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La station catholique d'Ali-Sabieh - CEMAf

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<strong>La</strong> sttatti ion catthol li ique d’Al li i--Sabi ieh (1946--1959)..<br />

Une mi issi ion immerrgée i<br />

en pays Issa I musul lman<br />

(Rép.. De Dj ji iboutti i)..<br />

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Collection « Clio en @frique »<br />

n°° 21 –<br />

hi iiverr 2006<br />

Centre d’Étude des Mondes Africains (<strong>CEMAf</strong>) MMSH – Aix-en-Provence


1<br />

Mémoire pour le Master 2 nd niveau d’histoire.<br />

Université de Provence Aix-Marseille I.<br />

<strong>La</strong> <strong>station</strong> <strong>catholique</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong> (1946-1959)<br />

Une mission immergée en pays Issa<br />

musulman (République de Djibouti)<br />

Réalisé par Maïté Ezelin<br />

Sous la direction de Madame Colette Dubois, Professeur<br />

d’histoire contemporaine<br />

2005-2006


2<br />

INTRODUCTION<br />

L’activité missionnaire amène dès le XVI e siècle, l’Ordre des Frères mineurs capucins,<br />

communément appelé capucin, sur tous les continents du monde, du Brésil au Canada en passant<br />

par les Antilles, l’Afrique et l’Inde. L’installation de l’ordre dans la Corne de l’Afrique, n’a<br />

cependant lieu que dans le cadre de l’élan missionnaire du XIX e siècle.<br />

Mais voyons d’abord les différentes religions de la région au XIX e siècle. « Depuis<br />

plusieurs siècles coexistaient croyances animistes et religions monothéistes : le christianisme<br />

orthodoxe monophysite d’Ethiopie, lié à celui d’Egypte, l’islam qui, arrivé de l’Arabie voisine,<br />

s’est installé sur les côtes et dans certaines régions de l’intérieur, le judaïsme des Falashas » 1 .<br />

Une incursion <strong>catholique</strong> avait pourtant eu lieu au XVI e siècle et surtout au début du<br />

XVII e siècle. En effet, les Européens depuis le XII e siècle recherchaient le mythique royaume du<br />

prêtre Jean, souverain chrétien et allié potentiel contre l’islam. Le négus d’Ethiopie est identifié<br />

au XIV e siècle comme étant ce souverain tout puissant. Mais, les premiers contacts entre les deux<br />

mondes – en l’occurrence le Portugal et l’Ethiopie – révèlent assez rapidement le caractère<br />

« hérétique » de la religion du royaume du prêtre Jean selon les Européens. Le roi du Portugal,<br />

Jean III (1521-1557), décide de confier la tâche visant à ramener le négus et son peuple dans une<br />

pratique « plus orthodoxe » de la foi, à Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus<br />

(les Jésuites). On pensait alors que le négus souhaitait se soumettre à l’autorité de Rome. Ainsi<br />

entre 1555 et 1559, puis entre 1607 et 1632, le catholicisme s’établit superficiellement en<br />

Abyssinie par l’intermédiaire des missionnaires jésuites et surtout selon le bon vouloir des<br />

souverains éthiopiens. L’année 1632 marque l’expulsion d’Ethiopie des jésuites en même temps<br />

que les Portugais par le négus Frassilidès, alors que son prédécesseur était pour des raisons<br />

religieuses mais aussi politiques, attaché aux missionnaires 2 . Dès lors, ce bastion du christianisme<br />

orthodoxe monophysite devient plutôt hostile au catholicisme.<br />

<strong>La</strong> seconde période « d’expansion » <strong>catholique</strong> dans la région intervient avec le renouveau<br />

missionnaire du XIX e siècle et le grand engouement populaire pour les missions extérieures. « Du<br />

côté <strong>catholique</strong>, la foi dans la capacité civilisatrice de l’Eglise, colorée de romantisme contrerévolutionnaire,<br />

anime de nouveaux apôtres, émigrés volontaires hors d’Europe » 3 . Profitant<br />

d’une relative ouverture des frontières éthiopiennes aux <strong>catholique</strong>s, Le préfet de la Propagande 4 ,<br />

le Cardinal Franzoni, crée en 1839, la préfecture apostolique d’Abyssinie, confiée aux lazaristes.<br />

Elle est subdivisée en 1846 : la partie sud donne le vicariat apostolique des galla et est confié aux<br />

capucins, tandis que la partie septentrionale prend le nom de vicariat apostolique d’Abyssinie, en<br />

1849. Une nouvelle étape est franchie lorsque en 1884 naît la mission des Somalis d’abord créée<br />

à Obock, puis transférée dans les années 1890 à Djibouti-ville capitale de la nouvelle colonie<br />

française, la Côte Française des Somalis. Finalement, au printemps de l’année 1914, le pape Pie<br />

X, érige en préfecture apostolique, la mission somalie, dont les limites sont celles de la CFS, la<br />

rendant ainsi indépendante du vicariat des Gallas auquel elle était jusqu'alors rattachée 5 .<br />

L’aboutissement de ce long processus intervient 1957, année qui marque l’érection de la<br />

préfecture en diocèse de Djibouti directement rattaché à Rome.<br />

1<br />

C. Dubois et P. Soumille, Des chrétiens à Djibouti en terre d’Islam, Paris, Karthala, mémoires d’Eglises, 2004.<br />

2<br />

H. Pennec, Des Jésuites au royaume du prêtre Jean, Paris, Centre culturel Gulbenkian, 2003.<br />

3<br />

J. Gadille et J-F Zorn. « Le projet missionnaire », Histoire du christianisme, t.11, p.137.<br />

4<br />

<strong>La</strong> congrégation spécialisée dans la propagation de la foi parmi les « hérétiques », les « schismatiques » et les «<br />

infidèles » est créée en 1622. Elle est la première étape de la centralisation progressive de l’action missionnaire au<br />

profit de la papauté, alors largement concurrencée par les patronats espagnol et portugais.<br />

5<br />

Concernant les étapes et les modalités de pénétration du catholicisme : C. Dubois et P. Soumille, op. cit., 2004, p.<br />

35- 103.


3<br />

<strong>La</strong> Côte française des Somalis 6 , d’une superficie de 23 000 Km², est située au Sud du<br />

détroit de Bad el Manbed. Elle est comprise approximativement entre 11°30 et 12°45 de latitude<br />

Nord et 41°45 et 43°25 de longitude Est. Ce territoire est l’un des plus chauds et des moins<br />

arrosés d’Afrique. Les pluies ne tombent qu’en gros orages qui gonflent les oueds. <strong>La</strong> vie y est<br />

donc difficile pour ses habitants comme le rappelle Philippe Oberlé : « Dans une nature aussi<br />

stérile et inhospitalière, l’homme vit pourtant depuis les époques les plus reculées, luttant sans<br />

cesse pour sauvegarder son droit à l’existence, tirant avec ténacité sa maigre subsistance de cette<br />

terre ingrate à laquelle son sort est indissolublement lié. » 7 . Deux peuples de nomades se<br />

partagent le territoire : Les Afars (Danakil), répartis en sultanats dont le plus important, Aoussa,<br />

est situé en Ethiopie ; les Issas, au sud, rattachés au clan des Somali, sont divisés entre la CFS,<br />

l’Ethiopie et la Somalie. Afars, comme Issas sont musulmans. L’islam a été introduit sur les côtes<br />

africaines de la mer Rouge au Golfe d’Aden, dès le VII e siècle pour les Beja et entre la fin du IX e<br />

siècle et le XI e siècle pour les pasteurs nomades de la Côte des Somalis. Ainsi, d’implantation<br />

ancienne, l’islam a entraîné une profonde réorganisation des clans et a modelé les sociétés<br />

nomades.<br />

Par décret du 20 mai 1896, naît la colonie française des Somalis, avec comme chef-lieu<br />

Djibouti qui détrôna irrémédiablement Obock, premier pied à terre des Français dans la région.<br />

<strong>La</strong> ville de Djibouti, création ex-nihilo, devient au 20 e siècle un pôle attractif pour de nombreux<br />

éléments non originaires du territoire (des migrants arrivant de la péninsule arabique, ou des<br />

Somalies limitrophes) et connaît une explosion démographique. Il faut dire qu’elle cumule toutes<br />

les fonctions d’importance. Ville capitale, elle concentre les principaux centres de pouvoir de la<br />

CFS ; administratif (résidence du gouverneur) et militaire. C’est bien-sûr le principal pôle<br />

économique avec les infrastructures comme le port et le chemin de fer ; mais la fonction<br />

industrielle n’est pas à négliger, ce qui engendre de constants besoins de main-d’œuvre. <strong>La</strong> ville<br />

cosmopolite est ainsi devenue, dès le début de la construction du chemin de fer entre Djibouti et<br />

Addis-Abeba, en 1897, un foyer d’emplois. Elle concentre ainsi une bonne part de la population<br />

totale ainsi que la quasi-totalité des Européens du territoire. A titre d’exemple en 1948, elle<br />

représente 35,18% de la population totale 8 . Ce poids considérable contraste avec le « vide » de<br />

l’intérieur des terres, traversé par les nomades lors de leurs déplacements et où la ville y est<br />

quasiment absente. Quelques noyaux urbains existent cependant. Tadjourah, fondée bien avant<br />

Djibouti, selon certaines sources arabes vers le 12 e ou 13 e siècle en pays Afar, et qui se<br />

caractérise par sa fonction religieuse ; Obock, Dikhil et Ali-<strong>Sabieh</strong> en pays Issa. Face à<br />

l’écrasante prédominance de Djibouti, ces bourgades semblent plutôt isolées.<br />

Arrêtons nous maintenant à Ali-<strong>Sabieh</strong>. L’agglomération « est située dans une plaine<br />

pittoresque, bien que très aride. Des pitons de grès escarpés aux couleurs claires l’entourent de<br />

toutes parts.» 9 Située à une centaine de km de Djibouti, elle doit son importance relative à des<br />

conditions climatiques plus clémentes que la côte, mais surtout à sa situation de terminus en zone<br />

française du chemin de fer franco-éthiopien. D’abord, simple poste militaire au kilomètre 88 de la<br />

voie ferrée, elle devient, en 1939 le « chef lieu » du cercle administratif d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. Mais ne<br />

nous y trompons pas : il n’y a guère plus d’une cinquantaine d’Européens qui y séjournent<br />

régulièrement durant la période étudiée et un millier d’autochtones sédentaires autour des<br />

modestes bâtiments symbolisant la domination de la France sur le territoire. Elle est enfin un petit<br />

centre missionnaire depuis l’ouverture, par les Sœurs Franciscaines de Calais en 1936 d’une<br />

<strong>station</strong>.<br />

6<br />

Actuelle République de Djibouti. Durant la période étudiée, elle garde le nom de CFS (que nous utiliserons donc)<br />

puis en 1967, elle prend le nom de Territoire des Afars et des Issas (TFAI), jusqu’à l’indépendance en mai 1977.<br />

7<br />

P. Oberlé et P. Hugot, Histoire de Djibouti. Des origines à la République, Paris-Dakar, Présence africaine, 1996,<br />

p.17.<br />

8<br />

C. Dubois, Djibouti 1888-1967, héritage ou frustration, l’Harmattan, Paris,1997, p. 164. Ce poids n’a d’ailleurs fait<br />

qu’augmenter : en 1921, elle représente 12, 42% de la population totale ; en 1936, 28,15.<br />

9<br />

H. Deschamps, « la Côte française des Somalis », in H. Deschamps, M. Decary, A. Ménard, Côte des Somalis,<br />

Réunion, Inde, Paris, Berger-Levrault, 1948, p.74.


4<br />

<strong>La</strong> chronique de la <strong>station</strong>, point de départ de ce travail donne presque automatiquement<br />

les découpages dans l’espace et dans le temps indispensables à la construction de l’objet à étudier<br />

: <strong>La</strong> petite <strong>station</strong> missionnaire <strong>catholique</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong> entre décembre 1946 et mai 1959. Les<br />

limites chronologiques sont entièrement conditionnées par la source puisqu’elles correspondent<br />

aux années de début et de fin de rédaction du journal de la mission à notre disposition. Si l’année<br />

1959 n’est pas particulièrement significative, 1946 constitue une rupture dans l’histoire de la<br />

préfecture apostolique. Les frères mineurs de la Province de Toulouse jusqu’alors chargés de la<br />

mission somalie, puis de la préfecture apostolique sont relayés par les frères mineurs de la<br />

Province de Strasbourg. En avril 1946, arrive le nouveau préfet apostolique, Henri Hoffmann en<br />

remplacement de Mgr Marcellien Lucas. Son action impulse un nouvel élan missionnaire dans la<br />

colonie et en particulier à Ali-<strong>Sabieh</strong> qui très rapidement est réinvestie par les capucins de la<br />

Province de Strasbourg.<br />

<strong>La</strong> Côte Française des Somalis, l’une des anciennes colonies restées le plus longtemps<br />

dans le giron français (l’indépendance de la République de Djibouti date de 1977) connaît<br />

pourtant dès l’immédiat après-guerre des évolutions statutaire et politique importantes. Ces<br />

questions reviennent régulièrement sur la scène politique alors que s’ouvre pour toutes les<br />

colonies de l’Empire français une ère nouvelle. Avant 1945, aucune élection n’était organisée<br />

dans l’ensemble des colonies françaises, les populations autochtones n’avaient la faculté de<br />

s’exprimer que par l’intermédiaire de leurs chefs, et le pouvoir colonial était en fait absolu. Les<br />

premières Assemblées ou Conseils représentatifs, composés de membres élus, furent crées en<br />

1945. Ainsi, par décret du 9 novembre 1945 est institué le Conseil Représentatif de la Côte<br />

française des Somalis, élu pour quatre ans et composé de deux sections (membres citoyens<br />

français et membres autochtones). Mais l’introduction de ces structures politiques nouvelles, les<br />

premiers votes, bouleverse l’existence de la colonie, en attisant les rivalités entre les diverses<br />

ethnies. <strong>La</strong> tension atteint son paroxysme en 1949. Après les élections pour le Conseil de la<br />

République qui voit la victoire d’un Gadaboursi, le territoire est secoué par de sanglants<br />

affrontements entre les communautés.<br />

L’année 1956 marque une étape capitale dans l’évolution politique des Territoires avec la<br />

promulgation de la Loi-Cadre. Elle fixe le cadre d’un nouveau statut accordé aux Territoires<br />

d’Outre-Mer. Les principales innovations étaient le suffrage universel, le collège unique, la<br />

création de Conseils de Gouvernement, la distinction entre services publics d’Etat et du<br />

Territoire, l’élargissement du pouvoir délibérant des Assemblées territoriales pour l’organisation<br />

et la gestion des services territoriaux. Les dispositions prévues par le Loi-Cadre furent appliquées<br />

à la Côte française des Somalis par la promulgation de la loi du 14 avril 1957 et du décret du 22<br />

juillet 1957 portant institution d’un Conseil du Gouvernement et extensions des attributions de<br />

l’Assemblée territoriale 10 . Malgré ces innovations les faiblesses du nouveau statut apparaissent<br />

rapidement. Les responsables politiques locaux se heurtant continuellement aux limites de leur<br />

autonomie très restreinte. L’évolution, ardemment souhaitée, vers des formules plus souples, fut<br />

précipitée par l’annonce du référendum constitutionnel de septembre 1958, et l’approche de<br />

l’indépendance des Somalies italienne et anglaise, prévue pour l’année 1960. A l’issue du scrutin,<br />

, la Côte française des Somalis qui avait opté pour le « oui à la France » conserva le statut de la<br />

Loi-Cadre. Son contenu ne connu aucune modification et demeura, malgré les nombreuses<br />

démarches des représentants élus, de 1957 à 1967, la base de la vie politique locale.<br />

Il convient bien sûr de s’interroger sur la pertinence du choix de cet objet et, en fin de<br />

compte, de l’intérêt de l’étude d’une toute petite mission sur une petite période—ce qui peut<br />

paraître bien dérisoire. En clair, que peut nous apprendre l’étude de cette <strong>station</strong>, « perdue » en<br />

plein pays Issa ? Depuis les travaux pionniers de Colette Dubois et Pierre Soumille sur l’histoire<br />

des chrétiens en République de Djibouti, les activités missionnaires sont bien connues pour la<br />

grande ville, Djibouti ; sorte d’« anomalie » dans la structure générale du territoire et qui est à<br />

l’origine de rythmes de vie bien opposés (en tout cas différents) de ceux des nomades de<br />

10<br />

P. Oberlé et P. Hugot, Histoire de Djibouti. Des origines à la République, Paris-Dakar, Présence africaine, 1996, p.<br />

129.


5<br />

l’intérieur. Il faut dire que c’est sur ces quelques kilomètres carrés qu’oeuvrent la plupart des<br />

missionnaires de la préfecture apostolique et que vit l’essentiel de la communauté chrétienne de<br />

la colonie, qui n’est d’ailleurs pas très nombreuse : essentiellement des Européens (Français,<br />

Italiens, Grecs), quelques Ethiopiens et des Somalis récemment convertis et quelques <strong>catholique</strong>s<br />

syro-libanais, africains et malgaches 11 . Ainsi, le monopole de Djibouti vaut aussi pour les efforts<br />

déployés jusqu’alors par les diverses congrégations religieuses de la préfecture apostolique : les<br />

écoles religieuses, les hôpitaux dans lesquels officient les Sœurs, ou encore l’église <strong>catholique</strong> la<br />

plus importante de la colonie, l’église Jeanne d’Arc y sont installés.<br />

On voit ainsi se dégager la spécificité d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, premier centre ouvert dans l’intérieur<br />

des terres. Connaître la réalité de cette <strong>station</strong> permet de mieux appréhender l’insertion des<br />

missionnaires hors de la grande ville, dans les espaces traversés par les populations nomades, qui<br />

ont des modes de vie « plus traditionnels » pour la région. Autre intérêt de ce travail (avant tout<br />

lié à la nature de la source principale) est de voir le missionnaire dans ses activités les plus<br />

quotidiennes qui dépassent largement le cadre strictement religieux.<br />

Aux vues de ces informations, deux questions se posent : la modification du contexte —<br />

c’est-à-dire l’éloignement du centre, le rapprochement au moins géographique avec les<br />

populations nomades, ou encore l’étroitesse de l’espace dans lequel les religieux doivent<br />

évoluer— entraîne-t-elle des adaptations dans les modes d’actions missionnaires appliqués en<br />

ville ? <strong>La</strong> « délocalisation » vers l’intérieur des terres a-t-elle eu des répercussions sur la<br />

population musulmane de l’intérieur?<br />

Le présent mémoire s’inscrit à la suite de la longue historiographie missionnaire. Il y a,<br />

pour le 19 e et 20 e siècle 3 « âges » de historiographie missionnaire en France. Le premier temps<br />

est celui « de l’hagiographie ou de l’apologétique sûre d’elle-même » 12 . Les historiens français<br />

restent en général assez indifférents à la question des missions, alors que ce développait en<br />

Allemagne une puissante histoire scientifique des missions. <strong>La</strong> France reprend une place de choix<br />

parmi les pays pionniers, dans les années 1925-1939, avec l’œuvre de Georges Goyau, créateur<br />

en France d’une histoire missionnaire à caractère scientifique 13 . Son œuvre est aujourd’hui<br />

critiquée (par les auteurs du 3 e temps de l’historiographie missionnaire) même si Jacques Gadille<br />

insiste sur le fait que des aspects de l’histoire Goyau « seraient dignes d’être retenus » 14 : « On<br />

mesure toute la distance qui sépare les conceptions de Goyau des tendances de l’historiographie<br />

actuelle en la matière : autant minimisait-il les aspects politiques autant les majore-t-on<br />

aujourd’hui, au point de faire de la mission une sorte de « sous produit » de la domination<br />

coloniale. Autant entendait-il idéaliser l’activité missionnaire, autant met-on un accent péjoratif<br />

sur tout le « passif » du clergé colonial ; fonctionnalisé et dépourvu d’idéal, sur la corruption<br />

même, sur la volonté qui fut la sienne d’imposer des dévotions étrangères, dans une<br />

méconnaissance des cultures locales. L’œuvre de Goyau ne se présente pas comme une<br />

apologétique, une hagiographie missionnaire qui pourrait paraître dépassée et dont la seule valeur<br />

scientifique se réduirait à des apports documentaires qu’il conviendrait de passer au crible d’une<br />

critique vigilante ? » 15 .<br />

<strong>La</strong> Seconde Guerre Mondiale semble porter un coup d’arrêt à ce courant et on assiste à<br />

une sorte de repli de la question des missions extérieures alors que l’école française d’histoire<br />

religieuse connaissait au contraire un grand renouveau et se campait sur l’hexagone. Le contexte<br />

11 C. Dubois et P. Soumille, op.cit, 2004, p. 148.<br />

12 « Les éveils de la conscience missionnaire en France du XVII e au XX e siècles, Eléments d’une bibliographie<br />

française » in P. Coulon et P.Brasseur, Libermann 1802-1852, Une pensée et une mystique missionnaires, Paris,<br />

Cerf, 1988, p. 819. C’est également dans cet article que l’historiographie de la mission est découpée en trois temps.<br />

13 Il est par ailleurs le fondateur de la revue d’histoire des Missions.<br />

14 J. Gadille, « Georges Goyau, historiens des missions », Rev. franç. hist. O.-M., t. LXV, 1978, n°241, p.585-601.<br />

15 Ibidem, p.599. Ce point de vue semble généralisé. Mayeur dit en 1975 : « Cette histoire est surtout encombrée de<br />

biographies pieuses et vertueuses, d’ouvrages dépourvus de tout de tout appareil critique, négligeant de replacer les<br />

évènements dans leur contexte historique ». <strong>La</strong> citation est tirée de P. Y Toullelan, Missionnaires au quotidien à<br />

Tahiti, les Picpuciens en Polynésie au 19 e siècle, 1995, introduction, p.X.


6<br />

idéologique a sans doute contribué à cette désaffection : A l’heure de la décolonisation, la<br />

mission extérieure était perçue avec une sorte de malaise, suspectée d’être complice de la<br />

domination coloniale. Ainsi, le grand panorama brossé sous la direction de Mgr Delacroix en<br />

1957-1959, L’Histoire universelle des Missions <strong>catholique</strong>s, en 4 volumes est la dernière<br />

synthèse francophone digne de références scientifiques.<br />

Après environ 25 années de repli, des historiens des missions tels que Jacques Gadille,<br />

Xavier de Montclos, Paul Coulon ou encore Bernard Plongeron tentent de définir une nouvelle<br />

façon d’envisager l’histoire missionnaire 16 , avec pour but clair d’en faire une partie intégrante de<br />

l’histoire religieuse et non plus seulement, un secteur particulier. Cette impulsion, en grande<br />

partie lyonnaise, a notamment permis l’organisation d’un colloque international qui avait réuni<br />

120 participants en mai 1980 sur Les réveils de la conscience missionnaire en France du Moyen<br />

Age à nos jours 17 . Aux questionnements un peu plus traditionnels comme les relations entre<br />

Pouvoir et mission dans les colonies 18 ou la réaction de l’Eglise missionnaire devant les<br />

problèmes politiques et les idéologies s’ajoutent d’autres qui prouvent bien que le renouvellement<br />

de l’historiographie missionnaire est en marche. On s’intéresse par exemple à la conscience<br />

missionnaire 19 , au phénomène missionnaire dans son entier, du début « du cycle » (foyers de<br />

recrutement des missionnaires, soutiens financiers) à son terme (réactions de l’opinion publique,<br />

organisation d’expositions missionnaires). 20 Les questions des conversions, de acculturation et<br />

plus généralement du choc des cultures sont abordées avec une attention particulière portée aux<br />

individus nouvellement convertis. D’autres préoccupations sur la vie quotidienne des<br />

missionnaires sont aussi à noter, des thèmes aussi divers que les aspects matériels de la mission<br />

(la question du financement, de la construction des bâtiments de la mission, des manières de<br />

tables des missionnaires à leur adaptabilité au terrain) ; les aspects religieux de la mission, les<br />

aspects plus spécifiquement liés à l’individu (les rythmes quotidiens, les le missionnaire et la<br />

maladie, la mort…) 21 . Le numéro 350-351 de la revue Outre-Mer confirme ces importantes<br />

évolutions historiographiques avec deux articles portant sur les missions en Afrique 22 .<br />

Pour la région qui nous concerne, les activités missionnaires sur le territoire sont longtemps<br />

restées dans l’ombre. Les travaux en la matière de Colette Dubois et Pierre Soumille ouvrent<br />

désormais ce champ historique.<br />

Deux ouvrages ont plus particulièrement guidé ma réflexion. Celui de Pierre-Yves<br />

Toullelan d’abord 23 . S’appuyant essentiellement sur des documents de première main tenus<br />

quotidiennement par les missionnaires (lettres, rapports annuels, statistiques, journaux), il cherche<br />

à présenter, « la vie, les espoirs et les échecs de ces 167 religieux », plutôt qu’une histoire de la<br />

16 Deux articles sont intéressants en particulier : « J-C Baumont, J. Gadillle, X de Montclos, « L’exportation des<br />

modèles de christianisme français à l’époque contemporaine. Pour une nouvelle problématique de l’histoire<br />

missionnaire », Rev. hist. De l’Eglise de France, t.LXIII, n° 170, janv-juin 1977, p.5-23.<br />

B. Plongeron, « conscience missionnaire et histoire des missions », Etudes, mai 1981, p.673-687.<br />

17 Les réveils missionnaires en France, du Moyen Age à nos jours, Actes de colloque de Lyon, 1980, Paris, 1984.<br />

18 Par exemple, la thèse de J-R De Benoist datant de 1987, Eglise et pouvoir colonial au Soudan français,<br />

Administrateurs et missionnaires dans la boucle du Niger.<br />

19 Concernant par exemple la conscience de l’autre : B Salvaing, L’image du Noir chez les missionnaires et les<br />

voyageurs de la côte des esclaves du pays Yoruba (1841-1891), thèse de 3eme cycle, Paris VII.<br />

20 Le dernier ouvrage de C. Prudhomme est à ce titre un bon exemple. « Quelle que soit sa manife<strong>station</strong>, la mission<br />

est toujours donnée par un autre. Elle s’inscrit dans une logique qui suppose un amont, pour la préparer, la financer,<br />

la soutenir, et exige un aval pour rendre des comptes, exalter le fruits obtenus ou faire miroiter les promesses de<br />

succès intérieurs. »<br />

21 J’ai repris ici les différents thèmes proposés dans le projet de H. Pennec et P. Coulon sur la vie quotidienne des<br />

missionnaires en Afrique.<br />

22 G. Thilmans, « L’Eglise oubliée de Saint-Louis du Sénégal », Outre-Mers, n° 350-351, 1 er semestre 2006, pp. 193-<br />

236.<br />

B. Salvaing, « Missions chrétiennes, christianisme et pouvoirs en Afrique noire de la fin du XVIIIe siècle aux années<br />

1960 : permanences et évolutions », Outre-Mers, n°350-351, 1 er semestre 2006, pp. 295-333.<br />

23 P.Y Toullelan, Missionnaires au quotidien à Tahiti, Les Picpuciens en Polynésie au 19 e siècle, E.J Brill,<br />

Leiden,New York, 1995.


7<br />

mission <strong>catholique</strong> en Polynésie française au 19 e siècle. Il aborde ainsi divers aspects de la vie la<br />

plus quotidienne de ces missionnaires, la vie religieuse bien sûr mais aussi les conditions<br />

matérielles (budget, alimentation, habitat…) en Polynésie ou encore les diverses fonctions<br />

qu’exerce le missionnaire et qui dépassent de beaucoup le cadre religieux.<br />

L’ouvrage de Karima Direche-Slimani 24 , est une illustration plus pertinente encore du<br />

renouvellement de l’histoire religieuse. Elle dépeint les actions et idéologies des Pères Blancs en<br />

Kabylie entre 1873-1954, mais fait surtout l’histoire des conversions et des convertis dans un<br />

espace où la majorité de la population est musulmane. Elle associe pour cela les sources<br />

archivistiques plus « traditionnelles » (registres de catholicité, registres de baptêmes, diaires) à<br />

des sources orales puisqu’elle a pu rencontré les concernés qui parlent assez difficilement de leur<br />

situation. Hormis cet aspect, le cas est aussi intéressant car assez similaire à celui de la mission<br />

Somalie ; mission en terre musulmane assez réticente à l’évangélisation.<br />

L’objet d’étude, une petite <strong>station</strong> dans une petite agglomération, sur une assez courte<br />

période, rappelle ceux de la micro-histoire. Au cours des années 1960, mais surtout 1970, une<br />

nouvelle génération d’historiens italiens commence à prendre une distance critique par rapport au<br />

modèle communément accepté ; c'est-à-dire la conception et les démarches sociales amorcées par<br />

les Annales et plus précisément par rapport à l’approche macro-sociale. Ce petit groupe<br />

d’historiens, regroupés autour de la revue Quaderni Storici proposent alors, dans un article<br />

intitulé « le nom et la manière » 25 , de délaisser l’étude des masses ou des classes pour s’intéresser<br />

aux individus saisis dans leurs relations avec d’autres individus. En suivant le fil d’un destin<br />

particulier, que se soit celui d’un homme, d’une petite communauté, on cherche des moyens<br />

d’éclairer et de démêler l’écheveau complexe des relations dans lesquelles ils sont pris 26 . Le<br />

changement d’échelle est donc essentiel pour définir la micro-histoire. L’importance accordée à<br />

la question de l’écriture de l’histoire et le changement des modalités de l’échange<br />

interdisciplinaire en sont d’autres caractéristiques. Ainsi, l’anthropologie, notamment anglosaxonne<br />

est de bonne inspiration pour les historiens qui veulent favoriser une approche « micro »<br />

car le recours à la micro-analyse, l’expérience du terrain apparaît dans cette discipline comme<br />

une exigence méthodologique et permet de construire à partir de cette expérience des généralités<br />

cohérentes et solides. A titre d’exemple, l’ouvrage collectif, Jeux d’échelles 27 fait appel à des<br />

auteurs appartenant aux deux disciplines.<br />

L’autre manière de se faire une bonne idée de la définition de la micro-histoire est encore,<br />

selon Jacques Revel de la comparer à la monographie. En effet, en définissant la micro-histoire, J.<br />

Revel prend rapidement de la distance avec la monographie, « forme privilégiée de la<br />

recherche » 28 , mais différente dans ses intentions comme dans ses procédures. « Le cadre<br />

monographique est habituellement conçu comme un cadre pratique, celui dans lequel on<br />

rassemble des données et on construit des preuves (et dans lequel il est recommandé de faire ses<br />

preuves aussi). Mais il est supposé inerte, on l’a dit. Des centaines de monographies ont fournies<br />

un socle à l’histoire sociale, bâties à partir d’un questionnaire général. Le problème posé par<br />

chacune d’entre elles n’était pas celui de l’échelle d’observation, mais celui de la représentativité<br />

de chaque échantillon par rapport à l’ensemble dans lequel il avait vocation à s’intégrer comme<br />

une pièce doit trouver sa place dans un puzzle » 29 . Finalement dans cette conception, la<br />

monographie a pour tâche la vérification locale d’hypothèses et de résultats généraux.<br />

24<br />

K. Direche-Slimani, Chrétiens de Kabylie, 1873-1954. Une action missionnaire dans l’Algérie coloniale,<br />

Bouchene, Saint Denis 2004.<br />

25<br />

C. Ginzburg, C. Poni, « la micro-histoire », le Débat, 17, 1981, p. 133-136, (trad. Fr. partielle de « Il nome e il<br />

come. Mercato storiografico e scambio disuguale », Quaderni storici, 40, 1979, p. 181-190.)<br />

26<br />

J. Revel, « l’histoire au ras du sol », Préface à G. Levi, Le Pouvoir au village. Histoire d’un exorciste du Piémont<br />

du 17 e siècle, Paris, Gallimard, 1989. Il fournit notamment les références programmatiques du groupe.<br />

27<br />

Jeux d’échelles, la micro-analyse à l’expérience, Gallimard le Seuil, Paris, 1996.<br />

28<br />

J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », in ss dir. J. Revel, Jeux d’échelles, la micro-analyse à<br />

l’expérience,…p. 19.<br />

29 Ibidem.


8<br />

Or la démarche micro-historienne « pose en principe que le choix d’une échelle<br />

particulière d’observation produit des effets de connaissance et qu’il peut être mis au service de<br />

stratégies de connaissances ». L’image de la cartographie est fréquemment utilisée par les<br />

historiens pour faire comprendre où ils souhaitent en venir : « <strong>La</strong> question de savoir combien<br />

mesure la côte de Bretagne admet une infinité de réponses. « Lorsqu’une baie ou une péninsule<br />

que l’on avait retenue sur une carte au 1 : 100000 est redessinée sur une carte au 1 : 10 000, on<br />

aperçoit sur son pourtour d’innombrables sous-baies et sous péninsules. Sur une carte au 1 : 1000,<br />

on voit aussi apparaître des sous-sous-baies et des sous-sous-péninsules et ainsi de suite. ». A la<br />

limite, aux échelles extrêmement petites, le concept de côte cesse d’appartenir à la géographie ».<br />

Ainsi, non seulement il est de bon sens de choisir une échelle, mais encore l’appréhension du réel<br />

est impossible sans ce choix » 30 .<br />

Ce courant « dissident », la microstoria, mis en œuvre à la fin des années 1970 et dans<br />

les années 1980 a avant tout concerné l’histoire sociale. Elle n’a jamais été rigoureusement<br />

définie dans un ensemble de textes théoriques. C’est la recherche empirique qui a permis, peu à<br />

peu, de dégager les quelques principes de base, évoqués ci-dessus, dans lesquels les microhistoriens<br />

se reconnaissent. Jacques Revel donne cependant les quelques rares textes<br />

programmatiques qui ont contribués à dessiner les contours et les ambitions du projet microhistorique<br />

31 . Hormis l’article précédent cité, « le nom et la manière », datant de 1979, l’ouvrage<br />

de G. Levi, Le pouvoir au village 32 , paru en 1985 (dont la préface de la traduction en français<br />

datant de 1989 est de Jacques Revel) est l’une des premières illustrations du courant. « Dans un<br />

cadre restreint, il recourt à une technique intensive en collectant tous les évènements<br />

bibliographiques de tous les habitants du village de Santana qui ont laissé une trace documentaire<br />

pendant une cinquantaine d’années à le fin du 17 e et au début du 18 e siècle. Le projet est de faire<br />

apparaître, derrière la tendance générale la plus visible, les stratégies sociales développées par les<br />

différents acteurs en fonction de leur position et de leurs ressources respectives, individuelles,<br />

familiales, de groupe, etc… » 33 . C’est la même démarche qui est proposée par M. Gribaudi pour<br />

l’étude de la formation de la classe ouvrière à Turin au début du 20 e siècle 34 . Loin de l’idée d’une<br />

culture ouvrière homogène, il découvre alors la diversité des formes d’entrée et de vie dans la<br />

condition ouvrière 35 . Ces quelques références bibliographiques sont affiliées à un courant de la<br />

microstoria qualifié de « sociale » et dont Giovanni Levi est le chef de file. Elle se distingue<br />

d’une microstoria dite « culturelle » impulsée principalement par Carlo Ginzburg qui a donné les<br />

grandes lignes de sa conception de la microstoria dans un article célèbre est sur le « paradigme de<br />

l’indice » 36 .<br />

Quoique la macro-histoire sociale soit dominante en France à la fin des années 1970,<br />

certains historiens empruntent dès cette époque des méthodes micro-historiques pour réaliser leur<br />

étude : S.W Serman avec le corps des officiers, Jacques Léonard, avec les médecins ou encore<br />

Alain Corbin avec les filles de noces 37 . Ce courant s’est d’ailleurs renforcé à mesure que les<br />

critiques se faisaient plus vives sur le modèle dominant. Hormis Jacques Revel, citons à titre<br />

30 B. Lepetit, « De l’échelle en histoire », in ss dir. J. Revel, Jeux d’échelles, la micro-analyse à l’expérience,…p. 86.<br />

Il tire son exemple sur la côte de la Bretagne de : B. Mandelbrot, Les Objets fractals, Paris, Flammarion, 1984, 2 e<br />

édition revisitée, chap. 2, « Combien mesure la côte de la Bretagne ?» , p. 25 à 32. On voit d’ailleurs une fois de plus<br />

l’importance des croisements interdisciplinaires.<br />

31 Ibidem,… p. 20<br />

32 G. Levi, Le Pouvoir au village. Histoire d’un exorciste du Piémont du 17 e siècle, Paris, Gallimard, 1989.<br />

33 J. Revel, idem, p. 21.<br />

34 Maurizio Gribaudi, Itinéraires ouvriers, Espaces et groupes sociaux à Turin au début du 20 e siècle, paris, Ed de<br />

l’EHESS, 1987.<br />

35 J. Revel, idem, p.22.<br />

36 Carlo Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 6, 1980, p.3-44 (1 ère<br />

édition Turin, 1979). ;<br />

37 S.W Serman, Les corps des officiers sous la Deuxième République et le Second Empire, Lille III, 3 volumes,<br />

1978 ; J. Léonard, Les médecins de l’Ouest au XIXe siècle, Lille III, 3 volumes, 1978 ; A. Corbin, Les filles de noce,<br />

Paris, Aubier, 1978.


9<br />

d’exemple Bernard Lepetit, Les villes dans la France moderne, 1740-1840 ; Christophe Charle,<br />

les élites de la République, ou encore Jean-Luc Pinol, les mobilités de la grande ville de Lyon 38 .<br />

<strong>La</strong> chronique de la <strong>station</strong> est la source principale utilisée et elle est à l’origine du choix<br />

de l’objet et de l’échelle adoptée mais aussi des différents problèmes rencontrés tout au long du<br />

travail. Une chronique est une sorte de journal de bord tenu par un ou plusieurs missionnaires qui<br />

fait état de tous les évènements qui touchent l’apostolat. Elle n’est pas destinée à être publiée ou<br />

divulguée au grand public. <strong>La</strong> chronique d’Ali-<strong>Sabieh</strong> ainsi que 4 autres (dont une qui référence<br />

pendant une dizaine d’années l’activité pour l’ensemble de la préfecture apostolique) nous ont été<br />

transmises par l’intermédiaire de Colette Dubois et avaient été retranscrites sur support<br />

informatique par le capucin Frère Michel Bourgeois durant son apostolat à Djibouti dans les<br />

années 1990.<br />

Arrêtons nous un instant sur cette chronique. Il s’agit d’un texte d’une trentaine de pages<br />

écrit assez régulièrement par les Pères successifs de la <strong>station</strong> à partir de décembre 1946. Il<br />

s’interrompt brutalement en mai 1959. Certaines années sont plus fournies que d’autres. A titre<br />

d’exemple, l’année 1947 s’étend sur 4 pages, l’année 1958, sur 6 pages tandis que les années<br />

1954, 1955, 1956 n’occupent chacune d’à peu près demie page. Au fil des années, de nombreux<br />

thèmes sont abordés. <strong>La</strong> religion, la conversions des « païens », y tiennent une place importante<br />

bien sûr, mais c’est une source très appréciable pour appréhender la vie la plus quotidienne des<br />

missionnaires, qu’il s’agisse des différents temps qui rythment la vie de la <strong>station</strong>, les difficultés<br />

matérielles et financières au quotidien, certains liens qui se créent entre les différents membres de<br />

la petite agglomération. On ne peut en aucun cas nier la richesse de ce document qui plonge<br />

directement dans l’univers, voire les pensées du rédacteur.<br />

En contrepartie s’appuyer presque exclusivement sur le journal, engendre quelques<br />

difficultés. Si on a l’impression après une simple lecture de la chronique d’avoir beaucoup (voire<br />

trop !) d’informations ; lors de l’analyse, on est paradoxalement confronté à de réels « flous ».<br />

Par exemple, on ne sait pas combien de personnes vivent exactement à la Mission, mais on sait<br />

qu’elle emploie un cuisinier, une femme qui rend des services en échange de son pain quotidien.<br />

On y lit que la <strong>station</strong> fait de nombreux travaux ; sans pour autant avoir ne serait-ce qu’une idée<br />

du coût. Les rédacteurs ne donnent que rarement des informations sur le nombre d’enfants qui<br />

fréquentent l’orphelinat. Ils sont pourtant omniprésents dans le journal soit individuellement, soit<br />

par des termes assez vagues. Plus généralement, le problème de la source presque unique est<br />

soulevé et est en partie surmonté avec l’apport d’autres documents, missionnaire et<br />

administrative. Autre problème : dans cette profusion de détails, qu’est-ce qui est important et<br />

qu’est-ce qui ne l’est pas ? Comment savoir si on ne « défonce pas des portes ouvertes » ? Les<br />

« évènements » qui interviennent à la Mission sont parfois tellement banals, « normaux »; quels<br />

sont ceux qui ont un intérêt historique ? On a parfois tendance à surestimer certains faits. C’est<br />

dans cette perspective que les quelques lectures sur les travaux de micro-historiens m’ont aidé.<br />

D’autre part, le recours à la comparaison notamment avec le travail Olivier Jouanneau 39 sur la<br />

paroisse de Djibouti permet de voir un peu plus clair. Enfin, le dernier « souci » est que le journal<br />

a la particularité de n’offrir qu’un aspect de la réalité et est le produit d’une pensée et d’un regard<br />

orientés : il faut être très attentif et soumettre propos sur les populations locales, les enfants,<br />

l’école publique etc.… au filtre de l’analyse.<br />

Il en va de même pour les autres sources capucines utilisées. Distinguons, en effet la<br />

chronique des sources imprimées, qui elles sont destinées à être publiées. J’ai eu accès par<br />

l’intermédiaire d’Olivier Jouanneau, un ancien étudiant de Colette Dubois qui a travaillé sur la<br />

Mission à Djibouti-ville à quelques articles de l’une de ces revues. Editée par la province de<br />

38<br />

B. Lepetit, les villes de la France moderne, 1740-1840, Paris, A. Michel, 1988 ; C. Charle, les élites de la<br />

République (1880-1900), Paris, Fayard, 1987 ; J. L Pinol, les mobilités de la grande ville de Lyon, Presses de la<br />

Fondation nationale de sciences politiques, Paris, 1991.<br />

39<br />

O. Jouanneau, Consolider la présence <strong>catholique</strong> à Djibouti, une minorité religieuse dans une ville<br />

musulmane,mémoire de maîtrise, 2004


10<br />

Strasbourg, son nom change au cours du temps, Missionnaires Capucins (1933-1953), puis<br />

Capucins Missionnaires (1954-1966). Dans ces articles, les missionnaires qui sont sur le terrain<br />

livrent leur expérience, abordent les difficultés qu’ils rencontrent. On y retrouve quelques<br />

références à la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong> qui est, durant la période étudiée le second pôle missionnaire<br />

en CFS. Presque la totalité des numéros se trouve dans la section documentation des Œuvres<br />

pontificales missionnaires de Lyon. Ces revues sont destinées à la vente pour le soutien financier<br />

de la Mission. Par conséquent il convient de tenir compte des intentions de propagande qui<br />

guident les choix des responsables de la publication.<br />

Le poids des sources missionnaires est considérable. L’exploitation des documents<br />

administratifs peut rétablir un peu l’équilibre et faire émerger un autre point de vue. <strong>La</strong> sous-série<br />

6G consacrée à Ali-<strong>Sabieh</strong> m’a été fort utile. Cette sous-série qui appartient à la série « fonds<br />

local CFS », n’était consultable au début des recherches au Centre des Archives d’Outre-Mer à<br />

Aix-en-Provence (lieu du dépôt). J’ai, cependant, pu y avoir accès très rapidement grâce au<br />

reclassement de la sous-série réalisé par Mme Kamara, archiviste au CAOM. Dans ces sept<br />

cartons, on retrouve des documents divers sur le poste administratif et militaire d’Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Concernant la présence des missionnaires, certains s’avèrent beaucoup plus riches, notamment les<br />

cartons 6G2, 6G3 qui regroupent les correspondances entre le Commandant de Cercle et le<br />

Gouverneur ; ainsi que le carton 6G4 consacré au courrier confidentiel et aux bulletins de<br />

renseignements tels les rapports trimestriels ou encore les réponses aux les renseignements<br />

demandés par l’ONU. Mais d’une manière générale, force est de constater que ces archives<br />

administratives sont bien indigentes pour les aspects religieux. On parle assez peu de la fonction<br />

strictement religieuse du missionnaire, conformément sans doute aux principes de la République<br />

laïque. Par contre, on retrouve plus fréquemment ses actions sociales et surtout scolaires au sein<br />

de la petite communauté. Enfin, le dernier intérêt de l’exploitation de ces archives est que je n’ai<br />

guère retrouvé d’ouvrages traitant particulièrement du cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> ou d’un autre cercle de<br />

la CFS. Ces documents ont permis de mieux percevoir « le contexte local » qui, en fin de compte<br />

éclaire beaucoup la chronique des Pères.<br />

Derniers points pour conclure sur la question des sources. Il aurait été intéressant de<br />

collecter des témoignages d’enfants qui ont grandi à l’orphelinat de la Mission ou qui aient été<br />

convertis ; autre moyen de contrebalancer le poids des sources missionnaires et offriraient un<br />

autre point de vue. Enfin, nous ne connaissons les Petites Sœurs de Jésus qui viennent s’installer<br />

à Ali-<strong>Sabieh</strong>, à partir de 1957, que par les sources capucines. L’image des religieuses que nous<br />

renvoie le rédacteur du journal est donc aussi à prendre avec précaution. A titre d’information, le<br />

dépôt principal d’archives de ces dernières se trouve dans la maison généralice à Rome.<br />

Il convient de présenter la <strong>station</strong>, ainsi que le « monde» dans lequel elle intégrée à partir<br />

de 1947. Les activités missionnaires à Ali-<strong>Sabieh</strong> sont bien sûr abordées dans ce travail : d’abord<br />

l’action sociale, puis les activités touchant à la religion et à la conversion. Enfin, on essaiera<br />

d’aborder la question des relations d’entretiennent missionnaires et les autres membres de la<br />

société : européens et autochtones. Il s’agira finalement d’apprécier la place qu’occupe la <strong>station</strong><br />

et ses missionnaires au sein d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et sa région.


12<br />

Chapitre 1 : présenter Ali-<strong>Sabieh</strong> et sa mission.<br />

1. Une mission <strong>catholique</strong>…<br />

Quelques éléments préalables…<br />

Faisons un rapide « état des lieux » de l’ensemble des activités menées en 1947 40 par les<br />

religieux <strong>catholique</strong>s pour l’ensemble de la préfecture apostolique avant de s’intéresser plus<br />

particulièrement à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Deux congrégations se partagent les tâches, les capucins de la<br />

province de Strasbourg dont on a déjà parlé et les Sœurs franciscaines de Calais.<br />

Leur implantation date de la fin des années 1880 et accompagne les premiers pas des<br />

capucins de la province de Toulouse à Obock. En 1896, elles s’installent à Djibouti, nouvelle<br />

capitale de la colonie. En 1947, elles sont au nombre de onze, à lequel s’ajoutent trois Sœurs<br />

oblates franciscaines de l’immaculée conception. Trois Sœurs franciscaines de Calais et une Sœur<br />

oblate franciscaine travaillent à l’hôpital colonial. Une autre dirige un dispensaire indigène<br />

officiel en ville. Elles s’occupent également de deux écoles : l’une exclusivement réservées aux<br />

orphelines somalies ; l’autre mixte. Un orphelinat pour fillettes Somalies et une crèche viennent<br />

compléter ce tableau. Enfin une religieuse Somalie dirige un ouvroir de couture et de broderie,<br />

installé dans l’orphelinat des fillettes et destiné à initier les plus grandes filles aux travaux de<br />

ménage 41 .<br />

Les Pères ne sont que trois en 1947 pour superviser le champ d’apostolat. « Le personnel<br />

est très insuffisant et surchargé de travail. De nombreux projets restent en souffrance faute de<br />

moyens». Pourtant, ils dirigent une école et un orphelinat pour garçons, s’occupent de<br />

l’aumônerie de l’hôpital colonial, de l’aumônerie militaire, de l’œuvre du pain des pauvres.<br />

Enfin, il existe, hormis l’église, quelques rares lieux qui favorisent les rencontres entre<br />

<strong>catholique</strong>s : un cercle de jeunes gens, une bibliothèque paroissiale. Mgr Hoffmann, auteur de<br />

l’article précise : « Les œuvres d’action <strong>catholique</strong> demanderaient à être élargies : écoles,<br />

associations d’enfants et de jeunes gens, syndicats chrétien ».<br />

Finalement les religieux encadrent 2500 <strong>catholique</strong>s dont 300 autochtones (pour environ<br />

51000 musulmans 42 !). Ainsi l’Eglise <strong>catholique</strong>, implantée depuis une cinquantaine d’années<br />

reste marginale et sans emprise sur les habitants de la colonie. Le nouveau préfet apostolique<br />

arrive avec la ferme intention de faire évolution la situation. L’une de ses premières décisions est<br />

de réinvestir la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

1.1.« …Monseigneur décida d’occuper Ali-<strong>Sabieh</strong> le plus tôt possible.» 43 :<br />

1.1.1. <strong>La</strong> naissance de la <strong>station</strong> Saint-Louis d’Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

L’installation en décembre 1946 marque la reprise d’activités plus régulières dans la<br />

région, il y avait cependant un précédent missionnaire. <strong>La</strong> conquête de l’Ethiopie par les armées<br />

italiennes a aussi des répercussions religieuses. Elle accélère le départ des missionnaires français<br />

qui officiaient dans le vicariat apostolique des Galla. Ils sont alors remplacés par leurs<br />

homologues italiens. C’est à la faveur de ces évènements que la nouvelle mission <strong>catholique</strong><br />

d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, née en 1936 prend un nouvel essor. A l’origine elle n’est qu’un lieu d’estivage pour<br />

40<br />

Toutes les informations qui suivent, sont extraites de : « Florilège Somali », Grands <strong>La</strong>cs, op.cit.<br />

41<br />

« Les Œuvres de l’Enfance en Côte Française des Somalis », in Missionnaires Capucins en Afrique : Madagascar,<br />

Somalie française, 1948, p. 9.<br />

42<br />

Notons tout de même qu’il s’agit d’un nombre de grandeur compte tenu des difficultés de l’administration à<br />

recenser exactement le nombre d’autochtones dans le territoire.<br />

43<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1946.


13<br />

les missionnaires de Djibouti, qui depuis la conquête de l’Ethiopie, ne pouvaient plus se rendre à<br />

Harar durant les mois d’été pour s’y reposer, comme ils avaient coutume de le faire. Ali-<strong>Sabieh</strong><br />

présente en effet des conditions climatiques plus clémentes que la côte. Elle grandit ainsi<br />

accueillant les capucins et les franciscaines expulsés du vicariat apostolique des Galla. En 1938,<br />

la paroisse Saint-Louis d’Ali-<strong>Sabieh</strong> devient le premier centre <strong>catholique</strong> construit à l’intérieur du<br />

territoire de la CFS 44 , et quatre postes secondaires relèvent de son autorité : Dikhil, Aseila,<br />

Afambo et Yoboki. Une autre étape décisive intervient pendant la Seconde Guerre Mondiale et<br />

plus exactement durant le blocus de Djibouti durant lequel de 1941 à décembre 1942, sévit la<br />

famine en CFS. Pour échapper aux privations, les franciscaines de Calais qui avaient ouvert en<br />

1938 un orphelinat pour fillettes Somalies, abandonnent la capitale accompagnées des enfants et<br />

se réfugient à Ali-<strong>Sabieh</strong> 45 .<br />

Au fil de ces années, <strong>La</strong> mission avait alors, « gagné la sympathie des indigènes, surtout<br />

des bébouins » 46 . Cette liste manuscrite, récapitulant les décès surgissant en mars 1939, quoique<br />

succincte prouve bien la présence même réduite du christianisme en pleine terre Issa:<br />

Robert Michel Bernard. Fils d’un ascari Dankali de Tadjourah dont j’ignore le nom. (le demander<br />

à Mgr si nécessaire. Baptisé chrétien. Décédé à l’orphelinat d’Ali-Sabiet le 9 au 10 mars dans la<br />

nuit. Enseveli le 10 mars au matin au cimetière chrétien (à côté de l’enfant de M. Petros).<br />

Jean-Baptiste Asserat. Né le 18 oct. 1936. Fils de M. et Mme Asserat employé de la Compagnie<br />

de Chemin de fer. Mort à l’orphelinat d’Ali-Sabiet le 22 mars vers 10 ans. Enseveli au cimetière<br />

chrétien le 23 Mars dans la matinée.<br />

Guy : Né au mois de janvier 1939. Enfant trouvé somali. Baptisé à Djibouti. Décédé à Ali-Sabiet à<br />

l’orphelinat le 27 mars 1939. Inhumé au cimetière chrétien le 28 mars 1939.<br />

François Katchenon. Fils d’Alto Katchenon Bejounat ( ?) et de Mme Teouabeteh Ten-Yallache.<br />

Né en février 1935 à Djibouti. Décédé le 31 mars 1939. Inhumé au cimetière chrétien d’Ali-Sabiet<br />

1 er avril 1939. 47<br />

Quelques autres traces de la présence chrétienne à cette époque subsistent dans les<br />

documents de l’administration concernant le poste de Dikkil, qui se trouve à la limite des zones<br />

occupées par les Issas et les Danakil Debnés. Il n’y avait en 1928, lors de sa création aucun<br />

village, mais une agglomération se développa autour du poste administratif 48 :<br />

« Dans ce pays où l’artisanat chez les autochtones est à peu près inexistant, j’émets un<br />

avis très favorable à la demande que compte adresser prochainement Monseigneur LUCAS, nonce<br />

apostolique pour l’obtention à DIKHIL d’une concession sur le plateau Sud-Est de l’oued bordant<br />

la palmeraie au sud. <strong>La</strong> création d’une mission avec dispensaire, d’un artisanat : menuisiers,<br />

charpentiers, maçons, forgerons, agriculteurs, serait d’une grande utilité. Ces œuvres assureraient<br />

par la suite une situation aux jeunes indigènes devenus nombreux et désoeuvrés pour la plupart.<br />

L’appel à la main d’œuvre étrangère (Yémen, Abyssinie) s’en trouverait diminué.<br />

Un ouvroir tenu par des Sœurs présenterait aussi un grand intérêt. En Afrique du Nord, à<br />

Madagascar, on prétend que c’est par l’intermédiaire de la femme indigène que notre civilisation a<br />

le plus progressé. » 49<br />

A Ali-<strong>Sabieh</strong> en 1940, la Mission est aussi pleinement intégrée dans les « plans sociaux »<br />

des autorités locales comme le montre l’extrait suivant :<br />

44<br />

C. Dubois et P. Soumille, Des chrétiens à Djibouti en terre d’Islam, Paris, Karthala, mémoires d’Eglises, 2004,<br />

p.147.<br />

45<br />

ibidem.<br />

46<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, informations introductives.<br />

47<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G7, dossier affaires religieuses, 1939.<br />

48<br />

P. Oberlé et P. Hugot, Histoire de Djibouti, Des origines à la République, Paris-Dakar, Présence africaine, 1985,<br />

réédition 1996, p. 105.<br />

49<br />

CAOM, Ministère des Colonies, Série Affaires politiques, carton 698, dossier Ali-<strong>Sabieh</strong>, Dikkil, Rapport annuel<br />

1939.


14<br />

« […] Ce programme politique d’éducation de la jeunesse trouve un prolongement naturel<br />

dans la formation de l’enfance. <strong>La</strong> construction d’une école à Ali-<strong>Sabieh</strong> qui n’a pu être envisagée<br />

cette année faute de crédits, constituerait un puissant moyen d’action qui devra être réalisé un jour<br />

ou l’autre. En attendant cette date en marge de l’orphelinat crée par les Sœurs de la Mission<br />

Catholique, il nous est possible d’amadouer les fils et les jeunes frères de nos partisans. Les<br />

premiers essais à ce sujet ont été de bonne augure […] » 50<br />

Ces passages laissent peu de doutes sur le rôle que les autorités coloniales confèrent à<br />

l’époque aux missionnaires. Nous verrons un peu plus bas, la continuité de cette politique à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong>.<br />

Néanmoins, dès 1944, elle est quasiment abandonnée. « Les Sœurs de Calais qui<br />

dirigeaient l’orphelinat se sont retirées durant la guerre par suite de la mort de la supérieure et du<br />

manque du personnel » 51 . Elle reçoit la visite par intermittence d’un Père 52 , le Père Fortunat,<br />

Capucin de la province de Toulouse. Dans cet autre passage extrait d’une lettre du Commandant<br />

de Cercle à un certain Muller, le Père Fortunat a un rôle qui dépasse celui d’homme de religion :<br />

« Je continue à m’occuper sérieusement de l’affaire DJIBRIL et je suis convaincu que<br />

sous cette histoire de tickets de rations, il y a avant tout une question de race, DJIBRIL est inquiet<br />

et continue à donner des renseignements qui m’éclairent de plus en plus. J’ai eu hier soir en tête à<br />

tête une conversation assez longue avec le Père FORTUNAT qui s’occupe de la question […]. (Il<br />

expose alors les éléments de l’affaire).<br />

Après avoir pris conseil auprès du Père FORTUNAT, voici mes intentions :<br />

Garder DJIBRIL quelques jours en prison, faire un non-lieu, le reprendre comme interprète à Ali-<br />

Sabiet. J’aurais sans doute un agent de renseignement qui pourrait par la suite m’être très précieux<br />

(ce qui n’exclut pas une surveillance de ma part), le Père est entièrement de mon avis […] 53<br />

Ces quelques remarques introductives rappellent que la <strong>station</strong> n’est pas en 1946 une création exnihilo.<br />

Cependant, la <strong>station</strong> est alors laissée à l’abandon. Le changement de préfet apostolique<br />

marque ainsi le début d’une nouvelle ère. Quelles sont les motivations de Mgr Hoffmann ?<br />

1.1.2 Les « acteurs » associés à la réouverture.<br />

Le préfet apostolique souhaite le plus tôt possible réinvestir la mission d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il s’y<br />

rend en camion, que « le colonel <strong>La</strong>croix avait bien voulu mettre à la disposition de la mission »<br />

(ce qui lui permet ainsi de transporter le matériel nécessaire), alors que les enfants accompagnés<br />

par le P. Silvère arrivent dans la ville par le train 54 .<br />

Faisons la connaissance de ce missionnaire qui contribue à la réussite du projet et qui joue<br />

un rôle important dans la mission, en tant que supérieur. Dans le siècle Joseph, il naît en 1915 à<br />

Oberschaeffolsheim. Il est l’unique enfant de la famille Bernhard et à l’âge de 11 ans, il entre à<br />

l’Ecole des Missions de Strasbourg-Koenigshoffen. Il entre au noviciat des Capucins de<br />

Sigolsheim, où il reçoit le nom de Silvère. Ordonné prêtre en 1942, après avoir été blessé de<br />

guerre, il passe trois années à Silgolsheim, desservant le village de Fréland. Il aurait voulu partir à<br />

Madagascar mais c’est à Djibouti qu’il est envoyé 55 .Il s’agit donc de sa première expérience en<br />

tant que missionnaire, dans un pays qu’il ne connaît que depuis quelques mois. L’autre<br />

protagoniste d’importance pour la <strong>station</strong> est le Frère Antoine Werny de Strasbourg-<br />

50<br />

CAOM, Ministère des Colonies, Série Affaires politiques, carton 698, dossier Ali-<strong>Sabieh</strong>, Dikkil, Rapport annuel<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1940.<br />

51<br />

« Florilège Somali », Grands <strong>La</strong>cs, Namur, Revue Générale des Missions d’Afrique, 15 mai 1947, numéro spécial,<br />

p. 487.<br />

52<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1938-1939.<br />

53<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G5, dossier 1946, 27 avril 1946.<br />

54<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1946.<br />

55<br />

O. Jouanneau, Consolider la présence <strong>catholique</strong> à Djibouti, une minorité religieuse dans une ville musulmane,<br />

mémoire de maîtrise, 2004, p. 14-15.


15<br />

Keonenbourg, missionnaire capucin Charles Werny dans le siècle, il entre au noviciat des<br />

capucins de la Province d’Alsace à Sigolsheim le 13 juin 1921. Contrairement au Père Silvère, il<br />

a de l’expérience. D’abord missionnaire du diocèse d’Adjmer (Indes) jusqu’en 1932, il se<br />

retrouve jusqu’en 1946 à Madagascar. Il s’occupe alors d’un groupe d’enfants fréquentant l’école<br />

de la Mission à Mayotte, Ambanja et Moroni. Arrivé à Ali-<strong>Sabieh</strong> le 10 juin, c’est tout<br />

naturellement qu’il reprend l’école de la <strong>station</strong> 56 .<br />

« Fr. Antoine missionnaire capucin et le P. Jean-Baptiste viennent par camion militaire. Le<br />

fr. Antoine est affecté à la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il est chargé de l’école de l’orphelinat. Il a déjà<br />

donné des preuves de son talent de maître d’école et d’éducateur aux Comores et à Madagascar<br />

où il avait séjourné pendant 12 ans. Nous exprimons nos vœux que son travail infatigable porte<br />

d’abondants fruits parmi les jeunes Somalis. Pendant son court séjour en France il n’a pas perdu<br />

son temps : une preuve en est le matériel considérable qu’il a amené pour la <strong>station</strong> et plus<br />

encore pour la Préfecture. Dans ses caisses figurait à peu près de tout ce que le missionnaire a<br />

besoin : effets scolaires, habillement, outillage, vaisselle, jeux, cinéma, etc.…» 57<br />

D’autres prêtres viennent en remplacement du Père Silvère : Jean Baptiste Jung (avril<br />

1950 à mai 1952) et le Père Ange (à partir de la fin de l’année 1956). Le Père Jean Baptiste Jung<br />

naît à Walschbrown et entre dans les ordres des Frères Mineurs capucin le 3 septembre 1933 à<br />

Sigolshem. Ordonné prêtre en mars 1943 à Nantes, il est vicaire à Dinard puis Hindisheim avant<br />

de parti à Djibouti 58 .<br />

Finalement, durant la période étudiée la <strong>station</strong> est uniquement animée par deux religieux,<br />

à l’exception de la période durant laquelle les Petites Sœurs de Jésus de Charles de Foucault s’y<br />

installent. Nous terminerons ainsi les présentations des « acteurs » religieux de la mission. Leur<br />

arrivée est tardive par rapport à la réinstallation puisque les premiers membres de la congrégation<br />

inaugurent un noviciat en Avril 1957 59 . Cette congrégation a pour idéal d’ « imiter la vie du<br />

Christ Jésus à Nazareth, partageant la condition et le travail des milieux pauvres, dans l’humilité<br />

et l’amour fraternel envers les hommes les plus malheureux et les plus abandonnés, notamment<br />

les musulmans » 60 . Elle avait pris origine en 1939 à Touggourt, dans le diocèse de <strong>La</strong>ghouat<br />

(Algérie), avait été érigée canoniquement en congrégation de droit diocésain le 13 juin 1947, avec<br />

autorisation du Saint Siège, par Mgr Charles de Provenchères, archevêque de Aix-en-Provence.<br />

Leur idéal impose qu’un quart d’entre elles s’insèrent en milieu musulman partageant ainsi « la<br />

pauvreté laborieuse et l’humble condition sociale des travailleurs manuels et des plus<br />

démunis » 61 .<br />

Présentations des protagonistes faites, il est grand temps de faire la connaissance de la <strong>station</strong> !<br />

1.2 Bienvenue à Ali-<strong>Sabieh</strong>, mission en continuelle mutation.<br />

Que trouvent Mgr Hoffmann et le Père Silvère à leur arrivée ?<br />

Hormis, le « matériel, assez abondant, outils meubles, vaisselles, mais tout était dans le plus<br />

grand désordre », on trouve des bâtiments « en bon état » 62 , selon P. Silvère. <strong>La</strong> <strong>station</strong><br />

comprend, « une chapelle pouvant contenir 100-150 personnes, une maison d’habitation pour les<br />

Pères, une autres pour les Sœurs, un orphelinat c’est-à-dire une salle pour y coucher environ 25<br />

enfants, une école, un garage atelier ». Les enfants sont provisoirement logés dans l’orphelinat<br />

56<br />

Ibidem.<br />

57<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 18 juin 1947.<br />

58<br />

O. Jouanneau, Consolider la présence <strong>catholique</strong> à Djibouti…, p. 15.<br />

59<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 22 avril 1957. Pour des détails sur les conditions de leur installation à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong>, se reporter à la p. 43 et suiv.<br />

60<br />

C. Dubois, P. Soumille, op. cit, 2004, p.202.<br />

61 Ibidem.<br />

62 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1946.


16<br />

des Sœurs, le Père s’installe quant à lui dans la maison des Sœurs. Cette structure originelle<br />

évolue au cours de la période, la <strong>station</strong> et ses bâtiments sont soumis à de constantes<br />

modifications.<br />

Modifications d’abord par la construction de bâtiments neufs. Un nouvel orphelinat est<br />

construit et inauguré en juillet 1948 63 par les enfants qui y emménagent. D’autres bâtiments<br />

sortent ainsi de terre même si ces événements restent assez rares, notamment faute de moyens.<br />

Ainsi, en octobre 1948, le Père « commence la construction de la cuisine » ; en 1954, on termine<br />

une nouvelle habitation en bois pour les Pères. Enfin, ce n’est qu’en 1958 qu’on envisage de<br />

nouvelles constructions en l’occurrence la construction d’un nouvel orphelinat voire même d’une<br />

nouvelle maison pour les Sœurs 64 . Mais la modification de l’espace de la mission se traduit le<br />

plus souvent par des réparations et des modifications de bâtiments qui existent déjà. Certains<br />

bâtiments ont bénéficié de travaux visant à les moderniser, ou plus simplement à les entretenir.<br />

Déjà, durant la période d’abandon de la <strong>station</strong>, le capitaine de la Compagnie des Sénégalais,<br />

avait fait entretenir les bâtiments, fait faire des réparations dans la chapelle et à la maison des<br />

d’habitation des Sœurs 65 . Des menus travaux sont réalisés : on repeint, crépissage, blanchissage.<br />

Certains travaux sont plus importants liés la dégradation du bâti. Le 10 janvier 1949, « des<br />

maçons de Djibouti viennent pour réparer l’orphelinat des Sœurs. Un mur s’était presque<br />

entièrement écroulé » 66 . Un mois plus tard, ces derniers ont terminé :<br />

« Pendant le mois qu’ils ont travaillé ici, ils ont refait l’orphelinat des Sœurs, cimenté la<br />

véranda de la maison des Sœurs, construit un lavoir et les W.C pour les orphelines, monté la<br />

clôture provisoire. <strong>La</strong> maison des Sœurs a été blanchie à l’intérieur et à l’extérieur, l’orphelinat<br />

blanchi à l’intérieur et crépi à l’extérieur. <strong>La</strong> conduite d’eau du réservoir au lavoir a été<br />

installée… » 67<br />

On peut tirer les mêmes conclusions lorsque l’on s’intéresse à tous les travaux réalisés<br />

pour le puits de la mission.<br />

Le puits de la mission est creusé dès la réoccupation, après deux tentatives infructueuses.<br />

«Il existait encore une pompe à l'oued au nord-ouest de la maison des Soeurs. <strong>La</strong> conduite<br />

qui amenait l'eau de la pompe jusqu’à la maison était coupée. C’est par hasard que nous l’avons<br />

retrouvée, mais en creusant, on a coincé avec la pioche le tuyau de plomb, à plusieurs endroits.<br />

Après trois jours de travail, nous sommes quand même arrivés à remettre la pompe et la conduite<br />

en état ; mais la conduite reste défectueuse et l’eau ne parvient que lentement jusqu’auprès de la<br />

maison.<br />

Il paraît que l’eau de l’oued à l’ouest de la maison n’est pas bonne. Les Sœurs avaient<br />

quelques décès d’enfants par suite de dysenterie. C’est pourquoi Monseigneur fit commencer un<br />

puits dans l’oued à l’est de la mission. On a creusé un puits à la hauteur de l’église ; nous sommes<br />

descendus jusqu’à 6,50 m. sans trouver de l’eau. Pour que le travail ne soit pas en vain, on y a<br />

installé les cabinets des enfants.<br />

Le marabout du village nous montra l’emplacement où les PP avaient déjà creusé un puits<br />

dans l’oued à l’est. C’est à hauteur du garage. Ce puits avait été fermé par le courant de l’oued.<br />

C’est là donc qu’on commença à rouvrir le puits, actuellement encore en construction. » 68<br />

Il avait été creusé par les capucins de la Province de Toulouse, puis refermé par le<br />

courant de l’oued. Mais nous l’avons vu, le résultat étant peu concluant, notamment en temps de<br />

sécheresse, les missionnaires procèdent à des approfondissements successifs des puits. Prenons<br />

l’année 1948, année de grande sécheresse :<br />

63<br />

Ibidem, 15 juillet 1948.<br />

64<br />

Ibidem, respectivement, 4 octobre 1948, octobre 1953, 20-21 janvier 1958.<br />

65<br />

Ibidem, 1938-1939. Cet entretien a permis de retrouver les bâtiments en bon état lors de l’installation.<br />

66<br />

Ibidem, 10 janvier 1949.<br />

67<br />

Ibidem, 10 février 1949.<br />

68<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1946.


« L’année 1948 était une année de sécheresse : le manque d’eau était un souci continuel.<br />

L’eau de notre puits était insuffisante, bien que j’ai approfondi le puits au mois de juillet. » 69<br />

En août 1949, pour diminuer la carence en eau, on décide de creuser un second puits à<br />

côté du précédent :<br />

« Pendant ce mois et déjà en juillet j’ai fait creuser un second puits à 5 m à côté de l’autre.<br />

Ensuite, nous avons relié les 2 puits par une galerie souterraine, pour avoir une plus grande surface<br />

d’infiltration […] Maintenant les 2 puits sont reliés et couverts ; en temps normal, l’eau doit être<br />

suffisante. » 70<br />

Enfin, les missionnaires cherchent à respecter un certain nombre de règles d’hygiène. On<br />

couvre le puits, comme on l’a vu pour l’exemple précédent, ou encore on construit une margelle,<br />

pierre formant le rebord du puits 71 . Ces pratiques simples doivent permettre d’améliorer les<br />

conditions sanitaires liées à l’eau, car l’action des usagers autour du puits peut polluer l’eau au<br />

premier abord de bonne qualité : par exemple la margelle permet d’éviter un bourbier dont les<br />

eaux mélangées aux déjections animales s’infiltreraient jusqu'à la nappe 72 …<br />

<strong>La</strong> construction d’un réservoir en eau doit permettre d’avoir une sécurité face aux aléas du<br />

climat. Sa construction est entamée en janvier 1948 et achevée le 6 mars de la même année. Une<br />

pompe à moteur alimente le réservoir à partir de l’eau du puits. Ce réservoir est agrandi quatre<br />

ans plus tard pour subvenir aux besoins croissants de la mission. Les travaux sont réalisés en<br />

deux temps.<br />

« Le P. Denys est monté de Djibouti avec le camion pour amener du fer à béton et des planches de<br />

coffrage pour agrandir le château d’eau… »<br />

« Le menuisier Abdo est monté de Djibouti pour faire le coffrage de l’agrandissement du château<br />

d’eau. Le commandant du cercle veut bien nous donner la main d’œuvre pour couler le béton. Le<br />

château d’eau peut contenir maintenant 7 m 3 . » 73<br />

Par conséquent, commencés le 14 juillet 1952, les travaux pour l’agrandissement du<br />

château d’eau ne sont achevés qu’en octobre. Le château d’eau a en partie pour rôle d’alimenter<br />

les différents bâtiments en eau courante. C’est le cas, par exemple de l’orphelinat des filles où en<br />

février 1949, « la conduite d’eau du réservoir au lavoir a été installé » (le lavoir avait d’ailleurs<br />

été construit durant la même période).<br />

On a donc à faire à une <strong>station</strong> en régulière mutation, dans les quelques années qui suivent<br />

la réouverture. Cette situation se rapproche d’ailleurs beaucoup de celle de la petite<br />

agglomération dans laquelle la Mission évolue.<br />

2) … à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Ces quelques paragraphes doivent pouvoir permettre de se faire une idée plus précise du<br />

cercle et de son chef lieu, Ali-<strong>Sabieh</strong>, dans lequel évoluent pendant une dizaine d’années les<br />

Capucins. En effet, des éléments explicatifs sont nécessaires 74 sur la population autochtone, la<br />

69<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 28-31 décembre 1948.<br />

70<br />

Ibidem, 24 août 1949.<br />

71<br />

Ibidem, 11 octobre 1949.<br />

72<br />

Cet exemple est tiré de : D. Desjeux, L’eau : Quels enjeux pour les sociétés rurales ? , Paris, 1985, p. 45.<br />

73 er<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, respectivement, 14 juillet et 1 octobre 1952.<br />

74<br />

Ils sont d’autant plus nécessaires dans la mesure où je n’ai guère trouvé d’ouvrages traitant de l’arrière pays de la<br />

CFS. Je n’ai retrouvé en effet qu’une seule référence, que je n’ai d’ailleurs pas pu consulter. Il s’agit de V. Cassar,<br />

Dikkil, un cercle de CFS : de sa création à la fin de la 2 e Guerre Mondiale, 1992-1993.<br />

17


18<br />

population européenne et ses réalisations dans le cercle et bien sûr l’organisation politique et<br />

militaire du cercle.<br />

2.1. Un cercle presque entièrement peuplé de nomades, Issas musulmans…<br />

Difficile tâche que de déterminer le nombre d’habitants de ce cercle et dans l’ensemble de<br />

la colonie. « C’est en 1935 seulement que fut officiellement institué l’état civil des indigènes,<br />

avec obligation de déclarer les naissances. Cette décision ne fut pas suivie d’effets. D’instinct, le<br />

nomade fuit toute intrusion de l’administration dans sa vie personnelle ; il ne déclare pas les<br />

naissances, sauf s’il se trouve par hasard à proximité immédiate d’un poste administratif […] Si<br />

l’on répugne à déclarer les naissances, on néglige également de signaler les décès. Quand un<br />

bédouin meurt en brousse, on l’ensevelit sur place, et personne n’ira signaler le décès au poste<br />

administratif, à des dizaines de kilomètres de là. Dans certains cas, l’intérêt de la famille veut que<br />

le décès ne soit pas déclaré. On signalait l’exemple d’un manœuvre de la Compagnie de chemin<br />

de fer qui à son décès fut remplacé sur les chantiers par son fils sans que la Compagnie en soit<br />

avisée. Des années plus tard, un employé s’étonna de relever sur les registres de paie le nom et<br />

cet ouvrier solide au poste, qui travaillait encore à l’âge de 80 ans ! » 75 . L’administration tente<br />

cependant de faire un compte succint de la population lors de ses recensements qui sont toujours<br />

approximatifs. Au 15 mai 1950, a-t-on ainsi comptabilisé 7581 individus. Pour le 2 e trimestre de<br />

1951, leur nombre « dépasse 2000 », en 1952, ils sont 4438 et en 1953, 5123 76 . De même pour<br />

1949, on dénombre 25 naissances, 29 décès, 23 mariages tout en ajoutant que ces chiffres « ne<br />

correspondent pas à la réalité ». 77 Ce flou, qui rend difficile l’évaluation des besoins de la<br />

population en cas de crise alimentaire ou encore le décompte du nombre exact de votants par<br />

exemple, est essentiellement lié à la nomadisation. En effet, on peut distinguer 2 « catégories » de<br />

très inégales importances dans le cercle : les sédentaires (essentiellement situés dans la ville<br />

d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et dans les villages autour de la voie ferrée) et les nomades. Nous avons des<br />

informations assez précises concernant leurs proportions pour l’année 1950 78 :<br />

Pop autochtone du cercle Pop autochtone sédentaire<br />

Adultes 2732 613<br />

Enfants (- de 15 ans) 4849 684<br />

total 7581 1297<br />

L’analyse de ces quelques chiffres révèle la grande part de la population nomade dans le<br />

cercle, mais aussi le nombre considérable d’enfants de moins de 15 ans, qui devrait pouvoir<br />

bénéficier de la scolarisation par exemple. Ainsi la plupart de la population est nomade, en<br />

réponse aux conditions climatiques difficiles : extrême chaleur, pluviométrie à la fois faible et<br />

irrégulière (avec cependant des averses violentes mais de courte durée), aucun cours d’eau<br />

permanent. <strong>La</strong> rareté et la précarité des pâturages obligent à la transhumance. Les campements,<br />

75<br />

P. Oberlé et P. Hugot, Histoire de Djibouti. Des origines à la République, Paris-Dakar, Présence africaine, 1996,<br />

190-191.<br />

76<br />

Ces chiffres ont respectivement été trouvé dans CAOM CFS ss série 6G<br />

- carton 6G4, chemise 1950. Rapport succinct sur les groupes ethniques, 15 mai 1951.<br />

- carton 6G4, chemise 1951. Rapport trimestriel, 2 e trimestre 1951.<br />

- carton 6G3, chemise 1953. Rapport annuel pour 1952, 2 avril 1953.<br />

- carton 6G3, chemise 1954. Renseignements à l’ONU pour 1953, 8 février 1954.<br />

77<br />

CAOM CFS ss série 6G, carton 6G4, chemise 1951. Rapport succinct sur les groupes ethniques, 15 mai 1951.<br />

78 Ibibem.


19<br />

formés de plusieurs familles et de leurs animaux 79 à la base de leur nourriture, se déplacent de 2 à<br />

4 fois par an. Ces déplacements ont lieu dans un faible rayon (25 à 50 km, rarement plus de 100),<br />

chaque tribu ayant un territoire ordinaire étroitement délimité et certains pâturages de réserves<br />

plus éloignés pour les cas de disette 80 . L’administration a donc à faire à une population<br />

particulièrement flottante d’autant plus qu’une partie des zones parcourues lors de la<br />

transhumance, est à l’extérieur des frontières de la CFS par exemple en Ethiopie. D’autres<br />

éléments viennent brouiller davantage les pistes. Cette donnée complique d’ailleurs davantage le<br />

recensement car il faudrait, pour avoir un résultat fidèle à la réalité, dresser les arbres<br />

généalogiques de toutes les familles en collectant des informations par l’intermédiaire des chefs<br />

de tribus. « Tâche énorme, dont l’administration n’est jamais venu à bout, faute de personnel et<br />

de crédits » 81 . Lors des périodes de très grande sécheresse nombre de nomades ayant perdu tout<br />

leur troupeau se regroupent autour des villages et plus particulièrement Ali-<strong>Sabieh</strong>. C’est ce qui<br />

ce passe en 1949, année d’une sécheresse tellement terrible que même le Père Silvère, témoin<br />

privilégié y fait allusion.<br />

« Pluie abondante, l’oued coule de nouveau pour la première fois depuis plus d’un an.<br />

Nous avons plusieurs jours de pluie ; grand bienfait pour tout le pays qui a souffert cette année<br />

d’une sécheresse exceptionnelle. Les 2 /3 du cheptel ont péri. » 82<br />

Les autorités locales sont elles aussi, interpellées par cette sécheresse qui dure et qui,<br />

clairement entraîne la disette. Elle fait partie des sujets récurrents abordés entre le chef du poste<br />

administratif le Lieutenant Kreher et le Gouverneur. Lors de sa tournée en mars, le Lieutenant se<br />

rend compte des difficultés des populations nomades : pâturages très maigres, nombreux points<br />

d’eau à sec ou tendent à le devenir. Les nomades viennent ainsi dans les villages et à Ali-<strong>Sabieh</strong>,<br />

« pour essayer de s’y faire nourrir par les commerçants ou les sédentaires employés par le<br />

CFE» 83 . <strong>La</strong> population y aurait presque doublée 84 . Mais il existe aussi parfois des mouvements<br />

« dans l’autre sens », puisque pendant la période du Ramadan, d’assez nombreux sédentaires se<br />

rendent dans le campement de leur famille 85 .<br />

Le dénombrement s’avère donc un peu compliqué… Mais une chose est sure cependant,<br />

nomades comme sédentaires sont quasiment tous Issas. Si deux peuples de nomades se partagent<br />

le territoire de la CFS, le cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> est entièrement peuplé de Issas, rattachés au clan<br />

des Somalis. S’étendant dans le Sud-Est de la CFS, la zone de peuplement Issa déborde d’ailleurs<br />

largement ses frontières en Ethiopie, en Somalie.<br />

79<br />

On a par exemple pour l’année 1954, des chiffres approximatifs du nombre d’animaux dans le cercle : Pour<br />

environ 5200 individus, le commandant de Cercle Salvadori estime à 2500 le nombre de caprins, 8000 ovins, 3000<br />

camélins, et quelques bovins.<br />

80<br />

H. Deschamps, « la Côte française des Somalis », in H. Deschamps, M. Decary, A. Ménard, Côte des Somalis,<br />

Réunion, Inde, Paris, Berger-Levrault, 1948, p. 24.<br />

81<br />

P. Oberlé et P. Hugot, Histoire de Djibouti. Des origines à la République, Paris-Dakar, Présence africaine, 1996,<br />

191.<br />

82<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 25 novembre 1949.<br />

83<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G2, chemise 1949. Lettre du chef du Poste administratif d’Ali-<strong>Sabieh</strong> à<br />

Monsieur l’Administrateur Commandant de Cercle de Djibouti, 10 mars 1949.<br />

84<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, chemise 1949. Bulletin de renseignements, 16 juillet 1949. Cette sécheresse<br />

dépasse le cadre d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et a bien d’autres conséquences que la demie famine dans le cercle, comme le rappelle<br />

C. Dubois, Djibouti 1888-1967, Héritage ou frustration ? , Paris, l’Harmattan, 1997, p. 254 :<br />

«Tout d’abord, depuis 1948, la CFS traversait une grave période de sécheresse qui poussa les pasteurs nomades,<br />

notamment les Issas de cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, à venir chercher refuge à Djibouti, perçue comme un havre de<br />

prospérité. Trouver de l’embauche y fut fort malaisé. Ces victimes de l’exode rural, devenus citadins malgré eux,<br />

furent projetées sur le marché de l’emploi en pleine déprime. Par manque de qualification et par méconnaissance des<br />

langues, tant du français que de l’arabe, ils furent écartés et allèrent grossir les rangs des inactifs que comptaient le<br />

capitale. Ne formèrent-ils pas alors une masse sensible aux slogans nationalistes—le travail aux seuls originaires de<br />

la colonie—propagés par le courant Hanolato ? »<br />

85 e<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, chemise 1950. Rapport trimestriel, 2 trimestre 1950.


20<br />

On retrouve la même unité concernant la religion majoritaire, l’Islam, pratiquée cependant<br />

avec « certaines libertés » : « la religion musulmane, fondement de leur unité spirituelle,<br />

conditionne d’une manière sensiblement identique, de la naissance à la mort, la vie du Somali ou<br />

de l’Afar. Dans la vie quotidienne, l’observation des règles prescrites par l’Islam est tempérée par<br />

les conditions locales. Le jeûne du Ramadan, observé par les populations citadines de Djibouti<br />

des petites agglomérations, n’a guère de sens parmi les populations de la brousse qui pratiquent<br />

jeûne et ascétisme à longueur d’année… D’autre part les anciennes lois tribales, parfois en<br />

contradiction avec le Coran, sont encore respectées davantage que celles de l’Islam » 86 . Bien des<br />

années auparavant, Deschamps faisait déjà une description un peu similaire de l’Islam de la<br />

région :<br />

« Tous les indigènes de la CFS sont musulmans. Cependant certaines coutumes peuvent<br />

être interprétées comme des résidus de croyances antérieures. L’Islam est peu pratiqué le plus<br />

souvent, mais il a marqué la société de son empreinte […] Les gens qui habitent la ville<br />

fréquentent les mosquées, font leurs prières (rite chaféite) et observent le jeûne. Dans l’ensemble<br />

la pratique de l’Islam parmi les nomades se réduit à peu de choses. Ils font rarement la prière et la<br />

plupart ne connaissent pas la fatiha. Le Ramadan n’est observé en brousse que pendant quelques<br />

jours »<br />

Cette sorte de « souplesse » ne rend pas pour autant l’implantation du catholicisme plus<br />

aisée comme le constate le Père Silvère : « Bien que les somalis ne soient pas musulmans<br />

fanatiques, il ne faut pas encore songer à convertir les adultes » 87 . Nos missionnaires capucins<br />

sont bel et bien en milieu musulman assez peu perméable aux préceptes chrétiens. Rappelons<br />

enfin que Ali-<strong>Sabieh</strong> possède une petite mosquée sans grand faste.<br />

2.2. … et d’une poignée d’Européens dans un espace en pleine expansion.<br />

<strong>La</strong> présence permanente européenne à Ali-<strong>Sabieh</strong> ne se réduit guère qu’aux membres de<br />

l’administration, de l’armée ou encore aux employés du CFE, accompagnés de femmes et<br />

enfants (et bien sûr les deux Capucins). Là encore, nous avons quelques chiffres : en 1951, le<br />

Commandant de Cercle dénombre 64 hommes, femmes et enfants 88 . Pour 1952, ils ne sont plus<br />

que 21, dont 17 hommes et 4 femmes 89 . Enfin pour l’année 1953, on en dénombre 37 90 . Ces<br />

chiffres ne couvrent malheureusement qu’une petite partie de la période étudiée. De plus, ils<br />

oscillent beaucoup sur une période assez courte. Ils sont cependant plus fiables que les précédents<br />

sur la population locale. Sans doute, traduisent-ils, le mouvement régulier de cette catégorie de<br />

population dont les membres ne restent jamais guère longtemps sur le territoire du Cercle.<br />

Quoiqu’il en soit et malgré cet échantillon qui reste limité, on peut raisonnablement conclure sans<br />

se tromper que les Européens et assimilés constituent à Ali-<strong>Sabieh</strong>, un groupe très restreint (que<br />

l’on prenne les chiffres en tant que tels, ou qu’on les compare avec ceux de la population locale).<br />

Ce qui, sans doute, entraîne un type de rapports particuliers entre les membres de ce groupe (dans<br />

lequel, rappelons le, les missionnaires évoluent également) et bien sûr avec les autochtones.<br />

Plus qu’avec des administrateurs ou autres militaires, la présence française se remarque<br />

dans l’espace. Ali-<strong>Sabieh</strong> apparaît à la fin des années 1940 comme un espace en pleine mutation,<br />

86<br />

P. Oberlé et P. Hugot, Histoire de Djibouti. Des origines à la République, Paris-Dakar, Présence africaine, 1996,<br />

p.28-29.<br />

87<br />

Père Silvère, « UN REGARD sur notre Mission de la Somalie Française (Djibouti) », in Mission des Capucins<br />

(Madagascar- Somalie française), Strasbourg, Procure des missions des Pères Capucins (Strasbourg-Koenigshoffen),<br />

1956-1957, p. 18-19.<br />

88 ème<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, rapport trimestriel pour le 2 trimestre 1951.<br />

89<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G3, rapport annuel, Etat civil pour 1952, 2 avril 1953. Notons par ailleurs que<br />

parmi ces 21 «européens », on dénombre 20 de naissance et un naturalisé. (6G3, renseignements à l’ONU du 2 mars<br />

1953).<br />

90<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G3, renseignements à L’ONU, 8 février 1954.


21<br />

« petit centre en plein développement, de plus en plus fréquenté par les tribus Issas » 91 . Il faut<br />

dire que longtemps, la politique de pénétration française à l’intérieur du territoire s’est limitée à la<br />

construction du chemin de fer franco-éthiopien qui traversait la région habitée par les nomades<br />

Issas. Certains d’entre eux se sédentarisèrent, créant de petites bourgades autour des <strong>station</strong>s de<br />

chemin de fer : Chebele, Hol-Hol, Dasbiou, Ali-<strong>Sabieh</strong>. Mais c’est surtout avec la nomination du<br />

gouverneur Chapon-Baissac à la tête du territoire que fut décidé la pénétration des régions de<br />

l’intérieur, meilleur moyen de contrôle des « indigènes » et des frontières. Tadjourah et Dikkil<br />

furent les premiers postes administratifs de l’intérieur des terres et leur création marque une date<br />

importante dans l’histoire de la colonie 92 .<br />

Le poste administratif d’Ali-<strong>Sabieh</strong> autonome de Dikkil et la création du cercle militaire<br />

en 1939 répondent à la même logique même si tout reste à faire :<br />

« <strong>La</strong> construction d’un dispensaire, de la maison prévue pour les miliciens, l’achèvement<br />

de la caserne des partisans doivent être vaincre ces hésitations. Ultérieurement la construction des<br />

bureaux du Cercle, d’une Mosquée, d’un marché, d’une école même accentueront ce<br />

développement qui doit être poursuivi en 1940. L’adduction d’eau potable au nouveau village<br />

comme dans la concession européenne couronnera les efforts : c’est la pierre principale de cet<br />

édifice dont l’importance et l’urgence ne doivent pas être perdus de vue. » 93<br />

Mais après la guerre, force est de constater que le cercle est en retard en matière<br />

d’équipements « publics » et militaires. On construit autant que l’on peut avec des moyens qui<br />

paraissent, à la lecture de nombreux courriers et rapports administratifs, limités. Les bâtiments<br />

administratifs et surtout militaires, sont longtemps, d’après les Commandants de Cercle assez<br />

insuffisants. En 1950, le Capitaine d’Escrienne écrit : « A part cette année, la construction des<br />

bureaux du Cercle qui n’était tout de même pas un luxe, rien n’a pratiquement été fait à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> depuis 1939 » 94 . Ainsi, tout comme la mission <strong>catholique</strong>, les années qui suivent la guerre<br />

sont une période durant laquelle les constructions administratives et militaires se multiplient à<br />

l’image du nouveau dispensaire dont on envisage la construction en 1950, en remplacement de la<br />

« …cabane de planches, qu’on doit étayer sous peine de la voir s’écrouler… ». Ce sera chose<br />

faite en octobre 1951 : même les missionnaires y font référence 95 . De plus, Ali-<strong>Sabieh</strong> bénéficie<br />

désormais d’un infirmier permanent, jusqu’alors un seul infirmier étant chargé des cercles d’Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> et de Dikkil 96 . L’école publique mais aussi les bureaux de cercle, les logements pour<br />

militaires ou administrateurs pourraient aussi être de bons exemples.<br />

2.3. Description succincte de l’organisation politique et militaire du cercle.<br />

L’arrêté 57 du 19 janvier 1939 97 portant la réorganisation de la Côte Française des<br />

Somalis, crée le cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. A sa tête et tout en haut de la hiérarchie du cercle, se trouve<br />

le Commandant de Cercle, fonctionnaire civil, en principe un administrateur des colonies, soit un<br />

officier hors-cadre, nommé par décision du gouverneur. Il est responsable de la police et de la<br />

sécurité dans l’ensemble de son territoire. C’est le personnage central du cercle, garant des<br />

91<br />

H. Deschamps, « la Côte française des Somalis », in H. Deschamps, M. Decary, A. Ménard, Côte des Somalis,<br />

Réunion, Inde, Paris, Berger-Levrault, 1948, p. 74.<br />

92<br />

P. Oberlé et P. Hugot, Histoire de Djibouti. Des origines à la République, Paris-Dakar, Présence africaine, 1996,<br />

p.103-105.<br />

93<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G5, rapport annuel 1939 et les perspectives pour 1940.<br />

94 e<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, ss chemise 1950, rapport trimestriel pour le 3 trimestre 1950.<br />

95<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 11 octobre 1951. …« Au Magala en face de la résidence, et des bureaux du<br />

cercle l’administration construit un dispensaire et une école. Tous deux sont en voie d’achèvement … ».<br />

L’information est corroborée à la lecture des sources administratives : CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, ss<br />

chemise 1951, rapport trimestriel pour le 3 e trimestre 1951.<br />

96 e<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, ss chemise 1951, rapport trimestriel pour le 4 trimestre 1950.<br />

97<br />

Arrêté du 19 janvier 1939 publié dans le Journal Officiel de la CFS.


22<br />

intérêts de la France accompagné d’une dispositif administratif guère développé (par exemple :<br />

Bureau annexe des douanes à Ali-<strong>Sabieh</strong> lié à la présence du chemin de fer).<br />

A cette organisation, se greffe des éléments dits « indigènes » chargés de la liaison de<br />

l’administration avec les nomades : les okal (au singulier akel), ou chefs de tribus. En novembre<br />

1949, il y en a sept pour l’ensemble du Cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 98 , neuf en 1952 même si le<br />

Commandant de Cercle affirme qu’ils pourrait être beaucoup moins (quatre ou cinq) 99 . Leur<br />

position est partiellement enviable puisqu’ils sont rémunérés par l’administration en échange des<br />

renseignements et services rendus. Cette paie apparaît d’ailleurs comme un moyen de pression<br />

sur ces derniers. Ainsi en novembre 1949, le Commandant de Cercle Kreher propose une<br />

augmentation de leur salaire pour qu’ils soient « sensiblement au même niveau que le salaire d’un<br />

coolie, si l’on veut disposer d’un moyen de pression sur eux, par suppression de la solde en cas de<br />

mauvaise manière de servir » 100 . Autre personnage « indigène » d’importance : le Cadi. Il s’agit<br />

d’un fonctionnaire religieux, chargé du tribunal de la charia à Ali-<strong>Sabieh</strong>, de l’enregistrement des<br />

actes des musulmans. Il règle également de nombreux différents entre musulmans, s’occupe de la<br />

tenue de l’état civil du village.<br />

Enfin, la ville est aussi une garnison où se côtoient des membres de la milice et de la<br />

compagnie des tirailleurs Sénégalais. Tenus de veiller au maintien de l’ordre public, les miliciens<br />

sont aussi chargés de l’escorte des trains et de la surveillance des gares. En 1950, on compte 35<br />

personnes dans le détachement dont quatre gradés, cinq employés considérés comme<br />

« strictement indispensables », 6 détachés dans les <strong>station</strong>s de la voie ferrée et au poste frontière<br />

de Guélilé et 20 pour assurer l’escorte journalière des trains 101 . Ajoutons à cette liste pour être<br />

complet, un petit poste de gendarmerie, qui devient permanent à partir du 1 er mai 1952, composé<br />

de quelques gendarmes et de gendarmes auxiliaires.<br />

Missionnaires et fonctionnaires ont des objectifs bien distincts à Ali-<strong>Sabieh</strong> pourtant on peut leur<br />

trouver quelques points communs, ou en tout cas des similitudes dans les situations respectives.<br />

3. Ali-<strong>Sabieh</strong> : espace stratégique ou espace en marge ?<br />

<strong>La</strong> mission et le cercle administratif entrent quasiment à la même période dans une phase<br />

de « conquête » de la région d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, de prise en main qui se traduit par exemple dans<br />

l’espace par de nouvelles constructions : orphelinat, cuisine pour les Pères, école, dispensaire,<br />

logements pour le cercle administratif. <strong>La</strong> volonté d’extension du catholicisme en milieu<br />

musulman peut être mise en parallèle avec celle de la France d’étendre son influence sur tout le<br />

territoire qui jusqu’alors était assez indifférent à sa présence. Sur le plan financier on est aussi<br />

tenté de mettre en évidence les similitudes de situations.<br />

3.1 Ali-<strong>Sabieh</strong>, un emplacement stratégique.<br />

98 CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, ss chemise 1949, lettre du commandant de cercle De Kreher au gouverneur<br />

du 19 novembre 1949.<br />

99 CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, ss chemise 1952, lettre du commandant de cercle au gouverneur de janvier<br />

1952.<br />

100 CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, ss chemise 1949, lettre du commandant de cercle De Kreher au gouverneur<br />

du 19 novembre 1949.<br />

101 CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, ss chemise 1950, rapport trimestriel pour le 2 e trimestre 1950. Le<br />

Commandant de Cercle fait d’ailleurs cette énumération pour montrer que l’effectif lui semble insuffisant.


23<br />

Le nouveau préfet apostolique, Mgr Hoffmann entend donner une nouvelle impulsion à<br />

un territoire qui jusqu’alors avait été complètement résistant à l’évangélisation. Il s’agit de<br />

relancer l’activité missionnaire à Djibouti-ville mais aussi dans l’intérieur des terres 102 , où la<br />

présence française est moins affirmée. Ainsi, hormis la réinstallation de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>,<br />

fin 1946, et le développement des actions sociales et religieuses à Djibouti-ville 103 , sont créées en<br />

1950, la Mission Notre Dame de Boulaos, puis en 1955, la paroisse Saint Joseph dans le cercle<br />

de Tadjourah 104 . Ces <strong>station</strong>s sont accompagnées d’activités sociales plus ou moins développées.<br />

Cette réouverture doit ainsi permettre de pallier la faiblesse des activités missionnaires à<br />

l’intérieur et s’inscrit donc dans un plan plus général, s’appliquant à l’ensemble de la préfecture<br />

apostolique, et Mgr Hoffmann espère beaucoup de notre <strong>station</strong> qui pour l’heure est l’unique<br />

paroisse fondée en dehors de la capitale. L’intérêt est double : Il s’agit d’une part, d’implanter la<br />

présence <strong>catholique</strong> en milieu Issa même s’il ne se fait guère d’illusion : « En pays somali,<br />

l’œuvre des orphelinats sera toujours nécessaire pour le développement de la Mission » 105 .<br />

D’autre part, le centre d’Ali-<strong>Sabieh</strong> est l’une des pièces essentielles d’un plan élaboré par Mgr<br />

Hoffmann, comme il le rappelle dans la revue Grands <strong>La</strong>cs :<br />

« Enfin, en décembre 1946, nous avons organisé les bases de l’organisation des<br />

orphelinats. Nous conserverons à Djibouti que l’oeuvre des enfants métis, métis français, arabes,<br />

arméniens, italiens, grecs.<br />

Cette œuvre sera dirigée selon la méthode des internats d’Europe. Les enfants somalis<br />

seront regroupés à Ali-<strong>Sabieh</strong> et cet orphelinat sera dirigé selon les méthodes employées à<br />

Berbera : instruction générale en français, instruction religieuse en somali.<br />

Dans ces missions de l’intérieur, il est nécessaire de former la majorité des enfants à<br />

l’artisanat. Les ouvriers spécialisés indigènes n’existent guère dans la colonie. L’artisanat sera<br />

aussi une source de revenus pour nos œuvres. Certes le matériel d’imprimerie, de menuiseries de<br />

mécanique est très cher à l’heure actuelle et il nous faudra probablement de longues années de<br />

patience avant de parvenir à des installations modernes. […] » 106<br />

C’est dans le même esprit de gestion optimale des capacités d’accueil de l’ensemble de la<br />

mission somalie que l’on envisage en fin 1954 des modifications dans l’organisation scolaire,<br />

prouvant un peu plus que la réinstallation d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, s’inscrit dans une « politique » globale.<br />

« A la réunion des missionnaires suivant la retraite, il est convenu pour plusieurs graves<br />

raisons de répartir les enfants internes dans nos maisons de la façon suivante :<br />

1) À Ali-<strong>Sabieh</strong> – les petits durant environ 3 ans : Cours préparatoire et élémentaire.<br />

2) A Djibouti Ste Jeanne d’arc : les enfants d’âge moyen jusqu’au certificat d’étude ou pour<br />

certains jusqu’au brevet.<br />

3) A Notre Dame de Boulaos : les artisans, moniteurs et élèves au delà du brevet… » 107<br />

Du côté des autorités coloniales, Ali-<strong>Sabieh</strong> est une agglomération qui mérite une<br />

attention particulière. Les autorités administratives et militaires ont pour priorité la surveillance<br />

102<br />

Hormis C. Dubois et P. Soumille, Des chrétiens à Djibouti en terre d’Islam, chap. 4 ; le mémoire de maîtrise O.<br />

Jouanneau, Consolider la présence <strong>catholique</strong> à Djibouti, une minorité religieuse dans une ville musulmane, 2004 ;<br />

On prend bien la mesure de l’implication du préfet notamment en faveur de la mission principale, celle de Djibouti<br />

ville.<br />

5<br />

Je pense par exemple à la construction du bâtiment et la mise en fonctionnement de l’Ecole Charles de Foucault en<br />

1951 pour relancer l’école de la Mission ouverte en 1948.<br />

6<br />

Guide annuaire de la CFS pour l’année 1959, « culte religieux ». L’extrait est tiré C Dubois et P. Soumille, Des<br />

chrétiens…, 2004, p.171.<br />

7<br />

Grands <strong>La</strong>cs, « Djibouti », p.44.<br />

106 Revue Grands <strong>La</strong>cs, « Djibouti », 15 mai 1947, p. 44 et suiv.<br />

107 Ibidem, principaux évènements 1954.


24<br />

d’une frontière particulièrement perméable. <strong>La</strong> mobilité des « indigènes » est une source de tracas<br />

permanente pour l’administration de Djibouti, qui ne dispose, nous l’avons vu, d’aucun critère<br />

valable permettant de définir l’appartenance au territoire. Les Issas ne connaissent que les limites<br />

ancestrales de leur pays et ignorent délibérément les frontières artificielles tracées par l’ère<br />

coloniale lors de leur transhumance qui les amènent à circuler sans cesse entre Djibouti et la<br />

Somalie, où ils séjournent pendant l’hiver, et l’Ethiopie où certains se rendent en été. Les<br />

problèmes concernant l’appartenance au territoire de toutes ces populations, mais aussi la sécurité<br />

de ce dernier se posent donc. Affirmer la présence française en CFS, jusqu’alors plutôt limitée<br />

vers la côte, est donc à l’époque une priorité. Par ailleurs, Ali-<strong>Sabieh</strong>, première <strong>station</strong> ferroviaire<br />

française après le frontière, a un rôle d’importance dans l’encadrement du trafic engendré par le<br />

chemin de fer franco-éthiopien—véritable « artère de la vie économique » de la colonie.<br />

3.2 Des difficultés financières qui rappellent un espace en marge.<br />

D’une manière générale, on est frappé par le manque de moyens à disposition des<br />

missionnaires et surtout de l’administration, alors que l’espace est considéré comme important<br />

stratégiquement.<br />

Concernant les religieux, les difficultés financières sont bien sûr à relier avec le manque<br />

de moyens général dans l’ensemble de la Mission somalie. En effet, se pose avec acuité la<br />

question des moyens financiers dont dispose Henri Hoffmann pour agir. Il ne s’en cache pas dans<br />

la revue Grands <strong>La</strong>cs, dont un numéro spécial est consacré à Djibouti.<br />

« Pour pouvoir faire face aux besoins des âmes la Mission doit suivre le mouvement.<br />

Hélas ! Nous habitons toujours ce qui fut la poste de la colonie… il y a 50 ans. Et notre vieille<br />

maison ne tient qu’à grand renfort de piliers.<br />

Devant la « résidence » du préfet apostolique, les passants hochent la tête : « C’est une<br />

honte que les missionnaires en soient réduits à cette misérable case ! »<br />

D’accord ! Mais la construction d’une Mission centrale coûte 4 millions de Francs<br />

africains. Et, de l’avis de tous les techniciens de la ville, c’est un minimum !<br />

Bien que nous n’ayons pas le quart de ces 4 millions, nous avons commencé la<br />

construction qui s’impose de toute nécessité.<br />

Le développement rapide de la colonie, exige en outre l’agrandissement de l’église de<br />

Djibouti. Il faudra moderniser et multiplier les œuvres de la capitale et de l’intérieur : Crèches,<br />

orphelinats, écoles, ateliers d’artisanat. Les Issa ont une Mission ; les Danakils attendent la leur.<br />

Chaque <strong>station</strong> réclame son orphelinat pour garçons et son orphelinat pour filles.<br />

Et je ne vous parle que du plus urgent. » 108<br />

Ce récapitulatif des besoins de la mission Somalis, paru dans Grands <strong>La</strong>cs, est suivi d’un<br />

appel aux dons, dans la mesure où cette revue comme toutes les revues missionnaires, est éditée<br />

au profit des missions. Le lecteur par l’achat, contribue au financement et est plus sensible aux<br />

appels à la générosité lancés par les missionnaires. Ces données sont par ailleurs corroborées par<br />

l’administration, en la personne de J. Chalvet gouverneur de la CFS en 1948 :<br />

« Les ressources matérielles dont disposent les missions religieuses et dont le détail est<br />

donné par ailleurs, sont dans l’ensemble d’un rendement modeste. » 109<br />

Il précise par ailleurs quelques pages plus loin, les moyens financiers de la préfecture<br />

apostolique qui reçoit « des dons de la Sainte Enfance, Propagation de la foi ou des dons des<br />

108 Article écrit par Hoffmann dans Grands <strong>La</strong>cs, « Djibouti » 15 mai 1947, p.64.<br />

109 CAOM, Affaires politiques, carton 2192, dossier 5, sous dossier 8, CFS : Réponse au ministre des Colonies<br />

concernant une enquête sur les Missions dans les colonies, 28 janvier 1948.


25<br />

fidèles de Djibouti ; aucune subvention de la colonie… » 110 . <strong>La</strong> Propagation de la Foi, fondée à<br />

Lyon en 1822, en plein engouement populaire pour les missions, doit permettre de procurer des<br />

fonds. L’œuvre repose avant tout sur les collectes populaires (le sou de la semaine) et sur la<br />

publication des Annales de la Propagation de la Foi 111 . Comme la Propagation de la Foi, la<br />

Sainte-Enfance contribue financièrement à l’ensemble des missions du monde. Son but est plus<br />

particulièrement, le rachat, le baptême et l’éducation des enfants païens 112 .<br />

<strong>La</strong> situation financière de la Mission Somalie serait devenue carrément précaire par suite<br />

de la création pour le territoire de la monnaie autonome rattachée au dollar en 1949, devant<br />

favoriser l’essor économique de la CFS. En effet, selon la chambre de commerce et d’industrie de<br />

Djibouti, l’adoption de la nouvelle monnaie représentait une dévaluation de l’ordre de 40%. Ces<br />

dévaluations eurent des incidences sur le coût de la vie 113 :<br />

« <strong>La</strong> Mission entretient, en effet et développe son activité charitable et sociale grâce aux<br />

subventions qu’elle reçoit principalement de la Métropole et de Rome et les difficultés que lui<br />

crée la nouvelle réglementation la mettent en situation qu’elle n’hésite pas à considérer comme<br />

grave… » 114<br />

Le besoin de fonds est d’autant plus flagrant que Monseigneur tente une politique de relance dans<br />

tout le territoire.<br />

Quant aux autorités coloniales, il semble également que l’argent manque ; ou du moins<br />

que l’Etat ne donne pas de moyens à la hauteur des attentes et de l’intérêt du lieu. Face à la<br />

multiplication des besoins, les moyens restent insuffisants. Les commandants de cercle s’en<br />

plaignent régulièrement et on pourrait prendre de nombreux exemples. En 1952, le Capitaine<br />

d’Escrienne se plaint de ne pas pouvoir faire les contrôles des trains de nuit dans de bonnes<br />

conditions et la perception des droits prévus sur le kath s’en trouve affectée, manque d’éclairage<br />

dans la gare. Les voyageurs en profitent pour recourir à des fraudes assez simples qui seraient<br />

détectables la journée. Il suffirait pourtant d’acheter un groupe électrogène.<br />

« Cependant, ce qui était à craindre se réalise évidemment : le contrôle dans les trains de<br />

nuits, par suite du manque d’éclairage de la gare, est en réalité une « bonne plaisanterie ». Elle<br />

doit cesser au plus tôt, car nous nous ridiculisons aux yeux de l’étranger et de la France, que nous<br />

présentons tout de même, n’a pas tellement de prestige à gaspiller […]<br />

Il importe qu’une solution soit trouvée au plus tôt au problème… On peut soit exiger au<br />

CFE qu’il nous donne l’éclairage, soit décider l’achat d’un groupe électrogène : j’en ai proposé 2 à<br />

M. le Chef de Service des Finances, l’un par la CGEA, l’autre par la maison Minassian… En 3<br />

mois au grand maximum les recettes du kath en gare d’Ali-<strong>Sabieh</strong> suffiraient à payer ce groupe !<br />

L’idée, pas mauvaise en elle-même, de vouloir affecter à Ali-<strong>Sabieh</strong> un groupe de<br />

Djibouti ne saurait être retenue, pour 2 raisons surtout : dans combien de mois (où d’années) se<br />

ferait-il ? Et que ferions nous ici d’un 50 KWA ?!!<br />

En attendant d’une solution soit prise, j’ai l’honneur de vous rendre compte que j’ai<br />

l’intention de supprimer le contrôle du kath dans les trains de nuit. On peut accepter de faire rire<br />

de soi dans l’intérêt général, mais ce n’est pas le cas !... et puis, si je fais rire de moi ici,<br />

n’oublions pas que je fais rire en même temps de ceux que je représente… et c’est beaucoup plus<br />

grave » 115<br />

110<br />

Ibidem.<br />

111<br />

J. Gadille et J. F. Zorn, op.cit, p. 157 et sq.<br />

112<br />

P. Piolet, « Du Budget des missions étrangères », Revue d’histoire des missions, 1926, p.175.<br />

113<br />

C. Dubois, Djibouti, 1888-1967, Héritage ou frustration ?, l’Harmattan, 1997, p.254.<br />

114<br />

CAOM, CFS, 4 E 124 : Bureau d’études, chemise missions religieuses : lettre du Ministre de la FOM au<br />

gouverneur de la CFS, 1 er avril 1950.<br />

115<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, chemise 1952, lettre du Commandant de Cercle au gouverneur du 19 avril<br />

1952. Il réitère ses plaintes dans le rapport trimestriel du 1 er trimestre 1952 (2 avril 1952), p.3: « Nous faisons<br />

minable figure à côté des éthiopiens dont la gare de Daouenlé est parfaitement éclairées… »


26<br />

Ainsi les tâches élémentaires qui justifient la présence d’une garnison et d’une population<br />

réaffirmant la présence française ne peuvent pas être réalisées dans les meilleures conditions<br />

faute de moyens. L’administrateur se plaint également de problèmes récurrents de véhicules 116<br />

qui courent depuis 1949 sur fond de divergences entre le centre et la périphérie.<br />

« En examinant différents problèmes, par exemple celui qui se pose actuellement à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> pour l’achat d’un véhicule, on se rend compte que tout n’est pas logique. Ainsi, c’est à<br />

Djibouti où quelles que soient ses qualités intellectuelles, morales, techniques, un chef de service<br />

ne peut être mal ou incomplètement renseigné des problèmes de l’intérieur du territoire qu’on juge<br />

souvent sans appel, et toujours avec beaucoup de sang froid, des besoins des gens de<br />

l’intérieur… » 117<br />

Il se plaint même du montant trop peu élevé des frais de représentations et intervient alors<br />

qu’il s’apprête à quitter sa fonction : « A titre d’exemple, je vous confierai qu’une de vos visites à<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong>, avec le champagne que j’ai cru devoir offrir, m’a coûté environ 5 mois de frais de<br />

représentations ». Certaines fêtes (1 er Janvier, Ait el Kebir, 11 novembre etc…) pour lesquelles<br />

vous ne déléguez pas de crédits particuliers coûtent assez fort cher… et je pourrais, bien entendu,<br />

multiplier les exemples de dépenses auxquelles j’ai été amené uniquement par suite de mes<br />

fonctions. »<br />

Le paragraphe suivant il hausse le ton : « Cela m’a longtemps paru logique et, ici, je n’admettrais<br />

d’ailleurs de leçon de désintéressement de personne ! Mais encore faudrait il que tout le monde<br />

soit logé à la même enseigne et que, dans une même administration, certaines situations ne<br />

confèrent pas surtout des droits, alors que d’autres confèrent surtout des devoirs… ce qui est<br />

d’ailleurs contraire à l’esprit d’un régime démocratique et républicain ou qui se prétend tel ! » 118 .<br />

Insinue-t-il que certains cercles seraient mieux lotis que d’autres ? Quoiqu’il en soit, les sources<br />

de « conflits » viennent souvent du fait que l’administration centrale ne prend que peu en compte<br />

les demandes des administrateurs à Ali-<strong>Sabieh</strong> et nombreuses sont les sources, où ces derniers<br />

demandent une rallonge budgétaire, un changement de matériel (les changements et réparations<br />

de voitures notamment), ou encore des fonds pour la construction de logements devenu depuis un<br />

moment nécessaire. Parfois, ce manque d’intérêt semble avoir des raisons autres que le manque<br />

strict de moyens :<br />

« En terminant ce rapport le Commandant de Cercle voudrait faire appel à une confiance<br />

réciproque entre ceux qui travaillent ensemble à l’administration de ce petit territoire.<br />

Il lui semble que cette confiance n’existe pas toujours et il croit cependant fermement<br />

qu’elle est la condition première de tout travail rentable. Personne n’ignore les mesures<br />

d’économies prescrites et les dispositions prises en vue d’économies forcées. Personne ne doute<br />

non plus du bien fondé de ces restrictions dans le domaine des dépenses…personne enfin n’oserait<br />

prétendre que se conformer à ces mesures ne constitue pas un devoir à tous les échelons, et un<br />

exemple à donner lorsqu’on est à un échelon élevé de la hierarchie.<br />

Donc puisque chacun est conscient de la situation financière et de ses devoirs propres il est<br />

à souhaiter que chefs de services et Commandants de Cercle se fassent davantage confiance et<br />

jouissent eux-mêmes de plus de confiance, pour l’administration de leur budget notamment. Si<br />

certains ont commis ou commettent des abus, il n’y a qu’a le leur dire, et même les sanctionner…<br />

mais il est peu probable qu’ils soient très nombreux.<br />

Quand aux autres, il arrive qu’ils trouvent quelques fois blessant le manque de confiance<br />

dont on semble faire preuve à leur égard et à fortiori le peu d’initiative qui lui reste. D’ailleurs il<br />

ne paraît pas que la méfiance, entre hommes d’une même société ait jamais donné à celle-ci<br />

bonheur et prospérité ou réussi à opérer le moindre redressement sérieux !<br />

116<br />

Les problèmes de locomotion sont également récurrents chez les missionnaires qui jonglent comme ils peuvent<br />

avec des voitures souvent défectueuses, avec le train ou encore avec le soutien de l’administration.<br />

117<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G4, chemise 1952.<br />

118<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G3, chemise 1952. Lettre du commandant de cercle au gouverneur du 6<br />

décembre 1952.


Disons le donc en concluant-- et méditons le—un des secrets un des secrets des nations<br />

prospères et des sociétés florissantes, c’est de faire confiance aux hommes honnêtes et de mettre<br />

en prison ceux qui ne le sont pas ! » 119<br />

Dans cette première partie, on a tenté de reconstituer le contexte bien spécifique d’Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong>, dans lequel la mission évolue. Récapitulons quelques idées forces. Petite agglomération,<br />

petite communauté chrétienne, manque de moyens. Pourtant, de nombreux travaux à réaliser<br />

dans cet espace qui semble assez « négligé » par l’administration centrale. Il s’agit clairement<br />

d’un espace en marge, mais qui n’est pas pour autant enclavé grâce au chemin de fer. Retenons<br />

aussi, les similitudes qui lient missionnaires et membres de l’administration : les problèmes<br />

matériels, l’éloignement de leur direction respective dont ils sont dépendants, l’esprit de<br />

« conquête ».<br />

Le décor est planté. Passons aux actions menées par les missionnaires dans cet espace.<br />

Ainsi, pourra-t-on déterminer la place occupée par les religieux, dans cet « univers ».<br />

119 er<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G4, Rapport trimestriel du 1 trimestre 1952, rédigé par Le Commandant<br />

d’Escrienne.<br />

27


28<br />

Chapitre 2 : L’orphelinat-école, la principale action<br />

sociale menée sur le terrain<br />

« En quittant Djibouti à 6 h 30 du matin, le train nous dépose à Ali-<strong>Sabieh</strong> à 10 h, après<br />

avoir franchi les cents km de désert somali… Ouf !... On respire plus à l’aise. Le climat humide et<br />

chaud de Djibouti est loin ! De hautes montagnes environnent le village, situé lui-même à sept<br />

cent cinquante mètres d’altitude.<br />

Un petit clocher, à deux cents mètres de la gare, indique le centre de la Mission. Vous les<br />

entendez ces clameurs ?... Les enfants ont aperçu la soutane blanche et accourent en criant et en<br />

gesticulant… » 120 .<br />

S’occuper de jeunes garçons Somalis à l’orphelinat et leur assurer une solide instruction :<br />

telles sont les activités sociales menées par les capucins à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Cette démarche s’inscrit<br />

dans la continuité de celle adoptée ailleurs à la colonie, tout comme d’ailleurs la bienveillance des<br />

autorités coloniales à l’égard de ces activités. Commençons par l’œuvre de l’orphelinat.<br />

1. A l’orphelinat d’Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

1.1. Les enfants, des orphelins ?<br />

Précisons dans un premier temps, le nombre d’enfants fréquentant l’orphelinat. Lors de<br />

l’installation en décembre 1946, le Père Silvère arrive à Ali-<strong>Sabieh</strong> avec vingt enfants de<br />

l’orphelinat de Djibouti. Tous sont somalis conformément à la réorganisation des orphelinats vue<br />

précédemment :<br />

« L’œuvre importante des orphelinats est réorganisée. A Djibouti ne restera que l’œuvre<br />

des métis. Les enfants somalis sont groupés à l’orphelinat d’Ali-<strong>Sabieh</strong> pour être éduqués selon<br />

les us et coutumes des tribus somalies. En dehors de l’école, l’éducation est faite en langue<br />

somalie, l’instruction religieuse , catéchisme et histoire sainte, les exercices du culte sont faits en<br />

langue somalie. » 121<br />

Le nombre d’enfants augmente pendant la période étudiée. Dès les jours qui suivent<br />

l’arrivée à Ali-<strong>Sabieh</strong>, d’autres bambins arrivent encore de Djibouti : cinq en janvier, deux en<br />

mars et trois en avril 1947 122 . En 1951, ils sont cinquante-quatre garçons dont huit de Djibouti 123 .<br />

Il semble cependant que les capacités d’accueil soient limitées d’où assez vite, le nombre moyen<br />

120 Article écrit par Hoffmann dans Grands <strong>La</strong>cs, « Djibouti » 15 mai 1947, p.43.<br />

121 Chronique de la Préfecture apostolique de Djibouti, 27 décembre 1947. Ce projet fondé sur le modèle de<br />

l’orphelinat ouvert à Berbera, au somaliland, de faire l’instruction générale en langue française et l’instruction<br />

religieuse en langue somalie est vigoureusement défendu par Mgr Hoffmann qui dès son arrivée s’est investi dans la<br />

rédaction d’un dictionnaire somali-français, encore ouvrage de référence aujourd’hui.<br />

Une réponse du 30 mai 1950 du commandant de cercle au gouverneur de la CFS qui recherche « des spécialistes de<br />

langues africaines » à Ali-<strong>Sabieh</strong> confirme l’idée que les missionnaires ont « de l’avance » sur le front de la<br />

connaissance de la langue somalie. Selon le commandant, personne ne connaît de langue africaine à Ali-<strong>Sabieh</strong>, à<br />

l’exception du « père supérieur de la mission <strong>catholique</strong> qui a étudié le somali, le parle et l’écrit, mais n’a pas poussé<br />

plus loin cette étude ». (ss série 6G, carton 6G2, dossier courrier départ 1950, lettre du 30 mai 1950.)<br />

122 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, respectivement le 20 janvier, 5 mars et 20 avril 1947.<br />

123 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 20 juin 1951.


29<br />

se stabilise à un peu moins d’une cinquantaine. Ainsi, en 1955 l’orphelinat accueille cinquante<br />

trois pensionnaires, trente six en 1957, quarante sept en 1959 124 .<br />

Les enfants qui viennent en grande partie de Djibouti au début, sont peu à peu « recrutés »<br />

parmi la population d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. D’autre part, si l’œuvre prend pour nom « orphelinat », nombre<br />

d’entre eux sont loin d’être des « orphelins » et derrière ce mot se cache une multitude de<br />

situations :<br />

« Chacun a sa petite histoire. L’un a été amené par son grand frère ; l’autre par<br />

son oncle ; certains ont encore leur maman. Avant de les admettre, nous faisons venir un interprète<br />

assermenté qui traduit et commente le contrat. […]. Ils écoutent la teneur du contrat avec un<br />

silence recueilli et leurs réflexions ne manquent pas de pittoresque.<br />

Voyez ce grand garçon de 13 ans. Son grand frère, ancien militaire l’a amené à la Mission.<br />

J’explique les termes du contrat : « D’ailleurs, dis-je, tout cela est à l’avantage de l’enfant ; s’il<br />

prend la fuite après quelque mois, il n’aura rien appris. S’il reste 5 ou 6 ans, il aura une bonne<br />

instruction et il trouvera facilement une bonne place. »<br />

Alors mon jeune musulman me tapote le bras : « tu as raison mon vieux ! Il ne faut pas qu’il f…<br />

le camp, autrement je lui casse la g… » 125 .<br />

Le contrat d’enseignement et d’éducation évoqué dans le passage précédent, est élaboré<br />

avec l’aide de Maître Belvin, notaire à Djibouti. Les parents et tuteurs des enfants doivent céder<br />

au Préfet Apostolique tous les droits de la puissance paternelle jusqu’à la majorité des enfants<br />

(dix-sept ans) et s’obligent à rembourser les frais de la Mission en cas de violation du contrat. Les<br />

contrats sont signés en présence d’un interprète assermenté 126 . Ainsi, nombre d’enfants ont<br />

toujours des tuteurs qu’ils s’agissent d’un membre de leur famille voire d’un de leurs parents. On<br />

apprend par exemple, qu’en janvier 1947, Abdi, le boy de Djibouti « apporte du ravitaillement et<br />

amène un boy Dahir Ibrahim, le père de deux enfants de l’orphelinat » 127 . Se pose<br />

immanquablement la question des raisons qui conduisent les membres de la famille à faire ce<br />

choix. D’autant plus que dans le système familial traditionnel, la parenté même la plus élargie<br />

prend en général le relais pour adopter les orphelins, surtout s’il s’agit de garçons.<br />

Ce choix est donc sans doute dicté par une situation particulièrement précaire notamment<br />

à Djibouti-ville, les tuteurs ou parents ne pouvant financièrement pas assumer ces nouvelles<br />

bouches à nourrir. Sont-ils parfois, sources d’embarras ? (Je pense aux enfants nés hors mariage,<br />

issus d’un viol ou de la prostitution). Enfin, on ne peut écarter l’hypothèse selon laquelle les<br />

responsables de l’enfant renoncent à tous droits de puissance paternelle pour il puisse bénéficier<br />

d’une solide instruction et plus tard d’une « bonne place » dans la société. En effet, l’orphelinat<br />

va de pair avec la petite école missionnaire qui apparaît comme un moyen d’élévation sociale.<br />

N’oublions pas que l’appareil éducatif est très peu développé en CFS et les possibilités<br />

d’éducation assez limitées.<br />

Dernier point, à combien s’élèvent les frais de la Mission pour chaque enfant ? On a une<br />

réponse donnée par le Père Silvère dans la revue Grands <strong>La</strong>cs :<br />

« Savez vous à combien nous revient la pension mensuelle d’un de ces petits orphelins ?<br />

Tout compris : pain, viande, légumes, vêtements, articles scolaires, couture et reprisage, la pension<br />

mensuelle d’un orphelin monte au minimum à 500 fr, donc 6000 frs par an ! Nous en avons plus<br />

de 100 actuellement ! C’est dire quelle sublime œuvre, chère au Cœur du Bon Pasteur, l’Ami des<br />

enfants et le Père des orphelins, accompliront ceux qui enverront la pension mensuelle ou annuelle<br />

de l’un de nos orphelins ! »<br />

124<br />

Informations tirées de l’annuaire de l’Eglise <strong>catholique</strong> en Afrique francophone pour les années 1955, 1957,<br />

1959. En 1962, on en est a 52 pensionnaires.<br />

125<br />

Mgr Hoffmann, A l’orphelinat d’Ali-Sabiet, revue Grands <strong>La</strong>cs, « Djibouti », 15 mai 1947, p. 43.<br />

126<br />

Chronique de la Préfecture apostolique de Djibouti, 27 décembre 1947.<br />

127<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 29 janvier 1947.


30<br />

1.2. Les fuites des enfants, un révélateur de la diversité des situations.<br />

<strong>La</strong> première fuite d’enfant survient assez tôt après la réinstallation, dès janvier 1947 :<br />

« …Comme d’ailleurs dans la suite tous les samedis, les enfants vont l’après-midi, à<br />

l’oued du camp II pour laver leur linge et se baigner. L’enfant Ahmed Farah, laissé à la maison,<br />

parce qu’il avait mal au pied, s’évade et prend le train pour Djibouti… » 128<br />

Cette fuite est la première d’une longue série qui affecte de façon régulière la <strong>station</strong> avec<br />

tout de même des périodes de vraie « hémorragie ». Si deux enfants s’évadent en 1947, deux en<br />

1948, en 1949, « plusieurs enfants de l’orphelinat sont partis » dont quelques uns ont d’ailleurs<br />

été ramenés par leurs tuteurs 129 . Mais la plus grosse crise éclate en 1952. Dès juin, cinq enfants<br />

s’enfuient :<br />

« … En rentrant de Dikhil j’apprends que 5 enfants ont pris la fuite : motif inconnu.<br />

Mercredi, 4 autres enfants s’en vont par le train à Djibouti. A l’orphelinat règne une atmosphère<br />

de dépression, on sent que d’autres veulent encore partir. Certains des fuyards sont ramenés ; mais<br />

on n’apprend pas le motif réel de l’escapade » 130<br />

Le problème s’aggrave le mois qui suit :<br />

« Au courant de juin et juillet, une quinzaine d’enfants ont pris la fuite. Plusieurs sont<br />

revenus. Un des principaux instigateurs et mauvaises têtes était Jacques qui a exercé une très<br />

mauvaise influence sur les autres. Il est parmi les premiers partants en vacances pour Djibouti. Il<br />

ne reviendra plus à Ali-<strong>Sabieh</strong>… » 131<br />

Insistons tout de même sur deux points : D’une part, dans les deux extraits les tuteurs<br />

ramènent parfois les enfants. N’ont-ils vraiment pas les moyens de subvenir à leurs besoins ?<br />

Nous savons, d’ailleurs, qu’en cas de fuite, ils sont redevables des frais engagés pour l’éducation.<br />

Mais peut-être peut on y voir aussi leur volonté de garder les bambins dans cet établissement qui<br />

leur assure un avenir. D’autre part, les missionnaires semblent, dans les extraits proposés, ignorer<br />

les raisons de ces évasions. Nous y reviendrons un peu plus bas dans l’exposé 132 . Pour l’heure,<br />

revenons sur les situations familiales et personnelles des enfants qui peuvent être appréhendées<br />

grâce aux descriptions des escapades des petits faites par les rédacteurs du journal. Elles<br />

permettent aussi d’individualiser les « enfants » qui n’apparaissent plus comme une « masse<br />

compacte ».<br />

Nous avons déjà vu que certains enfants viennent de Djibouti. Le premier réflexe est alors<br />

de retourner vers la ville d’origine comme l’a fait en 1947 Ahmed Farah. Mais la plupart des<br />

enfants sont originaires d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. Fuir dans ce cas, paraît plus aisé surtout si l’on bénéficie du<br />

soutien familiale :<br />

«Pendant mon absence 2 enfants Bonaventure Yonis et Romuald avaient pris la fuite. Ils<br />

étaient cachés au village. Je les ramenais à la mission. <strong>La</strong> mère de Bonaventure qui est à l’origine<br />

de ce départ a repris son fils. Romuald préférait rester à la mission.» 133 .<br />

D’autres viennent d’Ethiopie et ont d’ailleurs une mauvaise réputation :<br />

128 Ibidem, 11 janvier 1947.<br />

129 Ibidem, Septembre 1949.<br />

130 Ibidem, 2 juin 1952.<br />

131 Ibidem, juin-juillet 1952.<br />

132 Sur quelques raisons des fuites, voir la 3 e partie, p. 57.<br />

133 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1 er avril 1951.


« Seuls Simon Bénos, Rossi, <strong>La</strong>zare, enfants venus d’Éthiopie semblent avoir des<br />

difficultés majeures pour se mettre au pas : seraient-ils trop imbus de fourberie éthiopienne. Ou<br />

serait-ce simplement une suite de mauvaise éducation de base. Quoiqu’il en soit l’expérience<br />

n’invite plus du tout à accepter facilement des enfants de là-haut : chrétiens ou non, Djidjiga ne<br />

laisse que peu de bons souvenirs à l’orphelinat.» 134<br />

D’ailleurs en 1958 de nouvelles dispositions sont prises pour éviter les « perturbations »<br />

engendrées par certains enfants ou adolescents. On décide alors le « renvoi de tous les enfants<br />

trop âgés, des éthiopiens, de la défense d’accepter des enfants non sujets français. » 135 .<br />

<strong>La</strong> diversité des situations des garçons qui se succèdent à l’orphelinat est ainsi soulignée :<br />

certains sont orphelins, d’autres non. Certains s’enfuient et sont soutenus par leurs tuteurs,<br />

d’autres sont ramenés par leurs parents alors que d’autres encore passent à l’orphelinat de façon<br />

temporaire. S’ils sont quasiment tous somalis, ils viennent d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, de la grande ville de<br />

Djibouti, voire d’Ethiopie. Enfin, le critère de l’âge est aussi déterminant et modifie sans doute<br />

les comportements des pensionnaires face aux missionnaires. Sinon comment comprendre le<br />

renvoi des enfants trop âgés en 1958. C’est donc un mélange assez hétéroclite que les<br />

missionnaires doivent gérer au quotidien.<br />

1.3. <strong>La</strong> vie quotidienne des enfants : en rupture avec le milieu ambiant.<br />

A leur arrivée, on héberge les enfants dans le seul bâtiment assez grand pour recevoir tout<br />

le monde, l’ancien orphelinat des Sœurs. Rapidement, on construit un nouvel orphelinat malgré<br />

les difficultés financières. Dès le 1 er février 1947, soit moins de deux mois après la réinstallation,<br />

« les coolies commencent à préparer des pierres pour construire une nouvelle maison » 136 et on<br />

réfléchit à l’emplacement le plus opportun. Les différentes étapes de la construction se succèdent<br />

aussi rapidement que possible, malgré quelques problèmes pour se procurer le matériel<br />

nécessaire. <strong>La</strong> première pierre est posée par le préfet apostolique le 1 er mai 1947. En janvier<br />

1948, les murs sont terminés. Mais on ne peut poser le toit « faute de bois de charpente et de<br />

tôles » 137 . Les travaux ne sont repris qu’à la mi-mai, après l’arrivée progressive des tôles en<br />

février, achetées à Djibouti par le Père Silvère, puis du bois de charpente, un mois et demi plus<br />

tard et des chevrons le 15 mai.<br />

Finalement le 15 juillet le bâtiment est inauguré en juillet 1948. Les enfants s’y installent<br />

désormais rendant disponible l’orphelinat des filles.<br />

« Grand remue ménage. Toute la Mission déménage. Les enfants rentrent dans le nouvel<br />

orphelinat. Le fr. Antoine s’installe dans la chambre aménagée à une extrémité de l’orphelinat. Le<br />

Père prend une chambre de la maison en bois. L’autre pièce sert de réfectoire. Le déménagement a<br />

été précipité. Mgr nous avait écrit d’évacuer les maisons des Sœurs, parce que les Sœurs de<br />

Djibouti avaient l’intention de venir en vacances à Ali-<strong>Sabieh</strong>. » 138<br />

Plus tard, en 1957 « l’orphelinat des garçons devient trop petit aussi, et nous songeons à<br />

l’agrandir et à le perfectionner » 139 . Finalement, on envisage la construction d’un nouveau<br />

bâtiment dès 1958 140 .<br />

134<br />

Ibidem, 31 décembre 1957.<br />

135<br />

Ibidem, 23 janvier 1958.<br />

136 er<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1 février 1947<br />

137<br />

ibidem, début 1948.<br />

138<br />

Ibidem, 15 juillet 1948.<br />

139<br />

Mgr Bernardin Hoffmann, « <strong>La</strong> Somalie française vous parle», in Mission des Capucins (Madagascar- Somalie<br />

française), Strasbourg, Procure des missions des Pères Capucins (Strasbourg-Koenigshoffen), 1957-1958, p.8.<br />

140<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 21-21 janvier 1958.<br />

31


32<br />

Comment se déroule une journée à la mission ?<br />

« A 5h ¼, le Père sonne l’angélus. Quelques minutes après, la porte du grand dortoir<br />

s’ouvre. Les enfants sortent emmaillotés dans leurs draps de lits. Il fait encore froid ! Ils se lavent<br />

à la fontaine et, à 5h 45, ils se rendent à l’église. Ils font leurs prières du matin en somali et<br />

assistent à la sainte messe. Après, ils prennent le thé et vont à l’école jusqu'à midi.<br />

L’après midi, travaux manuels. Le Père distribue les besognes selon les forces et les aptitudes de<br />

chacun : jardinage, pompage d’eau, nettoyage, travail à l’atelier.<br />

A 5h, tout le monde à l’étude ! Vite on saisit livres, cahiers, plumes et voila nos petits<br />

académiciens occupés à débrouiller les sombres mystères de l’alphabet et de la grammaire<br />

élémentaire. A 6 h 30, chapelet en somali et prière du soir. A la sortie de l’église la nuit est<br />

tombée. Il fait de nouveau froid. Après le souper les enfants disparaissent rapidement au dortoir.<br />

Ils ferment soigneusement leurs portes par peur des chacals et des hyènes. » 141<br />

Ces garçons, en grande partie musulmans sont entièrement plongés dans un univers<br />

<strong>catholique</strong>. Mais, d’autres rythmes conditionnent la vie à l’orphelinat. Le rythme scolaire est<br />

prépondérant, bien sûr, comme l’extrait précédent l’a bien montré. Il apparaît aussi à la fin de<br />

l’année scolaire lorsque les missionnaires font venir certains enfants de Djibouti à Ali-<strong>Sabieh</strong> et<br />

vice versa, pour une quinzaine de jours, ce qui demande un minimum d’organisation :<br />

« 3 août : Monseigneur et le RP Denys amènent 13 enfants de l’orphelinat de Djibouti<br />

pour qu’ils passent ici 15 jours de vacances. Ils emmènent 13 enfants d’ici à Djibouti. Ce<br />

changement doit leur procurer une petite diversion et permettre aux enfants d’Ali-<strong>Sabieh</strong> d voir<br />

leurs parents à Djibouti.<br />

20 août : M. Dauriac ramène les enfants qui étaient à Djibouti. Il reste quelques jours pour<br />

faire le transport des cailloux de la montagne à la maison.<br />

24 août : Il retourne à Djibouti, et emmène les enfants de djibouti qui étaient ici en<br />

vacances. Les enfants se sont bien comportés pendant leur séjour à Ali-<strong>Sabieh</strong>, ils étaient contents<br />

ici, mais aucun ne désirait rester ici. » 142<br />

Ainsi, les parents de Djibouti ont aussi la possibilité de voir leurs enfants, pensionnaires à<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong>. D’autres petits « événements » ponctuent de façon régulière la vie de la mission.<br />

Nous avons vu par exemple, que l’on se rend une fois par semaine au camp II pour laver le linge<br />

et se baigner 143 . Autre exemple, les garçons s’occupent de collecter l’eau lorsque le moteur de la<br />

pompe à eau est en panne :<br />

« Au cours du mois de mars, je réexpédie le moteur Bernard à Djibouti pour réparation.<br />

Durant ce temps les enfants tirent l’eau avec des tanikas et remplissent des tonneaux. » 144<br />

Enfin de façon plus anecdotique, les missionnaires organisent parfois des sorties : en<br />

février 1947, on emmène en promenade les bambins à la « chasse à la gazelle » ; le 26 avril 1951,<br />

on part en excursion pour Dikhil :<br />

« Excursion avec les enfants à Dikhil. Nous rencontrons à la palmerai Mgr et Mme et Mr<br />

Bour. Ils allaient vers le lac Abbé via As-Eila. Les enfants et moi nous revenions à Ali-<strong>Sabieh</strong> vers<br />

9h30 du soir. Le capitaine nous avait prêté un camion. » 145<br />

L’orphelinat bénéficie aussi de la visite régulière d’un médecin. Cette affirmation apparaît<br />

sans doute comme une évidence mais dans un espace qui pendant longtemps n’a pour seul<br />

141 Mgr Hoffmann, A l’orphelinat d’Ali-Sabiet, revue Grands <strong>La</strong>cs, « Djibouti », 15 mai 1947, p.44.<br />

142<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, Août 1949.<br />

143<br />

Voir page 30.<br />

144<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 25 mars 1951. Une tanika représente à peu près 16 litres.<br />

145 Ibidem, 26 avril 1951.


33<br />

dispensaire qu’une « …cabane de planches, qu’on doit étayer sous peine de la voir s’écrouler… »<br />

et qui par-dessus le marché n’a pas d’infirmier permanent, la visite régulière s’apparente<br />

à un luxe. Les besoins sont d’ailleurs réels : En août 1947, Ibrahim Issa, un garçon de l’orphelinat<br />

est atteint de tuberculose (maladie très contagieuse rappelons le). Monseigneur Hoffmann qui<br />

était alors à Ali-<strong>Sabieh</strong>, le ramène par le train. L’enfant décède en 1948 146 . Dans l’orphelinat, les<br />

risques de contagion à l’ensemble des pensionnaires sont très sérieux, sans compter que les<br />

enfants sont assez nombreux. <strong>La</strong> mission va en faire l’expérience en 1952 pour une maladie<br />

beaucoup moins grave que la tuberculose, la varicelle.<br />

« Du 19 novembre au 17 décembre presque la moitié de nos enfants avaient la varicelle.<br />

Nous étions obligés de les isoler à l’orphelinat des Sœurs. A Noël tous étaient de nouveau<br />

guéris. » 147<br />

L’état sanitaire de la mission est d’ailleurs connu et contrôlé par les autorités coloniales.<br />

Ainsi, on retrouve des traces de cette épidémie de varicelle dans les documents administratifs.<br />

« Varicelle- quatorze cas à l’école de la mission- Isolement des malades, traitement sur<br />

place, pas d’extension de la maladie dans le cercle. » 148<br />

L’arrêté n° 238 du 24 février 1953 « portant institution en CFS d’un contrôle médical<br />

scolaire et en fixant les modalités de fonctionnement », rend encore plus systématique le contrôle<br />

sanitaire des enfants de la mission mais aussi de l’école publique et les écoles coraniques. Il est<br />

assuré par un médecin des troupes d’Outre-Mer en service sur le territoire. Désormais « aucun<br />

enfant ne sera admis dans un établissement d’enseignement public ou privé s’il n’est pas vacciné<br />

conformément à la réglementation en vigueur, et s’il n’est porteur d’un certificat d’aptitude<br />

délivré gratuitement par un médecin en service dans le territoire ». Le contrôle médical scolaire<br />

est assuré au moyen de deux visites annuelles : l’une dite visite d’incorporation scolaire qui a lieu<br />

au début du premier trimestre scolaire. <strong>La</strong> seconde a lieu au début du troisième trimestre scolaire.<br />

Mais des visites supplémentaires peuvent être effectuées par décision du directeur du service de<br />

Santé. Enfin, autre point d’importance, des mesures de dépistage spécial de la tuberculose sont<br />

prises. A ce titre, chaque élève fait annuellement l’objet d’une réaction tuberculinique et d’un<br />

examen radioscopique. Ces mesures permettent en 1957 de détecter des cas « suspects » parmi les<br />

enfants des écoles d’Ali-<strong>Sabieh</strong> :<br />

« Au commencement du mois de décembre le Cdt- médecin Vidal passa les écoles en<br />

inspection. En auscultant nos enfants il ne put rien diagnostiquer d’alarmant. Par mesure de<br />

prudence, il ordonna une réaction cutanée pour chacun de nos enfants, ainsi qu’il l’avait déjà<br />

ordonné pour ceux des écoles coraniques et publiques. Aux dires de l’infirmier local les résultats<br />

positifs seraient plus nombreux qu’on ne l’avait soupçonné. Il y aurait aussi des cas douteux parmi<br />

nos enfants. Ils devront descendre à Djibouti passer la radio. » 149<br />

D’une manière générale, hormis ces quelques problèmes énoncés précédemment, l’état<br />

sanitaire reste bon à la Mission et les progrès dans le domaine, en tout cas dans l’orphelinat sont<br />

palpables. D’après la chronique, un seul décès survient par suite de la tuberculose. Rappelons<br />

nous en effet du petit récapitulatif des enfants morts à l’orphelinat et inhumés dans le cimetière<br />

chrétien d’Ali-<strong>Sabieh</strong> en 1939 150 .<br />

146<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 7 Août 1947.<br />

147<br />

Ibidem, du 19 novembre au 17 décembre 1952.<br />

148<br />

CAOM, CFS ss série 6G, carton 6G6, chemise 1952. Lettre du commandant de cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> au<br />

gouverneur, 20 février 1953.<br />

149<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 31 décembre 1957.<br />

150 Voir p.11.


34<br />

Les missionnaires sont aussi susceptibles d’être malades. On ne retrouve pourtant que<br />

deux cas répertoriés dans le journal. En mai 1952, le père Jean-Baptiste, souffrant d’une urée<br />

sanguine quitte son poste pour quelques jours à Ali-<strong>Sabieh</strong> et se rend à Addis Abeba, chez les<br />

Frères <strong>La</strong>zaristes pour s’y reposer 151 . Il est alors remplacé par le père Silvère. Son état ne<br />

s’améliore pourtant pas : on décide sur la demande du médecin d’Addis-Abeba de « le faire<br />

rentrer au plus tôt » 152 . Ainsi, deux mois après le premier diagnostic, le missionnaire embarque le<br />

21 juin à bord du « Félix Roussel » qui rentre à Marseille. Quelques jours après, le 30 juin, le<br />

Père Ange arrive à Djibouti.<br />

C’est d’ailleurs ce père, qui, quelques années plus tard en 1958, souffre entre le 11 et le 16<br />

septembre d’une crise calculs néphrétiques alors qu’il est responsable de la <strong>station</strong>. Il est évacué<br />

en avion (car n’oublions pas que cette maladie est particulièrement douloureuse) à Djibouti où il<br />

séjourne à l’hôpital durant quelques jours 153 , Ali-<strong>Sabieh</strong> n’ayant pas les structures adéquats pour<br />

le soigner.<br />

Le petit orphelinat va de pair avec son école.<br />

2. L’école de la mission.<br />

2.1. A Ali-<strong>Sabieh</strong> : une école coranique, une école publique…<br />

Les missionnaires installés en Côte Française des Somalis ont très rapidement occupé le<br />

secteur de l’éducation. Néanmoins ils se partagent les enfants à instruire avec les écoles<br />

coraniques et l’enseignement public dont le développement est plus récent que l’enseignement<br />

privé. A Ali-<strong>Sabieh</strong>, on retrouve les trois types de formations.<br />

Peu d’informations ont pu être rassemblées sur l’école coranique d’Ali-<strong>Sabieh</strong> hormis une<br />

lettre dénombrant ces écoles dans le cercle, mais datant de 1942. <strong>La</strong> Côte française des Somalis<br />

est alors en période de guerre et surtout, le blocus (entre 1941 et décembre 1942) paralyse le<br />

territoire 154 ainsi que le fonctionnement des écoles coraniques. Il existe 3 écoles dans le cercle<br />

d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, une à Dikkil qui comprend deux élèves, fils de commerçants, une à Holl-Holl qui<br />

n’a qu’un seul élève et une à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Elle n’a quant à elle que trois élèves, deux fils et le<br />

neveu d’un commerçant. Le maître d’école est « un gamin de 14 ans », qui « a l’instruction<br />

nécessaire à son emploi mais non pas le sérieux. Il est un peu tête brûlée, son père a souvent des<br />

difficultés avec lui ». L’ancien maître n’ayant pas trouvé de subsistance à Ali-<strong>Sabieh</strong> est reparti<br />

pour la brousse avec son troupeau. Un enseignement rudimentaire est donné et passe par<br />

l’apprentissage par cœur du Coran (lecture et écriture). 155 En période de paix, les enfants sont<br />

sans doute plus nombreux, évolution notamment liée à la colonisation 156 .Cependant, cette<br />

151 Il avait appris la nouvelle un bon mois plus tôt.<br />

152 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 2 juin 1952.<br />

153 Ibidem, 11-16 septembre 1958.<br />

154 Pour cet aspect « le blocus de Djibouti », se reporter au chapitre 4 de : C. Dubois, Djibouti 1888-1967. Héritage et<br />

frustration ?, Paris, L’Harmattan, 1997.<br />

155 Toutes les informations sur les écoles coraniques ainsi que les citations sont extraites de : CAOM, CFS, ss série<br />

6G, carton 6G7. Dossier affaires religieuses, marabouts, mosquées, pèlerinages, fêtes, écoles coraniques. Lettre du<br />

commandant de cercle du 6 juillet 1942.<br />

156 Notons ce que remarque Mohamed Mohamed-Abdi, « Retour vers les dugsi, écoles coraniques en Somalie »,<br />

Cahiers d’études africaines, 169-170, 358.<br />

« A partir de la 2 e moitié du 19 e siècle, une mutation s’opère en territoire somali et dans l’ensemble de l’Afrique de<br />

l’Est. Cette mutation est l’expression de l’affirmation identitaire qui combine le renforcement des traditions avec<br />

celui de l’Islam. <strong>La</strong> revendication de l’appartenance au monde musulman, en opposition aux colons, se manifeste<br />

dans l’apparition de noms musulmans en grand nombre. Au cours de cette période, les confréries sont en essor : de<br />

nombreuses communautés sont constituées sur l’ensemble du territoire mais plus spécifiquement dans la région<br />

agricole fluviale méridionale. Cela entraîne un accroissement du nombre des centres d’études religieux supérieur.<br />

Les écoles coraniques se multiplient aussi… »


35<br />

formation reste celle des élites car elle est payante. Il est ainsi peu probable qu’une majorité des<br />

enfants du cercle suivent ces cours, qui sont par ailleurs exclusivement des enfants du village. 157<br />

Autre élément, l’administration a une emprise minimum sur ces écoles lorsqu’on les compare<br />

avec les écoles privée et <strong>catholique</strong> et bien sûr l’école publique. Preuve en est cet extrait, rédigé<br />

par l’infirmier d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et qui expose les difficultés rencontrées pour pratiquer la vaccination<br />

anti-variolique dans le village.<br />

« Sur 196 vaccinations pratiquées à ce jour, 30 personnes du village d’Ali-<strong>Sabieh</strong><br />

seulement se sont présentées, le reste des vaccinés, soient 166 comprend les miliciens, les<br />

fonctionnaires et leurs familles et les enfants des écoles, sauf ceux de l’école coranique qui ne sont<br />

pas encore présentés malgré trois convocations» 158<br />

Ce à quoi, le commandant de cercle répond :<br />

« En soulignant les efforts déployés par l’infirmier d’Ali-<strong>Sabieh</strong> ; efforts auxquels le<br />

village oppose une mauvaise volonté systématique.<br />

Le dit village ne manquera d’ailleurs pas un de ces jours de se plaindre de l’inaction de l’infirmier<br />

et également celle du cercle» 159<br />

Nuançons tout de même, puisque nous avons vu précédemment que les élèves de l’école<br />

coranique avaient pu bénéficier de dépistage contre la tuberculose. Néanmoins, l’emprise de<br />

l’administration apparaît plus faible que pour les 2 autres écoles privée et publique 160 .<br />

Justement, parlons en de l’école publique vue par le Père Silvère.<br />

« Visite à M. Heurz, instituteur. Il perche sur le piton, où se tient l’école. Une quarantaine<br />

de garçons du village fréquentent l’école plus ou moins régulièrement. Pour attirer un grand<br />

nombre d’enfants on leur donne le repas de midi. Ils ont classe le matin tous les jours exceptés<br />

mardi et vendredi. Ils n’ont donc pas congé le dimanche. » 161<br />

De cet extrait retenons 2 caractéristiques principales de l’école publique à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

D’abord et contrairement à l’école privée, elle respecte l’environnement religieux de la<br />

population locale, en l’occurrence l’Islam.<br />

« <strong>La</strong> fréquentation scolaire a été bonne jusqu’au mois de mai, ensuite les absences<br />

deviennent très nombreuses et le fin de l’année est gâchée.<br />

Les vacances de Pâques du 15 au 23 avril ont entraîné un déséquilibre entre les 3<br />

trimestres de l’année scolaire, peut-être devraient-elles être fixées à la fin du mois de mars<br />

quelques soit la date de Pâques. » 162<br />

Parfois même, elle en pâti quelque peu, notamment en période de Ramadan :<br />

«Pendant le Ramadan, les absences sont très nombreuses, beaucoup d’enfants ne<br />

reviennent pas à l’école et pour ceux-là la fin de l’année scolaire coïncide avec le Ramadan.<br />

157<br />

On a d’autant plus de difficultés à appréhender que les chiffres de scolarisation trouvés ne prennent en compte que<br />

les établissements publics et les écoles privées <strong>catholique</strong>s.<br />

158<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G3. Lettre de l’infirmier Ferry Robert chargé chargé du dispensaire d’Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> au Cdt de Cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 10 décembre 1955.<br />

159<br />

ibidem.<br />

160<br />

Cet « emprise » moins importante peut, peut-être, être interprétée comme une sorte de résistance face à la religion<br />

<strong>catholique</strong> et à la France coloniale.<br />

161<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 23 janvier 1947.<br />

162<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G7. Compte rendu de fin d’année rédigé par le directeur de l’école M. Thoue,<br />

29 juin 1954.


36<br />

Depuis le 25 avril-- premier jour du Ramadan-- une trentaine d’élèves seulement continuent à<br />

fréquenter régulièrement l’école.<br />

Réponse manuscrite du Cdt de Cercle Harrois :<br />

Les repas du soir sont offert par les divers notables pendant le Ramadan diminue beaucoup<br />

l’intérêt de la cantine scolaire » 163<br />

Comme l’a montré cet extrait l’attrait principal de l’école est sa cantine, ce qui constitue la<br />

seconde caractéristique de l’école d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. Elle fonctionne avec un planton cuisinier et a<br />

servi en décembre 1952, 4500 rations. Tous les enfants mangent à midi. Les 2/3 le soir et à<br />

midi 164 . Plus qu’une solution commode pour les parents, cette cantine a vraiment une fonction<br />

sociale :<br />

« L’arrêté portant sur l’organisation des cantines précise que seuls ont droit au repas du<br />

soir, des jeudis et des dimanches les orphelins ou ceux n’habitant pas Ali-<strong>Sabieh</strong>, or il arrive<br />

souvent que les enfants non orphelins sont plus malheureux que de véritables orphelins aidés par<br />

des cousins ou des oncles relativement aisés. Aussi ai-je admis un assez grand nombre d’enfants<br />

aux repas du soir<br />

Est-il impossible d’améliorer le menu : doura, riz, viande par des fruits achetés au train ou<br />

deux fois par semaine ? Ces fruits achetés par Khairé Kayad fournisseur de la cantine. Un verre de<br />

thé pendant les mois d’hiver réchaufferait certains élèves que l’on voit transis sous de vieilles<br />

hardes. » 165<br />

Les autorités locales ont un avis assez tranché sur la question de la cantine scolaire à<br />

l’image du commandant de Cercle d’Escrienne, interrogé sur la question de l’implication des<br />

populations locales « à l’élaboration des plans de progrès social et à la mise en œuvre de ceuxci<br />

» dans le cadre des renseignements donnés à l’ONU. Le Cdt est remonté contre l’attitude des<br />

Issas, considérant qu’ils ne participent en aucun cas à l’élaboration des plans de progrès social<br />

pour la simple et bonne raison qu’ils « sont trop intéressés pour cela ». Selon lui joue aussi le fait<br />

qu’ils « ne voient pas encore le rôle du progrès social que nous leur proposons, et enfin, ne sont<br />

souvent pas capables de participer utilement au dit progrès : Dans une école que fréquentent 100<br />

élèves, supprimez les repas gratuits de la cantine scolaire et vous aurez de la chance s’il en reste<br />

20 ! ». 166 Cet avis semble répandu et assumé, à tel point, que l’on utilise la cantine scolaire<br />

comme un moyen de punition et par conséquent de pression sur les élèves. Ainsi, en avril 1955,<br />

en réponse à des jets de cailloux par les enfants de l’école sur un camion de la Milice ayant<br />

occasionné une blessure d’un Milicien, le Cdt de Cercle Harrois, annonce la fermeture de la<br />

cantine scolaire pendant huit jours à la rentrée des classes 167 .<br />

Il faut nuancer le point de vue de l’administration, même si on connaît l’intérêt d’un bon<br />

repas, notamment en période de sécheresse ; surtout lorsqu’on porte attention à l’opinion du<br />

directeur de l’école en 1954, M. Thoue, en conclusion de son compte rendu sur l’année scolaire<br />

écoulée :<br />

« L’école semble être assez bien installée à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Les élèves viennent en<br />

classe pour travailler, je ne crois pas que l’attrait de la cantine soit suffisant pour expliquer la<br />

bonne fréquentation scolaire cette année. Mais Djibouti est un pôle d’attraction trop brillant,<br />

beaucoup de jeunes élèves descendent découvrir les « merveilles » de la ville et d’autre part, il est<br />

163<br />

Ibidem. Lettre du directeur de l’école M. Thoue au Cdt de cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 8 mai 1955.<br />

164<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G3. Lettre du commandant de cercle au gouverneur, 20 février 1953.<br />

165<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G7. Compte rendu de fin d’année rédigé par le directeur de l’école, 29 juin<br />

1954.<br />

166<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G3. Renseignements donnés à l’ONU, 29 février 1952. (Les citations<br />

précédentes sont aussi issues de ce document).<br />

167<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G3, note de service du 9 avril 1955.


difficile d’espérer qu’Ali-<strong>Sabieh</strong> atteindra un développement suffisant pour procurer du travail<br />

aux élèves quittant l’école. » 168<br />

Dernier point d’importance est de mesurer combien d’élèves fréquentent l’école publique<br />

d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. D’après le Père Silvère, une quarantaine d’élèves fréquentent l’école en 1947. En<br />

septembre 1951, l’école passe de 70 élèves à plus de 100 169 . En 1954, ont est encore autour d’une<br />

centaine (93, exactement) répartie en 3 classes : la première comprend 33 élèves, les 2 autres, 30.<br />

Par la suite quelques enfants quittent Ali-<strong>Sabieh</strong> pour aller à Djibouti ou en brousse. Les enfants<br />

sont dits « travailleurs, on peut leur reprocher un manque de réflexion et surtout leur répugnance<br />

à s’exprimer en français. ». Le directeur de l’école ajoute que « la tenue des élèves est bonne.<br />

Dans l’ensemble, ils sont propres, disciplinés et assez polis » 170 .<br />

2.2 … et une école missionnaire…<br />

Nous l’avons vu plus haut, la mission des Pères a aussi son école exclusivement primaire,<br />

qui est tout de suite organisée en début 1947, quelques jours après l’arrivée à Ali-<strong>Sabieh</strong>, le 27<br />

décembre 1946.<br />

« On a pu commencer les classes lundi 6 janvier. Les enfants ont classe tous les jours,<br />

excepté le dimanche de 7h ½ - 11h ½. Au programme figure le catéchisme en attendant 1h tous<br />

les jours. Comme les enfants sont presque tous des nouveaux et non baptisés à l’exception de 4.<br />

L’après-midi est réservée au travail manuel et aux devoirs jusqu’à 17h. » 171<br />

<strong>La</strong> plupart des enfants qui fréquentent l’école sont bien sûr ceux de l’orphelinat mais<br />

quelques autres viennent grossir les effectifs, essentiellement de petits européens. Ainsi, en 1957,<br />

pour la rentrée des classes le frère Antoine chargé de l’école, compte « 38 nôtres et 8<br />

européens ». On peut proposer deux raisons principales au choix des parents de mettre leurs<br />

rejetons dans l’école privée plutôt que publique. Certains parents sont sensibles à ce que leurs<br />

enfants reçoivent une instruction religieuse parallèlement aux cours de lecture, d’écriture, etc.…<br />

et sont particulièrement engagés sur la question religieuse. Lorsque le lieutenant Limbach de<br />

Vendenheim vient prendre le commandement de la compagnie des Tirailleurs Sénégalais, il<br />

arrive avec sa petite famille, sa femme et deux de ses enfants Daniel et Christiane qui fréquentent<br />

l’école de la mission 172 . Le rédacteur précise que le lieutenant est protestant, mais quelques mois<br />

plus tard sa fille fait sa communion solennelle à laquelle Mgr Hoffmann est convié 173 , ce qui<br />

présage du rôle important de Madame, qui est d’ailleurs originaire de Koenigshoffen, en Alsace,<br />

tout comme nos missionnaires. A leur départ, deux ans après, les Limbach sont même qualifiés de<br />

« grands bienfaiteurs de la mission » 174 par le rédacteur du journal. L’autre raison tient à<br />

l’absence d’encadrement scolaire pour les fillettes. En effet, l’école publique comme l’école<br />

privée sont réservées aux garçons. Néanmoins le frère Antoine accepte les filles des Européens<br />

qui ne doivent, elles aussi, pas prendre de retard sur le plan scolaire. C’est l’une des raisons pour<br />

lesquelles Mgr cherche à faire s’installer à Ali-<strong>Sabieh</strong> une congrégation féminine, qui pour autant<br />

tarde à venir. Le 1 er octobre 1958, les classes commencent avec cinq européens dont quatre filles,<br />

qui sont tous externes.<br />

Ajoutons enfin, une autre raison plus subjective, mais qui existe sûrement. Les parents pensentils<br />

que l’école privée propose un enseignement de meilleure qualité que celui dispensé à l’école<br />

168 Ibidem, carton 6G7. Compte rendu de fin d’année, 29 juin 1954.<br />

169 Ibidem, carton 6G2, Notes annuelles sur les activités du cercle, 26 septembre 1951.<br />

170 Ibidem, carton 6G7. Compte rendu de fin d’année rédigé par le directeur de l’école M. Thoue, 29 juin 1954.<br />

171 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1946.<br />

172 Ibidem, fin janvier 1953.<br />

173 Ibidem, 3 mai 1953.<br />

174 Ibidem, 3 mai 1955.<br />

37


38<br />

publique qui a, rappelons le, trois instituteurs : le directeur de l’école européen et deux moniteurs<br />

autochtones en 1954; et qui de plus, a des niveaux scolaires très divers à gérer dans une même<br />

classe 175 . Quoiqu’il en soit le nombre de ces élèves à la mission est faible par rapport à<br />

l’ensemble des « orphelins », qui lui augmente régulièrement 176 :<br />

Date Nb d’élèves<br />

1947 20<br />

1950 35<br />

1951 Presque 60<br />

1955 57<br />

1957 38<br />

1959 53<br />

1962 57<br />

Voyons dans le détail la répartition de l’école pour l’année 1950 : elle comporte une<br />

classe de 35 élèves, dirigée par un Père. Tous les élèves sont internes. Ils sont répartis au point de<br />

vue scolaire de la façon suivante :<br />

Cours Moyen : 5 élèves.<br />

Cours élémentaire 2° année : 5 élèves<br />

Cours élémentaire 1° année : 15 élèves.<br />

Cours préparatoire : 10 élèves. 177<br />

Lorsque les élèves deviennent trop âgés, ils sont en partie « redistribués » vers d’autres centres de<br />

formation. Ainsi pour la rentrée 1952, plusieurs enfants parmi les plus grands sont envoyés à<br />

Djibouti (qui propose une palette de formation plus ample) soit à l’école Charles de Foucault des<br />

Frères des Ecoles Chrétiennes, soit à l’artisanat situé à Djibouti-Boulaos 178 .<br />

Aux vues des effectifs qui augmentent régulièrement et des difficultés financières de la<br />

mission, où faire cours à ces enfants ?<br />

Dans la foulée de la réinstallation en 1947, les missionnaires en profitent pour préparer la<br />

nouvelle salle de classe. <strong>La</strong> maison en bois, ancienne habitation des Pères est sélectionnée :<br />

« Le 3 et 4 janvier, Monseigneur, le P. Silvère et le menuisier Abdo installèrent l’école<br />

dans la maison en bois autrefois habitée par les Pères. De la maison qui avait 3 pièces, nous avons<br />

sorti les cloisons pour n’en faire qu’une salle. Comme elle était encore trop petite, nous avons<br />

reculé le mur arrière de la largeur de la véranda, (1,60 m).» 179<br />

Malgré ces agrandissements, cette salle s’avère à la longue trop petite. A la rentrée des<br />

classes 1949 le fr. Antoine, chargé de l’enseignement, installe l’école dans l’orphelinat des Sœurs<br />

(vide car le nouvel orphelinat abrite les enfants depuis juillet 1948), « plus grand et plus<br />

175 A ce propos, extrait du compte rendu de M. Thoue, 29 juin 1954 : « Dans la 1 ère classe, quelques élèves sont âgés,<br />

trop âgés par rapport à quelques-uns de leurs camarades plus jeunes et réussissant mieux qu’eux. Ceci entraîne<br />

parfois de petits problèmes de discipline. Je pense tout de même qu’on ne devrait pas reprendre les élèves trop vieux<br />

ou ceux qui ne sont pas susceptibles de progresser à qui risquent d’encombrer les classes. »<br />

176 Les chiffres ont été trouvés pour 1947 dans le journal de la <strong>station</strong>. Pour 1950 et 1951, CAOM, CFS, ss série 6G,<br />

respectivement, 6G4, 30 juin 1950 ; 6G2, 29 septembre 1951. Enfin les autres chiffres sont extraits de l’annuaire de<br />

l’Eglise <strong>catholique</strong> en Afrique francophone, 1955, 1957, 1959, 1962.<br />

177 CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G4, rapport trimestriel, 3 juillet 1950, p.4-5.<br />

178 Ibidem, 1 er octobre 1952. A titre d’exemple en 1955, on a à Djibouti, une école dirigée par les Frères assurait un<br />

enseignement primaire, secondaire et technique pour 307 élèves dont 141 chrétiens et 166 musulmans. Le centre<br />

artisanal de Djibouti-Boulaos proposait un apprentissage en imprimerie, reliure et menuiserie. Informations extraites<br />

de Annuaire des missions <strong>catholique</strong>s en Afrique française, 1955.<br />

179 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 3-4 janvier 1947.


39<br />

commode que l’ancienne école devenue trop petite pour 30 garçons » 180 . En juin 1951, une<br />

nouvelle adaptation est nécessaire : le P. Jean-Baptiste fait une cloison dans l’orphelinat pour<br />

avoir deux salles de classes (l’extrait a été cité plus haut) ; la classe des grands et celle des petits ;<br />

alors que l’orphelinat compte désormais un effectif de 54 élèves.<br />

Les deux classes sont par la suite déplacées. Dès l’année suivante, en octobre 1952, une<br />

des salles de classes déménage de l’orphelinat des Sœurs vers la maison des Sœurs, juste après le<br />

départ du Capitaine Gagneux, qui y résidait depuis 21 mois 181 . En 1954, l’orphelinat est libéré :<br />

une classe reste dans la maison des Sœurs, alors que celle des grands est déplacée vers l’ancienne<br />

habitation des Pères. Ces derniers avaient déménagé à la suite de la construction de la baraque<br />

renforcée dont les matériaux provenaient de Djibouti, laissant libre une nouvelle dépendance. En<br />

1958, l’emplacement des salles de classes n’est toujours pas fixé. On envisage ainsi, lors de la<br />

visite pastorale de Mgr Hoffmann, de placer provisoirement la classe du « Père dans le magasin<br />

actuel à côté du dortoir ; sa classe devant être prise comme chambre des grands… » 182<br />

S’il les enfants de l’école sont plongés dans une « sphère » entièrement <strong>catholique</strong>, ils<br />

sont aussi fortement sensibilisés à la vie « officielle » de la colonie. Ils participent, activement<br />

aux fêtes nationales organisées le 14 juillet, prenons 2 exemples en 1947 et 1948 :<br />

« Fête populaire : concours de tir ; distribution de riz et sucre aux pauvres ; l’orphelinat en<br />

profite aussi. Après-midi au camp I : diverses compétitions pour adultes et enfants ; match de<br />

football : Dikkil- Ali-<strong>Sabieh</strong> » 183<br />

« Fête nationale. A la cérémonie sur la place près de la gare, les enfants chantent la<br />

marche lorraine avec beaucoup de brio et succès » 184<br />

Notons tout de même la volonté de rendre cette fête populaire et sans doute marquer les<br />

esprits, notamment avec la distribution de nourriture mais aussi par différentes activités visant à<br />

mobiliser et à divertir la population. Ces anecdotes rappellent les fêtes populaires organisées dans<br />

les campagnes françaises à l’occasion du 14 juillet à la fin du 19 e siècle et qui contribuaient à<br />

consolider la République mais aussi à « imposer la conscience de ce que B. R Barber nomme<br />

« un patriotisme abstrait », c’est-à-dire une appartenance distincte de l’expérience concrète et<br />

plus large que celle définie par les limites de la commune » 185 . Quoiqu’ils en soient ces enfants<br />

sont sans doute pratiquement les seuls à participer aux festivités et cérémonies données pour<br />

l’occasion en plein milieu Issa.<br />

Les visites des gouverneurs à Ali-<strong>Sabieh</strong> sont également des occasions privilégiées qui<br />

ancrent ces enfants, plus que les autres dans la vie officielle coloniale. <strong>La</strong> visite de l’école de la<br />

Mission est une autre, bonne occasion de chanter une chanson en l’honneur du chef du territoire :<br />

« Ce même vendredi, M. le gouverneur Sadoul a fait sa première visite à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il a<br />

été reçu à 9h30 du matin sur la grande place entre la gare et les bureaux administratifs. J’y ai<br />

présenté les enfants qui exécutèrent la marche des Girondins. Dans la matinée, il est passé la<br />

mission pour visiter l’orphelinat, l’école et l’église. A son approche de l’orphelinat les enfants<br />

chantèrent la marche lorraine. Sur sa demande de chanter en Somali : je leur ai fait chanter<br />

« Sunamayo Somalilied ». 186<br />

<strong>La</strong> chanson choisie, « la marche lorraine » est totalement emblématique de la situation des<br />

enfants élevés à la Mission. Elle mêle des thèmes chers aux missionnaires : l’épopée de Jeanne<br />

180 Ibidem, Septembre 1949.<br />

181 Ibidem, 17 octobre 1952.<br />

182 Ibidem, 20-21 janvier 1958.<br />

183 Ibidem, 14 juillet 1947.<br />

184 Ibidem, 14 juillet 1948.<br />

185 O. Ihl , <strong>La</strong> fête républicaine, Gallimard, 1996, Paris, p. 178-179.<br />

186 Ibidem, 26 mai 1950.


40<br />

d’arc, « ange saint de la Patrie », le personnage principal de la chanson, qui est à la fois une sainte<br />

mais représente une page glorieuse de l’histoire de France. Il s’agit donc d’une chanson<br />

patriotique par excellence, exemple supplémentaire montrant le décalage existant entre ces<br />

enfants et le reste de la population.<br />

2.3. … aux résultats satisfaisants.<br />

« Très bien tenus, corrects et polis » 187 . Ainsi sont décrits les enfants de la Mission par le<br />

Commandant de Cercle d’Escrienne, dont l’opinion semble partagée par beaucoup lorsque l’on lit<br />

les courts passages consacrés à ces enfants. L’abbé Catrice, conseiller de l’Union Française, de<br />

passage à Ali-<strong>Sabieh</strong> le 7 octobre 1950 partage également ce point de vue. En effet, il « a paru<br />

impressionné par la bonne tenue et le degré d’instruction des enfants, de ceux de l’école<br />

communales comme de ceux de l’orphelinat <strong>catholique</strong>. » Dans le même rapport, Monsieur<br />

Gravier, chef du service de l’enseignement, semble « très satisfait » de l’école publique, mais<br />

aussi l’école de l’orphelinat <strong>catholique</strong> « où l’organisation et les élèves lui ont fait, aussi, une très<br />

bonne impression. » 188 .<br />

Ils ont aussi un niveau scolaire considéré comme bon. « Ils reçoivent une instruction<br />

normale très satisfaisante » 189 selon le Lieutenant d’Escrienne. Les personnalités qui ont autorité<br />

dans le domaine de l’enseignement reconnaissent également la compétence des enfants, à<br />

commencer par le maître de l’école publique qui affirme que les programmes scolaires sont les<br />

mêmes que ceux de l’enseignement public et que les élèves sont d’un niveau d’instruction égal à<br />

celui des élèves de l’autre école 190 . Mêmes constatations pour le chef du service de<br />

l’enseignement, « les orphelins » « reçoivent une instruction générale équivalente à celle de notre<br />

école » 191 . Ces avis de spécialistes de l’enseignement sont d’importance car ils réaffirment la<br />

qualité de l’instruction des Pères. On pourrait d’ailleurs penser que la présence d’enfants<br />

européens parmi les élèves des missionnaires contribue de façon subjective à valoriser leur<br />

enseignement 192 . Néanmoins, la légitimité vient sans doute également du fait que les religieux<br />

<strong>catholique</strong>s (qu’il s’agisse des missionnaires capucins, mais aussi les Sœurs Franciscaines de<br />

Calais) « sont sur le créneau » scolaire depuis leur arrivée et avant même les autorités coloniales<br />

et ont, par conséquent, un poids considérable lorsque l’on parle d’instruction dans la colonie.<br />

Enfin, les élèves les plus doués, en fin de formation à Ali-<strong>Sabieh</strong> sont « récupérés » par les Frères<br />

des Ecoles Chrétiennes qui bénéficient d’une bonne réputation « en raison des anciens élèves de<br />

France, de Madagascar, de la Réunion, de Smyrne, qui habitent la colonie » 193 . Tous ces éléments<br />

associés donnent, sans doute un certain prestige à cette petite école missionnaire qui en plus a<br />

quelques bons résultats à l’examen final, le certificat d’études. En mai 1952, 4 élèves se<br />

présentent à l’examen. deux sont reçus, Jacques et Jérôme 194 . On a pour cette année, moyen de<br />

187<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G4, rapport trimestriel, 26 septembre 1950.<br />

188 e<br />

Ibidem, carton 6G4, rapport trimestriel pour le 4 trimestre 1950, 3 janvier 1951.<br />

189<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G4, rapport trimestriel, 26 septembre 1950.<br />

190<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G4, rapport trimestriel, 3 juillet 1950.<br />

191<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G2, notes sur les activités du cercle, 26 septembre 1951.<br />

192<br />

Comme l’a bien montré K. Direche-Slimani, Chrétiens de Kabylie, 1873-1954. Une action missionnaire dans<br />

l’Algérie coloniale, 2004, p.68 :<br />

« L’introduction d’Européens dans le système d’enseignement missionnaire contribuera à calmer les esprits. Mais<br />

surtout leur présence valorisera cette scolarité en démontrant que les missionnaires étaient aussi compétents avec un<br />

public scolaire européen et aussi valables que les instituteurs laïcs. « L’introduction des Européens dans notre école,<br />

nous a, en outre fait beaucoup de bien auprès des indigènes. Jadis, ils disaient que nous ne savions pas enseigner.<br />

Quelques-uns regardaient notre prochain départ de Kabylie au moment de l’installation des instituteurs laïcs dans<br />

plusieurs tribus ». »<br />

193 e<br />

Bulletin de l’Institut des frères des Ecoles chrétiennes, 33 année, n°130, juillet 1952, « Tour du monde<br />

<strong>La</strong>sallien », Afrique, CFS, Djibouti cité par C. Dubois et P. Soumille, Des Chrétiens à Djibouti en terre<br />

d’Islam…op.cit, p. 178.<br />

194<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 22 mai 1952.


41<br />

faire une comparaison avec l’école publique. Elle envoie un seul candidat qui est lui aussi reçu 195 .<br />

En mai 1956, la progression est sensible, trois reçus sur quatre candidats. 196<br />

Notons enfin l’ouverture d’une école du soir à la demande des jeunes gens du village :<br />

« Des jeunes gens du village viennent demander l’école du soir. Je leur promets 2-3 heures<br />

par semaine. Au début ils viennent assez nombreux : 6-8. ; parmi ceux qui viennent est aussi le<br />

marabout Elmi Afasé, qui d’ailleurs vient souvent à la mission. » 197<br />

3. Les actions sociales, une nécessité pour se maintenir.<br />

3.1. Les Petites Sœurs, les « mal aimées » de l’administration.<br />

« Mentionnons, pour mémoire, l’orphelinat des Capucins de Strasbourg qui ne dépendent<br />

pas de notre administration mais dont l’initiative, couronnée d’ailleurs de succès, n’en mériterait<br />

pas moins d’être encouragée» 198 rappelle le commandant de cercle d’Escrienne ; affirmant ainsi<br />

que les religieux à Ali-<strong>Sabieh</strong> contribuent à « l’œuvre civilisatrice » de la France coloniale. Est-ce<br />

sans doute pour cela que la mission est un lieu de visite privilégié pour bon nombre de<br />

personnalités de passage dans la ville. Des représentants religieux, des membres de<br />

l’administration de passage dans la colonie, des hommes politiques locaux 199 , et bien sur les<br />

hommes forts de la CFS, les gouverneurs.<br />

A partir de 1947, six gouverneurs se succèdent à la tête de la colonie, tous à l’exception<br />

d’un, dont on n’a pas la trace dans le journal de la <strong>station</strong> (Roland Joanes Louis Pré), rendent<br />

visite à la mission, chacun ayant sa petite préférence. Paul Henri Siriese (30 avr. 1946- 1 er mars<br />

1950) « visite le village, l’école du Piton et la Mission où il s’intéresse surtout à l’orphelinat » 200 .<br />

Le Gouverneur Petitbon (13 août 1954- 7 août 1957), lui en inspection à Ali-<strong>Sabieh</strong> et<br />

accompagné du secrétaire général visite en particulier la classe du fr. Antoine 201 . Quant au<br />

Gouverneur Compain (21 oct. 1958- 16 nov. 1962), en « visite éclair pour prendre contact avec la<br />

population », « vint à la Mission et alla faire une adoration à l’église » 202 ! Quelques soient les<br />

motivations personnelles de chacun, il y a, dans la politique des autorités coloniales, une véritable<br />

continuité dans la perception de la Mission qui reste un passage obligé, dans la mesure ou elle<br />

contribue au développement dans la colonie de l’enseignement, mais aussi de l’action sociale en<br />

général. Lorsque l’on s’intéresse au passage des Petites Sœurs de Jésus à Ali-<strong>Sabieh</strong> 203 , on en est<br />

d’autant plus convaincu.<br />

Dès 1947, Mgr Hoffmann désirait la présence d’une congrégation féminine à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> 204 . Leur installation à Ali-<strong>Sabieh</strong> a été plusieurs fois retardée et leur première visite, en<br />

février 1955 relatée ici par le Père est suivie de nombreuses autres :<br />

« Mgr fait visiter la <strong>station</strong> aux supérieures des Petites Sœurs de Jésus de Charles de<br />

Foucault : S. Madeleine, fondatrice, S. Jeanne Sup. Générale, S. Iva. Les Petites Sœurs sont<br />

195 CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G4, rapport trimestriel, 30 juin 1952.<br />

196 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 25 mai 1956.<br />

197 Ibidem, 21 janvier 1947.<br />

198 CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G4, Note sur les activités du cercle depuis le mois d’avril 1950, 26 septembre<br />

1950.<br />

199 Comme on ne peut pas tout énumérer ici, juste un exemple, datant du 5 février 1955 : « Visite du conseiller de<br />

l’Union française M. Raphaël Leygues. Il visite l’orphelinat, en compagnie de M. l’Administrateur J. Harrois, du<br />

conseiller de la CFS, M. Kanul (dankali) et d’un médecin général retraité de la Marine ».<br />

200 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 11 janvier 1949.<br />

201 Ibidem, 14 février 1956.<br />

202 Ibidem, 28 octobre 1858.<br />

203 On a fait plus haut la connaissance de la congrégation, p.13-14.<br />

204 Concernant l’arrivée des Petites Sœurs à Djibouti, C. Dubois et P. Soumille, op.cit, 2004, p.202-216.


42<br />

satisfaites d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, qu’elles trouvent tout à fait conforme à leur mission et leur idéal. Elles<br />

nous promettent des Sœurs, elles ont l’intention de mettre un noviciat à Ali-<strong>Sabieh</strong>… » 205<br />

Dans un premier temps, la <strong>station</strong> en milieu issa plaît à la congrégation. Preuve en est<br />

leurs passages réguliers à la mission de 1955 à 1957, année de leur installation définitive. Le<br />

missionnaire nous décrit une des visites des Sœurs ; on le sent assez septique :<br />

« Sans s’être annoncés au préalable la responsable des Petites Sœurs de Jésus de Djibouti<br />

vint avec celle d’Aden vers 10 h. du matin, sacs au dos pour faire 8 jours de retraite en vue de la<br />

rénovation de leurs vœux. Depuis 2 jours il pleuvait et faisait froid. On questionne les sœurs ;<br />

elles ont tout prévu, elles ont tout. Mais vers midi, elles viennent déjà quémander, le soir une<br />

2 ème fois, le lendemain encore ! et ainsi de suite ; comme la pluie et le froid continuent, elles<br />

tombent toutes 2 malades : bronchites, lumbago, angine. Elles font ménage à part mais<br />

s’approvisionnent chez nous. Durant leur retraite elles ont désiré qu’on leur expose pendant trois<br />

heures le T.S. Sacrement. Une autre de Djibouti qui venait de se relever d’une bronchite et une<br />

autre d’Aden, phtisique, devaient rejoindre samedi les deux premières par ici pour retourner<br />

ensemble lundi matin à Djibouti. Mais vu le climat et la mauvaise communication elles ont été<br />

prévenues de ne pas venir et ont été prévenues du retour des deux premières pour samedi<br />

matin. » 206<br />

Quoiqu’il en soit et après deux ans d’attente, elles ouvrent une fraternité d’adoration à<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong>. <strong>La</strong> Sœur Arlette y inaugure le noviciat :<br />

« Inattendus vinrent avec le train de Djibouti le R.P. Adolphe avec des scouts et deux<br />

Petites Sœurs. Le R.P. dit de nuit la messe dans notre chapelle puis il partit avec les siens pour<br />

Tilchil pour un camp.<br />

Les P.S. vinrent visiter leur maison, pour ne repartir que le lendemain.<br />

Les derniers jours furent extrêmement pluvieux. Mgr faillit ne pouvoir venir. Hier soir il<br />

arriva en camion avec le P. Denys et les Petites Sœurs de Jésus ; celles-ci seront enfin installées<br />

définitivement. Le noviciat fut inauguré par la vêture d’une novice. À la fin de la messe Mgr<br />

conféra le sacrement de confirmation à 6 sénégalais, 3 enfants européens et 3 enfants de la<br />

mission. » 207<br />

Il était temps ! Dix ans après la réouverture de la <strong>station</strong>, aucune structure pour les fillettes<br />

et les femmes n’existe à Ali-<strong>Sabieh</strong>, alors qu’à l’origine cette mission avait été ouverte par une<br />

congrégation féminine. Cette absence est d’autant plus frappante que à Djibouti, les activités des<br />

Franciscaines de Calais sont aussi développées que celles de leurs homologues masculins. A titre<br />

d’exemple, en 1957 (année de l’arrivée des Petites Sœurs à Ali-<strong>Sabieh</strong>), elles sont à la tête, une<br />

école de filles, d’enseignement primaire et secondaire composée de 418 élèves dont 109<br />

autochtones, dispensent des cours d’enseignement commercial et de musique. Elles dirigent<br />

également un orphelinat où se côtoient vingt et une pensionnaires et poursuivent leurs œuvres<br />

hospitalières à l’hôpital principal du Territoire (5 religieuses y travaillent alors). Dans le quartier<br />

autochtone de la ville, Boulaos, elles développent aussi depuis 1955, des activités : une école<br />

ménagère et une classe enfantine pour les enfants du quartier. Les Petites Sœurs de Jésus,<br />

installées depuis 1955 à Djibouti accentuent un peu plus encore, l’inégalité des structures<br />

féminines entre le « centre et la périphérie » alors qu’elles sont employées au dispensaire médical<br />

des autochtones 208 .<br />

205<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 10 février 1955.<br />

206<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 16 février 1957.<br />

207<br />

Ibidem, 22 avril 1957.<br />

208<br />

Annuaire des missions <strong>catholique</strong>s en Afrique française, édité par la délégation apostolique de Dakar, Paris, 1957<br />

(2 e édition)


43<br />

Quelques temps après l’installation définitive des Petites Sœurs à Ali-<strong>Sabieh</strong>, et malgré<br />

les retards accumulés concernant les filles et femmes à Ali-<strong>Sabieh</strong>, force est de constater que la<br />

congrégation des Sœurs a du mal à atteindre ses objectifs, notamment s’insérer parmi les Somalis<br />

musulmans. De plus, elles ne pratiquent aucune action éducative ou sociale. Cette attitude étonne,<br />

voire irrite les différents membres de l’administration de passage dans la ville ce que, par ailleurs<br />

le Père ne manque pas de faire remarquer dans sa chronique. Il précise, par exemple, que lors de<br />

la visite officielle du nouveau gouverneur de la CFS, M. Maurice Meker, ce dernier « ne pouvait<br />

comprendre qu’elles n’avaient aucune activité sociale ; D’autant plus qu’il les avait connues au<br />

Niger faisant l’école, soignant des malades, suivant les différentes tribus » 209 . De même, le 1 er<br />

novembre, l’administrateur se confie au Père :<br />

« Les Petites Sœurs eurent aussi de la visite de 4 institutrices de Djibouti qui passaient le<br />

week-end chez elles. J’étais à Dikhil. L’administrateur parlait encore d’elles et me fit comprendre<br />

qu’il ne voyait pas pourquoi nos Sœurs recherchaient tellement les relations des Européens alors<br />

qu’elles devraient s’occuper des indigènes ! » 210<br />

Et comme si le message n’était pas suffisamment clair, le ministre de l’enseignement,<br />

Blin, de passage pour une visite des écoles d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, « s’étonna que les Petites Sœurs ne<br />

voulaient pas s’occuper des femmes ». Ces propos rapportés en septembre, novembre et<br />

décembre 1957, c'est-à-dire que quelques mois après l’arrivée des Sœurs, sont tout à fait<br />

significatifs. Le scepticisme des autorités envers les religieuses est totalement mis en évidence en<br />

janvier 1958 et le ton semble monter, alors que les Sœurs sont parties pour quelques jours à<br />

Djibouti :<br />

« Lorsque le capitaine Commandant d’armes et l’administrateur apprirent leur départ ils<br />

demandèrent au Père si leur départ ne pouvait pas être définitif, car leur départ ne laissait aucun<br />

vide, comme ils disent puisque d’une part elles ne s’occupent d’aucune œuvre sociale, si ce n’est<br />

d’avoir des relations avec les Européens ; et d’autre part parce que leur présence ici sur place<br />

empêche probablement toute autre congrégation féminine d’accepter de s’installer par ici ; un<br />

autre motif de l’administration paraît être celui qu’elle profitent du aerola ( ?) (l’eau, etc.) sans<br />

aucune contrepartie de leur part ; de plus les indigènes avaient cru qu’elles s’occuperaient d’un<br />

foyer social comme il en existe un à Boulaos : aussi en octobre plusieurs femmes vinrent<br />

demander pour elles-mêmes ou pour leurs fillettes l’admission ; elles durent rentrer déçues :<br />

l’école publique cherche maintenant à accaparer les fillettes. » 211<br />

Bref, le maître mot est de se rendre « utile » aux yeux de l’administration. En fin d’année<br />

1958, elles ont des activités qui n’ont rien à voir avec leur but initial!<br />

« Les Petites Sœurs s’occupent activement de l’église et du linge des enfants. Elles<br />

couvrirent toutes les cartes d’électeurs ; mais l’administrateur Devigne au lieu de les payer 10 fr.<br />

par carte ne leur paya que 5 fr. la carte tout en leur faisant également écrire celles du cercle de<br />

Dikhil… » 212<br />

Finalement la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong> ne correspond pas à l’idéal des Petites Sœurs de<br />

s’insérer en milieu nomade et leur action n’est pas approuvée par les autorités locales. Dès 1959,<br />

elles envisagent leur transfert de Ali-<strong>Sabieh</strong> à Tadjourah : ce sera chose faite en mars 1960. 213<br />

209 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 14 septembre 1957.<br />

210 Ibidem, 1 er novembre 1957.<br />

211 Ibidem, 6 janvier 1958.<br />

212 Ibidem, Remarques générales, fin 1958.<br />

213 C. Dubois et P. Soumille, op.cit, 2004, p. 210.


44<br />

3.2. L’école missionnaire, un palliatif efficient mais insuffisant.<br />

A l’issue de ces quelques pages, il apparaît assez clair que l’administration coloniale<br />

comptent sur les efforts des missionnaires pour suppléer ses propres carences en matière de<br />

progrès social ou encore de scolarisation. Il faut dire tout de même que les missionnaires<br />

occupent cet « espace » depuis leur arrivée sur le territoire. L’initiative privée <strong>catholique</strong> avait été<br />

à l’origine des premières écoles. Deux Capucins, envoyés par Monseigneur Taurin Cahagne,<br />

évêque de Harar, fondèrent la première école du territoire à Obock, en 1885. Trois ans plus tard,<br />

les Sœurs Franciscaines ouvraient une école de filles et un orphelinat. Lorsque Djibouti devint<br />

chef lieu du territoire ces 2 établissements furent transférés (ouverture de l’école des filles à<br />

Djibouti en 1902) et renforcés par la venue des Frères de l’institut Saint-Gabriel, congrégation<br />

masculine spécialisée dans l’enseignement qui ouvre son établissement en février 1901. En 1906,<br />

se forma le Comité local de l’Alliance française qui créa un embryon d’école publique<br />

fonctionnant avec des enseignants bénévoles, fonctionnaires ou agents de l’administration.<br />

L’année 1922 apparaît comme une rupture : elle voit la création de la première école primaire<br />

publique et laïque, avec pour maîtres des instituteurs recrutés en France, mais aussi le départ<br />

précipité de la colonie des frères gabriélistes, en CFS, victimes des mesures anticléricales 214 .Les<br />

autorités ont désormais l’intention officielle d’investir dans la scolarisation dans la colonie.<br />

Mais, quelques décennies plus tard, les résultats sont assez mitigés, sinon décevants. En<br />

1953, 9 établissements scolaires publics (soit 26 classes) et 4 établissements privés (12 classes)<br />

qui accueillent respectivement 900 et 600 élèves. L’enseignement du second degré est représenté<br />

par 3 cours complémentaires dont un privé et par un cours normal. Enfin, 2 écoles<br />

d’enseignement professionnel publique et privée fonctionnent également à Djibouti. Finalement,<br />

si l’enseignement est obligatoire dans le territoire, les effectifs scolaires ne dépassent guère 1700<br />

élèves soit 19,3% seulement de la population scolarisable 215 .<br />

Au delà des chiffres, le bilan de Mgr Hoffmann en 1958, reflète cette situation :<br />

« Notre territoire, bien que peu évolué culturellement et économiquement, a cependant été<br />

doté de la loi-cadre, comme les autres territoires français d’Afrique. Cette Loi-cadre a institué un<br />

gouvernement local avec Conseil et Ministres, qui font leur apprentissage pour leur future<br />

indépendance. L’instruction dans la Somalie étant très arriérée et ne disposant pour ainsi dire de<br />

personne qui ait fait des études supérieures ni mêmes secondaires, Djibouti se voit maintenant<br />

doté de Ministres dont le niveau d’instruction ne dépasse pas celui du Certificat d’Etudes. » 216<br />

Le premier bachelier autochtone issu du lycée de Djibouti n’obtient son diplôme qu’en 1960 et le<br />

territoire ne compte en 1966 que cinq ou six diplômés de l’enseignement supérieur 217 ! Bref, deux<br />

éléments se dégagent de ces chiffres, la faiblesse des diverses formations pour les jeunes bien sûr,<br />

mais aussi le poids de l’école privée en CFS. <strong>La</strong> colonie ne peut guère se passer de cette<br />

coopération qui a en plus pour mérite de lui coûter beaucoup moins cher : En 1952, 42 800 930<br />

francs ont été attribués pour les dépenses d’enseignement soit 4,17% du budget du territoire alors<br />

qu’une somme de 4 889 000 a été allouée à l’enseignement privé.<br />

Ainsi et à l’aune de ces quelques informations, on comprend désormais mieux l’intérêt des<br />

autorités locales pour un « petit » orphelinat-école, dans l’intérieur du territoire. Certes, un peu<br />

214 C Dubois et Pierre Soumille, Des Chrétiens à Djibouti en terre d’Islam. Sur les premières écoles et les missions<br />

pionnières en CFS : Chapitre 2, <strong>La</strong> genèse du catholicisme en Côte Française des Somalis. Une implantation<br />

missionnaire laborieuse et tâtonnante (p. 47-103). Concernant, le départ des frères de l’institut Saint-Gabriel : à lire<br />

en particulier « œuvre scolaire et laïcité : une guerre mal surmontée. (p.129-136)<br />

215 Chiffres extraits de la Documentation française, n°1897.<br />

216 Référence + topo rapide sur la loi cadre : ce que c’est et qui fait quoi dans l’empire, dire les chiffres à Djibouti.<br />

217 P. Oberlé et P. Hugot, Histoire de Djibouti, Des origines à la République, p. 179.


45<br />

moins d’une cinquantaine d’enfants scolarisés en moyenne, n’est pas grand-chose ; mais lorsque<br />

l’on s’intéresse au retard scolaire accumulé dans la colonie et surtout lorsque l’on compare les<br />

chiffres de la Mission à ceux de l’école publique (un peu moins d’une centaine les bonnes<br />

années), ils deviennent pour le coup, relativement honorables. <strong>La</strong> tendance est donc plutôt à la<br />

complémentarité plus qu’à la concurrence entre les 2 écoles d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, même s’il y a parfois<br />

quelques petites tensions. L’école publique, en 1958, est ainsi « accusée », par le rédacteur du<br />

journal, de chercher « à accaparer les fillettes » (et de les enlever de l’influence des<br />

missionnaires, notamment les Sœurs).<br />

D’où, qu’il s’agisse de sources missionnaires ou administratives, les relations sont bonnes.<br />

Nuançons tout de même un peu le tableau précédemment esquissé: l’administration ne favorise<br />

pas forcément toujours ou complètement les missionnaires en raison de leur utilité sociale. Ce<br />

document rédigé provenant de la <strong>station</strong> est assez significatif :<br />

« J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir reprendre le bordereau d’envoi d’une facture<br />

d’eau de la Mission. Je pense qu’il y a erreur à ce sujet, car nous n’avons jamais été obligés de<br />

payer l’eau dans les dans les œuvres sociales ou scolaires. <strong>La</strong> Mission élève à Ali-<strong>Sabieh</strong>, comme<br />

ailleurs dans le territoire, des enfants autochtones, qui sont entièrement à la charge de la Mission<br />

et il semble normal que l’Administration du pays ne fasse pas payer à la Mission la consommation<br />

d’eau de ces enfants dont l’éducation intéresse autant le Gouvernement local que la Mission. » 218<br />

On ignore comment se finit l’affaire, mais on sait, à la lecture du journal de la mission qu’il y a<br />

eu en la matière un précédent, entre janvier et juin 1957 et que l’histoire avait pu être réglée<br />

rapidement avec l’intervention d’un membre de l’administration :<br />

« L’administration nous ayant envoyé les factures d’eau de janvier à juin, chose imprévue<br />

dans le budget de la mission, le conseiller Gounaud qui vint nous rendre visite nous promit<br />

d’intervenir pour nous garder la gratuité de l’eau en faisant inscrire notre puits comme puits<br />

public » 219 .<br />

Hormis la vague anticléricale des années 1920, qui voient le départ précipité des Frères de<br />

l’institut Saint-Gabriel, les démarches de la Mission Somalie dans les domaines de la santé et de<br />

l’enseignement n’ont jamais été contrariées. L’exemple des Petites Sœurs montre même, que du<br />

point de vue de l’administration, l’action charitable est une condition sine qua non à la présence<br />

de religieux. Ainsi l’orphelinat et l’école bénéficient d’un petit soutien financier, de concessions<br />

de terrains à titre gratuit mais aussi d’une prestigieuse image auprès de l’administration centrale.<br />

A Ali-<strong>Sabieh</strong>, on suit donc strictement la même politique qu’à Djibouti, les actions charitables<br />

dans les quartiers autochtones en moins peut-être.<br />

Les enfants de l’orphelinat, sont donc les autochtones les plus proches des missionnaires,<br />

les plus en contacts avec leurs apports culturels. On verra dans la partie qui suit sur l’action<br />

religieuse des missionnaires qu’ils sont aussi les plus sollicités dans ce domaine.<br />

218 CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G7, lettre de Mgr Hoffmann au Cdt de cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 5 octobre 1959.<br />

219 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, Septembre 1957.


46<br />

Les subventions publiques perçues par les missionnaires entre 1948 et 1955<br />

Source : Journal officiel de la Côte Française des Somalis<br />

date Montant da la subvention Bénéficiaires de la subvention<br />

6. 02.1948 25 000 Frs Orphelinat des filles<br />

6.02.1948 25 000 Frs Orphelinat des Garçons<br />

26.06.1948 30 000 Frs Mission <strong>catholique</strong><br />

21.07.1948 50 000 Frs Orphelinat des Franciscaines<br />

21.07.1948 50 000 Frs Orphelinat de la mission <strong>catholique</strong><br />

27.07.1948 50 000 Frs Ecoles des Franciscaines.<br />

20.10.1948 25 200 Frs Mgr Hoffmann : pour couvrir les droits de<br />

douane sur un camion importé d’Aden,<br />

destiné au transport des élèves de l’école<br />

Charles de Foucault.<br />

26.03.1949 50 000 Frs Orphelinat des filles<br />

28.03.1949 50 000 Frs Orphelinat des Garçons.<br />

16.06.1949 75 000 Frs Supérieure de la Congrégation des Sœurs<br />

Franciscaines pour l’école.<br />

27.02.1950 60 000 Frs Congrégation des Sœurs Franciscaines :<br />

pour l’achat d’un camion pour le transport<br />

des élèves.<br />

20. 06.1950 50 000 Frs Mission <strong>catholique</strong> à titre de contribution<br />

aux œuvres d’intérêt social<br />

12.07.1950 75 000 Frs Supérieure de la Congrégation des Sœurs<br />

Franciscaines pour l’école.<br />

12.07.1950 50 000 Frs Orphelinat de la mission <strong>catholique</strong><br />

31.12.1950 80 000 Frs Ecole des Franciscaines.<br />

29.01.1951 750 000 Frs Mission <strong>catholique</strong> à titre de contribution<br />

aux œuvres d’intérêt social<br />

11.06.1951 750 000 Frs Mission <strong>catholique</strong> à titre de contribution<br />

aux œuvres d’intérêt social<br />

14.02.1952 2 000 000 Frs Mission <strong>catholique</strong> à titre de contribution<br />

aux œuvres d’intérêt social<br />

13.06.1952 1 000 000 Frs Mission <strong>catholique</strong> à titre de contribution<br />

aux œuvres d’intérêt social<br />

18.02.1953 5 000 000 Frs Mission <strong>catholique</strong> à titre de contribution<br />

aux œuvres d’intérêt social<br />

10.02.1954 6 000 000 Frs Mission <strong>catholique</strong> à titre de contribution<br />

aux œuvres d’intérêt social<br />

15.02.1954 14 670 000 Frs Préfecture apostolique de Djibouti : pour<br />

la construction d’une école artisanale à<br />

Randa.<br />

17.01.1955 6 000 000 Frs Mission <strong>catholique</strong> à titre de contribution<br />

aux œuvres d’intérêt social


Chapitre 3: Encadrer les expatriés, évangéliser les<br />

musulmans.<br />

« Le nouvel an commence avec une pluie fine mais persistante. Bénédiction pour le pays. Pourvu<br />

qu’elle présage aussi une bénédiction pour les pauvres âmes dont la mission a la charge » 220 .<br />

Depuis le début de cet exposé, on n’a guère abordé les questions religieuses, pourtant<br />

centrales dans la vie du missionnaire. Cette 3 e partie sur la vie religieuse apparaît sans doute un<br />

peu tard, mais cet ordre tient compte du fait qu’en CFS, le christianisme ne s’est taillé en grande<br />

partie, une place, que grâce à ses œuvres charitables. <strong>La</strong> mission est donc immergée dans le<br />

cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, terres traditionnelles de nomadisme Issa. Dans ces circonstances, quelles<br />

méthodes emploie-t-elle pour exister. Tente-elle des adaptions pour se rapprocher de la<br />

population locale et accentuer le poids de la religion ?<br />

Il convient tout de même de rappeler que face à l’Islam, religion dominante et qui<br />

bénéficie d’un regain de vitalité après la Seconde Guerre Mondiale, les arguments des<br />

représentants chrétiens à Ali-<strong>Sabieh</strong>, ne se font guère entendre. Le choix qui semble être adopté<br />

est de privilégier un maximum, les autochtones dont ils sont les plus proches, c'est-à-dire les<br />

enfants de l’orphelinat. On peut enfin, à partir de journal, tirer quelques informations sur la vie<br />

paroissiale, assez restreinte, au demeurant.<br />

1. Un préalable : l’Islam, « un frein à l’évangélisation » 221<br />

Islam est la religion principale du cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et conditionne la vie des Issas,<br />

sédentaires ou nomades. <strong>La</strong> religion connaît, avec la colonisation, un regain de vitalité, alors que<br />

le christianisme demeure une religion marginale. Plusieurs facteurs expliquent cette relance de<br />

l’islamisation.<br />

« D’abord, les autorités françaises ont encouragé, dans cet univers de pasteurs nomades et<br />

de caravaniers, la naissance de noyaux urbains. Ainsi, Djibouti-ville s’est imposée comme étant<br />

une capitale dynamique, attirant les principales activités du territoire et les hommes ; sa croissance<br />

es spectaculaire : en 1935, elle compte près de 30 000 habitants. Emergent également d’autres<br />

noyaux urbains de moindre importance—tels Tadjourah, Dikkil Ali-<strong>Sabieh</strong>, Obock.<br />

L’urbanisation gagne donc du terrain dans cette région où, hormis l’antique cité Tadjourah, la ville<br />

est absente. L’islamisation suit les progrès de l’urbanisation du territoire, ce facteur ayant été<br />

observé dans d’autres pays du monde.<br />

Puis, la colonisation a favorisé les brassages de populations. <strong>La</strong> CFS qui connaît un<br />

développement rapide des activités d’import-export attire un certain nombre de commerçants ou<br />

travailleurs, provenant de la proche Arabie, plus particulièrement du Yémen. Ces Arabes qui<br />

intègrent la communauté autochtone sont des musulmans sunnites, chaféites en grande majorité<br />

(on compte quelques Yéménites zaïdites). Ils revivifient l’islamisation du territoire en finançant,<br />

dans les centres proto-urbains, la construction de mosquées et en constituant des fondations<br />

charitables, les waqfs, pour les entretenir.<br />

220 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, début 1953.<br />

221 C. Dubois et Pierre Soumille, Des Chrétiens,op.cit., p. 148.<br />

47


48<br />

Enfin, les autorités coloniales françaises, comme elles l’ont fait par exemple au Sénégal<br />

avec les membres de la confrérie mouride, entretiennent des relations privilégiées avec la<br />

communauté musulmane. » 222<br />

Ainsi aux vues des arguments présentés, Ali-<strong>Sabieh</strong> est tout à fait intégrée dans cette évolution.<br />

Elle est un petit centre urbain, récent et en pleine expansion depuis 1945, mais aussi un lieu clé<br />

du commerce de la colonie, du fait de sa position de dernier arrêt français du train francoéthiopien<br />

avant la frontière. Enfin, elle bénéficie clairement des relations privilégiées entre les<br />

autorités coloniales et la communauté musulmane. Hubert Deschamps insiste sur la nécessité de<br />

ces relations. Car, selon lui, l’Islam, mieux connu « sous sa forme vraiment religieuse contribue à<br />

dissiper peu à peu les traditions d’antan, étroites et féroces. ». Les moyens d’actions sont<br />

exposés :<br />

« L’administration aide les mosquées sous diverses formes, en particulier en leur<br />

fournissant l’eau et la lumière. Le gouverneur, entouré de ses chefs de service, assiste chaque<br />

année à la grande prière de l’Aïd-el-séghir et de l’Aïd-el-kébir. Il se maintient en contact constant<br />

avec les chefs religieux et s’efforce de faciliter leur mission de paix et de conciliation. » 223<br />

Ces formes de soutiens existent à Ali-<strong>Sabieh</strong>. <strong>La</strong> participation aux fêtes religieuses<br />

musulmanes est la règle mais aussi le financement de ces dernières, malgré le contexte financier<br />

un peu délicat :<br />

« A l’occasion de l’Ait-el-Seghir, le 5 juillet, il a été nécessaire d’organiser une fête<br />

conforme à la tradition du pays. Bien que n’ayant pas pris la précaution au préalable de vous<br />

demander à cet effet quelque crédit exceptionnel comme de coutume, je me suis retrouvé dans la<br />

nécessité de faire tout de même face à certaines dépenses. Celles-ci s’élèvent à 6000 francs. » 224<br />

Les autorités coloniales contribuent aussi financièrement à la rénovation et l’entretien<br />

régulier de la mosquée d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. On prévoit ainsi, en 1947 l’agrandissement du lieu de culte.<br />

Une somme de 110 400 francs est débloquée à cet effet 225 . Parfois, ces dépenses mettent fin à des<br />

risques réels encourus par la population. C’est le cas en 1950 : les fondations du minaret de la<br />

mosquée du village d’Ali-<strong>Sabieh</strong> ayant été minées par les pluies, des lézardes importantes se<br />

produisent dans les murs des bâtiments. « Il menace de s’effondrer, au risque de provoquer un<br />

accident, et il sera sans doute nécessaire de le démolir ». Un crédit de 60 300 francs est, alors<br />

demandé pour la reconstruction 226 . D’autres dépenses sont beaucoup moins utiles, mais sont<br />

quand même envisagées :<br />

« Je ne vois pas bien la nécessité des bancs qui ne m’avaient jamais été demandés<br />

auparavant. On peut cependant leur en accorder quelques uns. Que le nécessaire soit alors fait à<br />

Djibouti car je ne dispose pas de crédits à cette fin.<br />

Quant à la mosquée il y a un peu plus de 2 ans le Capitaine Deviras des affaires politiques<br />

avait promis quelques crédits pour réparer la mosquée… promesse encore qui ne fut pas tenue…<br />

Cependant j’ai contribué chaque année avec les moyens du bord dont j’ai pu disposer, à l’entretien<br />

de la dite mosquée en prélevant sur mes crédits de quoi acheter un peu de ciment, chaux et en<br />

utilisant comme main d’œuvre miliciens ou coolies du Cercle.<br />

222<br />

C. Dubois et P. Soumille, Des chrétiens…, op.cit, p.148-155 : « un frein à l’évangélisation : la vitalité de<br />

l’islamisation ».<br />

223<br />

H. Deschamps, « <strong>La</strong> Côte française des Somalis », in H. Deschamps et A. Menard, Côte des Somalis, Réunion,<br />

Inde,Paris, Berger-Levraut, 1948, p.72-82.<br />

224<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G2, dossier 1951 (départ), lettre du commandant de cercle au gouverneur, le 8<br />

juillet 1951. A la suite de ce paragraphe, le rédacteur demande 9000 francs supplémentaires pour les dépenses liées à<br />

la fête du 14 juillet.<br />

225<br />

Idem, carton 6G4, dossier 1947, courrier confidentiel du 28 avril 1947.<br />

226<br />

Idem, carton 6G2, chrono départ courrier ordinaire, 28 mars 1950.


<strong>La</strong> mosquée n’est pas en mauvais état, mais on pourrait évidemment en améliorer<br />

l’installation et incontestablement, un crédit d’une vingtaine de mille francs chaque année<br />

permettrait de mieux l’entretenir. » 227<br />

Enfin, « dans le but d'accroître leur autorité et rehausser leur prestige auprès des tribus,<br />

l'Administration locale offre gratuitement, depuis deux ans, le pèlerinage à la Mosquée à certains<br />

chefs indigènes » 228 , explique en novembre 1939 le gouverneur Bataillon. Encore une façon de<br />

faciliter la « mission de paix et de conciliation » que s’est attribuée la France mais surtout d’avoir<br />

un plus grand contrôle sur ces chefs de tribus qui doivent « mériter » le voyage. Voyons selon le<br />

gouverneur Siriese, les conditions nécessaires mais non suffisantes à la candidature d’un<br />

« indigène » car il précise « Ne faire aucune promesse, le choix du candidat parmi les quatre<br />

présentés étant à la discrétion entière du gouverneur ».<br />

« a) le pèlerin officiel qui représente la CFS doit être tant par l’aspect physique que par la<br />

situation capable à remplir cette mission.<br />

b) Tous les personnages douteux sont à écarter.<br />

c) L’intéressé doit avoir des ressources suffisantes pour ne pas être gêné par les frais<br />

supplémentaires que ce voyage ne peut manquer de lui causer.<br />

d) Le pèlerinage aux frais de l’Etat doit être tenu pour une récompense, et partant envisagé<br />

comme moyen politique, pour reconnaître les services, ou encourager une attitude<br />

loyale. » 229<br />

Ainsi dans ce contexte, la religion <strong>catholique</strong>, n’est en aucun cas favorisée par une telle<br />

politique 230 et le processus d’islamisation est en total opposition avec la diffusion du catholicisme<br />

à Ali-<strong>Sabieh</strong>, amené à demeurer la « religion des expatriés au demeurant jamais très<br />

nombreux » 231 .<br />

Sans compter l’indifférence que la plupart des Issas montrent à l’égard des Pères<br />

<strong>catholique</strong>s, ajoutons aussi le poids des mentalités concernant la question de la conversion,<br />

comme le rappelle Karima Direche-Slimani :<br />

« Dans le texte coranique il n’existe aucune mention de peine particulière pour celui qui a<br />

apostasié. L’apostat ou le murtaad en langue arabe (celui qui se détourne) ne fait pas l’objet de<br />

sanction particulière sauf de menaces de châtiments après la mort. <strong>La</strong> peine de mort, par contre,<br />

se retrouve dans de nombreuses traditions du Prophètes. L’article sur l’apostasie de<br />

l’Encyclopédie de l’Islam rapporte des propos attribués au Prophète comme « Celui qui change<br />

de religion, tuez-le ou décapitez-le » ou de verser le sang de « celui qui abandonne sa religion et<br />

se sépare da la communauté». <strong>La</strong> pratique du Châtiment qui est la plus classique, à partir de la<br />

tradition du Prophète, demeure dominante dans les représentations, pour l’écrasante majorité des<br />

pays musulmans. Une mentalité qui persiste, jusqu’à aujourd’hui, à considérer les convertis<br />

comme déchus de leurs droits et de leurs devoirs et morts civilement… ». 232 Que peut-on ajouter<br />

de plus ?<br />

15 juin 1947 : c’est jour de fête à la mission. <strong>La</strong> cloche, arrivée le 12 mai est baptisée<br />

après la messe. Monsieur Frisson-Roche, chef du poste administratif d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et sa femme<br />

sont les « heureux » parrain et marraine.<br />

227 Idem, carton 6G3, chrono départ courrier ordinaire, 28 mars 1952.<br />

228 Idem, carton 6G7, dossier affaires religieuses, marabouts mosquées, pèlerinages, écoles coraniques, 17 novembre<br />

1939.<br />

229 Idem, carton 6G4, lettre du commandant de cercle du 25 juillet 1949.<br />

230 Ce qui par ailleurs, nuance les conclusions de la 2 e partie en particulier l’attitude des autorités coloniales face aux<br />

actions sociales menées par les missionnaires.<br />

231 C. Dubois, P. Soumille, Des chrétiens…, op.cit, p. 148.<br />

232 K. Direche-Slimani, Chrétiens en Kabylie, 1873-1954, une action missionnaire dans l’Algérie coloniale, 2004, p.<br />

79.<br />

49


50<br />

« <strong>La</strong> cloche qui vient de la fonderie Causard de Colmar pèse 60 kg. Elle porte en haut<br />

relief l’image de St François et l’écusson de l’Ordre de S. François avec l’inscription : “Deus<br />

meus et omnia”.<br />

Anno Domini 1947 die 15 juin fuit benedicta in nostra ecclesia Ali-<strong>Sabieh</strong>, campana S.<br />

Francisci. Sacerdos benedicens fuit P. Silverius superior. Patrinus : Raymond Frisson-Roche ;<br />

Matrina Mme Frisson-Roche qui hic infra subscripserunt.<br />

Signé – Sacerdos : P. Silvère<br />

Patrinus :<br />

Matrina : F. Frison-Roche<br />

A cette occasion, pour marquer sa parraineté, le lieutenant a fait don d’un beau mouton<br />

pour le repas de midi. » 233<br />

L’Eglise ne considère pas comme nécessaire la bénédiction de la cloche. Pourtant la<br />

pratique est quasi générale et atteint même les terres coloniales ! Elle est donc d’importance, tout<br />

comme l’est l’étape de l’installation de la cloche dans la clocher. C’est chose faite le 3 juillet.<br />

Symboliquement, il s’agit bien d’affirmer la présence <strong>catholique</strong> en terre musulmane. Le son<br />

régulier de la cloche doit pouvoir annoncer le rassemblement des croyants de Ali-<strong>Sabieh</strong>, même<br />

si le Père Silvère ne se fait guère d’illusion : « peu nombreux seront les fidèles qui répondront à<br />

son appel aux offices. Néanmoins chantera-t-elle 3 fois par jour la gloire du Seigneur et de sa très<br />

sainte Mère ». Il doit surtout pouvoir être une « réplique » aux appels à la prière du Muezzin du<br />

haut de son minaret 234 . <strong>La</strong> volonté de construction de bâtiments à l’image de la cathédrale à partir<br />

de 1958, répond à la même logique : marquer l’espace de l’empreinte d’un catholicisme même<br />

minoritaire. <strong>La</strong> démarche paraît donc assez offensive, mais sur le terrain, comment agissent les<br />

missionnaires ?<br />

2. <strong>La</strong> religion des expatriés<br />

<strong>La</strong> religion <strong>catholique</strong> est très minoritaire en CFS et à fortiori dans le cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong><br />

qui se trouve à l’écart de la grande ville. Les chiffres sont à ce titre significatifs 235 :<br />

Date Habitants Catholiques Catéchumènes<br />

1947 25 000 80 ?<br />

1955 25 000 91 29<br />

1957 27 000 56 dont 11 somalis 37<br />

1959 27 000 98 36<br />

233<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 15 juin 1947.<br />

234 e<br />

Cet exemple de A. Corbin, Les cloches de la terre, Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au 19<br />

siècle, éclaire ces propos et dans la mesure où l’on suppose que nos missionnaires charrient avec eux quantité de<br />

traits des mentalités européennes du 19 e siècle :<br />

« Là où s’affrontent <strong>catholique</strong>s et protestants, la puissance de la sonnerie peut être objet de compétition, à l’intérieur<br />

même de la commune. En 1845, les <strong>catholique</strong>s d’Aubais (Gard) lancent une souscription afin de remplacer<br />

l’ancienne cloche de l’église, enlevé sous la Révolution. Les protestants répliquent et décident, eux aussi d’équiper<br />

leur temple. Afin de l’emporter symboliquement sur leurs concurrents, les <strong>catholique</strong>s prétendent alors à une<br />

« double sonnerie ». <strong>La</strong> fabrique réclame le droit d’utiliser la cloche neuve que la communauté d’habitants, adeptes<br />

des deux cultes confondus, destine à l’horloge municipale. Les <strong>catholique</strong>s, en cette affaire, s’opposent à tout<br />

« arrangement » proposé par le préfet ; ils refusent d’admettre « l’identité complète entre les deux cultes. »<br />

235<br />

Chiffres extraits de l’Annuaire de l’Eglise <strong>catholique</strong> en Afrique francophone à l’exception de l’année 1947, les<br />

chiffres sont tirés de la revue Grand <strong>La</strong>cs, 1947.


Ces chiffres englobent les cercles d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et de Dikhil qui correspondent à une même<br />

paroisse. On peut donc raisonnablement penser que les <strong>catholique</strong>s et les catéchumènes sont un<br />

peu moins nombreux à Ali-<strong>Sabieh</strong> que les chiffres l’indiquent, même si, le village rassemble la<br />

plus grande part de la communauté.<br />

Sans surprise, les <strong>catholique</strong>s sont pour la plupart les européens en fonction dans les<br />

cercles : membres de l’administration, de l’armée, du CFE, etc.… Par conséquent, la paroisse<br />

apparaît relativement « instable » dans la mesure où les membres n’y restent jamais guère<br />

longtemps. Cependant elle bénéficie sans doute, de la présence de nombreux militaires (l’armée<br />

française comptant en ses rangs beaucoup de <strong>catholique</strong>s pratiquants). D’autre part, la paroisse<br />

d’Ali-<strong>Sabieh</strong> porte en son sein les mêmes distinctions entre <strong>catholique</strong>s que l’on retrouve en<br />

France : pratiquants, pascalisants, sans grandes préoccupations religieuses ou à peu près. Cette<br />

remarque est importante car l’attitude face à la religion des uns et des autres conditionne<br />

beaucoup la vie de la Mission. On a un exemple précis dans le journal durant l’année 1958. Il<br />

concerne le transport des religieux à Dikkil qui s’y rendent en particulier pour les offices<br />

religieux. En février 1957, un accord avait été trouvé entre ces derniers, l’administrateur et les<br />

militaires dans la mesure où les missionnaires n’avaient alors plus de véhicule. Le Père pouvait se<br />

rendre gratuitement et autant de fois qu’il le désirait à Dikkil, à condition qu’il prévienne<br />

suffisamment tôt (deux ou trois jours avant) et que bien sûr les véhicules soient disponibles 236 . <strong>La</strong><br />

situation se gâte un an après, avec l’arrivée d’un nouvel administrateur, qui se montre moins<br />

conciliant :<br />

Le nouvel administrateur Devigne vint pour le premier février à Ali-<strong>Sabieh</strong> ; Le soir<br />

même il y eut une réception intime des autorités. <strong>La</strong> mission ne fut pas invitée. Le lendemain<br />

matin après la messe M. Joriot l’ancien administrateur prévint le Père que le nouvel<br />

administrateur n’était pas pratiquant que le transport du Père à Dikhil pour le service religieux se<br />

posera d’une nouvelle façon. Lundi l’administrateur Devigne vint se présenter le père lui rendit<br />

la visite le mardi. Tout se passa courtoisement. Mais dès que la question de transport se posa<br />

l’attitude changea. Il paraît qu’on veut nommer le Père aumônier de la milice pour éviter toute<br />

nouvelle difficulté. D’ailleurs M. Devigne se montre aussi intransigeant envers le cadi : pour lui<br />

ne compte que les papiers et leurs paragraphes et ne fréquente absolument personne. Pour le<br />

moment M. Joriot doit envoyer une (jeep) de Dikhil pour chercher le Père pour le service<br />

religieux : les premiers et troisième dimanches du mois.» 237<br />

Clairement, « l’arrangement » passé auparavant apparaissait comme une sorte de faveur<br />

qui facilitait la vie de tous. Apparemment, M. Devigne voulut mettre fin à un système qu’il<br />

considérait comme abusif et parmi les arguments avancés pour justifier son attitude figure en<br />

bonne place le fait qu’il ne soit pas pratiquant. C’est sans doute pour cette raison que,<br />

régulièrement, les arrivées, ou départs d’un membre de l’administration ayant un rôle assez<br />

important, sont l’occasion pour le missionnaire de faire un petit commentaire sur les intéressés.<br />

Ainsi, le lieutenant Frison-Roche est qualifié de « bon <strong>catholique</strong> » lors de son arrivée ; à son<br />

départ, l’auteur précise qu’il « a rendu bien des services dans la mesure de ses possibilités » 238 .<br />

Le Lieutenant Krehaer est « sympathique et serviable », le Commandant de Cercle D’Escrienne<br />

« a rendu bien des services à la mission », la famille Limbach (dont père de famille était,<br />

commandant de la compagnie mais aussi protestant, alors que sa femme une <strong>catholique</strong><br />

pratiquante) sont « grands bienfaiteurs de la mission ». Cependant, le corse, M. Salvadori, est dit<br />

« non pratiquant », alors que M. Jules Harrois est « légèrement anticlérical ». 239 M. Devigne est<br />

sans doute celui qui accumule le plus de réflexions négatives !<br />

236 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 25 février 1957.<br />

237 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 11 mars 1958.<br />

238 Ibidem, 18 mai 1947 ; 18 juillet 1948.<br />

239 Ibidem respectivement, 11 janvier 1949, 9 décembre 1952, 3 mai 1955, mars 1954.<br />

51


52<br />

Finalement le conflit s’apaise le mois suivant, lorsque le Père d’Ali-<strong>Sabieh</strong> est nommé aumônier<br />

de la milice. Il était déjà aumônier militaire et cette fonction lui donne sans doute des activités<br />

supplémentaires au quotidien. Mais, elle lui permet d’élargir un peu le champ des convertis<br />

potentiels. Le commandant du Cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> est alors autorisé à lui prêter la voiture pour<br />

les courses pastorales à Dikhil ; Mais le Père ajoute que « M. Devigne prévint le Père par le<br />

gendarme une dizaine de jour après réception des papiers » 240 !<br />

3. « les pauvres âmes dont la mission a la charge »<br />

3.1 L’orphelinat ou le lieu privilégié de l’évangélisation.<br />

Dans son ouvrage, Karima Direche Slimani, consacre quelques pages aux internats mis<br />

sur pied par les Pères Blancs chargés de l’évangélisation de la Kabylie. Ils sont alors considérés<br />

par les autorités locales et par les villageois comme « des foyers secrets de conversions forcées »<br />

et alimentent les polémiques. Il est vrai que l’œuvre de l’orphelinat offre un certain nombre<br />

d’avantages et facilite le « recrutement » : A Ali-<strong>Sabieh</strong>, c’est en tout cas très clair. Voyons ce<br />

tableau qui récapitule l’ensemble des sacrements reçus par les jeunes de l’orphelinat (toutes les<br />

informations sont tirées du journal) :<br />

Date nom sacrement<br />

27 avril 1947 Pierre Abdi Confirmation<br />

25 mai 1949 Albert Louis Communion<br />

Christian<br />

privée<br />

24 déc. 1949 Benoît Abdilaï Baptême<br />

Théodore Mehamoud (les 3 premiers de<br />

Jean Louis<br />

<strong>La</strong> Mission)<br />

10 janv. 1950 Benoît<br />

Théodore<br />

Jean<br />

Christian<br />

François<br />

Confirmation<br />

Début janv. 1951 Fidèle<br />

Jérôme<br />

Confirmation<br />

23 janv. 1952 9 enfants Confirmation<br />

3 mai 1953 Jean-Pierre<br />

Communion<br />

Fidèle<br />

solennelle<br />

29 mai 1955 Elie<br />

Communion<br />

Antoine<br />

Arthur<br />

solennelle<br />

10 mai 1956 Philippi (?)<br />

Simon (?) 241<br />

Communion<br />

solennelle<br />

21 avril 1957 Jeannot Robert Communion<br />

Michel, fils de Marthe privée<br />

22 avril 1957 3 enfants confirmation<br />

240 Ibidem, 17 avril 1958.<br />

241 Tous les enfants de ce tableau sont à la mission. Il existe néanmoins un doute pour Philippi et Simon. D’autant<br />

plus qu’un après, apparaît comme moniteur, un certain Simon, qui aurait pu (ou pas !) être un ancien de la Mission.


53<br />

Avant de commenter le tableau, il convient de rappeler le parcours (idéal) de la vie du<br />

chrétien, en France, au milieu du 20 e siècle 242 . Le baptême qui fait entrer l’individu dans la<br />

communauté chrétienne, dans l’Eglise marque le début du processus.<br />

L’autre étape clé est la Communion. Jusqu’au 12 e siècle, un enfant communiait dès qu’il<br />

était baptisé. En 1215, le concile de <strong>La</strong>tran IV décide que la première Communion doit avoir lieu<br />

entre 12 et 14 ans. Jusqu’à la fin du 16 e siècle, elle n’était pas marquée par une cérémonie<br />

particulière. A partir du 17 e siècle, elle prend en France la forme d’une cérémonie solennelle à la<br />

fin du catéchisme. Puis elle devient au 19 e siècle, un rite de passage de l’enfance à l’âge adulte.<br />

En 1910, dans le décret « Quam singulari », le pape Saint Pie X demande qu’on admette à<br />

l’eucharistie les enfants beaucoup plus jeunes dès « l’âge de raison » vers 7 ans. On appelle cette<br />

cérémonie, la Communion privée et on continue de célébrer la communion solennelle vers 12-13<br />

ans.<br />

Qu’en est-il de la Confirmation ? Au 16 e siècle, le catéchisme est organisé et rythme<br />

désormais la vie sacramentelle. Le sacrement de confirmation marque l’entrée au catéchisme et<br />

l’Eucharistie, sa fin. Lorsque Pie X, propose l’introduction de la Communion privée, il en résulte<br />

que la Confirmation n’est donnée qu’après la 1 ère Communion. 243<br />

Récapitulons donc les différents sacrements qui rythment la vie sacramentelle. Baptême,<br />

Communion privée (vers 7-8 ans), Confirmation, Communion solennelle (12-13 ans). Cependant,<br />

les « orphelins » qui se convertissent ne suivent pas forcément ce parcours, notamment pour la<br />

Communion privée, qui doit être réalisée vers 7-8 ans et que l’on suppose réservée aux enfants<br />

baptisés très jeunes. D’autre part, certains enfants reçoivent le sacrement de la Confirmation,<br />

quelques semaines après avoir été baptisés, sans doute parce qu’ils sont déjà relativement âgés.<br />

On suppose que c’est le cas de Benoît, Théodore et Jean en janvier 1950. Par contre en janvier<br />

1952, c’est sûr : En effet, le 23 janvier Mgr Hoffmann « veut faire la visite pastorale et confirmer<br />

9 enfants baptisés durant le mois de décembre 1951 » 244 .<br />

Forts de ces éléments, risquons nous à une hypothèse, malgré toutefois le manque de<br />

précisions des rédacteurs successifs concernant les enfants et les sacrements 245 . Considérant que<br />

le Baptême et la Confirmation correspondent aux débuts de la vie du nouveau chrétien et que la<br />

Communion solennelle marque son aboutissement, le tableau est alors clairement divisé en<br />

« phases » bien distinctes : la première, de 1947 à 1952, tous les enfants (à l’exception de 2 sur<br />

19) reçoivent un sacrement qui marque l’entrée dans la religion <strong>catholique</strong>. Pour la 2 e partie du<br />

tableau, le constat est inverse, on retrouve beaucoup plus de Communions solennelles. Par<br />

conséquent, il est fort probable que nombre d’enfants, une fois, engagés dans la religion<br />

continuent jusqu’à l’aboutissement de leur formation, tant qu’ils sont en tout cas « sous le toit »<br />

des missionnaires, car il n’y a aucun moyen de refaire le parcours entier d’un enfant.<br />

Il est difficile de compter précisément le nombre d’enfants qui sont convertis au<br />

catholicisme à partir du journal, essentiellement par manque de précisions, mais aussi parce<br />

242 Toutes les informations qui suivent proviennent du site : http://cybercure.cef.fr (consulté le 21 janvier 2006)<br />

243 Dans le cadre de la réforme liturgique de Vatican II, l’ordre des trois sacrements est toujours : baptême,<br />

confirmation, Eucharistie. <strong>La</strong> confirmation doit avoir lieu aussitôt après le baptême sauf, dit le Rituel, si une grave<br />

raison s’y oppose. Le renouveau du catéchuménat va faire redécouvrir ce sacrement qui retrouve sa place comme<br />

complément du baptême. Même si l’on fait le choix de séparer la célébration de la confirmation de celle du baptême<br />

pour donner toute sa valeur au néophytat, la confirmation doit toujours être clairement proposée à tout candidat au<br />

baptême. Peu à peu, le sacrement de la confirmation retrouve sa place et son sens. Cependant, en France, le<br />

sacrement de confirmation est donné longtemps après l'eucharistie, car il devient peu à peu le sacrement de la<br />

militance. Il n’est plus proposé qu’aux chrétiens engagés dans une aumônerie ou dans des mouvements. <strong>La</strong><br />

confirmation est souvent présentée ou vécue par les jeunes comme sacrement d’engagement effectif dans la<br />

communauté ecclésiale pour marquer une meilleure participation à la vie de la communauté.<br />

244 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 23 janvier 1952.<br />

245 Nous supposons par ailleurs que des sacrements n’ont peut-être pas été reportés sur le journal, par oubli.


54<br />

qu’un enfant reçoit plusieurs sacrements 246 . Cependant, quelques informations plus précises<br />

transparaissent dans les revues missionnaires, sources où on est plus prompt au bilan mais aussi<br />

au « lissage » de l’information. Il y apparaît que les Capucins sont satisfaits des résultats obtenus<br />

par l’orphelinat d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. En 1950, « sur 40 petits garçons confiés au P. Silvère, 25 ont reçu<br />

baptême » 247 . En 1957, c’est le P. Silvère qui parle : « A Ali-<strong>Sabieh</strong>, l’orphelinat des garçons<br />

devient trop petit aussi, et nous songeons à l’agrandir et le perfectionner. C’est d’Ali-<strong>Sabieh</strong> que<br />

nous viennent la majorité des baptêmes de jeunes musulmans ». Est-ce un « abus de langage »<br />

pour inciter au don pour l’orphelinat ? Peut-être et d’autant plus que le Père Silvère s’est investi<br />

de longues années dans cette mission qui lui tient à cœur. Il n’en demeure pas moins que<br />

l’établissement s’avère être un lieu privilégié de conversions. Plusieurs éléments se mêlent pour<br />

créer cette « propice » atmosphère.<br />

Le contexte dans lequel se retrouve les enfants contribue grandement à des conversions<br />

plus importantes que la moyenne. <strong>La</strong> structure, (l’orphelinat) a déjà, un rôle important, comme le<br />

reconnaît le Père Silvère :<br />

« Mais les œuvres qui exercent l’influence la plus profonde sur les enfants somalis sont<br />

les ORPHELINATS. Les garçons sont confiés aux Pères et les filles aux Sœurs. Ils reçoivent une<br />

éducation totalement chrétienne. Aussi sont-ils rares ceux qui passent 4 ou 5 ans à l’orphelinat et<br />

ne se font pas baptiser. <strong>La</strong> difficulté consiste à les faire rester 5 à 6 ans dans nos maisons. Un jour<br />

ou l’autre leur sang nomade se réveille et ils choisissent la liberté. Les baptisés de ces dix<br />

dernières années viennent presque tous, sans exception, de nos orphelinats de Djibouti et Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong>. Si nous pouvions recevoir une centaine d’enfants dans chacun de nos orphelinats, notre<br />

chrétienté s’accroîtrait assez rapidement…» 248<br />

Coupés de leur milieu d’origine, des pressions familiales (cette caractéristique est d’autant<br />

plus affirmée lorsque les enfants viennent de Djibouti), les pensionnaires sont entièrement<br />

plongés dans un univers chrétien. Ils sont soumis aux rythmes religieux <strong>catholique</strong>s: repos<br />

scolaire le dimanche alors que le repos général est le vendredi, et bien sûr les différentes fêtes<br />

auxquels il participent sans distinction de religion. Ils sont notamment mis à contribution pour<br />

chanter des airs (en latin !) à la louange de Dieu que le frère Antoine leur apprend avec beaucoup<br />

de ténacité !<br />

« Nous fêtons la St Louis, patron de la Station. Les enfants chantent pour la première fois<br />

la messe “de angelis” que le fr. Antoine leur a apprise avec beaucoup de peine. Pour une<br />

première exécution par des enfants qui n’avaient jamais chanté et pour n’ainsi dire jamais<br />

entendu auparavant du chant grégorien c’était un succès. » 249<br />

« Le fr. Antoine s’acharne durant les vacances de Noël à apprendre les chants liturgiques<br />

aux gosses, dont les premiers résultats, à Noël sont très appréciés » 250<br />

A l’école aussi cette méthode est aussi utilisée :<br />

« Les musulmans ne sont pas obligés d’apprendre le catéchisme, mais ils assistent aux<br />

leçons et bien des fois savent mieux répondre aux questions que beaucoup de chrétiens. Ils ont soif<br />

246<br />

C’est sans doute le cas de Benoît, Théodore, et Jean en 1949 et peut-être celui de Fidèle. Parmi les 9<br />

pensionnaires qui reçoivent le sacrement de la Confirmation en 1952, on peut raisonnablement supposer que<br />

nombreux se retrouvent dans les lignes suivantes du tableau. Mais combien ? Le journal n’est pas une source qui est<br />

appropriée pour ce genre d’informations.<br />

247<br />

Mgr Bonaventure, « TOUR D’HORIZON de notre Préfecture Apostolique de Djibouti », in Missionnaires<br />

Capucins en Afrique, Madagascar, Somalie française, 1950-1951.<br />

248<br />

P. Silvère, « UN REGARD sur notre mission somalie », in Missionnaires capucins en Afrique, Madagascar,<br />

Somalie française, 1956-1957, p.19.<br />

249<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 24 Août 1947.<br />

250<br />

Ibidem, 17 décembre 1957.


de connaître et veulent apprendre. Certes, ils ne se convertiront pas pour autant, mais ils<br />

connaîtront mieux le christianisme, et beaucoup de leurs préjugés contre la vraie religion<br />

s’évanouiront.» 251<br />

Enfin, les enfants sont en contact régulier et direct avec ces religieux qui les prennent en charge.<br />

Karima Direche-Slimani l’a bien montré en s’appuyant sur les propos du Père Sodoul, supérieur<br />

de la mission de Taguemont-Azouz de 1874 à 1976 «( …) Le même enfant, pensionnaire vivant<br />

en continuel contact avec le missionnaire, recevant ses conseils, le voyant prier, sentira son âme<br />

s’éveiller à des sentiments inconnus jusque là. Sentiment de respect, d’affection et de<br />

reconnaissance (…) L’expérience est là pour affirmer ce que je pense : tous nos chrétiens actuels<br />

ont été pensionnaires. » 252 L’enfant voit prier le missionnaire, mais il voit aussi ses camarades se<br />

convertir petit à petit : vingt-cinq enfants sur quarante convertis en 1950, autant de raison de<br />

douter un peu plus de ses certitudes initiales. L’extrait suivant renforce ce sentiment :<br />

« Avant la messe de minuit a lieu le baptême de 3 enfants de l’orphelinat. Ils y ont été<br />

préparés en 3 jours de retraite. Ce sont les 3 premiers de l’orphelinat qui reçoivent le sacrement<br />

de la régénération. Ce sont : Benoit Abdilaï, Théodore Mehamoud et Jean Ali. Ils étaient<br />

heureux et fiers d’être baptisés. Des Européens se sont fait un plaisir d’être parrains et marraines.<br />

Les autres enfants étaient surpris de voir que les parrains et marraines embrassent leurs filleuls et<br />

leur donnent des cadeaux. <strong>La</strong> messe de minuit dans sa simplicité était belle et intime. Tous les<br />

Européens y ont assisté.<br />

Après la messe de minuit les enfants ont fait un petit réveillon et l’enfant Jésus leur a<br />

apporté un petit paquet à chacun, par l’intermédiaire du dévoué fr. Antoine. L’arbre de Noël,<br />

bien que pauvre, avait aussi trouvé une place dans le coin du réfectoire. Tout le monde était<br />

content et joyeux, comme il convenait en cette fête de joie chrétienne. » 253<br />

Ces nouveaux baptisés « heureux et fiers » sont pour les missionnaires des « exemples » et sans<br />

doute, les meilleurs messagers, parmi leurs camarades. Ils reçoivent cadeaux et baisers : autant<br />

d’éléments qui les distinguent des autres et qui agissent comme une « pression » à la conversion<br />

supplémentaire pour les autres petits, notamment les plus jeunes. Cette phrase est en effet<br />

surprenante et ne cadre pas avec le reste du paragraphe. <strong>La</strong> surprise des enfants a donc de<br />

l’importance pour le rédacteur qui y voit sûrement un signe de conversions prochaines. Enfin,<br />

ces enfants sont complètement immergés—comme dans une sorte de bulle –dans un monde de<br />

culture européenne (la messe de minuit bien sûr à laquelle tous les Européens d’Ali-<strong>Sabieh</strong><br />

participent, mais aussi les cadeaux de l’enfant Jésus et l’arbre de noël) en total décalage avec le<br />

reste de la ville.<br />

L’ensemble de ces éléments fait une atmosphère plutôt propice à l’évangélisation. Mais<br />

cette issue n’est en aucun cas inéluctable, comme le montre bien les nombreuses fuites 254 . Si elles<br />

appartiennent à la vie quotidienne de nos religieux, ils sont peu prolixes sur les causes de ces<br />

« départs prématurés » qu’ils trouvent particulièrement incompréhensibles :<br />

« En pays somali, l’œuvre des orphelinats sera toujours nécessaire pour le développement<br />

de la Mission. Mais combien difficile ingrate, décevante ! Ces petits Somalis que vous avez vu<br />

tout joyeux de nous accueillir et si laborieux, vous les croiriez attachés à la maison où ils reçoivent<br />

tant de bienfaits, aux missionnaires qui se dévouent pour leur instruction… Une idée<br />

d’indépendance leur passe par la tête, et sans raison aucune, ils bondissent par-dessus la clôture et<br />

retourneront à la liberté du désert ! […] » 255<br />

251 P. Silvère, idem, p. 19<br />

252 K. Direche-Slimani, op.cit. p. 67.<br />

253 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 24 décembre 1949.<br />

254 Pour se rafraîchir la mémoire sur les fuites, p. 30 et suiv.<br />

255 Mgr Hoffmann, « Djibouti », revue Grands <strong>La</strong>cs, 15 mai, 1947, p.44 et suiv.<br />

55


56<br />

« Sans raison aucune »… On a quand même peine à y croire. D’autant plus que dans le<br />

journal de la <strong>station</strong> (où les informations sont moins « aseptisées ») le religieux propose des<br />

solutions valables :<br />

« Monseigneur vient de nous rendre visite. A Djibouti plusieurs parents de nos enfants se<br />

sont plaint de l’orphelinat d’Ali-<strong>Sabieh</strong> au sujet de la nourriture, du traitement et que sais-je. Mgr<br />

veut se rendre compte sur la place de ce qu’il en est.<br />

Beaucoup d’enfants sont mécontents et ne veulent plus rester à l’orphelinat. Mais le motif<br />

qu’ils évoquent : la nourriture, n’est qu’un prétexte. C’est plutôt le travail, le manque de liberté et<br />

surtout la religion qui les décident à partir. Ils tiennent à l’Islam et quelqu’un a dû leur monter la<br />

tête » 256<br />

Récapitulons : Paresse, refus de se plier à la discipline de la maison mais surtout… la<br />

religion et particulièrement le rôle de ceux qui refusent l’idée d’une évangélisation et qui<br />

entraîneraient les autres :<br />

« Pendant mon absence plusieurs enfants se sont enfuis. Quelques-uns d’entre eux<br />

voulaient rentrer à l’orphelinat de Djibouti, mais aucun n’y a été reçu. Le départ de certains<br />

d’entre eux est un bien pour l’orphelinat parce qu’ils avaient une mauvaise influence sur les<br />

autres ; en leur disant de ne pas se faire <strong>catholique</strong>s. » 257<br />

Certains cherchent donc à quitter l’orphelinat d’Ali-<strong>Sabieh</strong> pour intégrer celui de Djibouti, géré<br />

aussi par les Capucins. Discipline plus stricte ou éloignement du grand centre qui fait tant rêvé,<br />

dont ils sont sans doute originaires ? En tout cas, c’est une autre raison potentielle aux fuites. 258<br />

Plus important : malgré les facteurs, précédemment décrits, qui accélèrent le processus<br />

d’évangélisation dans l’internat, ne négligeons pas la lucidité de ces jeunes ainsi que les rapports<br />

de forces qui s’installent entre missionnaires et certains pensionnaires. Rapports de force dont,<br />

cependant, les premiers sont souvent gagnants, dans la mesure où ils ont la possibilité de renvoi :<br />

Ainsi, lors des vacances scolaires de 1952, on revoie Jacques « un des principaux instigateurs et<br />

mauvaises têtes », « qui a exercé une très mauvaise influence sur les autres » 259 .<br />

« Au mois de janvier nous avions mis 5 récalcitrants à la porte et depuis l’esprit de<br />

l’orphelinat changea à tel point que le fr. Antoine affirme à qui veut l’entendre qu’il n’a jamais<br />

passé une année si tranquille à l’orphelinat comme celle qui vient de s’écouler. D’ailleurs mieux<br />

parmi les enfants on ne remarque plus ces velléités de prendre la fuite, ils paraissent bien mieux et<br />

contents de leur sort. » 260<br />

D’après les extraits, un petit nombre semble « diriger la conte<strong>station</strong> » et entraîner les autres à la<br />

fronde (et qui sans eux resteraient tranquilles). Il y a sans doute des meneurs, mais les religieux<br />

ont sans doute à faire à une situation bien plus complexe :<br />

« Plusieurs enfants de l’orphelinat sont partis, parce qu’ils ne veulent pas se faire<br />

<strong>catholique</strong>s. Quelques uns ont été ramenés par leurs tuteurs. Le fr. Antoine a demandé à tous les<br />

enfants s’ils veulent être baptisés un jour. Tous le veulent si leurs parents ou tuteur le permettent.<br />

Patientons ! »<br />

256 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 23 juillet 1948.<br />

257 Ibidem, 23 août 1949.<br />

258 Autre passage, extrait du journal qui corrobore l’hypothèse datant du 24 Août 1949 : « Il (M. Dauriac) retourne à<br />

Djibouti, et emmènent les enfants de Djibouti qui étaient ici en vacances. Les enfants se sont bien comportés pendant<br />

leur séjour à Ali-<strong>Sabieh</strong>, ils étaient contents ici, mais aucun ne désirait rester ici ». Ali-<strong>Sabieh</strong>, serait-il un espace<br />

« repoussant » ?<br />

259 Ibidem. L’extrait en entier est cité p. 30.<br />

260 Ibidem, fin décembre 1957.


57<br />

Nombre d’entre eux sont peut-être sincères. Mais, on imagine mal un enfant, refuser de<br />

façon ouverte une option qui tient tant à cœur à nos missionnaires, surtout si certains tuteurs<br />

ramènent les fuyards, refusant de devenir <strong>catholique</strong>s ! Le rôle des tuteurs est d’ailleurs ambigu :<br />

<strong>La</strong> distinction se fait bien sûr entre ceux qui ont définitivement cédé l’éducation et l’avenir de<br />

l’enfant aux mains des missionnaires, et ceux qui espèrent de ces années passées en internat, une<br />

réelle ascension sociale pour leur enfant. Mais, il reste vrai que les 2 possibilités ne s’excluent pas<br />

l’une de l’autre, (décidément, tout concorde vers une réelle diversité de situations au sein du petit<br />

orphelinat). Par conséquent, la permission des tuteurs et parents à laquelle les enfants font<br />

référence, est à double tranchant ; N’oublions pas le poids des préjugés concernant l’apostasie.<br />

3.2. Et à part l’orphelinat ?<br />

Alors, hors de l’orphelinat point de salut pour les « païens »? Pas tout à fait, d’autres se<br />

sont laissés tenter par le catholicisme. Pour l’année 1957 (seule année où nous avons pu retrouver<br />

la distinction entre européens et autochtones), parmi les 56 <strong>catholique</strong>s, il y a 11 somalis auxquels<br />

s’ajoutent 37 catéchumènes. Mais on ne sait pas combien d’enfants de l’orphelinat font partie ces<br />

chiffres. De plus, parmi les catéchumènes, sont certainement compté les membres de la<br />

compagnie des tirailleurs africains. Il serait sans intérêt d’en faire la liste à partir de la chronique,<br />

d’autant plus qu’ils ne sont guère nombreux et le missionnaire n’a sans doute pas mentionné tout<br />

les convertis. Contentons nous de brosser un portrait rapide de quelques individus qui ont des<br />

parcours différents.<br />

<strong>La</strong> mission apporte des soutiens à des Somalis <strong>catholique</strong>s qui sont en difficulté. C’est<br />

notamment le cas de Jojo, somali chrétien qui « vient demander accueil pour pouvoir se corriger<br />

de son vice d’alcoolisme. Nous le recevons, il fait le peintre, le cuisinier, dactylo… » 261 . Un mois<br />

après, il s’en va « sans prévenir personne ». Quelques années plus tard en 1957, une histoire un<br />

peu similaire est relatée :<br />

« Ce jour Mgr nous prévient que nous aurions le plus vite possible à déménager l’ancienne<br />

remise en face des écoles en vue de préparer un logement pour un vieux Somali Issa, René Faby<br />

(Faye) baptisé à Aden à l’âge de 18 ans et qui, tombé dans la misère, fut recueilli par<br />

l’administration de l’hôpital et qui à la suite de son mauvais caractère, cherchait à s’en<br />

débarrasser. Mgr le vit et lui fit la morale. Le fr. Antoine était d’avis qu’il fallait plutôt lui<br />

aménager une chambre sous le château d’eau à cause de la surveillance des gosses. Mgr fit<br />

déménager par télégramme d’urgence l’ancienne cuisine. Le 28 juin le T.R.P. Silvère vint pour<br />

voir et constata que le vieux n’était pas venu.» 262<br />

Le point commun est bien sûr la relative « ingratitude » de ces 2 chrétiens envers les<br />

missionnaires d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. Ce n’est pas le cas de Simon, le moniteur qui aide le fr. Silvère à<br />

assurer les cours quotidiens à l’école. Après sa communion solennelle en mai 1956, on retrouve<br />

sa trace en décembre 1957. Très peu d’éléments à son sujet dans le journal, hormis cette petite<br />

anecdote où se mêlent rancœur et commérages selon le rédacteur :<br />

« Rossi, un Ethiopien a dû être renvoyé. Pour se venger, il chercha à discréditer Simon.<br />

Il fut aidé par notre laveuse Hadio qui rapporta les mêmes idioties à Djibouti à différentes<br />

mamans de gosses qui vinrent rouspéter ou seulement s’informer. Hadio fut mise en place devant<br />

Lemsin son chef de tribu et le chef du village. Dorénavant elle devra se tenir à l’écart de nos<br />

gosses. » 263<br />

261 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 3 février 1949.<br />

262 Ibidem, 1 er juin 1957.<br />

263 Ibidem, 1 er juin 1958, « bavardage ».


58<br />

Hadio n’était d’ailleurs pas à son coup d’essai et les missionnaires ont bien du mal à la<br />

contrôler, mais comme elle veut devenir chrétienne…<br />

« Hadio, issa, rejeté par sa famille, à la suite de la naissance d’un enfant illégitime<br />

(Yves) fut recueilli par le R.P. Fortunat. Depuis elle lavait à la mission et faisait d’autres menus<br />

travaux et pour cela la mission la rétribuait largement, d’autant plus que depuis 4 ans elle voulait<br />

devenir chrétienne et avait pris des leçons de catéchisme chez le T.R.P. Silvère. Avec les rations<br />

elle put même entretenir sa vieille mère qui vint habiter avec elle, dans une maison construite<br />

avec des matériaux de la mission. Vers le mois de janvier vint s’installer auprès d’elle aussi un<br />

frère, avec sa femme et 4 gosses, tous sans travail et n’en désirant pas. Hadio pour les nourrir<br />

vint tous les jours chercher du ravitaillement ce qu’elle put facilement, le P. Ange n’étant pas<br />

au courant de ce que le T.R.P. Silvère lui avait donné précédemment. Mgr intervint, parce que le<br />

ravitaillement ne suffisait pas. Les rations furent ramenées à ce qu’elles furent auparavant. Et la<br />

crise éclata. Tout d’abord le cuisinier fut accusé d’être à l’origine de la nouvelle réglementation :<br />

il y eut à plusieurs reprises des scènes violentes entre le cuisinier et elle. L’année passée, durant<br />

les grandes vacances nos enfants gardaient nos chèvres et celles de Hadio à tour de rôle avec la<br />

vieille mère. Cette année-ci nous pouvions faire de même. Mais le frère de Hadio refusa, il<br />

exigea que la mission payât 1800 fr. à la vieille mère. On mit le gendarme le chef de village, le<br />

chef des Fourlaba (chef de tribu de Hadio) dans le coup. Il y eut pendant 1 mois des va et vient.<br />

Tout le village s’intéressa au cas. Hadio pendant 1 mois ne vint plus travailler. Finalement par<br />

décision du conseil de tribu Fourlaba les chèvres de la mission furent rendues hier soir le 1 er août<br />

à la mission, le frère de Hadio fut obligé d’habiter le village, donc loin de Hadio et celle-ci revint<br />

ce matin reprendre son travail habituel. » 264<br />

Le conflit qui s’étend quand même sur 5 mois, permet de mettre le doigt sur un point très peu<br />

abordé jusqu’alors. Tout comme les cas précédents, la mission subvient aux besoins de la<br />

fameuse Hadio en échange de service rendus. Elle suit les cours de catéchisme et promet de<br />

devenir chrétienne. <strong>La</strong> possibilité, dans ce cas de conversion intéressée n’est pas à exclure,<br />

d’autant plus que le conflit a pour origine des problèmes alimentaires 265 .<br />

Les somalis ne sont guère sensibles au message chrétien, cependant les missionnaires ont<br />

un peu plus de succès avec les militaires africains. Déjà, avant la réinstallation et alors que la<br />

<strong>station</strong> était plus ou moins abandonnée, la compagnie la gardait pour éviter le pillage. Le<br />

capitaine de l’époque avait même fait entretenir les bâtiments notamment la chapelle et la maison<br />

d’habitation des Sœurs. Il faut dire que l’on retrouve parmi eux des originaires de différentes<br />

colonies d’Afrique où la position de l’Eglise est moins précaire et que la compagnie est réputée<br />

pour être un foyer de conversion. Pour les premières fêtes de Pâques célébrées à Ali-<strong>Sabieh</strong>, ils<br />

sont même plus nombreux que les européens : « 9 européens pour 11 sénégalais » 266 . Il est tout de<br />

même frappant de constater que le père baptise plus de militaires que d’autochtones :<br />

264 Ibidem, Mars-juillet 1957.<br />

265 Karima Direche Slimani, Chrétiens de Kabylie…, op.cit ; aborde ce type de conversions, « conversions de la<br />

misère équivalentes aux conversions de riz obtenues par les Jésuites en Chine » p.75 : « Compte-tenu de la difficulté<br />

du terrain kabyle et de la réserve méfiante de la population à l’égard des missionnaires, ces derniers ont préféré<br />

d’emblée s’interesser au groupe social le plus défavorisé et le plus démuni car, semble-t-il, le plus accessible. Et cela<br />

malgré les réserves que certains pères pouvaient émettre : « une chose qu’il faut éviter à tout prix, c’est d’avoir des<br />

catéchumènes que j’appellerais mercenaires, c’est-à-dire venant se faire instruire à cause des avantages temporels<br />

qu’ils espéraient trouver chez nous. » ».<br />

266 Ibidem, 6 avril 1947. Le missionnaire précise d’ailleurs qu’il y a un « nombre record d’assistants à la messe » !<br />

Cette constatation est d’ailleurs corroborée par un extrait de Boniface X., L’aumônerie militaire française :« Les<br />

troupes africaines comportent d’ailleurs maints catéchumènes ou sympathisants et « le nombre des <strong>catholique</strong>s va<br />

croissant sans cesse », selon le père Rageys. Mgr Lefèbvre y attache un intérêt tout particulier et veille à ce que les<br />

soldats néophytes et catéchumènes soient l’objet d’un suivi régulier. »


date nom sacrement<br />

5 avr.1947 baptême<br />

24 déc. 1947 baptême<br />

1 er mai 1956 2 militaires AOF baptême<br />

19 mai 1956 3 militaires AOF baptême<br />

21 avr. 1957 2 africains baptême<br />

22 avr. 1957 6 sénégalais confirmation<br />

Janvier 1958 2 autres sénégalais confirmation<br />

Certains membres de la compagnie sont d’ailleurs régulièrement soumis au catéchisme 3 fois par<br />

semaine.<br />

4. Les missionnaires, garants du temps liturgique, « loin des terres<br />

<strong>catholique</strong>s ».<br />

4.1. <strong>La</strong> messe ou le temps du rassemblement.<br />

Le rôle principal du prêtre consiste bien sûr dans l’administration des sacrements et<br />

l’entretien de la vie cultuelle… même à des milliers de kilomètres des terres <strong>catholique</strong>s. Le Père<br />

de la mission veille ainsi sur la paroisse Saint-Louis d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et ses quatre postes<br />

secondaires : Dikhil (le plus important), Aseila, Afambo et Yoboki et doit faire régulièrement des<br />

tournées.<br />

On ne retrouve aucune référence pour les messes « ordinaires » célébrées à Ali-<strong>Sabieh</strong><br />

dans le journal. Pour Dikkil, on a quelques éléments qui apparaissent 267 essentiellement parce que<br />

se pose régulièrement la question du transport. Nous avions aperçu plus haut les difficultés que<br />

pouvaient engendrer la question du déplacement des missionnaires vers les postes secondaires.<br />

Par contre, elles sont beaucoup plus importantes lorsqu’il s’agit de décrire les temps forts de<br />

l’Eglise. En général, les fêtes religieuses telles que Noël, Pâques ou encore la Pentecôte sont<br />

particulièrement prisées, et l’ensemble de la communauté se réunit pour l’office religieux. Ainsi,<br />

pour Noël 1952 :<br />

« Grande assistance à la messe de minuit : presque tout le monde est venu. Après la messe<br />

de minuit je dis tout de suite la 2 ème messe. <strong>La</strong> 3 ème messe, je la célèbre le matin à Dikhil ; tout le<br />

monde, excepté l’instituteur et sa famille, y assiste. Personne ne reçoit les sacrements. » 268<br />

Ces fêtes sont également les moments privilégiés pour administrer les sacrements, notamment les<br />

baptêmes et premières communions.<br />

« Toutes les cérémonies de la Semaine Sainte ont été faites. Samedi Saint, pendant les<br />

cérémonies, baptêmes de 2 africains : un Sasac et un Kej. Le jour de Pâques même communion<br />

solennelle de la fille du gendarme ; et communion privée d’une fillette de l’adj. Chef Trvesels (?)<br />

d’un fils de capitaine Mahlnen ( ?) et de deux de nos pensionnaires Jeannot Robert et Michel fils<br />

de Marthe. Grand monde de Djibouti à la messe. Cérémonies simples, impressionnantes. » 269<br />

267 Ainsi le 6 novembre 1952 : « je vais à Dikhil de mes propres moyens ; assistance moyenne à la messe. Personne<br />

ne reçoit de sacrements ». Ou encore le 9 décembre : « Visite à Dikhil pour dire la messe : l’assistance ne se compose<br />

presque uniquement de femmes… »<br />

268 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, Noël 1952.<br />

269 Ibidem, 21 avril, Pâques 1957.<br />

59


60<br />

<strong>La</strong> communauté est décidément si petite que l’on remarque qui est absent où qui est<br />

« étranger » au groupe de la paroisse! Au-delà de l’aspect purement religieux, ces fêtes et la<br />

messe en général sont un moyen de rencontre, de réunion des Européens vivant à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Elles ont sans doute une réelle importance pour la cohésion d’un groupe aussi petit, et dont les<br />

membres sont si éloignés de leur terre natale. Les messes dominicales ou de fête restent, l’unique<br />

occasion de rassemblement proposée par l’Eglise à Ali-<strong>Sabieh</strong> car, l’animation de la paroisse<br />

n’est guère importante d’après le journal. Elles créent sans doute plus qu’ailleurs du lien entre les<br />

membres de la petite communauté <strong>catholique</strong> :<br />

«Aujourd’hui les P.S. Yvette Jeanne et Nicole Louise prirent l’habit religieux des<br />

novices. Depuis 8 jours elles suivaient les conférences de retraite données par le P. Ange. Mgr<br />

avait délégué le P. Ange pour présider à la vêture. Grande assistance d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et de Djibouti.<br />

Entre autres les frères des Écoles chrétiennes. Après la messe les Européens du village furent<br />

invités par les P.S. à prendre le déjeuner chez elles et pour midi il y avait toujours une 15 ne de<br />

personnes. » 270<br />

Déjà, pour la première vêture en 1957, qui marquait l’installation des Petites Sœurs à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong>, la cérémonie avait été « belle » et les participants nombreux :<br />

« Première vêture d’une petite sœur au noviciat d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. Petite sœur José Marguerite<br />

postulante de la fraternité des Petites Soeurs du P. Charles de Foucauld de Djibouti, prend l’habit<br />

du noviciat durant une cérémonie émouvante en présence de la petite chrétienté d’Ali-<strong>Sabieh</strong> au<br />

complet » 271 .<br />

Les exemples sont donc assez nombreux. Plus que la fonction religieuse, le prêtre et sa<br />

petite église ont un rôle social assez fort qu’il convient de souligner.<br />

4.2. Des missionnaires fortement encadrés.<br />

Répondant à ses obligations de prêtre, le missionnaire est également soumis à un contrôle<br />

régulier qui permet bien sûr une évaluation des activités menées à la mission, mais aussi qui<br />

réduit un peu plus la solitude associée à l’emplacement d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. En effet, le plus souvent,<br />

nos missionnaires ne sont que les 2 uniques représentants de la religion dans la bourgade.<br />

Monseigneur Hoffmann a notamment l’obligation de réaliser régulièrement ses visites pastorales.<br />

Il vient, en effet pour effectuer sa visite une fois l’an en général, durant le mois de janvier. Mais,<br />

en vérité, les visites de Monseigneur sont bien plus fréquentes et ont des causes variées: faire<br />

venir à Ali-<strong>Sabieh</strong> une voiture, un moteur pour la pompe à eau, pour se poser en « médiateur »<br />

dans un conflit; C’est bien lui qui tranche. Rappelons nous lorsque Hadio utilisait plus de<br />

ravitaillement que nécessaire pour elle. Il est omniprésent dans le journal, comme il doit ainsi<br />

l’être dans la vie des missionnaires d’Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Autre type de visites « réglementaires », sont les visites du provincial. Ce dernier,<br />

supérieur hiérarchique est chargé de maintenir les pères et les frères employés dans la mission,<br />

dans la pratique des devoirs de la vie religieuse. A Ali-<strong>Sabieh</strong>, 2 provinciaux passent pour des<br />

visites canoniques: en 1950 et 1957.<br />

Le provincial doit ainsi voir l’ensemble de la préfecture apostolique. Le 24 décembre<br />

1949, le TRP Bonaventure Provincial de la Province de Strasbourg, arrive à Djibouti par le train,<br />

accueilli à la gare par les Pères et les chrétiens somalis. Les fêtes de noël et du nouvel an passées,<br />

il débute son périple accompagné de du préfet apostolique, commençant par les œuvres de<br />

Djibouti, orphelinats, ateliers d’artisanat, écoles mais aussi visite aux personnalités et aux<br />

270 Ibidem, 22 janvier 1959.<br />

271 Journal de la préfecture apostolique, 5 mai 1957.


61<br />

Somalis <strong>catholique</strong>s. Du 8 au 11 janvier, c’est le « tour » d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et Dikhil 272 . <strong>La</strong>issons le<br />

Père Silvère raconter les différentes étapes de la visite :<br />

« Pour pouvoir mieux voir le pays le T.R.P. Provincial est venu de Djibouti par la route en<br />

camion, accompagné de Monseigneur, des R.P. Anselme et Denys, du candidat séminariste<br />

Lipsé et de 2 militaires qui ont profité de l’occasion pour visiter Ali-<strong>Sabieh</strong>. Ils sont arrivés vers<br />

15 heures alors que nous ne les attendions que pour le soir ou le lendemain. L’accueil s’est fait<br />

en toute simplicité sans cloches ni fanfares. Après une bonne réfection des assoiffés et affamés<br />

par la route le T.R.P. Provincial quoique fatigué a visité la mission. Le soir même le camion est<br />

retourné à Djibouti. Seulement Monseigneur est resté avec le P. Provincial.<br />

Le 10 janvier après la sainte messe, Monseigneur confirme 5 de nos enfants : Benoît, Théodore, Jean,<br />

Christian et François. Lipsé Jean est parrain.<br />

A 10 heures le fr. Antoine a organisé une petite séance en honneur du P. Provincial :<br />

chants et récitations présentés par les enfants. A la fin ils lui remettent des objets fabriqués par<br />

les Somalis. L’après-midi, nous faisons en voiture un petit tour au camp II et sur la route<br />

d’Assamo.<br />

Mercredi le 11 – Le lieutenant Krehaer met à notre disposition sa jeep pour aller visiter Dikhil. Dans la<br />

nuit du 11 au 12, nous avons le regret de nous voir quitter Monseigneur et le T.R.P. Provincial<br />

pour aller à Djidjiga. Malgré une très grande fatigue le P. Provincial s’est intéressé à tout et a<br />

tout visité, et Ali-<strong>Sabieh</strong> n’avait pas du tout l’air de lui déplaire. » 273<br />

Si le missionnaire s’intéresse à ce qu’a pensé le Provincial de la <strong>station</strong>, c’est aussi parce<br />

qu’il évalue mais donne aussi les recommandations nécessaires à la rectification des « défauts ».<br />

Le Père se rend à Djibouti, pour l’occasion, le 19 janvier et assiste à la réunion présidée par le<br />

provincial. Selon le journal, ce dernier ne leur fait pas de reproches d’importance mais donne un<br />

certain nombre de recommandations.<br />

« Le P. Provincial nous exprime ses désiderata : que nous suivions davantage le<br />

cérémonial de l’Ordre qui sur certains points serait à adapter à notre vie ; que nous gardions<br />

autant que possible aussi l’extérieur du capucin. » 274<br />

Le 21 janvier il s’envole pour Rome et le Père Silvère de conclure : « Il connaît<br />

maintenant notre vie et sera à même de comprendre bien mieux nos difficultés et nos joies. Nous<br />

souhaitons que cette visite canonique soit fructueuse à notre mission tant au sprirituel qu’au<br />

matériel ». A ces visites s’ajoutent les réunions mensuelles, puis trimestrielles auxquelles<br />

participent les missionnaires à Djibouti de façon régulière. Les retraites annuelles, permettent<br />

aussi des rencontres entre tous les capucins disséminés sur le territoire, tout en réaffirmant sa foi.<br />

Elles sont tout aussi régulières et ont lieu en général les derniers jours de l’année à Djibouti. En<br />

septembre 1958, et pour la première fois, on en organise une à Ali-<strong>Sabieh</strong> :<br />

«le soir, M. Galgagnile vint avec le camion avec les 2 Petites Sœurs de Djibouti qui vinrent pour<br />

passer une nuit dans la fraîcheur, un coolie maçon, Ismaël, pour reconstruire la guérite du petit<br />

moteur de la pompe, avec ciment et parpaings ; et finalement avec les T.R.PP. Silvère et Jean<br />

Berchmans qui devait prêcher la retraite. Le frère Hilaire était déjà venu le 3 dans la nuit et avait<br />

rendu pas mal de services de bricolage. Nous étions 5 retraitants avec le prédicateur. Le temps<br />

était toujours très pénible et les gens habitués aux climatiseurs souffrirent beaucoup. Cette<br />

année-ci, paraît-il, ce sera la première fois qu’on fait 2 tours de retraite. A Djibouti, elle aura lieu<br />

la semaine prochaine » 275<br />

272<br />

Chronique de la préfecture apostolique de Djibouti, entre 24 décembre 1949 et le 8 janvier 1950.<br />

273<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 8 au 11 janvier 1950.<br />

274<br />

Ibidem, 19 janvier 1950.<br />

275<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 7 septembre 1958.


62<br />

Bref, autant d’exemples qui confirment l’idée selon laquelle les religieux ne sont pas du<br />

tout isolés. Il ne faudrait pas confondre isolement par rapport à Djibouti avec espace<br />

complètement abandonné—d’autant plus que le village est particulièrement bien desservi. Les<br />

moyens de transports de plus en plus performants et rapides ont changé la vie des missionnaires,<br />

qui ne sont plus isolés, une fois établis en leur apostolat 276 . Mgr est partout présent, les<br />

missionnaires se rendent régulièrement à Djibouti pour des réunions « administratives » ou<br />

spirituels, et la hiérarchie reste attentive à l’évolution de la mission Somalie dans son ensemble.<br />

<strong>La</strong> lourdeur de cette organisation cadre mal avec la réalité du territoire. Elle est d’autant plus<br />

visible que les capucins ne sont guère nombreux sur le territoire.<br />

On retrouve à Ali-<strong>Sabieh</strong> les mêmes paradoxes qui apparaissent dans la mission Somalie dans les<br />

années 1950. Mais du fait de sa petite taille, ils semblent exacerbés. En effet, la solide<br />

organisation de la vie de la mission Somalie a des répercussions sur celle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et<br />

l’omniprésence de Mgr Hoffmann ne fait que renforcer l’impression d’encadrement des différents<br />

membres de la communauté. Les méthodes d’évangélisation adoptées, plutôt traditionnelles<br />

s’appuient sur les structures telles que l’école et l’orphelinat. Mais elles correspondent encore<br />

moins que la ville de Djibouti (où il y a beaucoup plus de sédentaires), à un espace où l’écrasante<br />

majorité de la population est nomade. Et malgré les énormes efforts déployés par nos<br />

missionnaires, la paroisse semble « artificiel » 277 et, en tout cas assez coupée du reste de la<br />

population à majorité musulmane.<br />

Ne nions pas cependant les difficultés auxquelles les missionnaires se trouvent confrontés<br />

dans cet espace exigu : la vitalité de l’islamisation et les préjugés associés à l’apostasie, le mode<br />

de vie nomade, bien sûr, le manque de moyens financier et humain surtout. Le père et le frère<br />

arborent au quotidien des casquettes bien différentes. En premier lieu, ils sont des religieux qui<br />

sont responsables de la bonne marche de la vie liturgique à Ali-<strong>Sabieh</strong> pour les nouveaux<br />

convertis mais aussi pour la petite population allogène européenne dont la diversité dans l’intérêt<br />

porté au culte est flagrante. <strong>La</strong> configuration de la paroisse exige des tournées sur des espaces<br />

assez vastes alors que le nombre de croyants à « visiter » y est réduit. Ils doivent aussi répondre à<br />

un certain nombre d’obligations administratives ou spirituelles qui les conduisent de<br />

régulièrement à Djibouti. Ils sont aussi les responsables des pensionnaires de l’orphelinat ainsi<br />

que de l’école, surveillant et maître d’école à la fois. De plus, le Père peut être tour à tour,<br />

mécanicien (lorsque la voiture est en panne), maçon, peintre, menuisier, alors que les problèmes<br />

matériels en tout genre sont fréquents. Vraiment, on ne peut douter de l’abnégation des<br />

missionnaires, mais force est de constater que les résultats pour Ali-<strong>Sabieh</strong> ne sont pas à la<br />

hauteur des efforts fournis.<br />

276 Le P. Piolet, Nos missions et nos missionnaires, 1904, décrit dans un chapitre, la vie du missionnaire. Il y apparaît<br />

particulièrement isolé, abandonné. Ici ce n’est pas le cas. On a vu que de nombreuses personnes viennent<br />

régulièrement à Ali-<strong>Sabieh</strong>. De plus, les religieux, ont des nouvelles régulières de leur famille. Par exemple, le 4 mai<br />

1955, le fr. Antoine apprend le décès de son père. Dès le 6, il prend l’avion pour la France.<br />

277 Citons Le Collectif des chrétiens pour l’autodétermination des DOM-TOM, Djibouti, Antilles, Guyane, Mayotte,<br />

Nouvelle-Calédonie, Réunion, Tahiti… Encore la France coloniale, Paris, Parole et société- L’Harmattan, 1976,<br />

p.62-63.« […] Ce type de direction pastorale est plus ou moins raide selon les cas. Mgr Hoffmann, évêque de<br />

Djibouti est un homme autoritaire, ce qui a pour résultat de vider le diocèse de quelques éléments valables qui<br />

auraient pu tenter un autre type d’évangélisation s’écartant du mode de vie et de pensée de la colonie européenne<br />

essentiellement constituée par une garnison militaire. A Djibouti on ne compte d’ailleurs que sept prêtres et quelques<br />

religieuses. C’est un diocèse très artificiel. »


Chapitre 4 : Le missionnaire immergé dans le contexte<br />

colonial local.<br />

En guise d’introduction à la 4 e partie…<br />

Il s’agit, dans cette ultime partie, d’aborder la question de l’intégration des missionnaires<br />

à l’espace dans lequel ils vivent, de la nature des liens qu’entretiennent les religieux avec la<br />

population autochtone –les sédentaires du village comme les nomades– et la minorité<br />

européenne. L’animation de la paroisse, les divers temps de la vie liturgique (déjà abordés plus<br />

haut) ont une importance capitale dans la création et l’entretien des relations entre missionnaires<br />

et la population chrétienne. Ils contribuent, plus généralement à créer du lien social. Mais, ils ne<br />

sont bien sûr pas les seuls moments de rencontres entre les Européens d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et les<br />

religieux. Dans la chronique de la <strong>station</strong>, le rédacteur nous rapporte nombre d’anecdotes dans<br />

des registres très différents, dont certaines permettent de mettre au jour quelques caractéristiques<br />

de la population allogène dans le village, mais aussi ses liens avec la mission. Il est vrai que les<br />

références à cette catégorie de la population sont très nombreuses dans le journal, beaucoup plus<br />

que celles sur la population locale.<br />

Les missionnaires sont par ailleurs des témoins ( et en même temps acteurs) assez<br />

privilégiés de la vie coloniale, loin du centre, car contrairement à la plupart des fonctionnaires et<br />

militaires, ils restent beaucoup plus longtemps dans le village. A titre d’exemple, de 1947 à début<br />

1959, douze commandants de cercle se succèdent à Ali-<strong>Sabieh</strong>, alors que seuls trois pères sont<br />

successivement responsables de la mission. Les religieux voient passer une kyrielle d’européens<br />

dans le village, et représentent pour les nouveaux arrivants<br />

ceux qui sont déjà bien ancrés dans l’univers particulier d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il convient tout de même<br />

de ne pas exagérer l’importance du journal pour décrire la vie dans le village : d’abord parce qu’il<br />

donne l’unique point de vue missionnaire, qui n’est sans doute pas tout le temps « dans le secret<br />

des dieux » mais aussi parce que le rédacteur ne reporte, le plus souvent ce qui a un rapport direct<br />

ou indirect avec la <strong>station</strong> et ses intérêts.<br />

1. Face à la population locale, un missionnaire aux multiples visages.<br />

En guise d’introduction de cette partie, remarquons (même si on ne consigne pas tout dans<br />

le journal) que les populations nomade et même sédentaire (hormis les enfants de l’orphelinat)<br />

sont assez absentes du journal… notamment par rapport aux références concernant la population<br />

allogène. Parle-t-on de ces populations, c’est en grande partie pour évoquer des questions ayant<br />

trait au ravitaillement ou aux travaux de la Mission. C’est un premier signe de contact limité.<br />

Cependant, les religieux se disent plutôt appréciés par la population locale et<br />

particulièrement parce qu’ils contribuent au développement social de la colonie :<br />

« <strong>La</strong> RELIGION commune est l’Islam, qui recouvre un fond important de paganisme. Les<br />

somalis et les danakils ne sont nullement fanatiques et témoignent un grand respect à l’égard des<br />

missionnaires et des œuvres chrétiennes. Bien que l’aversion, sinon la haine du « Blanc » entame<br />

aussi le cœur de nos noirs, le missionnaire en est excepté. On m’a rapporté qu’un marabout (prêtre<br />

musulman) a dit à ses fidèles : « Le jour où vous égorgerez les infidèles (Européens), épargnez les<br />

63


64<br />

badri (Pères). ». Si les missionnaires jouissent de cette faveur exceptionnelle, c’est grâce à leurs<br />

œuvres d’éducation et de bienfaisance… » 278<br />

Dans le journal de la mission d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, on retrouve quelques traces de cette confiance même<br />

dans les moments assez délicats de la vie du village. Ainsi en novembre 1957 :<br />

« Les familles du cercle sont en froid entre elles. <strong>La</strong> politique a aussi créé certains<br />

mouvements de mauvaise humeur mais sans que ceux-ci aient pris de l’importance. Le<br />

missionnaire est salué au village même par son nom et sans qu’il risque encore trop de recevoir<br />

des pierres. » 279<br />

Le missionnaire apparaît comme un individu à part, bien distinct des autres membres de la<br />

communauté allogène à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il se dégage une relative tolérance à son égard qui, on le<br />

suppose n’est pas forcément généralisée. Un autre extrait concerne plus particulièrement les<br />

nomades :<br />

« Aujourd’hui nous apprenons qu’au village les bédouins rouspètent : les commerçants<br />

bouchers se sont entendus pour les tromper : le boucher évalue la valeur de la bête puis envoie le<br />

bédouin sans lui donner d’argent chez un commerçant déterminé pour acheter les marchandises de<br />

la valeur convenue pour la bête. Ainsi, nous con<strong>station</strong>s que depuis 3 semaines les bédouins<br />

étaient prêts à nous vendre à bas prix de très belles bêtes parce que de cette manière ils recevaient<br />

encore plus qu’au village. » 280<br />

Une certaine confiance apparaît clairement dans ce passage. Les prix annoncés par les<br />

commerçants sont pourtant des prix fixés 281 par l’administration qui connaît parfaitement les<br />

commerçants. Les tentatives de fraudes existent cependant comme le montre l’exemple proposé<br />

et les missionnaires en profitent alors pour faire des économies sur le poste de dépense de la<br />

nourriture.<br />

Pour trouver des traces de conflit, il faut s’éloigner des sources missionnaires. On y a<br />

retrouvé quelques litiges entre employeurs (en l’occurrence les Capucins) et employés. Dans une<br />

lettre confidentielle adressée au « personnel européen », le commandant d’Escrienne se fait le<br />

porte-parole un peu « embarrassé » de certains membres de la population locale qui viennent se<br />

plaindre à son bureau, en février 1951 282 . En effet, ils protestent contre le fait que les Européens<br />

embauchent en priorité du personnel venant de Djibouti, considéré comme étrangers alors qu’eux,<br />

restent sans travail. S’il rappelle que ces plaintes ne peuvent avoir aucune suite juridique et que<br />

chacun est « parfaitement libre dans ce domaine d’agir comme bon lui semble et selon ses<br />

intérêts », il « attire l’attention de tous sur le fait qu’il est de bonne politique, partout où l’on se<br />

trouve « à la colonie »-à Ali-<strong>Sabieh</strong>, comme ailleurs- d’employer chaque fois que cela se peut de<br />

la main d’œuvre locale».<br />

Il faut dire qu’après la Seconde Guerre Mondiale, les Issas prirent conscience qu’ils<br />

étaient économiquement et politiquement mal intégrés. Leurs traditions ancestrales de pasteurs et<br />

l’absence d’une politique claire, en faveur d’un système éducatif avaient contribué à élargir le<br />

fossé entre les séparait des Arabes, voire de leurs frères venus des Somalies voisines, enclins à<br />

s’adapter au travail salarié et à vivre en milieu urbain. Ainsi de nouvelles revendications virent<br />

ainsi le jour : ouvertures d’écoles réservées aux seuls Issas à Ali-<strong>Sabieh</strong> et à Djibouti, mais aussi<br />

la préférence accordée pour les postes où ils se considéraient comme trop souvent concurrencés ;<br />

278 Père Silvère, « UN REGARD sur notre Mission de la Somalie Française (Djibouti) », in Mission des Capucins<br />

(Madagascar- Somalie française), Strasbourg, Procure des missions des Pères Capucins (Strasbourg-Koenigshoffen),<br />

1956-1957, p. 18-19 ?<br />

279 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1 er novembre 1957.<br />

280 Ibidem, 11 mars 1958.<br />

281 Ainsi, le prix de la viande est par exemple fixé à 60 francs le kg en juin 1949.<br />

282 CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G4, dossier 1951, lettre confidentielle datant du 28 février 1951.


65<br />

le tout sur fond de nationalisme et de xénophobie. Ils affirmaient ainsi que qu’en tant que peuple<br />

né sur ce sol avant qu’il ne devint français, ils devaient bénéficier en priorité des emplois<br />

existants, alors qu’ils en étaient écartés au profit des étrangers Arabes ou Somalis allogènes 283 .<br />

Revenons à cette lettre : on a la liste des destinataires qui la reçoivent ; le Capitaine Cdt la<br />

3 e Cie du BAISM, le Directeur de l’école et le Révérend Père, directeur de l’orphelinat. Le Père<br />

de la mission, en sa qualité de directeur de l’orphelinat ferait donc partie du « personnel<br />

européen » ! Il est vrai que le statut des religieux reste assez ambigu (à la fois responsable du<br />

culte et à l’initiative d’actions sociales notamment la scolarisation) et trouver un terme adéquat<br />

pour les 3 membres formant, le « personnel européen » devait être un peu compliqué. Ce curieux<br />

« abus de langage » tend à accréditer le fait que, quoique religieux, les missionnaires<br />

appartiennent avant tout au groupe européen bien défini qui a la possibilité financière d’utiliser de<br />

la main-d’œuvre, et apparaît aussi comme un acteur dominant du système colonial à cette petite<br />

échelle. Plus prosaïquement, la Mission fait régulièrement appel à des travailleurs provenant de<br />

Djibouti et est donc en pleine ligne de mire des plaignants. Les premières années sont riches en<br />

travaux divers : l’orphelinat des garçons à construire entièrement, l’orphelinat de l’époque des<br />

Franciscaines de Calais à rénover sans compter les divers travaux pour l’agrandissement du puits<br />

et du château d’eau.<br />

L’orphelinat, le premier bâtiment construit par l’initiative des Capucins de la Province de<br />

Strasbourg, dès début 1947 nécessite rapidement une main d’œuvre de coolies pour rassembler<br />

les pierres nécessaires : « 6 coolies et un caporal (contremaître) travaillent à 35 frs par jour ; le<br />

caporal a 70 frs » 284 . Au mois de mai, « à la construction travaillent en attendant un maçon somali<br />

du village : Allalé et 2 coolies, 2 autres préparent des pierres dans la montagne » 285 . On suppose<br />

que tout comme le maçon somali, ils résident à Ali-<strong>Sabieh</strong>. <strong>La</strong> construction suit ainsi son cours,<br />

jusqu’au jour où « deux maçons arabes viennent de Djibouti pour travailler à la construction de<br />

l’orphelinat. Le maçon somali Oualé était incapable de bâtir une si grande maison ; mais il reste<br />

pour aider ; il pourra apprendre auprès des arabes. » 286 . Pour les réparations de l’orphelinat des<br />

Sœurs, on fait aussi directement appel à des maçons de Djibouti et le R.P Anselme arrive lui<br />

même de Djibouti avec des ouvriers. Ainsi pour ces réparations d’importance et qui durent un<br />

mois, il semblerait qu’aucune main d’œuvre de la région n’ait été sollicitée 287 . Il en va de même<br />

pour le château d’eau de la mission : Construit à l’origine par un des maçons venus pour la<br />

construction de l’orphelinat des garçons, il est agrandi en 1952. Pour l’occasion le menuisier<br />

Abdo monte de Djibouti et réalise le coffrage 288 . Autant d’exemples qui montrent assez bien que<br />

la mission n’emploie guère dans l’espace dans lequel elle se situe. C’est d’autant plus vrai que,<br />

régulièrement les travaux de moindre importance, sont réalisés par des membres de l’armée ou de<br />

la milice.<br />

En réalité l’embauche privilégiée des étrangers n’est pas spécifique à la <strong>station</strong>, ni mêmes<br />

à Ali-<strong>Sabieh</strong>. C’est une pratique généralisée à l’ensemble de la colonie et est entre autres, la<br />

conséquence de la mauvaise image des ouvriers autochtones. « Ces derniers, de traditions<br />

pastorales, souffraient d’un manque de formation et n’avaient pas eu le temps pour s’adapter aux<br />

contraintes du travail salarié. C’étaient avant tout des manœuvres sans qualification et sans attrait<br />

pour les techniques modernes, pensait-on couramment. En outre, ces travailleurs musulmans, déjà<br />

peu enclins aux travaux répétitifs et aux horaires fixes, avaient coutume de consommer l’aprèsmidi<br />

venue, le kât encore vert—stupéfiant léger, c’est un instrument de sociabilité et un trompela-faim.<br />

Pour acheter ce rêve en botte, ils se privaient de l’essentiel, notamment de produits<br />

alimentaires. <strong>La</strong> rentabilité de ces hommes mal nourris restait faible, se plaignait-on<br />

283 C. Dubois, Djibouti, héritage ou frustration ?, Paris, l’Harmattan, 1996, p. 250-252.<br />

284 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 1 er Février 1947<br />

285 Ibidem, 1 er mai 1947.<br />

286 Ibidem, 5 septembre 1947.<br />

287 Ibidem, février 1949.<br />

288 Ibidem, 1 er octobre 1952.


66<br />

fréquemment… » 289 . Ainsi, les religieux participent consciemment ou non, à l’épanouissement du<br />

préjugé. Par conséquent, même si le père est apprécié pour ces actions sociales, comme nous<br />

l’avons vu plus haut, il est peu probable que les habitants du cercle le dissocient complètement du<br />

groupe des allogènes « dominants ».<br />

Un litige touche plus précisément la <strong>station</strong> en juin 1955. En effet, un coolie du nom de<br />

AHMED BARRE vient se plaindre auprès du Cdt ce Cercle Jules Harrois (celui, qui était<br />

« légèrement anticlérical » selon l’appréciation du rédacteur du journal). Ce dernier envoie donc<br />

un courrier au Père Silvère :<br />

« Le coolie AHMED BARRE Issa Fourlabah m’a déclaré avoir travaillé 19 jours à votre<br />

mission et avoir été licencié sans avoir reçu la solde pour la durée de sa présence sur le chantier.<br />

Je vous serais obligé de me faire tenir votre version de l’affaire. Je vous précise que la<br />

solde est due pour le temps de présence sur le chantier. Lorsqu’un ouvrier ne donne pas<br />

satisfaction il appartient à l’employeur de le renvoyer au plus tôt. » 290<br />

<strong>La</strong> réponse du Père ne se fait pas attendre. Dès le lendemain, il s’explique également par courrier:<br />

« En réponse à votre information de ce jour, je vous prie de demander au plaignant des<br />

renseignements exacts concernant :<br />

1) Ses jours de présence, puisqu’il faut payer les jours de présence.<br />

2) Ce que je lui dois où plutôt ce qu’il pense que je lui dois, puisque je ne lui dois rien.<br />

Car le voleur, ce n’est pas l’accusé, mais l’accusateur. » 291<br />

Le Cdt de Cercle transmet alors la lettre à l’inspecteur du travail à Djibouti avec les quelques<br />

mots suivants :<br />

« Pour suite à donner, le Père Silvère ayant cru devoir prendre une attitude réticente en<br />

cette affaire et ne pas régler le coolie sur intervention du Cdt de Cercle. »<br />

Nous n’en saurons pas plus. Plus de traces dans les sources administratives, aucune allusion à cet<br />

évènement n’apparaît dans le journal. Ce cas quoique tronqué est intéressant car c’est l’une des<br />

rares correspondances entre la Mission et le Cercle parmi les documents consultés sans doute<br />

parce que dans une si petite communauté, l’oral prime les autres formes de communication plus<br />

officielles.<br />

Enfin donnons un dernier exemple pour tenter de percevoir la nature des rapports entre<br />

missionnaires et autochtones. Un thème apparaît à plusieurs reprises à la lecture des sources : il<br />

s’agit de la question de la propriété du terrain des missionnaires. Tout débute en juillet 1949,<br />

lorsque le Père Silvère, las du « passage constant des bébouins sur la propriété » et « les chèvres<br />

et les chameaux qui broutent le peu de verdure » 292 décide de clôturer le terrain de la mission<br />

avec du fil barbelé. Le gouverneur de la CFS, avait cédé ce terrain, par l’arrêté du 13 mars 1948,<br />

et pour la somme de 1fr symbolique. Il s’agissait de deux propriétés définitive à Ali-<strong>Sabieh</strong>, cinq<br />

hectares à la mission <strong>catholique</strong> et cinq hectares aux religieuses Franciscaines de Calais. En<br />

échange, les religieux s’étaient engagés à n’édifier sur la concession que des bâtiments à<br />

caractère social. Ainsi le bail à caractère très précaire, donné à Mgr Lucas avait été converti en<br />

propriété et officiellement l’espace appartenait désormais aux missionnaires. Quelques mois plus<br />

tard, les signes de réticences apparaissent dans le journal :<br />

289 C. Dubois, Djibouti, héritage ou frustration… , op.cit, p.282.<br />

290 CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G3, chemise 1955, correspondance entre le Cdt de Cercle et le Père Silvère, 1 er<br />

et 2 e juin 1955.<br />

291 Ibidem.<br />

292 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 10 juillet 1949.


« Ces jours-ci nous avons encore clôturé la partie du jardin le long de la route qui mène au<br />

piton. Les enfants du village qui montent à l’école du piton s’en sont montrés mécontents et<br />

avaient l’air de vouloir nous en empêcher. Il y eut plusieurs fois des démélés entre eux et les<br />

nôtres ; si bien que les autorités : le lieutenant et le chef du village ont dû intervenir pour calmer et<br />

rappeler à la raison ceux du village.<br />

Ils ne peuvent supporter qu’on clôture le terrain qui selon eux leur appartient. Où en est<br />

leur notion de propriété. » 293<br />

Le commandant de cercle demande 2 jours après l’incident une copie de l’arrêté accordant<br />

une concession à la Mission ainsi que celle du plan de la concession dans la mesure où les pièces<br />

n’existent alors pas à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il s’agit ainsi de « régler un différend entre la Mission<br />

<strong>catholique</strong> et certains habitants du village » 294 .On peut raisonnablement penser que l’attitude des<br />

enfants est aussi conditionnée par les opinions des parents envers cette « frontière » et que par<br />

conséquent, une partie de la population ne l’accepte guère. En 1957, malgré les preuves apportées<br />

par le commandant de cercle, les limites de la concession semblent encore contestées. Les cactus<br />

utilisés pour renforcer la clôture sont régulièrement attaqués :<br />

« A plusieurs reprises déjà il nous a fallu replanter les plants de cactus, le long de l’oued,<br />

arrachés et réarrachés par les gosses du village. » 295<br />

<strong>La</strong> Mission a donc un terrain qui lui a été attribué par les autorités coloniales et bien sûr<br />

sans consultation préalable avec les habitants. Certains par conséquent ne reconnaissent pas ces<br />

limites fixées à leur avis injustement dans la mesure où elles ne respectent pas les activités<br />

traditionnelles de la population autochtone. C’est vraiment deux conceptions du monde qui<br />

s’opposent et nos missionnaires participent malgré eux à la confrontation. L’exemple le plus<br />

concret nous apparaît lorsque le rédacteur se demande, presque naïvement « Où en est leur<br />

notion de la propriété ? ». Une relative incompréhension plus que de l’ignorance, existe envers<br />

ces populations qui est par ailleurs, sans doute réciproque. L’erreur serait de croire que la notion<br />

de propriété est complètement absente du système de pensée nomade, alors qu’en fait, elle a<br />

plutôt d’autres modes. « Le nomade ne manifeste pas une telle tendresse pour ses semblables,<br />

lorsqu’ils se hasardent à franchir une limite de pâturage ! D’incessantes et âpres guerres eurent<br />

lieu entre tribus, de toute l’éternité, pour la possession des puits ou des pâturages qui ne sont<br />

d’ailleurs que des steppes arides couvertes d’une végétation clairsemée d’arbustes épineux ». 296<br />

Et même si le système à l’air plus souple chez les Issas, la notion existe bel et bien. « Tandis que<br />

chez les Afars les aires de nomadisation sont nettement délimitées entre tribus, chez les Issas au<br />

contraires les limites sont moins strictes. Les Issas disent volontiers que « le peuple Issa ne forme<br />

qu’un », en ce sens qu’une famille de n’importe quelle tribu peut, si elle le désire, nomadiser dans<br />

la totalité du pays issa. Chaque tribu a cependant ses parcours habituels, dont elle ne s’écarte<br />

qu’exceptionnellement. » 297 .<br />

On a découvert plusieurs figures du missionnaire à l’issue des ces quelques pages : entre<br />

un missionnaire aimé de la population pour ces actions charitables, et un qui affecte les rythmes<br />

de vie nomades, s’attirant les foudres de la population lésée, en passant par un qui a un pouvoir<br />

d’achat équivalent aux autres membres de la population allogène ; que de postures. Il est sans<br />

doute un peu tout cela à la fois. Mais, on ne peut nier que volontairement ou non, il s’associe aux<br />

comportements des autres Européens, rendant son action charitable plus illisible encore, pour des<br />

293<br />

Ibidem, 11 janvier 1950.<br />

294<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, chemise 1950, courrier départ, lettre du 13 janvier 1950.<br />

295<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 13 septembre 1957.<br />

296<br />

P.Oberlé et P. Hugoniot, Histoire de Djibouti, des Origines à la République, Paris-Dakar Présence africaine,<br />

1996, p. 27.<br />

297<br />

Ibidem, p.39.<br />

67


68<br />

populations réticentes au christianisme et de plus en plus à la domination coloniale. Le fait que<br />

les Européens ne soient pas nombreux, rend d’autant plus visibles ces pratiques. Le reste de<br />

l’exposé, tend à confirmer ces suppositions.<br />

2. Le missionnaire, dans la population allogène européenne : une<br />

position privilégiée.<br />

« Pour les militaires métropolitains et leurs familles les aumôniers représentent bien<br />

souvent les rares Européens rencontrés en dehors de l’armée. Déjà « en tant que missionnaires,<br />

[ils] ont des relations constantes ave les militaires ». Dans les postes et les petites garnisons,<br />

comme « les Français vivent côte à côte », il n’y a pas de relations spécifiques avec l’aumônerie.<br />

« on est au camp comme chez soi » les militaires « sont à la mission comme chez eux. L’armée<br />

construit on répare les églises, ouvre son intendance » 298 . C’est cette description que fait Xavier<br />

Boniface de la mission vue par la population militaire européenne, loin de chez elle. Le capital<br />

sympathie du missionnaire est donc important. A Ali-<strong>Sabieh</strong>, aussi, il a une place particulière au<br />

cœur de la population allogène ; il en est, un acteur à part entière. Voyons donc qu’est qu’il en<br />

est.<br />

On se rend d’abord compte de ce fait lorsque l’on s’intéresse aux divers services rendus<br />

par les missionnaires aux autres membres de la population allogène. Par exemple, il arrive que<br />

l’on héberge à la Mission pour quelques jours, voire plusieurs mois des « non religieux ». Il faut<br />

dire qu’à Ali-<strong>Sabieh</strong>, la « crise du logement » est bien réelle, difficultés financières et manque de<br />

logements notamment pour les militaires obligent. <strong>La</strong> mission a même l’occasion de loger<br />

pendant 21 mois le Capitaine Gagnaux dans la maison des Sœurs qui est alors libre 299 . « Il laisse<br />

tout en bon état » 300 . En général cependant, les séjours sont beaucoup moins longs dans la mesure<br />

où les « visiteurs » sont de passage que pour quelques jours à Ali-<strong>Sabieh</strong>; à l’image de du couple<br />

Sahadjian et de M. Blanchet qui viennent passer 2 jours à la Mission pour la fête de la Pentecôte.<br />

C’est également le cas de Madame Bour (qui appartient d’ailleurs au personnel de l’école Charles<br />

de Foucault) ainsi que Mme Schaeffer et ses deux enfants qui viennent chez les missionnaires<br />

pour quelques jours de repos. <strong>La</strong> maison des Sœurs sert là aussi de logement provisoire 301 .<br />

Parfois, les missionnaires gardent les enfants de quelques européens, ce qui montre la confiance<br />

qui leur est accordée. Les deux enfants de M. Noël, Antoine et Georges arrivent à la mission alors<br />

que les parents partent deux mois pour la France. Quinze jours plus tard, les enfants accompagnés<br />

du Frère Antoine (en vacances annuelles) se rendent à Djidjiga pour trois ou quatre semaines 302 .<br />

Ces enfants partagent ainsi un temps la vie de l’orphelinat d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, quoiqu’ils bénéficient<br />

sans doute d’un traitement particulier. Rappelons nous des Limbach, « les grands bienfaiteurs de<br />

la Mission » ; pour Mardi Gras les enfants « Daniel, Christiane, Loulou », vont en promenade au<br />

lac Abbé avec le Père Silvère 303 . Il faut dire que le Lieutenant Limbach contribue dans la mesure<br />

de ses possibilités au développement de la Mission :<br />

« Le Fr. Erhard vient pour commencer le soubassement de la baraque devant servir au<br />

logement des missionnaires. <strong>La</strong> baraque a été démontée sur l’emplacement de la cour de l’école<br />

298 X. Boniface, L’aumônerie militaire française (1914-1962), Cerf, Paris, 2001, p. 235.<br />

299 Ce service, ainsi que les autres qui suivent sont-ils rémunérés ? J’avoue ne vraiment pas avoir la réponse. Dans le<br />

cas présent, dans la mesure ou le Capitaine reste longtemps à la mission, il est très probable qu’il donne il une<br />

compensation. Dans les autres cas ?<br />

300 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 17 octobre 1952.<br />

301 Ibidem, respectivement 16 mai 1948 et 25 mai 1949.<br />

302 Ibidem, 10 juillet et 25 juillet 1949.<br />

303 Ibidem, 22 février 1955.


Charles de Foucault à Djibouti. Le lieutenant Limbach nous envoie de soldats Somalis pour aider<br />

à la construction. Ils font les parpains pour commencer. » 304<br />

En vérité, si la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong> rend quelques services, quelques membres de l’administration<br />

et surtout de l’armée contribuent largement aux nombreux travaux effectués à la <strong>station</strong>, en<br />

mettant à la disposition des missionnaires une main d’œuvre gratuite ; voire même certains<br />

matériaux. Ces aides sont fréquentes et c’est en particulier par ce biais que l’on se rend compte<br />

des nombreux soutiens sur lesquels la Mission peut compter. Nous prendrons 3 exemples<br />

supplémentaires pour montrer la diversité des situations.<br />

« « Réfection de la douche pour les enfants. Le Capitaine Gagnaux nous a fait faire les<br />

parpaings contre remboursement du ciment. Le Cdt de Cercle nous a donné la main-d’œuvre : un<br />

maçon de fortune et deux miliciens. »<br />

« Les militaires, le Capitaine End, surtout eut bien voulu repeindre l’église, la classe du fr.<br />

Antoine, l’intérieur de l’orphelinat et la maison d’habitation des missionnaires. Les militaires<br />

fournirent la main-d’œuvre, la chaux et l’alen et l’ocre, et la peinture à l’huile. »<br />

«Le P. Denys vint pour installer la conduite d’eau douce en partant de la douche de nos<br />

enfants vers la maison des Petites Sœurs. Comme nous n’avions pas suffisamment de tuyaux –<br />

ils proviennent d’une récupération de la mission de Boulaos – Mgr n’avait tout d’abord prévu<br />

que 90 m., c’est à dire jusqu’à la murette limite du terrain des Sœurs. Le gendarme fournissait<br />

gratuitement les coolies pendant 2 jours pour faire le fossé. Puis au courant pourquoi nous ne<br />

creusions pas plus loin il proposa de fournir les tuyaux manquants. Mgr accepta et 8 coolies<br />

(encore gratuitement) fermèrent la première tranchée et creusèrent une nouvelle, plus longue,<br />

presque près de la cuisine des Petites Sœurs. Le P. Denys aidé de nos gosses installa donc la<br />

conduite.» 305<br />

Par conséquent, ces cas très particuliers doivent pouvoir montrer comment se nouent, en<br />

partie, des contacts « d’homme à homme » et comment se resserrent davantage les liens des<br />

missionnaires avec militaires et autres fonctionnaires à Ali-<strong>Sabieh</strong>. D’autant plus qu’ils se<br />

dégagent de leurs situations quelques similitudes. A l’éloignement de la métropole, s’ajoute<br />

l’éloignement de Djibouti, espace où la quasi-totalité de la population européenne est<br />

concentrée 306 . Ils ne sont, alors, d’une extrême minorité (dominante soit) qui doit « convertir » :<br />

au catholicisme pour les religieux, mais à la «République française » pour fonctionnaires ;<br />

minorité qui partage un certain nombre de valeurs et que l’on se doit sans doute sans doute de ne<br />

pas perdre à Ali-<strong>Sabieh</strong>. <strong>La</strong> décennie qui suit la guerre est aussi une période de « construction »<br />

du petit centre administratif et militaire auquel il manque tout ; la similitude est frappante avec les<br />

pères qui se démènent pour construire, rénover, creuser à leur mission. D’ailleurs, les difficultés<br />

financières sont le quotidien des missionnaires mais aussi de l’administration en général, ce qui<br />

aggrave l’impression d’être excentré et négligé par le centre. Les problèmes matériels sont<br />

fréquents dans les deux « camps »: panne de voiture, difficultés de logement, voire parfois<br />

manque de fonds pour faire certaines rénovations. Tant de similitudes dans les situations qui ne<br />

peuvent que renforcer des affinités instinctives.<br />

Les moyens de ravitaillement en nourriture pour les européens permettent de mieux<br />

entrevoir comment s’exprime la solidarité entre les membres de la population allogène et surtout<br />

la totale intégration de la Mission à ce système. Les Pères ont plusieurs « fournisseurs » pour<br />

remplir le garde-manger de la <strong>station</strong>. Une partie provient directement de Djibouti par<br />

304 Ibidem, Octobre 1953.<br />

305 Ibidem, respectivement 28 novembre 1952 et 1 er novembre 1957, 15 mai 1957.<br />

306 L’éloignement de la métropole vue par Henri de Monfreid : «Tous les Européens me surprirent par leur<br />

incompréhension et leur indifférence à tout ce qui passionnait ma curiosité. Aucun n’avait rien vu, rien entendu de<br />

l’appel de ces solitudes. <strong>La</strong> vie se concentraient, ici comme en France, à l’intérieur de la cage. Tous se sentaient<br />

déracinés et mettaient un point d’honneur à se considérer en exil ; l’espoir de retour était seul réconfort et peut-être,<br />

pour le rendre plus vif, se forçaient-ils à détester tout ce qu’ils auraient pu mieux comprendre.». Henri de Monfreid,<br />

Aventure en mer Rouge, 3 e tome, le Lépreux ; Chapitre 4 : Djibouti, Grasset, Paris, 1988-1990, p.19.<br />

69


70<br />

l’intermédiaire de Mgr Hoffmann, une autre des nomades, notamment pour la viande et parfois<br />

même de la production personnelle des missionnaires sur place (petit élevage de poules, de<br />

chèvres ainsi qu’un petit jardin). Elle bénéficie surtout du soutien continu des miliciens et<br />

militaires et ceci dès la réinstallation :<br />

«Nous faisons faire le pain à la compagnie de Sénégalais. Jusqu’à présent nous avons reçu<br />

le pain de Djibouti 2 fois par semaine. Maintenant nous recevons la farine et les militaires font le<br />

pain. C’est aussi la compagnie qui nous ravitaille en légumes. <strong>La</strong> viande est livrée par un boucher<br />

du village » 307<br />

En fin d’année 1958 le Capitaine du camp II fournit la <strong>station</strong> en viande à « un prix<br />

favorable » 308 puisque les chèvres sont fournies au prix de revient du camp ce qui, au passage,<br />

peut faire partie des « faveurs » dont sont bénéficiaires nos missionnaires. En Août 1957, c’est<br />

la milice qui s’en charge et fournit par ailleurs d’autres civils 309 . En effet, une organisation est<br />

mise en place pour ravitailler les missionnaires, mais aussi toute la population d’origine<br />

européenne d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. En février 1959, un problème intervient dans ce système :<br />

« à 11 h. 1 /2 après la classe le Dr Durand vint m’informer d’un télégramme émanant de<br />

l’État Major de Djibouti, défendant aux militaires de livrer aux civils donc aussi à la mission quoi<br />

que ce fût en pain, viande, légumes etc. à partir du 1 er mars. <strong>La</strong> mission envoya immédiatement un<br />

télégramme à Mgr lui demandant des vivres et envoya dès l’après-midi un gosse avec une lettre<br />

explicative à Mgr. <strong>La</strong> mesure avait provoqué un grand émoi parmi la population. L’administrateur<br />

descendit immédiatement contacter le gouverneur à Djibouti qui demanda au Colonel supérieur<br />

d’accepter un arrangement. Car tous les fonctionnaires européens d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et du cercle de<br />

Dikhil avaient menacé de démissionner. Dès lundi un arrangement fut trouvé : Dikhil et Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> se constituèrent en 2 groupements d’achat qui achèteraient dorénavant globalement pain et<br />

légumes au camp en assurant la distribution par après à leurs membres… » 310<br />

Retenons deux idées de cette crise pour la communauté (à tel point que l’administrateur<br />

du cercle se rend personnellement à Djibouti pour y rencontrer l’instigateur du conflit). D’abord,<br />

les missionnaires sont aussi dépendants que les autres membres de la population allogène aux<br />

services rendus par les militaires et partagent donc une grande partie de leurs habitudes ; même<br />

s’il existe quand même, un « plan B », une solution alternative. Notons aussi la solidarité des<br />

fonctionnaires européens d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et de Dikhil face au pouvoir du centre, qui considèrent-tils,<br />

mésestiment les conditions dans lesquelles ils vivent. On en revient au problème évoqué un<br />

plus haut, de méconnaissance des fonctionnaires de Djibouti des réalités de l’intérieur. Ce qui ne<br />

manque s’en doute de raffermir davantage les liens. Quoiqu’il en soit, le Père Ange a sa petite<br />

idée concernant les dessous de l’affaire :<br />

« Toute cette histoire avait paraît-il comme origine un malentendu entre le Cap. End qui<br />

était trop franc et ouvert et son colonel qui regardait trop dans les verres, ayant besoin d’argent il<br />

cherche à s’attribuer le bénéfice de la vente des denrées alimentaires aux civils. De plus, il paraît,<br />

qu’il y eut aussi des divergences politiques qui jouèrent entre les deux messieurs.<br />

Le Cap. End qu’on avait d’abord voulu faire prolonger, dût prendre le premier bateau en<br />

partance la France. Nous avons perdu en lui un grand ami et grand bienfaiteur. » 311<br />

Le capitaine, « grand ami et bienfaiteur » —on se rappelle qu’il a par exemple fait<br />

repeindre une bonne part de la Mission ou lui a vendu au prix de revient du camp des chèvres—<br />

307 Ibidem, 21 janvier 1947.<br />

308 Ibidem, Décembre 1958.<br />

309 Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, Août 1957.<br />

310 Ibidem, 27 février 1959.<br />

311 Ibidem.


71<br />

est donc victime de ces querelles entre centre et périphérie. Mais parfois, c’est à Ali-<strong>Sabieh</strong><br />

même que des tensions se créent divisant la population allogène. L’exemple qui suit est captivant<br />

dans la mesure où nos missionnaires se retrouvent en plein cœur du conflit.<br />

« Près du puits au pied du piton un Somali commença un jardin sans la permission du<br />

capitaine, mais suivant les ocals avec la permission de l’administrateur. Nos chèvres étant<br />

entrées dans ce jardin, le jardinier les attrapa, les amena pour demander dommage intérêt.<br />

Comme le Père était en classe il alla chez l’administrateur qui le renvoya au Père accompagné de<br />

2 ocals, après un palabre le Père paya 500 fr. Le capitaine ayant appris l’affaire fonça chez<br />

l’administrateur pour exiger la restitution des 500 fr. au Père et l’abandon du jardin. De nouveau<br />

palabre. L’administrateur ayant la frousse prétendait n’être au courant de rien. Alors que les<br />

ocals étaient unanimes à prétendre le contraire. Après 8 jours de patience le jardin fut<br />

abandonné.» 312<br />

L’affaire va quelques jours plus tard beaucoup plus loin :<br />

«Le capitaine a fait détruire le jardin dont il était question le 27 mai ; par un tir de<br />

mortier dans la nuit du 12-13 juin. Affaire qui fait beaucoup de bruit jusqu’à Djibouti. Ministres,<br />

conseillers sont en émoi. Commissions viennent inspecter et s’informer. Le jardinier ne veut<br />

démordre soutenu qu’il se sait par l’Administrateur qui veut jouer un tour aux militaires. Le cadi<br />

s’y mêle au nom de la religion, vu que seul, lui et Mohamed puissent prendre leur terrain à un<br />

Issa. Le capitaine l’a mis gentiment en place et renvoyé ; d’autant plus qu’il incriminait la croix<br />

lorraine sur le piton comme signe <strong>catholique</strong> et honni par les musulmans. De connivence avec<br />

l’administrateur, il l’a fait saccager la nuit du 19 juin. Même la mamona a été mise en cause<br />

parce que nos chèvres avaient passé depuis sur le terrain et les mauvaises langues crièrent de nuit<br />

et ameutèrent le jardinier contre nous, soit disant que nous aurions envoyé expressément nos<br />

chèvres détruire son jardin sur le conseil du gendarme et des militaires. Le capitaine a décidé une<br />

nouvelle manœuvre de nuit pour détruire ce jardin de font en comble. » 313<br />

Cette affaire qui fait polémique jusqu’à Djibouti, porte en son sein différents ressorts qui<br />

présagent d’une situation tendue à Ali-<strong>Sabieh</strong> à l’époque. <strong>La</strong> question de la propriété des terres<br />

est de nouveau posée sur fond rivalités entre deux clans. L’administrateur en place est alors M.<br />

Devigne (celui qui avait posé des problèmes pour la question du transport à Dikkil). Il prend<br />

clairement partie pour le jardinier Somali sans qu’il l’assume totalement selon le rédacteur et<br />

s’oppose au Capitaine End (encore lui !) qui soutient les missionnaires. Entre rivalités<br />

individuelles et sentiments envers la mission <strong>catholique</strong> et par extension la religion <strong>catholique</strong> 314 ,<br />

on a du mal à déterminer les raisons exactes de telles prises de positions par les protagonistes.<br />

Ajoutons à ce contexte, des rivalités certaines entre les deux religions monothéistes, alors que se<br />

mêlent dans le discours du Cadi, hostilité envers la religion <strong>catholique</strong> mais aussi envers les<br />

autorités coloniales qui attribuent les terrains mais aussi les retirent, parfois par la force, comme<br />

le fait le Capitaine 315 . L’intervention des autorités de Djibouti, « en émoi » ajoute une dimension<br />

312 Ibidem, 27 mai 1958.<br />

313 Ibidem, 13 juin 1958.<br />

314 Sympathie pour le missionnaire et pratique assidue de la religion ne vont pas forcément de pair. Pourtant, on<br />

retrouve à Ali-<strong>Sabieh</strong> une certaine corrélation de ces éléments.<br />

315 <strong>La</strong> dimension politique ne doit pas, ici être oubliée. Cet évènement a lieu en 1958, année du référendum<br />

constitutionnel. Pour les territoires Outre-Mers consultés, le rejet de la constitution signifie l’accession à<br />

l’indépendance immédiate. L’annonce du référendum propulse sur le devant de la scène politique Mahmoud Harbi,<br />

depuis 1957 vice-président du conseil de Gouvernement (il avait remporté ces élections avec l’appui de<br />

l’administration). Entouré par les jeunes Somalis de Djibouti et d’Ali-<strong>Sabieh</strong>—dont il est originaire— il entendait<br />

mener son territoire vers l’indépendance par étapes successives et sans heurts. Finalement et contre toute attente, il se<br />

prononce en septembre 1958 pour le « non » ; et donc pour l’indépendance immédiate. C’est cependant, le « oui »<br />

qui l’emporte en CFS, avec tout de même le pourcentage pour le « non » le plus élevé de tous les territoires français


72<br />

supplémentaire : le Capitaine n’a-t-il pas ici outrepassé largement, ses droits en détruisant le<br />

jardin ? N’est-ce pas un abus d’autorité que l’on pourrait attribuer à l’éloignement de la capitale?<br />

Elle montre enfin que derrière une simple « histoire de jardin » s’enchevêtrent en même temps<br />

beaucoup de enjeux à priori fort distincts ; le missionnaire apparaît d’ailleurs fortement intégré<br />

dans les différents rapports de force.<br />

<strong>La</strong> notion de microcosme, en tant que « ensemble des personnes liées par des activités,<br />

des intérêts, des usages communs » 316 s’applique assez bien à la population européenne de la<br />

localité ; tout comme d’ailleurs le terme microcosme au sens strict (« petit monde » ; « monde en<br />

abrégé ») s’applique à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Le missionnaire, comme on l’a vu dès le début de la 4 e partie y<br />

a toute sa place. On a aussi pu voir se dessiner la solidarité de l’ensemble du groupe et à<br />

l’encontre du missionnaire en particulier. Au regard de tout ce qui a été dit dans la 3 e partie et 4 e<br />

partie, on peut tout de même percevoir la fragilité de la situation du missionnaire. Dans les faits,<br />

pour Ali-<strong>Sabieh</strong>, les choses ont souvent l’air de tourner à l’avantage des religieux dans la mesure<br />

où ils bénéficient de soutiens le plus souvent compréhensifs et attentifs. Mais le changement<br />

d’administrateur ou de chef de la compagnie des tirailleurs africains peut rendre brusquement<br />

l’aboutissement de projets plus compliqués. On doit veiller à garder des rapports les plus courtois<br />

que possible, et composer avec chaque représentant de l’autorité quelque soit sa sensibilité.<br />

3. Une fonction « administrative » pour le missionnaire à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> ?<br />

Etre pleinement intégré à la population allogène du cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> est finalement un<br />

fait assez « banal » pour ces missionnaires. Ils sont particulièrement appréciés en tant que<br />

individus ou pour l’action sociale qu’ils mènent au quotidien. Mais ils apparaissent aussi, pour<br />

l’administration locale, comme des partenaires de confiance lorsqu’il s’agit de mener à terme<br />

certaines tâches que l’on pourrait qualifier d’ « administratives ». Deux exemples permettent<br />

d’appuyer cette idée.<br />

Le Père de la <strong>station</strong> est proposé en novembre 1950 et en novembre 1951 comme membre<br />

de la commission administrative chargée de la révision des listes électorales 317 . En effet, la loi du<br />

10 août 1950 « fixant le régime électoral, la composition et la compétence d’une assemblée<br />

représentative territoriale de le CFS » prévoit dans son article 69 une révision supplémentaire des<br />

listes électorales si besoin est et à titre exceptionnel 318 . Le mois suivant, le chef de territoire fixe,<br />

par arrêté (n°879 du 5 septembre 1950) les délais de la procédure de révision des listes de toutes<br />

les circonscriptions administratives du territoire (Djibouti, Dikhil, Tadjourah et Ali-<strong>Sabieh</strong>) ;<br />

ainsi que la composition des commissions administratives chargées de procéder à cette révision.<br />

Les commissions sont composées du chef de la circonscription administrative ou, à défaut, son<br />

adjoint président, et de deux membres, européen et autochtone. Cette année là, MM Sanglier<br />

(Henri) et Hadj Khaire Kayad (commerçant), remplissent la fonction. Les deux années suivantes<br />

c’est donc le père de la <strong>station</strong> qui est pressenti pour remplir ce rôle, qu’il occupe alors. Ainsi le<br />

missionnaire se trouve plus ou moins impliqué dans la politique électorale des autorités<br />

coloniales, dont il convient de dire quelques mots. Les énormes difficultés que la France<br />

coloniale éprouve à déterminer qui de la population peut prétendre à la nationalité française se<br />

d’Outre-Mer (25 %) si l’on excepte la Guinée (97,5% en faveur du « non »). Dans le cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, le « non »<br />

l’emporte même, prouvant le poids politique et le soutien qu’obtient Mahmoud Harbi dans la région.<br />

316<br />

Dictionnaire de l’Académie française, dernière édition.<br />

317<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G2, dossier 1950 (départ), lettre du commandant de cercle au gouverneur de la<br />

CFS, 25 novembre 1950.<br />

Ibidem, dossier 1951 (départ), lettre du commandant de cercle au gouverneur de la CFS, 19 novembre 1951.<br />

318<br />

Journal Officiel de la CFS, arrêté n°847 du 26 août 1950 reprenant la loi n° 50-1004 du 10 août 1950 (Journal<br />

officiel de la République Française n°197, du 20 août 1950, p. 8896).


73<br />

répercutent directement sur les listes électorales. Dans ce domaine le flou persiste donc, alors que<br />

s’ajoute la possibilité des autorités d’influer sur les différents scrutins. Par exemple, après les<br />

évènements de 1949, l’administration tend à favoriser le vote Issa. L’orientation pro-issa se<br />

traduit alors à l’époque par une distribution généreuse de papiers d’identité et de cartes<br />

d’électeurs aux Issas qui désirent le vote. Les Issas remportent avec leurs alliés Afars, sans<br />

grande difficulté, une série de succès électoraux et arbitrent pratiquement, jusqu’en 1958, la vie<br />

politique du territoire 319 . Les incertitudes de l’état civil permettent aisément de pencher la balance<br />

du côté de l’électorat qui semble « le plus favorable », mais d’autre pratiques existent comme le<br />

vote multiple et les pressions exercées sur les okal chargés d’être le liens entre la population et les<br />

autorités. Ce détour doit permettre de faire comprendre que le missionnaire ne peut être<br />

qu’associé indirectement à toutes ces pratiques, au moins dans « l’opinion publique » autochtone.<br />

Par conséquent sa neutralité peut être remise en doute même si mais à sa décharge rappelons les<br />

quelques difficultés qu’ont les autorités à trouver à Ali-<strong>Sabieh</strong> des Européens pouvant remplir ce<br />

rôle.<br />

Le deuxième exemple est tout aussi représentatif de cette réalité. L’instituteur de l’école<br />

publique d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, M. Muzotte occupe en 1951, la fonction de Président du tribunal de<br />

premier degré. Or, ce dernier rentre en France pour les vacances à partir de la première semaine<br />

de juin 1951. Il convient donc de lui trouver un remplaçant durant son absence de 4 mois. Mais<br />

voyons d’abord en quoi constitue la tâche de Président du tribunal de premier degré.<br />

Le décret du 4 juin 1938 paru dans le Journal Officiel de la Côte française des Somalis,<br />

précise l’organisation de « la justice indigène » 320 à la CFS. <strong>La</strong> justice est rendue par des<br />

tribunaux de conciliation, de premier degré, de second degré et par un tribunal d’homologation.<br />

L’article 8 du décret porte sur la composition du tribunal de premier degré ainsi que les<br />

« conditions » nécessaires pour rendre la justice :<br />

« Le tribunal de premier degré est composé d’un président et de deux assesseurs ayant<br />

voix délibérative.<br />

Les fonctions du président sont remplies par le chef de subdivision ou un fonctionnaire<br />

désigné à cet effet par le chef de la colonie. Les fonctions d’assesseurs ne peuvent être remplies<br />

que par des indigènes. Tout emploi rétribué par la colonie en dehors de celui d’okal, de chef de<br />

tribu, de groupe de tentes, de villages et pour Djibouti de quartier, est incompatible avec les<br />

fonctions d’assesseurs… »<br />

Les articles 11 et 17 précisent le rôle exact des tribunaux de premier degré :<br />

« Art 11 : En matière civile et commerciale, le tribunal de premier degré connaît en<br />

premier ressort et à charge d’appel devant le tribunal du second degré de tous les litiges dont les<br />

parties le saisissent après échec des tentatives de conciliation. »<br />

« Art 17 : En matière répressive, le tribunal de premier degré connaît, à la charge d’appel<br />

devant le tribunal de deuxième degré de tous les faits punissables judicairement à l’exclusion :<br />

1. Des infractions réservées au tribunal de deuxième degré.<br />

2. Des infractions qui auraient été commises au préjudice d’Européens et de celles qui auront été<br />

commises de complicité avec un Européen ou assimilé, lesquelles sont de la compétence des<br />

tribunaux français ».<br />

Il connaît des infractions sanctionnées par les indigènes soustraits aux règlements au régime<br />

de l’indigénat, sauf en ce qui concerne les exemptés justiciables du tribunal du second degré. »<br />

Revenons maintenant au choix que doit faire le Commandant de Cercle pour remplacer M.<br />

Muzotte, l’instituteur. Il propose, dans une lettre au procureur de la République « les européens<br />

319<br />

Oberlé P. et Hugot P., Histoire de Djibouti, des origines à la République, Paris-Dakar, Présence africaine, 1996,<br />

p. 128.<br />

320<br />

Elle concerne « ceux qui ne possèdent pas la qualité de citoyen français, ainsi que les allogènes asiatiques et<br />

africains qui n’ont pas dans leur pays d’origine le statut des nationaux européens ou qui ne peuvent exciper d’une<br />

convention diplomatique les assimilant aux nationaux européens ».


74<br />

résidant à Ali-<strong>Sabieh</strong> qui sont susceptibles de remplir les fonctions de Tribunal de 1 er degré ». Le<br />

premier est « Le sieur IZRI Marcel, chef de district du CFE qui ne doit pas être inconnu de<br />

vous » 321 . En 1951, IZRI a en effet un précédent judiciaire puisque en Mars 1951, il avait une<br />

« dette » 322 à régler auprès de la justice à Djibouti. On ignore la nature du délit mais on devine<br />

qu’il ne l’a pas réglé dans les délais impartis puisque l’on a la réponse du Lieutenant d’Escrienne<br />

à une lettre de « relance » du procureur demandant sans doute de « presser » le sieur IZRI :<br />

« Il n’y avait eu, de sa part aucune mauvaise volonté mais que, à la tête d’une famille<br />

relativement nombreuse, il ne disposait pas de beaucoup d’argent à la fois. » 323<br />

Quoiqu’il ait fait, il paraît donc un peu délicat de placer l’homme à cette fonction.<br />

D’ailleurs, quelques mois plus tard IZRI fait encore parler de lui. Cet évènement se déroule<br />

quelques mois après juin 1951… par conséquent cela peut sembler illogique d’en parler dès a<br />

présent. Néanmoins plusieurs éléments nous incitent à le rapporter tout de même. D’abord, il<br />

permet de mieux cerner la personnalité de l’individu qui avait été proposé pour devenir un temps<br />

responsable de la justice, mais aussi sa « côte de popularité » à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Enfin, de façon<br />

générale, il permet de mettre en évidence les tensions existant entre les différentes communautés<br />

dans le village ; notamment entre autochtones et allogènes et nous rappelle un contexte colonial<br />

assez tendu.<br />

Une bagarre éclate le 1 er janvier 1952 vers 15h à la gare d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, entre des<br />

Européens et des miliciens. Le Lieutenant d’Escrienne fait son rapport 324 :<br />

« Monsieur IZRI me déclara que des enfants du village avaient jeté des pierres sur ses<br />

enfants et ceux de M. ROUSSEAU qui jouaient dans sa cour. Il avait alors été trouvé les miliciens<br />

de service à la gare et leur avait demandé d’intervenir. Le train était alors en gare. Au lieu de faire<br />

droit à sa requête, les miliciens l’auraient frappé et l’un d’eux lui aurait même donné un coup de<br />

crosse à la face. Arrivé quelques instants plus tard pour le secourir l’adjudant ROUSSEL reçut<br />

également quelques coups dans la mêlée et tout le monde roula à terre.<br />

Ne voyant pas revenir M. IZRI et l’adjudant ROUSSEL, M. ROUSSEAU et le sergent<br />

chef LE BOURDON qui étaient restés chez M. IZRI, sortirent à leur tour. C’est eux qui, en<br />

définitif, séparèrent les combattants.<br />

Tels sont les faits tels qu’ils m’ont été rapportés par M. IZRI, qui a déposé plainte contre<br />

les miliciens.<br />

Je viens de faire mon enquête. Il résulte évidemment des interrogatoires des miliciens que<br />

M. IZRI les aurait frappé le premier. C’est aussi ce que prétendent les très nombreux civils qui se<br />

trouvaient présents. Quant aux européens, que j’ai interrogés également aucun ne se trouvait<br />

présent au déclenchement du pugilat. Il est d’autre part à remarquer que M. IZRI est sérieusement<br />

marqué à la face et au côté alors que les miliciens ne portent pratiquement pas de traces, sinon très<br />

légères et insignifiantes.<br />

<strong>La</strong> vérité peut très bien être qu’ IZRI, les miliciens étant occupés par leur service au<br />

train,se soit impatienté de ne pas les voir s’empresser à sa requête et qu’il en ait saisi un, plus ou<br />

moins violemment par la manche ou le bras. Le milicien peut fort bien avoir pris un tel geste pour<br />

un coup.<br />

Mais ce n’est là qu’une supposition et si cela peut expliquer un déclanchement de bagarre,<br />

cela n’excuse nullement l’attitude de des deux miliciens, d’autant plus que l’adjudant ROUSSEL<br />

qui ne voulait que séparer les adversaires se trouve également frappé par un de ces miliciens . »<br />

321<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G2, dossier 1951 (départ), lettre du commandant de cercle au procureur de la<br />

République, 10 mai 1951.<br />

322<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G2, dossier 1951 (départ), lettre du commandant de cercle au procureur, 24<br />

mars 1951.<br />

323<br />

Ibidem.<br />

324<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G3, dossier 1952, Rapport du Lieutenant d’Escrienne, commandant le Cercle<br />

d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, au sujet des évènements qui se sont déroulés à Ali-<strong>Sabieh</strong>, le 1 er janvier vers 15h, 4 janvier 1952.


<strong>La</strong> situation est plutôt délicate et le commandant cherche tant bien que mal à trouver une<br />

explication des faits qui rend les miliciens responsables… mais pas trop. Il sait que M. IZRI est<br />

un personnage « controversé » à Djibouti mais aussi à Ali-<strong>Sabieh</strong> :<br />

« Il est à remarquer à priori, que ceux qui ont frappé M. IZRI quelles qu’aient été les<br />

circonstances, n’ont peut-être été que des « instruments » entre les mains de certains autochtones<br />

du village car ceux-ci détestent IZRI… mais leur comportement n’en est pas moins absolument<br />

injustifiable. En attendant, ces trois miliciens sont mutés ce jour à la 1 ère Compagnie à Dikkil.<br />

Quant à M. IZRI, qu’il ait été ou non dans son tort, c’est lui, en définitive, qi a été la<br />

victime… Je ne puis m’empêcher de craindre qu’il le soit à nouveau s’il doit demeurer encore à<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong> plusieurs mois. » 325<br />

Dans le rapport trimestriel des derniers mois de l’année 1951, le Commandant confirme le<br />

fait que IZRI est détesté à Ali-<strong>Sabieh</strong> :<br />

« Quant à Monsieur IZRI, pour sa sécurité et celle de sa famille, il serait souhaitable que le<br />

CFE lui donne aussi dans les plus brefs délais un poste à Djibouti… <strong>La</strong> population lui est à ce<br />

point hostile que je devrai envisager de mettre chez lui une garde la nuit si aucune autre mesure<br />

n’est prise… et mes effectifs ne me permettent guère ce luxe. » 326<br />

IZRI n’apparaît donc, décidément pas comme le magistrat idéal. Le Lieutenant<br />

d’Escrienne le reconnaissait déjà dans la lettre dans laquelle il proposait des candidats potentiels<br />

capables de remplacer quelques mois M. Muzotte au poste de président du tribunal de premier<br />

degré. Il proposait alors, un second candidat :<br />

« Comme il se peut que vous n’approuviez pas pleinement cette proposition en raison des<br />

légers délits dont s’est rendu coupable le sieur IZRI, qui n’en est pas moins cependant un fort<br />

honnête homme, il reste encore résidant à Ali-<strong>Sabieh</strong> :<br />

2) Le Révérend Père supérieur de l’orphelinat <strong>catholique</strong> (JUNG Albert) très<br />

honorablement connu à Ali-<strong>Sabieh</strong> chez des gens de confessions pourtant différentes. Son état<br />

ecclésiastique compréhensif et humain, qui contribue à lui valoir l’estime générale serait en outre,<br />

une garantie quant à la dignité et la loyauté sont évidemment les premières et les plus belles<br />

qualités de tout véritable magistrat. » 327<br />

Le Père est en tout point parfait, aux dires du Commandant… qu’il soit religieux ne<br />

semble être un obstacle à la fonction. Le Gouverneur de la Côte Française des Somalis est très<br />

loin de partager cet avis. Il refuse cette alternative dans une correspondance (TO chiffré n° 139<br />

du 13 juin 1951) et propose à son tour un européen pouvant remplir ce rôle : le sergent major<br />

Sorin, adjoint du Commandant de Cercle. Le document n’a pas été retrouvé dans les documents<br />

consultés mais on n’arrive à le reconstituer en partie grâce à la réponse de Commandant de Cercle<br />

d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, deux jours plus tard 328 .<br />

Concernant le refus du choix du missionnaire il paraît déçu : « C’est sans doute en vertu<br />

de la laïcité républicaine que ma proposition n’a pu être retenue. Je ne puis que le déplorer, c’est<br />

tout ». Quant à la proposition du sergent major, il y est réticent pour plusieurs raisons. D’abord<br />

considérant qu’il est lui-même président du tribunal du second degré, il ne souhaite pas que son<br />

adjoint soit président du premier degré. « Cela peut exister dans certains endroits mais je<br />

considère, compte tenu de ce pays, de ses habitants et de ses coutumes qu’ici, cela ne doit pas<br />

être ». D’autre part, l’adjoint ne désire pas sa charge. « Ces fonctions l’inquiéteraient », car il<br />

craindrait que ses décisions n’aient pas de poids et l’autorité nécessaires. <strong>La</strong> troisième raison et<br />

sans doute celle qui pèse le plus dans la balance, est qu’il est déjà surchargé de travail. Il assume<br />

325<br />

Ibidem.<br />

326<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G4, lettre du commandant de Cercle au gouverneur, 3 janvier 1952, p. 2.<br />

327<br />

Idem, voir note n°2.<br />

328<br />

CAOM, CFS, ss série 6G, carton 6G4, réponse du comandant de cercle au Gouverneur, 15 juin 1951.<br />

75


76<br />

en effet plusieurs fonctions. Il est adjoint du lieutenant d’Escrienne en général et plus<br />

spécialement en ce qui concerne les questions « Milice », mais aussi agent spécial, dactylo,<br />

commissaire à l’immigration. « Comme tel, pour inspecter les passeports, trois nuits par semaine<br />

il doit être debout à trois heures du matin et trois autres nuits ne guère se coucher avant minuit. »<br />

Ce serait donc pour toutes ces raisons lui infliger un pensum qu’il ne mérite pas que de le<br />

nommer Président du Tribunal du 1 er degré… ». En guise de conclusion, il donne une ultime<br />

proposition : « Voila pourquoi j’ai l’honneur de vous demander, si vous ne voulez nommer<br />

personne d’autre que SORIN, de laisser plutôt ce poste sans titulaire jusqu’au retour de M.<br />

Muzotte, dans moins de quatre mois ». L’irritation de d’Escrienne est alors palpable. De plus, on<br />

imagine aisément l’état d’esprit de l’instituteur à son retour de vacances !<br />

Bref, à l’issu du développement de cet exemple insistons encore un peu sur les visions<br />

opposées d’une même administration, que l’on se trouve à Ali-<strong>Sabieh</strong> ou à Djibouti, concernant<br />

le rôle « administratif » que pourrait exercer le missionnaire. Lorsque le gouverneur voit une<br />

réelle impossibilité liée au sacro-saint principe de laïcité, le Commandant du Cercle voit lui, une<br />

intéressante opportunité de réduire la charge de travail de ses employés. Au-delà de l’homme de<br />

religion, il voit en le Père de la <strong>station</strong>, la personnalité capable de remplir la fonction au même<br />

titre que l’un de ses meilleurs fonctionnaires. <strong>La</strong> proximité (promiscuité ?) géographique et<br />

humaine y est bien sûr pour beaucoup.<br />

Malgré les anecdotes énoncées précédemment, il ne faut pas exagérer le rôle du<br />

missionnaire dans la vie administrative du village. Dans le premier cas, la présence du<br />

Commandant de cercle ou de son adjoint dans la commission laisse peu de doutes sur le rôle<br />

effectif des membres européen et autochtone; dans le second cas, le père n’est finalement pas<br />

choisi pour être président du tribunal de premier degré par intérim . Tout au plus, peut-on parler<br />

d’approbation par les missionnaires de la politique coloniale dans son ensemble et de celle des<br />

autorités locales en particulier. Par contre, ces anecdotes réaffirment la place particulière<br />

qu’occupent les missionnaires à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Nous avions déjà vu les services réciproques rendus<br />

entre certains membres de la population allogène et les missionnaires ainsi que le soutien dont ils<br />

sont bénéficiaires. Ils apparaissent ici, plus que jamais comme des hommes de confiance, même<br />

si, choisir le missionnaire pour effectuer ce type de tâche répond aussi, au nombre réduit<br />

d’européens sur place ou peu disposés à « s’encombrer » d’une responsabilité supplémentaire.<br />

Mais surtout, les « barrières » fréquemment évoquées, entre Etat et Eglise semblent<br />

complètement s’effondrer et les pratiques à Ali-<strong>Sabieh</strong> sont parfois à contre-courant des préceptes<br />

républicains. L’exemple le plus pertinent apparaît bien sûr lorsque le Gouverneur de la CFS<br />

refuse d’accepter le père en tant que président du tribunal de premier degré alors le Commandant<br />

de cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> considère clairement qu’il s’agit de la meilleure des solutions<br />

envisageables et préfère, en définitive laisser le poste vacant pendant quatre mois. Cette réalité<br />

affleure également lorsque, par exemple un Commandant de Cercle met à la disposition de la<br />

<strong>station</strong> quelques miliciens ou coolies affectés normalement à la surveillance du cercle ou à<br />

l’entretien des bâtiments administratifs et militaires. Le contexte très local contribue évidemment<br />

à cet état des choses.<br />

Il faut néanmoins y ajouter la politique des autorités coloniales concernant la religion et<br />

notamment l’ambiguïté dans le rôle attribué en général à la mission somalie. Quoiqu’en les<br />

autorités, en théorie, pleinement attachés à l’idéal républicain de laïcité, l’action sociale et la<br />

scolarisation ont toujours été presque exclusivement laissées aux mains des missionnaires en<br />

CFS. Dans le Journal Officiel de la Côte Française des Somalis, toutes les subventions attribuées<br />

aux religieux <strong>catholique</strong>s concernent presque exclusivement l’œuvre de scolarisation et les<br />

actions sociales. Ainsi, « sur le papier » tout est très clair. Mais les pistes se brouillent une fois<br />

que l’on s’intéresse aux soutiens des représentants de l’administration voire de l’armée, plus<br />

localement. Ces soutiens (ou les refus de soutenir d’ailleurs) sont-ils motivés par actions sociales<br />

que réalisent la mission et qui en partie, déchargent l’administration ou existent-ils d’autres<br />

motivations telles que les convictions religieuses ou convictions qui attribuent une place


77<br />

privilégiée à la religion <strong>catholique</strong> dans la colonisation; ou encore motivés par la sympathie, voire<br />

l’amitié qui se développe.<br />

Conclusion.<br />

Rappelons nous rapidement la distinction que faisait Jacques Revel entre une<br />

monographie et un travail qui découlerait d’une démarche micro-historique. Où situer ce présent<br />

mémoire dans ces questionnements ? Je crois que ce travail est avant tout une monographie au<br />

sens où l’entendait J. Revel, dans la mesure où l’objectif initial était bel et bien de comparer<br />

l’expérience des missionnaires d’Ali-<strong>Sabieh</strong> à celle de ceux restés à Djibouti et finalement de<br />

vérifier la « représentativité de [l’] échantillon par rapport à l’ensemble dans lequel il avait<br />

vocation à s’intégrer comme une pièce doit trouver sa place dans un puzzle » 329 . Il est vrai que<br />

malgré le changement de contexte, on a pu observer les mêmes réalités qu’à Djibouti : les<br />

problèmes financiers, une évangélisation qui demeure « molle », le secteur social indispensable<br />

pour la mission si elle veut se tailler une place en CFS ; mais aussi la même énergie dispensée au<br />

quotidien pour que se maintienne, dans la colonie, la religion <strong>catholique</strong>. Après la Seconde<br />

Guerre mondiale, on a donc l’impression d’une Eglise particulièrement rigide dans ses structures,<br />

malgré la particularité de sa situation et qui a pour principale activité l’accompagnement spirituel<br />

des expatriés. Cette impression est d’ailleurs renforcée à Ali-<strong>Sabieh</strong> qui est un petit espace à la<br />

marge auquel on applique les mêmes méthodes qu’en ville. C’est sans doute ce que décrivait le<br />

père Gangloff, lorsqu’il parlait d’une « conception Hoffmann » ; « mentalité qui se résume dans<br />

la construction d’infrastructures » 330 , moins proche de la population musulmane.<br />

Hormis la confirmation, à un niveau plus local d’un certain nombre de caractéristiques<br />

propres à la mission Somalie, que nous a appris la réduction d’échelle ? Partir de la « base »<br />

permet de proposer un nouvel éclairage sur certaines questions. Par exemple, on a pu voir<br />

apparaître plus clairement les relations existant entre les missionnaires et les populations<br />

autochtone et surtout allogène européenne ; notamment les relations avec les représentants des<br />

autorités coloniales (administrative et militaire) à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Olivier Jouanneau, a abordé cette<br />

question, dans le chapitre 4 de son mémoire 331 , L’Eglise <strong>catholique</strong> djiboutienne et le pouvoir<br />

colonial : une union de raison ou une union idéologique ? Il insiste sur les contacts du préfet<br />

apostolique avec les plus hautes sphères de l’Etat français, en particulier avec le général De<br />

Gaulle ainsi que son rôle d’importance sur la scène publique djiboutienne. Il est vrai que Mgr<br />

Hoffmann est à l’origine des stratégies de la mission et que son rôle est absolument fondamental.<br />

Mais on ne peut limiter les relations entre Eglise et autorités coloniales aux seuls rapports entre<br />

cet évêque et le pouvoir de la CFS voire le pouvoir métropolitain. De la base, on perçoit d’abord<br />

la fragilité de la mission qui s’appuie autant que possible sur les autorités ; sans ces soutiens,<br />

l’élaboration de ses projets au quotidien est rendue plus difficile. En général, à Ali-<strong>Sabieh</strong>, les<br />

missionnaires souffrent finalement assez peu de ces freins. On observe aussi une interdépendance<br />

des uns et des autres—par idéologie, peut-être mais surtout parce que la solidarité entre les<br />

329 Voir p.6.<br />

330 Ce missionnaire, Aubert Gangloff a passé presque toute sa vie religieuse à Djibouti à partir de 1962 jusqu’au<br />

début des années 2000. Olivier Jouanneau a pu l’interroger sur cet apostolat, le 27 août 2004 et reprend dans son<br />

mémoire, certaines de ses déclarations.<br />

Des dissonances apparaissent, selon le père, au sein même de la mission Somalie. Un groupe de missionnaires<br />

dénoncent les méthodes de l’évêque. Tandis que Mgr Hoffmann voulait incarner par ses diverses constructions, le<br />

triomphalisme de l’Eglise <strong>catholique</strong>, cette dernière serait toujours restée étrangère à la population musulmane. Elle<br />

serait ainsi passée à côté « de l’essentiel ».<br />

331 Ibidem, chapitre 4, p.133-159.


78<br />

membres de la population européenne semble primer. Finalement, c’est sans doute le<br />

pragmatisme qui prédomine, avant toute autre conception.


Tables des annexes<br />

Annexe 1 : Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong> : Cette chronique<br />

à l’origine manuscrite (rédigée par les pères successifs de la<br />

<strong>station</strong>) a été retranscrite sur support informatique par le capucin<br />

Frère Michel Bourgeois durant son apostolat dans les années<br />

1990.<br />

Annexe 2 : extrait du rapport trimestriel pour le 2 e trimestre<br />

1950, rédigé par le Lieutenant KREHER, commandant de cercle<br />

d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 20 juillet 1950. (CAOM, CFS, sous-série 6G, carton<br />

6G7)<br />

Annexe 3 : Etat actuel de la Mission Somalie, extrait de la revue<br />

missionnaire « Grands <strong>La</strong>cs », numéro spécial Djibouti, 15 mai<br />

1947.<br />

Annexe 4 : Extrait de la revue missionnaire « Vivante Afrique »,<br />

n°250, mai-juin 1967, p.40-41 : Ali <strong>Sabieh</strong> : l’évangile au milieu<br />

des pauvres.<br />

Annexe 5 : Photographies en noir et blanc illustrant l’état actuel<br />

de la Mission Somalie, extrait de la revue missionnaire « Grands<br />

<strong>La</strong>cs », numéro spécial Djibouti, 15 mai 1947.<br />

Annexe 6 : Photographies en couleur de la mission d’Ali <strong>Sabieh</strong><br />

en 2000 (collection privée de C. Dubois).<br />

79


80<br />

Annexe 1<br />

CHRONIQUE<br />

DE LA<br />

STATION D’ALI-SABIEH<br />

1947–1959


Mission <strong>catholique</strong> de Djibouti<br />

CHRONIQUE<br />

DE LA STATION D’ALI-SABIEH<br />

<strong>La</strong>us Deo et Mariae<br />

Anno Domini 1947<br />

1938-1939 <strong>La</strong> <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong> a été construite en 1938-39 sous la direction et par les<br />

soins des PP. René et Edmond, capucins de la Province de Toulouse. Elle comprend une<br />

chapelle pouvant contenir 100-150 personnes, une maison d’habitation pour les Pères<br />

(baraque), une autre pour les Sœurs, un orphelinat c.à.d. une salle pour y coucher<br />

environ 25 enfants, une école, un garage-atelier.<br />

Pendant la guerre 1939-44 la <strong>station</strong> était occupée par 2-3 religieux et 2 religieuses<br />

franciscaines de Calais. Ces dernières dirigeaient un orphelinat. <strong>La</strong> mission avait gagné<br />

la sympathie des indigènes, surtout des bédouins. <strong>La</strong> <strong>station</strong> fut pratiquement<br />

abandonnée dès 1944. Par intervalle il y avait encore un Père jusqu’au départ du Père<br />

Fortunat en juin 1946. Pendant le temps qu’elle était abandonnée, elle fut gardée par la<br />

compagnie de Sénégalais, pour éviter le pillage. Mais la garde n’a pas pu éviter tout vol :<br />

Le capitaine des Sénégalais fit également entretenir les bâtiments, il fit faire des<br />

réparations à la chapelle et à la maison d’habitation des Sœurs.<br />

En 1945 la S. Congrégation de la Propagande confia la préfecture apostolique de<br />

Djibouti à la Province de Strasbourg. <strong>La</strong> S. Congrégation nomma le R.P. Bernardin<br />

Hoffmann préfet apostolique.<br />

Réoccupation de la <strong>station</strong><br />

1946 – Strasbourg —<br />

Le R.P. Anselme Naab vint de Madagascar à Djibouti au mois de mars 1946. Mgr<br />

Bernardin Hoffmann le rejoignit au mois de juin, avec le R.P. Prospère, qui devait<br />

mourir à Djibouti quelques semaines après son arrivée. Tous les 3 missionnaires<br />

nommés ci-dessus venaient de Madagascar. <strong>La</strong> Mission reçut du renfort de France en<br />

octobre : les RR.PP. Silvère et Jean-Baptiste. Après leur arrivée, Monseigneur décida<br />

d’occuper Ali-<strong>Sabieh</strong> le plus tôt possible. Comme missionnaire fut désigné le P.<br />

Silvère. Il partait de Djibouti pour Ali-<strong>Sabieh</strong> le 27 décembre 1946. Avec lui montaient<br />

20 enfants de l’orphelinat. Le colonel <strong>La</strong>croix avait bien voulu mettre à la disposition de<br />

la mission un camion pour transporter le matériel. Monseigneur montait avec le camion,<br />

le Père et les enfants avec le train. Pour les travaux d’aménagement on avait également<br />

fait monter le menuisier Abdo, qui travaille à la mission de Djibouti.<br />

On trouva encore les bâtiments en bon état, et un matériel assez abondant : outils,<br />

meubles, vaisselles, mais tout était dans le plus grand désordre. Le premier soin des<br />

nouveaux arrivés était de loger les enfants. A cette fin on débarrassa l’orphelinat des<br />

Sœurs et on y installa les Brandts apportés de Djibouti. Monseigneur et le P. Silvère<br />

s’installèrent dans la maison des Sœurs.<br />

Un autre soin non moins important était le ravitaillement en eau. Il existait encore<br />

une pompe à l'oued au nord-ouest de la maison des Soeurs. <strong>La</strong> conduite qui amenait l'eau<br />

81


82<br />

de la pompe jusqu’à la maison était coupée. C’est par hasard que nous l’avons retrouvée,<br />

mais en creusant, on a coincé avec la pioche le tuyau de plomb, à plusieurs endroits.<br />

Après trois jours de travail, nous sommes quand même arrivés à remettre la pompe et la<br />

conduite en état ; mais la conduite reste défectueuse et l’eau ne parvient que lentement<br />

jusqu’auprès de la maison.<br />

Il paraît que l’eau de l’oued à l’ouest de la maison n’est pas bonne. Les Sœurs<br />

avaient quelques décès d’enfants par suite de dysenterie. C’est pourquoi Monseigneur fit<br />

commencer un puits dans l’oued à l’est de la mission. On a creusé un puits à la hauteur<br />

de l’église ; nous sommes descendus jusqu’à 6,50 m. sans trouver de l’eau. Pour que le<br />

travail ne soit pas en vain, on y a installé les cabinets des enfants.<br />

Le marabout du village nous montra l’emplacement où les PP. Avaient déjà creusé<br />

un puits dans l’oued à l’est. C’est à hauteur du garage. Ce puits avait été fermé par le<br />

courant de l’oued. C’est là donc qu’on commença à rouvrir le puits, actuellement encore<br />

en construction.<br />

Le 3 et 4 janvier, Monseigneur, le P. Silvère et le menuisier Abdo installèrent<br />

l’école dans la maison en bois autrefois habitée par les Pères. De la maison qui avait 3<br />

pièces, nous avons sorti les cloisons pour n’en faire qu’une salle. Comme elle était<br />

encore trop petite, nous avons reculé le mur arrière de la largeur de la véranda, (1,60 m.).<br />

On a pu commencer les classes lundi le 6 janvier. Les enfants ont classe tous les<br />

jours, excepté le dimanche de 7 h.½ -11 h.½. Au programme figure le catéchisme en<br />

attendant 1 heure tous les jours. Comme les enfants sont presque tous des nouveaux et<br />

non baptisés à l’exception de 4. L’après-midi est réservé au travail manuel et aux devoirs<br />

jusqu’à 17 heures.<br />

Le 7 janvier 1947 — Monseigneur apprend la triste nouvelle du décès de sa mère, décédée<br />

subitement le 1 er janvier 1947.<br />

Quand le gros des travaux d’installation, pendant lesquels Monseigneur s’est bien<br />

dépensé, était fini ; Mgr retourna à Djibouti le 9 janvier. Il dit la messe à 3 h. du matin<br />

pour pouvoir prendre le train à 4 heures. Mais après avoir attendu à la gare de 4 h. à 6 h.<br />

on nous dit que le train ne viendrait qu’après 10 h. En effet Mgr ne pouvait partir qu’à<br />

10 h.½.<br />

11 Comme d’ailleurs dans la suite tous les samedis, les enfants vont, l’après-midi, à<br />

l’oued du camp II pour laver leur linge et se baigner. L’enfant Ahmed Farah, laissé à la<br />

maison, parce qu’il avait mal au pied, s’évade et prend le train pour Djibouti.<br />

Le chemin de fer abyssin commence la grève. Le train ne monte plus que jusqu’à<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong> le matin et retourne à Djibouti l’après-midi, trois fois par semaine.<br />

20 Le R.P. Jean-Baptiste vient en visite avec un aumônier militaire, Joseph Gastellier,<br />

prêtre de la Réunion. Il amène 5 enfants pour l’orphelinat et le ravitaillement pour le<br />

mois de février. R.P. Jean Baptiste retourne à Djibouti dans l’après-midi. L’aumônier<br />

reste jusqu’au 24 janvier. Il vient d’Indochine et attend un bateau pour rentrer à la<br />

Réunion.<br />

21 janvier Nous faisons faire le pain à la C ie de Sénégalais. Jusqu’à présent nous avons reçu<br />

le pain de Djibouti 2 fois par semaine. Maintenant nous recevons la farine et les<br />

militaires nous font le pain. C’est aussi la C ie qui nous ravitaille en légumes. <strong>La</strong> viande<br />

est livrée par un boucher du village.<br />

Des jeunes gens du village viennent demander l’école du soir. Je leur promets 2-3<br />

heures par semaine. Au début ils viennent assez nombreux : 6-8 ; parmi ceux qui<br />

viennent est aussi le marabout Elmi Afasé, qui d’ailleurs vient souvent à la Mission.<br />

23 janvier Visite à M. Heurz, instituteur. Il perche sur le piton, où se tient l’école. Une<br />

quarantaine de garçons du village fréquentent l’école plus ou moins régulièrement. Pour<br />

attirer un grand nombre d’enfants on leur donne le repas de midi. Ils ont classe le matin


tous les jours excepté mardi et vendredi. Il n’ont donc pas congé le dimanche.<br />

24 janvier L’aumônier Jos. Gastellier retourne à Djibouti par un camion militaire.<br />

29 janvier Abdi, le boy de Djibouti apporte du ravitaillement et amène un boy Dahir Ibrahim,<br />

le père de 2 enfants de l’orphelinat.<br />

1 er février : Les coolies commencent à préparer des pierres pour construire une nouvelle maison.<br />

6 coolies et 1 caporal (contremaître) travaillent à 35 fr. par jour ; le caporal a 70 fr. Le<br />

lieutenant Jean Morère C dt le poste administratif d’Ali-<strong>Sabieh</strong> a promis d’amener les<br />

pierres avec sa camionnette.<br />

7 février Le gouverneur M. Siriese vient à Ali-<strong>Sabieh</strong> pour reconnaître les possibilités<br />

d’installation d’un centre d’estivage. Tout le village, la C ie de Sénégalais, l’école sont<br />

rassemblés devant le cercle pour la réception. Le chef du village Analé est en grande<br />

tenue. Le Père de la Mission est également présent. Le résultat de la visite est qu’il n’y<br />

aura pas de <strong>station</strong> d’estivage. Les frais d’installation seraient trop élevés.<br />

18 février Mardi gras. Grande promenade avec les enfants, chasse à la gazelle sans succès.<br />

Le soir l’enfant Hersi s’enfuit.<br />

19 février R.P. Jean Baptiste vient jusqu’à samedi.<br />

5 mars R.P. Anselme vient avec 2 enfants pour l’orphelinat : Christian et Elmi Habané.<br />

12 mars Le chemin de fer qui avait fait la grève monte de nouveau en Abyssinie<br />

5 avril Samedi-Saint. <strong>La</strong> semaine nous avons fait les cérémonies liturgiques, aussi bien<br />

que possible. Aux offices il n’y avait d’assistants que nos enfants et le vendredi-saint,<br />

quelques Sénégalais. Le Samedi saint eut lieu le baptême d’un Sénégalais, le premier<br />

baptême depuis la réouverture de la <strong>station</strong>.<br />

6 avril Pâques – Nombre record d’assistants à la messe : 9 Européens et 11 Sénégalais.<br />

11 avril Dans la nuit du 10-11, la C ie de Sénégalais part à destination de Madagascar, où<br />

des émeutes indigènes nécessitent un renfort de troupes. <strong>La</strong> C ie est remplacée par une<br />

section de Sénégalais venant de Dikhil.<br />

16 avril Un Somali du village fait le camionnage des pierres nécessaires à la construction.<br />

Il veut 80 fr. pour un transport d’à peu près ½ m 3 .<br />

17 avril Le R.P. Edmond, capucin missionnaire à Aden, qui était autrefois à Ali-<strong>Sabieh</strong>, est<br />

de passage chez nous avec un officier anglais.<br />

20 avril Mgr Bernardin Hoffmann vient avec un camion militaire, il amène 10 sacs de<br />

ciment, des tôles et chevrons de la maison de Djibouti. Il amène 3 nouveaux enfants<br />

pour l’orphelinat : les 3 frères Issa.<br />

26 avril Monseigneur part à Dikhil d’où il ramène quelques palmiers que nous plantons à<br />

côté du jardin.<br />

27 avril Monseigneur confirme en notre chapelle Pierre Abdi.<br />

30 avril On creuse les fondements de la nouvelle maison, orphelinat des garçons. Après<br />

longues réflexions et discussions nous avons fixé l’emplacement de la maison au nordouest<br />

de l’école (ouest de l’église). Ce qui nous fit décider à choisir cet emplacement est<br />

la question de l’eau. Primitivement, nous avions songé à construire au sud-est de l’église<br />

à côté de l’oued et du puits qu’on avait fait creuser. Mais le puits avait tellement peu<br />

d’eau et en plus très magnésienne, qu’il ne répondait pas au besoin de la Mission. Nous<br />

avons donc rapproché la nouvelle maison de l’oued du village pour être plus près de<br />

l’eau.<br />

1 er mai Monseigneur pose la première pierre du nouvel orphelinat, le matin après la messe.<br />

Dans l’après-midi il retourne à Djibouti.<br />

A la construction travaillent en attendant un maçon somali du village : Allalé et 2<br />

coolies, 2 autres coolies préparent des pierres dans la montagne. Les pierres viennent des<br />

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84<br />

montagnes au nord de la résidence du C dt de Cercle.<br />

12 mai Monseigneur amène la vieille Ford et la cloche pour l’église. On a considéré cela<br />

comme un exploit de se hasarder avec le vieux clou sur les routes de la brousse somalie.<br />

Mais Mgr avait pris ses précautions et S. Christophe a donné sa protection en sorte que<br />

la voiture et ses occupants et son chargement sont très bien arrivés en un temps record.<br />

L’auto est destinée à rendre de grands services à la <strong>station</strong> : pour chercher l’eau potable<br />

au camp II et à la rigueur même cailloux et sable pour la construction. Plaise à Dieu<br />

qu’elle ait encore longue vie.<br />

18 mai Le lieutenant Jean Morère, chef de poste administratif d’Ali-<strong>Sabieh</strong> a fini son<br />

séjour et part en France. Il est remplacé par le lieutenant Frisson-Roche, bon <strong>catholique</strong>,<br />

marié, père d’un enfant.<br />

Ce jour, fr. Antoine arrive à Djibouti sur le Joffre.<br />

10 juin Fr. Antoine missionnaire capucin et le P. Jean-Baptiste viennent par camion<br />

militaire. Le fr. Antoine est affecté à la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il est chargé de l’école de<br />

l’orphelinat. Il a déjà donné des preuves de son talent de maître d’école et d’éducateur<br />

aux Comores et à Madagascar où il avait séjourné pendant 12 ans. Nous exprimons nos<br />

vœux que son travail infatigable porte d’abondants fruits parmi les jeunes Somalis.<br />

Pendant son court séjour en France il n’a pas perdu son temps : une preuve en est le<br />

matériel considérable qu’il a amené pour la <strong>station</strong> et plus encore pour la Préfecture.<br />

Dans ses caisses figurait à peu près de tout ce que le missionnaire a besoin : effets<br />

scolaires, habillement, outillage, vaisselle, jeux, cinéma, etc.…<br />

15 juin Baptême de la cloche après la S. messe. A la cérémonie présidait le supérieur de la<br />

Station. Ont bien voulu accepter d’être parrain et marraine Monsieur et Madame Frison-<br />

Roche.<br />

<strong>La</strong> cloche qui vient de la fonderie Causard de Colmar pèse 60 kg. Elle porte en<br />

haut relief l’image de St François et l’écusson de l’Ordre de S. François avec<br />

l’inscription : “Deus meus et omnia”.<br />

Anno Domini 1947 die 15 juin fuit benedicta in nostra ecclesia Ali-<strong>Sabieh</strong>,<br />

campana S. Francisci. Sacerdos benedicens fuit P. Silverius superior. Patrinus :<br />

Raymond Frisson-Roche ; Matrina Mme Frisson-Roche qui hic infra subscripserunt.<br />

Signé – Sacerdos : P. Silvère<br />

Patrinus :<br />

Matrina : F. Frison-Roche<br />

A cette occasion, pour marquer sa parraineté, le lieutenant a fait don d’un beau<br />

mouton pour le repas de midi.<br />

<strong>La</strong> cloche fut montée dans le clocher le 3 juillet ; mas hélas ! peu nombreux seront<br />

les fidèles qui répondront à son appel aux offices. Néanmoins chantera-t-elle 3 fois par<br />

jour la gloire du Seigneur et de sa très sainte Mère.<br />

7 juillet Les ouvriers mettent une petite couche de terre sur le toit, pour tempérer la chaleur<br />

à l’intérieur de la maison ; c’est un essai. Attendons la pluie, le toit sera-t-il assez<br />

résistant ? et l’eau s’écoulera-t-elle assez vite ?<br />

14 juillet Fête populaire : concours de tir ; distribution de riz et sucre aux pauvres ;<br />

l’orphelinat en profite aussi. Après-midi au camp I : diverses compétitions pour adultes<br />

et enfants ; match de football : Dikhil–Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

31 juillet Monseigneur arrive par le train du soir, pour faire ses adieux avant de partir en<br />

France.<br />

6 août Au soir il se met à pleuvoir en même temps arrive un cyclone ou plutôt une<br />

violente bourrasque qui cause beaucoup de dégâts. Au camp militaire elle renverse une<br />

baraque des tirailleurs et cause plusieurs blessés. Quelques toits sont emportés, mais la


85<br />

mission s’en sort sans beaucoup de mal.<br />

7 août Monseigneur retourne à Djibouti par le train du matin ; il emmène un enfant<br />

Ibrahim Issa, tuberculeux : (mort en 1948).<br />

14 août Monseigneur prend l’avion pour rentrer en France.<br />

24 août Nous fêtons la St Louis, patron de la Station. Les enfants chantent pour la première<br />

fois la messe “de angelis” que le fr. Antoine leur a apprise avec beaucoup de peine. Pour<br />

une première exécution par des enfants qui n’avaient jamais chanté et pour ainsi dire<br />

jamais entendu auparavant du chant grégorien c’était un succès.<br />

5 septembre Deux maçons arabes viennent de Djibouti pour travailler à la construction de<br />

l’orphelinat. Le maçon somali Oualé était incapable de bâtir une si grande maison ; mais<br />

il reste pour aider ; il pourra apprendre auprès des Arabes.<br />

18 sept. Je vais à Dikhil pour dire la messe et permettre aux Européens qui y sont, de<br />

recevoir les s. sacrements.<br />

20 sept. Un maçon arabe retourne à Djibouti, rappelé par le R.P. Anselme à leur<br />

construction.<br />

10 octobre <strong>La</strong> camionnette est immobilisée, parce qu’un goujon fileté de la roue arrière s’est<br />

cassé.<br />

28 oct. <strong>La</strong> mission d’abornement des frontières franco-éthiopienne arrive à Ali-<strong>Sabieh</strong><br />

pour continuer ses travaux. Cette mission est commandée du côté français par M.<br />

Pretceille, du côté éthiopien par Ato Bébé. Parallèlement à la mission d’abornement<br />

travaille le service géographique sous les ordres du C dt Chavat, pour faire une carte plus<br />

exacte de la C.F.S.. Tous <strong>station</strong>nent au camp II sous les tentes.<br />

10 novembre – R.P. Jean-Baptiste nous apporte le ravitaillement.<br />

11 nov. Fr. Antoine part avec le P. Jean-Baptiste à Djibouti.<br />

25 nov. Comme M. Pretceille va à Djibouti en auto, je profite de l’occasion pour l’y<br />

accompagner.<br />

26 nov. Forte pluie dans toute la région.<br />

1 er décembre – Service religieux pour le Général Leclerc, mort en accident d’avion. Ont assisté à<br />

ce service : les autorités militaires, M. Pretceille et M. Faure diplomate à la mission<br />

d’abornement.<br />

17 M. Dauriac, mécanicien à la mission d’abornement, bon chrétien, pratiquant<br />

convaincu et très brave nous prêtre un camion pour chercher des pierres de construction.<br />

Il nous rend par là de très grands services, non seulement parce qu’il le fait gratuitement<br />

mais encore parce qu’on ne trouve en ce moment aucun autre moyen de transport.<br />

24 déc. Messe de Minuit : les enfants chantent la messe et les cantiques de Noël. Presque<br />

tous les Européens y assistent. Avant la messe de minuit, j’ai baptisé un Sénégalais.<br />

Anno Domini 1948<br />

Confiant en la divine Providence nous commençons cette nouvelle année. Si Dieu<br />

ne nous accorde pas le succès, qu’il veuille bien nous donner ses grâces afin de toujours<br />

accomplir sa sainte volonté pour le plus grand bien des âmes.<br />

Pendant ce mois de janvier il n’y avait rien de spécial à signaler. Les maçons ont<br />

terminé les 4 murs de l’orphelinat, nous ne pouvons pas poser le toit faute de bois de<br />

charpente et de tôles. Les maçons commencent le réservoir à la pompe (château<br />

d’eau ? !)<br />

2 février J’achète à Djibouti les tôles pour le toit de l’orphelinat ; je n’ai pas pu trouver du bois.


86<br />

1 er mars Le capitaine Marie et les lieutenants Ferry et Guinot arrivent à Ali-<strong>Sabieh</strong> avec un<br />

renfort de tirailleurs. Il y a de nouveau une compagnie complète ici. Pendant longtemps<br />

il n’y avait plus qu’une section. Comme les officiers et plusieurs sous-officiers sont<br />

mariés nous aurons sous peu plusieurs ménages européens à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

6 mars Le réservoir à eau à la pompe est terminé. Je renvoie le maçon arabe. J’attends une<br />

pompe à moteur type Bernard20 mars J’achète à Djibouti le bois de<br />

charpente : les grands madriers ; je n’ai pas encore pu trouver des chevrons. Avec le bois<br />

j’amène la pompe à moteur que le R.P. Anselme a fait venir d’Asmara ; elle est déjà<br />

usagée.<br />

3 avril Je vais à Dikhil et à As-Ela pour permettre aux fidèles de faire leurs Pâques. Je<br />

rentre le 4 avril au soir. Le frère Antoine part pour quelques jours en Éthiopie.<br />

24 avril Monseigneur Bernardin Hoffmann revient de France sur l’aviso Savorgnan de<br />

Grazza. Il a amené du renfort en la personne du RP. Jean-Berchmans, futur directeur de<br />

l’école de la Mission à Djibouti. Le supérieur d’Ali-<strong>Sabieh</strong> était présent à Djibouti pour<br />

la réception de Monseigneur.<br />

15 mai Arrivage de chevrons pour le toit de l’orphelinat.<br />

16 mai Pentecôte : M. et Mme Sahadjian et M. Blanchet passent 2 jours à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Ils<br />

ont demandé et reçu accueil à la Mission. Ils se sont installés dans la maison en bois.<br />

18 mai Nous commençons à couvrir l’orphelinat.<br />

16 juin Le R.P. Jean-Baptiste apporte du matériel fenêtres et portes, et ciment pour le<br />

parterre. Le P. Jean Baptiste commence à poser les fenêtres et les portes. Nous avons<br />

reçu les vieilles portes et fenêtres de la maison qui a été démolie à Djibouti pour faire<br />

place à l’école. Le bon Père se dépense du matin au soir pour adapter le vieux au<br />

nouveau.<br />

28 juin Le R.P. Jean-Baptiste retourne à Djibouti.<br />

8 juillet Pluie assez importante.<br />

10 juillet R.P. Jean-Baptiste nous apporte un frigidaire que Mgr a bien voulu acheter pour la<br />

<strong>station</strong>. Lieutenant Frison-Roche, chef du poste administratif est rapatrié. Il nous a rendu<br />

bien des services dans la mesure de ses possibilités.<br />

11 juillet 2 enfants de l’orphelinat s’enfuient, ce ne sont pas les premiers, mais cette fuite<br />

marque le commencement d’une crise dans l’orphelinat.<br />

13 juillet Le parterre cimenté de l’orphelinat est terminé. <strong>La</strong> chambre du fr. Antoine dans<br />

l’orphelinat est arrangée.<br />

14 juillet Fête nationale. A la cérémonie sur la place près de la gare, les enfants chantent la<br />

marche lorraine avec beaucoup de brio et succès.<br />

15 juillet Grand remue ménage. Toute la Mission déménage. Les enfants rentrent dans le<br />

nouvel orphelinat. Le fr. Antoine s’installe dans la chambre aménagée à une extrémité<br />

de l’orphelinat. Le Père prend une chambre de la maison en bois. L’autre pièce sert de<br />

réfectoire. Le déménagement a été précipité. Mgr nous avait écrit d’évacuer les maisons<br />

des Sœurs, parce que les Sœurs de Djibouti avaient l’intention de venir en vacances à<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

23 juillet Monseigneur vient nous rendre visite. A Djibouti plusieurs parents de nos enfants<br />

se sont plaint de l’orphelinat d’Ali-<strong>Sabieh</strong> au sujet de la nourriture, du traitement et que<br />

sais-je. Mgr veut se rendre compte sur place de ce qu’il en est.<br />

Beaucoup d’enfants sont mécontents et ne veulent plus rester à l’orphelinat. Mais le<br />

motif qu’ils évoquent : la nourriture, n’est qu’un prétexte. C’est plutôt le travail, le<br />

manque de liberté et surtout la religion qui les décident à partir. Ils tiennent à l’Islam et<br />

quelqu’un a dû leur monter la tête.


87<br />

28 juillet : Monseigneur retourne à Djibouti.<br />

7 août : Je pars à Diré-Daoua et à Harar pour 15 jours de vacances. Le R.P. Jean-Baptiste<br />

me remplace à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

23 août : Je rentre de Harar, et le soir même le fr. Antoine y monte pour une quinzaine de<br />

jours. Pendant mon absence, plusieurs enfants se sont enfuis. Quelques-uns d’entre eux<br />

voulaient rentrer à l’orphelinat de Djibouti, mais aucun n’y a été reçu. Le départ de<br />

certains d’entre eux est un bien pour l’orphelinat parce qu’ils avaient une mauvaise<br />

influence sur les autres ; en leur disant de ne pas se faire <strong>catholique</strong>s.<br />

4 octobre : Je commence la construction de la cuisine derrière le garage.<br />

11 octobre : R.P. Anselme essaye la pompe à moteur et je commence à l’installer.<br />

1 er novembre – Monseigneur accompagné du R.P. Denys et du T.H.F. Erhard viennent en<br />

camion.<br />

2 nov. Monseigneur emmène le fr. Antoine et quelques enfants à Dikhil. Le soir-même il<br />

retourne à Djibouti. Le fr. Erhard reste ici pour aider à quelques travaux à la maison des<br />

Sœurs.<br />

Comme le toit de la maison des Sœurs n’était pas étanche, nous voulions y<br />

remédier, en lui donnant une plus forte pente. Nous l’avons donc levé à l’arrière (partie<br />

haute) d’environ 30 cm. Le maçon André a reblanchi la maison à l’intérieur et à<br />

l’extérieur et repeint les volets et portes.<br />

20 nov. Fr. Erhard après nous avoir rendu ses services retourne à Djibouti.<br />

8 décembre Le fr. Antoine fait sa retraite annuelle à Diré-Daoua.<br />

28-31 déc. Je fais ma retraite à Djibouti ; elle fut prêchée par Mgr Bernardin Hoffmann. Nous<br />

n’aurions donc pas pu terminer cette année d’une meilleure manière que par ces jours de<br />

méditation et de prières.<br />

L’année 1948 était une année de sécheresse : le manque d’eau était un souci continuel.<br />

L’eau de notre puits était insuffisante, bien que j’ai approfondi le puits au mois de<br />

Juillet.<br />

Anno Domini 1949<br />

Le jour de l’an, Monseigneur vient avec moi à Ali-<strong>Sabieh</strong> pour pouvoir y travailler<br />

sans être dérangé.<br />

10 janvier Nous recevons la nouvelle que les Sœurs destinées à Ali-<strong>Sabieh</strong> doivent arriver<br />

bientôt de France. Ce même jour des maçons de Djibouti viennent pour réparer<br />

l’orphelinat des Sœurs. Un mûr s’était presque entièrement écroulé. Ils apportent des<br />

vieilles tôles et de la ferraille pour faire une clôture provisoire entre les habitations des<br />

Pères et des Sœurs. Le R.P. Anselme vient avec les ouvriers.<br />

11 janvier M. le Gouverneur de Djibouti M. Siriese, le chef du Cabinet M. Chambordon et le<br />

chargé d’affaires somalies viennent en tournée chez les Issas. Toute la population<br />

européenne et indigène reçoit le gouverneur devant la résidence. Les 2 écoles, celle du<br />

village et celle de la Mission l’accueillent chacune avec une chanson. Ensuite le<br />

gouverneur visite le village, l’école au Piton et la Mission où il s’intéresse surtout à<br />

l’orphelinat. Dans la soirée le gouverneur et sa suite gagnent un campement dans la<br />

brousse à Nakhal où les Issas se sont réunis. Il passe la nuit sous la tente et ne rentre que<br />

le 12 dans l’après-midi. Cette visite de M. le gouverneur avait pour but d’apaiser les<br />

Issas mécontents de l’élection d’un Gadaboursi.<br />

Le chef du poste administratif d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, le capitaine Marie est muté à Dikhil.<br />

Il est remplacé par le L t Krehaer, homme sympathique et serviable.


88<br />

3 février Jojo, Joseph … somali chrétien vient demander accueil pour pouvoir se corriger de<br />

son vice d’alcoolisme. Nous le recevons, il fait le peintre, le cuisinier, dactylo…<br />

Jojo est parti sans avertir personne le 8 mars.<br />

10 février Les maçons arabes retournent à Djibouti. Pendant le mois qu’ils ont travaillé ici,<br />

ils ont refait l’orphelinat des Sœurs, cimenté la véranda de la maison des Sœurs,<br />

construit le lavoir et les W.C. pour les orphelines, monté la clôture provisoire. <strong>La</strong> maison des<br />

Sœurs a été blanchie à l’intérieur et à l’extérieur, l’orphelinat blanchi à l’intérieur et<br />

crépi à l’extérieur. <strong>La</strong> conduite d’eau du réservoir au lavoir a été installée. Les<br />

dépendances des Sœurs avaient été faites déjà en septembre 1948.<br />

11 mars Je commence à refaire l’église ; crépis et blanchissage intérieur.<br />

5 avril Le colonel C dt supérieur de la C.F.S. en inspection à Ali-<strong>Sabieh</strong> nous honore de sa<br />

visite.<br />

12 avril Monseigneur m’envoie à Djidjiga pour voir l’état de la Mission et les possibilités<br />

de prendre et réinstaller cette Mission. Pendant mon absence le R.P. Jean-Baptiste me<br />

remplace à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Je rentre de Djidjiga le 25.<br />

Pour le mois de mai nous plaçons la statue de la très sainte Vierge dans le chœur<br />

face à la nef. Jusqu’à présent elle était placée dans la fenêtre à côté de la table sainte.<br />

Dorénavant on va la laisser dans le chœur.<br />

25 mai Fête de l’Ascension : 2 enfants de l’orphelinat Albert Louis et Christian font leur<br />

première communion privée ainsi qu’une fille européenne. Après la messe je me rends à<br />

Dikhil pour dire la messe là-bas.<br />

M. Mme Bour et Mme Schaeffer et ses 2 enfants viennent à Ali-<strong>Sabieh</strong> pour<br />

prendre quelques jours de repos. Elles s’installent dans la maison des Sœurs qui est<br />

encore inhabitée.<br />

5 juin Pentecôte. Dans l’après-midi vers 15 heures une tornade passe sur la mission et<br />

emporte la moitié du toit de l’orphelinat. Une partie des tôles s’envolent jusqu’au village<br />

et disparaissent aussitôt dans les maisons. Le lieutenant Krehaer Cdt le cercle nous<br />

promet de nous donner ce qu’il nous faut comme bois et tôles pour réparer les dégâts. Ni<br />

morts ni blessés, heureusement. Pluie insignifiante.<br />

Dans la soirée, Monseigneur, le R.P. Anselme et M. Schaeffer viennent de<br />

Djibouti en camion. Mgr peut tout de suite se rendre compte des dégâts causés par la<br />

tornade. Ils ont amené de la ferraille devant servir à clôturer le terrain de la mission.<br />

6 juin Le camion retourne à Djibouti et emmène notre vieille Ford pour réparation au<br />

garage. Au mois de mars, la pompe à eau s’était cassée et depuis lors la voiture était<br />

immobilisée. Pendant ce temps, le lieutenant C dt le cercle nous a fait faire la corvée<br />

d’eau, tous les 2 jours 2 fûts de 200 l.<br />

13 juin Nous avons refait le toit de l’orphelinat, le lieutenant nous a donné les tôles et le<br />

bois qui manquaient pour la réparation.<br />

16 juin Fête-Dieu : à 21 h. une secousse sismique très sensible, 5-6 secondes, est ressentie.<br />

Pas de dégâts.<br />

17 juin Une nouvelle secousse, moins forte qu’hier.<br />

21 Je pars avec le docteur Colobert qui fait sa tournée médicale, pour faire la mienne.<br />

Je peux visiter tous les postes : Dikhil, Aseila, Afambo, Yoboki.<br />

3 juillet Monseigneur et M. Schaeffer ramène la Ford réparée.<br />

4 juillet Le colonel C dt sup. Penacchiani et le C dt Bessar en tournée visitent également la<br />

Mission.<br />

10 juillet 2 enfants de M. Noël de Djibouti, Antoine et Georges nous arrivent pour quelques<br />

jours ; leurs parents étant partis en France pour 2 mois.


Nous clôturons le terrain de la mission avec du fil de fer barbelé, pour éviter le passage<br />

constant des bédouins sur la propriété et aussi pour tenir à l’écart les chèvres et<br />

chameaux qui broutent le peu de verdure.<br />

25 Le fr. Antoine part avec le R.P. Jean-Baptiste à Djidjiga pour 3-4 semaines de<br />

vacances. Ils y emmènent les 2 enfants de Noël.<br />

3 août Monseigneur et le R.P. Denys amènent 13 enfants de l’orphelinat de Djibouti pour<br />

qu’ils passent ici 15 jours de vacances. Ils emmènent 13 enfants d’ici à Djibouti. Ce<br />

changement doit leur procurer une petite diversion et permettre aux enfants d’Ali-<strong>Sabieh</strong><br />

de voir leurs parents à Djibouti.<br />

20 M. Dauriac ramène les enfants qui étaient à Djibouti. Il reste quelques jours pour<br />

faire le transport de cailloux de la montagne à la mission.<br />

24 Il retourne à Djibouti, et emmène les enfants de Djibouti qui étaient ici en<br />

vacances. Les enfants se sont bien comportés pendant leur séjour à Ali-<strong>Sabieh</strong>, ils étaient<br />

contents ici, mais aucun ne désirait rester ici.<br />

Pendant ce mois et déjà en juillet j’ai fait creuser un second puits à 5 m. à côté de<br />

l’autre. Ensuite, nous avons relié les 2 puits par une galerie souterraine, pour avoir une<br />

plus grande surface d’infiltration. Pour ce travail les militaires nous avaient donné des<br />

pétards (cheddite) pour faire sauter les cailloux. C’était un travail assez long et pénible<br />

avec des ouvriers ignorant le métier de sapeur. Maintenant les 2 puits sont reliés et<br />

couverts ; en temps normal, l’eau doit être suffisante.<br />

29 Fr. Antoine et R.P. Jean-Baptiste viennent en camion avec M. Dauriac. Ils amènent<br />

des bancs et tables pour l’école.<br />

31 Je pars avec M. Dauriac à Djibouti pour partir de là en camion à Djidjiga. Le<br />

chemin de fer est en grève depuis quelques jours. Des indigènes avaient matraqué les<br />

employés français du C.F.E. à Diré-Daoua. Ceux-ci réclament des garanties.<br />

Septembre – R.P. Jean-Baptiste me remplace pendant mon absence. <strong>La</strong> maladie du fr. Erhard à<br />

Djidjiga y a prolongé notre séjour, nous ne rentrons que le 8 octobre. Plusieurs enfants<br />

de l’orphelinat sont partis, parce qu’ils ne veulent pas devenir <strong>catholique</strong>s. Quelques uns<br />

ont de nouveau été ramenés par leurs tuteurs. Le fr. Antoine a demandé tous les enfants<br />

s’ils veulent être baptisés un jour. Tous le veulent si leurs parents ou tuteur le<br />

permettent. Patientons !<br />

A la rentrée des classes après les vacances, le fr. Antoine a installé l’école dans<br />

l’orphelinat des Sœurs plus grand et plus commode que l’ancienne école devenue trop<br />

petite pour 30 garçons.<br />

18 octobre Le Père va à Djibouti pour la réunion mensuelle.<br />

25 novembre – Pluie abondante, l’oued coule de nouveau pour la première fois depuis plus d’un<br />

an. Nous avons plusieurs jours de pluie ; grand bienfait pour tout le pays qui a souffert<br />

cette année d’une sécheresse exceptionnelle. Les 2 /3 du cheptel ont péri.<br />

En ces quelques jours du 25-30 novembre nous avons eu 84 mm de pluie ; et Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> est la région où il a plu le moins de toute la C.F.S.. Le paludisme se fait sentir ;<br />

parmi les indigènes il y a beaucoup de malades et décès surtout des enfants. On leur<br />

administre de la quinine.<br />

24 décembre – Le T.R.P. Provincial venant d’Addis-Abeba passe à Ali-<strong>Sabieh</strong>, mais ne s’y arrête<br />

pas. Sa visite sera pour plus tard.<br />

Avant la messe de minuit a lieu le baptême de 3 enfants de l’orphelinat. Ils y ont<br />

été préparés en 3 jours de retraite. Ce sont les 3 premiers de l’orphelinat qui reçoivent le<br />

sacrement de la régénération. Ce sont : Benoit Abdilaï, Théodore Mehamoud et Jean Ali.<br />

Ils étaient heureux et fiers d’être baptisés. Des Européens se sont fait un plaisir d’être<br />

parrains et marraines. Les autres enfants étaient surpris de voir que les parrains et<br />

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90<br />

marraines embrassent leurs filleuls et leur donnent des cadeaux. <strong>La</strong> messe de minuit dans<br />

sa simplicité était belle et intime. Tous les Européens y ont assisté.<br />

Après la messe de minuit les enfants ont fait un petit réveillon et l’enfant Jésus leur<br />

a apporté un petit paquet à chacun, par l’intermédiaire du dévoué fr. Antoine. L’arbre de<br />

Noël, bien que pauvre, avait aussi trouvé une place dans le coin du réfectoire. Tout le<br />

monde était content et joyeux, comme il convenait en cette fête de joie chrétienne.<br />

Le 25 au matin, le R.P. Jean-Baptiste est venu de Dikhil, où il a célébré les messes de<br />

Noël. Il a fêté Noël avec nous.<br />

26 Fr. Antoine part avec le R.P. Jean-Baptiste à Djibouti pour faire la retraite<br />

annuelle, prêchée par le T.R.P. Provincial.<br />

31 Le Père supérieur va à son tour à Djibouti pour faire la retraite annuelle. Ainsi<br />

donc nous terminons cette année 1949 de la meilleure manière. Deo gratias pro omnibus<br />

gratiis et beneficiis tam animae quam corporis.<br />

Anno Jubilæi 1950<br />

Année Sainte proclamée par Sa Sainteté Pie XII Pape.<br />

Le Saint Siège a donné l’indult d’ouvrir l’année Sainte par une messe de minuit.<br />

Malheureusement nous n’avons pas pu profiter de cette grâce faute de fidèles voulant<br />

assister à la messe de Minuit. Nous prions que cette année également pour notre mission<br />

une année de grâces et de conversion pour nos petits Somalis.<br />

Le 8 janvier nous avons l’insigne joie et bonheur de recevoir notre T.R.P. Provincial, P.<br />

Bonaventure de Mulhouse pour la visite canonique.……<br />

Pour pouvoir mieux voir le pays le T.R.P. Provincial est venu de Djibouti par la<br />

route en camion, accompagné de Monseigneur, des R.P. Anselme et Denys, du candidat<br />

séminariste Lipsé et de 2 militaires qui ont profité de l’occasion pour visiter Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Ils sont arrivés vers 15 heures alors que nous ne les attendions que pour le soir ou le<br />

lendemain. L’accueil s’est fait en toute simplicité sans cloches ni fanfares. Après une<br />

bonne réfection des assoiffés et affamés par la route le T.R.P. Provincial quoique fatigué<br />

a visité la mission. Le soir même le camion est retourné à Djibouti. Seulement<br />

Monseigneur est resté avec le P. Provincial.<br />

Le 10 janvier après la sainte messe, Monseigneur confirme 5 de nos enfants : Benoît, Théodore,<br />

Jean, Christian et François. Lipsé Jean est parrain.<br />

A 10 heures le fr. Antoine a organisé une petite séance en honneur du P.<br />

Provincial : chants et récitations présentés par les enfants. A la fin ils lui remettent des<br />

objets fabriqués par les Somalis. L’après-midi, nous faisons en voiture un petit tour au<br />

camp II et sur la route d’Assamo.<br />

Mercredi le 11 – Le lieutenant Krehaer met à notre disposition sa jeep pour aller visiter Dikhil.<br />

Dans la nuit du 11 au 12, nous avons le regret de nous voir quitter Monseigneur et le<br />

T.R.P. Provincial pour aller à Djidjiga. Malgré une très grande fatigue le P. Provincial<br />

s’est intéressé à tout et a tout visité, et Ali-<strong>Sabieh</strong> n’avait pas du tout l’air de lui déplaire.<br />

Ces jours-ci nous avons encore clôturé la partie du terrain le long de la route qui<br />

mène au piton. Les enfants du village qui montent à l’école au piton s’en sont montrés<br />

mécontents et avaient l’air de vouloir nous en empêcher. Il y eut plusieurs fois des<br />

démêlés entre eux et les nôtres ; si bien que les autorités : le lieutenant et le chef du<br />

village ont dû intervenir pour calmer et rappeler à la raison ceux du village.


Ils ne peuvent pas supporter qu’on clôture le terrain qui selon eux leur appartient.<br />

Où en est leur notion de la propriété ?<br />

19 janvier – Je vais à Djibouti pour la fin de la visite canonique. Le P. Provincial nous exprime<br />

ses désiderata : que nous suivions davantage le cérémonial de l’Ordre qui sur certains<br />

points serait à adapter à notre vie ; que nous gardions autant que possible aussi<br />

l’extérieur du capucin.<br />

21 janvier – 10 h. notre T.R. Père prend l’avion de la Sobelair pour aller à Rome où il doit<br />

arriver le 23. Avant de partir il nous a demandé encore de rester en étroite union<br />

épistolaire avec la Province. Il connaît maintenant notre vie et sera à même de<br />

comprendre bien mieux nos difficultés et nos joies. Nous souhaitons que cette visite<br />

canonique soit fructueuse à notre mission tant au spirituel qu’au matériel.<br />

30 janvier – Fortes pluies. Les oueds coulent. Toute la semaine du 30 janvier au 4 février, il fait<br />

un temps pluvieux avec quelques petites averses. Le pays avait déjà reverdi depuis les<br />

pluies de novembre ; ces dernières pluies aideraient beaucoup les jeunes plantes à se<br />

développer. Les bédouins sont heureux, ils ont de nouveau du lait. Aussitôt le charbon<br />

de bois devient plus rare ; on voyait tous les jours des chameaux avec du charbon<br />

pendant la sécheresse ; maintenant il ne faut pas manquer les occasions d’en acheter,<br />

parce qu’elles deviennent rares.<br />

Tout est vert, maintenant c’est le fléau des chenilles qui sont par centaines sur les<br />

galènes et certaines autres plantes.<br />

6 février – Nous enlevons la séparation en tôle (trop moche) que nous avions placée l’an<br />

dernier entre les maisons des Sœurs et l’église. Elle sera remplacée par un mur en pierre.<br />

(P. Jean Baptiste Jung)<br />

1 er avril Je suis arrivé à Ali-<strong>Sabieh</strong> en camion. Le Père Denys pilotait le camion.. A l’entrée<br />

du Petit Barra, nous tombons en panne. Après deux heures d’hésitation je partais en vélo<br />

pour Ali-<strong>Sabieh</strong> afin que le Commandant de Cercle nous envoie un camion pour<br />

remorquer le nôtre jusqu’à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

A partir de cette date même, je devais remplacer le Père Silvère.<br />

Dans le camion se trouvait le Père Jean Berchmanns et le frère Félix de Diré-<br />

Daoua. Le frère Félix était autrefois à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il voulait revoir cette <strong>station</strong> et comme<br />

il se trouvait juste à Djibouti pour la grande machine de l’imprimerie, il a profité de<br />

l’occasion.<br />

Le soir même, le Père Jean et le frère Félix ont pris le train à 10 h.45 pour<br />

l’Éthiopie. Le Père Jean Berchmannns se rendait à Djidjiga.<br />

Lundi 30 avril – à 3 h. du matin, le Père Silvère a pris le train pour Djibouti. Il a fait les<br />

démarches nécessaires pour que les militaires viennent chercher et remorquer notre<br />

camion pour le mettre en réparation. Le Père Denys accompagna le camion.<br />

Le frère Antoine aussi part au matin 12 avril afin de me remplacer à l’école<br />

Charles de Foucauld à Djibouti. J’ai donc commencé à faire classe aux garçons de<br />

l’orphelinat.<br />

Jeudi 25 mai – à 8 h. du matin, Monseigneur est arrivé à Ali-<strong>Sabieh</strong>, accompagné du petit Houssa<br />

de Jean Lipsé. Il me charge de faire le nécessaire pour obtenir pour Houssa l’acte de<br />

naissance et la sujétion française.<br />

Dès vendredi 26 mai à 4 h. du matin Monseigneur a pris le chemin du retours. Ce même<br />

vendredi, M. le gouverneur Sadoul a fait sa première visite à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il a été reçu à 9<br />

h.30 du matin sur la grande place entre la gare et les bureaux administratifs. J’y ai<br />

présenté les enfants qui exécutèrent la marche des Girondins. Dans la matinée, il a passé<br />

à la mission pour visiter l’orphelinat, l’école et l’église. A son approche de l’orphelinat<br />

les enfants chantèrent la marche lorraine. Sur sa demande de faire chanter en Somali : je<br />

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92<br />

leur ai fait chanter “Sunamayo Somalilied”<br />

Mercredi 19 juin – Le R.P. Dominique, capucin indien de passage à Djibouti, est venu à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong>. Il m’a quitté le 21 juin pour visiter l’Éthiopie. Il a gagné Aden (Arabie) par<br />

Djidjiga et Hargheisa.<br />

Vendredi 7 juillet – Le frère Antoine est venu me tenir compagnie. Par suite de ses rhumatismes,<br />

il resta à Ali-<strong>Sabieh</strong> jusqu’au 21 août, jour de son départ pour Djidjiga.<br />

Mercredi 24 juillet – Le Père Denys est venu avec 15 enfants de Djibouti. Il est reparti le 25<br />

juillet avec 15 enfants d’Ali-<strong>Sabieh</strong> qui vont passer 15 jours de vacances à Djibouti.<br />

Le 27 juillet – Je me rends à Djibouti afin de préparer mes papiers pour pouvoir aller à Djidjiga.<br />

Je pars le 2 août et je reviens le 19 août au matin. Pendant mon absence le Père Jean<br />

Berchmanns me remplace. Le père Silvère est revenu avec moi de Diré-Daoua et est<br />

resté le 19 et le 20 août à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Pendant mon absence le remplaçant du lieutenant Kreher commandant le cercle est<br />

venu. Le nouveau C dt de cercle , le lieutenant D’Escrienne est un <strong>catholique</strong> pratiquant.<br />

Anno Domini 1951<br />

Je viens de faire ma retraite annuelle à Djibouti : le 31 décembre le matin à 3 h.<br />

Mgr, le Père Jauka, prédicateur de la retraite et moi, nous partons en jeep pour Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong>. Monseigneur y fait sa visite pastorale et donne la confirmation à Fidèle et<br />

Jérôme, enfants de la mission, ainsi qu’au fils de l’instituteur Michel Hugotte. Au cours<br />

du mois de janvier Monseigneur m’envoie un nouveau moteur Bernard pour pomper<br />

l’eau.<br />

Le 18 janvier – Monseigneur revient à Ali-<strong>Sabieh</strong> avec son Excellence Monseigneur Harinsni<br />

vicaire apostolique d’Asmara. Le R. P. Silvère les accompagne.<br />

Jeudi 15 mars. Pluie et orage. <strong>La</strong> pluie dure 4 jours. L’oued coule.<br />

Pâques 25 mars. Grande affluence à l’église. Le capitaine Jaquaux … ?… la maison des Sœurs.<br />

Il a déjà construit à ses frais une salle de bains moderne. Ce même capitaine s’est marié<br />

à l’Église St Louis d’Ali-<strong>Sabieh</strong> le 4 janvier 1951. Ce fut le premier mariage célébré à<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Au cours du mois de mars, je réexpédie le moteur Bernard à Djibouti pour<br />

réparation. Durant ce temps les enfants tirent l’eau avec des tanikas et remplissent des<br />

tonneaux.<br />

Le dimanche 1 er avril, le Père Dositéo, missionnaire d’Asmara et le frère Eliarz ( ?) viennent à<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong>. Je quitte le 2 avril Ali-<strong>Sabieh</strong> pour me rendre à Djibouti. Je ramène le<br />

moteur le mercredi 4 avril. Le train était en panne à Holl-Holl. Parti le matin à 6 h.30<br />

nous ne sommes arrivés qu’à 18 h.30 du soir à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Pendant mon absence 2<br />

enfants Bonaventure Yonis et Romuald avaient pris la fuite. Ils étaient cachés au village.<br />

Je les ramenais à la mission. <strong>La</strong> mère de Bonaventure qui est à l’origine de ce départ a<br />

repris son fils. Romuald préférait rester à la mission.<br />

Le 5 avril, le Père Hatien et le frère Erhard retournent à Djibouti. Je mets le moteur en place le 5<br />

avril. Le moteur ne tourne pas assez vite et par conséquent n’amorce pas. Je préviens<br />

Monseigneur qui m’envoie le T.R.P. Silvère avec l’autre petite pompe qu’on ne peut<br />

d’ailleurs pas adapter au moteur. Le T.R.P. Silvère retourne à Djibouti. Mgr m’envoie le<br />

P. Denys et M. Schaeffer directeur du garage de l’Afrique. Mme Schaeffer les<br />

accompagne. Ils arrivent samedi 14 avril. Le lendemain dimanche Schaeffer fait la mise<br />

au point du moteur en une demie heure. L’après-midi, ils s’en vont en promenade à<br />

l’arbre de Ménélik à Guélilé.


Jeudi 26 avril : Excursion avec les enfants à Dikhil. Nous rencontrons à la palmeraie Mgr et Mme<br />

et M. Bour. Ils allaient vers le lac Abbé via As-Eila. Les enfants et moi nous revenions à<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong> vers 9 h.30 du soir. Le capitaine nous avait prêté un camion.<br />

Début mai – Moteur en panne. Mgr veut le chercher le lundi de Pentecôte. <strong>La</strong> veille une pluie<br />

torrentielle avait inondé le grand Barra. Mgr s’embourbe. Il ne peut s’en sortir. Il envoie<br />

alors 2 enfants à pieds jusqu’à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Vincent et Jean Barnabas me préviennent à<br />

14 h. De suite, je vais trouver le capitaine et on décide de partir. Malheureusement nous<br />

ne pouvons pas approcher de l’endroit avec le <strong>La</strong>til. Nous joignons Mgr à pieds. Rien à<br />

faire. Je reste avec Mgr. Le capitaine retourne chercher les tirailleurs et des chevrons et<br />

tôles pour sortir la jeep de Mgr. Une demie heure après il est sorti. On cherche un autre<br />

passage pour atteindre Ali-<strong>Sabieh</strong> en jeep. Impossible. <strong>La</strong> nuit est tombée. Finalement la<br />

jeep reste au Bara gardée par un sergent sénégalais <strong>catholique</strong> et 2 hommes. A pied nous<br />

retournons vers le camion militaire. Mgr est fatigué. Il a une entorse. D’autres voitures<br />

également s’étaient laissées surprendre par la pluie. Enfin Mgr arriva à Ali-<strong>Sabieh</strong> vers<br />

20 h.30. Il passa la nuit à la mission et le lendemain les militaires l’ont reconduit à sa<br />

jeep. Je l’accompagnai : Mgr nous quitta au Barra et retournait à Djibouti.<br />

19 mai – au train spécial du soir, le T.R.P. Urbain, P. Bruno, et le P. Casimir de la province<br />

de Paris passent à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Je leur apporte à boire au train. Ce sont les premiers Pères<br />

de Paris destinés pour l’Éthiopie.<br />

Vendredi 25 mai – Le Père Anselme passe avec une voiture d’Air-France à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il reste 5<br />

minutes et reprend la route de Djibouti. C’est la première fois qu’il est venu à Ali-<strong>Sabieh</strong><br />

depuis que j’y suis.<br />

Le 31 mai, je pars à Djibouti convoqué par Mgr pour la commission du certificat d’Études. Je<br />

reviens à Ali-<strong>Sabieh</strong> le 2 juin au soir.<br />

Juin 1951 – Urbain, Bruno, Casimir — Je lui expédiais jeudi 17 mai le moteur à Djibouti par le<br />

train pour réparation.<br />

10 juin – Vers 14 h. Mgr , M. Bour et Mme Bour viennent en jeep. Mgr m’amène le moteur. On<br />

l’installe le lundi, alors que Mgr regagne Djibouti dimanche soir. Le moteur tourne avec<br />

des ratés. Il monte à peine l’eau. Il n’atteint pas la vitesse nécessaire pour monter l’eau.<br />

Défaut d’allumage. Allumage irrégulier. Probablement la magnéto ne fonctionne pas. Le<br />

charbon du plateau des vis platinées est cassé.<br />

Le 20 juin, le Père Denys et le frère Antoine arrivent en jeep à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Ils ramènent le moteur<br />

Bernard. Avec le P. Denys, je pars le lendemain à Djibouti pour la réunion. Le 30 je<br />

reviens à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Le frère Antoine quitte le 2 juillet Ali-<strong>Sabieh</strong> pour retourner à<br />

Djibouti.<br />

Le frère Antoine revient me remplacer fin juillet afin de me permettre d’aller à<br />

Asmara. Je quitte Djibouti pour Asmara le 2 août par avion et reviens par bateau le 22<br />

août. J’arrive à Ali-<strong>Sabieh</strong> avec une autre motopompe.<br />

Pendant ce temps, Mgr a fait les mutations. Le frère Antoine reste donc à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> où il est affecté.<br />

Je commence à faire une cloison dans l’orphelinat des Sœurs afin d’avoir 2 salles<br />

de classes. Comme j’avais demandé depuis quelques mois une porte pour ce bâtiment à<br />

Djibouti et que je n’ai pas eu satisfaction, j’ai fabriqué une porte avec des moyens de<br />

fortune. Au commencement l’école, l’orphelinat compte 54 garçons dont 8 sont venus de<br />

Djibouti.<br />

Le 11 octobre, eut lieu une forte pluie. Les oueds coulèrent. C’était juste le jour où on avait<br />

commencé à faire une margelle autour du puits afin d’éviter d’y laisser tomber des<br />

saletés quand on est obligé de l’ouvrir à cause des crépines. Cette pluie (62 mm) fut forte<br />

que même le cabanon du moteur fut inondé. Heureusement que rien ne fut détérioré. <strong>La</strong><br />

margelle du puits fut terminée le mardi 16 octobre. J’étais obligé d’emprunter 2 sacs de<br />

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ciment au commandant de cercle, le lieutenant d’Escrienne. J’ai fabriqué avec les<br />

enfants un couvercle recouvert de vieilles tôles pour couvrir le puits.<br />

Au Magala en face de la résidence et des bureaux du cercle l’administration<br />

construit un dispensaire et une école. Tous deux sont en voie d’achèvement.<br />

Jeudi 8 novembre, Mgr Lefebvre délégué apostolique pour l’Afrique française et Mgr Hoffmann<br />

sont venus par avion à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Ils ont inspecté la mission et sont repartis à 12 h.30 après avoir<br />

assisté à l’apéritif offert en leur honneur par le commandant de cercle le lieutenant<br />

d’Escrienne.<br />

Anno Domini 1952<br />

Retraite annuelle à Djibouti du 26 décembre au soir au 29 déc. Au soir.<br />

Le 20 janvier, appelé à Djibouti pour le Conseil d’Administration.<br />

Le 23 Mgr, Père Erhard et moi, nous quittons Djibouti par jeep pour Ali-<strong>Sabieh</strong>. Mgr<br />

veut faire la visite pastorale et confirmer 9 enfants baptisés durant le mois de décembre<br />

1951. Durant mon séjour à Djibouti, j’ai décidé d’acheter une toute petite camionnette<br />

“Fiat” chez Tréboute le garagiste.<br />

Dimanche 24 février, je descends à Djibouti pour la réunion mensuelle. Le T.R.P. Silvère, le Père<br />

Jean Berchmans et moi nous revenons à Ali-<strong>Sabieh</strong> mardi 26 au matin avec le camion de<br />

la mission de Djibouti, ainsi que ma voiture ? A Ali-<strong>Sabieh</strong> ils chargent la vieille Ford et<br />

repartent le soir même à Djibouti. Le T. Rév. Père Silvère a signé les registre en tant que<br />

supérieur régulier. Il aurait pu rester un peu plus longtemps afin de passer vraiment une<br />

visite canonique.<br />

Avril, Je vais à Djibouti. Je vois le docteur Gamel. J’ai de l’urée sanguine. Le mardi de<br />

Pâques je me rends à Dikhil. L’administrateur Chaumeille est venu me chercher. Travail<br />

à Dikhil très sympathique. J’y retournerai le 18 mai au soir pour leur dire la messe. Et<br />

pour que certains puissent faire leurs Pâques. J’y vais avec ma propre voiture.<br />

Le 22 mai, (écriture du P. Silvère) Mgr et le R.P. Silvère viennent de Djibouti en auto. Le lendemain<br />

23, Mgr retourne à Djibouti et emmène le R.P. Jean-Baptiste ainsi que 4 enfants<br />

candidats au certificat d’étude ; ce sont : Jacques, Jérôme, Bernard et Jean-Pierre. P.<br />

Silvère reste à Ali-<strong>Sabieh</strong> pour remplacer le P. Jean-Baptiste. Ce dernier va à Addis-<br />

Abeba le 28 pour se reposer et faire cure en vue de guérir son urée. 2 enfants : Jacques et<br />

Jérôme sont reçus au C.E.P.<br />

Lundi de Pentecôte, 2 juin, visite à Dikhil, pour y dire la messe ; presque tous les Européens<br />

présents au poste assistent à la messe.<br />

En rentrant de Dikhil j’apprends que 5 enfants ont pris la fuite : motif inconnu.<br />

Mercredi, 4 autres enfants s’en vont par le train pour Djibouti. A l’orphelinat règne une<br />

atmosphère de dépression, on sent que d’autres veulent encore partir. Certains des<br />

fuyards sont ramenés ; mais on n’apprend pas le motif réel de leur escapade.<br />

A Addis-Abeba, le docteur que le P. Jean-Baptiste a consulté, lui conseille de<br />

rentrer en France pour se faire soigner. Mgr et moi décidons de le faire rentrer au plus<br />

tôt.<br />

Le 14 juin le Père revient d’Addis Abeba ; il s’arrête 2 jours à Ali-<strong>Sabieh</strong> pour prendre ses<br />

affaires nécessaires et ranger les autres.<br />

Le 16 il part à Djibouti. Le Père a la chance de trouver une place sur le “Félix Roussel”<br />

qui rentre à Marseille ; il embarque le 21 juin.<br />

Le 30 juin, le R.P. Ange arrive à Djibouti, comme néo-missionnaire de la Préfecture.<br />

14 juillet On cesse les classes ; commencement des vacances. Les enfants ne partiront en


95<br />

vacances à Djibouti qu’au mois d’août à tour de rôle par équipes de 12.<br />

Le P. Denys est monté de Djibouti avec le camion pour amener du fer à béton et<br />

des planches de coffrage pour agrandir le château d’eau. Il reste ici pendant 2 jours pour<br />

chercher du sable dans l’oued du camp II.<br />

Au courant de juin et juillet une quinzaine d’enfants ont pris la fuite. Plusieurs sont<br />

revenus. Un des principaux instigateurs et mauvaises têtes était Jacques qui a exercé une<br />

très mauvaise influence sur les autres. Il est parmi les premiers partants en vacances pour<br />

Djibouti. Il ne reviendra plus à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Le 18 août je pars pour Randa. Les Frères des Ecoles chrétiennes ont une colonie de vacances à<br />

Randa. Les Pères y vont à tour de rôle chacun 3-4 semaines. Pendant mon séjour à<br />

Randa le RP. Ange me remplace à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Le 25 septembre je reviens à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Le fr. Antoine n’est pas parti en vacances cette année. Il<br />

préférait rester à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Début septembre, ont passé à Ali-<strong>Sabieh</strong> : Mgr accompagné de PP. Jésuites, professeurs à Addis-<br />

Abeba.<br />

Le 1 er octobre recommencent les classes. Plusieurs enfants, parmi les grands ont été envoyés<br />

pendant les vacances à Djibouti soit à l’école des Frères, soit à l’artisanat. Jérôme et<br />

Théodore vont à l’école. Cyprien, Jean, Cavard et Denys travaillent à l’artisanat des<br />

orphelins.<br />

Le menuisier Abdo est monté de Djibouti pour faire le coffrage de<br />

l’agrandissement du château d’eau. Le commandant de cercle veut bien nous donner la<br />

main-d’œuvre pour couler le béton. Le château d’eau peut contenir maintenant 7 m 3 .<br />

Le 17 octobre, le capitaine Gagnaux déménage de la maison des Sœurs qu’il a habitée pendant 21<br />

mois. Il laisse tout en bon état.<br />

Nous installons une classe dans la maison des Sœurs, jour des morts a lieu une<br />

messe demandée par le C dt de cercle pour les morts enterrés au cimetière d’Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Le 6 novembre, je vais à Dikhil de mes propres moyens ; assistance moyenne à la messe.<br />

Personne ne reçoit les sacrements.<br />

28 novembre, Réfection de la douche pour les enfants. Le capitaine Gagnaux nous a fait faire les<br />

parpaings contre remboursement du ciment. Le C dt de Cercle nous a donné la maind’œuvre<br />

: un maçon de fortune et deux miliciens.<br />

9 décembre : le C dt de cercle D’Escrienne quitte Ali-<strong>Sabieh</strong> définitivement pour rentrer en<br />

France. Il a rendu bien des services à la Mission. Son successeur est un administrateur<br />

civil du nom de Salvadori, un corse. Il est non pratiquant.<br />

Visite à Dikhil pour dire la messe : l’assistance se compose presqu’uniquement de<br />

femmes. Nous apprenons la triste nouvelle que le T.R.P. Bonaventure ex provincial et<br />

définiteur général est atteint du cancer.<br />

Noël – Grande assistance à la messe de minuit : presque tout le monde est venu. Après la<br />

messe de minuit je dis tout de suite la 2 ème messe. <strong>La</strong> 3 ème messe, je la célèbre le matin à<br />

Dikhil ; tout le monde, excepté l’instituteur et sa famille, y assiste. Personne ne reçoit les<br />

sacrements.<br />

Du 19 novembre au 17 décembre presque la moitié de nos enfants avaient la varicelle. Nous<br />

étions obligés de les isoler à l’orphelinat des Sœurs. A Noël tous étaient de nouveau<br />

guéris.<br />

Du 29-31 décembre a lieu la retraite annuelle à Djibouti. Elle est prêchée par le R.P. Ange.<br />

1953


96<br />

Le nouvel an commence avec une pluie fine mais persistante. Bénédiction pour le<br />

pays. Pourvu qu’elle présage aussi une bénédiction pour les pauvres âmes dont la<br />

mission a charge. En rentrant de Djibouti après la retraite, je ramène le moteur de la<br />

pompe qui était en réparation plus d’un mois à Djibouti. Il n’est toujours pas en état de<br />

marcher.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Le 6 janvier, le gouverneur de la C.F.S. M. Numa Sadoul passe en tournée à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il ne<br />

vient pas à la Mission ; mais nous sommes invités à l’apéritif chez le C dt de Cercle.<br />

Le 18 janvier, Les chers Frères : Lucien, Léon et Edmond des Écoles chrétiennes viennent de<br />

Djibouti pour visiter Ali-<strong>Sabieh</strong>. Ils arrivent à 11 h. en voiture et repartent à 16 heures.<br />

Le 21 janvier Monseigneur vient pour la visite pastorale, il est accompagné du T.H.Fr Erhard. Il<br />

arrive à 8 h. en voiture, passe la visite et repart le soir à 18 h. Il emmène Charles, pour<br />

servir à la maison N. Dame. Mgr était pressé de partir parce que le 26 janvier le Très<br />

Cher Fr. Zacharie, assistant des Frères des Écoles Chrétiennes doit venir à Djibouti ; Ils<br />

veulent partir ensemble en Éthiopie.<br />

Le 22 janvier nous avons la visite des chers Frères : Jean Paul et Edmond , qui ont fait une petite<br />

sortie. Ce même jour le docteur C aine Genis visite les enfants. Il trouve leur état sanitaire<br />

très satisfaisant. Nous n’avons pas de malade.<br />

Fin janvier, le lieutenant Limbach de Vendenheim vient à Ali-<strong>Sabieh</strong> pour prendre le<br />

commandement de la C ie en remplacement du C aine Gagnaux rapatriable. Le lieutenant<br />

vient avec sa famille ; Mme Limbach est originaire Koenigshoffen. Ils ont 2 enfants :<br />

Daniel 13 ans, Christiane 12 ans, l’ainé 20 ans est en France. Le lieutenant est<br />

protestant ; les enfants viennent à l’école de la Mission.<br />

3 mai : Communion solennelle de Christiane Limbach, Jean-Pierre et Fidèles : 2 garçons<br />

de la Mission. Mgr est invité par les Limbach à la communion.<br />

Juillet : Fin du mois, je vais à Djidjiga pendant 8 jours pour visiter la chrétienté. <strong>La</strong><br />

chrétienté somalie diminue ; plusieurs sont partis soit à Djibouti, soit à Diré-Daoua ; Il<br />

n’y a plus de prêtre résidant à Djidjiga ; les chrétiens réclament toutes les fois qu’on y<br />

va.<br />

A mon retour de Djidjiga, je vais de Diré-Daoua à Addis Abeba, chez les<br />

<strong>La</strong>zaristes. Les <strong>La</strong>zaristes chargés du séminaire ont une trentaine d’enfants qu’ils<br />

préparent pour la rentrée (ce sont les vacances). Il se pose le problème des langues :<br />

français ou anglais. Le délégué Apostolique Mgr Monnens est pour l’anglais.<br />

Octobre Le fr. Erhard vient pour commencer le soubassement de la baraque devant servir de<br />

logement des missionnaires. <strong>La</strong> baraque a été démontée sur l’emplacement de la cour de<br />

l’école Charles de Foucauld à Djibouti. Le lieutenant Limbach nous envoie des soldats<br />

somalis pour aider à la construction. Ils font les parpaings pour commencer.<br />

1954<br />

Janvier Mgr vient avec le P. Yunha, lazariste d’Addis Abeba ; il apporte une nouvelle<br />

pompe à eau, moteur Bernard. Ils repartent le soir ; le P. Yunha rentre en France.<br />

Mars M. Salvadori, administrateur part ; il est remplacé par M. Jules Harrois, légèrement<br />

anticlérical. L’administrateur de Dikhil M. Chaumeil va partir également. M. Harrois<br />

commandera les 2 cercles : Dikhil et Ali-<strong>Sabieh</strong>, avec résidence à Dikhil.<br />

Avril Mgr donne la <strong>La</strong>ndrower à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il achète un Pick-up G.M.C. pour la<br />

Mission de Djibouti en remplacement de la <strong>La</strong>ndrower, cédée à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

Juillet Mgr part en France pour 2 à 3 mois ; principalement pour régler la question des<br />

Religieuses devant venir à la Mission de Djibouti.<br />

Août Je vais à Randa, un jour pour visiter le P. Ange et Fr. Erhard. Les orphelins de<br />

Djibouti sont à Randa. Ceux d’Ali-<strong>Sabieh</strong> vont par petit groupes à Djibouti pour 15 jours<br />

ou 3 semaines.<br />

Septembre <strong>La</strong> nouvelle habitation (baraque renforcée) pour les missionnaires est terminée ;<br />

nous y rentrons pour y habiter. Dans la baraque tchécoslovaque j’installe l’école pour les


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

grands. Le Fr. Antoine reste avec sa classe dans la maison des Sœurs.<br />

Octobre Mgr revient de France satisfait des résultats obtenus ; on lui a promis des Petites<br />

Sœurs de Charles de Foucauld pour l’année 1955.<br />

Novembre R.P. Bonné s.j., autrefois curé à Addis-Abeba à St Sauveur vient pour quelques<br />

jours. Il est de passage à Djibouti pour aller à Madagascar. Il aurait voulu retourner<br />

quelques jours à Addis, mais n’a pas obtenu la permission. Il passe avec nous le 11<br />

novembre et retourne à Djibouti dans l’après-midi.<br />

Le 11 novembre nous avons fait un office pour les morts des 2 guerres. Le C dt de C ie Limbach a<br />

envoyé un détachement pour rendre les honneurs.<br />

1955<br />

11 janvier R.P.Jean Berchmanns vient avec le P. Matte s.j. directeur de l’école Ras Makonen<br />

à Addis Abeba, et avec le conseiller de l’Union f se Lebrun-Kéris. Ils passent la nuit à<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong> et repartent le 12 de bonne heure pour aller au lac Assal.<br />

20 janvier, Nous avons la visite du T.C.Fr Zacharie, assistant général des FF. des Écoles<br />

Chrétiennes. Il vient avec quelques Frères pour visiter le pays et la <strong>station</strong>. Ils repartent<br />

le soir.<br />

5 février Visite du conseiller de l’Union f se M. Raphaël Leygues. Il visite l’orphelinat, en<br />

compagnie de M. l’Administrateur J. Harrois, du conseiller de la C.F.S. M. Kanul<br />

(dankali) et d’un médecin général retraité de la Marine.<br />

6 février 2 ème grande kermesse à Djibouti, au profit de la construction d’une cathédrale. Le<br />

P. Léopold de Diré-Daoua s’est arrêté 1 jour chez nous avant de se rendre à la kermesse.<br />

Le Fr. Léopold de Nazareth fait sa retraite à Ali-<strong>Sabieh</strong> du 7 au 12 pour se préparer<br />

à la profession solennelle.<br />

10 février, Mgr fait visiter la <strong>station</strong> aux Supérieures des Petites Sœurs de Ch. De Foucauld :<br />

S. Madeleine, fondatrice, S. Jeanne Sup. Générale, S. Yva. Les Petites Sœurs sont<br />

satisfaites d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, qu’elles trouvent tout à fait conforme à leur mission et idéal.<br />

Elles nous promettent des Sœurs ; elles ont l’intention de mettre un noviciat à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong>. De Djibouti, les Petites Sœurs vont à Addis-Abeba et à Aden pour reconnaître<br />

les possibilités d’installation de Fraternités.<br />

13 février, Profession solennelle du fr. Léopold à Djibouti.<br />

22 février, Mardi gras, je vais au lac Abbé avec les enfants Limbach : Daniel, Christiane,<br />

Loulou.<br />

17 mars : Réunion trimestrielle à Djibouti.<br />

27 mars : Le globe-trotter M. Claude qui est en train de faire le tour de l’Afrique en vélo est<br />

de passage à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il est tertiaire de S. François. Il vient de Djibouti et continue sa<br />

route le 28 vers Dikhil, Dessié, Addis-Abeba. Il veut rejoindre Dakar et la Guinée f se<br />

son point de départ.<br />

3 mai : Départ de la famille Limbach, grands bienfaiteurs de la Mission. Le fr. Antoine a<br />

reçu un télégramme que son père est mourant.<br />

4 mai : Nouvelle de la mort du père du fr. Antoine.<br />

6 Fr. Antoine et les Limbach prennent l’avion pour la France. Je reste seul à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong>.<br />

29 Pentecôte : Communion solennelle des enfants de la Mission : Élie, Antoine,<br />

Arthur.<br />

2 juin : Le R.P. Ange vient à Ali-<strong>Sabieh</strong> avec les enfants de l’orphelinat de Djibouti. Il me


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

remplace pendant les vacances. Je vais à Tadjourah pour diriger les travaux de la<br />

nouvelle maison : école artisanale.<br />

Avant de partir d’Ali-<strong>Sabieh</strong> j’installe un robinet prenant l’eau sur la conduite<br />

venant du camp II. (Service des eaux de l’administration.)<br />

8 juin : Je pars pour Djibouti.<br />

28 septembre : je retourne à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Le fr. Antoine arrivé le 21 à Djibouti, de retour de<br />

France est déjà revenu à Ali-<strong>Sabieh</strong>.<br />

3 octobre : Rentrée des classes. Le fr. Antoine rentre dans le nouveau bâtiment. <strong>La</strong> salle est<br />

assez spacieuse pour recevoir les petits toujours plus nombreux que les grands.<br />

1956<br />

9 janvier, Mgr amène les Petites Sœurs arrivées quelques jours avant Noël pour rester à<br />

Djibouti.<br />

15 janvier a lieu l’incendie de Tadjourah.<br />

13 février Nous apprenons la nomination du supérieur régulier et du discrétoire.<br />

14 février M. le gouverneur Petitbon et le secrétaire général M. Troadec en inspection à Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> nous font l’honneur de leur visite. M. le gouverneur visite la classe du fr.<br />

Antoine.<br />

18 février Réunion trimestrielle et conférence pastorale à Djibouti.<br />

8 mars, Je fais une tournée en jeep : lac Assal, Yoboki, Dikhil.<br />

11 mars, Visite de Mgr, du P. Jean Berchmans et de 3 Petites Sœurs.<br />

29 mars, Jeudi-Saint : Les cérémonies de la semaine sainte se font suivant le nouvel ordo.<br />

<strong>La</strong> nuit de samedi à Pâques nous célébrons la messe de minuit.<br />

17 avril Importante pluie, 17 mm. Nouvelles pluies les 22 et 23 avril, 30mm.<br />

1 er mai Baptême de deux militaires d’A.O.F.<br />

6 mai Mgr, P. Denys et 3 Petites nous rendent visite. D’Ali-<strong>Sabieh</strong> ils vont à Dikhil.<br />

10 mai Communion solennelle de Philippi et Simon.<br />

14 mai Le nouvel administrateur M. Joriot nous rend visite pour se présenter.<br />

19 mai baptême de 3 militaires d’A.O.F.<br />

25 mai Certificat d’Études : nous avons 3 reçus sur 4 candidats.<br />

28 mai Réunion trimestrielle à Djibouti.<br />

1 er juin Je prends l’avion pour rentrer en France pour les vacances. Le P. Ange me<br />

remplace.<br />

Les Petites Sœurs de Jésus vinrent à 2 reprises. Le P. Jean Berchmans vint 15 jour en<br />

vacances. Le T.R.P. Silvère revint le 28 octobre et le P. Ange repartit pour Tadjourah le<br />

29 au matin.<br />

30 décembre, le T.R.P. Silvère reparti à Djibouti Boulaos comme supérieur et le 31 décembre le<br />

P. Ange revint à Ali-<strong>Sabieh</strong> prendre sa place.<br />

30 décembre, Départ du T.H.F. Erhard pour Tadjourah.<br />

1957<br />

31 janvier, le T.R.P. Gonzalve, provincial, accompagné du R.P. Stanislas et du T.H.F. Erhard<br />

vint en visite canonique. Dès le 1 er février il prêche une récollection aux R.P. Ange, fr.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Antoine et Erhard. 4 conférences. Les classes tombaient ce jour. Le lendemain le fr.<br />

Erhard nous quitta à nouveau pour Tadjourah. Le P. Stanislas profita du séjour pour<br />

courir avec nos enfants dans la région ou aussi tout seul en photographiant tout ce qu’il<br />

vit d’intéressant.<br />

Lundi, Le 3 au matin Mgr Hoffmann vient chercher les 2 Pères pour les conduire à Dikhil<br />

et autre part.<br />

Le 16 février, sans s’être annoncés au préalable la responsable des Petites Sœurs de Jésus de<br />

Djibouti vint avec celle d’Aden vers 10 h. du matin, sacs au dos pour faire 8 jours de<br />

retraite en vue de la rénovation de leurs vœux. Depuis 2 jours il pleuvait et faisait froid.<br />

On questionne les sœurs ; elles ont tout prévu, elles ont tout. Mais vers midi, elles<br />

viennent déjà quémander, le soir une 2 ème fois, le lendemain encore ! et ainsi de suite ;<br />

comme la pluie et le froid continuent, elles tombent toutes 2 malades : bronchites,<br />

lumbago, angine. Elles font ménage à part mais s’approvisionnent chez nous. Durant<br />

leur retraite elles ont désiré qu’on leur expose pendant trois heures le T.S. Sacrement.<br />

Une autre de Djibouti qui venait de se relever d’une bronchite et une autre d’Aden,<br />

phtisique, devaient rejoindre samedi les deux premières par ici pour retourner ensemble<br />

lundi matin à Djibouti. Mais vu le climat et la mauvaise communication elles ont été<br />

prévenues de ne pas venir et ont été prévenues du retour des deux premières pour samedi<br />

matin.<br />

25 février, P. Silvère – Les derniers 8 jours, les pluies et le froid ont été exceptionnels. Le T.R.P.<br />

Silvère est venu le 25 en jeep nous apporter un nouveau moteur Bernard et le tricycle. Il<br />

ne put retourner le 26 comme il l’avait prévu à cause de l’eau qui <strong>station</strong>nait au grand<br />

Bara. Il repart le 28 au matin après avoir pris soin d’avertir les militaires d’Ali-<strong>Sabieh</strong><br />

aussi bien que d’Houeah.<br />

Dikhil et ravitaillement – Comme nous n’avons plus de véhicule, des accords ont été trouvés avec<br />

les militaires et l’administrateur de Dikhil, M. Jouot. <strong>La</strong> milice et les militaires nous<br />

approvisionnent. Pour allez à Dikhil, pour autant que les véhicules du Cercle sont<br />

disponibles, le Père avertira l’administrateur 2 ou 3 jours auparavant. Par ailleurs le Père<br />

pourra allez à Dikhil aussi souvent qu’il le désire : le Cercle porte les frais.<br />

21 avril, Pâques – Toutes cérémonies de la Semaine Sainte ont été faites. Samedi Saint, pendant<br />

les cérémonies, baptêmes de 2 africains : un Sasac et un Kej. Le jour de Pâques même<br />

communion solennelle de la fille du gendarme ; et communion privée d’une fillette de<br />

l’adj. Chef Trvesels ( ?) d’un fils du capt. Mahlnen ( ?) et de deux de nos pensionnaires<br />

Jeannot Robert et Michel fils de Marthe. Grand monde de Djibouti à la messe.<br />

Cérémonies simples, impressionnantes.<br />

22 avril Inattendus vinrent avec le train de Djibouti le R.P. Adolphe avec des scouts et<br />

deux Petites Sœurs. Le R.P. dit de nuit la messe dans notre chapelle puis il partit avec les<br />

siens pour Tilchil pour un camp.<br />

Les P.S. vinrent visiter leur maison, pour ne repartir que le lendemain.<br />

Les derniers jours furent extrêmement pluvieux. Mgr faillit ne pouvoir venir. Hier<br />

soir il arriva en camion avec le P. Denys et les Petites Sœurs de Jésus ; celles-ci seront<br />

enfin installées définitivement. Le noviciat fut inauguré par la vêture d’une novice. À la<br />

fin de la messe Mgr conféra le sacrement de confirmation à 6 sénégalais, 3 enfants<br />

européens et 3 enfants de la mission.<br />

Aménagement de la maison des P.S. –<br />

15 Mai, au matin le P. Jean Berchmans, le R.P. Denys et 2 coolies vinrent de Djibouti en camion.<br />

Le P. Jean B. vint chercher son habit neuf brun que le frère Antoine lui venait de coudre<br />

pour son départ en France.<br />

Le P. Denys vint pour installer la conduite d’eau douce en partant de la douche de<br />

nos enfants vers la maison des Petites Sœurs. Comme nous n’avions pas suffisamment


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

de tuyaux – ils proviennent d’une récupération de la mission de Boulaos – Mgr n’avait<br />

tout d’abord prévu que 90 m., c’est à dire jusqu’à la murette limite du terrain des Sœurs.<br />

Le gendarme fournissait gratuitement le coolies pendant 2 jours pour faire le fossé. Puis<br />

au courant pourquoi nous ne creusions pas plus loin il proposa de fournir les tuyaux<br />

manquants. Mgr accepta et 8 coolies (encore gratuitement) fermèrent la première<br />

tranchée et creusèrent une nouvelle, plus longue, presque près de la cuisine des Petites<br />

Sœurs. Le P. Denys aidé de nos gosses installa donc la conduite.<br />

Entre temps les 2 coolies aménagèrent dans la façade vers la mission de la maison<br />

des Sœurs une porte et une fenêtre, travail délicat, demandant plus de temps que prévu,<br />

car le mur en bauco avait tendance de s’écrouler.<br />

1 juin Ce jour Mgr nous prévient que nous aurions le plus vite possible à déménager<br />

l’ancienne remise en face des écoles en vue de préparer un logement pour un vieux<br />

Somali Issa, René Faby (Faye) baptisé à Aden à l’âge de 18 ans et qui, tombé dans la<br />

misère, fut recueilli par l’administration de l’hôpital et qui à la suite de son mauvais<br />

caractère, cherchait à s’en débarrasser. Mgr le vit et lui fit la morale. Le fr. Antoine était<br />

d’avis qu’il fallait plutôt lui aménager une chambre sous le château d’eau à cause de la<br />

surveillance des gosses. Mgr fit déménager par télégramme d’urgence l’ancienne<br />

cuisine. Le 28 juin le T.R.P. Silvère vint pour voir et constata que le vieux n’était pas<br />

venu.<br />

13 juillet A midi, ce jour le Sgt Chef-Radio Germain Novack de Lyon a un coup<br />

d’apoplexie. Il ne put plus parler lorsque le P. Ange vint pour l’administrer. Il mourut<br />

sans avoir repris connaissance. Il laisse une jeune veuve sans enfant.<br />

17 juillet Descendant à Djibouti avec une voiture militaire. Entre le km 8 et 7 de la route de<br />

l’Arta, les 2 roues de devant se dégonflent et la voiture va dans le décor. Le P. Ange<br />

casse ses lunettes et emporte en dehors des bleus, des blessures aux deux mollets. C’était<br />

la nuit. Le lendemain, l’équipage militaire revint sur place. A la vue du danger couru le<br />

chauffeur somali s’écrie : Par bonheur le marabout et la Petite Sœur (Jacqueline-Denise<br />

de Jésus, responsable régionale) étaient avec vous et avaient prié, autrement nous<br />

aurions crevé tous.<br />

Mars-juillet – Hadio, issa, rejeté par sa famille, à la suite de la naissance d’un enfant illégitime<br />

(Yves) fut recueilli par le R.P. Fortunat. Depuis elle lavait à la mission et faisait d’autres<br />

menus travaux et pour cela la mission la rétribuait largement, d’autant plus que depuis 4<br />

ans elle voulait devenir chrétienne et avait pris des leçons de catéchisme chez le T.R.P.<br />

Sivère. Avec les rations elle put même entretenir sa vieille mère qui vint habiter avec<br />

elle, dans une maison construite avec des matériaux de la mission. Vers le mois de<br />

janvier vint s’installer auprès d’elle aussi un frère, avec sa femme et 4 gosses, tous sans<br />

travail et n’en désirant pas. Hadio pour les nourrir vint tous les jours chercher du<br />

ravitaillement ce qu’elle put facilement, le P. Ange n’étant pas au courant de ce que le<br />

T.R.P. Silvère lui<br />

avait donné précédemment. Mgr intervint, parce que le ravitaillement ne suffisait pas. Les rations<br />

furent ramenées à ce qu’elles furent auparavant. Et la crise éclata. Tout d’abord le<br />

cuisinier fut accusé d’être à l’origine de la nouvelle réglementation : il y eut à plusieurs<br />

reprises des scènes violentes entre le cuisinier et elle. L’année passée, durant les grandes<br />

vacances nos enfants gardaient nos chèvres et celles de Hadio à tour de rôle avec la<br />

vieille mère. Cette année-ci nous pouvions faire de même. Mais le frère de Hadio refusa,<br />

il exigea que la mission payât 1800 fr. à la vieille mère. On mit le gendarme le chef de<br />

village, le chef des Fourlaba (chef de tribu de Hadio) dans le coup. Il y eut pendant 1<br />

mois des va et vient. Tout le village s’intéressa au cas. Hadio pendant 1 mois ne vint<br />

plus travailler. Finalement par décision du conseil de tribu Fourlaba les chèvres de la<br />

mission furent rendues hier soir le 1 er août à la mission, le fr. de Hadio fut obligé<br />

d’habiter le village, donc loin de Hadio et celle-ci revint ce matin reprendre son travail


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

habituel.<br />

3 août Hier soir vers 10 h. on appelle le Père pour administrer Mme Troesah, femme de<br />

l’adjudent-chef qui faillit rester à la suite d’une crise cardiaque. Ce matin elle a été<br />

évacuée sur Djibouti par avion.<br />

Août Toutes les parties prenantes, non militaires et militaires de la D.D.O. réclamèrent<br />

à cause du mauvais service. Mais l’instituteur s’étant mis les militaires et les civils sur le<br />

dos et la milice provoqua que la milice ne rendit plus de service aux civils ; aussi on ne<br />

nous chercha plus les légumes. Les militaires voulurent dans la nuit s’en charger.<br />

Lentement un modus vivendi s’établissait à trouver. Le gendarme a encore voulu mettre<br />

à notre disposition son mécanicien, milicien, 2 coolies, et nous donner 4 longueurs de<br />

tuyau pour installer des tuyaux dans le puits militaire, soit disant nôtre à côté du nôtre.<br />

Le fr. Antoine et nos gosses relevèrent la clôture le long de l’oued, côté village, à<br />

partir du puits jusqu’à la pointe ; puis il plantèrent des cactus dont quelques un<br />

proviennent des Sœurs mais dont l’immense majorité fut prise derrière le piton.<br />

Le frère Antoine et les gosses creusèrent également le long de l’orphelinat<br />

plusieurs rangées de trous pour une future plantation d’arbres. On attend le grillage<br />

promis pour faire un enclos pour continuer.<br />

Plusieurs barrages furent essayés dans la partie de ce futur bosquet pour<br />

empêcher l’eau des orages d’emporter toute bonne terre.<br />

Depuis janvier nous avions une poule, bonne pondeuse. Elle nous incita à faire<br />

l’essai avec d’autres. L’expérience paraît concluante. Les 22 actuelles paraissent alléger<br />

notre budget.<br />

14 septembre – Ce matin le nouveau gouverneur de la C.F.S. M. Maurice Meker, vint en visite<br />

officielle à Ali-<strong>Sabieh</strong>. Il nous fit l’honneur d’une courte visite à l’orphelinat. Les petites<br />

sœurs le saluèrent également ; il ne pouvait comprendre qu’elles n’avaient aucune<br />

activité sociale ; D’autant plus qu’il les avait connues au Niger faisant l’école, soignant<br />

des malades, suivant les différentes tribus.<br />

13 septembre – Ce jour, le T.R.P. Silvère est venu avec le T.H.F. Hilaire, nouveau missionnaire<br />

qui nous refit durant les 4 jours de son séjour plusieurs lits des gosses. Les accompagna<br />

le maçon Hassan qui remit en place le nouveau banc de communion, enfin l’ancien ayant<br />

été rongé par les termites ; puis il répara quelques trop grands et trop voyants méfaits à<br />

l’église, ensuite il remit en place la nouvelle clôture pour la nouvelle plantation le long<br />

de l’orphelinat, côté village ; puis il maçonna ( ?) la conduite d’eau du château d’eau à la<br />

nouvelle plantation.<br />

A plusieurs reprises déjà il nous a fallu replanter les plants de cactus, le long de<br />

l’oued, arrachés et réarrachés par les gosses du village.<br />

29-30 septembre : Vincent en jeep en ramenant de Djibouti les deux Petites Sœurs descendues la<br />

veille, le T.R.P. Jean Berchmans et le R.P. Marcellin nouveau missionnaire.<br />

L’administration nous ayant envoyé les factures d’eau de janvier à juin, chose<br />

imprévue dans le budget de la mission, le conseiller Gounaud qui vint nous rendre visite<br />

nous promit d’intervenir pour nous garder la gratuité de l’eau en faisant inscrire notre<br />

puits comme puits public.<br />

1 er octobre – Rentrée des classes avec 38 nôtres et 8 européens. Nos 2 écoles surtout celle des<br />

grands se montrent de plus en plus impropres et trop petites.<br />

Le L t Médecin Vidal en tournée vient voir nos enfants et trouve leur état de santé<br />

excellent.<br />

3 octobre – Hier, lors d’une conférence militaire au camp où prirent part le capitaine End, le<br />

colonel Bastion et l’administrateur Joriot fut décidé qu’en cas dur la mission sera<br />

évacuée sur le camp d’où elle sera à bref délai évacuée par avion sur Djibouti.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

8 octobre – Pendant l’arrêt du train Mgr Person du Harar vint nous rendre une visite éclair<br />

avec un de ses néo-missionnaires qu’il venait de prendre à Djibouti.<br />

Depuis un mois déjà les militaires n’ont plus d’eau dans leur puits, ils cherchent<br />

l’eau en citernes au jardin administratif. L’eau est également rationnée au village. Il<br />

paraît que c’est une suite de la sécheresse momentanée mais il paraît aussi qu’il y a des<br />

fuites dans le drain à la suite des récents tremblements de terre.<br />

1 er novembre – 5 frères des Écoles chrétiennes vinrent en week-end. A peine ils avaient passé<br />

dans leur landrover devant le cercle que le gendarme fut averti qu’un Baderi (un des<br />

frères porte la barbe) se promenait en jeep avec des Petites Sœur ! !<br />

Ils filaient directement au camp militaire croyant y trouver le Père, puisque le<br />

Père était les deux dernières fois qu’ils étaient venus, au camp. Ils furent arrêtés à la<br />

porte par le Sénégalais et comme il déclinaient leur identité ils faillirent se faire coffrer.<br />

Les Petites Sœurs eurent aussi de la visite de 4 institutrices de Djibouti qui<br />

passaient leur week-end chez elles. J’étais à Dikhil. L’administrateur parlait encore<br />

d’elles et me fit comprendre qu’il ne voyait pas pourquoi nos Sœurs recherchaient<br />

tellement les relations des Européens alors qu’elle devraient s’occuper des indigènes ! Il<br />

parait qu’il fut averti par le gendarme ou le capitaine de certaines fréquentations.<br />

Les militaires, le Capitaine End, surtout eut bien voulu repeindre l’église, la<br />

classe du fr. Antoine, l’intérieur de l’orphelinat et la maison d’habitation des<br />

missionnaires. Les militaires fournirent la main-d’œuvre la chaux et l’alen et l’ocre, et la<br />

peinture à l’huile.<br />

<strong>La</strong> sécheresse se fait sentir depuis 2 mois déjà, et à ce fléau s’ajoute depuis 1<br />

mois les épidémies parmi les troupeaux : gale, dysenterie. Les bédouins se défont à peu<br />

de peine de leurs animaux.<br />

Les familles du cercle sont en froid entre elles. <strong>La</strong> politique a aussi créé certains<br />

mouvements de mauvaise humeur mais sans que ceux-ci auraient pris de l’ampleur. Le<br />

missionnaire est salué au village même par son nom et sans qu’il risque encore trop de<br />

recevoir des pierres.<br />

17 décembre – Le ministre de l’Enseignement Blin et le nouveau chef de l’Enseignement M.<br />

Santenac, vinrent faire une courte visite à nos écoles ; le ministre promit de nous aider ;<br />

mais il s’étonna que les Petites Sœurs ne voulaient pas s’occuper des femmes.<br />

Le frère Antoine s’acharne durant les vacances de Noël à apprendre les chants<br />

liturgiques à nos gosses, dont les premiers résultats, à Noël furent très appréciés.<br />

De juin à septembre, le T.R.P. Silvère vint tous les mois dans la deuxième<br />

semaine généralement pour donner une conférence spirituelle aux P.S. En décembre il ne<br />

vint pas.<br />

Tous les 3 mois le gros ravitaillement nous fut apporté de Djibouti par camion<br />

par un des Pères. Les militaires à défaut d’enfants grands et voulurent bien chaque fois<br />

nous aider à ranger sacs et caisses.<br />

Nous avons, le 31 décembre 47 enfants plus le moniteur Simon. 22 nouveaux qui<br />

vinrent durant l’année, surtout à partir de septembre. Au mois de janvier nous avions mis<br />

5 récalcitrants à la porte et depuis l’esprit de l’orphelinat changea à tel point que le<br />

T.H.Fr. Antoine affirme à qui veut l’entendre qu’il n’a jamais passé une année si<br />

tranquille à l’orphelinat comme celle qui vient de s’écouler. D’ailleurs mieux parmi les<br />

enfants on ne remarque plus ces velléités de prendre la fuite, ils paraissent bien mieux et<br />

contents de leur sort. Seuls Simon Bénos, Rossi, <strong>La</strong>zare, enfants venus d’Éthiopie<br />

semblent avoir des difficultés majeures pour se mettre au pas : seraient-ils trop imbus de<br />

fourberie éthiopienne. Ou serait-ce simplement une suite de mauvaise éducation de base.<br />

Quoiqu’il en soit l’expérience n’invite plus du tout à accepter facilement des enfants de<br />

là-haut : chrétiens ou non, Djidjiga ne laisse que peu de bons souvenirs à l’orphelinat.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Au commencement du mois de décembre vu le C dt -médecin Vidal passa les<br />

écoles en inspection. En auscultant nos enfants il ne put rien diagnostiquer d’alarmant.<br />

Par mesure de prudence, il ordonna une réaction cutanée pour chacun de nos enfants,<br />

ainsi qu’il l’avait déjà ordonné pour ceux des écoles coraniques et publiques. Aux dires<br />

de l’infirmier local les résultats positif seraient plus nombreux qu’on ne l’avait<br />

soupçonné. Il y aurait aussi des cas douteux parmi nos enfants. Ils devront descendre à<br />

Djibouti passer la radio.<br />

1958<br />

1 janvier Le T.R.P. Jean Berchmans vint avec le ravitaillement.<br />

6 Après avoir obtenu le transfert provisoire de leur noviciat d’ici à Djibouti, les<br />

Petites Sœurs sont parties ce jour dès à 3 h avec le train de marchandise. Depuis le mois<br />

de mai, il n’y avait plus qu’une sœur à Djibouti et une ou deux par ici en plus de la<br />

novice. Comme ces sœurs souffrent de la bougeotte elles durent ou bien envoyer la<br />

novice passer la nuit dans la famille du gendarme ou l’amener avec elles ce qui arrive le<br />

plus souvent. Celle de Djibouti devant aller à Jérusalem pour 1 mois, et n’ayant de<br />

remplaçante à Djibouti comme infirmière la communauté d’ici s’est déplacée.<br />

Lorsque le capitaine Commandant d’armes et l’administrateur apprirent leur<br />

départ ils demandèrent au Père si leur départ ne pouvait pas être définitif, car leur départ<br />

ne laissait aucun vide, comme ils disent puisque d’une part elles ne s’occupent d’aucune<br />

œuvre sociale, si ce n’est d’avoir des relations avec les Européens ; et d’autre part parce<br />

que leur présence ici sur place empêche probablement toute autre congrégation féminine<br />

d’accepter de s’installer par ici ; un autre motif de l’administration paraît être celui<br />

qu’elle profitent du aerola ( ?) (l’eau, etc.) sans aucune contrepartie de leur part ; de plus<br />

les indigènes avaient cru qu’elles s’occuperaient d’un foyer social comme il en existe un<br />

à Boulaos : aussi en octobre plusieurs femmes vinrent demander pour elles-mêmes ou<br />

pour leurs fillettes l’admission ; elles durent rentrer déçues : l’école publique cherche<br />

maintenant à accaparer les fillettes.<br />

7 janvier – Le gouverneur Meker accompagné du Vice président Mahmoud Harbi,<br />

ministre de l’Intérieur, Hassan Liban, en tournée dans le pays depuis 3 jours sont venus<br />

ce matin par ici. Ces messieurs étaient venus pour expliquer à la population la loi cadre :<br />

le gouverneur fit comprendre qu’il fallait dorénavant s’adresser aux différents ministres<br />

et non à lui-même ; le Vice président demanda d’envoyer les enfants à l’école ; le<br />

ministre de l’Intérieur demanda de vivre en paix avec les Danakils et les différentes<br />

tribus entre elles. Le Gouverneur parut satisfait de la présentation de nos gosses.<br />

Lorsque le Gouverneur voulut commencer à parler il manqua l’interprète qui<br />

s’était caché de peur, et qu’il fallut d’abord chercher au village. Il vint tremblant devant<br />

le Gouverneur et s’excusa de ne pas savoir suffisamment de français. Il fut remplacé<br />

pour la circonstance par un type de la suite qui d’ailleurs traduisait très librement ; il<br />

interprétait.<br />

8 janvier <strong>La</strong> pluie si désirée par tout le monde a enfin commencé à tomber. Cette<br />

bénédiction du ciel a malheureusement pour la mission certains inconvénients. A la suite<br />

de la pluie le manger des enfants est difficile à préparer d’une part parce que le charbon<br />

mouillé brûle difficilement, puis parce que les foyers ne sont pas suffisamment à l’abri<br />

suivant la saison des vents ; mais aussi le manger des missionnaires pose des problèmes<br />

car la pluie passe par les tôles (vicella) et mouille la cuisine et le petit corridor menant au<br />

réfectoire ; de plus suivant que le vent souffle l’eau entre par la porte à l’église ou ce qui<br />

est pire passe par le plafond à gauche entre la porte et le banc de communion et à droite<br />

entre la porte de la sacristie et la fenêtre du chœur mais tout proche de la porte. Dans la


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

baraque l’école du Père la pluie tombe sur le pupitre du Père, enfin les enfants n’ont où<br />

se mettre à l’abri car au réfectoire ils sont mouillés, au dortoir de même en certains<br />

endroits et tous se retirent alors vers les seuls endroits secs ce qui entraîne qu’ils traînent<br />

sur les hangars ; à l’école du frère la pluie passe par les trous du vieux vitrex. Ce sont<br />

des , pénibles , sources de maladie. Même nos poules et poussins et chèvres en<br />

souffrent puisqu’ils ne peuvent sortir et que la place manque pour les nourrir à<br />

l’intérieur, ce qui entraîne également des déchets. De plus nos remises du ravitaillement<br />

s’avèrent mal conçues car dans celle à côté du réfectoire entre la pluie, par les claustras,<br />

en été ; et dans celle à côté du dortoir des gosses la pluie passe par les tôles et malheur<br />

au sucre ! qui font et aux autres denrées qui moisissent.<br />

20-21 janvier – Mgr vint avec le P. Jean Berchmans pour la visite pastorale.<br />

Il fut débattu l’emplacement d’un nouveau orphelinat ; l’arrangement provisoire<br />

de la classe du Père dans le magasin actuel à côté du dortoir ; sa classe devant être prise<br />

comme chambre des grands, l’agrandissement du jardin et le grillage nécessaire pour<br />

l’entourer ; l’aménagement de l’ancien garage ou magasin, la nécessité de religieuses qui<br />

s’occuperaient des femmes et filles ainsi de l’emplacement éventuel d’une nouvelle<br />

maison pour les Petites Sœurs ; le renvoi de tous les enfants trop âgés, des éthiopiens, de<br />

la défense d’accepter des enfants non sujets français.<br />

Comme un des enfants de l’Administrateur devait être confirmé avant son départ<br />

pour la France, Mgr le confirma ainsi que 2 Sénégalais.<br />

23 janvier – Aujourd’hui la 2 ème fois depuis 8 jours un nuage de sauterelles foncées passa sur<br />

Ali-<strong>Sabieh</strong>. Ce fut aujourd’hui le plus important depuis longtemps. Cela ressemblait à un<br />

temps de neige ou des flocons drus tombent à terre. Les enfants sortirent de l’école pour<br />

chasser avec des branches de jalen, des vêtement des casseroles en un mot à grand bruit.<br />

Le gendarme fit allumer le feu avec des filasses.<br />

26 janvier – Les enfants venaient de déjeuner lorsque vinrent des Djiboutiens demandant où<br />

ils pourraient se mettre à l’abri pour déjeuner à cause du fort vent et aussi à cause de la<br />

pluie qui menaçait. On convint que tous mangeraient chez nous des provisions qu’ils<br />

avaient apportées. C’est le deuxième cas depuis le nouvel an où des gens viennent par<br />

ici, croyant trouver un hôtel sur place et qui se réfugient finalement à la mission.<br />

Le repas était à peine terminé que le Père fut appelé dehors par un enfant. Mgr<br />

était arrivé avec le ménage Galgagnile, sous prétexte d’une sortie mais aussi pour faire<br />

des photos de nos gosses et de la mission, inspecter encore l’église et le terrain des<br />

sœurs. Ils furent bien déçus d’apprendre que les sœurs avaient emporté toutes les clefs<br />

de la maison. D’autre part il nous apporta à nouveau quelques couvertures et des<br />

chasubles, étoles pastorales<br />

D’ailleurs 2 jours auparavant nous était venu un paquet expédié par les sœurs de<br />

Marie Réparatrice de Strasbourg contenant une belle nappe d’autel, amicts,<br />

purificatoires, manuterges, corporaux, pales et étole pastorale.<br />

6 mars Le 5 mars, le P. Denys et Abdo de Djibouti vinrent pour installer l’électricité<br />

dans notre maison. Mgr nous avait apporté préalablement le vieux groupe de la Mission<br />

de Tadjourah ainsi que le vitrail St Louis de l’église. Ce vitrail fut également posé et<br />

béni le dimanche 8 mars avant la grand-messe. Le capitaine avait envoyé des militaire<br />

pour aider dans le travail.<br />

11 mars – Aujourd’hui nous apprenons qu’au village les bédouins rouspètent : les<br />

commerçants–bouchers se sont entendus pour les tromper : le boucher évalue la valeur<br />

d’une bête puis envoie le bédouin sans lui donner de l’argent chez un commerçant<br />

déterminé pour acheter les marchandises de la valeur convenue pour la bête. Ainsi, nous<br />

con<strong>station</strong>s que depuis 3 semaines les bédouins étaient prêts à nous vendre à bas prix de<br />

très belles bêtes parce que de cette manière ils recevaient encore plus qu’au village.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Il y a une semaine nous avons perdu la brebis parce que notre gosse Evariste<br />

avait laissé ouvert la porte de l’étable. Les bêtes sortirent au petit jour et furent attaquées<br />

par des hyènes.<br />

Pour couvrir les dépenses, l’administration cherche à trouver de nouvelles source<br />

d’argent. Ainsi la milice ne peut plus nous rendre de petits services d’antan en portant<br />

les paquets à Djibouti à la mission ou de Djibouti par ici. De même on veut nous faire<br />

payer les télégrammes mêmes envoyés par les militaires. Pour contourner les difficultés<br />

le capitaine me nomme adjudant de liaison. Le Père ainsi pour prévenir Dikhil de son<br />

arrivée il formule le télégramme : « dimanche vers vous adjudant de liaison ! »<br />

Le nouvel administrateur Devigne vint pour le premier février à Ali-<strong>Sabieh</strong> ; Le<br />

soir même il y eut une réception intime des autorités. <strong>La</strong> mission ne fut pas invitée. Le<br />

lendemain matin après la messe M. Jorid ( ?) l’ancien administrateur prévint le Père que<br />

le nouvel administrateur n’était pas pratiquant que le transport du Père à Dikhil pour le<br />

service religieux se posera d’une nouvelle façon. Lundi l’administrateur Devigne vint se<br />

présenter le père lui rendit la visite le mardi. Tout se passa courtoisement. Mais dès que<br />

la question de transport se posa l’attitude changea. Il paraît qu’on veut nommer le Père<br />

aumônier de la milice pour éviter toute nouvelle difficulté. D’ailleurs M. Devigne se<br />

montre aussi intransigeant envers le cadi : pour lui ne compte que les papiers et leurs<br />

paragraphes et ne fréquente absolument personne. Pour le moment M. Joriot doit<br />

envoyer une (jeep) de Dikhil pour chercher le Père pour le service religieux : les<br />

premiers et troisième dimanches du mois.<br />

22 mars – Mgr accompagné du R.P. Petit recruteur de la délégation apostolique de Dakar et<br />

de M. L’Abbé Aultoit du centre cinématographique de Paris vinrent nous faire courte<br />

visite ! Mgr ayant cassé un amortisseur de sa nouvelle jeep dans le Petit Barra, se fit<br />

réparer la panne au camp.<br />

17 avril – En date du 17 avril le Père d’Ali-<strong>Sabieh</strong> a été nommé aumônier de la milice. Et le<br />

commandant de cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> a été autorisé de lui prêter le véhicule pour ses<br />

courses pastorales à Dikhil. M. Devigne prévint le Père par le gendarme une dizaine de<br />

jour après réception des papiers.<br />

27 mai – Près du puits au pied du piton un Somali commença un jardin sans la permission<br />

du capitaine, mais suivant les ocals avec la permission de l’administrateur. Nos chèvres<br />

étant entrées dans ce jardin, le jardinier les attrapa, les amena pour demander dommage<br />

intérêt. Comme le Père était en classe il alla chez l’administrateur qui le renvoya au Père<br />

accompagné de 2 ocals, après un palabre le Père paya 500 fr. Le capitaine ayant appris<br />

l’affaire fonça chez l’administrateur pour exiger la restitution des 500 fr. au Père et<br />

l’abandon du jardin. De nouveau palabre. L’administrateur ayant la frousse prétendait<br />

n’être au courant de rien. Alors que les olcals étaient unanimes à prétendre le contraire.<br />

Après 8 jours de patience le jardin fut abandonné.<br />

28 mai – Le T.R.P. Silvère vint avec 3 de ses enfants en camion avec des aughareb, etc. Ils<br />

restèrent 2 jours. Tous profitèrent pour faire une sortie en camion avec tous nos enfants<br />

vers l’arbre de Ménélik.<br />

M. Pécoul vint le matin en auto nous amenant pour la journée la communauté des<br />

Petites Sœurs de Jésus de Djibouti. Ils repartirent dans la soirée.<br />

Durant leur séjour elles purent constater comme l’avait déjà signalé le Père que<br />

des mains étrangères avaient cherché à forcer différentes portes : elles avaient enlevé et<br />

remis à nouveau le vitrex des portes.<br />

1 er juin – Hier, nous avions à nouveau une bonne pluie. <strong>La</strong> première pratiquement depuis<br />

septembre puisque les 3 jours pluvieux ou de février étaient négligeables. Enfin<br />

on a à nouveau espoir d’avoir de l’eau qui déjà toute l’année est rationnée. On a creusé<br />

en bien des endroits mais sans trouver de l’eau potable. Les militaires achètent


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

quotidiennement 1 à 2 citernes d’eau au C.F.E. depuis près de 4 mois.<br />

Bavardage Rossi, un Éthiopien, a dû être renvoyé. Pour se venger il chercha à discréditer<br />

Simon. Il fut aidé par notre laveuse Hadio qui rapporta les mêmes idioties à Djibouti à<br />

différentes mamans de gosses qui vinrent rouspéter ou seulement s’informer. Hadio fut<br />

mise en place devant Lemsin son chef de tribu et le chef du village. Dorénavant elle<br />

devra se tenir à l’écart de nos gosses.<br />

M. Galgagnile vint avec la moitié de notre ravitaillement industriel et les 4<br />

Petites Sœurs de Djibouti ; dont 2 vont rester à nouveau par ici en attendant. <strong>La</strong><br />

supérieure sera P.S. Hélène de Jésus qui a bien besoin de ce changement d’air. Mgr m’a<br />

prévenu qu’elles travailleraient dorénavant 2 demies journées par semaine pour la<br />

mission en raccommodant le linge des gosses et des religieux.<br />

13 juin Le capitaine a fait détruire le jardin dont il était question le 27 mai ; par un tir de<br />

mortier dans la nuit du 12-13 juin. Affaire qui fait beaucoup de bruit jusqu’à Djibouti.<br />

Ministres, conseillers sont en émoi. Commissions viennent inspecter et s’informer. Le<br />

jardinier ne veut démordre soutenu qu’il se sait par l’Administrateur qui veut jouer un<br />

tour aux militaires. Le cadi s’y mêle au nom de la religion, vu que seul, lui et Mohamed<br />

puissent prendre leur terrain à un Issa. Le capitaine l’a mis gentiment en place et<br />

renvoyé ; d’autant plus qu’il incriminait la croix lorraine sur le piton comme signe<br />

<strong>catholique</strong> et honni par les musulmans. De connivence avec l’administrateur, il l’a fait<br />

saccager la nuit du 19 juin. Même la mamona a été mise en cause parce que nos chèvres<br />

avaient passé depuis sur le terrain et les mauvaises langues crièrent de nuit et ameutèrent<br />

le jardinier contre nous, soit disant que nous aurions envoyé expressément nos chèvres<br />

détruire son jardin sur le conseil du gendarme et des militaires. Le capitaine a décidé une<br />

nouvelle manœuvre de nuit pour détruire ce jardin de font en comble.<br />

23 juin Jeudi le 19, M. Mohamed Abdi vint prévenir qu’il allait mettre sa famille à la<br />

mission dans l’ancienne école pour 4 mois comme il n’avait pas de lettre de Mgr nous<br />

attendions. Mgr était effectivement d’accord. Comme il m’écrivait dans la suite et qu’il<br />

était en somme forcé moralement de le faire. Muni de la lettre nous nous adressions aux<br />

petites Sœurs. Grand émoi ! Enfin tout s’arrangea. Et ce soir la dame et 5 gosses vinrent<br />

s’installer. Il y a encore 2 autres personnes : une sœur de Mme et une servante ! ! Malgré<br />

tout cette famille sur le nez des P.S. à l’air d’un défi pour ces dernières ; et pour nous il<br />

est une source de nouveaux soucis à cause des gosses.<br />

Fin juillet les événements avec cette famille devaient se précipiter : la servante<br />

recevait des galants la nuit sous le nez des Sœurs, sur la véranda ; les Sœurs réclament.<br />

<strong>La</strong> famille invente des essais de vol en l’absence des Sœurs on force la fenêtre de la<br />

cuisine et on entre chez elles ; la bonne reçoit même dans la maison en présence paraît-il<br />

de la dame et des enfants . Les Sœurs sont rongées de honte. Le Père, se fait insulter. On<br />

écrit à Mgr. Le 13 août la famille repart soi-disant pour Hargheisa.<br />

13 août Depuis quelques jours : division au village ; il y a 2 cadis : l’ancien nationaliste<br />

anthé......( ?) et un nouveau francophile. Au grand heur ils se sont battus à armes<br />

blanches et écroués les deux. Déjà les 2 dernières fêtes musulmanes avaient été célébrées<br />

par les deux parties à des jours différents.<br />

10 août Fr. Hilaire vint chez nous passer quelques jours de vacances, durant lesquels il<br />

nous a rendu pas mal de services. Il repartit avec le camion de ravitaillement, conduit par<br />

M. Galgagnile qui cette fois-ci avait hâte de rentrer.<br />

17 août Après des mois pratiquement sans pluie, nous avons eu un orage formidable. Le<br />

vent semblait vouloir tout emporter. Enfin chez nous et au village les dégâts sont<br />

relativement sans importance ; mais au camp il y a pour1.000.000 fr de dégâts : des<br />

maisons entièrement découvertes ; une auto qui se trouvait dehors, 2 cv., freins serrés fit<br />

un bond de 20 M.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Le 19, nouvel orage. Les toits recouverts dans la journée au camp militaire sont à<br />

nouveau arrachés avec la charpente. Dégâts minimes à la mission.<br />

31 août Ce jour Mgr vint avec le comte V. Magnis, un expulsé de (solene ?), grand<br />

voyageur, avec 15 jeunes gens allemands de toutes les régions allemandes et un Père<br />

Augustin de Wuszbury. R.P. Mathias et un médecin de l’école missionnaire de<br />

Wurzbury. L’équipe monte au Harar construire une nouvelle léproserie,, des écoles etc.<br />

Les jeunes gens n’auront pendant 5 ans qu’un peu d’argent de poche (50 dl. éth.) par<br />

mois. Pour le reste ils ne veulent travailler que pour l’amour de Dieu. Le conte s’est fort<br />

intéressé à notre œuvre et fit entendre qu’il fera des demandes à l’U.N.E.S.C.O. en notre<br />

faveur. Le P. Mathias veut avant tout voir les possibilités d’établir des écoles.<br />

7 septembre – le soir, M. Galgagnile vint avec le camion avec les 2 Petites Sœurs de Djibouti<br />

qui vinrent pour passer une nuit dans la fraîcheur, un coolie maçon, Ismaël, pour<br />

reconstruire la guérite du petit moteur de la pompe, avec ciment et parpaings ; et<br />

finalement avec les T.R.PP. Silvère et Jean Berchmans qui devait prêcher la retraite. Le<br />

frère Hilaire était déjà venu le 3 dans la nuit et avait rendu pas mal de services de<br />

bricolage. Nous étions 5 retraitants avec le prédicateur. Le temps était toujours très<br />

pénible et les gens habitués aux climatiseurs souffrirent beaucoup. Cette année-ci,<br />

paraît-il, ce sera la première fois qu’on fait 2 tours de retraite. A Djibouti, elle aura lieu<br />

la semaine prochaine.<br />

11-16 sept. Le P. Ange souffrit d’une crise de calculs néphrétiques. Il fut évacué par avion à<br />

Djibouti où il séjourna à l’hôpital jusqu’au jeudi suivant.<br />

1 er octobre Nous commençons les classes avec 48 internes et 5 externes (européens) dont 4<br />

filles : 2 cours moyen 2 ème année : une en cinqu... élève et une au cours enfantin. Simon<br />

aide le frère Antoine.<br />

Pour le 1 er octobre, vint la famille Achard, lui mchs’ vietnamien non baptisé et<br />

elle une bretonne pratiquante, pour prendre en charge l’école publique.<br />

3 novembre L’administrateur ayant appris que le gouverneur célébrait religieusement ce jour<br />

à Djibouti résolut de faire autant à Ali-<strong>Sabieh</strong> et Dikhil, d’autant plus qu’il voulut se<br />

concilier à nouveau les militaires. A 7 h. il déposa une gerbe à Dikhil devant le<br />

monument Bernard à 10 h.. Il y eut absoute à notre cimetière, déposition d’une gerbe<br />

(capitaine + administrateur) sonnerie aux morts, minute de silence. Une section de<br />

miliciens et une section de militaires rendaient les honneurs.<br />

3-6 nov. Le R.P. Marcellin qui n’avait pas eu de vacances durant l’été vint chez nous voir 2 jour<br />

pour vivre dans une autre ambiance que celle de Djibouti et pour faire quelques photos<br />

pour la procure à Strasbourg.<br />

6 nov. <strong>La</strong> situation politique étant de plus en plus incertaine, une section d’ici doit<br />

garder le pont de Holl-Holl. Ceci entrave un peu notre catéchisme des Sénégalais.<br />

28 oct. Le nouveau gouverneur Jacques Compain vint faire une visite éclair pour prendre<br />

contact avec la population. Il vint à la Mission et alla faire une adoration à l’église.<br />

Généralement au dire de tous il fit très bonne impression.<br />

15 décembre – Aujourd’hui, le gouverneur accompagné de son chef de cabinet, M. Devigne<br />

présente le nouvel administrateur M. Frier, qui entra immédiatement en charge. M.<br />

Devigne ne s’occupera plus que du cercle de Dikhil.<br />

Dès son arrivée, le nouvel administrateur veilla à ce que l’eau revint ; car depuis<br />

près de 2 mois nous n’en avions plus faute ..........leur qui avait été cassé brutalement.<br />

Notre citerne s’était presque complètement vidée.<br />

Remarques générales : Année assez sèche presque pas de pluie ; les sauterelles dont<br />

communément de l’année firent grand dégât. Notre jardin donna assez bien aussi<br />

longtemps qu’on arrosa avec de l’eau douce du village. L’arbre à jouvier , il ne donna<br />

rien parce qu’il fallut arroser avec notre eau saumâtre.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Les élections pour le référendum du 28 sept. se passèrent dans le calme. Les<br />

indigènes qui votèrent en majorité pour la sécession ont trompé tous les pronostiques.<br />

Depuis octobre nous n’avons plus de troupeau. Le capitaine End veut bien nous<br />

fournir toute la viande à prix favorable. Les chèvres, nous devons les prendre en entier,<br />

nous sont fournies au prix de revient du camp. Cela nous permet des économies. D’autre<br />

part il nous permit de prendre du fumier près de l’abattoir pour nos besoins de jardin<br />

autant que nous voulons.<br />

L’administrateur pense qu’il serait mieux d’approfondir les 2 puits du village<br />

récemment creusés, d’abandonner l’ancien au camp militaire et de ne pas construire le<br />

barrage projeté pour lequel l’Assemblée territoriale a déjà voté 5.000.000 FDj. car l’eau<br />

suffirait largement et l’entretien du barrage coûterait à la longue beaucoup trop.<br />

Dikhil fut desservi régulièrement tous les 15 jours et les jours de fête avant la<br />

messe il y eut chaque fois catéchisme pour les enfants.<br />

3 fois par semaine il y a catéchisme au camp pour les militaires<br />

Les Petites Sœurs s’occupent activement de l’église et du linge des enfants. Elles<br />

couvrirent toutes les cartes d’électeurs ; mais l’administrateur Devigne au lieu de les<br />

payer 10 fr. par carte ne leur les paya que 5 fr. la carte tout en leur faisant également<br />

écrire celles du cercle de Dikhil, en se faisant price à payer.<br />

L’administrateur Frier leur a aussi demandé d’écrire les nouvelles cartes, en<br />

promettant de payer ce qui est resté.<br />

Anno Domini 1959<br />

1 er janvier A la suite de la pénurie d’eau dont nous avons souffert en 58, Mgr profita du<br />

passage du R.P. Joseph Antoine d’Etrillers, de la province de Paris, missionnaire à<br />

Berbatpura aux Indes, et nous l’envoya pour chercher de l’eau sur notre terrain. Il trouva


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

2 veines qui se croisaient derrière notre maison d’habitation l’une à 19 m. de<br />

profondeur, la plus importante et l’autre à 22 m. de profondeur. Il trouva une 3 ème<br />

veine au bord de l’oued du côté de la montagne très abondante elle aussi et aussi à 20<br />

m. de profondeur.<br />

Au camp II il découvrit un ruisseau souterrain qui fournirait 150 m3 par<br />

heure. Le capitaine est enthousiaste. Il proposera à ses chefs de lui fournir les crédit<br />

nécessaires (à la place d’acheter l’eau en Éthiopie) à cette condition : s’il ne trouvera<br />

pas l’eau présumée la compagnie rembourserait les crédits ; s’il trouve l’eau les<br />

crédits resteraient acquis à la compagnie. Cela contrecarrera le projet de<br />

l’administrateur dont il était question plus haut (fin 1958).<br />

11 janvier – Cet après-midi vinrent en 2 jeeps (dont une conduite par M. Geoffroy des<br />

T.P. l’autre par un autre monsieur) les sœurs franciscaines de l’hôpital de Djibouti et<br />

5 institutrices des Sœurs. Elles étaient parties le matin, mal renseignées, elles avaient<br />

cru pouvoir assister à la messe à Dikhil.<br />

18-19 janvier – Ce soir vers 8 h. sans être annoncés spécialement vinrent Mgr avec M.<br />

Galgagnile pour la visite pastorale qui fut vite réglée. M. Galgagnile vint en même<br />

temps notre moteur d’électricité à nouveau en route. <strong>La</strong> panne ne fut nullement si<br />

grave que les militaires nous l’avaient fait croire voilà 6 mois : 1 h. de travail !<br />

22 janvier – Aujourd’hui les P.S. Yvette Jeanne et Nicole Louise prirent l’habit religieux<br />

des novices. Depuis 8 jours elles suivaient les conférences de retraite données par le<br />

P. Ange. Mgr avait délégué le P. Ange pour présider à la vêture. Grande assistance<br />

d’Ali-<strong>Sabieh</strong> et de Djibouti. Entre autres les frères des Écoles chrétiennes. Après la<br />

messe les Européens du village furent invités par les P.S. à prendre le déjeuner chez<br />

elles et pour midi il y avait toujours une 15 ne de personnes.<br />

Sam. 27 février – à 11 h. 1 /2 après la classe le Dr Durand vint m’informer d’un télégramme<br />

émanant de l’État Major de Djibouti, défendant aux militaires de livrer aux civils<br />

donc aussi à la mission quoi que ce fût en pain, viande, légumes etc. à partir du 1 er<br />

mars. <strong>La</strong> mission envoya immédiatement un télégramme à Mgr lui demandant des<br />

vivres et envoya dès l’après-midi un gosse avec une lettre explicative à Mgr. <strong>La</strong><br />

mesure avait provoqué un grand émoi parmi la population. L’administrateur<br />

descendit immédiatement contacter le gouverneur à Djibouti qui demanda au Colonel<br />

supérieur d’accepter un arrangement. Car tous les fonctionnaires européens d’Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> et du cercle de Dikhil avaient menacé de démissionner. Dès lundi un<br />

arrangement fut trouvé : Dikhil et Ali-<strong>Sabieh</strong> se constituèrent en 2 groupements<br />

d’achat qui achèteraient dorénavant globalement pain et légumes au camp en<br />

assurant la distribution par après à leurs membres. <strong>La</strong> viande reste libre.<br />

Toute cette histoire avait paraît-il comme origine un malentendu entre Cap.<br />

End qui était trop franc et ouvert et son colonel qui regardait trop dans les verres,<br />

ayant besoin d’argent il chercha à s’attribuer le bénéfice de la vente des denrées<br />

alimentaires aux civils. De plus, il paraît, qu’il y eut aussi des divergences politiques<br />

qui jouèrent entre les deux messieurs.<br />

Le Cap. End qu’on avait d’abord voulu faire prolonger, dût prendre le<br />

premier bateau en partance pour la France. Nous avons perdu en lui un grand ami et<br />

grand bienfaiteur.<br />

Les derniers jours d’avril autochtones, et Européens furent en émoi, un lion,<br />

paraît-il, avait mangé à Aïcha une femme et 2 enfants, ailleurs un chameau. A<br />

plusieurs reprises le Cercle fut alerté et l’administrateur partit avec des miliciens. De<br />

même les militaires suivaient et les traces mais tous en vain.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Fin avril et 8 mai – Pour le 1 er mai, grand monde chez les Petites Sœurs où se sont donnés<br />

rendez-vous les Sœurs d’Aden et de Djibouti.<br />

De même rendez-vous des Petites Sœurs de Djibouti du 7 au 10 mai. Nous<br />

avions eu, à la demande des Petites Sœurs, chaque fois exposition du T.S. Sacrement<br />

de 8 h. du matin à 11 h. ½ durant une matinée.<br />

8 mai – Cérémonie purement civile et militaire, à laquelle fut invité le Père. Sonnerie<br />

aux morts et déposition d’une gerbe ! ! par le commandant d’Armes et<br />

l’administrateur.<br />

Depuis le 5 mai, le soir nous avons l’électricité dans la maison d’habitation<br />

des missionnaires, des enfants et de l’église.<br />

Les Petites Sœurs demandèrent pourquoi elles ne l’avaient pas eue,<br />

probablement n’ont elle pas su que leurs précédentes avaient demandé qu’on arrache<br />

l’installation de leur maison !


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Annexe 2<br />

CAOM, CFS, sous série 6G, carton 6G7. Rapport trimestriel pour le 2 e trimestre 1950, rédigé<br />

par le Lieutenant KREHER, commandant de cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, 20 juillet 1950 (6G7).<br />

En 1950, le cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> apparaît encore comme « le parent pauvre ». Le<br />

Commandant de Cercle fait le bilan, dans sa rubrique 5 de son rapport trimestriel, des<br />

travaux à réaliser…<br />

Aucune réalisation n’est intervenue dans le Cercle d’Ali-<strong>Sabieh</strong> à ce titre depuis de<br />

nombreuses années.<br />

Cependant, entre autres, le dispensaire actuel, installé dans une baraque réparée avec des<br />

moyens de fortune à la suite d’une tornade, va tomber en ruines ; l’école ne dispose pas que<br />

de locaux inconfortables et suffisants, de plus d’ici peu elle nécessitera une réfection complète<br />

des toitures et des boiseries, entraînant de très gros frais.<br />

Par ailleurs elle est très mal située car trop éloignée du village et placée sur une colline<br />

pénible à escalader par des enfants.<br />

Aucun logement de sous-officier digne de ce nom. L’agent spécial habite dans une maison<br />

non prévue originellement dans un but d’habitation et où il est très pénible de séjourner en été,<br />

par suite de sa conception, de sa distribution et de son orientation.<br />

<strong>La</strong> création d’un camp de Milice est à prévoir. Les miliciens célibataires logent dans un<br />

bâtiment construit en 1939, pour des partisans, absolument inconfortables, trop bas et sans<br />

aération.<br />

Les miliciens mariés ne disposent pas de logements et doivent se loger chez des habitants<br />

du village, à leurs frais ce qui est anormal et contraire à leur statut.<br />

Aussi il est demandé à Ali-<strong>Sabieh</strong> la construction dans l’ordre d’urgence :<br />

- d’un dispensaire du modèle de ceux de TADJOURAH ou de DIKHIL, avec logement<br />

pour le sous-officier infirmier ;<br />

- d’une école du modèle de celle de TADJOURAH comprenant 3 classes, des locaux à<br />

usage de cuisine et de réfectoire pour la cantine scolaire, un logement pour les<br />

instituteurs ;<br />

- d’un camp de Milice, comprenant des logements pour célibataires, des locaux à usage<br />

commun (cuisine, douches, etc.) des magasins à usages divers (armes, munitions,<br />

vivres, habillement) ainsi que, en dehors mais à proximité, des logements pour<br />

miliciens mariés.<br />

- D’une habitation correcte pour sous-officier permettant le logement d’une famille avec<br />

enfants (du type de celles réalisées ou en cours de réalisations à DIKKIIL ou<br />

TADJOURAH).<br />

- Des plans existent déjà aux Travaux Publics pour dispensaire, école et logement de<br />

sous-officier […]<br />

En plus de cette question de construction, il est à prévoir à Ali-<strong>Sabieh</strong> la résolution du<br />

problème important de l’eau pour laquelle des demandes ont déjà adressées à plusieurs<br />

reprises.<br />

Pour cette réalisation un spécialiste serait nécessaire et il ne peut être donné de plans ou<br />

chiffres pour le Commandant de Cercle.<br />

Cependant, elle est à étudier sérieusement car chaque année en période de sécheresse, une<br />

bonne partie de la population du village d’Ali-<strong>Sabieh</strong> souffre du manque d’eau ou<br />

d’absorption d’eau peu propre à la consommation.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Annexe 3 : Etat actuel de la Mission Somalie, extrait de la<br />

revue missionnaire « Grands <strong>La</strong>cs », numéro spécial Djibouti,<br />

15 mai 1947.<br />

Annexe 4 : Extrait de la revue missionnaire « Vivante<br />

Afrique », n°250, mai-juin 1967, p.40-41 : Ali <strong>Sabieh</strong> :<br />

l’évangile au milieu des pauvres.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Annexe 5 : Photographies en noir et blanc illustrant l’état<br />

actuel de la Mission Somalie, extrait de la revue missionnaire<br />

« Grands <strong>La</strong>cs », numéro spécial Djibouti, 15 mai 1947.<br />

L’orphelinat d’Ali <strong>Sabieh</strong> vers 1946<br />

Les Pères Capucins et les enfants de la Mission d’Ali <strong>Sabieh</strong> vers 1946


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Monseigneur Hoffmann, Préfet Apostolique de Djibouti depuis 1945<br />

Monseigneur Hoffmann et le R.P. Silvère, supérieur de la Mission d’Ali <strong>Sabieh</strong> (1946)


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Annexe 6 : Photographies en couleur de la mission d’Ali <strong>Sabieh</strong><br />

en 2000 (collection privée de C. Dubois).


Sources archivistiques.<br />

Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Sources<br />

Centre des archives d’outre-mer (CAOM), 29 chemin du Moulin Destesta,<br />

13 100 Aix-en-Provence.<br />

Fonds du ministère des Colonies. Série Affaires politiques.<br />

Carton 2192: dossier 5, réponse à l’enquête sur les missions dans les colonies<br />

(gouverneur Chalvet, 28 Janvier 1948).<br />

Carton 2192: dossier 15, questions religieuses sur la préfecture apostolique de Djibouti<br />

(Monseigneur Hoffmann 1945-1946).<br />

Carton 50141 Rapport de l’ONU sur la CFS par la France, années 1948, 1950, 1951,<br />

1954.<br />

Carton 698 : rapports mensuels du cercle de Dikhil (1938-1939) et du cercle d’Ali-<br />

<strong>Sabieh</strong> (1940-194) ; dossier Monfreid.<br />

Fonds local Côte française des Somalis. Série G : Cercles de la CFS.<br />

Sous-série 6G. Ali-<strong>Sabieh</strong> :<br />

6 G 1-4<br />

Courrier<br />

1<br />

Enregistrement du courrier départ, mai 1931-mai 1932.<br />

2<br />

Courrier départ (chronos), 1949-1951.<br />

Courier arrivée, 1950.<br />

3<br />

Courrier départ (chronos), 1952-1955.<br />

Courrier départ. Courrier « spécial milice », 1958-1960.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

4<br />

Courrier confidentiel. Bulletins de renseignements, 1939-1959 (mq. 1957)<br />

6G5/ 1-6<br />

Affaires militaires, 1924-1936, mai- août 1943.<br />

5/2<br />

Défense militaire du cercle, 1940-1942, 1945-1955.<br />

Instructions et notes de service sur le dispositif militaire, cartes d’Ali-<strong>Sabieh</strong>, plans des<br />

secteurs (surtout Hol-Hol)<br />

5/3<br />

Frontière avec le Somaliland, 1945-1948 :<br />

Correspondances a.s. de l’abornement, synthèses mensuelles, notes de renseignement sur la<br />

situation des régions frontières de la CFS.<br />

Communicable en 2008.<br />

5/4<br />

Rapports et notes de service, 1939-1959 :<br />

Instructions sur la collecte de renseignements et le contre-espionnage, bulletins bimensuels de<br />

renseignements, journal de marche du Hol-Hol, rapports, notes de service.<br />

5/5<br />

Affaire des « fusillés de 1941 », 1941, 1953-1954 :<br />

Enquête (p.v de déposition de témoins, copies des pièces d’archives) et correspondances a.s.<br />

de l’indemnisation des familles des victimes.<br />

Communicable en 2014.<br />

5/6<br />

Anciens combattants et intendance, 1950-1959 :<br />

Correspondances a.s. de pensions, commémorations, habillement, construction d’un bâtiment<br />

pour le cantonnement des troupes.<br />

6G6-7<br />

Affaires administratives, 1939-1959.<br />

6<br />

Organisation et commandement du cercle, 1939-1954<br />

Rapports trimestriels, 1952-1954<br />

Passations de service, 1940-1952<br />

Personnel, 1939-1958 : européen, 1939-1955, autochtones (okal), 1939-1958.<br />

Recensement, 1946-1947 : fiches familiales, recensement des Issas (chiffres antérieurs)


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Etat civil, 1939-1951 : tenue des registres, cartes d’identité<br />

Nationalité, 1953-1956 : textes de base, deux demandes individuelles.<br />

Réglementation, 1955-1956 : chasse, forêt, inventaire des ressources en eau.<br />

Justice, 1939-1956 : circulaires, notes de base, organisation des prisons, détenus ; tribunal<br />

indigène, 1940-1945 (épaves) : p.v d’interrogations<br />

7<br />

Finances, 1940-1959 : budget, droits d’enregistrement, taxes, taxe sur le Kât, patentes,<br />

douanes, domaines<br />

Urbanisme, travaux publics, routes, 1940-1959<br />

Chemin de fer, 1940-1959 : correspondance<br />

Affaires musulmanes, 1938-1945 : mosquées, écoles coraniques, pèlerinages, fêtes, marabouts<br />

Enseignement, 1950-1959.<br />

Santé et action sociale, 1939-1948 : rapports médicaux, Croix-Rouge, dispensaire, AMI.<br />

Fonds privés: Les archives de l’évêché de Djibouti.<br />

Grâce à l’aimable autorisation de l’actuel évêque de Djibouti, Mgr Giorgio Bertin, cinq<br />

journaux de postes missionnaires nous ont été transmis par l’intermédiaire de Madame Colette<br />

Dubois. Deux d’entres eux, ont été utilisés:<br />

Chronique de la <strong>station</strong> d’Ali-<strong>Sabieh</strong> (1947-1959).<br />

Chronique de la Préfecture Apostolique de Djibouti (1947-1958).<br />

Sources imprimées.<br />

J’ai pu bénéficier des recherches aux Œuvres pontificales missionnaires de Lyon<br />

(OPM), 12, rue Sala, 69002 Lyon ; réalisée par Olivier Jouanneau, ancien étudiant de Colette<br />

Dubois. Il a gentiment mis à ma disposition quelques articles de la revue éditée par la<br />

Province capucine de Strasbourg-Koenigshoffen, Missionnaires Capucins. Chaque année la<br />

revue produisait un compte rendu, sous forme de rapports, des deux missions capucines ; celle<br />

de Madagascar et celle de Djibouti. Ces rapports sont rédigés par les responsables des<br />

missions respectives.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

Grands <strong>La</strong>cs, Namur, Revue général des Missions d’Afrique, 15 mai 1947, numéro<br />

spécial « Florilège somali ».<br />

1. Instruments de travail<br />

Bibliographie<br />

Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique: doctrine et histoire, Beauchesne, 1935-<br />

1995.<br />

GERHARDS A., dictionnaire historique des ordres religieux, Fayard, 1998.<br />

LEVILLAIN P., dictionnaire historique de la papauté, Fayard, 1994.<br />

2. Ouvrages de référence<br />

GADILLE J. et MAYEUR J.M. (dir), histoire du christianisme, t. 11, libéralisme,<br />

industrialisation, expansion européenne 1830-1914, Paris, Desclée, 1995.<br />

MAYEUR J-M. (dir), histoire du christianisme, t. 12, Guerres mondiales et totalitarismes<br />

1914-1958, Paris, Desclée, 1995.<br />

RUGGIERRI G. (dir), Église et histoire de l’Église en Afrique, Paris, Beauchesne, 1988.<br />

2000 ans de christianisme, t.10, Paris, 1976, p.5-74.<br />

3. Ouvrages et articles spécialisés<br />

ARENS (le P.), Manuel des missions <strong>catholique</strong>s, Louvain, 1925.<br />

BRAUDEL F., Civilisation, économie et capitalisme: XV e - XVIII e siècle: le possible et<br />

l’impossible. Les structures du quotidien, t.1, Paris, Librairie générale française, 1993<br />

BONIFACE X. , L’aumônerie militaire française (1914-1962), Cerf, Paris, 2001.<br />

COQUERY-VIDROVITCH, Histoire de la France coloniale, t.3, le déclin, Pocket, Paris,<br />

1996.<br />

COULON P., BRASSEUR P., Libermann, 1802-1852. Une pensée et une mystique


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

missionnaires, Cerf, Paris, 1988.<br />

DE BENOIST J.R, Église et pouvoir colonial au Soudan français, Administrateurs et<br />

missionnaires dans la boucle du Niger (1885-1945), Karthala, Paris, 1987.<br />

DESCHAMPS H. « <strong>La</strong> Côte française des Somalis », in DESCHAMPS H. et MENARD A.,<br />

Côte des Somalis, Réunion, Inde, Paris, Berger- Levraut, 1948, p. 1-85.<br />

DELACROIX Mgr (ss dir), histoire universelle des missions <strong>catholique</strong>s, Paris, 1956-1959, 4<br />

vol.<br />

DIRECHE-SLIMANI K., Chrétiens de Kabylie, 1873-1954 : une action missionnaire dans<br />

l’Algérie coloniale, Bouchène, Saint-Denis, 2004.<br />

DUBOIS C., Djibouti 1888-1967. Héritage ou frustration?, Paris, L’Harmattan, 1997<br />

DUBOIS C., SOUMILLE P., Des chrétiens à Djibouti en terre d’Islam, XIX-XX e siècle, Paris,<br />

Karthala, mémoires d’Églises, 2004.<br />

GADILLE J., « Georges Goyau, historien des missions », Revue Française d’histoire d’Outre<br />

-Mer, t. LXV, 1978, n°241, p. 585-601.<br />

GUILLAUME P., Le Monde colonial (XIX e - XX e siècles), Paris, Armand Colin, 1974.<br />

GUILLEBAUD J.C, Les confettis de l’Empire, Paris, Éditions du Seuil, 1976.<br />

JOUANNEAU O., Consolider la présence <strong>catholique</strong> à Djibouti, une minorité religieuse dans<br />

une ville musulmane, Actions et limites d’un apostolat (1945-2003), mémoire de<br />

maîtrise, 2004.<br />

Les Réveils missionnaires en France, du Moyen Age à nos jours (XII e - XX e siècles), Actes du<br />

colloque de Lyon, 1980, Paris, 1984.<br />

LEVI G., Le Pouvoir au village. Histoire d’un exorciste du Piémont du 17 e siècle, Paris,<br />

Gallimard, 1989.<br />

MASSIGNON L., « l’Islam à Djibouti », Revue du monde musulman, Janvier 1908, p.139-<br />

140.<br />

MERLE M., Les Églises chrétiennes et la Décolonisation, Paris, Armand Colin, 1967.<br />

MIEGE J-L., Expansion européenne et Décolonisation de 1870 à nos jours, Paris, Presses<br />

Universitaires de France, 1973.<br />

Minorités et sociétés coloniales : 19 e -20 e siècles : séminaire de recherche IHPOM,<br />

RIAMSEM, Sophia Antipolis, mai 1986, Université de Provence, Aix-en-Provence<br />

1988.<br />

MOHAMED-ABDI M. , « Retour vers les dugsi, écoles coraniques en Somalie », Cahiers<br />

d’études africaines, 169-170, 2003.


Chronique de la Station d’Ali-<strong>Sabieh</strong> 1958<br />

NEGRONI D., L’eau à Djibouti: 1945-1967. Une enjeu majeur pour le développement?,<br />

mémoire de maîtrise, université de Provence, 2000.<br />

OBERLE P., HUGOT P., Histoire de Djibouti. Des origines à la République, Paris- Dakar,<br />

Présence africaine, 1985, réédition 1996.<br />

PENNEC H., Des jésuites au royaume du prêtre Jean : stratégies, rencontres, et tentatives<br />

d’implantation, 1495-1633, Centre culturel Gulbenkian, Paris, 2003.<br />

PENRAD J-C, « Religieux et profane dans l’Ecole coranique. <strong>La</strong> cas de l’Afrique orientale et<br />

de l’océan Indien occidental », Cahiers d’études africaines, 169-170, 2003.<br />

PIGUET F., Des nomades entre la ville et les sables. <strong>La</strong> sédentarisation dans la Corne de<br />

l’Afrique, Paris- Genève, Karthala- IUED, 1998.<br />

PIOLET J.B, « Du budget des missions étrangères », Revue d’histoire des missions, 1926, pp.<br />

162-194.<br />

-Nos missions et nos missionnaires, date?<br />

POINSOT J.P, Djibouti et la Côte française des Somalis, Paris, Hachette, 1964.<br />

PRUDHOMME C., (ss dir) Mission et Missions, Paris, Publish, 2004.<br />

REVEL J.,(ss. dir), Jeux d’échelles : la micro-analyse, à l’expérience, Paris, Gallimard, le<br />

Seuil, 1996.<br />

SAINT-VÉRAN R., A Djibouti avec les Afars et les Issas, Cagnes-sur-Mer, 1977.<br />

TORNEZY, O., « les travaux et les jours de la Mission Sainte-Marie du Gabon: Agriculture<br />

et modernisation », RFHOM 264-265 (1986), p. 132-156.<br />

TOULLELAN P-Y, Missionnaires au quotidien à Tahiti, les Picpuciens en Polynésie au XIXe<br />

siècle, E.J Brill, Leiden New York, 1995.<br />

VAN GELDER de PINEDA R., Le chemin de fer de Djibouti à Addis-Abeba, Paris,<br />

L’Harmattan, 1995.<br />

VAULX B., Histoire des missions <strong>catholique</strong>s françaises, Paris, Fayard, 1951.

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