Mesrine en PDF - Metro

Sur
la piSte
de MeSriNe
Cinq pages spéciales sur le film événement
édito
C’est l’un des films
français les plus attendus
de l’année. L’un des plus
imposants aussi puisque
l’adaptation cinématographique
de la vie de
Jacques Mesrine se
compose de deux volets
de plus de deux heures
chacun, L’Instinct de mort
et L’Ennemi public n°1,
qui sortent à trois
semaines d’intervalle,
les 22 octobre et
15 novembre prochains.
Une œuvre atypique à
la mesure d’un homme
complexe, charismatique
et destructeur, héros
du peuple et cauchemar
de l’Etat français, qui a
lui-même construit sa
propre légende en
jouant avec les médias
et marqué durablement
l’opinion publique, de
l’époque et au-delà,
jusque dans les textes
des rappeurs.
Metro raconte en
avant-première les
coulisses d’un projet qui
a fait fantasmer les plus
grands noms du
septième art avant de
devenir réalité devant
la caméra du cinéaste
engagé Jean-François
Richet et sous les traits
d’un Vincent Cassel
exceptionnel. Puis Metro
retrace le destin hors
du commun du gangster,
né le 28 décembre 1936
à Clichy-La-Garenne,
et abattu par la police
le 2 novembre 1979 en
plein cœur de Paris.
jérôme vermelin
sommaire
P/22 Interview
du réalisateur
Jean-François Richet
P/23 Le rap sous
l’influence
de Mesrine
P/25 Flic et gangster
témoignent
» Dossier réalisé par
la rédaction de Metro
Direction artistique :
Jennifer Gallé
Graphisme et exécution :
Céline Waldberg

22
metro· mercredi 15 octobre 2008
Sur la piste de Mesrine
Dans les coulisses du film
Deux films pour
un personnage
hors norme
Mesrine débarque sur les écrans
éVéneMent. C’est l’histoire
d’un film qui a failli ne jamais
voir le jour. Un projet maudit
qui a fait fantasmer le cinéma
français pendant plus de
trente ans et prend la forme
de non pas d’un mais deux
longs-métrages, produits par
Thomas Langmann, réalisés
par Jean-François Richet et
interprétés par un Vincent
Cassel électrisant.
• De Belmondo à Cassel
“Deux films à quelques
semaines d’intervalle, on a vu
ça avec Jean de Florette
et Manon des Sources, réalisés
par Claude Berri, le propre
père de Langmann, ou avec
Smoking / No Smoking d’Alain
Resnais. Mais c’est très
rare”, souligne Jean-Pierre
Lavoignat, qui raconte les coulisses
du projet dans Mesrine,
30 ans de cavale dans le cinéma
(Editions Sonatine), écrit avec
son ancien complice de studio
Christophe d’Yvoire. Le premier
film, L’Instinct de mort, en
salles le 22 octobre, raconte le
parcours du “petit gars” de
Clichy, de son retour d’Algérie
à ses braquages retentissants
en Amérique du Nord. Le
second, L’Ennemi public n° 1, qui
sort le 15 novembre, suit le
gangster de son retour en
France à sa mort sous les
balles policières le 2 novembre
1979. Sa jeunesse, ses
crimes, ses causes et ses
amours, Mesrine les avaient
racontés dans une biographie
sulfureuse et controversée,
écrite lors de son séjour à la
prison de la Santé à la fin des
années 70. L’Instinct de mort,
qui donne son titre au premier
film de Richet, fascinera
tellement Jean-Paul Belmondo
qu’il en achètera les droits
d’adaptation. Dans leur livre
Lavoignat et d’Yvoire racon-
Belmondo avait
acheté les droits de
la bio de Mesrine
dans les années 70
tent comment l’acteur et son
agent Gérard Lebovici essuieront
le refus des cinéastes les
plus cotés du moment :
Costa-Gavras, Alain
Corneau,
Yves Boisset,
puis plus tard Tony
Gatlif refuseront tous de
porter à l’écran la vie d’un personnage
qui les révulse.
Michel Audiard et Patrick
Modiano attelleront eux à
l’écriture d’un scénario à quatre
mains pour Philippe Labro
avant que le projet ne tombe
aux oubliettes. Plus insolite,
Jean-Luc Godard proposera à
Belmondo de lire L’Instinct de
mort, assis seul face à la
caméra !
Mesrine à l’écran
Jean-François Richet n’est pas
le premier à se frotter au
mythe Mesrine. Si Jean-Paul
Belmondo n’y est pas
parvenu, deux films sortiront
en 1983. Une fiction intitulée
Mesrine, réalisée par André
Génovès et interprétée par
Nicolas Silberg, qui n’obtiendra
pas le succès escompté.
Puis un documentaire d’Hervé
Palud, intitulé Profession
ennemi public, que Richet cite
en référence. En 2006, Serge
Riaboukine incarne Mesrine
dans un téléfim d’Arnaud
Sélignac pour TF1. Un
nouveau docu, Fragments
d’un mythe, réalisé par
Philippe Roizés, sera diffusé le
21 octobre sur Planète Justice.
• une nouvelle génération
Trente ans plus tard, c’est une
nouvelle génération qui s’y
colle, le recul en plus, inspirée
par le renouveau du polar, de
36 Quai des Orfèvres, d’Olivier
Marchal, à Heat, de Michael
Mann. “Faut-il approcher ce
genre de personnage de façon
réaliste comme Francesco
Rosi dans Lucky Luciano ou
faire quelque chose d’un peu
mythologique comme Francis
Ford Coppola dans Le Parrain ?
Les deux tentations traversent
l’histoire du cinéma”, souligne
Jean-Pierre Lavoignat. “Si
Belmondo voyait le côté Robin
des bois de Mesrine, Cassel et
Richet ont clairement refusé
d’en faire un héros.” Le résultat,
sans concession, et porté
par un casting d’enfer (Cassel,
Gérard Depardieu, Ludivine
Sagnier, Mathieu Amalric ou
encore Cécile de France), pourrait
faire date dans l’histoire
du cinéma français...
JérôMe VerMeLin
www.metrofrance.com
Cassel en route
Avec Jeanne Schneider (Cécile de France) dans L’Instinct de mort.
Avec son mentor (Gérard Depardieu à g.) dans L’Instinct de mort.
Au parloir de la Santé dans L’Ennemi public n° 1.
foCuS. “Je ne vais pas dire
qu’il est au summum de son
art parce que j’espère qu’il
ira encore plus loin par la
suite. En tout cas il n’a jamais
été aussi bon, aussi investi.”
Jean-François Richet a des
étoiles dans les yeux lorsqu’il
parle de la prestation de
Vincent Cassel dans L’Instinct
de mort et l’Ennemi public n° 1.
L’acteur, qui n’a jamais
hésité à changer d’apparence
au cours de sa déjà riche carrière,
a pris plus de 20 kilos
pour entrer dans la peau de
Jacques Mesrine. Lorsque le
producteur Thomas
Langmann lui propose le
rôle, le film n’a encore pas de
réalisateur et son budget est
loin d’être bouclé. Malgré de
nombreux obstacles – dont
un changement de réalisateur
–, il reste attaché au projet
qui sera le plus passionnant
et aussi le plus éprouvant
de sa déjà riche carrière.
• en route pour les César ?
Le tournage devant durer
plus de neuf mois, de mai
2007 à janvier 2008, il propose
à la production de débuter
par le deuxième volet,
L’Ennemi public n° 1, afin de
pouvoir ensuite perdre du
poids pour tourner
L’Instinct de mort, qui relate
la jeunesse et l’ascension
du gangster. A 42 ans,
cet enfant de la balle
révélé par La Haine, de
Mathieu Kassovitz, a
enchaîné les
rôles les plus
inattendus, de
interView. Révélé en 1995 par
Etat des lieux, film réaliste et
engagé sur la banlieue, Jean-
François Richet a reçu un coup
de fil du producteur Thomas
Langmann le 2 mars 2005,
quelques heures après la première
projection d’Assaut sur le
central 13, son remake solide
du classique de John
Carpenter. C’est à lui qu’est
revenue la tâche de faire non
pas un mais deux films sur
l’ennemi public n° 1.
Entretien.
Vous aviez 12, 13 ans à
l’époque où Mesrine a été
abattu. Quel souvenir
en gardez-vous ?
J’ai un vague souvenir mais,
à cet âge-là, on ne comprend
pas les tenants et les aboutis-
Sur mes lèvres, de Jacques
Audiard, à Blueberry, de Jan
Kounen, en passant par
Irréversible, de Gaspar Noé,
sans oublier sa participation
à Ocean’s 12 et Ocean’s 13, de
Steven Soderbergh. Intense,
troublante, physique, sa performance
dans les deux
volets de Mesrine est un ticket
direct pour le panthéon des
grands du cinéma français.
En attendant le césar, voire
l’oscar comme une certaine
Môme Marion. Le rôle de sa
vie ?
JérôMe
VerMeLin
© photos
du film :
roger arpajou,
la petite reine
Vincent Cassel dans L’Instinct de mort
“En faire un héros, ça aurait été
“Jacques Mesrine fait partie
de l’inconscient collectif.”
Jean-François Richet
Le tournage s’est
étalé sur neuf
mois, de mai 2007
à janvier 2008
sants, sûrement pas que le
personnage va entrer dans la
légende. Qu’il deviendra une
icône qui inspirera les textes
de rap vingt ou trente ans
plus tard. Quand j’habitais à
Meaux, dans ma deuxième
cité, il y avait un grand tag
“Mesrine” sur la porte de la
poubelle. En noir. L’image
m’est revenue plus tard, en
travaillant sur le film.
Vous avez rencontré ses
proches. Avaient-il des
réticences devant votre projet ?
Qui n’aurait pas de
réticence ? Mais le contact
s’est fait chaleureusement,
très vite. Ils ont compris que
nous voulions aborder le personnage
avec ses zones de
lumière et ses zones d’ombre.
Mesrine fait partie de

www.metrofrance.com mercredi 15 octobre 2008·metro 23
Quelle image
avez-vous de
Jacques Mesrine ?
pour l’histoire
“La polémique
existait avant et
continuera après
le film.”
Jean-François Richet
l’inconscient collectif, de
notre histoire, même si la plupart
des gens ne savent pas
bien qui c’est. Mais pour la
famille, c’est avant tout une
tragédie. Leur père a été
abattu en 1979. Ce n’est pas
un film comme un autre, d’où
la rigueur. Il fallait garder la
tête froide.
Votre parti pris est clair :
Mesrine est tout sauf un
héros…
Dans le témoignage qu’il
enregistre quelques jours
avant sa mort, Mesrine dit à
Sylvia Jeanjacquot : “Il n’y a
pas de héros dans le gangstérisme.”
En faire un héros, ça
aurait été ne pas respecter sa
parole. Il y a des choses inexcusables
dans le film. Par
contre, on montre qu’elles
sont compréhensibles. Je vous
présente un film de sa vie,
vingt ans résumés en quatre
heures, en choisissant certains
instants clés en fonction de
l’évolution psychologique du
personnage. Qu’est-ce qui le
faisait passer d’un état à un
autre ? Avec Abdel on a préféré
des petites scènes de vie
presque anecdotiques où on
comprenait l’état d’esprit du
personnage davantage que
dans des scènes d’action pure.
Thibault, 25 ans,
demandeur d’emploi
“Je n’en ai pas une bonne
image : c’était un assassin.
Mais il avait un côté liberté que
je trouve plutôt intéressant.”
Postiches, costumes d’époque et surtout prise de poids : Vincent Cassel a tout fait pour pousser la ressemblance
avec le vrai Jacques Mesrine jusqu’à son paroxysme.
ne pas respecter sa parole”
© EpItalon/sIpa
Si ce n’est pas l’Algérie qui
le fait basculer. Qu’est-ce que
c’est ?
Le basculement, je ne sais
pas. Je crois qu’il s’est
construit petit à petit.
L’Algérie joue un rôle, indiscutablement.
En revanche, là où
il passe d’un état à un autre,
c’est en revenant du Canada.
Sa condition de détention
dans l’équivalent des
quartiers haute sécurité, où
littéralement on torturait, ça
l’a transformé. Ça transformerait
n’importe qui, d’ailleurs.
Il y en a qui vont s’écraser. Et
puis d’autres qui, si on leur
dit de se taire, vont l’ouvrir
encore plus.
Vous attendez-vous à
d’éventuelles polémiques ?
J’ai souvent fait des films
Sarah, 23 ans, étudiante
“Il est allé jusqu’au bout.
Je suis admirative de l’homme
mais pas de ses actes. Ce type
de personnage ne pourrait
plus exister aujourd’hui.”
qui révèlent la nature de leurs
personnages. Ceux qui
détestent le
personnage de
Mesrine ne vont pas
se mettre à l’aimer
mais peut-être
qu’ils vont un
peu plus le comprendre.
Ceux
qui l’aiment
d’une façon
incommensurable
vont peutêtre
relativiser. Je
pense avoir fait un
grand spectacle qui a du
sens. La polémique, elle
existait avant et continuera
après le film.
PROPOS REcuEiLLiS
PAR JéRôME VERMELin
© WahIb
Le gangster inspire
les rappeurs
En marge de la BOF sort Mesrine
l’album, hommage des artistes français
MuSiQuE. Rohff, Kery James, Seth Gueko, NessBeal, Oxmo
Puccino, Rockin Squatt ou encore Akhenaton, une dizaine
d’artistes et de groupes de rap français cosignent Mesrine
l’album. Vingt morceaux au total rendent hommage à l’un des
plus grands bandits du XX e siècle. Les titres sont explicites :
Le Temps d’une balle pour Mokless, Les gangsters ne vivent
pas longtemps pour Rockin Squatt ou encore L’Instinct de mort
pour Rim K et Lino….
Rohff, Oxmo Puccino et Seth Queko
“Spectaculaire” et “méticuleux”
Pourquoi Mesrine fascine-t-il autant les figures du rap français.
Ce n’est ni son physique ni son look qui les ont inspirées.
Mesrine n’a pas la classe ni le physique de Tony Montana, loin
de là. “Tu veux du spectaculaire, tu vas en avoir du spectaculaire.
Je crèverai quand je l’aurai décidé, OK ?” chante Seth
Gueko dans “Le Million”. “Je mène ma vie comme je l’entends”,
souligne X-Men dans “Retiens mon nom”. Plus que ses apparences,
c’est sa tactique, son envie de pouvoir, son côté imprévisible
et son aptitude à rester maître du jeu qui passionnent
les stars du hip-hop. “Ce qui m’a le plus intéressé dans ce personnage,
c’est sa psychologie, confie Akhenaton. Les deux
titres que j’ai écrits sont plus axés sur la manière de penser de
Mesrine et sur son comportement que sur ses actes. Parler des
faits d’armes, faire un historique en chansons aurait été
redondant avec le film.” Avec “Sur les lèvres de la peur”,
Akhenaton a choisi d’écrire un titre sur la peur ressentie par
Mesrine, perçu comme l’ennemi public numéro 1, et sur son
ambivalence. “Un homme décrit comme étant dénué de sentiments,
alors qu’il éprouve beaucoup de respect pour certaines
choses, comme le travail. Quand il était maquettiste, il était
très appliqué, très méticuleux…” souligne Akhenaton. Dans
“Ma tête tourne”, l’artiste se penche sur les choix de Mesrine,
sur les incidences de certaines fréquentations dans sa vie.
“Mesrine n’est pas un sociopathe. Il faisait très bien la distinction
entre le bien et le mal. Il a fait ses choix.”
Sujet tabou
Les artistes auraient-ils pu écrire des textes
pour n’importe quel criminel ? A
l’évidence, non. “Certaines formes de
crimes ne se prêtent pas à la prose. Aucun
rappeur n’aurait écrit le moindre couplet sur
Marc Dutroux. Les violeurs et les tueurs d’enfants
ont tout pour déplaire. Ces gens-là relèvent de
la pathologie”, conclut Akhenaton.
AuRéLiE SARROT
» Mesrine L’album (EMi),
en vente le 27 octobre.
“Mesrine n’est pas
un sociopathe.
Il faisait bien
la distinction entre
le bien et le mal.”
Le chanteur, Akhenaton
Xavier, 40 ans,
agent de sécurité
“Il avait en lui une rébellion
contre l’Etat. Mais j’ai
l’impression qu’il était manipulé
par l’extrême gauche.”
© photos : EMI FrancE, WahIb/capItol, dr Et hostIlE/dElabEl FrancE

metro· mercredi 15 octobre 2008
Sur la piste de Mesrine
Il était une fois un gangster
Jacques Mesrine,
la légende revit
Trente ans après sa mort,
“l’ennemi public n° 1”
continue de fasciner
pORTRAIT. Gangster atypique à
“grande gueule”, braqueur
hors pair, roi de l’évasion…
Près de trois décennies après sa
mort, le mythe Mesrine perdure.
Au-delà des coups d’éclat
criminels qui ont façonné sa
légende, son parcours fait d’excès
divers, mais aussi sa personnalité
versatile, et la crainte
mêlée au respect qu’il imposait
dans les rangs de la police
et dans l’opinion publique ont
fait du “Grand” l’une
des personnalités les
plus charismatiques du XX e siècle.
Mais qui était Jacques
Mesrine ?
• D’un monde à l’autre
Rien ne prédisposait cet enfant
de bonne famille de la banlieue
parisienne, né le 28 décembre
1936 (jour des Innocents), à
devenir un gangster redouté.
De son enfance, Mesrine n’a
livré que peu d’éléments. Ses
biographes s’accordent sur son
désintérêt pour l’école, et ses
premières rébellions àl’égard
du corps professoral, qui lui ont
valu des renvois. En 1956, c’est
un tournant :Mesrine avingt
ans, et part pour l’Algérie où il
devient parachutiste commando.
Si l’intéressé adécrit
cette expérience comme l’un
des axes fondateurs légitimant
la violence dont il fera preuve
par la suite, d’anciens camarades
sont restés plus réservés
sur son rôle supposé en Afrique
du Nord. De retour en France, il
fait son entrée dans le milieu,
alternant de petits braquages et
des cambriolages dans les
beaux quartiers.
• Une légende en marche
En mars 1962, Mesrine est
incarcéré pour la première
fois pour dix-huit mois. A sa
sortie, sa famille tente de le
remettre dans le droit chemin,
et lui confie la gérance d’une
auberge dans les environs de
Compiègne (Oise). Mais rien
n’y fait, l’endroit devient le
repaire prisé de nombreux
délinquants. Après un séjour
au Canada, au cours duquel il
est emprisonné pour le meurtre
de deux gardes forestiers,
Mesrine s’évade et regagne la
France. C’est le début d’une
longue série de braquages, particulièrement
lucratifs. En juin
1973, il est arrêté à Boulogne-
Billancourt, et comparaît
quelques jours plus tard
devant le tribunal de
Compiègne, duquel
il parvient à s’évader.
Mais l’homme ne
tient pas en place. Il
braque trois nouvelles
banques. Avant
d’être arrêté à son
domicile du XIII e
arrondissement par le
commissaire Broussard.
• Mesrine, figure
médiatique
Emprisonné à la prison
de la Santé,
Jacques Mesrine
débute alors un nouveau
combat contre les
quartiers de haute
sécurité (QHS). Bien
décidé à dénoncer les
conditions d’incarcération
au sein des cellules
particulièrement surveillées,
il trouve, grâce
à la presse, un relais
idéal à la défense de ses
idéaux. Ainsi, à la suite
de sa spectaculaire évasion
de la Santé au début
du mois 1978, on
retrouve le fugitif trois
mois plus tard là où l’on
ne l’attendait pas : en couverture
de Paris Match.
Dans une interview où il
se met en scène en tenue
de combat, il demande la
suppression des QHS,
allant même jusqu’à menacer
le garde des Sceaux de
l’époque, Alain Peyrefitte.
Outre la simple défiance
à l’égard de l’Etat et de ses
services de police – qui se
livrent en parallèle à une
lutte sans merci – Mesrine
démontre par sa présence
médiatique qu’il souhaite
“mener la danse à sa
manière”, n’hésitant pas à
punir les mauvaises langues,
comme en témoigne l’enlèvement
du journaliste de Minute
Jacques Tillier.
L’automne 1979 sera synonyme
de crépuscule pour
Mesrine. Localisé dans le nord
de la capitale, Mesrine ne voit
pas la souricière se refermer sur
lui. Le 2novembre, peu après
15 heures, la BMW 528i qu’il
conduit est bloquée par un
camion. La bâche arrière du
véhicule se lève, et les balles
policières pleuvent. Touché à
vingt et une reprises, l’ennemi
public numéro un s’écroule. La
légende, elle, est en marche…
ADRIEN CADOREL
© EpitaLoN/sipa
Le 2 novembre 1979, Mesrine est abattu par la police
au volant de sa voiture, porte de Clignancourt.
www.metrofrance.com
SÉLECTION
DE LIVRES
pAR ADRIEN CADOREL
Un CV hors norme
parcours et faits d’arMes
© comiti/sipa
1936 décembre 28 Naissance de Jacques René Mesrine à Clichy
1956 Part pour l’Algérie
1961 novembre 4 Mariage à Paris avec Maria de la Soledad
Ils auront trois enfants : Sabrina, Bruno et Boris
1962 Janvier 17 Arrestation au Neubourg avec trois complices
Il est emprisonné pour la première fois
1965 décembre 2 Arrestation alors qu’il dérobe des documents politiques dans
la résidence du gouverneur militaire de Palma de Majorque
1966 octobre Rencontre avec Jeanne Schneider
1966 décembre Braquage d’une bijouterie à Genève
1967 novembre 15 Vol à main armée dans un hôtel de Chamonix
1967 décembre 8 Vol à main armée dans une maison de couture à Paris
1968 février 6 Fuite au Canada avec Jeanne Schneider
1969 Juin 12 Mesrine et Jeanne enlèvent le milliardaire
Georges Deslauriers
1969 Juillet 16 Le couple est arrêté au Texas par la police américaine
1969 août 17 Ils s’évadent de prison et sont repris le lendemain
Ils sont condamnés à 10 et 15 ans de réclusion pour enlèvement
1972 août 21 Mesrine s’évade du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul
1972 août 26 Avec son complice Jean-Paul Mercier,
ils braquent deux banques canadiennes en dix minutes
1972 septembre 3 Attaque du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul
1972 septembre 10 Mesrine et Mercier tuent deux gardes forestiers au Canada
1972 décembre Retour en France. Braquages de la paie d’une usine et
d’une banque
1973 Mars 5 Il tire sur un policier dans un bar parisien
Le 8, il est arrêté à Boulogne-Billancourt
1973 Juin 6 Evasion du tribunal du palais de justice de Compiègne
1973 Juin 21 Braquage de la paie de l’imprimerie Lang,
rue Curial dans le XIX e arrondissement, à Paris
1973 août 9 Braquage du Crédit Lyonnais, avenue Bosquet, dans le VII e
1973 septembre 27 Braquage de deux banques, boulevard Barbès, dans le XVIII e
Le lendemain, il est arrêté rue Vergniaud, dans le XIII e
1977 Mai 18 Condamnation à vingt ans de prison
Transfert à la prison de la Santé
1978 Mai 8 Mesrine s’évade de la prison de la Santé avec François Besse
1978 Mai 26 Braquage du casino de Deauville
1978 novembre 10 Tentative d’enlèvement du juge Petit qui l'avait condamné
à 20 ans de prison en 1977
1979 Juin 21 Enlèvement du milliardaire Henri Lelièvre
Mesrine réclame 6 millions de francs
1979 septembre 10 Enlèvement du journaliste de Minute, Jacques Tillier
Mesrine le torture et le laisse pour mort
1979 novembre 2 Jacques Mesrine est abattu, atteint de 21 balles tirées
par la brigade antigang, porte de Clignancourt
1977, Mesrine est pris en photo lors de son séjour
à la prison de la Santé.
Jacques Mesrine
profession : GANGSTER
© stf
Le 9 novembre 1979, Sabrina Mesrine fait un doigt
d’honneur à la presse après la mort de son père.
Le 8 mai 1978, Mesrine s’évade de la prison de la San
avec François Besse. Un troisième détenu sera abattu

té
.
www.metrofrance.com
mercredi 15 octobre 2008·metro 25
Michel Ardouin, auteur de Mesrine, mon associé en collaboration avec Jérôme Pierrat
“Il avait un don pour subjuguer les gens”
le
complice
intERviEw. Figure du
grand banditisme,
Michel Ardouin,
connu sous le surnom
de “Porte-Avions”
en référence à l’arsenal qu’il
emportait sur lui pour des
“coups”, a été l’associé de
Jacques Mesrine pendant de
longs mois. Dans un livre à
paraître, il narre son quotidien
auprès de l’ennemi public
numéro 1. Ensemble, ils multiplieront
les épisodes les plus
rocambolesques faits de braquages,
d’évasions et d’incarcérations
en quartier de haute
sécurité. Rencontre avec un
personnage haut en couleur.
Que représente Mesrine
pour vous ?
Pour moi, il y a trois
Mesrine, qui correspondent à
trois périodes de sa vie. La première
concerne l’Algérie, la
deuxième porte sur son arrivée
au Canada, la troisième
évoque celle du prisonnier
s’opposant aux quar-
le flic
“Je pense qu’il
devait souffrir
d’un dérèglement
hormonal.”
Michel Ardouin
tiers de haute sécurité.
J’ai rencontré Mesrine aux
premières heures de sa
deuxième période. J’ai découvert
un mec empli d’égo et
prêt à faire la moindre connerie.
Il n’avait aucun humour.
Son orgueil et sa mégalomanie
prenait le pas sur son
intelligence. Certes, il avait
aussi des qualités indéniables :
des intuitions payantes, un
charisme hors norme et une
intelligence dans l’action
exceptionnelle.
dans ces conditions, pourquoi
avoir voulu travailler avec lui ?
On est en novembre 1972.
ça fait une dizaine d’années
que je fais partie de ce que
l’on appelle le “milieu
parisien”. J’ai roulé ma bosse,
à Paris et en Amérique du
Sud :j’ai fait le proxénète, j’ai
braqué des banques, je me
suis intéressé à la drogue en
œuvrant au sein de la “latino
connection”, une bande qui
faisait venir de la came depuis
l’Amérique du Sud via
l’Espagne.
Et là, je me trouve au
Canada. Je suis en cavale, et
j’ai besoin d’un complice pour
aller “taper” quelques
banques, parce que la fuite, il
faut bien la financer. Je le rencontre
là-bas, il dérangeait
déjà pas mal de locaux. Il faut
Lucien Aimé-Blanc, ancien directeur de l’Office
central de répression du banditisme (OCRB)
“Jacques Mesrine était
un
homme
solitaire,
déterminé et astucieux”
Que
représente Mesrine
pour
vous ?
Sa plus grande qualité est
qu’il
n’était
pas un voyou
classique.
Il ne faisait pas
partie d’une organisation,
il n’avait pas de salle de jeu
clandestine ni de bar à
hôtesses. C’était plutôt un
homme solitaire, déterminé
et astucieux, car il était très
minutieux dans la préparation
de ses coups. Mais
attention, ce n’était pas
un Robin des bois, l’argent,
c’était pour lui. Il avait un
vrai charisme, que la presse
s’est rapidement chargée de
mettre en avant. Mais une
fois en une des journaux,
il a été dépassé par les conséquences.
Dans ce domaine,
sa mégalomanie ne l’a pas
aidé.
Comment avez-vous
retrouvé sa trace ?
Avec beaucoup de travail,
mais aussi, il faut le
souligner, avec un peu de
chance. Nous avons réussi à
“loger” l’un de ses complices
L’Instinct de
mort, de Jacques Mesrine.
En
1973, 1973, Jacques Jacques Mesrine,
emprisonné
emprisonné au quartier
de haute sécurité (QHS) de Fleury-Mérogis, rédige
son
autobiographie. Le
document
indispensable
pour mieux
comprendre
le
cas
Mesrine.
» Ed. Flammarion : 384 pages, 21 euros
“Attention,
ce n’était pas
un Robin des Bois.
L’argent qu’il volait,
c’était pour lui.”
Lucien Aimé-Blanc
de l’époque. Pendant
plusieurs semaines, on a
multiplié les filatures à vue
et les écoutes téléphoniques.
© dr
© BALTEL/SIPA
Un jour, Mesrine l’appelle à
son domicile. On a “filé” son
complice. La suite, vous la
connaissez…
On a évoqué une guerre des
polices. Pourtant, votre travail
à été complémentaire ?
Oui, d’une certaine
manière, car ce sont mes
hommes qui localisent
Mesrine, et ceux de
Broussard qui l’arrêtent.
Mais tout nous poussait à
la rivalité : Broussard avait
une brigade mieux équipée
que la mienne, il
représentait la préfecture de
police de Paris et moi la
sûreté nationale. Et puis il y
avait une pression politique
et médiatique énorme…
PROPOS RECUEiLLiS
PAR AdRiEn CAdOREL
•
Mesrine intime : lettres de prison à son avocate
de Martine Malinbaum.
En
avril
1976,
Mesrine
reçoit en prison
la
visite
d’une jeune
avocate.
Un
recueil
passionnant,
passionnant, où
l’on
découvre
qu’outre
le
pistolet,
l’homme
savait aussi
manier
les
vers.
»
Ed. du Rocher : 144 pages., 14,90 euros
» Auteur de L’Indic
et le Commissaire
en collaboration
avec Jean-Michel
Caradec’h.
Editions Plon,
245 p., 17,50 euros.
dire qu’il s’était inventé un
tableau de chasse impressionnant.
Mais bon, le mec semble
faire l’affaire, on se revoit
quelque temps plus tard en
France, et l’on commence à
travailler.
dans votre livre, vous évoquez
un Mesrine bipolaire ?
C’est le moins que l’on
puisse dire. Pendant la
semaine, il fait le discret
durant trois jours. Les quatre
suivants, le mec est en alerte :
il déborde d’énergie, sa
vigilance est au plus haut et il
ne ferme pas l’œil de la nuit.
Dans cette période-là, on se
faisait jusqu’à quatre banques
par jour. Je pense qu’il devait
souffrir d’un dérèglement hormonal,
car une journée par
mois, il avait une poussée
d’énergie malsaine et
méchante que je n’ai jamais
retrouvée autour de moi. J’en
veux pour preuve les attaques
injustifiées contre le président
Petit, ou le journaliste de
Minute. D’autres fois, il
attaquait des lieux –bar de
prostitués, bureau de tabac et
autres –sans aucune motivation.
Mais il avait ce don pour
subjuguer les gens qu’il
rencontrait. C’est cette image
de lui que l’on retient.
Combien “d’affaires” avez-vous
faites ensemble ?
J’ai dû faire plus d’une centaine
de braquages dans ma
vie. Avec lui, on faisait en
moyenne cinq banques par
semaines. Au total, on dépasse
les quatre-vingts braquages.
Pour lui, j’organise l’évasion
du tribunal de Compiègne. On
avait un contrat ensemble : le
premier arrêté, l’autre venait
le chercher.
Comment réagissez-vous à
la tendance de glorification
du personnage ?
Voilà la connerie de ce
genre de médiatisation : le
héros des temps modernes,
c’est le mec qui se lève à sept
heures du matin pour aller
payer l’électroménager de sa
femme et le pain de ses trois
Mesrine
:
l’évasion
impossible,
de Chabane et
Knobelpiess.
Le dessinateur Lounis Chabane s’est
associé
à Roger Knobelspiess, témoin direct de
l’événement,
pour compter l’incroyable évasion
de Mesrine de la prison de la Santé en 1977.
» Editions Casterman : 48 pages, 10 euros
gamins. Ce n’est certainement
pas des mecs comme nous.
Pourtant, il reste une référence
pour toute une génération de
délinquants ?
Mais à notre époque, il y
avait des règles, et une
certaine courtoisie. On
n’insultait pas les juges, on
mettait les mains sur la tête
devant les flics, on acceptait
les peines de prison sans
rechigner. On se faisait attraper
? C’était le risque, mais on
se faisait discret. Ah, ça c’est
sûr, les magistrats nous regrettent.
Que pensez-vous de sa mort ?
Il cherchait à mourir. Il provoquait
l’Etat, les flics, l’autorité…
Plus que tout et que quiconque,
Mesrine voulait imposer
sa loi à tout le monde. Un
peu trop visiblement…
RECUEiLLi PAR
AdRiEn CAdOREL
» Mesrine
mon associé,
éd. du toucan,
232 p., 17,90 €