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Bourdieu et les “fantassins du social” - ACTIF

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Regard sur ...<br />

268<br />

L’usage <strong>du</strong> contrat, dans le champ <strong>du</strong> travail social, montre que nombre de travailleurs<br />

sociaux restent fi xés à une conception idéale de la légalité qui n’est que le leurre des<br />

mieux lotis à l’égard des démunis. Une telle conception repose sur la méconnaissance <strong>du</strong><br />

droit en ce qu’il est issu d’un rapport de force <strong>et</strong> d’un compromis (il faut, sans doute, un<br />

certain degré d’ingénuité/cécité juridique <strong>et</strong> politique pour croire que la patron <strong>et</strong> le salarié<br />

disposent d’une égale liberté <strong>et</strong> d’une égalité de position dans le cadre <strong>du</strong> contrat de<br />

travail). Le recours au contrat a pour eff<strong>et</strong> principalement politique d’isoler l’indivi<strong>du</strong> en<br />

faisant de sa situation un problème seulement indivi<strong>du</strong>el nécessitant une intervention indivi<strong>du</strong>alisée<br />

dans le cadre d’une relation indivi<strong>du</strong>elle. Le contrat contribue à dénier toute<br />

identité collective entre tous <strong>les</strong> « usagers », à occulter <strong>les</strong> rapports sociaux, à méconnaître<br />

l’existence d’univers sociaux différents, à dénier la référence aux classes socia<strong>les</strong>.<br />

Certaines propositions actuel<strong>les</strong> visant à développer des formes “Le contrat contribue<br />

d’action collective m<strong>et</strong>traient sans doute en question l’approche à dénier toute identité<br />

dominante au cas par cas. Si celle-ci perm<strong>et</strong> de prendre en consi- collective entre tous<br />

dération la singularité <strong>du</strong> suj<strong>et</strong>, elle légitime, aussi, le caractère in- <strong>les</strong> « usagers »”<br />

divi<strong>du</strong>aliste des pratiques confi nant souvent à un exercice “libéral”<br />

<strong>du</strong> travail social. Le risque est, alors, patent de soum<strong>et</strong>tre la prise en<br />

charge ou l’accompagnement de chaque « usager » à l’arbitraire des positions “personnel<strong>les</strong>”<br />

de chaque intervenant. Le développement de formes d’action collective bousculerait<br />

ce modèle d’intervention <strong>et</strong> porterait, peut-être, <strong>les</strong> travailleurs sociaux à confronter<br />

leurs pratiques, à débattre de leurs références, de leurs valeurs collectives entre eux <strong>et</strong><br />

avec <strong>les</strong> publics concernés.<br />

La confrontation avec des collectifs « d’usagers » restitués en tant que personnes perm<strong>et</strong>trait-elle<br />

de lever la question problématique de la prise en charge de publics appartenant,<br />

pour la plus large part, aux classes populaires, par des représentants des classes moyennes<br />

dont le rapport au temps, à l’argent, à la consommation, au loisir, à l’é<strong>du</strong>cation est<br />

différent ? Les classes moyennes constituent aujourd’hui la composante essentielle de la<br />

population des démocraties occidenta<strong>les</strong> dont l’adhésion objective <strong>et</strong> plus encore subjective<br />

importe le plus pour le soutien de l’ordre social conforme à la logique <strong>du</strong> système capitaliste<br />

néo ou ultra libéral. « L’appel aux classes moyennes, écrit F. Dub<strong>et</strong>, est l’appel à<br />

la normalité quand ce n’est pas à la normalisation ». Le sociologue évoque « le mode de<br />

vie normal <strong>et</strong> désirable... de ceux qui consomment régulièrement, qui ont des proj<strong>et</strong>s de<br />

vie prévisib<strong>les</strong>, optent pour des modes de vie <strong>et</strong> d’é<strong>du</strong>cation éclairés par un certain libéralisme<br />

<strong>et</strong> une forte maîtrise de soi ». 4<br />

Un autre sociologue analyse <strong>les</strong> dispositions implicites qui soutiennent « le besoin d’illusion<br />

des classes moyennes » si attachés à l’illusion de l’égalité des chances des enfants, à<br />

l’illusion <strong>du</strong> pluralisme d’opinion <strong>et</strong> de la liberté d’expression, à l’illusion que le véritable<br />

pouvoir serait encore politique. Ce besoin d’illusion perm<strong>et</strong>trait de discerner, selon nous,<br />

la propension des travailleurs sociaux à recourir si « spontanément » à la forme <strong>du</strong> contrat<br />

soutenant leur illusion égalitaire écartant tout confl it potentiel. Alain Accardo décrit dans<br />

« De notre servitude involontaire » 5 <strong>les</strong> ingrédients psychosociaux, existentiels <strong>et</strong> cultu-<br />

4. François Dub<strong>et</strong>, « à quoi servent <strong>les</strong> classes moyennes » Lien Social <strong>du</strong> 18/11/99.<br />

5. Alain Accordo, « De notre servitude involontaire. Contre-feux ». Agon E., 2001.<br />

Les Cahiers de l’Actif - N°314-317

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