Teatro Abierto : résister à la dictature grâce à l'émotion - Ensemble

I Une participation possible grâce à l’émotion théâtrale
1. Le contexte autoritaire
Le Proceso de Reorganizacion nacional est un régime autoritaire que l’on pourrait classer,
suivant la typologie de Linz, dans la catégorie des régimes bureaucratiques-militaires ii : « Des systèmes
politiques au pluralisme limité, politiquement non responsables, sans idéologie élaborée et directrice
mais pourvus de mentalités spécifiques, sans mobilisation politique extensive ou intensive Ŕ excepté à
certaines étapes de leur développement - et dans lesquels un leader ou, occasionnellement, un petit
groupe exerce le pouvoir à l’intérieur de limites formellement mal définies mais, en fait, plutôt
prévisibles. iii » Alors que le régime totalitaire se caractérise par un centre de pouvoir moniste, une
idéologie exclusive, et la mobilisation active de la population, le régime autoritaire offre un pluralisme
limité, n’a pas d’idéologie et vise l’apathie politique des citoyens iv .
Le processus de militarisation étatique est caractérisé par Duhalde v comme étant la
subordination de tous les appareils d’Etat à l’appareil militaire, la projection sur l’ensemble de la
société des caractéristiques tant organisationnelles qu’idéologiques propres aux forces armées, la
résolution par voie autoritaire des problèmes liés à l’hégémonie des groupes de pouvoir, surtout quand
les structures (partis et syndicats) ne peuvent pas l’assurer. Ce processus a une dernière forme, l’Etat
terroriste, qui, pour augmenter son efficacité coercitive, use de la terreur généralisée. Il s’agit pour les
différentes juntes qui vont se succéder au pouvoir de dépolitiser la société argentine, au moyen
notamment d’outils répressifs, tels que les arrestations-disparitions et la torture, qui ont un effet
multiplicateur dans la société, propageant la peur, voire la terreur. Il est à noter que cette répression
extrême en Argentine – le rapport de la CONADEP évalue à 30 000 le nombre de personnes disparues
– est relativement inédite dans les dictatures du Cône Sud. Plus de 340 camps de détention émaillent
le territoire argentin durant ces années sombres. Les régimes totalitaires, s’ils fondent aussi leur
légitimité en partie sur la terreur, n’excluent pas, quant à eux, une certaine participation de la société,
et même, l’encourageaient, en enrôlant notamment la population au sein d’organisations contrôlées
par l’Etat vi . Ce n’est pas le cas dans un régime autoritaire. Le seul mot d’ordre pourrait être résumé
familièrement ainsi : « Ne t’en mêle pas ». Et si des outils propageant la terreur sont mis en place, c’est
en partie pour obtenir ce prodigieux effet de retrait et d’indifférence à la nation, aux affaires publiques,
mais aussi au sort d’autrui. Or, Teatro Abierto entend non seulement représenter la réalité de la
dictature, mais encore recréer une forme de participation collective, d’abord en unissant une
Teatro Abierto : résister à la dictature grâce à l’émotion, Mathilde Arrigoni