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Sen-YattanoeL, prince d'Astrée - YattanoeL.com

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1<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, <strong>prince</strong> <strong>d'Astrée</strong><br />

Roman<br />

Météorites Productions Editions


3<br />

S<br />

arah Howard était une créature fine et coquette de<br />

sexe féminin, âgée de trente ans lorsque débutait son<br />

histoire sous le ciel bleu d’une région ensoleillée.<br />

Pourvue d’une grande taille à laquelle correspondait un<br />

poids en moyenne proportion, elle avoisinait le mètre quatre<br />

vingt, pesait soixante cinq kilogrammes et portait des<br />

cheveux longs à mi hauteur et, bien peignés, une raie sur le<br />

haut de la tête et une queue de cheval dans le dos<br />

généralement. Elle prenait plaisir les lumineuses mâtinées<br />

de Printemps à être sifflée sur les rues de Paris sur son<br />

passage par les ouvriers séduits, s’esbaudissant sur son<br />

allure très en vogue, ses épaules décolletées dans ses tissus<br />

frais et pailletés d’imprimés à fleurs, ses longues et fines<br />

jambes bronzées, nues jusqu’au dessus des genoux, et ses<br />

escarpins rouges aux pieds. Sarah vivait de sa plume. Elle<br />

était journaliste avec des vues sur l’édition dans ce<br />

distinguo entre l’écriture considérée mineure, le<br />

journalisme d’une part, et un art majeur, la « grande »<br />

littérature d’autre part. Elle estimait qu’il était facile à un<br />

romancier de rédiger un article de presse, tandis qu’un<br />

journaliste ne pouvait pas être a contrario automatiquement


4<br />

en mesure d'écrire un livre. Sarah était employée pour ses<br />

<strong>com</strong>pétences par Météorites Productions, une agence qui<br />

publiait une revue en langue française. Sarah était souvent<br />

en déplacement pour son journal. Il lui était demandé de<br />

couvrir l’actualité des différentes tendances issues de la<br />

mode. En charge d’une rubrique thématique, c’était à elle<br />

que revenait entre autre le soin de choisir les photographies<br />

des futiles people, figures sous les feux de quelques<br />

projecteurs dont certaines attitudes correspondaient très<br />

bien aux angles des articles auxquels se conformait la jeune<br />

femme. Elle percevait un revenu brut et décent, cotisations<br />

ou impôts déduits, et se voyait rembourser par le service<br />

financier du journal à chaque retour de reportage sur<br />

présentation de ses notes de frais. La valeur de son<br />

patrimoine ne plafonnait pas cependant. En effet Sarah<br />

n’était point embarrassée et dépensait tous azimuts en<br />

reportage pour la production d’un papier. C’était une<br />

salariée gâtée. Sa bibliothèque était bourrée de dossiers<br />

thématiques de presse de qualité ou de livres de collections,<br />

cadeaux de chefs de produits espérant qu’elle fit écho à leur<br />

marque de fabrique ou à leur publication. La jeune femme<br />

effectuait également maintes économies en se faisant offrir<br />

à ce titre par des stylistes obligeants des vêtements dernier<br />

cri dans les vestiaires de leur maison de haute couture.<br />

Supposée travailler en quête de scoops mêmes ludiques,<br />

elle évoluait tel un élément privilégié telle une immortelle à<br />

la table des Dieux en l’Olympe, lorsque représentants ou<br />

représentantes politiques, artistes et médias en tout genre se


5<br />

brassent et se confondent dans la même sphère. La probité<br />

professionnelle de la journaliste n’exigeait pas d’elle un<br />

effort d’abnégation qui eut laissé entendre qu'elle put<br />

répondre sur le fond de sa légèreté quant à son usage de<br />

l’argent des autres, l’argent du journal. Une latitude<br />

financière de la sorte lui permettait, pour ce qu’elle s’en<br />

réjouissait, d’être sur le terrain, « couverte » à concurrence<br />

d’être remboursée pour ses dépenses. Aussi, concrètement,<br />

elle ne payait rien in fine. Aucun billet de transport, avion,<br />

train, bateau ou voiture à ses consommations dans les cafés,<br />

ses repas aux restaurants ou sur les montants permettant<br />

l’accès aux chambres d’hôtels. Ses gains matériels lui<br />

conféraient le statut d’un leader d’opinions avec une<br />

certaine latitude de fonds à laquelle elle n’aurait su<br />

renoncer pour rien au monde. Toutefois ses extras<br />

également remboursés n’avaient en général pas<br />

nécessairement de liens directs avec le contenu de ses<br />

articles et n’étaient donc pas même mentionnés dans le<br />

corps de ses textes. Les dépenses au profit d’un entourage<br />

abusant des largesses de la jeune femme ne devaient pas en<br />

principe être remboursées à cette dernière. Et à chaque fin<br />

de mois ceci représentait pourtant une certaine somme<br />

débitée sur le <strong>com</strong>pte de la revue.<br />

Mais Sarah Howard avait la fibre associative plutôt<br />

éloignée de tout sentiment d’un progressisme actif. Ceci<br />

expliquait l’état <strong>com</strong>mun de son peu de brillance intérieur.


7<br />

Grand Reporter<br />

Comme tout journaliste, « mademoiselle Howard », tel qu’<br />

elle se faisait appeler parfois, cherchait en ces temps de<br />

chasse sensationnelle et improbable en extras aux<br />

évènementiels, à en savoir le plus possible dans toutes les<br />

directions afin d’être la plus à même de renseigner<br />

Météorites Productions dont elle était, à la fin de participer<br />

activement à l’augmentation de l’audience de l’agence et<br />

accessoirement par conséquent à la sienne.<br />

Le concept de la revue <strong>com</strong>portait <strong>com</strong>me objectif de<br />

fidéliser un lectorat sur le potentiel du nombre des<br />

spectateurs récepteurs jusqu’alors assidus par automatisme<br />

confortable des soporifiques fréquences radios ou du fléau<br />

télévisuel. Cela était parfaitement admis et entendu <strong>com</strong>me<br />

part de risque lors de toute aventure ou tentative d’aventure<br />

dans la presse écrite. L’observance requise et exigée d’une<br />

grande solidarité devait dériver sur une infaillible confiance<br />

mutuelle au sein de la structure d’une revue, quels qu’en<br />

furent les tenants idéologiques ou <strong>com</strong>merciaux, un respect<br />

opérant des administrateurs en passant par le rédacteur en


8<br />

chef, jusqu’aux équipes de maintien technique des surfaces<br />

louées pour les bureaux, du sommet à la base et<br />

inversement. Sarah, élément à l’influence présumée, faisait<br />

preuve d’une discrète <strong>com</strong>passion. Mais une affaire de<br />

gratuité dans l’accès théoriquement payant à l’information<br />

finissait toujours tout de même par se poser, et l’ambiance<br />

appréciable pour la qualité d’un bon traitement des dossiers<br />

n’inscrivait pas forcément au registre des bonnes affaires,<br />

n’était pas synonyme de grosses ventes pour le journal.<br />

L’unicité de chaque emblème est susceptible d’en faire<br />

toutefois une référence à force de promotion. Le principal<br />

atout de Sarah, l’aspect essentiel, rare et intrinsèque de son<br />

authenticité, méthodiquement piquée d’intérêts collectifs au<br />

cœur de ses articles pour contribuer à l'expansion<br />

<strong>com</strong>merciale de son employeur, résidait malgré tout dans sa<br />

pertinence réputée objective touchant à la manipulation des<br />

informations. Sans concession fondamentale dans ses<br />

analyses, perçue <strong>com</strong>me une anticonformiste toutefois par<br />

certains dans sa profession et se refusant généralement à<br />

dire pour le grand bien de l’audience ce que les autres<br />

veulent systématiquement bien entendre sans qu’il y ait de<br />

raisons fondamentales à cela, sa crédibilité médiatique<br />

reposait sur la capacité de son volume qualitatif et<br />

quantitatif d’écriture constituée d’une formule sophistiquée<br />

entre prise de position nuancée sur des faits certifiés et,<br />

paradoxalement, son expression personnalisée. Le fond<br />

établit, détaillé et entendu en ses formes stylées achevaient<br />

toujours donc par susciter l’attention à son approche tels


9<br />

une marque de fabrique. Sarah Howard cherchait et trouvait<br />

écho dans des consciences éveillées par l’accès à l’état<br />

extérieur de la maîtrise de ses raisonnements à priori<br />

cohérents et intelligents dans la langue de Guillaume Budé.<br />

En d’autres termes, elle formulait, avec un à propos fait<br />

d’une psychologie judicieuse, les bonnes questions, ce que<br />

doit être en mesure de faire tout journaliste digne de ce nom<br />

afin de justifier son rôle, en sachant se projeter au-delà mais<br />

rester un récepteur flexible à l’information brute en ayant la<br />

faculté d’anticiper avec les esquisses les plus précises<br />

possibles d’éventuelles réponses sans rompre le rythme<br />

des entrevues avec des évènements ou des interlocuteurs ou<br />

interlocutrices. Bon nombre de ces derniers confondaient<br />

les médias avec de simples marches pieds techniques et<br />

déshumanisés dont il fallait user sans état d’âme. Ce en<br />

quoi ils n’avaient pas nécessairement tort d’un point de vue<br />

pratique, en termes menant à une conformité normative<br />

informationnelle visant des débouchés <strong>com</strong>merciaux. Sarah,<br />

qui abhorrait les questions tests homologués des magazines<br />

féminins, établissait en spécialiste ses contours voulus aux<br />

élans postmodernes dans un contexte original. Elle<br />

ressentait un dégoût manifeste pour tout ce qui versait dans<br />

une démarche à mi chemin entre la fiction ludique et la<br />

réalité crue, tous deux très à la mode. Du coup, elle ne<br />

cessait plus en fut-elle convaincue de faire apprécier ses<br />

envois par des esthètes cultivés pour le plus grand bien de<br />

sa notoriété émergeante, cependant que, se supposant<br />

démarquer du <strong>com</strong>mun des mortels, elle n’osait pas ou ne


10<br />

voulait pas toutefois à raison se présenter <strong>com</strong>me un<br />

personnage incontournable qu’elle ne fut pas par ailleurs,<br />

sans nul doute. Cela aurait mis en péril l’accession au<br />

standing ciblé auquel elle ne pouvait s’empêcher d’aspirer<br />

en privé.<br />

« Pour être heureuse, il faut vivre cacher » se disait-elle tout<br />

de même souvent, en terme de discrétion et d’entrave<br />

minimum. Le fait était qu’elle ne fut pas célèbre au point<br />

d’être facilement identifiée en dehors d’un cercle de<br />

relations très restreint. Loin que les Ouzbeks l’auraient élu<br />

Miss Tachkent, son relatif anonymat en zone protégée<br />

concourait également au libre exercice, à son rythme, de sa<br />

profession de journaliste qu’elle avait déjà plus ou moins<br />

cessé de pratiquer dans la norme du genre, <strong>com</strong>pte tenu de<br />

son attrait pour la littérature et la révolution solitaire de<br />

son fait en terme d'art majeur. Si elle affichait une sérénité<br />

lucide et réservée quitte par conséquent à se faire plus<br />

remarquer que d’autres, elle était secrètement sujette à un<br />

véritable dilemme cornélien avant de rédiger ce qui lui<br />

permettait de lever haut les couleurs de ses orientations et,<br />

ambition mesurée en fonction des possibilités à sa portée,<br />

du sens qu’elle produirait en les couchant sur ses feuillets<br />

sous un point de vue très personnel et pourtant destiné à un<br />

lectorat ciblé. L’actualité du corps social de la <strong>com</strong>munauté,<br />

les tenants de celle-ci en matière de <strong>com</strong>munication<br />

procédaient souvent d’une diarrhée verbale de nature<br />

logorrhéique par la presse. Qu’il en fut ainsi en politique,<br />

dans les domaines sociaux, culturels ou religieux, Sarah


11<br />

voulait éviter tout écueil en ne souhaitant simultanément<br />

pas en tous les cas laisser indifférent. Mais elle craignait<br />

malgré tout, en permanence, en véritable névrosée<br />

quasiment, que l’on s’égarât sur son <strong>com</strong>pte <strong>com</strong>me si elle<br />

fut parfois une personne très connue et au point de vue<br />

déterminant sur ses thèmes de prédilection. Son langage lui<br />

donnait des ailes et elle se surpassait semblait-il donc à<br />

chaque envois sans établir de frontières définies entre une<br />

certaine réserve dans l’exposé de ses idées et lorsque son<br />

altruisme nécessaire à l’égard de ses lecteurs faisait son<br />

ouvrage. Elle avait rédigé en quelques années plusieurs<br />

centaines d’articles sur des thèmes souvent similaires par la<br />

force des choses, échappant toutefois à la redite dans ses<br />

propos.


13<br />

Hollywood<br />

HOLLYWOOD<br />

Sarah Howard fut envoyée aux Etats Unis par le rédacteur<br />

en chef de son journal, quatre semaines en Juin pour un<br />

reportage sur la formation rock des Plastic Flag, un groupe<br />

à succès constitué en Californie. « ça y est, j’y suis ! »<br />

s’était elle convaincue de penser en débarquant à l’aéroport<br />

de Los Angelès, LAX, <strong>com</strong>me on poserait en équivalence<br />

humble et modeste le pied sur Mars. Lors de son premier<br />

séjour sur la Côte Ouest, la journaliste vécut par conséquent<br />

le début des vacances scolaires en villégiature à Hollywood.<br />

Un nouveau départ pour Sarah.<br />

La notion même de journalisme était à réinventer. L’époque<br />

l’exigeait. Doutant soudain de ses valeurs refuges<br />

conformistes et entendues, Sarah s’estimait d’un coup<br />

capable de grandes choses. Mais il lui aurait fallu de<br />

grandes idées. Les américains avaient leurs propres critères<br />

informatifs et déontologiquement intéressants. La presse de<br />

genre suscitait mépris ou appréhension avérée et vive. Les


14<br />

émetteurs s'en jouaient directement ou indirectement, ce,<br />

depuis des plumes informatiques épars jusque dans les<br />

colonnes bariolées des tabloïdes. Ceci risquait à tout<br />

moment, séance tenante, de faire perdre son intérêt<br />

nécessaire et attendu à l'information. Et Sarah Howard<br />

l'avait bien perçu cependant. Elle notait au surplus que le<br />

service public était dépendant et les médias en général aux<br />

ordres <strong>com</strong>me un pion sur un échiquier. Ce constat reposait<br />

sur plusieurs points précis et pris en <strong>com</strong>pte dont était l’état<br />

de la latitude réservée à la presse pour tenter de circonscrire<br />

le rôle originel du journalisme. La société réalité faisait de<br />

tous dans une fâcheuse problématique, des professionnels<br />

aux amateurs, une cohorte de paparazzis en puissance à des<br />

fins matérielles, en quête de « sensationnel ». Le pire en<br />

somme dans une certaine avidité pour le spectaculaire<br />

<strong>com</strong>me solde de toutes nouvelles sur lesquelles la<br />

spéculation avait cours au loin de toute notion de neutralité<br />

en mesure d’en rendre <strong>com</strong>pte, avec une salubrité effective,<br />

avec un certain recul. Dans le milieu des journalistes<br />

professionnels, la gestion se <strong>com</strong>pliquait concernant<br />

l’attitude à observer vis à vis des émissions extérieures,<br />

entre celle de dociles et simples aboyeurs ou celle de<br />

Mesdames ou Messieurs Loyal du cirque Actualités. Le<br />

pouvoir politique éxécutif lui-même en était donc le<br />

principal pourvoyeur avec sa capacité attachée à<br />

l’informationnel et se voyait attaché à mesurer ses envois.<br />

Un 4e pouvoir échu aux médias n’était en fait qu’une utopie<br />

de plus relevée par Sarah "C'est une mascarade, un élément


15<br />

vide et sans consistance." se disait-elle lors des revues de<br />

presse en parcourant d'autres publications que la sienne. Ce<br />

qui l'agaçait surtout résidait dans l’auto promotion de la<br />

presse puis, son émulation jusqu’au dégoût passant par le<br />

sponsoring de/sur ses antennes. De grands groupes<br />

organisés en cartel avec un homme au sommet, un élu en<br />

général, étaient les <strong>com</strong>manditaires de grandes campagnes<br />

de publicité vitrines relayées par les journaux, radios,<br />

chaînes de télévision ou internet, en vue d’élargir son<br />

influence et confortablement asseoir sa prédominance<br />

financière par la <strong>com</strong>mercialisation de son produit unique,<br />

autrement dit condition sine qua non des revenus des<br />

médias eux-mêmes puisque ressource des principaux clients<br />

de ces derniers. Le public, conditionné pour être convaincu<br />

de dépenser ou, plus exactement, de travailler à raison dans<br />

le sens de ce modèle valorisé au moyen préalable<br />

d’informations ayant pour objectif de flatter son éventuelle<br />

modestie, voyait à long terme l'impossibilité de toute<br />

épargne, toute thésaurisation élargie immédiatement à des<br />

gains substantiels. Il n’y avait point d’écart hors de ce<br />

schéma qui ne laissait aucune autre alternative, aucun autre<br />

choix que la dépendance, au triomphe du crédit au sein de<br />

démocraties en sursis de pénurie énergétique ou de conflits<br />

plus proches de leurs frontières. En un mot pour résumé,<br />

c’était effectivement la crise.<br />

Mais les reportages confiés à Sarah, salariée ès frivolités,<br />

devaient surtout traiter pour son journal les phénomènes de<br />

modes, ce, de A à Z. Alors elle-même dans ce sérail, la


16<br />

jeune femme estimait sincèrement des révélations <strong>com</strong>me<br />

un acte de dénigrement donc d'autodestruction depuis que<br />

même l’art, source de richesses potentielles, se voyait<br />

facilement vilipender, sa fonction fondamentale jusqu’alors<br />

inamovible remise en question. Sous un pseudonyme, en<br />

attendant une occasion, elle s'était donc décidée à signer<br />

avec l’ironie inspirée par une poignante dérision, Anny<br />

Zette.<br />

Issus d’une petite ville de la banlieue fortunée de Los<br />

Angelès, les Plastic Flag, au nombre de cinq membres de<br />

base, Eiwob Patterson, son sulfureux chanteur décoloré<br />

blond platine, auteur charismatique du groupe et originaire<br />

de la poudrière jamaïcaine, le <strong>com</strong>positeur et guitariste<br />

Brad Gnool, le bassiste Ruppert Dawkeen, l’organiste et<br />

arrangeur Bawdy Cleever, sans oublier le batteur Ocky<br />

Bells, avaient connu une renommée internationale dès leurs<br />

deux premiers tubes, placardés en clips vidéos avec un sens<br />

certain des affaires dans un genre calibré par des metteurs<br />

en scène inspirés honorant ainsi un style tout à fait<br />

spécifique. Leurs scorpitones passaient donc en boucle<br />

depuis plus de dix ans sur les émissions spécialisées du<br />

câble télévisé, musiques deux à trois fois par jour sur les<br />

stations spécialisées de la bande FM, leur site web ou leur<br />

chaîne sur YouTube ou Daily Motion visités à plusieurs<br />

milliers de reprises quotidiennement. Ils avaient explosé<br />

l’audimat et leur public avait enrichi de fait leurs <strong>com</strong>ptes<br />

en banques. Ils avaient déjà vendu plusieurs centaines de


17<br />

milliers de copies de leurs morceaux en quelques années,<br />

des CD auxquels s’ajoutaient des dizaines de milliers de<br />

ventes de leur DVD live, leurs premiers concerts à succès<br />

avec le récit de leurs débuts. Leur réputation soutenait à elle<br />

seule l’indispensable aura prélude <strong>com</strong>mercial à des<br />

produits cultes, <strong>com</strong>me la diffusion de certains longs<br />

métrages puisque, pour les bandes originales de quelques<br />

films, des producteurs, flairant le juteux filon, leurs avaient<br />

achetés les droits de leurs chansons les plus connues pour<br />

des sommes d’argent presque obscènes en <strong>com</strong>paraison des<br />

efforts effectivement fournis pour créer les partitions, en<br />

rangées de plusieurs 0 versées à chacun des musiciens. Ce,<br />

en oubliant pas le pourcentage de Don Cougar, leur<br />

manager, un gaillard barbu et cynique d’un mètre quatre<br />

vingt quinze et cent dix kilogrammes, ex crew des<br />

Winstoned dans les années 1980, très éloigné dans<br />

l’immédiat en affaires des dons aux associations ou<br />

fondations caritatives en attente de fonds par exemple.<br />

C’était sans <strong>com</strong>pter la galaxie de la publicité qui effectuait<br />

des covers de leurs morceaux, reprises ou adaptations de<br />

leurs titres pour des spots <strong>com</strong>merciaux. Eiwob Patterson<br />

avait même payé de sa personne en se laissant filmé, par<br />

provocation et essentiellement pour l’assurance d’une<br />

bonne somme d’argent, pour la promotion d’une chaîne de<br />

fast food qui avait fait grand bruit chez les fans aux<br />

Etats-Unis lors de sa première diffusion sur MTV, et dans<br />

laquelle il n’était habillé que de jacks métalliques, un<br />

microphone à la main.


18<br />

Le groupe se voulait en tournée mondiale à l’occasion de la<br />

sortie de leur nouvel opus qui renouait avec leur légende et<br />

avait pour ambition de baliser la route du rock une fois de<br />

plus. Les Plastic Flag incarnaient en quelque sorte une<br />

génération et plus encore, une idée de l’Amérique, tout à la<br />

fois d’essence libertaire, trash et, effet étrange, aux<br />

penchants volontiers néo romantique, post grunge, ou<br />

encore volcanique metal, politiquement impliquée dans un<br />

mouvement mondial alternatif et écologiste gagné par un<br />

mercantilisme <strong>com</strong>mercial récupérateur de tendances et<br />

initié par leurs parents punks ou post punks, les parents de<br />

Sarah Howard en somme. Pour peu que leurs fut acquise<br />

une attention sincère, leurs déplacements agrémenter de<br />

déclarations crachées l’haleine au fluor de façon tonitruante<br />

à la presse, en dehors de leurs résidences de Bel Air où tous<br />

les éléments avaient fini par s’installer, représentaient des<br />

mouvements de foules dignes de véritables évènementiels<br />

nationaux, polices ou services de sécurité sur les dents.<br />

Régulièrement à la une des magazines de genre, poursuivis<br />

<strong>com</strong>me le seraient toutefois avec moins d’une familière<br />

aciduité quelques membres du Gotha par une nuée de<br />

paparazzis professionnels ou amateurs, de groupies<br />

adolescentes avec des penchants de call girls ou de dealers<br />

de drogues semi mauvais garçons, épiant tous leurs faits et<br />

gestes, une série de concerts suggérait un certain degré<br />

d’organisation dont il convenait de préservé la distribution<br />

des rôles et des tâches. Eiwob Patterson avait cependant<br />

connu des démêlés avec la justice américaine pour usages


19<br />

de stupéfiants ou conduite en état d’ivresse au volant de sa<br />

Ferrari décapotable rouge ayant appartenu à un célèbre<br />

acteur de cinéma ruiné et achetée £25,000 aux enchères<br />

chez Sotheby’s à Londres en <strong>com</strong>pagnie ces quelques<br />

fois-là de son égérie de mannequin, Betsy, une des deux<br />

jumelles Craven, filles d’un amiral bardé de décorations<br />

pour ses états de service dans l’aéronavale américaine. Il<br />

avait déjà divorcé deux fois en six ans de l’ex top model<br />

dont il avait eu une petite fille baptisée Girlie Flaggy, sa<br />

garde confiée à une famille d’accueil. Eiwob Patterson, son<br />

père présumé ne l’ayant pas reconnu, ne savait pas toujours<br />

à laquelle des deux sœurs Craven il avait à faire, l’autre se<br />

nommant Angelina, d’un mimétisme troublant avec son<br />

aînée et convaincue au surplus de diverses escroqueries et<br />

d’abus de confiance dans le cadre de recherche de paternité.<br />

Eiwob Patterson grillait la vie par les deux bouts de manière<br />

notoire et devait des heures de travaux d’intérêt général au<br />

<strong>com</strong>té de Beverly Hills. Ses avocats lui avaient obtenu un<br />

sursis après le versement d’une forte caution, à la suite d’un<br />

procès retentissant qui jugeait plus un symbole qu’un seul<br />

prévenu. A condition qu’il soit suivi par une équipe de<br />

psychiatres et qu’il s’astreigne à une cure de<br />

désintoxication, Patterson était libre. L’homme âgé de<br />

trente ans à peine passait donc des heures dans un<br />

dispensaire d’Hollywood, plusieurs heures par semaine,<br />

sevré de neuroleptiques entre deux parties ou beuveries<br />

avec des piques assiettes qui avaient tendance à consommer<br />

avec ses cartes de crédit approvisionnées par ses droits


20<br />

d’auteur et d’interprète. Une vie de rock star, <strong>com</strong>me il<br />

aurait pu y en avoir des centaines si les éléments du quintet<br />

n’avaient point incarné le style lui-même, à la une, <strong>com</strong>me<br />

avant eux le rock en soi avec ses travers et un certain<br />

panache par Elvis Presley. Mais les choses avaient bien<br />

changé depuis celui que l’on surnommait the king avec plus<br />

ou moins d’une ferveur décalée. Les excès d'Eiwob<br />

Patterson étaient partagés avec Brad Gnool et Ruppert<br />

Dawkeen qui se « défonçaient » aussi, plus qu’en<br />

<strong>com</strong>pagnie des deux derniers Plastic Flag manquant, plutôt<br />

rangés et moins impliqués dans une imagerie scandaleuse.<br />

Don Cougar laissait faire sans trop intervenir en ce qui<br />

concernait la vie privée de ses protégés, si les heures de<br />

studios d’enregistrements n’étaient pas facturées pour rien<br />

et dans la mesure où le public était convenablement sevré,<br />

pour ne pas dire gavé, par la production du groupe, tel un<br />

opium pour le peuple, en ce que cela n’empêchait pas de<br />

contribuer à rapporter des millions de dollars, songeait-il<br />

avec un brin d’un intérêt malsain, alternant conseils<br />

paternels et franche exploitation d’un phénomène de mode<br />

dus à ses musiciens hors normes si ces dernières pouvaient<br />

même en délimiter des contours entendus. C’était lui<br />

d’ailleurs qui fournissait le plus les membres du groupe en<br />

produits dopants, convaincu d’encourager et même<br />

participer à la création des morceaux.<br />

« -Ne le dites pas à vos mères, précisait-il à chaque fois<br />

avec une ironie de façade, elles me haïraient ! ».<br />

Quelques observateurs, journalistes érudits rock ou


21<br />

sociologues émérites, sans trop se risquer, ne donnaient<br />

néanmoins pas cher de l’avenir des Plastic Flag. Leur<br />

rythme de vie vraiment « ultra speed » <strong>com</strong>me titrait en<br />

Allemagne le mensuel berlinois WahWah présageait le pire<br />

en effet. Une mort accidentelle ou une overdose du chanteur<br />

n’étonnerait plus et ne concernerait plus personne<br />

finalement. Musicalement, si un album à venir du groupe<br />

fut en soi un évènement, ils ne pouvaient plus véritablement<br />

innover. Ils étaient un peu à la traîne des tendances, de la<br />

mode, finis <strong>com</strong>me le prétendait Martine Lebris de Grand<br />

Magasin, une revue naturellement franco belge. Rock un<br />

point c’était tout et actuellement entre deux eaux fashion.<br />

La tournée avait pour but de rehausser le tableau de ces<br />

rebelles de circonstance et d’en faire des stars que l’on<br />

continuerait de toute façon à flairer avec une bibliothèque<br />

musicale, intéressante certes, mais de seulement une<br />

cinquantaine de titres officiels en dix ans de carrière. Tout<br />

était là. La lassitude du public récepteur était à craindre,<br />

susceptible, pour peu qu’il se fit un bon jugement sur le<br />

groupe à la dérive, de précéder une possible indifférence,<br />

du dépit finalement et la résignation des fans à ressentir un<br />

peu plus que de la vie dans ses envois. Les Plastic Flag<br />

n’avaient jamais envisagé de se faire plus rares pour revenir<br />

plus forts au bon moment des bonnes conjonctures. Comme<br />

personne n’y échappe jamais, la banqueroute pointait. La<br />

tournée, intitulée in extremis avec un dynamisme non feint<br />

et à l’encontre de son image Aircraft Willness World Tour,<br />

devait booster les portefeuilles. A Paris, après une bonne


22<br />

campagne de publicité par voie d’affiches entre autre, les<br />

billetteries déclaraient le concert <strong>com</strong>plet pour tous les prix.<br />

Les Plastic Flag y joueraient donc à guichets fermés en<br />

démarrant leur tour de chant par The Prince And The<br />

Sucker, leur dernière <strong>com</strong>position.<br />

Les estivant(e)s, avec lesquels Sarah avait incidemment<br />

partagé son temps au début de l’Eté, se baignaient à l’air<br />

libre sous un ciel bleu azur notait-elle. Ils/Elles<br />

effectuaient, dans l’aisance de leurs déshabillés, quelques<br />

longueurs dans l’eau turquoise des piscines ou bien, après<br />

avoir gagné le littoral, en sous marin dans la mer, voire les<br />

deux modes de bain, à plusieurs reprises successives dans la<br />

même journée. La côte de hémisphère Sud des Etats Unis,<br />

aboutissant à l’Ouest sur l’Océan Pacifique, était livrée en<br />

effet à la belle saison aux jeux aquatiques en bordure de<br />

mer depuis les plages au sable blanc et fin, d’où les<br />

nombreux amateurs de vagues, surfers débarqués du monde<br />

entier afin de donner libre cours à leur passion. Les corps au<br />

teint allé suggéraient une santé à toute épreuve, finement<br />

entretenue Hiver <strong>com</strong>me Eté en salles de musculation. Les<br />

habitant(e)s de la cité des Anges, de Los Angelès County<br />

ou des districts environnants, vivaient là, se plaçaient<br />

naturellement à proximité de l’eau. L’essentiel du temps de<br />

farniente se passait ici. Aux heures des repas, on<br />

pique-niquait : les sandwichs de thon, tuna fish, en salade à<br />

la mayonnaise se substituaient aux copieux hamburgers des


23<br />

périodes ordinaires. La température se trouvait être du reste<br />

bien trop élevée pour avaler autre chose. Hollywood et ses<br />

collines se trouvaient au Nord de Los Angelès. Le lieu avait<br />

pied sur son autre versant dans la Vallée de San Fernando<br />

où la pression atmosphérique typique provenait de ce que<br />

l’air y fut très sec -à l’autre bout du monde, équivalent<br />

méridional en quelque sorte du Bassin parisien. Sarah se fit<br />

ainsi dire que du désert que représentait la totalité de la<br />

zone autrefois, demeurait son micro climat unique sur la<br />

terre originellement aride ayant nécessité des irrigations.<br />

Une couche de pollution en altitude recouvrait les cieux du<br />

site lorsque Sarah levait les yeux au ciel. La jeune femme<br />

avait bien lu que les précipitations annuelles étaient d’une<br />

faible intensité dans la météorologie uniforme de la région.<br />

Les boissons gazeuses, indispensables pour ne pas se<br />

déshydrater, devaient donc du coup couler à flot. S’ajoutait<br />

éventuellement pour la détente des vacanciers, la<br />

consommation coutumière et courante mais néanmoins<br />

illégale à l’époque de l’hallucinogène marajuana au moyen<br />

de pipes, de bang, sorte de narguilé avec un système<br />

capillaire à base de renvois de fumée via des vapeurs d’eau,<br />

ou bien encore de doobies, expression consacrée pour des<br />

cigarettes roulées. Cela permettait, soi-disant, d’apaiser<br />

l’ardeur et le dynamisme souvent déroutant des jeunes<br />

constitutions et atténuer le blues des vieux esprits en<br />

facilitant les contacts sous le Soleil, astre ardent et<br />

rayonnant dont l’omniprésence par un échauffement de type<br />

méditerranéen tendait à spécifier l’image de cette partie de


24<br />

la Terre. Dans la douceur des nuits, le plaisir de se reposer<br />

en recevant ou en diffusant des vibrations positives se<br />

prolongeait, manifestement. Tout se passait encore, soi sur<br />

la plage sur laquelle crépitaient des feux de bois parfois à la<br />

mode hippie et à des heures avancées, soi devant des<br />

piscines éclairées ou bien encore proches des bassins aux<br />

formes arrondies dans des bains chauds et remuants.<br />

Certains autochtones alors, notait Sarah, dégustaient leur<br />

dernier taco ou leur beef burito, selon un mode de nutrition<br />

mexicain, des crêpes fines dans lesquelles se mélangent de<br />

la viande hachée et très cuite, ce, avec de petites, courtes et<br />

fines parts de fromage, des morceaux de tomates ou de<br />

guacamole sans oublier une cuillère de crème fraîche, ce,<br />

autour d’une bouteille de Chardonnay, un vin très prisé car<br />

sirupeux et très alcoolisé de Californie du Sud dont les<br />

cépages provenaient à l’origine du terroir français.<br />

L’effervescence, à l’écoute par exemple du dernier album<br />

d’un groupe de heavy metal à la mode <strong>com</strong>me les Plastic<br />

Flag, était vécue spontanément telles des sensations<br />

naturelles, exploitées par les musiciens eux même<br />

également inspirés dans leur forme d’expression par la<br />

végétation exhalant des saveurs envoûtantes. Bref, pour<br />

Sarah <strong>com</strong>me pour bon nombre de voyageurs avant elle, il y<br />

avait + de différences entre Los Angelès et New York<br />

qu’entre cette dernière et Paris. Et cette jeune journaliste de<br />

presse savait que tout s’opérait dans un ensemble évolutif<br />

unique dont elle était aussi sur place, liant en une formule<br />

<strong>com</strong>pacte ce qui faisait les caractéristiques du lieu et ses


25<br />

environs, conférant à l’endroit, du à la <strong>com</strong>plaisance de la<br />

jeune femme, une certaine magie dans la synthèse générale<br />

en construction. Se laisser aller à l’hédonisme érotique avec<br />

des interlocuteurs ou interlocutrices avisé(e)s et conformes<br />

devenaient également l’une des fins associées aux temps<br />

libres de l’été passé en ce point.<br />

Après Laurel Canyon situé derrière les collines<br />

d’Hollywood, Sarah Howard a quitté son studio de la vallée<br />

pour s’installer plus au Sud, à Orange County. Cet ultime<br />

déménagement avait pour objectif de rédiger son article au<br />

calme, puis de saisir l’occasion pour se rapprocher de ces<br />

américains pur jus, en état d’alerte permanent contre la<br />

nature, leurs divisions internes et le reste du monde, près<br />

desquels elle vivait en ces moments nébuleux sans<br />

néanmoins les connaître et se faire elle-même véritablement<br />

reconnaître. C’était l’un des aspects de sa mission de<br />

reporter éclairée et éclaireuse en cette terre étrangère. Elle<br />

occupa donc les 110 mètres carré de la maison duplex 74,<br />

Villa Monterrey au 1910 Palmyra Street. Elle avait<br />

préalablement consulté les petites annonces immobilières et<br />

avait négocié dans un anglais américain approximatif cette<br />

location plutôt huppée avec les moyens de son agence. Il<br />

s’agissait juste pourtant d’un condominium dans le contexte<br />

de l’endroit et ses habitants avoués très conservateurs. Elle<br />

y fit la connaissance de deux des résidants en dégustant son<br />

assiette sans porc de viande grillée et de quelques saucisses.<br />

Sarah avait en effet acheté des merguez dans un centre


26<br />

<strong>com</strong>mercial, un mall, apportées <strong>com</strong>me contribution de bon<br />

voisinage. Tout avait été passé au feu du barbecue. A<br />

l’occasion de la réunion citoyenne du 4 juillet, elle célébrait<br />

l’indépendance des ex colonies britanniques américaines en<br />

une fédération souveraine d’états autonomes. Et elle avait<br />

sympathisé, d’une part avec Jennifer Play une brune aux<br />

cheveux longs, aux yeux d’un bleu enluminé, une taille de<br />

top model, la poitrine haute et généreuse <strong>com</strong>me l’actrice<br />

Angélina Jolie interprétant le rôle de l’aventurière Lara<br />

Croft et, d’autre part, son Pygmalion de mari, originaire de<br />

la <strong>com</strong>munauté mexicaine dominante, Sean, des lunettes de<br />

vue d’intellectuel sur le visage, identiques à celles du<br />

chanteur Buddy Holly, décédé dans un accident d’avion.<br />

L’homme était plus grand que sa moitié de quelques<br />

centimètres. Il portait les cheveux longs lui aussi, la barbe<br />

rasée de près, vivant le plus souvent torse nu avec son<br />

bronzage accentué sous un pendentif, un collier<br />

représentant un dauphin en ivoire nacré, simplement vêtu<br />

d’un short noir moulant de cycliste futuriste et de baskets<br />

All Stars de couleur pourpres. Son système pileux dense<br />

sur la poitrine et sur les avant bras laissait cependant<br />

apparaître des tatouages. Ceux-ci représentaient des crânes<br />

humains entourés d’une flore tropicale surmontée d’une<br />

ancre marine sans originalité sur la gauche. A droite, la<br />

réplique du graphisme et des visuels de la pochette du<br />

premier album des Plastic Flag intitulé Genital Excitment,<br />

aux meilleures ventes répertoriées dans le Billboard, le<br />

journal répertoriant le hit parade en Californie. Les images


27<br />

en étaient une croix sur laquelle figuraient, aux extrémités et<br />

en son milieu, les têtes des membres du groupe identifiables<br />

avec leurs fétiches respectifs. Ainsi l’homme portait les<br />

représentations sophistiquées, dans un trait hyperréaliste<br />

fidèles aux originaux, de petits personnages dont l’un portait<br />

un chapeau, ou l’autre une casquette à la façon des officiers<br />

de la flotte américaine influencée par le style des Waffen<br />

SS. Touchant au bestiaire fashion des aviateurs de l’armée<br />

des Etats Unis, les personnages étaient tous affublés de<br />

lunettes du type Ray Ban, fixées uniformément sur chacune<br />

des têtes, signalant par accréditation, une appartenance<br />

accentuée à une <strong>com</strong>munauté ethnique d’une manière<br />

particulièrement insistante. Leurs coupes de cheveux<br />

n’étaient cependant pas les mêmes dans l’analyse des<br />

emblèmes respectifs des membres du groupe en vue de<br />

traiter une éventuelle ressemblance soulignée physiquement<br />

jusque à l’attitude vestimentaire. Ce, <strong>com</strong>me pouvait l’être<br />

l’image renvoyée justement par les membres du groupe<br />

allemand et européen Gesundkunstlerwerk, à titre<br />

d’exemple, précurseurs de la musique techno. Au départ,<br />

Sarah s’était malgré tout donc demandé si Sean appartenait<br />

aux motards associés d’un « chapitre » Hell’s Angels, très<br />

représentés en Californie, ce qui n’était pas le cas puisque<br />

l’homme circulait en pick up Toyota avec sa licence de<br />

conducteur et non pas en deux roues Harley Davidson, la<br />

marque fétiche de la horde en question et des nombreuses<br />

bandes dérivées de bikers assimilés.<br />

« - A quoi bon me <strong>com</strong>pliquer l’existence ? » songeait


28<br />

curieusement Sarah, après ce qu’elle jugea avoir été une<br />

débauche de détails et de références sans intérêts pour ce<br />

que son rédacteur en chef attendait d’elle, en ce que,<br />

entendu de ces interlocuteurs, les fétiches visaient à<br />

survivre en toute mystique à un certain type d’étiquette de<br />

manière très large. Toutefois la jeune femme estimait<br />

naturellement infini l’aspect particulier des personnalités,<br />

enregistra-telle sur son ordinateur portable de bord en fin de<br />

journée avec le code 0>+∞.<br />

Un véhicule était indispensable afin de sillonner autonome<br />

l’ensemble routier et autoroutier de la Californie du Sud, en<br />

profitant de ce que cette région à majorité hispanique et<br />

dont la langue officielle était l’espagnol, pouvait offrir aux<br />

estivants en vacances. Sarah avait donc loué une<br />

automobile. Le concessionnaire de chez Ford lui avait<br />

conseillé le modèle Mustang, conduite assistée, trois portes,<br />

décapotable de couleur jaune, faible consommation aux 100<br />

kilomètres. Des cercles blancs typiques étaient peints sur<br />

les pneus. Ce fut ce qui décida Sarah. Ce pouvait être<br />

interprété <strong>com</strong>me un cliché, du pourquoi pas au snobisme<br />

jet set de la jeune femme en l’occurrence, s’en serait elle<br />

gardé afin de mieux incruster une famille terrestre localisée<br />

sans éveiller trop de soupçon. Son explication résidait en ce<br />

que celle-ci n’attendant plus les termes exacts de sa mission<br />

pour des raisons de sécurité se prit à s’éprendre petit à petit<br />

de la californian way of life en plein champ de bataille et<br />

conflits locaux d’intérêts pour en savourer même<br />

provisoirement et délicatement les bienfaits et délices et à


29<br />

laquelle elle voulait souscrire et adhérer avant de peut-être<br />

y contribuer autant que possible, tel, <strong>com</strong>me un coup de<br />

foudre, ce que l’on ressentirait physiologiquement d’une<br />

créature encore vierge du naturel de son état, <strong>com</strong>me un<br />

coup de coeur pour un animal domestique en bas âge. A<br />

défaut de s’enticher d’un bébé chien ou chat, prise aux<br />

poumons avec la température, de la même manière qu’à<br />

Conakry en République de Guinée lorsqu’elle y fut passée<br />

quelques années + tôt, Sarah inhalait, jusqu’alors et sans<br />

déconvenue les fragrances de l’endroit.<br />

Un jour de temps libre, peu avant son départ de retour pour<br />

l’Europe, un chapeau noir d’été à la française fière sur la<br />

tête, sa paire de lunettes polaroïd sur le nez, avec au dehors<br />

sur le haut du corps un zest d’Eau Sauvage Extrême, son<br />

parfum favori acheté en vaporisateur en duty free, Sarah<br />

Howard était au volant. Elle avait mis à l’écoute, dans la<br />

chaîne stéréo de la Ford, un CD du groupe new yorkais et<br />

new wave Blondie, CD qu’elle emmenait toujours dans ces<br />

déplacements, et acheté dans un Tower records de Londres.<br />

La voix de Deborah Harris, l’interprète, résonnait au<br />

dehors, le volume de la hi-fi poussé au maximum donnant<br />

l’impression dans le véhicule de vivre dans une sorte de<br />

mise en scène typique d'un passage mythique de road<br />

movie. Le beat caractéristique de la rythmique musicale,<br />

mêlée au tambour du moteur du bolide, trouvait un écho sur<br />

les plaques de bitume des interminables artères urbaines<br />

sillonnées. Jennifer et Sean, ses deux passagers cette


30<br />

après-midi la, se filmaient à l’arrière du véhicule avec une<br />

caméra numérique. Dans son rétroviseur Sarah aperçut<br />

Jennie (<strong>com</strong>me elle l’appelait) masturber Sean de tout son<br />

être, <strong>com</strong>me une collégienne. Tous les trois se dirigeaient<br />

ensembles vers Sunset boulevard, en direction du Guitar<br />

Center, pour acheter un instrument électrique à corde, cette<br />

fameuse Fender Stratocaster que Sarah souhaitait rapporter<br />

en France, et, accessoirement, visiter le Rockwalk, site<br />

faisant face au magasin qu’elle n’avait jusqu’alors que<br />

virtuellement entrevu en tapant sur un clavier d’ordinateur<br />

www.rockwalk.<strong>com</strong>. Les empreintes des mains d’un<br />

nombre impressionnant de « guitar heros » y étaient figées<br />

pour toujours dans du béton, formant à même le sol une<br />

mosaïque de traces de célébrités à l’instar du Walk of Fame,<br />

avec les étoiles des vedettes reconnues par l’industrie des<br />

productions artistiques d’Hollywood, cinématographiques<br />

notamment. Ce parcours touristique était entretenu par la<br />

municipalité. Mais le triumvirat roulait encore sur Wilshire<br />

boulevard, quelques avenues plus au Sud.<br />

« Hard on ! C’est mon érection horaire ! » s’écriait dans un<br />

très bon français à un moment Sean haletant. Il s’était<br />

concrètement promu à l’improviste acteur, metteur en scène<br />

et réalisateur de film X et tenait à ce que sa <strong>com</strong>pagne<br />

effectue avec conviction sa tâche du mieux qu’elle put, afin<br />

de ne pas passer à côté du + haut point d’excitation<br />

génésique. Pendant qu’elle oeuvrait, et tandis qu’il<br />

s’entretenait avec une correspondante sur son téléphone<br />

mobile d’une main, de l’autre il saisissait l’action avec la


31<br />

caméra dans le même temps, en laissant miroiter à sa<br />

femme l’usufruit pléthorique d’un projet extraordinaire de<br />

distribution <strong>com</strong>merciale avec un producteur de studios<br />

spécialisés. Il croyait disait-il sans détachement au réel<br />

potentiel de Jennie dans ce domaine et promettait le succès<br />

à ses mains expertes dont les extrémités manucurées et<br />

vernies carmin devenaient à l’image d’une griffe, une sorte<br />

de signature… Sarah conduisait lentement, craignant d’être<br />

arrêtée par un véhicule de Police pour outrage aux bonnes<br />

mœurs et d’avoir, au mieux, les représentants de l’ordre ne<br />

plaisantant pas avec la l’application des lois, une amende à<br />

régler. Soudain ! Elle perdit le contrôle du cabriolet <strong>com</strong>me<br />

si il fut légèrement soulevé de terre, déporté sur le côté de<br />

l’avenue. La Ford stoppa contre les blocs en pierres<br />

rehaussés pour le trottoir. Il lui sembla d’après ses<br />

constations, que la population grouillante de Melrose<br />

avenue, à la hauteur de laquelle ils étaient tous les trois<br />

parvenus, fut elle-même en grands mouvements. Elle<br />

entendit une voix dire au loin « Big one ! Big one ! Big fun !<br />

» Au terme de quelques secondes, ce qui avait été un<br />

tremblement de terre de magnitude moyenne sur l’échelle<br />

de Richter, les éléments naturels permettaient de se<br />

reprendre. Il n’y avait apparemment pas trop de dégâts.<br />

Pour + d’informations, Sarah se branchait sur la radio de la<br />

Ford. La station de Météorites Productions dont elle<br />

connaissait la fréquence hertzienne ne faisait état que du<br />

téléscripteur vide de Jennifer Play et la fin de sa mission<br />

émotionnelle, depuis l’attaque cérébrale de Sean quelques


32<br />

instants + tôt, faisant suite à une sur ventilation sur un point<br />

de périhélie. Ils s’étaient subitement évaporé tous les deux<br />

dans ce décorum constitué à partir d’éléments influencés au<br />

dehors par les images bibliques du paradis terrestre, dans<br />

une version typique et artistique concoctée entre façades<br />

décorées et palmiers <strong>com</strong>me l’expression ambiguë et juste<br />

américaine de la contemplation. Puis il se mit à pleuvoir<br />

avec des bourrasques de vent balayant le bitume. La<br />

mémoire de Sarah n’aura retenu que le son émit par les<br />

sirènes des pompiers ou des ambulanciers et la vision<br />

brouillée due à leurs gyrophares. Sarah Howard était<br />

indemne. Au cesser le feu, elle n’était pas même égratignée.<br />

Elle fut héliportée par un Puma piloté par un officier du<br />

GIGN à destination de L’Eternel, un sous marin français<br />

immergé à quelques miles de là puis le gouvernement la fit<br />

rapatrier en priorité via Auckland... L’adrénaline infernale<br />

était derrière elle. Elle fut placée selon son choix en<br />

disponibilité. Son article s’intitula Pochette Sur Prise.<br />

« Coupez! »


Paris, le 6 Juillet<br />

33<br />

Le Prince Et Le Pigeon<br />

« Bonsoir Hyacinthe, c’est monsieur Sacha. Au garage,<br />

vous voudrez bien prendre le petit car vitres teintes. Le<br />

plein est fait. Vous passerez à l’aéroport au terminal 1 de<br />

CDG pour y être à 9h précises. L’avion du groupe est en<br />

provenance de Los Angelès et doit atterrir à 9h45. Ne soyez<br />

pas en retard. Le manager des Plastic Flag apprécie que<br />

l’on soit ponctuel et c’est l’un de mes meilleurs clients. Si<br />

vous prenez un petit déjeuner à Charles-De-Gaulle,<br />

faites-moi une fiche contre votre remboursement. C’est un<br />

transfert mais vous devrez sans doute être mis en<br />

disposition toute la semaine. Les musiciens seront logés au<br />

Plazza Athénée, quatre suites avenue Montaigne. Sauf<br />

contre ordre, vous les attendrez au patio de l’hôtel et vous<br />

les ac<strong>com</strong>pagnerez dans tous leurs déplacements bien sur.<br />

Le tourneur vous remettra l’emploi du temps. Vous devriez


34<br />

prendre vos repas avec eux. Ayez une tenue décontractée.<br />

Le concert est prévu à Bercy le 8 à 20h. Si vous donnez<br />

satisfaction, vous devriez les ac<strong>com</strong>pagner à Monte Carlo<br />

trois jours à la fin de leur séjour en France. Soyez prudent<br />

et ne lorgnez pas de trop près les deux choristes, Hyacinthe.<br />

Enfin, avec leur consommation d’alcool, pas de trafic<br />

supplémentaire de dope. J’insiste ! Vous voyez ce que je<br />

veux dire…Ce groupe est très difficile à déplacer du à leur<br />

excès dans ce domaine. Les Renseignements Généraux ont<br />

un œil sur eux et sur nous du même coup. Ne nous mettez<br />

pas dans une situation délicate. Téléphonez moi sur mon<br />

portable lorsque vous serez à Roissy. Bonne nuit Hyacinthe,<br />

à demain.»<br />

Demain ! Dans le studio qu’il louait rue du Faubourg Saint<br />

Honoré dans le 8e arrondissement de Paris, Hyacinthe Ange<br />

Clairon de Luciole était perplexe après avoir éteint sa<br />

messagerie téléphonique. Le jeune homme âgé de vingt ans<br />

devait justement passé ses écrits de DEUG de droit ce jour<br />

là. Cela tombait plutôt mal. La société de voitures avec<br />

chauffeurs qui employait le jeune homme sans le déclarer<br />

avait essentiellement des groupes pop rock <strong>com</strong>me<br />

<strong>com</strong>manditaires. Pour Hyacinthe Ange, être issu d’une<br />

famille répertoriée dans le célèbre Bottin Mondain, avoir le<br />

statut officiel d’étudiant en droit tout en exerçant une<br />

activité artistique salariée fut-elle prometteuse, et se<br />

considérer <strong>com</strong>me presque fiancé à la fille d’un industriel<br />

francilien ayant fait Polytechnique, tout cela était encore


35<br />

honorable mais n’établissait que les notions intermédiaires<br />

et momentanées du chef d’œuvre ou du concept que l’on<br />

attendait autour de lui et qui, en toute cohérent parcours, le<br />

verrait organiquement disparaître. Du moins, était-il en<br />

mesure de le croire, ouvrage sans doute déjà exécuté mais<br />

que les autres exigeaient, sans savoir ni <strong>com</strong>ment, ni<br />

pourquoi de ne pas s’étendre dessus, tenant à ce que<br />

Hyacinthe Ange sacrifiât à leur crédit, toute une vie à de<br />

minutieux détails dans les grandes lignes. Hyacinthe Ange<br />

s’était lancé dans l’étude du droit avec pour motif de<br />

rassurer son père, un austère notaire de profession qui ne<br />

<strong>com</strong>prenait rien à l’art ou aux hexagrammes étudiés par son<br />

fils. A ses yeux le jeune homme aurait tout aussi bien pu se<br />

trouver une activité sportive <strong>com</strong>me un art martial.<br />

Accessoirement, ce dernier eut été ainsi plus à même de<br />

saisir avec le droit les mécanismes extérieurs de défense de<br />

ses intérêts. Ceci constituait toujours plus une croyance<br />

qu’un véritable engagement, <strong>com</strong>me une sorte d’espérance<br />

chimérique dans la mesure où quoique inscrit en droit à<br />

l’université, il était un étudiant dilettante. Hyacinthe Ange,<br />

un peu calculateur en signant ses oeuvres, une prérogative<br />

qu’il n’usurpait point en tant qu’artiste auteur concepteur,<br />

estimait déjà que toute expérience concourait à sa postérité<br />

qu’il voulait être celle du plus <strong>com</strong>plet des émetteurs, dédié<br />

totalement à l’art sous toutes ses formes afin, le croyait-il,<br />

que ses descendants vivent de lui dans une certaine<br />

opulence. Ce, dès lors qu’il s’engagerait sur le sentier serein<br />

d’une existence de gestation artistique typique qui était déjà


36<br />

bien remplie de son unique opinion dans ce sens. « Je suis<br />

encore dans un bel âge, se disait-il toutefois pour se rassurer<br />

en s’auscultant le visage devant son miroir <strong>com</strong>me il l’avait<br />

fait des centaines de milliers de fois auparavant avec un<br />

élan positif dans des reflets ultimement tronqués, et tout est<br />

encore possible, achevait-il de penser satisfait. Je n’arrive<br />

peut être pas trop tard ». Aussi le jeune homme ne<br />

<strong>com</strong>ptait-il à raison, avec une inébranlable certitude, que<br />

sur lui-même pour vivre d’une certaine manière en grand<br />

angle. Uniquement soumis à un Dieu dont il ne décryptait<br />

point toutefois les <strong>com</strong>mandements dans les institutions<br />

humaines ou immédiatement libellées <strong>com</strong>me telles,<br />

Hyacinthe Ange était un électron indépendant affichant sa<br />

demi absence et dont on pouvait parfois néanmoins envier<br />

le palpable standing bon ton associé à une liberté d’esprit<br />

que sa légèreté naturelle rendait plus accessible, plutôt<br />

enclin en surface à lui être familier ou chaleureux, égards<br />

visant en principe à en tirer quelque chose une fois encore.<br />

Comme ses propres parents, toujours à l’affût du moindre<br />

des euros de leur fils, ce, avant de le renvoyer à une<br />

prochaine entrevue pour le rançonner à nouveau, vider ses<br />

poches, lui, le petit étudiant chauffeur, un peu artiste<br />

illuminé. Le jeune homme avait jusqu’alors été ou un bon<br />

fils aîné ou un agréable camarade, y <strong>com</strong>pris disait-on un<br />

bon amant, qui n’avait de particulier en matière de<br />

sentiments que ce qui pouvait personnellement et<br />

intrinsèquement attiré chez lui en noir ou en blanc. Il avait<br />

le sens du panache aussi. Surtout dans ses entreprises


37<br />

successives et victorieuses qui de ce fait apparaissaient<br />

<strong>com</strong>me des suites radieuses le seraient au poker. Hyacinthe<br />

Ange était convaincu d’avoir un minimum de chance. Il se<br />

reposait sur cette certitude d’une nature purement théorique<br />

pour tenter d’entrevoir son destin pour ses bons côtés et<br />

occulter l’abnégation qui lui était demandée. Un paradoxe<br />

pour plus qu’un étudiant salarié, un artiste. Du reste ceux<br />

qu’il prenait pour ses amis étaient, semblaient-ils,<br />

sincèrement épatés de le voir circuler si jeune dans des «<br />

paquebots » à quatre roues qui valaient des fortunes,<br />

entouré la plupart du temps dans des lieux à la mode de<br />

stars médiatiquement profilées, un peu plus âgées que lui et<br />

reconnues qui le traitaient apparemment <strong>com</strong>me l’un des<br />

leurs, le jeune homme les toisant avec égalité, tout en étant<br />

à sa place bien rémunéré pour cela. Certains avaient su en<br />

tirer avantage…<br />

Il avait obtenu un job d’étudiant, en grande remise, la<br />

conduite de voiture de place avec chauffeur, par le biais<br />

d’un ex condisciple déjà engagé dans une vie<br />

professionnelle très active. Hyacinthe Ange pouvait ainsi<br />

régler ses frais à l’université, payer son loyer et ne pas se<br />

faire systématiquement entretenir par sa petite amie. Au<br />

contraire, il sortait souvent celle-ci sans faire d’économies.<br />

Mais depuis l’obtention avec la mention bien de son<br />

baccalauréat deux ans auparavant, les études n’étaient plus<br />

son cheval de bataille et il avait la tête ailleurs, en<br />

évaporation cérébrale. Hyacinthe Ange Clairon de Luciole<br />

avait pour habitude de fumer du cannabis. Il parvenait à en


38<br />

maîtriser les effets secondaires. Ceci était la principale<br />

raison de son côté posé, calme et constant. Le haschisch lui<br />

permettait de trouver la volonté de travailler, se concentrer<br />

et de pouvoir méditer afin de puiser en lui énergie et<br />

inspiration, en repoussant toujours plus loin ses limites<br />

physiques et intellectuelles par ses ressources essentielles.<br />

Hyacinthe Ange kiffait surtout en solitaire, évitait le<br />

désordre et la désarticulation des soirées passées à plusieurs<br />

éveillant, avec les hallucinogènes, des sentiments animés de<br />

paranoïa. Il était prudent et point égoïste, soucieux de<br />

préserver ce qui relevait de son intimité. Il s’accordait ce<br />

luxe salvateur, moralement indispensable pour ne pas<br />

disjoncter avec la tension qui régnait tant autour de son<br />

activité salariée que ses émissions picturales, entre<br />

l’importance présumée de ses passagers et la hauteur de ses<br />

propres ambitions. Hyacinthe Ange opérait dans les<br />

services momentanément selon ses desseins, sans le souhait<br />

de faire carrière à long terme. Il ne nourrissait pas une<br />

vocation de pilote en formule fut-elle rock, fut-ce<br />

exclusivement à conduire des people. Pourtant, l’être<br />

profond qu’il était, abordait les évènements un peu en<br />

touriste. Le monde du show-business le grisait. A l’instar<br />

des professions dans l’hôtellerie <strong>com</strong>me les concierges de<br />

palace, être même chauffeur de temps à autre, était une<br />

aubaine extrêmement lucrative d’un point de vue financier<br />

et une porte ouverte pour la sensibilité aigue d’artiste<br />

sommeillant en effet en lui et qu’il s’employait à<br />

développer. Il pouvait s’exercer à imaginer la suite d’un


39<br />

programme festif qu’il aurait institué lui-même par essence.<br />

Depuis la fin de sa scolarité dans un établissement militaire<br />

à la suite d’un passage remarqué dans une institution<br />

catholique privée de l’Ouest parisien et privilégié, il<br />

produisait minutieusement ses propres oeuvres, les archivait<br />

<strong>com</strong>me il pouvait, tentait en partie d’en faire la promotion<br />

et espérait bien en vivre plus tard. Sans avoir fait jamais les<br />

Beaux Arts ou une école dédiée au graphisme et ne s’y<br />

destinant pas, en eut-il nécessairement ressenti le besoin, il<br />

livrait donc intuitivement un style hyperréaliste très<br />

personnel et épuré, en bordure du fantastique et des envois<br />

surnaturels. Son inspiration était plus dense que les moyens<br />

qu’il mettait en chantier pour s’exprimer. Ceci mettait donc<br />

en avant une personnalité au charisme coloré. Hyacinthe<br />

Ange avait déjà connu quelques périodes différentes dans le<br />

domaine lié à sa création. Il consignait des reproductions<br />

témoins de son parcours, véritables repères qui illustraient<br />

avec précision ses états d’âme ou ce qu’il avait déjà vécu.<br />

Son évolution était prodigieuse. Lui seul était en mesure de<br />

s’en rendre véritablement <strong>com</strong>pte. Le jeune homme passait<br />

beaucoup de temps à se contempler donc au travers de ses<br />

oeuvres, en appréciant presser <strong>com</strong>me des citrons les<br />

perspectives que lui accorderaient ses progénitures<br />

virtuelles avec une inclinaison possessive lorsqu’il était<br />

seul, et quoique piquée d’humilité en public. Il lui manquait<br />

juste un agent, un représentant et un interlocuteur biographe<br />

afin de tout répertorier. Aussi, en attendant, écrivait-il<br />

lui-même. Sa veine littéraire était fluide, simple,


40<br />

clairvoyante et pleine d’aisance et s’échelonnait de simples<br />

listes à de petits mémoires thématiques. Hyacinthe Ange se<br />

voyait en permanence en manques de moyens, souvent à<br />

faire du sur place. Sa vie d’artiste était là, dans toute la<br />

consistance de la gestation. Cependant s’il était un esprit<br />

libre et laborieux à force de manquer de temps et se voir<br />

éventuellement sucrer sa liberté et ses privilèges si ceux-ci<br />

avaient été discutés, il était dangereusement armé d’une<br />

grande patience. Le jeune homme refusait les étiquettes,<br />

cherchait à se démarquer et vivait des tribulations éthiques<br />

majeures et expérimentales afin de ne pas être badgé dans<br />

telle ou telle catégorie à la mode des nomenclatures<br />

critiques. Soucieux de ne point être mis en boite lorsque sa<br />

survie en dépendait, il ne se considérait pas en termes<br />

spécifiques quoiqu’il fût séduit par une motion classique<br />

tragi<strong>com</strong>ique. Il s’y prêtait déjà philosophiquement ou<br />

économiquement et donc à répétitions, puisqu’il illustrait<br />

son existence à sa décharge sur une forme séquentielle<br />

stéréotypée. Ses caricatures d’autodidacte bien sur étaient<br />

publiées sporadiquement par un consortium de plumes<br />

supposées plutôt fines dans leur genre critique et qui<br />

éditaient un journal à vocation humoristique et dédié aux<br />

pastiches. Il avait rencontré lors d’une soirée arrosée son<br />

rédacteur en chef intermittent, Luc Piedmontel, secrétaire<br />

de jour au cabinet du ministre de l’Intérieur. Hyacinthe<br />

Ange avait été recruté <strong>com</strong>me chroniqueur. Mais il<br />

subodorait un rôle de faire-valoir dans une distinction visant<br />

à donner une prédominance, un impact supérieur à des


41<br />

pensées jugées plus inspirées que son écriture graphique qui<br />

avait pourtant, selon lui, l’ambition de transcender les<br />

hiéroglyphes… La presse était un média minime pour<br />

l’envergure de ses travaux, estimait-il, l’humour un art<br />

mineur malgré tout, s’il y avait lieu d’habiller la froide<br />

rectitude supposée de ses nobles dispositions. Aussi,<br />

motivé, pour ce que constituaint ses courses quotidiennes,<br />

Hyacinthe Ange Clairon de Luciole avait tout loisir de se<br />

faire une place de choix parmi les « créateurs » de son<br />

temps. Restait au jeune homme à effectuer sans se perdre<br />

les bonnes rencontres, mettre ses talents en avant et bien les<br />

négocier. Tout ce monde investit autour de la grande remise<br />

par Hyacinthe Ange, plus ou moins accessible selon le<br />

degré ou des idées, ou des besoins, travaillait un peu à tout,<br />

un peu pour tout, vivotant par ci, par là des subsides requis<br />

pour un certain train de vie qu’il convenait de maintenir<br />

<strong>com</strong>me la marque d’une appartenance à un milieu plus ou<br />

moins vase clos, socialement équivoque que l’on fût initié<br />

ou pas malgré tout lorsque celui-ci n’établissait qu’une<br />

apparence trompeuse souvent. Mais le jeune homme ne se<br />

posait pas à raison de questions incongrues ou inopinées.<br />

Du moins pas pour le moment. Il repoussait toujours à plus<br />

tard ce qui ne relevait pas de ses vœux dans le domaine des<br />

traditions. Il avait toujours été encouragé pour ses envois en<br />

Arts Plastiques sans se rendre forcément à l’évidence que<br />

l’on se reposait beaucoup sur lui, autour de lui, avec parfois<br />

un fond peu élogieux et une sorte de fantasmagorie<br />

improprement instituée. Une méprise fondamentale sur les


42<br />

tenants de l’art à priori. La vie de Hyacinthe Ange était<br />

rêvée parmi les chauffeurs pour son plus artistique résiduel.<br />

Mais rêver seulement. On s’identifiait volontiers à lui sous<br />

couvert de relations confraternelles. Ceci avait forgé de<br />

l'intérieur l’artiste étudiant et déjà salarié. Au dehors, il se<br />

présentait toujours dans des tenues étudiées, par pure<br />

bienséance et une coquetterie entendue. Il s’avérait être un<br />

maniaque de propreté. Le jeune homme se rasait de près<br />

tous les jours, se baignait chaque matin <strong>com</strong>me l’on se<br />

purifierait sans se lasser ou rechigner en se débarrassant des<br />

infamies intestinales. Il coiffait avec rigueur sa crinière faite<br />

de longs cheveux noirs. Son visage sans ride était lisse, son<br />

regard intense. Il fut passé pour plus jeune s’il n’avait pas<br />

été de grande taille. Hyacinthe Ange mesurait un mètre<br />

quatre vingt trois. Travaillant surtout dans son studio<br />

lorsqu’il occupait son temps à la création en attendant des<br />

missions transferts ou en disposition, il lui était vital d’être<br />

le plus ordonné possible. Lorsqu’il peignait par exemple il<br />

enfilait systématiquement une impeccable blouse beige<br />

Yamamoto confectionnée au Japon et achetée à son<br />

attention par une sœur styliste. Sa personnalité était éveillée<br />

à l’expression ou l’illustration de valeurs qu’il jugeait<br />

indispensables et méritantes d’un point de vue général,<br />

relevant en payant presque, dès lors, de son patrimoine<br />

personnel, pour que plus que tout, l’intérêt qu’il portait à<br />

certains principes, ne fussent pas perçus tels pêchés<br />

d’anachronisme ou de passéisme de manière latente<br />

souvent, pour qu’il puisse continuer à les honorer dans


43<br />

l’observance d’un certain protocole et une démonstration de<br />

politesse. Mais <strong>com</strong>me une attraction professionnelle, il fut<br />

bien le seul à s’en soucier. En cela Hyacinthe Ange Clairon<br />

de Luciole était un gentilhomme perçu par les autres<br />

chauffeurs <strong>com</strong>me provenant d’une autre époque, le<br />

dépositaire de temps anciens, à demi contemporain. On lui<br />

prêtait la démarche d’un grand naïf aussi, parce que ceci<br />

était pratique. Mais faire changer d’opinion son entourage<br />

restait une folle entreprise dans ses aménagements. Si ses<br />

règles étaient dures sous une apparence progressiste d’une<br />

certaine façon, sa sophistication le plaçait sans l’en protéger<br />

au dessus de bien des orientations mercantiles d’une<br />

perverse nature pour sa personne tout en s’avérant<br />

bénéfique artistiquement. Dans son milieu du moins.<br />

Conscient avec le recul, ceci le rebutaient d’ailleurs<br />

jusqu’au dégoût sans qu’il se défendit toujours d’en<br />

connaître l’exacte étendue. S’il ne pensait pas suprêmement<br />

à promouvoir ses réparties dans des domaines majeurs, il ne<br />

serait que le jouet impuissant d’une situation qui risquait<br />

déjà fort de le desservir puisque la part de rêve qu’il devait<br />

suggérer ne dût point s’estomper. Culturellement,<br />

Hyacinthe Ange payait ses acquis et les autres, tous les<br />

autres ne pouvaient constituer qu’une source d’ennuis<br />

potentiels et garantis déplaisants. Le jeune homme qui<br />

s’était éduqué seul au fond, voulait se préserver de<br />

l’oppression en société <strong>com</strong>me en toute chose. C’était un<br />

éminent touche-à-tout qui n’avait heureusement pour lui<br />

pas l’âme d’un copiste et, <strong>com</strong>me les grands talents, il


44<br />

donnait souvent l’impression de mijoter ce que seraient ses<br />

œuvres futures dans la mesure où vie lui était prêtée. Bien<br />

que sa position sociale actuelle pût faire croire le contraire,<br />

il aurait du avoir un parcours d’ermite et non pas de<br />

mondain ou de demi mondain. Le jeune homme aspirait<br />

effectivement surtout au grand calme, se ressourçait en<br />

faisant régulièrement le point en pure métaphysique<br />

existentielle. Le cannabis l’y aidait. De ce point de vue, il<br />

était quelque peu entrepris avec des pincettes sans le savoir.<br />

Mais avec ses principes de grand seigneur dont on le flattait<br />

pour s’acoquiner sa personne, finalement, il rendait service.<br />

Il représentait un archétype loin d’un étrange ou un<br />

quelconque hasard. Un repère donc pour tout le monde sans<br />

qu’il sût le mesurer lui-même. De ses lectures sur le<br />

<strong>com</strong>portement, entre deux conduites, études psychologiques<br />

si elles en furent et dont il se méfiait <strong>com</strong>me des<br />

conclusions astrologiques pour leurs aspects effectivement<br />

plus que relatifs, il aurait pu s’estimer sur le point de<br />

vaciller parfois. Ce passage, qui était aussi obligé que la<br />

teneur tragique de la dramaturgie de sa vie et qui<br />

n’intéressait que lui seul au summum d’élans suicidaires<br />

vécu par lui dans les affres de l’inspiration, connaîtrait,<br />

priait-il, un dénouement heureux. Hyacinthe Ange vivait<br />

l’essentiel de la vie d’artiste et était toutefois abusé avec un<br />

cynisme aigu de tout ce qu’il survolait et surtout de<br />

lui-même essentiellement à un degré dont il se refusait<br />

d’admettre le niveau moindre et réel afin de croire les<br />

choses praticables parce que ceci l’arrangeait tout de même


45<br />

ainsi chaque matin. Il avait la différence souple et donc<br />

conformiste puisque il était conscient que la société ne<br />

produisait sur elle-même que des <strong>com</strong>promis. Au pire de<br />

son isolement volontaire encore, il considérait son<br />

originalité <strong>com</strong>me fort désarmé au contact d’un monde<br />

dépourvu de générosité et qui ne respectait rien ni personne.<br />

Le mépris hormonal et dissimulé pourtant de Hyacinthe<br />

Ange pour quelque chose, l’eut donc été pour lui-même, à<br />

son propos si il se décevait au sujet de ce qui aurait pu être<br />

telle ou telle faute de goût, dans une analyse extrême, si il<br />

avait échoué à traduire ses visions d’avant-garde, jetées en<br />

pâture délicate à une sorte d’inconscient collectif qui n’était<br />

pas productif en terme d'accès à un possible usufruit propre<br />

à le rendre un peu plus distant vis-à-vis de proches tenant à<br />

tirer partie de la situation. Ceux qui tentaient en<br />

l'occurrence de s’approprier ses indéniables qualités et son<br />

savant savoir faire. Moralement le jeune homme était tout<br />

de même immunisé envers l’abjection et les problèmes<br />

domestiques liés à une débauche de moyens car il était né<br />

avec le sens de l’économie.<br />

Cependant Hyacinthe Ange ne savait pas mentir en croisant<br />

des mythomanes, légions autour de son activité<br />

professionnelle. C’était son point faible. Il en souffrait en<br />

maintes situations à devoir justifier ses actes sans<br />

élucubrations. En affaires notamment. Son approche<br />

matérielle était jugée limiter par ses affabulateurs et le<br />

jeune homme n’avait pourtant rien d’un recul tangible qui<br />

l’eut préservé des litanies masquées dont il était bordé alors


46<br />

jusqu’au cou. Quant à sa position de victime en danger, elle<br />

n’éveillait point de pitié. Hyacinthe Ange Clairon de<br />

Luciole était un sacrifié malgré lui. Il en avait conscience.<br />

Là résidait pourtant la pointe de sa force motrice, seul<br />

soumis à Dieu, <strong>com</strong>me Michelange devant l’épreuve du<br />

temps…<br />

Alors les Plastic Flag, le fameux groupe écouté dans les<br />

surprises parties de son adolescence, valait peut être bien<br />

les examens de Septembre. Un choix auquel monsieur son<br />

père se résigna en souriant confiant puisque son fils, rien<br />

n’étant gratuit, était simplement venu dîner ce soir là pour<br />

fêter dans sa résidence parisienne, les vingt ans de son<br />

étude de notaire en apportant son dessert favori, une<br />

immense tarte tatin… L’entourage de Hyacinthe Ange allait<br />

lui réclamer des dédicaces sur les CD des membres des<br />

Plastic Flag, cette formation de légende qui avait marqué le<br />

monde de la musique contemporaine dès leur premier<br />

album, Open Minds, aux sonorités envoûtantes, pleine<br />

d’adrénaline, ciblant avec une certitude facile et largement<br />

acquise, une génération toute entière en cristallisant les<br />

aspirations de celle-ci. Justement.<br />

Hyacinthe Ange Clairon de Luciole passa une nuit blanche.<br />

Pour potasser ses examens. Il avait préalablement changé<br />

ses plans. Et à 9h il était dans l’amphithéâtre de son<br />

université au lieu de se rendre à l’aéroport.


47<br />

Une Certaine Prévenance Dans l’Accueil<br />

Dans sa salle d’eau, Sarah Howard savourait son bain. La<br />

jeune femme produisait avec son savon de la mousse verte<br />

en abondance. Elle était suspendue à ce que seraient des<br />

instants d’éternité dans le silence, en pleine chaleur. Et<br />

Sarah se délectait avec un sentiment de légère aisance des<br />

bienfaits de son style de vie qu’elle estimait sophistiquer et<br />

à la mesure duquel ses choix avaient été déterminants<br />

lorsqu’elle <strong>com</strong>parait, symboliquement, la taille de sa<br />

baignoire de la ville surpeuplée de Levallois Perret où elle<br />

se trouvait désormais, au volume d’un jacuzzi en ébullition.<br />

Elle rêvait encore, sujette au décalage horaire des grands<br />

voyageurs, le jet lag, pouvant être à l’origine de violentes<br />

migraines. Ses souvenirs, actifs et dus surtout à sa mémoire<br />

olfactive à propos des fragrances de Californie, effectuant<br />

des fondues enchaînées, Sarah Howard revivait l’essentiel<br />

de ses « vacances » durant ses quelques instants dans la


48<br />

vapeur moite. Elle avait encore à l’esprit le sable fin de la<br />

plage de Long Beach, blanc <strong>com</strong>me la neige de Sibérie, au<br />

bord d’un Océan calme, du flux et reflux des vagues, l’eau<br />

frémissante sur laquelle se reflétait le Soleil au son d’une<br />

effervescence rassurante. Sarah se souvenait des visages de<br />

Jennie, de Sean. « Quelle chance ils ont ! » pensa-t-elle sans<br />

conclure correctement au bonheur en tous lieux et surtout<br />

chez soi. Cette première nuit passée en île de France avait<br />

été néanmoins encore torride à peine débarquée d’un avion<br />

en provenance de Nouvelle Zélande, et, faisait donc suite à<br />

un long séjour dans la région Pacifique. La température<br />

amollissait petit à petit Sarah qui paressait. Tendrement elle<br />

sourit détendue à Dulcinée Mat, une ravissante et pulpeuse<br />

créature brune de taille moyenne, des tâches de rousseur<br />

sur les jougs, de dix ans sa cadette, l'âge de Hyacinthe<br />

Ange Clairon de Luciole, assise à côté d’elle dans la salle<br />

d’eau, en amazone sur le bidet. Celle-ci en ayant terminé<br />

avec le vernis à ongle, prit le soin d’ôter le coton placé<br />

entre chacune de ses délicates extrémités, puis, <strong>com</strong>me un<br />

bout en train <strong>com</strong>ique attendu, plaça sa main dans la<br />

baignoire, grogna en marmonnant quelques mots<br />

in<strong>com</strong>préhensibles au premier abord, en imitant une voix<br />

masculine d’un clown supposé du Sud Ouest de la France,<br />

et se mis à projeter à plusieurs reprises de l’eau sur le haut<br />

du corps nu de Sarah qui, prise au dépourvu les membres<br />

dans l’écume, ne put s’empêcher de rire en se protégeant le<br />

visage avec ses deux mains.<br />

« Arrête ! Arrête ! » gémit hilare Sarah, en spasmes avec la


49<br />

voix d’une suppliciée.<br />

« Quelle <strong>com</strong>édienne tu fais ! » lâcha Dulcinée cessant de<br />

l’asperger d’eau, se décidant alors à passer un linge sec sur<br />

la glace de la salle de bain recouverte de buée, afin de<br />

pouvoir considérer le reflet de son visage pâle en<br />

s’appliquant du rouge à lèvres. Dulcinée ressemblait avec<br />

son maquillage à une créature à la dimension « gothique »,<br />

des adeptes du groupe de Brian Warner, Marilyn Manson.<br />

C’était une mutante. Vingt ans plus tôt, Dulcinée aurait sans<br />

doute été une fan de Prince, il y a trente ans une groupie de<br />

David Bowie et à cinquante années d’intervalle, une<br />

fervente admiratrice des Beatles. Son style très pop rock<br />

présentait l’avantage de ne pas trop dépayser Sarah.<br />

« Tu m’as manqué chouchou d’amour » lui dit-elle. Puis<br />

elle quitta la pièce quelques dizaines de secondes en<br />

emportant sous son bras ses effets dont une chemise noire à<br />

jabots et volants, une petite robe moulante en cuir noir, un<br />

body en dentelle noire, des bas noirs et une authentique<br />

paire neuve de Chippewa texanes de couleur noire<br />

également et rapportée par Sarah à défaut d'une guitare<br />

électrique. Dulcinée portait au cou un collier avec un<br />

crucifix en or et un bracelet d’ivoire au poignet droit, un<br />

autre présent de la journaliste. Elle revint dans la salle de<br />

bain avec un peignoir de boxeur en coton bleu azur propre<br />

qu’elle tendit à sa <strong>com</strong>pagne, lorsque celle-ci se fut levée.<br />

Sarah, sensible, lui sourit à nouveau, laissant Dulcinée se<br />

retirer.<br />

« Merci mon cœur ! » s’époumona Sarah.


50<br />

Après avoir enfilé le vêtement qu’on lui avait remis lors<br />

d’un reportage sur l’art noble, machinalement relevé le<br />

bouchon retenant l’eau du bain et coupé l’électricité du lieu,<br />

Sarah se retrouvait dans un minuscule couloir la menant à<br />

sa chambre. Là, à côté de Dulcinée allongée nue sous une<br />

moustiquaire blanche au dessus d’un lit à deux places,<br />

trônait un plateau de petit déjeuner <strong>com</strong>plet. Une tasse de<br />

thé importé de Turquie et présentée avec une cuillère se<br />

trouvait là, mais aussi un mug rempli de pétales de mais<br />

grillées et glacées au sucre avec de la crème fraiche liquide,<br />

ainsi qu’un verre de jus d’oranges pressées et un croissant<br />

grillé.<br />

« Tu es adorable ma Dulcinée ! »<br />

Lentement, encore mouillée, voire ses cheveux trempés,<br />

Sarah s’était assise en tailleur sur la couche près de son<br />

amie. Elle prit la cuillère et retira de la tasse une petite<br />

passoire en argent dans laquelle se trouvaient les feuilles du<br />

thé. Le breuvage dans la tasse avait une couleur terre.<br />

L’eau avait donc infusé.<br />

« Est-il sucré ? » demanda-t-elle d’une voix curieuse en<br />

fronçant timidement ses sourcils et se fit répondre « non » à<br />

ce qui constituait peut être une sorte de maladresse de sa<br />

part propre à jeter un froid. Mais gênée d’être seule à se<br />

sustenter, elle but rapidement sans manière particulière sa<br />

boisson favorite en avalant goulûment le croissant chaud et<br />

croustillant qui, vite englouti en fondant dans sa gorge, avait<br />

éclipsé l’idée d’une seconde tasse. Puis, apparemment<br />

pressée, Sarah prit le plateau du petit déjeuner, le plaça au


51<br />

sol et, se rapprochant de Dulcinée en s’allongeant sur le lit,<br />

débarrassée du peignoir, étreignit sa <strong>com</strong>pagne qui<br />

appréhendait cette situation.<br />

« Tu n’as pas oublié Sarah, n’est-ce pas ? chuchotait<br />

Dulcinée à l’oreille de la journaliste, <strong>com</strong>me au sujet d’un<br />

code intime les liant l’une à l’autre.<br />

- Bien sur que non. »<br />

Enfin leurs retrouvailles de ce début Juillet s’achevèrent par<br />

des caresses et des embrassades, se grattant le dos, se le<br />

massant sans répit, jusqu’à un orgasme qu’elles connurent<br />

toutes deux, sembla-t-il, au terme de quelques intenses et<br />

longues minutes d’osmose, leurs deux corps nonchalants se<br />

<strong>com</strong>binant exactement. A demi cloisonnées <strong>com</strong>me des<br />

vestales, Sarah et Dulcinée se permettaient tout ce qu’il fut<br />

possible à deux adultes consentantes.<br />

Au terme de leurs ébats, les <strong>com</strong>pagnes décidèrent de se<br />

poudrer de talc, se parfumer avec des fragrances rares<br />

rapportées des voyages de Sarah, s’habiller et finalement<br />

sortir voilées <strong>com</strong>me des musulmanes pour s’offrir<br />

discrètement à nouveau l’une à l’autre, guidées par le seul<br />

plaisir de l’incognito sur le premier étage vide d’un café<br />

restaurant du Palais Royal du Ier arrondissement de Paris,<br />

fréquenté d’ordinaire par des immortels. Sous la Révolution,<br />

le jeune général Bonaparte y avait plusieurs fois soupé sans<br />

payer, sa note réglée 200 ans plus tard par un artiste célèbre<br />

désireux de voir s’achever dignement le problème corse...<br />

Là elles se firent servir, une soupe italienne dans laquelle<br />

barbotaient des croûtons de pain grillé qu’il convenait de


52<br />

recouvrir d’une fine couche de parmesan. C’était la<br />

spécialité du lieu. Un minestrone. Sur un mur de<br />

l’établissement, figurait un poème attribué à un certain<br />

Michel Mishima avec une illustration de l’auteur. Cette<br />

œuvre était datée des années 2000, encadrée et imprimée en<br />

édition limitée et numérotée sur papier chiffon, <strong>com</strong>me une<br />

lithographie.


53<br />

Le poème<br />

Le texte était ratifié par un pseudonyme avec une carte de<br />

visite factice spécialement maquettée à cet effet. Les vers<br />

étaient tout à la fois solennels, emphatiques ou passionnés<br />

au sujet d’une supposée ex <strong>com</strong>pagne de l’auteur. Le<br />

rythme présentait deux temps. Sarah ainsi que Dulcinée<br />

prirent connaissance du contenu en le parcourant avec<br />

attention. S’agissait-il d’un jeu de rôle ? L’agencement des<br />

mots, les tournures de phrases conféraient pourtant à<br />

l’ensemble une force presque magnétique. Dulcinée fit<br />

remarquer que l’intéressée, la destinatrice, semblait être<br />

mise subitement à l’index vers la fin après avoir été<br />

célébrée et placée sur un piédestal de manière plutôt<br />

excessive ou incantatoire. Le rédacteur concluait, en<br />

apparence effectivement au final, par « un claquement de<br />

porte assuré », une sorte de bacchanale, dans un élan<br />

désabusé, à l’allure un tantinet déchaînée aurait-on dit


54<br />

<strong>com</strong>me des propos tenus de la plupart des buveurs de bières<br />

éméchés aux <strong>com</strong>ptoirs des bars irlandais lors des happy<br />

hours, tel, bien esquissé en <strong>com</strong>paraison, le morceau de la<br />

formation musicale Fear avec I Don’t Care About You lors<br />

d’un parallèle artistique, s’il eut été question de l’emploi<br />

d’un ton en particulier… Sous un abord fracassant, des<br />

phrases laissaient entendre que l’expéditeur était sans<br />

illusions, menaçant même de l’opprobre fut-elle juste<br />

sentimentale celle à qui s’adressait le poème, fortuitement<br />

jugée auteure d’une trahison (jusque là présumée..) assuré<br />

dans un élan confirmé d’une amertume sensiblement<br />

violente.<br />

« En somme, s’emporta à son tour Dulcinée, il élève une<br />

créature mortelle au rang de déesse, lui fabrique un<br />

caractère divin dit-il pour démystifier et refuser, si il y avait<br />

lieu en poursuivant, de se plier en retour au propre culte de<br />

celle-ci ! Quelle imposture de bonimenteur schizophrène et<br />

masochiste !<br />

-Mais il y a un différé à la lecture, reprit Sarah avec calme.<br />

Il est possible de conserver du texte seulement ce que tu<br />

souhaites en retenir. La valeur des mots employés est un<br />

déni étymologique à long terme certes, mais la définition<br />

des termes subit des modifications du à l’emploi de codes<br />

de <strong>com</strong>munication en mutation spacio temporelle ! Il écrit<br />

de manière universelle et personne ne peut prendre en<br />

considération à son adresse l’intégralité des sentiments<br />

apparemment contradictoires. Tu sais que l’exposé de ses<br />

idées a valu à Mishima une renommée dans tous les


55<br />

milieux, il a touché et influencé toute une génération. On<br />

l’étudiait à l’Université. »<br />

Sarah était embarrassée. Dulcinée semblait ne pas pouvoir<br />

pousser très loin l’analyse, autrement que d’une manière<br />

superficielle. Elle ne souhaitait pas brouiller davantage<br />

l’esprit encore bouillonnant de sa jeune <strong>com</strong>pagne et tenta<br />

de capter son attention par le regard et en lui prenant<br />

simultanément la main. Rien n’y faisait. Dulcinée semblait<br />

bouder, emportée par la passion. Désireuse de dépasser le<br />

cadre de cet échange de points de vue, somme toute<br />

secondaire dans leur relation, et de n’établir entre elles que<br />

l’émission unique d’ondes positives, Sarah en fut quitte<br />

pour régler leur consommation. Le fait était qu’elle fut<br />

surprise par la note du repas, l’humeur changeante de sa<br />

<strong>com</strong>pagne et voulu maladroitement s’en préserver. Elle<br />

perçut le montant de son sacrifice et demeurait muette dans<br />

l’horreur d’une sorte de vide et de silence à vivre avec une<br />

vague de froid inattendue.<br />

Minuit sonna.<br />

En effet un vent frais, de saison pourtant, fouettaient les<br />

arbres du jardin. Sarah, jetait un regard vers l’extérieur et se<br />

demandait incertaine, en regardant au loin, si elle passerait<br />

l’épreuve de l’Hiver dans de telles conditions. Les deux<br />

jeunes femmes quittèrent presque mécaniquement le<br />

quartier du Palais Royal en direction du boulevard de<br />

l’Opéra, peu fréquenté à cette heure tardive. Elles<br />

décidèrent de rentrer à pieds à Levallois Perret. Les limites<br />

intimes de leur relation apparaissaient cependant. Ceci


56<br />

n’échappa pas à la sensibilité de Dulcinée, plus déterminée<br />

dans sa motion d’égoïsme que Sarah, et qui crut permis et<br />

possible de s’extraire de l’attention de sa maîtresse et du<br />

monde. La situation était devenue gênante. Elle affectait<br />

donc un mutisme froissé dont elle croyait grossièrement<br />

l’extérieur conforme et neutre. Elle boudait sans se souvenir<br />

exactement pourquoi. Ce caprice achevait les espoirs de<br />

cohésion de l’autre. Leur rapport était établit <strong>com</strong>me<br />

définitivement à sens unique. Les deux femmes marchaient<br />

côte à côte, aussi seules l’une que l’autre au fond du point<br />

de vue d’un échange sans néanmoins se douter pour la plus<br />

jeune, Dulcinée, que la solitude voulue de Lui rapprochât<br />

également de Dieu.<br />

« Maudit Mishima ! » se laissait tout de même à penser<br />

Sarah en serrant sa mâchoire à qui voulût bien l'entendre en<br />

se trouvant un responsable.<br />

Écrivain à la mode dans les années 1950, Michel Mishima<br />

avait eu le vent en poupe, après quelques succès littéraires.<br />

Mishima, tel le nationaliste Yukio, au patronyme éponyme,<br />

suicidé en 1970 pour le Japon à la suite d’une sanglante<br />

mutinerie dans une caserne de l’Empire du Soleil levant, sur<br />

le pathétique damier d’un jeu de go ayant entre autre objet<br />

l’impérialisme américain sabordant l’hégémonisme nippon.<br />

MM, les initiales de sa doublure publique, avait notamment<br />

obtenu différents prix pour son ouvrage culte La<br />

Crucifixion du Cheval De Bois, un roman ayant presque la<br />

valeur manifeste d’un essai, dans la mesure où il préfigurait


57<br />

en fond et en forme une réalité à venir en matière<br />

d’approche médiatique. L'auteur prétendait notamment qu'à<br />

Troie, la statue équestre des Grecs pour tromper leurs<br />

ennemis avait bien été une jument... Au-delà de la simple<br />

fiction Michel Mishima, ayant obtenu un bon chiffre de<br />

ventes en librairies et obtenu la reconnaissance de la part de<br />

critiques émérites, était devenu très vite un porte parole,<br />

avec une sorte d’étoffe, auprès de la génération des baby<br />

boomers en élargissant petit à petit sa qualité d’écrivain à<br />

celles de penseur scientifique ou de concepteur en matière<br />

d’économie. Le fait qu’il s’intéressât à tout lui garantissait<br />

une latitude extraordinaire, des champs de manœuvres<br />

inédits. Il avait le secret de ses envois laissant ouvert au<br />

public la possibilité de le redéfinir socialement. MM prenait<br />

l’opinion à revers par une gravité alerte et concernée au<br />

timbre caractéristique. En cela, il lui avait été accordé une<br />

attention méritée, lorsqu’il convenait de délimiter les<br />

contours du monde vers l’inconnue de son propre reflet,<br />

laissé à l’introspection au moyen de sa culture pointue et<br />

accessible à tout entendement. Ce, avec une aisance<br />

remarquable, dans l’intérêt immédiat de ses propos de<br />

théoricien appliqués prosaïquement dans ses illustrations<br />

rhétoriques. Respecté, il était l’initiateur de l’infinie pensée<br />

du IIIe millénaire, mais n’échappait plus aux « tarte à la<br />

crème » d’iconoclastes qui, quoique mus d’une admiration<br />

ressentie et véritable à son égard, l’interpellaient <strong>com</strong>me<br />

des potaches maladroits, et donc peu rompus, Mishima s’en<br />

plaignait, au protocole traditionnel, et, s’il y avait lieu, à


58<br />

l’expression de l’éloge. En était l’artiste Eiwob Patterson,<br />

son cauchemar de rock star. Il y avait un antagonisme<br />

flagrant, profond et évident entre les deux personnalités. Ce<br />

différent n’était pas passé à côté de la profonde sensibilité<br />

de Sarah Howard, lorsque la presse, dont elle était, se fût<br />

fait superficiellement l’écho de cette dualité. Au-delà de<br />

l’art, les tenants en étaient, bien sur, l’usage exclusif de<br />

technologies mise au point par le penseur chercheur,<br />

essentiellement à des fins militaires, sa tactique médiatique<br />

pouvant déboucher sur une stratégie opérationnelle.


59<br />

<strong>Sen</strong>sitiv failure V.O.<br />

( Action ! )<br />

Michel Mishima peignait une toile en priant à voix haute<br />

dans son appartement de la rue Gutenberg, Paris 15e ; il<br />

s’efforçait de faire correspondre les intuitions codées de son<br />

cortex encore indéchiffrable et seulement partiellement<br />

exploré avec un mode de <strong>com</strong>munication à peu près<br />

accessible. Ce dans l’improvisation devant rendre toutefois<br />

l’établissement d’un raisonnement planifié :<br />

(Thinking) Which men are we in front of Nature ? Solidarity must<br />

fundamentaly determine up about the purpose of the exchanging in the<br />

brotherhood. A recent past seems to destroy up on the beneficial trust in the<br />

Saint Resistance anyway. But the question is : does the mechanical jungle<br />

present at least only a practicable aspect considering technological<br />

operators or, also, what are my best wishes up in Humanity today <strong>com</strong>pare<br />

to its system of damages of self destruction ? I might be a child turning


post criptum to animal instinct…<br />

60<br />

Prenant du recul vis-à-vis de son ouvrage, il s’aperçut qu’il<br />

venait de reproduire les symboles du parti <strong>com</strong>muniste<br />

tchèque dans un angle futuriste. L’ensemble était indigeste<br />

au goût de son auteur. Le signal d’appel de son visiophone<br />

bourdonna. Michel Mishima un peu abasourdi décrocha le<br />

<strong>com</strong>biné tandis qu’il fut tout d’abord mis en relation avec<br />

une boite vocale diffusant une promotion.<br />

Publicité<br />

-En Juin 2005, le label Tricatel présentait Les concerts de<br />

promotion qui ont permis au public d’entendre le titre 16,<br />

concept du www.yattanoel.<strong>com</strong> sur scène à Paris et en<br />

province pour son interprétation. L’aventure se poursuit avec<br />

e-meteor.@orange.fr<br />

- Allo ? reprit Mishima en français, un peu excédé d’être<br />

dérangé en pleine concentration, donc à un point culminant<br />

de réflexion.<br />

-Oui, Antenne Médias, entonna une voix. Peu de batterie.<br />

Je vous appelle depuis le cellulaire de la limousine de mon<br />

groupe de production. Figure sur ma carte de visite sous le<br />

logotype de l’agence : Designer/Directeur Artistique/Chef<br />

de Produit. Par souci de clarté, je peux également ajouter<br />

esthète et dandy. Je suis opérationnel dans la partie<br />

créative à la condition qu’une styliste de mode soit en<br />

charge de me trouver des vêtements originaux de couturiers<br />

inspirés pour mes sessions de photographies haut de<br />

gamme. J’œuvre professionnellement dans ce domaine et


61<br />

mes <strong>com</strong>posites sont recherché par les chasseurs de têtes<br />

des agences de mannequins pour lesquelles me trouver un<br />

défilé ou bien un rôle dans un spot publicitaire deviennent<br />

des formalités ! J’ai de quoi régler les équipes de tournage,<br />

les estimations des budgets tenant <strong>com</strong>pte du potentiel de<br />

plus values concernant mes apparitions d’après les plans<br />

prévisionnels. S’ajoutent à mes droits d’auteur ce que me<br />

rapporte mon statut d’intermittent du spectacle. Je peux<br />

même mettre aux enchères quelques mèches de cheveux afin<br />

d’empocher le nécessaire et retrouver la voie, la sagesse,<br />

aidé en cela par mon maître de taï chi, un jeune homme<br />

charmant… Je ne manque pas de virer mes avocats pour<br />

in<strong>com</strong>pétence lorsque je décide de coller des procès à des<br />

paparazzis indélicats. En faisant autorité dans ma sphère je<br />

balise la vogue cela va de soi. Sollicité pour la ferveur<br />

reconnue de mon recueillement, je prie avec la plupart des<br />

personnalités de la jet society en ac<strong>com</strong>pagnant des<br />

admirateurs fortunés à des cérémonies. Je note: grosse<br />

impression à mon approche sur les crews et les hôtesses<br />

accueillant les VIP. Et dire qu’il y a en + mes groupies et<br />

mes fanatiques ! Ils ou elles me « branchent »<br />

régulièrement en dehors de mes périodes de planque<br />

lorsque je décide de réaliser mes œuvres peintes dans le<br />

calme, une autre de mes disciplines d’appoint. Bon sang !<br />

On vante la chaleur de mes bons sentiments et je signe<br />

volontiers un autographe une fois reconnu ! Hum… je suis<br />

adulé de génération en génération ! Désinhibition, état<br />

d’extase selon la psy de mon banquier @ par relation.


62<br />

Oubli du vide paranoïde si je me représente en une tournée<br />

géante avec mes tours de magie <strong>com</strong>me le véritable<br />

<strong>com</strong>édien del arte ou l’acteur de cinéma que je suis aussi !<br />

Ces réelles et positives vibrations suscitées par moi… mon<br />

public…qui me <strong>com</strong>prend !<br />

MM…Hooh ! »<br />

Ne sachant pas s’il s’agissait d’un canular, Mishima troublé<br />

ne put s’empêcher d’interrompre :<br />

"-Arès, je suis prêt à donner mon corps pour sauver celui du<br />

prophète ! précisa-t-il.<br />

-Arès t’a entendu et accepte ton offre ! Fais toi violence !<br />

Moi, Ynès GBESSIAH, Marquis de FORECARIAH t’y<br />

convie ! " invectiva la voix familière d’un claquement de<br />

bec. Puis la <strong>com</strong>munication s’acheva subitement lorsqu’un<br />

générique de fin proposait déjà un produit dérivé d’art<br />

plastique intitulé Une Belle Amie.


63<br />

Le 7 Juillet au soir<br />

Monsieur Sacha avait appelé. Furieux. Don Cougar lui avait<br />

passé un savon avant de le remercier lui et son agence de<br />

voitures avec chauffeurs. Les Plastic Flag et leur staff<br />

avaient du faire appel à des taxis pour se rendre au Plazza<br />

Athénée après une grande pagaille à l’aéroport avec tous<br />

leurs bagages. Hyacinthe Ange venait à priori de se faire<br />

proprement viré. A l’annonce de son ex employeur de fait<br />

donc, il réagit avec une condescendance de circonstance<br />

tout à fait justifiée puisqu’il avait eu une raison valable et<br />

supérieure pour ne pas se rendre à l’aéroport quoique, dans<br />

un premier temps, la situation voulut qu’il vint de perdre<br />

certainement une confortable source de revenus. Le jeune<br />

homme avait fait un choix sans dilemme ou hésitation et,<br />

surtout, sans regret. Dans une problématique d’orientations<br />

sociales, placées au coeur de ses valeurs matérielles<br />

majeures l’engageant, la fierté de sa réputation incluse dans


64<br />

ses plans d’émancipation, avait joué vis-à-vis de<br />

dispositions secondaires dont était ce job par la force des<br />

choses.<br />

L’étudiant et artiste était décidé ni plus ni moins à<br />

s’affirmer désormais sans <strong>com</strong>plexe pour ce qui devrait<br />

devenir la sérieuse marque de fabrique de son art lorsque<br />

celui-ci aurait à se déployer médiatiquement. Il n’était<br />

effectivement le larbin ou le sous fifre de personne au fond.<br />

Hyacinthe Ange avait notamment programmé de rédiger un<br />

roman à l’occasion sur son expérience en grande remise en<br />

calquant la réalité dans un contexte tenant d’une fiction<br />

avantageuse. Il <strong>com</strong>ptait utiliser, pour faire parler de lui, le<br />

réseau intra professionnel qu’il avait abordé <strong>com</strong>me<br />

chauffeur. Son objectif fut de faire tintinnabuler à son tour<br />

les tiroirs caisses… des librairies en réalisant un bon chiffre<br />

de vente pour un ouvrage édité à <strong>com</strong>pte d’auteur et<br />

pourquoi pas remporter de bonnes critiques dans les<br />

colonnes littéraires. Il rêvait <strong>com</strong>me parfois cela arrive<br />

encore à 20 ans, mais il avait toutefois été bien inspiré et<br />

avait par ailleurs bien passé ses examens de droit avec la<br />

fraîcheur de son regard dynamique et ses envois juridiques<br />

théoriques de manière forte à propos. Il s’attendait à une<br />

bonne note aux écrits qui lui permettrait de rentrer en<br />

deuxième année et de ne pas perdre son temps en<br />

redoublant. Hyacinthe Ange, chanceux, était tombé sur des<br />

sujets qu’il maîtrisait bien, justement révisés la veille dans<br />

le cadre d’une impasse totale…


65<br />

Ce soir là avec Claire Sayn, sa fiancée et, ac<strong>com</strong>pagné de<br />

quelques amis de la faculté de droit, une petite troupe<br />

d’étudiants en vacances décidait de se rendre à la VO, la<br />

discothèque à la mode ce, après un bon restaurant de<br />

cuisine gastronomique sur l’île de la Cité. Dans l’imposante<br />

berline familiale Renault grise métallisée du père de Claire,<br />

que celle-ci conduisait pour une fois avec son permis à<br />

points récemment décroché, les fenêtres étaient à demi<br />

ouvertes. Un gros joint, qui diminuait petit à petit et de<br />

manière irréversible <strong>com</strong>me toutes les bonnes choses,<br />

circulait de mains en mains. Un mélange détonnant de<br />

tabac, de marajuana et de cannabis était aspiré <strong>com</strong>me le<br />

symbole apaisant semblait-il d’une fraternité. De quoi<br />

planer toute la nuit à l’unisson de la musique en vibrations<br />

synchrones en se prenant pour le centre du monde tout en<br />

ne le dissimulant, à ne pas le crier à tue tête lorsque le<br />

sentiment d’extra sensibilité <strong>com</strong>portait ses limites<br />

palpables en croisant des patrouilles de police en service,<br />

accentuant l’alternance de spasmes hilares pour un rien<br />

ultra conscient du néant et un silence coupable soudain dans<br />

le véhicule automobile à la vue des uniformes...<br />

L’incontournable frisson passé à l’entrée du club, les<br />

fêtards naïfs sous les regards obséquieux des vigiles de<br />

sécurité de la VO franchissaient victorieux la porte d’entrée<br />

et se retrouvèrent vite à se payer des consommations<br />

alcoolisées au sous sol de l’établissement. Il était 23h45 et<br />

les sens de Hyacinthe Ange, qui était pris au cerveau et<br />

préalablement aux poumons, prenaient corps avec la


66<br />

matière de l’incolore, cette sensation recherchée par le<br />

fumeur qui place le sujet dans un état chronique de<br />

béatitude supposée sereine et naturelle. Le petit groupe<br />

s’était installé un peu amorphe autour d’une table devant la<br />

piste. Le stroboscope électronique créait des instants<br />

surréalistes de syncope lumineuse. La soirée démarrait tout<br />

juste.<br />

L’Eté serait aussi doux qu’inoubliable, se promettait<br />

Hyacinthe Ange, avec ou sans Claire dont la présence, due<br />

aux hallucinogènes, était devenue subitement et<br />

curieusement moins indispensable. La jeune femme<br />

percevait toujours cette situation avec impuissance. Le<br />

jeune homme était-il en pleine et chronique attitude<br />

délirante notait-elle en manque de marques habituelles<br />

d’une <strong>com</strong>plice et sensuelle affection ? La petite amie<br />

officielle de Hyacinthe Ange, très BCBG, voulait bien<br />

profiter de ce jour particulier de fin d’année universitaire,<br />

qui, pour elle aussi, jusqu’alors passée à étudier en prépa<br />

HEC, s’achevait enfin. C’était à elle que revenait ce jour là<br />

de régler les réjouissances avec sa nouvelle carte de crédit<br />

sur le « terrain » de Hyacinthe Ange.<br />

Un morceau remixé de la formation Dee Light résonnait<br />

avec fracas dans l’espace de la VO en ne donnant rien<br />

d’autre que l’envie de danser en rythme pour les garçons et<br />

filles et rejoindre, pour se faire, une splendide créature<br />

rousse de taille mannequin et apparemment explosée qui se<br />

trémoussait seule devant la petite scène du sous sol du club.<br />

Sur celle-ci, trois malabars en jeans et tee shirts noirs, avec


67<br />

leur collier de pass de concerts, installaient une batterie,<br />

s’affairaient à brancher des jacks de microphones à des<br />

amplificateurs ou plaçaient les retours de scène. La<br />

barwoman, qui connaissait Hyacinthe Ange mais qui fut<br />

surprise de le voir ce soir là, lui annonçait qu’un concert<br />

était prévu à 2h.<br />

« -Il n’y a en principe que des rentrées sur invitation ce soir,<br />

lui dit-elle avec son accent du Sud Est. On attend un grand<br />

groupe américain pour une jam. Les Plastic Flag. Tu<br />

connais j’imagine ?<br />

-Oui, répondu placidement Hyacinthe Ange très las en<br />

souriant <strong>com</strong>me un libertin pétomane s’en remettant à<br />

Sainte Thérèse mais olfactivement fier ses forfaits sourds,<br />

sans préciser qu’il leurs avait posé un lapin le matin même.<br />

- C’est une soirée spéciale. Du gratin presse rock VIP va se<br />

presser pour les écouter. Tu as du bol d’être là ! C’est<br />

l’évènement de l’année ! As-tu écouté leur dernier album ?<br />

-Non, mais je connais le premier presque par cœur !…reprit<br />

le jeune homme.<br />

-Il est super, n’est-ce pas ? ! Je l’écoutais en boucle<br />

autrefois le soir lorsque j’étais encore dans ma province ! »<br />

s’égosillait la jeune femme en jacassant pour peu de chose<br />

finalement avec un enthousiasme cependant <strong>com</strong>municatif.<br />

Il était déjà minuit et demi pour qu’une faune interlope et<br />

plutôt underground, par la force des choses, investisse<br />

largement l’espace de la VO. La moyenne d’âge devait être<br />

de 35 ans. Des excentriques aux vêtements branchés<br />

glamrock côtoyaient des tenues sobres faites de smokings


68<br />

classiques ou de robes pailletées d’estivantes de parties<br />

nocturnes juilletistes, robes surmontant des paires de jeans<br />

grunge sur des souliers de défilés haute couture. Une mode<br />

venue des campus de la Côte Ouest des Etats-Unis que<br />

Hyacinthe Ange s’était plu à dessiner d'après<br />

photographies. S’installait avec une certaine <strong>com</strong>plaisance<br />

une grande familiarité dans cette assistance privilégiée<br />

venue se divertir en écoutant Les Plastic Flag dont la venue<br />

était très attendue. Les serveuses étaient débordées. Des<br />

visages connus se fondaient avec une accessibilité autant<br />

outrancière qu’audacieuse dans la promiscuité de la foule<br />

<strong>com</strong>me des personnes théoriquement anonymes.<br />

L’ambiance à la VO était survoltée <strong>com</strong>me chaque soir<br />

dans ce lieu réservé aux insomniaques hédonistes dont la<br />

population était néanmoins changeante d’un jour à l’autre,<br />

<strong>com</strong>pte tenu du montant de l’entrée à peine moins<br />

malhonnête qu’une arnaque officieuse. La ventilation<br />

n’étant pas en service, régnait une grosse chaleur dans la<br />

discothèque invitant d’autant plus l’assistance à payer pour<br />

se désaltérer. Prétextant de vouloir sortir pour fumer une<br />

cigarette, Hyacinthe Ange quittait, certes un peu cavalier<br />

sur ce coup, Claire et ses ami(e)s, tout en réalisant <strong>com</strong>bien<br />

l’engouement du soir validait des aspects autant irrationnels<br />

que relativement grotesques.<br />

« -Je reviens dans quelques minutes, dit-il.<br />

-Bon. Moi, je vais danser ! lui lançait la jeune femme qui<br />

sortait d’une courte léthargie émotionnelle. Ne sois pas trop<br />

long, il y a de beaux mecs ici prêts à faire des câlins,


69<br />

monsieur de Luciole… »<br />

Hyacinthe Ange, après avoir fendu la foule hétéroclite en<br />

direction de l’entrée de la discothèque en se confondant<br />

d’une bonne vingtaine de « pardon ! » circonstanciés,<br />

indiquait à un vigile qu’il sortait pour fumer une cigarette<br />

mais qu’il reviendrait. Un grand balèze lui fit alors un signe<br />

d’approbation de la tête pour acquiescer. Dehors une file<br />

d’attente fournie attendait de pouvoir rentrer sur la droite et,<br />

sur la gauche, se rassemblaient des irréductibles de la<br />

nicotine.<br />

Dehors la température était moins étouffante qu’à<br />

l’intérieur mais n’en était pas moins élevée.<br />

« Tu aurais du feu s’il te plait ? » demanda alors dans son<br />

dos à Hyacinthe Ange une voix féminine et douce,<br />

mâchouillant un chewing gum avec un léger accent<br />

américain. Le jeune homme, bon <strong>prince</strong>, se retournait<br />

cherchant machinalement son Zippo à essence dans l’une de<br />

ses poches de veste. Il contempla son vis-à-vis de la tête<br />

aux pieds dans le même temps. Une jeune femme<br />

apparemment plus âgée que lui était de la même taille,<br />

tenant un sac à mains en lézard teint en noir sous son bras<br />

gauche, les cheveux noirs longs et raides, les yeux noisette<br />

claire avec un iris bleu marine, le visage fait et poudré<br />

avec un rouge à lèvre sombre, habillée fort chic d’une robe<br />

moulante et très courte de couleur noire sans soutien gorge<br />

pour une petite poitrine, juchée sur des talons hauts dans<br />

des chaussures beiges montantes et pointues, à lacets et,<br />

visiblement en crocodile, signées Pucci Verdi. Sa cigarette


70<br />

se trouvait déjà entre ses rangées de dents couleur blanc vif,<br />

attendant que Hyacinthe Ange l’allumât. Lorsque le jeune<br />

homme s’exécutait, elle lui fit un beau sourire <strong>com</strong>plice et<br />

le remercia. Puis elle tira une bouffée, expulsait la fumée et<br />

lui dit :<br />

« Je m’appelle Betsy et toi ?<br />

-Betsy…Betsy…Vous êtes Betsy Craven ? La Betsy<br />

Craven ? reprit Hyacinthe Ange soudain la gorge nouée en<br />

se surprenant lui-même de ses talents décontractés et<br />

appliqués de physionomiste.<br />

-Oui ! Comment le sais-tu ? dit-elle, apparemment étonnée,<br />

avec un sourire plus large encore.<br />

-Heu…J’ai entendu parler de vous, bafouillait Hyacinthe<br />

Ange. Vous êtes avec les Plastic Flag, n’est-ce pas ?<br />

-Oui je les attends. J’ai diner ici avec leur manager,<br />

indiquait-elle avec sérieux. Et toi qui es-tu ? Tu peux me<br />

tutoyer…dit-elle intriguée avec souplesse et convivialité<br />

sans dissimuler un certain intérêt pour la réponse attendue.<br />

-Je…je suis sorti avec des amis à la VO. Nous étions venus<br />

faire la fête, reprit-il en hochant de la tête.<br />

-Tu es un artiste aussi ? Un journaliste ?<br />

-Un peu les deux.<br />

-Je n’ai pas envie de moisir longtemps ici. Ce n’est pas<br />

super, fit-elle avec une séduisante grimace. Ne connais-tu<br />

pas un autre endroit ? As-tu une voiture ? dit la jeune<br />

femme déterminée à ne pas lâcher prise. Montre-moi ta<br />

ville. »<br />

Hyacinthe Ange fut extrêmement surpris d’être soudain


71<br />

dans une situation qui se présentait <strong>com</strong>me tout aussi<br />

excitante et insolite que confuse et pour le moins gênante. Il<br />

était embarrassé. Dragué par une vedette ! Mais au fond<br />

quoi de plus courant ? Se serait-il estimé lui-même d’une<br />

moindre importance, une pointure subalterne ? Au bout de<br />

quelques secondes tout se posait avec égalité mais le<br />

redoutable problème du choix apparaissait et se posait à lui<br />

à nouveau en songeant à Claire qui l’attendait quelque part.<br />

Les remords et les tracas immédiats d’une problématique<br />

classique jouaient en reposant sur les effets validés ou pas<br />

de son assurance personnelle. Il voulait rester crédible et se<br />

risquait tout de même en proposant le meilleur à la<br />

personnalité somme toute inconnue de l’étrangère qui<br />

l’avait abordé :<br />

« -Je suis à pieds mais je peux… t’emmener chez moi. Je te<br />

montrerai mes œuvres. Veux-tu ? lançait Hyacinthe Ange<br />

avec soin dans un soupçon de franche ringardise.<br />

-Allright ! Let’s go ! » concluait toutefois sans la moindre<br />

hésitation la jeune femme en se mettant en mouvement vers<br />

le bout de la rue en sens unique où se trouvait la VO,<br />

Hyacinthe Ange aurait-il jubilé d’avance à l’idée de<br />

raconter cette rencontre inattendue à son entourage ? Sur<br />

une avenue proche de la rue de la discothèque, il hélait un<br />

taxi qui le prit à bord avec Betsy Craven. Assis à l’arrière, il<br />

sourit à celle-ci une fois assis, sa destination <strong>com</strong>muniquée<br />

au chauffeur :<br />

« -Pas de regret ? lui dit-il.<br />

-No, no baby. » soulignait-elle à voix basse, le regard sur la


72<br />

route en lui tapotant la cuisse puis, après que de l’avoir<br />

cherché, elle prit sa main d’office. La stéréo du véhicule<br />

diffusait de la musique berbère.<br />

Le jeune homme exultait intérieurement. Rêvait-il ? Il ne<br />

pouvait le dire mais n’en montrait rien. Il subissait toujours<br />

les effets conjugués de la cigarette philosophale et de<br />

l’alcool, en ressentant plutôt bien les choses, en demeurant<br />

extrêmement positif. Il ne lui en fallait pas plus. Que ses<br />

amis restés à la VO s’inquiètent pour lui le laissait un peu<br />

indifférent. Trousser une exquise ex top model lui paraissait<br />

beaucoup plus important pour l’instant.<br />

« -Je m’appelle Hyacinthe Ange, dit-il alors que l’on<br />

approchait de son quartier.<br />

-Comment ? écoutait la jeune femme surprise, feignant<br />

l’indifférence.<br />

-Hyacinthe Ange.<br />

-C’est ton nom et ton prénom ? dit-elle en jouant sur son<br />

charme authentique.<br />

-Oui ! Yes ! No ! bafouillait le jeune homme.<br />

-Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Tu parles aussi ma langue Yesceete<br />

Angel !<br />

-Hyacinthe Ange, insistait-il.<br />

-Yesceete Ange ! reprit Betsy Craven du mieux qu’elle pût<br />

<strong>com</strong>me en maternelle à l’école pour ne plus devoir se<br />

répéter. Est-ce français ça ? interrogeait-elle.<br />

-Oui !<br />

-Et quel est ton nom de famille ?<br />

-Clairon de Luciole.


73<br />

-Wow ! C’est long ! Je ne sais pas si je m’en souviendrais.<br />

Tu es un aristocrate toi chéri ! »<br />

Elle l’avait appelé baby, chéri ! Hyacinthe Ange était aux<br />

Anges… A présent le taxi était arrivé devant l’immeuble du<br />

jeune homme.<br />

« -Combien vous dois-je monsieur ? demandait-il pressé au<br />

chauffeur sans doute originaire de l’Afrique du Nord qui<br />

avait éteint le <strong>com</strong>pteur du véhicule sans couper le moteur.<br />

-11€, s’il vous plait » répondit le taximan en se retournant.<br />

Betsy Craven sortit de son sac à mains un billet de 100 tout<br />

neuf qu’elle lui remit lorsqu’au même moment Hyacinthe<br />

Ange n’eût que le temps d’ouvrir son portefeuille.<br />

« -Je règle, dit-elle. Pas de soucis. » dit-elle sur un ton<br />

pleinement responsable avant tout de même de récupérer la<br />

monnaie et descendre de voiture dans le faubourg calme.<br />

Le jeune homme était gêné et concluait par un :<br />

« -Ce sera moi la prochaine fois !<br />

-Ok sweet heart. O mais je suis en <strong>com</strong>pagnie d’un<br />

véritable gentleman…ironisait Betsy Craven.<br />

-Merci ! Thank you ! » tentait le jeune homme au loin de<br />

toute flagornerie afin de ne pas passer pour un pauvre<br />

gigolo, l’honneur à fleur de peau sans doute mal placée en<br />

pareille situation.<br />

Hyacinthe Ange sentait la traduction du désir monté en lui.<br />

Il n’avait pas eu le temps de montrer ses toiles à Betsy. La<br />

jeune femme s’était déchaussée en arrivant dans le studio,<br />

découvrant de magnifiques petits pieds aux doigts vernis en<br />

noir, une chaînette en or à la cheville gauche. La porte à


74<br />

peine refermée par Hyacinthe Ange, elle s’était débarrassée<br />

de sa robe, s’était glissée un corps en proportions de rêve<br />

sous la couette du jeune homme et l’avait invité à la<br />

rejoindre vite, assurée de son effet. Puis lorsqu’il s’était<br />

penché sur son buste tout blanc dans les vapeurs de son<br />

parfum Obsession qui lui tenait lieu de sous vêtements, elle<br />

l’avait enlacé et avait trouvé sa bouche et l’embrassait<br />

langoureusement en lui léchant les babines. Elle lui<br />

chuchota à l’oreille :<br />

« -Fais moi l’amour ! » Tout ceci paru fort logique d'un seul<br />

coup à Hyacinthe Ange. What else ?<br />

Le jeune homme en était aux préliminaires, se perdant dans<br />

la poitrine de Betsy en caressant l’abdomen de cette<br />

dernière, puis sa main droite survolant ses cuisses avant son<br />

entrejambe. La jeune femme lui passait les mains sur la tête<br />

en gémissant.<br />

« -O yes ! Yes ! dit-elle <strong>com</strong>me si la beauté dont elle était<br />

affublée pouvait être une source de souffrance. Fuck me ! O<br />

Fuck me baby please ! »<br />

Hyacinthe Ange s’attardait sur le pubis tatoué d’une fleur<br />

bleue et rose et sans toison de Betsy Craven.<br />

« -Come on ! Viens ! Make me <strong>com</strong>e !» haletait-elle.<br />

Le jeune homme songeait un instant mettre un préservatif.<br />

« Si elle est <strong>com</strong>me cela avec tout le monde, je devrais peut<br />

être me protéger » pensait-il un instant. Mais la jeune<br />

femme qui avait entrepris de le caresser à son tour tenait<br />

déjà bien avec sa main gauche sa verge dure et en érection<br />

pour se pénétrer avec en râlant, lui suggérant une confiance


75<br />

parfaite. Hyacinthe Ange oublia le préservatif et il ne put<br />

s’empêcher de contempler la jeune icône. Il se penchait<br />

pour l’embrasser encore. Plus il s’affairait, plus ils avaient<br />

tous deux du plaisir. Betsy lui caressait les testicules puis<br />

passait sa propre main droite sur son clitoris. Le jeune<br />

homme sexuellement de plus en plus excité allait éjaculer.<br />

La vision de leurs deux corps en osmose copulatoire avait<br />

quelque chose d’extrêmement pornographique.<br />

« -Fais attention ! » lui dit-elle en sursaut pressentant une<br />

issue proche et probable.<br />

Au dernier moment de leurs ébats, Hyacinthe Ange se<br />

retirait galamment pour respecter son souhait et se répandit<br />

en inondant juste l’entrejambe de Betsy d’une giclée<br />

bouillante. Celle-ci, en soufflant, soupirait et lui souriait.<br />

« -French lovers are simply the best ! » dit-elle<br />

apparemment <strong>com</strong>blée.<br />

Comblé, Hyacinthe Ange l’était aussi. Il était 3h du matin.<br />

Tout avait été précipité. Il pensait que la vitesse de leur<br />

rapport avait exclu l’ennui que les femmes pouvaient<br />

connaître dans le domaine des relations physiques<br />

hétérosexuelles. Hyacinthe Ange regrettait juste que Betsy<br />

Craven n’eut pas connue d’orgasme elle aussi. Il s’en serait<br />

tout de suite rendu <strong>com</strong>pte. Cependant par amour propre, il<br />

était satisfait de savoir la jeune femme en bordure du plaisir<br />

ultime.<br />

Le portable du jeune homme se mettait à sonner. Il ne<br />

décrochait pas et attendait un instant de lire sur le <strong>com</strong>biné<br />

le numéro qui l’appelait. C’était Claire. Elle avait laissé un


76<br />

message, sans doute soucieuse depuis son départ.<br />

« -Qui était-ce ? demandait Betsy.<br />

-Une amie, repris d’une voix mâle accentuée Hyacinthe<br />

Ange un peu embarrassé et presque <strong>com</strong>ique, les cheveux<br />

décoiffés.<br />

-Ton petite amie, n’est-ce pas ? dit-elle curieuse et amusée<br />

de mettre soudain Hyacinthe Ange devant ses<br />

responsabilités.<br />

-Hum…Je l’ai laissé à la discothèque tout à<br />

l’heure…confessait le jeune homme jouant la dernière<br />

partie sous un couvert à moitié penaud.<br />

-…pour baiser avec moi ! ajoutait Betsy hilare et <strong>com</strong>plice.<br />

Allez, c’est entre nous chéri. Retournons dans ton club. De<br />

toute façon il faut que j’y sois aussi big boy ! »<br />

Ils se rhabillèrent tous les deux à vitesse grand V. Betsy,<br />

toujours belle aux yeux de son amant du soir, se dirigeait<br />

vers la petite salle de bain pour se repeigner tandis que le<br />

jeune homme s’aspergeait d’eau de toilette pour faire passer<br />

le parfum de la jeune femme avant de remettre sa chemise.<br />

Il refit son lit en secouant drap et couette avec méthode<br />

<strong>com</strong>me à l’époque où il était au pensionnat militaire. Puis il<br />

entrebâillait la fenêtre. Les deux amants affectaient un<br />

silence international pour pallier à toute forme<br />

d’in<strong>com</strong>plétude.<br />

« Betsy, Betsy, Betsy, Betsy ! » murmurait tout de même<br />

Hyacinthe Ange un peu dépassé par la situation. Son<br />

hypersensibilité était perceptible aux antennes de celle-ci.<br />

« -What’s happening my lovely gigolo ? reprenait-elle en


77<br />

riant encore, bonne nature, et toujours intriguée en serrant<br />

avec tendresse la taille de Hyacinthe Ange depuis le dos de<br />

ce dernier décidé à se passer un gant d’eau tiède entre les<br />

jambes avant de repartir. Nous sommes grands, des adultes,<br />

non ? »<br />

Ils s’embrassèrent une dernière fois en quittant la<br />

garçonnière, cloisonnant la porte de leur éphémère intimité.<br />

La circulation était très fluide. Ils furent de retour à la VO<br />

trente minutes plus tard. Hyacinthe Ange dut insister pour<br />

payer la course de retour. Ses principes avaient fini par<br />

reprendre le dessus.<br />

Dans la discothèque la voix suave d'Eiwob Patterson en<br />

scène étaient reprise en cœur par un parterre en délire. La<br />

jamsession était sur le point de s’achever dans des<br />

exclamations et des sifflements de contentement.<br />

« -Où étais-tu mon amour ? criait Claire à l’oreille de<br />

Hyacinthe Ange pour se faire entendre de celui-ci dans le<br />

brouhaha des décibels caractéristiques des Plastic Flag.<br />

J’allais partir ! Cela fait trois heures que je te cherche<br />

partout. As-tu reçu mon message ? J’étais inquiète.<br />

-Je te raconterai » dit-il macho et froid et sans détour pour la<br />

rassurer sans éveiller de soupçon et ne pas paraître toutefois<br />

au surplus trop mystérieux.


Londres, le 8 Juillet<br />

(moteur !)<br />

79<br />

Le rêve<br />

Elle est belle. Je l’aime.<br />

Sur le seuil de son appartement, sa double porte est entre<br />

ouverte.<br />

J’aperçois quelques personnes autour d’un canapé dans<br />

son salon.<br />

Je la convoite, je crois, malgré mes interdits et de toute<br />

évidence elle est l’hôte d’une soirée qui la gave.<br />

Suis-je cette nuit celui qui pourra l’en extraire pour notre<br />

plus grand plaisir ?<br />

Sa motion me glace <strong>com</strong>me au premier jour d’une<br />

invitation dérobée à dîner.<br />

J’ai du mal cependant à circonscrire les traits de son<br />

visage dans cette pénombre ponctuée par des lumières<br />

électroniques.


80<br />

Me parle-t-elle ?<br />

Une transaction marquerait l’éminence de spéculations me<br />

menant à l’élimination immédiate !<br />

Soudain elle émet le souhait que…<br />

« Baise-moi ! »<br />

Le docteur Maximilien Blo+°d ouvrit lucide, avec quelques<br />

regrets cependant, ses yeux de célibataire.<br />

Il était 7:32 ce matin là. Le médecin avait présent à l’esprit<br />

cette aventure vécue toute la nuit en rêve. Par soucis<br />

d’équilibre au réveil, il avait prêté à une femme fantôme les<br />

traits d’une libertine rousse à l’identique représentation<br />

d’une amie rencontrée à la faculté de médecine.<br />

« Il y a déjà de cela deux décades… » se dit-il en souriant.<br />

Invité plus tard à son mariage, elle avait effectivement<br />

enterré sa vie de jeune femme avec son condisciple dans la<br />

sacristie de l’église anglicane, lieu prétexte à trois<br />

cérémonies, deux étant pour le moins anticipées !<br />

Le docteur Blo+°d devint par la suite un psychiatre réputé<br />

en venant en aide aux éléments connus et souvent démunis<br />

du sexe faible. Hétérosexuel convaincu et également fort de<br />

ses connaissances pointues en gynécologie, cette homme de<br />

quarante deux ans s’était constitué une clientèle à laquelle il<br />

pouvait se permettre de concéder des honoraires libres,<br />

<strong>com</strong>pte tenu de l’affluence sur son divan, dans son cabinet<br />

situé en bordure d’Hyde Park, excentré dans la<br />

configuration de Londres. Il y pratiquait des séances


81<br />

thérapeutiques individuelles ou groupées.<br />

Le docteur Blo+°d résidait à l’année dans l’hôtel Westpoint<br />

dans le quartier de Paddington. La directrice de<br />

l’établissement lui facturait un forfait de location<br />

avantageux avec contrat d’engagement sur la suite 54. Dans<br />

la cité le psychiatre circulait avec un deux roues de 50cc<br />

d’une marque française. Ceci lui valait d’être une figure<br />

pour touristes dans la capitale britannique. En fin de<br />

semaine le praticien se laissait conduire dans une Mercédès<br />

limousine de couleur rouge pour la somme forfaitaire de<br />

£30, pilotée d’ordinaire par un chauffeur né à Pondichéry.<br />

Altruiste, Blo+°d, qui jouait sur la variété des traitements<br />

pour illuminer ses patients en espérant ainsi les guérir,<br />

embarquait gratuitement à ses côtés pour des promenades<br />

citadines des artistes dont la propension à l’agitation<br />

publique les avait généralement jeté dans la misère aux<br />

soins intensifs d’un établissement spécialisé, à l’adresse<br />

décalée, au Sud de la Tamise, un hôpital psychiatrique<br />

public tenu par un corps médical formé à l’école très stricte<br />

et puritaine irlando-américaine.<br />

Le médecin consignait ses rêves dans un petit carnet vert de<br />

confection chinoise.<br />

Son frukost avalé, un petit déjeuner suédois <strong>com</strong>posé de<br />

tartines de foi gras et de rondelles de fromage, le docteur<br />

Blo+°d tenta de se détendre. Il souffrait de rhumatismes et<br />

voulut s’assouplir. N’y parvenant pas sans médecine<br />

homéopathique légale pour atténuer ses maux, il décida par<br />

conséquent de s’administrer peros 0,5 milligramme d’un


82<br />

hachisch afghan pur acheté à Amsterdam un mois<br />

auparavant en <strong>com</strong>pagnie d’Eiwob Patterson. Le remède<br />

connu de la plupart des vétérans des actions militaires<br />

américaines en Iran n’avait pas survécu à la suspicion des<br />

autorités médicales durant la courte Guerre du Golfe ou<br />

plus tard au conflit en Irak. L’administration de défense du<br />

Commonwealth, sous peine de sanctions pénales, interdisait<br />

la consommation de cannabis. Aux Etats Unis les médecins<br />

militaires pratiquaient une prise de sang après chaque<br />

permission prolongée du soldat de l’U.S Army, selon le<br />

chanteur des Plastic Flag.<br />

« Des valeurs politiques » avait conclu Patterson.<br />

Maximilien Blo+°d ressentit malgré tout un mieux être<br />

instantané. Le médecin s’habilla méthodiquement avec son<br />

costume noir trois pièces et ses souliers Church à 12£. Et<br />

en ce samedi matin il décida pour rafraîchir sa coupe de<br />

cheveux, de se rendre en voiture chez son coiffeur favori de<br />

Soho.<br />

Devant la glace de H-air, son coiffeur, le médecin<br />

s’estimait toujours rescapé du rêve de sa nuit passée et,<br />

<strong>com</strong>pte tenu de ses propres et personnelles dispositions<br />

artistiques indéniables, il conclut que ceci pouvait être des<br />

illuminations d’une certaine façon.<br />

Les rayons d’un soleil caniculaire passaient au travers des<br />

nuages de pollution jusqu’au chic salon de soins capillaires<br />

où la radio allumée, tout le monde eut la confirmation du<br />

mouvement céleste par le bulletin météorologique émit par


83<br />

la BBC de la reine déprimée.<br />

Il était 16 : 00.<br />

Une pluie fine et un épais brouillard changeait donc le<br />

paysage architectural de Paddington vers lequel se dirigeait<br />

maintenant Blo+°d, seul à l’arrière de la limousine. Une<br />

manifestation pro musulmane ralentissait le trafic. De loin il<br />

était possible de percevoir la voix d’un animateur avec un<br />

porte voix s’exprimant en arabe.<br />

« Que de <strong>prince</strong>s ! » protesta le chauffeur donnant<br />

l’impression de perdre son temps. Dans l’automobile, le<br />

passager pouvait visionner des films de Bollywood, la<br />

traditionnelle marque des productions cinématographiques<br />

indiennes… Il opta en se réveillant de quelques secondes<br />

d’évasion mentale en flash back, pour l’holophonie de la<br />

haute fidélité du véhicule. Un morceau de musique brit pop<br />

rock et le texte correspondant l’interpellèrent. Maximilien<br />

Blo+°d reconnu la voix d’Eiwob Patterson, le style des<br />

Plastic Flag et leur titre Genital Excitment dont il avait la<br />

démo dans sa suite de lord.<br />

« -En somme l’époque est livré à l’hédonisme dans une<br />

extrême télévisualité… » ironisa le médecin sur son<br />

dictaphone de poche qu’il tenait allumé d’une main.<br />

Fin de lucidité.<br />

Le 9 Juillet<br />

Il ne sait <strong>com</strong>ment, le docteur Blo+°d à 10:00 le lendemain<br />

se réveillait dans son lit de la suite 54 lorsque le téléphone


84<br />

sonna : c’était la réception de l’hôtel. Le correspondant<br />

l’informa qu’alors endormi dans la Mercédès, une femme<br />

l’avait porté vers 2:30 jusque à la suite sans <strong>com</strong>muniquer<br />

son identité au concierge. Le psychiatre fut surpris. Puis<br />

dans une peur panique d’avoir éventuellement disjoncté il<br />

se leva puis se précipita vers son ordinateur sur lequel était<br />

bien posé son carnet chinois vert. Et à la dernière page il<br />

constata qu’il y avait un résumé rédigé avec une écriture qui<br />

ne semblait néanmoins pas être la sienne.<br />

Une main en poche Blo+°d découvrit un tube de somnifère<br />

vide dans sa robe de chambre. On frappa à la porte de la<br />

suite.<br />

« -Entrez ! » s’égosilla le locataire. Timidement le visage<br />

d’Eiwob Patterson apparut alors tout d’abord.<br />

-Ah c’est vous Eiwob ! reprit Maximilien Blo+°d rassuré, le<br />

visage néanmoins en sueur.<br />

-Hello doc’! Je ne vous dérange pas ? interrogeait Patterson<br />

rentrant en courbant l’échine.<br />

-Non, non. Je suis simplement occupé à savoir ce qui m’est<br />

arrivé hier en fin d’après midi.<br />

-Doc’, mon album est numéro un en cette fin de semaine !<br />

Je vais sans doute prendre la place des LoveBizzare ! confia<br />

l’interprète apparemment enthousiaste.<br />

-Extraordinaire ! Fantastique, ami faiseur de décibels ! » La<br />

fièvre de la nouvelle retombée le chanteur demandait<br />

humblement :<br />

« -Doc’, ça ne vous ennuierait pas de m’emmener à la<br />

soirée des Royal rockers ce soir, je vous prie ?


85<br />

-Je ne vous dis pas non « créature à vent », mais pas avant<br />

vingt trois heures car j’ai rendez-vous avec Sarah Howard<br />

à16h30.<br />

-Sarah Howard ?! » précisait soudain en exclamations<br />

Eiwob, bouleversé en s’écroulant dans un fauteuil. Depuis<br />

la salle de bain où il avait entreprit de se raser le docteur<br />

Blo+°d indiquait en poussant l’organe :<br />

« -Oui ! Elle souhaite me photographier <strong>com</strong>me figure<br />

originale de la City pour le <strong>com</strong>pte du mensuel e-meteor. »<br />

Mais lorsqu’il regagnait sa chambre sa lame à la main le<br />

visage à demi recouvert d’une mousse blanche, il n’y trouva<br />

plus Eiwob Patterson. La porte d’entrée de la suite était<br />

entre ouverte. Le médecin jeta un coup d’œil curieux au<br />

dehors mais le couloir célibataire était désespérément vide.<br />

Aucun signe de vie. Persuadé de vivre un mauvais<br />

psychodrame, il claqua l’ouverture d’accès 54 sans plus<br />

rien <strong>com</strong>prendre.<br />

TU FINIRAS BIEN PAR T’EVAPORER DANS<br />

L’OBSCURITE. DEMAIN AUX PREMIERES LUEURS<br />

DU JOUR, TON AME DE LUMIERE AURAS<br />

REINVESTI TON CORPS PARFAIT.<br />

Au même moment, à Paris, Hyacinthe Ange Clairon de<br />

Luciole fut également réveillé par le téléphone. Il s’était<br />

couché avec Claire Sayn sur les coups de 5h. Il décrochait.<br />

« -Allo ? marmonna-t-il dans un état second.


86<br />

-Hi ! Je te réveille chéri ? fit une voix sensuelle et<br />

manifestant un étonnant dynamisme.<br />

-A qui ai-je l’honneur ? Betsy ? » reprit Hyacinthe Ange<br />

affolé d’un seul coup en émergeant et soucieux en regardant<br />

Claire, nue, à côté, dans son lit, <strong>com</strong>me pour s’assurer que<br />

celle-ci qui se reposait, après qu’il eut honoré plus tôt, ne<br />

fut pas sortie de son sommeil et n’entendit rien. Puis le<br />

jeune homme plaçait sa main sur le <strong>com</strong>biné pour étouffer<br />

le son de sa voix.<br />

« -Yes, répondait l’interlocutrice. Tu dormais <strong>com</strong>me un<br />

bébé, huh ? Hooh, je voudrais tant que tu sois près de<br />

moi…poursuivait la jeune femme d’une voix suggérant des<br />

pensées romantiques.<br />

-Betsy, je ne peux pas parler, indiquait Hyacinthe Ange.<br />

-Ah ! soupira la voix. J’ai un avion à 14h, poursuivait-elle,<br />

un ton un peu désabusé. Je rentre aux Etats-Unis. Je<br />

t’attends au Plazza pour te dire au revoir. Tu viens ?<br />

-Je vais essayer. Dans une heure au patio ? Downstairs ?<br />

-O ok ! ».<br />

Le Soleil brillait dans un ciel azur dégagé. Hyacinthe Ange<br />

voyait pour une fois sa ville natale avec les yeux d’un<br />

touriste où lorsque le site livrait ses derniers secrets aux<br />

aspects estimait-il inavouables de sa situation. Le site lui<br />

paru merveilleux. Il en fut très fier en termes d’héritier de<br />

son histoire et de son appartenance géographique lui aussi.<br />

L’avenue Montaigne avec ses arbres en fleurs légèrement<br />

fouettés par un petit vent opaque et chaud, était une vitrine<br />

accessible. Le jeune homme était inspiré, envoûté par l’idée


87<br />

d’une existence paisible vécue encore quelques temps telle<br />

une expérience un peu recroquevillée dans un luxe familier<br />

au fond si il avait été à propos de croire ses aspirations<br />

également éthiques et esthétiques à la hauteur des<br />

splendides architectures du dehors et des intérieurs<br />

bourgeois. Hyacinthe Ange Clairon de Luciole eut soudain<br />

l’âme propriétaire.<br />

Au patio du Plazza Athénée, il attendait Betsy Craven en<br />

pensant à elle, à la nuit du 6 Juillet. Etait-il tout simplement<br />

tombé amoureux ? Le jeune homme était confus. Il avait<br />

l’impression de se trahir <strong>com</strong>me on renierait ses valeurs,<br />

son pays et l’étoffe de sa naissance. Il eut l’envie soudaine<br />

de partir sans dire au revoir ou adieu parce qu’il refusait ce<br />

mur impropre à la <strong>com</strong>munication uniforme des traditions<br />

nationales auxquelles il croyait, très attaché. Intérieurement,<br />

il s’impatientait subitement et refusait les travers de la jet<br />

set dont il était peut être après tout sans se considérer<br />

nécessairement plus ou moins important que d’autres dans<br />

un rapport de fortune. Ceci pouvait même le décevoir.<br />

Pourtant l’aventure avec Betsy Craven repassait dans son<br />

cerveau en fondues enchaînées <strong>com</strong>me dans un film. Le<br />

visage de la jeune femme s’était déjà pourtant un peu effacé<br />

dans sa mémoire. Hyacinthe Ange avait besoin d’être<br />

rassuré <strong>com</strong>me il aurait été en mission pour une cause<br />

supérieure. Il se demandait jusqu’où tout cela pouvait le<br />

mener avec à l’esprit l’idée primordiale que quoiqu’il<br />

entreprit, il y avait la défense nationale sur laquelle reposait<br />

toute son éducation.


88<br />

Il s'apprêtait à partir lorsqu'un serveur grassouillet et de<br />

petite taille, en livrée, le crâne rasé et incité à le faire<br />

consommer quelque chose, lui apportait donc la carte. Le<br />

jeune homme était assis à attendre sans en lire le contenu<br />

lorsque des mains un peu moites lui cachèrent brusquement<br />

la vue et ce qui était une bouche se posait sur sa tête pour<br />

l’embrasser.<br />

« -Betsy ! s’écria Hyacinthe Ange dans son <strong>com</strong>plet en tissu<br />

gris d’été sur sa chemise blanche à boutons de manchettes<br />

et ses mocassins noirs Weston bien cirés aux pieds.<br />

-Tu es très chic Yesceete ! » <strong>com</strong>plimentait effectivement<br />

Betsy avec un zest d’affection dans l’attitude, lorsqu’elle<br />

prit place face au jeune homme qui lui souriait en revenant<br />

de loin avec ses pensées capitales, elle-même fort bien<br />

vêtue avec un bustier en dentelle rouge, les épaules nues,<br />

une mini jupe blanche et des Repettos bleues marine. L’ex<br />

top model portait une paire de Vuarnet noires sur un visage<br />

sans maquillage. Une crème hydratante tout au plus sur son<br />

épiderme lice et bien portant.<br />

« Sortons vite de l’hôtel, s’empressait-elle de dire. Je ne<br />

souhaite pas que le groupe nous voit ensemble ici et je les<br />

précède. Ils devraient tous descendre bientôt de leurs<br />

chambres pour le breakfast. »<br />

Une confrontation eut été effectivement délicate à assumer.<br />

Hyacinthe Ange perdait sa bonne mine épanouie à peine<br />

retrouvée pour faire face à ce qui s’opposerait à la marche<br />

heureuse mais improbable des évènements.<br />

« -Comment as-tu trouvé mon numéro de téléphone Betsy ?


89<br />

» demandait-il se levant de table en quittant le palace en<br />

galante <strong>com</strong>pagnie. La jeune femme souriait lorsque le<br />

maître d’hôtel faisait grise mine.<br />

« - Par hasard, sur le dossier de la tournée d'Eiwob et des<br />

Plastic Flag. Tu ne m’avais pas dit que tu étais chauffeur…<br />

C’est toi que Don traitait de bastard à l’aéroport ? Tu<br />

devais nous attendre. Nous étions perdus avec tous nos<br />

bagages…Moi je m’en fiche mais si le tour operator savait<br />

qui tu étais, tu recevrais une bonne raclée mon petit gigolo !<br />

Who is this motherfucker ? I want to beat him ! disait-il …<br />

» précisa-t-elle plutôt détachée en riant, imitant ce qui<br />

devait correspondre à la grosse voix de son <strong>com</strong>patriote.<br />

Hyacinthe Ange serra les dents en se demandant bien quel<br />

gabarit pouvait avoir le tourneur en question car en terme<br />

d’effets de domination il ne sentait point la nécessité<br />

anticipée de brandir le pavillon d’une quelconque forme de<br />

retraite… Avant de sortir, Betsy Craven remis son pass de<br />

chambre au concierge et demandait qu’on lui réserve un<br />

taxi pour un transfert vers CDG à 12h45 précise. Devant le<br />

Plazza deux jeunes adolescentes demandèrent un<br />

autographe à Betsy Craven reconnue d’elles.<br />

« -Pouvez poser avec nous miss ? Pouvez prendre la photo<br />

monsieur ? » La mère de Girlie Flaggy flattée fit un V de la<br />

victoire sans grande originalité avec sa main droite, prenant<br />

les deux groupies dans ses bras en posant devant leur<br />

objectif manipulé par Hyacinthe Ange.<br />

« C’est la rançon de la gloire… » chuchotait un peu plus<br />

loin avec une dérision non feinte Betsy Craven au jeune


90<br />

homme amusé.<br />

« Allons prendre un café, je t’invite » lui dit-elle en lui<br />

prenant les doigts de la main qu’elle serrait fort en<br />

balançant les membres d’arrière en avant puis d’avant en<br />

arrière. Ils étaient bien tous les deux et ils le savaient.<br />

Sans avoir besoin de parler pour y croire, ils semblaient<br />

même vivre des moments heureux. Place de l’Alma, ils<br />

trouvèrent une terrasse à demi vide. Un homme bardé<br />

d’appareils photographiques avec un accent italien se mis<br />

devant eux et insistait auprès de Betsy pour faire un cliché<br />

lorsque le serveur lui ordonnait de déguerpir.<br />

«-ça ira! intervint la jeune femme pour faire tomber la<br />

pression.<br />

-Quelle bande de mouches à merde ! ruminait le serveur<br />

ambigu.<br />

-C’est souvent <strong>com</strong>me ça ? demandait Hyacinthe à Betsy<br />

avec le sentiment de n’être que très peu de chose<br />

subitement dans le contexte débridé et presque sauvage des<br />

tenants mécaniques qui faisaient la célébrité.<br />

-Ola oui baby ! répondit-elle. Surtout depuis le procès, tiou<br />

sais. Hier nous avons eu de la chance de passer incognito.<br />

Tu as été mon ange gardien… »<br />

La jeune femme posa sa tête sur l’épaule du jeune homme.<br />

« -Je ne sais rien de toi mon chou, dit-elle un peu<br />

mélancolique. Quel âge as-tu ? Es-tu chauffeur ou artiste ?<br />

Tu me disais…<br />

-Hum…well…» esquissait Hyacinthe affectant une<br />

expression harassée, avec l’accent américain viril et


91<br />

authentiquement du cru dont il se jouait toutefois,<br />

assurément vulgaire dans son réflexe <strong>com</strong>ique.<br />

« -Il n’y a pas de honte pour l’un ou pour l’autre. Tu peux<br />

tout me dire baby… » ajoutait-elle en se redressant.<br />

Hyacinthe Ange voulait ne point répondre et ne rien gâcher.<br />

Le Soleil de la fin de la mâtinée produisait des reflets<br />

<strong>com</strong>plaisants au visage de Betsy. La jeune femme bien faite<br />

était réellement séduisante. Avec Hyacinthe Ange et sa<br />

coupe de cheveux christique, ils formaient tous deux un très<br />

beau couple dans son improbabilité fondamentale. Il<br />

constatait qu’elle avait ôté sa chaînette au mollet.<br />

« -On se reverra un jour ? dit-il d’une voix sans illusion,<br />

coupant avec les questions de Betsy Craven qui lui<br />

paraissaient soudainement un peu <strong>com</strong>munes ou<br />

superficielles.<br />

-Viens aux Etats-Unis ! s’exclamait-elle touchante <strong>com</strong>me<br />

une trouvaille finale de battante heureuse sur un exercice de<br />

calcul, un peu puérile, et propre à devoir rendre des<br />

<strong>com</strong>ptes à ses parents. C’est un super pays ! Tu pourrais<br />

faire ta vie là bas ! Tout est plus grand en Amérique. Je<br />

pourrais m’occuper de toi. Tu aurais du succès. Tous les<br />

artistes habitent en Amérique !<br />

-A quoi faire ? Tu ne connais pas mes travaux, ma vocation.<br />

Ma place est ici Betsy.<br />

-No Yesceete ! Rien ne te retient. Tu n’as rien à perdre,<br />

persistait elle.<br />

-Tu te méprends Betsy. Tout refaire ? Je suis français et<br />

cela est aussi une chance tu sais. Il faut attendre une autre


92<br />

vie… Je ne suis pas un aventurier chérie.<br />

-Coward ! s’emportait elle déçue avec une certaine<br />

véhémence presque capricieuse puisque inattendue en<br />

supposant qu’elle fut aux bords des larmes. Tu es jeune ! Tu<br />

es esclave ici ! Ce n’est rien la France. Nous avons tout<br />

nous autres les américains. Nous sommes la nation des<br />

nations du monde ! L’Europe c’est vieux. Yesceete, viens<br />

chez moi à L.A., Paris c’est minuscule. A village ! Viens<br />

construire le futur ! Si tu avais un enfant américain, il<br />

pourrait devenir président des Etats-Unis, pas un numéro<br />

d’acteur x de plus chez des barbares… » dit-elle en ultime<br />

recours.<br />

Betsy Craven était convaincue de ce qu’elle avançait avec<br />

une arrogance qui froissait l’amour propre du patriote<br />

Hyacinthe Ange à écouter pour la première fois en direct de<br />

tels propos. Un rapport de force final était inéluctable. Pour<br />

le jeune homme, l’Amérique n’était qu’un marche pied, un<br />

champ exploratoire et expérimental où l’on devait faire<br />

fortune pour redorer son blason chez soi, sur sa base, en<br />

France. Sans plus. L’Amérique ne produisait que l’inflation<br />

de produits de consommation profane. Et si on le titillait sur<br />

ses valeurs nationalistes, Hyacinthe Ange pouvait se fâcher.<br />

Betsy Craven vendait un pays dont elle était très fière au<br />

dehors dont elle aurait critiqué les fondements plus tard, de<br />

retour en Californie. Chaque rose a ses épines… Elle ne<br />

pouvait point admettre que naître français correspondait à<br />

une chance plus inouïe encore que d’être numéro un<br />

ailleurs, éventuellement titulaire d’un passeport américain


93<br />

n’établissant souvent que le degré d’une <strong>com</strong>pétence<br />

professionnelle. Il n’y avait guère que d’incorruptibles<br />

ressortissantes <strong>com</strong>me Betsy Craven pour défendre par<br />

erzats la position des Etats-Unis, un pays neuf certes et par<br />

conséquent sans traditions séculaires justement <strong>com</strong>me la<br />

France éternelle fondée après Jésus Christ par son premier<br />

roi, Pharamond, France devenue plus tard une république à<br />

la romaine puisqu’adoubée fille aînée de l’Eglise par les<br />

successeurs de Saint Pierre. La jeune femme n’en avait<br />

jamais rien su. Hyacinthe Ange était au service de sa patrie<br />

<strong>com</strong>me tous ses <strong>com</strong>patriotes lucides et sur le point de<br />

remporter leur guerre de position sur le champ de bataille<br />

européen. Exilé, Hyacinthe Ange n’aurait pris ailleurs que<br />

ce qui était bon pour elle seule sans nourrir l’espoir de s’y<br />

faire même connaître ou reconnaître s’il y avait lieu. Le<br />

reste, il s’en fichait pas mal au même titre que la jeune<br />

femme ne conçût rien d’autre en dehors d’une virée sur<br />

Sunset boulevard. A force de rapprochement, un abîme<br />

antagoniste se creusait plutôt, paradoxalement, entre les<br />

deux points de vue. Aussi Hyacinthe Ange fut-il<br />

imperméable à ce qu’avançait Betsy en regrettant peut être<br />

trop tard leur aventure sentimentale sous le soupçon de se<br />

voir encore un peu plus agacé lorsque celle-ci faisait un<br />

amalgame national réducteur de son hexagone original et<br />

exclusif avec des états épars <strong>com</strong>me l’Amérique. Hyacinthe<br />

Ange aurait pu coller un pain ou une tarte pour moins que<br />

cela à un touriste remonté ou irrespectueux en demandant<br />

immédiatement réparation à son chef de file pour une telle


94<br />

arrogance ! Sur de son fait, il eut plutôt une oreille sourde et<br />

empreinte de pitié pour la jeune femme qui ne semblait<br />

même point connaître les origines criminelles aux yeux des<br />

aristocrates français justement des « institutions » de son<br />

propre pays. Leurs différences d’échelle et de milieu<br />

apparaissaient très nettement. Leurs différences de cultures<br />

aussi. Hyacinthe Ange concevait également les choses en<br />

termes de planète. Ces connaissances ou ses spéculations<br />

territoriales le lui permettaient. Mais dans une optique<br />

française, pour la France au sujet de laquelle il voyait les<br />

choses en grand, face à ses siècles d’histoire. L’Amérique<br />

était peut être devenue une arme incontournable, pourquoi<br />

pas, mais dans cette gamme de pouvoir c’était encore un<br />

outil susceptible de devenir obsolète, pas une entité assurée<br />

de sa force de persuasion culturelle, politique et religieuse,<br />

son passé fluctuant. Sans dignité, elle entretenait encore des<br />

foyers de guerre, des conflits d’intérêts armés aux contours<br />

mal définis qui influençaient ses envois crypto artistiques.<br />

Hyacinthe Ange Clairon de Luciole, s’il n’aspirait qu’à la<br />

quiétude d’une future paix, était pourtant naturellement<br />

acquis à la cause de la Sainte Résistance, <strong>com</strong>batif quant à<br />

déjouer des actions anti françaises par essence, prêt à se<br />

lever pour lutter. Politiquement, le reste ne le concernait<br />

pas. Aussi fut-il offusqué d’écouter Betsy Craven et son<br />

discours rebelle très officiel, ce que les américains ne<br />

tenaient en substance qu’à l’étranger. Il eut la répartie<br />

glaçante :<br />

« -Tu ne sais pas de quoi tu parles ! dit-il en invectivant


95<br />

Betsy Craven. Tu crois peut être que je ne suis rien Betsy,<br />

issu d’un pays soumis aux caprices de Washington D.C. ! Je<br />

suis sur que tu ne sais pas quels sont tes propres ancêtres,<br />

d’où ils peuvent bien venir. Tu ne te rends même pas<br />

<strong>com</strong>pte que nous avons décrypté tes propos depuis<br />

longtemps et dont tu ne maîtrises pas 50% des termes !<br />

Pourquoi crois-tu être là ? Je n’ai pas peur de le dire tu sais.<br />

Et tu te trompes. Tu n’es pas même rompue au plus<br />

élémentaire des protocoles ! Qui t’envoie ? Le premier<br />

secrétaire du P.C. chinois ? se moquait Hyacinthe Ange en<br />

ricanant, presque méchant. Tu me crois moins riche que toi<br />

? Je suis bien ici. Dieu ne se <strong>com</strong>pare point à un billet de<br />

1000 $ inconvertible chérie ! Tu me déçois beaucoup. Je ne<br />

suis pas un cheval à qui l’on donne une pomme pour avoir<br />

bien couru… Tes présidents retraités aux Emirats n’ont pas<br />

changé les temps des cours du pétrole eux ! » achevait-il de<br />

souligner sans haine particulière mais avec fermeté.<br />

Pourtant le visage de Betsy Craven était devenu petit à petit<br />

livide. La jeune femme restait muette, un peu secouée face<br />

à une telle réaction dont elle n’entendit pas tout le contenu.<br />

Sans doute avait elle soudain prit peur, confrontée aux<br />

avants goûts de la fameuse furia francese in situ après s’être<br />

éloignée si loin de son périmètre de « sécurité ».<br />

« Excusez-moi d’intervenir monsieur, fit un homme d’un<br />

certain âge, voisin de la table de Betsy et Hyacinthe Ange<br />

en baissant son numéro d'e-meteor. Je vous écoutais. Je suis<br />

tout à fait d’accord avec vous monsieur. En voilà assez<br />

mademoiselle ! Si vous préférez les Etats-Unis à notre pays,


96<br />

eh bien restez en Amérique ! De quel droit investissez vous<br />

la France sans visa quand pour nous rendre chez vous cela<br />

représente mille tracas ? Parce que vous avez un passeport<br />

américain ? Vous vous croyez supérieurs peut être ? J’ai<br />

connu l’occupation allemande il y a 70 ans. Les américains<br />

ne se sont montrés ici qu’à des fins de futures exploitations<br />

économiques. Ils n’ont pas inventé la notion de liberté ! Ils<br />

ont ruiné notre royaume au XVIIIe siècle dans une guerre<br />

d’indépendance fratricide, véritable gouffre financier ! Ils<br />

nous ont pillés en 1945, certains se sont fort mal <strong>com</strong>portés,<br />

ont assassiné, ont violé nos femmes. Ils ont institué un état<br />

policier, raciste et esclavagiste depuis leur première<br />

constitution. Si Paris ne vous plait pas, rentrez chez vous et<br />

laissez nous vivre ! Nous n’avons pas la même culture !<br />

Vous ne nous voulez alliés qu’à sens unique ! Dans votre<br />

intérêt. Nous n’avons pas besoin de vous ni de personne !<br />

L’Amérique produit du superficiel ! Que diriez-vous si je<br />

tenais vos propos à votre endroit dans un restaurant du<br />

Capitole, hein ? Que feriez-vous ? Ramenez donc cette<br />

petite à l’aéroport monsieur. Les « Barbares » pourraient<br />

bien la lyncher après tout ! Régler votre Œdipe avec les<br />

britanniques vous autres américains et laissez-nous<br />

tranquilles ! » concluait le vieil homme exaspéré à l’adresse<br />

de la jeune femme avant de replonger dans son journal.<br />

Betsy Craven cherchait frénétiquement un billet dans son<br />

sac à mains. Elle déposait 10€ sur la table à côté des tasses<br />

à café, se levait sans broncher et se mis à marcher à toute<br />

vitesse en direction du Plazza, abandonnant Hyacinthe


97<br />

Ange sur la terrasse sans lui souffler mot, celui-ci sous les<br />

yeux <strong>com</strong>plices et acquiesçant de sourires solidaires de ses<br />

voisins qui ne purent contenir l’expression de leur<br />

contentement approbateur.<br />

« Pas même capable de mourir pour un idéal ! » pestait<br />

encore le retraité.<br />

Hyacinthe Ange lu 12h45 sur sa montre.


99<br />

De Dulcinée à M.A.<br />

Levallois Perret, le 9 Juillet après midi<br />

« La mélancolie est le propre de l’incertain. »<br />

Dulcinée Mat s’en était allée.<br />

« Je prends mes distances ! annonça-t-elle dans une lettre à<br />

Sarah Howard alors très occupée à la rédaction d’un dossier<br />

de presse pour son agence. Un voyage dans une région<br />

ensoleillée me gardera des intempéries de Paris. Ne<br />

m’ac<strong>com</strong>pagne pas à l’aéroport, je prendrai un taxi. »<br />

Puis plus rien !<br />

Sarah se retrouvait seule, à rédiger ses articles. Pourquoi ce<br />

départ soudain sans préavis ? L’absence de Dulcinée<br />

affectait Sarah qui en vint intuitivement dans cette situation<br />

solitaire à avoir la personne de sa mère à l’esprit. Quoique<br />

l’évocation inattendue de celle-ci la surpris, cela eut pour<br />

effet de la rassurer.


100<br />

« Dans l’immensité cosmique tu es ma seule interlocutrice.<br />

» lui adressa-t-elle en pensée. Et ne se faisant aucune<br />

illusion quant à une restauration de son histoire avec<br />

Dulcinée, elle-même très maternelle, elle décidait de ranger<br />

ce que son ex avait abandonné un peu partout dans leur<br />

appartement, journaux périodiques ou sous vêtements.<br />

Elle se souvint que sa mère répondant au nom souriant<br />

d’M.A. lui avait donné cette habitude de se lever tous les<br />

jours à 7:30 <strong>com</strong>me elle le faisait invariablement depuis 94<br />

ans, son coucher ayant lieu immanquablement à minuit<br />

quinze. Avant de se retirer pour un meilleur et approprié<br />

confort naturel à la campagne, M.A. avait vécu dans les<br />

murs démodés d’un espace locatif excentrée par rapport à<br />

l’épicentre de la sphère francilienne. Le lieu avait été repris<br />

officiellement auprès de la société propriétaire par Sarah, sa<br />

fille, l’ayant modifié, en ôtant des cloisons de murs non<br />

porteurs selon le principe classique du loft, intérieur adapté à<br />

son usage personnel.<br />

« La Terre tourne tant et tant de fois » se fit-elle <strong>com</strong>me<br />

réflexion. Elle n’en finissait + de s’affairer dans<br />

l’appartement, aussi consciencieuse et appliquée dans cet<br />

effort d’apparences qu’M.A. sa mère, cette tâche à l’allure<br />

familiale ne précisant que Dulcinée Mat n’avait été<br />

finalement qu’une <strong>com</strong>pagne, rien de plus, dont elle tenait à<br />

effacer le passage. Sarah, en s’activant dans ce sens, tentait<br />

du moins de s’en persuader. Dulcinée avait été <strong>com</strong>me une<br />

sorte de cas social cependant, tel que M.A. elle-même fut<br />

amené à en rencontrer.


101<br />

Propulsée en effet dans la vie active par son voisin de<br />

pallier, accessoirement de confession israélite et résidant<br />

<strong>com</strong>me elle à l’époque rue de Villiers à Levallois-Perret,<br />

M.A. avait consacré toute sa vie à l’Education nationale.<br />

Son frère, cadet de la famille pensait pour des raisons<br />

éthiques qu’elle ne travaillerait jamais, ce, en fonction des<br />

codes de conduite séculaires respectés par les membres du<br />

milieu social dont étaient issus leurs parents. Ainsi une<br />

jeune femme dite « de bonne famille », prépare son<br />

trousseau à la fin de l’adolescence et ses études de premier<br />

cycle, rassemble donc ses affaires et en effectue la liste, se<br />

laisse re<strong>com</strong>mander pour un rallye organisant des soirées<br />

protégées (éventuellement dansantes) où elle est conviée,<br />

avant de recevoir à son tour ceux qui font parti du même<br />

sérail. Elle peut s’acoquiner avec un ou deux prétendants au<br />

pedigree matériel suffisamment solide quant à ses<br />

aspirations intellectuelles mais également pourvoir<br />

essentiellement, en se mariant, à l’établissement d’une<br />

cellule de moyens répondant aux critères sélectionnés par<br />

les tendances du groupe d’agrément. Elle fonde un foyer et<br />

éduque ses enfants dans le même esprit, et s’accorde<br />

d’avoir à long terme « un violon d’Ingres » utile et de bon<br />

ton. Sa vie doit s’arrêter là. Elle doit en tirer les éléments de<br />

son épanouissement. M.A. au tempérament femme Poisson<br />

avait bien mené sa scolarité et obtenu son baccalauréat sans<br />

difficultés lorsque par la suite ses études de droit entamées,<br />

elle désirait, en ce début des années 1960, être simplement


102<br />

une femme parfaitement indépendante. Ce, tandis que<br />

l’émancipation du sexe féminin de l’époque, défendue plus<br />

tard par Sarah dans les colonnes du journal qui l’employait,<br />

devait passer par l’expérience salariée. Une surenchère au<br />

droit de vote des femmes françaises établit en 1946 et une<br />

réaction légitime, volontaire et attendue aux institutions<br />

masculines que des êtres socialement armées du pouvoir de<br />

reproduction, alors en motion évolutive, mais ayant tout<br />

conçu en dehors des zones de front, tentaient de gagner par<br />

la liberté de penser en devenant les seules parentes de leur<br />

futures filles.<br />

M.A. allait dans le sens de cet engagement. Sa mère M.C.,<br />

veuve d’un ingénieur chimiste capitaine dans l’armée<br />

française durant la Seconde Guerre mondiale, s’était<br />

remariée à un ancien aviateur, veuf lui aussi et propriétaire<br />

d’un garage rue Lauriston dans le 16e arrondissement de<br />

Paris. Mais la situation familiale était incertaine. Etudiante,<br />

toujours installé chez ses parents rue de Villiers, M.A. se<br />

souvint en se confiant à Sarah, qu’à la suite de son départ<br />

forcé pour son mariage, son frère aîné, employé un temps<br />

chez Renault <strong>com</strong>me simple ouvrier afin, croyait-il, de faire<br />

vivre sa famille, aurait raté son certificat d’études depuis<br />

l’école catholique privée dont il était l’élève <strong>com</strong>me<br />

Hyacinthe Ange le fut aussi trente ans plus tard. Son cadet,<br />

le frère d'M.A., plus chanceux que lui dans ses études,<br />

aurait réussi son baccalauréat à seize ans intégrant par la<br />

suite l’Institut des Sciences politiques de Paris. Ceci l’avait<br />

amené à prendre une chambre de bonne au septième étage


103<br />

de l’immeuble afin de pouvoir étudier dans le calme. A<br />

l’identique de Cendrillon du conte de Charles Perrault,<br />

M.A. au quatrième était affairée dans ses temps libres à<br />

l’entretien de l’appartement depuis que la domestique<br />

d’M.C., qui volait la famille, avait été licenciée. Ainsi les<br />

courses, la vaisselle et le ménage n’avaient rien d’autre aux<br />

yeux de ses frères et de sa jeune sœur que l’aspect d’une<br />

mise à l’épreuve pour une jeune bourgeoise bientôt casée.<br />

Ils n’en doutaient point ! Nicole, sa voisine du dessus,<br />

<strong>com</strong>plice et condisciple, l’ac<strong>com</strong>pagnait volontiers,<br />

souvent, aux galeries Lafayette, magasin situé sur les<br />

grands boulevards entre la gare Saint Lazare et L’opéra<br />

Garnier, afin d’acheter le produit que les économies<br />

permettaient. Et puis le général De Gaulle, le chef de l’Etat,<br />

revenu de sa torpeur, changeait les institutions de la France<br />

en profondeur, avec une avance discutable certes sur<br />

d’autres appréciations, mais obtenait des majorités de<br />

votants. Aussi à Sainte Marie de Neuilly où M.A. avait été<br />

l’élève quelques années, ou à la faculté de droit Paris 2 de<br />

l’époque, des étudiants de tout l’Empire étaient incorporés.<br />

M.A. y rencontre donc Ibrahim Sory Howard né en Guinée.<br />

C’est le coup de foudre sur une impression intime à deux<br />

futurs amants quand les yeux verts d’M.A. se sont<br />

confondus à l’iris bleu ciel du charismatique regard<br />

d’Ibrahim Sory qui se posa sur elle en toute et prioritaire<br />

importance, entamant une mille milliardième histoire<br />

d’amour dont bientôt naquit Sarah, leur fille.


104<br />

Celle-ci avait fini par se <strong>com</strong>plaire seule dans son<br />

appartement. Dulcinée, son idée fixe obligée de la journée,<br />

n’avait pas fait mention d’une adresse dans sa lettre. Sarah<br />

fut soudainement saisi d’un vague à l’âme, en inhalant le<br />

parfum encore odorant de Dulcinée, fixé sur les draps du lit<br />

à deux places, sur lequel la rédactrice s’était allongée. Son<br />

équilibre ne se fissurait pas. Toujours posée, elle se serait<br />

adressée au docteur Maximilien Blo+°d, par exemple, dans<br />

le cas d’un passage à vide dangereux. Celui-ci aurait pu<br />

prendre le problème à la base et le résoudre de suite. Dans<br />

son diagnostic, le médecin aurait pris en <strong>com</strong>pte la<br />

suractivité de Sarah ajoutée au manque affectif qui avait<br />

investit la jeune femme, du au récent départ de Dulcinée<br />

Mat, elle qui hantait le lieu, même absente. Un capharnaüm<br />

mémoriel en avait résulté.<br />

Un verre de Bourbon sans glace à la main, Sarah tentait<br />

donc d’égayer ce début de soirée tristement amorcé. L’idée<br />

lui vint d’établir lucidement un bilan de ses dernier mois,<br />

<strong>com</strong>me le suggérerait une séance de thérapie. Elle estima<br />

cette période marquée par sa frivolité et qualifiée sous le<br />

titre, écrit dans ses notes, de « frénésie effective appliquée<br />

autour de l’étiquette sexuelle ». Son whisky presque<br />

totalement avalé, la jeune femme chercha un instant à être<br />

habitée par la chaleur de l’alcool. Elle se laissait pénétrer<br />

par les degrés de grand âge du breuvage. Cela devait faire<br />

office de remontant et lui donner l’assurance dont elle avait<br />

besoin dans la froideur du cinquième étage de l’immeuble<br />

où elle résidait. Mais en tentant de le poser à terre, son verre


105<br />

lui échappa des mains, tombait et se brisait sur le parquet et<br />

Sarah, dans un élan pour éviter le pire, se coupait au pied en<br />

marchant sur un éclat. Sans broncher, elle ouvrit alors sa<br />

table de nuit afin d’y saisir une lingette hygiénique en guise<br />

de tissu afin, pensa-t-elle, de stopper l’hémorragie s’étant<br />

presque immédiatement amorcée. Ses yeux se posèrent pile<br />

sur un cendrier où quelques mégots flirtaient avec un bâton<br />

de rouge à lèvres carié couleur carmin presque à bout de<br />

cylindre. « Une dissimulation grossière de quelque un<br />

prétendant par ailleurs avoir cessé de fumer… » établit<br />

Sarah pressée de stopper le flux de sang. Cela lui rappela<br />

ses périodes et au jour de ses premières règles survenues,<br />

soudain, en plein cours de biologie à Sainte Marie de<br />

Neuilly, cet établissement privé dont la demi pension était<br />

facturée à M.A. sa mère. Résolue à souffrir<br />

momentanément et estomper plus rapidement ses maux,<br />

Sarah, après avoir renoncé à la lingette, optait pour<br />

l’utilisation d’une partie de son drap. Mais il était imbibé<br />

d’alcool. Alors dans l’espace du bar de son loft, elle fit<br />

couler de l’eau froide puis elle plaça son pied blessé sous le<br />

jet du robinet. Le contact avec l’eau glacée la fit frissonner.<br />

Le sang coulait toujours cependant et ne coagulait pas.<br />

Sarah finit par retirer son extrémité inférieure de l’ouvrage<br />

inopérant du liquide sur la plaie. Elle songea désormais à<br />

coller un morceau de chatterton sur la partie ouverte en<br />

petite dimension. Au contact de l’air sur le point de la<br />

blessure, il lui semblait être sensible à une sorte de vent<br />

froid et des picotements de même. Elle risquait la


106<br />

septicémie mais voulait résister à la douleur qu’elle<br />

considérait <strong>com</strong>me un désagrément passager. La rédactrice<br />

marquait d’une traînée d’hémoglobine le parquet jusqu’à<br />

son bureau où l’adhésif convoité faisait défaut cette soirée<br />

là !<br />

Son horloge électronique sonna 20 : 30. La lumière de la<br />

ville laissait apparaître les gouttes d’une pluie fine au<br />

dehors. Ceci fut de nature à renforcer subitement son<br />

sentiment d’insécurité, seule et légèrement blessée au pied.<br />

Du linge de sa machine à laver, elle extirpait finalement une<br />

socquette de tennis, blanche et propre, dont la provenance<br />

ne l’interpellait pas sur le moment. Elle l’enfilait. La<br />

chaussette ne tarda pas à être tâchée à l’avant. Néanmoins<br />

au bout de quelques minutes le sang avait cessé de se<br />

répandre. Cette dernière solution pour la blessure ne lui ôta<br />

pas sa nervosité. Elle cherchait à présent une cigarette pour<br />

retrouver son calme. La chambre exigeait un peu de<br />

rangement de manière à ce que le lieu puisse redevenir sain.<br />

Au préalable, curieuse, Sarah tentait de retirer le tissu de<br />

son doigt de pied pour constater les dégâts : la plaie<br />

coagulée collant avec le coton de la socquette, la chose fut<br />

rendue difficile. Mais elle pouvait apercevoir de l’extérieure<br />

une tâche de cinq centimètres de diamètre aux couleurs<br />

d’un kaléidoscope de rouge cramoisi.<br />

Un moteur puissant laissait filtrer des pas depuis la rue<br />

sombre. Puis Sarah perçut un cri qui ne la surprit pas pour<br />

l’effrayer.<br />

« Sans doute les petits jeunes de l’épicerie du coin » se


107<br />

dit-elle. Le silence exigé par le couvre-feu, ne l’empêchait<br />

pas de passer rapidement l’aspirateur rangé d’ordinaire avec<br />

d’autres ustensiles électro ménager dans un cagibi. Les bris<br />

de verre furent engloutis facilement dans le sac à poussière<br />

de l’appareil puis elle changea ses draps, vidait le cendrier<br />

et se resservit un dernier verre de Bourbon pour conjurer le<br />

sort, à nouveau allongée sur son lit devant son écran de<br />

télévision. Ce, avant de s’assoupir lorsqu’elle fut réveillée<br />

par un appel téléphonique sans avoir le sentiment de s’être<br />

véritablement endormie, glacée au fond de son lit, son pied<br />

meurtri et convalescent. Le répondeur se mit en marche,<br />

Sarah filtrant souvent avant de se décider ou pas à répondre.<br />

A la suite de l’annonce d’accueil, elle reconnu la voix de<br />

Dulcinée Mat.<br />

"- C’est moi ! Je suis à Londres. Il pleut. Je suis folle d’être<br />

partie. Tu vas me haïr mon amour : oui, j’ai couché avec<br />

Maximilien, mais c’est parce que je t’aime ma chérie,<br />

<strong>com</strong>me une dingue ! Je rentre demain si tu veux encore de<br />

moi. Repose-toi. Je t’embrasse." CLIC.<br />

Sarah Howard ne décrocha pas le <strong>com</strong>biné, se rendormit<br />

fâchée.<br />

Plus tard, sur sa literie, dans un profond sommeil, elle était<br />

bercée par le silence d’un confinement apaisant. Méditative,<br />

sa voix en une onde neutre, décrivait avec une grande<br />

précision des images, des visuels dans son cerveau actif, ce,<br />

avec l’emploi d’un mode de <strong>com</strong>munication perceptible à<br />

son entendement.<br />

-L’ennemi est partout, entendait-elle d’elle-même, invisible


108<br />

et métallique avec ses leurres fantomatiques remontant les<br />

tripes des céphalothorax d’apprentis guerriers lors de leur<br />

baptême du feu, novices perdus, paumés et finalement très<br />

vite dépassés, sensibles à un mal à l’aise du à un vide<br />

soudain et inconfortable et, annonce du trépas à venir, de<br />

la mort, son vent glacé au rythme d’un dernier effroi. Les<br />

vaincus n’auront pas eu le temps ni la grâce pour abjurer<br />

leur foi lorsque à la suite d’une passe d’arme inattendue,<br />

les invisibles vainqueurs en secret établiraient le détail de<br />

l’anéantissement se devant d’être total afin d’asseoir leur<br />

domination durable au plus long terme. Seule aurait<br />

survécue la croyance en la victoire, feu prisé car immortel<br />

et toujours disputé. Mais la guerre ne se pense pas. En<br />

nourrissant des paradoxes, elle se fera jusqu’au bout sous<br />

la dictée de l’improvisation. Les hauts faits sont des<br />

imprévus. C’est ainsi aussi que la nature des belligérants<br />

d’hier n’a rien de <strong>com</strong>mun avec les créatures actuellement<br />

présentes, en état permanent de précarité, eux-mêmes face<br />

aux forces futures, mutants en motions de véhémence<br />

extrême laissant appréhender l’avenir sous l’aspect d’une<br />

colonisation de la planète selon son angle premier fashion.<br />

L’évolution de l’Homme s’en trouve donc bousculée,<br />

forcée. Les numéros un se succèdent, immolés, sacrifiés,<br />

sans l’aménagement d’un répit avec des amertumes<br />

chimériques. Le matricide est <strong>com</strong>mis par des pères morts<br />

nés dont gangrener les organes des génitrices apparaît<br />

<strong>com</strong>me l’unique et dévastatrice fonction. Le degré de<br />

technologie rend scientifiquement impossible une évocation


109<br />

quelconque à l’improbable aspect champêtre des premiers<br />

temps…<br />

…Le 10 Juillet…<br />

(au réveil) dans l’ultime clarté d’un nouveau jour disposant<br />

Sarah à ouvrir les yeux et se reconnecter au réel dans la<br />

représentation d’un Soleil furtif au milieu d’un ciel<br />

désespéramment gris et cafardeux. Livrée à elle-même, elle<br />

estima avoir tout rêvé bien sur avec la rupture du réveil et<br />

elle n’avait pas <strong>com</strong>plètement tort. Inconsciemment elle<br />

avait cependant initié une situation nouvelle. Elle serait à<br />

jamais marquée par le produit édifiant de son imagination, à<br />

l’application des tenants desquels un changement était donc<br />

survenu. Il en va ainsi des prières lorsque, tentant de s’en<br />

rapprocher, il est question de déchiffrer les envois du<br />

Créateur, Son fait, Ses miracles apparaissant généralement<br />

sous un aspect surnaturel.<br />

Un court instant, toujours dans son lit, elle eut un regard de<br />

diptère, auscultant scrupuleusement <strong>com</strong>me un coléoptère<br />

ce qui se trouvait autour d’elle telle une bonne raison d’aller<br />

de l’avant. Le spectacle inédit de son appartement lui paru<br />

affligeant !<br />

"-Il faudrait tout repeindre ici !" se dit-elle.<br />

La fantaisie du vainqueur réside bien en sa coquetterie<br />

d’estimer son éventuel talon d’Achille. Ainsi Sarah, très<br />

seule désormais, eut un sentiment de tristesse vague mais<br />

éphémère. Isolée elle en vint donc à envisager son propre


110<br />

trépas. Elle estima un instant que seul son suicide la<br />

laisserait jusqu’au bout maîtresse de son destin. Elle<br />

déprimait. Les termes de son autodestruction, après son<br />

rapport de force avec le monde, la guerre alors, étaient<br />

toutefois un peu flous, ce, à la suite d’une heureuse<br />

offensive, tous azimuts, lui permettant de reprendre<br />

confiance en elle. Sarah semblait jouer sa vie avec une<br />

étonnante décontraction, <strong>com</strong>me à la roulette russe…<br />

Responsable et consciente de son propre état, à ses yeux sa<br />

véritable richesse, elle tenait naturellement à en disposer<br />

librement, quoique il puisse arriver, considérant malgré tout<br />

monstrueux -Sarah s’estimait en effet coupable d’une<br />

pensée criminelle- les abîmes de son âme. Elle se résignait<br />

à formuler des idées morbides, mais il s’agissait de survivre<br />

en toute sécurité et sans pertes. Elle était bien devenue un<br />

vampire, une créature qui devait se nourrir du sang de ses<br />

victimes, de leur moelle… Rêvait-elle encore ? Il fallait<br />

bien une raison de vivre. Son credo un peu trouble laissait<br />

la place à une métamorphose physiologique qui devint<br />

soudain offensif avec le reste du monde pour victime. Le<br />

radio réveil se déclenchait lorsque 11 : 30 s’affichait.<br />

L’attention de la jeune femme fut interpellée par des voix<br />

familières dans une émission qui semblait être politique,<br />

diffusée par la station de Météorites Productions sur<br />

laquelle avait préalablement été fixée la fréquence sur le<br />

radio réveil : Sarah, surprise de les entendre en les<br />

supposant à Paris dans les studios du média émetteur,<br />

reconnu le timbre de voix de Michel Mishima ainsi que


111<br />

celui du docteur Maximilien Blo+°d <strong>com</strong>me principaux<br />

intervenants. MM disait :<br />

« (…)La réponse à cette interrogation -Quelle est la<br />

question ? se demandait Sarah- aboutira naturellement à<br />

une autre question : se peut-il qu’il existe une opposition<br />

?-Ah ! s’exclamait Sarah soudainement à l’écoute- Mais<br />

qu’est-ce donc que l’opposition ? De quels facteurs<br />

humains et matériels serait-elle l’objet et pourquoi ? Son<br />

fait, s’il y avait lieu, émane-t-il du pouvoir lui-même ? Ce<br />

dernier aurait-il laissé se définir une certaine catégorie de<br />

sujets à caution, sans voix, <strong>com</strong>me s’en répondant pour<br />

mieux les manipuler ou tout bonnement les émasculer ? Il<br />

semble qu’il ait toute la latitude nécessaire pour cela mais<br />

il faudrait pour s’en convaincre, estimer et <strong>com</strong>prendre le<br />

pourquoi du rapport pouvoir/opposition, que l’on ait au<br />

sommet, en plus d’une conception pratique de la<br />

discrimination alors inversée, une bonne maîtrise de<br />

gouvernement et cela impliquerait pour ainsi dire à sa<br />

constitution d’avoir bien été conçue de la cuisse de Jupiter.<br />

Tout <strong>com</strong>me il conviendrait de savoir quelle sorte<br />

d’individus, d’hommes, de femmes voire d’adolescents<br />

seraient les <strong>com</strong>posants de l’opposition pour qu’au mieux,<br />

dans le jeu de la manipulation du aux quotas établis par le<br />

pouvoir lui-même en somme, il se puisse que ceux-ci aient<br />

effectivement émis dans le sens circonscrit d’une idéologie<br />

précisant une appartenance soulignée.<br />

-Votre avis docteur Blo+°d ? enchaînait l’animateur.<br />

-Oui, il faut ajouter que dans le schéma cartésien, reprit


112<br />

Blo+°d, l’opposition ne serait qu’une antithèse, le résultat<br />

d’une pensée unique envers de laquelle des éléments se<br />

seraient laissés aller à la contradiction systématique<br />

automatique et réflexe envers le pouvoir, constituant une<br />

surenchère maladroite. L’essence de l’idéologie, s’il y avait<br />

lieu, correspondant à l’issue de la réflexion du pouvoir sur<br />

ce point, aurait sonné le glas de l’opposition avec le<br />

principe de la synthèse. La démarche d’opposition fut-elle<br />

simplement progressiste n’aurait été en définitive dans<br />

l’Histoire qu’une utopie passagère et n’aurait rien modifié<br />

dans le fond par conséquent. Aussi une partie de la<br />

population circonscrite par les agents du pouvoir, ne<br />

formerait sans le savoir qu’un inconscient collectif de<br />

nature velléitaire, en sursis et vivant son immersion dans<br />

l’opprobre, sans esprit illuminé et donc pas plus libre ou<br />

autonome qu’un animal domestique dans la société, avant<br />

une sorte de sacrifice par conséquent.<br />

-Absolument! Ceci est tout à fait juste, ajoutait Mishima.<br />

Pire, pour les malheureux, en auraient-ils eu conscience,<br />

qui auraient cru à un changement possible, qui auraient<br />

écouté, souscrit ou manifesté sous la bannière de la<br />

contestation, auraient revendiqué plus de libertés<br />

furent-elles infimes et plutôt accessoires en imaginant<br />

crédible en terme de souhait rêvé le rapport d’un système<br />

vécu de technologies et oppression, lorsque se serait fondée<br />

la résistance, en sa mutation pourtant périlleuse<br />

d’oppression et révolution, ceci aurait été contre eux le<br />

déploiement d’une vague terrible réprimant le mouvement.


113<br />

C’est là que se serait inventée l’opposition puis<br />

immédiatement après la théorie propre de sa disparition<br />

idéologique mais également organique. En effet, justement<br />

du à l’antithèse n’étant rien d’autre qu’une image renvoyée<br />

par le miroir, <strong>com</strong>ment le pouvoir pourrait-il renoncer à<br />

lui-même gratuitement et sciemment ? Ce serait une<br />

situation aberrante ! La contradiction du pouvoir sur<br />

lui-même n’est pas liée à un phénomène d’autodestruction<br />

dans la mesure où le fonctionnement lui garantit de toute<br />

façon une unanimité dans le corps social. L’opposition est<br />

constituée de ce que le pouvoir place le cas échéant au<br />

rebut, en ses positions extrêmes. Et provenant de lui, il ne<br />

s’agit alors plus d’opposition. Ce serait un trou noir dont<br />

son autorité ressortirait indemne. Situation fortuite infligée<br />

à la toute puissance, l’éventualité du changement serait en<br />

parallèle de l’effondrement du système dans son ensemble<br />

essentiel, ce qui est inimaginable, malgré des concepts<br />

avancés mais humains, eurent-ils été à priori échafaudés<br />

sur des certitudes des plus démontrables et apparemment<br />

pleines de bon sens. Rien ne tient en effet envers la nature et<br />

les convictions bien pensantes du regard originel, rituel et<br />

protocolaire de l’Homme à Dieu tel que se le figurent et le<br />

pratiquent uniformément toutes les sociétés qui savent ce<br />

qu’elles représentent pour le Créateur, sans ethnocentrisme<br />

religieux, consommant ou éliminant en son nom à Ses pieds<br />

sur un infrastructurel modèle identique.<br />

- Je rappelle à nos auditeurs, poursuivit le journaliste<br />

animateur inconnu de Sarah, pour ceux qui auraient pris


114<br />

l’émission en cours, que j’avais invité à l’occasion de la<br />

publication de son dernier ouvrage Pur Hollywoodism/Une<br />

Vie En Parallèle, un pamphlet éthique à l’endroit des<br />

<strong>com</strong>merçants de l’Art sous l’angle d’une analyse de la<br />

réalité de la contestation, le philosophe des sciences,<br />

journaliste et écrivain Michel Mishima qui s’exprime<br />

librement par liaison satellite depuis Londres dans un débat<br />

contradictoire avec le célèbre psychiatre des people<br />

artistes, le docteur Maximilien Blo+°d, lui aussi dans la<br />

capitale britannique, sur le thème « Peut-on manifester une<br />

opposition ? ». Merci messieurs, alors un autre aspect… »<br />

CLIC<br />

Ayant capté ce qu’elle voulait entendre, Sarah Howard<br />

venait d’éteindre le poste renonçant à explorer davantage<br />

l’argumentaire du débat. Elle avait pourtant tâché d’écouter<br />

de son mieux et le plus attentivement possible les propos de<br />

Mishima. La victoire télépathique, en quelque sorte, de la<br />

journaliste, la nuit précédente, n’avait pas pris de court le<br />

penseur en arguments semblaient-ils démiurges, <strong>com</strong>pte<br />

tenu de la rapidité et la fluidité d’un exposé subtile ayant un<br />

sens immédiat dans la position récente de Sarah. Celle-ci en<br />

était convaincu en se fixant nerveuse devant l’évidence de<br />

la situation. Rien ne demeurait <strong>com</strong>plètement acquis au<br />

fond. Elle ressentait un malaise pratique qui l’empêchait<br />

d’agir promptement et prendre le train en marche, les<br />

évènements semblant la dépasser quelque peu. Elle était en<br />

décalage spacio temporel. L’interphone vidéo de<br />

l’appartement sonnait.


115<br />

« Qui cela peut-il être ? Je n’attends personne… »<br />

pensait-elle en se dirigeant nue après avoir quitté son lit<br />

vers la porte d’entrée pour obtenir une réponse. Juste avant<br />

d’atteindre l’écran contrôle qui s’était allumé, le signal<br />

d’appel de la ssssonnerie de son téléphone portable<br />

retent-t-t-t-t-tit ! Sarah fut prise de cours entre le choix de<br />

savoir qui avait sonné à l’entrée de l’immeuble cinq étages<br />

plus bas ou répondre à l’appel téléphonique. C’est ce<br />

dernier qui eut la priorité. Elle prit le <strong>com</strong>biné qui se<br />

trouvait à droite sur le bar du loft.<br />

« Oui allo, dit-elle, Sarah Howard, veuillez patienter un<br />

instant. »<br />

L’interphone renouvela un appel encore, un peu plus<br />

longuement. On manifestait apparemment de l’impatience.<br />

Arrivé devant l’écran contrôle, Sarah, le portable dans une<br />

main, aperçut Dulcinée Mat attendant devant l’entrée de<br />

son immeuble. Sarah ne savait que faire et fut embarrassée<br />

dans un moment tenant d’un dilemme. Son sens développé<br />

de l’hospitalité fut flattée d’avoir une visite mais il<br />

s’agissait seulement de Dulcinée… Elle tenta durant<br />

quelques secondes d’évaluer très justement la situation.<br />

Allait-elle ouvrir ? Que souhaitait-elle vraiment ? Etait-ce le<br />

temps venu du pardon et les retrouvailles avec son ex<br />

<strong>com</strong>pagne ou devait-elle faire preuve de fermeté et plutôt la<br />

chasser ? Au fond celle-ci ne devait pas savoir s’il y avait<br />

quelqu’un dans l’appartement à cette heure-ci et de toute<br />

façon elle n’était pas forcément bienvenue après son<br />

escapade.


116<br />

L’approche de Sarah à l’égard de la jeune femme avait<br />

changé. Avait-elle encore pour elle de bons sentiments ?<br />

Dulcinée en effet s’était rendue coupable de trahison et<br />

Sarah était malheureusement rancunière et elle affecta de<br />

l’indifférence presque immédiatement… Consciente que<br />

l’interlocuteur au téléphone pouvait ne pas avoir attendu,<br />

Sarah se mis à l’écoute sur son oreille gauche tout en ne<br />

perdant pas de vue l’image sur l’écran contrôle.<br />

"- Oui, allo excusez-moi, merci d’avoir patienté, dit-elle.<br />

(Silence). Allo ! Allo ! Qui est à l’appareil ? Répondez ! Je<br />

vais raccrocher…" menaçait la journaliste. L’émission de<br />

Météorites Productions passait en direct et en continu dans<br />

l’écouteur de Sarah Howard puis fut soudainement<br />

interrompue par le son générique marquant la fin de la<br />

<strong>com</strong>munication lorsque dans le même temps apparut de dos<br />

un homme aux côtés de Dulcinée Mat sur l’écran. Cette<br />

silhouette caractéristique était connue de Sarah. Il se<br />

retourna vers la caméra de contrôle. Après un bref moment<br />

d’hésitation, il fut clair que Sarah l’eut identifié : c’était<br />

Michel Mishima. Dans un moment d’effroi, elle se<br />

détournait de l’écran en serrant le téléphone portable le bras<br />

sur le ventre au dessous de sa poitrine. Qu’est-ce que tout<br />

cela pouvait signifier ? Sarah eut le sentiment à ce moment<br />

précis que quelqu’un ou quelque chose <strong>com</strong>mençait à<br />

s’acharner sur elle dans son intimité.<br />

Elle se sentait mise à l’épreuve. Essayait-on de la piéger<br />

dans ce qui devait être sa vie privée ? Et pourquoi ? Tout se<br />

bousculait et le temps passait si vite.


117<br />

« Ma mère ! » paniquait-elle. La jeune femme fut soudain<br />

désireuse d’entendre sa voix. Un bref instant elle songeait<br />

que peut-être il lui était arrivé quelque chose de grave,<br />

d’affreux ! Sarah fébrile en <strong>com</strong>posant machinalement son<br />

numéro de téléphone imaginait brusquement l’irrémédiable,<br />

le pire, craignant que l’on vint lui annoncer une mauvaise<br />

nouvelle. L’idée lui donna la chair de poule. Oui, mais<br />

alors, lorsqu’elle se reprit, <strong>com</strong>ment expliquer la présence<br />

de Mishima ? Sarah annula la <strong>com</strong>munication. MM ne<br />

connaissait pas M.A. pas plus que Dulcinée d’ailleurs qui<br />

ne l’avait jamais rencontré puisque Sarah ne les lui avait<br />

jamais présentés. M.A. du reste ne savait rien ou presque<br />

des aventures sentimentales de sa fille et ignorait la nature<br />

de ses préférences sexuelles par exemple. Ce cas de figure<br />

ne se pouvait donc pas. La ssssonn-n-n-n-nerie retentit à<br />

nouveau de manière semblait-il plus longue et languissante<br />

que précédemment. Résolue, Sarah se décidait à ne pas<br />

répondre en laissant libre l’interprétation du silence vidéo.<br />

Elle se trouvait néanmoins des justifications crédibles<br />

<strong>com</strong>me on chercherait un alibi le cas échéant et elle s’en<br />

trouvait puis décidait d’entamer, loin des gêneurs,<br />

dignement, ce qui devait être sa nouvelle existence qu’il<br />

convenait de gérer de la meilleure façon,<br />

psychologiquement, physiquement et matériellement la<br />

force que lui conférait ses récents atouts, ses pouvoirs,<br />

malgré les dangers d’une introversion trop marquée. Ainsi<br />

cela lui parut à propos : table rase du passé simple. Tout<br />

d’abord


118<br />

1/ elle omettrait pour de bon de répondre au téléphone ou<br />

éviterait de se mettre en connexion sur son ordinateur par<br />

exemple. Puis après avoir pris ces résolutions pratiques<br />

immédiates,<br />

2/ Sarah résolut de se faire lifter, subir une intervention de<br />

chirurgie esthétique aux points des traits du visage, du nez<br />

et ainsi que l’abdomen, ce, au plus tôt. Sa mâchoire serait<br />

également restructurée. Elle serait méconnaissable par<br />

conséquent. La jeune femme prit pour se faire rendez-vous<br />

par internet avec le secrétariat du cabinet d’un médecin<br />

dont la clinique était installée à Berkeley en Californie du<br />

Nord après une hésitation pour un praticien de Miami en<br />

Floride. Une affaire d’honoraires l’avait décidé. Puis elle<br />

achetait sur le web un billet d’avion, le vol prévu le 14<br />

Juillet.<br />

3/ Ensuite elle se décida à effectuer quelques exercices<br />

d’assouplissements acquis autrefois de l’enseignement d’un<br />

professeur de gymnastique dont elle avait respecté<br />

l’expérience et conservé la méthode.<br />

4/ Enfin, soit avec exactitude quarante cinq minutes plus<br />

tard, elle effaça le message de Dulcinée Mat sur sa<br />

messagerie téléphonique avant de se rendre dans sa salle de<br />

bain afin de prendre une douche.<br />

Les appels en provenance du rez-de-chaussée avaient cessé<br />

depuis longtemps. Elle <strong>com</strong>prit à ce moment là qu’elle<br />

devait provoquer une certaine et curieuse appréhension.<br />

Ceci bouleversait sa vie qui s’engageait pour de bon sur un<br />

tronçon parallèle après une révolution solitaire dont elle


119<br />

était la seule maîtresse pour que sa propagation élargisse le<br />

domaine du nombre des initiés.<br />

Dans le miroir de sa chambre à coucher, elle aperçut un<br />

reflet rouge vif dans ses yeux.<br />

« coupez! »<br />

Le 10 au soir<br />

Le portable de Hyacinthe Ange lui indiquait qu’il venait de<br />

recevoir un appel. Il était 20h30 et il dînait avec elle chez<br />

les parents de Claire Sayn. C’était monsieur Sacha. Il<br />

employait un ton paternel :<br />

« J’ai parlé au manager des Plastic Flag, disait ce dernier<br />

dans son message, je leur ai expliqué que j’employais<br />

souvent des étudiants et que vos examens avaient lieu le<br />

jour de leur arrivée. J’espère que cela se sera bien passé à<br />

l’université mais prévenez-moi une autre fois, précisait-il<br />

d’un ton piteux. Le groupe est toujours à Paris. Ils ont<br />

oublié le problème de l’aéroport et je passe moi-même sur<br />

votre bévue. J’ai des clients japonais ces jours-ci et tous les<br />

chauffeurs sont occupés sauf vous à priori. Voulez vous<br />

reprendre la mission avec les américains ? Appelez-moi<br />

rapidement Hyacinthe.».<br />

Le jeune homme ne pensait plus à ce qui était arrivé. Il


120<br />

voulait même tout ignorer, ne plus s’en souvenir. Il avait<br />

rompu avec cette agence de voitures avec chauffeurs. La<br />

situation présentée par Sacha Livy <strong>com</strong>portait un parti pris<br />

qui lui semblait orienté et plutôt versatile sous la forme<br />

apparente d’une certaine <strong>com</strong>préhension très personnelle de<br />

la situation. Cela déplaisait au jeune homme qui fut même<br />

étonné de recevoir un coup de fil de celui qu’il considérait<br />

désormais <strong>com</strong>me son ex employeur de fait, loin d’avoir le<br />

sentiment au surplus d’avoir <strong>com</strong>mis une faute<br />

professionnelle grave qui eut été contre son camp et dont il<br />

avait honoré les intérêts avec beaucoup de maîtrise et de<br />

contrôle. Le jeune homme ne cèderait pas. Pas question de<br />

rempiler. Gavé, il était pourtant libre jusqu’aux résultats des<br />

examens. Il s’apprêtait à s’activer dédouané de<br />

responsabilités dans ce cas de figure qui se représentait à<br />

nouveau à lui. Être tel à demi en vacances officiellement<br />

permettait au jeune homme de se concentrer sur ses envois<br />

artistiques. Hyacinthe Ange aurait pu dès lors avec ce coup<br />

de téléphone mal venu s’estimer la cible d’une escroquerie<br />

avérée. Lui, issue d’une famille vieille France, inspiré par<br />

des valeurs chevaleresques, donc sans ambiguïté<br />

particulière le cas échéant avec un principe de droit de<br />

cuissage, sur une américaine de passage et son groupe de<br />

dévergondés rustres et canaille en l’occurrence, il devait<br />

assurer ses arrières idéologiques en quelque sorte. Il<br />

s’acheminait quelques jours vers un isolationnisme<br />

politique et économique <strong>com</strong>me pratiqué outre Atlantique,<br />

entre une soumission matérielle fut-elle imposée <strong>com</strong>me un


121<br />

diktat dans des relations entre l’Amérique et les<br />

ressortissants d’états badgés d’elle <strong>com</strong>me vassaux et<br />

l’affairisme sans scrupules du propriétaire du garage de<br />

voitures avec chauffeurs. Le jeune homme ne souhaitait pas<br />

tout mélanger afin de conserver son esprit clair et son parti<br />

pris appliqué à ses intérêts en cours. Si Hyacinthe Ange<br />

n’avait pas d’appuis, il n’y aurait plus sa chère nécessité à<br />

arborer quelque chose de fier propre par exemple à faire<br />

ravaler à ces troubadours leur assurance sans gêne si<br />

ceux-ci insistaient encore.<br />

« Comment ces types peuvent-ils malgré tout mobiliser des<br />

foules dans mon propre pays avec des propos aussi persiflés<br />

de marketing et de ringardise diplomatique, pensa-t-il de<br />

retour seul chez lui. Avons-nous perdu notre identité dans<br />

de telles proportions ? » Le jeune homme à fleur de peau<br />

après s’être roulé une fusée n’avait cependant pas le<br />

sentiment d’être plus paranoïaque ou schizophrène que<br />

d’habitude, plus psychotique qu’à l’ordinaire lorsque il<br />

aurait eu des raisons de noter pour lui-même quelques<br />

manifestations caractéristiques de ce type, quelques<br />

déviances typiques. Le cannabis le rendait plus sensible et<br />

d’un plaisir il faisait, ressentait-il pleinement serein, un<br />

rythme de travail qui lui donnait du baume au cœur, le<br />

métamorphosait en un être plutôt calme et néanmoins<br />

productif.


122


Le 11 Juillet, dans la mâtinée,<br />

123<br />

Le Deal<br />

« Tu es un beau salaud ! criait en pleurant au téléphone<br />

Claire Sayn à l’adresse de Hyacinthe Ange. Que faisais-tu<br />

dans un café avec cette Betsy Craven ? Je me sens trahie,<br />

ridicule !<br />

-Que se passe-t-il Claire chérie ? répondait le jeune homme<br />

en croyant faire un cauchemar et se demandant ce qui<br />

pouvait bien justifier concrètement une telle débauche de<br />

sentiments sans saisir les imbrications de relations tout<br />

d’abord.<br />

-Tu fais la une d’une de ces saloperie people en photo avec<br />

cette pétasse ! Toi, mon fiancé ! L’homme que j’aimais ! Je<br />

ne veux plus jamais te revoir ou entendre parler de toi ! »<br />

concluait la <strong>com</strong>munication de la jeune femme qui


124<br />

raccrochait avec fracas.<br />

Le jeune homme abasourdis décidait immédiatement de se<br />

rendre dans un kiosque à journaux pour juger en l’espèce.<br />

Avant de descendre de son studio il prit un peu de monnaie.<br />

« Qu’est-ce donc encore que tout ceci ? » se dit-il en<br />

chemin. Devant son immeuble, la concierge en le voyant le<br />

saluait avec maints égards, elle qui d’ordinaire ne se<br />

<strong>com</strong>portaient ainsi qu’en Décembre en prévision des<br />

étrennes de Janvier. Sur le trajet, Hacynthe Ange croisait les<br />

regards d’un groupe de jeunes travailleurs salariés qui<br />

prenaient leur pause cigarette de 10h. A son approche, on<br />

lui fit des sourires <strong>com</strong>plices. Hyacinthe Ange qui tenait à<br />

demeurer aussi discret que possible pour lui-même s’en<br />

détournait. Arrivé à destination, il fut nez à nez au point<br />

presse avec une affiche de promotion de l’hebdomadaire Jet<br />

Star. Celui-ci reprenait à la une un cliché de paparazzi pris<br />

au téléobjectif où le jeune homme apparaissait bien, main<br />

dans la main avec Betsy Craven sur la terrasse du café du<br />

pont de l’Alma où ils se trouvaient tous deux le 7 et titrait :<br />

« Exclusif ! L’ex top model en idylle à Paris avec son<br />

nouveau <strong>com</strong>pagnon. », et sous titré « Exit Eiwob<br />

Patterson ! Betsy Craven, l’égérie des Plastic Flag, nage<br />

dans le bonheur ». Hyacinthe Ange dans son rôle de faire<br />

valoir était tout à fait reconnaissable sur la photographie. Le<br />

jeune homme au look typique, chic et détonnant, fut tout<br />

d’abord extrêmement surpris d’apparaître sur un tabloïde.<br />

Sur la couverture il était indiqué « voir page 8 ». Le jeune<br />

homme saisit un exemplaire de la revue sur une pile haute,


125<br />

regardait machinalement le prix de l’organe people puis<br />

s’offrait une copie avant de rentrer chez lui. En chemin il<br />

feuilletait le contenu de Jet Star. Les dites pages qui étaient<br />

consacrées à la jeune femme reprenaient en séquences leur<br />

dernière et malheureuse entrevue et mettaient l’accent sur<br />

ce qui semblait être entre eux une romance estivale en<br />

milieu urbain. Sur chaque cliché ils étaient tous deux très<br />

rapprochés, intimes. La part rédactionnelle du reportage<br />

effectué à leur insu était succincte. Le nom de Hyacinthe<br />

Ange n’apparaissait pas. Betsy Craven demeurait la<br />

« vedette ». Les photographies étaient signées par un certain<br />

Arturo Toscanini mais le reportage par Sarah Howard.<br />

Hyacinthe Ange en se remémorant la mâtinée du jour<br />

d’avant se souvenait effectivement de l’homme aux<br />

objectifs et à l’accent italien qui avait sollicité Betsy pour<br />

une prise de vue avant de mettre le serveur du café en<br />

colère. Il en concluait que les clichés étaient les siens.<br />

Remonté chez lui, le jeune homme consultait placidement<br />

le site web de Jet Star. Les photographies y étaient<br />

également répertoriées.<br />

« Bon sang ! » s’écriait-il cette fois. La stupeur du fait<br />

ac<strong>com</strong>pli avait fait place dans un second temps à un certain<br />

embarras. Hyacinthe Ange songeait à appeler Claire pour<br />

tout lui expliquer. Mais il réalisait qu’il n’y avait rien à dire.<br />

Le jeune homme en fut soudainement fort ennuyé. Passer<br />

pour un play boy ne le dérangeait point, mais il craignait<br />

pour sa vie privée. Il s’interrogeait sur son point de vue à<br />

lui <strong>com</strong>me on fabriquerait un bon alibi. Cette situation ne


126<br />

<strong>com</strong>portait pas que des choses négatives à condition bien<br />

sur de pouvoir en tirer parti, ne point laisser des étrangers à<br />

sa relation avec la jeune américaine s’enrichir sur leurs dos<br />

sans rien dire. Hyacinthe Ange eut l’idée de demander des<br />

dommages et intérêts à la rédaction de Jet Star. Il avait déjà<br />

eu vent d’arrangements dans des cas similaires au sien.<br />

« Je vais sortir de l’ombre » se dit-il résolu à agir<br />

promptement et un peu machiavélique finalement lorsque<br />

son téléphone sonnait à nouveau. C’était monsieur Clairon<br />

de Luciole père. Ce dernier avait vu la couverture du<br />

journal et avait tout de suite reconnu son fils. Il jubilait sans<br />

se formaliser du fait qu’il risquait de perdre une future belle<br />

fille en la personne de Claire Sayn, si il ne l’avait pas déjà<br />

définitivement perdu.<br />

« Tu peux très largement tirer parti de tout ceci, dit-il à son<br />

fils. Fait un arrangement avec Jet Star mon garçon.<br />

Contacte la rédaction et négocie. Qu’ils te payent ! Sinon tu<br />

peux leur faire un procès. Dis que tu as des relations. Tu vas<br />

toucher le jack pot Hyacinthe ! Tu pourrais également<br />

monnayer ton histoire avec d’autres journaux du même<br />

acabit. Si tu as besoin de conseils, appelle-moi.»<br />

concluait-il en voyant <strong>com</strong>ment il pourrait in fine payer les<br />

frais de toiture de sa résidence secondaire en Bourgogne.<br />

Toutefois Hyacinthe Ange en était toujours à se chercher un<br />

mobil valable afin de ne pas être débordé, mettre ses idées<br />

en avant et ne pas trop impliquer d’autres personnes. Il<br />

attendait que la principale intéressée se manifeste.<br />

Avait-elle des échos de la presse française à Bel Air ?


127<br />

La sonnerie du portable retentit encore. Cette fois Luc<br />

Piedmontel cherchait à joindre le jeune homme.<br />

« Alors, dit-il, amoureux ? Tout Paris parle de vous ! Tu<br />

succèdes à Yves Montand dans le cœur des petites<br />

américaines !…». Hyacinthe Ange était gêné.<br />

« Tu me réserves l’exclusivité du récit de ta rencontre et ta<br />

relation avec Betsy Craven j’espère cher ami, n’est-ce pas ?<br />

Je vais proposer un article à Gloire & Fortune là dessus. Ce<br />

serait un scoop ! Je peux demander une somme d’argent<br />

substantielle Nous partagerons les émoluments en retour.<br />

D’accord ? Mais il faudrait que l’on se voit. Il ne faut pas<br />

tarder. » Hyacinthe Ange trouvait fort bon d’être sollicité. Il<br />

donnait son aval pour le papier.<br />

« Au fait, au départ, <strong>com</strong>ment l’as-tu capté ? interrogeait un<br />

peu intrigué le secrétaire de cabinet/rédacteur en chef.<br />

-Nous nous sommes rencontré à la VO il y a …quatre jours<br />

! confiait toujours crédule le jeune homme.<br />

-Quand devriez-vous vous revoir ? demandait Piedmontel<br />

intéressé. Il faudrait exécuter une photographie officielle<br />

pour illustrer mon texte.<br />

-Betsy est en Californie ces jours-ci, précisait Hyacinthe<br />

Ange en bluffant, sans savoir s’il la reverrait un jour à<br />

priori. Je dois lui en parler, avançait-il tout de même dans<br />

sa position momentanément bien placée.<br />

-Cette aventure va te booster ! C’est un bon coup de pub,<br />

reprenait Luc Piedmontel revenu à l’essentiel. Tout le<br />

monde y trouve son <strong>com</strong>pte. Inclus les cocus… Il serait bon


128<br />

de faire passer certains des concepts qui nous réunissent<br />

déjà. Tu pourrais en endosser les habits symboliques. C’est<br />

le moment ou jamais ! Cette situation est bel et bien une<br />

ouverture. Il convient d’en prendre consciemment la mesure<br />

cher Hyacinthe. »<br />

Le soir, le moral du jeune homme était au beau fixe. Ceci<br />

était perceptible dans l’usage qu’il avait fait des couleurs<br />

dans sa dernière toile. Il avait représenté un paysage<br />

imaginaire dans des tons de pigments vifs et éclatants. A<br />

l’instigation de son directeur artistique et avec la promesse<br />

que Hyacinthe Ange ne poursuivrait pas en justice le<br />

magazine, la rédaction de Jet Star lui avait proposé en<br />

<strong>com</strong>promis financier une enveloppe non déclarée de<br />

quelques dizaines de milliers d’euros cash. Hyacinthe<br />

Ange, qui avait accepté et empoché au siège du journal<br />

après une courte négociation, était donc à l’abri du besoin<br />

pendant plusieurs mois, son loyer payé d’avance, sans se<br />

serrer la ceinture. Il avait décidé par ailleurs d’acquérir un<br />

deux roues 125cc et profité du véhicule en ces mois d’été<br />

dont la température s’annonçait élevée. Le jeune homme<br />

avait passé <strong>com</strong>mande d’un scooter. Un peu plus tard il<br />

était ressorti de chez lui pour s’acheter des vêtements neufs<br />

et du matériel graphique. Puis il s’était rendu dans le centre<br />

de Paris et il avait présenté un petit catalogue de ses<br />

dernières œuvres au gérant d’une galerie de tableaux en<br />

vogue située rue de Seine. Sa participation aux frais avait<br />

séduit puis convaincu le gérant du lieu de louer ses murs un<br />

mois pour octobre suivant afin de produire une première


129<br />

exposition digne de ce nom et sous la propre appellation<br />

titulaire du jeune homme. Il ne restait plus à Hyacinthe<br />

Ange que de contacter Betsy Craven même si ceci n’était<br />

pas nécessaire et dont il n’avait pas le numéro de ligne<br />

directe. Le jeune homme avait décliné l’invitation à dîner<br />

de ses parents persuadé qu’il reviendrait les poches vides en<br />

acceptant, prétextant pour se faire d’un emploi du temps<br />

chargé. Puis il avait finalement tenté de joindre Claire qui<br />

ne répondait pas. Afin de retrouver les bras de Morphée<br />

cette fois, Hyacinthe Ange Clairon de Luciole avait fumé<br />

un dernier joint et s’apprêtait à faire de beaux rêves.<br />

La saison aurait été inoubliable en effet, si sa concierge ne<br />

l’avait pas retrouvé sans vie dans son studio une semaine<br />

plus tard. Le jeune homme avait été vidé de son sang<br />

constatait le médecin légiste dépêché sur place.<br />

L’hypothèse du meurtre fut la plus évidente. Il y avait des<br />

points de morsures au cou, son visage avait été fracassé<br />

puis mutilé sur son mur décrivant des traces d’une lutte<br />

épouvantable et de l’hémoglobine avait giclé. Le lieu était<br />

sans dessous dessus. Apparemment le jeune homme avait<br />

eu affaire à plus fort que lui. Ses voisins de pallier furent<br />

interrogés un par un, mais ils n’avaient rien entendu d’un<br />

probable vacarme, aperçu personne…Son corps ou ce qu’il<br />

en restait fut emporté à la morgue pour y être autopsié puis<br />

la police sella la porte d’entrée du studio. Un <strong>com</strong>missaire<br />

au nom prédestiné nommé Lefouineur fut chargé de mener<br />

une enquête sur cette mort subite et troublante, et sans


130<br />

antécédent surtout. Il n’avait pas de mobile pour cet<br />

assassinat. Des voix supérieure de la préfecture de Paris lui<br />

intimèrent néanmoins le souhait de voir surgir une<br />

explication crédible et un ou des coupables. L’officier<br />

publique se mit en chasse dès le lendemain. De retour dans<br />

le studio, il tenta méthodiquement de reconstituer les<br />

derniers jours de Hyacinthe Ange. Il fut aidé en cela par<br />

deux stagiaires de la police scientifique. On préleva des<br />

indices sur le lieu du crime. Rien ne concordait. Ce n’était<br />

pas pour lui voler son argent, une liasse de billet traînait sur<br />

son bureau. Convoquée au <strong>com</strong>missariat, la famille de<br />

Hyacinthe Ange, en la personne de son père choqué, des<br />

proches <strong>com</strong>me Claire Sayn <strong>com</strong>motionnée par<br />

l’évènement, aucuns ne permettait de trouver une piste. Ce<br />

n’était pas même un crime passionnel. Lefouineur se rendit<br />

à l’agence de presse Jet Star pour un <strong>com</strong>plément d’enquête<br />

dont il revint bredouille. Il tentait un fax à Interpol pour en<br />

savoir plus sur Betsy Craven. Le service de police<br />

international lui signalait que cette dernière était en tournée<br />

avec les Plastic Flag. Une audition était impossible. Le<br />

<strong>com</strong>missaire français <strong>com</strong>prit juste par les services<br />

conjoints de douanes et les agents d’Aéroport de Paris que<br />

les dates d’entrées et de sorties du territoire national du<br />

mannequin ne pouvait point faire d’elle une éventuelle<br />

suspecte. Rien, Lefouineur n’avait rien. Aucun indice.<br />

L’affaire fut par conséquent classée sans suite. Le corps de<br />

Hyacinthe Ange fut rendu à sa famille pour être inhumé.<br />

Betsy Craven ne sut jamais rien de son décès.


Août 2010<br />

131<br />

« Guerre bien menée ne lasse point de tout dominer »<br />

Proverbe d’Astrée<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> était un personnage de taille mannequin.<br />

Ceinture orange de full contact à 44 ans, Il mesurait un<br />

mètre soixante dix huit supportant un poids lourd variable,<br />

de 78 à 80/81 kilogrammes, entre deux sessions dans une<br />

salle de maintien corporel située dans l’Ouest de Paris. Les<br />

activités sportives y étaient diverses. Sa pratique théorique<br />

et physique de la boxe américaine, avec un ex champion<br />

de France <strong>com</strong>me entraineur, lui avait pris du temps et de<br />

l’argent. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> avait gagné en assurance bien<br />

sur, se sculptant au passage ce que serait une ligne de<br />

taille parfaite, le haut du corps en V depuis le bas de<br />

l’abdomen jusqu’aux épaules et aux trapèzes, ajoutant à<br />

son charme charismatique vu de profil et également sous


132<br />

un angle facial. On lui trouvait une ressemblance avec les<br />

musiciens américains contemporains pas moins majeurs<br />

que Jimi Hendrix ou Prince, des rictus séduisants en plus.<br />

S’il devait toujours se forcer pour se rendre dans son club<br />

de sport, il en ressortait en principe satisfait, ses efforts<br />

motivés fallait-il le croire par son instinct de conservation<br />

extrême. Il pratiquait son parcours santé en l’assimilant à<br />

la motion même d’un gladiateur post moderne. La session<br />

terminée, il ne s’attardait pas pour éviter la promiscuité<br />

dans le vestiaire du <strong>com</strong>plexe sportif un peu insalubre côté<br />

hommes. En quelques années de fréquentation, il n’était<br />

resté qu’une fois ou deux quelques minutes dans la<br />

chaleur du sauna auquel il avait également accès. Une fois<br />

de retour chez lui, il prenait un moment afin de se<br />

doucher. Le terme de sa toilette était un moment exquis à<br />

la suite d’exercices préalables. Jouissif même. Il se sentait<br />

en pleine forme. Le miroir de sa salle de bain reflétait son<br />

sourire satisfait avec les deux rangées d’ivoire claire de<br />

ses dents blanches bien brossées. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />

ressentait un bien-être certain, s’estimait suffisamment<br />

rayonnant pour se montrer à découvert sans le moindre<br />

<strong>com</strong>plexe. Il acceptait son corps bientôt enveloppé de<br />

vêtements propres et éclatants, lorsqu’il s’improvisait<br />

styliste de mode pour une carapace sur mesure. Mais


133<br />

avant de se vêtir, il appréciait s’allonger quelques minutes,<br />

nu sur son lit à deux places. « C’est le repos du guerrier »<br />

se disait-il, sa verge généralement en érection lorsque lui<br />

venait des envies à contenter, à assouvir de façon à<br />

demeurer dans des conditions physiques parfaites et<br />

prometteuses. Jamais mieux servit que par lui-même, il<br />

apaisait sa zone érogène en l’honorant de ses propres<br />

fantasmes d’hétérosexuel hormonal et philosophique,<br />

chose qui était facile, due à sa forme athlétique dans le<br />

rapport simple d’une pornographie hygiénique et pratique.<br />

Une relation sexuelle entreprise à deux lui paraissait, en<br />

bon maniaque, une sorte de relation impure, malpropre et<br />

contraignante, ce, en <strong>com</strong>portant souvent au surplus les<br />

termes incontournables in fine d’une affaire de moyens,<br />

plutôt d’argent en l’occurrence, incontournable et,<br />

surtout, onéreuse lorsqu’attachée au cadre d’une<br />

éventuelle concordance orgasmique. Un recours à la<br />

prostitution en somme puisqu’esprit puissant, il payait<br />

toujours le prix fort, au même titre qu’il ne souhaitait pas<br />

perdre son temps en boniments dans ses envois extérieurs.<br />

Lui seul, son traitement correspondait depuis longtemps à<br />

une intimité préservée, la base de sa bonne santé ou de sa<br />

bonne humeur. Il en était convaincu en tout cas à l’abord<br />

métaphysique des Femmes, ses chères et, semblaient-elles


134<br />

parfois, perfides ennemis. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> eut toujours<br />

pitié en regard décalé à cette forme d’imposture et de<br />

mensonges au sein de couples, susceptibles de casser à<br />

tout moment. « Les histoires d’amour finissent mal en<br />

général » chantait-on à raison, le filtre sentimental,<br />

<strong>com</strong>plice et original, une fois perdu.<br />

Excepté ses quarante longueurs de 25 mètres chaque<br />

dimanche matin dans la piscine flambant neuve de son<br />

quartier, l’homme n’avait pas, malgré tout, renouvelé son<br />

abonnement au club de sport depuis 2 ans. Il ne faisait<br />

tout au plus que quelques mouvements de renforcement<br />

abdominal, de temps à autre, ou bien des exercices<br />

d’assouplissements appris de son ex coach. Mais il n’avait<br />

pas cessé de fumer alternativement cigares, cigarettes ou<br />

cannabis, mâchouillait du chewing gum menthol en<br />

permanence et sortait depuis quelques mois avec une<br />

jeune femme de sept ans sa cadette, célibataire et sans<br />

enfant. Toutefois <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> ne consommait pas une<br />

goutte d’alcool. Son avant dernière aventure avec une<br />

mère de famille de 55 ans avait été catastrophique. Cette<br />

<strong>com</strong>pagne au caractère suffisant et aux manières un peu<br />

rudes, originaire du pays basque, avec ses attaches<br />

andalouses bercées de madrigal, avait un sérieux penchant


135<br />

pour la bouteille, ce que son <strong>com</strong>pagnon du moment avait<br />

mal supporté. Sous l’emprise des degrés d’alcool, les<br />

propos de son ex maîtresse devenaient souvent<br />

incohérents en exprimant au départ une certaine logorrhée<br />

homophobe dans de virulentes litanies gratuites. Elle<br />

devenait une mauvaise langue pour le moins agaçante<br />

verre après verre, en se croyant supérieure, au mieux<br />

parce que son âge était plus avancé que le sien, et<br />

s’emmêlait les pinceaux entre philosophie de <strong>com</strong>ptoir,<br />

engagement politique et social sérieux ou attention<br />

sentimentale profonde. Elle souffrait et ceci la rendait<br />

méchante. Ils s’étaient quittés fâchés, l’un<br />

essentiellement agacé en raison de l’éthylisme récurent de<br />

l’autre, la seconde du coup, pour le prétendu manque<br />

d’ardeur charnelle et affective du premier, que l’on peut<br />

expliquer par un manque de suggestions suffisamment<br />

raffinée, d’où le peu d’appétit du jeune homme et ses<br />

réticences au mélange des corps. Ceci lui était toutefois<br />

reproché en public, ce qui n’arrangeait vraiment rien.<br />

« Comme tu as changé F…. avec tes airs de clocharde !<br />

Ton postérieur explose sa roture ! Tu ne me donnes plus<br />

aucune envie ! » lui avait-il dit en répartie, froissé, un jour<br />

en chambre, elle, bon pochetron, accrochée au goulot<br />

d’une bouteille de mauvais vin, si elle n’était point en


136<br />

train d’éructer, les muqueuses fétides, ou de vomir ses<br />

miasmes, la tête sur la cuvette de ses latrines mal<br />

entretenues. « Tu finiras seule, <strong>com</strong>me un vulgaire sac à<br />

merde ! Je ne sombrerai pas avec toi ! » avait-il ajouté à<br />

cette Ménade et son attitude préjudiciable.<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> exerçait officiellement la profession<br />

d’auteur. Le terme de « créateur » ne lui paraissait pas<br />

usurper mais le gênait. C’était un producteur de<br />

rédactionnel travailleur, lucide et efficace. Il écrivait des<br />

chansons notamment. Il les interprétait parfois,<br />

ac<strong>com</strong>pagné de sa guitare électrique, support bien<br />

maîtrisée. Le plus souvent il laissait à d’autres le soin de<br />

les chanter. Ses textes exprimaient sa foi en Dieu, les<br />

sentiments qu’il éprouvait pour certains êtres, d’amour et<br />

de faits de guerres aussi, ce, dans un grand effort de clarté<br />

large et quasi logistique. Sociétaire de la SACEM et ayant<br />

quelques concerts dans de petites salles à son actif en tant<br />

qu’interprète et soliste, il touchait donc des droits d’auteur<br />

trois à quatre fois par an. Autrement à propos des satanées<br />

ruées vers l’or <strong>com</strong>me il qualifiait la recherche de<br />

nouveaux moyens, pour survivre, l’homme monnayait ses<br />

illustrations d’avant-garde, confectionnées par ses soins,<br />

sans influences extérieures à priori. C’était un as reconnu


137<br />

du pinceau dont l’on attendait beaucoup. Des affairistes de<br />

Californie du Sud fondèrent quelques temps, vingt ans<br />

plus tôt dans la mouvance de talents émergeants, une<br />

corporation publicitaire, autour de lui, afin de diffuser ses<br />

visuels en Amérique du Nord. A l’époque, la sculpture et<br />

les plans d’architecture étaient, pourtant, ses principales<br />

formes d’expressions. Il n’avait néanmoins jamais<br />

fréquenté les Beaux Arts ou une quelconque école de<br />

graphisme par exemple. C’était sans doute pour cela, hors<br />

normes mais assuré, qu’il apparaissait plus original que<br />

d’autres dans la mesure où sa griffe sans déjà vu ne<br />

connaissait pas d’équivalent. Quoique n’ayant rien d’un<br />

copiste justement, il s’acheminait tout naturellement sur<br />

une voie majeure. Ceci n’était pas propre à l’époque, pour<br />

autant, à le marginaliser plus qu’il n’en fallait. Il avait<br />

juste un style à lui. Personnel. Très personnel. Sa<br />

renommée se limitait à un cercle de quelques initiés. A<br />

son retour des Etats Unis, il s’était toutefois inscrit à Paris<br />

à l’Ecole Du Louvre de manière, croyait-il avec justesse, à<br />

étendre ses connaissances théoriques sur les œuvres<br />

d’Arts de tous les Temps et se donner des points de<br />

repères. En revisitant l’Histoire générale de l’Art, il était<br />

accessoirement devenu un supposé expert dans ce<br />

domaine, capable de situer n’importe quel envoi de genre


138<br />

ou de prolonger des légendes qui le touchaient par le biais<br />

de ses propres créations. Et quoique qu’assidu aux cours<br />

et conférences de l’établissement, il n’avait pas recherché<br />

plus que cela à en être diplômé, n’avait pas donc dépassé<br />

le niveau de la première année du cursus qu’il effectua à<br />

trois reprises, admis sur dossier la première fois ou, par la<br />

suite, en parvenant à réussir le concours d’entrée. Une<br />

étude de <strong>com</strong>missaires priseurs, dans laquelle officiait son<br />

meilleur ami, avait généreusement tenté de faire coter ses<br />

réalisations déjà en phase 3 de leur processus créatif en<br />

salle de vente à Drouot. Un dépôt était toutefois resté sans<br />

suite. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> s’était sans doute mis en avant trop<br />

jeune à ce moment là, et son parcours était probablement<br />

dans un genre d’inspiration trop académique finalement<br />

pour d’éventuels acheteurs susceptibles de s’intéresser<br />

également aux détails de son existence dans l’évidence<br />

d’un penchant, fut-ce une démarche obséquieuse, quant à<br />

son intimité, dénués toutefois de la bohême supposée et<br />

attribuée à quelques légendes officielles. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />

qui aurait du en faire état pour ce que sa vie eut été celle<br />

d’un personnage à part jusqu’alors, n’avait rien noté des<br />

réels faits d’exception dont il avait été l’acteur piqué<br />

toutefois de réflexes empreints d’humilité et n’avait que<br />

rarement jugé bon d’être tape à l’oeil. Il avait donc


139<br />

finalement récupéré ses toiles et argiles patinées. La seule<br />

chose qui lui restait à faire, pour sortir d’une épineuse<br />

impasse <strong>com</strong>merciale, avait été de rédiger un roman<br />

éminemment descriptif, images à l’appui, sur la base de sa<br />

fin de scolarité jusqu’à son aventure à Hollywood lui aussi<br />

et avant que Sarah Howard y débarque. Il y avait apprécié<br />

entre autre la démarche futuriste locale. Publiée puis<br />

diffusée à quelques milliers d’exemplaires à <strong>com</strong>pte<br />

d’auteur, sa fiction humoristique et décalée, qui tenait de<br />

la bande dessinée et du storyboard de cinéma et intitulée<br />

avec une palpable dérision Les Vicissitudes Sexuelles Du<br />

Lion Gris En Climat Tempéré, avait obtenu un succès<br />

d’estime mérité dans les milieux du rock alternatif de tous<br />

les états de la sphère occidentale Nord, friands de second<br />

degré, criants même à l’omniscience de son génie<br />

« d’archange classe et cramé » pour citer un critique. Ceci<br />

était tout à fait encourageant sous couvert de promesses<br />

pour l’avenir. Pour quelques temps, les royalties lui<br />

permettraient par conséquent de décemment maintenir son<br />

train de vie domestique représentant simplement plusieurs<br />

milliers d’euros par mois pour sa seule personne. Et,<br />

n’étant pas à court de projets, il pouvait produire en<br />

honnête indépendance et en totale autarcie ses nouveaux<br />

envois, budgétisés et répertoriés sur la boutique de son site


140<br />

internet, à des prix <strong>com</strong>pétitifs <strong>com</strong>pte tenu de la qualité<br />

de leurs contenus. En somme et plus simplement à<br />

l’échelon social, <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> qui ne s’était jamais<br />

marié, demeurait un bon parti sans néanmoins œuvrer<br />

pour s’accoupler coûte que coûte. Sa situation apparaissait<br />

excellente dans l’unicité même de sa motion mûre, au dire<br />

de quelques femmes qui l’estimaient effectivement<br />

parfaite à force de la convoiter. « Je suis soumis à<br />

l’Eternel, ce n’est pas moi qu’il convient de<br />

féliciter ! précisait-il alors. Il faut s’en remettre à Dieu qui<br />

me prête vie, oriente mon destin et les termes de ma<br />

mission sur terre ! » Il fut vrai que la cible de ses femelles<br />

ne cachait pas, ajoutant à son attrait, ses velléités de<br />

perfection en toutes choses, quoiqu’il entreprit. Son<br />

parcours était une solide réussite. Sa dernière conquête<br />

féminine était de toute beauté. A peine un peu ronde, un<br />

sourire malin et vif, de taille moyenne, les cheveux or et<br />

les yeux bleus azur, il la trouvait très sexy. Ils s’étaient<br />

rencontrés par l’intermédiaire d’un site web payant conçu<br />

pour des rencontres d’adultes consentants publiant des<br />

petites annonces. Echangeant leurs profils, en quête de<br />

l’idéal, des éléments des deux sexes pouvaient former des<br />

couples durablement unis, sur des bases saines, lorsque,


141<br />

définie au préalable, la nature de chaque relation se voyait<br />

parfaitement calibrer.<br />

A la suite d’une correspondance faite de questions<br />

réponses entre eux, sous la forme d’une sérieuse analyse,<br />

la première rencontre physique de <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> et<br />

Arséna Bonpoint avait eu lieu au restaurant de l’aile<br />

gauche du château de Versailles, un jeudi d’août à 13h30.<br />

Ils y dégustèrent des chocolats maison Van Houten, de la<br />

recette du salon de thé Angelina, rue de Rivoli à Paris. La<br />

collation fut agrémentée d’une part de tarte aux myrtilles<br />

et de macarons. Tout avait déjà été pensé, dit et organisé<br />

quelques temps auparavant par un échange de courriels.<br />

La sensuelle jeune femme avait avoué sa nymphomanie<br />

périodique. Sous la menace de voir celle-ci assouvie par<br />

un autre que lui, <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, son « homme d’amour »<br />

<strong>com</strong>me elle l’appelait, avait sorti le grand jeu en<br />

demeurant maître de la plupart des atouts en sa faveur. A<br />

14h15, l’homme la troussait viril et vigoureux, aussitôt<br />

qu’ils furent derrière un bosquet d’une allée déserte du<br />

parc vide sur le site du château. Leurs organes génitaux à<br />

tous les deux étaient rasés, dépourvus de toison pubienne.<br />

Arséna était une femme fontaine. Ils connurent un plaisir<br />

immédiat et un orgasme synchrone. Ils avaient décidé de


142<br />

se revoir plus tard, à l’occasion, par goût de l’insolite<br />

aventure portant le numéro un d’une série qui se<br />

prolongerait si affinités. Les deux amants tenaient à se<br />

réserver le meilleur. Quelques temps après ils s’étaient<br />

donc retrouvés dans une suite d’un hôtel de la rue des<br />

Beaux Arts, à Paris toujours. Autrefois, Oscar Wilde y<br />

avait séjourné et Serge Gainsbourg s’y était produit au<br />

piano bar. C’était un choix du jeune homme.<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> était donc arrivé le premier. Ils devaient<br />

rester tous les deux discrets, sa partenaire et lui, par goût<br />

partagé du mystère. Lui se dissimulait derrière une<br />

moustache postiche et des lunettes de vue. Il lui revenait<br />

le soin de régler en liquide à la réception la note, une<br />

facture de 200€ payable d’avance, pour la nuit dans la<br />

suite et de prendre le pass électronique du lieu réservé<br />

sous le nom de Pierre Fecteau. La jeune femme l’avait<br />

rejoint à une heure convenue l’avant-veille. Elle portait<br />

une perruque rousse sous un foulard Hermès et ne devait<br />

pas attirer l’attention, le regard caché dernière d’épaisses<br />

lunettes polaroïd. Elle devait être vêtue, sous un<br />

imperméable, d’un body en dentelle de couleur sombre,<br />

déjà dégrafé entre les jambes ainsi que de chaussures d’été<br />

fermées. L’homme voulait de petites extrémités d’airain.<br />

Les ballerines lui convenaient. Il détestait en effet les


143<br />

chaussures ouvertes qu’il estimait peu hygiéniques,<br />

négligées, inesthétiques et généralement de mauvais goût.<br />

En deuil de fantaisie hippie, Arséna avait donc pris soin<br />

de se vernir tous les ongles en noir au cas où il lui serait<br />

tout de même possible de se déchausser. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />

sortit de la salle de bain où il avait pris l’initiative de se<br />

doucher, lorsqu’elle frappa à la porte. Celle-ci s’ouvrit au<br />

tiers. La jeune femme s’engouffra en refermant<br />

l’ouverture derrière elle. Son <strong>com</strong>plice l’attendait sous les<br />

draps du lit à deux places.<br />

« Dépêche toi ! lui dit–il soudain gagné par l’impatience<br />

de lui baiser le milieu des seins, son recoin fétiche.<br />

-Un peu de calme, » répondit Arséna en souriant. Puis elle<br />

se débarrassa de tous son attirail de camouflage<br />

découvrant ses longs cheveux auburn, retira ses vêtements<br />

excepté le body et remonta à quatre pattes sous les draps<br />

depuis l’extrémité arrière du lit. A la hauteur du pénis en<br />

érection, elle s’attardait. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> émis un râle de<br />

contentement classique. L’étape dura quelques minutes,<br />

au terme desquels Arséna chevaucha son <strong>com</strong>pagnon en<br />

se pénétrant le vagin du sexe surexcité, long et bien dur de<br />

son partenaire. Un mouvement saccadé s’enclenchait<br />

aussitôt. Soudain le corps de la jeune femme émis le son


144<br />

tonitruant d’une incongruité inférieure sans ambiguïté sur<br />

sa nature dérangeante ! Une odeur pestilentielle de senteur<br />

sévèrement piquante dans la chaleur opaque de la pièce,<br />

similaire aux fragrances mélangées de chat crevé ou de<br />

macchabée cuit à l’ailloli avec des œufs pourris assortis de<br />

haricots blancs, remonta aux narines sensibles de<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> avec le mouvement des draps exerçant, par<br />

les ébats, une triste ventilation. Le supplice du jeune<br />

homme s’annonçait long.<br />

« Je suis désolée, éclatait nerveusement dans un fou rire<br />

Arséna Bonpoint, tout de même un peu confuse.<br />

Sincèrement.<br />

-C’est une véritable agression ! s’offusquait au premier<br />

degré <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, plein de dépit. Zut ! Pas<br />

maintenant ! ça empeste vraiment ! C’est insupportable !<br />

Tu gâches tout ! C’est répugnant !<br />

-ça va ! ça va ! Je ne l’ai pas fait exprès ! Je n’ai tué<br />

personne ! Tu exagères un peu ! rétorqua impérieuse<br />

toujours de gargouillis intestinaux sonores, suivis d’un<br />

second pet plus fort que le précédent avec un net préjudice<br />

nauséabond et supplémentaire, la jeune femme, par amour<br />

propre et revenu à de sérieuses dispositions devant


145<br />

l’aversion manifeste du jeune homme. Je n’y peux rien !<br />

Voilà, cela arrive à tout le monde. C’est naturel et bon<br />

pour la santé ! insistait elle.<br />

-Ce n’est pas une étable ici ! Qu’est-ce qui te prend ? ça<br />

empeste la décharge excrémentielle à présent ! Tu<br />

m’empoisonnes ! Tu pollues l’atmosphère sacrée de notre<br />

couche ! reprit dégoûté et impuissant <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> sans<br />

pouvoir se fixer sur un fond d’air frais, l’odorat cherchant<br />

ailleurs et agacé en regardant Arséna qu’il ne trouva plus<br />

si séduisante, en estimant sous ce jour l’aspect plutôt<br />

dérangeant de son aveu de soudaine animalité de<br />

pétomane au féminin. Un millésime ! Tant qu’à faire, tu<br />

rotes aussi avec une haleine de poney ? Tu as des<br />

champignons entre les doigts de pieds ? lui lançait-il en<br />

désespoir de cause, ajoutant au désagrément. Quelle<br />

gâchis !<br />

-O, puisque c’est <strong>com</strong>me ça, je m’en vais ! jacassait elle,<br />

vexée en se rhabillant dans des mouvements rapides avant<br />

de prendre congé. Va te faire cuire un œuf ! Excrément<br />

toi-même ! »<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> avait rompu, on s’en doute.<br />

« L’une qui boit, l’autre qui pète ! »


146<br />

Le lendemain de sa rupture avec celle qui ne serait plus<br />

désormais en mémoire que son ex et dernière <strong>com</strong>pagne<br />

pour les raisons que l’on sait, <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> fut réveillé<br />

tôt. Il en était ainsi pour lui lorsqu’une page avait été<br />

irrémédiablement tournée. L’homme ne se sentait pas<br />

particulièrement seul. Au contraire, il respirait cette fois<br />

l’air prosaïquement pur d’une forme certaine de paisible<br />

état de liberté dans une agréable et confortable amorce de<br />

paranoïa nécessaire à sa préservation. Motivé par une<br />

recherche attendue de changement effectif dans sa petite<br />

existence, il songeait que ce serait le bon moment pour<br />

arrêter de fumer et surtout cesser de consommer du café à<br />

tout bout de champ. Ces deux vices ajoutés à l’alcool<br />

représentaient pour lui depuis l’adolescence les piliers de<br />

l’atavisme destructeur du système. C’était du moins ce<br />

qu’il avait déclaré à 12 ans, un soir à table, à un oncle et à<br />

une tante qui consommaient <strong>com</strong>plaisamment les trois et<br />

se voyaient susceptibles de l’avoir intoxiqué depuis la<br />

petite enfance. Il avait, sans le savoir, inventé le statut de<br />

fumeur passif. Il s’était cependant acheté son premier<br />

paquet de cigarettes au Royaume Uni, persuadé d’en avoir<br />

grand besoin, lors d’un séjour linguistique et, n’avait plus<br />

depuis mis un terme définitif à ce fâcheux ravitaillement<br />

pour la nécessité de se sevrer quotidiennement. Autrement


147<br />

il ressentait une in<strong>com</strong>plétude similaire à un état de<br />

manque. C’était un cercle vicieux. Sa consommation de<br />

tabac ne constituait donc pas une histoire de frime sociale<br />

générationnelle virant au cauchemar en particulier. Non.<br />

Son corps réclamait sa dose minimum de nicotine <strong>com</strong>me<br />

les diabétiques leur insuline dans un rapport de survie.<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> se méprisait même pour griller ses tiges.<br />

« Quelle saleté ! » se disait-il souvent à la vue des<br />

cendriers, des mégots ou bien de son environnement<br />

pollué par la fumée. L’affaire physiologique était<br />

irréversible selon lui. « Arrêter n’est pas une affaire de<br />

volonté. J’ai été mis hors jeu très tôt de toute façon »<br />

avait-il déclaré à un ami. Le sport lui permettait croyait-il,<br />

fervent et scrupuleux à l’ouvrage, d’éliminer ses toxines<br />

l’empêchant toutefois de progresser durablement dans le<br />

domaine des prouesses physiques et des grades en boxe en<br />

particulier. Son heureuse hygiène domestique minimisait<br />

presque tous les effets exagérés du tabac sur ses organes<br />

vitaux. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> s’était constitué des anticorps aux<br />

effets secondaires du au besoin d’un traitement<br />

« thérapeutique » d’un mal potentiel, donné pour le<br />

ronger. Lucide, avec un esprit sain d’ascète, il calculait<br />

régulièrement, en espérant que ceci l’oblige à la<br />

modération, ce que lui coûtait la nicotine financièrement


148<br />

depuis lors. Les sommes représentaient le chiffre<br />

exorbitant proche du tiers de son budget, sur la base<br />

optimiste de 100 années de vie, à raison d’un paquet par<br />

jour depuis l’âge de 19 ans. Il se fournissait malgré les<br />

constantes augmentations imposées par la SEITA, mais se<br />

défendait de vanter les improbables bienfaits du tabac. Il<br />

n’en proposait donc jamais autour de lui.<br />

La santé de <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> était liée, plus que pour tout<br />

autre, à la photosynthèse. Il ne se trouvait pas à son aise<br />

sans l’évidence des émissions lumineuses du Soleil dans<br />

un ciel bleu et dégagé. L’étymologie de son appellation<br />

titulaire ne signifiait-elle pas « Fils de l’Astre<br />

rayonnant » ? L’homme vénérait quasi secrètement le<br />

disque solaire. La sincérité qu’il appliquait à ce culte<br />

n’avait ni prix ni équivalent religieux à ses yeux. Ceci lui<br />

procurait toute l’énergie dont il avait besoin pour survivre.<br />

Il était intéressé par tout ce qui s’y rapportait. En cela, il<br />

s’avouait croyant, déiste dans l’unicité d’un Dieu unique<br />

dont il affirmait à raison recevoir La Volonté, les signes,<br />

les ordres. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> ne s’estimait soumis qu’à<br />

l’Eternel. Ses envois artistiques étaient selon lui une<br />

écriture sacrée, <strong>com</strong>me les hiéroglyphes, faisant état des<br />

dispositions du Créateur. Il s’efforçait de sensiblement


149<br />

contempler son idole et se contenter de la lumière <strong>com</strong>me<br />

un tournesol qui capte les ondes célestes, englobant ainsi<br />

les funestes représentations de cultes mineurs <strong>com</strong>me les<br />

variantes du judéo christianisme ou de l’Islam, leur<br />

prolongement dont il ne se répondait cependant pas<br />

intrinsèquement. « Détourne donc ton regard du Soleil ! »<br />

lui disaient en terrasse des cafés ou sur les plages corses<br />

fréquentées ses amis inquiets. Il n’était pourtant pas<br />

devenu aveugle. Tous ses regards supérieurs au dessus de<br />

la tête étaient autant de prières, d’expression d’infinie<br />

reconnaissance adressées à Soleil, centre de l’Univers, le<br />

cercle duquel représentait potentiellement une porte vers<br />

l’au-delà intersidéral nommé le territoire d’Astrée. La<br />

Planète Terre convergeait dans Sa direction. Ses certitudes<br />

confirmées par la Nature établissaient <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />

<strong>com</strong>me un guide de ce qu’il nommait les unités radiantes,<br />

sorte de mutants dans la transcendance de la race<br />

humaine. Cette dernière correspondait à la hausse à une<br />

<strong>com</strong>munauté d’éléments égaux constitués pourtant, et<br />

avant son intervention au nom de Dieu, en une société<br />

d’amnésiques, primates et encore animales. Il avait étudié,<br />

analysé même la chose en profondeur si l’on peut dire,<br />

avant de ne plus y penser en termes de <strong>com</strong>munication<br />

destinée de toute façon à l’entendement aléatoire de


150<br />

consciences esclaves de leurs sens, juste bonnes<br />

finalement à <strong>com</strong>mettre des crimes véritablement abjects<br />

sans nécessairement en calculer ou les tenants, ou les<br />

conséquences. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> pour sa mission, lui qui<br />

s’attachait toujours aux causes des évènements jalonnant<br />

son parcours, sur dimensionnait son niveau théologique et<br />

pratique de défenses psychiques ou physiques pour être,<br />

croyait-il, une digne progéniture de Dieu. Sa foi était<br />

inébranlable, fascinante aussi et il n’aurait su se perdre<br />

face à l’errance générale dont il était convaincu de l’état<br />

de déliquescence cynique, si elle fut jamais en périhélie du<br />

firmament spirituel et matériel. Il affirmait que son idole<br />

l’avait épargné de la torpeur et du mal pour le mal. Qui<br />

d’autre de toute façon ? La Nature l’avait semble-t-il<br />

sauvé lui aussi, <strong>com</strong>me ce grand oncle, père de<br />

substitution et homme d’église qui l’avait tant chéri et<br />

dont il avait reçu les sacrements du baptême toutefois<br />

selon le rituel des chrétiens catholiques <strong>com</strong>me un jour de<br />

fête plein d’allégresse et de promesses de <strong>com</strong>munions. Il<br />

lui était donc possible de demeurer le plus positif<br />

possible. Et chaque jour était pourtant, déjà, un nouveau<br />

défi, une situation avérée de lutte et de sursis, plaisant au<br />

Tout Puissant <strong>com</strong>me il l’entendit, cela va sans dire.


151<br />

« Le Roi est mort, Vive le Roi ! »<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, selon qu’il eut plusieurs vies, avait<br />

jusqu’alors amorcé ce que représenteraient plusieurs<br />

carrières menées tambours battants en différents endroits.<br />

Sans liens entre elles, si ce n’était pour chacune qu’il les<br />

eut vécues intensément avec une foi identique <strong>com</strong>me des<br />

périodes de son expression intrinsèque, sur la base de<br />

redémarrages avec des hauts et des bas, récoltant<br />

variablement les échos d’un public exigeant durant son<br />

parcours. Et avant de prendre une retraite discrète et<br />

méritée à l’abri d’un besoin d’argent souvent pressant et<br />

récurent dans le milieu de l’art pour bon nombre de ses<br />

émetteurs et autres interlocuteurs connus ou obscures<br />

achevant leur existence dans la misère, il avait fait, nous<br />

l’avons vu, un plein stylistique surtout mais également<br />

financier, momentanément conséquent avec la publication<br />

d’un livre. Il s’y était appliqué avec une certaine habileté<br />

dans son approche, saisissant tout ce qui fut à sa portée<br />

afin de s’éclipser gagnant d’une approche médiatique au<br />

caractère particulier lorsque l’on sait qu’en tout il y avait<br />

un éternel re<strong>com</strong>mencement, que rien ne fut acquis.<br />

Entrevu dans l’inconscient collectif qu’il avait défini et<br />

nommé <strong>com</strong>me tel. L’évocation de ce dernier reprise par<br />

des intellectuels d’universités, ce stade à la dimension


152<br />

vulgaire tenant du marasme avait paru évident à<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, quelques quinze ans plus tôt, alors dans<br />

un bus parisien à la vue d’une foule dense et <strong>com</strong>pacte sur<br />

les grands boulevards. Il était malgré tout doté d’une place<br />

de choix qu’il ne devait qu’à lui-même « au nom de<br />

Dieu. » De par sa naissance et sans écarts garantis fâcheux<br />

à la hauteur effective de ses moyens personnels matériels,<br />

limités somme toute <strong>com</strong>me une épreuve incontournable.<br />

Ses origines supposées de grand bourgeois adoubé d’une<br />

mystique d’aristocrate, lui avaient procuré prosaïquement,<br />

selon La Volonté de L’Eternel, l’extraordinaire latitude de<br />

se révéler à lui-même différentes facettes. Au dehors de la<br />

nature volontaire de son esprit vif, fascinant et<br />

extrêmement créatif. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> avait un potentiel<br />

pour se constituer un patrimoine durable à l’usage d’une<br />

possible descendance ou de <strong>com</strong>pagnons ou de<br />

<strong>com</strong>pagnes de route. « Si je ne parviens pas à faire de<br />

« grandes » études, j’aurais toujours la possibilité de<br />

m’ac<strong>com</strong>plir dans une problématique artistique pour<br />

laquelle j’ai une approche facile et inspirée ». A son<br />

contact, on pouvait voir de lui le nom écrit en noir et blanc<br />

sur ses œuvres recherchées et emblématiques, mais<br />

également « le feu d’artifices » que représentait le fond de


153<br />

sa personnalité, c'est-à-dire ce que l’on appréciait, souvent<br />

semblait-il par curiosité, aussi de lui.<br />

« Ce serait la connaissance universelle qui rendrait un<br />

point de vue plus omniscient que d’autre. Mais ce savoir<br />

est connu bien sur de par la lumière de Dieu que nous<br />

reconnaissons et qu’il convient de prier sans relâche<br />

pour la délivrance sacrée des divines indications. C’est<br />

Lui qui nous aura délivré l’essentiel. C’est Lui, l’Eternel,<br />

qui se trouve au bout de notre chemin de pénitence et de<br />

soumission à Sa Volonté. C’est enfin en Lui, par Lui, à Lui<br />

et vers Lui, qui nous aura donné la vie, la force essentielle<br />

et la béatitude sans détour, que nous nous devrions<br />

d’adresser acquis, croyants et fervents nos offrandes, à<br />

qui devrait s’adresser tous nos sacrifices au point<br />

d’abnégation et presque misérable de non existence. »<br />

professait <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> à qui voulait bien l’entendre, lui<br />

qui savait que quiconque n’avait jusqu’alors connu<br />

l’unanimité, des Titans d’antan au Christ ou à Mahomet,<br />

sans <strong>com</strong>pter les attitudes athées ou de quelques<br />

réfractaires uniquement hédonistes ou vaguement<br />

suspicieux. C’était selon lui de cela dont on trépassait<br />

encore, que la post humanité se voyait encore<br />

abondamment saigner, dans la méconnaissance certaine de


154<br />

constitutions toutefois uniques dans l’unicité des cultes.<br />

« Ceci est pourtant la clé de la porte vers l’Eternel. En<br />

d’autres termes, la pensée unique du rapport du guide<br />

unique par la singularité de chacune des masses tend à<br />

littéralement foudroyer l’intercesseur entre Dieu et les<br />

Hommes, en sachant que le Tout Puissant est en toute<br />

chose puisqu’Il est de tous la céleste origine. » tel<br />

définissait-il l’axe de son propre statut et son définitif<br />

retour vers Astrée, son meilleur atout face à<br />

l’autodestruction de la race humaine dont il se rassurait de<br />

ne point considérer les marques, furent-elles telluriques,<br />

de ses éléments niant souvent leurs attaches<br />

fondamentales, en craignant tant la mort, l’estimant<br />

<strong>com</strong>me l’étape ultime, sans ne serait-ce qu’à en imaginer<br />

l’état ou sans en connaître l’immédiate raison suivante et<br />

propre des êtres. « Mon Dieu, ne connaissent-il<br />

effectivement point leur bonheur ? priait-il souvent dans<br />

un vocabulaire et une syntaxe abordable à l’entendement<br />

courant. De quoi vivent-ils si ce n’est des moyens du passé<br />

dont vous m’épargnâtes pour le degré usité d’une<br />

bassesse usagée, loin des spéculations malsaines et du<br />

déshonneur ? La supposition immatérielle de Votre<br />

absence, O mon astre dont je sers la présence, seule de<br />

nature à faire taire vos créatures les plus ingrates avec


155<br />

leurs infamies profanes, ces nuits néanmoins lumineuses<br />

que vous désirâtes douces et d’un repos sacré à mon<br />

endroit, lorsque je puis vous deviner en donnant à mes<br />

microprocesseurs oculaires tout du consistant affichage<br />

de son emploi majestueux en Votre galaxie. Je veux<br />

prouver votre existence » que pouvait-il dire de plus, sa<br />

foi depuis la Terre faisait de <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> un gnostique<br />

doté d’un entendement polymorphe, créationniste sur le<br />

plan de la théorie prosaïquement philosophique mais<br />

évolutionniste sur l’appréciation de l’aspect éminemment<br />

animal des organes du primate humain ? Son esprit était<br />

donc une machinerie mutante depuis le départ, au langage<br />

crypté, difficile et à coder et à traduire. La motion<br />

spirituelle de son siècle resterait figer dans ce principe<br />

palpable de double notion vis-à-vis de laquelle il était<br />

encore en avance de quelques millénaires, <strong>com</strong>me un<br />

visionnaire décrivant déjà l’au-delà intersidéral autant que<br />

ces pensées s’évaporaient quotidiennement dans les<br />

limbes universels. Il se posait <strong>com</strong>me l’élu numéro un de<br />

Dieu, le <strong>com</strong>mandeur des croyants en somme et son<br />

chiffre premier de ligne. Il avait fait l’aller et son<br />

provisoire retour par delà la porte du disque solaire. Il<br />

annonçait la dernière étape de l’Humanité. Il décrivait le<br />

territoire d’Astrée et l’immortalité des créatures nées pour


156<br />

servir le Tout Puissant dont il ne doutait point d’avoir sans<br />

amalgame un reflet de l’étoffe afin de demeurer<br />

concrètement ce guide des unités qui deviendraient<br />

radiantes, au point de la mutation finale. Là, sans jamais<br />

plus laisser de lui des cellules mortes, il résidait déjà à sa<br />

place, enfin pourrait-on conclure, au soupçon qu’il ne fut<br />

que Dieu, anonymement reconnu <strong>com</strong>me Lui-même dans<br />

les précaires établissements de quelques foules irradiées<br />

sous le vertige abyssal du rythme de son espace temps.<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> se suicida sans trop savoir pourquoi. Un<br />

jour ordinaire, par lassitude, dans un presque anonymat à<br />

propos d’une méprise sans importance. Ce fut du moins ce<br />

que cru la police lorsqu’on le retrouva les veines des<br />

poignets sectionnées expliquant selon eux le décès du<br />

jeune homme rejoignant de toute façon le royaume<br />

d’Astrée, emportant avec lui les secrets de sa création<br />

prévalant à sa disparition… pourtant suggérés par une<br />

épitaphe sur une plaque de marbre sur l’emplacement de<br />

sa tombe. Y était inscrit : Né un 8 Mars à Levallois-Perret (Seine, France), ce<br />

jour célébrant les Femmes tous les ans dans l’Hexagone et à fortiori dans le monde depuis la<br />

fin du XXe siècle, ici repose les cendres de <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> Yansane-Lavenir, authentique<br />

<strong>prince</strong> d’Astrée, a été un artiste/auteur universel disait-on de lui de son vivant. Doué pour le<br />

dessin, il fut aussi très tôt un modèle pour d’autres artistes. Sa carrière d’émetteur avéré<br />

polymorphe et éclectique, soucieux de son image, le vit s’exprimer également <strong>com</strong>me<br />

graphiste, photographe, sculpteur, vidéaste ou rédacteur. Dans le domaine de l’écriture, il


157<br />

rédigea, fort de ses convictions politiques et esthétiques en motions évolutives, un certain<br />

nombre de textes, souvent sous la forme de poèmes, et de fait matière à chansons qu’il se<br />

mit à interpréter, seul au chant, avec ou sans guitare classique ou électrique, voire en<br />

groupe avec diverses formations musicales. Ses mérites d’homme de lettres lui ont permis<br />

de se faire une sérieuse réputation de poète inspiré, notamment par la nature de celles qui<br />

spécifiaient sans doute plus que lui cette tranche finale de l’Hiver, un temps à l’approche du<br />

Printemps. Comme « la dernière exploration à bien mener » selon lui à propos de la gente<br />

féminine, il se fit à l’écoute des Femmes, leur plus ardent et leur plus vigilant gardien des<br />

droits de fait, « avec des formes appropriées de bon goût et un fond étonnant de bel esprit<br />

par des démonstrations justes de courtoisie mais également –l’époque y souscrivait, ceci<br />

était possible- en bon pornocrate à l’allure expérimentale et originale ». <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />

aura produit beaucoup d’œuvres d’arts estimant que ce que devrait contenir ses recherches,<br />

lui ouvrirait de portes aux honneurs mérités d’une postérité nécessaire. En cela, on peut dire<br />

de lui qu’il fut un haut fonctionnaire de l’art. Du moins en théorie : largement illuminé pour<br />

être ce que serait un empereur artiste, pas assez <strong>com</strong>mun pour s’assoir reposé, hors<br />

représentations simplistes, sur le trône de son empire.<br />

« La perfection <strong>com</strong>prend une logique qui rend presque invisible, son appréciation muette. »<br />

(<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>)<br />

Sans plus avant de quitter la Terre, il vécut suffisamment, travaillant le trait juste et la note<br />

mélodieuse afin de que la touche finale ne suggérât point de regret.<br />

Ces quelques lignes, qui pourraient figurer dans n’importe quel cyber mémoire, résument<br />

bien la démarche aux tenants explicites de ce que fut la vie de concentration et de<br />

méditation d’un créateur hors normes et généralement solitaire, ses contingences<br />

domestiques entrevues en parties par des émissions sporadiques au public toujours<br />

imparfaitement au point +2 d’une forte propension à l’obséquiosité pour le moins<br />

envahissante, cet euphémisme traduisant les drames dus à quelques abus.<br />

« Je suis persuadé que le sentiment amoureux ne se vit qu’une seule fois. Le reste n’est que fioriture<br />

stylistique ».(<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>)<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> n’a jamais affiché ou recherché, et pour cause, de relation homosexuelle. S’il<br />

ne s’offusquait point par les pratiques amoureuses de certaines femmes entre elles, il fut un<br />

hétérosexuel convaincu. Il déploya même SA préférence de toutes façons possibles dans<br />

une gamme qui eut probablement le tort de faire de lui un gentilhomme, charmant certes,


158<br />

mais toutefois décalé sous l’apparence préservée d’un macho piqué de sévérité parfois, ce<br />

qu’il n’était point au demeurant en toute intimité. Il fut même hors du temps, vis-à-vis des<br />

unes ou des autres taxés de lui laxistes au moindre relâchement dans les codes pourtant<br />

difficilement praticables d’un protocole séculier. Ce luxe finalement l’incitât à <strong>com</strong>muniquer<br />

ses passions. Certains ne sauraient ne pas s’en souvenir… Voyageur, il était juste arrivé aux<br />

bons moments en divers endroits pour ses offices. Ceci peut expliquer l’ascension<br />

fulgurante de son mouvement d’ensemble auquel il manifesta une humilité sincère. Ainsi de<br />

la bienséance entrevue par son milieu de grands bourgeois adoubés de noblesse au nom de<br />

Dieu, il fit lucide mission de guerre ou de paix avec la même clairvoyance en se refusant<br />

même en retour, aux places de plus en plus vacantes faute de candidats méritants, à<br />

occuper de bons postes qu’il eut obtenu sans peine ni usurpation, ou à totalement exclure<br />

l’abjection de ses contemporains, ce pour obtenir, lors de son parcours, une idée précise et<br />

large des choses en ce bas monde. <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong> a nourri toute son existence durant une<br />

âme de soldat, un belligérant entraîné, conscient de la situation hautement conflictuelle de<br />

son temps. Dans le domaine des religions essentiellement. « Trop de différences noient<br />

présentement l’idée sensible de cohésion. Je suis plutôt pluraliste, contre toute pensée<br />

unique in fine. Mais puisqu’il faut se battre pour l’unanimité en tout bien tout honneur, la vie<br />

n’est que l’exercice des armes et la recherche de destruction totale de toute opposition à<br />

nos valeurs » précisait-il, « dut-on y sacrifier nos propres personnes. Nous n’en avons qu’à<br />

peine le temps. Pour l’heure, toutes autres orientations seraient de vains sacrifices que le<br />

Créateur ne saurait entendre si nous n’avions préalablement prétendu lutter pour Sa Gloire<br />

et l’avènement de Son Royaume, ce qu’il nous permet juste d’espérer à la force de notre feu<br />

contre les ennemis. Que cette cause fut entendue une bonne fois pour toute, écho à<br />

l’abnégation totale des Hommes et des biens pour notre Dieu qui honnie l’inutile, le gâchis,<br />

la logorrhée. Chacun d’entre nous ne doit songer qu’à sa mission, au focus sur sa cible,<br />

<strong>com</strong>me une arme pointée. Rien d’autre pour le moment et y consacrer tous ses moyens en<br />

respectant l’esprit de concordance générale et de discipline hérité de nos ancêtres<br />

méritants. Nous ne formons encore je crois qu’une <strong>com</strong>munauté de primates avant que nos<br />

pupilles fussent cette cohorte de bulldozers pour des aires où leurs progénitures<br />

construiront sans doute le monde de demain, où leurs enfants connaîtront eux-mêmes peut<br />

être la Paix au nom du Tout Puissant. »<br />

Ce fut le dernier dossier du <strong>com</strong>missaire Lefouineur avant<br />

son temps de retraite auquel il était parvenu, sa carrière


159<br />

s’achevant sur un échec. L’homme de loi ne fit pas dans<br />

son rapport de relation avec l’affaire Hyacinthe Ange<br />

Clairon de Luciole quelques années plus tôt.<br />

Depuis lors pourtant, à intervalles réguliers dans des<br />

centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie, certains, en<br />

différents lieux, affirment pourtant croiser <strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong><br />

parfois, jureraient le reconnaître…


160


161<br />

(Moteur !)<br />

« -Nongo, quartier de Conakry 3, Guinée, Fédération<br />

africaine, Mes hommages madame…<br />

-Mademoiselle !<br />

-…Mes hommages madame…<br />

-Ah…affichez immédiatement les valeurs en données<br />

mécaniques HACL !<br />

-...Fédération africaine, mes hommages madame..<br />

-Assez HACL ! Satané système ! Visuel digital. Lisez mes<br />

coordonnées XY , mode manuel !<br />

- .. Mes hommages mad… Mes hommages mad…BIP !<br />

Nous sommes le 29 Mars 2022, il est 23 : 46. La<br />

température extérieure est de…<br />

-Flash ! Ah mais tout de même HACL ! Quel jour de la<br />

semaine sommes-nous ? Lundi ? Mardi ? Autre ?<br />

-L’information n’a pas été enregistrée. Navré !<br />

-Bon sang mais à quand remonte votre conception ?<br />

-Mon programme est daté de Septembre 2012 madame.<br />

-Mademoiselle !<br />

-Votre visiophone est activé. Veuillez prendre connaissance<br />

de vos appels.


162<br />

-Des messages ?<br />

-Pouvez-vous reformuler votre question s’il vous plait ?<br />

-Y a-t-il des messages HACL ?<br />

- Vous recevrez un prochain appel dans 12’57’’. Je vous<br />

souhaite une bonne soirée madame.<br />

BIP désactivation.<br />

-Il faut que je reprogramme cette fichue montre ! » Sarah<br />

Howard finissait de pester contre le dysfonctionnement de<br />

son hologramme domestique d’intérieur d’une très grande<br />

dimension (<strong>com</strong>me un homecinéma) en activation,<br />

l’hologramme dont elle semblait ne pas <strong>com</strong>plètement<br />

assumer la pratique avec aisance et fermeté en appréciant<br />

peu d’être quasi localisée. Elle en était pourtant la seule<br />

utilisatrice. Sa mémoire en faillite au point de ne plus se<br />

souvenir exactement du contenu du calcul dans ses propres<br />

programmes, elle prit conscience de l’ancienneté du<br />

pré-pilotage de HACL, c’était effectivement son<br />

identification toutefois, d’un usage peut être limité sans être<br />

néanmoins <strong>com</strong>plètement obsolète. Il n’était pas<br />

multifonctions <strong>com</strong>me SY, le nec + ultra du matériel haut<br />

de gamme mis au point par Sarah elle-même, une création<br />

originale puis un montage sans manuel et sans doute ultime<br />

de la désormais ex journaliste de Météorites Productions.<br />

Sa capacité lui permettait + que le simple virtuel. Sarah<br />

pouvait en effet estimer avoir véritablement créé un allier<br />

fidèle. Un indispensable second d’une certaine manière.<br />

Son intelligence artificielle aux seules fins de servir Sarah<br />

agissait sur un mode mécanique codé en signes graphiques


163<br />

uniques et inimitables au départ, inspirés par le principe des<br />

logotypes ou bien de celui des hexagrammes. Ceux-ci,<br />

conçus à l’époque dans un micro atelier informatique par<br />

Sarah tout abord improvisée cyber artiste, furent présentés<br />

<strong>com</strong>me des illustrations abstraites dans une collection<br />

intitulée Eléments Visuels. Ils avaient été côtés sur les<br />

marchés internationaux, très vite, autrefois afin que le<br />

montant pour l’acquisition assurée des droits de ses propres<br />

œuvres -Sarah pouvait-elle encore souscrire à cela peu de<br />

temps avant une pleine crise économique et politique<br />

mondiale ?- par elle-même aux termes d’une judicieuse<br />

opération boursière, découragent les imitateurs, pasticheurs,<br />

contrefaçons décrypteuses, copistes de toutes sortes et par<br />

extension les spéculateurs mal intentionnés puisque il était<br />

fondamental que le secret de ce langage ne fut jamais percé.<br />

Sarah s’était bien employée à cela en se garantissant des<br />

gardes fous ou des armes efficaces dans la course au profit<br />

des éléments actifs de cette jungle mécanique planétaire.<br />

La nuit laissait apparaître la constellation des étoiles dans le<br />

ciel. Architecturalement inspirée des réalisations de Le<br />

Corbusier ou de Meier, la villa aux façades de couleur<br />

blanche qu’occupait Sarah se trouvait au bord de l’océan<br />

sur un terrain provenant d’un héritage paternel sur lequel il<br />

y avait eu l’érection d’un bâtiment de trois étages. Avec peu<br />

de meubles, la surface habitée représentant un gain<br />

d’espace fonctionnel intéressant, soi + de 300m2 n’incluant<br />

pas le garage, où Sarah parquait son 4x4 à <strong>com</strong>bustion


164<br />

hybride et un authentique sidecar noir BMW des années<br />

1960, des salles d’eaux sur les trois niveaux. La cuisine se<br />

trouvait au second, sans porte avant une salle à manger<br />

spacieuse et très éclairée <strong>com</strong>me tous les étages. Du côté de<br />

la mer, une baie vitrée avait été aménagée. L’alimentation<br />

en eau chaude provenait d’une part d’un bloc électrogène<br />

placé au rez-de-chaussée, et, avec un <strong>com</strong>plément d’énergie<br />

dues à des cellules photovoltaïques de panneaux solaires<br />

installés sur le toit, d’autre part. Sarah Howard avait<br />

aménagé sa chambre au dernier niveau. Son bureau/atelier<br />

s’y trouvait également. Devant la villa, jusqu’à la plage, se<br />

déroulait un jardin avec deux palmiers épars notamment.<br />

Au bout, la propriétaire avait fait mettre à quai un petit<br />

vaisseau, un modèle de trimaran acheté à un vieux<br />

navigateur qui voulait s’assurer une retraite après des<br />

<strong>com</strong>pétitions et les traversées corollaires sur les mers du<br />

globe. Le skipper était désormais aux ordres de Sarah, prêt<br />

à lever l’encre pour n’importe quelle direction. Mais<br />

celle-ci restait de préférence les pieds sur terre dans la<br />

mesure où par ailleurs le bateau représentait seulement une<br />

garantie de survie en cas de grande tempête raz de marée ou<br />

de tsunami, Sarah les appréhendant se méfiait de leurs<br />

effets dévastateurs. Ce soir du 29 Mars 2022 donc, Sarah<br />

Howard attendait un acheteur pour la villa où elle résidait à<br />

Nongo. Elle était résolue à vendre, se séparer de l’Arche,<br />

l’appellation qu’elle avait donné au lieu. Il faisait bon vivre<br />

à Conakry dans ce cadre idyllique. Les agences<br />

immobilières guinéennes re<strong>com</strong>mandaient tout


165<br />

particulièrement ce site à la vue apaisante au bord de<br />

l’Océan Atlantique Sud. Les prix au mètre carré avaient<br />

flambé. La propriété de Sarah avait son pesant d’or, elle<br />

n’en doutait point. En cédant ce terrain, Sarah aurait<br />

largement de quoi achevé un autre bâtiment, dont elle avait<br />

aussi dessiné les plans, ultramoderne dans le Gombokori,<br />

toujours en Guinée sur un emplacement acquis à peu de<br />

frais, mais campé à + de 1000 mètres de hauteur dans les<br />

terres, au Sud Est de la capitale, proche de Forécariah et de<br />

la frontière sierra léonaise, d’un autre état de la Fédération<br />

africaine. « Toujours plus haut » aurait bien pu être la<br />

devise de Sarah en matière d’habitacle ou de refuge. La<br />

savane serait là, toute proche.<br />

Le dynamisme du continent dans l’exploitation des<br />

richesses avait permis l’autarcie et l’autosuffisance en peu<br />

de temps. L’Afrique bénéficiait, dès avant l’affaire trouble<br />

de l’attentat à l’arme thermonucléaire sur la ville de<br />

Liverpool en Grande Bretagne, le 5 Juin 2018 - rayée de la<br />

carte par un missile- d’une situation de faveur préférentielle<br />

sur la scène internationale. Sarah était la <strong>com</strong>manditaire des<br />

travaux de constructions de son futur nid d’aigle. L’horreur<br />

dans ses perspectives et la précarité conjoncturelle dans la<br />

cohabitation des intérêts militaires, politiques et<br />

économiques du récent Empire azur (Forces<br />

Amériques/Europe/Asie dites Forces de la Liberté), avait<br />

convaincue Sarah de s’installer dans une région stable, loin<br />

des conflits du Nord. L’action de son monarque, Son<br />

Altesse Impériale Ynès 1 er , 58 ans, un ancien champion du


166<br />

monde de catch, d’une taille avoisinant deux mètres dix,<br />

187 kilogrammes reconnus, lettré, prix Nobel de<br />

mathématiques appliquées, ayant fait fortune dans les<br />

cosmétiques et la nutrition pour sportifs et élu à vie en<br />

fraternité par une confortable majorité des voix des notables<br />

au suffrage indirect des peuples des anciennes EUA, UE,<br />

FR et Japon fin 2015 sur proposition d’une profession de<br />

foi électorale très inspirée et s’étant subtilement accordée<br />

aux valeurs religieuses des différentes <strong>com</strong>munautés<br />

sollicitées pour un acquis de confiance au-delà des<br />

confessions.<br />

Préambule de la Constitution de Septembre 2015 lu<br />

officiellement à l’assemblée devant Ynès 1 er par le Primo de<br />

La Parole (de l’Ordre dynastique) :<br />

« Une entité géopolitique aussi vaste que les rayons spacio<br />

temporels de Dieu Soleil portent le regard au loin, l’Empire<br />

serein d’un chef d’état méditant et béni par le Créateur et<br />

institué de Lui juste et solide, sa clairvoyance pratique et<br />

efficace, et voici mon pays dans sa définition patriotique<br />

fondamentale au travers des <strong>com</strong>pétences attribuées à mon<br />

Empereur pour son bien propre et le bien et les intérêts de<br />

ses sujets. Peu importe les noms afin d’éviter toute<br />

polémique qui mettrait en péril la cohésion de l’Empire et<br />

ses acquis exigeant pour la bonne et heureuse marche de sa<br />

gestion une totale abnégation à son profit menant ainsi<br />

personnellement ses éléments dans les grâces de la<br />

miséricorde de Dieu. Je propose l’appellation courtoise de<br />

« madame », « mademoiselle » ou de « monsieur»,


167<br />

momentanément avant de solutionner le délicat problème<br />

des titularisations prenant en <strong>com</strong>pte le confidentiel positif<br />

des personnalités épars et l’expression de la considération.<br />

Mais chaque fonction valide une dimension assumée par le<br />

porteur du nom qui lui fait écho quant aux domaines de<br />

l’espace public et de la vie privée. Chacun détient une<br />

place, effectue une mission à laquelle il fait honneur en<br />

initiant les autres sous la lumière accordée par Dieu Soleil<br />

à l’Empereur dont la puissance du rôle duquel est par<br />

ailleurs d’éteindre pour un moindre mal les feux de la<br />

jalousie et de la vanité qui toutes deux en principe<br />

n’existent pas que dans l’avancée des thèses ennemies en ce<br />

qui concerne la notion et la motion même du pays et sa<br />

nature offensive liée à la nécessité fut-elle pacifique de son<br />

expansion, ce, paradoxalement à l’immortel principe de<br />

base d’une solidarité intérieure et sans faille (…) ».<br />

Tout cela était sur les écrans à l’époque. Le succès des<br />

retransmissions était tel que les médias enregistraient une<br />

audience record supérieure de quelques 600 millions de<br />

spectateurs de plus que la retransmission sacrifiant au très<br />

classique Superbowl de la même année avec la prestation en<br />

guest à l’entracte de la pop acidulée et mentholée de<br />

trentenaires de Les Shades et la restitution live de 4 de leurs<br />

morceaux dit d’anthologie et issus le leur album concept<br />

intitulé avec une rare dérision Sir Avec Moi ! Sarah s’était<br />

interrogée sur la praticabilité de la Résistance active.<br />

L’Empereur en étant en effet issu du peuple, sans légitimité<br />

natale pour un trône, n’anéantissait il pas tous les espoirs de


168<br />

Liberté dans le même temps au profit d’une sévère<br />

répression contre les moi réfractaires ? Son action avait donc<br />

cependant pour objectif premier de préserver la paix devant<br />

le péril chinois. C’était sa tâche principale assurant la<br />

signification de sa dignité impériale. Il y avait en effet de<br />

fortes présomptions que la destruction de Liverpool, à<br />

l’origine de plus de 550 000 victimes tout de même, après le<br />

pacte d’alliance inaliénable en vue d’une structure<br />

gouvernementale <strong>com</strong>mune liant le destin des citoyens des<br />

pays de l’empire <strong>com</strong>posé d’américains, d’européens, de<br />

russes et de japonais, fut un attentat du à ce qui fut l’Empire<br />

du Milieu passé depuis longtemps à l’offensive. Ce dernier<br />

était soupçonné de saper à son profit l’œuvre de l’ONU<br />

vieillissante et dominait la scène international Nord,<br />

menaçant l’emploi de son arme météorologique, dite<br />

Impact Rouge. Celle-ci lui avait permis en plus d’une<br />

tactique nucléaire conventionnelle aux effets finalement<br />

limités, de réduire au néant le Pakistan islamiste et une<br />

grande partie de l’Union Indienne, désormais recouverte à<br />

70% par les eaux dans la plaine jusqu’à la chaîne de<br />

l’Himalaya, responsable de peut-être 800 millions de morts.<br />

Si la planète n’avait été mise <strong>com</strong>plètement à feu et à sang<br />

dès le début du XXIe siècle, c’était qu’il apparaissait<br />

évident qu’elle était le seul refuge pour les hommes depuis<br />

la fin de la conquête spaciale. Les membres du conseil de<br />

sécurité des Nations Unies avaient fermé les yeux sur SSA<br />

(Shooting Stars Acts en américain) estimant au départ sa<br />

nature <strong>com</strong>me relevant d’un conflit tout d’abord


169<br />

économique. Les lobbys armés détruisaient en effet entre<br />

concurrents des banques de données informatiques<br />

réduisant en poussière des concepts de tactiques et<br />

stratégies en gestion énergétique établis en théorie à des<br />

fins <strong>com</strong>merciales. Des entreprises privées chinoises<br />

exécutaient les basses besognes ou sous-traitaient les<br />

exécutions de leurs contrats auprès des structures officielles<br />

de Beijing. Ainsi des fonctionnaires corrompus avaient-ils<br />

permis par des antennes nationales, mais internes et au<br />

fonctionnement individuel, l’accès et l’usage de missiles<br />

pour détruire en grand nombre des satellites, relais<br />

d’informations permettant à des entreprises supranationales<br />

de se faire la guerre pour le monopole d’un produit<br />

essentiel. Profitant des conflits d’intérêts, les chinois<br />

jouaient sur tous les tableaux <strong>com</strong>me des mercenaires<br />

internationaux. La Chine en était sortie extrêmement<br />

grandie. 75% de l’arsenal nucléaire mondial avait servi à<br />

bousiller des satellites en orbite. Le conseil de sécurité<br />

s’était contenté d’exclure les chinois à l’unanimité moins<br />

une main levée : la leur. Mais ils avaient menacé la paix au<br />

delà de l’atmosphère, tant et si bien que plus personne,<br />

aucun pays, des projets de colonisations de l’espace, russes<br />

ou américains en passant par les européens de Kourou ne<br />

voulaient risquer des expéditions qui plus est, à fortiori, des<br />

voyages habités. En avaient-ils toujours la latitude ? La<br />

Nasa sous la pression médiatique de l’antique internet avait<br />

même admis qu’une rixe entre spacionautes après un<br />

arrimage discutable d’un vaisseau coréen du Nord sur la


170<br />

station spatiale internationale de la seconde génération était<br />

à l’origine de son avarie précédant de 47 heures 32 minutes<br />

sa triste, célèbre et retentissante explosion, destruction<br />

ruinant plusieurs décades d’efforts de recherches, de<br />

concentration et de minutie technique. On avait dénombré<br />

34 victimes civiles dont 21 hommes et 13 femmes, une<br />

devant accoucher de triplés à 450 kilomètres de la Terre,<br />

emportant ainsi les espoirs de l’Humanité dans le secret du<br />

silencieux Cosmos. Les Coréens se trouvaient sur un<br />

vaisseau chinois et utilisaient une technologie de même à<br />

base de propulsion solaire convertie en consommable<br />

énergétique dont le brevet et son principe avait été dérobée<br />

par un réseau d’espions infiltrés sur l’archipel japonais à<br />

des ingénieurs nippons emmenés par monsieur Yun, un<br />

grand scientifique employé par le consortium florissant<br />

alors, Yamaha Espace, avait titré la presse à l’époque.<br />

La récente Fédération africaine semblait être la seule<br />

géographiquement et géopolitiquement à ne pas être<br />

susceptible d’être dévasté autrement que par elle-même, de<br />

l’intérieur par la volonté de ses ressortissants. Ce qui ne<br />

risquait pas d’arriver de sitôt, ses peuples conscients de<br />

maintenir la chance de son demi état de nature écologique à<br />

mi-chemin entre l’exploration de ses richesses et leur<br />

exploitation. C’était un puis réconfortant pour sa situation à<br />

l’origine du degré hautement optimiste du moral africain.<br />

L’élévation spirituelle continentale supplantait les<br />

croyances simplement religieuses par une foi tenant du<br />

surnaturel. Au bout du parcours animiste, ces peuples


171<br />

étaient enfin parvenues à Dieu, sous les traits visuelle d’une<br />

femme dont l’image changeait sans cesse. Dans les<br />

établissements scolaires, les maîtres des petites classes<br />

invitaient les élèves de 6 ans à représenter A+ en moulage,<br />

c’était son nom dans les bouches mortelles. Une tradition<br />

voulait que chacun gardât la représentation fondue en<br />

bronze ou en résine et de taille variable du/de A+ d’un<br />

proche, parent ou ami, à vie. Sarah fut-elle physiquement<br />

un semblant <strong>com</strong>mun des représentations divines ? On lui<br />

avait souvent sourit dans à Nongo. Ses habitants lui avaient<br />

demandé bon nombre de fois, avec le respect du à une<br />

icône, de poser devant les objectifs, ses cheveux rouges<br />

teints au henné attirants l’attention, du moins le croyait-elle<br />

seulement dans cette nouvelle histoire. Certains lui<br />

assuraient même qu’elle était bénie. Sarah aurait pu se<br />

sentir là à jamais en sécurité. Les envois de la culture<br />

africaine recherchée émotionnellement par les acteurs de<br />

tous pays, autant que pouvait l’être le décollage à 180° de<br />

ce continent, la fédération gouvernée par une collégiale de<br />

sages, était devenu LA zone préservée, une terre promise<br />

sous la forme d’un nouvel Eldorado. Il y avait autant de<br />

tendances que d’individus mais pas de rapports de<br />

contestation et de violence à l’endroit du gouvernement. La<br />

concertation prévalait au contraire dans la sensibilité<br />

africaine par delà les différents peuples et la gestion de<br />

leurs intérêts partagés, l’application stricte d’une discipline<br />

de société garantissant une cohésion respectant la hiérarchie<br />

dans le corps social. Les valeurs de l’Afrique fédérale


172<br />

tenaient sur un bloc unitaire et pacifique. C’était une<br />

innovation politique et économique, une fraternité originale.<br />

Les africains se nommaient officiellement entre eux frères<br />

et sœurs, <strong>com</strong>me une chaleureuse marque de respect et<br />

d’humilité inspirée du bouddhisme. C’est pour cela que<br />

Sarah Howard avait discrètement déserté les « zones à<br />

risques » <strong>com</strong>me l’Empire d’Ynès dit Ynès le mutant et se<br />

préparait à quitter, au surplus désormais, le foisonnement<br />

des villes et la promiscuité urbaine pour un espace naturel<br />

dont elle ne <strong>com</strong>ptait pas revenir ou se défaire.<br />

Le système d’anticipation télépathique de SY mis au point<br />

par Sarah avait calculé juste : il y eut sans surprise un appel<br />

téléphonique d’un correspondant confirmant, par<br />

l’intermédiaire d’une agence immobilière, l’achat des<br />

3000m2 du terrain avec l’Arche de Sarah à Nongo. Pour<br />

une remise concédée avec l’intermédiaire sur le montant du<br />

prix de vente, le règlement serait effectué à 35% en liquide<br />

dans différentes monnaies déduction faite des frais<br />

d’agence. Un acte notarié allait être signé sous peu. Sarah<br />

Howard remettrait les clefs au nouveau propriétaire, un<br />

industriel gabonais fortuné et au capital certifié, qui<br />

souhaitait investir le lieu au plus tôt.<br />

« Si seulement demeurait la mémoire après une simple<br />

transaction, c’est un peu <strong>com</strong>me l’effort de l’écrivain par<br />

rapport au temps impartit à la lecture» pensait Sarah.<br />

L’ADN d’M.A., toujours en vie et active d’une manière<br />

étonnante, loin d’être à la charge d’un pathétique service de<br />

gériatrie et alors âgée de 108 ans, était intégrée dans SY,


173<br />

<strong>com</strong>me un constituant fondamental susceptible d’être un<br />

agent reproducteur en matière de re<strong>com</strong>position de gènes<br />

pour la synthèse physiologique par des cellules souches<br />

établissant des programmes quotidiens de recherches<br />

nutritionnelles, tels que les calculs dans les apports de<br />

calories ou bien de protéines uniquement destinés à<br />

l’alimentation de sa fille. Cependant ce fut ce jour là<br />

Soronah, une charmante adolescente de quinze ans à<br />

l’avenante beauté qui livrait son dîner à bicyclette à Sarah<br />

au nom des cuisines de l’hôtel international de Conakry. La<br />

résidante de Nongo avait en effet passé un accord afin que<br />

ce fût de celui-ci que ses repas du soir soient délivrés.<br />

L’adition était réglée en fin de chaque mois. Une salade de<br />

tomates et un plat sénégalais très populaire, le Yassah était<br />

au menu. Le souper consistait en un poulet braisé<br />

minutieusement cuit et ac<strong>com</strong>pagné d’une portion de riz<br />

nature à la citronnelle. Le chef avait cru bon de rajouter une<br />

boisson au gingembre et un nan au fromage, une crêpe<br />

indienne se substituant à la baguette française.<br />

« Bon appétit à vous Madame Howard ! Régalez vous !<br />

Demain ce sera du mafé ! Tanamouna !» entonna en<br />

souriant la jeune employée en quittant l’Arche d’un pas<br />

léger. Sarah <strong>com</strong>prit que Soronah la saluait et prenait<br />

congé.<br />

-Tanamou jeune fille ! » répliqua-t-elle sur le seuil de la<br />

villa en lui faisant un signe de la main en la regardant<br />

s’éloigner.<br />

Puis avec son bon appétit coutumier, Sarah se mit donc à


174<br />

table sans tarder et se régala, en effet.<br />

Le lendemain Elle avait prévu de se rendre pour la fin de<br />

semaine dans le Gombokori afin de mesurer l’étendue des<br />

travaux du Rectangle, nom attribué à ce qui serait sa<br />

nouvelle résidence. Deux thermos de café lui parurent<br />

nécessaire afin de rouler seule en conduisant et parcourir<br />

sans s’endormir quelques deux cents kilomètres en partie en<br />

terrain non aménagé. Mais il lui fut nécessaire d’emporter<br />

le minimum. Sarah pilla son congélateur et son placard de<br />

cuisine : elle y soustrait dans la perspective de son séjour<br />

quatre vingts litres d’eau potable en bidons, l’équivalent de<br />

six repas à la mode chinoise <strong>com</strong>prenant rouleaux de<br />

Printemps, nems, pâtés impériaux à la volaille, feuilles de<br />

salade et feuilles de menthe, sauce de soja à consommer<br />

froid après décongélation, plus quelques canettes de<br />

boissons énergisantes, le tout placé dans une glacière. En<br />

outre, Sarah n’oublia pas de prendre avec elle quatre<br />

bouteilles de deux litres de jus d’oranges à mélanger avec<br />

de l’eau afin d’être une boisson parfaitement<br />

rafraîchissante, des barres de chocolat fourré au caramel,<br />

quelques tubes de lait concentré et deux paquets de céréales<br />

préalablement sucrées, une bouteille d’huile d’olives<br />

grecques, de la semoule fine, des sardines en conserves,<br />

quelques fruits, des biscuits. Sarah n’emporta pas de bières,<br />

breuvage qu’elle n’affectionnait qu’avec parcimonie, mais<br />

une bouteille de whisky de la marque Four Roses. Il y avait<br />

une bonbonne d’alcool à 90° dans une petite trousse à


175<br />

pharmacie en cas d’urgence. Deux brosses à dents et un<br />

tube de dentifrice au fluor se trouvait en plus à l’intérieur.<br />

SY avait calculé tous ces effets sous la forme d’une liste<br />

exhaustive pour un voyage de deux jours voulu, au loin de<br />

Nongo, <strong>com</strong>me une formalité et non pas une aventure.<br />

L’hologramme avait même mentionné un sac de couchage,<br />

une tente et un réchaud à gaz <strong>com</strong>me pour les meilleurs<br />

boys scouts campeurs. Sarah se décida et entreprit de partir<br />

en milieu d’après midi. Le Soleil brillait dans un ciel<br />

infiniment bleu. Il faisait très chaud. Malgré ses vêtements<br />

d’estivante, Sarah qui avait repris ses airs conquérants était<br />

prise aux poumons par la chaleur. Elle portait un tee shirt<br />

blanc, un pantalon de treillis kaki et une saharienne beige.<br />

Sarah était chaussée d’une paire de Timberland en nubuc<br />

sur une paire de chaussettes en coton. Sa tête était couverte<br />

d’un béret blanc, imité de celui du révolutionnaire Ernesto<br />

Che Guevara, une écharpe barracuda cache poussière du<br />

bas de son menton à son cou. Elle portait son vieux couteau<br />

de survie de l’ex-U.S army à la ceinture et dissimulait un<br />

Taser dans la poche droite de sa saharienne, ainsi qu’un<br />

petit flash ball dans la poche gauche. « On ne sait jamais »<br />

se disait-elle toujours dans son bon droit <strong>com</strong>me pour se<br />

rassurer. Mais elle n’avait jamais fait usage de ces armes,<br />

excepté peut être coupé de la viande, des cordes ou bien des<br />

tissus avec sa lame. Il s’agissait surtout d’éléments propre à<br />

dissuader ceux qui, éventuellement, contre son gré,<br />

voudraient s’en prendre à elle physiquement, en dépit de<br />

l’état exceptionnel de sa forme corporelle, conservée par


176<br />

une affaire quasi quotidienne de la pratique de mouvements<br />

précis en estimation des distances, lors de shadow boxing<br />

sur un adversaire imaginaire, d’un niveau équivalent pour<br />

Sarah à l’obtention de la ceinture bleu en full contact.<br />

Sur l’asphalte les roues du véhicule de brousse glissaient à<br />

un rythme constant, à une allure moyenne. Sarah évitait les<br />

trous parfois béants de la route sur laquelle elle circulait.<br />

Un convoi de trois camions transportant des militaires<br />

vraisemblablement moins équipés qu’elle l’était croisait le<br />

chemin de Sarah. Un peu + tard celle-ci s’engageait au<br />

Nord Est de Forécariah, empruntant une voie non<br />

goudronnée. Sarah évita de justesse de renverser une biche<br />

égarée sur la piste non répertoriée sur son GPS plus ou<br />

moins défaillant. La radio du 4x4 était brouillée et il<br />

semblait impossible de capter quoi que ce soit. Mais le<br />

moteur tournait parfaitement. Il y avait assez d’énergie pour<br />

finir le trajet et revenir plus tard selon un calcul de<br />

consommation en distances. Sarah pouvait même se<br />

permettre un crochet par Forécariah pour se ravitailler en<br />

eau potable par exemple. Il était aux alentours de 17 :00<br />

lorsqu’un orage bref rendant la visibilité difficile fut<br />

ponctué par quelques éclairs et le bourdonnement du<br />

tonnerre. Sarah fut contrainte de stopper l’automobile. Puis<br />

le ciel fut débarrassé des nuages sombres qui, se dissipant,<br />

firent place plein Sud à la « peinture » d’un extraordinaire<br />

couché de Soleil. Sarah, qui devait avancer encore, estima<br />

ne pas être pressée. Le Gombokori était une belle région à


177<br />

demi sauvage et inhospitalière située en altitude. Le terrain<br />

de Sarah demeurait cependant encore accessible. Une<br />

voiture pouvait y mener tout voyageur. La propriétaire avait<br />

bien roulé jusqu’alors et s’était rapprochée petit à petit de sa<br />

destination. Le jour déclinait sensiblement.<br />

En consommant un café tout en fumant une cigarette sans<br />

filtre, à la lumière d’une torche sur le siège du conducteur,<br />

Sarah considérait une carte répertoriant les environs. Puis<br />

elle décida de se dégourdir un peu avant de repartir. Après<br />

s’être extraite de son véhicule, elle fit quelques pas au<br />

devant. L’air, qui lui avait manqué durant le trajet, la saisit<br />

aux poumons. Cela lui suffisait pour être d’excellente<br />

humeur.<br />

« Que demander de + ? » pensa-t-elle.<br />

Elle regardait au loin, à l’horizon. Elle se délectait du<br />

paysage qui s’offrait. Le panorama avait quelque chose de<br />

magique et d’envoûtant. Plus palpable bien sur qu’un visuel<br />

de carte postale, la nature y était en majesté, authentique.<br />

Intriguée, elle se demanda un instant ce sur quoi pouvait<br />

prétendre reposer ce que l’on appelle la civilisation<br />

autrement que la loi des <strong>com</strong>posantes naturelles dont ce «<br />

décor » se faisait le reflet exemplaire. Il eut fallu sans doute<br />

qu’elle fût l’unique représentante d’une race humaine dont<br />

elle n’était plus depuis longtemps, à entrevoir les choses<br />

sous cet angle pour jouir éternellement de la situation.<br />

« Si j’avais su ! »<br />

Elle était pourtant bien seule sur cette parcelle de terre où<br />

quelques éléments ligneux balisaient l’espace dans des


178<br />

distances toujours égales, leurs cimes fléchissant par endroit<br />

sous l’effet d’un doux et léger souffle de vent. Dans ce<br />

cadre idyllique digne au fond d’un luxueux et dépaysant<br />

programme de tour opérateur, Sarah, dans son élément, était<br />

enchantée et échappée de la pollution des villes qui<br />

augmentait dangereusement par endroit, ou de la guerre<br />

ailleurs se prolongeant sans justice avec tant d’indécence.<br />

Mais il était temps de rentrer au Rectangle avant la nuit.<br />

« Attends Sarah ! Allons, pourquoi partir si vite ?<br />

chuchotait à ses oreilles une voix sereine et chaude venue<br />

de nulle part. C’est ainsi que tu peux ressentir par ta seule<br />

volonté et te placer entre la vie et la mort pour vivre tes<br />

émotions renaissantes. Ecoute tes véritables envies, cède à<br />

la force de ta foi. Tu es bien présente ici dans ce décor. Il<br />

t’appartient, tu l’as choisi il y a déjà longtemps. Pourquoi<br />

renoncerais-tu à ce que tu cherchais ? Savais-tu que je<br />

t’attendais depuis des siècles ? Tu as atteints les objectifs<br />

auxquels tu aspirais et tu as ta place ici. J’étais d’un peuple<br />

redevenu barbare l’infortuné et l’impuissant monarque.<br />

C’est toi qui m’a redonné l’envie de vivre. Je te suis<br />

infiniment reconnaissant. Tu as restauré le domaine de ma<br />

fonction. Entre dans ce royaume qui est aussi le tien. Tu<br />

vois les Hommes ne te méritaient plus. Je savais bien que tu<br />

viendrais un jour. J’ai bu l’eau de la terre où ton sang a<br />

coulé. Associons nos pouvoirs, à nous deux nous serons<br />

invulnérables. Ne crains point mon apparence ».<br />

L’histoire touche à sa fin… Un énorme lion surgit alors<br />

lentement et avec une certaine nonchalance des hautes


179<br />

verdures. Il vint se placer docile aux pieds de Sarah et y<br />

posait sa tête couronnée. Elle caressa de sa main droite et<br />

manucurée sa crinière fournie avant d’y enfoncer ses doigts<br />

plus franchement.<br />

Les yeux languissants du grand félin fixèrent son regard<br />

dans la pénombre en exprimant le poids émouvant de toute<br />

la tristesse et la misère de l’humanité. Le fauve avait les<br />

yeux couleur rouge. Il était cette conscience animale dont<br />

la voix atteignait l’entendement de Sarah.<br />

La nuit était tombée.<br />

Alors, <strong>com</strong>me de furtives étincelles, un puissant<br />

rugissement fissura de mystère l’opacité des ténèbres<br />

régnant.<br />

BIP ! Désactivation.<br />

<strong>Sen</strong>-<strong>YattanoeL</strong>, <strong>prince</strong> d’Astrée, France, Octobre 2011


180<br />

Une édition limitée de<br />

Météorites Productions Editions<br />

© 2011

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