Je ne suis pas partie seule, mais ma démarche était tout de même<br />

personnelle». Les documents, à cette époque, sur l’itinéraire étaient rares, la préparation<br />

a été difficile et les surprises, le long du chemin, nombreuses.<br />

Au regard de ces différents témoignages, nous constatons qu’au départ la<br />

démarche envisagée est individuelle. Tous souhaitent se retrouver, même si leurs<br />

motivations sont différentes. Cependant qu’en est-il le long du chemin ? La rencontre<br />

avec les autres pèlerins ne change-t-elle pas la vision des choses ?<br />

6.2.2- Un itinéraire de rassemblement<br />

Après quelques jours de marche, les pèlerins vont commencer à se côtoyer, à<br />

échanger leurs impressions.<br />

Leslie nous apprend à quel point l’entraide et le partage sont présents tout le long<br />

du chemin. « On est tous dans la même galère, on souffre des ampoules, on a parfois<br />

des doutes, on se motive… Les gens se confient beaucoup sur le chemin, ils parlent de<br />

139


leur vie amoureuse, de leur séparation, de leurs souffrances. Je suis surprise de voir<br />

leur ouverture d’esprit». Les relations sont tellement spontanées que les gens<br />

commencent à se lier d’amitié et à partager leur expérience. « Je suis partie seule, à<br />

présent j’ai l’impression d’appartenir au groupe. On a tous la même apparence avec le<br />

sac à dos, les chaussures de marche, les vêtements de pluie…la même souffrance, les<br />

mêmes difficultés, les mêmes doutes. On est tous là pour se soutenir, ne pas lâcher.<br />

Seule, je ne serais peut-être pas allée jusqu’au bout ». Le soutien paraît un élément<br />

important à la cohésion du groupe.<br />

« Notre vie est rythmée par les étapes qui nous permettent de nous retrouver après de<br />

longues heures de marche solitaire ». L’itinéraire semble alors organiser les rencontres<br />

entre les pèlerins sur les lieux de repos en fin de journée.<br />

Patrick, originaire de Cahors, est parti en tant que randonneur. La rencontre avec<br />

les autres pèlerins l’a transformée. « On a tous le même but, Compostelle, même si on<br />

n’a pas tous les mêmes motivations. En même temps qu’on apprend à connaître les<br />

autres, on réapprend à se connaître soi-même ». Ce témoignage donne l’impression<br />

qu’expérience collective et individuelle sont fortement liées.<br />

Un autre élément soulevé par Marie-Claire nous semble important à souligner :<br />

« j’ai rencontré des jeunes espagnols sur le chemin, avec qui j’ai marché durant<br />

quelques journées, je ne connaissais par leur langue, mais on a quand même réussi à<br />

communiquer ». Même la barrière de la langue semble disparaître. Il en est de même<br />

pour la différence sociale : « j’ai côtoyé des banquiers, des chefs d’entreprise… mais<br />

jamais je ne me suis sentie à l’écart. Sur le chemin on est avant tout pèlerin, les critères<br />

sociaux n’existent plus ». L’identité de pèlerin semble effacer toute autre appartenance.<br />

En effet, si l’on reprend l’idée de Paul Poupard, «Phénoménologiquement, le pèlerinage<br />

est un fait collectif. Tout pèlerinage physiquement individuel s’inscrit dans une tradition<br />

collective, celle justement d’une route, d’un lieu sacré, d’un culte ou d’un conformisme<br />

établi. On ne se sacralise pas en effet à soi tout seul. En tant qu’acte de sacralisation, le<br />

pèlerinage est nécessairement société : société dans l’attente et la conjuration<br />

d’espérance, société du chemin, accrue en son génie pèlerin de tous les groupes qu’elle<br />

rencontre sur sa route ou dans lesquels elle se retrouve au terme, société multipliante<br />

de la rencontre, car l’intensité et la marque de celle-ci se trouvent naturellement<br />

approfondies par le nombre, société de mémoire enfin, le pèlerinage accompli. Société<br />

en quête d’extraordinaire, c’est-à-dire de rupture ou de détachement d’avec le<br />

quotidien des travaux et des jours, la société pèlerine est une société de la non-<br />

140


distinction sociale : classes, sexes, fonctions s’y fondent dans une confusion physique<br />

d’unité, jusqu’à atteindre, aux grands moments du pèlerinage, communion d’âme» 252 .<br />

Les individus, tout en vivant une expérience qui leur est propre, se rassemblent,<br />

tout de même, à travers l’expérience collective du pèlerinage, ce groupe existe en tant<br />

que « société du pèlerinage » 253 durant le parcours. Dans quelle mesure ces deux<br />

expériences (individuelle et collective) se mêlent-elles au cours de la progression du<br />

pèlerin?<br />

6.2.3- Une expérience de l’itinéraire à la fois individuelle et<br />

collective<br />

Effectivement, il est possible de repérer deux temps dans la progression du<br />

pèlerin.<br />

Tout d’abord, les moments de marche qui sont les plus importants s’effectuent le<br />

plus souvent seul. Comme le dit Rousseau : « la marche est solitaire, elle est une<br />

expérience de la liberté, une source inépuisable d’observations et de rêveries… » 254 .<br />

Leslie nous donne son point de vue sur les temps de marche : « on marche seul<br />

et silencieusement, les choses se font plus spontanément, on est à l’écoute de notre<br />

corps. On est surtout plus à même de profiter des espaces qu’on traverse ». La solitude<br />

paraît tout à fait nécessaire pour profiter de tout ce qui est nouveau, insolite…ce qui<br />

procure des sentiments très particuliers suivant les individus. De plus, « c’est un chemin<br />

qu’on fait avant tout pour soi, c’est un chemin de liberté jusqu’au bout».<br />

« La marche, même une modeste promenade, met provisoirement en congé des<br />

soucis qui encombrent l’existence hâtive et inquiète de nos sociétés contemporaines.<br />

Elle ramène à la sensation de soi, aux frémissements des choses et rétablit une échelle<br />

de valeurs que les routines collectives tendent à élaguer » 255 .<br />

Néanmoins, l’étape finie, les pèlerins se retrouvent pour les repas. Ils échangent<br />

leur point de vue sur la journée passée, sur les inquiétudes qu’ils peuvent avoir ou sur<br />

les joies procurées par le chemin.<br />

252<br />

POUPARD Paul. Dictionnaire des religions. Op. Cit., p.1548<br />

253<br />

Ibid. p.1549<br />

254<br />

LE BRETON David. Eloge de la marche. Paris : Métailié, 2000. p.19.<br />

255 Ibid. p. 21<br />

141


Pour Patrick, ces moments là, « permettent de partager, de se soutenir pour<br />

parvenir tous à notre but ».<br />

D’après Leslie, « on s’étiole si on est tout seul, on s’affaiblit, alors que l’autre<br />

stimule, il donne des conseils ». Se dégagent aussi du chemin une certaine authenticité<br />

et simplicité qui facilitent les relations.<br />

Nous venons de mettre en évidence l’existence, le long de cet itinéraire, d’une<br />

expérience à la fois individuelle et collective, les deux se mêlant et interagissant. Le<br />

pèlerinage correspond ainsi à une expérience pleine ce qui confirme l’idée de<br />

quintessence de l’itinéraire à la fois d’un point de vue historique et existentiel. En effet,<br />

la progression sur ce chemin autrefois emprunté par des millions de pèlerins peut<br />

procurer le sentiment d’appartenir à ce même groupe. De plus, la présence sur un même<br />

parcours de milliers d’individus qui cheminent tous vers un même but et un même lieu<br />

confirme l’existence d’une expérience collective. Néanmoins, la majorité des pèlerins<br />

sont seuls lorsqu’ils marchent, ceci pour différentes raisons. D’une part, il est difficile<br />

d’avancer au même rythme. D’autre part, il s’agit d’un moment privilégié pour faire une<br />

sorte de bilan sur sa vie. Enfin, nous sommes plus à l’écoute du monde qui nous entoure<br />

lorsque nous sommes seuls.<br />

Ce « nouveau pèlerinage » à Saint-Jacques-de-Compostelle ne serait-il pas un<br />

facteur de redécouverte de soi et des autres qui crée un rapport particulier à l’itinéraire ?<br />

142


6.3- Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle : un<br />

itinéraire de vie<br />

La réalisation des entretiens nous a permis, au fur et à mesure des rencontres, de<br />

mettre en évidence l’importance de la démarche du pèlerin. N’existe-t-il pas une<br />

relation entre les motivations du pèlerin et l’expérience de l’itinéraire ? Afin de<br />

répondre à cette question, Nous avons choisi de repérer dans ces divers entretiens les<br />

marqueurs de l’itinéraire selon trois catégories de démarches possibles (qui peuvent<br />

parfois se compléter ou évoluer) : religieuse, sportive et de remise en question.<br />

143


144<br />

6.3.1- L’itinéraire religieux<br />

Comme nous avons pu le voir précédemment certains pèlerins ont un objectif<br />

purement religieux.<br />

Marie-Claire, d’Annecy, avant son départ, a adhéré à une association religieuse<br />

des amis de Saint-Jacques et assistait à une réunion chaque mois. Les personnes qui<br />

avaient déjà réalisé le pèlerinage faisaient part de leur expérience et donnaient des<br />

conseils de lecture et de préparation. Pour elle, « tout le long du chemin s’est opérée une<br />

véritable osmose, une intime communion avec les lieux et les gens rencontrés. La<br />

richesse des édifices religieux sur cet itinéraire en témoigne».<br />

Paul, originaire de l’Ardèche, accomplissait ce pèlerinage pour « rendre grâce à<br />

Dieu pour toute la chance que j’ai eue dans ma vie privée comme professionnelle ».<br />

Tout au long du chemin, « on a le temps de prier tranquillement. On finit par avoir des<br />

phrases que l’on répète et qui arrivent à nous mettre dans un état second». Quant aux<br />

échanges entretenus avec les autres pèlerins, ceux qui l’ont marqué sont « les échanges<br />

sur la façon de communier». De plus, le chemin permet d’aller à la messe tous les soirs.<br />

Son expérience l’a ainsi poussé à devenir hospitalier à Estaing, à son retour de<br />

Compostelle. « Je voulais donner un peu de ce que j’avais reçu. Pour moi, le chemin de<br />

Saint-Jacques est totalement un chemin de foi».<br />

Nous constatons que ces deux pèlerins qui ont effectué leur pèlerinage dans une<br />

démarche totalement religieuse n’ont retenu que les marqueurs fondés sur la foi. A la<br />

question relative aux lieux qui les ont marqués, ces pèlerins ne répondaient que par des<br />

édifices religieux comme la basilique de Conques, l’église de Saint-Jean-Pied-de-Port<br />

ou la cathédrale de Burgos… Seuls les lieux sacrés sont privilégiés. Les actions<br />

entreprises tout le long du chemin sont empreintes de religiosité. En effet, il nous<br />

semble que ce n’est pas l’homme, mais le croyant qui marche. L’itinéraire est donc<br />

partie intégrante du « soi croyant » et non de l’être en tant qu’homme. Seule<br />

l’appartenance à la religion se révèle sur le chemin, car c’est elle qui oriente les pas du<br />

pèlerin (cf. figure 9).


Puy-en-Velay Compostelle<br />

Chemin linéaire où seuls les éléments<br />

religieux sont retenus<br />

1. Légende :<br />

Durée éléments religieux<br />

(édifices et actions de<br />

Etape foi)<br />

Chemin<br />

Figure 9- L’itinéraire du croyant<br />

145


146<br />

6.3.2- L’itinéraire sportif<br />

Sur l’itinéraire des chemins de Saint-Jacques, il est possible de croiser quelques<br />

« accros » du sport et plus particulièrement de la randonnée comme Marcel pour qui<br />

« la randonnée représente 50% de ma vie ». Suite à une opération de la colonne<br />

vertébrale, le chirurgien lui avait signalé que s’il refaisait 5 kilomètres à pied il pouvait<br />

être heureux. « Le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle était un défi pour moi,<br />

que j’ai accompli en septembre 1999. Aujourd’hui je me dis que c’est un peu comme à<br />

l’armée : on en bave, on se dit que c’est la plus mauvaise période de sa vie, puis avec<br />

les années, on se souvient des copains et des bons moments ». La perception du sportif<br />

est davantage fondée sur l’effort physique que sur le spirituel. Cependant, Marcel a<br />

avoué « qu’on se transforme très rapidement en pèlerin. La population vous estime<br />

comme si vous étiez un randonneur à part. En Espagne, le peregrino est sacré ». Le<br />

regard des autres a changé l’identité de Marcel. Il est parti randonneur pour arriver<br />

pèlerin. Même si sa démarche n’était pas religieuse, il a eu le sentiment de faire partie<br />

d’un groupe. Malgré tout, c’est son défi qui l’a poussé à continuer. C’est l’itinéraire en<br />

lui-même qui intéressait Marcel, pour sa durée et sa longueur et non pour ce qu’il<br />

représentait au niveau symbolique.<br />

Guy, amoureux des Pyrénées, s’est lancé un défi en VTT. Il ne voulait pas partir<br />

comme les autres à pied. Il pensait que c’était trop monotone. « Ce défi n’exclut pas de<br />

s’intéresser aux paysages et aux rencontres. Ainsi est né dans mon esprit ce défi un peu<br />

fou, ni plus ni moins qu’un défi sur soi et contre soi ». Le but sportif semble être un test<br />

vis-à-vis de soi qui à la fois peut être un enrichissement tout en étant un véritable effort<br />

de dépassement. Ce chemin est là pour tester sa résistance à la fois physique et morale.<br />

Il est jalonné d’obstacles (dénivelés, chemins cabossés, intempéries …) qui le rendent<br />

d’autant plus attrayant.<br />

C’est le dépassement physique que la topographie et la longueur de l’itinéraire<br />

permettent qui interpellent le pèlerin sportif et vont organiser son expérience (cf.<br />

Figure10).


Puy-en-Velay Compostelle<br />

Légende :<br />

Etape<br />

Itinéraire sportif où seules jouent la<br />

morphologie et la durée du parcours<br />

Durée<br />

Chemin<br />

Figure 10- L’itinéraire du sportif<br />

topographie<br />

147


148<br />

6.3.3- De l’itinéraire « introspectif » à l’ouverture au monde<br />

Nombreux sont les pèlerins qui ont décidé de prendre leur sac à dos pour faire le<br />

point, se remettre en question. Pour ainsi dire, ils souhaitent se retrouver seuls face à<br />

eux-mêmes. Quelle va être leur relation à l’itinéraire?<br />

Léo qui est parti à la fois pour sa passion de l’art roman, mais aussi pour un désir<br />

d’approche spirituelle, nous explique que ce pèlerinage a été une véritable « découverte<br />

de soi ».<br />

D’une part, « découverte des ressources physiques insoupçonnées et pourtant<br />

présupposées puisque indispensables du seul fait de tenter l’aventure. Se réveiller et<br />

repartir le matin en pleine forme alors que la veille au soir on était totalement épuisé et<br />

rempli de doute sur sa capacité à redémarrer, est quelque chose de quasi miraculeux ».<br />

D’autre part, « des manifestations mystérieuses se sont produites sous forme de<br />

vagues d’émotions intempestives qui, à plusieurs reprises et sans pouvoir en identifier<br />

les causes, m’ont véritablement submergé. Je me revois par exemple descendre le grand<br />

escalier à la sortie de la cathédrale du Puy en pleurant comme jamais. Cela s’est<br />

reproduit à plusieurs reprises et sur des lieux à caractères sacrés. C’est comme si ma<br />

sensibilité s’en trouvait décuplée ». Léo n’est pourtant pas parti avec des motivations<br />

religieuses, cependant les édifices sacrés l’ont profondément touché.<br />

Leslie, quant à elle, semblait autant marquée par les éléments religieux que par les<br />

éléments de la nature. La traversée du plateau de l’Aubrac a été un moment fort dans sa<br />

progression, de la même façon que la Meseta espagnole. Les grandes étendues ont<br />

procuré à Leslie un sentiment puissant à la fois d’osmose avec la nature et de<br />

méditation. « Ce sont les choses d’une simplicité extraordinaire qui m’ont marquée,<br />

comme le fait de pouvoir manger des figues dans l’arbre, où le goût, la saveur de ce<br />

fruit semblent être décuplés… ».<br />

Pour Patrick, l’Aubrac a été aussi un moment inoubliable : « c’est un paysage<br />

sauvage, dans lequel on a l’impression de renaître, on revient à nos origines, plus<br />

proche de la nature et de soi-même. L’immensité de ce plateau dont on ne voit pas la<br />

fin, peut parfois être stressante, car on s’y sent seul et capable de se plonger au plus<br />

profond de soi, de ses craintes, ses doutes… ». Les paysages sont aussi importants dans<br />

la démarche de ces individus en quête de leur « être ».


Le passage des Pyrénées pour accéder à Roncevaux a aussi révélé des sentiments<br />

forts chez certains, comme Philippe. « Tout le long du chemin, de nombreux villages,<br />

parfois des villes nous ramènent à une civilisation qui nous rappelle le passage des<br />

Maures. Mais, entre ces villages et ces villes, les sentiers qui traversent les Pyrénées<br />

nous offrent des points de vue à nous couper le souffle. Parfois nous nous sentons très<br />

petits devant l’immensité du paysage ; parfois nous avons l’impression de faire partie<br />

de cette immensité ». Les pèlerins semblent totalement à l’écoute du monde qui les<br />

entoure. « Poursuivre, descendre vers le sud. Déjà les fermes ont perdu de leur<br />

austérité, fenêtres sans barreaux, cours ouvertes, façades plus claires. La pierre de<br />

flammes et de nuit, sombre minerai volcanique, cède la place au schiste, comme il le fit<br />

déjà au granit. Dans moins de trois jours, la tuile et le grès annonceront la vigne 256 ».<br />

On conçoit à quel point la perception des choses s’affine. Tout en étant plus<br />

proches d’eux-mêmes, les pèlerins sont plus à l’écoute de la nature. Le dénuement, la<br />

solitude de la marche renvoient le pèlerin aux origines de l’homme en tant que bipède<br />

confronté chaque jour aux aléas de la nature. A travers son corps le pèlerin reprend<br />

contact tant avec ce qui l’entoure ainsi qu’avec lui-même. Parce que ses sens sont<br />

fortement stimulés durant la marche le pèlerin vit une expérience pleine alors que<br />

l’homme de nos sociétés modernes s’est éloigné de ses sensations. L’itinéraire de<br />

marche procure au pèlerin tous les atouts nécessaires à sa découverte spirituelle. Le<br />

pèlerinage permet un dépassement de soi : « l’aller pèlerin est ainsi un départ vers un<br />

ailleurs qui rend autre » 257 . Ces personnes qui sont parties pour donner un sens à leur<br />

vie, sont encore plus sensibles à ce qui les entoure car leur motivation est la découverte.<br />

Leur regard est ouvert à tout, le moindre mouvement les interpelle, les changements de<br />

couleurs, d’odeurs… Cet itinéraire que nous avions qualifié d’intérieur semble au<br />

contraire s’ouvrir au monde et à l’appréhension de différents lieux (sacrés, naturels…)<br />

(cf. : Figure 11)<br />

256 Jean-Claude BOURLES. Passants de Compostelle. Paris : Ed. Payot & Rivages, 1999. p. 29.<br />

257 Rachid AMIROU. Imaginaire touristique et sociabilités du voyage. Paris : PUF, 1995. p. 199.<br />

149


Légende :<br />

150<br />

Puy-en-Velay Compostelle<br />

Chemin de vie où l’ensemble de<br />

l’itinéraire est intégré par le sujet<br />

chemin étape<br />

topographie<br />

durée<br />

itinéraire dans sa totalité<br />

Figure 11- De l’itinéraire « introspectif » à l’ouverture au monde


A la lecture de ces différents itinéraires influencés par les démarches que peuvent<br />

choisir les pèlerins, nous avons constaté un rapport différent des individus à leur être et<br />

aux lieux. Ce qui au départ pouvait s’apparentait à un itinéraire unique, doit être nuancé.<br />

En effet, d’une part il y a l’itinéraire du croyant où seuls les éléments religieux<br />

suscitent l’intérêt des pèlerins. Cet itinéraire comme « espace sacré » semble alors faire<br />

seulement partie intégrante de ses convictions religieuses.<br />

D’autre part, le parcours du sportif est un défi. L’homme doit se dépasser autant<br />

physiquement que mentalement. Seule la difficulté de l’itinéraire intéresse le « pèlerin<br />

sportif », le but étant de parvenir à Saint-Jacques-de-Compostelle dans un temps donné.<br />

L’itinéraire est alors considéré comme un parcours permettant d’atteindre son but.<br />

Enfin, pour le pèlerin qui recherche la méditation, le sens de sa vie, l’itinéraire est<br />

une ouverture au monde environnant. Il apprend à se retrouver tout en s’ouvrant aux<br />

éléments qui l’entoure. Il cherche à travers la marche solitaire et les échanges avec les<br />

autres pèlerins un moyen de retrouver ses repères dans une vie qui semble lui avoir<br />

échappé (surtout dans le cas des pèlerins qui doivent faire face au chômage, donc à une<br />

certaine perte d’identité sociale). C’est comme si le pèlerin en quête de spiritualité se<br />

créait par le biais de l’itinéraire et des lieux rencontrés, au point qu’ils soient<br />

inextricablement liés.<br />

Nous constatons que les éléments de liens à l’itinéraire dépendent de la démarche<br />

du pèlerin. L’intégration la plus forte semble celle du pèlerin en quête de « soi ». C’est<br />

par son ouverture à l’autre qu’il apprend à exister. Ceci peut alors se rapporter à l’idée<br />

développée par Vincent Berdoulay et Nicholas Entrikin : « Le sujet et le lieu<br />

fonctionnent comme deux primitives de l’expérience humaine » 258 . Ils sont en somme le<br />

support de l’expérience humaine par le fait qu’ils sont étroitement imbriqués.<br />

6.3.4- Les éléments donnant sens à l’itinéraire : les marqueurs de<br />

l’itinéraire<br />

Les différentes expériences révélées auparavant nous conduisent à nous<br />

interroger sur les éléments qui déterminent et qualifient l’itinéraire ? Comme nous<br />

l’avons proposé dans le chapitre 4, il est important dans une démarche pragmatique de<br />

qualifier l’itinéraire. C’est en reprenant les fondements du concept d’itinéraire et à<br />

258 Vincent Berdoulay et Nicholas Entrikin. Lieu et sujet : perspectives théoriques.. « L’espace<br />

géographique », 1998, n°2. p.111-121. p.118.<br />

151


travers différentes lectures, notamment celle d’Erving Goffman, que l’idée de marqueur<br />

s’est imposée. Celui-ci devrait nous permettre de matérialiser les éléments qui donnent<br />

sens à l’itinéraire.<br />

Par exemple, la religion dans le cas de l’itinéraire religieux semble ponctuer<br />

l’itinéraire, elle l’anime par la reconnaissance et l’attention portées, par les pèlerins, à la<br />

fois aux édifices religieux et aux actes de foi qui rythment l’expérience de ce dernier.<br />

Nous verrons dans le chapitre 8 l’existence de marqueurs religieux qui jouent un grand<br />

rôle dans l’organisation des déplacements.<br />

En ce qui concerne le pèlerin qui effectue un itinéraire introspectif, s’effectue,<br />

dans un premier temps, un retour sur soi qui oblige à s’attarder sur l’importance de la<br />

dimension corporelle. Le corps, en quelque sorte, va devenir le premier marqueur de<br />

l’itinéraire. Ceci est également perceptible dans l’itinéraire du sportif qui recherche un<br />

dépassement physique dans lequel son corps est mis à l’épreuve. C’est à travers lui que<br />

le chemin va prendre place. Petit à petit, l’itinéraire introspectif va s’ouvrir au monde et<br />

à l’appréhension de l’environnement dans lequel il évolue. Le marqueur corporel, qui va<br />

être développé dans la partie suivante, va coexister et évoluer avec un ensemble<br />

d’éléments nouveaux (architecture, paysage, nature, altérité…) qui vont dépasser une<br />

lecture de l’itinéraire à partir de quelques marqueurs, pour atteindre une expérience<br />

pleine. Il s’agit en quelque sorte d’un itinéraire dans sa forme la plus étendue de<br />

l’expérience du mouvement où le moindre élément prend sens.<br />

Les marqueurs que nous venons d’identifier semblent avoir une influence directe<br />

sur la perception de l’espace de déambulation. Ceux-ci permettraient de lire l’espace en<br />

fonction des diverses significations que ce dernier peut rassembler.<br />

Nous allons à présent insister sur deux aspects fortement présents dans le discours<br />

des pèlerins : la dimension corporelle, en tant que marqueur, ainsi que l’importance de<br />

l’altérité.<br />

152


6.4- La dimension corporelle, élément central de<br />

l’expérience du pèlerin<br />

Au regard des différentes expériences que nous venons de présenter, nous avons<br />

pu constater l’importance de la dimension corporelle et de l’altérité dans la réalisation<br />

du pèlerinage. C’est pourquoi nous avons choisi dans ce chapitre de nous attarder sur<br />

l’impact de ces deux aspects dans l’expérience du pèlerinage.<br />

6.4.1- Le pèlerinage : la découverte de son corps<br />

Le corps accompagne les états d’âme du pèlerin tout le long du chemin. Au<br />

début, il se fait le plus souvent pénible à assumer (courbatures, crampes, ampoules,<br />

tendinite…). D’ailleurs, certains nous ont fait part de la découverte de leur corps durant<br />

le pèlerinage. Ils expliquent à quel point les choses, les événements, prennent un autre<br />

sens : « la marche transfigure les moments ordinaires de l’existence, elle les invente<br />

sous de nouvelles formes » 259 . Par exemple, Patricia m’a avoué être partie sans s’être<br />

préparée physiquement. Elle a ainsi du faire face aux limites de ses capacités physiques<br />

qui lui demandaient un certain « rodage » et toute son attention. Elle a découvert à quel<br />

point corps et pensée ne font plus qu’un durant une marche aussi longue. Ceci confirme<br />

l’idée développée par Augustin Berque « …la pensée relève de la corporéité » 260 La<br />

fatigue du corps peut parfois prendre le dessus et obliger le pèlerin à abandonner son<br />

voyage. Effectivement, « la relation du corps et de l’esprit est conçue en fonction de ce<br />

qu’elle peut accomplir» 261 . L’expérience du pèlerinage révèle cette dimension qui<br />

nécessite d’aborder le corps tout en intégrant l’esprit. La volonté du pèlerin existe par<br />

son engagement physique et spirituel. Cette expérience humaine, particulière, qu’est le<br />

pèlerinage, « nécessite la présence du corps comme centre et unité de l’existence » 262 .<br />

Le chemin s’accomplit, prend sens à travers le corps qui ne peut être limité à un simple<br />

259<br />

David LE BRETON. Eloge de la marche. Paris : Edition Métailié, 2000. p. 32<br />

260<br />

Augustin BERQUE. Ecoumène, introduction à l’étude des milieux humains. Paris : Belin, 2000. p. 191<br />

261<br />

Francisco VARELA, Evan THOMPSON, Eleanor ROSCH. L’inscription corporelle de l’esprit :<br />

sciences cognitives et expérience humaine. Paris : Seuil, 1993. p. 63<br />

262<br />

Bernard ANDRIEU. Le corps dispersé : histoire du corps au XXème siècle. Paris : l’Harmattan, 1993.<br />

p. 393<br />

153


« objet soumis à une volonté qui le meut et le transcende » 263 . Au contraire, certains<br />

parlent même d’intelligence corporelle : « il y a en fait une compréhension du corps qui<br />

dépasse et précède la pleine compréhension visuelle et mentale » 264 . Cette dernière est<br />

fort présente durant ce voyage à pied, durant lequel le pèlerin apprend à écouter son<br />

corps, ses manifestations pour éviter de se blesser et de ne pouvoir récupérer. Comme<br />

disait Léo, on ne peut pas aller à l’encontre de son corps sinon c’est l’échec. Même si<br />

certains partent pour se dépasser physiquement, ils sont obligés de se préparer pour<br />

atteindre leur but.<br />

154<br />

6.4.2- Le corps à travers la marche devient marqueur de l’itinéraire<br />

Cette marche longue devient un véritable apprentissage « ce qui est appris par le<br />

corps n’est pas quelque chose que l’on a, comme un savoir que l’on peut tenir devant<br />

soi, mais quelque chose que l’on est » 265 . Le pèlerin apprend à se connaître à travers<br />

cette marche initiatique qui va entraîner des changements émotionnels et physiques.<br />

Ceci nous renvoie à l’idée du pèlerinage en tant que rite de passage ou<br />

initiatique dans lequel le pèlerin doit franchir trois étapes: séparation, attente,<br />

intégration 266 , comme le stipule A.Van Gennep 267 . Car, le fait de partir durant plusieurs<br />

semaines loin de chez soi entraîne une séparation d’avec la vie quotidienne. Puis le sujet<br />

va traverser une période de remise en question, d’introspection qui va, enfin, lui<br />

permettre d’atteindre la phase d’intégration de soi et du monde qui l’entoure. Le pèlerin<br />

revient différent, il renoue avec son corps qui lui permet de prendre contact à la fois<br />

avec « soi » et le monde (idée développée par Merleau-Ponty).<br />

Cette expérience totale que le pèlerinage propose réconcilie l’homme moderne<br />

avec son corps si souvent délaissé.<br />

Pour finir, il semblerait que le corps en tant que connaissance prenne tout son<br />

sens à travers cette expérience du pèlerinage. Le pèlerin apprend à se connaître en<br />

restant à l’écoute de celui qui le porte, le guide, l’interpelle dans la difficulté. Le corps<br />

transmet des informations qui vont permettre au marcheur d’ajuster le pas, de découvrir<br />

263 Christine DETREZ. La construction sociale du corps ». Paris : Seuil, 2002. p. 158<br />

264 Christine DETREZ. La construction sociale du corps ». Paris : Seuil, 2002. p. 158<br />

265 Pierre BOURDIEU. Le sens pratique. Paris : Editions de Minuit, 1980. p. 123<br />

266 Jean MAISONNEUVE. Les conduites rituelles. Paris : PUF, 1999. p. 37<br />

267 Arnold VAN GENNEP. Les rites de passage. Paris :A&J Picard, 2000.


ses limites ou, au contraire, l’ampleur de ses potentialités physiques dont il devra<br />

prendre soin. Les émotions générées par cette progression à la fois mentale et physique<br />

donneront toute sa consistance à cette expérience humaine particulière qui permet de<br />

renouer avec les ancêtres pèlerins, pour qui la marche faisait partie de leur vie<br />

quotidienne, comme seul moyen de déplacement. En quelque sorte, le corps retrouve sa<br />

place première, en tant qu’objet de mobilité, sans perdre son attachement à l’être qui<br />

quant à lui renoue avec ses origines bipèdes. Dans nos sociétés urbanisées, les habitants<br />

ont perdu contact avec leur corps. Le retour qu’impose le pèlerinage à l’activité<br />

première du corps, permet au sujet de se retrouver, de prendre contact avec son être et le<br />

monde qui l’entoure. Le corps semble être un marqueur de l’itinéraire du pèlerinage<br />

dans la mesure où il correspond pour les pèlerins au fondement de leur progression dans<br />

le contact qu’il génère avec leur être ainsi qu’avec le monde qui les entoure. Il s’agit<br />

d’un marqueur central commun à tous.<br />

6.4.3- La marche comme ouverture au monde<br />

La nature, les paysages variés, la contemplation d’un panorama transportent le<br />

pèlerin vers un ailleurs lui permettant ainsi de reprendre contact avec le monde par le<br />

biais du corps: « l’expérience de la marche décentre de soi et restaure le monde,<br />

inscrivant l’homme au sein de limites qui le rappellent à sa fragilité et sa force » 268 .<br />

Beaucoup de pèlerins ont par exemple été marqués par la traversée de l’Aubrac,<br />

plateau immense, qui donne l’impression d’infini, de parcours sans fin. Philippe nous a<br />

expliqué à quel point cette perspective l’avait perturbé. « Je me suis demandé si j’allais<br />

arriver au bout, j’avais tellement l’impression de ne pas avancer que je commençais à<br />

m’angoisser. J’ai alors pris le temps de m’interroger sur cette inquiétude. J’ai compris<br />

que mon angoisse était liée à ma situation pour laquelle je ne voyais aucun avenir. Le<br />

dépassement mental et physique le long de ce chemin m’a permis de me trouver et m’a<br />

donné confiance en mes capacités, en moi ». De la même façon que le corps agit sur la<br />

pensée, l’ailleurs et l’ouverture au monde durant la marche, invitent le sujet à<br />

s’interroger, à méditer et à trouver sa place.<br />

268 David LE BRETON. Eloge de la marche. Op. Cit., p. 63<br />

155


L’itinéraire des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, expérience<br />

particulière vécue par les pèlerins, nous a permis de repérer l’importance du corps dans<br />

l’appréhension de soi et du monde. Il n’empêche que, l’itinéraire des chemins de Saint-<br />

Jacques-de-Compostelle existe par la matérialisation physique que les différents<br />

responsables locaux, nationaux voire européens proposent afin d’assurer son<br />

aménagement qui tend à engendrer l’itinéraire comme une aventure organisée.<br />

156<br />

6.5- L’itinéraire : une aventure organisée<br />

Depuis quelques années, le renouveau du pèlerinage à Saint-Jacques-de-<br />

Compostelle intéresse les élus locaux voire même l’Union Européenne qui a décidé<br />

d’en faire un itinéraire culturel européen. A partir de l’action de ces différents acteurs,<br />

l’itinéraire s’organise, des ouvrages aident à préparer le voyage, indiquent les<br />

différentes étapes à réaliser par rapport aux gîtes d’accueil (ces derniers sont en général<br />

répartis suivant une distance moyenne de 20 à 30 kilomètres), les chemins sont le plus<br />

souvent balisés (comme le GR65). Compte tenu de ces aménagements, comment les<br />

pèlerins perçoivent-ils l’itinéraire qu’ils parcourent ? L’itinéraire est-il un lieu linéaire<br />

ou un support de lieux ? Ce pèlerinage ne deviendrait-il pas une aventure organisée et<br />

conserverait-il alors la même portée pour le « soi » et le lieu ?<br />

6.5.1- L’itinéraire une expérience fondée sur la linéarité<br />

Nombreux sont les pèlerins qui cheminent sur ces itinéraires déterminés par des<br />

étapes élaborées suivant le nombre de kilomètres à parcourir. Certains choisissent de<br />

s’écarter du parcours afin de visiter une église ou un autre monument signalé sur les<br />

guides comme une véritable curiosité, mais ils sont très rares. La fatigue accumulée<br />

depuis le départ, la longueur des étapes et le temps qui est parfois compté pour se rendre<br />

à Saint-Jacques-de-Compostelle ne permettent pas les détours.<br />

Comme le signale Madeleine Griselin, « on n’a pas le courage de faire les<br />

moindres 700 mètres d’écart, car le temps est compté et la durée du jour restreinte. La<br />

fatigue freine ton corps». Elle a remarqué aussi « qu’on a une perception extrêmement<br />

limitée de l’endroit dans lequel on est borné quasiment par le regard ». Cet itinéraire


qu’on peut apparenter à une ligne semble limiter le rapport des pèlerins aux lieux, voire<br />

même à ne proposer qu’un seul lieu : l’itinéraire lui-même.<br />

Ceci est d’autant plus remarquable lorsqu’il s’agit de croyants ou de sportifs qui<br />

conçoivent l’itinéraire comme un parcours linéaire ayant pour seule fonction de faire le<br />

lien entre le départ et l’arrivée. Chemin de prière pour l’un et de dépassement physique<br />

pour l’autre. Dans le cas du croyant, l’itinéraire est religieux par l’abondance des<br />

édifices qu’il possède. Chacun part avec une motivation et un but bien déterminés.<br />

Madeleine Griselin et son amie Manola, qui étaient parties de chez elles<br />

(Bonboillon, dans le Doubs), ont parcouru avant de parvenir au Puy, un chemin beau et<br />

sauvage (de 500 kms) qui fut fort athlétique. « L’arrivée au Puy, quel contraste avec<br />

notre premier tronçon de voyage ! En un mois nous avions rencontré en tout et pour<br />

tous trois pèlerins, et là, subitement, il en poussait de partout comme des champignons.<br />

Nous étions quelques-uns à être partis de chez nous, et nous étions tous déboussolés,<br />

démotivés même, devant cette affluence, affolés quand nous avons appris, en Aubrac,<br />

qu’au plus fort de la saison il passait plus de 200 pèlerins par jour…de véritables<br />

troupeaux nous disaient les habitants ». Effectivement, un pèlerin m’a expliqué lors de<br />

l’entretien qu’il avait parfois l’impression de faire partie d’un troupeau de moutons.<br />

Patrick qui voulait faire son chemin, c’est-à-dire faire son itinéraire, a été surpris de voir<br />

à quel point le parcours est organisé et rythmé, par des étapes que tout le monde suit,<br />

des gîtes bondés… Le chemin semble prendre le pas sur le pèlerin. Ce n’est pas le<br />

pèlerin qui fait son chemin, mais au contraire c’est l’itinéraire qui conditionne le<br />

pèlerin.<br />

6.5.2- l’itinéraire comme support de lieux<br />

Néanmoins, ceux qui partent sans aucune attente, semblent au contraire trouver à<br />

cet itinéraire, comme le dit Hervé : « une grande variété de paysages, qui le rend<br />

encore plus intéressant que les plus belles randonnées que j’ai pu faire ». D’autant plus<br />

que les deux mois où il est parti lui « ont permis de prendre du recul vis-à-vis du monde<br />

matériel ». Il poursuit : « On vit à l’allure de la marche, c’est-à-dire à 4 km/heure. Le<br />

temps n’a plus la même signification, on est en quelque sorte « hors-temps ». On<br />

n’accorde plus aucun intérêt aux journaux télévisés et autres préoccupations de notre<br />

vie quotidienne. Cela permet un repositionnement des choses à leur juste valeur ». Nous<br />

constatons, comme le souligne Rachid Amirou, que « le pèlerinage est considéré<br />

157


comme l’inverse de la vie quotidienne ; on y observe des comportements prenant à<br />

contre pied la vie de tous les jours » 269 . Les perceptions changent, les intérêts aussi.<br />

L’itinéraire paraît beaucoup plus ouvert sur l’extérieur pour les pèlerins qui partent à<br />

l’aventure sans autre véritable but que de se retrouver. Leurs sens sont décuplés, tout est<br />

extase : « je garde la descente des marches au Puy-en-Velay comme l’un des plus beaux<br />

souvenirs : imaginez-vous au départ de cette longue marche, très tôt le matin,<br />

surplombant le village encore endormi avec un lever de soleil magnifique…ce fut un<br />

moment de grande émotion ». L’itinéraire semble alors un support des relations des<br />

pèlerins aux lieux traversés.<br />

Les démarches choisies par les pèlerins paraissent ainsi orienter la perception de<br />

l’itinéraire. Le croyant, le sportif et l’ « aventurier »(celui qui part sans attentes, sans<br />

motivations établies) développent chacun leur propre itinéraire.<br />

Même si les pèlerins partant à l’aventure semblent développer une expérience plus<br />

ouverte sur ce qui entoure le chemin, la linéarité organise l’expérience des pèlerins. Ces<br />

derniers restent le plus souvent fidèles au tracé qui leur est proposé vu la longueur du<br />

parcours et la fatigue qu’il génère.<br />

158<br />

6.5.3- Un itinéraire organisé autour du rassemblement des pèlerins<br />

La rencontre avec l’autre semble être un élément important de ce voyage. Ce<br />

chemin à la fois solitaire et collectif s’organise pour offrir aux pèlerins une progression<br />

sûre. L’itinéraire est balisé, scindé par des gîtes d’étapes qui proposent l’accueil des<br />

pèlerins et constituent les lieux de rassemblement de ces derniers.<br />

Un couple de Suisses, parti de Genève, nous a expliqué qu’au départ il n’avait pas<br />

de contacts avec les autres pèlerins car le soir ils dormaient à l’hôtel. Puis, petit à petit,<br />

ils ont senti qu’ils passaient à côté d’un élément important : « l’ouverture à l’autre ».<br />

« Nous avions l’impression de nous étioler, nous étions tellement fermés sur nousmêmes<br />

que nous ne progressions plus ». Les priorités qu’il avait au départ, être seuls,<br />

ont évolué, l’autre s’est alors imposé comme une nécessité au bon déroulement de leur<br />

pèlerinage.<br />

269 Rachid AMIROU. Imaginaire touristique et sociabilités du voyage. Paris : PUF, 1995. p.181


Leslie nous a rappelé à quel point « il est bon le soir de se retrouver pour raconter<br />

les choses qui nous ont interpellé dans la journée afin de ne pas les oublier et en faire<br />

profiter les autres ». Même si la découverte des lieux est solitaire, l’échange est utile à<br />

la compréhension des éléments qui unissent une personne à un espace. L’expérience<br />

étant un facteur déterminant de la perception d’un lieu, le croyant sera davantage attiré<br />

et ému par un lieu sacré qu’un athée. Quelqu’un de passionné par la nature, les plantes,<br />

les roches, peut s’émerveiller de la présence d’une fleur dans la roche…. Nos<br />

expériences, nos passions conditionnent notre rapport au monde. Les échanges nous<br />

permettent de partager nos impressions et d’évoluer parfois vers de nouveaux centres<br />

d’intérêts. Certains pèlerins non croyants nous ont avoués qu’au fil du chemin et des<br />

rencontres les lieux sacrés se sont ouverts à eux. Patrick, en quête de lui-même, s’est<br />

aperçu qu’après quelques soirées passées à discuter avec des « pèlerins croyants », que<br />

son regard tout le long du chemin avait changé, la moindre petite chapelle ne lui était<br />

plus indifférente.<br />

Même si les pèlerins marchent seuls, ils traversent les mêmes lieux, sont face aux<br />

mêmes problèmes, se retrouvent dans les mêmes gîtes d’accueil. S’il arrive qu’ils ne se<br />

voient pas pendant quelques jours, ils ont des nouvelles par d’autres et se retrouvent la<br />

plupart du temps.<br />

Il ne faut pas oublier que ces pèlerins des temps modernes marchent sur les pas de<br />

leurs ancêtres, comme nous le rappelle Patrick : « sur le plateau de l’Aubrac, j’ai eu le<br />

temps de repérer les moindres croix, chapelles qui me plongeaient au cœur du<br />

pèlerinage autrefois accompli par nos ancêtres pèlerins ». L’ensemble de l’itinéraire est<br />

jonché de ces témoignages passés qui rappellent au pèlerin qu’il fait partie d’un groupe<br />

mais aussi « rien de surprenant si le voyageur cherche à remonter aux sources de la<br />

civilisation pour revivre sa propre histoire » 270 .<br />

Pour conclure ce chapitre, nous constatons que l’expérience du pèlerin et sa<br />

motivation conditionnent son rapport à l’itinéraire et aux lieux traversés.<br />

Certes, les croyants et sportifs évoluent sur un itinéraire reliant départ-arrivée,<br />

donc un « lieu linéaire » mais les aspirations individuelles influencent leur perception<br />

des choses : seuls les éléments relatifs au religieux pour le croyant et à la topographie<br />

pour le sportif motivent la progression sur l’itinéraire.<br />

270 André RAUCH. <strong>Mo</strong>bilités vacancières. Planète « nomade » : les mobilités géographiques<br />

d’aujourd’hui sous la direction de Rémy Knafou. Paris : Belin, 1998. p.95-115. p.96.<br />

159


Pour ceux qui au contraire n’ont d’autre attente que d’effectuer le bilan de leur<br />

vie, l’itinéraire est beaucoup plus ouvert à la fois aux autres et aux lieux traversés. Ils<br />

s’intéressent et s’attardent sur la moindre chose. Ils sont en perpétuelle méditation<br />

contemplative. En même temps qu’ils se retrouvent, s’opère une ouverture au monde.<br />

L’itinéraire est alors un moyen de rencontre entre les individus et les lieux.<br />

Enfin, cet itinéraire semble aussi prendre sens dans la découverte de l’autre. D’une<br />

part, c’est le long de celui-ci que les pèlerins se rencontrent et se retrouvent tout le long<br />

du chemin, d’autre part, il est la mémoire des ancêtres qui confirme l’adhésion de ces<br />

marcheurs au groupe de pèlerins.<br />

Cet itinéraire semble à la fois être un chemin de rassemblement et d’ouverture : un<br />

rassemblement des pèlerins et une ouverture à l’altérité.<br />

160


Conclusion<br />

L’itinéraire des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle offre aux marcheurs<br />

le temps nécessaire, durant la marche, de développer leur propre expérience. Il leur<br />

permet aussi d’adhérer au groupe des pèlerins, durant les temps de pause dans les gîtes<br />

d’étape. En effet, la progression est solitaire et les moments de repos privilégient les<br />

rencontres et les échanges.<br />

Suivant la démarche du pèlerin, la vision de l’itinéraire est différente.<br />

L’itinéraire du croyant et celui du sportif ne correspondent qu’à une partie des attentes<br />

des individus. Seuls les éléments religieux pour les premiers et morphologiques pour les<br />

autres sont privilégiés. L’itinéraire est considéré comme un chemin linéaire permettant<br />

de se rendre d’un lieu à un autre. En quelque sorte, entre l’ici et l’ailleurs, ceci se traduit<br />

dans le pèlerinage par « la construction de deux pôles : le lieu profane du vécu habituel<br />

et le lieu saint d’un surplus salutaire mythifié. Entre les deux se situe la pérégrination,<br />

série de lieux, mais plus encore faisceau de situations vécues (ou à vivre) » 271 . La<br />

religion dans l’itinéraire du croyant est un marqueur central que ce soit sous forme<br />

matérielle (monuments, édifices religieux) ou existentielle (la prière, la communion, le<br />

partage d’expérience spirituelle ).<br />

En revanche, lorsqu’au départ une introspection s’opère, l’itinéraire devient par<br />

la suite beaucoup plus ouvert. Le pèlerin est ainsi davantage réceptif à tout ce qui<br />

l’entoure, les lieux de toutes sortes, les paysages, les dénivelés…. les gens. On se situe<br />

alors dans le cas où l’itinéraire fait partie intégrante de soi. Le corps y occupe une place<br />

centrale dans l’appréhension du pèlerinage, à tel point qu’il semble un marqueur de<br />

l’itinéraire à la fois au niveau spatial par le contact qu’il établit avec l’espace<br />

environnant mais aussi existentiel par le retour sur soi qu’il impose au sujet. Même si le<br />

corps est présent dans chaque démarche, il se révèle surtout en tant que marqueur de<br />

l’itinéraire pour le pèlerin qui part sans objectif particulier autre que de se retrouver luimême.<br />

Autre constatation, l’itinéraire semble conditionner en partie le rapport des<br />

pèlerins aux lieux. D’une part, il organise la progression dans le temps et l’espace à<br />

partir des étapes, d’autre part, son tracé limite la zone à parcourir et les lieux à traverser.<br />

En effet, « le trajet linéaire du voyage se différencie de toutes manières du trajet<br />

271 Claude RIVIERE. Représentation de l’espace dans le pèlerinage africain traditionnel. Op. Cit., p.139.<br />

161


concentrique, repéré, reconnu, à partir d’un lieu de résidence et autour de lui, parce<br />

que l’itinéraire de pèlerinage implique des séries de moments d’exception, des<br />

changements temporaires de mode de vie, des seuils, des obstacles et des rêves de<br />

parcours » 272 .<br />

L’analyse menée sur l’expérience des pèlerins génère différentes interrogations :<br />

l’itinéraire engendre-t-il l’expérience du sujet durant cette progression ? Ou est-ce le<br />

sujet qui génère l’itinéraire ? Nous tenterons, dans les chapitres suivants, de répondre à<br />

ce questionnement.<br />

De plus, nous nous interrogerons sur l’expérience du déplacement dans d’autres<br />

contextes que celui du pèlerinage. Comment l’expérience particulière de la marche, déjà<br />

analysée à propos du pèlerinage, peut-elle être étudiée dans un contexte quotidien de<br />

déplacement urbain ? Quels vont être les apports d’une expérience quotidienne à l’étude<br />

de l’itinéraire ? Quels vont être les marqueurs à l’origine d’un itinéraire urbain<br />

quotidien ?<br />

272 Claude RIVIERE. Représentation de l’espace dans le pèlerinage africain traditionnel. Op. Cit., p.139.<br />

162


Chapitre 7 : La religion candomblé au fondement<br />

d’itinéraires : le cas de Rio de Janeiro<br />

Dans le chapitre précédent, relatif au pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle,<br />

nous avons repéré l’existence de marqueurs de l’itinéraire donnant sens à l’itinéraire,<br />

dans une approche linéaire de l’espace. Qu’en est-il lorsqu’on aborde un espace urbain<br />

qui correspond à une zone ? Quelles vont être les expériences du déplacement ?<br />

L’observation des déplacements à Rio de Janeiro, métropole moderne, a d’abord<br />

attiré notre attention d’une part en raison de la complexité des déplacements et, d’autre<br />

part, à cause de la présence au cœur même de l’espace public carioca, d’offrandes<br />

placées à certaines intersections, aux abords d’une fontaine, sous un arbre dans une<br />

place …<br />

La présence des offrandes dans certains endroits de l’espace public nous a en effet<br />

interpellé. Quelle en est l’origine ? Qu’est-ce que cela signifie pour ceux qui les<br />

déposent et ceux qui les rencontrent ? Qu’est-ce qui détermine le choix des offrandes et<br />

surtout du lieu où les déposer ? Ces offrandes jouent-elles un rôle dans l’expérience du<br />

déplacement ? Les recherches menées à ce sujet nous ont permis de constater qu’il<br />

s’agit de rites provenant de la religion candomblé. Nous avons, tout d’abord, approfondi<br />

les recherches sur cette religion, tout particulièrement à Rio de Janeiro, puis nous avons<br />

décidé d’établir un questionnaire sur les pratiques et les représentations des<br />

déplacements par des adeptes de la religion candomblé. Les entretiens ont eu comme<br />

objectif de repérer des fonctionnements et des attitudes qui émanent de l'adhésion à la<br />

religion candomblé. Nous avons pu constater que de nombreux chercheurs, surtout des<br />

anthropologues, s’initient au candomblé avant de pouvoir accéder aux informations<br />

nécessaires à leur recherche. Notre étude se limitant à détecter la possibilité d’une<br />

influence de ce culte sur l’expérience du déplacement, il nous a semblé acceptable de<br />

s’en tenir à une approche extérieure plutôt que participative. C’est pourquoi, ayant<br />

prospecté par le biais de connaissances, nous avons rencontré deux adeptes qui ont<br />

accepté de nous faire part de leur expérience. Ce bref aperçu nous permettra d’avancer<br />

dans notre réflexion par rapport à ce que nous avons déjà pu constater au sujet de<br />

l’existence du marqueur religieux dans l’expérience du pèlerinage à Saint-Jacques-de-<br />

Compostelle.<br />

163


Dans cette métropole où domine la modernité, nous verrons dans un premier<br />

temps que la religion candomblé s’y développe discrètement en tant que symbole de<br />

tradition qui perdure au cœur de l’espace public. Dans un second temps, nous<br />

analyserons les particularités de la religion candomblé qui peuvent expliquer par la suite<br />

l’influence de cette dernière dans l’expérience du déplacement. Enfin, à travers<br />

l’expérience des adeptes de cette religion, nous analyserons l’existence de marqueurs<br />

religieux de l’itinéraire au cœur de l’espace public carioca.<br />

164


7.1- Le candomblé au cœur de la métropole carioca<br />

Aujourd’hui, les cultes afro-brésiliens sont très présents à Rio de Janeiro. Ceuxci<br />

sont intimement liés à la nature comme on peut le voir dans la pratique des rituels,<br />

sacrifices, offrandes… « beaucoup des rituels doivent être réalisés à l’extérieur des<br />

murs des « terreiros » (édifice religieux du candomblé), à des points où il y a une<br />

fontaine d’énergie mythique des dieux et qui, pour cela, sont tenus comme des autels ou<br />

scénarios propices à sa rencontre, ceci est situé au contact direct de l’homme avec le<br />

surnaturel » 273 . L’importance de ces derniers reste malgré tout modeste si nous la<br />

comparons à d’autres religions.<br />

En effet, au regard du panorama des religions au Brésil, nous constatons que les<br />

religions afro-brésiliennes sont peu développées en comparaison de la religion<br />

catholique ou évangélique.<br />

273 Vagner GONCALVES DA SILVA. As esquinas sagradas. Na metropole : textos de anthropologia<br />

urbana. José Guilherme C. Magnani (dir.). Sao Paulo : USP, 1996. p.103.<br />

165


Religion Recensement<br />

1991<br />

de<br />

Catholiques 83 73.9<br />

Evangéliques 9 15.6<br />

Sans religion 4.7 7.4<br />

Spirites, afro-brésiliens, autres religions 3 3<br />

Sans déclaration 0.3 0.1<br />

total 100 100<br />

166<br />

Recensement de<br />

2000<br />

Tableau 3- Evolution de l’appartenance religieuse entre 1991 et 2000.<br />

Source : Alberto Antoniazzi. « Pourquoi le panorama religieux du Brésil a-t-il tant changé ? »,<br />

Bulletin hebdomadaire de la Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB), 18 et 24 novembre<br />

2004.<br />

En réalité, les choses sont beaucoup moins claires qu’il n’y paraît. Nombre de<br />

catholiques déclarés ont des pratiques éloignées et un certain nombre d’entre eux, à la<br />

recherche de la protection la plus efficace, n’hésitent pas à faire appel à d’autres<br />

croyances. Comme le soulignait l’anthropologue Roberto da Matta, « le chemin vers<br />

Dieu » autorise de surprenantes associations. « Je peux être catholique et<br />

Umbandista 274 , adepte de Ogum et de saint Georges […]. Tout, ici s’assemble et<br />

devient syncrétique révélant sans doute que dans le domaine du surnaturel, rien n’est<br />

impossible […]. Si, pour Noël, nous allons toujours à la messe de minuit, le 31<br />

décembre, nous allons tous à la plage, vêtus de blanc, fêter notre orixa ou recevoir les<br />

bons fluides de l’atmosphère de l’espérance qui s’y forment. Sommes-nous tous<br />

menteurs ? Bien sûr que non ! Nous sommes profondément religieux» 275 .<br />

On note une importante recomposition du champ religieux depuis les années<br />

1960, car le catholicisme ne cesse de diminuer (93% de la population en 1960, 89 % en<br />

1980, 83% en 1991 et 73.9% en 2000). Des millions de Brésiliens adhèrent aux<br />

mouvements pentecôtiste et évangélistes, alors que d’autres s’intéressent aux religions<br />

afro-brésiliennes, qui sont moins importantes. Ainsi, on peut noter que le panorama<br />

274 Adepte de l’umbanda, religion afro-brésilienne relativement récente, qui récupère l’univers<br />

symbolique des anciens cultes d’origine africaine en supprimant les aspects les plus dérangeant associés<br />

aux rituels.<br />

275 Citation extraite d’un entretien réalisé par Roberto da Matta p.438. Bartolomé Bennassar et Richard<br />

Marin. Histoire du Brésil 1500-2000. Paris : Fayard, 2000.


eligieux brésilien offre une grande variété de croyances et de pratiques venues de<br />

différents continents. C’est ainsi que nous trouvons l’apport de l’Amérique à travers des<br />

croyances et des rituels d’origine indigène, diverses pratiques chamaniques et la<br />

récupération de mythologies autochtones. La présence de l’Afrique est historique, à<br />

travers la résistance des esclaves, et son apport se fait chaque fois plus visible par la<br />

volonté des représentants religieux afro-brésiliens de faire connaître leur religion. Enfin,<br />

d’Europe et du <strong>Mo</strong>yen-Orient, le Brésil a hérité des éléments religieux judéo-chrétiens<br />

et islamiques tandis que l’Orient prend sa place depuis quelques années avec<br />

l’apparition de croyance et de modes de pensée hindouiste, taoïste… 276<br />

Dans cette mouvance, la religion candomblé, à Rio de Janeiro, reste discrète, les<br />

lieux de cultes se répartissent dans la ville, dans des secteurs proches de la nature, dont<br />

la localisation reste secrète ou du moins peu repérable. « Il y a une volonté des pères ou<br />

mères de saints de maintenir une distance, surtout en relation avec la montée en<br />

puissance des religions pentecôtistes qui accusent les adeptes du candomblé de<br />

sorcellerie » 277 . Comment, dans ce contexte, l’expérience de l’adepte se développe-telle<br />

au cœur de Rio de Janeiro ? Quelles relations à l’espace ce dernier développe-t-il ?<br />

Pour parvenir à déterminer l’expérience que l’adepte construit durant ses déplacements,<br />

nous avons choisi d’interroger quelques personnes en utilisant l’entretien semi-directif.<br />

7.1.1- L’entretien comme révélateur de l’expérience des adeptes<br />

Dans l’idée de recueillir des informations au sujet de l’impact éventuel de la<br />

religion candomblé dans l’expérience du déplacement, nous avons réalisé deux<br />

entretiens auprès d’adeptes de ce culte au cœur même de la métropole carioca 278 . La<br />

difficulté à laquelle nous avons dû faire face était de rencontrer des adeptes qui<br />

acceptent d’être interrogés sur leurs déplacements associés à leur appartenance<br />

religieuse. Comme le rappelle Stefania Capone : « étudier une religion de possession,<br />

structurée par des rituels d’initiation, pose bien évidemment de sérieux problèmes de<br />

méthodologie. Jusqu’où faut-il s’engager ? Comment garder une distance avec l’objet<br />

de l’étude quand celui-ci demande une transformation totale, une inscription dans un<br />

276<br />

Marion AUBREE. Aspects culturels du fait religieux au Brésil. Historiens et Géographes, n° 372,<br />

année 2000-2001. p. 173.<br />

277<br />

Propos recueilli auprès de Marcelo personne enquêtée.<br />

278<br />

Voir grille d’entretien en annexe 2<br />

167


nouvel ordre, un changement dans le corps et dans l’esprit ? Faut-il rester « dehors »,<br />

regarder sans se livrer ou faut-il pour percer les secrets d’une religion initiatique, y<br />

« entrer » pour mieux la comprendre ? » 279 . Par exemple, la plupart des chercheurs<br />

(surtout les ethnologues) français, comme Roger Bastide ou Pierre Verger, qui ont<br />

étudié le candomblé, se sont impliqués, d’une façon ou d’une autre, dans le culte<br />

religieux, conséquence des conditions de recherche sur le terrain et de la méthode<br />

ethnologique, à savoir l’observation participante. Et en effet, lors d’une visite au<br />

terreiro 280 pour rencontrer le père ou la mère de saint, s’effectue une sorte d’entrée<br />

consistant en la découverte de la divinité protectrice qui permet l’ouverture des portes<br />

du lieu de culte. Cela demande dès le départ un certain investissement qui dépasse la<br />

simple observation. Au regard des préoccupations relatives à l’expérience des<br />

déplacements au cœur de l’espace public, cela n’implique pas forcément le contact avec<br />

le terreiro. Néanmoins, il n’est pas facile de rencontrer des adeptes de cette religion<br />

sans se rendre dans un lieu de culte. Il s’agit alors de proposer un premier aperçu de<br />

l’impact de la religion candomblé dans l’expérience du déplacement en recherchant les<br />

éléments qui influencent la relation à l’espace et notamment le choix du parcours réalisé<br />

par l’adepte. Ainsi, nous pourrons déterminer l’existence d’itinéraires pouvant être<br />

conditionnés par l’adhésion à la religion candomblé.<br />

168<br />

7.1.2- Le candomblé au cœur du Brésil<br />

Comme il est possible de le noter dans la carte présentée ci-dessous, la diversité<br />

des cultes afro-brésiliens est grande.<br />

279<br />

Stefania CAPONE. La quête de l’Afrique dans le candomblé : pouvoir et tradition au Brésil. Paris :<br />

Karthala, 1999. p. 42.<br />

280 lieu de culte de la religion candomblé


Brésil<br />

Figure 12- Répartition des cultes afro-brésiliens<br />

source : p.82. Stefania Capone. La quête de l’Afrique dans le candomblé : pouvoir et tradition au<br />

A la lecture de cette carte, un premier constat peut-être établi : le candomblé se<br />

localise en priorité dans les métropoles du sud-est du pays, notamment à Rio de Janeiro,<br />

ainsi que dans le secteur de Salvador de Bahia, foyer d’origine du candomblé au Brésil.<br />

Nous verrons par la suite comment ce culte s’y est développé.<br />

Des documents historiques font état, depuis la seconde moitié du XIXème siècle,<br />

de l’existence de cultes d’origine africaine qui remontent certainement à l’arrivée des<br />

premiers esclaves. Alors que dès 1640, un hollandais, Zacharias Wagner, dans son<br />

Zoobiblion 281 , donne la description d’un « bal de noirs » s’amorce le développement de<br />

ces cultes. Ces derniers se sont ré-élaborés et diversifiés en milieu urbain dans la<br />

281<br />

Alfredo de Carvalho cité dans R. Ribeiro : Antropologia da religião e outros estudos, Recife : ed.<br />

Massangana, 1982. p.124<br />

169


seconde moitié du XIXème siècle, en particulier après l’abolition de l’esclavage 282 . Ce<br />

sont les ex-esclaves domestiques qui connaissent bien la ville qui prennent la tête de ces<br />

cultes. Ils accueillent les esclaves venus de la campagne qui doivent s’adapter à ce<br />

nouveau milieu et à la concurrence des travailleurs libres venus d’Europe ou d’Asie.<br />

Dans ce contexte, les lieux de cultes appelés terreiros deviennent au-delà de leur<br />

dimension religieuse, le point de départ de réseaux qui impliquaient l’insertion sociale<br />

et économique des Noirs. Ils se répandent surtout dans les grandes villes du littoral (Rio,<br />

Salvador, Recife…).<br />

Ce bref retour au fondement de ce mouvement religieux permet d’aboutir à une<br />

présentation concise du candomblé.<br />

Le candomblé, que certains qualifient de cultes « traditionnels » 283 , et d’autres de<br />

cultes « purs » 284 , repose sur une structure symbolique qui comporte une majorité de<br />

traits africains (polythéisme non-manichéen, sacrifices d’animaux et transe de<br />

possession corporelle…). Le candomblé repose sur différentes nations 285 , celui des<br />

Yorubas ou Nagos 286 de Salvador s’étant imposé comme modèle. « Il a éclipsé les<br />

autres traditions, encore bien vivantes, voire les a parfois reléguées au statut de<br />

religions syncrétiques, donc « moins africaines » et rituellement plus faibles» 287 .<br />

Malgré les différentes tendances actuelles, le candomblé est une religion<br />

initiatique exigeante, qui comprend des rites de passage. En effet, Lia nous a expliqué<br />

que « l’adhésion au candomblé ne peut pas être partielle, l’engagement ne peut être que<br />

total vu l’implication que ça demande. Je me rappelle à quel point c’est dur, je me<br />

demande encore comment j’ai pu passer tous les rites de passage ». Ceux-ci sont<br />

différents selon la tradition de la nation dont ils relèvent (ketu, ijexa…) mais aussi<br />

dépendant de la volonté du chef de terreiro. Ce dernier, appelé père ou mère de saint,<br />

entretient le culte des ancêtres et des divinités appelées orixás. Ils correspondent chacun<br />

à un élément de l’univers, cosmique (la foudre, la mer, l’eau douce) ou social (la guerre,<br />

282 Abolition de l’esclavage en 1888.<br />

283 Marion AUBREE. Aspects culturels du fait religieux au Brésil.<br />

284 Roger BASTIDE. Les religions africaines au Brésil : vers une contribution à une sociologie des<br />

interpénétrations de civilisation. Paris : Presses Universitaires de France, 1960.<br />

285 Le candomblé est divisé en « nations » : nagô, ketu, efon, ijexa, nagô-vodun, jeje, angola, congo,<br />

caboclo. Le concept de nation a perdu sa signification ethnique originaire et recouvre aujourd’hui une<br />

signification plus politique que théologique.<br />

286 Terme donné par les Français à tous les Nègres de la Côte des Esclaves qui parlaient le yoruba.<br />

287 Bartolomé Bennassar et Richard Marin. Histoire du Brésil 1500-2000. p. 461<br />

170


l’amour). Leur puissance est entretenue par des offrandes de nourriture ainsi que le<br />

sacrifice d’animaux que l’on retrouve notamment au cœur de l’espace public.<br />

« Des centaines d’orixás identifiés en Afrique, une vingtaine tout au plus ont<br />

traversé l’océan. Seuls les dieux les plus universels, les plus forts et les mieux adaptés<br />

aux nouvelles réalités ont résisté » 288 . On peut notamment citer Exú, médiateur de tous<br />

les échanges, sorte de Mercure africain, Oxalà, Iemenjà, Ogun… Ainsi, à chaque adepte<br />

de la religion correspond un orixá. Celui-ci est identifié par ce qu’on appelle un jeu de<br />

búzios (coquillages). L’orixá devient ainsi le « maître de la tête » du « fils de saint ».<br />

Lors d’une cérémonie rythmée par les trois tambours sacrés accompagnés de danses<br />

extatiques et de chants en langue africaine, la divinité prend possession du fils de saint,<br />

saisi par la transe celui-ci revit à travers son corps les grands mythes de la cosmogonie<br />

africaine. Avant de parvenir à cette cérémonie, il existe toutefois une initiation qui se<br />

fait par étapes entre lesquelles doivent, selon la tradition, s’écouler sept années.<br />

Néanmoins, ce laps de temps s’avère de moins en moins respecté, passant ainsi de 7 à<br />

21 ou 30 jours ; en ce qui concerne les étapes les plus élevées, elles peuvent s’étendre<br />

jusqu’à trois mois. « Dans tous les cas il s’agit d’un moment très particulier durant<br />

lequel les postulants sont coupés de toutes les déterminations d’espace – enfermement<br />

dans une pièce aveugle - et de temps – vie essentiellement rythmée par les rites<br />

sacrificiels propitiatoires qui concernent leur processus initiatique personnel et dont les<br />

horaires varient d’un sujet à l’autre » 289 . C’est durant cette période que va se construire<br />

à la fois l’apprentissage des arcanes relatifs à cet univers et la relation particulière avec<br />

le « maître de la tête » (orixá ou esprit guide). Ainsi, la personne obtient une identité<br />

religieuse particulière, la faisant participer pleinement à une communauté de croyances<br />

et aux solidarités que celle-ci engendre. Dans le cas du Candomblé, l’identité religieuse<br />

se construit avant tout par rapport à un corpus mythique et une vision communautaire. A<br />

partir de ce moment, « je n’étais plus seul à choisir, ma vie était liée à celle du saint qui<br />

était rentré en moi » 290 .<br />

En conséquence, il est important de signaler que chaque orixá est<br />

systématiquement associée à un saint chrétien, ce qui a nourri une virulente querelle<br />

d’interprétation. Pour ceux attachés à la revalorisation de l’africanité brésilienne, ces<br />

invocations chrétiennes, loin d’être la marque d’un quelconque syncrétisme, auraient<br />

288 Ibid. p.462<br />

289 Marion AUBREE. Aspects culturels du fait religieux au Brésil. p. 176.<br />

290 Impressions délivrées par Marcelo<br />

171


toujours servi à dissimuler aux yeux des autorités des pratiques prohibées. Prétendre<br />

comme le firent beaucoup, à la suite de Roger Bastide, que le candomblé « est un<br />

véritable morceau d’Afrique transplanté » 291 semble réducteur dans la mesure où ce<br />

dernier a considérablement modifié les différentes pratiques africaines. « Celles-ci ont<br />

été rassemblées dans un même espace (le terreiro ou maison-temple) et des éléments<br />

issus d’autres horizons ont été incorporés » 292 .<br />

L’importance des rituels associés à la religion candomblé nous a particulièrement<br />

intéressés quant à l’analyse de l’expérience qui semble vivement attachée à ce<br />

phénomène. C’est la présence dans l’espace public de Rio de Janeiro de références au<br />

candomblé, comme des offrandes posées aux coins de certaines rues, qui a suscité notre<br />

intérêt. Comment la religion candomblé peut-elle générer pour les adeptes une logique<br />

particulière de déplacement ?<br />

l’espace<br />

172<br />

7.2- Le candomblé : une expérience particulière de<br />

Au regard des caractéristiques de la religion candomblé, nous avons pu constater<br />

à quel point la localisation géographique des rituels dépend de l’aspect sacré de<br />

l’espace, propre à offrir un lieu de relation entre l’homme et la sphère surnaturelle. Il est<br />

fréquent de trouver « au croisement d’une rue, d’une place, d’un parc ou à la porte<br />

d’un cimetière, … un plat de farofa (farine de manioc grillée), une poule morte et des<br />

bougies allumées, éléments caractéristiques des offrandes qu’on rencontre fréquemment<br />

dans les points les plus variés de la ville » 293 . Néanmoins, les offrandes ne sont pas<br />

déposées n’importe où, n’importe comment, elles vont au contraire s’organiser à partir<br />

d’un système spatial bien défini. « En général la remise des offrandes à Exu se réalise<br />

aux croisements de rues à la moitié de la nuit, parce qu’à cette heure … les rues de la<br />

ville sont moins agitées. Les croisements doivent être en forme de X, parce que ceux en<br />

forme de T sont de Pombagira, qualité féminine de Exu, très sollicitée pour résoudre les<br />

291<br />

Roger Bastide. Les religions africaines au Brésil : vers une contribution à une sociologie des<br />

interpénétrations de civilisation. Op. Cit., p. 312.<br />

292<br />

Stefania Capone. Le candomblé au Brésil, ou l’Afrique réinventée. Sciences Humaines, n°110,<br />

novembre 2002. p. 52.<br />

293<br />

Vagner GONCALVES DA SILVA. As esquinas sagradas. Na metropole : textos de anthropologia<br />

urbana. Sous la direction de José Guilherme C. Magnani. Sao Paulo : USP, 1996. p.92.


problèmes amoureux et sexuels…. Les lieux de passages et de limites aussi sont<br />

propices à la vénération de Exu… » 294 .<br />

Il est important, à ce stade, de présenter Exu et Pombagira pour comprendre ce<br />

qui incite les adeptes à déposer des offrandes pour ces deux personnages issus de la<br />

religion candomblé. Le premier est central, il s’agit du messager divin, maître de la<br />

magie et grand manipulateur de la destinée. Dieu central dans l’organisation du<br />

candomblé, car c’est par son intermédiaire que se fait la communication entre les dieux<br />

et les hommes, il est également présent dans toutes les autres modalités des cultes afrobrésiliens.<br />

Exu semble alors servir de « pivot entre les systèmes religieux » 295 .<br />

294<br />

Ibid. p. 111.<br />

295<br />

Véronique BOYER-ARAUJO. Femmes et cultes de possession au Brésil : les compagnons invisibles.<br />

Paris : L’Harmattan, 1993.<br />

173


Figure 13- Les fonctions d’Exu<br />

Source : Stefania Capone. La quête de l’Afrique dans le candomblé : pouvoir et tradition au<br />

Brésil. p.66.<br />

Enfin, ce dernier se trouve toujours à l’entrée des terreiros brésiliens, sous forme<br />

d’assento 296 de l’Exu « du portail ». Il est le gardien de la maison, celui qui éloigne les<br />

influences négatives. Toute personne qui entre dans un terreiro doit obligatoirement<br />

saluer l’Exu du portail avant de pénétrer dans l’espace sacré. Ceci montre à quel point le<br />

candomblé est une religion ritualisée, qui modifie la relation au monde : « pour<br />

296 Représentation matérielle de la force sacrée de la divinité. Elle est constituée de récipients en terre<br />

cuite, céramique ou bois, contenant une pierre, qui symbolise la tête de l’initié.<br />

174<br />

monde surnaturel<br />

Exu de l’orixá ou Exu-esclave<br />

(permet la communication avec les dieux)<br />

Exu-Bará ou Exu existentiel<br />

(permet la communication avec les hommes)<br />

monde matériel<br />

Exu-orixá


l’homme religieux, l’espace n’est pas homogène ; il présente des ruptures, des<br />

cassures… » 297 .<br />

Nous verrons à quel point l’espace est important dans la localisation des<br />

offrandes…<br />

Pour ce qui est de Pombagira, il s’agit du côté négatif d’Exu qui n’est autre que<br />

sa représentation féminine. Esprit négatif par excellence, Pombagira est l’Exu des<br />

femmes, particulièrement lié à la sorcellerie. Elle incarne, de façon générale, le<br />

stéréotype de la prostituée, mais aussi celui de la femme qui se rebelle contre toute<br />

domination masculine. C’est donc elle qui est invoquée dans tout travail de magie<br />

amoureuse. Enfin, Pombagira est toujours associée aux lieux marginaux et dangereux.<br />

Ainsi, existe-t-il une Pombagira du carrefour, de la Calunga (cimetière), de la plage…<br />

Les différentes offrandes qu’il est possible de rencontrer dans l’espace public<br />

carioca correspondent pour les adeptes du candomblé à de véritables marqueurs de leur<br />

expérience qui, de la même façon, donnent une dimension sacrée à l’espace. Une<br />

appropriation sacrée de l’espace s’opère, laissant parfois perplexes, interrogatifs voire<br />

furieux ceux qui n’adhèrent pas à ce culte.<br />

La présence forte de ces offrandes dans la métropole carioca interroge sur<br />

l’impact de la religion candomblé où les rituels sont très présents dans la vie<br />

quotidienne, sur le choix de l’itinéraire qui peut laisser penser à un itinéraire de<br />

communication avec l’au-delà. Les empreintes qu’ils laissent dans l’espace peuvent être<br />

considérées comme des marqueurs de leur itinéraire, lequel doit suivre les règles de leur<br />

croyance. Par exemple, le rituel de la propreté qui se fait aux abords d’un lac, point<br />

d’eau « prescrit que le fidèle ne retourne jamais à ce point, dans le cas contraire son<br />

efficacité serait compromise. Ainsi, il est important de savoir si à ce point, qui va<br />

devenir tabou pour le fidèle, s’il pourra être évité dans sa vie future, sur son chemin<br />

pour aller au travail, à l’école etc. 298 ». Dès lors, le fidèle doit tenir compte de son<br />

itinéraire dans la pratique de sa religion. Marcelo, qui est depuis peu fils de saint, m’a<br />

expliqué la difficulté pour choisir un lieu afin d’effectuer le rituel de la propreté : « j’ai<br />

dû analyser toutes mes habitudes, les éventuels quartiers où je serai susceptible de me<br />

rendre un jour. J’ai en quelque sorte réalisé une sorte de carte où figuraient tous mes<br />

lieux de vies et les parcours qui les lient ». Dans un autre contexte que le rituel, il a<br />

aussi abordé une de ses expériences malheureuses d’agression dans la zone sud de Rio<br />

297 Mircea Eliade. Le sacré et le profane. Paris : Gallimard, 2004. p.25.<br />

298 Ibid. p. 104.<br />

175


de Janeiro, alors qu’il rentrait d’une soirée. « Depuis cette agression devant l’entrée du<br />

métro Arcoverde, je n’y suis pas retourné, ce qui est problématique vu qu’il s’agit de la<br />

station qui dessert la zone sud de Rio. Le problème est que lorsqu’on subit un acte<br />

négatif dans un espace quelconque, il est conseillé par le père de saint de ne plus y<br />

revenir .» Les éléments négatifs sont fortement refoulés par la religion candomblé. Si<br />

bien que les déplacements, la vie quotidienne, fortement empreinte de tabous, ne sont en<br />

rien simplifiés.<br />

En ce qui concerne les points de repères, ceux-ci se référent en général à la<br />

nature ou à la géométrie dans le cas des croisements. « En d’autres termes, pour ceux<br />

qui ont une expérience religieuse, la Nature tout entière est susceptible de se révéler en<br />

tant que sacralité cosmique » 299 . Une adepte de la religion candomblé nommée Liana,<br />

m’a expliqué, lors d’un entretien, ce qui est primordial pour rendre son parcours<br />

quotidien agréable et serein : « c’est la présence d’arbres, de lacs, de l’océan qui me<br />

permettent de mieux vivre mes déplacements en autobus qui sont souvent très longs (2<br />

heures). La seule vue de la nature me rassure, je sais que je suis protégée ». Elle a de<br />

même précisé que, lorsqu’elle le pouvait, elle préférait opter pour le moins urbanisé,<br />

notamment quand elle se déplaçait à pied. « Je suis sensible à tout ce qui m’entoure, je<br />

n’aime pas passer à côté d’endroits négatifs comme les hôpitaux, les rues sombres et<br />

sales ». Il est vrai que l’espace pour un fils ou fille de saint n’est pas homogène, comme<br />

dans beaucoup de religions d’ailleurs : « pour l’homme religieux, cette non-<br />

homogénéité spatiale se traduit par l’expérience d’une opposition entre l’espace sacré,<br />

le seul qui soit réel, qui existe réellement, et tout le reste, l’étendue informe qui<br />

l’entoure » 300 . Ainsi, lorsque le sacré se manifeste par une hiérophanie quelconque, il<br />

n’y a pas seulement rupture dans l’homogénéité de l’espace, mais aussi révélation d’une<br />

réalité absolue, qui s’oppose à la non-réalité de l’immense étendue environnante. Dans<br />

une métropole aussi grande que Rio, dans laquelle l’orientation est parfois difficile, la<br />

hiérophanie révèle un « point fixe » absolu, un « centre ».<br />

De plus, lorsqu’un fils ou une fille de saint passe à proximité d’offrandes, il va<br />

automatiquement avoir un geste de reconnaissance vis-à-vis de cet élément sacré. « Je<br />

réalise toujours un geste de la main, une inclinaison face à l’offrande, car elle est<br />

forcément destinée à un orixá qu’on se doit de respecter » 301 . Tous ces éléments<br />

299 Mircea Eliade. Le sacré et le profane. Paris : Gallimard, 2004. p.18<br />

300 idem<br />

301 Liana<br />

176


peuvent être identifiés à des marqueurs de l’itinéraire empreint de religiosité. On<br />

constate une réelle ritualisation du quotidien marqué par la magie de plus en plus<br />

présente et qui atteint toutes les sphères de la vie sociale, au-delà des limites du terreiro.<br />

En effet, « le candomblé est dans l’espace de la ville et dans tout ce qui la constitue.<br />

C’est comme conquérir la ville et conquérir principalement les représentations qu’on se<br />

fait sur elle, le candomblé est présent aussi dans les milieux de la communication, les<br />

médias lui permettant de mieux conquérir la ville de jour en jour » 302 .<br />

A travers l’observation et l’identification des rites et des offrandes au cœur de<br />

l’espace urbain, se constitue une sorte de grille de lecture de la ville pour les adeptes<br />

que l’on peut qualifier de symbolique ; cette dernière allant jusqu’à dépasser les<br />

frontières de la religion candomblé pour parfois être reconnue et même vénérée par des<br />

athées. On note par exemple, une appropriation de la ville qui dépasse les seuls<br />

éléments naturels : « Dans quelques cas, on a pu constater une re-signification, non<br />

seulement de la nature par le candomblé, mais aussi des espaces institutionnels, comme<br />

les rues, cimetières et croisements, leur attribuant des forces mythiques par la présence<br />

des divinités » 303 . De plus, dans le cas de la vénération à Iemenja 304 , « les rituels publics<br />

dans les plages des villes brésiliennes démontrent comment la religion arrive à<br />

sacraliser des espaces naturels, en les institutionnalisant en accord avec sa vision<br />

sacrée tout en ouvrant le dialogue avec les autres sphères de la société pour en faire<br />

une vision légitime et faisant partie de la vie culturelle et religieuse quotidienne » 305 .<br />

Ceci est particulièrement prégnant à Rio, notamment le jour du nouvel an, car, aux<br />

douze coups de minuit, des millions de personnes se munissent de fleurs, de bougies…<br />

qu’elles vont jeter à la mer pour Iemenja en faisant un vœu pour l’année à venir, tout en<br />

sautant trois vagues pour que le dit vœu se réalise. Cette offrande est devenue un<br />

véritable rite de fête pour les cariocas et les nombreux touristes qui se joignent à eux.<br />

302<br />

Source : p.66. Stefania Capone. La quête de l’Afrique dans le candomblé : pouvoir et tradition au<br />

Brésil. p.117.<br />

303 Vagner Gonçalves Da Silva. Orixás da metrópole. Petropolis : Vozes, 1995. p. 197-198.<br />

304 Divinité de la mer<br />

305 Ibid. p.205<br />

177


178<br />

Conclusion<br />

Grâce aux entretiens et aux différentes lectures relatives au candomblé, nous<br />

avons pu constater que la ville de Rio de Janeiro est propice au développement du<br />

candomblé et de tous les rites qui l’entourent, une ville d’autant plus intéressante et<br />

accessible à cette religion qu’elle possède une nature omniprésente au cœur de l’espace<br />

urbain. Les fils et filles de saint peuvent ainsi évoluer dans l’espace public carioca qui<br />

leur propose tous les ingrédients nécessaires à l’épanouissement de leur religion.<br />

Les expériences dévoilées par les deux adeptes interrogés nous ont permis de<br />

confirmer l’existence du marqueur religieux de l’itinéraire. En effet, même s’il est<br />

parfois difficilement repérable en raison de sa subjectivité, il reste très fort. L’adepte est<br />

considérablement influencé par les éléments symboliques qui se répartissent dans<br />

l’espace. Durant ses déplacements, l’adepte évolue sur l’espace public l’espace public<br />

qui est parsemé de significations propres au candomblé. Un arbre va être perçu comme<br />

source d’énergie, comme élément représentatif d’un orixà… La relation à l’espace est<br />

vécue en tant qu’adepte et non en tant que sujet individuel. Le fidèle appartient<br />

désormais à un monde empli de magie, de sacralité. L’importance des rites se perçoit<br />

aussi au niveau des déplacements. Ces derniers ne sont pas faits au hasard et demandent<br />

une certaine conduite suivant les lieux traversés.<br />

Ce travail mené sur les adeptes de la religion candomblé confirme l’importance<br />

du religieux en tant que marqueur de l’itinéraire. Celui-ci prend sens pour ceux qui<br />

adhèrent à cette religion. L’itinéraire s’inscrit dans un espace qui s’inscrit dans la<br />

dichotomie sacré/profane.


Chapitre 8 : La métropole carioca à l’épreuve de<br />

l’insécurité dans l’expérience du déplacement<br />

Rio de Janeiro présente différentes facettes auxquelles les habitants doivent<br />

s’adapter. Les cariocas, par leur grande diversité culturelle, ethnique, sociale, donnent<br />

un visage particulier à cette agglomération. Dans notre cas, l’étude des comportements<br />

de mobilité associée à l’idée d’itinéraire comme révélateur de l’expérience du<br />

mouvement nous a déjà permis, dans le prolongement du pèlerinage à Saint-Jacques-de-<br />

Compostelle et du candomblé, de révéler l’importance du marqueur religieux dans<br />

l’expérience de l’itinéraire. Cette dernière est souvent associée à la dimension corporelle<br />

dans la relation particulière quelle génère avec le monde environnant.<br />

Nous avons choisi d’approfondir notre analyse en nous attachant aux<br />

représentations de citadins, lors de leurs déplacements, tout en insistant sur ce qui<br />

conditionne le choix de leur itinéraire, sachant qu’à Rio « l’usage de la voie publique se<br />

restreint progressivement à sa seule valeur instrumentale primaire, la circulation » 306 .<br />

Dans une métropole où l’insécurité ne cesse d’augmenter, quelle expérience du<br />

déplacement les piétons développent? Quels marqueurs vont organiser le choix du<br />

parcours ? Pour ce faire, nous aurons recours au recueil de « cartes schématiques<br />

spontanées » associées à un questionnaire précisant le vécu du déplacement pour repérer<br />

quelques pistes de réflexions que nous approfondirons par la suite.<br />

Pour mieux cerner les logiques de déplacements dans la ville de Rio de Janeiro,<br />

nous ferons dans un premier temps une présentation de la fragmentation socio-spatiale<br />

liée aux problèmes d’insécurité, afin de savoir si ces deux facteurs ont des répercussions<br />

sur l’itinéraire, en insistant à la fois sur les terrains retenus pour mener cette analyse et<br />

sur la population ciblée. Dans un second temps, il s’agira d’expliquer le choix de<br />

l’analyse fondée sur l’utilisation de « cartes schématiques spontanées » associées à<br />

l’Analyse Factorielle des Correspondances, en s’interrogeant sur l’importance des<br />

représentations dans l’étude de l’itinéraire et plus exactement des marqueurs qui lui<br />

donnent sens, sans toutefois négliger les limites de ces analyses et leur complémentarité.<br />

306 Paulo Cesar Da COSTA GOMES. L’espace public métropolitain et le recul de la culture civique :<br />

l’exemple du Brésil. Réinventer le sens de la ville : les espaces publics à l’heure globale. Paris :<br />

l’Harmattan, 2001. p. 239.<br />

179


Enfin les résultats nous permettront de dégager les diverses expériences révélées par<br />

cette étude particulièrement influencée par l’insécurité.<br />

180<br />

8.1- Rio de Janeiro, une métropole fragmentée 307 à<br />

l’épreuve d’une insécurité croissante<br />

Même si le paysage de Rio est un enchantement pour les yeux, il pose à<br />

l’urbaniste de nombreux problèmes : « La ville est coupée en morceaux par les arêtes<br />

des montagnes, ou serrée entre le roc et la mer, elle est obligée d’escalader des pentes<br />

abruptes, de ruser avec l’espace, de s’atomiser en quartiers indépendants. Il a fallu<br />

creuser des tunnels pour rejoindre Copacabana à Botafogo ; il a fallu arracher des<br />

montagnes entières… et gagner ainsi, aux dépens de l’Océan, une place précieuse pour<br />

la ville qui s’accroît sans cesse » 308 . Nous verrons que cette morphologie particulière<br />

n’est pas sans conséquence sur l’organisation du territoire, ce dernier se caractérisant<br />

par une fragmentation socio-spatiale. La complexité territoriale de cette métropole<br />

s’accompagne aussi d’un accroissement de l’insécurité.<br />

8.1.1- Fragmentation socio-spatiale et insécurité<br />

Comme cela a été noté auparavant, la configuration spatiale de Rio de Janeiro<br />

génère une organisation particulière de l’espace. Car, le relief de mornes se prête mal au<br />

développement d’une grande ville, « les obstacles physiques à la croissance urbaine<br />

dans la zone Sud, ont sans doute renforcé la ségrégation, de part et d’autre du centre,<br />

entre une zone sud de résidences pour les classes moyennes et supérieures, avec les<br />

services qui leur sont destinés, et une zone Nord, industrielle et prolétaire, beaucoup<br />

moins photogénique » 309 .<br />

Le problème de la fragmentation socio-spatiale n’est pas seulement visible à Rio<br />

de Janeiro, il correspond à un système qui existe dans toutes les villes brésiliennes. Ceci<br />

307 Comme l’annonce Louise BRUNO dans son article intitulé, Rio de Janeiro, une métropole<br />

fragmentée : le rôle des favelas et des condominios fechados dans le processus d’éclatement de la ville et<br />

de la société. Villes et régions au Brésil. Leila-Christina. Dias, Cécile. Raud.<br />

308 Roger BASTIDE. Brésil terre de Contrastes. Paris : L’Harmattan, 1999. p.178.<br />

309 Hervé THERY. Le Brésil. Paris :Armand Colin, 2000. p. 98.


est fortement lié à la distribution inégale des richesses qui influence la structure socioéconomique<br />

au Brésil. « En 1981, le 1% de la population brésilienne correspondant au<br />

sommet de la pyramide sociale percevait 13% du total des revenus. En 1990, ce<br />

pourcentage est monté à 14.6% alors que la participation des 10% les plus pauvres<br />

diminuait de 0.9 à 0.8% du revenu global » 310 . Cette situation est due à l’influence du<br />

système colonial dans la formation sociale du pays, comme l’avait démontré Gilberto<br />

Freyre 311 . Cet héritage se traduit à Rio de Janeiro par une opposition dans l’espace<br />

urbain entre la ville des riches et celle des pauvres. D’un côté, la ville des « maîtres »,<br />

de l’autre côté, la ville des pauvres, souvent noirs ou métis (les descendants des<br />

esclaves). Or, en regard de la complexité du territoire carioca 312 comment aborder la<br />

structure de cette métropole, notamment au niveau des déplacements ?<br />

Une des premières formes de représentation de la structure moderne de l’espace<br />

urbain carioca reposait sur l’opposition classique centre-périphérie. « Selon, le schéma<br />

proposé, les espaces et les groupes sociaux se répartiraient d’une façon concentrique,<br />

par une gradation descendante du centre vers la périphérie suivant les niveaux de<br />

revenus et l’accès aux infrastructures et équipements urbains» 313 . Cependant, le cas de<br />

Rio perturbe la réalisation de ce schéma étant donné la présence de nombreuses<br />

favelas 314 au cœur du centre ville. Pour contrecarrer ce phénomène, le renforcement<br />

d’une structure centre-périphérie a reçu un élan important dans les années 70 pour<br />

limiter le développement et la création de favelas qui, en déplaçant les populations<br />

pauvres vers la périphérie, illustrait bien la ségrégation socio-spatiale et les injustices<br />

qui en découlaient.<br />

310<br />

Louise BRUNO. Rio de Janeiro, une métropole fragmentée : le rôle des favelas et des condominios<br />

fechados dans le processus d’éclatement de la ville et de la société. Op. Cit., p.119.<br />

311<br />

Gilberto FREYRE. Casa Grande et Senzala : formaçao da familia brasileira sob o regime patriarcal.<br />

Rio de Janeiro : Record, 1996.<br />

312<br />

Carioca : n.f. étymologiquement en langue tupy le mot kari (blanc) et oca (maison) signifie « maison<br />

des blancs ». Habitant de Rio de Janeiro. Relatif à la ville ou l’agglomération de Rio de Janeiro. (Louise<br />

BRUNO. Rio de Janeiro, une métropole fragmentée : le rôle des favelas et des condominios fechados<br />

dans…)<br />

313<br />

Louise BRUNO. Rio de Janeiro, une métropole fragmentée : le rôle des favelas et des condominios<br />

fechados dans le processus d’éclatement de la ville et de la société Op. Cit., p.124<br />

314<br />

« Ce qui caractérise la favela c’est moins la morphologie de son habitat (de type bidonvilles) que<br />

l’illégalité de l’occupation des terres, consécutive à une invasion progressive ou massive de terrains<br />

publics ou privés ». Laurent VIDAL. Les formes de l’exclusion sociale au Brésil. Politique urbaine et<br />

mouvements revendicatifs, Multitudes, 30 août 2004.<br />

181


Mais, dans les années 80, une étude réalisée par Vetter 315 met en avant l’intérêt<br />

de travailler à partir d’un système de noyaux et de périphéries. En effet, différentes<br />

études menées à cette époque ont révélé les lacunes du modèle concentrique. Nous<br />

pouvons aujourd’hui remarquer la tendance à une configuration d’un réseau de souscentres<br />

avec un rayonnement local. Néanmoins, il semblerait que le découpage<br />

administratif ait des difficultés à intégrer l’expansion de la maille urbaine ainsi que les<br />

mouvements pendulaires apparus ces derniers temps.<br />

Ces différentes tentatives de structuration de la ville n’ont pas réussi à<br />

compenser tous les dysfonctionnements générés par la croissance urbaine<br />

(développement des favelas). Dans ce contexte, l’insécurité ne cesse de grandir,<br />

apportant ainsi de nombreuses transformations de l’espace public. Il est primordial de<br />

signaler que ce phénomène d’insécurité n’a pas toujours été présent. En effet, comme le<br />

signale Zuenir Ventura 316 , Rio de Janeiro dans les années 50 était perçue comme un<br />

territoire idyllique où les gens pouvaient se promener tranquillement à n’importe quelle<br />

heure du jour ou de la nuit. C’est à partir des années 70 que la violence gagne du terrain<br />

et devient un objet d’étude central dans différentes disciplines comme la sociologie et la<br />

géographie. Plusieurs chercheurs ont travaillé sur ce phénomène et ses origines<br />

(Wacquant L., Souza M., Zaluar A 317 .…) créant ainsi un support de connaissances<br />

conséquent. Notre analyse ne cherchant pas à développer de nouvelles pistes de<br />

réflexion à ce sujet, il s’agira plutôt de travailler sur l’influence du sentiment<br />

d’insécurité lié à notamment à la fragmentation socio-spatiale sur l’expérience du<br />

déplacement.<br />

8.1.2- Le choix des terrains : de la diversité spatiale à la diversité<br />

sociale<br />

Un des éléments qui a orienté la détermination des terrains d’étude à Rio de<br />

Janeiro, n’est autre que la complexité territoriale, fondée sur la fragmentation socio-<br />

315 D.M. VETTER. A segregação residencial da PEA na Região Metropolitana do Rio de Janeiro segundo<br />

grupos de rendimento mensal. Revista Brasileira de Geoografia, n°43, 1981.<br />

316 Zuenir VENTURA. Cidade partida. Sao Paulo : Schwarcz, 2002 .<br />

88 Loïc Wacquant. Os condenados da cidade. Rio de Janeiro: Revan, 2001 ; Marcelo LOPES de SOUZA.<br />

O desafio metropolitano. Rio de Janeiro : Bertrand Brasil, 2000 ; Alba ZALUAR. Condomínio do diabo.<br />

Rio de Janeiro : Revan, 1994.<br />

182


spatiale. Il était important de respecter la diversité socio-spatiale, pour déterminer<br />

l’influence de cette dernière sur l’expérience du déplacement, notamment piéton. Cette<br />

première carte localise les quatre quartiers sur lesquels a été réalisé ce travail.<br />

N<br />

Figure 14- Carte du municipe de Rio de Janeiro : zones de palification et zones<br />

administratives (AP1, AP2, AP3… zones de planification)<br />

Source : Anuário estatístico da cidade do Rio de Janeiro., 1995-97<br />

Suite à la lecture de la fragmentation socio-spatiale de cette métropole, nous<br />

avons retenu quatre types de quartiers relativement représentatifs des classes sociales<br />

cariocas.<br />

Le premier, Barra da Tijuca, correspond à une zone récemment aménagée en<br />

bordure de l’océan dans un secteur éloigné du centre de Rio. Il s’agit d’un quartier<br />

sécurisé appelé « condominium »<br />

183


184<br />

0 2,5 km<br />

Figure 15 – Localisation de Barra da Tijuca<br />

Source : Anuário estatístico da cidade do Rio de Janeiro. 1995-97<br />

Barra da Tijuca<br />

Le problème de l’insécurité a entraîné l’abandon du centre de Rio par les<br />

individus de classes sociales élevées, ceux-ci préférant se limiter à leur espace confiné<br />

des condominiums de Barra da Tijuca.<br />

Ce genre d’urbanisation est connu et recensé dans d’autres pays que le Brésil.<br />

Dans le monde entier, ces espaces, que l’on appelle gated communities aux Etats-Unis<br />

ou barrios cerrados en Argentine, apparaissent aujourd’hui comme une forme urbaine<br />

émergente, présente à des degrés divers dans des pays aussi différents que l’Indonésie,<br />

la Russie, les Etats-Unis, l’Argentine, L’Afrique du sud, la Turquie… Ainsi, dans ces<br />

condominiums « un espace public est recréé en sphères moins importantes et privées. Il<br />

y a un refus de vivre à l’intérieur d’une société variée et multifacette » 318 . Car, c’est bel<br />

et bien la clôture et l’exclusivité de l’accès et de la jouissance de pans entiers de la ville,<br />

de taille parfois considérable, qui sont la nouveauté la plus remarquable de ce système<br />

d’urbanisation mis en place dans l’agglomération de Rio de Janeiro. La particularité de<br />

ce quartier explique le choix de ce secteur pour approfondir l’analyse relative à<br />

l’existence d’itinéraires au cœur de l’espace urbain carioca. Le choix de l’école dans<br />

laquelle nous avons procédé aux entretiens, n’a pas été chose aisée. Dans la mesure où il<br />

s’agit d’un quartier sécurisé, l’accès aux établissements est contrôlé et les chefs<br />

d’établissements se sont montrés très réticents. C’est après plusieurs tentatives que le<br />

318<br />

Paulo César. Da COSTA GOMES. A condiçao urbana, ensaios de geopolitica da cidade. Rio de<br />

Janeiro : Bertrand Brasil, 2002. p. 187.<br />

N


chef de l’établissement public colegio MV1 a accepté d’ouvrir ses portes. Ainsi, notre<br />

enquête a pu se dérouler et une classe de 13 élèves âgés de 13 à 15 ans a été interrogée.<br />

En second lieu, nous avons retenu un collège public dans le quartier prestigieux<br />

d’Ipanema qui accueille néanmoins de nombreux enfants résidant dans les favelas<br />

alentours.<br />

N<br />

0 2,5 km<br />

Ipanema<br />

Figure 16 – Localisation d’Ipanema<br />

Source : Anuário estatístico da cidade do Rio de Janeiro, 1995-97<br />

Il s’agit du quartier le plus prestigieux de la zone sud qui profite d’une situation<br />

privilégiée le long de la fameuse plage d’Ipanema qui rassemble de nos jours la classe<br />

aisée de Rio ainsi que les touristes les plus riches. Devenue la plage à la mode, elle a<br />

évincé celle de Copacabana autrefois lieu emblématique de la ville. Le collège dans<br />

lequel nous avons mené l’enquête s’appelle colegio Marilia de Dirceu, 20 élèves âgés<br />

de 14 à 17 ans ont été interrogés.<br />

Un troisième quartier a été retenu, cette fois-ci dans un secteur populaire, situé<br />

au nord de la ville de Rio.<br />

185


186<br />

Anchieta<br />

N<br />

0 2,5 km<br />

Figure 17- Localisation d’Anchieta<br />

Source : Anuário estatístico da cidade do Rio de Janeiro, 1995-97<br />

Il s’agit d’un quartier qui a connu une forte expansion dans les années 70 avec<br />

l’arrivée de nombreuses personnes venues du Nord-Est du Brésil. Les personnes qui<br />

vivaient depuis peu dans ce quartier de classe moyenne l’ont vu rapidement envahi par<br />

des constructions précaires, proches de celles des favelas. Le collège dans lequel l’étude<br />

a été menée s’appelle colegio Antenor Nascente ; 35 élèves, âgés de 11 à 15 ans, ont été<br />

interrogés.<br />

Enfin, l’opportunité d’interroger des personnes d’âges, situations et lieux de<br />

résidences variés, s’est présentée par le biais de l’établissement de l’alliance française<br />

de Copacabana, est un des plus grands centre de Rio de Janeiro.


N<br />

0 2,5 km<br />

Figure 18- Localisation de Copacabana<br />

Source : Anuário estatístico da cidade do Rio de Janeiro, 1995-97<br />

30 personnes âgées de 14 à 61 ans ont été interrogées, dans l’optique de<br />

compléter le travail initié auprès d’adolescents, en s’attardant sur l’expérience du<br />

déplacement de personnes plus âgées, aux profils variés.<br />

Dans ces différents établissements, a été réalisée une série d’enquêtes relatives à<br />

l’expérience des déplacements à Rio de Janeiro, en insistant sur les trajets quotidiens.<br />

8.2- Approche méthodologique<br />

Copacabana<br />

L’enquête que nous avons réalisée en novembre-décembre 2003 se composait de<br />

deux parties :<br />

- une première partie s’organisait autour de questions relatives aux moyens, à<br />

la durée des déplacements quotidiens ainsi qu’aux impressions relatives à ces<br />

déplacements ;<br />

- la deuxième partie consistait à faire dessiner une « carte schématique<br />

spontanée » relative aux déplacements quotidiens et aux éléments rencontrés.<br />

Il a semblé pertinent de croiser ces deux approches pour disposer d’un maximum<br />

d’informations et pour révéler les logiques et représentations des déplacements.<br />

187


Il conviendra d’exposer, pour commencer, les caractéristiques des populations<br />

enquêtées, puis la méthode qui nous a permis d’aborder les représentations spatiales par<br />

le biais de la réalisation de cartes schématiques spontanées et du questionnaire.<br />

L’Analyse Factorielle des Correspondances (AFC) à partir des résultats de l’enquête par<br />

questionnaire permettra de compléter les informations obtenues par les cartes<br />

schématiques spontanées.<br />

188<br />

8.2.1- Saisir pratiques et expériences du déplacement : l’enquête<br />

par questionnaire<br />

Pour compléter l’analyse des cartes schématiques spontanées, un questionnaire<br />

était proposé à la suite de leur réalisation. Ce dernier avait pour objectif d’approfondir<br />

certains aspects relatifs aux caractéristiques de la personne interrogée ainsi qu’aux<br />

représentations que celle-ci a développé au sujet du vécu du déplacement. Rappelons<br />

que le questionnement qui a guidé la réalisation de cette enquête repose sur la mise en<br />

perspective de l’expérience du déplacement, à savoir ce qui la conditionne, les<br />

marqueurs qui semblent tenir un rôle important dans le choix du parcours… La<br />

fragmentation socio-spatiale est-elle visible lorsqu’on aborde l’expérience du<br />

déplacement ?<br />

Présentation du questionnaire<br />

Plusieurs éléments ont dû être retenus afin d’élaborer un questionnaire 319 adapté<br />

à la population enquêtée. Tout d’abord, l’obligation de traduire au mieux les questions<br />

en portugais, dans un langage clair et ajusté à une population jeune parfois en difficulté<br />

scolaire, présentant des limites dans l’usage de la langue, a nécessité de tester à<br />

plusieurs reprises le questionnaire. Il a semblé préférable de privilégier un questionnaire<br />

concis avec des questions courtes, faciles à comprendre, invitant à des réponses<br />

spontanées. L’opportunité de rencontrer une personne travaillant sur la psychologie de<br />

l’enfant, dans une optique pédagogique, nous a permis de révéler ces différents critères.<br />

L’enquête a toujours été réalisée dans l’enceinte d’un collège, supervisée par un<br />

professeur qui intervenait seulement pour éclaircir quelques mots de vocabulaire. Les<br />

319 voir questionnaire en annexe 3


contraintes auxquelles nous devions faire face, nous ont amené à privilégier, dans la<br />

première partie du questionnaire, les questions fermées. En revanche, en ce qui<br />

concerne la partie consacrée à l’expérience du déplacement, dans laquelle nous faisons<br />

appel aux représentations des personnes interrogées, ont été privilégiés les questions<br />

ouvertes.<br />

Les enquêtes qui ont été menées à l’Alliance Française ne présentaient pas les<br />

mêmes limites. Comme les questions étaient en majorité identiques (à deux questions<br />

près), le recours au portugais n’a pas été forcément nécessaire, dans la mesure où ces<br />

questionnaires ont été remplis durant un cours de français, en tant qu’exercice, dans<br />

lequel j’intervenais avec le professeur pour éclaircir quelques ambiguïtés au niveau du<br />

lexique.<br />

Le questionnaire se divise en trois parties :<br />

Une première partie relative aux déterminants sociaux :<br />

âge, sexe, profession (dans l’enquête menée à l’alliance française) et lieu d’habitation ;<br />

Une partie centrée sur les pratiques de déplacement et<br />

l’organisation du déplacement (mode, durée, seul ou accompagné…) ;<br />

Enfin, la dernière partie correspond au vécu et à<br />

l’expérience du déplacement (recommandation, peur…) dans laquelle la personne<br />

interrogée donne son opinion à travers ses représentations mentales et spatiales. C’est<br />

dans cette catégorie que des différences apparaissent entre l’enquête menée auprès des<br />

collégiens et celle effectuée à l’alliance française. Dans le premier cas, une question<br />

aborde la part d’implication des parents dans l’attitude et les représentations de<br />

l’adolescent, alors que dans le second cas, il s’agit davantage de représentations propres<br />

au sujet.<br />

Enfin, avant de nous intéresser aux caractéristiques des populations interrogées,<br />

il nous reste à présenter les différents types de variables sur lesquelles nous avons<br />

travaillé, qui émanent du traitement des résultats. En ce qui concerne les variables<br />

quantitatives, nous les avons peu utilisées, la préférence étant donnée au qualitatif<br />

davantage approprié à l’étude des représentations. Les variables quantitatives se<br />

résument à l’âge et la durée du parcours que nous avons discrétisé pour simplifier la<br />

lecture et l’analyse. Les variables qualitatives, quant à elles, seront abordées tout le long<br />

de l’analyse.<br />

189


Présentation de la population<br />

L’enquête effectuée dans deux types de structures auprès d’individus différents<br />

oblige à présenter la population enquêtée en deux temps. Tout d’abord, la répartition<br />

suivant les différentes variables, celle des élèves interrogés dans les différents collèges,<br />

permettra une première lecture de l’expérience des déplacements dans la métropole<br />

carioca. Ensuite, les caractéristiques de la population interrogée à l’alliance française de<br />

Copacabana permettront d’approfondir cette recherche sur une population plus âgée,<br />

confrontée au monde du travail.<br />

190<br />

L’enquête réalisée dans trois collèges de Rio de Janeiro :<br />

Sur les 67 élèves interrogés, une grande partie d’entre eux (32) suivent leur<br />

scolarité à Anchieta, où les classes sont plus importantes étant donné le manque de<br />

structures scolaires dans ce quartier. La classe dans laquelle a été menée l’enquête à<br />

Ipanema comptait 20 élèves alors qu’il y en avait seulement 12 au collège de Barra de<br />

Tijuca, secteur privilégié de la ville. La majorité des élèves interrogés sont des garçons<br />

(37). La répartition par âge quant à elle est relativement équilibrée entre la classe d’âge<br />

< ou = à 13 ans (30) dont une grande partie vient de Barra da Tijuca, et celle des 14-16<br />

ans (33). Toutefois la dernière classe d’âge des élèves âgés de plus de 16 ans (4)<br />

correspond à des collégiens inscrits à Ipanema qui présentent de grandes difficultés<br />

scolaires.


30<br />

25<br />

20<br />

15<br />

10<br />

5<br />

0<br />

pied autobus voiture pied bus<br />

Figure 19- Répartition des élèves interrogés par rapport au mode de déplacement<br />

Le graphique présentant la répartition des élèves par rapport au mode de<br />

déplacement montre un équilibre entre la marche à pied (26) et l’autobus (26) comme<br />

mode de transport privilégié, au détriment de la voiture (5) qui concerne uniquement les<br />

élèves de Barra da Tijuca, soit à peu près la moitié de ces derniers.<br />

45<br />

40<br />

35<br />

30<br />

25<br />

20<br />

15<br />

10<br />

5<br />

0<br />

inf 15 16 a 30 31 a 60 sup 60<br />

Figure 20- Répartition des élèves interrogés par rapport à la durée du déplacement<br />

En ce qui concerne la durée du déplacement, se sont les trajets courts, inférieurs à<br />

15 minutes (41) qui s’avèrent les plus fréquents. Dix élèves, soit environ 20% de la<br />

population, réalise un parcours de plus de 30 minutes, voire, dans certains cas, plus<br />

d’une heure. Il serait intéressant de savoir si les trajets inférieurs à 15 minutes<br />

concernent les individus se rendant à l’école à pied, c’est-à-dire si les trajets en voiture<br />

font partie de cette même catégorie. Nous verrons plus tard dans l’analyse factorielle<br />

des correspondances si cette tendance se vérifie.<br />

Avant de passer à la partie relative aux questions d’opinion, était proposée une<br />

question de transition permettant d’identifier les éléments qui semblaient importants<br />

191


pour les personnes interrogées sur leur parcours. Les églises font partie des éléments les<br />

plus cités (27), suivies de la plage (12), des shoppings centers (7) au même titre que la<br />

modalité « aucun élément important ».<br />

Nous arrivons, à présent, à la partie concernant les questions d’opinion. La<br />

première question posée s’intéressait aux choses ou lieux que les personnes n’aiment<br />

pas sur leur parcours. Nous verrons que cette question est redondante avec la question<br />

relative aux éléments qui suscitent la peur. Ainsi, une grande partie des collégiens<br />

n’aime pas croiser les gens de la rue (17), qui correspondent aux personnes sans<br />

domicile, très présents dans certains quartiers de la ville (notamment au centre et dans<br />

les secteurs touristiques)ou les fumeurs de drogue (7). Néanmoins, beaucoup n’ont pas<br />

signalé d’éléments qui leur déplaisent (27).<br />

192<br />

18<br />

16<br />

14<br />

12<br />

10<br />

8<br />

6<br />

4<br />

2<br />

0<br />

lieux pas interdits<br />

rues dangereuses<br />

points vente drogue<br />

favelas<br />

autre chemin<br />

shopping<br />

bar maison de jeux<br />

Figure 21- Répartition des élèves interrogés par rapport aux lieux interdits 320<br />

Les personnes interrogées étant des collégiens, il semble important de voir<br />

l’influence des parents dans leur choix de l’itinéraire. A la question, est-ce qu’il existe<br />

des lieux où tes parents t’interdisent d’aller ? Une majorité des réponses est affirmative<br />

soit 52, près de 70% des personnes interrogées. Les lieux les plus proscrits sont les rues<br />

dangereuses (12) et ceci pour plusieurs raisons : soit parce qu’il s’agit d’un espace<br />

propice aux agressions (par exemple les rues sombres) ou parce qu’il est proche des<br />

favelas… C’est une référence assez vague qui malgré tout prouve bien l’existence d’une<br />

crainte qui n’est pas forcément ciblée sur un espace identifié. Néanmoins, lorsqu’il<br />

s’agit des points de vente de drogue (10), des bars (9) et des shoppings (4), ce sont des<br />

320 Sachant que dans le cas où il n’y a pas d’interdiction, pour quelques lieux que se soit, de la part des<br />

parents, la mention « lieux pas interdits » figure dans le graphique.


lieux identifiés, ciblés qui suscitent l’angoisse des parents surtout quand il s’agit<br />

d’endroits dangereux. Pour ce qui est des shoppings centers, il ne s’agit pas de la même<br />

inquiétude.<br />

35<br />

30<br />

25<br />

20<br />

15<br />

10<br />

5<br />

0<br />

pas peur rue sombre vendeur de<br />

drogue<br />

gens de la<br />

rue<br />

trafic<br />

voitures<br />

dieu me<br />

protège<br />

Figure 22- Répartition des élèves interrogés par rapport au sentiment de peur<br />

Un autre point, non négligeable, soulevé dans ce questionnaire, est lié au<br />

sentiment de peur associé à un lieu ou à un individu. Les réponses restent partagées<br />

avec une sensible majorité pour le sentiment de peur (34) qui est associé le plus souvent<br />

à des lieux tels que les rues sombres (12) qui exacerbent le sentiment d’insécurité. Les<br />

vendeurs de drogue (7), eux aussi, inspirent la crainte, sans oublier les gens de la rue<br />

(4). Reste à savoir, si la crainte générée par relative les gens de la rue n’est pas<br />

davantage présente chez les élèves du collège d’Ipanema qui se situe dans un secteur<br />

touristique où afflue ce genre d’individus. Enfin, apparaît une modalité surprenante au<br />

regard des autres : l’assertion « dieu me protège » (6), qui souligne, chez certains élèves<br />

l’influence de la religion dans leur représentation, dans leur sentiment.<br />

Enfin, au vu de ce qui avait été soulevé auparavant, il était important de savoir si<br />

les élèves se rendaient seuls ou accompagnés à leur collège. Là encore, la réponse à<br />

cette question reste partagée, avec 34 élèves qui viennent accompagnés, le plus souvent<br />

d’un ami (19) ou par un membre de la famille (16). Cette répartition peut s’expliquer<br />

par les deux précédentes qui notent l’importance du sentiment d’insécurité, à la fois<br />

chez les parents et les enfants. Reste à savoir si ce sentiment est également présent dans<br />

chaque établissement ou s’il concerne uniquement un certain type de population.<br />

193


194<br />

L’enquête réalisée à l’alliance française :<br />

L’enquête menée à l’Alliance française a été réalisée auprès de 30 individus 321 . La<br />

majorité d’entre eux (22) réside à Copacabana où se situe l’établissement. Certains<br />

viennent de quartiers plus éloignés, comme Iraja ou Olaria, situés plus au nord. Dans<br />

l’ensemble, les personnes vivent soit à Copacabana soit dans les quartiers limitrophes<br />

(Botafogo, Lagoa…).<br />

Une majorité de femmes (23) assistait aux cours dans lesquels l’enquête a été<br />

réalisée.<br />

10<br />

8<br />

6<br />

4<br />

2<br />

0<br />

inf19 20a29 30a39 40a49 sup50<br />

Figure 23- Répartition par âge des personnes interrogées à l’Alliance française<br />

Quant à la répartition par âge, nous constatons que les moins de 19 ans (9)<br />

dominent, ainsi que les 20-29 ans (8) qui paraissent davantage intéressés ou, du moins,<br />

sensibles à l’apprentissage de la langue française, peut-être en relation avec leurs études.<br />

Cependant, le reste de la population s’équilibre, avec malgré tout une faible<br />

représentation des personnes de plus de 50 ans.<br />

La répartition par âge de la population s’explique en partie grâce à la structuration<br />

par catégorie socioprofessionnelle des personnes interrogées. Un peu plus de la moitié<br />

sont étudiants (16), l’autre partie se divise entre les cadres (10), qui occupent la seconde<br />

place, les professions intermédiaires (3) et les retraités (1). L’importance de la<br />

population étudiante n’est pas anodine, il s’agit de personnes en demande de<br />

connaissance, notamment dans le domaine des langues étrangères.<br />

Passons, maintenant à l’analyse des questions concernant les déplacements.<br />

321 Voir questionnaire en annexe 4


12<br />

10<br />

8<br />

6<br />

4<br />

2<br />

0<br />

pied bus voiture piedmétro piedbus<br />

Figure 24- Répartition suivant le mode de transport des personnes interrogées à<br />

l’Alliance française<br />

Une grande partie des personnes interrogées utilise des modes de déplacements<br />

doux comme la marche à pied (10) ou, de façon partagée, marche à pied et autobus (9).<br />

En ce qui concerne les personnes utilisant un mode de déplacement motorisé, c’est la<br />

voiture que domine (6), les autres se partageant, alternent entre l’autobus et le métro.<br />

La durée du parcours est relativement courte, pour plus de la moitié des personnes<br />

interrogées, soit moins de quinze minutes (16). Toutefois, pour certains le trajet<br />

s’effectue entre 31 et 60 minutes (7), voire parfois plus d’une heure (3). Cette<br />

répartition de la population par rapport à la durée du trajet dépend bien sûr du mode de<br />

déplacement retenu et surtout du lieu d’habitation.<br />

La troisième partie du questionnaire porte sur les représentations liées à l’idée<br />

d’évitement et de peur (lesquelles se recoupent) durant le déplacement.<br />

195


196<br />

14<br />

12<br />

10<br />

8<br />

6<br />

4<br />

2<br />

0<br />

pas évités rues sombres points drogue autre chemin proximité<br />

favelas<br />

Figure 25- Répartition suivant l’idée d’évitement de la population interrogée à<br />

l’Alliance française<br />

L’évitement est prioritairement dû au caractère sombre des rues (13) mais<br />

également à la proximité des favelas (12). Peu de personnes disent ne pas éviter certains<br />

lieux (3), ce que le sentiment de peur ressentie ne fait que confirmer.<br />

25<br />

20<br />

15<br />

10<br />

5<br />

0<br />

pas peur ruesombre vendeurdrogue favelas<br />

Figure 26- Répartition suivant le sentiment de peur de la population interrogée à<br />

l’Alliance française<br />

La peur des rues sombres qui sont souvent dangereuses est prépondérante (20) et à<br />

moindre échelle les favelas (6) lesquelles pourraient engendrer un sentiment de crainte<br />

si les individus s’y aventuraient. Car peu de personnes disent ne pas ressentir la peur<br />

(3).<br />

Enfin, nous avons voulu savoir si la personne choisissait son parcours par rapport<br />

au critère « chemin le plus court » ou pour une autre raison. La majorité (22) dit préférer<br />

le chemin le plus court pour davantage de commodité. Il existe malgré tout quelques<br />

personnes (8) qui choisissent leur parcours en privilégiant un chemin plus sûr ou plus<br />

agréable. Et, certains de rappeler dans leurs réponses, que « le temps est peu de chose à<br />

côté de la survie »….


Cette présentation rapide des deux populations sur lesquelles l’enquête a été<br />

menée permet de mieux cerner les caractéristiques des personnes interrogées afin de<br />

présenter l’analyse des cartes schématiques spontanées.<br />

8.2.2- Les cartes schématiques spontanées : lecture de l’expérience<br />

du mouvement<br />

Lorsque l’on étudie l’expérience du mouvement au cœur de l’espace urbain, on<br />

s’intéresse, d’une part, aux pratiques, à l’aspect fonctionnel du déplacement, et, d’autre<br />

part, à la perception et au vécu du déplacement. Ainsi, il est primordial de se référer aux<br />

représentations de l’espace du sujet pour identifier ce qui fait sens dans un espace : « ce<br />

qui prime alors, ce sont les valeurs et les significations que l’on accorde à un support, à<br />

une étendue » 322 . En effet, ce sont aux éléments porteurs de sens que nous allons être<br />

attentifs.<br />

Dans cette optique, le dessin spontané de cartes schématiques a semblé suffisant<br />

pour identifier ce que nous avons qualifié de marqueur de l’itinéraire. Pour justifier ce<br />

choix méthodologique et en estimer les limites, nous nous pencherons d’abord sur les<br />

relations entre la notion de représentation et celle d’expérience.<br />

Expérience et représentation<br />

On sait que la représentation correspond à une interprétation du réel, à des<br />

schémas pertinents du réel, et non à un double du réel 323 . Elle se différencie de la notion<br />

de perception (qui se réalise en présence de la chose perçue) tout en insistant sur l’idée<br />

d’interprétation, de sorte que l’étude des représentations spatiales permet de mettre en<br />

évidence les stratégies des différents acteurs en fonction des pressions sociales et<br />

culturelles, des contraintes individuelles et de leurs rapports à l’espace. Leur élaboration<br />

s’intègre dans le processus complexe de la cognition qui nous permet à la fois de nous<br />

situer, d’évoluer dans l’espace et d’alimenter notre imaginaire.<br />

322<br />

Hervé GUMUCHIAN. Représentations et aménagement du territoire. Paris : Anthropos-Ecnomica,<br />

1991. p. 12.<br />

323<br />

Jean PIAGET et INHELDER. La représentation de l’espace chez l’enfant. Paris : Felix Lacan, 1948.<br />

p. 28.<br />

197


La cognition est caractérisée à la fois par les représentations mentales et par les<br />

traitements réalisés sur celles-ci : les traitements opèrent sur des représentations<br />

antérieures, génèrent de nouvelles représentations qui seront à leur tour l’objet de<br />

traitements ultérieurs. En effet, la mise en mémoire est une des étapes la plus importante<br />

de la cognition puisqu’elle permet aux sujets d’acquérir des connaissances nécessaires<br />

pour vivre quotidiennement dans un espace donné. Ainsi, la cognition concerne la façon<br />

dont nous lions le présent au passé et la façon dont nous pouvons nous projeter dans le<br />

futur 324 . A l’issue de cette démarche de perception et de cognition, le sujet va ainsi créer<br />

sa propre image mentale relative à l’espace : « Prise au sens large, l’image peut servir<br />

de vaste trame de référence à l’intérieur de laquelle peuvent se dérouler les actes de<br />

l’individu ou à laquelle il peut rapporter ses connaissances. De cette manière elle<br />

ressemble à un recueil de croyances ou à un ensemble de coutumes : elle est<br />

organisatrice de faits et de potentialités » 325 . De plus, s’opère un enrichissement<br />

permanent de cette image par les expériences nouvelles.<br />

En somme, l’expérience qui forge le sujet a une importance majeure dans<br />

l’élaboration des représentations spatiales, car elle est le résultat d’une mise en mémoire<br />

des lieux et des faits. Kevin Lynch insiste sur cet aspect : « Cette image 326 est produite à<br />

la fois par des sensations immédiates et par le souvenir de l’expérience passée, et elle<br />

sert à interpréter l’information et à guider l’action » 327 . En ce sens, Raymond Ledrut<br />

avait aussi souligné que l’expérience avait une place importante dans l’image de la<br />

ville : « les significations ne sont ni dans les têtes ni dans les choses, elles sont dans<br />

l’expérience… » 328 . De son côté Xavier Piolle, dans Les citadins et leur ville 329 , a<br />

montré que les expériences antérieures sont reconnues comme des éléments importants<br />

au même titre que d’autres variables individuelles telles que le genre, la situation socioéconomique<br />

et le statut de l’habitant.<br />

Autre facteur essentiel à ne pas négliger lorsque l’on se réfère à l’expérience :<br />

l’importance de la culture. Malgré tout, il ne faut pas négliger d’autres éléments dont la<br />

représentation spatiale est tributaire : les éléments biologiques et neurophysiologiques<br />

324<br />

Reginald GOLLEDGE., R.J. STIMSON. Spatial Behavior. A geographic perspective. New York: The<br />

Guiford Press, 1997.<br />

325<br />

Kevin LYNCH. L’image de la cité. Paris : Dunod, 1998. p. 148<br />

326<br />

Dans le sens de représentation mentale<br />

327<br />

Ibid. p. 5<br />

328<br />

Raymond LEDRUT. Les images de la ville. Paris : Anthropos, 1973. p. 12.<br />

329<br />

Xavier PIOLLE. Les citadins et leur ville :approche de phénomènes urbains et recherche<br />

méthodologique Toulouse : Privat, 1979.<br />

198


propres à l’appareil neuro-sensoriel humain à partir desquels se fonde le représentatif ;<br />

les éléments psychologiques, conceptuels ; les éléments socioculturels comme les<br />

distances sociales mises à jour par Hall 330 , voire même les éléments<br />

socioprofessionnels ; les éléments technologiques remarqués par certains auteurs tels<br />

que Virilio, qui écrit « si l’aviation a entraîné une révision du point de vue, une<br />

mutation radicale de la perception du monde, les techniques infographiques entraînent<br />

à leur tour un réajustement du réel et de ses représentations » 331 .<br />

Quel outil est le plus adapté pour révéler les représentations spatiales intimement<br />

liées à l’expérience du sujet ? De nombreux travaux ont proposé des outils pour<br />

localiser et vérifier la pertinence des représentations, or, dans notre cas, ce n’est pas tant<br />

la justesse ni la précision de la localisation des éléments qui nous intéressent, il s’agit<br />

davantage de repérer ce qui fait sens pour le sujet, ce qui structure son déplacement, ce<br />

qui l’intéresse, le repousse, l’attire… En tenant compte de ces différentes contraintes, il<br />

semble bien qu’un questionnaire, relatif aux pratiques et perceptions du déplacement,<br />

associé au dessin spontané de quelques cartes schématiques suffirait à fournir ce qui<br />

nous intéresse à propos de l’expérience du déplacement.<br />

La « cartographie mentale » et ses limites<br />

La « cartographie mentale » (c'est-à-dire la cartographie des<br />

représentations) est une méthode simple pour se faire une première idée de la façon<br />

selon laquelle « les individus organisent et comprennent le monde qui les entoure » 332 .<br />

Kevin Lynch, notamment, a utilisé ce genre de représentation cartographique pour<br />

analyser les images des villes de Los Angeles, Boston et Jersey City. Il avait déterminé<br />

deux types de cartographies : la cartographie d’itinéraire : « processus qui produit une<br />

série de connexions en chaîne entre les points sélectionnés et les indices qui leur sont<br />

associés ; ceux qui apprennent les endroits, par contre procèdent par cartographie de<br />

survol : ce qui les conduit à organiser une série d’endroits selon tout un réseau de<br />

connexions associatives » 333 . Lynch a aussi déterminé cinq éléments physiques<br />

330<br />

Edward HALL. La dimension cachée. Op. Cit., p. 152.<br />

331<br />

Paul VIRILIO. « Logistique de la perception » : guerre et cinéma 1, Cahiers du cinéma, Paris :<br />

L’Etoile, 1984. p.30.<br />

332<br />

Roger M. DOWNS , David STEA. Essai sur la cartographie mentale, des cartes plein la tête.<br />

Quebec : Edisem, 1981. p. 52.<br />

333<br />

Ibid. p.180<br />

199


perceptibles et descriptifs de l’ensemble urbain : les quartiers, les nœuds, les points de<br />

repère, les voies et les limites. Ce sont des catégories établies par Kevin Lynch et qui<br />

servent à traduire la façon dont l’individu cherche à communiquer sa représentation de<br />

la ville. Un seul élément peut appartenir à plusieurs catégories à la fois : une rue est une<br />

voie et/ou une limite, un quartier ou un nœud. Dans le cas des chauffeurs de taxi de<br />

Paris, Pailhous 334 a pu en ce sens vérifier que des nœuds peuvent servir de repères,<br />

notamment pour placer des zones mal connues mais qui leur sont liées par des relations<br />

topologiques, de voisinage... C’est pourquoi il a aussi identifié l’existence de plusieurs<br />

grilles secondaires imbriquées dans une grille de base. Par ailleurs, toujours à propose<br />

de Paris, on a montré que la cartographie mentale reposait sur les expériences<br />

individuelles ainsi que sur les connaissances acquises par les médias et les diverses<br />

lectures et qu’elle engendre une organisation de l’espace urbain en zones, en un système<br />

imaginaire partagé par les habitants 335 .<br />

Surtout il est bien établi que la cartographie mentale se déploie de façon<br />

privilégiée sur la base d’une action finalisée, d’un objectif, ne serait-ce que celui de<br />

s’orienter 336 .<br />

Toutefois, les études de cartographie mentale s’inscrivent pour la plupart dans<br />

une réflexion relativement structuraliste : ce qui importe, c’est de repérer des axes<br />

structurants en termes de localisation. L’aspect relatif à l’expérience vécue du<br />

déplacement est beaucoup moins présent, voire absent. Pourtant, le fait que certains<br />

éléments soient présents ou absents, relativement détaillés ou non, peut permettre<br />

d’identifier une relation particulière vis-à-vis d’un lieu…<br />

Le recours à la cartographie mentale est en effet critiqué à bien des titres.<br />

D’abord, on a souligné le peu de reproductibilité des méthodes employées : « on<br />

constate, en effet, que les articles, les ouvrages, tant de psychologues que de<br />

géographes ou encore d’urbanistes, …, abondent sur ce sujet depuis les années 60…Ils<br />

portent sur des aspects très variés de la ville – lieux, repères, barrières, etc.-, sur des<br />

334<br />

Jean PAILHOUS. La représentation de l’espace urbain : l’exemple du chauffeur de taxi. Paris : PUF,<br />

1970.<br />

335<br />

G.N. FISHER. Psychologie des espaces de travail. Paris : Armand Colin, 1989.<br />

336 Roger M. DOWNS, David STEA (dir.). Image and environment. Chicago: Aldine, 1973; GARLING<br />

T., BOOK A., LINDBERG E., 1984, Cognitive mapping of large-scale environments. The<br />

interrelationship of action plans, acquisition and orientation, Environment & Behaviour, vol. 16, n° 1,<br />

pp. 3-34.<br />

200


groupes ou des individus ; ils présentent des expériences sur la connaissance de<br />

l’espace urbain… Chaque auteur suit des voies particulières, utilise des méthodes<br />

spécifiques, aboutit à des résultats difficilement comparables… » 337 . Comment passer<br />

de résultats parfois contradictoires et donc presque toujours non généralisables, à des<br />

propositions concrètes pour l´aménagement d´une ville ? « Un effort important doit être<br />

effectué tant sur le plan conceptuel qu´au niveau des méthodes » pour répondre aux<br />

attentes des urbanistes 338 .<br />

Plus problématique encore : puisque la cartographie mentale correspond à<br />

« l’exemple classique d’un processus intérieur qui ne peut être qu’inféré à partir du<br />

comportement », Downs et Stea s’interrogent : « comment peut-on être sûr que le<br />

comportement n’est pas un artefact indésirable produit par les techniques et les<br />

méthodes de recherches utilisées pour les provoquer ? » 339 .<br />

Il faut bien avoir conscience que c’est toujours sous la forme d’une<br />

reconstruction que ces représentations sont analysées, et il en est de même pour leurs<br />

mécanismes 340 .<br />

Surtout, il faut tenir compte du fait que les capacités de dessin (schéma ou<br />

cartographie) ne sont pas égales au sein de la population : « les cartes à main levée sont<br />

très fréquemment utilisées car elles sont utilisables avec toutes les catégories de<br />

population ou presque, mais, comme nous l´avons déjà souligné, l´aptitude au dessin<br />

peut fausser partiellement les tracés » 341 .<br />

La méthode d’analyse<br />

Etant donné que nous recueillons des dessins schématiques dont la nature<br />

approximative interdit d’en tirer une portée théorique de quelque importance, le<br />

traitement que nous en ferons s’attardera à en extraire les indices de ce qui compte dans<br />

337<br />

Colette CAUVIN. Propositions pour une approche de la cognition spatiale intra-urbaine. Cybergéo,<br />

n°72, www.cybergeo.presse.fr/geocult/texte/cognima.htm p. 2<br />

338<br />

Ibid. p. 2<br />

339<br />

. Roger M. DOWNS , David STEA. Essai sur la cartographie mentale, des cartes plein la tête. Op.<br />

Cit., p. 151<br />

340<br />

J.C. LEPECQ et M.G PECHEUX. L’espace géographique : inférences et représentations spatiales.<br />

Comportements, n°1, 1984. p.191-201. C’est ce genre de critique qu’ont reçu les « cartes mentales » à la<br />

manière de Peter GOULD. On Mental Maps. Image and environment. R.M. DOWNS, B.D. STEA (dir.).<br />

Chicago: Aldine, 1973.p.182-220.<br />

341<br />

Colette CAUVIN. Propositions pour une approche de la cognition spatiale intra-urbaine. Op. Cit.,<br />

p. 17<br />

201


l’expérience des gens. Nous retiendrons deux approches : la première, qui privilégie les<br />

formes se fera à partir des cinq éléments proposés par K. Lynch :<br />

202<br />

- les voies ou axes structurants : il s’agit des supports principaux des<br />

déplacements,<br />

- les nœuds ou carrefours, qui sont des points focaux abstraits vers et à<br />

partir de quoi l’individu se déplace, à l’intérieur desquels il peut circuler,<br />

- les points de repères, lesquels sont des références ponctuelles, mais où<br />

l’individu ne pénètre pas. Ce sont des objets simples comme une boutique, une<br />

colline…qui demeurent extérieurs à l’observateur et qui sont pour lui des centres<br />

d’intérêts,<br />

- les limites ou lignes de discontinuité sont des éléments linéaires séparant<br />

et entourant qui peuvent servir de références latérales,<br />

- les quartiers sont des « parties de la ville, de taille assez grande, qu’on se<br />

représente comme un espace à deux dimensions, où un observateur peut pénétrer par la<br />

pensée, et qui se reconnaissent parce qu’elles ont un caractère général qui permet de<br />

les identifier » 342 .<br />

La seconde approche, qui n’exclut pas la première mais, au contraire, s’appuie<br />

sur elle, aborde la question du sens. C’est une approche du sensible qui repose sur<br />

l’identification de l’expérience du sujet associée à la fois à l’environnement et à<br />

l’action. Cette analyse permettra de révéler les particularités de chaque parcours.<br />

C’est la place du sujet dans qui retient notre attention, tant l’expérience de ce<br />

dernier est primordiale dans l’appréhension de l’itinéraire et des marqueurs qui vont<br />

permettre de le révéler. Néanmoins, beaucoup de chercheurs préfèrent s’en tenir à un<br />

travail fondé sur les spécificités du groupe plutôt que du sujet. En effet, le souci de la<br />

généralisation empêche souvent le recours au sujet. Toutefois, dans notre cas, le sujet<br />

est central pour révéler l’aspect sensible du déplacement.<br />

Parmi les nombreuses techniques qui existent les mieux adaptées, à nos besoins<br />

reposent sur l’idée d’identification des lieux par le biais d’un questionnaire et sur<br />

l’acquisition de localisations à travers des cartes schématiques spontanément produites<br />

par les enquêtés. Un travail d’analyse des pratiques, motivations, vécu du déplacement<br />

342 Kevin LYNCH. L’image de la cité. Op. Cit.,.p.54


sera fait à partir du questionnaire et des cartes schématiques. Celles-ci ne feront pas<br />

l’objet d’une seule analyse structurelle nous essaierons d’en capter les formes, les<br />

détails, les oublis… qui traduiront la part de l’expérience, du vécu. Au fur et à mesure<br />

de l’analyse, apparaîtra une grille de lecture du sensible. L’interprétation s’organisera en<br />

deux temps :<br />

- tout d’abord, une analyse structurelle reposant sur la mise en perspective de<br />

la présence de l’ensemble ou de certains des cinq éléments proposés par<br />

Lynch ;<br />

- puis, ce que nous qualifions d’analyse sensible, qui révélera les particularités<br />

de l’expérience du sujet en relation à l’environnement et à l’action (le<br />

déplacement), sachant que ces deux derniers sont liés aux aspects structurels.<br />

Même si l’analyse consiste à présenter individuellement chaque approche, elles restent<br />

intimement liées.<br />

203


204<br />

8.3- Les adolescents de Rio et l’expérience du<br />

déplacement<br />

Nous avons choisi de mener l’analyse des dessins schématiques à partir d’une<br />

logique de quartier, pour les comparer par la suite. La première étape consiste à mener<br />

une analyse structurelle, suivie d’une analyse sensible. Cette dernière tient compte à la<br />

fois des particularités du sujet (personnalité, implication émotionnelle, motivations...),<br />

de son environnement (lisibilité, nature, bâti…) et enfin de l’action (prise au sens du<br />

déplacement). Vu le grand nombre de dessins recueillis, nous avons choisi d’en<br />

sélectionner quelques uns, en tenant compte de leur lisibilité. En effet, la capacité à<br />

dessiner n’étant pas la même pour chacun d’eux, nous avons retenu les dessins qui<br />

permettaient une lecture du déplacement. Nous traiterons pour commencer des élèves<br />

d’Anchieta puis d’Ipanema pour terminer par ceux de Barra da Tijuca. Les cartes<br />

schématiques obtenues à l’Alliance française seront analysées en dernier.<br />

8.3.1- Anchieta : les églises comme marqueur de l’itinéraire<br />

La lecture des différentes cartes, nous a amené à en sélectionner quatre sur 35<br />

pour mener l’analyse.


1. Analyse structurelle<br />

Figure 27- carte schématique n°1<br />

Les voies semblent se résumer à une seule. Par rapport au reste des objets<br />

présents sur la carte, les voies sont largement visibles, signalées en double voies ce qui<br />

apporte un complément d’information.<br />

La présence forte des églises laisse penser qu’il s’agit d’éléments de<br />

repère pour ce collégien. Aucune différence n’est visible entre ces trois églises, elles<br />

semblent avoir autant d’importance en tant qu’élément religieux.<br />

2. Analyse sensible<br />

Seuls la maison de la personne interrogée, trois églises, l’autobus et l’arrêt<br />

d’autobus, sont matérialisés, l’école est seulement signalée par « escola » mais le<br />

bâtiment n’est pas dessiné.<br />

Le mode de transport est aussi identifiable et occupe une place conséquente<br />

puisqu’on trouve à la fois représenté l’autobus ainsi que l’arrêt d’autobus qui semblent<br />

205


familiers à cette personne. Néanmoins, l’école est quasiment absente en tant qu’objectif<br />

du déplacement, ce dernier n’étant pas fléché. Or, le fait que le dessin de la route débute<br />

au niveau de la maison d’habitation pour se terminer à « escola » laisse supposer de<br />

quel trajet il s’agit.<br />

Ce collégien vit dans un espace fortement empreint de sacralité, à mesurer<br />

l’importance des églises dans son dessin. Au regard du questionnaire rempli par celuici,<br />

la place des églises comme élément important durant le parcours est signalée. En<br />

revanche, ce collégien a une représentation spatiale de son déplacement très limitée,<br />

dans laquelle il est difficile de cerner la dimension sensible du parcours.<br />

206<br />

Figure 28- carte schématique n°2<br />

Cette seconde carte, quant à elle, est davantage détaillée.<br />

1. Analyse structurelle<br />

Les voies sont signalées ainsi que certains feux de signalisation.<br />

L’ensemble bâti est aussi présent et matérialisé.


Au centre de cette carte est à nouveau dessiné une église cette fois-ci<br />

baptiste, bâtiment le plus volumineux du dessin qui se présente comme un élément de<br />

repère important. Les voitures sont aussi représentées de la même façon que les lieux où<br />

la personne traverse (atravessar).<br />

2. Analyse sensible<br />

Des précisions sur l’environnement sont visibles, notamment à travers les détails<br />

portés sur certaines boutiques qui se répartissent tout le long du parcours comme une<br />

quincaillerie (amarinho)… Celles-ci correspondent aussi à des éléments importants<br />

durant le parcours qui est effectué à pied, au même titre que l’église, les passages<br />

piétonniers, les feux de signalisations, la place Granito et, enfin, l’école.<br />

Beaucoup de points de repères sont présents comparativement à l’autre dessin.<br />

Ceci peut s’expliquer par le fait que cette collégienne réalise son parcours à pied, ce qui<br />

l’oblige à davantage regarder ce qui se passe autour d’elle. Il s’agit d’une plus grande<br />

implication qui mobilise l’ensemble des sens du sujet. Ce qui ne semble pas le cas du<br />

premier pour lequel la représentation spatiale du déplacement s’avère très réduite.<br />

La présence d’une fleur au centre du dessin, signale aussi une trace de fantaisie<br />

qui n’a pas vraiment de sens, sa position ne correspondant pas ni à un espace vert, ni à<br />

une boutique de fleurs… Une part d’émotion paraît se dégager de ce type d’élément<br />

inattendu, pouvant traduire une certaine implication, ou appropriation des lieux.<br />

Pour terminer, les points de départ et d’arrivée ne sont pas très visibles, la<br />

maison n’est pas marquée comme telle, l’école non plus. Néanmoins, tout le reste du<br />

parcours est précisément qualifié par l’énumération des boutiques, des passages<br />

piétonniers, feux de signalisation… Même si cette représentation spatiale est plus dense<br />

que la première, l’élément religieux est encore présent et central dans le dessin.<br />

207


208<br />

1. Analyse structurelle<br />

Figure 29- carte schématique n°3<br />

l’axe de circulation et les points de repères sont à nouveau signalés. Une<br />

seule voie est dessinée, avec pour unique précision le marquage de la double circulation<br />

et le nom de la rue.<br />

Les points de repères sont de trois types :<br />

- les terrains de football (au nombre de deux sur le dessin)<br />

- les églises (de deux types : catholique et « la nouvelle église »)<br />

- et enfin la station essence.<br />

La localisation de la maison du collégien est matérialisée par le dessin associé à un<br />

numéro de bâtiment et un nom de résidence. Quant au collège il occupe une place<br />

prépondérante sur le dessin, son nom étant précisé.<br />

De la même façon que le premier, le déplacement se fait en autobus, ce qui<br />

limite les détails quant à la voirie et au bâti. L’élément religieux est toujours présent<br />

même s’il occupe la même place que les stades de football.


2. L’analyse sensible<br />

L’analyse sensible de ce dessin, de la même façon que le premier, apporte peu<br />

d’informations sur l’expérience du sujet.<br />

1. l’analyse structurelle<br />

Figure 30- carte schématique n°4<br />

Dans ce dernier dessin, les voies sont encore signalées et nommées,<br />

toujours en double sens.<br />

Différents points de repère jalonnent le parcours réalisé à pied. C’est<br />

pourquoi l’attention se porte davantage sur les boutiques comme la boulangerie<br />

pâtisserie (padaria pão), le vendeur de journaux (jornalheiro), au milieu de la place le<br />

vendeur de noix de coco fraîches (coco gelado)… Les églises sont encore présentes,<br />

sous deux formes : catholique et ce qui est appelé la « nouvelle église », inspirée du<br />

protestantisme.<br />

Entre ces deux églises l’élève a dessiné une sorte de barrière qui symbolise<br />

les quartiers sécurisés (condominio) et montre à quel point il s’agit d’un secteur interdit.<br />

209


210<br />

2. l’analyse sensible<br />

D’étranges véhicules transformés en tortues (ou autre animal) circulent sur ces<br />

axes. De la même façon que dans le deuxième dessin, une note de fantaisie est présente.<br />

Difficile de savoir ce que cela représente pour cet élève.<br />

Enfin, l’école se résume à un bâtiment dessiné au coin de la feuille, sans que ne lui<br />

soit portée aucune attention particulière, alors que la maison de cette collégienne est<br />

bien signalée, le numéro d’habitation également. La clarté et le sens du parcours sont<br />

absents, il s’agit davantage d’un dessin de localisation.<br />

Au vu des représentations mentales des élèves du collège d’Anchieta, nous avons<br />

pu identifier la présence d’un élément de repère récurant dans de nombreux dessins. Il<br />

s’agit des églises qui sont plus ou moins centrales dans la carte schématique. Il reste<br />

cependant à savoir s’il y s’agit d’un marqueur de l’itinéraire. Les résultats de l’analyse<br />

statistique nous éclaireront. Enfin, une distinction doit être établie entre les élèves qui<br />

réalisent leurs parcours à pied et ceux qui l’effectuent en autobus. Dans le premier cas,<br />

l’espace représenté est beaucoup plus détaillé, approprié, alors que dans le deuxième il<br />

n’est que survolé, les élèves ne faisant que passer. Ceux qui se déplacent à pied sont<br />

davantage sensibilisés à la proximité des autres véhicules qui peuvent représenter un<br />

danger pour eux. C’est pourquoi un élève a pris le temps de signaler les voitures, les<br />

endroits où il traversait ainsi que les feux de signalisation. Ces deux expériences<br />

différentes du déplacement sont-elles, elles aussi présentes chez les élèves des autres<br />

établissements ? Enfin, le sens du déplacement et le trajet précis ne sont pas vraiment<br />

visibles, ils auraient pu par exemple être signalés par la présence de flèche. De plus, les<br />

élèves ne se représentent pas dans leurs parcours mais ils représentent l’espace qui les<br />

entourent… De ce fait l’aspect sensible du déplacement est difficilement identifiable<br />

étant donné qu’ils représentent un espace et non le déplacement qu’ils effectuent sur ce<br />

dernier.


8.3.2- Ipanema : une expérience du déplacement difficilement<br />

identifiable<br />

De la même façon que pour le collège d’Anchieta, quatre cartes schématiques<br />

représentatives de l’ensemble ont été retenues, sur 20, pour identifier l’expérience du<br />

déplacement des élèves interrogés.<br />

211


212<br />

Figure 31- carte schématique n°5<br />

Ce premier dessin a été réalisé par un élève qui habite dans une favela.<br />

1. analyse structurelle<br />

L’élément de limite proposé par lynch est reconnaissable entre la favela<br />

avec ses rues sinueuses et la barrière d’immeubles qui marque le passage dans un autre<br />

quartier. Ceci est confirmé par la présence d’une flèche qui montre la direction du<br />

morro (butte), synonyme aussi de favela.<br />

Les axes sont peu identifiés.


En revanche, les éléments de repère sont nombreux, surtout dans le<br />

« quartier », ici, la favela dans laquelle le collégien vit. Prédominent les endroits de<br />

vente de drogue (boca …), les bars et quelques boutiques de vidéo, de téléphone…<br />

2. Analyse sensible<br />

L’importance de la représentation spatiale des lieux de vente de drogue n’est pas<br />

anodine. Dans le questionnaire, cet élève a répondu que ses parents lui interdisaient de<br />

passer à proximité de ces lieux de vente de drogue puisqu’il venait de réaliser une cure<br />

de désintoxication. Il s’agit réellement d’un espace vécu, voire subi, qui est fort présent<br />

dans les représentations de cet élève.<br />

Une église est aussi inscrite au cœur de la favela au milieu des points de vente de<br />

drogue ainsi qu’un cimetière qui n’est pas nommé comme tel « Ici en bas de ma maison<br />

c’est l’endroit où on met les personnes mortes ».<br />

Tout semble proche et inorganisé, un véritable labyrinthe. Sur ce dessin, l’élève<br />

s’est représenté en « petit bonhomme » sur sa maison. Cependant, le parcours n’est pas<br />

visible, seuls les points de départ et d’arrivée sont localisables. Sachant qu’il réalise une<br />

partie de son parcours dans la favela à pied et l’autre partie en autobus, on comprend<br />

mieux les détails apportés à la favela au détriment du quartier d’Ipanema.<br />

213


214<br />

Figure 32- carte schématique n°6<br />

Ce nouveau dessin vient confirmer la présence dans ce collège de nombreux<br />

enfants des favelas qui vivent dans un autre système (à la fois spatial, social et culturel).<br />

1. analyse structurelle<br />

La frontière est bien matérialisée entre le morro, qui apparaît en coupe, et<br />

le quartier du collège d’Ipanema.<br />

L’école, quant à elle, est la seule référence, avec les voies, à être dessiné.<br />

Pour un déplacement qui s’effectue à pied, les détails sont absents. Cette représentation<br />

spatiale donne à voir une localisation d’un espace vis-à-vis d’un autre, sans référence au<br />

parcours.


L’élément religieux, représenté par deux églises, est à nouveau important,<br />

surtout sur ce dessin en manque de repère.<br />

2. Analyse sensible<br />

Beaucoup moins de détails sont visibles par rapport aux précédents dessins,<br />

seules les églises sont identifiées dans la favela. La maison de la personne interrogée<br />

n’est pas marquée, ce qui ne facilite pas la lecture du déplacement.<br />

La présence au coin de la feuille d’un soleil menaçant, donne à s’interroger.<br />

Nous pouvons supposer qu’il s’agit d’une référence à la chaleur étouffante de l’été à<br />

Rio qui rend sûrement les parcours difficiles.<br />

215


216<br />

Figure 33- carte schématique n°7<br />

Dans un tout autre registre, voici un dessin, ou plutôt un schéma, sur lequel le sens<br />

du parcours est précisé. Il s’agit d’une collégienne qui réalise son parcours d’une part en<br />

train et d’autre part en autobus.<br />

1. analyse structurelle<br />

Le dessin se résume à une voie structurée autour de nœuds qui<br />

correspondent aux changements de ligne ou de transport. Les rues sont bien signalées.<br />

Sur cette représentation spatiale, c’est l’axe de circulation qui structure<br />

l’expérience, les points de repères correspondant aux points de changement de transport.<br />

2.analyse sensible<br />

L’école et la maison sont représentées de la même façon : un petit carré avec le<br />

nom signalé au-dessus. Seuls un tunnel et la place du Général Osorio apportent un<br />

complément d’information sur l’espace parcouru. Le peu de détails relatifs à l’espace<br />

bâti s’explique par le mode de déplacement qui ne permet pas un réel contact avec<br />

l’espace alentour. Peu de références à l’expérience du sujet limite l’analyse sensible de<br />

cette carte schématique.


Figure 34- carte schématique n°8<br />

Cette dernière carte a été réalisée par une collégienne résidant dans une favela du<br />

nom de Penha.<br />

1. Analyse structurelle<br />

A partir de la Plaça Quinze quelques éléments de repères comme le<br />

shopping Rio Sul ou les tunnels sont signalés.<br />

La présence aussi de quelques édifices le long de l’axe de circulation, qui<br />

se résume à un trait, n’apparaissent que dans la seconde partie du trajet. Au point de<br />

départ du parcours, il est important de remarquer la présence de l’église de Penha située<br />

au point haut de la favela. Ceci n’est pas visible sur le dessin c’est pourquoi il semble<br />

important de le signaler.<br />

217


2. Analyse sensible<br />

L’élève effectue son parcours depuis sa maison, représentée en haut de la feuille,<br />

jusqu’à son école (tout en bas) en train et autobus. Il lui faut une heure pour se rendre au<br />

collège. La durée et l’étendue du parcours relativisent les détails du dessin.<br />

Effectivement, dans une première partie sont localisés les points d’arrêts de l’autobus,<br />

avec quelques individus dessinés entre chacun d’eux.<br />

Un élément nouveau, mis en évidence sur ce dessin, concerne la présence<br />

d’individus que ce soit dans les points d’arrêts d’autobus ou dans les gares… Il s’agit<br />

d’un aspect qui semble capital pour cette personne. La présence humaine constitue un<br />

élément central dans sa perception de son environnement.<br />

Les différentes cartes schématiques spontanées que nous venons d’analyser ne<br />

permettent pas de repérer de véritables éléments porteurs de sens dans l’expérience du<br />

déplacement. Seuls les trajets effectués par des modes de transports motorisés<br />

permettent de repérer le sens du déplacement. Les autres dessins localisent seulement<br />

les différents éléments dans l’espace. La seule analyse de ces cartes ne nous permet pas<br />

d’en dire davantage. Il convient alors d’analyser les questionnaires pour tenter de<br />

déterminer l’éventuelle existence de marqueurs de l’itinéraire.<br />

218


8.3.3- Barra da Tijuca : représentation d’un espace sécurisé<br />

Dans le cas du collège situé à Barra da Tijuca, nous analyserons trois cartes<br />

schématiques.<br />

1. Analyse structurelle<br />

Figure 35- carte schématique n°9<br />

A la lecture de cette première carte, apparaît une certaine schématisation de<br />

l’espace où sont signalés lieu de départ et d’arrivée sous forme de rectangles dans<br />

lesquels le nom du lieu est écrit. Il s’agit d’éléments de repères (4 au total) : deux<br />

grandes chaînes de restaurant « <strong>Mo</strong>ntana Grill » et « la <strong>Mo</strong>le » ainsi qu’un hypermarché<br />

« Sendas » et une église.<br />

Entre ces différents éléments un axe de circulation à double voies est dessiné sur<br />

lequel évolue une seule voiture, sans doute celle des parents qui amène cet élève au<br />

collège.<br />

2. Analyse sensible<br />

A la différence des autres cartes, le point de départ est bien précisé. L’axe étant<br />

unique, il est facile de repérer le sens du parcours. Le trajet effectué, cette fois-ci, en<br />

voiture, ne donne pas une grande précision sur l’expérience du déplacement. C’est, en<br />

quelque sorte, un parcours dans lequel la personne est passive. Les références à de<br />

nombreux éléments de consommation ne sont pas anodines, étant donné que le collège<br />

se situe non loin de deux énormes centres commerciaux.<br />

219


1. Analyse structurelle<br />

220<br />

Figure 36- carte schématique n°10<br />

Dans un tout autre style, cette collégienne<br />

a donné peu de place à l’axe de circulation, se sont davantage les bâtiments<br />

qui sont valorisés et essentiels dans ce dessin.<br />

a dessiné une église située à côté du collège qui semble importante. Il<br />

s’agit souvent d’un élément de repère pour situer le collège.<br />

2. Analyse sensible<br />

L’appartement d’habitation correspond à l’élément le plus volumineux, auquel<br />

beaucoup de détails comme les fenêtres, les vasques de fleurs, sont apportés, notant une<br />

réelle appropriation de cet espace. La présence de deux cœurs dans lesquels sont<br />

signalés la maison et l’église note l’affection portée à ces deux éléments.<br />

Ensuite, la présence d’une seule voiture sur cet axe semble couper cette personne<br />

du reste du monde, pourtant quelques personnes sont présentes sur le dessin. Nous ne<br />

savons pas s’il s’agit de sa propre représentation ou de celle d’autres personnes. La


plage aussi est signalée par la présence de parasols, de transats, comme espace de loisirs<br />

que cette personne donne l’impression de fréquenter.<br />

Enfin, différents bâtiments sont signalés le long du parcours, des immeubles<br />

d’habitation ainsi que quelques boutiques comme une pharmacie, un snack-bar<br />

(lanchonette) et un petit marché. Pour terminer, le collège est représenté avec ses<br />

différents bâtiments en y intégrant la présence d’un terrain de football.<br />

221


222<br />

1. Analyse structurelle<br />

Figure 37- carte schématique n°11<br />

Ce dernier dessin, à la différence du précédent, est riche en précisions<br />

au niveau des voies de circulation, même la piste cyclable est<br />

matérialisée entre l’avenue et la plage. Cet élève a aussi indiqué les passages piétonniers<br />

situés en bas de chez lui, à proximité d’un feu de signalisation.<br />

Sur ce dessin sont présents aussi deux restaurants appartenant à des<br />

chaînes de restauration (Farol da Barra et Bob’s) qui correspondent à des éléments de<br />

repère que l’élève semble affectionner.<br />

2. Analyse sensible<br />

Le lieu d’habitation est clairement dessiné en localisant précisément l’appartement<br />

dans l’immeuble. Cet élève semble s’être représenté dans le dessin, au moment où il va<br />

monter dans le bus ainsi qu’au moment où il en descend. Il ne fait pas apparaître la<br />

plage en tant que telle, toutefois, il signale les kiosques (petits bars) et le postes de<br />

secours (5 et 2) qui la jalonnent. Le collège n’occupe pas une place importante par<br />

rapport aux autres éléments. Même si le point de départ n’est pas marqué, le trajet entre<br />

la maison et le collège ou le collège et la maison est repérable. L’espace représenté n’est<br />

pas aussi restreint que les autres, puisqu’il s’agit seulement d’un trajet en autobus de


cinq minutes. Il paraît d’ailleurs étonnant de ne pas faire ce parcours à pied tant la<br />

distance est réduite, mais d’autres éléments rentrent en compte pour limiter les<br />

déplacements à pied, comme l’inquiétude des parents, visible dans les réponses<br />

apportées au questionnaire.<br />

En conclusion, il semble évident que les élèves de ces trois collèges ont une<br />

expérience profondément différente de leurs déplacements, et ce en raison de différents<br />

facteurs. Tout d’abord, nous avons pu remarquer que les déplacements ne s’effectuent<br />

pas de la même manière suivant le quartier dans lequel le collège se situe. Ensuite, le<br />

foyer d’origine des élèves va aussi influencer leurs représentations, ce qui est notable<br />

avec la présence forte des éléments religieux, surtout chez les élèves d’Anchieta où il y<br />

a une montée en puissance de « la nouvelle église ». Enfin, le mode de transports utilisé<br />

a une grande influence sur l’expérience du déplacement. Les personnes qui effectuent<br />

leurs parcours à pied vont mémoriser davantage de détails et développer une<br />

représentation de l’espace parcouru beaucoup plus riche. Quant aux marqueurs qui<br />

semblent ressortir de ces différents dessins, ils sont de trois types : les éléments<br />

religieux fortement structurants pour les élèves du collège d’Anchieta, les éléments de<br />

consommation comme les boutiques et les restaurants sont surtout visibles et paraissent<br />

structurer la représentation spatiale des élèves de Barra da Tijuca, les arrêts de bus ou de<br />

changement de transports sont aussi structurants surtout pour de nombreux collégiens<br />

qui viennent de loin pour étudier au collège d’Ipanema. Les cartes schématiques<br />

spontanément établies ne suffisent pas à elles seules pour conclure qu’il existe des<br />

marqueurs de l’itinéraire. Les résultats du questionnaire nous éclairerons à ce propos.<br />

223


224<br />

8.4- L’Alliance française de Copacabana : une palette de<br />

représentations spatiales<br />

La diversité des personnes rencontrées à l’alliance française de Copacabana<br />

permet de compléter l’analyse menée auprès des collégiens. Sur les trente personnes<br />

interrogées, quatre dessins ont été retenus en respectant la même logique de sélection<br />

que celle utilisée auprès des collégiens.<br />

Figure 38- carte schématique n°12<br />

Cette première représentation spatiale a été réalisée par une jeune femme qui<br />

effectue son trajet pour se rendre au travail en autobus.<br />

1. Analyse structurelle<br />

La présence des voies se limite à l’axe principal suivi par l’autobus. Il n’en<br />

demeure pas moins que sa représentation est très détaillée, la grandeur de l’axe étant<br />

signalée ainsi que sa structure en deux ou trois voies. Cette personne a aussi utilisé les<br />

pointillés pour signifier une distance plus importante. Les rues et avenues sont toutes


nommées, ce qui justifie une certaine mémoire du parcours que l’on peut qualifier<br />

d’intégré.<br />

Sur ce dessin apparaissent, au centre, deux édifices religieux (l’église de<br />

l’Outeiro da Gloria et l’église da Candelaria) qui constituent des éléments de repère au<br />

même titre que le port de plaisance de Botafogo ou l’aterro do Flamengo (remblai). Un<br />

autre type de points de repère est composé de deux stations de transports : Rodoviária<br />

Novo Rio, spécialisée dans les liaisons d’autobus, et Estação Ferroviária Leopoldina,<br />

qui concentre les lignes de trains partant vers la banlieue de Rio.<br />

2. Analyse sensible<br />

La maison d’habitation, que nous supposons être le point de départ puisque<br />

aucun élément permettant d’identifier le sens du parcours n’est dessiné, est représentée<br />

sans aucune précision de numéro de rue. Comparativement au lieu de travail, le lieu de<br />

résidence est peu mis en évidence, alors qu’une attention particulière est portée à<br />

l’édifice (Fundação Oswaldo Cruz) qui a une architecture particulière.<br />

Enfin, le moyen de transport est aussi déterminé, ainsi que le point d’arrêt de<br />

l’autobus.<br />

Le peu d’informations au regard de la distance parcourue (environ 6 kilomètres)<br />

que révèle ce dessin est à nouveau attaché à un déplacement que nous qualifions de<br />

passif dans lequel les distances et l’espace ne sont pas éprouvés avec autant d’intensité<br />

qu’à pied.<br />

225


226<br />

Figure 39- carte schématique n°13<br />

Une nouveauté apparaît à la lecture de cette carte schématique<br />

spontanée, la seule dans ce style, qui s’apparente davantage à un schéma qu’à un dessin,<br />

avec la présence d’un élément jusqu’à présent absent : la durée.<br />

1. Analyse structurelle<br />

Cette dernière a évincé l’axe, l’espace, pour structurer le<br />

déplacement dans un système perturbé par le temps.<br />

Les éléments de repères sont associés à des<br />

fonctionnalités : trajet à pied, en métro, travail, déjeuner, alliance pour les cours… Le<br />

temps pour se rendre d’une activité à une autre est minuté.<br />

Il s’agit sans doute d’une personne très organisée et fonctionnelle, sûrement<br />

particulièrement stressée par le temps. Peut–on encore parler de représentation<br />

spatiale ? Ne s’agit-il pas davantage d’une « représentation temporelle » ?<br />

2. Analyse sensible<br />

Imperceptible sur ce schéma qui ne s’intéresse qu’à la durée du parcours.


1. Analyse structurelle<br />

Figure 40- carte schématique n°14<br />

Ce dessin, s’il est lié aux cinq éléments déterminés par Lynch, est relativement<br />

intéressant.<br />

Tout d’abord, des limites claires sont dessinées entre les différents<br />

quartiers par la représentation des buttes, véritables frontières naturelles entre le quartier<br />

de Botafogo et celui de Copacabana. Dans ce dessin, les buttes ainsi que l’océan sont<br />

des éléments structurants. Le tunnel symbolise, quant à lui, une ouverture possible entre<br />

ces deux espaces.<br />

La représentation des quartiers est largement visible, que se soit<br />

par le biais du nom de celui-ci ou par la présence de frontières (entre Botafogo et<br />

Copacabana ainsi qu’entre Botafogo et Urca).<br />

227


Toutefois, les voies restent très floues. Il s’agit davantage d’un<br />

sens donné par une flèche qui ne tient pas vraiment compte de l’aménagement des rues.<br />

Les points de repères se cantonnent à deux shopping center,<br />

représentés de la même façon, deux stations de métro, la plage et un autre élément du<br />

relief, symbole de Rio : le Pain de Sucre.<br />

2. Analyse sensible<br />

L’appartement et la faculté sont peu visibles sur le dessin par rapport aux<br />

quartiers ou au relief.<br />

La forte présence du relief et du découpage en quartiers structure réellement<br />

cette représentation. Il s’agit d’un parcours effectué en autobus qui reste malgré tout<br />

relativement détaillé avec un effort de représentation respectueux des échelles et de la<br />

forme. L’aspect sensible du déplacement reste difficile à cerner, comparativement à<br />

l’aspect structurel riche en informations.<br />

228<br />

Figure 41- carte schématique n°15


1. Analyse structurelle<br />

Cette dernière carte a été réalisée par un homme qui se déplace à pied pour se<br />

rendre à son travail. Le trajet s’effectue en 15-20 minutes.<br />

Les voies ne se cantonnent pas au seul parcours. Elles structurent<br />

l’espace en délimitant des îlots. Le parcours délimité en rouge est particulièrement<br />

explicite sur ce dessin.<br />

Le cadre de vie semble avoir de l’importance vu le choix des<br />

éléments de repère que sont le Pain de Sucre et la baie de Botafogo qui abrite un port de<br />

plaisance.<br />

2. Analyse sensible<br />

Les éléments relatifs au cadre de vie sont situés au centre du dessin. De<br />

nombreux détails sur ces deux éléments ont été dessinés, comme la présence du<br />

téléphérique ou un petit bateau au centre de la baie, lesquels laissent imaginer qu’il<br />

s’agit d’un espace cher à cette personne.<br />

L’espace bâti se résume à quelques édifices comme la résidence d’habitation, un<br />

shopping center et le lieu de travail qui révèlent approximativement, la même<br />

importance.<br />

Une place prépondérante est occupée par le tunnel qui marque la liaison entre le<br />

quartier de Botafogo et de Copacabana.<br />

On peut imaginer que durant son parcours à pied cet homme se tourne davantage<br />

vers le panorama qu’offre l’océan et le relief du Pain de sucre que vers la ville.<br />

Les quatre dessins qui viennent d’être interprétés fournissent de nouveaux<br />

éléments de réflexion, tant au niveau de la structuration du déplacement qu’au niveau<br />

du vécu qui semble fortement influencé par les motivations, notamment dans le cas de<br />

la carte n°13 où le sujet compose plus avec le temps qu’avec l’espace. Les personnes<br />

interrogées à l’Alliance française ne se représentent pas dans l’espace qu’elles<br />

parcourent. Il existe aussi une simplification des représentations chez de nombreux<br />

adultes qui ont du mal à exprimer leurs représentations par le biais du dessin. Souvent,<br />

ils utilisent une sorte de schéma pour formaliser leur parcours. Les éléments de repères<br />

sont variables suivant les personnes allant d’un monument, à la plage, au pain de Sucre,<br />

au shopping center, à la gare… Il n’y a pas de récurrence aussi significative que dans le<br />

229


cas d’Anchieta ou Barra da Tijuca. Ce qui reste identique dans le rendu des différentes<br />

cartes schématiques analysées chez les collégiens et les personnes adhérents à l’alliance<br />

française c’est la différence d’expérience déterminée par le mode de déplacement. Car,<br />

les représentations spatiales dépendent étroitement du moyen de transport utilisé, en ce<br />

que l’espace perçu dépend en partie de la vitesse du déplacement et de son<br />

implication 343 .<br />

Globalement, les cartes schématiques spontanées ne nous autorisent pas, à elles<br />

seules, à révéler la totalité et les subtilités de l’expérience durant le déplacement. La<br />

comparaison de l’analyse qui vient d’être effectuée avec l’interprétation statistique des<br />

questionnaires devrait permettre une meilleure lecture des marqueurs de cette<br />

expérience. L’Analyse Factorielle des Correspondances (AFC) va nous permettre de<br />

déterminer des tendances au niveau des comportements relatifs à l’expérience du<br />

déplacement.<br />

230<br />

8.5- Distinguer des comportements à partir de l’Analyse<br />

Factorielle des Correspondances<br />

L’Analyse des Correspondances a été développée par J.-P. Benzécri 344 , elle<br />

repose sur les mêmes principes que ceux de l’analyse en composantes principales qui :<br />

« consiste en la recherche d’une hiérarchisation de l’information contenue dans un<br />

tableau de données par le calcul des allongements successifs d’un nuage de points » 345 .<br />

La spécificité de l’AFC réside dans la nature de l’information traitée, afin « de<br />

permettre le traitement de variables qualitatives et de mettre en évidence des structures<br />

qui ne sont pas nécessairement linéaires » 346 . L’Analyse Factorielle des<br />

Correspondances nous a paru primordial pour souligner l’existence de structures et de<br />

tendances au niveau de l’expérience du déplacement des personnes interrogées.<br />

L’objectif que nous nous sommes fixés, consiste à regrouper les individus de la<br />

population étudiée en fonction de leur ressemblance par rapport à un ensemble de<br />

critères. Seules quelques variables parmi celles présentent dans notre questionnaire ont<br />

343<br />

Paul VIRILIO. "Logistique de la perception ». Paris : L’Etoile, 1984.<br />

344<br />

J.-P. BENZECRI. L’analyse des données. Paris : Dunod, 1973.<br />

345<br />

Lena SANDERS. L’analyse statistique des données en géographie. <strong>Mo</strong>ntpellier : G.I.P. Reclus, 1989.<br />

p. 83.<br />

346<br />

Ibid. p. 83


été exploitées afin d’obtenir une Analyse Factorielle des Correspondances lisible.<br />

Effectivement, quelques questions ont apporté des réponses similaires 347 .<br />

Trois types de critères ont été définis:<br />

- ceux relatifs aux caractéristiques socio-démographiques des enquêtés, à savoir :<br />

l’âge, le sexe, s’ils se déplacent seuls ou avec leurs parents…, leur quartier<br />

d’habitation ;<br />

- ceux relatifs à leurs pratiques quotidiennes de déplacements : moyen de<br />

locomotion, durée du trajet ;<br />

- ceux relatifs au vécu du déplacement : à savoir si leurs parents leurs font des<br />

recommandations, s’ils ont peur durant leur parcours, si oui de quoi, de qui…<br />

Cet ensemble d’information est alors transcrit dans un tableau booléen qui est<br />

une matrice constituée de deux codes 0 ou 1. Les 1 signifient que l’individu valide la<br />

modalité d’une question, les 0 non. Dans notre cas, nous avons 67 individus et 8<br />

variables (ou p=8) représentant en tout 33 modalités. L’Analyse Factorielle des<br />

Correspondances permet de réduire le nombre de dimensions initiales (n individus et m<br />

modalités) en dégageant des axes principaux qui définissent un espace de synthèse où<br />

variables et individus ont la même représentation. Généralement trois axes suffisent à<br />

exprimer la quasi-totalité de l’inertie initiale. La proximité des points les uns par rapport<br />

aux autres et la forme du nuage dans l’espace factoriel renseignent sur l’organisation<br />

des données. L’interprétation thématique des axes permet ainsi de dégager les structures<br />

fortes qui sous-tendent la distribution des données.<br />

Le but de l’Analyse Factorielle des Correspondances est de réduire à quelques<br />

composantes, généralement trois, la dimension de l’espace initial de représentation des<br />

données tout en perdant le moins possible d’informations. Dans notre cas, nous avons<br />

utilisé la représentation graphique dans un espace à p=2 dimensions ainsi qu’avec p=3<br />

dimensions afin d’affiner l’analyse. Lors de l’interprétation de l’AFC, nous avons<br />

remarqué que le nuage de points avait une forme caractéristique qui permettait de<br />

dégager des groupes d’individus.<br />

Les résultats doivent être interprétés avec précaution. Concrètement,<br />

l’interprétation repose sur quelques principes :<br />

347 Comme celles-ci : qu’elles sont les choses que vous n’aimez pas sur votre parcours ? Et quelles sont<br />

les choses que vous évitez sur votre parcours ?<br />

231


- deux points proches signifie qu’ils entretiennent un lien étroit : deux individus<br />

côte à côte ont le même profil ; deux variables voisines définissent les mêmes<br />

individus ; une variable proche d’un individu signifie que celui-ci enregistre un fort<br />

score pour la variable en question ;<br />

- on accorde plus de sens aux points situés aux extrémités des axes.<br />

Une fois arrêtée la lecture graphique de l’espace factoriel il convient d’introduire<br />

la connaissance thématique que l’on a afin de définir la signification des axes.<br />

232<br />

8.5.1- AFC sur l’enquête réalisée auprès des collégiens<br />

C’est en tenant compte des différents axes (axe 1, axe 2 et axe 3) que nous allons<br />

mener notre analyse.<br />

+âgé<br />

sup 60 min<br />

sup 16<br />

structuration par l’âge<br />

31-60 min<br />

mode déplacement motorisé<br />

autre chemin<br />

barra barra<br />

voiture voiture<br />

dieu dieu protège protège<br />

lieux autobus<br />

lieux<br />

pas<br />

pas<br />

interdits<br />

autobus<br />

interdits<br />

seul seul<br />

14-16<br />

pas peur<br />

14-16<br />

parents<br />

ipanema<br />

fille<br />

rue sombre<br />

garçon<br />

inf15 min<br />

inf 13<br />

bar maison jeux<br />

favelas<br />

point drogue<br />

ami<br />

16-30 min shopping<br />

rue ruedanger danger<br />

pied-bus<br />

pied pied<br />

anchieta<br />

frère<br />

vendeur drogue<br />

vendeur drogue<br />

circulation<br />

mode déplacement doux<br />

gens rue<br />

Figure 42- Structuration d’ordre évidente, par l’âge, de l’Axe 1<br />

Ce graphique montre que l’Axe1 (en abscisse) semble à l’évidence ordonner les<br />

données selon une structure liée à l’âge 348 . Ceci correspond parfaitement à l’existence<br />

de niveaux de représentations intimement liés aux expériences acquises. Les adolescents<br />

348 les trois points étant ordonnés suivant l’axe des abscisses, de droite à gauche, du plus jeune au plus âgé<br />

jeune


les plus jeunes (moins de 13 ans) n’ont pas les mêmes préoccupations ou motivations<br />

que ceux âgés de plus de 16 ans. Les représentations des élèves interrogés s’organisent<br />

donc à partir de la variable âge.<br />

L’axe 2 quant à lui, structure les modes de déplacement entre ceux que nous<br />

qualifions de modes de déplacement doux (déplacement à « pied « ou déplacement<br />

partagé entre à « pied et autobus »), et ceux que nous appelons modes de déplacement<br />

motorisés (« autobus » et « voiture »). Deux catégories de population 349 se distinguent<br />

en relation au mode de déplacement. Une interprétation plus fine du graphique<br />

permettra de repérer l’influence de cette variable dans la détermination de<br />

comportements et d’expérience.<br />

349 Il existe surtout une séparation entre les élèves habitant à Barra da Tijuca (quartier sécurisé où domine<br />

l’usage de l’automobile) et ceux demeurant dans d’autres quartiers.<br />

233


234<br />

+ âgé<br />

sup 60 min<br />

sup 16<br />

insécurité liée à quartier sécurisé<br />

31-60 min<br />

mode déplacement motorisé<br />

autre chemin<br />

barra barra<br />

voiture voiture<br />

dieu dieu protège protège<br />

lieux autobus<br />

lieux<br />

pas<br />

pas<br />

interdits<br />

autobus<br />

interdits<br />

seul seul<br />

14-16<br />

pas peur<br />

14-16<br />

parents<br />

ipanema<br />

fille<br />

rue sombre<br />

garçon<br />

inf15 min<br />

inf 13<br />

bar maison jeux<br />

favelas<br />

point drogue<br />

ami<br />

16-30 min shopping<br />

rue ruedanger danger<br />

pied-bus<br />

pied pied<br />

anchieta<br />

frère<br />

vendeur drogue<br />

vendeur drogue<br />

circulation<br />

mode déplacement doux<br />

gens rue<br />

Figure 43- Barra da Tijuca un quartier sécurisé en lutte perpétuelle contre<br />

l’insécurité<br />

Trois points, éloignés du centre, nous intéressent tout particulièrement. Tout<br />

d’abord, parce qu’ils correspondent, par rapport à leur éloignement du centre de gravité,<br />

à des variables dont le sens est important. Ensuite, parce qu’il s’agit de la mise en<br />

relation de variables qui donnent un sens évident à l’existence d’un type de<br />

comportement : celui des collégiens de Barra da Tijuca. Ces derniers ont une<br />

représentation de l’espace très structurée par le mode de déplacement qui n’est autre que<br />

la « voiture » et par la peur exprimée des « gens de la rue. La proximité de la modalité<br />

« parents », relative à l’accompagnement des élèves, suggère l’influence des parents<br />

dans l’expérience de la peur, ici relative aux « gens de la rue ».<br />

jeune


+âgé<br />

sup 60 min<br />

sup 16<br />

insécurité liée à quartier sécurisé<br />

insécurité forte et vécue<br />

31-60 min<br />

Figure 44- Anchieta ou l’expérience de l’insécurité<br />

Ce deuxième groupe de variables moins éloigné du centre de gravité reste<br />

particulièrement représentatif des comportements adoptés par les collégiens d’Anchieta.<br />

La présence au cœur de ce noyau des modes de déplacement caractérisés comme étant<br />

doux rappelle qu’il s’agit de personnes qui vivent au quotidien un déplacement en<br />

contact direct avec l’espace qui les entoure. C’est pourquoi les parents leur<br />

recommandent d’éviter les rues qualifiées de « dangereuses ».<br />

Compte tenu que leur parcours est vécu avec un sentiment de peur lié à la<br />

« circulation » ainsi qu’à la présence de « vendeurs de drogue », la première crainte est<br />

facilement compréhensible puisque ces derniers se déplacent pour la plupart à « pied »,<br />

en contact direct avec les voitures, des autobus qui circulent vite et surtout sans<br />

véritable règle. La seconde crainte est liée à un véritable système établi au cœur de<br />

certains quartiers 350 qui oblige la population à composer avec l’insécurité liée à la<br />

« vente de drogue ». Les vendeurs autant que les clients représentent un véritable danger<br />

suivant leur état d’esprit ou plutôt de manque. L’insécurité semble faire partie du<br />

350 surtout les favelas et les quartiers populaires<br />

mode déplacement motorisé<br />

barra barra<br />

voiture voiture<br />

autre chemin<br />

dieu dieu protège protège<br />

lieux pas interdits autobus autobus<br />

lieux pas interdits<br />

seul seul<br />

14-16<br />

pas peur<br />

14-16<br />

parents<br />

ipanema<br />

fille<br />

rue sombre<br />

garçon<br />

inf15 min<br />

inf 13<br />

bar maison jeux<br />

favelas<br />

point drogue<br />

ami<br />

16-30 min shopping<br />

rue ruedanger danger<br />

pied-bus<br />

pied pied<br />

anchieta<br />

frère<br />

vendeur drogue<br />

vendeur drogue circulation<br />

mode déplacement doux<br />

gens rue<br />

jeune<br />

235


quotidien des collégiens d’Anchieta, voire même de l’ensemble de la population de ce<br />

quartier.<br />

236<br />

31-60 min<br />

mode déplacement motorisé<br />

Figure 45- Des collégiens protégés par Dieu<br />

barra barra<br />

voiture voiture<br />

autre chemin<br />

dieu dieu protège protège<br />

lieux autobus<br />

lieux<br />

pas<br />

pas<br />

interdits<br />

autobus<br />

interdits<br />

seul seul<br />

14-16<br />

pas peur<br />

parents<br />

+âgé<br />

sup 60 min<br />

ipanema<br />

14-16<br />

fille<br />

rue sombre<br />

garçon<br />

inf15 min<br />

inf 13<br />

bar maison jeux<br />

favelas<br />

point drogue<br />

ami<br />

16-30 min shopping<br />

sup 16<br />

rue ruedanger danger<br />

pied-bus<br />

pied pied<br />

anchieta<br />

frère<br />

vendeur drogue<br />

structuration par l’âge<br />

insécurité liée à quartier sécurisé<br />

vendeur drogue<br />

circulation<br />

insécurité forte et vécue<br />

insécurité peu ressentie<br />

mode déplacement doux<br />

gens rue<br />

Alors que ce groupe est plus proche du centre de gravité, il est pertinent de<br />

l’analyser, surtout au regard de la permanence de certaines relations dans les graphiques<br />

suivants. Il s’agit d’un groupe structuré autour de la modalité « dieu protège » qui<br />

constitue une réponse à la question : existe-il durant votre parcours des choses qui vous<br />

font peur ? les personnes répondaient soit « Dieu me protège » soit « je marche avec<br />

Dieu »… Elles s’associent ainsi aux personnes qui disent ne pas avoir peur et dont les<br />

parents n’interdisent pas l’accès à un lieu particulier. La modalité « seul » précise que<br />

ces personnes se déplacent « seules » et en « autobus ». Il s’agit des collégiens qui ont<br />

entre « 14 et 16 ans ». A la différence des deux autres cas que nous avons pu observer,<br />

celui-ci n’est pas associé à un quartier, il peut donc concerner des élèves des trois<br />

collèges. L’importance de la modalité « Dieu me protège » justifie la forte présence des<br />

églises comme points de repère dans les cartes schématiques spontanées, voire parfois<br />

jeune


comme élément central du dessin. N’oublions pas que le Brésil est donné, par certaines<br />

statistiques, comme le pays le plus catholique du monde.<br />

+âgé<br />

rue sombre<br />

frère-soeur<br />

voiture<br />

Figure 46- Une structuration possible en relation au sentiment de peur<br />

Dans cet autre graphique, qui met en relation l’axe 1 et l’axe 3, est visible à<br />

nouveau que l’axe 1 semble ordonner les données selon une structure liée à l’âge. Le<br />

seul complément qu’apporte l’axe 3 est une légère structuration qui semble s’établir à<br />

partir du sentiment de peur le long de cet axe. Il est difficile de déterminer une échelle<br />

d’importance du sentiment de peur. Néanmoins, certaines modalités relatives à un tel<br />

sentiment de peur comme la « circulation », les « vendeurs de drogue », « dieu<br />

protège », gardent la même structuration que dans le premier graphique qui met en<br />

relation l’axe 1 et l’axe2. la modalité « voiture », elle aussi, reste toujours au même<br />

endroit, éloignée du centre de gravité.<br />

fille<br />

rues dangereuses<br />

>16 ans<br />

31-60 min<br />

favelas<br />

dieu protège<br />

autobus<br />

pied-bus<br />

16-30 min<br />

parents<br />

barra


238<br />

frère-soeur<br />

rue sombre<br />

rues dangereuses<br />

>60 min<br />

fille<br />

Axe2/ Axe3<br />

favelas 16-30 min<br />

16ans<br />

anchieta<br />

<strong>Mo</strong>de de déplacement motorisé<br />

<strong>Mo</strong>de de déplacement doux<br />

vendeur drogue<br />

pied<br />

ami<br />

ipanema<br />

gens rue<br />

14à16 ans<br />

autre chemin<br />

seul lieux pas interdits<br />


8.5.2- Analyse Factorielle des Correspondances : à partir de<br />

l’enquête réalisée auprès de l’Alliance française<br />

A la lecture du graphique ci-dessous, nous avons pu repérer l’existence de<br />

modalités atypiques qui rendent difficile l’analyse. Ceci est lié à la faible représentation<br />

de ces modalités dans la population étudiée qui concernent des variables importantes,<br />

comme le mode de déplacement et la variable liée au sentiment d’insécurité. Nous ne<br />

pouvons les retirer sans entraîner une perte de cohérence dans l’analyse de l’AFC. C’est<br />

pourquoi nous avons choisi de ne pas continuer l’analyse qui aurait été sans intérêt étant<br />

donné l’absence des variables les plus importantes.<br />

autre chemin<br />

pas évités<br />

vendeur drogue<br />

pied-métro<br />

60 min<br />

homme autre<br />

ipanema<br />

pied-bus<br />

40à49ans<br />

cadre<br />

botafogo<br />

iraja<br />

30à39ans<br />

larenjeiras<br />

20à29ans<br />

pas peur<br />

atypiques<br />

prof-inter<br />


Pour conclure sur l’Analyse Factorielle des Correspondances effectuée sur la<br />

population des collégiens, il est important de rappeler les structurations et les typologies<br />

que cette dernière a permis de révéler.<br />

-Les structurations se sont surtout organisées autour de deux axes : l’axe<br />

1 qui proposait une structuration d’ordre évidente à partir de la variable âge et l’axe 2<br />

qui déterminait une opposition entre les modes de déplacements doux et les modes de<br />

déplacements motorisés. La structuration par âge, qui vient d’être révélée, peut<br />

s’expliquer par l’évolution des représentations mentales chez l’enfant 351 qui évoluent<br />

avec l’âge. Quant à la structuration qui semble se dessiner sur l’axe 3 par rapport aux<br />

modalités relatives au sentiment de peur, l’organisation est moins évidente.<br />

- Les tendances au niveau des comportements qui ont été mis en évidence<br />

par l’Analyse Factorielle des Correspondances sont de trois sortes :<br />

I. Le premier groupe de modalités qui s’est imposé sur le<br />

graphique concerne les élèves du collège MV1 de Barra da Tijuca qui révèle des<br />

logiques de fonctionnement fondées sur l’utilisation de la voiture comme mode de<br />

déplacement privilégié, même sur de courtes distances, ceci pouvant s’expliquer par un<br />

fort sentiment d’insécurité vis-à-vis des gens de la rue, ce qui explique la création de ces<br />

quartiers sécurisés qui établissent une frontière avec le monde extérieur. L’expérience<br />

du déplacement reste alors passive et sécurisée.<br />

II. Le deuxième groupe se structure aussi à partir du quartier<br />

d’appartenance du collège, il s’agit d’Anchieta où, à la différence de Barra da Tijuca,<br />

les élèves se déplacent surtout en utilisant des modes doux comme la marche à pied qui<br />

parfois se combine avec l’autobus, suivant les distances. La proximité des voitures et<br />

des autobus durant le déplacement rend vulnérables les piétons, ce qui explique leurs<br />

craintes vis-à-vis de la circulation. De la même façon, leur statut de piéton les place en<br />

contact direct avec les vendeurs et consommateurs de drogue qui souvent représentent<br />

de véritables dangers. Autre élément structurant, la présence du frère ou de la sœur,<br />

durant les déplacements, révèle une stratégie dans le déplacement qui consiste à le<br />

sécuriser par la présence d’un membre de la famille. En comparant ces résultats à ceux<br />

des « cartes schématiques spontanées », l’expérience du déplacement paraîtra plus<br />

claire.<br />

351<br />

Voir l’idée de stade développée par Piaget. Jean PIAGET. Représentation de l’espace chez l’enfant.<br />

Paris : PUF, 1948.<br />

240


III. Enfin, une dernière tendance, moins avérée que les deux<br />

autres, propose une structuration qui combine la modalité « Dieu me protège » à un<br />

sentiment de peur refoulé, à une absence d’interdits dans lequel l’élève, âgé entre 14 et<br />

16 ans, évolue seul le plus souvent en autobus. Il s’agit d’un groupe de population qui<br />

semble fortement influencé par sa croyance qui structure l’expérience du déplacement<br />

suivant le bon vouloir de Dieu. Une façon sans doute d’apprivoiser la peur dans un<br />

monde où l’insécurité domine.<br />

Les trois tendances de comportements qui viennent d’être exposés sont<br />

profondément influencés par le sentiment d’insécurité, qu’il soit vécu (dans le deuxième<br />

cas), combattu (premier cas) ou refoulé (troisième cas). L’insécurité paraît pour la<br />

majorité influencer la représentation et l’expérience du déplacement. La mise en relation<br />

de ces résultats à ceux obtenus par l’analyse des « cartes schématiques spontanées » va<br />

permettre d’identifier les marqueurs de l’itinéraire.<br />

8.6- Les marqueurs de l’itinéraire à l’épreuve de la<br />

métropole carioca<br />

Les différents résultats auxquels nous sommes parvenus par le biais de l’analyse<br />

des dessins schématiques et de l’AFC doivent être comparés afin de déterminer ce qui<br />

donne sens à l’expérience du déplacement à Rio. L’analyse des cartes schématiques<br />

spontanées permettra de faire le lien entre les comportements et les représentations des<br />

personnes interrogées.<br />

8.6.1- Le mode de déplacement au fondement de l’expérience<br />

La structuration relative aux modes de déplacements est particulièrement<br />

présente à la fois dans l’AFC et dans l’analyse des cartes schématiques. Les élèves qui<br />

effectuent leurs parcours à pied développent une expérience du déplacement largement<br />

influencée par l’environnement dans lequel la personne évolue. Le corps qui évolue par<br />

le biais de la marche ne possède que sa propre enveloppe charnelle comme protection.<br />

241


Les représentations spatiales sont dans ce cas très détaillées par rapport à une personne<br />

qui se déplace en bus ou en voiture. Par exemple, certains élèves ont soigneusement<br />

dessiné les passages piétonniers qu’ils empruntent, les feux de signalisation… Ces<br />

détails prouvent à quel point ces personnes s’imprègnent de l’espace qu’elles<br />

parcourent. La concentration que nécessite ce type de déplacement influe sur la richesse<br />

des représentations du parcours. Ce constat confirme l’importance des modes doux dans<br />

l’appréhension d’un espace dans sa globalité.<br />

242<br />

8.6.2- L’insécurité comme marqueur de l’itinéraire du déplacement<br />

L’Analyse Factorielle des Correspondances révèle à plusieurs reprises<br />

l’importance de l’insécurité dans la structuration des comportements et de l’expérience.<br />

Que ce soit dans le cas des collégiens de Barra da Tijuca qui sont sensibles au danger lié<br />

aux gens de la rue ou les élèves du collège d’Anchieta qui effectuent leur parcours à<br />

pied dans la crainte de l’accident ou de l’agression d’un junkie, le sentiment<br />

d’insécurité 352 est omniprésent et organise les comportements et les représentations. La<br />

lecture des dessins schématiques ne permet pas de repérer l’influence de l’insécurité<br />

dans les représentations, sauf lorsqu’il s’agit d’une insécurité fondée sur la circulation<br />

routière, puisque certains ont pris soin de dessiner les passages piétonniers qu’ils<br />

empruntent. D’autres, issus des favelas, ont soigneusement représentés les points de<br />

vente de drogue qui constituent de véritables dangers. Néanmoins, le seul recours aux<br />

cartes réalisées schématiquement ne suffirait pas à révéler ces sentiments de peur ni<br />

d’insécurité, l’utilisation du questionnaire est nécessaire pour mener une analyse<br />

complète des représentations. L’insécurité en tant que marqueur de l’itinéraire semble<br />

pertinente en fonction des résultats de l’AFC, mais cela reste flou voire indéterminé au<br />

niveau des cartes schématiques spontanées. Une limite apparaît dans cette méthode pour<br />

appréhender les marqueurs fortement liés au vécu, à la sensibilité du sujet. Une<br />

approche qui permettrait de recueillir l’expérience en temps réel et non a posteriori à<br />

partir de représentations qui entraînent forcément une perte d’information, doit être<br />

352 Jean-François Augoyard a justement travaillé sur les facteurs sensoriels du sentiment d’insécurité dont<br />

la lumière et le bruit représentent les facteurs essentiels. Cela confirme l’importance, par exemple, du<br />

sentiment d’insécurité associé à la présence de rues sombres. AUGOYARD Jean-François et LEROUX<br />

Martine. Les facteurs sensoriels du sentiment d’insécurité. La ville inquiète : habitat et sentiment<br />

d’insécurité, sous la direction de BERNARD Yvonne et SEGAUD Marion. La Garenne-Colombes :<br />

Editions de l’Espace Européen, 1991. p.34.


exploitée. Nous verrons dans la troisième partie comment l’expérience de terrain à Rio<br />

de Janeiro a permis une remise en question de la méthode.<br />

8.6.3déplacement<br />

La religion marqueur permanent de l’expérience du<br />

Enfin, un élément perdure, depuis l’analyse des chemins de Saint-Jacques-de-<br />

Compostelle en passant par les adeptes du candomblé à Rio, il s’agit de la religion.<br />

Alors que Rio de Janeiro défend ses atouts modernistes, un regain de tradition demeure,<br />

voire même s’amplifie à travers une forte adhésion aux cultes religieux aussi divers que<br />

le catholicisme, le protestantisme, la religion candomblé, la « nouvelle église », les<br />

kardécistes… La lecture des dessins schématiques ainsi que l’AFC confirme ce constat.<br />

La présence quasi spontanée d’une ou plusieurs églises dans les dessins confirme ce<br />

phénomène. Certains élèves ont d’ailleurs privilégié cet élément dans leurs<br />

représentations, en positionnant une église au centre comme élément structurant.<br />

D’autres ont affiné la représentation de ces édifices religieux, en précisant leur nom, en<br />

dessinant des détails de la façade… Certains éléments comme la présence de cœur sur la<br />

façade prouve à quel point il s’agit d’un lieu qu’on affectionne. Le collège d’Anchieta<br />

est celui où l’aspect religieux est le plus présent, voire structurant, dans les<br />

représentations, et ceci peut s’expliquer par la montée en puissance dans ce quartier de<br />

la « nouvelle église » qui construit des lieux de prière quasiment dans chaque grande rue<br />

du quartier.<br />

L’Analyse Factorielle des Correspondances traduit un autre aspect de la<br />

prépondérance du religieux dans l’expérience du déplacement, qui n’est autre que le<br />

soutien que celui-ci apporte aux « élèves croyants » durant leurs déplacements. Ces<br />

derniers prétendent qu’ils ne craignent rien étant donné que Dieu les protège. Ainsi, une<br />

catégorie d’individus se distingue dans ses représentations et ses comportements vis-àvis<br />

des déplacements. Ces derniers semblent refouler leur peur en justifiant que Dieu les<br />

protège, qu’aucun lieu ne leur est interdit, vu que Dieu marche avec eux…<br />

La religion représente à nouveau un marqueur de l’itinéraire, tant au niveau de la<br />

structuration des représentations spatiales du déplacement qu’au niveau du ressenti.<br />

243


Conclusion<br />

La présence forte, voire extrême, de certaines structures (fragmentation sociospatiale)<br />

et composantes (insécurité et religion) au cœur même de la ville de Rio, nous<br />

a permis d’identifier et mettre en valeur l’existence de marqueurs de l’itinéraire<br />

difficilement localisables dans d’autres agglomérations.<br />

En premier lieu, nous avons remarqué l’importance du mode de déplacement<br />

quant à l’expérience du mouvement. En effet, les personnes réalisant leurs parcours par<br />

le biais de la marche développent une expérience pleine, vu qu’elles s’imprègnent de<br />

l’espace qu’elles parcourent. Le fait de solliciter le corps durant le déplacement facilite<br />

l’appropriation des lieux traversés. Alors que la passivité du corps durant les<br />

déplacements en autobus, en voiture… déconnecte le sujet avec l’espace qu’il parcourt.<br />

S’opère ainsi une perte de contact avec le corps et l’espace. Les distances se réduisant,<br />

elles entraînent une implication moindre du sujet durant le parcours à tel point que ce<br />

dernier semble coupé du monde.<br />

En second lieu, nous avons pu identifier l’insécurité comme marqueur<br />

del’itinéraire. C’est à partir de l’AFC que le sentiment d’insécurité s’est imposé comme<br />

élément structurant de l’approche sensible de l’espace. Différents comportements<br />

semblent se mettre en place pour sécuriser le déplacement. L’expérience des personnes<br />

interrogées est systématiquement influencée par le sentiment d’insécurité. L’itinéraire<br />

s’organise ainsi dans une dynamique favorisant la sécurité du déplacement, que ce soit à<br />

pied ou en voiture...<br />

Enfin, le marqueur religieux déjà révélé à la fois par l’analyse du pèlerinage à<br />

Saint-Jacques et par l’étude de l’impact de la religion candomblé à Rio, se confirme<br />

dans l’analyse des cartes schématiques spontanées. Certains parcours sont quasiment<br />

représentés avec pour seuls éléments de repères les églises. L’évolution dans certains<br />

quartiers, comme celui d’Anchieta, de groupes religieux tel que celui de la « nouvelle<br />

église » entraîne une appropriation de l’espace, tant les lieux de cultes se multiplient<br />

dans ces secteurs.<br />

Dans ce contexte, comment l’aménagement de l’espace urbain s’organise-t-il ?<br />

Quelles vont être les règles qui vont orienter l’aménagement ? Face à l’insécurité<br />

grandissante, la tâche des aménageurs dépasse parfois leurs compétences. Sécuriser un<br />

espace public ouvert à tous semble un projet perdu d’avance. Quelques actions ont<br />

244


néanmoins été menées au niveau de l’espace public pour répondre aux attentes des<br />

citadins. Par exemple, le projet « Rio Cidade » inspiré de l’expérience barcelonaise,<br />

initie une réflexion sur l’espace public en matière d’agencement et de valorisation du<br />

mobilier urbain, sans oublier l’intégration d’œuvres d’art au cœur de l’espace public.<br />

Malgré la réalisation d’espaces de loisirs comme des tables de jeux, ces installations se<br />

trouvent rapidement désertées par la population locale, les « gens de la rue » y prenant<br />

brusquement résidence.<br />

Il est difficile de rencontrer à Rio une place, un square, des trottoirs qui ne sont<br />

pas utilisés comme espace de vie par les gens sans domicile. Cette appropriation de<br />

l’espace public ne facilite pas l’accès du citadin à des espaces de convivialité,<br />

l’obligeant même à éviter ces lieux devenus insalubres et parfois dangereux.<br />

Malgré un réel effort en terme d’aménagement, l’insécurité bouleverse les<br />

déplacements qui s’imprègnent d’un fort sentiment de peur limitant l’accès à l’espace<br />

public. Ce dernier devient rapidement le lieu de vie des « gens de la rue » voire des<br />

« enfants de la rue ». Tout ceci explique la forte influence du « marqueur insécurité »<br />

dans la construction de l’itinéraire. Les urbanistes peuvent-ils encore intervenir dans<br />

une atmosphère où l’insécurité domine ?<br />

La gravité de la situation à Rio de Janeiro nous a permis de repérer l’existence<br />

de marqueurs très forts tels que l’insécurité et le religieux qui parfois interagissent dans<br />

un contexte de violence urbaine que nous pouvons qualifier d’extrême. En quelque<br />

sorte, le travail mené à Rio de Janeiro constitue une sorte de miroir grossissant<br />

permettant de repérer l’existence de marqueurs forts pour à présent les analyser dans des<br />

villes où le contexte social et politique… est plus équilibré.<br />

Pour terminer, même si l’utilisation des cartes schématiques spontanées et de<br />

l’Analyse Factorielle des Correspondances nous a permis de repérer quelques<br />

marqueurs révélateurs de l’existence d’itinéraires, les informations obtenues demeurent<br />

souvent limitées en ce qui concerne l’expérience. Les éléments relatifs à l’organisation<br />

du déplacement dominent, laissant alors peu de place à la dimension sensible du<br />

parcours. Nous touchons là aux limites d’une méthode reposant sur le dessin fait par les<br />

personnes enquêtées. A ce point, il faut se tourner vers une autre méthode pour<br />

approfondir la dimension de l’expérience du déplacement.<br />

245


246


Conclusion de la seconde partie<br />

Cette seconde partie, centrée sur l’expérience du mouvement du sujet dans<br />

différents contextes, nous a permis de vérifier la cohérence du concept d’itinéraire au<br />

regard des différents résultats obtenus :<br />

- Tout d’abord, l’approche de l’expérience du pèlerin, à travers ce que<br />

nous avons qualifié de quintessence de l’itinéraire, nous a permis de confirmer<br />

l’importance d’une approche de l’expérience du mouvement par le biais de la marche<br />

comme expérience pleine.<br />

Puis, la lecture des différents entretiens nous a éclairé sur l’importance de la<br />

démarche, des motivations dans l’expérience du pèlerinage. L’itinéraire pouvant ainsi<br />

s’apparenter, suivant les attentes, soit à un itinéraire religieux, dans lequel une réelle<br />

implication du croyant est présente dans un environnement empreint de religiosité ; soit<br />

à un itinéraire sportif où le tracé et la morphologie organisent la progression ; soit à un<br />

itinéraire introspectif qui au fur et à mesure du temps devient un itinéraire d’ouverture<br />

au monde, le pèlerin en quête de réponses existentielles opérant un retour sur lui-même<br />

qui impose une ouverture au monde, notamment par le biais de son corps qu’il<br />

redécouvre.<br />

Les différents itinéraires que nous avons pu repérer nous ont permis d’identifier<br />

les éléments donnant sens à ce dernier, qualifiés de marqueurs de l’itinéraire, allant du<br />

marqueur religieux (à la fois sous forme matérielle et existentielle) au marqueur<br />

corporel, fortement présent dans l’itinéraire introspectif, tant le pèlerin devient réceptif à<br />

tout ce qui l’entoure.<br />

Pour terminer, une autre constatation apparaît : l’itinéraire semble conditionner<br />

en partie le rapport des pèlerins aux lieux. D’une part, il organise la progression dans le<br />

temps et l’espace à partir des étapes, d’autre part, son tracé limite la zone à parcourir et<br />

les lieux à traverser.<br />

- Ensuite, la nécessité de travailler sur des expériences du mouvement<br />

dans des espaces différents nous a amené à nous intéresser à l’espace urbain, dans l’idée<br />

de déplacements quotidiens. Celui-ci permettant de dépasser une approche linéaire et<br />

exceptionnelle de l’espace comme nous venons l’avons abordé avec le pèlerinage à<br />

Saint-Jacques-de-Compostelle.<br />

247


- La richesse du contexte de la métropole carioca, où modernité et<br />

tradition se côtoient, a ouvert notre analyse sur de nouvelles réflexions. Celles-ci ont<br />

permis de nous interroger sur les incidences de la fragmentation socio-spatiale et de<br />

l’insécurité au niveau de l’expérience du déplacement (chapitre 8), tout en cherchant<br />

d’autres éléments susceptibles d’influencer l’existence d’itinéraires particuliers.<br />

Notamment, dans le chapitre 7, où nous avons pu déterminer<br />

l’impact de la religion candomblé sur le choix des itinéraires, fortement empreints de<br />

religiosité, voire même ritualisés. Les caractéristiques de la ville de Rio de Janeiro<br />

offrent un milieu propice au développement de cette religion, organisée autour des<br />

éléments naturels nécessaires à l’accomplissement des différents rituels.<br />

Ensuite, dans le chapitre 8, une approche, plus globale, de<br />

l’expérience des déplacements, effectuée dans trois collèges et un établissement de<br />

l’Alliance française situés dans différents secteurs de la ville de Rio, nous ont permis de<br />

repérer, d’une part, de quelle façon se structuraient les déplacements, et d’autre part, de<br />

déterminer l’existence de marqueurs de l’itinéraire. L’analyse de cartes schématiques<br />

spontanées et l’analyse factorielle des correspondances nous ont permis de révéler<br />

l’existence de deux types de marqueurs de l’itinéraire : ceux liés à la religion et ceux<br />

liés à l’insécurité. L’analyse des cartes schématiques, nous a permis de conforter<br />

l’importance des déplacements effectués à pied, propices au développement d’une<br />

expérience pleine du mouvement.<br />

Enfin, l’insécurité omniprésente dans les rues de Rio de Janeiro constitue un<br />

véritable frein à l’aménagement de l’espace public. Malgré une réflexion, inspirée de<br />

l’expérience barcelonaise, en terme d’accessibilité de l’espace public, de mise en valeur<br />

du mobilier urbain et d’intégration de l’art comme élément unificateur, ces différentes<br />

actions ne semblent pas appropriées à une métropole où l’insécurité domine et perturbe<br />

les fondements même de l’espace public. Après avoir centré notre réflexion sur<br />

l’expérience du sujet, nous souhaitons observer ce qu’il en est en matière<br />

d’aménagement. Quels impacts celui-ci génère-t-il en effet dans l’existence<br />

d’itinéraires ? Quels sont les éléments de l’espace public qui vont conforter l’existence<br />

d’itinéraires ? Comment l’itinéraire, comme révélateur d’expérience, peut-il proposer<br />

aux urbanistes une nouvelle lecture de la ville ?<br />

248


Le contexte carioca, dominé par l’insécurité, ne permet pas de repérer le<br />

véritable impact des politiques menées par les urbanistes au niveau de l’espace public.<br />

En revanche, il a rendu possible la reconnaissance de marqueurs de l’itinéraire tels que<br />

l’insécurité et le religieux.<br />

Dans une réflexion centrée sur les problématiques liées aux déplacements, nous<br />

avons choisi de nous intéresser, plus particulièrement, à une ville souvent citée comme<br />

exemple en terme d’aménagement de l’espace public, notamment à Rio, il s’agit de<br />

Barcelone. Il conviendra de repérer, dans les différents projets portés par les urbanistes,<br />

les éléments susceptibles de conforter une approche en terme d’itinéraire. L’espace<br />

public barcelonais sera abordé à la fois comme exemple en matière d’aménagement<br />

mais aussi comme terrain d’expérimentation de la « méthode des itinéraires » en tant<br />

qu’outil révélateur de l’expérience du déplacement.<br />

249


250


Troisième partie - L’itinéraire à l’épreuve de<br />

la ville<br />

251


252


Introduction de la troisième partie<br />

Les différentes analyses qui ont été menées jusqu’à présent nous ont permis de<br />

repérer les éléments porteurs de sens de l’itinéraire, à savoir, les marqueurs de<br />

l’itinéraire. Ces derniers représentent des informations précieuses pour les urbanistes<br />

souhaitant aménager un espace public selon les aspirations du piéton. Dans cette<br />

optique, nous avons choisi au cours de cette dernière partie de nous intéresser tout<br />

particulièrement à l’apport de l’itinéraire dans une approche opérationnelle.<br />

Pour ce faire, nous avons eu recours à une méthode (chapitre 10) permettant le<br />

traitement de l’expérience du piéton en relation au mouvement. En effet, la méthode des<br />

itinéraires repose sur la mise en récit du déplacement en temps « réel », ce qui permet<br />

d’aborder au mieux l’expérience du mouvement. Cette méthode utilisée dans deux<br />

contextes urbains différents permettra à la fois de repérer la façon dont apparaît<br />

l’itinéraire ainsi que les potentialités et les dysfonctionnements des aménagements de<br />

l’espace public.<br />

Notre réflexion étant centrée sur les problématiques liées aux déplacements,<br />

nous avons choisi de nous intéresser, plus particulièrement, à une ville souvent citée<br />

comme exemple en termes d’aménagement de l’espace public : il s’agit de Barcelone.<br />

Cette dernière a fait l’objet d’une démarche d’aménagement volontaire très forte qui,<br />

dans les années 90, s’est particulièrement intéressée à l’aménagement de l’espace public<br />

en faveur des piétons.<br />

Ainsi, il s’agira de repérer (chapitre 9), dans les différents projets portés par les<br />

urbanistes, les éléments susceptibles de conforter une approche en matière d’itinéraire.<br />

L’espace public barcelonais sera abordé à la fois comme exemple en matière<br />

d’aménagement mais aussi comme terrain d’expérimentation de la méthode des<br />

itinéraires en tant qu’outil révélateur de l’expérience du déplacement. L’itinéraire,<br />

comme révélateur de l’expérience du piéton en mouvement, peut-il améliorer<br />

l’approche des urbanistes en termes d’espace public ?<br />

Enfin, après avoir testé la méthode des itinéraires dans une ville où les urbanistes<br />

ont longuement réfléchi à l’aménagement de l’espace public, nous souhaitons nous<br />

pencher sur un espace urbain marqué par le développement d’aménagements au « cas<br />

par cas » : la ville de Pau. Dans un espace où l’aménagement « au coup par coup » a<br />

souvent été de mise, quelle expérience les piétons développent-ils ? Comment<br />

l’itinéraire peut-il permettre de résoudre les dysfonctionnements de l’espace public<br />

253


palois en tenant compte de l’interaction entre la dimension subjective et la dimension de<br />

l’aménagement ? Sachant que la ville de Pau applique actuellement un PDU (chapitre<br />

11), quels sont les projets en cours relatifs aux déplacements piétonniers ? Quelle<br />

logique a été retenue pour aménager l’espace public en faveur des piétons ? La lecture<br />

du PDU et des différents projets et plans adoptés jusqu’à présent nous permettra de<br />

repérer les priorités en matière d’aménagement de la ville de Pau.<br />

Afin de cerner au plus près l’expérience des piétons, nous utiliserons à nouveau<br />

la méthode des itinéraires (chapitre 12) pour repérer ce qui détermine l’expérience du<br />

déplacement chez les personnes interrogées. Nous verrons pour terminer comment<br />

l’itinéraire peut intervenir pour proposer une nouvelle approche de la ville, dans<br />

l’optique de suggérer de nouvelles pistes de réflexion en terme d’aménagement<br />

piétonniers.<br />

254


Chapitre 9 : Barcelone, un exemple en matière<br />

d’aménagement de l’espace public<br />

Lorsque l’on fait référence à l’espace public, Barcelone est souvent citée comme<br />

un exemple réussi. De nombreuses villes (telles Rio de Janeiro, mais aussi Lyon et bien<br />

d’autres) s’inspirent de la capitale catalane pour proposer un espace public de qualité,<br />

respectueux des attentes du citadin.<br />

Pourquoi, dans notre cas, avoir choisi de nous référer à cette ville ? Barcelone<br />

mène depuis longtemps une politique favorable aux piétons, notamment à travers le<br />

développement des ramblas qui matérialisent la culture du paseo. Dans cette ville, où le<br />

piéton occupe une place centrale au cœur de l’espace public, quelle expérience du<br />

déplacement le piéton va-t-il pouvoir développer ? Ne s’agit-il pas d’un espace propice<br />

à l’utilisation de l’itinéraire comme outil de lecture de l’espace urbain ? Dans une ville<br />

comme Barcelone, où la relation entre l’aménagement et la valorisation des espaces<br />

piétonniers est particulièrement forte, une analyse des particularités de l’espace public<br />

nous permettra de tester l’efficacité du concept d’itinéraire afin de le rendre<br />

opérationnel dans des agglomérations problématiques en matière de déplacement.<br />

Afin de justifier notre choix, nous présenterons, pour commencer, les résultats<br />

d’observations relatifs à la place du piéton dans l’espace public barcelonais. Cette<br />

analyse sera complétée par les propos recueillis lors d’un entretien avec le responsable<br />

du projet urbain barcelonais 353 . Puis, nous analyserons l’importance de la culture du<br />

paseo, à travers le développement des ramblas. Nous chercherons à savoir comment<br />

cette forme particulière d’aménagement a vu le jour ; ensuite nous nous attarderons sur<br />

les fondements des politiques d’aménagement de l’espace public barcelonais. Enfin,<br />

nous verrons comment la culture du paseo a influencé et orienté l’aménagement de<br />

l’espace public. Comment le respect d’une culture a-t-il contribué à un espace public<br />

réussi ?<br />

353 Ignasi de Lecea, urbaniste à la direction du projet urbain de la ville de Barcelone.<br />

255


piéton<br />

256<br />

9.1- Un acteur privilégié de l’espace public barcelonais : le<br />

« Celui qui va à pied » 354 ,est particulièrement présent dans les rues de<br />

Barcelone. Les espaces qui lui sont réservés occupent une place considérable. Nous<br />

verrons à travers quelques photographies la position du piéton dans différents secteurs<br />

de l’espace public barcelonais, ainsi que la mise en scène de ce dernier par les<br />

urbanistes. En complément, un entretien réalisé avec le responsable du projet urbain,<br />

nous permettra de préciser la place du piéton dans les préoccupations des aménageurs.<br />

9.1.1- L’espace public barcelonais ou la culture du paseo<br />

Une des premières questions que nous nous sommes posée, en prenant contact<br />

avec l’espace public barcelonais, est la suivante : Qu’est-ce qui nous attire à<br />

Barcelone par rapport à l’idée d’expérience du déplacement? Les deux photographies<br />

qui vont suivre nous permettent d’étayer notre réflexion.<br />

Photographie 4- La Diagonale : un nouvel espace de déambulation.<br />

Septembre 2004.<br />

354<br />

Définition du mot piéton. p.2732. Dictionnaire historique de la langue française, Alain REY(dir.).<br />

Paris : dictionnaires Le Robert, 2000.


Cette première photographie a été réalisée sur le prolongement récent de la<br />

Diagonale vers la mer 355 il s’agit d’un large espace piétonnier central qui conserve la<br />

forme des ramblas 356 . Ce type d’aménagement est très présent à Barcelone : il s’agit<br />

d’une structure ancienne formée par tronçons à partir du XVIII ème siècle 357 .<br />

La Diagonale a été aménagée en tenant compte de la mise en service du<br />

tramway, qui circule sur les côtés extérieurs de la rambla, dans des zones de végétation.<br />

Mais l’organisation de cet espace met en évidence la particularité de l’espace public<br />

barcelonais qui place le piéton au centre de la zone de circulation. Les voitures circulent<br />

de chaque côté de cet espace et une frontière d’arbres semble marquer la limite avec<br />

l’espace piétonnier. Il s’agit d’un espace de vie quotidien pour les personnes demeurant<br />

dans ce quartier, espace qui permet une revalorisation d’une zone où les friches<br />

industrielles appartiennent au paysage. Beaucoup de personnes âgées résident aux<br />

abords de cette rambla. Cet aménagement offre un déplacement facilité dans un cadre<br />

agréable et sécurisé.<br />

Ce type d’aménagement se situe dans la continuité de la culture du paseo, fort<br />

répandue à Barcelone. Par exemple, comme nous le rappelle Ignasi de Lecea : « Les<br />

gens se promenaient beaucoup pour se mettre en scène au XIXème siècle. Les ramblas<br />

correspondaient à un lieu de promenade et de mise en scène, où les attitudes étaient<br />

codées. De nos jours, la mise en scène est toujours présente, néanmoins, le paseo est<br />

davantage lié à l’activité commerciale » 358 .<br />

L’image de la rambla est très présente chez les Barcelonais, dans la mesure où<br />

elle constitue une forme urbaine qui leur est propre. Elle renforce les particularismes de<br />

la culture barcelonaise, à tel point que certaines personnes utilisent le mot « ramblear »<br />

plutôt que « pasear » : le paseo correspond davantage à l’ensemble de l’Espagne, alors<br />

que la rambla est caractéristique de la culture barcelonaise.<br />

La rambla constitue toujours un élément important au cœur de l’espace urbain<br />

barcelonais, et elle se voit particulièrement privilégiée dans divers aménagements<br />

récents. Cela se traduit de différentes manières, allant de la réalisation de la structure<br />

355<br />

Grande avenue qui traverse la ville de Barcelone en diagonale, voir le plan.<br />

356<br />

Il s’agit d’une forme particulière d’axe de circulation, dans laquelle la place réservée aux piétons est<br />

centrale. Le mot rambla signifie à l’origine un torrent qui vient de la montagne. Au XIIIème siècle, il<br />

s’agit du chemin extérieur de la muraille.<br />

357<br />

Béatrice Sokoloff. Barcelone où comment refaire une ville. <strong>Mo</strong>ntréal : Presses universitaires de<br />

<strong>Mo</strong>ntréal, 1999.<br />

358<br />

Extrait de l’entretien réalisé avec Ignasi de Lecea le 20 mars 2004.<br />

257


même de la rambla à la seule utilisation du nom, davantage employée en tant qu’image<br />

symbolique de la ville. Ainsi en va-t-il dans le cas de la Rambla del mar que nous allons<br />

voir à présent.<br />

258<br />

Photographie 5- La Rambla del mar : un prolongement vers la mer.<br />

Décembre 2004<br />

La Rambla del mar propose un autre type d’espace de déambulation qui<br />

correspond davantage à une promenade qu’à un secteur piétonnier à usage quotidien.<br />

Celle-ci fait le lien entre la fin de la rambla centrale et un secteur commercial et de<br />

loisirs (aquarium, cinéma 3D…).<br />

L’utilisation du bois (teck) comme revêtement et de l’acier symbolise l’industrie<br />

navale, les formes ondulées, la mer. Le piéton y occupe une place privilégiée en ce qu’il<br />

s’agit d’un passage réservé uniquement aux personnes se déplaçant à pied. La présence<br />

de dénivelés signale l’existence d’espaces de repos sur lesquels certaines personnes<br />

installent leurs serviettes pour prendre un bain de soleil. Cet espace de transition entre le


centre ville et la mer semble s’imposer comme une scène sur laquelle le piéton devient<br />

acteur, soit comme personne de passage, en transit, soit comme flâneur, voire même<br />

comme spectateur.<br />

Cette photographie nous confirme l’intérêt du paseo qui prend possession d’un<br />

espace autrefois délaissé : le bord de mer est un espace très fréquenté par les touristes<br />

qui viennent trouver un peu de fraîcheur et de calme aux abords de la mer.<br />

Nous remarquons que la « typologie des espaces publics barcelonais se<br />

différencie sensiblement de certaines figures traditionnelles qu’on rencontre dans<br />

d’autres villes européennes » 359 . Nous verrons par la suite que ces différences sont liées<br />

à l’histoire de l’urbanisation de Barcelone, et à la diversité des tissus qui se sont formés<br />

durant toute cette période.<br />

9.1.2- Un espace public conçu comme un musée à ciel ouvert<br />

L’espace public barcelonais est souvent présenté comme un musée à ciel ouvert,<br />

même si certains, comme Oriol Bohigas, préfèrent parler de « monumentalisation » 360<br />

de l’espace public.<br />

359<br />

Béatrice SOKOLOFF. Barcelone où comment refaire une ville. Op.cit.1999, p.60<br />

360<br />

Oriol BOHIGAS. Reconstrucción de Barcelona. Madrid : Ministerio de Obras Públicas y Urbansimo,<br />

1986.<br />

259


260<br />

Photographie 6- Vue sur la mer. Mars 2003. (Passeig Marítim de la<br />

Barceloneta)<br />

Dans la continuité des aménagements réalisés en bordure de mer, cette<br />

esplanade située sur le Passeig Marítim de la Barceloneta propose un espace de<br />

contemplation du panorama, dans lequel le piéton peut devenir spectateur ou seulement<br />

se reposer, s’arrêter sur lui-même. Les sièges sont disposés de telle façon que les<br />

personnes peuvent faire le choix de s’isoler ou au contraire rechercher le contact avec<br />

les autres. Il s’agit d’une invitation vers l’ailleurs que le piéton peut saisir ou, au<br />

contraire, choisir de suivre son chemin. Cette photographie permet d’identifier<br />

l’existence d’espaces de repos, de rencontre, de solitude… dans lesquels le sujet peut<br />

trouver sa place. C’est la mise en scène du panorama qui place le piéton comme<br />

spectateur durant son déplacement. Sa progression peut ainsi être ponctuée de moments<br />

de repos ou de distraction, de réflexions, voire de rencontre. L’expérience du<br />

déplacement s’enrichit d’une dimension d’ouverture sur l’environnement parcouru.


Photographie 7- Quand l’art créé la surprise (entrée du Parc de l’Espanya<br />

industrial)<br />

Enfin, cette dernière photographie suggère la place de l’art au cœur de l’espace<br />

public qui contribue à placer le piéton dans une sorte de musée à ciel ouvert 361 , œuvre<br />

du quotidien, fondée sur la surprise, l’invitation à la découverte d’un objet d’art 362<br />

pouvant se transformer, suivant les envies de l’usager, en toboggan. Le parc de<br />

l’Espanya industrial 363 « allie espace de promenade, de passage, de rencontre voire de<br />

découverte ludique qui prend forme dans la rencontre avec l’usager » 364 . Ce dernier<br />

peut faire le choix d’une découverte distanciée ou au contraire décider de laisser aller sa<br />

curiosité jusqu’à gravir les marches menant au cœur de l’œuvre d’art qui se<br />

métamorphose en objet ludique.<br />

Ainsi, l’espace public barcelonais invite le piéton au détour, le laissant libre de<br />

décider. Se déplacer à Barcelone est une invitation à la découverte, l’inattendu. Le<br />

piéton, qu’il soit habitant de Barcelone ou seulement de passage, trouve à sa disposition<br />

361 Béatrice SOKOLOFF. Barcelone où comment refaire une ville. Op.cit.1999, p.67<br />

362 Le dragon Sant Jordi, du sculpteur André Nagel.<br />

363 C’est le nom de l’entreprise qui s’y trouvait.<br />

364 Claire DAMERY, Olivier LABUSSIERE et Sylvie MIAUX. Barcelone et la mise en scène de ses<br />

espaces publics : enjeux urbanistiques et enjeux d’usages saisis par la photographie. Revue TIGR, à<br />

paraître.<br />

261


un espace public aéré et divertissant, surprenant par les œuvres exposées. Mais qu’en<br />

est-il réellement dans le quotidien du piéton ?<br />

D’après les différents espaces dévolus aux piétons, nous pouvons imaginer que<br />

l’expérience du déplacement y est particulièrement sollicitée et variée. Avant de nous<br />

intéresser à nouveau à l’expérience du sujet, il semble essentiel de nous attarder sur la<br />

réflexion menée par les urbanistes.<br />

262<br />

9.2- Au fondement de la réflexion urbanistique : l’espace<br />

public barcelonais<br />

A la question, depuis quand existe une réflexion sur l’espace public à<br />

Barcelone ?, nous pouvons répondre en partant du travail entrepris par Ildefonso Cerdà<br />

dans La théorie générale de l’urbanisation, (ouvrage grâce auquel il est reconnu comme<br />

un des initiateurs de la réflexion urbanistique contemporaine) 365 .<br />

Nous verrons comment, à travers l’analyse de l’Eixample, c’est-à-dire<br />

l’agrandissement de Barcelone, Cerdà a donné une place centrale à l’idée d’équilibre<br />

dans le mouvement qui a inspiré un découpage de la voirie en portions équitables pour<br />

chaque mode de déplacement. Ensuite, nous verrons comment Léon Jaussely a voulu<br />

privilégier un cadre de vie agréable dans son plan du début du XX ème siècle, notamment<br />

en relation aux déplacements piétonniers conçus davantage dans l’idée de promenade.<br />

Enfin, nous reviendrons sur l’idée de paseo qui se situe au cœur de l’aménagement de<br />

l’espace public entrepris par Oriol Bohigas, en insistant aussi sur les projets actuels, leur<br />

prise en compte de l’expérience du déplacement et sans oublier de signaler l’impact<br />

qu’ils ont pu avoir sur les déplacements.<br />

365 Cf. préface de Françoise Choay à la traduction de Ildefonso Cerdà, La théorie générale de<br />

l’urbanisation. Paris : Seuil, 1979. cf. aussi à Gabriel DUPUY. L’urbanisme des réseaux. Paris : Armand<br />

Colin, 1992.


9.2.1- L’Eixample de Barcelone à la recherche d’équilibre<br />

Suite, à la démolition des murailles de Barcelone en 1719, le besoin d’organiser<br />

la croissance urbaine s’est fait ressentir. L’objectif avancé, s’est structuré autour de la<br />

réalisation d’un plan qui orienterait la croissance de Barcelone pour les siècles à venir.<br />

Ainsi, en 1858 un concours est lancé par la ville de Barcelone mais il est<br />

fortement encadré par le pouvoir madrilène qui impose le projet de Cerdà. Cette action<br />

est très mal vécue par l’élite locale, qui avait choisi Antoni Rovira. Ceci n’a pas facilité<br />

le travail de Cerdà.<br />

Nous ne développerons pas ici l’ensemble du projet de Cerdà. Notre intérêt pour<br />

les déplacements piétonniers, nous incite à aborder l’Eixample de Barcelone et la<br />

théorie générale de l’urbanisme en relation à la place de la voirie dans l’espace public.<br />

0 1km<br />

Figure 49- Projet de plan de la ville et de son port de Barcelone, 1859.<br />

source : http://www.unesco.org/most/cerda.htm<br />

Une des particularités du plan proposé par Cerdà (cf. Figure 49) est d’avoir<br />

dépassé l’approche sectorielle pour aborder les problèmes de la société dans son<br />

ensemble. Influencé par la pensée hygéniste ce dernier conçoit « l’espace comme un<br />

263


moyen thérapeutique contre les maux de la société » 366 . Effectivement, ce dernier<br />

avance l’idée que « la société ne peut atteindre la perfection qu’à travers une projection<br />

dans l’espace aussi parfaite que possible » 367 .<br />

264<br />

Photographie 8- Vue aérienne de l’Ensanche.<br />

source : http://www.unesco.org/most/cerda.htm<br />

L’espace, qui occupe une place centrale dans la réflexion menée par Cerdà, va<br />

être aménagé dans l’idée de créer une ville homogène, capable d’assurer l’équivalence<br />

de toutes les situations spatiales 368 . Ainsi, la proposition du plan en damier, que la<br />

photographie n°5 illustre, s’est imposée pour garantir l’hygiène publique,<br />

l’indépendance du foyer, tout en facilitant les relations sociales, par la mise en place<br />

d’un système de communication performant.<br />

Cette ville homogène, en damier, repose selon Cerdà sur une vie urbaine qui se<br />

compose de deux fonctions essentielles : « le mouvement et le séjour » : « l’îlot est le<br />

domaine de la résidence individuelle et familiale ; la voie est celui des communications<br />

avec le monde extérieur, avec la nature et la société » 369 .<br />

366 Ildefonso CERDA. La théorie générale de l’urbanisation. Paris : Seuil, 1979. p.24.<br />

367 Ibid. p. 24<br />

368 Ibid. p.25<br />

369 Ibid. p.26<br />

0 120 m


L’idée de mouvement, essentielle dans notre réflexion, est abordée par Cerdà<br />

comme un élément primordial qui nécessite une approche particulière de la voirie.<br />

Effectivement, « la diversité des moyens de locomotion et de traction, la diversité des<br />

directions, des vitesses, des destinations, toute cette multitude incalculable de choses si<br />

différentes, si hétérogènes, qui circulent sur la voie requiert, dans l’intérêt général, des<br />

solutions adéquates au fonctionnement particulier de chacun de ces éléments, selon la<br />

nature de chaque mouvement » 370 . Cerdà ne limite pas son approche de la voirie à une<br />

seule logique de mouvement, au contraire, il tient compte de la diversité des modes de<br />

déplacements et de la spécificité de chacun d’entre eux.<br />

Ainsi, Cerdà propose d’aménager les rues au regard de la complexité des<br />

systèmes de déplacement. En partant de l’idée qu’autrefois les fonctions relatives aux<br />

déplacements pédestres avaient pour espace la rue entière et qu’au fur et à mesure, la<br />

diversité et le développement des modes de déplacements ont généré une organisation<br />

particulière de la voirie, dans laquelle la voie centrale est assignée aux montures et aux<br />

véhicules et les deux zones latérales aux piétons. Au fur et à mesure, la place du piéton<br />

s’est limitée à des trottoirs étroits, ne respectant pas l’équité de la distribution.<br />

Ceci a incité Cerdà à redéfinir la place du piéton dans la rue, en donnant autant<br />

d’espace à ce dernier qu’aux véhicules motorisés. Il a ainsi proposé, un schéma de base<br />

proposant trois largeurs de voies :<br />

370 Ibid. p.153<br />

Les voies de peu de flux ou les « rues de peu de circulation », de<br />

20 mètres de large, qui permettent de maintenir une certaine<br />

aération des appartements (il s’agit d’un critère qui relève de<br />

raisonnements hygénistes).<br />

Les rues qu’il qualifiait de « circulation ordinaire », avec une<br />

section de 35 mètres (comme la Rambla de Catalunya et la rue<br />

Aragó).<br />

Et les rues de grande viabilité qui devaient s’étendre sur 50<br />

mètres de large (comme la Gran Via ou la Diagonal… le Paseo<br />

de Gràcia atteignant même les 60 mètres de largeur).<br />

265


Ces différents types de voies avaient pour obligation de donner la moitié de la<br />

section à la circulation des piétons et l’autre moitié à celle des véhicules. Ceci diffère<br />

par exemple de Paris où 60% de la voie devait être réservée aux voitures.<br />

Dans la figure qui suit est dessiné le profil transversal de la Gran Vía de 50<br />

mètres de large, dont la répartition respecte le découpage équitable de la voie, avec de<br />

chaque côté 12.5 mètres de trottoirs réservés aux piétons.<br />

Les préoccupations de Cerdá, pour les problèmes de la voie publique, l’ont<br />

amené à prévoir, dans le cas où les trottoirs sont de grandes dimensions, la plantation<br />

d’arbres, en deux rangées, pour créer un espace plus riche, un parcours plus agréable<br />

pour les piétons 371 . Cerdá n’a pas oublié l’importance de la culture du paseo, chère aux<br />

barcelonais, en leur donnant un espace conséquent et aéré dans l’espace public.<br />

Figure 50- Profils transversaux de la Gran Vía (50m)<br />

Source : Miquel Corominas i Ayala. Los orígenes del Ensanche de Barcelona. Barcelona : UPC,<br />

2002. p.105<br />

371 Miquel COROMINAS i AYALA. Los orígenes del Ensanche de Barcelona. Barcelona : UPC, 2002.<br />

p.106.<br />

266


L’Eixample ne se limite pas à un tracé fonctionnel des différentes voies ; il<br />

intègre aussi l’importance de l’environnement dans lequel la personne évolue. En effet,<br />

la présence d’arbres le long des trottoirs permet de créer une sorte de corridor,<br />

protégeant du soleil tout en délimitant l’espace dévolu aux piétons. L’importance de la<br />

nature au cœur de la ville fait aussi partie des préoccupations de Cerdá qui prévoyait<br />

l’implantation de parcs et jardins « appropriés aux exercices hygiéniques pour les<br />

personnes nombreuses qui vivent une vie sédentaire » 372 .<br />

Les différents aspects du projet Cerdá que nous avons pu relever, révèlent une<br />

action et un intérêt anciens pour les problématiques liées au déplacement. Cerdá, en<br />

tenant du mouvement des citadins, a su mettre en évidence l’importance d’un équilibre<br />

de l’espace entre les différents modes de déplacement. Nous allons voir à présent,<br />

comment Jaussely a dépassé l’idée d’équilibre pour valoriser davantage l’esthétique de<br />

la ville, pour proposer un cadre de vie plus agréable, fondé entre autre sur l’idée de<br />

promenade.<br />

9.2.2- Culture, art et promenade au cœur du plan Jaussely<br />

Suite au plan instauré par Cerdá, Léon Jaussely gagne en 1905 le concours de<br />

Barcelone, dont le programme spécifie clairement qu’il s’agit de concevoir un grand<br />

Barcelone qui englobe les localités périphériques annexées. Jaussely ayant pour mission<br />

de faire le lien entre le plan Cerdà et ces localités, devait aussi ouvrir les services<br />

centraux vers la périphérie et imaginer des systèmes de communication entre les<br />

différents quartiers.<br />

Jaussely s’est positionné en opposition au plan Cerdà, même s’il reconnaissait<br />

certaines qualités à ce dernier comme la monumentalité, le souci hygéniste, la capacité<br />

d’extension… Il y voyait une certaine froideur, une uniformité excessive qui avaient<br />

pour conséquence de susciter l’ennui. « Il déplore le caractère uniforme de ce plan qui<br />

lui interdit de constituer un ensemble structurant » 373 . Face à ce constat, Jaussely va<br />

372 Ildefonso CERDA. La théorie générale de l’urbanisation. Op. Cit., p. 157<br />

373 Vincent BERDOULAY et Olivier SOUBEYRAN. L’écologie urbaine et l’urbanisme. Aux fondements<br />

des enjeux actuels. Paris : Editions la Découverte et Syros, 2002. p. 151.<br />

267


organiser son projet, qui accorde de l’importance au milieu, à l’introduction de la<br />

culture et de l’art dans l’espace public, sans oublier la création de promenades.<br />

L’importance accordée à la culture dans le plan Jaussely a fortement séduit la<br />

« bourgeoisie catalaniste si désireuse de faire de sa ville une grande capitale<br />

culturelle » 374 . En effet, ce dernier avançait que la plus grande force de l’agglomération<br />

« est la nécessité, la satisfaction d’échanges intellectuels réciproques, et on pourrait<br />

même dire que c’est la raison d’être des villes » 375 .<br />

L’art par exemple avait d’après Jaussely plusieurs avantages. Tout d’abord, il<br />

redonnait à l’espace public une dimension attractive et esthétique, il avait aussi une<br />

valeur éducative. Ainsi Jaussely jugeait que, « plus que le livre, l’art, parce qu’il peut<br />

être public, a une valeur éducative pour toute la population » 376 . C’est pourquoi, il<br />

souhaitait que l’art fasse partie intégrante des objectifs et outils de l’urbanisme. Ceci<br />

peut s’expliquer par l’importance que ce dernier accorde au milieu quotidien dans la vie<br />

des citadins. Tout est pensé pour offrir un cadre de vie agréable, tant au niveau<br />

artistique et culturel qu’à travers les dimensions naturelles du milieu. Par exemple,<br />

l’orientation des rues est pensée en relation à l’ensoleillement et aux vents dominants.<br />

Ces différents principes suggérés par Jaussely ont pour objectif de rompre la<br />

monotonie en traçant des voies offrant des points de vue agréables et des constructions<br />

variées. Le diagnostic préalable du milieu barcelonais lui a permis de repérer, entre<br />

autres, les particularités culturelles de la ville qu’il a su utiliser dans son projet,<br />

favorisant ainsi la culture du paseo, chère aux barcelonais, en planifiant la création de<br />

plusieurs promenades, dont celle du littoral. Celle-ci avait pour objectif de transformer<br />

le cadre de vie d’un secteur tourné vers l’activité portuaire en lieu de promenade tout le<br />

long duquel une station hivernale s’installerait. La promenade littorale ayant à la fois un<br />

rôle de découverte d’un secteur jusqu’à présent délaissé ainsi qu’un rôle d’attraction<br />

touristique supplémentaire pourrait devenir un nouvel élément de la culture<br />

barcelonaise. L’importance de la marche dans la vie quotidienne des Barcelonais, non<br />

seulement comme moyen de déplacement mais aussi comme forme de sociabilité et de<br />

convivialité, avait retenu l’attention de Jaussely. Même si son plan ne fut pas réellement<br />

374<br />

Ibid., p. 150.<br />

375<br />

. Léon JAUSSELY. Memoria, Proyecto de enlaces de la zona de Ensache de Barcelona y de los<br />

pueblos agregados. Barcelone, 1907. p. 7<br />

376<br />

Vincent BERDOULAY et Olivier SOUBEYRAN. L’écologie urbaine et l’urbanisme aux fondements<br />

des enjeux actuels. Op. Cit., p. 151.<br />

268


appliqué, son souvenir a perduré dans l’imaginaire urbanistique, avec un regain récent<br />

d’intérêt.<br />

Il semblerait que le piéton dans le plan instauré par Jaussely soit davantage perçu<br />

comme promeneur avant d’être pensé comme sujet en déplacement. Qu’en est-il par la<br />

suite ? Que devient le piéton dans les projets issus de l’urbanisme moderne ? Alors que<br />

la Charte d’Athènes prône la fin de la rue, qu’advient-il du piéton à Barcelone ?<br />

9.2.3- La rue au cœur de la réflexion urbanistique<br />

L’évolution de la réflexion urbanistique, depuis Jaussely jusqu’aux années 70,<br />

reflète l’instabilité d’une réflexion urbanistique liée à différents contextes de crise. Mais<br />

avec la fin du franquisme, le maire de Barcelone, Pasqual Maragall, confie à l’architecte<br />

Oriol Bohigas l’organisation de la politique urbanistique de la ville. Il s’agissait de<br />

combler les retards pris durant le franquisme, en organisant les projets autour de<br />

l’espace public, porteur des valeurs urbaines, sociales et culturelles, que l’on voulait<br />

réaffirmer 377 .<br />

Un espace public barcelonais en adéquation avec les aspirations de<br />

l’usager<br />

Des actions ponctuelles s’organisent en collaboration avec les comités<br />

d’habitants, pour l’aménagement de places publiques, de jardins… La réflexion<br />

s’organise à la fois à l’échelle métropolitaine ainsi qu’à l’échelle du quartier. Une action<br />

centrale se dessine autour de la voirie, vu que « la recomposition de la ville passe par<br />

l’aménagement de la voie » 378 . En effet, Bohigas et son équipe, refusant le modernisme<br />

véhiculé par Le Corbusier qui voulait éliminer la rue, privilégient au contraire cette<br />

dernière et notamment les piétons. C’est depuis cette époque la ville de Barcelone est<br />

citée comme exemple dans l’art de la requalification urbaine, servant d’inspiration pour<br />

d’autres villes d’Espagne, de France ou d’ailleurs, même si l’opportunité fournie par les<br />

jeux Olympiques de 1992, a infléchi l’urbanisme vers une transformation urbaine<br />

377 . Jean-Loup GOURDON.Boulevards, rondas, parkways… des concepts de voies urbaines. Paris : Ed.<br />

CERTU, Plan urbain, 2000. p. 60 ; Vincent BERDOULAY et <strong>Mo</strong>ntse MORALES, Espace public et<br />

culture: stratégies barcelonaises, Géographie et cultures, n°29, 1999, p.79-95<br />

378 Ibid. p.61<br />

269


d’ampleur exceptionnelle. L’opportunité fournie par les jeux Olympiques de 1992, a<br />

infléchi l’urbanisme vers une transformation urbaine d’ampleur exceptionnelle.<br />

La réussite de la politique d’Oriol Bohigas repose sur les trois lignes directrices :<br />

« une vision urbaine d’ensemble ; la réinscription de la dimension de promenade dans<br />

la voirie ; le soin des détails d’aménagement pour concilier tradition et renouvellement<br />

et pour garantir la durabilité dans le temps » 379 . Nous remarquons à quel point on<br />

trouve les échos de la pensée de Jaussely dans les projets actuels.<br />

Les préoccupations en faveur de l’usager, notamment le piéton, organisent à<br />

nouveau la réflexion en ce qui concerne l’espace public. A partir de quelle conception<br />

l’espace public est-il donc aménagé ?<br />

La promenade élément fort de l’espace public barcelonais : rambla et<br />

passeig<br />

La culture du paseo a fortement influencé la réinscription de la promenade dans<br />

la voirie. « Barcelone est une ville de rues. Les rues ont une importance fondamentale<br />

qui dépasse leur fonction de connexion et qui les placent comme des lieux complexes de<br />

relations citadines » 380 . Dans cette idée, tout en respectant la diversité des voies dans la<br />

ville : rambla, passeig (paseo en castillan), avenida… et en tenant compte de la place du<br />

piéton dans l’espace public, les urbanistes et architectes ont lancé un processus de<br />

« monumentalisation » de la périphérie, dans l’idée de requalifier et consolider l’espace<br />

urbain, en urbanisant certains points et en créant des itinéraires urbains : « une<br />

conception visant à créer des séquences significatives d’espaces urbains est élaborée<br />

actuellement de manière systématique… » 381 . Par exemple dans le secteur de Nou<br />

Barris, le lien entre plusieurs places a été réalisé, en s’articulant au réseau des voies<br />

secondaires à fort caractère civique que sont la voie Júlia, l’avenue Rio de Janeiro et le<br />

passeig de Valldaura 382 . Dans le quartier de Sant Andreu, l’axe piétonnier a été un des<br />

premiers projets de parcours reliant plusieurs espaces publics. Les espaces piétonniers<br />

379<br />

Ibid. p.61<br />

380<br />

.Jordi BORJA, Zaida MUXI. El espacio público : ciudad y ciudadanía. Barcelone : Electa, 2003. p.<br />

150<br />

381<br />

Béatrice SOKOLOFF. Barcelone où comment refaire une ville. Op.cit.1999, p.68<br />

382<br />

Les voies civiques réinterprètent les typologies classiques de la rambla, de l’avenue, de la promenade,<br />

les projets intègrent non seulement les circulations piétonne et véhiculaire, mais ils permettent aussi une<br />

grande diversité d’usages civiques ; leur construction inclut souvent des éléments en sous-sol(<br />

stationnements et infrastructures diverse). Béatrice SOKOLOFF. Barcelone où comment refaire une ville.<br />

Op.cit.1999, p.65<br />

270


ne se limitent pas à une zone, comme nous pouvons le constater dans de nombreuses<br />

villes françaises, au contraire, ils s’organisent en axes faisant lien entre différents nœuds<br />

de la ville. L’idée d’itinéraire urbain avancée par les urbanistes barcelonais favorise le<br />

lien entre les diverses parties de la ville en un tout articulé et expressif 383 .<br />

Dans l’idée de visualiser au mieux les particularités de ces espaces de<br />

promenade, nous allons les aborder à partir de deux types de voies caractéristiques de<br />

l’espace public barcelonais : la rambla et le passeig.<br />

La rambla constitue un élément représentatif de la culture barcelonaise à tel<br />

point que celle-ci « est à la fois un des lieux primordiaux d’activités et l’espace public<br />

par excellence de la ville » 384 . Barcelone est une ville conçue pour se promener. Nous<br />

pouvons rencontrer la rambla sous différentes formes. La première, que nous pouvons<br />

qualifier de classique, concerne des projets récents comme les ramblas de Sant Andreu,<br />

de Catalunya ou de Poble Nou. Elle peut être modulée au niveau des dimensions pour<br />

accentuer l’usage piétonnier. Un effort est aussi entrepris en ce qui concerne le<br />

revêtement des sols et le mobilier urbain pour respecter une certaine unité et la<br />

continuité de surfaces piétonnes. La seconde forme de rambla a fait l’objet<br />

d’interprétations variées, surtout en ce qui concerne le traitement de son esplanade<br />

centrale. Celle-ci a parfois été surélevée pour permettre la construction d’un parking<br />

sous-terrain ou tirer parti du modelé du sol, ce qui accentue l’autonomie de la<br />

promenade et en fait un espace protégé. La Via Júlia (photographie n°6) est un des<br />

premiers aménagement à avoir été entrepris sous cette forme<br />

383 ibid. p.63<br />

384 Jordi BORJA, Zaida MUXI. El espacio público : ciudad y ciudadanía. Op. Cit., 2003, p.150<br />

271


272<br />

Photographie 9- La voie Julia<br />

Source : Jordi Borja, Zaida Muxí. Op. Cit., 2003, p.151<br />

Ainsi, le principe de la rambla reste central dans les nouveaux aménagements,<br />

comme une tradition que l’on souhaite maintenir. A tel point que le terme « rambla »<br />

est utilisé même pour des voies qui ne répondent pas aux caractéristiques classiques de<br />

cette dernière, ce qui dénote l’importance accordée par les Barcelonais à ce type<br />

d’espace propre à leur culture.


L’idée étant de concevoir la voie publique comme un lieu mixte d’équilibre<br />

entre les pratiques traditionnelles et les activités contemporaines, l’urgence de<br />

requalifier certains quartiers a parfois abouti à la réalisation de formes particulières de<br />

ramblas comme celle de Prim. Cette dernière faisant 60 mètres de large et 2.5<br />

kilomètres de long est devenue une sorte de parc linéaire au cœur d’un quartier<br />

d’habitation typiquement moderniste, avec ses grands blocs isolés. De façon générale, le<br />

type de voie retenu semble dépendre en partie des caractéristiques morphologiques et<br />

socioculturelles du quartier. Ainsi, nous avons pu remarquer que ce sont les<br />

considérations liées aux usages qui ont amené à définir comme rambla le prolongement<br />

de l’avenue Diagonal au-delà de Plaça de les Glòries (photographie n°1).<br />

Quant à la forme du passeig, il s’agit d’un type de voie qui permet l’articulation<br />

d’usages divers. Comme il offre une combinaison complexe de voies de circulations,<br />

contre-allées, esplanades et trottoirs latéraux, le passeig « trouve dans les douze voies<br />

(ségrégées) de circulation, les vastes trottoirs et différents types d’esplanade du <strong>Mo</strong>ll de<br />

la Fusta une expression contemporaine très puissante » 385 (photographie n°7).<br />

Photographie 10- <strong>Mo</strong>ll de la Fusta<br />

Source : Boulevards, rondas, parkways… des concepts de voies urbaines. Sous la direction de Jean-Loup<br />

Gourdon. Paris : Ed. CERTU, Plan urbain, 2000. p.65<br />

385 Béatrice SOKOLOFF. Barcelone où comment refaire une ville. Op.cit.1999, p.67<br />

273


Figure 51- Profil du passeig de Colon- <strong>Mo</strong>ll de la Fusta.<br />

source : Boulevards, rondas, parkways… des concepts de voies urbaines. Ss dir. Jean-Loup Gourdon.<br />

Paris : Ed. CERTU, Plan urbain, 2000. p.66<br />

Ce passeig continue jusqu’au Passeig Marítim (voir photographie n°3), achevant<br />

ainsi l’ensemble des promenades du nouveau front de mer : « la formalisation des<br />

relations entre des éléments apparemment aussi antithétiques du point de vue des<br />

usages qu’une autoroute de ceinture, une grille de voirie urbaine et toute une gamme<br />

d’espaces de promenade est résolue de façon audacieuse » 386 . Cette complexité est<br />

visible à travers le profil du Passeig de Colon (figure n°51). La proximité de différents<br />

usages semble parfaitement gérée dans l’idée d’autonomie.<br />

Enfin, il est intéressant de remarquer l’importance, au cœur de ces différents<br />

espaces publics, de l’œuvre d’art symbole de mémoire ou au contraire de<br />

contemporanéité. Ces deux dimensions véhiculées par l’art font parties des objectifs<br />

soutenus par les urbanistes et architectes en fonction. Ces derniers placent la ville de<br />

Barcelone entre tradition locale et ouverture vers le monde extérieur par le biais<br />

d’œuvres d’art réalisées par des artistes étrangers. Les deux photographies qui suivent<br />

révèlent l’importance de ces deux pôles dans le quotidien des Barcelonais, qui offre<br />

aussi un énorme potentiel touristique à l’ensemble de la ville de Barcelone. La richesse<br />

et la diversité de l’espace public barcelonais font de celui-ci un véritable pôle<br />

d’attraction touristique, dans lequel les citadins se mettent en scène, révélant toute son<br />

épaisseur.<br />

386 Béatrice SOKOLOFF. Barcelone où comment refaire une ville. op.cit.1999. p.67<br />

274


Photographie 11- Sculpture de l’architecte Rovira face à l’ensanche<br />

Source : photographie réalisée en septembre 2004<br />

Photographie 12- Sculpture contemporaine au cœur de l’espace public<br />

Source : photographie réalisée en janvier 2005<br />

275


Conclusion<br />

La réflexion menée sur l’espace public à Barcelone depuis Cerdá jusqu’à nos<br />

jours, révèle la place centrale de celui-ci au cœur de l’espace urbain et du quotidien des<br />

Barcelonais. Nous pouvons aussi noter les échos aux idées défendues par Jaussely dans<br />

l’organisation de l’espace public, tant la place de l’art et de la culture sont présentes et<br />

centrales dans la réflexion urbanistique actuelle. L’espace public barcelonais est devenu<br />

un concept qui s’exporte, sans oublier qu’un des éléments porteurs de l’ensemble des<br />

aménagements de l’espace public n’est autre que le projet qui a montré sa capacité à<br />

définir des formes propices à l’association d’usages multiples et parfois contradictoires.<br />

Ce dernier révèle à toutes les échelles une grande cohérence dans les objectifs<br />

urbanistiques. Ces derniers visent à la fois une mise en forme de la ville, ainsi que la<br />

définition d’un rapport entre les usages, les formes urbaines et leur signification. Alors<br />

que la réflexion s’organise comme un tout, qu’en est-il de l’expérience de l’usager,<br />

notamment en relation aux déplacements ? Nous remarquons que les espaces publics<br />

barcelonais sont très fréquentés. Est-ce que l’intensité de cette fréquentation prouve que<br />

les citadins ont été compris?<br />

Afin de déterminer les caractéristiques de l’expérience du déplacement<br />

des piétons barcelonais, nous allons voir dans le prochain chapitre comment nous avons<br />

procédé pour se rapprocher au plus près de ce que le piéton ressent durant son parcours.<br />

En effet, la richesse des actions accomplies sur l’espace urbain barcelonais nous<br />

interroge sur la cohérence de celles-ci avec le contexte et les attentes des citadins.<br />

Quelle est l’expérience que le piéton développe dans ce type d’aménagement « idéal » ?<br />

L’approche que nous avons choisi de mener à partir du concept d’itinéraire, nous<br />

amène à réfléchir sur les interactions que ce dernier peut permettre de repérer entre les<br />

actions réalisées par les urbanistes et l’expérience des piétons qui en découle. Comment<br />

l’itinéraire, à partir de l’interaction qu’il génère entre la dimension subjective et la<br />

dimension urbanistique, peut-il contribuer à améliorer l’approche relative à<br />

l’aménagement des villes ? Tournons-nous maintenant vers la méthode qui nous<br />

permettra de dégager cette interaction.<br />

276


Chapitre 10 : l’itinéraire construit par la mise en<br />

récit du déplacement<br />

La richesse des formes et des usages de l’espace public barcelonais nous amène à<br />

nous interroger sur l’expérience du déplacement qui se développe dans cette ville. Nous<br />

souhaitons mettre à l’épreuve de l’expérience des piétons un espace public présenté<br />

comme « réussi », afin de révéler les marqueurs de l’itinéraire. En d’autres termes, quels<br />

vont être les éléments porteurs de sens ? Correspondent-ils aux éléments et objets mis<br />

en scène par les urbanistes ? Peut-on repérer une adéquation entre la dimension<br />

subjective du piéton et la dimension propre à l’urbaniste ? En effet, l’intérêt de chercher<br />

les marqueurs de l’itinéraire du piéton se situe dans l’apport de connaissances que ces<br />

derniers vont apporter en terme de cohérence de l’espace public vis-à-vis des attentes et<br />

aspirations des piétons. La confrontation de cette vision avec celle des urbanistes<br />

permettra de dévoiler les interactions possibles entre ces deux dimensions. Ainsi, le<br />

concept d’itinéraire sera en mesure de proposer une approche équitable de<br />

l’aménagement des villes, dans laquelle usagers et urbanistes se retrouvent.<br />

Pour ce faire, il importe de capter au plus près l’expérience du déplacement, ce qui<br />

impose de dépasser les limites des outils classiques utilisés à Rio de Janeiro. L’entretien<br />

semi-directif restait fondé sur les représentations et non sur l’expérience en temps<br />

« réel » de l’itinéraire. Dans notre recherche de méthodes les plus à même de révéler<br />

l’expérience, celle précisément intitulée « méthode des itinéraires » nous a paru<br />

répondre à nos attentes. En effet, la mise en récit en temps « réel » du déplacement,<br />

associée à la localisation de l’itinéraire et à la visualisation d’éléments de repères le<br />

long de celui-ci, nous ont convaincu de son intérêt.<br />

Nous allons présenter, tout d’abord, la méthode que nous avons retenue, en insistant<br />

sur son intérêt quant à notre recherche ; puis, nous verrons comment nous avons<br />

procédé pour adapter cette méthode à l’espace public barcelonais. Nous présenterons les<br />

résultats de façon à évaluer si, au cœur de l’espace public barcelonais, le piéton a sa<br />

place.<br />

277


278<br />

10.1- La méthode des itinéraires : un autre regard sur<br />

l’expérience<br />

Rappelons que les recherches qui ont pu être menées sur l’expérience se sont<br />

souvent limitées à une approche statique de cette dernière et que le fait d’associer l’idée<br />

de mouvement apporte une dimension supplémentaire qui nécessite une approche<br />

particulière. Comment dévoiler l’expérience du mouvement en tenant compte de<br />

l’évolution que celle-ci suggère ? Comment saisir le mouvement dans toute son<br />

ampleur ?<br />

10.1.1- La méthode à l’épreuve de l’expérience<br />

La réflexion méthodologique relative à la ville est ancienne. C’est à partir du<br />

moment où l’écologie urbaine s’est mise en place en proposant de rendre conciliable<br />

une théorie du milieu et une science de l’action, pourtant difficile à tenir ensemble 387 ,<br />

que la réflexion méthodologique a pris de nouvelles directions. « Désormais, le milieu<br />

n’est plus l’objet de fabrication de l’urbaniste ou bien son support pour l’action, il<br />

devient pour ainsi dire consubstantiel des opportunités d’action, voire de l’action ellemême»<br />

388 . A partir de ce principe, les méthodes d’investigations vont s’orienter sur<br />

l’analyse du milieu qui permettra de réfléchir aux possibilités d’action. Néanmoins, le<br />

point de vue global que requiert l’écologie urbaine est souvent difficile à appréhender<br />

par les urbanistes qui se concentrent soit sur l’approche de la ville en terme de fonctions<br />

économiques, sociales, etc., soit sur la forme comme clé de compréhension et<br />

d’intervention 389 . Les méthodes utilisées se trouvent ainsi dissociées soit des usages,<br />

soit du cadre de vie, ce qui compromet l’analyse du milieu dans sa globalité. L’action<br />

dans ces conditions ne peut correspondre à une solution adaptée au milieu.<br />

Toutefois, nous remarquons aujourd’hui un intérêt croissant pour « proposer des<br />

techniques d’investigation et des outils d’analyse qui permettent d’articuler plus<br />

387 Vincent BERDOULAY et Olivier SOUBEYRAN. L’écologie urbaine et l’urbanisme aux fondements<br />

des enjeux actuels. Op. Cit., p. 14.<br />

388 Ibid. p. 14.<br />

389 Ibid. p. 89.


fortement le champ de la recherche à celui de la conception » 390 . Une autre tendance<br />

engage un renouvellement des perspectives en sciences sociales qui relève de trois<br />

points : l’importance accordée au contexte, l’idée de citadins disposant de compétences,<br />

et le développement des questions d’espace à partir du point de vue des habitants. Nous<br />

constatons que les objectifs énoncés par l’écologie urbaine ont fait leur chemin, ouvrant<br />

la réflexion sur le rapprochement de la recherche et de l’action.<br />

Dans notre étude, fondée sur l’expérience du déplacement au cœur de l’espace<br />

public, l’idée de citadin doté de compétences est centrale. Car, ce dernier participe de<br />

l’existence de l’espace public, par les actions qu’il y mène. La sensibilité à l’espace est<br />

grandement sollicitée durant la marche à pied. Raymond Ledrut a justement travaillé sur<br />

l’idée de ville signifiante qui prend sens à travers ce qu’il qualifie d’expérience urbaine.<br />

En effet, en plaçant la ville comme un « étant » « avec lequel nous entretenons des<br />

rapports de type « sensible » qui mettent en jeu le sujet aussi bien que l’objet »[…],<br />

« nous sommes dans l’expérience, dans le vécu » 391 . Dès lors, il place ainsi le citadin au<br />

cœur de la réflexion : « ce ne sont pas les producteurs du discours urbanistique qui<br />

nous intéressent mais les habitants des villes : ceux qui y vivent et qui en vivent » 392 .<br />

Les idées développées par Ledrut sur l’importance de la ville à la fois comme signifiant<br />

et signifié - « elle exprime et elle est exprimée » 393 - ont été reprises plus récemment en<br />

insistant sur le vécu des habitants et sur ce qu’il dévoile. « La ville telle qu’elle apparaît<br />

et est vécue au quotidien, possède un sens, une intelligibilité, un ordre – ou plusieurs -<br />

reconnaissables par ses habitants, ses « fréquentateurs », ses usagers. La<br />

reconnaissance de ces principes d’organisation, qui sont localement ancrés dans des<br />

pratiques sociales, est importante non seulement pour ceux qui veulent comprendre la<br />

ville, mais aussi pour ceux qui la produisent et la gouvernent» 394 . C’est ainsi que la<br />

prise en compte de l’expérience quotidienne des habitants est devenue un enjeu des<br />

politiques urbaines. Comment appréhender alors l’expérience des citadins dans l’idée<br />

d’enrichir les diverses approches de l’aménagement de la ville ?<br />

Comment repérer toutes les subtilités de l’expérience ? Dans notre recherche<br />

d’une méthode appropriée à notre démarche fondée sur l’expérience du déplacement, il<br />

390<br />

Michèle GROSJEAN, Jean-Paul THIBAUD. L’espace urbain en méthodes. Marseille : Parenthèses,<br />

2001. p.6.<br />

391<br />

Raymond LEDRUT. Les images de la ville. Paris : Anthropos, 1973. p. 53.<br />

392<br />

Ibid., p. 16<br />

393<br />

Ibid., p.41<br />

394<br />

. Lorenza MONDADA. La polyphonie urbaine produit des ordres multiples de la ville. Urbanisme,<br />

hors-série n°19, juillet-août 2003. p. 8<br />

279


est intéressant de se reporter à l’ouvrage intitulé « L’espace urbain en méthodes », qui<br />

présente l’éventail des ressources méthodologiques permettant d’aborder les relations<br />

du citadin à l’espace public, dans lesquelles la sensibilité de l’usager ainsi que les<br />

conditions, les formes et les modalités d’émergence des phénomènes sont analysées in<br />

situ. Plusieurs de ces méthodes concernent les situations d’enquête liées à différents<br />

contextes de production des données empiriques. Dans la partie de l’ouvrage intitulée<br />

« accompagner : les descriptions en marche » deux des méthodes nous ont<br />

particulièrement interpellées, la « méthode des itinéraires : récits et parcours » ainsi que<br />

la « méthode des parcours commentés » 395 . La première qui donne un rôle central à<br />

l’interviewé, placé en tant que guide, nous convient davantage que celle des parcours<br />

commentés, où la place de l’interviewer est beaucoup trop présente et structurante de<br />

notre point de vue. Nous expliquerons, dans la présentation de la méthode des<br />

itinéraires, en quoi la place du chercheur dans sa position d’interviewer et d’observateur<br />

importe tant dans notre démarche de recherche.<br />

280<br />

10.1.2- La méthode des itinéraires : récits et parcours 396<br />

Nous avons choisi de présenter la méthode des itinéraires en insistant sur les<br />

éléments qui justifient notre choix. Dans un premier temps, nous présenterons le<br />

déroulement de la « journée de l’itinéraire », « moment clé de la procédure, pour le<br />

temps du parcours réalisé sur le terrain » 397 , et, dans un second temps, nous<br />

aborderons, la relation particulière qui se dessine entre le chercheur et l’interviewé.<br />

Enfin, nous insisterons sur l’importance de cette méthode dans l’analyse de l’expérience<br />

du déplacement.<br />

Afin de mieux saisir l’intérêt de cette méthode, nous allons présenter<br />

directement le procédé qui se divise en deux temps, pour par la suite, insister sur<br />

l’importance de chaque élément.<br />

Premièrement, lors d’entretiens non directifs, systématiquement enregistrés, qui<br />

se situent en amont du récit de la « journée de l’itinéraire », l’interviewé est sollicité<br />

395 Méthode développée par Jean-paul Thibaud, chargé de recherche CNRS au Cresson (centre de<br />

recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain).<br />

396 Méthode développée par Jean-Yves Petiteau et Elisabeth Pasquier.<br />

397 Jean Yves PETITEAU, Elisabeth PASQUIER. La méthode des itinéraires : récits et parcours. L’espace<br />

urbain en méthodes. Sous la direction de Michèle GROSJEAN et Jean-Paul THIBAUD. Marseille :<br />

Parenthèses, 2001. p. 63.


pour lier le thème de la recherche à des séquences et à leurs articulations telles qu’il les<br />

prélève dans son histoire de vie. Au cours de ces entretiens, le chercheur et l’interviewé<br />

apprennent à se connaître, engageant ensemble un dialogue, en essayant de rendre<br />

explicite l’objet de recherche. A la fin de ce pré-entretien, l’interviewé choisit le lieu de<br />

rendez-vous pour réaliser la « journée de l’itinéraire ».<br />

Puis, s’effectue par la suite la réalisation de la « journée de l’itinéraire » durant<br />

son parcours, pendant lequel l’interviewé devient guide. Il institue un parcours sur un<br />

espace et l’énonce en le sillonnant. « Ce qui nous intéresse dans cette exploration, ce<br />

n’est pas qu’il illustre son périple par des images témoins, garantissant une<br />

objectivation de ce qu’il nomme, mais c’est qu’au rituel de la conversation face à face,<br />

il ait le pouvoir de « nous faire marcher » ; c’est à dire qu’il nous initie à son propre<br />

parcours en construisant sur un espace auquel il se réfère, une chronologie de son<br />

discours » 398 .<br />

Un photographe témoigne de cet itinéraire en prenant un cliché à chaque<br />

modification de parcours, temps d’arrêt, variation du mouvement ou changement<br />

émotionnel perceptible. Le récit est entièrement enregistré. Une cartographie restituant<br />

le parcours de la journée de l’itinéraire permet d’articuler récit et espace.<br />

Le chercheur pénètre en quelque sorte dans l’espace de vie de l’interviewé. Il<br />

aborde « le territoire d’un autre par sa parole, le territoire se donnant à lire au fil de<br />

son récit » 399 . L’interviewer doit accepter d’abandonner la propre lecture de l’espace<br />

qu’il parcourt et accepter la rhétorique de l’interviewé. Il s’agit en quelque sorte d’une<br />

transaction qui s’opère, par le fait qu’on accepte d’oublier ses repères tout en gardant la<br />

trace de cette perte 400 .<br />

398<br />

. Jean-Yves PETITEAU. Territoires et itinéraires. Cahiers du centre de recherches sociologiques, n°5,<br />

février 1987. p. 38<br />

399<br />

Jean Yves PETITEAU, Elisabeth PASQUIER. La méthode des itinéraires : récits et parcours. L’espace<br />

urbain en méthodes. Sous la direction de Michèle GROSJEAN et Jean-Paul THIBAUD. Marseille :<br />

Parenthèses, 2001. p. 65.<br />

400<br />

Ibid. p.65<br />

281


282<br />

10.1.3- Un nouveau rapport du chercheur à l’interviewé<br />

C’est dans ce nouveau rapport du chercheur à l’interviewé que nous avons<br />

trouvé un autre élément d’intérêt à cette méthode. En effet, cette méthode s’apparente<br />

aux méthodes biographiques en ce que « l’histoire de vie reste le fil sur tout le cycle de<br />

la relation entre le chercheur et l’autre… » 401 . Cette dernière va plus loin, en dépassant<br />

la position du spécialiste qui a le monopole de l’analyse. « Ici, à l’inverse, le postulat de<br />

départ est que chacun détient une capacité d’analyse équivalente qui apparaît dans une<br />

relation contre-transférentielle » 402 .<br />

Jean Yves Petiteau et Elisabeth Pasquier ont eu recours au concept<br />

psychanalytique du contre-transfert, définit par Georges Devereux : « le contretransfert<br />

est la somme totale des déformations qui affectent la perception et les<br />

réactions de l’analyste envers son patient comme si celui-ci constituait un imago<br />

primitif, et se comporte dans la situation analytique en fonction de ses propres besoins,<br />

souhaits et fantasmes inconscients - d’ordinaire infantiles » 403 . Cette prise en compte du<br />

phénomène de contre-transfert a une grande importance parce qu’elle renvoie au<br />

chercheur, à son rôle lors des entretiens. Le chercheur peut parfois orienter l’entretien<br />

en sa faveur, obtenant ainsi des informations en adéquation avec ses attentes. En<br />

revanche, la liberté laissée à l’interviewé risque au contraire de bouleverser les attentes<br />

et hypothèses formulées par le chercheur. En prenant en considération cette relation<br />

contre-transférentielle, les rôles vont s’inverser, tant dans la situation dialogique de<br />

l’entretien que dans le parcours de l’itinéraire où l’interviewé devient le guide, obligeant<br />

l’interviewer à le suivre. Dès le pré-entretien, l’interviewé doit être libre de son<br />

cheminement. Pour ce faire, le chercheur doit poser une seule question, relativement<br />

large, pour laisser le maximum de liberté et de spontanéité à la personne interrogée.<br />

Souvent, le premier pré-entretien sert de test à la question choisie, pour déterminer si<br />

celle-ci est suffisamment claire et délimitée.<br />

La position du chercheur qu’impose cette méthode permet à l’expérience de<br />

l’interviewé de se dévoiler, à partir d’un travail au présent, portant à la fois sur la<br />

401<br />

Jean-Yves PETITEAU, Elisabeth PASQUIER. « Je marche donc je suis » ou les jalons de l’être dans<br />

la méthode des itinéraires. Processus du sens, sociologues en ville n°2. Sous la direction de Sylvia<br />

OSTROWETSKY. Paris : l’Harmattan, 2000. p. 116<br />

402<br />

Ibid. p.119.<br />

403<br />

Georges DEVEREUX. De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement. Paris :<br />

Flammarion, 1980. p.75.


mémoire et sur l’oubli 404 . Ainsi l’expérience s’exprime dans toute sa complexité,<br />

permettant de repérer les rouages de chaque itinéraire.<br />

10.1.4- L’expérience au cœur de la méthode<br />

C’est notamment dans sa dimension corporelle que l’expérience prend toute son<br />

ampleur lors de la « journée de l’itinéraire ». Le fait que le dispositif prévoit, par le biais<br />

de la marche, la présence du corps dans la relation dialogique demande une implication<br />

forte de l’interviewé. C’est le rapport d’altérité entre l’interviewé et l’interviewer qui<br />

donne sens à la parole. « La marche implique une scansion dynamique par rapport au<br />

temps, la parole est mise en demeure de s’énoncer au fil des pas. Le parcours impose<br />

une temporalité qui porte le récit » 405 . L’interviewé conduit le chercheur autant par ses<br />

pas que par sa parole. Comme nous l’avons signalé dans le chapitre 3, la marche<br />

autorise une mise en mouvement de la pensée. Ainsi, s’opère une sorte de libération, qui<br />

désacralise la situation. L’énonciation du parcours, induit la reconnaissance de celui-ci,<br />

des repères qui le fondent ; c’est en quelque sorte une histoire au présent.<br />

Pour conclure sur l’importance de l’expérience, voici comment Jean-Yves<br />

Petiteau conçoit la méthode des itinéraires : « elle est à la fois une expérience, le récit<br />

d’une expérience, et à la fois fonde l’expérience » 406 . En effet, il ne s’agit pas seulement<br />

de l’expérience de la personne interrogée puisque se développe aussi une expérience qui<br />

se partage et coexiste dans l’énonciation et le mouvement.<br />

10.1.5- Exemples d’application et limites de la méthode<br />

C’est dans l’objectif de répondre à des commandes passées par des politiques<br />

pour résoudre le blocage de certains projets que cette méthode a été testée.<br />

Le premier travail réalisé à partir de la méthode des itinéraires remonte à 1975,<br />

il s’agissait d’étudier la représentation du centre-ville de Cholet dans le cadre du contrat<br />

ville moyenne. Les aménageurs, craignant une absence de toute centralité, cherchaient à<br />

travers la méthode des itinéraires une piste pour orienter leurs futurs aménagements. Ce<br />

travail permettait aux habitants de témoigner d’un vécu, d’une expérience, de pratiques<br />

404<br />

Jean-Yves PETITEAU, Elisabeth PASQUIER. « Je marche donc je suis » ou les jalons de l’être dans<br />

la méthode des itinéraires. Op. Cit., p.120<br />

405<br />

Ibid. p.122<br />

406 Ibid. p.127<br />

283


qui puissent révéler, entre autres, l’identité des Choletais. Sept citadins, représentant des<br />

milieux professionnels divers, ont servi de guide à travers la ville de Cholet. Même si<br />

une centralité commune et délimitée n’a pas été repérée, des éléments importants,<br />

caractéristiques de l’identité de Cholet, sont ressortis, renforçant le maintien de certains<br />

éléments comme des murs délimitant des îlots…<br />

Une autre expérience proche de celle de Cholet a été initiée par des architectes<br />

désireux « de diffuser auprès d’un large public les références d’une nouvelle culture<br />

architecturale afin de revaloriser la profession des architectes » 407 . Le travail mené à<br />

Cholet inspira Jean-Yves Petiteau pour renouveler l’expérience reposant sur la<br />

compétence des habitants, cette fois-ci en termes de culture architecturale, déplaçant les<br />

problèmes touchant à l’habitat et à l’architecture vers le concept d’« habiter ». Les<br />

architectes ont posé comme hypothèse que si une culture de l’habiter existe, elle ne peut<br />

être inventée que par les habitants eux-mêmes. A partir de cette idée, les habitants sont<br />

conviés à construire leur itinéraire…A Cholet, une vingtaine de personnes a accepté de<br />

devenir guide et, suite à la restitution des itinéraires, d’autres personnes désireuses de<br />

partager leur expérience ont souhaité participer à ce travail. La richesse de ces<br />

témoignages a offert une lecture variée de l’habiter.<br />

Bien d’autres études ont été réalisées, sur le péri-urbain, la mobilité associée aux<br />

déménagements, sur la profession des dockers… toujours dans l’idée de révéler les<br />

mutations liées à l’espace.<br />

Cette méthode, fondée sur l’expérience et dans laquelle l’interviewé devient<br />

guide, demande au chercheur d’être capable de se positionner en tant qu’observateur et<br />

non comme moteur du récit. Ceci demande un certain détachement qui n’est pas<br />

toujours évident suivant les espaces sur lesquels le chercheur est amené à se laisser<br />

guider. Etre guidé sur un espace inconnu n’est pas difficile. En revanche, s’il s’agit d’un<br />

secteur connu, cela demande un réel effort de la part de l’interviewer qui ne doit rien<br />

laisser paraître afin de ne pas influencer le guide.<br />

Au fond, la principale limite de cette méthode se situe au niveau même du<br />

chercheur, dans son aptitude à rester observateur et non initiateur du parcours. Il lui faut<br />

accepter d’être guidé sur l’espace de l’autre. L’autre limite, plus classique en ce qui<br />

concerne autant l’étude des représentations que celle de l’expérience, est relative à la<br />

407<br />

Jean Yves PETITEAU, Elisabeth PASQUIER. La méthode des itinéraires : récits et parcours. L’espace<br />

urbain en méthodes, Op. Cit., p.69.<br />

284


lourdeur de la mise en place de l’enquête qui, de fait, ne peut concerner le grand<br />

nombre.<br />

10.1.6- Révéler l’expérience du déplacement par la méthode des<br />

itinéraires<br />

Un des grands avantages de la méthode, relativement à notre recherche, se situe<br />

dans l’utilisation de la marche comme vecteur d’énonciation de l’expérience. Cette<br />

approche permet d’atteindre au plus prêt l’objet de notre recherche : l’expérience du<br />

mouvement.<br />

Néanmoins, nous avons dû apporter quelques changements, notamment en ce<br />

qui concerne la « journée de l’itinéraire ». Celle-ci, comme son nom l’indique,<br />

consistait à suivre la personne interrogée durant une journée entière. Dans notre cas,<br />

nous avons choisi de limiter ce temps à la durée d’un parcours quotidien. Notre<br />

réflexion étant centrée sur l’expérience du déplacement du piéton, il n’était pas<br />

nécessaire de sortir de ce contexte.<br />

En ce qui concerne le déroulement, nous avons respecté la phase de pré-entretien<br />

dans laquelle l’interviewé prenait contact avec l’objet de recherche de manière générale.<br />

L’important étant de l’amener avec peu de questions à nous faire part de ces<br />

déplacements dans la ville de Barcelone, en insistant sur ceux qu’il réalise à pied. A la<br />

fin de ce premier contact, la personne interrogée fixe un rendez-vous pour effectuer<br />

l’itinéraire 408 .<br />

Cette étape s’effectue en présence de trois personnes : la personne interviewée,<br />

le chercheur-interviewer et un photographe. L’interviewé devient le guide et le<br />

chercheur reste le plus discret possible, pour ne pas orienter la discussion. Le<br />

photographe, quant à lui, reste en retrait, tout en étant attentif aux comportements de<br />

l’interviewé et à son récit, pour repérer les différents changements de rythmes, les<br />

éléments de repères ainsi que les éléments qui posent problème ou ceux qui au contraire<br />

créent une ambiance agréable… Nous avons choisi de photographier, aussi, les éléments<br />

qui plaisent ou déplaisent lors de l’itinéraire, dans l’idée de mieux cerner<br />

l’environnement où évolue la personne et les influences de celui-ci sur l’expérience du<br />

408 La journée de l’itinéraire n’étant pas respectée dans notre travail, nous préférons remplacer cette<br />

expression par celle d’itinéraire, d’autant plus appropriée à cette recherche.<br />

285


déplacement. Le récit est également enregistré et l’itinéraire est cartographié pour<br />

parvenir à optimiser la retranscription et son analyse.<br />

286<br />

10.2- L’itinéraire comme lecture de l’espace public<br />

barcelonais<br />

La réalisation de ce travail d’investigation nous a obligé à effectuer plusieurs<br />

voyages à Barcelone afin d’obtenir un nombre suffisant de personnes enquêtées, dans<br />

différents quartiers de la ville. Nous aborderons, tout d’abord, l’échantillon de<br />

population et les différents terrains étudiés ; puis, à partir de deux itinéraires, nous<br />

mènerons une analyse détaillée qui permettra de visualiser l’ensemble des paramètres<br />

structurant l’expérience ; ensuite, nous nous attarderons sur l’ensemble des itinéraires<br />

étudiés pour repérer les similitudes et les différences qui nous permettront de déterminer<br />

l’existence de marqueurs de l’itinéraire tout en insistant sur l’importance de<br />

l’aménagement de l’espace public dans l’expérience du déplacement. Les marqueurs de<br />

l’itinéraire révèlent-ils la réussite de l’aménagement de l’espace public barcelonais ?<br />

10.2.1- Présentation de l’échantillon de population et des différents<br />

terrains<br />

La réalisation de ce travail à Barcelone s’est organisée en deux temps : tout<br />

d’abord, nous avons cherché des personnes volontaires pour réaliser cette recherche<br />

puis nous avons ciblé la diversité des quartiers d’habitation. Ainsi, nous sommes<br />

parvenus à un échantillon de 10 personnes réparties suivant l’ancienneté d’habitation à<br />

Barcelone. En effet, ce paramètre peut avoir des incidences sur l’expérience de la ville<br />

et de ses déplacements. Avant de présenter dans le détail les trois groupes que nous<br />

avons retenus, il est important d’identifier les éléments qui ont orienté notre choix :<br />

- l’objectif du parcours,<br />

- la durée,<br />

- les circonstances (sortir le chien, accompagner un enfant à<br />

l’école dans une poussette…),<br />

- le quartier,<br />

- le fait qu’ils soient barcelonais d’origine ou non.


Ces paramètres nous ont paru pertinents pour obtenir des expériences variées,<br />

d’après des logiques de déplacement qui semblent répondre à divers objectifs. De plus,<br />

le fait d’interroger des personnes, si possible de quartiers différents, permet de repérer<br />

l’impact de la localisation vis-à-vis de l’expérience… La diversité des situations<br />

devraient nous amener à obtenir une palette d’expériences larges sans négliger pour<br />

autant le sens commun.<br />

Les personnes originaires de Barcelone<br />

Trois des personnes que nous avons interrogées ; Xavier, Hugo et Muriel, sont<br />

nées à Barcelone et y ont toujours vécu. Xavier et Hugo résident dans le même quartier,<br />

à l’Eixample, à proximité de la Sagrada Familia. Muriel a longtemps habité dans ce<br />

même quartier, mais depuis cinq ans elle habite à Sarria. Est-ce que le fait d’avoir<br />

toujours vécu à Barcelone influence l’expérience du déplacement ? Peut-on percevoir<br />

des habitudes beaucoup plus prononcées ?….<br />

Les personnes vivant depuis plus de cinq ans à Barcelone<br />

Nous avons pu rencontrer durant notre enquête trois personnes, Mila, Jussera et<br />

Fabian, habitant à Barcelone depuis plusieurs années, soit après avoir quitté leur pays ou<br />

leur région d’origine à la recherche d’un emploi, soit pour suivre leur conjoint. Ces trois<br />

personnes vivent et travaillent dans le même quartier, celui de Gràcia. Celui-ci est<br />

particulièrement connu pour son esprit « village », il s’agit justement d’un quartier qui a<br />

été formé par intégration d’une petite localité limitrophe à l’agglomération de<br />

Barcelone. Par rapport à d’autres qui ont connu la même transformation cette localité<br />

est réputée pour son esprit de quartier et pour l’autonomie de son fonctionnement. Nous<br />

verrons si cette particularité attribuée au quartier de Gràcia est confirmée par les<br />

entretiens.<br />

Les personnes vivants à Barcelone depuis moins de deux ans<br />

Enfin, Lia, Patricia, Carlos et Andrea sont arrivés à Barcelone ces deux dernières<br />

années. Les deux premières sont à Barcelone depuis un an et demi, Lia réside et<br />

travaille à Gràcia et Patricia vit à Raval et travaille au quartier de l’Eixample. Carlos et<br />

Andrea vivent dans le même quartier : Raval. Le premier est en ce moment à la<br />

recherche d’emploi et le second travaille à Ciutat Velha à proximité du port. Sachant<br />

que ces quatre personnes viennent de trois pays différents ; Chili (Patricia et Carlos),<br />

287


Brésil (Lia) et Italie (Andrea) quelles vont être leur expérience du déplacement ? Le fait<br />

que chacun d’entre eux ait vécu dans une ou plusieurs autres villes avant de résider à<br />

Barcelone peut-il avoir une incidence sur leur expérience actuelle à Barcelone ?<br />

Le choix des quartiers<br />

Les quartiers dans lesquels ont été effectués les entretiens sont : Raval, Ciutat<br />

Vella, Eixample, Sarria et Gràcia. Deux quartiers sont centraux (Raval et Ciutat Vella),<br />

les trois autres (Eixample, Sarria et Gràcia), sont en périphérie de la zone centre, surtout<br />

les quartiers de Gràcia et Sarria, qui autrefois étaient des petites villes à la périphérie de<br />

Barcelone.<br />

288


Localisation des dix itinéraires réalisés à Barcelone<br />

itinéraires dans les quartiers de Gràcia et Sarria itinéraires dans le quartier de l’Eixample<br />

N N<br />

0 500 m<br />

N<br />

(Source : carte Michelin au 1/12000, 2003)<br />

N<br />

(Source : http://www.bcn.es)<br />

Itinéraires dans le quartier Ciutat Vella<br />

0 500 m<br />

0 800 m<br />

0 400 m<br />

Figure 52- Localisation des différents itinéraires réalisés à Barcelone<br />

289


Nous allons procéder, à présent, à l’analyse complète de deux itinéraires, pour<br />

par la suite repérer sur l’ensemble des entretiens effectués les particularités de<br />

l’expérience du déplacement au cœur de l’espace public barcelonais.<br />

290<br />

10.2.2- Analyse complète de deux itinéraires<br />

La méthode des itinéraires oblige à restituer l’ensemble du récit associé aux<br />

photographies et à la cartographie, dans l’idée de respecter toutes les subtilités de<br />

l’itinéraire (entre récit et progression). Il nous a alors semblé nécessaire de choisir deux<br />

itinéraires relativement représentatifs de l’ensemble des personnes interrogées, pour<br />

mener une analyse fine des différentes dimensions de l’expérience que la méthode des<br />

itinéraires révèle.<br />

Le premier itinéraire, a été réalisé par Jussera, âgée de 40 ans, de<br />

nationalité brésilienne, qui vit à Barcelone depuis huit ans, dans le quartier de Gràcia.<br />

La particularité de cet itinéraire se situe dans son objectif même : sortir promener son<br />

chien. Cet élément, nous le verrons par la suite, conditionne en grande partie son<br />

parcours.<br />

Le second itinéraire a été effectué par Xavier, Barcelonais d’origine âgé de 31<br />

ans, demeurant à l’Eixample, à deux pas de la Sagrada Familia. Il s’agit d’un itinéraire<br />

quotidien réalisé tous les soirs en rentrant du travail.


L’itinéraire de Jussera une promenade au cœur du quartier de Gràcia<br />

Itinéraire n°1<br />

N<br />

0 300 m<br />

source : carte Michelin de Barcelone 1/12000, 2003<br />

Figure 53- Itinéraire de Jussera réalisé le 29 septembre 2004 dans le quartier de<br />

Gràcia<br />

A la lecture de la carte, nous pouvons déjà avancer l’idée qu’il s’agit d’un<br />

parcours en boucle, dans l’enceinte même du quartier d’habitation. Jussera nous a<br />

expliqué, durant le pré-entretien, qu’elle était habituée à se déplacer uniquement à pied<br />

en raison de la proximité à la fois de son travail, des services et des commerces. Enfin,<br />

le fait qu’elle réalise une grande partie de ses déplacements accompagnée de son chien<br />

nécessite une attention particulière pour choisir son parcours.<br />

L’analyse de cet itinéraire consiste, dans un premier temps, à restituer<br />

l’ensemble du récit associé aux différentes photographies, en respectant la chronologie<br />

du parcours, puis, dans un second temps, nous travaillerons séparément sur les éléments<br />

de l’expérience liés exclusivement au vécu de la personne interrogée, pour par la suite<br />

nous intéresser à l’expérience propre à l’espace parcouru. La première étape permet<br />

d’isoler l’expérience sensible du piéton vis-à-vis de l’espace qu’il parcourt, la deuxième<br />

291


évèle la part de l’expérience liée à l’histoire de vie dans le récit de l’interviewé, ce qui<br />

peut aussi expliquer ses comportements, et ses réactions.<br />

L’itinéraire de Jussera le 29 septembre 2004 de 10h30 à 11h40<br />

292


L’itinéraire de Jussera le 29 septembre 2004 de 10h30 à 11h40<br />

Diapositive 1 Le parcours que nous allons faire<br />

ensemble consiste à promener le<br />

chien et à ramener une cassette<br />

vidéo au vidéoclub.<br />

Diapositive 2 Toujours quand on va traverser<br />

une rue avec le chien je le rattache<br />

pour éviter l’accident… et après<br />

une fois qu’on a traversé je le lâche<br />

à nouveau.<br />

Diapositive 3 je regarde toujours le programme<br />

du cinéma en passant devant, pour<br />

savoir ce que je pourrais aller voir.<br />

J’aime beaucoup le ciné et c’est<br />

très bien d’en avoir un à côté de la<br />

maison. Je passe toujours par ici,<br />

car j’aime beaucoup savoir ce qui<br />

passe comme nouveau film…<br />

Diapositive 4 Cette rue me plait beaucoup parce<br />

que c’est très tranquille il n’y a pas<br />

de voiture, il y a des arbres..<br />

Autre chose d’intéressant dans le<br />

quartier de Gracia c’est la<br />

présence de boutiques très<br />

diverses… je passe, je repasse, je<br />

rentre, j’essaye… Pour moi c’est<br />

mieux d’avoir commerces locaux<br />

car je vais que très rarement au<br />

centre, tout ça à cause du chien.<br />

293


Diapositive 5 Dans cette rue il y a autre chose<br />

d’intéressant une boulangerie pour<br />

acheter le pain, je viens souvent à<br />

cet endroit. Pour moi c’est un<br />

élément de référence comme le<br />

ciné. MAX EL COCHE !!!!<br />

Diapositive 6 Dans cette rue aussi il y a un<br />

endroit important c’est la boutique<br />

Internet, téléphone qui permet<br />

d’appeler au Brésil. Et en plus ils<br />

acceptent que je rentre avec Max.<br />

Diapositive 7 Quand je sors avec Max je flâne<br />

plus que quand je suis toute seule<br />

où je prend un chemin rapide…<br />

Ici dans Gracia les rues sont très<br />

étroites et c’est souvent<br />

incommodant avec le chien c’est<br />

pas possible de passer à plusieurs.<br />

Déjà que les trottoirs sont étroits,<br />

ils ont décidé de planter des<br />

arbres, pour le moment on a des<br />

trous en plein milieu qui peuvent<br />

être dangereux<br />

Diapositive 9 Je regarde toujours dans la rue les<br />

annonces de locaux, appartements<br />

à louer, car j’ai des amis qui<br />

cherchent un local… Et je crois que<br />

c’est aussi de la curiosité, comme<br />

avoir un contrôle sur ton quartier,<br />

pour faire venir un ami…<br />

294


Diapositive 10 Maintenant non, mais l’hiver je vais<br />

toujours du côté où il y a du soleil,<br />

comme il fait froid c’est plus<br />

agréable…<br />

Je sors plusieurs fois dans la<br />

journée mais je ne fais pas le<br />

même itinéraire à chaque fois, je<br />

varie suivant les besoins..<br />

Diapositive 11 Ce trottoir est très étroit, c’est<br />

dangereux pour Max avec la<br />

circulation, comme c’est très étroit<br />

et qu’il y a beaucoup de voitures<br />

qui passent vite et c’est difficile de<br />

marcher comme il y a aussi<br />

beaucoup de gens.<br />

Il faut toujours monter, descendre<br />

du trottoir, c’est un peu fatigant…<br />

La rencontre entre deux chiens<br />

peut parfois être dangereuse..<br />

Diapositive 12 Il faut descendre du trottoir pour<br />

laisser passer. Mais ça ne me<br />

dérange pas. Ce qui me gène ici<br />

c’est qu’à Barcelone les gens ne<br />

sont pas très respectueux,<br />

civiques.. Ils manquent de règle de<br />

conduite… Les gens oublient qu’il<br />

s’agit d’un site public.<br />

Diapositive 13 Il y a peu de temps j’ai découvert<br />

un restaurant sympathique qui est<br />

très joli intérieurement, on a<br />

l’impression d’être en dehors de<br />

Barcelone, au Maroc par<br />

exemple…<br />

295


Diapositive 14 Ce restaurant est celui où je viens<br />

le plus c’est cette pizzeria, car c’est<br />

varié, c’est pas très cher…<br />

Diapositive 15 Quand je marche, je regarde<br />

toujours les maisons dans<br />

lesquelles j’aimerai vivre,<br />

toujours… Je ne sais pas comment<br />

c’est à l’intérieur mais elle m’attire.<br />

Des fois j’ai de la peine, car il y a<br />

des maisons à moitié<br />

abandonnées…<br />

Diapositive 16 Je trouve ce système de<br />

stationnement pour les scooters<br />

très utile, ça évite qu’ils se garent<br />

sur les trottoirs qui sont déjà très<br />

étroits.<br />

Diapositive 17 J’aime beaucoup passer par ici car<br />

il y a beaucoup de choses à voir à<br />

faire, tout est à proximité. Quand je<br />

vais au supermarché Max est<br />

inquiet car lui doit rester dehors…<br />

296


Diapositive 18 Ici il y a l’autre ciné devant lequel je<br />

m’arrête aussi. Par contre c’est pas<br />

une rue où j’aimerai vivre, car il y a<br />

trop de monde, de bruit…<br />

Diapositive 19 Ici on était venu visiter un<br />

appartement mais c’était trop<br />

cher… J’aurai aimé vivre dans<br />

cette place, elle a l’air tranquille…<br />

Diapositive 20<br />

J’aime beaucoup ces petits détails<br />

qui sont disséminés dans les rues<br />

du quartier.<br />

Diapositive 21 Souvent quand je me ballade, je<br />

rencontre des gens que je connais,<br />

on se salue… et le chien est un<br />

lien social dans cette ville, si tu as<br />

un chien tu connais plus de gens<br />

par ce que les gens s’arrêtent pour<br />

parler entre gens qui ont des<br />

chiens…<br />

297


Diapositive 22 Ici c’est le marché de Gràcia le<br />

plus proche et c’est une référence<br />

pour les personnes quand on veut<br />

leur expliquer où on habite on<br />

donne toujours le marché comme<br />

référence.<br />

Diapositive 23<br />

298<br />

Ici c’était un site abandonné, très<br />

vilain.<br />

En bas de cet endroit c’est le<br />

quartier gitan, c’est un quartier à<br />

part, ils ont leur coutumes…<br />

Diapositive 24 Comme le chien est un moyen de<br />

socialisation, je cherche toujours<br />

des endroits spécialisés pour les<br />

chiens pour que Max trouve des<br />

copains et moi des gens avec qui<br />

parler. Ici c’est le parc où je viens<br />

avec Max, Ca c’est une place qui<br />

est dédié aux gitans, les gens la<br />

connaissent. Il s’agit d’un espace<br />

fermé, tout est prévu…<br />

Il y a deux zones comme celle là<br />

dans le quartier.<br />

Diapositive<br />

25<br />

C’est aussi un espace de détente<br />

pour les personnes âgées… (car il<br />

y a un centre à côté pour les<br />

personnes âgées).


Diapositive 26 Quand je travaillais le matin je<br />

faisais les parcours plus<br />

rapidement, à côté de la place… je<br />

ressortais entre midi et deux et le<br />

soir mais rapidement, car j’étais<br />

fatiguée… le travail m’obligé déjà à<br />

marcher longtemps..<br />

On revient au niveau du marché et<br />

dans cette rue en face, on voit<br />

l’église qui est sur la place où<br />

j’habite.<br />

On va finir le parcours… Comme je<br />

vous le disais je passais parfois<br />

deux ou 3 fois dans la même rue.<br />

Diapositive 27 Les choses les plus agréables,<br />

pour moi, c’est de flâner, de<br />

réfléchir en marchant. Quand on<br />

sort dans la rue on sort de son<br />

monde, on rencontre des gens, la<br />

rue est vivante. Comme je ne fais<br />

pas de gymnastique ça me fait<br />

faire de l’exercice de façon<br />

naturelle, Le chien m’oblige à<br />

sortir, seule j’irai beaucoup moins,<br />

je sors avec lui tous les jours et<br />

plus d’une fois.<br />

En conclusion je dirai que j’ai dû<br />

complètement changer mes<br />

habitudes pour Max.<br />

299


Après avoir suivi chronologiquement le récit de l’itinéraire de Jussera, nous allons<br />

procéder à l’analyse de cet itinéraire en relevant, tout d’abord, les éléments relatifs à<br />

l’expérience sensible de l’espace parcouru et, par la suite, en identifiant ce que nous<br />

qualifions d’expérience fondée sur l’histoire de vie de l’interviewé, laquelle l’amène à<br />

percevoir l’espace différemment.<br />

L’expérience sensible :<br />

Jussera, dès l’entretien préliminaire, nous avait fait part de la particularité de son<br />

parcours, centré sur la promenade de son chien (diapositive n°5). Ainsi, l’espace public<br />

qu’elle parcourt est fortement orienté par la présence de celui-ci.<br />

Indépendamment de cette particularité, Jussera nous a fait remarquer, à plusieurs<br />

reprises, l’étroitesse de certains trottoirs, rendant l’évolution encore plus difficile avec<br />

son chien (diapositive n°12), l’obligeant souvent même à descendre du trottoir pour<br />

laisser passer d’autres personnes. Dans ces rues étroites, caractéristiques du quartier, il<br />

n’a pas été commode de se déplacer à quatre (Jussera, son chien, le photographe et moimême).<br />

D’autant plus que, parfois, les trottoirs sont en travaux pour de futures<br />

plantations d’arbres, rendant le parcours délicat (diapositive n°7).<br />

Néanmoins, Jussera est sensible aux rues piétonnes, loin des voitures, où la<br />

présence d’arbres rend l’espace agréable (diapositive n°4). Elle est aussi plus tranquille<br />

pour surveiller son chien « Max ». La présence des arbres lui semble aussi très<br />

importante, dans une ville où il y a souvent du soleil, ce qui rend la promenade plus<br />

agréable. Elle souligne également l’effort en matière de stationnement pour les deux<br />

roues à moteur qui vient d’être réalisé (diapositive n°16), limitant les stationnements<br />

sauvages sur les trottoirs. Les détails, en outre, la marquent, comme la présence d’un<br />

dessin au centre d’une place (diapositive numéro20).<br />

Or, elle apprécie surtout l’effort de la municipalité de Barcelone notamment<br />

l’aménagement de petits parcs réservés aux chiens (diapositive n°24), dans lesquels sont<br />

installés des containers et sacs prévus pour les déjections canines. Ces endroits<br />

favorisent la rencontre, d’autres personnes promenant leurs chiens. D’ailleurs, elle a<br />

remarqué que le fait de promener le sien était un facteur de sociabilité qui permet de<br />

rentrer en contact avec les gens. Toutefois, Jussera est obligée de suivre un parcours où<br />

elle est presque assurée de ne pas rencontrer la police ; son chien n’étant ni déclaré, ni<br />

muselé, elle risque une forte amende.<br />

300


Nous allons voir à quel point l’approche de l’espace de promenade de Jussera<br />

est particulièrement influencée par l’histoire de sa vie.<br />

L’expérience révélatrice de l’histoire de vie :<br />

Jussera est arrivée à Barcelone, il y a huit ans, ce qui explique parfois son<br />

incompréhension vis-à-vis des comportements des habitants du quartier, qui, par<br />

exemple, s’arrêtent en plein milieu du trottoir pour discuter, obligeant les autres<br />

personnes à marcher sur la rue et à se mettre en danger.<br />

Elle porte un regard particulier à l’espace qu’elle parcourt, repérant la moindre<br />

affiche signalant un local ou un appartement à louer ou à vendre. Elle est curieuse des<br />

changements qui s’opèrent dans son quartier. Elle aime avoir un droit de regard sur ce<br />

qui se passe, une façon de s’approprier son espace de vie. En effet, Jussera limite ses<br />

déplacements au seul quartier de Gràcia, n’allant qu’exceptionnellement au centre de<br />

Barcelone. Elle aime à s’imaginer déménager dans une des maisons « de ses rêves »<br />

qu’elle a repéré.<br />

Parcourir le quartier quotidiennement fait partie du quotidien de Jussera, pour<br />

qui ces différents déplacements s’apparentent à des promenades sportives, des flâneries.<br />

Elle aime voir du monde, sentir que la « rue est vivante ».<br />

Jussera possède un véritable lien affectif avec son itinéraire qui est fortement<br />

empreint de sa personnalité et de ses goûts, comme sa passion pour le cinéma qui<br />

l’amène à passer souvent devant les salles de projection pour se tenir au courant des<br />

dernières sorties. Elle est aussi attachée à certaines boutiques qu’elle fréquente presque<br />

quotidiennement comme la boulangerie ou la boutique Internet. Elle aime rencontrer<br />

des personnes connues, discuter un moment et continuer son chemin.<br />

Le récit qu’elle nous a présenté tout le long du parcours reflète bien l’importance<br />

des déplacements et des promenades quotidiennes dans la vie de Jussera. Son itinéraire<br />

semble le reflet de sa personnalité.<br />

Le second itinéraire nous invite à suivre le parcours effectué par un barcelonais<br />

d’origine ayant toujours vécu dans le quartier de L’Eixample qu’il affectionne tout<br />

particulièrement. Nous procéderons de la même façon que pour l’itinéraire précédent :<br />

présentation de l’expérience sensible puis de l’histoire de vie de Xavier.<br />

301


L’itinéraire de Xavier ou les habitudes d’un barcelonais<br />

Itinéraire n°2<br />

302<br />

N<br />

0 100 m<br />

N<br />

0 200 m<br />

source : Carte Michelin, 1/12000, 2003<br />

Figure 54- Itinéraire de Xavier réalisé le 9 février 2005 dans le quartier de<br />

L’Eixample<br />

Il s’agit d’un itinéraire effectué en fin d’après-midi, pour revenir du travail. Ce<br />

dernier se localise dans le quartier du Carmel, plus au nord. Pour rentrer Xavier<br />

effectue une grande partie du trajet avec une amie qui le ramène en voiture. L’itinéraire<br />

étudié se rapporte uniquement à la partie faite à pied.


Itinéraire de Xavier le 9 février 2005 de 17h15 à 17h 35<br />

Diapositive 1 Je fais ce chemin pour rentrer chez<br />

moi après le travail. Le premier<br />

point de référence c’est la<br />

Sagrada Familia et le parc,<br />

toujours…<br />

Diapositive 2 Je m’arrête ici avant de traverser<br />

pour regarder la Sagrada Familia<br />

et aussi je préfère traverser et<br />

marcher de l’autre côté car de ce<br />

côté là ça n’est pas pratique car il y<br />

a le métro, la Sagrada Familia est<br />

en travaux donc les trottoirs sont<br />

plus étroits.. et je préfère traverser<br />

ici toujours..<br />

Diapositive 3 Je marche toujours en regardant la<br />

Sagrada Familia pour regarder<br />

l’évolution… c’est normal pour moi.<br />

Esthétiquement cet édifice ne me<br />

plait pas beaucoup mais je prends<br />

quand même de ce côté car c’est<br />

plus pratique il y a moins de<br />

touristes.<br />

Diapositive 4 Ce bar ne me plaît pas parce qu’il<br />

tarde beaucoup à servir, c’est le<br />

restaurant typique pour touriste où<br />

on te fait attendre, c’est un point de<br />

référence négatif.<br />

303


Diapositive 5<br />

Diapositive 6 On croise la calle Marine, ici il y a<br />

un petit dénivelé et toujours je le<br />

regarde.<br />

Diapositive 7<br />

304<br />

Ici à cette porte il y a un écriteau<br />

« agelnic », je le regarde toujours<br />

car il s’agit d’un fournisseur qui<br />

travaille pour le collège où je<br />

travaille et ça me fait toujours<br />

penser à ça. C’est une sorte de<br />

point de référence…


Diapositive 8 Ici on voit les travaux. Ici je<br />

m’arrête toujours en face de la<br />

Sagrada Familia parce qu’ici c’est<br />

en vérité l’entrée de la Sagrada et il<br />

était prévu d’enlever cet édifice<br />

pour faire une sorte de passage<br />

(escalier) pour entrer à la Sagrada<br />

Familia, ça m’interpelle toujours…<br />

Normalement tout ce lot de<br />

l’Eixample doit être détruit. J’aime<br />

beaucoup cet endroit où ils sont<br />

entrain de construire car on voit<br />

bien le bosquet que symbolise la<br />

Sagrada Familia. J’aime voir<br />

l’évolution.<br />

Ca aussi c’est normal de passer au<br />

milieu des gens car c’est toujours<br />

un endroit où il y a beaucoup de<br />

touristes mais de l’autre côté du<br />

trottoir c’est pire, comme il y a des<br />

travaux. Ici il y a toujours l’obstacle<br />

des touristes.<br />

Diapositive 9 Ici aussi c’est un point de référence<br />

il y a un panneau vert qui annone<br />

un resto japonais qui est juste à<br />

côté de chez moi (en face de chez<br />

moi) ça me plaît, toujours je le<br />

regarde.<br />

Diapositive 10 Ici je m’arrête toujours pour aller<br />

acheter le tabac<br />

305


Diapositive 11 Comme je le disais, on voit bien la<br />

référence de la montagne pour<br />

s’orienter dans l’Eixample (photo)<br />

on peut la voir entre ces deux lots<br />

de bâtiments. On peut percevoir<br />

une inclinaison faible des rues qui<br />

indique le côté montagne ou le<br />

côté mer. Pour moi à partir d’ici, se<br />

termine la zone touristique, je<br />

rentre dans ma zone, il y a peu de<br />

touristes. Pour moi il y a le parc, la<br />

Sagrada, le parc, pour moi celui-là<br />

c’est mon parc, parce qu’il est plus<br />

près de ma maison, il y a moins de<br />

touristes…<br />

Diapositive 12 Ici Starbucks j’y suis venu une fois<br />

mais je n'y suis jamais retourné,<br />

c’est très agréable mais on ne peut<br />

pas y fumer et pour mois c’est une<br />

mauvaise impression, c’est pas<br />

commode pour moi. Je regarde<br />

toujours à l’intérieur et des fois j’y<br />

ai vu Hugo entrain de prendre un<br />

café…<br />

Diapositive 13 J’aime beaucoup cette boutique<br />

parce qu’elle a gardé le style<br />

ancien et toujours ça me plait de<br />

regarder, c’est différent et j’ai<br />

l’impression de revenir dans le<br />

passé.<br />

306


Diapositive 14<br />

Encore des boutiques pour les<br />

touristes… cet élément est<br />

caractéristique peu présent dans<br />

Barcelone, c’est une boite de la<br />

Poste spéciale pour les touristes et<br />

elle se situe juste à côté d’une<br />

boutique de souvenirs. Je la<br />

regarde toujours, je pense à la<br />

personne qui relève le courrier<br />

rempli de cartes de touristes.<br />

Diapositive 15 Je trouve par contre étrange que<br />

ces vieux bars mal entretenus,<br />

vieux, qui dégagent parfois des<br />

odeurs de cuisine, d’huile trop<br />

cuite… ont une mauvaise image…,<br />

je n’aime pas. Ici aussi il y a une<br />

boutique où on fait les churros j’ai<br />

acheté une fois et je n'ai pas aimé<br />

depuis je n’y vais plus. Je passe<br />

toujours vite devant ces endroits.<br />

Diapositive 16<br />

Ici je regarde cette nouvelle<br />

boutique de tatou, c’est nouveau<br />

j’aime à regarder..<br />

307


Diapositive 17 Et ici je ne traverse jamais sur le<br />

passage piéton je coupe en<br />

diagonale pour rejoindre le<br />

passage pour aller chez moi. Parce<br />

que je n’aime pas attendre au feu.<br />

Diapositive 18<br />

308<br />

Ici il y a une boutique de fruits très<br />

bonne mais très chère, la première<br />

fois que j’ai acheté des fruits c’était<br />

ici, j’ai halluciné…<br />

Diapositive 19 Et là aussi c’est un point de<br />

référence c’est un club de<br />

prostituée et ici on tourne dans le<br />

passage.<br />

Diapositive 20<br />

Ce passage n’est pas joli mais ce<br />

qui me plaît c’est le contraste,<br />

parce que c’est piéton, il y a aussi<br />

des boutiques modernes, il y a des<br />

duplex qui sont très chers et à côté<br />

des maisons qui sont presque en<br />

ruine. Et surtout il n’y a pas de<br />

bruits de voitures…


Diapositive 21 Il y a une boutique bio… tout est<br />

contraste, il y a aussi une église<br />

évangélique, c’est curieux. Ce<br />

passage je l’analyse beaucoup. Je<br />

n’y suis jamais rentré dans<br />

boutique bio car c’est trop cher.<br />

Diapositive 22 Ici il y a toujours des jeunes car à<br />

côté il y a un collège et ils viennent<br />

dans cette petite rue pour fumer de<br />

la marijuana.<br />

Diapositive 23 Encore une résidence chic, avec<br />

portes blindées.<br />

Diapositive 24 À proximité un espace de tags…<br />

309


Diapositive 25 A partir d’ici je me mets de ce côté<br />

du passage car je peux voir mon<br />

édifice et mon appartement c’est<br />

un point de référence. Toujours je<br />

regarde. Il y a beaucoup de<br />

contraste dans ce passage et là on<br />

arrive sur la rue devant chez moi et<br />

on entend à nouveau le bruit des<br />

voitures.<br />

Diapositive 26 Et voilà on est arrivé à ma maison.<br />

310<br />

L’espace pour les piétons me<br />

semble suffisant, on est passé<br />

dans un point où il y avait<br />

beaucoup de touristes mais ça<br />

n’était pas gênant, je trouve les<br />

trottoirs suffisamment larges. Il y a<br />

autant d’espace piéton que de<br />

chaussée. Plus large je ne pense<br />

pas que ça aurait un sens, par<br />

exemple dans la rue Aragon c’est<br />

plus large mais ça parait plus<br />

vide… surtout que j’aime quand il y<br />

a des gens, on a moins la<br />

sensation de monde et ça je n’aime<br />

pas trop. C’est plus animé quand<br />

l’espace n’est pas trop ample.


Tout d’abord, il semble important de préciser que l’itinéraire ayant été effectué<br />

en fin d’après-midi au mois de janvier, la lumière commençait à manquer, ce qui limite<br />

la lisibilité des photographies.<br />

Il s’agit d’un parcours d’une quinzaine de minutes, qui est effectué chaque jour<br />

de la semaine au retour du travail. Xavier, âgé de 31ans, a toujours vécu dans ce<br />

quartier, à proximité de la Sagrada Familia. Nous allons repérer, dans son récit, les<br />

éléments correspondants à l’expérience sensible de l’espace, ainsi que l’expérience<br />

relative à son histoire de vie, les deux étant parfois liées.<br />

L’expérience sensible :<br />

À la différence de Jussera, Xavier a peu orienté son récit sur les détails de<br />

l’espace public en termes d’aménagement. Il est plus sensible à l’ambiance, aux odeurs,<br />

qu’à la largeur des trottoirs… En effet, son attention se porte sur des odeurs de friture<br />

qui le dérangent et l’invitent à accélérer le pas.<br />

Il choisit toujours le trottoir opposé à celui qui longe la Sagrada Familia,<br />

toujours saturé de touristes. D’ailleurs, à plusieurs reprises, nous avons pu remarquer à<br />

quel point l’intrusion des touristes sur son territoire l’incommodait et orientait son<br />

parcours (diapositive n°8).<br />

Il accorde aussi beaucoup d’intérêt à la topographie du parcours, ayant toujours<br />

un œil sur la montagne, exprimant souvent ses repères à l’espace en distinguant le côté<br />

montagne et le côté mer dans une rue. Par exemple, lorsque le rendez-vous a été fixé<br />

pour réaliser cet itinéraire, il nous a précisé qu’il serait sur la rue Mallorca côté<br />

montagne. Les habitués du quartier de l’Eixample, progressant sur un plan régulier, se<br />

repèrent toujours en associant au nom de la rue le côté montagne ou mer. Les éléments<br />

du relief sont sollicités pour pouvoir se repérer (diapositive n°11).<br />

Il porte un intérêt tout particulier à ce qu’il appelle « passage », petite rue<br />

piétonne qui traverse un îlot du plan Cerdá. L’absence de voiture, qui donne<br />

l’impression de rentrer dans un autre monde, celui du calme le conduit à préférer ces<br />

endroits plutôt que les grands trottoirs des grandes rues (diapositive n°20)<br />

Néanmoins, lors du pré-entretien, il a insisté sur le fait que Barcelone est « une<br />

ville facile pour se déplacer », surtout au centre et dans le quartier de l’Eixample. Un<br />

des grands avantages de son quartier est la présence de grands trottoirs qui permettent à<br />

chacun de trouver sa place sans déranger, « même lorsqu’il y a beaucoup de touristes<br />

311


sur le trottoir, j’arrive quand même à passer ». Il nous a fait remarquer que des trottoirs<br />

plus larges n’auraient pas de sens, comme c’est le cas par exemple dans l’avenue<br />

Aragon, où il ressent une impression de vide, tellement l’espace piétonnier est large.<br />

Cependant, « je trouve l’aménagement piétonnier de la rue Gaudi particulièrement<br />

réussi. J’aime beaucoup y passer quand je vais chez mes parents, c’est agréable l’été car<br />

on peut marcher à l’ombre des arbres ». Cette constatation, Jussera nous l’avait<br />

également fait remarquer.<br />

L’expérience révélatrice de l’histoire de vie<br />

Xavier vit depuis toujours dans ce quartier. Il connaît chaque coin de rue,<br />

examine la moindre nouveauté, comme l’installation d’une boutique de tatou<br />

(diapositive n°16). Il sait aussi quels endroits ne pas fréquenter (diapositives n°4 et<br />

n°15).<br />

Son itinéraire est fortement marqué par ses habitudes, voire son obsession, de<br />

marcher toujours du même côté de la rue, en regardant toujours vers la Sagrada Familia,<br />

en cherchant à la vitrine d’un café s’il ne voit pas des amis, en achetant son tabac<br />

toujours au même endroit... Ces habitudes traduisent un lien fort avec l’espace qu’il<br />

parcourt chaque jour. Il ne fait pas que passer dans ce quartier, au contraire, il a choisi<br />

d’y vivre.<br />

Un des plus grands attraits dont il nous ait fait part durant son parcours, est son<br />

admiration pour la Sagrada Familia. Son regard est toujours tourné vers elle, il scrute la<br />

façade à la recherche de la nouveauté, de l’évolution. Il ne se lasse pas de la regarder, il<br />

en est même fier. La Sagrada Familia est l’un des monuments barcelonais les plus<br />

fréquentés. Le fait qu’elle soit toujours en construction incite les gens à y revenir.<br />

Connaissant l’histoire de cette architecture, il nous fait part de ce qui l’interpelle<br />

(diapositive n°8). Au moment où il nous fait part de son attachement pour la Sagrada<br />

Familia, la présence des touristes semble l’agacer, à tel point qu’il parle de ces derniers<br />

en terme d’obstacles. Même s’il est fier de l’architecture de sa ville, il aimerait pouvoir<br />

l’apprécier dans le calme.<br />

Bilan<br />

Les deux itinéraires qui viennent d’être analysés nous permettent de mieux<br />

cerner l’intérêt de la méthode des itinéraires, tout en prenant part à la découverte de<br />

312


deux expériences du déplacement différentes mais révélatrices de rapports particuliers à<br />

l’espace public barcelonais.<br />

En effet, la méthode des itinéraires permet d’entrer en contact direct avec le<br />

monde qui entoure l’itinéraire de l’interviewé. Nous nous sommes ainsi laissés porter<br />

par les diverses impressions dont nous faisaient par Jussera et Xavier, en associant leurs<br />

remarques aux éléments dans le parcours qui les suscitaient. Le rendu de l’itinéraire<br />

reste le plus proche de la réalité, en respectant la chronologie à travers le discours et les<br />

photographies. Ces dernières donnent un aperçu de l’espace dans lequel évolue<br />

l’interviewé et illustrent le récit. L’itinéraire qui en découle n’est autre que le récit de<br />

l’expérience du déplacement, en simultané, de l’interviewé.<br />

Les deux itinéraires que nous venons de présenter mettent en perspective deux<br />

approches différentes de l’espace parcouru : Jussera se promène alors que Xavier<br />

arpente, repère, mesure. Même si Jussera est curieuse de la nouveauté, aime à savoir ce<br />

qui se passe dans son quartier, ses déplacements restent associés à la flânerie. Pour<br />

Xavier, il s’agit d’un itinéraire plus court et davantage lié à une obligation (retour du<br />

travail) qui reste néanmoins un moment important dans lequel il s’implique.<br />

Tous deux nous ont fait part de leur point de vue sur l’aménagement de l’espace<br />

public. La morphologie des deux quartiers étant différentes, voire opposées, nous avons<br />

pu déceler, dans les récits d’itinéraires, des remarques intéressantes sur l’espace public<br />

barcelonais. La diversité de ce dernier s’exprime à travers ces deux itinéraires. La<br />

première interviewée évoluant dans un quartier ancien, aux rues étroites où le piéton se<br />

sent parfois à l’étroit, nous a néanmoins révélé l’existence d’aménagements de voies<br />

piétonnières, de places amples, d’espaces destinés aux chiens… Les limites de l’espace<br />

n’ont pas empêché d’optimiser l’espace disponible.<br />

Le second itinéraire traverse un quartier où l’espace dévolu au piéton a été<br />

largement pensé en sa faveur ou, du moins, dans l’idée d’équilibrer les modes de<br />

circulation, ce qui s’explique par un réel retour du piéton amorcé dans les années 90 par<br />

les urbanistes. En effet, comme le faisait remarquer la personne interviewée, les trottoirs<br />

dans son quartier offrent suffisamment de place aux piétons.<br />

Dans l’idée d’approfondir l’analyse de l’apport de ces deux itinéraires en matière<br />

de connaissance sur l’expérience de l’espace public, nous allons intégrer, à présent, le<br />

reste des itinéraires effectués, en isolant certains paramètres révélateurs de l’expérience<br />

du déplacement à Barcelone.<br />

313


314<br />

10.3- L’itinéraire révélateur des spécificités de l’espace<br />

public barcelonais<br />

La lecture des différents itinéraires nous a permis de distinguer, d’une part, des<br />

considérations communes, relatives à l’aménagement de l’espace public, et, d’autre<br />

part, des spécificités d’expérience, en relation à l’histoire de vie de chacun, dévoilant<br />

l’existence de comportements variés. Ce constat nous amène à traiter, dans un premier<br />

temps, de l’expérience sensible qui révèle des réflexions communes en termes<br />

d’aménagement de l’espace public et, dans un second temps, nous verrons comment<br />

l’histoire de vie de chacun amène des nuances et des différences d’appréhension<br />

concernant les déplacements.<br />

10.3.1- L’expérience sensible qui rassemble<br />

En s’appuyant sur les éléments mis en évidence par les deux itinéraires que nous<br />

venons d’étudier, nous allons identifier, à travers les discours et les photographies, les<br />

informations relatives à l’expérience sensible du déplacement qui vont mettre en<br />

évidence les caractéristiques de l’espace public barcelonais. Ce dernier répond-t-il ou<br />

non aux attentes des piétons qui le parcourent ?<br />

Dans le quartier de Gracià, à plusieurs reprises, les personnes interviewées nous<br />

ont fait part de l’étroitesse de certaines rues, entraînant des difficultés pour se déplacer.


Photographie 13- Itinéraire réalisé avec Lia Photographie 14- Itinéraire réalisé avec Mila<br />

Photographie 15- Itinéraire réalisé avec Fabian<br />

Photographie 16- Itinéraire réalisé par Muriel<br />

Il est perceptible, à travers la photographie n°13, que les trottoirs sont réellement<br />

étroits, étant donné qu’une personne est obligée de marcher sur la chaussée pour<br />

pouvoir passer. De plus, la présence de piquets métalliques, pour empêcher les voitures<br />

de se garer, limite l’espace piétonnier. Dans la photographie n°15, il faut faire preuve de<br />

stratégie pour pouvoir se croiser sans être forcé de descendre du trottoir. Néanmoins, la<br />

rue est tellement étroite que la place concédée aux piétons est malgré tout équivalente à<br />

celle des voitures. Mila a beaucoup insisté aussi sur le plaisir qu’elle avait à marcher<br />

dans ces petites rues : « je préfère marcher sur un espace réduit mais plus calme que<br />

d’être à proximité d’une grande avenue où il y a beaucoup de bruit ». Muriel, par<br />

315


contre, est davantage ennuyée par la proximité des voitures alors que dans d’autres rues<br />

la distance est mieux respectée.<br />

Photographie 17- Itinéraire de Muriel<br />

Le quartier de Gracià n’est pas le seul à connaître les désagréments des rues<br />

étroites, dans le centre aussi, notamment dans le secteur du Raval, les rues sont parfois<br />

encore plus étroites, obligeant les piétons à se déplacer sur la chaussée, comme Andrea<br />

ou Carlos…<br />

Photographie 18- Itinéraire de Carlos<br />

316<br />

Photographie 19-Itinéraire d’Andrea<br />

Fabian, quant à lui, a souligné le danger de certaines petites rues à sens unique<br />

(photographie n°20) qui débouchent sur de grands axes et coupent l’espace piétonnier.<br />

La visibilité est souvent très limitée, rendant la traversée périlleuse, surtout avec une<br />

poussette.


Photographie 20- Itinéraire de Fabian<br />

En dehors de ces espaces étroits, ce quartier ancien a bénéficié d’aménagements<br />

de voies piétonnes, de places, de jardins qui font l’unanimité.<br />

Lia apprécie de pouvoir réaliser son parcours sans difficulté, sur de larges<br />

trottoirs ou des ramblas (photographie n°21), pourvus d’espaces verts, d’arbres qui<br />

rendent la marche plus agréable. « J’ai l’impression d’évoluer dans un espace protégé,<br />

aéré, dans lequel je peux oublier les tracas de la journée ».<br />

Photographie 21- Itinéraire de Lia Photographie 22- Itinéraire de Mila<br />

Durant son parcours Mila a reconnu que lorsque l’on marche à deux, il est<br />

agréable de bénéficier de larges trottoirs (photographie n°22) et surtout « la présence<br />

d’arbres en bordure des trottoirs me rassure car elle marque une frontière avec la<br />

circulation automobile ».<br />

Andrea apprécie également de marcher sur de larges trottoirs (photographie<br />

n°23) ou, mieux, au centre de la rambla du Raval (photographie n°24) qui n’est pas trop<br />

fréquentée par rapport à la rambla du centre.<br />

317


318<br />

Photographie 23- Itinéraire d’Andrea Photographie 24- Itinéraire d’Andrea<br />

Souvent, les personnes interrogées nous ont fait part de leur colère vis-à-vis des<br />

autres usagers qui ne respectent pas les espaces piétonniers, comme ce scooter garé sur<br />

le trottoir déjà si petit (photographie n°25) ou ces détritus qui doivent être enlevés<br />

depuis une semaine (photographie n°26) ou pire encore, un fourgon (photographie n°27)<br />

qui occupe tout le trottoir et empêche de circuler, mettant en danger les piétons.<br />

Photographie 25- Itinéraire de Fabian Photographie 26- Itinéraire de Muriel<br />

Photographie 27- Itinéraire de Muriel


En général, malgré l’étroitesse de l’espace piétonnier dans certains secteurs, les<br />

personnes interrogées semblent satisfaites de l’aménagement de l’espace public<br />

barcelonais. Plusieurs d’entre elles ont signalé que Barcelone était une ville propice à la<br />

promenade, ce qui confirme l’idée développée par les urbanistes : « Barcelone est une<br />

ville conçue pour se promener » 409 . Même « dans les axes qui ne sont pas piétonniers, il<br />

y a des trottoirs suffisamment larges pour se sentir à l’aise » 410 . Andrea, quant à lui,<br />

« trouve que Barcelone est une ville bien aménagée, il y a beaucoup de chemins propres<br />

et sûrs… le mobilier urbain est très soigné et bien conçu et surtout il y a toujours<br />

beaucoup de monde dans la rue même la nuit, je crois que c’est une des<br />

caractéristiques de cette ville ». Ces impressions sont confirmées par Carlos qui déclare<br />

pour sa part : « ici, j’adore me promener, tout le temps, je ne me lasse pas de marcher ».<br />

L’attention que nous avons portée à l’expérience sensible de l’espace public lors<br />

des déplacements méritait d’être complétée par l’histoire de vie des personnes<br />

interrogées afin d’approfondir l’expérience du déplacement.<br />

10.3.2- L’histoire de vie qui différencie<br />

L’histoire de vie permet de distinguer, lors du déplacement, les choix, les<br />

attitudes qui sont propres à la personne. Ainsi, dans le cas de Jussera, le fait que cette<br />

dernière effectue son parcours quotidien pour sortir son chien entraîne une relation à<br />

l’espace particulière, les besoins n’étant pas les mêmes.<br />

Des habitudes se créent durant les parcours, comme s’arrêter pour prendre un<br />

café, toujours dans le même endroit (cas d’Hugo et Lia). Le chemin est parfois choisi en<br />

relation aux services et aux commerces qui sont proposés, par exemple, Lia nous dit « si<br />

j’ai besoin de faire quelque chose, acheter un produit, je n’ai pas besoin de changer<br />

mon chemin, car j’ai tout ce qu’il faut sur ce parcours ». D’autres sont particulièrement<br />

sensibles aux souvenirs que certains lieux leurs rappellent, « un point de référence pour<br />

moi c’est cet ancien lieu où il y avait des manèges pour les enfants et où j’allais quand<br />

j’étais petite, je regarde toujours cet endroit avec beaucoup de nostalgie » 411 . Toujours<br />

en relation à la mémoire des lieux, Carlos nous explique le sentiment que lui procure la<br />

rambla du centre : « Ce que j’aime c’est que sur la rambla je me reconnecte toujours<br />

409 Comme nous l’avions déjà remarqué dans le chapitre 9.<br />

410 Impression dont nous a fait part Muriel.<br />

411 Impression dont nous a fait part Muriel.<br />

319


avec le moment où je suis arrivé à Barcelone. C’est pour ça que j’aime à y passer tous<br />

les jours, mon arrivée dans cette ville a été un moment si fort, que je ne me lasse pas de<br />

cet endroit ».<br />

La proximité de la mer peut aussi, chez certains, comme Andrea, inviter aux<br />

voyages, aux souvenirs. C’est d’ailleurs pour cela qu’il marche plus vite dans sa<br />

première partie du parcours, pour prendre le temps de flâner à proximité de la mer, « je<br />

prends un grand bol d’air, avant de m’enfermer au bureau et le soir, je me ressource<br />

avant de rentrer chez moi ».<br />

Enfin, dernière réaction qui nous semble intéressante à noter, Mila effectue la<br />

deuxième partie de son parcours dans le quartier gothique, dans lequel elle se perd<br />

toujours ou, plutôt, aime à se perdre : « j’ai l’impression que mon chemin dans le<br />

quartier gothique se fait à l’intuition même si je ne prends jamais le même chemin. » Le<br />

labyrinthe de petites rues perturbe même les personnes demeurant à Barcelone depuis<br />

longtemps. Comme le rappelle Carlos : « je ne me lasse jamais de marcher dans<br />

Barcelone car il y a toujours une nouveauté ».<br />

Toutes ces remarques qui ont pu être faites durant les différents itinéraires<br />

donnent une dimension particulière à Barcelone, aux parcours qui s’y dessinent.<br />

L’attachement qui se créé avec certains lieux, ancrés dans la mémoire, amène la<br />

personne à s’interroger sur sa vie durant son évolution. En attachant à certains édifices,<br />

parcs, boutiques, des sentiments particuliers, la personne créé un espace de vie en<br />

s’appropriant certains lieux par un jeu de mémoire qui les intègre dans son histoire de<br />

vie. L’expérience quotidienne dans le mouvement et la progression enrichit l’histoire de<br />

vie, intègre de nouvelles relations à l’espace. Car l’espace public joue un rôle important<br />

dans l’histoire de vie de chacun. Il semble donc primordial de tenir compte de cet<br />

impact pour proposer des aménagements de l’espace public qui ne bouleverseront pas<br />

ces existences. La méthode des itinéraires offre justement une lecture de l’expérience<br />

des usagers qui se dévoile à travers l’histoire de vie. Cette lecture peut permettre aux<br />

urbanistes qui l’utilisent de concilier l’action en relation à l’expérience des usagers.<br />

320


10.3.3- La mise en récit de l’itinéraire révèle l’interaction de la<br />

dimension spatiale et existentielle de l’expérience<br />

Interaction de la dimension spatiale et existentielle<br />

L’analyse des différents itinéraires nous a permis de repérer l’interaction entre la<br />

dimension spatiale et existentielle de l’expérience du mouvement, mettant en<br />

perspective les marqueurs de l’itinéraire. En effet, les aspirations, les attentes de chacun<br />

donnent à voir un espace public particulier. Dans le cas de Jussera, ses motivations sont<br />

orientées par le fait de promener son chien. Elle organise son parcours en fonction des<br />

espaces prévus pour son chien. Elle ajuste son déplacement à ce qui lui est proposé.<br />

Ainsi, Jussera a pu, durant toutes ces années, s’approprier cet espace, en repérer les<br />

limites (en raison de la présence de son chien) ainsi que les atouts pour optimiser ses<br />

déplacements. Les marqueurs de l’itinéraire de Jussera sont avant tout ceux de son chien<br />

Max, même s’ils ne s’y limitent pas. Une relation à l’espace de déambulation<br />

déterminée par la coexistence de la sécurité (de son chien et de ce dernier vis-à-vis des<br />

autres) du parcours et les besoins quotidiens de Jussera et de son chien est perceptible.<br />

L’itinéraire conditionné par la présence d’un tiers<br />

Dans un autre domaine, Fabian doit lui aussi faire face à la difficulté<br />

d’accompagner sa fille en poussette, dans des rues parfois très étroites, l’obligeant dès<br />

lors à se déplacer sur la chaussée quand l’accès au trottoir est impossible. La recherche<br />

d’espace piétonnier conséquent devient une de ses priorités et constitue ainsi le<br />

marqueur de l’itinéraire le plus important. Il a appris à réorganiser ses déplacements<br />

dans le quartier depuis l’arrivée de sa fille. Autrefois, il ne prêtait pas autant d’attention<br />

à la taille des trottoirs, à la sécurité du déplacement. La présence d’un tiers dans le<br />

déplacement modifie les rapports à l’espace. Son expérience de père l’amène à<br />

appréhender l’espace différemment, l’itinéraire reflète ainsi sa nouvelle identité.<br />

L’histoire de vie dont témoigne l’interviewé va révéler l’évolution de son expérience<br />

sensible de l’espace qu’il parcourt. La mise en récit qui s’effectue le long du parcours<br />

donne à voir l’itinéraire dans son interaction entre la dimension spatiale et existentielle<br />

du sujet.<br />

Ceci se vérifie aussi dans le cas de Xavier, qui effectue depuis longtemps le<br />

même parcours. Ses centres d’intérêts, comme l’architecture, orientent ses pas et son<br />

regard sur un côté de la rue qui permet d’apprécier d’autant plus la Sagrada Familia,<br />

321


tout en évitant la forte concentration de touristes… Son parcours est parfaitement réglé<br />

et organisé, en relation à ses activités, ses goûts, ses habitudes. Le récit de son itinéraire<br />

donne une lecture de sa personnalité à travers son histoire de vie et son expérience<br />

sensible de l’espace. Dans l’interaction de la dimension spatiale et existentielle,<br />

l’itinéraire se construit et prend forme dans le récit.<br />

La dimension subjective s’inscrit à la fois dans l’instantanéité et la<br />

mémoire<br />

La rencontre de la dimension existentielle avec la dimension spatiale lors du<br />

récit de l’itinéraire permet de révéler l’épaisseur de l’expérience du mouvement. Le<br />

sujet, mis en situation, nous fait part au fur et à mesure de son évolution au cœur de<br />

l’espace public de ses impressions. Celles-ci se focalisent à la fois sur le ressenti du<br />

parcours et aussi sur la mémoire qui suggèrent un détour dans l’histoire de vie de<br />

l’interviewé. Ainsi, la dimension subjective s’inscrit à la fois dans l’instantanéité et dans<br />

la mémoire. L’instantanéité apparaît dans la corporéité du sujet en déplacement qui<br />

ressent et la mémoire fait partie de la connaissance enregistrée par le corps qui a la<br />

capacité d’associer un bruit, une odeur… à un instant passé ou à un éventuel danger...<br />

Cette double capacité du corps, à la fois perceptive et de connaissance, enrichit la<br />

dimension subjective d’un double sens. Les attitudes que nous pouvons remarquer chez<br />

un sujet en déplacement ne sont pas uniquement liées à l’instant présent et à l’espace<br />

parcouru, l’histoire de vie influence aussi son comportement.<br />

L’itinéraire révèle l’espace public dans sa complexité<br />

Dans ce contexte, les différents aspects de l’espace public se donnent ainsi à voir<br />

dans le récit de l’itinéraire. Les fragilités relatives à la réussite de l’espace public sont<br />

dévoilées comme un tout qui fait partie intégrante de l’itinéraire du sujet.<br />

Le regard que nous pouvons porter sur l’ensemble des itinéraires effectués nous<br />

permet d’appréhender l’espace public comme un espace d’expression des différences. Il<br />

convient de dépasser une réflexion purement fonctionnelle et unitaire pour travailler<br />

davantage sur la multiplicité des formes et usages de l’espace public. L’itinéraire<br />

comme révélateur de l’interaction entre la dimension subjective et la dimension<br />

urbanistique de l’espace public propose une nouvelle approche de l’aménagement de<br />

l’espace urbain.<br />

322


Conclusion<br />

La richesse des interventions urbanistiques, que nous avons présentée dans le<br />

chapitre 9, révèle l’intérêt d’étudier Barcelone en terme d’aménagement de l’espace<br />

public. La culture du paseo s’inscrit dans une tradition que les urbanistes ont choisi de<br />

perpétuer à travers différentes morphologies, allant de celle développée par Cerdá<br />

(système de trottoir spacieux reposant sur un espace équivalent à celui de la chaussée)<br />

ou Jaussely (grandes promenades), aux ramblas, symboles de la culture barcelonaise<br />

revisitée sous forme de la Via Julia ou de la rambla de Prim, jusqu’aux passeigs qui<br />

permettent l’articulation de différents usages.<br />

La diversité des formes de l’espace public barcelonais nous a incité à regarder du<br />

côté de l’usager pour en déterminer la réussite. Notre réflexion sur la méthodologie<br />

nous a amené à nous intéresser à la méthode des itinéraires qui offre l’avantage de<br />

placer l’interviewé au centre de la démarche.<br />

En effet, un entretien réalisé assis autour d’une table ne permettra pas de<br />

dévoiler toute l’épaisseur de l’expérience du déplacement. A travers la marche, le corps<br />

retrouve toutes les sensations, et le fait d’énoncer en temps « réel » l’expérience du<br />

parcours rend spontanée l’approche sensible de celui-ci. D’autant plus que la dimension<br />

subjective s’enrichit d’un double sens, alliant instantanéité et mémoire. Ces deux<br />

aspects sont perçus par le corps qui permet à la fois d’intégrer la perception simultanée<br />

du mouvement et de revenir à ce que le corps a intégré sous forme de connaissance pour<br />

orienter au mieux ses pas. Ceci nous renvoie à l’idée que la pensée relève de la<br />

corporéité 412 . C’est en le parcourant que les différentes dimensions de l’espace public<br />

peuvent-elles aussi être énoncées.<br />

Les résultats obtenus à Barcelone vont dans ce sens. L’interaction de la<br />

dimension subjective et de la dimension de l’aménagement apparaît dans la mise en<br />

récit du parcours. A travers l’histoire de vie que nous révèle l’interviewé le long du<br />

parcours, ce dernier y intègre sa perception de l’espace, explique ses choix ou son<br />

absence de choix en relation aux connaissances acquises… En laissant libre cours à<br />

l’interviewé, nous apprenons comment ce dernier vit son déplacement, dans quelle<br />

logique il s’intègre, ce qu’il suscite comme comportements et réactions. Tous ces<br />

éléments, qui s’associent, font apparaître les marqueurs de l’itinéraire centrés pour<br />

412 Augustin BERQUE. Ecoumène, introduction à l’étude des milieux humains. Op. Cit., p. 191.<br />

323


certains sur les références à l’espace mais aussi sur les aspirations de chacun. Par<br />

exemple, une des personnes interrogées a orienté son propos sur l’importance de<br />

l’architecture dans son parcours, sur le regard qu’elle y porte, sur son évolution. Par le<br />

biais de la mise en récit, les marqueurs de l’itinéraire prennent place dans un système en<br />

progression, permettant des connexions qui enrichissent l’analyse de l’expérience du<br />

déplacement.<br />

L’analyse menée à Barcelone nous a permis de tester l’efficacité de la méthode<br />

des itinéraires étant donné qu’elle met en évidence le concept d’itinéraire en permettant<br />

une lecture claire de l’expérience du mouvement du sujet. Reste à présent à travailler<br />

sur les apports de cette méthode et du concept d’itinéraire dans la réflexion<br />

urbanistique. Pour ce faire, nous avons choisi d’appliquer cette méthode dans la ville de<br />

Pau, où la réflexion sur l’espace public et les déplacements urbains est plus récente.<br />

Nous chercherons alors à savoir si l’itinéraire peut proposer aux urbanistes une nouvelle<br />

lecture de la ville des usagers propice à l’élaboration d’un espace public en accord avec<br />

leurs attentes?<br />

324


Chapitre 11 : Pau, une ville moyenne en mutation<br />

L’expérience barcelonaise nous a permis d’aborder l’expérience du déplacement<br />

dans un espace public qui a fait ses preuves. La méthode des itinéraires ayant été testée<br />

dans une ville où les urbanistes ont longuement réfléchi à l’aménagement de l’espace<br />

public, nous souhaitons, à présent, nous intéresser à un espace urbain problématique en<br />

terme d’aménagement : la ville de Pau. Comment faire dans un espace où les<br />

aménagements n’ont pas toujours été raisonnés ? Qu’est-ce que le concept d’itinéraire<br />

peut apporter au moment où le PDU se met en place ainsi qu’un projet de piétonisation<br />

du centre ville ? Qu’est-ce-ce qu’il est possible de faire, en l’état actuel des choses ?<br />

Répondre à l’ensemble de ses interrogations nécessite un retour sur l’évolution<br />

des déplacements piétonniers dans la ville de Pau afin de comprendre le contexte actuel.<br />

Puis nous verrons quels sont les projets en cours, comme le plan de déplacement urbain<br />

(PDU) et la création d’un centre piétonnier, en insistant sur la place accordée à la<br />

marche à pied. Existe-t-il une réflexion sur les déplacements des piétons pour<br />

l’ensemble de la ville ? Quelle approche les urbanistes et politiques ont choisi en<br />

matière de déplacement ? Ce bilan nous permettra de vérifier dans le chapitre suivant<br />

les atouts et écueils de l’espace public palois au niveau des déplacements et de<br />

l’accessibilité.<br />

325


326<br />

11.1- Le contexte palois<br />

L’intérêt de procéder à l’analyse de l’expérience des déplacements piétonniers à<br />

Pau repose sur la faible capacité actuelle de l’espace public à répondre aux attentes des<br />

citadins, notamment en ce qui concerne les modes de déplacements doux. Une rapide<br />

mise en perspective historique permettra d’introduire la problématique de<br />

l’aménagement des déplacements piétonniers dans cette ville.<br />

Figure 55- Carte de localisation de la ville de Pau


11.1.1- La promenade au cœur de la station climatique : un rêve<br />

palois<br />

C’est au cours du XIXème siècle qu’une nouvelle activité va notablement<br />

orienter l’évolution de la ville, de son espace public et des façons d’y circuler : Pau<br />

devient station climatique. « Pau voit se fixer dès la Restauration et se développer par<br />

la suite une colonie cosmopolite, au départ en majorité d’origine britannique, attirée<br />

par les bienfaits de son climat » 413 . A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, Pau<br />

est une station climatique hivernale qui rivalise avec celles de la Côte d’Azur. C’est<br />

ainsi que la ville se transforme, les vieilles demeures des parlementaires sont<br />

remplacées par des villas aristocratiques, Pau s’entoure de parcs, développe l’hôtellerie,<br />

les commerce de luxe. L’urbanisme se distingue par la volonté de satisfaire le besoin<br />

d’espace, de confort et d’hygiène des hivernants. Il se traduit aussi par une volonté de<br />

privilégier à la fois le site panoramique et la promenade propice au bien-être.<br />

C’est pourquoi, à la fin du XIX ème siècle dans cette même période, l’ingénieur<br />

Alphand est contacté pour construire un aménagement sous forme de promenade qui<br />

offrirait une vue panoramique sur les Pyrénées. Ainsi, le boulevard du Midi qui devient<br />

le boulevard des Pyrénées est considérablement remanié. Haut lieu de la ville, il devient<br />

un espace privilégié de promenade où les gens aiment à se mettre en scène de la même<br />

façon que sur les grands boulevards parisiens. Panorama et promenade constituent, de<br />

fait, un décor et une scène exemplaires, favorables au développement du tourisme.<br />

Dès lors, Pau bénéficie d’un certain « cosmopolitisme » tout en conservant un<br />

régionalisme culturel qui s’appuie à la fois sur les atouts climatiques et le pyrénéisme.<br />

Le rôle touristique de la ville a aussi influencé le développement de la ville et de la<br />

société paloise. L’aménagement de l’espace urbain s’orientant vers le tourisme, la ville<br />

a tendance à négliger à la fois certains secteurs plus éloignés de même que les autres<br />

fonctions de l’agglomération. L’aménagement des déplacements piétonniers semble se<br />

réduire à celui de la promenade des touristes et des élites locales.<br />

Au début du XX ème siècle, alors que la ville connaît un essoufflement de son<br />

activité principale, le tourisme climatique, son maire Alfred de Lassence persiste à<br />

travailler sur l’aspect villégiature de la ville, en lançant un projet de plan<br />

d’aménagement, d’embellissement et d’extension de la ville de Pau. Ce dernier proposé<br />

413 Augustin ANTUNES et Vincent CLAUSTRE. Evolution d’une ville dans son environnement : Pau et<br />

les Pays de l’Adour : contribution à une sociologie des groupes urbains. Paris : COPEDITH, 1973. p.21<br />

327


le 15 avril 1928 par Léon Jaussely, le même urbaniste qui avait établi un plan pour la<br />

ville de Barcelone, « s’intègre dans tout le contexte particulier des transformations<br />

urbaines paloises et dans celui – plus général – des pensées que l’on avait sur la<br />

production des villes » 414 . Ainsi, le plan proposé par Jaussely s’inscrit à la fois dans une<br />

perspective de durée et dans un futur projeté qui intègre le passé. Il travaille sur<br />

« l’hypothèse d’une ville de 80000 habitants, très zonée, et qui s’étendra en éventail<br />

radioconcentrique à partir de l’ancienne ville » 415 . Une place importante est également<br />

accordée au traitement urbain de la nature. Le plan proposé par Jaussely reposait sur<br />

l’idée de zonage qui avait pour objectif une séparation spatiale des fonctions urbaines à<br />

partir d’une logique de quartiers qui doivent se différencier par un règlement spécifique,<br />

par le tracé des rues, par la dimension des îlots urbains. Une attention particulière étant<br />

portée à la fonction résidentielle de luxe, Jaussely refuse ce qui pourrait porter préjudice<br />

à cette fonction.<br />

Les voies constituent un élément important privilégié par Jaussely. Ce dernier y<br />

porte une attention particulière : « un tracé de rue doit répondre à la physionomie du<br />

terrain, à une expression, une affirmation esthétique qui lui est propre, ni droite, ni<br />

courbe a priori » 416 . Il distribue ces dernières entre voies principales, secondaires et<br />

privées : « Les axes majeurs, destinés à orienter l’extension urbaine future, se<br />

subdivisent en deux catégories. Les boulevards et avenues demi-circulaires qui<br />

délimitent des sortes de tranches napolitaines, appartiennent à la première<br />

catégorie…Des voies principales, radiales ou obliques, complètent le système radioconcentrique<br />

précédent. La plus spectaculaire est assurément cette grande promenade<br />

centrale nouvelle qui pénètre jusqu’au cœur du tissu ancien… » 417 . Nous retrouvons ici<br />

l’intérêt de Jaussely pour la promenade comme support des déplacements piétonniers.<br />

Son travail sur la voirie n’insère pas celle-ci dans le contexte routier local ou régional. Il<br />

a choisi de raisonner sur le système fermé de la station hivernale en privilégiant la<br />

déambulation et la desserte des espaces verts. En effet, la ville-parc 418 est privilégiée :<br />

réalisation de parcs et jardins, de plantations et d’alignements d’arbres le long des voies<br />

publiques. Jaussely préconise aussi l’installation de jardins en avant des maisons afin de<br />

414<br />

Michel CHADEFAUD. Aux origines du tourisme dans les pays de l’Adour. Biarritz : Société<br />

Atlantique d’impression, 1988. p. 889<br />

415<br />

Ibid. p. 895<br />

416<br />

Jean-Yves PUYO. L’urbanisme selon Jaussely. Aux débuts de l’urbanisme français. Sous la direction<br />

de Vincent Berdoulay et Paul Claval. Paris : l’Harmattan, 2001.<br />

417<br />

Ibid. p.898.<br />

418 Ibid. p.897<br />

328


favoriser aussi l’ensoleillement. Nombre de ses écrits montre « son approche créatrice<br />

du milieu pour fonder la prospective » 419 . Les élites paloises intéressées par la<br />

villégiature voient dans le plan de Jaussely une véritable aubaine.<br />

Ayant bien repéré les intérêts des élites, Jaussely a su proposer un plan en<br />

adéquation avec la fonction de villégiature, sans pour autant négliger une vision globale<br />

de l’aménagement urbain. Il a ainsi fait preuve de discernement quant à la partie<br />

ancienne de la ville qui est farouchement protégée. Néanmoins, Jaussely n’hésite pas à<br />

proposer un plan qui dépasse largement les moyens de la ville de Pau et de ses<br />

contribuables. La période de crise dans laquelle la France entre au moment de sa mise<br />

en place marque la fin de ce projet ambitieux. Il n’en demeure pas moins que certaines<br />

orientations du plan Jaussely influencèrent longtemps les décisions des édiles palois,<br />

notamment en ce qui concerne l’installation d’espaces verts et de quelques promenades<br />

(allées Duffau et Cours Lyautey).<br />

Le déclin de Pau en tant que station climatique va engendrer de nombreuses<br />

répercussions sur la ville.<br />

11.1.2 Pau face à l’accroissement de la population<br />

Avec la découverte du gisement de gaz de Lacq, le développement d’une industrie<br />

aéronautique et l’essor de l’agriculture régionale (à partir des années 50),<br />

l’agglomération paloise en quinze ans (de la fin des années 50 au début des années 70) a<br />

doublé sa population 420 . La gestion urbaine a dû faire face à cet accroissement de la<br />

population tout en contrôlant la croissance urbaine sur le territoire de la ville de Pau (en<br />

évitant le déploiement sur les communes alentours). Au début, la construction de<br />

pavillons s’est effectuée de façon plus ou moins anarchique. En effet, « la ville paraît<br />

figée dans l’état où l’ont laissée les riches étrangers qui la faisaient vivre : seuls<br />

quelques maigres lotissements ont élargi le périmètre bâti […] En quinze ans, de la fin<br />

des années 50 au début des années 70, la population de l’agglomération double. La<br />

vieille ville, enserrée par le carcan des grandes propriétés ; ne peut guère s’étaler » 421 .<br />

Rapidement, les urbanistes municipaux reprennent les modèles urbanistiques proposés<br />

419<br />

Vincent BERDOULAY et Olivier SOUBEYRAN. L’écologie urbaine et l’urbanisme aux fondements<br />

des enjeux actuels. Op. Cit.,, p.173.<br />

420<br />

Xavier PIOLLE. Les citadins et leur ville : approche de phénomènes urbains et recherche<br />

méthodologique . Op. Cit., p. 19.<br />

421 Ibid. p.19<br />

329


dans le passé comme le plan d’aménagement et d’embellissement de la ville, en<br />

privilégiant l’aspect embellissement sans négliger la voirie. En effet, l’urgence de<br />

proposer des voies de circulation efficaces pour répondre à l’accroissement de<br />

l’automobile n’a pas privilégié l’équilibre des modes de déplacements dans<br />

l’organisation de l’espace public. Le boulevard des Pyrénées, quant à lui, reste une<br />

valeur sûre à développer comme l’avaient proposé auparavant Alphand, puis Jaussely.<br />

La volonté d’assurer à la ville de Pau son caractère noble entraîne le rejet d’une<br />

urbanisation ouvrière. Au contraire, l’urbanisme doit être aéré, par la création d’avenues<br />

triomphales, par la construction d’un habitat de standing sur le boulevard des Pyrénées,<br />

par la création d’espaces verts, par le dédoublement du centre vers le nord, dans le<br />

secteur de l’université, comme secteur des administrations départementales…<br />

permettant ainsi une nouvelle centralité de la ville en fonction des populations<br />

nouvelles.<br />

Dans le cadre de la politique des villes moyennes, dont Pau fait partie, un contrat<br />

d’aménagement entre la ville et l’Etat est signé en 1974. Ce dernier avait pour objectif<br />

de :<br />

« - structurer l’espace de la ville ancienne ;<br />

- améliorer le niveau d’équipements et d’animation » 422 .<br />

Dans cette optique, la perspective du développement du Nord de la ville<br />

nécessitait de réfléchir à la voirie (en ce qui concerne l’automobile et l’espace<br />

piétonnier). L’idée étant de favoriser la circulation, tout en valorisant et facilitant l’accès<br />

aux trois espaces composant la ville : le centre historique, le quartier des affaires et un<br />

nouveau pôle tertiaire en cours de réaménagement. Toutes ces actions avaient aussi pour<br />

finalité de valoriser le patrimoine historique et touristique et d’améliorer la première<br />

image de la ville qu’a le voyageur en sortant de la gare.<br />

Au regard de ces différents objectifs, malgré la réalisation de certains<br />

aménagements (comme l’amélioration de l’image, par l’aménagement paysager, le<br />

dégagement de la partie basse du château encombrée de bâtiments industriels…), de<br />

nombreuses actions relatives à l’aménagement de secteurs piétonniers n’ont jamais vu le<br />

jour. C’est le cas du ravin du Hédas 423 dont les potentialités ne sont pas utilisées. Le<br />

dessein général, avancé par le contrat, était de transformer ce quartier en axe<br />

422 Pau : contrat d’aménagement entre la ville et l’état. Bizanos :Exa.Plans, 1974. p. 24.<br />

423 Le ravin du Hédas est une dépression qui coupe les principaux quartiers du centre, d’est en ouest, sur<br />

un kilomètre. Ce ravin est en fait un véritable petit quartier, avec ses élargissements en forme de places,<br />

ses maisons, lavoirs… p. 32, Pau : contrat d’aménagement entre la ville et l’état.<br />

330


d’animation et de commerce, en établissant des liaisons piétonnières diverses. Compte<br />

tenu de cet objectif, la suppression de toute circulation automobile, à l’exception d’une<br />

voie pompiers, de service et de livraisons, était planifiée. Le quartier du Hédas,<br />

aujourd’hui, malgré quelques améliorations au niveau de l’habitat et de l’installation de<br />

structures culturelles et gastronomiques, n’a pas bénéficié de l’aménagement d’un axe<br />

piétonnier, limitant ainsi l’accès des piétons dans ce secteur étroit, les plaçant au contact<br />

direct des voitures.<br />

Il en va de même pour le projet d’axe piétonnier Serviez-Aragon. La présence de<br />

quelques secteurs dévolus aux piétons (au niveau du palais des Pyrénées et du boulevard<br />

Aragon), a influencé le projet d’un axe piétonnier comme circuit d’animation du centre<br />

traditionnel continu et bouclé sur lui-même.<br />

331


332<br />

0 60 m<br />

rue Serviez<br />

place Clémenceau<br />

secteur piéton<br />

boulevard d’Aragon<br />

Figure 56- L’’axe piétonnier Serviez-Aragon<br />

Le croquis montre la stratégie retenue pour la réalisation de l’axe piétonnier qui<br />

devait permettre à la fois de relier la rue Serviez commerçante avec le site<br />

emblématique de la ville : le boulevard des Pyrénées. La place Clemenceau devait<br />

occuper une place centrale, aérée, propice à la déambulation. Ainsi, le secteur<br />

commercial de la ville devenait un espace piétonnier protégé. Qu’en est-il advenu ? Peu<br />

de choses, en ce sens que la rue Serviez n’a été que très partiellement piétonnisée tout<br />

en connaissant toujours beaucoup de circulation automobile, et que la place Clemenceau<br />

représente davantage un nœud de circulation dans lequel le piéton doit « slalomer »<br />

entre les voitures et les autobus. Nous verrons qu’avec la mise en place du plan de<br />

déplacement urbain, la ville de Pau est sur le point de se doter d’un centre piéton,<br />

reprenant certaines caractéristiques du contrat que nous venons de présenter.


Les difficultés d’évolution de la ville de Pau en terme d’aménagement de l’espace<br />

public ne sont pas récentes. Comment, à travers les différents objectifs avancés par le<br />

plan de déplacement urbain, les urbanistes palois peuvent-ils effacer les déséquilibres,<br />

les dysfonctionnements générés par le passé ?<br />

11.2- Pau et la mise en place du PDU<br />

Comme nous avons pu le voir dans le chapitre 1, les problèmes relatifs à la<br />

mobilité au cœur des villes françaises a généré la création de plans de déplacements<br />

urbains. La communauté d’agglomération paloise 424 (figure n°59) a fait partie de la<br />

deuxième vague de villes concernées par ces PDU.<br />

Notre étude portant uniquement sur l’agglomération paloise, nous nous<br />

limiterons aux objectifs et aux projets développés par celle-ci en rapport avec l’espace<br />

public piétonnier.<br />

Tout d’abord, nous rappellerons les circonstances qui ont conditionné la mise en<br />

place du PDU. L’augmentation de nuisances diverses ( pollution atmosphérique, bruit)<br />

rend pénible le quotidien de nombreux citadins de l’hypercentre et des abords de la RN<br />

117 ou RN 134. Dans des secteurs où l’espace est rare comme dans les centres anciens,<br />

la voiture occupe près des deux tiers de l’espace public : « Il est constaté que<br />

l’insécurité routière, le bruit et la pollution liés à l’intensité du trafic automobile<br />

nuisent à l’attractivité, résidentielle notamment, des centres et tout particulièrement du<br />

cœur de l’agglomération paloise ». 425<br />

424 La création récente de la Communauté d’agglomération de Pau Pyrénées, au 1er janvier 2000, a induit<br />

une extension du périmètre des transports urbains qui regroupait initialement 8 communes, par l’ajout des<br />

communes de Gan, Idron, Ousse et Sendets, puis Artigueloutan et Lée. www.agglo-pau.fr<br />

425 Projet plan de déplacements urbains. www.agglo-pau.fr. p.20.<br />

333


334<br />

Figure 57- La communauté d’agglomération de Pau Pyrénées.<br />

Source : Projet plan de déplacements urbains. www.agglo-pau.fr<br />

Les arguments avancés pour légitimer la mise en place du PDU sont les<br />

suivants :<br />

-L’étroitesse des trottoirs des centres anciens et leur occupation intempestive par<br />

les voitures ont des effets très négatifs :<br />

« - elles contrarient les déplacements quotidiens des résidants,<br />

- elles pénalisent les circuits piétons commerciaux et touristiques,<br />

- elles interdisent totalement le cheminement des personnes à mobilité réduite,<br />

exclues de fait de ces territoires » 426 .<br />

426 ibid. p. 20


Ainsi, à partir de ce constat affiché par les responsables du projet, la mise en<br />

place du PDU a pour objectif de résoudre ces dysfonctionnements liés à l’hégémonie de<br />

la voiture. Même les grandes places et promenades historiques, comme le boulevard des<br />

Pyrénées, sont envahies par les voitures et soumises à une circulation intense, rendant<br />

moins attrayants ces secteurs, porteurs de l’image paloise.<br />

La faiblesse des transports publics est aussi notable, comme nous pouvons le<br />

constater sur le graphique suivant. L’offre en matière de transports publics est largement<br />

insuffisante ( -de 20 kilomètres par habitants) comparée à la moyenne nationale<br />

(environ 28 kilomètres par habitants)<br />

Figure 58- Offre et usage des transports collectifs urbains de quelques<br />

agglomérations françaises<br />

Source : Projet plan de déplacements urbains. www.agglo-pau.fr, p 16.<br />

Tous ces éléments confirment l’urgence de travailler sur la mise en place d’un<br />

plan de déplacements urbains.<br />

Les objectifs avancés par le PDU, qui tiennent compte de l’importance des<br />

modes doux, surtout piétons, sont :<br />

- La remise en valeur des espaces publics du centre-ville, qui « apparaît<br />

comme essentielle dans une politique cohérente d’urbanisme et de déplacements »<br />

- « La promotion de la marche [qui] est un préalable à toutes les actions en<br />

faveur des modes alternatifs à la voiture particulière, la possibilité de se déplacer à<br />

335


pied en toute sécurité et de manière commode est indispensable pour espérer fixer<br />

durablement les habitants en milieu urbain » 427 .<br />

La marche à pied semble prendre une place importante, voire première, dans les<br />

objectifs du PDU proposé par l’agglomération, mais nous verrons par la suite que ce<br />

principe doit être nuancé.<br />

Afin de répondre à ces différents objectifs, diverses mesures vont être mises en place :<br />

336<br />

- « Offrir aux piétons des cheminements confortables et continus, facilitant<br />

les itinéraires entre domicile, écoles, commerces, parcs de stationnement,<br />

équipements publics, lieux de travail,…<br />

- Réhabiliter les places ou promenades autour desquelles se sont construits<br />

les centres-villes pour qu’elles retrouvent leur fonction de lieu de vie, de<br />

rencontre et de déplacements de la population, et leur valeur de patrimoine<br />

urbain.» 428<br />

Ces deux mesures entendent redonner aux usagers piétons la place que leur a<br />

enlevé la pression automobile dans la seconde moitié du vingtième siècle.<br />

La mise en place du PDU sur l’ensemble de l’agglomération a incité la ville de<br />

Pau à proposer la mise en place d’un centre piétonnier, révélateur de l’attachement des<br />

politiques au secteur historique et central de la ville<br />

11.3- Le projet de centre piétonnier : intérêt et limites<br />

Le projet de centre piétonnier s’inscrit dans les objectifs mis en perspective par<br />

le plan de déplacements urbains. Les multiples nuisances (pollution atmosphérique,<br />

sonore, insécurité routière…) qui se sont développées durant ces dernières années au<br />

cœur de l’agglomération paloise rendent le centre-ville, à l’instar des autres secteurs de<br />

la ville, moins attrayant. Nous allons voir comment s’organise ce projet, quel espace est<br />

ciblé, les objectifs mis en avant et l’impact éventuel de ce dernier sur l’expérience du<br />

déplacement piétonnier. Est-ce que ce projet tient compte de l’importance des modes<br />

doux, et surtout de la marche ? S’agit-il d’une réflexion globale sur l’ensemble de<br />

l’agglomération, voire de la communauté d’agglomération ?<br />

427 Ibid. p.22<br />

428 Ibid. p.25


é<br />

0 100 m<br />

Figure 61- Plan du centre piétonnier<br />

Source : www.pau.fr (fichiers pdf centre piéton, p.39)<br />

337


Au regard du plan développé par les urbanistes de la ville de Pau 429 , nous<br />

constatons que le centre piétonnier se limite à une partie du centre qui avait déjà été<br />

proposée, en partie (rue Serviez, place Clemenceau, boulevard Aragon) dans le cadre du<br />

contrat d’aménagement entre la ville et l’Etat. Ce périmètre s’élargit sur la rue Maréchal<br />

Foch, le Cours Bosquet, la place Gramont et le boulevard des Pyrénées.<br />

Il s’agit d’un aménagement piétonnier centralisé qui n’offre aucun axe d’extension<br />

vers le reste de la ville.<br />

Ce dernier s’inscrit dans une vision d’ensemble du projet centre ville qui repose<br />

sur quatre objectifs :<br />

- redonner l’envie de vivre en ville pour regagner des habitants<br />

- constituer le plus grand pôle commercial « d’achat plaisir » de<br />

l’agglomération : « mode, culture, loisir »<br />

- renforcer l’attrait touristique par un projet « grands sites »<br />

- inscrire la culture au centre du projet urbain<br />

Sur les quatre objectifs qui viennent d’être cités, domine l’attrait commercial,<br />

élément structurant du projet.<br />

338<br />

11.3.1- Un projet tourné vers l’activité commerciale<br />

Le périmètre retenu repose avant tout sur une logique d’attraction commerciale<br />

qui conditionne la plupart des secteurs piétonniers en France. En effet, un des éléments<br />

avancé par les urbanistes dans le document de concertation préalable, « aménager un<br />

secteur piétonnier continu reliant les principaux centres commerciaux et rues<br />

commerçantes » 430 , reflète l’importance de l’activité commerciale au détriment d’autres<br />

facteurs. Les éléments culturels et touristiques de la ville viennent se greffer au secteur<br />

commercial du fait de leur proximité. L’image de Pau reste un élément important qu’il<br />

faut continuer à promouvoir.<br />

Le choix des rues à aménager en secteur piétonnier a été proposé suite à un<br />

relevé des fréquentations piétonnes des rues de l’hypercentre.<br />

429 Porteuse du projet de centre piétonnier.<br />

430 Centre piéton à Pau – Concertation préalable - février 2004, site de la ville de Pau : www.pau.fr. p. 17.


0 100 m<br />

Figure 59- Fréquentation piétonne des rues de l’hypercentre ville de Pau (1998) –<br />

piétons/heure<br />

Source : : www.pau.fr (fichiers pdf centre piéton, p.24)<br />

Le comptage de la population piétonne, établi dans le secteur des rues<br />

commerçantes du centre ville, ne fait que confirmer l’attrait des citadins pour ce secteur.<br />

Or, les piétons ne se déplacent-ils qu’au centre ville ?<br />

11.3.2- La place du piéton reste accessoire et confinée au seul<br />

centre (quelques rues commerçantes ou touristiques comme le boulevard des<br />

Pyrénées)<br />

Le projet de centre piétonnier offre aux citadins la possibilité de se déplacer dans<br />

le centre ville en sécurité, dans un espace qui leur est réservé. La mise en service d’un<br />

système de Transports en Commun sur Site Propre (TCSP) permettra aux personnes<br />

résidant loin du centre ville d’accéder rapidement à ce dernier, sans oublier les trajets<br />

inverses pour ceux qui vivent au centre ville et qui souhaitent se rendre dans un quartier<br />

plus éloigné ou dans une commune de la communauté d’agglomération. Pour ce faire, la<br />

339


création de couloirs de bus facilitera l’accès à l’ensemble de la ville. Les cyclistes<br />

profiteront de pistes aménagées facilitant leurs déplacements.<br />

Ce projet ne peut que susciter l’intérêt des piétons, désireux de se déplacer dans<br />

un cadre agréable et sécurisé. Néanmoins, il ne concerne qu’un secteur de la ville fort<br />

réduit au regard de l’ensemble de l’agglomération. Qu’en est-il du reste de la ville ?<br />

Quels sont les projets en ce qui concerne les déplacements piétonniers ? En dehors de<br />

l’aménagement des allées Dufau et du Cours Lyautey, où un secteur piétonnier sera<br />

étendu, il existe aussi quelques espaces dans le secteur nord de la ville, davantage conçu<br />

pour les cyclistes, ou les allées de <strong>Mo</strong>rlaas qui constituent depuis longtemps un espace<br />

de promenade plutôt qu’un axe fort de déplacement.<br />

En ce qui concerne l’aménagement des allées Dufau et du Cours Lyautey, il faut<br />

noter que la mise en place de cet axe avait été proposé par Jaussely dans son plan<br />

d’aménagement et d’embellissement de la ville. Cependant, entre le projet de Jaussely<br />

et l’aménagement actuel, l’espace piétonnier central a complètement disparu et n’a<br />

même jamais vu le jour. Ce n’est qu’à partir de la réalisation du plan de déplacement<br />

urbain que ce secteur va être modifié au profit de mode de déplacement doux (vélo et<br />

marche à pied) et des transports publics. Cette avenue constitue un axe fort qui permet<br />

de faire le lien entre le pôle universitaire et le centre ville, même si le tronçon de la rue<br />

Carnot reste inchangé et inadapté aux déplacements des piétons sécurisés. Ceci<br />

confirme les limites des aménagements piétonniers qui semblent ne pas être pensés à<br />

l’échelle de la ville mais plutôt au bénéfice du centre-ville.<br />

La volonté de créer un centre piétonnier semble avoir ainsi écarté le reste de la<br />

ville, à tel point que l’on peut se demander s’il existerait des piétons en dehors du<br />

centre-ville. En fait, les piétons se répartissent sur l’ensemble du territoire de la ville de<br />

Pau, et, même si leur présence est plus importante au centre, il n’en demeure pas moins<br />

que les besoins en espace piétonnier ne se limitent pas au seul centre. La mise en<br />

perspective de l’expérience du déplacement à travers la méthode des itinéraires devrait<br />

nous éclairer sur les potentialités et les limites de l’espace public palois.<br />

340


Conclusion<br />

La ville de Pau présente à l’heure actuelle d’importantes lacunes en terme<br />

d’aménagement de l’espace public, lacunes pouvant s’expliquer en partie par l’absence<br />

de plan permettant de structurer la ville dans sa globalité au moment où cette dernière<br />

devait faire face à une extension considérable dans les années 60.<br />

L’importance accordée à l’image de la ville centrée sur le boulevard des<br />

Pyrénées et le secteur du château à l’époque de Pau station climatique n’a pas facilité<br />

une approche globale de la ville en terme d’habitat, de déplacement, … la municipalité<br />

et les élites locales préférant conserver une image au détriment de l’espace urbain et de<br />

son organisation. L’image a généré une réflexion au niveau de zones à privilégier au<br />

détriment d’une approche en axes structurants de la ville qui au contraire mériteraient<br />

l’attention des urbanistes.<br />

Au moment où le plan de déplacements urbains entre en vigueur, il semble<br />

important de se tourner vers l’expérience de la population afin de savoir quels sont les<br />

secteurs de la ville, les aménagements, les mobiliers urbains… qui demandent une<br />

attention particulière. Comment les piétons vivent-ils leurs déplacements ? Sont-ils<br />

satisfaits ?<br />

Toutes ces questions nous conduisent à réfléchir tout particulièrement à<br />

l’expérience du déplacement des piétons qui permettra de révéler les atouts et les<br />

dysfonctionnements de l’espace public, à cibler les éventuelles actions sur des axes<br />

forts. La méthode des itinéraires ayant été expérimentée à Barcelone, nous allons<br />

l’utiliser pour mettre à l’épreuve l’espace public palois en relation aux déplacements<br />

piétonniers. Le récit de l’itinéraire peut-il révéler les stratégies à mettre en œuvre au<br />

cœur de l’espace public palois ? Le recueil d’expérience de piétons peut-il aider à mettre<br />

en exergue les orientations possibles de l’espace public ?<br />

341


342


Chapitre 12 : La méthode des itinéraires : une nouvelle<br />

approche des déplacements dans la ville de Pau<br />

Au regard de l’évolution de la ville de Pau en terme d’aménagement urbain, nous<br />

avons pu constater de véritables dysfonctionnements au cœur de l’espace public. Dans<br />

ce contexte, il nous a semblé pertinent, au moment où les politiques de la ville<br />

entreprennent de grands changements, de nous interroger sur la place du piéton dans<br />

l’espace urbain palois. Nous tenterons de savoir comment les piétons vivent les<br />

déplacements dans cette ville ? Quels sont les manques ? Quels sont les atouts ? Chacun<br />

trouve-t-il sa place ?<br />

Dans la perspective de cerner au plus près le vécu des piétons, nous travaillerons à<br />

nouveau sur la méthode des itinéraires afin de repérer ce qui détermine l’expérience du<br />

déplacement chez les personnes interrogées. Nous verrons à quel point l’expérience est<br />

fortement tributaire de l’étendue de l’espace piétonnier qui leur est réservé. La diversité<br />

de la population, des besoins, nous amène à présenter en amont de l’analyse le choix de<br />

l’échantillon de population retenu, ce dernier ayant pour particularité de proposer des<br />

personnes aux profils différents.<br />

Puis, nous analyserons, dans le détail, quatre des itinéraires effectués sans négliger<br />

pour autant le reste des personnes interrogées. Ces dernières nous permettront<br />

d’approfondir l’expérience du déplacement en repérant les similitudes et les différences<br />

en terme de relation avec l’espace parcouru mais aussi au niveau de l’histoire de vie,<br />

élément de différenciation.<br />

Enfin, nous verrons comment l’itinéraire peut intervenir pour proposer une nouvelle<br />

approche de cette ville, dans l’idée de suggérer de nouvelles pistes de réflexion en ce<br />

qui concerne l’aménagement piétonnier, sachant que notre analyse ne se limite pas au<br />

centre-ville de Pau mais cherche, au contraire, à s’étendre à l’ensemble de<br />

l’agglomération afin de déterminer les besoins sur l’ensemble du territoire. Comment au<br />

sein d’une ville où les rues restent le monopole de la voiture, redonner sa place aux<br />

piétons dans un espace public accessible à tous ? L’analyse des résultats obtenus servira<br />

de support pour proposer une approche possible de l’espace urbain par le biais du<br />

concept d’itinéraire.<br />

343


diverses<br />

344<br />

12.1- Un échantillon hétérogène, révélateur d’expériences<br />

L’ampleur du travail que nécessite cette méthode limite l’échantillon à 12<br />

personnes interrogées sur les 15 rencontrées. En effet, la difficulté de cette méthode<br />

réside dans l'accord de la personne interrogée pour devenir guide. Certaines (3 ) n’ont<br />

pas réussi à dépasser l’étape du pré-entretien qui positionne déjà l’interviewé en tant<br />

que guide organisant son propos. Les douze itinéraires que nous avons obtenus sont tous<br />

très différents même si certains éléments se retrouvent, surtout en terme d’aménagement<br />

de l’espace public.<br />

Afin de mieux cerner la population sur laquelle nous avons travaillé, une<br />

présentation des différents parcours en fonction de l’objectif du déplacement est<br />

proposée.<br />

12.1.1- Des piétons en marche vers leur travail<br />

Trois des personnes rencontrées se déplacent quotidiennement à pied pour se<br />

rendre sur leur lieu de travail.<br />

Betty, âgée de 50 ans, réside dans le quartier du château. Elle se déplace le plus<br />

souvent à pied, pour se rendre à son travail (au Lycée Louis Barthou), à la poste, au<br />

marché… Le parcours qu’elle a choisi d’effectuer en tant que guide, est celui qu’elle<br />

réalise plusieurs fois par semaine pour se rendre à son travail.<br />

Patricia, âgée de 50 ans, est domiciliée avenue Rhin Danube, dans le secteur de<br />

la Pépinière. Les déplacements dans son quartier et pour aller au centre ville sont<br />

réalisés la plupart du temps à pied. Le parcours, que nous avons effectué avec elle,<br />

consistait à l’accompagner jusqu’à son lieu de travail : la Direction Départementale de<br />

l’Agriculture.<br />

Marion, âgée de 13 ans, réside dans le quartier Tourasse. En dehors des<br />

déplacements qu’elle effectue à pied pour se rendre au collège ou aller chercher son<br />

petit frère à l’école, elle utilise aussi l’autobus ou la voiture de ses parents. C’est son<br />

parcours pour se rendre au collège qu’elle a choisi de nous faire partager.


12.1.2- Des piétons flâneurs<br />

Ceux que nous avons surnommé piétons flâneurs, sont deux retraités, qui<br />

prennent plaisir à déambuler dans Pau, curieux de la nouveauté.<br />

Claudie, âgée de 62 ans, réside dans la rue des Anglais. Elle n’est pas originaire<br />

de Pau, elle est arrivée dans cette ville en 1961 pour exercer son métier (professeur<br />

d’arts plastiques). Comme elle nous l’a signalé, depuis cette date, elle se sent paloise.<br />

Le parcours qu’elle a choisi de nous faire partager constitue une véritable ballade, elle le<br />

réalise 3 à 4 fois par semaine, pour le plaisir, en faisant quelques courses. Comme elle<br />

nous l’a mentionné durant le pré-entretien, il s’agit d’un parcours utilitaire et de<br />

promenade.<br />

Joseph, âgé de 63 ans, habite dans le quartier du château depuis 1972. Il se<br />

déplace prioritairement à pied, et n’utilise la voiture que lorsqu’il sort de la ville. Etant<br />

retraité, il profite davantage de son temps libre pour pouvoir aller au marché, flâner,<br />

arpenter les différentes rues de son quartier (le centre), voire même se rendre à<br />

l’université à pied. Nous l’avons suivi lors de ses flâneries pour se rendre au marché de<br />

Pau, en effectuant une boucle par le boulevard des Pyrénées qu’il affectionne tout<br />

particulièrement.<br />

12.1.3- Un couple en marche vers le même lieu avec des parcours<br />

différents<br />

L’opportunité de pouvoir interroger un couple dont chacun réalise<br />

individuellement le parcours pour se rendre au même endroit mais à des horaires<br />

différentes, nous a permis de relever l’existence de sensibilité et choix divergents dans<br />

leur démarche.<br />

Myrtille, âgée de 27 ans, réside dans la rue.. Originaire de la banlieue parisienne,<br />

elle vit à Pau depuis trois ans. La majorité de ses déplacements se font à pied ou à vélo<br />

l’été. Elle effectue un parcours totalement différent de son mari pour se rendre à<br />

l’université. Elle se déplace plus fréquemment à pied que lui, ceci étant en partie dû à<br />

ses nombreuses activités (théâtre, piscine, danse, le marché) qui se répartissent dans la<br />

ville.<br />

Dominique, âgé de 38 ans, habite lui aussi dans la rue… Cela fait une dizaine<br />

d’années qu’il vit à Pau. Il a plusieurs fois changé de résidence, ce qui lui permet<br />

345


d’avoir une vision plus large des déplacements à pied dans la ville de Pau. Il a choisi de<br />

nous faire découvrir son parcours jusqu’à l’Université, qu’il réalise parfois deux fois par<br />

jour.<br />

346<br />

12.1.4- Des personnes à mobilité réduite<br />

Nous ne pouvions aborder l’expérience du déplacement piétonnier sans tenir<br />

compte des personnes à mobilité réduite.<br />

Faby, âgée de 46 ans, réside à la rue Jean Jové. Elle est handicapée physique et<br />

se déplace en fauteuil électrique depuis trois ans, ce qui a complètement changé sa vie,<br />

lui permettant d’être davantage autonome, du moins au niveau de ses déplacements.<br />

Elle circule sur la chaussée au même niveau que les voitures. Le parcours sur lequel<br />

nous l’avons suivi représente le déplacement essentiel, hebdomadaire, pour se rendre au<br />

site de l’association « Tandem », de laquelle elle est secrétaire.<br />

Serge, âgé de 42 ans, demeure à la rue d’Aspe dans le quartier Tourasse. Il est<br />

non voyant et se déplace à pied pour se rendre à son travail, quatre fois par semaine, à<br />

l’aide d’une canne, élément vital durant son déplacement. Nous l’avons accompagné<br />

lors du retour à son domicile, depuis son lieu de travail (la DDA).<br />

12.1.5- Des piétons entre promenade et obligation<br />

Il est parfois difficile de donner une catégorie aux déplacements. Dans le cas de<br />

Laetitia et Marie, le parcours est vécu à la fois comme une obligation mais aussi en tant<br />

que promenade.<br />

Laetitia, âgée de 30 ans, réside dans le quartier Tourasse depuis un an. Mère<br />

d’un jeune enfant d’un an, elle effectue nombre de ses déplacements à pied, avec une<br />

poussette, ce qui complique la tâche. Plusieurs fois par semaine, en début d’après-midi,<br />

elle a pris l’habitude de se rendre sur les allées de <strong>Mo</strong>rlaàs pour promener son fils afin<br />

de l’endormir. Il s’agit à la fois d’une obligation mais aussi d’un moment de détente.<br />

C’est sur ce parcours que nous avons accompagné Laetitia.<br />

Marie, âgée de 60 ans, réside dans la rue Michel Hounaut. A la retraite depuis un<br />

an, elle partage son temps entre la montagne et la vie paloise. Depuis 22 ans, elle vit à<br />

proximité du centre. Il s’agit d’un choix stratégique qui lui permettait, ainsi qu’à sa fille,<br />

de pouvoir se rendre, facilement à pied, à son lycée, à ses différentes activités, sans


avoir besoin de sa mère. Elle a choisi d’être notre guide sur un parcours qu’elle réalise<br />

deux fois par semaine pour se rendre au marché.<br />

347


12.1.6- Des piétons touristes<br />

Martine, âgée de 50 ans, réside en banlieue parisienne, au Perreux Sur Marne.<br />

Elle s’est rendue le 25 avril 2005 à Pau, en tant que touriste, pour découvrir la ville.<br />

Habituée à se déplacer à pied, elle apprécie de découvrir une ville en déambulant au<br />

grès de son humeur. Le jour de son arrivée nous l’avons rencontré à l’aéroport de Pau et<br />

nous avons pris rendez-vous avec elle une heure après, le temps qu’elle dépose ses<br />

affaires à l’hôtel, devant la mairie, qui constitue toujours un point de référence pour<br />

entamer sa découverte d’une ville.<br />

La variété des personnes interrogées, associée à celle des lieux, permettront<br />

d’appréhender l’expérience du déplacement piétonnier dans sa diversité. Dans l’idée de<br />

visualiser la localisation de chaque itinéraire, nous avons réalisé une carte reprenant le<br />

tracé du déplacement de chaque personne.<br />

348<br />

Joseph<br />

Patricia<br />

Betty<br />

Myrtille<br />

Marie<br />

Faby<br />

Claudie<br />

Martine<br />

Dominique<br />

Serge<br />

Leatitia<br />

Marion<br />

0 200 m<br />

Figure 60 Carte représentant les différents itinéraires réalisés à Pau<br />

(Source : http://www.pau.fr/plandeville/planville.html)<br />

N


itinéraires<br />

12.2- L’expérience qui se révèle : la méthode des<br />

Dans la continuité du travail réalisé à Barcelone, à partir de la méthode des<br />

itinéraires, nous avons choisi de présenter quatre itinéraires dans leur globalité qui<br />

reprennent quatre des profils qui viennent d’être présentés : le piéton en marche vers<br />

son travail, le piéton entre promenade et obligation, le piéton flâneur et, pour terminer,<br />

le piéton à mobilité réduite. L’importance de travailler sur des parcours qui sont réalisés<br />

de façon quotidienne comme élément faisant partie de la vie de tous les jours nous a<br />

conduit à retenir quatre des douze itinéraires. Dans notre cas, il nous a paru préférable<br />

de travailler, dans un premier temps, sur quatre des itinéraires réalisés, reprenant les<br />

catégories qui reposent sur une approche quotidienne d’un déplacement piétonnier dans<br />

lequel la personne interrogée s’implique et, dans un second temps, de mener une<br />

analyse sur l’ensemble des douze itinéraires pour révéler à la fois les marqueurs de<br />

l’itinéraire ainsi que les potentialités et les limites de l’espace public palois.<br />

Nous aborderons ces quatre itinéraires, en localisant pour commencer le<br />

parcours, puis en intégrant le récit accompagné des photographies. Nous mènerons,<br />

ensuite, une analyse détaillée qui permettra de visualiser l’ensemble des paramètres<br />

structurant l’expérience, puis nous nous attarderons sur l’ensemble des itinéraires<br />

étudiés pour repérer les similitudes et les différences qui nous permettront de déterminer<br />

les limites et atouts de l’espace public palois, à travers la détermination de marqueurs de<br />

l’itinéraire. Enfin, différentes pistes de réflexion seront proposées au regard de la<br />

méthode des itinéraires utilisée à Pau ainsi qu’à Barcelone, sans négliger l’importance<br />

du concept d’itinéraire dans l’appréhension des déplacements piétonniers en ville.<br />

12.2.1- L’itinéraire de Laetitia une promenade en guise de berceuse<br />

Laetitia est une jeune maman qui a découvert les vertus de la promenade pour<br />

endormir paisiblement son nourrisson. Plusieurs fois par semaine, en début d’aprèsmidi,<br />

elle profite de la proximité des allées de <strong>Mo</strong>rlaàs pour accomplir son itinéraire<br />

suscité par le besoin d’endormir son fils, tout en profitant elle aussi d’un moment de<br />

détente, une fois celui-ci assoupi. Le parcours dure normalement 30 minutes, cela<br />

dépend du bébé qui s’endort plus ou moins rapidement. Autre élément important dans le<br />

349


choix du jour de promenade : la météorologie. S’il pleut, la promenade est reportée à un<br />

autre jour.<br />

350<br />

N<br />

0 130 m<br />

Figure 61- Itinéraire de Leatitia<br />

(Source : plan de Pau au 1/13000, Plan-guides Blay)


Diapositive 1<br />

Diapositive 2<br />

Il faut traverser la route à un feu où<br />

le temps de passage piéton au vert<br />

est très court surtout en poussette.<br />

Le trottoir est chaotique pour<br />

descendre sur la chaussée…<br />

Impossibilité de passer du côté<br />

droit de la rue sur trottoir car c’est<br />

trop étroit. (photo). Parcours<br />

contraint comme je ne peux pas<br />

passer de l’autre côté. Le parcours<br />

dure normalement 30 minutes. Je<br />

contourne ce trottoir en passant sur<br />

la chaussée, car sinon en l’espace<br />

de 20 mètres il faut monter et<br />

descendre 4 fois. C’est parce qu’il<br />

n’y a pas d’aménagement pour<br />

monter et descendre le trottoir<br />

(alors qu’on se situe à proximité<br />

d’une école).<br />

Diapositive 3 Au début c’était un peu humide et<br />

je n’arrivais pas à avancer sur ces<br />

gravillons (allée <strong>Mo</strong>rlaas), je<br />

m’embourbais, quand c’est sec ça<br />

passe même si c’est pas très<br />

pratique. L’impression sonore<br />

domine sur les allées, c’est difficile<br />

de faire abstraction du bruit en se<br />

promenant, la vue n'est pas<br />

forcément terrible et le bruit est<br />

toujours présent. Les gens vont<br />

assez vite quand même, c’est une<br />

"deux voies", ils n'hésitent pas à<br />

aller vite même si la circulation est<br />

limitée…<br />

351


Diapositive 4 Au bout il y a des jeux aménagés<br />

pour les enfants, c’est un peu<br />

glauque,<br />

Diapositive 5<br />

Diapositive 6 Car il y a des poubelles et les<br />

toilettes à côté, c’est un peu<br />

aménagé à l’économie. Ça ne fait<br />

pas très envie, c’est à proximité de<br />

la route, ça n'est pas du tout<br />

protégé, les voitures sont à moins<br />

de 10 mètres.<br />

Diapositive 7 En ce moment on est sur un instant<br />

de répit, sinon c’est assez sympa, il<br />

y a des petits vieux qui s’arrêtent<br />

qui regardent au-dessus de la<br />

poussette, il y a souvent des petits<br />

qui se promènent avec leurs<br />

mamans où la nounou, il y a quand<br />

même un peu de vie. C’est aussi<br />

un endroit privilégié pour faire du<br />

footing tout le temps. Souvent on<br />

n'arrive pas à aller au bout de<br />

l’allée car les boulistes prennent<br />

possession de cet espace car il n’y<br />

a pas assez de place sur le rondpoint<br />

aménagé en boulodrome.<br />

Aujourd’hui, il n’y en a pas<br />

beaucoup de personnes qui jouent<br />

à la pétanque.<br />

352


Diapositive 8<br />

Il y a pas mal de monde avec des<br />

chiens. Il y a cinq types de<br />

personnes ici : les personnes<br />

âgées,<br />

Diapositive 9 les gens qui promènent leur chien,<br />

les coureurs ou les cyclistes, les<br />

jeunes mamans ou les nounous<br />

avec les enfants et les boulistes au<br />

bout.<br />

Diapositive 10 Il y a beaucoup de personnes<br />

âgées car il semble qu’il y ait<br />

beaucoup de personnes âgées qui<br />

habitent ce quartier. Par contre<br />

c’est difficile pour les personnes<br />

âgées de traverser la rue, ça n'est<br />

pas aménagé, il y a qu’un seul<br />

passage piéton à proximité du rond<br />

point et d’un feu.<br />

353


Diapositive 11 En général je fais les demis allées.<br />

Normalement je fais ça au moins<br />

deux fois par semaine, ça dépend<br />

si je suis fatiguée si je n'ai pas<br />

envie de sortir ou si j’ai des<br />

courses à faire. Je vais aussi à la<br />

boulangerie ou à la pharmacie à<br />

pied depuis la maison. Si je ne sors<br />

pas souvent avec la poussette,<br />

c’est pas agréable au niveau de la<br />

circulation, du bruit… et à proximité<br />

immédiate du boulevard Tourasse<br />

j’ai voulu aller une fois chercher du<br />

pain mais c’est impossible avec la<br />

poussette, c’est trop dangereux, il y<br />

a un trottoir beaucoup trop petit<br />

Diapositive 12<br />

Diapositive 13<br />

354<br />

pour une poussette. Je m’arrête<br />

rarement, voire jamais, comme<br />

c’est pour endormir bébé mieux<br />

vaut le bercer par les pas.<br />

Là, on rentre à la maison, bébé est<br />

endormi…<br />

Pendant longtemps j’ai suivi<br />

l’avancée des travaux d’une<br />

maison, j’appréciais de voir<br />

l’évolution (je suis particulièrement<br />

intéressée vu que je suis à la<br />

recherche d’une maison à acheter).<br />

Quand je me balade, je fais très<br />

attention aux maisons.


Diapositive 14<br />

Diapositive 15<br />

Diapositive 16<br />

A cette heure-ci cette route est<br />

relativement calme.<br />

Les rambardes qui ont été mises<br />

sur le trottoir pour protéger les<br />

enfants empêchent le passage des<br />

poussettes et le croisement des<br />

personnes.<br />

Il y a une maison de retraite dans<br />

cette rue, ça explique peut-être le<br />

fait qu’il y ait beaucoup de<br />

personnes âgées aux allées…<br />

Au retour je monte sur le petit bout<br />

de trottoir comme on est de dos à<br />

la circulation.<br />

355


Diapositive 17 Il y a aussi une école…<br />

Diapositive 18<br />

356<br />

Quand je disais que le trottoir est<br />

vraiment en très mauvais état, ils<br />

pourraient faire un effort surtout à<br />

proximité de l’école et d’une<br />

maison de retraite.<br />

Diapositive 19 La présence des rambardes limite<br />

trop l’espace piéton, c’est<br />

absolument impossible de passer<br />

avec la poussette.<br />

Diapositive 20<br />

Ça y est la boucle est bouclée,<br />

dernier passage à traverser,<br />

rapidement vu la rapidité du feu<br />

vert.


Diapositive 21 Comme vous avez pu le voir, le<br />

passage le plus difficile, c’est dans<br />

l’avenue des Sayettes à proximité<br />

de l’école. Seules les allées<br />

permettent d’évoluer tranquille.<br />

357


Après avoir suivi chronologiquement le récit de l’itinéraire de Laetitia, nous<br />

allons procéder à l’analyse de cet itinéraire, en relevant, tout d’abord, les éléments<br />

relatifs à l’expérience sensible de l’espace parcouru et, par la suite, identifier ce que<br />

nous qualifions d’expérience fondée sur l’histoire de vie de l’interviewé, qui l’amène à<br />

percevoir l’espace différemment.<br />

L’expérience sensible :<br />

Lors du pré-entretien, Laetitia, jeune maman, nous a expliqué qu’elle résidait à<br />

Pau depuis un an. Au départ, elle avait tenté de se rendre depuis chez elle au centre ville<br />

avec la poussette, mais les trottoirs n’étant pas aménagés à cet usage elle n’a pas<br />

renouvelé l’expérience.<br />

D’une manière différente que l’itinéraire de Jussera (à Barcelone), Laetitia ne<br />

réalise pas son parcours toute seule, elle doit adapter son allure, trouver le meilleur<br />

passage pour la poussette. L’espace dont elle a besoin avec son enfant pour circuler est<br />

bien plus important que pour une personne seule, valide, qui peut se faufiler ou courir,<br />

si nécessaire.<br />

Une des premières contraintes auxquelles Laetitia doit faire face est la traversée<br />

du boulevard Tourasse, au niveau d’un feu tricolore, où le feu vert des piétons est trop<br />

rapide pour arriver à traverser sans se presser.<br />

Puis, comme nous pouvons le constater sur les diapositives n°3 ou n°19, le<br />

trottoir qui paraît au premier abord suffisamment large pour le passage d’une poussette<br />

est vite restreint par l’installation d’une rambarde métallique à l’entrée d’une école qui<br />

limite l’accès et surtout le passage. Laetitia explique qu’elle est obligée de traverser<br />

cette rue pour rejoindre l’autre trottoir un peu plus praticable. Ce changement de côté<br />

l’oblige à descendre du trottoir pour remonter sur un autre, ce qui s’avère plutôt<br />

chaotique, avec une poussette (diapositive n°16).<br />

Au niveau des allées de <strong>Mo</strong>rlaàs, Laetitia nous a fait remarquer que le<br />

revêtement du sol sous forme de petits gravillons, n’était pas adapté aux poussettes,<br />

surtout après que le sol a été mouillé. Elle reste aussi sensible au bruit des voitures qui<br />

circulent rapidement et qui rendent la promenade moins agréable. Elle ne semble pas<br />

très attirée par l’espace environnant, dépouillé par l’hiver, la végétation à l’automne ou<br />

au printemps l’attirant davantage.<br />

De plus, elle nous a fait remarquer la présence d’une aire de jeux que nous<br />

pourrions qualifier d’aménagement aberrant en raison de sa localisation à proximité<br />

358


d’un rond point très fréquenté, de deux doubles voies, de toilettes et de poubelles, sans<br />

aucune barrière de protection. Apparemment, elle a rarement vu des enfants s’y amuser,<br />

ce qui prouve l’insatisfaction des habitants.<br />

Une fois le bébé endormi, Laetitia nous a mentionné à plusieurs reprises l’état<br />

déplorable du trottoir (diapositive n°18). Cela lui semble préjudiciable à proximité<br />

d’une école et d’une maison de retraite, rendant difficile la progression.<br />

L’expérience révélatrice de l’histoire de vie :<br />

Lors du pré-entretien, Laetitia nous a expliqué que cela faisait peu de temps<br />

qu’elle habitait à Pau. Elle a donc été obligé d’explorer son quartier et la ville. Elle s’est<br />

vite aperçue que les déplacements à pied depuis son lieu d’habitation étaient limités par<br />

le manque d’infrastructures pour les piétons.<br />

Elle a dû apprendre à se déplacer dans Pau, en recherchant les espaces<br />

favorables aux déplacements piétonniers, surtout avec une poussette. Seules les allées<br />

de <strong>Mo</strong>rlaàs, situées à proximité de son lieu d’habitation, lui permettaient de ne pas<br />

utiliser la voiture et de progresser dans un espace relativement agréable. Elle nous a<br />

d’ailleurs fait remarquer l’importance du bruit des voitures, au cœur même de cet<br />

espace de promenade. Elle trouve cela particulièrement gênant lorsqu’on souhaite se<br />

balader.<br />

Nous avons pu constater que certaines habitudes étaient perceptibles dans son<br />

récit, comme la présence de personnes âgées qui ont l’habitude de l’interpeller pour voir<br />

son bébé (diapositive n°7), ce qui semble lui plaire. En effet, les allées peuvent être<br />

aussi un lieu d’échange, de rencontres. Elle suit toujours le même parcours en direction<br />

du rond point de l’avenue Tourasse, puis revient sur ses pas. Suivant la rapidité à<br />

laquelle son fils s’endort, elle continue l’allée en direction du centre ou rejoint tout<br />

simplement le croisement d’où elle est arrivée.<br />

L’histoire de vie de Laetitia n’est pas réellement visible dans son récit. Arrivée<br />

depuis peu à Pau, son histoire avec cette ville est à construire. Son nouveau rôle de mère<br />

ne laisse pas beaucoup de place à la flânerie, car une grande partie de ses pensés, de ses<br />

actions, sont tournées vers son fils. L’espace qu’elle nous raconte est avant tout celui<br />

qu’elle parcourt avec son fils, privilégiant ainsi la sécurité comme marqueur de son<br />

itinéraire. La concentration portant sur la poussette limite l’appropriation de l’espace<br />

dans sa globalité. Les trottoirs constituent l’élément central du déplacement, même si<br />

parfois Laetitia nous signale quelques éléments comme l’attention qu’elle porte sur une<br />

359


maison en construction (diapositive n°13). En effet, depuis son arrivée à Pau, elle<br />

recherche une maison à acheter, c’est pourquoi elle fixe son regard sur les biens<br />

immobiliers.<br />

12.2.2- Betty une piétonne de toujours, en marche vers son lieu de<br />

travail<br />

Lors du pré-entretien avec Betty, celle-ci nous a expliqué l’importance de la<br />

marche dans sa vie de tous les jours. En effet, c’est un choix de vie, « même quand le<br />

parcours est long, je préfère l’effectuer à pied, ça me donne le temps d’apprécier ce qui<br />

m’entoure et qui plus est c’est bon pour la santé ».<br />

La diversité de parcours possibles nous a amené à privilégier celui qui prenait le<br />

plus de place dans la vie quotidienne. Sans hésitation, elle nous a expliqué qu’il<br />

s’agissait de celui qu’elle suivait pour se rendre à son lieu de travail : le lycée Louis<br />

Barthou.<br />

Il s’agit d’un parcours relativement court (15 minutes) qui peut être réalisé<br />

jusqu’à deux fois par jour (aller-retour).<br />

360<br />

N<br />

Figure 62- Itinéraire de Betty<br />

(Source : plan de Pau au 1/13000, Plan-guides Blay)<br />

0 100 m


Diapositive 1 Je commence par voir s’il n’y a pas<br />

des choses sur lesquelles je<br />

pourrais marcher, apparemment<br />

non…<br />

Diapositive 2 Aujourd’hui le restaurateur est<br />

fermé… Il n’y a pas beaucoup de<br />

voitures, par contre on trouve<br />

quelques voitures qui se garent,<br />

c’est dommage parce que le<br />

quartier est joli sans voiture,<br />

Diapositive 3 Aujourd’hui il fait beau mais c’est<br />

un peu couvert, habituellement je<br />

remarque ici la chaîne des<br />

Pyrénées, mais aujourd’hui c’est<br />

couvert.<br />

Diapositive 4 C’est très calme aujourd’hui, c’est<br />

lundi, mais c’est très agréable en<br />

tout cas. Le trottoir ici ça va c’est<br />

un peu plus loin que ça se rétrécit<br />

beaucoup.<br />

361


Diapositive 5 On a de la chance parce qu’il fait<br />

très beau ici j’ai l’habitude de<br />

m’arrêter pour regarder les<br />

Pyrénées mais aujourd’hui ils ne<br />

sont pas visibles.<br />

Diapositive 6 D’habitude je marche beaucoup<br />

plus vite mais là on a le temps.<br />

Très vite on est un peu plus à<br />

l’étroit, il suffit que les gens mettent<br />

aussi un peu de pub pour que se<br />

soit vraiment étroit.<br />

Diapositive 7 J’aime regarder les vitrines et rêver<br />

à ce que je pourrais m’acheter si<br />

j’avais les moyens…<br />

Diapositive 8 Ici c’est plus direct et beaucoup<br />

plus calme que la rue Maréchal<br />

Foch… D’habitude je m’arrête<br />

devant l’office de Tourisme, le<br />

syndicat d’initiative pour voir ce<br />

qu’ils exposent, le programme…<br />

362


Diapositive 9 J’aime beaucoup la place royale, si<br />

je pouvais, je passerais de l’autre<br />

côté pour passer le long du<br />

boulevard des Pyrénées mais je<br />

n’ai pas le temps.<br />

Diapositive 10 Ici c’est la mairie, j’ai l’habitude de<br />

voir toujours les mêmes gardiens à<br />

tel point qu’on se salue.. Mais<br />

aujourd’hui il n’y est pas. Devant la<br />

mairie c’est toujours difficile de<br />

passer.<br />

Diapositive 11 Très vite on va voir que le trottoir<br />

va se réduire, par contre<br />

aujourd’hui je remarque que c’est<br />

beaucoup plus propre. Peut-être<br />

qu’ils commencent à bouger…<br />

Diapositive 12 Par exemple, là on voit qu’il y a des<br />

poubelles qui prennent toute la<br />

place sur le trottoir, c’est bizarre<br />

dans une rue de luxe…<br />

C’est considéré comme une ville<br />

qui a beaucoup d’argent mais sur<br />

le plan de la propreté… Mais je<br />

pense qu’ils vont faire des travaux<br />

et que ça va être élargi…<br />

363


Diapositive 13 De ce côté il n’y a pas de problème<br />

pour traverser le problème c’est un<br />

peu plus loin. Là ils font des<br />

travaux, c’est en chantier…<br />

Diapositive 14<br />

Diapositive 15 D’habitude, il y a toujours ici des<br />

étudiants assis dans cet escalier<br />

qui descend…<br />

Diapositive 16 D’habitude je suis habituée à<br />

regarder les Pyrénées.<br />

364


Diapositive 17 De temps en temps je m’arrête<br />

chez le traiteur, ici c’est beaucoup<br />

plus embêtant pour traverser par<br />

ce que les voitures arrivent à toute<br />

vitesse…, il n’y a pas de passage<br />

piéton… Alors on va traverser, il<br />

faut faire très attention.<br />

Diapositive 18<br />

Diapositive 19 Et c’est ce trottoir qui est<br />

ridiculement étroit, on ne peut pas<br />

marcher côte à côte, c’est<br />

dangereux.<br />

Diapositive 20 Il y a beaucoup de magasins qui<br />

changent rapidement de<br />

propriétaire.<br />

365


Diapositive 21 Autrefois il y a avait une boutique<br />

de confection très sympa et<br />

aujourd’hui c’est une agence<br />

immobilière, c’est très bizarre, il y a<br />

énormément d’agences sur Pau.<br />

Je n'ai jamais vu ça…<br />

Diapositive 22 On traverse sur le passage clouté,<br />

là ils sont obligés de s’arrêter<br />

normalement..<br />

Diapositive 23 J’aime beaucoup cette vue sur le<br />

lycée, le palais Beaumont, j’y vais<br />

plusieurs fois par semaine, c’est<br />

très beau, le vieux bâtiment.<br />

Diapositive 24 Ca y est, on est arrivé.<br />

366


La totalité du récit de l’itinéraire tel que Betty nous l’avait présenté, va être<br />

analysé, en retenant, tout d’abord, les éléments relatifs à l’expérience sensible de<br />

l’espace parcouru et, par la suite, identifier ce que nous qualifions d’expérience fondée<br />

sur l’histoire de vie de l’interviewé, qui amène Betty à percevoir l’espace différemment.<br />

L’expérience sensible :<br />

Le premier réflexe de Betty, avant de commencer sa progression, consiste à<br />

regarder « s’il n’y a pas des choses sur lesquelles je pourrai marcher ». Comme son<br />

mari lui a appris, il est toujours important d’avoir un regard qui se projette sur l’espace à<br />

parcourir, afin de repérer les obstacles, qui, à Pau prennent la forme de déjections<br />

canines. C’est lors du pré-entretien qu’elle nous avait expliqué l’astuce qui lui a souvent<br />

rendu service, vu la prolifération des déjections canines sur les trottoirs. Comme elle<br />

adore faire du lèche vitrine, elle a souvent été piégé.<br />

Elle apprécie de vivre dans un quartier piétonnier où les voitures sont<br />

normalement absentes, même si malgré tout quelques personnes s’y garent, ce qui<br />

enlève son charme au quartier.<br />

Elle porte aussi son attention sur les trottoirs, leur ampleur… Elle nous explique<br />

(diapositive n°4) que ce tronçon est correct, suffisamment large et entretenu. « Comme<br />

elle a l’habitude de marcher plus vite, c’est important pour elle d’avoir des trottoirs<br />

plus larges ». Au passage, elle signale que la présence de publicité ou de pancartes sur<br />

les trottoirs (diapositive n°6) diminuent l’espace dévolu aux piétons.<br />

Le choix de son parcours est influencé à la fois parce qu’il s’agit du chemin le<br />

plus direct mais aussi plus calme que la rue Maréchal Foch. Son attrait pour les<br />

Pyrénées pourrait l’amener à préférer le Boulevard des Pyrénées mais elle choisit<br />

d’aller au plus vite pour optimiser son temps.<br />

Au fur et à mesure que nous progressons, elle nous fait constater l’étroitesse des<br />

trottoirs qui s’amplifie en allant vers le lycée. Elle semble étonnée par la propreté de la<br />

rue, ce qui n’est pas forcément le cas tous les jours. En revanche, il n’en demeure pas<br />

moins que certaines personnes ont déposé les ordures sur le trottoir (diapositive n°12),<br />

ce qui limite d’autant plus le passage. Elle ne comprend pas comment c’est possible de<br />

laisser ce genre de choses se produire dans une rue de luxe. D’ailleurs elle nous fait<br />

remarquer que la propreté dans les rues de Pau laisse à désirer.<br />

367


L’absence à certains endroits de passage piétonnier rend le parcours dangereux,<br />

il faut être très prudent car les voitures arrivent parfois vite et l’espace à traverser est<br />

relativement important.<br />

Comme elle nous l’avait signalé auparavant, le trottoir se réduit « ridiculement »<br />

(diapositive n°19), empêchant à deux personnes de marcher côte à côte. D’ailleurs, elle<br />

se demande si cette faiblesse de l’aménagement n’a pas entraîné la fermeture de<br />

nombreux magasins (diapositives n°20 et 21).<br />

La relation à l’espace public dont Betty nous a fait part à travers son expérience<br />

du déplacement révèle l’importance de la taille des trottoirs, de la propreté, dans les<br />

attentes que nous avons pu retenir. Cette attention particulière portant sur<br />

l’aménagement de l’espace assigné aux piétons s’explique par sa volonté de pouvoir<br />

évoluer facilement, en sécurité. La flânerie, d’après elle, nécessite un espace agréable et<br />

sûr qui n’oblige pas à préméditer son parcours. Elle espère justement qu’avec<br />

l’aménagement du centre piéton, la configuration des rues du centre ville de Pau<br />

permettent la création d’un espace favorable à la déambulation<br />

L’expérience révélatrice de l’histoire de vie :<br />

A plusieurs reprises, Betty nous a fait part de son attrait pour les Pyrénées,<br />

qu’elle prend le temps de regarder, à quelques croisements de rues lorsque la vue est<br />

dégagée (diapositives n°3,5,16). Ces ouvertures vers les Pyrénées ponctuent son<br />

parcours, comme un temps d’arrêt vers l’ailleurs, un envol loin de la ville et de ses<br />

préoccupations.<br />

La mode fait aussi partie de ses intérêts, même si cela reste quelque chose<br />

qu’elle ne fait que contempler, elle rêve à ce qu’elle pourrait peut-être un jour porter.<br />

Les nombreuses boutiques de haute couture qui se répartissent dans la rue Louis<br />

Barthou, semble orienter son choix.<br />

Elle a aussi des habitudes, comme par exemple de saluer les gardiens de la<br />

mairie qui, à force de la voir passer la connaissent, regarder le programme présenté par<br />

le syndicat d’initiative… Elle apprécie de croiser au petit matin les travailleurs<br />

(éboueurs, nettoyeurs) qui font partie de la ville.<br />

Son déplacement n’est pas uniquement centré sur le chemin à parcourir, au<br />

contraire, elle aime s’imprégner de l’ambiance de la rue. Elle fait attention aux objets,<br />

aux bâtiments, sans oublier les gens qu’elle rencontre. Par exemple, elle a l’habitude de<br />

voir des étudiantes assises au niveau d’un escalier du Palais des Pyrénées (diapositive<br />

368


n°15). Tout est intégré dans son parcours, jusqu’à l’esthétique des bâtiments, comme le<br />

lycée dans lequel elle travaille (diapositive n°24).<br />

12.2.3- L’itinéraire de Serge guidé par l’environnement sonore et<br />

tactile (voire olfactif)<br />

Serge est aveugle depuis l’âge de 20 ans, son quotidien a totalement changé sa<br />

perception des choses, ses représentations. Il a dû réapprendre à vivre en s’appuyant sur<br />

ses autres sens. Nous avons découvert, avec Serge, une autre dimension de l’espace<br />

dans laquelle la concentration doit être totale pour éviter l’accident.<br />

Le parcours que nous avons effectué consistait à relier son lieu de travail à son<br />

lieu d’habitation. Il réalise ce parcours quatre fois par semaine en quinze minutes.<br />

0 100 m<br />

Figure 63- Itinéraire de Serge<br />

(Source : plan de Pau au 1/13000, Plan-guides Blay)<br />

N<br />

369


Diapositive 1 Là c’est dommage qu’il y ait des<br />

escaliers pour entrer dans le<br />

bâtiment de la DDA, ça oblige aux<br />

handicapés de faire le tour… Pour<br />

un service public c’est dommage<br />

de faire passer les handicapés par<br />

derrière.<br />

Diapositive 2<br />

370<br />

Je file toujours tout droit ici, les<br />

voitures se garent toujours à droite<br />

ce qui me laisse un passage, je n'ai<br />

pas de soucis particuliers.. J’aime<br />

bien ce petit coin, je passe ici plutôt<br />

que de longer tout le Boulevard<br />

Tourasse mais ce coin me plaît<br />

plus et il ne rallonge pas de<br />

beaucoup et il est plus agréable,<br />

on va passer à la rue Renoir.<br />

Diapositive 3 Bon là je ne passe pas au passage<br />

clouté c’est pas bien mais je sais<br />

qu’il n’y a pas beaucoup de<br />

circulation et en plus j’entends<br />

quand une voiture arrive.


Diapositive 4<br />

Diapositive 5<br />

Diapositive 6<br />

Ce qui me dérange par exemple<br />

ici, c’est le sapin… (rencontre avec<br />

un collègue) je vais tourner là et ça<br />

devient un obstacle naturel.<br />

C’est un obstacle pour un aveugle<br />

qui est dérangeant. Les branches<br />

qui sont à hauteur du visage, ça<br />

n’est pas agréable. C’est le plus<br />

embêtant.<br />

Il y a aussi les poteaux qui sont<br />

parfois mal placés, celui-là est en<br />

plein milieu. Quand je balais avec<br />

ma canne il me faut pouvoir tout<br />

repérer.<br />

371


Diapositive 7<br />

Diapositive 8<br />

Diapositive 9<br />

372<br />

Ce genre de revêtement mal fini<br />

me freine au niveau du balayage<br />

de la canne, ça perturbe un peu..<br />

Bon là tu vois encore, les feuilles<br />

de l’arbre touchent ma joue, ça va<br />

ça n'est pas désagréable<br />

aujourd’hui mais quand c’est<br />

mouillé, qu’il a plu…<br />

Ca sent bon, j’espère qu’il y aura<br />

les mêmes odeurs chez moi…<br />

Ici souvent il y a des poubelles ça<br />

peut être gênant. J’ai passé une<br />

cabine à gauche je le sais à la<br />

résonance de la canne.


Diapositive 10<br />

Diapositive 11<br />

Diapositive 12<br />

Bon là encore il y a des poteaux.<br />

J’aime beaucoup ce trajet. Bon là<br />

on retrouve les poubelles mais là<br />

elles sont bien rangées… Si je suis<br />

avec quelqu’un je ne prends pas la<br />

canne et je prends le bras de la<br />

personne car je suis moins<br />

concentré… Il faut vraiment être<br />

concentré.<br />

Avec le temps on a un peu<br />

d’expérience. J’aime ce parcours<br />

car il est calme, les gens roulent<br />

lentement. C’est un trajet simple<br />

pour moi, il n’y a pas trop de<br />

gènes. Bon là je sais qu’on va<br />

arriver à deux poteaux, je<br />

mémorise, j’anticipe.<br />

Là il doit y avoir le passage clouté,<br />

mais il n’y a pas de relief au niveau<br />

du passage clouté pour le repérer,<br />

c’est le lampadaire qui me sert de<br />

repère.<br />

373


Diapositive 13<br />

Diapositive 14<br />

Diapositive 15<br />

374<br />

Bon là on arrive sur un endroit qui<br />

est problématique car il y a un<br />

panneau avec un triangle qui est<br />

bas et j’ai déjà percuté ma tête à<br />

ce niveau car la canne ne peut pas<br />

m’indiquer ça. Je le sais<br />

maintenant car je l’ai<br />

malheureusement choqué… Ils<br />

sont dangereux on peut se râper la<br />

joue. Quand je traverse, je reste<br />

sur la route pour être sûr de ne pas<br />

y tomber dessus. D’ailleurs il y en a<br />

un autre plus loin, donc je reste sur<br />

la route…En plus l’espace piéton<br />

(trottoir) est très petit donc c’est<br />

très dangereux. Quand on balaie,<br />

on peut ne pas le sentir et<br />

percuter. Je marche plutôt sur la<br />

route et si j’entends une voiture je<br />

monte sur le trottoir. Je passe par<br />

un petit passage secret, souvent ici<br />

il y a des voitures garées, il faut<br />

dans ces cas-là que je m’adapte.<br />

On rejoint la rue Frederico Garcia<br />

Lorca. Bon il y a ici un abri bus qui<br />

me sert de repère. Là on va arriver<br />

à une maison de retraite où il y a<br />

une haie qui est peu ou pas<br />

entretenue avec des ronces qui<br />

ressortent ; ça n'est pas très<br />

agréable.<br />

Les lampadaires ça pause moins<br />

de problème car c’est en hauteur il<br />

n’y a pas de relief. La haie empiète<br />

un peu sur le trottoir. Après, il n'y a<br />

pas de grands dangers.


Diapositive 16<br />

Diapositive 17<br />

Diapositive 18<br />

Diapositive 19<br />

Là c’est l’entrée de la maison de<br />

retraite. J’arrive à savoir où je suis<br />

par les chocs de ma canne et la<br />

mémorisation.<br />

Là on arrive sur Tourasse au<br />

niveau du feu sonore… sonnerie<br />

donc on peut traverser.<br />

Aujourd’hui il n’y a pas foule, il y a<br />

pas trop de dangers.<br />

Ces rambardes ça n'est pas<br />

pratique car on peut y passer la<br />

canne et c’est gênant.<br />

375


Diapositive 20 Ces dalles ne sont pas très<br />

pratiques.<br />

Diapositive 21<br />

Diapositive 22<br />

376<br />

Sur ce sol quand il y a de l’eau<br />

c’est trop glissant. Ici parfois il y a<br />

une voiture mais j’ai largement la<br />

place de passer.<br />

A nouveau des rambardes qui<br />

posent souvent problème avec ma<br />

canne…


Après avoir suivi chronologiquement le récit de l’itinéraire de Serge, nous allons<br />

procéder à l’analyse de cet itinéraire en relevant tout d’abord les éléments relatifs à<br />

l’expérience sensible de l’espace parcouru et, par la suite, en identifiant ce que nous<br />

qualifions d’expérience fondée sur l’histoire de vie de Serge qui l’amène à percevoir<br />

l’espace différemment.<br />

L’expérience sensible :<br />

Ce parcours que réalise Serge plusieurs fois par semaine pour se rendre à son<br />

travail est toujours le même, en ce qu’il réalise un véritable travail de mémorisation de<br />

l’espace qu’il arpente. Il peut ainsi anticiper son parcours.<br />

La canne que Serge utilise pour repérer son chemin est un objet qui sert de<br />

prolongement à son corps tant par le toucher et le son qui le préviennent de l’obstacle.<br />

Nous allons voir l’importance des sens dans l’appréhension de l’espace de Serge, que ce<br />

soit par le biais du bâton qui prolonge le toucher et émet un son par le choc qu’il<br />

effectue mais aussi en tenant compte des sons extérieurs (voitures, signal sonore, …) et<br />

parfois même des odeurs qui lui donnent des indications sur la proximité de la<br />

boulangerie ou de la poissonnerie, par exemple. Pour ce faire, nous avons choisi<br />

d’analyser l’expérience sensible du déplacement en séparant les différentes dimensions<br />

sensorielles comme marqueurs de l’itinéraire.<br />

Par rapport aux dimensions tactile et sonore générées par le bâton :<br />

Le bon déroulement du déplacement est fortement dépendant de l’aménagement<br />

de l’espace public et surtout des secteurs prévus pour les piétons. Par exemple, un<br />

revêtement du sol en mauvais état (diapositive n°10) le freine au niveau du balayage de<br />

la canne, ce qui perturbe son évolution. La présence, sur la zone de trottoir, de poubelles<br />

(diapositive n°12) est également gênante.<br />

A partir du son, de la résonance qu’émet la canne au moment du choc<br />

(diapositive n°9) avec un objet, il lui est possible de repérer de quoi il s’agit, comme<br />

c’est le cas notamment quand il heurte la cabine téléphonique. Il a appris à enregistrer<br />

tout le long de son parcours les sons de chaque élément fixe qu’il heurte avec sa canne.<br />

En revanche, lorsque Serge réalise son parcours accompagné, il n’utilise pas sa<br />

canne, il prend le bras de la personne qui l’accompagne, car, moins concentré cela<br />

pourrait être dangereux.<br />

377


Il doit faire face parfois au manque de repères dans l’espace. Par exemple,<br />

lorsqu’il arrive à un passage clouté, il essaye normalement de le percevoir par le relief<br />

de celui-ci ce qui n’est pas le cas partout. Il est en somme obligé de mémoriser un autre<br />

élément comme un lampadaire situé à proximité du passage qui le renseigne sur<br />

l’endroit où traverser. Tout ceci l’oblige à mémoriser, anticiper son parcours.<br />

Lors du pré-entretien, Serge nous a expliqué qu’il lui était nécessaire de marcher<br />

sur des espaces qui ne sont pas trop vastes comme la place Clemenceau qui limite la<br />

présence de repères avec sa canne. Les trottoirs permettent au contraire de délimiter un<br />

espace facile à repérer avec sa canne. les dénivelés lui servent à se situer dans son<br />

parcours. Un espace trop lisse et dépouillé suscite chez Serge l’angoisse de se perdre.<br />

Par rapport à l’environnement sonore :<br />

Sa capacité à se concentrer sur les éléments sonores, lui offre la possibilité de<br />

savoir s’il peut ou non traverser une rue, ce qui lui permet de passer parfois hors des<br />

passages cloutés. Il a appris à compenser l’absence de la vue par ses autres sens.<br />

Un élément important durant le parcours de Serge, est constitué par la présence<br />

d’un signal sonore (diapositive n°20) qui a été installé sur le boulevard Tourasse, à sa<br />

demande, car il s’agit d’un secteur particulièrement dangereux à traverser. Le signal<br />

sonore lui permet de savoir quand il peut traverser. Avant qu’il ne soit installé, Serge<br />

était obligé de se repérer aux bruits des moteurs des voitures. Cet exercice était<br />

particulièrement difficile par temps de pluie ou de vent qui diminuent la capacité<br />

sonore. Pour lui il s’agit d’un élément sécurisant qui rend plus agréable son parcours.<br />

Par rapport aux odeurs :<br />

Lors du pré-entretien, Serge nous a également expliqué qu’à proximité de chez<br />

lui il y avait quelques magasins qui lui permettaient de réaliser à pied certains achats<br />

quotidiens comme le pain ou le poisson, voire parfois des plats chinois… Il a ainsi<br />

appris à repérer ces lieux à partir de l’odeur caractéristique qu’ils dégagent que ce soit la<br />

boulangerie, la poissonnerie ou le restaurant chinois. Avant qu’il ne soit aveugle, il avait<br />

l’impression de ne pas être sensible aux odeurs, puis il s’est vite aperçu qu’il s’agissait<br />

d’un élément pouvant servir aussi de repère dans sa vie de tous les jours, que ce soit<br />

dans ses déplacements comme repère mais aussi lorsqu’il fait la cuisine cela lui évite de<br />

brûler un plat.<br />

378


Il compense l’absence des plaisirs que peut générer la vue par une attention<br />

particulière aux odeurs, comme, par exemple le jour où nous avons réalisé l’itinéraire,<br />

en passant à proximité d’une résidence, il a repéré de bonnes odeurs de cuisine qui lui<br />

faisaient envie. C’est d’ailleurs à la période du printemps quand les rosiers, les arbustes<br />

sont en fleurs qu’il prend le temps de s’arrêter pour profiter de ces parfums.<br />

Par rapport aux obstacles sur son parcours :<br />

A plusieurs reprises, Serge nous a signalé la présence d’obstacles de formes<br />

différentes. Par exemple, la présence d’un sapin (diapositives n°7 et 8)sur l’espace<br />

piétonnier à hauteur de visage, n’est pas détectable par la canne, souvent une branche<br />

vient frotter sa joue, ce qui est très désagréable quand il pleut.<br />

Les éléments les plus dangereux sont les panneaux de signalisation(diapositive<br />

n°16) qui prennent une place non négligeable sur le trottoir, non pas au niveau du sol<br />

mais au niveau du visage des passants. Pour un aveugle il s’agit d’un véritable piége,<br />

Serge s’est d’ailleurs blessé contre un panneau de forme triangulaire qui a ouvert sa<br />

joue. Depuis, il préfère marcher sur la route dans ce secteur sachant qu’il n’est pas facile<br />

de localiser précisément l’emplacement des panneaux. L’anticipation lui permet<br />

seulement de descendre du trottoir pendant quelques mètres pour éviter le choc. Les<br />

trottoirs étant petits la progression est rendue plus délicate encore.<br />

Nous avons pu remarquer la richesse de l’expérience sensible qu’un non-voyant<br />

est obligé de développer pour pouvoir évoluer avec un minimum d’aisance et de<br />

sécurité dans l’espace public.<br />

L’expérience révélatrice de l’histoire de vie :<br />

Le récit de l’itinéraire de Serge n’est pas axé sur l’histoire de vie. La<br />

concentration que lui demande son déplacement ne laisse que peu de place aux<br />

références à son histoire de vie. Celle-ci n’a été abordée que lors du pré-entretien pour<br />

expliquer son handicap, ses choix et ses obligations au niveau des parcours. Il a surtout<br />

insisté sur la phase d’apprentissage des déplacements qui consiste à mémoriser afin<br />

d’anticiper les dangers et les obstacles éventuels.<br />

Dans l’itinéraire de Serge, le corps est privilégié tant comme perception que<br />

connaissance. L’importance de mémoriser le parcours, ses différentes étapes, les<br />

379


changements, les obstacles et les bifurcations, génère une expérience du déplacement<br />

centrée sur le corps, en relation étroite avec l’espace environnant qu’il a intégré.<br />

Ce mécanisme est nécessaire dans une ville comme Pau où l’aménagement de<br />

l’espace public reste rudimentaire, peu approprié aux déplacements des piétons et aux<br />

personnes à mobilité réduite. L’importance de l’agencement de l’espace est<br />

particulièrement perceptible dans l’expérience de Serge. Un espace vaste sans<br />

délimitation va générer une absence de repère et l’angoisse de se perdre. Cet aspect de<br />

l’espace n’est pas forcément pris en compte dans l’élaboration d’un espace piétonnier<br />

qui repose davantage sur l’élargissement de l’espace dévolu aux piétons où l’absence de<br />

repère va limiter l’accès des non-voyants. Comment utiliser cette information pour<br />

intégrer ces éléments dans l’aménagement du centre piétonnier ? De la même façon que<br />

le braille est fondé sur la mise en relief d’une écriture, comment rendre l’espace<br />

piétonnier lisible aux aveugles, par une mise en relief de repères ? Etant donné que les<br />

marqueurs sonores, tactiles et olfactifs ponctuent l’itinéraire de Serge, quels outils,<br />

systèmes de revêtement du sol peuvent être utilisés pour faciliter l’accès et la lecture de<br />

l’espace ?<br />

380


12.2.4- L’itinéraire de Claudie empreint de flânerie<br />

L’itinéraire de Claudie correspond au plus long parcours que nous avons réalisé,<br />

soit un peu plus d’une heure de déambulation dans les rues de Pau. Nous avons choisi<br />

d’en présenter seulement la moitié, sous la forme du récit de l’itinéraire avec les<br />

photographies qui accompagnent son discours, l’autre partie se limitera au récit avec<br />

l’insertion de quelques photographies importantes. Le récit de l’itinéraire est très riche,<br />

mélangeant à la fois expérience sensible et histoire de vie de façon très naturelle, à tel<br />

point que les deux sont en perpétuelle interaction.<br />

N<br />

0 100 m<br />

Figure 64- Itinéraire de Claudie<br />

(Source : plan de Pau au 1/13000, Plan-guides Blay)<br />

381


Diapositive 1 C’est un parcours utilitaire et de<br />

promenade, je vais chercher le café<br />

dans une boutique au centre.<br />

Diapositive 2 Bon, ma rue c’est une rue où on peut<br />

stationner des deux côtés et en plus<br />

c’est gratuit, donc c’est toujours<br />

occupé et les piétons ont peu de place<br />

surtout quand on est 2 comme<br />

aujourd’hui..<br />

Diapositive 3 Je passe toujours dans une petite rue<br />

(rue Fénélon) ça me permet de couper,<br />

c’est rare quelle soit si propre,<br />

d’habitude il y a souvent des ordures.<br />

C’est une rue récente il y a une<br />

vingtaine d’année<br />

Diapositive 4<br />

382<br />

Là il y a une petite maison d’époque,<br />

c’est un artiste qui l’a racheté il en a<br />

fait son atelier. J’ai pris toute une série<br />

de photos des vieilles maisons de<br />

Pau…


Diapositive 5 Tous ces murs c’est une rue qui a été<br />

coupée. Quand j’étais professeur, avec<br />

des élèves on était venu et on avait<br />

essayé d’imaginer un décor mais<br />

fictivement.<br />

Diapositive 6 Là on va rester au soleil tant qu’on<br />

peut, sinon des fois je passe de l’autre<br />

côté pour passer devant la librairie<br />

Tonnet et regarder les livres… Le fait<br />

de rester au soleil peut expliquer le<br />

choix d’un trottoir plutôt qu’un autre…<br />

Comme je vais au marché tous les<br />

jours, je passe plutôt de l’autre côté de<br />

la rue. Ce parcours je le fais tellement<br />

souvent que je le fais presque<br />

machinalement. C’est un trajet que je<br />

fais depuis si longtemps. Quand on<br />

marche à pied, souvent dans la ville,<br />

on voit beaucoup de gens abîmés, c’est<br />

pas forcément des assistés sociaux,<br />

mais celui qu’on a croisé est<br />

Diapositive 7<br />

dangereux, il a des accès de folie, il est<br />

connu à Pau. En voiture on ne voit pas<br />

tout ça… il n’y a pas le contact. Par<br />

exemple les supérettes du centre ville<br />

c’est pas du tout la même clientèle que<br />

celle des supermarchés, se sont des<br />

petites gens qui sont dans un état<br />

lamentable, des gens proches de la<br />

misère…<br />

La il y a un très joli ginko biloba…<br />

j’aime beaucoup cet arbre. Il y en a<br />

peu en ville.<br />

383


Diapositive 8 Au point de vue circulation ça ne me<br />

gène pas trop, je ne parle pas de l’état<br />

de propreté des trottoirs il y a trop de<br />

chose à dire. <strong>Mo</strong>i je ne suis pas très<br />

bien les règles, je ne passe pas au<br />

passage piéton…<br />

Diapositive 9<br />

384<br />

Là je m’arrête souvent dans ce bazar<br />

(tout à 2 euros) il y a des affaires<br />

terribles. Là aussi il y a une clientèle<br />

très particulière.<br />

Diapositive 10 Là c’est mon pharmacien, que j’ai<br />

choisi car il venait de s’installer, j’ai<br />

voulu lui donner un coup de pouce…<br />

Diapositive 11 Je regarde toujours les boutiques…


Diapositive 12 Je préfère passer par là (zone<br />

piétonne), comme ça on est pas embêté<br />

par les voitures.<br />

Diapositive 13<br />

Là ils ont installés ces pots de fleurs<br />

qui sont horribles, ils ont voulu faire<br />

quelque chose mais c’est très<br />

plastique…<br />

Diapositive 14 je regarde toujours les boutiques<br />

comme Mango par exemple…<br />

385


Diapositive 15<br />

Diapositive 16<br />

386<br />

J’évite la rue Serviez par ce qu’ici<br />

c’est plus aéré et j’aime bien la rue des<br />

Cordeliers. Elle est devenue un peu<br />

orientale. Cette église (Saint-Jacques)<br />

je la trouve horrible et puis avec les<br />

deux flèches qui manquent… C’est pas<br />

un élément important. La rue<br />

Bernadotte me semble aussi<br />

intéressante, en plus les trottoirs sont<br />

plus larges, c’est donc plus agréables<br />

par contre, c’est pas une rue où on a<br />

souvent l’occasion de passer, elle n’est<br />

pas attractive…<br />

Diapositive 17 Je vais souvent fouiner dans la<br />

boutique Comme un Poisson dans<br />

l’Eau… c’est une des rares boutiques<br />

sur Pau qui soit bien.


Diapositive 18<br />

Cette rue est agréable car les trottoirs<br />

sont bien, il n’y a pas de dénivelé, elle<br />

est spacieuse et il n’y a pas beaucoup<br />

de circulation.<br />

Diapositive 19 Là une autre boutique que j’aime bien<br />

(Lola Mimosa).<br />

Diapositive 20 Là on passe au dessus du Hédas,<br />

quartier des restaurants. Le Hédas, ça<br />

aurait pu être mieux que ce n’est, à Pau<br />

ils en ont pas tiré parti, c’est dommage<br />

car c’est un quartier typique. Ca fait<br />

très sauvage, c’est pas sophistiqué du<br />

tout.<br />

Diapositive 21 Là on a toute une série de boutique qui<br />

font des choses d’Afrique, Inde…<br />

Le soleil persiste, c’est bien, c’est plus<br />

agréable.<br />

387


Diapositive 1<br />

388<br />

Là on va aborder une artère plus<br />

animée. Là c’est une rue où j’ai habité<br />

quand je suis arrivée à Pau et que<br />

j’étais tout jeune professeur. C’est<br />

pour ça que ce quartier me parle un<br />

peu…<br />

Diapositive 2 J’y suis restée deux ans, j’avais mes<br />

commerçants par ici. C’est là où il y a<br />

un peu plus d’âme. Par contre la place<br />

Clemenceau ne me donne pas envie de<br />

faire le tour…<br />

Diapositive 3 Je viens depuis peu chez ce coiffeur…


Diapositive 4<br />

Diapositive 5<br />

Diapositive 6<br />

Là il y a un très joli décorateur où je<br />

m’arrête pour voir les nouvelles<br />

tendances…<br />

Ici dans ce quartier il y a de jolies<br />

portes anciennes j’en ai fait toute une<br />

série de photos.. ou des petites maisons<br />

du XVII ème … Je voulais garder une<br />

trace comme c’est voué à partir. Je suis<br />

pas contente parce que par exemple ce<br />

fromager est parti d’ici, ça allait bien<br />

plutôt que des fringues ou… lui il est<br />

parti dans zone industrielle vers Lons.<br />

Mais c’est dommage pour le quartier,<br />

elle était jolie cette boutique, dedans il<br />

y avait une fresque avec les<br />

montagnes… La petite boulangerie a<br />

toujours été là mais pour combien de<br />

temps encore.<br />

Je trouve qu’il n’y a aucun effort pour<br />

refaire les façades , cette petit place est<br />

sympa mais à restaurer. J’aime bien la<br />

terrasse du resto… Pause pour aller<br />

acheter du café…<br />

389


Diapositive 7<br />

Diapositive 8<br />

390<br />

Comme il fait beau je vais aller vers le<br />

château. Je dis bonjour à la dame qui<br />

tient cette boutique comme d’habitude.<br />

Il y a plain de nouvelles boutiques… il<br />

y a aussi cette cave à vin qui donne sur<br />

le Hédas c’est très joli. Ici c’est ma<br />

banque, donc il m’arrive d’y venir<br />

pour déposer un chèque… Ici il y a un<br />

très joli immeuble, c’est un des plus<br />

jolis de Pau…<br />

Ici c’est vraiment agréable de marcher,<br />

c’est piéton, je vais dire bonjour à<br />

Henri IV. Depuis qu’ils l’ont restauré<br />

il est clinquant.. Quand il fait très<br />

chaud je m’arrête pour boire un peu de<br />

cidre face au château. Il y a aussi une<br />

nouvelle boutique…


Après avoir suivi chronologiquement le récit de l’itinéraire de Claudie, nous<br />

allons procéder à l’analyse de cet itinéraire, en relevant, tout d’abord, les éléments<br />

relatifs à l’expérience sensible de l’espace parcouru et, par la suite, identifier ce que<br />

nous qualifions d’expérience fondée sur l’histoire de vie de l’interviewé, qui l’amène à<br />

percevoir l’espace différemment.<br />

L’expérience sensible :<br />

La relation que Claudie a développée vis-à-vis des quartiers parcourus depuis<br />

des années s’inscrit à la fois dans une approche matérielle et structurelle de l’espace<br />

sans pour autant en négliger l’aspect esthétique.<br />

Tout le long de son parcours, de nombreuses remarques sont faites au sujet de<br />

l’étroitesse des trottoirs, que ce soit dans sa rue (diapositives n°1 et 2), ou dans les rues<br />

du centre ville, excepté la rue des Cordeliers dans laquelle un effort d’aménagement est<br />

palpable.<br />

Elle est sensible aussi au confort ou inconfort que le soleil peut lui procurer<br />

durant le parcours. Par exemple, l’hiver elle va organiser son parcours en suivant le<br />

trottoir qui se situe au soleil (diapositive n°5), alors que l’été ce sera le contraire.<br />

A plusieurs reprises, Claudie nous fait part du manque d’hygiène dans certaines<br />

rues, où les poches poubelles s’entassent, où les déjections canines se multiplient…<br />

Comme elle nous l’a signalé lors du pré-entretien : « je n’aime pas les trottoirs<br />

dégueulasses… je souhaiterais que Pau soit un peu plus coquet, plus embelli ». Au sujet<br />

de l’embellissement de la ville, elle trouve d’ailleurs étrange de ne pas avoir valorisé le<br />

quartier du Hédas (diapositive n°21) comme espace de promenade, avec l’aménagement<br />

d’espaces verts, de voies piétonnières et cyclables. Il en est de même pour l’espace plus<br />

réduit de la place reine Marguerite où les façades des bâtiments qui l’entourent sont<br />

grises, voire noires, à cause de la pollution.<br />

Un élément qui caractérise l’itinéraire de Claudie est le non respect des passages<br />

piétonniers : elle coupe souvent en travers, ne regarde pas s’il s’agit d’un passage<br />

protégé, elle traverse quand elle en a envie, un peu comme si elle était maître de<br />

l’espace qu’elle parcourt depuis si longtemps qu’elle le fait machinalement.<br />

Les considérations esthétiques sont présentes tout le long de l’itinéraire, que ce<br />

soit au niveau du mobilier urbain (diapositive n°15), de l’architecture, avec l’église<br />

Saint-Jacques qu’elle trouve horrible avec ses deux flèches qui ont été enlevées ou au<br />

contraire l’immeuble à l’angle de la rue Maréchal Joffre qu’elle considère comme l’un<br />

391


des plus beaux de Pau (diapositive n°26), de la végétation qui parfois fait défaut dans<br />

certaines rues ou qui au contraire quand elle est présente suscite l’intérêt (diapositive<br />

n°7). Elle regarde l’espace qu’elle parcourt d’un oeil d’expert, expliquant, par exemple,<br />

que la fontaine qui se situe face au château de Pau ne va pas avec le revêtement rose du<br />

sol. Elle ne se contente pas de parcourir l’espace, elle se donne un droit de regard sur ce<br />

dernier. Elle vit à Pau depuis 1961, se considère paloise et à ce titre elle estime que<br />

l’habitant doit avoir un regard critique sur son espace de vie.<br />

Par exemple, elle nous fait remarquer à quel point il est désagréable de marcher<br />

dans la rue Henri IV, où se situent les boutiques de luxe, à cause de la proximité des<br />

voitures, elle ne se sent pas en sécurité et ne supporte pas de respirer les gaz<br />

d’échappement. C’est pourquoi elle cherche toujours à passer quand c’est possible par<br />

des passages et des petites voies où les voitures ne circulent pas, ou très peu. C’est<br />

d’ailleurs pour cela qu’elle préfère emprunter la rue des Cordeliers plutôt que la rue<br />

Serviez.<br />

L’expérience révélatrice de l’histoire de vie :<br />

Comme nous l’avions remarqué précédemment, l’esthétique est<br />

considérablement présente dans son récit, ce qui semble lié à sa profession<br />

d’enseignante en arts plastiques exercée à Pau depuis 1961 et jusqu’en 2000. D’ailleurs,<br />

elle s’est rappelée durant son itinéraire d’un travail qu’elle avait entrepris avec ses<br />

élèves à partir d’un mur particulier qui se situe dans la rue René Cassin (diapositive n°4)<br />

et sur lequel les élèves devaient proposer un projet de fresque. Durant tout le parcours,<br />

Claudie nous a signalé toutes les galeries d’art, en insistant sur les particularités de<br />

chaque artiste. Depuis qu’elle est à la retraite, elle passe davantage de temps à se<br />

promener dans Pau et plus précisément dans la zone centrale, à la recherche de<br />

nouveautés, de photographies à réaliser, d’expositions à découvrir…<br />

Claudie est également très sensible à la mode, elle arpente le centre ville à la<br />

recherche de créations. Tout le parcours est ponctué par les différentes boutiques où elle<br />

apprécie de s’arrêter, allant de la décoration à la confection… (diapositives n°10-12-16-<br />

19-22).<br />

Son itinéraire marqué par ses habitudes témoigne d’une certaine appropriation<br />

de l’espace. Par exemple, le fait qu’elle ait autrefois vécu au cœur du centre ville dans la<br />

rue Maréchal Foch, n’a pu nous échapper durant l’itinéraire par l’attachement dont elle<br />

nous a fait preuve à l’égard de cette rue, aux boutiques, aux personnes qu’elle salue …<br />

392


Elle aime d’ailleurs y revenir, cela lui rappelle sa jeunesse, le début de son<br />

indépendance. Même si cet espace a connu de grands changements, à chaque fois<br />

qu’elle le parcourt, des souvenirs reviennent à sa mémoire.<br />

Jusqu’à présent, nous avons pu constater à quel point l’espace joue un rôle<br />

important dans le vécu de Claudie. Celui-ci n’est pas déconnecté de la sociabilité, des<br />

personnes qui le font vivre, lui donnent sens. Même si elle ne fait que croiser la plupart<br />

des gens, elle les connaît, se rappelle d’eux, se souvient de l’endroit où elle a l’habitude<br />

de les croiser. Comme elle nous l’a fait remarquer, lorsqu’on se déplace à pied en ville,<br />

on se familiarise avec les gens de la rue, leurs habitudes : « j’ai appris à me méfier de<br />

certains SDF, qui ont des accès de colère ou de folie. En progressant au pas dans la<br />

ville, je me suis familiarisée avec la misère qu’elle génère ». En descendant dans la rue<br />

tous les jours, à des heures différentes, Claudie a appris à regarder ce qui se passe<br />

autour d’elle.<br />

L’itinéraire de Claudie correspond à son mode de vie, à ses aspirations, ses<br />

passions personnelles, qu’elle a développées vis-à-vis de l’art, de l’architecture. Son<br />

attrait pour l’esthétique d’une ville, de ses bâtiments, de ses espaces verts, de son<br />

mobilier… ponctue son récit. L’itinéraire de Claudie est une « flânerie curieuse » dans<br />

laquelle elle s’investit en réalisant par exemple un livret de photographies sur les portes,<br />

les maisons… anciennes qui subsistent dans la ville. La flânerie est visible dans son<br />

parcours par le fait qu’elle ne se préoccupe pas des passages piétonniers, elle passe là où<br />

cela l’arrange, suivant ses envies et change souvent et n’anticipe pas la totalité de son<br />

parcours. Par exemple, si elle sait qu’elle doit se rendre à la banque, elle prend cette<br />

direction et poursuit son chemin suivant l’humeur du moment. Qu’il s’agisse de se<br />

rendre au marché tous les matins ou d’aller ponctuellement chez le coiffeur, tous ces<br />

déplacements se font à pied uniquement. Ceci explique la richesse de sa relation à la<br />

ville.<br />

L’analyse de ces quatre itinéraires nous a permis de révéler les particularités de<br />

l’espace public palois tout en privilégiant différentes approches de ce dernier. Dans<br />

l’idée d’élargir la réflexion, nous allons compléter les diverses informations recueillies<br />

par l’analyse des huit autres itinéraires qui vont nous permettre de repérer des<br />

continuités ou au contraire des différences dans l’expérience du déplacement à pied.<br />

393


394<br />

12.2.5- Les continuités en terme d’expérience sensible<br />

A travers les différents itinéraires, de nombreuses remarques et constatations ont<br />

été renouvelées, au sujet de l’expérience du déplacement en relation à l’espace public<br />

dévolu aux piétons.<br />

L’étroitesse des trottoirs constitue un véritable frein et une source d’inconfort à<br />

la progression des personnes interrogées, qui nous ont fait remarquer à plusieurs<br />

reprises qu’elles étaient parfois obligées de marcher sur la route pour pouvoir laisser<br />

passer quelqu’un.<br />

Photographie 28- Itinéraire de Marion Photographie 29-: Itinéraire de Marion<br />

C’est le cas de Marion qui se rend parfois au collège avec deux de ses amies et<br />

qui est obligée de marcher sur la chaussée, d’évoluer en file indienne, tellement le<br />

trottoir est petit (photographie n°278). Alors que peu de temps auparavant, elle marchait<br />

tranquillement avec ses amies sur les allées de <strong>Mo</strong>rlaàs.


Photographie 30- Itinéraire de Marie Photographie 31- Itinéraire de Myrtille<br />

Le peu d’espace accordé aux piétons est parfois exacerbé par la présence de<br />

panneaux de signalisation (photographie n°30), qui occupe, à hauteur d’épaule, la<br />

moitié de la surface du trottoir, ce qui représente un véritable danger pour les nonvoyants.<br />

Alors qu’il suffirait de placer le panneau plus haut ce qui limiterait l’emprise<br />

au sol tout en le rendant davantage visible aux automobilistes.<br />

Enfin, la photographie n°31 prouve à quel point il est difficile de progresser côte<br />

à côte sur un espace aussi réduit.<br />

D’autres aménagements suscitent aussi l’étonnement de certains tel Dominique,<br />

qui ne comprend pas comment, qui ne comprend pas comment une piste cyclable a pu<br />

être réalisée sans penser à conserver un trottoir pour les piétons (photographie n°32).<br />

Photographie 32- Itinéraire de Dominique Photographie 33- Itinéraire de Dominique<br />

395


Selon le même principe que la photographie n°32, nous pouvons constater, avec<br />

Dominique, le manque de cohérence dans l’agencement de l’espace public. Par<br />

exemple, un poteau situé en plein milieu d’un trottoir, sur lequel on a placé un grand<br />

conteneur pour récupérer le verre (photographie n°33), semble insensé.<br />

Faby, qui est obligée de se déplacer avec un fauteuil électrique en plein cœur de<br />

la rue (photographie n°34) est confrontée à de réelles difficultés. La proximité des<br />

voitures n’est pas rassurante, même si elle constate que les automobilistes font attention<br />

à elle.<br />

Photographie 34- Itinéraire de Faby photographie 35- Itinéraire de Faby<br />

Faby nous fait remarquer qu’il n’est pas agréable de se trouver à proximité des<br />

gaz d’échappement. L’état de la chaussée n’est pas toujours propice au passage d’un<br />

fauteuil roulant dont les petites roues ont du mal à supporter les trous (photographie<br />

n°35). Il serait trop dangereux de les contourner en raison de la rapidité avec laquelle<br />

certaines voitures arrivent.<br />

Dès que les trottoirs le permettent, elle préfère y circuler, ce qui est une question<br />

de confort. Mais elle doit parfois slalomer entre les poteaux et les panneaux d’affichage<br />

qui empiètent largement sur l’espace piétonnier (photographie n°36).<br />

396


Photographie 36- Itinéraire de Faby Photographie 37- Itinéraire de Faby<br />

La présence sur le parcours de travaux au niveau de l’avenue Dufau montre à<br />

quel point un changement d’aménagement, même provisoire, peut vite devenir une<br />

barrière difficilement franchissable sans l’aide d’un tiers. D’ailleurs, ce jour là, nous<br />

étions présents pour lui permettre de passer, alors que, quelques jours auparavant, elle a<br />

dû attendre de croiser quelqu’un pour lui demander de l’aider à passer. Elle a trouvé<br />

cette situation très embarrassante. Cet événement lui a surtout rappelé son manque<br />

d’autonomie. Nous pouvons nous demander si la notion d’espace public accessible à<br />

tous ne se trouve pas sérieusement compromise dans la ville de Pau. Qu’en est-il de<br />

l’espace public accessible à tous ?<br />

Si la question de l’accessibilité est grandement sollicitée dans les différents<br />

itinéraires, il en va de même pour la propreté qui fait souvent défaut.<br />

Marie, qui vit depuis 22 ans à Pau, nous a fait remarquer que la situation se<br />

dégradait considérablement. Les poubelles s’entassent sur les trottoirs, les gens ne les<br />

sortent pas quand il faut, à tel point, par exemple, que des cartons laissés sur un trottoir<br />

(photographie n°38) depuis deux jours ne seront ramassés que le lendemain. Si la<br />

personne avait fait attention au planning du ramassage des ordures distribué par la<br />

mairie, elle aurait peut-être attendue.<br />

397


Photographie 38- Itinéraire de Marie Photographie 39- Itinéraire de Joseph<br />

L’incivilité des habitants est-elle aussi cause de désagrément ? Joseph est<br />

scandalisé de constater le nombre de mégots, de cannettes de bière (photographie n°39)<br />

abandonnées dans les vasques de fleurs, sur les espaces verts. Il faut d’ailleurs attendre<br />

plusieurs jours voire plusieurs semaines, avant qu’ils ne soient nettoyés.<br />

Photographie 40- Itinéraire de Joseph Photographie 41- Itinéraire de Joseph<br />

La « vie rêvée des villes » (photographie n°40) semble ne pas être un slogan<br />

réaliste au regard des différentes photographies qui illustrent au contraire la saleté,<br />

l’inaccessibilité… Les excréments de pigeons qui tapissent les bancs publics<br />

(photographie n°41), n’invitent pas à faire une pause, au cœur même de la place<br />

Clemenceau, lieu de passage obligé au centre de la ville.<br />

398


Photographie 42- Itinéraire de Joseph Photographie 43- Itinéraire de Joseph<br />

De surcroît, les bâtiments, les fontaines semblent laissés à l’abandon, les<br />

carreaux cassés ne sont pas remplacés, les bâtiments ont été noircis par la pollution.<br />

Selon Joseph, l’image de la ville, centrée sur le boulevard des Pyrénées, délaisse le reste<br />

de l’espace bâti que les citadins parcourent tous les jours. Natif de Pau, il regrette que<br />

« sa ville » ne soit pas davantage entretenue.<br />

Photographie 44- Itinéraire de Joseph photographie 45- Itinéraire de Patricia<br />

Certains aménagements récents comme la place d’Espagne, face au centre<br />

Bosquet, présentent d’après Joseph quelques inconvénients notoires, notamment pour<br />

les personnes âgées ou à celles à mobilité réduite, par l’installation d’un revêtement<br />

irrégulier (photographie n°44) propice à la chute. Ce problème de revêtement n’a pas<br />

été signalé uniquement par Joseph. Patricia, qui travaille à la DDA, nous a fait<br />

remarqué, elle aussi, le danger du revêtement de la dalle située en face du bâtiment dans<br />

lequel elle travaille, qui est particulièrement glissant par temps de pluie (photographie<br />

n°45).<br />

399


Photographie 46- Itinéraire de Marion Photographie 47- Itinéraire de Marion<br />

La traversée de voies importantes peut constituer un réel danger durant le<br />

parcours. Par exemple, Marion nous a signalé, à deux reprises la difficulté de traverser<br />

le passage piétonnier qui se situe en bas de chez elle (photographie n°46) et qui se<br />

trouve juste à la sortie d’un rond point où les véhicules arrivent souvent beaucoup trop<br />

vite et ne respectant pas la priorité des piétons. Un autre passage qu’elle n’aime pas<br />

emprunter, est celui qu’elle suit pour sortir des allées et prendre la direction du collège.<br />

Car les automobilistes qui viennent en face circulent au moment où le feu est vert pour<br />

les piétons. La visibilité étant limitée, les voitures s’engagent alors qu’un piéton traverse<br />

(photographie n°47).<br />

Photographie 48- Itinéraire de Myrtille Photographie 49- Itinéraire de Patricia<br />

Les ronds points et les grandes avenues constituent toujours des ruptures<br />

importantes dans l’itinéraire des piétons qui se voient obligés de courir, tellement le feu<br />

est rapide (photographie n°49) ou la circulation au rond point est dense (photographie<br />

n°48). La crainte qu’un automobiliste inattentif les renverse entraîne souvent un<br />

changement dans le parcours afin de le sécuriser.<br />

400


12.2.6- Les particularités des itinéraires<br />

Durant l’itinéraire que nous avons réalisé avec Myrtille, nous avons pu constater<br />

l’existence d’une forme particulière de suivi de chemin qui ne correspond pas aux<br />

aménagements piétonniers (d’ailleurs quasiment absents ou se limitant à un trottoir<br />

étroit le long du Boulevard Tourasse) mais aux « chemins sauvages » qui sont apparus<br />

sur les espaces verts, entre les différents immeubles, sur le parc de l’université,<br />

(photographies n°50 et 51) tellement ils ont été empruntés.<br />

Photographie 50- Itinéraire de Myrtille Photographie 51- Itinéraire de Myrtille<br />

Photographie 52- Itinéraire de Myrtille<br />

Myrtille nous a expliqué qu’elle avait essayé dans les premiers temps où elle<br />

effectuait ce parcours de suivre les secteurs de trottoirs. Elle s’est rapidement rendue<br />

401


compte que des gens coupaient leur chemin en passant à travers les petits espaces verts<br />

entre les immeubles (photographie n°52). Elle a dès lors choisi de les suivre et s’est<br />

aperçue que ce chemin était plus agréable et éloigné de la circulation. Sachant que les<br />

secteurs de trottoirs obligent à suivre un itinéraire plus long et plus bruyant, elle a<br />

préféré suivre les chemins sauvages, les petites voies cachées, pour optimiser son<br />

parcours et le rendre plus agréable. Myrtille, qui effectue ce trajet de 20 à 25 minutes,<br />

plusieurs fois dans la semaine, le conçoit aussi comme un moment de détente. Ceci<br />

n’était pas le cas lorsqu’elle empruntait les trottoirs, souvent dans un piteux état, le long<br />

des grands axes.<br />

La possibilité d’interroger un couple qui effectue plusieurs fois dans la semaine<br />

un parcours pour se rendre au même endroit, mais en suivant un chemin différent, nous<br />

a paru intéressant, riche d’enseignements. Se posait en effet la question de savoir Quelle<br />

logique était suivie ? Qu’est ce qui déterminait le choix ? Comment ils percevaient<br />

l’espace ? …<br />

402<br />

N<br />

0 100 m<br />

Figure 65- Itinéraires de Myrtille et Dominique pour se rendre sur leur lieu de<br />

travail<br />

(Source : plan de Pau au 1/13000, Plan-guides Blay)


Comme nous pouvons le constater sur cette carte, une partie du parcours est<br />

identique. Ce qui diffère se situe dans la zone d’accès à l’université. Dominique préfère<br />

l’entrée qui se situe au nord et Myrtille l’accès sud qui lui plaît énormément dans la<br />

mesure où qu’elle traverse le parc ombragé.<br />

Alors que Myrtille préfère les « chemins sauvages », Dominique suit un parcours<br />

davantage aménagé, même s’il considère qu’il n’y a pas d’espaces piétonniers mais des<br />

simulacres de trottoirs, par rapport à une ville comme Besançon où il a passé plusieurs<br />

années et qui lui permet de pouvoir établir une comparaison. Le chemin que suit<br />

Dominique à un moment se transforme en piste cyclable sans aucun espace pour les<br />

piétons (photographie n°31). Il choisit de suivre cette piste qui est plus agréable et plus<br />

sûre que la chaussée.<br />

Tandis que Myrtille préfère les espaces verts qui lui donnent l’impression d’une<br />

bouffée d’oxygène au cœur de la ville, Dominique affectionne, quant à lui, un parcours<br />

s’inscrivant dans le maillage de la ville, respectant le suivi de petites rues, dans la<br />

seconde partie de son parcours. Alors que dans la première section, les deux traversent<br />

plusieurs cours d’immeubles pour gagner en temps et tranquillité.<br />

Dans ce premier tronçon qui semble identique, quelques nuances existent<br />

cependant. Myrtille privilégie les espaces verts situés entre certains immeubles, ce qui<br />

l’oblige à manœuvrer davantage. Alors que Dominique va choisir de passer au plus<br />

court, au milieu d’un parking…<br />

Photographie 53- Itinéraire de Dominique<br />

403


La différence que nous avons pu repérer entre ces deux itinéraires confirme<br />

l’idée que l’expérience du déplacement dépend de la personnalité de chacun, de ses<br />

attentes. Nous pouvons supposer que, s’agissant d’un homme et d’une femme, la vision<br />

et la sensibilité liée à l’espace n’est pas la même.<br />

L’ensemble des itinéraires que nous avons suivi révèle l’importance de la<br />

configuration de l’espace, de son esthétique, de sa propreté, dans l’expérience du<br />

déplacement. Les personnes interrogées recherchent à la fois un certain confort, de la<br />

sécurité, un environnement agréable, soigné et surtout propre. La majorité des<br />

personnes interrogées se déplacent dans des espaces où le piéton doit se contenter de<br />

trottoirs réduits, de la proximité de la circulation automobile… Dans la plupart des cas,<br />

le choix du parcours n’est pas conditionné par des axes aménagés qui offrent plus<br />

d’espace et de sécurité, puisqu’il n’en existe que très peu. L’itinéraire se dessine dans<br />

les interstices comme nous l’ont montré Serge ou Myrtille. Les bifurcations<br />

qu’entreprennent les piétons sont conditionnées par leurs besoins de calme, d’espace, de<br />

commerces, d’espace vert…<br />

De nombreuses améliorations restent à faire en terme d’aménagement, pour<br />

répondre aux attentes des piétons sur l’ensemble de l’agglomération. Avant de<br />

s’intéresser aux apports du concept d’itinéraire et de la méthode des itinéraires dans<br />

l’approche relative à l’aménagement de l’espace public au cœur de la ville, nous allons<br />

terminer l’analyse des itinéraires par celui réalisé auprès d’une touriste venue passer<br />

quelques jours en Béarn. Comment la méthode des itinéraires peut révéler les<br />

potentialités d’une ville en en ce qui concerne la découverte touristique ?<br />

404<br />

12.2.7- A la découverte de Pau : l’itinéraire de Martine<br />

La possibilité de pouvoir suivre l’itinéraire d’un touriste nous a permis de<br />

compléter notre analyse de l’expérience du déplacement et de l’espace public dans une<br />

démarche de découverte d’un lieu.


N<br />

0 100 m<br />

Figure 66- Itinéraire de Martine<br />

(Source : plan de Pau au 1/13000, Plan-guides Blay)<br />

Arrivée un dimanche après-midi à Pau, Martine disposait uniquement d’une<br />

carte de la ville. L’office de tourisme étant fermé, elle n’a pas pu retirer de fascicules<br />

explicatifs de la ville. Elle a alors choisi de commencer son périple à partir de la mairie<br />

(photographie n°53) qui constitue, d’après elle, un point central de la ville.<br />

Photographie 54- Itinéraire de Martine Photographie 55- Itinéraire de Martine<br />

Ayant repéré un panneau qui indiquait « funiculaire », elle choisit de suivre cette<br />

direction. Nous arrivons ainsi face aux Pyrénées qui, ce jour-là n’était pas visible.<br />

Martine décide de prendre le funiculaire (photographie n°55) pour aller voir ce qu’il y<br />

405


avait en bas. Elle est agréablement surprise de constater qu’il y a un petit chemin<br />

aménagé en promenade le long d’un ruisseau (photographie n°56). Elle nous explique<br />

alors qu’elle est habituée à marcher le long de la Marne et qu’elle apprécie tout<br />

particulièrement la proximité d’un cours d’eau, même s’il s’agit d’un petit ruisseau.<br />

Photographie 56- Itinéraire de Martine Photographie 57- Itinéraire de Martine<br />

En revanche, la surprise n’est pas là même lorsqu’elle parvient à la fin du<br />

parcours devant une bâtisse en ruine (photographie n°57) qui semble complètement<br />

abandonnée. Elle trouve étonnant que rien ait été entrepris pour restaurer cet édifice<br />

ancien car cela donne une mauvaise image à la ville.<br />

Photographie 58- Itinéraire de Martine Photographie59- Itinéraire de Martine<br />

Enfin, elle découvre avec joie le château (photographie n°58) dont elle avait pu<br />

voir quelques photographies à son arrivée à l’aéroport. Elle choisit d’en faire le tour et<br />

d’y revenir le lendemain pour le visiter.<br />

A la recherche d’indications sur le chemin à suivre pour arpenter le centre ville de Pau,<br />

elle découvre un panneau indiquant « sentier du Roy » avec un petit marcheur pour<br />

symbole. Elle prend la direction signalait par le panneau pendant quelques mètres<br />

406


jusqu’au moment où elle arrive à un croisement et ne trouve plus de signalisation. Puis,<br />

en revenant sur ses pas, elle se rend compte qu’il y a un escalier (photographie n°60) qui<br />

descend dans le secteur de la basse ville qu’elle avait déjà parcouru. Elle nous fait part<br />

de son étonnement, expliquant que la signalisation, d’après elle, n’était pas claire et que<br />

la flèche devrait indiquer l’escalier en contre bas.<br />

Photographie 60- Itinéraire de Martine Photographie 61- Itinéraire de Martine<br />

Enfin, elle pris la décision, en raison de l’orage qui commence à gronder de<br />

regagner son hôtel en empruntant le boulevard des Pyrénées, espérant apercevoir un pic.<br />

Le ciel étant tellement gris et menaçant, elle ne pu qu’imaginer le profil des Pyrénées.<br />

Le tonnerre nous obligea à accélérer le pas jusqu’au Parc Beaumont (photographie<br />

n°62) où nous avons interrompu l’itinéraire. Préférant rester sur les premières<br />

impressions de Martine qui se trouve à Pau pour la première fois, nous ne traiterons pas<br />

de la seconde partie de l’itinéraire qui n’a été réalisé que deux jours après cette première<br />

rencontre, dans ce que Martine a perçu comme un espace commun (la zone des<br />

commerces) qui n’avait pas un grand intérêt touristique. En effet, les enseignes de<br />

magasins présentent aux rues Maréchal Foch et Serviez n’ont rien d’exceptionnel,<br />

puisqu’il s’agit de grandes enseignes répandues dans toutes les grandes villes de France.<br />

407


408<br />

Photographie 62- Itinéraire de Martine<br />

La première partie de l’itinéraire de Martine nous a renseigné sur les marqueurs<br />

qui conditionnent le parcours d’un touriste arrivant pour la première fois dans un lieu.<br />

Le touriste qui souhaite visiter une ville par lui-même est à la recherche d’indications.<br />

Par exemple, Martine a choisit de commencer son approche par le bas de la ville afin de<br />

projeter son regard sur la partie haute, et notamment le château qui surplombe la basse<br />

ville. Elle a ainsi pu visualiser son parcours depuis l’endroit où elle se trouvait (à côté<br />

du canal) vers le château. Le piège auquel elle s’est heurtée, par la suite, est d’avoir<br />

tenté de suivre un chemin (les sentiers du roi) annoncé par un panneau de signalisation.<br />

La facilité d’un parcours tracé l’a séduite mais le manque de clarté l’a obligé à<br />

abandonner. Martine, carte à la main, a continué son parcours à la découverte de la ville,<br />

à la recherche d’éléments caractéristiques comme le Boulevard des Pyrénées pour, par<br />

la suite, choisir de flâner dans le centre ville. Le touriste qu nous qualifions de flâneur<br />

ne souhaite pas suivre uniquement des parcours limités au centre ville ni aux éléments<br />

les plus remarquables d’un point de vue esthétique et monumental. Il suffirait de<br />

parsemer dans la ville des informations, des pistes ou voire des signalisations qui restent<br />

orientées vers une découverte globale de l’espace urbain, engageant le touriste dans une<br />

approche transversale de la ville. La ville en tant qu’objet touristique présente une large<br />

palette de potentialités qui amène le touriste à l’appréhender au niveau architectural,<br />

paysager, sensible, culturel, social, voire morphologique. Un regard croisé sur les objets<br />

mis en scène par la ville offre une lecture achevée de celle-ci. Telle est la réflexion<br />

menée par les urbanistes de Barcelone souhaitant mettre en perspective l’ensemble de<br />

son espace urbain par des jeux de regards dirigés sur la ville à partir de différents<br />

espaces publics.


La ville d’origine du touriste peut servir de comparaison et orienter l’approche<br />

d’un nouveau lieu qui, éventuellement, présente des caractéristiques similaires. Dans le<br />

cas de Martine, la comparaison semble difficile entre une ville de la banlieue parisienne<br />

et la capitale béarnaise. Néanmoins, en terme de propreté, Martine a pu constater à quel<br />

point les rues étaient sales, ce qui n’encourage pas la découverte. Elle s’étonne qu’un<br />

site ayant un tel potentiel ne travaille pas davantage sur l’esthétique (photographie n°63)<br />

et la propreté du lieu (photographie n°64).<br />

L’omniprésence dans les différents itinéraires de cette référence à la saleté des<br />

rues nuit considérablement à l’image de la ville. Les habitants éprouvent des difficultés<br />

à s’approprier des espaces qui les repoussent. Le fait d’être obligé de porter son<br />

attention sur d’éventuelles saletés parsemées sur les trottoirs, déjà étroits, ne facilite en<br />

rien le déplacement.<br />

Photographie 63- Itinéraire de Martine Photographie 64- Itinéraire de Martine<br />

409


Conclusion<br />

L’utilisation de la méthode des itinéraires afin de déterminer l’expérience des<br />

déplacements piétonniers dans la ville de Pau nous a permis de travailler sur la capacité<br />

de la méthode à révéler l’expérience en mouvement du sujet, tout en évaluant les<br />

potentialités de l’espace public palois. D’une part, c’est à travers le récit en temps<br />

« réel » du parcours que l’itinéraire se met en place dans sa dimension existentielle et<br />

spatiale. D’autre part, l’expérience sensible que dévoile la méthode donne à voir les<br />

imperfections et potentialités de l’espace public palois.<br />

Nous pouvons à travers l’analyse des différentes enquêtes réalisées confirmer<br />

que l’itinéraire advient par la capacité narrative du sujet. En effet, c’est l’enchaînement<br />

du récit de l’expérience du déplacement en cours qui rassemble chaque aspect de<br />

l’itinéraire et lui donne sens. Dans le récit, l’expérience sensible fait apparaître la<br />

dimension de l’aménagement à travers ce qui est éprouvé par le corps en contact avec<br />

l’espace, de la même façon que l’instantanéité du ressenti se greffe à la mémoire des<br />

sensations pour épanouir la dimension subjective.<br />

C’est dans cette construction de l’itinéraire par le récit que l’interaction se<br />

matérialise entre la dimension subjective et celle de l’aménagement, permettant une<br />

lecture de la ville empreinte de sensibilité. Les capacités de l’espace public se dévoilent<br />

dans la mise en récit de l’expérience du piéton en mouvement. Cette dernière va révéler<br />

à travers les sensations vécues par le piéton les ajustements qu’il a mis en place pour se<br />

déplacer au cœur de l’espace public. Nous avons pu remarquer que dans la plupart des<br />

cas le choix du parcours n’est pas conditionné par des axes aménagés qui offrent plus<br />

d’espace et de sécurité, dans la mesure où ils sont rares dans les rues de Pau. L’itinéraire<br />

se dessine plutôt dans les interstices que les piétons trouvent pour se déplacer avec le<br />

plus de tranquillité, dans des secteurs moins encombrés et sécurisés vis-à-vis de la<br />

circulation routière. Repérer ce type de fonctionnement permet de comprendre ce qui est<br />

essentiel pour un piéton.<br />

410


Conclusion de la troisième partie<br />

L’analyse que nous avons entreprise dans cette troisième partie nous a permis<br />

d’approfondir, dans un premier temps, le concept d’itinéraire à partir de l’utilisation de<br />

la méthode des itinéraires tout en observant les capacités de l’itinéraire à créer une<br />

interaction entre la dimension subjective et la dimension de l’aménagement, et dans un<br />

second temps, de révéler les potentialités de l’espace public dans deux contextes<br />

différents : Barcelone et Pau.<br />

Le recours à la méthode des itinéraires (chapitre 10) nous a permis de dévoiler<br />

les différentes dimensions de l’expérience (sensible et histoire de vie) qui guident les<br />

pas du piéton. En effet, le piéton faisant part de son expérience à travers la marche, le<br />

corps retrouve toutes les sensations et le fait d’énoncer en temps « réel » l’expérience du<br />

parcours rend spontané l’approche sensible de celui-ci. C’est en le parcourant que les<br />

différentes dimensions de l’espace public peuvent être énoncées. A travers le récit<br />

présenté par la personne enquêtée durant son déplacement, l’itinéraire s’est construit au<br />

fil des mots, des impressions et des sensations formulées par le piéton. En laissant libre<br />

cours à l’interviewé, nous apprenons comment ce dernier vit son déplacement, dans<br />

quelle logique il s’intègre, ce qu’il suscite comme comportements et réactions. Tous ces<br />

éléments qui s’associent font apparaître les marqueurs de l’itinéraire centrés pour<br />

certains sur les références à l’espace, mais aussi sur les aspirations de chacun. La<br />

méthode des itinéraires nous a ainsi permis d’identifier chaque dimension de l’itinéraire<br />

en repérant leur importance à la fois dans l’expérience du mouvement et dans la mise en<br />

relation du vécu et de la configuration de l’espace public.<br />

Le travail mené à Barcelone nous a permis d’identifier la richesse des<br />

interventions urbanistiques, que nous avons présentée dans le chapitre 9, qui montre<br />

l’intérêt d’étudier cette ville en terme d’aménagement de l’espace public. La diversité<br />

des formes de l’espace public barcelonais nous a incité à regarder du côté de l’usager<br />

pour déterminer la richesse des expériences en utilisant la méthode des itinéraires.<br />

Les résultats que nous avons obtenus à Barcelone vont dans ce sens<br />

(chapitre 10). Les différents itinéraires qui ont été réalisés rendent compte de<br />

l’interaction entre la dimension subjective (instantanéité et mémoire) et la dimension de<br />

l’aménagement dans l’expérience du déplacement. L’action s’explique par la sensibilité<br />

du sujet vis-à-vis de l’espace qu’il parcourt. Cette analyse nous a ainsi permis de tester<br />

411


l’efficacité de la méthode des itinéraires comme outil permettant d’étudier l’expérience<br />

du mouvement du sujet.<br />

La méthode des itinéraires ayant été testée dans une ville où les urbanistes ont<br />

longuement réfléchi à l’aménagement de l’espace public, nous avons souhaité nous<br />

intéresser à un espace urbain qui n’a pas connu de cohérence au niveau des politiques de<br />

la ville : Pau.<br />

Les capacités de l’espace public palois se dévoilent dans la mise en récit de<br />

l’expérience du piéton en mouvement. Cette dernière va révéler, à travers les sensations<br />

vécues par le piéton, les ajustements qu’il a mis en place pour se déplacer au cœur de<br />

l’espace public. Nous avons pu remarquer que, dans la plupart des cas, le choix du<br />

parcours n’est pas conditionné par des axes aménagés qui offrent plus d’espace et de<br />

sécurité, en ce qu’ils sont rares dans les rues de Pau. L’itinéraire se dessine plutôt dans<br />

les interstices que les piétons trouvent pour se déplacer avec plus de tranquillité dans<br />

des secteurs moins encombrés et davantage sécurisés vis-à-vis de la circulation routière.<br />

Repérer ce genre de fonctionnement permet de comprendre ce qui est essentiel<br />

pour un piéton. L’aménagement de l’espace public doit tenir compte à la fois des<br />

comportements des piétons et de ce qui les génère. L’itinéraire comme support de<br />

l’expérience du sujet en mouvement révèle l’interaction entre la dimension subjective et<br />

la dimension de l’aménagement. Cette particularité de l’itinéraire va permettre aux<br />

urbanistes de travailler différemment au niveau opérationnel en associant les deux<br />

dimensions (subjective et de l’aménagement) ; cet aspect sera développé dans la<br />

conclusion générale<br />

412


CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES<br />

Notre intérêt pour l’expérience du piéton nous a conduit à nous interroger sur la<br />

place de ce dernier dans les politiques relatives aux déplacements au sein de l’espace<br />

public. Ainsi, nous avons pu constater le peu d’attention qui lui est portée dans les<br />

objectifs d’intermodalité proposés par les PDU. La priorité de ces plans se situe en effet<br />

davantage dans la volonté de rendre les transports en commun plus compétitifs, tandis<br />

que les actions en faveur des modes doux s’avèrent moins ambitieuses, notamment en<br />

ce qui concerne la marche à pied perçue avant tout comme un relais dans le<br />

déplacement. La multiplication des modes de transports dans l’espace public n’a abouti<br />

qu’à des complications pour le piéton, car l’expérience s’y organise en fonction d’une<br />

difficile cohabitation qui se fait avec les voitures ou les bus et qui représente chaque<br />

jour davantage de risques. Dès lors, l’accessibilité à l’espace se restreint.<br />

En travaillant sur l’expérience du piéton en mouvement, nous avons pu réfléchir<br />

à la possibilité de proposer un espace public où les citadins évoluent et se repèrent<br />

facilement. C’est ainsi que le concept d’itinéraire s’est mis en place à partir de multiples<br />

dimensions (spatiale, existentielle, subjective, corporelle, relative à l’aménagement, ou<br />

encore à l’altérité), chacune d’entre elles ayant son importance dans l’analyse des<br />

potentialités de l’espace public. L’élaboration du concept a conduit à formuler diverses<br />

hypothèses :<br />

la première fait de l’itinéraire un révélateur de l’expérience du mouvement, à la<br />

fois aux niveaux spatial et existentiel, au point que ces deux dimensions du parcours<br />

interagissent ;<br />

la seconde hypothèse laisse à supposer que, d’une part, certains marqueurs<br />

conditionnent fortement le choix de l’itinéraire et que, d’autre part, ces derniers révèlent<br />

les potentialités de l’espace public ;<br />

la troisième hypothèse est que l’itinéraire advient par la mise en récit du<br />

parcours (c’est le récit qui le fait exister) ;<br />

enfin, la dernière hypothèse, qui s’inspire des réflexions suscitées par l’ensemble<br />

des précédentes, souligne que l’itinéraire génère une interaction entre la dimension<br />

subjective et celle de l’aménagement, qui contribue à l’amélioration de l’espace public.<br />

Ces différentes hypothèses ont guidé nos recherches effectuées sur différents<br />

terrains. Le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, en tant qu’expérience pleine,<br />

413


nous a d’abord permis d’explorer l’importance des deux dimensions principales :<br />

existentielle et spatiale. En transposant les résultats de cette analyse à la ville de Rio de<br />

Janeiro, où les déplacements sont quotidiens et répétitifs, l’approche théorique du<br />

concept d’itinéraire a été complétée en dégageant notamment l’existence de marqueurs.<br />

Ensuite, le recours à la « méthode des itinéraires », à Barcelone et à Pau, nous a conduit,<br />

d’une part, à mieux cerner l’expérience du piéton en mouvement et, d’autre part, à<br />

préciser l’influence de l’aménagement de l’espace public sur le vécu du parcours.<br />

De l’expérience de la marche à l’identification des marqueurs<br />

de l’itinéraire<br />

Notre première hypothèse a été corroboré en montrant que l’acte de marcher<br />

faisait évoluer simultanément la perception de l’espace et l’expérience du pèlerin,<br />

sachant que les configurations de l’espace tout au long du chemin influencent le ressenti<br />

du marcheur et réciproquement.<br />

Nous avons aussi constaté que l’expérience du pèlerinage n’est pas identique<br />

pour chacun puisqu’elle est le fruit de diverses motivations. L’itinéraire peut ainsi<br />

s’apparenter, suivant les attentes, soit à un itinéraire religieux dans lequel une réelle<br />

implication du croyant est présente au sein d’un environnement empreint de religiosité,<br />

soit à un itinéraire sportif où le tracé et la morphologie du parcours organisent la<br />

progression, soit à un itinéraire introspectif qui, au fur et à mesure du temps, devient un<br />

itinéraire d’ouverture au monde (le pèlerin en quête de réponses existentielles opère un<br />

retour sur lui-même qui s’accompagne souvent d’une ouverture au monde, notamment<br />

par le biais de son corps, qu’il redécouvre). Ainsi, il est fondamental de chercher à<br />

découvrir ce qui motive le déplacement afin de comprendre comment il s’organise.<br />

Les différents aspects de l’expérience qui ont été soulignés par les pèlerins<br />

trouvent aussi un écho dans le vécu des déplacements piétonniers à Rio de Janeiro. En<br />

effet, les motivations religieuses identifiées chez les adeptes du candomblé ont une<br />

influence forte dans l’appréhension de l’espace urbain.<br />

Notre deuxième hypothèse était que certains marqueurs conditionnaient<br />

considérablement le choix de l’itinéraire. Nous avons pu identifier trois marqueurs<br />

particulièrement significatifs au cours de nos études du pèlerinage et de Rio.<br />

414


Le marqueur corporel qui se situe au fondement de l’expérience de la marche<br />

s’avère particulièrement important. Une analyse fine de ce marqueur facilite la<br />

compréhension de l’expérience et des comportements qu’elle génère. En analysant ce<br />

qui facilite ou au contraire gène le corps dans son évolution, l’aménageur peut améliorer<br />

l’accessibilité.<br />

Dans une autre mesure, le marqueur « insécurité » dépend davantage, quant à<br />

lui, de l’émotionnel, de ce qui est lié à l’histoire de vie. Il est particulièrement présent<br />

dans l’expérience des personnes interrogées à Rio, notamment pour ce qui concerne<br />

l’augmentation de la violence. Les références au sentiment d’insécurité ont conduit<br />

certains à habiter dans des quartiers sécurisés qui ne favorisent pas les déplacements à<br />

pied, perçus comme dangereux ; ils préfèrent en effet se déplacer en voiture, se<br />

protégeant ainsi des gens de la rue.<br />

En revanche, le marqueur religieux renseigne sur l’existence de particularités<br />

dans l’expérience du déplacement qui dépend d’un éventuel lien du piéton à une<br />

religion. Même s’il s’agit d’un marqueur fortement dépendant de l’histoire de vie de la<br />

personne, de ses appartenances religieuses ou culturelles, il n’en demeure pas moins<br />

important pour révéler les singularités de l’expérience.<br />

L’identification de ces marqueurs, qui ont une influence directe sur la perception<br />

et l’expérience du déplacement, permet de lire l’espace, notamment public, en fonction<br />

des diverses significations que ce dernier peut rassembler. Cependant, le manque<br />

d’informations en ce qui concerne l’expérience même du déplacement, recueillies à<br />

partir de l’analyse de cartes schématiques spontanées, a nécessité l’utilisation d’une<br />

méthode qui repose sur la mise en récit des parcours. D’autres marqueurs ont été<br />

identifiés lors des entretiens réalisés à Barcelone et à Pau. Il s’agit des marqueurs<br />

« esthétique », « sonore » et de « lisibilité », qui se situent davantage dans la relation<br />

sensible qu’établit le piéton avec l’espace parcouru.<br />

Les apports de l’itinéraire dans une démarche d’aménagement<br />

L’analyse menée à Barcelone et à Pau à partir de la méthode des itinéraires nous a<br />

conduit à aborder l’expérience du mouvement du piéton par sa mise en récit en « temps<br />

réel » sur un parcours quotidien. Cette dernière partie nous a permis d’approfondir les<br />

415


apports à la réflexion urbanistique, de la méthode retenue et du concept d’itinéraire dans<br />

une perspective opérationnelle.<br />

L’itinéraire se construit dans la mise en récit du parcours<br />

Chez la plupart des personnes interrogées, une relation étroite existe entre la<br />

dimension sensible et l’histoire de vie. Le fait de présenter son parcours en l’effectuant<br />

entraîne la personne à réaliser une mise en récit de sa propre vie dans laquelle le<br />

parcours s’intègre. Plus précisément, l’itinéraire se construit dans la mise en récit de<br />

l’expérience sensible du déplacement associée à l’histoire de vie qui s’enrichit dans le<br />

mouvement. C’est en dépassant la seule observation du déplacement que nous pouvons<br />

interpréter les changements de rythme et les bifurcations. Comprendre sur quels<br />

éléments repose l’expérience du déplacement permet d’intégrer ces derniers dans<br />

l’analyse de l’espace public à aménager. En donnant à la personne interrogée la place de<br />

guide, nous nous introduisons dans son monde, dans son système de référence. De plus,<br />

il est nécessaire de déterminer ce qui permet à la personne d’énoncer son expérience,<br />

d’impulser la mise en récit. Comme a pu le noter J.-P. Thibaud, « nous considérons le<br />

sensible comme embrayeur de parole et les ambiances locales comme motifs à la<br />

verbalisation » 431 . La personne qui se trouve mise en situation dans une action qui lui<br />

est familière, va s’appuyer sur des marqueurs spatiaux et existentiels pour énoncer son<br />

parcours. L’association du récit à l’outil photographique comme illustration des propos<br />

et des comportements de la personne tout le long de son parcours, permet de lier<br />

l’espace, les objets… au ressenti. En effet, « l’acte de marcher est au système urbain ce<br />

que l’énonciation est à la langue » 432 . L’apport fondamental de la méthode des<br />

itinéraires est de pouvoir révéler cette dimension énonciative de la marche par la mise<br />

en récit en « temps réel » de cette dernière. Ainsi, l’ensemble des relations qui s’établit<br />

avec l’espace parcouru est explicitement dévoilé.<br />

La méthode des itinéraires révèle les potentialités et les<br />

dysfonctionnements des aménagements de l’espace public<br />

La méthode des itinéraires met en évidence les différentes stratégies auxquelles<br />

le sujet a recours durant ses déplacements. La diversité des personnes interrogées et<br />

donc des parcours étudiés permet à la fois de repérer les particularités dans l’expérience<br />

431 Jean-Paul THIBAUD. La méthode des parcours commentés. Op. Cit., p. 83.<br />

432 Michel DE CERTEAU. L’invention du quotidien, 1. L’art de faire. Paris : Gallimard, 1990. p.148.<br />

416


du déplacement mais aussi les constantes ou régularités dans l’expérience sensible de<br />

l’espace. Par exemple, l’inconfort et l’insécurité liés à la proximité des voitures, que ce<br />

soit au centre-ville, au niveau des ronds points ou des grandes avenues à traverser,<br />

renforcent le sentiment de vulnérabilité. Ces différentes impressions, qui mettent en<br />

évidence les limites et les dysfonctionnements de l’espace public, constituent une<br />

source d’information importante pour les aménageurs soucieux d’amélioration. Et ce<br />

d’autant plus que la méthode des itinéraires, travaillant à la fois sur le récit et sur l’outil<br />

photographique, donne une lisibilité immédiate des dysfonctionnements.<br />

Dans le cas de la ville de Pau, la majorité des remarques faites par les personnes<br />

interrogées ne fait que révéler les nombreux dysfonctionnements de l’espace public<br />

concernant les aménagements pour les piétons. Le manque de place constitue un<br />

véritable obstacle aux déplacements à pied. Le piéton est souvent contraint de marcher<br />

sur la chaussée, ce qui est d’autant plus problématique pour une personne se déplaçant<br />

avec une poussette ou avec un fauteuil roulant.<br />

Cependant, cerner au mieux l’expérience du mouvement dans l’idée de proposer<br />

de nouveaux aménagements de l’espace public demande d’optimiser la méthode des<br />

itinéraires, notamment dans son application. En effet, la place du chercheur durant le<br />

parcours ne doit à aucun moment devenir gênante ou directive. Il faut laisser le<br />

maximum de liberté au guide (c’est-à-dire à la personne interrogée). Ceci nécessite<br />

d’avoir réalisé auparavant un pré-entretien dans lequel l’objet de la recherche est<br />

suffisamment clair pour permettre à la personne interrogée de comprendre au mieux son<br />

rôle. Le travail du photographe doit lui aussi être davantage préparé et organisé. Sachant<br />

que ce dernier est censé capter dans le comportement de la personne les changements de<br />

rythme, les bifurcations éventuelles ainsi que les remarques du chercheur… Les deux<br />

(chercheur et photographe) doivent s’entendre sur les codes qui vont structurer leur<br />

travail de terrain, sans oublier de ne pas perturber le guide. Une réalisation rigoureuse<br />

de la méthode offre la possibilité de s’approcher au plus près de l’expérience du<br />

mouvement du sujet et des éléments qui la conditionnent.<br />

La méthode des itinéraires précise les catégories de marqueurs qui<br />

orientent le choix et ponctuent l’itinéraire<br />

De la même façon que les potentialités ou les dysfonctionnements sont mis en<br />

perspective par cette méthode, tout le long du récit apparaissent les marqueurs de<br />

l’itinéraire du déplacement. Ceux-ci sont pour la plupart associés aux sentiments que<br />

417


génère la progression dans l’espace. Par exemple, le marqueur « sécurité » apparaît<br />

comme élément régulateur du parcours. Le sujet, recherchant avant tout la sécurité, va<br />

choisir un chemin protégé, comme nous avons pu le voir avec la personne qui était sans<br />

cesse obligée de composer avec des trottoirs trop étroits pour le passage d’une<br />

poussette.<br />

De la même façon que le marqueur « esthétique » va orienter le sujet vers des<br />

lieux attractifs, le marqueur « sonore », auquel la personne non-voyante se réfère tout le<br />

long de son parcours, occupe une place centrale. Nous pouvons d’ailleurs parler plus<br />

largement de marqueur « corporel » dans le cas du non-voyant qui doit rester<br />

continuellement à l’écoute de son corps (de ses sens) pour ne rien négliger sur son<br />

parcours.<br />

En ce qui concerne les touristes, le marqueur primordial n’est autre que le<br />

marqueur « lisibilité », lequel peut prendre différentes formes : signalétique,<br />

aménagements piétonniers, perspective… Le touriste qui vient visiter une ville n’a que<br />

peu de temps pour en saisir l’ensemble. La lisibilité constitue un élément capital de<br />

repère pour lui. Son expérience du mouvement dans une ville qui lui est inconnue ne<br />

peut que se fonder sur ses expériences antérieures de touriste ou de citadin, mais surtout<br />

sur ce qui lui est proposé par l’aménagement de l’espace public. Par exemple, à<br />

Barcelone, des itinéraires sont proposés aux touristes retraçant l’histoire architecturale<br />

de la ville (périodes moderne, antique…) sous forme de plaquettes complétées aussi par<br />

une signalétique installées dans les rues de la ville.<br />

Le repérage de ces différents marqueurs favorise une lecture fine des différentes<br />

dimensions et valeurs de l’espace. Le piéton ne fait pas que se déplacer, il côtoie,<br />

partage, éprouve… revendique. L’identification des marqueurs par la méthode des<br />

itinéraires permet de dépasser une simple lecture fonctionnelle de l’espace. Si nous<br />

revenons aux études qui ont pu être menées à partir de la seule observation du<br />

comportement des piétons par le recours à la vidéo, ou à la photographie, ou tout<br />

simplement à partir d’entretiens sans mise en situation, on constate qu’elles ne sont pas<br />

suffisantes pour cerner l’expérience du déplacement. Ces différentes méthodes<br />

dévoilent des comportements ou des logiques de déplacement. Par exemple, à Pau, les<br />

personnes en charge du projet de centre piétonnier ont procédé, pour commencer, à un<br />

comptage des piétons par rue (de l’hyper-centre), puis ont réalisé une enquête centrée<br />

sur les pratiques et la fréquentation du centre-ville. La réflexion, dès le départ, s’est<br />

limitée à l’espace restreint du centre-ville plutôt que de s’intéresser à l’ensemble de<br />

418


l’agglomération. Le recueil des seules informations relatives à la fréquentation ne peut<br />

suffire à légitimer l’aménagement d’un espace. Où se situe le sujet dans ce projet ? Y<br />

est-il associé ? A-t-on cherché à connaître les réels besoins des piétons ? En regardant<br />

du côté de l’expérience, l’aménageur peut éviter d’exploiter des espaces inappropriés.<br />

En travaillant à partir du concept d’itinéraire, la dimension subjective et la<br />

dimension de l’aménagement vont interagir pour proposer une nouvelle approche de la<br />

ville en adéquation avec l’expérience du mouvement.<br />

L’itinéraire, un concept opérationnel<br />

Le concept d’itinéraire prend sens dans une démarche scientifique fondée sur<br />

l’opérationnalité. En effet, l’itinéraire, en révélant l’expérience du mouvement du sujet,<br />

dépasse l’approche fonctionnelle des déplacements car il permet de tenir compte de<br />

l’interaction entre la dimension subjective et la dimension planificatrice. Ainsi, la<br />

rencontre entre le sujet qui vit la ville et l’urbaniste qui l’aménage se manifeste à travers<br />

la méthode des itinéraires. Cette dernière, en donnant au sujet la possibilité de guider le<br />

récit de sa propre expérience, va dévoiler les liens qui se tissent entre ce que nous avons<br />

nommé, dans le chapitre 4, l’itinéraire existentiel qui repose sur l’histoire de vie du<br />

sujet, et l’itinéraire spatial qui dépend des potentialités de l’espace public.<br />

L’opérationnalité du concept d’itinéraire repose sur l’utilisation de marqueurs<br />

tels que révélés par la mise en récit de l’expérience du mouvement. Dans l’optique de<br />

proposer un aménagement de l’espace public en accord avec les aspirations et les<br />

besoins matérialisés sous forme de marqueurs qui se réfèrent à la fois à la morphologie<br />

et au ressenti. On retrouve parfois chez différentes personnes une appréhension<br />

similaire de l’espace : il s’agit de la partie constante de l’itinéraire. Néanmoins, celui-ci<br />

dépend du sujet qui l’effectue. L’histoire de vie permet de repérer les possibilités de<br />

bifurcation ou de changement qui provoquent un déséquilibre du système mis en place<br />

par l’aménageur. Comme l’écrit I. Prigogine, qui s’est intéressé au fait que le nonéquilibre<br />

pouvait jouer un rôle organisateur : « il est impossible de prolonger ce que<br />

l’on a appris de l’équilibre, on découvre ainsi de nouvelles situations, parfois plus<br />

organisées qu’à l’équilibre. Cela se produit en des points particuliers, qui<br />

correspondent à des changements de phases de non-équilibre, ce que [l’auteur] appelle<br />

419


des points de bifurcation » 433 . L’organisation de l’itinéraire du sujet est liée à un<br />

élément de référence pour l’ensemble de la population d’une ville, à savoir l’espace<br />

public, mais dépend aussi des aspirations du sujet qui génèrent des bifurcations<br />

influençant son parcours. L’aménageur qui prend conscience de ce phénomène peut<br />

vouloir gérer ces bifurcations, voire les limiter, en renforçant l’accès de certains axes au<br />

détriment de ceux qu’il juge secondaires. Nous remarquons, dans la plupart des<br />

aménagements proposés, une volonté de gérer ou de qualifier l’espace public pour<br />

orienter les pas du piéton vers les secteurs retenus par les aménageurs. Au contraire, il<br />

faut composer avec la différence, en admettant qu’une ville ne peut limiter l’espace<br />

destiné aux piétons qu’au seul centre-ville, car les piétons sont présents partout dans<br />

l’ensemble urbain.<br />

Il semble que le concept d’itinéraire ne puisse être utilisé dans une démarche<br />

opérationnelle qu’en parfait accord avec la population concernée. L’expérience que<br />

l’itinéraire met en valeur repose avant tout sur le sujet. La démarche porteuse de cette<br />

réflexion est proche de l’urbanisme participatif, pour lequel l'espace tel qu'il est vécu<br />

par les habitants constitue le véritable support d'une démarche urbanistique. Ce qui<br />

prévaut alors, c'est l'usage de l'espace par l'habitant, son appropriation. Toute<br />

modification de l'espace remet en cause cet usage et peut être facteur de perturbations.<br />

Ceci impose une organisation fondée sur la participation du sujet en amont afin d’initier<br />

un projet cohérent. Il s’agit non pas du seul usager, ou habitant, ou touriste, mais du<br />

sujet, celui pour qui l’expérience énoncée se révèle dans sa globalité. De plus, la<br />

participation doit venir en amont pour initier un projet cohérent et en adéquation avec<br />

les attentes formulées par la mise en récit de l’expérience. Il ne suffit pas de demander<br />

aux gens ce qu’ils veulent, il faut au contraire se concentrer sur ce qu’ils vivent chaque<br />

jour. Les réels besoins apparaissent dans l’action et non dans les représentations qui en<br />

découlent. C’est au moment où la personne va vivre une difficulté que l’enquêteur doit<br />

saisir l’information et la transmettre à l’aménageur qui sera alors plus à même d’y<br />

remédier et d’en saisir toutes les facettes.<br />

Dans une démarche opérationnelle, l’itinéraire ayant comme support<br />

l’expérience du sujet ne peut s’adapter à un urbanisme moderniste fondé sur les seules<br />

433 Ilya PRIGOGINE. Le désordre créateur. Tribune libre à I. Prigogine. Institut du management<br />

d'EDF/GDF, 1997. p.72. cf., aussi Les lois du chaos ; Paris : Flammarion, 1999.<br />

420


idées de rationalisation, de fonctionnalité et de régularité de l’espace. A l’inverse,<br />

l’itinéraire compose avec la diversité et la complexité des situations et n’aboutit pas à<br />

une structuration cadrée de l’espace urbain. Plutôt que de désigner des fonctions<br />

précises à l’espace, il suggère d’évoluer vers un espace public où l’indétermination<br />

procure suffisamment de souplesse au sujet pour s’épanouir. L’itinéraire conduit à<br />

travailler davantage sur les dimensions sensibles de l’espace à partir d’une coproduction<br />

de son aménagement impliquant aménageurs, politiques et sujets.<br />

Perspectives<br />

L’appréhension des déplacements piétons à travers un nouveau concept,<br />

l’itinéraire révélateur de l’expérience du mouvement, montre toute la richesse et la<br />

complexité d’une telle approche.<br />

En effet, l’expérience associée à l’idée de mouvement mobilise différentes<br />

dimensions (existentielle, spatiale, corporelle, subjective, de l’aménagement et relative à<br />

l’altérité) qui demandent chacune beaucoup d’attention. Les résultats obtenus<br />

nécessitent un approfondissement de chaque dimension du concept d’itinéraire afin<br />

d’apporter des précisions et des éclaircissements utiles pour améliorer l’approche<br />

méthodologique et opérationnelle. C’est par exemple le cas de la dimension subjective<br />

qui s’inscrit à la fois dans l’instantanéité et dans la mémoire, de part la double capacité<br />

du corps, au niveau de la perception et de la connaissance, qui enrichit la dimension<br />

subjective d’un double sens. Cet aspect gagnerait à être davantage pris en compte dans<br />

le cadre de l’analyse de l’expérience par le biais de la méthode des itinéraires. Dans une<br />

autre mesure, la dimension corporelle, fortement sollicitée durant le déplacement, prend<br />

tout son sens en tant que marqueur « premier » de l’itinéraire, étant donné que le corps<br />

est le lien direct entre le sujet et l’espace parcouru. Même si les autres marqueurs ont un<br />

rôle important dans la compréhension de l’itinéraire, le corps reste l’élément qui subit<br />

instantanément les limites des aménagements. Une recherche plus approfondie sur les<br />

réflexes du corps (comportements non verbalisés et non conscients) est recommandée<br />

pour repérer les fonctionnements que l’analyse du récit du sujet ne dévoile pas.<br />

L’approche fondée sur l’analyse de l’expérience du mouvement à partir du<br />

concept d’itinéraire peut être utilisée dans différents domaines. Par exemple, au niveau<br />

de la santé, l’augmentation des problèmes liés à la sédentarité, notamment, le surpoids,<br />

correspond à un thème qui peut être abordé par le biais du concept d’itinéraire. En effet,<br />

421


l’analyse de l’expérience du mouvement des personnes concernées par ces problèmes va<br />

nous renseigner sur leur vécu du déplacement, sur les limites qu’ils rencontrent, sur<br />

leurs habitudes, leurs attentes, leur rapport à l’altérité et surtout à leur corps. Le surpoids<br />

notamment, en rendant le déplacement plus difficile, transforme le corps en obstacle<br />

qu’il est important de prendre en compte. Ceci nécessite de travailler en relation avec<br />

les urbanistes et les professionnels de la santé pour développer un projet permettant<br />

d’allier accessibilité pédestre, cadre de vie et besoins physiologiques. Ce travail, fondé<br />

en amont sur une analyse de l’expérience de la marche à pied, pourrait déterminer les<br />

limites de l’espace public que ces personnes parcourent ainsi que leurs propres limites<br />

corporelles et existentielles. En repérant dans l’expérience du mouvement l’existence de<br />

marqueurs, nous serons capables de proposer une base de réflexion.<br />

Enfin, l’analyse menée sur une expérience quotidienne du mouvement des<br />

piétons mérite d’être enrichie en tenant compte de l’expérience des touristes dans<br />

l’appréhension de la ville. Etudier les particularités de l’expérience du mouvement du<br />

touriste va enrichir les connaissances en termes, notamment, de mise en scène de<br />

l’espace public, tant au niveau des potentialités que des dysfonctionnements. De plus, il<br />

existe souvent une tendance à limiter ce qui attire un touriste à ce qui est esthétiquement<br />

ou historiquement important… N’y a-t-il pas tout autant d’attrait pour la découverte<br />

d’un espace dans sa totalité, plutôt que dans ses « singularités touristiques » souvent peu<br />

représentatives de la ville ? Un parcours transversal de la ville conduit au contraire à<br />

une découverte architecturale, paysagère, reposant sur l’évolution même de la ville, à la<br />

fois dans le temps et l’espace. Cette idée confirme l’importance de faire une réflexion<br />

sur l’aménagement de l’espace public en faveur des piétons sur l’ensemble de la ville. Il<br />

faut dépasser une lecture touristique centrée sur le patrimoine et l’esthétique en donnant<br />

l’accès à l’ensemble des composantes de la ville. Les responsables de l’aménagement<br />

urbain et touristique pourraient mener des actions communes afin de proposer une<br />

lecture de la ville à la fois pour ceux qui y vivent mais aussi pour ceux qui viennent<br />

« s’y perdre ».<br />

422


BIBLIOGRAPHIE<br />

ABREU Mauricio. Evolução urbana do Rio de Janeiro. Rio de Janeiro : Jorge Zahar<br />

Editor, 1988. 147 p.<br />

ABREU Mauricio. Natureza e sociedade no Rio de Janeiro. Rio de Janeiro : biblioteca<br />

carioca, 1992. 335 p.<br />

Agglomération du Grand Lyon. Charte du piéton. Plan de déplacements urbains de<br />

l’agglomération du Grand Lyon. 1998. 11 p.<br />

ALLEMAND Sylvain, ASCHER François et LEVY Jacques (dir.). Les sens du<br />

mouvement. <strong>Mo</strong>dernité et mobilités dans les sociétés urbaines contemporaines.<br />

Colloque de Cerisy. Paris : Belin, 2004. 336 p.<br />

AMIROU Rachid. Imaginaire touristique et sociabilités du voyage. Paris : PUF, 1995.<br />

281 p.<br />

ANDRE Yves et BAILLY Antoine. Pour une géographie des représentations.<br />

Représenter l’espace : l’imaginaire spatial à l’école. Paris : Anthropos, 1989. p. 9-28.<br />

ANDRIEU. Bernard. Le corps dispersé : histoire du corps au XXème siècle. Paris :<br />

l’Harmattan, 1993. 451 p.<br />

ANTUNES Augustin et CLAUSTRE Vincent. Evolution d’une ville dans son<br />

environnement, Pau et les Pays de l’Adour : contribution à une sociologie des groupes<br />

urbains. Paris : COPEDITH, 1973. 137 p.<br />

ARENDT Hannah. Condition de l’homme moderne. Paris : Presses-Pocket, 1994. 406 p.<br />

AUBREE Marion. Aspects culturels du fait religieux au Brésil, Historiens et<br />

Géographes, n° 372, année 2000-2001, p. 173-180<br />

423


AUGE Marc. Non-Lieux introduction à une anthropologie de la surmodernité. Paris :<br />

Ed. du Seuil,1992. 149 p.<br />

AUGOYARD Jean-François. Pas à pas essai sur le cheminement quotidien en milieu<br />

urbain. Paris : Seuil, 1979. 185 p.<br />

AUGOYARD Jean-François et LEROUX Martine. Les facteurs sensoriels du sentiment<br />

d’insécurité. La ville inquiète : habitat et sentiment d’insécurité, sous la direction de<br />

BERNARD Yvonne et SEGAUD Marion. La Garenne-Colombes : Editions de l’Espace<br />

Européen, 1991. p. 23-52.<br />

AUGOYARD Jean-François. L’environnement sensible et les ambiances<br />

architecturales, L’espace géographique, tome 24, n°4, 1995. p.302-318.<br />

AUGUSTIN Jean-Pierre et LATOUCHE Denis. Lieux culturels et contextes de villes.<br />

Talence : MSHA, 1998. 212 p.<br />

BACELAR Jeferson et CAROSO Carlos. Faces de tradição Afro-Brasileira :<br />

religiosidade, sincretismo, anti-sincretismo, reafricanização. Rio de Janeiro : Pallas,<br />

1999. 346 p.<br />

BAILLY Antoine et SCARIATI Renato (dir.). L’Humanisme en Géographie. Paris :<br />

Anthropos, 1990. 172 p.<br />

BAILLY Antoine et al . Les concepts de la Géographie Humaine. Paris : Masson, 1984.<br />

204 p.<br />

BAILLY Antoine et BEGUIN Hubert. Introduction à la géographie humaine. 7° édition<br />

revue et augmentée, Paris : Armand Colin, 1998. 216 p.<br />

BAILLY Antoine, FERRAS Robert et PUMAIN Denise (dir). Encyclopédie de<br />

Géographie. Paris : Economica, 1992. 1167 p.<br />

424


BALZANI Bernard, BERTAUX Roger et BROT Jean. Questions urbaines et politiques<br />

de la ville. Paris : l’Harmattan, 2002. 240 p.<br />

BARTHE-DELOIZY Francine. Géographie de la nudité, être nu quelque part. Rosnysous-Bois<br />

: Bréal, 2003. 239 p.<br />

BASTIDE Roger. Les religions africaines au Brésil : vers une contribution à une<br />

sociologie des interpénétrations de civilisation. Paris : Presses Universitaires de France,<br />

1960. 578 p.<br />

BASTIDE Roger . Brésil : terre de contrastes. Paris : L’Harmattan, 1999. 356 p.<br />

BASTIDE Roger. Le candomblé de Bahia (rite Nagô). Paris :Le grand livre du mois,<br />

2000. 441 p.<br />

BAUDRILLARD Jean. Le Système des objets. Paris : Gallimard, 1978 ; 288 p.<br />

BAUGNET Lucy. L’identité sociale. Paris : Dunod, 1998. 118 p.<br />

BEAUCIRE Francis. Les transports publics et la ville. Toulouse : les essentiels Milan,<br />

1996. 63 p.<br />

BENNASSAR Bartolomé et MARIN Richard. Histoire du Brésil 1500-2000. Paris :<br />

Fayard, 2000. 629 p.<br />

BENKO Georges. La post-modernité et le géographe. Dans Géographie et liberté<br />

mélanges en hommage à Paul Claval, sous la direction de Jean-Robert Pitte. Paris :<br />

l’Harmattan, 1999. p. 135-146<br />

BENZECRI Jean-Paul. L’analyse des données : leçons sur l’analyse factorielles et la<br />

reconnaissance des formes et travaux du laboratoire de statistique de l’Université de<br />

Paris VI. Tome 2 L’analyse des correspondances. Paris : Dunod, 1973. 620p.<br />

425


BERDOULAY Vincent. A propos de la forme urbaine. Aimons la ville, coordonné par<br />

Nathalie Blanc, Jacques Lolive et al. Paris : Cosmopolitique : Ed. l’Aube, 2004. p. 128-<br />

136.<br />

BERDOULAY Vincent. Les idéologies comme phénomènes géographiques, Cahiers de<br />

Géographie du Québec, 1985, n°77, p. 205-216.<br />

BERDOULAY Vincent. Des mots et des lieux : la dynamique du discours<br />

géographique. Paris : Ed. du CNRS, 1988. 106 p.<br />

BERDOULAY Vincent. Les valeurs géographiques. Dans Encyclopédie de géographie,<br />

Bailly (dir.). Paris : Economica, 1995. p. 384-400.<br />

BERDOULAY Vincent. Le lieu et l’espace public. Cahiers de Géographie du Québec,<br />

déc. 1997, vol 41, n°114. p.301-309.<br />

BERDOULAY Vincent et BASSIN Mark. La géographie historique : localiser le temps<br />

dans les espaces de la modernité. Horizons géographiques, Georges Benko et Ulf<br />

Strohmayer (dir.). Paris : Bréal, 2004. p. 291-338.<br />

BERDOULAY Vincent, Paulo Cesar Da COSTA GOMES et Jacques LOLIVE.<br />

L’espace public à l’épreuve : régressions et émergences. Pessac : MSHA, 2004. 223p.<br />

BERDOULAY Vincent, CASTRO Ina et Da COSTA GOMES Paulo César. L’espace<br />

public entre mythe, imaginaire et culture, Cahiers de Géographie du Québec, Volume<br />

45, n°126, décembre 2001. p.[413]-428.<br />

BERDOULAY Vincent et ENTRIKIN J.Nicholas. Lieu et sujet, perspectives<br />

théoriques, Espace géographique, 1998, n°2, p. 111-121.<br />

BERDOULAY Vincent et ENTRIKIN J.Nicholas. Singularité des lieux et prospective<br />

Espaces et sociétés, 1994, p. 189-201.<br />

426


BERGSON Henri. Essai sur les données immédiates de la conscience. Paris : PUF,<br />

1988. 180 p.<br />

BERQUE Augustin. Du geste à la cité : des formes urbaines et lien social au Japon.<br />

Paris : Gallimard, 1993. 247 p.<br />

BERQUE Augustin. Ecoumène, introduction à l’étude des milieux humains. Paris :<br />

Belin, 2000. 271 p.<br />

BERTRAND Jean-René. et MULLER Colette. Religions et territoires. Paris :<br />

l’Harmattan, 1999. 291 p.<br />

BLANQUART Paul. Une histoire de la ville : pour repenser la société. Paris : Ed. de la<br />

Découverte, 1997. 193 p.<br />

BLANQUART Paul. La ville en trans- ? Territoires. Février 2003. p. 5-39.<br />

BOHIGAS Oriol. Reconstrucción de Barcelona. Madrid : Ministerio de Obras Públicas<br />

y Urbanismo, 1986. [rapport interne]<br />

BONNEMAISON Joël. La géographie culturelle : cours de l’université de Paris IV-<br />

Sorbonne : 1994-1997. Paris : Editions du CTHS, 2000. 152 p.<br />

BORJA Jordi et MUXI Zaida. El espacio publico : ciudad y ciudadania. Barcelona :<br />

Electa, 2003. 415 p.<br />

BOTTINEAU Yves. Les chemins de Saint-Jacques. Paris : Arthaud, 1983. 237 p.<br />

BOURDIEU Pierre. Le sens pratique. Paris : Editions de Minuit, 1980. 475 p.<br />

BOURDIEU Pierre (dir.). « Effet de lieu ». La misère du monde. Paris : Seuil,<br />

1993.p.159-[217].<br />

427


BOURLES Jean-Claude. Passants de Compostelle. Paris : Ed. Payot et Rivages, 2001.<br />

208 p.<br />

BOYER-ARAUJO Véronique. Femmes et cultes de possession au Brésil : les<br />

compagnons invisibles. Paris :L’Harmattan, 1993. 287 p.<br />

BROSSEAU Marc. Des romans-géographes : essai. Paris : L’Harmattan, 1996. 246 p.<br />

BRUNET Roger. Les mots de la géographie. Paris : Reclus, la documentation française,<br />

1992. 470 p.<br />

BRUNO Louise. Rio de Janeiro, une métropole fragmentée : le rôle des favelas et des<br />

condominios fechados dans le processus d’éclatement de la ville et de la société. Villes<br />

et régions au Brésil, sous la direction de Leila Christina. DIAS, Cécile RAUD. Paris :<br />

l’Harmattan, 2000. p. [119]-136.<br />

BUTTIMER Anne. Le temps, l’espace et le monde vécu, Espace Géographique, 1979,<br />

n°4, p. 243-254.<br />

CANDAU Joël. Mémoire et identité. Paris : PUF, 1998. 225 p.<br />

CAPEL Horacio. « La continuité et le changement », Dans Géographe : entre espace et<br />

développement, sous la direction de Bernard KAYSER. Toulouse : Presses<br />

Universitaires du Mirail, 1990. p. 27-36.<br />

CAPONE Stefania. Le candomblé au Brésil, ou l’Afrique réinventée. Sciences<br />

Humaines, n°110, novembre 2002. p. 52-55<br />

CAPONE Stefania. La quête de l’Afrique dans le candomblé : pouvoir et tradition au<br />

Brésil. Paris : Karthala, 1999. 345 p.<br />

CARRE Jean-René. <strong>Mo</strong>bilité urbaine et déplacements non motorisés : situation actuelle,<br />

évolutions, pratiques et choix modal, Transport Environnement Circulation, N° n°148,<br />

May-June-July 1998, p19-25.<br />

428


CARRẺ Jean-Rémi et JULIEN Arantxa. Présentation d’une méthode d’analyse des<br />

séquences piétonnières au cours des déplacements quotidiens des citadins et mesure de<br />

l’exposition au risque des piétons. INRETS, mai 2000. 109 p.<br />

CASTRILLO MAZERES Francisco. El peregrino europeo en los caminos de<br />

Santiago : Historia y experiencias ano jubilar Compostelano 1999. Xunta de Galicia,<br />

2000. 388 p.<br />

CAUCCI VON SAUCKEN Paolo (dir.). Pèlerinages : Compostelle, Jérusalem, Rome.<br />

Paris : Ed. Desclée de Brower, 1999. 384 p.<br />

CAUVIN Colette. Espace cognitif interurbain et cartographie non-euclidienne.<br />

Comportements, n°1. p. 191-201.<br />

CAUVIN Colette. Propositions pour une approche de la cognition spatiale intraurbaine,<br />

Cybergéo, n°72,www.cybergeo.presse.fr/geocult/texte/cognima.htm. 15p.<br />

CERDA Ildefonso. La théorie générale de l’urbanisation. Paris : Seuil, 1979. 247 p.<br />

CERTEAU Michel de. L’invention du quotidien. Tome 1 : arts de faire. Nouvelle<br />

édition, Paris : Gallimard, 1990. 349 p.<br />

CHADEFAUD Michel. Aux origines du tourisme dans les pays de l’Adour. Biarritz :<br />

Société Atlantique d’impression, 1988. 1010 p.<br />

CHAMORRO Edouardo. Nosotros, los peregrinos : historia y sentido de un viaje<br />

iniciatico. Peninsula. Febrero 1999, n°10. p. 70-72.<br />

429


CHAUMARD Davyd. L’espace public, scène et mise en scène. User, Observer,<br />

programmer et fabriquer l’espace public, Jean Yves Toussaint et <strong>Mo</strong>nique<br />

Zimmermann. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2001.<br />

p. 125-134.<br />

CHELKOFF Grégoire, THIBAUD Jean-Paul. L’espace public, modes sensibles . Le<br />

regard sur la ville, Les Annales de la Recherche Urbaine, n°57-58, 1993. p. 7-16.<br />

CHOAY Françoise. L’urbanisme, utopies et réalités : une anthologie. Paris : Seuil,<br />

1979. 445p.<br />

CHOAY Françoise, Pierre MERLIN (dir.). Dictionnaire d’Urbanisme et<br />

d’Aménagement. Françoise. Paris : PUF, 1988. 968p.<br />

CHOCHEYRAS Jacques. Saint-Jacques à Compostelle. Ouest France, 1985. 159 p.<br />

CLAVAL Paul. La nouvelle géographie. Paris : PUF, 1977. 127 p.<br />

CLAVAL Paul. La logique des villes : essai d’urbanologie. Paris : LITEC, 1981. 633 p.<br />

CLAVAL Paul. La géographie culturelle. Paris : Nathan Université, 1995. 384 p.<br />

CLAVAL Paul. Histoire de la Géographie. Paris : Presses Universitaires de France,<br />

1995. 127 p.<br />

CLAVAL Paul. Histoire de la Géographie française de 1870 à nos jours. Paris :<br />

Nathan, 1998. 543 p.<br />

CLAVAL Paul. Qu’apporte l’approche culturelle à la géographie. Géographie et<br />

Cultures, n°31, 1999. p. 5-24.<br />

CLAVAL Paul. La fabrication du Brésil : une grande puissance en devenir. Paris :<br />

Belin, 2004. 383 p.<br />

430


CLUCHE Denys. La notion de culture dans les sciences sociales. Paris : la Découverte,<br />

1996. 123 p.<br />

GOMES DA COSTA Paulo César. Geografia e modernidade. Rio de Janeiro: Bertrand<br />

Brasil, 1996.<br />

DAMERY Claire, LABUSSIERE Olivier et MIAUX Sylvie. Barcelone et la mise en<br />

scène de ses espaces publics : enjeux urbanistiques et enjeux d’usages saisis par la<br />

photographie. Revue TIGR, à paraître.<br />

DARDEL Eric. L’homme et le terre : nature de la réalité géographique. Paris : PUF,<br />

1952. 136 p.<br />

DEBARBIEUX Bernard. Le lieu, le territoire et trois figures de rhétoriques, L’espace<br />

géographique, n°2, 1995, p. 97-111.<br />

DEBARBIEUX Bernard. L’imagination et imaginaire géographique, Dans<br />

Encyclopédie de géographie, sous la direction d’Antoine Bailly, Robert Ferras et Denise<br />

Pumain. Paris : Economica, 1992. p. 893-906.<br />

DESPIN Laurent. « Des lieux et des hommes » essai sur la production sociale du sens<br />

en vallée d'Aure et du Louron. Mémoire de DEA à l’Université de Pau et des Pays d<br />

el’Adour, 1996. 134 p.<br />

DESPLAT Christian. Pau et le Béarn au XVIII ème siècle : deux cents milles provinciaux<br />

au siècle des Lumières.. Tome 1 : la Terre. Biarritz : Edition J&D, 1992. 706 p.<br />

DETREZ Christine. La construction sociale du corps. Paris : Seuil, 2002. 257p.<br />

DEVEREUX Georges. De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement.<br />

Paris : Aubier, 1980. 474 p.<br />

DI MEO Guy. Géographie sociale et territoires. Paris : Nathan, 1998. 320p.<br />

431


DOLLFUS Olivier, GRATALOUP Christian ,LEVY Jacques. Trois ou quatre choses<br />

que la mondialisation dit à la géographie, Espace géographique, 1999, n°1, p .1-11.<br />

DORTIER Jean-François. Les sciences humaines : panorama des connaissances.<br />

Auxerre : Ed. Sciences Humaines, 1998. 487 p.<br />

DOWNS Roger et STEA David. Essai sur la cartographie mentale : des cartes plein la<br />

tête. Quebec : Edisem, 1981. 218 p.<br />

DOWNS Roger et STEA David (dir.). Image and environment. Chicago: Aldine, 1973.<br />

463p.<br />

DUBET François. Sociologie de l’expérience. Paris : Ed. du Seuil, 1994. 272 p.<br />

DUPUY Gabriel. L’urbanisme des réseaux. Paris : Armand Colin, 1992. 198 p.<br />

DURET Pascal et ROUSSEL Peggy. Le corps et ses sociologies. Paris : Nathan, 2003.<br />

127 p.<br />

ELIADE Mircea. Le sacré et le profane. Paris : Gallimard, 2004. 185 p.<br />

ELIZONDO Virgil. La religion populaire support d’identité : étude de cas pastoralepsychologique<br />

basée sur l’expérience mexicano-américaine, Concilium, n°206, 1986,<br />

p. 53-61.<br />

ENDERS Armelle. Histoire de Rio de Janeiro. Paris : Fayard, 2000. 408 p.<br />

ENTRIKIN J.Nicholas. Lieu, culture et démocratie, Cahiers de géographie du Québec,<br />

Vol.41, n°114, déc. 1997, p. 349-356<br />

FERREOL Gilles (dir.). Dictionnaire de sociologie. Paris : Armand Colin, 1991. 300 p.<br />

FISCHER Gustave-Nicolas. Psychologie des espaces de travail. Paris : Armand Colin,<br />

1989. 222 p.<br />

432


FNAU SERVICE. Transports collectifs et développement durable. Rapport PREDIT-<br />

DRAST, décembre 1998, 74 p.<br />

FREMONT Armand. La région: essai sur l’espace vécu, Dans la pensée géographique<br />

française contemporaine : mélanges offerts à André Meynier. Saint-Brieuc : Presses<br />

universitaires de Bretagne, 1972, p. 663-678.<br />

FREYRE Gilberto. Casa Grande et Senzala : formaçao da familia brasileira sob o<br />

regime patriarcal. Rio de Janeiro : Record, 1996. 550 p.<br />

FRIAS Anibal. L’imaginaire des itinéraires touristiques dans les guides. Dans<br />

Itinéraires de l’imaginaire, coordonné par Marie-Caroline Vanbremeersch. Paris :<br />

l’Harmattan, 1999. p.143-178.<br />

GARLING T., BOOK A., LINDBERG E., 1984, Cognitive mapping of large-scale<br />

environments. The interrelationship of action plans, acquisition and orientation,<br />

Environment & Behaviour, vol. 16, n° 1, p. 3-34.<br />

GENTELLE Pierre. Haut lieu, Espace géographique, 1995, n°2, p. 135-138.<br />

GERBET Marie-Claude. L’Espagne au <strong>Mo</strong>yen-Age VIII°-XV°siècles. Paris, Armand<br />

Colin, 1992. 423 p.<br />

GERNET Louis. Anthropologie de la Grèce antique. Paris : François Maspéro, 1968.<br />

459 p.<br />

GHORRA-COBIN Cynthia. Réinventer le sens de la ville : les espaces publics à l’heure<br />

globale. Paris : l’Harmattan, 2001. 265 p.<br />

GOFFMAN Erving. La mise en scène de la vie quotidienne. 1. la présentation de soi.<br />

Paris : les Editions de Minuit, 1973. 251 p.<br />

433


GOFFMAN Erving. La mise en scène de la vie quotidienne. 2. les relations en public.<br />

Paris : les Editions de Minuit, 1973. 371 p.<br />

GOLLEDGE Reginald, STIMSON Robert J. Spatial Behavior. A geographic<br />

perspective. New York : The Guiford Press, 1997. 620 p.<br />

GOMES DA COSTA Paulo César. Geografia fin de siècle, o discurso sobre a ordem<br />

especial do mundo e o fim das ilusões. Explorações géográficas, Ina Castro et Paulo Da<br />

Costa Gomes et R.Correa. Rio de Janeiro : Bertrand Brasil, 1997. p.13-42.<br />

GOMES DA COSTA Paulo Cesar. L’espace public métropolitain et le recul de la<br />

culture civique : l’exemple du Brésil. Réinventer le sens de la ville : les espaces publics<br />

à l’heure globale. Sous la direction de Cynthia Ghorra-Cobin. Paris : l’Harmattan,<br />

2001. p. 233-244.<br />

GOMES DA COSTA Paulo Cesar. La dynamique de l’espace public métropolitain et le<br />

recul de la citoyenneté au Brésil. Villes et régions au Brésil, sous la direction de Leila<br />

Christina Dias. Paris : l’Harmattan, 2001. p. 17-32.<br />

GOMES DA COSTA Paulo César. A condição urbana : ensaios de geopolitica da<br />

cidade. Rio de Janeiro : Bertrand Brasil, 2002. 304 p.<br />

GONCALVES DA SILVA Vagner. Orixás da metrópole. Petrópolis : Vozes, 1995.<br />

325 p.<br />

GONCALVES DA SILVA Vagner. As esquinas sagradas. Na metropole : textos de<br />

anthropologia urbana. José Guilherme C. Magnani (dir.). Sao Paulo : USP, 1996.<br />

319 p.<br />

GONZALEZ MUNEZ Carmen y REYES BONA CASA Josefa. El camino de Santiago<br />

una ruta paneuropea. Arzobispado de Santiago : oficina de peregrinaciones, 1999.<br />

250 p.<br />

434


GOULD Peter. On Mental Maps. Image and environment. Sous la direction de R.M.<br />

DOWNS, B.D. STEA. Chicago: Aldine, 1973.p.182-220.<br />

GOURDON Jean-Loup (dir.). Boulevards, rondas, parkways… des concepts de voies<br />

urbaines. Paris : CERTU, Plan urbain, 2000. 161 p.<br />

GOURDON Jean-Loup. « la rue on partage », il dépend comment… Urbanisme, n°329,<br />

mars-avril 2003, p. 18-23.<br />

GRABOIS Aryeh. Le pèlerin occidental en terre sainte au <strong>Mo</strong>yen Age. Paris : De<br />

Boeck Université, 1998. 266 p.<br />

GRAFMEYER Yves et JOSEPH Isaac. L’école de Chicago : naissance de l’écologie<br />

urbaine. Paris : Flammarion, 2004. 977 p.<br />

GRACQ Julien. Carnets du grand chemin. Paris : Corti, 1992. 308 p.<br />

GRISELIN Madeleine. Chemin de St-Jacques de Compostelle : expertise technique<br />

qualitative des sentiers empruntés de la Haute-Saône au Cap Finesterre (Coruña),<br />

FFRP [rapport interne], 2000.<br />

GRISELIN Madeleine et NAGELSEIN Sébastien. « Quantifier » le paysage au long<br />

d’un itinéraire à partir d'un échantillonnage photographique au sol, Cybergéo, n°253 ?<br />

www.cybergeo.com. 11 p.<br />

GROSJEAN Michèle et THIBAUD Jean-Paul (dir.). L’espace urbain en méthodes.<br />

Marseille : Ed. Parenthèses, 2001. 217 p.<br />

GUICHARD-ANGUIS Sylvie. Pèlerinage et organisation de l’espace : Ise (Japon) et<br />

Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne), Revue de l’institut catholique de Paris.<br />

Janvier-mars 1999, p. 99-119.<br />

GUMUCHIAN Hervé. Représentations et aménagement du territoire. Paris :<br />

Anthropos-Ecnomica, 1991. 143 p.<br />

435


GUTH Klaus. Pilgrimages in contemporary Europe : signs of national and universal<br />

culture, History of European ideas, Vol. 20, n°4-6, 1995, p. 831-835.<br />

GWIAZDZINSKI Luc . La vie 24 heures sur 24 : regards croisés sur la société en<br />

continu. Paris : l’Aube, 2003. 253 p.<br />

HABERMAS Jurgen. L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension<br />

constitutive de la société bourgeoise. Nouvelle édition avec préface. Paris : Editions<br />

Payot, 1993. 322 p.<br />

HAGERSTRAND Torsten. Innovation diffusion as a spatial process. Traduit par A.<br />

Prad. Chicago : University of Chicago Press, 1967. 334 p.<br />

HALL Edward T. La dimension cachée. Paris : Editions du Seuil, 1971. 256 p.<br />

HANCOCK Claire. Le corps. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés.<br />

Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.). Paris : Belin, 2003. p. 213<br />

HEIDEGGER Martin. Ệtre et temps. Paris : Gallimard, 1986. 589 p.<br />

HENRY Guy. Barcelone dix années d’urbanisme : la renaissance d’une ville. Paris :<br />

Edition du <strong>Mo</strong>niteur, 1992. 175 p.<br />

ILLICH Ivan. Oeuvres complètes. Volume 1. [comprenant] Energie and équité. Paris :<br />

Fayard, 2004. 792 p.<br />

JAILLET Marie-Christine et FORTIN Jean-Patrick. La mixité sociale : un enjeu de la<br />

rénovation urbaine, Comme la ville, n°13, févier 2004, p. 22.<br />

JAUREGUIBERRY Francis. Les branchés du portable : sociologie des usages. Paris :<br />

PUF, 2003. 195 p.<br />

436


JOSEPH Isaac. Le passant considérable : essai sur la dispersion de l’espace public<br />

.Paris : librairie des Méridiens, 1984. 146 p.<br />

JOSEPH Isaac (textes réunis par). Prendre place : espace public et culture dramatique.<br />

Paris : Editions Recherches : Plan Urbain, 1995. 300 p.<br />

JOSEPH Isaac. La ville sans qualités. La Tour d’Aigues : Ed. De l’Aube, 1998. 209 p.<br />

JOSPEH Isaac. L’espace public comme lieu de l’action, Les annales de la recherche<br />

urbaine, n° 57-58, décembre 1992 – mars 1993, p. 211-217.<br />

KAUFMANN Vincent. <strong>Mo</strong>bilité et vie quotidienne : synthèse et questions de recherche.<br />

Centre de Prospective et de Veille Scientifique, Direction de la recherche et des affaires<br />

scientifiques et techniques Ministère de l’Equipement, des transports et du logement,<br />

2001 Plus, n°48. p. 3-63.<br />

KNAFOU Rémy (dir.). La planète « nomade » : les mobilités géographiques<br />

d’aujourd’hui. Paris : Belin, 1998. 247 p.<br />

LANDAU Bernard. La fabrication des rues de Paris au XIX ème siècle : un territoire<br />

d’innovation technique et politique, Les annales de la recherche urbaine, n° 57-58,<br />

décembre 1992 – mars 1993, p. 24-45.<br />

LAPLACE Danièle. De quelques méditations géographiques dans la construction de<br />

l’identité. L’espace public à l’épreuve régressions et émergences, sous la direction de<br />

Vincent Berdoulay, Paulo Da Costa Gomes et Jacques Lolive. Pessac : MSHA, 2004. p.<br />

201-212.<br />

LE BRETON David. Eloge de la marche. Paris : Ed. Métailié, 2000. 176 p.<br />

LE BRETON David. Redonner de l’espace au corps, Urbanisme, juillet-août 2002,<br />

n°325, p. 31-38.<br />

437


LE BERRE Maryvonne. « Territoires », dans Encyclopédie de géographie, sous la<br />

direction d’Antoine Bailly, Robert Ferras et Denise Pumain. Paris : Economica, 1995. p.<br />

601-622.<br />

LEDRUT Raymond. Les images de la ville. Paris : Anthropos, 1973. 388 p.<br />

LEGAL Yan. La marche, antidote à l’excès d’automobile, Urbanisme, n°314,<br />

novembre/octobre 2000, p. 34-39.<br />

Le GOFF Jacques. Histoire et mémoire. Paris : Gallimard, 1988. 409 p.<br />

LEPECQ J.C. et PECHEUX M.G. L’espace géographique : inférences et<br />

représentations spatiales, Comportements, n°1, 1984. p.191-201.<br />

LEPETIT Bernard, PUMAIN Denise. Temporalités urbaines. Paris : Economica,1999.<br />

317p.<br />

LEVY Bertrand. L’apport de la philosophie existentielle à la géographie humaniste.<br />

Dans L’Humanisme en Géographie, sous la direction d’Antoine Bailly et Renato<br />

Scariati. p. 79-84<br />

LEVY Jacques. Le tournant géographique : penser l’espace pour lire le monde. Paris :<br />

Belin, 1999. 399 p.<br />

LEVY Jacques. Accessibilité. Dans Dictionnaire de la géographie et de l’espace des<br />

sociétés, sous la direction de Jacques Lévy et Michel Lussault. Paris : Belin, 2003. p. 35<br />

LOPES de SOUZA Marcelo. O desafio metropolitano. Rio de Janeiro : Bertrand Brasil,<br />

2000. 368 p.<br />

LUSSAULT Michel. L’espace public. Dans Dictionnaire de la géographie et de<br />

l’espace des sociétés, sous la direction de Jacques Lévy et Michel Lussault. Paris :<br />

Belin, 2003. p. 339-342.<br />

438


LYNCH Kevin. What time is this place ? MIT Press, 1972. 277 p.<br />

LYNCH Kevin. L’image de la Cité. Paris : Dunod, 1998. 221 p.<br />

MAISONNEUVE Jean. Les conduites rituelles. Paris : PUF, 1999. 128 p.<br />

MAFFESOLI Michel. Le temps des tribus : le déclin de l’individualisme dans les<br />

sociétés postmodernes. Paris, Ed. la Table ronde, 2000 (troisième édition). 330 p.<br />

MANDON Daniel. Culture et changement social. Lyon : chronique sociale, 1990.<br />

200 p.<br />

MAUSS Marcel. Manuel d’ethnographie. Paris : Payot, 1967. 259p.<br />

MENDES DE ALMEIDA Maria Isabel, DE ALMEIDA TRACY Katia Maria. Noites<br />

nomade, espaço e subjectividade nas culturas jovens contemporaneas. Rio de Janeiro :<br />

Ed. Rocco, 2003. 250 p.<br />

MIGNOT Corinne. <strong>Mo</strong>bilité urbaine et déplacements non motorisés. Paris : la<br />

<strong>Document</strong>ation Française, 2001. 78 p.<br />

Ministère de l’écologie et du développement durable - Bilan « En ville, sans ma<br />

voiture ? » - du 16 au 22 septembre 2003.<br />

MOISI D. Le nouveau système international. <strong>Mo</strong>ndialisation et fragmentation. Cahiers<br />

français : documentation française. N°290, mars avril 1999. p. 3-10.<br />

MONDADA Lorenza. La polyphonie urbaine produit des ordres multiples de la ville,<br />

Urbanisme, hors-série n°19, juillet-août 2003. p. 8-15.<br />

MONIN Eric, DESCAT Sophie et SIRET Daniel. Le développement durable et<br />

l’histoire urbaine. Les annales de la recherche urbaine, n°92, 2002, p. 7-15.<br />

439


MORFAUX Louis-Marie. Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines.<br />

Paris : Armand Colin, 1980. 399p.<br />

MUCCHIELLI Alex. L’identité. Paris : PUF, 2° édition, 1992. 127 p.<br />

NEGRIER Emmanuel et TOMAS Marion. Temps, pouvoir, espace « la métropolisation<br />

de Barcelone », Revue française d’Administration Publique, n°107, 2003. p. 357-369.<br />

OFFNER Jean-Marc. Enjeux politiques et sociaux de la marche à pied, Métropolis,<br />

n°75, 1986. p.18-21.<br />

OFFNER Jean-Marc. Les plans de déplacements urbains (1996-2002). Données<br />

urbaines, sous la direction de Denise Pumain. Paris : Anthropos, 2003. 433 p.<br />

OFFNER Jean-Marc. L’élaboration des Plans de Déplacements Urbains de la loi sur<br />

l’air de 1996 : le nécessaire renouveau des politiques locales de transport. LATTS,<br />

Février 2003, http://latts.cnrs.fr/site/tele/rep1/texte1.pdf.<br />

OPIPARI Carmen. Le candomblé : images en mouvement Sao-Paulo-Brésil. Paris :<br />

l’Harmattan, 2004. 389 p.<br />

ORFEUIL Jean-Pierre. L’analyse de la mobilité, Le courrier du CNRS, n°81, 1994.<br />

PAILHOUS Jean. La représentation de l’espace urbain : l’exemple du chauffeur de taxi.<br />

Paris : PUF, 1970. 103 p.<br />

PAPON Francis. <strong>Mo</strong>bilité urbaine et déplacements non motorisés : situation actuelle,<br />

évolutions, pratiques et choix modal : projet « Ecomobilité », 1997. [Rapport interne<br />

non diffusé]<br />

PAQUOT Thierry (dir.). Le quotidien urbain: essais sur les temps des villes. Paris :<br />

Editions la Découverte & Syros, 2001.191p.<br />

440


PAQUOT Thierry. Redonner de l’espace au corps. Urbanisme, juillet-août 2002, n°<br />

325, p. 31-38.<br />

PETITEAU Jean-Yves. Territoires et itinéraires, Cahiers du centre de recherches<br />

sociologiques, n°5, février 1987, p. 25-37.<br />

PETITEAU Jean-Yves et PASQUIER Elisabeth. « je marche donc je suis » ou les jalons<br />

de l’être dans la méthode des itinéraires. Dans Processus du sens, sous la direction de<br />

Sylvie Ostrowetsky. Paris : l’Harmattan, 2000. p.114-128<br />

PETITEAU Jean-Yves et PASQUIER Elisabeth. La méthode des itinéraires : récits et<br />

parcours. L’espace urbain en méthodes, sous la direction de Michèle GROSJEAN et<br />

Jean-Paul THIBAUD. Marseille : Ed. Parenthèses, 2001. 217 p.<br />

PETONNET Colette. L’anonymat urbain. Dans Penser la ville de demain. Qu’est-ce qui<br />

institue la ville ?sous la direction de Cynthia GHORRA-COBIN . Paris : l’Harmattan,<br />

1994. p. 17-21.<br />

PIAGET Jean et INHELDER Barbel. La représentation de l’espace chez l’enfant.<br />

Paris : Felix Lacan, 1948. 581 p.<br />

PIAGET Jean. Le structuralisme.10°édition. Paris : PUF, 1992. 127 p.<br />

PIOLLE Xavier. Les citadins et leur ville : approche de phénomènes urbains et<br />

recherche méthodologique. Toulouse : Privat, 1979. 432 p.<br />

PIOLLE Xavier. <strong>Mo</strong>bilité, identités, territoires, Revue de Géographie de Lyon, 1990,<br />

n°3, p149-154.<br />

PIOLLE Xavier. Proximité géographique et lien social, de nouvelles formes de<br />

territorialité ? Espace géographique , 1990-1991, Tome 19-20, n° 4, p. 349-358.<br />

441


[PIOLLE Xavier]. Liens sociaux et mouvements, réseaux et territoires en interaction.<br />

Réseaux et territoires, significations croisées, sous la direction de Jean-Marc Offner.<br />

1997. p.155-156<br />

PIZZORNO Alessandro. La quête permanente, chez nous, de notre identité et de la<br />

reconnaissance des autres, Sciences humaines, n°103, mars 2000, p.37-40.<br />

POMONTI Vannina. Politiques urbaines et mobilité durable : analyse comparée<br />

d’Athènes et Amsterdam, Ecologie et politique, n°29, 2004, p.53-68.<br />

POUPARD Paul (dir.) Dictionnaire des religions. Paris : PUF, 1984. 1830 p.<br />

PRIGOGINE Ilya. Le désordre créateur. Tribune libre à Ilya Prigogine. Institut du<br />

management d’EDF/GDF, 1997. [rapport diffusion interne]<br />

PRIGOGINE Ilya. Les lois du chaos. Paris : Flammarion, 1994. 125 p.<br />

PUYO Jean-Yves. L’urbanisme selon Jaussely : regards croisés de scientifiques et de<br />

professionnels. Aux débuts de l’urbanisme français, sous la direction de Vincent<br />

Berdoulay et Paul Claval . Paris : l’Harmattan, 2001. 256 p.<br />

QUIVY Raymond et VAN CAMPENHOUDT Luc. Manuel de recherche en sciences<br />

sociales.2° édition entièrement refondue et augmentée. Paris : Dunod, 1995. 287 p.<br />

RATAOUIS Olivier. Le sens de la marche, dans les pas de Walter benjamin. Les<br />

Annales de la Recherche Urbaine, n°57-58, décembre 1992 – mars 1993. p. 70-81<br />

RAUCH André. <strong>Mo</strong>bilité. Dans Planète « nomade » : les mobilités géographiques<br />

d’aujourd’hui, sous la direction de Rémy Knafou. Paris : Belin, 1998. p. 95-115.<br />

RAVENEAU Gilles. L’expérience comme aménagement social et culturel de<br />

l’existence, Sociétés, n°64, 1999/2, p. 33-41.<br />

442


REALE Miguel. Expérience et culture : fondement d’une théorie générale de<br />

l’expérience. Bordeaux : Biere, 1990. 247 p.<br />

Région Ile-de-France. Plan de Déplacements Urbains Ile-de-France. Projet soumis<br />

pour avis aux collectivités locales, 30 octobre 1999. Paris : la <strong>Document</strong>ation Française.<br />

12 p.<br />

RESCHE-RIGON Philippe. Itinéraires commentés, Urbanisme, juillet-août 2003, horssérie<br />

n°19, p. 34-35.<br />

RIVIERE Claude. Représentation de l’espace dans le pèlerinage africain traditionnel,<br />

dans Ethnogéographies, sous la direction de Paul CLAVAL et Singaravelou. Paris :<br />

L’harmattan 1993.p. 137-148.<br />

ROCHER Guy. Introduction à la sociologie générale, tome 1 : l’action sociale. Paris :<br />

Seuil, 1968. 187 p.<br />

ROSENDAHL Zeny. Le pouvoir du sacré sur l’espace, de deux petits centres brésiliens<br />

de pèlerinage : Muquém et Santa Cruz dos Milagres. Géographie et Cultures, 1994,<br />

n°12, p. 71-86.<br />

RUANO-BORBALAN Jean-Claude (Coordinateur). L’identité, l’individu, le groupe, la<br />

société. Auxerre : Ed. Sciences humaines, 1998. 394 p.<br />

RUSS Jacqueline. Dictionnaire de philosophie. Paris : Bordas, 1991. 383 p.<br />

SANDERS Lena. L’analyse des données appliquées à la géographie. <strong>Mo</strong>ntpellier :<br />

G.I.P. Reclus, 1989. 267 p.<br />

SAUVAGE André. Eveil à l’espace public. User, Observer, programmer et fabriquer<br />

l’espace public, Jean Yves Toussaint et <strong>Mo</strong>nique Zimmermann. Lausanne : Presses<br />

polytechniques et universitaires romandes, 2001. p. 23-32<br />

443


SCHULER Martin. et JEMELIN Christophe. Régions et agglomérations : multiplicité et<br />

diversité des définitions statistiques en Europe. Raisons et déraisons de la<br />

ville :approches du champ urbain, sous la direction de JACCOUD Christophe, Martin<br />

SCHULER et Michel BASSAND. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires<br />

romandes, 1996. p. 45-68.<br />

SENDER Elena. Les bolides verts, Sciences et Avenir, n° 669, novembre 2002, p. 78-<br />

82.<br />

SENNETT Richard. Les tyrannies de l’intimité. Paris : Seuil, 1979. 282 p.<br />

SIGAL Pierre André. Les marcheurs de Dieu : pèlerinages et pèlerins au <strong>Mo</strong>yen Age,<br />

sous la direction de Georges Duby. Paris : Armand Colin, 1974. 158 p.<br />

SIROST Olivier. L’aération ordinaire : nature et expériences vécues. Sociétés, n°64,<br />

1999/2, p. 51-59.<br />

SOKOLOFF Béatrice. Barcelone où comment refaire une ville. <strong>Mo</strong>ntréal : Presses<br />

Universitaires de <strong>Mo</strong>ntréal, 1999. 209 p.<br />

STOCK Mathis. <strong>Mo</strong>bilités géographiques et pratiques des lieux : étude théoricoempirique<br />

à travers deux lieux touristiques anciennement constitués : Brighton & Hove<br />

(Royaume-Uni) et Garmisch-Partenkirchen (Allemagne). Thèse de doctorat :<br />

Géographie : Lettres, sciences sociales et humaine : Paris 7 : 2001, sous la direction de<br />

Rémy Knafou<br />

TARRIUS Alain. Anthropologie du mouvement. Caen : Ed. paradigme, 1989. 185 p.<br />

TARRIUS Alain. Fin de siècle incertaine à Perpignan : drogues, pauvreté,<br />

communautés d’étrangers, moyenne française. Cannet : Editions Trabulaire, 1997.<br />

205 p.<br />

TARRIUS Alain. Ville, espace et valeur : un séminaire du plan urbain [ séance du 23<br />

février 1988 au 15 novembre 1990].Paris : l’Harmattan, 1995. 582 p.<br />

444


THERY Hervé. Le Brésil. 4 ° édition revue et complétée Paris :Armand Colin, 2000.<br />

288 p.<br />

TOURAINE Alain. Critique de la modernité. Paris : Fayard, 1992. 462 p.<br />

TOURAINE Alain. La formation du sujet. Penser le sujet autour d’Alain Touraine :<br />

Colloque de Cérisy, sous la direction de François DUBET. Paris : Fayard, 1995. p. 21-<br />

46<br />

TOURAINE Alain et KHOSROKHAVAR Farhad. La recherche de soi, dialogue sur le<br />

sujet. Paris : Fayard, 2000. 316 p.<br />

TOUSSAINT Jean-Yves et ZIMMERMANN <strong>Mo</strong>nique. User, Observer, programmer et<br />

fabriquer l’espace public. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires<br />

romandes, 2001. 290 p.<br />

TUAN Yi Fu. Topophilia, a study of environmental perception, attitudes and values.<br />

New-York : Columbia University Press, 1990. 260 p.<br />

TUAN Yi Fu. Space and Place : the perspective of experience. University of Minesota<br />

Press, 2001. 248 p.<br />

TUAN Yi Fu. Landscapes of fear. New York : Blackwell, 1981. 272 p.<br />

TUCOO-CHALA Pierre. Histoire de Pau. Toulouse : Privat, 1989. 317 p.<br />

TUCOO-CHALA Pierre. Quand l’islam était aux portes des Pyrénées : de Gaston IV le<br />

Croisé à la croisade des Albigeois (XI°—XIII° Siècles). Biarritz : Edition terres et<br />

hommes du sud, 1994. 285 p.<br />

URRUTBEHETY Clément. Pèlerins de Saint-Jacques : la traversée du Pays Basque.<br />

Biarritz : J&D édition, 1993. 270 p.<br />

445


VALDEON Julio. El camino de Santiago fue una especie de cordon umbilical que unio<br />

Espana con Europa. Peregrino. n°63, mars 1999, p. 28-33.<br />

VAN GENNEP Arnold. Les rites de passage. Paris : A&J Picard, 2000. 288 p.<br />

VARELA Francisco, THOMPSON Evan, ROSCH Eleanor. L’inscription corporelle de<br />

l’esprit : sciences cognitives et expérience humaine. Paris : Seuil, 1993. 377 p.<br />

VASQUEZ DE PARGA Luis, URIA RIU Juan. Las peregrinaciones a santiago de<br />

compostela tomo 1. Pamplona : Iberdrola, 591 p.<br />

VENTURA. Zuenir. Cidade partida. Sao Paulo : Schwarcz, 2002. 277 p.<br />

VETTER D.M.. A segregação residencial da PEA na Região Metropolitana do Rio de<br />

Janeiro segundo grupos de rendimento mensal. Revista Brasileira de Geoografia, n°43,<br />

1981.<br />

VIRILIO Paul. Essai sur l’insécurité du territoire. Paris : Stock, 1976. 283 p.<br />

VIRILIO Paul. Logistique de la perception : guerre et cinéma 1. Cahiers du cinéma.<br />

Paris : L’Etoile, 1984.<br />

VIRILIO Paul. La vitesse de libération : essai. Paris : Galilée, 1995. 175 p.<br />

VIRILIO Paul. Cybermonde la politique du pire Paris : Textuel, 2001. 108 p.<br />

VLES Vincent. Espaces publics et mise en scène de la ville touristique. Dans L’espace<br />

public à l’épreuve régressions et émergences. sous la direction de Vincent Berdoulay,<br />

Paulo Da Costa Gomes et Jacques Lolive. Pessac : MSHA, 2004. p. 177-186.<br />

WIEL Marc. La transition urbaine : ou le passage de la ville pédestre à la ville<br />

motorisée. Sprimont : Pierre Mardaga, 1999. 149 p.<br />

WIEL Marc. Ville et automobile. Paris: Descartes et Cie, 2002. 140 p.<br />

446


WINSBERG <strong>Mo</strong>rton. A walking pilgrimage across Spain to Santiago de Compostela.<br />

The american geographical society, 1995, p. 31-37.<br />

YOUNES Chris et MANGEMATIN Michel (dir.). Lieux contemporains. Paris :<br />

Descartes et Cie, 1997. 266 p.<br />

YZQUIERDO PERRIN D. Ramon (dir.). Encuentro de universitarios catolicos<br />

europeos. El camino de Santiago y Europa. Santiago de Compostella : Xunta de<br />

Galicia, 1993. 196 p.<br />

ZALUAR Alba. Condomínio do diabo. Rio de Janeiro : Revan, 1994. 278 p.<br />

447


Rapports et articles de lois :<br />

Article 28 de la loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI), loi n°82-1153 du 30<br />

décembre 1982.<br />

Pau : contrat d’aménagement entre la ville et l’état. Bizanos : Exa.Plans, 1974. 55 p.<br />

Adresses Internet :<br />

www. agglo-pau.fr<br />

www. pau.fr « centre piéton à Pau – concertation préalable » – février 2004<br />

448


Annexes<br />

449


450


MOTIVATIONS :<br />

ANNEXE 1 :<br />

GRILLE D’ENTRETIEN<br />

1- Pourquoi vous avez choisi de faire le pèlerinage à Saint-Jacques de<br />

Compostelle ?<br />

2- Comment l’avez-vous connu ?<br />

3- Est-ce que ça faisait longtemps que vous vouliez le faire ?<br />

4- Est-ce que vous êtes partis seul ? Si oui, pourquoi ?<br />

5- Qu’est ce que le pèlerinage représente pour vous ?<br />

CHOIX DU PARCOURS :<br />

6- Pourquoi avoir choisi ce chemin ?<br />

7- D’où êtes vous partis ?<br />

8- Est-ce que vous vous êtes renseignés sur le chemin avant de partir ? Si oui, sur<br />

quoi ?<br />

9- Est-ce que le choix du chemin a été important pour vous ? si oui, pourquoi ?<br />

ATTENTES ET EXPERIENCE :<br />

10- Quelles étaient vos attentes ?<br />

11- Se sont-elles vérifiées ?<br />

12- Quels rapports entreteniez-vous avec les autres pèlerins ?<br />

13- Quels rapports entreteniez-vous avec les autres individus rencontrés ?<br />

14- Est-ce qu’il s’agit pour vous d’une expérience individuelle ou collective ?<br />

expliquer<br />

15- Aviez-vous des attentes quant aux lieux que vous alliez parcourir ?<br />

16- Quels sont les lieux qui vous ont marqué ?<br />

17- Quels étaient vos sentiments, votre perception des choses, du monde qui vous<br />

entourez durant la marche ?<br />

18- Que représente pour vous l’itinéraire ?<br />

451


452<br />

19- La progression le long de cet itinéraire a-t-elle changé votre regard et votre<br />

perception de votre environnement ?<br />

20- La progression le long de cet itinéraire a-t-elle constitué un retour sur vousmême<br />

? ou une ouverture vers l’autre ?<br />

CARACTERISTIQUES DE LA POPULATION INTERROGEE :<br />

21- Age :<br />

22- Profession :<br />

23- Lieu de résidence :<br />

24- Sexe :


Sexe :<br />

Age :<br />

Profession :<br />

ANNEXE 2<br />

1. Quels sont les parcours que vous êtes habitué de faire ?<br />

2. Présentez un de ces parcours<br />

3. Qu’est-ce qui détermine le choix de votre parcours ?<br />

4. Est-ce que vous pensez que le choix de votre est conditionné par votre<br />

appartenance à la religion candomblé ?<br />

5. Est-ce que vous pensez que votre perception des espaces est différente durant son<br />

déplacement ?<br />

6. Est-ce que vous avez déjà fait des offrandes dans la rue ? qu’est-ce qui a<br />

déterminé le choix ?<br />

7. Ces offrandes, influencent-elles le choix de vos parcours ?<br />

8. Quand vous rencontrez sur votre chemin des offrandes est-ce que vous avez une<br />

attitude particulière ?<br />

9. Est-ce qu’il existe un parcours spécial une célébration suivant la période de<br />

l’année ?<br />

10. Est-ce que vous aimez les moments où vous vous déplacez ? Pourquoi ?<br />

11. Est-ce qu’il y a des choses que vous rencontrez sur votre parcours que vous<br />

n’aimez pas ?<br />

12. Est-ce qu’il existe des choses sur votre parcours que vous aimez ? Pourquoi ?<br />

13. Est-ce qu’il y a des endroits que vous évitez ?<br />

453


454


Collège :<br />

Sexe:<br />

Age :<br />

ANNEXE 3<br />

1) Dessinez sur la feuille qui vous est donnée, le parcours que vous faîtes chaque jour<br />

pour vous rendre au collège.<br />

2) Comment allez-vous à l’école ?<br />

3) Quels sont les éléments que vous rencontrez sur votre chemin qui vous semble<br />

importants ?<br />

4) Durant votre trajet pour vous rendre à l’école avez-vous l’habitude de faire une<br />

pause, un arrêt dans un lieu ? si, oui lequel ?<br />

5) Combien de temps vous mettez pour aller à l’école ?<br />

6) Est-ce qu’il existe des choses que vous rencontrez sur votre chemin qui ne vous<br />

plaise pas?<br />

7) Est-ce qu’il existe des choses que vous rencontrez sur votre chemin qui vous plaise?<br />

8) Est-ce qu’il existe des lieux que vous rencontrez sur votre chemin qui ne vous plaise<br />

pas?<br />

9) Est-ce qu’il existe des choses ou des lieux sur ton chemin qui te font peur ? quoi ?<br />

10) Est-ce que tu vas à l’école seul ?<br />

11) Si tu vas à l’école accompagné, avec qui ?<br />

12) Est-ce que ça te plairait de prendre un autre chemin pour aller à l’école ?<br />

13) Par quels endroits aimerais-tu passer ?<br />

455


456


Alliance française<br />

Quartier d’habitation :<br />

Sexe :<br />

Age :<br />

Profession :<br />

ANNEXE 4<br />

1) Vous devez réaliser sous forme de dessin le parcours que vous effectuez chaque jour<br />

depuis votre lieu d’habitation pour vous rendre à vos occupations, obligations<br />

quotidiennes (travail, étude, loisirs, rencontres…)<br />

2) Quels sont les moyens de transport que vous utilisez pour vous déplacer?<br />

3) Quels sont les éléments que vous rencontrez sur votre chemin qui vous semble<br />

importants ?<br />

4) Signalez les endroits où vous avez l’habitude de vous arrêtez ? Expliquez pourquoi ?<br />

5) Combien de temps mettez-vous pour aller à l’université ou au travail?<br />

7) Est-ce qu’il existe des choses que vous rencontrez sur votre chemin qui ne vous<br />

plaise pas?<br />

8) Est-ce qu’il existe des choses que vous rencontrez sur votre chemin qui vous plaise?<br />

8) Est-ce qu’il y a des endroits que vous évitez ?<br />

9) Est-ce qu’il existe des choses ou des lieux sur ton chemin qui te font peur ?<br />

Pourquoi ?<br />

10) Est-ce que tu prends toujours le chemin le plus court ? Si non, pourquoi ?<br />

11) Qu’est-ce que vous faîtes le dimanche ?<br />

457


458<br />

Liste des abréviations<br />

AFC : Analyse Factorielle des Correspondances PDU : Plan de Déplacements Urbains<br />

FNAU : Fédération Nationale des Architectes et des Urbanistes<br />

INRETS : Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité<br />

LATTS : Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés<br />

LAURE : loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie<br />

LOTI : Loi d’Orientation des Transports Intérieurs<br />

PLU : Plan Local d’Urbanisme<br />

SCOT : Schéma de Cohérence Territoriale<br />

SRU : la loi Solidarité et Renouvellement UrbaiN<br />

TCSP : Transports en Commun en Sites Propres


Table des illustrations<br />

459


460


Table des figures<br />

Figure 1- La spirale de la transformation de la ville par la mobilité facilitée............. 34<br />

Figure 3- Les ajustements du sujet dans sa progression ............................................ 103<br />

Figure 4- L’expérience du mouvement du sujet.......................................................... 105<br />

Figure 5- Nombre de pèlerins par nation en 2003...................................................... 127<br />

Figure 6– Répartition des pèlerins par année............................................................. 128<br />

Figure 7- Répartition des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle....................... 130<br />

Figure 8- Répartition des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en fonction du<br />

phénomène d’urbanisation.......................................................................................... 131<br />

Figure 9- L’itinéraire du croyant ................................................................................. 145<br />

Figure 10- L’itinéraire du sportif................................................................................ 147<br />

Figure 11- De l’itinéraire « introspectif » à l’ouverture au monde ........................... 150<br />

Figure 12- Répartition des cultes afro-brésiliens........................................................ 169<br />

Figure 13- Les fonctions d’Exu................................................................................... 174<br />

Figure 14- Carte du municipe de Rio de Janeiro : zones de palification et zones<br />

administratives (AP1, AP2, AP3… zones de planification)..................................................... 183<br />

Figure 15 – Localisation de Barra da Tijuca.............................................................. 184<br />

Figure 16 – Localisation d’Ipanema ........................................................................... 185<br />

Figure 17- Localisation d’Anchieta............................................................................. 186<br />

Figure 18- Localisation de Copacabana ..................................................................... 187<br />

Figure 19- Répartition des élèves interrogés par rapport au mode de déplacement . 191<br />

Figure 20- Répartition des élèves interrogés par rapport à la durée du déplacement<br />

...................................................................................................................................... 191<br />

Figure 21- Répartition des élèves interrogés par rapport aux lieux interdits............ 192<br />

Figure 22- Répartition des élèves interrogés par rapport au sentiment de peur ....... 193<br />

Figure 23- Répartition par âge des personnes interrogées à l’Alliance française .... 194<br />

Figure 24- Répartition suivant le mode de transport des personnes interrogées à<br />

l’Alliance française...................................................................................................... 195<br />

Figure 25- Répartition suivant l’idée d’évitement de la population interrogée à<br />

l’Alliance française...................................................................................................... 196<br />

Figure 26- Répartition suivant le sentiment de peur de la population interrogée à<br />

l’Alliance française...................................................................................................... 196<br />

Figure 27- carte schématique n°1................................................................................ 205<br />

Figure 28- carte schématique n°2................................................................................ 206<br />

Figure 29- carte schématique n°3................................................................................ 208<br />

Figure 30- carte schématique n°4................................................................................ 209<br />

Figure 31- carte schématique n°5................................................................................ 212<br />

Figure 32- carte schématique n°6................................................................................ 214<br />

Figure 33- carte schématique n°7................................................................................ 216<br />

Figure 34- carte schématique n°8................................................................................ 217<br />

Figure 35- carte schématique n°9................................................................................ 219<br />

Figure 36- carte schématique n°10.............................................................................. 220<br />

Figure 37- carte schématique n°11.............................................................................. 222<br />

Figure 38- carte schématique n°12.............................................................................. 224<br />

Figure 39- carte schématique n°13.............................................................................. 226<br />

Figure 40- carte schématique n°14.............................................................................. 227<br />

Figure 41- carte schématique n°15.............................................................................. 228<br />

Figure 42- Structuration d’ordre évidente, par l’âge, de l’Axe 1............................... 232<br />

Figure 43- Barra da Tijuca un quartier sécurisé en lutte perpétuelle contre<br />

l’insécurité.................................................................................................................... 234<br />

461


Figure 44- Anchieta ou l’expérience de l’insécurité...................................................235<br />

Figure 45- Des collégiens protégés par Dieu...............................................................236<br />

Figure 46- Une structuration possible en relation au sentiment de peur...................237<br />

Figure 47- Mise en relation Axe 2/Axe 3.....................................................................238<br />

Figure 48- Mise en relation Axe 1/Axe 2.....................................................................239<br />

Figure 49- Projet de plan de la ville et de son port de Barcelone, 1859.....................263<br />

Figure 50- Profils transversaux de la Gran Vía (50m) ...............................................266<br />

Figure 51- Profil du passeig de Colon- <strong>Mo</strong>ll de la Fusta............................................274<br />

Figure 52- Localisation des différents itinéraires réalisés à Barcelone.....................289<br />

Figure 53- Itinéraire de Jussera réalisé le 29 septembre 2004 dans le quartier de<br />

Gràcia............................................................................................................................291<br />

Figure 54- Itinéraire de Xavier réalisé le 9 février 2005 dans le quartier de<br />

L’Eixample ...................................................................................................................302<br />

Figure 55- Carte de localisation de la ville de Pau .....................................................326<br />

Figure 56- L’’axe piétonnier Serviez-Aragon .............................................................332<br />

Figure 57- La communauté d’agglomération de Pau Pyrénées.................................334<br />

Figure 58- Offre et usage des transports collectifs urbains de quelques<br />

agglomérations françaises ...........................................................................................335<br />

Figure 61- Plan du centre piétonnier...........................................................................337<br />

Figure 59- Fréquentation piétonne des rues de l’hypercentre ville de Pau (1998) –<br />

piétons/heure ................................................................................................................339<br />

Figure 60 Carte représentant les différents itinéraires réalisés à Pau.......................348<br />

Figure 61- Itinéraire de Leatitia ..................................................................................350<br />

Figure 62- Itinéraire de Betty.......................................................................................360<br />

Figure 63- Itinéraire de Serge......................................................................................369<br />

Figure 64- Itinéraire de Claudie ..................................................................................381<br />

Figure 65- Itinéraires de Myrtille et Dominique pour se rendre sur leur lieu de travail<br />

.......................................................................................................................................402<br />

Figure 66- Itinéraire de Martine..................................................................................405<br />

462


Tables des photographies<br />

Photographie 1- Les Champs Elysées, Paris. (photographie des frères Lumière, 1897)......... 30<br />

Photographie 2- Place du Pont, Lyon (photographie des frères Lumière, 1897) ........ 31<br />

Photographie 3- Cours Belsunce, Marseille, (photographie des frères Lumière, 1897)<br />

........................................................................................................................................ 31<br />

Photographie 4- La Diagonale : un nouvel espace de déambulation. Septembre 2004.<br />

...................................................................................................................................... 256<br />

Photographie 5- La Rambla del mar : un prolongement vers la mer. Décembre 2004<br />

...................................................................................................................................... 258<br />

Photographie 6- Vue sur la mer. Mars 2003. (Passeig Marítim de la Barceloneta) .. 260<br />

Photographie 7- Quand l’art créé la surprise (entrée du Parc de l’Espanya industrial)<br />

...................................................................................................................................... 261<br />

Photographie 8- Vue aérienne de l’Ensanche (1/12000)............................................ 264<br />

Photographie 9- La voie Julia...................................................................................... 272<br />

Photographie 10- <strong>Mo</strong>ll de la Fusta.............................................................................. 273<br />

Photographie 11- Sculpture de l’architecte Rovira face à l’ensanche....................... 275<br />

Photographie 12- Sculpture contemporaine au cœur de l’espace public .................. 275<br />

Photographie 13- Itinéraire réalisé avec Lia _____________________________ 315<br />

Photographie 14- Itinéraire réalisé avec Mila _____________________________ 315<br />

Photographie 15- Itinéraire réalisé avec Fabian ____________________________ 315<br />

Photographie 16- Itinéraire réalisé par Muriel _____________________________ 315<br />

Photographie 17- Itinéraire de Muriel ____________________________________ 316<br />

Photographie 18- Itinéraire de Carlos ____________________________________ 316<br />

Photographie 19-Itinéraire d’Andrea_____________________________________ 316<br />

Photographie 20- Itinéraire de Fabian____________________________________ 317<br />

Photographie 21- Itinéraire de Lia ____________________________________ 317<br />

Photographie 22- Itinéraire de Mila _____________________________________ 317<br />

Photographie 23- Itinéraire d’Andrea __________________________________ 318<br />

Photographie 24- Itinéraire d’Andrea __________________________________ 318<br />

Photographie 25- Itinéraire de Fabian __________________________________ 318<br />

Photographie 26- Itinéraire de Muriel __________________________________ 318<br />

Photographie 27- Itinéraire de Muriel ____________________________________ 318<br />

Photographie 28- Itinéraire de Marion _________________________________ 394<br />

Photographie 29-: Itinéraire de Marion _________________________________ 394<br />

Photographie 30- Itinéraire de Marie ___________________________________ 395<br />

Photographie 31- Itinéraire de Myrtille ___________________________________ 395<br />

Photographie 32- Itinéraire de Dominique ______________________________ 395<br />

Photographie 33- Itinéraire de Dominique ______________________________ 395<br />

Photographie 34- Itinéraire de Faby ___________________________________ 396<br />

Photographie 35- Itinéraire de Faby ___________________________________ 396<br />

Photographie 36- Itinéraire de Faby ___________________________________ 397<br />

Photographie 37- Itinéraire de Faby ___________________________________ 397<br />

Photographie 38- Itinéraire de Marie ___________________________________ 398<br />

Photographie 39- Itinéraire de Joseph ___________________________________ 398<br />

Photographie 40- Itinéraire de Joseph _________________________________ 398<br />

Photographie 41- Itinéraire de Joseph __________________________________ 398<br />

Photographie 42- Itinéraire de Joseph __________________________________ 399<br />

Photographie 43- Itinéraire de Joseph __________________________________ 399<br />

Photographie 44- Itinéraire de Joseph __________________________________ 399<br />

463


Photographie 45- Itinéraire de Patricia _________________________________ 399<br />

Photographie 46- Itinéraire de Marion _________________________________ 400<br />

Photographie 47- Itinéraire de Marion _________________________________ 400<br />

Photographie 48- Itinéraire de Myrtille _________________________________ 400<br />

Photographie 49- Itinéraire de Patricia _________________________________ 400<br />

Photographie 50- Itinéraire de Myrtille _________________________________ 401<br />

Photographie 51- Itinéraire de Myrtille _________________________________ 401<br />

Photographie 52- Itinéraire de Myrtille___________________________________ 401<br />

Photographie 53- Itinéraire de Dominique ________________________________ 403<br />

Photographie 54- Itinéraire de Martine _________________________________ 405<br />

Photographie 55- Itinéraire de Martine _________________________________ 405<br />

Photographie 56- Itinéraire de Martine _________________________________ 406<br />

Photographie 57- Itinéraire de Martine _________________________________ 406<br />

Photographie 58- Itinéraire de Martine___________________________________ 406<br />

Photographie 59- Itinéraire de Martine___________________________________ 406<br />

Photographie 60- Itinéraire de Martine _________________________________ 407<br />

Photographie 61- Itinéraire de Martine _________________________________ 407<br />

Photographie 62- Itinéraire de Martine___________________________________ 408<br />

Photographie 63- Itinéraire de Martine _________________________________ 409<br />

Photographie 64- Itinéraire de Martine _________________________________ 409<br />

464


Table des tableaux<br />

Tableau 1- Accroissement annuel du nombre de kilomètres par personne et par jour<br />

dans le cadre de la mobilité quotidienne entre 1970 et 1987......................................... 36<br />

Tableau 2- Répartition des pèlerins par pays d’origine............................................... 126<br />

Tableau 3- Evolution de l’appartenance religieuse entre 1991 et 2000. ..................... 166<br />

465


466


Table des Matières<br />

Avant-propos _______________________________________________ 5<br />

Remerciements______________________________________________ 7<br />

SOMMAIRE________________________________________________________ 9<br />

INTRODUCTION GENERALE ______________________________________ 13<br />

Première partie - L’itinéraire : un nouveau regard sur l’expérience<br />

du mouvement du sujet __________________________________ 23<br />

Chapitre 1 - Le piéton en quête d’espace____________________________ 27<br />

1.1- Le piéton : « l’oublié » de la ville ___________________________ 29<br />

1.1.1- Le piéton et la ville : une histoire ancienne _________________ 29<br />

1.1.2- Le piéton : le laissé pour compte de l’urbanisation ___________ 32<br />

1.1.3- Quelques études révèlent l’existence de nombreux obstacles à la<br />

progression des piétons _______________________________________ 37<br />

1.2- Le PDU : un éventuel changement en faveur des piétons ___________ 38<br />

1.2.1- Le PDU une démarche planificatrice comme « réponse partielle » à<br />

une mobilité effrénée _________________________________________ 39<br />

1.2.2- La marche à pied dans les objectifs et les mesures du PDU : une<br />

place restreinte ______________________________________________ 40<br />

Chapitre 2 - L’espace public support du mouvement des piétons _______ 49<br />

2.1- Analyse du concept d’espace public à l’échelle du piéton___________ 51<br />

2.1.1- L’espace public un concept à double sens ___________________ 51<br />

2.1.2- L’espace public ouvert à tous _____________________________ 53<br />

2.1.3- L’espace de visibilité ou la mise en scène de l’altérité __________ 55<br />

2.1.4- L’espace du contrôle de soi _______________________________ 57<br />

2.1.5- L’espace public comme tension entre différence et cohabitation __ 58<br />

2.2- L’espace public à l’épreuve de l’expérience du piéton en mouvement _ 60<br />

2.2.1- Repérer les limites de l’espace public en relation à la question des<br />

déplacements piétonniers. _____________________________________ 61<br />

2.2.2- Approche de l’espace public au niveau des politiques<br />

d’aménagement _____________________________________________ 63<br />

Chapitre 3 - L’expérience du mouvement ___________________________ 67<br />

3.1- Le regain d’intérêt pour la notion d’expérience ___________________ 69<br />

3.1.1- Une réaction au positivisme et au structuralisme… ____________ 69<br />

3.1.2- …l’expérience dans le courant humaniste____________________ 72<br />

3.1.3- L’expérience comme processus dans le temps ________________ 75<br />

3.2- Evolution dans le temps et rapport du sujet au lieu ________________ 83<br />

3.2.1- Le concept de lieu ______________________________________ 83<br />

3.2.2- Le lieu, au travers de l’expérience, enraciné dans le sujet _______ 86<br />

3.2.3- Le lieu et le temps ______________________________________ 87<br />

467


468<br />

Chapitre 4 - L’itinéraire comme révélateur du sujet dans l’espace/temps 91<br />

4.1- Cheminement et expérience du mouvement : à la rencontre de l’itinéraire<br />

____________________________________________________________ 92<br />

4.2- De l’itinéraire « spatial » à l’itinéraire « existentiel » ______________ 93<br />

4.3- Du chemin « à suivre » au chemin « suivi » _____________________ 96<br />

4.4- Le corps dans l’expérience du mouvement ______________________ 99<br />

4.5- <strong>Mo</strong>uvement et altérité _____________________________________ 101<br />

4.6- L’itinéraire, outil de relecture de l’espace urbain ________________ 105<br />

Deuxième partie - Des marqueurs de l’itinéraire : le corps, le<br />

religieux, et l’insécurité _________________________________ 113<br />

Chapitre 5 - La quintessence de l’itinéraire : les chemins de Saint-Jacquesde-Compostelle<br />

_______________________________________________ 119<br />

5.1- L’expérience du pèlerinage chez nos ancêtres pèlerins ____________ 120<br />

5.1.1- Rappel étymologique et historique du terme pèlerin __________ 120<br />

5.1.2- Les dispositions pour être pèlerin _________________________ 121<br />

5.1.3- Le but du chemin _____________________________________ 122<br />

5.1.4- Une expérience conditionnée par l’objectif du pèlerinage ______ 123<br />

5.2- Le renouveau du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle au<br />

fondement de notre réflexion ___________________________________ 125<br />

5.2.1- Les pèlerins « aujourd’hui » _____________________________ 125<br />

5.2.2- La fréquentation de l’itinéraire ___________________________ 128<br />

5.2.3- Les motivations des pèlerins_____________________________ 129<br />

5.2.4- Le choix du terrain : le chemin du Puy-en-Velay_____________ 130<br />

Chapitre 6 - La diversité des expériences qui s’expriment ____________ 135<br />

6.1- L’entretien, outil révélateur de l’expérience des pèlerins __________ 136<br />

6.2- D’une démarche personnelle à une expérience collective __________ 138<br />

6.2.1- Un itinéraire individuel_________________________________ 138<br />

6.2.2- Un itinéraire de rassemblement __________________________ 139<br />

6.2.3- Une expérience de l’itinéraire à la fois individuelle et collective_ 141<br />

6.3- Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle : un itinéraire de vie _ 143<br />

6.3.1- L’itinéraire religieux ___________________________________ 144<br />

6.3.2- L’itinéraire sportif_____________________________________ 146<br />

6.3.3- De l’itinéraire « introspectif » à l’ouverture au monde _______ 148<br />

6.3.4- Les éléments donnant sens à l’itinéraire : les marqueurs de<br />

l’itinéraire ________________________________________________ 151<br />

6.4- La dimension corporelle, élément central de l’expérience du pèlerin _ 153<br />

6.4.1- Le pèlerinage : la découverte de son corps __________________ 153<br />

6.4.2- Le corps à travers la marche devient marqueur de l’itinéraire ___ 154<br />

6.4.3- La marche comme ouverture au monde ____________________ 155<br />

6.5- L’itinéraire : une aventure organisée _________________________ 156<br />

6.5.1- L’itinéraire une expérience fondée sur la linéarité ____________ 156<br />

6.5.2- l’itinéraire comme support de lieux _______________________ 157<br />

6.5.3- Un itinéraire organisé autour du rassemblement des pèlerins ___ 158


Chapitre 7 : La religion candomblé au fondement d’itinéraires : le cas de<br />

Rio de Janeiro_________________________________________________ 163<br />

7.1- Le candomblé au cœur de la métropole carioca __________________ 165<br />

7.1.1- L’entretien comme révélateur de l’expérience des adeptes______ 167<br />

7.1.2- Le candomblé au cœur du Brésil__________________________ 168<br />

7.2- Le candomblé : une expérience particulière de l’espace ___________ 172<br />

Chapitre 8 : La métropole carioca à l’épreuve de l’insécurité dans<br />

l’expérience du déplacement_____________________________________ 179<br />

8.1- Rio de Janeiro, une métropole fragmentée à l’épreuve d’une insécurité<br />

croissante ___________________________________________________ 180<br />

8.1.1- Fragmentation socio-spatiale et insécurité __________________ 180<br />

8.1.2- Le choix des terrains : de la diversité spatiale à la diversité sociale<br />

_________________________________________________________ 182<br />

8.2- Approche méthodologique __________________________________ 187<br />

8.2.1- Saisir pratiques et expériences du déplacement : l’enquête par<br />

questionnaire ______________________________________________ 188<br />

8.2.2- Les cartes schématiques spontanées : lecture de l’expérience du<br />

mouvement________________________________________________ 197<br />

8.3- Les adolescents de Rio et l’expérience du déplacement ___________ 204<br />

8.3.1- Anchieta : les églises comme marqueur de l’itinéraire _________ 204<br />

8.3.2- Ipanema : une expérience du déplacement difficilement identifiable<br />

_________________________________________________________ 211<br />

8.3.3- Barra da Tijuca : représentation d’un espace sécurisé__________ 219<br />

8.4- L’Alliance française de Copacabana : une palette de représentations<br />

spatiales ____________________________________________________ 224<br />

8.5- Distinguer des comportements à partir de l’Analyse Factorielle des<br />

Correspondances _____________________________________________ 230<br />

8.5.1- AFC sur l’enquête réalisée auprès des collégiens _____________ 232<br />

8.5.2- Analyse Factorielle des Correspondances : à partir de l’enquête<br />

réalisée auprès de l’Alliance française___________________________ 239<br />

8.6- Les marqueurs de l’itinéraire à l’épreuve de la métropole carioca ___ 241<br />

8.6.1- Le mode de déplacement au fondement de l’expérience________ 241<br />

8.6.2- L’insécurité comme marqueur de l’itinéraire du déplacement ___ 242<br />

8.6.3- La religion marqueur permanent de l’expérience du déplacement 243<br />

Troisième partie - L’itinéraire à l’épreuve de la ville_________ 251<br />

Chapitre 9 : Barcelone, un exemple en matière d’aménagement de l’espace<br />

public________________________________________________________ 255<br />

9.1- Un acteur privilégié de l’espace public barcelonais : le piéton ______ 256<br />

9.1.1- L’espace public barcelonais ou la culture du paseo ___________ 256<br />

9.1.2- Un espace public conçu comme un musée à ciel ouvert ________ 259<br />

9.2- Au fondement de la réflexion urbanistique : l’espace public barcelonais<br />

___________________________________________________________ 262<br />

9.2.1- L’Eixample de Barcelone à la recherche d’équilibre __________ 263<br />

9.2.2- Culture, art et promenade au cœur du plan Jaussely ___________ 267<br />

469


470<br />

9.2.3- La rue au cœur de la réflexion urbanistique _________________ 269<br />

Chapitre 10 : l’itinéraire construit par la mise en récit du déplacement_ 277<br />

10.1- La méthode des itinéraires : un autre regard sur l’expérience ______ 278<br />

10.1.1- La méthode à l’épreuve de l’expérience ___________________ 278<br />

10.1.2- La méthode des itinéraires : récits et parcours ______________ 280<br />

10.1.3- Un nouveau rapport du chercheur à l’interviewé ____________ 282<br />

10.1.4- L’expérience au cœur de la méthode _____________________ 283<br />

10.1.5- Exemples d’application et limites de la méthode ____________ 283<br />

10.1.6- Révéler l’expérience du déplacement par la méthode des itinéraires<br />

_________________________________________________________ 285<br />

10.2- L’itinéraire comme lecture de l’espace public barcelonais ________ 286<br />

10.2.1- Présentation de l’échantillon de population et des différents terrains<br />

_________________________________________________________ 286<br />

10.2.2- Analyse complète de deux itinéraires _____________________ 290<br />

10.3- L’itinéraire révélateur des spécificités de l’espace public barcelonais 314<br />

10.3.1- L’expérience sensible qui rassemble _____________________ 314<br />

10.3.2- L’histoire de vie qui différencie _________________________ 319<br />

10.3.3- La mise en récit de l’itinéraire révèle l’interaction de la dimension<br />

spatiale et existentielle de l’expérience__________________________ 321<br />

Chapitre 11 : Pau, une ville moyenne en mutation __________________ 325<br />

11.1- Le contexte palois _______________________________________ 326<br />

11.1.1- La promenade au cœur de la station climatique : un rêve palois 327<br />

11.1.2 Pau face à l’accroissement de la population_________________ 329<br />

11.2- Pau et la mise en place du PDU_____________________________ 333<br />

11.3- Le projet de centre piétonnier : intérêt et limites ________________ 336<br />

11.3.1- Un projet tourné vers l’activité commerciale _______________ 338<br />

11.3.2- La place du piéton reste accessoire et confinée au seul centre<br />

(quelques rues commerçantes ou touristiques comme le boulevard des<br />

Pyrénées) _________________________________________________ 339<br />

Chapitre 12 : La méthode des itinéraires : une nouvelle approche des<br />

déplacements dans la ville de Pau ________________________________ 343<br />

12.1- Un échantillon hétérogène, révélateur d’expériences diverses _____ 344<br />

12.1.1- Des piétons en marche vers leur travail ___________________ 344<br />

12.1.2- Des piétons flâneurs __________________________________ 345<br />

12.1.3- Un couple en marche vers le même lieu avec des parcours différents<br />

_________________________________________________________ 345<br />

12.1.4- Des personnes à mobilité réduite ________________________ 346<br />

12.1.5- Des piétons entre promenade et obligation_________________ 346<br />

12.1.6- Des piétons touristes __________________________________ 348<br />

12.2- L’expérience qui se révèle : la méthode des itinéraires ___________ 349<br />

12.2.1- L’itinéraire de Laetitia une promenade en guise de berceuse___ 349<br />

12.2.2- Betty une piétonne de toujours, en marche vers son lieu de travail<br />

_________________________________________________________ 360


12.2.3- L’itinéraire de Serge guidé par l’environnement sonore et<br />

tactile (voire olfactif) ________________________________________ 369<br />

12.2.4- L’itinéraire de Claudie empreint de flânerie ________________ 381<br />

12.2.5- Les continuités en terme d’expérience sensible _____________ 394<br />

12.2.6- Les particularités des itinéraires _________________________ 401<br />

12.2.7- A la découverte de Pau : l’itinéraire de Martine _____________ 404<br />

CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES________________________________ 413<br />

BIBLIOGRAPHIE_________________________________________ 423<br />

Annexes _________________________________________________ 449<br />

ANNEXE 1 :______________________________________________ 451<br />

ANNEXE 2_______________________________________________ 453<br />

ANNEXE 3_______________________________________________ 455<br />

ANNEXE 4_______________________________________________ 457<br />

Liste des abréviations_______________________________________ 458<br />

Table des illustrations ______________________________________ 459<br />

Table des figures __________________________________________ 461<br />

Tables des photographies____________________________________ 463<br />

Table des tableaux _________________________________________ 465<br />

Table des Matières _________________________________________ 467<br />

471

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!