Sen-YattanoeL, prince d'Astrée - YattanoeL.com
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<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, <strong>prince</strong> <strong>d'Astrée</strong><br />
Roman<br />
Météorites Productions Editions
3<br />
S<br />
arah Howard était une créature fine et coquette de<br />
sexe féminin, âgée de trente ans lorsque débutait son<br />
histoire sous le ciel bleu d’une région ensoleillée.<br />
Pourvue d’une grande taille à laquelle correspondait un<br />
poids en moyenne proportion, elle avoisinait le mètre quatre<br />
vingt, pesait soixante cinq kilogrammes et portait des<br />
cheveux longs à mi hauteur et, bien peignés, une raie sur le<br />
haut de la tête et une queue de cheval dans le dos<br />
généralement. Elle prenait plaisir les lumineuses mâtinées<br />
de Printemps à être sifflée sur les rues de Paris sur son<br />
passage par les ouvriers séduits, s’esbaudissant sur son<br />
allure très en vogue, ses épaules décolletées dans ses tissus<br />
frais et pailletés d’imprimés à fleurs, ses longues et fines<br />
jambes bronzées, nues jusqu’au dessus des genoux, et ses<br />
escarpins rouges aux pieds. Sarah vivait de sa plume. Elle<br />
était journaliste avec des vues sur l’édition dans ce<br />
distinguo entre l’écriture considérée mineure, le<br />
journalisme d’une part, et un art majeur, la « grande »<br />
littérature d’autre part. Elle estimait qu’il était facile à un<br />
romancier de rédiger un article de presse, tandis qu’un<br />
journaliste ne pouvait pas être a contrario automatiquement
4<br />
en mesure d'écrire un livre. Sarah était employée pour ses<br />
<strong>com</strong>pétences par Météorites Productions, une agence qui<br />
publiait une revue en langue française. Sarah était souvent<br />
en déplacement pour son journal. Il lui était demandé de<br />
couvrir l’actualité des différentes tendances issues de la<br />
mode. En charge d’une rubrique thématique, c’était à elle<br />
que revenait entre autre le soin de choisir les photographies<br />
des futiles people, figures sous les feux de quelques<br />
projecteurs dont certaines attitudes correspondaient très<br />
bien aux angles des articles auxquels se conformait la jeune<br />
femme. Elle percevait un revenu brut et décent, cotisations<br />
ou impôts déduits, et se voyait rembourser par le service<br />
financier du journal à chaque retour de reportage sur<br />
présentation de ses notes de frais. La valeur de son<br />
patrimoine ne plafonnait pas cependant. En effet Sarah<br />
n’était point embarrassée et dépensait tous azimuts en<br />
reportage pour la production d’un papier. C’était une<br />
salariée gâtée. Sa bibliothèque était bourrée de dossiers<br />
thématiques de presse de qualité ou de livres de collections,<br />
cadeaux de chefs de produits espérant qu’elle fit écho à leur<br />
marque de fabrique ou à leur publication. La jeune femme<br />
effectuait également maintes économies en se faisant offrir<br />
à ce titre par des stylistes obligeants des vêtements dernier<br />
cri dans les vestiaires de leur maison de haute couture.<br />
Supposée travailler en quête de scoops mêmes ludiques,<br />
elle évoluait tel un élément privilégié telle une immortelle à<br />
la table des Dieux en l’Olympe, lorsque représentants ou<br />
représentantes politiques, artistes et médias en tout genre se
5<br />
brassent et se confondent dans la même sphère. La probité<br />
professionnelle de la journaliste n’exigeait pas d’elle un<br />
effort d’abnégation qui eut laissé entendre qu'elle put<br />
répondre sur le fond de sa légèreté quant à son usage de<br />
l’argent des autres, l’argent du journal. Une latitude<br />
financière de la sorte lui permettait, pour ce qu’elle s’en<br />
réjouissait, d’être sur le terrain, « couverte » à concurrence<br />
d’être remboursée pour ses dépenses. Aussi, concrètement,<br />
elle ne payait rien in fine. Aucun billet de transport, avion,<br />
train, bateau ou voiture à ses consommations dans les cafés,<br />
ses repas aux restaurants ou sur les montants permettant<br />
l’accès aux chambres d’hôtels. Ses gains matériels lui<br />
conféraient le statut d’un leader d’opinions avec une<br />
certaine latitude de fonds à laquelle elle n’aurait su<br />
renoncer pour rien au monde. Toutefois ses extras<br />
également remboursés n’avaient en général pas<br />
nécessairement de liens directs avec le contenu de ses<br />
articles et n’étaient donc pas même mentionnés dans le<br />
corps de ses textes. Les dépenses au profit d’un entourage<br />
abusant des largesses de la jeune femme ne devaient pas en<br />
principe être remboursées à cette dernière. Et à chaque fin<br />
de mois ceci représentait pourtant une certaine somme<br />
débitée sur le <strong>com</strong>pte de la revue.<br />
Mais Sarah Howard avait la fibre associative plutôt<br />
éloignée de tout sentiment d’un progressisme actif. Ceci<br />
expliquait l’état <strong>com</strong>mun de son peu de brillance intérieur.
7<br />
Grand Reporter<br />
Comme tout journaliste, « mademoiselle Howard », tel qu’<br />
elle se faisait appeler parfois, cherchait en ces temps de<br />
chasse sensationnelle et improbable en extras aux<br />
évènementiels, à en savoir le plus possible dans toutes les<br />
directions afin d’être la plus à même de renseigner<br />
Météorites Productions dont elle était, à la fin de participer<br />
activement à l’augmentation de l’audience de l’agence et<br />
accessoirement par conséquent à la sienne.<br />
Le concept de la revue <strong>com</strong>portait <strong>com</strong>me objectif de<br />
fidéliser un lectorat sur le potentiel du nombre des<br />
spectateurs récepteurs jusqu’alors assidus par automatisme<br />
confortable des soporifiques fréquences radios ou du fléau<br />
télévisuel. Cela était parfaitement admis et entendu <strong>com</strong>me<br />
part de risque lors de toute aventure ou tentative d’aventure<br />
dans la presse écrite. L’observance requise et exigée d’une<br />
grande solidarité devait dériver sur une infaillible confiance<br />
mutuelle au sein de la structure d’une revue, quels qu’en<br />
furent les tenants idéologiques ou <strong>com</strong>merciaux, un respect<br />
opérant des administrateurs en passant par le rédacteur en
8<br />
chef, jusqu’aux équipes de maintien technique des surfaces<br />
louées pour les bureaux, du sommet à la base et<br />
inversement. Sarah, élément à l’influence présumée, faisait<br />
preuve d’une discrète <strong>com</strong>passion. Mais une affaire de<br />
gratuité dans l’accès théoriquement payant à l’information<br />
finissait toujours tout de même par se poser, et l’ambiance<br />
appréciable pour la qualité d’un bon traitement des dossiers<br />
n’inscrivait pas forcément au registre des bonnes affaires,<br />
n’était pas synonyme de grosses ventes pour le journal.<br />
L’unicité de chaque emblème est susceptible d’en faire<br />
toutefois une référence à force de promotion. Le principal<br />
atout de Sarah, l’aspect essentiel, rare et intrinsèque de son<br />
authenticité, méthodiquement piquée d’intérêts collectifs au<br />
cœur de ses articles pour contribuer à l'expansion<br />
<strong>com</strong>merciale de son employeur, résidait malgré tout dans sa<br />
pertinence réputée objective touchant à la manipulation des<br />
informations. Sans concession fondamentale dans ses<br />
analyses, perçue <strong>com</strong>me une anticonformiste toutefois par<br />
certains dans sa profession et se refusant généralement à<br />
dire pour le grand bien de l’audience ce que les autres<br />
veulent systématiquement bien entendre sans qu’il y ait de<br />
raisons fondamentales à cela, sa crédibilité médiatique<br />
reposait sur la capacité de son volume qualitatif et<br />
quantitatif d’écriture constituée d’une formule sophistiquée<br />
entre prise de position nuancée sur des faits certifiés et,<br />
paradoxalement, son expression personnalisée. Le fond<br />
établit, détaillé et entendu en ses formes stylées achevaient<br />
toujours donc par susciter l’attention à son approche tels
9<br />
une marque de fabrique. Sarah Howard cherchait et trouvait<br />
écho dans des consciences éveillées par l’accès à l’état<br />
extérieur de la maîtrise de ses raisonnements à priori<br />
cohérents et intelligents dans la langue de Guillaume Budé.<br />
En d’autres termes, elle formulait, avec un à propos fait<br />
d’une psychologie judicieuse, les bonnes questions, ce que<br />
doit être en mesure de faire tout journaliste digne de ce nom<br />
afin de justifier son rôle, en sachant se projeter au-delà mais<br />
rester un récepteur flexible à l’information brute en ayant la<br />
faculté d’anticiper avec les esquisses les plus précises<br />
possibles d’éventuelles réponses sans rompre le rythme<br />
des entrevues avec des évènements ou des interlocuteurs ou<br />
interlocutrices. Bon nombre de ces derniers confondaient<br />
les médias avec de simples marches pieds techniques et<br />
déshumanisés dont il fallait user sans état d’âme. Ce en<br />
quoi ils n’avaient pas nécessairement tort d’un point de vue<br />
pratique, en termes menant à une conformité normative<br />
informationnelle visant des débouchés <strong>com</strong>merciaux. Sarah,<br />
qui abhorrait les questions tests homologués des magazines<br />
féminins, établissait en spécialiste ses contours voulus aux<br />
élans postmodernes dans un contexte original. Elle<br />
ressentait un dégoût manifeste pour tout ce qui versait dans<br />
une démarche à mi chemin entre la fiction ludique et la<br />
réalité crue, tous deux très à la mode. Du coup, elle ne<br />
cessait plus en fut-elle convaincue de faire apprécier ses<br />
envois par des esthètes cultivés pour le plus grand bien de<br />
sa notoriété émergeante, cependant que, se supposant<br />
démarquer du <strong>com</strong>mun des mortels, elle n’osait pas ou ne
10<br />
voulait pas toutefois à raison se présenter <strong>com</strong>me un<br />
personnage incontournable qu’elle ne fut pas par ailleurs,<br />
sans nul doute. Cela aurait mis en péril l’accession au<br />
standing ciblé auquel elle ne pouvait s’empêcher d’aspirer<br />
en privé.<br />
« Pour être heureuse, il faut vivre cacher » se disait-elle tout<br />
de même souvent, en terme de discrétion et d’entrave<br />
minimum. Le fait était qu’elle ne fut pas célèbre au point<br />
d’être facilement identifiée en dehors d’un cercle de<br />
relations très restreint. Loin que les Ouzbeks l’auraient élu<br />
Miss Tachkent, son relatif anonymat en zone protégée<br />
concourait également au libre exercice, à son rythme, de sa<br />
profession de journaliste qu’elle avait déjà plus ou moins<br />
cessé de pratiquer dans la norme du genre, <strong>com</strong>pte tenu de<br />
son attrait pour la littérature et la révolution solitaire de<br />
son fait en terme d'art majeur. Si elle affichait une sérénité<br />
lucide et réservée quitte par conséquent à se faire plus<br />
remarquer que d’autres, elle était secrètement sujette à un<br />
véritable dilemme cornélien avant de rédiger ce qui lui<br />
permettait de lever haut les couleurs de ses orientations et,<br />
ambition mesurée en fonction des possibilités à sa portée,<br />
du sens qu’elle produirait en les couchant sur ses feuillets<br />
sous un point de vue très personnel et pourtant destiné à un<br />
lectorat ciblé. L’actualité du corps social de la <strong>com</strong>munauté,<br />
les tenants de celle-ci en matière de <strong>com</strong>munication<br />
procédaient souvent d’une diarrhée verbale de nature<br />
logorrhéique par la presse. Qu’il en fut ainsi en politique,<br />
dans les domaines sociaux, culturels ou religieux, Sarah
11<br />
voulait éviter tout écueil en ne souhaitant simultanément<br />
pas en tous les cas laisser indifférent. Mais elle craignait<br />
malgré tout, en permanence, en véritable névrosée<br />
quasiment, que l’on s’égarât sur son <strong>com</strong>pte <strong>com</strong>me si elle<br />
fut parfois une personne très connue et au point de vue<br />
déterminant sur ses thèmes de prédilection. Son langage lui<br />
donnait des ailes et elle se surpassait semblait-il donc à<br />
chaque envois sans établir de frontières définies entre une<br />
certaine réserve dans l’exposé de ses idées et lorsque son<br />
altruisme nécessaire à l’égard de ses lecteurs faisait son<br />
ouvrage. Elle avait rédigé en quelques années plusieurs<br />
centaines d’articles sur des thèmes souvent similaires par la<br />
force des choses, échappant toutefois à la redite dans ses<br />
propos.
13<br />
Hollywood<br />
HOLLYWOOD<br />
Sarah Howard fut envoyée aux Etats Unis par le rédacteur<br />
en chef de son journal, quatre semaines en Juin pour un<br />
reportage sur la formation rock des Plastic Flag, un groupe<br />
à succès constitué en Californie. « ça y est, j’y suis ! »<br />
s’était elle convaincue de penser en débarquant à l’aéroport<br />
de Los Angelès, LAX, <strong>com</strong>me on poserait en équivalence<br />
humble et modeste le pied sur Mars. Lors de son premier<br />
séjour sur la Côte Ouest, la journaliste vécut par conséquent<br />
le début des vacances scolaires en villégiature à Hollywood.<br />
Un nouveau départ pour Sarah.<br />
La notion même de journalisme était à réinventer. L’époque<br />
l’exigeait. Doutant soudain de ses valeurs refuges<br />
conformistes et entendues, Sarah s’estimait d’un coup<br />
capable de grandes choses. Mais il lui aurait fallu de<br />
grandes idées. Les américains avaient leurs propres critères<br />
informatifs et déontologiquement intéressants. La presse de<br />
genre suscitait mépris ou appréhension avérée et vive. Les
14<br />
émetteurs s'en jouaient directement ou indirectement, ce,<br />
depuis des plumes informatiques épars jusque dans les<br />
colonnes bariolées des tabloïdes. Ceci risquait à tout<br />
moment, séance tenante, de faire perdre son intérêt<br />
nécessaire et attendu à l'information. Et Sarah Howard<br />
l'avait bien perçu cependant. Elle notait au surplus que le<br />
service public était dépendant et les médias en général aux<br />
ordres <strong>com</strong>me un pion sur un échiquier. Ce constat reposait<br />
sur plusieurs points précis et pris en <strong>com</strong>pte dont était l’état<br />
de la latitude réservée à la presse pour tenter de circonscrire<br />
le rôle originel du journalisme. La société réalité faisait de<br />
tous dans une fâcheuse problématique, des professionnels<br />
aux amateurs, une cohorte de paparazzis en puissance à des<br />
fins matérielles, en quête de « sensationnel ». Le pire en<br />
somme dans une certaine avidité pour le spectaculaire<br />
<strong>com</strong>me solde de toutes nouvelles sur lesquelles la<br />
spéculation avait cours au loin de toute notion de neutralité<br />
en mesure d’en rendre <strong>com</strong>pte, avec une salubrité effective,<br />
avec un certain recul. Dans le milieu des journalistes<br />
professionnels, la gestion se <strong>com</strong>pliquait concernant<br />
l’attitude à observer vis à vis des émissions extérieures,<br />
entre celle de dociles et simples aboyeurs ou celle de<br />
Mesdames ou Messieurs Loyal du cirque Actualités. Le<br />
pouvoir politique éxécutif lui-même en était donc le<br />
principal pourvoyeur avec sa capacité attachée à<br />
l’informationnel et se voyait attaché à mesurer ses envois.<br />
Un 4e pouvoir échu aux médias n’était en fait qu’une utopie<br />
de plus relevée par Sarah "C'est une mascarade, un élément
15<br />
vide et sans consistance." se disait-elle lors des revues de<br />
presse en parcourant d'autres publications que la sienne. Ce<br />
qui l'agaçait surtout résidait dans l’auto promotion de la<br />
presse puis, son émulation jusqu’au dégoût passant par le<br />
sponsoring de/sur ses antennes. De grands groupes<br />
organisés en cartel avec un homme au sommet, un élu en<br />
général, étaient les <strong>com</strong>manditaires de grandes campagnes<br />
de publicité vitrines relayées par les journaux, radios,<br />
chaînes de télévision ou internet, en vue d’élargir son<br />
influence et confortablement asseoir sa prédominance<br />
financière par la <strong>com</strong>mercialisation de son produit unique,<br />
autrement dit condition sine qua non des revenus des<br />
médias eux-mêmes puisque ressource des principaux clients<br />
de ces derniers. Le public, conditionné pour être convaincu<br />
de dépenser ou, plus exactement, de travailler à raison dans<br />
le sens de ce modèle valorisé au moyen préalable<br />
d’informations ayant pour objectif de flatter son éventuelle<br />
modestie, voyait à long terme l'impossibilité de toute<br />
épargne, toute thésaurisation élargie immédiatement à des<br />
gains substantiels. Il n’y avait point d’écart hors de ce<br />
schéma qui ne laissait aucune autre alternative, aucun autre<br />
choix que la dépendance, au triomphe du crédit au sein de<br />
démocraties en sursis de pénurie énergétique ou de conflits<br />
plus proches de leurs frontières. En un mot pour résumé,<br />
c’était effectivement la crise.<br />
Mais les reportages confiés à Sarah, salariée ès frivolités,<br />
devaient surtout traiter pour son journal les phénomènes de<br />
modes, ce, de A à Z. Alors elle-même dans ce sérail, la
16<br />
jeune femme estimait sincèrement des révélations <strong>com</strong>me<br />
un acte de dénigrement donc d'autodestruction depuis que<br />
même l’art, source de richesses potentielles, se voyait<br />
facilement vilipender, sa fonction fondamentale jusqu’alors<br />
inamovible remise en question. Sous un pseudonyme, en<br />
attendant une occasion, elle s'était donc décidée à signer<br />
avec l’ironie inspirée par une poignante dérision, Anny<br />
Zette.<br />
Issus d’une petite ville de la banlieue fortunée de Los<br />
Angelès, les Plastic Flag, au nombre de cinq membres de<br />
base, Eiwob Patterson, son sulfureux chanteur décoloré<br />
blond platine, auteur charismatique du groupe et originaire<br />
de la poudrière jamaïcaine, le <strong>com</strong>positeur et guitariste<br />
Brad Gnool, le bassiste Ruppert Dawkeen, l’organiste et<br />
arrangeur Bawdy Cleever, sans oublier le batteur Ocky<br />
Bells, avaient connu une renommée internationale dès leurs<br />
deux premiers tubes, placardés en clips vidéos avec un sens<br />
certain des affaires dans un genre calibré par des metteurs<br />
en scène inspirés honorant ainsi un style tout à fait<br />
spécifique. Leurs scorpitones passaient donc en boucle<br />
depuis plus de dix ans sur les émissions spécialisées du<br />
câble télévisé, musiques deux à trois fois par jour sur les<br />
stations spécialisées de la bande FM, leur site web ou leur<br />
chaîne sur YouTube ou Daily Motion visités à plusieurs<br />
milliers de reprises quotidiennement. Ils avaient explosé<br />
l’audimat et leur public avait enrichi de fait leurs <strong>com</strong>ptes<br />
en banques. Ils avaient déjà vendu plusieurs centaines de
17<br />
milliers de copies de leurs morceaux en quelques années,<br />
des CD auxquels s’ajoutaient des dizaines de milliers de<br />
ventes de leur DVD live, leurs premiers concerts à succès<br />
avec le récit de leurs débuts. Leur réputation soutenait à elle<br />
seule l’indispensable aura prélude <strong>com</strong>mercial à des<br />
produits cultes, <strong>com</strong>me la diffusion de certains longs<br />
métrages puisque, pour les bandes originales de quelques<br />
films, des producteurs, flairant le juteux filon, leurs avaient<br />
achetés les droits de leurs chansons les plus connues pour<br />
des sommes d’argent presque obscènes en <strong>com</strong>paraison des<br />
efforts effectivement fournis pour créer les partitions, en<br />
rangées de plusieurs 0 versées à chacun des musiciens. Ce,<br />
en oubliant pas le pourcentage de Don Cougar, leur<br />
manager, un gaillard barbu et cynique d’un mètre quatre<br />
vingt quinze et cent dix kilogrammes, ex crew des<br />
Winstoned dans les années 1980, très éloigné dans<br />
l’immédiat en affaires des dons aux associations ou<br />
fondations caritatives en attente de fonds par exemple.<br />
C’était sans <strong>com</strong>pter la galaxie de la publicité qui effectuait<br />
des covers de leurs morceaux, reprises ou adaptations de<br />
leurs titres pour des spots <strong>com</strong>merciaux. Eiwob Patterson<br />
avait même payé de sa personne en se laissant filmé, par<br />
provocation et essentiellement pour l’assurance d’une<br />
bonne somme d’argent, pour la promotion d’une chaîne de<br />
fast food qui avait fait grand bruit chez les fans aux<br />
Etats-Unis lors de sa première diffusion sur MTV, et dans<br />
laquelle il n’était habillé que de jacks métalliques, un<br />
microphone à la main.
18<br />
Le groupe se voulait en tournée mondiale à l’occasion de la<br />
sortie de leur nouvel opus qui renouait avec leur légende et<br />
avait pour ambition de baliser la route du rock une fois de<br />
plus. Les Plastic Flag incarnaient en quelque sorte une<br />
génération et plus encore, une idée de l’Amérique, tout à la<br />
fois d’essence libertaire, trash et, effet étrange, aux<br />
penchants volontiers néo romantique, post grunge, ou<br />
encore volcanique metal, politiquement impliquée dans un<br />
mouvement mondial alternatif et écologiste gagné par un<br />
mercantilisme <strong>com</strong>mercial récupérateur de tendances et<br />
initié par leurs parents punks ou post punks, les parents de<br />
Sarah Howard en somme. Pour peu que leurs fut acquise<br />
une attention sincère, leurs déplacements agrémenter de<br />
déclarations crachées l’haleine au fluor de façon tonitruante<br />
à la presse, en dehors de leurs résidences de Bel Air où tous<br />
les éléments avaient fini par s’installer, représentaient des<br />
mouvements de foules dignes de véritables évènementiels<br />
nationaux, polices ou services de sécurité sur les dents.<br />
Régulièrement à la une des magazines de genre, poursuivis<br />
<strong>com</strong>me le seraient toutefois avec moins d’une familière<br />
aciduité quelques membres du Gotha par une nuée de<br />
paparazzis professionnels ou amateurs, de groupies<br />
adolescentes avec des penchants de call girls ou de dealers<br />
de drogues semi mauvais garçons, épiant tous leurs faits et<br />
gestes, une série de concerts suggérait un certain degré<br />
d’organisation dont il convenait de préservé la distribution<br />
des rôles et des tâches. Eiwob Patterson avait cependant<br />
connu des démêlés avec la justice américaine pour usages
19<br />
de stupéfiants ou conduite en état d’ivresse au volant de sa<br />
Ferrari décapotable rouge ayant appartenu à un célèbre<br />
acteur de cinéma ruiné et achetée £25,000 aux enchères<br />
chez Sotheby’s à Londres en <strong>com</strong>pagnie ces quelques<br />
fois-là de son égérie de mannequin, Betsy, une des deux<br />
jumelles Craven, filles d’un amiral bardé de décorations<br />
pour ses états de service dans l’aéronavale américaine. Il<br />
avait déjà divorcé deux fois en six ans de l’ex top model<br />
dont il avait eu une petite fille baptisée Girlie Flaggy, sa<br />
garde confiée à une famille d’accueil. Eiwob Patterson, son<br />
père présumé ne l’ayant pas reconnu, ne savait pas toujours<br />
à laquelle des deux sœurs Craven il avait à faire, l’autre se<br />
nommant Angelina, d’un mimétisme troublant avec son<br />
aînée et convaincue au surplus de diverses escroqueries et<br />
d’abus de confiance dans le cadre de recherche de paternité.<br />
Eiwob Patterson grillait la vie par les deux bouts de manière<br />
notoire et devait des heures de travaux d’intérêt général au<br />
<strong>com</strong>té de Beverly Hills. Ses avocats lui avaient obtenu un<br />
sursis après le versement d’une forte caution, à la suite d’un<br />
procès retentissant qui jugeait plus un symbole qu’un seul<br />
prévenu. A condition qu’il soit suivi par une équipe de<br />
psychiatres et qu’il s’astreigne à une cure de<br />
désintoxication, Patterson était libre. L’homme âgé de<br />
trente ans à peine passait donc des heures dans un<br />
dispensaire d’Hollywood, plusieurs heures par semaine,<br />
sevré de neuroleptiques entre deux parties ou beuveries<br />
avec des piques assiettes qui avaient tendance à consommer<br />
avec ses cartes de crédit approvisionnées par ses droits
20<br />
d’auteur et d’interprète. Une vie de rock star, <strong>com</strong>me il<br />
aurait pu y en avoir des centaines si les éléments du quintet<br />
n’avaient point incarné le style lui-même, à la une, <strong>com</strong>me<br />
avant eux le rock en soi avec ses travers et un certain<br />
panache par Elvis Presley. Mais les choses avaient bien<br />
changé depuis celui que l’on surnommait the king avec plus<br />
ou moins d’une ferveur décalée. Les excès d'Eiwob<br />
Patterson étaient partagés avec Brad Gnool et Ruppert<br />
Dawkeen qui se « défonçaient » aussi, plus qu’en<br />
<strong>com</strong>pagnie des deux derniers Plastic Flag manquant, plutôt<br />
rangés et moins impliqués dans une imagerie scandaleuse.<br />
Don Cougar laissait faire sans trop intervenir en ce qui<br />
concernait la vie privée de ses protégés, si les heures de<br />
studios d’enregistrements n’étaient pas facturées pour rien<br />
et dans la mesure où le public était convenablement sevré,<br />
pour ne pas dire gavé, par la production du groupe, tel un<br />
opium pour le peuple, en ce que cela n’empêchait pas de<br />
contribuer à rapporter des millions de dollars, songeait-il<br />
avec un brin d’un intérêt malsain, alternant conseils<br />
paternels et franche exploitation d’un phénomène de mode<br />
dus à ses musiciens hors normes si ces dernières pouvaient<br />
même en délimiter des contours entendus. C’était lui<br />
d’ailleurs qui fournissait le plus les membres du groupe en<br />
produits dopants, convaincu d’encourager et même<br />
participer à la création des morceaux.<br />
« -Ne le dites pas à vos mères, précisait-il à chaque fois<br />
avec une ironie de façade, elles me haïraient ! ».<br />
Quelques observateurs, journalistes érudits rock ou
21<br />
sociologues émérites, sans trop se risquer, ne donnaient<br />
néanmoins pas cher de l’avenir des Plastic Flag. Leur<br />
rythme de vie vraiment « ultra speed » <strong>com</strong>me titrait en<br />
Allemagne le mensuel berlinois WahWah présageait le pire<br />
en effet. Une mort accidentelle ou une overdose du chanteur<br />
n’étonnerait plus et ne concernerait plus personne<br />
finalement. Musicalement, si un album à venir du groupe<br />
fut en soi un évènement, ils ne pouvaient plus véritablement<br />
innover. Ils étaient un peu à la traîne des tendances, de la<br />
mode, finis <strong>com</strong>me le prétendait Martine Lebris de Grand<br />
Magasin, une revue naturellement franco belge. Rock un<br />
point c’était tout et actuellement entre deux eaux fashion.<br />
La tournée avait pour but de rehausser le tableau de ces<br />
rebelles de circonstance et d’en faire des stars que l’on<br />
continuerait de toute façon à flairer avec une bibliothèque<br />
musicale, intéressante certes, mais de seulement une<br />
cinquantaine de titres officiels en dix ans de carrière. Tout<br />
était là. La lassitude du public récepteur était à craindre,<br />
susceptible, pour peu qu’il se fit un bon jugement sur le<br />
groupe à la dérive, de précéder une possible indifférence,<br />
du dépit finalement et la résignation des fans à ressentir un<br />
peu plus que de la vie dans ses envois. Les Plastic Flag<br />
n’avaient jamais envisagé de se faire plus rares pour revenir<br />
plus forts au bon moment des bonnes conjonctures. Comme<br />
personne n’y échappe jamais, la banqueroute pointait. La<br />
tournée, intitulée in extremis avec un dynamisme non feint<br />
et à l’encontre de son image Aircraft Willness World Tour,<br />
devait booster les portefeuilles. A Paris, après une bonne
22<br />
campagne de publicité par voie d’affiches entre autre, les<br />
billetteries déclaraient le concert <strong>com</strong>plet pour tous les prix.<br />
Les Plastic Flag y joueraient donc à guichets fermés en<br />
démarrant leur tour de chant par The Prince And The<br />
Sucker, leur dernière <strong>com</strong>position.<br />
Les estivant(e)s, avec lesquels Sarah avait incidemment<br />
partagé son temps au début de l’Eté, se baignaient à l’air<br />
libre sous un ciel bleu azur notait-elle. Ils/Elles<br />
effectuaient, dans l’aisance de leurs déshabillés, quelques<br />
longueurs dans l’eau turquoise des piscines ou bien, après<br />
avoir gagné le littoral, en sous marin dans la mer, voire les<br />
deux modes de bain, à plusieurs reprises successives dans la<br />
même journée. La côte de hémisphère Sud des Etats Unis,<br />
aboutissant à l’Ouest sur l’Océan Pacifique, était livrée en<br />
effet à la belle saison aux jeux aquatiques en bordure de<br />
mer depuis les plages au sable blanc et fin, d’où les<br />
nombreux amateurs de vagues, surfers débarqués du monde<br />
entier afin de donner libre cours à leur passion. Les corps au<br />
teint allé suggéraient une santé à toute épreuve, finement<br />
entretenue Hiver <strong>com</strong>me Eté en salles de musculation. Les<br />
habitant(e)s de la cité des Anges, de Los Angelès County<br />
ou des districts environnants, vivaient là, se plaçaient<br />
naturellement à proximité de l’eau. L’essentiel du temps de<br />
farniente se passait ici. Aux heures des repas, on<br />
pique-niquait : les sandwichs de thon, tuna fish, en salade à<br />
la mayonnaise se substituaient aux copieux hamburgers des
23<br />
périodes ordinaires. La température se trouvait être du reste<br />
bien trop élevée pour avaler autre chose. Hollywood et ses<br />
collines se trouvaient au Nord de Los Angelès. Le lieu avait<br />
pied sur son autre versant dans la Vallée de San Fernando<br />
où la pression atmosphérique typique provenait de ce que<br />
l’air y fut très sec -à l’autre bout du monde, équivalent<br />
méridional en quelque sorte du Bassin parisien. Sarah se fit<br />
ainsi dire que du désert que représentait la totalité de la<br />
zone autrefois, demeurait son micro climat unique sur la<br />
terre originellement aride ayant nécessité des irrigations.<br />
Une couche de pollution en altitude recouvrait les cieux du<br />
site lorsque Sarah levait les yeux au ciel. La jeune femme<br />
avait bien lu que les précipitations annuelles étaient d’une<br />
faible intensité dans la météorologie uniforme de la région.<br />
Les boissons gazeuses, indispensables pour ne pas se<br />
déshydrater, devaient donc du coup couler à flot. S’ajoutait<br />
éventuellement pour la détente des vacanciers, la<br />
consommation coutumière et courante mais néanmoins<br />
illégale à l’époque de l’hallucinogène marajuana au moyen<br />
de pipes, de bang, sorte de narguilé avec un système<br />
capillaire à base de renvois de fumée via des vapeurs d’eau,<br />
ou bien encore de doobies, expression consacrée pour des<br />
cigarettes roulées. Cela permettait, soi-disant, d’apaiser<br />
l’ardeur et le dynamisme souvent déroutant des jeunes<br />
constitutions et atténuer le blues des vieux esprits en<br />
facilitant les contacts sous le Soleil, astre ardent et<br />
rayonnant dont l’omniprésence par un échauffement de type<br />
méditerranéen tendait à spécifier l’image de cette partie de
24<br />
la Terre. Dans la douceur des nuits, le plaisir de se reposer<br />
en recevant ou en diffusant des vibrations positives se<br />
prolongeait, manifestement. Tout se passait encore, soi sur<br />
la plage sur laquelle crépitaient des feux de bois parfois à la<br />
mode hippie et à des heures avancées, soi devant des<br />
piscines éclairées ou bien encore proches des bassins aux<br />
formes arrondies dans des bains chauds et remuants.<br />
Certains autochtones alors, notait Sarah, dégustaient leur<br />
dernier taco ou leur beef burito, selon un mode de nutrition<br />
mexicain, des crêpes fines dans lesquelles se mélangent de<br />
la viande hachée et très cuite, ce, avec de petites, courtes et<br />
fines parts de fromage, des morceaux de tomates ou de<br />
guacamole sans oublier une cuillère de crème fraîche, ce,<br />
autour d’une bouteille de Chardonnay, un vin très prisé car<br />
sirupeux et très alcoolisé de Californie du Sud dont les<br />
cépages provenaient à l’origine du terroir français.<br />
L’effervescence, à l’écoute par exemple du dernier album<br />
d’un groupe de heavy metal à la mode <strong>com</strong>me les Plastic<br />
Flag, était vécue spontanément telles des sensations<br />
naturelles, exploitées par les musiciens eux même<br />
également inspirés dans leur forme d’expression par la<br />
végétation exhalant des saveurs envoûtantes. Bref, pour<br />
Sarah <strong>com</strong>me pour bon nombre de voyageurs avant elle, il y<br />
avait + de différences entre Los Angelès et New York<br />
qu’entre cette dernière et Paris. Et cette jeune journaliste de<br />
presse savait que tout s’opérait dans un ensemble évolutif<br />
unique dont elle était aussi sur place, liant en une formule<br />
<strong>com</strong>pacte ce qui faisait les caractéristiques du lieu et ses
25<br />
environs, conférant à l’endroit, du à la <strong>com</strong>plaisance de la<br />
jeune femme, une certaine magie dans la synthèse générale<br />
en construction. Se laisser aller à l’hédonisme érotique avec<br />
des interlocuteurs ou interlocutrices avisé(e)s et conformes<br />
devenaient également l’une des fins associées aux temps<br />
libres de l’été passé en ce point.<br />
Après Laurel Canyon situé derrière les collines<br />
d’Hollywood, Sarah Howard a quitté son studio de la vallée<br />
pour s’installer plus au Sud, à Orange County. Cet ultime<br />
déménagement avait pour objectif de rédiger son article au<br />
calme, puis de saisir l’occasion pour se rapprocher de ces<br />
américains pur jus, en état d’alerte permanent contre la<br />
nature, leurs divisions internes et le reste du monde, près<br />
desquels elle vivait en ces moments nébuleux sans<br />
néanmoins les connaître et se faire elle-même véritablement<br />
reconnaître. C’était l’un des aspects de sa mission de<br />
reporter éclairée et éclaireuse en cette terre étrangère. Elle<br />
occupa donc les 110 mètres carré de la maison duplex 74,<br />
Villa Monterrey au 1910 Palmyra Street. Elle avait<br />
préalablement consulté les petites annonces immobilières et<br />
avait négocié dans un anglais américain approximatif cette<br />
location plutôt huppée avec les moyens de son agence. Il<br />
s’agissait juste pourtant d’un condominium dans le contexte<br />
de l’endroit et ses habitants avoués très conservateurs. Elle<br />
y fit la connaissance de deux des résidants en dégustant son<br />
assiette sans porc de viande grillée et de quelques saucisses.<br />
Sarah avait en effet acheté des merguez dans un centre
26<br />
<strong>com</strong>mercial, un mall, apportées <strong>com</strong>me contribution de bon<br />
voisinage. Tout avait été passé au feu du barbecue. A<br />
l’occasion de la réunion citoyenne du 4 juillet, elle célébrait<br />
l’indépendance des ex colonies britanniques américaines en<br />
une fédération souveraine d’états autonomes. Et elle avait<br />
sympathisé, d’une part avec Jennifer Play une brune aux<br />
cheveux longs, aux yeux d’un bleu enluminé, une taille de<br />
top model, la poitrine haute et généreuse <strong>com</strong>me l’actrice<br />
Angélina Jolie interprétant le rôle de l’aventurière Lara<br />
Croft et, d’autre part, son Pygmalion de mari, originaire de<br />
la <strong>com</strong>munauté mexicaine dominante, Sean, des lunettes de<br />
vue d’intellectuel sur le visage, identiques à celles du<br />
chanteur Buddy Holly, décédé dans un accident d’avion.<br />
L’homme était plus grand que sa moitié de quelques<br />
centimètres. Il portait les cheveux longs lui aussi, la barbe<br />
rasée de près, vivant le plus souvent torse nu avec son<br />
bronzage accentué sous un pendentif, un collier<br />
représentant un dauphin en ivoire nacré, simplement vêtu<br />
d’un short noir moulant de cycliste futuriste et de baskets<br />
All Stars de couleur pourpres. Son système pileux dense<br />
sur la poitrine et sur les avant bras laissait cependant<br />
apparaître des tatouages. Ceux-ci représentaient des crânes<br />
humains entourés d’une flore tropicale surmontée d’une<br />
ancre marine sans originalité sur la gauche. A droite, la<br />
réplique du graphisme et des visuels de la pochette du<br />
premier album des Plastic Flag intitulé Genital Excitment,<br />
aux meilleures ventes répertoriées dans le Billboard, le<br />
journal répertoriant le hit parade en Californie. Les images
27<br />
en étaient une croix sur laquelle figuraient, aux extrémités et<br />
en son milieu, les têtes des membres du groupe identifiables<br />
avec leurs fétiches respectifs. Ainsi l’homme portait les<br />
représentations sophistiquées, dans un trait hyperréaliste<br />
fidèles aux originaux, de petits personnages dont l’un portait<br />
un chapeau, ou l’autre une casquette à la façon des officiers<br />
de la flotte américaine influencée par le style des Waffen<br />
SS. Touchant au bestiaire fashion des aviateurs de l’armée<br />
des Etats Unis, les personnages étaient tous affublés de<br />
lunettes du type Ray Ban, fixées uniformément sur chacune<br />
des têtes, signalant par accréditation, une appartenance<br />
accentuée à une <strong>com</strong>munauté ethnique d’une manière<br />
particulièrement insistante. Leurs coupes de cheveux<br />
n’étaient cependant pas les mêmes dans l’analyse des<br />
emblèmes respectifs des membres du groupe en vue de<br />
traiter une éventuelle ressemblance soulignée physiquement<br />
jusque à l’attitude vestimentaire. Ce, <strong>com</strong>me pouvait l’être<br />
l’image renvoyée justement par les membres du groupe<br />
allemand et européen Gesundkunstlerwerk, à titre<br />
d’exemple, précurseurs de la musique techno. Au départ,<br />
Sarah s’était malgré tout donc demandé si Sean appartenait<br />
aux motards associés d’un « chapitre » Hell’s Angels, très<br />
représentés en Californie, ce qui n’était pas le cas puisque<br />
l’homme circulait en pick up Toyota avec sa licence de<br />
conducteur et non pas en deux roues Harley Davidson, la<br />
marque fétiche de la horde en question et des nombreuses<br />
bandes dérivées de bikers assimilés.<br />
« - A quoi bon me <strong>com</strong>pliquer l’existence ? » songeait
28<br />
curieusement Sarah, après ce qu’elle jugea avoir été une<br />
débauche de détails et de références sans intérêts pour ce<br />
que son rédacteur en chef attendait d’elle, en ce que,<br />
entendu de ces interlocuteurs, les fétiches visaient à<br />
survivre en toute mystique à un certain type d’étiquette de<br />
manière très large. Toutefois la jeune femme estimait<br />
naturellement infini l’aspect particulier des personnalités,<br />
enregistra-telle sur son ordinateur portable de bord en fin de<br />
journée avec le code 0>+∞.<br />
Un véhicule était indispensable afin de sillonner autonome<br />
l’ensemble routier et autoroutier de la Californie du Sud, en<br />
profitant de ce que cette région à majorité hispanique et<br />
dont la langue officielle était l’espagnol, pouvait offrir aux<br />
estivants en vacances. Sarah avait donc loué une<br />
automobile. Le concessionnaire de chez Ford lui avait<br />
conseillé le modèle Mustang, conduite assistée, trois portes,<br />
décapotable de couleur jaune, faible consommation aux 100<br />
kilomètres. Des cercles blancs typiques étaient peints sur<br />
les pneus. Ce fut ce qui décida Sarah. Ce pouvait être<br />
interprété <strong>com</strong>me un cliché, du pourquoi pas au snobisme<br />
jet set de la jeune femme en l’occurrence, s’en serait elle<br />
gardé afin de mieux incruster une famille terrestre localisée<br />
sans éveiller trop de soupçon. Son explication résidait en ce<br />
que celle-ci n’attendant plus les termes exacts de sa mission<br />
pour des raisons de sécurité se prit à s’éprendre petit à petit<br />
de la californian way of life en plein champ de bataille et<br />
conflits locaux d’intérêts pour en savourer même<br />
provisoirement et délicatement les bienfaits et délices et à
29<br />
laquelle elle voulait souscrire et adhérer avant de peut-être<br />
y contribuer autant que possible, tel, <strong>com</strong>me un coup de<br />
foudre, ce que l’on ressentirait physiologiquement d’une<br />
créature encore vierge du naturel de son état, <strong>com</strong>me un<br />
coup de coeur pour un animal domestique en bas âge. A<br />
défaut de s’enticher d’un bébé chien ou chat, prise aux<br />
poumons avec la température, de la même manière qu’à<br />
Conakry en République de Guinée lorsqu’elle y fut passée<br />
quelques années + tôt, Sarah inhalait, jusqu’alors et sans<br />
déconvenue les fragrances de l’endroit.<br />
Un jour de temps libre, peu avant son départ de retour pour<br />
l’Europe, un chapeau noir d’été à la française fière sur la<br />
tête, sa paire de lunettes polaroïd sur le nez, avec au dehors<br />
sur le haut du corps un zest d’Eau Sauvage Extrême, son<br />
parfum favori acheté en vaporisateur en duty free, Sarah<br />
Howard était au volant. Elle avait mis à l’écoute, dans la<br />
chaîne stéréo de la Ford, un CD du groupe new yorkais et<br />
new wave Blondie, CD qu’elle emmenait toujours dans ces<br />
déplacements, et acheté dans un Tower records de Londres.<br />
La voix de Deborah Harris, l’interprète, résonnait au<br />
dehors, le volume de la hi-fi poussé au maximum donnant<br />
l’impression dans le véhicule de vivre dans une sorte de<br />
mise en scène typique d'un passage mythique de road<br />
movie. Le beat caractéristique de la rythmique musicale,<br />
mêlée au tambour du moteur du bolide, trouvait un écho sur<br />
les plaques de bitume des interminables artères urbaines<br />
sillonnées. Jennifer et Sean, ses deux passagers cette
30<br />
après-midi la, se filmaient à l’arrière du véhicule avec une<br />
caméra numérique. Dans son rétroviseur Sarah aperçut<br />
Jennie (<strong>com</strong>me elle l’appelait) masturber Sean de tout son<br />
être, <strong>com</strong>me une collégienne. Tous les trois se dirigeaient<br />
ensembles vers Sunset boulevard, en direction du Guitar<br />
Center, pour acheter un instrument électrique à corde, cette<br />
fameuse Fender Stratocaster que Sarah souhaitait rapporter<br />
en France, et, accessoirement, visiter le Rockwalk, site<br />
faisant face au magasin qu’elle n’avait jusqu’alors que<br />
virtuellement entrevu en tapant sur un clavier d’ordinateur<br />
www.rockwalk.<strong>com</strong>. Les empreintes des mains d’un<br />
nombre impressionnant de « guitar heros » y étaient figées<br />
pour toujours dans du béton, formant à même le sol une<br />
mosaïque de traces de célébrités à l’instar du Walk of Fame,<br />
avec les étoiles des vedettes reconnues par l’industrie des<br />
productions artistiques d’Hollywood, cinématographiques<br />
notamment. Ce parcours touristique était entretenu par la<br />
municipalité. Mais le triumvirat roulait encore sur Wilshire<br />
boulevard, quelques avenues plus au Sud.<br />
« Hard on ! C’est mon érection horaire ! » s’écriait dans un<br />
très bon français à un moment Sean haletant. Il s’était<br />
concrètement promu à l’improviste acteur, metteur en scène<br />
et réalisateur de film X et tenait à ce que sa <strong>com</strong>pagne<br />
effectue avec conviction sa tâche du mieux qu’elle put, afin<br />
de ne pas passer à côté du + haut point d’excitation<br />
génésique. Pendant qu’elle oeuvrait, et tandis qu’il<br />
s’entretenait avec une correspondante sur son téléphone<br />
mobile d’une main, de l’autre il saisissait l’action avec la
31<br />
caméra dans le même temps, en laissant miroiter à sa<br />
femme l’usufruit pléthorique d’un projet extraordinaire de<br />
distribution <strong>com</strong>merciale avec un producteur de studios<br />
spécialisés. Il croyait disait-il sans détachement au réel<br />
potentiel de Jennie dans ce domaine et promettait le succès<br />
à ses mains expertes dont les extrémités manucurées et<br />
vernies carmin devenaient à l’image d’une griffe, une sorte<br />
de signature… Sarah conduisait lentement, craignant d’être<br />
arrêtée par un véhicule de Police pour outrage aux bonnes<br />
mœurs et d’avoir, au mieux, les représentants de l’ordre ne<br />
plaisantant pas avec la l’application des lois, une amende à<br />
régler. Soudain ! Elle perdit le contrôle du cabriolet <strong>com</strong>me<br />
si il fut légèrement soulevé de terre, déporté sur le côté de<br />
l’avenue. La Ford stoppa contre les blocs en pierres<br />
rehaussés pour le trottoir. Il lui sembla d’après ses<br />
constations, que la population grouillante de Melrose<br />
avenue, à la hauteur de laquelle ils étaient tous les trois<br />
parvenus, fut elle-même en grands mouvements. Elle<br />
entendit une voix dire au loin « Big one ! Big one ! Big fun !<br />
» Au terme de quelques secondes, ce qui avait été un<br />
tremblement de terre de magnitude moyenne sur l’échelle<br />
de Richter, les éléments naturels permettaient de se<br />
reprendre. Il n’y avait apparemment pas trop de dégâts.<br />
Pour + d’informations, Sarah se branchait sur la radio de la<br />
Ford. La station de Météorites Productions dont elle<br />
connaissait la fréquence hertzienne ne faisait état que du<br />
téléscripteur vide de Jennifer Play et la fin de sa mission<br />
émotionnelle, depuis l’attaque cérébrale de Sean quelques
32<br />
instants + tôt, faisant suite à une sur ventilation sur un point<br />
de périhélie. Ils s’étaient subitement évaporé tous les deux<br />
dans ce décorum constitué à partir d’éléments influencés au<br />
dehors par les images bibliques du paradis terrestre, dans<br />
une version typique et artistique concoctée entre façades<br />
décorées et palmiers <strong>com</strong>me l’expression ambiguë et juste<br />
américaine de la contemplation. Puis il se mit à pleuvoir<br />
avec des bourrasques de vent balayant le bitume. La<br />
mémoire de Sarah n’aura retenu que le son émit par les<br />
sirènes des pompiers ou des ambulanciers et la vision<br />
brouillée due à leurs gyrophares. Sarah Howard était<br />
indemne. Au cesser le feu, elle n’était pas même égratignée.<br />
Elle fut héliportée par un Puma piloté par un officier du<br />
GIGN à destination de L’Eternel, un sous marin français<br />
immergé à quelques miles de là puis le gouvernement la fit<br />
rapatrier en priorité via Auckland... L’adrénaline infernale<br />
était derrière elle. Elle fut placée selon son choix en<br />
disponibilité. Son article s’intitula Pochette Sur Prise.<br />
« Coupez! »
Paris, le 6 Juillet<br />
33<br />
Le Prince Et Le Pigeon<br />
« Bonsoir Hyacinthe, c’est monsieur Sacha. Au garage,<br />
vous voudrez bien prendre le petit car vitres teintes. Le<br />
plein est fait. Vous passerez à l’aéroport au terminal 1 de<br />
CDG pour y être à 9h précises. L’avion du groupe est en<br />
provenance de Los Angelès et doit atterrir à 9h45. Ne soyez<br />
pas en retard. Le manager des Plastic Flag apprécie que<br />
l’on soit ponctuel et c’est l’un de mes meilleurs clients. Si<br />
vous prenez un petit déjeuner à Charles-De-Gaulle,<br />
faites-moi une fiche contre votre remboursement. C’est un<br />
transfert mais vous devrez sans doute être mis en<br />
disposition toute la semaine. Les musiciens seront logés au<br />
Plazza Athénée, quatre suites avenue Montaigne. Sauf<br />
contre ordre, vous les attendrez au patio de l’hôtel et vous<br />
les ac<strong>com</strong>pagnerez dans tous leurs déplacements bien sur.<br />
Le tourneur vous remettra l’emploi du temps. Vous devriez
34<br />
prendre vos repas avec eux. Ayez une tenue décontractée.<br />
Le concert est prévu à Bercy le 8 à 20h. Si vous donnez<br />
satisfaction, vous devriez les ac<strong>com</strong>pagner à Monte Carlo<br />
trois jours à la fin de leur séjour en France. Soyez prudent<br />
et ne lorgnez pas de trop près les deux choristes, Hyacinthe.<br />
Enfin, avec leur consommation d’alcool, pas de trafic<br />
supplémentaire de dope. J’insiste ! Vous voyez ce que je<br />
veux dire…Ce groupe est très difficile à déplacer du à leur<br />
excès dans ce domaine. Les Renseignements Généraux ont<br />
un œil sur eux et sur nous du même coup. Ne nous mettez<br />
pas dans une situation délicate. Téléphonez moi sur mon<br />
portable lorsque vous serez à Roissy. Bonne nuit Hyacinthe,<br />
à demain.»<br />
Demain ! Dans le studio qu’il louait rue du Faubourg Saint<br />
Honoré dans le 8e arrondissement de Paris, Hyacinthe Ange<br />
Clairon de Luciole était perplexe après avoir éteint sa<br />
messagerie téléphonique. Le jeune homme âgé de vingt ans<br />
devait justement passé ses écrits de DEUG de droit ce jour<br />
là. Cela tombait plutôt mal. La société de voitures avec<br />
chauffeurs qui employait le jeune homme sans le déclarer<br />
avait essentiellement des groupes pop rock <strong>com</strong>me<br />
<strong>com</strong>manditaires. Pour Hyacinthe Ange, être issu d’une<br />
famille répertoriée dans le célèbre Bottin Mondain, avoir le<br />
statut officiel d’étudiant en droit tout en exerçant une<br />
activité artistique salariée fut-elle prometteuse, et se<br />
considérer <strong>com</strong>me presque fiancé à la fille d’un industriel<br />
francilien ayant fait Polytechnique, tout cela était encore
35<br />
honorable mais n’établissait que les notions intermédiaires<br />
et momentanées du chef d’œuvre ou du concept que l’on<br />
attendait autour de lui et qui, en toute cohérent parcours, le<br />
verrait organiquement disparaître. Du moins, était-il en<br />
mesure de le croire, ouvrage sans doute déjà exécuté mais<br />
que les autres exigeaient, sans savoir ni <strong>com</strong>ment, ni<br />
pourquoi de ne pas s’étendre dessus, tenant à ce que<br />
Hyacinthe Ange sacrifiât à leur crédit, toute une vie à de<br />
minutieux détails dans les grandes lignes. Hyacinthe Ange<br />
s’était lancé dans l’étude du droit avec pour motif de<br />
rassurer son père, un austère notaire de profession qui ne<br />
<strong>com</strong>prenait rien à l’art ou aux hexagrammes étudiés par son<br />
fils. A ses yeux le jeune homme aurait tout aussi bien pu se<br />
trouver une activité sportive <strong>com</strong>me un art martial.<br />
Accessoirement, ce dernier eut été ainsi plus à même de<br />
saisir avec le droit les mécanismes extérieurs de défense de<br />
ses intérêts. Ceci constituait toujours plus une croyance<br />
qu’un véritable engagement, <strong>com</strong>me une sorte d’espérance<br />
chimérique dans la mesure où quoique inscrit en droit à<br />
l’université, il était un étudiant dilettante. Hyacinthe Ange,<br />
un peu calculateur en signant ses oeuvres, une prérogative<br />
qu’il n’usurpait point en tant qu’artiste auteur concepteur,<br />
estimait déjà que toute expérience concourait à sa postérité<br />
qu’il voulait être celle du plus <strong>com</strong>plet des émetteurs, dédié<br />
totalement à l’art sous toutes ses formes afin, le croyait-il,<br />
que ses descendants vivent de lui dans une certaine<br />
opulence. Ce, dès lors qu’il s’engagerait sur le sentier serein<br />
d’une existence de gestation artistique typique qui était déjà
36<br />
bien remplie de son unique opinion dans ce sens. « Je suis<br />
encore dans un bel âge, se disait-il toutefois pour se rassurer<br />
en s’auscultant le visage devant son miroir <strong>com</strong>me il l’avait<br />
fait des centaines de milliers de fois auparavant avec un<br />
élan positif dans des reflets ultimement tronqués, et tout est<br />
encore possible, achevait-il de penser satisfait. Je n’arrive<br />
peut être pas trop tard ». Aussi le jeune homme ne<br />
<strong>com</strong>ptait-il à raison, avec une inébranlable certitude, que<br />
sur lui-même pour vivre d’une certaine manière en grand<br />
angle. Uniquement soumis à un Dieu dont il ne décryptait<br />
point toutefois les <strong>com</strong>mandements dans les institutions<br />
humaines ou immédiatement libellées <strong>com</strong>me telles,<br />
Hyacinthe Ange était un électron indépendant affichant sa<br />
demi absence et dont on pouvait parfois néanmoins envier<br />
le palpable standing bon ton associé à une liberté d’esprit<br />
que sa légèreté naturelle rendait plus accessible, plutôt<br />
enclin en surface à lui être familier ou chaleureux, égards<br />
visant en principe à en tirer quelque chose une fois encore.<br />
Comme ses propres parents, toujours à l’affût du moindre<br />
des euros de leur fils, ce, avant de le renvoyer à une<br />
prochaine entrevue pour le rançonner à nouveau, vider ses<br />
poches, lui, le petit étudiant chauffeur, un peu artiste<br />
illuminé. Le jeune homme avait jusqu’alors été ou un bon<br />
fils aîné ou un agréable camarade, y <strong>com</strong>pris disait-on un<br />
bon amant, qui n’avait de particulier en matière de<br />
sentiments que ce qui pouvait personnellement et<br />
intrinsèquement attiré chez lui en noir ou en blanc. Il avait<br />
le sens du panache aussi. Surtout dans ses entreprises
37<br />
successives et victorieuses qui de ce fait apparaissaient<br />
<strong>com</strong>me des suites radieuses le seraient au poker. Hyacinthe<br />
Ange était convaincu d’avoir un minimum de chance. Il se<br />
reposait sur cette certitude d’une nature purement théorique<br />
pour tenter d’entrevoir son destin pour ses bons côtés et<br />
occulter l’abnégation qui lui était demandée. Un paradoxe<br />
pour plus qu’un étudiant salarié, un artiste. Du reste ceux<br />
qu’il prenait pour ses amis étaient, semblaient-ils,<br />
sincèrement épatés de le voir circuler si jeune dans des «<br />
paquebots » à quatre roues qui valaient des fortunes,<br />
entouré la plupart du temps dans des lieux à la mode de<br />
stars médiatiquement profilées, un peu plus âgées que lui et<br />
reconnues qui le traitaient apparemment <strong>com</strong>me l’un des<br />
leurs, le jeune homme les toisant avec égalité, tout en étant<br />
à sa place bien rémunéré pour cela. Certains avaient su en<br />
tirer avantage…<br />
Il avait obtenu un job d’étudiant, en grande remise, la<br />
conduite de voiture de place avec chauffeur, par le biais<br />
d’un ex condisciple déjà engagé dans une vie<br />
professionnelle très active. Hyacinthe Ange pouvait ainsi<br />
régler ses frais à l’université, payer son loyer et ne pas se<br />
faire systématiquement entretenir par sa petite amie. Au<br />
contraire, il sortait souvent celle-ci sans faire d’économies.<br />
Mais depuis l’obtention avec la mention bien de son<br />
baccalauréat deux ans auparavant, les études n’étaient plus<br />
son cheval de bataille et il avait la tête ailleurs, en<br />
évaporation cérébrale. Hyacinthe Ange Clairon de Luciole<br />
avait pour habitude de fumer du cannabis. Il parvenait à en
38<br />
maîtriser les effets secondaires. Ceci était la principale<br />
raison de son côté posé, calme et constant. Le haschisch lui<br />
permettait de trouver la volonté de travailler, se concentrer<br />
et de pouvoir méditer afin de puiser en lui énergie et<br />
inspiration, en repoussant toujours plus loin ses limites<br />
physiques et intellectuelles par ses ressources essentielles.<br />
Hyacinthe Ange kiffait surtout en solitaire, évitait le<br />
désordre et la désarticulation des soirées passées à plusieurs<br />
éveillant, avec les hallucinogènes, des sentiments animés de<br />
paranoïa. Il était prudent et point égoïste, soucieux de<br />
préserver ce qui relevait de son intimité. Il s’accordait ce<br />
luxe salvateur, moralement indispensable pour ne pas<br />
disjoncter avec la tension qui régnait tant autour de son<br />
activité salariée que ses émissions picturales, entre<br />
l’importance présumée de ses passagers et la hauteur de ses<br />
propres ambitions. Hyacinthe Ange opérait dans les<br />
services momentanément selon ses desseins, sans le souhait<br />
de faire carrière à long terme. Il ne nourrissait pas une<br />
vocation de pilote en formule fut-elle rock, fut-ce<br />
exclusivement à conduire des people. Pourtant, l’être<br />
profond qu’il était, abordait les évènements un peu en<br />
touriste. Le monde du show-business le grisait. A l’instar<br />
des professions dans l’hôtellerie <strong>com</strong>me les concierges de<br />
palace, être même chauffeur de temps à autre, était une<br />
aubaine extrêmement lucrative d’un point de vue financier<br />
et une porte ouverte pour la sensibilité aigue d’artiste<br />
sommeillant en effet en lui et qu’il s’employait à<br />
développer. Il pouvait s’exercer à imaginer la suite d’un
39<br />
programme festif qu’il aurait institué lui-même par essence.<br />
Depuis la fin de sa scolarité dans un établissement militaire<br />
à la suite d’un passage remarqué dans une institution<br />
catholique privée de l’Ouest parisien et privilégié, il<br />
produisait minutieusement ses propres oeuvres, les archivait<br />
<strong>com</strong>me il pouvait, tentait en partie d’en faire la promotion<br />
et espérait bien en vivre plus tard. Sans avoir fait jamais les<br />
Beaux Arts ou une école dédiée au graphisme et ne s’y<br />
destinant pas, en eut-il nécessairement ressenti le besoin, il<br />
livrait donc intuitivement un style hyperréaliste très<br />
personnel et épuré, en bordure du fantastique et des envois<br />
surnaturels. Son inspiration était plus dense que les moyens<br />
qu’il mettait en chantier pour s’exprimer. Ceci mettait donc<br />
en avant une personnalité au charisme coloré. Hyacinthe<br />
Ange avait déjà connu quelques périodes différentes dans le<br />
domaine lié à sa création. Il consignait des reproductions<br />
témoins de son parcours, véritables repères qui illustraient<br />
avec précision ses états d’âme ou ce qu’il avait déjà vécu.<br />
Son évolution était prodigieuse. Lui seul était en mesure de<br />
s’en rendre véritablement <strong>com</strong>pte. Le jeune homme passait<br />
beaucoup de temps à se contempler donc au travers de ses<br />
oeuvres, en appréciant presser <strong>com</strong>me des citrons les<br />
perspectives que lui accorderaient ses progénitures<br />
virtuelles avec une inclinaison possessive lorsqu’il était<br />
seul, et quoique piquée d’humilité en public. Il lui manquait<br />
juste un agent, un représentant et un interlocuteur biographe<br />
afin de tout répertorier. Aussi, en attendant, écrivait-il<br />
lui-même. Sa veine littéraire était fluide, simple,
40<br />
clairvoyante et pleine d’aisance et s’échelonnait de simples<br />
listes à de petits mémoires thématiques. Hyacinthe Ange se<br />
voyait en permanence en manques de moyens, souvent à<br />
faire du sur place. Sa vie d’artiste était là, dans toute la<br />
consistance de la gestation. Cependant s’il était un esprit<br />
libre et laborieux à force de manquer de temps et se voir<br />
éventuellement sucrer sa liberté et ses privilèges si ceux-ci<br />
avaient été discutés, il était dangereusement armé d’une<br />
grande patience. Le jeune homme refusait les étiquettes,<br />
cherchait à se démarquer et vivait des tribulations éthiques<br />
majeures et expérimentales afin de ne pas être badgé dans<br />
telle ou telle catégorie à la mode des nomenclatures<br />
critiques. Soucieux de ne point être mis en boite lorsque sa<br />
survie en dépendait, il ne se considérait pas en termes<br />
spécifiques quoiqu’il fût séduit par une motion classique<br />
tragi<strong>com</strong>ique. Il s’y prêtait déjà philosophiquement ou<br />
économiquement et donc à répétitions, puisqu’il illustrait<br />
son existence à sa décharge sur une forme séquentielle<br />
stéréotypée. Ses caricatures d’autodidacte bien sur étaient<br />
publiées sporadiquement par un consortium de plumes<br />
supposées plutôt fines dans leur genre critique et qui<br />
éditaient un journal à vocation humoristique et dédié aux<br />
pastiches. Il avait rencontré lors d’une soirée arrosée son<br />
rédacteur en chef intermittent, Luc Piedmontel, secrétaire<br />
de jour au cabinet du ministre de l’Intérieur. Hyacinthe<br />
Ange avait été recruté <strong>com</strong>me chroniqueur. Mais il<br />
subodorait un rôle de faire-valoir dans une distinction visant<br />
à donner une prédominance, un impact supérieur à des
41<br />
pensées jugées plus inspirées que son écriture graphique qui<br />
avait pourtant, selon lui, l’ambition de transcender les<br />
hiéroglyphes… La presse était un média minime pour<br />
l’envergure de ses travaux, estimait-il, l’humour un art<br />
mineur malgré tout, s’il y avait lieu d’habiller la froide<br />
rectitude supposée de ses nobles dispositions. Aussi,<br />
motivé, pour ce que constituaint ses courses quotidiennes,<br />
Hyacinthe Ange Clairon de Luciole avait tout loisir de se<br />
faire une place de choix parmi les « créateurs » de son<br />
temps. Restait au jeune homme à effectuer sans se perdre<br />
les bonnes rencontres, mettre ses talents en avant et bien les<br />
négocier. Tout ce monde investit autour de la grande remise<br />
par Hyacinthe Ange, plus ou moins accessible selon le<br />
degré ou des idées, ou des besoins, travaillait un peu à tout,<br />
un peu pour tout, vivotant par ci, par là des subsides requis<br />
pour un certain train de vie qu’il convenait de maintenir<br />
<strong>com</strong>me la marque d’une appartenance à un milieu plus ou<br />
moins vase clos, socialement équivoque que l’on fût initié<br />
ou pas malgré tout lorsque celui-ci n’établissait qu’une<br />
apparence trompeuse souvent. Mais le jeune homme ne se<br />
posait pas à raison de questions incongrues ou inopinées.<br />
Du moins pas pour le moment. Il repoussait toujours à plus<br />
tard ce qui ne relevait pas de ses vœux dans le domaine des<br />
traditions. Il avait toujours été encouragé pour ses envois en<br />
Arts Plastiques sans se rendre forcément à l’évidence que<br />
l’on se reposait beaucoup sur lui, autour de lui, avec parfois<br />
un fond peu élogieux et une sorte de fantasmagorie<br />
improprement instituée. Une méprise fondamentale sur les
42<br />
tenants de l’art à priori. La vie de Hyacinthe Ange était<br />
rêvée parmi les chauffeurs pour son plus artistique résiduel.<br />
Mais rêver seulement. On s’identifiait volontiers à lui sous<br />
couvert de relations confraternelles. Ceci avait forgé de<br />
l'intérieur l’artiste étudiant et déjà salarié. Au dehors, il se<br />
présentait toujours dans des tenues étudiées, par pure<br />
bienséance et une coquetterie entendue. Il s’avérait être un<br />
maniaque de propreté. Le jeune homme se rasait de près<br />
tous les jours, se baignait chaque matin <strong>com</strong>me l’on se<br />
purifierait sans se lasser ou rechigner en se débarrassant des<br />
infamies intestinales. Il coiffait avec rigueur sa crinière faite<br />
de longs cheveux noirs. Son visage sans ride était lisse, son<br />
regard intense. Il fut passé pour plus jeune s’il n’avait pas<br />
été de grande taille. Hyacinthe Ange mesurait un mètre<br />
quatre vingt trois. Travaillant surtout dans son studio<br />
lorsqu’il occupait son temps à la création en attendant des<br />
missions transferts ou en disposition, il lui était vital d’être<br />
le plus ordonné possible. Lorsqu’il peignait par exemple il<br />
enfilait systématiquement une impeccable blouse beige<br />
Yamamoto confectionnée au Japon et achetée à son<br />
attention par une sœur styliste. Sa personnalité était éveillée<br />
à l’expression ou l’illustration de valeurs qu’il jugeait<br />
indispensables et méritantes d’un point de vue général,<br />
relevant en payant presque, dès lors, de son patrimoine<br />
personnel, pour que plus que tout, l’intérêt qu’il portait à<br />
certains principes, ne fussent pas perçus tels pêchés<br />
d’anachronisme ou de passéisme de manière latente<br />
souvent, pour qu’il puisse continuer à les honorer dans
43<br />
l’observance d’un certain protocole et une démonstration de<br />
politesse. Mais <strong>com</strong>me une attraction professionnelle, il fut<br />
bien le seul à s’en soucier. En cela Hyacinthe Ange Clairon<br />
de Luciole était un gentilhomme perçu par les autres<br />
chauffeurs <strong>com</strong>me provenant d’une autre époque, le<br />
dépositaire de temps anciens, à demi contemporain. On lui<br />
prêtait la démarche d’un grand naïf aussi, parce que ceci<br />
était pratique. Mais faire changer d’opinion son entourage<br />
restait une folle entreprise dans ses aménagements. Si ses<br />
règles étaient dures sous une apparence progressiste d’une<br />
certaine façon, sa sophistication le plaçait sans l’en protéger<br />
au dessus de bien des orientations mercantiles d’une<br />
perverse nature pour sa personne tout en s’avérant<br />
bénéfique artistiquement. Dans son milieu du moins.<br />
Conscient avec le recul, ceci le rebutaient d’ailleurs<br />
jusqu’au dégoût sans qu’il se défendit toujours d’en<br />
connaître l’exacte étendue. S’il ne pensait pas suprêmement<br />
à promouvoir ses réparties dans des domaines majeurs, il ne<br />
serait que le jouet impuissant d’une situation qui risquait<br />
déjà fort de le desservir puisque la part de rêve qu’il devait<br />
suggérer ne dût point s’estomper. Culturellement,<br />
Hyacinthe Ange payait ses acquis et les autres, tous les<br />
autres ne pouvaient constituer qu’une source d’ennuis<br />
potentiels et garantis déplaisants. Le jeune homme qui<br />
s’était éduqué seul au fond, voulait se préserver de<br />
l’oppression en société <strong>com</strong>me en toute chose. C’était un<br />
éminent touche-à-tout qui n’avait heureusement pour lui<br />
pas l’âme d’un copiste et, <strong>com</strong>me les grands talents, il
44<br />
donnait souvent l’impression de mijoter ce que seraient ses<br />
œuvres futures dans la mesure où vie lui était prêtée. Bien<br />
que sa position sociale actuelle pût faire croire le contraire,<br />
il aurait du avoir un parcours d’ermite et non pas de<br />
mondain ou de demi mondain. Le jeune homme aspirait<br />
effectivement surtout au grand calme, se ressourçait en<br />
faisant régulièrement le point en pure métaphysique<br />
existentielle. Le cannabis l’y aidait. De ce point de vue, il<br />
était quelque peu entrepris avec des pincettes sans le savoir.<br />
Mais avec ses principes de grand seigneur dont on le flattait<br />
pour s’acoquiner sa personne, finalement, il rendait service.<br />
Il représentait un archétype loin d’un étrange ou un<br />
quelconque hasard. Un repère donc pour tout le monde sans<br />
qu’il sût le mesurer lui-même. De ses lectures sur le<br />
<strong>com</strong>portement, entre deux conduites, études psychologiques<br />
si elles en furent et dont il se méfiait <strong>com</strong>me des<br />
conclusions astrologiques pour leurs aspects effectivement<br />
plus que relatifs, il aurait pu s’estimer sur le point de<br />
vaciller parfois. Ce passage, qui était aussi obligé que la<br />
teneur tragique de la dramaturgie de sa vie et qui<br />
n’intéressait que lui seul au summum d’élans suicidaires<br />
vécu par lui dans les affres de l’inspiration, connaîtrait,<br />
priait-il, un dénouement heureux. Hyacinthe Ange vivait<br />
l’essentiel de la vie d’artiste et était toutefois abusé avec un<br />
cynisme aigu de tout ce qu’il survolait et surtout de<br />
lui-même essentiellement à un degré dont il se refusait<br />
d’admettre le niveau moindre et réel afin de croire les<br />
choses praticables parce que ceci l’arrangeait tout de même
45<br />
ainsi chaque matin. Il avait la différence souple et donc<br />
conformiste puisque il était conscient que la société ne<br />
produisait sur elle-même que des <strong>com</strong>promis. Au pire de<br />
son isolement volontaire encore, il considérait son<br />
originalité <strong>com</strong>me fort désarmé au contact d’un monde<br />
dépourvu de générosité et qui ne respectait rien ni personne.<br />
Le mépris hormonal et dissimulé pourtant de Hyacinthe<br />
Ange pour quelque chose, l’eut donc été pour lui-même, à<br />
son propos si il se décevait au sujet de ce qui aurait pu être<br />
telle ou telle faute de goût, dans une analyse extrême, si il<br />
avait échoué à traduire ses visions d’avant-garde, jetées en<br />
pâture délicate à une sorte d’inconscient collectif qui n’était<br />
pas productif en terme d'accès à un possible usufruit propre<br />
à le rendre un peu plus distant vis-à-vis de proches tenant à<br />
tirer partie de la situation. Ceux qui tentaient en<br />
l'occurrence de s’approprier ses indéniables qualités et son<br />
savant savoir faire. Moralement le jeune homme était tout<br />
de même immunisé envers l’abjection et les problèmes<br />
domestiques liés à une débauche de moyens car il était né<br />
avec le sens de l’économie.<br />
Cependant Hyacinthe Ange ne savait pas mentir en croisant<br />
des mythomanes, légions autour de son activité<br />
professionnelle. C’était son point faible. Il en souffrait en<br />
maintes situations à devoir justifier ses actes sans<br />
élucubrations. En affaires notamment. Son approche<br />
matérielle était jugée limiter par ses affabulateurs et le<br />
jeune homme n’avait pourtant rien d’un recul tangible qui<br />
l’eut préservé des litanies masquées dont il était bordé alors
46<br />
jusqu’au cou. Quant à sa position de victime en danger, elle<br />
n’éveillait point de pitié. Hyacinthe Ange Clairon de<br />
Luciole était un sacrifié malgré lui. Il en avait conscience.<br />
Là résidait pourtant la pointe de sa force motrice, seul<br />
soumis à Dieu, <strong>com</strong>me Michelange devant l’épreuve du<br />
temps…<br />
Alors les Plastic Flag, le fameux groupe écouté dans les<br />
surprises parties de son adolescence, valait peut être bien<br />
les examens de Septembre. Un choix auquel monsieur son<br />
père se résigna en souriant confiant puisque son fils, rien<br />
n’étant gratuit, était simplement venu dîner ce soir là pour<br />
fêter dans sa résidence parisienne, les vingt ans de son<br />
étude de notaire en apportant son dessert favori, une<br />
immense tarte tatin… L’entourage de Hyacinthe Ange allait<br />
lui réclamer des dédicaces sur les CD des membres des<br />
Plastic Flag, cette formation de légende qui avait marqué le<br />
monde de la musique contemporaine dès leur premier<br />
album, Open Minds, aux sonorités envoûtantes, pleine<br />
d’adrénaline, ciblant avec une certitude facile et largement<br />
acquise, une génération toute entière en cristallisant les<br />
aspirations de celle-ci. Justement.<br />
Hyacinthe Ange Clairon de Luciole passa une nuit blanche.<br />
Pour potasser ses examens. Il avait préalablement changé<br />
ses plans. Et à 9h il était dans l’amphithéâtre de son<br />
université au lieu de se rendre à l’aéroport.
47<br />
Une Certaine Prévenance Dans l’Accueil<br />
Dans sa salle d’eau, Sarah Howard savourait son bain. La<br />
jeune femme produisait avec son savon de la mousse verte<br />
en abondance. Elle était suspendue à ce que seraient des<br />
instants d’éternité dans le silence, en pleine chaleur. Et<br />
Sarah se délectait avec un sentiment de légère aisance des<br />
bienfaits de son style de vie qu’elle estimait sophistiquer et<br />
à la mesure duquel ses choix avaient été déterminants<br />
lorsqu’elle <strong>com</strong>parait, symboliquement, la taille de sa<br />
baignoire de la ville surpeuplée de Levallois Perret où elle<br />
se trouvait désormais, au volume d’un jacuzzi en ébullition.<br />
Elle rêvait encore, sujette au décalage horaire des grands<br />
voyageurs, le jet lag, pouvant être à l’origine de violentes<br />
migraines. Ses souvenirs, actifs et dus surtout à sa mémoire<br />
olfactive à propos des fragrances de Californie, effectuant<br />
des fondues enchaînées, Sarah Howard revivait l’essentiel<br />
de ses « vacances » durant ses quelques instants dans la
48<br />
vapeur moite. Elle avait encore à l’esprit le sable fin de la<br />
plage de Long Beach, blanc <strong>com</strong>me la neige de Sibérie, au<br />
bord d’un Océan calme, du flux et reflux des vagues, l’eau<br />
frémissante sur laquelle se reflétait le Soleil au son d’une<br />
effervescence rassurante. Sarah se souvenait des visages de<br />
Jennie, de Sean. « Quelle chance ils ont ! » pensa-t-elle sans<br />
conclure correctement au bonheur en tous lieux et surtout<br />
chez soi. Cette première nuit passée en île de France avait<br />
été néanmoins encore torride à peine débarquée d’un avion<br />
en provenance de Nouvelle Zélande, et, faisait donc suite à<br />
un long séjour dans la région Pacifique. La température<br />
amollissait petit à petit Sarah qui paressait. Tendrement elle<br />
sourit détendue à Dulcinée Mat, une ravissante et pulpeuse<br />
créature brune de taille moyenne, des tâches de rousseur<br />
sur les jougs, de dix ans sa cadette, l'âge de Hyacinthe<br />
Ange Clairon de Luciole, assise à côté d’elle dans la salle<br />
d’eau, en amazone sur le bidet. Celle-ci en ayant terminé<br />
avec le vernis à ongle, prit le soin d’ôter le coton placé<br />
entre chacune de ses délicates extrémités, puis, <strong>com</strong>me un<br />
bout en train <strong>com</strong>ique attendu, plaça sa main dans la<br />
baignoire, grogna en marmonnant quelques mots<br />
in<strong>com</strong>préhensibles au premier abord, en imitant une voix<br />
masculine d’un clown supposé du Sud Ouest de la France,<br />
et se mis à projeter à plusieurs reprises de l’eau sur le haut<br />
du corps nu de Sarah qui, prise au dépourvu les membres<br />
dans l’écume, ne put s’empêcher de rire en se protégeant le<br />
visage avec ses deux mains.<br />
« Arrête ! Arrête ! » gémit hilare Sarah, en spasmes avec la
49<br />
voix d’une suppliciée.<br />
« Quelle <strong>com</strong>édienne tu fais ! » lâcha Dulcinée cessant de<br />
l’asperger d’eau, se décidant alors à passer un linge sec sur<br />
la glace de la salle de bain recouverte de buée, afin de<br />
pouvoir considérer le reflet de son visage pâle en<br />
s’appliquant du rouge à lèvres. Dulcinée ressemblait avec<br />
son maquillage à une créature à la dimension « gothique »,<br />
des adeptes du groupe de Brian Warner, Marilyn Manson.<br />
C’était une mutante. Vingt ans plus tôt, Dulcinée aurait sans<br />
doute été une fan de Prince, il y a trente ans une groupie de<br />
David Bowie et à cinquante années d’intervalle, une<br />
fervente admiratrice des Beatles. Son style très pop rock<br />
présentait l’avantage de ne pas trop dépayser Sarah.<br />
« Tu m’as manqué chouchou d’amour » lui dit-elle. Puis<br />
elle quitta la pièce quelques dizaines de secondes en<br />
emportant sous son bras ses effets dont une chemise noire à<br />
jabots et volants, une petite robe moulante en cuir noir, un<br />
body en dentelle noire, des bas noirs et une authentique<br />
paire neuve de Chippewa texanes de couleur noire<br />
également et rapportée par Sarah à défaut d'une guitare<br />
électrique. Dulcinée portait au cou un collier avec un<br />
crucifix en or et un bracelet d’ivoire au poignet droit, un<br />
autre présent de la journaliste. Elle revint dans la salle de<br />
bain avec un peignoir de boxeur en coton bleu azur propre<br />
qu’elle tendit à sa <strong>com</strong>pagne, lorsque celle-ci se fut levée.<br />
Sarah, sensible, lui sourit à nouveau, laissant Dulcinée se<br />
retirer.<br />
« Merci mon cœur ! » s’époumona Sarah.
50<br />
Après avoir enfilé le vêtement qu’on lui avait remis lors<br />
d’un reportage sur l’art noble, machinalement relevé le<br />
bouchon retenant l’eau du bain et coupé l’électricité du lieu,<br />
Sarah se retrouvait dans un minuscule couloir la menant à<br />
sa chambre. Là, à côté de Dulcinée allongée nue sous une<br />
moustiquaire blanche au dessus d’un lit à deux places,<br />
trônait un plateau de petit déjeuner <strong>com</strong>plet. Une tasse de<br />
thé importé de Turquie et présentée avec une cuillère se<br />
trouvait là, mais aussi un mug rempli de pétales de mais<br />
grillées et glacées au sucre avec de la crème fraiche liquide,<br />
ainsi qu’un verre de jus d’oranges pressées et un croissant<br />
grillé.<br />
« Tu es adorable ma Dulcinée ! »<br />
Lentement, encore mouillée, voire ses cheveux trempés,<br />
Sarah s’était assise en tailleur sur la couche près de son<br />
amie. Elle prit la cuillère et retira de la tasse une petite<br />
passoire en argent dans laquelle se trouvaient les feuilles du<br />
thé. Le breuvage dans la tasse avait une couleur terre.<br />
L’eau avait donc infusé.<br />
« Est-il sucré ? » demanda-t-elle d’une voix curieuse en<br />
fronçant timidement ses sourcils et se fit répondre « non » à<br />
ce qui constituait peut être une sorte de maladresse de sa<br />
part propre à jeter un froid. Mais gênée d’être seule à se<br />
sustenter, elle but rapidement sans manière particulière sa<br />
boisson favorite en avalant goulûment le croissant chaud et<br />
croustillant qui, vite englouti en fondant dans sa gorge, avait<br />
éclipsé l’idée d’une seconde tasse. Puis, apparemment<br />
pressée, Sarah prit le plateau du petit déjeuner, le plaça au
51<br />
sol et, se rapprochant de Dulcinée en s’allongeant sur le lit,<br />
débarrassée du peignoir, étreignit sa <strong>com</strong>pagne qui<br />
appréhendait cette situation.<br />
« Tu n’as pas oublié Sarah, n’est-ce pas ? chuchotait<br />
Dulcinée à l’oreille de la journaliste, <strong>com</strong>me au sujet d’un<br />
code intime les liant l’une à l’autre.<br />
- Bien sur que non. »<br />
Enfin leurs retrouvailles de ce début Juillet s’achevèrent par<br />
des caresses et des embrassades, se grattant le dos, se le<br />
massant sans répit, jusqu’à un orgasme qu’elles connurent<br />
toutes deux, sembla-t-il, au terme de quelques intenses et<br />
longues minutes d’osmose, leurs deux corps nonchalants se<br />
<strong>com</strong>binant exactement. A demi cloisonnées <strong>com</strong>me des<br />
vestales, Sarah et Dulcinée se permettaient tout ce qu’il fut<br />
possible à deux adultes consentantes.<br />
Au terme de leurs ébats, les <strong>com</strong>pagnes décidèrent de se<br />
poudrer de talc, se parfumer avec des fragrances rares<br />
rapportées des voyages de Sarah, s’habiller et finalement<br />
sortir voilées <strong>com</strong>me des musulmanes pour s’offrir<br />
discrètement à nouveau l’une à l’autre, guidées par le seul<br />
plaisir de l’incognito sur le premier étage vide d’un café<br />
restaurant du Palais Royal du Ier arrondissement de Paris,<br />
fréquenté d’ordinaire par des immortels. Sous la Révolution,<br />
le jeune général Bonaparte y avait plusieurs fois soupé sans<br />
payer, sa note réglée 200 ans plus tard par un artiste célèbre<br />
désireux de voir s’achever dignement le problème corse...<br />
Là elles se firent servir, une soupe italienne dans laquelle<br />
barbotaient des croûtons de pain grillé qu’il convenait de
52<br />
recouvrir d’une fine couche de parmesan. C’était la<br />
spécialité du lieu. Un minestrone. Sur un mur de<br />
l’établissement, figurait un poème attribué à un certain<br />
Michel Mishima avec une illustration de l’auteur. Cette<br />
œuvre était datée des années 2000, encadrée et imprimée en<br />
édition limitée et numérotée sur papier chiffon, <strong>com</strong>me une<br />
lithographie.
53<br />
Le poème<br />
Le texte était ratifié par un pseudonyme avec une carte de<br />
visite factice spécialement maquettée à cet effet. Les vers<br />
étaient tout à la fois solennels, emphatiques ou passionnés<br />
au sujet d’une supposée ex <strong>com</strong>pagne de l’auteur. Le<br />
rythme présentait deux temps. Sarah ainsi que Dulcinée<br />
prirent connaissance du contenu en le parcourant avec<br />
attention. S’agissait-il d’un jeu de rôle ? L’agencement des<br />
mots, les tournures de phrases conféraient pourtant à<br />
l’ensemble une force presque magnétique. Dulcinée fit<br />
remarquer que l’intéressée, la destinatrice, semblait être<br />
mise subitement à l’index vers la fin après avoir été<br />
célébrée et placée sur un piédestal de manière plutôt<br />
excessive ou incantatoire. Le rédacteur concluait, en<br />
apparence effectivement au final, par « un claquement de<br />
porte assuré », une sorte de bacchanale, dans un élan<br />
désabusé, à l’allure un tantinet déchaînée aurait-on dit
54<br />
<strong>com</strong>me des propos tenus de la plupart des buveurs de bières<br />
éméchés aux <strong>com</strong>ptoirs des bars irlandais lors des happy<br />
hours, tel, bien esquissé en <strong>com</strong>paraison, le morceau de la<br />
formation musicale Fear avec I Don’t Care About You lors<br />
d’un parallèle artistique, s’il eut été question de l’emploi<br />
d’un ton en particulier… Sous un abord fracassant, des<br />
phrases laissaient entendre que l’expéditeur était sans<br />
illusions, menaçant même de l’opprobre fut-elle juste<br />
sentimentale celle à qui s’adressait le poème, fortuitement<br />
jugée auteure d’une trahison (jusque là présumée..) assuré<br />
dans un élan confirmé d’une amertume sensiblement<br />
violente.<br />
« En somme, s’emporta à son tour Dulcinée, il élève une<br />
créature mortelle au rang de déesse, lui fabrique un<br />
caractère divin dit-il pour démystifier et refuser, si il y avait<br />
lieu en poursuivant, de se plier en retour au propre culte de<br />
celle-ci ! Quelle imposture de bonimenteur schizophrène et<br />
masochiste !<br />
-Mais il y a un différé à la lecture, reprit Sarah avec calme.<br />
Il est possible de conserver du texte seulement ce que tu<br />
souhaites en retenir. La valeur des mots employés est un<br />
déni étymologique à long terme certes, mais la définition<br />
des termes subit des modifications du à l’emploi de codes<br />
de <strong>com</strong>munication en mutation spacio temporelle ! Il écrit<br />
de manière universelle et personne ne peut prendre en<br />
considération à son adresse l’intégralité des sentiments<br />
apparemment contradictoires. Tu sais que l’exposé de ses<br />
idées a valu à Mishima une renommée dans tous les
55<br />
milieux, il a touché et influencé toute une génération. On<br />
l’étudiait à l’Université. »<br />
Sarah était embarrassée. Dulcinée semblait ne pas pouvoir<br />
pousser très loin l’analyse, autrement que d’une manière<br />
superficielle. Elle ne souhaitait pas brouiller davantage<br />
l’esprit encore bouillonnant de sa jeune <strong>com</strong>pagne et tenta<br />
de capter son attention par le regard et en lui prenant<br />
simultanément la main. Rien n’y faisait. Dulcinée semblait<br />
bouder, emportée par la passion. Désireuse de dépasser le<br />
cadre de cet échange de points de vue, somme toute<br />
secondaire dans leur relation, et de n’établir entre elles que<br />
l’émission unique d’ondes positives, Sarah en fut quitte<br />
pour régler leur consommation. Le fait était qu’elle fut<br />
surprise par la note du repas, l’humeur changeante de sa<br />
<strong>com</strong>pagne et voulu maladroitement s’en préserver. Elle<br />
perçut le montant de son sacrifice et demeurait muette dans<br />
l’horreur d’une sorte de vide et de silence à vivre avec une<br />
vague de froid inattendue.<br />
Minuit sonna.<br />
En effet un vent frais, de saison pourtant, fouettaient les<br />
arbres du jardin. Sarah, jetait un regard vers l’extérieur et se<br />
demandait incertaine, en regardant au loin, si elle passerait<br />
l’épreuve de l’Hiver dans de telles conditions. Les deux<br />
jeunes femmes quittèrent presque mécaniquement le<br />
quartier du Palais Royal en direction du boulevard de<br />
l’Opéra, peu fréquenté à cette heure tardive. Elles<br />
décidèrent de rentrer à pieds à Levallois Perret. Les limites<br />
intimes de leur relation apparaissaient cependant. Ceci
56<br />
n’échappa pas à la sensibilité de Dulcinée, plus déterminée<br />
dans sa motion d’égoïsme que Sarah, et qui crut permis et<br />
possible de s’extraire de l’attention de sa maîtresse et du<br />
monde. La situation était devenue gênante. Elle affectait<br />
donc un mutisme froissé dont elle croyait grossièrement<br />
l’extérieur conforme et neutre. Elle boudait sans se souvenir<br />
exactement pourquoi. Ce caprice achevait les espoirs de<br />
cohésion de l’autre. Leur rapport était établit <strong>com</strong>me<br />
définitivement à sens unique. Les deux femmes marchaient<br />
côte à côte, aussi seules l’une que l’autre au fond du point<br />
de vue d’un échange sans néanmoins se douter pour la plus<br />
jeune, Dulcinée, que la solitude voulue de Lui rapprochât<br />
également de Dieu.<br />
« Maudit Mishima ! » se laissait tout de même à penser<br />
Sarah en serrant sa mâchoire à qui voulût bien l'entendre en<br />
se trouvant un responsable.<br />
Écrivain à la mode dans les années 1950, Michel Mishima<br />
avait eu le vent en poupe, après quelques succès littéraires.<br />
Mishima, tel le nationaliste Yukio, au patronyme éponyme,<br />
suicidé en 1970 pour le Japon à la suite d’une sanglante<br />
mutinerie dans une caserne de l’Empire du Soleil levant, sur<br />
le pathétique damier d’un jeu de go ayant entre autre objet<br />
l’impérialisme américain sabordant l’hégémonisme nippon.<br />
MM, les initiales de sa doublure publique, avait notamment<br />
obtenu différents prix pour son ouvrage culte La<br />
Crucifixion du Cheval De Bois, un roman ayant presque la<br />
valeur manifeste d’un essai, dans la mesure où il préfigurait
57<br />
en fond et en forme une réalité à venir en matière<br />
d’approche médiatique. L'auteur prétendait notamment qu'à<br />
Troie, la statue équestre des Grecs pour tromper leurs<br />
ennemis avait bien été une jument... Au-delà de la simple<br />
fiction Michel Mishima, ayant obtenu un bon chiffre de<br />
ventes en librairies et obtenu la reconnaissance de la part de<br />
critiques émérites, était devenu très vite un porte parole,<br />
avec une sorte d’étoffe, auprès de la génération des baby<br />
boomers en élargissant petit à petit sa qualité d’écrivain à<br />
celles de penseur scientifique ou de concepteur en matière<br />
d’économie. Le fait qu’il s’intéressât à tout lui garantissait<br />
une latitude extraordinaire, des champs de manœuvres<br />
inédits. Il avait le secret de ses envois laissant ouvert au<br />
public la possibilité de le redéfinir socialement. MM prenait<br />
l’opinion à revers par une gravité alerte et concernée au<br />
timbre caractéristique. En cela, il lui avait été accordé une<br />
attention méritée, lorsqu’il convenait de délimiter les<br />
contours du monde vers l’inconnue de son propre reflet,<br />
laissé à l’introspection au moyen de sa culture pointue et<br />
accessible à tout entendement. Ce, avec une aisance<br />
remarquable, dans l’intérêt immédiat de ses propos de<br />
théoricien appliqués prosaïquement dans ses illustrations<br />
rhétoriques. Respecté, il était l’initiateur de l’infinie pensée<br />
du IIIe millénaire, mais n’échappait plus aux « tarte à la<br />
crème » d’iconoclastes qui, quoique mus d’une admiration<br />
ressentie et véritable à son égard, l’interpellaient <strong>com</strong>me<br />
des potaches maladroits, et donc peu rompus, Mishima s’en<br />
plaignait, au protocole traditionnel, et, s’il y avait lieu, à
58<br />
l’expression de l’éloge. En était l’artiste Eiwob Patterson,<br />
son cauchemar de rock star. Il y avait un antagonisme<br />
flagrant, profond et évident entre les deux personnalités. Ce<br />
différent n’était pas passé à côté de la profonde sensibilité<br />
de Sarah Howard, lorsque la presse, dont elle était, se fût<br />
fait superficiellement l’écho de cette dualité. Au-delà de<br />
l’art, les tenants en étaient, bien sur, l’usage exclusif de<br />
technologies mise au point par le penseur chercheur,<br />
essentiellement à des fins militaires, sa tactique médiatique<br />
pouvant déboucher sur une stratégie opérationnelle.
59<br />
<strong>Sen</strong>sitiv failure V.O.<br />
( Action ! )<br />
Michel Mishima peignait une toile en priant à voix haute<br />
dans son appartement de la rue Gutenberg, Paris 15e ; il<br />
s’efforçait de faire correspondre les intuitions codées de son<br />
cortex encore indéchiffrable et seulement partiellement<br />
exploré avec un mode de <strong>com</strong>munication à peu près<br />
accessible. Ce dans l’improvisation devant rendre toutefois<br />
l’établissement d’un raisonnement planifié :<br />
(Thinking) Which men are we in front of Nature ? Solidarity must<br />
fundamentaly determine up about the purpose of the exchanging in the<br />
brotherhood. A recent past seems to destroy up on the beneficial trust in the<br />
Saint Resistance anyway. But the question is : does the mechanical jungle<br />
present at least only a practicable aspect considering technological<br />
operators or, also, what are my best wishes up in Humanity today <strong>com</strong>pare<br />
to its system of damages of self destruction ? I might be a child turning
post criptum to animal instinct…<br />
60<br />
Prenant du recul vis-à-vis de son ouvrage, il s’aperçut qu’il<br />
venait de reproduire les symboles du parti <strong>com</strong>muniste<br />
tchèque dans un angle futuriste. L’ensemble était indigeste<br />
au goût de son auteur. Le signal d’appel de son visiophone<br />
bourdonna. Michel Mishima un peu abasourdi décrocha le<br />
<strong>com</strong>biné tandis qu’il fut tout d’abord mis en relation avec<br />
une boite vocale diffusant une promotion.<br />
Publicité<br />
-En Juin 2005, le label Tricatel présentait Les concerts de<br />
promotion qui ont permis au public d’entendre le titre 16,<br />
concept du www.yattanoel.<strong>com</strong> sur scène à Paris et en<br />
province pour son interprétation. L’aventure se poursuit avec<br />
e-meteor.@orange.fr<br />
- Allo ? reprit Mishima en français, un peu excédé d’être<br />
dérangé en pleine concentration, donc à un point culminant<br />
de réflexion.<br />
-Oui, Antenne Médias, entonna une voix. Peu de batterie.<br />
Je vous appelle depuis le cellulaire de la limousine de mon<br />
groupe de production. Figure sur ma carte de visite sous le<br />
logotype de l’agence : Designer/Directeur Artistique/Chef<br />
de Produit. Par souci de clarté, je peux également ajouter<br />
esthète et dandy. Je suis opérationnel dans la partie<br />
créative à la condition qu’une styliste de mode soit en<br />
charge de me trouver des vêtements originaux de couturiers<br />
inspirés pour mes sessions de photographies haut de<br />
gamme. J’œuvre professionnellement dans ce domaine et
61<br />
mes <strong>com</strong>posites sont recherché par les chasseurs de têtes<br />
des agences de mannequins pour lesquelles me trouver un<br />
défilé ou bien un rôle dans un spot publicitaire deviennent<br />
des formalités ! J’ai de quoi régler les équipes de tournage,<br />
les estimations des budgets tenant <strong>com</strong>pte du potentiel de<br />
plus values concernant mes apparitions d’après les plans<br />
prévisionnels. S’ajoutent à mes droits d’auteur ce que me<br />
rapporte mon statut d’intermittent du spectacle. Je peux<br />
même mettre aux enchères quelques mèches de cheveux afin<br />
d’empocher le nécessaire et retrouver la voie, la sagesse,<br />
aidé en cela par mon maître de taï chi, un jeune homme<br />
charmant… Je ne manque pas de virer mes avocats pour<br />
in<strong>com</strong>pétence lorsque je décide de coller des procès à des<br />
paparazzis indélicats. En faisant autorité dans ma sphère je<br />
balise la vogue cela va de soi. Sollicité pour la ferveur<br />
reconnue de mon recueillement, je prie avec la plupart des<br />
personnalités de la jet society en ac<strong>com</strong>pagnant des<br />
admirateurs fortunés à des cérémonies. Je note: grosse<br />
impression à mon approche sur les crews et les hôtesses<br />
accueillant les VIP. Et dire qu’il y a en + mes groupies et<br />
mes fanatiques ! Ils ou elles me « branchent »<br />
régulièrement en dehors de mes périodes de planque<br />
lorsque je décide de réaliser mes œuvres peintes dans le<br />
calme, une autre de mes disciplines d’appoint. Bon sang !<br />
On vante la chaleur de mes bons sentiments et je signe<br />
volontiers un autographe une fois reconnu ! Hum… je suis<br />
adulé de génération en génération ! Désinhibition, état<br />
d’extase selon la psy de mon banquier @ par relation.
62<br />
Oubli du vide paranoïde si je me représente en une tournée<br />
géante avec mes tours de magie <strong>com</strong>me le véritable<br />
<strong>com</strong>édien del arte ou l’acteur de cinéma que je suis aussi !<br />
Ces réelles et positives vibrations suscitées par moi… mon<br />
public…qui me <strong>com</strong>prend !<br />
MM…Hooh ! »<br />
Ne sachant pas s’il s’agissait d’un canular, Mishima troublé<br />
ne put s’empêcher d’interrompre :<br />
"-Arès, je suis prêt à donner mon corps pour sauver celui du<br />
prophète ! précisa-t-il.<br />
-Arès t’a entendu et accepte ton offre ! Fais toi violence !<br />
Moi, Ynès GBESSIAH, Marquis de FORECARIAH t’y<br />
convie ! " invectiva la voix familière d’un claquement de<br />
bec. Puis la <strong>com</strong>munication s’acheva subitement lorsqu’un<br />
générique de fin proposait déjà un produit dérivé d’art<br />
plastique intitulé Une Belle Amie.
63<br />
Le 7 Juillet au soir<br />
Monsieur Sacha avait appelé. Furieux. Don Cougar lui avait<br />
passé un savon avant de le remercier lui et son agence de<br />
voitures avec chauffeurs. Les Plastic Flag et leur staff<br />
avaient du faire appel à des taxis pour se rendre au Plazza<br />
Athénée après une grande pagaille à l’aéroport avec tous<br />
leurs bagages. Hyacinthe Ange venait à priori de se faire<br />
proprement viré. A l’annonce de son ex employeur de fait<br />
donc, il réagit avec une condescendance de circonstance<br />
tout à fait justifiée puisqu’il avait eu une raison valable et<br />
supérieure pour ne pas se rendre à l’aéroport quoique, dans<br />
un premier temps, la situation voulut qu’il vint de perdre<br />
certainement une confortable source de revenus. Le jeune<br />
homme avait fait un choix sans dilemme ou hésitation et,<br />
surtout, sans regret. Dans une problématique d’orientations<br />
sociales, placées au coeur de ses valeurs matérielles<br />
majeures l’engageant, la fierté de sa réputation incluse dans
64<br />
ses plans d’émancipation, avait joué vis-à-vis de<br />
dispositions secondaires dont était ce job par la force des<br />
choses.<br />
L’étudiant et artiste était décidé ni plus ni moins à<br />
s’affirmer désormais sans <strong>com</strong>plexe pour ce qui devrait<br />
devenir la sérieuse marque de fabrique de son art lorsque<br />
celui-ci aurait à se déployer médiatiquement. Il n’était<br />
effectivement le larbin ou le sous fifre de personne au fond.<br />
Hyacinthe Ange avait notamment programmé de rédiger un<br />
roman à l’occasion sur son expérience en grande remise en<br />
calquant la réalité dans un contexte tenant d’une fiction<br />
avantageuse. Il <strong>com</strong>ptait utiliser, pour faire parler de lui, le<br />
réseau intra professionnel qu’il avait abordé <strong>com</strong>me<br />
chauffeur. Son objectif fut de faire tintinnabuler à son tour<br />
les tiroirs caisses… des librairies en réalisant un bon chiffre<br />
de vente pour un ouvrage édité à <strong>com</strong>pte d’auteur et<br />
pourquoi pas remporter de bonnes critiques dans les<br />
colonnes littéraires. Il rêvait <strong>com</strong>me parfois cela arrive<br />
encore à 20 ans, mais il avait toutefois été bien inspiré et<br />
avait par ailleurs bien passé ses examens de droit avec la<br />
fraîcheur de son regard dynamique et ses envois juridiques<br />
théoriques de manière forte à propos. Il s’attendait à une<br />
bonne note aux écrits qui lui permettrait de rentrer en<br />
deuxième année et de ne pas perdre son temps en<br />
redoublant. Hyacinthe Ange, chanceux, était tombé sur des<br />
sujets qu’il maîtrisait bien, justement révisés la veille dans<br />
le cadre d’une impasse totale…
65<br />
Ce soir là avec Claire Sayn, sa fiancée et, ac<strong>com</strong>pagné de<br />
quelques amis de la faculté de droit, une petite troupe<br />
d’étudiants en vacances décidait de se rendre à la VO, la<br />
discothèque à la mode ce, après un bon restaurant de<br />
cuisine gastronomique sur l’île de la Cité. Dans l’imposante<br />
berline familiale Renault grise métallisée du père de Claire,<br />
que celle-ci conduisait pour une fois avec son permis à<br />
points récemment décroché, les fenêtres étaient à demi<br />
ouvertes. Un gros joint, qui diminuait petit à petit et de<br />
manière irréversible <strong>com</strong>me toutes les bonnes choses,<br />
circulait de mains en mains. Un mélange détonnant de<br />
tabac, de marajuana et de cannabis était aspiré <strong>com</strong>me le<br />
symbole apaisant semblait-il d’une fraternité. De quoi<br />
planer toute la nuit à l’unisson de la musique en vibrations<br />
synchrones en se prenant pour le centre du monde tout en<br />
ne le dissimulant, à ne pas le crier à tue tête lorsque le<br />
sentiment d’extra sensibilité <strong>com</strong>portait ses limites<br />
palpables en croisant des patrouilles de police en service,<br />
accentuant l’alternance de spasmes hilares pour un rien<br />
ultra conscient du néant et un silence coupable soudain dans<br />
le véhicule automobile à la vue des uniformes...<br />
L’incontournable frisson passé à l’entrée du club, les<br />
fêtards naïfs sous les regards obséquieux des vigiles de<br />
sécurité de la VO franchissaient victorieux la porte d’entrée<br />
et se retrouvèrent vite à se payer des consommations<br />
alcoolisées au sous sol de l’établissement. Il était 23h45 et<br />
les sens de Hyacinthe Ange, qui était pris au cerveau et<br />
préalablement aux poumons, prenaient corps avec la
66<br />
matière de l’incolore, cette sensation recherchée par le<br />
fumeur qui place le sujet dans un état chronique de<br />
béatitude supposée sereine et naturelle. Le petit groupe<br />
s’était installé un peu amorphe autour d’une table devant la<br />
piste. Le stroboscope électronique créait des instants<br />
surréalistes de syncope lumineuse. La soirée démarrait tout<br />
juste.<br />
L’Eté serait aussi doux qu’inoubliable, se promettait<br />
Hyacinthe Ange, avec ou sans Claire dont la présence, due<br />
aux hallucinogènes, était devenue subitement et<br />
curieusement moins indispensable. La jeune femme<br />
percevait toujours cette situation avec impuissance. Le<br />
jeune homme était-il en pleine et chronique attitude<br />
délirante notait-elle en manque de marques habituelles<br />
d’une <strong>com</strong>plice et sensuelle affection ? La petite amie<br />
officielle de Hyacinthe Ange, très BCBG, voulait bien<br />
profiter de ce jour particulier de fin d’année universitaire,<br />
qui, pour elle aussi, jusqu’alors passée à étudier en prépa<br />
HEC, s’achevait enfin. C’était à elle que revenait ce jour là<br />
de régler les réjouissances avec sa nouvelle carte de crédit<br />
sur le « terrain » de Hyacinthe Ange.<br />
Un morceau remixé de la formation Dee Light résonnait<br />
avec fracas dans l’espace de la VO en ne donnant rien<br />
d’autre que l’envie de danser en rythme pour les garçons et<br />
filles et rejoindre, pour se faire, une splendide créature<br />
rousse de taille mannequin et apparemment explosée qui se<br />
trémoussait seule devant la petite scène du sous sol du club.<br />
Sur celle-ci, trois malabars en jeans et tee shirts noirs, avec
67<br />
leur collier de pass de concerts, installaient une batterie,<br />
s’affairaient à brancher des jacks de microphones à des<br />
amplificateurs ou plaçaient les retours de scène. La<br />
barwoman, qui connaissait Hyacinthe Ange mais qui fut<br />
surprise de le voir ce soir là, lui annonçait qu’un concert<br />
était prévu à 2h.<br />
« -Il n’y a en principe que des rentrées sur invitation ce soir,<br />
lui dit-elle avec son accent du Sud Est. On attend un grand<br />
groupe américain pour une jam. Les Plastic Flag. Tu<br />
connais j’imagine ?<br />
-Oui, répondu placidement Hyacinthe Ange très las en<br />
souriant <strong>com</strong>me un libertin pétomane s’en remettant à<br />
Sainte Thérèse mais olfactivement fier ses forfaits sourds,<br />
sans préciser qu’il leurs avait posé un lapin le matin même.<br />
- C’est une soirée spéciale. Du gratin presse rock VIP va se<br />
presser pour les écouter. Tu as du bol d’être là ! C’est<br />
l’évènement de l’année ! As-tu écouté leur dernier album ?<br />
-Non, mais je connais le premier presque par cœur !…reprit<br />
le jeune homme.<br />
-Il est super, n’est-ce pas ? ! Je l’écoutais en boucle<br />
autrefois le soir lorsque j’étais encore dans ma province ! »<br />
s’égosillait la jeune femme en jacassant pour peu de chose<br />
finalement avec un enthousiasme cependant <strong>com</strong>municatif.<br />
Il était déjà minuit et demi pour qu’une faune interlope et<br />
plutôt underground, par la force des choses, investisse<br />
largement l’espace de la VO. La moyenne d’âge devait être<br />
de 35 ans. Des excentriques aux vêtements branchés<br />
glamrock côtoyaient des tenues sobres faites de smokings
68<br />
classiques ou de robes pailletées d’estivantes de parties<br />
nocturnes juilletistes, robes surmontant des paires de jeans<br />
grunge sur des souliers de défilés haute couture. Une mode<br />
venue des campus de la Côte Ouest des Etats-Unis que<br />
Hyacinthe Ange s’était plu à dessiner d'après<br />
photographies. S’installait avec une certaine <strong>com</strong>plaisance<br />
une grande familiarité dans cette assistance privilégiée<br />
venue se divertir en écoutant Les Plastic Flag dont la venue<br />
était très attendue. Les serveuses étaient débordées. Des<br />
visages connus se fondaient avec une accessibilité autant<br />
outrancière qu’audacieuse dans la promiscuité de la foule<br />
<strong>com</strong>me des personnes théoriquement anonymes.<br />
L’ambiance à la VO était survoltée <strong>com</strong>me chaque soir<br />
dans ce lieu réservé aux insomniaques hédonistes dont la<br />
population était néanmoins changeante d’un jour à l’autre,<br />
<strong>com</strong>pte tenu du montant de l’entrée à peine moins<br />
malhonnête qu’une arnaque officieuse. La ventilation<br />
n’étant pas en service, régnait une grosse chaleur dans la<br />
discothèque invitant d’autant plus l’assistance à payer pour<br />
se désaltérer. Prétextant de vouloir sortir pour fumer une<br />
cigarette, Hyacinthe Ange quittait, certes un peu cavalier<br />
sur ce coup, Claire et ses ami(e)s, tout en réalisant <strong>com</strong>bien<br />
l’engouement du soir validait des aspects autant irrationnels<br />
que relativement grotesques.<br />
« -Je reviens dans quelques minutes, dit-il.<br />
-Bon. Moi, je vais danser ! lui lançait la jeune femme qui<br />
sortait d’une courte léthargie émotionnelle. Ne sois pas trop<br />
long, il y a de beaux mecs ici prêts à faire des câlins,
69<br />
monsieur de Luciole… »<br />
Hyacinthe Ange, après avoir fendu la foule hétéroclite en<br />
direction de l’entrée de la discothèque en se confondant<br />
d’une bonne vingtaine de « pardon ! » circonstanciés,<br />
indiquait à un vigile qu’il sortait pour fumer une cigarette<br />
mais qu’il reviendrait. Un grand balèze lui fit alors un signe<br />
d’approbation de la tête pour acquiescer. Dehors une file<br />
d’attente fournie attendait de pouvoir rentrer sur la droite et,<br />
sur la gauche, se rassemblaient des irréductibles de la<br />
nicotine.<br />
Dehors la température était moins étouffante qu’à<br />
l’intérieur mais n’en était pas moins élevée.<br />
« Tu aurais du feu s’il te plait ? » demanda alors dans son<br />
dos à Hyacinthe Ange une voix féminine et douce,<br />
mâchouillant un chewing gum avec un léger accent<br />
américain. Le jeune homme, bon <strong>prince</strong>, se retournait<br />
cherchant machinalement son Zippo à essence dans l’une de<br />
ses poches de veste. Il contempla son vis-à-vis de la tête<br />
aux pieds dans le même temps. Une jeune femme<br />
apparemment plus âgée que lui était de la même taille,<br />
tenant un sac à mains en lézard teint en noir sous son bras<br />
gauche, les cheveux noirs longs et raides, les yeux noisette<br />
claire avec un iris bleu marine, le visage fait et poudré<br />
avec un rouge à lèvre sombre, habillée fort chic d’une robe<br />
moulante et très courte de couleur noire sans soutien gorge<br />
pour une petite poitrine, juchée sur des talons hauts dans<br />
des chaussures beiges montantes et pointues, à lacets et,<br />
visiblement en crocodile, signées Pucci Verdi. Sa cigarette
70<br />
se trouvait déjà entre ses rangées de dents couleur blanc vif,<br />
attendant que Hyacinthe Ange l’allumât. Lorsque le jeune<br />
homme s’exécutait, elle lui fit un beau sourire <strong>com</strong>plice et<br />
le remercia. Puis elle tira une bouffée, expulsait la fumée et<br />
lui dit :<br />
« Je m’appelle Betsy et toi ?<br />
-Betsy…Betsy…Vous êtes Betsy Craven ? La Betsy<br />
Craven ? reprit Hyacinthe Ange soudain la gorge nouée en<br />
se surprenant lui-même de ses talents décontractés et<br />
appliqués de physionomiste.<br />
-Oui ! Comment le sais-tu ? dit-elle, apparemment étonnée,<br />
avec un sourire plus large encore.<br />
-Heu…J’ai entendu parler de vous, bafouillait Hyacinthe<br />
Ange. Vous êtes avec les Plastic Flag, n’est-ce pas ?<br />
-Oui je les attends. J’ai diner ici avec leur manager,<br />
indiquait-elle avec sérieux. Et toi qui es-tu ? Tu peux me<br />
tutoyer…dit-elle intriguée avec souplesse et convivialité<br />
sans dissimuler un certain intérêt pour la réponse attendue.<br />
-Je…je suis sorti avec des amis à la VO. Nous étions venus<br />
faire la fête, reprit-il en hochant de la tête.<br />
-Tu es un artiste aussi ? Un journaliste ?<br />
-Un peu les deux.<br />
-Je n’ai pas envie de moisir longtemps ici. Ce n’est pas<br />
super, fit-elle avec une séduisante grimace. Ne connais-tu<br />
pas un autre endroit ? As-tu une voiture ? dit la jeune<br />
femme déterminée à ne pas lâcher prise. Montre-moi ta<br />
ville. »<br />
Hyacinthe Ange fut extrêmement surpris d’être soudain
71<br />
dans une situation qui se présentait <strong>com</strong>me tout aussi<br />
excitante et insolite que confuse et pour le moins gênante. Il<br />
était embarrassé. Dragué par une vedette ! Mais au fond<br />
quoi de plus courant ? Se serait-il estimé lui-même d’une<br />
moindre importance, une pointure subalterne ? Au bout de<br />
quelques secondes tout se posait avec égalité mais le<br />
redoutable problème du choix apparaissait et se posait à lui<br />
à nouveau en songeant à Claire qui l’attendait quelque part.<br />
Les remords et les tracas immédiats d’une problématique<br />
classique jouaient en reposant sur les effets validés ou pas<br />
de son assurance personnelle. Il voulait rester crédible et se<br />
risquait tout de même en proposant le meilleur à la<br />
personnalité somme toute inconnue de l’étrangère qui<br />
l’avait abordé :<br />
« -Je suis à pieds mais je peux… t’emmener chez moi. Je te<br />
montrerai mes œuvres. Veux-tu ? lançait Hyacinthe Ange<br />
avec soin dans un soupçon de franche ringardise.<br />
-Allright ! Let’s go ! » concluait toutefois sans la moindre<br />
hésitation la jeune femme en se mettant en mouvement vers<br />
le bout de la rue en sens unique où se trouvait la VO,<br />
Hyacinthe Ange aurait-il jubilé d’avance à l’idée de<br />
raconter cette rencontre inattendue à son entourage ? Sur<br />
une avenue proche de la rue de la discothèque, il hélait un<br />
taxi qui le prit à bord avec Betsy Craven. Assis à l’arrière, il<br />
sourit à celle-ci une fois assis, sa destination <strong>com</strong>muniquée<br />
au chauffeur :<br />
« -Pas de regret ? lui dit-il.<br />
-No, no baby. » soulignait-elle à voix basse, le regard sur la
72<br />
route en lui tapotant la cuisse puis, après que de l’avoir<br />
cherché, elle prit sa main d’office. La stéréo du véhicule<br />
diffusait de la musique berbère.<br />
Le jeune homme exultait intérieurement. Rêvait-il ? Il ne<br />
pouvait le dire mais n’en montrait rien. Il subissait toujours<br />
les effets conjugués de la cigarette philosophale et de<br />
l’alcool, en ressentant plutôt bien les choses, en demeurant<br />
extrêmement positif. Il ne lui en fallait pas plus. Que ses<br />
amis restés à la VO s’inquiètent pour lui le laissait un peu<br />
indifférent. Trousser une exquise ex top model lui paraissait<br />
beaucoup plus important pour l’instant.<br />
« -Je m’appelle Hyacinthe Ange, dit-il alors que l’on<br />
approchait de son quartier.<br />
-Comment ? écoutait la jeune femme surprise, feignant<br />
l’indifférence.<br />
-Hyacinthe Ange.<br />
-C’est ton nom et ton prénom ? dit-elle en jouant sur son<br />
charme authentique.<br />
-Oui ! Yes ! No ! bafouillait le jeune homme.<br />
-Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Tu parles aussi ma langue Yesceete<br />
Angel !<br />
-Hyacinthe Ange, insistait-il.<br />
-Yesceete Ange ! reprit Betsy Craven du mieux qu’elle pût<br />
<strong>com</strong>me en maternelle à l’école pour ne plus devoir se<br />
répéter. Est-ce français ça ? interrogeait-elle.<br />
-Oui !<br />
-Et quel est ton nom de famille ?<br />
-Clairon de Luciole.
73<br />
-Wow ! C’est long ! Je ne sais pas si je m’en souviendrais.<br />
Tu es un aristocrate toi chéri ! »<br />
Elle l’avait appelé baby, chéri ! Hyacinthe Ange était aux<br />
Anges… A présent le taxi était arrivé devant l’immeuble du<br />
jeune homme.<br />
« -Combien vous dois-je monsieur ? demandait-il pressé au<br />
chauffeur sans doute originaire de l’Afrique du Nord qui<br />
avait éteint le <strong>com</strong>pteur du véhicule sans couper le moteur.<br />
-11€, s’il vous plait » répondit le taximan en se retournant.<br />
Betsy Craven sortit de son sac à mains un billet de 100 tout<br />
neuf qu’elle lui remit lorsqu’au même moment Hyacinthe<br />
Ange n’eût que le temps d’ouvrir son portefeuille.<br />
« -Je règle, dit-elle. Pas de soucis. » dit-elle sur un ton<br />
pleinement responsable avant tout de même de récupérer la<br />
monnaie et descendre de voiture dans le faubourg calme.<br />
Le jeune homme était gêné et concluait par un :<br />
« -Ce sera moi la prochaine fois !<br />
-Ok sweet heart. O mais je suis en <strong>com</strong>pagnie d’un<br />
véritable gentleman…ironisait Betsy Craven.<br />
-Merci ! Thank you ! » tentait le jeune homme au loin de<br />
toute flagornerie afin de ne pas passer pour un pauvre<br />
gigolo, l’honneur à fleur de peau sans doute mal placée en<br />
pareille situation.<br />
Hyacinthe Ange sentait la traduction du désir monté en lui.<br />
Il n’avait pas eu le temps de montrer ses toiles à Betsy. La<br />
jeune femme s’était déchaussée en arrivant dans le studio,<br />
découvrant de magnifiques petits pieds aux doigts vernis en<br />
noir, une chaînette en or à la cheville gauche. La porte à
74<br />
peine refermée par Hyacinthe Ange, elle s’était débarrassée<br />
de sa robe, s’était glissée un corps en proportions de rêve<br />
sous la couette du jeune homme et l’avait invité à la<br />
rejoindre vite, assurée de son effet. Puis lorsqu’il s’était<br />
penché sur son buste tout blanc dans les vapeurs de son<br />
parfum Obsession qui lui tenait lieu de sous vêtements, elle<br />
l’avait enlacé et avait trouvé sa bouche et l’embrassait<br />
langoureusement en lui léchant les babines. Elle lui<br />
chuchota à l’oreille :<br />
« -Fais moi l’amour ! » Tout ceci paru fort logique d'un seul<br />
coup à Hyacinthe Ange. What else ?<br />
Le jeune homme en était aux préliminaires, se perdant dans<br />
la poitrine de Betsy en caressant l’abdomen de cette<br />
dernière, puis sa main droite survolant ses cuisses avant son<br />
entrejambe. La jeune femme lui passait les mains sur la tête<br />
en gémissant.<br />
« -O yes ! Yes ! dit-elle <strong>com</strong>me si la beauté dont elle était<br />
affublée pouvait être une source de souffrance. Fuck me ! O<br />
Fuck me baby please ! »<br />
Hyacinthe Ange s’attardait sur le pubis tatoué d’une fleur<br />
bleue et rose et sans toison de Betsy Craven.<br />
« -Come on ! Viens ! Make me <strong>com</strong>e !» haletait-elle.<br />
Le jeune homme songeait un instant mettre un préservatif.<br />
« Si elle est <strong>com</strong>me cela avec tout le monde, je devrais peut<br />
être me protéger » pensait-il un instant. Mais la jeune<br />
femme qui avait entrepris de le caresser à son tour tenait<br />
déjà bien avec sa main gauche sa verge dure et en érection<br />
pour se pénétrer avec en râlant, lui suggérant une confiance
75<br />
parfaite. Hyacinthe Ange oublia le préservatif et il ne put<br />
s’empêcher de contempler la jeune icône. Il se penchait<br />
pour l’embrasser encore. Plus il s’affairait, plus ils avaient<br />
tous deux du plaisir. Betsy lui caressait les testicules puis<br />
passait sa propre main droite sur son clitoris. Le jeune<br />
homme sexuellement de plus en plus excité allait éjaculer.<br />
La vision de leurs deux corps en osmose copulatoire avait<br />
quelque chose d’extrêmement pornographique.<br />
« -Fais attention ! » lui dit-elle en sursaut pressentant une<br />
issue proche et probable.<br />
Au dernier moment de leurs ébats, Hyacinthe Ange se<br />
retirait galamment pour respecter son souhait et se répandit<br />
en inondant juste l’entrejambe de Betsy d’une giclée<br />
bouillante. Celle-ci, en soufflant, soupirait et lui souriait.<br />
« -French lovers are simply the best ! » dit-elle<br />
apparemment <strong>com</strong>blée.<br />
Comblé, Hyacinthe Ange l’était aussi. Il était 3h du matin.<br />
Tout avait été précipité. Il pensait que la vitesse de leur<br />
rapport avait exclu l’ennui que les femmes pouvaient<br />
connaître dans le domaine des relations physiques<br />
hétérosexuelles. Hyacinthe Ange regrettait juste que Betsy<br />
Craven n’eut pas connue d’orgasme elle aussi. Il s’en serait<br />
tout de suite rendu <strong>com</strong>pte. Cependant par amour propre, il<br />
était satisfait de savoir la jeune femme en bordure du plaisir<br />
ultime.<br />
Le portable du jeune homme se mettait à sonner. Il ne<br />
décrochait pas et attendait un instant de lire sur le <strong>com</strong>biné<br />
le numéro qui l’appelait. C’était Claire. Elle avait laissé un
76<br />
message, sans doute soucieuse depuis son départ.<br />
« -Qui était-ce ? demandait Betsy.<br />
-Une amie, repris d’une voix mâle accentuée Hyacinthe<br />
Ange un peu embarrassé et presque <strong>com</strong>ique, les cheveux<br />
décoiffés.<br />
-Ton petite amie, n’est-ce pas ? dit-elle curieuse et amusée<br />
de mettre soudain Hyacinthe Ange devant ses<br />
responsabilités.<br />
-Hum…Je l’ai laissé à la discothèque tout à<br />
l’heure…confessait le jeune homme jouant la dernière<br />
partie sous un couvert à moitié penaud.<br />
-…pour baiser avec moi ! ajoutait Betsy hilare et <strong>com</strong>plice.<br />
Allez, c’est entre nous chéri. Retournons dans ton club. De<br />
toute façon il faut que j’y sois aussi big boy ! »<br />
Ils se rhabillèrent tous les deux à vitesse grand V. Betsy,<br />
toujours belle aux yeux de son amant du soir, se dirigeait<br />
vers la petite salle de bain pour se repeigner tandis que le<br />
jeune homme s’aspergeait d’eau de toilette pour faire passer<br />
le parfum de la jeune femme avant de remettre sa chemise.<br />
Il refit son lit en secouant drap et couette avec méthode<br />
<strong>com</strong>me à l’époque où il était au pensionnat militaire. Puis il<br />
entrebâillait la fenêtre. Les deux amants affectaient un<br />
silence international pour pallier à toute forme<br />
d’in<strong>com</strong>plétude.<br />
« Betsy, Betsy, Betsy, Betsy ! » murmurait tout de même<br />
Hyacinthe Ange un peu dépassé par la situation. Son<br />
hypersensibilité était perceptible aux antennes de celle-ci.<br />
« -What’s happening my lovely gigolo ? reprenait-elle en
77<br />
riant encore, bonne nature, et toujours intriguée en serrant<br />
avec tendresse la taille de Hyacinthe Ange depuis le dos de<br />
ce dernier décidé à se passer un gant d’eau tiède entre les<br />
jambes avant de repartir. Nous sommes grands, des adultes,<br />
non ? »<br />
Ils s’embrassèrent une dernière fois en quittant la<br />
garçonnière, cloisonnant la porte de leur éphémère intimité.<br />
La circulation était très fluide. Ils furent de retour à la VO<br />
trente minutes plus tard. Hyacinthe Ange dut insister pour<br />
payer la course de retour. Ses principes avaient fini par<br />
reprendre le dessus.<br />
Dans la discothèque la voix suave d'Eiwob Patterson en<br />
scène étaient reprise en cœur par un parterre en délire. La<br />
jamsession était sur le point de s’achever dans des<br />
exclamations et des sifflements de contentement.<br />
« -Où étais-tu mon amour ? criait Claire à l’oreille de<br />
Hyacinthe Ange pour se faire entendre de celui-ci dans le<br />
brouhaha des décibels caractéristiques des Plastic Flag.<br />
J’allais partir ! Cela fait trois heures que je te cherche<br />
partout. As-tu reçu mon message ? J’étais inquiète.<br />
-Je te raconterai » dit-il macho et froid et sans détour pour la<br />
rassurer sans éveiller de soupçon et ne pas paraître toutefois<br />
au surplus trop mystérieux.
Londres, le 8 Juillet<br />
(moteur !)<br />
79<br />
Le rêve<br />
Elle est belle. Je l’aime.<br />
Sur le seuil de son appartement, sa double porte est entre<br />
ouverte.<br />
J’aperçois quelques personnes autour d’un canapé dans<br />
son salon.<br />
Je la convoite, je crois, malgré mes interdits et de toute<br />
évidence elle est l’hôte d’une soirée qui la gave.<br />
Suis-je cette nuit celui qui pourra l’en extraire pour notre<br />
plus grand plaisir ?<br />
Sa motion me glace <strong>com</strong>me au premier jour d’une<br />
invitation dérobée à dîner.<br />
J’ai du mal cependant à circonscrire les traits de son<br />
visage dans cette pénombre ponctuée par des lumières<br />
électroniques.
80<br />
Me parle-t-elle ?<br />
Une transaction marquerait l’éminence de spéculations me<br />
menant à l’élimination immédiate !<br />
Soudain elle émet le souhait que…<br />
« Baise-moi ! »<br />
Le docteur Maximilien Blo+°d ouvrit lucide, avec quelques<br />
regrets cependant, ses yeux de célibataire.<br />
Il était 7:32 ce matin là. Le médecin avait présent à l’esprit<br />
cette aventure vécue toute la nuit en rêve. Par soucis<br />
d’équilibre au réveil, il avait prêté à une femme fantôme les<br />
traits d’une libertine rousse à l’identique représentation<br />
d’une amie rencontrée à la faculté de médecine.<br />
« Il y a déjà de cela deux décades… » se dit-il en souriant.<br />
Invité plus tard à son mariage, elle avait effectivement<br />
enterré sa vie de jeune femme avec son condisciple dans la<br />
sacristie de l’église anglicane, lieu prétexte à trois<br />
cérémonies, deux étant pour le moins anticipées !<br />
Le docteur Blo+°d devint par la suite un psychiatre réputé<br />
en venant en aide aux éléments connus et souvent démunis<br />
du sexe faible. Hétérosexuel convaincu et également fort de<br />
ses connaissances pointues en gynécologie, cette homme de<br />
quarante deux ans s’était constitué une clientèle à laquelle il<br />
pouvait se permettre de concéder des honoraires libres,<br />
<strong>com</strong>pte tenu de l’affluence sur son divan, dans son cabinet<br />
situé en bordure d’Hyde Park, excentré dans la<br />
configuration de Londres. Il y pratiquait des séances
81<br />
thérapeutiques individuelles ou groupées.<br />
Le docteur Blo+°d résidait à l’année dans l’hôtel Westpoint<br />
dans le quartier de Paddington. La directrice de<br />
l’établissement lui facturait un forfait de location<br />
avantageux avec contrat d’engagement sur la suite 54. Dans<br />
la cité le psychiatre circulait avec un deux roues de 50cc<br />
d’une marque française. Ceci lui valait d’être une figure<br />
pour touristes dans la capitale britannique. En fin de<br />
semaine le praticien se laissait conduire dans une Mercédès<br />
limousine de couleur rouge pour la somme forfaitaire de<br />
£30, pilotée d’ordinaire par un chauffeur né à Pondichéry.<br />
Altruiste, Blo+°d, qui jouait sur la variété des traitements<br />
pour illuminer ses patients en espérant ainsi les guérir,<br />
embarquait gratuitement à ses côtés pour des promenades<br />
citadines des artistes dont la propension à l’agitation<br />
publique les avait généralement jeté dans la misère aux<br />
soins intensifs d’un établissement spécialisé, à l’adresse<br />
décalée, au Sud de la Tamise, un hôpital psychiatrique<br />
public tenu par un corps médical formé à l’école très stricte<br />
et puritaine irlando-américaine.<br />
Le médecin consignait ses rêves dans un petit carnet vert de<br />
confection chinoise.<br />
Son frukost avalé, un petit déjeuner suédois <strong>com</strong>posé de<br />
tartines de foi gras et de rondelles de fromage, le docteur<br />
Blo+°d tenta de se détendre. Il souffrait de rhumatismes et<br />
voulut s’assouplir. N’y parvenant pas sans médecine<br />
homéopathique légale pour atténuer ses maux, il décida par<br />
conséquent de s’administrer peros 0,5 milligramme d’un
82<br />
hachisch afghan pur acheté à Amsterdam un mois<br />
auparavant en <strong>com</strong>pagnie d’Eiwob Patterson. Le remède<br />
connu de la plupart des vétérans des actions militaires<br />
américaines en Iran n’avait pas survécu à la suspicion des<br />
autorités médicales durant la courte Guerre du Golfe ou<br />
plus tard au conflit en Irak. L’administration de défense du<br />
Commonwealth, sous peine de sanctions pénales, interdisait<br />
la consommation de cannabis. Aux Etats Unis les médecins<br />
militaires pratiquaient une prise de sang après chaque<br />
permission prolongée du soldat de l’U.S Army, selon le<br />
chanteur des Plastic Flag.<br />
« Des valeurs politiques » avait conclu Patterson.<br />
Maximilien Blo+°d ressentit malgré tout un mieux être<br />
instantané. Le médecin s’habilla méthodiquement avec son<br />
costume noir trois pièces et ses souliers Church à 12£. Et<br />
en ce samedi matin il décida pour rafraîchir sa coupe de<br />
cheveux, de se rendre en voiture chez son coiffeur favori de<br />
Soho.<br />
Devant la glace de H-air, son coiffeur, le médecin<br />
s’estimait toujours rescapé du rêve de sa nuit passée et,<br />
<strong>com</strong>pte tenu de ses propres et personnelles dispositions<br />
artistiques indéniables, il conclut que ceci pouvait être des<br />
illuminations d’une certaine façon.<br />
Les rayons d’un soleil caniculaire passaient au travers des<br />
nuages de pollution jusqu’au chic salon de soins capillaires<br />
où la radio allumée, tout le monde eut la confirmation du<br />
mouvement céleste par le bulletin météorologique émit par
83<br />
la BBC de la reine déprimée.<br />
Il était 16 : 00.<br />
Une pluie fine et un épais brouillard changeait donc le<br />
paysage architectural de Paddington vers lequel se dirigeait<br />
maintenant Blo+°d, seul à l’arrière de la limousine. Une<br />
manifestation pro musulmane ralentissait le trafic. De loin il<br />
était possible de percevoir la voix d’un animateur avec un<br />
porte voix s’exprimant en arabe.<br />
« Que de <strong>prince</strong>s ! » protesta le chauffeur donnant<br />
l’impression de perdre son temps. Dans l’automobile, le<br />
passager pouvait visionner des films de Bollywood, la<br />
traditionnelle marque des productions cinématographiques<br />
indiennes… Il opta en se réveillant de quelques secondes<br />
d’évasion mentale en flash back, pour l’holophonie de la<br />
haute fidélité du véhicule. Un morceau de musique brit pop<br />
rock et le texte correspondant l’interpellèrent. Maximilien<br />
Blo+°d reconnu la voix d’Eiwob Patterson, le style des<br />
Plastic Flag et leur titre Genital Excitment dont il avait la<br />
démo dans sa suite de lord.<br />
« -En somme l’époque est livré à l’hédonisme dans une<br />
extrême télévisualité… » ironisa le médecin sur son<br />
dictaphone de poche qu’il tenait allumé d’une main.<br />
Fin de lucidité.<br />
Le 9 Juillet<br />
Il ne sait <strong>com</strong>ment, le docteur Blo+°d à 10:00 le lendemain<br />
se réveillait dans son lit de la suite 54 lorsque le téléphone
84<br />
sonna : c’était la réception de l’hôtel. Le correspondant<br />
l’informa qu’alors endormi dans la Mercédès, une femme<br />
l’avait porté vers 2:30 jusque à la suite sans <strong>com</strong>muniquer<br />
son identité au concierge. Le psychiatre fut surpris. Puis<br />
dans une peur panique d’avoir éventuellement disjoncté il<br />
se leva puis se précipita vers son ordinateur sur lequel était<br />
bien posé son carnet chinois vert. Et à la dernière page il<br />
constata qu’il y avait un résumé rédigé avec une écriture qui<br />
ne semblait néanmoins pas être la sienne.<br />
Une main en poche Blo+°d découvrit un tube de somnifère<br />
vide dans sa robe de chambre. On frappa à la porte de la<br />
suite.<br />
« -Entrez ! » s’égosilla le locataire. Timidement le visage<br />
d’Eiwob Patterson apparut alors tout d’abord.<br />
-Ah c’est vous Eiwob ! reprit Maximilien Blo+°d rassuré, le<br />
visage néanmoins en sueur.<br />
-Hello doc’! Je ne vous dérange pas ? interrogeait Patterson<br />
rentrant en courbant l’échine.<br />
-Non, non. Je suis simplement occupé à savoir ce qui m’est<br />
arrivé hier en fin d’après midi.<br />
-Doc’, mon album est numéro un en cette fin de semaine !<br />
Je vais sans doute prendre la place des LoveBizzare ! confia<br />
l’interprète apparemment enthousiaste.<br />
-Extraordinaire ! Fantastique, ami faiseur de décibels ! » La<br />
fièvre de la nouvelle retombée le chanteur demandait<br />
humblement :<br />
« -Doc’, ça ne vous ennuierait pas de m’emmener à la<br />
soirée des Royal rockers ce soir, je vous prie ?
85<br />
-Je ne vous dis pas non « créature à vent », mais pas avant<br />
vingt trois heures car j’ai rendez-vous avec Sarah Howard<br />
à16h30.<br />
-Sarah Howard ?! » précisait soudain en exclamations<br />
Eiwob, bouleversé en s’écroulant dans un fauteuil. Depuis<br />
la salle de bain où il avait entreprit de se raser le docteur<br />
Blo+°d indiquait en poussant l’organe :<br />
« -Oui ! Elle souhaite me photographier <strong>com</strong>me figure<br />
originale de la City pour le <strong>com</strong>pte du mensuel e-meteor. »<br />
Mais lorsqu’il regagnait sa chambre sa lame à la main le<br />
visage à demi recouvert d’une mousse blanche, il n’y trouva<br />
plus Eiwob Patterson. La porte d’entrée de la suite était<br />
entre ouverte. Le médecin jeta un coup d’œil curieux au<br />
dehors mais le couloir célibataire était désespérément vide.<br />
Aucun signe de vie. Persuadé de vivre un mauvais<br />
psychodrame, il claqua l’ouverture d’accès 54 sans plus<br />
rien <strong>com</strong>prendre.<br />
TU FINIRAS BIEN PAR T’EVAPORER DANS<br />
L’OBSCURITE. DEMAIN AUX PREMIERES LUEURS<br />
DU JOUR, TON AME DE LUMIERE AURAS<br />
REINVESTI TON CORPS PARFAIT.<br />
Au même moment, à Paris, Hyacinthe Ange Clairon de<br />
Luciole fut également réveillé par le téléphone. Il s’était<br />
couché avec Claire Sayn sur les coups de 5h. Il décrochait.<br />
« -Allo ? marmonna-t-il dans un état second.
86<br />
-Hi ! Je te réveille chéri ? fit une voix sensuelle et<br />
manifestant un étonnant dynamisme.<br />
-A qui ai-je l’honneur ? Betsy ? » reprit Hyacinthe Ange<br />
affolé d’un seul coup en émergeant et soucieux en regardant<br />
Claire, nue, à côté, dans son lit, <strong>com</strong>me pour s’assurer que<br />
celle-ci qui se reposait, après qu’il eut honoré plus tôt, ne<br />
fut pas sortie de son sommeil et n’entendit rien. Puis le<br />
jeune homme plaçait sa main sur le <strong>com</strong>biné pour étouffer<br />
le son de sa voix.<br />
« -Yes, répondait l’interlocutrice. Tu dormais <strong>com</strong>me un<br />
bébé, huh ? Hooh, je voudrais tant que tu sois près de<br />
moi…poursuivait la jeune femme d’une voix suggérant des<br />
pensées romantiques.<br />
-Betsy, je ne peux pas parler, indiquait Hyacinthe Ange.<br />
-Ah ! soupira la voix. J’ai un avion à 14h, poursuivait-elle,<br />
un ton un peu désabusé. Je rentre aux Etats-Unis. Je<br />
t’attends au Plazza pour te dire au revoir. Tu viens ?<br />
-Je vais essayer. Dans une heure au patio ? Downstairs ?<br />
-O ok ! ».<br />
Le Soleil brillait dans un ciel azur dégagé. Hyacinthe Ange<br />
voyait pour une fois sa ville natale avec les yeux d’un<br />
touriste où lorsque le site livrait ses derniers secrets aux<br />
aspects estimait-il inavouables de sa situation. Le site lui<br />
paru merveilleux. Il en fut très fier en termes d’héritier de<br />
son histoire et de son appartenance géographique lui aussi.<br />
L’avenue Montaigne avec ses arbres en fleurs légèrement<br />
fouettés par un petit vent opaque et chaud, était une vitrine<br />
accessible. Le jeune homme était inspiré, envoûté par l’idée
87<br />
d’une existence paisible vécue encore quelques temps telle<br />
une expérience un peu recroquevillée dans un luxe familier<br />
au fond si il avait été à propos de croire ses aspirations<br />
également éthiques et esthétiques à la hauteur des<br />
splendides architectures du dehors et des intérieurs<br />
bourgeois. Hyacinthe Ange Clairon de Luciole eut soudain<br />
l’âme propriétaire.<br />
Au patio du Plazza Athénée, il attendait Betsy Craven en<br />
pensant à elle, à la nuit du 6 Juillet. Etait-il tout simplement<br />
tombé amoureux ? Le jeune homme était confus. Il avait<br />
l’impression de se trahir <strong>com</strong>me on renierait ses valeurs,<br />
son pays et l’étoffe de sa naissance. Il eut l’envie soudaine<br />
de partir sans dire au revoir ou adieu parce qu’il refusait ce<br />
mur impropre à la <strong>com</strong>munication uniforme des traditions<br />
nationales auxquelles il croyait, très attaché. Intérieurement,<br />
il s’impatientait subitement et refusait les travers de la jet<br />
set dont il était peut être après tout sans se considérer<br />
nécessairement plus ou moins important que d’autres dans<br />
un rapport de fortune. Ceci pouvait même le décevoir.<br />
Pourtant l’aventure avec Betsy Craven repassait dans son<br />
cerveau en fondues enchaînées <strong>com</strong>me dans un film. Le<br />
visage de la jeune femme s’était déjà pourtant un peu effacé<br />
dans sa mémoire. Hyacinthe Ange avait besoin d’être<br />
rassuré <strong>com</strong>me il aurait été en mission pour une cause<br />
supérieure. Il se demandait jusqu’où tout cela pouvait le<br />
mener avec à l’esprit l’idée primordiale que quoiqu’il<br />
entreprit, il y avait la défense nationale sur laquelle reposait<br />
toute son éducation.
88<br />
Il s'apprêtait à partir lorsqu'un serveur grassouillet et de<br />
petite taille, en livrée, le crâne rasé et incité à le faire<br />
consommer quelque chose, lui apportait donc la carte. Le<br />
jeune homme était assis à attendre sans en lire le contenu<br />
lorsque des mains un peu moites lui cachèrent brusquement<br />
la vue et ce qui était une bouche se posait sur sa tête pour<br />
l’embrasser.<br />
« -Betsy ! s’écria Hyacinthe Ange dans son <strong>com</strong>plet en tissu<br />
gris d’été sur sa chemise blanche à boutons de manchettes<br />
et ses mocassins noirs Weston bien cirés aux pieds.<br />
-Tu es très chic Yesceete ! » <strong>com</strong>plimentait effectivement<br />
Betsy avec un zest d’affection dans l’attitude, lorsqu’elle<br />
prit place face au jeune homme qui lui souriait en revenant<br />
de loin avec ses pensées capitales, elle-même fort bien<br />
vêtue avec un bustier en dentelle rouge, les épaules nues,<br />
une mini jupe blanche et des Repettos bleues marine. L’ex<br />
top model portait une paire de Vuarnet noires sur un visage<br />
sans maquillage. Une crème hydratante tout au plus sur son<br />
épiderme lice et bien portant.<br />
« Sortons vite de l’hôtel, s’empressait-elle de dire. Je ne<br />
souhaite pas que le groupe nous voit ensemble ici et je les<br />
précède. Ils devraient tous descendre bientôt de leurs<br />
chambres pour le breakfast. »<br />
Une confrontation eut été effectivement délicate à assumer.<br />
Hyacinthe Ange perdait sa bonne mine épanouie à peine<br />
retrouvée pour faire face à ce qui s’opposerait à la marche<br />
heureuse mais improbable des évènements.<br />
« -Comment as-tu trouvé mon numéro de téléphone Betsy ?
89<br />
» demandait-il se levant de table en quittant le palace en<br />
galante <strong>com</strong>pagnie. La jeune femme souriait lorsque le<br />
maître d’hôtel faisait grise mine.<br />
« - Par hasard, sur le dossier de la tournée d'Eiwob et des<br />
Plastic Flag. Tu ne m’avais pas dit que tu étais chauffeur…<br />
C’est toi que Don traitait de bastard à l’aéroport ? Tu<br />
devais nous attendre. Nous étions perdus avec tous nos<br />
bagages…Moi je m’en fiche mais si le tour operator savait<br />
qui tu étais, tu recevrais une bonne raclée mon petit gigolo !<br />
Who is this motherfucker ? I want to beat him ! disait-il …<br />
» précisa-t-elle plutôt détachée en riant, imitant ce qui<br />
devait correspondre à la grosse voix de son <strong>com</strong>patriote.<br />
Hyacinthe Ange serra les dents en se demandant bien quel<br />
gabarit pouvait avoir le tourneur en question car en terme<br />
d’effets de domination il ne sentait point la nécessité<br />
anticipée de brandir le pavillon d’une quelconque forme de<br />
retraite… Avant de sortir, Betsy Craven remis son pass de<br />
chambre au concierge et demandait qu’on lui réserve un<br />
taxi pour un transfert vers CDG à 12h45 précise. Devant le<br />
Plazza deux jeunes adolescentes demandèrent un<br />
autographe à Betsy Craven reconnue d’elles.<br />
« -Pouvez poser avec nous miss ? Pouvez prendre la photo<br />
monsieur ? » La mère de Girlie Flaggy flattée fit un V de la<br />
victoire sans grande originalité avec sa main droite, prenant<br />
les deux groupies dans ses bras en posant devant leur<br />
objectif manipulé par Hyacinthe Ange.<br />
« C’est la rançon de la gloire… » chuchotait un peu plus<br />
loin avec une dérision non feinte Betsy Craven au jeune
90<br />
homme amusé.<br />
« Allons prendre un café, je t’invite » lui dit-elle en lui<br />
prenant les doigts de la main qu’elle serrait fort en<br />
balançant les membres d’arrière en avant puis d’avant en<br />
arrière. Ils étaient bien tous les deux et ils le savaient.<br />
Sans avoir besoin de parler pour y croire, ils semblaient<br />
même vivre des moments heureux. Place de l’Alma, ils<br />
trouvèrent une terrasse à demi vide. Un homme bardé<br />
d’appareils photographiques avec un accent italien se mis<br />
devant eux et insistait auprès de Betsy pour faire un cliché<br />
lorsque le serveur lui ordonnait de déguerpir.<br />
«-ça ira! intervint la jeune femme pour faire tomber la<br />
pression.<br />
-Quelle bande de mouches à merde ! ruminait le serveur<br />
ambigu.<br />
-C’est souvent <strong>com</strong>me ça ? demandait Hyacinthe à Betsy<br />
avec le sentiment de n’être que très peu de chose<br />
subitement dans le contexte débridé et presque sauvage des<br />
tenants mécaniques qui faisaient la célébrité.<br />
-Ola oui baby ! répondit-elle. Surtout depuis le procès, tiou<br />
sais. Hier nous avons eu de la chance de passer incognito.<br />
Tu as été mon ange gardien… »<br />
La jeune femme posa sa tête sur l’épaule du jeune homme.<br />
« -Je ne sais rien de toi mon chou, dit-elle un peu<br />
mélancolique. Quel âge as-tu ? Es-tu chauffeur ou artiste ?<br />
Tu me disais…<br />
-Hum…well…» esquissait Hyacinthe affectant une<br />
expression harassée, avec l’accent américain viril et
91<br />
authentiquement du cru dont il se jouait toutefois,<br />
assurément vulgaire dans son réflexe <strong>com</strong>ique.<br />
« -Il n’y a pas de honte pour l’un ou pour l’autre. Tu peux<br />
tout me dire baby… » ajoutait-elle en se redressant.<br />
Hyacinthe Ange voulait ne point répondre et ne rien gâcher.<br />
Le Soleil de la fin de la mâtinée produisait des reflets<br />
<strong>com</strong>plaisants au visage de Betsy. La jeune femme bien faite<br />
était réellement séduisante. Avec Hyacinthe Ange et sa<br />
coupe de cheveux christique, ils formaient tous deux un très<br />
beau couple dans son improbabilité fondamentale. Il<br />
constatait qu’elle avait ôté sa chaînette au mollet.<br />
« -On se reverra un jour ? dit-il d’une voix sans illusion,<br />
coupant avec les questions de Betsy Craven qui lui<br />
paraissaient soudainement un peu <strong>com</strong>munes ou<br />
superficielles.<br />
-Viens aux Etats-Unis ! s’exclamait-elle touchante <strong>com</strong>me<br />
une trouvaille finale de battante heureuse sur un exercice de<br />
calcul, un peu puérile, et propre à devoir rendre des<br />
<strong>com</strong>ptes à ses parents. C’est un super pays ! Tu pourrais<br />
faire ta vie là bas ! Tout est plus grand en Amérique. Je<br />
pourrais m’occuper de toi. Tu aurais du succès. Tous les<br />
artistes habitent en Amérique !<br />
-A quoi faire ? Tu ne connais pas mes travaux, ma vocation.<br />
Ma place est ici Betsy.<br />
-No Yesceete ! Rien ne te retient. Tu n’as rien à perdre,<br />
persistait elle.<br />
-Tu te méprends Betsy. Tout refaire ? Je suis français et<br />
cela est aussi une chance tu sais. Il faut attendre une autre
92<br />
vie… Je ne suis pas un aventurier chérie.<br />
-Coward ! s’emportait elle déçue avec une certaine<br />
véhémence presque capricieuse puisque inattendue en<br />
supposant qu’elle fut aux bords des larmes. Tu es jeune ! Tu<br />
es esclave ici ! Ce n’est rien la France. Nous avons tout<br />
nous autres les américains. Nous sommes la nation des<br />
nations du monde ! L’Europe c’est vieux. Yesceete, viens<br />
chez moi à L.A., Paris c’est minuscule. A village ! Viens<br />
construire le futur ! Si tu avais un enfant américain, il<br />
pourrait devenir président des Etats-Unis, pas un numéro<br />
d’acteur x de plus chez des barbares… » dit-elle en ultime<br />
recours.<br />
Betsy Craven était convaincue de ce qu’elle avançait avec<br />
une arrogance qui froissait l’amour propre du patriote<br />
Hyacinthe Ange à écouter pour la première fois en direct de<br />
tels propos. Un rapport de force final était inéluctable. Pour<br />
le jeune homme, l’Amérique n’était qu’un marche pied, un<br />
champ exploratoire et expérimental où l’on devait faire<br />
fortune pour redorer son blason chez soi, sur sa base, en<br />
France. Sans plus. L’Amérique ne produisait que l’inflation<br />
de produits de consommation profane. Et si on le titillait sur<br />
ses valeurs nationalistes, Hyacinthe Ange pouvait se fâcher.<br />
Betsy Craven vendait un pays dont elle était très fière au<br />
dehors dont elle aurait critiqué les fondements plus tard, de<br />
retour en Californie. Chaque rose a ses épines… Elle ne<br />
pouvait point admettre que naître français correspondait à<br />
une chance plus inouïe encore que d’être numéro un<br />
ailleurs, éventuellement titulaire d’un passeport américain
93<br />
n’établissant souvent que le degré d’une <strong>com</strong>pétence<br />
professionnelle. Il n’y avait guère que d’incorruptibles<br />
ressortissantes <strong>com</strong>me Betsy Craven pour défendre par<br />
erzats la position des Etats-Unis, un pays neuf certes et par<br />
conséquent sans traditions séculaires justement <strong>com</strong>me la<br />
France éternelle fondée après Jésus Christ par son premier<br />
roi, Pharamond, France devenue plus tard une république à<br />
la romaine puisqu’adoubée fille aînée de l’Eglise par les<br />
successeurs de Saint Pierre. La jeune femme n’en avait<br />
jamais rien su. Hyacinthe Ange était au service de sa patrie<br />
<strong>com</strong>me tous ses <strong>com</strong>patriotes lucides et sur le point de<br />
remporter leur guerre de position sur le champ de bataille<br />
européen. Exilé, Hyacinthe Ange n’aurait pris ailleurs que<br />
ce qui était bon pour elle seule sans nourrir l’espoir de s’y<br />
faire même connaître ou reconnaître s’il y avait lieu. Le<br />
reste, il s’en fichait pas mal au même titre que la jeune<br />
femme ne conçût rien d’autre en dehors d’une virée sur<br />
Sunset boulevard. A force de rapprochement, un abîme<br />
antagoniste se creusait plutôt, paradoxalement, entre les<br />
deux points de vue. Aussi Hyacinthe Ange fut-il<br />
imperméable à ce qu’avançait Betsy en regrettant peut être<br />
trop tard leur aventure sentimentale sous le soupçon de se<br />
voir encore un peu plus agacé lorsque celle-ci faisait un<br />
amalgame national réducteur de son hexagone original et<br />
exclusif avec des états épars <strong>com</strong>me l’Amérique. Hyacinthe<br />
Ange aurait pu coller un pain ou une tarte pour moins que<br />
cela à un touriste remonté ou irrespectueux en demandant<br />
immédiatement réparation à son chef de file pour une telle
94<br />
arrogance ! Sur de son fait, il eut plutôt une oreille sourde et<br />
empreinte de pitié pour la jeune femme qui ne semblait<br />
même point connaître les origines criminelles aux yeux des<br />
aristocrates français justement des « institutions » de son<br />
propre pays. Leurs différences d’échelle et de milieu<br />
apparaissaient très nettement. Leurs différences de cultures<br />
aussi. Hyacinthe Ange concevait également les choses en<br />
termes de planète. Ces connaissances ou ses spéculations<br />
territoriales le lui permettaient. Mais dans une optique<br />
française, pour la France au sujet de laquelle il voyait les<br />
choses en grand, face à ses siècles d’histoire. L’Amérique<br />
était peut être devenue une arme incontournable, pourquoi<br />
pas, mais dans cette gamme de pouvoir c’était encore un<br />
outil susceptible de devenir obsolète, pas une entité assurée<br />
de sa force de persuasion culturelle, politique et religieuse,<br />
son passé fluctuant. Sans dignité, elle entretenait encore des<br />
foyers de guerre, des conflits d’intérêts armés aux contours<br />
mal définis qui influençaient ses envois crypto artistiques.<br />
Hyacinthe Ange Clairon de Luciole, s’il n’aspirait qu’à la<br />
quiétude d’une future paix, était pourtant naturellement<br />
acquis à la cause de la Sainte Résistance, <strong>com</strong>batif quant à<br />
déjouer des actions anti françaises par essence, prêt à se<br />
lever pour lutter. Politiquement, le reste ne le concernait<br />
pas. Aussi fut-il offusqué d’écouter Betsy Craven et son<br />
discours rebelle très officiel, ce que les américains ne<br />
tenaient en substance qu’à l’étranger. Il eut la répartie<br />
glaçante :<br />
« -Tu ne sais pas de quoi tu parles ! dit-il en invectivant
95<br />
Betsy Craven. Tu crois peut être que je ne suis rien Betsy,<br />
issu d’un pays soumis aux caprices de Washington D.C. ! Je<br />
suis sur que tu ne sais pas quels sont tes propres ancêtres,<br />
d’où ils peuvent bien venir. Tu ne te rends même pas<br />
<strong>com</strong>pte que nous avons décrypté tes propos depuis<br />
longtemps et dont tu ne maîtrises pas 50% des termes !<br />
Pourquoi crois-tu être là ? Je n’ai pas peur de le dire tu sais.<br />
Et tu te trompes. Tu n’es pas même rompue au plus<br />
élémentaire des protocoles ! Qui t’envoie ? Le premier<br />
secrétaire du P.C. chinois ? se moquait Hyacinthe Ange en<br />
ricanant, presque méchant. Tu me crois moins riche que toi<br />
? Je suis bien ici. Dieu ne se <strong>com</strong>pare point à un billet de<br />
1000 $ inconvertible chérie ! Tu me déçois beaucoup. Je ne<br />
suis pas un cheval à qui l’on donne une pomme pour avoir<br />
bien couru… Tes présidents retraités aux Emirats n’ont pas<br />
changé les temps des cours du pétrole eux ! » achevait-il de<br />
souligner sans haine particulière mais avec fermeté.<br />
Pourtant le visage de Betsy Craven était devenu petit à petit<br />
livide. La jeune femme restait muette, un peu secouée face<br />
à une telle réaction dont elle n’entendit pas tout le contenu.<br />
Sans doute avait elle soudain prit peur, confrontée aux<br />
avants goûts de la fameuse furia francese in situ après s’être<br />
éloignée si loin de son périmètre de « sécurité ».<br />
« Excusez-moi d’intervenir monsieur, fit un homme d’un<br />
certain âge, voisin de la table de Betsy et Hyacinthe Ange<br />
en baissant son numéro d'e-meteor. Je vous écoutais. Je suis<br />
tout à fait d’accord avec vous monsieur. En voilà assez<br />
mademoiselle ! Si vous préférez les Etats-Unis à notre pays,
96<br />
eh bien restez en Amérique ! De quel droit investissez vous<br />
la France sans visa quand pour nous rendre chez vous cela<br />
représente mille tracas ? Parce que vous avez un passeport<br />
américain ? Vous vous croyez supérieurs peut être ? J’ai<br />
connu l’occupation allemande il y a 70 ans. Les américains<br />
ne se sont montrés ici qu’à des fins de futures exploitations<br />
économiques. Ils n’ont pas inventé la notion de liberté ! Ils<br />
ont ruiné notre royaume au XVIIIe siècle dans une guerre<br />
d’indépendance fratricide, véritable gouffre financier ! Ils<br />
nous ont pillés en 1945, certains se sont fort mal <strong>com</strong>portés,<br />
ont assassiné, ont violé nos femmes. Ils ont institué un état<br />
policier, raciste et esclavagiste depuis leur première<br />
constitution. Si Paris ne vous plait pas, rentrez chez vous et<br />
laissez nous vivre ! Nous n’avons pas la même culture !<br />
Vous ne nous voulez alliés qu’à sens unique ! Dans votre<br />
intérêt. Nous n’avons pas besoin de vous ni de personne !<br />
L’Amérique produit du superficiel ! Que diriez-vous si je<br />
tenais vos propos à votre endroit dans un restaurant du<br />
Capitole, hein ? Que feriez-vous ? Ramenez donc cette<br />
petite à l’aéroport monsieur. Les « Barbares » pourraient<br />
bien la lyncher après tout ! Régler votre Œdipe avec les<br />
britanniques vous autres américains et laissez-nous<br />
tranquilles ! » concluait le vieil homme exaspéré à l’adresse<br />
de la jeune femme avant de replonger dans son journal.<br />
Betsy Craven cherchait frénétiquement un billet dans son<br />
sac à mains. Elle déposait 10€ sur la table à côté des tasses<br />
à café, se levait sans broncher et se mis à marcher à toute<br />
vitesse en direction du Plazza, abandonnant Hyacinthe
97<br />
Ange sur la terrasse sans lui souffler mot, celui-ci sous les<br />
yeux <strong>com</strong>plices et acquiesçant de sourires solidaires de ses<br />
voisins qui ne purent contenir l’expression de leur<br />
contentement approbateur.<br />
« Pas même capable de mourir pour un idéal ! » pestait<br />
encore le retraité.<br />
Hyacinthe Ange lu 12h45 sur sa montre.
99<br />
De Dulcinée à M.A.<br />
Levallois Perret, le 9 Juillet après midi<br />
« La mélancolie est le propre de l’incertain. »<br />
Dulcinée Mat s’en était allée.<br />
« Je prends mes distances ! annonça-t-elle dans une lettre à<br />
Sarah Howard alors très occupée à la rédaction d’un dossier<br />
de presse pour son agence. Un voyage dans une région<br />
ensoleillée me gardera des intempéries de Paris. Ne<br />
m’ac<strong>com</strong>pagne pas à l’aéroport, je prendrai un taxi. »<br />
Puis plus rien !<br />
Sarah se retrouvait seule, à rédiger ses articles. Pourquoi ce<br />
départ soudain sans préavis ? L’absence de Dulcinée<br />
affectait Sarah qui en vint intuitivement dans cette situation<br />
solitaire à avoir la personne de sa mère à l’esprit. Quoique<br />
l’évocation inattendue de celle-ci la surpris, cela eut pour<br />
effet de la rassurer.
100<br />
« Dans l’immensité cosmique tu es ma seule interlocutrice.<br />
» lui adressa-t-elle en pensée. Et ne se faisant aucune<br />
illusion quant à une restauration de son histoire avec<br />
Dulcinée, elle-même très maternelle, elle décidait de ranger<br />
ce que son ex avait abandonné un peu partout dans leur<br />
appartement, journaux périodiques ou sous vêtements.<br />
Elle se souvint que sa mère répondant au nom souriant<br />
d’M.A. lui avait donné cette habitude de se lever tous les<br />
jours à 7:30 <strong>com</strong>me elle le faisait invariablement depuis 94<br />
ans, son coucher ayant lieu immanquablement à minuit<br />
quinze. Avant de se retirer pour un meilleur et approprié<br />
confort naturel à la campagne, M.A. avait vécu dans les<br />
murs démodés d’un espace locatif excentrée par rapport à<br />
l’épicentre de la sphère francilienne. Le lieu avait été repris<br />
officiellement auprès de la société propriétaire par Sarah, sa<br />
fille, l’ayant modifié, en ôtant des cloisons de murs non<br />
porteurs selon le principe classique du loft, intérieur adapté à<br />
son usage personnel.<br />
« La Terre tourne tant et tant de fois » se fit-elle <strong>com</strong>me<br />
réflexion. Elle n’en finissait + de s’affairer dans<br />
l’appartement, aussi consciencieuse et appliquée dans cet<br />
effort d’apparences qu’M.A. sa mère, cette tâche à l’allure<br />
familiale ne précisant que Dulcinée Mat n’avait été<br />
finalement qu’une <strong>com</strong>pagne, rien de plus, dont elle tenait à<br />
effacer le passage. Sarah, en s’activant dans ce sens, tentait<br />
du moins de s’en persuader. Dulcinée avait été <strong>com</strong>me une<br />
sorte de cas social cependant, tel que M.A. elle-même fut<br />
amené à en rencontrer.
101<br />
Propulsée en effet dans la vie active par son voisin de<br />
pallier, accessoirement de confession israélite et résidant<br />
<strong>com</strong>me elle à l’époque rue de Villiers à Levallois-Perret,<br />
M.A. avait consacré toute sa vie à l’Education nationale.<br />
Son frère, cadet de la famille pensait pour des raisons<br />
éthiques qu’elle ne travaillerait jamais, ce, en fonction des<br />
codes de conduite séculaires respectés par les membres du<br />
milieu social dont étaient issus leurs parents. Ainsi une<br />
jeune femme dite « de bonne famille », prépare son<br />
trousseau à la fin de l’adolescence et ses études de premier<br />
cycle, rassemble donc ses affaires et en effectue la liste, se<br />
laisse re<strong>com</strong>mander pour un rallye organisant des soirées<br />
protégées (éventuellement dansantes) où elle est conviée,<br />
avant de recevoir à son tour ceux qui font parti du même<br />
sérail. Elle peut s’acoquiner avec un ou deux prétendants au<br />
pedigree matériel suffisamment solide quant à ses<br />
aspirations intellectuelles mais également pourvoir<br />
essentiellement, en se mariant, à l’établissement d’une<br />
cellule de moyens répondant aux critères sélectionnés par<br />
les tendances du groupe d’agrément. Elle fonde un foyer et<br />
éduque ses enfants dans le même esprit, et s’accorde<br />
d’avoir à long terme « un violon d’Ingres » utile et de bon<br />
ton. Sa vie doit s’arrêter là. Elle doit en tirer les éléments de<br />
son épanouissement. M.A. au tempérament femme Poisson<br />
avait bien mené sa scolarité et obtenu son baccalauréat sans<br />
difficultés lorsque par la suite ses études de droit entamées,<br />
elle désirait, en ce début des années 1960, être simplement
102<br />
une femme parfaitement indépendante. Ce, tandis que<br />
l’émancipation du sexe féminin de l’époque, défendue plus<br />
tard par Sarah dans les colonnes du journal qui l’employait,<br />
devait passer par l’expérience salariée. Une surenchère au<br />
droit de vote des femmes françaises établit en 1946 et une<br />
réaction légitime, volontaire et attendue aux institutions<br />
masculines que des êtres socialement armées du pouvoir de<br />
reproduction, alors en motion évolutive, mais ayant tout<br />
conçu en dehors des zones de front, tentaient de gagner par<br />
la liberté de penser en devenant les seules parentes de leur<br />
futures filles.<br />
M.A. allait dans le sens de cet engagement. Sa mère M.C.,<br />
veuve d’un ingénieur chimiste capitaine dans l’armée<br />
française durant la Seconde Guerre mondiale, s’était<br />
remariée à un ancien aviateur, veuf lui aussi et propriétaire<br />
d’un garage rue Lauriston dans le 16e arrondissement de<br />
Paris. Mais la situation familiale était incertaine. Etudiante,<br />
toujours installé chez ses parents rue de Villiers, M.A. se<br />
souvint en se confiant à Sarah, qu’à la suite de son départ<br />
forcé pour son mariage, son frère aîné, employé un temps<br />
chez Renault <strong>com</strong>me simple ouvrier afin, croyait-il, de faire<br />
vivre sa famille, aurait raté son certificat d’études depuis<br />
l’école catholique privée dont il était l’élève <strong>com</strong>me<br />
Hyacinthe Ange le fut aussi trente ans plus tard. Son cadet,<br />
le frère d'M.A., plus chanceux que lui dans ses études,<br />
aurait réussi son baccalauréat à seize ans intégrant par la<br />
suite l’Institut des Sciences politiques de Paris. Ceci l’avait<br />
amené à prendre une chambre de bonne au septième étage
103<br />
de l’immeuble afin de pouvoir étudier dans le calme. A<br />
l’identique de Cendrillon du conte de Charles Perrault,<br />
M.A. au quatrième était affairée dans ses temps libres à<br />
l’entretien de l’appartement depuis que la domestique<br />
d’M.C., qui volait la famille, avait été licenciée. Ainsi les<br />
courses, la vaisselle et le ménage n’avaient rien d’autre aux<br />
yeux de ses frères et de sa jeune sœur que l’aspect d’une<br />
mise à l’épreuve pour une jeune bourgeoise bientôt casée.<br />
Ils n’en doutaient point ! Nicole, sa voisine du dessus,<br />
<strong>com</strong>plice et condisciple, l’ac<strong>com</strong>pagnait volontiers,<br />
souvent, aux galeries Lafayette, magasin situé sur les<br />
grands boulevards entre la gare Saint Lazare et L’opéra<br />
Garnier, afin d’acheter le produit que les économies<br />
permettaient. Et puis le général De Gaulle, le chef de l’Etat,<br />
revenu de sa torpeur, changeait les institutions de la France<br />
en profondeur, avec une avance discutable certes sur<br />
d’autres appréciations, mais obtenait des majorités de<br />
votants. Aussi à Sainte Marie de Neuilly où M.A. avait été<br />
l’élève quelques années, ou à la faculté de droit Paris 2 de<br />
l’époque, des étudiants de tout l’Empire étaient incorporés.<br />
M.A. y rencontre donc Ibrahim Sory Howard né en Guinée.<br />
C’est le coup de foudre sur une impression intime à deux<br />
futurs amants quand les yeux verts d’M.A. se sont<br />
confondus à l’iris bleu ciel du charismatique regard<br />
d’Ibrahim Sory qui se posa sur elle en toute et prioritaire<br />
importance, entamant une mille milliardième histoire<br />
d’amour dont bientôt naquit Sarah, leur fille.
104<br />
Celle-ci avait fini par se <strong>com</strong>plaire seule dans son<br />
appartement. Dulcinée, son idée fixe obligée de la journée,<br />
n’avait pas fait mention d’une adresse dans sa lettre. Sarah<br />
fut soudainement saisi d’un vague à l’âme, en inhalant le<br />
parfum encore odorant de Dulcinée, fixé sur les draps du lit<br />
à deux places, sur lequel la rédactrice s’était allongée. Son<br />
équilibre ne se fissurait pas. Toujours posée, elle se serait<br />
adressée au docteur Maximilien Blo+°d, par exemple, dans<br />
le cas d’un passage à vide dangereux. Celui-ci aurait pu<br />
prendre le problème à la base et le résoudre de suite. Dans<br />
son diagnostic, le médecin aurait pris en <strong>com</strong>pte la<br />
suractivité de Sarah ajoutée au manque affectif qui avait<br />
investit la jeune femme, du au récent départ de Dulcinée<br />
Mat, elle qui hantait le lieu, même absente. Un capharnaüm<br />
mémoriel en avait résulté.<br />
Un verre de Bourbon sans glace à la main, Sarah tentait<br />
donc d’égayer ce début de soirée tristement amorcé. L’idée<br />
lui vint d’établir lucidement un bilan de ses dernier mois,<br />
<strong>com</strong>me le suggérerait une séance de thérapie. Elle estima<br />
cette période marquée par sa frivolité et qualifiée sous le<br />
titre, écrit dans ses notes, de « frénésie effective appliquée<br />
autour de l’étiquette sexuelle ». Son whisky presque<br />
totalement avalé, la jeune femme chercha un instant à être<br />
habitée par la chaleur de l’alcool. Elle se laissait pénétrer<br />
par les degrés de grand âge du breuvage. Cela devait faire<br />
office de remontant et lui donner l’assurance dont elle avait<br />
besoin dans la froideur du cinquième étage de l’immeuble<br />
où elle résidait. Mais en tentant de le poser à terre, son verre
105<br />
lui échappa des mains, tombait et se brisait sur le parquet et<br />
Sarah, dans un élan pour éviter le pire, se coupait au pied en<br />
marchant sur un éclat. Sans broncher, elle ouvrit alors sa<br />
table de nuit afin d’y saisir une lingette hygiénique en guise<br />
de tissu afin, pensa-t-elle, de stopper l’hémorragie s’étant<br />
presque immédiatement amorcée. Ses yeux se posèrent pile<br />
sur un cendrier où quelques mégots flirtaient avec un bâton<br />
de rouge à lèvres carié couleur carmin presque à bout de<br />
cylindre. « Une dissimulation grossière de quelque un<br />
prétendant par ailleurs avoir cessé de fumer… » établit<br />
Sarah pressée de stopper le flux de sang. Cela lui rappela<br />
ses périodes et au jour de ses premières règles survenues,<br />
soudain, en plein cours de biologie à Sainte Marie de<br />
Neuilly, cet établissement privé dont la demi pension était<br />
facturée à M.A. sa mère. Résolue à souffrir<br />
momentanément et estomper plus rapidement ses maux,<br />
Sarah, après avoir renoncé à la lingette, optait pour<br />
l’utilisation d’une partie de son drap. Mais il était imbibé<br />
d’alcool. Alors dans l’espace du bar de son loft, elle fit<br />
couler de l’eau froide puis elle plaça son pied blessé sous le<br />
jet du robinet. Le contact avec l’eau glacée la fit frissonner.<br />
Le sang coulait toujours cependant et ne coagulait pas.<br />
Sarah finit par retirer son extrémité inférieure de l’ouvrage<br />
inopérant du liquide sur la plaie. Elle songea désormais à<br />
coller un morceau de chatterton sur la partie ouverte en<br />
petite dimension. Au contact de l’air sur le point de la<br />
blessure, il lui semblait être sensible à une sorte de vent<br />
froid et des picotements de même. Elle risquait la
106<br />
septicémie mais voulait résister à la douleur qu’elle<br />
considérait <strong>com</strong>me un désagrément passager. La rédactrice<br />
marquait d’une traînée d’hémoglobine le parquet jusqu’à<br />
son bureau où l’adhésif convoité faisait défaut cette soirée<br />
là !<br />
Son horloge électronique sonna 20 : 30. La lumière de la<br />
ville laissait apparaître les gouttes d’une pluie fine au<br />
dehors. Ceci fut de nature à renforcer subitement son<br />
sentiment d’insécurité, seule et légèrement blessée au pied.<br />
Du linge de sa machine à laver, elle extirpait finalement une<br />
socquette de tennis, blanche et propre, dont la provenance<br />
ne l’interpellait pas sur le moment. Elle l’enfilait. La<br />
chaussette ne tarda pas à être tâchée à l’avant. Néanmoins<br />
au bout de quelques minutes le sang avait cessé de se<br />
répandre. Cette dernière solution pour la blessure ne lui ôta<br />
pas sa nervosité. Elle cherchait à présent une cigarette pour<br />
retrouver son calme. La chambre exigeait un peu de<br />
rangement de manière à ce que le lieu puisse redevenir sain.<br />
Au préalable, curieuse, Sarah tentait de retirer le tissu de<br />
son doigt de pied pour constater les dégâts : la plaie<br />
coagulée collant avec le coton de la socquette, la chose fut<br />
rendue difficile. Mais elle pouvait apercevoir de l’extérieure<br />
une tâche de cinq centimètres de diamètre aux couleurs<br />
d’un kaléidoscope de rouge cramoisi.<br />
Un moteur puissant laissait filtrer des pas depuis la rue<br />
sombre. Puis Sarah perçut un cri qui ne la surprit pas pour<br />
l’effrayer.<br />
« Sans doute les petits jeunes de l’épicerie du coin » se
107<br />
dit-elle. Le silence exigé par le couvre-feu, ne l’empêchait<br />
pas de passer rapidement l’aspirateur rangé d’ordinaire avec<br />
d’autres ustensiles électro ménager dans un cagibi. Les bris<br />
de verre furent engloutis facilement dans le sac à poussière<br />
de l’appareil puis elle changea ses draps, vidait le cendrier<br />
et se resservit un dernier verre de Bourbon pour conjurer le<br />
sort, à nouveau allongée sur son lit devant son écran de<br />
télévision. Ce, avant de s’assoupir lorsqu’elle fut réveillée<br />
par un appel téléphonique sans avoir le sentiment de s’être<br />
véritablement endormie, glacée au fond de son lit, son pied<br />
meurtri et convalescent. Le répondeur se mit en marche,<br />
Sarah filtrant souvent avant de se décider ou pas à répondre.<br />
A la suite de l’annonce d’accueil, elle reconnu la voix de<br />
Dulcinée Mat.<br />
"- C’est moi ! Je suis à Londres. Il pleut. Je suis folle d’être<br />
partie. Tu vas me haïr mon amour : oui, j’ai couché avec<br />
Maximilien, mais c’est parce que je t’aime ma chérie,<br />
<strong>com</strong>me une dingue ! Je rentre demain si tu veux encore de<br />
moi. Repose-toi. Je t’embrasse." CLIC.<br />
Sarah Howard ne décrocha pas le <strong>com</strong>biné, se rendormit<br />
fâchée.<br />
Plus tard, sur sa literie, dans un profond sommeil, elle était<br />
bercée par le silence d’un confinement apaisant. Méditative,<br />
sa voix en une onde neutre, décrivait avec une grande<br />
précision des images, des visuels dans son cerveau actif, ce,<br />
avec l’emploi d’un mode de <strong>com</strong>munication perceptible à<br />
son entendement.<br />
-L’ennemi est partout, entendait-elle d’elle-même, invisible
108<br />
et métallique avec ses leurres fantomatiques remontant les<br />
tripes des céphalothorax d’apprentis guerriers lors de leur<br />
baptême du feu, novices perdus, paumés et finalement très<br />
vite dépassés, sensibles à un mal à l’aise du à un vide<br />
soudain et inconfortable et, annonce du trépas à venir, de<br />
la mort, son vent glacé au rythme d’un dernier effroi. Les<br />
vaincus n’auront pas eu le temps ni la grâce pour abjurer<br />
leur foi lorsque à la suite d’une passe d’arme inattendue,<br />
les invisibles vainqueurs en secret établiraient le détail de<br />
l’anéantissement se devant d’être total afin d’asseoir leur<br />
domination durable au plus long terme. Seule aurait<br />
survécue la croyance en la victoire, feu prisé car immortel<br />
et toujours disputé. Mais la guerre ne se pense pas. En<br />
nourrissant des paradoxes, elle se fera jusqu’au bout sous<br />
la dictée de l’improvisation. Les hauts faits sont des<br />
imprévus. C’est ainsi aussi que la nature des belligérants<br />
d’hier n’a rien de <strong>com</strong>mun avec les créatures actuellement<br />
présentes, en état permanent de précarité, eux-mêmes face<br />
aux forces futures, mutants en motions de véhémence<br />
extrême laissant appréhender l’avenir sous l’aspect d’une<br />
colonisation de la planète selon son angle premier fashion.<br />
L’évolution de l’Homme s’en trouve donc bousculée,<br />
forcée. Les numéros un se succèdent, immolés, sacrifiés,<br />
sans l’aménagement d’un répit avec des amertumes<br />
chimériques. Le matricide est <strong>com</strong>mis par des pères morts<br />
nés dont gangrener les organes des génitrices apparaît<br />
<strong>com</strong>me l’unique et dévastatrice fonction. Le degré de<br />
technologie rend scientifiquement impossible une évocation
109<br />
quelconque à l’improbable aspect champêtre des premiers<br />
temps…<br />
…Le 10 Juillet…<br />
(au réveil) dans l’ultime clarté d’un nouveau jour disposant<br />
Sarah à ouvrir les yeux et se reconnecter au réel dans la<br />
représentation d’un Soleil furtif au milieu d’un ciel<br />
désespéramment gris et cafardeux. Livrée à elle-même, elle<br />
estima avoir tout rêvé bien sur avec la rupture du réveil et<br />
elle n’avait pas <strong>com</strong>plètement tort. Inconsciemment elle<br />
avait cependant initié une situation nouvelle. Elle serait à<br />
jamais marquée par le produit édifiant de son imagination, à<br />
l’application des tenants desquels un changement était donc<br />
survenu. Il en va ainsi des prières lorsque, tentant de s’en<br />
rapprocher, il est question de déchiffrer les envois du<br />
Créateur, Son fait, Ses miracles apparaissant généralement<br />
sous un aspect surnaturel.<br />
Un court instant, toujours dans son lit, elle eut un regard de<br />
diptère, auscultant scrupuleusement <strong>com</strong>me un coléoptère<br />
ce qui se trouvait autour d’elle telle une bonne raison d’aller<br />
de l’avant. Le spectacle inédit de son appartement lui paru<br />
affligeant !<br />
"-Il faudrait tout repeindre ici !" se dit-elle.<br />
La fantaisie du vainqueur réside bien en sa coquetterie<br />
d’estimer son éventuel talon d’Achille. Ainsi Sarah, très<br />
seule désormais, eut un sentiment de tristesse vague mais<br />
éphémère. Isolée elle en vint donc à envisager son propre
110<br />
trépas. Elle estima un instant que seul son suicide la<br />
laisserait jusqu’au bout maîtresse de son destin. Elle<br />
déprimait. Les termes de son autodestruction, après son<br />
rapport de force avec le monde, la guerre alors, étaient<br />
toutefois un peu flous, ce, à la suite d’une heureuse<br />
offensive, tous azimuts, lui permettant de reprendre<br />
confiance en elle. Sarah semblait jouer sa vie avec une<br />
étonnante décontraction, <strong>com</strong>me à la roulette russe…<br />
Responsable et consciente de son propre état, à ses yeux sa<br />
véritable richesse, elle tenait naturellement à en disposer<br />
librement, quoique il puisse arriver, considérant malgré tout<br />
monstrueux -Sarah s’estimait en effet coupable d’une<br />
pensée criminelle- les abîmes de son âme. Elle se résignait<br />
à formuler des idées morbides, mais il s’agissait de survivre<br />
en toute sécurité et sans pertes. Elle était bien devenue un<br />
vampire, une créature qui devait se nourrir du sang de ses<br />
victimes, de leur moelle… Rêvait-elle encore ? Il fallait<br />
bien une raison de vivre. Son credo un peu trouble laissait<br />
la place à une métamorphose physiologique qui devint<br />
soudain offensif avec le reste du monde pour victime. Le<br />
radio réveil se déclenchait lorsque 11 : 30 s’affichait.<br />
L’attention de la jeune femme fut interpellée par des voix<br />
familières dans une émission qui semblait être politique,<br />
diffusée par la station de Météorites Productions sur<br />
laquelle avait préalablement été fixée la fréquence sur le<br />
radio réveil : Sarah, surprise de les entendre en les<br />
supposant à Paris dans les studios du média émetteur,<br />
reconnu le timbre de voix de Michel Mishima ainsi que
111<br />
celui du docteur Maximilien Blo+°d <strong>com</strong>me principaux<br />
intervenants. MM disait :<br />
« (…)La réponse à cette interrogation -Quelle est la<br />
question ? se demandait Sarah- aboutira naturellement à<br />
une autre question : se peut-il qu’il existe une opposition<br />
?-Ah ! s’exclamait Sarah soudainement à l’écoute- Mais<br />
qu’est-ce donc que l’opposition ? De quels facteurs<br />
humains et matériels serait-elle l’objet et pourquoi ? Son<br />
fait, s’il y avait lieu, émane-t-il du pouvoir lui-même ? Ce<br />
dernier aurait-il laissé se définir une certaine catégorie de<br />
sujets à caution, sans voix, <strong>com</strong>me s’en répondant pour<br />
mieux les manipuler ou tout bonnement les émasculer ? Il<br />
semble qu’il ait toute la latitude nécessaire pour cela mais<br />
il faudrait pour s’en convaincre, estimer et <strong>com</strong>prendre le<br />
pourquoi du rapport pouvoir/opposition, que l’on ait au<br />
sommet, en plus d’une conception pratique de la<br />
discrimination alors inversée, une bonne maîtrise de<br />
gouvernement et cela impliquerait pour ainsi dire à sa<br />
constitution d’avoir bien été conçue de la cuisse de Jupiter.<br />
Tout <strong>com</strong>me il conviendrait de savoir quelle sorte<br />
d’individus, d’hommes, de femmes voire d’adolescents<br />
seraient les <strong>com</strong>posants de l’opposition pour qu’au mieux,<br />
dans le jeu de la manipulation du aux quotas établis par le<br />
pouvoir lui-même en somme, il se puisse que ceux-ci aient<br />
effectivement émis dans le sens circonscrit d’une idéologie<br />
précisant une appartenance soulignée.<br />
-Votre avis docteur Blo+°d ? enchaînait l’animateur.<br />
-Oui, il faut ajouter que dans le schéma cartésien, reprit
112<br />
Blo+°d, l’opposition ne serait qu’une antithèse, le résultat<br />
d’une pensée unique envers de laquelle des éléments se<br />
seraient laissés aller à la contradiction systématique<br />
automatique et réflexe envers le pouvoir, constituant une<br />
surenchère maladroite. L’essence de l’idéologie, s’il y avait<br />
lieu, correspondant à l’issue de la réflexion du pouvoir sur<br />
ce point, aurait sonné le glas de l’opposition avec le<br />
principe de la synthèse. La démarche d’opposition fut-elle<br />
simplement progressiste n’aurait été en définitive dans<br />
l’Histoire qu’une utopie passagère et n’aurait rien modifié<br />
dans le fond par conséquent. Aussi une partie de la<br />
population circonscrite par les agents du pouvoir, ne<br />
formerait sans le savoir qu’un inconscient collectif de<br />
nature velléitaire, en sursis et vivant son immersion dans<br />
l’opprobre, sans esprit illuminé et donc pas plus libre ou<br />
autonome qu’un animal domestique dans la société, avant<br />
une sorte de sacrifice par conséquent.<br />
-Absolument! Ceci est tout à fait juste, ajoutait Mishima.<br />
Pire, pour les malheureux, en auraient-ils eu conscience,<br />
qui auraient cru à un changement possible, qui auraient<br />
écouté, souscrit ou manifesté sous la bannière de la<br />
contestation, auraient revendiqué plus de libertés<br />
furent-elles infimes et plutôt accessoires en imaginant<br />
crédible en terme de souhait rêvé le rapport d’un système<br />
vécu de technologies et oppression, lorsque se serait fondée<br />
la résistance, en sa mutation pourtant périlleuse<br />
d’oppression et révolution, ceci aurait été contre eux le<br />
déploiement d’une vague terrible réprimant le mouvement.
113<br />
C’est là que se serait inventée l’opposition puis<br />
immédiatement après la théorie propre de sa disparition<br />
idéologique mais également organique. En effet, justement<br />
du à l’antithèse n’étant rien d’autre qu’une image renvoyée<br />
par le miroir, <strong>com</strong>ment le pouvoir pourrait-il renoncer à<br />
lui-même gratuitement et sciemment ? Ce serait une<br />
situation aberrante ! La contradiction du pouvoir sur<br />
lui-même n’est pas liée à un phénomène d’autodestruction<br />
dans la mesure où le fonctionnement lui garantit de toute<br />
façon une unanimité dans le corps social. L’opposition est<br />
constituée de ce que le pouvoir place le cas échéant au<br />
rebut, en ses positions extrêmes. Et provenant de lui, il ne<br />
s’agit alors plus d’opposition. Ce serait un trou noir dont<br />
son autorité ressortirait indemne. Situation fortuite infligée<br />
à la toute puissance, l’éventualité du changement serait en<br />
parallèle de l’effondrement du système dans son ensemble<br />
essentiel, ce qui est inimaginable, malgré des concepts<br />
avancés mais humains, eurent-ils été à priori échafaudés<br />
sur des certitudes des plus démontrables et apparemment<br />
pleines de bon sens. Rien ne tient en effet envers la nature et<br />
les convictions bien pensantes du regard originel, rituel et<br />
protocolaire de l’Homme à Dieu tel que se le figurent et le<br />
pratiquent uniformément toutes les sociétés qui savent ce<br />
qu’elles représentent pour le Créateur, sans ethnocentrisme<br />
religieux, consommant ou éliminant en son nom à Ses pieds<br />
sur un infrastructurel modèle identique.<br />
- Je rappelle à nos auditeurs, poursuivit le journaliste<br />
animateur inconnu de Sarah, pour ceux qui auraient pris
114<br />
l’émission en cours, que j’avais invité à l’occasion de la<br />
publication de son dernier ouvrage Pur Hollywoodism/Une<br />
Vie En Parallèle, un pamphlet éthique à l’endroit des<br />
<strong>com</strong>merçants de l’Art sous l’angle d’une analyse de la<br />
réalité de la contestation, le philosophe des sciences,<br />
journaliste et écrivain Michel Mishima qui s’exprime<br />
librement par liaison satellite depuis Londres dans un débat<br />
contradictoire avec le célèbre psychiatre des people<br />
artistes, le docteur Maximilien Blo+°d, lui aussi dans la<br />
capitale britannique, sur le thème « Peut-on manifester une<br />
opposition ? ». Merci messieurs, alors un autre aspect… »<br />
CLIC<br />
Ayant capté ce qu’elle voulait entendre, Sarah Howard<br />
venait d’éteindre le poste renonçant à explorer davantage<br />
l’argumentaire du débat. Elle avait pourtant tâché d’écouter<br />
de son mieux et le plus attentivement possible les propos de<br />
Mishima. La victoire télépathique, en quelque sorte, de la<br />
journaliste, la nuit précédente, n’avait pas pris de court le<br />
penseur en arguments semblaient-ils démiurges, <strong>com</strong>pte<br />
tenu de la rapidité et la fluidité d’un exposé subtile ayant un<br />
sens immédiat dans la position récente de Sarah. Celle-ci en<br />
était convaincu en se fixant nerveuse devant l’évidence de<br />
la situation. Rien ne demeurait <strong>com</strong>plètement acquis au<br />
fond. Elle ressentait un malaise pratique qui l’empêchait<br />
d’agir promptement et prendre le train en marche, les<br />
évènements semblant la dépasser quelque peu. Elle était en<br />
décalage spacio temporel. L’interphone vidéo de<br />
l’appartement sonnait.
115<br />
« Qui cela peut-il être ? Je n’attends personne… »<br />
pensait-elle en se dirigeant nue après avoir quitté son lit<br />
vers la porte d’entrée pour obtenir une réponse. Juste avant<br />
d’atteindre l’écran contrôle qui s’était allumé, le signal<br />
d’appel de la ssssonnerie de son téléphone portable<br />
retent-t-t-t-t-tit ! Sarah fut prise de cours entre le choix de<br />
savoir qui avait sonné à l’entrée de l’immeuble cinq étages<br />
plus bas ou répondre à l’appel téléphonique. C’est ce<br />
dernier qui eut la priorité. Elle prit le <strong>com</strong>biné qui se<br />
trouvait à droite sur le bar du loft.<br />
« Oui allo, dit-elle, Sarah Howard, veuillez patienter un<br />
instant. »<br />
L’interphone renouvela un appel encore, un peu plus<br />
longuement. On manifestait apparemment de l’impatience.<br />
Arrivé devant l’écran contrôle, Sarah, le portable dans une<br />
main, aperçut Dulcinée Mat attendant devant l’entrée de<br />
son immeuble. Sarah ne savait que faire et fut embarrassée<br />
dans un moment tenant d’un dilemme. Son sens développé<br />
de l’hospitalité fut flattée d’avoir une visite mais il<br />
s’agissait seulement de Dulcinée… Elle tenta durant<br />
quelques secondes d’évaluer très justement la situation.<br />
Allait-elle ouvrir ? Que souhaitait-elle vraiment ? Etait-ce le<br />
temps venu du pardon et les retrouvailles avec son ex<br />
<strong>com</strong>pagne ou devait-elle faire preuve de fermeté et plutôt la<br />
chasser ? Au fond celle-ci ne devait pas savoir s’il y avait<br />
quelqu’un dans l’appartement à cette heure-ci et de toute<br />
façon elle n’était pas forcément bienvenue après son<br />
escapade.
116<br />
L’approche de Sarah à l’égard de la jeune femme avait<br />
changé. Avait-elle encore pour elle de bons sentiments ?<br />
Dulcinée en effet s’était rendue coupable de trahison et<br />
Sarah était malheureusement rancunière et elle affecta de<br />
l’indifférence presque immédiatement… Consciente que<br />
l’interlocuteur au téléphone pouvait ne pas avoir attendu,<br />
Sarah se mis à l’écoute sur son oreille gauche tout en ne<br />
perdant pas de vue l’image sur l’écran contrôle.<br />
"- Oui, allo excusez-moi, merci d’avoir patienté, dit-elle.<br />
(Silence). Allo ! Allo ! Qui est à l’appareil ? Répondez ! Je<br />
vais raccrocher…" menaçait la journaliste. L’émission de<br />
Météorites Productions passait en direct et en continu dans<br />
l’écouteur de Sarah Howard puis fut soudainement<br />
interrompue par le son générique marquant la fin de la<br />
<strong>com</strong>munication lorsque dans le même temps apparut de dos<br />
un homme aux côtés de Dulcinée Mat sur l’écran. Cette<br />
silhouette caractéristique était connue de Sarah. Il se<br />
retourna vers la caméra de contrôle. Après un bref moment<br />
d’hésitation, il fut clair que Sarah l’eut identifié : c’était<br />
Michel Mishima. Dans un moment d’effroi, elle se<br />
détournait de l’écran en serrant le téléphone portable le bras<br />
sur le ventre au dessous de sa poitrine. Qu’est-ce que tout<br />
cela pouvait signifier ? Sarah eut le sentiment à ce moment<br />
précis que quelqu’un ou quelque chose <strong>com</strong>mençait à<br />
s’acharner sur elle dans son intimité.<br />
Elle se sentait mise à l’épreuve. Essayait-on de la piéger<br />
dans ce qui devait être sa vie privée ? Et pourquoi ? Tout se<br />
bousculait et le temps passait si vite.
117<br />
« Ma mère ! » paniquait-elle. La jeune femme fut soudain<br />
désireuse d’entendre sa voix. Un bref instant elle songeait<br />
que peut-être il lui était arrivé quelque chose de grave,<br />
d’affreux ! Sarah fébrile en <strong>com</strong>posant machinalement son<br />
numéro de téléphone imaginait brusquement l’irrémédiable,<br />
le pire, craignant que l’on vint lui annoncer une mauvaise<br />
nouvelle. L’idée lui donna la chair de poule. Oui, mais<br />
alors, lorsqu’elle se reprit, <strong>com</strong>ment expliquer la présence<br />
de Mishima ? Sarah annula la <strong>com</strong>munication. MM ne<br />
connaissait pas M.A. pas plus que Dulcinée d’ailleurs qui<br />
ne l’avait jamais rencontré puisque Sarah ne les lui avait<br />
jamais présentés. M.A. du reste ne savait rien ou presque<br />
des aventures sentimentales de sa fille et ignorait la nature<br />
de ses préférences sexuelles par exemple. Ce cas de figure<br />
ne se pouvait donc pas. La ssssonn-n-n-n-nerie retentit à<br />
nouveau de manière semblait-il plus longue et languissante<br />
que précédemment. Résolue, Sarah se décidait à ne pas<br />
répondre en laissant libre l’interprétation du silence vidéo.<br />
Elle se trouvait néanmoins des justifications crédibles<br />
<strong>com</strong>me on chercherait un alibi le cas échéant et elle s’en<br />
trouvait puis décidait d’entamer, loin des gêneurs,<br />
dignement, ce qui devait être sa nouvelle existence qu’il<br />
convenait de gérer de la meilleure façon,<br />
psychologiquement, physiquement et matériellement la<br />
force que lui conférait ses récents atouts, ses pouvoirs,<br />
malgré les dangers d’une introversion trop marquée. Ainsi<br />
cela lui parut à propos : table rase du passé simple. Tout<br />
d’abord
118<br />
1/ elle omettrait pour de bon de répondre au téléphone ou<br />
éviterait de se mettre en connexion sur son ordinateur par<br />
exemple. Puis après avoir pris ces résolutions pratiques<br />
immédiates,<br />
2/ Sarah résolut de se faire lifter, subir une intervention de<br />
chirurgie esthétique aux points des traits du visage, du nez<br />
et ainsi que l’abdomen, ce, au plus tôt. Sa mâchoire serait<br />
également restructurée. Elle serait méconnaissable par<br />
conséquent. La jeune femme prit pour se faire rendez-vous<br />
par internet avec le secrétariat du cabinet d’un médecin<br />
dont la clinique était installée à Berkeley en Californie du<br />
Nord après une hésitation pour un praticien de Miami en<br />
Floride. Une affaire d’honoraires l’avait décidé. Puis elle<br />
achetait sur le web un billet d’avion, le vol prévu le 14<br />
Juillet.<br />
3/ Ensuite elle se décida à effectuer quelques exercices<br />
d’assouplissements acquis autrefois de l’enseignement d’un<br />
professeur de gymnastique dont elle avait respecté<br />
l’expérience et conservé la méthode.<br />
4/ Enfin, soit avec exactitude quarante cinq minutes plus<br />
tard, elle effaça le message de Dulcinée Mat sur sa<br />
messagerie téléphonique avant de se rendre dans sa salle de<br />
bain afin de prendre une douche.<br />
Les appels en provenance du rez-de-chaussée avaient cessé<br />
depuis longtemps. Elle <strong>com</strong>prit à ce moment là qu’elle<br />
devait provoquer une certaine et curieuse appréhension.<br />
Ceci bouleversait sa vie qui s’engageait pour de bon sur un<br />
tronçon parallèle après une révolution solitaire dont elle
119<br />
était la seule maîtresse pour que sa propagation élargisse le<br />
domaine du nombre des initiés.<br />
Dans le miroir de sa chambre à coucher, elle aperçut un<br />
reflet rouge vif dans ses yeux.<br />
« coupez! »<br />
Le 10 au soir<br />
Le portable de Hyacinthe Ange lui indiquait qu’il venait de<br />
recevoir un appel. Il était 20h30 et il dînait avec elle chez<br />
les parents de Claire Sayn. C’était monsieur Sacha. Il<br />
employait un ton paternel :<br />
« J’ai parlé au manager des Plastic Flag, disait ce dernier<br />
dans son message, je leur ai expliqué que j’employais<br />
souvent des étudiants et que vos examens avaient lieu le<br />
jour de leur arrivée. J’espère que cela se sera bien passé à<br />
l’université mais prévenez-moi une autre fois, précisait-il<br />
d’un ton piteux. Le groupe est toujours à Paris. Ils ont<br />
oublié le problème de l’aéroport et je passe moi-même sur<br />
votre bévue. J’ai des clients japonais ces jours-ci et tous les<br />
chauffeurs sont occupés sauf vous à priori. Voulez vous<br />
reprendre la mission avec les américains ? Appelez-moi<br />
rapidement Hyacinthe.».<br />
Le jeune homme ne pensait plus à ce qui était arrivé. Il
120<br />
voulait même tout ignorer, ne plus s’en souvenir. Il avait<br />
rompu avec cette agence de voitures avec chauffeurs. La<br />
situation présentée par Sacha Livy <strong>com</strong>portait un parti pris<br />
qui lui semblait orienté et plutôt versatile sous la forme<br />
apparente d’une certaine <strong>com</strong>préhension très personnelle de<br />
la situation. Cela déplaisait au jeune homme qui fut même<br />
étonné de recevoir un coup de fil de celui qu’il considérait<br />
désormais <strong>com</strong>me son ex employeur de fait, loin d’avoir le<br />
sentiment au surplus d’avoir <strong>com</strong>mis une faute<br />
professionnelle grave qui eut été contre son camp et dont il<br />
avait honoré les intérêts avec beaucoup de maîtrise et de<br />
contrôle. Le jeune homme ne cèderait pas. Pas question de<br />
rempiler. Gavé, il était pourtant libre jusqu’aux résultats des<br />
examens. Il s’apprêtait à s’activer dédouané de<br />
responsabilités dans ce cas de figure qui se représentait à<br />
nouveau à lui. Être tel à demi en vacances officiellement<br />
permettait au jeune homme de se concentrer sur ses envois<br />
artistiques. Hyacinthe Ange aurait pu dès lors avec ce coup<br />
de téléphone mal venu s’estimer la cible d’une escroquerie<br />
avérée. Lui, issue d’une famille vieille France, inspiré par<br />
des valeurs chevaleresques, donc sans ambiguïté<br />
particulière le cas échéant avec un principe de droit de<br />
cuissage, sur une américaine de passage et son groupe de<br />
dévergondés rustres et canaille en l’occurrence, il devait<br />
assurer ses arrières idéologiques en quelque sorte. Il<br />
s’acheminait quelques jours vers un isolationnisme<br />
politique et économique <strong>com</strong>me pratiqué outre Atlantique,<br />
entre une soumission matérielle fut-elle imposée <strong>com</strong>me un
121<br />
diktat dans des relations entre l’Amérique et les<br />
ressortissants d’états badgés d’elle <strong>com</strong>me vassaux et<br />
l’affairisme sans scrupules du propriétaire du garage de<br />
voitures avec chauffeurs. Le jeune homme ne souhaitait pas<br />
tout mélanger afin de conserver son esprit clair et son parti<br />
pris appliqué à ses intérêts en cours. Si Hyacinthe Ange<br />
n’avait pas d’appuis, il n’y aurait plus sa chère nécessité à<br />
arborer quelque chose de fier propre par exemple à faire<br />
ravaler à ces troubadours leur assurance sans gêne si<br />
ceux-ci insistaient encore.<br />
« Comment ces types peuvent-ils malgré tout mobiliser des<br />
foules dans mon propre pays avec des propos aussi persiflés<br />
de marketing et de ringardise diplomatique, pensa-t-il de<br />
retour seul chez lui. Avons-nous perdu notre identité dans<br />
de telles proportions ? » Le jeune homme à fleur de peau<br />
après s’être roulé une fusée n’avait cependant pas le<br />
sentiment d’être plus paranoïaque ou schizophrène que<br />
d’habitude, plus psychotique qu’à l’ordinaire lorsque il<br />
aurait eu des raisons de noter pour lui-même quelques<br />
manifestations caractéristiques de ce type, quelques<br />
déviances typiques. Le cannabis le rendait plus sensible et<br />
d’un plaisir il faisait, ressentait-il pleinement serein, un<br />
rythme de travail qui lui donnait du baume au cœur, le<br />
métamorphosait en un être plutôt calme et néanmoins<br />
productif.
122
Le 11 Juillet, dans la mâtinée,<br />
123<br />
Le Deal<br />
« Tu es un beau salaud ! criait en pleurant au téléphone<br />
Claire Sayn à l’adresse de Hyacinthe Ange. Que faisais-tu<br />
dans un café avec cette Betsy Craven ? Je me sens trahie,<br />
ridicule !<br />
-Que se passe-t-il Claire chérie ? répondait le jeune homme<br />
en croyant faire un cauchemar et se demandant ce qui<br />
pouvait bien justifier concrètement une telle débauche de<br />
sentiments sans saisir les imbrications de relations tout<br />
d’abord.<br />
-Tu fais la une d’une de ces saloperie people en photo avec<br />
cette pétasse ! Toi, mon fiancé ! L’homme que j’aimais ! Je<br />
ne veux plus jamais te revoir ou entendre parler de toi ! »<br />
concluait la <strong>com</strong>munication de la jeune femme qui
124<br />
raccrochait avec fracas.<br />
Le jeune homme abasourdis décidait immédiatement de se<br />
rendre dans un kiosque à journaux pour juger en l’espèce.<br />
Avant de descendre de son studio il prit un peu de monnaie.<br />
« Qu’est-ce donc encore que tout ceci ? » se dit-il en<br />
chemin. Devant son immeuble, la concierge en le voyant le<br />
saluait avec maints égards, elle qui d’ordinaire ne se<br />
<strong>com</strong>portaient ainsi qu’en Décembre en prévision des<br />
étrennes de Janvier. Sur le trajet, Hacynthe Ange croisait les<br />
regards d’un groupe de jeunes travailleurs salariés qui<br />
prenaient leur pause cigarette de 10h. A son approche, on<br />
lui fit des sourires <strong>com</strong>plices. Hyacinthe Ange qui tenait à<br />
demeurer aussi discret que possible pour lui-même s’en<br />
détournait. Arrivé à destination, il fut nez à nez au point<br />
presse avec une affiche de promotion de l’hebdomadaire Jet<br />
Star. Celui-ci reprenait à la une un cliché de paparazzi pris<br />
au téléobjectif où le jeune homme apparaissait bien, main<br />
dans la main avec Betsy Craven sur la terrasse du café du<br />
pont de l’Alma où ils se trouvaient tous deux le 7 et titrait :<br />
« Exclusif ! L’ex top model en idylle à Paris avec son<br />
nouveau <strong>com</strong>pagnon. », et sous titré « Exit Eiwob<br />
Patterson ! Betsy Craven, l’égérie des Plastic Flag, nage<br />
dans le bonheur ». Hyacinthe Ange dans son rôle de faire<br />
valoir était tout à fait reconnaissable sur la photographie. Le<br />
jeune homme au look typique, chic et détonnant, fut tout<br />
d’abord extrêmement surpris d’apparaître sur un tabloïde.<br />
Sur la couverture il était indiqué « voir page 8 ». Le jeune<br />
homme saisit un exemplaire de la revue sur une pile haute,
125<br />
regardait machinalement le prix de l’organe people puis<br />
s’offrait une copie avant de rentrer chez lui. En chemin il<br />
feuilletait le contenu de Jet Star. Les dites pages qui étaient<br />
consacrées à la jeune femme reprenaient en séquences leur<br />
dernière et malheureuse entrevue et mettaient l’accent sur<br />
ce qui semblait être entre eux une romance estivale en<br />
milieu urbain. Sur chaque cliché ils étaient tous deux très<br />
rapprochés, intimes. La part rédactionnelle du reportage<br />
effectué à leur insu était succincte. Le nom de Hyacinthe<br />
Ange n’apparaissait pas. Betsy Craven demeurait la<br />
« vedette ». Les photographies étaient signées par un certain<br />
Arturo Toscanini mais le reportage par Sarah Howard.<br />
Hyacinthe Ange en se remémorant la mâtinée du jour<br />
d’avant se souvenait effectivement de l’homme aux<br />
objectifs et à l’accent italien qui avait sollicité Betsy pour<br />
une prise de vue avant de mettre le serveur du café en<br />
colère. Il en concluait que les clichés étaient les siens.<br />
Remonté chez lui, le jeune homme consultait placidement<br />
le site web de Jet Star. Les photographies y étaient<br />
également répertoriées.<br />
« Bon sang ! » s’écriait-il cette fois. La stupeur du fait<br />
ac<strong>com</strong>pli avait fait place dans un second temps à un certain<br />
embarras. Hyacinthe Ange songeait à appeler Claire pour<br />
tout lui expliquer. Mais il réalisait qu’il n’y avait rien à dire.<br />
Le jeune homme en fut soudainement fort ennuyé. Passer<br />
pour un play boy ne le dérangeait point, mais il craignait<br />
pour sa vie privée. Il s’interrogeait sur son point de vue à<br />
lui <strong>com</strong>me on fabriquerait un bon alibi. Cette situation ne
126<br />
<strong>com</strong>portait pas que des choses négatives à condition bien<br />
sur de pouvoir en tirer parti, ne point laisser des étrangers à<br />
sa relation avec la jeune américaine s’enrichir sur leurs dos<br />
sans rien dire. Hyacinthe Ange eut l’idée de demander des<br />
dommages et intérêts à la rédaction de Jet Star. Il avait déjà<br />
eu vent d’arrangements dans des cas similaires au sien.<br />
« Je vais sortir de l’ombre » se dit-il résolu à agir<br />
promptement et un peu machiavélique finalement lorsque<br />
son téléphone sonnait à nouveau. C’était monsieur Clairon<br />
de Luciole père. Ce dernier avait vu la couverture du<br />
journal et avait tout de suite reconnu son fils. Il jubilait sans<br />
se formaliser du fait qu’il risquait de perdre une future belle<br />
fille en la personne de Claire Sayn, si il ne l’avait pas déjà<br />
définitivement perdu.<br />
« Tu peux très largement tirer parti de tout ceci, dit-il à son<br />
fils. Fait un arrangement avec Jet Star mon garçon.<br />
Contacte la rédaction et négocie. Qu’ils te payent ! Sinon tu<br />
peux leur faire un procès. Dis que tu as des relations. Tu vas<br />
toucher le jack pot Hyacinthe ! Tu pourrais également<br />
monnayer ton histoire avec d’autres journaux du même<br />
acabit. Si tu as besoin de conseils, appelle-moi.»<br />
concluait-il en voyant <strong>com</strong>ment il pourrait in fine payer les<br />
frais de toiture de sa résidence secondaire en Bourgogne.<br />
Toutefois Hyacinthe Ange en était toujours à se chercher un<br />
mobil valable afin de ne pas être débordé, mettre ses idées<br />
en avant et ne pas trop impliquer d’autres personnes. Il<br />
attendait que la principale intéressée se manifeste.<br />
Avait-elle des échos de la presse française à Bel Air ?
127<br />
La sonnerie du portable retentit encore. Cette fois Luc<br />
Piedmontel cherchait à joindre le jeune homme.<br />
« Alors, dit-il, amoureux ? Tout Paris parle de vous ! Tu<br />
succèdes à Yves Montand dans le cœur des petites<br />
américaines !…». Hyacinthe Ange était gêné.<br />
« Tu me réserves l’exclusivité du récit de ta rencontre et ta<br />
relation avec Betsy Craven j’espère cher ami, n’est-ce pas ?<br />
Je vais proposer un article à Gloire & Fortune là dessus. Ce<br />
serait un scoop ! Je peux demander une somme d’argent<br />
substantielle Nous partagerons les émoluments en retour.<br />
D’accord ? Mais il faudrait que l’on se voit. Il ne faut pas<br />
tarder. » Hyacinthe Ange trouvait fort bon d’être sollicité. Il<br />
donnait son aval pour le papier.<br />
« Au fait, au départ, <strong>com</strong>ment l’as-tu capté ? interrogeait un<br />
peu intrigué le secrétaire de cabinet/rédacteur en chef.<br />
-Nous nous sommes rencontré à la VO il y a …quatre jours<br />
! confiait toujours crédule le jeune homme.<br />
-Quand devriez-vous vous revoir ? demandait Piedmontel<br />
intéressé. Il faudrait exécuter une photographie officielle<br />
pour illustrer mon texte.<br />
-Betsy est en Californie ces jours-ci, précisait Hyacinthe<br />
Ange en bluffant, sans savoir s’il la reverrait un jour à<br />
priori. Je dois lui en parler, avançait-il tout de même dans<br />
sa position momentanément bien placée.<br />
-Cette aventure va te booster ! C’est un bon coup de pub,<br />
reprenait Luc Piedmontel revenu à l’essentiel. Tout le<br />
monde y trouve son <strong>com</strong>pte. Inclus les cocus… Il serait bon
128<br />
de faire passer certains des concepts qui nous réunissent<br />
déjà. Tu pourrais en endosser les habits symboliques. C’est<br />
le moment ou jamais ! Cette situation est bel et bien une<br />
ouverture. Il convient d’en prendre consciemment la mesure<br />
cher Hyacinthe. »<br />
Le soir, le moral du jeune homme était au beau fixe. Ceci<br />
était perceptible dans l’usage qu’il avait fait des couleurs<br />
dans sa dernière toile. Il avait représenté un paysage<br />
imaginaire dans des tons de pigments vifs et éclatants. A<br />
l’instigation de son directeur artistique et avec la promesse<br />
que Hyacinthe Ange ne poursuivrait pas en justice le<br />
magazine, la rédaction de Jet Star lui avait proposé en<br />
<strong>com</strong>promis financier une enveloppe non déclarée de<br />
quelques dizaines de milliers d’euros cash. Hyacinthe<br />
Ange, qui avait accepté et empoché au siège du journal<br />
après une courte négociation, était donc à l’abri du besoin<br />
pendant plusieurs mois, son loyer payé d’avance, sans se<br />
serrer la ceinture. Il avait décidé par ailleurs d’acquérir un<br />
deux roues 125cc et profité du véhicule en ces mois d’été<br />
dont la température s’annonçait élevée. Le jeune homme<br />
avait passé <strong>com</strong>mande d’un scooter. Un peu plus tard il<br />
était ressorti de chez lui pour s’acheter des vêtements neufs<br />
et du matériel graphique. Puis il s’était rendu dans le centre<br />
de Paris et il avait présenté un petit catalogue de ses<br />
dernières œuvres au gérant d’une galerie de tableaux en<br />
vogue située rue de Seine. Sa participation aux frais avait<br />
séduit puis convaincu le gérant du lieu de louer ses murs un<br />
mois pour octobre suivant afin de produire une première
129<br />
exposition digne de ce nom et sous la propre appellation<br />
titulaire du jeune homme. Il ne restait plus à Hyacinthe<br />
Ange que de contacter Betsy Craven même si ceci n’était<br />
pas nécessaire et dont il n’avait pas le numéro de ligne<br />
directe. Le jeune homme avait décliné l’invitation à dîner<br />
de ses parents persuadé qu’il reviendrait les poches vides en<br />
acceptant, prétextant pour se faire d’un emploi du temps<br />
chargé. Puis il avait finalement tenté de joindre Claire qui<br />
ne répondait pas. Afin de retrouver les bras de Morphée<br />
cette fois, Hyacinthe Ange Clairon de Luciole avait fumé<br />
un dernier joint et s’apprêtait à faire de beaux rêves.<br />
La saison aurait été inoubliable en effet, si sa concierge ne<br />
l’avait pas retrouvé sans vie dans son studio une semaine<br />
plus tard. Le jeune homme avait été vidé de son sang<br />
constatait le médecin légiste dépêché sur place.<br />
L’hypothèse du meurtre fut la plus évidente. Il y avait des<br />
points de morsures au cou, son visage avait été fracassé<br />
puis mutilé sur son mur décrivant des traces d’une lutte<br />
épouvantable et de l’hémoglobine avait giclé. Le lieu était<br />
sans dessous dessus. Apparemment le jeune homme avait<br />
eu affaire à plus fort que lui. Ses voisins de pallier furent<br />
interrogés un par un, mais ils n’avaient rien entendu d’un<br />
probable vacarme, aperçu personne…Son corps ou ce qu’il<br />
en restait fut emporté à la morgue pour y être autopsié puis<br />
la police sella la porte d’entrée du studio. Un <strong>com</strong>missaire<br />
au nom prédestiné nommé Lefouineur fut chargé de mener<br />
une enquête sur cette mort subite et troublante, et sans
130<br />
antécédent surtout. Il n’avait pas de mobile pour cet<br />
assassinat. Des voix supérieure de la préfecture de Paris lui<br />
intimèrent néanmoins le souhait de voir surgir une<br />
explication crédible et un ou des coupables. L’officier<br />
publique se mit en chasse dès le lendemain. De retour dans<br />
le studio, il tenta méthodiquement de reconstituer les<br />
derniers jours de Hyacinthe Ange. Il fut aidé en cela par<br />
deux stagiaires de la police scientifique. On préleva des<br />
indices sur le lieu du crime. Rien ne concordait. Ce n’était<br />
pas pour lui voler son argent, une liasse de billet traînait sur<br />
son bureau. Convoquée au <strong>com</strong>missariat, la famille de<br />
Hyacinthe Ange, en la personne de son père choqué, des<br />
proches <strong>com</strong>me Claire Sayn <strong>com</strong>motionnée par<br />
l’évènement, aucuns ne permettait de trouver une piste. Ce<br />
n’était pas même un crime passionnel. Lefouineur se rendit<br />
à l’agence de presse Jet Star pour un <strong>com</strong>plément d’enquête<br />
dont il revint bredouille. Il tentait un fax à Interpol pour en<br />
savoir plus sur Betsy Craven. Le service de police<br />
international lui signalait que cette dernière était en tournée<br />
avec les Plastic Flag. Une audition était impossible. Le<br />
<strong>com</strong>missaire français <strong>com</strong>prit juste par les services<br />
conjoints de douanes et les agents d’Aéroport de Paris que<br />
les dates d’entrées et de sorties du territoire national du<br />
mannequin ne pouvait point faire d’elle une éventuelle<br />
suspecte. Rien, Lefouineur n’avait rien. Aucun indice.<br />
L’affaire fut par conséquent classée sans suite. Le corps de<br />
Hyacinthe Ange fut rendu à sa famille pour être inhumé.<br />
Betsy Craven ne sut jamais rien de son décès.
Août 2010<br />
131<br />
« Guerre bien menée ne lasse point de tout dominer »<br />
Proverbe d’Astrée<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> était un personnage de taille mannequin.<br />
Ceinture orange de full contact à 44 ans, Il mesurait un<br />
mètre soixante dix huit supportant un poids lourd variable,<br />
de 78 à 80/81 kilogrammes, entre deux sessions dans une<br />
salle de maintien corporel située dans l’Ouest de Paris. Les<br />
activités sportives y étaient diverses. Sa pratique théorique<br />
et physique de la boxe américaine, avec un ex champion<br />
de France <strong>com</strong>me entraineur, lui avait pris du temps et de<br />
l’argent. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> avait gagné en assurance bien<br />
sur, se sculptant au passage ce que serait une ligne de<br />
taille parfaite, le haut du corps en V depuis le bas de<br />
l’abdomen jusqu’aux épaules et aux trapèzes, ajoutant à<br />
son charme charismatique vu de profil et également sous
132<br />
un angle facial. On lui trouvait une ressemblance avec les<br />
musiciens américains contemporains pas moins majeurs<br />
que Jimi Hendrix ou Prince, des rictus séduisants en plus.<br />
S’il devait toujours se forcer pour se rendre dans son club<br />
de sport, il en ressortait en principe satisfait, ses efforts<br />
motivés fallait-il le croire par son instinct de conservation<br />
extrême. Il pratiquait son parcours santé en l’assimilant à<br />
la motion même d’un gladiateur post moderne. La session<br />
terminée, il ne s’attardait pas pour éviter la promiscuité<br />
dans le vestiaire du <strong>com</strong>plexe sportif un peu insalubre côté<br />
hommes. En quelques années de fréquentation, il n’était<br />
resté qu’une fois ou deux quelques minutes dans la<br />
chaleur du sauna auquel il avait également accès. Une fois<br />
de retour chez lui, il prenait un moment afin de se<br />
doucher. Le terme de sa toilette était un moment exquis à<br />
la suite d’exercices préalables. Jouissif même. Il se sentait<br />
en pleine forme. Le miroir de sa salle de bain reflétait son<br />
sourire satisfait avec les deux rangées d’ivoire claire de<br />
ses dents blanches bien brossées. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />
ressentait un bien-être certain, s’estimait suffisamment<br />
rayonnant pour se montrer à découvert sans le moindre<br />
<strong>com</strong>plexe. Il acceptait son corps bientôt enveloppé de<br />
vêtements propres et éclatants, lorsqu’il s’improvisait<br />
styliste de mode pour une carapace sur mesure. Mais
133<br />
avant de se vêtir, il appréciait s’allonger quelques minutes,<br />
nu sur son lit à deux places. « C’est le repos du guerrier »<br />
se disait-il, sa verge généralement en érection lorsque lui<br />
venait des envies à contenter, à assouvir de façon à<br />
demeurer dans des conditions physiques parfaites et<br />
prometteuses. Jamais mieux servit que par lui-même, il<br />
apaisait sa zone érogène en l’honorant de ses propres<br />
fantasmes d’hétérosexuel hormonal et philosophique,<br />
chose qui était facile, due à sa forme athlétique dans le<br />
rapport simple d’une pornographie hygiénique et pratique.<br />
Une relation sexuelle entreprise à deux lui paraissait, en<br />
bon maniaque, une sorte de relation impure, malpropre et<br />
contraignante, ce, en <strong>com</strong>portant souvent au surplus les<br />
termes incontournables in fine d’une affaire de moyens,<br />
plutôt d’argent en l’occurrence, incontournable et,<br />
surtout, onéreuse lorsqu’attachée au cadre d’une<br />
éventuelle concordance orgasmique. Un recours à la<br />
prostitution en somme puisqu’esprit puissant, il payait<br />
toujours le prix fort, au même titre qu’il ne souhaitait pas<br />
perdre son temps en boniments dans ses envois extérieurs.<br />
Lui seul, son traitement correspondait depuis longtemps à<br />
une intimité préservée, la base de sa bonne santé ou de sa<br />
bonne humeur. Il en était convaincu en tout cas à l’abord<br />
métaphysique des Femmes, ses chères et, semblaient-elles
134<br />
parfois, perfides ennemis. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> eut toujours<br />
pitié en regard décalé à cette forme d’imposture et de<br />
mensonges au sein de couples, susceptibles de casser à<br />
tout moment. « Les histoires d’amour finissent mal en<br />
général » chantait-on à raison, le filtre sentimental,<br />
<strong>com</strong>plice et original, une fois perdu.<br />
Excepté ses quarante longueurs de 25 mètres chaque<br />
dimanche matin dans la piscine flambant neuve de son<br />
quartier, l’homme n’avait pas, malgré tout, renouvelé son<br />
abonnement au club de sport depuis 2 ans. Il ne faisait<br />
tout au plus que quelques mouvements de renforcement<br />
abdominal, de temps à autre, ou bien des exercices<br />
d’assouplissements appris de son ex coach. Mais il n’avait<br />
pas cessé de fumer alternativement cigares, cigarettes ou<br />
cannabis, mâchouillait du chewing gum menthol en<br />
permanence et sortait depuis quelques mois avec une<br />
jeune femme de sept ans sa cadette, célibataire et sans<br />
enfant. Toutefois <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> ne consommait pas une<br />
goutte d’alcool. Son avant dernière aventure avec une<br />
mère de famille de 55 ans avait été catastrophique. Cette<br />
<strong>com</strong>pagne au caractère suffisant et aux manières un peu<br />
rudes, originaire du pays basque, avec ses attaches<br />
andalouses bercées de madrigal, avait un sérieux penchant
135<br />
pour la bouteille, ce que son <strong>com</strong>pagnon du moment avait<br />
mal supporté. Sous l’emprise des degrés d’alcool, les<br />
propos de son ex maîtresse devenaient souvent<br />
incohérents en exprimant au départ une certaine logorrhée<br />
homophobe dans de virulentes litanies gratuites. Elle<br />
devenait une mauvaise langue pour le moins agaçante<br />
verre après verre, en se croyant supérieure, au mieux<br />
parce que son âge était plus avancé que le sien, et<br />
s’emmêlait les pinceaux entre philosophie de <strong>com</strong>ptoir,<br />
engagement politique et social sérieux ou attention<br />
sentimentale profonde. Elle souffrait et ceci la rendait<br />
méchante. Ils s’étaient quittés fâchés, l’un<br />
essentiellement agacé en raison de l’éthylisme récurent de<br />
l’autre, la seconde du coup, pour le prétendu manque<br />
d’ardeur charnelle et affective du premier, que l’on peut<br />
expliquer par un manque de suggestions suffisamment<br />
raffinée, d’où le peu d’appétit du jeune homme et ses<br />
réticences au mélange des corps. Ceci lui était toutefois<br />
reproché en public, ce qui n’arrangeait vraiment rien.<br />
« Comme tu as changé F…. avec tes airs de clocharde !<br />
Ton postérieur explose sa roture ! Tu ne me donnes plus<br />
aucune envie ! » lui avait-il dit en répartie, froissé, un jour<br />
en chambre, elle, bon pochetron, accrochée au goulot<br />
d’une bouteille de mauvais vin, si elle n’était point en
136<br />
train d’éructer, les muqueuses fétides, ou de vomir ses<br />
miasmes, la tête sur la cuvette de ses latrines mal<br />
entretenues. « Tu finiras seule, <strong>com</strong>me un vulgaire sac à<br />
merde ! Je ne sombrerai pas avec toi ! » avait-il ajouté à<br />
cette Ménade et son attitude préjudiciable.<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> exerçait officiellement la profession<br />
d’auteur. Le terme de « créateur » ne lui paraissait pas<br />
usurper mais le gênait. C’était un producteur de<br />
rédactionnel travailleur, lucide et efficace. Il écrivait des<br />
chansons notamment. Il les interprétait parfois,<br />
ac<strong>com</strong>pagné de sa guitare électrique, support bien<br />
maîtrisée. Le plus souvent il laissait à d’autres le soin de<br />
les chanter. Ses textes exprimaient sa foi en Dieu, les<br />
sentiments qu’il éprouvait pour certains êtres, d’amour et<br />
de faits de guerres aussi, ce, dans un grand effort de clarté<br />
large et quasi logistique. Sociétaire de la SACEM et ayant<br />
quelques concerts dans de petites salles à son actif en tant<br />
qu’interprète et soliste, il touchait donc des droits d’auteur<br />
trois à quatre fois par an. Autrement à propos des satanées<br />
ruées vers l’or <strong>com</strong>me il qualifiait la recherche de<br />
nouveaux moyens, pour survivre, l’homme monnayait ses<br />
illustrations d’avant-garde, confectionnées par ses soins,<br />
sans influences extérieures à priori. C’était un as reconnu
137<br />
du pinceau dont l’on attendait beaucoup. Des affairistes de<br />
Californie du Sud fondèrent quelques temps, vingt ans<br />
plus tôt dans la mouvance de talents émergeants, une<br />
corporation publicitaire, autour de lui, afin de diffuser ses<br />
visuels en Amérique du Nord. A l’époque, la sculpture et<br />
les plans d’architecture étaient, pourtant, ses principales<br />
formes d’expressions. Il n’avait néanmoins jamais<br />
fréquenté les Beaux Arts ou une quelconque école de<br />
graphisme par exemple. C’était sans doute pour cela, hors<br />
normes mais assuré, qu’il apparaissait plus original que<br />
d’autres dans la mesure où sa griffe sans déjà vu ne<br />
connaissait pas d’équivalent. Quoique n’ayant rien d’un<br />
copiste justement, il s’acheminait tout naturellement sur<br />
une voie majeure. Ceci n’était pas propre à l’époque, pour<br />
autant, à le marginaliser plus qu’il n’en fallait. Il avait<br />
juste un style à lui. Personnel. Très personnel. Sa<br />
renommée se limitait à un cercle de quelques initiés. A<br />
son retour des Etats Unis, il s’était toutefois inscrit à Paris<br />
à l’Ecole Du Louvre de manière, croyait-il avec justesse, à<br />
étendre ses connaissances théoriques sur les œuvres<br />
d’Arts de tous les Temps et se donner des points de<br />
repères. En revisitant l’Histoire générale de l’Art, il était<br />
accessoirement devenu un supposé expert dans ce<br />
domaine, capable de situer n’importe quel envoi de genre
138<br />
ou de prolonger des légendes qui le touchaient par le biais<br />
de ses propres créations. Et quoique qu’assidu aux cours<br />
et conférences de l’établissement, il n’avait pas recherché<br />
plus que cela à en être diplômé, n’avait pas donc dépassé<br />
le niveau de la première année du cursus qu’il effectua à<br />
trois reprises, admis sur dossier la première fois ou, par la<br />
suite, en parvenant à réussir le concours d’entrée. Une<br />
étude de <strong>com</strong>missaires priseurs, dans laquelle officiait son<br />
meilleur ami, avait généreusement tenté de faire coter ses<br />
réalisations déjà en phase 3 de leur processus créatif en<br />
salle de vente à Drouot. Un dépôt était toutefois resté sans<br />
suite. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> s’était sans doute mis en avant trop<br />
jeune à ce moment là, et son parcours était probablement<br />
dans un genre d’inspiration trop académique finalement<br />
pour d’éventuels acheteurs susceptibles de s’intéresser<br />
également aux détails de son existence dans l’évidence<br />
d’un penchant, fut-ce une démarche obséquieuse, quant à<br />
son intimité, dénués toutefois de la bohême supposée et<br />
attribuée à quelques légendes officielles. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />
qui aurait du en faire état pour ce que sa vie eut été celle<br />
d’un personnage à part jusqu’alors, n’avait rien noté des<br />
réels faits d’exception dont il avait été l’acteur piqué<br />
toutefois de réflexes empreints d’humilité et n’avait que<br />
rarement jugé bon d’être tape à l’oeil. Il avait donc
139<br />
finalement récupéré ses toiles et argiles patinées. La seule<br />
chose qui lui restait à faire, pour sortir d’une épineuse<br />
impasse <strong>com</strong>merciale, avait été de rédiger un roman<br />
éminemment descriptif, images à l’appui, sur la base de sa<br />
fin de scolarité jusqu’à son aventure à Hollywood lui aussi<br />
et avant que Sarah Howard y débarque. Il y avait apprécié<br />
entre autre la démarche futuriste locale. Publiée puis<br />
diffusée à quelques milliers d’exemplaires à <strong>com</strong>pte<br />
d’auteur, sa fiction humoristique et décalée, qui tenait de<br />
la bande dessinée et du storyboard de cinéma et intitulée<br />
avec une palpable dérision Les Vicissitudes Sexuelles Du<br />
Lion Gris En Climat Tempéré, avait obtenu un succès<br />
d’estime mérité dans les milieux du rock alternatif de tous<br />
les états de la sphère occidentale Nord, friands de second<br />
degré, criants même à l’omniscience de son génie<br />
« d’archange classe et cramé » pour citer un critique. Ceci<br />
était tout à fait encourageant sous couvert de promesses<br />
pour l’avenir. Pour quelques temps, les royalties lui<br />
permettraient par conséquent de décemment maintenir son<br />
train de vie domestique représentant simplement plusieurs<br />
milliers d’euros par mois pour sa seule personne. Et,<br />
n’étant pas à court de projets, il pouvait produire en<br />
honnête indépendance et en totale autarcie ses nouveaux<br />
envois, budgétisés et répertoriés sur la boutique de son site
140<br />
internet, à des prix <strong>com</strong>pétitifs <strong>com</strong>pte tenu de la qualité<br />
de leurs contenus. En somme et plus simplement à<br />
l’échelon social, <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> qui ne s’était jamais<br />
marié, demeurait un bon parti sans néanmoins œuvrer<br />
pour s’accoupler coûte que coûte. Sa situation apparaissait<br />
excellente dans l’unicité même de sa motion mûre, au dire<br />
de quelques femmes qui l’estimaient effectivement<br />
parfaite à force de la convoiter. « Je suis soumis à<br />
l’Eternel, ce n’est pas moi qu’il convient de<br />
féliciter ! précisait-il alors. Il faut s’en remettre à Dieu qui<br />
me prête vie, oriente mon destin et les termes de ma<br />
mission sur terre ! » Il fut vrai que la cible de ses femelles<br />
ne cachait pas, ajoutant à son attrait, ses velléités de<br />
perfection en toutes choses, quoiqu’il entreprit. Son<br />
parcours était une solide réussite. Sa dernière conquête<br />
féminine était de toute beauté. A peine un peu ronde, un<br />
sourire malin et vif, de taille moyenne, les cheveux or et<br />
les yeux bleus azur, il la trouvait très sexy. Ils s’étaient<br />
rencontrés par l’intermédiaire d’un site web payant conçu<br />
pour des rencontres d’adultes consentants publiant des<br />
petites annonces. Echangeant leurs profils, en quête de<br />
l’idéal, des éléments des deux sexes pouvaient former des<br />
couples durablement unis, sur des bases saines, lorsque,
141<br />
définie au préalable, la nature de chaque relation se voyait<br />
parfaitement calibrer.<br />
A la suite d’une correspondance faite de questions<br />
réponses entre eux, sous la forme d’une sérieuse analyse,<br />
la première rencontre physique de <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> et<br />
Arséna Bonpoint avait eu lieu au restaurant de l’aile<br />
gauche du château de Versailles, un jeudi d’août à 13h30.<br />
Ils y dégustèrent des chocolats maison Van Houten, de la<br />
recette du salon de thé Angelina, rue de Rivoli à Paris. La<br />
collation fut agrémentée d’une part de tarte aux myrtilles<br />
et de macarons. Tout avait déjà été pensé, dit et organisé<br />
quelques temps auparavant par un échange de courriels.<br />
La sensuelle jeune femme avait avoué sa nymphomanie<br />
périodique. Sous la menace de voir celle-ci assouvie par<br />
un autre que lui, <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, son « homme d’amour »<br />
<strong>com</strong>me elle l’appelait, avait sorti le grand jeu en<br />
demeurant maître de la plupart des atouts en sa faveur. A<br />
14h15, l’homme la troussait viril et vigoureux, aussitôt<br />
qu’ils furent derrière un bosquet d’une allée déserte du<br />
parc vide sur le site du château. Leurs organes génitaux à<br />
tous les deux étaient rasés, dépourvus de toison pubienne.<br />
Arséna était une femme fontaine. Ils connurent un plaisir<br />
immédiat et un orgasme synchrone. Ils avaient décidé de
142<br />
se revoir plus tard, à l’occasion, par goût de l’insolite<br />
aventure portant le numéro un d’une série qui se<br />
prolongerait si affinités. Les deux amants tenaient à se<br />
réserver le meilleur. Quelques temps après ils s’étaient<br />
donc retrouvés dans une suite d’un hôtel de la rue des<br />
Beaux Arts, à Paris toujours. Autrefois, Oscar Wilde y<br />
avait séjourné et Serge Gainsbourg s’y était produit au<br />
piano bar. C’était un choix du jeune homme.<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> était donc arrivé le premier. Ils devaient<br />
rester tous les deux discrets, sa partenaire et lui, par goût<br />
partagé du mystère. Lui se dissimulait derrière une<br />
moustache postiche et des lunettes de vue. Il lui revenait<br />
le soin de régler en liquide à la réception la note, une<br />
facture de 200€ payable d’avance, pour la nuit dans la<br />
suite et de prendre le pass électronique du lieu réservé<br />
sous le nom de Pierre Fecteau. La jeune femme l’avait<br />
rejoint à une heure convenue l’avant-veille. Elle portait<br />
une perruque rousse sous un foulard Hermès et ne devait<br />
pas attirer l’attention, le regard caché dernière d’épaisses<br />
lunettes polaroïd. Elle devait être vêtue, sous un<br />
imperméable, d’un body en dentelle de couleur sombre,<br />
déjà dégrafé entre les jambes ainsi que de chaussures d’été<br />
fermées. L’homme voulait de petites extrémités d’airain.<br />
Les ballerines lui convenaient. Il détestait en effet les
143<br />
chaussures ouvertes qu’il estimait peu hygiéniques,<br />
négligées, inesthétiques et généralement de mauvais goût.<br />
En deuil de fantaisie hippie, Arséna avait donc pris soin<br />
de se vernir tous les ongles en noir au cas où il lui serait<br />
tout de même possible de se déchausser. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />
sortit de la salle de bain où il avait pris l’initiative de se<br />
doucher, lorsqu’elle frappa à la porte. Celle-ci s’ouvrit au<br />
tiers. La jeune femme s’engouffra en refermant<br />
l’ouverture derrière elle. Son <strong>com</strong>plice l’attendait sous les<br />
draps du lit à deux places.<br />
« Dépêche toi ! lui dit–il soudain gagné par l’impatience<br />
de lui baiser le milieu des seins, son recoin fétiche.<br />
-Un peu de calme, » répondit Arséna en souriant. Puis elle<br />
se débarrassa de tous son attirail de camouflage<br />
découvrant ses longs cheveux auburn, retira ses vêtements<br />
excepté le body et remonta à quatre pattes sous les draps<br />
depuis l’extrémité arrière du lit. A la hauteur du pénis en<br />
érection, elle s’attardait. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> émis un râle de<br />
contentement classique. L’étape dura quelques minutes,<br />
au terme desquels Arséna chevaucha son <strong>com</strong>pagnon en<br />
se pénétrant le vagin du sexe surexcité, long et bien dur de<br />
son partenaire. Un mouvement saccadé s’enclenchait<br />
aussitôt. Soudain le corps de la jeune femme émis le son
144<br />
tonitruant d’une incongruité inférieure sans ambiguïté sur<br />
sa nature dérangeante ! Une odeur pestilentielle de senteur<br />
sévèrement piquante dans la chaleur opaque de la pièce,<br />
similaire aux fragrances mélangées de chat crevé ou de<br />
macchabée cuit à l’ailloli avec des œufs pourris assortis de<br />
haricots blancs, remonta aux narines sensibles de<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> avec le mouvement des draps exerçant, par<br />
les ébats, une triste ventilation. Le supplice du jeune<br />
homme s’annonçait long.<br />
« Je suis désolée, éclatait nerveusement dans un fou rire<br />
Arséna Bonpoint, tout de même un peu confuse.<br />
Sincèrement.<br />
-C’est une véritable agression ! s’offusquait au premier<br />
degré <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, plein de dépit. Zut ! Pas<br />
maintenant ! ça empeste vraiment ! C’est insupportable !<br />
Tu gâches tout ! C’est répugnant !<br />
-ça va ! ça va ! Je ne l’ai pas fait exprès ! Je n’ai tué<br />
personne ! Tu exagères un peu ! rétorqua impérieuse<br />
toujours de gargouillis intestinaux sonores, suivis d’un<br />
second pet plus fort que le précédent avec un net préjudice<br />
nauséabond et supplémentaire, la jeune femme, par amour<br />
propre et revenu à de sérieuses dispositions devant
145<br />
l’aversion manifeste du jeune homme. Je n’y peux rien !<br />
Voilà, cela arrive à tout le monde. C’est naturel et bon<br />
pour la santé ! insistait elle.<br />
-Ce n’est pas une étable ici ! Qu’est-ce qui te prend ? ça<br />
empeste la décharge excrémentielle à présent ! Tu<br />
m’empoisonnes ! Tu pollues l’atmosphère sacrée de notre<br />
couche ! reprit dégoûté et impuissant <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> sans<br />
pouvoir se fixer sur un fond d’air frais, l’odorat cherchant<br />
ailleurs et agacé en regardant Arséna qu’il ne trouva plus<br />
si séduisante, en estimant sous ce jour l’aspect plutôt<br />
dérangeant de son aveu de soudaine animalité de<br />
pétomane au féminin. Un millésime ! Tant qu’à faire, tu<br />
rotes aussi avec une haleine de poney ? Tu as des<br />
champignons entre les doigts de pieds ? lui lançait-il en<br />
désespoir de cause, ajoutant au désagrément. Quelle<br />
gâchis !<br />
-O, puisque c’est <strong>com</strong>me ça, je m’en vais ! jacassait elle,<br />
vexée en se rhabillant dans des mouvements rapides avant<br />
de prendre congé. Va te faire cuire un œuf ! Excrément<br />
toi-même ! »<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> avait rompu, on s’en doute.<br />
« L’une qui boit, l’autre qui pète ! »
146<br />
Le lendemain de sa rupture avec celle qui ne serait plus<br />
désormais en mémoire que son ex et dernière <strong>com</strong>pagne<br />
pour les raisons que l’on sait, <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> fut réveillé<br />
tôt. Il en était ainsi pour lui lorsqu’une page avait été<br />
irrémédiablement tournée. L’homme ne se sentait pas<br />
particulièrement seul. Au contraire, il respirait cette fois<br />
l’air prosaïquement pur d’une forme certaine de paisible<br />
état de liberté dans une agréable et confortable amorce de<br />
paranoïa nécessaire à sa préservation. Motivé par une<br />
recherche attendue de changement effectif dans sa petite<br />
existence, il songeait que ce serait le bon moment pour<br />
arrêter de fumer et surtout cesser de consommer du café à<br />
tout bout de champ. Ces deux vices ajoutés à l’alcool<br />
représentaient pour lui depuis l’adolescence les piliers de<br />
l’atavisme destructeur du système. C’était du moins ce<br />
qu’il avait déclaré à 12 ans, un soir à table, à un oncle et à<br />
une tante qui consommaient <strong>com</strong>plaisamment les trois et<br />
se voyaient susceptibles de l’avoir intoxiqué depuis la<br />
petite enfance. Il avait, sans le savoir, inventé le statut de<br />
fumeur passif. Il s’était cependant acheté son premier<br />
paquet de cigarettes au Royaume Uni, persuadé d’en avoir<br />
grand besoin, lors d’un séjour linguistique et, n’avait plus<br />
depuis mis un terme définitif à ce fâcheux ravitaillement<br />
pour la nécessité de se sevrer quotidiennement. Autrement
147<br />
il ressentait une in<strong>com</strong>plétude similaire à un état de<br />
manque. C’était un cercle vicieux. Sa consommation de<br />
tabac ne constituait donc pas une histoire de frime sociale<br />
générationnelle virant au cauchemar en particulier. Non.<br />
Son corps réclamait sa dose minimum de nicotine <strong>com</strong>me<br />
les diabétiques leur insuline dans un rapport de survie.<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> se méprisait même pour griller ses tiges.<br />
« Quelle saleté ! » se disait-il souvent à la vue des<br />
cendriers, des mégots ou bien de son environnement<br />
pollué par la fumée. L’affaire physiologique était<br />
irréversible selon lui. « Arrêter n’est pas une affaire de<br />
volonté. J’ai été mis hors jeu très tôt de toute façon »<br />
avait-il déclaré à un ami. Le sport lui permettait croyait-il,<br />
fervent et scrupuleux à l’ouvrage, d’éliminer ses toxines<br />
l’empêchant toutefois de progresser durablement dans le<br />
domaine des prouesses physiques et des grades en boxe en<br />
particulier. Son heureuse hygiène domestique minimisait<br />
presque tous les effets exagérés du tabac sur ses organes<br />
vitaux. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> s’était constitué des anticorps aux<br />
effets secondaires du au besoin d’un traitement<br />
« thérapeutique » d’un mal potentiel, donné pour le<br />
ronger. Lucide, avec un esprit sain d’ascète, il calculait<br />
régulièrement, en espérant que ceci l’oblige à la<br />
modération, ce que lui coûtait la nicotine financièrement
148<br />
depuis lors. Les sommes représentaient le chiffre<br />
exorbitant proche du tiers de son budget, sur la base<br />
optimiste de 100 années de vie, à raison d’un paquet par<br />
jour depuis l’âge de 19 ans. Il se fournissait malgré les<br />
constantes augmentations imposées par la SEITA, mais se<br />
défendait de vanter les improbables bienfaits du tabac. Il<br />
n’en proposait donc jamais autour de lui.<br />
La santé de <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> était liée, plus que pour tout<br />
autre, à la photosynthèse. Il ne se trouvait pas à son aise<br />
sans l’évidence des émissions lumineuses du Soleil dans<br />
un ciel bleu et dégagé. L’étymologie de son appellation<br />
titulaire ne signifiait-elle pas « Fils de l’Astre<br />
rayonnant » ? L’homme vénérait quasi secrètement le<br />
disque solaire. La sincérité qu’il appliquait à ce culte<br />
n’avait ni prix ni équivalent religieux à ses yeux. Ceci lui<br />
procurait toute l’énergie dont il avait besoin pour survivre.<br />
Il était intéressé par tout ce qui s’y rapportait. En cela, il<br />
s’avouait croyant, déiste dans l’unicité d’un Dieu unique<br />
dont il affirmait à raison recevoir La Volonté, les signes,<br />
les ordres. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> ne s’estimait soumis qu’à<br />
l’Eternel. Ses envois artistiques étaient selon lui une<br />
écriture sacrée, <strong>com</strong>me les hiéroglyphes, faisant état des<br />
dispositions du Créateur. Il s’efforçait de sensiblement
149<br />
contempler son idole et se contenter de la lumière <strong>com</strong>me<br />
un tournesol qui capte les ondes célestes, englobant ainsi<br />
les funestes représentations de cultes mineurs <strong>com</strong>me les<br />
variantes du judéo christianisme ou de l’Islam, leur<br />
prolongement dont il ne se répondait cependant pas<br />
intrinsèquement. « Détourne donc ton regard du Soleil ! »<br />
lui disaient en terrasse des cafés ou sur les plages corses<br />
fréquentées ses amis inquiets. Il n’était pourtant pas<br />
devenu aveugle. Tous ses regards supérieurs au dessus de<br />
la tête étaient autant de prières, d’expression d’infinie<br />
reconnaissance adressées à Soleil, centre de l’Univers, le<br />
cercle duquel représentait potentiellement une porte vers<br />
l’au-delà intersidéral nommé le territoire d’Astrée. La<br />
Planète Terre convergeait dans Sa direction. Ses certitudes<br />
confirmées par la Nature établissaient <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />
<strong>com</strong>me un guide de ce qu’il nommait les unités radiantes,<br />
sorte de mutants dans la transcendance de la race<br />
humaine. Cette dernière correspondait à la hausse à une<br />
<strong>com</strong>munauté d’éléments égaux constitués pourtant, et<br />
avant son intervention au nom de Dieu, en une société<br />
d’amnésiques, primates et encore animales. Il avait étudié,<br />
analysé même la chose en profondeur si l’on peut dire,<br />
avant de ne plus y penser en termes de <strong>com</strong>munication<br />
destinée de toute façon à l’entendement aléatoire de
150<br />
consciences esclaves de leurs sens, juste bonnes<br />
finalement à <strong>com</strong>mettre des crimes véritablement abjects<br />
sans nécessairement en calculer ou les tenants, ou les<br />
conséquences. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> pour sa mission, lui qui<br />
s’attachait toujours aux causes des évènements jalonnant<br />
son parcours, sur dimensionnait son niveau théologique et<br />
pratique de défenses psychiques ou physiques pour être,<br />
croyait-il, une digne progéniture de Dieu. Sa foi était<br />
inébranlable, fascinante aussi et il n’aurait su se perdre<br />
face à l’errance générale dont il était convaincu de l’état<br />
de déliquescence cynique, si elle fut jamais en périhélie du<br />
firmament spirituel et matériel. Il affirmait que son idole<br />
l’avait épargné de la torpeur et du mal pour le mal. Qui<br />
d’autre de toute façon ? La Nature l’avait semble-t-il<br />
sauvé lui aussi, <strong>com</strong>me ce grand oncle, père de<br />
substitution et homme d’église qui l’avait tant chéri et<br />
dont il avait reçu les sacrements du baptême toutefois<br />
selon le rituel des chrétiens catholiques <strong>com</strong>me un jour de<br />
fête plein d’allégresse et de promesses de <strong>com</strong>munions. Il<br />
lui était donc possible de demeurer le plus positif<br />
possible. Et chaque jour était pourtant, déjà, un nouveau<br />
défi, une situation avérée de lutte et de sursis, plaisant au<br />
Tout Puissant <strong>com</strong>me il l’entendit, cela va sans dire.
151<br />
« Le Roi est mort, Vive le Roi ! »<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, selon qu’il eut plusieurs vies, avait<br />
jusqu’alors amorcé ce que représenteraient plusieurs<br />
carrières menées tambours battants en différents endroits.<br />
Sans liens entre elles, si ce n’était pour chacune qu’il les<br />
eut vécues intensément avec une foi identique <strong>com</strong>me des<br />
périodes de son expression intrinsèque, sur la base de<br />
redémarrages avec des hauts et des bas, récoltant<br />
variablement les échos d’un public exigeant durant son<br />
parcours. Et avant de prendre une retraite discrète et<br />
méritée à l’abri d’un besoin d’argent souvent pressant et<br />
récurent dans le milieu de l’art pour bon nombre de ses<br />
émetteurs et autres interlocuteurs connus ou obscures<br />
achevant leur existence dans la misère, il avait fait, nous<br />
l’avons vu, un plein stylistique surtout mais également<br />
financier, momentanément conséquent avec la publication<br />
d’un livre. Il s’y était appliqué avec une certaine habileté<br />
dans son approche, saisissant tout ce qui fut à sa portée<br />
afin de s’éclipser gagnant d’une approche médiatique au<br />
caractère particulier lorsque l’on sait qu’en tout il y avait<br />
un éternel re<strong>com</strong>mencement, que rien ne fut acquis.<br />
Entrevu dans l’inconscient collectif qu’il avait défini et<br />
nommé <strong>com</strong>me tel. L’évocation de ce dernier reprise par<br />
des intellectuels d’universités, ce stade à la dimension
152<br />
vulgaire tenant du marasme avait paru évident à<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, quelques quinze ans plus tôt, alors dans<br />
un bus parisien à la vue d’une foule dense et <strong>com</strong>pacte sur<br />
les grands boulevards. Il était malgré tout doté d’une place<br />
de choix qu’il ne devait qu’à lui-même « au nom de<br />
Dieu. » De par sa naissance et sans écarts garantis fâcheux<br />
à la hauteur effective de ses moyens personnels matériels,<br />
limités somme toute <strong>com</strong>me une épreuve incontournable.<br />
Ses origines supposées de grand bourgeois adoubé d’une<br />
mystique d’aristocrate, lui avaient procuré prosaïquement,<br />
selon La Volonté de L’Eternel, l’extraordinaire latitude de<br />
se révéler à lui-même différentes facettes. Au dehors de la<br />
nature volontaire de son esprit vif, fascinant et<br />
extrêmement créatif. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> avait un potentiel<br />
pour se constituer un patrimoine durable à l’usage d’une<br />
possible descendance ou de <strong>com</strong>pagnons ou de<br />
<strong>com</strong>pagnes de route. « Si je ne parviens pas à faire de<br />
« grandes » études, j’aurais toujours la possibilité de<br />
m’ac<strong>com</strong>plir dans une problématique artistique pour<br />
laquelle j’ai une approche facile et inspirée ». A son<br />
contact, on pouvait voir de lui le nom écrit en noir et blanc<br />
sur ses œuvres recherchées et emblématiques, mais<br />
également « le feu d’artifices » que représentait le fond de
153<br />
sa personnalité, c'est-à-dire ce que l’on appréciait, souvent<br />
semblait-il par curiosité, aussi de lui.<br />
« Ce serait la connaissance universelle qui rendrait un<br />
point de vue plus omniscient que d’autre. Mais ce savoir<br />
est connu bien sur de par la lumière de Dieu que nous<br />
reconnaissons et qu’il convient de prier sans relâche<br />
pour la délivrance sacrée des divines indications. C’est<br />
Lui qui nous aura délivré l’essentiel. C’est Lui, l’Eternel,<br />
qui se trouve au bout de notre chemin de pénitence et de<br />
soumission à Sa Volonté. C’est enfin en Lui, par Lui, à Lui<br />
et vers Lui, qui nous aura donné la vie, la force essentielle<br />
et la béatitude sans détour, que nous nous devrions<br />
d’adresser acquis, croyants et fervents nos offrandes, à<br />
qui devrait s’adresser tous nos sacrifices au point<br />
d’abnégation et presque misérable de non existence. »<br />
professait <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> à qui voulait bien l’entendre, lui<br />
qui savait que quiconque n’avait jusqu’alors connu<br />
l’unanimité, des Titans d’antan au Christ ou à Mahomet,<br />
sans <strong>com</strong>pter les attitudes athées ou de quelques<br />
réfractaires uniquement hédonistes ou vaguement<br />
suspicieux. C’était selon lui de cela dont on trépassait<br />
encore, que la post humanité se voyait encore<br />
abondamment saigner, dans la méconnaissance certaine de
154<br />
constitutions toutefois uniques dans l’unicité des cultes.<br />
« Ceci est pourtant la clé de la porte vers l’Eternel. En<br />
d’autres termes, la pensée unique du rapport du guide<br />
unique par la singularité de chacune des masses tend à<br />
littéralement foudroyer l’intercesseur entre Dieu et les<br />
Hommes, en sachant que le Tout Puissant est en toute<br />
chose puisqu’Il est de tous la céleste origine. » tel<br />
définissait-il l’axe de son propre statut et son définitif<br />
retour vers Astrée, son meilleur atout face à<br />
l’autodestruction de la race humaine dont il se rassurait de<br />
ne point considérer les marques, furent-elles telluriques,<br />
de ses éléments niant souvent leurs attaches<br />
fondamentales, en craignant tant la mort, l’estimant<br />
<strong>com</strong>me l’étape ultime, sans ne serait-ce qu’à en imaginer<br />
l’état ou sans en connaître l’immédiate raison suivante et<br />
propre des êtres. « Mon Dieu, ne connaissent-il<br />
effectivement point leur bonheur ? priait-il souvent dans<br />
un vocabulaire et une syntaxe abordable à l’entendement<br />
courant. De quoi vivent-ils si ce n’est des moyens du passé<br />
dont vous m’épargnâtes pour le degré usité d’une<br />
bassesse usagée, loin des spéculations malsaines et du<br />
déshonneur ? La supposition immatérielle de Votre<br />
absence, O mon astre dont je sers la présence, seule de<br />
nature à faire taire vos créatures les plus ingrates avec
155<br />
leurs infamies profanes, ces nuits néanmoins lumineuses<br />
que vous désirâtes douces et d’un repos sacré à mon<br />
endroit, lorsque je puis vous deviner en donnant à mes<br />
microprocesseurs oculaires tout du consistant affichage<br />
de son emploi majestueux en Votre galaxie. Je veux<br />
prouver votre existence » que pouvait-il dire de plus, sa<br />
foi depuis la Terre faisait de <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> un gnostique<br />
doté d’un entendement polymorphe, créationniste sur le<br />
plan de la théorie prosaïquement philosophique mais<br />
évolutionniste sur l’appréciation de l’aspect éminemment<br />
animal des organes du primate humain ? Son esprit était<br />
donc une machinerie mutante depuis le départ, au langage<br />
crypté, difficile et à coder et à traduire. La motion<br />
spirituelle de son siècle resterait figer dans ce principe<br />
palpable de double notion vis-à-vis de laquelle il était<br />
encore en avance de quelques millénaires, <strong>com</strong>me un<br />
visionnaire décrivant déjà l’au-delà intersidéral autant que<br />
ces pensées s’évaporaient quotidiennement dans les<br />
limbes universels. Il se posait <strong>com</strong>me l’élu numéro un de<br />
Dieu, le <strong>com</strong>mandeur des croyants en somme et son<br />
chiffre premier de ligne. Il avait fait l’aller et son<br />
provisoire retour par delà la porte du disque solaire. Il<br />
annonçait la dernière étape de l’Humanité. Il décrivait le<br />
territoire d’Astrée et l’immortalité des créatures nées pour
156<br />
servir le Tout Puissant dont il ne doutait point d’avoir sans<br />
amalgame un reflet de l’étoffe afin de demeurer<br />
concrètement ce guide des unités qui deviendraient<br />
radiantes, au point de la mutation finale. Là, sans jamais<br />
plus laisser de lui des cellules mortes, il résidait déjà à sa<br />
place, enfin pourrait-on conclure, au soupçon qu’il ne fut<br />
que Dieu, anonymement reconnu <strong>com</strong>me Lui-même dans<br />
les précaires établissements de quelques foules irradiées<br />
sous le vertige abyssal du rythme de son espace temps.<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> se suicida sans trop savoir pourquoi. Un<br />
jour ordinaire, par lassitude, dans un presque anonymat à<br />
propos d’une méprise sans importance. Ce fut du moins ce<br />
que cru la police lorsqu’on le retrouva les veines des<br />
poignets sectionnées expliquant selon eux le décès du<br />
jeune homme rejoignant de toute façon le royaume<br />
d’Astrée, emportant avec lui les secrets de sa création<br />
prévalant à sa disparition… pourtant suggérés par une<br />
épitaphe sur une plaque de marbre sur l’emplacement de<br />
sa tombe. Y était inscrit : Né un 8 Mars à Levallois-Perret (Seine, France), ce<br />
jour célébrant les Femmes tous les ans dans l’Hexagone et à fortiori dans le monde depuis la<br />
fin du XXe siècle, ici repose les cendres de <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> Yansane-Lavenir, authentique<br />
<strong>prince</strong> d’Astrée, a été un artiste/auteur universel disait-on de lui de son vivant. Doué pour le<br />
dessin, il fut aussi très tôt un modèle pour d’autres artistes. Sa carrière d’émetteur avéré<br />
polymorphe et éclectique, soucieux de son image, le vit s’exprimer également <strong>com</strong>me<br />
graphiste, photographe, sculpteur, vidéaste ou rédacteur. Dans le domaine de l’écriture, il
157<br />
rédigea, fort de ses convictions politiques et esthétiques en motions évolutives, un certain<br />
nombre de textes, souvent sous la forme de poèmes, et de fait matière à chansons qu’il se<br />
mit à interpréter, seul au chant, avec ou sans guitare classique ou électrique, voire en<br />
groupe avec diverses formations musicales. Ses mérites d’homme de lettres lui ont permis<br />
de se faire une sérieuse réputation de poète inspiré, notamment par la nature de celles qui<br />
spécifiaient sans doute plus que lui cette tranche finale de l’Hiver, un temps à l’approche du<br />
Printemps. Comme « la dernière exploration à bien mener » selon lui à propos de la gente<br />
féminine, il se fit à l’écoute des Femmes, leur plus ardent et leur plus vigilant gardien des<br />
droits de fait, « avec des formes appropriées de bon goût et un fond étonnant de bel esprit<br />
par des démonstrations justes de courtoisie mais également –l’époque y souscrivait, ceci<br />
était possible- en bon pornocrate à l’allure expérimentale et originale ». <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />
aura produit beaucoup d’œuvres d’arts estimant que ce que devrait contenir ses recherches,<br />
lui ouvrirait de portes aux honneurs mérités d’une postérité nécessaire. En cela, on peut dire<br />
de lui qu’il fut un haut fonctionnaire de l’art. Du moins en théorie : largement illuminé pour<br />
être ce que serait un empereur artiste, pas assez <strong>com</strong>mun pour s’assoir reposé, hors<br />
représentations simplistes, sur le trône de son empire.<br />
« La perfection <strong>com</strong>prend une logique qui rend presque invisible, son appréciation muette. »<br />
(<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>)<br />
Sans plus avant de quitter la Terre, il vécut suffisamment, travaillant le trait juste et la note<br />
mélodieuse afin de que la touche finale ne suggérât point de regret.<br />
Ces quelques lignes, qui pourraient figurer dans n’importe quel cyber mémoire, résument<br />
bien la démarche aux tenants explicites de ce que fut la vie de concentration et de<br />
méditation d’un créateur hors normes et généralement solitaire, ses contingences<br />
domestiques entrevues en parties par des émissions sporadiques au public toujours<br />
imparfaitement au point +2 d’une forte propension à l’obséquiosité pour le moins<br />
envahissante, cet euphémisme traduisant les drames dus à quelques abus.<br />
« Je suis persuadé que le sentiment amoureux ne se vit qu’une seule fois. Le reste n’est que fioriture<br />
stylistique ».(<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>)<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> n’a jamais affiché ou recherché, et pour cause, de relation homosexuelle. S’il<br />
ne s’offusquait point par les pratiques amoureuses de certaines femmes entre elles, il fut un<br />
hétérosexuel convaincu. Il déploya même SA préférence de toutes façons possibles dans<br />
une gamme qui eut probablement le tort de faire de lui un gentilhomme, charmant certes,
158<br />
mais toutefois décalé sous l’apparence préservée d’un macho piqué de sévérité parfois, ce<br />
qu’il n’était point au demeurant en toute intimité. Il fut même hors du temps, vis-à-vis des<br />
unes ou des autres taxés de lui laxistes au moindre relâchement dans les codes pourtant<br />
difficilement praticables d’un protocole séculier. Ce luxe finalement l’incitât à <strong>com</strong>muniquer<br />
ses passions. Certains ne sauraient ne pas s’en souvenir… Voyageur, il était juste arrivé aux<br />
bons moments en divers endroits pour ses offices. Ceci peut expliquer l’ascension<br />
fulgurante de son mouvement d’ensemble auquel il manifesta une humilité sincère. Ainsi de<br />
la bienséance entrevue par son milieu de grands bourgeois adoubés de noblesse au nom de<br />
Dieu, il fit lucide mission de guerre ou de paix avec la même clairvoyance en se refusant<br />
même en retour, aux places de plus en plus vacantes faute de candidats méritants, à<br />
occuper de bons postes qu’il eut obtenu sans peine ni usurpation, ou à totalement exclure<br />
l’abjection de ses contemporains, ce pour obtenir, lors de son parcours, une idée précise et<br />
large des choses en ce bas monde. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> a nourri toute son existence durant une<br />
âme de soldat, un belligérant entraîné, conscient de la situation hautement conflictuelle de<br />
son temps. Dans le domaine des religions essentiellement. « Trop de différences noient<br />
présentement l’idée sensible de cohésion. Je suis plutôt pluraliste, contre toute pensée<br />
unique in fine. Mais puisqu’il faut se battre pour l’unanimité en tout bien tout honneur, la vie<br />
n’est que l’exercice des armes et la recherche de destruction totale de toute opposition à<br />
nos valeurs » précisait-il, « dut-on y sacrifier nos propres personnes. Nous n’en avons qu’à<br />
peine le temps. Pour l’heure, toutes autres orientations seraient de vains sacrifices que le<br />
Créateur ne saurait entendre si nous n’avions préalablement prétendu lutter pour Sa Gloire<br />
et l’avènement de Son Royaume, ce qu’il nous permet juste d’espérer à la force de notre feu<br />
contre les ennemis. Que cette cause fut entendue une bonne fois pour toute, écho à<br />
l’abnégation totale des Hommes et des biens pour notre Dieu qui honnie l’inutile, le gâchis,<br />
la logorrhée. Chacun d’entre nous ne doit songer qu’à sa mission, au focus sur sa cible,<br />
<strong>com</strong>me une arme pointée. Rien d’autre pour le moment et y consacrer tous ses moyens en<br />
respectant l’esprit de concordance générale et de discipline hérité de nos ancêtres<br />
méritants. Nous ne formons encore je crois qu’une <strong>com</strong>munauté de primates avant que nos<br />
pupilles fussent cette cohorte de bulldozers pour des aires où leurs progénitures<br />
construiront sans doute le monde de demain, où leurs enfants connaîtront eux-mêmes peut<br />
être la Paix au nom du Tout Puissant. »<br />
Ce fut le dernier dossier du <strong>com</strong>missaire Lefouineur avant<br />
son temps de retraite auquel il était parvenu, sa carrière
159<br />
s’achevant sur un échec. L’homme de loi ne fit pas dans<br />
son rapport de relation avec l’affaire Hyacinthe Ange<br />
Clairon de Luciole quelques années plus tôt.<br />
Depuis lors pourtant, à intervalles réguliers dans des<br />
centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie, certains, en<br />
différents lieux, affirment pourtant croiser <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />
parfois, jureraient le reconnaître…
160
161<br />
(Moteur !)<br />
« -Nongo, quartier de Conakry 3, Guinée, Fédération<br />
africaine, Mes hommages madame…<br />
-Mademoiselle !<br />
-…Mes hommages madame…<br />
-Ah…affichez immédiatement les valeurs en données<br />
mécaniques HACL !<br />
-...Fédération africaine, mes hommages madame..<br />
-Assez HACL ! Satané système ! Visuel digital. Lisez mes<br />
coordonnées XY , mode manuel !<br />
- .. Mes hommages mad… Mes hommages mad…BIP !<br />
Nous sommes le 29 Mars 2022, il est 23 : 46. La<br />
température extérieure est de…<br />
-Flash ! Ah mais tout de même HACL ! Quel jour de la<br />
semaine sommes-nous ? Lundi ? Mardi ? Autre ?<br />
-L’information n’a pas été enregistrée. Navré !<br />
-Bon sang mais à quand remonte votre conception ?<br />
-Mon programme est daté de Septembre 2012 madame.<br />
-Mademoiselle !<br />
-Votre visiophone est activé. Veuillez prendre connaissance<br />
de vos appels.
162<br />
-Des messages ?<br />
-Pouvez-vous reformuler votre question s’il vous plait ?<br />
-Y a-t-il des messages HACL ?<br />
- Vous recevrez un prochain appel dans 12’57’’. Je vous<br />
souhaite une bonne soirée madame.<br />
BIP désactivation.<br />
-Il faut que je reprogramme cette fichue montre ! » Sarah<br />
Howard finissait de pester contre le dysfonctionnement de<br />
son hologramme domestique d’intérieur d’une très grande<br />
dimension (<strong>com</strong>me un homecinéma) en activation,<br />
l’hologramme dont elle semblait ne pas <strong>com</strong>plètement<br />
assumer la pratique avec aisance et fermeté en appréciant<br />
peu d’être quasi localisée. Elle en était pourtant la seule<br />
utilisatrice. Sa mémoire en faillite au point de ne plus se<br />
souvenir exactement du contenu du calcul dans ses propres<br />
programmes, elle prit conscience de l’ancienneté du<br />
pré-pilotage de HACL, c’était effectivement son<br />
identification toutefois, d’un usage peut être limité sans être<br />
néanmoins <strong>com</strong>plètement obsolète. Il n’était pas<br />
multifonctions <strong>com</strong>me SY, le nec + ultra du matériel haut<br />
de gamme mis au point par Sarah elle-même, une création<br />
originale puis un montage sans manuel et sans doute ultime<br />
de la désormais ex journaliste de Météorites Productions.<br />
Sa capacité lui permettait + que le simple virtuel. Sarah<br />
pouvait en effet estimer avoir véritablement créé un allier<br />
fidèle. Un indispensable second d’une certaine manière.<br />
Son intelligence artificielle aux seules fins de servir Sarah<br />
agissait sur un mode mécanique codé en signes graphiques
163<br />
uniques et inimitables au départ, inspirés par le principe des<br />
logotypes ou bien de celui des hexagrammes. Ceux-ci,<br />
conçus à l’époque dans un micro atelier informatique par<br />
Sarah tout abord improvisée cyber artiste, furent présentés<br />
<strong>com</strong>me des illustrations abstraites dans une collection<br />
intitulée Eléments Visuels. Ils avaient été côtés sur les<br />
marchés internationaux, très vite, autrefois afin que le<br />
montant pour l’acquisition assurée des droits de ses propres<br />
œuvres -Sarah pouvait-elle encore souscrire à cela peu de<br />
temps avant une pleine crise économique et politique<br />
mondiale ?- par elle-même aux termes d’une judicieuse<br />
opération boursière, découragent les imitateurs, pasticheurs,<br />
contrefaçons décrypteuses, copistes de toutes sortes et par<br />
extension les spéculateurs mal intentionnés puisque il était<br />
fondamental que le secret de ce langage ne fut jamais percé.<br />
Sarah s’était bien employée à cela en se garantissant des<br />
gardes fous ou des armes efficaces dans la course au profit<br />
des éléments actifs de cette jungle mécanique planétaire.<br />
La nuit laissait apparaître la constellation des étoiles dans le<br />
ciel. Architecturalement inspirée des réalisations de Le<br />
Corbusier ou de Meier, la villa aux façades de couleur<br />
blanche qu’occupait Sarah se trouvait au bord de l’océan<br />
sur un terrain provenant d’un héritage paternel sur lequel il<br />
y avait eu l’érection d’un bâtiment de trois étages. Avec peu<br />
de meubles, la surface habitée représentant un gain<br />
d’espace fonctionnel intéressant, soi + de 300m2 n’incluant<br />
pas le garage, où Sarah parquait son 4x4 à <strong>com</strong>bustion
164<br />
hybride et un authentique sidecar noir BMW des années<br />
1960, des salles d’eaux sur les trois niveaux. La cuisine se<br />
trouvait au second, sans porte avant une salle à manger<br />
spacieuse et très éclairée <strong>com</strong>me tous les étages. Du côté de<br />
la mer, une baie vitrée avait été aménagée. L’alimentation<br />
en eau chaude provenait d’une part d’un bloc électrogène<br />
placé au rez-de-chaussée, et, avec un <strong>com</strong>plément d’énergie<br />
dues à des cellules photovoltaïques de panneaux solaires<br />
installés sur le toit, d’autre part. Sarah Howard avait<br />
aménagé sa chambre au dernier niveau. Son bureau/atelier<br />
s’y trouvait également. Devant la villa, jusqu’à la plage, se<br />
déroulait un jardin avec deux palmiers épars notamment.<br />
Au bout, la propriétaire avait fait mettre à quai un petit<br />
vaisseau, un modèle de trimaran acheté à un vieux<br />
navigateur qui voulait s’assurer une retraite après des<br />
<strong>com</strong>pétitions et les traversées corollaires sur les mers du<br />
globe. Le skipper était désormais aux ordres de Sarah, prêt<br />
à lever l’encre pour n’importe quelle direction. Mais<br />
celle-ci restait de préférence les pieds sur terre dans la<br />
mesure où par ailleurs le bateau représentait seulement une<br />
garantie de survie en cas de grande tempête raz de marée ou<br />
de tsunami, Sarah les appréhendant se méfiait de leurs<br />
effets dévastateurs. Ce soir du 29 Mars 2022 donc, Sarah<br />
Howard attendait un acheteur pour la villa où elle résidait à<br />
Nongo. Elle était résolue à vendre, se séparer de l’Arche,<br />
l’appellation qu’elle avait donné au lieu. Il faisait bon vivre<br />
à Conakry dans ce cadre idyllique. Les agences<br />
immobilières guinéennes re<strong>com</strong>mandaient tout
165<br />
particulièrement ce site à la vue apaisante au bord de<br />
l’Océan Atlantique Sud. Les prix au mètre carré avaient<br />
flambé. La propriété de Sarah avait son pesant d’or, elle<br />
n’en doutait point. En cédant ce terrain, Sarah aurait<br />
largement de quoi achevé un autre bâtiment, dont elle avait<br />
aussi dessiné les plans, ultramoderne dans le Gombokori,<br />
toujours en Guinée sur un emplacement acquis à peu de<br />
frais, mais campé à + de 1000 mètres de hauteur dans les<br />
terres, au Sud Est de la capitale, proche de Forécariah et de<br />
la frontière sierra léonaise, d’un autre état de la Fédération<br />
africaine. « Toujours plus haut » aurait bien pu être la<br />
devise de Sarah en matière d’habitacle ou de refuge. La<br />
savane serait là, toute proche.<br />
Le dynamisme du continent dans l’exploitation des<br />
richesses avait permis l’autarcie et l’autosuffisance en peu<br />
de temps. L’Afrique bénéficiait, dès avant l’affaire trouble<br />
de l’attentat à l’arme thermonucléaire sur la ville de<br />
Liverpool en Grande Bretagne, le 5 Juin 2018 - rayée de la<br />
carte par un missile- d’une situation de faveur préférentielle<br />
sur la scène internationale. Sarah était la <strong>com</strong>manditaire des<br />
travaux de constructions de son futur nid d’aigle. L’horreur<br />
dans ses perspectives et la précarité conjoncturelle dans la<br />
cohabitation des intérêts militaires, politiques et<br />
économiques du récent Empire azur (Forces<br />
Amériques/Europe/Asie dites Forces de la Liberté), avait<br />
convaincue Sarah de s’installer dans une région stable, loin<br />
des conflits du Nord. L’action de son monarque, Son<br />
Altesse Impériale Ynès 1 er , 58 ans, un ancien champion du
166<br />
monde de catch, d’une taille avoisinant deux mètres dix,<br />
187 kilogrammes reconnus, lettré, prix Nobel de<br />
mathématiques appliquées, ayant fait fortune dans les<br />
cosmétiques et la nutrition pour sportifs et élu à vie en<br />
fraternité par une confortable majorité des voix des notables<br />
au suffrage indirect des peuples des anciennes EUA, UE,<br />
FR et Japon fin 2015 sur proposition d’une profession de<br />
foi électorale très inspirée et s’étant subtilement accordée<br />
aux valeurs religieuses des différentes <strong>com</strong>munautés<br />
sollicitées pour un acquis de confiance au-delà des<br />
confessions.<br />
Préambule de la Constitution de Septembre 2015 lu<br />
officiellement à l’assemblée devant Ynès 1 er par le Primo de<br />
La Parole (de l’Ordre dynastique) :<br />
« Une entité géopolitique aussi vaste que les rayons spacio<br />
temporels de Dieu Soleil portent le regard au loin, l’Empire<br />
serein d’un chef d’état méditant et béni par le Créateur et<br />
institué de Lui juste et solide, sa clairvoyance pratique et<br />
efficace, et voici mon pays dans sa définition patriotique<br />
fondamentale au travers des <strong>com</strong>pétences attribuées à mon<br />
Empereur pour son bien propre et le bien et les intérêts de<br />
ses sujets. Peu importe les noms afin d’éviter toute<br />
polémique qui mettrait en péril la cohésion de l’Empire et<br />
ses acquis exigeant pour la bonne et heureuse marche de sa<br />
gestion une totale abnégation à son profit menant ainsi<br />
personnellement ses éléments dans les grâces de la<br />
miséricorde de Dieu. Je propose l’appellation courtoise de<br />
« madame », « mademoiselle » ou de « monsieur»,
167<br />
momentanément avant de solutionner le délicat problème<br />
des titularisations prenant en <strong>com</strong>pte le confidentiel positif<br />
des personnalités épars et l’expression de la considération.<br />
Mais chaque fonction valide une dimension assumée par le<br />
porteur du nom qui lui fait écho quant aux domaines de<br />
l’espace public et de la vie privée. Chacun détient une<br />
place, effectue une mission à laquelle il fait honneur en<br />
initiant les autres sous la lumière accordée par Dieu Soleil<br />
à l’Empereur dont la puissance du rôle duquel est par<br />
ailleurs d’éteindre pour un moindre mal les feux de la<br />
jalousie et de la vanité qui toutes deux en principe<br />
n’existent pas que dans l’avancée des thèses ennemies en ce<br />
qui concerne la notion et la motion même du pays et sa<br />
nature offensive liée à la nécessité fut-elle pacifique de son<br />
expansion, ce, paradoxalement à l’immortel principe de<br />
base d’une solidarité intérieure et sans faille (…) ».<br />
Tout cela était sur les écrans à l’époque. Le succès des<br />
retransmissions était tel que les médias enregistraient une<br />
audience record supérieure de quelques 600 millions de<br />
spectateurs de plus que la retransmission sacrifiant au très<br />
classique Superbowl de la même année avec la prestation en<br />
guest à l’entracte de la pop acidulée et mentholée de<br />
trentenaires de Les Shades et la restitution live de 4 de leurs<br />
morceaux dit d’anthologie et issus le leur album concept<br />
intitulé avec une rare dérision Sir Avec Moi ! Sarah s’était<br />
interrogée sur la praticabilité de la Résistance active.<br />
L’Empereur en étant en effet issu du peuple, sans légitimité<br />
natale pour un trône, n’anéantissait il pas tous les espoirs de
168<br />
Liberté dans le même temps au profit d’une sévère<br />
répression contre les moi réfractaires ? Son action avait donc<br />
cependant pour objectif premier de préserver la paix devant<br />
le péril chinois. C’était sa tâche principale assurant la<br />
signification de sa dignité impériale. Il y avait en effet de<br />
fortes présomptions que la destruction de Liverpool, à<br />
l’origine de plus de 550 000 victimes tout de même, après le<br />
pacte d’alliance inaliénable en vue d’une structure<br />
gouvernementale <strong>com</strong>mune liant le destin des citoyens des<br />
pays de l’empire <strong>com</strong>posé d’américains, d’européens, de<br />
russes et de japonais, fut un attentat du à ce qui fut l’Empire<br />
du Milieu passé depuis longtemps à l’offensive. Ce dernier<br />
était soupçonné de saper à son profit l’œuvre de l’ONU<br />
vieillissante et dominait la scène international Nord,<br />
menaçant l’emploi de son arme météorologique, dite<br />
Impact Rouge. Celle-ci lui avait permis en plus d’une<br />
tactique nucléaire conventionnelle aux effets finalement<br />
limités, de réduire au néant le Pakistan islamiste et une<br />
grande partie de l’Union Indienne, désormais recouverte à<br />
70% par les eaux dans la plaine jusqu’à la chaîne de<br />
l’Himalaya, responsable de peut-être 800 millions de morts.<br />
Si la planète n’avait été mise <strong>com</strong>plètement à feu et à sang<br />
dès le début du XXIe siècle, c’était qu’il apparaissait<br />
évident qu’elle était le seul refuge pour les hommes depuis<br />
la fin de la conquête spaciale. Les membres du conseil de<br />
sécurité des Nations Unies avaient fermé les yeux sur SSA<br />
(Shooting Stars Acts en américain) estimant au départ sa<br />
nature <strong>com</strong>me relevant d’un conflit tout d’abord
169<br />
économique. Les lobbys armés détruisaient en effet entre<br />
concurrents des banques de données informatiques<br />
réduisant en poussière des concepts de tactiques et<br />
stratégies en gestion énergétique établis en théorie à des<br />
fins <strong>com</strong>merciales. Des entreprises privées chinoises<br />
exécutaient les basses besognes ou sous-traitaient les<br />
exécutions de leurs contrats auprès des structures officielles<br />
de Beijing. Ainsi des fonctionnaires corrompus avaient-ils<br />
permis par des antennes nationales, mais internes et au<br />
fonctionnement individuel, l’accès et l’usage de missiles<br />
pour détruire en grand nombre des satellites, relais<br />
d’informations permettant à des entreprises supranationales<br />
de se faire la guerre pour le monopole d’un produit<br />
essentiel. Profitant des conflits d’intérêts, les chinois<br />
jouaient sur tous les tableaux <strong>com</strong>me des mercenaires<br />
internationaux. La Chine en était sortie extrêmement<br />
grandie. 75% de l’arsenal nucléaire mondial avait servi à<br />
bousiller des satellites en orbite. Le conseil de sécurité<br />
s’était contenté d’exclure les chinois à l’unanimité moins<br />
une main levée : la leur. Mais ils avaient menacé la paix au<br />
delà de l’atmosphère, tant et si bien que plus personne,<br />
aucun pays, des projets de colonisations de l’espace, russes<br />
ou américains en passant par les européens de Kourou ne<br />
voulaient risquer des expéditions qui plus est, à fortiori, des<br />
voyages habités. En avaient-ils toujours la latitude ? La<br />
Nasa sous la pression médiatique de l’antique internet avait<br />
même admis qu’une rixe entre spacionautes après un<br />
arrimage discutable d’un vaisseau coréen du Nord sur la
170<br />
station spatiale internationale de la seconde génération était<br />
à l’origine de son avarie précédant de 47 heures 32 minutes<br />
sa triste, célèbre et retentissante explosion, destruction<br />
ruinant plusieurs décades d’efforts de recherches, de<br />
concentration et de minutie technique. On avait dénombré<br />
34 victimes civiles dont 21 hommes et 13 femmes, une<br />
devant accoucher de triplés à 450 kilomètres de la Terre,<br />
emportant ainsi les espoirs de l’Humanité dans le secret du<br />
silencieux Cosmos. Les Coréens se trouvaient sur un<br />
vaisseau chinois et utilisaient une technologie de même à<br />
base de propulsion solaire convertie en consommable<br />
énergétique dont le brevet et son principe avait été dérobée<br />
par un réseau d’espions infiltrés sur l’archipel japonais à<br />
des ingénieurs nippons emmenés par monsieur Yun, un<br />
grand scientifique employé par le consortium florissant<br />
alors, Yamaha Espace, avait titré la presse à l’époque.<br />
La récente Fédération africaine semblait être la seule<br />
géographiquement et géopolitiquement à ne pas être<br />
susceptible d’être dévasté autrement que par elle-même, de<br />
l’intérieur par la volonté de ses ressortissants. Ce qui ne<br />
risquait pas d’arriver de sitôt, ses peuples conscients de<br />
maintenir la chance de son demi état de nature écologique à<br />
mi-chemin entre l’exploration de ses richesses et leur<br />
exploitation. C’était un puis réconfortant pour sa situation à<br />
l’origine du degré hautement optimiste du moral africain.<br />
L’élévation spirituelle continentale supplantait les<br />
croyances simplement religieuses par une foi tenant du<br />
surnaturel. Au bout du parcours animiste, ces peuples
171<br />
étaient enfin parvenues à Dieu, sous les traits visuelle d’une<br />
femme dont l’image changeait sans cesse. Dans les<br />
établissements scolaires, les maîtres des petites classes<br />
invitaient les élèves de 6 ans à représenter A+ en moulage,<br />
c’était son nom dans les bouches mortelles. Une tradition<br />
voulait que chacun gardât la représentation fondue en<br />
bronze ou en résine et de taille variable du/de A+ d’un<br />
proche, parent ou ami, à vie. Sarah fut-elle physiquement<br />
un semblant <strong>com</strong>mun des représentations divines ? On lui<br />
avait souvent sourit dans à Nongo. Ses habitants lui avaient<br />
demandé bon nombre de fois, avec le respect du à une<br />
icône, de poser devant les objectifs, ses cheveux rouges<br />
teints au henné attirants l’attention, du moins le croyait-elle<br />
seulement dans cette nouvelle histoire. Certains lui<br />
assuraient même qu’elle était bénie. Sarah aurait pu se<br />
sentir là à jamais en sécurité. Les envois de la culture<br />
africaine recherchée émotionnellement par les acteurs de<br />
tous pays, autant que pouvait l’être le décollage à 180° de<br />
ce continent, la fédération gouvernée par une collégiale de<br />
sages, était devenu LA zone préservée, une terre promise<br />
sous la forme d’un nouvel Eldorado. Il y avait autant de<br />
tendances que d’individus mais pas de rapports de<br />
contestation et de violence à l’endroit du gouvernement. La<br />
concertation prévalait au contraire dans la sensibilité<br />
africaine par delà les différents peuples et la gestion de<br />
leurs intérêts partagés, l’application stricte d’une discipline<br />
de société garantissant une cohésion respectant la hiérarchie<br />
dans le corps social. Les valeurs de l’Afrique fédérale
172<br />
tenaient sur un bloc unitaire et pacifique. C’était une<br />
innovation politique et économique, une fraternité originale.<br />
Les africains se nommaient officiellement entre eux frères<br />
et sœurs, <strong>com</strong>me une chaleureuse marque de respect et<br />
d’humilité inspirée du bouddhisme. C’est pour cela que<br />
Sarah Howard avait discrètement déserté les « zones à<br />
risques » <strong>com</strong>me l’Empire d’Ynès dit Ynès le mutant et se<br />
préparait à quitter, au surplus désormais, le foisonnement<br />
des villes et la promiscuité urbaine pour un espace naturel<br />
dont elle ne <strong>com</strong>ptait pas revenir ou se défaire.<br />
Le système d’anticipation télépathique de SY mis au point<br />
par Sarah avait calculé juste : il y eut sans surprise un appel<br />
téléphonique d’un correspondant confirmant, par<br />
l’intermédiaire d’une agence immobilière, l’achat des<br />
3000m2 du terrain avec l’Arche de Sarah à Nongo. Pour<br />
une remise concédée avec l’intermédiaire sur le montant du<br />
prix de vente, le règlement serait effectué à 35% en liquide<br />
dans différentes monnaies déduction faite des frais<br />
d’agence. Un acte notarié allait être signé sous peu. Sarah<br />
Howard remettrait les clefs au nouveau propriétaire, un<br />
industriel gabonais fortuné et au capital certifié, qui<br />
souhaitait investir le lieu au plus tôt.<br />
« Si seulement demeurait la mémoire après une simple<br />
transaction, c’est un peu <strong>com</strong>me l’effort de l’écrivain par<br />
rapport au temps impartit à la lecture» pensait Sarah.<br />
L’ADN d’M.A., toujours en vie et active d’une manière<br />
étonnante, loin d’être à la charge d’un pathétique service de<br />
gériatrie et alors âgée de 108 ans, était intégrée dans SY,
173<br />
<strong>com</strong>me un constituant fondamental susceptible d’être un<br />
agent reproducteur en matière de re<strong>com</strong>position de gènes<br />
pour la synthèse physiologique par des cellules souches<br />
établissant des programmes quotidiens de recherches<br />
nutritionnelles, tels que les calculs dans les apports de<br />
calories ou bien de protéines uniquement destinés à<br />
l’alimentation de sa fille. Cependant ce fut ce jour là<br />
Soronah, une charmante adolescente de quinze ans à<br />
l’avenante beauté qui livrait son dîner à bicyclette à Sarah<br />
au nom des cuisines de l’hôtel international de Conakry. La<br />
résidante de Nongo avait en effet passé un accord afin que<br />
ce fût de celui-ci que ses repas du soir soient délivrés.<br />
L’adition était réglée en fin de chaque mois. Une salade de<br />
tomates et un plat sénégalais très populaire, le Yassah était<br />
au menu. Le souper consistait en un poulet braisé<br />
minutieusement cuit et ac<strong>com</strong>pagné d’une portion de riz<br />
nature à la citronnelle. Le chef avait cru bon de rajouter une<br />
boisson au gingembre et un nan au fromage, une crêpe<br />
indienne se substituant à la baguette française.<br />
« Bon appétit à vous Madame Howard ! Régalez vous !<br />
Demain ce sera du mafé ! Tanamouna !» entonna en<br />
souriant la jeune employée en quittant l’Arche d’un pas<br />
léger. Sarah <strong>com</strong>prit que Soronah la saluait et prenait<br />
congé.<br />
-Tanamou jeune fille ! » répliqua-t-elle sur le seuil de la<br />
villa en lui faisant un signe de la main en la regardant<br />
s’éloigner.<br />
Puis avec son bon appétit coutumier, Sarah se mit donc à
174<br />
table sans tarder et se régala, en effet.<br />
Le lendemain Elle avait prévu de se rendre pour la fin de<br />
semaine dans le Gombokori afin de mesurer l’étendue des<br />
travaux du Rectangle, nom attribué à ce qui serait sa<br />
nouvelle résidence. Deux thermos de café lui parurent<br />
nécessaire afin de rouler seule en conduisant et parcourir<br />
sans s’endormir quelques deux cents kilomètres en partie en<br />
terrain non aménagé. Mais il lui fut nécessaire d’emporter<br />
le minimum. Sarah pilla son congélateur et son placard de<br />
cuisine : elle y soustrait dans la perspective de son séjour<br />
quatre vingts litres d’eau potable en bidons, l’équivalent de<br />
six repas à la mode chinoise <strong>com</strong>prenant rouleaux de<br />
Printemps, nems, pâtés impériaux à la volaille, feuilles de<br />
salade et feuilles de menthe, sauce de soja à consommer<br />
froid après décongélation, plus quelques canettes de<br />
boissons énergisantes, le tout placé dans une glacière. En<br />
outre, Sarah n’oublia pas de prendre avec elle quatre<br />
bouteilles de deux litres de jus d’oranges à mélanger avec<br />
de l’eau afin d’être une boisson parfaitement<br />
rafraîchissante, des barres de chocolat fourré au caramel,<br />
quelques tubes de lait concentré et deux paquets de céréales<br />
préalablement sucrées, une bouteille d’huile d’olives<br />
grecques, de la semoule fine, des sardines en conserves,<br />
quelques fruits, des biscuits. Sarah n’emporta pas de bières,<br />
breuvage qu’elle n’affectionnait qu’avec parcimonie, mais<br />
une bouteille de whisky de la marque Four Roses. Il y avait<br />
une bonbonne d’alcool à 90° dans une petite trousse à
175<br />
pharmacie en cas d’urgence. Deux brosses à dents et un<br />
tube de dentifrice au fluor se trouvait en plus à l’intérieur.<br />
SY avait calculé tous ces effets sous la forme d’une liste<br />
exhaustive pour un voyage de deux jours voulu, au loin de<br />
Nongo, <strong>com</strong>me une formalité et non pas une aventure.<br />
L’hologramme avait même mentionné un sac de couchage,<br />
une tente et un réchaud à gaz <strong>com</strong>me pour les meilleurs<br />
boys scouts campeurs. Sarah se décida et entreprit de partir<br />
en milieu d’après midi. Le Soleil brillait dans un ciel<br />
infiniment bleu. Il faisait très chaud. Malgré ses vêtements<br />
d’estivante, Sarah qui avait repris ses airs conquérants était<br />
prise aux poumons par la chaleur. Elle portait un tee shirt<br />
blanc, un pantalon de treillis kaki et une saharienne beige.<br />
Sarah était chaussée d’une paire de Timberland en nubuc<br />
sur une paire de chaussettes en coton. Sa tête était couverte<br />
d’un béret blanc, imité de celui du révolutionnaire Ernesto<br />
Che Guevara, une écharpe barracuda cache poussière du<br />
bas de son menton à son cou. Elle portait son vieux couteau<br />
de survie de l’ex-U.S army à la ceinture et dissimulait un<br />
Taser dans la poche droite de sa saharienne, ainsi qu’un<br />
petit flash ball dans la poche gauche. « On ne sait jamais »<br />
se disait-elle toujours dans son bon droit <strong>com</strong>me pour se<br />
rassurer. Mais elle n’avait jamais fait usage de ces armes,<br />
excepté peut être coupé de la viande, des cordes ou bien des<br />
tissus avec sa lame. Il s’agissait surtout d’éléments propre à<br />
dissuader ceux qui, éventuellement, contre son gré,<br />
voudraient s’en prendre à elle physiquement, en dépit de<br />
l’état exceptionnel de sa forme corporelle, conservée par
176<br />
une affaire quasi quotidienne de la pratique de mouvements<br />
précis en estimation des distances, lors de shadow boxing<br />
sur un adversaire imaginaire, d’un niveau équivalent pour<br />
Sarah à l’obtention de la ceinture bleu en full contact.<br />
Sur l’asphalte les roues du véhicule de brousse glissaient à<br />
un rythme constant, à une allure moyenne. Sarah évitait les<br />
trous parfois béants de la route sur laquelle elle circulait.<br />
Un convoi de trois camions transportant des militaires<br />
vraisemblablement moins équipés qu’elle l’était croisait le<br />
chemin de Sarah. Un peu + tard celle-ci s’engageait au<br />
Nord Est de Forécariah, empruntant une voie non<br />
goudronnée. Sarah évita de justesse de renverser une biche<br />
égarée sur la piste non répertoriée sur son GPS plus ou<br />
moins défaillant. La radio du 4x4 était brouillée et il<br />
semblait impossible de capter quoi que ce soit. Mais le<br />
moteur tournait parfaitement. Il y avait assez d’énergie pour<br />
finir le trajet et revenir plus tard selon un calcul de<br />
consommation en distances. Sarah pouvait même se<br />
permettre un crochet par Forécariah pour se ravitailler en<br />
eau potable par exemple. Il était aux alentours de 17 :00<br />
lorsqu’un orage bref rendant la visibilité difficile fut<br />
ponctué par quelques éclairs et le bourdonnement du<br />
tonnerre. Sarah fut contrainte de stopper l’automobile. Puis<br />
le ciel fut débarrassé des nuages sombres qui, se dissipant,<br />
firent place plein Sud à la « peinture » d’un extraordinaire<br />
couché de Soleil. Sarah, qui devait avancer encore, estima<br />
ne pas être pressée. Le Gombokori était une belle région à
177<br />
demi sauvage et inhospitalière située en altitude. Le terrain<br />
de Sarah demeurait cependant encore accessible. Une<br />
voiture pouvait y mener tout voyageur. La propriétaire avait<br />
bien roulé jusqu’alors et s’était rapprochée petit à petit de sa<br />
destination. Le jour déclinait sensiblement.<br />
En consommant un café tout en fumant une cigarette sans<br />
filtre, à la lumière d’une torche sur le siège du conducteur,<br />
Sarah considérait une carte répertoriant les environs. Puis<br />
elle décida de se dégourdir un peu avant de repartir. Après<br />
s’être extraite de son véhicule, elle fit quelques pas au<br />
devant. L’air, qui lui avait manqué durant le trajet, la saisit<br />
aux poumons. Cela lui suffisait pour être d’excellente<br />
humeur.<br />
« Que demander de + ? » pensa-t-elle.<br />
Elle regardait au loin, à l’horizon. Elle se délectait du<br />
paysage qui s’offrait. Le panorama avait quelque chose de<br />
magique et d’envoûtant. Plus palpable bien sur qu’un visuel<br />
de carte postale, la nature y était en majesté, authentique.<br />
Intriguée, elle se demanda un instant ce sur quoi pouvait<br />
prétendre reposer ce que l’on appelle la civilisation<br />
autrement que la loi des <strong>com</strong>posantes naturelles dont ce «<br />
décor » se faisait le reflet exemplaire. Il eut fallu sans doute<br />
qu’elle fût l’unique représentante d’une race humaine dont<br />
elle n’était plus depuis longtemps, à entrevoir les choses<br />
sous cet angle pour jouir éternellement de la situation.<br />
« Si j’avais su ! »<br />
Elle était pourtant bien seule sur cette parcelle de terre où<br />
quelques éléments ligneux balisaient l’espace dans des
178<br />
distances toujours égales, leurs cimes fléchissant par endroit<br />
sous l’effet d’un doux et léger souffle de vent. Dans ce<br />
cadre idyllique digne au fond d’un luxueux et dépaysant<br />
programme de tour opérateur, Sarah, dans son élément, était<br />
enchantée et échappée de la pollution des villes qui<br />
augmentait dangereusement par endroit, ou de la guerre<br />
ailleurs se prolongeant sans justice avec tant d’indécence.<br />
Mais il était temps de rentrer au Rectangle avant la nuit.<br />
« Attends Sarah ! Allons, pourquoi partir si vite ?<br />
chuchotait à ses oreilles une voix sereine et chaude venue<br />
de nulle part. C’est ainsi que tu peux ressentir par ta seule<br />
volonté et te placer entre la vie et la mort pour vivre tes<br />
émotions renaissantes. Ecoute tes véritables envies, cède à<br />
la force de ta foi. Tu es bien présente ici dans ce décor. Il<br />
t’appartient, tu l’as choisi il y a déjà longtemps. Pourquoi<br />
renoncerais-tu à ce que tu cherchais ? Savais-tu que je<br />
t’attendais depuis des siècles ? Tu as atteints les objectifs<br />
auxquels tu aspirais et tu as ta place ici. J’étais d’un peuple<br />
redevenu barbare l’infortuné et l’impuissant monarque.<br />
C’est toi qui m’a redonné l’envie de vivre. Je te suis<br />
infiniment reconnaissant. Tu as restauré le domaine de ma<br />
fonction. Entre dans ce royaume qui est aussi le tien. Tu<br />
vois les Hommes ne te méritaient plus. Je savais bien que tu<br />
viendrais un jour. J’ai bu l’eau de la terre où ton sang a<br />
coulé. Associons nos pouvoirs, à nous deux nous serons<br />
invulnérables. Ne crains point mon apparence ».<br />
L’histoire touche à sa fin… Un énorme lion surgit alors<br />
lentement et avec une certaine nonchalance des hautes
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verdures. Il vint se placer docile aux pieds de Sarah et y<br />
posait sa tête couronnée. Elle caressa de sa main droite et<br />
manucurée sa crinière fournie avant d’y enfoncer ses doigts<br />
plus franchement.<br />
Les yeux languissants du grand félin fixèrent son regard<br />
dans la pénombre en exprimant le poids émouvant de toute<br />
la tristesse et la misère de l’humanité. Le fauve avait les<br />
yeux couleur rouge. Il était cette conscience animale dont<br />
la voix atteignait l’entendement de Sarah.<br />
La nuit était tombée.<br />
Alors, <strong>com</strong>me de furtives étincelles, un puissant<br />
rugissement fissura de mystère l’opacité des ténèbres<br />
régnant.<br />
BIP ! Désactivation.<br />
<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, <strong>prince</strong> d’Astrée, France, Octobre 2011
180<br />
Une édition limitée de<br />
Météorites Productions Editions<br />
© 2011