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Lydie Grandet Surmoi et féminin * - Ecole de Psychanalyse des ...

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<strong>Lydie</strong> <strong>Grand<strong>et</strong></strong><br />

<strong>Surmoi</strong> <strong>et</strong> <strong>féminin</strong>*<br />

Jordanne est une jeune femme qui a réussi : elle a quitté, jeune,<br />

le foyer familial pour suivre <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s, qui l’ont conduite d’abord à<br />

Paris puis à l’étranger où elle est sortie major <strong>de</strong> sa promotion. Elle a<br />

beaucoup pris sur elle pour faire face à la solitu<strong>de</strong>, l’éloignement,<br />

mais aujourd’hui elle est fière <strong>de</strong> ce qu’elle a obtenu. Elle vient <strong>de</strong><br />

quitter un poste brillant en région parisienne pour reprendre, à la<br />

suite <strong>de</strong> son père, l’entreprise familiale. Elle a eu, un moment, une<br />

histoire amoureuse avec un homme plus jeune qu’elle, qu’elle a quitté<br />

parce qu’il ne témoignait pas <strong>de</strong> la même détermination qu’elle face<br />

au travail. Elle le trouvait immature <strong>et</strong> trop dépendant <strong>de</strong> sa mère,<br />

avec qui, du reste, elle avait d’excellentes relations qui durent encore.<br />

Aujourd’hui, elle a une liaison avec un homme qu’elle rencontre épisodiquement,<br />

quand son emploi du temps le lui perm<strong>et</strong>, pour « les<br />

douceurs <strong>de</strong> la vie », dit-elle, mais chacun reste très libre <strong>et</strong> ils n’ont<br />

pas <strong>de</strong> proj<strong>et</strong>s en commun. « Il est charmant, mais au quotidien, je ne<br />

le supporterais pas longtemps... » Elle a pris <strong>de</strong>s responsabilités associatives<br />

liées à sa profession, fait du théâtre, joue dans un orchestre<br />

<strong>de</strong> chambre amateur <strong>et</strong> consacre ses vacances à s’occuper d’un jeune<br />

cousin ou <strong>de</strong> sa grand-mère. En toutes choses, Jordanne vise la perfection,<br />

elle se veut irréprochable <strong>et</strong> fait tout pour y parvenir.<br />

C’est la grossesse inopinée <strong>de</strong> sa jeune sœur <strong>et</strong> son mariage qui<br />

vont bousculer ses plans : elle s’est sentie « dépassée » <strong>et</strong> ne supportait<br />

pas l’idée <strong>de</strong> se présenter célibataire à ce mariage. Alors tout s’effondrait<br />

pour elle, elle n’était plus « la première » <strong>et</strong> elle n’avait plus<br />

goût à vivre, ne pouvant s’empêcher <strong>de</strong> pleurer… C’est ce qui l’a amenée<br />

à venir me rencontrer <strong>et</strong> à s’interroger sur ce qu’elle souhaitait<br />

comme femme, pour sa vie, consciente que jusque-là elle occupait la<br />

* Intervention au séminaire Champ lacanien, Paris, 20 mai 2010.<br />

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Mensuel 55<br />

place du fils que ses parents, son père tout spécialement, n’avaient pas<br />

eu. Elle avait tout organisé pour répondre à ses attentes, faisant taire<br />

son « être femme ». Du reste, elle a <strong>de</strong> sa mère l’image d’une femmeenfant,<br />

qui ne fait rien sans son mari (ou sans elle), <strong>et</strong> s’irrite <strong>de</strong>vant<br />

ses incapacités à prendre <strong>de</strong>s décisions autres que ménagères…<br />

Iris approche ses 40 ans ; elle est mariée, elle a <strong>de</strong>ux fils <strong>et</strong><br />

exerce une activité sous-qualifiée par rapport à sa formation, pour<br />

laquelle elle a échoué à l’examen final, qu’elle n’a pas représenté tant<br />

elle a été déçue. Cela lui assure une supériorité sur ses collègues,<br />

supériorité sur laquelle elle s’appuie pour se rassurer. Elle est venue<br />

me rencontrer suite aux manifestations phobiques <strong>de</strong> son fils aîné<br />

qu’elle a reçues comme réponse à son comportement <strong>de</strong> mère à son<br />

égard : « Je suis impossible avec lui, je veux qu’il réussisse là où j’ai<br />

échoué ! » Les entr<strong>et</strong>iens préliminaires ont permis <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre au jour,<br />

au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te préoccupation, son vœu d’être une mère irréprochable.<br />

Iris ne peut s’empêcher <strong>de</strong> vouloir être « la meilleure »,<br />

meilleure mère, meilleure épouse, meilleure professionnelle… Elle<br />

gère tout chez elle <strong>de</strong> main <strong>de</strong> maître au prix d’efforts extraordinaires,<br />

s’occupe <strong>de</strong> plusieurs associations en lien avec son milieu <strong>de</strong><br />

vie ou ses enfants <strong>et</strong> craint sans cesse <strong>de</strong> perdre ce qu’elle appelle<br />

son « pié<strong>de</strong>stal » : « J’ai toujours besoin d’être sur un pié<strong>de</strong>stal, j’ai<br />

besoin qu’on me remarque, il faut qu’on me considère ! »<br />

Iris est la <strong>de</strong>uxième fille <strong>de</strong> la fratrie. Sa sœur aînée a été élevée<br />

en partie par la grand-mère paternelle, tandis qu’elle, est restée très<br />

proche <strong>de</strong> sa mère jusqu’à la naissance <strong>de</strong> son frère. Elle s’est sentie<br />

supplantée par lui dans l’amour maternel <strong>et</strong> résonne encore pour elle<br />

la remarque <strong>de</strong> sa grand-mère paternelle : « Toi, tu seras bien comme<br />

ta grand-mère ! » Elle parlait évi<strong>de</strong>mment <strong>de</strong> la grand-mère maternelle,<br />

dépressive, hospitalisée à plusieurs reprises, <strong>et</strong> dont la mère avait<br />

honte… Toute l’énergie que dépense Iris pour « être bien vue » s’organise<br />

comme défense contre ce pronostic <strong>et</strong> elle résume ainsi sa position<br />

dans la vie : « Être phallique, sinon rien ! » Elle s’est accrochée à<br />

la figure paternelle, se mesurant à lui : faire mieux que les hommes <strong>de</strong><br />

sa famille, pour se tenir à distance <strong>de</strong> la lignée maternelle, <strong>et</strong> surtout<br />

ne pas ressembler à sa mère qu’elle décrit soumise <strong>et</strong> effacée.<br />

Chantal en a assez <strong>de</strong> son travail en libéral : elle ne supporte<br />

plus d’endosser seule les responsabilités qui lui incombent <strong>et</strong> qui la<br />

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torturent tant elle craint <strong>de</strong> ne pas être à la hauteur, d’oublier quelque<br />

chose d’essentiel pour ceux dont elle s’occupe ; elle ne peut plus<br />

supporter les menaces <strong>de</strong> dépôt <strong>de</strong> plaintes dont régulièrement lui<br />

parlent ses collègues. Dès nos premiers entr<strong>et</strong>iens, elle choisit un<br />

poste salarié sans que pour autant rien ne change pour elle.<br />

Elle est divorcée, sans enfant, <strong>et</strong> vit assez seule ; ses amis proches<br />

sont <strong>de</strong>s couples qui la sollicitent chaque fois qu’ils font <strong>de</strong>s travaux<br />

dans leur maison ; elle est experte, « adore faire ça » <strong>et</strong> compte<br />

bien qu’ils viendront l’ai<strong>de</strong>r en r<strong>et</strong>our pour la maison qu’elle a gardée<br />

du divorce, maison qui occupe ses temps libres <strong>et</strong> son budg<strong>et</strong>.<br />

« Quand je fais quelque chose, je m<strong>et</strong>s du temps mais il faut que ce<br />

soit parfait ; je ne veux pas y revenir ! » Chantal se livre difficilement<br />

; elle pèse ses mots <strong>et</strong> il lui a fallu du temps pour entrer dans<br />

le discours analytique.<br />

Elle a grandi dans une famille élargie, régentée par la grandmère<br />

maternelle veuve. Avant d’épouser sa mère, son père était<br />

employé par la grand-mère : le couple s’effaçait <strong>de</strong>vant les décisions<br />

<strong>de</strong> la grand-mère, y compris concernant l’éducation <strong>de</strong>s enfants, <strong>et</strong><br />

Chantal a souffert <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te soumission qui la révoltait. Elle pense<br />

que sa grand-mère a « empoisonné » la vie <strong>de</strong> couple <strong>de</strong> ses parents,<br />

qui se disputaient beaucoup, le plus souvent à cause <strong>de</strong>s décisions<br />

qu’elle imposait.<br />

Un souvenir r<strong>et</strong>rouvé à l’occasion d’un rêve vient l’illustrer :<br />

jeune adolescente, elle essaie du rouge à lèvres que sa mère a ach<strong>et</strong>é<br />

pour les moments où elle sort ; la grand-mère la surprend <strong>et</strong> fait un<br />

drame ! La mère lui dit alors : « Tiens, prends-le… Moi, je ne pourrai<br />

pas le m<strong>et</strong>tre ! » Ce souvenir l’émeut : elle y entend à la fois la<br />

soumission <strong>de</strong> sa mère à la grand-mère <strong>et</strong> la voie/x que lui indique sa<br />

mère : « Prends-le »…<br />

Chantal a vécu cinq ans avec son mari, loin du milieu familial,<br />

<strong>et</strong> elle gar<strong>de</strong> un excellent souvenir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong>. Lorsqu’ils ont<br />

décidé <strong>de</strong> revenir vivre près <strong>de</strong> leurs familles, elle a pris la mesure<br />

<strong>de</strong> la soumission <strong>de</strong> son mari à sa mère <strong>et</strong> elle ne l’a pas supporté :<br />

« C’était elle où moi ; il a choisi, je suis partie. »<br />

Chantal rêve <strong>de</strong> rencontrer « l’homme <strong>de</strong> sa vie », comme elle<br />

dit, <strong>et</strong> chaque fois qu’elle fait une rencontre, ce signifiant s’impose<br />

qui la décourage aussitôt : « Je sais que ce n’est pas l’homme <strong>de</strong> ma<br />

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Mensuel 55<br />

vie ! » Elle veut avoir <strong>de</strong>s enfants, une famille, <strong>et</strong> le temps qui passe<br />

l’angoisse ; cependant, elle fuit toutes les situations où elle pourrait,<br />

comme femme, causer le désir d’un homme…<br />

Ces trois vign<strong>et</strong>tes cliniques ont en commun <strong>de</strong> montrer trois<br />

femmes ambitieuses, qui réussissent dans leur activité professionnelle<br />

<strong>et</strong> qui veulent « tout », au prix d’efforts sans compter ; femmes<br />

phalliques au surmoi exigeant qui, chacune à sa manière, veulent<br />

donner une leçon aux hommes. Les trois ont <strong>de</strong> leur mère une perception<br />

« en défaut », femme-enfant pour Jordanne, mère marquée<br />

par la honte <strong>de</strong> la maladie <strong>de</strong> sa mère pour Iris, mère soumise pour<br />

Chantal…<br />

Nous voyons aussi que toutes trois témoignent <strong>de</strong> ce que Freud<br />

appelait « l’énigme <strong>de</strong> la féminité », point d’énigme en eff<strong>et</strong> pour chacune<br />

d’elles, point qui les fait reculer <strong>et</strong> renforce leurs défenses surmoïques.<br />

À la question que posait Freud : « Que veut une femme ? »,<br />

chacune dans sa singularité répond d’un « être un homme », qui chavire<br />

quand une contingence pourrait les démasquer : le mariage <strong>et</strong> la<br />

grossesse <strong>de</strong> sa sœur pour Jordanne, la phobie <strong>de</strong> son fils pour Iris,<br />

la préséance <strong>de</strong> l’autre femme pour Chantal.<br />

Freud, dans la conférence sur la féminité, écrit que « la formation<br />

du surmoi <strong>de</strong>s femmes est compromise <strong>et</strong> qu’il ne peut parvenir<br />

ni à la puissance, ni à l’indépendance, qui lui sont au point <strong>de</strong> vue<br />

culturel, nécessaires 1 ». Les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers paragraphes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

conférence sont assez difficiles à lire <strong>de</strong> nos jours <strong>et</strong> – il faut bien le<br />

dire – ils ne font pas la part belle aux femmes : « Nous disons que les<br />

femmes ont moins d’intérêts sociaux que les hommes <strong>et</strong> que chez<br />

elles, la faculté <strong>de</strong> sublimer les instincts reste plus faible 2 . »<br />

Lorsqu’Anita Izcovich m’a proposé d’apporter une contribution<br />

à ce séminaire, c’est aussitôt la question qui m’est venue : la clinique<br />

nous conduit à rencontrer <strong>de</strong>s femmes très surmoïques, volontaires,<br />

déterminées, engagées dans le travail <strong>et</strong> les « intérêts sociaux » ;<br />

faut-il reconsidérer les femmes aux vues <strong>de</strong> l’évolution économique,<br />

culturelle <strong>et</strong> sociale qui les amène à faire aussi bien, voire mieux que<br />

les hommes, ou bien y a-t-il à revenir sur le surmoi, pour tenter <strong>de</strong><br />

1. S. Freud, « La féminité », dans Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Paris, NRF, coll.<br />

« Idées », p. 170.<br />

2. Ibid., p. 176.<br />

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dégager les rapports du surmoi <strong>et</strong> du <strong>féminin</strong> ? J’ai fait le choix <strong>de</strong> ne<br />

parler que <strong>de</strong> la névrose, pour me centrer sur la question que je vous<br />

propose.<br />

Si Freud, dans c<strong>et</strong>te conférence, convient que l’anatomie ne<br />

parvient pas à nous faire saisir le caractère <strong>de</strong> la virilité ou <strong>de</strong> la féminité,<br />

s’il soutient qu’il n’y a qu’une seule libido, d’essence mâle, ses<br />

conclusions sont assez sombres concernant le <strong>de</strong>venir d’une femme<br />

<strong>et</strong> son rapport au surmoi ; il faut noter qu’il parle alors <strong>de</strong>s « anatomiquement<br />

femmes ».<br />

Jacques Lacan, en posant que chez l’être parlant la jouissance<br />

est appareillée par le langage, montre qu’il n’y a pas <strong>de</strong> rapport<br />

sexuel, qu’il ne peut pas y avoir <strong>de</strong> rapport sexuel qui puisse s’écrire.<br />

« Il n’y a certainement pas <strong>de</strong> rapport sexuel parce que la parole fonctionne<br />

à ce niveau qui se trouve, <strong>de</strong> par le discours psychanalytique,<br />

être découvert comme spécifiant l’être parlant, à savoir l’importance,<br />

la prééminence, dans tout ce qui va faire à son niveau, du sexe le<br />

semblant, semblant <strong>de</strong> bonshommes <strong>et</strong> <strong>de</strong> bonnes femmes 3 . » Ainsi,<br />

hommes <strong>et</strong> femmes ne sont que <strong>de</strong>s signifiants, <strong>et</strong> lorsque Lacan<br />

nous donne les formules <strong>de</strong> la sexuation, il ne manque pas <strong>de</strong> préciser,<br />

pour le côté gauche : « Libre aux femmes <strong>de</strong> s’y placer si ça leur<br />

fait plaisir. Chacun sait qu’il y a <strong>de</strong>s femmes phalliques 4 », <strong>et</strong> pour<br />

le côté droit : « À tout être parlant, il est permis, quel qu’il soit, qu’il<br />

soit ou non pourvu <strong>de</strong>s attributs <strong>de</strong> la masculinité, attributs qui restent<br />

à déterminer, <strong>de</strong> s’inscrire dans c<strong>et</strong>te partie 5 .»<br />

C’est le langage qui ordonnne l’intrusion <strong>de</strong> la jouissance en<br />

nous donnant un corps <strong>et</strong> qui supplée au rapport sexuel qu’il n’y a<br />

pas : « Le point vif, le point d’émergence <strong>de</strong> quelque chose qui est ce<br />

dont tous ici nous croyons plus ou moins faire partie, l’être parlant<br />

pour le dire, c’est ce rapport dérangé à son propre corps qui s’appelle<br />

jouissance. Et cela, ça a pour centre, ce que ça a pour point <strong>de</strong> départ,<br />

c’est ce que nous démontre le discours analytique, ça a pour point <strong>de</strong><br />

départ un rapport privilégié à la jouissance sexuelle. C’est en quoi<br />

la valeur du partenaire autre, celle que j’ai commencé <strong>de</strong> désigner<br />

respectivement par l’homme <strong>et</strong> par la femme, est inapprochable au<br />

3. J. Lacan, Le Savoir du psychanalyste, inédit, leçon du 2 décembre 1971.<br />

4. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 67.<br />

5. Ibid., p. 74.<br />

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Mensuel 55<br />

langage, très précisément en ceci que le langage fonctionne, d’origine,<br />

en suppléance <strong>de</strong> la jouissance sexuelle, que c’est par là qu’il ordonne<br />

c<strong>et</strong>te intrusion, dans la répétition corporelle, <strong>de</strong> la jouissance 6 . » Il n’y<br />

a pas <strong>de</strong> rapport sexuel parce que le corps que nous avons nous vient<br />

d’origine <strong>de</strong> la prise du langage, <strong>de</strong> la prise dans un discours. Le langage<br />

fonctionne d’origine en suppléance <strong>de</strong> la jouissance sexuelle, <strong>et</strong><br />

« il ordonne c<strong>et</strong>te intrusion dans la répétition corporelle <strong>de</strong> la jouissance<br />

7 ». J’aimerais souligner ici l’équivoque : ordonner, m<strong>et</strong>tre en<br />

ordre, <strong>et</strong> aussi donner un ordre ; point qui pourrait nous donner une<br />

indication concernant le surmoi. C’est une autre manière <strong>de</strong> montrer<br />

qu’il n’y a pas <strong>de</strong> rapport sexuel pour qui est inscrit dans un discours.<br />

De ce point découle que la femme n’existe pas parce que le langage<br />

fait trou dans le réel, laissant le suj<strong>et</strong> divisé entre désir <strong>et</strong> jouissance.<br />

En instaurant la jouissance phallique, jouissance du langage<br />

hors corps, il laisse supposer une Autre jouissance, qu’il ne faux-drait<br />

pas, jouissance hors langage, supplémentaire, jouissance <strong>féminin</strong>e.<br />

Le désir inclut donc une perte <strong>de</strong> jouissance, qui fait que toute jouissance<br />

obtenue ensuite n’est jamais la jouissance attendue : elle comporte<br />

un ratage, irrémédiablement.<br />

De l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> castration lié à l’assuj<strong>et</strong>tissement au signifiant, le<br />

surmoi, dans sa dimension d’impératif <strong>de</strong> jouissance, s’institue<br />

comme marque, pour tout suj<strong>et</strong>, <strong>de</strong> son entrée dans le langage. « Rien<br />

ne force personne à jouir, sauf le surmoi. Le surmoi, c’est l’impératif<br />

<strong>de</strong> la jouissance – jouis 8 » (où nous entendons aussi bien : j’ouis),<br />

« c’est pourquoi le surmoi est corrélat <strong>de</strong> la castration, qui est le signe<br />

dont se pare l’aveu que la jouissance <strong>de</strong> l’Autre, du corps <strong>de</strong> l’Autre,<br />

ne se promeut que <strong>de</strong> l’infinitu<strong>de</strong> ». Je suis sensible à ce que Lacan<br />

amène là du signe, qui nous renvoie à ce qu’il dit dans « Radiophonie<br />

» : « D’abord que, sous prétexte que j’ai défini le signifiant<br />

comme ne l’a osé personne, on ne s’imagine pas que le signe ne soit<br />

pas mon affaire ! Bien au contraire, c’est la première ce sera aussi<br />

la <strong>de</strong>rnière, mais il y faut ce détour 9 . » Le détour en question, c’est<br />

tout un parcours, c’est celui <strong>de</strong> la cure analytique ! Ce qui le conduit<br />

à dire : « Psychanalyste, c’est du signe que je suis averti. » On peut<br />

6. J. Lacan, …Ou pire, séminaire inédit, leçon du 12 janvier 1971.<br />

7. Ibid.<br />

8. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX, Encore, op. cit., p. 10.<br />

9. J. Lacan, « Radiophonie », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 412.<br />

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elever qu’à une l<strong>et</strong>tre près, <strong>et</strong> pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit<br />

du p<strong>et</strong>it (a), « averti » est un anagramme <strong>de</strong> « vérité »…<br />

Le signe à l’issue <strong>de</strong> la cure, on peut aussi bien l’entendre<br />

comme « la signature » ; il a un rapport étroit avec la l<strong>et</strong>tre… En occitan,<br />

« signer quelqu’un » signifiait lui rendre hommage en bénissant<br />

d’un signe <strong>de</strong> croix sa dépouille…<br />

Dès « Subversion du suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> dialectique du désir », Lacan montre<br />

que la jouissance est interdite par la faute <strong>de</strong> l’Autre du langage ;<br />

l’Autre n’existant pas puisque c’est un lieu, le lieu <strong>de</strong> la structure, il<br />

reste à prendre la faute sur « Je ». Il s’agit bien d’une culpabilité qui<br />

n’est pas référée au père <strong>et</strong> à l’Œdipe, qui est <strong>de</strong> structure, d’une coupabilité,<br />

comme l’a introduite Col<strong>et</strong>te Soler dans son séminaire 10 , coupabilité<br />

corrélée au défaut <strong>de</strong> jouissance ; je la cite : « Coupable parce<br />

que coupé […] soustraction sans appel au double sens du terme, sans<br />

appel parce qu’elle est irréductible, sexuée <strong>et</strong> mortelle, personne n’y<br />

coupe, mais aussi sans appel parce que aucun Autre, aucun Père ne<br />

saurait la réparer 11 .»<br />

Il me semble qu’ainsi, sans trop forcer les choses, nous pourrions<br />

alors considérer le surmoi au regard <strong>de</strong>s trois instances, symbolique,<br />

imaginaire <strong>et</strong> réel :<br />

– au niveau du symbolique, nous aurions la loi, eff<strong>et</strong> du signifiant,<br />

dans sa dimension pacificatrice, articulée au Nom du Père ;<br />

– au niveau <strong>de</strong> l’imaginaire, ce serait c<strong>et</strong>te figure féroce qui<br />

pousse à la jouissance délétère ;<br />

– au niveau du réel, ce serait l’obj<strong>et</strong> voix, en tant qu’il renvoie<br />

(rend voix), qu’il fait signe, marque d’une jouissance autre que la<br />

jouissance phallique. De ce point <strong>de</strong> vue, l’obj<strong>et</strong> voix a une place particulière,<br />

puisqu’il sonorise, <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> l’équivoque que lalangue véhicule<br />

<strong>et</strong> dont il reste marque sur le corps…<br />

Que montre Lacan concernant le rapport à la castration pour<br />

les femmes ? Dans le séminaire …Ou pire, dans sa leçon du 12 janvier<br />

1972, après avoir signalé qu’il n’y a pas d’un côté le sexe, en tant<br />

qu’il véhicule la vie, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’autre le corps, en tant qu’il a à se<br />

défendre contre la mort, il montre que c’est du réel qu’une femme<br />

10. C. Soler, Séminaire du 22 janvier 1997 <strong>et</strong> 15 décembre 2004 notamment.<br />

11. C. Soler, Séminaire Le Symptôme <strong>et</strong> l’analyste, 15 décembre 2004.<br />

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Mensuel 55<br />

prend son rapport à la castration <strong>et</strong> que c’est là ce qui nous livre le<br />

sens du « pas-toute ».<br />

Ce qu’il ajoute alors à l’adresse <strong>de</strong>s analystes me semble précieux<br />

: « Je veux dire, je le dis pour tous les analystes, ceux qui traînent,<br />

ceux qui tournent, empêtrés dans les rapports œdipiens du côté<br />

du père ; quand ils n’en sortent pas <strong>de</strong> ce qui se passe du côté du père,<br />

ça a une cause très précise, c’est qu’il faudrait que le suj<strong>et</strong> adm<strong>et</strong>te<br />

que l’essence <strong>de</strong> la femme ça ne soit pas la castration, <strong>et</strong> pour tout dire,<br />

que ce soit à partir du Réel, à savoir mis à part un p<strong>et</strong>it rien insignifiant<br />

– je ne dis pas ça au hasard – qu’elles ne sont pas castrables. Parce que<br />

le phallus, dont je souligne que je n’ai point encore dit ce que c’est,<br />

eh bien, elles ne l’ont pas. C’est à partir du moment où c’est <strong>de</strong> l’impossible<br />

comme cause que la femme n’est pas liée essentiellement à<br />

la castration, que l’accès à la femme est possible dans son indétermination.<br />

[…] C’est en tant que la femme, à la fonction phallique, se présente<br />

en manière d’argument dans la contingence, que peut s’articuler<br />

ce qu’il en est <strong>de</strong> la valeur sexuelle femme 12 . »<br />

Pour tenter d’échapper à la castration, pour se tenir à distance<br />

<strong>de</strong> la jouissance Autre, une femme, comme un homme, peut accentuer<br />

le Tout phallique <strong>et</strong> se défendre ainsi <strong>de</strong> l’impossible à dire ; il s’agit<br />

alors pour elle <strong>de</strong> se tenir à distance du réel du non-rapport sexuel,<br />

point qui fait l’horreur <strong>de</strong> savoir que recouvre la pu<strong>de</strong>ur radicale <strong>et</strong><br />

que le fantasme organise. Tant que le suj<strong>et</strong>, grâce au fantasme, se tient<br />

à distance <strong>de</strong> ce qu’il a été comme obj<strong>et</strong> dans le désir <strong>de</strong> ses parents,<br />

il ne peut pas prendre la mesure <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> jouissance qui lui<br />

revient dans ce fantasme. Part <strong>de</strong> jouissance qui le conduit à ignorer<br />

son horreur <strong>de</strong> savoir <strong>et</strong> l’hétérité <strong>de</strong> l’Autre. C’est une manière d’entr<strong>et</strong>enir<br />

sa propre croyance au rapport sexuel, en refusant d’affronter<br />

sa propre division qui concerne un point <strong>de</strong> réel : le fantasme protège<br />

du radicalement Autre, <strong>de</strong> la jouissance hors langage, <strong>de</strong> l’Hétéros.<br />

Ça n’est qu’avec la construction du fantasme que perm<strong>et</strong> la<br />

cure <strong>et</strong> sa traversée qui comporte un franchissement, franchissement<br />

<strong>de</strong> ce point d’horreur <strong>de</strong> savoir, que peut se dévoiler qu’il y a un<br />

savoir impossible à dire, un savoir qui ne peut pas se savoir <strong>et</strong> qui fait<br />

l’exil du suj<strong>et</strong> sans remè<strong>de</strong>.<br />

12. J. Lacan, …Ou pire, op. cit., leçon du 12 janvier 1972 (souligné par moi).<br />

62


Dans la cure, le surmoi joue sa partie : il contrarie l’association<br />

libre ; il conduit à se r<strong>et</strong>enir, à « laisser en réserve » ce qui vient. Vous<br />

vous souvenez sûrement combien au début du Séminaire XX Lacan<br />

engage l’analysant à dire <strong>de</strong>s bêtises. Mais les bêtises ne sont pas les<br />

sottises ! Il ajoute que le verbe est un signifiant « passibête » <strong>et</strong> il précise<br />

qu’il faut l’écrire en un seul mot, ce qui, dès lors, convoque la<br />

passe : « Le verbe se définit d’être un signifiant pas si bête – il faut<br />

écrire cela en un mot – passibête que les autres sans doute, qui fait<br />

le passage d’un suj<strong>et</strong> à sa propre division dans la jouissance, <strong>et</strong> il l’est<br />

encore moins quand c<strong>et</strong>te division, il la détermine en disjonction, <strong>et</strong><br />

qu’il <strong>de</strong>vient signe 13 . » Le verbe, que j’entends volontiers ici avec un<br />

V majuscule, m’évoque ce que Lacan dira en 1974, « l’homme moyen<br />

[…] est ravagé par le verbe 14 », ce qui nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> recevoir un<br />

peu autrement le fait que l’homme puisse être un ravage pour une<br />

femme…<br />

Dans la cure, le transfert est donc le lieu <strong>de</strong>s manifestations du<br />

surmoi qui sert les défenses, non pas contre l’analyste mais contre<br />

ce point d’horreur <strong>de</strong> savoir dans la réalité sexuelle, pour maintenir<br />

la croyance au rapport sexuel.<br />

De la position <strong>de</strong> l’analyste, <strong>de</strong> son acte, dépend l’orientation<br />

<strong>de</strong> la cure ; cela exige que, dans sa propre cure, il ait rencontré « ce<br />

point d’impossible qui marque le sexe 15 », faisant du désir <strong>de</strong> l’analyste<br />

une réponse à l’horreur <strong>de</strong> savoir, une réponse à l’horreur <strong>de</strong> la<br />

castration, castration <strong>de</strong> structure. C’est dans la cure que la castration<br />

se présente comme incontournable en eff<strong>et</strong>, à condition que<br />

l’analyste oriente la cure vers ce point <strong>de</strong> réel <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>te au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

« cerner son horreur <strong>de</strong> la castration 16 », castration nécessaire au sens<br />

<strong>de</strong> ce qui ne cesse pas <strong>de</strong> s’écrire <strong>et</strong> dont la marque fait signe.<br />

Si du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’organe les femmes se présentent comme<br />

moins castrables que les hommes, n’oublions pas cependant « le p<strong>et</strong>it<br />

rien insignifiant » ; en tant que parlêtre, elles n’échappent pas à la<br />

castration <strong>de</strong> structure.<br />

13. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX, Encore, op. cit., leçon du 19 décembre 1972.<br />

14. J. Lacan, Le Triomphe <strong>de</strong> la religion, Paris, Seuil, p. 90.<br />

15. A. Nguyên, Séminaire L’expérience du désir… <strong>de</strong> savoir, p. 39.<br />

16. J. Lacan, « Note aux italiens », dans Autres écrits, op. cit.<br />

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Mensuel 55<br />

Pour Freud, le surmoi est héritier du complexe d’Œdipe, en<br />

tant que cicatrice sur le suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la loi régulatrice du père, tandis que,<br />

pour Lacan, il s’agit d’un impératif <strong>de</strong> jouissance, plutôt comme un<br />

reste non phallique, qui vient du réel <strong>et</strong> auquel on ne peut se soustraire<br />

du fait d’être parlant.<br />

Une cure analytique, en perm<strong>et</strong>tant le franchissement <strong>de</strong> la<br />

pu<strong>de</strong>ur radicale qui protège, recouvre le non-rapport sexuel <strong>et</strong> le <strong>féminin</strong>,<br />

perm<strong>et</strong> une autre position à l’égard du surmoi : être confronté à<br />

l’irrémédiable du non-rapport sexuel m<strong>et</strong> fin à l’espoir vain <strong>de</strong> rencontrer<br />

un « un » <strong>de</strong> complément <strong>et</strong> à l’affect d’impuissance qui l’accompagne.<br />

Être confronté à l’impossible <strong>et</strong> en prendre acte libèrent <strong>de</strong><br />

l’impuissance ! Or le surmoi se nourrit <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te impuissance.<br />

Cela induit une position éthique à l’égard <strong>de</strong> la jouissance : rencontrer<br />

l’Autre radical, l’Hétéros, ne signifie pas pour autant l’atteindre<br />

; parce qu’il est hétéros, c’est une rencontre ratée. On ne peut<br />

pas se débarrasser <strong>de</strong> la marque qui nous constitue comme suj<strong>et</strong> !<br />

C<strong>et</strong>te « face <strong>de</strong> Réel dont on est empêtré », qui pour moi résonne du<br />

côté <strong>de</strong> « pris dans l’être », une fois repérée, ce qui suppose d’avoir<br />

cédé sur sa jouissance, peut perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> se faire une conduite, d’assumer<br />

une position éthique à l’égard du désir. Ne pas cé<strong>de</strong>r sur son<br />

désir ne suffit pas, il faut aussi cé<strong>de</strong>r sur sa jouissance : « Le signe est<br />

obsession qui cè<strong>de</strong>, fait obcession (écrite d’un c) à la jouissance qui<br />

déci<strong>de</strong> d’une pratique 17 . » Il s’ensuit un déplacement concernant la<br />

satisfaction : il n’est plus question <strong>de</strong> courir après la satisfaction du<br />

désir, mais plutôt <strong>de</strong> se satisfaire <strong>de</strong> désirer ! L’analyse donne chance<br />

au suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> réaliser qu’à partir du manque il peut vouloir autre chose<br />

que la jouissance <strong>de</strong> l’Autre, il peut vouloir ce qu’il désire, il peut<br />

assumer, un peu mieux averti, son manque à être <strong>et</strong> ce qu’il souhaite<br />

faire <strong>de</strong> son « vivant », à entendre au sens <strong>de</strong> « viviendo »…<br />

17. J. Lacan, « Compte-rendu du séminaire …Ou pire », dans Autres écrits, op. cit., p. 551.<br />

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