le miracle de sainte Thérèse - Laurent Jouvet

Le Miracle de
Sainte Thérèse
J’étais donc arrivé sur les lieux
du crime, pardon, du monastère de moniales
chartreuses où je devais donner une semaine de
cours de chant pour une pitance digne du Château
d’If au 18 e siècle.
« Laurent, avez-vous de la dévotion pour Sainte
Thérèse de l’Enfant-Jésus ? », me demanda la
Prieure tout-à-trac. Mon Dieu ! (c’est le cas de le
dire) que répondre ? La vérité (= pas du tout, c’est
complètement névrotique, son trip) ou une réponse
plus cohérente avec mon image de chef de chœur
pieu (C’est moi le pieu, pas le chœur). J’ai donc
bafouillé un « euh oui, j’aime beaucoup sa
spiritualité » sûrement pas très convaincant.
« ... parce que, figurez-vous, nous recevons cette
nuit la châsse de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus !
Elle voyage en ce moment dans le diocèse (Je n’ai
pas pu obtenir le nom de l’agence de voyage), et elle
viendra passer la nuit chez nous. Pourrez-vous
nous aider à la porter jusqu’à l’église ? »
L’objet saint provenant de Lisieux était attendu
pour 8 heures et demi, et moyennant que la Sainte
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n’avait pas communiqué la science infuse au
chauffeur, ils se perdirent et n’arrivèrent que vers 9
heures et demie, ce qui, pour l’Italie est un prodige
de ponctualité (j’en savais quelque chose, je venais
de passer par l’aéroport de Milan...).
Pendant ce temps, nous étions gentiment à
attendre devant la porte du monastère avec le
prêtre du monastère, la Prieure et la Sous-Prieure.
(Et moi). Calme soirée bercée du chant des grillons
nocturnes et des bruits des chevreuils sous la
ramure (authentique) : La table à roulettes qui
servait à transporter les sœurs défuntes trônait
devant la porte.
Au bout d’un moment, le prêtre (âgé et canné) alla
chercher une chaise et l’installa dehors, devant
l’église, ce qui rendit le tout très surréaliste.
Arriva la châsse, ou plutôt la camionnette affrétée
pour l’occasion.
Je m’attendais à un petit truc, manque de bol,
toutes informations prises, il y en avait pour 120
kilos. Mais 120 kilos de quoi ? Une belle châsse en
bois grande comme un petit cercueil et protégé par
une voûte de plexiglas. A ma demande subtile à la
secrétaire de l’Évêque pour savoir où était stockée
cette châsse en temps normal, il me fut répondu
que l’original était à Lisieux et que ceci était une
copie.
Je n’ai pas été assez salaud pour demander si le
contenu était aussi une copie...
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De toute façon, le bras est déjà exposé à la
Basilique de Lisieux, et le corps embaumé (avec les
deux bras, je les ai vus) est au carmel de Lisieux. Je
n’ai jamais compris pourquoi on n’avait jamais
mentionné cette monstruosité de la Sainte, qui ne
se voit pas sur les photos. Mais Dieu est grand, et il
y a bien 3 crânes de sainte Madeleine de par le
monde.
Qu’y avait-il donc dans la châsse ?
Le meuble en lui-même valait déjà le déplacement :
une petite basilique en bois sculpté et doré. Joli
tout plein.
Pleins de dévotions, nous transportâmes la châsse
de la camionnette à la planche à roulettes, et roule
Ginette.
Me voici donc en pleine nuit, en compagnie de deux
Moniales à pousser la châsse de Sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus dans les couloirs sombres d’un
monastère ligurien.
L’architecte avait si bien fait ce monastère, que l’on
avait l’impression de se promener dans les couloirs
d’un blockhaus de la dernière guerre.
Je savourais tout de même d’être là, dans la clôture
du monastère, où, en théorie, je n’avais rien à faire
et que je n’avais jamais vue. Si je n’y avais pas été
invité par la Prieure, j’aurais été excommunié ipso
facto, ce qui ne m’aurait pas plus troublé que ça.
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Arrivant devant la porte de l’église, hic, ça ne
passait pas ! Les poignées empêchaient la châsse
de rentrer dans l’église. Drame.
J’étais sur le point de proposer de laisser la châsse
devant la porte de l’église, où toutes les sœurs
auraient pu la voir en venant à Matines, lorsque
qu’un miracle eu lieu : la Prieure eut une idée
fulgurante - ce qui n’était pas son genre : il fallait
rentrer la chose de travers et la faire slalomer
jusqu’à ce que toutes les poignées soient passées.
Et cela a marché.
Depuis, je crois aux vertus des reliques.
Mêmes si les originaux sont ailleurs.
Arrivés dans l’église, une sœur âgée attendait la
chose avec des larmes dans les yeux.
C’est beau tout de même, d’y croire.
Écrit au monastère de D.
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